Vous êtes sur la page 1sur 130

La plus précieuse

des marchandises
Un conte
Jean-Claude Grumberg
Dossier par Virginie Manouguian
Agrégée de lettres modernes

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 1 18/03/2021 18:01


Sommaire

Repères ............................................................................. 4

L’auteur ............................................................................. 6

Entrer dans l'œuvre .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

La plus précieuse des marchandises ...................... 11


de Jean-Claude Grumberg

Comprendre le texte
Comprend
Mon parcours de lecture
Vérifier sa compréhension du texte ................................... 94
Donner ses impressions de lecture .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

Analyser les passages clés


Extrait 1 « Il était une fois... » .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Extrait 2 « Les sans-cœur ont un cœur. » .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Extrait 3 « Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? » .. . . . . . . . . . 99

Comprendre les enjeux du texte .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

S’exprimer à l’oral et à l’écrit


Vocabulaire .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Activités orales .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Activités écrites .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Histoire des arts . ............................................................... 106

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 2 18/03/2021 18:01


Retenir l’essentiel
Les personnages .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

Les lieux ............................................................................ 112

L’intrigue .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

Bilan .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

À vous de jouer ! .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118

Prolonger la lecture

Groupement de textes :
Dénoncer les horreurs de l’Histoire ...................................... 1 22

Vous aimerez aussi… .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  127

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 3 18/03/2021 18:01


Repères

La Seconde Guerre mondiale


Des puissances opposées
• En 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier du Troisième Reich,
en Allemagne. Rapidement, il prend les pleins pouvoirs et impose
l’idéologie de son parti nationaliste et antisémite : le nazisme.
• La guerre commence avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne,
le 1er septembre 1939 et prend progressivement une dimension mondiale,
avec l’opposition des forces alliées qui se rallieront (Royaume-Uni, France,
URSS, États-Unis) et des forces de l’Axe (Allemagne, Italie et Japon).
• La France, alors gouvernée par le maréchal Pétain, capitule et signe
un armistice le 22 juin 1940. Le pays est occupé par les troupes alle-
mandes, d’abord partiellement, puis intégralement à partir de 1942.
Le régime de Vichy collabore avec l’Allemagne, exécutant la politique
antisémite du Troisième Reich.

La « Solution finale »
• Considérés par les nazis comme inférieurs, les Juifs sont d’abord
persécutés (port obligatoire de l’étoile jaune, interdiction d’accéder
à certains lieux…), puis détenus dans des camps de concentration.

1930 1939 1945


Seconde Guerre mondiale
1945 1946
1933 1940 Procès de Nuremberg 1947
Arrivée d'Hitler Capitulation de la France 1945 Prim
au pouvoir (régime de Vichy) Libération du Si c'
en Allemagne 1942
Début de la « Solution finale » camp d’Auschwitz 1947
Rafle du Vélodrome d’Hiver à Paris 1945 Le Jo
Capitulation
1939 de l’Allemagne
Invasion de la Pologne et signature
par l’Allemagne de l’armistice

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 4 18/03/2021 18:01


voir plus s
sa

ur
En

ce génoc
ide

Femmes
et enfants
déportés
en train dans
les camps
de la mort,
vers 1942,
photographie.

• À partir de 1942, les Juifs sont déportés dans des camps d’exter-
mination, comme celui d’Auschwitz, en Pologne (voir carte, p. 113).
Certains y sont soumis à des travaux forcés, la plupart des autres sont
directement assassinés dans des chambres à gaz. C’est la « solution
finale de la question juive », un génocide appelé « Shoah » (« catas-
trophe », en hébreu). On estime que les deux tiers de la population
juive de l’Europe occupée, soit cinq à six millions de personnes, ont
été exterminés.

1950 1960 2020

6
erg 1947 1956 2019
Primo Levi, Alain Resnais, Jean-Claude Grumberg,
Si c'est un homme Nuit et Brouillard (film) La plus précieuse
1947 des marchandises
Le Journal d'Anne Frank
ne
e

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 5 18/03/2021 18:01


L’auteur
Interview
de Jean-Claude Grumberg Depuis quand êtes-vous écrivain
et comment vous est venue cette
vocation ?
Je suis écrivain depuis soixante
ans, mais je n’ai pas eu de voca-
tion. J’ai quitté l’école à quatorze
ans pour devenir apprenti tail-
leur, et je n’imaginais pas faire
quoi que ce soit d’autre. J’ai
commencé à faire du théâtre
en amateur, et je me suis rendu
compte que je préférais écrire
le théâtre plutôt que le jouer.
Pendant une cinquantaine d’an-
nées, j’ai donc écrit des pièces,
puis des scenarii de films pour le
cinéma et la télévision, et c’est
depuis peu que j’écris des récits
Vous avez écrit plusieurs pièces
de fiction.
de théâtre, dont certaines pour
les enfants. Destiniez-vous
également La plus précieuse
des marchandises à un jeune Dans quelle mesure votre
public ? histoire personnelle a-t-elle
J’essaie de ne pas me poser la influencé l’écriture de ce texte ?
question quand j’écris. Quand Je suis fils et petit-fils de
on parle à un enfant, on ne lui déportés, beaucoup de membres
parle pas comme à un adulte, de ma famille l’ont été. J’étais un
mais on parle des mêmes enfant caché : c’est cette histoire
choses. Au début de ce conte, je qui m’a fait écrire. Je n’avais pas
ne savais pas où j’allais. Je me de vocation, mais j’avais une
suis arrêté plusieurs années car histoire à raconter. Et puis, quand
j’ai été malade, puis j’ai repris on vieillit, on n’a plus d’histoires
l’écriture ; sans doute que la d’amour à raconter, alors on se
petite marchandise devait me rapproche de sa jeunesse. Quand
demander de l’aide… on n’a pas plus d’avenir, il reste le
passé devant soi.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 6 18/03/2021 18:01


Pourquoi avoir choisi la forme du
conte pour parler de la Shoah ? Quel message souhaite-
Je n’avais pas prévu d’écrire un riez-vous transmettre aux
conte sur la Shoah, j’ai commencé jeunes lecteurs qui vont
à écrire un conte. Ce qui me vous lire ?
préoccupe, mon histoire, est venu J’aimerais que mon texte
naturellement. Le conte est un leur donne envie de lire, mais
genre qui permet de mettre à surtout d’écrire ! Ce que je
distance des choses absolument souhaite pour eux, c’est qu’ils
affreuses, comme le fait Perrault aient envie de s’exprimer, que
dans Le Petit Poucet, qui sert de ce soit à l’écrit, à l’oral, par
socle à mon histoire. Il évoque le dessin, parce que la vie est
la misère et la faim sous le règne faite de ce plaisir-là. On ne
de Louis XIV, mais il ne nomme peut pas guérir tous les maux
personne. De la même manière, les de notre société, mais on
mots « déportation » et « Shoah » peut aider ces jeunes à trou-
ne sont pas employés dans le texte ver leur liberté et leur donner
parce qu’il s’agit justement d’un les moyens de penser par
conte et parce que les personnages eux-mêmes, c’est essentiel.
eux-mêmes ignorent ce qui se passe.

Œuvres de l’auteur
Jean-Claude Grumberg a écrit une trentaine de pièces de théâtre,
dont plusieurs pour la jeunesse, toutes éditées chez Actes Sud-Papiers.
Notamment :
• L’Atelier (1979)
• Le Petit Chaperon Uf (2005)
Il a, en outre, publié aux Éditions du Seuil, dans « La Librairie
du xxie siècle » :
• Mon Père. Inventaire, suivi d’Une leçon de savoir-vivre (2003)
• Pleurnichard (2010)
• La plus précieuse des marchandises. Un conte (2019)
Ce dernier ouvrage a été couronné par de nombreux prix.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 7 18/03/2021 18:01


Entrer dans l’œuvre

Suggérer l’horreur de la Shoah


*

* Renvoie ici à la joie que nous avons en nous.

Stéphanie Trouillard et Thibaut Lambert, Si je reviens un jour... Les lettres


retrouvées de Louise Pikovsky, Éditions Des ronds dans l’O, 2020.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 8 18/03/2021 18:01


Comprendre le contexte historique

1 Durant quelle période historique


L’œuvre Cette bande
l’action se situe-t-elle ? Qui sont
dessinée est inspirée de l’histoire
les personnages représentés ? vraie de Louise Pikovsky,
une lycéenne dont des lettres
2 Selon vous, où les personnages ont été retrouvées en 2010, lors
d’un déménagement à Paris.
vont-ils être conduits ? Pourquoi ?
La dernière date du 22 janvier
1944, jour où elle a été arrêtée
3   Imaginez la suite du texte : avec sa famille.
que pourrait dire l’homme qui a
perdu ses biens et ses filles ? Relisez bien la première vignette
de la planche proposée avant de rédiger votre texte.

nez la b
io n

Vi s

an
À vous de jouer !

de-ann o
Découvrir un film scénarisé
nc
e

par Jean-Claude Grumberg :


Amen, de Costa-Gravas (2002)
Étape 1Réalisez une fiche de présentation du film.
• Précisez le cadre spatio-temporel.
• Faites une fiche d’identité des personnages.
• Enfin, résumez l’intrigue du film.

Étape 2 Regardez attentivement la bande-annonce.

Dans le film, on voit régulièrement un train passer.


Selon vous, que signifient ces passages répétés ?
Étape 3 Présentez votre travail à la classe en soignant

votre expression orale.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 9 18/03/2021 18:01


Magdalena Russocka, Mère et enfant, photographie, 2019.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 10 18/03/2021 18:01


Magdalena Russocka, Mère et enfant, photographie, 2019.

é c i e u s e
s p r
La plu handises
m a r c
des

11

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 11 18/03/2021 18:01


Sarah Cunningham, Chalet dans la forêt,
2014, photographie.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 12 18/03/2021 18:01


1

Chapitre 1

1 I
l était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûche-
2 ronne et un pauvre bûcheron.
3 Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit
4 Poucet1 ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste
5 cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents aban-
6 donner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…
7 Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand
8 froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abat-
9 tait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par
10 contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait,
11 autour de ce bois, la guerre mondiale.
12 La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.
13 Pauvre bûcheron, requis2 à des travaux d’intérêt public
14 – au seul bénéfice des vainqueurs occupant villes, villages,
15 champs et forêts –, c’était donc pauvre bûcheronne qui,
16 de l’aube au crépuscule, arpentait3 son bois dans l’espoir
17 souvent déçu de pourvoir4 aux besoins de son maigre foyer.

1. Le Petit Poucet : conte de Charles Perrault (1671-1703) paru en 1697, dans


lequel un bûcheron et sa femme abandonnent leurs sept garçons dans la forêt,
car ils n’ont plus de quoi les nourrir.
2. Requis : réquisitionné, obligé de travailler.
3. Arpentait : parcourait à grands pas.
4. Pourvoir : satisfaire.

13

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 13 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

18 Fort heureusement – à quelque chose malheur est bon –


19 pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne n’avaient pas, eux,
20 d’enfants à nourrir.
21 Le pauvre bûcheron remerciait le ciel tous les jours de
22 cette grâce. Pauvre bûcheronne s’en lamentait, elle, en secret.
23 Elle n’avait pas d’enfant à nourrir certes, mais pas non
24 plus d’enfant à chérir.
25 Elle priait donc le ciel, les dieux, le vent, la pluie, les arbres,
26 le soleil même quand ses rayons perçaient le feuillage illumi-
27 nant son sous-bois d’une transparence féerique. Elle suppliait
28 ainsi toutes les puissances du ciel et de la nature de bien
29 vouloir lui accorder enfin la grâce de la venue d’un enfant.
30 Peu à peu, l’âge venant, elle comprit que les puissances
31 célestes, terrestres et féeriques s’étaient toutes liguées avec
32 son bûcheron de mari pour la priver d’enfant.
33 Elle pria donc désormais pour que cessent au moins le
34 froid et la faim dont elle souffrait du soir au matin, la nuit
35 comme le jour.
36 Pauvre bûcheron se levait avant l’aube afin de donner tout
37 son temps et toutes ses forces de travail à la construction
38 de bâtiments militaires d’intérêt général et même caporal1.
39 La pauvre bûcheronne, qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il
40 neige ou qu’il règne cette chaleur suffocante dont je vous

1. Général et [...] caporal : grade le plus élevé et le moins élevé dans l’armée.
Ici, jeu de mots avec l’expression « intérêt général ».

14

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 14 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 1

41 ai déjà parlé, cette pauvre bûcheronne donc, arpentait son


42 bois en tous sens, recueillant chaque brindille, chaque débris
43 de bois mort, ramassé et rangé comme un trésor oublié et
44 retrouvé. Elle relevait aussi les rares pièges que son bûcheron
45 de mari posait le matin en se rendant à son labeur1.
46 La pauvre bûcheronne, vous en conviendrez, jouissait de
47 peu de distractions. Elle marchait, la faim au ventre, remuant
48 dans sa tête ses vœux qu’elle ne savait plus désormais com-
49 ment formuler. Elle se contentait d’implorer le ciel de manger,
50 ne serait-ce qu’un jour, à sa faim.
51 Le bois, son bois, sa forêt, s’étendait large, touffu, indif-
52 férent au froid, à la faim, et depuis le début de cette guerre
53 mondiale, des hommes requis, avec des machines puissantes,
54 avaient percé son bois dans sa longueur afin de poser dans
55 cette tranchée des rails et depuis peu, hiver comme été, un
56 train, un train unique passait et repassait sur cette voie unique.
57 Pauvre bûcheronne aimait voir passer ce train, son train.
58 Elle le regardait avec fièvre, s’imaginait voyager elle aussi,
59 s’arrachant à cette faim, à ce froid, à cette solitude.
60 Peu à peu elle régla sa vie, son emploi du temps sur les
61 passages du train. Ce n’était pas un train d’aspect souriant.
62 De simples wagons de bois avec une sorte d’unique lucarne2
63 garnie de barreaux dont était orné chacun de ces wagons.

1. Labeur : travail difficile.


2. Lucarne : petite fenêtre.

15

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 15 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

64 Mais comme pauvre bûcheronne n’avait jamais vu d’autres


65 trains, celui-ci lui convenait parfaitement, surtout depuis que
66 son époux, répondant à ses questions, avait déclaré d’un ton
67 péremptoire1 qu’il s’agissait d’un train de marchandises.
68 Ce mot « marchandises » acheva de conquérir le cœur et
69 d’enflammer l’imagination de la pauvre bûcheronne.
70 « Marchandises » ! Un train de marchandises… Elle voyait
71 désormais ce train débordant de victuailles2, de vêtements,
72 d’objets, elle se voyait parcourir ce train, se servir et se rassasier.
73 Peu à peu l’exaltation fit place à un espoir. Un jour, un
74 jour peut-être, demain, ou le surlendemain, ou n’importe
75 quand, le train aura enfin pitié de sa faim et au passage lui
76 fera l’aumône3 d’une de ses précieuses marchandises.
77 Bientôt elle s’enhardit4, s’approchant du train le plus
78 possible, l’appelant, le hélant5 d’un geste, l’implorant de la
79 voix, ou le saluant simplement quand elle était trop loin pour
80 y arriver à temps.
81 Enfin, quelquefois, une main dépassait d’une de ces
82 lucarnes et lui répondait. Quelquefois aussi l’une de ces
83 mains lançait à son intention quelque chose qu’elle courait
84 alors ramasser en remerciant le train et la main.

1. Péremptoire : catégorique, qui ne laisse place à aucune contestation.


2. Victuailles : nourriture.
3. Aumône : don fait aux pauvres par charité.
4. S’enhardit : prit confiance en elle, osa avec courage.
5. Hélant : appelant.

16

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 16 18/03/2021 18:01


La Liste de Schindler, film de Steven Spielberg, 1993.

85 Ce n’était la plupart du temps qu’un bout de papier qu’elle


86 défroissait avec soin et un immense respect avant de le
87 replier et de le ranger sur son cœur. Était-ce l’annonce d’un
88 cadeau à venir ?
89 Longtemps après le passage du train, lorsque la nuit
90 tombait, lorsque la faim se faisait trop sentir, lorsque le froid
91 la mordait davantage et afin que son cœur ne se serre pas
92 trop, elle redépliait le papier avec un respect religieux et elle
93 contemplait les gribouillis inintelligibles1, indéchiffrables.
94 Elle ne savait ni lire ni écrire, en aucune langue. Son bon-
95 homme de mari savait lui, un peu, mais elle ne voulait par-
96 tager avec lui, ni avec personne, ce que son train lui offrait.

1. Inintelligibles : incompréhensibles.

17

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 17 18/03/2021 18:01


2

Chapitre 2

1 D ès qu’il découvrit ce wagon de marchandises


2 – wagon à bestiaux1 vu la paille au sol –, il sut que leur
3 chance était derrière eux. Jusque-là, de Pithiviers2 à Drancy3,
4 ils avaient eu la chance au moins de ne pas être séparés. Ils
5 avaient vu, hélas, tous les autres, les malchanceux, partir
6 les uns après les autres pour on ne sait où, et eux étaient
7 restés ensemble. Ils devaient, pensait-il, cette grâce à la
8 présence de ses jumeaux chéris, Henri et Rose, Hershele
9 et Rouhrele4.
10 En vérité, les jumeaux s’étaient d’abord manifestés au
11 pire instant, au printemps 1942. Était-ce le moment de
12 mettre au monde un enfant juif ? Pire, deux enfants juifs
13 d’un coup ?

1. Wagons à bestiaux : wagons aménagés pour le transport du bétail et ayant


servi au transport de personnes déportées durant la Seconde Guerre mondiale.
2. Pithiviers : camp d’internement situé dans la commune du même nom,
dans le département du Loiret.
3. Drancy : camp d’internement situé dans la commune du même nom, dans
le département de la Seine-Saint-Denis. Les personnes internées à Drancy
étaient déportées vers les camps d’extermination nazis, principalement celui
d’Auschwitz, en Pologne (voir carte p. 113).
4. Hershele et Rouhrele : Henri et Rose en yiddish, principale langue parlée
par les Juifs ashkénazes, c’est-à-dire les Juifs établis en France, en Allemagne
et dans d’autres pays d’Europe depuis le Moyen Âge.

18

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 18 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 2

14 Fallait-il les laisser naître ainsi sous une bonne étoile


15 jaune1 ? Pourtant, grâce à eux, il en était sûr, ils avaient passé
16 Noël 42 au camp de Drancy ensemble, toujours.
17 Et même leur bonne étoile et l’administration juive du
18 camp lui avaient trouvé un emploi ! Il venait presque de
19 terminer ses études de médecine – spécialité chirurgie yeux
20 nez gorge oreilles – mais à Drancy, lui avait-on dit, il y avait
21 beaucoup de médecins, beaucoup de malades aussi c’est
22 vrai – partout où il y a des juifs, il y a beaucoup de médecins
23 et encore plus de malades –, mais comme deux de leurs
24 coiffeurs venaient de partir… Coiffeur ? Va pour coiffeur.
25 Il était inutile de couper les cheveux en quatre2 et de
26 chercher à comprendre, il n’y avait plus rien à comprendre.
27 Tant qu’il y avait eu les gendarmes français pour les garder,
28 il les avait coiffés. Il avait vu si souvent son père agiter ses
29 ciseaux, les faire cliqueter3 en l’air comme s’il voulait prévenir
30 les cheveux du client qu’il allait sous peu passer à l’offensive,
31 et puis ensuite, fixant la nuque, concentré, fondre sur l’épi
32 rebelle, la petite touffe à raser d’un coup décisif. Même les
33 coiffeurs de métier l’avaient pris pour l’un des leurs.

1. Jeu de mots avec l’expression « naître sous une bonne étoile » (qui signifie
« naître dans des conditions très favorables, avoir de la chance ») et l’étoile jaune
que les Juifs étaient obligés de porter, cousue sur leurs vêtements.
2. Couper les cheveux en quatre : expression figurée qui signifie « se donner
du mal inutilement ». Il s’agit également d’un jeu de mots autour de la profession
du personnage (coiffeur).
3. Cliqueter : produire des petits bruits métalliques.

19

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 19 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

34 Mais quand les gendarmes nationaux furent remplacés


35 par des vert-de-gris1, il ne lui resta plus que les membres de
36 l’administration et quelques internés qui faisaient appel à ses
37 services, clientèle relative et désespérée, à qui il fallait mentir
38 et mentir. « Mais oui, mais oui, ça ira, ça va aller, ça va aller… »
39 Au printemps 42, oui, ils avaient failli les faire passer,
40 sans savoir d’ailleurs qu’ils seraient deux. Mais son épouse,
41 après réflexion, avait souhaité les garder. Elle avait fini par
42 mettre au monde deux petits êtres déjà juifs, déjà fichés,
43 déjà classés, déjà recherchés, déjà traqués, une fillette et un
44 garçon, hurlant en chœur déjà comme s’ils savaient, comme
45 s’ils comprenaient. « Ils ont les yeux de ton père », décréta
46 leur mère. Oui, leurs premiers cris furent terribles. Seule
47 leur mère, débordante de lait et d’espoir, sut les calmer. Ils
48 cessèrent bientôt de hurler en chœur et enfin, confiants,
49 continuèrent à téter en rêve.
50 Dans cette petite et discrète clinique d’accouchement de la
51 rue de Chabrol, au coin de la cité d’Hauteville2, on leur proposa
52 même de garder les enfants et de les confier à une famille
53 sûre. Qu’est-ce qu’une famille sûre ? « Quelle famille pour eux
54 peut être plus sûre que celle composée de leur propre père et
55 de leur propre mère ? » s’était exclamée Dinah, tout en serrant

1. Vert-de-gris : terme péjoratif pour désigner les soldats allemands pendant


la Première et la Seconde Guerre mondiale, en référence à la couleur de leur
uniforme.
2. Rue de Chabrol, cité d’Hauteville : rues de Paris.

20

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 20 18/03/2021 18:01


56 ses jumeaux contre ses
57 seins avec fierté. Elle qui,
58 malgré les privations, mal-
59 gré Drancy, était, disait-on,
60 pourvue de lait pour quatre.
61 Elle débordait de lait,
62 d’amour et de confiance.
63 Dieu pouvait-il avoir donné
64 la vie à ces deux chérubins1
65 sans avoir l’intention de les
66 aider à grandir ?
67 Et maintenant, caho­tés2
68 dans ce train, elle était là, Gustav Klimt, Mère avec deux enfants,
1909-1910, huile sur toile, Osterreichische
69 sur la paille, serrant contre Galerie Belvedere, Vienne (Autriche).
70 elle ses enfants, sans lait
71 pour les nourrir. Drancy avait eu raison, enfin, de son lait,
72 de sa confiance et de sa foi. Là, dans cette cohue, dans cette
73 panique, dans ces cris, dans ces pleurs, le père, le mari, le faux
74 coiffeur, le pas encore médecin, mais déjà le vrai juif, cherchait
75 un endroit pour abriter sa famille. En observant ses
76 compagnons de voyage, les dévisageant, il eut une
77 illumination. Non non, on n’emmenait pas ces vieillards,
78 cet aveugle, ces enfants, ces jumeaux et les autres, non,

1. Chérubins : nom donné à des anges dans la tradition religieuse. Métaphore


qui désigne ici des enfants.
2. Cahotés : secoués.

21

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 21 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

79 on ne les emmenait pas travailler. On les expédiait loin


80 d’ici, on ne voulait plus d’eux ici, même marqués, même
81 étoilés, même fichés, même emprisonnés, même privés
82 de liberté, de tout et de tout, même ainsi on ne voulait
83 plus d’eux.
84 Alors on les expédiait. Mais où ? Dans quel endroit
85 de ce monde voulait-on d’eux ? Quel pays était prêt à les
86 accueillir ? Quel pays les aurait volontiers reçus en ce mois
87 de février 1943 ?
88 Le problème n’était pas là. Dinah n’avait plus ou que
89 très peu de lait. Drancy avait tari ses seins. Les rumeurs,
90 le départ de ses parents à elle, puis de son père à lui. Ils
91 étaient partis et depuis n’avaient plus donné signe de vie.
92 Elle était écrasée au sol, là même où il y avait, il y a peu,
93 des vaches ou des chevaux qu’on emmenait certainement
94 vers un abattoir. Elle avait étalé son châle de laine des
95 Pyrénées qu’on lui avait laissé par grâce pour envelop-
96 per ses jumeaux. Le froid régnait, la guerre, la peur. Elle
97 en berçait un, l’autre alors pleurait. Elle berçait l’autre, le
98 premier grognait. C’étaient deux beaux bébés, un garçon,
99 une fille. « Le choix du roi, leur répétait-on. Les plus beaux
100 bébés du monde. Avec eux deux, vous voilà comblés pour
101 la vie ! Moi j’ai eu trois filles avant d’avoir mon garçon !
102 Vous, vous avez déjà les deux ! » Où sont-ils maintenant ?
103 Chacun y allait de ses souvenirs, de ses cris, de sa colère.

22

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 22 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 2

104 L’abattement, l’exaspération. Une femme chantait en yiddish1


105 une berceuse. Dinah comprenait le yiddish mais affectait de
106 ne pas le connaître.
107 Que faire ? Que faire, se demandait l’ex-faux coiffeur.
108 Jusque-là il avait cru remplir son rôle de père à la perfection
109 malgré toutes les difficultés. Malgré les obstacles, il avait su
110 protéger ses jumeaux. Il avait obsédé l’administration du camp.
111 « Ses jumeaux ! Mes jumeaux ! » C’étaient devenus les jumeaux
112 de tout le monde, ceux qu’il fallait sauver, protéger, et voilà… et
113 voilà. Il se sentait démuni, dépassé, il ne savait plus que faire.
114 Il ne pouvait rester ainsi, il se devait de reprendre son rôle,
115 il lui fallait trouver une solution. Déjà deux jours de voyage.
116 L’odeur, l’odeur insoutenable. Le seau sur la paille dans un
117 coin et la honte, la honte partagée, la honte voulue, prévue
118 par ceux qui les expédiaient on ne sait où.
119 Les réduire à rien d’abord, puis à moins que rien, ne rien
120 laisser d’humain en eux, soit. Mais il se devait pour ses enfants,
121 qu’il voyait mordre tour à tour les seins de son épouse sans
122 que rien n’en sorte, il se devait de trouver une solution.
123 L’un de ses compagnons de voyage lui demanda s’il était
124 roumain. Oui il était roumain. Le Roumain lui dit que lui,
125 avant, était roumain aussi et que maintenant il était apatride2

1. Yiddish : voir note 4, p. 18.


2. Apatride : personne sans nationalité. De nombreux Juifs d’Europe
étaient devenus apatrides après avoir été déchus de leur nationalité à la suite
de mesures antisémites.

23

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 23 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

126 d’origine roumaine. Dans ce wagon, il y avait beaucoup d’apa-


127 trides d’origine roumaine. On les avait pris à Paris ou ailleurs
128 en France. L’un d’entre eux, donc, lui parla de Iassi.
129 « Vous connaissez Iassi1 ?
130 – Bien sûr je connais Iassi.
131 – Il y a eu un pogrom2 là-bas.
132 – Un pogrom ? Il y a la guerre là-bas comme ici, plus
133 besoin de pogrom.
134 – Non non, un pogrom. Ils ont mis des milliers de juifs
135 dans un train à Iassi, et ils ont fait rouler ce train, et rouler
136 et rouler, jusqu’à ce que les juifs dans le train meurent, de
137 chaleur, de soif, de faim. »
138 À chaque gare où le train s’arrêtait, on le débarrassait
139 de ses morts et le train repartait avec les survivants. Parfois
140 il repartait dans l’autre sens, il roulait en sens contraire. Le
141 train n’allait nulle part, le seul but du voyage c’était ça : jeter
142 sur le quai à chaque gare…
143 « Ici vous voyez bien qu’on avance, qu’on ne s’arrête pas !
144 Et puis qu’on a froid, qu’on n’a pas chaud.
145 – C’est comme à Iassi je vous dis ! Comme à Iassi ! »
146 Depuis, à chaque arrêt du train en pleine voie, il craignait
147 qu’on reparte dans l’autre sens. Qu’on s’arrête dans une gare et
148 qu’on jette des wagons les mourants, les enfants, les vieillards.

1. Iassi : ville de Roumanie (voir carte, p. 113).


2. Pogrom : mot d’origine russe signifiant « détruire », « piller », employé
pour désigner le massacre d’une communauté juive.

24

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 24 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 2

149 Il se mordait les mains. Que faire ? Que faire ? Il gagna la


150 lucarne en s’excusant, poussant l’un, repoussant l’autre.
151 Là, un vieillard essayait de reprendre son souffle. Il haletait.
152 L’asthme1, lui dit-il. Puis il sourit au père des jumeaux. Il hocha
153 la tête et le regarda avec des yeux qui semblaient avoir déjà tout
154 compris, des yeux qui avaient, depuis sa naissance, tout prévu.
155 Il n’avait pas l’air surpris, il avait juste besoin d’un peu d’air.
156 La neige dehors ralentissait la marche du train. Puis le
157 train s’immobilisa un court instant avant de repartir, devenu
158 soudain asthmatique lui aussi. C’est alors qu’il comprit.
159 Il bouscula les uns et les autres. Il rejoignit le châle de
160 laine des Pyrénées. Surtout ne pas choisir, surtout ne plus
161 réfléchir, se saisir de l’un des deux, ne pas choisir entre le
162 garçon et la fille. Il prit le premier qui lui tomba sous la main.
163 Il avait déjà sorti de sa poche son châle de prière2. L’enfant
164 somnolait. Dinah le regarda un instant puis referma les yeux,
165 elle aussi, serrant l’autre jumeau.
166 Lui, tout en dépliant son châle, regagna la lucarne. Les
167 barreaux, les barreaux permettaient de sortir un bras. Le train
168 reprit un peu de vitesse. Il découvrit la forêt, les arbres croulant
169 sous la neige. Il distingua une silhouette qui semblait courir
170 après le train, levant les pieds haut dans la neige, et qui criait.

1. Asthme : affection respiratoire.


2. Châle de prière : dans la religion juive, grand châle à franges dans lequel
les croyants s’enveloppent pour prier.

25

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 25 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Pauvre bûcheronne (Eugénie Anselin) et le père (Philippe Fretun)


dans La plus précieuse des marchandises, mise en scène de Charles Tordjman,
théâtre du Rond-Point, Paris, 2020.

Il serra l’enfant, l’enveloppa dans son châle de prière.


L’asthmatique le fixait et semblait lui dire des yeux : « Ne fais
pas ça ! Ne fais pas ça ! Ne fais pas ce que tu veux faire ! »
Mais lui était résolu. Pas assez de lait pour deux. Peut-être
assez pour un ?
Fébrile, il souleva l’enfant enveloppé dans le châle. La tête
passerait-elle ? L’asthmatique alors lui dit en yiddish : « Ne
fais pas ça ! » Mais le père le fixa et fit comme s’il ignorait
totalement le yiddish. La tête passée, les épaules suivraient.
Puis il fit un geste en direction de la vieille qui s’arrêtait,
agenouillée dans la neige, comme si elle remerciait le ciel.
Le train sortit du bois.

26

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 26 18/03/2021 18:01


Chapitre 3

1 P auvre bûcheronne, ce matin-là comme tous les


2 matins, tôt, très tôt, dans ce demi-jour d’hiver, s’essouffle
3 dans la neige afin de ne pas manquer le passage de son
4 train. Elle se presse et se presse, ramassant çà et là quelques
5 branchages que le poids de la neige et de la nuit a brisés
6 et jetés au sol. Elle court, elle court, arrachant ses pieds
7 chaussés de peaux de renardeaux retournées et façonnées
8 par les soins de son pauvre bûcheron de mari.
9 Elle court, arrachant les renardeaux à la neige. Elle court,
10 elle court, et quand enfin elle débouche haletante dans la
11 clairière1 qui borde la voie ferrée, elle entend son train aha-
12 ner2, tout comme elle, s’essouffler, gémir, ralentir comme
13 elle, gêné par cette neige épaisse et drue3 qui les empêche
14 l’un et l’autre d’avancer.
15 Elle fait des gestes de ses bras tout en hurlant : « Attends-
16 moi ! Attends-moi ! »
17 Le train ahane et avance.
18 Mais cette fois-ci, en passant, il lui répond. Le train de
19 marchandises – le convoi 49 – lui répond !

1. Clairière : lieu dégarni d’arbres au cœur d’une forêt.


2. Ahaner : pousser des cris d’essoufflement.
3. Drue : dense, resserrée.

27

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 27 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

20 Et non pas d’un signe mais d’un geste. Pas un de ces


21 gestes accompagnant le jet de ces misérables morceaux de
22 papier froissés et gribouillés à la hâte par une main maladroite,
23 non, un geste, un vrai geste. D’abord un drapeau a surgi de
24 l’étroite lucarne, brandi par une main, une main, humaine ou
25 divine, qui le lâche soudain, et le drapeau vient déposer sa
26 charge, dans la neige, à quelque vingt pas de notre pauvre
27 bûcheronne qui en tombe à genoux, mains serrées sur sa
28 poitrine, ne sachant que faire pour remercier les cieux. Enfin,
29 enfin, après tant de vaines1 prières ! Mais la main dans la
30 lucarne se tend maintenant vers elle et d’un doigt, d’un doigt
31 péremptoire, impérieux, lui fait signe de ramasser le paquet.
32 Ce paquet est pour elle. Pour elle seule. Il lui est destiné.
33 Pauvre bûcheronne se débarrasse alors de son maigre
34 fagot2 d’hiver et, aussi vite que la neige le lui permet, elle se
35 précipite sur le petit paquet pour l’arracher à la neige. Puis,
36 avidement, fébrilement3, elle défait les nœuds comme on
37 arrache l’emballage d’un cadeau mystérieux.
38 Alors apparaît, ô merveille, l’objet, l’objet qu’elle appe-
39 lait depuis tant de jours de ses vœux, l’objet de ses rêves.
40 Mais voilà que le petit paquet, l’objet à peine défait, au lieu
41 de lui sourire et de lui tendre les bras, comme le font les

1. Vaines : inutiles.
2. Fagot : amas de petites branches de bois destinées à faire du feu.
3. Fébrilement : avec nervosité.

28

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 28 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 3

42 bébés sur les images pieuses1, s’agite, hurle, serre les poings
43 les brandissant bien haut dans son désir de vivre, torturé
44 par la faim. Le paquet proteste et proteste encore.
45 Notre pauvre bûcheronne serre le petit être contre elle,
46 l’enfouissant sous ses fichus2 superposés, et la voilà qui se
47 met à courir et courir encore, serrant son trésor contre sa
48 poitrine. Soudain elle s’immobilise, elle sent une bouche
49 avide qui vient téter son maigre sein, puis cesse et hurle de
50 nouveau, s’agitant encore davantage, se débattant, criant,
51 hurlant. Il a faim, cet enfant a faim, mon enfant a faim. Elle
52 se sent devenue mère, à la fois heureuse et mortellement
53 inquiète. Comblée mais dépassée. La voilà mère, et mère
54 sans lait. Mon enfant a faim, que faire, que faire ? Pourquoi
55 le dieu du train de marchandises ne lui a-t-il pas fait don
56 de lait pour nourrir l’enfant qu’il lui offre ? Pourquoi ? À
57 quoi pensent donc les dieux ? Avec quoi veulent-ils que je
58 le nourrisse ?
59 Arrivé au logis, le petit paquet posé sur le lit se tortille
60 de plus belle, animé de l’énergie du désespoir et d’une faim
61 de loup pris au piège. Pauvre bûcheronne allume alors un
62 feu, verse de l’eau dans sa bouilloire, et cherche, cherche,
63 et cherche encore.

1. Pieuses : religieuses.
2. Fichus : pièces de tissu portées par les femmes sur les épaules, sur la tête
ou autour du cou.

29

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 29 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

64 Pendant que l’eau bout, elle trouve un reste de kacha1 qu’elle


65 va faire macérer2 dans l’eau bouillie, mais avant, pour cal-
66 mer son petit paquet, elle tend son doigt vers la bouche
67 avide. Le petit paquet s’en empare et tète, tète, avec une
68 rage obstinée. Puis soudain, s’avisant de la supercherie,
69 il cesse de téter et se remet à hurler. Pauvre bûcheronne,
70 pleurant en écho, le prend contre elle, tout en écrasant la
71 kacha pour en faire une bouillie qu’elle tente, à l’aide d’une
72 cuillère, de glisser dans la bouche hurlante. N’y arrivant
73 pas, elle retrempe ce même doigt dans la kacha écrasée et
74 l’offre de nouveau à la bouche de l’enfant qui tète encore
75 avec passion, puis lâche le doigt, recrachant l’amère kacha.
76 Pauvre bûcheronne en profite pour lui faire avaler un peu
77 d’eau de cuisson, puis elle retend son doigt, l’enfant tète à
78 nouveau. Peu à peu, avec de l’eau qui désaltère, de la kacha
79 qui trompe sa faim, l’enfant se calme dans les bras de sa
80 nouvelle mère tandis que pauvre bûcheronne chuchote à
81 son oreille comme une chanson, une berceuse revenue de
82 la nuit des temps et qui la surprend elle-même :
83 « Dors dors ma petite marchandise, dors dors mon petit
84 paquet à moi, dors dors mon enfant, dors dors. »
85 Puis elle dépose délicatement son précieux trésor au
86 creux de son lit. Ses yeux alors se posent sur le châle déplié

1. Kacha : plat populaire polonais à base de céréales concassées.


2. Faire macérer : faire tremper, ici pour ramollir.

30

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 30 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 3

87 qu’elle a mis à sécher à même le lit. Un châle somptueux, fait


88 de fils si fins, tissés si serrés, orné de franges aux deux bouts
89 et brodé de fils d’or et d’argent. Jamais elle n’a vu ni touché
90 un châle aussi précieux. Il faut vraiment, pense-t-elle, que les
91 dieux aient bien fait les choses en empaquetant leur cadeau
92 dans une étoffe aussi somptueuse. Bientôt elle s’assoupit
93 à son tour, son petit paquet, sa petite marchandise chérie
94 serrée dans ses bras, enveloppée dans le châle féerique.
95 Elle dort notre pauvre bûcheronne, elle dort, son bébé
96 bien serré dans ses bras, elle repose du sommeil des justes,
97 elle dort là-haut, bien plus haut que le paradis des pauvres
98 bûcherons et des pauvres bûcheronnes, bien plus haut
99 encore que l’Éden1 des heureux de ce monde, elle dort tout
100 là-haut là-haut, dans le jardin réservé aux dieux et aux mères.

1. Éden : nom donné au paradis dans la Bible (Genèse), dans la tradition juive,
puis chrétienne.

31

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 31 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Pauvre bûcheronne (Eugénie Anselin) et pauvre bûcheron (Philippe Fretun)


dans La plus précieuse des marchandises, mise en scène de Charles Tordjman,
32
théâtre du Rond-Point, Paris, 2020.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 32 18/03/2021 18:01


Chapitre 4

1 L a nuit venue, tandis que pauvre bûcheronne et son


2 don des cieux dorment, pauvre bûcheron, harassé1 par son
3 labeur d’intérêt général, rentre au logis. Au bruit qu’il fait,
4 la petite marchandise se réveille et, retrouvant sa faim inas-
5 souvie2, pleure aussitôt.
6 « Qu’est-ce que c’est que ça ? rugit pauvre bûcheron.
7 – Un enfant, répond pauvre bûcheronne en se dressant,
8 son petit paquet dans les bras.
9 – Qu’est-ce que c’est que cet enfant-là ?
10 – La joie de ma vie, poursuit pauvre bûcheronne, sans
11 ciller3 ni trembler.
12 – La quoi ?
13 – Les dieux du train m’en ont fait don.
14 – Les dieux du train ?!
15 – Pour qu’il devienne l’enfant chéri que je n’ai jamais eu. »
16 Pauvre bûcheron se saisit alors de la petite marchandise,
17 l’arrachant à l’étreinte de pauvre bûcheronne, ce qui a pour
18 effet paradoxal de faire cesser les cris et les pleurs du bébé

1. Harassé : épuisé.
2. Inassouvie : qui n’a pas été comblée.
3. Ciller : battre des cils. Ici, bouger.

33

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 33 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

19 qui aussitôt, de ses petites mains avides, se saisit de la barbe


20 de pauvre bûcheron qu’il tente immédiatement de téter.
21 « Ne sais-tu pas ce que c’est que cet enfant-là ? Ne sais-tu
22 pas ? »
23 Et il lâche soudain l’enfant sur le lit dans un geste de
24 dégoût, comme on jette au rebut1 un morceau de viande
25 avariée2.
26 « Il pue ! Ne sais-tu pas à quelle espèce il appartient ?
27 – Je sais que c’est mon petit ange à moi ! déclare pauvre
28 bûcheronne tout en reprenant l’enfant dans ses bras. Et ça
29 deviendra le tien si tu le veux bien.
30 – Cela ne peut être ni mon, ni ton petit ange ! C’est un
31 rejeton3 de la race maudite ! Ses parents l’ont jeté du train
32 dans la neige car ce sont des sans-cœur !
33 – Non non non ! Ce sont les dieux du train qui m’en ont
34 fait don !
35 – Tu déparles4 la vieille, une fois grand il sera comme
36 eux, sans cœur !
37 – Pas si c’est nous qui l’élevons.
38 – Et comment le nourriras-tu ?
39 – Il est si petit, tout à l’heure je lui ai donné un doigt à
40 suçoter et cela a suffi à calmer sa faim.

1. Comme on jette au rebut : comme on met à la poubelle.


2. Avariée : qui n’est plus bonne à consommer.
3. Rejeton : enfant (familier).
4. Déparles : dis n’importe quoi (vieilli).

34

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 34 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 4

41 – Ne sais-tu pas qu’on n’a pas le droit sous peine de


42 mort de cacher des sans-cœur ? Ils ont tué Dieu.
43 – Pas lui, pas lui ! Il est si petit.
44 – Ils ont tué Dieu et ce sont des voleurs.
45 – Dieu merci nous n’avons jamais eu, ici-bas, rien à voler.
46 Et bientôt, si tu le veux bien, il m’aidera à fagoter au bois.
47 – S’ils le trouvent chez nous, ils nous colleront au mur.
48 – Qui le saura ?
49 – Les autres bûcherons nous dénonceront aux chasseurs
50 de sans-cœur.
51 – Non non, je dirai que cet enfant est mien, que je suis
52 devenue enfin grosse de tes œuvres1.
53 – Et que tu as mis bas2 sur le tard un lardon de quinze
54 livres3 ?
55 – Au début il ne sortira pas.
56 – Il ne peut être nôtre, il est marqué.
57 – Comment ça marqué ?
58 – Ignores-tu que les sans-cœur sont marqués et que c’est
59 ainsi qu’on les reconnaît4 ?
60 – Comment ça ?

1. Je suis enfin devenue grosse de tes œuvres : je suis enfin tombée enceinte
de toi.
2. Mis bas : accouché (terme habituellement employé pour les animaux).
3. Quinze livres : environ 7,5 kilogrammes (une livre correspond
à 500 grammes environ).
4. Référence à la circoncision, excision pratiquée sur le sexe des garçons,
notamment dans certaines communautés religieuses.

35

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 35 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

61 – Leur nature n’est pas comme la nôtre.


62 – Je n’ai vu aucune marque. »
63 Pauvre bûcheron s’affaire à défaire le petit paquet dont
64 il fait apparaître la nature toute nue.
65 « Vois, vois !
66 – Vois quoi ?
67 – La marque.
68 – Quelle marque ? interroge pauvre bûcheronne tout en
69 jetant un œil à son tour. Je ne vois pas de marque ?
70 – Vois, il n’est pas fait comme moi.
71 – Non, mais elle est faite comme moi. Vois comme elle
72 est belle. »
73 Pauvre bûcheron détourne les yeux précipitamment,
74 puis, après s’être gratté l’occiput1 sous son bonnet, referme
75 le petit paquet qui repousse de ses petits poings fermés les
76 mains qui l’assaillent.
77 « Que fais-tu ? s’inquiète pauvre bûcheronne voyant
78 pauvre bûcheron s’en saisir et gagner la porte. Où vas-tu ?
79 – Je vais le redéposer près de la voie ferrée. »
80 Pauvre bûcheronne se jette alors comme une furie et tente
81 d’arracher son petit paquet à pauvre bûcheron. N’y parvenant
82 pas, elle lui barre maintenant le passage tout en déclarant :
83 « Fais ça bûcheron et tu devras me jeter avec elle sous
84 les roues du train de marchandises et les dieux, tous les

1. Occiput : partie située à l’arrière de la tête, au-dessus de la nuque.

36

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 36 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 4

85 dieux, ceux des cieux, de la nature, du soleil et du train, te


86 poursuivront où que tu ailles ! Quoi que tu fasses ! Tu seras
87 maudit à jamais et pour toujours ! »
88 Pauvre bûcheron, immobile, hésite un instant. Il rend à
89 pauvre bûcheronne le « petit paquet » devenu « petite mar-
90 chandise » puisque sa nature nous a été dévoilée et que
91 cette nature est incontestablement féminine.
92 La petite marchandise, donc, passant ainsi de bras en bras,
93 au milieu des cris et de la fureur, se met elle aussi à couiner
94 subitement comme un millier de trompettes bouchées.
95 Pauvre bûcheron, qui ne semble pas être un très grand
96 mélomane1, se bouche aussitôt les oreilles en hurlant :
97 « Soit ! Soit ! Qu’il en soit ainsi et que tout le malheur
98 qui surviendra soit ton malheur ! »
99 Pauvre bûcheronne alors, serrant sa petite marchandise
100 contre son cœur, dit :
101 « Elle fera mon bonheur et le tien.
102 – Merci ! Garde tout le bonheur pour toi ! Grand bien te
103 fasse ! Mais sache que je ne veux plus l’entendre, ni la voir,
104 jamais ! Va la mettre dans la remise2 au bois coupé ! Fais-la
105 taire et tiens-toi-le pour dit ! »
106 Pauvre bûcheronne, tout en berçant sa petite marchan-
107 dise, gagne la remise au bois coupé vide de planches et s’y

1. Mélomane : amateur de musique.


2. Remise : lieu couvert où l’on met à l’abri du matériel.

37

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 37 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

108 installe avec l’enfant que les dieux lui ont donnée à chérir.
109 Pauvre bûcheron entre sur ses talons et lui jette une peau
110 d’ours piquée et rongée par les mulots.
111 « Tiens ! Et va pas en plus te choper la crève !
112 – Moi les dieux me protègent », lui répond pauvre
113 bûcheronne.
114 L’enfant pleure encore dans un demi-sommeil.
115 Pauvre bûcheron en ressortant ordonne :
116 « Fais-la taire ! Sinon… »
117 Pauvre bûcheronne la berce encore, la serrant bien fort,
118 en lui couvrant le front de petits baisers tout doux. Elles
119 s’endorment ainsi toutes deux. Le silence s’installe, à peine
120 troublé par les ronflements tragiques1 provenant du nez du
121 pauvre bûcheron, et les soupirs d’aise s’élevant à l’unisson
122 de la petite marchandise, don de Dieu, et ceux de sa nouvelle
123 et aimante maman, toutes deux blotties sous la peau d’ours
rongée par les mulots.

1. Tragiques : ici, très bruyants.

38

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 38 18/03/2021 18:01


Pablo Picasso, Mère et enfant,
1901, huile sur toile, Fogg Art Museum, Cambridge (États-Unis)

39

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 39 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 5

1 Le train de marchandises, désigné comme convoi 49


2 par la bureaucratie de la mort, parti de Bobigny-Gare, près
3 de Drancy-Seine, le 2 mars 1943, arriva le 5 mars au matin
4 au cœur de l’enfer, son terminus.
5 Après avoir déchargé sa cargaison d’ex-tailleurs pour
6 hommes, dames et enfants, morts et vivants, accompa-
7 gnés de leur famille, proche ou lointaine, ainsi que de leurs
8 clients et fournisseurs, sans oublier, pour les croyants, de
9 leurs ministres du culte, et pour les grabataires, vieillards,
10 malades, impotents1, de leur médecin personnel, le train,
11 ex-convoi 49, pressé sans doute de devenir convoi 50 ou 51,
12 redémarra immédiatement en sens inverse.
13 Pauvre bûcheronne ne le vit pas repasser à vide, absorbée
14 qu’elle était dans sa nouvelle fonction de mère de famille.
15 Pas plus qu’elle ne vit passer le convoi 50 ni les suivants.
16 Après réception de la marchandise, il fut aussitôt procédé
17 à son tri. Les experts trieurs, tous médecins diplômés, après
18 examen, ne conservèrent que dix pour cent de la livraison.
19 Une centaine de têtes sur mille. Le reste, le rebut, vieillards,

1. Grabataires, vieillards, malades, impotents : personnes âgées et malades.

40

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 40 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 5

20 hommes, femmes, enfants, infirmes, s’évapora après traite-


21 ment en fin d’après-midi dans la profondeur infinie du ciel
22 inhospitalier1 de Pologne.
23 C’est ainsi que Dinah, dite Diane sur ses papiers provi-
24 soires, et son tout nouveau livret de famille, et son enfant,
25 Henri, frère jumeau de Rose, s’affranchirent de toute pesan-
teur en gagnant les limbes du paradis2 promis aux innocents.

1. Inhospitalier : hostile, froid.


2. Limbes du paradis : dans les religions juive et chrétienne, lieu où sont
accueillies les âmes des personnes mortes ayant été jugées bonnes de leur
vivant.

41

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 41 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 6

1 D ans bien des contes, et nous sommes bien dans un


2 conte, on trouve un bois. Et dans ce bois, un espace plus
3 touffu qu’alentour, où l’on ne pénètre qu’avec difficulté, un
4 espace sauvage et secret, protégé des intrus par sa végéta-
5 tion même. Un lieu retiré où ni homme, ni dieu, ni bête ne
6 pénètre sans trembler. Dans le vaste bois où pauvre bûche-
7 ron et pauvre bûcheronne tentent de subsister1, il existe un
8 tel lieu, là où les arbres poussent plus dru et plus serré. Un
9 endroit que la hache des bûcherons respecte et où on ne
10 trouve aucun sentier tracé. Une forêt touffue dans laquelle
11 on ne se glisse qu’en silence. Les enfants, bien sûr, n’ont
12 pas le droit d’y aller. Et même leurs parents craignent d’y
13 mettre le pied et de s’y égarer.
14 Pauvre bûcheronne connaît son bois comme sa poche
15 – les châles dans lesquels elle s’enveloppe hiver comme été
16 n’ont pas de poche, en auraient-ils qu’elle n’aurait, elle, rien à
17 y mettre –, malgré tout, disons qu’elle connaît ce lieu réservé,
18 pense-t-elle, aux fées et aux lutins ainsi qu’aux sorcières et
19 à leurs loups-garous. Elle sait également qu’un être humain
20 y vit seul, un être qui fait peur et horreur à tous et toutes,

1. Subsister : survivre.

42

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 42 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 6

21 et que même les vert-de-gris


22 et leurs misérables miliciens 1
23 craignent de croiser. Un être que
24 certains disent maléfique, tandis
25 que d’autres le nomment l’ami des
26 bêtes et l’ennemi des hommes.
27 Elle-même l’a entraperçu cer-
28 tains jours alors qu’elle fagotait
29 à la lisière de cette forêt où il
30 semble régner en maître absolu
31 et solitaire.
32 Elle sait également hélas, elle
33 l’a compris au petit matin, que sa
34 petite marchandise ne pourra sur-
35 vivre et prospérer sans lait.
36 Après le départ de pauvre
37 bûcheron, elle s’est enroulée dans
38 ses fichus et y a glissé sa petite
39 marchandise, enveloppée, elle,
40 dans son châle fourni par les dieux
41 eux-mêmes, ce châle frangé d’or Chaim Soutine,
Grotesque, autoportrait,
42 et d’argent et qui semble tissé par 1922-1925, huile sur toile,
43 des mains de fée. musée d’Art moderne,
Paris.

1. Miliciens : civils armés collaborant avec les militaires, nazis dans ce contexte.

43

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 43 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

44 Ensuite elle a gagné cette partie du bois où nul ne s’aven-


45 ture sans trembler ni remettre son âme à Dieu. En lisière
46 elle trouve l’obscurité qui règne en permanence dans cette
47 partie du bois. Elle guette. L’homme est-il là ? La voit-il ? Et
48 la chèvre ? La chèvre est-elle encore de ce monde ? Donne-
49 t-elle encore du lait ?
50 Avant de partir, elle a tenté de nourrir à nouveau sa petite
51 marchandise chérie avec un reste de bouillie de kacha. Peine
52 perdue. La kacha fut recrachée. Et maintenant, la petite tête
53 froide de la petite marchandise dodeline sans force. Il lui
54 faut du lait, pense-t-elle, du lait, du lait, sinon… Non non,
55 impossible, les dieux ne lui en ont pas fait don pour la laisser
56 mourir dans ses bras !
57 Pauvre bûcheronne pénètre dans l’obscurité, passant sous
58 les branches basses, en invoquant les dieux du train, et de la
59 nature, et des bois, et des chèvres. Elle implore même l’aide
60 des fées, on ne sait jamais, et même les esprits malins1 qui ne
61 sauraient sans déchoir2 s’acharner sur une innocente enfant.
62 « Aidez-moi, aidez-moi tous », murmure-t-elle dans le fouillis
63 des branchages qui craquent sous ses pas. Nul ici jamais ne
64 vient fagoter. La neige même ne se dépose que rarement au
65 sol. Elle fond au sommet des arbres et s’accumule sur les
66 branches basses.

1. Malins : malfaisants.
2. Déchoir : s’abaisser.

44

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 44 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 6

67 « Qui va là ? »
68 Pauvre bûcheronne s’immobilise.
69 « Une pauvre bûcheronne », répond-elle d’une voix
70 tremblante.
71 La voix reprend :
72 « Que la pauvre bûcheronne ne fasse plus un pas ! »
73 Elle s’immobilise. La voix reprend :
74 « Que veut la pauvre bûcheronne ?
75 – Du lait pour son enfant !
76 – Du lait pour son enfant ? »
77 On entend alors comme un rire sinistre.
78 Puis, après quelques grattements de bottes sur le bois
79 pourri, paraît un homme coiffé d’une chapka1 et armé d’un
80 fusil.
81 « Pourquoi ne lui donnes-tu pas du tien ?
82 – Je n’ai pas de lait, hélas. Et si cette enfant que tu
83 vois – elle sort l’enfant de sous son châle – n’a pas de lait
84 aujourd’hui, elle mourra.
85 – Ta fille mourra ? La belle affaire ! Tu en feras une autre.
86 – Je n’ai plus l’âge. Et puis cette enfant m’a été confiée
87 par le dieu du train de marchandises qui passe et repasse
88 sur la voie ferrée.
89 – Que ne t’a-t-il donné du lait avec ! »

1. Chapka : chapeau de fourrure en forme de toque, d’origine russe.

45

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 45 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

90 Il laisse échapper de nouveau une sorte de rire amer à


91 glacer les os.
92 La bûcheronne répond, craintive mais décidée :
93 « Il a oublié. Les dieux ne peuvent penser à tout, ils ont
94 tant à faire ici-bas.
95 – Et ils le font si mal ! » conclut l’homme.
96 Puis après un silence il l’interroge encore :
97 « Dis-moi, pauvre bûcheronne, d’où veux-tu que je te
98 tire du lait ?
99 – Du pis1 de ta chèvre.
100 – Ma chèvre ? Comment sais-tu que j’en ai une ?
101 – Je l’ai entendue bêler en fagotant à la lisière de ton
102 domaine. »
103 Il rit encore, puis, sérieux, se reprend et demande :
104 « Que me donneras-tu en échange de mon lait ?
105 – Tout ce que j’ai !
106 – Et tu as quoi ?
107 – Rien.
108 – C’est peu.
109 – Tous les jours que les dieux feront, je viendrai, hiver
110 comme été, t’apporter un fagot contre deux gorgées de lait.
111 – Tu veux me payer mon lait avec mon bois ?
112 – Ça n’est pas ton bois.

1. Pis : mamelle.

46

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 46 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 6

113 – Ça n’est pas le tien non plus.


114 – Pas plus que ton lait n’est ton lait !
115 – Comment ça ?
116 – C’est le lait de ta chèvre.
117 – Mais cette chèvre est mienne. Rien dans la vie ne se
118 donne sans contrepartie.
119 – Sans lait ma fille va mourir, sans contrepartie.
120 – Tant de gens meurent !
121 – Ce sont les dieux qui me l’ont confiée, si tu m’aides à
122 la nourrir elle vivra, ils t’en seront reconnaissants et ils te
123 protégeront.
124 – Ils m’ont déjà assez protégé comme ça. »
125 Il arrache sa chapka et découvre un front cabossé, une
126 tempe écrasée et une oreille manquante.
127 « Désormais je me passe de leur protection et me protège
128 tout seul.
129 – Ils t’ont gardé en vie cependant, et ta chèvre aussi.
130 – Grand merci.
131 – Je t’amènerai deux fagots chaque jour pour une seule
132 gorgée de lait.
133 – On voit que tu t’y connais en affaires ! »
134 Il rit encore.
135 « Les dieux ne t’ont-ils pas donné avec la fillette quelque
136 objet précieux ? »
137 Notre pauvre bûcheronne, désolée, va pour lâcher « hélas
138 non », quand soudain son visage s’éclaire. Elle libère sa petite

47

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 47 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

139 marchandise du châle de prière et le tend à l’homme à la


140 chèvre qui le prend avec dédain.
141 « C’est un châle divin, vois comme il est fin. »
142 L’homme se le passe autour du cou.
143 « Regarde comme il est beau ! À coup sûr ce sont des
144 doigts de fée qui l’ont tissé et brodé d’or et d’argent. »
145 La petite marchandise pleure doucement. Les grands
146 cris sont passés, elle n’a plus de vigueur1.
147 L’homme à la chèvre et à la gueule cassée examine l’en-
148 fant puis conclut :
149 « Cette créature divine a faim, comme un vulgaire enfant
150 d’humain. Je vais te donner une mesurette2 de lait de ma
151 chèvre. Ce qu’il te faudrait, c’est du lait d’ânesse, mais je n’en
152 ai point, alors ce lait de chèvre que je vais te donner pendant
153 trois mois tous les matins, tu le couperas d’eau bouillie, à
154 proportion de deux mesures d’eau pour une mesure de lait,
155 et tu compléteras sa nourriture avec de la bouillie, et puis
156 des fruits et légumes frais au printemps. »
157 Il lui rend l’enfant. Elle la prend avec amour, puis se jette
158 aux genoux de l’homme et tente de lui embrasser la main.
159 Celui-ci recule.
160 « Relève-toi ! »
161 Pauvre bûcheronne laisse couler ses larmes.

1. Vigueur : force.
2. Mesurette : petite dose.

48

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 48 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 6

162 « Tu es bon, tu es bon, murmure-t-elle.


163 – Non non non non, nous avons conclu un marché.
164 J’attends tes fagots dès demain.
165 – Qui t’a cassé la tête, homme de bien ?
166 – La guerre.
167 – Celle-ci ?
168 – Une autre, qu’importe. Ne t’agenouille plus jamais
169 devant moi, ni devant quiconque, ne dis plus jamais que je
170 suis bon, et ne va pas répandre le bruit que j’ai une chèvre
171 et que je donne du lait. Viens, je vais te donner ce qui te
172 revient. »
173 Ainsi fut fait.
174 Tous les matins la pauvre bûcheronne déposa son fagot
175 et ramassa en retour un gorgeton1 de lait chaud.
176 Et c’est ainsi que la pauvre petite marchandise misérable
177 et si précieuse, grâce à l’homme des bois et à sa chèvre,
178 subsista et survécut. Cependant elle n’était jamais rassasiée
179 et la faim la travaillait sans cesse. Elle suçait tout ce qui lui
180 tombait sous la bouche et, redevenue vigoureuse, elle hurlait
sans retenue.

1. Gorgeton : petite gorgée (familier).

49

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 49 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 7

1 S ans ciseaux, armé d’une simple tondeuse, le père des


2 jumeaux, le mari de Dinah, notre héros, après avoir vomi
3 son cœur et ravalé ses larmes, se mit à tondre et à tondre
4 des milliers de crânes, livrés par des trains de marchandises
5 venant de tous les pays occupés par les bourreaux dévoreurs
d’étoilés.
Ces crânes, cette tondeuse, la pensée secrète aussi que
peut-être, peut-être… firent de lui, malgré lui, momentané-
ment un survivant.

50

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 50 18/03/2021 18:01


Chapitre 8

1 À la nuit tombée, lorsque pauvre bûcheron rentrait,


2 traînant ses membres endoloris et sa carcasse brisée par
3 sa journée de labeur d’intérêt général, il ne voulait ni voir,
4 ni encore moins entendre la petite jumelle solitaire. Pauvre
5 bûcheronne tentait donc de l’endormir avant son retour.
6 Mais il arrivait que la petite grogne encore ou s’agite dans
7 son sommeil. Parfois même, taraudée1 par la faim, elle se
8 réveillait en pleurant, ou en hurlant soudain de peur comme
9 si tous les loups de la terre s’étaient donné rendez-vous
10 pour se jeter ensemble à ses trousses au plus profond de
11 son sommeil.
12 Pauvre bûcheron tapait alors de son gros poing sur la
13 table tout en grommelant dans sa barbe2 d’une voix rendue
14 haineuse par l’alcool de bois qu’il consommait avec ses
15 camarades de travail : « Je ne veux ni voir ni entendre ce sup-
16 pôt3 du diable ! Cette sans-cœur de malheur ! Fais-la taire
17 ou par le ciel je te la saisis et te la jette aux pourceaux4 ! »

1. Taraudée : tourmentée.
2. En grommelant dans sa barbe: en marmonnant dans sa barbe sans être entendu.
3. Suppôt : ici, serviteur, complice.
4. Pourceaux : porcs.

51

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 51 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

18 Fort heureusement, se disait la pauvre bûcheronne, il n’y


19 a plus de pourceaux aux alentours, les traqueurs de sans-
20 cœur et de boustifaille1 les ayant déjà tous réquisitionnés
21 puis bouffés. Fort heureusement également, pauvre bûche-
22 ron, épuisé comme il l’était, ne tardait guère à dodeliner du
bonnet2 avant de s’effondrer tête sur la table, et de s’endormir
ainsi du sommeil des injustes3.

1. Boustifaille : nourriture, repas (familier).


2. Dodeliner du bonnet : s’endormir (familier).
3. Détournement de l’expression « dormir du sommeil du juste »,
c’est-à-dire paisiblement, avec la conscience tranquille.

52

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 52 18/03/2021 18:01


3

Chapitre 9

1 U ne certaine nuit cependant, la petite marchandise


2 s’agita plus que de coutume, réveillant pauvre bûcheron
3 dans son premier sommeil. Celui-ci alors, dans sa grande
4 ire1, en vint à vouloir porter la main sur elle. Pauvre bûche-
5 ronne saisit alors au vol la grosse paluche calleuse2 de son
6 pauvre bûcheron de mari, la retint un instant en suspens,
7 avant de la poser délicatement, bien à plat, sur la poitrine
8 toute secouée de sanglots de sa chère petite marchandise.
9 Pauvre bûcheron, effleurant ainsi de sa paume malgré lui
10 cette peau si douce et si blanche, tenta d’arracher sa main
11 de l’étreinte de la pauvre bûcheronne, mais celle-ci, de ses
12 deux mains réunies, la tenait fermement plaquée sur la cage
13 thoracique de la fillette, tout en murmurant à l’oreille de
14 pauvre bûcheron, qui ne cessait lui de hurler qu’il ne vou-
15 lait plus de cette créature du diable, de cette sans-cœur de
16 malheur, pauvre bûcheronne, toujours pesant sur la main
17 du pauvre bûcheron, murmura délicatement :
18 « Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu le petit cœur qui bat ? Le
19 sens-tu ? Le sens-tu ? Il bat, il bat. »

1. Ire : colère (soutenu).


2. Paluche caleuse : grosse main abîmée par le travail (familier).

53

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 53 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

20 « Non non ! » clamait le bonnet du bûcheron s’agitant


21 en tous sens. « Non non ! » hurlait sa barbe broussailleuse.
22 « Non non ! »
23 La bûcheronne, toujours chuchotante, poursuivait :
24 « Les sans-cœur ont un cœur. Les sans-cœur ont un
25 cœur comme toi et moi.
26 – Non non !
27 – Petits et grands, les sans-cœur ont un cœur qui bat
28 dans leur poitrine. »
29 Pauvre bûcheron dégagea soudain sa main d’un coup
30 d’épaule tout en secouant toujours sa tête et en crachant
31 maintenant entre ses dents, répétant les tristes slogans de
32 ces jours si sombres : « Les sans-cœur n’ont pas de cœur !
33 Les sans-cœur n’ont pas de cœur ! Ce sont des chiens errants
34 qu’il faut chasser à coups de hache ! Les sans-cœur jettent
35 leurs enfants par les lucarnes des trains et c’est nous, pauvres
36 couillons, qui sommes obligés de les nourrir ! »
37 Il crachait ainsi sa bile la plus noire1 tout en éprouvant
38 lui-même un trouble, une chaleur, une douceur nouvelle que
39 le bref contact de sa paume avec la peau et le cœur de la
40 petite marchandise avait fait naître jusque dans son propre
41 cœur à lui qu’il sentait battre, désormais, dans sa propre
42 poitrine. Oui, son cœur battait comme en écho avec le petit

1. Bile […] noire : dans les premières théories de la médecine, substance


associée à la mélancolie et à la colère.

54

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 54 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 9

43 cœur de la petite marchandise qui se calma enfin, dans les


44 bras de la bûcheronne, et qui tendait maintenant ses petits
45 bras en direction de pauvre bûcheron.
46 Celui-ci recula, effrayé. Quand la pauvre bûcheronne
47 tendit à son tour l’enfant vers lui, il recula encore, comme
48 frappé en pleine poitrine, tout en répétant machinalement
49 qu’il ne voulait plus voir, ni nourrir cette chose, et tout en
50 refoulant, au plus profond de l’obscurité de sa carcasse, l’en-
51 vie de répondre à ces bras tendus, offerts, en se saisissant de
52 l’enfant pour la presser contre son visage, contre sa barbe.
53 Il reprit pied enfin, en même temps que ses esprits, et
54 reprit également l’offensive, menaçant la pauvre bûcheronne
55 d’avoir demain à choisir entre lui, honnête bûcheron son
mari, et ce résidu de fausse couche tueur de Dieu qu’elle
tenait dans ses bras. Et avant que pauvre bûcheronne eût pu
lui répliquer, il s’écroula sur sa couche, et s’endormit cette
fois du sommeil du presque juste.

55

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 55 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Émile-Victor Prouvé, La Famille,


56 1898, pastel et fusain, musée d’Orsay, Paris.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 56 18/03/2021 18:01


4

Chapitre 10

1 L e lendemain, où qu’il posât sa main, ce fut le cœur


2 de la petite marchandise qu’il sentit battre sous sa paume.
3 Désormais, dans le secret de son cœur noyé dans une dou-
4 ceur inconnue, il nommait lui aussi la petite sans-cœur sa
5 petite marchandise à lui. Et lorsque, par grand et rare hasard,
6 il se trouvait en tête à tête avec elle, il tendait vers elle un
7 doigt hésitant qu’aussitôt la petite agrippait et ne voulait plus
8 lâcher. Il éprouvait alors une joyeuse et bienfaisante douceur.
9 Un jour même, la petite, se traînant à quatre pattes sur
10 le sol de la hutte1, s’accrocha au bas de son pantalon, et
11 ainsi, s’aidant de ses deux mains, elle se redressa en se
12 cramponnant à un de ses genoux rapiécés2. Pauvre bûcheron
13 ne put réprimer un cri : « Oh la vieille ! Viens ! Viens voir !
14 Viens voir ! » La petite maintenant ne se tenait plus que d’une
15 main, chancelante3, cherchant son équilibre. Pauvre bûche-
16 ron exultait4 : « Tu la vois ? Tu la vois ? » Pauvre bûcheronne
17 s’extasia puis applaudit. La petite tentant d’applaudir à son
18 tour lâcha le pantalon, et se retrouva sur le cul, au sol, dans

1. Hutte : cabane.
2. Rapiécés : dont on a recousu le tissu troué.
3. Chancelante : qui manque d’équilibre.
4. Exultait : éprouvait et manifestait une joie extrême.

57

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 57 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

19 un grand éclat de rire. Pauvre bûcheron, cul par-dessus tête1,


20 arracha l’enfant du sol et la brandit comme un trophée de
21 victoire, hurlant de joie et s’exclamant : « Alléluia2 ! »
22 Les jours suivants, pauvre bûcheron tout comme pauvre
23 bûcheronne ne ressentirent plus le poids des temps, ni la
24 faim, ni la misère, ni la tristesse de leur condition. Le monde
25 leur parut léger et sûr malgré la guerre, ou grâce à elle, grâce
à cette guerre qui leur avait fait don de la plus précieuse
des marchandises. Ils partagèrent tous trois un plein fagot
de bonheur, orné de quelques fleurs que le printemps leur
offrait pour éclairer leur intérieur.

1. Cul par-dessus tête : bouleversé, ému (expression familière).


Ici, jeu de mots avec « se retrouva sur le cul ».
2. Alléluia : cri ou chant religieux qui exprime la joie.

58

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 58 18/03/2021 18:01


5

Chapitre 11

1 La joie, le bonheur aidant, pauvre bûcheron travailla


2 avec plus d’entrain, plus de force, ses camarades l’appré-
3 cièrent davantage et malgré son mutisme1 le convièrent
4 encore plus souvent à leurs libations2 d’après boulot.
5 L’un d’entre eux, plus entreprenant, s’était improvisé pro-
6 ducteur d’alcool de bois fait maison. Il leur fournissait
7 la boisson. J’ignore la recette de cet alcool de bois fait
8 maison, mais même si je la connaissais, je ne vous la
9 livrerais pas. Sachez simplement qu’il est déconseillé
10 d’en consommer et que cet alcool de bois, à haute dose,
11 peut rendre aveugle. « Qu’importe, à la guerre comme
12 à la guerre, et pour ce qu’il y a à voir ! » avait décrété le
13 distillateur3 amateur. Les camarades étaient braves et
14 soiffards4. Ils levaient le coude5 après leur journée de
15 travail, les camarades n’ayant pas chez eux une petite

1. Mutisme : attitude d’une personne qui ne parle pas.


2. Libations : moments où est consommé de l’alcool. Allusion aux libations
religieuses, actes qui consistaient, dans l’Antiquité, à répandre un liquide,
souvent du vin, à l’attention d’une divinité.
3. Distillateur : personne qui transforme l’alcool en boisson propre
à la consommation.
4. Soiffards : qui boivent beaucoup (familier).
5. Levaient le coude : buvaient (familier).

59

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 59 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

16 marchandise, don du train et des cieux, capable de leur


17 faire aimer la vie, fût-elle la leur.
18 Après le travail – gloup gloup gloup – certains soirs,
19 pauvre bûcheron consentait à lever le coude avec ses col-
20 lègues, retardant ainsi le plaisir de rentrer près de sa petite
21 marchandise adorée. Il faisait ainsi partager sa bonne
22 humeur nouvelle à ses compagnons d’infortune – gloup
23 gloup gloup – et on portait un toast1, puis un autre. À quoi ?
24 À qui ? L’un d’entre eux proposa de boire à la fin prochaine de
25 cette guerre maudite – gloup gloup gloup – Ils burent ensuite
26 à la fin des sans-cœur maudits – gloup gloup gloup – Un
27 camarade à propos des sans-cœur déclara alors que le train
28 qui passait plein et qu’on voyait repasser vide transportait on
29 ne sait où des sans-cœur venus des sept coins du monde.
30 Un autre renchérit : « Pendant que nous on se crève le cul
31 et la paillasse pour des salaires de misère, les sans-cœur,
32 eux, sont baladés gratos en trains spéciaux ! »
33 Un troisième précisa enfin : « Les sans-cœur ont tué
34 Dieu et ont voulu cette guerre ! Ils ne méritent pas de vivre
35 et leur guerre maudite ne finira que lorsque la terre se sera
36 enfin débarrassée d’eux à jamais ! » – gloup gloup gloup –
37 « À leur disparition ! » – gloup gloup gloup – « À mort les
38 sans-cœur ! » conclurent-ils en chœur.
39 Pas tout à fait en chœur…

1. Portait un toast : trinquait pour célébrer quelque chose.

60

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 60 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 11

40 Pauvre bûcheron, notre pauvre bûcheron – tous étaient


41 bûcherons et pauvres –, le nôtre, donc, avait bu mais s’était
42 tu. Les camarades se tournèrent alors vers lui comme un
43 seul homme, attendant d’entendre sa parole. Ils n’eurent
44 pas longtemps à attendre – gloup gloup gloup –, pauvre
45 bûcheron s’essuya la bouche d’un revers de poignet, puis
46 dans le silence, il s’entendit dire et se surprit lui-même :
47 « Les sans-cœur ont un cœur.
48 – Quoi quoi quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il
49 veut dire ? »
50 Pauvre bûcheron, alors, se surprit encore à proférer1,
51 d’une voix assourdissante cette fois, d’une voix qu’il n’avait
52 jamais sentie sortir de sa propre gorge, pauvre bûcheron,
53 dis-je, après avoir jeté son gobelet de fer sur la table bran-
54 lante qui s’écroula, reprit : « Les sans-cœur ont un cœur ! »
55 Puis il partit d’un bon pas, zigzagant cependant, vers sa
56 hutte, son chez-soi, sa hache sur l’épaule, effrayé soudain
57 d’avoir ainsi crié sa vérité, la vérité : les sans-cœur ont un
58 cœur. Effrayé et en même temps soulagé et fier, fier d’avoir
59 crié à la face des autres, de s’être libéré, d’avoir fini soudain
60 toute une vie de soumission et de mutisme. Il marchait vers
61 sa bûcheronne bien-aimée et vers la prunelle de ses yeux
62 que l’alcool de bois n’avait pas réussi à détruire ce soir-là. Il
63 marchait vers sa petite marchandise dont les dieux, ou on

1. Proférer : prononcer à voix haute.

61

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 61 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

64 ne sait qui d’autre, lui avaient fait don. Il marchait. Il sentit


65 alors son cœur battre et battre, puis il se surprit à chanter,
66 à chanter en marchant une chanson qu’il n’avait jamais
67 chantée, ni celle-là ni une autre d’ailleurs. Il marchait et il
68 chantait, ivre de liberté et d’amour.
69 Les camarades, consternés, constatèrent : « Il tient plus
70 du tout l’alcool ! Il est bourré ! Il débloque ! – gloup gloup
71 gloup – Il ira mieux demain à la fraîche. » Et ils se mirent
72 à chanter eux aussi des chansons que leurs maîtres, les
73 chasseurs de sans-cœur, leurs envahisseurs, leur avaient
74 apprises, des chansons qui disaient ceci :
75 « Nous planterons nos couteaux dans les poitrines vides
76 des sans-cœur jusqu’à ce qu’il n’en reste aucun et qu’ils
77 nous aient rendu tout ce qu’ils nous ont volé – gloup gloup
78 gloup – Que crèvent les sans-cœur ! – gloup gloup gloup. »
79 Le fabricant d’alcool de bois, tout en chantant, songeait
80 qu’autrefois, avant guerre, les autorités locales offraient
une prime à chaque tête de bête nuisible qu’on ramenait
en mairie – gloup gloup gloup.

62

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 62 18/03/2021 18:01


Chapitre 12

1 Les jours, les mois passèrent. Le faux coiffeur, le père


2 des ex-jumeaux, tondait, tondait et tondait. Puis ramas-
3 sait les cheveux, les blonds, les bruns, les roux, et il en
4 faisait des ballots1. Ballots qui rejoignaient d’autres bal-
5 lots, d’autres milliers de ballots, faits d’autres cheveux.
6 Les blonds, les plus recherchés, les bruns, et même les
7 roux. Que faisait-on des cheveux blancs ? Tous ces cheveux
8 en partance vers le pays des généreux conquérants afin
9 d’y devenir perruques, parures, tissus d’ameublement ou
10 simples serpillières2.
11 Le père des ex-jumeaux souhaitait mourir, mais tout au
12 fond de lui poussait une petite graine insensée, sauvage,
13 résistant à toutes les horreurs vues et subies, une petite
14 graine qui poussait et poussait, lui ordonnant de vivre,
15 ou tout au moins de survivre. Survivre. Cette petite graine
16 d’espoir, indestructible, il s’en moquait, la méprisait, la
17 noyait sous des flots d’amertume3, et pourtant elle ne ces-
18 sait de croître, malgré le présent, malgré le passé, malgré

1. Ballots : petits paquets.


2. À leur arrivée au camp, les déportés étaient tondus et leurs cheveux
recyclés pour l’industrie allemande.
3. Amertume : sentiment de tristesse et de rancœur.

63

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 63 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

19 le souvenir de l’acte insensé qui lui avait valu que sa chère


20 et tendre ne lui jette plus un regard, ne lui adresse plus une
21 seule parole avant qu’ils ne se quittent sur ce quai de gare
22 sans gare à la descente de ce train des horreurs. Il n’avait
23 même pas pu tenir serré contre sa poitrine, ne fût-ce qu’une
24 seconde, son jumeau restant avant qu’ils ne se quittent pour
25 toujours et à jamais. Il en aurait pleuré encore, s’il avait eu
26 dans ses yeux quelques larmes de reste.

64

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 64 18/03/2021 18:01


Chapitre 13

1 L es jours, les mois passèrent, et petite marchandise, un


2 de ces jours plus heureux que d’autres, se tint soudain bien
3 droite et fit ses premiers pas. Depuis, elle trottait devant ou
4 derrière pauvre bûcheronne et le soir elle courait au-devant
5 de pauvre bûcheron. Et quand celui-ci la hissait jusqu’à son
6 visage, jusqu’à sa barbe, elle tentait de lui ôter son bonnet,
7 ou de lui tirer les poils, ou, bonheur suprême, d’attraper à
8 pleines mains son gros nez. Pauvre bûcheron en était tout
9 bouleversifié1. Il tendait alors la petite marchandise à pauvre
10 bûcheronne et se mouchait bien fort avant d’essuyer ses
11 yeux humides. Un de ces jours, encore plus beau, la petite
12 fonça sur pauvre bûcheron, bras tendus, en criant : « Papa !
13 Papa ! » dans cette langue bizarre qu’on parlait dans ce pays
14 lointain. Papa se disait papouch, maman mamouch.
15 « Papouch ! Mamouch ! »
16 Ils se serraient alors tous trois dans un même enlace-
17 ment qui finissait par des rires et même par une chanson
qui parlait de père, de mère, d’enfant perdu et retrouvé.

1. Bouleversifié : néologisme indiquant un bouleversement ou une émotion


intense.

65

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 65 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 14

1 U n jour que pauvre bûcheronne et petite marchandise


2 revenaient toutes deux de fagoter, elles croisèrent dans le
3 sous-bois le distillateur d’alcool de bois et accessoirement
4 collègue et même camarade de pauvre bûcheron. Le distil-
5 lateur, découvrant la petite, s’informa poliment : « D’où sort
6 cette enfant ? » Pauvre bûcheronne répondit qu’elle était
7 sienne. Le distillateur fixa alors la petite marchandise lon-
8 guement, comme s’il voulait la soupeser. Puis il fixa pauvre
9 bûcheronne avant de lui sourire et de la quitter, non sans
10 avoir soulevé son chapeau de taupe, tout en déclarant d’une
11 voix enjouée : « Bonjour à vous ! »
12

66

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 66 18/03/2021 18:01


Chapitre 15

1 C e matin-là, peu avant l’aube, le camarade au chapeau


2 de taupe, accompagné de deux miliciens encombrés de fusils
3 datant d’une précédente guerre mondiale, ou plus sûrement
4 de l’époque de l’invention de la poudre par les Chinois, tous
5 trois donc vinrent prendre livraison de la petite marchandise.
6 Pauvre bûcheron les accueillit sur le pas de la porte. D’abord
7 il nia. Il dit que c’était sa fille. L’un des miliciens demanda
8 pourquoi il n’avait pas déclaré sa naissance en mairie. Il
9 répondit qu’il n’aimait pas remplir des papiers, et qu’elle
10 avait grandi ainsi, sans papiers. Enfin il accepta, sous peine
11 de mort – la loi c’est la loi camarade –, il accepta, dis-je, mais
12 il demanda, comme une faveur spéciale, de remettre l’enfant
13 à son camarade de travail, afin de faire ça en douceur, afin
14 de ne pas effrayer avec des fusils ni la petite, ni surtout son
15 épouse. Il fit passer le camarade devant lui en prévenant sa
16 pauvre bûcheronne d’une voix haute :
17 « C’est le camarade de chantier ! Prépare la petite ! Et sers
18 à boire aux camarades ! »
19 La bûcheronne surgit, elle portait l’enfant qui aussitôt tendit
20 ses bras vers le bûcheron. Celui-ci alors saisit sa hache et en
21 frappa le camarade distillateur tout en criant à sa bûcheronne :

67

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 67 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Constantin Savitsky, Fugitifs en Sibérie, vers 1890, huile sur toile,


musée des Beaux-Arts d’Arkhangelsk (Russie).

22 « Sauve-toi ! Emporte la petite ! »


23 Puis il redonna un coup sur la taupe qui ornait le crâne
24 de son camarade de travail. Il sortit enfin de la cabane, la
25 tête haute, et attaqua l’un des miliciens. Il l’abattit comme
26 une bûche pourrie. L’autre alors, reculant, trébucha, tira en
27 l’air puis visa le bûcheron qui, hache levée, s’avançait vers
28 lui. Pauvre bûcheronne alors sortit en courant tandis que le
29 bûcheron hurlait en s’affalant :
30 « Cours ma belle ! Cours ! Sauvez-vous ! Sauvez-vous !
31 Que Dieu fasse crever tous les maudits sans âme ni foi !
Que vive notre… et il murmura… petite marchandise ! »

68

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 68 18/03/2021 18:01


Chapitre 16

1 C ours cours cours pauvre bûcheronne ! Cours et serre


2 contre ton cœur ta si fragile marchandise ! Cours sans te
3 retourner ! Non non, ne cherche pas à revoir pauvre bûche-
4 ron gisant dans son sang, ni les trois larves par sa hache
5 fendues comme bois pourri. Non non, ne cherche pas des
6 yeux ton ex-logis de rondins assemblés par les mains de
7 ton pauvre bûcheron. Oublie cette cabane où vous avez
8 partagé tous trois ce si fugitif 1 bonheur. Cours cours cours
9 et cours encore !
10 Courir ? Vers où ? Où courir ? Où se cacher ?
11 Cours sans réfléchir ! Va va va ! Droit devant toi. Non
12 non non, ne pleure pas, ne pleure pas, il n’est pas temps
13 de pleurer.
14 Dans la poitrine de pauvre bûcheronne, là où repose,
15 bercée par la course, sa petite marchandise tant aimée,
16 là, dans sa poitrine haletante, son cœur cogne cogne et
17 cogne, puis soudain se tord. La douleur lui coupe les jambes,
18 arrache son souffle. Elle sait, elle sent que les chasseurs
19 de sans-cœur sont déjà à ses trousses pour lui arracher sa
20 petite marchandise chérie.

1. Fugitif : bref, passager.

69

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 69 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

21 Elle veut s’arrêter, glisser au sol, s’y répandre, disparaître


22 dans les fougères, se dissoudre dans l’herbe haute en serrant
23 de plus en plus fort sa petite tant aimée. Mais à ses pieds
24 les renardeaux veillent. Ils courent, ils courent, ils courent,
25 ils ont l’habitude, eux, de poursuivre et d’être poursuivis.
26 Ils courent, ils s’arrachent du sol, ils courent sans peur et
27 sans reproche. Vers où ? Vers où courent-ils ? N’ayez crainte,
28 ils savent s’y rendre, ils connaissent le chemin, le chemin
29 du salut1.
30 Et soudain voici pauvre bûcheronne et sa si précieuse
31 petite marchandise en lisière de cette partie du bois si touffue
32 que nul ne sait comment y pénétrer. Les renardeaux, eux, ne
33 ralentissent même pas l’allure, ils s’y jettent, ils bondissent
34 d’une racine à l’autre, se heurtant aux branches basses,
35 trébuchant sur les débris de bois mort qui jonchent le sol.
36 Une voix, une voix alors, une voix connue, à la fois crainte
37 et souhaitée, retentit :
38 « Qui va là ?
39 – Pauvre bûcheronne, crie-t-elle, tandis que les renar-
40 deaux courent toujours.
41 – Que veut pauvre bûcheronne ?
42 – Asile2 ! Asile pour moi et ma… dont les dieux m’ont
43 fait don. »

1. Salut : fait d’échapper à un danger, à un malheur ou à la mort. Au sens


religieux, fait d’être sauvé du péché.
2. Asile : refuge.

70

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 70 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 16

44 La voix reprend :
45 « J’ai entendu des coups de feu, t’étaient-ils destinés ?
46 – Ils voulaient… ils voulaient… ils voulaient me la…
47 – Avance ! Marche sans crainte !
48 – Ils voulaient… » Pauvre bûcheronne est hors d’haleine.
49 Sa voix la fuit, ses jambes se brisent. Les renardeaux eux-
50 mêmes s’immobilisent, vaincus par les racines, les ronces
51 et la fatigue.
52 Pauvre bûcheronne voudrait tout dire à l’homme au fusil
53 à la chèvre et à la tête cassée, tout, des craintes, des sans-
54 cœur, de la hache aussi. Elle reprend avec difficulté :
55 « Ils voulaient… ils voulaient… alors pauvre bûcheron
56 avec sa hache les a… les a… »
57 L’homme apparaît.
58 « N’en dis pas plus, je connais la noirceur du cœur des
59 hommes, ton bûcheron et sa hache ont bien travaillé. Et
60 si tes tourmenteurs le justifient, je saurai à mon tour bien
61 travailler. »
62 Il fait glisser alors son fusil d’une épaule à l’autre puis
63 tend les bras.
64 « Confie-moi ta petite marchandise et suis-moi. »
65 Pauvre bûcheronne lui tend alors l’enfant que l’homme
66 au fusil à la chèvre et à la tête cassée reçoit avec douceur et
67 dignité comme il sied1 aux porteurs d’objets sacrés.

1. Sied : convient.

71

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 71 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

68 Ils avancent tous trois en silence. Le bois touffu s’éclaircit


69 et bientôt apparaît un jardin que pauvre bûcheronne n’avait
70 jamais vu. Elle prenait livraison de son lait quotidien en
71 lisière du bois, là où elle déposait son fagot.
72 En cette fin de printemps, en ce début d’été, les fruits
73 sur les arbres semblent se tendre vers l’enfant. Les fleurs
74 se dressent et s’offrent elles aussi à la cueillette, comme
75 pour consoler pauvre bûcheronne et sa fillette. Les dieux
76 font bien les choses de ce côté-ci du bois, pense-t-elle, oui,
77 les dieux font bien les choses quand ils y pensent et quand
78 ils le veulent.
79 L’homme, toujours portant l’enfant, s’approche d’une
80 cabane, une cabane de rondins elle aussi, dressée à côté d’un
81 rocher. Il ne pénètre pas dans la cabane, il se dirige droit à
82 la roche et se glisse dans une sorte de grotte où une chèvre
83 minuscule, aux pis lourds cependant, lui fait fête dans sa
84 joie de recevoir ainsi un peu de visite.
85 L’homme au fusil et à la tête cassée dépose alors l’en-
86 fant face à la chèvre. Elles sont de même hauteur. L’homme
87 fait ainsi les présentations : « Fille des dieux, voilà ta mère
88 nourricière, ta troisième maman. »
89 L’enfant, ravie, enlace la chèvre, celle-ci s’abandonne
90 dans ses bras, les yeux perdus, là où vont se perdre les
91 yeux des chèvres. Puis toutes deux joignent leurs fronts et
92 restent ainsi, la chèvre et la fillette, yeux dans les yeux, front
93 contre front, tandis que sanglote pauvre bûcheronne et que

72

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 72 18/03/2021 18:01


August Macke, Enfants avec une chèvre dans la forêt,
1912, huile sur toile, collection privée.

94 murmure l’homme au fusil à la chèvre et à la tête cassée :


95 « Pourquoi pleures-tu, pauvre bûcheronne, tu auras désor-
96 mais pour elle du lait à volonté que tu n’auras même plus
97 à venir chercher. Certes, j’y perds un fagot, mais j’y gagne
98 une camarade de jeux pour ma chèvre solitaire, ainsi nous
99 sommes gagnants tous quatre. Nul ne peut rien gagner en
100 ce bas monde sans consentir à y perdre un petit quelque
chose, fût-ce la vie d’un être cher, ou la sienne propre. »

73

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 73 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 17

1 L es jours succédèrent aux jours, les trains aux trains.


2 Dans leurs wagons plombés, agonisait l’humanité. Et l’hu-
3 manité faisait semblant de l’ignorer. Les trains provenant
4 de toutes les capitales du continent conquis passaient et
5 repassaient, mais pauvre bûcheronne ne les voyait plus.
6 Ils passèrent et repassèrent, nuit et jour, jour et nuit, dans
7 l’indifférence générale. Nul n’entendit les cris des convoyés,
8 les sanglots des mères se mêlant aux râles des vieillards, aux
9 prières des crédules1, aux gémissements et aux cris de terreur
10 des enfants séparés de leurs parents déjà livrés au gaz2.

1. Crédules : ceux qui croient facilement des choses invraisemblables.


2. Dans la Solution finale mise en place par les nazis pour exterminer les Juifs,
ces derniers étaient tués par asphyxie dans des chambres à gaz (voir Repères,
p. 5).

74

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 74 18/03/2021 18:01


Chapitre 18

1 E t puis, et puis, les trains cessèrent de rouler. Ne


2 roulant plus, ils cessèrent de livrer leur si misérable car-
3 gaison de crânes à raser. Plus de trains, plus de crânes.
4 Cependant que notre héros, ex-père de jumeaux, ex-mari
5 de son épouse bien-aimée, devenu soudain ex-raseur des
6 crânes, s’effondra, vaincu par la faim, la maladie et le déses-
7 poir. Autour de lui les rares survivants encore conscients
8 murmuraient : « Il faut tenir, tenir, tenir, et tenir encore,
9 ça va bien finir par finir, déjà on entend les canonnades1
10 au loin. » Un camarade lui glissa même dans le tuyau de
11 l’oreille : « Les rouges2 arrivent, les têtes de mort3 vont finir
12 par chier dans leurs bottes. »
13 En attendant, lesdites têtes de mort leur faisaient creuser
14 des fosses à même la neige afin d’y faire brûler le trop-plein
15 des cadavres amoncelés au pied des crématoires4 qu’ils

1. Canonnades : coups de canon.


2. Les rouges : les soldats de l’URSS, qui formaient l’Armée rouge et portaient
une étoile rouge sur leur uniforme. Les camps de concentration sont libérés
entré l’été 1944 et 1945. Le 27 janvier 1945, l’Armée rouge entre dans celui
d’Auschwitz.
3. Têtes de mort : SS (soldats allemands) dont l’insigne était une tête de
mort.
4. Crématoires : fours crématoires servant à l’incinération des cadavres
(voir note 2, p. 74).

75

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 75 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Alessandro Lonati, Holocauste : un homme en uniforme rayé


et étoile jaune dans un camp de concentration nazi,
1943, dessin.

16 devaient également détruire d’urgence afin d’éliminer avec


17 les derniers témoins les traces de leur crime immense. Les
18 cheveux, si précieux hier, n’étaient plus récoltés. Pire, les che-
19 veux emballés, déjà prêts à l’usage, n’étaient plus expédiés. Ils
20 s’entassaient, abandonnés, près d’une montagne de lunettes,
21 coincés entre des monceaux de vêtements, homme, dame et
22 enfant. Eux aussi devaient disparaître.
23 Tenir, tenir, tenir, ça va bien finir par finir. Lui aussi désor-
24 mais voulait disparaître, en finir, en finir, en finir. De jour
25 comme de nuit, il délirait. Il délirait en piétinant la neige, il
26 délirait en creusant, il se remémorait, pire, il revivait l’instant
27 fatal, l’instant où il avait arraché des bras de son épouse l’un
28 de leurs jumeaux, il revivait sans cesse l’instant où il l’avait
29 précipité du train dans la neige. Cette neige qu’il piétinait

76

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 76 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 19

30 et piétinait tout en creusant son propre trou pour s’y faire


31 enfin brûler à son tour. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ce
32 geste fatal, insensé ? Pourquoi n’avoir pas accompagné son
33 épouse et leurs deux enfants jusqu’au bout, jusqu’au but du
34 voyage ? S’élever ensemble, tous les quatre, ensemble, s’éle-
35 ver dans les cieux, en volutes1 de fumée, de fumée épaisse
36 et sombre. Il s’effondra soudain. Deux camarades, au risque
37 de leur propre survie, le traînèrent dans une baraque2 proche
38 afin de lui éviter d’être jeté à demi vivant dans les flammes.
39 Quand il reprit connaissance, il se sentit bien dans cette
40 baraque, parmi les corps amoncelés3. Il trouva le lieu propice
à y espérer la mort, la délivrance, enfin.

1. Volutes : spirales.
2. Baraque : construction provisoire, généralement faite de planches.
3. Amoncelés : entassés.

77

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 77 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 19

1 L a mort ne vint pas et la délivrance se présenta à lui


2 sous l’apparence d’un jeune soldat étoilé de rouge dont
3 les yeux exorbités témoignaient de l’horreur qu’il venait de
4 découvrir. Après avoir constaté que le cadavre qui le dévisa-
5 geait vivait encore, le jeune soldat étoilé lui glissa le goulot
6 de sa gourde dans la bouche et quelques biscuits dans les
7 mains, puis il le prit dans ses bras, l’arrachant au tas de
8 mourants, et le déposa devant la baraque, sur un bout de
9 terrain sans cadavres, sous le soleil du printemps renaissant.
10 Là même où hier encore régnaient la neige, les bottes et les
11 cravaches des casquettes à têtes de mort, l’herbe repoussait
12 grasse et touffue, parsemée d’une multitude de fleurettes
13 blanches. C’est alors qu’il entendit un oiseau chanter à tue-
14 tête l’hymne du retour à la vie. Et c’est alors que des larmes
15 jaillirent de ses yeux devenus aussi secs, pensait-il, que son
16 cœur. Ces larmes lui rappelèrent qu’il était redevenu un vivant.
17 Comment trouva-t-il la force de se dresser, puis de mar-
18 cher, et de marcher, et de marcher encore ? Le chant du
19 rossignol suffit-il pour que naisse l’idée que sa fille, sa si
20 petite fille inconnue et chérie avait pu survivre, peut-être, elle
21 aussi ? Et que si elle avait survécu, il se devait désormais, il
22 en avait le devoir, de tout faire, de tout faire pour la retrouver.

78

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 78 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 19

23 Il se mit donc en marche, suivant les rouges qui avançaient


24 droit devant eux. Il tomba d’inanition1 près d’une église. Un
25 prêtre le releva, le nourrit, pria pour lui, et il repartit, marchant,
26 marchant toujours.
27 Il arriva enfin près d’un camp dit de regroupement, peuplé
28 de réfugiés et autres personnes déplacées fuyant les rouges,
29 mais rattrapées par leur avance fulgurante. Son aspect
30 spectral2 orné de son numéro tatoué sur son avant-bras3
31 lui servit de passeport. Il y fut logé et nourri, mais une fois
32 installé, il revécut l’instant fatal, le train, la neige, le bois, le
33 châle, la vieille, l’espoir aussi. Et surtout, surtout le regard de
34 son épouse se détournant de lui à jamais et pour toujours.
35 Pourquoi, pourquoi n’avait-il pas laissé le sort commun les
36 détruire tous les quatre ensemble, ensemble ?
37 Pauvre bûcheronne ne s’aperçut pas que les trains de mar-
38 chandises ne traversaient plus son bois, trop captivée par le
39 spectacle de sa petite marchandise à elle qui grandissait et
40 prospérait à vue d’œil. La petite ne cessait de rire, de chanter, de
41 gazouiller et de danser avec sa chèvre devenue plus que sa sœur,
42 sous l’œil bienveillant de l’homme au fusil et à la tête cassée.
43 Pauvre bûcheronne ne se souvenait pas avoir vécu tant de
44 bonheur tout le long, le long de sa vie. L’homme au fusil, lui,

1. Inanition : épuisement causé par le manque de nourriture.


2. Spectral : très pâle et très maigre, comme un fantôme.
3. À leur arrivée dans les camps, les déportés étaient tatoués d’un numéro
de matricule qui devenait leur nouvelle identité.

79

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 79 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

45 guettait, l’oreille tendue vers l’Est. Il savait que les rouges


46 avançaient. Il se réjouissait tout en les craignant. Il les craignait
47 comme il avait craint les vert-de-gris à têtes de mort ainsi que
48 leurs valets et autres collaborateurs. Une fois par semaine,
49 il se rendait dans l’un des villages proches de sa forêt afin
50 d’y troquer ses fromages de chèvre contre des produits de
51 première nécessité. Là on ne parlait que de la fin prochaine de
52 cette guerre affreuse, avec espoir, ou regret. Bientôt les avions
53 étoilés de rouge bombardèrent les positions des vert-de gris,
54 puis la canonnade prit le relais. Les chasseurs de sans-cœur
55 désormais se terraient ou fuyaient vers l’Ouest.
56 Fusil en main, l’homme à la tête cassée arpentait son fief 1
57 sur le flanc est de son domaine, bien décidé à faire respecter
58 ses droits de propriété aux nouveaux envahisseurs. Deux
59 soldats rouges se glissèrent avec précaution dans le bois.
60 Apercevant un homme armé d’un fusil, ils le couchèrent au sol
61 d’une rafale de mitraillette. Puis, avec précaution, l’un des sol-
62 dats s’en approcha, retourna le corps du pied, puis constatant
63 que le visage de l’homme n’avait rien d’attrayant, il adressa
64 une grimace de dégoût à son compagnon en concluant d’une
65 voix méprisante : « Un vieux, moche. » Constatant également
66 que l’homme à terre était seul, ils repartirent, rejoignant le gros
67 de la troupe des étoilés de rouge qui préférèrent contourner
68 le bois plutôt que de s’y engager.

1. Fief : domaine.

80

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 80 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Gustave Courbet, La Pauvresse de village, Ornans, xixe siècle,


huile sur toile, collection privée.

69 Le lendemain matin, après une nuit d’angoisse, pauvre


70 bûcheronne découvrit le corps gisant1 de l’homme à la tête
71 cassée et au cœur compatissant2. Elle pleura beaucoup, ce
72 qui fit pleurer sa petite marchandise. Et même la chèvre aux
73 yeux tendres pleurait. Renonçant à l’ensevelir, elle recouvrit
74 sa dépouille de branchages fleuris, puis pauvre bûcheronne
75 improvisa une prière sous forme d’un remerciement et d’un
76 souhait : qu’enfin cet homme si bon trouve la paix et le bonheur

1. Gisant : étendu sur le sol.


2. Compatissant : qui partage les souffrances d’autrui.

81

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 81 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

77 qui lui furent refusés sur cette terre, qu’il les trouve là où les
78 dieux l’accueilleront. Elle eut une pensée pour les dieux du
79 train mais ne la formula pas, elle n’avait plus confiance en eux.
80 Elle savait que si l’enfant, son enfant avait survécu, ce
81 n’était pas grâce à eux, c’était grâce à la main la lâchant du
82 train sur la neige, grâce à la bonté de l’homme au fusil et à
83 sa chèvre. « Bénissez-les », conclut-elle.
84 Elle ramassa les quelques hardes1, enveloppa les fromages
85 fraîchement fabriqués et les ustensiles pour les faire dans le
86 châle de prière, puis, sa fillette à la main, sa chèvre tenue en
87 laisse, chargée comme un baudet2, elle se mit en marche. Ne
88 sachant où aller, elle se mit à marcher droit devant elle, vers
89 l’est, là où, dit-on, le soleil continue de se lever.
90 Sur la route elle croisa des centaines de tanks et des
91 camions étoilés de rouge. Elle traversa des villages en ruine,
92 et, s’arrêtant enfin sur la place de l’un d’entre eux, choisis-
93 sant une ruine qui lui parut confortable, elle s’y installa. Elle
94 étala le châle de prière sur un pan3 de mur encore debout,
95 y disposa ses quelques fromages rescapés et attendit les
96 chalands4, sa fille confortablement installée sur ses genoux,
97 tandis que la chèvre broutait un reste de talus5.

1. Hardes : vêtements misérables.


2. Chargée comme un baudet : excessivement chargée (« baudet » signifie
« âne », en langage familier).
3. Pan : morceau.
4. Chalands : personnes qui achètent chez un marchand.
5. Talus : terrain en pente.

82

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 82 18/03/2021 18:01


6

Chapitre 20

1 D ans le camp dit de regroupement, se côtoient et


2 se heurtent les anciennes victimes et leurs anciens bour-
3 reaux1. Les uns cherchant à « se reconstruire », comme on
4 ne le disait pas encore à l’époque, les autres cherchant à
5 se fondre dans la foule des réfugiés. Ne pas rester là, par-
6 tir, fuir encore, soit, mais où aller ? Où aller, se demandait
7 notre héros, ex-raseur de crâne, ex-étudiant en médecine,
8 ex-père de famille, ex-vivant devenu ombre. Retourner dans
9 le pays d’où il était venu en train après avoir été raflé2 par
10 la police de ce pays ? Partir vers où ? Le nord, l’est, l’ouest ?
11 Et une fois là, reprendre ses études de médecine ? Ouvrir
12 un salon de coiffure afin d’imposer au monde les cheveux
13 coupés court, très court, la mode des crânes nus ? Non
14 non, de toute manière il ne pouvait quitter la région sans
15 savoir, savoir si sa fille, sa petite fille si fragile, sa petite…
16 quel prénom portait-elle ? Quel prénom lui avait-il donné ?
17 Comment s’appelait-elle ? Il ne savait plus, il ne se souvenait
18 plus du prénom de sa propre fille.

1. Bourreaux : personnes qui exercent des violences physiques sur d’autres.


2. Raflé : enlevé au cours d’une arrestation massive exécutée par la police.

83

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 83 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

19 Le jour même il quitta le camp, pécule1 en poche, fourni


20 par la direction afin de permettre à ceux qui souhaitaient
21 partir de partir, et ainsi de débarrasser le plancher en libé-
22 rant la paillasse qu’ils occupaient2. Il marche, il marche
23 et marche encore à la recherche de la voie ferrée, du bois,
24 des virages, de la vieille agenouillée dans la neige. Il trouve
25 enfin une voie de chemin de fer abandonnée, la végétation
26 l’envahit déjà.
27 Il suit cette voie ferrée. Il trouve un bois qu’il traverse,
28 puis un autre, qu’il traverse encore, puis un autre encore.
29 Il n’y avait plus de neige, rien ne ressemblait à rien, sinon
30 les vieilles croisées qui ne répondaient jamais à son salut.
31 C’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
32 Il abandonna la voie ferrée, déjà elle-même abandonnée par
33 ses trains, et il se mit à marcher à travers les villes et les
34 villages. Partout la fête battait son plein. La guerre était finie
35 pour tout le monde, sauf pour lui et les siens.
36 Les chants, les drapeaux, les discours, les pétards même,
37 toute cette folie, toute cette joie lui rappelaient qu’il était
38 seul, qu’il serait seul à jamais, seul à respecter le deuil, à
39 porter le deuil de l’humanité, le deuil de tous les massacrés,
40 le deuil de son épouse, de ses enfants, de ses parents à lui,

1. Pécule : petite somme d’argent.


2. Jeu de mots avec l’expression « débarrasser le plancher », qui signifie partir
au plus vite, et les « paillasses », lits misérables constitués de sacs de toile
bourrés de paille et posés à même le sol.

84

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 84 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 20

41 de ses parents à elle. Il traversait les villes et les villages, tel


42 un spectre, témoin des libations, de la liesse1, des saluts,
43 des serments : plus jamais ça, plus jamais.
44 Il ne savait pas ce qu’il cherchait au juste. Il marchait.
45 Sa tête lui tournait et il se rappela qu’il avait faim. Il avait
46 faim malgré tout. Sur une petite table il vit des fromages,
47 des tout petits fromages, il eut soudain envie de fromage.
48 Ces fromages minuscules s’étalaient sur une nappe bizarre
49 qui ne convenait pas aux fromages exposés, une nappe qui
50 semblait tissée de fils d’or et d’argent. Il posa une main
51 sur la nappe avec quelques pièces de monnaie et soudain,
52 soudain, il comprit. Il leva alors les yeux sur la femme, pas si
53 vieille, assise derrière la petite table couverte de cette nappe
54 bizarre. La femme avait une enfant sur ses genoux. Toutes
55 deux lui souriaient et semblaient l’encourager à choisir un
56 des fromages. La vieille lui parla dans une langue qu’il ne
57 comprenait pas. Elle lui fit signe de se servir, mais lui n’avait
58 d’yeux que pour la fillette. Celle-ci lui fit également signe
59 des yeux et des mains de se servir et lui vanta leur qualité,
60 puis elle lui désigna la chèvre à ses côtés, lui indiquant que
61 c’était du lait de cette chèvre que les fromages naissaient.
62 Il ne comprit pas tout mais il comprit l’essentiel. Sa fille,
63 c’était sa fille, sa fille jetée du train, sa fille vouée aux fours,
64 sa fille qu’il avait sauvée.

1. Liesse : grande joie collective.

85

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 85 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

65 Un cri, un cri terrible, un cri de joie, de peine, de vic-


66 toire, un cri se forma dans sa poitrine, mais rien, rien ne
67 sortit de sa bouche. Il se saisit d’un fromage, fixant toujours
68 la fillette, sa fille. Elle vivait, elle vivait, elle était heureuse,
69 elle souriait. Il esquissa lui-même un sourire, puis, tendit
70 une main tremblante vers la joue de la fillette pour caresser
71 cette joue tentante. La fillette se saisit alors de sa main et
72 la porta à ses lèvres avant d’éclater de rire. Il retira sa main
73 précipitamment.
74 Au bord du malaise il se retira, toujours regardant la
75 vieille, la chèvre, et sa petite fille qu’il venait de remettre
76 au monde. Il fixait de toute l’intensité de ses yeux cette
77 marchande de fromages et sa propre fille assise sur ses
78 genoux et s’embrassant. Il les fixait de tous ses yeux comme
79 s’il voulait graver dans ses pupilles, dans son cœur, dans
80 son âme, leur image de bonheur partagé. Pourquoi se
81 faire connaître ? Pourquoi rompre l’équilibre ? Qu’avait-il à
82 apporter à sa propre fille ? Rien, moins que rien. Il fit encore
83 quelques pas, s’arrêtant encore. Peut-être fallait-il malgré
84 tout… peut-être devait-il… puis il s’arracha au prix d’un effort
85 surhumain chargé d’une joie et d’une tristesse mêlées. Il
86 s’éloigna à grands pas.
87 Il avait vaincu la mort, sauvé sa fille par ce geste insensé,
88 il avait eu raison de la monstrueuse industrie de la mort.
89 Il eut le courage de jeter un dernier regard sur sa fillette

86

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 86 18/03/2021 18:01


CHAPITRE 20

90 retrouvée et reperdue à jamais. Elle faisait déjà l’article1 à


91 un nouveau chaland montrant de ses petites mains la pro-
92 venance du fromage en désignant du doigt la chèvre chérie
93 et sa maman adorée.
94 Allez, il est temps maintenant de quitter notre petite
95 marchandise et de la laisser vivre sa vie. Pardon ? Vous vou-
96 lez savoir ce qu’il advint de son ex-père ? On dit, mais on
97 dit tellement de choses, qu’il retourna dans le pays où la
98 police l’avait raflé, lui, sa femme et ses deux jeunes enfants
99 avec des milliers d’autres, femmes, hommes, enfants, on
100 dit donc qu’il y retourna et y finit ses études de médecine,
101 qu’il devint pédiatre, et qu’il consacra sa vie à soigner et à
102 aimer les enfants des autres.
103 La petite marchandise, elle, devint pionnière d’élite2.
104 Elle reçut un foulard rouge et une étoile rouge également à
105 épingler sur son corsage blanc. Une photo d’elle parut en
106 couverture d’un magazine, elle y était rayonnante. Le pho-
107 tographe lui avait demandé de sourire.
108 On dit même, mais on dit, je vous l’ai déjà dit, on dit
109 tellement de choses, que le grand médecin, de passage dans
110 ce pays – comme tous les ans il y venait le jour anniversaire
111 de la libération du camp qui avait englouti son épouse et
112 l’un de ses enfants ainsi que ses parents et les parents de

1. Elle faisait déjà l’article : elle vantait déjà les mérites de ses fromages.
2. Pionnière d’élite : membre des Pionniers, organisation de jeunesse
communiste, dont elle a le grade le plus élevé.

87

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 87 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

113 son épouse –, on dit donc qu’il vit cette photo, qu’il crut
114 reconnaître son épouse et sa propre mère, on dit même
115 qu’il écrivit au magazine d’État Jeunesse et Joie pour entrer
116 en contact avec la pionnière d’élite, Maria Tchekolova, qu’on
117 présentait comme la pionnière la plus méritante parce que
118 fille d’une pauvre femme, une pauvre bûcheronne illettrée
119 devenue marchande de fromages.
120 Non, on ne sait rien, ou du moins je n’ai rien entendu
121 dire moi-même, sur le succès ou l’échec de la tentative que
fit l’ex-père des jumeaux. On ne sait donc pas, et on ne saura
jamais, s’il a pu ou non retrouver enfin sa fille.

88

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 88 18/03/2021 18:01


7

Épilogue

1 V oilà, vous savez tout. Pardon ? Encore une question ?


2 Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? Une histoire
3 vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. Il n’y eut pas de trains
4 de marchandises traversant les continents en guerre afin de
5 livrer d’urgence leurs marchandises, ô combien périssables1.
6 Ni de camp de regroupement, d’internement, de concentra-
7 tion, ou même d’extermination. Ni de familles dispersées
8 en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux
9 tondus récupérés, emballés puis expédiés. Ni le feu, ni la
10 cendre, ni les larmes. Rien, rien de tout cela n’est arrivé, rien
11 de tout cela n’est vrai. Pas plus que ne le sont pauvre bûche-
12 ronne et son pauvre bûcheron, pas plus que les sans-cœur
13 et les chasseurs de sans-cœur. Rien, rien de tout cela n’est
14 vrai. Ni la libération des villes et des champs, des bois et
15 des camps, qui n’existaient pas. Ni les années qui suivirent
16 cette libération. Ni la douleur des pères et mères cherchant
17 leurs enfants disparus. Ni même les châles de prière frangés
18 et brodés d’or et d’argent. Ni l’homme à la chèvre et à la
19 tête cabossée, ni l’homme coiffé – Dieu merci si toutefois

1. Périssables : se dit de marchandises dont la durée de consommation est


limitée, ici cela concerne les déportés qui vont mourir.

89

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 89 18/03/2021 18:01


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

20 il existe ! –, ni l’homme coiffé d’une taupe éventrée et retour-


21 née en guise de chapeau. Rien, rien de tout cela n’est vrai.
22 Ni la hache du pauvre bûcheron, la hache qui coupa la taupe
23 en deux avant d’écrabouiller les deux misérables miliciens
24 chasseurs de sans-cœur.
25 Rien, rien n’est vrai.
26

27 La seule chose vraie, vraiment vraie, ou qui mérite de


28 l’être dans cette histoire, car il faut bien qu’il y ait quelque
29 chose de vrai dans une histoire sinon à quoi bon se décar-
casser à la raconter, la seule chose vraie, vraiment vraie
30 donc, c’est qu’une petite fille, qui n’existait pas, fut jetée
31 de la lucarne d’un train de marchandises, par amour et par
32 désespoir, fut jetée d’un train, enveloppée d’un châle de
33 prière frangé et brodé d’or et d’argent, châle de prière qui
34 n’existait pas, fut jetée dans la neige aux pieds d’une pauvre
35 bûcheronne sans enfant à chérir, et que cette pauvre bûche-
36 ronne, qui n’existait pas, l’a ramassée, nourrie, chérie, et
37 aimée plus que tout. Plus que sa vie même. Voilà.
38

39 Voilà la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires


comme dans la vie vraie. L’amour, l’amour offert aux enfants,
40 aux siens comme à ceux des autres. L’amour qui fait que,
malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n’existe pas, l’amour
qui fait que la vie continue.

90

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 90 18/03/2021 18:01


8

Appendice1 pour amateurs


d’histoires vraies

1 Le convoi numéro 45 partit de Drancy le 11 novembre


2 1942 avec à son bord sept cent soixante-dix-huit hommes,
3 femmes et enfants, dont un grand nombre de vieillards
4 et d’invalides, parmi lesquels figurait l’aveugle Naphtali
5 Grumberg, grand-père de l’auteur.
6 Deux rescapés en 1945.
7 Le convoi 49 partit le 2 mars 1943 transportant un millier
8 de juifs dont le père de l’auteur, Zacharie Grumberg, ainsi
9 que Silvia Menkès, née le 4 mars 1942, gazée le 4 mars 1943,
10 jour anniversaire de sa naissance.
11 En 1945 six survivants dont deux femmes.
12 Le Mémorial de la déportation des juifs de France, établi
13 en 1978 par Serge Klarsfeld d’après les listes alphabétiques
14 des Juifs déportés de France, fait office pour nombre
15 d’entre nous, enfants de déportés, de caveau de famille.
16 Cet ouvrage précise qu’Abraham et Chaja Wiesenfeld, ainsi
17 que leurs jumelles Fernande et Jeannine, nées à Paris le
18 9 novembre 1943, quittèrent Drancy le 7 décembre de cette
19 même année 1943, soit vingt-huit jours après leur naissance.
20 Convoi numéro 64 (voir Klarsfeld, op. cit.).

1. Appendice : partie ajoutée en prolongement d’un texte.

91

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 91 18/03/2021 18:01


9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 92 18/03/2021 18:01
t e x t e
m p r e n d re l e
Co

93

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 93 18/03/2021 18:01


Mon parcours de lecture

Vérifier sa compréhension du texte


Répondez aux questions suivantes.

1  Où le couple de bûcherons vit-il ? Que désire la pauvre


bûcheronne ?

2  Quels personnages rencontre-t-on pour la première fois


dans le train ?

3  Quelle « marchandise » pauvre bûcheronne reçoit-elle ?


Comment pauvre bûcheron l’accueille-t-il ?

4  Vers quelle destination roulent les voyageurs de ce train ?

5  Comment les sentiments de pauvre bûcheron à l’égard


de la petite marchandise évoluent-ils ?

6  Quel personnage vient plusieurs fois en aide à pauvre


bûcheronne ? En échange de quoi accepte-t-il de l’aider ?

7  Quels sont les personnages qui survivent à la fin de l’histoire ?


Que devient chacun d’eux dans le dernier chapitre ?

8  À qui le narrateur s’adresse-t-il dans l’épilogue ?

9  Qu’apprend-on dans l’« Appendice pour amateurs


d’histoires vraies » ?

94

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 94 18/03/2021 18:01


Donner ses impressions de lecture
1 Que pensez-vous du titre La plus précieuse des marchandises ?

2  À votre avis, pourquoi l’auteur a-t-il sous-titré son œuvre


« Un conte » ?

3 Selon vous, quels adjectifs qualifient le mieux le récit que vous


venez de lire ?

Captivant Effrayant Émouvant

Optimiste Révoltant Tragique

4 Quel personnage avez-vous préféré ? Dressez-en le portrait


et montrez comment ce personnage évolue du début à la fin
du récit.

5 Qu’avez-vous pensé de l’attitude des collègues du bûcheron,


en particulier du distillateur ?

6 Relevez au moins trois références à la Seconde Guerre mondiale


et expliquez-les. Vous pouvez vous aider des notes de bas
de page dans le texte.

7 Si vous pouviez écrire une lettre à l’auteur pour lui poser
des questions, lesquelles formuleriez-vous ?

95

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 95 18/03/2021 18:01


Analуser les passages clés

Extrait 1 « Il était une fois… » (chapitres 1 et 2, p. 12-26)


Comment le lecteur découvre-t-il l’intrigue du récit
derrière l’univers du conte ?
1 Quels éléments du chapitre 1 appartiennent à l’univers
traditionnel du conte merveilleux ?

2 Quelle période historique est évoquée dès la première page


du récit ? En quoi cela est-il surprenant pour un conte ?

3 À quel conte célèbre le narrateur fait-il allusion dans le premier


chapitre ? Comment comprenez-vous cette référence à la lecture
du deuxième chapitre ?

4 Reliez les événements suivants aux dates et lieux correspondants :

Événements Dates Lieux


Déportation P P Printemps 1942 P P Drancy
Internement en camp de détention P P Noël 1942 P P Paris
Naissance des jumeaux P P Février 1943 P P Train

5  LANGUE Relisez l’évocation du train vu par pauvre bûcheronne


dans le chapitre 1 (p. 15-16, l. 57-77). Choisissez ensuite
l’un des parcours suivants, puis répondez aux questions.
Parcours 1
Pauvre bûcheronne imagine que le train transporte des marchandises.
Faites-en la liste.

Parcours 2
Relevez les énumérations dans l’évocation du train. Que révèlent-elles
des espoirs de pauvre bûcheronne ?

96

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 96 18/03/2021 18:01


Parcours 3
En vous appuyant sur la description du train et les figures de style
récurrentes, montrez comment le train excite l’imagination
de pauvre bûcheronne.

6 Le train est-il perçu de la même manière par les passagers


qui s’y trouvent ? Complétez le tableau suivant à l’aide
du chapitre 2.

Point de vue Point de vue


de pauvre bûcheronne du père des jumeaux

7 À plusieurs reprises,


Repère littéraire
le narrateur manifeste Le point de vue du narrateur peut être :
sa présence et – externe (il raconte l’histoire comme
commente son texte. un simple témoin) ;
Relisez le début – interne à la première personne (c’est
du chapitre 1 (p. 13, un personnage de l’histoire) ou à la troisième
personne (il entre momentanément dans
l. 3-7). Quels procédés
les pensées d’un personnage) ;
emploie-t-il ? Quel est – omniscient (il sait tout des personnages,
l’effet produit sur de leurs pensées).
le lecteur ?

8 a. À la fin du chapitre 2, quel geste le père des jumeaux


s’apprête-il à effectuer et pourquoi ?
Comment les interventions de l’homme asthmatique
renforcent-elles la tension dramatique du récit ?
 . Comment le lecteur comprend-il alors que le destin
b
des personnages principaux est lié ?

97

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 97 18/03/2021 18:01


Analуser les passages clés

Extrait 2 « Les sans-cœur ont un cœur. »


(chapitres 9 à 11, p. 53-62)

Comment « la petite marchandise »


remet-elle en cause les convictions du bûcheron ?
1 Dans le chapitre 9, relevez les termes et expressions
qui appartiennent au champ lexical de la colère. Selon vous,
pourquoi le bûcheron rejette-t-il la petite marchandise ?

2 a. LANGUE Indiquez le niveau de langue et les types de phrases


employés dans les propos du bûcheron et de ses collègues
à l’encontre des « sans-cœur » (p. 60-62).
b. Quel sentiment ces procédés traduisent-ils ?

3 a. Relevez dans les chapitres 9 à 11 les expressions


qui caractérisent la petite fille, puis classez-les
dans le tableau suivant.

Chapitre 9 Chapitre 10 Chapitre 11

b. Surlignez de deux couleurs différentes les expressions


péjoratives et mélioratives . Que remarquez-vous ?

4 a. Quelle onomatopée


Coup de pouce Une onomatopée
est répétée dans le
est un mot qui imite le son de la chose
chapitre 11 ? que l’on souhaite nommer.
b. Selon vous, quel est Exemples : « boum » la chute ;
l’effet produit par cette « cui-cui » l’oiseau.
répétition ?

5 Observez le dernier paragraphe du chapitre 11 : quelle menace


implicite contient-il ?
98

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 98 18/03/2021 18:01


Extrait 3 « Vous voulez savoir si c’est
une histoire vraie ? » (chapitre 20, épilogue et appendice, p. 83-91)
Quelles leçons peut-on tirer du conte ?
1 a. Observez le premier paragraphe de l’épilogue (p. 89).
Qui est désigné par la périphrase « leurs marchandises,
ô combien périssables » (l. 5) ? Vous pouvez vous aider des notes
de bas de page.
b. Relevez dans le passage Coup de pouce La périphrase
une autre expression est une figure de style qui consiste
construite sur ce même à remplacer un mot par sa définition.
procédé. Selon vous, quel est Exemple : « la capitale de la France »
l’effet recherché par l’auteur ? pour « Paris ».

2 a. Reportez dans le tableau suivant les faits et personnages


énumérés dans l’épilogue qui appartiennent au récit et ceux
qui appartiennent à l’Histoire.

Les éléments du récit Les références à l’Histoire

t-ce que le
es

nég
Qu

 . À votre avis, l’auteur pense-t-il réellement


b ationnis
que « Rien, rien n’est vrai » ? me
Quel registre emploie-t-il ici et que dénonce-t-il
?

implicitement ?

3 Parmi les déportés évoqués dans l’« Appendice pour amateurs


d’histoires vraies », quels sont ceux qui se rapprochent des
personnages de l’histoire ?

4 D’après le narrateur, à la fin de ce conte, quelle est « la seule chose


qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vie vraie » ?

99

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 99 18/03/2021 18:01


Comprendre les enjeux du texte

Des personnages aux destins croisés


1 a. Deux couples sont évoqués dans le conte, lesquels ?
À la fin du conte, quels personnages ont survécu ?
 . Quels sont les deux moments du conte où ces personnages
b
se croisent « physiquement » ?

2 a. Quel personnage solitaire joue aussi un rôle important ?


Entourez les périphrases employées par le narrateur pour
le désigner.
Le distillateur L’homme à la chèvre L’homme à la tête cassée

L’homme au fusil Pauvre bûcheron

b. Comment le point de vue de pauvre bûcheronne sur


ce personnage évolue-t-il ?

c.  Et vous, que pensez-vous de ce personnage ?

3 a. Quel personnage fait le lien entre ceux évoqués aux


questions 1 et 2 ?
b. En vous appuyant sur les expressions qui le désignent
à différentes étapes de l’histoire, montrez comment
ce personnage passe de « petit paquet » à « petite marchandise »,
pour devenir enfin « la plus précieuse des marchandises ».
« La plus précieuse
« Petit paquet » « Petite marchandise »
des marchandises »

100

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 100 18/03/2021 18:01


Dire l’indicible
4 Que désignent les expressions « la bureaucratie de la mort » et
« la monstrueuse industrie de la mort » ? Selon vous, pourquoi
l’auteur emploie-t-il ces périphrases ?

5 Relevez dans le texte des exemples de jeux de mots et


d’expressions détournées. Expliquez l’effet comique produit.

6 Les interventions du narrateur sont souvent ironiques. Relevez


trois exemples et expliquez-les.

7 Relisez les chapitres 2, 5 et 12 : qu’y apprend-on sur le sort


réservé aux déportés ?
i n t e r vi e
ne

w
U

de l’auteu
Un conte pour réfléchir r

8   À plusieurs reprises, l’homme à la tête cassée rappelle que


« Rien dans la vie ne se donne sans contrepartie ». Dans quelle
mesure cette phrase pourrait-elle constituer une morale
du conte ? Débattez-en en classe.

9 Quel espoir le père des jumeaux nourrit-il ? Est-il récompensé ?

10 Selon vous, en adoptant la forme du conte et en recourant


à l’humour, que vise ce récit ?

101

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 101 18/03/2021 18:01


S’exprimer à l’oral et à l’écrit

Vocabulaire
Coup de pouce Le zeugma consiste
1 Identifiez les figures de styles à coordonner dans un groupe verbal
présentes dans les phrases deux éléments différents sur le plan
de la syntaxe et du sens. En grec,
suivantes. Aidez-vous
zeûgma signifie «attelage».
d’un dictionnaire si nécessaire.

« Seule leur mère, débordante de lait


et d’espoir, sut les calmer. » (p. 20) P
P Anaphore
« Ils cessèrent bientôt de hurler en chœur et enfin,
confiants, continuèrent à téter en rêve. » (p. 20) P
P Énumération
« La honte, la honte partagée, la honte voulue,
prévue par ceux qui les expédiaient P
on ne sait où. » (p. 23) P Euphémisme

« Les réduire à rien d’abord,


puis à moins que rien, ne rien laisser P P Gradation
d’humain en eux, soit. » (p. 23)

« Le train de marchandises, désigné comme P Métaphore


convoi 49 par la bureaucratie de la mort » (p. 40) P

« Le train […] arriva le 5 mars au matin P Parallélisme


au cœur de l’enfer, son terminus. » (p. 40) P

« [Diane et Henri] s’affranchirent de toute pesanteur P Périphrase


en gagnant les limbes du paradis P
promis aux innocents. » (p. 41)
P Zeugma
« Notre héros, ex-raseur de crâne,
ex-étudiant en médecine, ex-père de famille, P
ex-vivant devenu ombre. » (p. 83)

102

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 102 18/03/2021 18:01


2 Quelles expressions ou jeux de mots se cachent dans les phrases
suivantes ? Expliquez leur sens.

a. « Fallait-il les laisser naître ainsi sous une bonne étoile jaune ? » (p. 19, l. 14-15)

b. « Coiffeur ? Va pour coiffeur. Il était inutile de couper les cheveux en quatre »


(p. 19, l. 24-25)

c. « Fort heureusement également, pauvre bûcheron, épuisé comme il l’était,


ne tardait guère à dodeliner du bonnet avant de s’effondrer tête sur la
table, et de s’endormir ainsi du sommeil des injustes. » (p. 52, l. 25-33)

d. « Il crachait ainsi sa bile la plus noire tout en éprouvant lui-même un trouble. »


(p. 54, l. 37)

e. « Pauvre bûcheron se levait avant l’aube afin de donner tout son temps
et toutes ses forces de travail à la construction de bâtiments militaires
d’intérêt général et même caporal. » (p. 14, l. 37-39)

Activités orales
3 À l’origine, les contes étaient transmis oralement. À votre tour,
faites une lecture expressive d’un chapitre du récit.

• Sélectionnez un passage du conte qui vous plaît (environ deux pages).


• Entraînez-vous à le lire plusieurs fois à voix haute. Soignez votre
débit et veillez à parler distinctement. Pensez à varier le ton, pour
rendre votre récit dynamique et captivant.
• Pour vous corriger et améliorer votre lecture, enregistrez-vous sur
un dictaphone ou un logiciel comme Audacity®.
• Lisez votre texte devant vos camarades.

103

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 103 18/03/2021 18:01


S’exprimer à l’oral et à l’écrit

4 Transposez le chapitre 4 en scène de théâtre que vous jouerez


devant vos camarades.

• Par groupes de deux élèves, répartissez-vous les rôles de pauvre


bûcheron et pauvre bûcheronne.
• Identifiez les répliques des personnages et les passages narratifs.
Vous transformerez ceux-ci en didascalies (indications de mise
en scène).
• Apprenez vos répliques par cœur, en veillant à ce que votre ton
et vos gestes correspondent au sens
du texte et à l’intention des personnages. Méthode Pour apprendre
votre texte, surlignez vos
• Jouez la scène devant la classe. répliques et lisez-les d’abord
plusieurs fois à haute voix.

5 Imaginez le discours que le père des jumeaux aurait pu faire


en retrouvant sa fille à la fin du conte.

• Au brouillon, listez les arguments qu’il lui donnerait pour justifier


le fait de l’avoir abandonnée.
• Classez ces arguments du moins fort au plus fort.
• Réfléchissez aux émotions du personnage à ce moment précis.
• Prononcez ce discours
devant la classe,
Coup de pouce Aidez-vous
en employant un ton adapté. de votre connaissance de l’œuvre
et des passages où le père des jumeaux
repense à son geste pour dresser
la liste de vos arguments.

104

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 104 18/03/2021 18:01


Activités écrites
6 Imaginez le contenu d’un des papiers jetés du train et ramassés
par pauvre bûcheronne.

• Votre texte devra faire 5 à 10 lignes.


• Aidez-vous du contexte du récit et de vos connaissances en histoire
pour écrire le message.

7 Après que son mari a jeté la petite fille à travers la lucarne


du train, la mère des jumeaux refuse de lui adresser la parole.
Imaginez sa réaction si elle acceptait de lui parler. Rédigez
pour cela un dialogue entre les deux personnages.

• Préparez le contenu des prises de parole de chaque personnage


en imaginant les reproches de la mère et la justification du père.
• Veillez à respecter la présentation du dialogue (guillemets, tirets)
et à varier les verbes de paroles : dire, répondre, affirmer, poursuivre…
• Rédigez un texte d’une trentaine de lignes.

8 À votre tour, écrivez un conte pour évoquer votre enfance.

• À la manière de Jean-Claude Grumberg, imaginez un récit


et des personnages qui vous permettront d’aborder votre histoire
personnelle par la mise à distance et le détour.
• Vous veillerez à respecter les procédés d’écriture propres
au conte (formule traditionnelle, personnages types, temps du récit
au passé...).

105

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 105 18/03/2021 18:02


Histoire des arts

Lecture d’images
Observez attentivement les images pages 26, 32 et 56
et répondez aux questions suivantes.

Une famille en construction


1  Observez les images proposées et décrivez-les : nature
de l’image, composition, couleurs.
2  Dans les deux photographies de mise en scène (p. 26 et 32),
identifiez les personnages. Comment les avez-vous reconnus ?
3  À quels passages du conte chacune de ces images pourrait-elle
correspondre ?
4  Comment les images des pages 32 et 56 montrent-elles une
évolution dans la relation que pauvre bûcheron entretient avec
« la petite marchandise » ?

À vous de jouer !
Réalisez une bande-annonce
Vous êtes réalisateur(trice) et devez, par groupes de six à
huit élèves, imaginer la bande-annonce d’une adaptation du conte.
Étape 1Réalisez d’abord un storyboard : déterminez trois moments
clés du conte, puis découpez-les en plans. Illustrez-les ensuite par
des images, accompagnées de courts textes.
Étape 2 Distribuez les différents rôles techniques (cadreur,

technicien du son…) et artistiques (acteurs, maquilleur…).


Donnez des indications de jeu à vos acteurs et répétez
les différentes scènes. Lorsque tout le monde est prêt… action !
Étape 3À l’aide d’un logiciel de montage (Movie Maker®, Final
Cut …) ou de votre smartphone, enchaînez les plans. Insérez
®

enfin des éléments textuels (date de sortie, nom des acteurs…).

106

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 106 18/03/2021 18:02


Atelier cinéma
Le Dictateur
de Charlie Chaplin
Année de sortie : 1940
Images : noir et blanc
Genre : comédie satirique
Principaux interprètes : Charlie Chaplin,
Paulette Goddard, Jack Oakie

Le réalisateur
Charlie Chaplin, né en 1889, est un acteur, réalisateur, producteur
et compositeur britannique. Devenu célèbre grâce au cinéma
muet et burlesque, il signe en 1940 son premier film parlant avec
Le Dictateur, dans lequel il parodie Hitler et dénonce les mesures
antisémites durant la Seconde Guerre mondiale.

Le film Vi
s io n n e z l

as
En Tomania, un jeune barbier juif regagne son salon

équ ence
dans un ghetto après des années d’absence. Amnésique,
il ignore les discriminations anti-juives instaurées
par Adenoid Hynkel, le dictateur, auquel notre barbier
ressemble étrangement…
1  Comment le spectateur comprend-il que le barbier retrouve
son salon après plusieurs années ?
2  Que signifient les inscriptions en lettres blanches sur les vitrines
des magasins ? Par qui sont-elles inscrites et pourquoi ?
3  En quoi cette scène est-elle comique ? Selon vous, pourquoi
le réalisateur choisit-il l’humour pour évoquer la discrimination
des Juifs ?

107

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 107 18/03/2021 18:02


108

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 108 18/03/2021 18:02


s e n t i e l
r l ’e s
Re teni

109

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 109 18/03/2021 18:02


Les personnages
Des personnages
aux destins croisés

ROSE, LA PETITE MARCHANDISE


Rose (Rouhrele en yiddish) est née au printemps 1942
avec son frère jumeau, Henri (Hershel en yiddish). Avec
leurs parents, ils sont internés au camp de Drancy puis
déportés, en février 1943, vers un camp d’extermination
nazi. Sauvée par un geste d’amour désespéré de son père,
qui la jette hors du train, elle est recueillie par pauvre
bûcheronne et pauvre bûcheron. Grâce à eux, elle survit
à la Shoah. Rebaptisée Maria Tchekolova, elle deviendra
membre d’une organisation de jeunesse communiste.

LE PÈRE
Au début du récit, le père des jumeaux est étudiant en méde-
cine. Raflé avec sa femme et ses enfants, il est interné dans
le camp de Drancy. Dans le train qui les conduit ensuite vers
les camps de la mort, il se saisit d’un des jumeaux qu’il jette
du train, enveloppé d’un châle de prière, pour le confier à pauvre
bûcheronne. À l’arrivée au camp d’extermination, sa femme,
Dinah, et son fils, Henri, sont tués ; lui est assigné à la tonte
des déportés. Survivant à la libération des camps, il retrouve
par hasard sa fille, à la fin du conte ; il la reconnaît immédiate-
ment, mais décide de ne pas lui dévoiler son identité.

110

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 110 18/03/2021 18:02


PAUVRE BÛCHERONNE
Pauvre bûcheronne vit dans
la forêt avec son mari, sans
enfant. Elle arpente les bois
PAUVRE BÛCHERON
à la recherche de fagots Le mari de pauvre bûcheronne a
pour chauffer leur misérable été réquisitionné pour des travaux
maison. Elle est fascinée d’intérêt général. Rustre et peu
par le train de marchandises bavard, il déteste les « sans-
qui passe tous les jours et cœur », autrement dit les Juifs.
espère en voir tomber quelque C’est la raison pour laquelle
nourriture. Un jour, une main il refuse que sa femme garde
lui fait signe de prendre un la petite fille tombée du train.
paquet qui exauce autre- Il accepte toutefois qu’elle
ment ses prières : il s’agit la nourrisse à l’écart du logis, puis
d’un enfant ! La pauvre femme, finit peu à peu par l’aimer comme
qui désespérait d’en avoir un, un véritable père. Cet amour le
supplie son mari de garder et pousse même à se révolter contre
d’élever ce qu’elle considère l’antisémitisme de ses collègues
comme un don des dieux. et, ainsi, à attirer l’attention de
la milice sur l’enfant cachée...

L’HOMME À LA CHÈVRE ET À LA TÊTE CASSÉE


Cet ancien soldat, mutilé pendant la Première Guerre
mondiale, vit au fond des bois, refusant toute compagnie
humaine. Pauvre bûcheronne obtient qu’il lui donne du
lait de sa chèvre pour nourrir la petite fille, en échange
de fagots de bois. À la mort de pauvre bûcheron, l’homme
à la chèvre recueille pauvre bûcheronne et sa fille. Il est
abattu par l’armée soviétique qui libère les territoires
occupés par l’Allemagne nazie.

111

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 111 18/03/2021 18:02


Les lieux

Les lieux du récit

LE BOIS
L’action du conte se situe dans un grand
bois, dont la situation géographique n’est
pas clairement précisée. C’est un lieu froid
et hostile, et peu de gens y vivent : un couple
de bûcherons et, dans un lieu plus sombre et
reculé, un homme et sa chèvre.

LA MAISON DES BÛCHERONS


Pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne
vivent dans une maison misérable située
dans le bois. La petite marchandise est
d’abord recueillie dans la remise. Mais,
l’affection de pauvre bûcheron pour la
petite fille grandissant, celle-ci finit par
rejoindre le foyer, jusqu’à ce que la milice
vienne la chercher.

LE TRAIN
Le bois est traversé par une ligne de chemin de fer
sur laquelle circule des trains de marchandises,
qui ne sont autres que des convois nazis en route
pour les camps de la mort. Les personnes sont
transportées dans des wagons à bestiaux, dans
des conditions plus que sommaires.

112

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 112 18/03/2021 18:02


LE TRAJET DU TRAIN

Suède
Danemark Lituanie
URSS
Royaume-Uni
Pays-Bas Allemagne Pologne
Belgique Auschwitz
Tchécoslovaquie
Drancy
Autriche
France Suisse Hongrie Roumanie

Croatie
Italie Bulgarie
Espagne
Frontières avant la guerre Troisième Reich Pays cités dans le récit
Trajet du train

LES CAMPS
Le train circule d’ouest en est (de la France à la
Pologne) dans l’Europe occupée par l’Allemagne
nazie durant la Seconde Guerre mondiale. En février
1943, le train qui emporte la petite marchandise,
son frère jumeau et ses parents part de la gare de
Bobigny, près du camp d’internement de Drancy,
en région parisienne, où ils se trouvaient depuis
plusieurs mois. Après un voyage de trois jours dans
des conditions inhumaines, ils parviennent « au cœur
de l’enfer, son terminus » : le camp d’extermination
d’Auschwitz, en Pologne. Le nom du camp n’est
jamais cité, mais le narrateur évoque la Pologne,
et l’on sait que les convois au départ de Drancy
avaient pour destination prioritaire Auschwitz.
Le père des jumeaux survit jusqu’à la libération du
camp par l’armée soviétique en janvier 1945. Il est
ensuite conduit jusqu’à un camp de regroupement,
où les rescapés étaient recueillis.

113

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 113 18/03/2021 18:02


L’intrigue
Il était une fois… une précieuse
petite marchandise
Pauvre bûcheronne vit seule dans les bois avec pauvre bûcheron.
Affamée, elle rêve que le train qu’elle voit tous les jours passer lui apporte
de quoi survivre. Un jour, une main fait passer un paquet par la lucarne :
c’est une petite fille que son père, un déporté juif, tente de sauver.

La pauvre femme supplie son mari d’adopter l’enfant. Il refuse d’abord mais,
peu à peu, finit par l’aimer et par la considérer comme sa propre fille. De son
côté, le père de la petite fille, à son arrivée au camp d’extermination, a perdu
sa femme et son fils, et a été affecté à la tonte des déportés.

114

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 114 18/03/2021 18:02


Un jour, pauvre bûcheron s’insurge devant
l’antisémitisme de ses collègues, ce qui éveille
les soupçons d’un homme qui le dénonce
à la milice. Pauvre bûcheron est tué. Pauvre
bûcheronne et l’enfant se réfugient chez
l’homme à la tête cassée, dont la chèvre avait
autrefois nourri la petite marchandise.

À la fin de la guerre, l’homme à la tête cassée est tué et pauvre bûcheronne


et sa fille tentent de survivre en vendant du fromage dans un village.
Le père, rescapé du camp, y rencontre par hasard sa fille et découvre qu’elle
a survécu grâce à son geste. Il décide de la laisser avec sa mère adoptive.

À vous de jouer !
Quel moment de l’histoire vous a particulièrement marqué(e)
ou ému(e) ? Expliquez pourquoi.

115

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 115 18/03/2021 18:02


Bilan
Un conte pour se souvenir d

1 L’univers du conte traditionnel


a. Un genre revendiqué b. Un cadre spatio-
Dès le premier chapitre, temporel indéterminé
le narrateur fait référence à L’action du conte est située
un conte patrimonial (« Il « dans un pays lointain »
était une fois ») dans lequel et « dans un bois », dont
des parents pauvres doivent certains recoins sont sombres
abandonner leurs enfants et inquiétants, comme dans
faute de pouvoir les nourrir : de nombreux contes
Le Petit Poucet. traditionnels.

c. Les références d. Des personnages


au merveilleux stéréotypés
Pauvre bûcheronne voit dans Comme dans la plupart
le châle qui entoure des contes, les personnages ne
la petite marchandise portent pas de noms mais sont
un objet magique tissé par désignés par leur métier (pauvre
les fées, de même qu’elle bûcheron, le distillateur…) ou une
considère cette enfant de leurs particularités (l’homme
comme un don des dieux à la chèvre et à la tête cassée).
du train. L’homme à la tête
cassée est, lui, présenté
e. Les marques de l’oralité
comme un personnage
Les contes sont des récits
maléfique, comparé à
qui ont d’abord été transmis
un ogre effrayant.
oralement : le narrateur reprend
cette tradition en employant des
onomatopées et des tournures
familières propres au langage
oral (« oui oui oui », p. 13 ; « gloup
gloup gloup », p. 60...).

Activité 1, p. 118

116

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 116 18/03/2021 18:02


r de la Shoah

2 Un ancrage historique
a. Des dates et des lieux précis b. L’évocation de la
Des dates (Noël 1942, 2 mars 1943, Seconde Guerre mondiale
5 mars au matin…) et des lieux La guerre est explicitement
(Drancy, Bobigny-Gare…) sont mentionnée, de même que
évoqués, ce qui ancre le conte, certains de ses acteurs :
au cadre spatio-temporel les « verts-de-gris » (les
indéterminé, dans une période Allemands), les « rouges »
historique précise. (les Soviétiques)…

c. Les références à la Shoah


Pogroms, mesures et insultes antisémites, délation, déportation
et extermination des Juifs sont mentionnés tout au long du texte.
Activité 2, p. 119

3 Un conte satirique et philosophique


a. Les procédés de la satire b. Les leçons du récit
Le narrateur intervient L’épilogue rappelle
directement dans son texte pour aux lecteurs leur devoir
le commenter. Il emploie des de mémoire. Il les invite à
procédés satiriques : incises, jeux la tolérance et condamne
de mots, périphrases l’antisémitisme et
et euphémismes. le négationnisme.

c. Un chant d’amour et d’espoir


Le récit veut faire vivre à jamais « la petite graine » de l’espoir et
faire l’éloge de l’amour : celui de parents prêts à tout pour que vive
leur enfant, celui d’un homme en marge qui ouvre sa maison à
des inconnues dans le besoin.
Activité 3, p. 119

117

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 117 18/03/2021 18:02


Bilan
À vous de jouer !
Activité
 1 Le conte présente deux histoires : celle du couple de
bûcherons et celle de la famille des jumeaux. Replacez
les événements suivants sur les axes chronologiques.

La famille des jumeaux


a. Il prend un des enfants et le fait passer par la lucarne du train.
b. Déporté avec sa femme et ses jumeaux, il quitte le camp
de Drancy dans un wagon à bestiaux.
c. Libéré, il retrouve sa fille, mais ne révèle pas son identité.
d. Parvenus au camp d’extermination, sa femme et son fils sont
tués. Lui survit jusqu’à la libération du camp.
1 3
2 4

Pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron


a. L’homme à la chèvre recueille pauvre bûcheronne et sa fille
chez lui, mais il est tué.
b. Pauvre bûcheronne implore les dieux de lui donner un enfant.
c. Pauvre bûcheronne négocie avec l’homme à la chèvre le lait de
son animal contre des fagots de bois.
d. Pauvre bûcheron rejette d’abord l’enfant.
e. La milice vient chercher la petite fille et tue pauvre bûcheron.
f. Pauvre bûcheronne et sa fille vont vendre des fromages au village.
1 3 5
2 4 6

Réponses : b • a • d • c – b • d • c • e • a • f.

118

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 118 18/03/2021 18:02


À vous de jouer !
Activité
 2 À l’aide des indications suivantes, décodez les périphrases
employées dans le texte pour désigner les nazis.
1A – 2E – 3I – 4O – 5U

L2S B45RR21UX D2V4R25RS D’2T43L2S L2S T2T2S D2 M4RT

L2S V2RTS-D2-GR3S L2S CH1SS25RS D2 S1NS-C42R

Activité
 3 Pauvre bûcheronne ramasse des papiers jetés du train,
qu’elle ne sait pas lire. Aidez-la à reconstituer le message
suivant en trouvant les lettres manquantes.

Les s s-cœ r o t un c u .

3. Les sans-coeur ont un coeur.


Réponses : 2. Les bourreaux dévoreurs d'étoiles • Les têtes de mort • Les verts-de-gris • Les chasseurs de sans-coeur –

Évaluez-vous ! Comptez 1 point par bonne réponse


et gravissez les marches du podium.
Jusqu’où irez-vous ?

15 20
12
1 3 6 10
119

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 119 18/03/2021 18:02


Magdalena Russocka, Étoile jaune, 2019, photographie.

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 120 18/03/2021 18:02


Magdalena Russocka, Étoile jaune, 2019, photographie.

l e c t u r e
o n g e r l a
P r o l

121

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 121 18/03/2021 18:02


Groupement de textes
Dénoncer les horreurs de l’Histoire
Une nouvelle pour s’insurger contre le totalitarisme
Eugène Ionesco, « Rhinocéros »
Eugène Ionesco (1909-1994) écrit cette nouvelle, également adap-
tée en pièce de théâtre, après la Seconde Guerre mondiale, dans un
contexte encore marqué par les dictatures. Dans ce récit, une épidémie
de « rhinocérite » se répand dans la ville où se passe l’action : les habi-
tants se transforment un à un en rhinocéros… Implicitement, c’est le
totalitarisme, contagieux, inhumain et dur comme la peau d’un rhino-
céros, qui est dénoncé. Dans cet extrait, le narrateur rend visite à son
ami Jean, qu’il trouve malade.
Avant de lâcher son poignet, je m’aperçus que ses veines étaient
toutes gonflées, saillantes. Observant de plus près, je remarquai
que non seulement les veines étaient grossies mais que la peau tout
5 autour changeait de couleur à vue d’œil et durcissait.
« C’est peut-être plus grave que je ne croyais », pensais-je.
– Il faut appeler le médecin, fis-je à voix haute.
– Je me sentais mal à l’aise dans mes vêtements, maintenant
mon pyjama aussi me gêne, dit-il d’une voix rauque1.
10 – Qu’est-ce qu’elle a, votre peau ? On dirait du cuir… (Puis le
regardant fixement :) Savez-vous ce qui est arrivé à Bœuf ? Il est
devenu rhinocéros.
– Et alors ? Ce n’est pas si mal que cela ! Après tout, les rhinocéros
sont des créatures comme nous, qui ont droit à la vie au même titre
15 que nous…
– À condition qu’elles ne détruisent pas la nôtre. Vous rendez-
vous compte de la différence de mentalité ?
– Pensez-vous que la nôtre soit préférable ?
– Tout de même, nous avons notre morale à nous que je juge
20 incompatible avec celle des animaux. Nous avons une philosophie,
un système de valeurs irremplaçables…

1. Rauque : enrouée.

122

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 122 18/03/2021 18:02


– L’humanisme1 est périmé ! Vous êtes un vieux sentimental
ridicule. Vous me racontez des bêtises.
– Je suis étonné de vous entendre dire cela, mon cher Jean !
Perdez-vous la tête ?
25 Il semblait vraiment la perdre. Une fureur aveugle avait défiguré
son visage, transformé sa voix à tel point que je comprenais à peine
les mots qui sortaient de sa bouche.
– De telles affirmations venant de votre part…, voulus-je continuer.
Il ne m’en laissa pas le loisir. Il rejeta ses couvertures, arracha
30 son pyjama, se jeta sur son lit, entièrement nu (lui, lui, si pudique2
d’habitude !), vert de colère des pieds à la tête.
La bosse de son front s’était allongée ; son regard était fixe, il ne
semblait plus me voir. Ou plutôt si, il me voyait très bien car il fonça
vers moi, tête baissée. J’eus à peine le temps de faire un saut de côté,
35 autrement il m’aurait cloué au mur.
– Vous êtes rhinocéros ! criai-je.
– Je te piétinerai ! Je te piétinerai ! pus-je encore comprendre en
me précipitant vers la porte.
Eugène Ionesco, « Rhinocéros » [1957], dans 3 nouvelles engagées,
Belin Éducation, « Déclic », 2020, © Éditions Gallimard.

Une pièce de théâtre contre l’antisémitisme


Jean-Claude Grumberg, Le Petit Chaperon Uf
Dans cette pièce de théâtre, Jean-Claude Grumberg (né en 1939)
détourne le conte du Petit Chaperon rouge pour évoquer la discrimi-
nation envers les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le caporal
Wolf, un soldat allemand déguisé en loup, interpelle la petite fille pour
un contrôle d’identité. Elle sera plus tard nommée « UF », nom étrange
auquel deux lettres manquent pour former le mot « Juif ».

1. Humanisme : philosophie qui place l’homme et son épanouissement


au-dessus de toutes les autres valeurs.
2. Pudique : qui ne veut pas se montrer dévêtu en public.

123

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 123 18/03/2021 18:02


Groupement de textes

Scène 1
À l’orée d’un bois, non loin d’un village.
Un loup déguisé en garde municipal s’adresse au public.

Le loup. – Bonjour, bonsoir petits enfants, ici votre vieil oncle Wolf
qui raconte histoire bon vieux temps, histoire Petit Chaperon reron…
Chaperereuuaaaaah ! Histoire Petit Capuchon. Vous connaître ? Ça fait
rien, Wolf raconte quand même. Silence fixe repos ! Wolf commence. Il
5 y avait une fois non pas marchande foi dans ville de Foix il y avait une
fois petite fille village, tiens elle, arrive…
Paraît le Petit Chaperon vêtu de rouge qui s’adresse au public.
Petit Chaperon. – Bonjour bonjour je suis une petite fille de village
toujours vêtue de rouge si bien que tout le monde au village m’appelle
le Petit Chaperon…
10 Wolf (l’interrompant). – Papapapapapapapapapa pardon Petit
Capuchon !
Petit Chaperon. – Bonjour monsieur.
Wolf (portant une main à sa visière). – Caporal Wolf.
Petit Chaperon. – Enchantée, Chaperon Rouge.
15 Wolf. – Document !
Petit Chaperon. – Comment ?
Wolf. – Document ! Papiers papirs, laissez-passer ausweis permis séjour
carte immatriculation passeport carte grise verte bleue ! Exécution !
Petit Chaperon. – Pourquoi ? je passe ici tous les jours on me
20 demande jamais rien.
Wolf. – Aujourd’hui montre document tonton Wolf.
Petit Chaperon. – Pourquoi ?
Wolf. – Parce que loi.
Petit Chaperon. – Loi ?
25 Wolf. – Loi dit montre document, exécution rapide fixe repos !

124

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 124 18/03/2021 18:02


Petit Chaperon. – Et c’est la loi depuis quand ?
Wolf. – Ce matin.
Petit Chaperon. – Ah bon, tenez.
Wolf. – Aaaaaaaaaaaaaaah ! Qu’est-ce que Wolf voit là ?
30 Petit Chaperon. – Mon document.
Wolf. – Exact, oui. Et Wolf voit quoi sur document ?
Petit Chaperon. – Ma photo.
Wolf. – Ouiiiiii, photo jolie, très jolie.
Petit Chaperon. – Merci.
35 Wolf. – Pas de quoi, et quoi encore Wolf voit ?
Petit Chaperon. – Mon nom et mon adresse.
Wolf. – Oui, oui, je note, je note, nom adresse. Petit Chaperon vit
encore chez papa maman ?
(Elle approuve. Il griffonne sur son carnet.)
Je note. Et quoi voir Wolf encore sur document à toi ?
40 Petit Chaperon. – Ma date de naissance.
Wolf. – Exact, exact, absolu exact, date de naissance, je note. Et
dans ce coin-là là-haut que voit Wolf ?
Petit Chaperon. – Je sais pas.
Jean-Claude Grumberg, Le Petit Chaperon Uf,
Actes Sud, 2005.

Une bande dessinée pour peindre l’horreur des camps


Art Spiegelman, Maus
Maus est un roman graphique dans lequel le dessinateur, Art Spiegelman
(né en 1948), raconte la vie de son père Vladek, Juif polonais déporté à
Auschwitz. Il représente de façon détournée les différents acteurs de
l’Histoire, sous les traits d’animaux : les souris sont les Juifs, victimes des
chats nazis.

125

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 125 18/03/2021 18:02


Groupement de textes
Art Spiegelman, Maus, Flammarion, 1998.

247
126

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 126 18/03/2021 18:02


Vous aimerez aussi…

Livres Jean-David

MORVAN | EVRARD | TRÉFOUËL | WALTER


MORVAN | EVRARD | TRÉFOUËL | WALTER

Morvan, Irena 1 – L E G H E T TO

Primo Levi, Si c’est un homme Glénat, 2017

1
(1947) L'histoire d'Irena
Flammarion, 1988 Sendlerowa,
résistante polonaise,
C’est l’histoire d’une femme ordinaire

Si c’est un homme
qui réalisa quelque chose d’extraordinaire,
dans des circonstances insensées,
pendant une période effroyable.

PRZYGODA...

qui sauva près de


ISBN 978-2-344-01363-2

est le témoignage
CODE PRIX GL54 85.1630.9

2 500 enfants juifs du ghetto


501 IRENA T01[BD].indd 1 31/10/2019 16:14

autobiographique
de Primo Levi (1919- de Varsovie.
1987) survivant du
camp d’extermination
d’Auschwitz où il fut déporté
Films
de février 1944 à janvier 1945. Steven Spielberg,
La Liste de
Simone Veil, Schindler, 1993
Une jeunesse au Ce film raconte
temps de la Shoah comment Oskar
Le Livre de Poche, 2010 Schindler, un
industriel allemand, parvint
Ce texte à visée
à protéger de nombreux Juifs en
pédagogique contient les faisant travailler dans son usine,
des extraits de la et à sauver de la mort près
biographie de Simone Veil, Une vie, d’un millier de déportés.
dans laquelle elle raconte notamment
sa déportation à Auschwitz, à l’âge Alain Resnais,
de seize ans. Nuit et Brouillard,
1956
Bandes dessinées Ce documentaire
sur la déportation
Sid Jacobson et Ernie Colón, et les camps de
La vie d’Anne Frank en bande concentration nazis
dessinée tire son nom du décret
du 7 décembre 1941, qui ordonne
Belin Éducation, 2021
la déportation de tous les ennemis
La Parure et autres nouvelles sur les apparences

Cette bande dessinée du Troisième Reich.


est une adaptation du
journal intime d’une La viebad’
Anne inFréean
k
Site Internet
Gu de Maupassant

e dess
en nd
jeune fille juive allemande Sid Jacobs
l i re
on et Ern
écouter
ie Colón
voir
Bande dessin
ée et dossie
r

exilée aux Pays-Bas, www.memorialdelashoah.org


cachée durant deux ans (1942-1944) Ce site propose de nombreuses
dans une maison à Amsterdam, sous ressources sur la Shoah (documents,
l’occupation allemande. témoignages…).

127

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 127 18/03/2021 18:02


Crédits iconographiques
Couverture : © Trevillion Images/Jake Olson ; p. 5 : Leemage/UIG ; p. 6 : © Serge Kribus ;  p. 8 : © Des
Ronds dans l’O ; p. 11 : © Trevillion Images/Magdalena Russocka ; p. 12 : © Trevillion Images/Sandra
Cunningham ; p. 17 : Photo12/7e Art/Universal Pictures ; p. 21 : Bridgeman Images ; p. 26 : Antoine
de Saint Phalle ; p. 32, 93 : Antoine de Saint Phalle ; p. 39 : Bridgeman Images/Bequest from the
Collection of Maurice Wertheim, Class 1906/© Succession Picasso 2021 ; p. 43 : AKG-Images ; p. 56 :
Leemage/Photo Josse ; p. 68 : AKG-Images ; p. 73, 109 : AKG-Images ; p. 76 : Leemage/Alessandro
Lonati ; p. 81 : Leemage/Photo Josse ; p. 107 : Le Dictateur © Roy Export S.A.S ; p. 121 : © Trevillion
Images/Magdalena Russocka ; p. 126 : © Flammarion, 2019 pour la présente édition. Avec l’aimable
autorisation de Flammarion. Copyright © MAUS: A Survivor’s Tale: My Father Bleeds History
Copyright © 1973, 1980, 1981, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986, Art Spiegelman All rights reserved/
MAUS II: A Survivor’s Tale: And Here My Troubles Began Copyright © 1986, 1989, 1990, 1991, Art
Spiegelman All rights reserved ; p. 127hg : © Pocket, un département d’Univers Poche, pour la
présente édition ; p. 127mg : © Le Livre de Poche ; p. 127bg : © Humensis/Belin Education ; p. 127hd :
© Éditions Glénat 2017 ; p. 127md : Photo12/7e Art/Universal Pictures ; p. 127bd : AKG-Images/Album/
Argos Film.

Création couverture : SAJE.


Maquette intérieure et direction artistique : Studio Graphique Humensis.
Mise en pages : Ariane Aubert.
Illustrations (p. 110-115) : Emmanuelle Pioli.
Carte et frise : Coredoc.
Iconographie : Geoffroy Mauzé.
Suivi éditorial : Mirna Bousser.

© Éditions du Seuil, 2019 pour le texte.


Cet ouvrage a été publié aux Éditions du Seuil, dans la collection
« La Librairie du xxi e siècle » dirigée par Maurice Olender.
© Belin Éducation / Humensis, 2021 pour les notes et le dossier pédagogique.
170 bis, boulevard du Montparnasse, 75680 Paris Cedex 14
Pages 12-26, 53-62, 83-91 : extraits du texte lus par Pierre Arditi
(Enregistrements réalisés par les éditions Lizzie en 2019.)

Toutes les références à des sites Internet présentées dans cet ouvrage ont été vérifiées attentivement à la date
d’impression. Compte tenu de la volatilité des sites et du détournement possible de leur adresse, Belin Éducation ne
peut en aucun cas être tenu pour responsable de leur évolution. Nous appelons donc chaque utilisateur à rester vigilant
quant à leur utilisation.

Le code de la propriété intellectuelle n’autorise que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » [article L. 122-5]; il autorise également les courtes
citations effectuées dans un but d’exemple ou d’illustration. En revanche « toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants
cause, est illicite » [article L. 122-4]. La loi 95-4 du 3 janvier 1994 a confié au C.F.C. (Centre
français de l’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris),
l’exclusivité de la gestion du droit de reprographie. Toute photocopie d’œuvres protégées,
exécutée sans son accord préalable, constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles
425 et suivants du Code pénal.

ISBN 979-10-358-1051-1

9791035810504_declic_grumberg_1_128_18mars.indd 128 18/03/2021 18:02

Vous aimerez peut-être aussi