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Chimie,
dermo-cosmétique
et beauté
Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie, dermo-cosmétique et beauté »,
qui s’est déroulé le 17 février 2016 à la Maison de la Chimie.

« COLLECTION CHIMIE ET ... »
Collection dirigée par Bernard Bigot
Président de la Fondation internationale de La Maison de la Chimie

Chimie,
dermo-cosmétique
et beauté
Patrice André, Jean-Marie Aubry, Sabine Berteina-Raboin, Claire Bouix-Peter,
Sandra Del Bino, Philippe Humbert, Jacques Leclaire, Laurent Marrot,
Christophe Masson, Isabelle Pélisson, Philippe Piccerelle, Philippe Walter.

Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin,


Danièle Olivier et Paul Rigny
Conception de la maquette intérieure et de la couverture :
Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin

Images de la couverture : Anna E, rob3000, Shawn Hempel,


Max Topchii, patrick, JPC-PROD, fotoliaxrender, lenets_tan,
molekuul.be – Fotolia.com ; pot pastilles : cliché Philippe Walter ;
4e de couverture : L’Oréal.

Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin


Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-2077-1

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous pro-


cédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux
termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou
reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non des-
tinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­« toute représen-
tation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de
ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette
­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti-
tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants
du code pénal.

© EDP Sciences 2017

EDP Sciences
17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112
91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction
de cet ouvrage :

Patrice André Philippe Humbert Philippe Piccerelle


Président de Botanicosm’Ethic Professeur de dermatologie Chef de service du Laboratoire
SAS Directeur du Laboratoire de Pharmacie Galénique,
d’Ingénierie et Biologie Biopharmacie et Cosmétologie
Jean-Marie Aubry Cutanée (LIBC), Université Université d’Aix-Marseille -
de Franche-Comté - UMR 1098 UMR CNRS IMBE 7263
Professeur de « Chimie
INSERM
de Formulation », ENSCL, Philippe Walter
Directeur du Centre d’Études
Université de Lille, CNRS Directeur de Recherche au
et de Recherche sur
UMR 8181 CNRS
le Tégument/CERT - CHU
Unité de Catalyse et Chimie Besançon Laboratoire d’Archéologie
du Solide Moléculaire et Structurale
(LAMS)
Jacques Leclaire UMR 8220/Université Pierre
Sabine Berteina-Raboin Directeur Scientifique
Professeur de Chimie et Marie Curie - CNRS
L’Oréal
Organique Recherche & Innovation
Institut de Chimie Organique
et Analytique UMR 7311
Laurent Marrot
Université d’Orléans-CNRS Responsable de pôle
L’Oréal
Claire Bouix-Peter Recherche & Innovation
Responsable Chimie
Médicinale Christophe Masson
Galderma Recherche Directeur Scientifique
& Développement Cosmetic Valley
Nestle Skin Health
Isabelle Pélisson
Sandra Del Bino Chef de projet Équipe éditoriale :
Ingénieur de Recherche Galderma Recherche Minh-Thu Dinh-Audouin,
L’Oréal & Développement Danièle Olivier
Recherche & Innovation Nestle Skin Health et Paul Rigny

Sommaire
Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny. 9

Préface : par Bernard Bigot............................... 11

Partie 1
La dermo-cosmétique et la beauté :
des enjeux de R&D communs

Chapitre 1 : Dermo-cosmétique et beauté


à travers les âges
par Philippe Walter....................................... 17

Chapitre 2 : Les enjeux de la vectorisation


et de la pénétration transcutanée
pour les actifs cosmétiques
par Philippe Humbert.................................... 35

Chapitre 3 : Les enjeux de la cosmétologie


par Patrice André.......................................... 67

Partie 2
La chimie au service
de la santé de la peau

Chapitre 4 : Le vieillissement cutané :


prévention et réparation
par Philippe Piccerelle.................................. 89

Chapitre 5 : L’homéostasie redox dans la peau


et sa modulation par l’environnement
par Laurent Marrot........................................ 109

Chapitre 6 : La découverte de nouvelles


solutions thérapeutiques pour le traitement
de pathologies de la peau
d’après la conférence de Claire Bouix-Peter 129 7
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Partie 3
La chimie au service
de la beauté de la peau

Chapitre 7 : Nouveaux actifs et nouveaux


ingrédients
par Sabine Berteina-Raboin......................... 151

Chapitre 8 : Diversité des peaux du monde :


de la clinique à la chimie, en passant
par les peaux reconstruites
par Sandra Del-Bino...................................... 167

Chapitre 9 : Les 12 principes de la chimie


verte comme moteur d’innovation pour
la formulation des parfums
par Jean-Marie Aubry................................... 189

Partie 4
La dermo-cosmétique :
quelques voies d’évolution ouvertes
par la recherche

Chapitre 10 : La peau : exemples de pathologies


et solutions thérapeutiques
d’après la conférence d’Isabelle Pélisson.... 211

Chapitre 11 : L’aventure des produits inoffensifs :


une approche pionnière de la sécurité
en cosmétique
par Jacques Leclaire..................................... 229

Chapitre 12 : La chimie au cœur de l’innovation


en parfumerie-cosmétique : le contexte
économique et réglementaire et les défis
de la recherche
par Christophe Masson................................. 251

8
Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie
Avant-
propos
La Fondation de la Maison utilisatrices de la chimie,
de la Chimie s’attache à faire mais aussi étudiants venus
prendre conscience à tous de en grand nombre prendre
ce que nos vies quotidiennes la dimension des avenirs
doivent à la chimie. Elle se que leur offrent les sciences
penche ainsi sur la réalité de chimiques, leurs applications
ce qui nous entoure – les objets et leur développement.
quotidiens, les vêtements, nos Les colloques sont l’occasion
habitations, nos loisirs, nos pour les participants d’écou-
médicaments, etc. Certains ter des spécialistes des sujets
de ces objets et de ces usages traités : représentants des
sont, pourrait-on dire, « vieux laboratoires à la pointe des
comme le monde », mais applications concernées et
aujourd’hui, tous, sans excep- représentants des industries
tion, sont le fruit des progrès engagées dans la fabrication
de la recherche – recherche et la promotion des objets ou
technologique naguère mais l’élaboration des méthodes
de plus en plus aujourd’hui qui en permettent la mise en
recherche scientifique. Ils œuvre. Chaque présentateur
résultent des travaux accom- fait l’effort de se mettre à la
plis par les laboratoires de portée des non spécialistes,
recherche en chimie et mis sans cacher sa passion per-
en œuvre par les industriels. sonnelle pour le sujet.
La Fondation a ainsi créé, en Les messages des colloques
2007, un cycle de colloques sont trop élaborés pour qu’on
« Chimie et… », qui traitent ne veuille pas les conserver
successivement de domaines pour s’y reporter. C’est pour-
d’application de la chimie. quoi une collection de livres
De « La chimie et la mer », « Chimie et… » a été ouverte
le premier colloque, au plus en 2009, par la Fondation de
récent, « Chimie Dermo-cos- la Maison de la Chimie. Elle
métique et beauté », le pre- reprend les contenus des col-
mier de l’année 2016, ce sont loques et met les conférences
quinze colloques qui se sont sous forme de chapitres de
ainsi déroulés. Chacun a réuni livres qui pourront être dif-
près de 1 000 personnes, fusés à toute une variété de
acteurs dans le domaine de la lecteurs : citoyens intéres-
recherche en chimie ou dans sés au progrès technique et
les entreprises industrielles ayant une certaine formation
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

scientifique, professeurs en est précieuse et doit être valo-


quête de supports concrets risée. C’est un des rôles du site
pour leur enseignement, www.mediachimie.org, que
élèves ou étudiants débutants la Fondation a créé en 2012.
dans le domaine et désireux Ce site est consulté tant pour
de saisir les tendances de la l’enseignement de la chimie
recherche et de l’innovation. que pour l’instruction du grand
La présente publication du livre public curieux de connaître la
« Chimie, dermo-cosmétique réalité technique en profon-
et beauté » est le quinzième deur. Que nos lecteurs se
volume de la série. Le thème rendent sur ce site et cherchent
en est tellement personnel que la réponse à leurs questions.
le réflexe n’est pas, à son pro- Nul doute qu’ils ne reviennent
pos, de penser à la recherche pour approfondir à la lecture,
technique et scientifique. Après à côté de celle de nombreuses
tout, bien avant la « science », ressources proposées, de l’un
les dames « de la noblesse » des volumes de la collection
n’utilisaient-elles pas cosmé- « Chimie et… », l’un des quinze
tiques et parfums ? Les dames parus ou l’une des parutions
de l’Antiquité, égyptienne, futures.
grecque ou romaine, se sont
même distinguées par le raffi-
nement de leurs pratiques en Liste des ouvrages de la col-
la matière. Pourtant, la science lection « Chimie et... » :
du xxie siècle la plus sophis- La chimie et la mer ; La chimie
tiquée est convoquée pour et la santé ; La chimie et l’art ;
accroître les performances La chimie et l’alimentation ;
des cosmétiques, leur dura- La chimie et le sport ; La
bilité, leur diversité. Depuis chimie et l’habitat ; La chimie
que la biologie de la peau s’est et la nature ; Chimie et enjeux
construite, on veut comprendre énergétiques ; Chimie et
les dommages à court ou à long transports : vers des trans-
terme que les cosmétiques ne ports décarbonés ; Chimie et
manquaient pas, dans de trop technologies de l’information ;
nombreux cas, de causer à Chimie et expertise : sécurité
leur utilisateur. La protection des biens et des personnes ;
de l’utilisateur est devenue Chimie et cerveau ; Chimie
une préoccupation majeure de et expertise : santé et envi-
l’industrie du cosmétique. ronnement ; Chimie et chan-
La simple liste des ouvrages de gement climatique ; Chimie,
la collection « Chimie et… » (voir dermo-cosmétique et beauté
ci-contre) est déjà un ensei- (le présent ouvrage).
gnement : on voit que peu de
domaines de la vie quotidienne
ont échappé à son attention. Danièle Olivier,
Et d’autres colloques (d’autres Vice-présidente
ouvrages) sont encore à venir ! de la Fondation de la Maison
Toute cette richesse d’infor- de la Chimie
mations scientifiques et tech- Paul Rigny,
niques, et même économiques, Conseiller scientifique
puisque c’est l’industrie d’au- après du président
10 jourd’hui qui est concernée, de la Maison de la Chimie
Bernard Bigot Président de la Fondation Internationale
de la Maison de la Chimie
Préface
Cet ouvrage, sur le thème de des fonctions psycho-sociales
la dermo-cosmétique et de importantes depuis la plus
la beauté, est le quinzième haute antiquité. Leurs valeurs
de la collection de livres changent selon les époques,
« Chimie et… », tous consa- les pays, les civilisations, les
crés à des thèmes différents, modes de vie, les âges, les
ce qui témoigne combien les sexes,…
chimistes sont partout pré- C’est pour traiter tous les
sents. nombreux aspects de cet
Cet ouvrage, comme le col- organe étendu et complexe
loque du même nom dont il que les experts de la derma-
est issu, devrait intéresser tologie et de la cosmétologie
un très large public, puisque se sont réunis pour vous pré-
la peau est pour chacun de senter, de façon aussi com-
nous la première barrière préhensible que possible pour
de protection de l’organisme tous, les plus récents résul-
vers l’extérieur. La peau, non tats de la recherche, mais
seulement protège tissus aussi pour répondre, objecti-
et organes des agressions vement et rigoureusement, à
potentielles, mais c’est un vos interrogations, voire à vos
organe dont la complexité a inquiétudes, sur des sujets qui
été récemment découverte qui vous intéressent tous quel que
joue également de nombreux soit votre âge.
rôles physiologiques impor- Le professeur Philippe Hum-
tants, tels que celui de régu- bert explique que tradition-
lateur thermique, de synthèse nellement, « le cosmétique,
hormonale et de protection c’est pour la peau saine et non
immunitaire. malade, et que le médicament,
Les pathologies cutanées sont c’est pour la peau malade »,
nombreuses, fort heureuse- mais qu’aujourd’hui ces deux
ment souvent bénignes, bien domaines finissent par se
qu’avec des conséquences rejoindre. Par exemple sur
parfois très désagréables, le plan de la recherche, les
mais elles peuvent devenir approches et les technologies
graves et même dangereuses sont les mêmes, et biolo-
quand il s’agit de carcinomes gistes, chimistes et médecins
et de mélanomes. doivent unir leurs efforts pour
Comme vous le montre Phi- espérer progresser.
lippe Walter, la beauté de la Les savoirs sur cosmétiques
peau, son aspect, sa couleur, sont pratiquement devenus
sa texture et sa tonicité jouent une science en elle-même,
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

car passant la barrière cuta- nanomatrices et aux nanos-


née, ils ont des effets biolo- tructures, ont permis de
giques potentiels, et l’enjeu remarquables avancées.
est précisément de ne lais- Des exemples de prévention et
ser passer que les molécules de traitement sont présentés
actives souhaitées, et de les par Laurent Marrot et Claire
piloter de façon à ce qu’elles Bouix-Peter, respectivement
atteignent la cible visée. dans le cas du stress oxy-
C’est donc exactement le dant et de certaines derma-
même objectif que celui des toses particulièrement désa-
médicaments, et ce n’est gréables, comme l’acné pour
donc pas étonnant que tout les jeunes.
en étant un puissant révéla- La partie sur la beauté permet
teur de mode et de tendance, de découvrir, avec Sabine Ber-
vous verrez tout au long de teina-Raboin, la recherche de
cet ouvrage que l’interven- nouvelles molécules actives à
tion des stratégies du vivant partir des plantes ou d’orga-
a permis d’augmenter consi- nismes marins, et de nous
dérablement l’efficacité des émer veiller sur la grande
soins cosmétiques, dont le diversité que la nature met à
développement s’appuie sur notre disposition pour élabo-
les progrès scientifiques et rer des molécules complexes
technologiques. Par exemple, et actives.
comme dans le domaine des Jean-Marie Aubr y montre
médicaments, Patrice André l’importance fondamentale
montre que les pl antes des ingrédients ajoutés aux
ouvrent la porte du futur sur molécules actives et de la
de nombreuses innovations. science de la formulation dans
Une p ar tie de ce l i v r e la fabrication d’un cosmé-
concerne plus spécifique- tique, comme dans celle d’un
ment la beauté, et l’autre la médicament d’ailleurs, non
santé de la peau. seulement pour répondre aux
Comme le montre Philippe attentes et aux besoins des
Piccerelle, au vieillissement consommateurs, mais aussi
programmé de la peau qui pour satisfaire aux règles de
peut sans doute être retardé, sécurité sanitaires et environ-
mais auquel aucun d’entre nementales.
nous n’échappe, s’ajoute un Comme la peau est notre
vieillissement pathologique enveloppe, notre écrin per-
sous l’influence de facteurs sonnel, c’est donc un gros
tels que le stress, la pollution, défi que les traitements
une mauvaise alimentation, cliniques ou cosmétiques
les agressions climatiques. sachent prendre en compte
L’identification des bonnes la diversité des hommes et
cibles, la découverte d’actifs des femmes de notre planète
efficaces grâce aux progrès pour demeurer efficaces dans
de la recherche en biotech- le cadre de la mondialisation
nologie, en génomique et en de ce marché.
biologie cellulaire, ainsi que On a longtemps cru que les
le développement de la for- produits cosmétiques, comme
12 mulation des actifs grâce aux d ’ail leur s le s p ar f um s ,
Préface
n’étaient qu’une décoration à notre économie : secteur
superficielle et que notre d’avenir en termes d’innova-
enveloppe leur était imper- tion, de compétitivité interna-
méable. Nous savons main- tionale, et donc secteur por-
tenant que c’est faux. C’est un teur d’emplois qui intéressera
bien pour leur efficacité, mais les nombreux jeunes.
c’est aussi un gros danger sur
le plan sanitaire, et Jacques
Je vous souhaite une excel-
Leclaire explique comment
lente lecture.
on y fait face.
Enfin, Christophe Masson Bernard Bigot
montre sur des exemples la Président de la Fondation
contribution majeure de la internationale de la Maison de
filière cosmétique française la Chimie

13
Philippe Walter
Dermo-
cosmétique
et beauté
à travers les âges
Philippe Walter est Directeur de Recherche au CNRS et spé-
cialiste du domaine « la chimie et l’art ». Il a étudié les fards
des pharaons, regardé comment faisaient les Romains pour se
teindre les cheveux en noir grâce aux sels de plomb, montrant au
passage qu’ils utilisaient des nanotechnologies. Philippe Walter
dirige le laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale à
l’Université Pierre et Marie Curie (Paris).

1 Le regard des
civilisations passées
sur le vieillissement
des Pharaons avec l’analyse
chimique des matières qui
nous été transmises depuis
de la peau l’Antiquité, il nous est possible
de préciser le regard des civi-
1.1. De la chimie dans lisations du passé sur ces pro-
l’Égypte ancienne blèmes de vieillissement de la
peau et de nous éclairer sur la
Un rêve éternel : « transformer
manière dont la science cos-
un vieillard en jeune homme » !
métique occidentale, inven-
Déjà un papyrus égyptien de
tée dans l’Antiquité égyp-
l’école pharaonique, le papy-
tienne, puis développée dans
rus Smith, donne quelques l’Antiquité gréco-romaine, a
recettes (Encart : « Pour trans- guidé notre point de vue sur
former un vieillard en jeune la beauté et le vieillissement
homme »). Lisons la conclu- ainsi que sur les manières d’y
sion : « Si l’on se frotte la peau remédier. Ces considérations
avec ce produit, elle devient se sont construites progressi-
parfaite de teint. La calvitie, vement grâce, dans une large
toutes les taches de rousseur, mesure, à la mise en œuvre de
toutes les marques fâcheuses préparations chimiques et au
de l’âge, et toutes les rougeurs développement d’une science
qui gâtent l’épiderme sont gué- sophistiquée de la formula-
ries par le même moyen ». Ces tion.
préoccupations sont toujours Si l’on revient au début de cette
les nôtres… éternelles. recette du papyrus Smith, on
En associant l’étude des textes remarque que le rédacteur
et des images de l’époque explique qu’il faut se procurer
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

POUR TRANSFORMER UN VIEILLARD EN JEUNE HOMME


Recette d’un remède contre les marques du vieillissement, une préoccupation
déjà à l’époque pharaonique

« Se procurer environ deux hectolitres de gousses fraîches de fenugrec. Concasser ces gousses
et les exposer au soleil. Quand elles sont sèches, [...] séparer les graines des gousses. [...]
Mélanger les deux quantités de graines et de débris de gousses, y ajouter de l’eau et en faire une
pâte assez fluide. [...] Faire chauffer. Cesser le chauffage lorsque l’on constatera la présence
de petites nappes d’huile surnageant sur la masse. Puiser cette huile à l’aide d’une cuiller. [...]
Si l’on s’en frotte la peau, elle devient parfaite de teint. La calvitie, toutes les taches de rousseur,
toutes les marques fâcheuses de l’âge et toutes les rougeurs qui gâtent l’épiderme sont guéries
par le même moyen. [...] Ce remède a été appliqué avec succès des millions de fois. »

« Pour transformer un vieillard en jeune homme (Papyrus Smith XIX, 9-XX, 10) ».
Dans Mélanges Maspero, t. I, MIFAO, t. 66/1. Le Caire, 1935-1938, p. 853-877.

des gousses fraîches d’une un récipient et chauffée. La


plante herbacée, le fenugrec, recette indique alors com-
les concasser et les exposer ment l’observation de l’évo-
au soleil afin de les sécher. lution du mélange permet de
Ce texte peut faire penser à savoir si l’extraction des pro-
une simple recette de cuisine duits utiles se déroule bien : le
mais c’est aussi le début d’un chauffage est stoppé lorsque
protocole physico-chimique. l’on constate la présence de
Il est précisé que la matière petites nappes d’huile surna-
doit être sèche, avant d’être geant sur la masse. C’est cette
­s éparée en différentes par- huile qui est recherchée pour
ties. Puis de l’eau est ajoutée soigner la peau et lui redon-
pour former une pâte fluide et ner les propriétés de jeunesse
non simplement pour réhydra- lorsqu’elle a vieilli.
ter les composants. Une pro- La Figure 1 est une scène de
priété physique du mélange préparation d’un onguent 1
est donc recherchée : il ne parfumé : la peinture peut
doit ni s’agir d’une masse
solide, ni d’une poudre : la 1. Onguent : pommade à base de
pâte est ensuite placée dans résine et de corps gras.

Figure 1
Scène de préparation d’un onguent parfumé suivant une recette très précise.
Chapelle funéraire de la tombe anonyme TT 175, XVIIIe dyn., Gournah (d’après M. el-Shimy, in Molecular and Structural
Archaeology: Cosmetic and Therapeutic Chemicals, Volume 117 of the series NATO ASI Series pp 29-50).
18 Source : Mohamed El-Shimy.
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
être lue comme une recette dans une tombe avait sans
qui représente une séquence doute pour fonction d’insister
de gestes assez semblable à sur la revitalisation du défunt
celle du papyrus Smith. Un permise par cet onguent.
homme commence par écra- L’ époque gréco -r omaine
ser ou concasser la matière ; nous a également transmis de
un autre la filtre ; deux autres nombreuses informations sur
la mélangent alors qu’un der- ce sujet par l’intermédiaire
nier la remue dans un large de traités médicaux souvent
vase posé sur un braséro. Les copiés durant la période
vases à col long représentés médiévale. Ces recettes, éla-
entre ces gestes semblent borées par des médecins, ont
signifier que l’on peut lais- produit un véritable savoir
ser le mélange reposer ou scientifique du soin médical
macérer pour en extraire un et dermo-cosmétique.
parfum dont la nature semble
caractérisée avec les fleurs
de lotus. 1.2. Une notion de soin
médical
L’Égypte ancienne a ainsi mis
en place une série de recettes Sur un manuscrit (Figure 2)
pour améliorer les conditions datant du vie siècle et conservé
de vie et protéger la peau tout à la bibliothèque nationale
aussi bien de l’action du Soleil, d’Autriche à Vienne, on peut
de la sécheresse du désert voir l’un de ces médecins,
que du vieillissement natu- Dioscoride, en train d’écrire.
rel. Ici cette représentation En face de lui un peintre, avec

Figure 2
Un peintre, la figure allégorique
de l’Epinoia et le médecin
Dioscoride, guidé par le pouvoir
de la pensée.
Dioscoride, De Materia Medica.
Vienne, Österreichische
Nationalbibliothek, Cod. Med. Gr. 1,
début du vie siècle. 19
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

ses godets de couleurs, repro- à une science médicale car


duit une racine de mandragore. le résultat produit visait à
Au centre se trouve la figure « falsifier » son apparence
allégorique du pouvoir de la et permettait de tromper sur
pensée, qui guide le médecin sa vraie nature et sa vraie
lorsqu’il doit comprendre les beauté. Ces concepts seront
médicaments et les savoirs qui repris par les penseurs de
sont décrits dans cet ouvrage l’Église qui vont condamner
« Sur la matière médicale » de ces traitements dès les pre-
Dioscoride. miers siècles de notre ère. Il
faudra attendre le xx e siècle
pour que l’on considère diffé-
1.3. Cosmétique et remment ces approches qui
commôtique : art du naturel visent à arranger artificielle-
et art de l’artificiel ment le visage.
Une lecture attentive des
ouvrages de médecine gréco-
romaine met en évidence L’art de la toilette, la
l’existence de deux types de partie cosmétique de
soins du corps, qui sont distin- la médecine : une pra-
gués selon un schéma proche tique noble et considérée
du nôtre aujourd’hui. Il s’agit comme très importante.
d’une part de ce qui est appelé Les soins de la peau per-
la cosmétique, c’est-à-dire mettaient de préserver la
l’art de la toilette, associé à la beauté naturelle à l’aide
pratique médicale. Cette pra- de crèmes, de pommades
et d’onguents parfois
tique désignait tous les soins
sophistiqués.
de la peau qui permettent de
préserver la beauté naturelle La commôtique, l’art de se
à l’aide de crèmes, de pom- donner une peau factice :
mades ou d’onguents, parfois une pratique controversée
complexes, avec des recettes qui permet d’arranger le
pouvant inclure jusqu’à une visage artificiellement en
vingtaine d’ingrédients dif- lui conférant un éclat qu’il
férents. La cosmétique était n’a pas au naturel à partir
considérée comme une pra- de l’emploi d’un jeu limité
tique noble et très importante de couleurs (noir, blanc et
dans la vie quotidienne des rose).
personnes. À l’opposé, ce
qui était appelé commôtique,
notamment par le médecin
Galien, correspondait à une
activité qui conduisait à modi- 2 La science
de la formulation
au service de la beauté.
fier artificiellement son appa-
rence par l’ajout de produits Exemple des huiles
qui permettaient de conférer
2.1. L’interprétation de
à la peau un éclat répondant
l’usage des huiles grâce aux
à un certain idéal de beauté,
textes anciens et à la chimie
notamment par l’intermé-
analytique
diaire de contrastes de cou-
leurs. Cette démarche était La formulation est l’ensemble
20 jugée indigne d’être associée des opérations qui consistent
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
à fabriquer, en mélangeant physico-chimiques de ces
des substances variées, un matières ont révélé qu’elles
matériau homogène et stable étaient constituées de pro-
dans le temps et possédant un duits intermédiaires de dégra-
certain nombre de propriétés. dation de substances hui-
Nous allons nous intéresser leuses, vraisemblablement
plus particulièrement à la d’origines végétales, parfois
création de formes galéniques mélangées à des résines.
et à l’amélioration de formules Ces flacons devaient à l’ori-
existantes, c’est-à-dire étu- gine contenir les formules qui
dier comment à partir d’une avaient été préparées dans un
tradition, les préparateurs de but de traitement de la peau,
l’Antiquité ont su modifier les de soin médical, ou peut-être
ingrédients (principes actifs culinaire. La taille et la forme
et excipients) et les recettes des flacons nous guident dans
de mise en œuvre afin d’obte- ces identifications. Certaines
nir un produit plus stable au bouteilles pouvaient contenir
cours du temps et/ou doté de des huiles pour la nourriture
plus nombreuses propriétés ou correspondaient à l’un des
actives. articles de toilette destinés
L’exposition « Le bain et le aux bains, l’aryballe, avec son
miroir » organisée en 2009 embouchure large et plate,
au Musée national du Moyen- pensée pour faciliter l’onction
Âge – Thermes de Cluny à du corps. Sa forme compacte
Paris a été une opportunité et son verre souvent épais en
pour regrouper un ensemble faisaient également un objet
de flacons qui contiennent facilement transpor table,
encore des onguents datant doté également d’une anse
d’entre le premier et le troi- perforée qui permettait le
sième siècle de notre ère passage d’une chaînette de
(Figure 3). Les contenus sont suspension.
aujourd’hui conservés sous De nombreux auteurs de
la forme de masses jaunes, l’Antiquité, puis de l’époque
grises ou légèrement ver- médiévale, ont décrit la
dâtres car les huiles se sont nature des composés qui pou-
polymérisées. Les analyses vaient être présents dans de

Figure 3
Flacons (aryballes, flacon
de Mercure, bouteilles) contenant
des formules datant de l’Antiquité
et pouvant avoir diverses
fonctions.
Mise en scène dans le cadre de
l’exposition « Le bain et le miroir »
organisée en 2009 Musée national
du Moyen-Âge – Thermes de Cluny
à Paris.
Source : cliché Philippe Walter. 21
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

tels flacons. Théophraste a traditions modernes de la


regroupé ces connaissances pharmacie et certains subs-
dès la fin du iv e siècle avant tances naturelles étudiées
notre ère dans un traité des aujourd’hui par les chimistes
odeurs (De Odoribus). Par la et les ethno-pharmacologues
suite, les ouvrages de Diosco- confirment que des molécules
ride, au ier siècle, et du méde- présentent dans ces subs-
cin grec Galien de Pergame tances présentent un véritable
vont préciser les recettes et intérêt pour des soins dermo-
leurs usages. Cependant, cosmétiques.
Galien, dans son ouvrage
Antidotos, commentera la
nature des huiles parfumées 2.2. La préparation
en précisant que « les parfu- des produits cosmétiques :
meurs ont des connaissances un véritable art
des plantes insuffisantes », de la formulation
et que « les antidotes qu’ils Les représentations des pra-
préparent sont inefficaces ». Il tiques de préparation des
condamnait ainsi en premier parfums et onguents nous
lieu les prétentions médicales renseignent également sur
de la parfumerie, même s’il les gestes pratiqués. Pour
jugeait par la suite nécessaire les huiles et les parfums,
de nuancer ses propos car ces nous disposons de plusieurs
savoirs relatifs aux parfums illustrations, comme ce frag-
devaient selon lui être tout ment de décor d’un tombeau
de même considérés : le par- égyptien (Figure 4), datant du
fum de lys était ainsi employé vi e siècle avant notre ère. Il
pour soigner des dermites ; s’agit d’une scène de prépa-
l’usage d’une série de fleurs ration du parfum de lys décrit
(rose, narcisse, lys), de comme pouvant être employé
gommes (myrrhe, galbanum), dans un but de traitement de
d’écorces parfumées (can- la peau ou en parfumerie. On
nelle) ou d’huiles (amande, peut y voir deux femmes qui
ben, olive, œillette) pouvaient tordent un linge contenant
aussi avoir des bienfaits. Les les fleurs pour en extraire

Figure 4
Préparation du parfum de lys,
vie siècle avant J.-C.
Calcaire, fragment du décor d’un
tombeau, Égypte. H. : 25,80 cm.
22 Musée du Louvre.
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
le jus. Il s’agit vraisembla- Figure 5
Huile / Baume / Onguent / Emplâtre
blement de la technique de
l’enfleurage, qui consiste à consistance plus épaisse Natures des formules antiques
appliquées sur la peau.
placer des fleurs dans de la
graisse animale ou de l’huile
végétale, puis de les laisser
macérer afin d’en extraire
leur huile essentielle. L’étape
finale consiste alors à filtrer
Figure 6
le liquide afin de retirer les
pétales. Huile et sport : les onctions
Les différentes formules pré- et le massage.
Aryballe contenant de l’huile pour
sentes dans les textes médi- le sport, époque gallo-romaine.
caux sont celles d’huiles, Verre, H. : 6,5 cm, Cologne,
de baumes, d’onguents ou Römisch Germanisches Museum,
d’emplâtres (voir le para- inv. 629.
graphe 2.4.), dont les ingré-
dients principaux étaient des
devait donc être de conserver
huiles (Figure 5). Leurs consis-
des onguents ou des produits
tances étaient variables, une
médicaux. Un tel objet retrouvé
matière plus visqueuse ou
près de tombes romaines à
collante pouvant être appli-
Omal (Belgique) et daté du iiie
quée et rester sur la peau plus
siècle ou du début du ive siècle
longtemps. Les huiles pour le
contient encore une matière
sport, souvent contenues dans
grasse, de couleur beige, légè-
des flacons appelés aryballes
rement translucide, encore très
(Figure 6), étaient utilisées
collante et qui a pu être analy-
pour se couvrir le corps et
sée avec différentes techniques
pour le massage : l’athlète
de spectroscopie infrarouge,
s’en oignait le corps avant de
de chromatographie en phase
racler avec un strigile toutes
gazeuse et spectrométrie de
les salissures présentes sur
masse. Malheureusement ces
sa peau après la sudation
analyses ne nous ont permis
obtenue par l’effort ou la cha-
de détecter que la présence
leur thermale. Les emplâtres
pouvaient quant à eux adhérer
et fixer ainsi différents prin-
cipes actifs médicamenteux
qui diffusaient dans le corps
à travers l’épiderme.
Une forme particulière de
flacon était ainsi associée au
dieu Mercure (Figure 7) : de
section carrée et présentant Figure 7
un long goulot, il tient son nom Onguent médical : flacon de
à la marque imprimée sur sa Mercure contenant une substance
base qui représente le dieu homogène marron translucide,
Mercure ou un caducée, l’un pâteuse et collante. L’analyse
(FTIR et GC/MS) montre qu’il s’agit
de ses attributs lorsqu’il est
d’une huile végétale polymérisée
considéré comme le dieu des (iiie-début du ive siècle).
médecins. La fonction pre- Verre de teinte vert clair,
mière de cette forme de vase H. 27,3 cm. Liège, Musée Curtius. 23
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

d’une huile végétale polyméri- ranci, et dans laquelle il n’a


sée2, une huile qui avait vieilli, pas été possible de mesurer
la moindre trace du principe
2. Polymérisation : réaction chimique actif3 qui pouvait être présent
d’un même type de molécule appelé à l’origine (Encart : « La décep-
monomère pour donner une macro- tion du chercheur des odeurs
molécule composée d’une chaîne de
anciennes »).
motifs de répétition. Sur la poly-
mérisation des huiles, voir aussi
La chimie et l’art, le génie au service
de l’homme, chapitre de B. Valeur,
coordiné par M.-T. Dinh-Audouin, 3. Principe actif : molécule qui
R.A. Jacquesy, D. Olivier et P. Rigny, dans un médicament possède un
2010, EPD Sciences. effet thérapeutique.

LA DÉCEPTION DU CHERCHEUR DES ODEURS ANCIENNES

La recherche de la nature et de la composition chimique des parfums anciens ne réussit


pas toujours. Certainement la conséquence de leur fragilité, de leur volatilité intrinsèque...
mais « point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ! ».
Le laboratoire d’analyse de L’Oréal Recherche, en collaboration avec le laboratoire de Philippe
Walter et le Musée romain-germanique de Cologne (Allemagne), a tenté différentes approches
pour identifier les restes de parfums : les analyses conventionnelles de la constitution de ces
produits par des méthodes séparatives ont été complétées par des captures d’odeurs avec un
dispositif de microextraction de molécules sur phase solide (Figure 8). Avec cette technique,
une fibre est introduite dans une bouteille romaine bouchée pour capturer les molécules
présentes en phase vapeur et qui ne sont autres que celles que l’on peut sentir avec notre nez
lorsqu’on ouvre le flacon. La fibre est ensuite montée sur un appareil de chromatographie en
phase gazeuse (Figure 9) couplé à la spectrométrie de masse pour identifier les molécules
prélevées. Les mesures effectuées sur les flacons romains n’ont montré la présence que de
composés de dégradation des huiles, c’est-à-dire issus des huiles polymérisées et rancies.
Le célèbre chimiste Marcelin Berthelot (Figure 10) – auquel la Maison de la Chimie doit son exis-
tence – a réalisé un travail équivalent il y a maintenant cent quinze ans. Il travaillait fréquemment
A B

Fibre revêtue

Absorption

Figure 8
A) Microextraction de molécules volatiles sur phase solide permettant leur identification ;
B) analyse par chromatographie en phase gazeuse (V. Manzin, L’Oréal Recherche).
24
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
avec les archéologues et notamment l’égyptologue Gaston Maspero, qui lui confia une série
de petites boules rondes découvertes dans un tombeau et qui pouvaient avoir été destinées à
purifier et à parfumer l’environnement. Au moment de la découverte, l’archéologue observa que
ces boules exhalaient une odeur musquée assez violente. Il les a donc emmenées à Paris pour
permettre à Marcelin Berthelot de déterminer ce qu’était ce parfum. Les analyses qui ont été
effectuées n’ont pas permis d’identifier de molécules de parfum mais uniquement le substrat
inorganique de ces composés, constitué de verre pilé très riche en silice et de calcaire. Aucune
particule de matière susceptible d’avoir été liée à ces parfums ! On peut retenir le commentaire
de Maspero : « il est possible que cette odeur se soit réduite à rien au cours du voyage, ou que la très
petite quantité de matière qui la produisait se soit évaporée au premier coup de feu ».

Injecteur
chromatographe
en phase gazeuse

Désorption

Figure 9
Chromatogrammes révélant les composés de dégradation des huiles (analyse par GC-MS/SPME, V. Manzin,
L’Oréal Recherche).

Figure 10
M. Berthelot (1901) - Sur l’or égyptien. Annales du Service des antiquités de l’Égypte, 2, pp. 157-163.
25
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

2.3. Des recettes Le premier constat qui s’im-


en permanente évolution : pose est la présence presque
le cas des emplâtres systématique du plomb dans
les recettes anciennes : la
Les emplâtres sont des pro-
duits pharmaceutiques qui, base de la formule consistait
grâce à leur consistance à mélanger et à traiter des
épaisse et à leur adhérence, matières grasses avec des sels
peuvent rester longuement de plomb selon des modes opé-
appliqués sur la peau et ainsi ratoires souvent complexes :
libérer les principes actifs la réaction chimique à la base
qu’ils contiennent. Ils for- des recettes est la saponifica-
maient une classe de compo- tion ; c’est une transformation
sés très prisés de la pharma- des matières grasses (trigly-
copée ancienne. Nous avons cérides) en acides gras qui se
étudié les formulations des complexent et réagissent avec
emplâtres telles qu’elles ont le plomb lorsque l’on chauffe
été décrites dans un corpus de le mélange (Figure 11). La
recettes datant de l’Antiquité chimie analytique permet de
jusqu’à l’époque moderne. comprendre aujourd’hui les

diminution augmentation
0 min de la bande des bandes C = O
15 min C = O ester carboxylates
30 min (RCO2R’) (RCO2–)
Absorbance

45 min

1h
Figure 11 1 h 30
Mise en évidence de la formation
d’emplâtres de plomb par 1800 1600 1400
saponification des esters de l’huile Nombre d’onde (cm ) –1

avec formation de savons


de plomb. chauffage
Source : Cotte et coll. (2006). Huile ou graisse + sels de plomb emplâtre de plomb
Talanta, 70 : 1136-1142.

LES EMPLÂTRES
Définition
Les emplâtres sont des produits pharmaceutiques qui, grâce à leur consistance épaisse et
à leur adhérence, peuvent demeurer longtemps appliqués sur le corps et permettre ainsi
aux principes actifs qu’ils contiennent de produire leur effet.
Les réactifs
Matière grasse, sels de plomb.
Les conditions expérimentales
Proportion des composés, agitation, chauffage, ajout éventuel d’eau.
26
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
procédés mis en œuvre dans universelle, contenant toutes les
ces recettes, de mesurer la compositions de pharmacie qui
vitesse des réactions chimiques sont en usage dans la médecine,
qui permettaient de fabriquer tant en France que par toute
un bon produit, d’évaluer les l’Europe : leurs vertus, leurs
propriétés finales, par exemple doses, les manières d’opérer les
d’adhésion à la peau ou les dan- plus simples et les meilleures
gers dermo-cosmétiques, en en 1697, cita ainsi 42 recettes
évaluant la capacité du plomb différentes d’emplâtres, tou-
contenu dans ces produits à jours sur le même principe de
diffuser à travers les couches base : on cuit un oxyde de plomb
superficielles de l’épiderme avec une huile en ajoutant de
(stratum corneum). l’eau pour empêcher la dété-
rioration de la préparation par
Les ouvrages de Celse, méde-
la chaleur, diminuer l’oxyda-
cin romain du ier siècle, ne four-
tion et obtenir un produit plus
nissent pas moins de 19 recettes
pur, qui va résister mieux au
d’emplâtres (Figure 12), et dans
temps et mieux coller à la peau
quasiment toutes, le chauffage
(Figure 13).
d’une huile et d’un sel de plomb
est préconisé, sans ajouter D’autres (et rares) découvertes
d’eau. Cette méthode de prépa- archéologiques, qui ne sont
ration de l’emplâtre fera l’objet pas d’emplâtres, mais très
de changements profonds au probablement de crèmes de
xvie siècle (dans les ouvrages de beauté, ont été faites. Il s’agit
Valerius Cordus, en 1548, et de par exemple de la découverte
Laurence Joubert, en 1574) puis en 2002, lors de fouilles de sau-
au xviie siècle, les préparateurs vetage à Londres, d’une petite
considérant qu’il est important boite en étain, qui date du iie
d’ajouter de l’eau au mélange siècle. Cette pyxide était encore
initial, pure ou sous forme de hermétiquement fermée et
mucilage 4 , Nicolas Lemery, remplie d’une crème blanche
auteur d’une Pharmacopée sur laquelle on peut encore
voir une empreinte digitale. La
4. Mucilage : substance végétale matière avait au moment de la
employée en pharmacologie, qui découverte une forte odeur de
gonfle au contact de l’eau. soufre. L’analyse du contenu

Celse (ier siècle) Cordus (1544) Joubert (1574) Lemery (1697)


(19 recettes) (8 recettes) (11 recettes) (42 recettes)

Figure 12
Évolution au fil du temps
de la recette de préparation
des emplâtres par ajout d’eau.
À sec Avec de l’eau Avec musclage ou décoction Source : d’après la thèse de
doctorat de Marine Cotte, 2004.

chauffage
Figure 13
huile / graisse (2) + eau (2) + PbO (1) emplâtre simple Nouvelle formulation d’emplâtre
apparue au xvie siècle avec ajout d’eau. 27
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

par Richard Evershed et son la mise au point de méthodes


équipe, à l’Université de Bris- quasi industrielles de produc-
tol, a montré qu’environ 80 % tion de composés synthétiques
de la crème était composé d’un fut nécessaire. Le maquillage
mélange, dans des proportions blanc du visage, largement
comparables, d’une matière employé durant l’Antiquité
grasse d’origine animale et gréco-romaine, nous four-
d’une matière riche en ami- nit une illustration de cette
don. La matière grasse a pu démarche. Il faisait partie des
être obtenue à partir de graisse pratiques de la commôtique,
de carcasses de ruminants et que nous avons vues contro-
aurait été cuite, d’après la pré- versées car visant à arranger
sence de molécules de dégra- le visage artificiellement en lui
dation du cholestérol. L’amidon conférant un éclat qu’il n’a pas
est obtenu par traitement de au naturel. Dénommé psymi-
racines ou de graines dans de thion en grec, cerusa en latin,
l’eau bouillante. Le reste de l’usage de ce pigment, appelé
la matière correspond à des aujourd’hui blanc de plomb
grains d’oxyde d’étain, qui ou céruse, est décrit par des
donnent la couleur blanche à auteurs aussi variés que Pla-
la crème. Les propriétés de ton, Aristophane, Xénophon
l’oxyde d’étain ne sont pas ou Lucien. Son emploi fut pré-
décrites dans des textes de dominant pour le maquillage
l’Antiquité et il est possible de – et la peinture artistique –
considérer qu’il puisse s’agir jusqu’au x i x e siècle. Pline
d’un substitut aux pigments l’Ancien considérait dans le
blancs plus classiques tel que volume XXXV de son Histoire
le blanc de plomb. La reconsti- naturelle que c’est le pigment
tution de cette recette de crème blanc le plus doux de tous ».
a montré que sa texture était
L’étude des textes antiques
agréable lorsqu’on cherchait à
montre que la céruse était
la faire pénétrer dans la peau.
issue d’une synthèse chimique
L’odeur de départ est grasse
qui partait de plomb métal-
mais disparait rapidement der-
lique (sous forme de copeaux
rière la douceur de la crème.
ou de grilles) soumis à des
Sa couleur blanche peut faire
vapeurs d’acide acétique
penser qu’elle était utilisée
issues de vinaigre présent
comme un fond de teint.
dans des grands vases, eux-
mêmes placés dans un milieu

3 Vers une production en fermentation (fumier, tan-


« industrielle » des née) relativement chaud et
cosmétiques. Exemple riche en dioxyde de carbone.
du maquillage blanc Progressivement le plomb
se transforme et une croûte
blanche apparaît à la surface
3.1. Un pigment de synthèse
des lames. Cette croûte peut
pour le maquillage blanc :
être grattée et se révèle for-
le blanc de plomb
mée de carbonate de plomb, de
Durant l’Antiquité, lorsque la l’hydrocérusite (Figure 14) ou
demande de la société pour de la cérusite. Cette recette,
des substances cosmétiques avec du vinaigre, en présence
28 est devenue plus importante, de chaleur et du dioxyde de
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
Figure 14
Recette simple permettant
Plomb + CO2(g) + H2O 2PbCO3.Pb(OH)2 de fournir de grandes quantités
de pigments blancs.
Acide acétique
Source : clichés Philippe Walter.

carbone, est simple et effi- isotopiques du plomb qui nous


cace : on peut la reproduire renseignent sur l’origine du
en laboratoire et en expliquer métal employé. Les obser-
les différentes étapes. vations des prélèvements au
Les découvertes archéolo- microscope électronique à
giques en Grèce de flacons à balayage5 (Figure 16) montrent
fard encore remplis, comme que les fards sont constitués
par exemple un lékanis trouvé de très petits grains, de lon-
à Eleusis (Figure 15A) et une gueur inférieure à un micro-
petite pyxide de 5 centimètres mètre, souvent en forme de
de haut, provenant de Volos petites plaquettes très fines.
(Figure 15B), fournissent les L’homogénéité de la taille des
matières antiques qui peuvent grains est remarquable et elle
aujourd’hui faire l’objet de n’aurait pu être que très diffici-
caractérisations physico- lement obtenue à partir d’une
chimiques. Un échantillon substance naturelle. En effet,
d’une dizaine de milligrammes
permet une détermination 5. Microscopie électronique à ba-
fine de ses constituants, de layage : technique de microscopie
électronique capable de produire
leurs natures minéralogiques
des images en haute résolution de
qui sont liées aux modes de la surface d’un échantillon en uti-
synthèse, ainsi que de leurs lisant le principe des interactions
impuretés et des rapports électrons-matière.

A B

Figure 15
A) Lékanis contenant des pastilles de blanc de plomb, synthétisées dans l’Antiquité (Eleusis) ;
B) Pyxide ayant conservé les traces d’usage de l’époque antique (cimetière de Démétrias, Volos).
Source : clichés Philippe Walter. 29
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

A B

Figure 16
Observation par microscopie électronique à balayage de pigments blancs sous formes de plaquettes (A)
et modélisation de la forme moyenne des grains le constituant (B).

un broyage du minerai naturel nord de la Grèce, à Derveni,


induit une grande variabilité près de Thessalonique, ainsi
de taille de grains et souvent qu’à Athènes et dans d’autres
des cristaux facettés dus aux sites de l’époque hellénis-
clivages des minéraux. Cette tique. Quelles sont donc ces
observation est importante pastilles ? Leur examen et
pour mieux comprendre la les mesures des dimensions
qualité du produit. Le premier (diamètre et épaisseur) et
intérêt de cette forme grain des masses des pastilles qui
est que la taille des cristaux étaient conservées entières
est du même ordre de gran- ont mis en évidence l’exis-
deur que la longueur d’onde tence d’une standardisation
de la lumière : c’est un pig- inattendue (Tableau). Il semble
ment qui diffuse très bien la que sur une période de deux
lumière. Ensuite, ces petites ou trois siècles, on ait fabri-
plaquettes se collent très faci- qué ces pastilles de blanc de
lement à la peau, sans ajout de plomb selon un modèle pré-
matière grasse et confèrent cis. La pastille ressemblait-
un pouvoir couvrant excep- elle à une pièce de monnaie
tionnel : peu de matière est avec laquelle elle pouvait être
nécessaire pour cacher la échangée? On peut l’imagi-
surface de la peau. Ce sont ner, mais on ne dispose pas
ces propriétés qui, associées d’information sur la nature du
à un indice de réfraction élevé commerce, ni sur les valeurs
des carbonates de plomb, ont de ces produits cosmétiques
dû contribuer au succès de ce de l’Antiquité grecque.
produit. On notera également que ces
pastilles sont très faciles à
fabriquer par moulage de la
3.2. Un véritable
poudre encore humide et à
« packaging » du maquillage
manipuler ; elles font entre 2,8
Plusieurs sites archéolo- et 3 centimètres de diamètre.
giques ont livré de surpre- Il était possible de se frotter le
nantes boites qui contenaient visage directement avec elles,
cette céruse sous la forme constituant en quelque sorte
de pastilles (Figure 17 ). à la fois le cosmétique et son
L’exemple précédent d’Eleu- applicateur. Il est intéressant
30 sis se retrouve aussi dans le de rapprocher ces pratiques
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
A Figure 17
Standardisation de la fabrication
du blanc de plomb sous forme de
pastilles.
A) Cimetière du Céramique,
Athènes, tombe 24 ; B) pyxide
tripode, musée national d’Athènes.
B

aux « packagings » imaginés l’usage de canalisation pour


aujourd’hui. le transport de l’eau et aux
ouvriers qui travaillaient dans
les gisements de minerais
3.3. Les dangers argentifères. Le plomb est
sanitaires engendrés un élément chimique majeur
par l’industrialisation dans l’histoire de la chimie
de la production
parce qu’il se solubilise facile-
La question de la toxicité du ment dans l’eau dans sa forme
plomb, posée déjà dans l’An- oxydée et donne lieu à toute
tiquité, ne se limitait pas à une série de réactions avec

Tableau
Résultats de mesures et de pesées des pastilles de pigments provenant de tous les sites grecs étudiés révélant
une incroyable standardisation.

Site Échantillon Masse moy. (g) Diamètre moy. (cm) Épaisseur moy. (cm)

Céramique KER1 5,13 ± 0,47 2,72 ± 0,04 0,6 ± 0,06


(même tombe) KER3 5,73 ± 0,61 2,80 ± 0,15 0,57 ± 0,05
EL01 8,97 ± 0,64 2,78 ± 0,10 0,98 ± 0,2
Éleusis EL02 (fragment) – 2,85 ≈ 0,7

EL12 (fragment) – ≈ 2,84 –


Derveni E32a non renseigné 2,9* 0,5*
Musée Pyxide tripode 8,45 ± 1,19 2,90 ± 0,09 0,83 ± 0,16
national
(Athènes) Pyxide (fragment) – 2,72 ± 0,19 –

n° inv. 11332
Tanagra pastille conservée 6,48 ± 0,96 2,70 ± 0,07 0,72 ± 0,14
sans contenant
* D'après Themelis, P. Touratsoglou (1997). Les ensembles de pastilles étudiés (encore entières) sont inégaux :
KER1 : 5 pastilles ; KER3 : 5 pastilles ; EL01 : 5 pastilles ; EL02 : 1 fragment de pastille ; EL12 : 1 fragment de pas-
tille : E32a : d'après publication ; Pyxide tripode 13676a : 9 pastilles (diamètre) dont 5 entières (masse et épaisseur) ;
Pyxide 13676b : 13 pastilles. 31
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

les composés organiques et être mis en relation avec


inorganiques. On comprend cette scène peinte par Jean-
donc que le plomb soit ainsi Léon Gérôme au xix e siècle
présent dans les recettes (Figure 18), montrant Phryné
d’emplâtre et de fard, malgré devant l’Aréopage à Athènes.
son danger pour la santé. Phryné fut, dans la mémoire
antique, une des plus belles
Dans l’Antiquité, la réflexion
femmes de l’histoire. Elle
sur la toxicité du plomb existait
aurait été le modèle des plus
déjà. Les médecins avertis-
grands artistes : Praxitèle,
saient sur les méfaits poten-
pour la sculpture, Apelle,
tiels de telles substances si
pour la peinture. D’après
elles étaient ingérées. Pline Galien (Adhortatio ad artes
l’Ancien, par exemple, rap- addiscendas, 10), Phryné, lors
portait que les fards au plomb d’un banquet, ayant vu toutes
pouvaient être utilisés sur la les autres femmes largement
peau mais qu’ils étaient des maquillées de céruse et de
poisons en usage interne. fard rose, leur aurait lancé
La préconisation de la santé un défi : « que l’on apporte de
publique était déjà bien pré- l’eau et que l’on se lave le visage
sente. Un commentaire décri- puis, que l’on s’essuie aussitôt
vant les effets secondaires avec un tissu » ! Toutes les
des produits cosmétiques au femmes l’ont fait, elle aussi.
plomb nous a également été Et « les visages de toutes les
transmis par Galien et peut femmes était plein de vilaines

Figure 18
Phryné, plus belle femme de l’Antiquité dont le teint était jalousé par les autres femmes.
32 Jean-Léon Gérôme, Phryné devant l’Aréopage, 1861, Hamburg Kunsthalle.
Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges
taches, tels des épouvantails ». « Elle seule, Phryné est appa-
De vilaines taches induites par rue encore plus belle, authen-
les réactions entre la peau tiquement, sans avoir besoin
et ces composés de plomb ! d’aucune ruse cosmétique ».

Une niche archéologique


Les archéologues cherchent souvent à faire
analyser les matériaux qu’ils découvrent.
Cependant, les vestiges liés à la dermo-cosmé-
tique sont rarement retrouvés et nos recherches
ont nécessité l’exploration des résultats des
fouilles de milliers de tombes dans le monde
méditerranéen pour disposer d’une petite
centaine d’échantillons permettant de réaliser
ces études. Ces recherches associant des
collègues chimistes de mon laboratoire et de
L’Oréal Recherche, des historiens de la méde-
cine, des archéologues, des philologues, nous
renseignent autrement sur les pratiques liées
aux soins du corps.
Ces regards sur la vie quotidienne en Méditer-
ranée dans l’Antiquité ne manqueront ainsi pas
de s’affiner et de continuer à nous surprendre
au cours des prochaines années.

33
Philippe Humbert
Les enjeux de la

vectorisation
et de la pénétration
transcutanée
pour les actifs
cosmétiques
Le Professeur Philippe Humbert est dermatologue et Directeur
du Centre d’études et de recherche sur le tégument/CERT CHU
de Besançon 1.

1 Les cosmétiques
parmi les médecins derma-
tologues, mais également
chercheurs, chimistes, ou en
1.1. Définition et distinction charge de la sécurité.
cosmétique/médicament Les cosmétiques font
La cosmétologie est un sujet aujourd’hui partie de notre
qui intéresse tout le monde, vie et nous devons les com-
mais nous avons une vision prendre. Ce chapitre donnera
différente des cosmétiques quelques exemples de tous
selon que nous sommes les champs abordés dans le
consommateurs, pharma- domaine de la cosmétologie
ciens, médecins, voire même par le dermatologue et les

1. www.cert-besancon.com
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

laboratoires de recherche d’un produit cosmétique et


universitaire. celle d’un médicament.
La peau, comme cela est La différence essentielle entre
montré dans cet ouvrage un cosmétique et un médi-
Chimie, dermo-cosmétique et cament, c’est que le cosmé-
beauté (EDP Sciences, 2017), tique est en quelque sorte le
est un organe extrêmement médicament de la peau saine.
complexe qui protège notre Le cosmétique est un produit
organisme ; c’est une struc- destiné à la peau normale. Un
ture constituée de différentes cosmétique ne doit pas ou ne
couches cellulaires, mais sur- peut pas traiter une maladie
tout c’est un organe vivant sil- de peau ; c’est le champ des
lonné de vaisseaux, de nerfs, médicaments.
qui possède de nombreuses Mais cette définition n’em-
fonctions dont certaines sont pêche pas qu’une même
importantes, allant même molécule puisse être un
jusqu’à la fonction immuni- cosmétique, si elle traite le
taire. vieillissement par exemple,
Nous allons voir jusqu’où les et aussi un médicament si elle
cosmétiques sont capables traite une maladie. La diffé-
d’inter venir pour protéger rence n’est pas une question
notre peau (Figure 1). de molécule, ce n’est pas une
L’Encart « Quelques défini- question de forme galénique2
tions » rappelle la définition (tous les deux, médicament
topique et cosmétique, s’ap-
pliquent sur la peau), c’est
l’objet : la peau saine pour
le cosmétique. Un produit

2. Forme galénique : forme sous


Figure 1 laquelle un médicament peut
être administré au patient (par
Image au microscope d’une coupe exemple : pilule, comprimé, solu-
de peau. tion injectable…).

QUELQUES DÉFINITIONS

Produit cosmétique (directive 76/768/CEE)


« On entend par produit cosmétique toute substance ou préparation destinée à être mise en
contact avec les diverses parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux
et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses
buccales, en vue exclusivement ou principalement de les nettoyer, de les parfumer et de les
protéger afin de les maintenir en bon état, d’en modifier l’aspect ou de corriger les odeurs cor-
porelles » (art. L 5131-2 du CSP).

Médicament (article L. 5111-1 du Code de la santé publique)


On entend par médicament toute substance ou composition... ainsi que tout produit pou-
vant être administré à l’homme ou à l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de
restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques.
36
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
cosmétique est utilisé tous les Le cosmétique ne doit pas
jours et probablement dès le induire d’effets secondaires.
matin avec le dentifrice ; c’est Le médicament est autorisé à
un produit destiné à protéger, avoir des effets secondaires si
parfumer, réparer la peau et le rapport bénéfice/risque est
les muqueuses, et donc à être important et intéressant. En
appliqué sur la peau, sur les revanche, le cosmétique, qui
muqueuses. ne traite pas une situation qui
Cependant, on tend progres- met la vie en danger, doit avoir
sivement à élargir la notion les risques minimums.
de peau saine. Faut-il en effet Annoncer qu’un cosmétique
considérer une petite acné ne doit pas avoir d’effets
d’un adolescent de quatorze secondaires n’empêche pas
ans comme une peau phy- que cer tains cosmétiques
siologiquement normale ou puissent entraîner des réac-
comme une maladie ? C’est tions anormales immuno-
pourquoi il existe des cosmé- allergiques. Mais leur fré-
tiques qui revendiquent un quence doit être la plus faible
effet sur les peaux à tendance possible.
acnéique.
Cette notion de bénéfice/risque,
De même, doit-on considé- très intéressante à considérer,
rer que le vieillissement, avec est une différence essentielle
tous ses aspects taches pig- entre le cosmétique et le médi-
mentaires, est une maladie ? cament.
Le dermatologue appellera
cela lentigo 3 ou selon les cas
kératose séborrhéique4. Doit- 1.2. Les cosmétiques
on considérer que les molé- d’embellissement
cules, pour traiter ces taches
pigmentées qui apparaissent Pour le dermatologue, il y a
avec l’âge, notamment sur deux grandes familles de cos-
le dos des mains, et qui font métiques : ceux pour l’embel-
partie du vieillissement phy- lissement et ceux pour le soin.
siologique, sont des produits Les cosmétiques d’embellis-
cosmétiques ou des médica- sement, de parure, comme
ments dermatologiques ? ceux qui colorent les pau-
pières, les cils, les sourcils,
Le médicament et le cosmé-
qui donnent une couleur à la
tique ont des vocations diffé-
peau (les fonds de teint), sont
rentes, mais les mêmes molé-
intéressants car ils peuvent
cules peuvent être concernées,
aussi aider à camoufler des
et donc on exigera du cosmé-
maladies dermatologiques :
tique une grande sécurité.
en effet, rien n’empêche d’uti-
liser un fond de teint pour
cacher une maladie derma-
3. Lentigo : maladie due à l’exposi- tologique, qui par ailleurs sera
tion chronique au soleil provoquant traitée par un médicament.
des taches sur la peau semblables Le camouflage cosmétique
à des taches de rousseur.
ou l’embellissement par des
4. Kératose séborrhéique : maladie
bénigne caractérisée par l’appari- cosmétiques est devenu très
tion de petites verrues de couleur important dans notre société
noires ou marrons sur la peau. et fait l’objet de publications 37
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

scientifiques 5 , car les per- L’un des intérêts des cosmé-


sonnes aujourd’hui sont tiques de camouflage sera donc
sensibles à l’évolution de d’uniformiser la couleur de la
la couleur de leur peau. Ce peau, et le premier antivieil-
qui caractérise la différence lissement à utiliser est un fond
entre une peau jeune d’une de teint ou une crème teintée,
adolescente de quinze à dix- qui donne forcément une appa-
huit ans et une peau plus âgée rence plus jeune. Des appareils
va être l’hétérogénéité de la mesurent aujourd’hui cette
couleur de la peau. Si on met hétérogénéité de la couleur de
une grand-mère et sa petite- la peau pour mettre au point
fille l’une à côté de l’autre, des cosmétiques adaptés. La
on voit que la jeune fille a Figure 2 montre clairement que
une peau très homogène, jeune ou plus âgé, un visage
une couleur uniforme, alors maquillé a un aspect beaucoup
que la personne plus âgée plus attractif et beaucoup plus
aura des zones brun foncé, jeune.
des zones rouges, des zones
blanches.
1.3. Les cosmétiques de soin

5. Observations visuelles de la Aux côtés des cosmétiques


variation des distributions de d’embellissement, il y a la
couleur de la peau du visage chez famille des cosmétiques de
la femme : Fink B. et coll. (2008). soin qui doit être active. Pen-
Visual attention to variation in dant longtemps, on a cru que
female facial skin color distribu-
les cosmétiques ne pouvaient
tion, J Cosmet Dermatol, 7 : 155-
61 ; L’effet de l’âge sur la couleur pas être actifs, et c’est encore
de la peau et l’hétérogénéité sur le cas pour de nombreux
quatre groupes : Rigal J. et coll. médecins dermatologues,
(2010). The effect of age on skin car même dans ce domaine
color and color heterogeneity in médical, on méconnaît le fait
four ethnic groups, Skin Res Tech-
que les cosmétiques passent
nol, 16 : 168-78 ; Camouflage cos-
métique : Antoniou C., Stefanaki à travers la peau et ont des
C. (2006). Cosmetic camouflage, effets biologiques, parce que
J Cosmet Dermatol, 5 : 297-301. la définition dit « Le cosmétique

Figure 2
38 Embellissement par le maquillage : avant et après.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
est un produit destiné à être
appliqué sur la peau ».
Mais un produit peut être
appliqué sur la peau et péné- Figure 3
trer dans la peau comme le Lèvres gercées justifiant le besoin
montrent les chapitres de cet d’un cosmétique de soin.
ouvrage Chimie, dermo-cos-
métique et beauté, consacrés
au traitement des pathologies avoir des effets biologiques,
par voie topique. et ce n’est pas parce qu’il
pénètre qu’il doit être consi-
On voit donc de plus en plus déré comme un médicament.
des industriels des cosmé- Ce passage à travers la peau
tiques, qui, il y a à peine vingt est suivi par des méthodes
ans, n’osaient pas revendi- pharmacologiques. La micro-
quer des effets biologiques dialyse 9 (Figure 4) est une
de leurs produits, venir dans méthode invasive10 qui per-
les colloques pour montrer un met de mesurer in vivo chez
effet en profondeur d’un actif un individu la pénétration d’un
cosmétique sur le fibroblaste6 cosmétique : il suffit d’intro-
voire même sur l’adipocyte7. duire la sonde de microdialyse
Comment imaginer qu’une dans la peau, d’appliquer sur
crème cosmétique anticel- la peau le produit cosmétique,
lulite (cellulite considérée et d’analyser ce qui se passe
comme un fait physiologique à l’intérieur du derme11 pour
et non pas pathologique) évaluer la pénétration.
puisse être active si elle ne La Figure 5 montre l’im-
pénètre pas au moins jusqu’à por tance de la formula-
un ou deux centimètres de tion (voir aussi le Chapitre
profondeur pour aller agir de J.-M. Aubry dans Chimie,
jusqu’à l’hypoderme8 ? dermo-cosmétique et beauté)
La Figure 3 présente un autre
exemple de besoin de cosmé-
tique de soin : il s’agit de la
réparation par un cosmétique
de lèvres gercées. C’est un
cosmétique parce qu’on consi- Figure 4
dère que les lèvres gercées ne Mesure de la pénétration d’un actif
sont pas une pathologie mais cosmétique par un dispositif
un effet de dessèchement ou de la microdialyse.
un effet de vieillissement.
Un cosmétique peut donc 9. Microdialyse : technique dans
pénétrer à travers la peau pour laquelle on introduit dans la peau
une sonde semi-perméable (per-
méable à l’eau et aux petits com-
6. Fibroblaste : cellule de soutien posés), afin de mesurer selon un
dans le derme responsable de gradient de concentration la pré-
l’élasticité et de la cohésion de sence de la molécule recherchée.
la peau. 10. Méthode invasive : méthode
7. Adipocyte : cellule de stockage qui nécessite une lésion de l’orga-
de la graisse. nisme, plus qu’une simple prise de
8. Hypoderme : troisième couche sang ou injection.
la plus profonde de la peau après 11. Derme : deuxième couche de
l’épiderme et le derme. la peau, avant l’hypoderme. 39
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

sur la pénétration d’un actif : un produit en mesurant un


deux produits cosmétiques avant et un après, il convient de
sont appliqués en surface, ils le comparer en même temps à
contiennent tous les deux le un placebo, qui sera le cosmé-
même actif, mais avec une for- tique sans les actifs.
mulation différente. Au bout Cette méthodologie est appli-
de trois heures, on observe quée pour étudier l’action
une pénétration importante antivieillissement d’un actif
de cet actif cosmétique, mais cosmétique (Figure 6). La
avec une pénétration plus peau avant traitement est
importante pour l’un des deux une peau âgée (Figure 6A). Il
produits. Comme cela est suffit de plisser cette peau
expliqué dans le Chapitre de pour y voir des sillons allant
J.-M. Aubry, cette différence tous dans la même direc-
est liée à la formulation, aux tion. Ces sillons témoignent
ingrédients au sein desquels de ce qu’on appelle l’isotro-
se trouve la molécule active. pie12 de la peau. Un produit
De nombreux chercheurs tra- cosmétique capable de trai-
vaillent sur la formulation qui ter en profondeur le derme
va faciliter ou non la pénétra- et de stimuler le fibroblaste13
tion de l’actif dans la peau. sera capable de transformer
Les cosmétiques pénètrent
dans la peau mais leur activité 12. Isotropie : caractère d’un milieu
doit pouvoir être démontrée dont les propriétés ne dépendent
avec des méthodes scienti- pas des différentes directions de
fiques. Pendant longtemps, la l’espace.
13. Fibroblaste : souvent surnom-
faiblesse de la cosmétologie a
més « cellules de soutien », les
été d’appuyer ses revendica- fibroblastes sont présents dans
tions sur des évaluations qui les nombreux tissus conjonctifs
n’étaient pas scientifiquement de l’organisme : dans la peau, les
rigoureuses. Aujourd’hui, en tendons, le cartilage, etc. Les fibro-
médecine comme en cosmé- blastes jouent des rôles importants
dans l’organisme : chargés de syn-
tique, si l’on veut évaluer l’effet
thétiser les autres cellules formant
d’un produit, il faut toujours les tissus conjonctifs, ils sécrètent
avoir une zone de comparai- aussi des substances luttant contre
son. Il ne suffit plus de tester certains virus et bactéries.

206
Concentrations en acide ascorbique

204 A
202
200
dans le derme

198
196

Figure 5 194
192
Influence de la formulation d’un B
190
cosmétique sur l’évolution de la
concentration en actif dans la 188
peau au cours du temps : passage 186
transcutané de l’acide ascorbique 0 1 2 3 4 5 6 7
à partir d’un sérum (A) et d’une Temps (h)
40 crème (B).
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
en deux ou trois mois cette éle c tr onique de s f ibr e s
peau âgée en une peau plus de collagène15 du derme
jeune (Figure 6B), et au bout de (Figure 7A), on voit qu’avant
six mois en une peau encore traitement, les fibres de col-
plus jeune (Figure 6C). Si ce lagène sont peu abondantes
n’était qu’un effet hydratant et dispersées, la cellule – ici
de surface, cet effet serait le fibroblaste – est très peu
visible dans les quinze pre- active. Le faisceau de col-
miers jours, mais un effet lagène est reconstitué et le
qui se poursuit au-delà d’un fibroblaste réactivé après
mois, deux mois, trois mois, six mois de traitement par ce
jusqu’à six mois, signifie que cosmétique (Figure 7B).
des fonctions biologiques ont L’activation de la cellule de
été mises en œuvre avec ce fibroblaste après traitement
cosmétique. est confirmée : sur son image
L’effet biologique de cet actif de microscope électronique
cosmétique est confirmé (Figure 8B), le noyau, qui
par l’étude des biopsies14 . apparaît comme plurinucléé,
Sur l’image en microscopie

14. Biopsie : prélèvement d’un tissu


humain pour l’examiner au micros- 15. Collagène : protéine respon-
cope. sable de la cohésion des tissus.

A B C
AVANT APRÈS 3 MOIS APRÈS 6 MOIS
60

60

60
0 20 40

0 20 40

2,4 2,4 2,4


2 µm

2 µm

2 µm

2,2 2,2 2,2


0

- 60 - 40 - 20

- 60 - 40 - 20

2 2 2
1,8 1,8 1,8
- 70

1,6 1,6 1,6


0

1,4 1,4 1,4


2 mm

2 mm

2 mm
2

1,2 1,2 1,2


0

1 1 1
0,8 0,8 0,8
0,6 0,6 0,6
0,4 0,4 0,4
0,2 0,2 0,2
0 0 0

2,4 2,2 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 mm 2,4 2,2 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 mm 2,4 2,2 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 mm

90 90 90
120 60 120 60 120 60

150 30 150 30 150 30

180 0 180 0 180 0


0 2 4 6 8,91 0 1 2 3 4,41 0 1 2 3,45
Direction répartition % Direction répartition % Direction répartition %

Indice d’anisotropie = 46,64 % Indice d’anisotropie = 28,40 % Indice d’anisotropie = 20,56 %

Figure 6
Effet antivieillissement en profondeur d’un actif cosmétique : évolution de l’indice d’anisotropie :
A) avant traitement ; B) au bout de trois mois ; C) au bout de six mois.
Relief analysé par le Pr. H. Zahouani (Lyon). 41
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

A B

Figure 7
Reconstitution des faisceaux
de collagène et activation du
fibroblaste par traitement
cosmétique : image de microscopie
électronique du derme : A) avant
traitement (les fibres de collagène
sont dispersées et le fibroblaste
est peu actif) ; B) après six mois
de traitement (le fibroblaste est
très actif, produisant d’importants
faisceaux de collagène).

A B

Figure 8
Image de microscopie électronique
du derme par traitement
cosmétique antivieillissement :
A) avant traitement ; B) après
six mois de traitement, on
observe la présence de noyaux
de fibroblastes polynucléés,
témoignant d’une grande activité
cellulaire.

témoigne d’une chromatine16 de collagène en plus au bout


très active. Et si l’on obser- de six mois d’application de ce
vait l’intérieur de la cellule, on produit cosmétique, ce qui est
pourrait y voir de nombreuses donc très intéressant pour le
mitochondries17, appareil de traitement du vieillissement.
Golgi18, témoignant de son acti- Ces études ont fait l’objet
vité. Cette cellule fibroblastique d’une publication en 2000
activée produira jusqu’à 30 % dans l’une des plus grandes
revues médicales de
16. Chromatine : substance ser- recherche dermatologique19 :
vant à générer les chromosomes
dans le noyau des cellules ; elle est
composée d’ADN et d’ARN. 19. Nusgens B.V., Humbert P.,
17. Mitochondries : présentes dans Rougier A., Colige A.C., Haf-
chaque cellule, elles sont respon- tek M., Lambert C.A., Richard A.,
sables de la respiration cellulaire, Creidi P., Lapière C.M. (2001).Topi-
du stockage de l’énergie et de cer- cally applied vitamin C enhances
taines substances. the mRNA level of collagens I and
18. Appareil de Golgi : unique pour III, their processing enzymes and
chaque cellule, il permet le pas- tissue inhibitor of matrix metallo-
sage des molécules à travers la proteinase 1 in the human dermis,
42 membrane cellulaire. J Invest Dermatol, 116 : 853-9.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
c’était la première fois qu’un des émulsions20, des lotions,
cosmétique avait les hon- des gels, des huiles, des
neurs d’un tel journal scien- masques, des fonds de teint,
tifique, démontrant à la fois des poudres, des savons, des
par des méthodes cliniques lotions nettoyantes, des pro-
et biologiques l’efficacité d’un duits de maquillage, de déma-
actif cosmétique. quillage, des produits den-
taires, des produits pour les
ongles, pour l’hygiène intime,
L’Encart « Liste indicative des
pour se protéger du soleil, etc.
catégories de produits de cos-
métiques » donne les princi-
20. Émulsion : système formé par
pales formes de cosmétiques, la dispersion de fines gouttelettes
et on peut voir que le domaine d’un liquide dans un autre, les deux
est énorme : des crèmes, liquides étant immiscibles.

LISTE INDICATIVE DES CATÉGORIES DE PRODUITS DE COSMÉTIQUES

Crèmes, émulsions, lotions, gels, huiles pour la peau


Masques de beauté
Fonds de teint (liquides, pâtes, poudres)
Poudres pour maquillage
Poudres à appliquer après le bain
Poudres pour l’hygiène corporelle et autres poudres
Savons de toilette, savons déodorants et autres savons
Parfums, eaux de toilette et eaux de Cologne
Préparations pour le bain et la douche
Dépilatoires
Déodorants et anti-sudoraux
Produits de soin capillaire
Teintures capillaires et décolorants
Produits pour l’ondulation, le défrisage et la fixation
Produits de mise en plis
Produits de nettoyage (lotions, poudres, shampoings)
Produits d’entretien pour la chevelure
Produits de coiffage (lotions, laques, brillantine)
Produits pour le rasage (savons, mousses, lotions et autres produits)
Produits de maquillage et démaquillage
Produits destinés à être appliqués sur les lèvres
Produits pour soins dentaires et buccaux
Produits pour soin et maquillage des ongles
Produits pour soins intimes externes
Produits solaires
Produits de bronzage sans soleil
Produits permettant de blanchir la peau
Produits antirides
43
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

2 Les enjeux
de la cosmétologie
disparaître si cette barrière
n’existait pas. Cette fonction
barrière limite la perte en eau
Les enjeux de la cosmétologie transcutanée à 500 g/jour, soit
sont socialement et écono- ½ litre d’eau, sans compter la
miquement très importants. sueur et l’eau perdue par la
Aujourd’hui on ne peut pas respiration ou dans les urines.
vivre dans nos civilisations
sans cosmétiques. Et même Les cosmétiques anti-âge
dans les pays en voie de déve- agis s ent de dif fér ente s
loppement, une des priorités manières : stimuler la fabri-
d’une femme après avoir nourri cation de collagène ou d’acide
ses enfants sera la parure, ou hyaluronique 21, avoir des
de se protéger la peau du soleil effets antioxydants, camou-
ou de l’environnement. fler les effets de l’âge et
dépigmenter les taches pig-
2.1. Classification mentées, agir sur les cernes.
des cosmétiques Par exemple pour agir sur les
Les cosmétiques peuvent être cernes, il faut comprendre
classés selon leurs effets ou que ceux-ci sont en partie dus
selon leurs origines. à un ralentissement du flux
sanguin dans les paupières, et
2.1.1. Classification les cosmétiques doivent donc
selon les effets agir sur la stimulation du flux
Le premier effet d’un cos- sanguin au niveau de la peau.
métique est avant tout d’être Les cosmétiques sont aussi
hydratant. Une peau déshy- des amincissants, et il existe
dratée perd ses propriétés de des actifs qui raffermissent le
défense, de souplesse, ses corps. D’autres produits sont
propriétés mécaniques. La blanchissants et homogé-
peau est une enveloppe qui néisent la couleur de la peau,
se dessèche. Plus la peau se ou régulateurs de la sébor-
dessèche, plus elle devient rhée22. Mais bien sûr, un état
hydrophobe : une peau sèche hyperséborrhéique qui dépasse
n’aime pas l’eau. Ce serait les attentes d’un cosmétique
tellement simple, lorsqu’on a doit faire l’objet d’une prise
une peau sèche, de se tremper en charge médicale avec des
dans un bain pour l’hydrater, médicaments (voir le Chapitre
mais il faut l’éviter car la peau de C. Bouix-Peter dans Chimie,
va se déshydrater davantage. dermo-cosmétique et beauté).
Pour réhydrater une peau
sèche, il faut lui apporter des
cosmétiques qui contiennent 21. Acide hyaluronique : constituant
des émulsions ou des subs- naturel du derme, qui agit comme
tances grasses (Tableau 1). éponge en captant et maintenant
l’eau, participant à l’hydratation et
Il existe différentes façons la cohésion des tissus. Sa qualité
d’hydrater la peau et donc et sa quantité diminuent avec l’âge,
de renforcer sa fonction bar- c’est pourquoi de nombreux pro-
rière qui nous empêche de duits cosmétiques contiennent de
l’acide hyaluronique, ainsi que les
perdre notre eau, ce qui est
produits de comblement des rides.
très important quand on sait 22. Séborrhée : augmentation
que 70 % de notre corps est de anormale de la sécrétion de
44 l’eau et que cette eau pourrait sébum, rendant la peau grasse.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
À cette longue liste il faut ajou- origine : origine marine,
ter les antioxydants, avec les biotechnologique (avec utili-
anti-radicalaires, et les anti- sation de micro-organismes)
inflammatoires, ainsi que tous ou synthétique. Aujourd’hui
les produits pour les phanères on s’intéresse beaucoup aux
(cheveux et ongles) lorsqu’ils cosmétiques d’origine végé-
sont abimés de manière phy- tale, et aussi à ceux d’ori-
siologique et non pathologique. gine marine, néanmoins sans
méconnaitre tout l’intérêt
2.1.2. Classification des cosmétiques d’origine
selon les origines chimique, qui ont fait la
On peut aussi classer les preuve de leur intérêt et de
co sm éti qu e s s el o n l eur leur efficacité.

Les hydratants Humectants et rétenteurs d’eau (glycérol, acide hyaluronique)


Régulateurs de la perte insensible en eau (PIE) (réparation
de la barrière cutanée) : sphingolipides, céramides, lécithine
Occlusifs (huile, baume, beurre de karité)
Les anti-âges Les antirides (AHA, rétinol, peptides de type matrikine)
Régénérants du tissu (diterpènes, triterpènes, isoflavone)
Anti-poches (complexes multi-actifs)
Anti-cernes (idem)
Raffermissants du visage
Lissants du relief cutané
Relaxants (musculaires, nerveux)
Tenseurs (protéine végétale, marine)
Améliorateurs de l’éclat du teint
Nutritifs, vitamines
Les aminicissants Lipolytiques
Inhibiteurs de la lipogénèse
Inhibiteurs de la différentiation adipocytaire
Anti-cellulite
Actifs drainants
Raffermissants du corps
Les blanchissants Éclaircisseurs du teint
Inhibition du bronzage
Réduction des taches de sénescence
Les régulateurs Anti-peau à tendance acnéique
de la séborrhée Matifiants
Stimulateurs de la séborrhée sur peau ultra-sèche
Les antioxydants Anti-radicalaires
Anti-irritants/anti-inflammatoires
Les actifs capillaires Stimulateurs de la croissance du cheveu
Anti-chute
Anti-repousse-poils

Tableau 1
Classification des principes actifs de cosmétiques. 45
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

2.2. La protection de la peau l’utilisation régulière de pro-


duits cosmétiques diminue le
2.2.1. Protéger la peau
risque ultérieur de voir appa-
vis-à-vis de l’environnement
raître des cancers cutanés
Les agressions de la peau par de par la photo-protection
l’environnement, selon les sai- que ces cosmétiques peuvent
sons, le climat, ou selon la pol- induire, mais aussi parce
lution, intéressent aujourd’hui qu’on renforce indirectement
de plus en plus les laboratoires les fonctions de protection
cosmétiques, car on sait que immunitaire de la peau. Utili-
la pollution ajoute ses effets ser des cosmétiques a certai-
à ceux du soleil pour favoriser nement des bénéfices immé-
ce qu’on appelle l’héliodermie diats et aussi des bénéfices à
ou le photo-vieillissement. La plus long terme.
peau doit notamment être pro-
tégée de la pollution par les 2.2.2. Protéger la peau
métaux lourds, par l’ozone, et du soleil
par toutes ces molécules qui Le plus gros facteur d’agres-
l’abiment. sion de la peau a été considéré
Elle doit être protégée des ces dernières années comme
infections, avant qu’il n’y ait étant les rayons solaires ultra-
la maladie infectieuse. C’est violets : les UVA et les UVB
aussi le champ d’action des (Figure 9). Ces UV sont distri-
cosmétiques que d’augmen- bués pour moitié en été et pour
ter les défenses immunitaires moitié les trois autres saisons.
de la peau. Par exemple, Donc il faut aussi se protéger

Longueur d’onde 100 nm

Rayons UVC
Les plus courtes
VC
Rayons U
ondes, ne
pénétrant
habituellement
pas la couche
d’ozone de
la Terre

Longueur d’onde 290 nm U VB


ns
Rayons UVB yo
Ondes plus Ra
VA

longues
atteignant la
Rayons U

surface de la peau,
pouvant causer le
bronzage, les
brûlures et des signes
du vieillissement
Longueur d’onde 320 nm
Longueur d’onde 400 nm

Rayons UVA
Ondes encore plus longues,
pouvant pénétrer profondément
dans la peau, causant la libération de radicaux
libres, provoquant des modifications
de l’ADN qui peuvent entraîner
des cancers de la peau

Long. d’onde 100 nm Long. d’onde 290 nm Long. d’onde 320 nm Long. d’onde 400 nm
Figure 9
Rayons Rayons Rayons
Les effets des différents rayons UV UVC UVB UVA
100 nm – 290 nm 290 nm – 320 nm 320 nm – 400 nm
46 sur la peau.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
des UV au printemps, en hiver L’ é quip e du CER T a pu
ou en automne, car durant ces constater les mêmes signes
trois saisons nous recevons de photo-vieillissement sur
la moitié des UV de l’année. des personnes qui travail-
S’exposer aux UV n’est pas laient pendant vingt ans en
seulement s’exposer sur une exposant au soleil tout ou
chaise longue au bord d’une partie du visage : il s’agis-
piscine, c’est aussi être dehors sait de chauffeurs de poids
dans la rue et aller faire ses lourds, de visiteurs médi-
courses, c’est être exposé au caux ou de chauffeurs de taxi
soleil. L’exposition, c’est aussi (Figure 11). L’effet unilatéral
travailler à côté d’une fenêtre, d’un photo-vieillissement
voire même toute la journée est mis en évidence sur les
face à un ordinateur, qui lui- visages, sur lesquel s on
même diffuse des UV. Nous voit clairement que le coté
sommes donc en permanence exposé de façon plus impor-
exposés aux UV, sauf dans une tante aux rayons du soleil
salle où tout est fermé, mais est beaucoup plus ridé que
encore y a-t-il les néons ! l’autre côté.
Cette exposition aux U V Si on reconstitue le visage de
entraîne des dégâts signifi- la Figure 11B d’une part avec
catifs sur la peau, comme on la moitié qui était la moins
le voit dans le cas de cette altérée et d’autre part avec
institutrice qui, durant toute la moitié exposée au soleil
sa carrière, a fait ses cours (Figure 12), et si l’on demande
dans la même salle de classe à des observateurs l’âge de
où se trouvaient sur sa gauche cette personne, on donne cinq
les fenêtres (Figure 10). Sur à sept ans de plus au visage
le côté gauche de son visage exposé au soleil. Ce photo-
(Figure 10A), le vieillissement vieillissement est mainte-
est apparu plus vite avec les nant étudié et mesuré (voir
signes qui témoignent des le Chapitre de L. Marrot dans
agressions du soleil sur la Chimie, dermo-cosmétique et
peau. beauté).

A B

Figure 10
Photo-vieillissement du visage
d’une institutrice dans une salle
exposée unilatéralement au soleil :
A) profil gauche ayant été exposé
au soleil ; B) profil droit non exposé
et moins vieilli.
Source : courtoisie du Pr. Moulin
(Lyon) : Moulin et coll. (1994).
Arch Dermatol Venereol,
121 : 721-23. 47
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 11
Les effets à long terme (une
vingtaine d’années) de l’exposition
au soleil, mettant en évidence
un effet unilatéral.
Source : courtoisie de la société
Skinexigence. Mac-Mary et coll.
(2010). Assessment of cumulative
exposure to UVA through
the study of asymmetrical facial
skin aging, Clin Interv Aging,
5 : 277-84.

Figure 12
S’exposer une vingtaine d’années
au soleil fait vieillir de cinq à sept
ans. À gauche : visage reconstitué
à partir de la moitié non exposée
au soleil ; à droite, visage
reconstitué à partir de la moitié
exposée au soleil.
Source : courtoisie
de la société Skinexigence.

2.3. Corriger les défauts États-Unis, s’appuient sur les


cutanés liés au tabagisme modifications esthétiques liées
Le tabagisme est un autre au tabac. Prenons l’exemple
facteur important d’endom- de deux jumelles : l’une qui
magement de la peau, et les fume, l’autre qui ne fume pas.
campagnes de prévention du Les études montrent que les
48 tabagisme, notamment aux effets nocifs du tabagisme sur
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
A
la peau sont visibles tant au
niveau de la texture de la peau,
du relief, des rides profondes,
qu’au niveau de l’éclat qui a
disparu23. On note aussi que
des effets nocifs du même type
sont visibles sur les cheveux,
sur les dents, ou sur d’autres
aspects. Figure 13
Quand on mesure la vascu- B
Effets du tabagisme sur la
larisation de la peau des vascularisation de la peau. A) peau
personnes qui fument, on d’un fumeur ; B) peau d’un non-
constate qu’il y a beaucoup fumeur.
moins de vaisseaux présents Source : Petitjean A., Mac-Mary S.,
dans la peau d’un fumeur Sainthillier J.M., Muret P.,
(Figure 13A), que le derme est Closs B., Humbert Ph. (2006).
Effects of cigarette smoking on
beaucoup plus compact, et
the skin of women, J Dermatol
que la peau est beaucoup plus Sci, 42 : 259-61.
jaune que celle du non-fumeur
(Figure 13B). Pour corriger ces population car les attentes ne
défauts, on peut proposer d’ar- sont pas les mêmes. Quand
rêter le tabagisme, mais aussi on regarde l’effet du vieillis-
d’utiliser des cosmétiques qui sement sur ces différentes
freinent ces effets. On pour- populations, on voit que si les
rait par exemple proposer des taches sont un signe de vieil-
cosmétiques pour stimuler la lissement chez une personne
microcirculation et apporter asiatique, ce sont les rides qui
notamment des antioxydants seront la préoccupation d’une
qui sont consommés par les personne européenne24.
personnes qui fument.
2.4.2. Selon le mode de vie
Le mode de vie, et notam-
2.4. Parer et embellir la peau
ment le stress, l’alimenta-
2.4.1. En s’adaptant aux tion, le sommeil, le tabac,
différentes origines ethniques les souffrances morales ou
La cosmétique doit s’intéres- psychiques, sont des facteurs
ser aux origines ethniques. importants de l’aspect de la
La peau ne vieillit pas de la peau. Les trois femmes dont
même façon selon qu’on est le visage est représenté sur la
asiatique ou européen (voir Figure 14 ont le même âge et
aussi le Chapitre de S. Del pourtant l’aspect de leur peau
Bino dans Chimie, dermo- est très différent ; le visage de
cosmétique et beauté). C’est gauche semble beaucoup plus
pourquoi, de plus en plus, les jeune que les deux autres.
pays asiatiques et les pays Malheureusement aujourd’hui,
sud-américains demandent les cosmétiques ne peuvent pas
que les produits cosmétiques
soient testés sur leur propre 24. Chung J.H. et coll. (2001). Cuta-
neous photodamage in Koreans:
23. Doshi D.N. et coll. (2007). Smo- influence of sex, sun exposure,
king and skin aging in identical smoking, and skin color, Arch
twins, Arch Dermatol, 143 : 1543-6. Dermatol, 137 : 1043-51. 49
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 14
Visages de trois femmes de même
âge mais d’apparence plus ou
moins jeune selon le mode de vie.
Source : courtoisie Skinexigence.

prendre en compte ces facteurs. des ennuis, des stress répétés,


Il faut connaître cet exemple peuvent faire vieillir les télo-
extrait d’un article d’une revue mères comme ceux d’une per-
internationale d’une maman qui sonne qui a quinze à vingt ans de
pendant quinze ans a accompa- plus, et la littérature médicale
gné son enfant atteint de leucé- s’intéresse maintenant à cette
mie : cette maman a dans ses question de savoir pourquoi
chromosomes des télomères25 certaines personnes paraissent
qui ont une longueur réduite plus jeunes que d’autres.
au point d’atteindre la longueur

3
des télomères d’une personne Évaluation des effets
qui a vingt ans de plus. La souf- et indications
france morale de tous les jours, des cosmétiques
25. Télomères : extrémités des Les dermatologues et les cli-
chromosomes ne contenant aucune niciens s’intéressent main-
information génétique. Lors de la tenant à la cosmétologie, qui
réplication de l’ADN, ils ne sont pas peut paraître un domaine plus
recopiés à l’identique : une partie
anodin que la médecine, mais
des télomères n’est pas répliquée.
Ainsi avec le temps, les télomères qui est devenue une science,
se font de plus en plus courts. Leur avec de la rigueur à toutes
longueur s’associe donc à notre âge. les étapes et le respect des

Figure 15
La biométrologie sur volontaire
permet de tester l’efficacité
50 des cosmétiques.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
utilisateurs. Aujourd’hui, un
cosmétique qui revendique
un effet doit en apporter la
preuve. Il existe des méthodes Figure 16
dites biométrologiques
(Figure 15) pour tester in vivo Évaluation de l’hydratation
par la mesure de la conductivité
sur des volontaires l’efficacité
électrique de la peau avec
de tel ou tel cosmétique. un cornéomètre.

3.1. Évaluation différences de luminosité, de


de l’hydratation l’observateur, de la direction
d’observation. L’évaluation de
Pour évaluer l’hydratation de la la couleur de la peau est pour-
peau, on mesure la capacité de tant nécessaire pour étudier
l’eau intercellulaire du stratum l’effet dépigmentant, l’effet
cornéum à conduire l’électri- autobronzant ou l’effet photo-
cité. De nombreux laboratoires protecteur.
sont dotés de ce type d’appa- La mesure de l’éclat du teint
reils appelés cornéomètre a été mise au point en 2002
(Figure 16). Pour l’évaluation du par une équipe du CERT à la
sébum et la mesure des effets demande d’un laboratoire
anti-­séborrhéiques, on utilise pour tester les effets d’un
des sébumètres. cosmétique sur la radiance,
la luminance et l’éclat de la
3.2. Évaluation de la couleur peau. Le principe consiste
et de l’éclat du teint à mesurer la quantité de
lumière réfléchie par la peau
Il existe également des appa- à partir d’un système com-
reils qui évaluent la coloration posé d’un microscope, d’un
de la peau car l’œil humain système d’éclairage, d’une
ne peut pas le faire sponta- camera et de fibres optiques
nément. En effet, l’évaluation réparties sur un arc de cercle
par l’œil humain dépend des (Figure 17).

Figure 17
Appareil de mesure de l’éclat du teint, mise en pratique sur le patient.
Source : Eclascope® développé par le CERT. 51
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Vidéocapillaroscopie

Figure 18
Laser doppler
Évaluation de la microcirculation
sanguine : méthodes d’analyses
en fonction de la profondeur de
la couche de vaisseaux étudiée.

3.3. Évaluation de La vidéocapillaroscopie per-


la microcirculation sanguine met aussi d’étudier le vieil-
lissement qui, en termes de
L’analyse de la microcircu-
microcirculation, correspond
lation est nécessaire pour
à une diminution du nombre
évaluer les effets anti-cou-
de vaisseaux (Figure 20).
perose26, l’éclat du teint et la
photo-protection. La micro- Le nombre de vaisseaux san-
circulation (Figure 18) est guins diminue dans la peau
explorée par la technique âgée, et ces vaisseaux s’apla-
de vidéocapillaroscopie, qui tissent avec l’âge, comme
permet d’observer les vais- on peut le voir sur la mesure
seaux à l’intérieur de la peau de densité capillaire de la
(Figure 19). Figure 21.
La vidéocapillaroscopie per-
met d’étudier l’efficacité d’un
cosmétique sur la couperose
26. Couperose : maladie touchant
(Figure 22), celle-ci n’étant
principalement les personnes à la
peau claire ; elle se manifeste par pas considérée ici comme
des rougeurs au niveau du nez et une maladie mais comme une
des joues. peau physiologique.

Ordinateur
Acquisition

Analyse d’image

peau

Vidéocapillaroscope

Figure 19
52 La technique de vidéocapillaroscopie (à droite : principe de fonctionnement).
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
front patte d’oie avant-bras main

Figure 20
Images vidéocapillaroscopiques
selon l’âge. En haut : vaisseaux
d’une peau jeune ; en bas :
vaisseaux d’une peau âgée.

La Figure 23 montre l’évolu- 55


50
tion dans le temps d’un visage 45
Densité capillaire

atteint de couperose et traité, 40


35
comparé à celle d’un visage 30
25
non traité. La vidéocapilla- 20
Figure 21
roscopie permet à partir d’une 15
10
telle image d’obtenir des para- 5
10 20 30 40 50 60 70 80 Diminution de la densité capillaire
mètres quantifiés de surface, Âge des vaisseaux sanguins de la peau
d’intensité de rougeur avant avec l’âge.
traitement (Figure 24A), et du côté traité (Figure 26A)
après traitement (Figure 24B). montre clairement une évolu-
Les Figures 22 et 25 comparent tion, alors que celle de l’avant
l’évolution avec le temps des et après du côté non traité
images et des analyses vidéo- (Figure 26B) est inchangée,
capillaroscopiques de visages ce qui confirme la preuve de
de patients traités dont la moi- l’efficacité de la molécule du
tié du visage est traitée (en cosmétique.
haut) et l’autre moitié non trai-
tée (en bas). L’effet du traite-
ment cosmétique apparaît déjà 3.4. Évaluation des propriétés
plus clairement sur les images mécaniques de la peau
de vidéocapillaroscopie. On mesure aussi les pro-
L’analyse des images de vidéo- priétés mécaniques de la
capillaroscopie avant et après peau, car celle-ci perd de

Figure 22
Peau présentant les symptômes
de la couperose. 53
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

10 128 156
A
Actif

Figure 23
Évolution dans le temps d’un Véhicule
visage atteint de couperose :
A) traité par cosmétique ou
B) non traité.

A B

Figure 24
Analyses vidéocapillaroscopiques du visage : A) avant traitement ; B) après traitement.

10 128 156
A
Actif

Véhicule
Figure 25
Évolution dans le temps de
l’analyse vidéocapillaroscopique :
A) moitié du visage traitée ;
54 B) moitié du visage non traitée.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
A

Figure 26
Analyse des images de
vidéocapillaroscopie avant et après
traitement anti-couperose.
A) moitié du visage traitée ;
B) moitié du visage non traitée.

sa souplesse avec l’âge. La


mesure de l’élasticité cutanée
est basée sur le principe de la
succion et réalisée avec des
appareils de type cutomètre Figure 27
(Figure 27). Mesure de l’élasticité cutanée :
L’élasticité cutanée, pour les cutomètre SEM 575 (Courage
et Khazaka).
hommes comme pour les
femmes, diminue de façon
linéaire avec l’âge (Figure 28), la cosmétique d’avoir permis
à tel point qu’aujourd’hui, en de mieux comprendre la phy-
mesurant l’élasticité de la siologie de la peau. Beaucoup
peau, on pourrait en déduire de connaissances médicales
l’âge. C’est un des atouts de s’appuient aujourd’hui sur des

A B
20 100
Temps de relaxation : τ (sec)

90
Élasticité : UR/UE

15
80

70
10

60

5 50
5 15 25 35 45 55 65 75 90 5 15 25 35 45 55 65 75 90
ÂGE ÂGE

Figure 28
Évolution des propriétés mécaniques de la peau avec l’âge.
A) Diminution du temps de relaxation : B) diminution de l’élasticité. 55
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

connaissances développées d’un cosmétique est de trans-


dans le champ d’études fon- former cette peau âgée en une
damentales réalisées pour la peau plus jeune de surface
cosmétique. comme celle représentée sur
Le relief de la peau, qui per- la Figure 31D à gauche.
met d’étudier les effets lis- Par traitement informatique,
sants et antirides des cosmé- le relief de la peau peut être
tiques, est mesuré avec des reconstitué en 3D. La Figure 32
méthodes de prises d’em- montre la reconstitution en 3D
preintes (Figure 29), ou par d’une peau jeune comparée à
des méthodes plus modernes celle d’une peau âgée.
sans contact (Figure 30). Ces
méthodes sans contact sont
basées sur l’optique : on 3.5. La photographie
projette des bandes noires numérique pour l’évaluation
et blanches sur un objet en dermatologie esthétique
(Figure 31A) – cela s’appelle La photographie est fort utile
la Projection de Franges –, dans l’évaluation des produits
ces bandes sont déformées cosmétiques afin de prou-
(Figure 31B), et un algorithme ver de façon sérieuse que
informatique permet d’étu- le produit est efficace, mais
dier le relief de cet objet pour cela, il faut utiliser une
(Figure 31C). La Figure 31D méthode appropriée dans des
présente les résultats de l’ap- conditions reproductibles : un
plication de cette technique à repositionnement identique,
une peau jeune et à une peau une lumière identique, etc.
âgée. Comme mentionné pré- Par exemple, la Figure 33
cédemment, l’objectif espéré montre que sur la patte d’oie,

Figure 29
Mesure du relief de la peau
par prise d’empreinte.

Figure 30
Mesure du relief de la peau
par la méthode de projection
56 de franges.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
B

C D
56

93
40

4,5 3,5

50
50

4
20

3
3,5

0
2,5
0

3
6 mm

- 40 - 20
0

- 50
2,5
2 µm

2 µm
2 µm

2
1,5

- 100
1,5
- 60
- 50

1
1

- 195 - 150
- 80

0,5 0,5
- 103

0
- 100

0
4,5 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 mm 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 mm

Peau jeune Peau âgée

Figure 31
Principe de la méthode de projection de franges : A) franges projetées ; B) principe de la méthode ; C) évaluation
de relief de la peau par la méthode de projection des franges : quantification de la rugosité par décodage des
franges ; D) comparaison de la rugosité d’une peau jeune (à gauche) et d’une peau âgée (à droite).
Source : courtoisie Pr. H. Zahouani (Lyon).

A B

Figure 32
Reconstitution informatique du
relief de la peau en 3D : A) une
peau jeune ; B) une peau âgée.
Source : courtoisie
Pr. H. Zahouani (Lyon).

ce cosmétique a été efficace Chapitres de S. Del Bino et


alors que l’excipient ne l’a pas L. Marrot dans Chimie, dermo-
été. cosmétique et beauté).
Nous avons vu (para-
graphe 3.4) que la peau pos-
3.6. Évaluation in vitro
sède des propriétés méca-
des produits cosmétiques
nique s , not amment une
La Figure 34 montre le type élasticité, mais c’est un organe
d’équipement que des labo- qui naturellement se rétracte
ratoires de biologie utilisent au vieillissement. Pour étu-
pour l’évaluation in vitro des dier cet effet lié aux proprié-
produits cosmétiques sur des tés migratoires des cellules,
dermes reconstruits (voir les on étudie la rétraction d’un 57
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

SUJET A

Figure 33
Évolution des pattes d’oie T0 T 1 mois T 2 mois T 3 mois
de deux sujets, l’un traité par SUJET B
un cosmétique (A), l’autre
non traité (B).

T0 T 1 mois T 2 mois T 3 mois

Figure 34
Laboratoire travaillant in vitro sur les dermes
reconstruits.
Source : laboratoire d’Ingénierie et de Biologie
58 Cutanée de Besançon.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
disque de peau reconstruite, La diminution de la tension de
du moins pour la partie der- la peau entraîne une rétrac-
mique, là où se trouvent les tion qui est visible en quelques
fibroblastes, cette par tie jours sur un échantillon de
fibreuse contenant le col- peau fabriqué en laboratoire
lagène. La tension physio- (Figure 35). L’évolution du
logique de la peau diminue diamètre de l’échantillon de
avec l’âge, et cette diminution derme reconstruit permet
entraîne une perte de mobilité de comparer l’efficacité des
des médiateurs chimiques qui cosmétiques pour stimuler
ne permettra plus aux fibro- cette tension et diminuer cette
blastes de transférer leurs rétraction.
informations à d’autres cel- La tension de la peau se
lules. Maintenir ou restaurer mesure en utilisant la GlaS-
la tension physiologique de box® (Figure 36). Des échan-
la peau est donc une priorité tillons rectangulaires de
pour les cosmétiques. der me r e cons tr uit s ont

70
Diamètre des lattices (mm)

60 FS 72 ans
FDR 72 ans
50
***
40
***
30 ***
*** ***
***
20 *** ***

10
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Journées en culture (Jours)

Figure 35
Mesure des effets d’un cosmétique sur la tension physiologique de la peau à partir de la rétractation
d’un échantillon de peau reconstruite.

Mesure de
variation de
résistance

∆R
Glissière
flexible dans
le silicium

Treillage de Force
collagène développée

Figure 36
Mesure des forces développées dans une peau reconstituée maintenue sous tension. Dispositif et principe
de mesure de la GlaSbox®. 59
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

A B

Figure 37
Étude de la tension de la peau dans la GlaSbox®.
A) Un échantillon de derme confiné entre deux lames ; B) comparaison d’échantillons de derme.

maintenus sous tension entre qui se trouve au fond d’une


deux lames. On mesure la ride développe beaucoup
force de résistance déve- moins de forces de tension
loppée soit quand on écarte que le fibroblaste de la peau
les deux lames, soit quand saine. Au fond d’une ride, le
on empêche le derme de se fibroblaste a arrêté de fonc-
rétracter par vieillissement tionner, il ne tire plus sur la
entre les deux lames mainte- peau, il ne fabrique plus de
nues à écartement constant collagène, et c’est donc parce
(Figure 37A), à tel point que que le fibroblaste est fatigué
le rectangle de peau devient que les rides apparaissent.
un diabolo comme sur la
Figure 37B. La peau du front, des joues,
La Figure 38 présente un de l’œil, pendant des années
exemple de l’évolution des essaye de combattre les
forces de tension en fonc- multiples contractures mus-
tion du temps selon le type culaires sous-jacentes. Tant
de derme ou du traitement qu’on est jeune, le fibroblaste
auquel l’échantillon a été sou- prolifère, fabrique du colla-
mis. Ce type d’étude a permis gène, se transforme en myo-
de montrer que le fibroblaste fibroblaste ; mais à partir

2e+5
Forces (Unité arbitraire/million de cellules)

2e+5

2e+5

1e+5

1e+5

1e+5

8e+4

6e+4

4e+4

2e+4

Figure 38 0
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48

Évolution de la force exercée Temps (heures)


par le derme entre les deux lames Fibroblaste de ride
Fibrolaste sain
60 en fonction du temps.
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
A B C

Figure 39
Clichés microscopiques des filaments musculaires aSM actin des fibroblastes : A) au sein d’une peau mature
non traitée ; B) au sein d’une peau mature traitée ; C) au sein d’une peau normale.

d’un certain âge, cette fonc- ne seraient ouverts qu’une


tion s’épuise, et c’est à ce seule fois. Ces conservateurs
moment-là qu’apparaissent sont très utiles dans le tube,
les rides. mais il n’est pas souhaitable
Ces forces de tension sont qu’ils pénètrent, ce que cer-
liées à la capacité du fibro- tains font. Et quand on dit
blaste de fabriquer en son certains, c’est parce que seu-
sein des filaments muscu- lement ceux-là ont fait l’objet
laires qu’on appelle aSM actin d’études ; on pourrait presque
(Figure 39). Il est donc impor- dire que la plupart des conser-
tant, pour combattre les rides, vateurs pénètrent alors qu’ils
de stimuler la réapparition de n’apportent rien à l’intérieur
ces filaments. de la peau. C’est donc un des
défis de la recherche de trou-
ver des conservateurs qui dis-
3.7. Mesure du passage paraitraient une fois le produit
transcutané appliqué sur la peau.
Il faut donc pour agir que le L’adsorption percutanée est
principe actif pénètre, mais un terme qui décrit le trans-
que les autres ingrédients port d’une substance de la
qui constituent le produit surface de la peau vers les
cosmétique ne pénètrent pas couches profondes, voire vers
si possible. C’est le grand la circulation sanguine. Cela
enjeu des parabènes et des prend en compte plusieurs
conservateurs en général qui termes différents (Figure 40) :
sont ajoutés dans un tube de - la pénétration, qui décrit l’en-
crème pour empêcher l’oxy- trée de la substance dans une
dation, la dégradation, la pul- couche ou une structure parti-
lulation microbienne… Il est culière, par exemple le derme ;
tout de même remarquable, et
c’est un enjeu extraordinaire, - la perméation, qui décrit la
que de pouvoir conserver un pénétration d’une couche vers
cosmétique ouvert six mois une autre qui est fonctionnel-
auparavant : il est aujourd’hui lement et structuralement
impossible de se passer de différente ;
conservateurs sauf à avoir - la résorption, qui décrit le
des produits stérilisés qui transport de la substance 61
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Poil
Pore
Couche papillaire
Épiderme
Corpuscule Meissner B
Petits nerfs
Couche réticulée VOIE TRANSÉPIDERMIQUE VOIES ANNEXES
Glandes sébacées
intercellulaire transcellulaire transglandulaire transfolliculaire
Derme Muscle arrecteur
Nerf sensitif

Corpuscule de Paccini

Hypoderme Artère
Veine
Tissu adipeux Cornéocyte
Racine du poil Follicule pileux
Follicule pileux Plexus nerveux
Glande eccrine
Glandes eccrines

Figure 40
Processus d’adsorption d’une substance.
A) Structure et composants de la peau ; B) les différents modes de pénétration.

vers les vaisseaux sanguins six tasses de café ; si par ail-


ou lymphatiques. leurs l’utilisateur prend un
L’adsorption concerne l’en- médicament pour l’asthme
semble de ces processus qui bloque la dégradation
indiquant la quantité finale de la caféine, il souffrira de
de substance qui se retrouve palpitations, aura des insom-
dans le sang après son appli- nies… Est-ce la faute du pro-
cation sur la surface de la duit cosmétique ou est-ce la
peau. faute du café ? Il faut donc
savoir que le cœur peut battre
Il existe des dispositifs d’éva- plus vite quand on applique
luation in vivo et in vitro de l’ab- ce type de crème parce qu’on
sorption cutanée, les cellules sait aujourd’hui que le prin-
de Franz (Figure 41), permet- cipe actif va pénétrer de façon
tant de mesurer le passage importante.
transcutané, c’est-à-dire la
Il existe différents type de
traversée de la peau par une
cellules de Franz. Le CERT
molécule qui va se trouver à
a travaillé à la mise au point
l’intérieur de la peau et qui
d’une cellule de Franz qui rac-
peut parfois diffuser dans le
courcit considérablement le
corps.
temps pour mesurer le pas-
Par exemple, pour une crème sage transcutané. C’est une
à base de caféine pour traiter cellule dans laquelle il y a une
la cellulite, appliquée sur les peau reconstruite, un liquide
fesses, sur les cuisses, sur le en contact avec la face infé-
ventre : trois heures après, rieure de la peau, et le produit
c’est l’équivalent de cinq cométique qui va être appli-
tasses de café qui passent qué sur la peau. Tout ce qui
dans le sang. Si l’utilisateur va pénétrer dans la peau va
est en outre un amateur de se retrouver dans ce liquide,
62 café, cela représente cinq ou qui est ensuite analysé. Alors
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
Milieu donneur
Échantillon de peau

Milieu receveur
Port
d’échantillonnage
Figure 41
Double enveloppe Dispositif d’évaluation
thermostatée de l’adsorption cutanée de cellules
de Franz.

que la mise en œuvre de du fluide étudié dans le milieu


telles techniques demandait donneur.
plusieurs heures (cinq à six), L a Figure 42 montre un
ce nouveau système permet exemple de l’évolution tempo-
la réalisation du test en une relle du flux d’un actif mesuré
heure, autorisant davantage au travers des cellules de
de mesures de pénétration Franz.
d’actifs ou d’autres molécules.
Le système des cellules de
Franz permet donc d’évaluer 3.8. Métabolisme cutané
la vectorisation, c’est-à-dire Il faut aussi savoir que la
l’optimisation du passage peau métabolise les actifs
transcutané d’un actif, car si avant leur passage dans la
on veut qu’un actif soit utile circulation sanguine. Elle
dans la peau, il faut en opti- possède un équipement enzy-
miser la pénétration. La dif- matique complet : lorsqu’une
fusion d’une substance dans molécule est appliquée, la
la peau obéit à la loi de Fick :
J = -D δC/δx, avec J le flux
en ­g.m-2.s, D le coefficient de 120
Quantité cumulée pénétrée

diffusion en m2.s-1, δC/δx le 100

gradient de concentration sur 80

la distance x de la membrane.
(mg)

60
Pente à l’équilibre
Le coefficient de perméabilité 40
Figure 42
Temps de latence
P est défini par : P =Jss/Cf, Jss
20

Évolution de la quantité d’actif


étant le flux à l’état station-
0
0 20 40 60 80
ayant pénétré dans la peau
naire et Cf la concentration Temps (hr)
en fonction du temps. 63
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

molécule qui pénètre n’est beaucoup de la formulation


peut-être pas la même car (voir Chapitre de J.-M. Aubry
des enzymes se trouvant dans dans Chimie, dermo-cosmé-
la peau peuvent la dégrader tique et beauté). Par exemple,
ou l’activer. La biotransfor- si on veut un produit qui reste
mation peut donc influencer sur la peau pour avoir juste un
la diffusion d’un composé. Le effet hydratant, on prendra un
métabolisme cutané peut : spray hydro-alcoolique dans
activer des composés inertes lequel le principe actif res-
en métabolites toxiques ou tera en surface après évapo-
cancérigènes (benzopyrène et ration de la partie alcoolique ;
3-méthylcolantrène), activer dans ce cas, la biodisponibi-
des prodrogues, transformer lité sera courte (Figure 43A).
un métabolite en métabolite Au contraire, si on souhaite
inactif (amines aromatiques), que l’actif pénètre dans la
conver tir des molécules peau, on utilisera un spray en
actives en métabolites actifs microémulsion avec des actifs
(testostérone et œstradiol), hydro- et liposolubles pour
etc. les stocker dans le cément
La biodisponibilité des actifs intracellulaire et avoir une
varie selon le mode de vec- biodisponibilité prolongée
torisation et dépend donc (Figure 43B).

Figure 43
Influence de la formulation sur
la biodisponibilité (modélisation
de la couche cornée) : A) spray
hydro-alcoolique : biodisponibilité
courte ; B) spray microémulsion :
biodisponibilité prolongée.

64
Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
La cosmétologie, un champ
transdisciplinaire en développement
La cosmétologie est un champ disciplinaire large
et passionnant qui fait travailler des milliers de
personnes dans de nombreux domaines, qui
vont de l’agriculteur ou du marin qui récolte-
ront les sources de principe actif, jusqu’à tous
ceux qui en font l’extraction, qui en démontrent
les propriétés, puis jusqu’à l’emballage et la
commercialisation de ces produits. C’est une
chaîne qui est contrôlée de façon extrême-
ment rigoureuse par des agences. Il y a une
très grande exigence de rigueur, de sécurité
et de suivi pour les cosmétiques, qui sous
diverses formes sont utilisés chaque jour par
chacun d’entre nous : en cas de toxicité d’un
produit cosmétique, vu le nombre important de
consommateurs, les risques seraient grands
de voir toute une population touchée.
Tous ceux qui travaillent dans la cosmétique
ont une grosse responsabilité, à tel point que
le pharmacien qui signe la sortie d’un produit
ou qui valide sa non-toxicité prend un risque
énorme, et fait appel à des agences d’experts
pour pouvoir garantir la sécurité des consom-
mateurs.
Il faut savoir faire la différence entre les
cosmétiques et les médicaments. Les produits
cosmétiques sont biologiquement actifs mais il
faut choisir les actifs, choisir les formes galé-
niques et les formulations, et évaluer les effets.
Ceux-ci peuvent être importants, mais les effets
sont limités dans le temps.

65
Patrice André
Les enjeux
de la
cosmétologie
Patrice André est actuellement président de Botanicosm’Ethic,
une société d’études, de concepts, de conseils et de critiques
en matière végétale pour la cosmétologie. Après avoir été pro-
fesseur de biologie à Tours, il a travaillé en recherche et déve-
loppement chez Christian Dior puis chez LVMH sur les parfums
et cosmétiques. Il a participé à la mise en place de l’approche
développement durable dans ces sociétés.

1 Comment était
la cosmétique avant-
hier ? (Figure 1)
déjà des produits commer-
cialisés de façon industrielle
comme la gamme Euder-
mine de Shiseido, la gamme
1.1. Quelques produits « Secret de Bonne Femme »
mythiques qui ont jalonné de chez Guerlain (Figure 4),
le temps (Figure 2) l’incontournable Nivea de 1911
(Figure 5) et les premiers pro-
La Cosmétothèque (Figure 2)
duits de chez Lancôme. La
est une association qui a été
cosmétique existait, mais elle
montée par Jean Claude Le
Joliff, pour centraliser et
conserver le savoir-faire des
années antérieures en cos-
métique (Figure 3). Ses sites
contiennent quantité de don-
nées précieuses pour com-
prendre les origines de la cos- Figure 1
métologie, résumées dans ce
paragraphe. Comment était la cosmétique
avant-hier ? Il est important
« Avant-hier » commence à de connaître de qui a déjà été fait,
la fin du xixe siècle. Il y avait pour mieux innover.
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 2
La Cosmétothèque centralise tout
le savoir-faire de la cosmétique.
Source : Cosmétothèque.

appelait les amines vitales.


Les premières vitamines
n’avaient été découver tes
qu’en 1929, et donné des idées
Figure 3 aux industriels pour dévelop-
per de nouveaux produits.
Des produits mythiques
qui ont jalonné le temps… Une période beaucoup plus
Source : Wikipédia CC-BY-SA-3.0, « organique » a suivi, avec des
Museo del Objeto. extraits de placenta humain,
des extraits d’embryon, des
extraits de placène, ou de
liquide amniotique dans les
cosmétiques. Et enfin, des pro-
duits typés, comme la gelée
royale. Ces revendications
apparaissent dans les années
1960, mais c’est vraiment au
début des années 1970 qu’on
Figure 4 a vu entrer la biologie dans la
cosmétique, en agissant sur
Pot de crème Secret de Bonne
Femme de chez Guerlain.
des processus, sur la vitalité,
Source : Archives Guerlain. sur l’ATP 1, en utilisant des
levures par exemple.
ne traitait que de l’hydratation
et des produits nourrissants, 1.3. Les années 1980 : de la
cela s’arrêtait là. cosmétique à la cosmétologie
Dans les années 1980, on
1.2. La cosmétique donne des réponses au
à revendications fameux « Baby-Boom », mar-
qué par une place croissante
Si on avance dans le temps, on
de la consommation dans la
voit apparaître des produits
« avec des revendications »,
1. ATP : Adénosine-5’-triphosphate,
revendications d’hormones
c’est la molécule qui fournit aux
en 1932 chez Helena Rubins- organismes vivants l’énergie néces-
tein, puis revendication de saire aux réactions chimiques du
vitamines en 1937 – ce qu’on métabolisme.

Figure 5
Évolution du design du pot de
68 crème Nivea entre 1924 et 2010.
Les enjeux de la cosmétologie
société ; les consommateurs anti-âge qui a marqué l’en-
ont peur du temps qui passe et trée véritable de la science
veulent en masquer les effets. dans les cosmétiques (c’est
La peau commençait à être vrai aussi pour Night Repair
connue de façon un peu plus et Niosome). Chez Dior, on est
précise et les cosmétiques parti sur une théorie scien-
cherchaient à agir dessus. Ces tifique, la théorie de fluidité
années ont vu le lancement membranaire 3, développée à
de grands produits, comme l’époque et encore extrême-
Night Repair chez Estee Lauder, ment importante aujourd’hui,
Niosome chez L’Oréal, et Cap- bien que souvent passée sous
ture chez Dior. Le progrès des silence. Cette théorie enseigne
connaissances scientifiques que la fluidité membranaire
et des méthodes d’études a est apportée par la présence
transformé la démarche de de phospholipides à chaînes
conception des cosmétiques, carbonées insaturées parmi
qui est largement devenue en les chaînes saturées pré-
une science elle-même : la sentes dans les membranes
cosmétologie. naturelles. Un « vecteur », le
La suite de l’histoire est illus- liposome, tout à fait nouveau à
trée avec un exemple de chez l’époque (voir la partie supé-
Dior, non pas parce que le rieure de la Figure 6), capable
reste n’était pas intéressant d’encapsuler des molécules
mais parce que l’auteur l’a et de les faire pénétrer dans
vécu directement. En 1986, la membrane cellulaire, est
Dior a lancé un produit, Cap- utilisé. On insère ainsi des
ture, complexe liposome 2 phospholipides d’origine végé-
tale dans les membranes de
2. Liposome : vésicule artificielle la peau, ce qui leur apporte la
formée à partir de lipides amphi- fluidité recherchée.
philes (constituée d’une partie
polaire hydrophile et d’une par-
tie hydrophobe) pour minimiser 3. Fluidité membranaire : possi-
leurs interactions avec la solution bilité de déplacement des lipides
aqueuse extérieure. dans une membrane cellulaire.

Peptides de Thymus

Protéine canal
(protéine de transport) Glucides
Milieu extracellulaire Têtes
Protéine globulaire
Glycoprotéine hydrophiles
phospholipidique
Bicouche

Figure 6
Protéine transmembranaire
Cholestérol Phospholipide
(structure globulaire) Schéma d’une membrane
Glycolipide
Protéine de surface de cellule. En partie supérieure
Protéine périphérique
Protéine transmembranaire (à échelle beaucoup plus grande)
Filaments de cytosquelette (structure en hélice alpha)
est figuré un vecteur liposome qui
Cytoplasme Chaînes hydrophobes
encapsule un peptide de Thymus. 69
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Le début des années 1980 adipocyte4 . C’est une protéine


correspond ainsi à l’entrée membranaire, l’adénylcyclase
des « vraies sciences » dans (AC), qui est responsable de
les produits cosmétiques. La toute la cascade d’événe-
Figure 6 a pour but d’initier à ments qui conduit au dés-
ce qu’est une membrane de tockage des triglycérides5 en
cellule. acide gras et glycérol, l’ac-
tion cosmétique recherchée.
Pour agir sur cette cascade, il
1.4. Les années 1990 : faut que l’adényl-cyclase soit
l’entrée des plantes dans active. En essayant de l’acti-
les cosmétiques ver, on a observé l’effet d’une
Dans les années 1990 s’est molécule, la Forskoline, que
produit un événement tech- l’on peut extraire d’une plante,
nique : l’entrée des plantes le Plectranthus Barbatus, ou
dans les cosmétiques. Certes, Coleus Forskohlii.
des plantes étaient déjà sou- Cependant, le produit de
vent utilisées en cosmétique, cette enzyme, l’AMP cyclique
mais à partir de cette époque (AMPc), peut être dégradé par
on commence à les utiliser par une phosphodiestérase6 (PDE)
rapport à des « revendications qu’il faut donc inhiber. Cela se
biologiques », des actions sur fait par un extrait de noix de
des cibles biologiques. C’est Cola, qui contient de la caféine
l’exemple d’un produit qui combinée à des polyphénols7,
agit sur les mécanismes de ce qui lui donne une meilleure
la lipolyse, l’inflammation et disponibilité cutanée et lui
la microcirculation, grâce à
des plantes comme Plectran- 4. Adipocyte : cellule présente
thus Barbatus, Cola Nitida, dans les tissus adipeux, chargée
de stocker la graisse.
Visnaga Vera, Terminalia
5. Triglycéride : lipide provenant
Sericea, qui contiennent des de la transformation du sucre et
molécules intéressantes, qui, de l’alcool par le foie.
combinées, ont réellement 6. Phosphodiestérase : enzyme
une activité biologique de type hydrolysant les fonctions phos-
amincissante (Figure 7). phodiester (diester porté par un
phosphore).
La Figure 8 illustre le fonc- 7. Polyphénols : molécules cycli­
tionnement de ce produit. Elle ques portant au moins deux grou-
représente la membrane d’un pements hydroxyles (-OH).

Figure 7
Des plantes utilisées
70 en cosmétique.
Les enjeux de la cosmétologie
Figure 8
Les deux plantes, plectranthus barbatus et noix de cola, combinent leurs effets pour activer la décomposition
(lipolyse) des triglycérides par la production de deux molécules, la forskoline et la caféine.

permet d’être absorbée par soigneusement travaillée ; la


la peau plus lentement. qualité s’est répandue et en
L’effet combiné des deux plantes, quelque sorte banalisée.
qui apportent deux molécules La gamme « Prestige » a
actives, permet d’agir sur le constitué un vrai tournant :
mécanisme de lipolyse8 et donc on n’arrêtait pas de faire de
sur l’amincissement corporel, la science ou des recherches
par un mécanisme scientifique- sur des plantes, mais on
ment compris. allait plus loin. On avait un
ingrédient porteur qui était
1.5. Les années 2000 : arrivée un nectar de fleurs Kniphofia
des cosmétiques modernes (Figure 9), un produit donné tel
sur le marché quel par la nature, même pas
un extrait, et magique.
Au début des années 2000,
l’industrie sait utiliser la
science pour la conception de
ses produits, et sait également
sélectionner des plantes perti-
nentes dans leur composition.
Ce savoir-faire s’est traduit
chez Dior par le lancement
d’une gamme nommée « Pres-
tige », où il y a de la science et
des plantes. Par ailleurs, la
sensorialité du produit a été Figure 9
Fleur de Kniphofia, dont le nectar
8. Lipolyse : dégradation des lipi­ était un ingrédient « magique »
des en glycérol et acides gras. de la gamme Prestige de Dior. 71
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

2 La cosmétique et les
plantes aujourd’hui
On peut aussi dire que l’ob-
jectif de la cosmétique est
d’« Apporter à la femme le luxe
2.1. Définition d’être ce qu’elle souhaite être
et/ou paraître ». On parle ici de
Il existe, bien sûr, une défini- « la femme » et non pas de « la
tion réglementaire du « pro- peau ». La grande question
duit cosmétique » (voir le qui se pose alors est : « Est-ce
Chapitre de P. Humbert dans que le cosmétique est fait pour
cet ouvrage Chimie, dermo- la peau ou pour la personne
cosmétique et beauté, EDP qui le porte ? ». On touche ce
Sciences, 2017). Une défini- qu’on appelle le « cosmetic
tion plus simple est la sui- minding », une expression qui
vante : résume l’état d’esprit de pro-
fessionnels convaincus qu’on a
beau avoir des connaissances
DÉFINITION DU scientifiques, des connais-
PRODUIT COSMÉTIQUE : sances technologiques, tout
CODE DE LA SANTÉ
un savoir-faire, etc., fabriquer
PUBLIQUE (LÉGISLATION
un produit cosmétique, c’est
FRANÇAISE)
une mission totale, qui demande
On entend par produit cos- qu’on y mette sa personnalité,
métique toute substance son émotion, son expérience.
ou préparation destinée à La cosmétique s’adresse
être mise en contact avec cependant majoritairement
les diverses parties super- à la peau. Son objectif est
ficielles du corps humain, bien de faire des produits qui
notamment l’épiderme, agissent sur la peau tout en
les systèmes pileux et maintenant l’homéostasie
capillaire, les ongles, les cutanée, c’est-à-dire en fai-
lèvres et les organes géni- sant que la peau soit toujours
taux externes, ou avec les dans son meilleur état phy-
dents et les muqueuses siologique.
buccales, en vue, exclu-
sivement ou principale-
ment, de les nettoyer, de 2.2. Des plantes pour
les parfumer, d’en modi- entretenir notre peau
fier l’aspect, de les pro-
La Figure 10 reproduit une
téger, de les maintenir en
photo obtenue par microsco-
bon état ou de corriger les
pie de transmission à balayage
odeurs corporelles.
d’un échantillon de peau. Elle
fait comprendre à quel point la
peau est un organe complexe,
qui ressemblerait à une sorte
de tissu avec un petit mille-
Figure 10 feuille au-dessus.
La Figure 11 explicite la struc-
Échantillon de peau vu
ture observée. On reconnait
par microscopie de transmission
à balayage. Le segment en bas des cellules de Langerhans,
de l’image indique une dimension les cellules de l’immunité,
72 de 50 microns. des adipocytes grossis, un
Les enjeux de la cosmétologie
Cellule de Langerhans

Couche
cornée
Épiderme

Cornéocyte
Kératinocyte
Mélanocyte
Jonction
dermo-
épidermique
Derme

Fibroblaste

Partie zoomée
Fibres
de collagène
Hypoderme

Apidocyte

Fibroblaste
Figure 11
Apidocyte
Schéma d’un fragment de peau.

fibroblaste9, du collagène10 , Les plantes sont des orga-


ainsi que des mélanocytes11. nismes autotrophes12 qui ont
Ce qui manque sur cette la capacité, par photosyn-
photo, ce sont toutes les thèse à partir de l’énergie,
annexes, la circulation san- d’eau et de gaz carbonique,
guine et les terminaisons de fabriquer des molécules,
nerveuses, mais cela reste des métabolites primaires et
suffisant pour montrer que secondaires (Figure 12). Ces
la peau possède beaucoup de molécules appar tiennent
cibles sur lesquelles on peut à des catégories chimiques
agir pour développer des acti- réper toriées : les antho-
vités biologiques. cyanes, les flavonoïdes, les
coumarines ou les terpènes
par exemple. Les plantes
permettent la synthèse des
vitamines dont on a vraiment
besoin pour bien vivre : des
9. Fibroblaste : souvent surnom-
més « cellules de soutien », les
acides aminés essentiels, des
fibroblastes sont présents dans les acides gras essentiels, etc.
nombreux tissus de l’organisme : Elles constituent un gisement
dans la peau, les tendons, le car- de molécules extrêmement
tilage, etc. Les fibroblastes jouent intéressant.
des rôles importants dans l’orga-
nisme : chargés de synthétiser les
autres cellules formant les tissus
2.3. La démarche
conjonctifs, ils sécrètent aussi des
substances luttant contre certains ethnobotanique
virus et bactéries. Pour trouver les plantes les
10. Collagène : protéine essen-
plus intéressantes, on a mis
tielle à la constitution des tissus
conjonctifs (tissus de soutien) en place chez Dior et LVMH
se présentant sous la forme de une « démarche ethnobota-
fibres permettant une certaine nique », qui perfectionne les
résistance des tissus à l’élasti- méthodes antérieures pour
cité lorsque ceux-ci sont étirés.
C’est également une substance
employée dans le traitement des 12. Autotrophe : organisme vivant
rides. produisant de la matière organique
11. Mélanocyte : cellules colorant par réduction de matière inorga-
la peau et les poils. nique. 73
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

N
S
+
P

Cycle de
Calvin oligoéléments

Métabolites primaires :
Sucre
• Polysaccharides
Membrane • Protéines
Membrane intérieure Stroma Réactions en phase Réactions
• Lipides
extérieure Espace inter- lumineuse dans indépendantes
membranaire les thylakoïdes de la lumière dans • Acides nucléiques
le stroma

Métabolites secondaires :
• Alcaloïdes
• Terpènes
• Polyphénols

Mais aussi :
• Vitamines
• Acides aminés essentiels
Lumen
Granum (pile Lamelle (intérieur de • Acides gras essentiels
Thylakoïde
de thylakoïdes) thylakoïdes) Chlorophylle • ...

Figure 12
Mécanisme de la photosynthèse. La formule développée représentée en bas à droite de la figure est celle
de la chlorophylle, molécule clef de la photosynthèse.

tracer des plantes et aller sur des plantes d’intérêt, une


jusqu’à des utilisations cos- aventure digne d’Indiana
métiques de façon raisonnée Jones (Figure 14) !
(Figure 13). La définition de l’ethnobota-
Tout commence par des nique, appliquée à la cosmé-
enquêtes de terrain. Avant de tique en cours chez LVMH,
travailler sur des plantes, on dit que c’est « puiser dans
travaille avec des personnes ; la biodiversité végétale les
il faut rencontrer les gens qui ingrédient s cosmétiques
connaissent les plantes, et ce d’aujourd’hui et de demain
sont eux qui vont vous orienter grâce aux connaissances

Figure 13
La démarche ethnobotanique
s’inspire de ce qui existait, grâce
à une démarche qui permet de
tracer des plantes et de pouvoir
aller jusqu’à des utilisations
cosmétiques de ces plantes de
74 façon raisonnée.
Les enjeux de la cosmétologie
Figure 14
Patrice André avec des habitants
locaux dans un pays étranger :
« Avant de travailler sur des
plantes, on travaille d’abord
avec d’autres personnes ». La
recherche des traditions est une
véritable enquête ethnobotanique,
une aventure digne d’Indiana Jones !

traditionnelles et aux décou-


ver tes modernes ». C’est DES MOLÉCULES
parce qu’on associe la tradition VÉGÉTALES POUR
avec nos savoirs modernes LA PEAU
qu’on peut créer les voies de Madécassoside
recherche qui conduisent à Ac. 18β glycyrrhétinique
l’innovation. L’ethnobotanique, Forskoline
ce n’est pas uniquement la Caféine
rencontre avec des guéris- Bilobétine
seurs charmants, c’est aussi Viniférine
toute une démarche d’études Cucurbitine
de laboratoire. Commiphérine
Méranzine
L’Encart : « Des molécules
β ecdyzone
végétales pour la peau »
Séricoside
donne une liste de quelques Turkesterone
molécules, dont cer taines Aframodial
ont été découvertes par mes Visnadine
équipes et moi-même. On …
cite ici par exemple la molé-
cule Afr amodial, trouvée
dans une plante malgache,
l’Aframomum Angustifolium
(Figure 15).

L a Figure 16 illustre l a
démarche ethnobotanique :
on a identifié cette plante,
on a vu que les principes Figure 15
actifs se trouvaient plutôt L’Aframodial a été découvert
dans les fruits ou dans les dans une plante malgache,
graines, on a caractérisé les Aframomum Angustifolium.
molécules actives ; à partir 75
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 16
Le chemin de la démarche
ethnobotaniste.

de celles-ci on a fabriqué situées dans ce qu’on appelle


un ingrédient cœur d’une l’A.R.I, « Aging Responsible
gamme aujourd’hui mondia- Interface », répartie sur l’épi-
lement connue dénommée derme profond et le derme
« Capture Totale ». À partir superficiel. L’extrait de Lon-
de cette recherche, on peut goza contient l’Aframodial, qui
entreprendre de nouvelles agit déjà sur neuf des cibles
relations avec les gens de (Figure 17), sur lesquelles on
terrain. avait besoin d’agir. On en a
donc fait le cœur du produit.
Le développement de ce pro-
2.4. Le choix de la plante
duit a pris du temps parce
utilisée
qu’il a fallu monter à Mada-
Les recherches ont sélec- gascar une filière spécifique
tionné la plante Longoza pour pour son extraction. Cela a
la raison suivante : une théo- été réalisé avec des paysans
rie scientifique prévoyait que malgaches, qui continuent à
pour avoir une activité anti- vivre grâce à son exploitation
âge, il fallait au moins agir depuis maintenant plus d’une
sur une vingtaine de cibles dizaine d’année (Figure 18).

Acide hyalunorique Aquaporine-3 Tocophérol Tyrosinase

b1 intrégrine Cytokeratin 1

b4 intrégrine p63 / p73

MMP-1
PDGF
MMP-9
Acide hyaluronique
Figure 17 TIMP-9

Type I Type III Fibres Fibrilline Chondroitine


Marqueurs altérés par l’âge collagène collagène élastiques 4S
76 sensibles à l’extrait de Longoza.
Les enjeux de la cosmétologie
Figure 18
Extraction de graines de l’Aframomum Angustifolium à Madagascar.

Un deuxième exemple est notamment quand elle est


celui de la molécule cucurbi- exacerbée. L’histamine est
tine. C’est une petite molécule formée à partir de l’histidine
qu’on isole d’une cucurbitacée par une décarboxylation14 qui
(un potimarron). Le principe résulte de sa réaction avec
de son utilisation est de blo- une enzyme, l’histidine décar-
quer un mécanisme impor- boxylase (Figure 19).
tant dans l’inflammation, Après un long parcours de
la fabrication d’histamine13, recherche de mon laboratoire,

13. Histamine : molécule de signa-


lisation du système immunitaire de 14. Décarboxylation : réaction au
la peau, de l’estomac et du cerveau cours de laquelle une molécule de
des vertébrés. CO2 est éliminée.

O
HISTIDINE
OH
N
NH2
N CO2
H
HISTIDINE
DECARBOXYLASE N
NH2
N

MASTOCYTE H
HISTAMINE Figure 19
Décarboxylation de l’histidine
par l’histidine décarboxylase 77
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

il a été montré que la cucur- bien, on n’a jamais trouvé de


bitine, dont la structure « molécule miracle » qui en
(Figure 20) est proche de celle expliquerait l’activité.
de l’histidine, pouvait être un La Figure 22 est une « pièce de
inhibiteur de l’histidine décar- musée », une puce à ADN qui
boxylase. En effet, cette molé- date d’au moins une vingtaine
cule est aussi efficace qu’un d’années – l’époque des pre-
médicament en vente en tant mières puces à ADN –, avec
qu’antihistaminique. laquelle on a pu montrer que
La troisième illustration de l’extrait de Malva Sylvestris
la démarche ethnobotanique avait des réactions similaires
montre que les plantes ne sont à celles de l’acide rétinoïque.
pas seulement sources de L’acide rétinoïque est une
molécules, mais qu’elles sont drogue pharmaceutique, qu’il
avant tout entités en tant que n’est pas question d’utiliser en
plantes. Dans la Malva Syl- cosmétique ; grâce à la Malva
vestris (Figure 21), une plante Sylvestris, on en avait les acti-
qui fonctionne extrêmement vités sans en avoir les incon-
vénients. L’effet cosmétique de
la plante résulte d’une synergie
entre de nombreuses molécules
Figure 20 qui agissent ensemble.
La cucurbitine a une structure
proche de l’histidine.
2.5. Des plantes pour
le plaisir du consommateur
« Pour mon plaisir, pour mes
émotions, dites-le-moi avec
des fleurs ». Les plantes,
et en particulier les fleurs,
Figure 21 portent d’autres propriétés
La Malva Sylvestris, une plante que celles de leurs molécules
miracle dont on n’a pas jamais séparées. La Figure 23 donne
trouvé de molécule active ! quelques exemples de fleurs

Témoin Acide rétinoïque

Figure 22
Malva sylvestris
La puce à ADN a permis de mettre
en évidence des similitudes entre
la Malva Sylvestris et l’acide
78 rétinoïque.
Les enjeux de la cosmétologie
Figure 23
Des plantes pour le cœur !
Les fleurs sont très symboliques
en termes de ressenti, faisant
de la cosmétique un miroir
de l’hédonisme.

symboliques qui agissent sur v ar iété qu’on appelle l a


ce qu’on appelle l’hédonisme : rose « Jardin de Granville »
la rose, l’orchidée (d’ailleurs (Figure 24). C’est une rose
extrêmement bien valorisées qui est magnifique, mais
par Guerlain dans la gamme qu’on a e s s entiellement
Orchidée Impériale), et une développée parce qu’elle
pivoine. Ces fleurs ont une avait une résistance extraor-
histoire, elles sont liées à dinaire ; à par tir de ces
l’homme depuis longtemps, et résistances agronomiques,
quand vous parlez de rose, de on s’est demandé comment
pivoine ou d’orchidée, cela agit cela peut être transféré en
directement sur le psychisme cosmétique ?
de l’interlocuteur. Cette rose a fait l’objet de
Chez Dior, on a entièrement nombreuses études. On a pu
créé une rose, une nouvelle montrer qu’elle possédait des

Figure 24
Dior a développé une gamme de produits contenant des extraits de rose de Granville. 79
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

propriétés biologiques inté- 2.6. Des plantes utilisées


ressantes (Figure 25). pour leur message
Par l’analyse de cette rose, Les plantes sont aussi por-
on a isolé plus de 120 molé- teuses de « valeurs », et
cules (Figure 26). Une nouvelle c’est une troisième voie par
fois, on a affaire à une plante, laquelle elles agissent. Quand
symboliquement très intéres- quelqu’un achète un cosmé-
sante ; elle agit par sa répu- tique, il réclame qu’il corres-
tation mais peut également ponde à ses valeurs person-
agir biologiquement. C’est du nelles : la cosmétique doit se
bon équilibre des molécules mettre au service de ce que les
qu’elle contient, qu’elle tient clients souhaitent réellement.
son influence sur des proprié- Il y a ainsi tout un travail à
tés biologiques. faire sur ce qu’on appelle

A B
Dosage ATP Naolys 3 000
Vitesse de la respiration basale cellulaire

6E-10
2 500
(pixodomes min/106 cellules)
Molécule d’ATP libérée

5E-10
par µg de protéine

35 %*
4E-10 2 000

3E-10 1 500
2E-10
1 000
1E-10
0 500
KSFM Nao 0,5 %
Série 1 3,24869E-10 4,37008E-10
0
Extrait et témoin (* p < 0,05) Témoin 0,1 % 0,5 % 1%

Figure 25
Résultats d’analyses sur peaux utilisant un produit contenant de l’extrait de rose de Granville : on observe
une augmentation de la consommation en O2 et de la synthèse d’ATP dans les kératinocytes, indicateurs
de son activité biologique. A) Synthèse d’ATP dans les kératinocytes (+ 35 % à 0,5 %) ; B) consommation
de l’oxygène par les kératinocytes (+15 % à 0,5 %).

Nombreuses familles moléculaires mises en évidence


+ 120 molécules identifiées sur l'ensemble des 3 extraits

polarité

1-2 %
5-30 % AcOEt
0,1-1 %
EtOH/H2O sphingolipides
Heptane
Figure 26 polyphénols
sucres tocophérols
Synoptique de l’analyse chimique glycolipides
d’extraits de rose « Jardin de stérols
Granville » et de ses résultats. acides
Plus de 120 molécules différentes aminés triglycérides
ont été identifiées et isolées. acides
acides gras
Source : thèse de Ludivine triterpéniques pigments
chlorophylles
Riffault Valois (soutenance caroténoïdes
80 12 décembre 2014).
Les enjeux de la cosmétologie
l’éco-responsabilité ; on doit nouvelles matières et nou-
faire des cosmétiques qui veaux concepts cosmétiques.
soient porteurs de toutes ces Il s’agit des « forums inter-
grandes notions aujourd’hui nationaux Afrique&Beauté »,
populaires : l’équitable, le dont je participe activement
durable, le soutenable, le res- à l’animation avec mon ami
ponsable, et mettre de côté Marc Olivier (Figure 28).
un peu le profitable, le ren- Pour résumer la situation d’au-
table, etc. (Figure 27). Un cos- jourd’hui dans la profession de
métique doit être porteur de cosméticien, il faut dire que
ces messages que la société la première contrainte, c’est
moderne réclame. la législation. On réglemente
À titre d’exemple, mention- tout, et toute innovation doit
nons que des relations per- livrer un véritable parcours
manentes existent entre les du combattant. Les préoccu-
cosméticiens et des groupes pations de sécurité (un produit
d’africains, pour réfléchir sur cosmétique n’est pas là pour
la meilleure façon de travail- vous donner des boutons ou
ler ensemble, développer une vous créer des allergies) ou de
économie qui soit plus res- qualité de la formulation pour
pectueuse de l’environnement favoriser l’utilisation passent
et des gens, et bien sûr en en quelques sorte au second
tirer des bénéfices en tant que plan (Figure 29).

Des ingrédients pour l’esprit et la raison


ble le le
u ita rab ab
Éq Du Jet
Éco-responsabilité Développement durable (soutenable)
Économie nouvelle Décroissance
Éthique RSE
Bio-mimétisme Économie circulaire
Bio-raffinage Agriculture urbaine

ble sa ble le Figure 27


na le
te sp
on
nta
b
fi tab
S ou Re Re Pro La cosmétique, miroir des valeurs
sociétales : un défi pour la société
La cosmétique = Miroir des valeurs sociétales moderne.

Valorisation de la biodiversité, Métiers de l’artisanat et de la beauté :


vers l’économie nouvelle

Nature et Traditions d’Afrique en Cosmétique,


Santé, Bien-être
Plantes, Métiers de la Beauté et Développement 2016
durable en Afrique 2014 2015
Entre Tradition & Modernité

2010

2008 2016 : 5e FIAB


Figure 28
2015 : 1er FIAB’I Marrakech
2014 : 4e FIAB (Marraine : Dr Khady Bizet) « Forum International Afrique
2004 2010 : 3e FIAB (Marraine : Pr Zoubida Charrouf)
2008 : 2e FIAB (Marraine : Pr Nacoulma) & Beauté » au cours du temps
1997 2004 : 1er Forum (gamme Bikini de DIOR) ANC-B (Assoc. Nature & Culture –
1997 : Sama Bioconsult (Marc Olivier)
Burkina). anc-b.com. 81
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Actifs
1 – Législations Storytelling
Ingrédients

Packaging
2 – Sécurité
produit
Revendications
Figure 29
Le développement d’un produit R&D 3 – Formulation
cosmétique rencontre de Temps = 3 ans
nombreuses contraintes et défis.
Aujourd’hui, les impératifs de Marketing
respect de législations complexes
sont devenus dominants.

3 La cosmétique
du futur
fabriquer le matin le cosmé-
tique idéal pour le jour J – pas
le même que celui de la veille
On examine quelques-unes ou du lendemain. Est-ce une
des nouvelles tendances tendance qui fait vraiment
qui vont gouverner les pro- rêver ? Les clients futurs,
duits cosmétiques du futur : puisque de plus en plus ils
la cosmétique connectée, aiment être « connectés », le
l’approche écosystémique, diront, une nouvelle cosmé-
la « locavore » attitude et la tique pourrait voir le jour.
cosmétique hybride.

3.1. Des produits toujours 3.2. Le début des études


plus innovants sur le microbiome cutané
Sous la marque « Romy Paris » Une autre démarche vers
a été créé un petit appareil l’invention de nouveaux cos-
sur le modèle Nespresso, métiques prend en compte
équipé de petites capsules. la biodiversité microbienne.
Une application smartphone Le monde microbien qui nous
indique le type de produits accompagne est encore peu
actifs nécessaires au client connu ; on estime que rien que
en fonction du type de peau, sur la peau, il y a autant de
du lieu envisagé et d’autres bactéries sur 1 cm² qu’il y en
paramètres. On choisit alors a dans 1 g prélevé dans le sol
les petites capsules, on les (Figure 30), où l’on sait qu’elles
rentre dans la machine pour jouent un rôle essentiel.

Biotophe Nombre de bactéries Par


Air 1 000 m2
Sol 10 6 gr
Eau potable 10 4 ml
Peau 10 6 cm 3

Figure 30
La biodiversité microbienne recèle quelque 10 000 espèces connues à côté de plus de quinze millions d’espèces
82 à découvrir.
Les enjeux de la cosmétologie
La peau est un écosystème Sang Yeux
1% 0%
très riche en terme micro-
Urogénital Tractus
bien, et c’est peut-être une 9% gastro-intestinal
29 %
facette qu’on a trop négligée Aérien
14 %
auparavant (Figure 31). Avant
même d’atteindre la peau
(dans l’air sur les objets), on
rencontre des tas de bacté-
ries, puis sur la peau 10 6 par
Figure 31
cm², et plus de 500 espèces
Peau
déjà réper toriées sur des 21 % Oral Répartition des bactéries
26 %
peaux saines. Il y a donc un dans le corps.
microbiote extrêmement actif
sur notre peau, que l’on doit
portées par un individu. On
comprendre et étudier, parce
voit que les différentes par-
qu’il fait par tie de nous-
ties du corps n’abritent pas
même.
les mêmes bactéries. Par
S’il est connu que nous ailleurs, on observe que le
sommes constitués de 1013 microbiote diffère d’un indi-
cellules qui portent notre
vidu à l’autre ; il constitue
ADN propre, on sait moins que
donc un écosystème à part
nous portons également 1014
entière, avec son ADN et
cellules qui portent des ADN
avec son « organe micro-
différents – ce sont les bac-
biote ». Cette réalité est
téries. C’est ce qu’on appelle
aujourd’hui bien connue en
le microbiome, dont on étu-
ce qui concerne le microbiote
die maintenant l’ADN dans
intestinal, dont on connaît
son ensemble, comme une
entité à part entière, grâce à bien l’utilité ; on découvre
la méthode dénommée méta- aujourd’hui qu’il en est de
génomique15. même pour le microbiote
de la peau. Cela ouvre une
La Figure 32 donne le résultat
nouvelle voie de recherche :
d’une analyse des bactéries
il faut désormais prendre
en compte l’activité de ce
15. Métagénomique : procédé étu- microbiote dans des nou-
diant le contenu génétique d’un velles approches cosmé-
échantillon. tiques.

% a Pli du coude b Dos c Narine d Talon plantaire


100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
HV1 HV2 HV3 HV4 HV1 HV2 HV3 HV4 HV1 HV2 HV3 HV4 HV1 HV2 HV3 HV4 Figure 32
Alphaproteobactéries Propionibacterium Clostridiales Bacteroidales
Microbiome d’un individu ; chaque
Betaproteobactéries Corynebacterium Lactobacillales Flavobacteriales
Gammaproteobactéries Actinomycètes non classifiés Staphylococcus Autre individu possédant son microbiome
unique. 83
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

3.3. Une tendance beaucoup de choses à déve-


à l’hybridation lopper à ce niveau-là.
À la base, la gamme des pro-
duits cosmétiques est très 3.4. La relocalisation
fragmentée : il existe des pro- des produits
duits pour l’embellissement
ou pour le soin, des produits Signalons enfin une autre ten-
de maquillage, etc. C’est ainsi dance, bien en ligne avec les
qu’apparaît la notion d’hybride préoccupations du développe-
(Figure 33) : l’hybride, c’est ment durable, celle du « rapa-
finalement un produit qui triement des productions ».
n’est ni soin, ni maquillage, Il s’agit de développer une
ni parfum, mais qui utilise les « locavore attitude », c’est-à-
propriétés avantageuses de dire de fabriquer les produits
chaque élément pour en faire là où ils vont être vendus, avec
un ensemble cohérent. Il y a les matières disponibles sur
beaucoup d’innovation à faire place. Aujourd’hui on fabrique
dans ce domaine. Déjà appa- quelque chose à un endroit,
raissent des soins maquillage, on le vend à l’autre bout du
les « BB cream » par exemple, monde, il est ensuite réex-
qui s’inscrivent dans cette pédié ailleurs, on est dans
tendance. On n’en est encore une espèce de libre échange,
qu’au B.A-BA, il y a encore de commerce complètement
aléatoire entaché d’un coût
carbone. La « locavore atti-
tude » considère que tous ces
mouvements occasionnent
des gaspillages de toutes
sortes et qu’il vaut mieux relo-
caliser les activités pour être
plus respectueux de l’environ-
Figure 33 nement. La Figure 34 illustre
La cosmétique hybride est une cette situation sur la produc-
tendance en développement. tion des huiles végétales.

A B

Figure 34
En contraste avec la tendance actuelle à délocaliser (A), se développe un « locavore attitude », avec par exemple
84 la relocalisation des huiles, avec leur utilisation dans les pays où elles sont produites (B).
Les enjeux de la cosmétologie
La cosmétique pour toujours !
Mr Dior disait qu’« Après les femmes, les fleurs
sont les créations les plus divines ». On peut
aussi dire : « Les fleurs et les femmes sont
l’avenir de l’homme ». La cosmétique, c’est une
certitude, continuera à jouer un grand rôle dans
les futures sociétés humaines. Ses possibilités
d’évolution sont considérables.
On l’a vu, les plantes sont utiles et passion-
nantes de nombreux de points de vue : scien-
tifiques, biologiques. Elles le sont aussi d’un
point de vue psychologique et sociologique.
Mais gardons en tête la qualité princeps de la
cosmétique : elle doit faire plaisir à la peau,
mais également au cœur et à la raison.

85
Philippe Piccerelle
Le vieillissement
cutané :

prévention et
réparation
Philippe Piccerelle est chef de service du Laboratoire de phar-
macie galénique, bio-pharmacie et cosmétologie de l’Université
Aix Marseille 1.

Nous examinerons dans ce cha- dans l’aggravation ou l’accé-


pitre les molécules chimiques lération de ce phénomène,
et les mécanismes d’action per- et nous allons voir comment
mettant d’expliquer : comment essayer de les freiner. Le
prévenir ou comment éventuel- mot « anti-âge », très à la
lement réparer les dégâts dus mode, ne veut rien dire ;
au vieillissement cutané. en revanche, freiner les
conséquences du vieillisse-
ment, vivre et vieillir dans

1 Le vieillissement
cutané
de bonnes conditions, est un
défi possible.
Pour traiter le vieillissement Pour comprendre les effets
cutané, il faut préalablement du vieillissement cutané, il
en comprendre les méca- faut comprendre ce qui se
nismes. Le vieillissement n’est passe au niveau cellulaire et
pas une maladie, c’est une au niveau moléculaire.
évolution normale (Figure 1),
inscrite dans les gènes, qui
nous concerne tous et toutes,
mais nous ne sommes pas
tous égaux devant le vieillis-
sement cutané.
Cependant, d’autres facteurs Figure 1
que génétiques interviennent
Le temps altère de façon visible
notre corps : teinte, éclat, texture
1. http://pharmacie.univ-amu.fr de la peau et des cheveux.
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

1.1. Vieillissement dire la réaction aux sucres des


intrinsèque et extrinsèque structures cutanées.
On pourra distinguer deux types Mais les principaux acteurs du
de vieillissement : intrinsèque et vieillissement sont le soleil
extrinsèque (Figure 2). Le vieil- et la pollution. Le soleil est
lissement intrinsèque est celui certes bon pour la peau, et
qui est inscrit dans nos gènes, ce n’est pas un ennemi, mais
le vieillissement extrinsèque selon les conditions d’expo-
résulte de tous les facteurs exté- sition, il peut quelques fois
rieurs qui interviennent pour devenir un ennemi (Figure 3).
accélérer ses conséquences, et
c’est sur ces facteurs que nous
allons nous concentrer.
2 Les traductions du
vieillissement cutané
1.2. Les facteurs
du vieillissement cutané 2.1. Le vieillissement
extrinsèque cellulaire et moléculaire
L’alimentation : une mauvaise Le vieillissement cutané se
alimentation favorise le stress traduit par une diminution
oxydant au niveau cellulaire et de la prolifération cellulaire,
le vieillissement cutané. une per te des télomères 3
Le stress : le stress au travail, et une mort cellulaire pro-
le stress dans la vie quoti- grammée, mais surtout un
dienne, interviennent égale- ralentissement de ce qu’on
ment au niveau de la peau. pourrait appeler de façon
simple la « machinerie cel-
La cigarette intervient sur le
lulaire », la communication
jaunissement de la peau, et plus
entre les cellules devenant
particulièrement sur ce qu’on
moins bonne.
appelle la glycation2, c’est-à-

2. Glycation : phénomène de fixation


complexe d’un sucre avec une pro- 3. Télomères : extrémités des chro-
téine. La glycation est l’un des pro- mosomes ne contenant aucune
cessus biochimiques responsables information génétique. Lors de la
du vieillissement prématuré de la réplication de l’ADN, ils ne sont pas
peau et de l’apparition des rides. Éga- recopiés à l’identique : une partie
lement connue sous le nom de réac- des télomères n’est pas répliquée.
tion de Maillard, la glycation impacte Ainsi avec le temps, les télomères
directement le derme humain en se font de plus en plus courts.
réduisant, petit à petit, l’efficacité Leur longueur s’associe donc à
du collagène et de l’élastine. notre âge.

Figure 2
Comment l’étude du vieillissement
intrinsèque, mais surtout
extrinsèque, permet-elle de mieux
appréhender le vieillissement
90 cutané ?
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
Figure 3
Les facteurs d’accélération du vieillissement cutané.

Dans la peau, les kératino- et cette communication s’altère


cytes 4 , les fibroblastes 5, les avec le vieillissement. D’autres
mélanocytes communiquent, facteurs interviennent : les
radicaux libres oxygénés (qui
sont des molécules très agres-
4. Kératinocytes : cellules constitu-
sives et très réactives), et les
tives de la couche superficielle de
la peau (épiderme) et des phanères phénomènes de glycation, et
(ongles, cheveux, poils, plumes, donc les processus d’oxydation
écailles). en général.
5. Fibroblastes : souvent surnom-
més « cellules de soutien », les
fibroblastes sont présents dans 2.2. Le vieillissement visible
les nombreux tissus conjonctifs au niveau macroscopique
de l’organisme : dans la peau, les
tendons, le cartilage, etc. Les fibro- Toutes sortes de défauts de
blastes jouent des rôles importants la peau peuvent être obser-
dans l’organisme : chargés de syn-
vés (Encart : « Le vieillisse-
thétiser les autres cellules formant
les tissus conjonctifs, ils sécrètent ment de la peau : ce que l’on
aussi des substances luttant contre peut voir »), dont les plus fré-
certains virus et bactéries. quents sont des taches (hypo 91
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

LE VIEILLISSEMENT CUTANÉ : CE QUE L’ON VOIT


Rides
Modification du relief de la peau
Atrophie cutanée (épiderme et derme)
Perte de souplesse et fermeté de la peau (protéines de la peau)
Perte de l’hydratation
Raréfaction de la microcirculation et angiomes
Pigmentations (verrues séborrhéiques, taches pigmentées, achromie)

ou hyperpigmentation) ou
des problèmes au niveau de
la microcirculation cutanée.
3 La prévention du
vieillissement cutané
Il faut se protéger des rayon-
La peau est en fait un organe nements UV, mais il est égale-
complexe. Elle est contient ment essentiel de bien hydra-
des vaisseaux sanguins mais
ter la peau, car l’hydratation
également des neurones, et
intervient non seulement dans
cette structure est importante
la mécanique de la peau, mais
car en résultent tous les pro-
également dans tous les phé-
blèmes concernant les pro-
nomènes inflammatoires et
priétés mécaniques de la peau
d’hyperpigmentation.
dus au vieillissement : la peau
devient plus lâche, moins per- Il est aussi nécessaire d’utili-
formante aux chocs, etc. ser des facteurs qui puissent
Tous ces problèmes résultent protéger les cellules non seu-
de ce qui se passe au niveau lement sur le plan structu-
cellulaire, et les cibles du ral mais aussi la circulation
vieillissement cellulaire sont sanguine autour des tissus et
résumées dans l’Encart : « Les dans les tissus.
cibles du vieillissement cellu- Enfin, il ne faut pas négli-
laire cutané ». ger l’aspect neurologique,

LES CIBLES DU VIEILLISSEMENT CELLULAIRE CUTANÉ


Protéger la peau des rayonnements UV
Maintenir la peau hydratée
Limiter action des radicaux libres
Limiter les phénomènes inflammatoires
Limiter une action trop importante des enzymes de dégradation de la matrice extracellulaire*
Réduire l’hyperpigmentation
Protéger les tissus des phénomènes de glycation
Stimuler la synthèse des protéines de la matrice extracellulaire
Utiliser des facteurs de protection cellulaire, vasculaire, des structures neurologiques
Utiliser des tenseurs de la peau (botox-like)

*
Matrice extracellulaire : aussi appelée ciment intercellulaire, il s’agit de l’ensemble des macromolé-
cules extracellulaires qui remplissent l’espace entre les cellules et assurent de nombreuses fonctions :
consolidation, cohésion, interaction, adaptation aux besoins. Elle est majoritairement constituée de
glycoprotéines et de protéines.
92
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
c’est-à-dire l’aspect sen- corneum7, c’est-à-dire de la
soriel. En effet, nous avons couche la plus superficielle
tous entendu parler de l’effet de la peau. Dans ces lipides,
« botox-like » 6, qui agit niveau les céramides 8 sont impor-
neuronal pour obtenir une tants puisqu’ils constituent
amélioration de l’apparence le ciment cellulaire. Il existe
de la peau et notamment des d’autres acteurs dont les
rides. squalènes9, que l’on retrouve
Ce paragraphe sera centré notamment dans les sécré-
sur la « prévention », mais il tions sébacées, et enfin, le
existe des produits (actifs) qui film hydrolipidique recouvrant
servent à la fois à la préven- notre peau (Figure 4).
tion et à la réparation. Un autre facteur de l’hydrata-
tion est le facteur d’hydratation
cutanée naturelle. Il existe,
3.1. L’hydratation : premier au niveau de l’épiderme, une
geste de prévention fabrication continue d’un
Il est très important de rap- « ensemble » permettant de
peler que le premier principe
fondamental pour bien s’hy- 7. Stratum corneum : couche la plus
drater est avant tout de boire. externe de la peau et de l’épiderme.
Il faut ensuite connaître les Elle se compose des cellules
mortes et sans noyau (appelées
acteurs de l’hydratation, résu-
cornéocytes) reliées entre elles
més dans la Figure 4. par une matrice riche en lipides
La peau est naturellement permettant leur cohésion.
recouverte d’une émulsion 8. Céramide : molécule de lipide
résultant de la combinaison d’un
composée de lipides et de
acide gras avec la sphingosine via
substances hydrophiles. Il une liaison amide, présente dans
s’agit des lipides du stratum les membranes cellulaires.
9. Squalènes : hydrocarbures insa-
6. Effet botox-like : effet provoqué turés, liquides contenus dans de
par certaines gammes de produits nombreux tissus animaux (foie
dits « botox-like », inventées par des requins et squales majo-
les laboratoires en s’inspirant des ritairement). Le squalène est
dernières techniques d’injection utilisé dans les cosmétiques et
d’acide botulique (le botox) en plus récemment comme adjuvant
chirurgie esthétique. immunologique dans les vaccins.

Acide hyaluronique
pH cutané
Derme ++ et épiderme
Film hydrolipidique

Natural Moisturizing Factor Lipides stratum corneum


(Fillagrine)
➢ Céramides +++
➢ Acides aminés ➢ Fixation et imperméabilisation/eau
➢ Sucres ➢ Acides gras, squalènes, cires (film)
➢ Lactates Épiderme
➢ Acides organiques
➢ Urée Aquaporines AQP 3 +
➢ Ions et oligoéléments
➢ Protéines de transport de l’eau
Figure 4
Épiderme cornéocutes ➢ Différenciation Kératinocytes
Membranes cellulaires
Les acteurs de l’hydratation
cutanée. 93
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

garder l’eau qui est constitué barrière cutanée et à lui redon-


d’acides aminés, de sucres, ner des substances lipophiles.
d’acides organiques, de toute L’application de composants
une série d’ions et d’urée. Il est très connus de facteurs cuta-
connu que l’urée est considé- nés comme l’acide hyaluro-
rée comme le produit de réfé- nique11 et le collagène12 per-
rence de l’hydratation cutanée. mettent de stocker l’eau à
Enfin, depuis quelques années, l’intérieur de la peau, ce qui est
il a été découvert que le flux de essentiel même si ces compo-
l’eau était dû, pour une cer- sants ne reconstituent pas la
taine partie, à des pores dans matrice extracellulaire.
les membranes, et qu’il s’ef- L’expression des gènes joue
fectuait via des protéines par- également un rôle dans l’hy-
ticulières transportant cette dratation cutanée. Des molé-
eau et appelées aquaporines10. cules récemment découvertes
L’aquaporine 3 est la plus étu- peuvent moduler l’expression
diée, mais il existe d’autres des gènes pour booster les
types d’aquaporines qui sont aquaporines par exemple.
importantes, dont le rôle ne se
limite pas à celui d’acteurs de
l’hydratation cutanée. 11. Acide hyaluronique : consti-
tuant naturel du derme qui agit
La Figure 5 résume les diffé- comme éponge en captant et
rentes familles de produits qui maintenant l’eau. Sa qualité et
permettent d’hydrater la peau. sa quantité diminuent avec l’âge,
c’est pourquoi de nombreux pro-
Les huiles ou les céramides
duits cosmétiques contiennent de
aident à reconstituer la l’acide hyaluronique, ainsi que les
produits de comblement des rides.
10. Aquaporines : classe de pro- 12. Collagène : protéine essentielle
téines membranaires formant des à la constitution des tissus conjonc-
« pores » perméables aux molé- tifs (tissus de soutien) se présentant
cules d’eau dans les membranes sous la forme de fibres permettant
biologiques. Les aquaporines une certaine résistance des tissus
jouent un rôle majeur dans le pas- à l’élasticité lorsque ceux-ci sont
sage de l’eau de part et d’autres de étirés. C’est également une subs-
la membrane de la cellule, tout en tance employée dans le traitement
empêchant les ions d’y pénétrer. des rides.

Huiles végétales Expression gènes


Humectants
Céramides ➢ AQP
➢ Polyols ➢ Fillagrine
➢ PEG

Composants
NMF
Acides aminés
Forme cosmétique
AHA
Urée ➢ Émulsion II/E
Sucres Filmogènes hydrophiles ➢ Microémulsions
➢ Polysaccharides ➢ Nano-émulsions
Figure 5 ➢ Liposomes
➢ Collagène, élastine
Les familles de produits (actifs) ➢ Acide hyaluronique
94 utilisées pour hydrater la peau.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
La formulation des cosmé- et beauté). C’est le cas pour les
tique est importante : l’eau, agriculteurs, les chauffeurs de
seule, n’est pas intéressante, taxi, les pêcheurs, etc., qui ont
l’huile seule non plus : ce sont une peau vieillie particulière
surtout les émulsions qui sont à cause de la surproduction
intéressantes. d’élastine14. Il faut donc arrêter
ces rayonnements grâce à des
molécules appliquées sur la
3.2. La protection solaire peau : les filtres solaires, qui
Le deuxième point très impor- vont soit absorber soit disper-
tant dans la prévention est la ser ou réfléchir ces rayonne-
protection solaire. Les UVB/ ments.
UVA sont les rayonnements La Figure 8 résume les condi-
les plus dangereux. Il s’agit tions d’une bonne photo-­
des rayonnements situés protection. Il est important de
entre 280 et 400 nanomètres notifier qu’il ne suffit pas d’uti-
car les autres rayonnements liser les bonnes molécules
UV ne pénètrent pas au travers sur notre peau : il faut que
de l’atmosphère (Figure 6). ces dernières soient stables,
De plus, ce sont surtout les UVA et notamment qu’elles soient
et les UVB qui entraînent des stables à la lumière.
dégâts cutanés : les UVB au
niveau de l’épiderme, les UVA
au niveau du derme (Figure 7). 14. Élastine : protéine sécrétée
Ils vont occasionner, pour les par les fibroblastes, qui compose
uns ou pour les autres, soit des la plus grande partie des fibres tis-
érythèmes (le coup de soleil sulaires jaunes présentes dans dif-
classique), soit des problèmes férentes parties du corps comme
dans l’oreille externe, le canal
d’héliodermie13 (voir les Cha-
auditif ou la gorge. Sa synthèse
pitres de L. Marrot et J. Leclaire diminue avec l’âge et l’élastine se
dans Chimie, dermo-cosmétique trouve remplacée par du collagène
inextensible. Les vergetures sont
13. Héliodermie : vieillissement un exemple visible de ce processus,
cutanée souvent prématuré dû qui est lié à des contraintes méca-
à des expositions solaires chro- niques. Le vieillissement cutané en
niques et/ou prolongées. est un deuxième exemple.

Ultra-violets Visible Infrarouges


UVC UVB UVA

Figure 6
Sur le spectre du rayonnement
UVC UVB UVA solaire les rayonnements UVB
et A sont situés entre 280 et
Forte énergie Forte énergie Énergie < UVB 400 nm et donc invisibles. Alors
Couche ozone 5-10 % UV/terre 90-95 % UV/terre que les UVC sont fortement
stoppés par l’atmosphère,
STOP STOP les UVA et B la franchissent et
interagissent avec nos cellules. 95
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Protection solaire : qui ont un spectre plus large


et qui peuvent permettre de
Absorption (photons)
Dispersion lutter contre les rayonnements
Réflexion solaires du spectre entre UVA
UVA UVB et UVB (Tableau 1).
Les écrans minéraux à base
Figure 7
de dioxyde de titane ou/et
Les filtres solaires protègent d’oxyde de zinc (Tableau 2)
la peau des UV en les réfléchissant sont des filtres solaires bien
et/ou dispersant une partie,
connus du public car ils ont
ou en les absorbant.
un large spectre, sont très
stables et efficaces. Leur pro-
Utilisation de molécules chimiques blème est qu’appliqués sur la
Organiques : filtres organiques peau, ils donnent une appa-
Figure 8
Minérales : filtres inorganiques rence un peu blanche, et donc
souvent, les consommateurs
Les molécules composant sont peu enclins à utiliser ce
Photo-protection UVA/UVB
les filtres solaires permettent
Bonne tolérance pour la peau et les muqueuses type de produit.
de protéger des UVA/UVB tout Photo-stabilité
en étant, entre autres, photo- Rémanence Pour une efficacité optimale,
Facteur de protection solaire élevé
stables et tolérées par la peau
Caractéristiques organoleptiques
il est nécessaire d’associer
et les muqueuses. les filtres. La formulation est
une autre méthode d’optimi-
Il existe des molécules orga- sation du facteur de protec-
niques spécifique de la protec- tion solaire : en fonction de
tion UVB, d’autres de la protec- l’huile utilisée, en fonction de
tion UVA, et d’autres encore, l’ajout d’autres ingrédients,
comme les benzophénones, mais également en fonction de

Spectre absorption Classe chimique Exemples


UVB Aminobenzoate Octyl diméthyl PABA
Cinnamates Octyl méthoxycinnamate
2-Éthoxyéthyl p-méthoxycinnamate
Salicylates Octyl Salicylate, Homosalate
Autres familles Octocrylène
Acide Sulphonique Phénylbenzimidazole
UVA Dérivés Avobenzone ou Butyl Méthoxydibenzoylméthane
dibenzoylmetnane
Camphre Térephtalydène Dicamphor Sulfonic
Anthranylates Menthyl Anthranylate
UVA/UVB (large) Benzophénones Oxybenzone
Sulisobenzone
Dérivés triazine Bisoctrizole ou Trétrabutylméthylphénol méthylène-bis
Benzotriazolyl
Bémotrizinol ou Bis-éthyloxyphénol Méthoxyphéyl
triazine
Éthythexyltriazone

Tableau 1
96 Propriétés des filtres solaires organiques.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
Écrans minéraux Avantages Inconvénients
Dioxyde titane Large spectre Indice réfraction élevé
Oxyde de zinc Photo-stables Aspect peu esthétique
Peu allergisants Sensation granuleuse
Non toxiques Texture
Tableau 2 Efficaces
Propriétés des filtres solaires Absorption
minéraux. systémique nulle

la forme pharmaceutique, de
la formule cosmétique ou des
problèmes rhéologiques, les
facteurs de protection solaire Associations de filtres +/– antioxydants
peuvent être complètement Optimisation par extraits végétaux
Optimisation en fonction des huiles/émulsions
différents. La formulation Utilisation d’épaississants phase grasse Figure 9
Paramètres rhéologiques
des produits solaires n’est Formulation et hydro-résistance Les paramètres de formulation
Type de formulation
pas simple, et pour obtenir de Taille et dispersions écrans minéraux pour avoir des filtres solaires
bons résultats, il est néces- efficaces.
saire de jouer sur plusieurs
« célibataire » qui, pour s’as-
paramètres (Figure 9).
socier à un autre électron, va
essayer de réagir avec tout, et
3.3. Les antioxydants très rapidement. La Figure 10
présente quelques exemples
On sait depuis quelques de ces radicaux libres, notam-
années qu’il est intéressant ment les peroxydes ROO˚, le
d’ajouter des antioxydants peroxyde d’hydrogène H2 O 2 ,
puisque les radicaux libres les r adic aux hydrox y les
participent à la synergie d’ac- OH˚, les ions oxygène O˚2-,
tion, soit des rayonnements, les superoxydes O˚2 - … Ces
soit du produit engendré par espèces sont nécessaires
les rayonnements (voir le Cha- puisqu’elles participent par
pitre de L. Marrot dans Chimie, ailleurs à la protection du
dermo-cosmétique et beauté). corps contre les bactéries
Les radicaux libres sont ou les cellules cancéreuses,
des molécules très réac- mais quand elles sont en sur-
tives, possédant un électron production, elles entraînent

H2O2 ROO°

OH° O° 2–
Figure 10
Les radicaux libres (H2O2, OH°,
ROO°, O°2 -), quand ils sont trop
nombreux, sont à l’origine
de dégâts au niveau cellulaire
et génétique. 97
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

des dégâts au niveau de la épicatéchines sont des flavo-


peroxydation des cellules, noïdes contenus notamment
au niveau de l’oxydation des dans le thé vert qui peuvent
protéines cellulaires, et éga- être intéressants pour limi-
lement au niveau du matériel ter l’action inflammatoire au
génétique, et plus particuliè- niveau des dommages du col-
rement au niveau de l’ADN, où lagène.
elles provoquent des cassures Il existe de nombreuses
dont les produits sont égale- sortes d’antioxydants (Encart :
ment toxiques, et il peut aussi « Quelques antiox ydants
y avoir des phénomènes de connus ») : des enzymes, des
mutations. vitamines, des polyphénols15,
L’action des antioxydants anti- des peptides… Les antioxy-
radicalaires consiste soit à dants peuvent avoir des
piéger de façon directe ces actions communes ou très
radicaux libres (Figure 11A), différentes en fonction des
soit à piéger de façon indi- produits.
recte les produits d’oxydation
(Figure 11B). Dans ce der-
nier cas, avec une protéine
et un sucre, il se produit la 4 Réparation du
vieillissement cutané
glycation. Les chimistes
connaissent cette réaction 4.1. Les rétinoïdes
sous de nom de réaction de
Les rétinoïdes dérivent de la
Maillard : elle implique une
vitamine A (le rétinol). Il existe
protéine, un sucre et de la
une multitude de produits
température.
plus ou moins complexes de
L’antiox ydant agit égale- la même famille (Tableau 3).
ment sur des facteurs qu’on Le rétinol et le rétinaldéhyde
appelle des « facteurs de peuvent être employés en
transcription » (Figure 11C). cosmétologie (voir le Chapitre
Ces derniers agissent sur les
enzymes de dégradation de
15. Polyphénol : catégorie de
la matrice. Lorsqu’il y a une
molécules principalement pro-
surproduction d’antioxydant, duites par les végétaux (thé vert
ces enzymes vont détruire un par exemple), constituées d’un
petit peu plus la matrice. Les assemblage de phénols.

Figure 11
A
Schéma des mécanismes
d’action des antioxydants (AO) :
A) piégeage des espèces
radicalaires ; B) piégeage des
produits d’oxydation de la réaction
de glycation ; C) action sur C
les enzymes de dégradation B
98 du collagène.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
QUELQUES ANTIOXYDANTS CONNUS

Vitamines E,C,A,B, lycopène, Niacinamide


Zn, Se
Cystéine, peptides
SOD
Acide férulique
Co Q-10
Acide lipoïque
Polyphénols (thé vert, Resvératrol)
Acétyl-L-carnitine, isoflavones de soja Figure 12
Mélatonine
Exemples d’antioxydants, dont
Ginkgo biloba, Silibinin, pycnogénol certains ont une origine végétale.

Rétinoïdes naturels Rétinoïdes de synthèse


Rétinol (vitamine A) Étrétinate
Rétinaldéhyde Acitrétine
Acide trans rétinoïque Tazarotène
(isotrétinoïne) Tableau 3
Acide 9-cis-rétinoïque Adapalène
Les rétinoïdes sont des dérivés
(isotrétinoïne)
naturels ou synthétiques de la
Palmitate de rétinyle vitamine A.

de C. Bouix Peter dans Chimie, appelle les RAR (« retinoic


dermo-­cosmétique et beauté), acid receptor » en vert) ou
les autres (les acides réti- RXR (« retinoïc X receptor » en
noïques) sont des médica- jaune), afin de se fixer sur une
ments avec des effets adverses partie de l’ADN (Figure 14). À
importants, puisqu’ils peuvent chaque fixation, il y a la trans-
entraîner des effets térato- cription d’une protéine, et ce
gènes16. schéma illustre cette modu-
Le schéma de la Figure 13, lation de l’expression des
qu el qu e p eu co m p l exe, protéines.
montre que lorsque le rétinol Les rétinoïdes, en se fixant sur
ou l’acide rétinoïque arrive les récepteurs RAR ou RXR
dans la cellule, il est trans- des cellules, impactent direc-
porté par un transporteur et tement l’ADN (Figure 14), et les
forme une molécule (RA), qui exemples suivants illustrent
pénètre à l’intérieur du noyau l’application dans le vieillis-
de la cellule (en bleu foncé). sement des cellules cutanées.
Dans certaines conditions, Dans le cas du psoriasis (voir
cette molécule va s’apparier le Chapitre d’I. Pélisson dans
avec des récepteurs que l’on Chimie, dermo-cosmétique et
beauté), ils ont un effet kéra-
tolytique17, c’est-à-dire qu’ils
16. Tératogène : pouvant provo-
quer un développement anormal
de l’embryon et conduisant par là- 17. Kératolytique : ayant la capacité
même à des malformations. à dissoudre la kératine de la peau. 99
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Acide Rétinoïque
RA
Rétinol

RA tt CRABP RA 9-cis

Figure 13 Esters RA RA tt RA 9-cis


CRABP
RAR RXR
Schéma du mécanisme d’action
des rétinoïdes sur l’ADN. Les RA tt RA 9-cis RA 9-cis RA 9-cis
rétinoïdes migrent grâce à des RXR RXR
RAR RXR
transporteurs vers le noyau
cellulaire, se fixent sur des RARE RXRE
récepteurs spécifiques et modulent
alors l’expression de certaines ARNm
Protéine
enzymes.

RA tt RA 9-cis
RAR RXR

Figure 14
Les rétinoïdes, en se fixant sur RA 9-cis RA 9-cis
les récepteurs RAR ou RXR des
cellules, impactent directement RXR RXR
l’ADN.

permettent d’enlever des cel- ans, ont l’apparence de per-


lules superficielles en excès. sonnes de 70 ans ou 80 ans. Ce
L’acide rétinoïque intervient syndrome (dit de Hutchinson-
dans la synthèse du colla- Gilford) résulte d’un problème
gène, dans la stimulation de de mutation au niveau de pro-
l’acide hyaluronique, et éga- téines du noyau cellulaire qui
lement dans l’inhibition de ces s’appellent les Lamines A et C.
fameuses enzymes dégradant Il y a formation d’une protéine
la matrice. Ces molécules particulière qu’on appelle pro-
sont complexes car elles ont gérine. Nous intéressant plus
de multiples effets, complé- particulièrement à la peau,
mentaires ou non. nous sommes en mesure
de nous demander ce qui se
passe dans ce cas dans les
4.2. Traitement de la progeria
fibroblastes ? Les noyaux cel-
La progeria est bien connue du lulaires des fibroblastes, qui
grand public, il s’agit du vieil- sont normalement ronds ou
lissement accéléré de cer- ovales (Figure 15), deviennent
Figure 15 tains enfants qui ne vivent pas multiformes, et cette multifor-
très vieux et qui, dès huit-dix mité entraîne non seulement
La progérine modifie la forme des
des dégâts cardiovasculaires
noyaux cellulaires, qui deviennent
multiformes : cet état conduit, importants, mais surtout un
entre autres, à un vieillissement vieillissement accéléré au
100 accéléré. niveau de la peau.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
À partir de ce constat, une 4.3. Les alpha hydroxy acides
équipe de généticiens de AHA
Marseille a mis au point un
Les alphas hydroxy acides19
traitement, au départ médi-
sont bien connus et appelés
camenteux, associant deux
communément acides de
produits : la pravastatine
fruits, bien qu’ils ne soient plus
sodium et l ’alendronate
tirés des fruits mais désormais
sodium. La pravastatine est
synthétisés. Ces acides per-
employée en cas de surplus
mettent de réduire la cohésion
de graisse dans l’organisme
des cornéocytes 20 ainsi que
et l’alendronate dans les
l’épaisseur cutanée, en aug-
cas des problèmes osseux,
mentant les synthèses, notam-
notamment à la ménopause.
ment du collagène et de l’acide
L’association de ces deux pro-
hyaluronique (Figure 16).
duits intervient sur ce qu’on
appelle la farnésylation18 de Prenons l’exemple de l’acide
la protéine. glycolique 21. En cosmétolo-
En émulsion et en application
cutanée, le mélange des deux 19. Alpha hydroxy acides : acides
médicaments utilisé à des naturellement présents dans de
doses infra-thérapeutiques nombreux fruits et plantes mais
(c’est-à-dire à des doses infi- également dans des produits lac-
tés. Leur grand intérêt en cosmé-
niment faibles) a donné des tique est de stimuler le renouvel-
résultats qui égalent ceux de lement cellulaire en provoquant
certains actifs dermo-cos- l’élimination des peaux mortes
métiques actuellement uti- de l’épiderme (agents exfoliants).
lisés. 20. Cornéocytes : cellules sans
noyau constituant le stratum cor-
neum.
21. Acide glycolique : acide formé à
partir des sucres présents dans les
betteraves, la canne à sucre ou le
raisin. En agissant sur les liaisons
18. Farnésylation : phénomène maintenant les cellules entre elles,
durant lequel l’action d’une pro- il améliore l’élasticité de la peau,
téine est inhibée ou amplifiée par permet d’éliminer les couches de
l’ajout d’un alcool appelé farnésol cellules mortes. Il aide également
au niveau de ses acides aminés. à limiter les effets de l’acné.

Cohésion Hydratation Épaisseur pH


Cornéocytaire Élasticcité cutanée cutané

Figure 16
Σ GAG et Vascularisation Σ Collagène
dermique Les actions cutanées des alpha
hydroxy acides. 101
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

gie, il est employé à des doses bêta-carotène23, qui est méta-


très faibles (3 %, 4 %, 5 %, bolisé en vitamine A par le
6 %). Par contre, au niveau foie, limite aussi l’action des
médical, on l’emploie à des perox ydes. Ces vitamines
doses beaucoup plus fortes sont toujours intéressantes
(Tableau 4), utilisées pour à associer ; leurs propriétés
traiter l’hyperpigmentation cosmétiques sont résumées
et l’héliodermie, c’est-à-dire dans le Tableau 5.
tout ce qui concerne le photo- La vitamine B3 (niacinamide)
vieillissement. Concrètement, (Tableau 6) est particuliè-
la peau est exfoliée, ce qui rement intéressante parce
permet aux cellules basales22 qu’elle est multifonctionnelle.
de remonter et conduit ainsi à Elle possède une activité
un aspect amélioré par rap- anti-glycante, une activité de
port à l’aspect initial. synthèse du collagène mais
également une activité sur la
pigmentation. Elle est bien
4.4. Les vitamines
connue des dermatologues,
Les vitamines C et E sont des de nombreuses publications
antioxydants et captent les avec des essais scientifiques
radicaux libres ; elles jouent y sont consacrés, et elle est
également un rôle dans la donc souvent utilisée dans des
synthèse du collagène. Le produits anti-âge.

23. Bêtacarotène : forme la plus


répandue de carotène, c’est-à-
22. Cellules basales : petites dire un pigment de couleur orange
cellules situées au niveau de la présent dans certains végétaux
couche extérieure de la peau. (carottes notamment).

AG 25 % + Acide lactique 15 % Ride péri-orbitaire


Hyper-pigmentation
AG 50 % + Acide citrique 30 % Héliodermie, acné, hyper-
Tableau 4 pigmentation
AG + Acide mandélique + acide Acné photo-viellissement
Les applications de l’acide
glycolique. lactique + acide phytique

Vitamine C Vitamine E Pro-Vitamine A


Acide ascorbique Alpha tocophérol b carotène
Antioxydant : piège des Antioxydant : piège radi- Antioxydant : piège
radicaux libres oxygénés caux peroxyles (lipides) oxygène singulet
(O2°–, 1 O2, ROO°, HO°, H2O2)
Influence synthèse collagène Stimulation synthèse GSH ? Limite peroxydation
(régulation gènes transcription Transcription/collagénases lipidique
collagène I et III) (MMP1) Protection/ADN
Baisse expression enzymes dégradation Intéressante dans photo- Intéressante dans
collagène (I-MMPs) protection photo-protection

Tableau 5
102 Les propriétés des vitamines A, C et du bêta-carotène en dermo cosmétique.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
Propriétés Cibles
Activité anti-glycante Teint jaunâtre
Précurseur NADPH Rigidification collagène
Réduction TWL Barrière cutanée
Stimulation synthèse céramides
Réduction hyperpigmentation (transfert mélanosomes) Tâches cutanées
Accélération différenciation kératinocytes Vieillissement
Réduction GAGs en excès Photo-vieillissement
Augmentation synthèse collagène (fibroblastes culture) Rides

Tableau 6
Propriétés dermo-cosmétique de la vitamine B3.

Activité métabolique

Matrice
Extracellulaire Figure 17
Actions des peptides
de signalisation.

4.5. Les peptides acides aminés et d’une chaîne


grasse, stimulent la synthèse
Les peptides sont composés
du collagène et de la lami-
de l’assemblage de quelques
nine 5, qui est une protéine
acides aminés. Ces peptides
très intéressante car située à
peuvent soit transporter des
la jonction entre le derme et
oligoéléments (tels que le
l’épiderme (Figure 18).
cuivre, le zinc, qui vont per-
mettent de stimuler des réac- Les protéines qui affectent
tions), soit permettre de syn- la neurotransmission cho-
thétiser du collagène. Il existe linergique sont les pep-
également ce qu’on appelle tides botox-like. Elles jouent
les peptides de signalisation, un rôle essentiel dans la
qui stimulent des voies de
signalisation, et des peptides
LIPOPEPTIDES
affectant la neurotransmis- Palmitoyl-Lysyl dioxyméthonyl-lysine
sion, qu’on appelle des pep-
tides botox-like.
Les peptides de signalisation
vont activer les synthèses du Stimulation synthèse
collagène, de l’acide hyalu- Collagène I, II, IV
ronique, etc., et permettent Laminine-5
Fibronectine
de renouveler un peu mieux Acide hyaluronique
la matrice extracellulaire
(Figure 17). Matrice extracellulaire
Figure 18
Par exemple les lipopep- Jonction dermo-épidermique Les actions des lipopeptides
tides, constitués de trois en cosmétique. 103
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

dépolarisation24 et la contrac- des serpents mais égale-


tion des muscles (Figure 19). ment chez des araignées, des
Cette propriété a été trouvée scorpions, etc. On a isolé les
au départ dans les venins acides aminés et déterminé
les séquences qui interve-
naient sur cette neurotrans-
24. Dépolarisation (de cellules mission (Figure 20).
musculaires ici) : la dépolarisation
Ces molécules ont été synthé-
d’une cellule désigne le passage
transitoire du potentiel de mem- tisées et elles sont désormais
brane d’une valeur négative, dite utilisées dans les produits
de repos, vers une valeur positive. cosmétiques (Tableau 7). Le

Figure 19
La libération de molécules
d’acétylcholine entre deux
neurones permet de transmettre le
message nerveux. Notre visage est
composé de nombreux muscles,
et les neurotransmetteurs
jouent un rôle essentiel dans la
dépolarisation et la contraction de
ces muscles.

Tri-peptide synthétique

Waglerine
Figure 20
Un exemple de peptide « botox-
like » : la waglerine, un polypeptide
présent dans le venin de certains
serpents et utilisé dans des
crèmes cosmétiques.

PEPTIDES Acétyl hexapeptide-3 Pentapeptide-18 Pentapeptide-3 Tri-peptide-3


CIBLES Inhibition formation Mimétisme Antagoniste Mimétisme
complexe III SNARE enképhalines compétitif Waglérine 1
des récepteurs
cholinergiques
ACTIONS Vésicules exocytose Inhibition/neurone Baisse Baisse
Baisse contractions Libération contractions contractions
musculaires catécholamines musculaires musculaires
Baisse contractions
musculaires

Tableau 7
104 Tous les peptides ont la même finalité : diminuer les contractions musculaires pour réduire les rides.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
mécanisme d’action est sché- Neurone

matisé sur la Figure 21. Alors Membrane


pré-synaptique
que lors de la transmission
entre les neurones la fixation Vésicules Figure 21
du neurotransmetteur sur Libération Ach
le récepteur s’accompagne Fixation Ach À gauche : mécanisme de
contraction musculaire classique ;
d’une dépolarisation entraî- Na+
Fixation peptide
à droite : en se fixant sur les
nant la contraction musculaire Cellule
récepteurs de l’acétylcholine, les
musculaire
(Figure 21 à gauche), la fixa- Dépolarisation Pas de dépolarisation peptides botox-like empêchent
tion d’un peptide sur le récep- la dépolarisation et donc la
Contraction musculaire Relaxation musculaire
teur inhibe la dépolarisation contraction musculaire.
(Figure 21 à droite) et entraîne
une relaxation musculaire, et l’action de cette enzyme peut
donc, in fine, une apparence être inhibée.
ridée beaucoup moins impor-
D’autres moyens de dépi-
tante. Il faut cependant noter
gmentation consis tent à
que plusieurs semaines sont
nécessaires pour avoir des inhiber d’autres hormones
résultats qui soient objectivés. inter venant dans la méla-
nogenèse ou encore à inter-
venir sur la migration des
4.6. Les actifs dépigmentants
mélanosomes vers les kéra-
La mélanine (le pigment de la tinocytes pour éviter que la
peau) est synthétisée dans le peau ne se tache de plus en
mélanosome, une structure plus (Figure 22).
intracellulaire située à l’inté- La Figure 23 résume les
rieur du mélanocyte (voir le différents traitements de
Chapitre de S. Del Bino dans dépigmentation. L’inhibition
Chimie, dermo-cosmétique et de la synthèse de la méla-
beauté), sous l’intervention de
nine peut être réalisée par
l’enzyme tyrosinase 25 , mais
des hydroquinones, qui ne
sont cependant pas admises
25. Tyrosinase : enzyme présente
dans la peau, activant la transforma- en cosmétologie (on citera
tion de la tyrosine (acide aminé) en notamment l ’arbutine ou
mélanine, pigment de couleur foncée. l’acide azélaïque). La vitamine

MSH
ACTH
Tyrosine
Tyrosinase
Kératinocytes
DOPA
Tyrosinase Actif
Dopaquinone

Dopachrome
Figure 22
Les actifs dépigmentant inhibent
Eumélanine Phéomélanine la tyrosinase et donc limitent
la synthèse la mélanine ou bien
Mélanocytes empêchent les mélanosomes
de migrer vers les kératinocytes. 105
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Action différentes
Accélération turn over
étapes mélanogenèse
épiderme (exfoliation)
(synthèse, transfert)
✓ Rétinoïdes ✓ Hydroquinones S
✓ Acide Glycolique ✓ Arbutine S
✓ Acide Salicylique ✓ Aloesine S
Tenir compte composante ✓ Acide Azélaique S
inflammatoire ✓ Niacinamide T
(hyperpigmentation, traitement) ✓ Extraits soja t

✓ Acide tranexamique AI
✓ Acide kojique Chélateur Cu
✓ Acide ellagique Chélateur Cu
✓ Acide ascorbique AO
Figure 23 ✓ Resvératrol AO
✓ Aloesine AI AO
Les voies principales pour limiter ✓ Pro-Lys-Glu-Lys AI (MSH)
l’hyperpigmentation.

niacinamide est intéressante anti-inflammatoires-like 26 ,


car elle inhibe la migration soit en inhibant par exemple
des mélanosomes transpor- le cuivre, qui intervient large-
tant la mélanine. ment dans le phénomène de
l’inflammation.
La peau peut aussi être répa-
rée par exfoliation, c’est-à- Quand on utilise des produits
dire en augmentant le turn agissant sur l’oestrogène (les
over de l’épiderme. composés œstrogène-like),
il faut savoir s’ils sont ou ne
sont pas des perturbateurs
4.7. Les précautions d’usage endocriniens27. Il est en effet
des actifs cosmétiques
26. Anti-inflammatoires-like : molé­
Dans tous ces traitements cule qui a le même effet, de par sa
cosmétiques, il faut absolu- ressemblance structurelle, à un
ment tenir compte du phé- anti-inflammatoire.
nomène inflammatoire (voir 27. Perturbateur endocrinien :
molécule qui mime, bloque ou
la Figure 23), et notamment modifie l’action d’une hormone et
en mettant des produits qui perturbe le fonctionnement nor-
vont agir soit comme des mal d’un organisme.

OH

HO

trans-Resvératrol OH

Isoflavones : Daidzeine, génistéine


ŒSTROGÈNE®

Protection
ostéoporose VIEILLISSEMENT CUTANÉ

➣ Hydydratation cutanée
Figure 24 ➣ % glycosaminoglycane
Propriétés des produits ➣ Élasticité cutanée
œstrogène-like tels que les ➣ % collagène
isoflavones et le trans resvératrol ➣ Rides
106 sur le vieillissement cutané.
Le vieillissement cutané : prévention et réparation
connu que les isoflavones28, observer une demi-vie de la
le resvératrol 29 (Figure 24) ou molécule très courte entraî-
certains polyphénols peuvent nant un temps d’action très
se fixer sur les récepteurs à bref. Enfin, la pénétration
l’œstrogène et entraîner une transcutanée ou le ciblage
amélioration de la qualité de cellulaire peuvent être mau-
la peau. Les femmes méno- vais. Il faut remédier à tous
pausées ont souvent des pro- ces problèmes.
blèmes d’ostéoporose et, au Pour cela, il faut agir sur :
niveau cutané, dessèchement, la formulation (voir le Cha-
amincissement de la peau. pitre J.-M. Aubry dans Chimie,
Ces produits ont une action dermo-cosmétique et beauté),
sur ces phénomènes dus au la composition chimique des
vieillissement, leur action est actifs et surtout sur la notion
certes plus ou moins impor- d’encapsulation pour stabili-
tante en fonction de la concen- ser, cibler, amener la molé-
tration et de la formulation, cule à l’endroit où elle doit
mais elle reste bénéfique pour être active et pouvoir augmen-
la peau. ter la pénétration.
Le choix est large entre
les formes d’encapsula-
5 L’optimisation de
l’efficacité des actifs
cosmétiques
tion qu’on appelle nanomé-
triques, qui mesurent entre
50 et 200 nanomètres. Ces
Un de s der nier s p oint s formes regroupent les lipo-
à abor der concer ne le s somes 30 mais aussi les nano-­
p r o b l è m e s d ’e f f i c a c i t é émulsions et les dendri-
( Figure 25 ), même avec mères 31 (Figure 26).
la meilleure molécule du
monde. Tout d’abord, cette
molécule peut être oxydable
ou hydrolysable. Il peut éga-
lement y avoir des problèmes
de stabilité physico-chimique
(cas très fréquent). On peut
30. Liposome : vésicule constitué
28. Isoflavones : substances chi­ d’une double couche de lipides et
miques naturelles provenant de d’un compartiment aqueux. Les
plantes. liposomes sont utilisés en nano-
29. Resvératrol : polyphénol pré- médecine pour enrober un médi-
sent dans certains fruits comme cament.
les raisins, les mûres ou les caca- 31. Dendrimères : molécule dont la
huètes. On le retrouve en quantité forme reprend celle des branches
notable dans le vin. d’un arbre.

– Oxydation hydrolyse
– Stabilité physico-chimique Type de formulation
– ½ vie de la molécule Composition chimique
– Pénétration transcutanée Notion d’encapsulation Figure 25
– Prolongation de l’action Notion de vecteurs
Les problèmes de l’efficacité
– Ciblage cellulaire ou tissulaire
réelle des actifs : les méthodes
d’optimisation. 107
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Objets micellaires complexes :


cubosomes Nanotubes carbone

Microcapsules

Micro et nano-encapsulation Actifs

Micro ou nano-émulsions Liposomes Nanoparticules polymères Dendrimères


et lipidiques

Figure 26
Les différentes techniques de micro-encapsulation des actifs.

Les nanotubes de carbone32 actuellement des problèmes


ont été envisagés mais posent de toxicité mal connus.
Des micro-encapsulations,
32. Nanotubes de carbone : forme c’est-à-dire des encapsu-
allotropique du carbone. Ils sont lations dans du matériel de
composés d’un ou plusieurs feuil-
l’ordre de plusieurs dizaines,
lets d’atomes de carbone enroulés
sur eux-mêmes formant un tube. voire centaines de microns,
Les nanotubes sont des structures permettent également de pro-
creuses, que l’on peut remplir avec téger les produits pour les
d’autres composés chimiques, ce garder actifs.
qui en fait des récipients clos à
l’échelle nanométrique.

Allier les méthodes de prévention et


de réparation du vieillissement cutané
Il est essentiel de tenir compte de plusieurs
cibles. En effet, pour lutter contre une maladie,
le recours à la poly-chimiothérapie est souvent
intéressant ; de même, pour lutter contre le
vieillissement, il est intéressant de recourir à
une poly-chimiothérapie d’action sur différents
points pour pouvoir vieillir le mieux possible
108 dans de bonnes conditions.
Laurent Marrot
L’ homéostasie
redox dans la

peau et sa

modulation
par

l’environnement
Laurent Marrot est ingénieur et docteur en biophysique molé-
culaire, senior expert et responsable d’un pôle de recherche
sur l’homéostasie redox au sein de la Recherche Avancée de
L’Oréal 1.

L’oxygène, indispensable à
notre vie, peut aussi devenir, 1 Le stress oxydant
dans la peau : acteurs
chimiques et cibles
dans certaines conditions, une
forme de poison pour notre
organisme s’il est en excès. 1.1. Les acteurs chimiques
Dans le cas de la peau, nous du stress oxydant
allons voir qui sont les acteurs
de ce déséquilibre, quelles en Le stress oxydant est une
sont les cibles, pourquoi et situation dans laquelle la cel-
comment il est nécessaire de lule ou l’organe, la peau dans
s’en protéger. notre cas, n’est plus capable
de faire face à toutes les
agressions liées aux espèces
réactives de l’oxygène. Nous

1. www.loreal.fr
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

verrons plus loin comment se Un facteur bien connu pouvant


forment ces espèces, dont les avoir des effets délétères est
plus dangereuses, du moins le soleil, et nous expliquerons
quand elles sont en excès, comment les rayons ultra-vio-
sont l’oxygène singulet 2 1O2, lets provoquent ces oxydations
l’anion superoxyde O2-˚, l’eau destructrices. De plus, il faut
oxygénée ou peroxyde d’hy- savoir qu’il existe des par-
drogène H2 O 2 qui produit le tenariats indésirables entre
radical hydroxyle OH˚ en pré- le soleil et certains produits
sence d’ions fer… (Figure 1). chimiques ou certains médi-
Cette surproduction d’es- caments comme des anti-
pèces réactives de l’oxygène inflammatoires, des antibac-
dans l’organisme entraîne tériens, des antidépresseurs,
entre autres la peroxydation qui réagissent à la lumière et
lipidique3, donc la production produisent des espèces réac-
des peroxydes et d’aldéhydes tives de l’oxygène quand ils
très réactifs qui agressent sont exposés au soleil (par
encore davantage les cellules. exemple, par photosensibilité
Celles-ci peuvent alors se médicamenteuse).
trouver en situation de stress La pollution est un autre fac-
sévère, car un certain nombre teur dont on en parle beaucoup,
d’éléments cellulaires essen- bien que son impact derma-
tiels sont alors endommagés. tologique soit encore assez
mal connu. On sait très bien
comment la pollution impacte
1.2. Les facteurs du stress
le poumon, le système cardio-
oxydant de la peau
vasculaire, même le système
Les facteurs qui, dans la peau, nerveux. Les effets sur la peau
participent à la formation de sont moins clairs mais les pics
ces espèces réactives de de pollution sont parfois asso-
l’oxygène, sont présentés sur ciés à des intolérances cuta-
la Figure 2. nées, d’après les dermatolo-
gues. On sait que les molécules
de la surface de la peau sont
2. Oxygène singulet : état excité de
endommagées par l’ozone,
la molécule de dioxygène. par les particules issues de
3. Peroxydation lipidique : réac- la combustion, par certains
tion en chaîne qui est un exemple métaux, mais on ne sait pas
d’oxydation très dangereux pour encore comment ces facteurs
les cellules provoqué par les agissent en profondeur.
dérivés de l’oxygène, en particu-
lier les radicaux hydroxyles (•OH) L’inflammation est un autre
ou peroxyles (ROO•-). facteur bien décrit car les

Figure 1 O2
1

Le stress oxydant est la Électrons O2–°


conséquence d’une surproduction ou H2O2
d’espèces réactives de l’oxygène Réactions (photo)chimiques énergie
biochimiques OH°
que la cellule n’arrive plus à gérer.
En conséquence, des réactions NO°
d’oxydation vont altérer des RO°
molécules essentielles ROO°
110 à sa physiologie.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
Figure 2
Coupe de la peau. Le stress oxydant dans la peau a des origines variées, essentiellement environnementales :
le soleil et en particulier les UV, la pollution, des médicaments qui réagissent au soleil. L’inflammation
ou l’activité mitochondriale liée au métabolisme cellulaire y contribue aussi.

cellules qui inter viennent relais ou chromophores. Le


dans les processus immuni- chromophore absorbe des
taires et d’inflammation pro- photons et utilise leur énergie
duisent des espèces réactives pour s’activer chimiquement
de l’oxygène, par exemple, (Figure 3). Les chromophores
pour tuer les bactéries. naturellement présents dans
Enfin, l’oxygène est indispen- la peau sont par exemple les
sable à la vie, il est utilisé entre structures hèmes (famille de
autres par la mitochondrie, l’hémoglobine), des produits
organelle dont le travail est d’oxydation du collagène, la
de nous fournir de l’énergie et riboflavine ou la phéomé-
aussi de participer au métabo- lanine (pigment roux), qui
lisme. Dans ce cadre, la chaîne captent l’énergie des photons
respiratoire de la mitochon- UVA et UVB. Ces molécules
drie produit aussi des espèces se désactivent en cédant
réactives de l’oxygène, que des électrons à de l’oxygène
la cellule doit être capable localement présent, qui se
d’éliminer parce que de toute transforme en anion supe-
façon, c’est le prix à payer pour roxyde O2-° puis parfois en eau
oxygénée H2O2. En présence
vivre en aérobie !
de traces de fer, H2O2 réagit
en produisant un véritable
1.3. Cibles biologiques missile chimique, le radical
du stress oxydant et hydroxyle OH °, qui attaque
mécanismes d’action la plupar t des molécules
biologiques. Le transfer t
1.3.1. Les chromophores d’énergie à l’oxygène peut
Ce n’est pas le photon lumi- aussi conduire à la forma-
neux qui produit directement tion de l’état excité singulet
de l’oxydation, mais il trouve de l’oxygène 1O2, qui est aussi
dans la peau des molécules une espèce assez réactive. En 111
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 3
Le stress oxydant produit par les
UV s’explique par des réactions
photochimiques impliquant
des chromophores, molécules
naturellement présentes dans
la peau qui s’activent en absorbant
le rayonnement (P*). Le retour
à la normale se fait en cédant
de l’énergie ou des électrons
à l’oxygène. Il se forme alors
des espèces réactives oxydantes
qui agressent la cellule.

réponse aux UVA, il a aussi (Figure 4). Quand on examine


été montré que des oxydases le stratum, c’est-à-dire la
cellulaires s’activaient et partie la plus superficielle
contribuaient aussi à altérer de l’épiderme, chez des per-
l’homéostasie redox dans la sonnes soumises à la pollu-
peau en produisant elles- tion (ou la fumée de cigarette)
mêmes le superoxyde.
ou aux UV, on observe non
seulement l’altération du
1.3.2. Les molécules
squalène (Figure 4A), mais
biologiques cibles du stress
aussi l’oxydation des pro-
oxydant dans la peau
téines de surface : la fonc-
Le squalène4, qui est un com-
tion barrière de la peau est
posant du sébum5 et consti-
impactée (Figure 4B). Dans les
tue un lipide protecteur de la
cellules, les lipides des mem-
peau, peut être peroxydé très
rapidement sous l’action des branes sont aussi sujets au
UV ou de l’ozone. Ce proces- processus de peroxydation, ce
sus entraîne non seulement qui conduit parfois à la mort
la perte de cette protection cellulaire où à des réactions
de surface, mais en plus la inflammatoires.
production des sous-pro- L’ADN (Figure 4C) est lui aussi
duits de ces oxydations qui endommagé par les radicaux
sont de petites molécules libres, qui sont capables de
elles-mêmes très réactives
casser la double hélice soit
en simple brin, soit en double
4. Squalènes : hydrocarbures insa- brins, entraînant ainsi des
turés, liquides contenus dans de perturbations dans l’organi-
nombreux tissus animaux (foie sation du matériel génétique.
des requins et squales majo- Ces cassures, introduites de
ritairement). Le squalène est
utilisé dans les cosmétiques et façon aléatoire, participent
plus récemment comme adjuvant à l’instabilité génétique avec
immunologique dans les vaccins. des risques de réparation et
5. Sébum : sécrétion par les de recombinaisons parfois
glandes sébacées de la peau, d’un
film lipidique qui sert à la protéger
aberrantes, qui peuvent être
et, mélangée à la sueur, la protège favorables à l’évolution vers
112 du dessèchement. le cancer.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
A

Squalène
UV

Époxydes de squalène Transfarnesal Autres sous-produits


2,3-époxysqualène Malondialdéhyde

Dommages

Thréonyle α-Amino-β-cétobutyryle

Propyle sulfénique
Semialdéhyde glutamique

Arginyle
sulfinique

Lysyle Semialdéhyde α-aminoadipique


sulfonique

C Figure 4
thymine thymine lycol Les cibles biologiques du stress
Rupture d’un oxydant dans la peau : lipides
simple brin (ici le squalène) (A), protéines (B)
dommage
oxydant et ADN (C). Les protéines de la
guanine 8-oxoguanine (GO) couche superficielle de la peau
Rupture d’un s’oxydent sous l’effet des UV
double brin
dommage et de la pollution en donnant
oxydant lieu à des radicaux sulfoniques,
sulfiniques et sulféniques.

En plus de cet impact sur la transmettre lors de la divi-


structure des brins de l’ADN, sion cellulaire. Soit elle ne
il peut aussi se produire des parvient plus à réaliser ces
oxydations des bases qui le processus, soit elle accepte
composent. Ces bases sont de le risque d’erreurs, ce qui
petites molécules chimiques induit des mutations et parti-
comme la thymine ou la gua- cipe in fine à l’évolution vers
nine de la figure et constituent le cancer. Même si la nature
des lettres de notre code nous a dotés de systèmes de
génétique. Si elles sont oxy- réparation de l’ADN efficaces
dées, ces lettres deviennent et fidèles, le risque d’erreurs
aberrantes, et la cellule ne augmente dans un contexte
les comprend plus au moment biologique pro-oxydant sus-
d’exprimer ses gènes ou de c e p t i b l e d ’e n d o m m a g e r
répliquer son ADN pour le l’ADN. 113
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Les protéines cellulaires Le derme, plus que l’épi-


peuvent aussi être les cibles derme qui se renouvelle en
des ox ydations, cer tains permanence, apparaît ici
acides aminés y étant particu- affecté par l’oxydation car
lièrement sensibles, comme le collagène du derme ne se
le montre la Figure 4B. Les recycle pas et accumule les
structures cellulaires ou cer- dégâts. L’oxydation de l’ADN
taines activités enzymatiques peut aussi être observée sur
peuvent s’en trouver irrémé- coupe de peau au micros-
diablement endommagées. cope. Des anticorps produits
contre les guanines oxydées
peuvent être utilisés comme
1.4. Les dommages cutanés marqueurs pour visualiser
causés par le stress oxydant l’oxydation du matériel géné-
tique en particulier par les
1.4.1. Études in vivo
rayons UV. La Figure 6 montre
L’oxydation conduit à des dom- que cette oxydation se loca-
mages des structures dans la lise plutôt dans l’épiderme
peau visibles au microscope où les cellules sont plus nom-
si l’on dispose d’anticorps breuses et plus exposées au
dirigés contre ces lésions. stress de l’environnement car
La Figure 5A montre l’image plus en surface : la guanine
au microscope d’une coupe est ici oxydée en 8-oxoguanine
de peau traitée par un mar- (Figure 6A). La guanine oxy-
quage global des oxydations dée peut être aussi détectée
protéiques. Sous la couche dans des prélèvements d’ADN
de surface constituée par purifié à partir d’épiderme,
l’épiderme (en bleu plus sou- analysés par chromatogra-
tenu), apparait le derme dans phie en phase liquide HPLC6
lequel les protéines, quand (Figure 6B).
elles sont oxydées, sont mar-
quées en rouge. Le vieillisse- 1.4.2. Études in vitro
ment chronologique entraîne Les laboratoires de recherche
une oxydation des protéines industrielle ne travaillent sur
(Figure 5B), essentiellement des biopsies de peau in vivo
localisées dans le derme (col-
lagène et fibres élastiques), 6. HPLC : chromatographie en
cette oxydation est forte- phase liquide à haute perfor-
ment augmentée si la peau mance, technique de séparation
analytique en fonction de l’hydro-
a été exposée régulièrement
philie sur colonne et sous pression,
au soleil (Figure 5C), ce qui et préparative des molécules d’un
confirme l’effet pro-oxydant composé ou d’un mélange de com-
des UV. posés.
Figure 5
Le derme s’oxyde avec l’âge, A B C
et encore plus quand la peau a
été souvent exposée au soleil. Les
protéines oxydées apparaissent
en rouge. A) Peau jeune ; B) peau
mature ; C) peau mature exposée
au soleil.
Source : adaptée de Sander et
114 coll. (2002). J. Invest. Dermatol.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
A B

Temps de rétention (min)

Figure 6
Oxydation de l’ADN dans l’épiderme exposé au soleil. A) La comparaison entre une peau exposée aux UV et une
peau non exposée est frappante : de nombreux sites présentent la base guanine oxydée ; B) l’analyse HPLC d’une
biopsie d’un patient dont la peau a été exposée aux UV révèle la présence de la base guanine oxydée.
Source : adapté d’Ahmed et coll., (1999), British Journal of Dermatology.

qu’en fin d’investigation. Dans électrique (méthode appe-


un premier temps, in vitro sur lée électrophorèse). Comme
des cultures de cellules de l’ADN est chargé électrique-
peau, il est possible d’obtenir ment, s’il a été cassé par l’oxy-
de nombreuses informations dation, de petits fragments ont
pertinentes plus facilement. été formés et, sous l’effet du
Une méthode extrêmement champ électrique, ils sortent
r apide appelée test des du noyau et migrent dans le
comètes permet ainsi de gel. On voit sous le micros-
visualiser l’oxydation de l’ADN cope en rouge les noyaux
et donc l’endommagement des cellules et derrière,
du matériel génétique par le en traînées (en rouge), les
stress environnemental. petits morceaux d’ADN cassé
Les cellules sont soumises (Figure 7). Cette technique
à un stress génotoxique (qui permet ainsi de mesurer la
abîme l’ADN) qui peut par quantité d’ADN cassé selon
exemple être l’attaque pro- la nature du stress grâce à
oxydante de l’ADN par les l’analyse d’image (intensité
UV. Les cellules sont ensuite de fluorescence et longueur
mises dans un micro-gel des trainées).
d’agarose (taille d’un timbre), La Figure 8 montre les résul-
puis traitées par des réactifs tats de l’étude des effets
pour ne garder que les noyaux génotoxiques de doses d’UVA
dans le gel. L’ensemble est correspondant à une heure
ensuite placé dans un champ d’exposition au soleil. Les

Figure 7
L’action pro-oxydante des UV
casse l’ADN. Le test des comètes
consiste à isoler le noyau des
cellules et à détecter les cassures
dans un champ électrique. Cela
permet de visualiser facilement les
altérations dans l’ADN cellulaire. 115
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

cassures dans l’ADN sont déjà Parmi les causes du vieillisse-


clairement visibles (Figure 8). ment lié au stress oxydant, on
In vivo, la cellule va générale- peut souligner :
ment réparer ces dommages, −− l’altération des réactions
mais il est évident qu’elle est enzymatiques due à l’oxydation
perturbée par ce genre de des protéines actives ;
stress qui, dans certaines −− l’altération des mitochon-
conditions, peut entraîner des dries et donc de la production
dommages irréversibles dans d’énergie ;
son matériel génétique. −− l’altération des télomères,
zone de l’ADN où s’initie la divi-
1.4.3. Les effets à long terme sion cellulaire ;
−− la dégradation des protéines
du stress oxydant
de la matrice extracellulaire
À long terme, le stress oxy- comme le collagène ;
dant peut intervenir dans les −− des désordres de pigmenta-
processus de cancérisation tion liés à l’inflammation.
parce qu’il conduit à des alté-
rations de matériel génétique,
comme par exemple :
−− des mutations induites par
l’oxydation de l’ADN ;
2 L’autodéfense de
la peau face au stress
oxydant
−− une instabilité génétique
La peau est capable de s’adap-
induite par la rupture de la
ter à son environnement, fût-il
structure de l’ADN ;
agressif, en modulant ses sys-
−− le d éve lo p p e m e n t d e
tèmes de défenses naturelles.
tumeurs favorisé par de l’in-
Dans un premier temps, elle
flammation chronique.
utilise les antioxydants natu-
Le stress oxydant intervient rellement présents dans ses
aussi dans les processus de cellules, soit apportés de l’ex-
vieillissement parce qu’il térieur comme la vitamine C,
entraîne des dommages dans soit naturellement produits
les structures cellulaires et comme le très important glu-
fait évoluer les cellules vers tathion. Le glutathion est un
la senescence cellulaire (voir petit peptide (trois acides ami-
aussi le Chapitre de P. Picce- nés) avec une fonction thiol
relle dans cet ouvrage Chimie, SH. Ce glutathion est notre
dermo-cosmétique et beauté, antioxydant naturel. Il joue
EDP Sciences, 2017). La cel- un rôle essentiel car c’est
lule ne se divise plus, son une molécule qui participe
activité physiologique décroit, à l’élimination de beaucoup
elle sécrète des médiateurs de molécules toxiques et du
spécifiques souvent délétères. coup, il peut être présent à des

Figure 8
Les UVA à des doses
environnementales cassent l’ADN
des cellules cutanées. L’échantillon
exposé à droite révèle des morceaux
d’ADN de différentes tailles au vu
116 de l’allongement de tâche.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
teneurs élevées (de l’ordre dans la cellule, soit par cer-
du millimolaire dans cer- taines oxydases, soit par l’ac-
tains organes comme le foie) tivité mitochondriale, soit par
(Figure 9). certains produits chimiques
Ce système de défense basal réactifs à la lumière solaire.
peut cependant se révéler Il est converti en eau oxygé-
insuffisant en cas d’un stress née (peroxyde d’hydrogène)
aigu, ou de longue durée. La par des enzymes de la famille
cellule met alors en route un des superoxydes dismutases
second système de protec- présents dans l’ensemble
tion en stimulant la produc- des organelles cellulaires.
tion d’enzymes (en vert dans (Figure 10). L’eau oxygénée est
la Figure 9), qui catalysent la elle-même convertie en eau
destruction ou la transforma- et oxygène par des enzymes
tion chimique des radicaux telles que la GSH-peroxydase
libres ou des molécules pro- ou la catalase. La détoxifica-
oxydantes. tion est ainsi complète.
Cependant, le niveau de stress
peut solliciter encore d’avan-
2.1. Exemple d’un contrôle tage la détoxification natu-
endogène : l’élimination relle. C’est ce qui se passe
du superperoxyde sur la plage sous un soleil
L’anion superoxyde O 2 °- est intense, quand on passe de
généré de façon endogène la campagne à la ville et que

LIPIDES

SOD
CATALASE
GSH-PÉROXIDASE ADN
THIORÉDOXINE RÉDUCTASE
HÈME OXYGÉNASE

O2
1

H2O2
GLUTATHION
VITAMINE E Figure 9
OH2 VITAMINE C
FERRITINE Pour se protéger, la cellule
O2°– …
fait appel à des molécules
antioxydantes (glutathion,
vitamine C…) puis à des enzymes
PROTÉINE
spécialisées contre le stress (SOD,
catalase…), qui neutralisent les
espèces oxydantes.

Figure 10
Détoxification par SOD et Catalase/
GSH-peroxydase, ou comment
éliminer les espèces oxydantes
O2°- et H2O2. La superoxyde
dismutase permet de convertir,
au sein de la cellule, l’anion
superoxyde O2°- en eau oxygénée
H2O2. La GSH-peroxydase permet
ensuite la conversion de l’eau
oxygénée en eau et en oxygène. 117
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

l’on est agressé par la pol- de son interaction étroite avec


lution, ou encore quand une Keap1.
activité physique fait fonction- Keap1 est en effet un répres-
ner les mitochondries à plein seur7 spécifique, c’est-à-dire
régime : dans tous ces cas, la une protéine qui se colle de
quantité d’espèces oxygénées façon moléculaire très pré-
réactives générées dans les cise à une autre protéine
cellules devient transitoire- cible (ici Nrf2), rendant ainsi
ment très importante pour la l’ensemble inactif. Mais quand
détoxification naturelle, les les signaux de stress oxydant
cellules doivent alors s’adap- sont suffisamment intenses
ter et prévenir l’impact de (indiquant que le haut niveau
futurs stress aigus. d’espèces oxydantes dépasse
La cellule possède heureuse- les défenses de base), Nrf2
ment un extraordinaire sys- peut être libérée de Keap1.
tème de détection et d’adapta- En effet, Keap1 capte les
tion face au danger du stress signaux de stress oxydant
oxydant. La Figure 11 montre grâce à des cystéines 8 de sa
ce système au sein d’une cel- str uc ture peptidique qui
lule dont le noyau apparait jouent le rôle de deux
comme un ovale coloré en antennes pour évaluer le
bleu clair. Pour s’adapter à un
stress oxydant très intense, 7. Répresseur : protéine régulant
la cellule utilise un complexe négativement un ou plusieurs
constitué de deux protéines gènes en se liant à une séquence
spécifique sur l’ADN, appelée
très importantes, Nrf2 et son
opérateur. Cette fixation empêche
répresseur Keap1, associées la transcription de l’ARN messa-
à l’état naturel dans le cyto- ger par l’ARN polymérase et donc
plasme, dont le mode d’action l’expression des gènes en aval.
fait actuellement l’objet de 8. Cystéine : acide-α-aminé natu-
nombreuses études publiées. rel qui possède un groupement
thiol –SH et qui est présent dans
Quand tout va bien, Nrf2 est la plupart des protéines, bien que
maintenue inactive à cause seulement en petites quantités.

Figure 11 • UVA
• Stress Oxydant
Nrf2 est une protéine cellulaire • Produits électrophiles
qui contrôle les défenses
antioxydantes naturelles. Sous
l’effet du stress oxydant (mais
aussi de molécules naturelles),
Nrf2 s’active, se libère de sa Molécules naturelles
protéine « répresseur » Keap1, ex : RESVERATROL
et passe dans le noyau où elle
stimule l’expression des gènes
qui contrôlent les défenses
antioxydantes en se fixant sur DÉTOXIFICATION, PHASE 2
la séquence génétique ARE • MÉTABOLISME du GLUTATHION (GCL, GSR
SLC7A11)
(« Antioxidant Responsive • ENZYMES ANTIOX/DÉTOX : H01, NQO1,
Element »). La cellule se GPX, GST…
118 « renforce » !
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
niveau d’ox ydo-réduction
intracellulaire. En situation
pro-oxydante, ces cystéines
3 Amélioration de
la protection cutanée
par activation de Nrf2 :
sont modifiées, la struc- l’exemple du resvératrol,
ture de Keap1 change et il une molécule d’origine
ne séquestre plus Nrf2. En naturelle.
outre, Nrf2 peut être lui-
Il est assez tentant de stimu-
même modifié par l’addition
ler les défenses naturelles
de groupes phosphate sur sa
de la peau en lui apportant
surface qui lui sont conférés
des stimuli naturels. On uti-
par des enzymes kinases en
lise ainsi le savoir-faire des
charge de la réponse générale
cellules cutanées, et on a
au stress. Au final, il se libère
ainsi la garantie d’être dans
complètement, migre dans le
les bonnes conditions de
noyau et réagit alors immé-
protection. Il existe dans les
diatement avec l’ADN, à un
plantes des molécules qui sont
endroit très précis qui est la
capables d’activer l’action de
séquence appelée « Antioxy-
Nrf2, comme nous allons le
dant Responsive Element
voir sur l’exemple du resvé-
ARE ». Celle-ci est une sorte
ratrol (polyphénol présent
d’interrupteur moléculaire qui
dans le raisin par exemple).
déclenche la fabrication de
Celles-ci vont donner à la
tout un ensemble d’enzymes
cellule l’impression qu’il y a
permettant de résister au
une alerte d’oxydation (parfois
stress oxydant, notamment
d’ailleurs par l’induction d’un
celles qui fabriquent le glu-
très faible stress sans dan-
tathion dont nous avons parlé
ger), et la préparer pour des
précédemment.
agressions environnementales
ultérieures de forte intensité.
2.2. Les enzymes
de détoxification 3.1. Étude in vitro des
effets d’un prétraitement
L’Encart présente quelques
au resvératrol
exemples d’enzymes antioxy-
dantes libérées par l’action Les études sont conduites in
de Nrf2. vitro sur de la peau prétraitée

DES ENZYMES ANTIOXYDANTES CONTRÔLÉES PAR NRF2.


HO-1 : hème oxygénase 1 : dégradation de l’hème, production de bilirubine (antioxydant) et
de CO (effet anti-inflammatoire), stimulation de la synthèse de ferritine (chélation du fer).
NGO1 : NAD(P)H quinone oxydoréductase 1 : réduction de quinones toxiques, régénération
de vitamine E oxydée.
GPX : glutathione péroxydase : réduction de peroxydes (H2O2 inclus) utilisant GSH comme
cofacteur.
TXNRD : thiorédoxine réductase : régénération de thiols oxydés des protéines, régénéra-
tion de la vitamine C.
GCL : γ-glutamyl-cystéinyl ligase : GCLC et GCLM : sous-unités catalytiques ou modula-
toires. Biosynthèse de glutathion.
119
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

par le resvératrol RSV, qui se artificielle ne bénéficie pas


comportera comme un sti- tout à fait de la même fonction
mulateur de la voie Nrf2. Le barrière que la peau naturelle,
stress oxydant est réalisé mais ce modèle fonctionne
ensuite avec une molécule tout de même très bien pour
qui est un véritable « mar- modéliser certains évène-
teau pro-oxydant » : l’hydro- ments dermatologiques.
peroxyde de cumène CHP. Le prétraitement de la peau
Les tests sur les animaux reconstruite est réalisé par
ont cessé depuis longtemps l’ajout de resvératrol (RSV) à
en cosmétique, et on uti- 20 ou 100 µM (micromolaire)
lise aujourd’hui de la peau (environ 4 mg ou 20 mg par
humaine artificielle, recons- litre) dans le milieu de culture,
truite en laboratoire à partir dans l’objectif de pousser les
de cellules (voir les Chapitres cellules à renforcer leur pro-
de S. Del Bino et J. Leclaire tection naturelle. Puis, on
dans cet ouvrage Chimie, place la peau reconstruite
dermo-cosmétique et beauté, ainsi « activée » dans un milieu
EDP Sciences, 2017). Des de culture sans resvératrol, et
fibroblastes sont introduits l’hydroperoxyde de cumène
à l’intérieur d’un gel de colla- est ajouté dans le milieu de
gène pour former un pseudo- culture à une concentration
derme, puis des cellules de de 800 µM (micromolaire) (8
l’épiderme, les kératinocytes, ou 40 fois plus que les 20 ou
sont ensemencées sur ce gel, 100 µM de resvératrol utilisés
et le tout est immergé dans en prétraitement) (Figure 12).
un milieu de culture adapté On regarde 8 h après ce trai-
et incubé à 37 °C. Les kéra- tement oxydant aigu comment
tinocytes se développent et est modifiée la structure de
tapissent la surface de la l’épiderme et comment a
pastille de collagène. Quand évolué sa teneur en gluta-
les kératinocytes occupent thion. En effet, le glutathion,
toute la surface de la pastille, cet antioxydant qui existe à
on émerge partiellement ce l’état naturel dans la peau,
système pour que les kéra- servira de marqueur pour étu-
tinocy tes se retrouvent à dier l’action très oxydante du
l’air où ils vont se différen- peroxyde de cumène (CHP).
cier pour constituer un épi- Quand la peau n’est pas pro-
derme, comme on le voit tégée par un prétraitement au
sur la Figure 12. Cette peau resvératrol, on observe sur

Figure 12
Démonstration qu’une stimulation
de Nrf2 (sans stress) dans la peau
permet de la renforcer contre
l’oxydation (ici par le peroxyde
de cumène, CHP). Le resvératrol
stimule Nrf2 dans différents types
de cellules. Une pré-incubation
avec la peau reconstruite in vitro
confère-t-elle une résistance
accrue à un puissant stress
120 oxydant ?
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
A B

Figure 13
A) Graphe montrant que la peau « préparée » par le resvératrol (RSV) résiste au stress oxydant aigu du peroxyde
de cumène (CHP) : son antioxydant naturel, le glutathion (GSH), est préservé, et sa structure dermo-épidermique
profonde est protégée. B) Vues au microscope électronique de la peau révélant les effets du stress oxydant sur la
peau en comparant les échantillons traités avec l’oxydant uniquement et ceux traités avec l’oxydant et différentes
doses de resvératrol.

la Figure 13A (courbe mar- indiqué par la flèche rouge,


ron clair) que la quantité de ils sont en effet attaqués
glutathion présente dans la après 8 h de traitement par le
peau (GSH) diminue pendant peroxyde CHP. Par contre, ces
les six premières heures à cellules basales sont proté-
cause de l’oxydation par CHP. gées lorsque l’échantillon de
Elle diminue moins vite en peau artificielle a été traité
présence de resvératrol (RSV, préalablement par le resvéra-
courbe rouge), et on observe trol : on retrouve presque l’as-
même une augmentation du pect de l’échantillon contrôle
glutathion (courbe verte) si qui n’a subi aucun traitement.
on augmente suffisamment la Afin d’identifier au niveau cel-
quantité de resvératrol lors du lulaire ce qui se passe dans la
prétraitement de protection. partie de l’épiderme la plus
La peau avait donc bien été touchée par le stress oxy-
préparée à résister au stress dant, l’expérience est refaite,
en augmentant son pool de mais cette fois, les cellules
glutathion, notre antioxydant qui meurent sont marquées
endogène, grâce au traite- avec une étiquette fluores-
ment par le resvératrol. cente (Figure 14). On confirme
L’effet protecteur du resvé- que lorsque la peau est agres-
ratrol est directement visible sée, ce sont surtout les cel-
sur les images des coupes de lules de la lame basale qui
peau observées au micros- meurent et qui deviennent
cope (Figure 13B) dans les fluorescentes. On constate
expériences précédentes. Les clairement qu’un prétraite-
kératinocytes de la couche de ment suffisant par le res-
base profonde de l’épiderme vératrol protège totalement
(les plus fragiles, car ce sont ces cellules. On peut donc
eux qui se multiplient) sont penser que le resvératrol a
très endommagés, comme permis à la peau de renforcer 121
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 14
Les cellules qui meurent suite
au stress oxydant par le CHP
(fluorescentes vertes) sont
beaucoup moins nombreuses si
la peau a été prétraitée par le
resvératrol. L’épiderme est donc
bien « renforcé » par la stimulation
de Nrf2.

ses défenses antioxydantes de fabriquer son glutathion


en fabriquant ce glutathion, (GSH) (Figure 15A). Comme
qui est tellement utile comme précédemment, l’agression
antioxydant. par le peroxyde de cumène
(CHP) entraîne la destruction
des cellules basales de l’épi-
3.2. Rôle du glutathion dans derme (Figure 15B en haut à
la protection des cellules droite). Cependant, quand la
contre l’oxydation production de glutathion a
été inhibée, le prétraitement
Afin d’identifier le rôle du par le resvératrol ne protège
glutathion dans la protection plus les cellules de la couche
contre le stress oxydant, l’ac- basale de l’oxydation. Nrf2
tion du resvératrol est de nou- protège donc la peau princi-
veau étudiée, mais cette fois, palement en stimulant la pro-
après avoir préalablement duction de glutathion.
traité les échantillons de peau En conclusion, on a pu véri-
artificielle avec un produit (le fier que le resvératrol active
BSO), qui empêche la peau dans les cellules de la peau

A B
(nmol/mg)
6
Concentration de glutathion (GSH)

3
GSH Contrôle 8 heures après CHP (800 μM)

1
RSV + BSO pré-traitement
0 RSV pré-traitement (100 μm) (100 μm + 50 μm)
Contrôle BSO 50 µM Puis CHP (800 μM) Puis CHP (800 μM)

Figure 15
A) L’ajout de BSO inhibe la production de glutathion au sein des cellules de la peau ; B) les photographies
à l’échelle microscopique d’une couche de peau montrent que le traitement au resvératrol n’a plus d’effet
122 bénéfique contre l’oxydation des cellules lorsque la production de glutathion est inhibée.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
Figure 16
Le resvératrol RSV apporte une
protection efficace contre le stress
oxydant en mobilisant les défenses
antioxydantes naturelles de la
cellule par l’activation de Nrf2.

(ici les kératinocytes) le fac- nature ethnique de la peau le


teur appelé Nrf2, qui active nombre de mélanocytes est
les défenses cellulaires anti- sensiblement le même (un
perox ydes, et notamment mélanocyte pour une quaran-
la synthèse du glutathion taine de kératinocytes), c’est
(Figure 16). La peau préparée donc la nature du pigment qui
est capable de résister natu- fait la différence de teint (voir
rellement à des agressions aussi le Chapitre de S. Del Bino
oxydantes extérieures. dans Chimie, dermo-cosmé-
tique et beauté).
Les mécanismes moléculaires
4 La pigmentation : une
protection à risque
pour le mélanocyte face
du bronzage scientifiquement
admis sont les suivants : quand
les kératinocytes sont agres-
au stress oxydant produit sées par les UV du soleil, ils
par la lumière solaire subissent des dommages dans
l’ADN de leur noyau (Figure 17).
4.1. La mélanine et la En réponse à cette agression
protection de la peau aux UV génotoxique, une protéine de
Si pour certaines personnes stress (protéine p53) stimule
ayant des peaux naturellement la production d’une hormone
colorées la pigmentation pro- (POMC convertie en αMSH), qui
tège contre les effets néfastes va informer les mélanocytes
du soleil (coup de soleil et de la nécessité de fabriquer
cancer cutané), l’effet béné-
fique du bronzage est beau-
coup moins évident chez les Dommage sur l’ADN
personnes qui ont une peau Réponse
Kératinocytes génotoxique
claire. De plus, le mélanome
POMC
(cancer cutané très dangereux)
aMSH
se développe parfois à partir
de grains de beauté (névi) ini-
tialement pigmentés. Ce sont
des cellules spécialisées dans Figure 17
l’épiderme, les mélanocytes, Mélanocyte Mécanisme du bronzage, un moyen
qui sont en charge de la pig- de défense de la peau contre
mentation. Quelle que soit la les UV. 123
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

des grains de mélanine pour organelle spécialisée, le méla-


pigmenter la peau grâce à nosome, qui deviendra un grain
un récepteur spécifique à de pigment.
la surface du mélanocyte,
MC1R. Ces grains sont éla-
borés par des enzymes par- 4.2. Les risques associés à la
ticulières (ex : TYR et TRP), production de mélanine lors
puis transférés aux kérati- de l’exposition au soleil
nocytes de l’épiderme pour
On vient de voir que la fabri-
les protéger et globalement
cation de mélanine peut pro-
former un écran de surface
duire des espèces oxydantes,
sur la peau (Figure 17). Cepen-
mais de plus, sous l’action
dant, le mélanocyte prend un
des UV, la mélanine pro-
risque dans ce processus, car,
duit elle-même un surplus
comme nous allons le voir, la
de radicaux libres par voie
mélanine qu’il fabrique ne le
biochimique, comme on peut
protège pas et parfois le met
en danger. le voir sur la Figure 19. Cela
signifie que si la peau n’est
Le mécanisme de la synthèse pas génétiquement préparée
de la mélanine est décrit sur à ces effets négatifs (comme
la Figure 18. Il part d’un acide
l’est une peau naturellement
aminé, la tyrosine, que l’en-
mate ou très pigmentée),
zyme Tyrosinase TYR trans-
le bronzage ne protège pas
forme en dopaquinone. Puis
les mélanocy tes, bien au
de nombreuses réactions
contraire, il les soumet à un
enzymatiques d’ox ydation
stress oxydant.
conduisent à la formation de la
mélanine tout en produisant en Ce phénomène est mis en
parallèle des espèces réactives évidence dans l’expérience
comme l’eau oxygénée ou dif- suivante réalisée in vitro sur
férentes quinones. Deux voies des mélanocytes en culture
sont possibles, l’une incorpore irradiés aux UVA. La Figure 20
des composés soufrés et mène montre à gauche des mélano-
à la production de la phéomé- cytes irradiés sous UVA, et à
lanine (pigment roux), l’autre droite les mêmes mélanocytes
conduit à l’eumélanine, méla- irradiés sous UVA, mais après
nine noire ou brune. Toutes ces qu’on ait activé la fabrication
réactions se passent dans une de la mélanine. On voit une

Figure 18
La mélanine est synthétisée
naturellement dans les cellules
à partir de la L-tyrosine par deux
voies : l’une conduit à l’eumélanine
noire, l’autre conduit à la
phéomélanine rousse. Dans les
deux cas, des espèces oxydantes
124 sont produites.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
Figure 19
La mélanine s’active sous les
rayonnements UV du soleil pouvant
donner lieu à la production de
radicaux libres.

Figure 20
L’effet de la mélanogenèse couplé
avec celui de l’irradiation aux UVA
entraîne l’induction d’un stress
oxydant et des dommages plus
important au sein de l’ADN sous
irradiation aux UVA

augmentation de la fluores- montrent que la mélanine


cence verte qui traduit la pré- augmente effectivement le
sence d’un stress oxydant. On risque de mélanome in vivo.
constate aussi que l’ADN de Les auteurs ont étudié la for-
ces mélanocytes, dont la syn- mation de mélanomes 9 sur
thèse de mélanine a été préa- des souris transgéniques à
lablement stimulée, a subi plus la peau plus ou moins pig-
de dégâts (test des comètes mentée. Ils montrent que les
décrit dans le paragraphe souris les plus pigmentées
précédent). Cette expérience font davantage de mélanomes
démontre la vulnérabilité des que les souris moins pigmen-
mélanocytes d’une peau claire tées quand elles sont expo-
en phase de bronzage si elle sées sous les UVA. Il se trouve
est exposée aux UVA. que dans ce type de souris
génétiquement modifiées, le
pigment reste globalement
4.3. Les dangers localisé dans le mélanocyte
de l’exposition solaire et est très peu transféré dans
pour les cellules pigmentées les kératinocytes. Donc, dans
de la peau les mélanocytes remplis de
Des travaux récents publiés
9. Mélanome : cancer de la peau
par l’équipe du Dr Noonan qui est initié par des mélanocytes
et du Dr De Fabo dans le mutés et transformés, souvent par
prestigieux journal Nature les UV. 125
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

mélanine, les UVA induisent stress UV : des espèces réac-


un très fort stress oxydant tives de l’oxygène (anion supe-
qui va suffisamment endom- roxyde) et de l’azote (oxyde
mager les cellules pour les nitrique) qui se combinent au
rendre cancéreuses. On sein des cellules pour for-
trouve en particulier de fortes mer le peroxynitrite, comme
teneurs de 8-oxo-guanine, le montre la Figure 21A. Ce
une base oxydée dans l’ADN. peroxynitrite, en réagissant
Ces altérations du matériel avec les produits de formation
génétique conduiront à l’appa- ou de dégradation de la méla-
rition de mutations à l’origine nine, génère un radical car-
des tumeurs. bonyle, qui réagit sur l’ADN
Dans un autre journal scien- et conduit à des dimères de
tifique aussi très connu, pyridine (CPD). Ces lésions,
Science, des chercheurs ont généralement produites au
rapporté des éléments très soleil, induisent les mutations
inattendus sur la mélanine. des mélanomes, comme le
Après une exposition aux UV, montre la Figure 21B. De ce
si l’on place des mélanocytes processus un peu complexe,
ou des animaux pigmentés, il faut retenir que la mélanine
on constate que des dégâts associée avec des espèces
dans l’ADN continuent de se réactives issues de l’exposi-
former, comme si l’irradia- tion aux UV contribue à aug-
tion se poursuivait. En fait, ce menter le taux des lésions à
processus fait intervenir plu- l’ADN, même quand on a fini
sieurs constituants chimiques de s’exposer. Lorsqu’une peau
qui ont été produits à cause du claire commence à bronzer, il

A B

UV Produits de dégrada-
tion de la mélanine

Synthèse de
INOS NADH Oxydase mélanine
Excitation chimique

(NOX)
(min à heures)
Enzymatique

(μs à heures)

Thermolyse
Monomères de
mélanine
Carbonyle excité à l’état triplet
NOYAU
Photochimique

Mélanine
Associé aux espèces
d’oxygène réactives

Lumière Chaleur
Oxyde Superoxide
Transfert d’énergie

nitrique
DBAS Sorbate
Produits de dégrada-
(µs)

tion de la mélanine
ADN normal CPD
Peroxynitrite Pyr Pyr Pyr Pyr
Diffusion

Figure 21
A) L’exposition aux UV conduit à des espèces réactives au sein des cellules (NO° et O2°-), même après l’exposition,
ce qui conduit au peroxynitrite ; B) action génotoxique de la mélanine : en présence de péroxynitrite et de
mélanine, il se forme des radicaux carbonyles qui conduisent à une attaque de l’ADN via la formation de dimères
de pyridine, précurseurs de mutation de mélanomes, donc de cancer.
126 Source : adaptée de Premi et coll. (2015), Science.
L’homéostasie redox dans la peau et sa modulation par l’environnement
convient donc de la protéger des molécules endogènes.
avec encore plus de précau- Ces écrans peuvent cepen-
tions. dant être insuffisants, d’abord
De ce chapitre, il faut donc parce qu’on en applique sou-
retenir que la pigmentation de vent trop peu et ensuite car
la peau n’est pas une garantie cer taines oxydations sont
contre les méfaits du soleil aussi activées par des radia-
et que le bronzage constitue tions du visible (lumière bleue)
plutôt une alerte pour ne plus et de l’infrarouge. La seconde
s’exposer qu’une protection stratégie consiste à piéger
fiable contre le mélanome, les radicaux libres en appor-
surtout pour les peaux claires. tant des antioxydants au bon
moment et au bon endroit. On
peut aussi imaginer appor-

5 Stratégies de
protection contre le
stress oxydant cutané et
ter de quoi réparer les dom-
mages, mais c’est souvent
un peu plus compliqué. Il
ses effets existe toutefois des formules
Plusieurs stratégies peuvent solaires ou de soin quotidien
être combinées afin de se pro- contenant des enzymes qui
téger efficacement (Figure 22). vont réparer l’ADN ou les pro-
téines (Figure 22). Cependant,
La première pour lutter contre
il faut être certain que ces
les effets du soleil est évi-
molécules vont pénétrer et
demment d’appliquer des
agir là où il faut, ce qui n’est
filtres solaires, chimiquement
pas évident !
stables, capables de filtrer le
plus loin possible dans les UVA Enfin, on peut prévenir le
de façon à éviter un surplus stress ox ydant en stimu-
de ces photons qui activent lant les propres défenses
de sa peau : à ce niveau, on

Figure 22
Plusieurs stratégies sont envisageables pour se protéger du stress oxydant causé par les rayonnements
du soleil. Il s’agit d’associer des approches complémentaires pour être encore plus efficace. 127
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

est certain d’apporter les physiologie complètement


réponses efficaces et natu- dif férente qui surproduit
relles contre les risques des espèces oxydantes, leur
d’oxydations délétères. Mais apporter un surplus d’an-
là encore, il faut être dans tiox ydants peut favoriser
le bon timing par rapport à leur développement. La sup-
l’induction du stress. plémentation par voie orale
Attention : les antioxydants (compléments alimentaires)
ne sont pas toujours la pana- a parfois eu des effets néga-
cée ! L’efficacité de l’apport de tifs d’après la littérature.
produits antioxydants néces- Enfin, certains antioxydants
site d’avoir une démarche sont réactifs à la lumière
extrêmement raisonnée et même si ils sont protecteurs
raisonnable. Ainsi, certains à l’obscurité.
antioxydants peuvent devenir Les laboratoires doivent donc
des pro-oxydants à forte dose. tenir compte de ces données
Ensuite, comme les cel- pour concevoir des produits
lules cancéreuses ont une efficaces et sûrs.

La qualité et la santé de la peau


nécessitent la maîtrise du stress
oxydant
La peau est soumise à un stress oxydant omni-
présent lié à son métabolisme et à ses inte-
ractions avec l’environnement (soleil, pollution,
produits distribués par la circulation sanguine…).
Le rôle de ce stress dans des pathologies telles
que les photo-cancers (carcinome, mélanome)
ou dans les atteintes dermatologiques inflam-
matoires est très probable.
La contribution du stress oxydant dans l’altéra-
tion de la qualité de la peau associée au photo-
vieillissement est aussi vraisemblable.
La peau, comme beaucoup d’autres organes,
peut adapter ses capacités de défense et de
réparation en réponse à des ruptures de son
homéostasie. À cet égard, la voie contrôlée
par Nrf2 est considérée comme majeure dans
la littérature et permet à la peau de gérer le
stress de l’environnement en modulant ses
propres défenses naturelles.
128
D’après la conférence de Claire Bouix-Peter
La découverte
de nouvelles
solutions
thérapeutiques
pour le traitement
de pathologies
de la peau
Claire Bouix-Peter dirige la chimie médicinale des laboratoires
Galderma 1.

L’objectif de ce chapitre comparée à une administra­


est de montrer comment tion par voie topique locali­
les chimistes médicinaux sée sur une (des) lésion(s)
conçoi vent de nou veaux dermatologique(s).
médicaments pour traiter
des pathologies cutanées, en Un exemple de projet est pré­
expliquant les différences et senté avec deux indications
les spécificités d’une admi­ d’intérêt : l’acné et une maladie
nistration par voie orale rare, l’ichthyose lamellaire.

1. www.galderma.fr
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

1 La conception d’un
nouveau médicament
administré par voie orale
formule, une gélule, un com­
primé, un sirop... Quand elle
est absorbée, elle passe la
barrière gastro-intestinale,
Le Drug Design est la concep­
atteint la circulation sanguine,
tion de nouvelles molécules
passe par le cœur et est fina­
comme candidats médica­
lement distribué dans les tis-
ments. Le chimiste médici­
sus, et en particulier la peau.
nal en charge de ces acti­
Dans la peau, elle rencontre
vités de Drug Design a la
sa cible biologique, mais elle
possibilité de contrôler via la
rencontre aussi tout au long
structure chimique le chemin
de ce trajet d’autres cellules,
d’une molécule, du moment
et entre autres, des noyaux
où elle est administrée chez
d’ADN.
l’homme jusqu’à ce qu’elle
ait atteint sa cible biologique En plus d’être active sur sa
pour conduire à une efficacité cible biologique et non toxique,
thérapeutique. de nombreuses autres pro­
priétés sont attendues pour la
molécule médicament telles
1.1. La voie orale
que la solubilité aqueuse, la
Prenons l’exemple, par voie perméabilité à travers des
orale, d’une molécule médi­ membranes physiologiques
cament appelée CD99999 et la stabilité métabolique
(Figure 1) contenue dans une (Figure 2).

CD99999

Peau

CD99999
CD99999

Figure 1 CD99999 Sang


hERG
Le devenir d’une molécule (un
principe actif) dans l’organisme.

CD99999

Peau
Activité
CD99999
CD99999 CD99999
Non génotoxique Solubilité aqueuse
Figure 2
Sang Perméabilité
CD99999
Propriétés physico-chimiques, CD99999
toxicologiques et fonctionnelles Stabilité
attendue d’une molécule Non cardiotoxique métabolique
administrée par voie orale pour
130 garantir une efficacité clinique.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
1.2. L’optimisation entre une molécule et une
de l’activité de la molécule cible biologique est la cristal-
médicament lographie des protéines. Elle
permet d’obtenir la structure
1.2.1. Interactions
tridimensionnelle et de com­
de la molécule avec la cible
prendre les interactions clés
biologique
au niveau atomique.
L’activité de la molécule médi­
cament est due à des interac­ 1.2.2. La lipophilie et
tions moléculaires très spéci­ l’hydrophilie d’une molécule
fiques entre cette molécule et La lipophilie d’une molécule
sa cible biologique (Figure 3). est un critère extrêmement
Ainsi, il s’agit dans un pro­ important. La lipophilie est
gramme de Drug Design un paramètre (log D) qui per­
d’identifier les motifs struc­ met de savoir si la molécule
turaux essentiels à l’activité a plus tendance à être hydro­
d’une première génération de phile, à aimer l’eau, ou plus
molécules appelées têtes de tendance à être lipophile et
série (hits) dans le but d’en­ à aimer ce qui est graisseux.
treprendre les modifications Cette lipophilie est capitale
structurales judicieuses à pour de nombreuses proprié­
l’amélioration de l’activité des tés, notamment les molécules
molécules. trop lipophiles ont beaucoup
Plusieurs interactions chi­ plus de chances d’être ins­
miques peuvent être utili­ tables métaboliquement,
sées pour améliorer l’activité d’avoir des problèmes de toxi­
des molécules, comme par cité, d’avoir des problèmes
exemple des liaisons hydro­ de faible solubilité aqueuse
gène, ou des interactions et de cardiotoxicité (Figure 4).
entre des noyaux aroma­ À l’inverse, une molécule trop
tiques. Une des technologies hydrophile aura d’autres pro­
très utiles pour rationaliser et blèmes comme par exemple
comprendre ces interactions une faible perméabilité des

Figure 3
Activité : interactions molécule
(ligand)-cible biologique (protéine). 131
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Espace de
Faible Perméabilité « Design » Clairance hépatique
Toxicité
Clairance rénale Faible solubilité Cardiotoxité
MW MW
HBD
Figure 4 HBA HBA
HBD
PSA PSA
pKa
Importance de la lipophilie dans
logD
la conception d’un futur candidat Pour un motif (structure chimique) donné
médicament.

membranes, et elle sera très faibles. Il faudra donc,


sujette à une élimination par exemple pour augmenter
rénale. la perméabilité, diminuer le
De ce fait, il faudra que le poids moléculaire et diminuer
chimiste médicinal com­ le nombre de liaisons hydro­
prenne, pour un type de struc­ gène (Figure 5). Pour la solu­
ture donnée, quel est l’espace bilité aqueuse, on peut par
de lipophilie qui lui permet de exemple introduire des hété­
trouver le meilleur compro­ roatomes, comme l’atome
mis pour conserver des pro­ d’ox ygène de la Figure 5,
priétés adéquates pour une qui fait baisser la lipophi­
molécule active. lie et augmente la solubilité
aqueuse. Toutes ces modifi­
D’autres f ac teur s inter­
cations pourront être réali­
viennent, comme le poids
sées tout en s’assurant que la
moléculaire, sur lequel nous
molécule demeure toujours
reviendrons.
active.
1.2.3. La perméabilité gastro- Les informations issues des
intestinale et la solubilité études de structure tridimen­
aqueuse sionnelle via les techniques de
Supposons que dans co-cristallisation sont clés et
l’exemple précédent la molé­ permettront de conserver une
cule soit une molécule très bonne activité pour les futures
active à l’échelle picomolaire, molécules (Figure 5).
mais que la perméabilité dans On voit donc, sur ces quelques
un modèle in vitro de prédic­ exemples, qu’en positionnant
tion de passage de la bar­ correctement les atomes, on
rière gastro-intestinale et la arrive à influencer les pro­
solubilité aqueuse s’avèrent priétés des molécules.

Perméabilité

Solubilité
aqueuse

Figure 5
Amélioration de la permeabilité
132 et de la solubilité aqueuse.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
2 La conception d’un
nouveau médicament
administré par voie
dans une crème, un onguent,
un gel, une solution… Quand
on l’applique sur la peau, il
topique faut en premier lieu qu’elle
soit libérée de sa formule,
La voie topique en dermatolo­
qu’elle pénètre la peau pour
gie est l’administration cuta­
atteindre sa cible biologique.
née d’une molécule active.
À nouveau, elle rencontrera
C’est une façon élégante de
d’autres cellules, d’autres
concevoir de nouveaux médi­
noyaux d’ADN, puis elle attein­
caments, puisqu’on a ainsi la
dra la circulation sanguine, où
chance d’avoir accès direc­
elle sera éliminée.
tement aux compartiments
ciblés. Donc on utilisera la
voie topique si l’actif est suffi­ 2.2. Les différences
samment efficace, ce qui évite principales avec la voie orale
d’exposer la totalité de l’orga­
nisme en traitant de manière La Figure 7 compare les pro­
locale uniquement les zones priétes recherchées dans
atteintes par la pathologie. l’administration par voie orale
et celles par voie topique. La
solubilité aqueuse est sur­
2.1. La voie topique
tout importante pour la voie
Cette fois-ci, la molécule médi­ orale, la voie topique s’inté­
cament CD9999 (Figure 6) sera resse surtout à la stabilité de

CD99999

CD99999 Peau
Stratum
Corneum
Epidermis
Dermis
CD99999

Figure 6
CD99999 Sang
L’administration par voie topique :
le chemin d’une molécule
médicament.

Oral
Topique
Oral & Topique

Pénétration
Non phototoxique CD99999
cutanée

« Formulabilité » Peau
Activité
CD99999
CD99999 CD99999
Non génotoxique Solubilité aqueuse

Sang Perméabilité Figure 7


CD99999 CD99999
Instabilité Stabilité Critères communs et différences
métabolique métabolique
Non cardiotoxique entre les propriétés recherchées
en voie orale et en voie topique. 133
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

la molécule et à sa solubilité les molécules choisissent plu­


dans la formule appliquée. La tôt un chemin intercellulaire
perméabilité gastro-intesti­ et passent donc à travers
nale n’est pas importante des milieux gras comme les
pour la voie topique mais par céramides et de l’eau. Donc,
contre, la pénétration cutanée comme pour la voie orale,
est capitale. il faut, pour une structure
Comme expliqué dans le chimique donnée, identifier
Chapitre de L. Marrot dans quel espace de lipophilie est
cet ouvrage Chimie, dermo- le meilleur pour pénétrer au
cosmétique et beauté (EDP mieux la peau et atteindre sa
Sciences, 2017), la phototoxi­ cible biologique. La lipophilie
cité1 des molécules doit être est un critère essentiel qu’il
regardée avec attention ; il faut associer au poids molé­
ne faut pas que les molé­ culaire et à d’autres para­
cules, exposées aux U V, mètres comme le nombre de
puissent être transformées donneurs et d’accepteurs de
en des molécules qui seraient liaisons hydrogène.
toxiques pour l’organisme. L’optimisation chimique de la
Enfin, à l’opposé de ce qui est molécule peut être expliquée
recherché pour la voie orale, comme pour la voie orale
la molécule doit être rapi­ (Figure 9) : on dispose d’une
dement éliminée quand elle molécule qui est très active,
atteint la circulation sanguine mais qui pénètre mal la peau,
pour éviter tous les effets entre autres à cause d’un haut
adverses systémiques. poids moléculaire. Il faut donc
diminuer celui-ci pour favo­
2.3. Les paramètres riser la pénétration cutanée.
importants pour favoriser Un autre point très important
la pénétration cutanée : par voie topique est la solu­
lipophilie et solubilité bilité et la stabilité dans une
formule. C’est un défi pour
Revenons sur la pénétration
les formulateurs, qui doit
cutanée (Figure 8). En général,
être facilité par la contribu­
tion du chimiste médicinal.
1. Phototoxique : se dit d’un com­
En effet, à partir des travaux
posé qui entraîne une sensibilisa­
tion (œdème, rougeur, inflamma­ de S.H. Yalkowsky (points de
tion, etc.) lorsqu’il est exposé à la fusion relativement bas pour
lumière ou au rayonnement solaire. garantir une bonne solubilité

A B
Stratum Corneum

MW Espace de
HBD « Design » MW HBA
HBA HBA
logD
Pour un motif (structure chimique) donné

Figure 8
A) Chemin intercellulaire souvent privilégié pour la majorité des médicaments ; B) passage à travers
134 des céramides hydrophobes et de l’eau. La lipophilie est un critère essentiel pour une bonne pénétration cutanée.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
MW Espace de
HBD « Design » MW HBD
HBA HBA
logD
Pour un motif (structure chimique) donné

Figure 9
Pénétration
cutanée
Amélioration de la solubilité par
diminution du point de fusion :
Formulabilité – par diminution du poids
moléculaire (à gauche) ;
– par élimination du groupement
urée (en haut à droite), qui
augmente la densité du réseau
cristallin.

en milieu aqueux) et des tech­ le plus élevé en chimie médi­


niques modernes de mesure cinale étant la synthèse des
de solubilité et stabilité à par­ molécules, si on peut prédire
tir de quantités très faibles via des outils informatiques
de produit cristallin, on peut les propriétés des molécules,
sélectionner des molécules cela augmente la probabilité
solubles et stables dans des de concentrer les efforts en
mélanges adaptés à l’admi­ synthèse sur des molécules
nistration topique. ayant les bonnes propriétés.
Sur l’exemple choisi (Figure 9 La génotoxicité est l’une des
en haut à droite), un chimiste propriétés qui peut être main­
saura que la présence du tenant prédite relativement
groupement urée (en rose) facilement car énormément
conduira probablement à des de données ont été générées
réseaux cristallins relative­ et publiées dans la littérature.
ment denses, donc à des molé­ Des outils sont aujourd’hui
cules avec des hauts points de disponibles pour exploiter
fusion. Un des moyens pour ces banques de données pour
diminuer le point de fusion la prédiction des proprié­
sera donc de supprimer ce tés génotoxiques. C’est par
motif, en gardant la fonction exemple le cas pour la molé­
qu’on aura identifiée comme cule de la Figure 10A dans
essentielle pour l’activité, et laquelle le motif aniline a de
cela conduira à une améliora­ grandes chances de conduire
tion de la solubilité des molé­ à de la génotoxicité : il faudra
cules. À nouveau, on travaille donc l’éliminer.
sur la structure pour obtenir Une autre propriété impor­
les propriétés souhaitées. tante à éviter pour la voie
topique est la phototoxicité.
Peu de données existent dans
2.4. La toxicité de la molécule
la littérature, et pour étudier
Pour prédire l’activité, les ce type de propriété, il faut
propriétés et en particulier la parfois développer en interne,
toxicité de futures molécules avec l’ensemble des données
médicaments, on essaie le qu’on a précédemment géné­
plus possible aujourd’hui d’uti­ rées, des modèles qui per­
liser des outils de prédiction mettent de prédire les risques
informatique. En effet, le coût de phototoxicité (Figure 10B). 135
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Non
génotoxique

Non
phototoxique

Développement interne
B
In silico photocytotocity/QSPR model :
Test set Accuracy
600 RP 0 1
Number of Compounds

Figure 10 500
Photocytotoxique 0
1
83
7
23
54
0.82
Non Photocytotoxique
Étude de la toxicité dans 400

une formulation. A) Suppression 300 Web interface


des groupements responsables 200
de la géno- et de la phototoxicité
100
de la molécule ; B) création
de banques de données permettant 0
Training Test Total
de prévoir l’éventuel caractère set set
phototoxique d’une molécule ou
d’un groupement.

C’est ici le cas pour le groupe­ au-dessus de la concentration


ment entouré en rouge sur le efficace pour conduire à l’effi­
haut à droite de la Figure 10A, cacité attendue en clinique.
qu’il a fallu éliminer. Par contre, si pour une même
quantité d’actif, on regarde la
concentration de la molécule
2.5. L’élimination de la
dans le plasma (Figure 11B),
molécule de la circulation
l’objectif sera d’avoir toujours
sanguine une concentration très faible,
L’élimination de la molécule bien en dessous de la barre
de la circulation sanguine est rouge, pour laquelle appa­
un point très important qui raissent les effets toxiques
diffère entre la voie orale et la systémiques.
voie topique. La courbe bleue La chimie apporte les moyens
de la Figure 11A montre que d’atteindre ces objectifs. La
lorsqu’une molécule pénètre structure de la molécule de la
dans la peau, sa concentration Figure 11C (en haut) pourrait
dans la peau va augmenter au être un exemple d’une molé­
cours du temps, puis elle va cule stable à la fois dans la
ensuite être progressivement peau et dans le sang qui ris­
diminuée. L’objectif sera pour querait de passer cette barre
cette concentration d’être rouge critique qui conduit à des
136 suf fisamment longtemps effets adverses toxiques. Par
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
A B
[ ] dans la peau
Effets indésirables cutanés

Concentration
efficace

Pénétration cutanée
temps Instabilité
Metabolic Hotspot
[ ] dans le plasma « Formulabilité » Métabolique

Effets indésirables systémiques

Métabolisme

temps

Figure 11
Pénétration cutanée et effets indésirables. A) Évolution de la concentration efficace d’une molécule active
dans la peau au cours du temps. La concentration de la molécule active dans le plasma doit constamment rester
en dessous du seuil critique d’effets d’indésirables systémiques ; B) exemple d’ajout de Metabolic hotspot
pour favoriser la destruction rapide de la molécule dans le sang par le foie.

contre, si on peut lui rajouter celles recherchées pour l’ad­


un groupe qu’on appelle, dans ministration par voie orale, et
le jargon anglais professionnel c’est l’ensemble de ces pro­
Metabolic Hotspot 2 (Figure 11C priétés que le chimiste médi­
en bas), ici le groupe méthyle cinal doit optimiser.
Me (Figure 11C), on aura très
probablement une molécule
rapidement éliminée du sang
après dégradation par le foie
grâce à cette modification
3 La découverte
de nouveaux
médicaments de nos jours
structurale.
On ne peut pas optimiser une
La Figure 12 résume, en bleu, propriété après l’autre, sinon
les propriétés recherchées plus de dix années seraient
communes à la voie orale et à nécessaires pour découvrir une
la voie topique qui sont l’acti­ nouvelle molécule médicament
vité et la non-génotoxicité. En en chimie médicinale, donc on
vert figurent les propriétes utilise aujourd’hui l’optimisation
spécifiques qui seront recher­
multiparamétrique (Figure 13),
chées pour l’administration
ce qui signifie que l’on optimise
par voie topique et en rose
l’activité en parallèle de la toxi­
cité, de la stabilité métabolique,
2. Metabolic Hotspots : groupe­ de la formulabilité, de la péné­
ments chimiques sur une molécule tration cutanée, pour identifier
susceptibles d’être rapidement
le plus rapidement possible
métabolisés (éliminés par l’orga­
nisme), et permettant ainsi d’éviter un espace, qui permette de
tout effet toxique de la molécule trouver le meilleur compro­
sur l’organisme. mis de toutes ces contraintes. 137
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Topique Oral Oral & Topique

Non
Stables phototoxique Perméabilité Pas Stable
dans les d’inhibition dans la flore
kératinocytes CYP450 intestinale

Formulabilité Stabilité Pas Pas de


Non irritant Activité Métabolique d’induction métabolites
CYP450 réactifs

Pénétration Non Non Stable Stable


Stable cutanée génotoxique cardiotoxique dans dans le plasma
Dans 1
l’estomac
formulation

Instabilité Solubilité Non substrat


Non
métabolique aqueuse Pgp
sensibilisant

Figure 12
Propriétés recherchées des molécules actives selon le mode d’administration souhaité (oral ou topique).

A B

Espace Chimique Espace Chimique

Stabilité
Activité métabolique
Espace
chimique
Oral

Espace Espace
chimique Toxicité chimique
Topique Pénétration Topique
cutanée « Formulabilité »

Figure 13
A) L’optimisation multiparamétrique : variation de plusieurs paramètres en parallèle pour rapidement identifier
le meilleur compromis et proposer une molécule efficace ; B) selon la voie d’administration choisie – orale
ou topique –, le programme de l’optimisation multiparamétrique est différent.

Au cours d’un programme de Aujourd’hui, la conception


chimie, il faut naviguer entre de nouveaux médicaments
tous ces espaces, l’objectif (« Drug Design ») est réalisée
étant de naviguer le moins dans un processus bien défini
longtemps possible et de pou­ (Figure 14). Il faut connaître
voir arriver le plus rapidement et comprendre rapidement
au but. L’espace n’est pas le toutes les activités et pro­
même selon que l’on conduise priétés des molécules. Cela
un programme par voie orale est aujourd’hui facilité grâce
138 ou par voie topique (Figure 13B). à la miniaturisation et à la
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
Figure 14
Le Drug Design, un processus itératif organisé en quatre étapes : conception, synthèse, évaluation et analyse
[DesignMakeTestAnalyze].

robotisation, qui permet, aussi présentées dans le


pour une nouvelle molécule Chapitre d’I. Pélisson dans
synthétisée, de collecter très Chimie, dermo-cosmétique
rapidement, en quelques et beauté. Les premières
jours, un ensemble de pro­ phases consistent à trouver
priétés et d’activités. À partir ces fameuses têtes de série,
de ces informations associées molécules potentiellement
à des outils d’analyses très actives pour la cible biolo­
performants, il est possible de gique ciblée.
proposer de nouvelles molé­ Différentes approches sont
cules et d’avancer rapidement possibles, soit on teste via des
vers la découverte de la molé­ techniques de criblage haut
cule candidat médicament. débit un million de molécules
Le chimiste médicinal doit être sur la cible biologique pour
de nos jours très compétent trouver des têtes de série, soit
en analyse de données pour on part, si disponibles, de don­
faire la synthèse et l’exploita­ nées de la littérature pour avoir
tion de ce très grand nombre des approches plus ration­
d’informations diverses, et nelles. Après avoir identifié ces
d’en tirer des conclusions premières molécules, on les
nécessaires à la conception étudie pour selectionner plu­
de nouvelles molécules inno­ sieurs familles de molécules
vantes de qualité. à évaluer : les « leads ». L’idée
Les différentes phases du sera, à partir de ces différentes
Drug Design (Figure 15) sont familles de leads, d’en choisir 139
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 15
Processus de découverte
d’un nouveau médicament,
à partir d’un criblage haut-débit ou
d’une approche rationnelle basée
sur la littérature : les différentes
phases de la recherche menant
à un unique candidat aux tests
cliniques.

au maximum deux, les plus et ayant pour objectif le trai­


prometteuses, dont on explo­ tement de deux pathologies,
rera l’ensemble des facettes, l’acné et l’ichthyose lamel­
pour proposer in fine une short- laire, vont illustrer ces diffé­
list d’environ trois molécules rentes étapes du processus de
qui seront ensuite testées sur découverte d’un médicament.
un ensemble de batterie de
tests de toxicologie en vue de
proposer une molécule unique 4.1. L’acné
candidat médicament qui L’acné est une maladie de
ensuite ira en étude clinique. l’unité pilosébacée qui peut
La durée de ces recherches, présenter différents aspects
pour un projet donné, pour (Figure 16) : des lésions non
une cible biologique donnée, inflammatoires, de l’hyper-
représente entre trois et séborrhée (peau grasse), des
quatre ans d’études pour 500 papules inflammatoires et dans
à 1 000 molécules. Chaque certains cas des cicatrices.
molécule est synthétisée en Quatre mécanismes bio­
faible quantité, et dans la logiques (Figure 17A) inter­
majorité inférieure à 50 mg. viennent dans l’acné : une
hyper-prolifération et diffé­
renciation des kératinocytes 3,
4 Recherche de
molécules qui
activent le Récepteur de 3. Kératinocytes : cellules consti­
l’Acide Rétinoïque RAR ϒ tuant à 90 % l’épiderme et des pha­
nères (ongles, cheveux, poils). Ils
Deux exemples pour lesquels synthétisent la kératine, protéine
la cible biologique est le fibreuse nécessaire à l’imperméa­
récepteur de l’acide rétinoïque bilité de la peau.

Follicule
du cheveu Épiderme

Derme
Sébum

Vaisseau Glande sébacée


Figure 16 sanguin
L’acné, une maladie de l’unité
140 pilosébacée.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
Figure 17
Les quatre mécanismes impliqués
dans l’acné : hyper-kératinisation,
production excessive de sébum,
inflammation et enfin activité de la
bactérie P-acnes.

Excrétion Kératinisation P-acnes Inflammation


de sébum folliculaire
Péroxyde de benzoyle – (+) +++ (+)
Rétinoïdes – ++ (+) +
Clindamycine – (+) ++ –
Anti-androgènes ++ + – –
Acide azélaïque – ++ ++ +
Tétracyclines – – ++ +
Érythrocycine – – ++ –
Isotrétinoïne +++ ++ (+) ++
+++ Effet très fort. ++ Effet fort. + Effet modéré. (+) Effet indirect/faible. – Aucun effet.

Tableau 1
Traitements actuellement disponibles pour l’acné, le plus efficace étant l’isotrétinoïne, un agoniste du RAR.

une surexpression de sébum, de cette maladie se situe au


une colonisation par un patho­ niveau du kératinocyte.
gène P-acnes et aussi de
l’inflammation. Aujourd’hui,
il existe de nombreux traite­ 4.3. Le processus
ments pour l’acné (Tableau 1), de découverte : la cible
sachant que la majorité des biologique et le cahier
traitements, excepté le der­ des charges
nier, n’agissent souvent sur Le cahier des charges de ce
qu’une voire deux compo­ projet était la découverte d’un
santes de l’acné. Le plus effi­ nouvel agoniste du récepteur
cace est l’isotrétinoïne, qui à l’acide rétinoïque R ARγ
active le recepteur RAR de administré par voie topique
l’acide rétinoïque. avec une exposition systé­
mique limitée. En effet, les
molécules de cette classe
4.2. L’ichthyose lamellaire
connue sous le nom de réti­
autosomique récessive
noïdes sont responsables de
L’ichthyose lamellaire auto­ nombreux effets biologiques
somique récessive (Figure 18) non désirés pour le traite­
est heureusement une mala­ ment de pathologies telles
die très rare ; il existe un peu que l’acné (Figure 19), d’où la
moins d’un millier de cas en nécessité de limiter l’activité
France. C’est une maladie systémique en limitant l’expo­
génétique, et l’un des aspects sition systémique. 141
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 18
L’ichthyose lamellaire autosomique
récessive, maladie rare
de la kératinisation, caractérisée
par la présence de squames sur
tout le corps.

Rétinoïdes

Figure 19
Les rétinoïdes : des molécules aux
activités variées.

Le sous-type RAR 4γ a été 4.3.1. Recherche


ciblé plus particulièrement de la molécule sélective
parce que ce sous-type est du récepteurs RARγ
très largement présent dans La structure cristallogra­
l’épiderme en comparaison phique de la protéine RAR,
aux autres sous-types de ce que l’on voit sur la Figure 20,
récepteur RAR α et β faible­ montre que la différence
ment exprimés. entre les trois sous-types
de ce récepteur (α, β, et γ)
4. RAR : récepteur à acide réti­ porte uniquement sur la dif­
noïque. férence de trois acides aminés

Figure 20
Le défi de la sélectivité : seuls
trois acides aminés sur le site actif
diffèrent pour les trois types de
142 récepteurs à acide rétinoïque.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
Figure 21
Molécule sélective du récepteur
RARγ : CD437 (en vert) ; en blanc
l’acide aminé du site actif du
récepteur RARγ.

(qui figurent en bleu, vert et


orange) localisés au niveau
du site actif.
Identifier une molécule sélec­
tive du sous-type γ versus les Figure 22
sous-types α et β reste un Structure cristalline de RARγ +
vrai défi. Cependant, nous CD 437 localisé dans une poche
avons pu bénéficier d’une disponible sur le site actif, absente
structure tridimensionnelle des sous-types α et β.
de RARγ et d’une molécule,
le CD437 (Figure 21), relati­ Le travail du chimiste médici­
vement sélective de ce sous- nal a donc consisté à conce­
type γ. Cette structure nous a voir des molécules ayant
permis d’identifier une cavité des structures chimiques
non occupée (Figure 22) uni­ permettant de remplir cette
quement dans le sous-type γ cavité non exploitée à ce jour.
et non exploitée par les ago­ Ce travail est résumé sur la
nistes RAR connus. Figure 23. L’influence de la

Figure 23
Exploitation des informations
structurales : l’activité et la
sélectivité pour le sous-type γ
dépendent du substituant R3 de
l’oxygène du composé CD5789. 143
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

nature du motif OR3 est clé outil très utilisé pour tester
dans la sélectivité des molé­ l’efficacité par voie topique des
cules pour le sous-type γ ver­ molécules agonistes RARγ.
sus α et β. La molécule candi­ Les effets de l’administration
dat médicament est le CD5789 de ces molécules par voie
(Trifarotène) OR3=O(CH2)2OH. topique sur l’expression de
Le trifarotène est donc une deux types de gènes respon­
molécule active et sélective sables de la différenciation
pour le sous-type γ par rapport des kératocytes (en jaune) et
aux sous-types α et β ; cette de l’inflammation (en orange),
sélectivité réceptorielle est qui sont des phénomènes
beaucoup plus importante que importants dans l’acné, sont
celle des molécules aujourd’hui reportés sur la Figure 25B.
sur le marché (Figure 24).
On voit que la molécule sélec­
4.3.2. Effet pharmacologique tionnée CD5789 diminue l’ex­
de la molécule Trifarotène pression de ces gènes et qu’elle
Le modèle d’épiderme recons­ a un effet similaire, voire même
truit in vitro (Figure 25A), meilleur, que les molécules
expliqué dans le Chapitre de existantes sur le marché.
L. Marrot dans Chimie, dermo- L a modulation de ces
cosmétique et beauté, est un mêmes gênes est également

Figure 24
CD5789 : une molécule hautement
puissante et sélective pour
le récepteur RARγ de l’acide
rétinoïque.

Traitement topique
A B Groupe de gènes de différenciation
C50/ Groupe de gènes d’inflammation
IC50 nM
1 000

Milieu nutritif
100
Expression de l’ARN Histologie
Quantification
des cytokines
10
Adapalène Tazarotène Acide CD5789
tazaroténique

Figure 25
Étude de l’efficacité pharmacologique la molécule CD 5789. A) L’activité par voie topique sur l’expression
des gènes est testée sur un modèle d’epiderme in vitro ; B) l’expression des gènes sélectionnés est diminuée
144 en présence du lead CD5789.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
mesurée après application In vitro, on considère que les
par voie topique sur de la peau molécules sont stables pour
humaine ex vivo (Figure 26A). des temps de demi-vie supé­
La Figure 26B montre que l’ac­ rieurs à 24 h. Le CD5789 rem­
tivité de la molécule CD 5789 plit le cahier des charges ini­
est similaire au produit qui tial : stable dans la peau > 24 h
est aujourd’hui sur le marché. et instable dans le foie < 5 min.
La stratégie chimie pour obte­
4.3.3. Étude des effets nir cette dégradation rapide
secondaires : limitation est celle précédemment expli­
de l’exposition systémique quée des Metabolic Hotspots.
Le Tableau 2 résume les don­ Un exemple est le groupement
nées sur la stabilité, expri­ hydroxyle -OH (Figure 27),
mée en temps de demi-vie, de métabolisé en un acide inactif
CD5789 et des autres molé­ qui sera ensuite rapidement
cules du marché, d’une part éliminé.
dans les kératinocytes, cellules
cibles dans la peau, et d’autre
4.4. Première étude clinique
part dans les hépatocytes
chez l’homme
(cellules du foie responsables
d’une des voies d’élimination La première étude clinique
principales) chez l’homme. conduite chez l’homme a été

A B

Application E50 (µM)


topique 10 000
Biopsies
5 mg/cm2 1 000
48 h à 37 °C
Biopsie de peau 100
abdominale TLDA
10
Extraction
Expression des gènes d’ARN 1
rétinoïques cibles portant Acide CD5789
sur la différenciation tazaroténique

Figure 26
A) Protocole du test d’activité par voie topique ex vivo (peau humaine) : application topique, biopsie, puis
extraction d’ARN ; B) courbes dose-réponse de CD5789 et de l’acide tazaroténique sur les gènes sélectionnés
(moyenne de trois donneurs. L’activité du candidat CD5789 est similaire à celle des compétiteurs du marché).
TLDA : TaqMan Array basse densité.

T½ T½
kératinocytes humains hépatocytes humains
Adapalène > 24 h 89 min
Tazarotène 0,5 h 10 min
Acide tazaroténique > 24 h 74 min
CD5789 > 24 h 5 min

Tableau 2
Données de stabilité (temps de demi-vie) sur les molécules des kératinocytes. 145
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

« Metabolic Hot Spots »


CD5789

Figure 27
RAR a, b, γ : IA
Metabolic Hotspots du CD5789.

la sécurisation de l’exposition sont très faibles et suggèrent


systémique. Cela a été réa­ une très grande marge de
lisé en utilisant de très faibles sécurité. Ces résultats ont
quantités de molécule active, été confir més plus tard
mais radio-marquées, ce dans le développement lors
qui permet de suivre de très d’une étude conventionnelle
faibles quantités d’actifs et de de pharmacocinétique chez
métabolites par spectromé­ l’homme.
trie de masse. Cette méthodo­ La molécule qui sera connue
logie appelée « microdosing » sous le nom de trifarotène
a été une première mondiale est actuellement dans les
par voie topique avec le Tri­ dernières phases du déve­
farotène. loppement clinique avant
Cette étude a permis de la mise sur le marché dans
confirmer les prédictions : les l’acné et des phases plus pré­
taux plasmatiques du Trifa­ coces de développement dans
rotène et de ses métabolites l’ichthyose lamellaire.

Le trifarotène, une nouvelle solution


thérapeutique pour l’acné
et l’ichthyose lamellaire
Le trifarotène est donc un puissant rétinoïde
qui présente une grande marge de sécurité du
point de vue des effets secondaires. La chimie
a joué un role clé dans la mise au point de ce
futur nouveau médicament, à la fois en contrô­
lant l’activité puissante et sélective du sous-
type RARγ et les propriétés adaptées comme
par exemple l’instabilité métabolique hépa­
146 tique.
La découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour le traitement de pathologies de la peau
Ce médicament est intéressant pour l’acné et
aussi pour cette maladie rare qu’est l’ichthyose
lamellaire. En effet, le montrent les photos, les
enfants atteints de cette pathologie doivent être
traités sur la totalité du corps, ce qui augmente
le risque d’avoir des effets toxiques systé­
miques. L’exposition systémique étant limi­
tée avec le trifarotène, les effets secondaires
adverses devraient être limités.

147
Sabine Berteina-Raboin
Nouveaux
actifs et
nouveaux
ingrédients
Sabine Berteina-Raboin est Professeur à l’Institut de Chimie
Organique et Analytique (UMR 7311, Université d’Orléans-CNRS).

Depuis de s siècle s , le s et astringentes. Les fleurs sont


plantes sont utilisées pour exploitées en parfumerie.
des usages médicinaux et
cosmétiques ; on peut citer à
titre d’exemples : 1 Les cosmétiques
et la chimie
−− l’acide salicylique, que l’on Les progrès de la chimie per-
retrouve dans l’écorce de saule mettent une évolution des
et qui a des propriétés cura-
tives, soulage les douleurs et
les fièvres (Figure 1). L’acide
salicylique est isolé en 1829,
la première synthèse du dérivé
acétylé date de 1893, et c’est
en 1899 que Bayer dépose le
brevet de l’aspirine ;
−− le Henné : arbuste épineux
dont les feuilles produisent
des teintes telles que le rouge
et le jaune (Figure 2), colo-
rant textile et corporel dont
on a retrouvé des traces sur
les momies égyptiennes. En
tant que cosmétique, il nettoie Figure 1
et purifie la peau, et possède L’acide salicylique peut être
des propriétés antifongiques extrait de l’écorce de saule.
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

divers tensioactifs permettant


différents types de formules
et surtout l’emploi de prin-
cipes actifs dans les produits
de soin et la maîtrise de la
lumière avec les recherches
sur l a composition de s
poudres. Les produits cosmé-
tiques doivent leur évolution
constante aux apports suc-
cessifs de la chimie des solu-
tions, la chimie de synthèse, la
chimie des polymères et des
colloïdes.
Figure 2 Les cosmétiques se répar-
Les feuilles de henné sont utilisées tissent en diverses catégories
en cosmétique et les fleurs qui se déclinent en plusieurs
en parfumerie. types de produits (Figure 3) :
cosmétiques. Les plus anciens les produits de soin (hydra-
remontent vers 3 000 av. J.-C. tants, anti-rides, anti-âge,
en Égypte, ils sont assez amincissants, anti-tâches,
simples mais principale- raffermissants...), les pro-
ment à base de plomb. Ce duits de maquillage des yeux
n’est qu’au xixe siècle que l’on (mascaras, liners...), du visage
assiste à l’apparition de nou- (fonds de teint, poudres...),
veaux produits cosmétiques, des lèvres (rouges et bril-
principalement pour l’hydra- lants à lèvres), des ongles
(vernis), les produits solaires
tation de la peau, et de pro-
(protection, autobronzants...),
duits parfumants (voir aussi
les produits d’hygiène corpo-
les Chapitres de P. Walter et
relle (savons, douche, bain,
P. André dans cet ouvrage
dépilatoires, déodorants...),
Chimie, dermo-cosmétique et
les capillaires (shampoings,
beauté, EDP Sciences, 2017).
colorations, teintures, per-
Les progrès de la chimie ont manentes, lotions antichute,
permis une évolution des cos- fixatifs, laques...) et les par-
métiques. Les grandes innova- fums ou les hydroalcooliques
tions dans ce domaine datent (extraits, eaux de toilette,
de 1940 avec l’utilisation de eaux de parfum...).

Figure 3
Les produits cosmétiques se déclinent en plusieurs types de produits : produits de soin, de maquillage, d’hygiène
152 corporelle, produits capillaires, parfums…
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
Si on se focalise sur les pro- Comme beaucoup d’autres
duits de soin « anti-âge » équipes de recherche, nous
qui inondent le marché nous efforçons de respec-
aujourd’hui, leur apparition ter le plus grand nombre
remonte à la fin des années des « principes de la chimie
1980. Ils sont le résultat d’une verte », qui sont au nombre de
connaissance de la biologie douze, et nous faisons appel à
cutanée combinée à l’utilisa- la richesse des constituants
tion de technologies sophis- naturels issus de plantes
tiquées dans le domaine des terrestres ou aquatiques
actifs et de la formulation. pour découvrir de nouveaux
Hydrater sa peau est le pre- composés et isoler les nom-
mier geste de soin anti-âge. breuses structures com-
Longtemps traditionnelle, la plexes que la nature met à
cosmétologie se caractérise notre disposition (voir aussi
aujourd’hui par une approche le Chapitre de P. André dans
très technologique. Le domaine Chimie, dermo-cosmétique et
des cosmétiques est particu- beauté).
lièrement actif en recherche Les douze principes de la
et innovation d’autant que chimie verte, selon P.T. Anas-
désormais, les femmes, ainsi tas et J.C. Warner, sont les
que les hommes, recherchent suivants :
dans les cosmétiques de soin 1) Réduction des déchets
ou de maquillage des perfor- 2) Conception de produits
mances avec, de préférence, chimiques efficaces avec peu
un retour à la nature. Le devoir ou pas de toxicité
des industries cosmétiques, 3) Conception de synthèses
reconnues pour leur dyna- moins nocives
misme économique, est de 4) Utilisation de ressources
répondre à toutes ces attentes renouvelables
dans des contextes règlemen- 5) Utilisation de catalyseurs
taires et environnementaux de recyclables (et non de réactifs
plus en plus exigeants. Il est stœchiométriques)
donc impératif d’intégrer les 6) Limitation de groupements
notions de « chimie verte », de protecteurs
« développement durable » et 7) Favoriser les approches à
de « REACH »1. économie d’atomes
8) Utilisation des solvants
et de réactions peu ou pas
1. Voir Chimie et expertise, santé
et environnement, coordonné par toxiques
M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et 9) Amélioration du rendement
P. Rigny, EDP Sciences, 2016. énergétique

Figure 4
La nature recèle une richesse de
molécules complexes que l’on peut
isoler ou dont on peut s’inspirer
pour concevoir de nouveaux
cosmétiques. 153
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

10) Conception de produits la nécessité d’une approche


chimiques dégradables éco-responsable pour pallier
11) Analyser en temps réel la diminution accélérée des
pour éviter la pollution espèces végétales au sein
12) Minimiser les risques d’un environnement fragilisé.
d’accidents.
Il est nécessaire d’avoir une
Ce type de travail requiert approche éco-responsable
généralement la combinaison
globale qui implique une
de techniques de séparation
préservation et une gestion
pour isoler une substance à
l’état pur (chromatographie, durable de la biodiversité.
distillation, cristallisation...), En conséquence, la priorité
avec des méthodes d’ana- sera donnée à l’utilisation de
lyse spectroscopique pour en plantes cultivées et, s’il y a
déterminer la structure (RMN, nécessité d’un prélèvement
spectrométries de masse, en milieu naturel, des règles
infrarouge...). très strictes garantissant que
les collectes ne mettent pas en
danger la plante dans son envi-

2 Apporter une
meilleure
connaissance scientifique
ronnement seront appliquées.
Il y a aussi de nombreuses
des plantes endémiques contraintes réglementaires
ou typiques marocaines pour l’utilisation d’extraits :
comme source l’efficacité et l’innocuité des
de nouveaux actifs produits doivent être garanties
et encadrées par une légis-
Ces travaux ont été réalisés
dans le cadre d’un partenariat lation car, ne l’oublions pas :
entre la région Centre et la « Tout ce qui est naturel n’est
région de Meknes Tafilalet au pas forcément bon ». Il est donc
Maroc (Figure 5). indispensable d’avoir une bonne
connaissance de la composition
de l’extrait, et il y a nécessité du
2.1. Étude phytochimique « scientifiquement prouvé » :
de plantes du Maroc activité démontrée de l’extrait
L’engouement actuel pour les ou de la molécule impliquée
plantes à usage médicinal et dans l’activité visée et dévelop-
cosmétique entraîne une dimi- pement des actifs ou ingrédients
nution des ressources, d’où avec des procédés verts.

Figure 5
On trouve au Maroc une grande biodiversité de plantes à usage médicinal et cosmétique, dont il est nécessaire
154 d’assurer une gestion éco-responsable.
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
Pour ce t ype d’étude, la Il a une très forte odeur aro-
démarche mise en œuvre est matique et se rencontre géné-
la suivante : ralement dans les dépres-
−− sélection d’une dizaine de sions sablo-argileuses. C’est
plantes typiques du Maroc sur un excellent pâturage pour les
la base de leurs usages tradi- chameaux et les chèvres.
tionnels ; De premières études phyto-
−− récolte, identification bota- chimiques menées par des
nique et essais de domestica- procédés conventionnels –
tion végétale ; extraction par macération
−− criblage de l’activité biolo- au chloroforme, purification
gique des extraits ; des composés sur colonne
ouverte de silice – ont per-
−− meilleure connaissance
mis de détecter la présence
analytique de la composi-
de composés dérivés de par-
tion phytochimique de ces
thénolides (Figure 6B). Ces
plantes ;
molécules sont particulière-
−− développement de procé- ment intéressantes puisque
dés d’extraction, d’analyse, de décrites comme étant les
purification et d’identification premières petites molécules
« verts » et performants ; sélectives contre les cellules
−− hémisynthèse et pharma- souches cancéreuses2. Leur
comodulation des molécules synthèse est ardue et l’extrac-
extraites pour obtenir des tion est un bon moyen d’ob-
analogues à haute valeur tenir ces précurseurs phar-
ajoutée. Les synthons chiraux maco-modulables. Il convient
modulables peuvent ainsi de noter qu’une des études
conduire à des molécules plus sur cette plante a montré la
complexes, limitant de fait présence de composés phé-
l’impact environnemental du noliques.
chimiste organicien puisque
limitant considérablement le
2.2. Méthodes d’analyse
nombre d’étapes de synthèse
et de purification
et donc l’utilisation de solvants
et autre réactifs plus ou moins 2.2.1. Fractionnement-
toxiques. purification
Anvillea radiata coss. & dur. La séparation des composés
est un petit arbrisseau endé- peut se faire de façon gros-
mique saharien, reconnais- sière par des extractions
sable à ses feuilles vert bleuté
en forme de triangle allongé 2. Drug Discovery Today (2013), 18 :
et à bords dentés (Figure 6A). 894-904.

1 9
10
2 8

5
14
7
Figure 6
3 6 13
4
a- Des composés dérivés de
méthylène parthénolides ont été identifiés
O 12 11
O
15 dans l’arbrisseau endémique
Époxyde saharien Anvillea radiata coss.
O
& dur. 155
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

liquide-liquide successives 2.2.2. Extraction sélective des


et par variation des phases composés par fluide pressurisé
liquides qui solubilisent plus L’ASE (« Accelerated Solvent
ou moins efficacement cer- Extraction », ou Extraction par
taines familles de molécules Solvant Accélérée) permet une
(Figure 7). extraction par solvant à haute
La séparation peut aussi se température (jusqu’à 200 °C)
faire par chromatographie et sous forte pression (100 bar)
sur colonne mais nécessite de matrices végétales conte-
une utilisation impor tante nues dans une cellule en acier
de solvants et peut engen- inoxydable de volume variable
drer des pertes de matière (Figure 9). Cette combinaison
par adsorption de certains de pression et de tempéra-
composés sur la phase sta- ture fournit un processus
tionnaire, constituée de gel d’extraction rapide et efficace.
de silice dans la majorité des L’augmentation de la tempé-
cas (Figure 8). rature diminue la viscosité
Notre objectif est de dévelop- des solvants permettant une
per des méthodes d’extraction meilleure pénétration dans la
et de purification plus éco- matrice solide et des interac-
responsables permettant de tions solvant-matrice-molé-
valoriser plusieurs familles cules plus faibles. Les taux
de molécules. de diffusion deviennent plus
rapides à température élevée,
ce qui diminue le temps d’ex-
traction (Figure 10).

2.2.3. Chromatographie
Phase organique légère
Heptane : Acétate
de Partage Centrifuge (CPC)
d’éthyle La CPC est fondée sur le prin-
Phase aqueuse lourde cipe d’équilibre hydrostatique
Eau : Méthanol utilisant un champ centrifuge
autour d’un axe. On a deux
phases liquides, l’une servant
Figure 7
de phase mobile et l’autre ser-
Fractionnement grossier vant de phase stationnaire,
par extraction liquide-liquide. maintenue en place par la
force centrifuge (Figure 11).
Le système est amovible et
peut s’équiper d’une colonne
Phase mobile de 50 mL, 200 mL ou 1 L.
L’intérieur de la colonne est
Figure 8 composé d’un assemblage
La séparation par chromatographie Phase
de disques et de joints inter-
sur colonne est très stationnaire disque en polytétrafluoroéthy-
consommatrice de solvants et solide lène (PTFE). La phase mobile
peut engendrer des pertes de est pompée à travers la phase
matière par adsorption irréversible stationnaire (pompe HPLC) et
de composés sur la phase
stationnaire. Elle nécessite en
va occuper un volume appelé
outre une gestion de grandes volume mort, tandis que le
Gestion de déchets solides de silice
quantités de déchets solides de Adsorption irréversible de composés
reste de la phase stationnaire
156 silice. reste statique.
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
1-CHCI3 2-MeOH

40 °C Parties aériennes Figure 9


5 min de A. Radiata
L’Extraction par Solvant Accélérée
permet une extraction par solvant
à haute température et sous forte
pression de matrices végétales
contenues dans une cellule
en acier inoxydable de volume
variable.
Extraits bruts
Source : Adapté d’Aaron Kettle
(2013). LCGC, vol. 31, Issue 11.

1re étape d’extraction (chloroforme) 2e étape d’extraction (méthanol)


Sur matière végétale séchée et broyée Sur résidu de l’extrait CHCI3
Composés n’absorbant pas en UV Composés absorbant dans l’UV
détectés avec DEDL détectés à 366 nm

Extraction sélective des parthénolides Extraction des composés phénoliques

HPLC-UV
HPLC-DEDL

Colonne purospher RP18e Colonne purospher RP18e


gradient eau/MeOH acidifié gradient eau/MeOH acidifié

2 composés majoritaires 17 composés minoritaires séparés


Rendement d’extraction Rendement d’extraction
18-19 % 8-9 %

Figure 10
Exemples d’extraction par solvant accélérée par fluide pressurisé.

Une fois l’équilibre atteint, la ligne et non ciblée est privi-


phase mobile circule jusqu’à légiée, nous nous sommes
l’extrémité de la colonne. En également attachés à déve-
complément de ces aspects lopper des méthodes de frac-
analytiques pour lesquels tionnement et de purification
la caractérisation rapide en des molécules naturelles à 157
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

l’échelle semi-préparative, en (ii) la flexibilité de la tech-


utilisant la CPC. La séparation nique, puisqu’on peut sépa-
des composés se fait grâce rer des composés apolaires,
à l’utilisation d’un système polaires, ionisables, le tout
liquide biphasique (Figure 11). avec une grande capacité
L’une de deux phases est d’injection.
maintenue stationnaire à Pour un mélange bipha-
l’intérieur de la colonne par sique donné, le coefficient
la force centrifuge et l’autre de partage d’une substance
phase, constituant la phase donnée A est défini selon la
mobile, est poussée au tra- loi de Nernst par le rapport
vers de la première par une entre sa concentration dans
pompe HPLC. Les composés la phase supérieure et sa
sont élués en fonction de leur concentration dans la phase
coefficient de partage Kd et inférieure. Lorsque le Kd > 1,
donc de leur affinité respec- le soluté a plus d’affinité pour
tive pour les deux phases. la phase supérieure, et inver-
La plupar t du temps, la sement. Différents solutés
CPC peut être utilisée pour pourront être séparés si leur
effectuer la purification de valeur de Kd est différente.
composés d’intérêt comme, C’est un peu comme si l’on
par exemple, des composés était en présence de plusieurs
majoritaires d’un extrait. Des ampoules à décanter en série,
couplages innovants avec la la phase stationnaire légère
spectrométrie de masse ont se trouvant dans l’ensemble
aussi été développés pour des ampoules. L’échantillon
aller plus loin dans le criblage à séparer est ajouté dans la
phytochimique, afin d’effec- première ampoule, suivi de la
tuer simultanément la puri- phase mobile lourde. Plus il y
fication et l’identification des a d’ampoules, plus il sera pos-
composés. sible de séparer efficacement
Les avantages de la CPC sont : les solutés (Figure 12).
(i) l ’absence de suppor t
solide ; il n’y a donc pas d’ad- 2.2.4. Fractionnement-
sorption irréversible, pas de purification de molécules
perte d’échantillon et pas de Le fractionnement-purifica-
dénaturation ; tion des molécules se fait via

Figure 11
Colonne
La Chromatographie de Partage 50,100, 1 000 mL
Force
Centrifuge (CPC) permet la centrifuge
séparation des composés à l’échelle
semi-préparative, en utilisant deux
liquides biphasiques : une phase
stationnaire (force centrifuge)
et une phase mobile (poussée par Colonnes
50, 200 mL
une pompe HPLC).
HPLC : « High performance Purification de composés majoritaires
liquid chromotography »,
ou chromatographie en phase Développement de couplages innovants avec SM
FCPC Kromaton (Annonay, France)
158 liquide haute performance.
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
Phase supérieure Kd > 1
légère
A sup
Kd = Kd = 1

A inf Kd < 1
Phase inférieure
lourde 0,5 < Kd < 5

Échantillon

Phase légère (phase stationnaire)

Phase lourde (phase mobile)

Kd > 1

Kd = 1
Kd < 1
Phase lourde (phase mobile)

Figure 12
La chromatographie de partage
centrifuge peut être équivalente
à des purifications successives
à l’aide de plusieurs ampoules à
décanter en série.

un couplage avec une chro- 2.2.5. Purification des dérivés


matographie liquide haute de parthénolides en mode
performance (HPLC) via une isocratique
vanne qui prélève une très Nous avons cherché ici un
petite quantité de la phase en système biphasique adapté
même temps que la collecte et et avons réalisé avec succès
qui permet, avec un détecteur la séparation de deux com-
adéquat, de réaliser un chro- posés (Figure 14). Le chro-
matogramme (Figure 13). En matogramme obtenu avec
effet, faire l’analyse de tous un détecteur à diffusion de la
les tubes serait long et coû- lumière (DEDL) nous montre
teux. bien la présence de deux 159
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 13
160 Le fractionnement-purification.
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
Figure 14
Séparation de trois composés parthénolides, F1, F2 et F3, détectés avec un détecteur à diffusion de la lumière
(DEDL).
Colonne CPC : 50 mL ; mode descendant 2 000 rpm, 3 mL.min-1 ; injection 150 mg extrait.
Système arizona F hept/AcOEt/MeOH/H2O (1:5:1:5 v/v/v/v).
Source : Journal of Chromatography B (2015), 985: 29-37.

composés majoritaires. Ils de l’extrait d’Anvillea radiata


correspondent à deux germa- en optimisant la méthode
cranolides, mais on observe (Figure 15).
aussi un troisième pic visible
en DEDL et en UV. L’analyse
des fractions nous a confirmé 2.3. Dittrichia viscosa
la pureté de chacune des frac- ou Inule visqueuse
tions 1 et 2. L’analyse en spec- Nous nous sommes intéressés
trométrie de masse permet à Dittrichia viscosa (Figure 16),
d’identifier deux hydroxypar- particulièrement au niveau de
thénolides et une analyse par la modification des structures
RMN permet de confirmer la moléculaires, de façon à opti-
nature de l’isomère en pré- miser l’activité potentielle.
sence. Ce n’est pas une plante endé-
mique du Maroc, elle est très
2.2.6. Amélioration répandue dans tout le bassin
de la purification en mode méditerranéen, pousse très
gradient d’élution linéaire bien même sur les terrains
Dans ce cas, la CPC nous a vagues, les bords d’autoroute,
permis dans un premier temps etc., ce qui implique un accès
de purifier les composés aisé en termes de quantité,
majoritaires de l’extrait puis aux composés naturels qu’elle
d’aller chercher également contient. Cette plante peut
les composés minoritaires être la source de composés 161
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 15
Purification des composés majoritaires et minoritaires d’un extrait d’Anvillea radiata.
Système arizona F hept/AcOEt/MeOH/H2O (1:5:1:5 v/v/v/v)
Système arizona P hept/AcOEt/MeOH/H2O (6:5:6:5 v/v/v/v); Injection 350 mg d’extrait.

Figure 16
Dittrichia viscosa, une plante
répandue dans tout le bassin
méditerranéen, source de
composés biologiquement actifs
aux propriétés multiples : anti-
inflammatoire, antiseptique,
antipyrétique et antioxydante.

biologiquement actifs, que ce divers produits. Le traite-


soit en cosmétique ou en théra- ment de l’extrait dichloromé-
peutique : anti-­inflammatoire, thanique en milieu basique
antiseptique, antipyrétique et aqueux nous a permis de
antioxydante. séparer un premier composé
La première étape consiste à obtenu en quantité intéres-
obtenir les synthons chiraux sante, et le traitement de la
via une extraction de la plante phase aqueuse en présence
qui a été préalablement d’acide chlorhydrique conduit
séchée et broyée (Figure 17). aux deux acides isocostique
240 grammes de cette plante et ilicique en quantité impor-
nous ont permis, après une tante.
extraction liquide en présence La synthèse totale de ces com-
162 de dichlorométhane, d’obtenir posés ne permettait d’obtenir
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
Extraction selon Soxhlet (CH2CI2, 8 h)
procédé conventionnel

Na2CO3 saturée

Colonne ouverte HCl 10 %


chromatographique

Colonne chromatographique

Tomotensine 3,6 g (1,5 %)

Acide isocostique Acide ilicique


6 g (2,5 %) 5 g (2,1 %)

Figure 17
Extractions de synthons chiraux, acide isocostique et acide ilicique, à partir d’extraits de Dittrichia viscosa.

qu’un mélange difficilement un rendement global de 47 %


séparable des isomères avec, (Figure 19), limitant ainsi notre
selon les procédures envisa- impact environnemental. De
gées, des rendements globaux nombreuses modulations de
allant de 0,9 % sur 16 étapes ces bicycles sont possibles.
pour l’α à 6,9 % en 12 étapes
pour le β (Figure 18). 2.4. Exemples
de modifications à partir
L’hémisynthèse du costal sou-
de la Tomentosine
haité sous la forme d’un seul
isomère, l’α, a été réalisée L’utilisation des produits
en seulement 3 étapes avec extraits de Dittricia viscosa

A
7 étapes 9 étapes

2-méthyleresorcinol a-costal
Figure 18
6 étapes
Synthèse totale de l’α-costale et
de la β-costale. A) par l’équipe
de Hsing-Jang Liu (16 étapes,
(R)-(-)-10-Méthyle-1 b-costal
(9)-octal)-2-one rendement global 0,9 %) ; B)
par l’équipe de J.A. Marshall (12
B étapes, rendement global 6,9 %). 163
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

TMSCHN2 DIBAL
75 % 84 %

Acide isocostique

Figure 19
Oxydation Rendement global 47 %
Hémisynthèse de l’α-costale en de Swern
75 %
trois étapes, avec un rendement
global de 47 %.

a permis la conception de potentiellement biologique-


libr airies de composés ment actifs (Figure 20). Ces
ayant aussi la tomentosine travaux nous ont permis de
comme structure de base. générer des composés assez
Pour ce faire, plusieurs voies complexes en un nombre
d’accès à ce type de déri- réduit d’étapes, compara-
vés ont été mises au point, tivement à des synthèses
menant à divers composés totales.

Figure 20
164 Synthèse d’une librairie de composés ayant la tomentosine comme structure de base.
Nouveaux actifs et nouveaux ingrédients
La phytochimie, une voie d’avenir pour
les cosmétiques
La nature offre une très grande diversité molé-
culaire dont la valorisation représente un
potentiel économique important. Cependant, il
est nécessaire d’assurer un approvisionnement
végétal suivi et contrôlé (protocole de Nagoya)
et de séparer les composés bioactifs de la
matrice végétale. Pour cela, de nombreuses
étapes restent nécessaires : extraction, isole-
ment par des essais bio-guidés, identification.
Ces processus restent actuellement longs et
coûteux, ce qui est un frein au développement
industriel.
Les défis majeurs actuels de la phytochimie
sont l’innovation technologique dans le déve-
loppement de nouvelles méthodes d’extraction,
de séparations chromatographiques rapides, de
miniaturisation, et des méthodes de couplage
entre les procédés de séparation et de déter-
mination structurale des molécules.
Cette innovation technologique devra s’ins-
crire dans une démarche de « chimie verte »
et de respect de l’environnement. Les solu-
tions technologiques minimiseront l’utilisation
de solvants, rechercheront des alternatives aux
solvants polluants et aux auxiliaires de synthèse
et permettront la production rentable d’extraits
de grande qualité.

165
Sandra Del Bino
Diversité des

peaux du monde :
de la clinique à la

chimie, en passant
peaux
par les

reconstruites
Sandra Del Bino est biologiste et travaille dans les laboratoires
de recherche de L’Oréal 1 depuis 1994. Sa spécialité est de
comprendre l’impact du rayonnement solaire sur la peau, et en
particulier sur les peaux du monde dans leur diversité. Ses études
l’ont entre autres conduite à travailler sur des peaux reconstruites.

1 Les caractéristiques
de la pigmentation
constitutive de la peau
humains ; il résulte d’une
adaptation aux expositions
aux ultra-violets (UV). Avant
les grandes migrations
1.1. Évolution historique humaines, la sélection natu-
de la couleur de peau dans relle a favorisé les peaux
la population mondiale foncées dans les populations
vivant proche de l’Équateur
L a v ar iation de l a cou - (Figure 1), qui étaient expo-
leur de la peau est le plus sées à un niveau élevé d’UV,
visible des polymorphismes 2 en particulier d’UVB, et les
peaux plus claires dans les
1. www.loreal.fr
populations plus éloignées
2. Polymorphisme : variations entre
individus d’une même espèce dues de l’Équateur, plus proches
à l’existence de plusieurs allèles des pôles et donc recevant
pour un même gène. moins d’UVB.
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Cercle Arctique

Figure 1
Tropique du Cancer
Répartition des différentes
couleurs de peau dans le monde. Équateur
Données collectées par Renato
Biasutti pour les populations Tropique du Capricorne
natives avant 1940. 1-12 15-17 21-23 27-29

Source : adapté de Barsh (2003), 12-14 18-20 24-26 30 +


PlosBiology. Échelle chromatique de von Luschan

La génétique des populations, qu’on connaî t aujourd’hui


par l’analyse des fréquences pour avoir subi une pression
alléliques3, retrace l’évolution sélective, ce qui a permis
de la pigmentation humaine de retracer l’histoire de ces
pour les trois populations évolutions.
illustrées sur la Figure 2 : La Figure 3 indique la dis-
africaine, asiatique de l’Est tribution des fréquences
et européenne du Nord. Au alléliques de deux gènes
départ, un lointain ancêtre de liés à la pigmentation dans
l’Homo Sapiens, qui vivait en la population mondiale ; en
Afrique, avait la peau couverte jaune sont les fréquences
de poils et de couleur claire, alléliques associées aux
un peu comme les grands peaux plus claires. L’étude
primates aujourd’hui ou les de leurs distributions permet
chimpanzés qui ont la peau de dire que les populations
claire et des poils. Ensuite, en asiatique et européenne du
concomitance avec la perte de Nord ont toutes deux évolué
poils, la sélection naturelle a vers des peaux claires, mais
favorisé une peau plus pig- de façon indépendante. C’est
mentée justement pour pro- ce qu’en évolution on appelle
téger des UV. une convergence.
Dans une phase ultérieure,
on a eu la divergence entre
les populations africaine et 1.2. La peau :
asiatique/européenne : c’est de sa composition
ce qu’on appelle l’expansion aux conséquences
hors d’Afrique. Plus tard, des expositions UV
une nouvelle divergence est
intervenue, entre les popula- 1.2.1. Description biologique
tions asiatiques et les popu- et biochimique de la peau
lations d’Europe du Nord La peau est un épithélium 4
avec des éclaircissements stratifié (Figure 4A). L’épi-
de la peau, intervenus pro- derme en est la couche
bablement de manière indé- superficielle, d’une épaisseur
pendante. Listés en orange moyenne de 50 à 100 microns,
sur la figure sont les gènes composée essentiellement

3. Un allèle est une version variable


d’un même gène. Ces variations
sont le résultat des mutations qui 4. Épithélium : tissu fondamental
apparaissent au sein d’une même dans lequel les cellules sont étroi-
168 espèce. tement juxtaposées et solidaires.
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
Événements initiaux
d’assombrissement de
la peau coïncidant avec
Événements la perte de la fourrure
d’assombrissement de Événements d’éclaircissement
la peau spécifiques aux de la peau communs aux Figure 2
Africains de l’Ouest non-Africains
Événements Évolutions majeures dans l’histoire
d’éclaircissement de de la pigmentation de la peau
la peau spécifiques humaine pour trois populations.
aux Asiatiques
En orange : les gènes qui affectent
Événements
Africains Asiatiques Européens d’éclaircissement de
la pigmentation.
de l’Ouest de l’Est du Nord la peau spécifiques Source : adapté de McEvoy et coll.
aux Nord Européens
(2006). Hum Mol Genet.

de kératinocytes5. Sous l’épi- d’une matrice extracellulaire,


derme, se trouve le derme, mélange d’un ensemble de
d’environ 1 000 microns collagènes7, de fibres élas-
d’épaisseur, qui est composé tiques, de protéoglycanes 8 et
de fibroblastes6 et également d’autres protéines. Au niveau
du derme, se trouvent égale-
ment les vaisseaux sanguins,
5. Kératinocytes : cellules consti- les terminaisons nerveuses
tuant 90 % de la couche superfi-
cielle de la peau (épiderme) et des
phanères (ongles, cheveux, poils, enzymes) et jouent un rôle impor-
plumes, écailles). Ils synthétisent tant dans les processus de répara-
les kératines, protéines fibreuses et tion tissulaire ou dans l’entretien
insolubles dans l’eau, qui assurent des réactions inflammatoires.
à la peau sa propriété d’imperméa- 7. Collagène : protéine essen-
bilité et de protection extérieure. tielle à la constitution des tissus
6. Fibroblastes : cellules fusiformes conjonctifs (tissus de soutien)
ou étoilées possédant de longs se présentant sous la forme de
prolongements cytoplasmiques fibres permettant une certaine
présents dans les nombreux tissus résistance des tissus à l’élasticité
conjonctifs de l’organisme : dans lorsque ceux-ci sont étirés.
la peau, les tendons, le cartilage, 8. Protéoglycanes : constitués
etc. Les fibroblastes synthétisent d’une protéine sur laquelle sont
les macromolécules protéiques et greffées des chaînes glycosamino-
polysaccharidiques de la matrice glycanes, les protéoglycanes sont
extracellulaire du tissu conjonctif. des composants essentiels de la
Ils sont aussi capables de sécréter matrice extracellulaire (ensemble
de nombreuses autres molécules de macromolécules situées entre
(cytokines, facteurs de croissance, les cellules d’un tissu).

MATP (SLC45A2) SLC24A5

Figure 3
Répartition sur la surface du globe des fréquences alléliques de deux gènes impliqués dans la couleur
de la peau. En jaune sont les fréquence alléliques associées aux peaux claires.
Source : adapté de Norton et coll. (2007). Mol. Biol. Evol. 169
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

et les cellules inflamma- L’épiderme contient éga-


toires. Sous le derme, enfin, lement les mélanoc y tes,
se trouve l’hypoderme, com- cellules qui synthétisent la
posé essentiellement d’adi- mélanine, les cellules de Lan-
pocytes9. gerhans, qui jouent un rôle
Épithélium pluristratifié kéra- immunitaire, et les cellules
tinisé, l’épiderme (Figure 4B) de Merkel, qui sont des cel-
est essentiellement consti- lules neuroendocriniennes.
tué de kératinocytes, qui Le mélanocyte produit de
représentent 90 % de ses la mélanine dans des orga-
cellules. Les kératinocytes nelles10 qu’on appelle les
de la couche basale sont les mélanosomes et qui sont
kératinocytes prolifératifs qui, ensuite transférés aux kéra-
en se divisant, donnent lieu tinoc y tes avoisinant. Un
aux couches suprabasales mélanocyte approvisionne en
de l’épiderme ; ces kérati- moyenne une quarantaine de
nocytes suprabasaux sont kératinocytes. C’est ce que
engagés dans un processus l’on appelle l’unité de pigmen-
de différenciation terminale, tation (Figure 4C).
processus irréversible qui va La pigmentation constitutive
aboutir à la formation de la de la peau, c’est notre cou-
couche cornée. leur naturelle, elle est due à

10. Organelles : chacun des élé-


9. Adipocytes : cellules situées ments différenciés contenus dans
dans les tissus adipeux et spé- le cytoplasme cellulaire (exemples :
cialisées dans le stockage des les mitochondries, l’appareil de
graisses. Elles constituent une Golgi, les lysososmes, le reticulum
partie des réserves en énergie. endoplasmique, les endosomes).

B) L’épiderme

A) La peau
couche cornée
couche granuleuse
épiderme
couche spineuse

derme couche basale

hypoderme
mélanocyte cellule de Langerhans
kératinocyte

mélanosome

mélanocyte
kératinocyte
C) L’unité de pigmentation

Figure 4
170 Composition et structuration de la peau, de l’épiderme et de l’unité de pigmentation.
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
la nature des mélanines qui position UV. Par contre, la
sont synthétisées. La méla- phéomélanine est non seu-
nine est un mélange de poly- lement peu protectrice mais
mères issus d’un précurseur elle est phototoxique parce
commun, la tyrosine, qui, sous qu’elle augmente la produc-
l’action de l’enzyme tyrosi- tion des espèces radicalaires
nase, est convertie en dopa- après l’exposition UV. C’est
chinone ; à partir de la dopa- ce mélange, cette qualité des
chinone, on a deux voies de mélanines, qui détermine
synthèse indépendantes selon principalement la couleur
qu’il y a ou non présence de de la peau – bien qu’il y ait
cystéine (Figure 5). En absence aussi d’autres composantes :
de cystéine, il y a formation les caroténoïdes12 , l’oxyhé-
de l’eumélanine, un pigment moglobine et la désoxyhémo-
brun-noir, et en présence de globine, qui jouent un certain
cystéine, synthèse de phéo- rôle. Finalement, ce qui fait
mélanine, un pigment jaune- la couleur de la peau ce sont
orangé. Ces deux mélanines la nature et la quantité des
ont des propriétés différentes. mélanines produites ainsi que
Il est communément admis leur distribution (Figure 6).
que l’eumélanine est photo- Une peau claire a des méla-
protectrice puisqu’elle limite nosomes plus petits, formés
la pénétration des UV dans en agrégats, présents surtout
l’épiderme et piège les radi- au niveau de la couche basale,
caux libres11 créés par l’ex- alors que les peaux foncées ont
des mélanosomes beaucoup
11. Radicaux libres : espèces plus grands, plus fortement
chimiques instables et donc très
réactives produites par l’organisme
notamment lors de l’exposition 12. Caroténoïdes : pigments
solaire. Ces espèces pourraient jaune-orange naturellement pré-
être impliquées dans le vieillisse- sents dans de nombreux orga-
ment de la peau. Voir le Chapitre de nismes vivants et aux propriétés
L. Marrot, dans cet ouvrage Chimie, antioxydantes. Les caroténoïdes
dermo-cosmétique et beauté, EDP comprennent entre autres le bêta-
Sciences, 2017. carotène, présent dans les carottes.

Tyrosine
Mélanosome

Cystéine
DOPAquinone

O2 5SCD ou 2SCD
CycloDOPA DQ
DOPA
DOPA
Polymère CD-quinones Polymère de
d’eumélanine DOPAchrome phéomélanine
o-Quinoéimine
CO2
DHI DHICA Figure 5
DQ O2 O2 Intermédiaires de 1,4-benzothiazine
Deux types de mélanine :
ou
DOPA l’eumélanine (à gauche
Eumélanine Phéomélanine en marron) photoprotectrice
et la phéomélanine (à droite
en jaune-orange) phototoxique. 171
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

peau claire peau foncée

petits mélanosomes, grands mélanosomes,


Figure 6 faiblement pigmentés, fortement pigmentés,
regroupés en paquets non-agrégés, dans
Comparaison des mélanosomes dans la couche basale toutes les couches de
entre une peau claire et foncée. et les premières l’épiderme y compris
Source : images L’Oréal suparabasales de la couche cornée
et adapté de Thong et coll. (2003) l’épiderme
British. J. Dermatol.

pigmentés, non agrégés, et Le coup de soleil est un effet


on peut les retrouver de la aigu de l’exposition UV avec
couche basale jusque dans les un pic à 8-24 h, après quoi il
couches suprabasales et dans disparaît.
la couche cornée. Les UV ont également des
conséquences à long terme,
1.2.2. Conséquence de
et c’est la répétition des expo-
l’exposition de la peau aux UV sitions, accompagnées ou non
Les expositions aux UV ont des d’érythèmes, qui en est res-
conséquences délétères sur ponsable. Il s’agit par exemple
la peau à court et long terme. du photovieillissement, une
À court terme, l’exposition de accélération du vieillissement
la peau à des doses significa- chronologique. La Figure 7B
tives d’UV est responsable du montre la photo d’une assis-
« coup de soleil » (Figure 7A), tante qui a travaillé pendant
caractérisé par un érythème des décennies à son bureau
(une rougeur), qui peut être derrière une vitre avec la
accompagné d’un œdème et moitié du visage exposée aux
qui est dû à une vasodilatation. UV car les UV, et notamment

A B C D
Zone photo-exposée Zone protégée

Photocancers
(origine épidermique)
Coup de soleil Photovieillissement Taches

Figure 7
Conséquences cliniques des expositions UV.
172 Source : 7B : Pr. Moulin (Lyon).
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
les UVA, passent à travers aux UV. En ce qui concerne le
le verre, et l’autre moitié est photocancer par exemple, on
protégée. On voit la super- sait, par les données épidé-
position des effets du photo- miologiques, qu’il y a un lien
vieillissement au vieillisse- fort entre la couleur de la peau
ment chronologique ; la partie et la sensibilité aux photocan-
exposée paraît environ vingt cers. Une étude américaine
ans plus vieille que la partie a montré qu’aux États-Unis,
protégée ; elle présente éga- l’incidence des carcinomes
lement les signes cliniques de basocellulaires et spinocel-
photovieillissement, aspect lulaires est cinquante fois
tanné comme du cuir, avec des plus élevée dans la population
rides très profondes. caucasienne à peau claire que
Une autre conséquence de chez les afro-américains, et
l’exposition UV est l’appari- que l’incidence du mélanome
tion dans les zones exposées était treize fois supérieure à
– donc le visage ou les mains – celle des afro-américains.
de taches d’hyper- ou d’hypo- En termes de photovieillis-
pigmentation (les désordres sement, on sait que l’élas-
pigmentaires) (Figure 7C). tose solaire, les altérations
Plus dramatique, l’exposition dermiques et la formation
aux rayons UV est à l’origine des rides varient avec la pig-
des cancers photo-induits mentation constitutive. Les
(Figure 7D) : les carcinomes, signes du photovieillissement
qui sont d’origine kératinocy- apparaissent plus tôt dans les
taire, ou le mélanome d’ori- peaux claires que dans les
gine mélanocytaire, un can- peaux foncées, et les popu-
cer beaucoup plus agressif lations caucasiennes déve-
avec un pronostic vital beau- loppent des rides plus tôt que
coup moins bon et qui encore les africaines. Des études in
aujourd’hui occasionne de vivo chez l’homme ont montré
nombreux décès. la variabilité de la dose mini-
Nous ne sommes pas tous male érythémale (DEM), qui
égaux par rapport à l’expo- est la dose capable d’induire
sition solaire et les consé- un érythème juste perceptible,
quences des expositions UV une rougeur de la peau. Cette
ont une grande variabilité DEM varie avec la pigmenta-
individuelle. De nombreux tion constitutive et l’origine
facteurs entrent en compte : ethnique de l’individu : elle
la pigmentation constitutive, est plus faible pour les peaux
qui est notre couleur de peau plus claires ; également à la
naturelle, également l’âge DEM, on a beaucoup plus de
(les enfants ou les personnes dégâts à l’ADN chez les peaux
âgées sont plus sensibles à claires que chez les peaux fon-
l’exposition UV), la prise de cées. Par ailleurs, on sait que
médicaments (certains médi- les désordres pigmentaires
caments sont photosensibili- sont liés à la pigmentation
sants), et notre polymorphisme constitutive ; l’apparition de
génétique. Dans tout cela, la ces dégâts est plus fréquente
pigmentation constitutive est dans certaines populations à
un des facteurs majeurs de la peau modérément pigmen-
cette sensibilité individuelle tée comme les asiatiques. 173
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

1.3. Classifications des peaux classification n’est pas appli-


du monde cable à tous les types de peau.
Pour classer la pigmenta- On utilise maintenant une
tion constitutive, la couleur autre classification, la clas-
naturelle de la peau, on uti- sification colorimétrique. Les
lise depuis les années 1970 la couleurs peuvent être repré-
classification de Fitzpatrick sentées dans un espace à
(Figure 8). Elle distinguait, trois dimensions, le système
dans les peaux caucasiennes, « L*,a*,b* » (CIE, Commission
quatre phototypes avec une Internationale de l’Éclairage,
sensibilité décroissante aux 1976) (Figure 9). La compo-
coups de soleil et une capa- sante L* (pour Luminance) est
cité croissante au bronzage. le niveau de gris (de blanc à
Plus tard, Thomas Fitzpa- noir). La composante a* varie
trick a rajouté le phototype V, du rouge au vert et est cor-
qu’il a appelé « modérément rélée à l’érythème (en situa-
pigmenté », regroupant les tion de « coup de soleil », la
individus d’origine asiatique, composante a* a tendance à
d’Amérique latine, et le pho- croître). La composante b*
totype VI, « fortement pig- jaune-bleue augmente avec
menté », pour les individus la pigmentation constitutive.
d’origine africaine. La mesure de ces paramètres
Cette classification présente permet de classer la peau
certains inconvénients. Elle (voir la Figure 10).
est basée sur un question- Avec un spectrocolorimètre,
naire donc auto-déclarative, un petit appareil portatif, on
et fait appel à la mémoire sur peut mesurer ces paramètres
l’évaluation de la sensibilité de la peau (le L*, le a* et le
aux coups de soleil et sur la b*) ; pour un L* donné et un
capacité à bronzer. Ce n’est ni b* donné, on peut calculer
très quantitatif ni très objectif. un angle typologique indivi-
De plus, cette classification duel, l’ITA, selon la formule
prend en compte l’origine ITA°= (ATAN (L*-50)/b*) x
ethnique et aujourd’hui, avec 180/3.14159, qui permet de
la mixité croissante, on sait classer la peau dans un de ces
que l’origine ethnique n’est six groupes : très claire, claire,
plus un critère représentatif intermédiaire, mate, brune et
des populations. Enfin, cette foncée (Figure 10A). Avec la

Phototype Caractéristique
I brûle, ne bronze pas
II brûle, bronze légèrement
caucasiens
III brûle légèrement, bronze bien
IV ne brûle pas, bronze intensément
asiatiques, amérindiens,
V modérément pigmenté mexicains, portoricains
VI fortement pigmenté africains

Figure 8
174 Classification des six phototypes de Fitzpatrick.
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
coloration de Fontana Masson L = 100
Blanc
(Figure 10B), qui est une colo-
ration argentique spécifique
des grains de mélanine, on +b
peut observer que la classi- Jaune

fication de prélèvements en –a +a
Vert Rouge
fonction de l’ITA correspond à
–b
des différences de quantité et Bleu
de distribution de la mélanine. Figure 9
L’ITA est totalement quantita-
L=0 Représentation tridimensionnelle
tif et complètement objectif. Noir
du système L*, a*,b*.
Il affranchit complètement de
l’origine ethnique de l’individu
et permet une classification caucasiennes vivant aux
adaptée à tous les types de États-Unis ou en France ont
peaux. la peau claire, intermédiaire
Pour valider la pertinence et mate ; les femmes d’ori-
de cette classification, on a gine africaine qui vivent aux
mesuré l’ITA sur les joues de États-Unis ou en France ont
3 500 femmes dans le monde la peau plutôt intermédiaire
dans leur pays de résidence : jusqu’à foncée, et les femmes
en France, aux États-Unis, au hispaniques ou brésiliennes
Brésil, au Mexique, en Russie, ont une peau plus hétérogène
en Chine, en Corée, au Japon, puisqu’elle couvre les typo-
en Thaïlande et en Inde. logies de couleur de peau de
La cartographie des ITA des claire à brune.
femmes du monde est résumé En regardant de façon plus
sur la Figure 11: les femmes détaillée les mesures d’ITA

A B
80 claire
Très claire
75 55°
Claire
70 41° intermédiaire
65
Intermédiaire C
28°
60 Mate Angle Typologique
Classification
individuel
L* (luminance)

55 10° mate
50 Brune ITA° > 55° Très claire
45
brune
41° > ITA° > 55° Claire
40
– 30° 28° > ITA° > 41° Intermédiaire
35
30
Foncée 10° > ITA° > 28° Mate
foncée
25 – 30° > ITA° > 10° Brune
20 ITA° > 30° Foncée
0 5 10 15 20 25 30 35 40
b* (jaune chrom.)

Figure 10
A) Volume des couleurs de peau sur le plan L*et b*; B) Coloration Fontana Masson ;
C) Correspondance entre les valeurs de l’ITA et le type de peau.
Source : Chardon et coll. (1991). Int. J. Cosmet. Sci. ; Del Bino et coll. (2006).
Pigment Cell. Res., 19 (6) : 606-14. 175
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Peau caucasienne aux États-Unis Peau caucasienne en France


très claire (n = 217) très claire (n = 306)
80 80
75 75
claire claire
70 70
65
intermédiaire 65
intermédiaire
60 60
mate mate
55 55
50 50

L*

L*
45 brune 45 brune
40 40
35 35
30 foncée 30 foncée
25 25
20 20
0 5 10 15 20 25 30 35 40 0 5 10 15 20 25 30 35 40
b* b*
Peau afro-Africaine Peau Afriquaine en France
très claire (n = 101)
80
très claire (n = 126)
80
75 75
claire claire
70 70
65
intermédiaire intermédiaire
65
60 60
mate mate
55 55
50
L*

50

L*
45 brune 45 brune
40 40
35 35
30 foncée 30 foncée
25 25
20 20
0 5 10 15 20 25 30 35 40 0 5 10 15 20 25 30 35 40
b* b*
Peau hispanique aux États-Unis Peau brésilienne
très claire (n = 126)
80
très claire (n = 101)
80
75 75
claire claire
70 70
intermédiaire 65
intermédiaire
65
60 60
mate mate
Figure 11 55 55
50
L*

50
L*

Classification colorimétrique 45 brune 45 brune


de la peau de femmes vivant aux 40 40
35
États-Unis, en France et au Brésil 35
30 foncée 30 foncée
grâce à la mesure de l’ITA. 25 25
Source : Del Bino, Bernerd 20 20
0 5 10 15 20 25 30 35 40 0 5 10 15 20 25 30 35 40
(2013). British. J. Dermatol., b* b*
169 (S3) : 33-40.

dans les pays d’Asie (Figure 12), une réalité. Elle permet éga-
on voit qu’au Nord (Japon, lement de prendre en compte
Chine et Corée), on trouve plu- la diversité des pigmentations
tôt des peaux claires : entre des populations du monde afin
claire, intermédiaire et mate, de proposer une photoprotec-
alors que la classification de tion personnalisée et adaptée à
Fitzpatrick les classait toutes chaque type de peau.
dans un phototype V, donc
plutôt pigmenté ; les peaux
indiennes sont en revanche
beaucoup plus hétérogènes 2 Quel est le lien
entre pigmentation
constitutive et sensibilité UV ?
puisqu’elles couvrent des typo-
logies qui vont de claire à fon-
2.1. Analyse de l’impact
cée. Ce travail permet d’établir
des UV sur la peau
que cette nouvelle classifica-
tion est pertinente physiologi- Lorsque la peau est exposée
176 quement et correspond bien à aux U V, l ’ADN absorbe le
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
Peau japonaise Peau chinoise Peau coréenne Peau indienne
80 (n = 164) 80 Shaghai (n = 682) 80 (n = 48) 80 (n = 150)
très claire très claire (Guangznou n = 400) très claire très claire
75 75 75 75
claire claire claire claire
70 70 70 70
65
intermédiaire 65
intermédiaire 65
intermédiaire 65
intermédiaire
60 60 60 60
mate mate mate mate
55 55 55 55
50 50 50 50
L*

L*

L*

L*
45 brune 45 brune 45 brune 45 brune
40 40 40 40
35 35 35 35
30 foncée 30 foncée 30 foncée 30 foncée
25 25 25 25
20 20 20 20
0 5 10 15 20 25 30 35 40 0 5 10 15 20 25 30 35 40 0 5 10 15 20 25 30 35 40 0 5 10 15 20 25 30 35 40
b* b* b* b*

Figure 12
Classification colorimétrique de la peau de femmes vivant dans les pays d’Asie grâce à la mesure de l’ITA.
Source : Del Bino, Bernerd (2013). British. J. Dermatol., 169 (S3) : 33-40.

rayonnement (l’ADN est un des kératinocytes apopto-


chromophore pour les UVB), tiques qui apparaissent dans
et cela entraîne la forma- les couches suprabasales
tion de lésions de l ’A DN, de l’épiderme vingt-quatre
les dimères de pyrimidines heures après l’exposition UV
(les CPD), qui le modifient et et sont corrélés cliniquement
rigidifient sa structure. Ces à l’érythème.
lésions entravent sa répli- Ces cellules ont un aspect
cation et peuvent entraîner très caractéristique, un noyau
la formation de mutations : condensé, un cy toplasme
c’est le mécanisme de base réfringent 13 , et l ’on peut
du pouvoir cancérogène des facilement les quantifier au
UV. microscope. La quantification
La présence de lésions sti- de ces « sunburn cells » est à
mule la phosphorylation de la base de la définition de la
la protéine P53, codée par le dose biologiquement efficace
gène suppresseur de tumeurs (BED), qui est la dose capable
P53 ; cette phosphorylation d’induire une « sunburn cell »
permet l’accumulation de par unité de longueur de l’épi-
la protéine P53 qui arrête le derme. En fait, la BED est un
cycle cellulaire, ce qui per- équivalent in vitro de la DEM in
met à la cellule de réparer les vivo car les SBC apparaissent
dégâts à l’ADN. à 1 MED.
Cependant, lorsque les dégâts
sont trop importants et que 13. Réfringent : caractérise un
la cellule n’est pas capable corps capable de réfracter la
de les réparer, elle entre en lumière.
apoptose, un processus de
mor t cellulaire program- UV
mée. Au niveau de la peau,
on observe alors ces cellules
caractéristiques qu’on appelle Figure 13
TT
les « sunburn cells » (cellules p53 apoptose
SBC Mécanisme d’apparition
« coup de soleil ») (Figure 13), CPD 177
des « sunburn cells » (SBC).
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Le travail a été réalisé avec obtenues avec la DEM in vivo.


une quarantaine de prélève- Plus précisément, on a mis
ments de peaux provenant en évidence une corrélation
de chirurgie plastique (ce significative entre l’ITA (donc
qu’on appelle de la peau ex la couleur de la peau) et la
vivo), et on a caractérisé leur BED (Figure 14B).
couleur par l’ITA. Les pré- On a également étudié les
lèvements représentatifs de dégâts à l’ADN (les dimères de
toutes les typologies de cou- pyrimidine), induits par l’ex-
leur de peau ont été exposés
position UV. Avec un anticorps
à des doses croissantes d’UV
dirigé contre les dimères de
(simulation solaire riche en
pyrimidine, on a marqué en
UVB). On a observé l’accu-
vert tous les noyaux qui ont
mulation de ces « cellules
accumulé des dégâts au sein
coups de soleil » après UV
de leur ADN, dégâts présents
(Figure 14A) et on a pu consta-
dans toutes les typologies
ter qu’elles étaient présentes
de couleur de peau mais de
dans toutes les typologies de
nouveau induits par des doses
couleur de peau. Évidem-
plus importantes pour les
ment, il fallait une dose plus
peaux foncées que pour les
importante pour induire ces
cellules dans les peaux fon- peaux claires (Figure 15).
cées par rapport aux peaux Dans les peaux claires à
claires. Pour chaque typolo- mates, les CPD sont présents
gie de couleur de peau on a dans toutes les couches de
quantifié les cellules « coups l’épiderme, de la couche
de soleil » et défini la BED. basale aux couches supraba-
Résultat : plus la peau est sales, ainsi que dans le derme
foncée, plus la BED est éle- superficiel. Des lésions au
vée, confirmant les données niveau de la couche basale

claire

intermédiaire

mate

Figure 14
Mise en évidence du lien entre brune
couleur de peau (ITA, angle
typologique individuel) et (BED,
dose biologiquement efficace) foncée
basée sur l’apparition de « sunburn
cells »
Source : Del Bino et coll. (2006).
178 Pigment. Cell. Res. 19(6) : 606-14.
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
peuvent donc potentiellement 0 J/cm2 BED
causer le développement de Claire
cancers photo-induits, car-
cinomes, mél anomes ou
de taches de pigmentation. 6,8 J/cm2
L’atteinte du derme super-
Intermédiaire
ficiel pourrait expliquer la
plus grande sensibilité de
ces peaux claires au photo-­ 7,1 J/cm2
vieillissement.
Mate
Dans les peaux brunes et
foncées, on trouve des CPD
dans les couches supraba- 9,8 J/cm2
sales, mais la couche basale
n’est pas marquée. Un dégât Brune
présent dans les couches
suprabasales de l’épiderme Figure 15
11,9 J/cm2
(qui va être éliminé par des-
Foncée Comparaison des dégâts à l’ADN
quamation14 ) n’aura pas la après exposition UV en fonction
même impor tance qu’un du type de peau.
dégât au niveau de la couche Source : Del Bino et coll. (2006).
basale qui, elle, contient les 17,0 J/cm2 Pigment. Cell. Res., 19(6) : 606-14.
kératinocytes prolifératifs, les
cellules souches, les mélano-
en ciblant les dimères spé-
cytes. Cependant, même les
cifiquement accumulés
peaux mates (celles qui sont
dans les mélanocytes. Pour
moins propices au dévelop-
cela, on a réalisé un double
pement de coups de soleil) ne
sont pas immunes aux dégâts marquage CPD-TRP1, TRP1
créés par les UV – c’est le cas étant une enz yme clé de
de certains individus d’origine la mélanogenèse qui per-
caucasienne, mais également met de marquer les méla-
asiatique, d’Amérique Latine nocytes en rouge. Tous les
ou certaines personnes afri- mélanocy tes étaient ainsi
caines. marqués en rouge et ceux
qui avaient accumulé des
Parce que la couche basale
dégâts au sein de leur ADN
de l’épiderme contient éga-
(« CPD positifs ») étaient
lement les mélanocytes et
double-marqués rouge et
que des dégâts à l’ADN de
vert (Figure 16).
ces cellules peuvent être à
l’origine du développement Sur une quarantaine de pré-
de désordres pigmentaires lèvements, on a mis en évi-
(taches d’hyper- ou d’hypo- dence une accumulation de
pigmentation) ou, beaucoup mélanocytes « CPD positifs »
plus grave, du mélanome sur peaux claires, intermé-
malin, on a mené une étude diaires et mates alors que
dans les peaux brunes et
foncées, les mélanocy tes
14. Desquamation : perte de la é t a i e nt m a j o r i t a i r e m e nt
couche superficielle de l’épiderme,
le stratum corneum, sous formes « CPD négatifs » donc épar-
d’amas cornéocytaires visibles gnés. À la BED, dans les
appelés « squames ». peaux claires on a plus de 179
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

A B
Claire 0 J/cm2 BED

TRPI
Intermédiaire

Pourcentage moyen CPD+ MC


claire
intermédiaire
mate
Mate brune
foncée

Brune

BED moyen (J/cm2)


Foncée

Figure 16
A) Accumulation des CPD dans les mélanocytes après exposition UV.
B) Quantification des mélanocytes CPD positifs à la BED.
Source : Del Bino S., Sok J., Bernerd F. (2013). British J. Dermatol., 168 (5) : 1120-3.

80 % de mélanocytes mar- 2.2. Analyse des mélanines


qués, alors que dans les
Afin d’étudier la différence
peaux brunes et foncées
de sensibilité entre d’un côté
on en a moins de 20 %. Les
les peaux claires à mates, et
doses érythèmales équiva-
de l’autre, les peaux brunes
lentes (la BED) n’impliquent à foncées, on a étudié leurs
pas les mêmes dégâts en contenus en mélanine par une
fonction de la pigmentation analyse quantitative et qua-
constitutive. litative sur une collection de
En résumé, l’ITA permet de trente-cinq prélèvements de
caractériser la couleur de peaux, chacun d’ITA connus.
peau et d’être prédictif des On a fait trois types d’ana-
effets biologiques des UV, qui lyses : de l’analyse d’images
sont « doses-dépendants » et sur des coupes de peaux colo-
également « dépendants de rées par la méthode de Fon-
la couleur de la peau ». Elle a tana-Masson, une coloration
donc un pouvoir prédictif des spécifique de la mélanine, de
effets cliniques à court et long la spectrophotométrie après
terme en termes de suscepti- solubilisation des échantil-
bilité au photovieillissement, lons au Soluène-350 (en col-
aux désordres pigmentaires laboration avec le Professeur
180 et aux photocancers. Ito, Fujita Health University,
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
Tokyo, Japon) et de l’HPLC15 aboutir aux composés PTCA,
après dégradation chimique TTCA, 4-AHP, également en
des échantillons (oxydation ou collaboration avec le Pr. Ito,
hydrolyse de la mélanine pour Figure 17).
Des coupes de peaux colo-
15. HPLC : Chromatographie en rées au Fontana-Masson
phase liquide à haute performance. sont représentées sur la
Technique d’analyse, de séparation
Figure 18. On calcule un
et d’identification de molécules
basée sur des différences d’inte- « index mélanique », qui cor-
raction entre une phase mobile, respond à la surface couverte
une phase stationnaire et le soluté. par le marquage mélanique

Eumélanine
HO HOOC HOOC
H2O2/OH–
(COOH)
COOH
+
HO N HOOC N HOOC N
H H H
PTCA POCA
Phéomélanine produit de dégradation
OH
de l’eumélanine (DHICA)
OH
N (COOH)
N HOOC HOOC
(COOH)
H2O2/OH– N N
COOH
S S +
HOOC S HOOC S
H2N COOH
H2N COOH TTCA TDCA
Unité benzothiazine Unité benzothiazole
produit de dégradation
H2O2/OH– de la phéomélanine
HI OH

OH
N
(COOH) Figure 17
NH2
S

HOOC NH2 Obtention des produits de


H2N COOH BTCA-5 dégradation de l’eumélanine et de
4-AHP (+ BTCA-2) la phéomélanine après oxydation
(+ 3-AHP) produit de dégradation ou hydrolyse.
de l’eumélanine
Source : Ito et coll. (2011).

IM dans l’épiderme Index mélanique (IM) = marque mélanique en FM/surface IM dans la couche
basale

très claire très claire


IM dans l’épiderme (y) vs ITA (x) IM dans la couche basale (y) vs ITA (x)

claire y = – 0,438x + 31,954 y = – 0,6935x + 52,064


claire
R2 = 0,8653 R2 = 0,8888
p < 0,0001 p < 0,0001

intermédiaire intermédiaire

mate mate
Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée

brune brune

foncée foncée

Figure 18
Corrélation entre l’ITA et la quantité de mélanine obtenue par le calcul de l’index mélanique dans la couche
basale et dans l’épiderme.
Source : Del Bino S., Ito S., Sok J., Nakanishi Y., Bastien P., Wakamatsu K. and Bernerd F. (2015).
Pigment Cell Melanoma Res., 28(6) : 707-17. 181
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

rapportée à la surface totale. Pour caractériser la nature


Lorsqu’on regarde la méla- des mélanines des échantil-
nine dans tout l’épiderme y lons de peau, on a évalué le
compris la couche cornée, contenu en eumélanine en
on constate une bonne cor- mesurant la PTCA, qui est
rélation entre la couleur de un produit de dégradation
la peau définie par l’ITA et de la DHICA eumélanine,
la quantité de mélanine pré- et montré qu’il y avait une
sente dans l’épiderme. Sur la très bonne corrélation entre
mélanine présente au niveau l’ITA et la PTCA (l’euméla-
nine) (Figure 20A). Pour la
de la couche basale aussi,
phéomélanine, nous avons
la corrélation entre l’index
mesuré deux composants
mélanique et la couleur de la
différents : le 4-AHP, qui per-
peau est bonne.
met d’évaluer la quantité de
Les mesures de la mélanine phéomélanine de type ben-
totale par spectrophotomé- zothiazine – à ce niveau on
trie ou par HPLC confirment n’a pas trouvé de corrélation
une bonne corrélation avec la (Figure 20B) –, c’est le mar-
couleur de la peau (Figure 19). queur utilisé classiquement.

Mélanine totale par spectrophotométrie Mélanine totale par HPLC


(Soluène-350) (dégradation chimique)
20 30
18
16 25
y = – 0,1083x + 6,8463 y = – 0,1394x + 8,9264
R2 = 0,836
14 R2 = 0,8528
MT par Spect

p < 0,0001
MT par HPLC

p < 0,0001 20
12
10 15
8
6 10
4 5
2
0 Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée
0 Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée

ITA ITA

Figure 19
Corrélation entre la couleur de la peau et la mélanine totale déterminée par HPLC ou par spectrophotométrie.
Source : Del Bino S., Ito S., Sok J., Nakanishi Y., Bastien P., Wakamatsu K. and Bernerd F. (2015).
Pigment Cell. Melanoma Res., 28(6) : 707-17.

PTCA (y) vs ITA (x) 4-AHP (y) vs ITA (x) TTCA (y) vs ITA (x)
0,7
25 y = – 0,002x + 0,2853 5
0,6 R2 = 0,2376 y = – 0,0285x + 1,907
20 y = – 0,1089x + 6,7344 p < 0,003 4 R2 = 0,7192
0,5
R2 = 0,8486 p < 0,0001
15 p < 0,0001 0,4 3
0,3
10 2
0,2
5 1
0,1
0 Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée
0 Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée
0 Très claire Claire Int. Mate Brune Foncée

Figure 20
Corrélation entre la couleur de peau et la quantité d’eumélanine (PTCA) et de phéomélanine (4-AHP ou TTCA).
Source : Del Bino S., Ito S., Sok J., Nakanishi Y., Bastien P., Wakamatsu K. and Bernerd F. (2015).
182 Pigment Cell Melanoma Res., 28(6) : 707-17.
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
Grâce à l’amélioration des quelle que soit sa pigmen-
méthodologies chimiques, on tation constitutive, est com-
a également pu mesurer le posé à ~ 75 % d’eumélanine
TTCA, un produit de dégra- (la mélanine photoprotec-
dation de la phéomélanine trice) et à ~ 25 % de phéo-
de type benzothiazol. Ici, on mélanine, avec évidemment
a pu montrer une très bonne d e g r a n d e s d i f f é r e n ce s
corrélation (Figure 20C). d’échelles entre peau claire
Sur la Figure 21 sont repri­ses et peau foncée, représenta-
les contributions de l’eumé- tives des quantités respec-
lanine et de la phéomélanine tives.
(mesurée par les deux mar- Sur la Figure 22, on a repré-
queurs cités ci-dessus) en senté les descripteurs de la
fonction de la pigmentation mélanine issus de l’analyse
constitutive. On observe que d’images, de la spectro-
la mélanine totale ainsi que photométrie ou de la HPLC
l’eumélanine et un type de en fonction de la pigmenta-
phéomélanine augmentent tion constitutive. En rouge,
avec la pigmentation consti- les descripteurs qui ont un
tutive. L’épiderme humain, niveau élevé, en bleu ceux

Ratio = 3,7

Total
16000 Ratio = 2,5 = 15,08

Total
Contenus en mélanine

12000
= 12,01 Figure 21
Récapitulatif du contenu en
8000 Ratio = 2,6
EM (PTCA)
eumélanine et en phéomélanine
BZ-PM (TTCA)
Ratio
Ratio = 2,8
Ratio = 2,7
Total BH-PM (4-AHP)
pour chaque type de peau.
EM/PM Total
= 2,8 Total = 3,67
= 4,20 Source : Del Bino S., Ito S.,
4000
Total
= 2,40 Sok J., Nakanishi Y., Bastien P.,
= 0,91
Wakamatsu K. and Bernerd F.
0 (2015). Pigment Cell Melanoma
Très claire Claire Intermédiaire Mate Brune Foncée
Res., 28(6) : 707-17.

Sensitibilité UV

Pigmentation constitutive
foncée
foncée
foncée
foncée
brune
brune
brune
brune
brune
foncée
foncée
brune
brune
brune
mates
mates
intermédiaire
intermédiaire
mate
intermédiaire
intermédiaire
claire
intermédiaire
intermédiaire
claire
claire
claire
claire
claire
claire
claire
très claire
très claire
très claire
très claire

Descripteurs reliés
aux mélanines :
A500 (TM)
TM par spectroscopie
A650
PTCA
TM par HPLC
PTeCA
TTCA
MI épiderme Figure 22
MI couche basale
4-AHP
3-AHP
Représentation des différents
descripteurs des mélanines en
fonction de la couleur de la peau.
Source : Del Bino S., Ito S.,
Sok J., Nakanishi Y., Bastien P.,
Wakamatsu K. and Bernerd F.
(2015). Pigment Cell Melanoma
Res., 28(6) : 707-17. 183
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

qui ont un niveau faible. On


obser ve que se délimitent
deux groupes : d’un côté,
3 Les peaux
reconstruites
pigmentées développées
les peaux très claires à au laboratoire
mates et de l’autre côté, les
peaux brunes à foncées, ce
3.1. Les modèles de peaux
qui correspond exactement
reconstruites comportant
aux groupes de sensibilité
trois types cellulaires
ér ythémale aux UV (simu-
lation solaire, riche en UVB) Afin de modéliser les peaux
décrits plus haut. du monde, on développe des

RECETTE POUR FABRIQUER UNE PEAU DE SYNTHÈSE

À partir d’un prélèvement de peau, on isole les trois types cellulaires, on les amplifie. On
démarre la reconstruction avec un mélange de fibroblastes et de collagène. Pendant trois
jours, les fibroblastes vont contracter le collagène pour former ce qu’on appelle un équiva-
lent dermique ou lattice (Figure 23). À l’aide d’un anneau métallique, on ensemence sur la
lattice un mélange de kératinocytes et de mélanocytes. On laisse pendant une semaine en
condition submergée par le milieu de culture pour permettre aux kératinocytes de proliférer,
recouvrir le support et donc reconstituer la couche basale (Figure 23).
Les peaux sont ensuite montées sur une grille métallique pour permettre le contact avec
l’air : c’est la phase dite d’émersion qui va permettre la différenciation terminale. Toutes
les couches de l’épiderme jusqu’à la couche cornée sont ainsi reconstituées.

Prélèvement de peau Séparation derme-épiderme

Amplification

Fibroblastes Kératinocytes Mélanocytes

Mélange Contraction Ensemencement Culture Phase d’émersion


Equivalent de l’ED kératinocytes submergée interface air-liquide
dermique (ED) et mélanocytes

~ 1 mois

Figure 23
Schéma de fabrication d’une peau reconstruite pigmentée selon le modèle de Duval et coll. (2012) Tissue Eng.
Source : L’Oréal R&I.
184
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
A HES
B FM

Peau humaine
normale

Figure 24
Comparaison entre une peau
Peau reconstruite reconstruite pigmentée obtenue
Pigmentée in vitro et une peau humaine
normale. A) Coloration HES ;
B) coloration Fontana Masson.
Source : L’Oréal.

peaux reconstruites pigmen- du derme les fibroblastes en


tées avec les trois types cel- rouge. Les mélanocytes sont
lulaires : pour l’épiderme, le bien au niveau de la couche
kératinocyte et le mélanocyte, basale, ils sont fonctionnels,
et pour le derme, le fibroblaste capables de produire du pig-
(Encart : « Recette pour fabri- ment et de le transférer au
quer une peau de synthèse »). kératinocyte avoisinant. Les
La Figure 24 montre une coupe peaux reconstruites expriment
de peau reconstruite pigmen- les marqueurs de la mélano-
tée et une coupe de peau nor- genèse avec deux enzymes
male. À gauche la coloration impliquées dans la synthèse
HES (hématoxyline, éosine, mélanique, TRP1 et tyrosinase,
safran) permet de mettre en et les expriment de la même
évidence en violet foncé les façon qu’une peau humaine
noyaux, en violet clair les normale.
cytoplasmes et en beige les
fibres de collagène. On recon-
naît la couche basale avec les 3.2. Vers des peaux
kératinocytes (il y a aussi les reconstruites de
mélanocytes non mis en évi- pigmentation variable
dence avec cette coloration),
et toutes les couches supraba- On sait produire en labo-
sales jusqu’à la couche cornée, ratoire des peaux recons-
ainsi que le derme avec les truites ayant les pigmenta-
fibroblastes. À droite la colo- tions diverses que l’on peut
ration de Fontana Masson per- souhaiter. On fait pour cela
met de mettre en évidence les Figure 25
pigments de mélanine en noir. TRP-1 Tyosinase Expression de marqueurs de
La Figure 25 illustre que la K la mélanogenèse dans une peau
peau reconstruite pigmen- M reconstruite pigmentée (PRP) et
tée est fonctionnelle. On dans une peau humaine normale
PRP F (PHN). Visualisation des trois types
retrouve bien les trois types
cellulaires dans le modèle
cellulaires : au niveau de de peau reconstruite pigmentée
l’épiderme, on a les kérati- (M = mélanocyte, K = kératinocyte ;
nocytes en rouge, les méla- PHN F = fibroblaste).
nocytes en vert et au niveau Source : L’Oréal. 185
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Très claire Claire Interm Foncée


80
70
L*
60
50

re
ire
Fontana Masson

e
rm
ai


cla

Cl

te

n
Fo
In
ès
Tr
Figure 26
Obtention de peaux reconstituées de pigmentation variable en modifiant le phénotype des donneurs
de mélanocytes.
Source : L’Oréal.

varier le phénotype du méla- donne une peau reconsti-


nocyte que l’on intègre à la tuée un peu plus pigmentée,
peau reconstruite. Des méla- et un mélanocyte foncé, une
nocytes issus de donneurs à pigmentation impor tante
peaux claires donnent une (Figure 26).
peau reconstruite pigmentée Ces peaux sont très utiles
claire (plus le L* le niveau de au laboratoire, permettant
gris est élevé, plus la peau de reproduire les différentes
est claire) ; un mélanocyte pigmentations des peaux
issu d’un donneur qui a une du monde et d’étudier leur
pigmentation intermédiaire réponse aux UV.

Vers une meilleure connaissance


et protection des peaux du monde
Les études scientifiques récentes confirment
la corrélation entre la pigmentation consti-
tutive, la couleur naturelle de la peau, et la
sensibilité aux UV solaires, et permettent de
montrer que les groupes de peau très claires
à mates ont un faible contenu en mélanine
totale et en eumélanine photoprotectrice,
alors qu’ils sont fortement impactés par l’ex-
position UV.
On a vu la formation des dimères de pyrimi-
dine (CPD) dans les kératinocytes, les méla-
nocytes et les fibroblastes dans ces groupes
de couleurs de peau, ce qui permettrait
186 d’expliquer leur plus grande sensibilité en
Diversité des peaux du monde : de la clinique à la chimie, en passant par les peaux reconstruites
termes de photovieillissement, de dévelop-
pement des désordres pigmentaires ou de
photocancers, dans des conditions érythé-
males d’exposition.
Ce travail permet également de souligner le
faible contenu en mélanine totale et en euméla-
nine des peaux mates, qui sont moins propices
au développement de coups de soleil, et qui
sont présentes dans la population caucasienne
mais également asiatique, hispanique, afro-
américaine ou africaine.
La définition précise de la couleur de la peau
associée à une meilleure caractérisation du
phénotype « chimique » mélanique permet de
mieux innover et proposer une photoprotec-
tion adaptée à tous les types de peau de par le
monde.

187
Jean-Marie Aubry
Les 12 principes
de la chimie
verte comme
moteur
d’ innovation pour

la formulation
des parfums
Jean-Marie Aubry est professeur en Chimie de Formulation à
l’École Nationale Supérieure de Chimie de Lille.

Les douze principes de la chimie d’activité, proche de celui de


verte constituent la feuille de la cosmétologie, est très tech-
route des chimistes du troisième nique mais aussi très secret…
millénaire. En effet, ceux-ci ne donc très intéressant ! Il
doivent plus seulement conce- décrit, dans une première
voir des molécules actives mais partie, comment l’application
ils doivent également s’assurer des douze principes conduit
de leur innocuité pour l’utilisa- à faire évoluer la synthèse
teur et l’environnement. de matières premières puis,
Ce chapitre illustre ce chan- dans une seconde par tie,
gement de paradigme sur le comment la formulation per-
cas particulier de l’industrie met de combiner différents
des parfums. Ce domaine ingrédients complémentaires
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

pour élaborer un produit par- produit prêt à l’emploi respec-


fumé prêt à l’emploi. La for- tant un « cahier des charges »
mulation, naguère considérée précis 2 . Elle suppose, en
comme « un art » où l’intuition particulier, une association
et la méthode empirique des judicieuse d’un grand nombre
essais-erreurs guidaient le de matières premières (cinq
formulateur, est devenue une à plusieurs centaines) sou-
véritable science basée sur vent non miscibles et parfois
la compréhension et la maî- même incompatibles entre
trise des liaisons faibles entre elles pour obtenir un produit
constituants de la formule. apparemment homogène à
La démarche des industriels l’échelle macroscopique mais
de la parfumerie pour rendre micro-hétérogène à l’échelle
des produits « plus verts », microscopique. La formula-
c’est-à-dire plus conformes tion est donc une étape indis-
aux règles du « développement pensable avant la mise sur
durable », est très instructive1. le marché d’un produit fini.
On présentera deux straté- Elle inter vient dans prati-
gies employées pour créer des quement tous les secteurs
produits parfumés innovants : d’activité industriels et joue
un rôle prépondérant dans
−− la méthode de « l’échec
l’agroalimentaire, la cosmé-
réussi » consistant à analyser
tologie, les produits d’hygiène,
l’origine d’un problème de for-
la détergence, les lubrifiants,
mulation pour l’exploiter à son
les peintures, les encres et
avantage ;
les adhésifs. Elle joue égale-
−− la méthode de la « copie ment un rôle essentiel dans la
créative », appelée également conception des médicaments
« fertilisation croisée », consis- (c’est la pharmacie galénique),
tant à importer dans son propre des phytosanitaires, des tex-
domaine d’activité une matière tiles, des matériaux et, de
première, un concept ou un pro- façon générale, de tous les
cédé original mis au point dans produits qui nous entourent
un autre domaine d’activité. au quotidien (Figure 1).

1 Qu’est-ce que
la chimie
de formulation ?
1.2. Le chimiste formulateur :
un chimiste pas comme les
autres !
Il existe trois t y pes de
1.1. La formulation, l’art
chimistes parmi ceux chargés
de faire coexister des
de concevoir une molécule ou
constituants incompatibles
un matériau :
L a formulation recouvre −− le chimiste de synthèse, dont
toutes les opérations néces- l’objectif est d’obtenir, le plus
saires pour aboutir à un efficacement possible, une
molécule aussi pure que pos-
1. Au sujet de la « chimie verte »
et du « développement durable », 2. La formulation : présentation
voir Chimie et expertise, santé et générale. J.-M. Aubry, G. Schorsch
environnement, chapitre d’I. Rico- (1999). Techniques de l’Ingénieur,
190 Lattes, EDP Sciences, 2016. J 2110, 1-20
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
Figure 1
La formulation concerne quasiment tous les secteurs du marché : agroalimentaire, pharmaceutique, produits
d’hygiène, cosmétique, textile, matériaux, carburants, produits énergétiques, phytosanitaires, peintures, etc.

sible et possédant une struc- importante pour contretyper la


ture parfaitement définie et fragrance émise par la rose qui
parfois extrêmement complexe intéresse le parfumeur ;
– comme c’est le cas de la vita- −− le formulateur chargé
mine B12 (Figure 2A) ; d’associer un grand nombre
−− le chimiste de spécialité, qui d’ingrédients, matières actives
conçoit une molécule, une et additifs de formulation, au
macromolécule ou un com- sein de microstructures sou-
posé minéral dont la valeur vent complexes (émulsions,
ne réside pas dans sa struc- liposomes, gels, microcap-
ture chimique mais dans ses sules, etc.). Pour remplir
propriétés fonctionnelles. pleinement sa fonction, une
La structure importe peu molécule comme l’oxyde de
car des composés très dif- rose ne peut rester seule. En
férents peuvent présenter la parfumerie fine, il ne sera que
même propriété recherchée : l’une des 100 à 200 molécules
un pigment rouge, un com- parfumées dissoutes dans
posé à odeur musquée ou un une solution hydro-alcoolique,
édulcorant. Par exemple, les additivées de conservateurs
industriels de la parfumerie et de divers colorants. Dans
synthétisent l’oxyde de rose les formulations plus com-
(Figure 2B), dont la structure plexes telles que des crèmes
est beaucoup moins impres- cosmétiques (Figure 2C), les
sionnante que celle de la vita- molécules de parfums sont
mine B12, mais dont l’odeur est moins nombreuses (10-20) et 191
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

A B

Figure 2
A) Le chimiste de synthèse prépare
et étudie des composés bien Oxyde de rose
définis qui peuvent être parfois très
complexes tel que la vitamine B12 ;
B) le chimiste de spécialité conçoit C
des composés « fonctionnels »
(tensioactifs, parfum, colorant,
conservateur…) tels que l’oxyde
de rose ; C) le formulateur
associe les spécialités chimiques
pour élaborer un « produit
prêt à l’emploi » répondant à
un cahier des charges précis
(cosmétique, détergent, peinture, Vitamine B12
médicament…).

en plus faible quantité, mais supérieures à celle de cha-


bien d’autres composés tels cun des constituants. Cette
que des tensioactifs, des huiles démarche a été appliquée dans
et des « actifs cosmétiques » de multiples domaines, dont en
devront être ajoutés judicieu- particulier la parfumerie et la
sement pour élaborer un pro- cosmétologie. On prête ainsi à
duit micro-hétérogène prêt à Cléopâtre, grande utilisatrice
l’emploi qui devra respecter de cosmétiques, la rédaction
un cahier des charges précis. du Kosmètikon – qu’on quali-
fierait aujourd’hui de traité de
formulation cosmétique. On l’a
1.3. La chimie de formulation aussi appliquée pour conser-
à travers les âges ver la viande avec du sel, les
fruits avec du miel, pour prépa-
La chimie de formulation est
rer la poudre noire et des feux
sans doute aussi ancienne que
d’artifices, l’encre de Chine, etc.
l’homme (Figure 3). Cepen-
On trouve ainsi dans les textes
dant les matières premières
anciens la description de formu-
utilisées, les concepts mis en
lations sophistiquées, élaborées
œuvre et les objectifs pour-
de façon empirique et basées
suivis ont profondément évo-
exclusivement sur l’association
lué au cours de l’histoire de de matières naturelles prove-
l’humanité, qu’on peut scinder nant du règne animal, végétal ou
en trois grandes périodes. minéral. Ces « recettes » chè-
À la Fleur de l’âge de l’humanité, rement acquises étaient gar-
les hommes se sont aperçus dées jalousement secrètes et
qu’en mélangeant plusieurs transmises de maître à disciple
ingrédients, on pouvait obte- car elles permettaient d’assu-
nir des produits présentant rer la prospérité de ceux qui les
192 des propriétés fonctionnelles détenaient.
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
Puis vint l’Âge d’or de la chimie n’ont pas encore pleinement
de synthèse qui débute vers le conscience des risques poten-
milieu du xix e siècle lorsque tiels de ces nouveaux produits
la chimie organique naissante chimiques. Le chimiste est
met à la disposition de l’indus- considéré comme une sorte
trie textile en plein essor des de démiurge capable de créer
colorants meilleur marché, des molécules présentant des
plus stables et plus variés que propriétés fonctionnelles ori-
les colorants naturels. On peut ginales mais il se préoccupe
fixer son début en 1856 lorsque peu des risques potentiels sur
W.H. Perkin, alors âgé d’une le long terme.
vingtaine d’années, prépara Nous sommes aujourd’hui dans
par erreur un colorant pour la troisième époque, l’Âge de
la soie : la mauvéine. Ce fut le raison. Elle débute en 1975,
premier colorant de synthèse lors du premier choc pétro-
et il connut un succès com- lier qui déclenche une prise de
mercial spectaculaire. C’est conscience planétaire de la fini-
une période où se développent tude de notre vaisseau spatial
de grandes industries utilisa- commun, la Terre. Celle-ci ne
trices de matières premières dispose pas ressources infinies
(pharmacie, détergence, pein- et il faut donc les économiser et
tures …) qui suscitent une forte les recycler au maximum. À la
demande du marché en pro- même période, la compétition
duits chimiques, souvent plus industrielle s’étend et devient
performants et moins chers mondiale. En outre, on réa-
que les produits naturels. lise que certaines molécules
À cette époque, les hommes posent des problèmes à long

Figure 3
L’évolution de la chimie de formulation à travers les âges. 193
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

terme au niveau de la protec- est globalement négative car


tion de la santé humaine et de elle évoque plutôt l’explosion
l’environnement. Tous ces nou- d’AZF, l’affaire du médiator ou
veaux éléments conduisent les le réchauffement climatique.
industriels à un changement de Qu’en est-il en réalité ? Il y a
paradigme, il ne suffit plus de un peu de vrai et beaucoup
développer par une approche d’exagération. S’il est exact
empirique des produits tech- que la chimie présente cer-
niquement satisfaisants. Il tains risques comme toutes
faut désormais éco-concevoir les activités humaines, ils sont
des matières premières sans largement compensés par ses
danger et biodégradables, et bienfaits. Elle contribue en
les associer pour créer, par effet énormément à l’amélio-
une approche raisonnée, des ration des conditions de vie de
formulations de plus en plus l’humanité qui se traduit par
sophistiquées. une augmentation constante
de l’espérance de vie depuis
un siècle grâce à une géné-
2 L’image de la chimie
évolue
ralisation des pratiques d’hy-
giène, une meilleure alimen-
tation des hommes et à un
2.1. De l’angélisme meilleur accès aux soins et
à la diabolisation aux médicaments.
L’image de la science en géné- Malheureusement la peur des
ral et de la chimie en particu- produits chimiques n’est pas
lier s’est beaucoup dégradée totalement injustifiée. Vers
ces dernières décennies. On 1971, on commence à s’aperce-
est passé de l’angélisme à la voir que la toxicité aiguë n’est
diabolisation (Figure 4). Alors pas le seul risque à prendre
que la chimie d’antan laissait en compte. De nombreux pro-
espérer une jeunesse éternelle, duits, peu toxiques à court
l’éradication des maladies terme, peuvent présenter des
et la promesse de nouveaux risques pour l’homme et/ou
médicaments toujours plus son environnement à long
efficaces, l’image actuelle de terme (Figure 5) : benzène,
la chimie dans le grand public amiante et plastiques sont

Figure 4
L’image de la chimie a évolué :
194 de l’angélisme à la diabolisation.
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
les plus connus. Ces risques des composés fluorés volatils4
ne sont pas spécifiques aux en 1987 a permis de stopper
produits de synthèse car cer- le processus, et les dernières
tains produits naturels pré- mesures montrent que la
sentent eux aussi des dangers. couche d’ozone se restaure.
Ainsi l’essence de bergamote Plus récemment, on s’est
naturelle, utilisée auparavant inquiété des « perturbateurs
pour accélérer le bronzage ou endocriniens », soupçonnés
apporter une fragrance parti- d’entraîner une diminution de
culière, contient du psoralène. la fertilité humaine. Ils sont
Ce composé est maintenant effectivement ominiprésents
classé parmi les composés dans nombre de produits qui
CMR (catégorie des produits nous entourent : les alkyl-
Cancérogènes, Mutagènes ou phénols éthoxylés (tensioac-
Reprotoxiques) car, sous l’in- tifs maintenant interdits), les
fluence de la lumière solaire, parabènes (conser vateurs
il réagit avec l’ADN selon antibactériens et antifon-
des cycloadditions photochi- giques), certains phtalates
miques 3 [2+2]. Plus récem- (plastifiants de matières plas-
ment, on s’est aperçu que les tiques), etc. Certaines aller-
éthers de glycol, omniprésents gies cutanées sont elles aussi
dans nombre de produits de soupçonnées d’avoir des ori-
la vie quotidienne, sont repro- gines chimiques par exemple
toxiques et ils sont mainte- via les parfums et les huiles
nants interdits. essentielles naturelles. C’est
Certains des désordres occa- la raison pour laquelle l’am-
sionnés par la chimie, peuvent bitieux programme REACH
être corrigés avec succès. À (Registration, Evaluation and
cet égard, le traitement du Authorization of CHemicals)
« trou d’ozone » est exem- a été mis en place en 2006
plaire. Les prévisions de 1974 par l’Union européenne pour
étaient catastrophiques car
en 2020, la couche d’ozone
4. Composés fluorés volatils :
devait avoir complètement les chlorofluorocarbures (CFC),
disparu. En fait, l’interdiction autrefois utilisés dans les bombes
aérosols et les systèmes de réfri-
3. Cycloadditions photochimiques : gération, sont interdits par l’Union
réactions d’addition permettant la européenne depuis 1990 en rai-
formation de cycle, catalysées par son de leur impact négatif sur la
la lumière. couche d’ozone.

Figure 5
Un certain nombre de produits
dangereux doivent être remplacés,
tout en gardant une grande
vigilance vis-à-vis des nouveaux
composés. 195
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

évaluer systématiquement l’éco-conception des produits


les risques potentiels de tous et à la prise en compte de
les composés chimiques et l’ensemble du « cycle de vie »
encourager la mise en place des produits « du berceau à la
de méthodes alternatives pour tombe » (Figure 7). Parmi ces
réduire le nombre d’essais sur principes, ceux qui concernent
animaux. directement la formulation ont
Que les relations causes- été encadrés sur la Figure 6.
effets soient solidement éta- La sélection de matières pre-
blies ou non, les industriels mières plus sûres, de solvants
préfèrent souvent rempla- et d’additifs non toxiques, de
cer des produits soupçonnés composés bio-sourcés et bio-
d’occasionner un risque quel- dégradables, la conception de
conque plutôt que de chercher formulations minimisant les
à démontrer leur innocuité. risques d’accidents…, tous ces
Cette attitude est source d’in- impératifs doivent guider les
novations car, pour remplacer formulateurs contemporains.
un composé potentiellement Les chimistes connaissent
dangereux, on doit remettre en bien les dangers de la chimie
question toutes les matières et savent s’en prémunir. Mais
premières et toutes les for- qu’en est-il du consomma-
mulations. Cependant, il faut teur moyen ? Par ignorance il
bien s’assurer que le produit peut déclencher des réactions
de substitution ne se révélera
dangereuses en mélangeant
pas aussi dangereux lorsqu’il
deux formulations inoffen-
sera utilisé à grande échelle.
sives : utiliser un détartrant
à base d’acide sulfamique
2.2. L’éco-conception (H 2 N-SO 3 H) pour détartrer
des produits les toilettes, puis mettre de
l’eau de Javel (NaOCl) pour les
En 1998, Anastas et Warner désinfecter… sans savoir que
ont édité « 12 principes de la l’association des deux génère
chimie verte »5 (Figure 6), qui du chlore (Cl 2), qui va venir les
servent de feuille de route à empoisonner.
C’est le rôle du formulateur
5. Paul T. Anastas, John C. Warner
(1998). Green Chemistry: Theory de conditionner les pro-
and Practice, Oxford University duits pour éviter ce type de
Press, New York. méprises en développant des

Figure 6
Les 12 principes de la chimie verte,
edictés par P. Anastas et John
196 C. Warner en 1998.
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
Transport
Fabrication

Matières
premières
LE CYCLE DE VIE
D’UN PRODUIT

Distribution
Valorisation

Utilisation Figure 7

Fin de vie Cycle de vie d’un produit, pour une


durabilité de production.

conditionnements qui rendent


les erreurs de manipulation
presqu’impossibles, etc. Le
3 La formulation,
un métier au cœur
de la parfumerie
travail d’interface avec le
consommateur, ensuite, sera 3.1. Comment rendre
l’affaire des services com- la parfumerie fine plus
merciaux, qui devront infor- « verte » (Figure 9) ?
mer les consommateurs sur
les modes opératoires et les Le parfum le plus célèbre au
alerter sur les risques poten- monde est sans nul doute le
tiels. Il faut songer en parti- « N°5 de Chanel » (Figure 10),
culier à toute la partie de la en grande partie grâce à la
population qui est particuliè- réponse que fit Marylin Mon-
rement sensible aux intoxica- roe en 1952 à un journaliste
tions : les femmes enceintes indiscret de Life Magazine qui
bien sûr, les bébés, les per- lui demandait « Que portez
sonnes âgées, les malades vous la nuit, dans l’intimité ? ».
(Figure 8). Il doit aussi prendre Sa réponse, pleine d’esprit
en compte le fait que tous ces et de spontanéité « Juste
produits se retrouvent après quelques gouttes de n° 5 de
usage dans l’environnement Chanel », marque encore les
où ils doivent occasionner le esprits soixante ans plus
minimum de perturbations. tard.

A B C
Figure 8
Une partie de la population
est particulièrement sensible
aux produits chimiques.
Sources : B) M.-T. Dinh-Audouin ;
C) E. Carret. 197
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

une démarche apparentée à


celle des musiciens asso-
ciant des notes pour créer une
symphonie. La Figure 10 liste
quelques molécules entrant
dans la composition de la ver-
sion originelle de ce parfum
mythique. Certaines d’entre
elles sont repérées en rouge
car elles présentent certains
dangers : la bergamote photo-
toxique (voir paragraphe 2.1),
Figure 9 les aldéhydes qui apportent
Comment rendre la parfumerie des notes puissantes fraîches
fine plus verte ? et fleuries mais qui sont ins-
tables et facilement oxydables
Inutile de préciser que la com- en peracides6, le d-limonène7
position actuelle du « N° 5 de à l’odeur citronnée mais qui
Chanel », bien différente de s’oxyde à l’air en formant des
la formule d’origine, est gar- hydroperoxydes et époxydes
dée jalousement secrète, mais allergisants.
on peut dévoiler une partie Le composé le plus emblé-
des composés présents dans matique de ce parfum était
la formule originelle. Celle- le musc cétone, présent en
ci, créée en 1951 par Ernest proportion très élevée (10 %).
Beaux, contenait comme tous Il confère une note sensuelle
les parfums modernes trois
types de « notes » : les notes
6. Ruyffelaere F, Marteau C., Nar-
« de tête » très volatiles, dello-Rataj V., Favier D., Vezin H.,
les notes « de cœur » et les Aubry J.-M. (2013). Matrix effect
notes « de fond », qui seules on the degradation of fragrant
subsistent en fin de journée. aldehydes: oxidation versus chlori-
Les parfums sont élaborés nation in an antiperspirant formu-
par des créateurs, appelés lation, Flav. Fragr. J., 28 : 316-326.
7. Karlberg A.T., Dooms-Goossens A.
« nez », en mélangeant un (1997). Contact allergy to oxidized
grand nombre de molécules d-limonene among dermatitis
individuelles pour obtenir des patients, Contact Dermatitis., 36 :
« accords » harmonieux selon 201-206.

Figure 10
Chanel n° 5, le parfum rendu célèbre par Marilyn Monroe, contenait à l’origine un certain nombre de molécules
198 relativement toxiques.
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
au parfum et un effet longue
durée puisqu’après quinze
jours, l’odeur musquée est
encore perceptible.
Le progrès des connaissances
en toxicité a conduit à une évo-
lution de la règlementation qui
a contraint les parfumeurs
à corriger la composition
de tous ces grands parfums
anciens. Les « nez », conseil-
lés par les services techniques
et réglementaires, ont eu la
redoutable tâche de proposer
Figure 11
des molécules de substitution.
O
Il s’agit de remplacer telle Le chevrotain porte-musc produit
ou telle molécule interdite le musc naturel le plus recherché
qui contient, entre autres, une
par une ou plusieurs autres
cétone macrocyclique, la muscone.
molécules, conformes à la CH3 Source : Wikipédia licence
réglementation en vigueur. CC-BY-SA-3.0, Николай Усик
Celles-ci doivent apporter au
parfum la même signature
bombes. Ainsi la plus puis-
olfactive caractéristique du
sante des bombes H jamais
parfum originel de façon à ce
testées était équivalente
que l’utilisateur ne perçoive
à 57 millions de tonnes de
pas la différence.
TNT. Le TNT fut découvert
Il existe plusieurs muscs en 1863 par J. Wilbrand et un
naturels, mais le plus connu dénommé Bauer, qui, essayant
contient une cétone macrocy- d’améliorer ses propriétés
clique, la muscone. Ce musc, explosives, l’a simplement
produit naturellement par le « terbutylé », en greffant sur
chevrotain porte-musc en le noyau benzénique un petit
période de rut (Figure 11), est groupe à quatre carbones. En
très coûteux (150 000 €/kg) et mettant son nez au-dessus
très recherché en médecine du produit résultant, selon le
traditionnelle chinoise. Sa réflexe naturel des chimistes
rareté, son prix considérable de l’époque, il décela une
et son grand intérêt olfactif forte odeur musquée. Comme
ont conduit les parfumeurs Perkin qui avait découvert la
à le remplacer par des molé- mauvéine en voulant synthé-
cules de synthèse. tiser la quinine, il se dit qu’un
L’évocation de l’histoire des composé possédant une odeur
muscs de synthèse nous de musc pouvait intéresser
amène à faire un détour le monde de la parfumerie
vers la chimie des explo- et il commercialisa donc ce
sifs (Figure 12). L’explosif nouveau composé en 1888 en
chimique le plus célèbre est tant que substitut au musc
le TNT (abréviation de trini- naturel hors de prix. Les
trotoluène) car il sert à défi- années suivantes, il prépara
nir l’unité de mesure de base divers composés apparentés
de la puissance explosive des dont en particulier le fameux 199
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 12
Des explosifs aux muscs nitrés.

musc-cétone en remplaçant composés les plus caracté-


l’un des groupes nitro -NO 2 ristiques qui ont jalonné les
par un groupe méthylcétone recherches de muscs artifi-
pour diminuer ses propriétés ciels :
explosives. Il reste cependant −− la muscone (Figure 13A), qui
que tous ces composés sont est le Graal des muscs natu-
dans une certaine mesure rels, est très difficile à syn-
explosifs, biopersistants et thétiser ;
bioaccumulables (c’est-à- −− les muscs nitrés (Figure 13B)
dire ne se dégradant pas dans ne respectent pas les principes
l’environnement), et pour 4, 5, 10 et 12 de la chimie
certains, suspectés d’être verte, c’est-à-dire qu’ils sont
cancérogènes. Les muscs peu sûrs, toxiques, non biodé-
sont si importants en parfu- gradables et présentent des
merie que toutes les sociétés risques d’accident. Ils ont donc
de ce secteur ont lancé des été remplacés par des com-
programmes de recherche posés moins problématiques ;
pour découvrir de nouvelles −− en s’inspirant de la structure
molécules présentant une moléculaire des muscs nitrés,
forte odeur de musc mais res- les chimistes ont conçu toute
pectant les réglementations une série de muscs polycy-
actuelles. cliques tels que le Phantolide,
La Figure 13 montre les découvert en 1951 et présenté
structures moléculaires des dans la Figure 13C. Ils ne sont

A)

B)
Figure 13
A) Muscone, le graal des muscs
C)
naturels ; B) les muscs nitrés,
problématiques pour la santé,
n’ont été remplacés qu’en 1990 ! ;
C) les muscs polycycliques, un D)
premier pas vers la chimie verte ;
D) les muscs macrocycliques
sont peu dangereux, mais encore E)
200 biopersistants.
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
pas toxiques, ni explosifs car ils de phénomène d’anosmie, il
ne comportent plus de groupes n’est pas toxique, mais encore
nitro mais ils sont biopersis- un peu biopersistant.
tants et bioaccumulables ; La saga des muscs n’est donc
−− les chimistes se sont égale- pas encore achevée.
ment inspirés de la nature en Le cas particulier des muscs
préparant, avec beaucoup de est emblématique mais ce
difficulté, des muscs macrocy- n’est pas la seule famille de
cliques ressemblant à la mus- composés parfumés à pré-
cone (Figure 13D). La molécule senter des risques potentiels
présente l’avantage de com- pour les utilisateurs. Comme
porter deux fonctions ester, évoqué précédemment, le
facilement clivables, qui la parfum est, après le nickel,
rendent biodégradable. Outre le deuxième déclencheur
leur prix élevé, ces composés d’allergies cutanées parmi
présentent un inconvénient la population. C’est pourquoi
majeur : une grande partie de les autorités ont interdit les
la population, entre 10 et 50 %, composés les plus dange-
sont anosmiques, c’est-à-dire reux et ont rendu l’étiquetage
ne sont pas capables de les obligatoire de 88 composés
détecter. C’est pourquoi les potentiellement allergisants.
formulateurs de parfum uti- La Figure 14 montre la com-
lisent des cocktails de muscs position d’un gel douche
pour être sûrs de toucher actuel. On y voit la liste des
olfactivement tous les utilisa- ingrédients classés par ordre
teurs ; d’importance pondérale ainsi
−− le m u s c h e lv é t o l i d e que la liste des molécules
(Figure 13E), créé en Suisse de parfums potentiellement
comme son nom l’indique, allergisantes alors même
est le représentant le plus lorsqu’elles sont parfois pré-
connu des muscs qualifiés de sentes en quantité infime.
« linéaires », bien qu’il pos- Conscient s de ces pro-
sède un cycle dans sa structure blèmes, les producteurs
moléculaire. Il ne présente pas de parfums et les grandes

Alcool benzylique Citronellol


Alcool 4-méthoxybenzylique Hydroxycitronellal
Coumarine Lyral
Cinnamaldéhyde Benzoate de benzyle
Alcool cinnamylique Amyl-cinnamaldéhyde
Oct 2-ynoate de méthyle Amyl-cinnalic alcool
Limonène Lilila
Citral Salicylate de benzyle
Eugénol Isométhyl-ionone
Isoeugénol Farnésol
Géraniol Hexyl-cinnamaldéhyde
Linalool Cinnamate de benzyle Gel douche

Figure 14
Liste de molécules potentiellement allergisantes présentes dans la composition du gel douche et dont l’affichage
est obligatoire pour informer les utilisateurs. 201
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

sociétés utilisatrices ont conduire à des innovations


mutualisé leurs efforts et intéressantes en formulation :
leurs connaissances au sein s’inspirer d’un échec ou d’un
de l’IFRA (International Fra- problème de formulation pour
grance Association)8 qui, entre le transformer en succès ou
autres missions, est chargée copier une innovation apparue
d’étudier les risques d’aller- dans un domaine éloigné du
gies induites par certaines sien pour le transposer dans
matières premières de la par- son propre domaine, c’est
fumerie et de leurs produits ce qu’on appelle la fertilisa-
de dégradation. Outre les tion croisée. Ces deux modes
industriels du domaine, elle d’innovations seront illustrés
réunit des dermatologues et ci-dessous dans le domaine
des chercheurs universitaires de la parfumerie.
concernés par la chimie des Commençons par une excel-
parfums. lente innovation qui a induit,
dans un premier temps, un
problème majeur pour les
3.2. La copie et l’échec au
service de l’innovation dans consommateurs. L’introduc-
la parfumerie fonctionnelle tion des enzymes a constitué
un progrès décisif en déter-
Lorsqu’un chercheur publie gence parce qu’elles sont
ses résultats dans un jour- capables de faire disparaître
nal scientifique, il explicite s éle c ti vement cer t aine s
sa stratégie de recherche taches tout en respectant le
comme si elle découlait d’une linge et les colorants synthé-
démarche logique et ration- tiques. Un détergent textile
nelle souvent bien éloignée moderne contient un cocktail
de la façon dont les choses d’enzymes, dont les lipases,
se sont réellement passées. qui sont capables de cliver
Beaucoup de découver tes les fonctions esters des tri-
sont en effet le fruit d’un glycérides (Figure 15). Ces
concours de circonstance triglycérides sont les consti-
fortuit dans le cadre d’une tuants principaux des salis-
recherche concernant un sures grasses (lait, beurre,
autre sujet. La mauvéine de huiles végétales, graisses,
Perkin et le musc de Bauer etc.) qu’il faut absolument éli-
sont particulièrement illus- miner. Lorsque les premières
tratifs de cette méthode pour lipases ont été ajoutées aux
« trouver autre chose que ce lessives, on a observé que
qu’on cherchait ». Ce mode se développait sur certains
d’innovation est tellement textiles une odeur très désa-
fréquent qu’on lui a donné un gréable lorsque le linge était
nom, traduit de l’anglais, la conservé dans une atmos-
« sérendipité ». phère légèrement humide ;
Deux autres méthodes bien le problème était exacerbé
éprouvées peuvent également pour les bavoirs de bébés.
Ce problème est rédhibitoire
pour un détergent car il est
8. IFRA : International FRagrance
Association (à Genève, Suisse), primordial pour les consom-
régulateur de l’industrie mondiale mateurs que le linge lavé et
202 du parfum : www.ifraorg.org. séché sente « le propre ». Une
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
CH2 O CO R1 CH2 OH
lipases
CH O CO R2 + 3H2O 3R COOH + CH OH

Figure 15
CH2 O CO R3 CH2 OH
Action des lipases sur les graisses
Triglycéride Acide gras Glycérol
(triglycérides).

caractéristique des molécules (pH, humidité, enzymes, cha-


odorantes est qu’une concen- leur, oxygène…).
tration infime est détectable, La chimie offre de nom-
que l’odeur soit agréable ou breuses possibilités pour
nauséabonde. Or, les produits obtenir de tels précurseurs.
laitiers qui imprègnent le linge En formant ce qu’on appelle
des enfants contiennent cer- une base de Schiff, on peut
tains triglycérides à courtes ainsi lier deux molécules de
chaînes qui libèrent, sous parfums pour former l’Auren-
l’action des lipases, de l’acide tiol. Cette molécule n’est pas
butyrique, dont on sait qu’il a volatile et peut donc être
l’odeur du rance. conservée à l’air libre sans se
Ayant compris l’origine du volatiliser, contrairement aux
problème, les ingénieurs de molécules de parfum clas-
la société Firmenich ont eu siques. En revanche, elle se
l’idée de tirer profit de cet clive au contact de l’humidité,
échec pour en faire un suc- de la chaleur ou de la lumière,
cès. Ils ont ainsi créé le disuc- pour donner l’hydroxycitro-
cinate de géranyle, premier nellal, qui a une odeur com-
« précurseur de parfum ». plexe mais qui rappelle un
Étant peu soluble dans le peu le muguet, et le métylan-
liquide lessiviel, il a tendance thranilate, qui rappelle un peu
à s’adsorber sur les textiles l’odeur de raisin (Figure 16B).
sur lesquels il subsiste sous Voilà donc déjà deux compo-
forme de traces après lavage. sés parfumés ! Mais pour un
Au cours du stockage du linge, « nez », cet accord binaire est
les lipases résiduelles adsor- bien trop pauvre pour être
bées elles aussi sur le linge exploité en parfumerie fine,
clivent petit à petit les tri- car cela équivaudrait à vou-
glycérides et le précurseur loir créer une symphonie avec
de parfums, qui libère du le do et le ré comme seules
géraniol dont l’odeur de rose notes !
masque celle de l’acide buty- Face aux limitations intrin-
rique (Figure 16A). Le concept sèques des précur seur s
novateur de précurseur de de parfums, la question de
parfum étant inventé, toutes pose de trouver une méthode
les sociétés de parfumerie se alternative pour stocker aussi
sont engouffrées dans cette longtemps que nécessaire un
brèche pour concevoir une accord olfactif riche et pour
multitude de précurseurs de déclencher sa libération au
parfums stables libérant des moment opportun. La meil-
molécules parfumées sous leure réponse actuelle à ce
l’influence de divers facteurs défi industriel trouve son 203
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 16
A) Le succinate de géranyle,
premier précurseur de parfums,
ou comment faire du propre
avec du sale ? B) Association
par une liaison chimique de
deux molécules parfumées mais
volatiles pour obtenir une base de
Schiff non volatile mais capable de
libérer les deux molécules sous
l’influence d’un déclencheur.

origine dans la transposition, pellicule de gélatine conte-


au domaine de la parfumerie, nant un précurseur de colorant
du concept de microencap- presqu’incolore, le « crystal
sulation né en 1942 dans un violet lactone » en solution
secteur d’activité très éloigné dans un solvant organique.
de la parfumerie, celui des Cette molécule fait partie des
encres9. « indicateurs de pH » dont la
Dans une société d’encre, structure chimique et la cou-
la National Cash Regis- leur changent radicalement en
ter, proche de la faillite à ce fonction de l’acidité du milieu.
moment-là, on avait demandé En milieu basique elle est sous
à un jeune ingénieur, Barett forme d’une lactone jaune pâle
Green, de résoudre un pro- (à gauche sur la Figure 18A)
blème pratique posé par les alors qu’en milieu acide elle
papiers carbones de l’époque s’ouvre en donnant un com-
(Figure 17A). Ils étaient consti- posé violet foncé (à droite sur
tués de pigments noirs faible- la Figure 18B). L’astuce était
ment adhérents à un papier fin de mettre ce composé sous sa
et flexible et avaient le défaut forme incolore dans des cap-
de tâcher les doigts et les sules, qui, sous la pression
corsages blancs des secré- d’une machine à écrire ou d’un
taires. L’ingénieur a tout de stylo, se brisent en libérant
suite eu l’idée de faire ce qu’on le pré-colorant. Celui-ci se
appelle aujourd’hui le papier retrouve alors au contact d’une
autocopiant (Figure 17B), au argile acide recouvrant la
verso duquel étaient collées feuille de papier sous-jacente
des microcapsules. Celles-ci et se colore en violet en produi-
était constituées d’une fine sant une copie du texte inscrit
sur la feuille supérieure.
9. http://www.coacervation.net/ Ce concept ingénieux a été lar-
bg_NCR.html gement « copié », autrement

A B
Figure 17
A) Le papier carbone, ancêtre
de la photocopie ; B) le papier
autocopiant, ingénieuse utilisation
de l’encapsulation dans le domaine
204 de l’imprimerie.
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
Figure 18
Les propriétés acido-basiques
du « crystal violet lactone » sont
mises à profit pour obtenir une
copie d’un texte sans papier
carbone.

dit plus élégamment, il a être par exemple l’humidité,


été transposé dans tous les la lumière, le frottement, la
autres domaines de la formu- chaleur, les enzymes, etc.
lation. Habituellement, une Citons quelques applications
telle « fertilisation croisée » ingénieuses : la société Nestlé
est mise en œuvre par des a ainsi mis au point des micro-
chercheurs curieux et créatifs capsules comestibles, conte-
qui ont l’esprit suffisamment nant du gaz carbonique sous
ouvert pour s’intéresser à des pression et mélangé à du café
domaines d’activité éloignés soluble. L’ajout d’eau chaude
du leur. De nos jours, cette provoque la solubilisation de
stratégie d’innovation a été la capsule et libère des bulles
systématisée et il existe des de gaz carbonique qui permet
programmes capables de d’obtenir un superbe cap-
trouver des réponses à un puccino instantané. Dans le
problème donné en cherchant domaine de la pharmacie, la
dans les brevets éloignés microencapsulation est utili-
les solutions originales déjà sée pour faire du « relargage
trouvées. Il faut savoir que contrôlé » : on place le prin-
la transposition d’un concept cipe actif à l’intérieur des cap-
d’un domaine dans un autre sules dont la membrane per-
est considérée comme une méable permet une diffusion
innovation brevetable. progressive de la molécule
Depuis cette découverte ini- active au lieu d’avoir un pic de
tiale, le principe de la micro- concentration du médicament
encapsulation a été décliné sur quelques heures avec les
de multiples façons car comprimés traditionnels.
c’est une méthode souple Dans le domaine de la parfu-
et efficace pour protéger le merie, la microencapsulation
contenu des capsules de l’oxy- est largement employée pour
gène, de l’eau, des compo- résoudre divers problèmes.
sés extérieurs, etc. Il existe L’un d’entre eux est lié à une
toutes sortes de capsules problématique fondamentale
possibles. Leurs diamètres pour tous les industriels :
peuvent varier de quelques comment inciter les consom-
microns à quelques milli- mateurs à acheter leur pro-
mètres, elles peuvent être duit ? On peut bien sûr faire
rigides ou souples et on peut de la publicité, mais il est plus
même les vectoriser vers efficace de permettre au client
une cible particulière. Pour potentiel de tester le parfum.
libérer le composé actif au C’est la raison pour laquelle
moment voulu il faut utiliser les formulateurs ont inventé
un « déclencheur », qui peut les « pulls and sniff ». Ce sont 205
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

des pages insérées dans les les déodorants non aqueux.


magazines, qui montrent le À l’intérieur de cette for-
joli flacon de parfum et qui mulation hydrophobe, il est
sont munies d’un rabat à l’in- possible d’incorporer des
térieur duquel sont collées capsules hydrophiles de par-
des capsules contenant le fum qui resteront intactes
parfum. En tirant sur le rabat, pendant toute la durée du
le lecteur fait éclater les cap- stockage. En revanche, si le
sules et le parfum est émis déodorant est appliqué sous
dans tous sa complexité et sa les aisselles avant de faire
richesse olfactive. Il existe du spor t, les capsules se
la variante du « scratch and déliteront petit à petit avec
sniff » pour laquelle la libéra- l’humidité de la transpira-
tion du parfum ou de l’arôme tion, en libérant du menthol
est déclenché en grattant les qui donnera une impression
capsules. de fraîcheur et des parfums
Une application en hygiène qui exhaleront une odeur
corporelle se trouve dans agréable.

L’éclosion d’une chimie de formulation


verte
Ce chapitre fait le constat d’un paradoxe : jamais
la chimie n’a été aussi mal perçue par le grand
public alors qu’elle n’a jamais été aussi féconde
et vigilante vis-à-vis des risques potentiels des
matières premières et des produits finis. Un
processus vertueux et irréversible a été enclen-
ché par le programme REACH, qui rend de plus
en plus coûteuse la mise sur le marché d’une
molécule nouvelle (environ 1 million d’euros)
et le maintien des substances anciennes. Dans
les prochaines années, on demandera en outre
aux industriels de se préoccuper de la nature
et des dangers potentiels des produits secon-
daires susceptibles de se former pendant la
période de stockage des produits finis.
Ce principe de précaution appliqué à la chimie
conduira inéluctablement à réduire la palette
de matières premières dont disposera le
formulateur pour élaborer ses formulations.
206 Les ingrédients de base seront plus sûrs mais
Les 12 principes de la chimie verte comme moteur d’innovation pour la formulation des parfums
moins nombreux et avec des propriétés fonc-
tionnelles moins exceptionnelles. L’une des
conséquences sera que les produits finis seront
plus fades car on ne pourra plus employer ces
matières premières inégalables telles que les
composés fluorés ou les pigments minéraux à
base de métaux lourds.
Toutes ces nouvelles contraintes génèrent
de formidables défis scientifiques pour les
chimistes, qui doivent désormais prendre en
compte les principes de la chimie verte pour
concevoir de nouvelles matières premières
associant efficacité et innocuité. Le formulateur
doit, quant à lui, mieux appréhender le méca-
nisme de fonctionnement des formules exis-
tantes pour en créer de nouvelles aussi efficaces
mais constituées des ingrédients encore auto-
risés. La chimie verte offre ainsi de multiples
opportunités professionnelles, d’abord parce
qu’il faudra concevoir de nouvelles spécialités
chimiques sans danger. Le formulateur devra
exploiter au mieux les synergies entre ingré-
dients qui permettent de minimiser l’ajout
d’additifs. L’analyse des traces de produits
de décomposition est également un secteur
d’avenir. Enfin, l’application des principes de
la chimie verte a conduit à l’émergence de
nouveaux métiers, qui n’existaient pas il y a
quelques années encore, tels que les chargés
d’affaires réglementaires et les analyseurs de
cycle de vie.

207
D’après la conférence d’Isabelle Pélisson
La peau :
exemples
de pathologies
et solutions
thérapeutiques
Après avoir mené des recherches sur les cancers cutanés des
greffes d’organes, puis sur des séquences rétrovirales dans les
cancers du sein, Isabelle Pélisson a intégré le centre de R&D
des laboratoires Galderma 1 situé à Sophia Antipolis, où elle est
actuellement chef de projet.

1 La peau et les
pathologies cutanées
et physiques (température,
chocs, rayonnement UV).
La peau a également une
1.1. Principales fonctions fonction immunitaire : elle
de la peau possède un certain nombre de
cellules sentinelles2 capables
La peau est l’organe le plus de renseigner notre système
étendu et le plus lourd du immunitaire sur la présence
corps humain, qui représente d’antigènes 3 contre lesquels il
environ 2 m² de surface et 5 kg faut induire une réponse.
chez un adulte (Figure 1). Sa
fonction de protection contre
2. Cellules sentinelles : cellules
les agressions externes est immunitaires qui résident en per-
fondamentale : elle nous manence dans les tissus, même
protège des attaques micro- lorsqu’ils ne sont pas infectés.
biennes et par asitaires, 3. Antigènes : macromolécules
des agressions chimiques (protéine, polysaccharide,…) recon-
nues comme étrangères par le sys-
tème immunitaire qui va réagir à
1. www.galderma.fr leur présence.
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

dessous se trouve la couche


Figure 1 la plus épaisse, le derme, de
quelques millimètres d’épais-
La peau est l’organe le plus étendu seur, qui confère à la peau sa
du corps humain, et représente résistance et son élasticité.
environ 2 m2 de surface chez
Il contient le réseau vascu-
un adulte.
laire, et également toutes
les annexes : les poils, les
La peau joue aussi le rôle glandes sébacées 5 et les
de régulateur thermique et glandes sudoripares 6. Enfin,
contrôle la perte en eau du tout en dessous, l’hypoderme
corps. est essentiellement une pro-
C’est enfin un organe senso- tection physique et stocke des
riel, qui joue en outre un rôle lipides puisqu’il est principa-
psycho-social. lement constitué de graisse.

1.2. Structure de la peau 1.3. Les pathologies


de la peau
La peau est essentiellement
constituée de trois couches Les pathologies cutanées
(Figure 2). La couche la plus sont très nombreuses : on
externe, l’épiderme, joue considère qu’il y en a environ
vraiment le rôle de barrière. 3 000, et que 70 % de la popu-
L’épiderme est surtout consti- lation est concernée par une
tué de cellules dont nous pathologie en dermatologie
reparlerons, qui sont les kéra- au cours de sa vie. Elles sont
tinocytes4 , et de cellules qui aussi très diverses, en termes
donnent la couleur de notre
peau, les mélanocytes. En
5. Glande sébacée : présente dans
le derme, sécrète le sébum qui
4. Kératinocytes : cellules consti- limite le dessèchement de la peau.
tuant 90 % de l’épiderme, qui syn- 6. Glande sudoripare : présente
thétisent la kératine. dans le derme, sécrètant la sueur.

Stratum
Corneum Poil

Épiderme

Capillaire Glande
Sébacée

Derme Muscle
Arrecteur
Plexus Vasculaire
Glande
Superficiel
Sudoripare
Eccrine
Hypoderme

Plexux Vasculaire
Figure 2 Profond
Glande Suporipare Follicule Pileux
Organisation de la peau en trois
Apocrine
couches structurées avec une
212 constitution et une utilité propres.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
de fréquence – l’acné est très dépigmentation comme le
fréquente par exemple –, en vitiligo, ou au contraire des
termes de sévérité et égale- maladies dans lesquelles
ment en termes de formes cli- on a une hyperpigmentation
niques. Cette grande diversité comme le mélasma, carac-
des pathologies cutanées qui térisé par des taches brunes
peuvent affecter des compar- sur le visage. Cer taines
timents différents est illus- pathologies concernent des
trée sur la Figure 3. problèmes de différenciation
Une pathologie très cou- de l’épiderme. C’est le cas
rante est l’acné, qui touche des ichthyoses liées à des
le follicule pilo-sébacé 7. mutations dans cer taines
D’autres pathologies touchent protéines des kératinocytes,
le s ystème pigmentaire, et qui vont conduire à une
avec des pathologies de la différenciation anormale. Il
y a énormément de formes
cliniques derrière ce simple
7. Follicule pilo-sébacé (ou folli- terme d’ichthyoses. Nous
cule pileux) : cavité dans laquelle parlerons dans ce chapitre
le poil prend naissance.

A B C

D E F

G H I

Figure 3
Principales pathologies de la peau : A) carcinome épidermoïde ; B) mélanome ; C) acné ; D) vitiligo ; E) mélasma ;
F) dermatite atopique ; G) psoriasis ; H) rosacée ; I) ichthyose.
Source : I) AIF - http://ichtyose.fr 213
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

de la rosacée, une pathologie cours des années, voire des


qui affecte le système vascu- décennies.
laire, et de dermatoses inflam- Il existe différentes formes de
matoires. Ces dernières sont cette pathologie dont la plus
des maladies vraiment très courante, comme on le voit sur
courantes, comme le psoriasis la Figure 3G, est le psoriasis
ou la dermatite atopique, qui vulgaire, caractérisé par des
est de plus en plus fréquente, plaques rouges surélevées
en particulier chez les jeunes avec des squames blanches
enfants. en surface. Dans tous les
La peau peut également être le cas, les lésions de psoriasis
siège de proliférations cancé- sont toujours caractérisées
reuses. Quand elles touchent par une hyper-prolifération
le kératinocyte, on parle de de l’épiderme en surface et
carcinomes épidermoïdes, plus une inflammation chronique
fréquents chez les personnes située dans le derme, comme
âgées, et, en général, bien on le voit sur la coupe de peau
gérés par des actes chirur- de la Figure 4.
gicaux. En revanche, quand La Figure 4A correspond à une
c’est le mélanocyte qui est peau saine, avec son épiderme
touché par ces proliférations en surface. Dans la couche
cancéreuses, on a un méla- basale 9, les kératinocytes
nome 8 et des cas dans les- se multiplient pour assurer
quels le pronostic vital des le renouvellement de l’épi-
patients peut être engagé si le derme, et entament ensuite
diagnostic n’est pas fait suffi- un processus de différencia-
samment tôt. tion. Au fur et à mesure qu’ils
montent vers la surface, ils se
différencient pour contribuer
2 Le psoriasis
à la formation de la barrière.
À la fin de ce processus, des
cellules mortes en surface
2.1. Présentation et se retrouvent dans la couche
manifestations du psoriasis cornée10, et vont desquamer
Le psoriasis est une des der- normalement de manière
matoses inflammatoires les complètement asymptoma-
plus fréquentes, puisqu’envi- tique.
ron 2 % de la population fran- La Figure 4B est l’image au
çaise est atteinte de psoriasis. même grossissement d’une
C’est une maladie chronique, coupe de peau affectée de
avec une évolution qui est psoriasis (Figure 4B). On
relativement imprévisible. voit très clairement la forte
Certains patients développent hyperplasie de l’épiderme,
des lésions ou une poussée c’est-à-dire l’augmentation
de lésions qui régressent du nombre de couches de
spontanément, tandis que
d’autres patients vont devoir
9. Couche basale : première
lutter contre leur psoriasis au couche de l’épiderme (en contact
avec le derme).
8. Mélanome : cancer de la peau 10. Couche cornée : couche pro-
développé aux dépens des méla- tectrice formée de cellules mortes
214 nocytes. entourées d’un ciment lipidique.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
A B

Figure 4
Image de microscopie d’une coupe de peau : A) une peau saine ; B) manifestation cutanée du psoriasis
par l’épaississement de l’épiderme et de la couche cornée, et l’inflammation chronique du derme.

cellules épidermiques. Il y de l’épiderme et induisent


a également une accumula- leur prolifération. Davantage
tion de cellules mortes dans de cellules entament leur
la couche cornée, ce qui est processus de différencia-
responsable des squames tion, ce qui conduit à l’aug-
blanches en sur face. De mentation de l’épaisseur de
plus, les vaisseaux sont plus l’épiderme. Tout s’accélère :
nombreux et dilatés, et cette alors qu’il faut environ trente
prolifération vasculaire va jours à un kératinocyte de la
contribuer à l’arrivée sur le couche basale pour atteindre
site des cellules inflamma- la surface dans une peau nor-
toires, visibles dans le derme male, ce processus s’effectue
(petits points violets). en trois jours environ dans
le psoriasis. En revanche,
la desquamation en surface
2.2. Que se passe-t-il dans ne peut pas accélérer, ce qui
le psoriasis ? contribue à l’accumulation de
On obser ve une réaction la couche cornée et à la for-
inflammatoire intense dans mation des squames blanches
le derme associée à la pré- en surface.
sence des cellules inflam- On voit sur la Figure 5B la mul-
matoires (globules blancs : tiplication du réseau vasculaire
lymphocytes, polynucléaires) et sa vasodilatation, apportant
qui synthétisent des média- les cellules inflammatoires, en
teurs chimiques. Ces derniers particulier les deux populations
agissent sur les kératinocytes de lymphocytes T (lymphocytes

A) Peau saine
squames

plaques Figure 5
couche cornée peau
épiderme
inflammée Derme et épiderme d’une peau
glande sudoripare
follicule pileux saine (A) et d’une peau affectée
derme de psoriasis (B) pour laquelle
hypoderme la multiplication des kératinocytes
est favorisée par le développement
B) Psoriasis 215
du système vasculaire.
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Th1 et Th17) qui synthétisent le système immunitaire qui


les médiateurs chimiques, qui se retournerait contre ses
vont eux-mêmes activer la pro- propres cellules. Il existe
lifération des kératinocytes. également des données qui
Bien que l’on comprenne de montrent qu’une réaction
mieux en mieux le rôle de tous immunitaire anormale peut
les acteurs, c’est-à-dire des être déclenchée par de l’ADN
cellules et des médiateurs ou de l’ARN de kératinocyte.
chimiques impliqués dans le Dans tous les cas, il est
psoriasis, l’origine et le fac- aujourd’hui admis qu’il y a à la
teur déclenchant ne sont pas fois une contribution de l’im-
encore clairement identifiés. munité innée, c’est-à-dire les
On sait qu’il existe une pré- réactions immédiates déclen-
disposition génétique dans chées par exemple suite à une
le psoriasis, et qu’il est sou- infection, mais également de
vent déclenché par un stress. l’immunité adaptative, qui se
Cela peut être un stress met en place après alerte du
d’ordre psychologique mais système immunitaire par des
aussi un stress mécanique, cellules présentatrices d’anti-
par exemple on sait que les gènes.
coudes et les genoux, qui sont
des zones de frottement, sont
souvent atteints par le psoria- 2.3. Le traitement
sis. On pense aujourd’hui que du psoriasis
le déclenchement des lésions L’objectif du traitement est à
résulte de la combinaison de la fois de normaliser le fonc-
différents facteurs impliquant tionnement de l’épiderme et
à la fois l’épiderme et le sys- de contrôler l’inflammation
tème immunitaire. sous-jacente, si possible de
On a évoqué une maladie façon durable. Les praticiens
auto-immune11, sans jamais ont deux critères de choix
clairement identifier la cible pour le traitement : d’abord la
tissulaire qui serait à l’origine sévérité des lésions, c’est-à-
de cette réaction. Certaines dire l’épaisseur des plaques,
données suggèrent une réac- des squames, et surtout la
tion immunitaire croisée avec surface à traiter.
des antigènes bactériens. En
effet, les poussées de pso- 2.3.1. Traitement topique
riasis commencent souvent, Dans le cas d’un psoriasis
en particulier chez l’enfant, léger, qui occupe une faible
après une angine à strepto- proportion de la surface cor-
coque. Certaines protéines porelle12 (moins de 2 %), les
de streptocoque ont une forte patients sont traités par un
homologie avec des kératines produit topique appliqué loca-
de l’épiderme, ce qui pour- lement sur la peau. Pour des
rait en quelque sorte tromper psoriasis modérés (moins de
10 % de surface corporelle), le
11. Maladie auto-immune : mala-
die due à un dysfonctionnement du 12. 1% de surface corporelle cor-
système immunitaire qui s’attaque respond à peu près à la surface
à des constituants normaux de d’une main, paume et doigts com-
216 l’organisme. pris.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
choix du traitement est guidé protocoles peuvent être utili-
à la fois par l’étendue des sés : les patients sont expo-
lésions et également par le sés soit à des rayonnements
retentissement sur la qualité UVB, soit à des rayonnements
de vie du patient. Dans le cas UVA combinés avec la prise de
des psoriasis sévères, on uti- psoralènes (on parle de PUVA
lise des traitements par voie thérapie). Dans tous les cas,
systémique, c’est-à-dire orale on recherche un effet antipro-
ou injectable. lifératif sur les kératinocytes,
Trois classes pharmacolo- qui peut se combiner à l’effet
giques sont utilisées dans les immunosuppresseur14 des UV.
formes topiques peu sévères : L’avantage principal de la pho-
les corticostéroïdes, les ana- tothérapie est qu’elle permet
logues de vitamine D et les de traiter de grandes surfaces,
rétinoïdes (Tableau 1). Ces jusqu’au corps entier. La pho-
traitements agissent sur la tothérapie induit en général
prolifération et/ou la différen- de longues rémissions et
ciation de l’épiderme, et ont ne présente pas les effets
des effets anti-inflammatoires secondaires des traitements
et immuno-modulateurs. Mais systémiques. En revanche, le
ces traitements locaux ne sont patient doit avoir accès à un
plus une solution quand les centre équipé pour de la pho-
surfaces corporelles atteintes tothérapie, et le traitement est
sont trop étendues. contraignant avec plusieurs
séances par semaine sur plu-
2.3.2. Photothérapie sieurs mois. Cette approche
Dans ce cas, on peut faire thérapeutique est limitée dans
appel à la photothérapie13 , le temps puisque l’exposi-
qui exploite certains effets tion UV cumulée sur le long
bénéfiques des UV. Différents terme augmente le risque

13. Photothérapie : traitement 14. Effet immunosuppresseur :


par un rayonnement électroma- atténuation ou suppression des
gnétique non-ionisant, souvent la réactions immunitaires de l’orga-
lumière. nisme.

Effets sur l’épiderme Effets sur l’inflammation


Corticostéroïdes modérés Réduisent la prolifération des Effet anti-inflammatoire
à forts kératinocytes de l’épiderme important et rapide
Dérivés de la vitamine D Régulent la prolifération Effet immuno-modulateur
(ex. : calcitriol, calcipotriol) et la différenciation (action lente
des kératinocytes sur l'inflammation)
Combinaison bétaméthasone Action complémentaire des corticoïdes
+ calcipotriol et des dérivés de la vitamine D
Rétinoïdes (tazarotène) Régulent la prolifération Effet anti-inflammatoire
et la différenciation modéré (irritant au début)
des kératinocytes

Tableau 1
Les traitements topiques du psoriasis. 217
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

de développer des cancers orale présentent des effets


cutanés. Ce n’est donc pas secondaires, qui sont bien
une solution pérenne pour les connus puisqu’ils sont utilisés
patients qui restent affectés depuis longtemps. En géné-
sur de longues périodes. ral, ces effets adverses sont
bien gérés pour la plupart
2.3.3. Traitements systémiques des patients, qui sont suivis
Pour les patients les plus de très près tout au long de
sévères, on fait appel à des leur thérapie.
traitements systémiques par
2.3.4. Traitements systémiques
voie orale, qui sont en géné-
ciblés
ral des immuno-modulateurs
ou des immunosuppresseurs Cer tains patients sévères
(Tableau 2). Par exemple, le restent en échec thérapeu-
méthotrexate est un traite- tique sous traitement oral
ment anti prolifératif qui agit et leur prise en charge a été
au niveau des kératinocytes révolutionnée par l’arrivée
et des cellules inflamma- des traitements systémiques
toires. La cyclosporine est ciblés : on parle de biothé-
également beaucoup utilisée, rapie ou de médicaments
elle a un effet immunosup- biologiques. Ces thérapies
presseur sur l’ensemble de ciblent spécifiquement cer-
la réponse immunitaire qui tains médiateurs chimiques,
touche les lymphocytes T. les cytokines15, qui sont impli-
Les rétinoïdes par voie orale quées dans la cascade inflam-
matoire du psoriasis. Elles
régulent davantage la diffé-
utilisent des anticorps ou des
renciation du kératinocyte et
ont également des effets anti-
inflammatoires. 15. Cytokines : synthétisées par les
cellules du système immunitaire,
Sans entrer dans les détails, elles permettent la communication
tous ces traitements par voie cellulaire.

Effets Effets Avantages


sur l’épiderme sur l’inflammation & inconvénients
Méthotrexate Réduit la prolifération Réduit la prolifération – Risque d’interactions
des kératinocytes des cellules médicamenteuses
inflammatoires – Toxicité pulmonaire et
hépatique sur le long terme
Cyclosporine ? Effet immuno- – Action souvent rapide
suppresseur sur les – Toxicité rénale
lymphocytes T – Augmente le risque
de cancers cutanés post-
photothérapie
Rétinoïdes Régule la prolifération Effet anti- – Pas d’immunosuppression
(étrétinate et la différenciation inflammatoire – Sécheresse cutanéo-
et acitrétine) des kératinocytes muqueuse
– Perturbation lipidique

Tableau 2
218 Les immuno-modulateurs et immunosuppresseurs pour le traitement systémique du psoriasis.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
protéines recombinantes16 , l’interleukine 17, le recul reste
qui vont aller cibler la cytokine limité sur leur sécurité à long
elle-même ou son récepteur. terme. Ils sont donc réservés
Les médicaments biologiques aux patients les plus sévères
aujourd’hui disponibles pour en échec thérapeutique sous
le traitement du psoriasis ont traitement oral. Ils sont admi-
initialement été développés nistrés par voie injectable et
dans l’arthrite rhumatoïde, la première prescription se
qui a des caractéristiques fait en milieu hospitalier après
communes avec le psoriasis. un bilan complet pour vérifier
Ils ciblent soit le TNF alpha17, entre autres qu’il n’y a pas de
soit une sous-unité commune risque infectieux sous-jacent
aux interleukines18 12 et 23, asymptomatique.
soit l’interleukine 17. Ces traitements ont aidé à
Ces traitements présentent mieux comprendre quelles
une forte efficacité et sont très étaient les cytokines clés dans
chers. Pour les plus récents la physiopathologie du psoria-
comme ceux qui ciblent sis : TNF alpha, IL-12, IL-23 et
IL-17 (Figure 6). Cette informa-
tion est très importante car
16. Protéine recombinante : pro-
téine produite par une cellule dont
elle ouvre la porte à de nou-
le matériel génétique a été modi- velles voies thérapeutiques.
fié par recombinaison génétique, En effet, si on est capable de
et qui peut être utilisée à des fins cibler ces cytokines par des
thérapeutiques. approches plus classiques
17. TNF alpha : Tumor Necrosis avec de petites molécules
Factor, cytokine impliquée dans les
chimiques, on peut espérer
réactions inflammatoires.
18. Interleukines : groupe de cyto- avoir un bénéfice dans la
kines qui stimulent les réponses pathologie, en particulier chez
du système immunitaire. des patients moins sévères

Activation et
prolifération
des kératinocytes

Brodakinumab IL-17A
(IL-17 IL-17F
récepteur) IL-22
Stress
de la peau
Secukinumab
brekinumb
Figure 6
Th17
IL-2
IFNу IL-17A Th17
Identification des cytokines
IL-1ß
IL-6
Etanercept TNF IL-17F
Th17 intervenant dans la
infliximab
TNF Adalimunab
TR1 TR17
Th17
physiopathologie du psoriasis
grâce aux médicaments
Th17
Ustekinumab

Liaison IL-12 IL-23 biologiques.


+ Activation
Source : Gaspari A.A.,
Tyring S. (2015). New and
Macrophage
cellule dendritique
dermique
T-naive emerging biologic therapies
Cycle for moderate-to-severe plaque
maintenu
avec IL-1ß
psoriasis: mechanistic rationales
IL-6 TNF and recent clinical data fot IL-17
Ganglion lymphatique
and IL-23 inhibitors, Dermatol.
Therapy, 28 : 179-193 (Wiley). 219
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

qui pourraient bénéficier de de l’environnement ou de l’ali-


ces nouvelles avancées. mentation.
Dans la rosacée de type 2
(Figure 7B), les signes cli-
3 La rosacée
niques sont différents, avec un
érythème persistant associé à
Une autre pathologie cuta- des papules et des pustules20 ;
née fréquente, la rosacée, la peau est sensible avec des
qui affecte le système vascu- sensations de brûlure et pico-
laire, va illustrer les étapes tement.
de la recherche d’un nouveau Enfin le type 3 (Figure 7C), dif-
médicament. férent sur le plan clinique, est
caractérisé par un rhinophima,
c’est-à-dire une hyperplasie
3.1. Caractérisation au niveau du nez avec une peau
de la pathologie épaisse et des pores dilatés.
La rosacée se caractérise par La Société Galderma a initié
trois sous-types cutanés. Le un programme de recherche
type 1 (Figure 7A) est essen- pour caractériser ces diffé-
tiellement caractérisé par rents sous-types au niveau
un érythème19 permanent et moléculaire, afin d’identifier
des télangiectasies, c’est-à- de nouvelles cibles d’intérêt
dire de petits vaisseaux dila- thérapeutique.
tés visibles en surface de la Des biopsies prélevées dans
peau. Ces patients ont la peau ces trois sous-types, ainsi que
très sensible et développent des biopsies de peau saine, ont
des érythèmes transitoires, été analysées par différentes
qu’on appelle des flushs, en techniques. Tout d’abord, la
réponse à différents stimuli

20. Papules et pustules : boutons


19. Érythème : lésion dermatolo- rouges en raison de l’inflammation
gique caractérisée par une rou- sous-jacente associés ou non à la
geur cutanée. présence de liquide purulent.

A B C

Figure 7
Les manifestations cutanées des différents types de rosacée : A) type 1 : érythème persistant, télangiectasies
et flushs ; B) type 2 : érythème persistant, papules/pustules et brûlures/picotements ; C) type 3 : peau épaisse,
220 pores dilatés, télangiectasies et rhinophima.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
transcriptomique 21 permet des cellules qui synthétisent
d’identifier, à l’échelle molé- ces différentes protéines
culaire, les gènes qui sont (Figure 8).
fortement modulés dans les La Figure 9 présente le résultat
différents sous-types, ce qui de l’analyse transcriptomique
permet de formuler de pre- à large échelle, c’est-à-dire
mières hypothèses. Celles- l’analyse de l’expression de
ci sont ensuite confirmées à l’ensemble du génome dans
l’échelle de la protéine, pour les différents sous-types de
vérifier que les ARN surexpri- rosacée par rapport à la peau
més vont bien conduire à la saine. Chaque ligne corres-
surexpression de la protéine pond à l’expression des gènes
correspondante. d’une biopsie, et chaque petit
Un certain nombre de tra- trait vertical correspond à
vaux ont également été réali- l’expression d’un gène : plus
sés par immunohistochimie22 la couleur est bleue, moins le
pour s’assurer de l’identité gène est exprimé, plus elle est
rouge plus le gène est exprimé.
21. Transcriptomique : étude de Cette analyse montre que
l’ensemble des ARN messagers chaque groupe d’échantil-
produits lors du processus de lons (peau saine, rosacée de
transcription d’un génome. type 1, 2 ou 3) possède sa
22. Immunohistochimie : méthode
propre signature d’expres-
de localisation de protéines dans
les cellules d’une coupe de tissu, sion génique. Ainsi, les gènes
par la détection d’antigènes au surexprimés dans une peau
moyen d’anticorps. saine sont peu exprimés dans

Figure 8
Méthodes utilisées pour
la caractérisation des types
de rosacée et l’identification
de cibles thérapeutiques.

Figure 9
L’analyse transcriptomique montre
les différences d’expression
des gènes dans les différents sous-
types de rosacée par rapport
à la peau saine.
Source: Steinhoff et coll. (2011).
J. Invest. Dermatol. Symp.
Proc., 15 : 2-11. 221
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

la rosacée et des groupes présentant des caractéris-


de gènes surexprimés dans tiques cliniques communes,
chaque sous type de rosacée avec des papules et des pus-
ont pu être identifiés. Par tules sur le visage (Figure 10).
exemple, 519 gènes fortement Les profils transcriptomiques
exprimés dans les papules de de papules de rosacée de
rosacée de type 2 ont été iden- type 2 et d’acné ont été com-
tifiés. On peut se demander si parés afin d’identifier des
ces gènes sont des marqueurs marqueurs spécifiques de
spécifiques de la rosacée, chaque pathologie.
ou s’ils seraient également L’analyse comparative s’est
surexprimés dans d’autres focalisée sur le processus
papule s infl ammatoire s , inflammatoire : les cytokines
comme celles de l’acné. et leurs récepteurs les plus
modulés dans chaque patho-
3.2. L’acné et la rosacée de logie ont été sélectionnés,
type 2, analyse différentielle puis on leur a attribué un
code couleur en fonction des
L’acné et la rosacée de types cellulaires ciblés par
type 2 sont deux pathologies ces cy tokines : bleu pour
les neutrophiles 23 , orange
pour les cellules T, jaune
pour les kératinocytes, etc.
(Figure 11)
La Figure 12 présente les
résultats de l’analyse réali-
sée sur quatre études indé-
pendantes : deux études sur
l’acné et deux études sur la
rosacée. Le profil de surex-
pression des gènes est clai-
rement différent dans les deux
pathologies.
Ainsi, dans l’acné, beaucoup
de cytokines sont impliquées
dans l’activation des neutro-
philes. Au contraire, dans la
rosacée de type 2, la réponse
est dominée par des cytokines
impliquées dans l’activation
Figure 10 des lymphocytes.
Caractéristiques cliniques
communes à la rosacée de type 2 23. Neutrophiles : cellules du sys-
et à l’acné : atteinte du visage, tème immunitaire, sous-famille
papules et pustules. des polynucléaires.

Figure 11 Recrutement Recrutement Lymphocyte T/monocyte/


des neutrophiles de lymphocytes T macrophage
Analyse différentielle de la rosacée Cellules dendritiques/monocyte/ Lymphocytes B Lymphocyte T/granulocyte
de type 2 et de l’acné : code couleur Migration des macrophages
attribué aux différents types de Effet
222 cellules ciblés par les cytokines. sur les kératinocytes
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
Acné Acné Rosacée Rosacée
de type 2 de type 2
GeoGSE6475 Étude acné Étude Étude
rosacée 1 rosacée 2

Figure 12
Rosacée type 2 et acné : analyse
comparative des gènes les
plus modulés. Dans l’acné, les
cytokines les plus modulées sont
impliquées dans le recrutement
des neutrophiles (code bleu),
tandis que la rosacée de type 2
est dominée par des cytokines
impliquées dans le recrutement de
lymphocytes T (code orange).
Source : Déret et coll. (2013).
J. Invest. Dermatol., 133 : S131.

Ces résultats permettent de (Figure 13). En lien avec l’ana-


bâtir les premières hypo- lyse de la littérature, ce travail
thèses, et d’identifier des cyto- aboutit à la sélection d’une
kines d’intérêt thérapeutique cible thérapeutique qu’on va
potentiel pour traiter chaque chercher à moduler par les
pathologie : par exemple il petites molécules chimiques
est intéressant de cibler la pour mettre au point un médi-
cytokine IL8 pour l’acné, alors cament.
qu’on aura plutôt tendance à Si on replace ces études
cibler une cytokine qui joue dans le cadre du développe-
dans l’activation du lympho- ment d’un médicament, elles
cyte pour la rosacée de type 2. sont situées au tout début
des étapes de recherche (en
rouge sur la Figure 14). Le
4 Développement
d’un médicament
processus de mise au point
du médicament est très long,
avec des coûts qui augmen-
4.1. Les étapes de la phase tent de manière exponentielle,
de recherche pour en particulier quand on atteint
la sélection de candidats les phases de développement
Les exemples précédents ont clinique et d’évaluation chez
permis d’illustrer une des les patients.
technologies utilisées pour Concentrons-nous sur ces
identifier de nouvelles cibles. premières étapes de l a
D’autres techniques sont recherche (Figure 15). Nous
mises en œuvre et contribuent venons de voir la sélection
à l’interprétation biologique de la cible, c’est-à-dire de la 223
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 13
Le processus de recherche et sélection de cibles thérapeutiques.

Figure 14
Les coûts augmentent de manière
exponentielle dans les phases
de recherche et de développement
d’un médicament.

Recherche Candidat : profil pharmacologique,


pharmacocinétique et toxicologique adapté
Leads : forte activité et propriétés
physico-chimiques adaptées
Recherche : protéine Hits : recherche
impliquée dans la d’activité
physiopathologie. Sélection de
Fonction modulable Optimisation candidat
par des petites Recherche de leads
Figure 15 molécules chimiques de hits
Sélection
Les premières étapes de cible
de la recherche d’un médicament.

protéine impliquée dans la de moduler son action :


physiopathologie. L’objectif par exemple, si la cible est
est alors d’identifier une petite une enzyme, une molécule
224 molécule chimique capable capable d’inhiber son activité.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
On passe alors à l’étape de d’évaluation, pour bâtir de
recherche des premières molé- nouvelles hypothèses, modi-
cules actives, appelées « hits », fier leurs molécules, et au fur
selon le terme anglais. Ces et à mesure des cycles d’éva-
hits sont ensuite optimisés luation, arriver à une molécule
par des chimistes médicinaux optimisée qui corresponde à
pour aboutir à des « leads », leur cahier des charges.
qui ont à la fois une forte acti- Dans cette étape d’évaluation,
vité et des propriétés physico- les molécules sélectionnées
chimiques adaptées à la voie sont évaluées dans des tests
d’administration choisie. de plus en plus complets au
Parmi les leads optimisés, le fur et à mesure de l’avance-
candidat clinique sélectionné ment du projet (Figure 17). Au
sera celui qui a non seulement début, des tests moléculaires
un profil pharmacologique simples sont réalisés in vitro,
optimal pour l’efficacité dans pour évaluer l’activité des
les modèles non cliniques, hits/leads sur l’enzyme, si on
mais également un profil reprend l’exemple choisi.
pharmacocinétique garantis- Des tests cellulaires fonc-
sant une bonne distribution tionnels sont ensuite réali-
dans l’organisme par rapport sés in vitro, sur des cellules
à l’effet recherché, et un profil pertinentes par rapport à
toxicologique adapté. la pathologie étudiée. Si on
L’étape d’optimisation des leads s’intéresse au psoriasis,
(Figure 16) permet d’évaluer on peut par exemple tester
les relations entre la struc- un effet sur la prolifération
ture, l’activité et les proprié- des kératinocytes, ou sur la
tés des molécules. C’est un différenciation des lympho-
processus itératif, qui est pré- cytes T selon la cible consi-
senté dans le Chapitre d’après dérée. On utilise ensuite des
la conférence de C. Bouix-Peter modèles tissulaires, dans
dans cet ouvrage Chimie, lesquels l’épiderme ou la
dermo-­cosmétique et beauté peau sont reconstruits in
(EDP Sciences, 2017). Les vitro en trois dimensions
chimistes doivent prendre en (voir les Chapitres de S. Del
compte toutes les informations Bino et J. Leclaire dans Chimie,
qui proviennent de la cascade dermo-­cosmétique et beauté).

Figure 16
Recherche de hits/leads et
optimisation en chimie médicinale. 225
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Cer tains tests pharmaco- pour une application topique,


logiques sont également on pourra évaluer la péné-
conduits sur des modèles de tration cutanée des actifs et
peau ex vivo, dans lesquels la s’assurer que les molécules
peau issue de chirurgie plas- ne sont pas phototoxiques.
tique est maintenue fonction-
nelle en organo-culture.
4.2. L’évaluation clinique
Les molécules les plus actives
sont ensuite évaluées dans La molécule candidate sélec-
des modèles d’efficacité qui tionnée est alors prête pour
reproduisent chez l’animal les entrer dans les phases d’éva-
caractéristiques de la patho- luation clinique, qui suivent
logie ciblée (par exemple, un la réglementation pour les
modèle qui reproduit chez la produits pharmaceutiques
souris les caractéristiques du (Figure 18). Les études de
psoriasis : Figure 17). phase 1 sont réalisées chez
En parallèle de toutes ces des volontaires sains ; leur
analyses pharmacologiques, objectif est de s’assurer de la
qui mesurent l’activité des tolérance au produit et d’étu-
molécules, une série de tests dier sa pharmacocinétique,
in vitro évalue de manière c’est-à-dire comment il se
précoce la distribution de la distribue dans l’organisme et
molécule dans l’organisme et en particulier dans la peau.
l’absence d’alerte de toxicité. Les premières études chez
On parle de tests d’« early les patients sont des études
ADMET » (Absorption, Distri- de phase 2, où l’on va toujours
bution, Métabolisme, Élimina- s’intéresser à la sécurité mais
tion et Toxicité). Par exemple, aussi à l’efficacité. Dans ces

Histologie
Modèle d’efficacité
orienté psoriasis
Epidermes
reconstruits Peau humaine Score clinique
Différentiation 6
lymphocytes T CD4 ex vivo 5
Meal+/-SEM

4 Placebo
105 0.53 3 Placebo Hypogranulosie Parakeratosis
FoxP3 Alexa 647-A

104
2 IMQ
1 Epidermal hyperplasia
103 0
2 3 4 5
102 In vitro 3D Days
0 IMQ
16.82 40.82
-102
0 103 104 105
(tissulaire)
CD25 BV421-A In vivo
(animal)
Tests fonctionnels In vitro
Evaluation Photo cytotoxicité
(cellulaire)
100
Prolifération kératinocytes Pénétration
120 eADMET 80
% viabilité

+ UV
In vitro cutanée - UV
60
% control

80
(moléculaire) 40
40 20
- Activité
0 0
0.1 100
- Sélectivité 0,01 1 100
nM Dose (uq/mL)

Figure 17
Recherche de hits/leads et optimisation. Processus itératif d’évaluation des molécules dans la recherche
226 de médicaments contre les maladies de la peau.
La peau : exemples de pathologies et solutions thérapeutiques
études, on évalue en général développement des médica-
l’efficacité de plusieurs doses ments est d’évaluer et maî-
pour choisir la dose qui sera triser le risque le plus tôt
utilisée dans les études de possible, avant d’entamer les
phase 3. Celles-ci sont des phases les plus coûteuses.
études sur un grand nombre Dès les étapes précoces, il
de patients, qui confirment à faut s’assurer que les résul-
la fois l’efficacité et la sécu- tats générés dans les modèles
rité, et qui souvent comparent non cliniques seront repro-
le nouveau médicament à un duits dans la peau humaine
standard déjà sur le marché. pour gagner en confiance dans
En parallèle de ces études cli- le mécanisme d’action qui est
niques, se déroule tout un pro- en train d’être évalué. Dans
gramme de développement non ce but, des études de « preuve
clinique, qui évalue la toxicité de mécanisme » sont réali-
de la molécule chez l’animal et sées le plus tôt possible afin
permet de calculer une marge de s’assurer que le candidat
de sécurité pour s’assurer que médicament atteint bien sa
les patients sont en sécurité au cible dans la peau. Cela peut
être mené par exemple en
cours de ces essais.
utilisant des biomarqueurs
L’ensemble de tout ce plan d’engagement de la cible. Par
de développement clinique et exemple, si la cible est une
non clinique est construit en enzyme et qui doit diminuer la
lien direct avec les autorités quantité de TNF alpha, on peut
de santé et servira de support mettre en place un modèle
pour le dossier d’enregistre- pharmacologique clinique
ment. dans lequel le TNF alpha est
Le pr incipal enjeu dans induit par un stimulus chez le
les phases précoces de volontaire sain, et vérifier que
Non clinique

Avant 1ère administration à l’homme


Génotoxicité
Toxicité sub-chronique Toxicité chronique
Pharmacologie de sécurité
Repro-toxicité Fertilité et péri-post natalité
Toxicité aiguë et subaiguë
Pharmacocinétique Pharmacocinétique
Tolérance locale
Pharmacocinétique

Phase I
Carcinogénicité
Volontaires sains Phase II Photo-carcinogénicité
Tolérance Patients
Clinique

Pharmacocinétique Efficacité/sécurité
Phase III
Choix de dose
Grand nombre de patients

Confirmation efficacité/sécurité Dossier


Essais comparatifs

Figure 18
Les phases de développement d’un médicament. 227
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

la molécule choisie est bien du candidat médicament, dont


capable de diminuer le TNF on s’est assuré qu’il engageait
localement dans la peau. Ces bien sa cible, se traduit par
études sont en général assez un bénéfice clinique chez le
courtes, et les prérequis de patient. En général, ces pre-
toxicologie pour les conduire mières études sont conduites
sont limités ; leur coût reste sur un nombre de patients
donc limité. relativement faible pour avoir
Ces études de preuve de le plus rapidement possible
méc anisme vont donner la confirmation de l’intérêt de
confiance avant de progresser l’approche. Pour des molé-
vers des études de « preuve cules administrées par voie
de concept ». Ce sont les pre- topique, on utilise souvent
mières études réalisées sur le des designs intra-individuels,
patient afin de tester l’hypo- c’est-à-dire que le patient est
thèse de départ. Le but est de son propre contrôle. Si on
vérifier que l’administration reprend l’exemple du pso-
riasis, on peut, sur la même
plaque d’un patient, évaluer
par exemple deux concentra-
tions de la molécule active par
Figure 19 rapport à son placebo et par
Étude de preuve de concept rapport à un produit de réfé-
en design intra-individuel rence actif dans le psoriasis
dans le psoriasis. (Figure 19).

Vers une meilleure compréhension


des pathologies de la peau
Bien que facilement accessibles, beaucoup de
pathologies dermatologiques courantes ont
longtemps été mal caractérisées. Les résultats
cliniques des biothérapies et la caractérisation
moléculaire des lésions permettent aujourd’hui
de mieux comprendre les mécanismes physio-
pathologiques sous-jacents et d’envisager de
nouvelles thérapeutiques plus ciblées.

228
Jacques Leclaire
L’ aventure
des produits
inoffensifs :
une approche

pionnière
de la sécurité
en
cosmétique
Jacques Leclaire est le directeur scientifique international du
groupe L’Oréal 1. Il est un expert de toxicologie moléculaire
pour prédire les effets secondaires potentiels et les interactions
inter-médicamenteuses. Il est aussi membre de l’Académie des
Technologies et membre du jury international du prix L’Oréal
UNESCO pour les femmes et la science.

1. www.loreal.fr
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

1 La cosmétique n’est
pas une discipline
futile
des partenaires académiques
dans le monde, et au prix de
beaucoup d’énergie et d’in-
vestissements, a réalisé,
1.1. L’enjeu des produits comme nous allons le voir,
inoffensifs un parcours immense qu’il
L’enjeu des produits inoffen- reste encore à achever. Nous
sifs représente quarante ans allons voir en quoi ces efforts
de détermination de l’indus- et ces contraintes ont contri-
trie cosmétique, qui est la bué très fortement, et c’est le
seule à essayer de suppri- plus important, à l’innovation.
mer l’expérimentation ani- L’aventure des produits inof-
male dans un certain nombre fensifs, c’est aussi l’histoire du
de domaines, notamment Groupe L’Oréal avec son fonda-
dans certains champs toxi- teur Eugène Schueller qui, dès
cologiques. Au départ, cela 1909, inventa la teinture inof-
pouvait paraître comme une fensive pour cheveux (Figure 1).
utopie, mais c’est quasiment Et cette obsession de la sécurité
la seule industrie qui, avec restera ancrée dans les gènes
de l’entreprise qui prendra très
tôt la décision de se lancer dans
la recherche et le développe-
ment de méthodes alternatives
à l’expérimentation animale
pour aborder plus finement et
plus précocement les aspects
de sécurité dans le processus
de recherche (Figure 2). Ce
combat pour essayer de trou-
ver des solutions alternatives à
Figure 1 l’expérimentation animale a été
initié dès les années 1970 en se
Eugène Shueller fonde L’Oréal lançant dans le très grand défi
en créant la première teinture
inoffensive.

Figure 2
L’Oréal s’est lancé, dès les
années 1970, le défi des peaux
reconstruites afin de développer
une méthode alternative à
230 l’expérimentation animale.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
Figure 3
Le maquillage et les soins dans
la préhistoire et l’Égypte ancienne.

de la reconstruction de la peau quarante flacons de fards à


humaine. yeux antiques, nous avons
Des produits inoffensifs, c’est montré que les Égyptiens met-
ce que la réalité des faits nous taient quarante jours à obtenir
amène à constater d’une façon certains composés chimiques
générale pour l’industrie de la indispensables à leur confec-
beauté et dans le cas particulier tion.
de L’Oréal qui, depuis 107 ans, Le procédé chimique donnait
n’a jamais connu un seul retrait naissance à deux compo-
du marché pour effets secon- sés, la laurionite et la phos-
daires graves d’un produit, alors génite, connus pour leurs
que le groupe met aujourd’hui vertus bactéricides qui pro-
annuellement environ 5 000 for- tégeaient les yeux des infec-
mules nouvelles sur le marché tions qui accompagnaient les
et vend 7 milliards de produits crues du Nil et qui touchaient
dans le monde. toutes les populations. Les
Égyptiens maîtrisaient la
chimie des solutions en éla-
1.2. La cosmétique est borant des produits à base
une science de longue date de galène, un sel de plomb
Depuis la nuit des temps, les interdit aujourd’hui en cos-
produits cosmétiques ont mon- métique. La Figure 4 montre
tré qu’ils n’étaient pas futiles.
Ils ont toujours contribué à l’es-
time de soi, au lien social et à
l’hygiène de chacun. Les gestes
d’hygiène étant les premiers
gestes de beauté (Figure 3). La
préparation des fards pour les
yeux en Égypte ancienne (voir le
Chapitre de P. Walter dans cet
ouvrage Chimie, dermo-cosmé-
tique et beauté, EDP Sciences,
2017) s’appuie déjà sur la
science et la technologie. Dans
le cadre d’une collaboration
avec le Centre de Recherche et Figure 4
de Restauration des Musées de Reproduction d’un maquillage
France (C2RMF), en analysant des yeux de l’Égypte ancienne. 231
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

un exemple de maquillage Angela Davis fit de sa cheve-


des yeux selon le modèle de lure un instrument de revendi-
l’Égypte ancienne. cation politique et sociale pour
promouvoir la beauté noire
et dépit du racisme ambiant
1.3. La place des des années 1960. Son credo
cosmétiques dans la société fut toujours : « Be accepted as
contemporaine I am » (Figure 5).
Quelques exemples contem- Apprendre à accepter le
porains illustrent l’importance regard des autres et à s’ac-
des produits cosmétiques dans cepter soi-même au détour
la vie de tous les jours. Par d’une maladie, c’est aussi un
exemple, bien que tous les rôle essentiel que jouent les
produits cosmétiques aient été produits de soin comme dans
rationnés pendant la Seconde le cas particulier des patients
Guerre mondiale, Winston atteints de cancers ou de
Churchill décida de mainte- maladies chroniques.
nir la production de rouges à Mais les cosmétiques
lèvres car il estimait que c’était aujourd’hui, c’est satisfaire
important pour le moral ! tout simplement la très
grande diversité des besoins
de beauté des consommateurs
du monde entier (Figure 6),
en particulier dans les pays
émergents quand les gestes
d’hygiène sont les premiers
gestes de beauté.

2 Le combat pour
la suppression de
l’expérimentation animale

2.1. Science et éthique : la fin


de l’expérimentation animale
Figure 5
Angela Davis :
L’engagement du groupe
« black is beautiful ». L’Oréal dans l’aventure de
Source : Wikipédia, CC-BY- la suppression de l’expé-
SA-3.0, Yuriy Ivanov. rimentation animale a été

Figure 6
232 La diversité de la beauté à travers le monde.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
historiquement motivé dès le stratégiques : l’absorption
milieu des années 1970 par cutanée et les réactions d’into-
deux convictions fortes : lérances locales.
−− une conviction éthique, basée
sur le fait qu’il fallait antici-
2.2. Modèle de peau
per les aspirations sociétales
et technologies d’étude
vis-à-vis de la suppression de
de l’absorption cutanée
l’expérimentation animale ;
−− une conviction scientifique, En toxicologie, pour évaluer
basée sur le fait qu’il était le risque et pour avoir une
impératif de modéliser la idée de l’exposition, il était
peau humaine pour mieux la essentiel de pouvoir prédire
comprendre et mieux abor- le plus tôt possible le passage
der la diversité des peaux. Ce transcutané chez l’homme de
n’étaient pas les peaux d’ori- nouveaux ingrédients (formu-
gine animale qui apporteraient lés ou non), après application
la solution. topique sur la peau.
For ts de ces convictions, Les premiers travaux dans ce
nous avons relevé le défi dès domaine se sont concentrés
le milieu des années 1970 sur la recherche du meilleur
où nous avons initié les pre- modèle pour réaliser cette
mières recherches de recons- évaluation. Des peaux de dif-
truction de la peau humaine férentes origines animales
(Figure 7). ont été testées et évaluées.
Mais la peau humaine excisée
Quand on se lance le défi de provenant de résidus opéra-
supprimer l’expérimentation toires de chirurgie esthétique
animale dans le champ de la s’est avérée être le modèle
sécurité des produits, on com- le plus intéressant. Cette
mence par les priorités et, en peau, montée sur une cellule
cosmétique, la priorité c’est dynamique de Franz (voir le
l’application topique. Et c’est Chapitre de P. Humbert dans
la raison pour laquelle dès le Chimie, dermo-cosmétique et
début, les efforts méthodo- beauté), permet d’étudier le
logiques et de recherche ont devenir des ingrédients.
démarré sur deux domaines :
Près de quinze ans de
le premier était l’absorption
recherche ont été néces-
percutanée (voir le Chapitre
saires, ne serait-ce que pour
de P. Humbert dans Chimie,
mettre au point un modèle
dermo-cosmétique et beauté),
pertinent pour l’évaluation
le second domaine était celui
in vivo chez l’homme de l’étude
de la tolérance locale, qui
de l’absorption percutanée en
couvre plusieurs domaines
(irritation cutanée et oculaire,
corrosion, inconfort et picote-
ments, allergie, phototoxicité,
etc.).
Il y a quarante ans, nous nous
sommes donc lancés dans Figure 7
la recherche et le dévelop- Les peaux reconstruites
pement de méthodes alter- participent à la suppression
natives dans deux domaines de l’expérimentation animale. 233
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

routine. Il aura pourtant fallu microscopies confocales, de


presque dix ans après cette microscopie multiphotonique6,
découverte pour qu’en 1998 pour pouvoir localiser les ingré-
l’OCDE (Organisation de Coo- dients dans la peau (Figure 8).
pération et de Développement
Économiques) reconnaisse
officiellement cette méthode. 2.3. La tolérance aux produits
et ingrédients
Ces études sont complexes,
et en 2017, il reste encore Un autre sujet a mobilisé et
d’énormes défis méthodo- mobilise encore les efforts
logiques à résoudre dans ce de l’industrie cosmétique bien
domaine. Aujourd’hui, des qu’on y travaille depuis qua-
membranes synthétiques uti- rante ans : c’est celui de la
lisant la microfluidique2 per- tolérance aux produits et aux
mettent d’aller plus vite, mais
sur le plan stratégique, il faut externe d’un matériau en exploi-
encore pouvoir prendre en tant le phénomène physique selon
compte la pharmacocinétique3 lequel un milieu modifie légère-
ment la fréquence de la lumière
et la localisation précise dans
qui y circule. Ce décalage en fré-
les différentes couches de la quence (effet Raman) correspond
peau : le passage par la voie à un échange d’énergie entre le
transfolliculaire4 par exemple rayon lumineux et le milieu, et
n’est pas encore compléte- donne des informations sur le
ment compris. substrat. La spectroscopie Raman
consiste à envoyer une lumière
C’est pourquoi aujourd’hui, monochromatique sur l’échantillon
une grande partie des efforts et à analyser la lumière diffusée.
méthodologiques sont dédiés à 6. Microscope multiphotonique :
l’utilisation des techniques de outil de recherche puissant qui
spectroscopie, principalement combine les techniques avancées
d’optiques du microscope confocal
le Raman5 et ses dérivés, de
(obtention d’une image tridimen-
sionnelle grâce à un positionne-
2. Microfluidique : science de ment du plan focal de l’objectif à
la manipulation des fluides à différents niveaux de profondeur
l’échelle micrométrique. dans l’échantillon) avec une exci-
3. Pharmacocinétique : étude du tation multiphotonique (absorption
devenir d’une substance après son quasi-simultanée de plusieurs
administration. photons d’excitation d’une lon-
4. Voie transfolliculaire : qui s’in- gueur d’onde proche d’un multiple
corpore au sébum. de l’excitation optimale à un pho-
5. Spectroscopie Raman : méthode ton), avec de grandes longueurs
non destructive d’observation et de d’onde pour imager des échantil-
caractérisation de la composition lons en haute résolution en trois
moléculaire et de la structure dimensions.

Figure 8
Observation par microscopie
234 biphoton.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
ingrédients. Par tolérance on avec des progrès majeurs,
entend les phénomènes d’irri- les recherches dans ces
tation et d’inconfort. domaines se poursuivent pour
L’inconfort est une notion améliorer en particulier leur
essentielle en cosmétique. Il pouvoir prédictif.
s’agit de toutes ces sensations À titre d’exemple, un phéno-
et ces petits signes de tiraille- mène aussi simple que l’in-
ment, picotements, échauffe- confort implique les récep-
ments, etc. Ce sont des mani- teurs nociceptifs et correspond
festations sensorielles sans à une cascade mécanistique
signes cliniques visibles mais complexe impliquant l’activa-
qui peuvent être rédhibitoires tion de récepteurs et canaux
pour l’acceptabilité d’un pro- ioniques comme le récep-
duit cosmétique. Les sensa- teur TRPV1, exprimé dans les
tions d’inconfort impliquent le kératinocytes7 (Figure 9).
système nerveux périphérique Ce type d’études de l’activa-
et les médiateurs de l’inflam- tion du récepteur via l’influx
mation. La mise au point de calcique tourne maintenant en
modèles pertinents dans ce routine dans les laboratoires
domaine est complexe. de L’Oréal, mais nous travail-
L’irritation cutanée et oculaire, lons aussi sur la modélisa-
mais aussi les phénomènes de tion d’un certain nombre de
phototoxicité et les allergies de
contact, sont une réaction à la
fois locale et systémique. 7. Kératinocytes : cellules qui
constituent 90 % de la couche
Bien qu’initiées il y a plu- superficielle de la peau et des
sieurs dizaines d’années cheveux, ongles, etc.

réaction immunitaire
lésion tissulaire neutrophile mastocyte

chaleur H+ ATP bradykinine histamine


sérotonime NGF
ligands

RCPG
TrKA récepteur
TRPV ASIC P2X opioïde
protéine G lésion chaleur
protéine G pression DOULEUR
Ca2+ 1 acide
potentiel membranaire Centres
supérieurs
canaux Na+ potentiel froid 2
dépenndants 5
Ca2+ du voltage d’action

Na+
K+ Nocicepteurs périphériques

vers la moelle 6
3 4

Moelle épinière

Figure 9
Mécanismes régissant l’inconfort au niveau de la peau : récepteurs et canaux ioniques impliqués. 235
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

récepteurs et de fibres ner- l’industrie cosmétique, il faut


veuses sensitives au niveau revenir à la réglementation.
de la peau. Les méthodolo- L’Encart « Vers la suppres-
gies sont extrêmement déli- sion de l’expérimentation
cates et lourdes à mettre en animale » donne les grandes
œuvre. Les progrès dans ce dates qui ont encadré les
domaine sont importants mais efforts de l’industrie cosmé-
pas encore à un niveau où l’on tique.
peut prédire de façon sûre et C’est le 11 mars 2013 qu’a été
certaine l’inconfort pour toute décidée l’interdiction totale
la diversité physico-chimique de l’expérimentation animale
des matières premières qu’uti- pour tout nouvel ingrédient
lise l’industrie cosmétique. cosmétique, associée à l’in-
Deux méthodes, la corrosion terdiction de commercialisa-
chimique (qui ne concerne tion de tout produit cosmé-
pas les produits cosmétiques tique contenant un ingrédient
mais qu’il était important de ayant été testé après cette
pouvoir prédire en particu- date chez l’animal.
lier lorsqu’on crée de nou- Dans le règlement européen
veaux ingrédients) et l’irrita- RE ACH 8 (Enregistrement,
tion cutanée, sont validées et évaluation, autorisation et
reconnues par l’OCDE. restriction des substances
La phototoxicité est réglée, chimiques) se trouvent un cer-
l’irritation oculaire est en tain nombre de dispositions
cour s de validation, les pour les produits cosmétiques.
méthodes seront validées Il faut notamment constituer
probablement vers 2017- un « Cosmetic Product Safety
2018. L’étude de l’allergie de Report », c’est-à-dire un dos-
contact est un domaine sur sier complet sur le produit fini :
lequel l’industrie cosmétique caractéristiques complètes
travaille depuis près de dix- de l’ingrédient chimique, pro-
huit ans. La validation offi- priétés physico-chimiques,
cielle des méthodes d’allergie propriétés d’absorption per-
de contact est attendue pour cutanée, caractéristiques de
les années 2017-2018. production et caractéristiques
L’évaluation de l’absorption toxicologiques. Pour chaque
percutanée et de la tolérance formule, il faut constituer des
nécessitent de la recherche dossiers très complets, ce
de très haut niveau : beaucoup qui, pour un groupe qui met
de progrès ont été réalisés environ 7 000 nouvelles for-
depuis trente ans, mais tout mules par an sur le marché,
n’est pas réglé. C’est impor- représente un énorme travail.
tant parce qu’un produit cos- Une cosmétovigilance a été
métique qui est inconfortable mise en place depuis une ving-
ne se vend pas ! taine d’années dans le groupe
L’Oréal.
2.4. L’évolution de la
réglementation européenne 8. Au sujet de REACH, voir Chimie
pour les cosmétiques et expertise, santé et environnement,
chapitre d’I. Rico-Lattes, coordonné
Pour comprendre le contexte par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier
236 sécuritaire dans lequel évolue et P. Rigny, EDP Sciences, 2016.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
VERS LA SUPPRESSION DE L’EXPÉRIMENTATION ANIMALE

1959 Premier ouvrage paru sur les principes de prise en compte et de respect du bien-être
de l’animal avec la première présentation de la fameuse règle des 3Rs (réduction, raffine-
ment et remplacement) par Russell W.M.S. et Burch R.L.
1979 L’Oréal décide de supprimer toute expérimentation animale pour les produits finis.
1976 Première mise en application de la règle des 3Rs dans la législation.
2003 Entrée en vigueur du 7e amendement qui introduit un échéancier sur la suppression
de l’expérimentation animale.
2004 Décision de suppression de l’expérimentation animale pour les produits finis (L’Oréal
l’a fait quinze ans plus tôt).
2009 Décision de suppression de l’expérimentation animale pour les ingrédients dans les
domaines de la tolérance et la toxicité aiguë, et de commercialisation de tous produits
contenant des ingrédients cosmétiques ayant été testés sur ces critères.
2013 Décision de suppression de l’expérimentation animale pour les ingrédients dans les
domaines de la toxicité systémique et interdiction de commercialiser tous produits contenant
des ingrédients ayant été testés sur l’animal à des fins cosmétiques.
2018 Dernière étape du programme REACH initié en 2006 pour l’enregistrement des
substances chimiques entre 1 et 100 tonnes par les industriels producteurs, importateurs,
utilisateurs, avec une recommandation de privilégier les méthodes alternatives disponibles
(Figure 10).

Figure 10
Évolution de la réglementation sur l’expérimentation animale.

Depuis l ’inter dic tion de commencent à prendre des


l’expérimentation animale mesures spécifiques : inter-
en Europe du 11 mars 2013, diction des tests sur animaux
d’autres pays se sont empa- et interdiction d’impor ta-
rés de la problématique et tion de produits/ingrédients 237
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

testés sur l’animal (Figure 11).


Seuls les ingrédients utilisés
en cosmétique sont touchés
3 Les peaux humaines
reconstruites
L e domaine de s p e au x
par l’interdiction. Cette dis-
humaines reconstruites a
position est en train de faire
joué un rôle important dans
tache d’huile dans un certain
l’évolution de la cosmétologie,
nombre d’autres régions du
et L’Oréal y a pris une place
monde :
de leader en démarrant cette
Israël (depuis 1er janvier aventure dans le milieu des
2014) : attestation stipulant années 1970 (Encart : « His-
qu’aucun test sur animaux toire de l’ingénierie tissulaire
n’a été réalisé au cours de la chez L’Oréal »).
fabrication du produit cosmé-
Un certain nombre de petites
tique après le 30 décembre
start-up de biotechnologie se
2012.
développent un peu partout
Inde (depuis 12 novembre dans le monde, notamment
2014) : interdiction de tester en Asie, et l’une d’entre elles,
et d’importer. Négociations historiquement aux États-
en cours. Unis, commercialise un cer-
Initiatives en cours : Canada, tain nombre de modèles.
Brésil, Argentine, Russie, L’engagement dans cette
Nouvelle Zélande, Taiwan, aventure fascinante de la peau
Corée du Sud. reconstruite commence par la
Le cas de la Chine : en Chine, recherche (Figure 12).
les autorités exigent encore L’histoire de l’ingénierie tis-
des tests sur les produits finis sulaire chez L’Oréal est une
et les ingrédients, mais les aventure de recherche qui se
choses sont en train d’évo- poursuit encore aujourd’hui
luer lentement mais sûre- et a permis de concevoir de
ment en particulier grâce nombreux modèles de peaux
aux échanges, discussions et humaines mimant partielle-
partage des techniques dans ment un certain nombre de
le domaine des méthodes fonctions physiologiques de
alternatives depuis quinze ans la peau normale.
avec les autorités et la com- 1979 : ce fut la reconstruction
munauté scientifique. d’un épiderme vivant donc de

Figure 11
État des réglementations pour
les cosmétiques dans le monde
238 en 2016.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
Figure 12
L’Oréal s’est engagé depuis
plusieurs décennies dans
la reconstruction de la peau.

HISTOIRE DE L’INGÉNIERIE TISSULAIRE CHEZ L’ORÉAL

En 2000, L’Oréal construisait dans la technopole de Gerland à Lyon une unité de produc-
tion de peau reconstruite. Il s’agissait alors d’industrialiser une technologie maîtrisée des
laboratoires depuis vingt ans, et qui était utilisée pour la recherche en biologie, pour le
développement de méthodes alternatives et l’évaluation de la tolérance cutanée. Le bâti-
ment de 2 000 m² hébergeait alors quinze personnes et produisait 12 000 unités de peaux
reconstruites par an aux normes de qualité ISO 9001. Dix ans plus tard, L’Oréal double la
superficie, multiplie les effectifs par quatre, produit plus de 120 000 unités par an de tissu
biologique reconstruit, peau et cornée, et y développe toute une activité d’évaluation de la
sécurité et de l’efficacité. Le « vaisseau biotechnologique » de production industrielle de
peaux humaines reconstruites a changé, c’est désormais un véritable centre d’évaluation
prédictif de la sécurité et de l’efficacité. Une plateforme unique au monde dans l’industrie
cosmétique qui illustre l’engagement sans relâche de L’Oréal en faveur d’un virage éthique
inéluctable : le renoncement à l’animal de laboratoire pour l’activité de test.
Pourquoi une telle accélération ? Parce que les technologies progressent, les équipes ont
l’ambition de relever ce défi, mais surtout parce qu’une révolution profonde de l’évaluation
de la toxicité et de l’efficacité est en cours. L’évaluation pure et simple fait place à l’évalua-
tion prédictive. Autrement dit, il s’agit de prédire un effet toxique ou bénéfique à partir de la
structure moléculaire d’une substance et d’un cortège de données provenant de la modé-
lisation mathématique des modèles in vitro, des plateformes génomiques et protéomiques
et des études in vivo et cliniques antérieures.
Pour comprendre l’évolution et l’accélération de cette démarche, entrons dans ce centre
d’évaluation prédictive. Au cœur du bâtiment, les salles de production des tissus recons-
truits : épiderme* Episkin RHE, cornée HCE**, peau complète. On y cultive des cellules
de peau et de cornée avec lesquelles on reconstruit à la demande un épiderme, une peau
complète ou une cornée oculaire. Les espaces de cultures sont des salles blanches à atmos-
phère contrôlée pour éviter toute contamination. Ces tissus reconstruits sont de fabuleux
outils, car ils permettent d’évaluer des produits dans les conditions réelles d’application à la
surface de l’épiderme, qu’il s’agisse d’un gel, d’une crème, d’un liquide, d’une pâte ou d’une
poudre. Tous ces modèles in vitro ont joué un rôle clé dans le développement de méthodes de
239
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

remplacement total des tests sur l’animal pour les substances chimiques. Trois méthodes
ont déjà été validées en Europe pour la corrosion, l’irritation cutanée et la photo-toxicité sur
les modèles Episkin et RHE, et une quatrième méthode est en passe de l’être pour l’irritation
oculaire sur le modèle HCE. Tout autour se déploient toutes les activités et technologies
qui permettent de construire les méthodes et les stratégies prédictives pour la sécurité
et l’efficacité des ingrédients et des formules. Des milliers de substances et de produits y
sont testés. On y trouve des équipements d’analyse chimique et biologique, des outils de
simulation numérique, les modèles de tissus in vitro, des plateformes de criblage rapide
et d’imagerie avancée. Les nouvelles données enrichissent le patrimoine constitué depuis
cent ans et permettront à terme, à partir de structures chimiques et sans animal, de passer
sans risque à la clinique chez l’homme.
Une révolution, symbole d’un monde qui change. L’Oréal concrétise ainsi sa vision d’anti-
cipation, son ambition d’une beauté sans animal et son pacte de confiance vis-à-vis des
consommateurs. Offrir aux femmes et aux hommes du monde entier le meilleur de la cos-
métique en termes de qualité, d’efficacité et de sécurité, pour satisfaire tous les besoins et
les envies dans leur infinie diversité.

Figure 13
L’ingénierie tissulaire chez L’Oréal.

* Épiderme : couche superficielle de la peau.


** Human Corneal Epithelium.

la couche superficielle de la un épiderme vivant mais aussi


peau, une première possibilité un derme9 vivant, c’est-à-dire
pour enfin modéliser in vitro contenant des fibroblastes.
l’application topique.
1986 marque l’étape clé de 9. Derme : une des trois couches
la création des premiers formant la peau, comprise entre
240 modèles de peau comportant l’épiderme et l’hypoderme.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
Une étape clé car c’est là que variables, et des modèles de
se situe le siège biologique du peau complète pigmentée (voir
vieillissement cutané et qu’il le Chapitre P. Humbert dans
était essentiel de posséder de Chimie, dermo-cosmétique et
tels modèles, ne serait-ce que beauté) avec un derme vivant
pour comprendre le rôle des pour comprendre comment se
UVA qui pénètrent les couches forme une tache brune ou une
profondes de la peau. tache de vieillesse.
1994 Une autre étape décisive Depuis 2005, nous avons un
a été la reconstruction d’un centre de recherche en Chine
épiderme capable de bronzer dont l’une des grandes prio-
contenant les mélanocytes rités est le développement de
(cellules de la fonction pig- la connaissance des peaux
mentaire). asiatiques ; en 2010, nous
1997 L’introduction des cel- avons commencé à créer des
lules de Langerhans (cellules modèles d’épiderme pigmen-
de l’immunité cutanée) a per- tés et non pigmentés chinois.
mis de comprendre les phéno- Il était essentiel de pou-
mènes d’immunosuppression voir produire ces différents
liés au rayonnement solaire. modèles de peaux humaines
2001 Nous avons construit un en quantité et selon les cri-
modèle de peau de patients tères de qualité les plus exi-
atteints de xeroderma pigmen- geants, que ce soit pour des
tosum, le cancer des enfants objectifs de recherche ou
de la lune. Ce travail a été ini- d’évaluation de la sécurité
tié en lien avec le CNRS et et de l’efficacité des cosmé-
l’équipe du Professeur Alain tiques (Figure 14).
Sarasin. C’est la raison pour laquelle
Nous avons aussi fabriqué des nous avons racheté à Lyon en
modèles à base de cellules 1994 la société Imedex, filiale à
souches permettant d’obte- l’époque de Pasteur Mérieux,
nir des épidermes avec des spécialisée dans la recons-
potentiels de régénération truction d’épidermes humains

Figure 14
Industrialisation des peaux
reconstruites. 241
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

vivants. Puis, en 2000, nous des produits. Le protocole est


avons construit à Gerland un défini avec précision :
bâtiment dédié à la produc- 25 mg/cm² de produit à tes-
tion de ces modèles. Enfin, ter sont appliqués à la sur-
en 2006, nous avons acquis face des épidermes recons-
la société SkinEthic basée à truits. Les produits solides
Nice pour compléter la palette sont appliqués délicatement
de modèles de peaux produits à l’aide d’une spatule recour-
industriellement. bée. Après 15 minutes de
Cet ensemble est aujourd’hui contact, les produits appli-
regroupé sous le nom Centre qués sont éliminés par rinçage
d’ évaluation prédictive de et incubés à 37 °C pendant
L’Oréal Episkin10. De la même 42 h. La viabilité des cellules
façon, notre investissement de ces tissus est évaluée par
en Chine depuis dix ans dans un test de réduction du MTT
le domaine de la reconstruc- et un autre test de libération
tion de peaux asiatiques nous d’Interleukine 1 alpha. Une
a permis de créer en 2014 biopsie des épidermes est
L’Oréal Shanghai Episkin Bio- transférée dans des tubes
technology Center, pour mettre contenant 2 ml d’isopropanol,
à disposition des modèles pour solubiliser les cristaux
d’épidermes asiatiques. du réactif MTT pendant 2 h.
La Figure 15 illustre l’utili- La densité optique des puits
sation d’un modèle de peau est lue à 570 nm.
reconstruite dans le cas L’Encart : « Historique des
d’un test d’irritation cutané méthodes validées et recon-
de produits cosmétiques. nues par les instances euro-
Les épidermes reconstruits péennes » trace l’historique
se trouvent à l’intérieur des des résultats obtenus grâce
nacelles. à ces efforts de recherches
L’évaluation de l’irritation cuta- méthodologiques dans le
née est une étape décisive dans domaine de la tolérance en
l’évaluation de la tolérance termes de reconnaissance
internationale et de valida-
10. www.episkin.com tion. Il faut retenir que le

Figure 15
242 Les étapes de l’évaluation de l’irritation cutanée à l’aide des peaux reconstruites.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
HISTORIQUE DES MÉTHODES VALIDÉES ET RECONNUES PAR LES INSTANCES
EUROPÉENNES

1998 Corrosion cutanée


1999 Adsorption percutanée
2001 Corrosion chimique
2002 Photo-toxicité
2008 Irritation cutanée, irritation oculaire, sensibilisation, reprotoxicité, génotoxicité/
mutagénicité, toxicocinétique, carcinogénicité, toxicité chronique, toxicité à doses répétées.

2002 OCDE : irritation/corrosion


2004 OCDE : skin corrosion
2010 OCDE : skin irritation

processus de validation d’une qui n’est pas possible pour pré-


méthode a jusqu’à présent dire un effet clinique complexe
pris en moyenne un peu plus (irritation, inconfort, aller-
de dix ans pour être recon- gie...). Cet effet clinique final
nue par les autorités euro- résulte la plupart du temps
péennes (l’« European Centre de toute une cascade d’évé-
for the Validation of Alternative nements et de mécanismes
Methods », ECVAM), et inter- biologiques bien spécifiques.
nationales (l’OCDE). C’est un Les approches dites « une à
travail considérable. une » ont donné de bons résul-
tats mais souvent dans des
réponses oui/non pour l’éva-

4 Les méthodes
prédictives d’évaluation
des cosmétiques
luation du risque intrinsèque,
et ne permettent pas (ou très
rarement) de discriminer fine-
En avançant tout au long de ces ment le potentiel des ingré-
années, il est apparu néces- dients, ce qui est essentiel
saire d’utiliser des méthodes pour un évaluateur du risque ;
prédictives intégrées plutôt −− une seule méthode, même
que des méthodes alterna- validée, pour certains types d’in-
tives. Il faut associer plusieurs grédients, ne suffit pas à tester
méthodologies pour être plus la très grande diversité physi-
prédictif, pour deux raisons : co-chimique des ingrédients et
−− le concept de méthodes produits (liquide, crème, pâte,
alternatives est basé histori- gel, poudre, produits et ingré-
quement sur la mesure avec dients colorés, etc.).
une seule méthode d’un seul On en trouve par exemple
critère biologique ou chimique, une illustration dans le cas
comme par exemple la cyto- des colorants capillaires
toxicité11 ou l’inflammation, ce (Figure 16). Ces ingrédients
ne faisaient pas partie des
11. Cytotoxicité : propriété d’un ingrédients validés dans les
agent chimique ou biologique à méthodes d’irritation recon-
être toxique pour les cellules. nues en 1998 et 2004, tout 243
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

Figure 16
L’évaluation des colorants
capillaires.

simplement parce que ces d’action comme par exemple


colorants colorent et ne per- ici l’étude de la réactivité
mettent pas l’application d’un moléculaire, l’interaction
protocole classique basé sur avec les premières cellules
l’histologie. Il a donc fallu rencontrées comme les kéra-
trouver une autre méthodo- tinocytes ou les cellules de
logie pour évaluer le potentiel Langerhans, ou d’étudier le
intrinsèque d’irritant cutané comportement des molécules
des colorants capillaires. Cela sur des modèles de peaux
s’est fait en restant dans le reconstruites contenant les
cadre réglementaire de ce qui cellules de l’immunité cuta-
avait été accepté auparavant, née.
mais les travaux jusqu’à la
Tous ces efforts ont donné
reconnaissance OCDE ont là
quelques résultats et beau-
encore nécessité une dizaine
coup de publications mais
d’années…
n’ont cependant pas permis
Les efforts en cours depuis jusqu’à présent de pouvoir
plus de vingt ans sur la classifier sur les ingrédients
prédiction de l’allergie de
concernés, le risque intrin-
contact illustrent parfaite-
sèque (OUI/NON) de façon
ment ce passage de la notion
certaine et fiable par rapport
de méthodes alternatives aux
aux tests réglementaires
méthodes prédictives inté-
in vivo.
grées (Figure 17). Les efforts
ont toujours visé à tenter Des espoirs sont nés lorsque
d’évaluer le potentiel intrin- nous avons commencé à
sèque allergisant d’un ingré- développer des stratégies
dient sur des tests censés d’évaluation intégrées qui
mimer les différentes étapes associent l’ensemble des
du mécanisme d’action. C’est méthodologies précédentes
ce qui a amené l’ensemble avec les outils de prédiction
des acteurs à développer des et de simulation, les modèles
méthodologies à chacune in silico et les bases de don-
des étapes de ce mécanisme nées (Figure 18).

Figure 17
Stratégie intégrée de l’étude
244 de l’allergie de contact.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
Figure 18
Les stratégies d’évaluation
intégrée permettent de prévoir
le risque intrinsèque.

Dans un domaine aus si 4.1. L’évaluation actuelle


complexe que l’allergie de de la sécurité des produits
contact, les efforts conjoints
Dans un contexte où l’expéri-
de l’industrie et du secteur
mentation animale est inter-
a c a d é m i q u e p e r m e t te n t
dite depuis le 11 mars 2013
aujourd’hui de prédire, sur
pour tout nouvel ingrédient
l’ensemble des ingrédients
destiné à être utilisé en cos-
concernés (conser vateurs,
colorants, etc.), le risque métique, l’évaluation de la
intr in s è qu e c’e s t- à - dir e sécurité des produits finis et
une réponse OUI/NON. Les des ingrédients se fait selon
efforts se poursuivent pour des processus qui utilisent
affiner le système et pouvoir largement le patrimoine de
détecter plus finement le données que nous avons
potentiel allergisant au-delà accumulées depuis plus d’un
de la réponse OUI/NON en siècle.
caractérisant les allergènes Ce patr imoine compor te
faibles, moyens et forts pour des études toxicologiques
se rapprocher d’une évalua- chez l’animal, des études
tion du risque. cliniques, des données de
Pour des raisons évidentes physico-chimie, de pénétra-
d’anticipation à long terme, tion cutanée et des résultats
ce qui compte, au-delà de la de tests in vitro mais aussi,
prédiction chez l’animal (car pour les produits finis, des
on se réfère toujours à des remontées du marché et de
tests réglementaires réalisés cosmétovigilance qui nous
chez l’animal), c’est de viser permettent à tout moment de
la prédiction chez l’homme. comparer nouvelles formules
C’est la raison pour laquelle et nouveaux ingrédients aux
l’ensemble de nos tests, cel- formules ou ingrédients his-
lulaires ou organotypiques, toriques les plus proches.
sont pour l’essentiel d’ori- Lorsque la comparaison et
gine humaine. Nous savons les informations recueillies
dans un autre domaine, ne suffisent pas, de nouvelles
celui de l’efficacité, que les données sont obtenues par les
modèles de peaux humaines tests in vitro ou in silico.
reconstruites sont capables
de prédire très précisément 4.1.1. L’évaluation
les efficacités biologiques des ingrédients
retrouvées chez l’homme L’évaluation toxicologique des
lors des essais de recherche ingrédients démarre toujours
clinique. par une déclaration d’intérêt 245
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

qui garantit toutes les qualités 4.1.3. La toxicité systémique


de la matière première d’où Malgré tous ces efforts de plu-
qu’elle vienne. Pour définir le sieurs dizaines d’années dans
profil toxicologique, on évalue le domaine de la toxicologie
d’abord le risque intrinsèque et de la tolérance, il reste de
sur la base de l’ensemble grands défis auxquels nous
des données de sécurité nous sommes attelés ces dix
disponibles sur la matière dernières années et qui ne
première et également en sont pas spécifiques à l’in-
les comparant avec les don- dustrie cosmétique mais sont
nées historiques lorsque la des défis scientifiques au sens
matière première est proche large, comme par exemple
de structures connues. Des prédire la toxicité systémique
tests in silico ou in vitro com- après des doses répétées ou
plémentaires pourront être la toxicité systémique chro-
demandés si nécessaire, et nique.
un avis sera rendu sur les
concentrations de la matière Les travaux de recherche
première utilisables en toute sur l’effet répété des faibles
sécurité, en tenant compte de doses sans effet adverse à
l’utilisation finale (Figure 19). court terme mais sur le long
terme, utilisent aujourd’hui
4.1.2. Les différentes étapes de des études in vitro et in silico,
l’évaluation des produits finis pour évaluer les effets bio-
Le processus est assez simi- logiques néfastes au niveau
laire à celui des ingrédients cellulaire et les comparer
à ceci près que pour les pro- avec l’exposition réelle chez
duits finis, nous possédons un l’homme, et calculer ainsi une
véritable système expert basé marge de sécurité.
sur nos données historiques Nous avons développé ces
qui permet d’avoir très rapide- dernières années plusieurs
ment un avis sur la tolérance partenariats à l’internatio-
de la formule (Figure 20). nal pour avancer sur ce sujet

Figure 19
L’évaluation toxicologique des ingrédients.

Figure 20
246 L’évaluation toxicologique des produits finis.
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
complexe. C’est un très gros rhododendrol, qui, après trois
travail réalisé dans le cadre ans de mise sur le marché et
des programmes (TOXCAST) une période de surveillance
avec l’US EPA aux États-Unis post-marketing rigoureuse,
et SEURAT en Europe. a déclenché une réaction de
Pour découvrir les méthodes leucodermie (destruction des
les plus pertinentes d’études mélanocytes et apparition
de la toxicité systémique et de taches de dépigmenta-
chronique, nous poursui- tion quasiment irréversibles)
vons des collaborations de chez les consommateurs avec
recherche d’envergure comme plus de 14 000 cas remontés
par exemple avec l’Université et une prévalence estimée de
de Floride et le Professeur 1 % ! Le produit a été retiré
Hickman pour mettre au point du marché mi-2013, ce qui est
les outils organ-on-a-chip dramatique.
basés sur la microfluidique Il faut savoir par ailleurs
permettant d’évaluer la toxi- que les agents d’éclaircisse-
cité et les effets biologiques ment du teint ou permettant
sur plusieurs types cellulaires d’éclaircir les taches brunes
(quatre organes différents). (taches de vieillesse) sont très
utilisés par toute l’industrie
4.1.4. Les effets secondaires cosmétique. Sur le plan de la
graves chimie, ce sont deux familles
P ar mi le s gr ands déf is de produits que l’on trouve
scientifiques auxquels nous en majorité : les dérivés de
devons faire face figure la résorcinol comme le Luci-
prédiction des effets secon- nol, ou les dérivés du phénol
daires graves pouvant (Figure 21). De nombreuses
conduire au retrait du produit études mécanistiques réali-
du marché, ce qui est assez sées par les industriels eux-
répandu dans le domaine du mêmes et d’autres équipes
médicament si on regarde académiques dans le monde
le nombre de médicaments ont montré que les effets
retirés pour effets secon- secondaires observés sont
daires graves dans le monde sans doute attribuables à une
ces vingt dernières années. interaction particulière de la
Mais c’est exceptionnelle- molécule avec la tyrosinase,
ment rare dans le domaine l’enz yme responsable de
cosmétique. Il s’agit en géné- la synthèse de la mélanine
ral d’effets inattendus que dans l’usine à pigment qu’est
rien ne le laissait prévoir le mélanocyte. En fait, cette
par les processus classiques
d’évaluation de la sécurité.
A HO OH
C’est pourtant ce qui peut
arriver. À cet égard, je sou-
haite citer un cas récent sur-
venu en 2013 qui est dans le Figure 21
domaine public et qui a été B CH3
Molécules de lucinol (A)
publié dans plusieurs revues et rhododendrol (B), ayant un rôle
OH
scientifiques. Il s’agit d’un dans les effets secondaires
agent dépigmentant utilisé de leucodermie rencontrés en Asie
HO
en Asie, dérivé du phénol, le en 2013. 247
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

molécule conçue pour être sur le marché n’avait détecté


juste un inhibiteur réversible ces effets.
de la tyrosinase s’est avérée Avec nos outils et notre
être capable dans certains cas savoir-faire, nous avons véri-
d’activer le rhododendrol en fié si nous aurions pu détecter
orthoquinone, qui est à l’ori- et prévenir de tels effets. L’en-
gine de la cytotoxicité sur les semble des outils développés
mélanocytes. depuis quarante ans, et en
particulier dans les domaines
En revanche d’autres dérivés
de l’activation métabolique et
de phénol ne sont pas acti-
du métabolisme, mais aussi
vés par la tyrosinase dans les
celui de la pigmentation avec
mêmes conditions, de même
l’utilisation des tyrosinases
que le dérivé de résorcinol, le humaines ou de champignons,
lucinol. Dans ce cas, aucune notre connaissance de la bio-
des études toxicologiques logie du mélanocyte, nous ont
réglementaires (en Asie, ce montré que nous saurions
type de substance fait l’objet maintenant détecter préven-
d’un dossier quasi-drug très tivement de tels effets lors du
conséquent), ni aucune étude développement d’une nouvelle
clinique préalable à la mise molécule.

Les peaux reconstruites : source


d’innovation en cosmétique
Quarante ans d’efforts, de convictions et de
passions dans ce combat pour supprimer
l’expérimentation animale ont permis parallè-
lement de contribuer très significativement à
l’innovation.
Les modèles de peaux humaines reconstruites,
et en particulier ceux contenant un épiderme
et un derme vivants, ont permis d’aborder la
connaissance les effets du rayonnement solaire
de façon extrêmement fine.
En vingt ans, deux résultats majeurs ont été
obtenus avec ces outils, résultats qui n’au-
raient pas été obtenus par la simple recherche
clinique pour de multiples raisons :
– bien plus que les UVB, les UVA jouent un rôle
essentiel dans l’apparition des signes cliniques
248 de l’âge et dans les événements biologiques
L’aventure des produits inoffensifs : une approche pionnière de la sécurité en cosmétique
précoces des cancers cutanés. Par ailleurs,
sur le marché mondial, les technologies ne
permettent pas aujourd’hui pour un certain
nombre de raisons techniques de protéger dans
le domaine des UVA longs (370-400 nm). Les
peaux reconstruites couplées aux approches
« omiques » nous ont permis de montrer la
très forte contribution de ces UVA longs à des
dégâts biologiques en lien avec l’immunosup-
pression et l’inflammation ;
– la lumière du jour, à laquelle nous sommes
exposés dans les différentes régions du monde,
est surtout riche en UVA. Suivant les latitudes,
les doses d’UVA reçues peuvent varier de 1 à
6. Dans les pays et régions du monde les plus
exposés à ce rayonnement ; il est donc essen-
tiel de se protéger avec des produits de jour
couvrant surtout le spectre UVA et non UVB.
Cela paraît anodin mais c’est une révolution
d’avoir montré cela scientifiquement car les
produits de protection disponibles de jour ne
couvraient il y a quelques années que les UVB.
Nous avons montré scientifiquement que ce
n’était pas pertinent. Ces découvertes ont été
essentielles pour innover et proposer des tech-
nologies efficaces de protection quotidienne
sous toutes les latitudes où les doses d’UVA
reçues sont fortes.
De même, les modèles de peaux reconstruites
pigmentées, notre connaissance approfondie
de la biologie du mélanocyte, nos collabora-
tions avec la recherche médicale sur certaines
maladies rares, ont montré que l’apparition
des taches de vieillesse, que nous découvrons
tous sur notre peau à partir d’un certain âge
(suivant les types de peaux et les latitudes où
nous vivons), sont en partie dues à une perte
progressive du contrôle des mélanocytes dans
l’épiderme basal par les fibroblastes du derme
superficiel. En termes simples, nous avons
découvert que c’est le fibroblaste qui joue dans 249
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

le derme le rôle de chef d’orchestre de la fonc-


tion pigmentaire situé au-dessus. Plus un fibro-
blaste vieillit, plus il est « fatigué » et moins le
mélanocyte est contrôlé, et plus la production
de pigment semble importante conduisant ainsi
à des phénomènes d’hyperpigmentation et de
taches, caractéristiques des signes du vieillis-
sement cutané. Les conséquences en termes
d’innovations sont évidemment très impor-
tantes pour concevoir des technologies effi-
caces pour empêcher la formation de taches
ou certains désordres pigmentaires.
C’est aussi grâce aux peaux reconstruites qu’il y
a vingt ans, les importants effets cutanés d’une
molécule simple et connue comme la vitamine C
ont été mises en évidence, notamment son rôle
protecteur de la matrice extracellulaire, c’est-
à-dire du derme. C’est la raison pour laquelle
cette vitamine C est, lorsqu’elle est utilisée aux
bonnes concentrations, un des actifs anti-âge
les plus puissants de la cosmétique. Et c’est
aussi grâce aux peaux reconstruites qu’ont été
découvertes les propriétés dépigmentantes de
la vitamine C.
Enfin il faut rappeler les contributions de notre
savoir-faire en ingénierie tissulaire et cellu-
laire cutané à la recherche médicale. Notre
savoir-faire en ingénierie cellulaire a permis,
au travers d’une collaboration de dix ans avec
l’hôpital Percy de Clamart, d’améliorer les tech-
nologies de culture des implants cutanés pour
une meilleure prise de greffe chez les grands
brûlés. Quinze ans de recherche, toujours en
cours après une dizaine de publications, ont
permis d’améliorer la compréhension de cette
maladie qu’est Xeroderma Pigmentosum, la
maladie des enfants de la lune.

250
Christophe Masson
La chimie
au cœur de

l’innovation

enparfumerie-
cosmétique :
le contexte
économique et
réglementaire et les
défis de la recherche

Christophe Masson est ingénieur et docteur en chimie. Il a com-


mencé sa carrière dans la pharmacie et la biotech. Il a dirigé pen-
dant dix ans des programmes de recherche et développement à
l’interface entre universités et entreprises. Depuis 2009, il est le
Directeur Scientifique au pôle de compétitivité Cosmetic Valley 1.

La chimie est évidemment de beaux jours devant elle !


centrale dans l’innovation C’est ce que ce chapitre va
cosmétique et elle a encore s’efforcer de montrer.

1. www.cosmetic-valley.com
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

1 La cosmétique au
cœur de l’économie
française
sûrs, performants, innovants
et durables.

1.2. La cosmétique au cœur


1.1. Qu’est-ce que
de l’industrie française
la cosmétique ?
Les produits cosmétiques,
Les produits cosmétiques
produits de grande consom-
permettent à l’homme de
mation, sont l’aboutissement
prendre soin de son corps : le
d’une filière industrielle qui
nettoyer, le parfumer, le pro-
est très complète en France,
téger, en modifier l’aspect,…
associant de petites et de
Ils font aujourd’hui partie
de notre quotidien mais leur grandes entreprises, des
invention remonte à la pré- laboratoires, des écoles,
histoire (voir aussi les Cha- avec un savoir-faire diversifié
pitres de P. André et P. Hum- (Figure 2). Cette filière com-
bert dans cet ouvrage Chimie, porte :
dermo-cosmétique et beauté, 1) de s four nis s eur s de
EDP Sciences, 2017). On parle matières premières (chimie,
aujourd’hui de maquillage, de biotechnologies) ;
parfum, d’hygiène, de soin de 2) des spécialistes de la for-
la peau, de soin capillaire… mulation et de la production ;
(Figure 1).
3) des marques, petites et
Se cachent derrière ces pro- grandes, qui capitalisent sur le
duits de formidables inno- « made in France » pour expor-
vations issues de la chimie : ter dans le monde entier ;
des produits naturels, des
matériaux bio-inspirés, des 4) des acteurs de l’embal-
procédés éco-­responsables, lage : emballage primaire qui
des analyses ultraper for- contient le produit (flacons,
mantes,… La chimie est par- tubes, …) et emballage secon-
tout et permet à nos entre- daire (coffrets, étuis,…) ;
prises de vendre auprès 5) s’y ajoute un circuit de
des consommateurs dans le logistique et distribution des
monde entier des produits produits ;

12,8 %
Maquillage
Decorative cosmetics 25,5 %
Soins de la peau
Skin care
MARCHÉ
EUROPÉEN
15,4 % DES C&T 2011.
Parfums PART DE MARCHÉ
Fragrances PAR CATÉGORIE
DE PRODUITS (%) – RSP.
EUROPEAN C&T
MARKET 2011.
MARKET SHARE
BY PRODUCT
CATEGORY
Figure 1 (% - RSP)
21,2 % 25,1 %
Part de marché des différentes Soins capillaires Produit d’hygiène
Hair care Toiletries
252 catégories cosmétiques.
La chimie au cœur de l’innovation en parfumerie-cosmétique : le contexte économique et réglementaire et les
Design Injection plastique
Les métiers de la Cosmetic Valley

Culture
de plantes
aromatiques Emballage Emballage
primaire secondaire
• Flacons verre, • Cartonnerie,
• Bouchons, pots, • Etiquettes,
• Spray/pompes, • Sérigraphie,
• Echantillons. • PLV.

Matières
premières
aromatiques
(huiles essentielle,
principe actif ) Fabrication / Conditionnement
Formulation
• Poudres/Maquillage,
• Crèmes/lotions
Matières • Produits de toilette,
premières • Parfums,
non aromatiques • Cosmeto textiles.
aromatiques Distribution
(chimie, oléochimie,
chimie verte) Produits Cosmétiques Finis Logistique

Ingénierie / Machines Spéciales / Lignes de production

Tests & Analyse / Contrôle Qualité / Service

Recherce et Formation

Figure 2
Filière industrielle à l’origine du produit cosmétique.

6) et nombreuses fonctions marché sur les produits à forte


support : services innovants, valeur ajoutée que sont les
tests et mesures,… produits de soin, les produits
C’est une grande réalité de maquillage ou les parfums.
industrielle, un écosystème Un magazine professionnel,
performant en France, qui est cosmétiquemag (Encart : « La
leader mondial du domaine ! consommation des cosmé-
tiques, en chiffres »), évaluait
Difficile de parler d’une filière en 2014 l’évolution probable
industrielle sans introduire du nombre de consomma-
quelques considér ations teurs de cosmétiques et
d’économie. L’industrie cos- leur pouvoir d’achat dans le
métique est un contributeur monde. On peut faire état de
majeur positif à la balance 4,5 milliards de consomma-
commerciale nationale, en teurs en 2013 et prédire une
seconde position derrière augmentation de 50 % sur les
l’aéronautique, avec un solde quinze années à venir pour
net de 9,2 milliards de dol- atteindre un marché de plus
lars en 2015. La France est de 6 milliards de clients. Tout
le premier exportateur mon- cela fait que lorsqu’on parle
dial de produits cosmétiques de cosmétique, on parle d’un
avec plus de 20 % de parts de marché d’importance majeure 253
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

LA CONSOMMATION DES COSMÉTIQUES, EN CHIFFRES

Nombre de consommateurs :
2013 : 4,5 milliards ➞ 2030 : 6,3 milliards

Dépense nette/habitant :
Pays développés : 100 €
Brésil : 60 € (➞ 120 € en 2025)
Chine : 11 € (➞ 40-50 € en 2025)
Inde : 3 € (➞ 10 € en 2025)
Source : cosmétiquemag, Janvier 2014

et d’une économie en forte principales : la région Centre


croissance. Val de Loire, la région Norman-
die et la région Île de France.
Ce territoire concentre à lui
1.3. La Cosmetic Valley, seul plus de 50 % de l’expor-
principale région française tation française. Cette forte
exportatrice de cosmétiques
concentration régionale sert
La Cosmetic Valley (Figure 3) de base à la Cosmetic Val-
est ancrée sur trois régions ley pour accompagner le

Principales région françaises exportatrices de cosmétiques


Montant exportations 2011 : 11,9 milliards €

7%
(76)
Seine-Maritime
20 % ROUEN
LE HAVRE
(27)
A1 Eure
3% 50 % 3

CERGY-PONTOISE
EVREUX

PARIS
VERSAILLES/
ST QUENTIN (77)
RAMBOUILLET Seine-et-Marne
CHARTRES
(91)
Essonne
A10

(La Seine)
(28)
1
LE MANS A1 Eure-et-Loire
RENNES A19 A6
4% ORLÉANS (45)
5% LE MANS Loiret AUXERRE
ALENÇON
A2
8

100 km BLOIS A7
7 LYON
60 mi (41) ITALIE
A85
NANTES TOURS Loir-et-Cher SUISSE

(37) (La Loire)


Indre-et-Loire LYON
UNIVERSITÉS
ITALIE
A7

VILLES DU PÔLE
SUISSE
1
A10

AUTOROUTES
ESPAGNE
BORDEAUX TGV
0

0 25 50
A2

ESPAGNE TOULOUSE – ESPAGNE


PORT
AÉROPORT

Figure 3
254 La Cosmetic Valley leader dans l’exportation de produits cosmétiques en France.
La chimie au cœur de l’innovation en parfumerie-cosmétique : le contexte économique et réglementaire et les
développement de l’ensemble le marché, avec le besoin de
de la filière nationale. développer des produits adap-
L’association Cosmetic Valley tés aux consommateurs des
a été créée par la profession quatre coins du monde ; le
en 1994 à Chartres. Elle a été troisième pilier est la régle-
labellisée « pôle de compé- mentation, notamment euro-
titivité » par l’État en juillet péenne, qui est la plus exi-
2005 avec pour mission le geante au monde et aussi un
développement économique levier formidable pour inciter
de la filière cosmétique et nos entreprises à innover
parfumerie. Elle se carac- (REACH2, mais aussi le règle-
térise par une gouvernance ment européen cosmétique
mixte qui associe l’industrie, n°1223/2009).
la recherche et la forma- L’innovation est évidemment
tion, l’État et les territoires essentielle pour permettre
(Figure 4 et Encart : « La Cos- à nos entreprises de se
metic Valley en chiffres »).
En cosmétique l ’innova- 2. REACH : règlement de l’Union
européenne sur l’enregistre-
tion est impulsée par trois
ment, l’évaluation, l’autorisation
piliers (Figure 5) : le premier et les restrictions des substances
est l’évolution des sciences chimiques entré en vigueur au
et techniques ; le second est 1er juin 2007.

INDUSTRIE
COSMÉTIQUE

RECHERCHE
FORMATION

ÉTAT Figure 4
TERRITOIRES La Cosmetic Valley, un pôle
de compétitivité alliant
une diversité d’acteurs.

LA COSMETIC VALLEY EN CHIFFRES

Chiffres clés (décembre 2015)


800 entreprises (80 % PMEs)
70 000 employés
CA 18 milliards €
8 universités, CNRS, SOLEIL
8 000 scientifiques
170 projets R&D labellisés
255
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

différentier sur les marchés. dans les processus d’innova-


Elle permet plus globalement tion de la filière et interviennent
de renforcer « la marque à tous les maillons : les entre-
France », vecteur d’image, prises de matières premières,
d’attractivité et de développe- les entreprises de packaging,
ment économique. Le consom- les entreprises de tests, et évi-
mateur, en Asie et partout dans demment les marques.
le monde, associe les produits
français à un réel savoir-faire
et des garanties de sécurité et 2.2. Des projets portés
de performance très fortes. par la chimie
Cela se met à jour et s’entre- Pour montrer comment la
tient par de forts investisse- chimie intervient à tous les
ments de R&D. niveaux de la filière, nous pro-
posons dans ce chapitre un

2 La chimie parcours à travers une dizaine


omniprésente de programmes d’innovation
conduits au sein de Cosme-
2.1. La chimie au service tic Valley. Ces programmes
de l’innovation représentent plusieurs mil-
lions d’euros d’investisse-
Lister les mots clés qui résu- ments sur des durées de
ment la place de la chimie deux, trois, ou quatre ans. Ils
dans le domaine de la cos- ont tous pour nœud central
métique confine à l’impossible la chimie. Ce sont des pro-
(voir la Figure 5). En essayant, grammes d’innovation collabo-
on trouve : les extraits végé- rative, en ce sens qu’ils asso-
taux, les lipides, les peptides, cient des entreprises et des
les sucres, les fragrances, universités. Pour la plupart,
les pigments, les polymères, ces programmes ont bénéficié
les matériaux, les colloïdes, de soutiens publics de l’État et
la chimie supramoléculaire, des collectivités territoriales
l’encapsulation, les revête- dans le cadre du FUI (Fonds
ments, les couches minces, Unique Interministériel).
les systèmes marqueurs, les
nouveaux procédés, l’éco- 2.2.1. Skin-o-flor et Aloca : soin
catalyse, la caractérisation,… de la peau et des cheveux
Toutes ces disciplines autour Le premier sujet concerne
de la chimie sont présentes le soin de la peau. Ce projet,

Extraits végétaux
Lipides, peptides, sucres
Fragrances, Pigments
Polymères et Matériaux
Sciences et Colloïdes, encapsulation
Techniques Revêtements, couches minces
Marqueurs

Procédés
Ecocatalyse
Marchés Réglementations
Figure 5 Analyse
Caractérisation
L’innovation cosmétique française,
fruit des sciences et techniques, Naturel, Personnalisé REACH, Nagoya
256 du marché et de la réglementation.
La chimie au cœur de l’innovation en parfumerie-cosmétique : le contexte économique et réglementaire et les
amorcé en 2009 sous l’acro- respectant toutes les garan-
nyme Skin-o-flor, s’est inté- ties de sécurité.
ressé au microbiote de la Autre projet sur la pigmen-
peau. En associant dès 2009 tation : Cosme-MIP. Ce pro-
des universités et des entre- jet académique por té par
prises sur ce sujet, ce projet l’université d’Orléans vise
a permis de mettre sur le à développer les polymères
marché des produits cosmé- à empreintes moléculaires
tiques bioactifs en lien avec « mips » (Figure 6) pour la
la flore cutanée. Il a ouvert cosmétique. Cette chimie
toute une ère d’innovation per met par exemple de
aujourd’hui très florissante mimer les sites de reconnais-
autour de la population de sance des enzymes, créant
micro-organismes vivant sur ainsi des outils synthétiques
la peau en homéostasie avec pour faire du criblage d’actifs
elle. tels que les dépigmentants.
Le second projet, nommé Ces outils sont également
Aloca, adresse le domaine intéressants dans des pers-
du soin capillaire. Le vieil- pectives de vectorisation et
l is s ement du cheveu s e libération contrôlée d’actifs,
tr aduit par deux phéno - ou encore pour faire de l’ex-
mènes : d’une part l’alopé- traction sélective de biomo-
cie (la chute des cheveux) lécules.
et d’autre part la canitie (le
blanchiment des cheveux 2.2.3. Néobulles et Perfugard :
et des poils). Ici encore, on des parfums
a associé plusieurs entre- Dans le programme Néo-
prises, des PME, des grands bulles, l’idée était d’utiliser
groupes, des laboratoires la microfluidique3 (technolo-
de recherche, et cela a per- gie de pointe qui a conduit en
mis la découverte de nou- 2015 à la création de l’Institut
veaux actifs (des peptides) Pierre Gilles de Gennes) pour
aujourd’hui inclus dans des
produits de soins capillaires 3. Microfluidique : science rela-
anti-âge. tive à des systèmes composés
de fluides dont une dimension
2.2.2. Bêta-Clear et Cosme- caractéristique est de l’ordre du
MIP : pigmentation de la peau micromètre.

La pigmentation est un axe


majeur d’innovation dans le
domaine du soin de la peau.
Par exemple, une PME spé-
cialisée dans la chimie du
fluor a porté un projet colla-
boratif dont l’objectif était de
mimer une molécule natu-
relle, l’arbutine, pour déve- Figure 6
lopper des actifs dépigmen-
Cosme-MIP : développement
tants. Ce projet (Bêta-Clear) des empreintes moléculaires
a permis effectivement de (MIP) pour la cosmétique par les
trouver de nouvelles molé- pH Température laboratoires ICOA et CBM.
cules inspirées de l’arbutine Source : ICOA. 257
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

proposer au consommateur Ainsi, Surfanbac est un projet


une nouvelle expérience du de recherche académique sur
parfum : un parfum sans la fixation de peptides anti-
alcool avec une composition microbiens sur des maté-
et une texture en rupture par riaux. Il offre des possibili-
rapport à l’usage (Figure 7). tés de débouchés industriels
Un autre projet, Perfugard, multiples. Il peut permettre
vise à diminuer les risques de développer de nouveaux
d’allergie liés au parfum. Il a supports type pansement ou
permis de découvrir que des patch dans des logiques de
protéines naturelles (ici la régénération cellulaire et
zéine, issue du maïs, Figure 8) de soin cutané. Aussi il peut
avaient la capacité de créer trouver des applications
spontanément un film non dans le packaging, un enjeu
occlusif sur la peau. Formu- important pour la profession :
lés dans des parfums, ces comment protéger microbio-
ingrédients limitent le contact logiquement les formules
entre la peau et le parfum, grâce au packaging afin de
diminuant ainsi les risques limiter l’utilisation de conser-
allergènes potentiels. vateurs ?
Un autre exemple est le projet
2.2.4. Surfanbac et Tout
naturel : la microbiologie Tout naturel, dans lequel on
s’inspire d’espèces végétales
La microbiologie, et en par- imputrescibles sous climat
ticulier la conservation des équatorial pour développer
produits cosmétiques, est un des ingrédients naturels de
enjeu majeur où la chimie joue
protection antimicrobienne.
un rôle prépondérant.
Des plantes de Guyane ont
ainsi été valorisées en iso-
lant des extraits moléculaires
actifs aujourd’hui incorporés
dans des produits cosmé-
tiques.

2.2.5. RBDCP et Contverrcol :


modification du verre
La filière cosmétique inves-
tit dans le développement de
Figure 7 nouveaux matériaux et tech-
nologies de marquage pour
Néobulles, parfum sans
le packaging. Le rôle de la
alcool grâce à la technologie
microfluidique par Capsum. chimie est illustré par les
Source : Capsum. deux exemples qui suivent.
Le projet RBDCP (Revêtement
Barrière pour les Décors
en Contact avec le Parfum)
(Figure 9) cherche, par des
Figure 8 techniques chimiques, à
La zéine, protéine issue du maïs, décorer l’intérieur du flacon
crée un film naturel qui protège de verre. Il s’agit de fournir
258 la peau. au parfum un nouveau décor
La chimie au cœur de l’innovation en parfumerie-cosmétique : le contexte économique et réglementaire et les
mais aussi de maîtriser les
interactions entre le conte-
nant et le contenu.
Autre programme, Contver-
rcol, est un programme de
recherche qui a permis de
mettre en place un procédé de
marquage ou de coloration du
verre par des nanoparticules.
Ce projet pourra trouver de Figure 9
nombreuses applications, Revêtements barrière pour les
notamment pour lutter contre décors en contact avec le parfum.
la contrefaçon. Source : Shiseido.

Quel avenir pour la chimie


en cosmétique ?
Cet incomplet panorama montre que la chimie
est partout !
L’Encart : « Enjeux et perspectives des cosmé-
tiques » résume les enjeux pour notre industrie
et tente de prédire les axes clés du développe-
ment de la chimie pour la cosmétique.
Innover en cosmétique devient de plus en plus
complexe. Le développement des connais-
sances et des technologies ouvre de nouvelles
voies permettant d’offrir au consommateur
des nouveaux produits et services ; ces offres
doivent être adaptées aux attentes de chacun,
très différentes aux quatre coins du monde pour
des raisons génétiques, culturelles, environne-
mentales, etc. ; elles doivent aussi répondre à
l’exigence réglementaire de chaque pays pour
pénétrer le marché.
C’est pourquoi les entreprises s’engagent
aujourd’hui de plus en plus vers l’innovation
ouverte consistant à nouer des partenariats
gagnants inter-entreprises. Pour faciliter de
telles initiatives, Cosmetic Valley organise tous
les ans, au carrousel du Louvre à Paris, un 259
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

évènement majeur sur l’innovation cosmétique


mondiale : « Cosmetic360 »4. On peut y décou-
vrir les innovations de la filière. C’est aussi et
surtout un lieu de rencontres et de partage qui
facilite la génération d’idées et qui amorce des
partenariats.
Un autre point important est le développe-
ment de collaborations public/privé. La mise
en place de programmes structurants asso-
ciant la recherche et l’industrie permettent de
générer des concepts et projets en rupture par
rapport aux développements classiquement
menés dans les entreprises. Le programme
« Cosmétosciences », porté par l’université
d’Orléans et soutenu par la Région Centre Val
de Loire, en est un exemple puisqu’il permet
d’initier des projets de recherche en consi-
dérant dès les phases amont les potentielles
retombées économiques.
Plus généralement, il devient essentiel que
le monde académique français travaille sur
les enjeux et verrous scientifiques liés à la
cosmétique. Il y a en France des laboratoires
de recherche en pharmacologie... aucun en
cosmétologie. Pire, alors que notre indus-
trie joue un rôle majeur dans notre économie,
aucune stratégie de recherche n’y est dédiée
au niveau national. Mais le mouvement est en
marche depuis 2015, sous l’impulsion du CNRS,
qui a initié un Groupement de Recherche dédié :
« Cosm’actifs ». Présidé par le professeur Claire
Elfakir de l’université d’Orléans, la réflexion est
lancée depuis le monde académique sur les
enjeux scientifiques liés à notre industrie.
Pour terminer : quel est l’avenir de la chimie en
cosmétique ? On peut amener à la discussion
quatre points importants :
– le premier point est l’aspect naturel : on
voit bien qu’en cosmétique on aime s’inspirer
260 4. www.cosmetic-360.com
La chimie au cœur de l’innovation en parfumerie-cosmétique : le contexte économique et réglementaire et les
de la nature. Il faut sans cesse se demander
« Comment la chimie peut-elle toujours mieux
mimer et valoriser la nature ? ». La phytochimie
et les biotechnologies sont et seront les princi-
paux gisements d’innovation ;
– le deuxième point c’est la chimie verte. Les
ressources animales ont disparu du sourcing
cosmétique. L’utilisation de ressources fossiles
(pétrochimie) est de plus en plus rare. Reste
la chimie verte c’est-à-dire sourcer et trans-
former de manière durable la matière pour
développer des produits cosmétiques. C’est un
élément de fond déjà mis en œuvre et qui va
perdurer ;
– le troisième point c’est une chimie plus
« intelligente ». On a vu quelques exemples,
dans cet ouvrage Chimie, dermo-cosmétique et
beauté, de systèmes de relargage qui répondent
à un stimulus. Le consommateur est avide
d’expériences personnalisées, et la chimie
peut répondre par des systèmes intelligents
qui interagissent avec lui ;
– et le dernier point va rester un peu en ques-
tion ouverte parce qu’il est plus complexe : il
concerne la révolution numérique. La question
est : comment cette chimie des sciences de la
vie, cette chimie organique, bio-organique, des
matériaux, va-t-elle s’insérer dans la nouvelle
économie du numérique et apporter des
­innovations à ce que l’on appelle aujourd’hui
« la beauté connectée ? ».
Cosmetic Valley, dans un contexte internatio-
nal fort où nombreux pays investissent sur la
cosmétique comme filière prioritaire, accom-
pagne par son réseau académique et industriel
les mutations nécessaires de notre industrie.
Avec un seul objectif : que le made in France
demeure la référence de l’innovation, de la
sécurité et de la performance. 261
Chimie, dermo-cosmétique et beauté

ENJEUX ET PERSPECTIVES DES COSMÉTIQUES

Quels enjeux pour notre industrie ?


Innovation ouverte
Collaborations public-privé
Dynamique de recherche
Outils dédiés à la profession

Quel avenir pour la chimie en cosmétique ?


Naturelle : mimer/valoriser la nature
Verte : sourcer/transformer de manière durable
Intelligente : personnaliser l’expérience consommateur
Connectée : s’inscrire dans la révolution numérique en marche.

262

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