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Individu, récit, histoire | Maryline Crivello, Jean-Noël Pelen
Georges Duby et
l’ego-histoire
Bernard Cousin
p. 91-98
Texte intégral
1 En 1987, Pierre Nora sollicitait quelques historiens de
renom pour écrire des essais d’« ego-histoire ». Il
entendait contribuer à l’élaboration d’un nouveau genre
qu’il définissait ainsi :
« L’exercice consiste à éclairer sa propre histoire comme
on ferait l’histoire d’un autre, à essayer d’appliquer à
soi-même, chacun dans son style et avec les méthodes
qui lui sont chères, le regard froid, englobant, explicatif
qu’on a si souvent porté sur d’autres. D’expliciter, en
historien, le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire
qui vous a fait. »1
Le plaisir de l’historien
2 Parmi les sept historiens qui ont accepté cet exercice, on
trouve Georges Duby, qui ne s’est pas livré sans
hésitation, ni restriction. Il prévient le lecteur d’emblée :
« Tout de suite, ce point capital : je ne raconte pas ma
vie. Il est convenu que je n’exhiberai dans cette ego-
histoire qu’une part de moi. L’ego-laborator, si l’on veut,
ou bien l’ego-faber. Parce que je ne parle pas de
peinture, par exemple, de théâtre ni de musique, parce
que je ne dis rien de ceux que j’aime, il est bien évident
qu’ici l’essentiel est tu. »2
L’histoire continue
10 Est-ce cette insatisfaction à l’issue de l’écriture de cet
essai qui pousse Georges Duby, quatre années plus tard,
à publier un livre, L’histoire continue ? Dans
l’introduction, il précise :
« Dans un essai d’“ego-histoire”, j’ai déjà exposé ce que
fut mon itinéraire professionnel, mais très brièvement,
m’en tenant aux circonstances, sur lesquelles je n’ai pas
ici à revenir, et sans vraiment parler de mon métier.
J’entreprends maintenant d’en parler, sobrement,
familièrement. »8
Le plaisir et le temps
17 Mais l’émission de télévision dans laquelle Georges
Duby se livre le plus est certainement Le plaisir et le
temps que son ami, peintre et réalisateur, Jean-Michel
Meurice réalisa en 199614. Georges Duby, déjà
gravement atteint par la maladie qui devait l’emporter
quelques mois plus tard, est filmé dans un long
entretien, chez lui, à Beaurecueil. Il revient sur les
thèmes qu’il avait abordés dans Le plaisir de l’historien,
et dans L’histoire continue. Mais, peut-être encouragé
par le ton amical de la conversation, il pousse un peu
plus loin la confidence, sans se départir d’une grande
réserve sur sa vie non professionnelle. Ainsi, précise-t-il,
dès les premières images :
« Tout au long de ma vie, j’ai fait deux parts. Il y avait
une part très studieuse dans laquelle je m’impliquais
parfaitement dans le travail que je menais et puis il y
avait au contraire une part ludique, festive, tout à fait
extérieure où je jouissais du monde ».
Notes
1. Essais d’ego-histoire, réunis et présentés par Pierre Nora,
Bibliothèque des histoires, Gallimard, Paris, 1987, p. 7.
2. Georges Duby, « Le plaisir de l’historien », dans Essais d’ego-
histoire, op. cit., p. 109-110. Il a en revanche évoqué à plusieurs
reprises, dans des entretiens avec des journalistes, ce goût, cette
passion même pour l’art, la peinture au premier chef, mais aussi la
musique, le cinéma.
3. Ibid., p. 111.
4. On peut remarquer qu’en évoquant cette première partie de sa
vie, il se refuse à la situer géographiquement de manière précise : il
ne donne ni le nom du quartier parisien de son enfance
(République), ni celui de la ville dont il fréquente le lycée à partir
de 1932 (Mâcon), préférant les évoquer par des périphrases : « un
quartier encore central où le populaire se mêlait au demi-monde »
et « une petite préfecture ».
5. Ibid., p. 117.
6. Ibid., p. 122.
7. Ibid., p. 137-138.
8. Georges Duby, L’histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 8.
9. « Je la juge incapable de se réformer elle-même. Elle ne peut
l’être que de l’extérieur, par acte d’autorité. », p. 215.
10. Ibid., p. 181.
11. Voir la liste complète des interventions de G. Duby à la radio et à
la télévision dans Charles M. dela Roncière, Marie-Françoise Attard-
Maraninchi, Georges Duby : l’art et l’image, une anthologie, Marseille,
Parenthèses, 2000, p. 194-203.
12. Ibid., p. 13.
13. Ibid., p. 145-146.
14. Georges Duby, le plaisir et le temps, réalisation Jean-Michel
Meurice, diffusion le 7 février 1997, sur La Sept-Arte, 61 minutes.
15. Le montage est donc censé suivre un ordre de tournage. De fait
si les cinq journées correspondent bien à des séances de tournage
différentes (par les lieux de tournage, la lumière…), le montage ne
respecte pas totalement cet ordonnancement, n’hésitant pas à
insérer quelques plans d’un tournage différent pour construire une
continuité de sens des propos tenus.
Auteur
Bernard Cousin