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Journal d'agriculture traditionnelle

et de botanique appliquée

Les jardins de case des provinces du Centre et du Sud du


Cameroun : description et utilisation d'un système agroforestier
traditionnel
Mathurin Tchatat, Henri Puig, Théophile Tiki Manga

Abstract
Home gardens in the forest areas of the central and southern provinces of Cameroon are characterized by the rich biological
diversity of local and introduced species. This study is based on several surveys and field observations of 150 households in 5
villages. It describes the main crops found in this garden system, their applications, and traditional processing methods, and
proposes several species with multiple applications that could be introduced or developed in these home gardens.

Résumé
Home gardens in the forest areas of the central and southern provinces of Cameroon are characterized by the rich biological
diversity of local and introduced species. This study is based on several surveys and field observations of 150 households in 5
villages. It describes the main crops found in this garden system, their applications, and traditional processing methods, and
proposes several species with multiple applications that could be introduced or developed in these home gardens.

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Tchatat Mathurin, Puig Henri, Tiki Manga Théophile. Les jardins de case des provinces du Centre et du Sud du Cameroun :
description et utilisation d'un système agroforestier traditionnel. In: Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique
appliquée, 37ᵉ année, bulletin n°2,1995. pp. 165-182;

doi : https://doi.org/10.3406/jatba.1995.3583

https://www.persee.fr/doc/jatba_0183-5173_1995_num_37_2_3583

Fichier pdf généré le 02/05/2018


Journ. d'Agric. Trad, et de Bota. Appl, nouvelle série, 1995, Vol. XXXVII (2) : 165-182

LES JARDINS DE CASE DES PROVINCES DU CENTRE ET


DU SUD DU CAMEROUN : DESCRIPTION ET UTILISATION
D'UN SYSTÈME AGROFORESTIER TRADITIONNEL

Mathurin TCHATAT*et **, Henri PUIG** et Théophile TIKI MANGA*

RÉSUMÉ.- Plusieurs enquêtes et observations conduites auprès de 150 ménages, dans 15


villages, ont montré la grande richesse et la diversité biologique des jardins de case des zones
forestières des provinces du Centre et du Sud du Cameroun. Cette biodiversité est due à
l'abondance des espèces autochtones et introduites. Cette étude présente les principaux
végétaux rencontrés dans ce système, les utilisations qui en sont faites ainsi que les
transformations qu'ils subissent. Elle propose également quelques plantes à usages multiples
susceptibles d'être introduites ou développées dans ces agroforêts.
Mors -CLÉS - Cameroun - forêt dense - écosystème agroforestier - ethnobotanique - jardin de
case
Abstract.- Home gardens in the forest areas of the central and southern provinces of
Cameroon are characterized by the rich biological diversity of local and introduced species.
This study is based on several surveys and field observations of 150 households in 5 villages.
It describes the main crops found in this garden system, their applications, and traditional
processing methods, and proposes several species with multiple applications that could be
introduced or developed in these home gardens.
KEY-WORDS - Cameroon - humid forest - agroforestry systems - ethnobotany - home garden

INTRODUCTION

Les provinces du Centre et du Sud du Cameroun (fig.l) sont deux grandes


unités administratives qui s'étendent entre les latitudes 2°6' N et 6°15' N et les
longitudes 9° AT E et 13°45' E. Elles couvrent une superficie d'environ 116129 km2
soit un peu plus de la moitié de toute la zone forestière du pays. L'altitude moyenne
est d'environ 600 mètres. Sur ces deux provinces s'étendent deux formations
végétales principales : (1) la forêt dense humide qui occupe toute la province du sud
et une grande partie de celle du Centre ; (2) la savane périforestière (Letouzey,
1968) qui couvre toute la partie septentrionale de la province du Centre, limitée au
sud par la forêt dense . Elle remonte jusqu'à la latitude 6°15' N dans les bassins du
Mbam et de la Haute Sanaga et a tendance à s'étendre actuellement vers le sud du

* IRA, Nkolbisson, B.P. 2067, Yaounde, Cameroun.


** Laboratoire d'Écologie terrestre (UMR 9964) 13, av. Colonel Roche B.P. 4403, 61405
Toulouse Cedex.
166

massif forestier du fait d'une exploitation forestière et d'une agriculture itinérante


sur brûlis (Lanly, 1982) de plus en plus envahissante.

GUINEE EQUATORIALE \ GABON


Légende: 0 = Capitale provinciale; • = Centre urbain

0 50 100 150 km
échelle

Figure 1 : Provinces du Centre et du Sud Cameroun

Le rythme annuel de destruction de cette couverture forestière varie selon


les auteurs de 80000 à 150000 ha (IffiD, 1987 ; FAO, 1988 ; GartJan, 1989 ;
Mercier, 1991) et aboutit à une perte considérable de la diversité biologique
(Eckholm, 1977 ; Alexandre, 1992). Parmi les espèces ainsi menacées, certaines
jouent un rôle déterminant dans la sécurité alimentaire et médicinale et dans
l'amélioration du niveau de vie des populations locales. Ces plantes sont souvent
maintenues dans les jardins de case au côté des espèces végétales cultivées. Les
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jardins de case peuvent se définir comme des microécosystèmes agroforestiers,


situés à proximité d'une maison d'habitation et gérés par une main-d'œuvre
familiale. Dans ces systèmes agroforestiers, de nombreuses espèces végétales,
plantées ou spontanées, (céréales, tubercules, épices, fruitiers introduits et
autochtones) cohabitent ou non avec des animaux domestiques en élevage
traditionnel.
Les jardins de case prennent de plus en plus d'importance dans le monde
tropical (Aditya, 1990) où leur contribution à l'amélioration du niveau nutritionnel
et du statut social du paysan a été démontrée (Abdoellah et Marten, 1986). De plus,
ces dernières années, des organismes internationaux (UNU, 1990 ; ICRAF, 1993)
ont pris conscience de l'intérêt écologique et économique de ces systèmes.
Dans beaucoup de pays tropicaux, notamment en Asie et en Amérique
tropicales, ainsi que dans quelques pays d'Afrique (Nigeria, Ghana, Tanzanie ...) les
décideurs ont encouragé le développement de ces systèmes agroforestiers (Nair,
1985). Dans les zones forestières du Cameroun où prédominent les cultures de
rentes de type cacaoyers et caféiers, les jardins de case sont encore peu étudiés et en
conséquence peu connus. Cependant, compte tenu de l'importance qu'ils
représentent dans la vie du paysan, les études sur les jardins de case du Cameroun
méritent d'être intensifiées (Tetio Kagbo et al. , 1994). C'est dans cette logique que
se situe la présente contribution qui vise à étudier quelques uns des aspects
ethnobotaniques des jardins de case dans 5 sous-groupes linguistiques béti des
provinces du Centre et du Sud forestier du Cameroun. Notre objectif est de préciser
la nature de ces agroforêts et de leurs productions, les utilisations et les
transformations des produits telles qu'elles sont pratiquées depuis des générations
ainsi que les possibilités d'amélioration des jardins de case.

LE MILIEU ÉTUDIÉ

Le milieu naturel

Le climat prévalant dans la zone est sub-équatorial, chaud et humide de


type guinéen, à quatre saisons bien tranchées, deux saisons de pluie et deux courtes
saisons sèches, (Suchel, 1972). La température moyenne est de 24°C. (fig. 2)
Le réseau hydrographique est assez dense. La province du Sud est bordée à
l'ouest par l'océan Atlantique où se jettent les principaux fleuves qui drainent les
deux provinces. Ces fleuves sont, pour la province du Centre, la Sanaga et le Nyong
dont les débits moyens sont respectivement 2072 m3/s et 134 m3/s et pour la
province du Sud, le Ntem, dont le débit moyen est de 276 m3/s (Olivery, 1986).
En général, on rencontre dans la région étudiée deux types de sols : les sols
hydromorphes et les sols ferralitiques. Ce dernier type de sol est de loin le plus
répandu dans la zone forestière du Cameroun (Olivery, 1986). Le processus
pédogénétique qui aboutit à la formation de ces sols se fait par une hydrolyse active
des minéraux favorisée par un climat chaud et pluvieux. Les sols ainsi obtenus sont
acides (Tonye et al., 1987) et généralement pauvres en éléments nutritifs (Mullet et
Gavaud, 1979). Assez souvent dans la région, les sols ferralitiques sans couvert
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végétal et agressés par les eaux de pluie se transforment rapidement en cuirasses par
suite de l'induration des éléments ferro-alumineux et deviennent impropres à
l'agriculture.

Une : îmO'E
EBOLOWA (Cameroun)
Lat : 2°54'N
Alt : 628 m
Nbre d'années d'observation : 44

T°C

Figure 2 : Diagramme ombrothermique d'Ebolowa

Le milieu humain

Le dernier recensement de la population au Cameroun remonte à 1987. La


population totale du Centre s'élevait à 1.651.600 habitants soit une densité de 23,96
habitants/km2 et celle du Sud à 373.798 habitants, soit une densité de 7,92
habitants/km2. A partir des taux de croissance annuels de la population des deux
provinces (3,13 % pour le Centre et 1,56 % pour le Sud) il a été possible
d'actualiser ces chiffres par extrapolation. La population totale actuelle du Centre
serait de 2.113.400 habitants et celle du Sud de 429.600 habitants correspondant à
des densités respectives de 30,67 habitants/km2 et de 9,10 habitants/km2. Cette
disparité régionale très marquée se traduit dans les deux provinces par un impact
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plus ou moins accentué de l'homme sur le milieu pour l'exploitation des ressources
naturelles.
Tableau 1 : Sous-groupes linguistiques étudiés

SOUS-GROUPE VILLAGE PROVINCE


LINGUISTIQUE
Nkongmesse
ETON Nkolmelock CENTRE
Nkometou III
Etoud
Nkolfoulou II
EWONDO Ngat-Bane CENTRE
Awaé
Evindissi
FON Mvoutessi II SUD
BOULOU Akok SUD
Minsel©
NTUMU Mékoé SUD
Mengomo

Dans ces zones, l'agriculture reste la principale activité des populations,


associée à la chasse, à la pêche et à la cueillette. C'est une agriculture itinérante sur
brûlis lorsqu'il s'agit des cultures vivrières, ou permanente lorsqu'il s'agit des
cultures de rente (cacao et café), l'une et l'autre pouvant être complétées par des
jardins de case. Dans les activités agricoles, on observe une division sexuelle du
travail. Ainsi, les cultures de rente sont réservées aux hommes et les champs vivrier
ou les cultures itinérantes constituent le domaine des femmes. Les activités dans les
jardins de case incombent à toute la famille.

METHODOLOGIE

La présente étude a été réalisée en s'appuyant sur des questionnaires et


complétée par des discussions et échanges oraux entre enquêteurs et informateurs,
l'objet étant de mettre en évidence la façon dont les groupes étudiés appréhendent et
conduisent leurs agroforêts.
Ces enquêtes ont consisté en une série d'interrogatoires auprès des chefs de
famille et en des observations sur la composition des jardins, l'utilisation des
plantes et sur les constructions. Au total, 15 villages et 150 ménages ont fait l'objet
des investigations.
Un questionnaire ethnobotanique classique a été établi et rempli de façon
systématique, par interrogatoire des ménages, afin de caractériser les jardins de case
étudiés par leur composition, leur organisation, etc. De plus, des observations et des
conversations informelles avec les propriétaires de jardins complètent les grands
traits caractéristiques des jardins.
170

Les investigations ont porté sur le groupe linguistique Beti qui occupe les
basses terres chaudes et humides des provinces du Centre et du Sud du Cameroun.
Ce groupe est composé de plusieurs sous-groupes assez proches les uns des autres
par la langue, les usages et les coutumes. Parmi ces sous-groupes, cinq ont été
retenus dans le cadre de cette étude (fig.3).

Légende Y =
Sous groupes linguistiques étudiés 0
& Eton Eb
Ewondo et assimilés ^ ^\ ^ _ S ■==sYaounde
Obala
Bafia
Kribi
Ebolowa
Sangmélina
Mbalmayo
Eséka
+ Boulou-Fon et assimilés S Mb
x Ntumu / Es
\ B
Sous-groupes voisins non étudiés J/ K
a Bafia-Banen J( _
G Bassa y— "" / \
<jst Bakoko Ol g ,\
• Autres sous-groupes( ^^/^ l \

^—^ */

—L
0 50 100 150 km
échelle ....

Figure 3 : Principaux sous-groupes linguistiques des provinces étudiées

DESCRIPTION DES JARDINS DE CASE

Dans la zone forestière du Centre et du Sud du Cameroun comme dans la


plupart des pays tropicaux, les habitants des zones rurales disposent très souvent
d'une petite exploitation autour de la maison. Selon Stevels (1990) l'idée à la base
de ces jardins familiaux ou jardins de case est d'utiliser l'entourage immédiat des
maisons pour produire continuellement des denrées alimentaires destinées en
premier lieu à la consommation familiale. À Java (Indonésie) les jardins de case
sont très développés et sont appelés pekarangan (Christanty, 1981). Au Cameroun,
ils prennent les dénominations nà chouda (jardin de cour) en bamiléké et yat a
falak (jardin d'arrière cour) ou afup a nda (jardin de case) en béti dans la zone
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forestière. Ces exploitations fonctionnnent comme des greniers pour le paysan et ont
la particularité de servir parfois de ressources d'appoint lorsque le paysan est
confronté à un problème de temps qui ne lui permet pas d'aller s'approvisionner
dans les autres champs vivriers en général situés hors du village. Les auteurs qui
travaillent sur les jardins de case sont unanimes pour reconnaître la présence de
deux parties essentielles qui partagent l'espace : parties construites et parties
exploitées. Ces deux parties remplissent des fonctions vitales et complémentaires
pour le paysan.

Les constructions

La construction de la maison est considérée dans ces régions comme


l'affaire de toute la communauté. Tout commence par le choix du site, le plus
souvent encore occupé par la forêt secondaire et généralement situé le long d'une
route. L'abattage des arbres va suivre. Seules les parties à construire ainsi que leurs
alentours immédiats vont être débarrassés de cette végétation secondaire. Partout
ailleurs les espèces utiles de forêt sont volontairement conservées par le paysan.
Pendant la construction de sa case, celui-ci se fait aider par les voisins ou les
membres de sa famille. Les arbres utilisés comme matériaux de construction
proviennent de la forêt proche ou du site même si les espèces recherchées y sont
présentes. Celles-ci sont choisies en fonction de leurs propriétés mécaniques et
physiques ainsi que de leur résistance naturelle à l'attaque des insectes. Le respect
de ces critères reconnus empiriquement est d'autant plus important pour le paysan
qu'aucun traitement préalable n'est appliqué à ces matériaux qui sont exposés à des
conditions atmosphériques rudes. Ainsi des espèces à bois dur comme le padouk1
(Pterocarpus soyauxii), le bilinga1 (Nauclea diderrichi), le coula1 (Coula edulis),
l'iroko1 (Milicia excelsa), sont appréciées pour la construction. Leur densité à l'état
sec va de 0,5 à 0,9. Ces arbres peuvent atteindre 30 mètres de hauteur et parfois 1,5
mètre de diamètre (Vivien et Faure, 1985) et résistent aux parasites. Les arbres sont
abattus et débités en lattes et en chevrons, à la main, ou de plus en plus, à la
tronçonneuse.
Pour la construction de la maison, les montants sont fixés verticalement
aux angles de la maison à bâtir ainsi qu'au niveau des ouvertures (portes et fenêtres)
tandis que les lattes, également placées en position verticale, sont alignées sur les
côtés parallèlement, à 20 centimètres environ les unes des autres pour constituer les
murs et les cloisons. Ensuite, l'ensemble est recouvert d'un toit en feuille de Raphia
vinifera, ou de plus en plus en tôles ondulées, reposant sur les chevrons, les murs et
les cloisons. Les rachis de Raphia sont fendus longitudinalement en deux et fixés
horizontalement, donc perpendiculairement aux lattes et aux montants de façon à
former avec ceux-ci de petits entrelacs rectangulaires sur les parties intérieures et
extérieures du mur. Les cloisons ainsi formées sont remplies de terre soigneusement
pétrie à l'eau de rivière puisée par les femmes et les enfants. Les ouvertures de la
case (portes et fenêtres), en bois ou en rachis de Raphia, sont fixées généralement

1 Terminologie commerciale classique.


172

après plusieurs semaines lorsque la case est bien sèche. Cette case est de forme
rectangulaire et de dimensions variables selon l'importance de la famille. Elle
comprend généralement trois pièces à coucher et un salon. Dans certains cas, une
salle de bain, ou au moins des latrines, s'ajoutent à la case. D'autres cases sont
éventuellement construites lorsque la famille s'agrandit ou si le mari prend une
nouvelle épouse.
La cuisine, construite de la même façon, avec les mêmes matériaux, est
située à côté de la case principale ou légèrement en arrière de celle-ci. A l'intérieur,
une grande étagère en rachis de Raphia, sur laquelle sont rangés les ustensiles de
cuisine, est fixée à un angle du mur, tandis qu'au centre se trouve un foyer formé de
trois pierres. Un peu au dessus du foyer, est suspendue une claie en tige de "palmier
rotin" (Ancistrophyllum spp.) ou en stipe de Raphia sur laquelle sont posés les
aliments dont la conservation peut être assurée par la fumée qui se dégage pendant
la cuisson des repas.

Les jardins

Les parties exploitées des jardins de case occupent une surface en général
plus importante que celles des parties bâties. C'est ici que se déroulent les activités
agro-sylvo-pastorales. Par rapport à la case, ces jardins sont formés d'une cour,
située devant la maison, de deux parties latérales ou cours latérales, et enfin d'une
partie postérieure ou arrière-cour.
Le sol nu de la cour, dépourvu de toute végétation, est essentiellement
réservé aux jeux des enfants dans la partie la plus proche de la maison. La cour
donne en général sur une piste, ou sur une route ; elle est séparée de celle-ci par une
haie vive d'hibiscus (Hibiscus rosa-sinensis), de Croton spp ou d'orelles. Dans cette
cour préalablement débarrassée de sa végétation naturelle, le paysan plante des
arbres fruitiers (manguier, cocotier et goyavier sont les plus fréquents) ainsi que des
arbres d'ornement en l'occurrence le badamier (Terminalia catappa), un pin (Pinus
caribaea) et le flamboyant (JDelonix regia). Sur les parties latérales on rencontre très
souvent Vernonia amygdalina et Vernonia calvoana, connus au Cameroun sous la
dénomination de dolle, les piments (Capsicum spp.) et les agrumes. L'arrière-cour
est la partie la plus dense du jardin ; il n'y a pas d'espèces particulièrement
réservées à cette partie. Les plantes ornementales y sont absentes ; on y retrouve,
par contre, presque toutes les autres espèces utiles dont la famille a besoin : arbres
fruitiers introduits ou spontanés, cultures vivrières annuelles et pérennes ainsi que
de nombreuses plantes médicinales.
Outre les plantes utiles, le petit élevage traditionnel occupe dans le système
une place non négligeable. Celle-ci est toutefois modérée par le fait que le paysan,
conscient des dégâts causés par les animaux laissés en divagation, en limite
l'extension. Notre étude étant essentiellement ethnobotanique, nous ne détaillerons
pas l'analyse de ce petit élevage.
173

LES PRODUCTIONS DES JARDINS DE CASE ET LEURS UTILISATIONS

Contrairement aux champs itinérants et aux plantations de cacaoyers, les


jardins de case en zone forestière du Cameroun se distinguent par un nombre élevé
d'espèces utilisées sur une surface relativement réduite (160 m2 à 1,05 ha avec une
moyenne de 2000 m2). Les espèces végétales, plantées et/ou spontanées, cohabitent
ou non avec des animaux domestiques en élevage traditonnel. Le nombre d'espèces
relevées dans les jardins étudiés va de 8 (pour le moins riche) à 57 (pour le plus
riche), pour un total de 125 espèces dans l'ensemble des jardins.

Les cultures des plantes amylacées et légumières

Les cultures alimentaires des jardins de case qui entrent dans la


composition des repas quotidiens sont principalement des plantes amylacées et
légumières. Les premières constituent les plats de base tandis que les secondes
participent pour l'essentiel à leur accompagnement

Les plantes amylacées

Les plus couramment rencontrées dans les jardins de case comprennent le


maïs, les racines et tubercules, la banane plantain.
- Le maïs (Zea mays) frais est consommé rôti et bouilli. Le maïs séché, écrasé et
réduit en farine permet de réaliser une purée (fufu de maïs) consommée cuite.
- Les racines et les tubercules peuvent être consommés immédiatement après la
récolte ou subir certaines transformations si le paysan veut les conserver. Après les
avoir épluchés, ils peuvent être ébouillantés : le macabo (Xanthosoma sagittifolium),
les ignames (Dioscorea spp.), la patate douce (Ipomoea batatas), le taro (Colocasia
esculentum), le manioc (Manihot esculenta). Certains sont frits : macabo, patate
douce ; d'autres sont râpés, emballés dans des feuilles de Marantacées et cuits
(macabo, manioc). Le manioc ramolli par trempage à l'eau pendant plusieurs jours
donne une pâte que le paysan transforme en tapioca, en boule (fufu de manioc) ou
en bâton de manioc. Dans ce dernier cas, la pâte est enroulée et cuite dans les
feuilles de Marantacée prenant la forme d'un bâton. Ainsi transformés, ces aliments
peuvent se conserver pendant plusieurs semaines. Ils sont destinés soit à la vente
soit à la consommation familiale. En dehors de l'igname, ces tubercules ont été
introduits au Cameroun.
- La banane plantain {Musa paradisiaca) : le fruit est ébouillanté ou frit (vert ou
mûr).

Les plantes légumières

II s'agit des graines et des feuilles.


- Parmi les graines on peut citer l'arachide (Arachis hypogaea), le haricot
(Phaseolus vulgaris) et la courge (Cucurbita pepo). L'arachide fraîche peut être
bouillie ou grillée. L'arachide et les grains de courge entrent dans la composition de
nombreuses sauces en accompagnement des plantes amylacées.
174

- Les feuilles de plusieurs espèces de plantes présentes dans les jardins sont utilisées
comme légumes - feuilles de dollé (Vernonia amygdalina et V. calvoana), de
macabo, d'aubergines (Solarium spp.) et de manioc - ou entrent dans la composition
de certaines sauces. C'est le cas de deux espèces autochtones, Corchorus olitorius
(localement appelé ntegue) et Talinum trizangulare (localement appelé elok-sup ou
"épinard sauvage") qui servent de complément aux racines, tubercules et bananes
plantain.

Les fruits de bouche

La plupart des fruits de bouche rencontrés dans le système sont consommés


mûrs directement sans aucune transformation. C'est le cas des fruits introduits.
Certains fruits locaux sont ébouillantés ou grillés avant d'être consommés comme le
safou (Dacryodes edulis). Nous présentons dans le tableau 2 les fruits de bouche
rencontrés dans les jardins de case étudiés, leur nom commun, leur origine, la
transformation qu'ils subissent de la part du paysan et la ou les partie(s)
consommée(s).

Les épices

Sur 14 espèces de plantes de forêt naturelle dont les fruits sont utilisés
comme épices (Vivien et Faure, 1988) dans la région forestière du Cameroun, nous
avons pu en recenser 5 dans les jardins de case étudiés.
- Irvingia gabonensis : La hauteur de cette espèce amène les paysans à attendre la
chute des fruits de l'arbre pour les ramasser. Ceux-ci sont regroupés dans un coin du
jardin jusqu'au pourrissement du mésocarpe qui intervient environ deux semaines
après le ramassage. L'endocarpe est ensuite ouvert à l'aide d'une machette, ce qui
permet de sortir une amande blanche que l'on sèche d'abord au soleil en l'étalant au
sol, puis sur une claie pour une longue conservation. Cette amande qui devient
jaunâtre en séchant est pulvérisée sur une meule avant d'être utilisée comme
ingrédient dans les sauces gluantes qui accompagnent les tubercules.
- Monodora myristica : Les graines extraites du fruit sont nettoyées, séchées et
conservées sur une claie. Elles sont par la suite grillées et pulvérisées au moment de
l'utilisation. Leur odeur et leur saveur agréables conviennent à la plupart des sauces.
- Ricinodendron heudelotii : Les dimensions de l'arbre ne permettent pas d'y
grimper. Les fruits sont ramassés au fur et à mesure qu'ils tombent au sol. Le
paysan laisse le mésocarpe pourrir dans un coin de son jardin et récolte l'endocarpe
(coque très dure) qu'il concasse pour en extraire l'amande. Celle-ci est séchée au
soleil pendant quelques jours et conservée sur une claie. Elle est pulvérisée sur une
meule au moment de l'utilisation. C'est un condiment qui, comme le Monodora,
entre dans la composition de la plupart des sauces.
- Piper guineensis : Les fruits sont de forme sphérique et de très petite taille
(environ 2 à 3 millimètres de diamètre). Le paysan récolte les épis mûrs qu'il sèche
d'abord au soleil puis sur une claie sans débarrasser les fruits de leur épicarpe. Ils
sont également écrasés sur une meule avant l'utilisation. C'est une épice à la fois
piquante et odorante.
Tableau 2: Fruits de bouche rencontrés dans les jar
NOM SCIENTIFIQUE NOM COMMUN/LOCAL ORIGINE PA
Ananas comosus (L) Merr. Ananas Amérique Centrale Pu
Armona muricataL. Corossolier Amérique Centrale Pu
Amona mfaMata L Coeur de boeuf Amérique Centrale et AntiRes Pu
Artocarpusaltms (Parte) Fosb. Arbre à pain Iles du Pacifique Am
BaUoneto toxispwma Pierre Moabi Locale Pu
Carica papaya L Papayer Mexique Pu
Chytranthus macrophyllus Gilg Engong Locale Pu
Citrus aumntiifolia (Christm.) Swingle Citronnier Inde Pu
Citrus maxima (Burm.) Merr. Pamplemoussier Indonésie / Malaisie Pu
Citrus nobiKs Lour. Mandarinier Asie du Sud Est Pu
Citrus shonsis (L) Osbeck Oranger Inde /Chine Pu
Cocos nuefora L Cocotier Ouest du Pacifique Al
Colaspp. Colatier Locale Am
Dacryodês êduBs (G. Don) Lam. Safouter Locale Pu
Dacryodes macrophyHa (Oliv.)Lam. Atom Locale Pu
Dosbontoaaçfaucoscens (Engl.) Tiegh. Oman Locate Am
Garckm kola Heckel Bitter cola Locale Am
Irvingiagabonensis Bâillon Manguier sauvage Locale Pu
htangfora hdca L Manguier Inde Pu
Musaspp.. Bananier Malaisie Pu
Pantachletia macrophyto Benth. Ebayé Locale Pu
Parsaaamericana Miller Avocatier Amérique Pu
Psktum guajava L Goyavier Amérique Pu
âjDcncfasçythe/Ba Sonn. Cassamanga Polynésie Pu
Syzygumjambos (L) Alston Cerisier Inde, Asie du Sud-Est Pu
Torminalta catappa L uangaamngo Asie Am
Trichoscypha spp. Amvout Locale Pu
Uapaca guineenàs MuelLArg. Assam Locale Pu
176

- Aframomum metègueta dont les fruits sont des épices à saveur piquante. Il existe
également un Aframomum sp. (dénommé odzôm en ewondo) à feuilles très
odorantes utilisées comme épice.
- Outre ces espèces locales, nous pouvons citer diverses espèces de piments
{Capsicum spp.), de feuilles comme celles des basilics (Ocimum basilicum et O.
gratissimum), de menthes (Mentha spp.) espèces introduites qui sont des
condiments très appréciés.

Les plantes oléagineuses

Dans les jardins de case se trouvent aussi quelques fruits oléagineux.


Elaeis guineensis : Les paysans extraient deux types d'huile des fruits du palmier à
huile: l'huile de palme ou huile rouge et l'huile de noix de palme communément
appelée "huile de palmiste".
- Huile de palme : les régimes de fruits mûrs sont récoltés par les hommes. Les
femmes sont chargées de leur cuisson et de l'extraction de l'huile. La cuisson dure
plusieurs heures. Les fruits cuits sont piles en petites quantités dans un mortier
jusqu'à l'obtention d'un mélange de pulpe fibreuse formée par l'épicarpe et le
mésocarpe du fruit qui se séparent de l'endocarpe. On ajoute de l'eau à ce mélange
puis par essorage des fibres on obtient un mélange non miscible d'huile et d'eau qui
est porté à ebullition jusqu'à evaporation totale de l'eau. On obtient ainsi une huile
de couleur rouge, riche en vitamine A (Guille-Escuret et Hladik, 1989) très utilisée
tant en cuisine que pour la fabrication de nombreux médicaments traditionnels.
- Huile de noix de panne : les noyaux (endocarpe et graine) obtenus pendant la
fabrication de l'huile de palme sont séchés et concassés. On obtient une amande que
l'on fait bouillir dans une petite quantité d'eau. La cuisson se poursuit après
l'évaporation de l'eau jusqu'à l'obtention d'une huile noire. Celle-ci est directement
utilisée en pédiatrie , pour panser le nombril des nouveaux-nés, et en dermatologie
traditionnelle. Elle entre aussi dans la composition de nombreux autres médicaments
et de cosmétiques. En outre, les coques d'endocarpes et les fibres des mésocarpes
sont utilisées comme combustibles.
Baillonella toxisperma : l'endocarpe est extrait du fruit et séché au soleil. L'amande
obtenue par concassage de l'endocarpe est pilée au mortier afin d'obtenir une huile
fine très appréciée dans la cuisine.

Les autres produits des jardins de case

La sève du palmier à huile est l'un des produits (avec la cola) des jardins de
case qui occupe une place importante dans la vie socio-économique et culturelle des
populations des zones forestières du Cameroun. C'est une boisson très appréciée et
consommée par toute la famille. Les plus jeunes aiment un vin sucré ("vin léger") et
les adultes préfèrent un vin fermenté et légèrement amer ("vin fort"). L'amertume
est donnée au vin par l'écorce d'une plante, Garcinia lucida (localement appelée
essok en langue éton) que le paysan dépose dans la calebasse de récolte du vin. Il
existe deux types de vin de palme : celui extrait du palmier abattu dénommé dans la
région "l'abattu" et celui provenant du palmier sur pied appelé "le haut". Pour ce
dernier type, le paysan doit grimper sur le palmier vivant pour le récolter. Pour le
177

premier type, le stipe du palmier est déraciné. Cette technique est pratiquée dans
toute la région du Centre et du Sud Cameroun. Avec cette technique, la récolte est
aisée, abondante et plus étalée dans le temps. Cependant, d'après les paysans, le vin
obtenu est de qualité moyenne. La méthode de récolte par déracinement ("par le
bas") cause beaucoup de dégâts au peuplement de palmiers à huile contrairement à
la méthode de récolte "par le haut" moins destructrice (les palmiers ne sont pas tués)
et qui, de plus, donne un vin de qualité supérieure bien que de moindre abondance.
La technique de récolte par le haut n'est pas pratiquée dans le Sud du Cameroun où
la densité de population est très faible et la régénération naturelle des palmiers très
intense dans les jachères de longue durée. Par contre, elle est pratiquée dans les
jardins de case et de plus en plus dans les champs du Centre et particulièrement dans
le département de la Lékié et dans les environs de Yaounde où la forte densité de
population et l'intensification des cultures vivrières annuelles ne sont pas favorables
à la régénération naturelle de l'espèce.

Cuvette de refroidissement
Banane verte pilée
Tuyauterie
(étanchéité)
• Coton-filtre
Marmite de
Chauffage /'\ Récipient de
réception
Foyer "3 pierres

Figure 4 : Dispositif pour distillation de vin de palme

La production d'un palmier déraciné s'étale sur deux semaines à un mois.


L'incision pratiquée sur l'apex du tronc est rafraîchie deux fois par jour, au petit
matin avant les travaux champêtres et le soir au coucher du soleil. A chacun de ses
deux passages, le paysan peut récolter du vin frais. Un tronc peut produire environ
10 litres de vin par jour pendant la première semaine de récolte, 2,5 à 4 litres en
milieu de production et 1 à 3 litres en fin de production. Les paysans estiment qu'un
palmier est potentiellement productif lorsque la nervure principale des pannes
devient jaune. A notre avis le jaunissement de la nervure des palmes peut être dû à
la sénescence de celles-ci qui est un phénomène physiologique naturel que l'on
rencontre même chez les jeunes palmiers. Il existerait d'autres critères intuitifs liés à
l'expérience de l'extracteur qui lui permettraient de reconnaître le "bon tronc".
Dans les jardins de case on rencontre également de nombreuses plantes
médicinales (Voacanga africana, Alstonia boonei, Cassia alata, Pycnanthus
angolensis, Hibiscus sabdarifa ...) très utilisées dans le traitement de nombreuses
maladies. On note également la présence d'espèces de bois d'oeuvre et de bois de
feu (Tableau 3), de plantes à usages divers comme le coton, le tabac, la canne à
sucre les plantes ornementales.... La diversité spécifique des jardins de case est
assez remarquable pour un agro-écosystème.
Les paysans de la zone forestière du Cameroun rencontrent constamment
des difficultés dans la commercialisation de leur récolte, difficultés liées, d'une part,
Tableau 3 : Espèces utilisées comme boi
NOM SCIENTIFIQUE NOM COMMUN/LOCAL PROPR
Atbizia adianthifolia (Schum.) W.F. Wight. Essak / Saliemo Tendre
Alstonia boonoi De Wild. Emien / Ekouk Tendre
AmpNmas ferrugineus Pierre ex Engl. Lati / Edjin Assez
BaiKoneHa toxisperma Pierre Moabi / Adjab Dur
Ceibapentandra (L)Gaertn. Fromager / Doum Très te
Cordia platythyrsa Bak. Ebé Très te
Dacryodes macrophylla (Oliv.) Lam. Atom Assez
Des&o/cfesn gteucescens (Engl.) Tiegh. Alep / Oman Très du
Distemonanthus benthamianus Bâillon Movingui / Eyen Assez
Erismadelphus exsul Mildbr. Afoébitobi Assez
Ficus exasperata Vahl. AkÔ Tendre
Funtumia otasOca (Preuss) Stapf Ndamba Tendre
Garciniakola Heckel Onié Dur
Harungana madagascariensis Lam. ex Poiret Atodoque Tendre
Inringiagabonensis Bâillon Andok Dur
Mansonia altissima (Aubr.) Aubr. Béte Assez
Markhamia kitea (Benth.) K. Schum. Ossé Assez
M///aia excelsa (Welw.) C.C. Berg. Iroko / Abang Assez
Mitragyna stipulosa (D.C.) 0. Ktze Elolom Tendre
Musanga cecropioides R. Br. Parasolier / Asseng Très te
Myrianthus arboneus P. Beauv. Egokom Tendre
Petersianthusmacrocarpus(P. Beauv.) LJben Essia / Abing Assez
Pentachtetra macophylta Benth. MubaJa/Ebé Très du
Pterocarpus soyauxH Taubert Padouk / Mbel Assez
Pycnanthus angolonsis (Welw.)Warb. Ilomba / Eteng Tendre
Ridnodendron heudeloltii(Bai\\on) Pax Esezang Très te
Terminalia superba Engl. et Diets LJmba / Akom Assez
Trichoscypha spp. Amvout / Ekong Assez
Triplochiton sceroxyion K. Schum. Ayous Très te
Uapaca guineensis Mull. Arg. Assam Tendre
Zanthoxytum heitzii (Aubr. et Pellegr.) Waterman don /Bongo Tendre
179

aux problèmes d'enclavement que connaissent certaines zones rurales


particulièrement pendant les saisons des pluies et, d'autre part, à l'absence de
techniques simples de transformation et de conservation d'un certain nombre de
leurs produits. En effet, d'énormes quantités de fruits pourrissent dans les villages
pendant les périodes de production et les procédés artisanaux de transformation
pouvant éviter ces pertes aux paysans sont rares. Ces déperditions concernent aussi
bien des fruits introduits (mangue, agrumes, goyave) que des fruits locaux cultivés
ou spontanés comme le safou, le Tricoscypha, le Dacryodes. Ainsi, des espèces
comme Tricoscypha arborea ou Dacryodes macrophylla et de nombreux autres
fruitiers spontanés ont des pulpes très juteuses, de saveur agréable. Ils pourraient en
bien des cas entrer dans la préparation artisanale de jus de fruit et de confitures par
des procédés de transformation qu'il faudrait mettre au point Des études de marché
préalables et des circuits de distribution efficaces seraient à mettre au point.
Dans le même ordre d'idées, certains légumes ou condiments, comme par
exemple des feuilles de basilic ou de menthe, les amandes d'irvingia gabonensis,
Ricinodendron heudelotii, Monodora myristica, et bien d'autres épices pourraient
être séchées ou grillées, pulvérisées et conditionnées en petits sachets pour être
vendus en ville.
En ce qui concerne la transformation des fruits du palmier en huile de
palme, les paysans devraient récolter les régimes de préférence le jour même du
traitement. Selon Shukla et Nielsen (1989), cette condition est nécessaire si on veut
obtenir de l'huile de bonne qualité. Comme pour les produits précédents, il
conviendrait aussi d'étudier les nouveaux procédés de conditionnement et de
conservation de l'huile ainsi que les processus de commercialisation.

POSSIBILITÉS D'AMÉLIORATION DES JARDINS PAR DES ESPÈCES


LOCALES

Pour préserver les espèces alimentaires et médicinales de forêt naturelle


menacées, on aurait pu penser que leur conservation in situ ou ex situ dans les
réserves forestières existantes aurait été plus efficace. Cependant ces réserves
envahies par la population échappent actuellement au contrôle de l'État. Les jardins
de case semblent être aujourd'hui les lieux privilégiés où les espèces forestières à
usages multiples peuvent être conservées tout en bénéficiant du soin constant des
paysans. En général les espèces locales sont bien représentées dans les jardins de
case (près de 2/3 du nombre total des espèces relevées). Malgré cette bonne
représentation des plantes locales dans leur ensemble, des efforts restent à faire en
ce qui concerne l'enrichissement de ces exploitations par des fruitiers sauvages. En
effet sur plus de 205 espèces fruitières de forêt dense rencontrées au Cameroun
(Vivien et Faure, 1988), seulement une quinzaine d'espèces autochtones a été
recensée dans l'ensemble des jardins échantillonnés. Cette situation généralement
occasionnée par l'exploitation forestière (Abdulhadi et al, 1981) et aggravée par
l'agriculture itinérante sur brûlis (Mercier, 1991) entraîne une diminution importante
de la biodiversité (Alexandre, 1992). L'une des conséquences de cette érosion
180

génétique est selon Clements (1991) la perte de certaines habitudes alimentaires


développées par l'homme.
Une enquête réalisée auprès des paysans (dans les villages) et des
revendeurs de ces produits (marchés urbains), a permis d'établir une liste de 1 1
espèces locales (Tableau 4), qui pourraient faire l'objet de recherches en vue de leur
plus large diffusion dans les jardins de case. Quelques unes de ces espèces, bien que
souvent présentes dans le système, sont pour la plupart des vieux individus laissés
sur place pendant la construction et qui mériteraient aussi d'être améliorés. Selon
Puig et al (1993) on gagnerait à s'appuyer sur les espèces locales quitte à imaginer
des modèles d'amélioration génétique adaptés visant à optimiser leur potentialité
agroforestière (morphologie, croissance, système racinaire...). Pour ce faire, des
recherches s'appuyant sur des phytopratiques locales et donc plus accessibles au
paysan pourraient être envisagées (Okafor, 1980 ; Aumeeniddy et Pinglo, 1989).
Tableau 4- Espèces locales de forêt naturelle à usages multiples susceptibles
d'être introduites ou développées dans les jardins de case

NOM SCIENTIFIQUE NOM LOCAL2


Ricinodendron heudelotii Esezang (E, Et) ; Ezang (B, F, Nt)
Irvingia gabonensis Andok (E) ; Ando'o (B, F, Nt) ; Azanga (Et)
Baillonella toxisperma Adjap (E, B, F)
Coula edulis Ewoumé (E, Et) ; Engom (B,F)
Gnetum africanum Okok(E,B, F)
Trichoscypha spp. Mvout (E, B, F, Nt) ; Amvout (Et)
Gardnia cola Onié (E, Et, B, F)
Monodora myristica Nding (E, Et) ; Fep (Nt, B, F)
Dacryodes macrophylla Atom (E) ; Tom (B, F, Nt)
Dioscorea bulbifera Alok (E) ; Noum (Nt) ; Atoumenden (B,F)

Pour que les résultats de ces essais puissent être adoptés sans grandes
difficultés par les paysans, il serait souhaitable qu'ils s'effectuent non seulement
dans les stations de recherche mais aussi parallèlement dans les conditions réelles
c'est-à-dire dans des jardins de case pilotes à retenir en accord et avec la
collaboration du principal bénéficiaire qu'est le paysan.

CONCLUSION

Dans les zones forestières des provinces du Centre et du Sud du Cameroun,


l'agriculture est la principale activité des populations rurales. En dehors du cacao
qui est le seul produit exporté, toutes les autres cultures pratiquées dans la zone sont
destinées en priorité à l' autoconsommation et à la vente locale. Une part non
négligeable de ces cultures provient des jardins de case. Ce sont des cultures
vivrières annuelles qui regroupent le maïs, l'arachide, le haricot, etc. Des cultures
vivrières pluriannuelles avec, d'une part, des plantes à racine et tubercule (patate
douce, macabo, igname, manioc, etc.) et, d'autre part, des légumes dont le Vernonia

2 Les noms en langues locales : E = ewondo, Et = eton, B = boulou, F = fon, Nt = ntumu


181

(dollé), les Solarium (aubergine), le piment, le basilic, etc. Et enfin, des plantes
pérennes. Cette dernière catégorie regroupe les fruitiers introduits (manguier,
agrumes, corrossolier, goyavier ...) ou autochtones (Irvingia, colatier,
Trichoscypha...), des arbres à condiment (Irvingia, Ricinodendron, Monodora ...),
des plantes médicinales (Alstonia, Voacanga ...) et des espèces productrices de bois
d'oeuvre ou de bois de feu. Outre cette richesse en plantes, l'élevage de quelques
animaux, volaille (poulets et canards), caprins, ovins et porcins vient renforcer la
diversité spécifique des jardins de case.
Cette biodiversité se prolonge, au niveau du paysan, par une diversité de
mode de transformation et d'utilisation des produits issus de ces écosystèmes
agroforestiers. Les techniques de transformation et de conservation utilisées par les
paysans sont certes insuffisantes et se réduisent essentiellement au séchage solaire
ou à la fumaison à la claie de quelques fruits, légumes ou épices et au trempage
suivi de cuisson pour certains tubercules comme le manioc. De nombreux fruits et
légumes ne subissent pas de traitements particuliers. Compte tenu de ces
insuffisances, des techniques artisanales simples de transformation et de
conservation à la portée du paysan restent à mettre en œuvre pour permettre à ceux-
ci de tirer meilleur parti de la richesse de leur jardin. Aussi des recherches sur
l'amélioration des espèces forestières locales à usages multiples, non encore
cultivées, en vue de leur introduction dans le système, permettraient non seulement
de conserver les ressources phytogénétiques, mais aussi de diversifier davantage la
production et l'utilisation des jardins de case. Ils pourraient ainsi jouer plus
efficacement leur double rôle : rôle économique, par des productions non seulement
d' autoconsommation, mais pouvant aussi être commercialisées et rôle écologique
(ou de conservation de la biodiversité) par le maintien voire l'amélioration de
nombreuses espèces utiles d'autant plus que près de 2/3 des espèces qui poussent
dans ces jardins sont des plantes spontanées et donc constituent des réserves
génétiques susceptibles d'être exploitées.

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