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Brigitte Deleruelle
Un chat de gouttière - 1
Un inconnu à la personnalité festive
débarque dans un bar.
Il enchante et séduit la clientèle
avec d’incroyables récits d’aventure. Qui est-il ?
1555 mots
8865 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
Brigitte.guillemot@gmail.com
Un chat de gouttière - 2
Il est arrivé de nulle part. Personne ne le connaissait
dans ce village. Une barbe noire mangeait son visage et
ses pieds nus étaient couverts de sable. Nous avons
tout de suite pensé qu’il avait amarré son bateau sur la
plage, parce-qu’il portait le classique imperméable
jaune de marin, usé par le vent et les embruns. Sans
doutes était-il venu prendre un petit déjeuner au café
du Phénix, comme nous tous. Il s’est assis sur une
chaise haute du bar et a demandé à Josy la serveuse, du
fil, une aiguille et de la vodka. J’ai vu que du sang
coulait sur son pied. Il a pris son briquet pour stériliser
l’aiguille, trempé le fil dans la vodka et tranquillement
recousu sa plaie qui m’a semblé assez profonde. J’étais
pétrifiée, ne pouvant détourner mon regard de cette
scène étrange. Il m’a fixée, de son regard moqueur et
ses yeux étaient perçants, d’un bleu très rare, lapis
lazuli moucheté de vert.
- Emotive ? M’a-t-il dit en riant. Vous n’êtes pas
infirmière, vous, ça se voit ! Alors que faites-vous dans
la vie ?
Un chat de gouttière - 3
J’ai bredouillé quelque-chose d’inaudible et il n’a pas
insisté. Il faut dire que depuis mon retour au village, je
ne faisais pas grand chose. Mes déambulations
journalières sur la côte, me poussaient de plus en plus à
la contemplation et à la paresse. Je cherchais
l’inspiration qui ne venait pas et ça me convenait très
bien. Ici, c’était mon port d’attache et mon refuge, en
cas de vents contraires. J’y puisais force et tranquillité,
au cœur de ces paysages et de ces familles que je
connaissais bien.
- Satané verre cria t-il, une coupe de champagne brisée
sur la plage ! Il n’y a pas plus idiot.
Il posa son pied blessé sur une autre chaise de bar et
cria :
Mademoiselle ! Mon porte-feuille est sur le bateau, je
suis blessé ! Me servirez-vous quand-même un petit
déjeuner ?
Il planta dans les yeux de Josy son regard le plus
charmeur et elle rougit. Il engloutit deux croissants,
une tartine beurrée et un bol de café au lait en un temps
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record, puis réclama le journal régional.
- Victoire de Carantec contre Plouenan 3 à 2, dit-t-il !
Voilà une nouvelle qui revigore !
Les dés étaient lancés, tout le monde se rapprocha de
lui, sourire aux lèvres. On ne pouvait lancer meilleur
sujet, car chaque Carantécois avait une tendresse
particulière pour son club de foot.
Il se mit à commenter chaque article, assez fort pour
que tout le monde entende. Ce petit spectacle amusait
les habitués, riant à tous ses propos. Petit à petit, le bar
se remplit plus qu’à l’accoutumée. Cet inconnu qui
lançait des débats sur tous les faits de société, animait
joyeusement la matinée. Oubliant un instant pourquoi
ils étaient passés par là, les curieux s’arrêtaient pour
prendre un verre, canne de pêche ou baguette de pain
frais sous le bras. Des hommes criaient et s’amusaient,
laissant couler des minutes puis des heures heureuses.
Quand le soleil pointa au zénith, chacun connaissait
son prénom, Félix. Tous trinquaient avec lui comme
avec un vieil ami. Je savourais de ce spectacle inédit,
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restant plus longtemps que d’accoutumée, pour
observer ce drôle de personnage. Il n’avait d’yeux que
pour Josy, heureuse et rougissante. On lui offrait des
verres et il racontait ses aventures à bord de son voilier,
un Janneau de 15 mètres nommé le Frondeur. Il
provoquait des ho ! et de ha ! Tant les histoires étaient
extraordinaires, mais surtout pour le plaisir de l’écouter
encore. Il nous parlait des Seychelles, d’îles sauvages
où seuls les oiseaux animent le paysage, de tortues
géantes et de pirates, le laissant presque mort sur une
île, sauvé de la soif par une pluie tropicale. Il parlait de
musique et de danse à chaque coin de rue sur les îles
grenadines, de filles faciles à la peau de caramel et de
cigarettes faisant sévèrement planer, jusqu’à rentrer
presque nu à bord. Il parlait aussi de requins blancs qui
le suivaient, d’Orques en chasse qui mettaient en
danger la coque de son bateau, des vents menaçants et
d’une vague scélérate qui avait cassé son mat. A
chaque fois la chance était au bout de l’aventure et un
bateau plus gros venait lui prêter main forte.
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La solidarité maritime est la valeur la plus importante
en mer et personne ne déroge à cette loi tacite ! Nous
disait-il. On lui offrait encore et encore des verres, en
criant des Félix, ton gosier est sec ! Qu’est-ce que tu
bois ? A l’heure du repas, il se fit servir le menu du
jour, œufs mayonnaise, sole au beurre blanc, tarte
mirabelles, café et cognac. Ce marin avait un appétit
féroce et se tenait bien droit malgré le nombre de
verres vides alignés sur le bar. Alors que le soleil
commençait à fondre dans l’océan, que les nuages se
couvraient de rose, de pourpre et d’orange, la fête
battait son plein. Il commanda une assiette de
charcuterie, du fromage et quelques bières pour ses
nouveaux amis. Chacun voulait lui confier un secret,
un petit morceau de sa vie. Il rebondissait sur chaque
sujet, même les plus futiles. Il était à l’écoute. Chacun
se sentait grandi un instant sous son regard
bienveillant. Un petit silence traversa la salle, comme
si chacun, à force de crier, avait besoin de reprendre sa
respiration. Il entonna des chansons de marins, que
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tous connaissaient, en levant son verre. Pierrot sortit
son accordéon et des touristes enchantés se mirent à
danser sur les quelques mètres carrés encore vides.
Sylvette, mon amie depuis la maternelle avait un secret
à me dire. Il y avait eu un sacré remous dans sa vie
depuis mon départ et je ne voulais rien rater de ses
confidences. Cette blondinette aux boucles indociles
avait cumulé les aventures. Elle allait me dire le nom
du dernier élu de son cœur, une personne de ma
connaissance. Nous sommes sorties et nous nous
sommes installées sur un banc face au bar. Nous
entendions encore le bruit de la fête improvisée. Elle
m’avoua que son dernier amant était le fils du
charcutier, ce qui me fit frémir. Je ne voulais pas que
ma Sylvette finisse sa vie derrière le comptoir, dans les
odeurs de rillettes et de boudins noirs.
Comme il faisait encore très chaud dans le bar, les
clients avaient ouvert la porte du bar. Pour notre plus
grand plaisir, nous sommes restées en face pour
écouter Pierrot qui entonnait une chanson grivoise.
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Sylvette les connaissait par cœur !
A minuit passé, le patron offrit des chips très pimentés
et tout le monde eut encore soif. On réclama une
tournée, gratuite, et le patron, bon prince, remplit les
verres avec la cuvée maison, issue directement d’un
cubi de rouge « La Villageoise ».
- Vous allez me ruiner, grogna-t-il.
Certains burent cul sec et réclamèrent un verre
supplémentaire, pour éteindre le feu du piment dans la
gorge.
A une heure du matin, le patron voulut fermer. Cris de
désapprobation, mais chacun savait bien que ce
chouette patron serait là le lendemain pour servir le
café et les croissants alors qu’eux mêmes dormiraient
exceptionnellement très tard. Félix, comprenant qu’il
était temps de partir, cria à l’assemblée :
- Ok, les marmottes, je vais chercher mon porte-feuilles
sur le bateau !
Ils l’attendirent longtemps et se mirent à sa recherche,
encore euphoriques, en criant : Félix ! Félix ! Tu ne
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retrouves plus ton bateau ? Mais la plage était noire,
aucun voilier amarré aux corps morts n’était éclairé.
Seul un petit filet de lumière ondulait sur l’eau, le ciel
était clair, la lune était à son premier quart. A part les
chaînes des bateaux qui grinçaient doucement et en
cadence, aucun son ne sortait de la plage endormie.
Quand Félix est sorti, nous parlions, Sylvette et moi
des instants les plus drôles de notre jeunesse. Nous
avons vu Félix marcher à toute allure sur la route, saisir
un sac à dos dans un fourré et faire du stop. Un camion
s’est arrêté et il a disparu, dans la fumée noire du pot
d’échappement. Nous nous sommes regardées, d’abord
surprises puis écroulées de rire. D’un commun accord,
nous n’avons pas donné l’alerte. Ce Félix nous avait
conquises, nous aussi.
La femme de patron râla un peu, mais le chiffre de la
journée était bien supérieur à celui du 14 juillet. Le
patron enlaça sa femme et lui dit :
Tu sais, ce Félix, c’est un chat de gouttière, charmeur,
chapardeur et sans attaches, mais comment lui en
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vouloir ? Il a animé cette journée et rempli notre tiroir
caisse, alors ? Ça valait bien un plat chaud et quelques
bières... Tout le monde a ri mais on a vite éteint les
lumières, la fête était finie. Nous marchions un peu à
contrecœur sur la route du retour, quand j’entendis au
loin le patron crier :
- Allez ouste, tout le monde dehors, ou j’en prends un
en otage pour faire les petits déjeuners demain matin !
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Rêve d’Italie
nouvelle
Brigitte Deleruelle
Rêve d’Italie - 1
Dora a quinze ans
quand elle décide de réaliser son rêve :
partir seule en Italie.
Sur la route des vacances
une mauvaise rencontre va déjouer ses plans.
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Brigitte Deleruelle
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Rêve d’Italie - 2
Dora partira seule en Italie, après le bac, c’était une
vielle promesse de ses parents. Mais ils avaient changé
d’avis, et pour cause, Dora n’avait que quinze ans à
l’obtention du fameux diplôme. Ils avaient ajouté une
nouvelle condition, la majorité. Trahison ! Durant
quelques jours, l’ambiance fut glaciale à la maison.
Dora ne quitta plus sa chambre et refusa de se présenter
à l’heure des repas. Petit à petit, les parents fatigués par
cette guerre froide, lâchèrent un peu de lest. Ils
acceptèrent qu’elle rejoigne sa meilleure amie dans un
camping au dessus de Saint Raphaël. Agée de dix huit
ans, Sophiane était en échec scolaire et s’en moquait
complètement. Elle avait déjà économisé de quoi
acheter une camionnette pour accomplir son projet,
ouvrir une crêperie ambulante dans le sud. Elle n’avait
pas ménagé sa peine. Debout dès cinq heures du matin
et portant de lourds cageots de légumes sur les
marchés, froid l’hiver, chaud l’été, tout ça pour passer
son permis et acheter tout l’aménagement intérieur de
cette camionnette vert pomme à l’enseigne clinquante :
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« La bonne crêpe ». Dora aurait tant aimé avoir la
même indépendance !
La passion de Dora pour l’Italie était née d’une jolie
rencontre avec une sculpture de sable, attaquée par
l’assaut des vagues. C’était la représentation d’un jeune
homme, serrant dans ses bras une sirène endormie. La
queue de la sirène fondait doucement dans l’eau salée.
Dora se fit mal aux doigts en construisant à mains nues
un muret de sable pour ralentir la destruction de cette
œuvre qu’elle voulait prendre en photo. Un jeune
garçon aux cheveux longs et bouclés s’approcha d’elle
en riant. Ses yeux verts et moqueurs la troublèrent. Il
lui dit de ne pas se donner cette peine, que le jour où il
serait prêt, il ferait sa sculpture en haut de la plage. Son
accent italien lui plut beaucoup. Ce fut le début d’une
belle amitié. Elle grelottait, enroulée dans une serviette
éponge rose vif, et bravait le froid pour suivre avec
passion l’histoire de sa famille italienne. Les parents de
Mattia étaient souffleurs de verre à Murano, un petit
archipel composé de plusieurs îles reliées par des
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ponts. Les touristes venaient du monde entier pour
acheter vases et lampes multicolores, bijoux de verre et
animaux fantastiques. Murano, île typiquement
vénitienne et charmante, était trop chaude et trop
fréquentée en été. Ses parents étaient venus profiter de
l’air frais dans le nord de la France. Ils avaient choisi la
plage du Touquet pour la qualité de son sable, idéal
pour la réalisation de sculptures monumentales. Mattia
préparait la fameuse compétition de sculpture de sable
de Cervia pour l’année suivante.
Il aimait bien lui parler de sa passion pour la sculpture.
L’accent italien charmait Dora comme une mélodie.
Elle tentait de lui parler de sa propre vie, mais la
comparaison était difficile. Pas d’artiste dans sa
famille, des parents professeurs de sport et un petit
frère agaçant.
L’été s’était achevé trop vite cette année là. Quand les
parasols et les chaises longues se plièrent, les enfants
rangèrent leurs seaux multicolores, le soleil du soir se
mit à raser le sol de plus en plus tôt. Ce fut le signal du
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départ pour Mattia. Il lui glissa son adresse, tout en
l’embrassant doucement dans le cou. Elle en ressentit
un frisson inconnu. Le souvenir de cette émotion
nouvelle s’était estompée peu à peu, mais elle avait
conservé le rêve de visiter Venise et ses îles. Les deux
amis s’écrivaient régulièrement et promettaient de se
revoir.
Attachée à son projet, elle avait acheté plusieurs guides
de voyage et avait noté des adresses de campings. Son
itinéraire était prêt. Elle se voyait déjà dans les ruelles
de Florence, dégustant une glace, ou dans les rues
secrètes de Venise. Elle appela Sophiane, qui lui
proposa un plan pour qu’elle puisse partir quand
même, malgré l’interdiction. Dora la rejoindrait au
camping de Saint Raphaël, mais ensuite, elle partirait
seule en Italie en faisant tranquillement son périple. Il
suffirait de faire un stock de photos d’elles deux à
Saint Raphaël et de les envoyer au fur et à mesure de
son voyage, ni vu ni connu ! Elle lui avait aussi préparé
une fausse autorisation de sortie de territoire, qu’elle
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gardait précieusement dans son passeport, le tout caché
dans un tas de vêtements. Les parents de Dora furent
ravis de la voir enfin détendue et souriante. Après tout,
ses résultats scolaires étaient excellents, elle méritait
bien un peu de liberté. Ils l’accompagnèrent au vieux
campeur, pour lui offrir du matériel de randonnée. La
tente et le duvet ultra compactables, les chaussures de
marche légères, respirantes et imperméables, le coupe-
vent idéal, car elle leur avait dit vouloir décoivrir les
hauts sommets montagne avec Sophiane. La pochette
de Dora était bien remplie de billets de banque, surtout
depuis qu’elle avait annoncé sa mention très bien aux
grands parents. Tout le monde était fier de ses résultats.
Elle irait loin, cette petite ! Elle avait récolté de quoi
s’offrir des billets de trains, des places de campings, de
quoi manger de bons plats de pâtes, des pizzas et de
vraies glaces ! Depuis longtemps, Dora étudiait la
langue italienne. Au début, elle apprenait des chansons,
lisait des bandes dessinées en italien, puis elle avait
choisi d’étudier cette langue au lycée. Son engouement
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pour ce pays s’était amplifié depuis qu’une famille
Italienne avait aménagé à côté de chez eux. Milo, le
petit voisin de son âge qui ne maitrisait pas encore bien
le Français, lui expliquait des jeux en Italien ou lui
chantait des chansons qu’elle adorait. Sa sœur jumelle
qui les suivait comme une ombre, avait toujours une
sucrerie à leur offrir. Ils faisaient des parties de cartes
endiablées sur les marches de leur maison. Une amitié
solide était née entre Dora et Milo. Même si depuis il
maitrisait le français, leurs échanges continuaient de se
faire en italien. Elle lui parlait du petit sculpteur de la
plage, qui lui écrivait et lui envoyait des photos de sa
famille et de ses amis. Lui parlait de Milan, la ville de
ses grands parents, ou il passait tous ses étés. Il voulait
devenir guide francophone dans cette ville qu'il aimait
et connaissait par cœur.
Quand le sac à dos fut prêt, Dora chercha un
covoiturage pour son voyage sur Blablacar, au lieu de
prendre le train comme prévu. Elle ferait ainsi de
grosses économies. Encore une fois, son amie
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Sophiane, majeure et détentrice d’une carte bleue lui
fut d’un grand secours. Elles cherchèrent ensemble la
personne qui pourrait la conduire en Italie. Elles
tombèrent sur des profils différents. Un jeune homme
partait deux jours plus tard pour San Remo. Il pensait
faire un ou deux stops sur la route, dans son fourgon
Volkswagen aménagé. Il était connu de Blablacar
depuis plus de deux ans. Une famille partait une
semaine plus tard à Ligurie avec trois enfants, puis un
couple de retraités partait tranquillement à Venise avec
une vieille 4L restaurée, en prévoyant 5 stops en
France, dans des logements de vacances. Les villages
prévus pour les stops étaient vraiment jolis et chaque
location était pourvue d’un couchage supplémentaire
dans le salon, car leur fils s’était désisté au dernier
moment. Elles choisirent le jeune homme car son
parcours était plus direct. Rémi Dabart, trente ans,
professeur de Maths à Boulogne sur mer.
- Rémi Dabart ! Je note son numéro de téléphone dans
mes contacts, dit Sophiane ! Je te connais, tu es capable
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d’oublier de recharger ton Smartphone, comme
d’habitude ! Alors si je veux te contacter, j’ai plus de
chances de passer par lui, tu ne crois pas ?
La photo de Rémi était un peu floue, Dora se demanda
si elle pourrait le reconnaître, mais comme il voyageait
dans un fourgon Volkswagen orange, elle reconnaitrait
rapidement le véhicule.
Au point de rendez-vous, Rémi et Dora se plurent tout
de suite. Dora avait détaché ses longs cheveux, qui
tombaient en boucles indociles. Son air mutin et sa
silhouette sportive le charma instantanément. Ayant
passé des heures au grand air, Rémi avait les bras dorés
et musclés. Il releva les manches de son T-shirt. Sur
son bras, un tatouage très réaliste représentait une
plage au soleil couchant, petit souvenir de Pattaya.
- Joli tatouage ! Dit-Doriane en grimpant dans la
camionnette, on pourrait presque s’y baigner ! »
- ll va falloir prendre l’avion lui dit-il en riant, c’est en
Thaïlande, mais tu sais, une plage est une plage, on
pourrait bien trouver la même aux environs de Cassis,
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en cherchant bien ! Allez, en route !
Doriane était heureuse, volubile et charmante.
Je lui plais, se dit-il. Il chercha la plage qui
ressemblerait le plus au dessin de son tatouage sur son
smartphone. Elle se pencha, il en profita pour humer
son parfum, pointe de cannelle et vanille et pour
contempler son décolleté plutôt sage. 90C, se dit-il.
Elle parlait beaucoup, de tout et de rien. Il lui raconta
son enfance, son adolescence, son arrivée sur Paris.
Cette jeune fille avait le don d’écouter et de le mettre
en confiance. Si jeune et déjà si mûre… Se disait-il. Il
était sous le charme.
Elle lui avait parlé de son rêve de Venise, de ces
maisons posées sur l’eau, à cette ville envoûtante
chargée de soleil et de plaisi rs à cueil lir
instantanément.
Il chercha dans ses souvenirs d’enfant un moment drôle
ou heureux à raconter. Pas d’amourette pour lui mais
disputes, coups de ceinturons, peurs et enfermements
dans les placards. Elle en fut désolée et lui dit que la
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seule contrariété pour elle avait été quand son père
l’avait obligée à s’inscrire au judo. Elle aimait la danse
et se voyait petit rat de l’opéra alors que son père
aimait la compétition. Il l’avait élevée comme un
garçon, proposant aussi souvent que possible des
combats récréatifs dans le jardin. Médailles et coupes
étaient alignées dans l’entrée, sous la photo de famille,
pour la plus grande fierté de ses parents.
Elle lui dit :
« Pardonnez-moi, avez-vous un mouchoir ? »
« Cesse de me vouvoyer, je ne suis pas si vieux que ça,
lui dit-il agacé. »
Ce ton soudain sévère la contraria un peu. Il chercha
dans ses poches et n’en trouvant pas, il ouvrit
rapidement la boîte à gants. Pas assez rapidement pour
qu’elle ne voie pas l’éclat d’un revolver posé sur une
corde. Elle se moucha pendant qu’un frisson la
parcourait.
L’autoroute A6 était fluide, il roulèrent rapidement, à
la limite des vitesses autorisées. Il lui proposa plusieurs
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fois de s’arrêter sur des aires de repos, mais elle refusa
à chaque fois, « ne t’arrête jamais sur une aire de repos,
lui avait dit son amie, c’est dangereux, toujours dans
une station essence. » Elle avait retenu la leçon et
restait à l’avant du fourgon, pendant qu’il faisait le
plein d’essence avec un Jerrican stocké à l’arrière.
Combien de litres avait-il prévu ? La totalité de ses
besoins pour le voyage ? La vessie de Dora
commençait à faire parler d’elle, mais elle se retint au
maximum. A Mâcon, il lui proposa encore une fois de
s’arrêter dans une aire complètement vide. Il lui
proposa une cannette de thé glacé qu’il venait d’ouvrir
pour elle. Elle refusa, « n’accepte jamais une cannette
ouverte d’un étranger, lui avait dit son amie tu pourrais
te faire droguer à ton insu. » Elle sortit sa bouteille
d’eau et il devint de plus en plus ombrageux, peut être
à cause de la fatigue, mais peut être à cause d’elle.
« Décidément, se dit-elle, les conseils des adultes me
rendent parano, je crois que je l’ai contrarié à cause de
ça. Il ne faut pas le prendre pour un imbécile, il sent
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bien que je me méfie de lui !» Elle se tortillait et se
tenait le ventre le plus discrètement possible..., n’en
pouvant plus, elle lui dit : « cette clim m’a séché la
gorge, on peut s’arrêter à la station essence pour
acheter des glaces ? »
« Tu es sûre ? Lui répondit-il ?
Rendue à la station essence, elle prit son portable et
envoya un sms à Sophiane. « Je flippe, il a un revolver
dans sa boite à gants, je ne sais pas s’il est chargé. On
vient de passer Mâcon.» Puis elle éteignit son portable,
sachant que Sophiane allait la bombarder de SMS.
Elle se précipita aux toilettes, ignora totalement le
rayon de glaces et ressortit en disant : « Trop nul ! Pas
de cornet vanille ! »
Il ne la crut pas et comprenant son manège, il ne lui
parla plus. Ils roulèrent un moment, dans un silence
inquiétant puis il se détendit d’un seul coup.
- Allez, dit-il, on se met un peu de musique ? Il alluma
son auto-radio sur Fip et se mit à chanter.
Lyon, Valence, Aix en Provence, Rémi roulait très vite
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et ne tentait plus de s’arrêter. Il la regardait de temps en
temps et se disait : « Cette petite bourge est
intelligente, ça change, je crois qu’on va bien
s’amuser. »
Sur les ondes il y eut un stop info. Ils parlèrent de la
sécheresse annoncée, des départs de feu et de la police
toujours en alerte suite aux enlèvements et meurtres de
jeunes auto-stoppeuse sur la route du sud. Lorsque la
journaliste commenta les rituels du meurtrier,
surnommé l’étrangleur, Il éteint rapidement la radio,
agacé.
- On n’est pas là pour se contrarier, lui dit-il, on est en
vacances, non? Encore une petite heure et on est à la
plage !
Dora prit peur et chercha dans ses ressources
personnelles une technique pour donner le change. Que
disait mon prof de théatre ? Ha oui ! La base, c’est
d’apprendre à inverser ses émotions. Pensez à quelque-
chose de triste, puis éclatez de rire ! » Elle avait fait cet
exercice dix fois, cent fois ! Elle remplit très fort ses
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poumons et lui dit en riant :
- Ha ! Pour le vouvoiement tu as raison ! On me le dit
souvent ! Je suis vraiment désolée, mes parents m’ont
donné une éducation trop bourgeoise ! Je ne veux pas
te vexer, c’est vrai que tu es jeune, à peine quelques
années de plus que moi ! Je vais te donner le numéro
de téléphone de ma mère pour pouvoir la sermonner !
Trop de politesse, donne une impression de distance,
mais promis, ce n’est pas mon cas. Ce sont des tics de
langage, voilà tout ! »
- C’est oublié, dit-il, nous allons longer la mer depuis
Marseille, tu vas adorer le calme des plages sur les
Calanques. Pas un chat la nuit, juste nous, la mer le ciel
et les étoiles.
Malgré son trouble, elle se répéta encore les conseils
du professeur de théatre et lui dit :
- Oui, vivement la plage pour qu’on se baigne et qu’on
respire le grand air! On meurt de chaud.
Il s’arrêta, charmé par un paysage qui ressemblait un
peu à son tatouage.
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- Cet endroit vous plait-il, mademoiselle ?
Elle se leva et lui dit et sans l’ombre d’une émotion :
« Ah enfin ! Nous y voilà ! Je meurs d’envie de
prendre un bain, pas toi ? » Elle saisit son sac à dos en
souriant. J’enfile mon maillot de bain et j’arrive !
Il était aux anges. Vraiment charmante, se dit-il,
Elle le vit ouvrir sa boite à gants et lui crier : « Dora !
On s’installe derrière les rochers ? » Elle continua
tranquillement son chemin sans entendre ce qu’il lui
disait à cause du vent qui s’était levé. Comprenant
simplement qu’il lui avait parlé, elle lui fit encore un
sourire et un geste amical.
Il se fit un clin d’œil dans le rétroviseur, puis
contempla encore une fois son tatouage. Il y découvrit
une tache de soleil qu’il n’avait pas encore remarquée.
Zut, se dit-il il va falloir mettre de l’indice 50 ! Ce petit
détail le contraria, mais en l’observant de plus près, il
vit que la tache ressemblait à la silhouette d’une femme
qui courait au loin et trouva ça sexy. En attendant
Dora, il écrivit des SMS aux amis qu’il allait rejoindre.
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Quand le dernier SMS fut envoyé, il s’aperçut que le
soleil avait complètement disparu. Etait-elle tombée
dans les rochers ? Il sortit inquiet, marcha pour essayer
de la retrouver, mais fit vite demi-tour, car on n’y
voyait plus rien. Après-tout, elle avait un portable. Si
elle est blessée, elle peut m’appeler, elle a mon
numéro ! Il l’appela, lui envoya des sms et plus tard,
enfin inquiet il appela les secours. Elle avait marché
tranquillement, jusqu’au rocher, prenant même le
temps de lui faire un signe amical, mais dès qu’elle fut
à l’abris de son regard, elle se mit à courir éperdument
jusqu’à l’essoufflement. Elle fit un stop rapide et vit
que les batteries de son téléphone étaient déchargées.
Je suis vraiment seule, se dit-elle. Elle marcha vite
malgré son essoufflement, la nuit était noire. Sa lampe
de poche était faible, il aurait fallu en acheter une plus
puissante. Ce qui devait arriver arriva, elle se tordit
méchamment le pied. Elle crut un instant à une foulure,
alors que la mer montait. Malgré la douleur, sa cheville
semblait répondre à ses mouvements, plus de peur que
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de mal.
- Je vais être obligée d’escalader ce rocher et de dormir
dans ma tente, se dit elle. J’espère que le Baume Saint
Bernard pourra me soulager ! La panique était montée
au fur et à mesure du voyage. Elle se détestait.
Pourquoi n’avait-elle pas senti le danger avant, elle si
instinctive habituellement. Elle s’était fiée au joli
visage de son chauffeur, à ses yeux charmants. Il
faudra être plus méfiante, la prochaine fois.
Heureusement pour elle, elle était sportive et put
escalader, malgré quelques points d’appui fragiles qui
la firent trembler une fois ou deux. Les pierres qui
tombaient dans la mer faisaient un bruit effrayant. Elle
eut peur de se faire repérer. Enfin arrivée au sommet,
elle sentit un espace assez plat pour s’installer pour la
nuit. Elle remercia mentalement sa mère, qui l’avait
obligée à monter et démonter sa tente plusieurs fois
dans le jardin, malgré ses protestations. Le plus dur
était de la replier et de la ranger dans son sac d’origine,
le fabricant avait encore des progrès à faire de ce côté
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là. Quand la lumière commença à fondre ses éclats sur
les vagues, c’était le petit jour. En ouvrant sa tente, elle
se rendit compte que des commerces étaient tout
proches, mais aussi la route, ce qui aurait pu la mettre
en danger. Le tatoué, partant à sa recherche, aurait pu
facilement la retrouver ici ! Elle se maudissait de tant
de naïveté. Furieuse contre elle, elle replia son
matériel, marcha jusqu’à une plage plus abritée. Elle
attendit que le jour se lève complètement. La journée
serait belle, le soleil caressait une mer qui bougeait à
peine. La chaleur montante lui fit du bien, réchauffa
autant son esprit que son corps glacé. Un cabanon de
plage ouvrait ses portes, elle put y boire un chocolat
chaud.
Elle s’assit au bord de la route déjà plus animée.
Puisqu’il y avait plus de monde, elle pourrait toujours
crier, se débattre s’il revenait ! Il fallait bien penser à
repartir. Elle posa son sac à dos sur le côté et fit du
stop. Un jeune couple s’arrêta un petit moment, moteur
allumé, dans une Clio bleue rouillée par endroits. Elle,
Rêve d’Italie - 20
jolie brune aux cheveux longs, très maquillée, lui,
lunettes, cheveux blonds et plats fit un sourire un peu
gêné lui dit : on peut vous déposer ? Elle essuya ses
yeux encore embués par la rage et se dit que ce couple
était providentiel.
Mon téléphone est déchargé, lui dit-elle, avez-vous un
chargeur ?
« Ha, lui dit il vous êtes en vacances ? Je vous
accompagne au centre ville, on rechargera votre
téléphone. Je vous ferai visiter les plus beaux villages
de notre région, montez, je serai votre guide
aujourd’hui. » Je dépose mon amie au travail et je suis
à vous ! Qu’en pense-tu Julie ? Julie lui adressa un
sourire complice.
Doria monta à l’arrière dans la Clio rouillée, prit un
magazine dans son sac, pour cacher son visage, pour le
cas où le tatoué la verrait. Elle leur dit :
- J’ai oublié mes lunettes, le soleil me fait mal aux
yeux.
- Comme je vous comprends lui dit-il, j’ai le même
Rêve d’Italie - 21
problème. Les yeux clairs sont fragiles !
Il la regarda mieux et s’aperçut que les yeux de la
jeune fille étaient d’un noir profond, il en fut un peu
gêné.
- Je vous préviens, lui dit-il, vous allez adorer la région
et vous risquez de ne plus en repartir ! Cette phrase fit
rire Julie.
- Bastien, pour pour servir... votre guide attitré pour la
journée et plus si affinités !
Il déposa Julie, serveuse au restaurant des mouettes,
trouvèrent un centre de téléphonie pour acheter un
chargeur, puis Ils prirent des chemins de traverse sur la
montagne. Elle découvrit de jolis villages, des
paysages que les routes principales ne dévoilent pas
aux voyageurs pressés. Juin est une saison idéale pour
admirer cette partie de la France, les fleurs généreuses
explosent en bouquets multicolores. Les villages
accrochés offrent un spectacle charmant sous le soleil
doux qui chauffe les toits de briques rouges. Les vignes
adossées aux collines donnent aux promeneurs
Rêve d’Italie - 22
contemplatifs une vue rafraichissante. Bastien l’invita
dans une auberge qui servait des petits déjeuners aux
villageois. Ils s’installèrent sur une terrasse verdoyante
avec vue sur l’océan.
- Je vous offre le petit déjeuner ! Lui dit-il, on n’a pas
tous les jours la chance d’accompagner une touriste
aussi charmante ! Quels sont vos projets d’été ?
Elle lui parla de l’Italie et de son itinéraire, sans
raconter sa déconvenue de la nuit.
- C’est incroyable ! Lui dit-il, moi aussi, je voyage en
Italie cet été ! Pourquoi ne m’attendriez-vous pas ? Je
pars dans quelques jours, pour l’instant, je dois finir de
préparer le voilier d’un ami, qui fait le tour du monde.
Il m’a demandé de tester le gouvernail qui l’inquiète.
Ça vous tente de naviguer avec moi cet après-midi?
Les Calanques sont si belles, vues de la mer... Aimez-
vous les dauphins ? Hier, il étaient au moins six à faire
des sauts autour du voilier ! »
Bien sûr, qu’elle aimait les dauphins ! Son visage
s’illumina, ses vacances commençaient enfin ! Venise
Rêve d’Italie - 23
saurait attendre !
C’était entendu, ils prendraient la mer cet après-midi,
mais en cabotage, il ne fallait pas prendre de risque de
partir loin en mer tant que le voilier n’était pas
totalement fiable ! Il allait lui faire découvrir des
paysages à couper le souffle !
Pas de dauphins aujourd’hui mais une eau claire et de
beaux paysage, si proche de Marseille ! C’était
vraiment surprenant de découvrir un environnement
aussi sauvage. Des balbuzards, aigles pêcheurs à tête
blanche poussaient des cris autour de leurs nids et
planaient dans le ciel. Les rochers battus par la mer et
le vent imitaient des sculptures de toutes sortes,
animaux, visage, silhouettes... C’était un vrai plaisir de
les observer. Elle se retournait parfois vers le
gouvernail pour sourire à son guide si charmant. Il
tendit son doigt pour qu’elle regarde un nid d’un
balbuzard tout proche. Elle se concentrait pour le
trouver dans ces rochers chaotiques, « regarde bien le
tas de branches, là haut, sur la pointe ! » elle étira son
Rêve d’Italie - 24
cou, pour mieux le percevoir, quand elle reçut un grand
coup sur la tête. Presque assommée, elle s’assit un
moment en se frottant le crâne. « Mon dieu, cria
Bastien, il y a eu un problème de navigation, avec le
vent arrière, tu t’es pris le bôme sur la tête, rien de
cassé ? Il s’assit derrière elle et la frotta énergiquement
en l’embrassant. Elle sentit un ceinturon lui sangler la
gorge. Elle essaya de toutes ses forces de le dégager,
mais il restait collé à elle. Le souffle commençait à lui
manquer. Elle fit un pas en avant avec cette charge
humaine sur le dos, lui donna un coup de coude dans le
ventre et lui fit une prise de judo qu’elle maitrisait
parfaitement, le Nage-Waza, en le faisant basculer au
sol, la tête la première. Le bruit que fit son crâne sur le
plancher en bois la surprit, habituée qu’elle était de
s’entrainer sur des tatamis. Sonné, la rage au visage, il
tenta de se relever, alors elle saisit une fusée de
détresse, qu’elle tira à bout portant sur son visage. Le
sang se mit à jaillir. Elle se rendit compte qu’elle avait
visé la tête. Elle entendit ses gémissements de plus en
Rêve d’Italie - 25
plus faibles. « Au secours !!! Cria-t-elle » pendant que
seules les clapotis des vagues lui répondaient. Il y eut
un écho. Elle se recroquevilla au fond du bateau avant
de réagir. A ce moment seulement elle se souvint
qu’elle avait rechargé son téléphone. Quel numéro
composer ? Le 15 ? Le 18 ? Le 19 ? dans la panique
elle ne savait plus quel numéro faire. Elle fit le 19 au
hasard.
- A l’aide, cria t-elle, j’ai été agressée par un homme, il
a tenté de m’étrangler sur son voilier, je crois que je
l’ai tué ! Le bateau est près d’un nid d’aigle, Il y a une
croix sur un rocher !
Mais l’agresseur s’était réveillé et gémissait en
rampant vers elle. Il s’accrocha à son t-shirt et planta
ses ongles profondément dans son bras en tentant
d’arracher son téléphone, puis tomba violemment en
arrière. Un hélicoptère arriva rapidement et tourna
autour du bateau. Etes-vous Dora ? Cria un homme
avec un porte voix? On a signalé votre disparition hier
soir ! On arrive ! Un homme descendit à l’aide d’une
Rêve d’Italie - 26
corde en rappel vers elle.
« Etes-vous blessée ?
Votre cou... que s’est-il passé ?
Cet homme vous a-t-il enlevée ?
On survole la zone depuis ce matin !»
Dora ne put répondre à toutes ces questions, car elle
avait usé toutes ses forces dans le combat et s’était
évanouie.
« Dora ! Dora ! Criait le secouriste en la tapotant.
Répondez-moi ! » Dans un brouillard elle entendit :
c’est l’étrangleur, la petite a eu sa peau ! Elle se
réveilla complètement dans une chambre d’hôpital.
L’urgentiste lui tendit son téléphone. Elle perçut la
voix de son père :
- Papa, lui dit elle, je suis désolée, je ne suis pas au
camping avec Sophiane, je suis à l’hôpital et j’ai lancé
une fusée de détresse sur un homme, je crois que je l’ai
tué !
- Dora ! Ma championne ! Lui dit son père. Je suis si
fier de toi ! Tu as eu la peau de ce salaud ! Tu l’as
Rêve d’Italie - 27
échappé belle ! Quand je te disais que le judo, ça peut
toujours servir dans la vie ! Hein ? Est-ce que la danse
t’aurait sauvé la vie? Comment te sens-tu ? Ta tête ?
On t’appelle depuis hier soir, c’est le chauffeur de
Blablacar qui nous a prévenus ! Je te laisse, ma
championne repose-toi, on arrive.
Dora but un chocolat, puis consulta son téléphone. Elle
écouta ses multiples appels. Il y avait Sophiane, bien
sûr qui avait tout de suite lancé une enquête auprès de
Blablacar et s’était sentie contrainte de prévenir ses
parents. Son père qui l’avait appelée au moins dix fois
dans la nuit. Et puis Rémi, le chauffeur de Blablacar,
dont le ton exprimait la panique d’heure en heure. Il
avait fini par comprendre que son révolver lui avait fait
peur, une arme chargée à blanc pour intimider les
rôdeurs ou les animaux nocturnes.
- Dora, lui disait-il dans son dernier appel, c’est
incroyable ! Tu as eu l’étrangleur ! Tu aurais pu être sa
cinquième victime ! Comment te sens tu ? j’ai prévenu
le club qui m’attend pour un job à San Rémo. Je peux
Rêve d’Italie - 28
t’attendre encore une journée, ou même deux, si tu
veux. Alors, si tu m’écoutes, dis-toi bien que je ne te
ferai jamais de mal. J’ai accroché un deuxième hamac
pour toi, avec une moustiquaire, tu verras, le ciel sur la
plage est magnifique, en l’absence de pollution
lumineuse ! Il y a des petites chauves souris qui volent
en tous sens c’est très joli ! Dépêche-toi ! Mon Van et
l’Italie t’attendent !
Il faudra attendre pour l’Italie, lui écrivit-elle. Encore
bien de la chance si je peux aller seule à Saint Raphaël,
à seize ans, avec des parents comme les miens, on ne
fait pas ce que l’on veut. Ils ont eu si peur pour moi
qu’ils ont pris 3 billets aller retour pour Venise et
m’ont promis d’aller dans le quartier des souffleurs de
verre pour retrouver mon ami !
Ils sont quand même sympas ! Salut, Rémi, bonne
saison à San Rémo !
Rêve d’Italie - 29
La voisine
La voisine - 1
nouvelle
Brigitte Deleruelle
1262 mots
7055 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
La voisine - 2
Lorsque Denis rentra du marché, Morphée bondit
sur la table, renversant le vase plein de marguerites.
L'odeur du poisson frais emballé dans un vieux
journal le rendait fou à chaque fois. Il miaulait alors
comme un chat affamé, en négligeant sa gamelle
pleine de croquettes. Cette mauvaise habitude
faisait rire Denis. Tout ce que pouvait faire cette
petite boule de poil le faisait craquer. Il épongea
sommairement la table et déballa le trésor pour son
ami à quatre pattes.
- C'est pour fêter mon anniversaire ! Dit Denis en
riant. Une part pour toi, une part pour moi. Duo
saumon cabillaud, ça te plait ? Pour ses trente ans,
Denis n'avait rien organisé et avait fait profil bas
pour se faire oublier de son entourage. Il ne
répondait plus au téléphone depuis quelques jours
pour avoir la paix ce soir là. Il en avait assez des
soirées arrosées.
La voisine - 3
Il faut toujours boire le plus possible jusqu'à rouler
par terre... dit-il à son chat. J'ai passé l'âge. Il est
temps de se bouger et de perdre les kilos
accumulés.
Il contempla un instant son ventre rond dans la
glace, alluma son ordinateur pour faire sa séance
quotidienne de Gym spéciale ventre plat.
Morphée partit bouder dans son panier comme à
chaque fois que Denis ne jouait plus avec lui.
- Hop et hop ! Disait la coach sportive qui donnait le
cours en ligne, courage ! Encore deux fois, dix, on
souffle !
Maudissant cette jolie femme qui riait et parlait en
faisant les mêmes mouvements, Denis suait à
grosses gouttes, quand quelqu'un sonna à la porte.
Zut ! Pensa Denis, pourquoi faut-il toujours être
dérangé quand on fait du sport ? Encore le papy du
troisième qui vient se plaindre à cause du bruit que
La voisine - 4
je fais sur le parquet ?
Pas de papy cette fois-ci, mais une voisine qu'il
n'avait pas encore croisée.
- Bonjour, dit-elle, je suis nouvelle dans l'immeuble.
On pourrait peut être boire le verre de l'amitié pour
faire connaissance?
Ce disant, elle agitait une bouteille de Vodka Russe
et deux verres. Le premier réflexe de Denis fut de
dire non, mais la voisine avait déjà coincé son pied
dans l'ouverture et se glissait dans le salon, souple
comme un serpent et rapide comme un singe.
Soupir de Denis, qui aimait bien la vodka, mais avait
décidé de faire un régime. Il n'espérait qu'une chose
pour sa soirée d'anniversaire, une soirée avec une
infusion détox, un bon film et Morphée ronronnant
sur ses genoux.
Cette drôle de voisine était vêtue d'un long manteau
léger et d'une jupe extrêmement courte. Elle
La voisine - 5
sautillait plutôt qu'elle ne marchait, mal à l'aise,
perchée sur des chaussures rouges à talons
aiguilles. Etrange, se dit-il pourquoi ne pas porter
des chaussons pour monter ou descendre les étages ?
Déjà installée, elle ne faisait que plier et déplier ses
jambes. C'était très gênant. Morphée s'était réveillé
et semblait adorer la scène. Il faisait son charmeur
et se frottait sur ses mollets, le traitre... Elle en
profita pour s'enfoncer un peu plus dans le canapé,
roucoulant des mots doux. Ce faisant, elle servit les
deux premiers shots de vodka. A ce moment, Denis
se dit qu'il n'avait pas de cacahuètes pour éponger
de l'alcool fort.
« Je me sens si seule, dans cette ville, dit-elle, je
viens tout juste de m'installer. J'ai dû laisser tous
mes amis à Bordeaux. Ça me fait du bien d'être avec
vous, ce soir.»
Denis soupira, enfila un jean et une chemise puis
La voisine - 6
alluma sa télé pour partager le film avec cette
enquiquineuse, mais l'écran restait résolument noir.
Y avait-il un problème de branchement?
C'est nul, la télé, cria cette impolie ! Un petit jeu tous
les deux, ce serait bien plus sympa ! Tiens, celui-ci, il
est simple et je l'adore ! Elle désigna un jeu
d'Abalone sur le guéridon.
- Je n'y connais rien, dit Denis, une amie me l'a
installé hier, pour décorer mon salon, c'est vrai qu'il
est joli, mais je n'aime pas les jeux de société.
Allez, dit la voisine, très motivée, moi j'adore ! On va
s'amuser ! À chaque fois que l'on perd, on enlève un
vêtement ! Quand on y joue avec mes amis de
Bordeaux, ont rit comme des fous !
Denis accepta en boudant, fusillant du regard le chat
trop affectueux, assis et ronronnant sur les genoux
de la dame.
Pour le mettre en confiance, la voisine expliqua les
La voisine - 7
règles du jeu et fit exprès de perdre. Dès que six de
ses boules blanches tombèrent dans la gouttière,
bonne joueuse, elle enleva son foulard qui masquait
un décolleté plongeant.
Denis perdit toutes les parties suivantes. Déjà torse
nu, il se demanda pourquoi il ne savait pas dire non.
Il trouva ce jeu stupide et sa voisine superficielle.
Elle poussait des cris aigus et riait fort. Il se dit que
son voisin grincheux n'allait pas tarder à frapper à
la porte. Après le troisième shot de vodka bu tout
sec comme en Russie, il fut déstabilisé et
déconcentré. Il avait hâte de lasser sa partenaire et
de la voir claquer la porte, lui dire au revoir et à
jamais. Elle se moqua de lui :
- Ma petite sœur qui a sept ans me bat à plates
coutures sur ce jeu! Concentrez-vous !
Pour se faire pardonner, elle perdit deux fois, enleva
son manteau, puis sa jupe extra courte, se
La voisine - 8
retrouvant en sous vêtements sexys faits de cuir et
de dentelle. Il la regarda avec plus d'intérêt,
trouvant le spectacle amusant. Il se relança dans le
jeu avec plus d'application. Elle perdit une fois
encore et enleva son bracelet. Ensuite, Denis gagna
une partie, (deuxième bracelet,) puis ne fit que
perdre. Après que ses chaussettes furent roulées en
boule, il dut enlever sa ceinture et son jean. Alors
qu'il ne lui restait plus qu'un boxer, elle lui fit son
sourire le plus doux pour l'encourager. « Allez, cher
voisin, soyez bon joueur ! C'est le deal ! » Alors qu'il
se trouvait nu, elle sortit de la crème à raser et lui
massa le torse et le dos. Il se trouva nu, décoré
comme un gâteau à la chantilly, c'était inédit et
agréable. Les mains de la voisine étaient
parfaitement douces. Il fermait les yeux quand
soudain, toutes les lumières du salon s'allumèrent
en même temps, il y eut des applaudissements et
La voisine - 9
des rires. Tous les amis de Denis, sortis de la
chambre étaient là pour crier : bon anniversaire ! La
jolie voisine enfila son manteau, embrassa Denis de
sa bouche parfumée à la vodka et lui glissa sa carte
de visite dans la main. « Sans rancunes ? Tu es bon
élève, un instant, j'ai cru que j'allais y passer la nuit.
A bientôt ? » Elle fit un petit signe d'adieu charmant
à l'assemblée et repartit, comme elle était venue sur
ses talons aiguilles. Denis ne se démonta pas, se
rhabilla tranquillement. Il rangea la précieuse carte
sous un pied de lampe, regarda l'assemblée, qui
comportait une majorité de filles et leur dit :
- Allez, les amis, pour fêter mon anniversaire, on se
refait une petite partie ?
La voisine - 10
Je, du cloaque à la lumière
nouvelle
Brigitte Deleruelle
2637 mots
15303 caractères (espacements inclus)
Monsieur,
Merci d’avoir choisi Edition rue Bleue pour la
proposition de votre premier roman.
Celui-ci a retenu notre attention.
Nous proposons de vous mettre en relation avec l’un
de nos correcteurs à une date de votre choix, et
convenir d’un rendez vous,
afin de signer le contrat relatif à cet écrit.
Nous serons ravis de vous compter parmi nos
nouveaux auteurs.
Nous tenant à votre disposition,
veuillez agréer, monsieur, nos salutations distingués.
La recette - 1
Brigitte Deleruelle
744 mots
3958 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
Brigitte.guillemot@gmail.com
La recette - 2
C’est comme je vous le dis, monsieur le
commissaire, je n'ai rien pu voir. Entre neuf heures
et dix heures, j'étais occupée dans ma cuisine, pour
mon fameux moelleux au chocolat. Je préchauffais
mon four à 190 degrés, il faut être précis vous
savez ? Un seul détail peut vous faire rater cette
recette, regardez comme il est parfait !
Oui, monsieur le commissaire, j'ai bien entendu un
cri à fendre l’âme, mais je ne me suis pas inquiétée,
monsieur crie toujours sur ses chiens. De sales
bêtes mal éduquées, si vous voulez mon avis.
Je me suis dit : il s’est fait mordre et c’est bien fait !
On ne joue pas du bâton pour dresser un chien.
Je suis allée chercher mes 100 grammes de beurre
et mes 200 grammes de chocolat noir au frigo pour
les faire fondre. Certains utilisent le four mais je
trouve ça dommage, je préfère le bain-Marie, c’est
plus doux. On risque de tout brûler en faisant
La recette - 3
fondre les ingrédients dans le four et vous savez,
madame ne lésine pas sur le prix, alors un chocolat
de cette qualité, il faut en prendre soin, le traiter
avec douceur !
Enfin ou en étais-je ? Ha oui, vous me parlez d'un
couteau... au moment de couper le chocolat, je n'ai
pas trouvé mon grand couteau dans le tiroir. Je suis
très maniaque avec les outils de cuisine, je suis la
seule à les utiliser. A ce moment là je ne me suis pas
inquiétée, je me suis dit que Madame l’avait encore
emprunté, et ça m’a agacée. J’ai pris un couteau plus
fin et continué ma recette.
Pourquoi un couteau aussi tranchant ? Mais pour
couper le beurre ! Sorti du frigo, il faut de la force
pour le découper ! J’ai donc coupé ce beurre en
petits morceaux, l'ai fondu au bain marie avec le
chocolat, en mélangeant le tout avec un fouet, puis
j'ai ajouté les 100 grammes de sucre glace. Après, je
La recette - 4
suis allée à la basse cour pour prendre cinq œufs.
Quand ils sont très frais, et qu'on les incorpore un
par un, ils se lient mieux à la sauce, il faudra donner
cette astuce à votre femme. A propos comment va-t-
elle ?
Les griffures sur mon bras ? Ho ce n'est rien, j'ai dû
me blesser en cueillant des mûres hier. Aimez-vous
la tarte aux mûres ?
Est-ce que j’ai vu du sang devant la basse cour ?
Mais oui, bien sûr, aujourd’hui c’est le jour des
canards pour Gustave. Beaucoup de sang ? Mais
vous savez, le canard, ça saigne !
Bon, m a r ecet te.. .. J ’a i b eurré le m oule,
généreusement il ne faut pas avoir peur de bien
beurrer, rapport au démoulage, et j’ai versé le
mélange dedans.
Si j’ai entendu des râles ? Pas du tout ! Vous savez,
je suis un peu sourde et durant la cuisson, trente
La recette - 5
minutes pour un consistance ferme, Gustave faisait
un bruit infernal avec le vieux tracteur ! Il faut que
Madame le remplace, c’est pénible ! J’y pense pour
votre femme, si elle préfère une consistance plus
moelleuse, il faut le cuire seulement durant vingt
cinq minutes, vous y penserez ? Mais que font vos
collègues au fond du jardin ? Les poubelles ? Hé
bien ça ! Ce n'est pas banal ! Ils n'ont pas peur de se
salir ? Si j'ai fait des achats à la pâtisserie du village?
Un emballage de moelleux au chocolat ? Mais oui,
bien sûr , ça peut vous sembler curieux, mais j'ai
voulu en acheter un pour le comparer au mien. Il est
plutôt correct, vous savez, mais le mien est meilleur,
rapport aux produits frais et naturels.
Si j’ai tout mangé ? Hé bien oui, mais Gustave m’a
aidée, quand même. On a un bon appétit à la
campagne. Comment ça, je n'ai pas fait ce gâteau ?
Mais si ! Je viens de vous donner la recette ! C'est
La recette - 6
bien la preuve ! Comment ça en garde à vue ? Des
empreintes sur un couteau plein de sang ? Un corps
jeté dans le puit ? Quel corps ? Je n’ai rien fait !
Lâchez-moi ! Lâchez-moi !
Je n'ai tué personne ! Gustave ! Tu vois où ça nous
mène tes histoires ?
La recette - 7
Mars 44 sur la côte sauvage
Nouvelle
Brigitte Deleruelle
3526 mots
20048 caractères (espacements inclus)
3559 mots
20302 caractères (espacements inclus)
Divinations - 2
C'est ton karma, dit Santine. Elle s'y connait en
karma. L'art de la divination, c'est sa passion. Elle a
toujours un pendule dans sa poche, aime parler de
l'orientation des planètes, de l'horoscope chinois et
même de l'horoscope du journal gratuit, raflé
chaque jour au café du coin. Quand aucun journal
avec horoscope ne lui tombe sous la main, c'est le jeu
de tarot qui valide ses prédictions à coup sûr. Elle se
trompe souvent, Santine, mais elle reste droit dans
ses bottes. Elle a un tel pouvoir de persuasion qu'on
se laisse bercer par ses mots consolateurs et ça fait
du bien. J'avais bien besoin du doux ronron de ses
mots, car ma vie était un désastre.
Jean et moi avions une vie douce et tranquille, petite
association amoureuse et confortable. Elle nous
avait permis de prendre un grand appartement avec
terrasse et vue sur la Seine. La fête battait son plein
tous les samedis soirs et plus souvent en été, avec
Divinations - 3
ses amis, surtout ses amis. Je n'en vois plus aucun
depuis notre séparation. Pas un coup de fil de leur
part. Jean est parti vivre avec sa coach sportive,
belle, jeune et blonde, alors que lui devenait chauve,
riche et bedonnant, quoi de plus banal ? Nous avons
réparti la valeur de l'appartement en deux, puis
partagé équitablement le reste, enfin presque. Il a
gardé les meubles, l'électroménager, le home
cinéma et moi, j'ai pris Fripette, notre bichon frisé
toujours mal coiffé. C'est un bon deal, je n'aurais
jamais pu supporter de la quitter. Pour soigner ma
colère et ma jalousie, j'ai déchiré ses cravates de
soie et rayé la nouvelle voiture coupée décapotable.
Cet attrape minettes de métal ne fera plus son office
pendant quelques temps, car j'ai gravé sur le capot,
avec mon alliance de diamants, ATTENTION
PERVERS ! Nous sommes parties, Fripette et moi
chez Santine, en laissant place nette à la nouvelle
Divinations - 4
élue blonde et sexy. Mon désespoir devait durer
quelques jours, mais depuis six mois, je ne sors
toujours pas de ma torpeur. Santine tente de
recoller le puzzle de mon cerveau en miettes. J'ai été
prise de court, finalement je l'aimais peut être un
peu, ce gros salaud.
Ambiance feutrée, chez Santine, tissus indiens
tendus sur les murs, matelas posés au sol, coussins
multicolores. Une boule de cristal trône sur la table
basse. Autour de cette boule, plane une ambiance
ésotérique. Un aigle de bois noir y prend son envol.
Le soir, un projecteur agrandit démesurément
l'ombre de cet oiseau maléfique. Ça donne un effet
saisissant sur le mur.
- C'est pour que mes visiteurs soient déstabilisés et
plus à l'écoute, m'explique-t-elle.
Santine me prédit un avenir prodigieux, pendant
que l'on sirote des infusions délicieuses. Fripette
Divinations - 5
s'endort sur ses pieds. On est bien toutes les trois,
en attendant ce grand changement qui ne tardera
pas à venir. Chaque jour, nous avons la visite des
femmes du quartier, venues prendre un peu
d'espoir et de confiance en leur avenir. Elles se font
tirer les cartes en soufflant sur un thé vert
traditionnel du Maroc. J'observe avec étonnement
leur visages se détendre, puis exprimer un sourire
épanoui. Santine ne prédit pas pour un tarif précis,
mais elles sont généreuses, c'est moins cher qu'une
séance chez le psy et ça fait tant de bien de parler de
soi et du monde compliqué qui nous entoure...
Suzette Belfroy est la plus assidue. Suzette est petite
et ronde, ses vêtements serrés trahissent des
bourrelets mal contenus. Brune aux cheveux courts,
il est difficile de lui donner un âge. Ses yeux pétillent
de gourmandise et ses talons claquent sur le sol du
couloir comme une affirmation de sa féminité. Ce
Divinations - 6
n'est pas l'argent ou son plan de carrière qui
l'intéressent, Suzette. Son mari gère une fabrique
réputée de draps fins, les draps “Reines de France”.
Malgré leurs coûts et leurs couleurs monochrome,
ils ont un succès grandissant. Je les ai testés et je
confirme, ils sont vraiment très doux. Le made in
France a le vent en poupe actuellement, ce qui
arrange bien les affaires de monsieur Belfroy.
Depuis qu'il propose ses produits sur le site
Amazon, son chiffre a presque doublé et le japon se
les arrache. C'est pour ça qu'elle est triste, Suzette.
Les soirées à deux se font de plus en plus rares et se
soldent par des échanges sur l'agrandissement de
l'entreprise, quand le nez de son homme n'est pas
plongé sur son portable, surtout depuis que “Reines
de France” est entré en bourse. Elle aimait tant leur
vie tranquille, leurs longues promenades en forêt et
leurs projets de vacances qui la faisait frémir de
Divinations - 7
plaisir... Il attendait avec elle l'arrivée des oies en
hiver et les fabuleux couchers de soleil sur la Seine.
Des plaisirs simples, pour deux amoureux. Elle
aimait aussi manger une crêpe en terrasse dès que
l'été pointait son nez, en observant le ballet des
hirondelles sur la surface de l'eau... Regarde ! Lui
disait-elle, Ha oui ! répondait-il en souriant. Elle
était tout simplement heureuse tant qu'ils étaient
ensemble. Aujourd'hui c'est vendredi, jour le plus
sinistre de la semaine puisqu'il augure un week-end
de solitude. Fatine redouble d'énergie pour la
consoler. Ses cartes tombent énergiquement sur la
table, avec des promesses toujours plus grandes et
plus belles. Démunie par tant de tristesse, Santine
se laisse aller... elle allume la lampe qui laisse flotter
l'ombre de l'oiseau maléfique, puis recouvre sa tête
d'un paréo indien. Elle se penche alors sur sa boule
de verre et se met à parler de façon très étrange...
Divinations - 8
comme possédée.
- Je vois je vois... l'amour, un grand amour. Mais il
me semble, que ce n'est pas votre mari. C'est un
homme jeune, grand, plutôt maigre, avec des
tatouages sur les bras. Je vois des chaînes attachées
à son jean. Vous semblez si petite à côté de lui !
Vous rayonnez de bonheur !
Suzette est soufflée par la nouvelle et prend tout
pour argent comptant. Hébétée et rêveuse, elle ne
prend pas le temps de dire au revoir en partant.
Je suis furieuse après Santine. Je connais ses
prédictions mensongères et je me suis attachée à ce
pauvre petit bout de bonne femme qui souffre
vraiment.
- Pourquoi lui as-tu dit ça ? Elle sera encore plus
perturbée !
Santine hausse les épaules et me dit :
- Après tout, ça la détournera de son obsession et lui
Divinations - 9
laissera un répit et un espoir... c'est mieux qu'un
antidépresseur !
- Mais pourquoi un jeune homme aussi
incompatible ? Tu aurais pu inventer un personnage
plus crédible, un vieil artiste romantique, un
jardinier à la retraite qui largue les amarres de son
rafiot avec elle, je ne sais pas, moi !
- Je sais... je suis allée un peu trop loin, mais tu sais,
mon côté romanesque a pris le dessus. C'est étrange
à quel point j'aime inventer de belles histoires...
Nous avons quand même ri toute les deux en
pensant à l'expression de Suzette au moment de
partir, puis nous avons vite oublié l'événement. Le
nombre de visiteuses s'est amplifié d'un seul coup,
avec une clientèle plus bourgeoise et très
généreuse. Santine m'a proposé de m'associer à sa
petite entreprise et j'ai dit oui tout de suite, car
Fripette ne voulait plus la quitter. Installée dans un
Divinations - 10
bureau improvisé dans son entrée, je prends ses
rendez vous et gère les urgences. L'hiver rend nos
habituées moroses. J'ai concocté des infusions anti-
stress avec du miel. Cette infusion légèrement
euphorisante a un succès mérité. La cuisine
transformée en salle d'attente a des éclairages aux
tons pastels. Une musique indienne relaxante.
Santine console toute la journée les âmes
déprimées. Cette réussite m'inquiète un peu, car
elle ment comme elle respire. Dans cette nouvelle
entreprise, nous écoutons attentivement nos
patientes et ça fait des miracles. Elle s'est lancée
dans le massage des mains, après avoir consulté
quelques vidéos sur le sujet. Les massages aux
huiles essentielles soignent tous les maux du cœur.
Elle décrit les bienfaits et les spécificités de chaque
huile, avec tant de conviction, que même moi, je
finis par y croire. Depuis, les hommes viennent
Divinations - 11
aussi prendre une petite part d'espoir ou de
consolation. Santine craint autant les hommes que
le grand amour, sources de désespérances et
dangereux pour le porte monnaie, alors durant ces
consultations, ma présence est requise. Fripette
tient aussi un rôle important. Elle saute de joie dès
qu'un nouveau visiteur arrive. C'est une grosse
boule à câlins jamais rassasiée. Nos visiteurs et
visiteuses se croient uniques et Fripette ne les
déçoit jamais.
Aujourd'hui vendredi, nous avons décidé de faire un
break. Le rythme des visites s'est accéléré. Nous
nous reposons de moins en moins. Les pauses thé
en tête à tête deviennent un lointain souvenir.
Santine masse et console à tour de bras. Je déteste
le bruit des sonnettes qui me font sursauter à
chaque fois, alors on a mis un chant d'oiseau à la
place, mais même ces pépiement m'hérissent le poil.
Divinations - 12
Il est grand temps de prendre l'air ! C'est le grand
défilé jusque tard le soir. Même fatiguées nous
devons afficher des sourires épanouis, ma mâchoire
va bientôt se décrocher, je n'en peux plus. Je
regrette les premiers jours, quand les visites étaient
une fête. Même si nos patients ont généreusement
rempli nos comptes en banques, rien ne vaut la
liberté. Nous avons prévu un week-end au bord de
la mer. J'adore la mer en hiver, des plages immenses
et vides, tout cet espace rien que pour nous... L'air
est si froid et si pur qu'il vous décape les bronches.
Voir Fripette piquer des sprints sur le sable et jouer
avec des copains chiens est un pur bonheur. Les
valises sont prêtes, Santine a sorti sa tenue de
sports d'hiver. Elle ressemble au Bibendom
Michelin, saucissonnée dans plusieurs couches de
vêtements. C'est toi qui conduis, me dit elle, moi je
ne peux pas, j'ai les doigts qui gèlent. Je suis en train
Divinations - 13
de protester vigoureusement quand un livreur
sonne à la porte... ce doit être une erreur, nous
n'avons rien commandé. Il porte un énorme carton
et force le passage. J'essaie de bloquer le carton
mais il insiste en me lançant des clins d'œil
charmeurs. Qui est ce malotru ? Plus je bloque le
passage, plus il rit. Sur son jean, des chaines font un
étrange cliquetis. Est-ce un pervers ?
- C'est moi !!!! crie une petite voix que je
reconnaitrais parmi mille autres.
- Suzette Belfroy!!!
Elle fait des petits bonds pour se rendre visible
derrière ce livreur géant.
- C'est Alfonso, laissez-le passer !
- Alfonso ?
- Oui, je vais vous expliquer.
Elle porte plusieurs bouteilles de champagne et des
coupes.
Divinations - 14
- Laissez passer ! Ce carton est pour vous, il est
rempli de draps de la nouvelle collection « Reines
de France », inspiration Hotel Palais Royal. Vous
verrez, ils sont tout blancs mais avec un léger détail
différent dans la trame, ils font fureur ! Pas encore
assez de stocks pour la France. Il faut aller au Japon
pour les acheter. Suzette rayonne de bonheur, elle
est méconnaissable. Elle a minci, une robe moulante
avantage sa toute nouvelle silhouette. Elle enlace
sans pudeur Alfonso en faisant cliqueter les chaines
de son jean en riant.
- Ma vie a changé grâce à vous, nous dit elle. Dire
qu'il travaillait dans notre entreprise depuis 4 ans
et que je ne l'avais pas remarqué... Je suis retournée
à l'atelier, après notre dernière consultation du
vendredi. Et j'ai enfin ouvert les yeux. Il était là, si
beau, si grand, exactement comme vous me l'aviez
décrit : tatoué, avec des chaînes... Il terminait la
Divinations - 15
dernière livraison avant de partir en week-end,
alors pas de temps à perdre. Je lui ai dit :
- Je vous attendais depuis si longtemps, que faites
vous ce soir ? Et depuis nous ne nous quittons plus !
N'est ce pas mon bébé ?
- Mais, Suzette, comment a réagi monsieur Belfroy?
- Il est ravi ! Alfonso est aussi un peintre talentueux.
Je suis devenue sa première fan et sa galeriste.
Regardez !!!!
Elle me tend son téléphone pour nous montrer le
talent de son protégé. Chaque tableau représente
une tête d'homme bariolée qui vomit des textes et
des objets divers sur un fond très vif qui fait mal aux
yeux.
- Je ne suis pas spécialiste, lui dis-je poliment, mais
je crois que c'est dans l'air du temps...
Suzette exulte :
- J'ai investi l'ancien atelier de tissage, nous avons
Divinations - 16
peint tous les murs en noir ! Les œuvres sont mises
en valeur c'est magnifique. N'est-ce pas, bébé ? Les
journalistes accourent, ils n'ont jamais vu un aussi
bel espace, avec bar, terrasse et vue sur la tour
Eiffel ! Mon mari m'encourage ! Je ne l'ennuie plus
avec des projets de vacances impossibles, je n'ai pas
le temps d'y penser. Comment se douterait-il de
notre liaison ? Il est si jeune, il pourrait être mon
fils ! - rires - Viendrez-vous au vernissage ? Il y aura
petits fours et orchestre, mais si ! Venez ! j'ai invité
quelques personnalités du showbiz.
Santine a retiré ses multiples couches de vêtements
et aspire le champagne avec délice. Nous rions de
bon cœur. Fripette est trop ravie de rencontrer un
nouvel ami. Elle saute sur Alfonso et se fait
papouiller avec bonheur. Santine ne peut pas
s'empêcher d'en rajouter :
- Ha si Alfonso lui plait, c'est bon signe ! Ce bichon
Divinations - 17
frisé est un chien craintif, qui n'offre pas sa
confiance à n'importe qui.
- Je le savais ! Dit Suzette, Santine, vous êtes
merveilleuse ! A propos j'ai parlé de vous à
quelques unes de mes connaissances, en leur
conseillant la plus grande discrétion. Avez-vous eu
de nouvelles visites récemment ?
Nous nous sommes regardées en riant, comprenant
le gros succès de notre entreprise et la générosité
toujours grandissante de nos patients.
Nous avons repoussé notre départ au lendemain,
pour fêter nos retrouvailles autour d'une pizza
apportée par un livreur. Nous avons dansé un Rock
endiablé avec Alphonso et avons ignoré ses avances
et ses mains baladeuses. Il nous a discrètement
glissé son numéro de téléphone, mais Suzette n'a
rien à craindre avec nous. D'après les prédictions de
Santine, j'attends mon prince charmant, capitaine
Divinations - 18
d'un grand bateau. Nous nous rencontrerons lors
d'une croisière, dans un pays follement musical et
dansant. Cuba peut être ? Quand à Santine, elle vivra
le grand amour, lors d'une randonnée vers Saint
Jacques de Compostelle. Il lui offrira un chocolat
chaud sur une terrasse de Saint-Guilhem et la
demandera en mariage le jour même. Il aura caché
dans une madeleine une bague en cuivre de sa
création.
Aujourd'hui, nous prenons la route. Santine a tenu à
le faire dans sa deux-chevaux cahotante.
- Ça me rappelle mon adolescence ! Me dit-elle, c'est
la voiture de mon grand père ! Cette voiture a une
vraie valeur émotionnelle. D'ailleurs, tout le monde
nous regarde ! Je me dis que c'est plutôt la fumée
noire qui attire le regard. Je comprends mieux
pourquoi Santine est couverte de deux blousons
superposés, le chauffage est inexistant. Mes doigts
Divinations - 19
sont si blancs que je dois souffler dessus. Santine a
pris fripette comme chaufferette sur ses genoux et
babille sans cesse, comme une petite fille heureuse
de partir. La Normandie est toute proche.
« Stop ! Stop ! Me crie-t-elle soudain, tu t'es trompée
de direction ! Elle a crié si fort que je pile, croyant à
un danger imminent. Crak ! Une voiture vient de
nous emboutir.
Santine sort en furie, en criant :
- Ma deux-chevaux ! Vous ne pouvez pas faire
attention ? C'est une voiture très rare !
Un homme sort de sa voiture, bouche bée. Son
Alpha Roméo de collection, est pliée à l'avant.
- Ce n'est pas ma semaine ! Se lamente-t-il. Il faut
vraiment que je quitte au plus vite cette ville de
fous.
Fripette ne comprenant pas le problème, se
précipite pour faire la fête à ce nouvel ami.
Divinations - 20
- Votre chien, dit-il, c'est quoi comme race ? Ma
femme a acheté le même avant de partir et me l'a
laissé en souvenir. Ça vous dit, d'en prendre un
deuxième ?
- Heu... dit Santine et pour ma voiture, on fait quoi ?
- J'habite à deux pas, dit le conducteur déboussolé,
si on en parlait calmement chez moi ?
Nous sommes en train de créer un embouteillage et
les klaxons s'en donnent à cœur joie.
- Ok, dit Santine sans me demander mon avis.
Nous entrons dans « Les Crevettes » une coquette
maison de bord de mer, où des cartons s'entassent.
Difficile de se frayer un chemin jusqu'au salon.
- Je suis en plein déménagement, dit-il, mais on va
pousser les cartons de la table basse, pour faire le
constat. Est-ce que je vous sers un café ?
Fripette se précipite vers un chien identique. Ils se
mettent à japper, sauter, renversant des tas de
Divinations - 21
journaux, puis deux bouteilles de vin vide. On dirait
un jeu de miroirs quand ils sont face à face.
- Désolé pour l'accueil, dit l'homme à la voix triste,
ici c'est le chaos, depuis le départ de ma femme, je
n'arrive pas à m'organiser. Elle est partie avec mon
associé, le coup classique. Alors basta, je vends tout
et je change de vie. Elle m'a toujours empêché de
poursuivre mes rêves, nous nous sommes
rencontrés aux Seychelles, sur un superbe
Catamaran. Elle touriste, moi capitaine. Je voulais
poursuivre ma carrière de marin, organiser des
croisières sur les iles Grenadines. Elle m'a obligé à
reprendre la société de son père, pour rester proche
de sa famille. Me voilà plombier et cocu. Ça fait
rêver, non ?
Nous l'écoutons, surprises de le voir déballer toute
sa vie à des inconnues. Il continue, sans nous
regarder :
Divinations - 22
- Je cède mon affaire et je pars au soleil. Mon
catamaran m'attend en Martinique. L'équipage est
presque formé. Je cherche à recruter deux hôtesses
bilingues, mais ce n'est pas si simple, peu de
femmes acceptent de longues périodes de célibat,
tout en sachant à la fois faire l'accueil, le service, la
cuisine, les lits pour vingt personnes... deux centres
de recrutements sont sur le coup, mais c'est un
profil rare. Je veux absolument qu'elles maîtrisent le
français et l'anglais. Ce seront les voyages haut de
gamme. On vient de me contacter à ce sujet ce
matin, mais ils m'ont proposé des hommes avec un
profil de navigateur, ou des femmes sénior qui ne
savent pas nager... Il ne faut pas désespérer, ça ne
fait qu'un mois que j'ai lancé la recherche.
- Bon, assez parlé de moi, alors, ce café, avec ou sans
sucre ?
- Vous avez trouvé la perle rare! Dit Santine en me
Divinations - 23
désignant ! Mon amie est bilingue et fait des
merveilles ! Elle a cuisiné pour quinze personnes
dans une caravane l'été dernier ! C'est un cordon
bleu. Et je peux vous dire que faire de tels plats dans
une caravane, c'est du prodige. Quand à Fripette, je
vous assure qu'elle a le pied marin, nous avons fait
du paddle ensemble tout l'été !
Il me regarde enfin, comme s'il venait de découvrir
que j'existe.
- Une si charmante jeune femme ne peut pas être
disponible ? Si ? Dit-il.
- Tu veux te débarrasser de moi ? Dis-je à Santine !
- Mais pas du tout ! Me répond-elle ! Si je ne sais pas
cuisiner, j'ai le sens du contact et de l'accueil ! J'ai
été maître nageur dans une autre vie, et faire le
ménage ne m'a jamais dérangée ! Quand à l'anglais,
Assimil est mon ami. Je viens aussi ! Je serai une
hôtesse parfaite !
Divinations - 24
- Je suis sidérée par tant de mensonges. Sacrée
Santine !
Divinations - 25
journée, nous courons sur le sable avec Fripette et
Calisson, le deuxième bichon mal coiffé. La plage,
désertée par le froid est grande et belle.
Notre futur capitaine s'occupe de ses affaires et
nous nous retrouvons le soir. Quand il me regarde,
j'avoue que son regard clair et sa façon de plisser
les yeux comme un myope me plait bien. Si la
prédiction d'un amant capitaine était vraie ?
Santine a peut être quelques qualités de médium,
finalement... et puis, si elle se trompe, un petit break
en Corse nous fera du bien.
Divinations - 26
Le miroir qui aimait les femmes
nouvelle
Brigitte Deleruelle
3831 mots
21426 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
Brigitte.guillemot@gmail.com
826 mots
4648 caractères (espacements inclus)
1 - Alpagathérapie
Sophie est thérapeute pour enfant.
L'un de ses patients se prend pour un alpaga
et rumine toute la journée.
Quel est donc ce mal étrange ?
1690 mots
9681 caractères (espacements inclus)
2 - Alpagathérapie
J'ai rencontré Sophie au cours d'un atelier
d'improvisation théâtrale. Pour réparer les corps,
disait-elle, il faut réparer les âmes et ce cours est
l'endroit idéal pour comprendre la complexité de la
pensée humaine. Il m'a toujours semblé qu'elle
cherchait plutôt à se découvrir elle-même. En
déclamant certaines phrases durant ces cours, elle
semblait s'envoler dans les airs, perchée sur une
chaise branlante. Elle agitait tout haut ses bras et
criait de plus en plus fort, un comportement tout à
fait opposé à la vraie Sophie, petite femme douce et
réservée, thérapeute pour enfants. Elle s'étonnait
elle-même de cette prestation et de l'euphorie
ressentie lors de ces cours. Ce petit bout de femme
m'a tout de suite plu. Nous sommes rapidement
devenues amies. Il nous était difficile de se quitter
au bar du moulin à café, lors de discussions
ininterrompues jusque tard dans la nuit. Sophie ne
3 - Alpagathérapie
comptait jamais ses heures quand il s'agissait
d'aider ses patients. Elle me parlait des cas les plus
particuliers, ce que j'adorais, chaque cas était
comme un gros livre que l'on ouvre en attendant
patiemment la suite de l'histoire. Nous avions pris
l'habitude de discuter après les cours, dans ce
quartier cosmopolite, où créatifs, ouvriers et sans
abris se côtoyaient dans un vacarme joyeux. Elle
aimait bien entendre mon avis sur les cas les plus
complexes. Du jour au lendemain, Sophie n'est plus
venue aux cours du jeudi soir, et j'ai réalisé que
malgré toutes nos confidences, nous n'avions jamais
échangé nos coordonnées. L'un de ses voisins et
amis proches s'était inscrit en même temps qu'elle.
C'est lui qui m'a tout expliqué.
L’un de ses patients, âgé de seize ans, se prenait
pour un alpaga. D’ailleurs, à bien y regarder, me dit-
il il y avait quelques similitudes entre le jeune
4 - Alpagathérapie
homme et cet animal si pacifique.
Il avait des cheveux blancs et frisés, des yeux noirs
observateurs, de longs cils et des dents un peu
longues ressorties vers l’avant. Il mâchonnait
continuellement des feuilles de menthe. Il l'avait
croisé plusieurs fois dans les étages. Fait
surprenant, il lui crachait dessus quand il marchait
trop près de lui. Sophie tentait de le comprendre et
de l’aider, mais il restait statique et l’observait avec
douceur et indifférence. Sa mâchoire s’articulait sur
des feuilles qui lui semblaient délicieuses. Sophie
était prête à déclarer forfait et à prévenir ses
parents de son échec. Déçue, une fois la dernière
consultation terminée, elle jeta un coup d’oeil dans
la rue, pour voir son étrange patient s'éloigner. Il
s'était arrêté dans le parc municipal et broutait des
pissenlits à quatre pattes, sans s'inquiéter du regard
des passants. Certains riaient, croyant voir un
5 - Alpagathérapie
spectacle de rue improvisé. Je vais le rejoindre, se
dit-elle, ainsi je comprendrai peut être ce qui se
passe dans sa tête. Elle le regarda en souriant,
croqua une fleur, puis deux puis trois. Bien qu’elle
eut toujours ce look de femme sportive et citadine,
elle eut l’impression que son corps tout entier se
couvrait d’un poil brun et soyeux. Sa pensée fut
pleine de rêves de prairies à perte de vue en
compagnie d’alpagas. Elle en ressentit un manque
si fort qu’elle se dit que sa vie était un échec. Elle
regarda son bureau au troisième étage, perché sur
un immeuble triste et gris avec dépit. La Cordillère
des Andes devint son seul eldorado, nostalgique
d’un pays qu’elle ne connaissait pas. Il faut que je
parte tout de suite, se dit-elle. Ma vie n'est pas ici,
trop de béton trop de bruit. Je veux brouter et
courir en compagnie de mes frères et sœurs. Se
souvenant soudain qu'elle était mariée et mère de
6 - Alpagathérapie
famille, elle rentra chez elle à regret. Elle avait dans
les bras des bouquets de pissenlits et d’orties à
fleurs blanches.
- Pas de soupe pour moi, dit sa fille avant de se
replonger dans un livre. Le mari de Sophie lui
demanda ce qu'elle avait prévu pour le diner.
- Tout ça, dit elle en croquant une carotte. Elle posa
sur la table une vingtaine de branches de céleri, un
bouquet d'orties et trois bottes de pissenlits.
- Sophie ! Lui dit son mari, tu vas bien ? Tu travailles
trop en ce moment, il faudrait penser à prendre des
vacances...
Toute la nuit les pensées de Sophie partaient loin
dans des paysages verts et purs. Elle poussait des
soupirs qu'elle tentait de réprimer en grignotant
une gros chou vert. Ces bruits de mastication
inquiétèrent son mari qui se demanda s'il fallait se
préoccuper rapidement du cas de sa femme, en
7 - Alpagathérapie
cherchant dans son répertoire les coordonnées d'un
psychiatre.
A deux heures vingt deux du matin, elle bondit de
son lit et cria :
- Je vais créer un élevage d’alpagas en normandie !
J'en ai assez de toutes ces séances de thérapies
stériles pour des gamins tristes et blafards.
- Retourne te coucher ma chérie, tu es surmenée, lui
dit son mari. Nous irons demain voir le docteur
Péchon.
- Ce vieux grigou triste ? Non, merci.
- Elle alluma son ordinateur et chercha une ferme à
vendre. Soudain, la photo d'une maison en ruine
attira son regard. Des pommiers tout jolis et une
colline verdoyante entouraient cette fermette au
toit défoncé par un arbre. Le panneau, décoloré par
le vent et la pluie laissait espérer une vente
raisonnable. La prairie qui entourait la masure était
8 - Alpagathérapie
couverte de pissenlits. A cette idée, elle frissonna de
plaisir. Elle se regarda dans la glace et vit que ses
cheveux avaient moutonné dans la nuit. Ses yeux
avaient noirci et ses cils s’étaient allongés, lui
donnant un air absolument adorable. Ce nouveau
look lui plut beaucoup. Elle laissa un mot sur la
table :
Je ne serai pas très présente ces jours-ci, je file à la
banque puis en Normandie acheter une ferme. Qui
m'aime me suive ! Ensuite, je chercherai des alpagas
pour nous tenir compagnie.
Elle attendit longtemps l’ouverture de la banque,
s'étant levée aux aurores. Le banquier qui la
connaissait bien, fut surpris mais séduit par le
projet de Sophie.
- Des alpagas, c’est une très bonne idée. Ma fille
Diana ne me parle que de ça. Elle rêve de faire des
randonnées en leur compagnie. Ce petit animal
9 - Alpagathérapie
charmant a le vent en poupe auprès des enfants. Et
qui choisit les destinations de loisirs ? Les enfants,
bien sûr ! Félicitations pour votre projet. Dès que
votre ferme est opérationnelle, nous venons sabrer
le champagne dans votre ferme! Avez-vous fait
établir des devis pour les réparations de cette
ferme ? Il faudra les intégrer à la demande de prêt.
Avez-vous prévu d'utiliser votre plan épargne
logement?
Il partit chercher un dossier dans l’autre pièce. A
son retour, trois roses du bouquet posé sur le
bureau avaient été décapitées. Sophie broutait avec
délice les dernier pétales. Elle se ressaisit vite et lui
dit :
- Les roses sont excellentes pour les maux de gorge.
Voulez-vous les goûter?
Il lui sourit et la pria de terminer le bouquet si le
cœur lui en disait, celui-ci étant remplacé chaque
10 - Alpagathérapie
semaine. Finalement, il accepta de tester et trouva
ces fleurs succulentes. Il regarda avec envie celles
qui restaient mais n'osa pas y toucher par politesse.
Soudain, le mari de Sophie déboula dans le bureau.
- Sophie, que se passe t-il ? Que fais-tu? Pose ces
fleurs ! J'ai lu ton message, je suis inquiet pout toi !
- Sophie sourit et lui tendit une rose. Goûte ! C'est
délicieux ! Monsieur Reynard adore ! Il me prépare
le dossier de crédit. Ça y est on est partis !
- Sois raisonnable, Sophie, écoute-moi ! Désolé
monsieur Reynard, je pense que ma femme n'est
pas très bien en ce moment ! Ce projet est
complètement fou ! Elle travaille trop, nous allons
prendre des vacances. N'est-ce pas chérie ?
- Mais je ne suis par d'accord ! Dit le banquier, en
croquant la tige de sa rose, ce projet tient la route !
Interessant aussi le goût de chlorophylle avez-vous
testé, Sophie ?
11 - Alpagathérapie
- Oui, dit Sophie. J'adore, Puis se tournant vers son
mari, elle lui dit : tant que tu ne goûtes pas cette
fleur, je ne veux plus t'écouter. Je ne bouge pas d'ici
de toute manières.
Vaincu, son mari croqua dans une rose.
- Hé dit Sophie, je t'ai dit de goûter, pas de tout
manger !
Tout à coup, le mari de Sophie eut un sourire
angélique. Ses cheveux se mirent à boucler et de
grands cils noirs poussèrent sur ses yeux qui
s'adoucirent. Il se regarda dans la glace et se mit à
ruminer de plaisir.
- Un élevage d'alpaga en normandie ? Dit-il, je crois
que j'en ai toujours rêvé.
- Ha ! Dit le banquier satisfait, je savais que ce projet
vous plairait. Une autre rose, peut être ?
Petit à petit, le quartier fut contaminé par tout ceux
qui goutaient les fleurs. Alerté, le maire demanda
12 - Alpagathérapie
une coupe rase des parcs et des jardins publics
avant que les commerçants ne ferment tous leurs
boutiques pour partir à la campagne. On ne parla
plus jamais de cet étrange phénomène, mais Sophie
est bel et bien partie retaper sa ferme et je reçois
régulièrement des photos de ses alpagas. Elle me dit
que certains ont besoin d'une thérapie. Ça occupe
ses jours, autant que la récolte de ses légumes. Sur
la dernière photo, on aperçoit son mari sur un
rocking chair et sa fille plongée dans un nouveau
livre, le bonheur à l'état pur, me dit-elle.
Je n'ai pas été contaminée par cet étrange
phénomène, car je déteste l'idée de consommer les
fleurs. Ma vie parisienne continue donc comme
avant, boulot métro dodo et théatre le jeudi soir,
mais Sophie nous manque, et aussi sa folie créative.
La chaise branlante témoin de ses gesticulations
reste figée dans un coin en attendant qu'un élève
13 - Alpagathérapie
aussi inspiré qu'elle lui fasse reprendre vie.
14 - Alpagathérapie
L'autre petite fille aux allumettes
nouvelle
Brigitte Deleruelle
1741 mots
9365 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
2164 mots
12197 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
Brigitte.guillemot@gmail.com
Brigitte Deleruelle
1 - La vengeance d'Agatha Christie
Lu dans un article : Jusqu’où une personne acculée
par le chagrin peut-elle se rendre pour apaiser sa
douleur? Certains videraient les verres d’alcool.
D’autres se refuseraient à l’inaction et trouveraient
un exutoire dans la fureur. Quelques-uns, enfin,
pourraient se réfugier dans une folie passagère. C’est
peut-être bien ce qu’a connu Agatha Christie entre le
3 et le 14 décembre 1926. Quoique, il ne s’agit que
d’une hypothèse. Ce qu’il s’est passé durant les onze
jours de sa disparition, elle l’a emporté dans sa
tombe. Retour sur ce fait divers qui a marqué
l’Angleterre.
1254 mots
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Clandestine - 2
Bientôt, je n'aurai plus d'identité. Ils nous ont
prévenues, “récupération des passeports et
destruction”. Je ne suis pas tranquille. Les passeurs
abandonnent parfois les clandestins sur un rafiot, le
fendent discrètement et les abandonnent sans gilet
de sauvetage... Il y a tant de rumeurs effrayantes qui
circulent dans notre quartier, mais je n'ai pas le
choix. Nous sommes seules au milieu de nulle part,
face à des hommes armés. Impossible de protester
ni de s'enfuir dans la nuit noire. Je risque de
prendre une balle dans le dos.
Mon portable fonctionne encore. J'écris à mes
parents que tout va bien et que je les aime. Je ne
peux pas leur dire la vérité, je les mettrais en
danger. Je connais pourtant la désespérance de ceux
qui ont perdu leurs proches sans explication. Ils
errent des années à la recherche de la vérité et c'est
le plus grand des supplices. Mon instinct de survie
Clandestine - 3
me dit que tout ira bien.
Hier matin, la police est venue pour m'interroger. Ils
étaient trois et m'ont priée de les suivre. Inquiète,
j'ai pris le temps de prendre mon sac a main. Que
me voulaient-ils ?
Mon frère m'a bloquée dans la cuisine et m'a
couvert la bouche pour m'empêcher de crier. En
panique, il m'a fait signe de me taire, me poussant
de toutes ses forces par la fenêtre du premier étage.
Je me suis agrippée à lui jusqu'à le griffer, mais j'ai
fini par lâcher prise, en m'étranglant avec la
bandoulière de mon sac. Saut dans le vide, puis
matelas pour me réceptionner. Quatre hommes se
sont jetés sur moi, m'ont bâillonnée avec un ruban
adhésif large, m'ont couvert la tête d'une toile rêche
et m'ont jetée sans ménagements dans le coffre
d'une voiture. Qui étaient-ils ? Tout s'est passé
tellement vite !
Clandestine - 4
La voiture roule un bon moment, probablement sur
la route principale car je ne sens pas de soubresaut.
J'essaie désespérément de comprendre où nous
sommes quand mon téléphone sonne. Impossible de
le décrocher, mes mains sont attachées. Il y a un
stop, une autre voiture arrive. Il y a un échange
entre les hommes et ils me déplacent sans
ménagements dans un autre coffre plus grand. Il y a
une autre femme qui gémit dans ce coffre, ligotée
elle aussi. Ils nous transportent longtemps sur une
route cahotante, sans plus d'attention pour nous
que pour des sacs de pierres. J'ai chaud et soif, ma
langue est dure et sèche. J'ai perdu la notion du
temps, m'étant évanouie un instant. Quand la
voiture s'arrête enfin, un homme nous fait sortir,
enlève le sac de ma tête. Nous sommes proches de
la mer. J'aspire profondément cet air pur, en me
disant que c'est peut être la dernière bouffée
Clandestine - 5
d'oxygène que j'inspire avant de mourir. Alors que
deux hommes me maintiennent les mains dans le
dos sans que je puisse les identifier, je prends le
temps de contempler le paysage, paisible, le doux
mouvement de l'eau, le reflet de la lune sur une mer
presque lisse. Une étoile filante passe et j'ai
bêtement envie de l'appeler pour qu'elle vienne à
mon secours.
- Pourquoi ? Pourquoi ?
Un homme gras et velu arrache mon bâillon sans
ménagement, blessant ma peau avec l'adhésif qui le
maintient. Il coupe les lien de mes poignets avec la
même brutalité. Il plante son regard de métal dans
mes yeux et me dit :« Pas un mot ! Silence total ou
c'est la mort. » L'autre fille titube et pleure en
silence. Il nous pousse vers une maison branlante
de pêcheur, des filets sèchent autour de la maison.
Un forte odeur de sardines me donne des hauts de
Clandestine - 6
cœur. Nous entrons dans une petite pièce sombre,
où dorment quelques femmes à même le sol.
Sommes-nous toutes condamnées ? Ou enlevées
pour une maison de prostitution ? Je frémis en
voyant une fillette de cinq ans. Elle porte une robe
de cérémonie rose, brodée de fleurs étincelantes.
Son visage est sale et ses mains noires s'accrochent
à la grille de la fenêtre. Elle hume le vent sans se
préoccuper de nous. Des bébés enveloppés dans des
draps crasseux dorment dans les bras de leur mère.
Le bruit réveillent les femmes qui me donnent de
l'eau. Je me souviendrai toute ma vie de la sensation
de cette eau tiède mais salvatrice coulant dans ma
gorge. Le bois de ma gorge et de mes papilles
reprennent vie instantanément. Une femme se
présente en chuchotant. Je connais son nom, elle est
très active sur le forum de notre site « Divine » que
nous avons créé il y a huit mois. D'autres femmes se
Clandestine - 7
réveillent et fondent dans mes bras en pleurant, ce
sont mes cinq amies de toujours. Nous n'avons rien
fait de mal, un très beau site avec un forum réservé
aux filles. Je n'aurais jamais dû mettre le doigt dans
cet engrenage mortel. L'idée nous était venue un
jour de spleen, tant nous voulions échanger notre
quotidien. Pâtisserie, mise en beauté, entretien de
maisons, jardinage... tous ces petits échanges nous
faisaient sentir moins seules, depuis que les sorties
entre filles non accompagnées par un homme était
interdite. Nous manquions de tout. La séparation de
notre groupe d'amies était cruelle. Plus de rires,
plus de chansons, plus de fêtes. Avec ce blog, nous
nous sentions vivantes, proches les unes des autres.
Nous nous connaissions depuis le plus jeune âge,
copines d'enfance ou camarades de classe. Nous
pouvions alors jouer cheveux au vent avec les
garçons de notre rue, dans une totale liberté. De si
Clandestine - 8
jolis souvenirs... Ce fameux blog avait fait naitre de
nouveaux talents. Certaines avaient le chic pour
créer des recettes de shampoings avec de l'ortie, de
la menthe sauvage ou des œufs. D'autres
expliquaient comment prendre soin de son corps
avec les argiles et les plantes cueillies dans la
nature. Certaines écrivaient des poèmes qui
parlaient toujours de liberté. Le succès fut tout de
suite au rendez-vous. Nous partagions nos astuces
pour enlever les taches sur la peau, parfumer la
lessive, faire briller les ongles... Etre belle à moindre
coût nous offrait une petite part de plaisir dans ce
monde ou tout nous était retiré. Sur Divine, parler
de tout et de rien nous faisait du bien. De fil en
aiguille, ce site a pris de l'ampleur et nous ne
maitrisions pas tout. Il aurait fallu une médiatrice,
afin de filtrer les paroles les plus dangereuses pour
nous, ce que nous n'avons pas pris le temps de faire.
Clandestine - 9
Les amies des amies se sont rapidement inscrites.
Le jour où le nombre d'abonnées a dépassé les mille
deux cent inscrites, nous avons fait une fête dans la
cave de mon immeuble, très fières de notre réussite.
Nous avons bu de la limonade et dansé en silence,
puis attendu la nuit noire pour sortir une par une
par la porte arrière, celle qui donne sur les
poubelles et le terrain vague. Nous pouffions toutes
de rire, heureuses comme des gamines qui font le
mur pour la première fois, afin d'aller à une fête
interdite par les parents. Certaines femmes se sont
infiltrées dans le forum, non pas pour partager leurs
expériences ménagères, mais pour expliquer leur
quotidien. Elles se plaignaient de leur manque de
liberté, c'était devenu insupportable et elles
l'écrivaient avec véhémence. Elles ne supportaient
plus la discrimination, pour la seule raison d'être
une femme. Elles voulaient des cafés pour elles, du
Clandestine - 10
rire, de la musique, de la danse, comme avant et je
ne pouvais que leur donner raison. Pourquoi
n'étions-nous plus aussi libres que les hommes ? Le
ton était monté rapidement, mettant la gente
masculine au pilori puis le gouvernement en place.
Je n'avais pas conscience de la gravité de ces propos
dans un pays comme le nôtre, persuadée que les
hommes ne s'intéresseraient jamais à des histoires
d'entretien de maison, ou de maquillages. J'ai la
passion des produits naturels et je me donnais à
fond sur la partie esthétique qui s'appelait : “Les
divines sont belles” je multipliais les conseils sur la
plus jolie façon de monter un chignon, de se faire
des masques à l'argile rouge ou à l'huile d'olive pour
des cheveux brillants, j'expliquais quelles fleurs
choisir au printemps pour colorer de bleu ses
paupières, en les mélangeant à de l'argile blanche,
comment faire sécher ses draps sur l'herbe pour
Clandestine - 11
leur donner une blanc éclatant... Je ne m'occupais
pas de la page actualités de notre site et ne prenais
pas le temps de tout lire. Cette mission était donnée
à la plus âgée d'entre nous. Les propos de certaines
sur le blog nous avait mises en danger. Une femme
dont le mari travaille dans les renseignements était
très active sur le forum. Par le biais de ses relations,
elle avait eu vent du mauvais sort qui planait sur
nos têtes et sur la sienne aussi. Son mari haut placé
avait été prévenu. Elle avait organisé notre départ
avant de se procurer de fausses identités pour elle
et sa famille. Elle avait organisé notre enlèvement,
sans nous prévenir, pour notre sécurité. Il fallait fuir
au plus vite, c'était ça ou la prison, quand on sait
qu'on ne sort pas vivant de cet enfer.
On nous a annoncé que nous étions au complet,
nous étions toutes les deux attendues pour le
départ. Les hommes nous tendent un verre d'eau
Clandestine - 12
tiède et nous forcent à la boire, puis nous poussent
sans ménagements vers une barque d'un autre âge.
Plusieurs couches de peinture masquent à peine
l'usure du bois, des clous rouillés ressortent par
endroits. Un homme nous dit de respecter un
silence total et que nous sommes en danger si
quelqu'un vient à nous repérer. Il est jeune et n'a
pas l'air aussi dur que les autres hommes, je me
demande pourquoi il a choisi de faire ça. Certaines
femmes tenant dans leurs bras des bébés endormis,
n'ont jamais vu la mer, ni mis un pied sur une
barque. Le passeur rame doucement, mais chaque
choc de la rame sur l'eau nous fait trembler de peur.
Un bébé crève le silence en pleurant et la mère
affolée lui donne le sein, honteuse devant cet
inconnu. La fillette en robe de cérémonie est
silencieuse, sa jolie petite frimousse ne semble pas
inquiète, elle s'accroche timidement à la jambe de
Clandestine - 13
sa mère en nous observant, curieuse. Sa mère est
enceinte, son ventre est très rond. Le silence est
revenu, angoissant. Le passeur écope, mais l'eau
monte malgré tout au fond du rafiot, si bien que
nous avons rapidement les pieds mouillés. Il nous
regarde en écopant l'eau de plus en plus vite, nous
imposant le silence par signes. A cet instant, je me
dis que nous n'irons pas loin sur cette embarcation
et que nous sommes perdues. Je regrette de ne pas
connaître au moins une prière par cœur. Alors, je
reprends dans ma tête une chanson que nous
aimions tant écouter à la radio, avant que la voix de
cette merveilleuse chanteuse soit interdite sur les
ondes. Elle parlait d'une histoire d'amour
impossible entre deux amants, un Roméo et une
Juliette des temps modernes malmenés par les lois
de notre pays. Le refrain dit : « demain nous serons
libres, oui, l'amour aura raison de tout » Cette
Clandestine - 14
chanson est devenue suspecte aux yeux du
gouvernement, depuis qu'elle a été chantée lors de
défilés contestataires réprimés dans un bain de
sang.
La silhouette d'un gros bateau apparaît soudain.
Tous croient que notre embarcation va le heurter. Il
y a des cris, le passeur ralentit son allure. Quelqu'un
lance une corde de la passerelle et descend une
échelle, on nous expliquera plus tard que c'est un
bateau de médecins sans frontières. Le personnel de
bord est inquiet, ça se voit, ils nous font signe de
nous taire et de se dépêcher. Ils sont tous vêtus de
blanc et portent un masque médical. La petite fille
en rose prend peur et ne veut pas monter, elle
pleure et se terre au fond du rafiot. Sa mère la
supplie de venir, mais elle reste cachée sous un
banc, alors que l'eau monte dangereusement. Elle
s'accroche comme elle peut, terrorisée. Je saisis la
Clandestine - 15
petite trempée jusqu'à la taille et l'accroche de force
sur ma hanche. Elle bouge en tous sens et me crie de
la lâcher. Sa robe glisse et je n'ai plus de prise. Je
suis dans le vide, un pied sur l'échelle qui bouge
avec cette charge instable. J'imagine un instant que
nous allons tomber toutes les deux dans les
profondeurs noires de la mer. Deux hommes
masqués nous attrapent sans ménagements, le
passeur prend la petite dans ses bras, visiblement
soulagé. Peut-on être passeur et avoir un cœur ? On
nous demande encore une fois de nous taire. Une
fois sur le bateau, nous découvrons avec effroi que
la barque coule. Certaines d'entre nous, celles qui
n'ont pas pris de lourde valise mais un simple sac à
dos ont eu la chance de conserver quelques
vêtements. Celles qui ont pu préparer leur fuite,
s'accrochent à leurs biens précieux. Je n'ai qu'un sac
à main contenant du rouge à lèvres, un paquet de
Clandestine - 16
mouchoirs, mon passeport et mon téléphone. Le
passeur ouvre les bagages, prélève robes,
imperméables, couvertures en réclamant tous les
sacs à mains. Il vérifie que tous contiennent bien
nos identités. Ils rend nos téléphones, jette les sacs
par dessus bord, en même temps que des vêtements
et nécessaires pour bébés. Sans comprendre le but
de ces confiscations, nous sommes tétanisées par le
spectacle des effets qui sombrent dans la mer. Des
paquets de couches et des biberons flottent,
emportés par le courant, pendant que des robes
glissent sur l'eau, tel des cadavres. Les marins sont
nerveux et disent au passeur de se dépêcher. Ils
réclament nos portables pour récupérer les cartes
SIM afin les détruire. Aucune d'entre nous n'a le
courage de protester. On tremble et pleure sans rien
dire, comme des animaux pris au piège. Un
traducteur arrive enfin. Sa voix est rassurante. Ils
Clandestine - 17
nous explique que c'est pour notre sécurité et que
les gardes côtes sont déjà à notre recherche. Ils
espèrent qu'ils concluront à un sabordage de
l'embarcation dans la nuit, comme tant d'autres cas
répertoriés ces dernières semaines. Ils partiront
aussitôt à la recherche de notre passeur, sur
d'autres embarcations. Tous les regards se tournent
vers lui, on se dit qu'il l'a échappé belle. Demain, les
médias annonceront notre fuite et notre noyade.
Comment prévenir nos familles du contraire ? Les
marins nous distribuent des bouteilles d'eau, du
poisson bouilli et du riz froid. Ils s'excusent du peu
qu'ils ont à offrir et nous offrent un thé noir très
sucré. Je ressens jusqu'au fond de mon corps cette
chaleur réconfortante. Je ferme les yeux et
m'imagine hier encore chez mes parents, enfoncée
dans les coussins moelleux du salon. La petite fille,
qui grignote un gâteau sec sourit enfin.
Clandestine - 18
Le bateau se lance à plein régime pour une
destination inconnue, pendant qu'au loin, mon pays
disparaît en un serpent lumineux, de plus en plus
petit, de plus en plus brouillé par mes larmes. Cette
nuit là, je gagne une vie, mais je perds ma terre,
celle de mes amis, de ma famille et de mes ancêtres.
Cette même chanson trotte dans ma tête depuis le
début de la nuit. Malgré moi, pour me réconforter, je
chante le refrain doucement, puis de plus en plus
fort, comme un mantra. Mes amies et camarades
d'infortune me regardent d'abord surprises puis la
fredonnent avec moi. Sur le pont flotte ce refrain
comme une clameur, « demain nous serons libres,
oui, l'amour aura raison de tout ».
Le passeur prend la femme enceinte dans ses bras.
Plus tard, nous appendrons qu'ils sont amants,
comme dans la chanson interdite. La fillette
trempée dans sa robe de fête applaudit, heureuse.
Clandestine - 19
Entourée d'un père et d'une mère, elle apprécie
finalement ce voyage en mer, pose la main sur le
ventre de sa mère en nous disant : c'est mon petit
frère ! A cet âge là, tout peut sembler si simple et si
clair. Elle observe l'horizon, cherchant au loin un
morceau de terre. Je me dis que cette terre là sera
forcément moins hostile, pour elle et peut être aussi
pour nous. Puisque tout nous a été volé, il nous
faudra bien inventer d'autres encrages et une autre
vie.
Clandestine - 20
Le vase de la tante Josette
nouvelle
Brigitte Deleruelle
1868 mots
10741 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
Brigitte.guillemot@gmail.com
Tiraine – La disparition - 1
Un rêveur a déposé un livre au creux d'un arbre
dans la magnifique baie de Ploumanac'h.
Ce livre biographique pose des questions sur la
disparition d'une jeune navigatrice âgée de 15 ans.
Une jeune touriste se prend au jeu de l'enquête
et tentera de dénouer les fils de ce fait-divers.
1559 mots
8877 caractères (espacements inclus)
Tiraine – La disparition - 2
Cher inconnu, si tu contemples la baie de
Ploumanac'h et que ton cœur explose de bonheur à
son approche, ce livre est fait pour toi. Les traces de
doigts ne sont pas les miennes, ce livre appartient à
Romain, un vieux loup de mer. Nous partagions nos
silences sur son bateau de pêche. Il m'a confié ce
livre pour que j'y décèle un secret et ne m'a rien dit
de plus. Je n'ai pas revu son rafiot sur le port, j'en
déduis qu'il est parti dans le sud comme prévu et
qu'il m'a donné ce livre.
Quel est donc le secret dont il m'a parlé ? Je n'ai pas
avancé dans mes recherches. Ce brigan a peut être
inventé une fable pour que je ne l'oublie pas. Ce
livre, Tiraine La disparition écrit par un écrivain de
notre région devrait te réjouir. C'est une histoire
vraie et un bain de jouvence. Tu poursuivras la
route salée en compagnie des dauphins et des
poissons volants. Tu goûteras des fruits inconnus,
Tiraine – La disparition - 3
imagineras des musiques qui obligent à danser.
Mes vacances se terminent. Je ne savais pas qu'on
pouvait souffrir à ce point de quitter la Bretagne
avant de la connaître. Mon corps tout entier est
empli de ce chagrin. Partage avec moi l'histoire de
Tiraine, lis entre les phrases, inspecte chaque pierre
du chemin, soulève les algues, suis le jeu des bancs
de poissons minuscules, observe et respire les
algues, goûte-les, note les parfums, les couleurs.
Quelle que soit l'issue de ta recherche, écris-la-moi
en quelques mots. Je t'ai laissé de la place pour ça.
Replace ce livre au même endroit, je le récupérerai
l'an prochain. Je te sais inventif et curieux, ou
curieuse ? Il fallait de l'imagination pour trouver
cette cachette. Merci pour ton aide !
Lancelot.
Tiraine – La disparition - 4
Jour 1
Bonjour, monsieur Lancelot, ce n'était pas difficile
de trouver votre livre, vous l'avez déposé au creux
de mon arbre préféré, celui qui me permet
d'observer les bateaux et de me planquer à l'heure
de l'épluchage des légumes. C'est une bonne
cachette, mes parents ne l'ont pas encore trouvée. Je
comprends votre tristesse. Quand la rentrée
s'approche, je pleure. Mes parents me disent que
c'est la paresse qui me fait pleurer, mais ce n'est pas
vrai. Je voudrais vivre toute ma vie près de la mer.
J'accepterais même la solitude pour ça, à condition
de posséder un chien. Votre livre est riche de
détails. Je suis curieuse de nature et j'espère
découvrir ce fameux secret avant vous. Comme vous
m'avez laissé peu de place pour la réponse, j'ai
ajouté des pages blanches. Ce sera comme un mini
journal de vacances. Je pars bientôt, la rentrée des
Tiraine – La disparition - 5
classes, c'est presque demain.
Adieu flots consolateurs, bonjour béton parisien.
Votre livre est relié, ce n'est pas commun pour un
roman biographique contemporain. Votre pêcheur
était très attaché à ce livre et voulait le protéger au
maximum. C'est peut être l'œuvre du relieur du
château, proche du pont Saint-François. Je sais qu'il
fait des merveilles et travaille encore le cuir et les
dorures de façon traditionnelle.
PS : mon nom, c'est Amandine
Jour 2
Monsieur Lancelot, Me voici sur mon perchoir avec
vous. Cette histoire est très agréable à lire, je l'ai
dévorée dans la nuit. Pour votre secret, l'auteur,
Mahé Gueguen, 30 ans, né à Pléneuf-Val-André a
peut-être des pistes. Il faut creuser de ce côté. J'ai
Tiraine – La disparition - 6
adoré la description des îles Grenadines où Tiraine
a navigué. Il y avait une multitude d'oiseaux, des
fonds marins riches et colorés. Elle s'était
familiarisée avec des iguanes qu'elle nourrissait
chaque jour avec des bananes et des pommes. Un
spectacle réjouissant pour les touristes du
catamaran qu'elle accompagnait à terre. Quel
dommage, cette noyade. Sa vie était si belle !
Pourquoi n'a-t-elle pas appris à nager dans ces eaux
chaudes ! La peur des requins ? Fille d'un pirate des
temps modernes, c'était peut être une chapardeuse
à ses heures. Lors de ses multiples navigations dans
le monde, ses rondeurs étonnaient les touristes,
alors que son visage était très fin. Elle picorait et ne
faisait jamais de gros repas, préférant siroter des
infusions d'épices rares. Sa taille était-elle couverte
de lourds colliers, ce qui causa sa perte le jour où
elle tomba dans la mer ? On ne l'a jamais vue porter
Tiraine – La disparition - 7
un maillot de bain. Peut être a-t-elle simulé une
noyade, puis disparu dans la baie de Ploumanac'h
avec son trésor ? Ma mère dirait qu'on ne doit pas
juger les gens sans les connaître, je vais méditer là-
dessus.
Jour 3
Petit crachin aujourd'hui. Les troncs sont glissants
mais les feuilles de mon vieux châtaignier protègent
bien de la pluie. Je pense à Tiraine.
Agée seulement de quinze ans, elle était guide pour
les touristes et aussi cuisinière. Les fonctions sont
multiples sur un catamaran. Au moment du drame,
tout le monde dormait. Avait-elle ajouté des plantes
somnifères dans le dernier repas ? Le fameux
Regard Bleu aurait alors vogué longtemps sans
capitaine, pour s'échouer à la pointe de l'île Renote,
s'imbriquant violemment dans les rochers. Je
Tiraine – La disparition - 8
prends mon vélo aujourd'hui pour inspecter les
lieux. Il fait frais, ce matin, ça me fera du bien. J'ai
peu d'espoir de trouver un indice, trois ans plus
tard, mais sait-on jamais ? J'ai trouvé un article de
l'événement sur Ouest France. On déplore une seule
disparition le jour du drame et l'arrestation du
personnel naviguant par la police. La découverte de
ballots de cannabis, mais aussi de bijoux en or d'une
origine douteuse ont fait la une des journaux
télévisés le lendemain.
Ensuite, la marée noire sur la réserve des sept îles
et la destruction de milliers d'espèces d'oiseaux a
étouffé l'affaire. Plus un mot sur le fameux échouage
du Regard bleu, ni sur la disparition de Tiraine. Ce
drame écologique a pris toute la place dans les
médias. Mes parents sont surpris de me voir faire
des recherches sur la tablette de mon père, je leur ai
dit que pour une fois que je m'intéresse à la région
Tiraine – La disparition - 9
de nos ancêtres, ils devraient s'en féliciter !
Jour 4
Cette enquête m'amuse, même si je n'aboutis à rien.
J'ai pédalé jusqu'à la pointe de l'île Renote, en
faisant des stops chez les antiquaires, espérant
trouver des détails interessants, vaisselle, couverts
du Regard Bleu ou autres. Je suis passée chez le
relieur qui a reconnu son ouvrage. Ils se
souviennent de votre ami pêcheur. Ce lecteur
compulsif avait pris l'habitude de corner les pages
au lieu d'utiliser un marque-page. Ils ont été surpris
d'exécuter la reliure d'un livre aussi sale ! Je
reconnais que ce livre sent le poisson. Bonne
nouvelle, j'ai trouvé les coordonnées de l'auteur !
Mahé Gueguen est sur la plage de Tourony pour la
saison d'été et il a accepté de me rencontrer.
Tiraine – La disparition - 10
Jour 5
Sale journée pour le vélo et pour moi ! Il pleuvait et
j'ai glissé sur une flaque d'eau. Plus de peur que de
mal, mais il a fallu qu'on vienne me chercher. Un
camion a roulé sur le livre. Les témoins de l'accident
n'ont pas compris quand j'ai crié : « mon livre » ! Il
faut que je le récupère ! Ils m'ont rassurée et donné
ce livre en piteux état. Les pages n'ont pas souffert
mais la reliure a sacrément morflé. Il était tellement
beau ! Je vais acheter de la colle et tenter de le
réparer. Pour le vélo, ça va, un peu tordu mais il
roule. Mes genoux sont écorchés, rien de méchant. Il
faut que je prévienne l'auteur qui m'attend encore !
Tiraine – La disparition - 11
Jour 6
Monsieur Lancelot, êtes-vous assis ? En écartant le
cuir du carton pour faire glisser la colle, j'ai trouvé
huit louis d'or... et un petit mot écrit par la main de
Tiraine. Elle s'adresse à votre ami pêcheur. C'est lui,
qui a caché ce petit mot, et scotché les pièces dans
cette fameuse reliure. Lisez plutôt !
Tiraine – La disparition - 12
Prenez ces quelques louis d'or et merci pour tout ce
que vous avez fait pour moi.
Je n'oublierai jamais mon joli papy pêcheur aux yeux
clairs et cet idiot de chien roux.
Je vous aime !
Tiraine
Tiraine – La disparition - 13
Nuit blanche à Brissac
nouvelle
Brigitte Deleruelle
2087 mots
11605 caractères (espacements inclus)
3468 mots
19615 caractères (espacements inclus)
Brigitte Deleruelle
Brigitte.guillemot@gmail.com
Dernier message - 1
Trompé et ruiné par sa femme, un homme
va se jeter dans la seine.
La recherche d'une feuille pour écrire
un dernier message à son fils va retarder ses plans
et l'entrainer dans la folle ambiance des nuits
parisiennes.
3629 mots
20292 caractères (espacements inclus)
Dernier message - 2
Attention ! Vous pourriez tomber, dit une passante
inquiète. Lloyd Cambell marchait sur un muret au
dessus de la Seine. Les tranquillisants et le rhum avalés
annihilaient un peu ses émotions. Impeccable pour
faire le grand saut. Ruiné, trahi par sa femme et son
associé, le schéma était classique et même pas digne
d’une pièce de boulevard. Il avait choisi l’un des plus
jolis ponts de Paris, le Pont Neuf. Un peu de décorum
pour cette fin idiote, idiote comme sa vie. A cette heure
du soir, les bateaux glissaient sur l’eau, froissant l’or et
la lumière en filaments brillants. Lloyd n’y voyait plus
que les remous puants et infestés de rats, autrefois
responsables de la peste et du choléra. La Mairie de
Paris avait fait de gros investissements sur l’éclairage
de la préfecture, dévoilant tous les détails de ce bel
édifice. Il se dit cyniquement que ses impôts n’y
participeraient plus. Un bateau mouche passait, rempli
de touristes. Déjà alcoolisés, ils faisaient de grands
gestes cordiaux à qui voulait bien les voir et riaient
Dernier message - 3
comme lui-même l'aurait fait il y a quatre jours. Où
était-il, quatre jours plus tôt à la même heure ? Ha oui,
cette salope l'avait invité dans un grand restaurant avec
vue panoramique sur Paris. Attention délicate ! Puis
elle lui avait tout avoué. Stop ! Il était grand temps d'en
finir avec ces réflexions qui lui rappelaient les bras
menteurs de Coralie, les paroles mielleuses de Gilbert,
les relents de son bonheur bafoué. Ha ! Gilbert, son
ami de toujours, voleur de femme et voleur tout court...
Il attendit que le calme vint entre deux bateaux et se
pencha sur l’un des murets qui formaient des niches
rondes sur le pont. Prêt à basculer dans le vide, il
s’arrêta net : et son fils ? Il avait oublié son fils. Vingt
deux ans, bientôt vingt trois. Octave était un jeune
étudiant peu chaleureux qui visitait son appartement la
nuit, dans le seul but de vider le frigo et le bar. Leurs
relations s’en tenaient à peu près à ça. Il l’appelait le
vieux, avec une petite moue hautaine. Le vieux s’était
donné tant de mal pour faire accepter le dossier de son
Dernier message - 4
fils dans une école privée d'art plastique très prisée. On
était certain de trouver un bon job à la sortie. Les
agences publicitaires ouvraient grands leurs bras à ces
étudiants. Il avait supplié un collaborateur, relation de
longue date pour qu’il interfère auprès de la direction
de cette école. C’est une vraie humiliation de
reconnaitre publiquement la nullité d’un fils unique.
L’étude de la paresse semblait être son unique talent. Il
vivait toutes ses soirées dans un brouillard halluciné
avec ses « potes » comme il disait, cannabis aux lèvres
et dégustation de champignons hallucinogènes. Les
potes et lui composaient des musiques faites de sons
aigus et de cris effrayants qu’ils se repassaient en
boucle dans la journée. Ils affirmaient qu’un nouveau
mouvement musical allait naître de leurs créations. Un
être divin et supérieur les accompagnait dans leur
démarche. Le champignon avait parlé. Octave était
devenu détestable quand ils se croisaient, mais il ne
pouvait pas partir sans explication. S’il n’était pas le
Dernier message - 5
fils rêvé, c’était quand même son fils. Comment le
prévenir? Pas de SMS, il ne les consultait jamais. « Pas
de temps à perdre ! disait il, les portables c’est la pire
invention du siècle, intrusive et chronophage. »
Lloyd n’avait pas le courage de l’appeler. Il fouilla
dans sa poche afin de lui écrire mais rien, juste un
vieux ticket de loto froissé. Il déambula le long de la
Seine en chaloupant, ce qui n’étonnait personne dans
ce quartier de fête perpétuelle. Un homme éméché de
plus trainant les rues, ça fait partie du paysage à partir
d'une certaine heure dans la capitale.
Dernier message - 6
enveloppe et commanda un double whisky. Le serveur
aimable sortit de son tiroir tout le nécessaire et même
un stylo. Lloyd Cambell chaloupant de plus en plus
avait du mal à aligner deux mots. Je vais remettre ça à
plus tard, se dit il. Il commanda un autre whisky pour
avaler un tranquillisant et des cacahuètes pour éponger
le tout. Au fond de la salle, un groupe de filles riaient
en le regardant. La plus jeune, 25 ans à tout casser,
pouffait et tirait sur son tee-shirt pour valoriser ses
seins tout juste passés sous le bistouri expert d'un
chirurgien esthétique. Taille 105 D, évalua-t-il par
habitude, trop gros pour moi. Il faut absolument que je
sorte de cette ambiance débile et gluante. Les cris aigus
de ces filles sont insupportables. L’une d’elle s’assit à
côté de lui. Il nota qu’elle était très mal habillée, jupe
longe plissée et veste verte trop larges, baskets vertes
aussi mais fluo. Elle le fixa droit dans les yeux et lui
dit :
- Vous plaisez à ma copine.
Dernier message - 7
- Dites-lui qu’elle perd son temps. Je vais lui montrer
quelque chose de très captivant. Il sorti son portable,
tapota pour accéder à sa banque, lui montra un chiffre
négatif de 7000 euros.
- Alors, je lui plais toujours autant ?
La fille au chignon de travers se mit à rire comme à
une très bonne blague et caressa le verre de whisky de
façon voluptueuse. Je peux ? Dit-elle. Sans attendre la
réponse de Lloyd Cambell. Elle aspira goulument la
moitié du verre et sortit son téléphone. Moi aussi, je
peux le faire dit-elle, lui indiquant le chiffre négatif de
trois cent euros.
- Je suis une petite joueuse, mais je m'accroche.
Il s’aperçu que le groupe de copines était parti et
qu’elle se trouvait seule avec lui.
- Pas mal la technique de la copine lui dit-il. Quel âge
avez-vous ? C’est un truc de gamine. Confidence pour
confidence, vous devriez faire un procès à votre
coiffeur, votre chignon est épouvantable, et pour votre
Dernier message - 8
tenue, oubliez Emmaüs.
- Merci dit-elle en riant, je m’appelle Daphné. Tout en
parlant, elle décrocha la baguette chinoise qui
maintenait son chignon, ce qui déclencha une cascade
de boucles rousses et brillantes.
- Et puis, dit-il agacé de ne pas l'avoir découragée,
vous devriez contacter votre mutuelle pour qu’elle
vous offre des lunettes potables, celles-ci ressemblent à
des montures Sécurité Sociale des années 70, c'est
moche.
- Gucci dit-elle, pour corriger ma myopie. Elle retira
ses lunettes et le fixa de ses yeux vert d’eau. C’est
mieux ?
- Mais vous ne lâchez donc jamais ? Laissez-moi à
présent, j’ai un courrier à écrire.
- Ici ? Dans ce bruit ? Une lettre à qui ? Elle se pencha
sur le bar pour tenter de lire la lettre. On dirait que
l’inspiration ne vient pas. Êtes-vous un poète maudit
venu piocher des idées dans ce quartier ? Je peux vous
Dernier message - 9
aider ?
La nervosité et l’envie de l’insulter montait. Il décida
de d’écrire à son fils un courrier très rageur et très
court pour se débarrasser au plus vite de cette perruche
verte »..
Ta mère est une salope, Gilbert un fourbe, un voleur
qui couche avec elle. Il a vidé tous les comptes de la
société. Demain mon corps flottera dans la Seine. Ta
petite vie d'artiste va être chamboulé, dommage, il va
falloir que tu bosses. Ou mieux, essaie de pleurer
auprès de ta mère si elle n'a pas encore tout flambé au
casino d'Enghien !
Il plia la lettre et écrivit l’adresse. Un timbre se dit-il, il
me faut un timbre. Il se leva en titubant.
Dernier message - 10
- Angie ! Angie ! Pretty ! Madness !
Lloyd se sentait de plus en plus mou. « Attendez-moi ! »
cria la Rousse aux yeux verts. Elle se faufila devant lui
avec force et lui ouvrit le passage. Où allez-vous ?
Il se dit que finalement, vu son état, il aurait besoin
d’aide, et que cette perruche était parfaite pour le sortir
de là.
- Il me faut un timbre et une boîte aux lettres dit-il.
- Je vous accompagne ! Cria la rouquine. Elle saisit
d’autorité son bras, ouvrant facilement une brèche dans
ce flot de fans, puis se mirent à déambuler dans les
ruelles. Il avait plu et les pavés brillaient sous les
lampadaires.
- Vous avez oublié ça dit-elle, lui indiquant le billet de
loto froissé. On le jette ?
- Aucune importance dit-il.
Elle le glissa dans sa poche et lui dit :
- Nous formons un joli couple, qu’en pensez-vous ?
Alors, comme ça, votre femme est une salope ?
Dernier message - 11
- Conduisez-moi à un tabac ouvert et cessez vos
questions. Vous m’épuisez à jacasser et à gigoter dans
tous les sens.
- Allez, dit-elle, c’est vendredi, on s’amuse. Au loin,
l’enseigne d’un bar tabac brillait encore. J’adore cet
endroit dit Daphné, j'y termine souvent mes soirées. Il
y a une super ambiance et de la bonne musique, vous
allez adorer.
Lloyd Cambell se sentait faiblir.
Il faut que je me repose dit-il, blanc comme un linge. Il
se pencha contre un arbre, vomit et s’évanouit quelques
secondes.
- Donnez-moi cette lettre lui dit-elle, je vais
l’affranchir. Reposez-vous ici, je reviens vite.
Dernier message - 12
instant, quelqu’un avait choisi « Voyages Voyages de
Desireless ». Elle adorait cette chanson et la
connaissait par cœur ! Elle prit le micro et monta sur la
table, encouragée par des cris joyeux, enchaina avec
« Joe le taxi », en tendant le micro à l’assemblée, hilare
à chaque refrain, puis entonna « Il est libre Max ». Ils
adoraient tous cette chanson, et avaient coutume de
battre des ailes. Elle se rappela soudain qu’elle avait
oublié un pauvre mec alcoolisé dans la rue. Elle saisit
le micro et cria à l’assemblée : les amis désolés, le
devoir m’appelle ! Elle s’éclipsa malgré les cris de
désapprobation, non sans avoir embrassé tout le
monde. Elle acheta un timbre et vérifia par acquis de
conscience le billet de loto avant de le jeter. Cinquante
euros ! De quoi se faire un petit after, se dit-elle en
riant. La chance est avec nous. Curieuse, elle ouvrit la
lettre et lut tout son contenu et ce qu’elle vit la fit
frémir.
- Merde ! Il veut se jeter dans la Seine, dans son état !
Dernier message - 13
Pourvu qu’il ne soit pas trop tard ! Elle courut dans la
ruelle sombre, près de l’arbre, mais il n’était plus là.
Désolée cria t-elle pour elle même je ne savais pas !
Elle se mit à trembler ne sachant pas vers où courir.
Comment pourrait elle se pardonner ? S’il vous plait !
S’il vous plait ? Avez vous vu un homme aux tempes
grisonnantes, avec un costume beige ? Il a trop bu, il
doit tituber. Les gens la regardaient, indifférents. Des
individus alcoolisés, lui répondait-on il y en a plein les
rues à cette heure-ci ! La police ! Se dit elle ! Les
pompiers il faut appeler les secours ! Le répondeur de
la police la mit en rage. Une femme finit par lui
répondre, elle tenta en bégayant d’expliquer son
problème, au bout du fil. La personne semblait si calme
et si indifférente, qu’elle se mit à hurler : - et si c’était
votre frère, votre mari, seriez-vous aussi zen ?
- Où êtes-vous, disait la voix au bout du fil, quelle est
votre identité ?
Daphné se mit à crier :
Dernier message - 14
- Vous voulez mon identité et pendant ce temps,
quelqu'un est en train de se noyer ! Elle parlait en
courant, essoufflée, la voix lui disait de se calmer, et
elle hurlait : me calmer ? Me calmer ? Je ne sais plus
où il est, il a pris de l’avance sur moi, il se dirige vers
la Seine, nous sommes au niveau du pont des arts, je
crois qu’il est déjà dans l'eau. On ne peut pas compter
sur vous ! Que faites vous dans votre bureau, à part
vérifier les identités ? En parlant, elle trébucha sur un
obstacle mou qui barrait le trottoir. C’était un corps
allongé. Elle pensa d’abord à un clochard, mais
reconnut soudain Lloyd Cambell qui était en train de
vomir. Elle l’enlaça comme on enlace un vieil ami, et
lui dit : vous êtes ici ! Vous êtes ici ! Puis elle s’assit à
côté de lui en sanglotant. Le téléphone était toujours
allumé. Madame ? Madame ? Vous l’avez retrouvé ?
La prochaine fois, quand vous appellerez la police,
soignez vos propos. Nous ne sommes pas à la
disposition de tous les hystériques imbibés d'alcool. A
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votre service, madame.
- Pardon ! Pardon, madame, dit Daphné j’ai eu si peur,
je ne me le serais jamais pardonné ! Elle sortit une
bouteille d’eau de son sac et força Lloyd à boire tout le
contenu. Il semblait ne plus rien comprendre. Ni ce
qu’il faisait, ni où il était. Il faut marcher lui dit-elle.
Venez chez moi. Mais attention! La concierge n'aime
pas le bruit, et elle me déteste. Ils entrèrent dans un
immeuble bourgeois.
Une amie de Daphné était partie en Australie et lui
avait confié son appartement situé au cinquième étage.
La montée fut très pénible. Elle le poussait et il montait
marche après marche comme un vieillard usé. Il faillit
s'endormir sur le palier du troisième étage, ce qui fit
hurler des chiens. Elle se dit qu'elle avait fait une
grosse erreur, mais il retrouva de l'énergie pour franchit
les derniers étages, les yeux fermés.
- Vous allez dormir ici lui dit-elle, le temps de vous
requinquer. Vous n’êtes pas en état de repartir. Elle vit
Dernier message - 16
soudain la boîte de tranquillisants qui sortait de sa
poche.
- Avez-vous pris toutes ces pilules ? Lui demanda-t-
el l e, m ai s i l l ui r épon di t en gr ogne m ent s
incompréhensibles.
Elle appela tremblante SOS médecin qui la rassura et
lui conseilla de le laisser assis pour la nuit. Elle
s’allongea près de lui, flageolante. La fatigue eut vite
raison de ses dernières forces, elle s’endormit sans
pouvoir surveiller le pouls de son protégé.
Dernier message - 17
à la découverte de la plus belle ville du monde.
Un mal de tête réveilla Lloyd Cambell. Il ouvrit ses
yeux et fut surpris de ne pas se retrouver dans un
hôpital, mais dans un petit salon cosy avec vue sur les
toits de Paris. Un chat tentait d’attraper les pigeons et
des fleurs étaient accrochées aux fenêtres. Le soleil
pointait ses premiers rayons roses et la pluie avait été
balayée par le vent, promettant une journée claire. Où
suis-je dit-il ? Il y a quelqu’un ? Daphné ouvrit la
porte, les bras chargés de viennoiseries et de fruits.
Petit déjeuner cria-t-elle. Thé ou café ? Lloyd Cambell
avait l’estomac retourné et l’idée même d’avaler un
café lui soulevait le cœur. Il faut se forcer lui dit-elle.
Rien de tel pour se remettre les idées en place. Vous
souvenez-vous de ce qui s’est passé hier soir ? Lloyd
Cambell réfléchit et se dit qu’il avait tout raté à cause
de cette satanée lettre. La lettre dit-il, elle est partie ?
- J’ai un aveu à vous faire lui dit-elle. J’ai ouvert cette
lettre et je l’ai déchirée.
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- Tout est à refaire gémit-il. Où vais-je trouver le
courage de recommencer ?
- Je suis désolée d’avoir participé à cet échec lui dit-
elle. Mais si vous le permettez, vous allez prendre une
douche et m'accompagner à mon travail. Je ne vous
laisse pas comme ça. Je veux être sûre que vous avez
retrouvé vos esprits.
- Je suis épuisé, me permettez-vous de dormir encore
un peu chez vous ? Je vous rejoindrai à la sortie de
votre bureau pour le déjeuner, ça vous va ?
Daphné se mit à rire et planta de très près son regard
vert d'eau dans ses yeux, ce qui le fit rougir.
- Comment avez-vous deviné, pour le bureau ? Lui dit-
elle.
Elle avait refait son chignon de travers, portait toujours
ses lunettes Gucci style sécurité sociale, sa jupe longue
et plissée frôlait encore des baskets vert-fluo, mais
aujourd’hui, il la trouva jolie, vraiment jolie.
Elle lui laissa un double de clés, confisqua la boite de
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tranquillisants, et lui donna rendez-vous au bar
Sansévéria, face au jardin des tuileries pour treize
heures.
Dernier message - 20
la vie. Une femme asiatique lui sourit, le prit en photo
en lui criant : Nice boy ! D'autres femmes du même
groupe passèrent en riant, laissant flotter dans le vent
leurs jupes à fleurs et leurs parfums Christian Dior.
S'approchant de Place de la Concorde, il vit une femme
qui gesticulait en riant. Elle était vêtue en tenue de
sport moulante rose bonbon de la tête aux pieds et avait
chaussé des lunettes disproportionnées, roses aussi. Un
chapeau en forme de tour Eiffel était posé de biais sur
sa tête. Intrigué, il s'approcha.
C'était une italienne, du moins le pensait-il, car elle
bloquait un groupe d'italien, en faisant des petits sauts.
Ils se dirigèrent tous en riant, vers les deux-chevaux
avec chauffeur qui organisent des circuits touristiques.
Elle les accompagna, ferma les portes des cinq voitures
et leur fit de chaleureux signes, restant seule sur le
trottoir. Ensuite, elle bloqua un groupe asiatique, et
leur chanta une chanson. Ils applaudirent tous et elle
leur parla en cantonnais. Apercevant Lloyd, elle lui fit
Dernier message - 21
un sourire et un grand signe. Il se demanda ce que les
femmes avaient ce matin là. Elle conduisit le groupe
hilare vers les deux chevaux, leur ouvrit la porte et les
salua de façon clownesque jusqu'au sol en leur
souhaitant « Bon voyage ! » en français.
Se dirigeant vers Lloyd, elle lui dit en enlevant ses
lunettes :
- Tu es un peu en avance, je sors du bureau dans cinq
minutes.
- Daphné ? Mais que fais-tu là ?
- Guide touristique ! Ça ne se voit pas ?
- Je suis justement à la recherche d'une guide
touristique lui dit-il.
En disant cela, son téléphone se mit à vibrer non stop.
Il le sortit rapidement de sa poche, et vit que c'était un
appel de sa femme. Pour son smartphone, il avait
choisi la photo de leur anniversaire de mariage.
Coralie, souriante et vêtue d'un tailleur blanc avait dans
ses mains un bouquet de roses violettes identiques à
Dernier message - 22
celui de leur première cérémonie à l'église de la
Madeleine. Elle montrait fièrement au photographe la
nouvelle bague offerte par Lloyd pour l'occasion. Il
ferma rageusement son téléphone.
- Elle est magnifique ! Dit Daphné, c'est votre femme ?
- C'était. Et si on va au détail, ses lèvres sont fines et
pincées, alors qu'elle devrait sourire à pleines dents. Il
faudrait toujours se méfier de ce genre de sourire.
Je préfère votre sourire, franc et généreux. On sent
aussi chez vous une fragilité malgré les apparences, qui
donne envie de vous protéger.
Sans qu'il ait eu le temps de comprendre ce qui lui
arrivait, elle lui fit une prise d'aïkido et le bloqua au
sol. Leur visages se rapprochèrent, nez contre nez
quand elle lui dit :
- Fragile, moi ? Dans vos rêves, Monsieur Lloyd
Cambell !
Le faisant rouler au dessus d'elle, elle frôla presque ses
lèvres. Les passants, croyant assister à un spectacle de
Dernier message - 23
rue applaudirent. Ils se levèrent tous deux comme un
seul homme, saluèrent la foule et se mirent à courir en
riant, sans but, comme des enfants.
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Une robe pour le festival
nouvelle
Brigitte Deleruelle
Brigitte Deleruelle
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A son réveil, Sophia contempla sa tahitienne à éner-
gie solaire qui se dandinait en souriant. Le gilet de
sauvetage se balançait doucement au gré des mou-
vements du bateau. Une lumière rose traversant le
hublot suggérait une aube ensoleillée.
Le cauchemar avait été sévère et très réaliste. Des
cris, des vagues de cinq mètres de haut, le mat
brisé… Deux de ses coéquipiers lui criaient de
mettre son gilet de sauvetage, Sophia courait vers sa
chambre pour récupérer le précieux gilet, puis plus
rien. Le rêve s'était étrangement arrêtée en pleine
action.
Elle poussa un grand soupir pour évacuer le stress
et se dit qu'il était tôt et qu'il fallait dormir encore
un peu. La journée serait chargée. Il fallait réunir les
échantillons de cinq coraux en voie d'extinction, les
analyser et envoyer les résultats au centre d'études
scientifiques sur les récifs coralliens de Perpignan.
Si quatre de ces spécimens avaient été trouvés sous
les hourras de l'équipe, ils avaient perdu une
semaine à cause du Physogyra Lichtensteini, ou
corail à bulles, qui demeurait introuvable dans la
zone étudiée. Le laboratoire commençait à
s'impatienter. La journée risquait d'être longue, très
longue. Elle changea de côté pour se rouler en
boule, quand elle sentit une douleur intense à la tête
et vit la couleur rouge de son oreiller. Que lui était-
il arrivé ? Sophia se leva en sursaut et se regarda
dans la glace. Du sang avait coulé sur ses yeux, sur
ses joues et le long de son décolleté. Une vision
d'horreur ! Elle était méconnaissable. Se tâtant le
haut de la tête, elle sentit une plaie ouverte et cria
de toutes ses forces.
Elle ouvrit rapidement la porte de sa chambre,
emprunta l'escalier jusqu'au pont supérieur pour
demander de l'aide mais ses cris restèrent sans
réponse.
Ce qu'elle vit la terrorisa. L'arrière du bateau avait
été arraché par la fureur de l'océan. Les sièges
flottaient sur l'eau, entourés de morceaux de coque.
L'avant s'était en partie enfoncé dans le sable, à
présent doucement chahuté par les vagues
redevenues sages. Sa chambre avait été protégée
par le glissement du bateau sur le sable mais le choc
avait été violent.
- Au secours ! Cria-t-elle.
Ses amis plongeurs étaient certainement quelque
part, sauvés par leurs gilets de sauvetage à gonflage
automatique. C'était obligatoire sur le bateau. Ils
étaient proches, elle en était sûre. Peut être étaient-
ils partis chercher du secours ? Mais pourquoi
n'étaient-t-ils pas venus prendre de ses nouvelles ?
Se laver, vite ! Se débarrasser de ce sang collant. Elle
prit le risque de se déshabiller complètement et se
trempa dans l'eau tiède et salée de la mer. Elle en
profita pour laver ses vêtements. L'eau brunie lui
rappela vaguement le sacrifice des dauphins aux
îles Féroé. Elle enfila son T-shirt mouillé et se posa
sur la plage pour se sécher et réfléchir à la situation.
De l'eau ! En priorité, elle devait trouver de l'eau
douce. Dans ses souvenirs, il y avait une caisse
d'Orangina et de la bière sous son lit mais l'eau
plate avait été stockée à l'arrière !
Elle choisit la bière pour dessaler sa plaie et vida
d'un seul trait une bouteille d'Orangina.
Le sucre de la boisson la sortit de sa torpeur. Un
instinct de survie la fit réagir à toute allure. Elle
déchira son paréo pour se faire un bandage sur la
tête, réalisant que la trousse d'urgence était à
l'arrière, ainsi que l'unité de dessalement de l'eau
de mer et l'émetteur radio. Tout ce qui aurait pu lui
être utile était réduit en miettes ou à 6 mètres de
fond dans l'océan. Elle se tartina le visage de crème
solaire et se souvint avec soulagement qu'une partie
de son matériel de plongée était restée dans sa
chambre. Les palmes, le masque, le tuba, son gilet
en néoprène... Elle enfila ses chaussures de
randonnée et partit à la recherche d'une source. Des
chemins avaient été empruntés récemment, elle vit
des traces de pas humains sculptées dans l'argile. La
chaleur montante séchait progressivement toute la
pluie de la nuit. Elle aurait bien aimé lécher les
gouttes en suspens sur les grandes feuilles
duveteuses mais se méfiait de la toxicité de celles-ci.
Elle escalada une roche volcanique qui tordait les
pieds et coupait les doigts. Tout en haut, elle aurait
peut-être une meilleure idée de la cartographie de
l'endroit. L'île était de petite taille et ovale. Une
végétation très dense masquait la vue du bateau.
Des oiseaux de toutes sortes volaient autour d'elle
sans la moindre crainte. Des petits blancs comme
des mouettes à longue queue, des noirs à gorge
rouge avec une grande envergure, des petits à taille
de moineaux mais tout rouges, des jaunes, des
bleus... Elle n'en n'avait jamais vu autant. Aaron,
l'ornithologue du groupe de recherche aurait pu les
identifier. Où étaient-ils tous à présent ? Peut-être
de l'autre côté de l'île ? Elle se mit à crier :
- Les gars ! Je suis en haut ! Est-ce que quelqu'un me
voit ? Hello ! Hello ! Répondez-moi !
- Livio ! Aaron ! Bertrand ! Répondez-moi !
Les oiseaux poussèrent quelques cris aigus, à peine
effrayés et reprirent leurs vols autour d'elle.
De l'autre coté du rocher, le chemin était moins
escarpé, presque aménagé. Sophia se dit que cette
île était habitée et eut un grand soulagement à cette
idée. Elle pourrait demander du secours, soigner sa
tête, téléphoner, et peut être manger quelque chose.
La terre humide avait attiré des scolopendres
colorés qu'elle évitait ne sachant pas s'ils étaient
dangereux. Par endroits, la végétation mouillée la
frôlait ce qui la rendait nerveuse. Livio, spécialiste
de la faune et de la flore, lui disait toujours de ne
jamais toucher une plante inconnue, certaines étant
venimeuses. Quelques arbres tortueux étaient
couverts de petites pommes. Elles semblaient
douces et croquantes. Elle fut tentée d'y gouter.
Quelqu'un avait peint le tronc en rouge et dessiné
un picto danger. Était-ce pour préserver ses
pommes ? Dans le doute, elle n'y toucha pas et
continua son chemin. Elle aperçut enfin le toit rouge
d'une bâtisse. Elle s'approcha, soulagée, mais ce
n'était qu'un préau avec des banquettes en bois
délabrées. Un emballage de gâteau sec avait été jeté
au sol ainsi qu'une bouteille vide, le tout couvert de
poussière et de boue. Elle s'assit sur un muret,
s'interdisant toute larme ou tout désespoir. Elle
trouverait forcément quelqu'un pour l'aider. Des
lézards verts et dodus s'approchèrent. Comme elle
ne bougeait pas ils montèrent sur ses chaussures en
l'observant.
- Il y a quelqu'un ? Cria t-elle. Hello ! Il y a
quelqu'un ?
Enfin, elle perçut une voix humaine.
Elle s'approcha et entendit distinctement la voix
d'un homme qui lui répondit :
- Oui ! Coco, t'as soif ? Hé Coco ! T'as soif ?
Sophia se dirigea vers la voix mais elle ne vit aucun
être humain. Un perroquet gris la regardait et
sautait sur un tas de noix de cocos vertes posées au
sol. Il lui cria :
- T'as faim, Coco ? Je t'en casse une ?
La surprise passée, Sophia comprit que même seule
sur cette ile, les noix de coco allaient lui sauver la
vie.
D'où venait ce perroquet ? Il avait fréquenté un
homme qui lui avait appris à parler. Une roche
affutée vers le haut avait été posée sur un tronc
d'arbre. Des noix de coco ouvertes et sèches avait
été jetées au sol. Elle tapa un fruit sur la roche, de
toutes ses forces et plusieurs fois. Un jus coula,
qu'elle but avec bonheur. Ce jus était frais malgré la
chaleur ambiante. Le perroquet monta sur son
épaule et lui dit :
- Hé Coco, tu partages ?
- Sophia voulut caresser l'oiseau mais il s'envola,
tourna autour d'elle en lui disant plus fort :
- Hé Coco, tu partages ?
Elle rompit la noix et savoura le délicieux dessert,
crémeux et sucré, puis lui tendit l'autre moitié.
Content, il lui dit :
- C'est bon Coco ? T'aimes ça ?
Puis il sauta de nouveau sur le tas de noix de cocos
vertes et cria :
- T'as faim, Coco, je t'en casse une ?
Ils se posèrent tous les deux à l'ombre et
dégustèrent plusieurs noix, ce qui donna à Sophia
l'énergie qui lui manquait.
Les lézards se précipitèrent sur les déchets jetés au
sol et finirent les restes. Elle dit au revoir à son
nouvel ami qui lui répondit :
- Salut Coco, à bientôt !
Elle reprit sa marche pour tenter de faire le tour
complet de l'île, espérant trouver un être humain.
Le soleil avait complètement séché la terre et la
chaleur montait, étouffante. Elle longea deux plages
très sauvages habitées par une quantité
impressionnante d'oiseaux de mer. Empruntant des
chemins escarpés, elle vit de gros poussins blancs
couverts de duvet et posés au sol. Les parents qui
n'avaient pas construit de nid pour eux voletaient
au-dessus d'elle en poussant des cris stridents. Elle
marcha encore une heure ou deux pour atteindre
son bateau. Il fallait se rendre à l'évidence, cette île
n'était pas habitée. Elle espéra un instant voir ses
coéquipiers l'attendre mais la plage était vide et
silencieuse. Le bateau grinçait doucement, balancé
par les vagues plus puissantes à cet endroit. Des
oiseaux voletaient sur le rocher d'en face et certains
prenaient d'infimes parties de la peinture bleu vif
arrachée à l'épave pour décorer leurs nids.
Combien de bouteilles d'Orangina lui restait-il ? Un
vingtaine tout au plus et deux caisses de bière, il
faudrait bien qu'elle s'habitue à cette boisson trop
amère pour elle. Elle eut des hauts de cœur à l'idée
de manger du poisson cru, et se dit que les œufs des
oiseaux seraient une bonne source de protéine,
mais seulement en cas de nécessité absolue. Elle
avait vu des nids accessibles dans la journée.
Épuisée, elle se coucha toute habillée et pour la
première fois laissa couler quelques larmes.
Furieuse contre elle, elle se dit que le désespoir
n'avait pas sa place ici. Demain, elle irait encore une
fois manger des noix de coco par le chemin de la
plage. Grimper en haut du rocher n'avait servi à rien
d'autre qu'à la fatiguer et la désespérer.
La nuit fut courte. Pas de cauchemar cette fois-ci et
sa tête lui faisait moins mal. Le soleil pointait à
peine son nez au bout de l'horizon, colorant le ciel
et la mer de couleurs pastels. Le temps serait calme,
les vagues étaient plus douces et plus discrètes.
Sophia prit un bain de mer avec des pélicans
voraces qui plongeaient tout près d'elle, affolant les
bancs de poissons argentés. Elle se sécha
rapidement pour enlever le sel, se fit un nouveau
bandage sur la tête et se tartina le corps de crème
solaire. Quelle chance d'en avoir stocké trois
bouteilles sous son lit ! Profitant de la fraîcheur du
matin, elle se mit en route pour retrouver le préau
et les noix de coco salvatrices.
Ce matin-là, un couple de colombes picorait autour
du préau. Sophia commençait a ouvrir la première
noix quand elle entendit la voix du perroquet.
- Coco, t'as soif ?
Ce n'était pas le perroquet qui parlait mais un jeune
homme à l'allure sportive, qui marchait en riant. Le
perroquet était installé sur son épaule. Une
chaloupe amarrée sur la plage déversait une dizaine
de touristes rougis par le soleil, appareil photo
pendu autour du cou. Tous étaient charmés par le
spectacle de l'homme et son oiseau.
- On reste sur le chemin, dit le perroquet.
- Bravo, Coco, dit l'homme. T'as faim, coco ?
Les touristes étaient ravis.
- Suivez-moi, dit le guide, qui veut boire un jus de
coco fraîchement cueilli ?
Tous levèrent le doigt, lorsqu'une deuxième
chaloupe arriva, déstabilisée par une vague plus
forte que les autres. Une dame tomba dans la mer
avec son sac a dos. Elle sortit la tête de l'eau en
criant de terreur et tout le monde vint à son aide. Le
guide leur prêta main forte, lui prêta une serviette
sèche et partit à grands pas vers les noix de coco.
Sophia et le guide se retrouvèrent face à face, tous
deux surpris.
Coco reconnut sa bienfaitrice et lui dit :
- Salut Coco ! T'as faim, Coco ?
Le guide lui dit : je vois que vous avez fait
connaissance, que faites-vous ici ? Cette île est
interdite sans un pass à la journée. Comment êtes-
vous arrivée ? Je ne vois aucune embarcation. C'est
incroyable, on a beau mettre des informations
partout, entrée interdite par ci, passages dangereux
par là, il faut toujours que des touristes forcent les
passages. Vous êtes seule ? Il y a des serpents
dangereux en haut, sans parler des scolopendres.
Vous le saviez ? Les sérums anti-venin, ça vous
parle ? Ha ça, pour demander des secours, vous êtes
toujours là. Je suis sûr que vous avez planté une
tente de l'autre côté. Super idée ! Encore une chance
que les rats ne vous aient pas attaquée. La chair
fraîche des touristes, ils adorent. La regardant de
plus près, il vit des plaies sur son visage et lui
demanda :
Mais que vous est-il arrivé ?
Sophia se mit à trembler, les larmes montèrent pour
de bon, et elle ne sut que répondre :
- De l'eau, avez-vous de l'eau ? Puis elle tomba à
genoux, épuisée.
Plus tard, Sophia lui expliqua le naufrage en
frissonnant et il fut désolé. Il lui offrit des bonbons
au chocolat et lui tendit un mouchoir.
- Nous allons retrouver vos coéquipiers, lui dit-il
pour la rassurer, j'en suis certain.
La police maritime arriva rapidement. Un bateau de
pêche avait récupéré trois hommes qui flottaient en
pleine mer. Ils avaient dérivé longtemps, accrochés
à une planche et portés par un courant chaud. Les
lumières clignotantes de leurs gilets leur avaient
sauvé la vie. Ils avaient rapidement signalé la
disparition de Sophia mais s'étaient trompés
d'emplacement. Les recherches avaient été faites
plus au nord. Un policier lui tendit le téléphone et
Sophie reconnut la voix de Livio :
- Sophia ! Lui dit-il ! Devine ce que j'ai dans ma
poche !
- C'est tout ce que tu me demandes lui dit Sophia
surprise. Tu ne veux pas savoir si je vais bien ?
- Je sais que tu vas bien, répondit Livio en riant, tu
es pleine de ressources. C'est pour ça qu'on t'a
intégrée à notre équipe, alors dis-moi, il y a quoi
dans ma poche ?
- Je ne sais pas, répondit Sophia, tes mains palmées ?
Trois méduses ?
- Mais non, réfléchis un peu ! J'ai un échantillon de....
Physogyra Lichtensteini ! Ce sacré corail à bulles ! Il
fallait que la mer soit vraiment déchainée au point
d'en arracher un morceau et de le jeter sur la plage !
Tu te rends compte du cadeau ? Alors, heureuse ?
On peut respirer et prendre des vacances ?
Sophia se dit que ce naufrage avait fait perdre tout
sens commun à ses collègues. Elle pensa à sa petite
tahitienne solaire abandonnée sur le bateau, et ça la
rendit un peu triste. Elle se dit aussi que ce guide
touristique sur l'ïle aux oiseaux était charmant et
qu'il faudrait rapidement qu'elle y retourne pour
prendre des nouvelle de Coco.