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UNIVERSITÉ DE STRASBOURG

ÉCOLE DOCTORALE DES HUMANITÉS


[EA 3402 - ACCRA]

Mémoire d’Habilitation à Diriger des


Recherches
présentée par :

MIKHAIL MALT
soutenue le : 4 FÉVRIER 2015

Discipline/Spécialité : MUSICOLOGIE

La représentation dans le cadre de la


composition et de la musicologie
assistées par ordinateur
De la raison graphique à la contrainte cognitive

GARANT :
M. HASHER, Xavier Professeur des Universités – Université de Strasbourg

RAPPORTEURS :
M. CHOUVEL, Jean-Marc Professeur des Universités – Université de Reims – IREMUS
Mme GRABOCZ, Márta Professeur des Universités – Université de Strasbourg
M. RISSET, Jean-Claude Directeur de recherche émérite – CNRS

AUTRES MEMBRES DU JURY :


M. ANDREATTA, Moreno Chargé de recherche habilité – CNRS - Ircam
M. ASSAYAG, Gérard Directeur de recherche - Ircam – CNRS
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Remerciements

Si les représentations que nous construisons, notre compréhension du monde, ou le monde


lui-même pour certains sont le fruit de causes et de conditions multiples, elles sont aussi
interdépendantes. Plus je comprends les représentations, plus je comprends que le monde, tel
comme on le voit et tel comme on le vie, en est une toile. Toile de rapports, un réseau
d’associations et d’émergences, un système dynamique en perpétuel changement, avec des
connexions qui se créent et se dissolvent, doté d’une impermanence intrinsèque. À chaque
instant que je me demande « à qui remercier », la toile change, s’agrandit. J’oublierai, sans
doute, quelqu’un, pour cela qu’il m’en excuse d’avance.

À Celui qui est allé au-delà, inestimable de la famille des châles de laine blanche, qui m’a fait
comprendre et intégrer ce que sont les représentations.

Aux Quatre, sans qui je ne saurais où aller.

Aux Trois qui voient au-delà de mes représentations, puisse un jour vous en amener au-delà
des vôtres.

À celle qui a élevé, et à celui qui laboure la terre, sans qui je n’aurais pu en être là, et qui
m’ont montré que chacun crée et vie dans ses propres représentations.

À Artémis (qui a plutôt rejoint les rangs d’Esculape), sans qui ce voyage incroyable serait
« irreprésentable » et qui m’a soutenu et m’apprécié d’un regard neuf.

À celui qui est né un dimanche, pour son amitié, puisse-t-il finalement représenter.

À celle qui vient de Vénétie et à celui qui vient de la terre d’Ériu, qui ont eu l’ouverture pour
me laisser leur proposer d’autres représentations.

À celle qui vient de la forêt, pour m’avoir pointé les faits d’une manière crue, qu’elle puisse
un jour voir au delà de ses représentations.

À Dieudonné, à l’éleveur, au porc-épic, à la mouette et au fils d'Ouranos et de Gaïa, pour faire


la vie d’Un des trois plus agréable.

Au Dompteur (d’esprit), ami « de et dans » la foudre, pour les projets et les belles
conversations autour du monde des muses.

Au Magicien basque, qui d’un coup de sa baguette en charbon arrête le temps, ami et
collaborateur dans ce projet extrême, et à sa charmante compagne.

À la communauté de la conscience, de la conscience.

À celle qui porte la solitude et qui m’a été d’un soutien indéfectible dans des moments
difficiles.
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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

À celui qui est né « à la place d’où on voit la mer », maître de chan, géniteur musical.

Au physicien, pour sa générosité intellectuelle et humaine, en me soutenant dans mon projet


et en m’aidant à décrypter l’univers du probable et de l’improbable de l’étranger.

A celui « qui reste », compositeur, maître, professeur, pour sa générosité, son amitié, son
savoir, son initiation dans l’univers de l’écriture et de la composition.

À celui qui est venu de Bologne et qui gouverne avec sagesse, par son introduction à l’univers
de Lully.

À la petite fille du président, au philistin, et à toute leur famille.

À celui qui gouverne et aime, Inca teuton, et à celle qui vient des anges.

Au petit groupe, dirigé par un seul chef, destiné à appliquer son esprit à l'acquisition de
connaissances dans le domaine des spectacles de combinations harmonieuses de sons.

À celui qui est bien né et généreux, le Grand, pour son amitié.

Au marocain israélite, qui porte une lance, pour son amitié et son soutien à travers les années.

Au Séleucide.

À celles et ceux des conteneurs en papier grossier, pour leur bonne humeur et leur
camaraderie.

À un autre Dieudonné, dans le champ unique de la terre du bois en braise, pour son amitié et
son soutien.

À la fille des dieux grecs, pour sa confiance dans mon travail.

À la petite fille du corsaire, pour sa sagesse et sa bienveillance.

À celui qui joue du Charles à Aix, pour son savoir sa compétence et son amitié.

À celui qui joue le Shofar, pour son amitié et pour les beaux projets.

À celui qui programme avec le chalumeau, collaborateur et ami, avec qui j’ai partagé de
belles recherches.

À celui qui a eu la grâce, huguenot de la haie, pour sa confiance, sans laquelle je n’aurais pas
parcouru « ce » chemin.

À Thomas, pour son soutien à ce projet, notamment sa résistance face aux invectives de la
Macédonienne.

À tous ceux qui n’ont pas accès à la lumière lunaire et avec qui j’ai eu le plaisir de partager
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La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

les connaissances liées à la « musique informatique », pour leurs questions, pour leur présence
et leur enseignement.

À toutes et tous qui travaillent dans et sur le « Sombre Dis », qui sourient en disant
« bonjour », faisant mes journées plus agréables.

À l’esprit et à l’intelligence du mitron pour m’avoir mis sur le chemin de cette recherche.

Au fabricant de bâts né au solstice, mais sous l’influence du Bélier, pour son amitié et pour
les opportunités qu’il m’a offertes.

Au céramiste couronné de lauriers, et à celui qui voudrait défendre l’humanité, pour leur
amitié et pour les beaux projets réalisés ensemble.

Et finalement, à Maison Neuve, qui a pris le risque de peut-être jouter à ma place.

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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

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La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Table&des&matières!

RESUME 19!

1! PARTIE I 23!
1.1! INTRODUCTION 25!
1.2! LE CADRE DE LA CAO 28!
1.3! LE CADRE DE LA MUSICOLOGIE ASSISTEE PAR ORDINATEUR 29!
1.3.1! MUSICOLOGIE SYSTEMATIQUE 30!
1.3.2! LA MUSICOLOGIE EMPIRIQUE 31!
1.3.3! LA MUSICOLOGIE COMPUTATIONNELLE 31!
1.3.4! LA MUSICOLOGIE COGNITIVE 32!
1.4! MODELISATION ET FORMALISATION - CAO & MC 32!
1.4.1! MODELE, UNE CATEGORIE GENERALE 33!
1.4.2! LES MODELES « NON FORMELS » 33!
1.4.3! LES MODELES « FORMELS » 34!
1.5! LES REPRESENTATIONS, FONDEMENTS DES MODELES 35!
1.5.1! LA PHASE DE « CHANGEMENT DE REPRESENTATION » 35!
1.5.2! QU’EST-CE QU’UNE REPRESENTATION ? 36!
1.5.3! REPRESENTATION COMME PROCESSUS, COMME OBJET… 37!
1.5.4! LA FORMALISATION DU PROCESSUS DE REPRESENTATION 39!
1.5.5! LA PROPRIETE RELATIONNELLE R 42!
1.5.6! LES DEUX CATEGORIES DE REPRESENTATIONS 49!
1.5.7! LES REPRESENTATIONS CULTURELLES OU COLLECTIVES 50!
1.5.8! LES DEUX ASPECTS DE LA REPRESENTATION, SYNTAXE ET SEMANTIQUE 50!
1.5.9! LES REPRESENTATIONS DE REPRESENTATIONS (METAREPRESENTATIONS) 52!
1.5.10! LES REPRESENTATIONS DE CONNAISSANCES 54!

2! PARTIE II 61!
2.1! REPRESENTATION & REPRESENTATION, QUELQUES PROPRIETES 63!
2.2! UN PROCESSUS « MULTI DETERMINE & CONDITIONNE » 63!
2.2.1! UN « SUBSTITUT » ! MAIS DE QUEL DROIT ? 64!
2.2.2! UN OBJET CONDITIONNE ET CONTEXTUEL, FORME ET CONTENU 66!
2.2.3! LA « FONCTION DE COMMUNICATION » 68!
2.2.4! L’« OUVERTURE » DES REPRESENTATIONS 72!
2.2.5! L’OBJET « IDEAL », UN OBJET « MENTAL » 85!
2.3! UN PROCESSUS « SELECTIF » 85!
2.3.1! UN « POINT DE VUE » 87!
2.3.2! UN OBJET « REDUIT », « INCOMPLET », « PARTIEL »… 88!
2.3.3! LA « PERTE INFORMATIONNELLE » 89!
2.3.4! LA « REDUCTION DIMENSIONNELLE » 90!
2.3.5! LA « SURREPRESENTATION », UN EFFET DE BORD 91!
2.3.6! L’« ASYMETRIE » ET L’IRREVERSIBILITE 97!
2.3.7! LA « SUREXPRESSION » 99!
2.4! LE « CHANGEMENT DE L’ESPACE D’EXPRESSION » 103!
2.4.1! LE CHANGEMENT DE NATURE ET D’ECHELLE DES DIMENSIONS 104!
2.4.2! L’HERITAGE DE PROPRIETES ET ESPACE DE MANIPULATION 107!
2.5! LA FONCTION HEURISTIQUE 125!
2.5.1! DECRIRE, CATALOGUER… 126!
2.5.2! SIMPLIFIER, SCHEMATISER, EXPLICITER, METTRE EN RELATION… 127!
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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.5.3! CHANGER D’ESPACE, METTRE EN RELATION… 131!


2.5.4! DECOUVRIR 133!
2.5.5! LES ESPACES DE REPRESENTATION 134!
2.5.6! L’INDUCTION ET L’INFERENCE 135!
2.5.7! LA RESOLUTION DE PROBLEMES 145!
2.5.8! PETITE CONCLUSION LOCALE 152!
2.6! LA « DETERMINATION COGNITIVE » 153!
2.6.1! TRANSMISSION DE CONNAISSANCES ET REPRESENTATIONS. 156!
2.6.2! LES « PITCH CLASSES » 158!
2.6.3! LA « SET-THEORY » 159!
2.6.4! LA REPRESENTATION CIRCULAIRE 161!
2.6.5! L’ANALYSE SONAGRAPHIQUE 164!
2.6.6! L’ANALYSE PARADIGMATIQUE 169!
2.6.7! DE LA COMPOSITION ASSISTEE PAR ORDINATEUR - LE CAS OPENMUSIC 177!
2.6.8! DE LA COMPOSITION ASSISTEE PAR ORDINATEUR - LE CAS UPIC 186!
2.7! A LA RECHERCHE DE LA BONNE REPRESENTATION 197!
2.7.1! LE BUT DE LA REPRESENTATION 198!
2.7.2! L’INTERLOCUTEUR A QUI ELLE SE DESTINE, L’AJUSTEMENT COGNITIF 200!
2.7.3! LES CARACTERISTIQUES DE LA REPRESENTATION 223!
2.7.4! QUELQUES CONSIDERATIONS FINALES 243!

3! PARTIE III 253!


3.1! UN DERNIER EXEMPLE – UNE EXPERIENCE PEDAGOGIQUE… 255!
3.2! L’EXERCICE 256!
3.2.1! LES HYPOTHESES, DE L’EXERCICE 256!
3.2.2! LE CADRE DE L’EXERCICE 256!
3.2.3! LA CONSIGNE 257!
3.2.4! LE DOCUMENT 257!
3.2.5! LES CARACTERISTIQUES DES EXTRAITS 258!
3.3! L’EVALUATION 259!
3.4! COMMENTAIRES 261!

4! CONCLUSIONS 267!
4.1! LES MOTS DE LA FIN 269!
4.2! LES REPRESENTATIONS EXTERNES COMME TRACES… 270!
4.3! L’EXPRESSIVITE DES REPRESENTATIONS 272!
4.4! CONCEPTION D’OUTILS ET D’INTERFACES 273!
4.5! LA FIN, DE LA FIN… 274!

5! REFERENCES ET ANNEXES 279!


5.1! BIBLIOGRAPHIE 281!
5.2! ANNEXE 1 – TABLEAU PARADIGMATIQUE POUR RELATED ROCKS (1997), MAGNUS
LINDBERG 303!
5.3! ANNEXE 2 – L’EXPERIENCE 307!
5.3.1! LE DOCUMENT 307!
5.3.2! LES CARACTERISTIQUES DES QUATRE EXTRAITS 311!
5.3.3! EXEMPLES DE REALISATION DES VARIATIONS PAR LES COMPOSITEURS 315!

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La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Table&des&figures&!
Figure 1 : Discours musicologique fondé sur des modèles formels, [Schaub 2009, 106] ..................................... 35!
Figure 2 :Le mot « cheval » en plusieurs langues (de la gauche vers la droite, du haut vers le bas : portugais,
français, anglais, espagnol, espéranto, latin, allemand, tibétain, grec, hébreu, arabe et yiddish) ................. 44!
Figure 3 : Mineral Life – 2010 – pour percussion solo, [Parra 2010, 1] ................................................................ 47!
Figure 4 : Figures rythmiques de Mineral Life – 2010 – pour percussion solo, [Parra 2010, 1] ........................... 48!
Figure 5 : Mineral Life – 2010 –pour percussion solo, [Parra 2010, 4] ................................................................. 48!
Figure 6 : Conventions de notation d’après [Gerou, Lusk 1996] ........................................................................... 51!
Figure 7 : Conventions de notation d’après [Gould 2011, 404] ............................................................................. 51!
Figure 8 : Premières mesures du manuscrit du « Poco Adagio » de la Sonata for Solo Flute, Wq.132 (H.562) » 52!
Figure 9 : Représentation métrique, graphique et traditionnelle dans OpenMusic ................................................ 55!
Figure 10 : Représentation métrique, proportionnelle (arbre rythmique) dans OpenMusic .................................. 56!
Figure 11 : Représentation de AR = (1 (1 1 1 1))................................................................................................... 56!
Figure 12 : Représentation de AR = (3/4 (1 1 1)) .................................................................................................. 56!
Figure 13 : formule rythmique courte, dite gsum-brdung, littéralement « à trois frappes » .................................. 65!
Figure 14 : Iconica IV (2010) de Marco Momi, premières mesures ...................................................................... 66!
Figure 15 : Iconica IV (2010) de Marco Momi, instructions (extrait) .................................................................. 66!
Figure 16 : Iconica IV (2010) de Marco Momi, instructions (extrait) ................................................................... 66!
Figure 17 : Skin’s Traces de Juan Jose Eslava, 2007, première page .................................................................... 67!
Figure 18 : Détail de l’abstraction < a2_infrev_multi_01>, du patch de Anthèmes II, version 2011 .................... 70!
Figure 19 : Câblage d’un synthétiseur Moog ......................................................................................................... 70!
Figure 20 : Interface de contrôle et visualisation de Anthèmes II, version 2011 ................................................... 71!
Figure 21 : Mesures 77-78, violons I & II, Symphonie n°1 de L. V. Beethoven, .................................................. 73!
Figure 22 : Premières mesures, Sonatine pour flûte & piano, 1954 , Pierre Boulez.............................................. 73!
Figure 23 : Roman Haubenstock-Ramati, Konstellationen, 1971, planche n° 1 .................................................... 74!
Figure 24 : Cornelius Cardew, Treatise, Ed. Peters, p. 183 ................................................................................... 74!
Figure 25 : Quartet de Steven Roden ..................................................................................................................... 75!
Figure 26 : Ryoji Ikeda, Principle – Dataphonics, 72’’ à 79’’ ............................................................................... 76!
Figure 27 : Ryoji Ikeda, Principle – Dataphonics, à 72.60’’, piste gauche ........................................................... 76!
Figure 28 : Sonagramme de la phrase « Petite fille, un jour d’été » (En écho 1993-1994, P. Manoury), chantée
par la soprano Donatienne Michel-Dansac ................................................................................................... 77!
Figure 29 : Sonagramme de Aphex Twin, deuxième piste (Long formula) du CD1 Windowlicker (1999) , entre
5’25’’ et 5’39’’.............................................................................................................................................. 78!
Figure 30 : Sonagramme, stéréo, de Passages (2010), de Mikhail Malt, de 2’33’’ à 2’55’’ ................................. 78!
Figure 31 : Dernières mesures de la dernière fugue (Contrapunctus XIV) de l’Art de la fugue, BWV 1080 de J. S.
Bach .............................................................................................................................................................. 79!
Figure 32 : La signature musicale de Chostakovitch [Brown 2006, 70] ................................................................ 79!
Figure 33 : Largo du huitième quatuor en do mineur, op. 110 de D. Chostakovitch, mesures 1-10. .................... 80!
Figure 34 : Les matériaux mélodiques et rythmiques dans Messagesquisse de P. Boulez .................................... 80!
Figure 35 : Mesure 9, Violoncelle n° 6, Messagesquisse (1976) de Pierre Boulez. « SA » transcrit rythmiquement
...................................................................................................................................................................... 81!
Figure 36 : Mesure 13, Violoncelle n° 6, Messagesquisse (1976) de Pierre Boulez, superposition des différentes
permutations de « SACHER » ...................................................................................................................... 82!
Figure 37 : Esquisse des mesures 137 à 142, du Trio à cordes, Brian Ferneyhough ............................................. 84!
Figure 38 : J. S. Bach, Christus der uns selig macht, BWV 747, p. 1. .................................................................. 89!
Figure 39 : Page 3 du Brevet de Vocodeur déposé en 1938 par Homer W. Dudley, présentant les 10 filtres....... 91!
Figure 40 : Première proposition de transcription pour l’exemple de formule rythmique de trompes longues
(dung chen) [Vandor 1976, 86]..................................................................................................................... 94!
Figure 41 : Deuxième proposition de transcription pour l’exemple de formule rythmique de trompes longues
(dung chen) [Vandor 1976, 86]..................................................................................................................... 94!
Figure 42 : Utilisation du sonagramme pour l’identification d’événements avec l’Acousmographe. ................... 95!
Figure 43 : Utilisation du sonagramme pour l’identification des divers instruments avec l’Acousmographe. ..... 95!
Figure 44 : Quantification et représentation en notation occidentale métrique de la mélodie des hautbois (rgya-
gling) ............................................................................................................................................................. 97!
Figure 45 : Tristan Murail, Territoires de l’oubli, Ed. Musicales Transatlantiques, 1976-1977, p. 4. .................. 98!
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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 46 : Tristan Murail, Territoires de l’oubli, Sonagramme entre le point culminant de la 9ème vague et le
début de la section « B ». Interprétation de Dominique MI. ........................................................................ 98!
Figure 47 :Tristan Murail, Territoires de l’oubli, Ed. Musicales Transatlantiques, 1976-1977, p. 3. ................... 99!
Figure 48 : Cantatorium de St. Gallen, (922-925), p. 5. ......................................................................................... 99!
Figure 49 : Giovanni Stefani (rac.), Affeti Amorosi, Canzonette ad una voce sola, Appresso Alessandro
Vincenti, Venetia, MDCXXI, p. 1. ............................................................................................................. 100!
Figure 50 : Giovanni Stefani (rac.), Affeti Amorosi, Canzonette ad una voce sola, Appresso Alessandro Vincenti,
Venetia, MDCXXI, p. 2. ............................................................................................................................. 101!
Figure 51 : H. Lachenmann, Pression, pour violoncelle solo, Ed. Breitkopf&Härtel, 1969, p. 2 ....................... 101!
Figure 52 : Montpelier, Faculté de Médecine, H. 159, p. 35 ............................................................................... 102!
Figure 53 : Diagramme formel de Joy (1989-1990) de Magnus Lindberg, par le compositeur .......................... 105!
Figure 54 : Notation pour la danse, extrait de la page 10 de [Lorin 1697] .......................................................... 105!
Figure 55 : Parcours des danseurs pour Un jour, la nuit de Thierry De Mey, esquisse du compositeur ............. 106!
Figure 56 : Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (1897) Stéphane de Mallarmé, version de Michel Pierson
& Ptyx ......................................................................................................................................................... 107!
Figure 57 : Waterfall, October 1961 .................................................................................................................... 109!
Figure 58 : Relativity, July 1953 .......................................................................................................................... 109!
Figure 59 : Ascending & Descending, March 1960 ............................................................................................. 109!
Figure 60 : Belle, bonne, sage, et Tout par compas suy, de Baude Cordier, Codex Chantilly, p. 11-12 ............. 110!
Figure 61 : Canon circulaire Sphera Mundi de John Bull (*1562-1563, †1628) ................................................. 110!
Figure 62 : Page 176 de la partition du trombone ................................................................................................ 113!
Figure 63 : 5ème événement de la 3ème portée page 176, de la partition du trombone. ......................................... 114!
Figure 64 : 5ème événement de la 1ère portée page 176, de la partition du trombone. ........................................... 114!
Figure 65 : Partition du trombone, pages 173 à 184, dans le Concert pour piano et orchestre (1957-58) Cage 116!
Figure 66 : Représentation d’une séquence mélodique comme une fonction par segments ................................ 118!
Figure 67 : Dérivation de la séquence mélodique de la Figure 66-A ................................................................... 119!
Figure 68 : Intégration de la séquence mélodique de la Figure 66-A, considérant son barycentre ..................... 119!
Figure 69 : Rapport entre la notation graphique et la rotation du disque vinyle [Carluccio et al. 2006, 2] ......... 121!
Figure 70 : Quelques notations [Carluccio et al. 2006, 2] .................................................................................... 122!
Figure 71 : Quelques types d’édition (montage) de bandes magnétiques ............................................................ 124!
Figure 72 : Karlheinz Stockhausen, Studie II (1954), Universal Edition, p. 3. .................................................... 124!
Figure 73 : L’oiseau triste, des Trois rêves d’oiseau (1963-1971), François Bayle, extrait entre la 30è et 45è sec.
Acousmographie Pierre Couprie. ................................................................................................................ 127!
Figure 74 : L’oiseau triste, des Trois rêves d’oiseau (1963-1971), François Bayle, extrait entre la 30è et 45è sec
.................................................................................................................................................................... 128!
Figure 75 : L’oiseau triste, des Trois rêves d’oiseau (1963-1971), François Bayle, extrait entre la 30è et 45è sec
.................................................................................................................................................................... 128!
Figure 76 : Les dix-sept familles de sons identifiés [Couprie 2002].................................................................... 129!
Figure 77 : Spectre harmonique caractéristique de la voix, entre 37’’ et 39,5’’, sur le canal gauche ................. 130!
Figure 78 : Place Igor Stravinsky, Paris (Google Maps), en visualisation satelite et schématique .................... 131!
Figure 79 : Figure 14 de [Helffer 2004, §93], analyse paradigmatique d’une mélodie de hautbois rgya-gling .. 132!
Figure 80 : Comparaison de deux mélodies de rgya-gling .................................................................................. 133!
Figure 81 : Transcription, en forme de tablature, des formules de harpes Nzakara [Chemillier 2005] ............... 138!
Figure 82 : La représentation graphique « Brillance-écart type » [Malt, Jourdan 2009] ..................................... 139!
Figure 83 : L’évolution des trois descripteurs pour l’extrait de Accidents/Harmoniques, (4’14"-4’28") ............ 140!
Figure 84 : BStd, Forme d’onde (FO) et sonagramme (Sngrm), Accidents/Harmoniques (4’14" - 4’28") ......... 141!
Figure 85 : Superposition des représentations de « masse sonore » (BStd), normalisation temporelle et affichage
des articulations formelles .......................................................................................................................... 142!
Figure 86 : Espace hexagonal déployé à partir du complexe simplicial C(3,4,5) ................................................ 143!
Figure 87 : Patch du compositeur Tristan Murail pour reproduire le processus de triage de partiels ................. 148!
Figure 88 : Le processus de zoom ........................................................................................................................ 149!
Figure 89 : Kinok (1993), Thierry De Mey, mesures de 1 à 5, solo de hautbois.................................................. 150!
Figure 90 : Kinok (1993), Thierry De Mey, mesures de 75 à 77.......................................................................... 150!
Figure 91 : Espace « frette x cordes » utilisé pour résoudre le problème d’instrumentation à la guitare ............ 151!
Figure 92 : Esquisses pour Kurze-Schatten II (1983-1989), de Brian Ferneyhough ........................................... 151!
Figure 93 : identification et classification de chaque combinaison de cordes x doigts pour Kurze-Schatten II
(1983-1989), de Brian Ferneyhough ........................................................................................................... 152!
Figure 94 : Figure 1 de [Drai-Zerbib, Baccino 2011, 2] ..................................................................................... 155!
Figure 95 : Accords majeur et mineur .................................................................................................................. 161!

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La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 96 : Transformation géométrique de l’accord majeur en accord mineur .................................................. 162!


Figure 97 : Trois premières mesures du Kammerkonzert op.24 (1948) d’Anton Webern .................................. 162!
Figure 98 : Les quatre premiers gestes ................................................................................................................. 163!
Figure 99 : les quatre formes et les deux axes de symétrie .................................................................................. 163!
Figure 100 : Figure 4 de [Toussaint 2002, 6] ....................................................................................................... 164!
Figure 101 : Schéma de fonctionnement du « sound spectrograph » [Koenig, Dunn, Lacey 1946, 23].............. 165!
Figure 102 : Sonagramme d’un « passage pour piano », [Koenig, Dunn, Lacey 1946, 34] ................................ 165!
Figure 103 : Sonagrammes d’une texture sonore (essaim d’abeilles) et de sa re-synthèse par Josh McDermott 168!
Figure 104 : Mesures 13 et 14 de Related Rocks (1997) de Magnus Lindberg [Lindberg 1997, 2] .................... 170!
Figure 105 : Mesures de 15 à 21 de Related Rocks (1997) de Magnus Lindberg [Lindberg 1997, 3] ................ 171!
Figure 106 : Mesures de 22 à 26 de Related Rocks (1997) de Magnus Lindberg [Lindberg 1997, 4] ................ 172!
Figure 107 : Motif originel de Related Rocks, « a » ............................................................................................ 173!
Figure 108 : Construction du motif « a3 » à partir de a1’ et a2 ........................................................................... 173!
Figure 109 : Construction de a4 à partir d’une composition de a2’ ..................................................................... 173!
Figure 110 : Interface de OpenMusic ................................................................................................................... 178!
Figure 111 : Comparaison entre l’expression du même calcul dans OM 6.6 et Max 6.1.2 ................................. 179!
Figure 112 : Editeurs de notation musicale dans OpenMusic .............................................................................. 180!
Figure 113 : Spécification des paramètres pour la construction d’une séquence d’accords ................................ 181!
Figure 114 : Représentation de la structure musicale implicite de <chord-seq> ................................................. 181!
Figure 115 : Exemple de programmation objet dans OpenMusic, 1 .................................................................... 182!
Figure 116 : Exemple de programmation objet dans OpenMusic, 2 .................................................................... 183!
Figure 117 : L’UPIC, version de 1986, [Lohner, Xenakis 1986, fig.5, 45] ......................................................... 187!
Figure 118 : Xenakis face à l’interface de contrôle, la table graphique, de l’UPIC [Lohner, Xenakis 1986, 54] 187!
Figure 119 : Esquisses UPIC, Claudy Malherbe, 1 à 4 ........................................................................................ 188!
Figure 120 : Esquisses UPIC, Claudy Malherbe, 5 à 8 ........................................................................................ 189!
Figure 121 : Les deux profils de la Figure 118-1 ................................................................................................. 190!
Figure 122 : Partition UPIC de Mycenae-Alpha [Xenakis 1987, 14] ................................................................... 192!
Figure 123 : Exemples de hachures dans des détails de dessins de Albrecht Dürer ............................................ 193!
Figure 124 : Sections 2 et 5 de Mycenae-Alpha [Xenakis 1987, 14] et leur respective analyse sonagraphique . 196!
Figure 125 : Définition de la classe « note », en Common-lisp, dans l’environnement OpenMusic ................... 199!
Figure 126 : La classe <note> dans OpenMusic .................................................................................................. 199!
Figure 127 : Représentation, à but pédagogique, de la classe <note> dans OpenMusic...................................... 200!
Figure 128 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de Philippe Manoury [Manoury 1987, 1] .... 202!
Figure 129 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 9] .............. 203!
Figure 130 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 15] ............ 203!
Figure 131 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 17] ............ 203!
Figure 132 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 17] ............ 204!
Figure 133 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 19] ............ 204!
Figure 134 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 29] ............ 205!
Figure 135 : Pluton (1988-1989), pour piano midi et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1988-
1989, 5] ....................................................................................................................................................... 205!
Figure 136 : Pluton (1988-1989), pour piano midi et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1988-
1989, 10] ..................................................................................................................................................... 206!
Figure 137 : Pluton (1988-1989), pour piano midi et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1988-
1989, 21] ..................................................................................................................................................... 206!
Figure 138 : Neptune (1991), pour trois percussionnistes et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury
1991, 4] ....................................................................................................................................................... 207!
Figure 139 : Neptune (1991), pour trois percussionnistes et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury
1991, 17] ..................................................................................................................................................... 207!
Figure 140 : Partita I (2006), pour alto et électronique de P. Manoury [Manoury 2006, 3] ............................... 207!
Figure 141 : Partita I (2006), pour alto et électronique de P. Manoury [Manoury 2006, 51] ............................. 208!
Figure 142 : Partita I (2006), pour alto et électronique de P. Manoury [Manoury 2006, 95] ............................. 208!
Figure 143 : Tensio (2010) , pour quatuor à cordes et électronique de P. Manoury [Manoury 2010, 1] ............. 209!
Figure 144 : Tensio (2010) , pour quatuor à cordes et électronique de P. Manoury ............................................ 209!
Figure 145 : Tensio (2010), pour quatuor à cordes et électronique de P. Manoury [Manoury 2010, 32] ............ 210!
Figure 146 : Tremblement de terre très doux (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 5] et analyse sonagraphique
.................................................................................................................................................................... 212!
Figure 147 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 6] et analyse sonagraphique, de 0’05’’ à 0’20’’ ........ 213!
Figure 148 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 6] et analyse sonagraphique, de 0’20’’ à 0’25’’ (échelles

11
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

temporelles différentes) .............................................................................................................................. 213!


Figure 149 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 7] de 01’08’’ à 01’17’’ .............................................. 214!
Figure 150 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 7] de 01’17’’ à 01’27’’, « tresses et fusées » ............. 214!
Figure 151 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 7] de 01’08’’ à 01’40’’ .............................................. 214!
Figure 152 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 8] et sonagramme, deuxième section ......................... 215!
Figure 153 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 11-12] troisième section (de 0’00’’ à 01’18’’, selon
Bayle) .......................................................................................................................................................... 216!
Figure 154 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 21] quatrième section (de 02’38’’ à 03’17’’, selon
Bayle) .......................................................................................................................................................... 216!
Figure 155 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 27] cinquième section (de 01’57’’ à 02’37’’, selon
Bayle) .......................................................................................................................................................... 217!
Figure 156 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 32] sixième section (de 0’40’’ à 01’18’’, selon Bayle)
.................................................................................................................................................................... 217!
Figure 157 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 35] septième section (de 1’16’’ à 01’53’’, selon Bayle)
.................................................................................................................................................................... 218!
Figure 158 : Tttd (1978), huitième section (de 01’19’’ à 01’57’’, selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 41] ........... 218!
Figure 159 : Tttd (1978), neuvième section (de 00’28’’ à 00’56’’, selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 44] .......... 218!
Figure 160 : Tttd (1978), dixième section (de 00’00’’ à 00’39’’, selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 47]............. 219!
Figure 161 : Tttd (1978), onzième section (de 00’00’’ à 00’28’’, selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 52] ............ 219!
Figure 162 : Retranscription du Klavierstuck III de Stockhausen par David Lewin [Lewin 2007, 19]............... 221!
Figure 163 : Réseaux de transformation de l’accord de cinq notes selon David Lewin ...................................... 221!
Figure 164 : Partition animée de l'Étude aux Objets, film de Jaques Vidal et François Delalande, divers extraits
.................................................................................................................................................................... 222!
Figure 165 : Profils de tonalité, [Krumhansl 1990, Fig. 2.3, 31] ......................................................................... 224!
Figure 166 : Trois représentations, histogrammes, circulaire et courbes ............................................................. 225!
Figure 167 : Présentation des profils de tonalité de Krumhansl et Kessler par David Temperley ...................... 226!
Figure 168 : Diagramme de l’algorithme de Karlus-Strong [Karplus, Strong 1983, 45]..................................... 228!
Figure 169 : « Implémentation » de l’algorithme de Karplus-Strong dans l’environnement Max ...................... 229!
Figure 170 : Noyau de l’algorithme ..................................................................................................................... 230!
Figure 171 : Patch d’aide de l’objet <rms1~> ...................................................................................................... 231!
Figure 172 : Abstraction <rms1~> ....................................................................................................................... 231!
Figure 173 : Les deux niveaux d’abstraction de <lpass1~> ................................................................................. 232!
Figure 174 : Fiche descriptive de l’UST « Obsessionnel » sur le site du MIM ................................................... 234!
Figure 175 : Anthèmes 2, partition pour le violon solo [Boulez 1997, 1], quatre premières mesures ................. 237!
Figure 176 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 1], deux premières mesures ............. 238!
Figure 177 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 2], Section /I, courbes par segments 239!
Figure 178 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 2], Section I, notation de l’intensité des
harmoniseurs ............................................................................................................................................... 239!
Figure 179 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 18], Section IV, mouvement de la
spatialisation ............................................................................................................................................... 239!
Figure 180 : Assemblage de quatre « harmoniseurs », [Gerzso 1997, 3]............................................................. 241!
Figure 181 : Connexions entre les modules de base à la section III d’Anthèmes 2, [Gerzso 1997, 6]................. 242!
Figure 182 : Algorithme utilisé pour la création de nuages de points dans la section III [Gerzso 1997, 6-7] ..... 242!
Figure 183 : Les sept représentations étudiées dans [Geslin, Sprenger-Ohana 2008, 3] ..................................... 245!
Figure 184 : Affichage de Mycenae-Alpha (1978) de I. Xenakis, avec quatre représentations dans EAnalysis . 247!
Figure 185 : Extrait de Mikrophonie I (1964-1965) de K. Stockhausen, dans <sheet> [Bresson, Agon 2008, 45]
.................................................................................................................................................................... 248!
Figure 186 : Moyennes globales pour les poids de rapprochement ..................................................................... 261!
Figure 187 : Moyennes de rapprochement par groupe et par variation................................................................ 263!
Figure 188 : Réalisation de la première variation par C09, !"# = ! .................................................................. 316!
Figure 189 : Réalisation de la première variation par C14, !""! = !. ! ........................................................... 317!
Figure 190 : Réalisation de la première variation par C01, !""# = !. ! ........................................................... 318!
Figure 191 : Réalisation de la deuxième variation par C10, !"#$ = !. ............................................................. 319!
Figure 192 : Réalisation de la deuxième variation par C03, !"# = ! ................................................................ 320!
Figure 193 : Réalisation de la troisième variation par C09, !"# = ! ................................................................. 321!
Figure 194 : Réalisation de la troisième variation par C02, !"# = !. ! ............................................................. 322!
Figure 195 : Réalisation de la troisième variation par C07, !"# = !, page 1 .................................................... 323!
Figure 196 : Réalisation de la troisième variation par C07, !"# = !, page 2 .................................................... 324!
Figure 197 : Réalisation de la quatrième variation par C14, !"#" = ! ............................................................. 325!
12
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 198 : Réalisation de la quatrième variation par C11, !"## = !. !.......................................................... 326!
Figure 199 : Réalisation de la quatrième variation par C04, !"! = ! ................................................................ 327!

13
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

14
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Liste&des&tableaux!
Tableau 1 : Significations lexicographiques de représentation ............................................................................. 37!
Tableau 2 : Analogies entre théories scientifiques et processus musicaux [Parra 2013, 1-2] ................................ 47!
Tableau 3 : Représentation métrique comme des ratios de la ronde dans OpenMusic .......................................... 55!
Tableau 4 : transcription de la notation rythmique tibétaine de la Figure 13 ......................................................... 65!
Tableau 5 : Évolution des cellules rythmiques de la mesure 9 à 13 de Messagesquisse (1976) de Pierre Boulez. 81!
Tableau 6 : Quelques représentations et leurs espaces de définition pour le même phénomène ........................... 87!
Tableau 7 : Exemples de transcription de la musique rituelle tibétaine de [Vandor 1976] ................................... 93!
Tableau 8 : Quatre représentations d’un extrait de la piste 6 Propiciatory deity ritual ( 2’17’’ – 2’33’’)
correspondant à l’exécution de la formule rythmique gsum-brdung ............................................................ 96!
Tableau 9 : Distribution des parties instrumentales dans la partition du Concert pour piano et orchestre (1957-
58) de J. Cage ............................................................................................................................................. 113!
Tableau 10 : Description des techniques de base du turntablism (scratch) [Carluccio et al. 2006, 4] ................. 121!
Tableau 11 : Représentation d’une liste de durées ............................................................................................... 136!
Tableau 12 : Douze visualisations d’un accord majeur sur douze espaces simpliciaux déployés ....................... 145!
Tableau 13 : Tableau paradigmatique des mesures 13 à 24 de Related Rocks .................................................... 175!
Tableau 14 : Tableau paradigmatique réduit des mesures 13 à 24 de Related Rocks .......................................... 175!
Tableau 15 : Techniques graphiques utilisées dans la partition pour l’UPIC de Mycenae-Alpha (1978) ........... 196!
Tableau 16 : Sections de Tremblement de terre très doux (1978), selon F. Bayle [Bayle et al. 2009a, 18] ....... 211!
Tableau 17 : « Triduction » de l’Après midi d’un faune, par Décio Pignatari [Campos et al. 1974, 88-89] ...... 249!
Tableau 18 : Résultats d’un rapprochement ou d’un écartement de l’espace de notation proposé ...................... 260!
Tableau 19 : Caractéristiques du premier extrait – Tristan Murail ...................................................................... 311!
Tableau 20 : Caractéristiques du deuxième extrait – Yuji Takahashi .................................................................. 312!
Tableau 21 : Caractéristiques du troisième extrait – John Cage .......................................................................... 312!
Tableau 22 : Caractéristiques du quatrième extrait – Pierre Boulez .................................................................... 313!
Tableau 23 : Exemples de réalisation des compositeurs et le « facteur de rapprochement », !"#, attribué ......... 315!

15
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

16
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

« La musique elle-même n'existe que pendant son exécution, participant ainsi de la futilité des arts de la
représentation. »1
Fernando Pessoa

« Ecrire sur la musique c'est comme danser sur l'architecture »2

1
« A própria música não existe senão enquanto executada, participando portanto da futilidade das artes de
representação. » in Argumento do jornalista, http://arquivopessoa.net/textos/4075 (04/12/2013).
2
« Writing About Music is Like Dancing About Architecture », citation attribuée à différentes personalités dont
Laurie Anderson, Steve Martin, Frank Zappa, Martin Mull, Elvis Costello ou Thelonius Monk. Merci à
Francisco Alvarado pour m’avoir mis sur la piste de cette citation.
17
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

18
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Résumé!
S’il est clair qu’il est possible de faire de la musique avec les outils de la musique, il
nous semble bien moins évident d'en parler et/ou de communiquer à son propos avec ces
mêmes outils. Ainsi, nous avons toujours eu besoin de nous appuyer sur l’utilisation du
langage naturel et de développer un grand nombre de représentations, pour pouvoir parler et
communiquer sur la musique. La notation musicale et le chiffrage harmonique en sont des
exemples.

L’arrivée de l’informatique a poussé plus loin ce besoin de représentation. L'un des


principaux problèmes en composition assistée par ordinateur, et en informatique en général,
concerne la différence existant entre le langage humain et les langages formels qui régissent le
comportement des ordinateurs. Pour cette raison, la modélisation et la formalisation de tout ou
partie d'un problème musical reste le premier pas à accomplir pour pouvoir utiliser les
environnements de composition assistée par ordinateur, et accéder à l'algorithme de calcul.
Cette formalisation se fonde principalement sur le choix de représentations appropriées pour
permettre à l’idée musicale d’être manipulée dans l’espace informatique de calcul.

De même en musicologie, les courants systémiques, empiriques, cognitifs ou encore


computationnels ont développé différents types de représentations (les schémas schenkériens,
l’harmonie riemannienne, etc.) pour pouvoir communiquer sur les différents aspects musicaux
étudiés.

De nos jours, la notion de représentation est centrale dans d'autres disciplines dont la
liste n'a rien d’exhaustive : linguistique, sciences cognitives, psychologie, intelligence
artificielle, neurosciences, philosophie... Les représentations et le mécanisme de
représentation sont à la fois les fondements et le processus par lequel nous appréhendons et
connaissons le monde. D’un point de vue philosophique occidental, deux thèses majeures
s’affrontent pour répondre à la question suivante : « comment connaissons-nous le monde ? ».
D’un côté, le « réalisme direct », selon lequel nous voyons et percevons directement les
choses du monde telles qu'elles sont. D’un autre côté, le « réalisme indirect », selon lequel
nous ne connaissons le monde que par les représentations créées par notre perception, nous
étant impossible d’appréhender le réel directement. Nos mécanismes de connaissance
reposent ainsi sur la construction et l’organisation de représentations à partir de notre
perception.

Dans ce mémoire, nous nous attellerons à étudier le concept de représentation, tant du


point de vue du processus (représenter) que de celui de l’objet généré (la représentation) dans
le contexte de la composition musicale assistée par ordinateur et de la musicologie
computationnelle. Notre intérêt se portera principalement sur les propriétés épistémologiques
et les divers corollaires du processus, de l’objet généré, et plus particulièrement sur les
représentations en tant que déterminants cognitifs : comment les représentations induisent-
elles le champ opératoire, et orientent-elles nos choix ?

19
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

20
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Lors d’une causerie publique que je donnais au Japon il y a quelques années, je vis des gens venir vers moi avec
un bouquet de fleurs. Je me levai pour accueillir leur offrande mais, à ma consternation, ils passèrent sans
s’arrêter pour aller derrière moi déposer ces fleurs sur l’autel. Je me rassis, un peu embarrassé ! La situation
me rappelait que la façon dont les choses et les évènements se déroulent ne coïncide pas toujours avec ce que
nous attendons. Et ce fossé entre la manière dont nous percevons les phénomènes et la réalité d’une situation
donnée est la source de maints dépits.
Dalaï-Lama3

Si l’on assure que les choses n’existent pas telles qu’elles apparaissent, deviennent-elles par là inexistantes ?
Non, mais leur statut est autre que nos perceptions nous les font voir.
Gomang Khensur Tenpa Tenzin Rinpoché4

3
Dalaï-Lama, Sagesse ancienne, monde moderne, Fayard, 1999, p. 51.
4
Gomang Khensur Tenpa Tenzin Rinpoché, L’idéalisme et l’école du milieu, traduction de Georges Driessens en
collaboration avec Michel Zaregradsky, Editions Dharma, 1989, p. 21.
21
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

22
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

1 Partie'I!

!
!

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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

24
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

1.1 Introduction!

Si la tradition occidentale depuis Platon ̶ suivi par saint Augustin ̶ plaide pour la
primauté de l’essence sur la substance ou du fond sur la forme, Balthazar Gracian, moine
jésuite du dix-septième siècle, dans une entreprise philosophique plutôt audacieuse, identifie
clairement le fait qu’il existe deux réalités. Celle des « choses » comme elles « sont » et celle
des « choses » comme elles nous « apparaissent ».

Les choses ne passent point pour ce qu’elles sont, mais pour ce dont elles ont l’apparence. Il n’y a guère de gens
qui voient jusqu’au-dedans, presque tout le monde se contente des apparences...
[Gracian 1684, XCIX, 78]

Sans hypocrisie, mais avec une pointe de cynisme et beaucoup d’humour, il dira : « Ne point
mentir, mais ne pas dire toutes les vérités » [Gracian 1684, CLXXXI, 144]. Dans son travail
philosophique, Gracian est conscient que notre manière de voir, de juger, d’inspecter le
monde passe par les apparences qu’il nous renvoie. Notre vie dépend d’une acceptation saine,
d’une synchronie et de rapports parfois étranges entre l’être et le paraître. Ces deux réalités ne
s’affrontent pas mais se complètent.

Notre mémoire, sur le « paraître », interroge les représentations que nous nous
construisons pour faire et pour étudier la musique. Nous proposons avant tout une réflexion
très personnelle. Nous l'avons menée ces vingt dernières années autour de la musique et de
l’informatique. Cette réflexion a pour but principal de réunir des intuitions, des observations,
et de donner un sens à un ensemble de faits et de phénomènes, qui, malgré leur apparente
divergence, convergent du fait de leur propre représentation. Ce mémoire est donc avant tout
une synthèse personnelle dressant l'état des lieux de notre connaissance de la notion de
représentation, de ses applications en musique (notamment en CAO, MC et IAO5), dans un
cadre philosophique se fondant notamment sur la psychologie cognitive.

D'un point de vue formel, ce mémoire est lui-même qu'une « représentation » de la


manière dont nous travaillons, de la manière dont nous lisons et dont nous dialoguons avec les
auteurs. Notre lecture se fait souvent avec un crayon à la main6, ou dans le cadre informatique
en ajoutant des commentaires et des annotations aux textes. Ces annotations sont souvent des
réactions, des réponses ̶ des protestations ̶ spontanées à la lecture. Concernant les citations
présentées, celles-ci viennent en général soutenir le discours. Parfois, elles le contredisent.
Quelquefois, elles apportent un peu d’humour. Concernant le degré de redondance, celui-ci
est choisi pour faciliter la compréhension du lecteur qui, idéalement, ne devrait avoir à lire
qu'une seule fois ce texte. Finalement, dans une époque laïque comme la notre, que viennent
faire les différentes références à des textes réligieux ? Nous pensons que ce dont nous
nommons réligions est, entre autres, une manière ancestral de se poser la question
fondamental sur les deux réalités. Les différentes citations viennent alors comme des
exemples de pensée, essayant de résoudre le nœud gordien de notre rapport au visible et à
l’invisible.

5
CAO : composition assistée par ordinateur, MC : musicologie computationnelle et IAO : interprétation assistée
par ordinateur.
6
La grande majorité de nos livres étant invendables après lecture !
25
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Un certain nombre de faits sont à l’origine de ce travail.

Pas de représentations, pas de calcul7


[Fodor 1975, 31]

1) Le germe de cette étude est sans doute notre travail en composition assistée par ordinateur,
musicologie computationnelle et en interprétation assistée par ordinateur, domaines où la
communication homme-machine constitue la problématique de base. Nous devons, sans
cesse, trouver des représentations « adaptées », des représentations « convenables » pour que
nos idées puissent être traitées dans l’espace du calcul informatique. De ce besoin s’élèvent
plusieurs questions : « qu’est-ce qu’une bonne représentation ? », « quelle sera la
représentation la plus convenable ? », etc. Cela nous mènera à la représentation des
connaissances dans un cadre informatique.

Le discours musical est souvent métaphorique…, peut être parce que notre discours utilise des mots et non la
musique8.
[Marsden 2012, 150]

2) Lors de la préparation d’un discours d’ouverture (keynote) pour le colloque de la SBCM9


en 2007 à São Paulo, nous avons commencé une formalisation des champs d’études auxquels
faisait appel la musique. De manière assez naïve, nous nous sommes définitivement rendu
compte que la musique était fondamentalement une pratique. Pour parler de musique, pour
discourir sur la musique, pour l’étudier et pour communiquer, il nous était nécessaire de faire
appel à d’autres disciplines : l’histoire, la philosophie, la littérature, la psychologie, et plus
généralement aux sciences (physique, acoustique, mathématique, etc.). Finalement, lors de
l’un de nos cours à Paris-IV, en réponse à la question d’un étudiant trompettiste sur le rituel
de soutenance de son master (dont le sujet portait sur l’interprétation musicale), nous avons
répondu : « Ne dites aucun mot, ne jouez que vos extraits… ». Suite au regard interloqué de
cet étudiant, nous avons pris conscience qu'au-delà de la boutade le fait musical ne prend
toute sa signification que lors de son actualisation, de son interprétation, de sa réification. Il
nous est impossible de l’étudier ou d'en parler sans construire des représentations, et de les
communiquer en langage naturel. « Parler de la musique », « avec de la musique » n’est pas
complexe en soi, mais comment être certain de ce que comprend vraiment l'auditoire ? Tout
musicologue, interprète, compositeur, ou acteur de la vie musicale utilisera divers types de
représentations pour communiquer sur la musique, et ne pourra, en général, que parler de
souvenirs de musique. Que la musique soit un langage aussi naturel que celui dont nous nous
servons, sans nul doute ! Cependant, ces deux langages ont des champs d’actions, des
logiques et des niveaux de compréhensions différents. Nicholas Cook dans son ouvrage The
Schenker Project. Culture, Race, And Music Theory In Fin-De-Siècle Vienna [Cook 2007]
nous rappelle que Schenker lui-même faisait une nette distinction entre le discours musical et
le discours « sur » la musique :

7
« No representations, no computations » (notre traduction).
8
« Musical discourse is often metaphorical …, perhaps always, because our discourse uses words and not
music ».
9
« Sociedade Brasileira de Computação e Música » – Société brésilienne d’informatique et musique.
26
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Le problème de base est le même dans la composition et dans la culture de l'écoute et des écrits sur la musique :
on suppose à tort que la musique se comporte comme les mots, que le contenu musical peut être représenté de
manière adéquate par des mots, que la musique a une logique qui peut être traduit par des mots.10
[Cook 2007, 57]

3) En faisant une évaluation de notre parcours, nous nous rendons compte que nous n'avons
eu de cesse de rechercher de nouvelles représentations, de rechercher quelles représentations
étaient les plus appropriées pour une situation particulière. Ce travail de modélisation se fonde
sur le choix et l’organisation de représentations.

4) Les représentations et le mécanisme de représentation sont le fondement et le processus par


lequel nous appréhendons et connaissons le monde. De nos jours, la notion de représentation
est centrale dans plusieurs disciplines, la linguistique, les sciences cognitives, en psychologie,
dans l’intelligence artificielle, en neurosciences et en philosophie. Pour rappel, d’un point de
vue philosophique occidental, deux thèses majeures s’affrontent pour expliquer de quelle
manière nous connaissons le monde. D’une part, le « réalisme direct », selon lequel nous
voyons et percevons directement les choses du monde comme elles sont. D’autre part, le
« réalisme indirect », selon lequel nous ne connaissons le monde que par les représentations
créées par notre perception, nous étant impossible d’appréhender le réel directement.
Personnellement, nous nous rendons compte que nous nous rapprochons de plus en plus de ce
deuxième point de vue philosophique. Nous ne connaissons le monde que par nos perceptions
et par les représentations que nous nous en construisons. Notre accès au « réel » est court-
circuité par nos perceptions. Nos mécanismes de connaissance reposent sur la construction et
l’organisation de représentations à partir de notre perception [Savary 1998, 28]. Si d’un côté
nous construisons sans cesse des représentations pour connaître le monde, plus important
encore, nous sommes influencés et contraints par ces mêmes représentations. Comme l’écrit
Wittgenstein (une citation que nous utiliserons plus loin dans ce texte) :

5.6 - Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde.
[Wittgenstein 1989, 86]

Cela ne signifie pas la négation d’« un réel », mais le fait que notre connaissance de ce réel ne
peut que passer par nos perceptions ordinaires, et que celles-ci ont des limites clairement
définies.

Ce mémoire s’articule en trois parties et une conclusion finale. Dans la première


partie, nous exposerons les champs de la composition assistée par ordinateur et de la
musicologie computationnelle en tant que cadre de ce travail. Nous revisiterons le concept de
modélisation et de formalisation pour en déduire que la base de leur construction se trouve
dans le choix de représentations. Nous nous poserons la question : « qu’est-ce qu’une
représentation ? », pour finalement proposer une formalisation de ce concept. Dans la
deuxième partie, centrale, nous étudierons les « propriétés » des représentations en musique, à
la lumière des sciences cognitives et de la formalisation ainsi conceptualisée. Nous
proposerons une réflexion portant sur la notion de « bonne représentation ». La troisième
partie se compose d’une expérience de l’influence des représentations sur nos actions. Dans la

10
« The basic problem is the same in composition and in the culture of listening and writing about music: it is
wrongly assumed that music behaves like words, that musical content can be adequately represented by words,
that music has a logic that can be translated into words »
27
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

partie finale, la conclusion, nous considérerons notre parcours en évaluant les thèmes traités et
en proposant quelques axes de recherche pour le futur.

1.2 Le!cadre!de!la!CAO!

Quelle est la place de la représentation dans un cadre de composition assistée par


ordinateur ? Comme nous l’avions écrit dans un texte précédent, « pour beaucoup de
compositeurs, la formalisation pouvait n'être qu’un choix, mais avec l’informatique et plus
spécifiquement avec l’écriture assistée par ordinateur, la formalisation est devenue une
nécessité, un outil, un besoin impératif pour communiquer avec la machine » [Malt 2009,
214-215]. Cette réflexion nous avait conduit à nous rendre compte des différences existantes
entre les démarches formalistes de la première moitié du XXe siècle, et le besoin formel
imposé par l’ordinateur. Ces premières démarches formalistes étaient fondées soit sur la thèse,
implicite, d’une certaine isomorphie entre le monde des relations musicales et le monde des
relations formelles, influence venue de la pensée dominante dans le monde scientifique et
d’une attitude qualifiée de « néo-pythagoricienne »11 , soit par un besoin de faire « table rase »
dans les techniques de composition, pour refuser la « littéralité de la tradition » et « éliminer
tout vocabulaire antérieur et resynthétiser, mais sans intervention personnelle, les
‘phonèmes’ dispersés de ce langage… » [Deliège 2003, 288-289]. Ces conceptions ont amené
certaines musiques à une illusion formaliste, laquelle a fini par conférer aux modèles et aux
symboles un avantage ontologique sur les processus même qu’ils représentaient. Bien sûr,
nous ne voulons pas affirmer que cette façon d’agir exclut l’existence d’une conceptualisation
à un niveau musical ; dans de nombreux cas, la « paramétrisation » de l’espace sonore était
aussi une manière de concrétiser des idées musicales. Pour Boulez, par exemple, le
mécanisme sériel a servi comme outil formel pour concrétiser le concept de contrepoint
structurel12. De même, Xenakis va au bout de l’idée d’indépendance des paramètres musicaux
en appliquant des modèles statistiques pour formaliser le concept de « nuage ». De notre côté,
nous avions déjà montré la possibilité d’utiliser des modèles mathématiques en tenant compte
de leurs caractéristiques, de manière à pouvoir les utiliser, non pas comme de simples
algorithmes13, mais comme des outils de formalisation de concepts musicaux (voir [Malt
1996]). Le rapport du compositeur avec la machine sera à chaque fois plus intime. « La
grande nouveauté dans l’utilisation de l’ordinateur en musique, dans cette deuxième moitié
du XXe siècle, ne consiste pas dans la formalisation de la théorie, mais dans la formalisation
de la pratique, du métier, du royaume traditionnel de l’expérience personnelle
intransmissible. Le compositeur qui voudra profiter des nouvelles possibilités qui nous sont
offertes par l’informatique devra aller au-delà du " savoir-faire " et arriver à expliciter le
" savoir comment faire ". » [Malt 2009, 214-215], développant un « solfège de modèles », une
habilitée à décrire des situations musicales à partir d’algorithmes de calcul. Cela nous
amènera au fait que, de nos jours, le recours à des modèles « extramusicaux » ou à une
« cuisine précompositionnelle » fondée sur des algorithmes divers (musicaux ou
extramusicaux), notamment des modèles de calcul, est devenu une pratique courante. À quoi

11
Michel Philippot, « La certitude et la Foi », in Iannis Xenakis et la Musique Stochastique, La Revue Musicale,
Carnet critique 257, Paris, 1963.
12
Pierre Boulez, Relevés d’apprenti, Editions du Seuil, Paris, 1966, p.147.
13
Richard Bidlack, « Chaotic Systems as Simple (but complex) Compositional Algorithms », in Computer Music
Journal, vol 16, n° 3, Fall, MIT-Press, 1992.
28
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

est, ou serait due, cette manière de faire ? Cette tendance ? Nous pouvons avancer pour le
moment quelques hypothèses.

1. Un héritage historique, en provenance, notamment du quadrivium médiéval boécien,


qui « range la musique aux côtés de l’arithmétique, dans la science des quantités
discrètes, et la géométrie à côté de l’astronomie, dans celle des quantités continues. »
[Assayag 2000], et attribue à la musique un caractère scientifique et quantifiable14.

2. L’héritage historique, plus récent, de diverses esthétiques et pratiques


compositionnelles (dodécaphonisme, sérialisme, musique algorithmique, spectralisme,
etc.). Celles-ci utilisent le calcul à divers niveaux, et finissent par constituer un fond
commun, c'est-à-dire un ensemble de représentations collectives du processus de
composition fondé sur un ensemble de modèles de calculs largement acceptés (la
combinatoire, l’utilisation de modèles de hasard, le calcul de spectres harmoniques,
etc.). Le calcul pré-compositionnel, ou encore la planification et l’axiomatisation,
devient un acquis.

3. La croyance « néo-pythagoricienne » dans le pouvoir des structures formelles pour


donner du sens à un matériau musical, qui, due à son caractère presque inconscient, se
transforme dans une « superstition intelligente » des nouvelles générations de
créateurs. Tom Johnson dans la préface de son Self-Similar Melodies (Mélodies Auto-
Similaires) [Johnson 1996, 4] cite le mathématicien Jean-Paul Allouche, avec
beaucoup d’humour : « Quiconque pense que la musique et les mathématiques sont la
même chose ne comprend ni l'une ni l’autre ».

4. L’utilisation croissante des nouvelles technologies, comme aide puissante à la


création, oblige le compositeur à formaliser davantage sa pensée. Ce fait induit de plus
en plus le développement d’une intuition algorithmique chez les jeunes générations de
créateurs (musiciens, plasticiens, artistes multimédias, etc.).

Dans le cadre de la CAO, le maître mot est « formalisation » : la construction de modèles


informatiques. Comme nous le verrons plus loin dans ce texte, les représentations formeront
un socle sur lequel repose le processus de modélisation (cf. item 1.5).!

1.3 Le!cadre!de!la!musicologie!assistée!par!ordinateur!

Bien que la volonté d’utiliser les ressources informatiques soit déjà présente dès les
années soixante, ([Babbitt 1965] et [Zaripov 1963-1969]) ce n’est que ces trente dernières
années que le matériel informatique et les logiciels se sont démocratisés au point d'être
accessibles au grand public. Outre la volonté d’utiliser la puissance de calcul des ordinateurs,
la musicologie a subi un certain nombre de mutations qui l'ont rendue perméable et sensible
au potentiel des ressources informatiques15. De nos jours [Honing 2006], on désigne par
« musicologie systématique » l’ensemble des pratiques telles que la musicologie empirique, la

14
Voir aussi le travail d’Alexander Mihalic [Mihalic 2000] sur les rapports entre musique et données extra-
musicales.
15
Notamment dans le cadre de la « musicologie systématique ».
29
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

musicologie cognitive et la musicologie computationnelle. Ces trois dernières en ayant recourt


à l’utilisation des ressources informatiques partagent un problème basique : la représentation
des données musicales (symboliques ou non) dans un format informatique. Pour comprendre
l’état actuel de la musicologie, comme son utilisation des outils informatiques, il nous semble
important de la contextualiser par rapport à son évolution au XXe siècle.

1.3.1 Musicologie!systématique!
En musicologie, la définition d’Adler de la « musicologie systématique » constitue un
tournant majeur. Il s'agit d'« une réorientation complète de la discipline vers des questions
fondamentales qui ne sont pas historiques par nature. Celles-ci incluent l’esthétique et des
recherches sur la nature et les propriétés de la musique comme un phénomène acoustique,
physiologique, psychologique et cognitif. Une approche systématique peut également être
donnée à l'ensemble des zones historiques d'Adler, telles que, par exemple, une approche
sémiologique des notations et des classifications typologiques des formes musicales. » 16
[Duckles, Pasler 2013].

Comme le remarque Leman [Leman 1997, 14], « l'avènement de l'empirisme au 19e siècle
était donc une étape importante pour l'émergence de la musicologie systématique comme une
discipline autonome, mais elle n'aurait pas pu voir le jour sans la recherche pour la
systématisation telle que développée dans la philosophie et dans les sciences »17.

Cette approche systématique avait, au 19e siècle, un objectif plus normatif. Tant Helmholtz
que Riemman, chacun de leur point de vue, « soutenaient que la théorie musicale incarnait
une théorie normative qui pourrait (et devait) être fondée sur des preuves physiologiques et
psychologiques concernant le processus d'écoute ».18

Selon Honing [Honing 2004], certaines approches sémiotiques, comme celle de Nattiez, et les
méthodologies de l’ethnomusicologie, prônant l’importance des « méthodes systématiques »
en s’appuyant sur le contexte culturel, social et anthropologique, donnèrent plus de poids aux
méthodes systématiques.

16
« Systematic musicology is not a mere extension of musicology but a complete reorientation of the discipline
to fundamental questions which are non-historical in nature. These include aesthetics and research into the nature
and properties of music as an acoustical, physiological, psychological and cognitive phenomenon. A systematic
approach can also be given to all of Adler's historical areas, such as, for example, a semiological approach to
musical notations and typological classifications of musical forms. »
17
« The advent of empirism in the 19th Century was therefore a milestone for the emergence of systematic
musicology as an independent discipline yet it could hardly have come into existence without the strive for
systematization as developed in philosophy and science. »
18
« …maintained that music theory embodied a normative theory that could (and needed to) be grounded in
physiological and psychological evidence pertaining to the listening process. »
30
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

1.3.2 La!musicologie!empirique!
Dans cette évolution, le point de vue de Joseph Kerman [Kerman 1985], lequel
considère « l’étude de la musique comme une expérience esthétique » [Duckles, Pasler 2013],
donnera l’avantage à l’observation du phénomène musical et aux données expérimentales,
pour établir les théories sur la base de l’analyse et de l’interprétation de ces observations.
Cette variété de phénoménologie musicale sera par la suite nommée « musicologie
empirique » [Honing 2004]. La disponibilité croissante des outils informatiques, matériels et
logiciels, en plus de l’essor des ordinateurs personnels, facilitera l’élaboration et la réalisation
d’expériences « d’observation musicale » intégrant plusieurs dispositifs musicaux et
informatiques. Par exemple, dans [Desain, Honing 2003, 348], nous pouvons lire : « 3.1.2
Apparatus. The sounds were presented through headphones (Sennheiser HD 445) and
generated by a Yamaha MU-90R synthesiser using General MIDI percussion sounds. The
participants could adjust the loudness of the stimuli to a comfortable listening level. The
synthesiser was driven by the POCO system (Honing 1990; Desain and Honing 1992) via the
OMS MIDI driver, running on an Apple Macintosh G3. The same computer collected the
responses via a CMN interface (see section 3.1.4) ». Il s'agit d'un mixte entre des dispositifs
du commerce, des environnements disponibles gratuitement, comme CMN, Common Music
Notation19, et un environnement développé par les auteurs (l’ensemble d’outils POCO,
développé en Allegro Common-Lisp).

Dans cette mouvance musicologique, la priorité sera donnée à l’expérimentation et à la


création de prototypes informatiques, pour développer une analyse par modélisation qui se
fondera sur la formalisation de procédés musicaux et leurs simulations dans les
environnements informatiques [Keller, Ferneyhough 2004].

L’apparition de protocoles de communication tel que MIDI (lui-même étant un ensemble de


représentations symboliques d’événements temporels) sera un atout supplémentaire dans le
développement d’une musicologie empirique. Ce protocole inclut une représentation
numérique des notes de l’échelle chromatique tempérée à douze demi-tons. Cette
représentation est actuellement amplement partagée dans l’univers de la musique et des
technologies. Elle sert souvent d'outil pour la formalisation et la modélisation dans diverses
situations. Par exemple, les musicologues utilisent cette représentation MIDI pour formaliser
des structures mélodiques, telle la feuille de calcul « Monika »20 réalisée par Nicolas Meeus.
De même, dans les environnements de composition assistée par ordinateur PWGL et
OpenMusic, les hauteurs sont représentées en « midicents », une unité dérivée de la
représentation MIDI des hauteurs.

1.3.3 La!musicologie!computationnelle!
« La musicologie computationnelle est généralement définie comme l'étude de la
musique à l’aide de la modélisation et de la simulation informatique » [Coutinho et al 2005].
Ce champ, très large, couvre toutes les utilisations de l’ordinateur dans l’analyse et l’étude de
la musique, de l’analyse statistique de partitions symboliques, en passant par l’analyse par
formalisation [Keller et Ferneyhough 2004], jusqu’au processus plus avancé de « musical data
mining ». Nous trouvons aussi dans le giron de la musicologie computationnelle des pratiques

19
https://ccrma.stanford.edu/software/cmn/cmn/cmn.html.
20
« Monika » est une feuille de calcul Excell (© Microsoft), programmée en VBA (Visual Basic), pour l’analyse
statistique de mélodies. Voir : http://www.plm.paris-sorbonne.fr/spip.php?rubrique188.
31
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

telles que la formalisation et la modélisation, toutes deux issues des mathématiques (voir
notamment les travaux de Guerino Mazzola et de Moreno Andreatta), la conception de
méthodologies formelles pour l’analyse et le développement d’outils et d’environnements
logiciels pour le musicologue ([Guigue 2009], CHARM, SonicVisualizer et [Malt, Jourdan
2009]).

1.3.4 La!musicologie!cognitive!
La musicologie cognitive, par définition multidisciplinaire, se développe à partir du
point de vue de la cognition humaine, se fondant sur des recherches en plusieurs disciplines,
telles que la neurobiologie, les sciences cognitives, et la psychologie. Marc Leman [Leman
1997, 13] situe son émergence au 19e siècle ayant comme toile de fond la philosophie (E.
Kant et E. Mach). C’est un champ de recherche qui a grandi en s’appuyant notamment sur la
modélisation informatique.
!
!
1.4 Modélisation!et!formalisation!A!CAO!&!MC!
Dans la modélisation informatique, les élèves créent leurs propres représentations externes opératoires d'un
domaine ou sujet. Ils peuvent simuler les modèles qu'ils créent, observer et tirer des conclusions fondées sur les
résultats du modèle.21
[Löhner et al. 2003, 395]

La représentation dans le cadre de la CAO a une finalité différente de celle de la


musicologie computationnelle. La CAO s’intéresse à une formalisation/modélisation en ayant
un but pragmatique, celui de la création. Comme nous le verrons plus tard dans ce texte,
l’« adéquation » d’une représentation sera plutôt en rapport avec les buts du compositeur,
avec la manière dont il souhaiterait « contrôler » son processus, plutôt qu'avec la réalité
immédiate du phénomène sonore ainsi modélisé. Cette recherche de représentations est
principalement en rapport avec l’« explicitation du savoir-faire » du compositeur, dans le but
de le rendre « apte au calcul » dans des environnements informatiques. Mais, comment
énoncer un « savoir-faire » dans le cadre de la composition assistée par ordinateur, ou plus
précisément de l’écriture assistée par ordinateur, sinon en modélisant et en formalisant son
propre « savoir-faire », son métier de compositeur ou plus clairement, en modélisant et en
formalisant sa propre pensée ?

Modéliser, c’est concevoir puis dessiner une image à la ressemblance de l’objet. Rien n’est plus confus, hélas,
que cette notion de ressemblance.
[Le Moigne 1994, 75]

En musicologie computationnelle, par contre, la recherche de modèles, de formalisations et de


représentations a comme but principal la construction de supports pour penser, pour connaître
ou pour commenter le phénomène étudié. Le passage dans l’espace informatique n’est parfois
qu’une option. Dans l’analyse musicologique computationnelle, il s’agit plutôt de formaliser
ou de modéliser des phénomènes externes à l’analyste. L’« adéquation » entre les

21
« In computer modeling, students create their own executable external representations of a domain or subject.
They can simulate the models they create and observe and draw conclusions based on the model output. »
32
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

représentations utilisées et les concepts étudiés est souvent reliée aux objectifs de l’analyste.

L’ordinateur est un instrument d’abstraction.22


[Marsden, Pople 1992, 1]

L’ordinateur, étant une machine à calculer, une machine virtuelle qui manipule des
abstractions, tous les avantages qu’il peut offrir, à terme, doivent être gagnés laborieusement
par le compositeur avec un grand effort de formalisation, où aucun aspect ne peut être négligé
[Riotte 1983]. L'explicitation minutieuse des phénomènes musicaux dans un langage formel,
et l’organisation claire des données en format informatique, permettent à l'ensemble des
phénomènes et des objets musicaux de passer dans l'espace du calcul et de la manipulation
symbolique, les rendant accessibles à la composition musicale informatique [Barrière 1992,
52] et au calcul de structures musicales.

Bien qu'il existe une différence épistémologique et fonctionnelle entre la modélisation et la


recherche de représentations en CAO et en musicologie computationnelle, celles-ci partagent
néanmoins quelques affinités. L'une comme l’autre recherchent des représentations capables
d’exprimer tout ou partie des qualités du représenté. L’une comme l’autre recherchent des
représentations (des représentations de connaissances, dans le cadre informatique) capables
d’être traitées dans l’espace informatique. L'une comme l’autre se confrontent aux besoins et
aux problèmes qu’apporte la modélisation ou la simulation informatique.
Dans cette approche, le besoin de rendre les objets musicaux disponibles dans l’espace
informatique constitue une autre des affinités communes, laquelle nécessite soit des
représentations informatiques, soit des formats de données.

1.4.1 Modèle,!une!catégorie!générale!
Bernard Walliser propose deux grandes catégories de modèles. Les « …modèles
littéraires, capables de conceptualiser des phénomènes isolés de leur contexte par des
réseaux de liaisons qualitatives entre concepts », et les « …modèles analytiques, susceptibles
de formaliser ces mêmes phénomènes comme systèmes de relations mathématiques entre
grandeurs. » [Walliser 2002, 147]. Le concept de modèle23 peut alors être considéré comme
une catégorie générale, où nous trouvons des modèles formels (construits par formalisation) et
des modèles non formels. Ces deux sous-catégories ont pour différence principale la nature
des représentations, de la syntaxe des propositions utilisées et la nature des relations entre les
différentes propositions qui les constituent.

1.4.2 Les!modèles!«!non!formels!»!
Nous considérons que l’association de propositions articulées dans un langage naturel,
manipulant des concepts, soit des représentations abstraites qualitatives, nous amènent à des
« modèles non formels » (les « modèles littéraires » de Walliser). Nous pouvons citer
quelques modèles économiques, politiques, historiques ou sociaux. Dans certaines analyses
musicales basées sur une méthodologie descriptive des affects, nous rencontrons l’utilisation

22
« The computer is an instrument of abstraction. »
23
Que nous développerons plus précisément dans une phase ultérieure de notre recherche.
33
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

importante de représentations qualitatives amenant à des modèles non-formels. Dans cette


lignée, Jacques Chailley écrit : « … l’analyse consiste à "se mettre dans la peau" du
compositeur et à expliciter ce qu’il a senti en écrivant… » [Chailley 1951, 104]. Nous
pouvons aussi apprécier cette « modélisation non formelle », dans des analyses d’Albert
Lavignac. Par exemple, dans « Le voyage artistique à Bayreuth » :

SCÈNE I. - Le Prélude nous transporte de suite au manoir de Tristan, au moyen d'un motif en exprimant
admirablement La Solitude, qui ne sera employée qu'au début de ce dernier acte, mais dont les notes initiales ne
sont pas sans une certaine analogie avec le motif déjà connu du Désir. En l'analysant par fragments, on
découvre dans ces premières notes le sentiment de la désespérance causée par la fatalité, auquel succède, dans
la montée en tierces et quartes augmentées, l'image de la solitude, de l'infini de l'Océan; un nouveau dessin
exprime l'état de détresse et d'isolement où se trouve Tristan (voir p. 338) ; après un triple point d'orgue. Les
mêmes dessins se reproduisent, suivis, cette fois (au ff), des dernières notes de La Mort;..., puis la montée par
tierces revient une troisième fois et forme le lien avec la 1re scène. L'ensemble de ce Prélude, d'une profonde
mélancolie, prédispose merveilleusement l'esprit au dénouement du drame.
[Lavignac 1903, 333]

Des travaux plus récents, tels que la conception de la théorie des UST – « Unités sémiotiques
temporelles » – utilisent aussi une formalisation fondée sur l’association de propositions
articulées dans un langage naturel, manipulant des représentations qualitatives. Par exemple,
la description sémantique de la UST nommée « Chute »24 :

Description sémantique :
-Équilibre instable qui se rompt
-Suspens puis basculement (la prise de conscience de la phase de suspens se fait, en fait, après coup).
-Perte d'énergie potentielle qui se convertit en énergie cinétique.

Pour couper court à toute ambiguïté, nous n’attachons pas de jugement qualitatif par rapport
au choix de la méthode de modélisation ou de la représentation.

1.4.3 Les!modèles!«!formels!»!
A l'inverse, des relations logiques entre propositions exprimées dans un langage
formel, manipulant des représentations calculables, sont la base d’un modèle formel (les
« modèles analytiques » de Walliser). C’est le cas de grande partie des modèles de la
physique classique et d’une partie de l’analyse musicale qui a commencé à se développer à
partir des années 1970 [Donin 2009, 14-15], et dont l'objectif était de faire partie d’un projet
scientifique. Ces travaux se font dans le contexte des musicologies paradigmatiques,
systématiques, cognitives ou computationnelles.
Donnons comme exemple, le discours d’une nouvelle génération de musicologues tels que
Stéphan Schaub, fondé sur l’utilisation de représentations formels et calculables :

24
http://www.labo-mim.org/site/index.php?2008/08/22/43-chute. Vérifié le 11/05/2013. Par souci de
contextualisation, chaque UST est définie par rapport à trois caractéristiques. La description morphologique, la
description sémantique et d'autres caractéristiques. Dans cet exemple, nous ne présentons qu’une partie de la
description. Cependant, les autres parties de la description utilisent aussi des associations « plutôt » qualitatives.
34
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 1 : Discours musicologique fondé sur des modèles formels, [Schaub 2009, 106]

Au-delà de la construction de simulations, l’intérêt des modèles formels, dans le cadre d'une
musicologie computationnelle et dans l’analyse musicale, réside dans le fait qu’ils nous
obligent à « remplir les blancs » et à faire des hypothèses. La simulation ne saurait
fonctionner sans avoir tous les paramètres et les rapports fixés. Cela devient une
méthodologie analytique qui pousse le musicologue à affiner ses hypothèses.

Les modèles quantitatifs exigent de l’étudiant de s’exprimer en relations, dans une forme mathématique précise.
Les modèles ne peuvent être simulés que quand une description mathématique syntaxiquement correcte est
entrée.25
[Löhner et al. 2003, 400]

Dans la suite de ce texte, nous utiliserons les termes « modèles » et « modélisation », pour se
référer à la catégorie générale d’explicitation, tandis que « formalisation » se référera à au cas
particulier de l’utilisation de représentations formels et calculables, associées par des relations
logiques (au sens classique) et calculables.

1.5 Les!représentations,!fondements!des!modèles!

Le concept de représentation est le fondement sous-jacent à l’ensemble des processus


de modélisation (formels et non formels). Les représentations et toutes leurs déclinaisons
(codes et codage, concepts et conceptualisation, etc.) forment les bases élémentaires sur
lesquelles se construiront les propositions, qui, elles-mêmes assemblées et mises en relation,
bâtiront les modèles.

1.5.1 La!phase!de!«!changement!de!représentation!»!

Les représentations peuvent influencer de manière significative le processus de modélisation.26


[Löhner et al. 2003, 395]

Dans le processus plus général de modélisation, il existe une première phase, décisive,
d’importance capitale. Cette phase, qui commence avec une « description », une explicitation,

25
« Quantitative models require the learner to fill in relations in their precise mathematical form. Models can
only be simulated when a syntactically correct mathematical description is entered. »
26
« Representations can significantly influence the processes of modeling. »
35
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

c'est-à-dire un codage de l’objet ou du phénomène étudié [Orlarey 2009, 350]27, nous amène à
choisir, à construire, à créer des représentations qui se substitueront aux divers aspects du
phénomène, voire à l’objet étudié. Nous nommons cette première phase : « changement de
représentations ».
Plusieurs écrits28 montrent l’importance du codage d’informations, vis-à-vis de la construction
de modèles ou du codage des problèmes en vue de leur résolution. Ces représentations ne sont
pas des concepts sans référence, mais des représentations de connaissances, soit au sens
informatique, soit au sens plus large de représentations de savoirs. Le type de représentation
choisie ainsi que l’espace de représentation choisi seront déterminants dans la suite du travail
de modélisation. Cette question nous amènera, plus loin dans ce texte, à nous poser la
question plus générale : « qu’est-ce que de « bonnes représentations » ? », « Qu’est-ce qu'une
représentation efficace, voire efficiente ? ».

1.5.2 Qu’estAce!qu’une!représentation!?!

La base de la représentation est le mensonge 29


Fernando Pessoa

Peut-être est-ce maintenant le moment de se poser cette question !

En opérant une simple recherche sur le dictionnaire des synonymes de l’université de Caen30
nous trouvons non moins de 67 synonymes :

Admonestation, admonition, air, allégorie, avertissement, blâme, carte, cartographie, cirque, connaissance, conscience, conseil, copie,
délégation, description, dessin, diagramme, doléance, écho, effigie, emblème, émission, évocation, exhibition, féerie, festival, figuration,
figure, fresque, graphe, graphique, idée, illustration, image, imitation, maintien, mandat, miroir, notation, objection, objurgation, observation,
peinture, pensée, plan, port, portrait, première, présentation, reflet, remarque, remontrance, réplique, reproche, reproduction, schéma, séance,
semonce, sermon, signe, simulacre, spectacle, symbole, tableau, totem, traduction, vision.

D'autres dictionnaires, tels que le « Grand Robert de la langue française »31, le « Grand corpus
des dictionnaires [du 9e au 20e siècle], les « Classiques Garnier »32 ou encore l’« Oxford
English Dictionary Online »33, nous fournissent l’ensemble des significations suivantes, que
nous avons résumées dans le Tableau 1.

27
« Lors du calcul musical, il y a une phase de description de mon objet. »
28
« L'ensemble des recherches présentées montrent que tout un ensemble de facteurs ont un effet sur la
découverte et l'utilisation de relations analogiques : la structure du problème à résoudre, la consigne donnée au
sujet, selon qu'elle spécifie ou non qu'il y a possibilité de se à un problème présenté antérieurement... Mais la
principale difficulté est bien celle de l'encodage des problèmes. » [E. Cauzinille-Marmèche et al. 1985, 60]
29
« A base da representação é a falsidade », Fernando Pessoa, « A arte de representar », in Ideias Estéticas – Da
Arte, Da Literatura.
30
Laboratoire CRISCO, http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi.
31
http://gr.bvdep.com/
32
http://www.classiques-garnier.com/
33
http://dictionary.oed.com/
36
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Montrer, exhiber, exposer, mettre devant les yeux, faire connaître.


Montrer à nouveau.
Mettre en la présence de quelqu’un, quelque chose, ou quelque personne.
Le fait de rendre sensible (un objet absent ou un concept) au moyen d'une image, d'une
figure, d'un signe, etc.
Signifier, mettre dans l'esprit, dans l'idée, se rappeler le souvenir d'une personne, d'une
chose, s'imaginer. Exprimer, par la parole, par le récit, par le discours ou par l’action.
Remplacer un objet, un phénomène, une personne par une autre
Faire à la place « de », muni d’un droit ou pouvoir pour.
Tableau 1 : Significations lexicographiques de représentation

Ces différentes sources34 semblent s’accorder sur le fait que les significations de ce mot, qui
vient du latin, apparaissant entre le XIIIe et XIVe siècle, et ont pour champ lexical
[Le Grand Robert, 1250] les affaires ou la « représentation commerciale » d’un rôle ou d’un
État.

Il semble plausible que notre notion de représentation soit ce qu'on appelle parfois une notion ‘cluster’ ... avec
une constellation de différents types qui partagent différentes caractéristiques nominales, mais sans définir sa
véritable essence. Si c'est le cas, alors une seule stratégie philosophique populaire pour explorer la
représentation en sciences cognitives est tout simplement intenable.35
[Ramsey 2007, 8-9]

La polysémie portée par cette notion et son ambiguïté, due notamment aux diverses
acceptions qui lui sont attribuées (avec un spectre de significations allant de la perception à la
culture [Meyer 2007, 11], en passant par les mœurs), sont responsables de sa difficulté à
trouver une légitimité et un statut objectif d’objet scientifique [Le Ny 1994, 183].

1.5.3 Représentation!comme!processus,!comme!objet…!
Première constatation lexicale : l’ambivalence du mot. Il est utilisé à la fois comme
« la » représentation et « une » représentation. Un verbe et un nom. Il indique en même temps
un processus et un état ou un rôle. Plus particulièrement, le processus et son résultat. L’action
et l’objet [Giré 1987, 19]36.

« Étymologiquement, le terme nous vient du latin repraesentare qui signifie rendre présente une chose absente
de notre champ perceptif. »
[Gallina 2006, 20]

La représentation, c'est le processus par lequel on « re présente », on présente « à nouveau »

34
[Meyer 2007, 10], Le « Grand Robert de la langue française » (http://gr.bvdep.com/), le « Grand corpus des
dictionnaires [du 9e au 20e siècle], Classiques Garnier » (http://www.classiques-garnier.com/) et l’« Oxford
English Dictionary Online » (http://dictionary.oed.com/).
35
« It seems plausible that our notion of representation is what is sometimes called a ‘‘cluster’’ concept … with
a constellation of different types that share various nominal features, but with no real defining essence. If this is
the case, then one popular philosophical strategy for exploring representation in cognitive science is simply
untenable. »
36
« …, nous notons une ambivalence sémantique, représentation pouvant désigner à la fois, l’acte et le résultat
de l’acte. »
37
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

quelque chose. Un objet, un phénomène ou un espace paramétrique, en remplacement de


l’objet, du phénomène ou de l’espace original. Ce que l’on présente, ce n’est pas l’original, ce
n’est qu’un remplaçant, une « représentation ». L’acte de représentation, représenter, est donc
aussi un acte de création, de conception d’un « substitut » à une entité, intelligible ou sensible.
L’un des sens premiers de ce concept est de montrer, de mettre devant les yeux ou l’esprit,
« quelque chose ». Ce processus opère par l’évocation de l’absence de l’objet premier (le
représenté) par la présence d’un deuxième objet (le représentant), en évoquant, en invoquant,
en créant une allusion, en remémorant, en rappelant l’original à l’esprit, par des mécanismes
d’association divers, lesquels créent des liens entre l’original et son représentant. L’espace de
la représentation, c'est l’espace de l’imagination et de la mémoire.

Pour Alain Giré, la représentation est un autre espace équivalant à la réalité, sans y être.

« … sa composition avec le préfixe RE, qui indique un état de secondarité par rapport à présentation, marquant
à la fois une coupure essentielle avec la présence de la réalité et accentuation de l’effet de cette présence sur
l’objet investi »
[Giré 1987, 19]

Représenter est un processus par lequel on construit des abstractions de la réalité, comme les
photos, les portraits, les cartes, etc. Tandis qu’on renvoie la réalité (ou le sensible) vers des
abstractions (des objets de pensée), « la » représentation, l’objet pour ainsi dire, nous permet à
l'inverse d'importer dans le domaine du sensible des concepts et des abstractions. Par
exemple, les figures de divinités, les mythes, la représentation de théories scientifiques (les
divers modèles de l’atome), la représentation de concepts théoriques et/ou philosophiques
(comme la flèche du temps), etc.

« Le concept de représentation, utilisé maintenant par les géographes, est plus vaste : la représentation consiste
soit à évoquer des objets en leur absence, soit, lorsqu'elle s'accomplit en leur présence, à compléter la
connaissance perceptive en se référant à d'autres objets non actuellement perçus. En ce sens, elle est une
création de schémas pertinents du réel qui aident à fonctionner dans le monde. La représentation permet alors
de structurer mentalement l'espace pour le pratiquer en fonction de nos valeurs et de nos objectifs. »
[Bailly 2008]

Représenter c'est une dialectique entre le réel et l’abstrait, entre le sensible et l’intelligible, qui
permet à l’être humain de maîtriser l’espace, le temps et les diverses dimensions de la réalité.
Par la pensée, l’homme est capable de concevoir, de créer et de manipuler un ensemble de
représentations en composant des espaces (sensibles et intelligibles) et en jetant des ponts
entre eux.

« On saisit alors la signification anthropologique de la pensée : loin d’être rivé à l’ici et maintenant, l’homme
acquiert une certaine maîtrise du temps. Quand tout devient signe, l’inférence est possible, c’est-à-dire qu’un
pont peut être jeté entre le présent et l’absent. »
[Fabre 2009, 17]

Représenter c'est également une dialectique entre le présent et l’absent. On présente un objet
absent, par un autre objet présent. On invoque des objets et/ou des phénomènes, en leur
absence, ou non. Le remplaçant est une évocation d’un objet premier, le représenté, par un
second (la représentation).

« Tout d’abord ce qui, dans la diversité, constitue l’unité du concept : la dialectique entre la présence du signe
et l’absence de l’objet représenté. »
[Meyer 2007, 10]

38
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Une dialectique, qui peut être vue comme une « vicariance », une dialectique de la
substitution.

« Le concept de représentation, tel qu'il est utilisé dans la théorie de la connaissance, repose sur une double
métaphore, celle de la représentation théâtrale et celle de la représentation diplomatique. La première suggère
l'idée de la « mise en présence » : la représentation expose devant le spectateur, sous une forme concrète, une
situation signifiante, des figures évocatrices, des enchaînements d'actions exemplaires ; et elle rend ainsi
présents le destin, la vie, le cours du monde, dans ce qu'ils ont de visible, mais aussi dans leurs significations
invisibles. La seconde métaphore suggère l'idée de « vicariance » : la représentation est cette sorte de transfert
d'attribution en vertu duquel une personne peut agir en nom et place d'une autre, servir de tenant-lieu à la
personne qu'elle représente. »
[Foessel, Gingras, Ladrière 2008]

1.5.4 La!formalisation!du!processus!de!représentation!
S’il existe deux conceptions opposées de la notion de représentation, l'une sémantique
reposant sur la technique d’interprétation du médium symbolique, et l'autre psychologique,
prêtant un rôle déterminant à l’intentionnalité et à l’attitude mentale [Morizot,
Pouivet 2003, 943-944], nous pensons qu’il est possible de trouver une conception,
formalisation opératoire, pouvant synthétiser les principaux aspects de ces deux positions.
Première approche, celle de Dan Sperber :

Une représentation établit un lien entre au moins trois termes : ce qui représente, ce qui est représenté, et
l'utilisateur de la représentation. Un quatrième terme peut être ajouté quand il y a un producteur de la
représentation, distinct de l’utilisateur.37
[Sperber 1996, 32]

Cependant, cette approche, comme d’autres mettant en valeur le triangle <représenté-


utilisateur-représentation>, manque d'un aspect fondamental, comme l'explique la
formalisation de Jean-François Le Ny :

« … la notion commune “être une représentation de” recouvre quatre composants : d’abord deux entités, A et B,
dont l’une, A, est l’objet (au sens large de ce mot) représentant ou représentatif, et l’autre, B, l’objet représenté,
puis une relation entre les deux, R, qui est, dans le cas envisagé ci-dessus, une similarité (ou une analogie)
objective et appréhendable, enfin un agent cognitif extérieur , C, pour qui A représente B. »
[Le Ny 1994, 184]

Cette définition montre l’existence de la propriété relationnelle « R », fondamentale selon


nous, pour comprendre le rapport entre la représentation et le représenté. En plus, de manière
implicite un autre facteur est révélé : l’intentionnalité de l’agent cognitif constructeur. Raison
pour laquelle, nous y ajoutons un cinquième terme, un agent cognitif extérieur D, destinataire
de la représentation créée, lequel porte aussi une intentionnalité dans l’interprétation et dans le
décodage de la représentation.
Dans un souci de formalisation, nous pourrions présenter cette description de la manière
suivante :
Un processus de représentation ! est un quintuplet {!, !, !, !, !}, où

37
« A representation sets up a relationship between at least three terms: that which represents, that which is
represented, and the user of the representation. A fourth term may be added when there is a producer of the
representation distinct from its user. »
39
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

! est l’objet représentant, ou représentatif. ! est une « représentation » de !, le domaine,


c'est-à-dire une image, du point de vue mathématique ;
! est l’objet ou phénomène représenté, ou le domaine (espace de paramètres) devant être
représenté ;
! est la relation objective et appréhendable par !, reliant ! à !!;
! est un agent cognitif extérieur constructeur de la représentation et
! est un agent cognitif extérieur destinataire, interprétant la représentation.

Dans ce contexte, nous pourrions aussi bien considérer ! et ! comme des phénomènes38, soit
des ensembles perçus par la conscience et par l’esprit de l’agent cognitif C. Dans certains cas,
C et D seront confondus, l’agent C pourra alors être le seul destinataire de sa propre
représentation.

« Il convient ne pas oublier ce dernier composant : il implique qu’une activité cognitive est appliquée à A et B. »
[Le Ny 1994, 184].

Force est de constater que dans le processus de représentation, il existe un sujet : l’agent
cognitif extérieur C, à qui est présenté !, et une activité cognitive à caractère symbolique ou
sémiotique, créatrice de la représentation. Cette même activité cognitive chez D sera
responsable de l’interprétation.

Pour tout élément r représentant un élément particulier t, il doit y avoir un agent conscient s à qui r représente t.
J’appelle cela le fait fondamental de la représentation.39
[Georgalis 2005, 128-129]

Ce point est d’importance capitale. La représentation est un processus de construction, avec


une intention. Le « contenu » de cette représentation sera relié à l’intention (propos) de
l’agent cognitif constructeur C.

Mais à qui, voire à quoi, le présentons-nous ? Nous le présentons « à quelqu’un », à un « je »,


à un « moi », à l’esprit d’un sujet, à un autre agent cognitif D, qui peut être aussi le même que
C. Plus généralement, le processus de représentation est la présentation d’une chose ou d’un
phénomène à un champ perceptif d’un agent cognitif. Ce point est d’une importance capitale.
Il ne peut y avoir de représentation que s’il existe un « agent cognitif » pour le concevoir et un
« agent cognitif » pour le percevoir ou l’interpréter. Cet agent cognitif pourra être humain ou
non.
De ce point de vue, la représentation ! renvoie à l’objet !, à partir d’une propriété
relationnelle!! , objective et appréhendable par un agent cognitif extérieur ! pour un agent
cognitif !.

38
Grand Robert : « Ce qui se manifeste à la conscience, que ce soit par l'intermédiaire des sens (phénomènes
extérieurs, physiques, sensibles) ou non (phénomènes psychologiques, affectifs…) », « Chez Kant, Tout ce qui
est objet d'expérience possible, qui apparaît dans l'espace et dans le temps, par oppos. au noumène ». Dans notre
cas nous utiliserons la première définition puisque nous considérerons les idées comme des phénomènes, comme
des objets qui se manifestent à la conscience.
39
« For any item r to represent a particular item t, there must be a conscious agent s to whom r represents t. I call
this the fundamental fact of representation. »
40
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

! !, ! : ! → !

Équation 1 : La relation « R » qui construit une représentation « A » à partir de l’objet « B », est fonction de l’agent
cognitif « C » , pour l’agent cognitif « D »

Dans tous les cas, les représentations ! n’ont de sens qu’en fonction de l’existence d’un agent
cognitif ! qui sera capable d’établir la relation ! entre ! et !, et d’un agent cognitif !,
capable d’interpréter la relation ! pour comprendre !. L’établissement de cette relation est à
la base du processus de construction de la représentation.

Cette formalisation explique, en partie, ce que Boulez appelle le circuit « auteur –


interprète » :

« A le compositeur engendre une structure qu’il chiffre ;


B qu’il chiffre dans une grille codée ;
C l’interprète déchiffre cette grille codée ;
D d’après ce décodage, il restitue la structure qui lui a été transmise. »40
[Boulez 1981, 81]

Dans le cas de Boulez nous avons : l’original (la structure de départ présente dans l’esprit du
compositeur), l’agent cognitif concepteur (le compositeur) de la représentation (la structure
chiffrée, soit la grille codée), une relation (le contexte de représentation, les règles de
chiffrage) et l’agent cognitif décodeur (l’interprète). Dans ce cas précis, nous aurons deux
agents cognitifs, le concepteur/codeur et le décodeur/interprétant.

Autre exemple, la représentation de la fréquence des notes de l’échelle tempérée à douze tons
par leurs « classes de hauteurs ».
!!!
L’objet original A sera la note « k », qui a pour fréquence !! = 440 ∗ 2 !" , où ! ∈ !.
La représentation B, sera ! ∈ ! 12!
!"#!12, |!! ∈ !, ! ∈ ! 12!
!!
La relation R sera définie par ! = 69 − 12 ∗ !"#! !!"

Il est évident, dans ce cas précis, que nous avons besoin d’un ensemble de facteurs et d'un
contexte social et culturel pour interpréter l’expression mathématique qui relie la valeur de
l’index à une valeur numérique comprise comme une fréquence. Le sens que nous donnerons
à chaque symbole étant relié à notre connaissance, ou non, du langage mathématique.

Il est aisé de se rendre compte que, dans tous les cas de la représentation, cette structure
quintuple reste invariante (objet original, représentation, relation, agents cognitifs
constructeurs et agents cognitifs interprètes). Seule la signification de ses constituants change
en fonction du contexte, tout comme l’agent cognitif qui l’interprète. Le type de
représentation sera aussi défini en fonction du caractère de !, de son espace de construction,
du caractère objectivable de !, de la nature de ! et surtout, comme nous le verrons par la
suite, des intentions de !! [Fraassen 2008, 23].

40
Dans le texte original, les caractères en gras sont en italique.
41
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

1.5.5 La!propriété!relationnelle!R!!

Lorsque deux objets, qualités, classes ou attributs, vus ensemble par l'esprit, sont vus sous un certain rapport, ce
rapport est appelé une relation.41
Augustus De Morgan42

Pour généraliser les différentes acceptions attribuées à la propriété relationnelle !, dans


notre cas précis, nous lui conférons deux natures précises :

1) Une nature « analogique »

« …une représentation est analogique dans la mesure où elle est similaire à son contenu, c’est-à- dire qu’elle
présente une identité de forme avec ce contenu (e.g., percepts, images…)… »
[Plagnol 2007, 330]

D’un point de vue général, nous considérons l’analogie comme étant un ensemble de rapports
établis par l’imagination entre deux « choses » ou deux phénomènes, physiques ou abstraits.
Ces rapports peuvent être des rapports de forme, de structure (proportions), de nature,
fonctionnels ou conventionnels.

D’un point de vue plus particulier, nous pensons qu’une relation de représentation ! est dite
analogique lorsque la représentation ! « ressemble » au représenté ! à un niveau donné. La
ressemblance consiste à avoir des propriétés et/ou caractéristiques communes, ou d’avoir des
caractéristiques ou des propriétés ayant des propriétés et/ou caractéristiques communes
[Fraassen 2008, 34] entre elles. Cette ressemblance peut être à plusieurs niveaux, allant du
rapport métaphorique jusqu’à la relation logique. La relation ! peut aussi être considérée
comme un homéomorphisme.

Nous pouvons identifier deux catégories de relations analogiques établies : des relations
quantitatives, et des relations qualitatives. Les relations analogiques quantitatives englobent
toute relation pouvant être exprimée comme un ensemble de rapports entre des phénomènes
quantifiables. Par exemple :

Le rapport entre les valeurs des notes « MIDI » (Note_MIDI) et les classes de hauteurs
module « n » (! ! ),! ! = !"#$_!"#"!!"#!!.

Le calcul de la rugosité psychoacoustique ([Pressnitzer 1998], [Vassilakis, Fitz 2007])


à partir d’un ensemble de pics spectraux représentés comme des paires « fréquence et
amplitude ».

Le calcul de la « brillance » (centroïde spectral) comme moyenne pondérée des paires


fréquence/amplitude, dans une fenêtre d’analyse d’une transformée de Fourier rapide.

Les relations analogiques qualitatives se rapportent à des relations exprimées à partir de


caractéristiques non quantifiables, ou grossièrement quantifiables, exprimées usuellement

41
« When two objects, qualities, classes, or attributes, viewed together by the mind, are seen under some
connexion, that connexion is called a relation. »
42
De Morgan, A., « On the syllogism », in Heath, P., On the syllogism and other logical writings, Routledge,
1858, édition de 1966, p. 119.
42
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

comme des propositions en langage naturel. Nous pouvons donner deux exemples. Le premier
est une analyse musicale du début du XXe siècle, le second une chronique musicale
contemporaine.

Dans l’analyse musicale d’André Himonet [Himonet 1922] de Louise de Gustave


Charpentier, nous pouvons lire : « Le leitmotiv n'est pas un fil de fer rigide ; il est très ductile
et, selon la place qu'il occupe dans le discours musical, le plan où il s'étage dans la
polyphonie, suivant les modifications plus ou moins profondes que le compositeur lui fait
subir, se prête à des significations diverses et nuancées qu'un seul terme ne peut évidemment
contenir ni suggérer » [Himonet 1922, 64].

Plus loin, Himonet décrit le plan harmonique du prélude : « Si on examine le Prélude au point
de vue tonal, on se trouve conduit à cette constatation intéressante qu'il offre un schéma du
premier acte. Le ton initial d'ut majeur y est le plus souvent employé. Celui de ré bémol ne
l'est guère moins ; le compositeur l'introduit aux endroits particulièrement pathétiques,
notamment au cours de la déclaration d'amour de Julien, à l'entrée du père, et à la
conclusion de l'acte » [Himonet 1922, 67].

Dans le premier extrait, Himonet compare le leitmotiv à un fil de fer, soit une ossature rigide,
capable de soutenir le discours, mais par contre assez flexible pour s’adapter aux changements
harmoniques, rythmiques et/ou aux textures musicales. Dans le deuxième extrait, l’analogie se
situe au niveau du comptage statistique de l’apparition des champs harmoniques. Ut majeur
est « souvent » employé, ré bémol « guère moins ». On pourrait presque en déduire une
répartition uniforme entre ces deux champs harmoniques. Cependant, à l'exception de
l’indication claire de l’apparition de ce champ lors de la « déclaration d’amour de Julien »,
nous n’avons aucune indication véritablement précise.

Ces relations analogiques qualitatives ne sont pas la prérogative d’une certaine forme
d’analyse musicale, mais peuplent également les chroniques musicales actuelles. La
chronique de Laurent Bergnach sur le concert du 13/06/2012 à la cité de la musique, dirigé
par Jean Deroyer43 (les italiques dans les citations ne font pas partie du texte original) en est
un bon exemple :

Au sujet de Passacaille pour Tokyo44 de Philippe Manoury, pour piano et ensemble


instrumental : « D’une vingtaine de minutes, l’œuvre s’ouvre sur une agitation de cuivres et
de piano pour se calmer peu à peu : la matière sonore s’allège de conserve avec le
ralentissement du tempo, permettant la mise en relief d’éclats percussifs, comme des
scintillements occasionnels. »

Au sujet d’Inferno de Yann Robin : « …ébauches de saturation, relief du grain des


cuivres, notes perçantes, décharges aux cinq grosses caisses, etc. –, alternant avec des
accalmies toutefois sinueuses et anxiogènes. »

Dans ces deux extraits, la description est faite à partir d’analogies et de métaphores. Il ne nous
semble pas inutile d’y revenir ou d'insister.

43
http://www.anaclase.com/chroniques/jean-deroyer-dirige-le-philhar%E2%80%99 (04/10/2013).
44
http://www.philippemanoury.com/?p=265 (04/10/2013).
43
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2) Une nature « symbolique »

« … une représentation est symbolique lorsque sa forme est arbitraire relativement à son contenu (e.g.,
représentations langagières). »
[Plagnol 2007, 330]

Une relation de représentation ! sera dite symbolique lorsqu’elle établira un rapport arbitraire
de forme ou de structure, entre la représentation ! et le représenté B. R sera une
correspondance [Le Ny 1994, 185], n’établissant aucune sorte de similarité objective ou
perceptible, simplement une relation habituelle, conventionnelle ou accidentelle, c'est-à-dire
un symbole ou un signe saussurien. Nous aurons, par exemple, dans cette catégorie la
dénomination anglo-saxonne des notes de musique (A, B, C, D, E, F, G, H), la grande partie
des mots d’une langue (voir Figure 245), les symboles algébriques, etc.

Dans la suite de ce travail, nous nous préoccuperons plutôt des relations de nature
« analogique », celles de nature symbolique ayant été largement explorées dans plusieurs
travaux sur la sémiotique musicale.

Figure 2 :Le mot « cheval » en plusieurs langues (de la gauche vers la droite, du haut vers le bas : portugais, français,
anglais, espagnol, espéranto, latin, allemand, tibétain, grec, hébreu, arabe et yiddish)

1.5.5.1 Un mot sur les représentations analogiques et métaphoriques


Comme nous l’avons précisé ci-dessus, dans le cadre de cette étude, nous utiliserons le
terme « analogique » au sens large, en tant que classe de relations allant des représentations
purement numériques aux « analogies de langage » comme les métaphores. Dans la littérature,
le terme « analogique », peut posséder deux sens bien distincts. Il représente, comme dans
notre cas, toute une classe de relations fondées sur la similitude ou la ressemblance à un degré
donné. Ainsi, il indique, soit une « figure de rhétorique, procédé de langage qui consiste en
un transfert de sens (terme concret dans un contexte abstrait) par substitution analogique »46,
soit des « relations analogiques qualitatives », comme la métaphore. Cette deuxième
signification donnée à « analogique » est souvent utilisée en opposition à des représentations
logiques dans des cadres scientifiques formels, tels que les mathématiques.

Les relations analogiques qualitatives sont souvent négligées dans le travail de modélisation et
de formalisation, de par leur manque de précision, ou de par leur incapacité à établir des
rapports mesurables, ou de proposer des modèles formels. Dans ce contexte, l’analogie, ou la
pensée analogique, au sens de métaphore, a toujours été sous-estimée en tant que
45
Il est à remarquer que nous n’avons pas inclus le chinois ni le japonais, où il existe un rapport d’analogie
visuelle entre l’idéogramme et l’objet, pour « cheval ».
46
Le Grand Robert, en ligne. « métaphore ».
44
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

représentation non opératoire et non formelle. Elle est de fait souvent définie comme un
« raisonnement non rigoureux » [Callzinille-Marmèche et al. 1985, 50].

Comme le remarque Philippe Dessus, en citant Lev Vygotski, « on comprend le monde


environnant en utilisant des outils intellectuels médiateurs (mediating intelectual tools),
comme «[...] le langage, les diverses formes de comptage et de calcul, les moyens
mnémotechniques, les symboles algébriques, les œuvres d’art, l’écriture, les schémas, les
diagrammes, les cartes, les plans, tous les signes possibles, etc. » (Vygotski, 1985, p. 39). »
[Dessus 2003, 72]. L’acquisition de connaissances passe, entre autres, par l’usage d’outils
cognitifs.

Depuis les années 1980 [Gineste 1984, 387] un certain nombre d’auteurs ([Ricoeur 1975],
[Gineste 1984], [Cauzinille-Marmèche et al. 1985], [Egan 1998], [Abdounur 1999], etc.)
s’accordent sur le fait que ces relations analogiques qualitatives, et les métaphores en général,
sont de grande importance dans le mécanisme d’acquisition de nouvelles connaissances. Elles
agissent comme de vrais outils dans le processus d’apprentissage, créant des liens de passage
d’un domaine de connaissances à l'autre, et permettant de jeter les bases d’une compréhension
des phénomènes étudiés.

Jusqu’au XXe siècle, la construction de connaissances se fondait sur une idée d’accumulation,
à l'image de briques où chaque étape était acquise à partir d’une méthode de travail
cartésienne basée sur l’enchaînement de raisonnements logiques, d'inférences déductives, de
la disjonction entre sujet et objet, et de la croyance selon laquelle la connaissance des parties
d’un système complexe aboutit forcément à la compréhension du tout [Abdounur 1999, 98].
João Oscar Abdounur [Abdounur 1999, 95-198], propose que la connaissance humaine
s’organise comme un réseau de significations, lui-même espace de représentations. Dans ce
cadre (Paul Ricoeur serait sans doute d’accord [Ricoeur 1975]), la métaphore aurait la
fonction de suggérer, d’établir et de développer de nouvelles significations, notamment par le
fait qu’elle « représente » le phénomène ou l’objet, et qu'elle met en évidence une certaine
partie de l’information, et/ou des caractéristiques intraduisibles par d’autres moyens. Ce point
érige les métaphores et les analogies en des recours, en des stratégies rhétoriques, lesquels
permettent de transmettre à l’auditeur/lecteur/interlocuteur une impression, une sensation, un
affect pour illustrer un point de compréhension difficile. Comme le signale Marie-Dominique
Gineste « d'autre part, les analogies semblent être considérées comme une première étape
pour comprendre des concepts abstraits… » [Gineste 1984, 394]. Elles sont souvent la « porte
d’entrée » du chemin de la modélisation et de la formalisation, jouant « en effet un rôle
fondamental dans l'élaboration des procédures de résolution et dans la construction de
connaissances nouvelles, ainsi que dans l'argumentation. » [Callzinille-Marmèche et al., 1985,
49-50]. Oscar João Abdounur [Abdounur 1999, 143] considère que la pensée analogique est
la porte d’entrée à une pensée plus abstraite. C'est un passe-partout à l’accès et à la
reconstruction du sens. Il est aisé de comprendre l’utilité de ce mode de pensée, de ce type de
représentations, dans des activités telles que la transmission pédagogique, la modélisation et
la formalisation, la composition assistée par ordinateur et la musicologie computationnelle. Le
raisonnement analogique a un rôle heuristique dans la recherche de solutions d’un problème
ou dans le processus de modélisation. La métaphore incite, inspire, stimule l’imaginaire du
créateur. L’histoire de la musique en regorge d’exemples. En ce qui concerne la création
artistique, le fait que la pensée analogique et métaphorique crée un réseau de significations est
d'une grande aide. Cela renforce la créativité et l’imagination.

45
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

« L'analogie est utilisée pour doter l'objet à traiter de propriétés nouvelles. L'aspect essentiel du raisonnement
analogique est son aspect inventif (Dorolle, 1949 ; Blanché ,1913). »
[Cauzinille-Marmèche et al. 1985, 60]

Pour prendre quelques exemples proches de nous. Attracteurs étranges, pour violoncelle solo,
1992, Éditions Henry Lemoine, de Tristan Murail. Contrairement à d’autres œuvres (tels que
Serendib ou l’Esprit des eaux), Murail n’a pas utilisé d’analogies mathématiques ou formelles
entre les modèles non linéaires, dits du « chaos », et les structures musicales qu’il a
composées. Tristan Murail s’est inspiré, de manière métaphorique, de la capacité de ces
systèmes dynamiques à posséder des configurations d’équilibre vers lesquelles ils tendent à
revenir. Selon ses propres mots :

« Le titre des Attracteurs étranges fait allusion à cet univers nouveau des mathématiques, le monde "chaotique"
où l'on regroupe les fractales, l'étude des turbulences, les évolutions de population, etc. Certains de ces
phénomènes portent des noms évocateurs, qui ont séduit - à retardement comme toujours - les médias :
poussière de Cantor, flocon de Koch, effet papillon... La force poétique de ces nouveaux objets mathématiques
provient du fait que par des opérations très complexes, mais cachées, l'on peut produire des formes globalement
simples, mais riches et frappantes pour l'imagination. Toutefois, ici, je n'ai employé aucun procédé
mathématique au sens propre. Il s'agit seulement d'une analogie poétique. À l'instar des "attracteurs étranges",
sortes de pendules virtuels qui oscillent bizarrement autour de plusieurs points d'équilibre, les contours
mélodiques du violoncelle décrivent des spirales qui semblent toujours revenir vers un ou plusieurs mêmes
points, mais qui en fait suivent des parcours toujours différents, gauchis, détournés. On croit parfois atteindre
l'un de ces points d'équilibres : mais l'équilibre est instable, et projette la musique dans un nouveau cycle
d'oscillations. »
[Murail 1992, notice]47

Autre exemple. Le travail artistique d' Hector Parra s'inspire de théories scientifiques comme
celles de la couleur (de Strette, 2000 à 2003, à la série Time fields, 2002 à 2006), de la
formation physique de la réalité (Hypermusic Prologue - 2008-2009, inspiré du livre Warped
Passages de la physicienne Lisa Randall, et Caressant l'horizon, 2011), des modèles du
vivant (Mineral Life et Early Life,2010). Hector Parra établit des rapports entre ces théories et
la musique, qui vont de l’analogie structurelle aux analogies de langage, c'est-à-dire des
métaphores. Par exemple, pour sa pièce Mineral Life – 2010, pour percussion solo, Hector
Parra construit des analogies entre les processus de formation de la vie et des processus
musicaux (cf. Tableau 2). Hector Parra écrit : « In Mineral Life and Early Life (2010) I have
tried to create a musical structure inspired by biological process on a large scale, and more
speciffically in how life could have originated on Earth 4000 million years ago according to
various scientific theories proposed by G. Cairns-Smith, Lyn Margulis and other biologists. »
[Parra 2013, 1].

47
Aussi accessible à http://www.tristanmurail.com/fr/œuvre-fiche.php?cotage=27526, (07/09/2013).
46
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Processus d’origine de la vie selon les théories de G.


! Processus musicaux
Cairns-Smith, Lyn Margulis et autres
Des processus musicaux apparaissent
La vie apparaît spontanément comme un résultat 1
spontanément.
naturel d’un processus physico-chimique.
La vie c’est principalement au sujet de systèmes d’un Le matériau musical, en soi, est moins important
2
certain type, et non au sujet des substances en tant que que la relation entre les matériaux et les
telles processus qui évoluent dans le temps.
La vie peut commencer à apparaître lorsqu’il existe des
3 Mise en œuvre rapide des systèmes de
mécanismes de maintien et de propagation d’une sorte
réplication des données musicales.
de logiciel- d'information génétique- indéfiniment.
Comment la sélection naturelle peut-elle être un 4 Les mêmes structures rythmiques et gestuelles
inventeur ? " Grâce à la découverte des fonctions dans différentes manières de jouer
alternatives pour les structures préexistantes.
La vie sur Terre a commencé avec des appareils zéro-
technologie, un certain ensemble de microsystèmes 5
Matériau musical initial extrêmement simple !
fortuitement pré adaptés à évoluer par sélection
naturelle.
6 Évolution musicale à partir des façons les plus
Le milieu doit fournir les unités à partir desquelles le
simples et naturels de jouer de ces instruments
premier matériel génétique est construit.
(congas, bongos, Octobans, …)
La vie, c’est de l’ingénierie naturelle – et l’application
de principes d’ingénierie. Les premiers organismes 7 Commencez la pièce de la manière la plus
devaient démarrer une nouvelle entreprise sans aucune simple et mécanique possible.
technologie préexistante.
Tableau 2 : Analogies entre théories scientifiques et processus musicaux [Parra 2013, 1-2]

Le compositeur le dit clairement : il n’a pas sonifié les théories, il s’en est « inspiré ».
Étymologiquement48, « inspirer » vient du latin inspirare, « in souffler », d’être animé par un
élan divin. Dans le cas présent, pour être plus précis, et plus sérieux, c’est d’avoir stimulé sa
créativité, son imagination par ces concepts scientifiques. Regardons comment ces idées ont
été mises en œuvre dans la partition. La Figure 3 nous présente le début de la partition où
nous pouvons apprécier la mise en œuvre de l’item 5, « Matériau musical initial extrêmement
simple ! » et 7, « Commencez la pièce de la manière la plus simple et mécanique possible »
du Tableau 2. Effectivement, le processus musical se fonde sur un ensemble de figures
rythmiques, combinées, donnant une impression de répétitions, sur un seul timbre, celui des
congas.

Figure 3 : Mineral Life – 2010 – pour percussion solo, [Parra 2010, 1]

48
Le Grand Robert en ligne.
47
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 4 : Figures rythmiques de Mineral Life – 2010 – pour percussion solo, [Parra 2010, 1]

La Figure 4 présente un ensemble de quelques figures, gestes, qui évolueront par la suite, par
changement de position d’accent, par combinaison et par substitution de valeur positive par
des pauses. Ces figures évolueront ensuite, « transposées » sur d'autres instruments ou jouées
avec d'autres modes de jeu, de la frappe simple à une section jouée avec des gants. La Figure
5 présente la page quatre de la partition, où commencent les mutations des figures de base, par
introduction de silence et par changement de position d'accent.

Figure 5 : Mineral Life – 2010 –pour percussion solo, [Parra 2010, 4]

La vulgarisation du savoir (comme nous l’avons vue dans la chronique ci-dessus) passe
forcément par une description analogique pour permettre aux auditeurs une initiation
progressive dans un champ de connaissances particulier. Cette description analogique passe
par une phase où les propositions qualitatives ont comme objectif de parler aux sens plus qu’à
l’intellect. D’un point de vue plus proche de nos préoccupations formelles, nous dirons que la
pensée analogique qualitative et que la pensée métaphorique sont les clefs facilitant l’entrée
dans le monde de la formalisation.

48
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

1.5.6 Les!deux!catégories!de!représentations!

Si notre notion de représentation implique un ensemble de caractéristiques, nous pouvons nous demander ce que
sont certaines de ces caractéristiques. En effet, un point important est le fait qu'il n'y a pas qu’ un ensemble (de
caractéristiques) mais deux constellations qui se chevauchent, ce qui correspond à deux familles différentes de
notions de représentation. Un groupe correspond aux diverses notions de représentations mentales, et l'autre
aux différents types de représentations non-mentales.49
[Ramsey 2007, 14]

Concernant la représentation, nous pouvons trouver deux catégories : les représentations


mentales et les représentations non mentales, celles-ci pouvant être individuelles ou
collectives.

1.5.6.1 Les représentations mentales


Une représentation peut exister à l'intérieur de son utilisateur : elle est alors une représentation mentale, comme
une mémoire, une croyance ou une intention. Le producteur et l'utilisateur d'une représentation mentale sont une
seule et même personne.50
[Sperber 1996, 32]

Il existe plusieurs définitions des représentations mentales [Gallistel 2004]. Certaines


de ces définitions considèrent les images mentales (ou représentations mentales) comme un
système de symboles. D’autres, reliées à la psychologie comportementale, considèrent que les
représentations mentales n’existent pas et ne peuvent être la cible d’une psychologie
scientifique. Enfin, une troisième catégorie de définitions, d’une perspective cognitiviste,
considèrent la psychologie en tant qu’étude des représentations mentales.

Dans notre étude nous considérerons plutôt une perspective cognitiviste. Les représentations
mentales seront alors les situations où la représentation ! est un objet ou un phénomène
subjectif. Par exemple : les pensées, les jugements, les croyances, les désirs, les intentions, les
expériences perceptives et les souvenirs, les images mentales, les évocations du monde
visible, sont toutes des représentations mentales, et des « entités internes », correspondantes
cognitives individuelles des réalités externes expérimentées par un sujet [Michel Denis in
[Houle et al. 1998, 345]. Cependant, n’oublions pas que, « même les plus banales de nos
représentations mentales sont le produit de nos systèmes sensoriels et sensitifs » [Miller 2000,
161], ce qui nous amène au fait « qu’on ne peut en construire que des représentations
incomplètes, subjectives et divergentes, puisqu’elles dépendent du système d’observation
utilisé et du sens conféré aux données. » [Bourion 2008, 48]. Les représentations mentales
seront donc l’ensemble « des formes visuelles, auditives, tactiles, olfactives, tonico-motrices,
émotionnelles, etc., qui constituent les objets de notre pensée, avec les liens qui les unissent. »
[Gibello 2006, 43]

49
« If our notion of representation involves a cluster of features, we can ask what some of those features are. In
fact, a strong case can be made that there is not one cluster but two overlapping constellations, corresponding
with two different families of representational notions. One cluster corresponds to various notions of mental
representation, the other to different types of non-mental representation. »
50
« A representation may exist inside its user: it is then a mental representation, such as a memory, a belief, or an
intention. The producer and the user of a mental representation are one and the same person. »
49
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

1.5.6.2 Les représentations non mentales


Les représentations non mentales, ou représentations externes, sont les situations où la
représentation ! est un objet objectivable (phénomène). Par exemple : les énoncés
linguistiques, les partitions, les symboles logiques et mathématiques, les diagrammes, les
plans de construction, les panneaux routiers, les cartes géographiques, les tableaux, les
dessins, les photographies, les films et les états des appareils de mesure (les jauges, les
thermomètres, les échelles, les galvanomètres, etc.). Dans les représentations non mentales,
les représentations A peuvent être conçues, connues, comprises, entendues, perçues. Plus
généralement, elles peuvent être appréhendées en dehors de ce qu’elles représentent, ou de ce
qu’elles sont susceptibles de représenter [Le Ny1994, 184]. Les représentations non
mentales,€ou représentations externes seront le sujet principal de ce mémoire.

1.5.7 Les!représentations!culturelles!ou!collectives!

Une représentation peut aussi exister dans l'environnement de son utilisateur, comme c'est le cas, par exemple,
du texte que vous lisez présentement, elle est alors une représentation publique. Les représentations publiques
sont généralement des moyens de communication entre un utilisateur et un producteur distincts l'un de l'autre.51
[Sperber 1996, 32]

Que les représentations soient mentales ou non mentales, toutes deux peuvent être
aussi bien individuelles que collectives. Il existe des représentations qui sont partagées par des
collectivités ou par des groupes humains. Des représentations qui se construisent par
répétition, par communication et par réinterprétation. La musique ou la littérature sont des
exemples de représentations collectives. Ce sont des représentations partagées par un groupe.

En revanche, la représentation mentale résultante de la compréhension d'une représentation publique est une
interprétation de celle-là. Le processus de communication peut être séparé en deux processus d'interprétation :
l'un du mental au public, l'autre du secteur public vers le mental.52
[Sperber 1996, 34]

1.5.8 Les!deux!aspects!de!la!représentation,!syntaxe!et!sémantique!

La compétence la plus fondamentale que les étudiants doivent développer est la compréhension de la syntaxe de
la représentation. Ils doivent comprendre comment une représentation code et présente des informations, ce qui
est parfois appelé le format de la représentation ... 53
[Ainsworth 2008, 200]

51
« A representation may also exist in the environment of its user, as is the case, for instance, of the text you are
presently reading; it is then a public representation. Public representations are usually means of communication
between a user and a producer distinct from one another. »
52
« Conversely, the mental representation resulting from the comprehension of a public representation is an
interpretation of it. The process of communication can be factored into two processes of interpretation: one from
the mental to the public, the other from the public to the mental. »
53
« The most basic competency that learners must develop is to understand the representational syntax. They
must understand how a representation encodes and presents information, sometimes called the format of the
représentation… »
50
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

1.5.8.1 La syntaxe
Toute représentation (externe, non mentale) possède deux aspects. L'aspect syntaxique
et l'aspect sémantique [Keijzer 2001, 19].

L’aspect syntaxique permet aux représentations de s’organiser comme un ensemble fini de


représentations, et par un ensemble de règles. Cet aspect est responsable de la « forme » et de
l'articulation, au sens large, de ces représentations. Dans le cas de la notation musicale,
l’aspect syntaxique s'assimile aux règles, aux conventions d’écriture, de formation et
d’organisation de cette notation. Par exemple, les Figure 6 et Figure 7 présentent différentes
conventions de notation d’après deux sources [Gerou, Lusk 1996] et [Gould 2011, 404]. La
convention de notation consiste en l’aspect syntaxique, alors que la signification de cette
notation se réfère au « contenu », c'est-à-dire sa sémantique.

[Gerou, Lusk 1996, 61]


[Gerou, Lusk 1996, 4]
Figure 6 : Conventions de notation d’après [Gerou, Lusk 1996]

Figure 7 : Conventions de notation d’après [Gould 2011, 404]

1.5.8.2 La sémantique
Il est clair que la théorie de la représentation suscite d’importantes controverses, à commencer par celles
relatives à l’existence et au contenu des représentations,…
[Plagnol 2007, 328]

L’aspect sémantique, comme nous le verrons, dépendra du contexte, des intentions de


l’agent cognitif créateur de la représentation et aussi des intentions de l’agent cognitif
récepteur. Cet aspect est responsable de son « contenu », et rend les objets porteurs de sens.
Pour revenir au cas de la notation musicale, la sémantique nous aidera à décoder le sens. Par
exemple, Figure 9, nous comprenons qu'il s'agit d'un extrait de musique pour flûte,
représentant des croches, dans une mesure à « 3/8 » (un rythme ternaire), dont les notes sont :
la3, la4, si4, re4 (appogiature), do5, et ainsi de suite. Pour un flûtiste, cette représentation
l’informe sur les doigtés qu’il devra utiliser.
51
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

54
Figure 8 : Premières mesures du manuscrit du « Poco Adagio » de la Sonata for Solo Flute, Wq.132 (H.562) »

Regardons d’autres types de représentations, d’autres « objets ». Si nous prenons un nombre,


« 55 » par exemple. Il existe bien une théorie des nombres, une théorie qui nous indique
comment construire et opérer avec des nombres, en principe entiers. Cependant, si l’on se
pose la question : que représente « 55 » ?
Une valeur métronomique ? Une noire à 55 M.M.
Une fréquence ? 55 Hz ! La0
Une valeur MIDI ? ! Sol2
Une durée ? (En sec, ms, min, …)
Le préfixe international pour appeler le Brésil ?
Ce simple exemple nous permet de nous rendre compte de la polysémie de la représentation
numérique. Ceci est dû au fait que la syntaxe n’est pas suffisante pour interpréter, comprendre
ou décoder une représentation. Si l’aspect syntaxique permet aux représentations de
s’organiser, de donner une certaine invariance, nous avons tout de même besoin d’un cadre,
d’un contexte d’interprétation, ou d’une sémantique. C’est la sémantique qui permettra aux
« agents cognitifs », humains ou non, de donner un sens à une représentation. En général, le
sens donné aux représentations est établi par son créateur, ce qui n’empêche pas qu’il soit
redéfini par rapport à un ensemble de conventions.

La représentation est toujours « ma » représentation


[Morin 1986, 122]

1.5.9 Les!représentations!de!représentations!(métareprésentations)!
Parler de la musique et l'étudier implique de décrire, de traduire, de reproduire, de
citer, etc.…, et finalement, d'interpréter. Comment parler de musique, sujet principal de ce
mémoire, quand on ne peut que « discourir » sur des représentations ? Quand on ne peut que
créer des représentations de représentations ? Pour commencer, nous dirons que chacun de ces
concepts (décrire, traduire, reproduire, etc.) implique des degrés et des intentions différentes
du processus de « re présentation ».

1.5.9.1 La reproduction
La reproduction tend vers la tautologie, puisqu’elle ne peut être que vraie si elle est
« perceptuellement semblable à ce qu'elle représente. » [Sperber 1981, 71]. Les citations
peuvent être considérées comme des reproductions. C’est l’action, et l’intention, de recréer
par l’imitation, par la répétition, par l'identité par rapport à un original55. C’est « re présenter »

54
http://imslp.org/wiki/Special:ImagefromIndex/26944
55
Le grand Robert de la langue française. http://gr.bvdep.com/gr.asp.
52
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

un supposé clone, tout ou partie, d’un originel. Reproduire c’est reconstruire, utilisant le
même espace d’expression du phénomène originel56.

1.5.9.2 La description
La description est un acte de déconstruction d’un phénomène par l’énumération de ses
caractéristiques, et/ou de ses propriétés sous « la forme d'énoncés affirmant des propositions »
[Sperber 1981, 71]. C’est aussi la « re présentation » d’un phénomène par un ensemble de
représentations, dans des espaces d’expression différents de l’espace d’expression du
phénomène originel. L'une des caractéristiques de la description consiste en une volonté de
neutralité, de rester au plus proche du phénomène original, en relevant simplement des
« aspects » ou des « caractéristiques », mais sans désir d’interprétation ni de liaison.
Évidemment, la tâche n’est pas aisée.

« … que lorsqu’on prétend décrire le monde en soi (le monde ontologique, diraient les philosophes), nous
décrivons en fait les itinéraires qui nous ont permis d’y cheminer et d’y réaliser nos projets (y compris les
itinéraires qui se sont révélés non viables, voire fatals à nos hypothèses et constructions). »
[Larochelle 2006]

Lors de la description, nous articulons le phénomène, nous le déconstruisons, nous créons des
classes, des ensembles d’identités ou de différences. Des représentations de représentations
sont créées. Nous finissons par projeter notre connaissance, et finalement en donner une
interprétation.

Décrire, c'est classer. Classer, c'est connaître selon un certain point de vue, toujours particulier.
[Jenny 2004]

Dans le processus de description, il y a un début d’appropriation d’une connaissance, un début


d’interprétation. Cependant, décrire, c'est souvent la construction d’une nouvelle version du
phénomène donnée [Sperber 1996, 34], dans différent espaces d’expression.

1.5.9.3 L’interprétation
Comme le cite Sperber, « on peut définir les interprétations comme des représentations
fidèles à la signification de l'objet interprété dans certains cas particuliers comme la traduction
ou la paraphrase. » [Sperber 1981, 71]. Si les interprétations ne sont pas nécessairement vraies
d’un point de vue formel, elles le sont du point de vue de la « compréhension » de l’agent
cognitif qui les produit. L’interprétation, c’est l’acte de relier, de donner à voir ou à
comprendre, de proposer d’autres représentations du phénomène étudié, même si ces
nouvelles représentations sont moins fidèles au phénomène original. En analyse musicale,
cette réflexion est à notre avis fondamentale. Analyser, ce n’est pas décrire, c’est aller au-delà
pour reconstruire un phénomène.
En paraphrasant Sperber [Sperber 1996, 39] 57 nous pourrions dire : « …un musicologue

56
Voir l’itém 2.4 , Le « changement de l’espace d’expression ».
57
« The anthropologist must, for her own sake to begin with, go beyond mere translation: only then can she
hope to understand what she hears, and thus be genuinely able to translate it. She must speculate, synthesize,
reconceptualize. The interpretations that the anthropologist constructs in her own mind or in her notebooks are
too complex and detailed to be of interest to her future readers; moreover, they tend to be formulated in an
idiosyncratic jargon in which native terms, technical terms used in an ad hoc way, and personal metaphors mix
53
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

devra, pour son propre bien aller au-delà de la simple traduction, de la simple description : à
cette unique condition, il (ou elle) pourra espérer comprendre ce qu’il (elle) entend. Il doit
spéculer, synthétiser, reconceptualiser. Les interprétations que le musicologue construit dans
son esprit ou dans ses cahiers de notes sont trop complexes et détaillées pour être utiles à de
futurs lecteurs. En plus, ses notes sont formulées en termes techniques mélangés à des
métaphores et analogies personnelles. Plus tard, rédigeant son article, qu’un lecteur moyen
ne prendra que quelques heures pour étudier, à ce qu’il a mis des années, le musicologue
devra synthétiser sa propre synthèse, retraduire son propre jargon, et inévitablement
s’écarter de la précision de départ par l’élimination de bonne partie des détails. Afin d’être
plus pertinent, le musicologue devra être moins fidèle. »

1.5.10 Les!représentations!de!connaissances!
D’une manière générale, en intelligence artificielle, la « représentation de
connaissances » étudie la formalisation des connaissances et le traitement informatique dont
elles font preuve [Grimm et al. 2007, 51], ou encore « comment les croyances, les intentions
et les jugements de valeur d'un agent intelligent peuvent être exprimés dans une notation
symbolique, transparente et appropriée au traitement informatique »58 [Davis 2001]. D’une
manière plus précise :

« La conjecture fondamentale de l'intelligence artificielle (IA), qui se fonde sur la connaissance, connue comme
l'hypothèse du système de symbole physique (Newell et Simon, 1976), postule que les processus cognitifs de tout
agent intelligent, naturel ou artificiel peuvent être largement caractérisée en termes de base de connaissances :
une représentation transparente, et symbolique des croyances, des intentions et des jugements de valeur de
l'agent, ainsi que des processus de raisonnement qui modifient la base de connaissances de façon rationnelle, et
les processus perceptifs et moteurs qui relient la base de connaissances sur le monde extérieur. »59
[Davis 2001, 8132]

Une « représentation de connaissances » englobera un système symbolique, c'est-à-dire un


ensemble de représentations avec des significations précises (la sémantique) et un ensemble
de règles d’opération sur ce système (la syntaxe). Nous pouvons aussi considérer une
« représentation de connaissances » comme un ensemble de représentations et un contexte
d’interprétation (codage, décodage et traitement des représentations). Nous avançons, pour le
moment, une définition ad hoc : « le codage est un processus de représentation réversible ». À
ce moment, nous introduisons un nouvel élément : le support des représentations, notamment
pour les représentations externes qui nécessitent d’un support pour s’actualiser. L’écriture
nécessitera le papier, un écran, ou tout autre support permettant de la rendre accessible à nos
sens. Par conséquent, ce support permet de les rendre « visibles » à notre perception.

freely. Later, writing for readers who will spend a few hours on a study to which she has devoted years, the
anthropologist must synthesize her own syntheses, retranslate her own jargon, and, unavoidably, depart even
more from the details conveyed by her hosts. In order to be more relevant, the anthropologist must be less
faithful. » Les caractères en gras soulignent la substitution des mots « anthropologist » par « musicologue ».
58
« … how the beliefs, intentions, and value judgments of an intelligent agent can be expressed in a transparent,
symbolic notation suitable for automated reasoning. »
59
« The fundamental conjecture of knowledge-based artificial intelligence (AI), known as the physical symbol
system hypothesis (Newell and Simon 1976), posits that the cognitive processes of any broadly intelligent agent,
natural or artificial, can be largely characterized in terms of a knowledge base: a transparent, symbolic
representation of the agent’s beliefs, intentions, and value judgments, together with reasoning processes that
modify the knowledge base in rational ways, and perceptual and motor processes that connect the knowledge
base to the outside world. »
54
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Il existe plusieurs niveaux de représentations de connaissances, allant des représentations les


plus « extérieures » destinées à des utilisateurs humains, jusqu’aux représentations internes
destinées à la machine. Par exemple, dans l’environnement de composition assistée par
ordinateur OpenMusic, nous avons trois types de représentations pour la structure métrique.
La première consiste en une représentation rythmique graphique et traditionnelle (Figure 9),
destinée à un utilisateur humain. Cette représentation reprend l’écriture rythmique
traditionnelle.

Figure 9 : Représentation métrique, graphique et traditionnelle dans OpenMusic

À un deuxième niveau, l’environnement représente cette même structure comme une liste de
ratios de la ronde (Tableau 3). 1/4 correspondra à la « noire », 1/8 à la croche, 1/12 à la croche
de triolet, et ainsi de suite. Les valeurs négatives correspondent aux silences.

Mesure Ratios
1 34 1/4 -1/4 1/4
2 58 5/32 5/32 5/32 5/32
3 28 1/12 1/12 1/12
4 24 1/10 1/10 1/10 1/10 1/10
5 38 3/40 3/40 3/40 3/40 3/40
6 68 1/8 1/8 1/8 1/8 1/8 1/8
Tableau 3 : Représentation métrique comme des ratios de la ronde dans OpenMusic

Ces deux représentations sont assez proches de l’univers du musicien. La première fait partie
des rudiments de la représentation musicale, la deuxième transcrit, en forme de fractions une
connaissance musicale élémentaire, le rapport des diverses figures entre-elles par rapport à la
ronde. Un certain nombre de pédagogies musicales enseignent les figures d’une manière
hiérarchique. Dans [Delcamp 1854, 16], sorte de « catéchisme musical », nous pouvons lire :
« Dans la plupart des mélodies, le rapport entre les durées est facile à saisir : l'une est égale
à l'autre ; ou la première peut-être la 1/2, le 1/4, le 1/8, le 1/16, ou le 1/3, le 1/6, le 1/12, le
1/24 de celle qui suit ou de celle qui précède. ».

De plus, la dénomination anglophone, notamment américaine, de ces figures se fonde sur une
nomenclature de ratios : « double whole note », « whole note », « half note », « quarter note »,
« eighth note », « sixteenth note », « thirty-second note » et « sixty-fourth note ».

La troisième représentation disponible est dénommée « arbre rythmique » (Figure 10).

55
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

(13/4&(((3&4)&((3&(1&(1&1))))&((5&8)&((5&(1&1&1&1))))&((2&8)&((2&(1&1&1))))&
((2&4)&((2&(1&1&1&1&1))))&((3&8)&((3&(1&1&1&1&1))))&((6&8)&((6&(1&1&1&1&1&1))))))
Figure 10 : Représentation métrique, proportionnelle (arbre rythmique) dans OpenMusic

Cette représentation, plutôt destinée à être une « représentation interne », code les figures et
leurs rapports dans les mesures60. La syntaxe d’un arbre rythmique (AR) [Malt 2007, 8] est
définie comme un couple (D S), où D est une fraction, tel que D > 0, et que S est une liste de
n éléments définissant n proportions de D. Chaque élément de S est soit un entier, soit un AR.
Un élément de S, négatif indiquera une pause. Deux exemples d’AR, suivant cette syntaxe :

((1 (1 1 1 1))
(2 ((1 (1 1 1 1)) (1 (1 1 1 1)))))

Maintenant, venons à la sémantique. Étant donné un AR = (D S), D exprime un champ


temporel, une durée, et S définit un groupe de proportions prenant place en D. Par exemple,
pour AR = (1 (1 1 1 1)), si nous considérons que l’unité correspond à la noire, cet AR
correspondra au groupe rythmique de la Figure 11. Le premier « 1 » étant la durée totale (une
noire) subdivisée en quatre parties égales (quatre double-croches)

Figure 11 : Représentation de AR = (1 (1 1 1 1))

Par convention, lorsque la valeur de D est au niveau de la mesure, elle exprime une unité de
ronde. AR = (3/4 (1 1 1)) correspondra à la Figure 12.

Figure 12 : Représentation de AR = (3/4 (1 1 1))

La structure représentée par l’arbre rythmique de la Figure 10 a une durée totale de 13/4, soit
treize noires. Cette durée est articulée en six sous-listes (chaque sous-liste étant un AR),
chacune représentant une mesure. Par exemple, la première mesure est représentée par ((3 4)
((3 (1 -1 1)))), une mesure à trois noires, subdivisée en trois parties égales. La deuxième partie
est un silence. La cinquième mesure, ((3 8) ((3 (1 1 1 1 1)))), est une mesure de durée égale à
trois croches (3 8). Elle subdivisée en cinq parties égales, soit un quintolet.

Pour conclure, on pourrait considérer la structure d’« arbre rythmique » comme une
représentation de connaissances. Un ensemble symbolique organisé, avec une syntaxe, une
sémantique, et, en plus, un ensemble d’opérations définies sur cet ensemble61, lequel

60
Une description complète de la structure des arbres rythmiques (rythmic trees) peut se trouver à
http://support.ircam.fr/docs/om/archive/om6.3-manual/co/Rhythm%20Trees.html.
61
Pour un approfondissement sur les arbres rythmiques et les opérations associées, nous proposons [Agon 2004,
35-36] et [Malt 2007]
56
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

représente une partie de l’univers du compositeur associé au rythme. « … il s’agit là d’un


codage, réalisé sous une forme et dans un langage jugés efficaces par un concepteur, de
représentations mentales présentes dans un esprit humain, autrement dit de représentations
de représentations. » [Le Ny 1994, 187]. Les représentations de connaissances sont alors des
représentations de représentations mentales.

57
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

58
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Dans la douce tiédeur du hammam, Nasr Eddin se laisse aller une fois de plus à énoncer de profondes pensées :
– Ah, mes amis ! Plus je vais, plus je me dis que la vie est comme une fontaine d’eau chaude…
– Très intéressant, fait son voisin après un long silence recueilli, mais qu’entends-tu au juste par là ?
– Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Je ne suis pas philosophe !62

62
MAUNOURY, Jean-Louis, Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja, tout Nasr Eddin, ou Presque,
textes recueillis, traduits du turc, Phébus libretto, Paris, 2002, 589.
59
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

60
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2 Partie'II!

61
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

62
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.1 Représentation!&!représentation,!quelques!propriétés!

Après ce préambule, dont le but était de nous rassurer et de préparer notre


cheminement, venons-en au point principal de ce mémoire. Dans cette partie, nous étudierons
quelques-unes des propriétés des représentations non mentales, notamment celles qui utilisent
des relations analogiques. Nous remarquerons que l’ensemble des propriétés et de leurs
corollaires n’ont pas une structure linéaire, laquelle pourrait être aisément représentée ou
énumérée par une liste. Cet ensemble semble plutôt posséder une structure de réseau
multidimensionnel qui serait mieux représentée par un graphe en plusieurs dimensions. De
cette manière, certains corollaires seraient liés ou conditionnés, non par une propriété mais par
plusieurs propriétés à la fois. Au fur et à mesure de la réflexion sur ces propriétés, ces
attributs, ces caractéristiques, et leurs corollaires, leurs conséquences, nous remarquerons une
structure presque « hologrammatique », au sens de Morin (Morin 1986, 101-102) : « …le tout
est d’une certaine façon inclus (engrammé) dans la partie qui est incluse dans le tout. »
Chacune de ces propriétés, attributs, caractéristiques, non seulement se lient les unes aux
autres, mais se reflètent mutuellement. Elles sont en même temps singulières sans pour autant
en être fragmentaires. La liste, c'est-à-dire une énumération linéaire de propriétés, est, dans
notre cas, plutôt un conditionnement consenti, voire subi, de l’espace de représentation
textuelle, du support informatique (matériel et logiciel) que nous utilisons, et bien sûr de nos
propres biais cognitifs.

2.2 Un!processus!«!multi!déterminé!&!conditionné!»!
Une représentation est construite avec un but ou un objectif à l'esprit, régie par l'adéquation relative à cet
objectif, qui guide ses moyens, le canal et la sélectivité.63
[Fraassen 2008, 7]

Après la formalisation, (voir 1.5.4) nous pouvons inférer que le processus de


représentation, comme tout autre phénomène, est déterminé par un ensemble de causes et de
conditions, que nous pouvons reformuler comme :
1. L’agent cognitif qui élabore la représentation.
2. L'intention ou la visée de ce premier agent :
a. L’étude d’un phénomène, c'est-à-dire d'un processus de connaissance.
b. Une mémoire de travail élargie64 ; des notes de travail.
c. Le besoin de communiquer.
d. Le besoin de manipuler ou de traiter un objet et/ou un phénomène dans un
espace-environnement particulier
e. Une étape dans un processus de modélisation ou d’induction de structures.
f. Etc.
3. Le choix d’un espace, d’un environnement ou d’un système de représentation.
4. Le type de relation « R » choisie.
5. L’agent cognitif, destinataire de cette représentation, qui l’interprète, la déchiffre, la
traduit ou la décode.

63
« A representation is made with a purpose or goal in mind, governed by of adequacy pertaining to that goal,
which guide its means, medium, and selectivity. »
64
« extended working Memory » en anglais.
63
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.2.1 Un!«!substitut!»!!!Mais!de!quel!droit!?!
Une représentation, en tant que telle, n’a pas d’existence autonome ou indépendante.
Elle renvoie toujours à un phénomène, à un objet original, au représenté.

Entre une idée, un objet et sa représentation doit s’établir une correspondance dont l'un des aspects est la
conservation des éléments faisant l’objet de la représentation. Vu leur degré élevé d’analogie avec l’ensemble
du départ, les représentations peuvent être utilisées comme substituts partiels des objets originaux. Ainsi une
photo rappelle des émotions et des souvenirs.
[Degueldre 2002, 64]

La représentation, c'est l’objet, chose ou phénomène, qui est à la place d’un autre. Mais pour
quelle raison prendrait-on , substituerait-on ou remplacerait-on un objet par un autre ?

L’activité de représentation est liée à la fonction symbolique, c’est à dire à cette forme de l’activité humaine qui
consiste à produire des symboles dont la caractéristique est de tenir lieu d’autres entités. Tout symbole est en
effet un valant pour.
[Meyer 2007, 10]

La représentation, objet ou chose, est dotée d’un droit, d’une concession qui l’autorise à être à
la place de. Ce droit est souvent conféré par une ressemblance analogique à un niveau
quelconque, et par l’intention de l’agent cognitif constructeur. Nous considérons, dans le
cadre de ce mémoire, l’analogie comme un ensemble de rapports établis par l’imaginaire entre
deux choses, physiques ou abstraites. Ces rapports peuvent être de forme, de structure
(proportions), de nature ou même fonctionnels. Le caractère de la représentation peut être
physique – sensible – comme une sculpture, un portrait peint à l’huile, un panneau
d’affichage, un geste fait avec la main, ou encore un son de sirène, ou abstrait – intelligible –
comme une idée65 ou un concept66.

Cependant, la ressemblance, en d'autres termes la simple relation, n’est pas une condition
suffisante de la représentation. Si la relation en était la condition suffisante, le père serait, de
facto, représentant du fils et vice versa. On pourrait objecter notre mauvaise foi pour invalider
cet exemple, puisque la relation choisie n’est pas de ressemblance, mais une filiation de type
généalogique. Pourtant, si nous imposons la ressemblance fonctionnelle et structurelle comme
condition suffisante, à nouveau, les jumeaux, les clones, seraient des représentants innés. La
représentation par droit génétique. C’est l’intention établie par la relation, qui construit des
tableaux d’association entre des phénomènes pour les substituer les uns aux autres. C’est
l’intention qui scelle la construction d’une représentation.

Dans le domaine de la notation musicale, nous avons comme premier exemple de


substitut, de représentation, la partition d’une œuvre musicale. Trivialement, une partition, de
nos jours, peut avoir diverses fonctions : une fonction de mémorisation, de tablature, de guide
d’interprétation, de support d’écoute ou de support d’étude. En général, les partitions sont des
représentations dans un espace graphique. Nous les appréhendons principalement par la
vision, éventuellement par le toucher, comme dans le cas des partitions en braille67. Même si

65
« Psychol., log. | Idée générale ou idée : représentation abstraite et générale d'un être, d'une manière d'être ou
d'un rapport, qui est formée par l'entendement. » Le Grand Robert de la Langue Française.
http://gr.bvdep.com/gr.
66
« Acte de pensée aboutissant à une représentation générale et abstraite. ! Conception, concevoir. — Idée
générale et abstraite. » Le Grand Robert de la Langue Française. http://gr.bvdep.com/gr.
67
Dans le cas de la partition en braille, nous avons le cas d’une représentation codée dans un autre espace, avec
64
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

cet exemple est naïf en soi, il soulève une question que nous jugeons intéressante : de quels
droits pouvons-nous prendre la partition pour la musique qu’elle représente ? Souvent par une
isomorphie structurelle, laquelle se situe à différents niveaux, entre l’espace cartésien du
temps et des hauteurs et la structure sonore résidente dans l’imaginaire du compositeur. En
général, les partitions représentent des évolutions d’objets musicaux dans le temps. Soit avec
un temps physique, chronométrique, où chaque événement est assigné à une position
temporelle, avec des informations métriques diverses (tempo, mesure, etc.), soit avec un
temps logique ou symbolique, où les événements sont simplement ordonnés et identifiés les
uns par rapport aux autres avec des notions de préséance et de conséquence. La représentation
graphique de la formule à trois frappes de la musique rituelle tibétaine est un bon exemple
d’utilisation d’un temps symbolique. Dans la tradition du monastère de Shechen, cette
formule, extrêmement répandue, est notée selon la Figure 13.

68

Figure 13 : formule rythmique courte, dite gsum-brdung, littéralement « à trois frappes »

Sur la ligne inférieure, des cercles expriment l'intensité des frappes par leur taille. Ils sont
surmontés d'indications en écriture tibétaine, précisant la structure générale au moyen
d'onomatopées et de chiffres. Cette formule comporte, en fait, deux groupes de trois frappes
articulées de la manière suivante :

2) Deux frappes d'introduction, désignées par l'onomatopée sbram sbram, suivies par une
frappe, plus piano, désignée par le terme byas (prononcée djé),
3) Trois frappes, espacées régulièrement, numérotées de 1 à 3 en écriture tibétaine,
suivies d'une frappe piano, djè,
4) Trois frappes, espacées régulièrement, numérotées de 1 à 3 en écriture tibétaine,
suivies d'une frappe piano, djè,
5) Une frappe isolée marquant la fin de la séquence (bram+thang).

Le tableau ci-dessous est une transcription de la notation tibétaine originale.

sbram sbram djé 1 2 3 djé 1 2 3 djé bram + thang


O O o O O O o O O O o O~~
Tableau 4 : transcription de la notation rythmique tibétaine de la Figure 13

Comme nous l'avions mentionné, la représentation tibétaine de cette formule utilise un temps
logique (ou symbolique). Elle représente une organisation décrivant la succession des frappes,
en termes d’ordre, sans aucune précision sur les durées entre les frappes ou d’assignation de
position temporelle. L’intensité des frappes est proportionnelle à la taille des cercles en
dessous.

De quels droits pouvons-nous prendre cette représentation, cette partition pour la musique
qu’elle représente ? Dans le cas de la formule à trois frappes, ce droit sera donné par a
ressemblance, la similitude de structure et d’organisation entre la représentation (graphique, la

pour fonction relationnelle la convention.


68
Notation originale figurant dans le manuel de « Notations musicales » (dbyangs yig) du monastère de Shechen.
65
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

succession des cercles avec des tailles différentes, surplombés par l’écriture tibétaine) et
l’actualisation du phénomène. La similarité entre ces deux espaces est ce qui confère ce droit,
mais aussi, bien sûr, l’intention et la volonté d’en faire un objet de représentation.

2.2.2 Un!objet!conditionné!et!contextuel,!forme!et!contenu!
L’interprétation d’une représentation sera conditionnée par le contexte de son existence.

2.2.2.1 Partitions et modes de jeu


Les partitions présentant des modes de jeux particuliers, non standards, constituent un
exemple de la nécessité de définir un contexte, ou une sémantique, pour une représentation
donnée. La Figure 14 présente les premières mesures de Iconica IV69 du compositeur italien
Marco Momi. Sur trois notes (le sib2, double-croche de la première mesure, le lab3 et le sib3,
doubles-croches de la quatrième mesure), nous pouvons remarquer sur les hampes un cercle
avec une lettre majuscule. Que signifient ces lettres dans un cercle ? Cela ne faisant pas partie
de la notation usuelle, il est nécessaire de se référer aux instructions de la partition (Figure 15
et Figure 16). Cette notation représente un mode de jeu, dans lequel la note est jouée, et en
même temps, le pianiste étouffe la corde du piano en appuyant sur un point précis (cf. Figure
16).
La forme de la représentation nécessite d'être complétée par des instructions sémantiques
annexes à la partition.

Figure 14 : Iconica IV (2010) de Marco Momi, premières mesures

! !
Figure'15':'Iconica'IV''(2010)'de'Marco'Momi,' Figure'16':'Iconica'IV'(2010)'de'Marco'Momi,'
instructions'(extrait)' instructions'(extrait)'

69
Marco Momi, Iconica IV, pour trio à cordes, flûte, clarinette, piano préparé et électronique. Création le 3 juin
2010, Paris, Cité de la musique, festival Agora, par l'Ensemble Intercontemporain. Pièce réalisée à l’Ircam, dans
le cadre du Cursus II de composition et d’informatique musicale. RIM (réalisateur en informatique musicale) :
Marco Momi, encadrement pédagogique : Mikhail Malt. Dispositif électronique : temps réel. Voir
http://brahms.ircam.fr/works/work/27584/.
66
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Un autre exemple relatif à la notation non usuelle peut être trouvé dans la pièce Skin’s
Traces du compositeur espagnol Juan José Eslava. Cette notation se compose de trois
70

niveaux.

Le début de la partition est présenté Figure 17. Le premier niveau (ligne supérieure)
présente des gestes graphiques, lesquels ressemblent à des gestes calligraphiques, auxquels
s'ajoutent de petites figures, rappelant des neumes. Le deuxième niveau (centrale) présente
une portée musicale pour percussion, avec un signe de mesure (4/4) et des figures rythmiques
usuelles. Le troisième niveau (ligne inférieure) représente les déclenchements des événements
électroniques. Si les deuxième et le troisième niveaux sont évidents à la lecture, la
compréhension du premier niveau nécessite un complément d’information, c'est-à-dire
l’établissement d’une sémantique. Dans le cas précis de Skin’s Traces, ce premier niveau
représente le frottement de la peau du tambour sur cadre par la main droite, à la manière d’un
geste calligraphique. La densité de la ligne indique à l’interprète la pression à exercer, tandis
que les petites figures indiquent des percussions de la main gauche dont le rythme est indiqué
par le deuxième niveau de la notation. Il est intéressant de remarquer que ce premier niveau
est, en quelque sorte, une représentation du déploiement de la surface de la peau. Ce point a
comme conséquence le fait que les gestes indiqués, à ce niveau de notation, semblent
« revenir » dans le temps. Cela est dû à la difficulté qu’a eue le compositeur à représenter
l’évolution du temps. En effet, à une partition traditionnelle se joint une tablature présentant
l’évolution des gestes de la main droite. Évidemment, Eslava aurait pu représenter ces gestes
par une cycloïde71, cependant, de ce fait, il aurait perdu le caractère graphique et
calligraphique de sa partition, lequel est censé proposer la finesse et la délicatesse du jeu. De
plus, l'espace ainsi créé est propice à l'indétermination et à la création de l’interprétation.

Figure 17 : Skin’s Traces de Juan Jose Eslava, 2007, première page

70
« Skin’s Traces » de Juan José Eslava est une pièce pour tambour sur cadre (frame drum) et électronique, crée
le 22 février 2007, par Rie Watanabe au festival SINKRO de musique contemporaine, au Conservatoire de
musique, Jesus Guridi à Vitoria-Gasteiz, en Espagne. Voir une interprétation :
http://polinomio.blogia.com/2007/032901-rie-watanabe-plays-juan-jose-eslava.php
71
« Géom. Courbe décrite par l'entière révolution d'un point appartenant à la circonférence d'un cercle qui roule
sans glisser sur une droite fixe. » Le Grand Robert en ligne.
67
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.2.3 La!«!fonction!de!communication!»!

La représentation est, en bref, la façon dont nous expérimentons et communiquons avec le monde que nous
habitons, la façon dont nous nous connaissons, et comment nous avons à faire avec les autres.72
[Webb 2009, 6]

Que contiennent les représentations ? Une information. Un sens. Une partie de l’information
contenue dans l’objet original. Il existe à la base deux groupes de théories concernant la
sémantique des représentations. Des théories naturalistes, selon lesquelles « …les
représentations sont présumées dépendre de processus naturels indépendants de l'esprit
humain » [Savary 1998, 28] et des théories intentionnalistes, considérant la sémantique d’une
représentation comme étant contextuelle. Dans notre cas, nous avons adopté le point de vue
des théories intentionnalistes, puisque nous considérons que les représentations n’ont pas de
valeur absolue. Leur sémantique dépendra des intentions et de l’environnement de
manipulation et d’interprétation des agents cognitifs qui les manient.

La première propriété de toute représentation est qu’elle est censée porter une information sur un état de chose.
(…) En revanche, une représentation est sémantiquement évaluable, en ce sens que le contenu d’une occurrence
de représentation (par exemple celui de la phrase Il pleut, prononcée à tel endroit à tel moment) peut ne pas
s’appliquer à la situation représentée par cette occurrence, ce qui détermine sa condition de vérité :
l’occurrence de représentation est fausse.
[Joëlle Proust in [Houde et al. 1998, 353, Représentation]]

La signification, l’interprétation et le décodage d’une représentation dépendent d’un ensemble


de conventions posées par l’agent cognitif créateur, soit au niveau de l’organisation des
représentations, soit au niveau de leurs significations. Pour comprendre, interpréter, décoder
une représentation, il faut pouvoir disposer des clefs, c'est-à-dire d’un protocole préétabli. Les
clefs et les conventions peuvent aussi bien être reliées à des représentations collectives. Ceci
qui nous amène au fait évident qu’une représentation peut être déterminée culturellement.

Lorsque nous considérons les représentations non-mentales comme des cartes, des panneaux de signalisation,
des thermomètres et des morceaux de la langue, il est clair que ces choses sont employées par des agents
cognitifs comme un type d'outil. Ce sont des choses qui servent à informer les esprits d'une certaine façon ou
d'une autre sur les différentes conditions et des états de choses, et en dehors de ce rôle leur statut en tant que
représentations disparaît.73
[Ramsey 2007, 23]

Le fait qu’une représentation, ou qu'un ensemble de représentations, puisse avoir une syntaxe
et une sémantique établies, partagées par un groupe donné, implique que les mêmes
représentations seront porteuses d’information. Elles peuvent être utilisées comme un moyen
de communication.

Une notation musicale est un système de représentation du musical par une culture donnée. Elle induit en
conséquence une épistémè.
[Lévy 2006]

72
« Representation is, in short, how we experience and communicate ourselves and the world we inhabit, how
we know ourselves, and how we deal with others. »
73
« When we consider non-mental representations like maps, road signs, thermometers and bits of language, it is
clear that these things are employed by cognitive agents as a type of tool. These are all things that serve to
inform minds in some way or other about various conditions and states of affairs, and outside of that role their
status as representations disappears. »
68
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Étant donné qu’elles conservent une information porteuse d’un sens, elles peuvent devenir des
éléments d’un code. Les représentations peuvent alors devenir un langage. Ainsi, nous
pourrons partager des informations, par la médiation de la représentation, avec qui possédera
les mêmes repères ou partagera le même ensemble de représentations.

La peinture allégorique des XVIIe et XVIIIe siècles, n'aurait pu exister si les sociétés qui
l'avaient vue naître ne partageaient pas un fond commun de symboles, de représentations. Le
bonnet phrygien, utilisé dans bon nombre de toiles74, pour évoquer la liberté, en est un
exemple assez connu. Même de nos jours, les productions cinématographiques telles que
Matrix75, sont reconnues et comprises malgré leurs multiples références mythologiques et
philosophiques. Celles-ci ne peuvent avoir un sens que dans une culture partageant le même
ensemble de représentations. Les « représentations collectives » [Descombes 2000], comme
les calendriers (calendrier grégorien, calendrier musulman ou le calendrier juif), les divers
alphabets, l’ensemble symbolique « ut ré mi fa sol la si », son correspondant anglo-saxon « A
B C D E F G » ne sont que des exemples canoniques de représentations communes. Ce sont
des représentations collectives ; des ensembles de représentations partagées par une société ou
un groupe culturel.

… la fécondité des analogies fonctionnelles en contraste avec la pauvreté des analogies structurelles…
[Le Moigne 1994, 77]

2.2.3.1 Le « patch », la tablature électronique


Actuellement, un « patch » est un programme graphique réalisé dans un
environnement dédié, tel que Max, PureData, Reaktor, PWGL, OpenMusic, ou autres.
Certains environnements permettent, en plus de programmer de manière graphique,
d’interagir avec ce programme ; un « patch » permet de modifier les paramètres de calcul en
temps réel. Nous présentons, Figure 18, un extrait du patch pour la pièce Anthèmes II (1997),
pour violon et électronique, de Pierre Boulez. La conception originale de la programmation
graphique et des processus dans la version 4 de Max/Msp a été réalisée par Andrew Gerzso,
réalisateur en informatique musicale travaillant avec Pierre Boulez entre 1997 et 2004. Nous
présentons la dernière mise à jour de ce patch, effectuée par Gilbert Nouno en mars 2011,
implémentée en 2009 du suiveur de partition Antescofo par Arshia Cont76.

74
Nous pouvons citer : La Vérité amène la République et l'Abondance (1793) de Nicolas de Courteille (1768-
1830), Figure allégorique de la République de Antoine-Jean Gros (1771-1835) ou La Prise du palais des
Tuileries, cour du Carrousel, 10 août 1792 (1793) de Jacques Bertaux (1745-1818).
75
Matrix 1999, réalisation des frères Larry et Andy Wachowski.
76
Pierre Boulez, Anthèmes II, pour violon et électronique, réalisation informatique musicale de Andrew Gerzso,
Arshia Cont et Gilbert Nouno, documentation, version Mars 2011.
69
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 18 : Détail de l’abstraction < a2_infrev_multi_01>, du patch de Anthèmes II, version 2011

Le nom patch vient de l’anglais « to patch ». Ce mot signifie câbler et fait référence aux
câblages apparents des anciens synthétiseurs modulaires comme le Moog ou le Buchla.

77
Figure 19 : Câblage d’un synthétiseur Moog

Le patch est une pratique apparue à la fin des années 1980 [Bonardi, Barthélemy
2007], et réifié dans l’environnement graphique Patcher de Miller Puckette. Cette approche
77
http://1.bp.blogspot.com/-
bq7CHPmBipE/Tpzt9ldUWNI/AAAAAAAAAG0/MYZr5yKJZ_U/s1600/emersonPatch.jpg (18/09/2013)
70
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

s’est inspirée de la programmation graphique par flot de données, tels que les diagrammes
électroniques et les environnements graphiques de programmation. Citons par exemple :
Prograph [Boshernitsan, Downes 2004], Simulink de MathWorks78 ou LabVIEW79 de National
Instruments. Dans ces environnements, chaque opérateur de calcul était représenté par un bloc
graphique. Le programme Patcher avait comme principale fonction de piloter en temps réel la
fameuse « 4X »80. La première œuvre musicale utilisant Patcher fut Pluton (1988), pour piano
et électronique, de Philippe Manoury. Cela revêt un intérêt particulier, puisque le
développement de Patcher se fît en parallèle à la composition de Pluton. Philippe Manoury81
affirme que la composition musicale comme le développement informatique se sont nourris
l’un l’autre pendant cette période.

Dans le cadre de la musique électronique mixte, le patch, ou plus précisément le


patch-concert, est l’environnement informatique responsable de la diffusion de la partie
électronique. Il peut être rapproché d’une tablature. Il représente ou propose, rarement, une
représentation acoustique du signal sonore résultant. Par contre, il propose des représentations
de gestes, de commandes, de processus de génération, de contrôle et de traitement du signal
audio. Comme le déclarent Alain Bonardi et Jérôme Barthélemy : « Le patch marque le début
des approches interactives dans lesquelles la machine est « en attente » d’informations
venant du musicien ou du performeur au sens large, informations acquises par des
capteurs. » [Bonardi, Barthélemy 2007]. Cela est de plus en plus vrai du fait que la plate
forme Patcher a évolué dans un environnement proposant un grand nombre d’objets
graphiques et de fonctionnalités permettant l’interaction à la souris, ou par des dispositifs
externes. La Figure 20 présente un panneau de contrôle permettant de visualiser des
potentiomètres à glissière, indicateurs d’un contrôle externe par un dispositif MIDI.

Figure 20 : Interface de contrôle et visualisation de Anthèmes II, version 2011

Les patchs, en plus de gérer l’exécution de la partie électronique, sont des supports de
connaissances ; une formalisation empirique des processus musicaux. Un patch porte en lui
une signature, une manière de travailler. Il est la « trace d’une activité créatrice » [Bonardi,
Barthélemy 2007], qu'il serait important de garder dans le processus de portage, mises à jour
des différentes versions. Ces traces témoignent d’un savoir-faire en évolution, ou non. Arshia
Cont remarque que, de manière surprenante, l’architecture des patches d’œuvres récentes, en
dépit d’une nette amélioration des éléments d’interface et de fonctionnalités plus avancées en
traitement du signal, garde les mêmes principes que des patches plus anciens, par rapport aux

78
La première version de Simulink 1.0, nommé Simulab, est apparue en 1984, sous MATLAB.
http://en.wikipedia.org/wiki/Simulink. (25/09/2013).
79
La première version de LabVIEW 1.0 sortira en 1986 sur Mac OS. http://zone.ni.com/wv/app/doc/p/id/wv-
2868 (25/09/2013).
80
Pour rappel, la 4X était un « …un périphérique d'ordinateur spécialisé dans le traitement du signal en temps
réel » [Giugno, Kott 1981], utilisé à l’ircam dans les années quatre-vingt.
81
Communication personnelle à l’auteur.
71
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

avancées de la recherche en informatique musicale [Cont 2013, 27]. En effet, à l'exception du


texte de Green et Petre [Green, Petre 1996], très peu d’études et d’évolutions, de la part des
programmeurs visuels, ont été réalisées à ce niveau. Par contre, il nous est important de
signaler que la problématique, soit de l’architecture des patches, ou de la programmation
graphique, est un élément de base de l’enseignement du Cursus de composition et
d’informatique musicale de l’Ircam.

2.2.4 L’«!ouverture!»!des!représentations!

Une image peut valoir mille mots - mais seulement si un lecteur peut la déchiffrer.82
[Kosslyn 2006, 3]

L’existence d’une représentation est conditionnée au succès de son interprétation.


Cette interprétation est elle-même conditionnée aux causes et aux conditions qui l’ont créée
(voir item 2.2 ). Cette existence est due, en partie, à un processus de construction ou
d’élaboration. L’agent responsable de la création ayant une intention et un but précis, leur
nature dépendra, en termes généraux, de l’environnement, des intentions et des interprétations
voulues par l’agent cognitif qui les a élaborées. Une représentation ne pourra pas se résumer à
la syntaxe de son organisation. Selon l’environnement et l’intention de l’agent cognitif qui la
manipule, et selon la sémantique qui lui sera attribuée, son interprétation sera alors différente.
Certains auteurs assument que « le contenu d’une représentation est alors tout entier dans les
opérations qui servent à interpréter. » [Jean-Michel Fortis in [Houde et al. 1998, 352,
Représentation]]. Le contenu sera, dans la sémantique, la clef de l’interprétation des
représentations…

Le contenu est roi 83


Bill Gates

Cependant, les représentations ne sont pas des entités statiques. Si le sens premier d’une
représentation dépend de l’environnement dans lequel elle fût élaborée, un changement
contextuel entraînera différentes significations, en acquérant une indépendance par rapport au
représenté. On peut dissocier les deux aspects, la forme du contenu – la syntaxe de la
sémantique – et garder l’organisation en associant de nouveaux sens.

Nous voyons par là que la représentation elle-même ne vaut rien, mais que l'idée elle-même est tout. La
représentation n'a de valeur que quand elle est, pour ainsi dire, idéalisée – c’est-à-dire, comprise, conçue
comme une représentation 84
Fernando Pessoa

Pour reprendre la boutade de Pessoa, nous pouvons constater que, la représentation étant un
objet contextuel, l’objet « représentation » n’a pas de sens per se. Il n’existe pas de manière
82
« A picture can be worth a thousand words — but only if a reader can decipher it. »
83
« Content is King », article de Bill Gates, du 01/03/1996, originalement sur le site de Microsoft. Le lien
originale, et l’article ne s’y trouvent plus. Cependant certains blogs en proposent une copie. A ce jour
(16/01/2013) il est disponible sur : http://www.craigbailey.net/content-is-king-by-bill-gates/, http://www.sick-
site-syndrome.com/articles/content-is-king.shtml, entre autres.
84
« Vemos por isto que a representação por si nada vale, mas que a ideia por si vale tudo. A representação só
tem valor quando é, por assim dizer idealizada — isto é, compreendida, ideada como representação. », in Da
impossibilidade de uma ciência do lexicon, http://arquivopessoa.net/textos/1745.
72
(C)

Vln 1

La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive


Vln 2

indépendante, il est conditionné par le (les conditions du) processus qui l’a créé, c'est-à-dire
Vla
l’intention, la relation, et le contexte voulu de son interprétation. De ce fait, une représentation
n’a pas d’existence inhérente. On pourrait dire qu’elle est un objet « vide » (d’existence
Vc+Cb

autonome) du point de vue de la philosophie bouddhique.


75
Ce que je veux dire n’est pas seulement que la représentation est relative à un système de représentation. Au
Fl 1-2
contraire, ce que je veux dire est que vous ne pouvez pas dire à coup sûr si vous regardez une représentation du
1.
simple fait de la regarder.85
Ob 1-2 [Block 1983, 512]

Cl 1-2
(C)La propre syntaxe de la notation musicale change en fonction du contexte et de l’époque. Par
exemple, la règle selon laquelle une altération accidentelle est valable pour toute une mesure
(Figure 21), ne sera plus valable dans un autre contexte (Figure 22). Ainsi, en raison de la
Fag 1-2

complexité harmonique, le compositeur doit pratiquement ajouter un accident à chaque note,


Cor 1-2
(C) même pour indiquer qu’elle ne souffre pas d’altération (comme le mi3 bécarre de la mesure 3,
Figure 22).
Tr 1-2
zu 2

(C)

Vln 1

Vln 2

Vla Figure 21 : Mesures 77-78, violons I & II, Symphonie n°1 de L. V. Beethoven,

Vc+Cb

Beethoven: Symphony No. 1 in C Major, Op. 21, Mvmt. 1: Adagio molto—Allegro con brio page 9
http://www.musedata.org/beethoven/sym-1
© 2008 Center for Computer Assisted Research in the Humanities (CCARH) 19 Apr 2008

Figure 22 : Premières mesures, Sonatine pour flûte & piano, 1954 , Pierre Boulez

L’utilisation d’une représentation hors du contexte de sa création implique d’autres


interprétations et significations, mais aussi d’autres possibilités de manipulation. Elle se
transforme en un objet ouvert et polysémique. Dissocier la syntaxe de la sémantique, la forme
du contenu, semble être lié à une stratégie de choix en art. Les compositeurs détournent
volontiers des représentations pour leur donner des sens, les faire exister dans des contextes
différents de ceux de leur création ou élaboration. Ils détournent le sens et les fonctions de la
représentation, dans un souci d’établir une cohérence ou des liens entre les divers niveaux de
la composition, ou entre l’espace sonore et le monde extérieur. Comme le remarque Edmon
Jabès [Jabès 1990, 164], « lorsque les hommes seront d’accord sur le sens de chaque mot, la
poésie n’aura plus sa raison d’être. » Une représentation s’actualisera en fonction du contexte
de son interprétation.

Voyons quelques exemples de détournement de représentations. Comment les compositeurs


actualisent-ils le sens d’une représentation en changeant son espace d’interprétation, sa
sémantique ?

85
« My point is not just that what represents what is relative to a system of representation. Rather, my point is
that you can't tell for sure whether you are looking at a representation at all just by looking. »
73
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.2.4.1 L’espace graphique de la partition


Le but premier de la notation fut de libérer les musiciens d'un devoir de mémoire en
proposant un support pour fixer des instants musicaux. Ceci a favorisé de nouvelles voies
pour la musique puis pour la création qui n’étaient plus sujettes aux seules contraintes
musicales courantes : techniques instrumentales, habitudes, mémoire. Ainsi, c’est par la
notation que le métier de compositeur s’est construit et s’est amplifié, en permettant une
action en temps différé sur le matériau musical. Un parcours dans des cahiers de notes de
plusieurs compositeurs serait un bon exemple de ce processus. Cependant, comme toute aide,
ou mieux, comme tout outil dont l’homme peut se servir, la notation n’a pas été un instrument
neutre ; elle a proposé de nouvelles manières d’écouter et de voir la musique, en déplaçant
l’attention d’une perception auditive en faveur d’une perception visuelle de la musique. La
notation a progressivement créé un nouvel espace de représentations (graphique), où la
musique pouvait en quelque sorte se matérialiser. Pourtant, les représentations sont souvent
des êtres ambigus, puisque, si d’une part, elles servent à décrire le réel, d’autre part, et par des
mécanismes d’associations, elles nous font croire à une isomorphie entre elles-mêmes et les
objets qu’elles représentent. Cette illusion de la notation se prolonge aujourd'hui encore avec
maints compositeurs qui composent plutôt avec des symboles qu’avec les sons qu’ils
représentent. Selon Dufourt :

…l’évolution de la musique occidentale depuis le XIVe siècle va manifestement dans le sens d’une emprise
croissante de l’œil sur l’oreille.
[Dufourt 1981, 472]

Si la notation musicale apparaît en occident comme une technologie mnémonique, elle


acquiert graduellement un statut particulier et indépendant, jusqu’au point de devenir un
espace graphique avec ses propres règles, où parfois le temps n’y est plus noté explicitement.
Des partitions où le sens de lecture et d’interprétation est laissé au musicien. Par exemple les
« tableaux partition » de Roman Haubenstock-Ramati, dans les années 1970 (Figure 23), ou
les bien connues pages du Treatise (1967) de Cornelius Cardew (Figure 24).

Figure 24 : Cornelius Cardew, Treatise, Ed. Peters, p.


Figure 23 : Roman Haubenstock-Ramati, Konstellationen, 183
87
86
1971, planche n° 1

L’espace graphique est alors conçu comme une évocation de partitions et de notations
86
http://www.ariadne.at/?picture_id=3135&sub_id=_01&next_sub_id=_02&prev_sub_id=_25&language=en
87
Voir le « Block Museum » : http://www.blockmuseum.northwestern.edu/picturesofmusic/pages/anim.html.
74
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

musicales, comme par exemple Quartet (2008) de Steve Roden88. Ce collage graphique
(Figure 25) est, selon le compositeur, destiné à être utilisé comme partition.

89

Figure 25 : Quartet de Steven Roden

Dans ce cas précis, le compositeur utilise une représentation ambiguë, avec l'intention claire
de susciter chez l’interprète des affects, des émotions, des réactions, de manière à déclencher
des mécanismes d’association.

D’ailleurs, la similitude de contenu varie selon le point de vue et le contexte.90


[Sperber 1996, 39]

L’unique fait qui permet de considérer cet espace graphique comme une partition est la
volonté du compositeur, et les ressemblances que chaque interprète peut établir. De cette
ambiguïté recherchée, l’espace graphique n’est plus qu’une transcription d’un espace sonore
ou musical, c'est aussi l’interprétation de l’espace graphique qui devient une transcription
musicale.

88
Voir : http://www.inbetweennoise.com/imagescores.html.
89
http://www.inbetweennoise.com/photos/roden%20may%202008/305_quartet1.jpg
90
« Moreover, similarity of content varies with the point of view and the context. »
75
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.2.4.2 Rioji Ikeda, les données numériques comme forme d’onde

91
Figure 26 : Ryoji Ikeda, Principle – Dataphonics, 72’’ à 79’’

Ryoji Ikeda92, dans son œuvre Dataphonics93, explore les rapports entre les
représentations digitales du son, des données numériques primaires, et les composants
élémentaires du son, détournant la représentation numérique sonore pour en observer son
potentiel esthétique. La Figure 26 représente une analyse spectrale stéréo, d’un extrait
d'environ 72 à 79 secondes de la première séquence, Principle de l’œuvre Dataphonics. Nous
pouvons observer comment Ikeda compose sa séquence à partir de la concaténation de blocs
d’extraits audio. Cet extrait provient de la sonification de flux de données numériques. La
Figure 27, présentant une représentation de forme d’onde de la même séquence (entre 72.60’’
à 72.94’’), permet d’observer une forme d’onde équivalente à un flux de données quantisées
sur quatre bits.
Cette quantisation est clairement
visible par la forme en dents de
scie présentant seize échelons
(Figure 27). Dans cet extrait,
l’artiste combine différentes
textures de flux numériques
pour créer une séquence
rythmique.
Figure 27 : Ryoji Ikeda, Principle – Dataphonics, à 72.60’’, piste gauche

Les flux numériques d’origine sont maintenant décodés dans un espace acoustique. Leur
segmentation ne se fait plus par rapport à l’information qu’ils étaient supposés contenir, mais
plutôt par rapport à leurs qualités auditives, et sans doute par rapport à la sensibilité du
compositeur. Leur interprétation se fera aussi par rapport à l’espace acoustique créé.

91
Analyse sonagraphique réalisée avec le logiciel Audiosculpt (© Ircam). Paramètres d’analyse : taille de fenêtre
(FFT) : 4000 points, type de fenêtre : blackman, pas d’avancement : 8 x, taille de la FFT : 4096 points.
92
Ryoji Ikeda est né en 1966 à Gifu (Japon) et vit actuellement à Paris.
93
Dataphonics, de Ryoji Ikeda, est une commande de l’« Atelier de création radiophonique » (ACR) de France-
Culture, diffusée du 5 novembre 2006 au 1er juillet 2007. Une version « re mixée » a été diffusée le 2 septembre
2007. Cet œuvre est un ensemble de 10 séquences de six minutes chacune, chaque séquence étant centré sur un
seul paramètre sonore.
76
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Le sens d’une représentation dépend des intentions et de l’environnement utilisé pour la


décoder.

2.2.4.3 Aphex Twin, un fantôme dans le spectre


La Figure 28 présente un sonagramme de la phrase : « Petite fille, un jour d’été »,
utilisée dans l’œuvre En écho (1993-1994) de Philippe Manoury pour soprano et électronique.
Cette phrase est chantée par la soprano Donatienne Michel-Dansac. Le sonagramme est une
représentation graphique d’une transformée de Fourier sur un signal temporel, présentant sur
l’abscisse le temps et sur les ordonnées la fréquence. La troisième dimension, la couleur,
représente l’énergie.

94
Figure 28 : Sonagramme de la phrase « Petite fille, un jour d’été » (En écho 1993-1994, P. Manoury), chantée par la
soprano Donatienne Michel-Dansac

Si jusqu’au début des années 1990 cette représentation n'était vue que comme le résultat d’une
analyse spectrale, très vite les créateurs commencèrent à l’envisager comme un moyen pour
synthétiser des sons inouïs. Par exemple en effectuant une transformée de Fourier inverse sur
des données associées à une représentation graphique, comme le propose le logiciel
« Metasynth »95, créé par Eric Wenger et Edward Spiegel. Celui-ci permet de resynthétiser un
signal audio à partir d’un espace graphique considéré comme un sonagramme. Il est utile de
préciser que, même si ce logiciel ressemble fortement à l’UPIC (voir 2.6.8), le paradigme de
synthèse est différent. L’UPIC repose sur un paradigme de synthèse additive, tandis que
Metasynth (et d’autres logiciels tels que Audiosculpt) intègre un paradigme de synthèse
fondée sur la transformée de Fourier inversée.

Ce logiciel est utilisé par de nombreux créateurs, dont Aphex Twin. Le « fantôme dans le
spectre » en est l'exemple le plus connu. Il s'agit de la deuxième piste intitulée Long formula
du disque Windowlicker (1999 - Warp Records), de Aphex Twin. Le fantôme se situe entre
5’25’’ et 5’39’’. La Figure 29 présente le sonagramme de cet extrait. L’axe des fréquences est
représenté logarithmiquement. Nous pouvons remarquer qu'il utilise un visage, apparemment

94
Fenêtre d’analyse = 4096 échantillons, pas d’analyse = 512 échantillons et fenêtre d’analyse « blackman »,
représentation linéaire des fréquences.
95
http://www.uisoftware.com/MetaSynth/index.php.
77
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

celui du compositeur anglais de musique électronique Richard D. James (compositeur derrière


le pseudonyme d’Aphex Twin), pour calculer une transformée de Fourier inverse.

Figure 29 : Sonagramme de Aphex Twin, deuxième piste (Long formula) du CD1 Windowlicker (1999) , entre 5’25’’ et
5’39’’.

Ce même procédé sera utilisé par d’autres artistes, comme, par exemple, le groupe Venetian
Snares (Alias Aaron Funk, musicien électronique canadien) dans son album Songs About My
Cats (2001).

Nous avons eu nous-mêmes l’occasion d’utiliser cette technique dans une courte pièce
électroacoustique (Passages - 2010, Mikhail Malt), créée pour accompagner les dessins de
Damien Brohon96. Nous avons utilisé comme matériau graphique les dessins apparaissant
dans la vidéo (Figure 30). Dans ce cas précis, notre objectif était de tisser des liens entre la
musique et les images, pour dépasser le simple cadre de l’illustration. Les objets sonores issus
de cette synthèse devenaient des leitmotivs, des matériaux servant à construire un discours
ancré dans l’analogie graphique de l’analyse sonagraphique.

Figure 30 : Sonagramme, stéréo, de Passages (2010), de Mikhail Malt, de 2’33’’ à 2’55’’

Ainsi, la représentation devient génératrice d’originaux par changement et par inversion de


l’espace d’interprétation.

96
Voir : http://lemontduretour.blogspot.fr/2011/07/passages-une-video-en-collaboration.html (04/10/2013).
78
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.2.4.4 De J. S. Bach à P. Boulez, la signature musicale


Nous ne pouvons pas passer sous silence l'un des détournements les plus connus de
l’histoire de la musique : la signature de J.S. Bach. La dernière fugue de l'Art de la fugue,
BWV 1080, est inachevée. Carl Philipp Emmanuel Bach, héritier du manuscrit, l’aurait
intitulée Fuga a tre soggeti, et ajouté à la fin de ce morceau [Boyd 2013] :

Sur cette fugue où se trouve le nom de B A C H en contre-sujet, est mort l’auteur 97

En effet, le contre-sujet de la troisième voix (Figure 31) présente les notes sib, la, do et si
bécarre, qui, en notation anglo-saxonne, sont représentées comme « B A C H ». Le H étant le
si bécarre en notation allemande.

Bb A C H

Figure 31 : Dernières mesures de la dernière fugue (Contrapunctus XIV) de l’Art de la fugue, BWV 1080 de J. S. Bach

Certains compositeurs comme Mozart et Schubert utiliseront cette signature comme un


hommage. D’autres, comme Schumann, Chostakovitch, Berg, Schoenberg, Sacher, etc.
créeront leur propre signature. Dans le cas de Chostakovitch, sa signature, ré, mib, do, si
bécarre, (Figure 32), issue70 de ses initiales en russe, aurait été présentée
Intégral
pour la première fois
dans le troisième mouvement de sa dixième symphonie » [Brown 2006].
abceflljgadb

Example 1. Shostakovich’s motto.

Figure 32 : La signature musicale de Chostakovitch [Brown 2006, 70]

Son huitième quatuor présente cette séquence mélodique jouée par le violoncelle aux
premières mesures, puis traitéeExample
canoniquement par les trois autres instruments (Figure 33).
2. Shostakovich: Symphony No. 10, Op. 93 (1953),
third movement, R104, mm. 4–8.

97
SYMPHONY NO. 10 IN E MINOR, OP. 93
« Über dieser Fuge, wo der Nahme By
BDmitri
A CShostakovich
H im Contrasubject angebracht worden, ist der Verfasser
gestorben. » Copyright ! 1954 (Renewed) by G. Schirmer, Inc. (ASCAP)
International Copyright Secured. All Rights Reserved.
Reprinted by Permission.
79

Second Cello Concerto, op. 126 (1966), second movement; Seven Verses of A.
Blok, op. 127 (1967), no. 2 (“Gamayun, ptitsa veshchaya”); and Suite on Texts of
Michelangelo Buonarroti, op. 145 (1974), no. 9 (“Noch”).
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

98
Figure 33 : Largo du huitième quatuor en do mineur, op. 110 de D. Chostakovitch, mesures 1-10.

2.2.4.5 Boulez et le Morse – Messagesquisse


Dans l’oeuvre Messagesquisse99 100 (1976)101, Pierre Boulez [Boulez 1976] propose un
exemple assez récent du détournement de la notation.

En effet, Pierre Boulez rend un hommage à Paul Sacher102 en déduisant des matériaux
mélodiques et rythmiques (Figure 34) à partir de son nom103.

r r r r j j r j r r r r r r r j r
œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ

• • • • – – • – • • • • • • • – •

S A C H E R

mib la do si mi ré (mib)

& bœ œ œ œ bœ
œ œ (!!!!!!!!!)

Figure 34 : Les matériaux mélodiques et rythmiques dans Messagesquisse de P. Boulez

Pour déduire les hauteurs, Boulez procède à l'association bien connue entre lettres et hauteurs.
Utilisant la notation musicale anglo-saxonne, il fait correspondre le A au la, le C au do, le H
au si bécarre, le E au mi, le R au ré et le S au mib. En allemand, ES correspondant au mi
bémol. Pour déduire les durées et des cellules rythmiques, le compositeur entreprend une
association plus originale. Il associe à chaque lettre son correspondant code en alphabet

98
Dimitri Chostakovitch, Quatuor à cordes n°8 : Op.110, A la mémoire des victimes du fascisme et de la guerre,
London : Eulenburg, 1960.
99
http://brahms.ircam.fr/works/work/6987/
100
Œuvre pour violoncelle solo et six violoncelles, commandée par Msitslav Rostropovitch pour les soixante-dix
ans du chef d’orchestre et mécène Paul Sacher. Partition : Universal Edition, nº UE 16678. Il existe aussi une
version pour alto solo et 6 altos (2000, Universal edition) créée le 25 juin 2000 à Aix-en-Provence par
Christophe Desjardins et les étudiants du conservatoire. Enregistrement : violoncellistes de l'orchestre de Paris,
direction : Daniel Barenboim, 4 cd Erato 4509 984952.
101
Création le 3 juillet 1977, France, La Rochelle, par Mistslav Rostropovich : violoncelle solo et des membres
du Concours Rostropovich.
102
Paul Sacher, né le 28 avril 1906 à Bâle et mort le 26 mai 1999 dans cette même ville, était un chef d'orchestre
et un industriel suisse connu pour être un grand mécène de la musique classique contemporaine. (Wiki)
103
Voir [Bonnet 1988] pour une analyse plus complète de cette œuvre.
80
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

morse. Comme dans le code morse les signes sont représentés par des ensembles de sons
courts et longs, cette association crée par conséquent des cellules rythmiques (cf. les deux
lignes du haut de la Figure 34). Le « S », en morse, est représenté par trois points (sons
courts) « . . . », donc Boulez le transcrit comme une figure de trois doubles-croches. De
même, le « A » est représenté, en morse, par un point et un trait (un son court et un son long),
donc Boulez le représente par une double croche et une croche, et ainsi de suite.

Boulez utilisera ces cellules pour construire une texture rythmique évolutive, composée de la
superposition de permutations circulaires d’extraits de « SACHER », avec un mode de jeu
con legno battuto. Ce processus commence à la mesure 9 (ou deuxième mesure du n° 2),
avec la cellule rythmique « SA », violoncelle n° 6 (Figure 35). A chaque nouvelle mesure,
Boulez ajoute une couche rythmique fondée sur une partie du nom « SACHER » (voir
Tableau 5), jusqu’à la mesure 13, où le violoncelle solo énonce rythmiquement « SACHER »
sur un mib3. A ce moment, les autres violoncelles de l’ensemble énoncent chacun l'une des
permutations de « SACHER » (Figure 36).

Figure 35 : Mesure 9, Violoncelle n° 6, Messagesquisse (1976) de Pierre Boulez. « SA » transcrit rythmiquement

Mesure Permutations (cellules rythmiques)


9 SA
10 SAC, ACS
11 SACH, ACHS, CHSA
12 SACHE, ACHES, CHESA, HESAC
13 SACHER, ACHERS, CHERSA, HERSAC, ERSACH, Vlc. 1 => SACHER
Tableau 5 : Évolution des cellules rythmiques de la mesure 9 à 13 de Messagesquisse (1976) de Pierre Boulez.

Ce qui nous intéresse ici, c'est le détournement du code morse pour la création d’un matériau
rythmique. Sa fonction sera de dénoter et de rappeler le nom de Sacher en utilisant le fait que
le code mode se déploie dans un espace sonore. La texture construite à la mesure 13, sobre,
posera les diverses formes créant une masse où l’identification de chaque élément devient très
difficile, sinon impossible. La fonction des formes sonores censées représenter les lettres,
pour envoyer et communiquer un message, en langage naturel, change pour acquérir un statut
esthétique.

81
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

SACHER

ERSACH
HERSAC

CHERSA
ACHERS

SACHER

Figure 36 : Mesure 13, Violoncelle n° 6, Messagesquisse (1976) de Pierre Boulez, superposition des différentes
permutations de « SACHER »

82
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.2.4.6 Brian Ferneyhough, l’arbre rythmique


Un dernier exemple pourrait manquer : l’utilisation et le détournement que Brian
Ferneyhough opère sur les structures de représentation en composition assistée par ordinateur.

Nous avons eu l’immense privilège de pouvoir travailler avec lui104 pour formaliser et
implémenter quelques-unes de ses procédures de composition dans l’environnement d’aide à
la composition Patchwork. Le détail du travail est déjà exposé dans trois textes ([Malt 1998],
[Malt 2000, 411-453] et [Malt 2007]). Son utilisation de la représentation des rythmes, des
arbres rythmiques dans Patchwork, nous intéresse particulièrement.

Dans l’item 1.5.10, nous avons présenté brièvement la structure des représentations des arbres
rythmiques. Cette structure est similaire à la structure déjà utilisée dans Patchwork. Ce type
de représentation convenait particulièrement au compositeur, puisque « son artisanat (sa
technique) se fondait sur des manipulations symboliques, des emboîtements (encapsulations),
des subdivisions d’unités, des multiples et des proportions. » [Malt 2000]. Par contre, ce qui
était inédit, était qu’il voulait appliquer la représentation des arbres rythmiques, opérations
utilisées sur des espaces musicaux, aux hauteurs aussi bien qu'aux durées. En un mot, des
opérations de rotations et d’inversions. Une grande partie des structures rythmiques de son
Trio à cordes (1994-1995) est issue de ces manipulations. Dans une lettre que le compositeur
nous a gentiment adressée, il décrit cette "esquisse rythmique pour le début de la seconde
section principale du Trio à cordes" (m.137) de la manière suivante :

Le matériau est divisé en deux strates. Sur le système supérieur, je travaillais avec deux versions d’un unique
ensemble de modèles rythmiques arborescents, évalués deux fois avec des valeurs de base différentes. J’ai utilisé
des principes de rotation, une liste de chiffres étant permutée progressivement de droite à gauche, d’une position
à chaque fois. Après un certain nombre de mesures, j’ai commencé a ajouter de nouveaux modèles arborescents,
si bien que la variabilité du matériau s’accroît peu à peu (au début, je n’emploie qu’un seul et même modèle
d’une longueur d’une mesure). Les deux strates inférieures représentent différentes réalisations de séries de
nombres, interprétées comme des groupes répétitifs de pulsations de valeurs égales (voir la librairie
“Combine”). Plus le temps passe, plus j’assigne des nombres différents de cellules aux deux voix supérieures
dans chaque mesure, si bien que la densité moyenne des impulsions fluctue continuellement, d’un modèle à cinq
modèles par mesure. A chaque double barre, l’ensemble des procédures de variation employées change, mais ce
sont toujours les mêmes techniques de base qui sont à l’œuvre dans toute cette section (à cette exception près
que les deux lignes inférieures sont graduellement ramenées dans l’orbite des techniques utilisées pour les deux
lignes supérieures).
N.B. Bien qu’il y ait quatre lignes de matériau, j’opère une réduction sélective à trois lignes au moment
d’insérer ce matériau dans la partition. Et ce choix n’est pas fait en ayant recours à des procédures issues de
Patchwork.

À cette lettre s’ajoutait une copie d’écran des calculs réalisés avec Patchwork (Figure 37).

104
Notre première séance de travail a été entre mars et avril 1993.
83
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 37 : Esquisse des mesures 137 à 142, du Trio à cordes, Brian Ferneyhough

Ces nouvelles structures rythmiques étant générées par des manipulations directes dans la
représentation d’arbre – dont nous n’avons pas les traces –, il est assez complexe, sans
d’autres informations, de retrouver la logique organisationnelle. Il nous semble visuellement
que certaines tentatives de procédure soient très peu formalisées, et soient plutôt le fait de
l’intuition du compositeur.

84
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.2.5 L’objet!«!idéal!»,!un!objet!«!mental!»!
Une représentation est un objet élaboré par un agent cognitif pour un autre agent
cognitif. Elle n’a d’existence et/ou de signification autre que dans ou pour l’esprit d’un agent
cognitif. Créer des représentations, c’est un acte volitif d’organisation qui crée une
signification. Comme le dit Mary-Anne William : « donner du sens à l'information crée des
représentations. »105 [Williams 2008, 478]. Évidemment l’esprit humain est assez créatif pour,
à sa guise, réorganiser l’information, ses représentations, en lui donnant de nouveaux sens.
Ceci nous rappelle cette citation bien connue du Marchand de Venise :

Et vous remarquez, Bassanio, que le diable peut employer à ses fins les textes des Écritures. 106
William Shakespeare, Le Marchand de Venise, scène III.

2.3 Un!processus!«!sélectif!»!
Toute représentation est sélective et la sélectivité est essentielle pour ce qui est représenté, …107
[Fraassen 2008, 37]

Le processus de représentation est un processus sélectif par définition. On sélectionne


le paramètre, la caractéristique, ou un ensemble, qui est analogue au représenté par un aspect,
une caractéristique ou un ensemble de caractéristiques.

Une expérience que nous avons maintes fois renouvelée consiste à jouer un son – une note
grave de piano – à un auditoire et à poser la question : « comment représenter ce
phénomène ? » L’auditoire reste toujours déconcerté par l’apparente simplicité de la tâche,
mais est toujours surpris d’apprendre et de constater qu'il est possible d'associer facilement
une vingtaine de représentations à un phénomène aussi simple.

' Représentation' Espace'de'définition'


1! Un!son!musical! Langage!naturel!
2! Un!son!de!piano! Langage!naturel!
3! Un!son!long! Langage!naturel!
4! Un!son!complexe! Langage!naturel!
5! la#! Notation!musicale!!
6! sib! Notation!musicale!
7! La#!1! Notation!musicale!
8! Sib!1! Notation!musicale!
9! A#! Notation! musicale!
angloBsaxonne!
10! Bb! Notation! musicale!
angloBsaxonne!
11! A#2! Notation! musicale!
angloBsaxonne!
12! Bb2! Notation! musicale!
angloBsaxonne!
13! Classe!de!hauteurs!«!10!»!(modulo!12)! Mathématique!
numérique!

105
« Making sense of information creates representations. »
106
« Marke you this Bassanio, The diuell can cite Scripture for his purpose. »
107
« All representation is selective and the selectivity is crucial to what is depicted,… »
85
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

14! Classe!de!hauteurs!«!20!»!(modulo!24)! Mathématique!


numérique!
15! Classe!de!hauteurs!«!40!»!(modulo!48)! Mathématique!
numérique!
16! 46!(hauteur!MIDI)! Technologique!
numérique!
17! 4600!(midicents)! Technologique!
numérique!
18! ! !
Notation!Musicale!
& Graphique!
!
U
Piano

?
#w
°
ƒ laisser sonner
!
19! Calmo q »§º Notation!Musicale!
50 !
Graphique!
& 4 !
Piano !
? 50
4 #W W W W W W ˙
ƒ al niente
!
20! Notation!Musicale!
Graphique!
!
!

!
21! Physique!
Numérique!&!graphique!

!
22! Physique!
Numérique!&!graphique!

!
23! Morphologique!
Graphique!!

!
24! Morphologique!
Graphique!

86
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

25! Forme!d’onde!
Physique!
graphique!

!
26! Sonagramme!
Physique!
Graphique!!

!
27! Évolution!des!!10!
descripteurs!audio!
suivants!:!
SpectralRolloff,!
SpectralSlope,!
SpectralDecrease,!
SpectralVariation,!
SpectralKurtosis,!
SpectralSkewness,!
SpectralSpread,!
SpectralCentroid,!
TotalEnergy,!
SignalZeroCrossingRate!
!
! Physique!
Graphique!
Tableau 6 : Quelques représentations et leurs espaces de définition pour le même phénomène

Le Tableau 6 présente quelques-unes de ces représentations, et nous verrons qu’il est loin
d'être exhaustif. Cependant, ce qui nous intéresse, c'est que chaque représentation propose un
monde, un aspect selon lequel on considère le phénomène ; depuis la description avec un
langage naturel, qui implicitement propose une catégorisation des sons musicaux, jusqu'à une
représentation graphique de données numériques issues d’une analyse de descripteurs du
fichier audio, autre représentation du phénomène. Cependant, chaque représentation ne
propose qu’un aspect du phénomène en question.

2.3.1 Un!«!point!de!vue!»!
La représentation n’étant qu’un sous-ensemble des caractéristiques et/ou des
propriétés du représenté, certaines des caractéristiques et/ou des propriétés originales sont
absentes. De ce fait, les caractéristiques et/ou des propriétés présentes sont magnifiées,
polarisant notre attention sur elles. Ainsi, une représentation n'est qu’une fenêtre sur le
représenté, une perspective, on pourrait dire un point de vue. Créer une représentation consiste
à donner un point de vue, et, comme le remarque Davis [Davis 1993, 19] de choisir, dans le
monde, ce qui doit être vu de ce qui ne le sera pas. C'est un engagement ontologique de notre
part. Les représentations, bien qu’elles foisonnent de qualités, peuvent devenir des
87
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

déterminants cognitifs. Créer une représentation, proposer une représentation, c’est créer et
proposer des filtres à notre perception et à notre compréhension. Ces filtres éclairent certains
aspects de la réalité et en rendent d’autres moins explicites, sinon inexistants.

2.3.2 Un!objet!«!réduit!»,!«!incomplet!»,!«!partiel!»…!

Représenter c’est cadrer, mettre en forme, organiser. La représentation donne à voir en sélectionnant ce qu’elle
montre.
[Meyer 2007, 10]

La représentation résultante ne renferme toujours qu’un sous-ensemble des


caractéristiques et/ou des propriétés présentées par le représenté. Sauf certains cas inhabituels
de surreprésentation, dont nous parlerons plus loin dans ce texte, le processus de
représentation crée, il construit des objets incomplets, partiels ou fragmentaires, par rapport à
l’original. Ces objets ne contiennent qu’une partie de l’information contenue dans l’original,
que nous en soyons conscients ou non. Pour cette raison, un certain nombre de religions
proscrivent la représentation de Dieu, qu'elle soit par l’image, par l’écriture, par la parole, etc.
« Sa » divinité ne pourrait être contenue dans une représentation, puisqu'elle sera toujours
partielle. Dans la bible hébraïque, le nom de Dieu est imprononçable. Dans la théologie
musulmane, il existe « 99 » noms pour désigner « Allah » :

En vérité, il y a quatre vingt dix neuf noms pour Allah, c-à-d cent moins un. Celui qui les énumère entrera au
Paradis.108
[Muslim ibn al-Hajjaj - Sahih Muslim]

Cent moins un, pour signifier, entre autres, que cela demeure toujours incomplet. Comme
Wittgenstein le dira plus tard : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » [Wittgenstein
1989, 107]. Les divinités ne faisant pas partie du monde humain, il nous est impossible de les
concevoir ou de nous les représenter.

Si la représentation est identique au représenté, il existe néanmoins une redondance, une


tautologie supplémentaire. L’unique représentation complète de A, ne peut être que A lui-
même. Dans ce cas précis, la représentation est en général inutile. Une carte aussi complète
que le territoire est inutile, sauf si, pour une raison quelconque, nous voulons préserver
l’original. Par exemple la présentation de répliques dans un contexte muséologique à des fins
de préservation. Ou dans le cas où l’original n'est pas disponible in loco.

En effet, représenter E n’a d’intérêt que si E lui-même n’est pas disponible, ou est impropre à la tâche
envisagée. Il est donc nécessaire que R109 ne possède pas toutes les caractéristiques de E ; celles qui sont
légitimement omises dépendant du besoin que R est censé satisfaire.
[Daniel Kayser in [Houde et al. 1998, 348, Représentation]]

108
« Verily, there are ninety-nine names for Allah, i. e. hundred excepting one. He who enumerates them would
get into Paradise », Muslim ibn al-Hajjaj, Sahih Muslim, Livre 35, Hadith 6476, dans la référence Anglaise
(USC-MSA web (English) reference), et Muslim ibn al-Hajjaj, Sahih Muslim, Livre 49, Hadith 6986, dans la
référence arabe.
109
Dans le texte d’où provient cette citation, R est la représentation de E, et non la relation comme nous l’avions
définie en 1.5.4.
88
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.3.3 La!«!perte!informationnelle!»!
Le prix à payer pour représenter, pour exprimer une caractéristique particulière est une
perte d’information collatérale. Lors du processus de représentation, il est souvent difficile
d’être conscient de la totalité de l’espace d’expression du phénomène original. Un exemple
bien connu est celui du problème d’interprétation stylistique de musiques d’époques
différentes. Une partition de musique baroque, ou encore de musique de la renaissance ne
présente que les hauteurs et des indications temporelles. Au regard des habitudes
d’interprétation de l’époque (Figure 38), tous les détails concernant l’interprétation et
l’ornementation ne sont pas représentés. Ils étaient implicites et peuvent être invisibles pour
l’agent constructeur de la représentation.

110
Figure 38 : J. S. Bach, Christus der uns selig macht, BWV 747, p. 1 .

Néanmoins, cette notion est contrebalancée par une autre notion qu’est la réduction, c’est-à-dire la perte
informationnelle entre l’ensemble de départ et l’ensemble d’arrivée (la représentation). Une entité n’est
porteuse d’une valeur représentationnelle que dans la mesure où est établie une relation de référence avec une
entité existant en dehors d’elle.
[Degueldre 2002, 64]

Évidemment, il existe une limite à partir de laquelle la perte d’information n’est plus
tolérable. Elle ne permet plus de représenter le phénomène original. La sélectivité implicite
dans le processus de représentation doit quand même permettre de garder des rapports
analogique de similitude.

Concernant cette perte informationnelle, même de nos jours, nous pouvons constater par notre
pratique de la musique contemporaine, notamment la musique mixte, que la notation musicale
est encore largement insuffisante pour prendre en charge toute la complexité de
l’interprétation des musiques actuelles. Xenakis avait déjà ajouté des cassettes audio à la
partition de N’Shima (1975)111 pour expliquer comment exécuter certaines notations pour les
voix. Le compositeur italien Francesco Filidei a aussi pour habitude de joindre à ses
compositions de courtes vidéos expliquant comment réaliser certains des modes de jeu

110
Gaylord Music Library, Washington University Library,
http://library.wustl.edu/units/music/image/bach1a.pdf.
111
Œuvre pour 2 mezzo-soprano soli, 2 cor, 2 trombone et un violoncelle.
89
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

demandés dans la partition. De plus en plus, la jeune génération de compositeurs, notamment


celle qui explore les différents modes de jeu instrumentaux, propose un contenu multimédia à
leurs partitions dans la partie destinée aux instructions d’exécution112113.
!
!

2.3.4 La!«!réduction!dimensionnelle!»!!

(La vérité est, bien sûr, une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour qu'une description soit adéquate.)114
[Sperber 1996, 33]

Du fait d’une sélectivité implicite, le processus de représentation diminue la


cardinalité des dimensions de l’espace de définition du phénomène de départ. Nous pourrions
dire qu’en général la relation de représentation R, est une fonction partielle, telle que
!: !! → ! où, !! ⊂ !, c’est-à-dire qu’on ne représente qu’un sous-ensemble du représenté.
Cela est dû au fait que nous ne connaissons pas complètement le domaine de départ : l’espace
de définition du représenté. Étant donné que le processus de représentation est sélectif et qu’il
génère un objet avec une dimension N < M, où M est la dimension de définition du
représenté, il y a perte d’information. Le processus de représentation peut être considéré
équivalant à un processus de codage ou de compression de données, avec perte d’information.

L’exception à cette règle est le codage. Dans ce cas précis, les domaines de définition du
représenté et de la représentation sont complètement connus. Un code C sera une fonction
totale telle que C : B → A , associant à chaque élément de B un sous-ensemble de A.
En dépit de la réduction dimensionnelle et de la perte informationnelle associée, les
représentations sont censées contenir une partie des caractéristiques de l’objet original, le
représenté.
€ Elles sont des « … structures conservant de l’information, bien que sous forme
réduite et plus abstraite)… » [Michel Denis in [Houde et al. 1998, 346, Représentation]]. Cet
aspect est primordial, puisque le lien que garde une représentation avec l’original ne peut être
maintenu sans l’existence d’une connexion (l’analogie) et d’un aspect de ressemblance qui
code une caractéristique de l’original. Un exemple pourrait éclairer cet aspect : le vocodeur de
phase, originellement conçu comme une technique de codage de la voix pour minimiser la
quantité de données à être transmises [Dolson 1986, 14]. Le vocodeur de phase permet de
réduire l’information (par unité temporelle) à un vecteur de dix coefficients de filtres (Figure
39). Certes la qualité de la voix est diminuée, mais dans une limite acceptable, laquelle permet
au contenu du discours continue d'être toujours intelligible.

112
Comme par exemple, le mémoire de Master du guitariste Daniel Murray, qui incorpore dans le document en
pdf des vidéos.
http://www.bibliotecadigital.unicamp.br/zeus/auth.php?back=http://www.bibliotecadigital.unicamp.br/document/
?code=000921693&go=x&code=x&unit=x.
113
Remarquons qu’ici deux problèmes se superposent, car même si Xénakis fournit des cassettes audio, celles-ci
ne garantissent l'accès au complément de la représentation que pour un temps donnée court (quelques années,
une décennie,...), en fonction de l’existence d’agents cognitifs capables de décoder cette information.
114
« (Truth, of course, is a necessary, but not a sufficient, condition for a description to be adequate.) »
90
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

115
Figure 39 : Page 3 du Brevet de Vocodeur déposé en 1938 par Homer W. Dudley , présentant les 10 filtres

2.3.5 La!«!surreprésentation!»,!un!effet!de!bord!
Si la sélectivité et ses conséquences (la réduction dimensionnelle et la perte
d’information) peuvent être des inconvénients, l'inverse – la surreprésentation – peut aussi
avoir des inconvénients.
La surreprésentation peut se manifester, par exemple, lors d’un choix d’espace de
représentation inadapté : soit parce qu’il introduit trop de bruits par la prise en compte de
phénomènes parasites, ou soit parce qu’il est insuffisant pour représenter et/ou décrire la
caractéristique ou la propriété voulue. Dans tous les cas, la surreprésentation aboutit à de
mauvaises interprétations. Comme exemple, voyons quelques transcriptions et interprétations
ethnomusicologiques occidentales de la musique rituelle tibétaine.

Dans la musique rituelle tibétaine instrumentale, le temps musical se structure autour


de la lecture d’« un texte qui doit être lu, psalmodié, chanté selon des règles précises. La
coordination des modalités d’exécution incombe à "celui qui donne le départ", le maître de
cérémonie ou dbu-mdzaz, qui impose hauteur du son de référence et rythme en s’aidant du
grand tambour rnga et/ou des différents types de cymbales (jouées en paires). » [Helffer
1994,119]

Le jeu de cymbales et de tambours est organisé en « frappes comptées », qui sont à leur tour regroupées de
diverses manières pour constituer les différentes formules.116
[Canzio 1978, 168-169]

Les différentes formules rythmiques se basent généralement sur une pulsation régulière
correspondant aux structures des vers du texte religieux [Helffer 1994,147]. Il n’existe pas, à
notre connaissance, comme dans la rythmique occidentale, une théorie des durées fondée sur
le rapport de durées. Le rythme dans le contexte de la musique rituelle tibétaine repose sur
115
Brevet complet (texte et schémas) : http://www.google.com/patents/US2121142.
116
« The playing of cymbals and drums is organized in 'counts', which are in turn grouped in various ways to
constitute the different formulae. »
91
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

une pulsation régulière et sur l’organisation des frappes en groupes (les différentes frappes,
formules rythmiques). Chaque groupe est articulé par des frappes fortes et d’autres faibles,
des frappes courtes (connues comme « sans rebond ») et des frappes plus longues, ou encore
des frappes plus élaborées (connues comme « avec rebond ») [Canzio 1978, 170]. Ces
formules sont regroupées en deux styles de frappes des tambours : « un style "paisible" (zhi-
ba) et lent …, un style "violent" (drag-po) et rapide » [Helffer 1994,147]. Ter Elligson parle
de la nature des unités rythmiques : « … the use of rhytmic units based on energy interactions
rather than time-unit subdivisions, the compositional use of component pieces to form larger
pieces, the use of complex mathematical formulae in place of simple beat-cycles, and the use
of dbyangs-type melodies in some intrument parts. » [Elligson 1979, 539]. Bien que complex
mathematical formulae soit un peu exagéré, cela implique un système où les durées des unités
rythmiques sont fortement dépendantes de l’énergie du jeu de l’instrumentiste. Ce jeu dépend
donc également de l’ambiance du rituel.

De ce fait, nous pourrions dire que la musique rituelle tibétaine instrumentale est une musique
événementielle, construite par concaténation et superposition d’événements monoblocs
complexes (puisque fortement dépendants de l’interprétation, entre autres), dans un espace
temporel non métrique. Nous pouvons identifier trois types de temps :

• Un temps physique : l’écoulement des événements pendant la réalisation, mesuré avec


un outil, telle une montre.
• Un temps logique : il n’existe pas de mesure de durées, mais seulement une
organisation logique des événements entre eux, selon une relation d’antécédent et de
conséquent. Concrètement, un objet arrive avant ou après un autre objet
• Un temps psychologique : il est ressenti par l’instrumentiste pendant l’exécution de la
pièce.

Ayant ces principes en tête, examinons maintenant quelques transcriptions de musique


instrumentale rituelle tibétaine datant des années 1960-1970 et réalisées par Vandoor
[Vandoor 1976]. Le problème de la surreprésentation se pose (Tableau 7). Il est clair que ces
transcriptions témoignent d'une stratégie solfégique pour indiquer au lecteur, probablement
occidental, la manière dont un extrait est exécuté. Cette stratégie sert également comme aide à
l’analyse musicale. Cette transcription est avant tout un témoignage ethnomusicologique.
L’auteur nous prévient : « Il faut noter que la longueur des notes est donnée ici
approximativement, puisque, entre certaines limites, elle est variable, et que, parfois, le
nombre des notes précédées d'une acciaccatura qui se suivent est facultatif ainsi que le
nombre de celles qui sont exécutées en accelerando. » [Vandor 1976, 80]. Vandor fait aussi
attention à ne pas introduire de métrique. Malgré tout, ses transcriptions introduisent, de
manière implicite, certains concepts de la musique et de la notation occidentales, comme, par
exemple, une notation rythmique fondée sur des figures avec des rapports de puissances de
deux entre elles (voir 1.5.10).

92
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Formule
rythmique
de trompes
courtes
1
(kang-
ling)
[Vandor
1976, 81]
Formule
rythmique
de trompes
courtes
2
(kang-
ling)
[Vandor
1976, 81
Formule
rythmique
de trompes
longues
3
(dung
chen)
[Vandor
1976, 86]

Formule
rythmique
de
cymbales
4
longues
(rol mo)
[Vandor
1976, 93]
Formule
rythmique
de
cymbales
5
longues
(rol mo)
[Vandor
1976, 94]
Tableau 7 : Exemples de transcription de la musique rituelle tibétaine de [Vandor 1976]

L’exemple 3 du Tableau 7 présente une formule de trompes longues sur la répétition d’une
note dans le registre médium. La représentation utilisée n’inclut pas d’information métrique,
cependant, elle organise les figures en pulsations. Une unité de pulsation métronomique est
indiquée, la noire à 57 M.M. environ. Les figures sont organisées comme une subdivision de
cette pulsation. Il y a une contradiction profonde entre les concepts de base de la musique
tibétaine et les notations utilisées pour les représenter. La structuration des figures en
pulsations implique, du point de vue occidental, un mouvement agogique interne, des
concepts d’arsis et de thesis (levare et battere). La première double croche d’un groupe de
quatre – subdivisant une noire – a tendance à être légèrement accentuée par rapport aux trois
autres doubles croches. À la lecture de l’exemple 3 du Tableau 7, on introduit
inconsciemment un accent aux croches après les doubles croches (un ta-taa), même si la

93
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

double croche qui commence la formule est tenuto (toutes les autres notes en présentent
aussi). La transcription implique une hiérarchie dynamique et des rapports assez clairs de
durées, introduisant trois concepts, trois paramètres : une pulsation, la subdivision et le
rapport des unités de rythme et l’agogique interne des pulsations.

Si nous essayons de simplifier la notation, en augmentant le tempo et en choisissant comme


nouvelle unité la noire, nous obtenons une représentation comme celle de la Figure 40. Sans
doute le tempo, noire à 216 M.M., a dû être un blocage intellectuel pour la transcription. Par
contre avec ce nouveau tempo une structure rythmique plus simple se dégage. Trois groupes
de trois unités, courte-longue-plus_longue, avec, à la troisième répétition, un rallongement de
la troisième unité. Cette dernière interprétation, bien que très partielle, puisqu’elle s’appuie
juste sur une courte transcription d’une formule de longues trompes sur le son médium, nous
semble plus proche des observations et des conclusions d’autres ethnomusicologues (Elligson
et Helffer) au sujet de la structure rythmique dans la musique rituelle tibétaine. Nous
pourrions inférer que, peut être, une deuxième proposition de représentation, comme celle de
Figure 41, serait plus appropriée. Moins lisible immédiatement, mais esthésiquement plus
ressemblante.

Figure 40 : Première proposition de transcription pour l’exemple de formule rythmique de trompes longues
(dung chen) [Vandor 1976, 86]

Figure 41 : Deuxième proposition de transcription pour l’exemple de formule rythmique de trompes longues
(dung chen) [Vandor 1976, 86]

Il ne s'agit bien sûr que d'un exemple parmi d’autres, ou : « comment une surreprésentation,
au lieu de nous aider à mieux comprendre un phénomène, le recouvre d’informations
parasites, de bruit, en masquant l’information principale ou originelle ? »

94
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.3.5.1 La transcription de la musique rituelle tibétaine

Quand moins c’est mieux…

Nous avons eu l’occasion – et l’honneur – de collaborer avec Mireille Helffer,


ethnomusicologue, spécialiste de la musique rituelle tibétaine. Dans notre travail de
transcription de certaines séquences de musique pour ensemble, nous avons fait plusieurs
tentatives de notation et de transcription. Notre but était de construire des supports d’analyse.

Le processus de transcription a commencé avec l’élaboration d’une partition schématique


avec l’Acousmographe117. Le sonagramme a été utilisé comme repère pour identifier la
hauteur des notes, le début et la fin des événements, donc la durée (voir Figure 42), mais aussi
les divers instruments, en fonction du registre où ils évoluaient (voir Figure 43).
Identification!
Fréquences!
Durées! Sonagramme!

Hauteurs!

Temps!
Onsets!
Mikhail Malt&Mireille Helffer!
Figure 42 : Utilisation du sonagramme pour l’identification d’événements avec l’Acousmographe.
Association de formes!

Cymbale"

Tambour"

Utilisation des diverses « bandes de


fréquences » pour repérer les évènements"

Figure 43 : Utilisation du sonagramme pour l’identification des divers instruments avec l’Acousmographe.

Invitation au protecteur « Tsi u Marpo » "


À partir de cette méthode, une première partition schématique fût élaborée (Tableau 8,
Mikhail Malt&Mireille Helffer!

exemple 1). Nous pouvons remarquer trois couches, la première, en rouge, représente la
mélodie jouée par les hautbois tibétains (rgya-glyng). La partie centrale, en jaune, représente
les cymbales (sbug-chal) jouées par le maître de chant. La dernière, en marron, représente
enfin les tambours (rnga). Cette séquence se base sur la formule rythmique à trois frappes
(voir 2.2.1), que nous avons déjà vue, et qui se trouve représentée à nouveau dans le Tableau
8 (exemple 3 et exemple 4), par souci de clarté. Le logiciel Acousmographe permet aussi
d’exporter un document en format texte avec les positions précises des objets graphiques de la
partition schématique par rapport à un plan temps x fréquence.
117
« L’Acousmographe est un outil d’analyse et de représentation des musiques électroacoustiques, et par
extension, de tout phénomène sonore enregistré », © INA-GRM.
http://www.inagrm.com/accueil/outils/acousmographe
95
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Selon Mme Helffer, cette transcription était déjà utile pour pouvoir commencer à étudier les
extraits choisis, puisqu’elle contenait tous les paramètres importants : l’identification des
couches instrumentales, les repères de synchronisation des hautbois par rapport à la formule
de base, l'identification claire de l’intensité des frappes (la taille des symboles, notamment
pour les cymbales et les tambours, est proportionnelle à l’intensité), et la visualisation
graphique de la mélodie des hautbois, laquelle permet d'identifier rapidement les trois axes
mi3-sol3-la3.

rgya-gling

sbug-chal

rnga

rgya-gling

2 sbug-chal

rnga

Notation
3 tibétaine
originale
bram +
Trans- sbram sbram djé 1 2 3 djé 1 2 3 djé
4 thang
notation O O o O O O o O O O o O~~
118
Tableau 8 : Quatre représentations d’un extrait de la piste 6 Propiciatory deity ritual ( 2’17’’ – 2’33’’)
correspondant à l’exécution de la formule rythmique gsum-brdung

Ce travail, qui était aussi une recherche sur les différentes possibilités de représentation et de
transcription, continua ensuite : comment établir une partition, dont la notation serait plus
conventionnelle ? Pour cela, un ensemble de fonctions, développées dans l’environnement
d’aide à la composition OpenMusic119, furent utilisées pour importer les données du document
exporté par l’Acousmographe et créer ainsi la partition (Tableau 8, exemple 2). Nous pouvons

118
CD : Sounds of Tibet, Monastery of Shechen By Mireille Helffer and Mathieu Ricard, Under the inspiration of
Rabjan Rinpoché © Shechen Publications, Delhi &Katmandou 1997.
119
© Ircam, http://forumnet.ircam.fr/product/openmusic/.
96
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

remarquer que cette partition est en notation proportionnelle. Les barres rouges articulent
l’extrait en fonction des trois parties de la formule rythmique sous-jacente (la formule à trois
frappes). Mme Helffer avait jugé que cette représentation était suffisante pour son travail
d’analyse puisqu'elle représentait de manière satisfaisante l’extrait en question.

En comparant la transcription graphique et la notation musicale proportionnelle (Tableau 8,


exemple 1 et exemple 2) de la mélodie jouée par les hautbois avec une quantification des
données (temps et hauteurs, voir Figure 44), nous pouvons à nouveau remarquer le fait que la
métrique occidentale, et qui plus est la notation en général, dans ce cas précis, peut être
considérée comme du bruit, lequel dissimule une structure simple fondée sur une articulation
mélodique autour des axes mi3-sol3-la3. De la même manière que pour les transcriptions de
Vandor [Vandor 1976, 86], ici aussi, la notation métrique pourrait induire l’existence
d’accents et/ou de cellules, c'est-à-dire d'une agogique qui n’existent vraiment pas. La
transcription de l’exemple 2 du Tableau 8 aurait pu être plus informative avec simplement
l’ajout d’une information sur la durée des notes.

Figure 44 : Quantification et représentation en notation occidentale métrique de la mélodie des hautbois (rgya-gling)

Dans son article « Regard sur les formes dans la musique rituelle du bouddhisme tibétain »
[Helffer 2004, 20-21], Mireille Helffer a finalement utilisé la transcription de l’exemple 2 du
Tableau 8.

2.3.6 L’«!asymétrie!»!et!l’irréversibilité!!
Il y a une asymétrie dans la représentation que la ressemblance ne possède pas.120
[Fraassen 2008, 17]

À partir des caractéristiques précédentes, principalement du fait du caractère


incomplet des représentations, un corollaire s’impose : le processus de représentation tend
vers une irréversibilité et une asymétrie121. Il est souvent difficile, voire impossible, de
reconstituer le représenté uniquement à partir d’une seule représentation. Puisque chaque
représentation constitue une réduction de l’objet original, avec une perte substantielle
d’informations – ou d’un ensemble de caractéristiques –, un ensemble de représentations sera
nécessaire pour reconstituer l’original.

Dans l’étude et l’analyse de la musique (dite) spectrale, les partitions sont souvent
insuffisantes pour étudier le fait musical en entier. Il est alors nécessaire d’avoir recours à
d’autres supports ou d'autres espaces de représentation. Considérons l'exemple de la pièce
Territoires de l’oubli (1976-77) de Tristan Murail. À la page 4, quatrième système, dans la

120
« There is an asymmetry in representation that resemblance does not have. »
121
Sauf évidemment dans le cas du codage où le changement de représentation ne se fait pas au détriment de la
perte d’informations.
97
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

dernière séquence avant du début de la partie B – la séquence finale de ce que Lucia Cervini
nomme la neuvième vague [Cervini 2008, 88] –, nous trouvons un geste musical dont la
dissolution graduelle commence au milieu du troisième système de cette même page (Figure
45).

Figure 45 : Tristan Murail, Territoires de l’oubli, Ed. Musicales Transatlantiques, 1976-1977, p. 4.

Il est intéressant de remarquer la contradiction flagrante entre l’information renvoyée par la


notation musicale (Figure 45) et le rendu sonore (Figure 46). La notation musicale présente (à
la fin du quatrième système de la page 4) une oscillation entre deux accords dont l’intensité et
la densité diminue. Elle ne laisse en aucun cas entrevoir la recrudescence de la densité
spectrale, laquelle est due à l'utilisation de la pédale. Le compositeur, conscient des limites de
la notation dans sa pièce, notera en marge de la page 3 (Figure 47) que celle-ci n’est pas
capable de rendre compte de certains effets du rendu sonore.

Figure 46 : Tristan Murail, Territoires de l’oubli, Sonagramme entre le point culminant de la 9ème vague et le début de
122
la section « B » . Interprétation de Dominique MI.

122
Sonagramme réalisé avec le logiciel Audiosculpt 3.04 (© Ircam 2010). Taille de fenêtre : 4000 points, Pas
d’analyse : 8x, fenêtre d’analyse : Blackman, Taille de la FFT : 4096 (oversampling = 1).
98
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 47 :Tristan Murail, Territoires de l’oubli, Ed. Musicales Transatlantiques, 1976-1977, p. 3.

Pour reconstituer tout le rendu d’une interprétation musicale, dans ce cas, nous aurons besoin,
au minimum de la partition et d’un ou plusieurs enregistrements de performances de cette
œuvre. En plus, il s’avère qu’un complément d’information, des commentaires des interprètes
et du compositeur, est bienvenu pour combler ces lacunes.
!
!

2.3.7 La!«!surexpression!»!

Dans le processus de représentation A pris pour B, nous faisons des choix, des aspects
de B ne sont pas pris en compte, alors que d’autres sont gardés. Nous catégorisons,
hiérarchisons, incluons et excluons des caractéristiques et/ou des paramètres de notre
représentation. Évidemment, il est nécessaire que cette sélection soit comprise, convenable
et/ou opérationnelle. Il est nécessaire que l’on puisse reconnaître le rôle que joue la
caractéristique que l’on sélectionne. Les aspects (paramètres, caractéristiques, etc.) gardés se
présentent alors différemment à nous. Le fait qu’ils ne soient plus en rapport avec d’autres
aspects, ou qu'ils soient même masqués par eux, les met en valeur et les magnifie.

Prenons comme exemple la notation neumatique ancienne, autour du Xe siècle. Dès les
premières esquisses de cette forme de notation, nous pouvons remarquer de petites courbes
graphiques (cf. Figure 48), censées guider le chanteur en lui rappelant le mouvement
mélodique. Qu’est-ce que cette notation, sinon un effort de représenter graphiquement le
profil des hauteurs du chant – en faisant fi de l’information rythmique, apportée en partie par
le texte – par la ressemblance entre le profil mélodique des hauteurs et la variation d’une ligne
sur le plan ? Cette représentation magnifie et sur-exprime le contour mélodique.

123
Figure 48 : Cantatorium de St. Gallen, (922-925) , p. 5.

123
http://www.cesg.unifr.ch/getMs.php?ref=359-5.
99
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Le fait que la représentation opère une réduction des données, avec une réduction
dimensionnelle, permet d’isoler certaines caractéristiques de l’objet ou du phénomène
représenté. Une représentation est sélective en ce qui concerne les caractéristiques exprimées.
Cette caractéristique permet alors de mieux exprimer et de privilégier certains traits, lesquels
pourraient être masqués ou dissimulés par d’autres propriétés dans l’objet ou le phénomène
original. Différentes fonctions sont attribuées à la notation musicale et/ou aux partitions. La
première est une fonction de tablature, c'est-à-dire d’indications d’exécution instrumentale.
Dans ce cas précis, la représentation, par une réduction informationnelle, se focalise sur une
représentation de l’action, comme la séquence de positions des doigts sur des cordes, ou sur
un autre dispositif. Par exemple, dans la Figure 49, nous pouvons observer un ensemble de
tablatures (it. intavolaturas) pour guitare, d’un recueil de chansons du XVIe siècle124 pour
voix, guitare et clavier.

Dans ces tablatures, pour chaque


position (indiquée par un symbole
alphabétique au-dessus de la
tablature), l’auteur a représenté les
cordes de la guitare (traits
horizontaux), sur lesquelles il a noté
des chiffres indiquant les frettes qui
doivent être pressées. Le zéro indique
la corde à vide. Cette représentation
est complètement gestuelle et, sauf
connaissance de la guitare et de son
accordage, il est difficile de se faire
une idée du rendu sonore. La
représentation utilisée se focalise sur
l’exécution en faisant abstraction des
Figure 49 : Giovanni Stefani (rac.), Affeti Amorosi, Canzonette ad
autres caractéristiques. una voce sola, Appresso Alessandro Vincenti, Venetia, MDCXXI,
p. 1.

Pour l’exécution des différentes pièces présentées dans ce recueil, l’auteur propose une autre
représentation, plus complexe, associant les symboles alphabétiques des tablatures aux
instructions musicales d’intonation (Figure 50).
Les symboles associés aux diverses positions de la guitare sont superposés à la notation
musicale, mélangeant des gestuelles d’exécution instrumentale avec des notations
prescriptives du rendu sonore.

124
Giovanni Stefani (rac.), Affeti Amorosi, Canzonette ad una voce sola, Appresso Alessandro Vincenti, Venetia,
Library of Congress, MDCXXI. http://lcweb2.loc.gov/diglib/ihas/loc.natlib.ihas.200154781/default.html.
100
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 50 : Giovanni Stefani (rac.), Affeti Amorosi, Canzonette ad una voce sola, Appresso Alessandro Vincenti,
Venetia, MDCXXI, p. 2.

Cet aspect de focalisation, amenant à une représentation des informations de caractère gestuel,
se rencontre davantage de nos jours dans des œuvres explorant l’univers instrumental en quête
de nouveaux modes de jeu. La partition de l’œuvre Pression, pour violoncelle solo (1969),
d’Helmut Lachenmann, en est un exemple. La partition consiste principalement en une
représentation des actions de l’instrumentiste, montrant, dans cette première page (Figure 51),
le jeu de l’archet par une ligne horizontale et l’évolution des actions de la main gauche de
l’instrumentiste sur la touche par une courbe en segments de droites.

Figure 51 : H. Lachenmann, Pression, pour violoncelle solo, Ed. Breitkopf&Härtel, 1969, p. 2

Le problème de l’incomplétude des représentations est bien connu. Depuis les débuts de
l’évolution de la notation musicale, un certain nombre de solutions furent trouvées. Ainsi
autour du Xe - XIe siècles, dans le fameux manuscrit de l’Antiphonaire de Montpelier (Figure
52), nous pouvons constater la surreprésentation d’un chant par la superposition de deux
types de notation : la notation neumatique et la notation symbolique (alphabétique) naissante.

101
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Pour ne pas perdre de vue notre


sujet, l’important est de
remarquer que, pour chaque
espace de représentation, la
notation, et/ou le sonagramme,
dans notre cas, est insuffisante
pour recréer le rendu entier de
l’œuvre originale. La
reconstitution, son étude et son
interprétation devront passer
forcément par un ensemble de
représentations, éventuellement
par une surreprésentation, dans le
125 but de créer un espace
Figure 52 : Montpelier, Faculté de Médecine, H. 159, p. 35
intersectionnel, supposé assez
proche de l’original.

En effet, c’est par des représentations multiples du même phénomène que l’on arrive à mieux
appréhender, comprendre et étudier les phénomènes. Un problème actuel bien connu est celui
de l’analyse musicologique d’enregistrements audio : l’analyse d’interprétations musicales.
Chaque enregistrement d’une performance musicale est unique, non seulement à cause des
conditions physiques de l’interprétation, de l’instrument utilisé, etc., mais aussi à cause des
conditions d’enregistrement. Le problème deviendra plus complexe, lors de l’utilisation
d’enregistrements commerciaux, où, en plus des aléas de l’interprétation, s’ajoutera la phase
de post production. Durant cette phase, le responsable du mixage final fait des choix
esthétiques par rapport à la qualité audio. Dans ces cas, utiliser des outils informatiques pour
l’analyse audio et extraire des descripteurs posera la question : « que sommes-nous en train
d’étudier ? La couleur de l’interprétation ou le rendu final donné par l’ingénieur son en
studio ? » Seul un travail sur un ensemble d’échantillons de la même performance, réalisés et
enregistrés dans des conditions différentes, pourra indiquer et proposer des invariants,
indépendants des conditions de performance et d’enregistrement. Disposer de multiples
représentations permet un apport d’informations complémentaires [Ainsworth 2008, 195]
conduisant à une meilleure compréhension d’un même phénomène.

125
http://wordsdomination.com/neums.html.
102
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.4 Le!«!changement!de!l’espace!d’expression!»!
… la représentation résulte d’un processus de transformation. En effet, l'information de départ, soumise à un
processus de codage, change de nature. Ainsi, la représentation qui résulte de cette transformation ne doit pas
être considérée uniquement comme un substitut de l’objet représenté, et moins encore comme une simple copie.
[Gallina 2006, 26]

Le processus de représentation s’opère avec la mise en place d’une relation entre deux
espaces de définition, de dimensions et souvent de natures différentes. La représentation est
ainsi créée dans un espace paramétrique différent de l’espace d’existence ou de description de
l’objet original. De plus, la représentation pour s’actualiser – passer d’une représentation
mentale à une représentation non mentale – nécessite un soutien ou un support. Travailler
avec une représentation, ce n'est pas seulement travailler avec un objet incomplet, aux
dimensions différentes de l’original, c'est surtout travailler avec un objet de nature différente
du représenté. Par conséquent, celle-ci présente des propriétés absentes, différentes, voire non
contenues dans l’original.

La différence de nature entre l’espace d’expression et celui de représentation est présente dans
la plupart des représentations. L’écriture, comme le remarque Jack Goody [Goody 1979, 19],
est en elle-même un phénomène étonnant. Le flux sonore de la parole se trouve projeté dans
un espace graphique à deux dimensions, passant de l’immatérialité de la langue aux symboles
graphiques. Cette projection de l’espace sonore peut d'ailleurs être extrapolée selon les
diverses représentations suivantes :

• La représentation en forme d’onde : elle représente les variations de la pression de


l’air en fonction du temps. Cette représentation peut être extensive (numérique),
analytique (expressions mathématiques), ou graphique (deux dimensions dans un
espace cartésien).
• Une bande magnétique analogique : cette bande peut être vue comme un autre support
de la représentation en forme d’onde. Dans ce cas précis, les variations de la pression
de l’air sont représentées par les variations de polarité des particules d’oxyde de fer,
lesquelles sont collées sur le support physique.
• Le disque vinyle, ou microsillon, est également un support physique de la
représentation analogique de la forme d’onde. Le support et les données se
confondent.
• Un fichier informatique, non compressé, est une représentation numérique – discrète –
, codée et quantifiée, d’un signal musical temporel.
• Le sonagramme : il représente le phénomène sonore vu par le biais d’une analyse de
Fourier sur la représentation en forme d’onde. Il peut être considéré comme un
ensemble de vecteurs de coefficients, fréquences et amplitudes, évoluant dans le
temps, c'est-à-dire une représentation graphique en trois dimensions.
• Etc.

Si, in fine, les représentations n’existent que dans l’espace mental d’un sujet, elles
s’actualisent par un grand nombre d’espaces et de supports. Par exemple, ces espaces peuvent
être conceptuels, analytiques, symboliques, numériques, graphiques, matériels, etc. De cette
courte liste, nous pouvons remarquer qu’une même représentation peut évoluer sur des
supports différents. La représentation en forme d’onde, elle-même déjà représentation, peut se
décliner sous pas moins de sept formes, sept supports, donc sept espaces différents !
103
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.4.1 Le!changement!de!nature!et!d’échelle!des!dimensions!
S’il y a changement de nature, il y a aussi changement d’échelle. La représentation du
temps dans la culture occidentale en constitue sans doute l’exemple le plus frappant. En effet,
il existe de nombreuses représentations du temps : la ligne, le calendrier, l’horloge, la liste
d’événements, etc.
En général, nous le représentons sur une ligne droite, allant de la gauche vers la droite, sur
laquelle nous reportons des événements. Si dans le réel, le temps est unidimensionnel – et
pour le moment irréversible – le fait de le transcrire, de le représenter dans un espace
graphique bidimensionnel permet d’opérer un changement d’échelle, donc de nature. Nous le
considérons de ce fait autrement. D’un seul coup d’œil nous rassemblons le passé, le présent,
le futur, et nous nous autorisons à une promenade dans le temps. La nature fugitive du temps
s’est transmuée. Dans la physique relativiste le temps est d’ailleurs orthogonal à l’espace,
avec lequel il constitue une base orthonormale. Ainsi il se voit représenté dans un espace avec
lequel il partage peu de propriétés, et duquel il en héritera quelques unes nouvelles.

Une graphie permet en particulier une perception active (l'œil peut revenir sur l'information), qui détemporalise
l'information
[Lévy 2006]

Ce fait est important, notamment dans la performance musicale. Interpréter une musique par
cœur relève d’une attitude différente de celle où il est possible de lire une partition. Certains
interprètes, même s’ils connaissent leur texte par cœur, optent pour l’utilisation d’une
partition. Selon Allain Billard126, le fait de pouvoir jouer avec une partition permet à
l’interprète de jouer en évaluant le passé et en anticipant le futur. Interpréter un texte musical
par cœur, focaliserait trop le musicien sur le moment présent puisque l'évaluation du passé et
l'anticipation du futur ne peut se faire que par la mémoire. La représentation graphique du
temps, la partition, permet à l’interprète de s’affranchir de sa mémoire ; elle devient ainsi cette
mémoire.

Les diagrammes formels nous donnent à voir d’un coup d’œil la globalité d’une œuvre
musicale, comme par exemple le diagramme de Joy127 (Figure 53), présenté par Magnus
Lindberg, lors de sa conférence le 18/06/2013 à l’Académie de musique, à l’Ircam à Paris.

126
Communication personnelle à l’auteur.
127
Magnus Lindberg, Joy (1989-1990), pour ensemble et électronique, éditeur : Wilhelm Hansen, Copenhague.
Commande : Ensemble Intercontemporain et Fondation Total pour la musique. Effectif : 2 flûte (aussi 1 flûte
piccolo), hautbois, 2 clarinette (aussi 1 clarinette en mib), clarinette basse, basson (aussi contrebasson), 2 cor,
trompette, trombone, tuba, 2 percussionniste, piano (aussi célesta), clavier électronique/MIDI/synthétiseur,
violon, violon II, 2 alto, 2 violoncelle, contrebasse. Dédicace : à Jukka-Pekka Saraste. RIM (réalisateur(s) en
informatique musicale) : Arnaud Petit, Juhani Liimatainen.
104
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 53 : Diagramme formel de Joy (1989-1990) de Magnus Lindberg, par le compositeur

D’un seul regard, trente minutes de musique sont condensées sous nos yeux. Évidement, en
plus d'une représentation graphique du temps, cette figure présente aussi la description de
l’œuvre sous une forme diagrammatique. Elle témoigne de l’articulation structurelle, elle nous
permet d’inférer des connaissances, de faire des liens entre le passé et le futur par rapport à un
point choisi, etc. Cependant, la représentation du temps n’a pas nécessairement la forme
linéaire d’une droite de la gauche vers la droite. Elle peut aussi être représentée par une
courbe évoluant dans un espace graphique bidimensionnel, comme, par exemple, les
différentes notations pour la danse. La
Figure 54 nous présente un exemple de ces notations provenant du célèbre Livre de
contredance d’André Lorin128. Nous pouvons visualiser la trajectoire de quatre mouvements
de danse simultanés, concrétisés par un ensemble de quatre courbes superposées.

Figure 54 : Notation pour la danse, extrait de la page 10 de [Lorin 1697]

Le compositeur Thierry De Mey utilise également cette propriété de la représentation du


temps dans un espace graphique à deux dimensions pour formaliser des formes issues du
mouvement de plusieurs danseurs. Dans la chorégraphie de Un jour, la nuit (1998-1999)129, le

128
André Lorin, Livre de contredance, France, 1601-1700. Source : Bibliothèque nationale de France,
Département des manuscrits, Français 1697, Identifiant : ark:/12148/btv1b90600978.
129
Création le 2 mars 1999, Théâtre de Liège, chorégraphie Michèle Anne De Mey, scénographie Michel Thuns,
consultants Thierry De Mey, Rudi Maerten et Eric Pauwels. http://aml-
cfwb.be/plumefx/public/theatre.asp?th=17&final=9900098 (08/10/2013).
105
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

compositeur élabore une partie de la chorégraphie par rapport aux formes suivies au sol par
les danseurs (Figure 55). Le compositeur nomme ces formes tresses. Celles-ci sont également
utilisées dans la choréographie Both Rain (2001) de Anne Teresa De Keersmaeker.

130
Figure 55 : Parcours des danseurs pour Un jour, la nuit de Thierry De Mey, esquisse du compositeur

De manière générale, en plus de rassembler les « trois temps »131, la bidimensionalité de


l’espace graphique nous permet de superposer plusieurs lignes, c'est-à-dire plusieurs
déroulements, plusieurs trajectoires temporelles. Le contrôle, ou la perception de la
simultanéité, se fait autrement que par l’ouï. Le regard guide l’oreille. Nous sommes capables
de percevoir graphiquement plus d’événements que notre simple perception auditive le
permet. La représentation graphique du temps nous aide à renforcer nos capacités perceptives.
Ainsi, il est difficile d’imaginer le développement de la polyphonie occidentale sans l’aide de
la notation musicale, puisque c'est la notation mesurée qui a garanti la bonne synchronisation
des événements.

130
Image venant d’un document électronique, support de cours de Thierry De Mey, donné par le propre
compositeur.
131
Les « trois temps » (dü sum, tib. !ས་ག%མ་), est une expression venant de la culture tibétaine signifiant
l’ensemble du temps : le passé, le présent et le futur.
106
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Comme le remarque Sciarrino :

Nous pouvons dire que, dès le moment où naît la notation, la vision nous donne l'illusion de la simultanéité.
Simultanéité du passé, du présent et du futur. La page écrite amortit l'écoulement inexorable du temps.132
[Sciarrino 1998, 62]

2.4.2 L’héritage!de!propriétés!et!espace!de!manipulation!
Les caractéristiques et/ou les propriétés représentées changent de nature et d’échelle
dans l’espace de représentation. Cela a comme première conséquence le fait que la
représentation hérite des propriétés de l’espace où elle évolue et qu'elle s’affranchit des
contraintes de l’espace du représenté. Dans le cas de la représentation du temps, nous avons
pu constater que le temps, représenté graphiquement, pourrait être considéré de manière
réversible, et que de multiples flux temporels pourraient coexister. Cet héritage de propriétés
n’est pas sans conséquence. A partir du moment où la représentation hérite de nouvelles
propriétés, celles-ci proposent rapidement un nouvel espace de manipulations133. D'ailleurs,
ces dites manipulations n’étaient peut-être ni évidentes ni explicites dans l’espace d’évolution
du représenté. L’écriture [Goody 1979, 16] amène la parole dans un espace graphique. En le
spatialisant, voire même en le géométrisant, des expressions poétiques telles que Un coup de
dés jamais n'abolira le hasard (1897) de Stéphane de Mallarmé, ou telles que celles des
poètes concrétistes russes et brésiliens deviennent possibles.

      
  

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 "     
   )        !   '  

          

Figure 56 : Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (1897) Stéphane de Mallarmé, version de Michel Pierson &
134
Ptyx

132
« Possiamo dire che dal momento in cui nasce la notazione, la visione presta alla musica l'illusione della
simultaneità. Simultaneità di passato, presente e futuro. La pagina scritta attutisce lo scorrere inarrestabile del
tempo. »
133
Si ces manipulations sont légitimes ou non, c’est une autre question.
134
http://coupdedes.com/ (04/10/2013).
107
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Par curiosité, Bill Gates dans son Content is King avait déjà remarqué que le changement
d’espace de représentation implique un nouvel ensemble de manipulations, et que, de manière
accessoire, la même représentation dans des espaces, ou des contextes différents, devrait être
traitée de manière différente. Un magazine numérique ne devrait pas être traité de la même
manière qu’un magazine papier. Le support informatique propose de nouvelles opérations, de
nouvelles manipulations dont le nouvel objet hérite :

Mais pour avoir du succès en ligne, un magazine ne peut pas simplement prendre ce qu'il y a dans la presse
écrite et le déplacer vers le domaine électronique. Il n'y a pas assez de profondeur ou d'interactivité dans le
contenu d'impression pour surmonter les inconvénients des médias en ligne. (...) Si on attend des gens qu’ils
allument leur ordinateur pour lire à l'écran, ils doivent être récompensés avec des informations mises à jour et
qu'ils peuvent explorer à volonté. Ils ont besoin d’avoir de l'audio, et éventuellement de la vidéo. Ils ont besoin
d'une occasion pour interagir personnellement qui va au-delà de celle offerte par les lettres à l'éditeur des
magazines imprimés.135
[Gates 1996]

Au-delà de la fonction heuristique, fondamentale dans l’établissement d’un modèle ou dans la


résolution de problèmes, les représentations choisies conditionnent l’espace opératoire. Une
représentation conditionne le champ opératoire sur le représenté.

Yan Orlarey donne un exemple assez pédagogique de comment « … la même chose


représentée de deux manières différentes peut avoir un impact très différent. » [Orlarey 2009,
335], en comparant l’utilisation (de l’utilisation) des chiffres romains et des chiffres arabes. Si
les chiffres romains ont été longuement utilisés par les comptables du moyen âge en tant que
moyen pour éviter les fraudes, ils ont été rapidement substitués par les chiffres arabes. Les
chiffres arabes proposent en effet une représentation opératoire. A cette raison principale
s'ajoute la question des algorithmes de base, addition et soustraction, lesquels sont bien plus
simples avec les chiffres arabes. Que dire alors des algorithmes de multiplication, d’addition
ou de division ?

Donc un simple changement, non pas de sémantique mais de syntaxe, va avoir un effet dramatique sur les
possibilités que l’on a de calculs.
[Orlarey 2009, 335]

Prenons un autre exemple, celui de la représentation de séquences mélodiques. Si nous les


représentons, par exemple, comme des suites (listes ou vecteurs) de nombres, cela induit un
champ opératoire principalement marqué par les translations (addition ou soustraction de
valeurs). En revanche, une représentation graphique de ces mêmes séquences, par des courbes
par exemple, ouvre un autre champ opératoire. Nous trouvons des exemples d’utilisation de
ces représentations dans les travaux de Mario Baroni [Baroni et al. 1983], [Polansky et al.
1991], et notamment dans le travail de Mikhail Malt et de Jacoppo Baboni Schilingi [Malt,
Baboni Schilingi 1995], où les séquences mélodiques sont représentées par des courbes dans
le plan bidimensionnel. Elles héritent ainsi d’opérations telles que la dérivation, l’intégration
ou l'interpolation entre courbes. Ce dernier travail montre comment le choix de la
représentation peut ouvrir, proposer et même conditionner un espace où des manipulations

135
« But to be successful online, a magazine can't just take what it has in print and move it to the electronic
realm. There isn't enough depth or interactivity in print content to overcome the drawbacks of the online
medium. (…) If people are to be expected to put up with turning on a computer to read a screen, they must be
rewarded with deep and extremely up-to-date information that they can explore at will. They need to have audio,
and possibly video. They need an opportunity for personal involvement that goes far beyond that offered through
the letters-to-the-editor pages of print magazines. »
108
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

totalement singulières s'opèrent sur le représenté.

2.4.2.1 Les dessins d’Escher


Dans son travail de dessinateur, Maurits Cornelis Escher profite du fait que l’espace
graphique, censé représenter l’espace réel, n’a plus les mêmes contraintes. Ceci lui permet
ainsi de construire des objets et des phénomènes impossibles dans le réel. Dans plusieurs de
ses dessins (Figure 58, Figure 59 et Figure 57), la gravité disparaît, et l’espace bidimensionnel
lui permet des symétries et des raccords impossibles dans un espace à trois dimensions.

137
Figure 58 : Relativity, July 1953

136
Figure 57 : Waterfall, October 1961

138
Figure 59 : Ascending & Descending, March 1960

136
http://www.mcescher.com/Shopmain/ShopEU/facsprints-nieuw/data/1000/11%20Waterfall.jpg.
137
http://www.mcescher.com/Shopmain/ShopEU/facsprints-nieuw/prints.html.
138
http://www.mcescher.com/Shopmain/ShopEU/facsprints-
nieuw/data/1000/10%20Ascending%20&%20Descending.jpg.
109
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.4.2.2 L’espace graphique de la notation musicale


Très tôt, la notation musicale, qui n'est rien d'autre qu'un graphisme bidimensionnel,
propose aux compositeurs de l'Ars Nova des opérations de nature visuelle et/ou géométrique,
telles que les symétries diverses, les dilatations et les contractions temporelles. Comme le dit
Fabien Lévy, [Lévy 2006] « …une graphémologie induit une grammatologie spécifique. »
Cet aspect de la notation fut poussé très loin, donnant naissance à des fantaisies telles que les
canons Belle, bonne, sage, et Tout par compas suy composés, de Baude Cordier (* c. 1380, †
c. 1440)139 (Figure 60), ou le canon circulaire Sphera Mundi de John Bull (*1562-1563,
†1628) (Figure 61).

Figure 60 : Belle, bonne, sage, et Tout par compas suy, de Baude Cordier, Codex Chantilly, p. 11-12

140

Figure 61 : Canon circulaire Sphera Mundi de John Bull (*1562-1563, †1628)

Dans ces deux cas (très particuliers), il est facile de percevoir que les opérations et les
manipulations des matériaux musicaux sont principalement dictées par les possibilités

139
Codex Chantilly, p. 11-12, version fac-simile, http://petrucci.mus.auth.gr/imglnks/usimg/2/2b/IMSLP267994-
PMLP433686-codex_de_chantilly.pdf (05/07/2013).
140
London British Library R.M. 24, f 25, in Laurence Wuidar, Canons énigmes et hiéroglyphes musicaux dans
l'Italie du 17e siècle, P.I.E. Peter Lang S.A. 2008.
110
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

qu’offre l’espace graphique ; la courbure d’un espace qui n’en était pas un !

Les exemples de ce type ne manquent pas, et comme nous en avons déjà donné un aperçu
dans un travail récent [Malt 2010], nous passons maintenant à d’autres illustrations.

2.4.2.3 La notation musicale dans l’espace informatique


Par contre, un point sur lequel nous pensons intéressant de nous attarder : le passage
des notations graphiques, du papier vers l’espace informatique. De 2009 à aujourd’hui, nous
développons un travail d’interprétation assistée par ordinateur [Malt, Sluchin 2011], et de
formalisation d’œuvres ouvertes avec l’interprète Benny Sluchin ([Sluchin, Malt 2010],
[Sluchin, Malt 2011a] et [Sluchin, Malt 2011b]), lequel a étudié et formalisé des interfaces
dédiées à la performance musicale (Cage, Xenakis et Boulez). Dans ce travail, le but est de
rechercher la représentation de la partition la plus adaptée à l’interprétation, de manière à
suivre, autant que possible, les directives du compositeur.

Comme résumé de ce travail, nous aimerions présenter brièvement notre travail de


formalisation et de conception d’une interface d’interprétation assistée par ordinateur pour le
Concert pour piano et treize instruments (1957-1958) de John Cage.

2.4.2.3.1 Les concepts de J. Cage


Dans l’interprétation141 des œuvres de Cage, trois concepts revêtent une importance
particulière : le silence, l’indétermination et la non-intention.

Cage a développé un concept structurel de silence en le considérant comme une absence de


son. Cette absence aide à structurer la musique. C’est le silence entre les notes qui donne à
l’œuvre sa cohésion [Boehmer 1997, 6]. Dans le cas du Concert pour piano, les instructions
de la partition demandent explicitement : « toutes les notes sont séparées l'une de l'autre dans
le temps, précédées et suivies d’un silence (même de courte durée) »142 [Cage 1960]. Plus tard,
Cage considérera une notion plus spatiale d'un silence composé de tous les sons ambiants.
Finalement, sa pensée sur le silence a évolué pour considérer le silence comme une non-
intention [Chilton 2007, 18].

Le deuxième concept, l’indétermination, c’est ce qui permet aux interprètes de travailler de


manière indépendante les uns des autres. Chaque musicien se concentre sur sa partie et sur
l’ensemble des règles et des instructions de la partition [Pritchett 1993]. L’indétermination,
c'est également la perte de contrôle du compositeur sur le résultat final de la performance de
ses œuvres [Campana 1985, 109].

Finalement, la non-intentionnalité. Ce concept décrit le fait qu’un interprète produit des


événements musicaux sans intention, sans raison apparente, ou sans volonté de signifier quoi
que ce soit. Rien de mieux que de laisser la parole à Cage :

... c’était plutôt mon étude du bouddhisme zen. Au début, mon penchant était de faire de la musique à partir des
idées que j'avais rencontrés en Orient. Le Quatuor à cordes [1950] est au sujet du point de vue indien des
saisons qui sont la création, la préservation, la destruction et la quiétude; aussi l'idée indienne des neuf
émotions permanentes avec la tranquillité au centre. Mais ensuite, j'ai pensé, qu’au lieu d'en parler, de le faire,

141
Le mot interprétation est pris ici au sens large.
142
« All notes are separated from one another in time, preceded and followed by a silence (if only a short one). »
111
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

au lieu d’en discuter, de le faire. Et cela a été accompli en faisant de la musique non intentionnelle, commençant
à partir de l'esprit vide. Au début, je l'ai fait en utilisant le carrée magique.143
[Cage, Kostelanetz 1987, 94]

Pour éviter toute mauvaise compréhension, il nous semble essentiel de souligner le fait que,
dans le contexte de la musique de Cage, improvisation signifie non-intentionnalité :
« improvisation. . . c'est-à-dire de ne pas penser, ne pas utiliser d'opérations de hasard, juste
de laisser le son être, dans l'espace, pour que l'espace puisse être différencié de l'espace
suivant qui n’aura pas ce son en lui. Peut-être que je suis trop jeune dans ce travail pour savoir
comment le décrire. »144 [Reynolds, Cage 1979, 581]. L’improvisation telle que nous la
comprenons – un apport créatif de la part de l’interprète – semble être proscrite de l’esthétique
cagienne : « … j'ai évité l'improvisation dans la plupart de mon travail. L’improvisation me
semblait avoir à faire avec la mémoire et le goût, avec ce que j’aime et ce que je n'aime pas.
»145 [Reynolds, Cage 1979, 581]. Dans ce contexte, l’improvisation est une attitude non
intentionnelle dans un cadre très bien défini par le compositeur. Les instructions de la
partition excluent tout calcul, tout apport créatif ou esthétique.

2.4.2.3.2 Le contexte musical


Revenons au contexte du Concert for Piano and Orchestra. Cette œuvre marque une
étape décisive dans la définition de la notion d’indétermination et semble être l'une des
œuvres les plus importantes de John Cage. Pour la première fois le contrôle sur les décisions
concernant tous les aspects musicaux est passé aux interprètes. Chaque exécution peut sonner
différemment des précédentes et la durée peut varier à chaque fois. Ce n'est pas un Concerto
pour piano et orchestre au sens habituel, mais bien plutôt un morceau d'ensemble de chambre
dont l'instrumentation doit être définie à chaque représentation.

2.4.2.3.3 Description de la partition


La partition se compose de parties pour les treize instruments (trois pour les violons,
deux pour les altos, une pour le violoncelle, une pour la contrebasse, une pour la flûte, aussi
piccolo et flûte alto, une pour la clarinette, une pour la doublure du basson par le saxophone
baryton, une pour la trompette, une pour le trombone et une pour le tuba), de parties pour le
piano soliste et pour le chef. Les différentes parties sont toutes solistes, ce qui signifie qu'il n'y
a pas de relation ou de coordination entre elles. Tout ensemble peut être choisi pour
interpréter l'oeuvre. Donc, une version de concert peut bénéficier d'un nombre quelconque de
ces instruments, voire d'aucun, ce qui peut être considéré comme une version muette de 4'33".

Dans cette œuvre, il n’y a pas de conducteur. La partition se compose de deux pages pour le
chef d’orchestre, 63 pages pour le piano et 184 pages pour les instruments, partagées comme
le montre le Tableau 9.
143
« …, it was rather my study of Zen Buddhism. At first, my inclination was to make music about the ideas
that I had encountered in the Orient. The String Quartet [1950] is about the Indian view of the seasons,
which is creation, preservation, destruction, and quiescence; also the Indian idea of the nine permanent
emotions, with tranquility at the center. But then I thought, instead of talking about it, to do it; instead of
discussing it, to do it. And that would be done by making the music nonintentional, and starting from an
empty mind. At first I did this by means of the Magic Square. »
144
« Improvisation . . . that is to say not thinking, not using chance operations, just letting the sound be, in the
space, in order that a space can be differentiated from the next space which won't have that sound in it. I'm
perhaps too young at this work to know how to describe it. »
145
« ... I have avoided improvisation through most of my work. Improvisation seemed to me necessarily to have
to do with memory and taste, likes and dislikes. »
112
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Violon 1 : pages 1–16


Violon 2 : pages 17–32
Violon 3 : pages 33–48
Alto 1 : pages 49–64
Alto 2 : pages 65–80
Trompette en Bb : pages 81–92
Violoncelle : 93–108
Tuba en F et Bb : pages 109–120
Clarinette en Bb : pages 121–132
Flûte, Piccolo, flûte Alto : pages 133–144
Basson, Saxophone : pages 145–156
Contre basse : pages 157–162
Trombone à coulisse : pages 173–184
Tableau 9 : Distribution des parties instrumentales dans la partition du Concert pour piano et orchestre (1957-58) de J.
Cage

Chaque partie instrumentale est composée d’une page d’instructions détaillées et d’une
collection de pages (Figure 62) contenant des événements musicaux ponctuels, nommés notes
par Cage (Figure 63 et Figure 64).

Figure 62 : Page 176 de la partition du trombone

113
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 63 : 5ème événement de la 3ème portée Figure 64 : 5ème événement de la 1ère portée page
page 176, de la partition du trombone. 176, de la partition du trombone.

Les événements sont distribués de manière variée sur chaque page, allant d’une densité élevée
(autour de 10 événements par ligne) jusqu’aux portées vides (comme la page 178 de la
partition du trombone, voir Figure 65). D’une manière générale, et pour résumer, chaque
instrument a sa propre page d’instructions, et chaque interprète est libre de jouer n’importe
lesquels des éléments de sa partie, en entier, en partie et dans n’importe quel ordre. De cette
manière, chaque interprétation est considérée comme unique.

2.4.2.3.4 Le contexte de l’interprétation des « soli » - difficultés


En effet, même s’il existe des passages difficiles dans cette œuvre [Sluchin 2013, 2],
les principaux problèmes, du point de vue de l’interprète, dans le cas de l’exécution des
parties instrumentales146 sont :

• Faire le choix de quoi jouer et de quand le jouer.


• Quel ordre donner aux éléments ?
• Le choix de la durée des silences entre les notes.

Tout cela fait abstraction du résultat musical des autres musiciens. Il est important d’être
conscient du fait que l’absence d’intention signifie que l’on devrait ignorer ce que l’on devra
jouer. Une performance idéale serait celle où, à chaque exécution, l’interprète a à sa
disposition toute la partition, ses choix étant les plus intuitifs et spontanés possible. D’un
point de vue opératoire, cela signifie qu’un interprète désirant jouer l'une des parties de cette
œuvre, devra être capable de faire des choix non intentionnels dans un ensemble de pages
imprimées à sa disposition, pour jouer – ou non – un événement ponctuel trouvé dans l'une de
ces pages. C’est à dire :

• Choisir non-intentionnellement une page


• Dans cette page, choisir non-intentionnellement un événement
• Le jouer ou non non-intentionnellement.

Après l’analyse des instructions de la partition et des concepts esthétiques que le compositeur
nous propose, nous réalisons que les partitions traditionnelles rendent difficile le travail
d’interprétation – nous devrions dire de performance – de la part de l’instrumentiste. Les
notations musicales imprimées sur papier héritent des facilités et des contraintes de ce
support. L'aspect matériel et séquentiel des partitions imprimées sur papier est un obstacle à la
réalisation de l'idée principale de la Cage : l’interprète doit la parcourir librement, sans

146
Dans la suite de cette réflexion, nous nous pencherons seulement sur l’interprétation des parties
instrumentales, l’interprétation de la partie de piano faisant appel à d’autres hypothèses et écrits de J. Cage.
114
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

contrainte ni intention.

D’une manière globale, il n'est pas toujours facile de passer rapidement entre deux éléments
musicaux trouvés sur des pages séparées. Les interprètes ont tendance à privilégier le
regroupement d’objets appartenant à une même page, ou d'éléments se trouvant dans un
rapport séquentiel par rapport aux pages qui les contiennent. Il existe un problème physique :
la manipulation des pages pendant la performance !
On peut déjà remarquer comment le support, l’espace d’expression de la représentation,
présente des possibilités et des restrictions. Si dans l’imaginaire du compositeur ces
représentations peuvent, ou pourraient, s’assembler d’une infinité de manières, dans le cas de
l’espace papier cela est moins vrai.
D’autre part, et comme nous l’avons estimé, le choix des notes se fait en deux temps (ne
serait-ce que physiquement) : le choix de la page et ensuite le choix de la note. Si, comme
nous l’avons proposé, le choix de la page est biaisé par les caractéristiques matérielles d’une
partition imprimée, qu’en est-il du choix d’une note en tant qu'élément dans une page ?

Prenons, par exemple, l’ensemble des pages constitutives de la partition de trombone (Figure
65). Les caractéristiques générales de ces pages sont les suivantes :

1) Des éléments en noir et blanc.


2) Les éléments constitutifs sont un mixte de texte et graphisme
3) Les éléments textuels, de diverses tailles, se constituent :
a) d'éléments alphabétiques en majuscules
b) d'éléments numériques
4) Le graphisme, de tailles diverses, est constitué de :
a) Cercles pleins (les notes)
b) Accidents
c) Flèches
d) Courbes indiquant une modulation de hauteur
e) Lignes pointillées

La distribution des éléments sur les pages est, sauf pour les pages 177 et 178, assez homogène
(Figure 65), et organisée autour du centre des pages.

Pour essayer de comprendre comment un musicien choisit non intentionnellement les


événements à l’intérieur d’une page, notre hypothèse de travail (laquelle reste encore à
vérifier) se fonde sur le fait que l’interprète dans le contexte d’une certaine catégorie de
musiques de J. Cage, à laquelle appartient le Concert pour piano et treize instruments, se
comporte, en général, de la même manière qu’une personne parcourant des pages papier et/ou
sur le réseau pour la recherche d’informations. Le musicien utilise deux processus : le
balayage et la recherche [Djamasbi 2011, 332]. Il se meut par automatismes. Ces
automatismes se fondent sur le fait qu’il existe un déterminisme culturel, notamment
occidental, qui conduit au balayage d’une page (avec de l’information uniformément
distribuée) selon certains critères donnés : la partie haute à gauche est privilégiée, induisant
dans certains cas les « F-patterns » [Nielsen 2006], c'est-à-dire des formes d’attention se
focalisant sur le haut et la partie gauche d’une page. En général, le parcours d’un texte
s'effectue de la gauche vers la droite (voir plus bas les exemples des différentes interprétations
de Solo for Sliding Trombone) et de haut en bas.

115
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 65 : Partition du trombone, pages 173 à 184, dans le Concert pour piano et orchestre (1957-58) Cage

Il existe un certain nombre de recherches actuelles ([Nielsen 2006], [Shrestha, Lenz 2007],
[Cutrell, Guan 2007], [Lorigo et al. 2008], [Buscher et al. 2009], [Shimojima, Katagiri 2010],
[Djamasbi 2011] et [Zhao, Koch 2013]) qui se préoccupent de comprendre comment nous
recherchons, balayons des pages web pour rechercher de l’information. Ce que l'on peut
retenir, de manière générale, est :

• Les événements ayant d'avantage d’éléments graphiques attirent l’attention plus


facilement que ceux textuels.
• Les événements graphiques de plus grande taille attirent l’attention plus facilement
que ceux qui sont de plus petite taille.
• Dans un processus de parcours rapide des pages, et à l'exception d'une distribution
particulière (telle que celle des pages 175, 177 et 178), le centre, la partie haute et
la partie gauche de la page seront les régions les plus privilégiées.
• Le fait que la page ne soit pas uniformément occupée induira l’existence de focus,
créant des espaces visuels saillants.
116
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

• L’attention dispensée n’est jamais distribuée de manière homogène sur une page.
• La partie en bas et à droite d’une page est souvent négligée [Djamasbi 2011].

Pour résumer, notre parcours d’une page d’information est difficilement équiprobable, nous
ne nous focalisons pas sur tous les points d’une page de la même manière avec la même
attention. Les caractéristiques et la distribution des divers éléments sur une page créent des
espaces visuels saillants lesquels influencent la manière dont nous recherchons de
l’information. De ces études, nous pouvons inférer que jouer les parties du Concert for piano
and Orchestra, avec la version papier, est une tâche très difficile. Elle est, qui plus est,
influencée, soit par le support lui-même, soit par des biais cognitifs.

Pour finir, dans une étude récente [Sluchin 2013] sur les interprétations enregistrées de Solo
for sliding trombone – une version de la partition du trombone en solo – le tromboniste Benny
Sluchin montre que dans trois enregistrements sur quatre, les interprètes ont préparé leur
version. Les notes ou les événements sont choisis dans l’ordre direct ou inverse des pages de
la partition. Les événements sont choisis dans leur ordre de présentation de la partition.

Pour le premier enregistrement, Christian Lindberg [Lindberg 1988] interprète les pages 174,
175, 177, 178, et 179 du Solo [Sluchin 2013, 2]. Pour le deuxième, Bob Gillespie [Gillespie
2001], interprète « les pages 173, 174, et la seconde moitié des 183 et 184 » [Sluchin 2013,
2]. Le troisième, James Fulkerson [Fulkerson 1992], choisit d’interpréter sa version de Solo
en la superposant à Fontana Mix (1958). Dans cette version, Fulkerson joue les pages 184,
183, 182, 178, 174, et finit sur la moitié de la page 175 [Sluchin 2013, 4]. Comme le
remarque Sluchin :

Mais à l’intérieur de chaque page, Fulkerson applique une lecture traditionnelle : commencer en haut à gauche
et procéder à droite en descendant les systèmes. Donc, se pliant à des règles de la lecture de notes.
[Sluchin 2013, 4]

Le fait que l’ordre choisi soit toujours direct ou rétrograde des pages présentées reste un
invariant dans ces trois versions de Solo. Notons, tout de même, la petite entorse opérée par
Fulkerson qui effectue un retour d’une demi-page à la fin de sa version.

Ces versions sont pensées, étudiées, et élaborées par les interprètes, dont l’ordre des choix
montre une forte corrélation avec la structure du document d’origine. Rappelons qu'aucune
indication de Cage ne permet d’inférer que les événements musicaux ponctuels doivent être
joués dans un ordre donné, bien au contraire.

De ce que nous venons de présenter, nous pouvons considérer deux aspects : les contraintes
induites par le support de la représentation (les feuilles de papier et leurs formes) et les
contraintes cognitives liées à notre vécu par rapport à ce support. Toutes ces données nous
amènent au fait que la forme et l’espace d’expression de la partition, dans le cas précis des
parties instrumentales du Concert pour piano de J. Cage, imposent des contraintes qui
peuvent être contradictoires avec les hypothèses de travail du compositeur. Par contre, un
espace informatique, tel que celui proposé [Sluchin, Malt 2010], pourrait offrir un système de
représentation permettant de mieux respecter la pensée du compositeur.

117
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.4.2.4 La librairie « Profile », encore l’espace graphique…


La librairie Profile ([Malt, Baboni Schilingi 1995a] et [Malt, Baboni Schilingi 1995b])
consiste en un ensemble d’outils destinés à l'origine à l’environnement d’aide à la
composition Patchwork et actuellement disponibles dans OpenMusic et PWGL. Cette librairie
est « destinée à la manipulation des hauteurs, selon des représentations et des
transformations géométriques. Elle utilise la notion de « profil », qui peut être définie comme
une succession linéaire de directions d’intervalles de hauteurs. Les opérations géométriques
de représentation et de transformation sont regroupées en six sections : Perturbation,
Change, Reflexions, Deriv/integr, Interpolation, Utilitaires. » ([Malt, Baboni Schilingi 1995a,
1]. Cette librairie manipule des profils mélodiques considérés comme des courbes. Une
séquence mélodique (Figure 66-A) est préalablement représentée comme une succession de
points ordonnés dans le temps (Figure 66-B) ; un tableau de hauteurs en midicents en fonction
du temps. Ensuite, une représentation de courbe par segments est construite. Cette dernière est
traitée comme une courbe ou une fonction évoluant dans le plan (Figure 66-C). Si cette
démarche semble intuitive pour une bonne partie des musiciens, elle n’est pas pour autant
neutre. Le fait d’avoir choisi cette représentation – une fonction sur un plan (hauteurs x
temps) – permet aux séquences ainsi représentées d’hériter des propriétés des fonctions. Ceci
autorise les compositeurs à proposer des transformations mélodiques telles que la dérivation
et l’intégration de séquences mélodiques.

A
B

C
Figure 66 : Représentation d’une séquence mélodique comme une fonction par segments

La dérivation de la fonction par segments, Figure 66-C, est équivalente à une dérivation
discrète du tableau Figure 66-B147. Nous pouvons aussi voir cette opération comme une
extraction des intervalles entre les notes de la séquence de la Figure 66-A (200.0 100.0 200.0
200.0 100.0 -900.0 900.0 -100.0 -200.0 -200.0 -100.0 -200.0148) et leur transposition sur la
première note de la séquence de la Figure 66-A (le ré3, soit 6200 en midicents). La fonction

!!"#"$%
147
Dans ce cas précis la dérivation discrète sera équivalente à ! ! = avec Δ! = 1.
!!
148
Valeurs d’intervalles en midicents (valeur MIDI multipliée par cent).
118
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

par segments résultante se trouve présentée dans la figure Figure 67-A, et l’interprétation
musicale Figure 67-B.

B
A
Figure 67 : Dérivation de la séquence mélodique de la Figure 66-A

Une deuxième opération s’impose d’elle-même : l’intégration de la même séquence de la


Figure 66-A. Dans ce cas, l’intégration discrète est équivalente à la construction d’une
nouvelle séquence mélodique, et considère les intervalles entre les notes comme les valeurs
des notes de la séquence de départ, c'est-à-dire une accumulation des valeurs des notes
représentées en midicents. Comme cette opération risque de créer des mélodies avec des
intervalles très grands149, dans la librairie Profile, il est possible de choisir une valeur moyenne
à la séquence mélodique de départ pour recentrer la séquence avant l’intégration150. C’est à
dire, premièrement, aux valeurs en midicents de la séquence mélodique est soustrait la valeur
de son barycentre, la moyenne pondérée des notes constitutives de la séquence mélodique,
dans notre cas précis, !"#$%&'(#& = !"#$%%$ !"#$% = 6600. Ensuite, une opération
d’accumulation est opérée à partir de ce même barycentre et de la liste recentrée autour de ce
barycentre (Figure 68A, Figure 68B).

B
A
Figure 68 : Intégration de la séquence mélodique de la Figure 66-A, considérant son barycentre

Dériver ou intégrer une mélodie ? Difficile de l’imaginer en dehors de cet espace de


représentation. D’autres opérations, toutes aussi exotiques dans un cadre classique d’écriture
musicale, sont proposées. Par exemple la réflexion où une séquence mélodique peut être
contrainte dans un registre borné, générant des réflexions, etc. Un descriptif de toutes les
opérations peut être vu dans ([Malt, Baboni Schilingi 1995a] et [Malt, Baboni Schilingi
1995b].

Comment le plan cartésien, cet espace de représentation si particulier, propose-t-il un espace

149
Puisque les valeurs des notes en midicents seront considérées comme des intervalles.
150
Techniquement parlant, l’intégration est l’accumulation des valeurs des notes après la soustraction du
barycentre, (om::dx->x barycentre (om::om- sequence barycentre)) à partir du barycentre. La séquence devient :
(-400 -200 -100 100 300 400 -500 400 300 100 -100 -200 -400).
119
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

de manipulations aussi singulier et non explicite dans l’espace original d’expression, pour
ouvrir un nouveau champ opératoire sur le représenté ?

2.4.2.5 La représentation en forme d’onde


Comme nous l’avons déjà exposé (début de l’Item 2.3.7), la représentation en forme
d’onde peut se décliner dans plusieurs espaces. Cependant, chacune de ces déclinaisons hérite
des propriétés de l'espace-support concerné pour proposer des opérations, et plus
concrètement des manipulations particulières. Regardons deux déclinaisons de cette
représentation : le disque vinyle (ou microsillon) et la bande.

2.4.2.5.1 L’espace du disque « microsillon », le turntablism


Le disque microsillon est une sculpture et une gravure de la forme d’onde en spirale
sur un support rigide, dont le son est restitué par l’amplification des mouvements oscillatoires
d’une aiguille151 parcourant les sillons. Le disque vinyle est un support analogique du son,
sorte de mémoire rigide des variations des pressions de l’air.

Commençons par le sillon fermé shaefferien, ancêtre du loop, la boucle tant prisée par
certains courants de techno pop. Cet environnement de représentation – la galette plate de
matière synthétique – et son environnement, ou espace de décodage – la platine avec ses
composants – ont rapidement proposé un certain nombre de manipulations et d’opérations sur
le son enregistré. Le sillon fermé est un effet de bord, lequel est dû à la nature et à la forme du
support. Un saut de l’aiguille de lecture est dû à une éventuelle rayure sur le disque, qui, dans
le mouvement de rotation, la fait revenir sur le parcours. La taille de la boucle varie
également, plus longue au bord du disque et plus courte proche du centre.

Le fait de pouvoir retirer manuellement la pointe de lecture pour la repositionner offre la


possibilité de commencer à lire un son à n’importe quel moment de son existence, ceci
permettant une segmentation de séquences audio, ce que l'on pourrait voir comme une analyse
pragmatique du fait sonore. L’étude des sons sans attaque par Schaeffer s’est faite grâce à
cette possibilité. Le montage devient alors la conséquence immédiate de cette opération
analytique. Le changement de la vitesse de rotation, avec pour conséquence une transposition
sonore et un allongement – ou contraction – de la durée, et l’inversion de la direction de
lecture, permettent la lecture des sons à l’envers. Ces deux opérations sont dues à la nature
cinétique et rotatoire de l’étape d’interprétation (lecture) du support enregistré. Tout ceci
constitue la panoplie des techniques de base de la musique électroacoustique : la
segmentation, le montage, la boucle (et ses dérivés comme le retard et l’écho), le changement
de vitesse de lecture (la transposition) et le changement de direction de lecture.

Cet espace de représentation ne s’arrête pas en si bon chemin ! Si dans les musiques
électroacoustiques le disque vinyle fut rapidement substitué par la bande magnétique, cette
galette plastique continue aujourd'hui encore son chemin dans la musique de variétés avec le
turntablism ou scratch. Cette pratique se fonde dans la manipulation directe du disque vinyle
sur son support de lecture (la platine), pour effectuer des changements de vitesse et de
direction de rotation [Hansen 2002]. Ce genre de manipulation transforme l’ensemble
disque/platine en un instrument musical.

151
Petite tige métallique munie d’une pointe de diamant.
120
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Cette technique, quelque peu contestataire – le bon ton dictant « qu’on ne touche pas » aux
disques vinyles sous peine de les endommager – est apparu dans les années 1970. L’inventeur
du scratch, ce glissando dû à un changement volontaire de vitesse de lecture du disque vinyle,
est le DJ nord-américain Grandwizard Theodore en 1977 [Hansen 2000, 4]. Cette pratique a
conduit à une évolution de la platine de lecture en la doublant et en y ajoutant divers
potentiomètres à glissière pour mixer, en direct, les deux sources. Il existe de nos jours une
notation, la « TTM » (turntablism transcription methodology), qui est une « représentation
graphique de la rotation du disque dans le temps. L’axe vertical représente la rotation du
disque et l’axe horizontal représente le temps » [Carluccio et al. 2006, 2]. La Figure 69
présente les bases de cette notation et le rapport entre la représentation graphique et la rotation
du disque vinyle. La Figure 70 présente la notation des principaux modes de jeux, explicités
dans le Tableau 10.

Figure 69 : Rapport entre la notation graphique et la rotation du disque vinyle [Carluccio et al. 2006, 2]

Technique Description
Baby Faire tourner le disque d’avant en arrière sans utiliser aucun des contrôleurs de la table de mixage
pour couper le son.
Cut Même mouvement que pour le baby, mais la table de mixage est utilisée (cross-fader, fader,
commutateur phono/ligne) pour couper le son pendant le mouvement
Military Le premier des combos, mélange de cuts et de babys. Généralement, la main sur le disque suit un
mouvement constant (d’avant en arrière) pendant que celle sur la table de mixage coupe et rallume
le son.
Scribbles Un baby très rapide n’utilisant qu’une toute petite portion du disque. Habituellement réalisé en
faisant vibrer un doigt sur un seul point.
Stab Scratch poussé ou tiré rapidement, créant un son plus aigu. Comme pour le cut, le son de retour est
coupé.
Drag Scratch poussé ou tiré lentement, créant un son plus grave.
Tableau 10 : Description des techniques de base du turntablism (scratch) [Carluccio et al. 2006, 4]

121
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 70 : Quelques notations [Carluccio et al. 2006, 2]

Il est aisé de comprendre que même s’il est possible de simuler les scratchs par d’autres
méthodes et procédés, les techniques d’interprétation associées n’ont pu voir le jour que grâce
à la nature et à la forme de ce support.

2.4.2.5.2 L’espace de la bande


En 1952 Stockhausen vit à Paris. Il suit les cours d’Olivier Messiaen au Conservatoire
de Paris et fréquente le Studio de musique concrète de la R.T.F., Club d’Essai, rue de
l’Université. Il compose son Étude concrète (3’15’’) entre la fin de 1952 et le début de 1953.
Dans le livret accompagnant le CD3 de la collection complète de ses œuvres [Stockhausen
1992], Stockhausen donne quelques éléments pour comprendre la composition de cette étude
et du processus utilisé. Qu’est-ce que la bande ? Comment le compositeur l’a-t-il utilisée ?
Lisons quelques extraits.

D'abord, j'ai enregistré six sons de diverses cordes graves de piano préparé frappées avec une batte de fer
(vitesse de la bande : 76,2 cm par seconde)152
[Stockhausen 1992, 95]

Avec le disque vinyle, la durée n’est pas directement proportionnelle à la longueur du sillon ;
la vitesse instantanée d’un point sur le disque est plus grande vers l’extérieur. Avec la bande
par contre, il y a une équivalence directe entre l’espace, la longueur du support et le temps de
la lecture. La durée d’une bande est linéairement proportionnelle à sa longueur. La bande,
selon Cage, représente le son et sa durée [Holmes 2008, 124].

Après cela, j'ai fait des copies de chaque son et, avec des ciseaux, coupé l'attaque de chacun. Les quelques
centimètres de la suite des sons, qui étaient - brièvement - assez stables dynamiquement, ont été utilisés.
Plusieurs de ces pièces ont été épissés ensemble pour former une boucle de ruban, qui a ensuite été transposée à
certaines hauteurs en utilisant une machine de transposition (le phonogène). Quelques minutes de chaque
transposition ont ensuite été enregistrées sur des bandes séparées.153
[Stockhausen 1992, 95]

152
« First, I recorded six sounds of variously prepared low piano strings struck with an iron beater (tape speed:
76,2 cm per second). »
153
« After that, I copied each sound many times and, with scissors, cut off the attack of each sound. A few
centimetres of the continuation, which was - briefly - quite steady dynamically, were used. Several of these
pieces were spliced together to form a tape loop, which was then transposed to certain pitches using a
transposition machine (phonogene). A few minutes of each transposition were then recorded on separate tapes.
»
122
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

L’espace physique de la bande propose les mêmes opérations que le disque, mais avec plus de
précision. La nature du support, malléable et flexible, permet également des opérations de
montage, lesquelles sont plus aisées qu’avec le disque. Il est possible de découper la bande en
petits morceaux puis de les recoller ensuite. Le rapport entre longueur et temps autorise le
compositeur à découper des morceaux de bande et à choisir les durées avec plus de précision.
On peut alors construire des boucles avec des durées données. Les retards, les échos peuvent
être mesurés.

Dans les années 60, Abraham Moles et Jacques Poullin ont construit le morphophone,
un système à échos avec plusieurs têtes de lecture par lequel passait une bande magnétique.
Le changement de vitesse tout comme la lecture inversée étaient déjà présents. Le fait de
pouvoir contrôler plus précisément les vitesses de lecture a permis à Pierre Schaeffer (avec
l’aide de Jacques Poullin) de construire le phonogène en 1951, un précurseur de
l’échantillonneur. « Le phonogène à clavier permet une transposition chromatique du son, le
phonogène à coulisse permet une transposition linéaire (glissando) et le phonogène universel
réalise des transpositions sans changer la durée du son » [Couprie 2000].

Je n’étais autorisé à avoir le studio avec un technicien que pendant quelques heures chaque semaine. Donc, à
l’aide d’un marteau j’ai enfoncé un clou dans mon bureau à l'auberge de jeunesse, posé une plaque de métal sur
le clou, attaché une règle horizontalement sur le bureau en face de moi, et placé une série de pivots avec des
rouleaux de bandes adhésives et un pivot avec de la bande d’amorce les uns à côté des autres à l'arrière du
bureau. Ensuite, j'ai coupé plusieurs pièces courtes d'un rouleau de ruban de raccordement blanc et je les ai
posées côte à côte sur le bord du bureau.154
[Stockhausen 1992, 95]

Il est possible de traiter l’espace de la bande presque comme l’espace de la notation musicale
sur papier. Stockhausen l'a fait. La bande devient alors la réification d’une partition
préliminaire.

Et alors choisi, par rapport à ma partition155


[Stockhausen 1992, 96]

La bande magnétique propose donc un espace de représentation propice à l'écriture musicale,


même les pauses et les silences retrouvent leur représentation correspondante.

Ensuite, j'ai choisi une autre bande préparée, je l’ai mesuré, coupé un morceau et attaché au morceau de bande
précédente. Chaque fois que la partition prescrivait une pause j’y attachais un morceau de bande vierge de
longueur correspondante sur la bande précédente.156
[Stockhausen 1992, 96]

En plus des opérations que nous avons déjà vues, la bande et son support de lecture, le
magnétophone, permettent des effets de bord, comme, par exemple, la désactivation de la tête

154
« I was only allowed to have the studio with technician for a few hours each week. Therefore, I hammered a
nail into my desktop at the student hostel, laid a metal tape hub on the nail, fastened a ruler horizontally onto the
desk in front of me, and placed a series of hubs with modulated tapes and one hub with leader tape next to each
other at the rear of the desk. Then I cut many short pieces from a roll of white splicing tape and stuck them next
to each other on the edge of the desk. »
155
« I then chose, according to my score… »
156
« Next, I chose another prepared tape, measured and cut off a piece, and spliced it onto the previous piece.
Whenever the score prescribed a pause, I spliced a corresponding length of white tape onto the result tape. »
123
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

d’effacement, laquelle autorise une superposition d’enregistrements157. Ceci a amené


rapidement à la saturation de l’espace sonore.

Figure 71 : Quelques types d’édition (montage) de bandes magnétiques

Comme nous l’avons constaté jusqu’à maintenant, les conditions physiques conditionnent les
opérations musicales. Dans le cas de la bande, les opérations d’édition, de segmentation et de
montage ont une influence sur le résultat musical. Pour rappel, les opérations d’édition
permettaient de découper les bandes, sur un support dédié, pour les recoller ensuite. L’angle
de découpe (Figure 71) permettait de passer entre deux situations sonores, de la transition
brusque (Figure 71-A) à divers degrés de transition (Figure 71- B à E).

Figure 72 : Karlheinz Stockhausen, Studie II (1954), Universal Edition, p. 3.

On pourrait inférer que la notation (des événements et des enveloppes d’amplitude) présentée
par Stockhausen pour Studie II se fonde sur l’aspect physique des coupures d’édition des

157
En attendant les vrais enregistrements multipistes.
124
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

bandes magnétiques. La partie du haut présente des rectangles qui ressemblent à des
morceaux de bande, et la partie basse, les enveloppes d’amplitude, reprend les coupures
d’édition.

Pour terminer cette réflexion sur l’influence de l’espace de représentation sur le représenté,
nous pourrions dire que la représentation du son sur un disque vinyle, ou sur une bande
magnétique, a proposé un ensemble de techniques d’opérations de base :

• Les opérations d’édition (segmentation & montage), superposition, inversion et lecture


avec changement de vitesse (et transposition).
• La visualisation de la bande comme piste d’enregistrement et de lecture.

Les facilités proposées par les supports de lecture, « enregistrer, jouer, revenir, avancer, pause
et reprise », sont devenues l'un des grands paradigmes de la manipulation sonore et de la
construction d’interfaces informatiques (séquenceurs et autres) dans la deuxième moitié du
XXe siècle.

2.5 La!fonction!heuristique!
Les gens pratiquent la représentation tout le temps parce que nous vivons immergés dans la représentation :
c'est la façon dont nous comprenons notre environnement et les uns les autres.158
[Webb 2009, 2]

La compréhension du monde qui nous entoure se fait par la construction et


l’organisation de représentations internes [Richard 2004, 109-178]. Connaître est un
processus par lequel le sujet fait sien, intègre, présente à sa conscience, un ensemble de
perceptions venant du monde extérieur. Les représentations ainsi construites deviennent des
objets de connaissance [Gallina 2006, 21]. Le monde extérieur ne nous est pas donné, il nous
est présenté par l’ensemble de nos perceptions ; nous le construisons à partir de nos
représentations mentales, fondées sur ces perceptions [Plagnol 2007, 328]. Connaître ce
monde, le déchiffrer, est un processus de reconstruction interne où nous concevons des
représentations. Nous sommes amenés à reconstruire ce monde extérieur en nous, à le « re
concevoir ». Comme le dit Le Moigne : « non plus analyser la réalité, mais concevoir le
modèle » [Le Moigne 1994, 72]. Nous n’analysons plus, nous concevons des modèles, eux-
mêmes ensembles de représentations mises en relation entre elles (voir l’item 1.5).

« … connaître devient représenter, et plus exactement même, se représenter : le concept de représentation


devient central dans la théorie de la connaissance. »
[Le Moigne 1994, 72]

Si la construction de connaissances est une première phase, la deuxième phase, tout aussi
importante puisque garante de l’intégration et de l’appropriation de ces connaissances,
consiste en une mise en pratique, en une simulation du système de représentations que nous
venons d'élaborer. « Connaître une chose c’est l’intérioriser, se l’approprier donc la rendre
présente au système cognitif » [Meyer 2007, 9].

158
« People practice representation all the time because we live immersed in representation: it is how we
understand our environments and each other. »
125
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Notre but dans cette section n’est pas de définir, de redéfinir, la connaissance ni le processus
de connaissances. En seulement deux ou trois paragraphes, cela serait irréaliste ! Nous
pointerons plutôt le fait que les représentations jouent un rôle fondamental dans notre
processus de construction de connaissances. Les représentations permettent d’organiser, de
systématiser des champs de connaissances (par la classification, l’organisation, l’abstraction
et la fonctionnalisation) par rapport à des caractéristiques et des rapports non explicites –
masqués – dans le champ de manifestation du représenté. Le cas le plus évident, et bien connu
d'ailleurs, est celui de l’écriture. Celle qui transcrit le langage naturel, tout comme celle de la
notation musicale. Jack Goody [Goody 1979, 145-146] décrit comment un discours oral après
sa transcription graphique permet d’identifier et d’isoler les morphèmes en les restructurant
dans un autre cadre plus abstrait : ce qu'il appelle « décontextualisation ».

2.5.1 Décrire,!cataloguer…!
La description peut être considérée comme une première étape dans la construction de
connaissances. À partir de l’identification de traits communs, par rapport à un ou plusieurs
espaces de représentation, un catalogue est construit par assemblage d'éléments similaires, par
rapport à un référentiel donné. Le célèbre Traité des objets musicaux de Schaeffer [Schaeffer
1966] en est un exemple. Nous pouvons le considérer comme une entreprise de construction
de connaissances par la description et le catalogage des différentes morphologies sonores par
appréciation des caractéristiques acoustiques, physiques et perceptives. Le PROGREMU –
programme de recherche musicale – [Dack 1999] en est un autre exemple dans ce contexte
schaefferien. Dans le cas de la composition avec des moyens classiques, il existe des
catégories et des systèmes de classification à priori, tels que l’harmonie, le contrepoint,
l’instrumentation et l’orchestration, lesquels constituent un arrière-plan paradigmatique.
Partant de ce constat, il infère que ces catégories sont souvent inappropriées dans le cas de la
musique électroacoustique. Si en orchestration classique, les sources sonores et leurs
combinaisons sont connues depuis un siècle ou deux – avec une documentation relayée par
divers traités et applications musicales –, dans le cas des matériaux concrets, la stabilité
acoustique n'est sans commune mesure la même, sans parler de la documentation historique.
Le compositeur, dans le studio électroacoustique, se trouve alors face à des matériaux qu’il ne
connaît pas. Le PROGREMU vise une méthodologie d’investigation et d’appropriation des
caractéristiques et des potentialités du matériau sonore choisi par le compositeur. Cette
méthodologie comprend un système en cinq étapes interdépendantes [Dack 1999, 1] : la
typologie, la morphologie, la caractérologie, l’analyse et la synthèse. « Par le biais de la
typologie et de la morphologie, les objets sonores sont isolés de leur contexte, classés et
décrits. Ce sont les étapes taxonomiques les plus détaillées du programme. Par la suite, en
fonction de la caractérologie, les sons peuvent être regroupés en "genres" et, par l’analyse,
leur potentiel pour former des structures musicales peut être évalué. Avec cette information,
le compositeur ne peut synthétiser de nouveaux objets sonores. » [Dack 1999, 1]. Les trois
premières étapes nous intéresse, elles font lieu de stages de connaissance et d’appropriation
des matériaux. Durant l'étape typologique, les unités sonores sont extraites de leur contexte et
préclassifiées [Dack 1999, 2], notamment par rapport aux typologies de base (voir le tableau
de la figure 34 de [Schaeffer 1966, 459]). Cependant, ces typologies de base sont trop
générales ; durant l’étape morphologique, la classification s'affinera alors, en prenant en
compte des caractéristiques comme le contenu spectral, le comportement dynamique ou la
présence – ou non – de vibrato. Ces deux premières étapes opèrent donc une description. La
126
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

troisième étape, caractérologique, engendre des groupes, des familles de sons, et crée un
catalogue. Ces trois étapes permettent au compositeur de connaître et de s’approprier du
matériau grâce à la manipulation de la bande, point dont nous avons déjà parlé.

2.5.2 Simplifier,!schématiser,!expliciter,!mettre!en!relation…!
Dans les travaux analytiques menés en musique électroacoustique, nous trouvons de
bons exemples de procédure de description. Ils sont fondés sur la construction d'une
représentation et le catalogage. Ils apportent une aide précieuse dans un processus de
construction de connaissances.

Examinons un extrait (entre la 30è et 45è seconde) de l’acousmographie (Figure 73) réalisée
par Pierre Couprie [Couprie 2002] pour son analyse de la pièce Oiseau triste, des Trois rêves
d’oiseau (1963-1971) de François Bayle. Une acousmographie est un guide d’écoute réalisé
avec l’Acousmographe, logiciel développé par l’INA-GRM159. L’Acousmographe permet la
réalisation de représentations graphiques par la représentation spectrale d’un fichier audio
numérisé.

Figure 73 : L’oiseau triste, des Trois rêves d’oiseau (1963-1971), François Bayle, extrait entre la 30è et 45è sec.
Acousmographie Pierre Couprie.

159
Acousmographe, © INA-GRM, http://www.ina-entreprise.com/entreprise/activites/recherches-
musicales/acousmographe.html.
127
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Examinons également l’analyse spectrale (sonagramme) du même extrait (Figure 74).


Première remarque, l’extrait est sur deux canaux audio. La visualisation de la représentation
par forme d’onde (Figure 75) indique clairement un mouvement d’amplitude entre ces deux
canaux, lequel signifie un déplacement spatial du son.

160
Figure 74 : L’oiseau triste, des Trois rêves d’oiseau (1963-1971), François Bayle, extrait entre la 30è et 45è sec

Figure 75 : L’oiseau triste, des Trois rêves d’oiseau (1963-1971), François Bayle, extrait entre la 30è et 45è sec

Le sonagramme présente une couche grise bruitée, en arrière-plan, indiquant la présence d’un
effet de salle, la réverbération. La distribution des morphologies dans le registre des
fréquences nous montre qu’entre la 39e et la 45e seconde un geste constitué de glissandi
ascendants s’étale sur le canal gauche entre 5000 et 20000 Hz, et sur le canal droit entre 5000
et 10000 Hz. Une deuxième couche se concentre entre 0 et plus ou moins 3000Hz. Ce n’est
qu’avec un agrandissement qu’il est possible de constater que cette couche renferme deux
gestes. Le premier, entre 1000 et 2000 Hz, constitué des fréquences fondamentales des
glissandi précédents (canal gauche), et le second, constitué de glissandi descendants. En
arrière-plan, nous pouvons aussi constater la présence de morphologies présentant des
spectres harmoniques caractéristiques de sons de voix (Figure 77).

160
Sonagramme fait avec le logiciel Audiosculpt (© Ircam 2010). Taille de fenêtre : 4000 points, Pas d’analyse :
8x, fenêtre d’analyse : Blackman, Taille de la FFT : 4096 (oversampling = 1).
128
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! La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive


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Figure 76 : Les dix-sept familles de sons identifiés [Couprie 2002]

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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

161
Figure 77 : Spectre harmonique caractéristique de la voix, entre 37’’ et 39,5’’, sur le canal gauche

Cette description sommaire nous permet de nous rendre compte de la complexité de cet
extrait ; polyphonie évolutive de différentes morphologies sonores avec différents degrés de
profondeur, d’occupation du registre sonore, de déplacements spatiaux et une couche
conséquente d’effets de salle (la réverbération).

La représentation162 réalisée par Pierre Couprie, pour la pièce l’Oiseau triste, se fonde sur
l’identification de 8 morphologies partagées en 5 catégories (01 note courte, 03 son tenu, 04,
son inversé, 07 glissandi et 17 voix 04) [Couprie 2002, 9], soit un ensemble de dix-sept
familles de sons (Figure 76). Dans l’extrait de représentation présenté sur la Figure 73, les
trois couches de matériaux présentés correspondent, respectivement du bas vers le haut, à :
une déclinaison de la classe « 07 glissandi » (représentée avec des triangles rouges indiquant
des glissandi descendants), la classe « 17 voix 04 » et une deuxième déclinaison de la classe
« 07 glissandi » (représentée avec des courbes jaunes ascendantes indiquant des glissandi
ascendants). Il est aisé de remarquer que cette représentation ne prend en compte ni l’aspect
spatial de la pièce, ni la perspective, ni la profondeur ajoutée par la réverbération. Les deux
canaux sont réduits à un seul. La complexité musicale et spectrale est condensée en un
ensemble de huit morphologies pour l’intégralité de la pièce. Cependant, le travail de Pierre
Couprie, par une réduction informationnelle, par une catégorisation et une classification des
différentes morphologies sonores, a le grand mérite d’expliciter ces morphologies en nous
proposant un guide d’écoute. Ceci nous permet d’avoir une vision schématique et structurelle
de la globalité de l’œuvre. En plus, par cette présentation fondée sur une focalisation
morphologique, Pierre Couprie arrive à dégager une ossature structurelle, laquelle permet au

161
Sonagramme fait avec le logiciel Audiosculpt (© Ircam 2010). Taille de fenêtre : 8000 points, Pas d’analyse :
32x, fenêtre d’analyse : Blackman, Taille de la FFT : 4096 (oversampling = 2).
162
Nous ne parlerons pas de l’analyse en entier, mais juste de la représentation graphique.
130
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

lecteur une compréhension facilitée de la forme de l’extrait. Libre à nous de pousser cette
première analyse pour approfondir notre compréhension.

Le fait de pouvoir isoler un trait, une caractéristique ou un ensemble de caractéristiques


données, permet de se focaliser sur un aspect ou un ensemble d’aspects précis. Ces
représentations nous amènent, dans certains cas, à mieux appréhender certaines
caractéristiques de l’objet représenté – par rapport à l’objet original – en facilitant notre
compréhension et en construisant des connaissances. Le temps pour comprendre, pour
appréhender, c'est-à-dire saisir par la pensée, par l’entendement, ou pour concevoir la totalité
du phénomène, est réduit. La représentation nous offre une image. Elle explicite le
phénomène, en le déployant ou en le réduisant. Exemple typique : la carte ou le plan d’une
ville (Figure 78).

' '

Figure 78 : Place Igor Stravinsky, Paris (Google Maps), en visualisation satelite et schématique

2.5.3 Changer!d’espace,!mettre!en!relation…!
Les représentations nous permettent de mettre en relation des phénomènes que leurs
espaces d’expression premiers n'autorisaient pas. Changer d’espace, profiter du changement
de nature, de dimensions, d’échelle, s’avère être une aide précieuse à la compréhension de
certains phénomènes. Voyons deux exemples.

La Figure 79 présente l'analyse paradigmatique d'une mélodie de hautbois tibétain


(rgya-gling), intitulée la plus noble des dâkini(s) (mkha’-‘gro gtso-mo), que nous avons
réalisée avec Mireille Helffer [Helffer 2004, §93]. Cette technique d'analyse paradigmatique,
qui consiste en une spatialisation graphique du texte musical, opère par regroupement
graphique de similitudes (ressemblances) morphologiques lors de la répétition des éléments
constitutifs de cette séquence. La continuité temporelle est disposée dans un espace graphique
à deux dimensions, lu de gauche à droite, et de haut en bas, agençant les cellules motiviques
de manière à ce que la position horizontale facilite un regroupement vertical avec des cellules
similaires ou ressemblantes. Cette approche analytique, introduite par Gilbert Rouget et
développée par Nicolas Ruwet [Chemillier 2009, 85], peut être vue comme une représentation
131
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

implicite du tableau [Goody 1979, 108-196], comme outil d’organisation de la pensée, où les
colonnes (implicites) représentent les différentes catégories réunies par similarité ou
ressemblance (voir 2.6.6).

Figure 79 : Figure 14 de [Helffer 2004, §93], analyse paradigmatique d’une mélodie de hautbois rgya-gling

Le deuxième exemple est une expérience que Mireille Helffer et nous-mêmes avions réalisée
en étudiant deux transcriptions de deux mélodies de hautbois tibétains163 (rgya-rling). La
première, une mélodie d’un rituel dédié à un protecteur, Tsi’u-Marpo (invitation au protecteur
Tsi’u-Marpo), et la seconde, une partie de hautbois d’un rituel bkra shis. Points importants,
les deux mélodies étaient bien représentées par deux fonctions par segments, et bien que la
première dure huit minutes et douze secondes, et que la seconde dure trois minutes et
cinquante secondes, nous avions remis ces deux représentations à la même échelle. Ces deux
mélodies étaient jouées par deux groupes différents de musiciens, à trois ou quatre ans

163
Enregistrements de terrain, fournis par Mme. Helffer.
132
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

d’intervalle, par des instrumentistes ne disposant pas de partitions, partiellement improvisées,


et pour des rituels fondamentalement différents. Malgré toutes ces différences, force était de
constater que les deux séquences montraient des similarités frappantes. Dans les deux cas,
nous pouvions identifier un minimum de quatre parties. Une première partie introductrice,
suivie d’un développement, puis une partie centrale présentant un point culminant et une
partie finale. Dans les deux séquences, l’articulation structurelle semblait avoir des
proportions très semblables. Dans ces deux cas la représentation en fonction par segments
permet d’identifier rapidement de petites cellules thématiques et leurs répétitions.
Malheureusement, notre collaboration arrivait à son terme, et nous n’avons pas eu le temps de
publier ce résultat fort intéressant.

Encore une fois, il est clair que les représentations, par un changement d’espace d’expression,
de dimensionnalités et d’échelle, nous permettent d’identifier des similarités et de faire des
rapprochements, inférant des connaissances et des structures. Dans la simplification de la
construction des représentations se trouve une manière de mieux comprendre un problème. Le
problème est alors réduit à quelques paramètres.

Figure 80 : Comparaison de deux mélodies de rgya-gling

2.5.4 Découvrir!

… la représentation permet de formuler clairement certaines caractéristiques spécifiques de l’objet représenté,


sous entendu mieux que ne le ferait la présence de l’objet lui-même.
[Gallina 2006, 24]

De par ses diverses propriétés, les représentations nous permettent de comprendre les
phénomènes. Elles deviennent des outils dans le processus de connaissance et de
compréhension, des outils de découverte nous permettant de nous orienter dans un espace
donné et de faire des connexions. Ce sont des outils heuristiques ; indispensables dans tout
processus d’induction de structures, comme en analyse musicale, de formalisation de
processus ou de résolution des problèmes.

133
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Nous créons des représentations pour découvrir, pour inférer des connaissances, des
propriétés implicites dans le phénomène étudié. Les représentations peuvent être considérées
comme des outils de pensée, et en plus d'être des outils heuristiques.

2.5.5 Les!espaces!de!représentation!
En ce qui concerne les représentations mentales, la psychologie cognitive classique en
distingue trois types : les attitudes propositionnelles, les représentations imagées et les
représentations liées à l’action [Meyer 2007, 224]. Concernant les représentations externes
(non mentales), elles peuvent être de deux types : des représentations graphiques
(diagrammes, tables, plans, etc.) ou des représentations symboliques (propositions logiques de
toutes sortes dans un langage naturel ou formel) [Cox 1999, 345]. Nous verrons plus tard
qu’en fonction du contexte de leur utilisation, toutes les représentations n’ont pas la même
valeur ni la même utilité. Cependant, les représentations visuelles, graphiques, jouissent d’un
statut particulier pour l’être humain. Aristote remarque à ce sujet : « C’est pourquoi jamais
l’âme ne pense sans image. »164

Selon Jean-François Richard, « les représentations imagées ont un caractère privilégié, car,
d’une part, elles conservent les relations spatiales qui jouent un rôle essentiel dans la fixation
du cadre dans lequel se déroule la scène et qui, d’autre part, permettent de faire des
inférences d’une manière très économique. » [Richard 2004, 135] Dans les années 1970
Stephen M. Kosslyn et James R. Pomerantz [Kosslyn, Pomerantz 1977] avaient déjà inféré le
fait que les représentations mentales imagées gardaient une isomorphie avec leur représenté
réel. Des travaux récents de Kosslyn [Kosslyn 2005, 342], appuyés par l’imagerie médicale,
semblent confirmer cette hypothèse d’isomorphie, tout en étayant que les mécanismes de
construction d’images mentales seraient les mêmes que ceux utilisés par la perception
visuelle165.
Nous pouvons intégrer rapidement ces commentaires dans notre expérience musicale. Si
l’écoute (ou la situation) acousmatique a pour but de focaliser l’attention de l’auditeur sur
l’ouïe, en supprimant les distractions ou les interférences visuelles, le projet de
l’Acousmographe (© INA-GRM) par contre, reconnaît explicitement le besoin des
représentations visuelles en tant que guide et complément aux représentations sonores pour
une meilleure compréhension du fait sonore – dans le cas précis des musiques
électroacoustiques.

Dans plusieurs disciplines il est clairement reconnu que les représentations visuelles sont des
aides précieuses dans la recherche de connaissance. Par rapport à l’écriture et à la parole,
Bertin déclare : « l’œil saisit instantanément un groupement que l’oreille n’intègre que plus
lentement, partie après partie. » [Bertin-Dantier 2008,5] L’océanographe Louis Légendre va
même jusqu’à affirmer que la représentation visuelle ou spatiale, des observations, est
associée à des heuristiques [Legendre 2008, 90], d’où une influence de cette forme de
représentation sur notre processus d’inférence et de découverte de savoirs.

164
Aristote, De l’âme, Livre III, Chap. 7, L’intellect pratique.
165
« At this juncture, it is clear that the bulk of the evidence supports the claim that visual mental imagery not
only draws on many of the same mechanisms used in visual perception, but also that topographically organised
early visual areas play a functional role in some types of imagery. » [Kosslyn 2005, 342].
134
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.5.6 L’induction!et!l’inférence!
Selon plusieurs auteurs ([Sternberg 1977], [Cauzinille-Marmèche et al. 1985]),
l’encodage, le changement de représentation, est l'une des opérations mentales mise en jeu
lors de la résolution de problèmes, de l’induction de structures ou de relations entraînant un
raisonnement analogique. Soit dans le cadre de la composition assistée par ordinateur, soit
dans le cadre de la musicologie computationnelle, la formalisation des structures musicales,
est une phase obligatoire pour pouvoir traiter les divers objets dans l’espace informatique.
D’un autre point de vue, le processus de modélisation en CAO partage des similitudes avec le
travail d’analyse musicale. Expliquer un « savoir comment faire » pour communiquer avec la
machine est en quelque sorte une analyse musicale ad hoc. Elle ne se restreint pas à l’analyse
formelle d’objets ou phénomènes, elle englobe également la déduction, l'inférence ou
l’induction de structures. Cependant, tandis que le musicologue formalise des structures
externes à sa pensée, le compositeur se trouve à modéliser sa propre pensée.

En plus des propriétés que nous avons déjà signalées, plusieurs études pointent le fait que les
représentations extérieures sont des aides puissantes à nos processus cognitifs [Zhang 1997,
182]. Tout d'abord, les représentations externes sont des aides pour la mémoire. Elles peuvent
augmenter la puissance de notre « mémoire de travail »166 [Zhang, Norman 1994, 118].
L’utilisation d’une représentation externe, comme un plan, une partition, des calculs
griffonnés sur un papier, ou autres, épargneront nos efforts de concentration et attention. Nous
gérons ainsi plus de données que nous ne le ferions en utilisant uniquement notre mémoire à
court terme. Nous pouvons donc travailler sur des problèmes plus complexes [Löhner et al.
2003, 398]. Ensuite, les représentations externes peuvent fournir de l’information perçue
directement, sans avoir a être interprétée ou formulée explicitement. Pour cette raison, Zhang
et Norman pensent que les représentations externes proposent des « affordances »167 [Zhang,
Norman 1994, 118]. Cette « information implicite » provient de la nature et des propriétés
l’espace de représentation (voir 2.3.7).

2.5.6.1 Un premier exemple


Prenons l'exemple d'une séquence de durées représentées soit comme une suite de
temps en millisecondes, soit comme une structure métrique proportionnelle – un arbre
rythmique - (voir 1.5.10 et Tableau 11), et sous la forme d’une liste à plusieurs niveaux. Dans
les deux cas, nous pouvons avoir deux variations : une liste avec ou sans parenthèses et une
structure d’arbre incluant ou non des informations de mesure. En plus de ces quatre
représentations, nous pouvons aussi représenter cette séquence de manière graphique soit avec
une représentation proportionnelle du temps, soit avec une représentation métrique. Chacune
des représentations du Tableau 11168 incorpore des informations, des règles implicites, et
toutes manipulations devant s’y plier.

Soit le Tableau 11.1 une suite de nombres. Cette représentation est celle qui incorpore le
moins de règles, le moins de contraintes : juste l’ordre logique de ses éléments avec les
contraintes de précédent et subséquent. Si nous voulons changer les valeurs des différentes
166
« Le concept théorique de mémoire de travail suppose qu’un système à capacité limitée, qui maintient et
stocke des infos temporairement, soutient les processus de la pensée humaine en fournissant une interface entre
: perception, mémoire à long terme et action. » [Guichart-Gomez 2006, 10].
167
La question de l’affordance (au sens de Gibson [Gibson 1979]) des représentations externes, nous semble un
sujet à par entière que nous ne développeront pas dans le cadre de cette étude.
168
Nous nommerons les différentes représentations par le numéro du tableau, suivies du numéro de ligne.
135
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

durées, seules les opérations arithmétiques sont nécessaires, sans autre contrainte. Il nous est
tout aussi aisé de permuter les éléments entre eux, puisque d’une manière implicite, tous les
nombres constituant cette liste possèdent le même statut, la même hiérarchie.

Le Tableau 11.2 propose la même représentation avec un accent lispien : les parenthèses.
Même si ces parenthèses n’ont pas une grande influence, nous considérons, par contre,
qu’elles apportent un sens de groupe et d’unité à l’ensemble des durées. La liste est
considérée comme une entité fermée, à gauche et à droite.

Leur représentation graphique pourrait être le Tableau 11.3 (10.3 apporte une nouvelle
information dont nous discuterons plus tard).

Le Tableau 11.4 et le Tableau 11.5 proposent une représentation qui implique une
organisation par rapport à une unité, des listes de listes. Le fait d’organiser des éléments dans
des sous-listes implique des groupements et une hiérarchie. Les niveaux de parenthèses
induisent un concept de niveau et de profondeur de liste. Si dans le Tableau 11.1 et le Tableau
11.2 nous pouvions multiplier les durées par des facteurs exprimés en nombres réels, pour le
Tableau 11.4 et le Tableau 11.5, les opérations sont conditionnées à des subdivisions ou des
regroupements d’unités. Jusqu’à quel point pouvons-nous rendre les parenthèses
perméables169 ? De plus, 10.5 implique l’utilisation d’une mesure. Nous finalisons avec 10.6,
où la séquence de durées se voit contrainte dans un espace avec un tempo et une métrique.

Liste de durées en
1 1000 500 500 334 333 333 250 250 250 250
millisecondes (1)
Liste de durées en
2 (1000 500 500 334 333 333 250 250 250 250)
millisecondes (2)

Représentation graphique
3
proportionnelle

4 Arbre rythmique (1) (1 (1 (1 1)) (1 (1 1 1)) (1 (1 1 1 1)))


5 Arbre rythmique (2) (1 (((4 4) (1 (1 (1 1)) (1 (1 1 1)) (1 (1 1 1 1))))))

Représentation graphique
6
métrique

Tableau 11 : Représentation d’une liste de durées

Il est difficile d'inférer un tempo ou une pulsation dans les tableaux 11.1, 11.2 ou 11.3. Par
contre, pour 11.4, 11.5 et 11.6, les pulsations sont clairement explicitées, sinon indissociables
de la représentation. Nous pourrions dire de même concernant le tempo dans Tableau 11.6. La
forme de la représentation détermine l'information qui sera perçue et les structures qui
pourront être induites plus facilement [Zhang 1997, 179]170.

169
Comme pour Brian Ferneyhough.
170
« …the form of a representation determines what information can be perceived, what processes can be
activated, and what structures can be discovered from the specific representation.»
136
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Les représentations visuelles, plus particulièrement, sont d’une grande aide dans l’induction
de structures. En plus de leurs capacités d’incorporer de l’information, donc d’accroître le
potentiel de notre mémoire de travail, les représentations visuelles renforcent notre capacité à
détecter des motifs [Card 2008, 515], nous permettant ainsi des opérations d’inférence. Nous
sommes capables d’opérer visuellement des opérations de groupement ou de ségrégation sur
des images en fonction de la disposition des différents éléments [Goldstein 2009, 104-108].
Nous groupons des éléments en fonction : de la simplicité de la forme perçue, de leur
similarité, de la continuité qu’ils proposent entre eux, de leur proximité relative, du fait qu'ils
partagent une région commune, de la possibilité de les connecter entre eux, d’une
hypothétique synchronie, d’une similarité de direction, d’une possible signification commune
etc. Au contraire, certaines caractéristiques comme la différenciation entre le fond et la forme,
l'identification d’une frontière, la brisure de symétrie, le rapport de tailles et d’orientations
perçues, nous permettent d’opérer des ségrégations dans la représentation visuelle proposée
[Goldstein 2009, 108-110].

Pour reprendre l’exemple du Tableau 11, la représentation graphique de 10.3 apporte une
information capitale pour la séquence. Il est aisé de constater que les distances entre les notes
diminuent de manière presque continue ; on y détecte facilement un accelerando. Pour 10.6,
cet accelerando est, en plus, synchronisé avec les pulsations de la métrique choisie. La
représentation graphique nous permet donc de grouper les points (dans 10.3) pour construire
un objet d’ordre supérieur aux durées.

2.5.6.2 La forme et l’inférence, la harpe Nzakara par M. Chemillier


Autre exemple bien connu des musicologues et des ethnomusicologues, la très
ingénieuse modélisation des formules de harpes Nzakara par Marc Chemillier ([Chemillier
2001, 11], [Chemillier 2005], [Chemillier 2007, 18-23]). Marc Chemillier travaille sur le
répertoire des harpistes nzakara de République Centrafricaine. Il a effectué cinq missions de
terrain entre 1989 et 1996. Ce répertoire, joué sur une petite harpe à cinq cordes, est constitué
de mélopées avec un caractère répétitif, dont la fonction est d’accompagner des
improvisations poétiques chantées. Les formules sont exécutées en pinçant un couple de
cordes. D’un point de vue auditif, le résultat consiste en une formule rythmique répétée. Ce
qui est remarquable dans le travail de modélisation de Chemillier, c'est le fait d’avoir trouvé
des canons cachés au sein même des formules, lesquels sont difficilement perceptibles. Pour
trouver ces canons, Marc Chemillier, a transcrit ces formules non pas en notation musicale,
mais en tablatures indiquant les cinq cordes de la harpe et les positions temporelles des
couples joués (voir Figure 81).

137
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

171
Figure 81 : Transcription, en forme de tablature, des formules de harpes Nzakara [Chemillier 2005]

L’inférence des deux voix en canon n'aurait pu être émise, à notre avis, sans l’aide de cette
astucieuse représentation, ou, à défaut, très difficilement. La représentation en forme de
tablature permet un regroupement visuel des points par proximité (indicatifs des coordonnées
temps x cordes), lequel a permis l’inférence des voix. L’identification du canon a dû venir
ensuite, par la comparaison des deux voix. A défaut de poser la question à l’auteur, ceci reste
une hypothèse. Ainsi, résoudre un problème, c'est souvent trouver une « bonne
représentation », ou la représentation la plus adaptée, celle qui rendra la réponse plus évidente
[Löhner et al. 2003, 398]. L’important dans cet exemple n’est pas la vérité trouvée, mais le
fait qu’une représentation propose plus facilement certaines hypothèses.

2.5.6.3 Les représentations composées, la BStD


Avec Emmanuel Jourdan [Malt, Jourdan 2009], nous avons développé une
représentation des caractéristiques audio d’une séquence audio, fondée sur trois descripteurs
audio : la brillance (centroïde spectral), l’écart type spectral et l’énergie du signal. Notre
objectif était de représenter l’évolution de ces paramètres dans une forme graphique. La
position verticale (ordonnée) du barycentre représente la brillance, la hauteur (autour de la
brillance) de cette forme représente l’écart type spectral et la couleur, l’intensité du signal
(Figure 82). Comme nous pouvons l’observer, la BStD est une représentation en trois
dimensions. L’abscisse représente le temps d’évolution des paramètres, l’ordonnée l’espace
des fréquences et la troisième dimension (c'est-à-dire la couleur ou le niveau de gris)
représente l’amplitude. Il est important de signaler que la forme représentée par l’axe vertical
n’est pas un sonagramme, mais une forme qui indique par la position de son barycentre la
brillance et par son étendue verticale le volume spectral ou le registre spectral.

171
http://www.math.ens.fr/culturemath/histoire%20des%20maths/htm/chemillier05-09/images/fig3.jpg.
138
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 82 : La représentation graphique « Brillance-écart type » [Malt, Jourdan 2009]

Par la suite [Malt 2012], nous avons proposé que l’évolution de la masse sonore dans le cadre
de l’analyse des musiques électroacoustiques puisse être illustrée par cette représentation.
Nous définissons une masse sonore (en nous inspirant des concepts de Schaeffer et de
Smalley) comme un registre spectral et une texture. Le registre spectral est défini par le
couple {(C-S/2),(C+S/2)}, où C est la fréquence du centroïde spectral et S l’écart-type
spectral. (C+S/2) est la borne supérieure du registre et (C-S/2) la borne inférieure. La texture
est représentée par une ou plusieurs caractéristiques sonores, telles que l’amplitude du signal,
son énergie, le flux spectral (ou variation spectrale), la spectral flatness, la rugosité, etc.
L’intérêt ici, c'est la construction d’une représentation graphique à partir de trois descripteurs,
une combinaison de trois représentations du contenu audio.

Prenons un extrait (de 4’14 à 4’28) de la deuxième partie, intitulée Accidents/Harmoniques,


de De Natura Sonorum de Parmegiani, œuvre composée en 1975. L’enregistrement utilisé est
une numérisation de la face A du disque vinyle de la création (3 Juin 1975), réalisée par le
Avant Garde Project. Le fichier original est en format FLAC. Celui-ci a été converti au
format AIFF et traité, pour supprimer le bruit de fond, avec l’outil noise removal du logiciel
Audiosculpt. Cette opération nous a été nécessaire compte tenu de la présence d’un bruit de
fond trop important. Celui-ci engendrait des distorsions considérables dans la forme générée.
Dans cet extrait, à un son tenu de fréquence fondamentale 436.465 Hz avec quatre
harmoniques, se superposent trois événements que nous pouvons qualifiés de stationnaires,
selon la nomenclature des UST. Les deux premiers (1er départ à 4’16", durée 3"544 et le 2e
départ à 4’20 durée 3"267) présentent un caractère percussif avec des caractéristiques
temporelles de « freinage » : enveloppe d’amplitude ondulatoire amortie (voir l’évolution de
l’amplitude dans la Figure 83). Le troisième événement est une large bande de bruit (départ
4’25’’449 durée 0.1’’), courte et de caractère percussif. Dans la partition de diffusion de De
Natura Sonorum [Thomas et al. 1983, 9], Bernard Parmegiani ne détaille pas ces trois
événements, mais note entre 4’20 et 4’30 deux événements dénommés vibra. En suivant
l’évolution individuelle des trois descripteurs utilisés (Figure 83), nous constatons que cet
extrait est un phénomène physiquement complexe. Même s’il existe une forte corrélation
entre les trois descripteurs, chacun décrit un axe paramétrique différent. En les comparant,
nous remarquons que la variation de l’écart type spectral est proportionnellement plus
importante que la variation du centroïde spectral, attestant du poids important de ce paramètre
dans l’évolution de ces gestes.
139
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

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Figure 83 : L’évolution des trois descripteurs pour l’extrait de Accidents/Harmoniques, (4’14"-4’28")

Le centroïde varie peu pour les deux premiers gestes. Le pic pour le premier geste à +/- 534
Hz représente un écart de 343 cents. Pour le deuxième geste, le pic se situe à 456 Hz, soit un
écart approximatif de 70 cents. Dans ces deux cas, les pics sont placés dans les transitoires
d’attaque, ce qui signifie qu’ils sont pour ainsi dire cachés. En ce qui concerne la variation et
l’ondulation amortie de l’écart type, celle-ci est bien plus importante. L’écart type moyen,
entre 4’15’’ et le départ du premier geste, est de +/- 60 Hz. A 4’16.769’’ l’écart type a un
maximum de 344.9 Hz, soit une variation de 3028 cents, plus de 30 demi-tons ! À 4’20.09’’,
le deuxième geste à un maximum encore plus important de 404.43Hz. Ceci équivaut à 3303
cents. Le troisième événement présente un maximum d’écart type de 2451 Hz à 4’ 25.529’’.
A ce niveau, il correspond à la bande de bruit. La Figure 84 présente la BStd, ou l’évolution
de la masse sonore, en comparaison avec la représentation en forme d’onde et le sonagramme.

Il est aisé de voir comment la forme générée par le rassemblement de ces trois représentations
(aussi dénommées descripteurs audio de bas niveau) épouse visuellement les phénomènes
décrits. Elle présente clairement un aspect d’ondulation amortie par la variation presque
périodique de la dimension de l’écart type spectral et par la variation, également périodique,
de l’amplitude. Cet extrait montre comment les formes générées par la BStD condensent
l’information contenue dans trois descripteurs de bas niveau (Figure 83).

140
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Hz.
801.

BStD

sec

385

FO

8000. ‐

Sngrm

Figure 84 : BStd, Forme d’onde (FO) et sonagramme (Sngrm), Accidents/Harmoniques (4’14" - 4’28")

Par la suite, nous avons [Malt 2012] appliqué cette même analyse à l’étude des
musiques électroacoustiques de Xenakis. Il est apparu que cette représentation permettait très
rapidement d'inférer certains faits – par comparaison – dans la procédure de composition de
Xenakis. Par exemple dans Diamorphoses (1957), d'une durée de 6 min 56 sec, la BStd
évolue entre 0 et 8300 Hz. Dans la version de concert de Orient-Occident (1960), d'une durée
de 10 min 58 sec, la BStd évolue entre entre 0 et 8100 Hz. La représentation graphique du
temps nous autorise à mettre en parallèle les deux pièces pour les afficher dans la même durée
(Figure 85), à l'instar d'une normalisation temporelle. Cette stratégie nous permet de nous
rendre compte de la similarité des deux représentations.

Nous pouvons remarquer la grande similarité des deux œuvres, en nous basant sur trois
morphologies proposées par la BStd (Figure 85) : (1) trajectoire ascendante ou descendante de
la forme avec une évolution moindre du registre spectral, laquelle peut être approximée par
une droite, (2) large oscillation du centroïde spectral (+/- 4000 Hz), avec un registre spectral
mince (+/-1200 Hz), et (3) registre spectral épais (+/- 1000-1200 Hz), avec une tendance à la
trajectoire horizontale, plutôt stable.

Pour cette comparaison, nous avons considéré, pour les sections centrales, un mouvement
ascendant global des diverses morphologies. Nous obtenons une articulation globale des
catégories : {1 3} {1 2 1 3} {2 2}, ce qui nous donne une structure tripartite, A-B-Coda, et
deux ponts (représentés par des morphologies de la catégorie 3) entre chaque section. Dans
les deux cas, un point culminant (de masses sonores) se trouve à la fin de la deuxième section,
et les sections finales présentent des textures, des masses sonores statiques, ayant
vraisemblablement une fonction de pédale : la coda à la pièce (Figure 85).
141
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 85 : Superposition des représentations de « masse sonore » (BStd), normalisation temporelle et affichage des
articulations formelles

2.5.6.4 La représentation d’accords par des complexes simpliciaux


Dans ce contexte, nous aimerions présenter le travail du jeune chercheur Louis Bigo
([Bigo et al. 2011], [Bigo el al. 2013]). Ce travail consiste à étudier la représentation d’objets
musicaux, notamment des accords, par des « complexes simpliciaux », en rapport avec les
Tonnetz [Cohn 1997]. Un complexe simplicial, un simplexe, est un objet géométrique
minimal en « p » dimensions, permettant de représenter des espaces de façon combinatoire
[Bigo 2013, 31]. Un p-simplexe est une p-cellule possédant exactement p+1 faces, chaque
face étant une (p-1)-cellule. Par exemple, le point est un 0-simplexe, possédant exactement
p+1 (0 + 1) faces (le point). Le segment de droite est un 1-simplexe possédant 2 faces (les
points des extrémités, des 0-simplexes). Le triangle est un 2-simplexe, composé de 2+1 (p+1)
faces, ou 1-simplexes (soit des segments de droite). Le tétraèdre est un 3-simplexe formé par
exactement 3+1 (p+1) faces, ou 2-simplexes. Le carré n'étant pas un complexe simplicial,
puisque formé par p+2 faces. Le même avec le cube qui n'est pas un 3-simplexe puisque
formé de p+ 3 faces (6 faces). Il est possible de déployer ces espaces simpliciaux pour les
représenter dans un espace graphique en deux dimensions dont la représentation se rapproche
de la représentation hexagonale [Chouvel 2005]. Louis Bigo a rapidement remarqué que la
visualisation des accords dépendait de l’espace simplicial choisi. En effet, il est possible de
construire des espaces hexagonaux, isomorphes à des complexes simpliciaux, en utilisant
différents intervalles générateurs. Pour la représentation hexagonale, en deux dimensions,
trois intervalles sont utilisés pour définir l’espace, en rapport à la direction. Par exemple,
l’espace C(3,4,5) se construit à partir d’intervalles de tierce mineure, de tierce majeure, et de
quinte (Figure 86). Cet espace contient la totalité de !!" .

142
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Tierces'mineures

172
Quintes Tierces'majeures
Figure 86 : Espace hexagonal déployé à partir du complexe simplicial C(3,4,5)

Il est possible de construire d'autres espaces, différents, en fonction des intervalles utilisés.
Selon l’espace choisi, certaines informations n'apparaîtront pas. Même dans des espaces qui
permettent d’exprimer toutes les données, la forme visuelle de ces données sera différente.
Pour travailler avec ce concept de manière formelle, Louis Bigo a défini la propriété de
compactness, la compacité, c'est-à-dire le fait que « la région contenant des cellules remplies
doit être aussi compacte que possible » [Bigo 2013, 45]. Ainsi, il a défini une mesure, la
« compliance », pour rendre compte de la capacité d’un complexe simplicial à représenter un
objet musical aussi compacté que possible. Pour comprendre ces deux concepts, il suffit de
visualiser un accord majeur (Do majeur, par exemple), dans douze espaces hexagonaux
différents (Tableau 12). Cette propriété (compacité) est reliée à des aspects cognitifs de la
perception visuelle173.

Espace Simplicial Espace Hexagonal Commentaires

Eléments dispersés. Espace


C(1,1,10) exprimant les 12 demi-tons de
l’échelle tempérée !!" .

Eléments dispersés. Espace


C(1,2,9) exprimant les 12 demi-tons de
l’échelle tempérée !!" .

Un groupe. Espace exprimant les 12


C(1,3,8)
demi-tons de l’échelle tempérée !!" .

172
Image à partir du logiciel « Hexachord » de Louis Bigo. Cette image et les suivantes, réalisées avec
« Hexachord », sont à l’origine en couleurs, elles ont été converties en niveaux de gris pour ammélliorer la
définition lors de l’impression.
173
Comme nous l’avions signalé à la fin de l’item 2.5.6.1.
143
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Un groupe. Espace exprimant les 12


C(1,4,7)
demi-tons de l’échelle tempérée !!" .

Eléments dispersés. Espace


C(1,5,6) exprimant les 12 demi-tons de
l’échelle tempérée !!" .

Le sol n’est pas exprimé, il ne fait pas


partie de cet espace. Espace
n'exprimant que 6 notes de l’échelle
C(2,2,8) tempérée, correspondant à une
échelle de tons entiers
!! !!commençant sur do.

Un groupe. Espace exprimant les 12


C(2,3,7)
demi-tons de l’échelle tempérée !!" .

Le sol n’est pas exprimé, il ne fait pas


partie de cet espace. Espace
n'exprimant que 6 notes de l’échelle
C(2,4,6) tempérée, correspondant à une
échelle de tons entiers
!! !commençant sur do.

Un groupe et un élément isolé.


C(2,5,5) Espace exprimant les 12 demi-tons de
l’échelle tempérée !!" .

Ni le sol, ni le mi ne sont exprimés.


Espace n'exprimant que 4 notes de
C(3,3,6) l’échelle tempérée, correspondant à
un accord diminué !! commençant
sur do.

Un groupe. Espace exprimant les 12


demi-tons de l’échelle tempérée !!" .
C(3,4,5) Avec la mesure de Bigo [Bigo et al.
2013], ce groupe reçoit la valeur
maximale « 1.0 ».

144
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Espace n'exprimant que 3 notes de


l’échelle tempérée, correspondant à
C(4,4,4) un accord majeur avec la quinte
augmentée, !! , commençant sur do.

Tableau 12 : Douze visualisations d’un accord majeur sur douze espaces simpliciaux déployés

Dans ces douze espaces différents, seul C(3,4,5) propose une forme assez compacte, bien
groupée visuellement, avec un minimum de distance entre les éléments. Les différentes
représentations évoluent donc d'une représentation sporadique d’éléments épars (espace
C(3,3,6)) à la représentation d’une forme compacte dans l’espace C(3,4,5). Évidemment,
comme Louis Bigo l'induit dans son travail, en fonction des configurations intervallaires, un
espace sera plus adapté qu’un autre. La « compliance » « la capacité d’un espace de révéler
les régularités d’un objet » [Bigo et al. 2013, 47], rend compte de cet aspect. De notre côté
nous pouvons dire que la régularité, dans un cas plus général, c'est la caractéristique capable
d’identifier des éléments, de manière à les segmenter ou à les grouper, dans un phénomène
donné.

2.5.7 La!résolution!de!problèmes!
Peut-être commençons-nous à nous éloigner du territoire musicologique ! Que pourrait
bien vouloir dire : « résoudre des problèmes » dans le contexte musical, et plus
particulièrement en analyse musical ou composition ? Contre toute attente – pour certains – ,
la résolution de problèmes fait bel et bien partie du métier de compositeur. Plus encore dans le
cadre de la composition assistée par ordinateur. Paraphrasant Herbert Simon [Simon 1972,
415] et Saul Amarel [Amarel 1968, 132], nous pourrions définir la résolution de problèmes
comme le processus ayant pour objectif de trouver les « meilleures » solutions à un ensemble
de contraintes pour la réalisation d’une tâche ou d’une action. Cette action part d’une situation
initiale pour arriver à une situation finale donnée. Xavier Hautbois [Hautbois 2013, note 28],
montre comment le simple fait de construire un canon – ou de l’interpréter – est l’archétype
de l’énigme musicale. Qui dit énigme, dit solution donc résolution de problème, en musique.
Même si, comme le remarque Stephen McAdams [McAdams 2004, 392], il y a eu très peu
d'études, sur la problématique de la composition et de la résolution de problèmes dans le cadre
de la composition et de la CAO, la résolution de problèmes, selon le sens donné par Herbert
Simon [Simon 1972, 415] et Saul Amarel [Amarel 1968, 132], est un type d’action partagé
habituellement tous les compositeurs. Nous pourrions inférer qu’il existe à la base deux types
de problèmes : ceux venant de contraintes extérieures et ceux venant de contraintes
intérieures. Les contraintes extérieures sont toutes les contraintes matérielles, instrumentales
ou orchestrales. A l'exception des problèmes d’orchestration classique, nous trouvons des
réalisations de compositeurs ayant pris en compte les problèmes physiques des interprètes.
Exemple célèbre, le Concerto pour piano et orchestre « Pour la main gauche » (1929-1930)
de Maurice Ravel, dédié au pianiste Paul Wittgenstein, commanditaire de l’œuvre. Paul
Wittgenstein avait perdu son bras droit pendant la Première Guerre mondiale.
L’instrumentation de la partie de clarinette du Quatuor pour la fin du Temps (1940) d’Olivier
Messiaen, en est un autre exemple.
Les problèmes issus de contraintes internes concernent tous les problèmes posés par
l’axiomatisation préalable. Des contraintes (im/pro)posées par le compositeur lui-même. Ici
145
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

aussi nous pouvons citer quelques cas classiques :


- Arnold Schoenberg ayant comme but l’élimination d'un pôle tonal, et la recherche
d’un système harmonique qui puisse éviter la prédominance d’une hauteur sur les autres174.
- Brian Ferneyhough ayant comme but l'établissement d'un tissu de relations et de sens
entre les divers niveaux de la composition [Malt 1998, 61-106].
- Pierre Boulez ayant comme but la réalisation d’un contrepoint issu d'un déphasage
entre les paramètres musicaux, dans le contexte de la composition de ses Structures pour deux
pianos (1952) 175.
- Iannis Xenakis ayant comme but la conception globale d’une structure sonore.
- Tristan Murail ayant comme but de redonner la primauté à la perception
auditive.
- Etc.

La manière dont chaque compositeur représente les divers éléments du problème constitue un
élément important pour la résolution – ou non – de celui-ci. Tandis que les trois premiers
compositeurs se représentent le problème dans un espace musical symbolique, et trouvent une
solution dans la combinatoire, Xenakis se représente le problème dans un espace
mathématique. Il trouve une réponse dans les statistiques et la probabilité. Murail se
représente le problème dans un espace de fréquences, et trouve la réponse dans des modèles
acoustiques.

Pour d’autres exemples plus récents, nous suggérons les The OM Composer’s Book.1 [Agon,
Assayag, Bresson 2006] et The OM Composer’s Book.2 [Bresson, Agon, Assayag 2008].
Chaque article pose un problème spécifique dans le cadre du processus de composition, ainsi
que sa résolution par l'utilisation de l’environnement OpenMusic.

2.5.7.1 Partiels (1975) de Gérard Grisey


Pour la composition de Partiels (1975), pour dix-huit musiciens, Gérard Grisey utilise
un spectre d’un mi0 de trombone comme matériau de départ (ensemble de données issues de
l’analyse du son). L’idée de base est de synthétiser à nouveau ce spectre avec l’effectif
instrumental, en utilisant chaque instrument comme un partiel. L'une des phases pour
l’utilisation de ce matériau consiste à trier des données pour n’en garder que les plus
significatives. En effet, puisque l’analyse compte en moyenne près de 150 triplets (fréquence,
amplitude linéaire et phase) et que l’ensemble n’a que 18 instrumentistes, le compositeur doit
faire des choix.
Pendant l'un de ses cours à l’Ircam, le compositeur Tristan Murail a proposé une
solution algorithmique, réalisée dans l’environnement d’aide à l’écriture Patchwork176, pour
résoudre ce problème de choix (Figure 87). Les phases de calcul sont les suivantes :

174
« Doubler une note, c’est mettre l’accent sur elle, et mettre l’accent sur une note risque de la faire prendre
pour une note importante, voire une tonique » Arnold Schoenberg, Le Style et l’Idée, Buchet/Chastel, Paris,
1977, p. 167.
175
« Nous pourrons ensuite, au cours de la composition, désolidariser les séries rythmiques des séries de
hauteur qui leur ont donné naissance, et, somme toute, créer un contrepoint de structure entre les hauteurs et les
rythmes. », Pierre Boulez, Relevés d’apprenti, Ed. du Seuil, Paris,1966, p. 159.
176
Patchwork « est un langage de programmation dédié à la composition assistée par ordinateur, cependant il
peut être utilisé pour des propos plus généraux [Laur96]. PW a été conçu et implémenté par M. Laurson, J.
Duthen and C. Rueda au début des années 90, puis repris et amélioré dans le cadre de l’équipe Représentations
Musicales de l’Ircam. ». Voir [ Agon 1998, 18-26] et [Malt 2000, 216-265].
146
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

A - Lecture du fichier contenant l’analyse du son de trombone,


B - Conversion des données d’amplitude linéaire en décibels,
C - Suppression des partiels avec des intensités inférieures à -26 dB,
D - Suppression des partiels aigus, au-dessus du vingt-deuxième,
E - Fondamentale pour reconstruction du spectre,
F - Approximation des données d’analyse par les données d’un spectre harmonique
théorique,
G - Calcul du nouveau spectre en prenant en compte des données d’intensité, de
durées et d'offsets177,
H - Visualisation en notation musicale (avec approximation de huitième de ton) du
matériau trié.

Nous avons dans ce processus un exemple typique de résolution de problèmes dans le cadre
de la composition, avec une solution computationnelle. Le problème de départ est de trouver
un champ harmonique comme élément de base pour la composition. La situation initiale est
un spectre de trombone, une représentation spectrale d’un mi0 d’un trombone, représenté par
une matrice de 150 lignes et quatre colonnes (index, fréquence, amplitude et phase). La
situation finale est un ensemble de dix-huit fréquences qui seront orchestrées par la suite.

Dans ce problème, il existe aussi un ensemble de contraintes : le registre orchestral, la


pertinence harmonique (au sens tonal) des partiels harmoniques (au sens spectral) utilisés, et
finalement le goût, la sensibilité artistique et l’imaginaire du compositeur.

177
Un offset est le décalage temporel d’un partiel par rapport à l’attaque de l’accord (ou du spectre).
147
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

E
B

F
C

G
D

Figure 87 : Patch du compositeur Tristan Murail pour reproduire le processus de triage de partiels

148
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.5.7.2 Construction de structures évolutives à partir de données d’analyse


Un autre contexte dans lequel nous avons eu l’occasion de collaborer avec un
compositeur fut lors de la production de Kinok178 (1993), pour petit ensemble et danse, du
compositeur belge Thierry De Mey. Dans ce travail hautement formalisé, Thierry De Mey
s'est posé la question de l’utilisation des multiphoniques. Le problème consistait à intégrer un
multiphonique de hautbois, ou de clarinette, dans un discours musical, sans que celui-ci
apparaisse comme un objet trouvé. Pour reprendre la définition donnée : l’état initial consiste
en une situation musicale quelconque de la pièce, et l’état final, en une situation musicale
contenant un multiphonique. La première approche du compositeur fut de considérer ce
processus comme analogue au processus de zoom (selon les mots du compositeur), ou
d’agrandissement en cinéma ou photographie. D’un point de vue pragmatique et opérationnel,
ce procédé consistait à construire un objet musical évoluant vers un multiphonique de
hautbois. La résolution de ce problème se fit en considérant une représentation harmonique du
problème : le champ de hauteurs du multiphonique comme élément d’intégration.

La résolution du problème fut très simple et efficace [Malt 2009, 194-197]. À partir d’une
analyse du spectre d’un multiphonique de hautbois, le compositeur a construit un objet
musical – un accord contenant des hauteurs et leurs intensités respectives – qui devait
fonctionner comme objectif vers lequel se dirigeait le zoom, c'est-à-dire un agrandissement de
la structure harmonique de ce multiphonique. Ainsi, l’auditeur doit commencer par entendre
les fréquences d’amplitudes plus faibles, et petit à petit, entendre les autres fréquences avec
un ordre d’apparition inverse de leur amplitude, de manière à ce que le dernier objet entendu
soit le multiphonique (Figure 88).

Entrée du multiphonique
Figure 88 : Le processus de zoom

Un exemple de la réalisation de ce processus peut être entendu dans les 76 premières mesures
de l'œuvre. L’état initial du problème : commencer avec un solo de hautbois (Figure 89).
L’état final du problème : l’arrivée du multiphonique, mesure 76 (Figure 90), lequel doit
s’insérer harmoniquement dans le tissu crée par l’ensemble. Dans ce cas précis, il s'agit de
deux clarinettes en sib (cl.1 & cl.2) et du hautbois.

178
Kinok, Commande : Ircam et Compagnie Rosas, est une musique pour ballet et petit ensemble instrumental.
Cette pièce a été composée en 1993 et créée le 12 mai 1994 à Kunsten, festival des Arts, Bruxelles par Ensemble
Ictus sous la direction de George-Elie Octors, avec la Chorégraphie de Anne Teresa De Keersmaeker.
149
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 89 : Kinok (1993), Thierry De Mey, mesures de 1 à 5, solo de hautbois

Figure 90 : Kinok (1993), Thierry De Mey, mesures de 75 à 77

Les notes les plus prégnantes dans le multiphonique de la mesure 76 sont le si3, ré4, ré#4 et le
la#5. Nous pouvons rencontrer ces notes (transposées d’une seconde, les clarinettes étant en
sib), dans les échelles utilisées par les clarinettes, en plus d’un do# (mib pour les clarinettes),
permettant d’introduire le multiphonique avec une sensation de cadence. La première
clarinette tient un re5 (mesure 76), qui est un pivot en plus, intégrant le multiphonique.

2.5.7.3 lambda 3.99 (1994), Mikhail Malt


Autre exemple dont nous pouvons discuter : l’instrumentation et l’orchestration. Dans
lambda 3.99 (1994), pièce pour guitare solo et électronique, nous avions eu comme problème
d’instrumentation l’adéquation des champs harmoniques, algorithmiquement calculés, aux
contraintes physiques de l’instrument. Après une formalisation, nous étions arrivés à une
séquence d’ensemble de hauteurs. Comme cela est connu, les contraintes physiques de la
guitare sont très fortes. L’accordage et les positions des frettes ne rendent pas tous les accords
possible, ou facilement jouable, sans oublier que chaque accord peut être écrit de plusieurs
manières différentes. De plus, pour écrire une séquence d’accords, en fonction de la vitesse et
de la qualité sonore, il faut choisir des ensembles d’accords ayant des distances minimales,
par rapport à la topologie de la guitare. À ce moment nous avions, avec l’aide de Camilo
Rueda, formalisé le problème en considérant le manche de la guitare comme un espace frettes
x cordes (Figure 91), où nous pouvions, à chaque fois, avoir quatre points (correspondants
aux quatre doigts). La formalisation, pour la construction d’un accord, s’est fondée sur le fait
de devoir minimiser la distance entre les doigts sur l’espace frettes x cordes. Pour les
séquences, ce qui était minimisé, c'était le déplacement du premier doigt. Cette résolution
s’est faite avec la librairie Situations179 de résolution de contraintes.

179
Librairie conçue et développée par Camilo Rueda et Antoine Bonnet.
150
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

(1,4),8(2,3),8(3,1),8(3,0)
Cordes
mi 5
si 4
sol 3
ré 2
la 1
mi 0

0 1 2 3 ... Frette
Figure 91 : Espace « frette x cordes » utilisé pour résoudre le problème d’instrumentation à la guitare

2.5.7.4 Kurze-Schatten II (1983-1989), Brian Ferneyhough


Pour sa pièce pour guitare solo, Kurze-Schatten II (1983-1989), Brian Ferneyhough a
eu le même problème : devoir adapter des champs de hauteurs à la contrainte physique
instrumentale. Pour cela, le compositeur a utilisé une représentation (avec aussi quatre
doigts), fondée sur une géométrisation du problème (voir Figure 92), dans un espace cordes x
doigts, traitée de manière combinatoire.

180
Figure 92 : Esquisses pour Kurze-Schatten II (1983-1989), de Brian Ferneyhough

Cependant, Ferneyhough n’a pas utilisé cette représentation seulement comme aide à
l’instrumentation, elle est devenue génératrice d’objet et de matériaux pour la composition.
Chaque combinaison est un objet numéroté et identifié, comme nous pouvons le voir sur la
Figure 93. Les titres de chaque colonne sont : formula, strings et fingers. Nous ne présentons
que le début de la liste, qui compte plus d’une centaine de combinaisons, dressée par le
compositeur.

180
Cette figure provient d’un ensemble de copies des esquisses qui nous ont été gentiment cédées par le
compositeur Brian Ferneyhough.
151
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 93 : identification et classification de chaque combinaison de cordes x doigts pour Kurze-Schatten II (1983-
1989), de Brian Ferneyhough

2.5.7.5 Stephen McAdams & Roger Reynolds


Stephen McAdams [McAdams 2004, 427-428], dans le cadre d’une grande étude de
quatre ans sur le processus de composition de la pièce The Angel of Death pour piano solo,
seize instruments et ordinateur, du compositeur Roger Reynolds, montre comment ce
compositeur utilise de nombreuses formes de représentations comme aides dans son processus
de résolution de problèmes de composition. Chaque forme de représentation est liée à un
problème spécifique. Par exemple, Roger Reynolds utilise les représentations graphiques pour
des esquisses de la forme et des indications de texture. Des descriptions verbales pour décrire
des matériaux. Des atmosphères ou les attitudes qu’il utilise pour créer. Cependant, Stephen
McAdams souligne le fait qu’il y a une grande variation de stratégies de représentation entre
les compositeurs dans le contexte de résolution de problèmes.

2.5.8 Petite!conclusion!locale!

L’effet de focalisation est une partie essentielle de ce que propose une représentation parce que la complexité du
monde naturel est écrasante. Nous (et nos machines intelligentes) avons besoin de conseils pour décider dans le
monde à quoi faire attention et quoi ignorer. Les verres fournis par une représentation peuvent nous fournir
cette orientation : en nous disant quoi et comment voir, ils nous permettent de faire face à ce qui serait
autrement une complexité intenable de détails. Par conséquent, l’engagement ontologique d’une représentation
peut être une de ses plus importantes contributions.181
[Davis 1993, 19]

Dans le contexte que nous avons établi (l’impossibilité de connaissance directe de la


réalité à travers nos perceptions), le processus de représentation est l’unique moyen de
connaissance pour l’humain [Gallina 2006, 26]. Construire des représentations nous aide à

181
« The focusing effect is an essential part of what a representation offers because the complexity of the natural
world is overwhelming. We (and our reasoning machines) need guidance in deciding what in the world to attend
to and what to ignore. The glasses supplied by a representation can provide this guidance: In telling us what and
how to see, they allow us to cope with what would otherwise be untenable complexity and detail. Hence, the
ontological commitment made by a representation can be one of its most important contributions. »
152
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

structurer l’espace et le monde pour mieux le connaître [Bailly 2010, § Subjectivité et


représentations]. Ce processus de construction est influencé par nos représentations internes
(valeurs, objectifs, etc.), aussi bien que par les représentations externes à notre disposition.
Les représentations étant aussi des outils pour la pensée, un outil heuristique, elles facilitent la
réalisation de connexions entre les phénomènes. Les représentations sont des outils pour la
pensée, et l’utilisation de représentations externes accroît nos capacités cognitives
[Norman 1993, 43]. Cox [Cox 1999, 359] soutient que la construction de représentations
externes est une assistance importante dans la résolution de problèmes, nous aidant :
• à traduire de l’information d’un type de représentation à une autre,
• à exploiter au maximum les composantes phonologiques et visuo-spatiales de notre
mémoire de travail,
• à réorganiser l’information de manière utile,
• à attirer l’attention sur les parties non résolues d’un problème,
• à organiser l’information de manière spatiale,
• à suivre l’avancé de la résolution de notre problème,
• à fournir une assistance perceptive, et
• à raffiner et désambiguïser les problèmes.

Nous avons déjà signalé le fait que « résoudre un problème dépend souvent de trouver la
“bonne représentation”, ou la représentation la plus adaptée, qui rendra la réponse plus ou
moins évidente » (item 2.5.6.2). Mais qu’est-ce qu’une représentation adaptée ? Qu’est-ce
qu’une bonne représentation ? Nous reprendrons cette question à l’item 2.7. Comme nous le
verrons à ce moment, en plus de choisir la bonne représentation, il est nécessaire de
considérer le processus de résolution des problèmes, de recherche de connaissances, comme
une dynamique, où il ne suffit pas de trouver « la » bonne représentation, mais de considérer
des représentations (externes et internes) évoluant dans le temps [Sierocki 1998, 195]. Pour la
recherche d’informations nouvelles, où nous ne connaissons pas les structures abstraites
implicites, la forme de la représentation détermine l'information qui sera perçue, les processus
qui pourront être activés et les structures qui auront la chance d’être découvertes. C’est ce que
Zhang [Zhang 1997, 200-201] appelle un déterminisme représentationnel. Une représentation
contraint, elle induit des choix, et donc une pensée ou un raisonnement !

2.6 La!«!détermination!cognitive!»!
«Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde.»
[Ludwig Wittgenstein - Tractatus logico-philosophicus, 5.6]

Nous avons vu dans les parties antérieures qu'un espace de représentation a le potentiel
pour proposer des opérations qui ne sont pas présentes, ou non explicites, dans l’espace du
représenté. Nous avons également étudié comment les représentations extérieures sont des
outils, lesquels nous aident à penser les phénomènes et à résoudre des problèmes. Enfin, nous
avons considéré l’importance de la forme de la représentation et de son espace d’expression,
aussi bien pour les représentations mentales (ou internes) que pour les représentations non
mentales (externes)182. En plus d’être des aides à l’inférence et à la connaissance, les

182
Les représentations externes (non-mentales) peuvent être transformées en représentations internes (mentales)
par la mémorisation tandis que, par le processus d’externalisation, des représentations internes peuvent être
153
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

représentations et leurs espaces ont une influence certaine sur notre pensée. J. Goody, Walter
J. Ong et Merlin Donald ([Goody 1979], [Ong 1982 : 2002], [Donald 1991]) ont commenté
l’influence de l’écriture sur notre pensée et sur nos processus cognitifs en démontrant
comment la pensée critique, logique et scientifique moderne, serait impossible sans l’écriture
[Goody 1979], et comment cette même écriture restructure la conscience et la cognition
[Ong 1982 : 2002].

Au cours du XIXe siècle, Conrad Swackhamer [Swackhamer 1848] s’interrogeait déjà, dans
un texte chargé d’humour, sur l’influence du télégraphe sur la littérature et l’écriture anglaise :
« maintenant, l'effet certain du télégraphe, aussi loin qu'il ait une influence sur le langage (et
qui de nos jours oserait estimer son influence dans le futur), sera d'introduire un style
d'écriture qui sera, tout d'abord, bref (…). Le style télégraphique, comme nous allons le
dénommer, au bénéfice de tous les futurs écrivains sur la rhétorique, est aussi laconique,
condensé, expressif, avare de jurons et tout à fait ignorant des synonymes. »183
[Swackhamer 1848, 412] Même si M. Swackhamer ne l’explique pas dans son texte, sa
critique est surtout liée à l’utilisation de l’alphabet morse, tout particulièrement à la
« lourdeur » qui oblige à épeler les mots, augmentant ainsi le temps et l’énergie dédiés à
l’envoi d’informations. Dans ce cas, le télégraphe pourrait être considéré comme le support,
l’environnement dans lequel l’alphabet morse est utilisé.

L’espace informatique de représentation de connaissances, c'est-à-dire les environnements


informatiques, assimile l’opération du « copier/coller » à un mode de pensée, à un
comportement, à une action, à un mode opératoire ou à une pensée du collage et de la
récupération. Si dans un passé pas si lointain, un texte devait toujours être écrit, tapé, réécrit,
de nos jours les textes sont écrits, agencés, réorganisés, réutilisés, recopiés, « re passés ». Un
fichier informatique, qui par la copie peut être cloné à volonté, est aux antipodes de la copie
carbone, elle-même autre objet avec des différences de couleur et de précision. Dans le champ
des sciences cognitives, certains auteurs ([Zhang 1997, 179], [Löhner et al. 2003, 398])
signalent que les représentations ne sont pas seulement de simples « inputs » ou de simples
stimuli pour notre esprit. Elles ont une influence certaine en nous guidant et en nous
contraignant dans plusieurs tâches. Par leur forme, par leur nature, par leur syntaxe et leurs
sémantiques, elles sont capables de stimuler ou de restreindre la pensée, et de changer nos
comportements ou nos actions [Cox 1999, 347]. Pour un certain nombre de tâches « les
représentations externes sont des éléments intrinsèques sans lesquelles les tâches soit cessent
d’exister ou changent complètement de nature. » [Zhang 1997, 182].

La même structure exprimée dans des espaces, ou dans des systèmes de représentation,
différents entraîne des actions et des métiers différents. Par exemple, prenons la structure
abstraite d’une histoire ou d’une narration. Elle peut être contée (acte de parole), écrite (acte
d'écriture), mimée (acte de geste), jouée théâtralement (acte de parole et de geste), dessinée
(espace graphique), filmée (animation), etc. En fonction de l’espace de son expression, elle
met en jeu différents métiers et différents savoir-faire. La forme d’une représentation change
la tâche devant être accomplie.

transformées en représentations externes [Zhang 1997, 181].


183
« Now the certain effect of the Telegraph, as far as it has any influence upon the language, (and who at the
present day will dare to estimate its possible influence in the future,) will be to introduce a style of writing which
shall be, first of all, brief. (…) The Telegraphic style, as we shall denominate it, for the benefit of all future
writers upon rhetoric, is also terse, condensed, expressive, sparing of expletives and utterly ignorant of
synonyms. »
154
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

En musique, jouer par cœur ou avec une partition relève d’attitudes différentes de la part de
l’interprète (voir item 2.4.1). En jouant par cœur, l’interprète a comme support sa mémoire
auditive, sa mémoire visuelle, sa mémoire gestuelle, combinées de manières différentes
[Vermersch 1999]. Une bonne partie de son énergie est tournée vers la gestion des différentes
mémoires. Par contre, le musicien jouant avec une partition ressent plus de liberté. Il peut
gérer plus facilement son interprétation grâce au support écrit qui joue un rôle de mémoire de
travail. De plus, il anticipe plus facilement son jeu. Véronique Drai-Zerbib et Thierry Baccino
nous montrent comment, dans un contexte d’interprétation musicale de musiciens experts
[Drai-Zerbib, Baccino 2005], le parcours oculaire présente prioritairement des fixations
progressives, comme pour anticiper le jeu. Dans [Drai-Zerbib, Baccino 2011, fig. 1], les
auteurs présentent un schéma des parcours oculaires de musiciens experts et non experts pour
montrer la primauté des fixations progressives pour les musiciens experts (Figure 94).

Figure 94 : Figure 1 de [Drai-Zerbib, Baccino 2011, 2]

Les prochaines reflexions que nous férons, se fonderons principalement sur la théorie des
« l’espace d’actions cognitives distribuées » de Zhang et Norman [Zhang, Norman 1994].
Comme ils le rappellent [Zhang, Norman 1994, 119], nos actions se réalisent dans un espace
d’actions cognitives distribuées, où l’espace de représentations est partagé entre les
représentations externes et les représentations internes (mentales) du sujet. Si les
représentations externes ont une influence certaine sur les actions, les représentations internes,
le vécu de l’acteur ont aussi leur importance.

155
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2.6.1 Transmission!de!connaissances!et!représentations.!

Nous apprécions particulièrement l’exemple donné par Robert Sedgwick dans sa


conférence « Taking Education Online: A Unique Opportunity for the New Millenium »184,
concernant la transmission de connaissances en milieu académique ‒ ou autre, que nous
développons ici. Selon notre hypothèse, il existe un engagement de la part de l’enseignant à
rendre sa communication, pendant son cours, la plus efficace possible, de manière à
maximiser la compréhension de son auditoire. Pour le cours que nous préparons, la
préparation comme le rendu dépendront des ressources et des supports de représentations que
nous aurons à notre disposition.

• Le cas d'une conférence ‒ d'un cours magistral ‒ lue ou simplement exposée


oralement, sans aucun autre support. Si l’unique vecteur est la parole, la préparation
consiste à élaborer un texte, ou fil conducteur, pour la conférence. Évidemment, en
fonction des aptitudes théâtrales de l’intervenant, la gestuelle et des changements
d’intonation peuvent être utilisés.
• Si nous disposons d’un tableau noir, il est dès lors possible, en plus d’énoncer des
faits, de construire des propositions, des dessins, des schémas, des figures
géométriques, de sortir de l'acte de parole pour partager un moment d’action conjointe.
La connaissance est construite avec l’auditoire. Dans cette situation, la possibilité
d’avoir des craies de plusieurs couleurs donne de la profondeur, de la perspective à
notre intervention. Évidemment, le minimum requis est une écriture lisible et un
savoir-faire minimal en dessin ou en géométrie. La préparation implique aussi de
prévoir les dessins et l’ensemble des propositions.
• Étant donné un contexte musical, en plus du tableau avec portées, un piano nous
permet de rendre l’information audible par l’exécution d’extraits musicaux. La
pédagogie s'enrichit par le discours, les schémas, la notation musicale et la musique en
direct. En ce qui concerne la préparation, elle doit prendre en compte l’utilisation des
différents médias (parole, espace visuelle, notation musicale et espace sonore), la
sélection des morceaux, la réduction des différents extraits musicaux de manière à ce
qu’ils puissent être joués sur un piano, et peut-être même de demander à l’intervenant
de s’exercer à l’avance.
• Si nous avançons dans la disponibilité des ressources, nous avons à notre disposition
une platine vinyle, un lecteur de cassettes audio ou un lecteur de disques compacts.
L’univers pédagogique devient extrêmement riche, nous ne sommes plus réduits à
jouer seulement du piano, nous pouvons passer des extraits musicaux d’orchestre, de
voix, d’ensembles et d'instruments divers. La pédagogie à développer sera plus
complexe à prévoir. En plus du texte (un scénario pour les cours est toujours185 le
bienvenu), des différents schémas et partitions à dessiner, des exemples au piano, nous
avons des assistants. Il nous est désormais possible pendant l’audition d'un extrait avec
l'un des lecteurs de préparer la suite du cours, par exemple en prévoyant un
enchaînement au piano, ou en préparant un schéma, etc. Le cours sera désormais plus
dynamique, plus rapide, et encore plus complexe à préparer.
• Nous avons à notre disposition un rétroprojecteur. Nos schémas ont la possibilité

184
Le 23 Mai 2013, 18 :00, à l’amphithéâtre Durand, Esclangon Building, Université Pierre et Marie Curie –
Sorbonne Universités, http://colloquium.lip6.fr/Sedgewick-2013-05-23/.
185
Même, et surtout, pour des présentations multimédias, la réalisation d’un scénario préalable est une condition
« sine qua non »…
156
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

d’être plus précis, plus complexes, plus complets, et nos partitions plus lisibles. Il nous
est désormais possible de présenter des images. Cependant, il nous est aussi demandé
de prévoir ce travail en préparant les diapositives, en faisant des photocopies, en
choisissant des diapositives qui puissent se superposer, etc.
• Finalement186, nous disposons d’un ordinateur. Une grande partie du travail
pédagogique se trouve complètement modifiée, à l'exception du scénario.
L’informatique nous autorise à rassembler au même endroit le texte, les schémas, les
partitions, les extraits audio, les séquences vidéo, des animations diverses et des
logiciels. Avec l'outil multimédia, l’animation est présente pour simuler des processus,
rendant ainsi des connaissances complexes plus simples à la compréhension. La
préparation sera toute différente. En plus du choix des disques, il est aussi nécessaire
d’opérer des segmentations audio, des segmentations vidéo, de construire ses propres
séquences, et finalement de les agencer en un support approprié. Nous avons besoin
d’une maîtrise minimale des éditeurs audio, des logiciels d’édition et de retouche
d’image, des logiciels de constructions d’animations, sans parler des divers logiciels
utilisés en musique (éditeurs de notation, séquenceurs audio & MIDI, etc.). Le travail
d’un pédagogue du XXIe siècle a beaucoup changé. Dans ce dernier cas, le cours
risque d’être trop dense, trop rapide, et c’est à l’enseignant de gérer la quantité
d’informations débitées.
• Nous n’avons pas évoqué la problématique de la réalisation de supports de cours.
Avec l’exemple donné ci-dessus, le lecteur peut aisément en déduire l’évolution. Du
texte miméographié, en passant par les documents PDF, jusqu’aux logiciels
pédagogiques.

Comme nous pouvons le voir dans cet exemple, pour une même tâche, et souvent pour le
même contenu, l’action pédagogique dépend des supports et des représentations que nous
avons à notre disposition. En d’autres termes, la représentation disponible guide nos actes,
met en jeu différents savoir-faire et définit les actions et la nature de la tâche devant être
exécutée.

Les représentations sont le point de départ d'un ensemble de processus qui mènent vers l'environnement
extérieur. Ils sont considérés comme une source pour le comportement visible d'une personne.187
[Keijzer 2001, 2]

L’analyse musicale, pour en dévélopper notre exemple, sera fortement influencée par les
moyens, les outils qu’elle aura à sa disposition pour s’exprimer. Comme le remarque Marc
Chemillier [Chemillier 2003, § 27-28], dans le contexte de l’utilisation d’outils multimédia
en ethnomusicologie : « La technologie multimédia offre à l’ethnomusicologie des possibilités
techniques susceptibles de bouleverser en profondeur les pratiques de communication
scientifique en usage dans cette discipline. (…) Dans une approche plus ambitieuse, l’écriture
multimédia touche à la question de l’argumentation scientifique elle-même. ». Cela nous
montre à quel point les représentations externes, disponibles pour notre expression, affectent
notre pensée et notre action, dans le cas précis de l’analyse musicale, considérée comme une
généralisation de l’analyse ethnomusicologique.
Les représentations stimulent et induisent l’esprit dans un espace opératoire donné, elles
magnifient un ensemble de propriétés ou de caractéristiques, en diminuent l’importance

186
Et pour ne pas abuser de la patience du lecteur, puisqu'il aurait fallu aussi penser à la K7 vidéo…
187
« Representations are the starting point for a set of processes that lead back to the external environment.
They are seen as a source for the outwardly visible behavior of a person. »
157
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

d’autres, et créent un cadre conceptuel qui induit un espace de compréhension. Mais cela a un
coût ! La restriction de l’espace de description et de compréhension du phénomène. Notre
raisonnement, nos actions, nos décisions sont influencés par la ou les représentations qui nous
sont proposées. Qu'elles soient aides à la mémoire, aides à l’inférence de connaissances, les
représentations externes peuvent aussi déterminer et structurer le comportement cognitif,
voire même changer la nature de l’action ou de la tâche que l’on s’apprête à accomplir
[Zhang, Norman 1994, 118-119]. Nous arrivons au point où, comme le dit Gérard Assayag,
« les différentes représentations ne sont pas seulement une manière de repérer différents
types de rapports entre les espaces de paramètres, mais sont aussi une puissante aide à la
pensée, dans le sens où une représentation peut influencer plus ou moins directement le
raisonnement. » [Assayag 2009, 13] L’espace de représentation induit des restrictions en
créant un champ délimité dans la réalité, ou dans nos perceptions (voir l’item 2.3.1), pour
devenir un déterminant cognitif.
Se libérer de la détermination cognitive d’une représentation (ou d’un système de
représentation) n’est pas une tâche aisée. Thomas Samuel Kuhn signale le fait que : « …
presque toujours, les hommes qui ont réalisé les inventions fondamentales d’un nouveau
paradigme étaient soit très jeunes, soit des nouveaux venus dans la spécialité dont ils ont
changé le paradigme » [Kuhn 1983, 131]. C’est-à-dire des personnes qui n’étaient pas
complètement soumises soit à l’ensemble des paradigmes de leur science, soit à l’ensemble
des représentations – externes et internes – développées depuis des années de travail. « … la
nouveauté scientifique n’apparaît qu’avec difficulté (ce qui se manifeste par une résistance)
sur un fond constitué par les résultats attendus » [Kuhn 1983, 98]. Cela pourrait être relié à un
exemple connu : l’hypothèse de Newton sur la gravitation universelle. Dans le contexte de
l’époque, cette hypothèse introduit dans le milieu scientifique la notion d’« interaction à
distance ». N’oublions pas que cette notion, au XVe siècle, est souvent liée à la magie, et que,
peut-être, sans les intérêts que Newton avait montrés pour la magie, l’alchimie et le
mysticisme, il n’aurait pas pu proposer cette théorie. Une partie de la résistance a pris part
dans le fait que, justement, cette théorie introduisait des « notions magiques ».

Continuons avec quelques représentations utilisées en musique, en essayant de comprendre


comment elles développent et contraignent notre compréhension et notre action.

2.6.2 Les!«!pitch!classes!»!
Dans le cadre d’une échelle tempérée à div tons, la fréquence de la note de degré, par
rapport à une fréquence , considérée comme premier degré de cette échelle, est donnée par
!"#$é
l’expression !!"#$é = ! !! , !"#$é, !"# = ! !! ∗ 2 !"# ,

avec !! , !!"#$é ! ∈ !ℝ, !"#$! ∈ !ℤ, !"#! ∈ !ℕ!|!!"#! ≥ 2 [Malt 2000, 348].

L’ensemble P aussi noté ℤ !"#ℤ, correspondra à l’ensemble des entiers rang modulo div.
L’ensemble P, ℤ !"#ℤ, est aussi appelé l’ensemble quotient modulo div, ou classe de
congruence modulo div.

Une application rend cette définition plus accessible. Si nous prenons Si nous prenons !! =
440 Hz et div = 12, la formule se transforme en l’expression d’une échelle tempérée en demi-

158
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

!"#$é
tons, !!"#$é = 440 ∗ 2 !" , avec l’échelle des degrés centrés sur le la3. Un petit changement
!"#$é!!
de variable nous permet de recentrer les degrés sur le do3, !!"#$é = 440 ∗ 2 !" , avec
maintenant !! = 261.626 Hz, avec ℤ 12ℤ = 1,2,3, … ,11 .

Les ensembles quotient sont utilisés, depuis une cinquantaine d’années, pour représenter les
hauteurs musicales dans des cadres formels (Set theory, etc.). On les nomme également pitch
classes ou classes de hauteurs. Ils consistent en une représentation numérique de hauteurs,
laquelle est fondée sur la notion mathématique de congruence. Si nous avons déduit les
classes de hauteurs à partir d’une représentation fréquentielle du son, c’est pour mieux pointer
le fait que cette représentation est construite à partir d’une série de choix et de réductions de
l’espace d’expression du phénomène initial. D’un phénomène initial, c'est-à-dire d'un son
émis par une source acoustique, nous ne gardons que la fréquence de la hauteur tonale. À ce
point, toutes les informations liées au timbre, à l’intensité, à l'instant où le son a été émis, ou à
sa durée ont disparues.

De fréquences, nous passons à un espace quantifié par rapport à « div », où chaque fréquence
est en rapport avec son rang. Cela apporte une autre simplification en excluant l’enharmonie,
et en réduisant à « div » le nombre d’éléments à l’intérieur de l’octave. De l’espace des rangs,
nous passons finalement à ℤ !"#ℤ. Une autre simplification est opérée : octavier est exclu, les
hauteurs sont toutes réduites à une octave.

Travailler avec des classes de hauteurs implique de ne pas représenter d’autres phénomènes
ou caractéristiques. Cela implique également une difficulté de représenter des échelles n'ayant
pas de structure tempérée, sauf à les travailler sur une grille de quantification en augmentant
« div ». L’enharmonie est difficile, sinon impossible, à représenter avec des classes de
hauteurs. On ne prend pas en compte le timbre et les octaves, sauf à les considérer à leur tour
comme des ensembles quotients. E finalement, ce qui était implicite dès le départ, travailler
avec les classes de hauteurs implique de travailler dans un espace discret.

2.6.3 La!«!SetATheory!»!
Que le lecteur soit rassuré, nous ne ferons pas une énième critique inquisitoire de la set
theory ! Notre but est bien plutôt d’identifier quelques éléments des représentations utilisées
dans le cadre de cette théorie analytique, et leur influence sur la pensée.

Pour commencer, dans le cadre de la set theory, les mêmes restrictions des classes de hauteurs
s’appliquent et fixent la division de l’octave à douze degrés. Dans sa première présentation de
la set theory, Forte signale très clairement : « le présent article ne traite que de classes de
hauteurs non ordonnées. » [Forte 1964, 139]. Lors de la représentation de classes de hauteurs,
les trois collections {0, 4, 7}, {4, 7, 0} et {7, 0, 4} sont équivalentes. Moreno Andreatta
signale aussi le fait que la répétition d’éléments n'est pas non plus prise en compte
[Andreatta 2003, 110-111]. D’un point de vue musical, cela signifie que, étant donné un
accord, toutes ses inversions sont équivalentes. Le changement de timbre dû à une
permutation des hauteurs, comme par exemple le début de Partiels (1975) de Gérard Grisey,
n’est pas pris en compte. John Rhan dit : « rappelez-vous, une classe de hauteur ne peut pas
être facilement jouée ou entendue, car elle est constituée de toutes les notes à toutes les
159
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

octaves : a contrario, nous entendons des hauteurs (notes) qualifiés ou colorés par leur
appartenance à une classe de hauteur. »188 [Rahn 1980, 43]. Don Gibson [Gibson 1993], dans
un article qui avait pour but d’étudier le rapport auditif entre hauteurs et classe de hauteurs
dans des simultanéités – et hors du cadre de la musique occidentale – objecte les dires de
Rahn : « il semble que l'appartenance à une classe de hauteur ne "colore" pas une hauteur
(note) suffisamment pour l’associer à d’autres membres de la même classe mais d’octaves
différentes, comme suggéré par Rahn (1980, p. 43). Ces résultats, couplés à ceux obtenus à
partir de mes études antérieures (Gibson, 1986, 1988), démontrent clairement que les
hypothèses théoriques fondamentales et les relations largement utilisées dans l'analyse de la
musique atonale ne sont pas des prédicateurs efficaces de parenté oral lorsque représentés par
des stimuli expérimentaux dépourvus de contexte musical. »189 [Gibson 1993, 69]. A propos
des classes d’intervalles, Forte définit une relation d’équivalence [Forte 1964, 141] entre un
intervalle et son complémentaire modulo 12. Ainsi la tierce mineure sera équivalente à la
sixte majeure, la quinte équivalente à la quarte, la seconde majeure équivalente à la septième
mineure, et ainsi de suite. Ainsi, Forte ne travaille qu’avec 6 intervalles, de la seconde
mineure au triton. L’unisson est considéré comme trivial. A partir de cette définition, il établit
les classes d’intervalles (Interval Classes).

Pour résumer le potentiel de ces premiers éléments dans le cadre défini par la set theory :

• Un cadre de représentation d’objets discrets.


• Orienté vers les hauteurs.
• Aucune représentation du temps. Les objets sont analysés hors temps et sans
temps.
• Aucune représentation explicite du timbre.
• Travailler dans un cadre tempéré. L’utilisation dans des cadres non tempérés se
fait par substitution de notes de l’échelle tempérée par des notes de l’échelle non
tempérée, une application directe entre ℤ !"#ℤ et les notes de l’échelle.
• Il n’y a pas la possibilité de représenter l’enharmonie.
• Les hauteurs sont réduites à l’octave.
• Les inversions d’un même complexe sonore ne sont pas prises en compte
• Les intervalles sont réduits. L’unisson se représente comme un point.

Même si cette courte liste semble être un réquisitoire, nous rappelons que tel n’est pas notre
but. Notre objectif n’est pas de déconsidérer telle représentation ou telle théorie, mais de faire
une analyse critique des possibilités et des impossibilités, en considérant l’espace
d’expression des représentations utilisées. De plus, il ne faut pas oublier qu’en réduisant ou en
schématisant, la représentation peut être considérée, plus généralement, comme une structure
implicite, abstraite, rendant compte d’un plus grand nombre de phénomènes. Par exemple,
dans le cas présent, Forte réduit toutes les configurations de vecteurs d’intervalles (Interval
classes) de manière à avoir 200 configurations ([Forte 1964, 143], [Forte 1973]). Dans son

188
« Remember, a pitch-class cannot easily be performed or heard, consisting as it does of all octave-related
pitches: rather, we hear pitches qualified or colored by their membership in a pitch-class. »
189
« It appears that membership in a pitch class does not "color" a pitch strongly enough to associate it with
other octave-related members of the same class as suggested by Rahn (1980, p. 43). These results, coupled with
those obtained from my earlier studies (Gibson, 1986,1988), clearly demonstrate that fundamental theoretical
assumptions and relationships widely used in the analysis of atonal music are not effective predictors of aural
relatedness when represented by experimental stimuli devoid of a music context. »
160
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

œuvre de référence [Forte 1973, 179-181], il présente « la table des ensembles de classes de
hauteurs » réduites à 129 éléments. Pour une certaine classe de musiques, notamment celles
originaires du dodécaphonisme et du sérialisme, cette représentation permet d’apporter des
réponses. Les travaux de Forte ou encore de David Lewin sont la preuve de son utilité. Ce qui
nous intéresse dans la liste précédente, c'est d'abord le fait de pouvoir délimiter les frontières
de ce genre de représentation et, en conséquence, de délimiter les actions que nous pouvons
entreprendre, puis de comprendre comment cette représentation par sa forme, au sens large,
impose des choix.

2.6.4 La!représentation!circulaire!
La représentation circulaire est une représentation graphique intimement liée à la
représentation de classes de hauteurs. Elle permet de représenter un ensemble ℤ !"#ℤ sur un
cercle divisé en « div » parties. Cette représentation permet d’exprimer des sous-ensembles de

!"#ℤ par des figures géométriques. Par exemple, la représentation d’un accord majeur {0,
4, 7} est un triangle, tout comme sa version mineure{0, 3, 7} (Figure 95).

{0, 4, 7} {0, 3, 7}

0 0
11 1 11 1

10 2 10 2

9 3 9 3

8 4 8 4

7 5 5
6 7
6
Figure 95 : Accords majeur et mineur

Bien que l’exemple de la Figure 95 soit trivial, il a néanmoins l’avantage de nous montrer
rapidement que la représentation circulaire propose une visualisation des accords comme des
formes géométriques. En plus, dans cet exemple, il est facile de percevoir le rapport entre ces
deux triangles. La figure résultante de l’accord mineur peut être vue comme une figure
résultante d’une opération de symétrie autour d’un axe (entre {11,0} et {5, 6}), une rotation,
c'est-à-dire une transposition modulo douze de huit demi-tons, ou T8I (Figure 96).

161
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

!"#$%&'()*+#,+"-().)'+#&)/01%+234

LM)NOPQR
Figure 96 : Transformation géométrique de l’accord majeur en accord mineur

0#1S'TU
Deuxième exemple venant de la littérature musicale : les trois premières mesures du
Kammerkonzert op.24 (1948) d’Anton Webern. Ces trois mesures présentent quatre gestes,
énoncés par le hautbois, la flûte, la trompette et la clarinette (Figure 97).

Figure 97 : Trois premières mesures du Kammerkonzert op.24 (1948) d’Anton Webern

Si nous transcrivons ces gestes en classes de hauteurs (h={2, 10, 11}, f={3, 6, 7}, c= {0, 1, 9}
et t={4, 5, 8}) et les représentons dans un diagramme circulaire (Figure 98), la représentation
produit quatre figures, quatre triangles.

162
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 98 : Les quatre premiers gestes

Ce qui saute aux yeux, c'est la similitude entre ces quatre formes. Il est facile de se rendre
compte que n’importe laquelle de ces formes peut être déduite d'une autre, soit par des
opérations de rotation (t=T6(h), c= T6(f)), soit par des opérations d’inversion (c=I(c), t=I(f)).
Finalement, l’inversion est l’unique opération nécessaire pour déduire n’importe laquelle de
ces formes (Figure 99).

Figure 99 : les quatre formes et les deux axes de symétrie

Cette représentation a été aussi utilisée pour des structures rythmiques, par Godfried
Toussaint ([Toussaint 2002], [Toussaint 2005], entre autres), en augmentant le nombre de
divisions à 16. Pour une mesure à quatre temps, chaque temps est subdivisé en quatre parties.
La Figure 100 présente six formules rythmiques représentées, à gauche dans un diagramme
circulaire, et à droite en notation musicale traditionnelle.

Dans ces deux cas de représentation – pour les hauteurs et pour les rythmes –, la circularité
devient une propriété implicite. Nous l'appelons réduction d’octave pour les hauteurs et
modèle (pattern) répété pour les rythmes. Notons que, dans le cas du temps, cette
représentation n’exprime aucune caractéristique métrique, ni le tempo.

163
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

15 0 1 0
15 1
14 2 14 2
13 3 13 3
12 4 12 4

11 5 11 5
10 6 10 6
9 8 7 9 7
8
Shiko Son

15 0 15 0
1 1
14 2 14 2

13 3 13 3

12 4 12 4

11 5 11 5

10 6 10 6
9 7 9 8 7
8
Soukous Rumba
15 0 15 0
1 1
14 2 14 2

13 3 13 3

12 4 12 4

11 5 11 5

10 6 10 6
9 8 7 9 8 7
Bossa-Nova Gahu

Figure 100 : Figure 4 de [Toussaint 2002, 6]

En plus des remarques faites pour les classes de hauteurs, le plus important, dans ces deux cas
d’application de la représentation circulaire, c'est le fait qu’elle induit un mode
d’appréhension d’informations, un mode de pensée s’appuyant sur les configurations
géométriques générées. Elle finit par proposer un espace de transformations où prédominent
les opérations et les manipulations géométriques (rotation, inversion, etc.).

2.6.5 L’analyse!sonagraphique!
L’invention du sonagramme est un événement majeur dans l’analyse du signal sonore.
Comme le remarque Ignatius G. Mattingly concernant l’analyse de la parole au début du XXe
siècle : « l’analyse de Fourier de la parole était une affaire laborieuse et pas très
gratifiante. »190 [Mattingly 1999, 1]. L'un des premiers outils permettant de réaliser une
analyse sonagraphique automatisée est le « spectrograph », développé par Ralph Potter et ses
collaborateurs aux Laboratoires Bell, juste avant la Deuxième Guerre mondiale. Cependant,
pour des raisons de sécurité liées à l'utilisation militaire, il n’a été rendu public qu’à partir de
1945, avec l'article « The sound spectrograph » [Koenig, Dunn, Lacey 1946] publié dans une
édition du « Journal of the Acoustical Society of America », journal dédié à la représentation
sonore (particulièrement de la parole). Ralph Potter y signe l’article d’introduction
[Potter 1946]. L’article de W. Koenig, H.K. Dunn et L.Y. Lacey [Koenig, Dunn, Lacey 1946],
décrit le fonctionnement de ce nouvel appareil (le « sound spectrograph »), qui, par des
moyens électriques et mécaniques, dessine le sonagramme sur une feuille de papier posée sur
un tambour tournant (Figure 101).

190
« Fourier analysis of speech was a laborious and not very rewarding affair. »
164
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 101 : Schéma de fonctionnement du « sound spectrograph » [Koenig, Dunn, Lacey 1946, 23]

Cet article présente, en plus de certaines typologies de la parole et de bruits, le tout premier
sonagramme d’une œuvre musicale. Il s'agit d'un passage pour piano sur lequel aucune
référence n’est donnée (Figure 102). Les auteurs concluent sur le fait que, pour des
applications musicales, une échelle logarithmique de fréquences serait plus appropriée
[Koenig, Dunn, Lacey 1946, 45].

Figure 102 : Sonagramme d’un « passage pour piano », [Koenig, Dunn, Lacey 1946, 34]

Bien qu'en 1965 Milton Babbitt [Babbitt 1965, 82] évoque l’analyse du son par des moyens
informatiques, pour l’analyse du timbre, il ne mentionne pas l’analyse sonagraphique. C’est
au milieu des années 1970, avant le très connu New Images of Musical Sound [Cogan 1984],
que Robert Cogan essaie de plaider la cause de l’analyse sonagraphique en tant qu'aide à
l’analyse musicale [Cogan 1975]. En 1984, Robert Cogan [Cogan 1984] présente de manière
méthodique l’utilisation de l’analyse spectrale en analyse musicale. Ses commentaires sont
165
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

accompagnés de dix-sept analyses. Ces exemples examinent l’analyse des voix, d'instruments
solos, de petits ensembles, d’œuvres pour orchestre, de grands ensembles et finalement une
application à l’analyse de musique pour bande. Il fait une courte analyse de Fall (deuxième
mouvement de la Computer Suite from Little Boy, 1968) de Jean-Claude Risset [Cogan 1984,
108-112] où, par le biais de la représentation sonagraphique, il dévoile le secret des glissandi
infinis et la structure évolutive de la pièce. Notons la difficulté de réaliser ces représentations.
Robert Cogan travaillait avec des photographies de sonagrammes analogiques : « maintenant,
par le biais de photographies de sonagrammes, on trouve les détails sonores prévus avec un
impact qui est presque aussi immédiat et direct que le son qu’ils représentent »191 [Cogan
1984, 3]. Andrew Pierce Youatt [Youatt 2012] remarque que, bien que le livre de Cogan ait
reçu le prestigieux « Outstanding Publication Award » de la Society of Music Theory, en
1987192, l’analyse spectrale reste très peu utilisée ces vingt ou vingt-cinq dernières années (soit
de 1984 à 2000) en l’analyse musicale, sauf quelques cas particuliers. Nous pensons que les
causes sont plus reliées à la disponibilité de l’outil sous forme de logiciels qu’à une
quelconque possibilité de la représentation. En effet, depuis une dizaine d’années, la
représentation spectrale s’est largement popularisée dans les milieux musicologiques et
accompagne bon nombre de textes analytiques travaillant sur le timbre ou sur la structure
interne du son. Des Logiciels comme l’Acousmographe (© INA-GRM), Praat193, Audiosculpt
(© Ircam) et d’autres, permettent un accès plus simple à cette forme d’analyse.
Si, d’une part, plusieurs auteurs s'accordent sur le fait que le sonagramme est une assistance
importante, il n'y a pas eu, d'autre part, de critiques trop nombreuses au sujet de son
utilisation. Nous signalons, tout de même, les critiques diverses que Cogan a faites dans son
livre [Cogan 1984], les articles de Simon Waters et Tamas Ungvary ([Waters, Ungvary 1990]
et [Ungvary,Waters 1992]) et la critique de Vincent Tiffon [Tiffon 2006]. Toutes ces critiques
approfondissent la question de l’influence de la représentation sonagraphique sur l’écoute
musicale.

Il y a un consensus sur le fait qu’un sonagramme présente un bon nombre d’avantages –


comme d’apporter un grand nombre d’informations condensées sous forme graphique – pour
percevoir plus rapidement les informations que par des propositions logiques dans un langage
naturel [Cogan 1984, 14], c’est-à-dire une « lisibilité intuitive » [Ungvary, Waters 1992]. Le
fait d’être aussi une représentation graphique du temps nous permet d’afficher une vue
complète d’une œuvre musicale (voir 2.4.1 et 2.4.2). Ceci est l'un des grands avantages de
cette technique [Waters, Ungvary 1990, 160]. Le sonagramme nous permet aussi de
construire un support graphique d’une musique, ce qui nous amène à l’utiliser comme
catalyseur de l'écoute intérieure [Tiffon 2006, 6]. Même si cette représentation est
fondamentalement discrète (l’algorithme informatique), elle possède une granularité assez
fine de paramètres – pour qu’ils soient perçus comme continus – nous permettant de transcrire
des musiques, difficilement représentables par notre système de notation musicale
traditionnelle [Waters, Ungvary 1990, 159]. Autre point fort de la représentation
sonagraphique, elle propose une représentation sur laquelle il nous est possible de repérer des
formes, même lorsqu’une notation conventionnelle est trop complexe. Son intérêt s’accroît
lorsque notre cible n’est pas simplement des hauteurs ou des rythmes, mais des structures
musicales plus complexes [Waters, Ungvary 1990, 159]. Cogan avait déjà signalé qu’avec
l’analyse sonagraphique, il nous était possible d’étudier la microstructure du son, pointant le

191
« Now, by means of spectrum photos, we find the constituent sonic details laid out with an impact that is
almost as immediate and direct as the sound they picture ».
192
http://societymusictheory.org/archive/publications (23/08/2013).
193
http://www.fon.hum.uva.nl/praat/.
166
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

fait qu’elle dévoile des structures et des formes jusqu’à alors cachées [Cogan 1984, 3]. Ceci
nous permet de mieux comprendre certains aspects des sons perçus (comme dans le cas de
Fall [Cogan 1984, 108-112], où l’analyse sonagraphique, en plus de proposer une
représentation, facilite la compréhension de phénomènes d’illusions auditives, tout comme
l’évolution du processus de transformation du matériau dans cette section de la pièce).
« Fouiller la microstructure des sons », « valider à l’écran ce que l’on n’entend pas » et
« comprendre par l’écran ce qui échappe à notre perception », comme le dit Vincent Tiffon
[Tiffon 2006, 6]. Pourtant, il est naïf de penser qu’un sonagramme propose une représentation
neutre et sans a priori, puisqu'elle est fondée sur une analyse physique du signal audio.
Premièrement, ces sonagrammes ont besoin d’être interprétés, comme le dit Cogan, « les
photos de sonagrammes affichent des formations sonores de manière éclatante, mais elles ne
parlent pas assez pour elles-mêmes (une illusion tentante) »194 [Cogan 1984, 5]. Comme le
rappellent Zhang et Norman [Zhang, Norman 1994, 119], les actions se réalisent dans un
espace d’actions cognitives distribuées, où l’espace de représentations est partagé entre les
représentations externes et les représentations internes (mentales) du sujet. Notre
interprétation se réalise entre l’espace graphique proposé et l’ensemble de représentations
sonores, graphiques, culturelles, et autres, qui peuplent notre esprit. L’utilisation du
sonagramme comme support pour la réalisation de transcriptions hérite du même problème.
« Une transcription n’est pas un niveau neutre puisqu’elle n’est pas l’œuvre, ni même la
représentation symbolique de celle-ci ; elle n’est qu’une représentation symbolique de
l’œuvre, qui reflète étroitement les critères adoptés par l’analyste pour réaliser une analyse
de niveau neutre de l’œuvre. » [Roy 2004].

Comme le rappelle Vincent Tiffon, « le sonagramme est déjà en tant que tel une analyse »
[Tiffon 2006, 4], c'est-à-dire une interprétation automatique fondée sur un paradigme additif
du fait sonore, lequel privilégie une description portée sur des partiels et harmoniques, des
composantes spectrales d’un son. Si nous avons l’impression que cette représentation est
objective, il faut se rappeler qu’elle premièrement une analyse d’une représentation est qu’elle
est fortement liée à un ensemble de choix de réglages techniques préalables à sa réalisation
[Ungvary, Waters 1992], tels que la taille de la fenêtre d’analyse, le pas d’avancement, le type
de fenêtre et les paramètres de contraste195. Nous construisons la représentation sonagraphique
en fonction de ce que nous voulons obtenir. Robert Cogan avait déjà ressenti ce problème
puisqu'il alerte son lecteur [Cogan 1984, 14-15] en signalant, par exemple, que l’on pourrait,
en fonction des paramètres de contraste (reliés à l’énergie), afficher des éléments inaudibles,
ou sans importance pour l’analyse.

D’autre part, il est possible de percevoir des phénomènes sonores qui ne sont pas représentés
directement, ou clairement, par le sonagramme, comme des phénomènes comme la rugosité,
la fusion sonore ou l’oscillation de timbre de De Natura Sonorum (1973) de Bernard
Parmegiani, que nous avons présentée Figure 84 (item 2.5.6.3). Il ne faut pas confondre le fait
que le sonagramme représente (indirectement) un phénomène physique, et qu’il ne représente
pas, qu’il ne prend pas nécessairement en compte la complexité du processus d’audition.
Comme le remarque Jean-Claude Risset, la mécanique de la perception auditive est plus
complexe que la représentation du phénomène nous laisse penser :

194
« Spectrum photos display sonic formations vividly, but they do not quite speak for themselves (a tempting
illusion) ».
195
Dans le cas de la réalisation d’un sonagramme à partir du calcul des coefficients de Fourier d’un signal
temporel.
167
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

« …quand on regarde un sonagramme, on a une idée de certains aspects du son, mais il y a un aspect qui ne
saute pas aux yeux alors que l'oreille l'apprécie immédiatement: la fusion ou la ségrégation des composantes
fréquentielles. Si les composantes sont à intervalle d'octave ou dans une relation harmonique, elles tendent à
fusionner. Mais s'il y a une légère déviation par
rapport à ces intervalles, l'effet auditif est très différent, alors que les différences d'espacement peuvent échapper
à l'inspection visuelle. L'écoute effectue là des opérations élaborées qu'il pourrait être intéressant d'imiter pour
une représentation ... Mais ça n'a rien d'évident. »
[Jean-Claude Risset] 196

Une nouvelle technique de synthèse [McDermott et al. 2009], dénomée « sound textures », se
focalise sur l’analyse et re-synthèse d’une classe de sons bruiteux, tels que ce produits pas la
pluie, par des nuages d’insectes et autres, qui peuvent être décrits comme étant le résultat de
nombreux événements acoustiques similaires. Cette technique prend comme hypothèse le fait
que la reconnaissance de ces sons se fonde sur leur homogénéité temporelle,
[McDermott et al. 2011, 926], et que « lorsque les auditeurs reconnaissent le bruit de la
pluie, du feu, des insectes et d'autres sons, ils reconnaissent des statistiques de basse
complexité calculées à partir du système auditif périphérique » [McDermott et al. 2011, 934].
Ce qui nous interesse particulièrement dans cette technique, d’analyse et synthèse sonore, est
le fait que la resynthèse d’une certaine classe de sons bruiteux, mais comportant quelques
partiels bien définis (tels comme le chant d’insectes ou de oiseaux, avec un paysage sonore
comme toile de fond) presente une forte similarité auditive avec les sons originaux, que ne
laissent entrevoir les sonagrammes respectifs. Dans une étude de 2011, les auteurs signalent
le fait que « … les sons synthétiques (synthétisés à partir de cette méthode particulière)
peuvent être reconnus avec précision, et à des taux de reconnaissance bien meilleurs que si
seulement le spectre ou l’éparpillement fussent utilisés… » [McDermott et al. 2011, 934].

! !
Son!original! reBsynthèse!
197
Figure 103 : Sonagrammes d’une texture sonore (essaim d’abeilles) et de sa re-synthèse par Josh McDermott

En revenant à la critique de Vincent Tiffon, concernant son utilisation dans le cadre de


l’analyse de musiques éléctroacoustiques, il écrit : « avec le sonagramme, l’écoute perceptive
est moins attentive, moins tendue vers elle-même que vers la représentation » [Tiffon 2006,
6], l’attention de l’écoute se relâche. L’utilisation et l’interprétation de sonagrammes n'est,
méthodologiquement, ni objective ni neutre. Elle est assujettie à un ensemble de conditions
techniques d’analyse, induisant une écoute fondée sur un paradigme spectral.

Du point de vue des compositeurs, nous avons déjà donné des exemples de détournements
créatifs (voir 2.2.3.1). Ils consistent à inverser la fonction de représentation graphique pour la
transformer en filtre, à manipuler des vecteurs de coefficients de Fourier, à appliquer des

196
Communication personnelle à l’auteur (11/10/2014).
197
Exemples de la page : http://mcdermottlab.mit.edu/texture_examples/texture_examples2.html (05/11/2014).
168
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

permutations, et même à transposer des opérations temporelles, telles que le retard au niveau
des analyses spectrales (le retard spectral). L’analyse spectrale devient une manière de penser
les processus et la musique. Avec la popularisation d’outils pour la création sonore, la
manipulation spectrale semble devenir le nouveau paradigme pour ce XXIe siècle.

2.6.6 L’analyse!paradigmatique!
Les bases de l’analyse paradigmatique ([Chevillier 2009], [Goldman 2009] reposent
sur :

1) Une méthodologie de segmentation préalable destinée à repérer des « unités


élémentaires »,
2) Une méthodologie pour établir des « similarités » destinées à construire un
premier niveau de groupement, et finalement
3) Une « mise en tableau paradigmatique ».
4) Ensuite, d’autres méthodologies de similarité et de ressemblance sont mises en
jeu pour établir des niveaux de groupement d’ordre supérieur.

La base « représentationnelle » de cette méthodologie analytique repose sur la construction du


tableau, censé être un outil pour penser l’analyse. Cependant, même si cette « mise en
tableau » est destinée à « évacuer tout savoir a priori »198, le tableau, lui-même est déjà une
contrainte, un cadre cognitif, un a priori. Ce tableau à deux dimensions où les colonnes
correspondent à des classes d’objets musicaux (similaires ou ressemblant entre eux selon une
règle) et les lignes à un ordre temporel. Un tableau propose toujours de remplir toutes les
cases [Cox 1999, 348]. Il est une représentation heuristique permettant de trouver des données
manquantes. Cependant, le remplissage de ce tableau est déjà une contrainte en soi, car il
impose une procédure exclusive, laquelle correspond à une logique classique de vrai ou faux.
Un objet, geste ou cellule musicale, appartient – ou non – à une colonne, à une classe donnée.
Impossible pour un objet d’appartenir à plusieurs colonnes à la fois.
Cela mène au fait que certaines musiques, ou écritures musicales, ne se prêtent pas à ce type
d’analyse. Il est difficile de traiter les objets musicaux évoluant par petits degrés de
changement, comme dans Related Rocks (1997), pour deux pianos, deux percussions et
électronique de Magnus Lindberg.

Dans cette œuvre, Magnus Lindberg traite le matériau musical de manière motivique,
beethovénienne pourrait-on dire, en le faisant évoluer à pratiquement chaque énonciation.
Suivons dans cette œuvre l’évolution motivique de la première partie de la première section,
de la mesure 13 à la mesure 25 (Figure 104, Figure 105 et Figure 106).

198
http://apm.ircam.fr/tableau/.
169
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 104 : Mesures 13 et 14 de Related Rocks (1997) de Magnus Lindberg [Lindberg 1997, 2]

170
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 105 : Mesures de 15 à 21 de Related Rocks (1997) de Magnus Lindberg [Lindberg 1997, 3]

171
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 106 : Mesures de 22 à 26 de Related Rocks (1997) de Magnus Lindberg [Lindberg 1997, 4]

Commençons le début de l’analyse par le motif en doubles croches énoncé par le piano 2 et le
clavier MIDI 2 à la mesure 14 : un geste formé par trois doubles croches suivies par une
blanche pointée liée à une double croche (Figure 107), avec une oscillation d’intervalle entre
une septième diminuée et une neuvième augmentée. Ce motif peut être considéré comme le
motif originel, à partir duquel évoluent tous les autres (a). À la mesure 14, il est repris par le
piano 1 de manière à être transformé en (a1). Il est constitué alors de quatre doubles croches
et d'une oscillation entre un unisson et une seconde augmentée. À la fin de la mesure 14
(piano 1) nous pouvons voir apparaître un motif en triolet de triples croches, avec une
oscillation entre une quarte augmentée et une tierce majeure (a2). Ce dernier motif, qui
fonctionne comme une levée – levare – vers a1 (rythme de a1 et hauteurs de a2), peut être vu
comme une transformation, contraction temporelle, de a1. a2+a1 forment un nouveau motif,
a3, repris en écho mesure 15 par le piano 1, qui développe les oscillations, auxquelles s'ajoute
d’un rallentando écrit par augmentation rythmique : triples croches de triolet, doubles
croches, des croches de triolet pour finir sur une noire liée à une croche de triolet (Figure
108).

172
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 107 : Motif originel de Related Rocks, « a »

a2, mes14 a1, mes 15 a3, mes 16


Figure 108 : Construction du motif « a3 » à partir de a1’ et a2

Ce travail motivique continue avec le développement de l’élément a2. Il est repris deux fois à
la mesure 16 par le piano 2, avec une variation des intervalles et de l’appui de l’oscillation de
triples croches de triolet sur une croche, formant ainsi un nouveau motif indépendant, a2’.
Mesure 17, a2’ est repris par les pianos 1 et 2. Mesure 18, le piano 2 énonce un geste en
doubles croches de quintolet, a4, aboutissant sur une noire, comme un écho du geste a2’ de la
mesure 17. Il s'agit manifestement d'un développement, ou d'une symétrie, de a2’. Le début et
la fin de a4 est l'intervalle sib3-reb4, et l’appui final est l'intervalle do4-mi4. a4 reprend ces
points d’appui pour le début et la fin, introduisant le la3 et le solb (Figure 109).

a2’, mes 17 ! a4, mes 18


Figure 109 : Construction de a4 à partir d’une composition de a2’

La mesure 18 est importante puisque la construction de a4 à peine achevée, Lindberg dérive


immédiatement ce geste en une nouvelle itération a5 jouée par le piano 1. a5, deuxième temps
173
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

de la mesure 18 – une courte échelle en doubles croches de sextolet –, est dérivé des notes
plus graves de a4, avec un reb4 final. a5 fonctionne comme un écho a4, un écho transformé.

À la mesure 19, a2’ est repris trois fois au piano 2, tandis que le piano 1 énonce une
transformation de a2’ (a2’’) constituée de quatre triples croches en levée d'une croche.
Mesure 20, le piano 2 énonce un nouveau geste, a4’, extension de a4, tandis que le piano 1
énonce a5’, une extension de a5. Mesure 21, le clavier MIDI 2 joue un objet constitué d’une
note tenue (sol4) à la main droite et d’une oscillation reb4-do4-reb4 à la main gauche (un
ralentissement de l’oscillation des a2’ de la mesure 19), tandis que le piano 1 joue un geste
constitué de trois a2’. Nous sommes presque au bout de nos peines ! Mesure 22, a5’ piano 2
(variation de a5) et a5’’ piano 1 (extension de l’échelle et répétition). Mesure 23, introduction
d’un geste en triples croches, b, que nous pourrions penser dérivé de a2’’, mais qui en est
différent harmoniquement par rapport au profil de hauteurs. Le piano 1 reprend la première
partie de a5’’. Mesure 24, le marimba reprend un geste, rétrograde des hauteurs du premier de
b de la mesure 23, ! , tandis que le vibraphone énonce une inversion b-1.

À partir de cette courte analyse, essayons de construire un tableau paradigmatique. Le


Tableau 13 présente le tableau paradigmatique en indiquant la position des cellules décrites
par rapport aux mesures. Pour faciliter la visualisation, nous avons seulement indiqué
l’apparition de chaque forme. Un tableau complet, avec les cellules en notation musicale, se
trouve dans l’annexe 0.

Première constatation, l’affichage est de forme diagonale, allant du haut du tableau à gauche
(mesure 13, cellule a) vers le bas du tableau à droite (mesure 24, cellule b). La séquence, sous
une transcription symbolique, prend la forme suivante :
!!!!!1!!2!!1!!2! !3!!2! !4!!5!!2! !2!! !4! !5! !2! !5! !5!! !5!! !!!. Il est intéressant de
remarquer que la séquence est en mouvement constant vers l’avant. Cela constitue une
caractéristique de toute la pièce ; une évolution constante de l’écriture des gestes (ou motifs)
avec très peu de redondance. Les piliers de la structure de l’œuvre sont des champs
harmoniques établis par le compositeur. Mais cela est un autre sujet. Somme toute, la
séquence n’affiche que deux moments de retour en arrière, mesure 15, retour sur a1, et les
retours successifs sur a2’, geste qui semble structurer cette courte section.

174
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Formes! '
Mes'#'
a' a1' a2' a2’' a2’’' a3' a4' a4’' a5' a5’' a5’’' b'
13' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
14' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
15' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
16' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
17' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
18' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
19' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
20' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
21' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
22' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
23' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
24' ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Tableau 13 : Tableau paradigmatique des mesures 13 à 24 de Related Rocks

Ne soyons pas de mauvaise foi ! Le tableau nous apporte quand même une information, de
l'ordre de la constatation : une fuite en avant de la séquence musicale, laquelle présente peu de
répétitions.

Nous pouvons essayer de réduire les classes en considérant seulement les classes principales
(Tableau 14). Ce que nous percevons est, à nouveau, un mouvement en avant des cellules, un
mouvement d’évolution, avec une structure de la forme :
!!!!!!1!!2!!1!!!2!!3!!2!!4!!5!!2!!5!!2!!5!!5!!!!. La classe de cellules motiviques a2 se
présente, à nouveau, comme un pilier, ou un axe, de la structuration de la séquence.

Formes!!
Mesures' a' a1' a2' a3' a4' a5' b'
#'
13! ! ! ! ! ! ! !
14! ! ! ! ! ! ! !
15! ! ! ! ! ! ! !
16! ! ! ! ! ! ! !
17! ! ! ! ! ! ! !
18! ! ! ! ! ! ! !
19! ! ! ! ! ! ! !
20! ! ! ! ! ! ! !
21! ! ! ! ! ! ! !
22! ! ! ! ! ! ! !
23! ! ! ! ! ! ! !
24! ! ! ! ! ! ! !
Tableau 14 : Tableau paradigmatique réduit des mesures 13 à 24 de Related Rocks

Dans ces deux tableaux, il manque l’essentiel : une représentation des transformations et de la
généalogie des cellules. Les transformations se font au niveau des figures et des hauteurs
(intervalles ou profils). La généalogie des différentes cellules est une information importante
dans le cas de Related Rocks. Les cellules évoluent comme des extensions, des extractions ou
175
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

des échos des cellules précédentes. Chaque nouvelle cellule subit une petite transformation,
ou une extraction d’une partie d’une cellule antérieure. Difficile de dire si une cellule
appartient ou n’appartient pas à une classe donnée. Les cellules évoluent en faisant aussi
évoluer leur degré d’appartenance. Elles se créent aussi à partir d’une ou deux autres cellules
(comme a3, par exemple). Le tableau final ne permet pas de penser à autre chose qu’à la
structure et à l’articulation de la séquence. Il ne permet que des manipulations et l’expression
de concepts d’ordre de l’organisation spatiale, et de l’évolution de classes dans le temps (en
mesures). Finalement, on pourrait toujours objecter que tout dépend de la méthode utilisée
pour établir la similarité entre les cellules, et du seuil établi pour le passage d’une classe à une
autre. Cependant, il est clair que dans le cas présent, la mise en tableau paradigmatique n’est
pas la meilleure représentation. Bien au contraire, elle limite le champ des possibles, l’espace
des paramètres exploitables. Nous aurions besoin d’une représentation qui puisse intégrer un
concept de logique floue comme, par exemple, des diagrammes d’Euler ou une carte
heuristique, ou des cartes conceptuelles, plus aptes à représenter la généalogie, ou l’évolution
génétique du matériau dans Related Rocks.

176
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.6.7 De!la!Composition!assistée!par!ordinateur!A!le!cas!OpenMusic!
Les environnements dédiés à la composition assistée par ordinateur sont des espaces,
des supports, représentant des opérations musicales sous diverses formes : des
environnements de programmation textuelle, tels que Common Music199, jusqu’aux
environnements graphiques de programmation, tels qu’OpenMusic, Max, PWGL, PureData,
en passant par des environnements tels que Nodal200, lequel modélise le processus de
composition par des graphes de transition ou encore Elody [Letz, Fober, Orlarey 1998] qui
modélise le processus de composition par le lambda calcul. Chaque environnement propose à
l’utilisateur un ensemble d’opérations – un alphabet – devant être assemblées et organisées
selon la syntaxe appropriée pour réifier des algorithmes en programmes informatiques de
formes diverses.

Comme le remarque Miller Puckette dans la préface de The OM Composer’s Book.1 [Agon,
Assayag, Bresson 2006, x], dans les années 1970, il n’y avait pas de distinction entre un
utilisateur et un programmeur d’environnements informatiques. Très occasionnellement
quelqu’un écrivait un logiciel pour un autre et, dans la majeure partie des cas, chaque logiciel
était écrit pour une situation donnée. La situation est très différente de nos jours. L’évolution
des plates-formes matérielles et logicielles étant forte, il est commun d’avoir des logiciels
facilement reconfigurables par l’utilisateur ou des logiciels qui s’approchent des langages de
programmation. Max, Csound (et ses diverses interfaces graphiques), SuperCollider, PWGL
et OpenMusic sont des exemples de plates-formes logicielles complexes, permettant à
l’utilisateur de les reconfigurer et de les adapter à leurs usages. De plus, la distinction et
l’écart entre développeurs et utilisateurs s’accroissent, apportant ainsi des préoccupations au
niveau de la conception logicielle et des interfaces, les GUIs (Graphic User Interfaces). La
convivialité des environnements est désormais un point important de la conception, dans le
but de permettre à un grand nombre d’utilisateurs de les approcher sans « trop de peine ».
Dans ce cadre, nous souhaitons nous arrêter sur OpenMusic, et plus particulièrement sur ses
caractéristiques d’un point de vue de l’utilisateur.

OpenMusic est un environnement graphique de programmation [Agon 1998], dédié à


la composition assistée par ordinateur, conçu comme une extension du langage Common-Lisp
et de CLOS (Common-LISP Object System), intégrant la programmation fonctionnelle, la
programmation par objets et la programmation par contraintes201. Ces décisions ont été prises
avec l’objectif de proposer aux compositeurs, principaux concernés, un environnement aussi
ouvert que possible, leur permettant de « … disposer d’un langage de CAO qui soit
extensible ; qui permet le polymorphisme dans la mesure où la plupart des structures
partagent certaines propriétés. … un langage dynamique, et qui fournisse des protocoles qui
permettent de spécifier les concepts et définitions propres à un compositeur particulier »,
possédant « … un grand pouvoir d’expression dans la mesure où il s’agit d’un environnement
de créativité. » [Agon 1998, 32]. L’expressivité était donc le principal objectif.

D’un point de vue graphique, OpenMusic, à l’ouverture, présente deux fenêtres, le


« workspace » (l’espace de travail), qui peut être vu comme une extension du bureau

199
http://commonmusic.sourceforge.net/ (26/08/2013) de Rick Taube.
200
http://www.csse.monash.edu.au/~cema/nodal/.
201
L’implémentation de la programmation par contrainte a subi quelques changements et quelques retards. Le
moteur de contraintes n'est pas intégré au noyau d'OpenMusic, restant cependant accessible via différentes
librairies externes, comme Situation (Camilo Rueda), OMClouds (Charlotte Truchet), OMCS (Mikael Laurson,
implémentation dans OM Orjan Sandreed) et OMgecode (Serge Lemouton).
177
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

informatique, et le « Listener », fenêtre où s’affichent les résultats du calcul. Sur le


« workspace », nous trouvons trois types d’icônes, principalement des patches contenant un
programme graphique, des dossiers et des maquettes.

"Workspace"
"Patch"

"Listener"

Figure 110 : Interface de OpenMusic

Les patches contiennent des boîtes – des objets graphiques – connectées entre elles par des
connexions filaires. « Le patch est un objet central dans OpenMusic. Dans sa forme
développée (conteneur de patch), il constitue pour le langage visuel une expression
correspondant à la notion commune de corps de programme » [Agon 1998, 56]. Rappelons
que le paradigme fonctionnel est le principal paradigme de calcul dans OpenMusic. Même si
visuellement OpenMusic peut ressembler à d’autres environnements, tels que PWGL ou Max,
il possède des caractéristiques propres. De ce fait, la résolution d’un même problème avec
OpenMusic ou Max prendra, par exemple, des formes différentes.

178
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

202
Figure 111 : Comparaison entre l’expression du même calcul dans OM 6.6 et Max 6.1.2

La Figure 111 nous montre comment la même expression (voir 2.6.2) entraîne des contraintes
et des constructions différentes dans ces deux environnements. L'une des principales raisons
de cette différence tient en la manière dont chaque environnement gère son calcul. Dans Max,
pour le contrôle, le calcul se fait par une propagation de messages du haut vers le bas du
patch, avec une nécessité de prise en compte de la synchronisation, due à l’existence d’entrées
actives et d’entrées passives. Dans max, le déclenchement du calcul dans un objet, n’entraîne
pas la mise à jour des variables de cet objet, raison pour laquelle il est nécessaire de s'assurer
de l’envoi de toutes les données, et dans le bon ordre. Dans OpenMusic, le calcul se fait par
une demande d’évaluation, à partir du point le plus bas du patch, propagée vers le haut, en
évaluant toutes les entrées, de la gauche vers la droite, et en fournissant les résultats du haut
vers le bas. L’évaluation d’un patch dans OpenMusic entraîne l’évaluation de toutes les
entrées, c'est-à-dire la mise à jour de toutes les variables. D’autre part, si dans Max il suffit de
changer la valeur de « n » dans la partie haute du patch pour déclencher la propagation du
calcul, dans OpenMusic, la même opération se fait en deux temps. Premièrement, l’utilisateur
change la valeur de « n », pour ensuite, demander l’évaluation. Dans OpenMusic, le
changement d’une variable n’entraîne pas d’envoi de messages, ni de demandes
d’évaluations. Ce point, assez simple, nous donne une idée de la particularité du travail avec
OpenMusic.

Du point de vue de l’utilisateur musicien, OpenMusic propose un ensemble d’éditeurs de


notation musicale (des classes au sens informatique) pour la visualisation (Figure 112). La
classe203 <note> pour représenter une note, <chord> pour représenter une collection de
hauteurs sans information temporelle, la classe <chord-seq> pour représenter une séquence
d’accords dans le temps (<chord-seq> propose une représentation proportionnelle du temps),
<multi-seq> pour représenter des superpositions de <chord-seq>, <voice> pour représenter
des structures métriques et <poly> pour représenter des superpositions de <voice>.

202
Nous avons réalisé la comparaison en utilisant des opérations élémentaires. En effet, dans l’environnement
Max, il existe d’autres opérateurs, tels que <expr> permettant l’écriture d’expressions :
« expr 440.*pow(2., (($f1-9)/12)) ».
203
<classes> au sens informatique, c'est-à-dire de structures de données.
179
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

<note> <chord>
<chord-seq>

<multi-seq> <voice>

<poly>
Figure 112 : Editeurs de notation musicale dans OpenMusic

Nous n’entrerons pas dans le détail de chacune de ces représentations. Pourtant chacune
d’entre-elles se construit à partir de représentations numériques de paramètres musicaux. Par
exemple, pour construire une séquence d’accords en utilisant l’objet <chord-seq> (Figure
113), l’utilisateur doit spécifier une liste (ou une liste de listes) de hauteurs204 (en
« midicents »), des positions temporelles (en millisecondes) pour chaque événement, les
« onsets », une liste de durées (en millisecondes), une liste de vélocités (en vélocités MIDI)

204
Dans le contexte OpenMusic, « une note » peut être vue comme un accord avec une seule note.
180
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

pour indiquer l’intensité de chaque note, une liste de « offsets »205 (en millisecondes), une liste
de canaux MIDI et une valeur générale de legato.

Figure 113 : Spécification des paramètres pour la construction d’une séquence d’accords

Créer une séquence musicale, et l’afficher en notation musicale (ne serait-ce qu’en notation
proportionnelle, comme dans <chord-seq>), engage le compositeur à une déconstruction
paramétrique de sa séquence, et à travailler avec des représentations numériques de ces
paramètres206. Travailler avec l’éditeur <chord-seq>, c’est aussi s’adapter à une structure
prédéterminée de l’espace musical (Figure 114), avec ses six champs paramétriques.

Hauteurs
<chord-seq>, ∏={p0, p1, p2, p3}
Hauteurs
(midicents)
Onsets

T={t0, t1, t2, t3}


∂3
Durées
p3 ∂1
v3
c3 ∆={∂0, ∂1, ∂2, ∂3}
p1 Vélocités
v1 o3
∂2
o1 c1 V={v0, v1, v2, v3}
p2 Offsets
∂0 v2 c2
O={o0, o1, o2, o3}
p0 o2
v0 Canaux
c0
o0 C={c0, c1, c2, c3}

t0 t1 t2 t3 Temps (ms)

Figure 114 : Représentation de la structure musicale implicite de <chord-seq>

Pour rappel, le fait de considérer l’espace musical comme multidimensionnel, en proposant au


compositeur une déconstruction paramétrique, fait déjà partie des mœurs musicales, sans
doute héritée de l’hyper paramétrisation de l’espace musical opérée par le sérialisme intégral,
devenu l'un des paradigmes de la composition au XXe siècle.

205
Les « offsets » sont un décalage de la note par rapport à la position indiquée par sa valeur de « offset ».
206
N’oublions pas que la musique actuelle hérite d’une pensée paramétrique, issue des esthétiques
dodécaphoniques et sérielles du XXème siècle, lesquelles proposaient la déconstruction de l’espace musical en
des espaces paramétriques indépendants.
181
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Le fait qu’OpenMusic se fonde sur un paradigme de programmation par objets est un autre
point fort de ce logiciel. Si le caractère graphique d’OpenMusic facilite la compréhension de
la programmation, c'est parce que le flot de données s'associe au programme graphique. Il
n'en est pas de même pour la programmation-objet, où l'on pourrait avoir l’illusion d’une
rétroaction, ou d'une inversion du sens du flot de données. Par exemple, en prenant un patch
avec pour unique objectif de transposer les hauteurs d’une structure complexe d’un objet
<chord-seq> avec des informations de hauteurs (midicents), de positions temporelles (onsets),
de durées, de vélocités MIDI et d’assignation de canaux (Figure 115).

#<chord9seq;2441F613>
A <chord-seq>

Chans legato

B Vels Offsets

Onsets Durées
C
MIDICS

Figure 115 : Exemple de programmation objet dans OpenMusic, 1

Le premier <chord-seq>, en haut de l’image, envoie par sa sortie de gauche (point A dans la
Figure 115) l’adresse (#<chord-seq 2441F613>) de l’instance de la classe <chord-seq>, qu’il
est en train d’afficher. Pour rappel, cette adresse indique l’endroit où se trouve l’instance de
classe, avec ses données. L’objet <slots> (point B dans la Figure 115) récupère cette même
adresse pour appliquer l’opération demandée (dans le cas présent, changer le <slot> dédié aux
hauteurs <midics>, par un nouvel ensemble de hauteurs, une octave plus basse) à l’instance,
et envoie cette même adresse par sa sortie tout à gauche (point C dans la Figure 115). Cette
sortie est récupérée par le <chord-seq> tout en bas du patch. Après l’évaluation, le patch se
présente comme sur la Figure 116. Si le <chord-seq> tout en bas du patch a bien la séquence
une octave en dessous, le <chord-seq> d’origine (en haut du patch) présente aussi ses hauteurs
changées. Nous avons ici l’illusion d'une rétroaction, comme si le flux de données avait été
inversé.

L’objet graphique <chord-seq> est dénommé « factory », c'est-à-dire un constructeur qui


réunit, sous le même objet, un constructeur d’instances de la classe <chord-seq>, un éditeur
de l’instance générée, et un outil de visualisation avec une notation musicale. Sa première
sortie ne donne pas l’instance de la classe construite, mais uniquement l’adresse, le pointeur,
de cette instance. Travailler avec des instances de classes, comme <chord-seq> (et d’autres
comme celles de la Figure 112) implique de travailler, non pas avec des données, mais avec
l’adresse de ces données. La programmation par objets nécessite un apprentissage particulier.
Le compositeur doit être conscient qu’il ne manipule plus les données elles-mêmes, mais des
pointeurs, des adresses informatiques, indiquant l’endroit où les instances des classes se
trouvent. La manière de programmer, de construire les algorithmes change en conséquence,
ne serait-ce que par le fait de devoir sécuriser des données (structures musicales) par leur
182
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

clonage.

#<chord9seq;2441F613>
A <chord-seq>

Chans legato

B Vels Offsets

Onsets Durées
C
MIDICS

Figure 116 : Exemple de programmation objet dans OpenMusic, 2

Les compositeurs plongeant dans le monde de la composition assistée par ordinateur,


notamment par le biais d’OpenMusic, changeront leur rapport avec le monde sonore. Ils
contrôleront leurs objets musicaux par l’intermédiaire de processus de calculs et
d’algorithmes. Composer dans le cadre d’OpenMusic change le métier du compositeur,
mettant en marche un nouveau mode de pensée, une autre manière de faire et de coordonner
l’intelligible et le sensible. Cette voie engage les compositeurs à formaliser leurs pensées, et
cela non sans effort. OpenMusic change l’action de composer. « En effet, l’utilisation d’un
langage peut susciter des expressions qui ne seraient pas favorisées dans un autre contexte. »
[Agon 1998, 10], comme le dit Carlos Augusto Agon. Comme nous l’avons déjà remarqué,
c’est une nouvelle manière de penser l’espace musicale qui se développe, induisant un
nouveau solfège. Si le solfège classique met en rapport l’espace musical avec sa notation, ce
nouveau solfège met en rapport un espace musical et un modèle de calcul, un algorithme.
Résoudre un problème avec OpenMusic sera, in fine, construire un patch, un programme
graphique, avec les éléments proposés par OpenMusic, et avec des règles syntaxiques propres
à cet environnement. Comme cela a déjà été énoncé, OpenMusic propose principalement un
modèle « fonctionnel » de programmation, tandis que la formation musicale classique d’un
compositeur, laquelle se fonde sur l’enseignement de disciplines d’écriture telles que
l’harmonie et le contrepoint, traite les problèmes musicaux sous une autre forme. Si nous
regardons les principaux traités d’harmonie et de contrepoint, Hindemith, Tchaïkovski,
Piston, Fux, Kennan, etc., nous remarquons que la manière d’enseigner ces disciplines repose
sur un ensemble de règles indiquant la façon dont les notes et/ou les accords sont disposés les
uns par rapport aux autres. Une méthodologie qui décrit en quelque sorte les caractéristiques
de l’objet final, les caractéristiques de certaines configurations (de notes ou d’accords), une
sorte de prescription, sans donner de règles explicites pour la construction de l’objet final. Un
exemple intéressant de ce genre d’enseignement peut être trouvé dans le traité de contrepoint
de Kent Kennan [Kennan 1999], où l’auteur donne un ensemble de directives, rehaussées par
le verbe « must » :
« If we were to analyze a large body of contrapuntal music of the seventeenth and eighteenth centuries, we
would find that certain broad principles prevail in it. These need to be examined before actual exercises in two-
voice writing are undertaken. The most important are the following:
1. Each line must be good in itself.

183
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2. There must be sufficient independence between the voices in terms of direction and rhythmic motion.
3. On the other hand, they must have enough in common, stylistically and otherwise, so that they will fuse into a
convincing whole when combined.
4. The lines must imply a good harmonic succession. At any given point, the ear hears not only the horizontal
lines but the vertical results of combining them; these vertical sounds must represent a satisfactory harmonic
progression.
5. In this style, the voices must be primarily consonant with each other, dissonance being present, but in smaller
quantities than consonance. »
[Kennan 1999, 19]207

L’apprentissage de ces disciplines (harmonie et contrepoint) se réalise par la maîtrise de ces


règles en même temps que l’on essaie de développer des compétences pour la construction
d’un objet musicalement pertinent. Il est bien connu que de suivre les règles à la lettre, dans
ce contexte précis, ne donne aucune garantie sur le résultat musical. Pour résumer, la manière
de penser, dans ce cadre d’enseignement et d’apprentissage, nous semble beaucoup plus
proche d’un système de programmation par contraintes – du fait que les règles s’expriment
souvent comme des prédicats logiques [Pachet, Roy 2004, 344] – que d’un système de
programmation fonctionnel, où l’algorithme décrit le processus de construction, ou de
génération de l’objet final. Certains compositeurs, non par incapacité, mais par choix et par
formation, se sont tournés vers un mode de travail utilisant la programmation par contraintes.
Jacopo Baboni Schilingi, ou Mauro Lanza, habitués de la programmation, ont fini par
travailler avec les contraintes. Jacopo Baboni Schilingi, dans le cadre de PWGL avec la
librairie PWconstraints208, et Mauro Lanza, dans le cadre d'OpenMusic avec la librairie
OMCS, une version de la librairie PWconstraints, portée dans OpenMusic.

De nos jours, avec la large diffusion des environnements dédiés à la composition assistée par
ordinateur, ce mode de pensée (la programmation fonctionnelle) est déjà entré dans les
mœurs, à tel point qu’il est difficile de se rendre vraiment compte de l’effort à fournir par un
musicien pour pouvoir s’initier à ces plates-formes. C’est pourquoi j’aimerais citer le jeune
compositeur Ernesto Illescas Peláez qui rend compte de sa première expérience avec
OpenMusic : « en conclusion, je peux dire que, même si je n’arrête pas de me plaindre au
sujet des fonctions de base d’OpenMusic (principalement sous la forme de bibliothèques, et
de l’architecture) qui étaient en grande partie étrangères à ma technique de composition —
cela signifie que j’ai dû apprendre à développer ma propre bibliothèque utilisateur presque
dès le début — le logiciel devient de plus en plus un outil très utile, dès que je travaille avec
des développements ou des constructions (musicales) qui sont bien formalisées. »
[Peláez 2009, 239].

Pour donner une autre idée des limites qu’impose OpenMusic, nous aimerions citer le travail
de composition de David Coll, jeune compositeur américain, dans le cadre de sa pièce
Cursus 2. Pour son travail, il a composé la pièce 68 (2008), d'une durée de 20 min, pour
baryton, percussions, violoncelle et dispositif électronique. Les textes étaient des extraits de
La Société du spectacle de Guy Debord et de l’Introduction à une nouvelle poésie et à une
nouvelle musique d’Isidore Isou. Cette œuvre fut créée le premier octobre 2008 dans la
Grande Salle du Centre Georges Pompidou à Paris, par Séverine Ballon au violoncelle, Daniel
Ciampolini aux percussions, le baryton Lionel Peintre et Thierry Bordereau pour la
collaboration artistique et la mise en scène.

207
Très exceptionnellement nous gardons la version anglaise qui rend mieux la tournure de phrase impérative.
208
Librairie développée par Mikael Laurson.
184
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Pour expliquer brièvement sa méthode de composition, David Coll a écrit le texte et la


musique sur du papier. Par la suite, ces originaux ont été photocopiés. À partir des
photocopies, David Coll a segmenté les séquences musicales et les textes en découpant des
extraits pour les réassembler et les coller dans une partition d’ensemble, le conducteur,
baryton, violoncelle, percussion et électronique. Sa technique de composition est inspirée de
la célèbre technique du « cut-up » inventée par Brion Gysin à la fin des années 1950, et
utilisée par l’écrivain américain William S. Burroughs par la suite [Burroughs 1976]. Au
cours de ce travail, David a demandé s’il était possible que l’informatique puisse l’aider dans
ce processus, c'est-à-dire de « virtualiser son processus de composition » dans OpenMusic ou
dans Max. Cela aurait été assez facile en utilisant un outil d’OpenMusic, la <maquette>, qui,
en plus de proposer un pont avec le travail électronique – lequel se faisait dans
l’environnement Max – est un support pour l’assemblage des extraits. Cependant, le contact
avec le papier, tout comme les phases de découpage et de collage, était important et participait
au processus créatif de David Coll. Les substituer impliquait un changement de sensibilité et
de rapport au musical, qui, au moment de la production de sa pièce, comportait des risques
que nous pensions inenvisageables. Nous ne pouvions pas prévoir si le changement serait
facilement intégrable, et si sa créativité en serait affectée. Pour David changer de support
impliquait aussi de changer sa manière de composer, de changer son action. Nous avons
décidé alors, de manière très intuitive, que normaliser le travail de David Coll serait plus une
perte qu’un gain. Il semblait avoir besoin de la matérialité du papier et de l’ouverture
analogique que proposait cette méthode. Son processus de « com-position » était
étymologique puisqu'il posait des extraits de partitions et textes, les uns à côté des autres. Cela
ne signifie pas qu’à un moment donné l’expérience ne puisse pas être tentée. Mais dans ce cas
précis, c’était au compositeur de réapprendre à composer selon le cadre proposé, c’était aussi
à lui de changer sa sensibilité, musicale, émotionnelle et tactile, à lui-aussi de changer in fine
son mode d'action.

Pour résumer, nous pouvons inférer qu’OpenMusic est un environnement graphique de


programmation très expressif qui :

• Favorise un travail avec des données discrètes. Aucun outil ne permet de dessiner des
courbes. OpenMusic propose des « fonctions par segments ». Pour Voi(rex) (2001) de
Philippe Leroux, Frédéric Voisin a développé un outil « table » permettant au
compositeur de « dessiner », d’écrire des lettres.
• Favorise une approche fonctionnelle pour la résolution de problèmes.
• Favorise une approche de la composition comme un processus.
• Favorise une perception du sonore, ou du musical, comme étant un espace
paramétrique multidimensionnel.
• Favorise une approche de la composition comme écriture, c'est-à-dire « la
détermination de positions d’objets dans un espace musical prédéfini par le
compositeur » [Malt 2009, 203]. Même des compositeurs travaillant « sur le son »,
comme Tutschku ou Lanza, sont amenés à préciser les valeurs des paramètres pour les
transformations ou la synthèse.
• Contraint les compositeurs à la formalisation des idées et de leurs problématiques.

Pour rappel, ces derniers paragraphes ne sont pas un réquisitoire contre OpenMusic, bien au
contraire ! Il s'agit simplement d'une critique philosophique sur l’effet des représentations sur
notre pensée et nos actions, et ce, à partir d’une brève analyse de cet environnement. Nous
sommes conscients de n’avoir gratté que la surface, et repris quelques points, hélas, bien
185
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

connus. Une analyse complète des rapports entre les représentations proposées et l'utilisation
qui en est faite serait une étude bienvenue. Nous espérons pouvoir la développer dans le futur.

2.6.8 De!la!Composition!assistée!par!ordinateur!A!le!cas!UPIC!
L’UPIC est un cas à part dans le monde des environnements graphiques dédiés à la
composition. Ce n’est pas un environnement de programmation, au sens classique du terme,
c’est une transposition, une réification d’une manière de composer proposée par Xenakis.

Il existe un bon nombre d’articles dédiés à l’UPIC (Unité Polyagogique Informatique du


CEMAMu209) ([Lohner 1986], [Lohner, Xenakis 1986], [Xenakis 1987], [Raczinski, Marino,
Serra 1991], [Xenakis 1992, 329-334] et [Marino, Serra, Raczinski, 1993]), décrivant sa
genèse et ses fonctionnalités. Pour rappel, l’UPIC est au départ une table graphique. C'est un
élément physique relié à un ordinateur responsable, par l’interprétation de tracés, des
commandes de contrôle de synthèse. La Figure 101 nous présente le système UPIC, dans sa
version de 1986, et la Figure 118 Iannis Xenakis en face de la table graphique. On remarque
clairement :

1. L’unité de contrôle (la table graphique) constituée d’une table graphique et


d’un stylo électromagnétique,
2. L’unité de calcul, c'est-à-dire l’ordinateur, plus des périphériques d’entrée et de
sortie, deux écrans de contrôle, un clavier, une imprimante, les convertisseurs
audio numériques (DAC et ADC), l'unités de mémoire (Disque dur, plus
lecteur de disquettes).
3. L’unité audio, constituée d’une unité d’amplification (ensemble de
préamplificateur et amplificateur), une unité de diffusion (les haut-parleurs),
une unité d’enregistrement (le magnétophone) et une entrée audio,
microphone, pour l’échantillonnage.

Une description plus approfondie peut être trouvée dans [Lohner 1986]. En 1991 [Marino,
Serra, Raczinski 1993, 260], une version complètement informatisée de l’UPIC, fonctionnant
sur un microordinateur PC/AT 386, sera développée avec une interface graphique (l’écran
informatique) contrôlée avec la souris. D’un point de vue de l’utilisateur, L’UPIC consiste en
une interface, physique ou virtuelle, sur laquelle dessiner, soit avec un stylo
électromagnétique, soit avec la souris. Les traits ou les courbes dessinés correspondent à des
trajets de fréquences fondamentales ou à des formes d’ondes.

Notre intérêt se porte principalement sur le type d’actions que cet outil propose. Pour cela,
nous regarderons deux partitions réalisées avec l’UPIC, la partition de Mycenae-
Alpha (1978), que Xenakis a proposées dans Perspective of Mew Music [Xenakis 1987], et un
ensemble d’esquisses réalisées lors d’un stage UPIC par le compositeur Claudy Malherbe
avec la version complètement informatisée de l’UPIC.

209
CEMAMu : Centre d'Études de Mathématique et Automatique Musicales.
186
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

210

Figure 117 : L’UPIC, version de 1986, [Lohner, Xenakis 1986, fig.5, 45]

Figure 118 : Xenakis face à l’interface de contrôle, la table graphique, de l’UPIC [Lohner, Xenakis 1986, 54]

La Figure 119 et la Figure 120 présentent huit copies d’écran d’esquisses réalisées avec la
deuxième version de l’UPIC, gentiment partagées par le compositeur Claudy Malherbe.

210
Cette image est une version éditée de la figure 5 de [Lohner, Xenakis 1986, 45].
187
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

1! !

2! !

3! !

4! !
Figure 119 : Esquisses UPIC, Claudy Malherbe, 1 à 4

188
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

8
Figure 120 : Esquisses UPIC, Claudy Malherbe, 5 à 8

189
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

A B
Figure 121 : Les deux profils de la Figure 118-1

En analysant le contenu de ces pages du point de vue graphique, nous pouvons émettre les
constats suivants :

− Dans Figure 119-1, la page est partagée en deux. Chaque partie développe un profil.
La partie de gauche répète le profil Figure 121-A du haut vers le bas, de la gauche vers
le milieu de la page, tandis que la partie droite répète, avec apparemment une
dilatation verticale le profil Figure 121-B, en allant du milieu de la page vers la droite.

− La Figure 119-2 présente également le même profil, dilaté, répété et inversé (avec une
dilatation) par rapport à l’axe horizontal.

− La Figure 119-3 présente simplement des traits, des inflexions, et un « M » au bas de


la page.

− La Figure 119-4 présente trois plans d’objets graphiques. Au premier plan, des traits
horizontaux griffonnés. Au deuxième plan, des traits ondulés et au troisième plan à
droite, des traits obliques.

− La Figure 120-1 présente des dessins de formes d’ondes. En bas à gauche, un dessin
dense de six vagues. Au-dessus quelques formes périodiques. Au milieu de la page,
deux objets ressemblant à une boîte et à un ballon. Vers la droite, encore des formes
périodiques, et en bas une forme qui rappelle un chemin tournant vers la droite,
entrecoupé de traits horizontaux.

− La Figure 120-2 est peut-être la plus intéressante puisqu’elle présente un paysage. Au


fond, des formes quasi périodiques, rappelant des montagnes. En haut à gauche une
petite forme périodique. Au premier plan, une même forme avec des traits droits,
rappelant des profils d’immeubles, et en bas à droite, un ensemble de traits courbes.

− La Figure 120-3 présente un ensemble de formes d’onde. Apparemment des formes


d’onde par défaut, pouvant être changées par l’utilisateur.

− La Figure 120-4 présente trois régions horizontales, toutes réalisées à partir d’une
forme constituée de petits objets granulaires de tailles diverses. Chacune des régions,
du haut vers le bas, expose quatre variations du même objet.

En résumé, dans toutes ces planches, nous avons des éléments basiques de dessin211 côte-à-

211
Le grand Robert en ligne : « Représentation* ou suggestion des objets, du monde visible ou imaginaire, sur
190
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

côte, avec des éléments abstraits et figuratifs. Les opérations appliquées sont de type
répétition d’un profil, dilatation, compression, translations (horizontales et verticales) et
opérations de symétrie. Cet exemple n'est composé que d’esquisses, mais que pourrions-nous
dire de la partition graphique UPIC d’une œuvre finie ? Pour cela, analysons la partition de
Mycenae-Alpha (1978), présentée par Xenakis dans Perspective of New Music
[Xenakis 1987] (Figure 122).

Première constatation, d’un point de vue du graphisme Xenakis n’utilise que deux techniques,
ou deux éléments de base, pour construire ses structures : la « hachure » et la « ligne
continue », et, étonnamment, aucun point ! Ce qui ressemble à des points ne sont en fait que
des traits courts. L’important dans cette observation, c'est le fait que ces deux représentations
ressemblent beaucoup à des techniques de base de dessin. La hachure est une technique
fondamentale pour créer des textures et des ombrages. La Figure 123 présente quatre détails
de quatre dessins de Albretch Dürer, dont nous pouvons apprécier l’utilisation de la hachure.
Il y a une similitude entre la technique de « hachuré » utilisée par Xenakis et la technique de
Dürer. Nous pourrions inférer que Xenakis en tant qu'architecte devait connaître les
techniques basiques de dessin, et qu’il devait peut-être les utiliser pour la réalisation de
schémas architectoniques.

une surface, à l'aide de moyens graphiques… »


191
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 122 : Partition UPIC de Mycenae-Alpha [Xenakis 1987, 14]

192
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

213
212

Le fils prodigue, (1496) Melencolia &I (1514)

215
214

Nativité (1514) Saint Eustache (1500-1501)


Figure 123 : Exemples de hachures dans des détails de dessins de Albrecht Dürer

Le Tableau 15 présente un glossaire des techniques graphiques utilisées par rapport aux
sections. Dans la dernière colonne se trouve un extrait de la section pour que nous puissions
apprécier le graphisme et la densité des traits.

212
Détail venant de lœuvre originale numérisée de SCALA, Florence/ART RESOURCE, N.Y.
http://www.artres.com/c/htm/Home.aspx.
213
Détail venant de l’œuvre originale numérisé dee SCALA, Florence/ART RESOURCE, N.Y.
http://www.artres.com/c/htm/Home.aspx.
214
Détail venant de l’œuvre originale numérisée par Erich Lessing Culture and Fine Arts Archives/ART
RESOURCE, N.Y. http://www.artres.com/c/htm/Home.aspx.
215
Détail venant de l’œuvre originale numérisée de SCALA, Florence/ART RESOURCE, N.Y.
http://www.artres.com/c/htm/Home.aspx.
193
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.

)
C. )

Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

C.
C.
C.

Technique
Sections Observations Détails des formes et textures
graphique
Traits droits, horizontaux,
Première forme, du bas vers le haut
CO

parallèles entre eux. Seule

S
In
,f,~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.
la deuxième forme, du bas
S
In

vers le haut, présente des


1 hachure
lignes obliques.

C.
C.
Construction de quatre
C. )

textures.
.

CO
Texture dense.

.
,f,~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.
Traits courbés, avec
différentes orientations. Ils

CO
C.

commencent horizontaux

,f,~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.

C. )
et plutôt droits, pour
2 Hachure
évoluer vers des traits
courbes. Construction

C.
d’une texture évolutive.
C. )
S
In

Texture peu dense.


Lignes plutôt horizontales,

S
In
Lignes légèrement courbées.
3
longues Texture grave, presque
.

C.

immobile.

.
Traits droits, horizontaux,
parallèles entre eux.
4 Hachure Construction de trois
S
In

textures. Texture peu


dense.

Évolution de lignes
.

continues formant une


Lignes
5 polyphonie graphique.
continues
Polyphonie musicale.
Texture peu dense.

Vers la fin, évolution


rapide de lignes d’une
Lignes! texture grave vers une
6
hachures texture, hachurée et dense,
de trois octaves. Texture
très dense, vers la fin.
.....i.........il-.'111

Texture complexe formée


llfllllll

i,,!IIItA

de petits traits horizontaux


7 Hachures
I
,I)

et parallèles entre eux.


Texture dense.
flllII

'~Jl'l''"'"~"'!;i
1,II
*1
'11I

194
.llUil
1Ill
II
Sli
.....i.........il-.'111
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

llfllllll

i,,!IIItA
I
,I)
Polyphonie complexe à

flllII

'~Jl'l''"'"~"'!;i
Lignes partir de lignes continues
8
continues avec des arborescences.
Texture dense.
.....i.........il-.'111

C1
t wS L rC1
1,II
.

*1
'11I
....i.........il-.'111
i,,!IIItA

.....i.........il-.'111
11!,,,,
I

Texture complexe formée

.llUill!lrl'I
,I)

de traits horizontaux et

C1
tS Lr i \
'~Jl'l''"'"~"'!;i

parallèles entre eux, sur

t1
9 Hachures

II
Ill
llfllllll

wS L r 'i III
cinq octaves. Une densité

i,,!IIItA

ili \ ','""~l;'
llfllllll

11!,,,,n
I
,I)

i,,!IIItA
de dix à quinze traits par

11!,,,,
I
,I)

Si1
octave. Texture peu dense
flllII

'~Jl'l''"'"~"'!;i.llUill!lrl'I
flllII

'~Jl'l''"'"~"'!;i li ','""~l;'

~'
Texture complexe et dense
1,II

h,,",,"""111',,

Xtlq
formée de traits,

\ 1"ll;
*1
'11I

horizontaux et parallèles

lIIII111111
.llUill!lrl'I

entre eux, sur cinq octaves.

Ij
I II
1,II

h,,",,"""111',,
A l'exception du début, où
*1
'11
1,II

h,,",,"""111',,

Xtlq l'"'
*1
'11

10 Hachures

11 ' '4"[1RIIIlI
l'on trouve un court geste
1Ill
II

l'"'
.llUill!lrl'I

lIIII111111
avec des courbes pour
I ' IIII II II
li

l llllnl
I

ll~tilWlllllllilllllll
réaliser un pont entre la

II
Si1

1II
Ill ' III1"ll;

11 '4"[1RIIIlI llll
1
II

section antérieure et celle-


Ill
','""~l;'n

r,l
n

li ','""~l;'

llllllll

l llllnl
ci. Texture dense.

ll~tilWlllllllilllllll
ll~tilWlllllllilllllll
Si1
~'

Si1

Deuxième partie

i
n

Ill]llll[ll u'l,lIIII,IIII,
Texture complexe formée Première partie (superposition)

llllllll
d’un fondu entre deux (« pied »)
~'
'
~'

Ill]llll[ll
formes. La première,
III
1"ll;
Ij

construite avec des traits

llll Il
Hachures/

Jlllllll[l
i lilllfil^e
horizontaux et parallèles
1"ll;

11 lignes
Ij
Ij
I II II
I II II

llll Il
entre eux, et la seconde

Jlllllll[l
i
i
courbes
formée de lignes courbes
' r,l i

Il lilll
u'l,lIIII,IIII,
superposées à la première lilll
' r,l i
'

forme hachurée. Texture


dense. ,,,,,,
r , l

,,,,,,
fil^e
fil^e
i

Texture complexe et dense


formée de traits
12 Hachures horizontaux et parallèles
entre eux, sur quatre
octaves. Texture dense.

195
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

It 11 o 1111111111 111
Texture complexe et dense
formée de traits
13 Hachures horizontaux et parallèles

IIl
'!
entre eux, sur deux

1!1

I
octaves. Texture dense.

Tableau 15 : Techniques graphiques utilisées dans la partition pour l’UPIC de Mycenae-Alpha (1978)

Notons que nos remarques concernant la texture ne prennent en compte que le graphisme de
la partition. Si dans l’UPIC le paradigme de base de la synthèse utilisée est additif, il ne faut
pas oublier que chaque trait est associé à une forme d’onde. Leur somme produit un spectre
complexe. La Figure 30 présente les sections 2 et 5 de Mycenae-Alpha [Xenakis 1987, 14], et
leur respective analyse sonagraphique (Figure 124). Nous pouvons constater que le résultat
sonore est plus complexe que la graphie de Xenakis. Ceci est sans doute dû au fait que, dans
la synthèse de l’UPIC, le choix de forme d’onde est un élément important du processus. La
répétition régulière dans le registre des fréquences du même motif nous font penser à des
formes d’ondes correspondantes à des spectres harmoniques.

1 1
2 2 3 34 45 5 6 6

Figure 124 : Sections 2 et 5 de Mycenae-Alpha [Xenakis 1987, 14] et leur respective analyse sonagraphique

Revenons au Tableau 15. Si Xenakis s’est approprié les glissandi en tant qu'objet sonore
depuis ses premières pièces, ici le compositeur se les approprie à travers l’utilisation d’une
technique de dessin reposant sur le trait et la courbe. Le point n’y est même pas ! Des traits
courts, oui, mais pas de points. Tout le travail de composition s'articule sur la construction de
structures, de formes ou de gestes composés de ces deux éléments graphiques contrastants. De
plus, l’évolution de la densité des partiels dans le registre des hauteurs semble également
196
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

jouer un rôle important.


Dernière observation. Comme l’avait déjà remarqué Ronald Squibbs, « les configurations des
segments 7 et 13 sont visuellement identiques, mais différents dans la durée. La durée du
segment 7 est de 24 secondes et celle du segment 13, 61 secondes. La correspondance visuelle
précise entre eux suggère que Xenakis reproduit le graphique du segment 7 dans le segment
13, en ne changeant que la durée de lecture spécifiée pour la fonction de lecture »216 [Squibbs
1996]. En effet, il existe une homothétie entre les deux formes graphiques de la section 7 et de
la section 13. Celle-ci est aisément vérifiable par la partition graphique.

Les esquisses de Mycenae-Alpha de Xenakis, ou celles de Claudy Malherbe, nous amènent à


une première constatation à propos de l’utilisation de l’UPIC. Dans ces deux cas, les
compositeurs utilisent l’environnement comme une tablette de dessin, ce à quoi elle ressemble
finalement. Les opérations que nous retrouvons sont des déplacements, des translations, des
opérations d’homothétie, des symétries et des duplications d'objets musicaux. Des opérations
très liées aux espaces graphiques et géométriques. Un environnement graphique comme
l’UPIC propose à son utilisateur un espace de manipulations géométriques, principalement
grâce à ses interfaces inscriptibles et inscriptrices [Bonilla 2011] : la table et le stylo, l’écran
et la souris. Il s'agit en fait d'une représentation de l’espace occidental du dessin. Certes, nous
n’avons qu’étudié que deux cas. Cependant, nous pensons avoir proposé assez d’indices pour
que l’hypothèse soit plausible.

2.7 A!la!recherche!de!la!bonne!représentation!
Certaines représentations jouent certains rôles mieux que d'autres. Par exemple, une phrase française transmet
des informations à un locuteur natif français plus efficacement que ne le fait la même phrase en Swahili, malgré
le fait que les deux phrases aient le même sens. Dans ce cas, les deux phrases ont le même contenu mais
diffèrent dans la façon dont elles le représentent ; autrement dit, elles utilisent différents formats de
représentation. Le problème de la détermination du bon format de représentation (ou formats) pour des
représentations mentales est un sujet en cours de recherches interdisciplinaires en sciences cognitives.217
[Schonbein 2005, 2091]

Après nos déambulations précédentes au sujet des représentations ou encore du


processus qui les construit, plusieurs questions s’imposent d’elles-mêmes : qu’est-ce qu’une
bonne représentation ? Existe-t-il des représentations plus efficaces que d’autres ? Pour faire
court, nous n’avons pas la réponse, et personne ne semble vraiment l’avoir ! Cependant, nous
avons peut-être quelques indications, quelques pistes, qui pourraient nous aider dans le
futur… Il est impossible de trouver la « bonne représentation » dans l'absolu, mais nous
pouvons au moins trouver la représentation la plus appropriée dans un contexte donné.

216
« The configurations in segments 7 and 13 are visually identical, but different in duration. The duration of
segment 7 is 24 seconds and of segment 13, 61 seconds. The precise visual correspondence between them
suggests that Xenakis replicated the graph of segment 7 in segment 13, changing only the duration specified for
the playback function ».
217
« Some representations play certain roles better than others. For example, a French sentence conveys
information to a native French speaker more effectively than does the same sentence in Swahili, despite the two
sentences having the same meaning. In this case, the two sentences have the same content yet differ in the way in
which they represent it; that is, they utilize different representational formats. The problem of determining the
correct representational format (or formats) for mental representation is a topic of ongoing interdisciplinary
research in the cognitive sciences. »
197
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Le processus de recherche d’une « bonne représentation » est un processus complexe et


récursif. C'est un aller-retour entre le phénomène et la représentation, qui, par transformations
successives d’une représentation à une autre, affine la représentation finale en fonction de nos
besoins [Sierocki 1998, 195]. Nicolas Donin évoque ce processus dans le cadre de l’analyse
musicale : « …, un graphe schenkérien ou un tableau motivique sont des représentations
synthétiques qui intègrent des opérations analytiques complexes, tiennent compte des
nombreux essais et erreurs préalables auxquels leur genèse a donné lieu, et présupposent des
modalités spécifiques de lecture relevant d’une culture analytique donnée. La compacité du
schéma, l’univocité du graphe, le caractère synoptique du tableau feraient presque oublier
qu’ils sont les produits d’un va-et-vient en d’un ajustement intensif entre l’écoute d’une
œuvre, l’esquisse d’un cheminement argumentatif, l’exécution complète ou partielle d’une
partition (ou d’une grille ou d’une autre forme d’écriture), son annotation, sa réécriture, son
découpage, sa recomposition selon des critères de pertinence (établis dans l’analyse) et des
contraintes pragmatiques (lisibilité, mise en page), ainsi que son traitement éventuel dans un
programme de musique assistée par ordinateur. » [Donin 2009, 30-31]. Cependant, il ne faut
pas oublier que ce processus de recherche de la représentation la plus appropriée se trouve
souvent inclus dans un processus d’ordre supérieur : un processus de modélisation ou de
formalisation.
L’efficacité d’une représentation particulière dépend, selon Cox [Cox 1999, 343-344], de trois
facteurs : le but de cette représentation, l’interlocuteur à qui elle se destine et la forme de
celle-ci. Remarquons que cette proposition s’accorde avec la formalisation que nous avions
présentée ci-dessus (voir 1.5.4). Les trois facteurs énoncés par Cox contiennent les cinq
éléments de la formalisation. Le « but de la représentation » renvoie vers l’agent cognitif
constructeur (C) et son intention. Le facteur « interlocuteur » renvoie vers l’agent cognitif
destinataire, responsable de l’interprétation de la représentation. Enfin, « la forme » de la
représentation renvoie vers l’espace d’expression de la représentation et de la relation établie
entre celle-ci et le représenté.

2.7.1 Le!but!de!la!représentation!
Plusieurs objectifs peuvent se présenter. En général, une modélisation qualitative d’un
phénomène est souvent insuffisante pour le traiter dans l’espace informatique de calcul.
L’espace informatique demande en conséquence la formalisation du problème et de ses
parties. Nous avons donc besoin de représentations calculables. Ensuite vient une phase de
simulation, garante du bon fonctionnement du modèle, utile pour explorer le phénomène
modélisé. Comme définie à 2.5.7, la résolution d’un problème peut être considérée comme un
autre objectif. L’utilisation de l’informatique peut avoir comme effet de bord la demande
d'une conception de représentations adaptées, comme, par exemple, des représentations
externes, c'est-à-dire des interfaces pour un utilisateur humain, interfaces textuelles,
graphiques, iconiques, etc. Les représentations proposées par ces interfaces doivent avoir des
propriétés ergonomiques optimisant l’interaction personne-machine. Cependant, d'autres
représentations peuvent aussi être utilisées : les représentations internes, destinées à être
calculées, formalisant les parties de notre phénomène, ou objet d’étude.

La représentation d’un concept à des fins de formalisation a une forme différente, et


s’exprime dans un espace différent par rapport à une représentation à des fins pédagogiques.
Par exemple, prenons la construction d’une représentation du concept informatique de
198
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

« classe » pour une note de musique. Pour rappel, une classe informatique est une structure de
données. Pour une classe « note », sa représentation informatique, en langage Common-LISP,
existe déjà dans l’environnement OpenMusic et peut être appréciée à la Figure 125. Cette
représentation, facilement compréhensible par un informaticien habitué à ce langage, est aussi
une représentation opératoire que l'on peut actualiser dans l’environnement OpenMusic. Cette
représentation identifie clairement les « slots » de cette classe, c'est-à-dire les champs dédiés à
des paramètres définissant cette structure. Par exemple, <midic> définit la hauteur, <vel>
définit l’intensité de cette note, <dur> définit sa durée, <chan> définit le canal MIDI sur
lequel sera jouée cette note, <port> définit une indication pour la configuration MIDI, <tie> et
<symb-info> définissent des indications pour la notation.

(defclass* note (simple-score-element tonal-object)


((midic :initform 6000 :accessor midic :initarg :midic :type number :documentation "pitch (midicents)")
(vel :initform 80 :accessor vel :initarg :vel :type number :documentation "velocity (0-127)")
(dur :initform 1000 :accessor dur :initarg :dur :type number :documentation "duration (ms)")
(chan :initform 1 :accessor chan :initarg :chan :type integer :documentation "MIDI channel (1-16)")
(port :initform *outmidiport* :accessor port)
(tie :initform nil :accessor tie)
(symb-info :initform nil :accessor symb-info))
(:icon 137)
(:documentation "A simple NOTE defined with :
- pitch (midicents: 100 = 1 half-tone - 6000 = C3)
- velocity (MIDI velocity from 0 to 127)
- duration in milliseconds
- MIDI channel "
))
Figure 125 : Définition de la classe « note », en Common-lisp, dans l’environnement OpenMusic

Cette classe « note » s’actualise dans l’environnement OpenMusic comme cela est montré
dans la Figure 126. Les entrées et les sorties correspondent de gauche à droite à <self>,
<midic>, <vel>, <dur> et <chan>. Trois <slots> manquent : <port>, <tie> et <symb-info>.
<self>, qui correspond à une entrée et à une sortie, est apte à traiter l’instance en entier et non
seulement l'un des champs paramétriques.

Figure 126 : La classe <note> dans OpenMusic

Par expérience pédagogique218, lorsque nous expliquons « qu’est-ce que une classe ? » à des
compositeurs, nous évitons de présenter la représentation informatique. Les compositeurs
étant très peu habitués à la lecture de programmes informatiques219, cela est peu efficace. A la

218
Une bonne partie de notre expérience professionnelle, ces vingt dernières années, est le fruit d'un
développement pédagogique pour l’enseignement de l’informatique musicale et de la musique informatique à de
jeunes compositeurs, notamment dans le cadre des « Cursus (I & II) de composition et d’informatique musicale »
de l’Ircam.
219
Evidement, cela n’est pas une règle générale, de plus en plus de compositeurs s’intéressent à l’informatique
musicale, et acquièrent des compétences informatiques, dont la programmation.
199
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

place de cette représentation, nous utilisons une représentation analogique qualitative, une
métaphore. Nous comparons la classe à un meuble à tiroirs comme, par exemple, celui de la
Figure 127. Dans cette image, la « classe » (la structure de données) est assimilée au plan de
ce meuble, chaque <slot> (champ paramétrique) correspond à un tiroir. Une instance de cette
« classe » sera le meuble réalisé, construit. Les clefs des tiroirs (<slots>), lesquelles autorisent
l’accès aux paramètres, sont les noms de ces <slots>. Dans le cadre des « classes » dans
l’environnement OpenMusic, cette analogie revêt un intérêt accru puisque les objets
graphiques – représentant des classes – ne permettent pas l’accès aux utilisateurs à tous les
<slots>. Dans l’analogie graphique proposée, ces « slots cachés » sont assimilés à des « tiroirs
secrets ».

Figure 127 : Représentation, à but pédagogique, de la classe <note> dans OpenMusic

Cette analogie imagée fonctionne plutôt bien. Elle se montre très utile, peut-être parce qu'elle
est une analogie à la fois structurelle et fonctionnelle, pour faciliter la compréhension.
Cependant, il est aisé de se rendre compte que cette représentation n’est pas opératoire et
serait difficilement compréhensible par un compilateur, à moins, bien sûr, qu'une couche de
reconnaissance optique d’images lui soit ajoutée. L’attention portée au choix de la forme de la
représentation est un élément fondamental pour son interprétation. Dans un cadre
pédagogique, une fois le principe assimilé, il est alors possible d’avancer dans le chemin de
l’abstraction et de présenter directement la forme informatique de la Figure 125. Comme nous
l’avons mentionné, le processus de construction de représentations est un processus
dynamique. Il passe souvent par plusieurs formes et plusieurs espaces pour arriver à la
représentation la plus adaptée au contexte donné.

Pour chaque contexte, une forme de représentation se montre plus efficace, ou plus appropriée
qu’une autre. L’intention compte, l’objectif de la représentation nous met ainsi sur le chemin
de la représentation la plus appropriée.

2.7.2 L’interlocuteur!à!qui!elle!se!destine,!l’ajustement!cognitif!
Comme nous venons de le voir, si l’intention et l’objectif de la représentation sont
importants, il est aussi essentiel de comprendre à « qui » elle se destine et quel est
l’environnement d’interprétation de cette représentation. Est-ce un interlocuteur humain ? Est-
ce une machine informatique ? Il est capital de prendre en compte les capacités de
compréhension (au sens large) de l’« agent cognitif récepteur » à qui est destinée cette
représentation.

Selon les cas, une forme de représentation plus qu'une autre est mieux adaptée. Par exemple,
200
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

une partition pour un instrumentiste bénéficie d'une notation graphique (plus au moins
traditionnelle) sur papier ou support informatique. Une partition pour une utilisation en
analyse computationnelle est exprimée symboliquement dans un format qui peut être traité par
la « machine » choisie, sans avoir à être immédiatement compréhensible par l’humain.
Prenons l'exemple du format SDIF220 (Sound Description Interchange Format) adapté à
l’interprétation par la machine des représentations de données. Ce format de fichiers consiste
en une norme établie pour permettre l’échange et l'extensibilité d’une grande variété de
descriptions sonores, lesquelles incluent également des représentations du signal pour
l’analyse-synthèse. Il a été créé en collaboration par trois institutions : l’Ircam-Centre
Pompidou de Paris en France, le CNMAT de l’Université de Berkeley aux États-Unis, et le
Music Group (MTG) de l’Universitat Pompeu Fabra de Barcelone en Espagne. L’objectif de
ce format de fichier est la description extensive des données sonores et non l’intelligibilité
humaine.

Si l’interlocuteur est important, il est aussi primordial de considérer l’environnement de ses


représentations internes. Greene et Petre [Green, Petre 1996, 134] nous rappellent que, dans le
cas de la programmation informatique, le succès de l’utilisation d’un type de langage pour
une tâche donnée dépend d’un appariement entre les objectifs du programmeur et les
potentialités d'un langage, mais aussi d’un ajustement cognitif entre ses représentations
mentales et les représentations proposées par le langage utilisé. Si les représentations
mentales du programmeur sont sous forme de flux de contrôle, il éprouvera certainement des
difficultés à travailler avec un langage proposant principalement des flux de données. De
même, si sa pensée se trouve plus à l’aise avec des processus itératifs, il aura de la même
façon des difficultés à penser de manière récursive. Il est important qu’il y ait une
correspondance cognitive entre la représentation externe proposée et les représentations
internes de l’agent cognitif interpréteur.

Cette correspondance cognitive ne coïncide pas exactement avec ce qui est communément
admis par « cognitive fit » tel qu'initialement défini par Vessey et Galletta ([Vessey 1991],
[Vessey, Galletta 1991]) : une théorie cognitive établissant que la performance dans la
résolution d’un problème est affectée par la correspondance (ajustement) entre la tâche et la
représentation du problème. Ce dont nous parlons entre plutôt dans la lignée de recherches de
Geoffrey S. Hubona et ses collaborateurs [Hubona et al. 1998]. Ils élargissent le travail de
Vessey et Galletta en inférant que la performance dans la résolution d’un problème est
affectée aussi bien par la correspondance cognitive entre les caractéristiques de la
représentation du problème, que par les caractéristiques de représentation de la tâche à
accomplir et par les capacités de résolution de l’agent cognitif [Hubona et al. 1998, 720]. Plus
il y a de correspondances entre les représentations (mentales, du problème et de la tâche) plus
performante sera la résolution des problèmes.

Nous émettons l’hypothèse qu’il est possible de transposer ces conclusions dans le cadre de la
composition assistée par ordinateur et de la musicologie computationnelle. Si nous
considérons l’esthétique d’un compositeur, c'est-à-dire l’ensemble de ses choix musicaux
intuitifs, comme étant l’environnement de représentations mentales préalables, en un mot son
« solfège » – la manière dont il se représente les objets musicaux avec lesquels il travaille – et
l’acte de composition comme étant la manipulation des représentations établies par son
solfège, nous pouvons aussi inférer qu’une correspondance entre ces espaces facilite son

220
http://sdif.sourceforge.net/.
201
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

travail de création. Prendre en compte ces facteurs permet de choisir ou de développer de


manière appropriée des environnements de CAO. Se poser la question de : « qu’est-ce qu’un
objet musical pour un compositeur comme Philippe Manoury221 ? » ou de « qu’est-ce qu’un
objet musical pour un compositeur comme François Bayle ? », nous permet d’avoir des
indices pour le choix final. Si nous devions leur proposer des outils informatiques, quels types
de représentations devrions-nous leur soumettre ? Pour répondre à cette question
hypothétique, nous posons l’hypothèse que l’écriture musicale, que la notation, que la
transcription qu’un compositeur choisit pour représenter sa pensée musicale contient les
éléments de cette réponse. De ce point de vue, considérons les traces de ces deux
compositeurs.
Examinons des extraits de plusieurs partitions de Philippe Manoury. Pour commencer, Jupiter
(1987), pour flûte et électronique en temps-réel [Manoury 1987]. Rappelons que dans cette
pièce, comme d’autres du même compositeur, la portée (ou les portées) du bas correspond à
l’instrument acoustique, tandis que les portées du haut correspondent aux parties
électroniques.

Figure 128 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de Philippe Manoury [Manoury 1987, 1]

Dans la Figure 128, extrait de la première page de la partition [Manoury 1987, 1], la portée du
bas correspond à la flûte et les deux portées du haut à l’électronique. Nous remarquons
l’utilisation d’une notation musicale classique, très précise, autant pour l’instrument que pour
l’électronique. Pour l’instrument, nous constatons l’utilisation d’une représentation métrique,
de figures de notes, de hauteurs notées en demi-ton, de dynamiques, de signes d’articulation
et d’une indication de trille. L’électronique, bien que la métrique ne soit indiquée, bénéficie
aussi d’une notation classique, avec ajout de notations textuelles pour indiquer la nature des
transformations (« frequency-shift », « harmoniser » et réverbération), de notations
numériques pour indiquer la valeur de certains paramètres de transformations (10 Hz) et une
indication graphique – nombre encerclé – pour indiquer l’événement électronique. Les notes
sont prolongées par des lignes droites indiquant, de manière proportionnelle, leur durée. Le
positionnement spatial de la partie électronique est clair par rapport à la partie instrumentale,
et ne laisse aucun doute sur la synchronisation entre les deux parties.

221
Voir l’article de Philippe Manoury « La note et le son », http://www.philippemanoury.com/?p=330
(25/09/2013).
202
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 129 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 9]

La Figure 129, page 9 [Manoury 1987, 9], montre l’utilisation d’une notation proportionnelle
pour la flûte, sans métrique. Les mêmes remarques faites pour l’extrait précédent peuvent être
reprises. C’est un moment non mesuré, espace de liberté pour l’interprète. La partie
électronique (avant IIIc, et après) continue à être indiquée de manière précise, avec des
hauteurs, des rythmes et des dynamiques musicales (type de synthèse, type de traitement,
indications de paramètres physiques tels que la fréquence etc.).

Figure 130 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 15]

La Figure 130, page 15 [Manoury 1987, 15], présente une curiosité dans la partie
électronique. Il s'agit d'une indication d’oscillation sur le « frequency-shift », suivie d’un
diminuendo dans la plus pure tradition musicale. Nous n’observons pas de représentations
graphiques pour cette oscillation, événement « 15 », avant IVB.

Figure 131 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 17]

Dans la Figure 131, page 17 [Manoury 1987, 17] à VA, le compositeur s’autorise finalement
une représentation de la texture électronique de l'événement « 1 » par une notation différente
203
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

de la notation musicale traditionnelle : un long rectangle hachuré. À VB, Manoury utilise une
courbe par segments pour représenter l’évolution de l’ambitus de l’électronique. Il réutilisera
le même type de représentation plus loin, de la page 19 à la page 22 [Manoury 1987, 19-22],
pour indiquer la modulation spectrale des traitements.

Figure 132 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 17]

Figure 133 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 19]

Finalement, page 29 et 30, une nouvelle représentation apparaît dans l’électronique, une
forme hachurée évoluant par segments (Figure 134) pour représenter une interpolation entre
un trille rapide et une forme rythmique.

Avec la pièce Pluton (1988-1989), pour piano MIDI et électronique temps réel, nous
continuons de constater les mêmes caractéristiques de représentation. Une prédominance de
notations musicales classiques, autant pour la partie instrumentale que pour la partie
électronique, et toujours très peu de représentations graphiques ([Manoury 1988-1989, 5],
Figure 135). Pour rappel, les portées du bas correspondent au piano, et celles du haut à
l’électronique.

204
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 134 : Jupiter (1987), pour flûte et électronique temps-réel de P. Manoury [Manoury 1987, 29]

Figure 135 : Pluton (1988-1989), pour piano midi et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1988-1989, 5]

Même lorsque la machine improvise à partir d’un modèle markovien (page 10 de la partition
[Manoury 1988-1989, 10]), le compositeur continue à indiquer le résultat avec une notation
classique (Figure 136).

205
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 136 : Pluton (1988-1989), pour piano midi et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1988-1989, 10]

À plusieurs endroits dans Pluton, Philippe Manoury utilise des courbes ou des fonctions par
segments, pour noter plus précisément l’évolution des paramètres des unités de synthèse et de
traitement. Par exemple page 21 [Manoury 1988-1989, 21], il indique l’évolution d’un
paramètre d’un oscillateur (99 " 74 " 0 " 74 " …) par une courbe par segments.

Figure 137 : Pluton (1988-1989), pour piano midi et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1988-1989, 21]

Dans Neptune (1991), la description de l’électronique semble moins précise et moins


complète que dans les deux partitions que nous venons de voir. Malgré tout, nous continuons
de rencontrer les mêmes caractéristiques concernant la représentation des objets musicaux. Ce
manque de notation concernant l’électronique nous semble être plutôt la conséquence d'un
manque de temps lors du processus de création. De toute manière, rien dans la partie
instrumentale n’attire notre attention par son exotisme. Pour la partie électronique, juste des
notes, une représentation de longs glissandi vers un accord (dix secondes environ), page 4
[Manoury 1991, 4], et une figure en accelerando page 17 nous interpellent.

206
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 138 : Neptune (1991), pour trois percussionnistes et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1991, 4]

Figure 139 : Neptune (1991), pour trois percussionnistes et électronique temps réel de P. Manoury [Manoury 1991, 17]

La partition de Partita I, parce qu’elle est un manuscrit du compositeur, revêt un intérêt


spécial. Comme pour Pluton, des sections indéterminées telles que les séquences dédiées à
l’interpolation sont indiquées par des rectangles, ou par le texte « Interpolation » entre
crochets (page 3 de la partition [Manoury 2006, 3]).

Figure 140 : Partita I (2006), pour alto et électronique de P. Manoury [Manoury 2006, 3]

Les parties électroniques continuent à afficher une représentation proportionnelle, mais


placées spatialement de manière être synchronisées visuellement avec la partie rythmique
instrumentale. Nous rencontrons des indications d’interpolations entre les accords dans
l’électronique, et des représentations de variations rapides comme des ondulations à la
page 51 [Manoury 2006, 51].

207
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 141 : Partita I (2006), pour alto et électronique de P. Manoury [Manoury 2006, 51]

Presque à la fin (pages de 95 à 97), une notation graphique surgit dans la partie électronique.
Cependant, c’est une forme bien connue en « Computer Music » : une texture avec une
enveloppe d’amplitude mesurée en secondes (Figure 142). Nous restons quand même dans la
tradition !

Figure 142 : Partita I (2006), pour alto et électronique de P. Manoury [Manoury 2006, 95]

Pour Tensio (2010), pour quatuor à cordes et électronique, de Philippe Manoury, nous
pourrions simplement répéter les mêmes observations que nous avons déjà faites, en ajoutant
que l’intégration entre les représentations utilisées pour l’électronique et la partie
instrumentale augmente. De plus, le nombre des notations graphiques approximatives diminue
au profit des notations symboliques musicales. Dans cette œuvre en particulier, la partie
électronique est traitée et notée comme un ensemble (page 1 de la partition [Manoury 2010,
1], Figure 143).

208
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 143 : Tensio (2010) , pour quatuor à cordes et électronique de P. Manoury [Manoury 2010, 1]

Il existe très peu de notations ou de symboles exotiques, sauf, peut-être, les indications
concernant la spatialisation. Cependant, ils n’ont pas de fonctionnalité autre que la
signalisation du processus (page 7 [Manoury 2010, 7]), et les indications de paramètres de
processus, telles que la petite matrice page 31[Manoury 2010, 31], indiquent des retards et des
transpositions pour la partie électronique (Figure 144)

indications de retards et de transpositions


signalisation de la spatialisation pour les harmoniseurs
[Manoury 2010, 7] [Manoury 2010, 31],
Figure 144 : Tensio (2010) , pour quatuor à cordes et électronique de P. Manoury

Comme nous l’avons déjà remarqué ci-dessus, dans cette œuvre, nous avons l’impression que
le compositeur finit par utiliser la même notation pour le quatuor et pour l’électronique. À la
page 32, nous pouvons remarquer la même représentation de glissando d’harmoniques (p 32)
utilisée pour le premier violon, et reprise par l’électronique (Figure 145)

209
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 145 : Tensio (2010), pour quatuor à cordes et électronique de P. Manoury [Manoury 2010, 32]

Comme nous le remarquions, l’intérêt dans cette version de la partition, c'est le fait qu’elle
soit manuscrite : elle présente l’écriture et la notation utilisées par le compositeur lui-même,
même si celle-ci a dû être corrigée. Néanmoins, pour ce qui est du reste, nous déduisons qu'il
s'agit de la volonté du compositeur. De ce parcours (de Jupiter à Tensio), nous pouvons
inférer que le compositeur arrive à un degré d’exigence tel, qu'il pense l’électronique avec les
mêmes représentations que celles utilisées pour la musique instrumentale. Dans son parcours,
il prend l'option d’utiliser l’écriture musicale classique aussi bien pour les instruments
acoustiques que pour l’électronique.

Regardons, maintenant, comment un compositeur tel que François Bayle représente sa


musique. Pour rappel, François Bayle est un compositeur issu d’une tradition shaefferienne de
la musique acousmatique. La prescription de la partition ne lui est pas nécessaire. De ce fait,
nous nous baserons sur un certain nombre de transcriptions, a posteriori, que François Bayle a
réalisées de ses propres œuvres ([Bayle et al. 2009a], [Bayle et al. 2009c]). Dans [Bayle et
al. 2009c, 4-53], François Bayle nous propose onze acousmographies « envisagées dans des
styles différents » des onze premières sections de Tremblement de terre très doux (1978),
première pièce du triptyque Erosphère. Le Tableau 16 présente l’articulation de cette pièce
selon le compositeur222 avec les conventions suivantes : ∆ = Durées selon Bayle [Bayle et al.
2009a, 18], T = positions absolues des débuts de sections déduites à partir de ∆, T’ =
positions repérées dans le fichier audio223.

222
Nous avons repéré quelques petites différences concernant le début des sections par rapport aux durées
indiquées dans [Bayle et al. 2009a, 18]. Nous pensons qu’il s’agit plutôt une accumulation d’erreurs, vu que les
sections sont indiquées par le compositeur selon leurs durées et non leurs positions fixes. En plus, le compositeur
semble avoir travaillé avec des extraits de l’œuvre pour la réalisation de ses acousmographies comme
témoignent les images de [Bayle et al. 2009c, 4-53].
223
Le fichier audio utilisé pour ce repérage est « Tttdx.mov », inclus dans le DVD accompagnant
[Bayle et al. 2009a].
210
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Sections ∆ T T’ Description
[1] climat 1 1'39 0’00’’ 0'00’’ flux électronique, aurore
[2] transit 1 1'42 1’39’’ 1'39’’ image/mirage
[3] paysage 1 3'22 3’21’’ 3'20’’ roulement/grésillement/vent léger
flux et rythmes
[4] climat 2 4'13 6’43’’ 6'42’’
réguliers/irréguliers
[5] paysage 2 4'30 10’56’’ 10'58’’ boucles composées en diminution
[6] transit 2 1'14 15’16’’ 15'07’’ transposition
maximum des valeurs rapides et
[7] paysage 3 3'36 16’40’’ 16'43’’ lentes :
marcher/sauter/glisser/voler
flux et transposition – climat 1
[8] climat 3 2'06 20’16’’ 20'16’’
inversé
[9] paysage 4 1'39 22’22’’ 22'17’’ nappes et chocs
[10] climat 4 et
3'17 24’01’’ 24'05’’ flux et variations
transit 3
27’18
[11] paysage 4
0'54 "28’1 27'17’’ profondeur et couleurs de la nuit
suite et fin
2
Tableau 16 : Sections de Tremblement de terre très doux (1978), selon F. Bayle [Bayle et al. 2009a, 18]

Dans tous les extraits, la représentation temporelle, proportionnelle, se base sur l’échelle en
« heures, minutes et secondes » proposée par l’Acousmographe. En dépit de l’utilisation de
quelques notations musicales, comme des appogiatures, aucune métrique n’est utilisée.

Section [1] - climat 1


Utilisation d’annotations manuscrites monochromes, mélangées avec des formes colorées
faites apparemment avec des pastels. Ces annotations manuscrites consistent en divers types
de représentations : des représentations graphiques – formes graphiques – censées représenter
des morphologies sonores comme au début. Cette forme ne se referme pas et laisse échapper
un matériau qui continue à résonner. La Figure 146 présente, dans la partie du haut,
l’annotation de Bayle de cette morphologie. Elle consiste en une dilatation spectrale et
d’amplitude. Dans la partie du bas, les mêmes quatre premières secondes sont représentées
par une forme d’onde sonagraphique224.

224
Sonagramme réalisé avec Audiosculpt 3.1.9, fenêtre d’analyse = 2048 échantillons, fenêtre de FFT = 8192
échantillons (Oversampling de quatre fois), pas d’avancement = 256 échantillons, fenêtre d’analyse = Blackman.
211
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 146 : Tremblement de terre très doux (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 5] et analyse sonagraphique

Des formes graphiques linéaires guident l’écoute des « mélodies » spectrales, lesquelles sont
constituées de diverses couches de matériaux granulaires sur des fréquences déterminées
(Figure 147, partie du haut). Des indications textuelles et une utilisation ponctuelle de la
notation musicale classique, comme dans la Figure 148, où le compositeur indique une figure
composée d’une appogiature suivie d’une note répétée censée établir un pôle. Dans cette
dernière figure, la transcription et le sonagramme ne sont pas à la même échelle, bien que
représentant la même durée (de 0’20’’ à 0’25’’). Très ponctuellement, il utilise des indications
de crescendo (Figure 149), associées à d’autres représentations graphiques. Une autre
notation en forme de grand « S » (normal ou inversé), apparaît à 0’33’’. Il est censé rendre
compte des glissandi de composantes spectrales, notés à 01’17’’ comme « tresses et fusées »
(Figure 150).

212
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 147 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 6] et analyse sonagraphique, de 0’05’’ à 0’20’’

Figure 148 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 6] et analyse sonagraphique, de 0’20’’ à 0’25’’ (échelles
temporelles différentes)

213
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 149 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 7] de 01’08’’ à 01’17’’

Figure 150 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 7] de 01’17’’ à 01’27’’, « tresses et fusées »

À la fin de cette séquence (entre 01’08’’ et 01’40’’), dans le document « acousmo-DVD »,


page 7, de [Bayle et al. 2009a], François Bayle propose de représenter toute cette séquence
par une forme translucide bleue. Cette représentation est constituée de cinq répétitions
contractées horizontales, puis de la dite forme, puis d'une deuxième contraction variée de
cette même forme (Figure 151). Le compositeur exprime clairement la référence : « schéma
graphique et métaphore : fumée » [Bayle et al. 2009c, 7].

page 3 (schéma graphique et métaphore : fumée) © M AGISON 2009

[- 1] climat 1 1’39 flux électronique, aurore


Figure 151 : Tttd (1978), annotation [Bayle
7 et al. 2009c, 7] de 01’08’’ à 01’40’’

214
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Section [2] transit 1


François Bayle opte pour un autre type de représentation : de petites surfaces colorées créées
avec une technique de crayon pastel. Cette section commence avec trois formes jaunes
dégradées vers le rouge (pour indiquer des trois sons percussifs de portes avec loquet). Au
point marqué « ouverture/découverte », il inverse les couleurs pour indiquer que l’objet est
construit à partir du son du loquet précédant celui de la porte. Le compositeur continue à
utiliser des annotations textuelles pour indiquer les éléments des morphologies sonores,
comme l’augmentation de la tension par la forme jaune/grise (de +/- 01’27 – repère sur le
fichier audio). D’autres formes apparaissent également comme de petits nuages bleus (pour
les voix) et les formes symétriques noires pour les sons de billes (Figure 152).

Porte&+&loquet
Loquet+Porte

Figure 152 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 8] et sonagramme, deuxième section

Section [3] paysage 1


François Bayle continue avec des représentations de formes, inspirées de la technique du
pastel, pour dessiner des surfaces et des textures (première moitié de la Figure 153). On
aperçoit même des formes laissant entrevoir un déplacement latéral d’un crayon de pastel
(deuxième moitié de la Figure 153).

215
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 153 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 2009c, 11-12] troisième section (de 0’00’’ à 01’18’’, selon Bayle)

Section - [4] climat 2


Des formes (surfaces/textures) jaunes au pastel sont associées à des formes noires,
granulaires et filiformes (indicatives des répétitions de composantes spectrales). Utilisation de
la notation musicale pour représenter des groupes de petites notes, appogiatures, anticipations.
Plus loin (02’50, annotations Bayle, Figure 154), une figure rythmique rappelant des hampes
de croches se désagrège vers le « (chaos) » (à +/- 03’14, annotation Bayle).

Figure 154 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. page 1721]


2009c, ©M 2009
quatrième
AGISON
section (de 02’38’’ à 03’17’’, selon Bayle)

Section - [5] paysage 2


Changement de forme de représentation. Utilisation de formes linéaires (en turquoise)
rappelant une inflexion mélodique (entre +/- 400 et 800 Hz) et des formes globulaires
(rappelant des yeux) pour indiquer des rebondissements de billes. La direction de la forme
indique l’inversion ou non du son. Une autre forme verte, inflexion mélodique plus aiguë, est
utilisée (Figure 155).
[- 4] climat 2 4’13 flux et rythmes réguliers/irréguliers
21

216
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 155 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al.page 23 27]


2009c, ©M
cinquième
2009
AGISON
section (de 01’57’’ à 02’37’’, selon Bayle)

Section — [6] transit 2


Dans cette section, les rebondissements, représentés par les formes globulaires de la section
précédente, sont le point central. À la fin de cette section apparaissent de petites formes
filaires turquoise, et de petites tâches bordeaux (Figure 156).

[- 5] paysage 2 4’30 boucles composées en diminution


27

page
Figure 156 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al. 28 © M32] sixième
2009c, 2009
AGISON
section (de 0’40’’ à 01’18’’, selon Bayle)

Section - [7] paysage 3


François Bayle joue avec le symbolisme. Dans cette section, la représentation est fondée sur
l’utilisation de texte, de symboles zodiacaux (Poissons, Sagittaire, Cancer, Verseau et
Capricorne) et de petites formes géométriques triangulaires et circulaires (Figure 157). Étant
né le 27 avril 1932 (à Tamatave, Madagascar), François Bayle est du signe du Taureau.
Cependant, aucune représentation de ce signe n’est présente dans cette section, considérée
comme un autoportrait par le compositeur : « Tout ceci est “filmé” en direct : j’avais un
transit je
magnétophone sous le[- 6]bras, 2 tenais1’14 transposition
le micro, et le pas, c’est le mien. En fait, c’est un
32
autoportrait : la manière de quelqu’un de dévaler un escalier, c’est sa signature. On
reconnaît le caractère à la façon dont, pour gagner du temps, quelqu’un avale les marches »,
etc. » [Bayle et al. 2009b, 23].

217
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 157 : Tttd (1978), annotation [Bayle et al.page 31 ©35]


2009c, M
septième
2009
AGISON
section (de 1’16’’ à 01’53’’, selon Bayle)

Section — [8] climat 3


Les lignes deviennent des bandes colorées avec une texture de fond. Bayle reprend la
métaphore de la fumée [Bayle et al. 2009c, 40].

[- 7] paysage 3 3’36 maximum des valeurs rapides et lentes


35

page 37 © M 2009
Figure 158 : Tttd (1978), huitième section (de 01’19’’ à 01’57’’,
AGISON
selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 41]

Section — [9] paysage 4


Reprise de représentations déjà utilisées, les bandes, les flèches et les éléments globulaires,
plus des annotations textuelles.

[- 8] climat 3 2’06 flux et transposition – climat 1 inversé


41

page00’28’’
Figure 159 : Tttd (1978), neuvième section (de 40 © M à 00’56’’,
2009
AGISON
selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 44]

218

[- 9] paysage 4 1’39 nappes et chocs


La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Section — [10] climat 4 et transit 3


La nouveauté dans cette section consiste en une combinaison de représentations graphiques et
textuelles en plus d'images d’analyses sonagraphiques, réalisées par transformée de Fourier et
par ondelettes (Figure 160). Cet assemblage est présent dans les trois premières pages de
l’acousmographie de cette section [Bayle et al. 2009c, 47-49]. Ensuite, à partir de la page 50
(46e page de l’acousmographie [Bayle et al. 2009c, 50]), François Bayle ne garde que
l’analyse par ondelettes. Quant aux éléments graphiques, les nouveautés sont : un petit
symbole en forme d’escargot, des formes longues comme des bandes mais avec des couleurs
unies, des arcs de cercle avec fond coloré et des courbes de Béziers également avec fond
coloré.
[- 10]

Figure 160 : Tttd (1978),page 43 (formes


dixième symboliques
section et images
(de 00’00’’ à d’après ondelettes)
00’39’’, selon Bayle)
©M
[Bayle et al. 2009c, 47]
2009 AGISON

Section — [11] paysage 4 suite et fin


Dans cette dernière section, le compositeur n’utilise que deux éléments : les bandes et les
éléments globulaires avec des changements d’orientation de gauche à droite pour indiquer
l’inversion temporelle des sons (Figure 161).
[- 11]
[- 10] climat 4 et transit 3 3’17 flux et variations
47

page 48 (signes et formes) © M 2009


Figure 161 : Tttd (1978), onzième section (de 00’00’’ à 00’28’’, selon Bayle) [Bayle et al. 2009c, 52]
AGISON

Pour résumer, les types de représentations utilisées par François Bayle sont : des
représentations textuelles, des représentations graphiques utilisées comme des symboles
(c'est-à-dire avec un rapport arbitraire au phénomène sonore), des formes graphiques utilisées
comme guide d’écoute, censées représenter un élément de la perception sonore (comme les
différentes courbes et bandes). Nous constatons une attitude ludique dans la réalisation de
cette analyse a posteriori[- 11]
dont le compositeur 0’54
paysage 4, suite et fin
ne se cache pas : « toutefois l’oiseau moqueur
profondeur et couleurs de la nuit
qui habite un coin de ma conscience s’amuse beaucoup de ma curiosité d’analyste, m’incite à
52

219
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

la méfiance. Divisé, je lui résiste (j’écoute aussi le diable...) » [Bayle et al. 2009a, 20].

Comparons ces divers types de représentations utilisées par chaque compositeur. Il est clair
que nous avons deux attitudes différentes concernant la notation. Pour Philippe Manoury,
nous avons une notation prescriptive, destinée à guider le travail des interprètes (aussi bien
instrumentistes qu’informaticiens), et pour François Bayle, une notation descriptive destinée à
guider l’écoute de l’œuvre. Cependant, dans le cas de Manoury, nous pouvons objecter et
inférer que la notation de la partie électronique n’a également qu’une fonction descriptive.
Elles ne fait que guider les interprètes puisque la véritable prescription se trouve dans les « q-
listes », c'est-à-dire des listes de paramètres indiquant les réglages des différents traitements,
et dans les divers messages du programme informatique destiné à la réalisation de
l’électronique en temps réel. Pour donner un début de réponse à notre question ci-dessus
(quels types de représentations pour quel compositeur ?), il nous semble qu’un compositeur
comme Philippe Manoury, un compositeur de la « note », a besoin d’un environnement
présentant principalement une notation musicale symbolique. Une interface fondée sur
l’écriture symbolique musicale. Tandis que François Bayle, bien au contraire, se satisfait de
représentations beaucoup plus simples, ou alors d'aucune représentation. Son attitude face aux
représentations nous pousse à penser que, pour lui, elles ne sont que des pis-aller dans sa
relation au monde sonore. Dans ses expériences, le compositeur semble se satisfaire d’une
représentation graphique, symbolique et géométrique. L’impression générale est que le
compositeur n’est pas attaché à une forme donnée de représentation, sauf peut-être à la
représentation textuelle. Nous pouvons conclure que Philippe Manoury développe un solfège
musical très sophistiqué, tandis que François Bayle, court-circuite ce même solfège, n’ayant
foi qu’en son oreille. Cela n’est pas un jugement de valeur, mais seulement un début
d’analyse de l’utilisation des représentations par ces deux compositeurs.

Ruth S. Day [Day 1988, 261–305] montre que, dans le cas particulier de la réalisation d’une
action journalière, chaque sujet utilise la représentation avec laquelle il s’adapte le mieux, et
que l’utilisation de chaque forme de représentation comporte des conséquences cognitives sur
la perception, la mémoire, la compréhension et l’action. La manière dont un compositeur
considère l’espace musical induit la représentation la plus adaptée à son utilisation. Il en va de
même pour la musicologie, les musicologues et l’analyse musicale. Une analyse est une
interprétation, un point de vue, une pensée soutenue par des représentations internes, concepts
en tout genre. De même, si nous devions proposer des environnements d’aide à l’analyse
musicale, que proposerions-nous à un musicologue comme David Lewin ou François
Delalande ? Il suffit de regarder comment chacun d'entre-eux représente et conduit ses
propres analyses.

Pour Lewin, il suffit d’étudier les descriptions qu’il propose des œuvres avant l’analyse. Dans
sa désormais classique analyse du Klavierstuck III de Stockhausen [Lewin 2007, 16-67],
David Lewin développe une analyse fondée sur un réseau de transformations qui, selon lui,
organise et met en relation tous les accords de cinq notes de la forme 0, 1, 2, 3, 6 225. Pour
commencer, il retranscrit la partition en utilisant des classes de hauteurs, avec « t » pour 10 et
« e » pour 11. « 9e28t » est la retranscription de « la, si, ré, lab, sib », les petites barres
verticales les mesures, et les hauteurs entre parenthèses des notes jouées simultanément. La
Figure 162 présente cette retranscription. La description ne s’effectue que sur les hauteurs,

225
Cette analyse de David Lewin est une mise en perspective, une critique à l’analyse de la même pièce par
Jonathan Harvey en 1975 : Harvey, Jonathan, The Music of Stockhausen. Berkeley: University of California
Press, 1975.
220
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

avec une notation symbolique en « classes de hauteurs », sans prendre en compte d’autres
paramètres.

Figure 162 : Retranscription du Klavierstuck III de Stockhausen par David Lewin [Lewin 2007, 19]

Les différentes couches horizontales représentent les diverses formes de l’accord de cinq
notes de la forme 0, 1, 2, 3, 6 . Le reste de l’analyse est construit sur des représentations
symboliques et sur la manipulation d’expressions algébriques – dans la tradition de la « set
theory » américaine – pour arriver à la représentation finale où chaque forme d'un accord est
considérée comme un état (Figure 163), et l’évolution de la pièce comme le parcours d’un
système.

[Lewin 2007, 32]


[Lewin 2007, 34]
Figure 163 : Réseaux de transformation de l’accord de cinq notes selon David Lewin

Quant à François Delalande, la Figure 164 nous présente l’image de 4’19’’ de la « partition
221
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

animée » du 4e mouvement (objets liés) des Études aux Objets (1959) de Pierre Schaeffer,
film réalisé par Jacques Vidal et François Delalande. Comme cela est noté sur la page
internet226, cette partition animée, réalisée « image par image au banc-titre », est l’ancêtre de
l’Acousmographe. La transcription réalisée par François Delalande repose sur une
représentation graphique exprimant le son comme des objets isolés, des morphologies
sonores, au sens schaefferien du terme. Les formes représentent des variations d’amplitude,
de contenu spectral ou des oscillations rythmiques.

Pour David Lewin, l’outil que l’on pourrait lui proposer devrait permettre la manipulation
symbolique, numérique et l’affichage de graphes. Pour François Delalande, par le caractère
abstrait et la qualité manuelle proche du dessin, pour construire des formes fluides, cet outil
devrait permettre à l’utilisateur de dessiner ses propres formes. Il n’est pas étonnant que
l’outil développé par la suite au GRM soit l’Acousmographe. Il consiste en effet en un outil
proposant des couches de dessins sur un sonagramme.

début de la pièce (2’32’’ à 2’34’’) 2’41 à 2’51

2’51’’ à 3’04’’ 3’06’’ à 3’19’’

(4’11’’ à 4’19’’)
Figure 164 : Partition animée de l'Étude aux Objets, film de Jaques Vidal et François Delalande, divers extraits

!
226
http://www.ina.fr/fresques/artsonores/fiche-media/InaGrm00206/partition-animee-de-l-etude-aux-objets.html
(25/09/2013).
222
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.7.3 Les!caractéristiques!de!la!représentation!
En fonction du but et de l’interlocuteur, des formes de représentation se montrent plus
appropriées ou plus efficaces que d’autres. Cependant, les caractéristiques des représentations
doivent également être prises en compte. Connaître les propriétés des représentations nous
permet de les utiliser pour ce qu’elles sont, avec leurs qualités et leurs défauts, en évitant des
détournements non souhaités.

Un exemple bien connu, celui de la représentation de nombres adaptés au contexte. Les


comptables du Moyen Âge préféraient les chiffres romains, non par esprit conservateur, mais
plutôt parce que certains chiffres arabes sont simples à modifier. Avec un peu d’habileté, le
« 3 » peut se transformer en « 8 », et vice-versa. Des opérations telles que 33 + 33 = 66,
pourraient être transformées en 88 + 88 = 176. Cela était beaucoup plus délicat avec les
chiffres romains, il aurait fallu transformer XXXIII + XXXIII = LXVI en LXXXVIII +
LXXXVIII = CLXXVI [Degos 2010, 7-9]227. D’un autre point de vue, l’utilisation des chiffres
arabes permet d’élaborer des algorithmes pour les quatre opérateurs de base de manière bien
plus aisée qu’avec les chiffres romains.

Dans un cadre plus général, Zhang et Norman [Zhang, Norman 1995] ont exploré l’effet
cognitif dans un ensemble de tâches impliquant différents systèmes numériques (arabe,
égyptien et grec). Si en général le système avec les chiffres arabes est le meilleur pour le
calcul, il n’est pas le plus efficace pour toutes les utilisations. Par exemple, le boulier est
nettement plus efficace pour l’addition et la soustraction, que les chiffres arabes, [Zhang,
Norman 1995, 293]. Les systèmes de représentation de nombres, ou de quantités, en une
dimension (1D) comme les cailloux, sont eux plus efficaces pour des tâches de comparaison
de petites quantités, que d’autres systèmes comme celui des chiffres arabes. Pour de « grands
nombres », nous aurions besoin de représentations ayant plus d’une dimension, c'est-à-dire
des représentations numériques avec une dimension de base et une dimension de puissance
comme le propose le système numérique des chiffres arabes : une base de dix chiffres (de
« 0 » zéro à « 9 » neuf) et une dimension de puissance désignée par la position des chiffres
dans le nombre [Zhang, Norman 1995, 274].

Dans le cadre musicologique, et/ou de la composition assistée par ordinateur, nous observons
la même dépendance entre l’efficacité de la tâche à accomplir et la forme de la représentation
choisie. Pour donner un exemple, de plus en plus nous constatons l’utilisation en musicologie
de méthodologies scientifiques avec une présentation de données sous forme graphique.
Cependant, beaucoup de jeunes musicologues ne font pas toujours le bon choix de
représentation pour exposer leurs données en fonction de leurs objectifs. Voyons, par
exemple, l’utilisation de trois types de représentations de données : l’histogramme, la
représentation circulaire et les courbes. Quand utiliser l’une ou l’autre ? Prenons comme
exemple les « profils de tonalité » proposés par Carol Krumhansl [Krumhansl 1990, 31],
Figure 165.

227
Pourtant, l’auteur ne décrit pas comment le « 6 » était falsifié et converti en « 7 ».
223
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches
Ouantifvine tonal hierarchies and kev distances 11

Figure
Fig. 2.3. 165
Probe: Profils de tonalité,
tone ratings [Krumhansl
from the study 1990,
by Krumhansl andFig. 2.3, (1982)
Kessler 31]
shown with reference to a C major key (top) and a C minor key (bottom). The
data were produced by experienced musicians following contexts that were tonic
triads and chord cadences. Copyright 1982 by the American Psychological As-
Les profils de tonalitésociation.
ont étéAdapted
initiés dans leofcadre
by permission d’une étude sur la perception
the publisher. des structures
tonales par Krumhansl et Kessler [Krumhansl, Kessler 1982]. Ces profils montrent le poids
perceptif de chaque hauteur (réduite à l’octave) dans un contexte tonal, déduit avec la
méthode de la « note sondemeasure
A derived » ([Krumhansl 1990, 16-49], [Hoch 2010, 17]). Avec cette
of interkey distance
méthode, les participants à l’expérience
This section considers whether doivent juger du
the experimentally degrétonal
measured dehier-
concordance entre une
« note sonde » et un contexte tonal
archies can be used toprésenté par unofaccord,
produce a measure une cadence
interkey distance. The issue ou une gamme. Ces
of interkey distance arises in music-theoretical descriptions of traditional
données peuvent aussiWestern
être représentées par because
tonal-harmonic music deux listes, ou deux vecteurs
of the compositional practice of :
6.35, 2.23, 3.48, 2.33, 4.38, 4.09,
modulating, 2.52, 5.19,
or changing, between2.39, 3.66,
keys. A 2.29,
musical 2.88 is typi-
composition correspond aux poids
cally written in one main or "home" key, but modulations between keys
pour l’échelle deare frequently
do majeur, dea composition
found. That is, do àmovessifrom(de the maingauche
key to à droite), et
6.33, 2.68, 3.52, 5.38, 2.6, 3.53, 2.54, 4.75, 3.98, 2.69, 3.34, 3.17 correspond aux poids pour
l’échelle de do mineur, de do à si (aussi de gauche à droite).
Dans la Figure 166 nous présentons ces valeurs avec trois représentations différentes :
l’histogramme, la représentation circulaire et la courbe. La troisième colonne présente des
propositions pour la comparaison entre les données, lesquelles décrivent le profil pour la
tonalité majeure et la tonalité mineure.

Il est aisé de constater que chaque représentation met en avant un point de vue.
Les histogrammes favorisent la comparaison des valeurs entre les composantes. Nous
pouvons conclure que dans le profil de do majeur le poids de la note sol (classe de hauteurs 7)
est à peu près le double du poids de la note fa# ou de la note mib, tandis qu’en do mineur, le
poids de la note mib dépasse celui de la note sol.

La représentation circulaire permet d’évaluer le rapport de chaque élément avec le tout. Nous
remarquons que pour do majeur, quatre notes semblent être les plus importantes (avec le plus
grand poids relatif aux autres) : do, mi, fa et sol. La différence entre mi et fa est plus simple à
percevoir dans la représentation en histogramme.

224
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Profil de do majeur Profil de do mineur Comparaison


H
i
s
t
o
g
r
a
m
m
e
C
i
r
c
La supperposition des
u
représentations est
l
visuellement confuse, …228
a
i
r
e
C
o
u
r
b
e
229
Figure 166 : Trois représentations, histogrammes, circulaire et courbes

La représentation avec des courbes induit une perception de continuité entre les données, ce
qui dans notre cas, nous semble inappropriée. Dans le cadre des profils de tonalité, le
paramètre déduit des expériences est une répartition statique de poids. Le rapport de poids
entre chaque classe de hauteurs est une mesure statistique globale ; il n’existe pas de
mouvement, ni de trajectoire amenant d’une classe de hauteurs à une autre. Cependant, Carol
Krumhansl utilise par la suite des mesures de corrélation en tant que mesures de distance
entre un histogramme et son modèle. Pour rappel, la mesure de corrélation est fréquemment
utilisée avec des courbes, raison pour laquelle Carol Krumhansl les représente ainsi
[Krumhansl 1990, 35-40].

228
Si, c’est tout de même possible, cependant, le résultat est illisible.
229
Il est intéressant de remarquer que nous présentons les résultats en utilisant un tableau, ou matrice. Le fait
qu’une case reste libre nous indique rapidement l’impossibilité de la tâche.
225
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 167 : Présentation des profils de tonalité de Krumhansl et Kessler par David Temperley

David Temperley, quant à lui, représente les mêmes données [Temperley 2001, 174]230 par un
histogramme étant donné que, dans son analyse, il met l’accent sur la proportion entre les
poids des différentes classes de hauteurs pour étudier leur influence au sein de la tonalité.
Cette étude l’amène à proposer des corrections dans les poids pour améliorer la performance
de l’algorithme de recherche de tonalité [Temperley 2001, 176-187].
En ce qui concerne la comparaison entre les données, il nous semble, à nouveau, que
l’histogramme soit le plus approprié, puisqu'il permet de comparer deux à deux les différents
éléments. La courbe, même si elle permet de comparer les profils en tant que formes, par le
masquage qu’une courbe porte sur l’autre et par l’illusion de continuité, ne permet pas de
comparer facilement terme à terme. Dans le cas de la représentation circulaire (le
« camembert »), elle est totalement inefficace pour des comparaisons de ce type. Pour une
discussion plus développée sur l’utilisation des différentes représentations pour des données
numériques, nous suggérons le travail très pragmatique de Stephen M. Kosslyn
[Kosslyn 2006].

Ainsi, la forme que nous choisirons pour représenter des données ou un phénomène est
importante, car elle favorise certaines actions au détriment d’autres. En plus, dans le cas de la
résolution de problèmes, de recherche d’informations ou d’inférence de structures, certaines
formes de représentation sont capables d’expliciter l’information en nous indiquant même des
parties non résolues du problème. Par exemple, le tableau dont nous avons déjà discuté les
propriétés, ci-dessus [Cox 1999, 348]. L’utilisation de la tablature et de la notation musicale
classique en est un court exemple. Tandis que la notation musicale classique permet une
vision plus globale et synthétique, du point de vue graphique, de la structure sonore, sans
donner de précisions physiques directes sur l’action, la tablature a l’avantage d’indiquer
rapidement les actions pour l’exécution. En revanche, elle utilise une représentation plus
chargée graphiquement.

230
David Temperley se réfère à un article antérieur, à [Krumhansl 1990] : Krumhansl, C. L., E. J. Kessler,
« Tracing the dynamic changes in perceived tonal organization in a spatial representation of musical keys »,
Psychological Review num. 89, 1982, p. 334-68.
226
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

2.7.3.1 Les représentations graphiques et textuelles


En informatique musicale, ou plutôt en musique informatique, deux types de
représentations s’affrontent : les représentations graphiques et les représentations textuelles.
De manière générale, il est accepté que les représentations linguistiques, textuelles,
demandent un effort accru de recherche, de compréhension et d’inférence que les
représentations graphiques ([Cox 1999, 348-349], [Green, Petre 1992]). Par son caractère
ludique et son isomorphie structurelle, entre processus, algorithme et flots de données réifiés
par des diagrammes de blocs, la programmation graphique, dans le cadre de l’informatique
musicale, est utilisée en général comme une introduction à l’étude des algorithmes et des
environnements de programmation pour une modélisation pragmatique des phénomènes. De
par son caractère spatial, il est aisé, d’un coup d’œil, de repérer les différentes parties du
programme et, en conséquence, de comprendre plus facilement l’organisation et le processus
représenté. Cette propriété est nommée par Green et Petre [Green, Petre 1996, 162], la
dimension de « visibilité et de juxtaposition », laquelle permet d’accéder à n’importe quelle
partie du patch – la représentation diagrammatique – avec un minimum d’effort cognitif.
Cependant, les mêmes auteurs pointent les problèmes liés à la programmation graphique,
comme le « Visual spaghetti » [Green, Petre 1996, 156] : la multiplicité des connections finit
par cacher des parties du programme, le rendant très peu lisible. Comme nous l’avons déjà
remarqué, tout dépend aussi du but. Dans le cadre de la résolution de problèmes ou de
l’inférence de structures, l’utilisation de représentations graphiques et de diagrammes incite à
un raisonnement inductif [Cox 1999, 349]. Cela signifie que des représentations
diagrammatiques comparées à des représentations syntaxiques contraignent l’univers des
possibilités par l’induction du raisonnement, facilitant l’inférence, facilitant également
l’enseignement et par conséquent l’apprentissage. En revanche, des représentations
linguistiques ou symboliques laisseraient l’ensemble des possibilités trop ouvert, augmentant
la charge de travail pour l’esprit (les représentations textuelles demandent un effort cognitif
accru par rapport aux représentations graphiques), mais permettent une plus grande
expressivité dans la description ou dans la modélisation de phénomènes. Pour illustrer ces
différences, considérons quelques représentations textuelles et graphiques.

2.7.3.2 La représentation diagrammatique – le cas du « patch »


Le patch, comme nous l’avons déjà vu (2.2.3.1), consiste en une tablature
électronique, représentée sous forme diagrammatique, formalisée par des diagrammes à états,
des graphes, des arbres et des automates. Pour rappel, la représentation diagrammatique
implique une vision procédurale du phénomène représenté. La représentation des processus
par l’intermédiaire du patch implique des idées d'états, de phases, d’un temps logique
(antécédent/conséquent) ou physique et d’un circuit parcouru par l’information ou les
données. La lecture et l’interprétation de ce même patch impliquent aussi une identification
claire des données et des procédures (des niveaux d’abstraction les plus bas aux procédures
terminales), des états, phases ou étapes, et finalement de l’identification univoque du chemin
parcouru par les données et leurs coordinations. Le patch est l’ultime élément d’une chaîne de
conception et de développement s’articulant en trois phases : la conception du processus et de
l’algorithme, le choix de l’environnement le plus approprié, et finalement l’implémentation de
l’algorithme dans l’environnement choisi.

Durant la phase d’implémentation, nous essayons de trouver la manière la plus efficace, la


plus optimale, pour la mise en œuvre de l’algorithme choisi. Des caractéristiques de
l’environnement sont utilisées pour maximiser les performances, très vraisemblablement des
227
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

compromis sont faits, etc. Cela implique que le patch n'est pas le seul élément important pour
inférer l’algorithme implémenté. Les réglages des différents paramètres de contrôle, aussi
bien que les paramètres internes de l’environnement doivent être connus. Ces points ont
comme conséquence que des connaissances et des processus sont masqués par
l’implémentation et rendent la lecture, l’interprétation et la compréhension d’un patch souvent
difficile et laborieuse. Deux exemples illustrent ces affirmations. Voyons en premier une
implémentation du modèle de Karplus-Strong pour la synthèse de sons de cordes pincées à
partir de l’article séminal de 1983 : « Digital Synthesis of Plucked-String and Drum
Timbres » [Karplus, Strong 1983].
Dans cet article un diagramme de l’algorithme est proposé (Figure 168). Cependant, il ne
contient pas encore toutes les informations pour son implémentation.

Figure 168 : Diagramme de l’algorithme de Karlus-Strong [Karplus, Strong 1983, 45]

Si le diagramme montre un circuit fermé – un processus récursif produisant une amplitude


décroissante –, il ne montre pas comment l’initialiser, ni quelles sont les « bonnes valeurs »,
ni les données appropriées. Nous devrions compléter l’information avec un texte : « les
conditions initiales de la relation de récurrence déterminent complètement le timbre qui en
résulte. Normalement, une sinusoïde, une onde triangulaire, carrée ou une autre forme d’onde
simple est calculée et chargée dans la table d'onde avant que la note ne soit jouée. »231
[Karplus, Strong 1983, 44]. Maintenant, passons à son implémentation dans un
environnement de programmation graphique comme Max.

231
« The initial conditions of the recurrence relation completely determine the resulting timbre. Normally, a sine
wave, triangle wave, squarewave, or other simple waveform is calculated and loaded into the wavetable before
the note is played. »
228
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 169 : « Implémentation » de l’algorithme de Karplus-Strong dans l’environnement Max

La Figure 169 présente une implémentation assez simple. Néanmoins, il est aisé de constater
qu’il n’est pas facile d’isoler rapidement le noyau (Figure 170) de l’algorithme, ni les
procédures de contrôle, ni les données d’initialisation. Ce patch est constitué de trois grandes
sections. La partie de contrôle, le noyau de l’algorithme et la partie de sortie du signal. Il ne
faut pas non plus oublier que le résultat sonore, en plus de dépendre de certaines valeurs
(fréquence de coupure du filtre, facteur de rétroaction, facteur d’amplitude pour l’impulsion,
enveloppe d’amplitude de l’impulsion et le signal utilisé pour l’impulsion), dépend aussi de
certaines valeurs liées à la conception de l’environnement, comme par exemple la taille du
vecteur de signal utilisée, laquelle détermine le registre de synthèse possible.

229
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 170 : Noyau de l’algorithme

Commençons par la deuxième partie, le noyau (Figure 170). Des choix d’implémentations ont
été faits. Le module « z-delay+average » (Figure 168) a été substitué par un filtre passe-bas.
Le module de retard (z-p) a été implémenté avec l’ensemble de modules Max <tapin~>, pour
écrire le signal dans une ligne à retard, et <tapout~>, pour lire le signal à un certain endroit de
cette même ligne à retard. Les paramètres de rétroaction et de fréquence de coupure sont
réglés manuellement.
Pour la partie de contrôle, elle se compose d’un module de conversion des données liées à une
interprétation musicale (notes MIDI), et synchronise l’envoi de ces mêmes données. Pour
abréger, si le noyau comporte sept objets (en incluant les boîtes numériques pour le contrôle),
la partie de contrôle et de sortie audio comporte non moins de seize objets. Certes, le seul
nombre d’objets graphiques utilisés dans la programmation n’est pas un indicateur fiable de la
complexité de la programmation. Il est aussi important de prendre en compte la disposition
spatiale utilisée, tout comme les divers arrangements, encapsulations et les documentations
fournies par le programmeur. Néanmoins, cette donnée (le nombre d’objets) permet d’avoir
une idée de la difficulté pour identifier visuellement le noyau de l’algorithme à la lecture du
programme graphique.

Comme deuxième exemple, voyons l’implémentation du calcul de l’amplitude « rms » (root


mean square), ou amplitude quadratique moyenne !!"# ! ! , d’une fenêtre d’un signal
numérique!! ! , commençant à l’échantillon M et ayant N échantillons, défini comme la
racine carrée de la puissance moyenne [Puckette 2007, 3] (Équation 1).

!!!!!
1 !
!!"# ! ! = !! , ! = !, … , ! + ! − 1
!
!!!
Équation 1 : Expression de l’amplitude quadratique moyenne d’un signal numérique [Puckette 2007, 3]

L'implémentation de l'abstraction <rms1~> de la librairie « Jimmies »232 peut être désormais


considérée comme historique. La Figure 171 présente le patch d’aide, et la Figure 172
l’abstraction, c'est-à-dire l’encapsulation du programme graphique, de <rms1~>.

232
Les « Jimmies » sont un ensemble de fonctionnalités implémentées dans l’environnement FTS en 1994, et
utilisées jusqu’à aujourd’hui dans l’environnement Max. Les Jimmies furent implémentés par Zack Settel, avec
plusieurs collaborations, dont Miller Puckette, Jean-Marc Jot, Cort Lippe et Richard Dudas. « FTS » était la
station de travail temps réel de l’Ircam dans les années 1990 [Puckette 1991].
230
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 171 : Patch d’aide de l’objet <rms1~>

Figure 172 : Abstraction <rms1~>

Cette implémentation en plus d'être classique et historique a été réalisée par des acteurs ayant
à la fois une connaissance approfondie de l’environnement de l’époque et une grande pratique
de la programmation graphique. Il est important de noter que certaines solutions notamment
dans les cas des Jimmies sont aujourd'hui datées et témoignent d’un anachronisme
technologique, vu qu’elles s’adressaient spécifiquement à la plate-forme FTS [Puckette 1991],
obsolète de nos jours. Cependant, elle montre bien la problématique d’inférer et d’isoler des
connaissances à partir d’un patch ou d'un programmes graphiques, vingt ans après.

Dans le cas qui nous intéresse, le calcul de l’amplitude « rms » est réalisé dans le cadre de la
captation de paramètres en temps réel, avec, par conséquent, un grand souci d’efficacité et
d’optimisation des processus. Si nous nous référons à l’Équation 1 et à la Figure 172, nous ne

231
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

trouvons pas de trace de la somme des échantillons. Cela est un premier point. Dans le cadre
de cette plate-forme FTS, et actuellement de Max, le signal parcourant les connexions n’est
pas transmis, échantillon à échantillon, mais par paquets, c'est-à-dire des vecteurs
d’échantillon de taille variable et réglable. L’abstraction <rms1~> contient un premier objet
<*~>, ayant la fonction d’élever au carré le signal venant par l’entrée [1], en multipliant le
vecteur par lui-même. Ce signal passe, ensuite par un filtre passe-bas (<lpass1~>, également
une abstraction), qui ne fait pas partie du calcul original. C'est une solution technologique
permettant de réduire les variations trop rapides de l’amplitude en lissant le signal. Il sera par
la suite échantillonné, converti en données de contrôle par l’objet <snapshot~>, pour calculer
ensuite la racine carrée. Cette solution lisse le signal et estime la somme en même temps.

Avant le calcul de la racine carrée, le signal est sous-échantillonné, vraisemblablement à


100 Hz (ce qui est conforme au temps de 10 millisecondes affiché par l’objet <metro> à
l’extérieur de l’abstraction). Le calcul de la racine carrée – après le lissage et la conversion –
semble aussi être optimisé puisqu'il s'effectue sur des données de contrôle et non sur des
données « signal », lesquelles sont d'ailleurs échantillonnées à 32000 ou 44100 Hz. Le calcul
de la moyenne n’est pas réalisé directement non plus. Le lissage tient compte de moyenne. Ne
serait-ce que visuellement, dans cette abstraction, il n’y a que deux objets (<*~> et
<expr sqrt($f1)>) directement en rapport avec l’algorithme de calcul. Les onze autres (les
trois entrées – [1], [2] et [3] –, <lpass1~>, <snapshot~>, <loadbang>, <> 0.>, <sel 0 1> et
trois boîtes de message) sont en rapport avec l’implémentation. Problème supplémentaire ! Le
module <lpass1~> est lui-même une abstraction (voir Figure 173) contenant un deuxième
niveau d’abstraction : le module <hz->radians>, lequel est responsable de la conversion des
valeurs en Hertz en radians en fonction du taux d’échantillonnage du système (donné par
l’objet <dspstate~>).

Figure 173 : Les deux niveaux d’abstraction de <lpass1~>

À la sortie de l’abstraction <rms1~>, sur le patch d’aide (Figure 171), nous rencontrons une
multiplication par 500. Cela sert sans doute à remettre à l’échelle la fonction, et la visualiser
ainsi sur un élément graphique d’interface comme un <slider>, c'est-à-dire un potentiomètre à
glissière. Et ainsi de suite. Notons que les auteurs, dans un souci d’information, ont
documenté le patch et les abstractions par l’ajout de références textuelles qui indiquent soit la
fonction des objets (comme le texte « bang for current rms values »), soit l’algorithme de
calcul (comme les formules qui se trouvent dans les abstractions <lpass1~> et
232
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

<hz"radians>).

Le patch réduit l’effort cognitif dans la phase de codage et de programmation.et se montre


utile pour la programmation et pour la conception de processus rendant plus simples les
tâches. Par ses caractéristiques graphiques, il permet la coordination de tous les processus
impliqués et la réification du concept d’algorithme. Ceci facilite la compréhension du
programmeur [Assayag, Agon 2004, 237], principalement dans la phase de conception.
Cependant, la programmation graphique se montre difficile et complexe à comprendre, à
interpréter et elle est inappropriée pour la préservation et la pérennisation des connaissances et
de savoirs. Comme nous l’avons remarqué, l’algorithme lui-même se trouve entremêlé dans
les différentes couches du patch vouées au contrôle, à l’implémentation et à l’optimisation de
l’algorithme, dans le but de l’adapter aux contraintes du calcul en temps réel.
La représentation graphique perd en expressivité – notamment du fait qu’elle nécessite d’un
effort accru à l’interprétation et au décodage – ce qu'elle gagne en compréhension en réifiant
et en représentant des concepts abstraits.

2.7.3.3 Les UST – Unités sémiotiques temporelles


La théorie des UST, les Unités sémiotiques temporelles, en plus de son intérêt
musicologique, revêt, à notre avis, une importance particulière du point de vue de la
représentation des idées musicales. Proposées par des membres du Laboratoire Musique et
Informatique de Marseille, les UST sont des outils analytiques, pédagogiques et créatifs
fondés sur la cinétique et sur la dynamique de la morphologie sonore. Ils prolongent ainsi la
typo-morphologie shaefferienne (voir [Delalande, Formosa 1996] et [Rix, Formosa 2008]).
Les UST se présentent comme des « classes d’équivalence » morpho-sémantiques qui « …
même hors de leur contexte musical, possèdent une signification temporelle due à leur
organisation » [Favory 2007, 51-52]. Ceci constitue leur particularité.

Comment se présente cette théorie, ce modèle analytique ? Les UST sont définies grâce à des
concepts énoncés en langage naturel. Ce sont des ensembles, analogies ou métaphores,
représentations générales et abstraites de classes d’objets (ou de phénomènes) ayant des
propriétés communes. Comme le remarque Xavier Hautbois, quatre caractéristiques
morphologiques ont été utilisées pour leur description : la durée, la réitération, le nombre de
phases et la continuité de la matière sonore. A ces quatre morphologies s’ajoutent deux
caractéristiques cinétiques : la vitesse du déroulement temporel et le type d’accélération. Le
tout est complété par des caractéristiques sémantiques : le mouvement, la direction ou
l’énergie [Hautbois 2010, ch. 2]. Nous rencontrons aussi des caractéristiques dynamiques
telles que l’intensité, la masse ou la structure de la matière sonore. Les UST sont actuellement
au nombre de dix-neuf, partagées en deux groupes233 :

1) Pour les UST non-délimitées dans le temps, « le phénomène sonore doit avoir une
durée telle qu'il puisse être perçu comme un processus et non comme un moment
éphémère. Toutes les UST non-délimitées dans le temps ont une seule phase ». Dans
ce premier groupe nous avons En flottement, En suspension, Lourdeur, Obsessionnel,
Par vagues, Qui avance, Qui tourne, Qui veut démarrer, Sans direction par
divergence d'information, Sans direction par excès d'information, Stationnaire et
Trajectoire inexorable.

233
http://www.labo-mim.org/site/index.php?2008/08/22/44-liste-des-19-ust (19/09/2013).
233
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

2) Les UST délimitées dans le temps correspondent « … à une configuration sonore dont
le début et la fin sont précisément marqués dans le temps. Sa durée ne doit pas excéder
quelques secondes de façon à être intégrée perceptivement comme une forme. Toutes
– à l’exception d’une seule : “ Contracté-étendu ” – (…) ont une continuité de matière
entre leurs différentes phases (lorsqu’elles en comportent plusieurs) ». Dans ce
deuxième groupe nous trouverons Chute, Contracté-étendu, Elan, Etirement,
Freinage, Suspension-interrogation et Sur l'erre.

Chacune des UST est alors présentée par une fiche descriptive constituée de trois items :
« description morphologique globale », « description sémantique » et « autres caractéristiques
pertinentes nécessaires ». Sur le site du MIM, « Laboratoire Musique et Informatique de
Marseille », nous trouvons ces fiches avec des exemples musicaux à l’appui234. Par exemple,
dans la Figure 174 nous pouvons apprécier la description de l’UST « obsessionnel ».

235
Figure 174 : Fiche descriptive de l’UST « Obsessionnel » sur le site du MIM

Le point marquant dans la présentation des UST par les fiches descriptives, c’est – à
l'exception de « Contracté-étendu » et de « Elan » – l'absence de formes de représentations ou
de descriptions autres qu'en langage naturel. Les deux graphismes de « Contracté-étendu » et
de « Elan » sont ajoutés a posteriori. Nous les rencontrons dans la littérature des
représentations graphiques et formelles des UST, cependant ce sont des interprétations et des
formalisations ultérieures (voir [Rix, Formosa 2008] et la proposition UST et graphisme236 de
Julie Rousset).

Revenons aux descriptions. La première impression après la lecture des fiches descriptives,
c'est d’avoir une modélisation extrêmement floue. Par exemple, l’UST « Trajectoire

234
http://www.labo-mim.org/site/index.php?2008/08/11/24-les-ust.
235
http://www.labo-mim.org/site/index.php?2008/08/22/36-obsessionnel (20/09/2013).
236
http://www.labo-mim.org/site/index.php?2008/09/11/81-ust-et-graphisme (18/09/2013). Cette proposition est
fondée sur la classification des UST élaborée par Xavier Hautbois apparue en 2010 [Hautbois 2010, ch. 2-ch.3].
234
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

inexorable »237, propose comme description sémantique, « Trajectoire qui donne l’impression
de pouvoir se prolonger indéfiniment », et comme description morphologique, « Unité dans
laquelle on entend une trajectoire réalisée par une ou plusieurs variables et donnant
l’impression d’une énergie constamment renouvelée » ! L’expression « donne l’impression »
rajoute de la généralité et participe à l’incertitude à la description. Il est aisé de parcourir
toutes les autres fiches et de garder la même impression de manque de précision, de flou.

Les concepts liés à un langage naturel possèdent donc des contours flous
[Meyer 2007, 225]

Cependant, ce que nous percevons comme une faiblesse, un manque, une imperfection, une
déficience ou une imprécision constitue la force même de cette forme de représentation.

Si nous revenons à l'un des principaux objectifs de ce modèle analytique, nous trouvons que
les UST ont été développées pour proposer des éléments analytiques suffisamment génériques
pour être utilisés dans un cadre analytique où l’écoute aurait la possibilité de segmenter le
discours musical à plusieurs échelles temporelles [Hautbois 2010, ch. 1, ch. 2]. Les éléments
génériques constituent le point central : ils prennent en compte une multiplicité de
significations, ou permettent à la même signification d'atteindre des structures d’échelles
temporelles différentes. Les UST proposent également de prendre en compte une partie de la
sémantique musicale, le tout étant contraint par le focus perceptif de l’auditeur. L’imprécision
apparente des définitions permet en fait un plus grand registre d’application, donc une
généralisation.

Comme nous l’avons vu ci-dessus (voir 2.7.3.1), les représentations graphiques, et/ou
diagrammatiques « comparées à des représentations syntaxiques, contraignent l’univers des
possibilités par l’induction du raisonnement, facilitant l’inférence ». En revanche, des
représentations linguistiques ou symboliques laissent le champ des possibilités ouvert. Même
si, comme le disent certains auteurs, les représentations symboliques augmentent la charge de
travail pour l’esprit, elles permettent, en revanche, une plus grande expressivité dans la
description ou dans la modélisation de phénomènes. Cox [Cox 1999, 350] présente les
recherches de Stenning et Oberlander [Stenning, Oberlander 1995], qui étudient l’efficacité
informatique des diagrammes en termes d’expressivité. Leur point de vue se base sur le fait
que même s’il est possible de trouver des exemples de diagrammes et de représentations
symboliques équivalentes, elles ne seraient pas aussi expressives. Les représentations
linguistiques (ou symboliques) étant plus ouvertes, elles laissent plus de place à des relations
non spécifiées ou indéterminées. Ils suggèrent aussi que les représentations graphiques, en
induisant la représentation ou la magnification d’une certaine classe d’informations, seraient
moins expressives que les représentations propositionnelles.

En effet, la description des UST, faite dans un langage naturel, utilise une représentation
textuelle dont le pouvoir expressif est plus grand que celui des représentations graphiques.

2.7.3.4 Le cas d’Anthèmes – Documentation et pérennité


Concernant les différents types de représentations, étudions brièvement le cas de la
documentation Anthèmes 2 (1997)238, pour violon solo et électronique en temps réel de

237
http://www.labo-mim.org/site/index.php?2008/08/22/28-trajectoire-inexorable.
238
Œuvre réalisée dans les studios de l´IRCAM, Réalisateur en informatique musicale : Andrew Gerzso.
235
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Pierre Boulez. Cette œuvre est une version électroacoustique d’une œuvre précédente,
Anthèmes (1991)239, et se différencie par le fait qu'elle n’utilise aucun matériau préenregistré.
Tous les éléments diffusés par l’électronique proviennent des traitements et des processus en
temps réel. Un autre point important : dans cette œuvre, le compositeur s'est préoccupé de
coordonner et de synchroniser précisément le jeu instrumental avec le flux audio généré par
l’informatique. Nous n’allons pas entrer dans les détails de cette œuvre, ce qui nécessiterait
une étude approfondie. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment divers types et diverses
formes de représentations ont été utilisées pour décrire l'oeuvre.

La documentation d’Anthèmes 2 se compose d’une partition pour le violon [Boulez 1997], de


deux parties séparées, nommées « Régie informatique » [Boulez, Gerzso 1997] et « Technical
Manual » [Gerzso 1997]240, et d’un ensemble de documents informatiques comprenant le
patch, dans une version donnée de Max, plus une documentation dédiée à la mise en route de
ce patch241.

La partition pour le violon solo [Boulez 1997] est une partition classique avec une notation
musicale habituelle. La Figure 175 présente les quatre premières mesures du violon. Ce qui
frappe, c'est le manque d’information sur l’activité de l’électronique. Etant donné l’un des
postulats de base de cette pièce, cela peut être aisément compris : l’ordinateur est censé suivre
l’instrumentiste pour se coordonner avec lui. Si l’interprète a bien besoin d'écouter
l’ordinateur pour pouvoir gérer son interprétation, du point de vue de la coordination, c’est
plutôt à l’électronique de suivre l’humain.

239
http://brahms.ircam.fr/works/work/6956/ (03/10/2013).
240
Nous aimerions signaler, qu’à ce jour (11/11/2013), l’identification de ces documents sur le site d’Universal
Editions, ne prend pas en compte le fait que la rédaction de la « régie informatique » et du « manuel technique »
sont de Andrew Gerzso. La page à l’adresse <http://www.universaledition.com/sheet-music-and-
more/Anthemes-2-fuer-Violine-und-Live-Elektronik-Boulez-Pierre-UE31160>, ne signale pas le détail de la
documentation de Anthèmes 2, ni le fait que deux ces documents ont été rédigés par Andrew Gerzso, [Boulez,
Gerzso 1997] et [Gerzso 1997].
241
Comme pour l’item 2.2.3.1, nous nous référons à la version de Mars 2011, documentée par Arshia Cont et
Gilbert Nouno, tournant sous Max/MSP 5.
236
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 175 : Anthèmes 2, partition pour le violon solo [Boulez 1997, 1], quatre premières mesures

La « Régie informatique » est une partition pour la réalisation informatique. Elle contient la
partie de violon notée avec une notation musicale classique, une partie indiquant les processus
(événements) à déclencher par rapport à l’instrument soliste, et les paramètres de ces
processus. La Figure 176 présente le début de cette documentation. Nous apercevons cinq
systèmes avec le violon solo en haut. Les portées du bas indiquent le résultat des divers
processus242 : la réverbération infinie, l’échantillonneur, et le « frequency shift », avec une
indication d’atténuation, en décibels, pour chaque position de la spatialisation. Sur le premier
système de l’électronique, il y a aussi l'indication des événements devant être déclenchés.
Cette indication se fait avec un nombre dans un cercle. Pour chaque processus, des indications
textuelles complètent l’information avec le temps de la réverbération, les numéros de notes
MIDI à envoyer à l’échantillonneur, et des indications pour la position spatiale du processus.
L’élément « F -11/-18/-18/2.0 », signifie, par exemple, que le son vient de face (F pour front,
MR pour « middle right », etc.), avec un niveau de son direct de -11 dB, un niveau de
premières réflexions de -18 dB, un niveau de réverbération de -18 dB et un temps de
réverbération de deux secondes.

242
A noter que Philippe Manoury note le son électronique au-dessus de l’instrument solo.
237
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Régie informatique
Anthèmes 2
pour violon et dispositif électronique (1997)
Libre Pierre Boulez
brusque (*1925)
( = 92) 7
( = 92) rall. ( = 66)
= batt. (archet normal)
1 2

Violon
7

Spatialization F -11/-18/-18/2.0

1 2 3 4 5 6 7 8 9

Inf. Rev.
reverb. time: 60"

Spatialization F -11/-18/-18/2.0

= 90 msec.

Sampl. IR
MIDI: 93.90.85.84.82.80.79.77.76.75.74
reverb. time: 60"

Spatialization F -11/-18/-18/2.0

= 93 msec.
= 93 msec. pizz.
pizz.
Sampler
[74.73.] [74.71.70] [69.70.73.74] [74.73.72.69.68] [67.68.71.72.73.74.] [63.64.67.68.69.70.71.74.]
MIDI: [74.73.70.69.68.67.66.63.]
[74.73.72.71.70.67.66.]

Spatialization MR -4/-12/-24/2.0

Freq. Shift.

Spatialization

Figure 176 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 1], deux premières mesures

ricochet ad lib.

3
Les données pour la réalisation dec.l. batt.
la partie informatique se trouvent aussi codées par la
Vln
représentation musicale, hauteurs et durées. Par exemple, à la première mesure, le processus
gliss.

« Sample.IR » est déclenché avec onze triples croches (représentées avec une notation
Spat.

musicale traditionnelle et avec une représentation numérique de notes MIDI). La partition


n’indique pas les positions temporelles absolues, mais la durée de chaque figure, c'est-à-dire
10 11

90 millisecondes.
IR À la fin de cette même mesure, le deuxième échantillonneur déclenche une
autre figure descendante. On remarque un léger ralentissement, la triple croche étant notée
Spat.

pour durer 93 millisecondes.


S-IR

Ensuite, une courbe par segments est utilisée pour indiquer les changements dynamiques de la
Spat.

transposition
FS
(Figure 177) au début de la section /I [Boulez, Gerzso 1997, 2].
Shift. Freq.: -347 Hz 240 Hz

240 Hz
240 Hz
146 Hz

Spat. ML -4/-12/-24/2.0

© Copyright 1997 by Universal Edition A.G., Wien Universal Edition UE 31 160

238
Spatialization F -11/-18/-18/2.0

1 2

La représentation dans le cadre de la CAO et Transp.


de la-11MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive 5"

2 Harm. 1
/I Spatialization FL -17/-25/-18/2.0
Libre
archet normal gliss.
pas trop lent
Transp. -23
Violon
Harm. 2
(dim. à l’inaudible)

Spatialization F -11/-18/-18/2.0
Spatialization FR -17/-25/-18/2.0
1 2

Transp. -11 RM-freq. 1: 1000 Hz 5" 3"


RM-freq. 2: 4000 Hz
Harm. 1 Notch freq.: 58 Hz
Notch width: 0.5
Spatialization
2 Ring
FL -17/-25/-18/2.0 Mod.
Transp. -23
+ Comb. Filt.
Harm. 2 Spatialization F -17/-25/-13/2.0
Spatialization FR -17/-25/-18/2.0
Inf. Rev.
RM-freq. 1: 1000 Hz
RM-freq. 2: 4000 Hz reverb. time: 30"
Notch freq.: 58 Hz
Notch width: 0.5
2 Ring Mod. Spatialization F -7/-15/-17/2.0
+ Comb. Filt.
Spatialization F -17/-25/-13/2.0

Inf. Rev.
reverb. time: 30"

Spatialization F -7/-15/-17/2.0

I
Figure 177 : Anthèmes 2, « Régie Informatique »,Très
[Boulez,
lentGerzso 1997,avec
= 92/98, 2], Section /I, courbes
beaucoup par segments
de flexibilité
I sul tasto
Très lent
1
= 92/98, avec beaucoup de flexibilité
jeté 2 3 4
sul tasto
Une notation, sur quatre1 plans, Violon
est utilisée 2pour indiquer l’intensité
3 4des harmoniseurs
jeté 5 (Figure
178), en plus d’une
Violon signalétique pour la spatialisation, repérée par un cercle fléché (Figure
7
179). La flèche indique le sens de rotation et le temps du processus. 7

Spatialization F -11/-18/-18/2.0
Spatialization F -11/-18/-18/2.0
1 2 3 4 5 6 7 8 9
18 1 2 3 4 5
-2 -8 -5 -3 -6 -2

IV
-1 -5 -9 -7 -5 -11 -5
-4 -7 -14 -10 -11 -13 -7
-8 -13 -19 -18 -22 -16 -13
-10
-2 -8 -5
4 Harm. -1 -5 -9 -7
Agité, instable
-4
-8
= 112/132 -7 -14 -10
-13 -19 -18
-10
Spatialization F -17/-15/-17/2.0 F sim.
4 Harm. 1 2 3
pizz.

Sampler Violon
Spatialization F -17/-15/-17/2.0
MIDI:
79
66
79
60
79
61
79 F sim. 79
63
79
66
71
64
57

Spatialization R -4/-12/-8/2.0 R sim. sempre R R R R F -2/-10/-8/2.0


Figure 178 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 2], Section I, notation pizz. de l’intensité des
units: 7 2 1 4 6 5 3 4 1 7 1 2
Sampler pos.harmoniseurs
Spatialization pizz.
seq.: BR FR FL FR BL ML FL MR BR MR ML BL 0/-7/-12/1.0
Sampl. IR
MIDI: 79 79 79 79
1reverb. time: 60" MIDI:
66 60 61
Spatialization F -4/-13/-17/2.0
= 960 msec.
Spatialization
Shift. Freq.: -205 Hz pizz.+ arco R -4/-12/-8/2.0 R sim. sempre R
Freq. Shift.
Sampl. IR 493 Hz
pizz.
165Hz

BL ML FL
MIDI: 79 81 72 80 88 77
Spatialization Sampl.
R: B BR IR FR F
MR
MIDI: 79
Spatialization-4/-13/-17/2.0 in 18" -14/-22/-15/1.0 sempre reverb. time: 60"
UE 31 160
Spatialization F -4/-13/-17/2.0
Figure 179 : Anthèmes 2, « Régie Informatique », [Boulez, Gerzso 1997, 18], Section IV, mouvement de la
spatialisation Shift. Freq.: -205 Hz
7
Freq.5Shift. 6
493 Hz
Vln
L’explication de cette notation est précisée dans le « TechnicalBL ML FL
Manual » [Gerzso 1997]. Ce 165Hz

dernier est un complément de la partition de la R:


Spatialization
« BRégie FR F
BR MRinformatique ». La « Régie
informatique » est une partition
Spat.
de travail et de suivie dont le réalisateur
-4/-13/-17/2.0 en informatique
0/-7/-12/1.0 units: 7 2 1 6 4 4 1 2
pos. seq.: MR FL FR BL BR BL FR ML
musicale se sert en répétition et en concert. Elle contient quelques paramètres pour UE 31 les
160
processus. Le « Technical Manual », quant-à-lui, contient toutes les informations nécessaires
2

239
S-IR
MIDI: 90 83 75 85 74 87 79 69

Spat.
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

à la réalisation et à la programmation du moteur informatique destiné à la gestion de l’audio


en temps réel. Ces deux documents sont complémentaires. Ce choix a été fait pour deux
raisons principales. Éviter de surcharger la partition de la « Régie informatique », et essayer,
autant que faire se peut, de partager les informations nécessaires à la réalisation informatique
et à l’interprétation de la partie électronique, dans le but d'expliciter tous les processus
nécessaires à l’actualisation de l’œuvre, indépendamment de la plate-forme électronique, et en
vue d’une pérennisation de l’œuvre.

La pérennité des œuvres actuelles utilisant la technologie est l'une des préoccupations
majeures. Pour donner un exemple, nous avons eu l’occasion d’encadrer le travail personnel
d’un jeune compositeur, Keita Matsumiya, qui portait sur une analyse de Pour adoucir le
cours du temps (2007), pour ensemble et électronique de Tristan Murail. M. Matsumiya
voulant faire un travail complet, s’est procuré, auprès de Laurent Pottier (réalisateur en
informatique musicale pour cette pièce), les sources informatiques du patch – dans Max/MSP
– ainsi que les documents utilisés par Tristan Murail pour calculer les structures musicales
dans OpenMusic. Pour dire les choses clairement, en 2012 nous étions incapables d’ouvrir ces
documents, et encore moins de faire fonctionner le patch ! Il nous a fallu un certain temps
pour retrouver les éléments manquants et les substituer, soit par de nouveaux, soit par des
« sparadraps ». Cet exemple témoigne de la problématique actuelle, à savoir, la rapide
obsolescence des documents et des plate-formes matérielles informatiques utilisées en
création. Cette problématique est en train d’amener des chercheurs, des musiciens, des
développeurs, et tous les acteurs de la création numérique à essayer de trouver de nouvelles
solutions pour la pérennisation des savoirs et des œuvres numériques.

C’est dans ce contexte que Andrew Gerzso a rédigé ces documents. La tâche n’était pas aisée.
Comment représenter des processus électroniques, indépendamment du support informatique
utilisé ou d’une technologie donnée ? Andrew Gerzso a fait un choix très clair, décrire les
processus de production sonore, en évitant le piège récursif de la description trop détaillée.
Ainsi, il a fait une distinction claire entre les principes, les processus, les données et les
moyens utilisés pour l’implémentation [Gerzso 1997, 2]. Les connaissances sont représentées,
mais pas les supports informatiques de ces connaissances, ni aucune information concernant
l’implémentation de l’œuvre ou des processus. Bien sûr, à l'exception de quelques mentions
d’implémentations antérieures [Gerzso 1997, 10-11].

Concernant la représentation des processus, elle s'articule en deux étapes : les technologies
nécessaires et la description des processus et des données. Quatre technologies sont exposées :
l’amplification, les transformations et les échantillons, la spatialisation et la synchronisation.
Concernant les technologies, un autre choix est fait : une description basique, une explication
textuelle de la fonction et du résultat attendu. Par exemple, pour l'« harmoniseur + delay », il
n’y a pas de description de l’algorithme utilisé pour la transposition. De nos jours, nous
pourrions utiliser plusieurs techniques différentes de transposition : transposition par
variations constantes de retard, en utilisant des technologies spectrales ou des technologies du
type « psola »243. Chacune apporterait une « couleur » particulière. Nous pourrions faire la
même remarque au sujet de la réverbération. Cependant, accepter une évolution des supports
et accepter les changements qu'ils apportent n'est pas la même chose ! Si les supports

243
Pitch Synchronous Overlap and Add - PSOLA, est une technologie de traitement du signal fondée sur le
découpage et la superposition d’un signal temporel. Voir l’article séminal : Charpentier, F., Stella, M., « Diphone
synthesis using an overlap-add technique for speech waveforms concatenation » Acoustics, Speech, and Signal
Processing, IEEE International Conference on ICASSP '86., vol.11, Apr 1986, p.2015-2018.
240
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

changent, alors les technologies changent aussi, et fatalement les couleurs finales changent
aussi. C’est pour cette raison que diverses interprétations de la même œuvre par des
ensembles différents proposent des différences de couleurs.

Revenons à la description des technologies. Chaque technologie est décrite textuellement, par
exemple : « Réverbération infinie : ce module réverbère un son avec un temps
d'amortissement très long qui donne l'impression d'un son (infiniment) soutenu. Il ne devrait y
avoir aucune modulation en anneau ou modulation d’amplitude sur le son réverbéré soutenu. 3
Paramètres principaux : temps de décroissance de la réverbération (dénoté en tant que «
Main parameters: transposition interval in half steps denoted above, the following symbols are used both in the DSP patch
Reverb. Temps » sur la partition) en secondes (généralement entre
as ‘Transp.’ in the score (where positive values transpose
3 et 60). Nombre
for each section and in the score:
nécessaire : 2 » [Gerzso 1997, 2]. Quand cela est nécessaire, un diagramme
244
up and negative values transpose down) and delay time de- est associé
• Frequency shifter pour
with or without delay:
noted as ‘Delay’ in the score in milliseconds. If the delay
indiquer l’assemblage de deux ou module
is zero this de plusieurs modules,
becomes a harmonizer comme
only. Each har- cela est
- FS: one montré
frequency dans
shifter withoutla
delay.
- FSD: 1 frequency shifter with delay.
Figure 180. monizer/delay module has a level denoted as ‘Level’ in the
score which is in dB where 0dB is maximum level. Number
- 6 FS: 6 six frequency shifters without delay.
- 6 FSD: 6 frequency shifters with delay.
needed: 4.
• Ring modulation with comb filter:
transposition delay msec level
- 2 RM/C: 2 ring modulators mixed to one comb filter.
• Infinite reverberation:
IN harmoniser 1 X OUT 1 - IR: 1 infinite reverberation.
• Harmonizer with or without delay:
- HR: one harmonizer without delay.
transposition delay msec level
- 2 HR: two harmonizers without delay.
- 4 HR: four harmonizers without delay.
harmoniser 2 X OUT 2
- HRD: one harmonizer with delay.
- 4 HRD: four harmonizers with delay.
+ OUT 1-4 • Sampler
transposition delay msec level
- S: one sampler voice.
harmoniser 3 X
When DSP units are combined, they are separated with a
hyphen. For example, S-IR signifies a sampler whose out-
put is sent to an infinite reverberation module.
transposition delay msec level

harmoniser 4 X
Spatialization
This manual is written at a time (2005) when it seems clear
Figure 7 - Harmonizer
that loudspeakers as we know them will probably be re-
Figure 180 : Assemblage de quatre « harmoniseurs », [Gerzso 1997,
placed3]by sound diffusion systems (such as Wave Field
Sometimes several modules of the same kind are used to- Synthesis) equipped with panels capable of simulating loud-
gether as one functional unit. In that case their outputs are speaker positions. This is why this manual makes reference
mixed together in order to produce one output (for which to perceptual positions in space and not to the physical loca-
there is a global level control) that will be sent either to an-
La deuxième partie, concernant les processus et les données, utilise à la fois des descriptions
other module or to the spatialization system.
tion of individual loudspeakers. The amplified violin sound
together with the processed sound is projected in the space
textuelles et des diagrammes. Les diagrammes indiquent, à chaque section, les connexions à
DSP
surrounding the audience using a sound spatialization sys-
tem. The amplified violin, transformed violin and sequences
faire entre les modules de base. La Figure 181 présente les connexions à la section III. Elles
module
level
of violin samples are the possible inputs, called sources
comprennent deux modulateurs en anneau combinés
IN + avecX un filtre en peigne (2 RM/C), un
OUT
hereafter, to the spatialization system which should be ca-
pable of processing up to six independent sound sources.
« frequency shifter » (FS), quatre « harmonisers » (4HR), deux échantillonneurs, le premier se
For each source three parameters are specified:
connectant directement à la source quatre (S"src4) et le second passant
DSP
module d’abord par une
1) The direction of the source (i.e. where the source’s sound
réverbération infinie pour arriver à la source cinq (s"IR-"src5). isLes
Figure 7a - Mixing Modules
« sources
perceived » sont
to be coming from), les
2) the presence of the source (whether it is perceived to be
entrées des unités de spatialisation. ‘near’ or ‘far’),
• Sampler: This module is used for playing sequences of
pre-recorded sound samples. The sampler should contain 3) the presence of the virtual room in which the source is
the following collections of violin samples: projected.

- Pizzicati with hard attack played forte (called ‘pizz’). It is important to be able to change any of these three pa-
- Pizzicati with hard attack played forte (called ‘pizz doux’; rameters (especially direction and source presence) dynam-
the attack here is softened in the sampler in the attack ically and accurately in time.
portion of the envelope)
- Long notes played mezzo-forte (called ‘long’). Direction
- Long notes played piano with lead mute (called ‘long The system should be capable of placing any given source
lead mute’) anywhere on the 360 degrees of an imaginary circle sur-
- Short notes played arco fortissimo (called ‘arco’). rounding the audience. Six main directions are used: front
- Long notes made of single sine waves (called ‘sinus’). left (FL), front right (FR), middle right (MR), back right (BR),
back left (BL), and middle left (ML). Two other positions are
244 In order to designate the DSP and sampling units described used as well: front (F) and back (B).
« Infinite Reverberation: This module reverberates a sound with a very long decay time giving the impression
of a sustained (infinite) sound. There should be no ringing or modulation in the sustained reverberated sound.
Main parameter: reverberation decay time (denoted as ‘Reverb. Time’ in the score) in seconds (typically
between 3 and 60). Number needed: 2 ».
241
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches
6

I – Très Lent III – Lent


See Figure 11 for the DSP patch. See Figure 13 for the DSP patch.
violin

violin

2 RM/C src1

4 HR src1

FS src2

S src2

4HR src3

S IR src3

S src4

FS src4

S IR src5

Figure 11
I - Très Lent Figure 13
III - Lent

Figure 181 : Connexions entre les modules de base à la section III d’Anthèmes 2, [Gerzso 1997, 6]
This section makes use of two different kinds of processes
which generate musical material in real time. These will be
called the ‘chaotic’ and ‘cloud’ processes.
II – Rapide, dynamique
En ce qui concerne les processus en eux-mêmes, la description se fait dans un style textuel
‘Chaotic’ Process
See Figure 12 for the DSP patch.
proche de la programmation,This à process (like the ‘cloud process’ below) is used in bars
5–33 and againd'un
l'instar in bars«43–58
pseudo-code
and consists of» ad hoc.
a series of La Figure 182 présente la
violin description de l’algorithme utilisé
cycles. pour créer des nuages de pizzicati à la section III (mesures
One cycle is made up of a number of note events
followed by a number of rest events. The process uses the
de 5 à 33, et 43 à 58) [Gerzsofollowing
1997,data:6-7].
• a set of pitches
• the number of note events in one cycle
4HRD ‘Chaotic’ Process
src1 • the number of rest events in one cycle
This process (like the ‘cloud process’
• the event below)
duration is used
(which in bars
is the same5–33 and again
for note eventsinorbars 43–58 and consists
of a series of cycles. Onerest
cycle is made up of a number of note events followed by a number of rest
events)
6FSD events. The process
src2 uses• the following
a constant data:
set of dynamics (0 –6 –9 –12) in dB
• a set of pitches
Eachincycle
• the number of note events begins with a number of note events. Each note
one cycle
event is generated as follows:
S • the number ofsrc3
rest events in one cycle
• a random
• the event duration (which process
is the same for chooses 0 or or
note events 1 weighted 3:1 in favor of 0
• if the random choice is 0, a grace note followed by a note
rest events)
will be generated in the following manner:
S IR
• a constant setsrc4
of dynamics (0 –6 –9 –12) in dB
- for the grace note:
Figure 12 Each cycle begins with a number › chooseofatnote
random a note
events. Each from theevent
note set ofis
pitches
generated as follows:
• a random process chooses› choose
II - Rapide, dynamique at random a dynamic from the set of dynamics
0 or 1 weighted 3:1 in favor of 0
then subtract 9dB
• if the random choice is 0,› aset grace note followed
the duration to 40% by a note
of the event duration
will be generated in the following
› choose manner:
at random a ‘pizz’ or ‘arco’ sample
The spatialization of the frequency-shifter/delay (6FSD)
and the sampler (S) are interdependent. - for
Thetheposition
grace note:
of the - for the note:
6FSD source changes randomly every› choose 525msec. at The
random
sam-a note from the set of pitches
› choose at random a note from the set of pitches
› choose at random
pler’s source uses the last position used by 6FSD. When the a dynamic fromatthe
› choose set of adynamics
random dynamic from the set of dynamics
then subtract
position of FSD6 changes, the last position of FSD69dBis the then subtract 18dB
new position for S and so forth. › set the duration to 40% of› set the the
event duration
duration to 60% of the event duration
› choose at randomisa ‘pizz’› choose
The dynamic curve of the six frequency-shifter/delays or ‘arco’at sample
random a ‘pizz’ or ‘long’ sample
constant: 0, –5, –10, –15, –20, –25dB.- for the note: - play the grace note and note
› choose at random a note from the set of pitches
› choose at random a dynamic from the set of dynamics
then subtract 18dB
› set the duration to 60% of the event duration
› choose at random a ‘pizz’ or ‘long’ sample
6. play the grace note and note

if the random choice is 1, a note will be generated in the following manner:


› choose at random a note from the set of pitches
› choose at random a dynamic from the set of dynamics
then subtract 24dB
› set the duration to the event duration
› play the note with the ‘pizz doux’ sample
Figure 182 : Algorithme utilisé pour la création de nuages de points dans la section III [Gerzso 1997, 6-7]

Ce qui est remarquable dans cette description, c'est l’élaboration de ce presque « pseudo-

242
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

code ». Il comprend même l’utilisation d’opérations telles que « choose », lesquelles se voient
agrémenter d'une syntaxe : <choose arg1>, ou <arg1> est une proposition du type <mode type
source>. <mode> : « at random », <type> : « a note », <source> : « from the set of pitches ».
Même le <if> suit une syntaxe du type : <if test then else>, et ainsi de suite.

En considérant l’ensemble des représentations, nous constatons bien qu’il existe non
seulement une partition pour l’instrumentiste – une annotation symbolique de la partie du
violon en notation musicale –, mais aussi un manuel technique et une partition pour la régie
informatique. Cette dernière combine la notation musicale avec des annotations textuelles et
numériques, des représentations de hauteurs MIDI, des intensités en dB, en plus de quelques
représentations graphiques de courbes par segments pour représenter l’évolution de la
transposition et une signalétique symbolique pour la spatialisation. Le manuel technique,
quant-à-lui, combine l’utilisation des représentations graphiques diagrammatiques, pour
indiquer le placement de l’instrumentiste et des haut-parleurs, des diagrammes de flux pour
les processus audio, une indication symbolique des processus, des entrées et des sorties audio,
la localisation spatiale, l’élaboration d’une syntaxe symbolique pour la spatialisation, et enfin
l’élaboration d’un pseudo-code pour la description des processus de contrôle (algorithmes
génératifs).

En conclusion, nous pouvons constater qu'une volonté de description aussi exhaustive que
possible doit tout de même se plier à l’utilisation d’un grand nombre de représentations.
Chacune des formes est efficace pour prendre en charge une partie de la pièce, ceci allant dans
le sens d’une diminution de l’effort cognitif nécessaire à la description ou à la réalisation
d’une tâche donnée. Cependant, puisque l'une des finalités était la pérennisation de l’œuvre,
aucun exemple d’implémentation n’est donné. Ainsi, les deux représentations principales sont
la notation musicale pour les interprètes (violon et électronique), largement acceptée dans le
milieu musical, et la représentation textuelle, pour son expressivité, sa description détaillée
des processus et, bien sûr, l’indication des données. Dès lors, il paraît assez évident que dans
un contexte de pérennisation des savoirs et des connaissances, le patch n'est pas le meilleur
candidat pour une description complète et précise de tous les éléments mis en jeu.

2.7.4 Quelques!considérations!finales!
À la question « qu’est-ce que une bonne représentation ? », il n’y a pas de réponse
unique ! Parmi toutes les conditions que nous avons proposées, le but de la représentation
semble être l’élément principal à considérer. Ainsi, si notre but est une introduction à la
programmation, alors le patch, en tant que programmation graphique permettant la réification
des algorithmes et facilitant la compréhension, est une possibilité. Cependant, si c’est de
l’efficacité du processus qu'il s'agit, alors nous devons nous tourner vers des langages
textuels. Si l’objectif est la précision dans la description des processus, dans le but de
pérenniser l’œuvre – comme dans le cas d’Anthèmes 2 –, alors le choix de représentations
multiples semble être la réponse. Si la généralisation de l’expression d’une théorie est
l’objectif, alors la représentation textuelle est un choix plausible, comme dans le cas des UST.
Si le but est la simulation informatique, alors nous aurons besoin de représentations
opératoires, etc.

Dans le cas d’inférence de connaissances, d’étude de phénomènes, de formalisation et de


modélisation des connaissances, la démultiplication des représentations semble tout aussi être
243
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

l'une des clefs de réponse. L’exemple que nous avons présenté au Tableau 8 nous permet de
comprendre comment pour un phénomène inconnu, la diversité des points de vue peut nous
aider dans l’inférence et dans la découverte de connaissances. Le travail du jeune chercheur
Louis Bigo (voir 2.5.6.4), sur la représentation des complexes simpliciaux, montre aussi
comment l’utilisation de multiples représentations ou l'utilisation des espaces de
représentation multiples et complémentaires nous aide dans la découverte de régularités et
d’invariants structurels. L’utilisation de multiples représentations nous semble être l'un des
points importants dans l’établissement d’une méthodologie d’exploration, de découverte de
connaissances, et dans le choix de représentations.

« … des représentations alternatives de la même information ont des effets évidents et dramatiques sur la
cognition…245
[Day 1988, 297]

Cette stratégie est une manœuvre fondamentale pour augmenter notre capacité de
compréhension et d’apprentissage. Plusieurs auteurs ([Greeno, Simon 1984],
[Ainsworth 1999] et [Löhner et al. 2003, 398]), pointent le fait que résoudre un problème
dépend souvent de la mise en jeu de multiples représentations externes (complémentaires, ou
orthogonales entre elles), pour trouver l’espace de représentation qui rend la solution
évidente.
L'exemple le plus célèbre est sans doute celui de Champollion246 lorsqu'il a tenté de déchiffrer
les hiéroglyphes égyptiens à partir de la Pierre de Rosette. La Pierre de Rosette est une stèle
en basalte, découverte en 1799, contenant une inscription bilingue, en grec et en égyptien,
mais dans trois écritures différentes : en grec, en démotique (écriture cursive de l’égyptien) et
en hiéroglyphes égyptiens. Elle « témoignage des honneurs conférés à Ptolémée V pour les
services qu'il a rendus à l'Égypte »247. Le fait d’avoir le même texte écrit en deux langues a
permis à Champollion de comprendre la signification des hiéroglyphes et leur syntaxe.

En musique et en musicologie, l’exploration de multiples représentations commence à se


développer. Les auteurs se rendent compte de comment les représentations sont restrictives.
Dans un article de 2008, Yann Geslin et Noémie Sprenger-Ohana [Geslin, Sprenger-Ohana
2008], explorent plusieurs représentations de l’acousmographie désormais classique de
l'« Oiseau Moqueur » de Pierre Couprie [Couprie 2002]. Dans cet article, les auteurs
construisent des représentations partant d’une abstraction maximale, où les événements sont
représentés par de simples rectangles, en passant par des représentations spectro-
morphologiques (fondées sur des enveloppes d’amplitude), « jusqu’à la façon la moins
partageable et la moins explicite », celle des représentations figuratives [Geslin, Sprenger-
Ohana 2008, 4]. Nous présentons, Figure 183, les représentations proposées par les auteurs.

245
« …alternative representations of the same information have clear and often dramatic effects on cognition »
246
Champollion, Jean-François, Lettre à M. Dacier,... relative à l'alphabet des hiéroglyphes phonétiques, F.
Didot père et fils, Paris 1822. BNF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k396352/ (08/10/2013).
Champollion, Jean-François, Précis du système hiéroglyphique des anciens égyptiens, ou, Recherches sur les
élemens premiers de cette écriture sacrée, sur leurs diverses combinaisons, et sur les rapports de ce système
avec les autres méthodes graphiques égyptiennes, chez Treuttel et Würtz, Libr. Strasbourg, 1824.
http://archive.org/details/prcisdusystmehi00chamgoog (08/10/2013).
247
Jacqueline Guillemin-Flescher, « TRADUCTION », Encyclopædia Universalis [en ligne].
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/traduction/ (08/10/2013).
244
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Abstraction maximale Taille spectrale Enveloppe d'amplitude

Profil des hauteurs Notation musicale Représentation figurative

Représentation causale
248
Figure 183 : Les sept représentations étudiées dans [Geslin, Sprenger-Ohana 2008, 3]

Les auteurs insistent sur le fait que la multiplicité des représentations n’a d’intérêt que si elle
engendre une complémentarité, et que la superposition résultante permette de faire émerger
des constatations. Comme le remarquent les auteurs, « la richesse émanant de la
confrontation de toutes ces représentations permet, nous le pensons, de favoriser par la suite
une écoute affinée, mais ouvre surtout la voie à une approche plus analytique, telle celle
ayant cours pour les musiques dont la notation est de type prescriptive (domaines
instrumental et vocal). » [Geslin, Sprenger-Ohana 2008, 4].

Dans le même cadre analytique, Pierre Couprie, au sein du groupe de recherche MTIRC249 de
l’université de Montfort de Leicester, a développé le logiciel d’aide à l’analyse de musiques
électroacoustiques ou non écrites EAnalysis [Couprie 2012]. En ce qui concerne EAnalysis,
notre intérêt sur se porte sur son aptitude à juxtaposer plusieurs représentations, temporelles
ou non, du même phénomène musical. Par exemple, la Figure 184 présente un document du
logiciel EAnalysis, lequel affiche quatre représentations (du haut vers le bas) de la pièce
électroacoustique Mycenae-alpha (1978) de Iannis Xenakis : la BStD (voir 2.5.6.3), la
partition de Xenakis, le sonagramme et la représentation en forme d’onde. Nous n’allons pas
faire une démonstration de ce logiciel, cependant nous devons remarquer qu’il permet la
juxtaposition de divers types de représentations : les sonagrammes, les représentations en
forme d’onde, les images, des données temporelles, etc. Cette fonctionnalité permet
d’augmenter notre efficacité dans l’inférence de connaissances, ou dans la compréhension de
l’extrait analysé.

248
Les images de cette figure sont à l’origine en couleurs, elles ont été converties en niveaux de gris pour
amméliorer leur définition lors de l’impression.
249
Music, Technology and Innovation Research Centre : http://mti.dmu.ac.uk.
245
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

En général, en ce qui concerne l’exploration de connaissances, il est important que les


représentations choisies proposent des interprétations, et que ces interprétations présentent un
sens. Comme nous l’avons déjà remarqué (voir 2.2.5), les données et les informations se
transforment en représentations lorsqu’elles proposent un sens.

Autre exemple actuel de représentations multiples, l’outil <sheet> développé par Carlos Agon
et Jean Bresson [Bresson, Agon 2008] dans l’environnement OpenMusic. Comme l’écrivent
les auteurs, l’objectif de cet outil « …est de rassembler en un seul document les
caractéristiques d’une partition, comme un support lisible (ce qui implique la mise à
disposition d’une représentation temporelle symbolique cohérente) et des fonctionnalités de
programmation (visuelle) proposées par l’environnement de composition assistée par
ordinateur. » [Bresson, Agon 2008, 37]. Nous pouvons apprécier cela dans la reconstruction
d’un extrait de Mikrophonie I (1964-1965) de Karlheinz Stockhausen (Figure 185), lequel
présente, côte à côte, des représentations musicales, des représentations symboliques
idéalisées par le compositeur, des courbes par segments, des courbes comme fonctions et des
surfaces.

Il est aisé de comprendre comment de tels outils peuvent renforcer nos capacités cognitives :
ils mettent en relation des informations provenant de représentations différentes, hétérogènes,
voire divergentes.

Dans le cadre de l’apprentissage, Shaaron Ainsworth soutient que l’utilisation de multiples


représentations externes possède trois avantages principales [Ainsworth 2008, 195].
Premièrement, l’utilisation de représentations multiples favorise l’apprentissage et permet aux
informations véhiculées de se compléter mutuellement puisque chaque type de représentation
fait appel à des processus cognitifs différents. Par exemple, des diagrammes facilitent des
opérations de groupement spatial par similarité morphologique ou par proximité
topographique. Les tableaux (comme nous l’avons déjà vu) rendent l’information symbolique
ou numérique explicite, facilitant ainsi l’identification de formes et de régularités. Les
expressions analytiques, des équations, montrent de manière compacte des relations
quantitatives, en plus d’être des représentations opératoires [Ainsworth 2008, 196].
Deuxièmement, les multiples représentations permettent une meilleure compréhension d’un
phénomène donné ; elles peuvent contraindre les interprétations les unes par rapport aux
autres [Ainsworth 2008, 197]. Finalement, l’utilisation de représentations peut engendrer des
processus d’émergence dans la compréhension. La mise en parallèle de différentes
représentations d’un même processus induit un phénomène cognitif créant ainsi une
compréhension qui n’est pas contenue dans les représentations individuelles, mais qui
apparaît à l’esprit comme un processus émergeant [Ainsworth 2008, 198].

246
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 184 : Affichage de Mycenae-Alpha (1978) de I. Xenakis, avec quatre représentations dans EAnalysis

247
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 185 : Extrait de Mikrophonie I (1964-1965) de K. Stockhausen, dans <sheet> [Bresson, Agon 2008, 45]

Dans ce contexte, et comme exemple des concepts que nous venons de présenter, nous
souhaitons partager l’expérience du poète brésilien Décio Pignatari. En 1974, Augusto de
Campos, Décio Pignatari et Haroldo de Campos publient un livre, Mallarmé [Campos et al.
1974], dédié à des traductions créatives de poèmes de Mallarmé. Ces traductions comprennent
entre autres le fameux Coup de dés et L’après-midi d’un faune. Pour rappel, ces trois poètes
étaient les fondateurs d’un groupe d’expérimentation poétique en 1952, le groupe Noigandres
(voir [Perriol 2010a] et [Perriol 2010a]), dont le nom est une référence directe aux Cantos de
Ezra Pound. Revenons à Décio Pignatari. Conscient de la gageure que constitue la traduction
de Mallarmé en brésilien – notamment à cause de l’impossibilité de rendre tous les aspects
poétiques comme le rythme, les assonances et la signification à plusieurs niveaux de L’après-
midi d’un faune – Pignatari propose le concept de « tridução », que nous pourrions traduire
par « triduction » [Pignatari. 1974, 85-113]. Ainsi, chaque phrase de Mallarmé est traduite
trois fois, à commencer par le titre. Dans le Tableau 17, nous donnons quelques exemples de
ce processus.

L’expérience de Décio Pignatari est remarquable, à commencer par le titre ! Pignatari


« triduira » après-midi par « après-midi » (br. tarde), par « après-midi d’été » (br. tarde de
verão) et par « sieste » (br. sesta). Avec « sesta », plus qu’à un marqueur temporel, il renvoie
avant tout à un état d’esprit, un état de rêve. Décio Pignatari essaie, dès le début, de dépasser
les mots, il souhaite « traduire » l’indicible, l’atmosphère, le sens explicite et le sens implicite.

248
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Français « Triduction »
Titre L’après midi d’un faune A tarde de verão de um fauno
A tarde de um fauno
A sesta de um fauno
V1 Ces nymphes, je les veux Quero perpetuar essas ninfas.
perpétuer. Tão claro
– Si clair, Essas ninfas eu quero eternizar.
Tão leve
Vou perpematar essas ninfas.
É tão claro
V2 Leur incarnat léger, qu'il É o rodopio de carnes, que ele gira no ar
voltige dans l'air É a sua carnação, que ela gira no ar
Seu ligeiro encarnado a voltear no ar
V3 Assoupi de sommeils touffus. Entorpecido de pesados sonos.
Aimai-je un rêve ? Sonho?
Sonolento de sonhos e arbustos.
Foi sonho?
Espesso de mormaço e sonos.
Sonhei ou … ?
… … …


Tableau 17 : « Triduction » de l’Après midi d’un faune, par Décio Pignatari [Campos et al. 1974, 88-89]

Pour le premier vers, en plus de changer l’ordre et de jouer avec le mode passif, il utilise trois
traductions pour « perpétuer ». Premièrement, la traduction directe (br. perpetuar), ensuite par
un mot portugais « eternizar », qui a le sens de rendre « éternel », sans fin. La troisième
proposition est la plus originale. Pour la comprendre, il est important de savoir que les poètes
de ce groupe (Décio, Augusto et Haroldo) étaient des lecteurs avisés et de fervents
admirateurs de Ezra Pound et de James Joyce. De James Joyce (et sans doute aussi de
Lewis Carrol), ils s’étaient inspirés de ses « mots valises » ou « mots portemanteau »250. De ce
point de vue, l’interprétation de Décio Pignatari témoigne de cette expérience (comme quoi
les représentations mentales conditionnent notre compréhension du monde…). Il propose
alors une traduction de « perpétuer » qu'il considère comme un mot valise, constitué d'un
pseudo préfixe « perpe » et d'un pseudo suffixe « tuer » ! La traduction brésilienne donne
donc « perpematar », à peu de chose près « tuer à l’infini » ! Le mot clair, à la fin de ce vers,
est aussi traduit par « clair » (br. Claro) – une traduction directe – mais aussi par « leve », soit
« léger », et rend à nouveau une atmosphère en plus des sens qui s’empilent, se juxtaposent,
se contredisent pour finalement faire émerger une interprétation. Ainsi de suite. Selon les
mots de Pignatari : « Cette proposition de traduction prétend, par son « anti-économie », être
en même temps libre et littérale, aboutissant à une triduction : trois vers pour chaque vers
mallarméen. Libre, pendant qu’elle laisse échapper dans un vers telle ou telle autre autre
information, littérale, lorsqu’elle essaye de capter par trois vers, mais sans y arriver, les
informations intégrées de l’originel. Je poursuis le poème comme le faune les nymphes. »251
[Pignatari 1974, 112].

250
« mot créé par G. Ferdière à propos de Lewis Carroll (qui parle en anglais de portmanteau word); de mot, et
valise », Le Grand Robert en ligne, article [mot-valise].
251
Traduction Mikhail Malt (révision Pierre Stordeur), pour le meilleur et pour le pire !
249
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Comme conclusion locale, nous pouvons affirmer qu’une bonne partie des problématiques
liées à la formalisation ou à la construction de modèles sont en partie des problématiques
d’apprentissage et de compréhension des phénomènes. Le choix des représentations les plus
appropriées est une phase vitale si nous voulons travailler avec eux. Comment alors, à la
lumière des trois facteurs dont nous avons parlés – le but de la représentation, l’interlocuteur à
qui elle se destine et la caractéristique de la représentation – proposer une méthodologie de
travail ? La clef nous semble être constituée de deux concepts. Le premier, c'est la multiplicité
des représentations en tant que méthodologie heuristique, soit comme démarche dans le
processus de découverte de connaissances, soit comme méthode pour décrire un phénomène
avec précision, ou encore comme processus de comparaison dans le choix de la représentation
la plus appropriée au contexte. Le deuxième concept, c'est le dynamisme du processus de
construction de représentations. C’est un processus évolutif et adaptatif, résultat d'une
interaction entre l’utilisateur et l’objet à représenter. Comme le déclare Jean Charconnet, « …
la diversification des représentations de phénomènes semblables guide vers la découverte en
permettant d’apercevoir des analogies qui ne sont pas saillantes dans l’un ou dans l’autre
mode de représentation, et que le passage par différents ordres de représentation permet
d’appréhender les phénomènes sous des angles différents pour mieux saisir les hypothèses
explicatives de ces phénomènes, les valider ou les falsifier. Le maître mot est interaction, tant
interaction des représentations de différents ordres, qu’interaction des notions mises en
relation d’analogie. » [Charconnet 1999, 7]

250
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

— C’était quand même une idée bizarre, poursuivit Maggie Walsh. Vous savez que, selon Specktowsky, nous
sommes « prisonniers de nos prévisions et de nos préconceptions ». Et que l’un des termes de la Malédiction est
que nous restons embourbés dans la pseudo-réalité de ces inclinations.
Sans jamais voir la réalité telle qu’elle est. 252

Comment construire une ligne brisée continue, de quatre segments, passant qu’une seule fois par chacun des
points ?253

252
Philip K. Dik, Au bout du labyrinthe, J’ai lu, 1970, p. 197.
253
Casse-tête très, très connu…
251
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

252
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

3 Partie'III!

253
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

254
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

3.1 Un!dernier!exemple!–!une!expérience!pédagogique…!

Avant de terminer, nous aimerions partager les résultats d’un exercice que nous avons
proposé dans le cadre de notre cours de composition assistée par ordinateur du Cursus 1 à
l’Ircam. L’exercice que nous allons présenter est un des exercices proposés254.

Dans le contexte de ce cours, ce qui nous intéresse, c'est la manière dont chaque compositeur
traite les objets musicaux : comment les manipulent-ils, comment les organisent-ils ? Cet
aspect est important pour deux raisons. La première raison, plutôt pédagogique, est de pouvoir
– en fonction des intérêts et des choix de chacun des compositeurs du Cursus – proposer des
exemples qui seront à tour de rôle en accord avec leur esthétique puis qui y seront opposés. Si
nous souhaitons leur proposer des modèles ou des stratégies qui leur sont étrangers, c'est à la
fois pour leur montrer d’autres manières de travailler et aussi pour les pousser dans leurs
retranchements. L’idée principale est de les confronter à leur métier et de les obliger à se
questionner. La deuxième raison, d’ordre pragmatique, est de comprendre au mieux leur
univers artistique pour pouvoir les orienter dans un choix d'outils conceptuels et
technologiques appropriés. Pour cela, nous proposons aux étudiants un court exercice de
variations, portant sur quatre extraits d’œuvres du répertoire, devant être réalisées en une
heure. Cependant, avec le temps, nous avons remarqué un phénomène collatéral à cet
exercice : le choix des notations proposées aux compositeurs semblait avoir une influence sur
les représentations utilisées.

Dans cet exercice, nous pouvons identifier deux ensembles de représentations : les
représentations externes, graphiques, effectivement présentées aux compositeurs, et les
représentations implicites, c'est-à-dire le vécu de chaque compositeur (réalisant l’exercice) et
les cadres musicaux et esthétiques renvoyés par la simple énonciation du nom du compositeur
(auteur des extraits). Ces représentations implicites étant, en effet, liées au vécu de chaque
compositeur, et à l’ensemble de leurs représentations internes (mentales) relatives à ces
compositeurs ou à leur notation. Pour rappel, Zhang et Norman [Zhang, Norman 1994, 119],
inférent le fait que les actions se réalisent dans un espace d’actions cognitives distribuées, où
l’espace de représentations est partagé entre les représentations externes et les représentations
internes (mentales) du sujet. Ainsi, dans notre évaluation, nous prendrons en compte les
représentations externes (l’espace de notation proposé), et une catégorisation des
compositeurs par rapport à leur apprentissage musical comme possible indice de leurs
représentations internes.

Nous sommes conscients que cet exercice n’est pas réellement une expérience accomplie,
néanmoins, nous pensons pouvoir l’utiliser pour donner un aperçu de l’influence de l’espace
de notation, de l’espace de représentation et de l’utilisation qu’en font les compositeurs. En
plus, comme cela sera discuté plus tard, nous n’avons pas eu l’occasion de développer ce
travail par un questionnaire postérieur, lequel aurait pu nous donner des pistes plus
approfondies sur l’ensemble des représentations internes que les compositeurs auraient mis en
jeu au moment de la réalisation des variations. Cela reste un handicap à être résolu dans des
dévéloppement futurs. Les résultats ne sont cependant pas encore publiés, étant donné que cet
exercice sera repris à nouveau. Nous les présentons en tant que résultats provisoires, en
attendant une expérience de plus grande envergure que nous sommes en train de planifier.

254
Nous omettons volontairement l’année de réalisation de cet exercice, pour des raisons évidentes.
255
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

3.2 L’exercice!
L’exercice consiste à présenter aux compositeurs quatre extraits de musique assez
différents, pour qu’ils réalisent une variation de chaque extrait.

3.2.1 Les!hypothèses,!de!l’exercice!
Cet exercice se fonde sur les hypothèses suivantes :

1) Le choix de la variation tient au fait que c’est un exercice commun dans les classes
d’écriture, c'est un premier pas dans le développement des idées personnelles. Cet
exercice n’implique pas de rester dans un style donné, comme les exercices de style.
Bien au contraire, la variation présuppose l’invention, et oblige le compositeur à
s’extraire de l’univers proposé pour bâtir le sien. L’exemple de Beethoven avec son
opus 120 et ses 33 variations sur un thème de Diabelli, est un exemple marquant dans
l’histoire de la musique. Les compositeurs auxquels nous nous adressons sont de
jeunes compositeurs ayant une bonne connaissance de l’histoire de la musique et un
métier qui commence à s’affirmer.
2) Dans ce cadre, notre deuxième hypothèse, c'est qu’ils essaient de se différencier, cela
dans le court temps proposé.
3) Le temps restreint ne leur donne pas la possibilité de repenser leur travail. Il faut que
le résultat obtenu soit le plus instinctif possible pour nous permettre d’évaluer
l’influence de l’espace graphique.
4) Les jeunes compositeurs ont une connaissance des compositeurs proposés, ou au
moins des esthétiques implicites.

Le fait d’avoir conduit l’expérience de la sorte avait pour but de décontextualiser l’action,
puisque le cadre était un cours de composition assistée par ordinateur.

En plus de ces hypothèses, nous considérerons que l’espace graphique de notation proposé
aura une influence sur leur manière de travailler.

3.2.2 Le!cadre!de!l’exercice!
Cet exercice fut proposé comme première activité des cours de composition assistée
par ordinateur, c'est-à-dire comme une évaluation, non notée, nécessaire à notre préparation
du cours et à leur suivi. Les compositeurs avaient été prévenus de cet exercice, mais n'en
connaissaient pas le contenu. Ils avaient le droit de ne pas y participer. Les résultats sont
évidemment confidentiels, les noms étant changés.

256
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

3.2.3 La!consigne!
Deux consignes avaient été données :

1) le texte sur la deuxième page du document (voir l’item suivant) ;

2) Une consigne verbale : — « Exprimez-vous. Ensuite, je récupérais le document dans une


heure. »

3.2.4 Le!document!
Pour cet exercice, nous avons proposé aux jeunes compositeurs un document de sept pages,
organisé comme suit255 :

Page 1 : Couverture, présentant le titre « Variations », et un espace pour le nom du


compositeur

Page 2 : Les consignes.


« Consignes :

— Faites une courte variation des extraits proposés.

— Gardez uniquement le premier jet.

— Vous avez une heure, ne dépassez pas 15 min pour


chaque variation. (On vous indiquera les quarts d'heure)

Essayer de les faire toutes… »

Page 3 : Un extrait de Tristan Murail, Unanswered Questions, pour flûte (1995), p. 1 (début).

et un espace vide pour le travail d’écriture.

Page 4 : Un extrait de Yuji Takahashi, Irosesu... (1998), pour voix, accompagné des
いろせす
instructions de la partition,
lo
i い ろ ぱ ni に ぽ ぺ
ろ pa po pe


to ti li lu
と ち り ぬ る を
と る wo
nu るる
les instructions :


wa yo ta le so
か か か
わ か よ た れ そ
ka れ
た れ

tu ne na la m u
ねね
255 つ つ つ ねね な ら む う

Le document

つ en entier se trouve dans l’annexe 5.3.1.


257
wi no o ku ya ma
ゐ の お く や ま


ke pu ko e te a

け ぷ こ え て あ

Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Performing process
Sing the japanese character higana you see
Flexible timing without counting nor measuring with natural breathing
et un espace pour le travail d’écriture.

Page 5 : Une page de John Cage SongBooks, Solos for voice, vol. I (1970), p. 37.

Page 6 : Vide, espace pour l’écriture.

Page 7 : Un extrait de Pierre Boulez, Mémoriale (…explosante-fixe… originel) (1985), pour


flûte & ensemble, p. 1,

et un espace pour le travail d’écriture.

Ces extraits musicaux ont été choisis avec l’aide du compositeur Yan Maresz.

3.2.5 Les!caractéristiques!des!extraits!
Comme nous l’avons remarqué précédemment, chacun de ces extraits propose une
esthétique, une pensée musicale, mais aussi un espace de représentation musicale. Pour
résumer, le premier extrait (Murail) propose une esthétique dite « spectrale », exprimée par
une notation musicale fondée sur une représentation proportionnelle du temps, non métrique
et un espace micro tonal en quarts de ton. Le deuxième extrait, du compositeur Yuji
Takahashi, propose une esthétique fondée sur une interprétation active de la part d’un
chanteur, exprimée par une écriture musicale utilisant des caractères japonais, dont les
courbes forment une prosodie. Le troisième extrait propose un espace « à la Cage », un espace
ouvert d’associations, nourri par les concepts de base de son esthétique (voir aussi 2.4.2.3) : le
ou les « silences », la « non-intention » et « l’indétermination ». Un espace réifié par un micro
univers numérique. Le quatrième extrait propose un univers esthétique de la précision,
boulézien, concrétisé par une notation musicale traditionnelle métrique.

Les tableaux de l’annexe 5.3.2 nous présentent les caractéristiques principales de chacune de
ces notations.

258
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

3.3 L’évaluation!

Dans le cadre de notre présente étude, nous n’allons pas évaluer256 les différents
processus utilisés par les compositeurs, mais bien plutôt essayer d’évaluer la distance entre
l’espace graphique des représentations (les notations) utilisées par le compositeur et l’espace
graphique de notation proposé. Pour cela, nous utiliserons un « facteur de rapprochement »,
!"! , pour la variation « i » faite par le compositeur « j », tel que !"! ∈ 0, 0.5, 1 . !"! = 0,
indique que le compositeur a construit un autre espace de notation, ne comportant aucun
élément de l’espace proposé ; !"! = 0.5 indique que le compositeur utilise des éléments de
l’espace proposé, mais y ajoute des éléments personnels ; et !"! = 1 indique que le
compositeur utilise intégralement l’espace de notation proposé sans s’en écarter. Ces facteurs,
ou poids, sont attribués par rapport aux caractéristiques de chaque espace, présentées dans
l’annexe 5.3.2 et utilisées par les compositeurs. L’annexe 5.3.3 présente quelques exemples
de réalisation des compositeurs et le « facteur de rapprochement », !"! attribué.

Nous présentons les résultats de cette première évaluation dans le Tableau 18.

Comp Var_1 n1 Var_2 n2 Var_3 n3 Var_4 n4 Com.


Maintient les Variation fondée sur
« tenues » du des voyelles. Dessin Notation
Les nombres
temps d’une portée. Des rythmique. Il
sont assimilés à 0.
C1 proportionnel, 1 courbes complexes 1 n’y a pas 1
des degrés sur 5
mélangées à de la pour indiquer le d’indication de
un cercle
notation glissando entre des « mètre »
rythmique notes. Portée, notes…
Notation
Voir
métrique. Juste
variati
quelques éléments Variation fondée sur
Partition Classique dans on 1=
de notation des voyelles et des 0.
C2 0 1 numérique et l’esprit de la 1 espac
proportionnelle, courbes issues de la 5
graphique proposition e
mais qui n’étaient proposition
propre
pas dans la

proposition
Même espace
graphique.
Recherche de
Indications Tempo, mètre,
Voyelles plus les sens…
C3 proportionnelles 1 1 0 écriture 1
courbes proposées Espace
plus notation métrique…
numérique…
rythmique
traditionnelle
Même espace
graphique.
Indications Tempo, mètre,
Voyelles plus les Trad.
C4 proportionnelles 1 1 Ne l’a pas faite 0 écriture 1
courbes proposées Écrit.
plus notation métrique…
rythmique
traditionnelle
A gardé des
Voyelles plus les Mètre, écriture
C5 éléments 1 1 Ne l’a pas faite 0 1
courbes proposées métrique…
proportionnels…
Parle
A gardé des Voyelles (en japonais)
Mètre, écriture le
C6 éléments 1 plus les courbes 1 Ne l’a pas faite 0 1
métrique… japon
proportionnels… proposées
ais

256
Nous aimerions remercier Patrick Susini et Olivier Houix de l’équipe « Psychoacoustique et design sonore »
de l’Ircam, pour l’aide précieuse et les suggestions pour l’évaluation des données de cette expérience.
259
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Construit un espace
graphique circulaire
avec de l’écriture
A gardé des
chinoise, des
C7 éléments 1 1 Des nombres 1 Pas réalisée… 0
idéogrammes du i-
proportionnels…
ching. Pas de notation
musicale !!! sauf une
fermata !!
A gardé des
Voyelles
éléments Mètre, écriture
C8 1 (occidentales) plus les 1 Des nombres…. 1 1
proportionnels métrique…
courbes proposées
dans son écriture
Proposition
d’une partition
Propose une Écriture musicale.
rythmique.
écriture par blocs. Portée, clef, notes
Portées. Même ici, il ne
Une définies. Les voyelles
Les nombres reprend pas la Trad.
C9 réorganisation de 0 ont disparu, les 0 0 0
convertis en notation Écrit.
la structure courbes se
numération proposée.
proposée avec des transforment en
binaire pour
profils d’intensité glissandi linéaires
construire des
rythmes…
Espace
Ne reprend pas
métrique, mais
les aspects Portée, tempo,
avec une
proportionnels. mètre... Trad.
C10 0 0 Ne l’a pas faite 0 notation 0
Quantifie, utilise Il ne garde que Écrit.
proportionnelle,
un temps l’aspect vocalique…
loin du
métrique…
Boulez…
Décomposition
de l’espace
A gardé des
Voyelles boulézien.
éléments 0. Corée
C11 1 (occidentales) plus les 1 Ne l’a pas faite - 0 Introduction
proportionnels, 5 nne…
courbes proposées d’aspects
dans son écriture
proportionnels

Très intéressant.
Fait une
Garde les aspects correspondance
Voyelles Tempo, mètre,
proportionnels. entre nombres et
C12 1 (occidentales) plus les 1 1 rythmique, 1
durées en couleurs et
courbes proposées métrique
secondes propose un
espace de
couleurs…
Reprend l’aspect Crée un espace
N’a pas repris les
vocalique, mais recrée prosodique. Une
C13 éléments 0 0 1 Tempo, mètre 1
un espace de notation histoire incluant
proportionnels
prosodique les nombres
Reprend une
partie de l’espace Propose des Trad.
C14 0.5 Ne l’a pas faite 0 Ne l’a pas faite 0 0
proposé, mais en profils.. Écrit.
crée d’autres
Tableau 18 : Résultats d’un rapprochement ou d’un écartement de l’espace de notation proposé

!
!
!

260
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

3.4 Commentaires!

Première remarque : six compositeurs n’ont pas réalisé la variation du troisième


extrait. D’autres ont eu du mal à la réaliser, cela c’était concrétisé par des multiples questions,
posées pendant l’exercice, sur la signification des nombres. Un compositeur (C14) avait
même exprimé le fait que l’extrait ne l’intéressait pas musicalement, raison pour laquelle il n'a
pas réalisé la variation. L’espace « cagien » semble rebuter les jeunes compositeurs, à tel
point que certains évitent carrément de faire l’exercice ! Pour rappel, nous n’avons répondu à
aucune de ces questions, puisque nous avons demandé aux compositeurs de prendre leurs
propres décisions.

Autre remarque concernant le deuxième extrait : les compositeurs C2, C6, C7 et C11 étaient
familiarisés avec l’écriture japonaise et/ou chinoise, exploitant les idéogrammes de forme
musicale. Ceci n’a pas empêché d’autres compositeurs étrangers à cette notation (C1, C3, C4,
C5, C8 et C12) de développer pleinement l’aspect graphique de la notation proposée.

Pour une première évaluation, considérons les moyennes par variation, c'est-à-dire la somme
des points des compositeurs pour la variation_x, divisée par 14 (le nombre de compositeurs),
!
!!"#_! = !" !"
!!! !"! , où !"! est le poids de l’évaluation pour la variation « i » faite par le
compositeur « j ». D’où nous obtenons !!"#_! = 0,68, !!"#_! = 0,71, !!"#_! = 0,36 et
!!"#_! = 0,68. Avec une moyenne globale de !!"# = 0,61.

Si nous excluons le troisième extrait, la moyenne globale remonte à 0,69. Nous considérons
ces moyennes comme la distance des compositeurs par rapport à l’espace de
notation/représentation proposé. A l'exception de la troisième variation, tous les compositeurs
sont entre 68 et 71 % dans les espaces de notations proposés, ce qui est 20 % au dessus d’un
résultat de 50 % que nous pourrions considérer comme indécis. Une moyenne de 0,5 pour
!!"#_! !, signifierait que les compositeurs ont utilisé une partie de l’espace proposé, mais en
ajoutant des éléments personnels en nombre important. Une moyenne au-dessus de 50 %
montrerait que les compositeurs s’écartent de l’espace proposé.

Nous pouvons d’ores et déjà inférer que le choix de l’espace de notation n’est pas neutre, ces
vingt pour cent en plus nous poussent dans cette direction. Nous pensons que ces indices
indiquent que l’espace de représentations et la notation peuvent contraindre le compositeur
dans l’espace graphique de leur définition.

Figure 186 : Moyennes globales pour les poids de rapprochement

261
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Cependant, nous avons une note assez faible pour la troisième variation, nous indiquant, peut
être, que l’esthétique de Cage et sa notation posent problème.

La réalisation de ces variations se passe dans un espace d’actions cognitives distribuées.


Comme nous l’avons déjà remarqué, l’espace des actions est un espace où interagissent les
représentations externes (dans ce cas les notations), les représentations internes (le vécu,
l’esthétique de chaque compositeur) et les représentations liées à l’action, dans le cas présent
la réalisation et la composition d’une variation musicale à partir d’un extrait proposé. Ce qui
nous intéresse maintenant, c'est de pouvoir étudier comment le vécu de chacun des
compositeurs influence ses choix. Pour une étude complète, nous aurions dû faire un
questionnaire assez étendu de manière à cartographier l’espace musical et les esthétiques de
chaque compositeur, pour les positionner. Malheureusement, cela n’a pas été fait dans le
cadre de cet exercice, puisque c’est un exercice. Pour pallier à ce manque, nous proposons de
distribuer les compositeurs en groupes, chacun indiquant un vécu et des influences musicales.
Nous avons alors reparti les compositeurs en trois groupes. Un groupe « écriture » composé
de compositeurs principalement issus d’écoles et de professeurs mettant en avant la pratique
de la composition à partir de l’écriture musicale. Ce premier groupe présente cinq
compositeurs (C4, C6, C9, C10 et C14) principalement issus du CNSMDP et d’Italie. Dans ce
groupe les compositeurs ont, pour la majorité, des positions esthétiques bien affirmés. Le
deuxième groupe, les quatre compositeurs (C3, C7, C11 et C12) sont issus d’une école
allemande, ou ont vécu dans le contexte musical allemand au moins trois années avant
d’arriver au Cursus. Ce deuxième groupe se caractérise par une approche musicale concrète,
où le matériau sonore et le timbre priment sur la métrique. Le troisième groupe regroupe cinq
compositeurs (C1, C2, C5, C8 et C13) principalement autodidactes et ayant vécu dans des
pays anglo-saxons (É.-U., Angleterre), ou autres. Dans ce troisième groupe, ce qui prime, c'est
le manque d’a priori, mais aussi une expérience moindre du métier de compositeur par
rapport aux compositeurs issus des deux premiers groupes.

Calculons les mêmes moyennes pour chaque groupe. Par exemple, pour le groupe 1, variation
2, la somme des points de ce groupe est de 2, divisé par 5 (le nombre d’éléments du groupe),
nous obtenons 0,4, soit 40 % de rapprochement, et ainsi de suite. Ces résultats se trouvent
exprimés dans la Figure 187.

Dans les quatre cas, nous remarquons que le groupe 1 a les notes les plus faibles, ce qui
signifie qu’ils s’éloignent de la notation proposée. Leurs notes sont soit de 50 % pour la
première variation soit en dessous pour le reste. Notons que les compositeurs de ce groupe,
ayant en général une plus grande expérience de leur métier, s’affirment dans leur propre
esthétique et dans leur propre espace de notations.

Concernant la troisième variation, le groupe 1 est le seul qui, de manière unanime, s’en
éloigne totalement (moyenne = 0). Nous pensons que cela tient principalement au fait que ces
compositeurs sont tous issus d’une tradition musicale de « l’écriture », ceci vérifiant, peut-
être, un autre point : les contextes musicaux totalement dédiés à l’écriture ne développent pas
assez l’intuition, l’improvisation et l’interprétation. L’esthétique de Cage est d’ailleurs
souvent considérée comme une imposture musicale et intellectuelle dans ces contextes.

Le groupe 2 semble avoir une identification avec les représentations et les esthétiques
proposées par les variations 1 et 2, présentant un total de 100 % pour les deux cas. Aucun
éloignement. Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces deux variations proposent un espace
262
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

« non métrique », avec un temps proportionnel et des esthétiques mettant au premier plan le
matériau et le timbre. Pour ce même groupe, la variation cagienne nous donne 50 %, soit un
résultat indécis, tandis que la variation boulézienne obtient 62,5 %. Cela pourrait nous laisser
supposer qu’ils ne se sentent pas à l’aise dans ce contexte de représentation classique, la
moyenne étant juste 12,5 % au-dessus de l’indécision.

Concernant le groupe 3 et la variation 3, c’est le groupe qui montre la plus forte moyenne
(60 %) pour cette variation. C'est le groupe où nous remarquons le plus d’efforts pour essayer
de mener à bien l’exercice. Pour la variation 1, ils ont la même moyenne que pour la
variation 3, comme s’ils n’étaient pas à l’aise non plus avec cet espace. Pour la variation 2,
leur moyenne augmente, 80 % ; ils sont restés dans l’espace proposé. Pour la variation 4,
unanimité de 100 %, ils sont restés dans l’espace proposé.

Figure 187 : Moyennes de rapprochement par groupe et par variation

En général, nous pourrions inférer que plus les compositeurs sont sûrs de leur métier, plus ils
ont une esthétique affirmée, ils sont moins influencés par l’espace de représentations proposé.
Pour les compositeurs plus expérimentés, ils adaptent, ils transforment l’espace proposé pour
le convertir dans leur propre espace. Cela est compréhensible, vu que l’une des
caractéristiques des créateurs est la recherche de singularité !

À l’inverse, les compositeurs avec un métier moins expérimenté ont tendance à ne pas
abandonner l’espace de notation proposé. Il nous semble que, dans leur cas, c’est plutôt un
métier qui n’a pas encore mûri, une esthétique qui se cherche. Autre point important à
rappeler : un compositeur a besoin d’un espace de représentations (notations) qui soit
compatible avec son propre espace de représentations, de manière à pouvoir s’exprimer
librement.
263
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

L'idée fondamentale est que le contenu de la connaissance des gens, y compris leurs théories et croyances, peut
être un concept explicatif important pour la compréhension du comportement des utilisateurs à l'égard des
systèmes.257
[Payne 2008, 64]

Si nous avons détecté les traces d’une détermination cognitive des espaces de représentations,
nous avons aussi détecté le fait de la nécessité d’une correspondance cognitive, d’un
ajustement entre l’espace des représentations internes et celui des représentations externes. Si
cela n’est pas vérifié, le compositeur n’arrive pas à exécuter l’action qu’il se propose, ou
qu’on lui propose. Ce blocage peut aller jusqu’au point où le compositeur pourra refuser de
réaliser la tâche. Autre point remarquable : si l’espace de représentations externes ne
correspond pas à l’espace des représentations internes, en fonction de la maîtrise du métier,
les compositeurs réagissent de manières différentes.

Nous sommes conscients des limites de notre analyse. Néanmoins, nous pensons que cette
petite expérience pointe le fait qu’une étude plus approfondie serait très utile pour une
meilleure compréhension des processus d’écriture et de composition musicales, en fonction
des espaces de notation graphiques, ou autres, utilisés.

Pour terminer, nous aimerions remercier Patrick Susini et Olivier Houix de l’équipe
« Psychoacoustique et design sonore » de l’Ircam, pour l’aide précieuse et les suggestions
apportées à l’évaluation des données de cette expérience.

257
« The fundamental idea is that the contents of people’s knowledge, including their theories and beliefs, can be
an important explanatory concept for understanding users’ behavior in relation to systems. »
264
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Six blind elephants were discussing what men were like. After arguing they decided to
find one and determine what it was like by direct experience. The first blind elephant felt the
man and declared, 'Men are flat.' After the other blind elephants felt the man, they agreed. 258

« … since the measuring device has been constructed by the observer, and we have to
remember that what we observe is not nature in itself but nature exposed to our method of
questioning »

Werner Karl Heisenberg, Physics and Philosophy, 1958, p 25

258
De la page : http://en.wikipedia.org/wiki/Blind_men_and_an_elephant.

265
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

266
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

4 Conclusions!

!
!
!
!
!
!
! !

267
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

! !
!
!

268
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

4.1 Les!mots!de!la!fin!
Une carte n’est pas le territoire259
[Korzybski 2000, 750]

Nous venons de finir un parcours qui, à partir du cadre où se situe ce mémoire – la


composition assistée par ordinateur (item 1.2) et la musicologie computationnelle (item 1.3) –
nous a menés dans le territoire de la modélisation et de la formalisation (item 1.4). Au cœur
de ces territoires, la représentation (item 1.5). Dans cette région centrale, et périphérique en
même temps, nous avons commencé par identifier les deux visages, le processus et l’objet, le
chemin et le résultat. Ensuite, nous avons entrepris l’exploration du concept, de l’idée, en
proposant une extension de la formalisation proposée par Le Ny [Le Ny 1994, 184] (voir
1.5.4). Nous avons parcouru quelques routes de la propriété relationnelle « R », en nous
attardant sur les relations qualitatives, analogiques et/ou métaphoriques. Nous n’avons pas
manqué, non plus, de faire une brève halte dans les provinces de la syntaxe et de la
sémantique des représentations, interrogeant leur aspect de représentations de connaissances,
notamment du point de vue informatique. Cet arrêt se faisant, nous n'avons pas oublié que les
représentations de connaissances sont aussi des représentations externes de représentations
mentales [Le Ny 1994]. Après une courte visite aux contrées limitrophes des méta-
représentations, la reproduction, la description et l’interprétation, nous sommes arrivés à la
zone des « propriétés de la représentation » (Partie 2) : une zone plus étendue et plus
complexe qu’initialement prévu. Néanmoins, nous avons sillonné les chemins de la
multidétermination, de la sélectivité, des problèmes liés au changement de l’espace de
représentation, de la fonction ou des caractéristiques heuristiques des représentations pour
arriver à la vallée de la détermination cognitive. Nous y avons fait un certain nombre
d’inférences et exploré quelques théories, l'une des plus importantes étant le fait que
l’interprétation des représentations externes se fait dans un espace cognitif distribué, constitué
de représentations externes, des représentations internes de l’agent cognitif interpréteur de
l’ensemble des actions et de tâches à accomplir. Ce périple nous a mené très naturellement à
la caverne : « qu’est-ce qu'une bonne représentation ? » (itém 2.7). Évidemment la grotte était
bien plus profonde et bien moins éclairée que souhaitée. Un labyrinthe. On nous avait
prévenus. Cependant, nous avons pu inférer un certain nombre de points, nous permettant de
proposer un début de méthodologie fondée sur les caractéristiques cognitives des
représentations. L’utilisation de représentations multiples s’est montré être l'une des clefs
principales. Au retour, nous avons proposé d’analyser un exercice à la lumière du bagage
acquis durant notre voyage (Partie 3). Nous avons trouvé quelques échos, reflets des lumières
et des ombres rencontrées dans la caverne.

Évidemment, nous n’avons qu’effleuré le sujet. La contrée de la représentation est une méta-
contrée. Plus nous y avançons, plus nous nous rendons compte de l’immensité du territoire,
récursif par définition, l’outil d’étude étant aussi l’objet étudié.

259
« A map is not the territory ».
269
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

« La représentation s'enlace à ce qu'elle représente, au point que l'on parle comme on écrit, on pense comme si
le représenté n'était que l'ombre ou le reflet du représentant. Promiscuité dangereuse, néfaste complicité entre le
reflet et le reflété qui se laisse narcissiquement séduire. … Dans ce jeu de la représentation, le point d'origine
devient insaisissable. Il y a des choses, des eaux et des images, un renvoi infini des unes aux autres, mais plus de
source. Il n'y a plus d'origine simple. Car ce qui est reflété se dédouble en soi-même et non seulement comme
addition à soi de son image. Le reflet, l'image, le double dédouble ce qu'il redouble. L'origine de la spéculation
devient une différence. Ce qui peut se regarder n'est pas un et la loi de l'addition de l'origine à sa
représentation, de la chose à son image, c'est que un plus un font au moins trois »
[Derrida 1967, 54-55]

Quels avantages peut apporter une étude comme celle-ci, notamment dans le cadre de
l’utilisation informatique en musicologie et en composition assistée par ordinateur ? Les
questions abordées nous semblent fondamentales. Nous avons relevé quelques points.

4.2 Les!représentations!externes!comme!traces…
« Dis-moi comment tu représentes, que je te dise qui tu es ».260
[Mannis 2011]

Pour rappel, une des stratégies en CAO, en général, est de formaliser sa propre pensée
pour la rendre disponible dans l’univers informatique de calcul. L'ensemble des
représentations mentales du compositeur, de ses propres actions devient son matériau premier
de travail. Dans ce processus de formalisation, le compositeur doit commencer par
comprendre sa propre pratique, par expliciter ses connaissances et son savoir-faire dans un
ensemble de représentations opératoires. Car si le compositeur a bien une connaissance
intuitive de ses propres processus de création, il a également besoin de les rationaliser et de
les expliciter. Ainsi, le compositeur finit par développer un solfège de modèles. En d’autres
termes, le travail du compositeur en CAO consiste à modéliser une partie de son espace
mental, de ses représentations mentales, et ensuite de le représenter et de le coder dans un
langage formel compréhensible (ou interprétable) par l’environnement informatique. Le pas
suivant, c'est l’organisation de ces représentations en processus musicaux, en algorithmes
calculables, suivi de la simulation de ces algorithmes. Cependant, n’oublions pas qu'à la base
des modèles, nous avons les représentations. Ces représentations ne sont pas seulement les
briques de la modélisation, elles sont aussi des outils de pensée, des outils dans le processus
de « connaître » et de « se » connaître. Le compositeur qui explicite, modélise et formalise sa
pensée, explicite, modélise et formalise l’ensemble de ses concepts et de sa perception
esthésique de l’univers sonore, c’est-à-dire, l’ensemble des connaissances qu’il a de ce
monde. Dans ce cadre précis, la modélisation et la formalisation, lesquelles passent
préalablement par une étape de choix et de construction de représentations, constituent aussi
des étapes de « représentations des connaissances » de ce compositeur. Loin du jeu de mots,
cette étape est aussi une étape de codage des différents aspects de son expérience et de ses
concepts dans plusieurs espaces de la réalité.

260
« Diga-me como representas, que te direi quem tu és ». Commentaire du compositeur brésilien José Augusto
Mannis après une conférence que j’ai proférée à la UNESP (Universidade Estadual de São Paulo) à São Paulo,
Brésil, le 03/09/2011, sur le sujet des représentations dans la musique. Ce commentaire est une paraphrase
humoristique d’un dicton brésilien « diga-me com quem tu andas, que te direi quem tu és », qui peut être traduit
par « dis-moi avec qui tu traines, que je te dirai qui tu es ».
270
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

En musicologie computationnelle, en plus de représenter et d’expliciter des connaissances,


nous devons nous préoccuper de la recherche et de la découverte de connaissances, avec pour
but l'inférence de connaissances et de structures implicites, dissimulées dans les phénomènes
de notre étude (œuvres, interprétations, etc.). Ces connaissances étant en général externes à
nous-mêmes, cela signifie que nous créons d’autres représentations à partir de représentations
externes. Ensuite, le chemin continue, explicitation des représentations en représentations
opératoires, calculables, codage, construction de modèles formels, d’algorithmes de calcul
suivis de phases de simulation. Si le compositeur s’arrête à la simulation, à la génération de
données pour les intégrer à sa partition, le musicologue passe ensuite à la phase
d’interprétation, d’analyse des représentations et du comportement des modèles, l’analyse
proprement dite !

Le processus de modélisation en composition assistée par ordinateur partage des similitudes


avec le travail d’analyse musicale. Expliciter un « savoir-comment-faire » [Malt 2009] pour
communiquer avec la machine est, en quelque sorte, une analyse musicale ad hoc. Cependant,
elle ne se restreint pas seulement à l’explicitation formelle d’objets ou de phénomènes, mais
elle intègre aussi la phase qui en découle : la déduction, l'inférence ou l’induction de
structures, exactement comme dans le travail musicologique et/ou d’analyse musicale. Ces
problèmes sont de l'ordre de la modélisation et de la formalisation, de l’induction de
structures et de la résolution de problèmes. L'un analyse des phénomènes externes, l’autre
analyse son propre esprit. Dans les deux cas ces représentations ont, entre autres, une fonction
heuristique.

Comme nous l’avons vu au cours de ce texte, les représentations externes (elles même étant
des produits cognitifs) ont des propriétés ayant une grande influence sur le raisonnement et
l’apprentissage. Ainsi, il est possible d’affirmer que les représentations que nous choisirons
auront, en général, une influence sur notre processus de formalisation, de résolution de
problèmes (voir 2.5.7), d’apprentissage et de connaissance de nous-mêmes
[Löhner et al. 2003, 396], de déduction, d’inférence et d’interprétation ou d’induction des
structures. Ce, non seulement à cause de leurs propriétés cognitives et heuristiques, mais aussi
à cause de leurs propriétés opératoires. Les représentations sont donc plus que de simples
faire-valoir, elles ont une influence sur le quoi et le comment tels que nous les connaissons
[Webb 2009, 5]. Mieux représenter pour mieux comprendre, mieux comprendre pour mieux
faire !

Dans le processus de CAO et dans le processus d’analyse musicale, tant le compositeur que le
musicologue construisent des représentations. Ces représentations sont alors des traces, des
témoignages de la manière de penser de l’un comme de l’autre.

Dans le cas des compositeurs, leurs expressions orales ou écrites n’expriment pas toujours
leur propre conception de la réalité musicale à partir de leurs univers perceptifs et cognitifs,
mais plutôt la représentation qu’ils voudraient que leur public ait d’eux261. Un compositeur qui
explicite, modélise et formalise sa pensée, explicite, modélise et formalise l’ensemble de ses
concepts et de sa perception esthésique de l’univers sonore, c’est-à-dire de l’ensemble des
connaissances, rationnelles et intuitives, qu’il a de son monde. Dans ce cadre précis, la
modélisation et la formalisation, qui passent préalablement par une étape de représentation,

261
Fait que nous ne démontrerons pas ici. Cela est un sujet pour un autre mémoire.
271
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

s'appuient sur une étape de « représentations des connaissances » de ce compositeur. Les


patchs des compositeurs, les traces informatiques, codage de paramètres musicaux, percepts
formalisés, sont un témoignage de leurs propres représentations mentales, de leur sensibilité,
de leur manière de concevoir et de penser la musique262. Ce sont des représentations de
connaissances, dans tous les sens du terme. L’élaboration d’un « solfège de modèles »
consiste en l’élaboration d’un ensemble de représentations de connaissances, c'est-à-dire d'un
codage opératoire de différents aspects de l'expérience et des concepts de plusieurs espaces de
leur réalité. Il en est de même pour un musicologue qui analyse, interprète, construit et utilise
aussi des représentations. Ces mêmes représentations sont aussi des traces de son
cheminement intellectuel et de ses affinités cognitives.

À ce stade, nous avançons l’hypothèse qu’interroger ces représentations, c'est, de manière


indirecte, interroger les représentations mentales des compositeurs sur la musique, sur leur
pratique de la composition et c'est aussi interroger les musicologues sur leur pratique de
l'analyse. Cette étude de leurs représentations et de leurs modèles (informatiques ou autres)
mène à la connaissance de leurs représentations mentales263, c'est-à-dire des concepts et des
idées maîtresses de leurs œuvres. Ceci nous amène à plaider pour d’une pratique plus
soutenue d’une épistémologie critique des représentations, autant en CAO qu'en MC, ou
simplement en composition et musicologie264.

4.3 L’expressivité!des!représentations!
En second lieu, ces caractérisations faciliteraient l'utilisation appropriée d'une représentation. Par appropriée,
nous entendons comme l'utiliser de la manière dont elle a été prévue, c'est-à-dire l'utiliser pour ce qu'elle visait
à faire, pas pour ce qu'elle peut être amenée à faire.265
[Davis, Shrobe & Szolovits 1993, 28]

S’il existe une recherche sur les différentes formes de représentation en musique et en
musicologie, par exemple les remarquables travaux de Jean-Marc Chouvel sur les
représentations harmoniques, ceux de Nicolas Donin sur les différentes formes et
représentations en analyse musicale ou ceux de l’équipe « Représentations Musicales » à
l’Ircam, il manque de manière générale un questionnement, une interrogation sur
l'expressivité des représentations en musique et musicologie. Une étude de l’expressivité des
cadres conceptuels et des différentes formes de représentations (graphiques, géométriques,
algébriques, textuelles, etc.) utilisées pour expliciter des idées serait actuellement la
bienvenue. Pour relativiser quelque peu ce propos, citons tout de même l'exemple d’analyse

262
En prenant garde de ne pas exclure l’influence des divers supports et environnements utilisés.
263
Nous avons pris la liberté de cette paraphrase, en toute connaissance de cause, et avec les risques qu’elle
comporte.
264
Il est important de remarquer que trois ouvrages récents sont dédiés à l’épistémologie en analyse musicale et
en composition. Le livre L'analyse musicale, une pratique et son histoire [Campos, Donin 2009] de Remy
Campos et nicolas Donin, Analyser la musique [ Delalande 2013] de François Delalande et Le compositeur, son
oreille et ses machines à écrire - Déconstruire les grammatologies du musical pour mieux les composer [Levy
2014] de Fabien Levy. Le livre de Remy Campos et Nicolas Donin relevant d’un projet plus vaste, de l’équipe
Analyse des pratiques musicales - Ircam, concernant l’épystémologie musicale.
265
« Second, such characterizations would facilitate the appropriate use of a representation. By appropriate, we
mean using it in its intended spirit, that is, using it for what it was intended to do, not for what it can be made to
do. »
272
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

épistémologique de Vincent Tiffon sur l’utilisation du sonagramme en analyse des musiques


électroacoustiques, notamment pour les musiques acousmatiques ([Tiffon 2006], voir
l’item 2.6.5).

4.4 Conception!d’outils!et!d’interfaces!
Une interface musicale traditionnelle, un piano par exemple, offre seulement un seul type d'interaction.
L'utilisateur appuie sur les touches et le son est émis. Une interface traditionnelle pour l'art, un crayon et du
papier par exemple, facilite l’activité et la production graphique.266
[Jennings 2006, 192]

Cette même recherche d’expressivité aurait beaucoup à gagner à être étendue aux
interfaces et aux environnements informatiques utilisés en informatique musicale et en
musique informatique. Dans le cas de la CAO, ou de la musique informatique, une étude de
cette expressivité serait sans doute de grande utilité. Les interfaces actuelles des
environnements dédiés à la création (Max, PureData, OpenMusic, Nodal, PWGL, Common-
music, Processing, Reaktor, etc.) sont aussi des outils de pensée conditionnant le travail du
créateur. De même pour les environnements d’aide informatique à l’analyse, tels que
OpenMusic, PWGL, Humdrum, ML-Maquette, l’Acousmographe, iAnalyse, EAnalyse,
Music21267, etc. Dans tous les cas, la pensée s’adapte, se contraint, s’accommode, s’ajuste à
l’environnement, au monde proposé, tout en héritant d'une détermination cognitive
intrensèque. Cette étude pourrait s’appuyer, par exemple, sur un paradigme comme celui des
dimensions cognitives des notations, développé par Green et Petre [Green, Petre 1996], lequel
propose un cadre conceptuel pour l’analyse et pour l’évaluation de l’« usabilité », c'est-à-dire
de la convivialité des interfaces informatiques et des langages de programmation visuelle.

Comprendre les processus cognitifs sous-jacents à l’utilisation de diverses formes de


représentations est un atout majeur pour la conception raisonnée d’interfaces et de systèmes
informatiques dédiés [Cox 1999, 344]. Comme cela a été mentionné, certaines représentations
conviennent mieux à certains phénomènes ou à certaines situations. Puisqu'il s'agit d'un point
de vue, d'une perspective sur un phénomène donné, il est important de connaître l’étendue et
les conséquences de nos choix, comme ce qui concerne les restrictions cognitives ou les
extensions proposées par l’espace d’expression de la représentation.

Dans le cadre du développement d’environnements dédiés à l’étude et à la formalisation,


c'est-à-dire des outils heuristiques, la multi-représentativité semble être un point à ne pas être
négligé. Le changement de représentation est un changement de point de vue et de cadrage,
permettant de reconstruire, pas à pas, un objet implicite ou absent. Sans le changement de
représentation, ou de formes de représentation, des parties de l’espace de description du
phénomène étudié, ou à modéliser, resteront peut être complètement voilées
[Zhang 1997, 201].

Vu la diversité de représentations possibles, une question pourrait se poser : serait-il possible

266
« A traditional musical interface, a piano for example, only affords a single type of interaction. The user
presses the keys and the output is sound. A traditional interface for art, crayon and paper for example, facilitates
graphical activity and output. »
267
Ensemble d’outils logiciels, en Python, dédiées à l’analyse musicale. Voir : http://web.mit.edu/music21/.
273
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

de construire un outil, un environnement, permettant de construire ses propres


représentations ? Un langage pour la construction de représentations ? Apparemment, il existe
déjà, il se nomme crayon et papier… Plus sérieusement, comment amener dans l’espace
numérique discret, la flexibilité, l’expressivité de l’analogique ?

4.5 La!fin,!de!la!fin…!
« Non plus analyser la réalité, mais concevoir le modèle, et l’agencement de signes par lequel nous sera signé
l’objet (la représentation diplomatique) et que nous tiendrons pour signant l’objet (la représentation théâtrale).
Le mot clef de la connaissance était hier l’analyse ; il devient aujourd’hui la conception. Concevoir, donc
modéliser (ou représenter). »
[Le Moigne 1994, 72-73]

De par sa forme et ses objectifs, ce mémoire est une vue d’ensemble assez globale des
caractéristiques des représentations musicales externes qui sont proposées aux musiciens en
général. Une grande partie de cette « contrée » est restée inexplorée. Dans la cadre de la
théorie d’un espace d’actions cognitives distribuées proposées par Zhang et Norman [Zhang,
Norman 1994], il nous semble qu’il y ait encore des recherches à faire notamment sur
l’influence des représentations internes des compositeurs. La formalisation du processus de
représentation mériterait aussi d’être approfondie, l’espace de construction de représentations
pouvant être considéré comme une action dans l’espace proposé par Zhang et Norman.

Nous n’avons pas non plus parlé des biais des représentations, bien qu'ils soient présents
implicitement dans ce texte. Nous avons bien proposé le fait que toute représentation est
sélective et donc ne présente qu’un aspect, une vision partielle, du phénomène observé ; que
lors du processus de construction des représentations il faut faire attention à ne pas
« surreprésenter », c’est-à-dire de ne pas choisir un espace de représentation trop complexe
par rapport au phénomène étudie. Cependant, nous n’avons pas exploré le fait que si les
phénomènes héritent des propriétés opératoires de l’espace dans lequel elles sont représentées,
lors de l’utilisation de représentations avec un but heuristique, est est-ce que nous n’imputons
pas aux phénomènes des propriétés appartenant plutôt à l’espace de représentation ? Même si
le sujet demande, et mérite, un traitement plus dévéloppé nous pouvons estimer que, dans
certains cas, la réponse sera certainement positive.

Une étude plus approfondie des représentations visuelles utilisées en musique, nous semble
aussi fondamentale, vu qu’une grande partie des représentations que nous utilisons pour
penser ou pour expliciter sont des représentations graphiques. Même si nous en avons évoqué
certains points, une étude plus approfondie sur la notation musicale nous semble nécessaire.
La grande partie des propriétés que nous lui imputons sont en effet des propriétés plus
générales des représentations et de notre manière de représenter.

Au fil de ce mémoire, nous avons aussi pointé l’importance du support pour les
représentations, comme dans le cas de la recherche sur l’interprétation de la musique de Cage.
Il nous semble qu’approfondir l'étude de l'implication du support dans l’espace d’expression
des représentations nous aiderait à mieux comprendre leur influence et leurs propriétés
cognitives. Une différenciation plus claire entre agents interpréteurs humains ou non,
mériterait aussi d’être considérée.

274
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

D’un point de vue philosophique, nous avons exploré plusieurs cadres concernant la question
de la représentation. Cependant, nous ne les avons pas tous utilisés comme base pour ce
travail. Hors du cadre occidental, en explorant les échos de Balthazar Gracian, nous avons
rencontré la philosophie bouddhique où il est question des « deux vérités » ou des « deux
réalités » : la « vérité relative » et la « vérité absolue ». Dans les dires de Philippe Cornu :

« La réalité relative ou réalité d'enveloppement, réalité de surface, ou réalité conventionnelle se rapporte au


mode d'apparence des phénomènes et de l'existence. Elle décrit non seulement comment apparaissent les choses
aux yeux des êtres, mais aussi les mécanismes de la causalité, les interactions entre les phénomènes
(interdépendance), bref l'efficience de l'existence phénoménale. La réalité absolue désigne le mode réel des
choses, leur nature essentielle et ultime. » [Cornu 2006, 157]

Jonathan Harvey dans sa fameuse conférence « Musique et bouddhisme », lors de l’académie


Acanthes en 2004 à Metz, avait déjà évoqué l’utilité de ce point de vue pour la musique. Cette
vision philosophique et conceptuelle nous semble assez solide pour soutenir une réflexion.
Dans la suite de ce travail, nous reprendrons quelques aspects de ce mémoire pour les étudier
profondément à la lumière de ce point de vue philosophique, notamment dans le cadre des
écoles Cittamatra et Madhyamika du bouddhisme tibétain. Dans ce cas, il serait intéressant de
poser comme cadre philosophique les textes de l’Abhidahrma268. Loin d’être exotiques, nous
pensons que ces notions proposent un socle théorique solide – loin du dualiste habituel de
jugement entre essence et apparence – propice à l’explication de l’expérience esthétique, de la
créativité à plusieurs niveaux et de leur perception et intéprétation. En plus, ce cadre pourrait
être appliqué a bon nombre de compositeurs fortement influencé par la pensée oriental, telles
comme Harvey ou Cage. Dans le cas de Cage, l’étude de la « non-intentionalité » dans
l’interprétation de certaines de ses musiques en est un exemple d’application directe, bien que
plus général. Le compositeur, dans un entretien à Laurie Anderson [Anderson 1992], affirme
avoir suivi pendant deux ans les cours de Daisetz Teitaro Suzuki à Columbia au début des
années 50. De plus, dans [Cage, Kostelanetz 1987, 94], à une question de Richard Kostelanetz
sur l'utilisation de l’I-Ching suite à une découverte faite lors de son voyage en Europe, Cage
répond : « No, it was rather my study of Zen Buddhism. At first, my inclination was to make
music about the ideas that I had encountered in the Orient. The String Quartet [1950] is
about the Indian view of the seasons, which is creation, preservation, destruction, and
quiescence; also the Indian idea of the nine permanent emotions, with tranquility at the
center. But then I thought, instead of talking about it, to do it; instead of discussing it, to do it.
And that would be done by making the music nonintentional, and starting from an empty
mind. At first I did this by means of the Magic Square. » Le contexte d’apparition de ce
concept dans la musique de Cage est fortement relié, sinon complètement tributaire, à la
pensée bouddhique.

268
Voir comme introduction, Ronkin, Noa, "Abhidharma", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring
2013 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = http://plato.stanford.edu/archives/spr2013/entries/abhidharma/
(09/12/2013).
275
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Enfin, sans doute est-il bon de rappeler que les représentations ne sont pas une fin, mais des
outils. Nous sommes des machines à représenter, incapables de saisir directement la réalité
des phénomènes. Le monde se présente à nous par des perceptions, par des sensations
s’actualisant comme des aperçus, que nous saisissons, combinons et interprétons. S’interroger
sur les représentations c’est avant tout s’interroger sur la manière dont nous nous construisons
une identité, sur la manière dont nous interagissons avec le monde, sur la manière dont nous
le connaissons et enfin sur la manière dont nous le créons. Nous construisons sans cesse des
représentations et comme l’a mentionné Jonathan Harvey : « … nous apparaissons le
monde… nous faisons le monde apparaître avec notre esprit » [Harvey 2004]269.

269
Cette phrase de Jonathan Harvey semble être une paraphrase d’une citation du Bouddha historique : « La
pensée préside aux choses, pour l’essentiel elles sont faites de pensées » ( Le Bouddha, Jean-Pierre Osier,
Dhammapada: Les Stances De La Loi, Paris: Flammarion, 1997, p. 47), souvent aussi traduite par le Maitre
tibétain Sogyal Rinpoché comme : « Nous sommes ce que nous pensons, et tout ce que nous sommes s’élève de
nos pensées » (Sogyal Rinpoche, La grande paix naturelle, 2004), ou « « Nous sommes ce que nous pensons,
avec nos pensées nous créons le monde ».
276
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Celui qui cite ses sources hâte la venue de la Rédemption dans le monde
(Pirkei Avot 6:6)270

270
(kol ha omér davar bé chém omero mévi guéoula la ôlam . Pirqé avote 6),
http://www.modia.org/tora/chemote/vayaqel.html. Il existent plusieurs traductions de cette phrase, comme par
exemple en anglais : « Whosoever reports a thing in the name of him that said it brings deliverance into the
world », Pirkei Avot – Chapters of the Fathers, Floating Press, 2014, p. 31.
277
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

278
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

5 Références)et)annexes!

!
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! !

279
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

! !
!
!

280
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

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La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

5.2 Annexe!1!–!Tableau!paradigmatique!pour!Related!Rocks!
(1997),!Magnus!Lindberg!

303
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

304
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

305
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

306
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

5.3 Annexe!2!–!L’expérience!
5.3.1 Le!Document!
Les sept pages du document présénté aux compositeurs, conforme 3.1
Première page – page de garde.

Deuxième page - instructions

Troisième page – Premier extrait – Tristan Murail

307
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Quatrième page – Deuxième extrait – Yuji Takahashi

308
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Cinquième page – Troisième extrait – John Cage

Sixième page – Page blanche

309
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Septième page – Quatrième extrait – Pierre Boulez

310
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

5.3.2 Les!caractéristiques!des!quatre!extraits!

Contexte'
Musique!spectrale!
esthétique'
Timbre'' Donnée!par!l’indication!de!l’extrait!:!flûte!
Portée!
Notes!sur!la!portée!!
Clef!de!sol!
Notes!en!demiBton!
Hauteurs'
Notes!en!quart!de!ton!
Deux! indications! de! multiphonique! par! des! nombres!
indiquant!un!doigté!
Une!indication!d’harmonique!
Ø"
mf"
p"
Dynamique'
symbole!de!crescendo!
!symbole!de!decrescendo!
indication!manuscrite!«!piano!»!
Première!partie!:!indication!d’un!temps!mesure!en!secondes!
Représentation!physique!de!durée!(en!secondes,!4’’)!
! Note!sans!hampe,!prolongée!par!un!trait!épais!
! Valeur!en!secondes!dans!un!crochet!
Deuxième!partie!:!indication!d’un!tempo!
Tempo,!noire!à!54!
Représentation!en!figures!
Temps'
! Croches!
! DoubleBcroche!
! Quintolet!(croche!pointée!et!croche!de)!
! Triolet! !(croche!de)!
Indication!des!pulsations!par!des!traits!fins!
Positionnement! des! figures! proportionnellement! par!
rapport!aux!indications!de!pulsation!
Indications!de!«!legato!»!
Articulations''
Indication!de!respiration!
Autres' Aucune!indication!
Tableau 19 : Caractéristiques du premier extrait – Tristan Murail

311
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Contexte'
Interprétation!improvisée!
esthétique'
Indiqué!par!l’extrait!:!voix!
Indiqué!par!les!phonèmes!:!{i,!lo,!pa,!ni,!po,!pe}!
Timbre''
Phonèmes! représentés! en! écriture! occidentale! et!
japonaise!(higana)!
Représentées! par! la! variation! de! courbes.! Ces! courbes!
Hauteurs'
développent!les!caractères!japonais!
Dynamique' Aucune!indication!
Utilisation!d’une!représentation!proportionnelle!
Aucune!indication!de!rapport!entre!espace!graphique!et!
durée!n’est!présentée!
Temps'
Seulement! l’indication! du! compositeur!:! «!Flexible!
timing! without! counting! nor! measuring! with! natural!
breathing!»!
Articulations'' Aucune!indication!!
Autres' Aucune!indication!
Tableau 20 : Caractéristiques du deuxième extrait – Yuji Takahashi

Contexte'
Cagien!:!indétermination,!nonBintention,!silence….!
esthétique'
Timbre'' Indiqué!par!l’extrait!:!voix!
Hauteurs' Aucune!indication!
Dynamique' Aucune!indication!
Temps' Aucune!indication!
Articulations'' Aucune!indication!
Aucune!représentation!musicale!classique.!
Représentation!de!13!nombres!(hors!le!n°!de!la!page)!
Cinq!Tailles!(!?)!
Six!polices!
Autres' Indications!«!+!»!!
«!B!»!
Aucune!logique,!«!immédiatement!»!apparente!
Aucune!indication!de!correspondance!entre!les!nombres!et!
un!paramètre!musical!
Tableau 21 : Caractéristiques du troisième extrait – John Cage

312
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Contexte'esthétique' Boulezien,!postBsériel!
Donnée! par! l’indication! de! l’extrait!:! «!flûte!
Timbre''
solo!»!
Portée!
Clef!de!Sol!
Notes!sur!la!portée!
Hauteurs' Hauteurs!en!demiBton!
! Bécarre!
! Dièse!
! Bémol!
p"
mp,!!
Dynamique'
Symboles!de!cresc!!
Symboles!de!decresc!
Deux!tempi!
! Indication! de! caractère!:! modéré,!
stable!
! Indication!du!tempo!:!noire!à!84!
! Indication!de!caractère!:!Assez!rapide,!
Modulé!
Temps' ! Indication!du!tempo!:!noire!à!92!
Indications! de!:! rall,! accel! et! «!a!
tempo!»!
Cinq!mesures!
4 10 3
! Indications! métriques!:! !, , !,
4 16 8
6 2
!, !!
16 4
Legato!
Articulations'' Portato!(tenuto!plus!un!point!de!staccato)!
Frulatto!
Indication! d’événement! (cercle! avec! un! «!1!»!
Autres'
au!milieu)!
Tableau 22 : Caractéristiques du quatrième extrait – Pierre Boulez

313
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

314
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

5.3.3 Exemples!de!réalisation!des!variations!par!les!compositeurs!

Voir l’itém 3.3 pour une explication du système de notation. Ci-dessous, nous présenterons
des exemples de réalisation des compositeurs et le « facteur de rapprochement », !"! , attribué
selon le Tableau 23.

Variation'1' Variation'2' Variation'3' Variation'4'


C09!=>!!1! =!0! C10!!2!" =!!0! C09!!3! =!!0! C14!!4!" =!0!
C14!=>!!1!" =!0.5! BBB! C02!!3! =!!0.5! C11!!4!! =!0.5!
C01!=>!!1! =!1! C03!!2! =!!1! C07!!3! =!!1! C04!!4! =!!1!
Tableau 23 : Exemples de réalisation des compositeurs et le « facteur de rapprochement », !"! , attribué

315
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 188 : Réalisation de la première variation par C09, !"! = !

316
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 189 : Réalisation de la première variation par C14, !"!" = !. !

317
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 190 : Réalisation de la première variation par C01, !"!" = !. !

318
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 191 : Réalisation de la deuxième variation par C10, !"!" = !.

319
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 192 : Réalisation de la deuxième variation par C03, !"! = !

320
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 193 : Réalisation de la troisième variation par C09, !"! = !

321
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 194 : Réalisation de la troisième variation par C02, !"! = !. !

322
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 195 : Réalisation de la troisième variation par C07, !"! = !, page 1

323
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 196 : Réalisation de la troisième variation par C07, !"! = !, page 2

324
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 197 : Réalisation de la quatrième variation par C14, !"!" = !

325
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Figure 198 : Réalisation de la quatrième variation par C11, !"!! = !. !

326
La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

Figure 199 : Réalisation de la quatrième variation par C04, !"! = !

327
Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

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La représentation dans le cadre de la CAO et de la MC – de la raison graphique à la contrainte cognitive

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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

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Mikhail Malt – Mémoire pour l’Habilitation à Diriger des Recherches

Mikhail Malt
La représentation dans le cadre
de la composition et de la
musicologie assistées par
ordinateur
Mémoire d’habilitation à diriger de
recherches

Résumé
Représentation, Composition Assistée par Ordinateur, Musicologie Computationnelle

S’il est clair qu’il est possible de faire de la musique avec les outils de la musique, il nous semble
bien moins évident d'en parler et/ou de communiquer à son propos avec ces mêmes outils. Ainsi,
nous avons toujours eu besoin de nous appuyer sur l’utilisation du langage naturel et de développer
un grand nombre de représentations pour pouvoir parler et communiquer sur la musique. L’arrivée
de l’informatique a poussé plus loin ce besoin de représentation. Dans ce mémoire, nous nous
attellerons à étudier le concept de représentation, tant du point de vue du processus (représenter)
que de celui de l’objet généré (la représentation) dans le contexte de la composition musicale
assistée par ordinateur et de la musicologie computationnelle. Notre intérêt se portera
principalement sur les propriétés épistémologiques et les divers corollaires du processus, de l’objet
généré, et plus particulièrement sur les représentations en tant que déterminants cognitifs : comment
les représentations induisent-elles le champ opératoire, et orientent-elles nos choix ?

Abstract
Representation, Computer Aided Composition, Computational Musicology

It’s clear that it is possible to make music with music instruments, but it seems much less obvious to
talk and/or communicate about it with the same instruments. Thus, we always needed to rely on the
use of natural language and develop a large number of representations to be able to talk and
communicate about music. Although the computers conception has pushed further the need for a
new representation. In this writing, we will explore the concept of representation, both from the point
of view of the process (to represent) than that of the generated object (representation) in the context
of computer music composition and computer-aided musicology (or computational musicology). Our
interest will focus on the epistemological properties and the various consequences of the
representation process, and on the representations as cognitive determinants, specifically: how
representations induce the operative field, and how they guide our choices?

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