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Pierre Delaisne

Disparition
à Saint­Malo
A1

Didier
2007
Chapitre 1
L’arrivée

Il est 19 heures 05 ! Le TGV entre en gare avec une minute


d’avance. Les voyageurs descendent du train et se dirigent vers
la sortie. Quatre yeux observent le quai et cherchent Antje dans
la foule.
— Oh ! Je l’ai vue !
— Où ça, Carlos ?
— Mais là, Morgane, regarde, à côté du groupe de touristes. Tu
la vois, avec sa grosse valise jaune ?
— Ah ! oui... Hé ! Antje ! Antje ! On est là !
Les trois jeunes se font la bise, puis Morgane prend le sac à dos
d’Antje et Carlos tire la grosse valise jaune.
— Alors, tu as fait bon voyage ? Tu n’es pas trop fatiguée,
Antje?
— Merci, ça va. Le plus dur, c’est le métro à Paris, pour aller de
la gare de l’Est à la gare Montparnasse. Même avec ma mère, j’ai
toujours peur de prendre la mauvaise direction. Alors, toute
seule, tu imagines. Mais bon, je suis là maintenant... Je suis
partie de Cologne à 10 heures et quart, je suis arrivée à Paris
vers deux heures. Puis trois heures de TGV pour revoir un peu
de grammaire française...
— Tu as travaillé dans le train ? Tu as fait du français dans le
train ?
— Mais non, Carlos. Je plaisante. J’ai écouté de la musique.
C’est plus cool ! Mais dis­moi, Morgane, où est ton frère ?
— Nicolas, il est avec papa. Ils nous attendent dans la voiture.
Ils écoutent la météo marine. S’il fait beau, on peut faire un tour
en bateau demain...
Les trois amis sortent de la gare. Sur le parking, ils retrouvent
Nicolas et Jérôme Lecoq, le père de Morgane et de Nicolas.
On met les bagages d’Antje dans le coffre. Monsieur Lecoq roule
lentement pour montrer Saint­Malo à Antje: la plage, le port...
La voiture entre bientôt dans la vieille ville entourée de
remparts. Les Lecoq ont un très grand appartement avec une
magnifique vue sur la mer.
Antje, Morgane, Carlos et Nicolas se connaissent depuis un an.
Ils se sont rencontrés l’année dernière pendant les vacances d’été
en Espagne, au bord de la mer, à côté de Tarragone. Morgane a
treize ans et Nicolas quinze ans : ils vont tous les deux au collège
à Saint­Malo. Ils apprennent l’anglais et l’espagnol et vont
souvent en Espagne avec leurs parents. Carlos est espagnol : il
habite à Madrid et passe les grandes vacances chez ses grands­
parents, à Tarragone. Il fait du français et de l’anglais à l’école.
La mère d’Antje adore la Méditerranée : avec son ami, elle va
souvent en vacances en Italie, en Espagne ou en France. Antje
est bonne en anglais, mais elle préfère le français. Monsieur et
madame Lecoq ont invité Carlos et Antje à passer quelques jours
à Saint­Malo au début de l’été. L’appartement est très grand et il
y a assez de chambres pour tout le monde. Catherine Lecoq est
architecte; Jérôme, son mari, écrit des scénarios pour la
télévision. Ils ont pas mal d’argent et aiment inviter des amis
chez eux — ou recevoir les amis de leurs enfants. Ils ont aussi un
petit voilier dans le port. C’est la première fois que Carlos quitte
l’Espagne. Il est arrivé il y a deux jours. Antje fait un grand
voyage seule pour la première fois. Le compagnon de sa mère est
très sévère et elle est heureuse de passer une semaine loin de
lui.
— Il est 8 heures, crie monsieur Lecoq, on se retrouve tous dans
cinq minutes pour aller à la crêperie ! J’ai réservé une table pour
8 heures et quart. J’espère que tout le monde aime les crêpes.
***
Un peu plus tard, chez Soizig...
— D’abord, qu’est­ce que vous voulez boire ? Du cidre ?
demande la patronne.
— Soizig, nous allons d’abord prendre une bouteille de cidre
bouché bien frais avec six bols, s’il vous plaît, commande
monsieur Lecoq. Comme ça, nos invités vont pouvoir goûter.
— Très bien. Je vous laisse choisir vos galettes.
— Galettes, crêpes ? Quelle est la différence, Morgane ?
— Carlos, c’est très facile: les galettes, c’est salé; les crêpes,
c’est sucré. Il y a des galettes avec du fromage, du jambon, du
fromage et du jambon, avec un œuf, avec du saumon. Si on veut,
on peut avoir des tomates ou des champignons en plus, ou de la
salade.
Chacun choisit, les crêpes sont toutes excellentes. Comme
dessert, tout le monde prend la spécialité de la maison: une
crêpe Soizig, c’est­à­dire une crêpe avec des pommes, des noix,
des raisins secs, une pincée de cannelle... et c’est flambé au
calvados.
Antje a timidement dit :
— Mais il y a de l’alcool ! Je ne peux pas prendre ça !
Heureusement, monsieur Lecoq lui explique :
— Tu te trompes, Antje. Tu peux commander une crêpe Soizig
comme tout le monde. Quand on flambe la crêpe avec le
calvados, on brûle l’alcool. II ne reste plus que le goût de la
pomme. Ne t’inquiète pas !
Et Antje trouve sa crêpe Soizig formidable :
— On fait souvent des crêpes à la maison, à Cologne, mais on
ne connaît pas toutes ces spécialités. Est­ce que je peux
demander la recette à Soizig ?
— Ce n’est pas la peine, lui dit gentiment madame Lecoq. Je
peux tout t’expliquer à la maison.
Chapitre 2
Une belle journée

La fenêtre est ouverte. Il fait beau, il y a un peu de vent. On


voit les voiliers dans la baie. La famille Lecoq et ses invités
prennent le petit déjeuner : baguette, croissants, beurre,
confiture, miel... Avec ça, on boit du jus d’oranges ­ pas du jus en
bouteille, non ! Du jus de vraies oranges, préparé ce matin
spécialement par Carlos. Il y a aussi du thé et du café. Antje
trouve le café trop fort ; et elle n’aime pas beaucoup le thé en
sachet.
— Oh, le beurre est salé ? constate Antje. C’est bon avec du
miel ?
— Hyperbon ! Un morceau de baguette encore un peu chaude,
du beurre salé et du miel, il n’y a rien de meilleur pour
commencer la journée, explique Nicolas.
Nicolas est de bonne humeur et il prépare une magnifique
tartine pour Antje.
— Merci, Nicolas. Qu’est­ce que c’est bon ! Je... Antje ne finit
pas sa phrase. Mais qu’est­ce que tu veux toi ? Non ! Non ! ce
n’est pas pour toi ! crie Antje à Léo.
Léo, c’est le chien de la maison. Il est très gourmand et a
toujours envie de jouer. Et il adore le pain...
On rit, on raconte des histoires, on regarde la mer par la
fenêtre, on est heureux d’être ensemble.
— Tout le monde a fini ? demande madame Lecoq. On peut
débarrasser la table ?
Nicolas et Carlos n’ont rien entendu — ou ne veulent pas
entendre —, et caressent Léo. Morgane et Antje portent les bols
et les couteaux dans la cuisine, puis essuient la table.
— Allons dans le salon, dit monsieur Lecoq. Qu’est­ce que nous
faisons aujourd’hui ? et demain ?
Antje et Carlos ne connaissent pas Saint­Malo et voudraient
visiter la ville ou aller à la plage ou encore se promener sur le
port.
— Pour aujourd’hui, c’est trop tard, dit madame Lecoq. Mais
demain on peut passer la journée en mer. Qu’est­ce que tu en
penses Jérôme ?
— Excellente idée. Il fait beau, la météo est bonne, répond
monsieur Lecoq. Tout le monde est d’accord ?
— Oui, crient les quatre jeunes en chœur. Léo aboie et tourne
autour de la table : c’est clair, lui aussi est d’accord.
— Comme ça, dit monsieur Lecoq, Antje et Carlos vont
découvrir Saint­Malo aujourd’hui. Il faut faire les courses pour
demain. On va pique­niquer sur le bateau. Ce matin, on va aller
au marché pour acheter des fruits, des tomates, un ou deux
melons. Ensuite, on va aller chez le charcutier : on va prendre du
jambon, du saucisson, du pâté... On peut tout faire à pied : les
halles sont dans le bas de la ville, le boucher­charcutier n’est pas
loin... Pour les boissons, on peut aller au supermarché cet après­
midi, après le déjeuner. C’est à l’extérieur de la vieille ville, à un
quart d’heure en voiture. À l’aller, on peut passer par le port; au
retour, je vous laisse à la plage du Sillon et vous rentrez à la
maison à pied.
Tout le monde accepte ce programme. Carlos et Antje sont
heureux d’utiliser leurs connaissances en français. Ils parlent
avec les marchands, posent des questions, choisissent,
expliquent, font des gestes — quand il y a un petit problème,
Morgane les aide. Et puis, on n’est pas au collège ici. On peut
rire quand on fait des fautes. Une seule chose est importante :
les autres doivent comprendre, et on doit les comprendre.
Avant le déjeuner, on se retrouve au salon. Monsieur Lecoq a
sorti des cartes de la côte.
— Demain, nous allons partir vers 8 heures et demie. On va
passer les écluses à 9 heures, puis continuer à la voile vers le cap
Fréhel. C’est cette pointe, là sur la carte, entre la baie de Saint­
Malo et la baie de Saint­Brieuc. Pour le pique­nique, on peut
s’arrêter dans un coin tranquille.
— Est­ce qu’on peut se baigner ? demande Carlos.
— Pour se baigner, c’est mieux à la plage, répond madame
Lecoq, n’est­ce pas, Jérôme ?
— En bateau, ce n’est jamais facile, continue monsieur Lecoq.
On peut bronzer au soleil, faire un pique­nique, découvrir le
paysage.
— De toute façon, on peut se baigner quand on veut à Saint­
Malo. Il y a une petite plage à deux minutes d’ici, au pied des
remparts, explique Nicolas.
— D’accord. On peut se baigner cet après­midi après les courses
au supermarché ?
— Pas de problème. En plus, d’après le journal, le temps est
idéal : l’eau est à 20°, l’air à 23°, ajoute Morgane.
***
C’est une très belle journée. Des amis de Nicolas et de Morgane
ont téléphoné. Ils les invitent avec Antje et Carlos à une petite
fête le week­end. La semaine de vacances va être trop courte !
Dans l’après­midi, Nicolas et Carlos vont se baigner. Morgane
range sa chambre. Antje lit. Elle n’a pas envie de se baigner. Elle
s’ennuie un peu et joue avec le chien. Tout à coup, clic a une
idée : pourquoi rester à la maison ? Elle peut promener le chien.
— Madame Lecoq, est­ce que je peux sortir avec Léo ?
— Si tu veux, mais fais attention. Il n’obéit pas quand il voit un
autre chien. Alors, tu ne lui retires pas sa laisse, surtout pas !
— Je vais faire attention, promet Antje.
Et voilà Antje et Léo partis à l’aventure dans les rues de Saint­
Malo.
Chapitre 3
Léo

Antje a envie de regarder les vitrines des magasins, des


boutiques de vêtements. Elle veut aussi passer chez un libraire :
elle a envie de s’acheter un roman en français. Léo, lui, veut
aller vers le port. Il a envie de courir un peu et d’aboyer après les
mouettes. Et puis, il espère aussi rencontrer un copain chien :
c’est triste d’être toujours seul.
Quand Antje s’arrête pour regarder quelque chose, Léo tire sur
sa laisse avec force. Ce n’est pas drôle et Antje choisit de suivre
Léo. Trois minutes plus tard, ils sortent de la vieille ville par la
porte de Dinan. Le long des remparts, sous les arbres, des
retraités jouent aux boules avec des touristes. Après chaque
coup, les joueurs regardent la position des boules, ils mesurent,
ils discutent. Les spectateurs ont leurs joueurs préférés et ils les
encouragent. À la fin de la partie, tout le monde va au café de la
porte de Dinan : les perdants paient une tournée aux
vainqueurs. Ensuite, on joue la revanche.
Léo adore les boules. Il tire sur sa laisse : lui aussi veut jouer, il
essaie d’attraper les boules. Heureusement, les joueurs le
connaissent bien. Ils attachent la laisse au pied d’un banc. Antje
s’assoit et regarde. Léo s’assoit aussi, mais il aboie quand les
boules roulent. Antje le caresse et lui parle, mais il n’écoute pas.
Il faut aller ailleurs, mais où ?
— Léo, tu n’es vraiment pas gentil, tu sais... Avec toi, je ne peux
pas regarder les boutiques, on ne peut pas non plus regarder les
joueurs de boules. Qu’est­ce qu’on peut faire ?
Léo a son idée. Il tire sur sa laisse et entraîne Antje vers la
jetée. On a une vue magnifique sur le port et sur Dinard, une
petite ville en face de Saint­Malo, de l’autre côté de la rivière. Il
y a un peu de vent, le soleil est encore chaud, c’est très agréable.
Léo est sage, il avance lentement et regarde les bateaux. Quand
un enfant passe, il ne dit rien. Finalement, c’est un brave chien,
pense Antje. Il faut être gentil avec lui, c’est tout.
Le soleil gêne un peu Antje, elle s’arrête, prend ses lunettes de
soleil dans son sac, et... Léo part à toute vitesse, il court après
les mouettes. Il ne peut pas les attraper et il aboie quand elles
s’envolent.
— Léo, Léo, viens ici tout de suite ! Au pied, Léo ! Léo !
Mais Léo n’entend rien. Et il continue d’aboyer. Il est arrivé à
côté de pêcheurs : ils sont quatre, assis sur le bord de la jetée.
Des poissons dans un seau intéressent Léo. Il regarde, il renifle,
il remue la queue. Il est content. Les pêcheurs sont en colère et
crient, mais Antje ne les comprend pas : on n’apprend pas ce
vocabulaire au collège en Allemagne. Mais il faut partir le plus
vite possible.
Le chien et la jeune fille vont vers la gare maritime : là, il n’y a
pas de joueurs de boules, il n’y a pas de pêcheurs, il n’y a pas de
mouettes, il n’y a pas d’enfants, il n’y a rien, seulement des
voitures sur un grand parking. Ils continuent leur chemin. Mais
que se passe­t­il ? On entend une sonnerie, une barrière avec des
feux clignotants coupe la route... et la route commence à bouger.
Antje comprend: elle est devant le pont roulant et il s’ouvre pour
laisser les bateaux entrer dans l’écluse. Ça l’intéresse et elle veut
s’approcher. Il y a bien un panneau : « Passage interdit », mais il
n’y a personne. Et puis Léo a l’air content : il renifle partout, fait
un petit pipi à droite, un petit pipi à gauche. Et surtout il n’aboie
plus ! Antje regarde un gros bateau : il transporte du sable et il
entre lentement dans l’écluse. La porte entre le port et l’écluse se
ferme et le bateau commence à descendre. Puis, tout s’arrête. La
porte entre l’écluse et la mer s’ouvre. Les machines du bateau
font un bruit terrible, tout doucement le bateau commence à
avancer. À ce moment, Léo tire un grand coup sur la laisse,
Antje la lâche et Léo saute sur le bateau. Antje appelle le chien,
mais il ne bouge pas. Alors, elle saute à son tour. Elle attrape
Léo, mais quand elle veut sauter sur le quai le bateau est déjà
trop loin du bord ! Que taire ? Elle regarde autour d’elle. Elle ne
voit personne. Il y a des cordages, des fûts, des caisses; un peu
plus loin, il y a une grue. C’est une chance. Avec Léo, elle court
vers la grue et se cache. Elle entend des voix. Attention ! Deux
marins allument une cigarette, rient, puis vont à l’arrière du
bateau. Léo n’a pas réagi...
Antje a envie de pleurer. Elle sort son portable et essaie
d’appeler Nicolas. Surtout, ne rien dire à monsieur et madame
Lecoq. Le téléphone sonne, elle tombe sur la boîte vocale. Alors,
elle ne dit rien et serre Léo bien fort contre elle. Il lui donne un
grand coup de langue sur la joue pour essuyer deux larmes.
Chapitre 4
Tout se complique !

Le bateau est sorti du port. Cachée derrière la grue avec Léo,


Antje peut voir les remparts de Saint­Malo et le clocher de la
cathédrale : le soleil brille, c’est magnifique. Mais elle n’admire
pas le paysage. Elle est inquiète. Comment vont réagir les
Lecoq ? Où va le bateau ?
***
Carlos et Nicolas sont rentrés à la maison. Morgane a fini de
ranger sa chambre. Monsieur Lecoq dit :
— On va aller au bateau maintenant. Qu’est­ce que vous voulez
prendre demain pour notre sortie en mer ? On va emmener tout
ça au bateau.
— Un maillot de bain, ça suffit ? demande Carlos.
— Sûrement pas, répond madame Lecoq. D’abord on ne se
baigne pas demain.
— Je sais. Mais, c’est agréable d’être en maillot de bain au
soleil...
— Peut­être, mais en mer il fait toujours frais. Prends un pull
ou une veste, c’est plus prudent.
— Je prends quelques BD, quelques CD, mon MP3... On ne
peut pas toujours regarder la mer, et c’est cool d’écouter de la
musique allongée sur le pont, les yeux fermés..., explique
Morgane.
Nicolas pense à son appareil photo. Il aime photographier. Il a
des centaines de photos dans son ordinateur. Et demain, il y a
Antje...
— Mais où est Antje ? demande tout à coup Nicolas.
— Elle se promène avec Léo, répond Morgane.
— Oh là là ! Se promener avec Léo, ce n’est pas facile. Et puis
elle est bien trop gentille ! Elle est partie quand ?
— Je ne sais pas, vers trois heures.
— Il est presque cinq heures ! Ce n’est pas normal.
À ce moment, le téléphone sonne. C’est madame Meyer, la mère
d’Antje. Elle ne peut pas joindre sa fille sur son portable. Elle
veut lui parler.
— Je suis vraiment désolée, mais Antje n’est pas là. Elle
promène le chien. Je lui dis de vous rappeler, répond madame
Lecoq.
Elle raccroche. Nicolas fait le numéro d’Antje, mais il tombe sur
la boîte vocale.
— Il faut la retrouver, maintenant. Où est­elle ?
— À mon avis, elle a suivi Léo. Elle ne connaît pas Saint­Malo,
Léo a ses coins préférés, et c’est lui le plus fort. C’est clair ! dit
Morgane.
— Tu as raison, petite sœur. Léo adore les joueurs de boules de
la porte de Dinan, il aime bien les pêcheurs de la jetée.
— Et il aime courir derrière la gare maritime, à côté de l’écluse,
ajoute monsieur Lecoq.
— Eh bien, nous allons voir : les joueurs de boules sont
sûrement au café de la Porte de Dinan, les pêcheurs ne sont
peut­être pas encore rentrés chez eux. Toi, Jérôme, tu restes ici.
Je vais la chercher avec les enfants.
Quelques minutes plus tard, les joueurs de boules racontent :
— Comme toujours, votre chien a voulu jouer avec nous. Il a
aboyé, et la petite jeune fille est partie vers la jetée.
— Oh oui ! nous l’avons vu, votre Léo. Il a essayé d’attraper les
mouettes, il a aboyé... et il a fait partir les poissons, confirment
les pêcheurs.
À la gare maritime, personne n’a rien vu. À côté de l’écluse,
Carlos découvre deux jeunes d’une vingtaine d’années. Ils sont
installés derrière un mur et on ne peut pas les voir quand on
passe. Ils n’ont pas assez d’argent pour payer le camping. Ils ont
bien vu une jeune fille blonde avec un chien. Elle est allée
jusqu’au quai de l’écluse, mais ils ne l’ont plus vue après, ni elle,
ni son chien. D’abord, madame Lecoq et les trois ados ne disent
rien, mais ils pensent à un accident. Morgane parle la première :
— Elle est peut­être tombée à l’eau, et Léo a sauté aussi, et...
— On ne tombe pas à l’eau comme ça... Et puis, Léo aboie
toujours, et il y a des gens sur les bateaux, sur le quai, dit
Nicolas.
— Elle est peut­être montée sur un bateau et elle va bientôt
revenir, dit Carlos.
Les autres sourient. Et pourtant, il a raison, mais on ne le sait
pas encore.
Madame Lecoq va au bureau de l’écluse. On téléphone au
service de surveillance, mais personne n’a vu une ado et son
chien au bord de l’écluse. Normalement, on observe les bateaux,
on ne s’occupe pas des promeneurs. Alors...
Madame Lecoq, ses enfants et Carlos retrouvent monsieur
Lecoq à la maison. Nicolas va dans sa chambre. Il a laissé son
portable sur le lit. Il regarde... Antje l’a appelé, mais elle n’a pas
laissé de message. C’est vraiment bizarre ! Mais c’est une bonne
nouvelle : elle n’est pas tombée à l’eau ! Nicolas fait le numéro
d’Antje. Il entend la sonnerie. Il a du mal à respirer. Est­ce
qu’elle va répondre ? Oui. Mais il a du mal à la comprendre. Elle
pleure. Il a l’impression qu’elle ne sait plus parler français.
Enfin, Nicolas se précipite au salon :
— J’ai eu Antje sur son portable. Je n’ai pas tout compris, mais
voilà : elle est sur un bateau, un gros bateau. Elle est cachée
avec Léo — derrière une grue, si j’ai bien compris —, et elle a
peur. Ce bateau transporte du sable. Carlos, tu avais raison. Elle
est bien montée sur un bateau, mais elle ne sait même pas son
nom !
Chapitre 5
À bord du Saint­Gilles

Chez les Lecoq, on est soulagés et inquiets en même temps.


Qu’est­ce qu’on peut faire ? Qu’est­ce qu’il faut faire ?
Monsieur Lecoq téléphone au bureau de l’écluse. Dans la
journée, un sablier a bien quitté le port. Il a passé l’écluse vers
17 heures. Il faut appeler la gendarmerie maritime. Jérôme
Lecoq téléphone donc à la gendarmerie maritime, mais c’est
difficile. On lui demande de venir. Une demi­heure plus tard il
est là. Il explique la situation, la disparition d’Antje, son coup de
téléphone. L’officier est désolé : il y a un énorme problème. Antje
est, pense­t­il, sur le Saint­Gilles, un sablier. Il a bien quitté
Saint­Malo dans l’après­midi et il va au Légué, le port de Saint­
Brieuc. Seulement voilà, la gendarmerie a préparé une action
contre le Saint­Gilles. L’opération a déjà commencé. Si on
appelle le capitaine maintenant, il faut tout arrêter. Que faire ?
— Est­ce que vous pouvez appeler la jeune fille sur son portable
? demande l’officier.
— Bien sûr. J’ai son numéro et elle a répondu quand mon fils
l’a appelée.
— Alors, appelez­la et rassurez­la. Ensuite, je veux lui parler.
Monsieur Lecoq donne le téléphone à l’officier.
— Merci. Allô ! Antje ! Tu m’entends ?
— Oui, très bien, monsieur. Qu’est­ce que je dois faire ?
— Pour l’instant, rien. Tu restes cachée, tu fais attention à ton
chien. Tu ne téléphones à personne et tu attends l’appel de la
gendarmerie maritime, mon appel. Je suis le commandant Le
Gallo. Tu es sur le Saint­Gilles, un sablier. Ce bateau va à Saint­
Brieuc. Nous le surveillons depuis longtemps. Il jette des
produits interdits dans la mer et nous voulons passer à l’action
ce soir. En effet, il a embarqué des produits chimiques ce matin.
On le sait. La police de Saint­Malo nous a prévenus. Nous allons
entrer en contact avec le Saint­Gilles en face du cap Fréhel, dans
une heure et demie deux heures environ. Surtout, fais attention.
Attends notre arrivée !
— Oui, monsieur. Mais venez vite. J’ai tellement peur !
***
À bord du Saint­Gilles, Antje a arrangé sa cachette derrière la
grue. Léo est couché, Antje est assise, mais on ne peut pas la voir
de l’arrière du bateau. Elle raconte sa conversation avec le
commandant Le Gallo à Léo. Il l’écoute. Léo ne comprend pas,
mais il sait une chose : il ne doit pas aboyer et se tenir
tranquille.
Antje voit trois hommes sur le pont, à l’arrière du bateau. Ils
portent des fûts jaunes. Ils parlent fort et rient. Pour se donner
du courage, Antje parle à voix basse à Léo :
— Regarde Léo, là­bas, devant, à gauche, c’est sûrement le cap
Fréhel. Le commandant a téléphoné il y a une heure. La vedette
de la gendarmerie maritime va bientôt arriver.
À ce moment, son téléphone sonne. Elle a peur, mais avec le
bruit des moteurs personne n’a rien entendu et les hommes
continuent leur travail à l’arrière du bateau. Mais ce n’est pas le
commandant, c’est sa mère ! Elle ne peut quand même pas
téléphoner maintenant ! Antje attend l’appel du commandant.
Elle ne parle pas plus d’une minute. Elle va bien, mais elle ne
peut pas parler pour l’instant. Elle va rappeler après le dîner. Sa
mère n’est pas très contente mais Antje interrompt la
conversation.
Antje a froid maintenant. Elle se serre contre Léo. Tous deux
attendent. Tout d’un coup, ils entendent un grand plouf. Ils
regardent vers l’arrière: les hommes jettent les gros fûts jaunes à
la mer. Le commandant Le Gallo a parlé de produits chimiques
dangereux, ce sont sûrement ces fûts jaunes.

Le Saint­Gilles est maintenant juste en face du cap Fréhel.


Devant, c’est la baie de Saint­Brieuc, derrière c’est Saint­Malo.
De hautes falaises rouges, noires et grises tombent dans la mer.
Tout en haut, il y a un phare. Mais Antje ne regarde pas ce
paysage grandiose. Même Léo ne s’intéresse pas aux nombreux
goélands dans le ciel et au­dessus des falaises. Il n’aboie même
pas quand un cormoran plonge dans la mer à côté du bateau. La
jeune fille attend un signal, un appel de la gendarmerie
maritime. Le chien sent son inquiétude et ne bouge pas.
Antje regarde vers Saint­Malo. Tout à coup, elle aperçoit un
bateau assez rapide, loin derrière. C’est peut­être la
gendarmerie. Hélas, non ! C’est un bateau tout blanc — les
vedettes de la gendarmerie ne sont pas blanches. Il promène des
touristes et bientôt, il tourne, et repart vers Saint­Malo ! Mais
voilà un deuxième bateau... c’est un bateau gris, il est rapide.
Pendant une demi­heure, Antje regarde la vedette. Elle se
rapproche, puis elle va vers le nord, reprend la même direction
que le bateau, mais reste assez loin de lui. La vedette va nous
doubler, pense Antje. Ce n’est donc pas la gendarmerie. Elle a
perdu tout son courage, elle a seulement peur et froid.
Tout à coup, elle voit tous les hommes courir à l’arrière du
bateau. Léo a aboyé, mais personne ne l’a entendu. Que se passe­
t­il ? La vedette vient maintenant droit sur le bateau. Juste à ce
moment­là, son portable sonne...
Chapitre 6
Prisonniers !

À Saint­Malo, le commandant Le Gallo et monsieur Lecoq sont


montes à bord de la vedette rapide de la gendarmerie maritime.
Au même moment, des gendarmes vont au port du Légué, le port
de Saint­Brieuc. Ils attendent l’arrivée du Saint­Gilles, le bateau
pollueur. Ils ont des photos, des récits de témoins, souvent des
pêcheurs, des dénonciations anonymes. Le sablier jette des
produits dangereux à la mer entre Saint­Malo et Saint­Brieuc.
Mais ce soir le sablier est pris au piège avec son équipage. On les
attend à Saint­Brieuc et une vedette des affaires maritimes les
poursuit.
La vedette de la gendarmerie maritime a bientôt rattrapé le
Saint­Gilles. Avec des jumelles, le commandant Le Gallo observe
le pont du sablier. Tout semble normal. Le bateau avance
tranquillement. Le commandant Le Gallo décide de s’écarter de
la route du sablier pour ne pas inquiéter son capitaine. Un peu
plus tard, il va l’appeler sur VHF puis téléphoner à Antje sur son
portable. Il veut surprendre le capitaine, mais il veut aussi
informer Antje.
***
Le portable d’Antje sonne doucement. Cette fois, c’est bien le
commandant Le Gallo.
— Oui, Antje Meyer. Allô ?
— Antje, c’est le commandant Le Gallo. Ça va ? On a parlé par
radio avec le capitaine. Je monte avec quelques gendarmes à
bord dans dix minutes. Et tu peux nous aider, Antje.
— Moi, vous aider ? Mais comment ?
— Tu restes cachée, mais tu regardes les hommes du Saint­
Gilles. Qu’est­ce qu’ils font ?
— Ils courent dans tous les sens et ils jettent plein de choses à
la mer.
— Quoi ?
— Je ne sais pas. Je suis trop loin. Et ils nettoient le pont avec
de l’eau.
— À tout à l’heure, Antje. Ouvre les yeux. Tu me racontes tout
dans un quart d’heure. Merci !
***
Quelle surprise pour le capitaine du Saint­Gilles quand le
commandant Le Gallo l’a appelé sur VHF ! Le commandant lui a
seulement dit : « Stoppez les machines. Je vais monter à bord
avec quelques hommes. Préparez une échelle. Nous sommes là
dans un quart d’heure. Merci. »
Le capitaine est inquiet. Pourquoi cette visite de la
gendarmerie ? C’est peut­être tout simplement un contrôle de
sécurité : fusées de détresse, canot de sauvetage... mais tout est
en ordre à bord du Saint­Gilles ! Il y a beaucoup de contrôles de
sécurité, et c’est normal : la mer est souvent dangereuse. Mais le
capitaine pense aux fûts jaunes jetés à la mer... Est­ce que la
gendarmerie sait quelque chose ? Il faut faire vite. Les
gendarmes vont monter à bord. Il y a encore quelques minutes,
assez de temps pour ranger le pont, le nettoyer...
Le bateau s’est arrêté. La vedette est arrêtée elle aussi à
cinquante mètres environ. Les gendarmes mettent un Zodiac à la
mer. Le capitaine du Saint­Gilles attend les gendarmes en haut
d’une échelle. Les marins sur le pont sont nerveux. Un homme
s’approche de la grue; il est tout près d’Antje et de Léo, trop près.
Antje ne peut rien faire : Léo se met à aboyer.
— Qu’est­ce que tu fais là, toi ? crie le marin. Et d’abord, qui es­
tu ? Comment est­ce que tu es montée à bord ?
— C’est Léo, c’est mon chien... Il a sauté sur le bateau à Saint­
Malo, je suis montée pour l’attraper... mais, trop tard ! On n’a
pas eu le temps de redescendre sur le quai. Alors je me suis
cachée...
— Je ne comprends rien à ton histoire. J’ai bien envie de te
jeter à l’eau avec ton sale cabot. Tu as de la chance. Nous avons
la visite de la gendarmerie. Sinon !
— Monsieur, s’il vous plaît, laissez­moi. Je peux repartir avec la
vedette des gendarmes... Je ne vais rien dire, je le promets.
— Quoi ? Rien dire ? Qu’est­ce que tu ne vas pas dire ?
— Les bidons jaunes... Vous avez jeté des bidons à la mer, et...
— Tu as tout vu ? Eh bien, tu ne vas rien dire aux gendarmes,
tu ne vas même pas les voir, les gendarmes. Tu vas monter dans
la cabine de la grue avec ton sale chien. Et tu vas être bien sage,
hein ! Allez, monte. Assieds­toi par terre, je vais t’attacher les
mains et les pieds.
— Et après ? Qu’est­ce que vous allez me faire après ?
— Il faut demander au capitaine. Bon d’abord les mains, puis
les pieds...
L'homme ramasse un rouleau de chatterton dans la cabine de la
grue.
— Avec ça sur la bouche, tu ne vas pas crier beaucoup. Même
chose pour ton chien : regarde, je lui attache les pattes et je lui
ferme la gueule ! Bon... les gendarmes montent à bord. Tu te
tiens tranquille. À plus tard, ma belle !
Le Zodiac est contre le Saint­Gilles. Le commandant monte à
bord par une échelle de corde. Ses hommes le suivent. Le marin
est sorti de la cabine de la grue et va tranquillement vers les
autres.
Antje ne peut rien voir, Léo ne peut plus aboyer. Ils ne peuvent
rien faire. Ils doivent attendre...
Chapitre 7
Mais que fait la gendarmerie ?

Le commandant Le Gallo veut voir les papiers du Saint­Gilles.


Les gendarmes vérifient les fusées de détresse, le canot de
sauvetage. Tout est en ordre. Le commandant Le Gallo regarde
le pont. Il s’étonne:
— Le pont est tout mouillé. Qu’est­ce que vous avez fait ?
— Nous l’avons nettoyé, répond le capitaine. Le trajet entre
Saint­Malo et Saint­Brieuc dure cinq heures. On n’a rien à faire,
on ne veut pas perdre notre temps, alors on lave le pont : comme
ça, tout est propre à l’arrivée.
— C’est vraiment la seule raison ? Vous ne me cachez pas
quelque chose ?
— Cacher quelque chose à la gendarmerie, je ne suis pas fou !
— Alors, vous ne risquez rien. Une question quand même: vous
ne transportez jamais de produits chimiques, de produits
dangereux ?
— Des produits dangereux ? Non, je ne vois pas.
— Réfléchissez. Ces produits sont peut­être tombés à la mer,
comme ça, sans le vouloir. Vous ne voyez toujours pas ?
— Non, je ne vois pas du tout.
— Bon, arrêtez de mentir. Un témoin vous a vus : vous avez
jeté des fûts jaunes en mer. Qu’est­ce qu’il y avait dans ces fûts ?
— Des fûts jaunes ? Je ne sais pas...
Le commandant Le Gallo fait le numéro d’Antje, mais il tombe
sur la boîte vocale. Antje entend bien son portable sonner
doucement dans la poche de son jean, mais elle ne peut pas
bouger.
Où est Antje ? pense le commandant. Il faut agir vite.
— Bon, capitaine, vous ne voulez pas m’aider ? Alors, je veux
voir immédiatement tous vos hommes sur le pont, je dis bien
tous. Ces trois gendarmes vont vous surveiller. Les autres vont
fouiller votre bateau avec moi.
***
Pendant ce temps, monsieur Lecoq est sur le pont de la vedette
de la gendarmerie maritime. Il observe le Saint­Gilles avec des
jumelles. Il cherche Antje et Léo, mais ne les trouve pas. Il voit
les gendarmes aller et venir, il voit le groupe de marins à
l’arrière du bateau. Pourquoi est­ce qu’Antje ne sort pas ? Est­ce
qu’elle est bien à bord ?
***
Un marin s’approche du capitaine. Il lui parle à voix basse :
— J’ai trouvé une gamine cachée avec son chien derrière la
grue, à l’avant du bateau. Elle a tout vu : les fûts jaunes,
comment nous les avons jetés à la mer, comment nous avons
nettoyé le pont ensuite... Le commandant a parlé d’un témoin.
Ce témoin, c’est elle !
— Elle est où maintenant ?
— Dans la cabine de la grue. Je lui ai attaché les mains et les
pieds, et elle ne peut pas bouger. Son chien non plus.
— Bon, pour l’instant ça va. On est tranquilles. Les gendarmes
fouillent l’arrière du bateau. Cette fille à bord du Saint­Gilles,
c’est embêtant, mais ce n’est pas le témoin. Elle est montée à
bord à Saint­Malo. Elle est partie avec son chien et elle n’a rien
dit à ses parents. À mon avis, elle s’est sauvée de chez elle, c’est
tout. Les gendarmes sont là pour la pollution et ils ne savent
rien de la fille.
— Oui, mais les fûts jaunes. Comment savent­ils ?
— Quelqu’un a sans doute vu les fûts quand nous sommes
sortis du port de Saint­Malo. Il n’y a plus un seul bidon sur le
Saint­Gilles, nous avons nettoyé le pont... Les gendarmes ne sont
pas idiots.
— Et la gamine ?
— Elle va descendre à Saint­Brieuc. Elle ne va rien dire. Elle a
peur, c’est tout. Quand on part comme ça, seule avec son chien,
on ne dit rien à personne, crois­moi.
— Mais la gendarmerie va bien...
— Quoi, la gendarmerie ? On a jeté tous les fûts à la mer, on a
lavé le pont. Ils ne vont rien trouver. Nos papiers sont en règle,
on n’a pas de problèmes de sécurité. On a eu chaud, c’est vrai, et
on a de la chance. Il faut faire attention dans les prochains mois.
On ne va pas jeter de produits dangereux pendant deux ou trois
mois, et la gendarmerie va oublier cette histoire.
Vingt minutes plus tard, le commandant Le Gallo revient : il
n’a rien trouvé. Il est en colère. Il se tourne vers le capitaine :
— Jeter des produits chimiques à la mer, c’est grave, et ça coûte
cher, mais cacher une adolescente de treize ans à bord de son
bateau et ne rien dire à la gendarmerie est un crime, et ce crime
va vous conduire en prison. Où est la jeune fille ?
Le commandant se tourne vers les marins du Saint­Gilles :
— Où est­ce que vous cachez cette ado ? Si vous ne dites rien,
vous êtes tous complices. Alors ?
Tout le monde se tait. On n’entend que la mer et le vent. Les
hommes regardent leurs pieds, mais ils ne parlent pas. Le
commandant de gendarmerie répète sa question :
— Où est la jeune fille ?
— Elle est dans la cabine de la grue à l’avant du bateau, dit un
marin. Je l’ai enfermée dans la cabine avec son chien.
— Martin, allez chercher la jeune Antje, s’il vous plaît.
Le gendarme Martin ouvre la porte de la cabine, retire le
chatterton de la bouche d’Antje, coupe ses liens aux pieds et aux
mains. Il délivre aussi Léo. Le chien saute de la cabine et court
sur le pont. Et il aboie, il aboie ! Antje, elle, ne dit rien. Elle
pense à sa mère, à la famille Lecoq, regarde autour d’elle. Elle a
envie d’être seule et de tout oublier.
Chapitre 8
Les vacances peuvent commencer

Le commandant Le Gallo donne des ordres aux marins et à leur


capitaine :
— Le Saint­Gilles continue sa route vers le port du Légué. Nos
collègues de Saint­Brieuc vous attendent déjà sur le quai. Je
reste à bord avec trois hommes. Puis il se tourne vers Antje :
— Toi, tu vas aller sur la vedette. Monsieur Lecoq t’attend. Tu
y vas avec Léo, bien sûr.
Elle passe devant le capitaine très en colère:
— Alors, petite garce, tu es contente, hein?
— Mais je n’ai rien fait, moi. C’est mon chien...
— Et ton chien, il a appelé la gendarmerie aussi ? continue le
capitaine.
Antje est juste devant lui. Elle va vers l’échelle pour descendre
dans le Zodiac. À cet instant, le capitaine fait un pas en avant
pour pousser l’adolescente à l’eau. Léo a tout compris, il saute
sur le capitaine et le mord au bras.
Le commandant a tout vu :
— Tu es un brave chien, Léo. Et vous, Capitaine, vous êtes un
homme méchant. Calmez­vous. Tout est fini. Vous ne pouvez
plus rien faire. Je vais vous passer les menottes : je veux être
tranquille jusqu’à Saint­Brieuc.
À bord de la vedette de la gendarmerie maritime, Antje
retrouve monsieur Lecoq. Il téléphone à sa femme à Saint­Malo :
— Ça y est, tout est fini. Antje est assise en face de moi, et Léo
est couché à mes pieds. Nous allons être de retour à Saint­Malo
dans quatre heures environ. Nous devons d’abord aller à Saint­
Brieuc avec la vedette de la gendarmerie. Nous rentrons ensuite
à Saint­Malo par la route, nous allons arriver tard dans la nuit.
Ne t’inquiète pas, Catherine : les gendarmes nous
accompagnent.
— Jérôme, j’ai une meilleure idée. Je viens vous chercher tous
les deux — tous les trois, avec Léo — à Saint­Brieuc. Morgane et
Nicolas regardent la télé. Carlos va peut­être venir avec moi. Je
suis au port du Légué dans un peu plus d’une heure.
Antje appelle sa mère, mais elle ne lui raconte pas son aventure
: elle ne veut pas l’inquiéter.
Le voyage jusqu’au port de Saint­Brieuc se passe bien. Un
gendarme a pris des photos de toute la scène sur le Saint­Gilles
et il les montre à Antje et à monsieur Lecoq.
— C’est comme un film policier, trouve Antje.
— Et c’est toi l’héroïne de l’histoire, continue le gendarme. Tu
as sûrement une adresse électronique ? Oui ? Alors je peux
t’envoyer les photos par Internet, si tu veux. Ça fait un beau
souvenir de ton voyage en France.
Antje raconte son aventure à monsieur Lecoq : comment Léo a
sauté sur le Saint­Gilles, comment elle a sauté aussi et pourquoi
elle est restée à bord. Elle a eu plusieurs fois très peur, par
exemple quand sa mère l’a appelée ou quand le marin lui a
attaché les mains et les pieds et mis un bout de chatterton sur la
bouche...
Un peu plus tard, un gendarme lui explique :
— Tu nous as beaucoup aidés, Antje. Une opération contre un
pollueur est toujours très difficile. Le Saint­Gilles jette des
produits dangereux à la mer, on le sait depuis longtemps, mais
on n’a jamais eu de preuves. Toi, tu as tout vu : tu as vu les fûts
jaunes sur le pont, tu as vu les fûts tomber à l’eau, tu as vu les
marins nettoyer le pont. Tu es un témoin important.
— Mais je ne veux pas raconter toute cette histoire à la police,
je veux être tranquille, dit Antje.
— Je te comprends, et personne ne va t’embêter. Tu nous as
aidés sans le savoir. Quand tu as téléphoné, nous avons noté
l’heure exacte de ton appel, nous avons aussi noté la position
exacte du Saint­Gilles à ce moment­là. Comme ça nous savons à
peu près où sont les fûts jaunes et nous allons les retrouver. La
mer est calme, il n’y a pas de problème. Et puis, on t’a attachée
dans la cabine de la grue : c’est grave. Et le commandant Le
Gallo a tout vu. Maintenant, on a vraiment assez de preuves
contre le capitaine du Saint­Gilles et ses hommes.
Antje retrouve sa bonne humeur. Elle visite la vedette. Tout est
intéressant: le radar, la radio, les cartes...
— Est­ce qu’une femme peut entrer dans la gendarmerie
maritime ? demande Antje.
— Bien sûr. Mais pour toi, il y a un petit problème : il faut avoir
la nationalité française. Mais il y a beaucoup de femmes qui
travaillent sur des vedettes en Allemagne, comme en France. Tu
as encore le temps d’y penser...
La vedette arrive bien avant le Saint­Gilles au port du Légué.
Madame Lecoq et Carlos discutent avec les gendarmes quand
monsieur Lecoq, Antje et Léo sautent sur le quai.
Deux heures plus tard, les Lecoq et leurs jeunes invités dînent
de bon appétit et dans la bonne humeur. Il est plus de minuit.
— À quelle heure faut­il se lever demain pour partir en mer ?
demande Carlos.
— Est­ce que Antje va avoir envie d’aller en mer après son
aventure d’aujourd’hui ? demande Morgane.
— Je suis allée jusqu’au cap Fréhel et même jusqu’à Saint­
Brieuc, mais cachée derrière une grue je n’ai pas vu grand­chose.
Alors, j’ai vraiment envie de découvrir la côte et de passer la
journée en mer, mais avec vous tous, n’est­ce pas Léo ?
Chapitre 9
En mer...

Quand elle se lève, Antje est encore fatiguée.


Elle n’a pas bien dormi. En rêve, elle est montée sur le Saint­
Gilles et a retrouvé son méchant capitaine. Elle s’est cachée dans
le bateau. Elle a attendu la vedette de la gendarmerie maritime,
mais les gendarmes ne l’ont jamais retrouvée. Un rêve terrible !
Après un bon petit déjeuner, les Lecoq, Carlos et Antje
descendent au port. Morgane s’arrête chez le boulanger pour
acheter du pain, Nicolas achète le journal, Ouest France. On
parle peut­être du Saint­Gilles ? Il y a bien un petit article sur le
sablier, mais pas un mot sur Antje. Enfin, tout le monde monte à
bord de l’Étoile des mers, le beau voilier de Jérôme.
On s’installe. Léo s’assoit à l’avant du bateau. Il regarde les
mouettes, mais aujourd’hui il n’aboie pas. Carlos et Antje
descendent à l’intérieur. Ils rangent les BD, les CD, les bouteilles
d’eau minérale, le pain, la charcuterie, le fromage, les fruits, un
thermos de café... C’est très étroit, il faut baisser la tête et faire
attention, mais les deux jeunes trouvent une place pour tout. Sur
le pont, Morgane et Nicolas aident à la manœuvre et bientôt
l’Étoile des mers traverse le port et entre dans l’écluse. Antje
vient retrouver monsieur Lecoq dans le cockpit. Dix minutes
plus tard, le bateau quitte l’écluse. Il passe devant la jetée. Antje
reconnaît les pêcheurs de la veille, Léo ne dit rien. L’air est frais,
le soleil brille, la mer est belle. Antje respire profondément l’air
salé, elle sourit. Elle est heureuse.
Une heure plus tard, chacun a trouvé sa place. Morgane et sa
mère sont assises à l’avant du bateau et discutent. Léo est
maintenant couché dans le cockpit, aux pieds d’Antje et de
Nicolas. Carlos hésite. Il ne se sent pas bien. Est­ce qu’il va
rester à l’intérieur et lire ? ou bronzer au soleil sur le pont ? Il
choisit de monter sur le pont, il a besoin d’air frais. Il a peut­être
trop mangé au petit déjeuner...
— Antje, si tu veux, tu peux prendre la barre pendant quelques
minutes, propose monsieur Lecoq.
— Oh ! Merci bien. Qu’est­ce que je dois faire ?
— Tu tiens la barre bien droite, c’est tout. Nicolas a l’habitude,
il va rester à côté de toi. Moi, je m’occupe des voiles.
Nicolas est heureux, lui aussi. Il fait découvrir la côte à Antje, il
lui dit le nom des îles. Il lui montre les rochers dangereux, il lui
explique le vent et les vagues, les bouées et les phares.
— Vedette de la gendarmerie maritime à bâbord, crie Antje
tout à coup.
— « Bâbord », tu as dit « bâbord » ? Qui t’as appris ça ? Tu es un
vrai marin !
— Ce sont les gendarmes, hier. Ils m’ont appris beaucoup de
choses, ils m’ont parlé aussi de leur métier. C’est tellement
intéressant ! Plus tard, j’aimerais...
— Plus tard, plus tard... Aujourd’hui, tu es à Saint­Malo, tu es
au bord de la mer. Si tu veux, tu peux aller à l’école de voile
demain.
— Mais je repars en Allemagne dans quelques jours...
— Tu peux revenir aux prochaines vacances. Mes parents et
Morgane t’aiment bien. Ce n’est pas un problème.
— Tu as raison. Je vais demander à ma mère. C’est vraiment
une très très bonne idée, Nicolas.
***
Quelques mois ont passé. C’est le printemps. Nous sommes
chez les Lecoq, dans leur bel appartement, à Saint­Malo,
pendant les vacances de Pâques. Les invités sont nombreux.
Nous retrouvons Antje et Carlos. Carlos est venu seul d’Espagne.
La mère d’Antje et son ami ont accompagné Antje — ils habitent
dans un petit hôtel à côté de la grande plage. Il y a aussi un
réalisateur de la télévision, Gérard, un ami de monsieur Lecoq.
Jérôme a écrit un nouveau scénario pour raconter l’aventure
d’Antje. Et la télévision va en faire un téléfilm. Demain, tous
vont faire une longue promenade en mer : ils vont partir de
l’écluse, passer devant le cap Fréhel et aller jusqu’au port du
Légué. Quelques acteurs vont les accompagner. Ils doivent jouer
le capitaine du Saint­Gilles, le commandant Le Gallo et...
monsieur et madame Lecoq, leurs enfants, Carlos, Antje... C’est
drôle de voir quelqu’un vous représenter. Il reste un gros
problème : on n’a pas trouvé de chien pour jouer Léo !
Mais la plus heureuse, c’est Antje. Nicolas a parlé d’elle à son
père, il lui a expliqué son amour de la mer et son envie de faire
de la voile. Alors monsieur Lecoq et son ami le réalisateur ont eu
une idée géniale : Antje va venir trois ou quatre fois pendant les
vacances scolaires « pour leur expliquer » les détails de son
aventure. En vérité, elle va faire des stages à l’école de voile de
Saint­Malo. Et ça, c’est hyper­cool !

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