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Édouard Louis

Qui a tué mon père

(Texte intégral)

© Boris Ehret, 2023


Édouard Louis, autrefois appelé Eddy Bellegueule, est né en 1992 dans un milieu pauvre en Picardie,
France. Pendant sa jeunesse il a subi des discriminations et de l'homophobie. Pour échapper à cette
situation, il a déménagé à Paris, où il a changé de nom. Il a étudié la sociologie, s'inspirant du
sociologue Pierre Bourdieu.

Son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule, raconte l'histoire d'un adolescent homosexuel
marginalisé en province française. Il a vendu environ 200 000 exemplaires en France et a inspiré le
film "Marvin" d'Anne Fontaine en 2017.

En 2015, Édouard Louis a co-écrit un manifeste avec le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, critiquant
les politiques d'austérité en Europe et le Parti socialiste français.

Dans son roman "Au cœur de la violence" (2016), Édouard Louis parle d'une rencontre avec un
Algérien qui l'a agressé sexuellement, décrivant aussi ses propres réactions xénophobes.

En 2017, il a écrit un article dans le New York Times où il explique pourquoi son père, ouvrier,
soutent le parti d'extrême droite de Le Pen. Cette thématique est également présente dans son
roman Qui a tué mon père (2018).

2
Édouard Louis : Qui a tué mon père

(1) Si ce texte était un texte de théâtre, c'est avec ces mots-là qu'il faudrait commencer : Un père et
un fils sont à quelques mètres l'un de l'autre dans un grand espace vaste1 et vide. Cet espace pourrait
être un champ de blé2, une usine désaffectée3 et déserte, le gymnase4 plastifié5 d'une école. Peut-être
qu'il neige. Peut-être que la neige les recouvre petit à petit jusqu'à les faire disparaître. Le père et le
5 fils ne se regardent presque jamais. Seul le fils parle, les premières phrases qu'il dit sont lues sur une
feuille de papier ou un écran. Il essaye de s'adresser à son père, mais on ne sait pas pourquoi c'est
comme si le père ne pouvait pas l'entendre. Ils sont près l'un de l'autre, mais ils ne se trouvent pas.
Parfois, leur peau se touche, ils entrent en contact, mais même là, même dans ces moments-là, ils
restent absents6 l'un de l'autre. Le fait que seul le fils parle est seulement lui est une chose violente
10 pour eux deux. Le père est privé7 de la possibilité de raconter sa propre vie et le fils voudrais une
réponse qu'il n'obtiendra jamais.

Premier acte.

Quand on lui demande ce que le mot racisme signifie pour elle, l'intellectuelle américaine Ross
15 Gilmore répond que le racisme et l'exposition8 de certaines populations à une mort prématurée9.
Cette définition fonctionne aussi pour la domination10 masculine, la haine de l'homosexualité ou des
transgenres, la domination de classe, tous les phénomènes d'oppression11 sociale et politique. Si l'on
considère la politique comme le gouvernement de vivant par d'autres vivants et l'existence des
individus à l'intérieur d'une communauté qu'ils n'ont pas choisie, alors la politique, c'est la
20 distinction12 entre des populations à la vie soutenue13, encouragée, protégée et des populations
exposées14 à la mort, à la persécution15, au meurtre16.

Le mois dernier, je suis venu te voir dans la petite ville du Nord où tu habites maintenant. C'est une
ville laide17 et grise. La mer est à quelques kilomètres à peine, mais tu n'y vas jamais. Je ne t'avais
25 pas vu depuis plusieurs mois - c'était il y a longtemps. Au moment où tu m'as ouvert la porte, je ne
t'ai pas reconnu.
Je t'ai regardée, j'essayais de lire les années passées loin de toi, sur ton visage.

1
Vaste : très grand.
2
Un champ de blé : un grand terrain où l'on cultive du blé.
3
Désaffecté, -e : abandonné, plus utilisé.
4
Le gymnase : le bâtiment du collège ou du lycée pour faire du sport.
5
Plastifié, -e : recouvert de plastique.
6
Absent, -e : qui n'est pas là, pas présent.
7
Être privé de qc : ne pas avoir quelque chose.
8
Une exposition : ici - un risque
9
Prématuré,-e : qui arrive trop tôt, avant le temps prévu.
10
La domination : le fait de contrôler, de commander les autres.
11
Une oppression : une situation où on vous impose des choses.
12
La distinction : ici - la séparation.
13
Soutenu, -e : ici - favorisé.
14
Exposé, -e à qc : soumis à quelque chose, qui subit quelque chose.
15
La persécution : le fait de s'acharner contre quelqu'un, de lui vouloir du mal.
16
Un meurtre : le fait de tuer quelqu'un.
17
Laid, -e : pas beau, disgracieux.

3
Plus tard, la femme avec qui tu qui tu vis m'a expliqué que tu ne pouvais presque plus marcher. Elle
m'a dit aussi que tu avais besoin d'un appareil pour respirer18 la nuit ou ton cœur s'arrête, il ne peut
plus battre sans assistance, sans l'aide d'une machine, il ne veut plus battre. Quand tu t'es levé pour
aller aux toilettes et que tu es revenu, je l'ai vu, les dix mètres que tu as parcouru ton essoufflé19, tu
5 as dû t'asseoir pour reprendre ta respiration. Tu t'es excusé ? C'est une chose nouvelle, des excuses
de ta part, je dois m'y habituer. Tu m'as expliqué que tu souffrais d'une forme de diabète grave en
plus du cholestérol, que tu pouvais faire un arrêt cardiaque20 à n'importe quel moment. En me
décrivant tout ça, tu perdais ton souffle, ta poitrine21 se vidait de son oxygène comme si elle fuyait22,
même parlait était un effort trop intense, trop grand. Je te voyais lutter contre ton corps, mais
10 j'essayais de faire comme si je ne remarquais rien. La semaine d'avant, tu avais été opéré pour ce
que les médecins appellent une éventration23 - je ne connaissais pas le mot. Ton corps est devenu
trop lourd pour lui-même, ton ventre s'étire vers le sol, il s'étire trop, trop fort, tellement fort qu'il se
déchire24 de l'intérieur, qu'il s'arrache25 de son propre poids26, de sa propre masse.
Tu ne peux plus conduire sans te mettre en danger, tu n'as plus le droit de boire d'alcool, tu ne peux
15 plus te doucher ou aller travailler sans prendre des risques immenses. Tu as à peine plus de
cinquante ans. Tu appartiens à cette catégorie d'humains à qui la politique réserve27 une mort
précoce28.

Pendant toute mon enfance, j'ai espéré ton absence. Je rentrais de l'école en fin d'après-midi, aux
20 alentours29 de cinq heures. Je savais qu'au moment où je m'approchais de chez nous, si ta voiture
n'était pas garée devant notre maison, cela voulait dire que tu étais parti au café ou chez ton frère et
que tu rentrerais tard, peut-être au début de la nuit. Si je ne voyais pas ta voiture sur le trottoir
devant la maison, je savais qu'on mangerait sans toi, que ma mère finirait par hausser les épaules30
et nous servir le repas, et que je ne te verrais pas avant le lendemain. Tous les jours quand je
25 m'approchais de notre rue, je pensais à ta voiture et je priais dans ma tête : faites qu'elle ne soit pas
là, faites qu'elle ne soit pas là, faites qu'elle ne soit pas là.
Je n'ai appris à te connaitre que par accident. Ou par les autres. Il n'y a pas si longtemps, j'ai
demandé à ma mère comment elle t'avait rencontré et pourquoi elle était tombée amoureuse de
toi. Elle a répondu : Le parfum. Il portait d parfum et à cette époque-là, tu sais, ce n'était pas comme
30 maintenant. Les hommes ne mettaient jamais de parfum, ça ne se faisait pas. Mais ton père, oui. Lui,
oui. Il était différent. Il sentait tellement bon.

Elle avait continué, c'est lui qui voulait de moi. Moi je venais de divorcer. Mon premier mari, j'avais
réussi à m'en débarrasser31 et j'étais plus heureuse comme ça, sans homme. Les femmes sont
35 toujours plus heureuses sans hommes. Sauf qu'il a insisté. Et arriver à chaque fois avec du chocolat
ou avec des fleurs. Alors j'ai fini par céder. J'ai cédé32.

18
Respirer : faire entrer et sortir de l'air dans ses poumons.
19
Essoufflé, -e qn : qui a du mal à respirer, à bout de souffle.
20
Un arrêt cardiaque : quand le cœur s'arrête de battre.
21
La poitrine : la cage thoracique, le haut du buste.
22
Fuir : ici - faire passer l'air, ne pas être étanche.
23
Une éventration : quand les intestins sortent du ventre à cause d'une blessure.
24
Se déchirer : se détacher, se séparer en se décousant.
25
S'arracher : se détacher, se séparer brutalement.
26
Le poids : la masse, ce qui pèse lourd.
27
Réserver : garder pour plus tard, ne pas utiliser tout de suite.
28
Précoce : qui vient tôt, en avance sur l'âge
29
Aux alentours : autour, pas loin.
30
Hausser les épaules : faire un geste d'ignorance, d'indifférence.
31
Se débarrasser de qc/qn : se séparer de, éliminer quelque chose ou quelqu'un.
32
Céder : abandonner, laisser à quelqu'un d'autre.

4
2002 - ce jour-là, ma mère m'avait surpris en train de danser seule dans ma chambre. J'avais essayé
de faire des mouvements les plus silencieux possible, de ne pas faire de bruit, de ne pas respirer trop
fort. La musique n'était pas forte non plus, mais elle avait entendu quelque chose de l'autre côté de
la paroi33 du mur et elle est venue voir ce qui se passait. J'ai sursauté, à bout de souffle, mon cœur
5 dans la gorge, mes poumons34 dans la gorge, je me suis tourné vers elle et j'ai attendu - cœur dans la
gorge, poumon dans la gorge. Je m'attendais à un reproche35 ou à une moquerie, mais elle m'a dit
avec un sourire que c'était quand je dansais, que je te ressemblais le plus. Je lui avais demandé :
"Papa a déjà dansé ?" - que ton corps ait déjà fait quelque chose d'aussi libre, d'aussi beau et d'aussi
incompatible36 avec ton obsession de la masculinité m'a fait comprendre que peut être tu avais été
10 une autre personne, un jour. Ma mère avait fait oui de la tête : "Ton père dansait tout le temps,
partout où il allait. Quand il dansait tout le monde le regardait. J'étais fier que ce soit mon homme !"
J'avais traversé la maison en courant et j'étais venu te voir dans la cour où tu coupais du bois pour
l'hiver. Je voulais savoir si c'était vrai. Je voulais une preuve. Je t'ai répété ce qu'elle venait me dire et
tu as baissé les yeux en disant avec une voix très lente : "Il ne faut pas croire à toutes les conneries37
15 que raconte ta mère." Mais tu rougissais. Je savais que tu mentais.

Un soir où j'étais seul parce que vous étiez parti manger chez des amis et que je n'avais pas voulu
20 vous accompagner - souvenir du poêle à bois38 qui diffusait dans toute la maison son odeur de
cendre39 et sa lumière calmement orangée - j'avais trouvé dans un vieil album de famille rongé40 par
les mites41 et par l'humilité des photos sur lesquelles tu étais déguisé42 en femme, en majorette43.
Depuis ma naissance je t'avais vu mépriser44 tous les signes de féminité chez un homme, je t'avais
entendu dire qu'un homme ne devait jamais se comporter comme une femme, jamais. Tu semblais
25 avoir à peu près trente ans sur les clichés45, je pense que j'étais né déjà. J'ai observé jusqu'au bout
de la nuit ces images de ton corps, de ton corps habillé d'une jupe, de la perruque sur ta tête, du
rouge sur tes lèvres, de la poitrine artificielle46 sous ton T-shirt que tu avais dû bricoler47 avec du
coton et un soutien-gorge48. Le plus étonnant pour moi ? C'est que tu avais l'air heureux. Tu souriais.
J'ai volé une de ces photos et j'ai essayé de la déchiffrer49 ensuite plusieurs fois par semaine en la
30 sortant du tiroir50 où je l'avais caché. Je ne t'ai rien dit.

Un jour, j'ai écrit dans un carnet à propos de toi, faire l'histoire de sa vie, c'est écrire l'histoire de mon
absence.

33
Une paroi : un mur, une cloison.
34
Un poumon : organe de la respiration dans la poitrine.
35
Un reproche : une critique, le fait de blâmer quelqu'un.
36
Incompatible : qui ne peut pas aller ensemble, être associé.
37
Une connerie : une bêtise, une idiotie.
38
Un poêle à bois : appareil pour chauffer une pièce avec du bois.
39
La cendre : ce qui reste après combustion, poudre grise.
40
Rongé, -e : abîmé par des morsures.
41
Une mite : petit insecte qui mange les tissus.
42
Déguisé, -e : portant un costume pour se faire passer pour quelqu'un d'autre.
43
Une majorette : personne qui défile et lance un bâton.
44
Mépriser : ne pas respecter, dédaigner.
45
Un cliché : ici - une photo
46
Artificiel, -le : faux, pas naturel.
47
Bricoler : réparer, fabriquer des choses soi-même.
48
Un soutien-gorge : sous-vêtement féminin qui soutient la poitrine.
49
Déchiffrer : arriver à lire ce qui est mal écrit.
50
Un tiroir : élément qu'on peut ouvrir et fermer pour ranger des objets

5
Une autre fois, je t'ai surpris en train de regarder un opéra retransmis en direct à la télé. Tu n'avais
jamais fait ça avant, pas devant moi. Quand la cantatrice51 a chanté sa complainte52, j'ai vu tes yeux
se mettre à briller.
Le plus incompréhensible53, c'est que même ceux qui ne parviennent54 pas toujours à respecter les
5 normes et les règles imposées par le monde s'acharnent55 à les faire respecter, comme toi quand tu
disais qu'un homme ne devait jamais pleurer.
Est-ce que tu souffrais de cette chose, de ce paradoxe ? Est-ce que tu avais honte de pleurer, toi qui
répétais qu'un homme ne devait pas pleurer ?
Je voudrais te dire, je pleure aussi. Beaucoup, souvent.
10
2001 - soirée d'hiver encore tu as invité du monde pour manger avec nous, beaucoup d'amis, ce
n'est pas quelque chose que tu faisais souvent et j'ai eu l'idée de préparer un spectacle pour toi et
pour les adultes qui étaient là. J'ai proposé à tous les enfants assis autour de la table, trois garçons
en plus de moi, de venir dans ma chambre pour se préparer et répéter - j'avais décidé qu'on
15 imiterait le concert d'un groupe de pop qui s'appelait Aqua, disparu depuis. J'ai inventé des
chorégraphies pendant plus d'une heure, des mouvements, des gestes, je donnais des ordres. J'avais
choisi d'être la chanteuse, les trois autres garçons fraient les chœurs et les musiciens en grattant sur
des guitares invisibles. Je suis entré le premier dans la salle à manger, les autres me suivaient, j'ai
donné le signal et nous avons commencé le spectacle mais tu as tout de suite tourné la tête. Je ne
20 comprenais pas. Tous les adultes nous regardaient mais pas toi. Je chantais plus fort, je dansais avec
des gestes plus violents pour que tu me remarques, mais tu ne regardais pas. Je te disais, Papa,
regarde, regarde, je luttais, mais tu ne regardais pas.

Quand tu conduisais la voiture, je te disais : Fais le pilote de Formule 1 ! Et tu accélérerais, tu allais à


25 plus de cent cinquante kilomètres à l'heure sur les petites routes de campagne. Ma mère avait peur,
elle criait, elle te traitait56 de fou et toi tu me regardais dans le rétroviseur57 en souriant.

Tu es né dans une famille de six ou sept enfants. Ton père travaillait à l'usine, ta mère ne travaillait
pas. Il n'avait jamais connu autre chose que la pauvreté. Je n'ai presque rien d'autre à dire sur ton
30 enfance.
Ton père est parti quand tu avais cinq ans. C'est une histoire que je raconte beaucoup. Un matin, il
est parti pour travailler à l'usine, il n'est pas revenu le soir. Ta mère, ma grand-mère me disait qu'elle
l'avait attendu, elle n'avait pu faire que ça de toute façon, toute la première partie de sa vie,
l'attendre : Je lui avais préparé à manger pour le soir, on l'a attendu comme d'habitude, mais il n'est
35 plus jamais revenu. Ton père buvait beaucoup et certains soirs, à cause de l'alcool, il frappait ta
mère. Il attrapait des assiettes, des petits objets, parfois des chaises même qu'il lui jetaient au visage
avant de s'avancer vers elle pour la frapper avec ses poings58. Je ne sais pas si ta mère criait ou si elle
endurait59 la douleur en silence. Toi, tu les regardais sans pouvoir rien faire, impuissants, enfermé
dans ton corps d'enfant.
40 Ça aussi, je l'ai déjà raconté - mais est-ce qu'il ne faudrait pas se répéter quand je parle de ta vie
puisque des vies comme la tienne, personne n'a envie de les entendre ? Est ce qu'il ne faudrait pas

51
Une cantatrice : femme qui chante professionnellement.
52
Une complainte : chant triste qui exprime la plainte.
53
Incompréhensible : qu'on ne peut pas comprendre.
54
Parvenir à faire qc : réussir à faire quelque chose.
55
S'acharner à faire qc : continuer avec obstination
56
Traiter qn de qc : l'insulter en utilisant un mot.
57
Le rétroviseur : miroir pour voir derrière quand on conduit.
58
Un poing : main fermée pour frapper.
59
Endurer : supporter, accepter quelque chose de pénible.

6
se répéter jusqu'à ce qu'ils nous écoutent pour les forcer à nous écouter ? Est ce qu'il ne faudrait pas
crier ?
Je n'ai pas peur de me répéter parce que ce que j'écris, ce que je dis, ne répond pas aux exigences60
de la littérature, mais à celle de la nécessité61 et de l'urgence à celle du feu.
5
Je l'ai déjà dit : Quand ton père est mort, tu as voulu fêter la nouvelle, l'annonce de sa mort. Tu
n'avais jamais oublié ce qu'il avait fait à ta mère. Ta sœur avait essayé de te réconcilier62 avec lui
plusieurs fois, elle était venue te voir pour te demander d'oublier, elle avait pardonné63, mais quand
elle venait, tu te concentrais sur l'émission que tu regardais à la télé et tu faisais semblant de ne pas
10 savoir qu'elle était là. Le jour où tu as appris la mort de ton père, donc toute la famille était dans la
cuisine, tu fêtais tes quarante ans le même jour ou la même semaine, on regardait encore la
télévision, et tu as dit assez fort pour que tout le monde t'entende - quand j'y repense, peut-être
que tu as parlé trop fort, il y avait quelque chose qui n'était pas normal dans ton intonation, comme
une phrase que tu aurais préparée depuis plusieurs mois, artificielle -, tu as dit : Je vais acheter une
15 bouteille pour fêter ça. Tu as pris ta voiture et tu as été acheter du pastis à l'épicerie64 du village, tu
as fait la fête toute la soirée, tu riais, tu chantais.

C'est étrange, parce que ton père était violent tu répétais obsessionnellement que tu ne serais
jamais violent, que tu ne frapperais jamais aucun de tes enfants, tu nous disais : Je ne poserai jamais
20 la main sur un de mes enfants, jamais de ma vie. La violence ne produit pas que de la violence. J'ai
répété cette phrase longtemps que la violence est cause de la violence, je me suis trompé. La
violence nous avait sauvé de la violence.

Ton père n'avait pas été le premier à avoir des problèmes d'alcool. L'alcool avait fait partie de ta vie
25 avant ta naissance, les histoires d'alcool se succédaient 65autour de nous, les accidents de voiture,
les chutes66 mortelles sur une plaque de verglas67, une nuit en rentrant d'un dîner trop alcoolisé, les
violences conjugales68 dictées par le vin et par le pastis, d'autres histoires encore. L'alcool remplissait
la fonction de l'oubli. C'était le monde qui était responsable, mais comment condamner69 le monde,
le monde qui imposait70 une vie que les gens autour de nous n'avait pas d'autre choix qu'essayer
30 d'oublier - avec l'alcool, par l'alcool.
C'était oublier ou mourir ou oublier et mourir.
Oublié ou mourir, oubliez et mourir de l'acharnement71 à oublier.

Cette soirée où j'avais préparé un faux concert pour toi avec les autres enfants, je me suis obstiné72,
35 je ne voulais pas arrêter, je voulais que tu me regardes, la gêne commençait à s'installer dans la
pièce et je continuais à implorer73, Regarde papa, regarde.

60
Une exigence : demande ferme, obligation.
61
La nécessité : besoin, obligation.
62
Réconcilier : renouer de bons rapports après une dispute.
63
Pardonner : ne plus en vouloir, excuser
64
Une épicerie : petit magasin qui vend des produits alimentaires.
65
Se succéder : s'enchaîner, venir les uns après les autres.
66
Une chute : fait de tomber par terre.
67
Une plaque de verglas : plaque glacée qui fait déraper.
68
Conjugal, -e : relatif au couple, aux époux.
69
Condamner : juger coupable, blâmer.
70
Imposer : forcer à accepter, obliger.
71
Un acharnement : fait de s'obstiner méchamment.
72
S'obstiner : persister malgré les difficultés.
73
Implorer qn : supplier avec insistance.

7
1998 - c'est Noël. Je reconstitue l'image, j'essaie de faire de mon mieux, mais la réalité est comme
les rêves, plus j'essaye de la saisir74 et plus elle m'échappe75. Toute la famille est autour de la table.
Je mange beaucoup trop, tu as acheté trop de nourriture pour le réveillon76. Tu avais toujours cette
peur d'être différent des autres à cause du manque d'argent, tu le répétais, Je ne vois pas pourquoi
5 on serait différent des autres, et pour cette raison, pour ça, tu voulais avoir sur la table tout ce que
tu imaginais que les autres avaient et mangeaient pour Noël, du foie gras77, des huîtres78, des
bûches79, ce qui fait que, paradoxalement, plus nous étions pauvres et plus on dépensait d'argent à
Noël par angoisse80 de ne pas être comme les autres.
Je parle avec ma mère et avec mes frères et sœurs, mais pas avec toi. Toi, tu ne parles pas. Tu dis
10 que tu détestes les fêtes. Quand le mois de décembre commence, tu nous dis que tu as hâte81 que
les fêtes soient terminées, passées, derrière nous, et je crois que tu fais semblant de haïr82 le
bonheur pour te faire croire que si ta vie a les apparences83 d'une vie malheureuse, c'est toi qui l'as
choisi, comme si tu voulais faire croire que tu avais le contrôle sur ton propre malheur, comme si tu
voulais donner l'impression que si ta vie a été trop dure, c'est toi qui l'as voulu par dégoût84 du
15 plaisir, par détestation de la joie.
Je crois que tu refuses d'avoir perdu.
A Noël, tous les ans tu cachais les cadeaux dans le coffre de ta voiture. Tu attendais que je sois parti
me coucher pour aller les chercher et les mettre au pied du sapin85, que je puisse les trouver le
lendemain quand je me réveillerais.
20 Mais cette nuit-là, vers minuit, on ne dormait pas, j'ai entendu, et tous les autres avec moi, une
explosion dehors. C'était comme si l'explosion avait eu lieu dans la cuisine tellement elle était
intense, immense, je ne sais pas comment dire, comme si un avion s'était fracassé86 sur le sol devant
chez nous ou dans la cour derrière, je ne trouve pas d'image pour le dire. Tu es sorti pour voir ce qui
se passait, je t'ai suivi et j'ai vu : ta voiture était là, mais compressée, réduite à l'état d'un morceau
25 de métal, sans forme, sans structure. Tout autour, il y avait des éclats87 de plastique et des
lambeaux88 de papier cadeau déchiquetés89 qui volaient dans l'air, et puis, surtout, quelques mètres
plus loin devant ta voiture disparue, il y avait un énorme camion transporteur de moto éraflé90 par
l'accident. Celui qui le conduisait - le responsable de tout ça - s'était arrêté pour contempler le
drame. De loin je voyais la condensation s'échapper de sa bouche, les volutes91 de fumée qui
30 brouillaient92 son visage. Il ressemblait à un spectre93. Quand il nous vus, il a redémarré son camion
et il a disparu plus loin dans la nuit. Tu l'as poursuivi, ça n'avait pas de sens, tu n'aurais jamais pu

74
Saisir : attraper, prendre dans la main.
75
Echapper à qn : se libérer de, ne pas tomber aux mains de.
76
Le réveillon (de Noël) : fête de la nuit du 24 décembre.
77
Le foie gras : mets fait avec le foie d'oie ou de canard gras.
78
Une huître : coquillage que l'on mange.
79
Une bûche : gâteau en forme de bûche pour Noël.
80
Une angoisse : peur, panique, anxiété.
81
Avoir hâte : être pressé que quelque chose arrive.
82
Haïr : détester profondément.
83
Une apparence : l'aspect extérieur, ce qui se voit.
84
Le dégoût : répugnance, aversion.
85
Le sapin : arbre conifère que l'on décore à Noël.
86
Se fracasser : se briser violemment.
87
Un éclat : morceau pointu qui se détache.
88
Un lambeau : morceau d'étoffe ou de papier déchiré qui pend.
89
Déchiqueté, -e : mis en petits morceaux.
90
Eraflé, -e : écorché superficiellement.
91
Une volute : ici - petit nuage.
92
Brouiller qc : rendre confus, moins net.
93
Un spectre : fantôme, revenant.

8
rattraper un camion. Il n'y avait aucun espoir, rien, mais tu as couru et tu criais, Je vais te buter94,
espèce de sale fils de pute, tu criais, je vais te buter - je t'ai vu courir derrière lui, ton corps s'effaçait
dans le noir, se dissoudre 95dans la pénombre96, puis réapparaître et revenir vaincu et essoufflé.
J'étais trop jeune pour me souvenir, mais je me souviens quand j'ai vu ton visage qui regardait le
5 cadavre de la voiture, j'ai pleuré de ce que j'ai vu sur ton visage et j'ai demandé comment tu allais
faire maintenant pour aller à l'usine. Je me suis allongée sur le canapé et j'ai pleuré toute la nuit de
Noël. Pourquoi est-ce que j'ai pleuré ? J'aurais dû pleurer parce que mes cadeaux avaient disparu - je
l'avais compris, je savais que tu les cachais dans la voiture -, à sept ans je n'aurais pas dû pleurer à
cause de la voiture, j'aurais dû, il aurait été logique que je pense à mes cadeaux. Est-ce que tu
10 m'avais déjà fait comprendre que nous faisions partie de ce que personne ne viendrait aider ? Est-ce
que tu m'avais déjà transmis le sens de notre place au monde ?

94
Buter qn : tuer quelqu'un.
95
Se dissoudre : se désagréger, disparaître.
96
La pénombre : demi-obscurité, faible lumière.

9
Compréhension de texte - Cochez les bonnes réponses.

1. O Vrai O Faux Le père et le fils sont proches et se comprennent bien.


2. O Vrai O Faux Le narrateur est allé rendre visite à son père dans une petite
ville.
3. O Vrai O Faux Le père du narrateur est en bonne santé.
4. O Vrai O Faux Le père doit utiliser un appareil pour respirer la nuit.
5. O Vrai O Faux Le narrateur a essayé de lire sur son visage les années passées
loin de son père.
6. O Vrai O Faux Le narrateur détestait quand son père n'était pas à la maison.
7. O Vrai O Faux La mère du narrateur est tombée amoureuse du père à cause
de son intelligence.
8. O Vrai O Faux Le père dansait beaucoup quand il était jeune.
9. O Vrai O Faux Le narrateur a trouvé des photos de son père déguisé en
femme.
10. O Vrai O Faux Le père aimait montrer ses photos en femme à son fils.
11. O Vrai O Faux Le père du narrateur l'encourageait à exprimer sa féminité.
12. O Vrai O Faux Le père avait l'air heureux sur les photos en femme.
13. O Vrai O Faux Le père du narrateur était fils unique.
14. O Vrai O Faux Le grand-père paternel buvait et frappait sa femme.
15. O Vrai O Faux Le père a célébré la mort de son propre père.
16. O Vrai O Faux Le narrateur pense que l'alcoolisme permet d'oublier une vie
difficile.
17. O Vrai O Faux Le narrateur voulait que son père le regarde danser et chanter.
18. O Vrai O Faux La voiture du père a été détruite la nuit de Noël.
19. O Vrai O Faux Les cadeaux de Noël étaient dans la voiture.
20. O Vrai O Faux Le narrateur a pleuré à cause de la perte des cadeaux.

10
Les personnages :
Le père :
• Il est en mauvaise santé, souffre de diabète, de cholestérol et a des problèmes cardiaques.
• Il a du mal à respirer et à se déplacer.
• Dans sa jeunesse, il aimait danser et porter des vêtements féminins. Mais il n'en parle plus
jamais.
• Il buvait beaucoup.
• Il était violent verbalement, répétait qu'un homme ne doit pas pleurer ni se comporter
comme une femme.
• Il ne montrait pas ses émotions.
• Il a célébré la mort de son père (le grand-père du narrateur). Son propre père (le grand-père
du narrateur) le frappait, ainsi que sa mère.


Le fils (le narrateur) :


• Il essaye de comprendre son père et son histoire.
• Quand il était jeune, il craignait les retours de son père à la maison.
• Il était proche de sa mère.
• Il aimait danser et chanter, ce que son père désapprouvait.
• Il a trouvé des photos de son père travesti et cela l'a beaucoup surpris.
• Il pleure facilement et pense que ce n'est pas un problème.


La mère :
• Elle est tombée amoureuse du père car il portait du parfum, ce qui était rare à l'époque.
• Elle raconte que c'est le père qui a insisté pour sortir avec elle.
• Elle dit que les femmes sont plus heureuses sans les hommes.
• Elle avait peur quand le père conduisait vite.
• Elle confie au fils que le père aimait danser quand il était jeune.


On voit aussi brièvement :


- Le grand-père paternel qui frappait sa femme et qui un soir n'est plus rentré quand le père
était encore jeune.
- La grand-mère paternelle qui subissait les violences.
- La sœur du père (la tante du narrateur) qui a tenté de le réconcilier avec son père.
- Les amis avec qui les parents dînent.
- Les autres enfants avec qui le narrateur fait un spectacle.

11
Réponds à ces questions par écrit :
1. Peut-on essayer de " comprendre son père et son histoire" avec un monologue ?

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2. Crois-tu que depuis la jeunesse, la relation entre le père est le narrateur a changé ? Comment ?

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3. Montre comment la violence et l'alcool ont toujours joué un rôle important dans la famille du
narrateur.

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12
(2) Il me semble souvent que je t'aime.

Quand je lui posais des questions sur toi, ma mère me disait que la disparition de ton père vous avait
imposé une misère 97encore plus grande. Ta mère se retrouvait seule avec six ou sept enfants, elle
5 n'avait pas fait d'études, elle ne pouvait pas trouver de travail. Peter Hanke dit : "Naître femme, dans
ces conditions, c'est directement la mort." Pourtant ma mère disait aussi que vous aviez été
beaucoup plus, parce que l'homme de la famille avait disparu, et avec lui sa violence, la peur de ses
réactions, sa folie masculine.

10 Ce qu'on appelle l'Histoire n'est que l'histoire de la reproduction des mêmes émotions, des mêmes
joies à travers les corps et le temps, et ma mère a connu le même bonheur quand elle t'a chassé. Un
de ces soirs de la semaine où tu ne rentrais pas parce que tu étais chez ton frère ou au café, alors
que ma mère t'attendait, elle a emballé tes habits dans des sacs-poubelle et elle les a jetés sur le
trottoir, par la fenêtre. J'étais adulte, j'avais dix-huit ans. Je ne vivais plus avec vous, mais elle me l'a
15 raconté. Tu étais parti avec tes copains sans lui dire quand tu rentrerais. Pendant des années, elle
n'avait fait que ça elle aussi, t'attendre, comme ta mère avec ton père avant vous, mais ce soir-là,
elle a décidé que ce serait fini. Vous aviez vécu vingt-cinq ans ensemble. Tu es rentré au milieu de la
nuit mais la porte était fermée, tu as tapé contre les murs, contre les fenêtres, tu as crié, tu ne
comprenais pas encore pourquoi tes habits étaient sur le trottoir, dans des sacs en plastique noir, tu
20 faisais semblant de ne pas encore comprendre. Ma mère t'a crié à travers la porte de ne plus jamais
revenir. Tu as demandé : Plus jamais ? et elle a répété : Plus jamais. C'était fini. Après ton départ, elle
n'a plus été comme elle le disait elle-même, la même personne, à presque cinquante ans elle est
partie vivre dans une grande ville pour la première fois de sa vie, elle a voyagé. Elle s'est découvert
des passions, et surtout des dégoûts nouveaux. Elle s'est mise à dire, elle qui y avait vécu depuis sa
25 naissance : "Ah, la mentalité de la campagne !"

Le soir du faux concert, je commençais vraiment à m'essouffler mais je ne voulais pas abandonner, je
ne sais pas combien de temps j'ai continué, j'insistais, Regarde, Papa, regarde. Tu as fini par te lever
et dire Je vais fumer une clope 98dehors. Je t'avais blessé.
30
Tu ne t'es jamais remis99 de la séparation avec ma mère. Quelque chose en toi a été détruit. Comme
toujours, c'est la séparation qui t'a fait comprendre à quel point tu l'aimais. Après la rupture100, tu es
devenu plus sensible au monde, tu es tombé plus souvent malade, tout te blessait. C'est comme si la
douleur de la séparation avait ouvert une plaie 101qui avait permis soudain à ce qui t'entourait, au
35 monde et donc à la violence, d'entrer en toi.
Quand tu étais de bonne humeur, tu appelais ma mère "Choupette", "Bibiche", "Maman".
Tu lui mettais des claques102 sur les fesses 103devant les autres et elle te disait: "Arrête de faire ça, ça
fait vulgaire !" Tu riais. Elle riait de ton rire.
Elle se plaignait 104que tu ne lui offres que des aspirateurs, des casseroles ou des choses pour
40 entretenir la maison à ses anniversaires : "Je ne suis quand même pas qu'une boniche105."

97
Une misère : grande pauvreté.
98
Une clope : cigarette.
99
Se remettre : récupérer, aller mieux.
100
La rupture : séparation, fin d'une relation.
101
Une plaie : blessure qui saigne.
102
Une claque : gifle.
103
Les fesses : partie charnue postérieure.
104
Se plaindre : exprimer son mécontentement.
105
Une boniche : ici - une servante.

13
Elle me disait : "Après chaque dispute, ton père promet qu'il va changer. Il dit toujours qu'il va
changer, mais il ne change jamais. Chien qui a mordu106 mordra."

Le soir du faux concert, est ce que je t'ai blessé parce que j'avais choisi de faire la chanteuse - la
5 fille?

Tu n'as pas étudié ? Abandonner l'école le plus vite possible était une question de masculinité, pour
toi, c'était la règle dans le monde où tu vivais : être masculin, ne pas se comporter comme une fille,
ne pas être un pédé107. Il n'y avait que les filles et les autres, ceux qui était suspectés108 d'avoir une
10 sexualité déviante109, pas normale, qui acceptait de se soumettre 110aux règles de l'école, à la
discipline, à ce que les professeurs demandaient où exigeaient.

Pour toi, construire un corps masculin, cela voulait dire résister au système scolaire, ne pas te
soumettre aux ordres, à l'Ordre, et même affronter l'école et l'autorité qu'elle incarnait111. Au
15 collège, un de mes cousins avait giflé112 un professeur devant toute sa classe. On parlait toujours de
lui comme d'un héros. La masculinité - ne pas se comporter comme une fille, ne pas se comporter
comme un pédé -, ce que ça voulait dire, c'était sortir de l'école le plus vite possible pour prouver sa
force aux autres, le plus tôt possible, pour montrer son insoumission113, et donc, c'est ce que j'en
déduis114, construire sa masculinité, c'était se priver115 d'une autre vie, d'un autre futur, d'un autre
20 destin social que les études auraient pu permettre. La masculinité t'a condamné à la pauvreté, à
l'absence d'argent. Haine de l'homosexualité = pauvreté.

Je voudrais essayer de formuler quelque chose : Quand j'y pense aujourd'hui, j'ai le sentiment que
ton existence a été malgré toi116, et justement contre toi, une existence négative. Tu n'as pas eu
25 d'argent, tu n'as pas pu étudier, tu n'as pas pu voyager, tu n'as pas pu réaliser tes rêves. Il n'y a dans
le langage presque que des négations pour exprimer ta vie.
Dans son livre l'Être et le Néant, Jean-Paul Sartre s'interroge sur les rapports entre l'être et les actes.
Sommes-nous définis par ce que nous faisons ? Notre être est-il défini par ce que nous
entreprenons117 ? La femme et l'homme sont-ils ce qu'ils font ou est-ce qu'il existe une différence,
30 un écart 118entre la vérité de notre personne et nos actes ?
Ta vie prouve que nous ne sommes pas ce que nous faisons, mais qu'au contraire nous sommes ce
que nous n'avons pas fait parce que le monde, ou la société, nous en a empêchés119. Parce que ce
que Didier Eribon appelle des verdicts120 se sont abattus121 sur nous, gay, trans, femme, noir, pauvre
et qu'ils nous ont vendu certaines vies, certaines expériences, certains rêves, inaccessibles.
35

106
Mordre : serrer avec les dents.
107
Un pédé : un homosexuel.
108
Suspecter qn : se méfier de, douter de qn.
109
Déviant, -e : anormal, qui s'écarte des normes.
110
Se soumettre : obéir, céder à plus fort que soi.
111
Incarner : représenter parfaitement, symboliser
112
Gifler qn : donner une gifle, une claque
113
Une insoumission : refus d'obéir, d'accepter les règles.
114
Déduir qc de qc : tirer une conclusion.
115
Se priver de qc : renoncer volontairement à quelque chose.
116
Malgré toi : sans que tu le veuilles, contre ton gré.
117
Entreprendre : commencer à faire, se lancer dans.
118
Un écart : action qui s'éloigne de la norme, de ce qui est prévu.
119
Empêchér : faire obstacle, bloquer.
120
Un verdict : décision finale d'un tribunal.
121
S' abattre : tomber ou se jeter brusquement.

14
2004 - au collège, j'entends parler pour la première fois de la guerre froide, de la division de
l'Allemagne en deux, de Berlin, séparée par un mur, puis de la chute de ce mur. Le fait qu'une grande
ville aussi proche de nous ait pu être divisée presque du jour au lendemain en deux parties par un
mur a eu l'effet d'une tempête sur moi. J'étais fasciné toute la journée, je n'ai plus écouté ce qu'on
5 me disait, je ne pensais plus qu'à ça, je n'étais plus capable d'autre chose, j'essayais d'imaginer le
mur posé au milieu d'une route que le jour d'avant, des femmes et des hommes pouvaient traverser
sans réfléchir.
Tu avais déjà plus de vingt ans quand le mur a été détruit, alors j'ai fantasmé122 tout le temps que la
journée a duré les questions que j'allais te poser : est-ce que tu connaissais des personnes qui
10 avaient vu le mur, des femmes ou des hommes qui l'avaient touché, qui avaient participé à sa
destruction ? Qu'est-ce que c'était, cette Europe divisée en deux, dis-moi, ce mur de ciment entre
deux Europes.
Le bus qui me ramenait à la maison m'a déposé sur la place du village, mais contrairement à
d'habitude, je ne suis pas rentré le plus lentement possible en traînant123 dans la rue, je n'ai pas prié
15 pour que ta voiture ne soit pas sur le trottoir, j'ai couru, j'ai couru plus vite que jamais la tête pleine
de toutes mes questions.
Je t'ai demandé tout ce qui s'était accumulé dans ma tête et tu as répondu vaguement Oui, oui, c'est
vrai, il y avait un mur, ils en parlaient à la télé. C'est tout ce que tu m'as dit. J'ai attendu, mais tu m'as
tourné le dos. J'ai insisté, Mais dis-moi, comment c'était, qu'est-ce que c'était ? À quoi ressemblait le
20 mur ? Est-ce que si la personne qu'on aimait habitait de l'autre côté du mur, on ne pouvait plus
jamais la voir, plus jamais ? Tu n'avais rien à dire. J'ai commencé à voir que mon insistance te faisait
mal. J'avais douze ans, mais je disais des mots que tu ne comprenais pas. J'ai quand même insisté un
peu plus et tu t'es énervé. Tu as crié. Tu m'as dit de ne plus te poser de questions, mais tu n'étais pas
énervé comme d'habitude, ce n'était pas un cri normal. Tu avais honte parce que je te confrontais à
25 la culture scolaire, celle qui t'avait exclu124, qui n'avait pas voulu de toi. Où est l'histoire ? L'histoire
qu'on enseignait à l'école n'était pas ton histoire à toi. On nous apprenait l'histoire du monde et tu
étais tenu à l'écart 125du monde.

1999 - je compte sur mes doigts une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit. Je me prépare à avoir
30 huit ans. Tu m'as demandé ce que je voulais pour mon anniversaire et je t'ai répondu : Titanic. La
version VHS du film venait de sortir, on voyait la pub passer plusieurs fois par jour à la télévision en
boucle126. Je ne sais pas ce qui m'attirait autant dans ce film, je ne saurais pas dire, l'amour, le rêve
partagé de Leonardo DiCaprio et de Kate Winslet de devenir quelqu'un d'autre, la beauté de Kate
Winslet, je ne sais pas, mais j'étais obsédé déjà par ce film que je n'avais pas encore vu et je te l'ai
35 demandé. Tu m'as répondu que c'était un film pour les filles et que je ne devais pas vouloir ça. Ou
plutôt, je parle trop vite, d'abord tu m'as supplié127 de vouloir autre chose. Tu ne veux pas plutôt une
voiture télécommandée ou un costume de super-héros, réfléchis bien, mais moi je te répondais,
Non, non, c'est Titanic que je veux et c'est après mon insistance, après ton échec128, que tu as
changé de ton. Tu m'as dit que puisque c'était comme ça, je n'aurais rien, pas de cadeaux. Je ne me
40 rappelle pas si j'ai pleuré. Les jours ont passé. Le matin de mon anniversaire, j'ai trouvé au pied de
mon lit un grand coffret blanc, avec écrit dessus en lettres d'or : Titanic. À l'intérieur, il y avait la
cassette, mais aussi un album photo sur le film peut être une figurine du paquebot129. C'était un
coffret de collection sûrement trop cher pour toi et donc pour nous, mais tu l'avais acheté et tu

122
Fantasmer : imaginer des choses irréelles.
123
Traîner : aller lentement, rester sans rien faire, perdre son temps
124
Exclure : écarter, rejeter quelqu'un d'un groupe.
125
À l'écart : à distance, isolé.
126
En boucle : de façon répétitive, sans fin.
127
Supplier : demander quelque chose avec insistance.
128
Un échec : un résultat négatif, un objectif manqué.
129
Un paquebot : gros bateau de croisière.

15
l'avais déposé près de mon lit, enveloppé dans une feuille de papier. Je t'ai embrassé sur la joue et
tu n'as rien dit. Tu m'as laissé regarder ce film près d'une dizaine de fois par semaine pendant plus
d'un an.

5 Le soir du faux concert, est-ce que je t'ai blessé parce que j'avais fait la fille et parce que tu pensais
que tes amis te jugeraient pour ça, qu'ils te rendraient coupable de m'avoir élevé comme une fille ?

Tu avais peur des rats et des chauve-souris130. Je ne sais pas pourquoi ces animaux plutôt que les
autres.
10 Tu prenais des poignées131 de gruyère râpé et tu les mangeais la bouche par-dessus le paquet grand
ouvert. Je voyais des morceaux de fromage qui retombaient à l'intérieur du paquet, tomber depuis
ta bouche vers l'intérieur du paquet et je te le reprochais : "Je ne veux pas manger le fromage qui a
été dans ta bouche !"
Tu rêvais de travailler dans une morgue132. Tu disais : "Au moins les morts ne font pas chier133 les
15 autres."

Après le faux concert, je t'ai rejoint dehors où tu fumais compulsivement134, tu étais seul, en T-shirt,
il faisait froid, la rue était déserte et l'absence de bruit presque infinie, le silence me rentrait dans la
bouche et dans les oreilles, je le sentais. Tu regardais vers le sol. Je t'ai dit : Pardon, Papa. Tu m'as
20 pris dans tes bras et tu as dit, ce n'est rien. Ce n'est rien, ne t'inquiète pas, ce n'est rien.

Tu as essayé d'être jeune pendant cinq ans. Quand tu es parti du lycée, seulement quelques jours
25 après avoir commencé, tu as été embauché135 à l'usine du village, mais tu n'es pas resté longtemps
non plus, à peine quelques semaines. Tu ne voulais pas reproduire la vie de ton père et de ton
grand-père avant toi. Ils avaient travaillé directement après l'enfance, à quatorze ou quinze ans. Ils
étaient passés sans transition de l'enfance à l'épuisement136 et à la préparation à la mort, sans avoir
le droit aux quelques années d'oubli du monde et de la réalité que les autres appellent la jeunesse -
30 c'est une formule un peu bête, les quelques années d'oubli que les autres appellent la jeunesse.
Toi pendant cinq ans, tu as lutté de toutes tes forces pour être jeune, tu es parti vivre dans le sud de
la France en te disant que là-bas la vie serait plus belle, moins écrasante137 de par la présence du
soleil, tu as volé des mobylettes138, tu as passé des nuits sans dormir, tu as bu le plus possible. Tu as
vécu toutes ces expériences le plus intensément et le plus agressivement possible, à cause du
35 sentiment que c'était quelque chose que tu volais - c'est ça, c'est là que je voulais en venir : il y a
ceux à qui la jeunesse est donnée et ceux qui ne peuvent que s'acharner à la voler.
Un jour, ça s'est arrêté. Je pense que c'est à cause de l'argent, mais il n'y a pas que ça. Tu as tout
arrêté et tu es retourné dans le village où tu étais né, ou celui juste à côté, ce qui revient au même et
tu t'es fait embaucher dans l'usine où toute ta famille avait travaillé avant toi.
40 Mécanisme classique : comme tu as eu l'impression de ne pas avoir vécu ta jeunesse jusqu'au bout
tu as essayé de la vivre pendant toute ta vie. C'est le problème avec les choses volées comme toi
avec ta jeunesse, on ne peut pas réussir à penser qu'elles nous appartiennent vraiment et il faut

130
Une chauve-souris : mammifère volant nocturne.
131
Une poignée : ce que l'on peut tenir dans la main.
132
Une morgue : lieu où sont conservés les cadavres.
133
Faire chier qn : agacer, énerver.
134
Compulsivement : de façon répétitive et irrésistible.
135
Embaucher qn : engager par un contrat de travail.
136
L'épuisement : fatigue extrême
137
Écrasant, -e : accablant, difficile à supporter.
138
Une mobylette : petite moto légère.

16
continuer à les voler pour l'éternité, c'est un vol qui n'en finit pas. Tu voulais la rattraper, la
récupérer, la revoler. Il n'y a que ceux à qui on donne tout depuis toujours qui peuvent avoir un vrai
sentiment de possession, pas les autres. La possession n'est pas quelque chose qu'on peut acquérir.
Une de ses tentatives139 d'être jeune encore, d'être jeune, enfin, a eu lieu quand tu étais avec ton
5 ami Anthony. Est-ce que tu t'en souviens ? Vous étiez en voiture et vous avez vu la police derrière
vous ? Vous aviez bu beaucoup d'alcool, il vous aurait pris votre permis de conduire s'il vous avait
arrêtés et ne vous l'auraient jamais rendu. Vous avez eu la sensation qu'il vous suivaient, alors vous
avez accéléré, vous avez roulé plus vite, comme dans une course-poursuite pour ne pas qu'il vous
rattrapent, vous ne vous êtes pas arrêtés aux feux140, vous avez accéléré encore, j'imagine que tu
10 imitais les courses-poursuites que tu regardais toute la nuit à la télé entre la police et les gangs
américains, même dans les moments les plus intenses de notre vie, il me semble que nous
continuons à imiter des scènes et des rôles vus dans la littérature ou dans les films, vous avez roulé
jusqu'à une rivière, vous êtes sorti de la voiture et vous avez sauté dans l'eau pour que la police ne
vous arrête pas - je ne suis même pas sûr qu'il vous suivait vraiment -, vous avez nagé, toi qui avais
15 peur de l'eau plus que de n'importe quoi d'autre, toi qui avais même peur de prendre des bains à
cause de cette phobie, l'eau te faisait tellement peur, vous avez nagé dans l'eau glacée et vous êtes
sorti de la rivière quelques centaines de mètres plus loin. Vous avez attendu longtemps, les pieds
enfoncés dans la terre jusqu'aux chevilles141 et le corps trempé142 en espérant que la police
s'éloignerait, et puis vous êtes revenu chez ma mère, les habits imbibés de l'eau qui sentait l'odeur
20 de la vase143 et du poisson. L'eau coulait sur vous, sur vos corps, sur le sol, les gouttes glissaient sur
le tissu 144de tes vêtements et venez s'écraser par terre, sans bruit. Tu ne racontais pas cette
anecdote toi-même puisque tu ne parlais jamais, mais quand ma mère la racontait, souvent,
plusieurs fois par mois, tu souriais et tu disais : "C'est vrai qu'on a bien rigolé." Tu avais réussi à
reprendre un moment à ta jeunesse.
25
Tu étais fasciné par toutes les innovations technologiques, comme si à travers la nouveauté qu'elles
incarnaient, tu avais voulu insuffler145 dans ta vie un renouveau auquel tu n'avais pas eu droit. Tu
commentais avec un mélange d'envie et d'admiration dans ta voix les pubs pour les nouveaux
téléphones, les tablettes ou les ordinateurs. Tu ne les achetais pas, ils coûtaient trop cher. Tu te
30 contentais des gadgets que des vendeurs itinérants146 venaient présenter à la brocante147 du village :
une montre qui tourne à l'envers148, une machine pour faire du Coca chez soi, un laser qui pouvait
projeter l'image d'une femme nue sur un mur à plus de cent mètres. Il y a plus d'objets que de
personnes dans nos souvenirs.
Toi, tu vivais ta jeunesse à travers la jeunesse de ces objets.
35
Autre chose : au mois de septembre, il y avait des manèges149 installés dans le village pour la fête
foraine150, des stands de tir à la carabine, des machines à sous151. Tu dépensais le budget du mois en

139
Une tentative : essai pour faire quelque chose.
140
Un feu : ici - lumière rouge, jaune et verte à côté de la route.
141
Une cheville : articulation entre le pied et la jambe.
142
Trempé, -e : mouillé, imbibé de liquide.
143
La vase : boue liquide au fond de l'eau.
144
Le tissu : étoffe, matière textile.
145
Insuffler : faire pénétrer un gaz, une substance subtile.
146
Les vendeurs itinérants : vendeurs ambulants.
147
La brocante : marché d'objets d'occasion.
148
À l'envers : dans le mauvais sens.
149
Un manège : attraction foraine qui tourne.
150
La fête foraine : fête populaire avec attractions et stands.
151
Les sous : l'argent, les pièces de monnaie.

17
quatre jours - l'argent qui devait servir à payer la nourriture, les factures152, le loyer153. Ma mère
disait : "Je suis pas marié à un homme, je suis marié à un gosse154.

(je parlais de toi au passé parce que je ne te connais plus. Le présent serait un mensonge.)
5
Une image : C'est l'été, c'est la nuit, en plein jour, l'obscurité recouvre l'immensité du monde et nous
recouvre toi, moi et le chant de maïs où je suis debout à côté de toi. Il est peut-être midi, mais il fait
nuit. Tu me dis : Éclipse de soleil, tu me dis : Ne retire pas tes lunettes ou la Lune va te brûler les
yeux et tu ne verras plus jamais rien, tu me dis : C'est la seule fois, la prochaine fois que quelque
10 chose comme ça arrivera sur Terre, on sera tous morts, même toi, même toi tu seras mort.

(tu m'avais offert cette montre qui tournait à l'envers, celle que tu avais achetée à la brocante. Je l'ai
perdue.)

15 Une autre image : Tu conduis, je suis sur la banquette derrière toi, il n'y a que nous et tu dis : On va
rouler sur les vagues. Je ne sais pas ce que ça veut dire, je n'avais jamais entendu l'expression. Tu dis
encore : On va rouler sur les vagues, et tu fonces155 vers la mer, tu roules sur le sable et la mer
s'approche, les vagues avancent vers nous, je pense que tu vas nous tuer, que tu veux mourir et que
tu veux que je meure avec toi, je crie, Non, Papa, non, s'il te plaît, je ferme les yeux, je ne veux pas
20 mourir, tu approches encore et au bord de l'eau, tu tournes le volant156 d'un coup simple et bref, et
tu roules non plus vers l'intérieur des vagues, mais parallèlement à elles, deux roues sur le sable et
deux autres dans l'eau, ta voiture en partie immergée157 d'une vingtaine, peut-être trente
centimètres. Je me déplace sur la banquette, je regarde à travers la vitre du côté de l'eau et c'est
vrai, je ne vois que la mer et ta voiture qui roule dessus, à sa surface. Il n'y a rien d'autre. Tu me
25 répètes : Tu vois, je te l'avais dit. On roule sur les vagues.

J'ai oublié presque tout ce que je t'ai dit quand je suis venu te voir la dernière fois, mais je me
souviens de tout ce que je ne t'ai pas dit. D'une manière générale, quand je repense au passé et à
notre vie commune, je me souviens avant tout de ce que je ne t'ai pas dit, mes souvenirs sont ceux
30 de ce qui n'a pas eu lieu.
Après les années de lutte pour le droit, être jeune, la vie conjugale. Tout se passait dans l'ordre.
Quand elle t'a rencontré, ma mère avait déjà deux enfants qu'elle avait faits avec son premier mari,
celui qu'elle avait connu avant toi. Tu as tout de suite voulu les considérer comme tes propres
enfants, tu dormais avec eux quand ils avaient peur la nuit, même s'ils étaient déjà grands, tu leur as
35 proposé d'adopter ton nom de famille - volonté de passer pour un bon père devant les autres ou
amour pur, la frontière entre les deux est toujours trop mince158 pour pouvoir juger. Tu m'as giflé la
fois où j'ai dit que mon grand frère n'était que mon demi-frère. Tu m'as repris : "Ton frère. Il n'y a
pas de demi-frère, moi je n'ai pas de demi-gosses."

40 2006 - j'ai presque fini, je n'ai presque plus rien à raconter. C'est une des dernières scènes, après, ce
sera l'oubli. La scène se passe dans le bus, sur un siège de bus scolaire recouvert d'une espèce de
moquette159 délavée, vert et bleu. Je suis assis. Un peu plus loin, à trois ou quatre rangées de sièges
devant moi, il y a mon cousin Jayson. Il rigole. Il ne rigole pas d'une façon normale. Il chante, il

152
Une facture : note de frais, addition.
153
Le loyer : somme versée pour louer un logement.
154
Un gosse : enfant, gamin.
155
Foncer : aller très vite, se précipiter
156
Le volant : ce qui sert à conduire une voiture.
157
Immergé, -e : plongé dans l'eau.
158
Mince : très maigre, pas épais
159
Une moquette : tissu épais qui recouvre souvent un sol.

18
pousse des cris. Le chauffeur lui demande de se taire. Jayson ne veut pas. Il ne comprend pas ce
qu'on lui dit, c'est une de ses crises qui est en train de le traverser, il est né avec ce handicap qu'il lui
fait faire des crises plusieurs fois par mois, sans qu'on puisse prévoir quand elles vont arriver et il ne
peut pas s'arrêter, il n'entend plus le monde autour de lui. Le chauffeur lui demande une deuxième
5 fois de se taire et Jayson rigole encore plus fort d'une manière encore plus incontrôlable, alors le
chauffeur arrête le bus d'un coup sec, il tire le frein à main, il se lève et il s'approche de mon cousin
pour le frapper. Il avait déjà attrapé Jason par le col de son T-shirt quand j'ai compris ce qui se
passait, ce qui allait arriver, il avait levé son autre main pour l'abattre sur son visage, mais à ce
moment-là je me suis redressé - je ne sais pas ce qui s'est passé, ça ne me ressemblait pas, je n'étais
10 pas quelqu'un de courageux - et je lui ai dit de ne pas s'en prendre à quelqu'un de handicapé. Il a
interrompu son geste, il a fait pivoter160 son corps, il a marché vers moi, je ne bougeais pas et c'est à
moi qu'il a donné une gifle161.
Quand je suis rentré le soir je te l'ai raconté. Tu m'as écouté, tu commençais déjà à te tendre, tu
soufflais et tu as dit que tu me vengerais162. Je t'ai demandé de ne pas le faire, j'avais peur des
15 conséquences de ta vengeance163, je sais comment ces choses-là marchent, mais c'était trop tard. Le
lendemain, tu as attendu sur la place du village, tu es entré à l'intérieur du bus quand il s'est arrêté,
tu as attrapé le chauffeur par le cou et tu lui as dit de ne plus jamais me toucher. Les autres enfants
qui étaient là avaient l'air de t'admirer, même à moi ils me souriaient, ta force se reflétait sur moi.
Mais le lendemain, ceux qui t'avaient vu menacer le chauffeur, m'ont dit que je ne savais pas me
20 défendre164 moi-même et que j'avais besoin de mon père pour me défendre. Pendant plusieurs mois
ils se sont moqués et sans me laisser répondre, avant de me laisser réagir, ils disaient : "Qu'est-ce
que tu vas faire, tu vas appeler ton père maintenant ?"

(alors que je t'ai si peu appelé)


25
Dans le train qui s'approchait de cette ville où tu habites maintenant, l'autre jour, j'ai écrit : Les
autres, le monde, la justice n'arrêtent pas de nous venger sans se rendre compte que leur vengeance
ne nous aide pas, mais nous détruit. Ils pensent nous sauver avec leur vengeance mais ils nous
détruisent.

160
Pivoter : tourner sur soi-même.
161
Une gifle : coup donné avec la main sur la joue.
162
Venger qn : punir quelqu'un pour se faire justice.
163
Une vengeance : action de se venger.
164
Se défendre : réagir pour éviter une attaque, se protéger.

19
Compréhension de texte - Cochez les bonnes réponses.

1. Qu'a fait la mère du narrateur après 25 ans de mariage ?


O Elle a déménagé dans une grande ville
O Elle a jeté les affaires du père par la fenêtre
O Elle a divorcé une deuxième fois
O Elle a voyagé avec le père

2. Que faisait le père quand le narrateur dansait devant lui ?


O Il l'encourageait et l'applaudissait
O Il le regardait avec admiration
O Il se moquait de lui
O Il détournait le regard

3. Que révèlent les photos du père travesti ?


O Le père assumait sa féminité
O Le père paraissait heureux ainsi
O Le père aimait montrer ces photos
O Le père encourageait son fils à s'habiller en femme

4. Pourquoi le père a-t-il quitté l'école tôt ?


O Par manque d'argent
O Par dégoût de l'autorité
O Pour travailler à l'usine
O Par peur d'être traité d'homosexuel

5. Que signifie pour le narrateur le fait que Berlin ait été divisée par un mur ?
O Un événement tragique de l'Histoire
O Un symbole de la violence du monde
O Une occasion de questionner son père
O Un fait divers inquiétant

6. Comment le père a-t-il vécu sa jeunesse ?


O Insouciamment, en profitant de la vie
O Difficilement, en essayant de la voler
O Conformément à sa condition sociale
O Sans pouvoir en profiter pleinement

7. Pourquoi le père aimait-il les innovations technologiques ?


O Par fascination pour la modernité
O Pour essayer de rajeunir sa vie
O Par goût pour la consommation
O Pour suivre l'évolution du monde

20
8. Que faisait le père avec l'argent prévu pour les dépenses du mois ?
O Il achetait des cadeaux pour ses enfants
O Il le plaçait en épargne
O Il le dépensait à la fête foraine
O Il aidait financièrement sa famille

9. Comment le père voyait-il les enfants de la nouvelle compagne de sa mère ?


O Comme ses propres enfants
O Comme des rivales potentiels
O Comme une contrainte financière
O Comme des étrangers

10. Comment le père a-t-il réagi quand le narrateur a été frappé dans le bus ?
O Il est allé voir la police
O Il a porté plainte contre le chauffeur
O Il a menacé le chauffeur
O Il a consolé son fils

11. Que pense le narrateur de la vengeance ?


O Qu'elle n'arrange jamais rien
O Qu'elle est légitime pour protéger les siens
O Qu'elle est une faiblesse humaine
O Qu'elle détruit ceux qu'elle prétend sauver

12. Que ressent le narrateur quand il se souvient du passé avec son père ?
O De la nostalgie pour leur complicité
O Du regret pour ce qu'il ne lui a pas dit
O De la rancune pour les souffrances endurées
O De l'amertume d'avoir été mal compris

En petits groupes, discutez de ces questions :


1. Ce texte nous montre, comment le besoin d'affirmer sa virilité est cause de beaucoup de
malheurs, pour tout le monde. Expliquez-le.

2. Le narrateur raconte à plusieurs reprises l'histoire quand il a dansé devant son père. Comment
peut-on interpréter ce fait ?

3. Est-ce que tu vois un rapport entre l'histoire raconté dans le film "Titanic" et la jeunesse du
narrateur ?

4. "Il n'y a que ceux à qui on donne tout depuis toujours qui peuvent avoir un vrai sentiment de
possession, pas les autres." Explique cette idée.

21
Deuxième acte.

(3) Je n'étais pas innocent. En 2001, mon grand frère avait essayé de le tuer, lui, mon père - c'était
quelques jours après les attentats du World Trade Center et c'est à cause de ça que je me souviens
de la date à laquelle c'est arrivé, ou plutôt que je ne peux pas, que je n'arrive pas à l'oublier. J'avais
5 regardé avec mon grand frère les tours jumelles165 s'enflammer, imploser puis s'effondrer166, mon
frère vidait une bouteille de whisky devant la télé pour noyer son chagrin167 et il pleurait, il pleurait,
il disait, je m'en souviens, Maintenant ils vont tous nous tuer, putain, c'est ce qu'il disait, ils vont tous
nous tuer, c'est le début de la guerre, je te préviens prépare-toi, parce que là, je te le dis, je te le dis
on va mourir, tous, il me prévenait, La prochaine bombe qu'ils vont jeter quelque part, ce sera sur
10 nous les Français, et là, c'est sûr, je te le dis, on va tous y passer. Pendant longtemps, j'ai cru que
c'était mon père qui avait prononcé ces phrases, mais je me souviens maintenant, ce n'était pas lui,
c'était mon frère. Moi j'avais neuf ans et je pleurais aussi, comme un enfant qui pleure quand il voit
sa famille pleurer, sans vraiment comprendre, pleurant justement peut-être de cette
incompréhension, de ce vide, pleurant parce que j'avais déjà peur de la mort et parce que j'étais trop
15 jeune pour me rendre compte que les mots de mon frère n'étaient que l'expression de ses
pulsions168 violentes et paranoïaques, les mots d'un homme que j'allais apprendre à détester deux
ou trois ans plus tard.

Une semaine après, je continue, une semaine après, sans aucun lien avec les attentats à part la
proximité169 des dates qui me permet de situer la tentative de meurtre dans le temps, mon grand
20 frère, donc, en plein milieu du dîner, a attrapé mon père par le cou devant le reste de la famille et il
a commencé à lui claquer170 le dos contre le mur de la cuisine. Il le tuait, ce n'était pas la première
fois qu'ils se battaient tous les deux. Mon père hurlait, il le suppliait - je n'avais jamais vu mon père
supplier quelqu'un - et mon grand frère criait, Je vais te buter fils de pute, je vais te buter, toujours
les mêmes mots, les mêmes expressions, pendant que ma mère et Déborah, une fille que mon frère
25 venait de rencontrer, essayaient de me couvrir. Je revois ma mère, elle jetait des verres sur mon
grand frère pour l'arrêter, mais elle ratait à chaque fois sa cible171 et les verres se fracassaient sur le
sol. Elle aussi elle hurlait, Ah, bordel, vous allez quand même pas vous entretuer, calmez-vous, elle
braillait172, je ne sais pas comment le dire, s'époumonait173, Il va tuer son père, il va tuer son propre
père, puis elle me soufflait à l'oreille : Regarde pas mon bébé, ne regarde pas, Maman est là, regarde
30 pas.
Mais je voulais regarder. Parce que c'était moi qui avais provoqué cette dispute entre mon père et
mon frère, je l'avais voulue. C'était une vengeance.

L'histoire de ma vengeance commence un matin très tôt. Il faut imaginer la scène : Je bois un
35 chocolat chaud dans la cuisine, assis à côté de ma mère et de mon grand frère. Ils viennent de se
réveiller et ils fument en regardant la télévision. Ils sont levés depuis vingt minutes mais ils ont déjà
fumé trois ou quatre cigarettes chacun et la pièce est comme saturée par la fumée épaisse et

165
Jumeau, -elle : qui est né en même temps qu'un autre.
166
S'effondrer : s'écrouler, tomber d'un coup.
167
Un chagrin : grande tristesse.
168
Une pulsion : élan irrésistible poussant à faire quelque chose.
169
Une proximité : fait d'être proche.
170
Claquer : faire un bruit sec, ici - taper contre.
171
Une cible : chose visée pour tirer dessus.
172
Brailler : pleurer ou crier très fort.
173
S'époumoner : crier de toutes ses forces.

22
opaque174. Je tousse175, ma mère et mon frère rient devant la télévision, des rires fatigués,
caverneux176, et ils fument encore. Mon père et mes sœurs ne sont pas là.
Je préviens ma mère : je dois aller voir un ami dans le village pour l'aider à réparer son vélo. Elle
hoche la tête177 sans quitter la télé des yeux. Je m'habille sans faire de bruit. Je sors de la maison,
5 j'entends son rire encore une fois, je claque la porte et j'avance dans le froid, au milieu des
briques178 rouges et grises, dans l'odeur du fumier179 et du brouillard, et puis je ne sais plus quoi,
mais je réalise que j'ai oublié quelque chose dans ma chambre, alors je fais demi-tour.
Quand j'entre dans la maison sans frapper à la porte, je distingue, là, près du poêle qui brûle, les
silhouettes de ma mère et celle de mon frère enveloppées dans la fumée, plus rapprochées qu'avant
10 mon départ. Et surtout, surtout je vois ce qui se passe. Ma mère est en train de donner de l'argent à
mon grand frère, elle profite de l'obscurité et de l'absence des autres pour lui donner de l'argent, et
moi, je sais que mon père a interdit à ma mère de le faire, il lui avait ordonné de ne plus jamais
donner d'argent à mon frère, plus jamais, parce qu'il sait qu'avec l'argent mon grand frère achètera
de l'alcool et de la drogue et qu'une fois saoul180 et drogué, il ira taguer181 les supermarchés et les
15 arrêts de bus ou mettre le feu aux gradins du stade du village. Il avait déjà fait plusieurs fois, il avait
risqué la prison, il aurait pu y être envoyé. Mon père avait dit à ma mère, Que je ne te reprenne plus
à donner de l'argent à ce délinquant182, alors quand ma mère voit que je la surprends, elle sursaute.
Elle s'approche de moi, elle est furieuse, elle dit : Tu n'as pas intérêt à raconter ça à ton père, sinon
ça ira mal, et puis elle hésite. Elle hésite sur la stratégie à adopter, elle essaye autre chose, elle
20 change de ton, elle recommence avec la voix, comment dire, plus douce, plus implorante, Ton frère
a besoin d'argent pour manger au lycée, mais ton père, il ne veut pas comprendre ça, sois gentil avec
Maman ne le dis pas à Papa, tu sais comment il peut être con183 ton père des fois, alors
j'acquiesce184, je ne dis rien, je lui jure que je ne dirai rien.

25 Ma mère commet l'erreur fatale quinze jours plus tard. Elle ne sait pas encore qu'avant la fin de la
journée, elle le payera, qu'elle souffrira. Ce matin-là, je suis seule avec elles. On ne se parle pas. Je
me prépare pour l'école et quand j'ouvre la porte pour sortir elle me dit sans vraie raison, entre deux
bouffées185 de cigarette - c'était quelque chose qu'elle m'avait dit souvent, mais elle ne l'avait pas
fait aussi durement et aussi directement, pas encore -, elle me dit : Pourquoi t'es comme ça ?
30 Pourquoi tu te comportes toujours comme une fille ? Dans le village, tout le monde dit que t'es
pédé, nous on se tape la honte à cause de ça. Tout le monde se moque de toi, Je comprends pas
pourquoi tu fais ça.
Je ne réponds pas. Je sors de la maison, je ferme la porte sans rien dire et je ne sais pas pourquoi je
ne pleure pas, mais toute la journée ensuite a le goût des maux de ma mère, l'air a le goût de ses
35 mots, la nourriture a le goût de la cendre186. Pendant toute la journée je ne pleure pas.

Le soir même, je suis rentré après l'école. Ma mère servait le repas et mon père allumait la
télévision.

174
Opaque : qu'on ne peut pas voir au travers.
175
Tousser : avoir un réflexe pour dégager ses voies respiratoires.
176
Caverneux, -euse : qui résonne comme dans une grotte.
177
Hocher la tête : faire "oui" avec la tête.
178
Une brique : pierre de terre cuite.
179
Le fumier : excréments d'animaux utilisés comme engrais.
180
Saoul, -e : ivre, ayant trop bu d'alcool.
181
Taguer : faire des graffitis, des dessins avec de la peinture.
182
Un délinquant : personne qui commet des actes illégaux.
183
Un con : idiot, personne stupide.
184
Acquiescer : montrer qu'on est d'accord.
185
Une bouffée : respiration de fumée qu'on aspire.
186
La cendre : poudre grise qui reste après combustion.

23
Et puis soudain en plein milieu du repas je crie. Je crie très vite et très fort en fermant les yeux,
Maman elle donne de l'argent à Vincent, elle continue de lui donner de l'argent, je l'ai vu qu'elle lui
en donnait l'autre jour et elle m'a dit de pas te le dire. Elle m'a dit Surtout ne raconte pas à ton père,
elle m'a demandé de te mentir, et, mais mon père ne me laisse pas finir la phrase, il ne me laisse pas
5 aller jusqu'au bout, il me coupe la parole. Il se tourne vers ma mère et lui demande si c'est vrai, Tu te
fous de ma gueule 187ou quoi c'est quoi ce délire et il monte la voix. Il se lève et il serre les poings, il
regarde autour de lui, il ne sait pas quoi faire, pas encore, et j'étais sûr que ce serait sa réaction.
Je regarde vers ma mère, je suis trop curieux, je veux qu'elle souffre de m'avoir humilié188 le matin,
je veux qu'elle souffre,
10 et je sais que provoquer une bagarre entre mon frère et mon père est le meilleur moyen de la faire
souffrir. Quand mon regard croise le sien, elle me dit : Toi t'es vraiment une putain de petite
pourriture189. Elle n'essaye pas de mentir, on dirait qu'elle va vomir190 de dégoût. Je baisse la tête, je
commence à avoir honte de ce que je viens de faire mais pour l'instant, le plaisir de la vengeance
prend encore le dessus (c'est plus tard qu'il ne me restera plus que la honte).
15
Mon père explose, il ne peut plus s'arrêter, il devient fou comme ça quand on lui ment. Il jette son
verre de vin rouge qui se brise sur le sol, il hurle C'est moi qui commande dans cette maison, c'est
quoi cette histoire de me cacher des trucs bordel, et il crie tellement fort que ma mère a peur,
même elle a peur alors que le reste du temps, les autres jours de sa vie, elle répète qu'elle n'aura
20 jamais peur d'un homme, surtout pas d'un homme, qu'elle n'est pas comme les autres femmes, elle
me prend dans ses bras et elle cache mes sœurs derrière elle, elle veut qu'il s'apaise191, Ça va aller
chérie, je le ferai plus, mais il ne se calme pas, je savais qu'il ne se calmerait pas. Il continue et ma
mère s'énerve aussi, elle crie Mais t'es complètement malade ou quoi, je te préviens, si tu blesses un
seul de mes gosses avec un éclat de verre, moi je t'égorge192, je te défonce193, mon père met des
25 coups de poing dans le mur et lit Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une famille
comme ça entre l'autre là
- c'est de moi qu'il parle -
entre l'autre, là, en plus d'un alcoolique qui n'est pas foutu194 de faire autre chose que boire, boire,
boire,
30 regarde-le
il pointe du doigt mon frère,
le raté195. Et c'est là, quand le mot raté surgit, que mon grand frère se lève et qu'il saute sur mon
père. Il le frappe pour le faire taire, il claque le corps de mon père contre le mur de toute sa masse,
de tout son poids, et puis les cris de douleur, les insultes, les cris de douleur. Mon père ne fait rien, il
35 ne veut pas frapper son fils, il laisse faire. Je sentais les larmes tièdes de ma mère qui tombaient sur
mon crâne, je pensais : C'est bien fait pour elle, bien fait pour elle - elle continuait d'essayer de me
cacher les yeux, mais je contemplais la scène entre ses doigts, je regardais les taches de sang
pourpre sur les pavés196 jaunes.

40 J'avais failli197 être celui qui allait te tuer.

187
Se foutre de la gueule de qn : se moquer méchamment de quelqu'un.
188
Humilier : rabaisser, faire perdre sa dignité.
189
Une pourriture : personne très méprisable (insulte).
190
Vomir : rejeter par la bouche le contenu de son estomac.
191
S'apaiser : redevenir calme.
192
Égorger qn : trancher la gorge pour tuer.
193
Défonce qn : frapper très violemment.
194
Pas foutu : incapable de, qui n'arrive pas à faire qc.
195
Un raté : personne qui échoue, qui ne réussit rien.
196
Un pavé : grosse pierre plate pour faire les trottoirs.
197
Faillir faire qc : être sur le point de le faire, à deux doigts de le faire.

24
Compréhension de texte - cochez les réponses correctes :

1. O Vrai O Faux Le narrateur se souvient précisément de la date à laquelle son


frère a essayé de tuer son père.
2. O Vrai O Faux Cette tentative de meurtre a eu lieu juste après les attentats du
11 septembre 2001.
3. O Vrai O Faux Le frère vidait une bouteille de vin en regardant les tours
jumelles s'effondrer.
4. O Vrai O Faux Le frère était persuadé que les Etats-Unis allaient ensuite
attaquer la France.
5. O Vrai O Faux Le narrateur avait 9 ans à l'époque et ne comprenait pas ce qui
se passait.
6. O Vrai O Faux Le frère a essayé d'étrangler le père pendant le dîner.
7. O Vrai O Faux La mère du narrateur lui a demandé de ne pas regarder la
scène.
8. O Vrai O Faux Le narrateur voulait assister à cette bagarre qu'il avait
provoquée.
9. O Vrai O Faux Le narrateur a surpris sa mère donnant de l'argent en cachette à
son frère.
10. O Vrai O Faux Le père avait interdit à la mère de donner de l'argent au frère.
11. O Vrai O Faux Quelques jours plus tard, la mère a humilié son fils devant son
homosexualité présumée.
12. O Vrai O Faux Pour se venger, le narrateur a raconté la scène d'argent à son
père.
13. O Vrai O Faux Le père était au courant que la mère aidait financièrement le
frère.
14. O Vrai O Faux Le père s'est énervé et a frappé le narrateur.
15. O Vrai O Faux La mère a traité le narrateur de "pourriture" après sa
dénonciation.
16. O Vrai O Faux Le père a insulté le frère d'"alcoolique" et de "raté".
17. O Vrai O Faux La mère a encouragé la bagarre entre son mari et son fils.
18. O Vrai O Faux Le narrateur éprouvait du plaisir à voir sa mère souffrir.
19. O Vrai O Faux Le père ne voulait pas riposter contre son fils.
20. O Vrai O Faux La scène se déroule dans la cuisine familiale.
21. O Vrai O Faux La mère menace de tuer le père s'il blesse un enfant.
22. O Vrai O Faux Le narrateur observe des taches de sang sur le carrelage.

25
C'est un passage très sombre, axé sur les rapports de force violents au sein de cette famille modeste.
Trouve pour chaque thème ou motif une citation, un exemple ou une description de la situation.

• La vengeance et la rivalité au sein de la famille :

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• La violence conjugale et familiale :

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• Le rejet de l'homosexualité :

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• La domination masculine :

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• La reproduction des schémas familiaux :

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26
• La fatalité sociale :

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• La toxicomanie :

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• L'incompréhension parents-enfants :

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Parle du style de ce passage. Montrez comment l'oralité a une grande influence sur ce texte.
Illustrez aussi comment la dissolution des liens familiaux est marqué ici par une perte de
structures et normes grammaticales.

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27
Troisième acte.

(4) Peter Handke dit : "Devant tous les événements, ma mère semblait être là, bouche ouverte." Toi,
tu n'étais pas là. Tu n'avais pas la bouche ouverte parce que tu avais perdu le luxe de
l'étonnement198 et de l'épouvante199, plus rien n'était inattendu parce que tu n'attendais plus rien,
5 plus rien n'était violent puisque la violence, tu n'appelais pas violence, tu l'appelais la vie, tu
n'appelais pas, elle était là, elle était.

10 2004 ou 2005 peut-être - j'ai douze ou treize ans. Je marche avec ma meilleure amie Amélie dans les
rues du village et nous trouvons un portable par terre sur l'asphalte. Il traînait là, Amélie marchait et
son pied avait trébuché200 dessus, le téléphone avait glissé sur la route. Elle s'est penchée, elle l'a
ramassé et nous avons décidé de le garder pour jouer avec, envoyer des messages aux garçons
qu'Amélie rencontrait sur Internet.
15 Moins de deux jours après, la police t'a téléphoné pour te dire que j'avais volé un téléphone. Je
trouvais l'accusation exagérée, on ne l'avait pas volé, il était dans la rue, sur le bord de la route, on
ne savait pas à qui il appartenait, mais tu avais l'air de croire ce que disait la police plus que ce que je
disais. Tu es venu me chercher dans ma chambre, tu m'as giflé, tu m'as traité de voleur et tu m'as
emmené au commissariat.
20 Tu avais honte ? Tu regardais comme si je t'avais trahi201.
Tu n'as rien dit dans la voiture, mais quand nous nous sommes assis devant les policiers, dans leurs
bureaux, recouverts d'affiches incompréhensibles, tout de suite tu t'es mis à me défendre avec une
force que je n'avais jamais rencontrée, ni dans ta voix, ni dans ton regard.
Tu leur disais que je n'aurais jamais volé un téléphone, que je l'avais trouvé., c'est tout. Tu disais que
25 j'allais devenir un professeur, un médecin important, un ministre, tu ne savais pas encore, mais
qu'en tout cas j'allais faire de grandes études et que je n'avais rien à voir avec les délinquants (sic).
Tu as dit que tu étais fier de moi. Tu as dit que tu n'avais jamais connu d'enfant aussi intelligent que
moi. Je ne savais pas que tu pensais tout ça (que tu m'aimais ?). Pourquoi est-ce que tu ne me l'avais
jamais dit ?
30
Plusieurs années après, quand j'ai fui le village et que je suis allé habiter à Paris quand le soir dans les
bars, je rencontrais des hommes et qu'ils me demandaient quelles étaient mes relations avec ma
famille - c'est une drôle de question, mais ils la posent - je leur répondais toujours que je détestais
mon père. Ce n'était pas vrai. Je savais que je t'aimais, mais je ressentais le besoin de dire aux autres
35 que je te détestais. Pourquoi ?

Est ce qu'il est normal d'avoir honte d'aimer ?

Quand tu avais trop bu, tu baissais les yeux et tu me disais quand même que tu m'aimais, que tu ne
40 comprenais pas pourquoi le reste du temps tu étais si violent. Tu pleurais en m'avouant202 que tu ne
savais pas comment interpréter ces forces qui te traversaient, qui te faisaient dire des choses que tu

198
Un étonnement : surprise, sentiment d'admiration.
199
Une épouvante : très grande peur, frayeur.
200
Trébucher sur qc : buter du pied contre, perdre l'équilibre.
201
Trahir : être déloyal, rompre sa parole, tromper.
202
Avouer : reconnaître quelque chose de négatif.

28
regrettais immédiatement après. Tu étais autant victime de la violence que tu exerçais que de celle
que tu subissais203.
Tu as pleuré ? Quand les tours gémelles se sont effondrées.
Avant ma mère tu as aimé une femme qui s'appelait Sylvie. Tu avais tatoué son nom toi-même sur
5 ton bras avec de l'encre de Chine204. Quand je te posais des questions sur elle tu ne voulais pas
répondre. Un ami m'a dit L'autre jour, parce que je lui ai parlé de toi : "Ton père ne voulait pas
raconter son passé parce que ce passé lui rappelait qu'il aurait pu devenir quelqu'un d'autre et qu'il
ne l'est pas devenu." Peut-être qu'il a raison.
Ces fois où je montais dans la voiture avec toi pour t'accompagner acheter des cigarettes, ou autre
10 chose, mais surtout et souvent des cigarettes. Tu mettais dans le poste un disque piraté de Céline
Dion, tu avais écrit Céline au marqueur bleu dessus, tu lançais le disque et tu chantais de toutes tes
forces. Tu connaissais toutes les paroles par cœur. Je chantais avec toi, et je sais que c'est une image
convenue205 mais c'est comme si ces instants-là étaient les seuls où tu arrivais à me dire les choses
que le reste du temps tu ne me disais pas.
15 Tu te frottais les mains 206avant de commencer à manger.
Quand j'achetais des bonbons à la boulangerie du village, tu en prenais un dans le paquet avec un
petit air coupable et tu me disais : "Ne le dis pas à ta mère !" Tout à coup, tu avais le même âge que
moi.
Un jour, tu as donné mon jouet préféré, un jeu de société qui s'appelait Docteur Maboul207 au voisin.
20 J'y jouais tous les jours, c'était mon jeu préféré et tu l'as donné sans aucune raison. J'ai hurlé, je t'ai
supplié. Toi tu souriais et tu disais : "C'est la vie".
Un soir dans le café du village, tu as dit devant tout le monde que tu aurais préféré avoir un autre fils
que moi. Pendant plusieurs semaines, j'ai eu envie de mourir.

25 2000 - je me rappelle l'année parce qu'il y avait encore dans la maison des décorations pour fêter le
nouveau millénaire, guirlandes, ampoules208 de toutes les couleurs, des dessins aussi seulement
gribouillés209 que j'avais rapportés de l'école avaient écrit dessus en lettres d'or des vœux pour la
nouvelle année et la nouvelle ère qui commençait.
Il n'y avait que toi et moi dans la cuisine. Je t'ai dit : "Regarde Papa, je sais imiter l'extraterrestre !" -
30 et je t'ai fait une grimace avec mes doigts et avec ma langue. Je ne t'ai jamais vu rire autant. Tu
n'arrivais pas à calmer ton rire, tu t'essoufflais210, les larmes de joie coulaient sur ton visage rougi,
rougi. J'avais arrêté ma grimace mais tu continues à rire, tellement fort que j'ai fini par m'inquiéter,
par avoir peur de ton rire qui ne s'arrêtait pas, qui semblait comme vouloir s'étirer211 et résonner212
jusqu'à la fin du monde. Je t'ai demandé pourquoi tu riais autant et tu as répondu, entre deux rires :
35 "Toi tu es un sacré gamin213, je ne sais pas comment j'ai réussi à en faire un comme toi." Alors j'ai
décidé de rire avec toi, nous avons ri tous les deux en nous tenant le ventre, l'un à côté de l'autre
pendant longtemps, longtemps.
Les problèmes ont commencé dans l'usine où tu travaillais. Je l'ai raconté dans mon premier roman
En finir avec Eddy Bellegueule, un après-midi nous avons reçu un appel de l'usine pour nous prévenir

203
Subir : devoir accepter contre son gré.
204
L'encre de Chine : encre noire utilisée pour le dessin et l'écriture.
205
Convenu, -e : banal, attendu, sans originalité.
206
Se frotter les mains : geste d'impatience ou de satisfaction.
207
Docteur Maboul : un jeu pour enfants.
208
Une ampoule : ce qui donne la lumière dans une lampe.
209
Gribouillé, -e : recouvert de gribouillis, de dessins confus.
210
S'essouffler : se mettre à respirer difficilement.
211
S'étirer : étirer ses membres et son corps.
212
Résonner : faire de l'écho
213
Un sacré gamin : enfant très turbulent et joueur.

29
qu'un poids était tombé sur toi. Ton dos était broyé214, écrasé215, on nous a dit que tu ne pourrais
plus marcher pendant plusieurs années, plus marcher.

Les premières semaines tu es resté complètement au lit, sans bouger. Tu ne savais plus parler, tu ne
5 pouvais plus que crier. C'était la douleur, elle te faisait te réveiller la nuit et crier, ton corps ne
pouvait plus se supporter lui-même, tous tes mouvements et tes déplacements les plus minuscules
réveillaient tes muscles ravagés216. Tu prenais conscience de l'existence de ton corps dans la douleur,
par elle.
Et puis la parole est revenue. Au début, c'était seulement pour demander de la nourriture et à boire,
10 et avec le temps, tu as recommencé à faire des phrases plus longues, à exprimer des désirs, des
envies, des colères. La parole ne remplaçait pas la douleur. Il ne faut pas se tromper là-dessus, il faut
dire les choses. La douleur n'a jamais disparu.

L'ennui217 a pris toute la place dans ta vie. Je te regardais et j'apprenais à voir que l'ennui est ce qui
15 peut t'arriver de pire. Même dans les camps de concentration on pouvait s'ennuyer. C'est étrange de
le penser. Imre Kertész le dit, Charlotte Delbo le dit, même dans les camps de concentration, même
avec la faim, la soif, la mort, l'agonie218 pire que la mort, les crématoires, les chambres à gaz, les
exécutions sommaires, les chiens toujours déjà prêts à vous déchiqueter219 les membres220, le froid,
la chaleur, la chaleur et la poussière221 qui entrent dans la bouche, la langue qui durcit comme un
20 morceau de béton à l'intérieur de la bouche privée d'eau, le cerveau222 asséché223 qui se rétracte
224
dans la boîte crânienne225, le travail, le travail encore, les puces226, les poux227, la gale228, la
diarrhée, la soif encore, malgré tout ça et tout ce que je n'ai pas dit, il y avait encore de la place pour
l'ennui, l'attente de l'événement, celui qui ne viendra pas ou qui tarde trop à venir.

25 Tu te levais tôt le matin et tu allumais la télé en même temps que ta première cigarette. J'étais dans
la chambre à côté, l'odeur du tabac et le bruit arrivaient jusqu'à moi, comme l'odeur et le bruit de
ton être. Les gens que tu appelais, tes copains venaient boire du pastis à la maison en fin d'après-
midi, tu regardais la télé avec eux, tu allais les voir de temps en temps mais le plus souvent à cause
de tes douleurs au dos, à cause de ton dos broyée par l'usine, de ton dos broyé par la vie qu'on
30 t'avait contraint à vivre, pas par ta vie, ce n'était pas ta vie à toi, ta vie à toi justement, tu n'as jamais
vécue, tu as vécu à côté de ta vie, à cause de tout ça tu restais à la maison, et c'était plutôt eux qui
venaient, toi, tu ne pouvais plus bouger, ton corps te faisait trop mal.

En mars 2006, le gouvernement de Jacques Chirac, président de la France pendant douze ans, et son
35 ministre de la Santé Xavier Bertrand, ont annoncé que des dizaines de médicaments ne seraient plus
remboursés par l'État, dont, en grande partie, des médicaments contre les troubles digestifs.
Comme tu devais rester allongée toute la journée depuis l'accident et que tu avais une mauvaise

214
Broyer : écraser en poudre, réduire en miettes.
215
Écraser : presser avec force pour aplatir complètement.
216
Ravagé, -e : saccagé, détruit.
217
Un ennui : quand on ne sait pas ce qu'on veut faire.
218
Une agonie : grande souffrance avant la mort.
219
Déchiqueter : mettre en petits morceaux.
220
Un membre : un bras ou une jambe.
221
La poussière : fine poudre qui s'accumule par manque de nettoyage.
222
Le cerveau : organe dans la boîte crânienne qui contrôle le système nerveux.
223
Asséché, -e : devenu sec.
224
Se rétracter : se replier sur soi-même, se contracter.
225
La boîte crânienne : partie dure de la tête qui contient le cerveau.
226
Une puce : tout petit insecte parasite des mammifères.
227
Un pou : insecte parasite vivant dans les cheveux.
228
La gale : maladie de la peau causée par un parasite.

30
alimentation, les problèmes de digestion étaient constants pour toi. Achetez des médicaments pour
les réguler devenait de plus en plus difficile. Jacques Chirac et Xavier Bertrand se détruisaient les
intestins229.

5 Pourquoi est-ce qu'on ne dit jamais ces noms dans une biographie ?

En 2007, Nicolas Sarkozy, candidat à l'élection présidentielle, mène une campagne contre celles et
ceux qu'il appelle les assistés230, et qui selon lui, volent l'argent de la société française parce qu'il ne
travaille pas. Il déclare : "Le travailleur […] voit l'assisté s'en tirer mieux que lui pour boucler ses fins
10 de mois231 sans rien faire." Il te faisait comprendre que si tu ne travaillais pas, tu étais en trop dans le
monde, un voleur, un surnuméraire232, une bouche inutile aurait dit Simone de Beauvoir. Il ne te
connaît pas. Il n'a pas le droit de penser ça, il ne te connaît pas. Ce genre d'humiliation venue des
dominants te fait ployer le dos233 encore plus.

15 En 2009, le gouvernement de Nicolas Sarkozy et son complice Martin Hirsch remplacent le RMI, un
revenu234 minimum versé par l'État français aux personnes sans travail, par le RSA. Tu touchais le
RMI depuis que tu ne pouvais plus travailler. Le passage du RMI au RSA visait à "favoriser le retour à
l'emploi", comme le disait ce gouvernement. La vérité, c'était que dorénavant235 tu étais harcelé236
par l'État pour reprendre le travail malgré ta santé désastreuse, malgré ce que l'usine t'avait fait. Si
20 tu n'acceptais pas le travail qu'on te proposait, ou plutôt qu'on t'imposait, tu allais perdre ton droit
aux aides sociales. On te proposait que des emplois à mi-temps épuisants237, physiques, dans la
grande ville, à quarante kilomètres de chez nous. Payez l'essence pour faire l'aller-retour tous les
jours, t'aurait coûté trois cents euros par mois. Au bout d'un certain temps, pourtant, tu as été
obligé d'accepter un travail de balayeur238 dans une autre ville pour sept cents euros par mois,
25 penché toute la journée à ramasser les ordures239 des autres, penché, alors que ton dos était détruit.
Nicolas Sarkozy et Martin Hirsch te broyaient le dos.

Tu avais conscience que pour toi la politique était une question de vie ou de mort.

30 Un jour en automne, la prime de rentrée scolaire qui était versée tous les ans aux familles pour les
aider à acheter des fournitures, des cahiers, des cartables, avait été augmentée de presque cent
euros. Tu étais fou de joie, tu avais crié dans le salon : "On part à la mer !" et on était parti à six dans
notre voiture de cinq places - j'étais monté dans le coffre, comme un otage240 dans un film
d'espionnage, c'était ce que je préférais.
35 Toute la journée avait été une fête.
Chez ceux qui ont tout, je n'ai jamais vu de famille aller voir la mer pour fêter une décision politique,
parce que pour eux la politique ne change presque rien. Je m'en suis rendu compte quand je suis allé
vivre à Paris, loin de toi : les dominants peuvent se plaindre241 d'un gouvernement de gauche, ils
peuvent se plaindre d'un gouvernement de droite, mais un gouvernement ne leur cause jamais de

229
Les intestins : organes du tube digestif.
230
Un assisté : personne qui reçoit des aides sociales.
231
Boucler ses fins de mois : arriver à joindre les deux bouts, avoir assez d'argent pour vivre tout le mois.
232
Un surnuméraire : personne en plus, non indispensable.
233
Ployer le dos : courber le dos, faire un travail physique dur.
234
Un revenu : argent que l'on gagne.
235
Dorénavant : à partir de ce moment-là.
236
Harceler qn : persécuter, importuner tout le temps.
237
Épuisant, -e : très fatiguant.
238
Un balayeur : personne dont le travail est de balayer les rues.
239
Les ordures : les déchets.
240
Un otage : personne retenue et menacée pour faire pression.
241
Se plaindre : exprimer son mécontentement.

31
problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les
pousse jamais vers la mer. La politique ne change pas leur vie, ou si peu. Ça aussi c'est étrange, c'est
eux qui font la politique alors que la politique n'a presque aucun effet sur leur vie. Pour les
dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une
5 manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c'était vivre ou mourir.

En août 2016, sous la présidence de François Hollande, Myriam El Khomri, la ministre du Travail
soutenue par le Premier ministre Manuel Valls, fait adopter la loi dite "loi Travail". Cette loi facilite
les licenciements242 et permet aux entreprises de faire travailler les salariés plusieurs heures de plus
10 par semaine, en plus de ce qu'ils travaillent déjà.
L'entreprise pour laquelle tu balaies les rues pouvait te demander de balayer encore plus, de te
pencher encore plus longtemps chaque semaine. Ton état de santé aujourd'hui, tes difficultés à te
déplacer, tes difficultés à respirer, ton incapacité à vivre sans l'assistance d'une machine viennent en
grande partie d'une vie à faire des mouvements automatiques à l'usine, puis à te pencher huit
15 heures de suite tous les jours pour balayer les rues, pour balayer les ordures des autres. Hollande,
Valls et El Khomri t'ont asphyxié243.
Pourquoi est-ce qu'on ne dit jamais ces noms ?

27 mai 2017 - dans une ville de France, deux syndicalistes244 - ils portent tous les deux un T-shirt -,
20 deux hommes interpellent au milieu d'une rue le président français Emmanuel Macron. Ils sont en
colère, leur manière de parler le fait comprendre. Ils ont l'air de souffrir aussi. Emmanuel Macron
leur répond, la voix pleine de mépris245 : "Vous n'allez pas me faire peur avec votre T-shirt. La
meilleure façon de se payer un costard246, c'est de travailler." Il renvoie ceux qui n'ont pas les
moyens de se payer un costume à la honte, à l'inutilité, à la fainéantise247. Il actualise la frontière,
25 violente, entre les porteurs de costumes et les porteurs de T-shirt, les dominés et les dominants,
ceux qui ont l'argent et ceux qui ne l'ont pas, ceux qui ont tout et ceux qui n'ont rien. Ce genre
d'humiliation venue des dominants te fait ployer le dos encore plus.

Septembre 2017 - Emmanuel Macron accuse les "fainéants" qui, en France, selon lui, empêchent les
30 réformes. Tu sais depuis toujours que ce mot est réservé aux gens comme toi, à ceux qui n'ont pas
pu ou ne peuvent pas travailler parce qu'ils vivent trop loin des grandes villes, qui ne trouvent pas de
travail parce qu'ils ont été chassés trop tôt du système scolaire, sans diplômes, à ceux qui ne
peuvent plus travailler parce que la vie à l'usine leur a broyé le dos. On ne dit jamais fainéants pour
nommer un patron qui reste toute la journée assis dans un bureau à donner des ordres aux autres.
35 On ne le dit jamais. Quand j'étais petit, tu répétais obsessionnellement, "Je ne suis pas un fainéant",
parce que tu savais que cette insulte planait248 au-dessus de toi, comme un spectre249 que tu voulais
exorciser.
Il n'y a pas de fierté sans honte : tu étais fier de ne pas être un fainéant parce que tu avais honte de
faire partie de ceux qui pouvaient être désignés par ce mot. Le mot fainéant est pour toi une
40 menace250, une humiliation. Ce genre d'humiliation venue des dominants te fait ployer le dos encore
plus.

242
Un licenciement : renvoi d'un employé par son employeur.
243
Asphyxier : priver d'air jusqu'à provoquer la mort.
244
Un syndicaliste : membre actif d'un syndicat professionnel.
245
Le mépris : manque de respect, de considération.
246
Un costard : un costume masculin (veston et pantalon).
247
La fainéantise : paresse, manque de courage pour travailler.
248
Planer sur qn : être une menace pour, inquiéter.
249
Un spectre: un fantôme.
250
Une menace : annonce de faire du mal.

32
Ces noms que je prononce depuis tout à l'heure, peut-être que ceux qui me liront m'entendront ne
les connaissent pas, peut-être qu'ils les ont déjà oubliés ou qu'ils ne les ont jamais entendus, mais
c'est justement pour ça que je veux les prononcer, parce qu'il y a des meurtriers qui ne sont jamais
nommés pour les meurtres qu'ils ont commis, il y a des meurtriers qui échappent à la honte grâce à
5 l'anonymat ou grâce à l'oubli, j'ai peur parce que je sais que le monde agit dans l'ombre et dans la
nuit. Je refuse qu'ils soient oubliés. Je veux qu'il soient connus maintenant et pour toujours, partout
au Laos, en Sibérie et en Chine, au Congo, en Amérique, partout à travers les océans, à l'intérieur de
tous les continents, au-delà de toutes les frontières.
Est-ce que tout finit toujours par être oublié ? Je veux que ces noms deviennent aussi inoubliables
10 qu'Adolphe Thiers que le Richard III de Shakespeare ou que Jack l'Éventreur.
Je veux faire entrer leurs noms dans l'Histoire par vengeance.

Août 2017 - le gouvernement d'Emmanuel Macron retire cinq euros par mois aux Français les plus
précaires, il retient cinq euros par mois sur les aides sociales qui permettent aux plus pauvres en
15 France de se loger, de payer un loyer. Le même jour, ou presque, peu importe, il annonce une
baisse251 des impôts252 pour les personnes les plus riches de France. Il pense que les pauvres sont
trop riches, que les riches ne sont pas assez riches. Son gouvernement précise que cinq euros, ce
n'est rien. Ils ne savent pas. Il prononce ces phrases criminelles parce qu'ils ne savent pas. Emmanuel
Macron enlève la nourriture de la bouche.
20
*

Hollande, Valls, El Khomri, Hirsch, Sarkozy, Macron, Bertrand, Chirac. L'histoire de ta souffrance
porte des noms. L'histoire de ta vie est l'histoire de ces personnes qui se sont succédé pour
25 t'abattre253. L'histoire de ton corps est l'histoire de ces noms qui se sont succédé pour le détruire.
L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique.

30 Tu as changé ces dernières années ? Tu es devenu quelqu'un d'autre. Nous nous sommes parlé,
longtemps, nous nous sommes expliqués. Je t'ai reproché la personne que tu as été quand j'étais
enfant, ta dureté, ton silence, tes scènes que j'énumère depuis tout à l'heure et tu m'as écouté. Et je
t'ai écouté. Toi qui toute ta vie a répété que le problème de la France venait des étrangers et des
homosexuels, tu critiques maintenant le racisme de la France, tu me demandes de te parler de
35 l'homme que j'aime. Tu achètes les livres que je publie, tu les offres aux gens autour de toi. Tu as
changé du jour au lendemain, un de mes amis dit que ce sont les enfants qui transforment leurs
parents et pas le contraire.
Mais ce qu'ils ont fait de ton corps ne te donne pas la possibilité de découvrir la personne que tu es
devenue.
40
Le mois dernier, quand je suis venu te voir, avant que je parte tu m'as demandé : "Tu fais encore de
la politique ?" - le mot encore faisait référence à ma première année au lycée, quand j'avais adhéré à
un parti d'extrême gauche et qu'on s'était disputé par ce que tu pensais que j'allais avoir des ennuis
avec la justice à force de participer à des manifestations illégales. Je t'ai dit : "Oui. De plus en plus."
45 Tu as laissé passer trois ou quatre secondes, tu m'as regardé et enfin tu as dit : "Tu as raison. Tu as
raison, je crois qu'il faudrait une bonne révolution."

251
Une baisse : diminution, réduction.
252
Les impôts : les taxes et contributions obligatoires payées à l'Etat.
253
Abattre qn : tuer qn.

33
Compréhension de texte - Cochez les bonnes réponses.

1. Comment le père de l'auteur a-t-il réagi quand il a appris que son fils avait été accusé de
vol ?
o Il a défendu son fils avec force.
o Il a giflé son fils et l'a traité de voleur.
o Il a ri de la situation.
o Il est resté silencieux.

2. Quel événement politique a eu un impact sur la vie de l'auteur en 2000 ?


o L'élection présidentielle.
o Les manifestations étudiantes.
o La guerre en Irak.
o Les célébrations du nouveau millénaire.

3. Comment la vie de l'auteur et de sa famille a-t-elle été affectée par la loi "loi Travail" de
2016 ?
o Ils ont perdu leur emploi.
o Ils ont dû travailler plus d'heures.
o Leurs salaires ont été augmentés.
o Ils ont été harcelés par l'État pour travailler malgré leur santé précaire.

4. Comment l'auteur qualifie-t-il le comportement des politiciens français face aux


personnes précaires ?
o Indifférent.
o Bienveillant.
o Honteux.
o Compréhensif.

5. Pourquoi le mot "fainéant" est-il important dans le texte ?


o Parce qu'il désigne les politiciens.
o Parce qu'il décrit le narrateur.
o Parce qu'il menace constamment la classe dominée.
o Parce qu'il est un terme de flatterie.

6. Quel président français a retiré cinq euros par mois aux personnes les plus précaires en
2017 ?
o Jacques Chirac
o Nicolas Sarkozy
o François Hollande
o Emmanuel Macron

7. Quelle phrase cruelle a prononcée Emmanuel Macron envers les personnes les plus
précaires ?
o "Vous êtes des héros"
o "La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler"
o "Vous méritez une meilleure vie"
o "Je suis fier de vous"

34
8. Quel est l'objectif du narrateur en mentionnant les noms des politiciens et des lois ?
o Les blâmer pour les problèmes de sa famille.
o Les glorifier pour leur action politique.
o Les rendre responsables de la situation actuelle.
o Les remercier pour leurs efforts.

9. Quelle est la principale critique du narrateur concernant les politiciens français ?


o Leur manque de compétence.
o Leur manque de compassion.
o Leur manque d'intégrité.
o Leur manque de charisme.

10. Comment l'auteur qualifie-t-il l'impact des politiques gouvernementales sur son père ?
o Libérateur.
o Destructeur.
o Bénéfique.
o Indifférent.

11. Comment le père de l'auteur a-t-il changé récemment ?


o Il est devenu plus strict.
o Il est devenu plus distant.
o Il a reconnu son passé et ses erreurs.
o Il a cessé de parler de politique.

12. Quelle est la réaction de l'auteur à la question de son père sur son engagement
politique?
o Il répond par la négative.
o Il évite la question.
o Il affirme son engagement croissant.
o Il se fâche contre son père.

13. Quelle est la signification de l'expression "Tu as raison. Tu as raison, je crois qu'il faudrait
une bonne révolution." ?
o Le père de l'auteur approuve le changement politique.
o Le père de l'auteur critique la révolution.
o Le père de l'auteur soutient la lutte pour un changement radical.
o Le père de l'auteur pense que la révolution est inutile.

35
En petits groupes, discutez et remplissez ensuite cette fiche :
Qui sont, selon ce texte, tous les responsables de la misère du père du narrateur ? Comment ont-
ils contribué à rendre sa vie encore plus difficile ?

1. L'usine :

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__________________________________________________________________________________________

2. Jacques Chirac et Xavier Bertrand (en 2004 ou 2005) :

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

3. Nicolas Sarkozy (en 2007) :

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

4. François Hollande, Martin Hirsch (en 2009) :

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

5. Emmanuel Macron (en 2017) :

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

6. Le système économique néo-libéral :

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

36
En quelle mesure le père est-t-il responsable de son propre destin ?
Il boit beaucoup d'alcool, il fume, il mange de la nourriture mal saine, il est violent, il ne montre pas
d'empathie…. Comment peut-on dire que seul l'État et la classe politique est responsable de tous ses
malheurs ?

Choix individuel versus déterminisme social


• Il est vrai que le père a quitté l'école très tôt, ce qui a limité ses opportunités
professionnelles. Cependant, le texte suggère que cela était lié à des normes sociales de
l'époque pour construire une masculinité "virile" qui rejetait l'école. Donc son départ
précoce de l'école découle en partie d'influences sociales.
• Sa mauvaise alimentation, le tabac et l'alcool semblent liés à la pauvreté, au manque
d'éducation sur la santé, et à une forme d'automédication pour oublier des conditions de vie
difficile. Le texte indique que l'alcool avait une "fonction d'oubli" dans son milieu.
• La violence fait partie d'un cycle reproduit de génération en génération, où la violence subie
engendre de la violence. Le père a grandi avec un père violent, ce qui a pu modeler ses
comportements.
• Le manque d'empathie peut s'expliquer par un environnement où la survie et la construction
d'une masculinité "virile" priment sur les émotions. L'absence d'une figure paternelle
aimante a aussi pu limiter son éducation sentimentale.

Donc on peut nuancer la responsabilité individuelle du père, qui subit l'influence de déterminants
sociaux, culturels et psychologiques.

Le père a sa part de responsabilité dans certains choix et comportements, mais si le texte cherche à
les contextualiser. Le débat sur la part de choix individuel versus déterminisme social dans un destin
est intéressant et complexe.

Quelle est ton opinion à ce sujet ?

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________________

Au moins deux personnages de cette histoire arrivent à se libérer du déterminisme


social. Qui ? Et comment le font-ils ?

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37
Glossaire
Bertrand, Xavier (*1965)
est un homme politique français. Il a été ministre de la Santé de 2005 à 2007 (puis plus tard ministre
du Travail). Appartenance politique : UMP, les Républicains (LR) (droite / centre droit).

Chirac, Jacques (1932-2019)


était un homme politique français. Il a été Premier ministre de 1974 à 1976 et de 1986 à 1988 et
président de la République de 1995 à 2007. Il a fondé le parti politique Rassemblement pour la
République (RPR) dont est issue l'Union pour un mouvement populaire (UMP) (droite / centre droit).

Delbo, Charlotte (1913-1985)


est une auteure française qui était Résistante et a survécu aux camps de concentration.

El Khomri, Myriam (*1978)


est une femme politique française. Elle a été ministre du Travail de 2015 à 2017 et a fait adopter la «
loi Travail » qui définit des conditions de travail plus flexibles et qui a occasionné beaucoup de
manifestations en 2016. Appartenance politique : Parti socialiste (gauche / centre gauche).

Gilmore, Ruth (*1950)


est une militante américaine qui s'engage pour l'abolition des prisons.

Handke, Peter (*1942)


est un auteur autrichien qui a reçu le prix Nobel de littérature en 2019. Dans Le Malheur indifférent
(Wunschloses Unglück), paru en 1972, l'auteur évoque sa mère qui s'est tuée en 1971, à l'âge de 51
ans, et qui a eu une vie très simple, sans désirs.

Hirsch, Martin (*1963)


est un homme politique français. Il a été haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté
de 2007 à 2010. Il est le fondateur du RSA (voir plus bas).

Hollande, François (*1954)


est un homme politique français. Il a été président de la République de 2012 à 2017. Appartenance
politique : Parti socialiste (dont il a été premier secrétaire) (gauche / centre gauche).

Jack l'Éventreur
était un tueur en série à Londres au XIXe siècle (anglais : Jack the Ripper).

Kertész, Imre (1929-2016)


est un auteur hongrois qui a survécu aux camps de concentration.

Macron, Emmanuel (*1977)


est un homme politique français. Il est président de la République depuis 2017. Il a été ministre de
l'Économie de 2014 à 2016 (il a été membre du Parti socialiste de 2006 à 2009). En 2016, il a fondé
un nouveau mouvement politique, En Marche, officiellement ni à gauche ni à droite. E. Macron
défend des idées sociales-libérales. Il nomme des Premiers ministres issus de LR (droite / centre
droit).

Richard III
est une pièce de théâtre de Shakespeare (écrite vers 1592) dans laquelle il est question de Richard
III, un roi d'Angleterre tyrannique ayant régné au XVe siècle.

38
RMI
Le revenu minimum d'insertion, une aide de l'État pour les personnes ayant peu de ressources,
ayant existé de 1988 à 2009.

RSA
Le revenu de solidarité active (qui a remplacé le RMI), une aide de l'État pour les personnes ayant
peu de ressources. Les personnes bénéficiant de cette aide sont parfois dans l'obligation de chercher
un emploi.

Sarkozy, Nicolas (*1955)


est un homme politique français. Il a été président de la République de 2007 à 2012. Avant cela, il a
été (entre autres) ministre de l'Intérieur de 2002 à 2004, puis de 2005 à 2007. Sa priorité est la
sécurité. Appartenance politique : UMP (dont il a été président), les Républicains (LR) (dont il est
président) (droite / centre droit).

Sartre, Jean-Paul (1905-1980)


est un auteur et philosophe français, représentant du mouvement existentialiste.

Thiers, Adolphe (1797-1877)


était un avocat, journaliste et homme politique français qui a marqué le XIXe siècle. Il a été le
premier président de la IIIe République. C'était un homme politique conservateur et libéral.

Valls, Manuel (*1962)


est un homme politique franco-espagnol. Il a été ministre de l'Intérieur de 2012 à 2014, puis Premier
ministre de 2014 à 2016. Appartenance politique : d'abord Parti socialiste (gauche / centre gauche),
puis, depuis 2017, La République en marche (LREM) (centre gauche / centre droit), le parti fondé par
Emmanuel Macron.

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Entretien avec l'auteur Édouard Louis,
Théâtre National de Strasbourg, Juin 2018

Compréhension orale - cochez la bonne réponse :

1. O Vrai O Faux L'auteur, Édouard Louis, avait déjà rencontré Stanislas


avant de travailler sur ce projet.
2. O Vrai O Faux Le père d'Édouard Louis est en parfaite santé.
3. O Vrai O Faux Le père d'Édouard Louis a été paralysé à l'âge de 35 ans
à cause d'un accident à l'usine.
4. O Vrai O Faux La transformation du RMI en RSA a eu un impact sur la
vie du père d'Édouard Louis.
5. O Vrai O Faux Le père d'Édouard Louis a été harcelé par l'État pour
retourner au travail après le passage au RSA.
6. O Vrai O Faux Le père d'Édouard Louis a été contraint de devenir
balayeur après son accident à l'usine.
7. O Vrai O Faux Édouard Louis était le seul enfant dans sa famille.
8. O Vrai O Faux Le père d'Édouard Louis avait 700 euros d'aide sociale
par mois.
9. O Vrai O Faux Le texte "Qui a tué mon père" est une adaptation
théâtrale d'un précédent ouvrage d'Édouard Louis.
10. O Vrai O Faux Le texte "Qui a tué mon père" est un monologue.
11. O Vrai O Faux L'écriture de "Qui a tué mon père" a été pensée pour la
scène dès le départ.
12. O Vrai O Faux Édouard Louis a détesté son enfance et sa vie jusqu'à
l'âge de quinze ans.
13. O Vrai O Faux Le théâtre a joué un rôle important dans la vie d'Édouard
Louis pour échapper à son environnement.
14. O Vrai O Faux Édouard Louis considère que le théâtre lui a permis de
créer son authenticité.
15. O Vrai O Faux Édouard Louis a choisi son nom, son sexe, et son
apparence.
16. O Vrai O Faux Édouard Louis pense que son authenticité réside dans
les éléments qui lui sont imposés par la vie.
17. O Vrai O Faux Wajdi Mouawad a participé à la réalisation théâtrale de
"Qui a tué mon père."
18. O Vrai O Faux Le texte "Qui a tué mon père" est qualifié de texte
politique.
19. O Vrai O Faux Édouard Louis sera le seul à parler sur scène lors de la
production théâtrale.
20. O Vrai O Faux Le texte "Qui a tué mon père" a déjà été lu par certains
membres de l'auditoire.

40
Entretien avec l'auteur Édouard Louis,
Théâtre National de Strasbourg, Juin 2018

Le titre ça peut être un titre de polar, en fait il y a un meurtrier, peut-être des meurtriers, il n'y a pas
de point d'interrogation, à Qui a tué mon père, pourquoi il n'y a pas de point d'interrogation ?

Parce que, bonsoir…. d'abord, j'ai oublié de dire bonsoir, bonsoir.


Parce qu'en fait je savais qui s'était, donc voilà, comme vous a dit Stanislas, on sait qu'on s'est
5 rencontrés il y a deux ans, moi je connaissais déjà le travail de Stanislas avant j'étais déjà un grand
admirateur et donc quand il m'a évoqué cette idée, on s'est revus à Paris, et moi ça correspondait,
on a pris plusieurs verres ensemble, on a bu du jus de tomate, a bu du vin ensemble et voilà, et le
projet se préciser et c'est à ce moment-là je suis allé revoir mon père que j'avais pas vu depuis
plusieurs années, en fait, on avait presque perdu tout contact l'un avec l'autre. Pas à cause d'une
10 dispute, il n'y a pas un moment que j'ai claqué la porte et je suis sorti, il n'y a pas eu de…
simplement, nos vies étaient devenus trop différentes, nos vies se ressemblaient plus, je vivais à
Paris, j'étudiais la philosophie, je lisais Toni Morrison, je te parlais, et pendant ce temps-là mon père
avait été privé de la possibilité de faire des études, vivait dans la région où ses grands-parents et
arrière-grands-parents avaient vécu, balayait les rues, et on n'arrivait plus à se parler, tout
15 simplement.
Et un jour je suis retourné le voir après la publication de Eddy Bellegueule et de l'Histoire de la
violence parce que mon père m'avait dit "je suis fier de toi et je voudrais te revoir", voilà, c'est
comme ça que ça s'est passé et je suis allé chez mon père dans le nord de la France.
J'ai ouvert la porte et là j'ai découvert un corps détruit, vraiment complètement détruit. Mon père a
20 cinquante ans, mais il ne peut plus marcher normalement, il ne peut plus respirer sans une machine,
il a besoin de brancher son cœur à une machine la nuit où son cœur s'arrête, il est constamment
opéré pour plein de choses, pour plein de maux, pour plein de pathologies que je ne connaissais pas.
Et en fait, justement, mon père n'a pas de maladie, il n'a pas une grande maladie, il n'a un cancer, il
n'a pas cette maladie très dure et comme ça au nom terrifiant, simplement l'état de son corps est dû
25 à ce que la société a fait lui, à ce que la société a fait son corps, à la place qui lui a été imposée au
monde. Et donc, quand j'ai vu le ce corps de mon père, ce corps tellement jeune, ce corps qui a
cinquante ans et qui ne peut plus respirer, j'ai tout de suite su qu'ils s'étaient, qui avait produit ça,
parce que je m'en souvenais, je m'en rappelais de mon enfance, je m'en rappelais, je me rappelais
que quand on était passé du RMI au RSA, ce que Sarkozy avait dit "c'était une réforme pour
30 encourager le retour au travail". En fait, on sait très bien que c'est mentir de dire ça, ce n'était pas
encourager le retour au travail, c'était forcer les gens à retourner au travail coûte que coûte.
Mon père avait travaillé à l'usine toute la première partie de sa vie. À 35 ans, il y a un poids qui lui
est tombé dessus à l'usine, qui lui a broyé le dos, mon père a été paralysé, alité pendant cinq ans
sans pouvoir bouger, et il a commencé un petit peu à pouvoir remarcher, pouvoir se déplacer, et ça
35 corresponde exactement au moment où on est passé en France, enfin où Sarkozy et Hirsch et
d'autres, ont fait passer la France du RMI au RSA. Donc à partir de ce moment-là mon père a été
harcelé par l'état, "il faut retourner au travail, tu dois retourner au travail sinon tu perdras le
minimum social que tu as, les aides sociales que tu as, tu perdras tout" ce à quoi on assiste
aujourd'hui d'une manière aussi particulièrement violente avec le gouvernement. Et mon père a dû
40 retourner au travail sachant qu'il n'avait pas étudié, sachant qu'il vivait dans ce petit village du nord
de la France.
La seule chose qu'on lui a proposé, qu'on lui imposé, c'était d'être balayeur et donc lui qui avait le
dos broyé à l’usine, a dû balayer les rues, huit heures par jour, pour ramasser les déchets des autres,
penché sur le balai toute la journée, et je m'en rappelais, je m'en rappelais de ça, je me rappelais de
45 la panique de mon père quand on était passé au RSA, les institutions qui téléphonaient à mon père
et qui le harcelaient, qui le harcelaient, qui lui proposait d'aider des boulots à quarante kilomètres

41
de chez lui, payé 500 euros par mois, des mi-temps, qui savaient à peine à couvrir le coût de
l'essence et on lui disait "vous perdrez tout", mon père… on était sept à la maison, cinq enfants,
deux adultes, on avait 700 euros d'aide sociale par mois et on lui a dit tu perdras ça.
Et voilà, et donc quand j'ai vu mon père, quand j'ai vu son corps, quand j'ai vu ce que le monde avait
5 fait à son corps, j'ai pensé à ta proposition, et je me suis dit "je ne peux pas écrire sur autre chose".
Franchement ce serait pour moi, là, maintenant, ce serait indécent d'écrire sur autre chose. Je ne
peux pas faire autre chose que ça. Et donc, voilà, c'est un peu le contraire du texte que tu évoquais
avant : Mon père ce n'est pas le trop d'individualisme dans la société, c'est que justement la société
qui lui a empêché la possibilité d'être un individu. Et c'est quelqu'un qui n'a pas eu le droit d'être un
10 individu, et c'est de ça que je voulais, dont j'ai eu envie de parler. Et voilà, et donc, c'est comme ça.

Alors c'est… Eddy Bellegueule et l'Histoire de la violence ça a été et c'est adapté au théâtre, Thomas
Ostermeier vient de créer Histoire de la violence à Berlin, qu'est-ce que tu pourrais dire de la
différence parce que, dans l'écriture on va dire, parce que Qui a tué mon père pour le coup, tu la
pensée pour la scène, alors que, finalement, les autres non. Qu'est-ce que ça change et est-ce que ça
15 a activé en toi de différent, parce que j'imagine que ça a tout à voir et rien à voir ?

Oui, c'est que, c'est sûr, le mode d'écriture était très différent. Qui a tué mon père se présente
comme une forme de monologue où je parle de la vie de mon père, je dis aux débuts du livre qu'il y
a une double violence, parce que je raconte la vie de mon père et donc je parle à sa place et donc
c'est quelque chose de violent. Et en même temps, il y a une violence de l'autre côté, qui est que
20 mon père ne me répondra jamais totalement, mon père ne serait sans doute pas d'accord avec ce
que j'écris parce que mon père, il dirait, comme souvent les gens quand ils sont frappés par la vie, si
vous leur posez des questions ils vont vous dire "Ah, mais je n'ai pas à me plaindre". Alors que si, ils
ont à se plaindre. Donc, moi je me plains pour les gens qui ne se plaignent pas et je le fais à leur
place, j'essaie, le plus possible, en espérant qu'ils se plaindront eux aussi, qu'ils se plaindront elle
25 aussi. Parce qu'il y a une sorte d'accoutumance à la violence, comme ça, elle s'abat de manière
tellement quotidienne, tellement… La vie de mon père est la vie de mon grand-père, mon grand-
père est mort en prison, il était très jeune, mon arrière-grand-père aussi, donc elle finit par être
tellement normale que mon père, il ne penserait même pas la raconter. Et donc le livre a été pensé
comme ça, comme un modèle, c'est beaucoup plus oral que l'Histoire de la violence ou que Eddy
30 Bellegueule. Et puis, ça m'a encouragé justement, d'aller dans une forme de confrontation dans ce
que je dis.
J'ai essayé de faire plus que dans Histoire de la violence et Eddy Bellegueule, un texte qui dirait ce
qu'il a à dire. Si tu veux, pour moi il y a souvent une idéologie dans le champ littéraire, dans la
littérature, qui consiste à - comment dire - à valoriser ce qui n'est pas dit. Alors la meilleure critique
35 que tu puisses avoir dans la presse c'est de dire "c'est formidable parce que tout est suggéré, rien
n'est dit" et donc en fait on valorise le fait de ne pas parler du monde. Et moi quand tu m'as proposé
d'écrire et que j'ai l'fait avec plaisir, je me suis dit "le théâtre, ça sera justement le lieu où je pourrai
encore plus faire ça, où je pourrais arrêter de me complaire à ne pas dire des choses. Il faudra tout
dire, il faudra dire les choses directement.
40 Et puis, le théâtre ça a été quand même un lieu qui m'a accueilli. Moi, j'étais... Enfin, voilà, ce n'est
pas triste de dire ça, parce qu'enfin je suis quelqu'un de heureux, mais j'ai détesté mon enfance, j'ai
détesté grandir dans le village où j'ai grandi, j'ai détesté ma vie jusqu'à l'âge de quinze ans et c'est à
l'intérieur du théâtre que j'ai échappé à ça. C'est le théâtre qui m'a accueilli, c'est le théâtre qui m'a
dit "on va jouer des rôles, c'est bien de jouer des rôles", tu vois, c'est aussi authentique qu'autre
45 chose, ce l'est même encore plus. Vous savez, cette scène que j'adore citer, c'est une des plus belles
scènes du monde dans le film de Almodovar où Agrado est sur une scène et elle décrit toutes les
chirurgies qu'elle a eues. Elle dit alors, voilà, ma poitrine a coûté quarante milles pesos, mes joues
trente milles, mon nez dix milles. Et Agrado dit "tout ce plastique, est mon authenticité, parce que
c'est ce que j'ai voulu, moi."

42
Et c'est pour ça que c'est authentique.
C'est un peu banal de dire ça, sans doute, mais quand même, le théâtre c'est ce qui m'a permis de
penser ça, de le dire 4a. En fait, mon authenticité, n'pas ce qui m'est tombé dessus sans choisir, ce
n'est pas d'avoir été jeté au monde avec un nom que je n'ai pas choisi, avec un sexe que je n'ai pas
5 choisi, une tête que je n'ai pas choisie, un nez que je n'ai pas choisi. Mon authenticité, c'est ce que
j'ai envie de… c'est le décalage par rapport à ça, c'est ce que j'ai envie de créer. Et donc c'est pour ça,
quand même, le théâtre ça a été... Oui, et puis, je ne sais pas, je ne veux pas vous flatter mais, il y a
des gens bien au théâtre, comme j'en vois, c'est vrai, comme on n'en voit pas beaucoup ailleurs.
C'est vrai…
10
Alors, au-delà de… Quand j'ai lu le texte, ça m'a frappé en pleine figure, et pour raconter aussi,
Édouard m'a envoyé le texte en décembre, je crois. Donc, un texte qui arrive en décembre,
normalement on ne peut pas le faire aussi vite, les délais de production… Donc j'ai reçu ça, j'ai dit à
Édouard "Mais il faut qu'on le fasse vite. Mais on ne va jamais y arriver. Donc, par bonheur on a
15 trouvé un complice, Wajdi Mouawad, qu'on va voir tout à l'heure au théâtre de la Colline, qui est
parti dans l'aventure. Ce qui fait qu'on on peut le faire comme ça, rapidement. C'est un texte très
politique, et là le mot n'est pas galvaudé, c'est un texte de combat, c'est un texte qui tout d'un coup
se dresse et puis prend tous les risques. Donc c'est un texte de théâtre, par définition. Donc Qui a
tué mon père, ça sera ici, en Salle Koltès, du 2 au 15 mai. On sera trois sur scène, je porterai en partie
20 cette parole, je mettrai aussi en scène, il y aura un musicien Olivier Mellano et c'est un texte
magnifique que certains d'entre vous vont sans doute déjà lu.

Merci beaucoup, merci.

Pour mieux comprendre : Le Revenu Minimum d'Insertion (RMI), créé en 1989 pour aider les
personnes à faibles revenus, a été remplacé en juin 2009 par le Revenu de Solidarité Active (RSA). Ces
deux programmes sont conçus pour aider financièrement les ménages ayant peu de ressources.

Le RMI et le RSA sont destinés aux personnes capables de travailler mais qui n'ont pas droit à
d'autres allocations comme l'assurance chômage.

Le RSA a été introduit pour encourager le travail en permettant aux bénéficiaires de cumuler une
partie de leurs revenus du travail avec l'allocation.

43
Entretien avec l'auteur Édouard Louis,
Théâtre National de Strasbourg, Juin 2018

Compréhension écrite - répondez à ces questions par écrit :

1. Reformulez ces fragments de phrases de vos propres mots :


a) Mon père a dû retourner au travail sachant qu'il n'avait pas étudié…
__________________________________________________________________________________
__________________________________________________________________________________

b) Et mon père a dû balayer les rues, huit heures par jour, pour ramasser les déchets des autres…

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

2. Expliquez l’idée suivante en utilisant vos propres mots :

Édouard Louis est retourné voir son père après avoir publié deux livres et a découvert que son corps
était très abîmé.

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

3. Énumérez trois éléments qui selon Édouard Louis ont conduit à détruire la santé de son père :

• ___________________________________________________________________________

• ___________________________________________________________________________

• ___________________________________________________________________________

4. Répondez en vos propres mots :

a) Pourquoi Édouard Louis a-t-il écrit ce livre ?

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

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b) Qu'est-ce qui différencie selon Édouard Louis le théâtre de la littérature ?

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

5. Vrai ou faux ? Justifiez votre réponse en citant le texte.

a) Édouard Louis n'avait plus de contact avec son père depuis plusieurs années.

O Vrai O Faux

Citation : _____________________________________________________________

b) Le père d'Édouard Louis a dû recommencer à travailler à cause d'une réforme visant à encourager
l'emploi.

O Vrai O Faux

Citation : _____________________________________________________________

c) Édouard Louis considère que son père ne se plaindrait probablement pas de sa propre vie.

O Vrai O Faux

Citation : _____________________________________________________________

d) Édouard Louis pense que le théâtre est un lieu qui valorise de ne pas parler du monde.

O Vrai O Faux

Citation : _____________________________________________________________

45
La vengeance de la honte
par Pierre Benetti

Depuis En finir avec Eddy Bellegueule, son premier livre paru en 2014, Édouard Louis explore la
violence du monde où il a passé son enfance, la Picardie pauvre du début du XXIe siècle. Dans le
sillage d’Annie Ernaux, il a également inscrit dans la littérature française, en particulier avec Histoire
de la violence (2016), la figure du transfuge de classe contemporain, sa honte, ses rêves de
5 vengeance. Son troisième livre poursuit la même démarche d’écriture, mais cette fois au moyen
d’une adresse directe à son père, ouvrier devenu handicapé à l’usine et directement touché par les
politiques antisociales. Ce portrait troué restitue avec une colère implacable la part de silence, de
contradiction, d’absence d’un homme à « l’existence négative ». Qui a tué mon père convainc moins
lorsqu’il devient un objet de discours, aussi juste soit-il, sur l’exploitation, la domination, l’exclusion
10 du pouvoir.

« Si ce texte était un texte de théâtre » : ainsi commence une longue didascalie rappelant les espaces
et les personnages de Bernard-Marie Koltès. Usine désaffectée, champ de blé, « gymnase plastifié
d’une école », et là-dessus un père et son fils qui pourraient ressembler au Dealer et au Client
15 de Dans la solitude des champs de coton si tous les deux parlaient. Le père se tait, comme sans
doute son propre père, son grand-père se sont tus. La parole populaire, dans les deux précédents
livres, passait par la retranscription d’un sociolecte naturaliste. Ici, elle passe par le silence.
L’adresse, close sur elle-même, semble permettre à Édouard Louis de mieux voir non plus à travers
des masques, mais depuis l’extérieur. La lecture de Qui a tué mon père ne suscite pas le même effet
20 que la force nouvelle qui émanait d’En finir avec Eddy Bellegueule ou que l’ingéniosité d’Histoire de
la violence, mais c’est lorsqu’il circonscrit ce qu’il n’arrive pas à dire que le texte produit ses
meilleurs effets.

L’intérêt du théâtre pour ce texte ne provient pas uniquement, du moins on l’espère, des promesses
de carton plein induites par les précédents succès d’Édouard Louis. Une création est en effet d’ores
25 et déjà prévue par le metteur en scène Stanislas Nordey en 2019 – tandis que Thomas Ostermeier, le
directeur de la Schaubühne de Berlin, s’apprête à monter Histoire de la violence, qui usait déjà du
dispositif théâtral. Le théâtre, de manière plus profonde, est lié à une obsession : le corps du père,
déformé au pastis, écrasé par une charge, éventré par une opération, perfusé après la maladie.
Corps frappé par l’autre fils, le demi-frère. Corps éloigné, car sur cette scène « vaste et vide » le père
30 et le fils ne se touchent pas, ne s’embrassent pas. Tout est de l’ordre du négatif, de l’empêchement
dans cette situation, comme dans leur parole. En ce père singulier vivent des cohortes de pères des
usines et des champs, aux gestes d’affection impossibles, interdits, inaptes à l’amour, reproducteurs
indéfectibles du manque. Par mimétisme, les mots du fils, qui a brisé à son tour la chaîne de
reproduction « des mêmes émotions, des mêmes joies à travers les corps et le temps », se révèlent le
35 plus souvent tournés vers l’expression d’une impuissance, qu’elle s’exprime par la forme négative ou
le conditionnel. Même le souvenir demeure incapable (« Je ne me rappelle pas si j’ai pleuré » ; « mes
souvenirs sont ceux de ce qui n’a pas eu lieu »).

Cette scène centrale – le frère se battant avec le père – n’est pas sans rappeler l’image inaugurale
de La honte d’Annie Ernaux – le père essayant de tuer la mère –, mais aussi, dans le même livre,
40 « l’image du restaurant de Tours » à propos de laquelle on lisait : « En écrivant un livre sur la vie et la

46
culture de mon père, elle me revenait sans cesse comme la preuve de l’existence de deux mondes et
de notre appartenance irréfutable à celui du dessous. » Édouard Louis développe quant à lui une
série d’images, réduite par son manque de connaissances sur cette vie que n’a comblée aucune
enquête : « J’ai presque fini, je n’ai presque plus rien à raconter », reconnaît-il à mi-chemin. Le père
5 s’en prenant au chauffeur d’autocar, le père au commissariat, le père au dîner de Noël sont
semblables à des négatifs auxquels manque une coloration invisible, qui aurait pu révéler ce qui a eu
lieu, ce qui s’est joué. Points de fixation de la mémoire, ils contiennent le « monde d’en-dessous ».
Cet univers marqué par la domination, cet inconscient d’un de ses enfants, est approché, jamais
conquis.

10
Édouard Louis

Chez Édouard Louis, les images, plutôt empreintes que traces, ne font pas réapparaître un passé
perdu. Elles dénotent avant tout une incompréhension insondable devant un père contradictoire,
capable d’accuser son fils en privé puis de le défendre en public, de lui refuser un cadeau avant de le
15 lui offrir. Il a interrompu la répétition de la violence physique alors qu’il avait tout pour la
renouveler. Que devient, quels chemins emprunte, quels détournements opère la violence
lorsqu’elle ne s’exerce plus sur les corps ? Approfondir ce mystère de l’interruption aurait été
pertinent mais, hélas, le texte n’en fait pas un de ses sujets fondamentaux, si ce n’est en concluant
rapidement – « La violence ne produit pas que de la violence. J’ai répété cette phrase longtemps, que
20 la violence est cause de la violence, je me suis trompé. La violence nous avait sauvés de la violence. »

« Ce que je dis ne répond pas aux exigences de la littérature », écrit Édouard Louis, qui se contente
souvent de peu sachant qu’il maîtrise l’art de la formule, du retournement paradoxal : « La
possession n’est pas quelque chose qu’on peut acquérir ». Son usage répété de la démonstration
savante, de l’hommage (au cinéaste Xavier Dolan) ou de la citation (de Ruth Gilmore, Peter Handke,
25 Didier Eribon, évoqués sans référence) a de quoi agacer tant il efface peu à peu l’expérience, réduite
à une exemplarité. Toujours est-il que son travail continue d’intéresser. Et cela, parce qu’il pense le
silence dont il est né. Il se refuse à toute fiction, qui nierait une fois de plus l’existence même
« négative » d’un homme, le remplacerait sans prendre la mesure de sa place. Surtout, il venge un
monde absent et exclu de la littérature, en particulier française, où il est rare de rencontrer un
30 ouvrier votant Front national, un homosexuel de village, le groupe disparu Aqua ou le jeu Docteur
Maboul. Il se venge d’une représentation de la littérature elle-même. Ce qui comporte un risque.

47
Non celui de décevoir les « exigences de la littérature », non écrites et bien imaginaires, mais de ne
plus désirer en inventer de nouvelles pour soi.

Édouard Louis a pu éveiller la curiosité du public sur sa région, son milieu social, mais ce ne sont pas
ses sujets qui dessinent la portée d’un écrivain. On ne verrait pas le sens qui consisterait à
5 cartographier les zones blanches toujours plus vastes qui manquent à l’atlas de la littérature. Il y en
a, en revanche, à écrire une pensée née de la honte sociale et de la colère propre à la vengeance. À
défaut d’exercer sa vengeance, on l’écrit. Une telle colère est par définition excessive, extravagante,
inaudible pour certains, mais elle est parfois la seule vérité susceptible d’être dite.

C’est ainsi qu’Édouard Louis dresse ce portrait moins pour désigner la particularité d’une vie et de
10 son monde que pour tenir un discours à leur sujet. Nous étions prévenus. Le titre amputé de son
point d’interrogation ainsi que la didascalie d’ouverture indiquaient déjà la conclusion à tirer.
Comme le Reda d’Histoire de la violence, le père est la victime paroxystique du libéralisme
économique. Aussi juste soit la thèse (l’exposition à la mort n’est pas partagée de manière égale par
tous les hommes), le simple fait de conclure, d’ajouter une synthèse à l’analyse paralyse l’évolution
15 du texte. À la fin, l’adresse devient pamphlet, accusation ad hominem contre les gouvernants,
invective contre les politiques publiques menées depuis une quinzaine d’années en France. La
charge, frontale, vise la substance même de la politique vue comme entreprise de destruction. Reste
un étonnement. Plusieurs fois, Édouard Louis demande à propos des responsables politiques qu’il
vise : « Pourquoi on ne dit pas ces noms dans une biographie ? » Sans doute parce qu’ils ne comptent
20 pas. Ces images de synthèse sont frappées d’oubli, qui est une autre forme de bannissement.
Comme l’histoire de sa destruction, le nom absent de son père, lui, restera dans les mémoires.

48
Opinion

Why My Father Votes for Le Pen


By Édouard Louis
New York Times, May 4, 2017

A rally for Marine Le Pen in Marseille, France.


Her candidacy appeals to voters who feel abandoned by the political left.

PARIS — Last month, the face of Marine Le Pen appeared on my computer screen. The headline
under the picture read, “Marine Le Pen in Round 2.” The leader of France’s far-right National Front,
she had advanced to a runoff vote in the presidential election. I immediately thought of my father, a
hundred miles away.
5 I imagined him bursting with joy in front of the TV — the same joy he felt in 2002 when Jean-Marie
Le Pen, Marine Le Pen’s father and the previous leader of the National Front, also made it to the
second round. I remembered my father shouting, “We’re going to win!” with tears in his eyes.
I grew up in Hallencourt, a tiny village in Northern France where, until the 1980s, nearly everyone
worked for the same factory. By the time I was born, in the 1990s, after several waves of layoffs,
10 most of the people around me were out of work and had to survive as best they could on welfare.
My father left school at 14, as did his father before him. He worked for 10 years at the factory. He
never got a chance to be laid off: One day at work, a storage container fell on him and crushed his
back, leaving him bedridden, on morphine for the pain.
I knew the feeling of being hungry before I knew how to read. From the time I was 5 my father
15 would order me to go down the street and knock on the door of one of my aunts to ask if she could
spare some pasta or bread for our table. I was sent because he knew it was easier to pity a child than
an adult. Every year the amount of his workers’ compensation decreased. I have four siblings, and in
the end, my father couldn’t feed a family of seven. My mother didn’t work; my father said a
woman’s place was in the home.
20 At 18, thanks to a series of lucky breaks and miracles, I became a student of philosophy in Paris, at a
school considered one of the most prestigious in France. I was the first in my family to attend
college. So far from the world where I’d grown up, living in a little studio on the Place de la
République, I decided to write a novel about where I came from.
I wanted to bear witness to the poverty and exclusion that were part of our everyday experience. I
25 was struck and troubled that the life I knew all those years never appeared in books, in newspapers
or on TV. Every time I heard someone talk about “France,” on the news or even in the street, I knew
they weren’t talking about the people I’d grown up with.
Two years later, I finished the book and sent it to a big Paris publisher. Less than two weeks later, he
sent a reply: He couldn’t publish my manuscript because the poverty I wrote about hadn’t existed in

49
more than a century; no one would believe the story I had to tell. I read that email several times,
choked with rage and despair.
In the 2000s, when I was growing up, every member of my family voted for Mr. Le Pen. My father
went into the polling station with my older brothers to make sure they really were voting for the
5 National Front. The mayor and his staff members didn’t say anything when they saw my father doing
this. In our village, with its population of only a few hundred, everyone had attended the same
school. Everyone saw everyone else at the bakery in the morning or in the cafe at night. No one
wanted to pick a fight with my father.
A vote for the National Front was of course a vote tinged with racism and homophobia. My father
10 looked forward to the time when we would “throw out the Arabs and the Jews.” He liked to say that
gay people deserved the death penalty — looking sternly at me, who already in primary school was
attracted to other boys on the playground.
And yet what those elections really meant for my father was a chance to fight his sense of invisibility.
My father understood, long before I did, that in the minds of the bourgeoisie — people like the
15 publisher who would turn down my book a few years later — our existence didn’t count and wasn’t
real.
My father had felt abandoned by the political left since the 1980s, when it began adopting the
language and thinking of the free market. Across Europe, left-wing parties no longer spoke of social
class, injustice and poverty, of suffering, pain and exhaustion. They talked about modernization,
20 growth and harmony in diversity, about communication, social dialogue and calming tensions.
My father understood that this technocratic vocabulary was meant to shut up workers and spread
neoliberalism. The left wasn’t fighting for the working class, against the laws of the marketplace; it
was trying to manage the lives of the working class from within those laws. The unions had
undergone the same transformation: My grandfather was a union man. My father was not.
25 When he was watching TV and a socialist or a union representative appeared on the screen, my
father would complain, “Whatever — left, right, now, they’re all the same.” That “whatever”
distilled all of his disappointment in those who, in his mind, should have been standing up for him
but weren’t.
By contrast, the National Front railed against poor working conditions and unemployment, laying all
30 the blame on immigration or the European Union. In the absence of any attempt by the left to
discuss his suffering, my father latched on to the false explanations offered by the far right. Unlike
the ruling class, he didn’t have the privilege of voting for a political program. Voting, for him, was a
desperate attempt to exist in the eyes of others.
I don’t know for sure how he voted last month, in the first round of the presidential election, and I
35 don’t know for sure how he will vote on Sunday, in the runoff. He and I almost never speak. Our lives
have grown too far apart, and whenever we try to talk on the phone, we are reduced to silence by
the pain of having become strangers to each other. Usually we hang up after a minute or two,
embarrassed that neither of us can think of anything to say.
But even if I can’t ask him directly, I’m confident he is still voting for the National Front. In his village,
40 Marine Le Pen came out way ahead in the first round of the election.
Today, writers, journalists and liberals bear the weight of responsibility for the future. To persuade
my family not to vote for Marine Le Pen, it’s not enough to show that she is racist and dangerous:
Everyone knows that already. It’s not enough to fight against hate or against her. We have to fight
for the powerless, for a language that gives a place to the most invisible people — people like my
45 father.

Édouard Louis is the author of the novel “The End of Eddy.” This essay was translated by Lorin Stein
from the French.

50
Toute l'histoire du mouvement des gilets jaunes
Compréhension orale - cochez la réponse correcte.
Remarque : plus d'une réponse peuvent être correctes.

Question 1 : Comment les gilets jaunes ont-ils exprimé leur mécontentement au début ?

O En signant des pétitions en ligne


O En organisant des manifestations pacifiques
O En bloquant les routes avec des véhicules
O En lançant des appels sur les réseaux sociaux

Question 2 : Quelle était la principale revendication des gilets jaunes ?

O Baisse du prix du carburant


O Démission du président
O Augmentation des taxes sur le carburant
O Réduction des impôts

Question 3 : Quelle est la signification du gilet jaune selon la vidéo ?

O Un vêtement de sécurité pour les automobilistes


O Un symbole de contestation adopté par les manifestants
O Une obligation légale pour les conducteurs en France
O Une demande d'augmentation des salaires

Question 4 : Quelle est la réaction du président Macron envers les gilets jaunes dans la vidéo?

O Il les encourage à continuer les manifestations


O Il exprime son respect pour leur droit de manifester
O Il ordonne la répression violente des manifestants
O Il ignore complètement leurs revendications

Question 5 : Quel événement a provoqué la suspension de séance à l'Assemblée nationale ?

O Une dispute entre députés


O La manifestation des gilets jaunes à proximité
O L'annonce d'une réforme fiscale
O Un discours du président

Question 6 : Quelle est la réaction des forces de l'ordre lors des manifestations des gilets jaunes ?

O Elles ont rejoint les manifestants


O Elles ont été fortement critiquées par le gouvernement
O Elles ont parfois fait usage de gaz lacrymogène
O Elles ont soutenu les revendications des manifestants

51
Question 7: Pourquoi le syndicat de la police Alliance a-t-il parlé de situation insurrectionnelle ?

O En raison des violences inacceptables des manifestants


O En soutien aux revendications des gilets jaunes
O En réponse à la suspension de séance à l'Assemblée nationale
O En raison de la démission du président

Question 8 : Quel est l'impact des manifestations des gilets jaunes sur les Champs-Élysées ?

O Les Champs-Élysées ont été fermés au public


O Les Champs-Élysées ont été rénovés
O Les Champs-Élysées ont été interdits aux gilets jaunes
O Les Champs-Élysées ont été le théâtre d'incidents violents

Question 9 : Quelle est la principale préoccupation exprimée par les gilets jaunes ?

O La vie trop chère et les difficultés financières


O La réduction des impôts pour les grandes entreprises
O La sécurité routière
O L'augmentation des salaires des fonctionnaires

52
Toute l'histoire du mouvement des gilets jaunes
On n'arrive plus au bout, à finir les fins de mois.
Je vois le cap, je n'en change pas.
Moi j'entends la colère
5 C'est là-haut, c'est le capitalisme !

D'une pétition pour la baisse de prix du carburant à une situation insurrectionnelle.


Voilà toute l'histoire du mouvement.

10 29 mai 2018 - une automobiliste de Seine-et-Marne, Priscillia Ludosky, lance une pétition en ligne
pour réclamer une baisse des prix du carburant à la pompe. Cette pétition a dépassé aujourd'hui la
barre des 1 million de signatures.
Je confirme à nouveau que je ne suis affilié à aucun parti politique, je n'ai jamais été affilié à un parti
politique et que j'ai lancé la pétition de ma propre initiative.
15
10 octobre 2018 - deux chauffeurs routiers de Seine-et-Marne, Éric Drouet et Bruno Lefèvre,
lancent sur Facebook un appel au blocage national contre la hausse du carburant.

18 octobre 2018
20 Je viens faire une petite vidéo, coup de gueule. J'ai deux petits mots à dire à monsieur Macron et son
gouvernement.
La Bretonne Jacline Mouraud publie sur sa page Facebook cette vidéo qui a dépassé aujourd'hui la
barre des 6 millions de vues.
Quand est-ce que ça va se terminer la traque aux conducteurs que vous avez mise en place depuis
25 que vous êtes là? Mais qu'est-ce que vous faites du pognon, à part changer la vaisselle de l'Elysée ou
vous faire construire des piscines ? On se demande.

24 octobre 2018 - Ghislain Coutard, technicien en maintenance narbonnais, publie une vidéo sur
Facebook où il lance l'idée du gilet jaune comme symbole de contestation.
30 On a tous un gilet jaune, dans la bagnole. Foutez-le en évidence sur le tableau de bord toute la
semaine, enfin jusqu'au 17. Un petit code couleur pour montrer si vous êtes d'accord avec nous,
avec le mouvement, et qui est choqué/pas chaud, ça va motiver, ça va dire "putain, on va croiser des
gilets jaunes partout là, sur les tableaux de bord, c'est un signe, ça va vraiment bouger, c'est n'est
pas que des paroles en l'air".
35
9 novembre 2018 - En pleine semaine d'itinérance mémorielle pour célébrer le centenaire de la
Première Guerre mondiale, Emmanuel Macron se fait chahuter par des gilets jaunes lors d'un
déplacement dans la Somme.
Macron - démission, Macron - démission !
40
14 novembre 2018 - Emmanuel Macron réagit sur TF1 à la mobilisation des gilets jaunes.
Je n'ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. Moi j'entends la colère et je
pense que c'est un droit fondamental dans notre société de pouvoir l'exprimer. Donc que nos
concitoyens qui considèrent qu'aujourd'hui ils ne sont pas entendus, pas considérés, s'expriment et
45 le disent. D'abord il faut le respecter, il faut l'entendre et ils ont tout à fait le droit de manifester, de
s'exprimer et ils le feront samedi.

17 novembre 2018
Et ce sont donc plusieurs dizaines de gilets jaunes, en scooter, qui sont ici. Plusieurs points de
50 ralentissement et de blocage sur le périphérique parisien.
Les gilets jaunes manifestent pour la première fois dans toute la France.

53
Moi le message, c'est la vie trop chère, c'est le ras-le-bol, on ne nous écoute pas. Voilà, je vous
voudrais qu'on nous écoute.

21 novembre 2018
5 Monsieur Lassalle, veuillez immédiatement retirer ce gilet.
Incident à l'Assemblée nationale : le député non-inscrit Jean Lassalle revêt un gilet jaune et
provoque ainsi une suspension de séance.
Monsieur Lassalle sait par expérience que si le ridicule ne tue pas, moi je pense, je pense aux
personnes qui sont mortes depuis samedi, je pense aux 584 blessés.
10
24 novembre 2018
La situation est tout sauf... Oh! Oh la la la !
2ème samedi de manifestation des gilets jaunes.
Vous mettez médias = avec propagande d'État…
15 Autorisés à manifester à Paris sur le Champ-de-Mars, les gilets jaunes préfèrent défiler sur les
Champs-Élysées sans autorisation.
Plusieurs manifestants qui sont montés sur les barricades à l'endroit où on se trouve, avec un
drapeau français à la main…
De nombreux incidents violents se produisent lors de cette manifestation.
20 Les forces de l'ordre qui sont en train d'avancer sous une pluie…. Ah, les bâtards ! Ah putain de
merde ! Ah ! Mais je suis trempé là.

27 novembre 2018
Quand des gens défilent sur les Champs-Elysées en expliquant "On est chez nous", oui ceux-là font
25 partie de l'ultradroite et ça rappelle les heures sombres de l'Histoire de France.
Emmanuel Macron propose d'adapter la fiscalité des carburants aux fluctuations des prix, lance
une grande consultation de 3 mois, en appelle à un changement de méthode.
Le changement de méthode, que j'appelle de mes vœux, c'est donc en quelque sorte d'apporter des
solutions concrètes accessibles pour chacun de nos concitoyens.
30 Deux gilets jaunes, Priscillia Ludosky et Éric Drouet, sont reçus par le ministre de la Transition
écologique François de Rugy. Éric Drouet diffuse cet entretien en directe sur Facebook.
On n'arrive pas là, ici, comme des représentants, plus comme des messagers. Il y a une grosse
demande d'être entendus, écoutés et compris en tant que citoyens.

35 1er décembre 2018 - 3ème samedi de manifestations de gilets jaunes. Les violences sont
nombreuses.
Sur ces images actuellement qui sont en direct, vous avez des personnes qui viennent de rentrer à
l'intérieur d'un bâtiment, qui sont en train de saccager.

40 112 véhicules ont été incendiés à Paris, selon la préfecture. Le maire de Paris évoque 3 à 4 millions
d'euros de dégâts.
Ça c'est ce qui est projeté par les forces de l'ordre et c'est avec ça, voilà, que le gaz lacrymogène sort
de ces petits embouts en plastique. Et puis ici même vous avez ces pavés qui pèsent au moins 2-3 kg
et qui sont pour quelques personnes… quelques personnes les utilisent comme projectiles en
45 direction des les forces de l'ordre.

5 décembre 2018 - L'Élysée indique que l'augmentation des taxes sur le carburant au 1er janvier
est définitivement annulée pour 2019. Cette annonce succède à plusieurs revirements du
gouvernement.
50 Est-ce que vous allez annuler les hausses des taxes sur le carburant qui pèsent sur les portefeuilles ?
Non, on ne va pas annuler les hausses de carburant.

54
Je suspends pour 6 mois ces mesures fiscales.
La hausse de cette taxe est désormais abandonnée dans le PLF 2019.
Ce n'est pas quand ça souffle qu'il faut changer de cap.

5 Alors que les gilets jaunes annoncent un nouveau samedi de manifestations le 8 décembre, le
syndicat de la police Alliance parle de situation insurrectionnelle.
Il faut distinguer l'expression pacifique de cette colère, des violences inacceptables que nous avons
vus se multiplier ces trois dernières semaines. Ces trois dernières semaines ont fait naître un
monstre qui a échappé à ses géniteurs.
10
On n'arrive plus au bout, à finir les fins de mois.

Discussion en groupe :
Y a-t-il une correspondance entre les problèmes sur lesquels les Gilets jaunes attirent l'attention et
la situation précaire du père du narrateur. Y a-t-il aussi des différences ?

55
Entonnoir de l'enseignement254
En Suisse les chances d'accéder à l'enseignement supérieur dépendent fortement de l'origine
sociale. Selon l'Office fédéral de la statistique, 47,2% des étudiants dans les hautes écoles suisses ont
au moins un parent diplômé du supérieur. Cette proportion est beaucoup plus élevée que dans la
population générale des 20-35 ans (23% en 2016).
5 55,6% des étudiants des universités ont des parents diplômés, contre 36,4% dans les HES255 et 32,7%
dans les hautes écoles pédagogiques. À l'inverse, seuls 6,7% des étudiants sont issus de parents
n'ayant que la scolarité obligatoire, alors que cette catégorie représente 15,7% de la population âgée
de 20 à 35 ans.

10

Les différences de distribution des diplômes parentaux entre filières universitaires s'observent déjà
lors des choix d'orientation au collège et au lycée. Le parcours menant au bac et à la maturité
gymnasiale, davantage suivie par les enfants de diplômés, prédétermine l'accès aux études
15 universitaires.
Les raisons de ces inégalités sont multiples. Les familles modestes surestiment souvent le coût des
études et sous-estiment les bénéfices potentiels. Les parents diplômés ont plus de ressources pour
soutenir la réussite scolaire de leurs enfants. Ils voient aussi les diplômes comme un moyen de
préserver leur statut social.
20 Cet écart s'explique en partie par le système éducatif suisse qui opère également une sélection
précoce. Pour réduire ces écarts, la Suisse devrait s'inspirer des réformes menées en Allemagne.
L'allongement de la scolarité primaire commune permettrait de retarder l'orientation dans les
différentes filières. L'amélioration de la perméabilité entre filières d'enseignement faciliterait les
réorientations des élèves. Le développement des aides sociales est également indispensable pour
25 ouvrir l'accès à l'enseignement supérieur des plus modestes.

254
Bildungstrichter
255
HES : Haute École Spécialisée (Fachhochschule)

56
Compréhension de texte - cochez la réponse correcte :

1. Quel pourcentage d'étudiants dans les hautes écoles suisses ont au moins un parent diplômé du
supérieur ?
a) 15,7%
b) 23%
c) 36,4%
d) 47,2%

2. Quel est le pourcentage de la population âgée de 20 à 35 ans dont les parents n'ont que la
scolarité obligatoire ?
a) 6,7%
b) 15,7%
c) 23%
d) 47,2%

3. À quel niveau du cursus les différences d'origine sociale deviennent visibles ?


a) École primaire
b) Collège et lycée
c) Entrée dans le supérieur
d) Obtention du diplôme

4. Quel facteur influence le choix de filière au lycée ?


a) L'origine sociale
b) Le niveau scolaire
c) L'orientation professionnelle
d) La motivation personnelle

5. Pourquoi les inégalités sont-elles si marquées ?


a) Les familles modestes sous-estiment le coût des études
b) Les familles aisées surestiment les bénéfices des études
c) Les familles modestes surestiment le coût des études
d) Les familles aisées sous-estiment les coûts des études

6. Comment les parents diplômés considèrent-ils l'éducation ?


a) Comme un investissement coûteux
b) Comme un marqueur de statut social
c) Comme une assurance pour l'avenir
d) Comme un facteur de stress et de pression

7. Que préconise le texte pour réduire les inégalités ?


a) Une sélection plus juste à l'entrée de l'université
b) Un allongement de la scolarité obligatoire commune
c) Une limitation du nombre d'étudiants par filière
d) Des quotas d'étudiants issus de milieux modestes

57
Vocabulaire
Français Allemand Anglais

Absent, -e : Abwesent Absent


Abattre qn : Jemanden niederstrecken To kill someone
Acquiescer : Zustimmen To agree
Acharnement, un : Verbissenheit Stubbornness
Agonie, une : Todeskampf Agony
Ampoule, une : Glühbirne Light bulb
Angoisse, une : Angst Anxiety
Apparence, une : Schein Appearance
Arracher (s') : Sich losreissen To tear itself off
Arrêt cardiaque, un : Herzstillstand Cardiac arrest
Artificiel, -le : Künstlich Artificial
Asséché, -e : Ausgetrocknet Dried out
Assisté, un : Unterstützter Welfare recipient
Avouer : Zugeben To confess
Balayeur, un : Kehrer Street sweeper
Baisse, une : Senkung Decrease
Boucle, en : Endlosschleife Endlessly
Boucler ses fins de mois : Über die Runden kommen Making ends meet
Bouffée, une : Qualm Smoke
Brique, une : Ziegelstein Brick
Bricoler : Basteln To tinker
Brocante, la : Flohmarkt Flea market
Brouiller qc : Verwirren To confuse
Broyer : Zermahlen To crush
Bûche, une : Weihnachtskuchen Christmas log
Buter qn : Jemanden umbringen To kill someone
Cacher qn : Jemanden verstecken To hide someone
Cantonatrice, une : Opernsängerin Cantatrice
Caverneux, -euse : Höhlenartig Cavernous
Cendre, la : Asche Ash
Céder : Nachgeben To give up
Cerveau, le : Gehirn Brain
Chagrin, un : Kummer Sorrow
Champ de blé, un : Weizenfeld Wheat field
Chauve-souris, une : Fledermaus Bat
Cheville, une : Knöchel Ankle
Chute, une : Sturz Fall
Cible, une : Ziel Target
Claquer : Knallen To slap
Cliché, un : Bild Picture
Clope, une : Kippe Cigarette
Complainte, une : Klagelied Lament
Compulsivement : Zwanghaft Compulsively
Con, un : Idiot Jerk
Condamner : Verurteilen To condemn
Connerie, une : Blödsinn Bullshit
Conjugal, -e : Ehelich Conjugal
Costard, un : Anzug Suit

58
Cranienne (boîte), la : Schädel Cranium
Débarrasser (se) de qc/qn : Sich entledigen To get rid of
Déchiffrer : Entziffern To decipher
Déchiqueter : Zerreissen To shred
Déchiqueté, -e : Zerrissen Shredded
Déduire qc de qc : Etwas aus etwas schliessen, To deduce something
Défoncer qn : Jemanden zusammenschlagen To beat up someone
Dégoût, le : Ekel Disgust
Déguisé, -e : Verkleidet Disguised
Délaissé, -e : Verlassen Abandoned, forsaken
Délinquant, un : Straftäter Delinquent
Désaffecté, -e : Aufgelassen Disused
Déviant, -e : Abweichend Deviant
Dissoudre (se) : Sich auflösen To dissolve
Distinction, la : Unterscheidung Distinction
Dorénavant : Von nun an Henceforth
Écart, un : Abweichung Deviation
Échec, un : Misserfolg Failure
Éclat, un : Splitter Shard
Écorché, -e : Abgeschürft Grazed
Écrasant, -e : Erdrückend Crushing
Écraser : Zerquetschen To crush
Égorgé qn : Jemanden abschlachten To slit someone's throat
Embaucher qn : Jemanden einstellen To hire someone
Ennui, un : Ärger, Langeweile Boredom
Épicerie, une : Lebensmittelgeschäft Grocery store
Époumoner (s') : Sich die Lunge aus dem Hals schreien To yell one's lungs out
Épouvante, une : Entsetzen Terror
Épuisant, -e : Erschöpfend Exhausting
Épuisement, l' : Erschöpfung Exhaustion
Éraflé, -e : Aufgescheuert Grazed
Essoufflé, -e qn : Ausser Atem Out of breath
Essouffler (s') : Ausser Atem kommen To get out of breath
Étirer (s') : Sich strecken To stretch oneself
Étonnement, un : Erstaunen Amazement
Éventration, une: Dammdurchbruch Disembowelment
Exclure : Ausschliessen To exclude
Exigence, une : Forderung Requirement
Exposé, -e à qc : Ausgesetzt Exposed to something
Exposition, une : Ausstellung Exhibition
Facture, une : Rechnung Bill
Fainéantise, la : Faulheit Laziness
Faillir faire qc : Beinahe etwas tun To almost do something
Fantasmer : Fantasieren To fantasize
Fesses, les : Hintern Buttocks
Feu, le : Ampel Traffic light
Foie gras, le : Stopfleber Foie gras
Foncer : Rasen To rush
Foraine (fête), la : Kirmes Funfair
Fournir : Bereitstellen To provide
Foyer, un : Kamin Fireplace

59
Fracasser (se) : Zerbrechen To shatter
Frotté les mains (se) : Die Hände reiben To rub one's hands
Fuite, la : Flucht Escape
Fumier, le : Mist Manure
Gale, la : Krätze Scabies
Gamin, un sacré : Lausbub Quite a rascal
Gifle, une : Ohrfeige Slap
Gifler qn : Jemanden ohrfeigen To slap someone
Gosse, un : Balg Brat
Gribouillé, -e : Gekritzelt Scribbled
Gymnase, le : Turnhalle Gymnasium
Hâter (s') : Sich beeilen To hurry
Harceler qn : Jemanden belästigen To harass someone
Haïr : Hassen To hate
Hausser les épaules : Mit den Schultern zucken To shrug one's shoulders
Huître, une : Auster Oyster
Humilier : Demütigen To humiliate
Immerger : Eintauchen To submerge
Imposer : Aufzwingen To impose
Impôts, les : Steuern Taxes
Incarner : Verkörpern To embody
Incompatible : Unvereinbar Incompatible
Incompréhensible : Unverständlich Incomprehensible
Insoumission, une : Ungehorsam Insubordination
Intestins, les : Gedärme Intestines
Itinérants (vendeurs), les : Hausierer Door-to-door salesmen
Jumeau, -elle : Zwilling Twin
Laid, -e : Hässlich Ugly
Lambeau, un : Fetzen Shred
Licenciement, un : Entlassung Dismissal
Loyer, le : Miete Rent
Majorette, une : Majorette Majorette
Malgré toi : Gegen deinen Willen Despite you
Manège, un : Karussell Merry-go-round
Mépriser : Verachten To scorn
Membre, un : Gliedmassen, Limb
Menace, une : Drohung Threat
Meurtre, un : Mord Murder
Mince : Dünn Thin
Mite, une : Motte Moth
Mobylette, une : Mofa Moped
Moquette, une : Teppichboden Carpet
Mordre : Beissen To bite
Morgue, une : Leichenhalle Morgue
Nécessité, la : Notwendigkeit Necessity
Obstiner (s') : Sich versteifen To persist
Opaque : Undurchsichtig Opaque
Oppression, une : Unterdrückung Oppression
Ordures, les : Abfall Garbage
Otage, un : Geisel Hostage
Pardonner : Verzeihen To forgive

60
Paroi, une : Wand Wall
Pas foutu : Nicht in der Lage Not capable
Pavé, un : Pflasterstein Cobblestone
Paquebot, un : Ozeandampfer Ocean liner
Pédé, un : Schwuchtel Faggot (derogatory)
Pénombre, la : Halbdunkel Gloom
Persécution, la : Verfolgung Persecution
Plaie, une : Wunde Sore
Plaindre (se) : Sich beklagen To complain
Planer sur qn : Über jemandem schweben To loom over someone
Plaque de verglas, une : Eisplatte Sheet of ice
Plastifié, -e : Plastifiziert Laminated
Ployer le dos : Den Rücken beugen To bend one's back
Poids, le : Gewicht Weight
Poignée, une : Handvoll Handful
Poing, un : Faust Fist
Poitrine, la : Brust Chest
Poêle à bois, un : Holzofen Wood stove
Poumon, un : Lunge Lung
Poussière, la : Staub Dust
Pou, un : Laus, Louse
Pourriture, une : Aas Scumbag
Précoce : Frühreif Precocious
Prématuré, -e : Frühgebore Premature
Privé de qc (être) : Etwas beraubt sein To be deprived of
something
Proximité, une : Nähe Proximity
Puce, une : Floh Flea
Pulsion, une : Trieb Urge
Raté, un : Versager Failure
Ravagé, -e : Verwüstet Ravaged
Réconcilier : Versöhnen To reconcile
Résonner : Widerhallen To resonate
Respirer : Atmen To breathe
Retraire (se) : Sich zurückziehen To withdraw
Réveillon, le : Weihnachtsfest Christmas Eve
Revenu, un : Einkommen Income
Rongé, -e : Angefressen Gnawed
Rupture, la : Bruch Breakup
Saccage, le : Verwüstung Havoc
Saisir : Ergreifen To seize
Sapin, le : Tannenbaum Fir tree
Soumettre (se) : Sich unterwerfen To submit oneself
Spectre, un : Gespenst Specter
Succéder (se) : Aufeinanderfolgen To follow one another
Soutenu, -e : Gehoben Elevated
Soutien-gorge, un : Büstenhalter Bra
Sous, les : Geld Coins
Surnuméraire, un : Überzähliger The odd one out
Suspecter qn : Jemanden verdächtigen To suspect someone
Syndicaliste, un : Gewerkschaftler Union member

61
Taguer : Beschmieren To tag
Tentative, une : Versuch Attempt
Tiroir, un : Schublade Drawer
Tissu, le : Gewebe Fabric
Tousser : Husten To cough
Trahir : Verraten To betray
Traîner : Herumhängen To hang around
Trébucher sur qc : Über etwas stolpern To trip over something
Trempé, -e : Durchnässt Soaked
Vase, la : Schlamm Mud
Vaste : Riesig Vast
Vengeance, une : Rache Revenge
Vendeurs (itinérants), les : Hausierer Door-to-door salesmen
Verdict, un : Urteilsspruch Verdict
Verglas (plaque de), une : Eisplatte Sheet of ice
Venger qn : Jemanden rächen To avenge someone
Volant, le : Lenkrad Steering wheel
Vomir : Sich übergeben To vomit

Remarque : Il existe aussi un fichier sur Quizlet avec ce vocabulaire.


Pour le trouver tu dois chercher : borisehret Qui a tué mon père.

62
Lecture en classe – dossier pour la maturité
Nom : Classe :
Auteur : Édouard Louis

Titre : Qui a tué mon père

Année de publication : 2018

1. Personnages

- Le père : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

- Le fils (le narrateur) : _____________________________________________________________

___________________________________________________________________

- La mère : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

- Les autres membres de la famille : ___________________________________________________

____________________________________________________________________

2. Les relations entre les personnages

- Entre le père et le narrateur : ______________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

3. Évolutions (des personnages ou des relations entre les personnages)

- Du père : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

- Du narrateur : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

4. Thèmes

- La pauvreté : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

63
- La violence : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

- La virilité : ___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

- La responsabilité de la politique : ___________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

- Le déterminisme social : __________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

5. Le contexte historique

- La France en 2018 - Gilets jaunes : ___________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

6. Le genre littéraire, style…

- Monologue, texte écrit pour le théâtre.

- Décomposition de la ponctuation et de la grammaire (surtout à l'acte 2) : __________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

7. Mon opinion personnelle : _______________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

___________________________________________________________________

64

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