Vous êtes sur la page 1sur 1

Chaine Youtube sur l'Enseignement de Krishnamurti en français

Jiddu Krishnamurti

Amour, Sexe et
chasteté

Sélection d'extraits des


enseignements de Krishnamurti

Titre original : The mirror of relationship : Love, Sex and chastity

A selection of passages from the teaching of Krishnamurti.

Traduit de l'anglais par Collette Joyeux


Stock

Table des Matière

Title
Introduction – Engageons un dialogue entre
amis...
1. La vie est un mouvement ancré dans la
relation
2. Le mécanisme d’élaboration des images
La relation à l’autre n’est possible qu’en
l’absence de toute image
Le silence est la condition d’un vrai
regard
Pourquoi se forge-t-on une image de soi-
même ?
Instaurer la relation juste, c’est briser
l’image
Dès que mon attention faiblit, la pensée...
prend le relais et crée l’image
3. Comprendre le plaisir et le désir
Le plaisir consiste à prolonger et a
cultiver mentalement une perception
Comprendre le desir, c’est avoir une «
conscience sans choix » des
mouvements de celui-ci
Quelle est la source du désir ?
Le désir n’est pas absent, mais l’esprit
sait regarder sans décrire
Comparer ou condamner le désir
empêche d’y être sensible

Résistance à la douleur ou quête du


plaisir prolongent également le désir
Et le désir se ferait flamme ...

le désir, il faut le laisser prendre son


envol, ou s’étioler et mourir — mais
surtout le laisser tranquille... là est
l’essence même de l’esprit sans conflit
Amour, désir et passion sont une seule et
même chose. détruire l’un, c’est détruire
l’autre
4. Pourquoi le sexe est-il devenu un problème ?
Quand le cœur est dépourvu d’amour...
La sexualité est plurielle, elle ne se limite
pas a l’acte sexuel
La passion charnelle est la préoccupation
la plus répandue de toutes
Quand l’amour est là, le sexe n’est jamais
un problème
Celui qui aime est pur, jusque dans sa
sexualité
Si vous niez la. sexualité, autant fermer
les yeux... et ne jamais plus rien regarder

Quand l’amour est là, l’acte sexuel prend


un tout autre sens
5. De la chasteté

Un cœur discipline, un cœur brimé, ne


peut savoir ce qu’est l’amour
L’effort investi dans le refoulement, le
contrôle, la négation de votre désir, a
pour effet de vous fausser l’esprit
Si la question du sexe sème le désordre
dans ma vie, c’est tout le reste de ma vie
qui est alors en désordre. ne dois donc
pas demander comment faire pour
remettre en ordre un pan de ma vie, mais
chercher a savoir pourquoi j’ai morcelé‘
mon existence en une multitude de
fragments épars...
Quand on a une vue d’ensemble de la
situation, non pas en termes d’idées
abstraites, mais de réalité concrète, on
constate qu’amour, sexe et chasteté (ou
pureté) se confondent.
6. Du mariage
Il nous faut découvrir l’art et la manière
de vivre avec autrui... hors de toute
notion de conflit, d’adaptation ou
d’ajustement.
Lorsqu’on aime sa femme, on n’est pas
en quête de domination
Le mariage, en tant qu’habitude, en tant
que moyen de cultiver un plaisir routinier,
a des effets dévastateurs, car l’habitude
est incompatible avec l’amour
Est-il possible de tomber amoureux sans
être possessif?
7. Qu’est-ce que l’amour ?
8. L’amour au sein de la relation
L’amour n ’est pas un sujet de réflexion
Nous ne savons pas ce qu’est l’amour...
L’amour est-il chose permanente ?
L'amour est un état n’appartenant ni au
passé ni au futur
Lorsqu’on aime, toute division entre
homme et femme s’efface
L’amour naît lorsqu’on comprend
l’ensemble de ce processus qui fait de
nous ce que nous sommes
La relation est notre unique lieu
d’épanouissement
Dès l’instant ou je suis conscient d’aimer,
l’activité de l’ego se manifeste : il ne
s’agit donc plus d’amour
Quand on aime, il n’y a ni « toi » ni « moi »
L’esprit peut-il rencontrer l’amour sans
discipline, sans intervention de la pensée,
sans coercition, sans livre ni maître ?
Une approche des faits dénuée de tout
mobile est-elle possible ?
9. Être en relation équivaut à l’abolition du « moi
»
Remerciement
La fondation américaine Krishnamurti

Introduction –
Engageons un dialogue
entre amis...

Nous allons entamer dans quelques jours une


série de discussions, et nous pouvons commencer
dès ce matin. Mais si vous êtes péremptoires — et
moi de même si vous restez crispés sur vos
positions, vos dogmes, votre expérience, votre
savoir — et moi de même —, aucune discussion
réelle n’est possible car ni l’un ni l’autre n’est
libre alors d’explorer. Discuter, ce n’est pas
partager nos expériences réciproques. Ce n’est
pas du tout le partage qui est en cause, mais la
beauté de la vérité, que ni vous ni moi ne
pouvons posséder. Elle est simplement là, et c’est
tout.

Discuter intelligemment suppose aussi qu’il y


ait non seulement une certaine qualité
d’affection, mais aussi une certaine forme
d’hésitation. Car en fait, sans hésitation, point
d’enquête : toute enquête implique d’hésiter,
d’explorer par ses propres moyens, de découvrir
pas à pas; et lorsqu’on procède ainsi, inutile alors
de suivre qui que ce soit, inutile de solliciter une
mise au point ou une confirmation de votre
découverte. Mais tout cela exige énormément
d’intelligence et de sensibilité.

Que ces propos ne vous empêchent surtout


pas de poser des questions ! En fait, nous sommes
ici dans ce qui ressemble à un dialogue entre
amis: nous n’affirmons rien de façon
péremptoire, nous ne cherchons pas à nous
dominer réciproquement, chacun s’exprime sans
entraves, en route cordialité, dans une ambiance
de convivialité chaleureuse, et nous sommes tous
en quête de découverte. Et dans cet état d’esprit-
là, certes, on fait des découvertes, mais je vous
assure que ce que l’on découvre n’a que très peu
d’importance. L’important, c’est de découvrir, et
de ne pas s’arrêter après la découverte. Il est
néfaste de s’attarder sur ce que vous avez
découvert, car alors votre esprit se ferme, c’en est
bientôt fini de lui. Mais si, à l’instant même de
votre découverte, vous savez mourir à celle-ci,
alors vous pouvez vous laisser aller au fil de
l’eau, tel un fleuve aux flots généreux.

Saanen, Suisse 10ieme causeries publique

le 1er août 1965

Collected Works, Vol. XV (1)

1. Les Collected Works n’ont été traduits en


français que de manière fragmentaire.

1. La vie est un
mouvement ancré dans
la relation

Nous voici engagés dans une conversation,


devisant tout au long d’une allée aux frondaisons
ombragées peuplées de chants d’oiseaux, et nous
nous asseyons pour faire ensemble le tour de ce
problème de l’existence, qui est une question très
complexe. Nous ne cherchons pas à nous
convaincre, à nous persuader mutuellement à
propos de quelque sujet que ce soit, nous
n’essayons pas de noyer l’autre sous un flot
d’arguments, ni de nous accrocher à nos propres
opinions ou préjugés, nous allons plutôt regarder
le monde tel qu’il est — y compris notre monde
intérieur.

Le monde extérieur — l’environnement, la


société, la politique, l’économie, etc. — a fait
l’objet d’une multitude d’ouvrages, mais bien peu
ont réellement creusé en profondeur la question
de savoir ce que nous sommes réellement, et
pourquoi les êtres humains se comportent
comme ils le font — pourquoi ils s’entre tuent,
pourquoi ils sont en proie à de perpétuels
problèmes, soumis à l’autorité sous diverses
formes, celle d’un livre, d’une personne, d’un
idéal, sans jamais établir de vraie relation avec
leurs amis, leurs conjoints, leurs enfants ;
pourquoi enfin, après des millénaires, les êtres
humains sont devenus à ce point vulgaires;
brutaux et dépourvus d’égards, d’attention, de
considération envers autrui, niant par là même
tout le processus qu’est censé être l’amour. Sur le
plan extérieur, l’homme côtoie la guerre depuis
des milliers et des milliers d’années. Nous
essayons actuellement de faire barrage à la
guerre atomique, mais jamais nous n’arrêterons
les guerres. Il n’y a pas eu, de part le monde, de
manifestations visant à mettre fin à la guerre,
mais des manifestations ont lieu contre des
guerres spécifiques ; or, elles ont continué, ces
guerres où les populations sont exploitées,
opprimées, et où l’oppresseur devient à son tout
l'opprimé. Tel est le cycle de l’existence humaine,
avec son cortège de solitude et de chagrins, cet
immense sentiment de dépression, cette angoisse
qui monte, et ce manque total de sécurité. Il
n’existe pas de relation avec la société ou avec
l’intimité de notre être profond, pas de relation
exempte de disputes, de conflits, de querelles,
d’oppression, etc. Tel est le monde dans lequel
nous vivons, et qui, j’en suis sûr, est bien connu
de vous tous.

Comme nous l’avons dit hier, examinez les


activités de la pensée, car c’est par la pensée que
nous vivons. Toutes nos actions sont basées sur
la pensée, tous nos efforts observables sont basés
sur la pensée — nos méditations, nos cultes, nos
prières. La pensée a suscité le clivage entre
nationalités qui engendre les guerres, le clivage
entre religions, entre juifs, Arabes, musulmans,
chrétiens, hindous, bouddhistes — et j’en passe.
La pensée a divisé le monde, non seulement
géographiquement, mais aussi
psychologiquement, intérieurement. L’homme
est un être fragmenté, éclaté, non seulement au
niveau psychologique, mécanique, mais jusque
dans sa vie professionnelle. Si vous êtes
professeur, vous vivez confiné dans votre petit
cercle. Si vous êtes un homme d’affaires, vous
vous employez à gagner de l’argent, ou si vous
êtes un homme politique, votre vie se déroule
dans ce cadre-là. Et si vous êtes un homme de
religion, dans l’acception usuelle du terme —
c’est-à-dire celui qui pratique diverses formes de
puja(1), de rituels, de méditation, ou qui vénère
une quelconque idole, là aussi, c’est une vie
fragmentée que vous vivez. Chaque fragment
possède son énergie propre, son propre potentiel,
sa propre discipline, et chaque cheminement joue
un rôle clé ayant pour effet de contredire les
cheminements autres. Tout cela, vous devez le
savoir. Ce clivage sur le plan extérieur,
géographique, religieux, national, ce clivage entre
vous et l’autre, représente une telle perte
d’énergie ! C’est bel et bien un conflit — on
gaspille son énergie, on se querelle, on se divise,
à chacun sa propre quête, ses propres aspirations,
ses propres exigences de sécurité individuelle, et
ainsi de suite.

1. Rituel quotidien de dévotion dans la


tradition hindoue.

Toute action requiert de l’énergie, et toute


réflexion aussi. Ce perpétuel morcellement de
l’énergie n’est que gaspillage. Lorsqu’une énergie
en contrarie une autre, l’action vient à son tour
en contredire une autre : on dit ceci, on fait cela,
ce qui revient, bien sûr, à accepter la vie en toute
hypocrisie — et il y a gaspillage d’énergie. Toutes
les activités de cet ordre conditionnent
fatalement l'esprit, le cerveau. Nous sommes
conditionnés, en tant qu’hindous, bouddhistes,
musulmans ou chrétiens, avec toutes les
superstitions, toutes les croyances que cela
suppose. Nous sommes conditionnés, c’est
l’évidence même. Inutile de prétendre que nous
ne le sommes pas : sur le plan religieux, politique,
géographique, nous sommes bel et bien
conditionnés.

Le préalable indispensable, c’est d’être libre


de tout conditionnement, dégagé de ces activités
de la pensée — qui est à la source d’immenses
problèmes —, sinon aucune solution à ces
problèmes n’est envisageable. Pour résoudre nos
problèmes humains, il nous faut un nouvel outil
et nous allons en discuter en cours de route, mais
il n’appartient pas à l’orateur de vous indiquer en
quoi consiste la nouvelle qualité de cet outil: il
revient à chacun de le découvrir par ses propres
moyens. Voilà pourquoi nous devons, vous
comme moi, nous livrer dans la mesure du
possible à une réflexion commune. Ce qui
suppose de percevoir, d’explorer, de cerner, de
remettre en question toutes ces choses mises en
place par l’homme, ces choses que nous avons
créées pour en faire des barrières érigées entre
nous. Nous, en tant qu’êtres humains vivant sur
cette terre magnifique, manifestement en voie de
lente destruction, nous qui vivons sur cette
planète — qui n’est pas plus indienne que
britannique ou américaine, mais qui est notre
bien commun —, nous devons savoir vivre de
manière intelligente et heureuse; or ce n’est,
semble-t-il, pas possible parce que nous sommes
conditionnés. Ce conditionnement s’apparente à
un ordinateur : nous sommes programmés —
programmés pour être hindous, pour être
musulmans, chrétiens, catholiques, protestants.
Cela fait deux mille ans que le monde chrétien
est l’objet d’une programmation et que le cerveau
est conditionné en fonction de ce programme, à
l’image de l’ordinateur. Notre cerveau est donc
conditionné en profondeur, et nous voulons
savoir s’il est possible, envisageable, de
s’affranchir de ce conditionnement. Si nous ne
sommes pas totalement, absolument libres de
toute limitation de cet ordre, une simple enquête,
un simple questionnement sur ce nouvel
instrument ne relevant pas de la pensée n’a
aucun sens.

Si l'on veut aller très loin, il faut d’abord


commencer au plus près. Nous voulons aller
tellement loin, mais sans faire le premier pas, et il
se peut que le premier pas soit aussi le dernier.
Est-ce que nous nous comprenons ? Sommes-
nous en communication ? Ou suis-je dans un
monologue? Si tel est le cas, je peux aussi bien
soliloquer dans ma chambre ! Mais si nous nous
parlons vraiment, si l’échange est: réciproque,
alors cette conversation a une portée réelle, dès
lors que nous sommes au même niveau, que nous
partageons en même temps la même passion
intense. C’est cela, l’amour. L’amitié réelle et
profonde. Pour moi, ce qui se passe ici n’est pas
une conférence au sens banal du terme. Nous
nous efforçons en ce moment même d’explorer et
de résoudre ensemble les problèmes propres à
l’humanité, ce qui suppose une enquête d’une
vaste ampleur car les problèmes humains sont
extrêmement complexes. Il faut faire preuve de
cette qualité de patience qui ne procède pas du
temps. Nous sommes tous pressés d’avancer —
d’avoir toutes les réponses tout de suite —, mais
si vous faites preuve de patience, autrement dit si
vous ne cherchez pas à réussir, à aboutir, à
atteindre un objectif, alors vous entamez
l’enquête pas à pas jusqu’au cœur des problèmes.

Comme nous l’avons dit, nous sommes


programmés. Ce cerveau humain qui est le nôtre
est un processus mécanique. Notre pensée est un
processus d'ordre matériel et cette pensée a été
conditionnée à réfléchir selon des critères
bouddhistes, hindous, chrétiens, etc. Notre
cerveau est donc conditionné. Est-il possible
d’être affranchi de ce conditionnement ? C’est
impossible aux yeux de certains, qui doutent
qu’un cerveau conditionné depuis des siècles et
des siècles puisse être lavé de toute trace de
conditionnement, et recouvrer sa fraîcheur
initiale et la plénitude de ses potentialités
premières. Nombreux sont ceux qui affirment
cette impossibilité, et se satisfont de simples
modifications du conditionnement. Or nous
disons qu’il est possible d’étudier, d’observer ce
conditionnement, et aussi de s’en affranchir
totalement. Pour découvrir par nous-mêmes si
oui ou non cette possibilité existe, il nous faut
explorer en profondeur nos liens relationnels.

La relation est le miroir dans lequel nous


nous voyons tels que nous sommes. Toute vie est
un mouvement ancré dans la relation. Il n’est
rien de vivant sur terre qui ne soit relié d’une
façon ou d’une autre. L’ermite lui— même, qui
s’exile dans un lieu isolé, est: relié au passé, relié
à ceux qui sont autour de lui. Nul n’échappe à la
relation. C’est cette relation — notre miroir
révélateur — qui nous permet de découvrir ce que
nous sommes: nos réactions, nos préjugés, nos
peurs et nos souffrances — dépression, angoisse,
solitude, peine, douleur et chagrin. Nous pouvons
découvrir aussi si nous aimons, si, oui ou non,
l’amour est dénué d’existence. Nous allons donc
examiner cette question de la relation car elle est
la base même de l’amour. C’est la seule chose que
nous ayons en partage. Si vous n’arrivez pas à
trouver la relation juste, si vous vivez votre petite
vie étriquée, à distance de votre mari, de votre
femme, pour ne citer qu’eux, cette existence
isolée suscite sa propre destruction.

La relation est la chose de la vie qui est de la


plus extrême importance :si nous ne comprenons
pas cette relation, il est tout à fait exclu que nous
puissions donner jour à une nouvelle société.
Nous allons examiner de très près en quoi
consiste la relation, nous demander pourquoi des
êtres humains, au fil d’une longue existence,
n’ont jamais connu de relation exempte
d’oppression, de possessivité, d’attachement, de
contradictions — et j’en passe… Pourquoi
toujours cette division — entre hommes et
femmes, entre nous et eux ? Nous allons
examiner ensemble la situation. L’examen peut
être intellectuel, ou simplement verbal, mais cette
compréhension intellectuelle est sans valeur
aucune : ce n’est qu’une idée abstraite, un
concept. En revanche, si vous pouvez voir votre
relation dans sa globalité, la profondeur, la beauté
et la qualité de la relation vous seront peut-être
perceptibles. Nous sommes bien d’accord ?
Pouvons-nous poursuivre? Notre question est
celle-ci: quelle est la vraie nature de nos liens
relationnels actuels — nous ne parlons pas de
relations théoriques, romantiques ou idéalistes,
toutes illusoires, mais des rapports quotidiens
que tissent entre eux les hommes, les femmes ?
Sommes-vous vraiment en relation ? Il y a les
liens biologiques, comme la relation sexuelle; qui
est gratifiante.

Nos relations relèvent de la possessivité, de


l’attachement et de diverses formes d’intrusion
réciproque.

Mais qu’est-ce que l’attachement ? Pourquoi


en avons-nous un si formidable besoin ? Quelles
sont les implications de l’attachement ? Qu’est-ce
qui le suscite en nous ? Lorsqu’on est attaché à
quelque chose, la peur intervient toujours — la
peur de perdre l’objet d’attachement. Le
sentiment d’insécurité est toujours présent.
Faites-en vous-même le constat. Il y a toujours
un sentiment de séparation. Je tiens à ma femme,
j’y suis attaché parce qu’elle me comble
sexuellement, sa compagnie me procure du
plaisir — mais vous savez tout cela, je n’ai nul
besoin de vous le dire. Donc, je tiens à elle, ce qui
veut dire que je suis jaloux, que j’ai peur. Or, la
jalousie va de pair avec la haine. Alors,
l’attachement, est-ce de l’amour ? C’est un aspect
de la relation qui mérite d’être noté.

Au sein de nos relations, au fil des années,


chacun s’est créé une image de l’autre. La vraie
relation, ce sont ces images réciproques qu’elle et
lui se sont forgées. Ils ont beau partager le même
lit, le fait est que lui et elle se font une certaine
image l’un de l’autre et, dans cette relation
d’image à image, comment peut-on nouer avec
l’autre un lien réel, un lien effectif ? Dès la plus
tendre enfance, nous nous sommes tous forgé
une image de nous-mêmes et des autres. Nous
posons donc cette question qui est très, très
sérieuse: est-il possible de vivre sans qu’aucune
image n’interfère dans la relation? Assurément,
vous vous faites une certaine image de l’orateur,
n’est-ce pas ? Évidemment. Pourquoi ?Vous ne
connaissez pas l’orateur, dans la réalité des faits,
vous êtes dans l’ignorance. Il est assis là sur une
estrade, mais vous n’avez avec lui aucun lien de
relation parce que vous vous en faites une
certaine image. Vous vous êtes forgé cette image
de lui, et vous avez élaboré vos propres images
par rapport à vous-mêmes. Vous avez en vous
tellement d’images — des hommes politiques, des
hommes d’affaires, du gourou, de ceci ou de cela.
Peut-on vivre une vie profonde sans aucune
image ? L’image peut être une conclusion toute
faite au sujet de votre femme, l’image peut être
une représentation, ou une projection d’ordre
sexuel, ou la projection d’une forme de relation
meilleure, et ainsi de suite. Mais comment
expliquer la présence d’images chez les êtres
humains ? Je vous invite à vous poser la question.
Lorsque vous avez une certaine image d’autrui,
cette image vous donne un sentiment de sécurité.

L’amour n’est pas la pensée. L’amour n’est


pas le désir, l’amour n’est pas le plaisir, ce n’est
pas non plus un déroulement d’images, et tant
qu’il y a en vous des images d’autrui, l’amour est
exclu. Nous posons cette question: est-il possible
de vivre une vie exempte de toute image ? Car
alors, la relation mutuelle existe vraiment. Or,
dans l’état actuel des choses, c’est comme si vous
étiez sur deux lignes parallèles, sans aucune
rencontre autre que sexuelle. Lui part au bureau,
pétri d’ambition, de cupidité, de jalousie, d’envie
de réussir dans le monde des affaires, le monde
professionnel, le monde religieux, et elle, la
femme moderne, part aussi au bureau, puis ils se
retrouvent à la maison pour engendrer et élever
des enfants. Vient ensuite tout le problème de la
responsabilité, de l’éducation, de l’indifférence
totale. Peu importe alors ce que sont vos enfants,
ce qui leur arrive: vous voulez qu’ils soient
comme vous — bien mariés, avec une maison, un
travail, etc. N’est-ce pas ? Voilà votre vie, votre
quotidien, et c’est vraiment une bien triste
existence. Donc, si l’on se demande pourquoi les
êtres humains vivent sur la base d’images — car
tous vos dieux sont des images, celui des
chrétiens, celui des musulmans et aussi le vôtre
—, vous verrez que ces images sont le fruit de la
pensée, et la pensée est incertaine et frileuse. Il
n’y a aucune sécurité dans les élaborations de la
pensée. Est-il donc possible, dans nos liens de
relation, d’être affranchi du conditionnement qui
est le nôtre ? En d’autres termes, il faut étudier
attentivement, patiemment et de très près, dans
ce miroir de la relation, la nature de nos
réactions, voir si elles sont mécaniques,
routinières, traditionnelles. C’est dans ce miroir
que vous découvrez véritablement ce que vous
êtes. La relation est donc d’une importance
capitale.

Nous devons chercher à comprendre ce


qu’observer signifie. Comment s'observe-t-on,
comment observez vous ce que vous êtes, à
travers le miroir de la relation ? Que veut dire
observer ? C’est vraiment important de le
découvrir. Et que veut dire regarder? Quand vous
regardez un arbre — qui est la chose au monde la
plus belle, en tout cas l’une des plus magnifiques
—, comment le regardez-vous? Le regardez-vous
jamais vraiment? Vous arrive-t-il jamais de
regarder la lune naissante — la forme de cette
lune nouvelle, si fraîche, si délicate, si jeune —,
l’avez-vous déjà regardée ? Pouvez-vous la
regarder sans recourir au mot « lune » ? Mais
tout cela vous intéresse-t-il véritablement ? Je
vais poursuivre, tel un fleuve qui suit son cours.
Vous, vous êtes assis sur les berges d’un fleuve,
vous contemplez le fleuve, mais jamais vous ne
devenez fleuve, car jamais vous ne faites corps
avec lui, et jamais vous ne rejoignez la beauté de
ce mouvement qui n’a ni commencement ni fin.

Je vous invite à considérer en quoi consiste


l’observation. Lorsque vous observez un arbre, ou
une phase de la lune, ou quoi que ce soir
d’extérieur à vous, vous utilisez toujours le mot:
« l’arbre », « la lune ». Êtes-vous capable de
regarder cette lune, cet arbre, sans recourir au
mot pour l’identifier ? Pouvez-vous regarder sans
le mot, sans le contenu du mot, sans identifier le
mot à l’arbre ou à la chose en question ? À
présent, pouvez-vous regarder votre femme,
votre mari, vos enfants, sans dire « ma femme »
— sans le mot, sans l’image ? Avez-vous déjà
essayé ? Lorsque vous observez sans recourir au
mot, au nom, à la forme que vous avez créée
concernant tel ou telle, dans cette observation, il
n’y a plus de centre à partir duquel on observe.
Découvrez alors ce qui se passe ! Le mot est la
pensée. La pensée naît de la mémoire. Mémoire,
mot, pensée, image interfèrent entre vous et
l’autre. Vous saisissez? Mais ici, toute pensée est
absente — la pensée en termes de mot, de
contenu du mot, de signification du mot
«regarder », «observer». Alors, dans cette
observation, il n’existe plus de centre sous forme
de « moi » qui vous regarde, «vous ». C’est
seulement là qu’existe la juste relation à l’autre. Il

Vous aimerez peut-être aussi