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Institut d’enseignement

Thérapeute praticien en TCC

FICHE THÉORIQUE
MODULE 1

Introduction aux TCC

À lire avant le cours


FICHE THÉORIQUE
Introduction aux TCC

INTRODUCTION

À l’issue du cours « Introduction aux TCC », vous sau- chien, que nous allons reprendre dans son intégralité,
rez situer les TCC dans l’histoire de la psychologie et et, d’autre part, par quelques exemples de concep-
par rapport à d’autres approches thérapeutiques. tualisation de cas TCC. Au passage, vous allez vous fa-
Vous saurez également commencer à concevoir les miliariser avec quelques notions telles que le renfor-
cas cliniques et le processus thérapeutique, en vous cement ou l’analyse fonctionnelle. Dans le cadre des
référant au modèle TCC du patient et aux principes prochains cours et tutorats, vous allez aborder ces
d’une prise en charge TCC. notions plus en détail, ici, le seul objectif est que vous
Cette fiche théorique a pour objectif d’illustrer le mo- puissiez commencer à réfléchir selon un modèle TCC
dèle TCC du patient, d’une part, par l’article de S. Ru- du patient.
sinek et de T. Kosinski (2015) sur la parabole du petit

LA PARABOLE DU PETIT CHIEN

comportements par Watson et ses émules dès les dé-


« Le professeur Monestès, dans un éditorial du
buts du béhaviorisme [3].
JTCC/JBCT [1], nous propose une vision alarmiste de
l’avenir des TCC telles que nous les connaissons au-
Mais cette affirmation qui pourrait sembler n’être qu’un
jourd’hui. Il propose qu’elles sont décriées par cer- lieu commun est-elle réellement assimilée par tous ?
tains, car elles se perdent dans de multiples nouveaux Peut-être pas.
types de prise en charge aux acronymes incompré-
hensibles et que le seul moyen pour qu’elles conti- Pour illustrer nos propos, qui sans doute vont être
nuent d’exister serait qu’elles se fondent dans une mal perçus par certains, nous commencerons par
psychopathologie scientifique ou psychopathologie cette parabole de notre cru.
expérimentale globale qui leur donnerait une légiti-
Un quidam en mal de compagnie achète un pe-
mité. Loin de vouloir contredire les idées que le pro-
tit chien. Les premiers jours, il joue sans arrêt avec le
fesseur Monestès développe, nous voudrions appor-
chiot, répond à toutes ses demandes, le câline sans
ter une vision moins pessimiste du devenir des TCC,
cesse. Mais les jours passent, l’excitation de la nou-
une vision qui nécessite que chacun d’entre nous se
veauté retombe un peu, et bientôt le quidam se rap-
souvienne, que chacun d’entre nous fasse un effort
pelle qu’il aime aussi regarder des séries à la télé.
de réflexion face aux vessies qui parfois sont prises
Mais voilà, maintenant que le chien est habitué aux
pour des lanternes.
jeux, aux câlins et aux sorties, et comme il n’a lui-
Le souvenir concerne le fondement même des TCC, même aucun intérêt pour les séries télévisées, il ne
ce qui en fait un véritable modèle du patient. La ré- voit pas du même œil l’apathie grandissante de son
flexion concerne la concordance entre ce fondement maître. Alors, il va l’embêter, il réclame constamment
et ce qui est proposé par untel ou untel. jeux, câlins et sorties en lui grattant la jambe. Le
maître lui crie souvent dessus et utilise des strata-
Il est clair pour tous[ ]que les TCC reposent sur les lois
gèmes mal pensés pour faire taire ces comporte-
du conditionnement. Les cognitions, n’étant que des
ments : il craque de temps en temps et joue cinq mi-
comportements couverts, n’y échappent pas (“Mind
nutes avec lui en espérant que cela suffise, il lui
is behavior and nothing else” [2]). Il en est de même,
donne un os à ronger en se disant qu’avec cela il sera
comme nous le rappellent les manuels d’histoire,
occupé, lui procurant ainsi quelques précieuses mi-
pour les émotions clairement conceptualisées en
nutes de tranquillité. Les comportements du chiot se

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trouvent alors renforcés positivement, et l’on peut vraiment aux Canis lupus. Il demandera au maître s’il
même imaginer que le maître lui-même est condi- a choisi son chien, car on l’a présenté comme un
tionné par des renforcements positifs du type : don- tueur dominant ou comme une bonne pâte. Il expli-
ner un os à mon chien me permet d’obtenir quelques quera qu’en plus les comportements du loup actuel
instants de répit ; ou négatifs du type : mon chien ar- peuvent être interprétés de différentes manières et
rête de me harceler. Mais comme ni l’un ni l’autre que quand le chef de la meute prend de la hauteur,
n’en a conscience, nous ne nous attarderons pas à c’est peut-être plus pour compter les louveteaux que
comprendre qui de l’un ou de l’autre est le plus con- pour signifier sa dominance, que si le chef de meute
ditionné et comment, d’autant que l’espèce humaine mange en premier, c’est surtout, car c’est lui qui use
risquerait de devoir reconsidérer l’estime qu’elle a le plus d’énergie dans la journée à défendre les siens,
d’elle-même. Disons donc qu’en fin de compte, le à se méfier de toute chose étrange et que c’est donc
maître totalement exaspéré par les comportements lui qui en a le plus besoin, que d’ailleurs il existe des
de son compagnon décide d’aller prendre conseil au- observations montrant que le chef de meute peut
près d’un spécialiste afin d’agir efficacement. Il fait laisser sa place privilégiée aux louves qui portent des
alors une recherche sur Internet et se retrouve face à bébés ou à un autre loup blessé. Il soulignera que les
un choix entre deux spécialistes : M. Wolf, éducateur rapports dans la meute sont bien plus complexes et
canin classique et M. Bird, simple comportementa- que les louves y jouent un rôle primordial. Il dira que
liste. lui ne tente pas d’interpréter, ne s’embête pas avec
des explications qui ne sont pas vérifiables même si
Imaginons qu’il s’adresse d’abord à M. Wolf. Celui-ci
elles semblent justes. Il dira qu’il ne sait qu’une seule
lui expliquera que les chiens descendent des loups et
chose : le chien, comme l’homme, comme tous les or-
qu’ils ont gardé des instincts de meute, qu’ils peuvent
ganismes vivants, teste son environnement en émet-
être féroces et que le petit chiot cherche avant tout à
tant différents comportements et que si les consé-
devenir le dominant dans cette meute qu’est le foyer
quences de ses tests sont positives pour lui, alors il
du quidam. Il conseillera alors de lui interdire de mon-
réitère ces comportements, mais que si elles sont né-
ter sur les fauteuils pour ne pas qu’il trouve une place
gatives, il arrête [4]. Il conseillera donc au maître de
haute, de le faire manger après toute la famille pour
répondre sèchement « non » à son chien quand ce-
qu’il comprenne que sa place est en bas de l’échelle,
lui-ci réclame quelque chose et de ne jamais craquer
etc. Il lui conseillera aussi de répondre sèchement
mais, par contre, de jouer avec lui, de le caresser
« non » à son chien quand celui-ci réclame quelque
quand il est calme et ne réclame rien. Le quidam
chose pour lui montrer qui est le maître mais, par
rentre chez lui, applique ces conseils, et en une se-
contre, de jouer avec lui quand il est calme et ne ré-
maine son chien change de comportement. Ce
clame rien. Le quidam rentre chez lui, en une semaine
maître éclairé se dira dorénavant : « Je fais ce qui me
son chien change de comportement. Ce maître cons-
plaît de mon chien. Si j’analyse bien son fonctionne-
ciencieux veillera dès lors à tous les comportements
ment, je saurai le récompenser quand il fait quelque
de son chien avec une idée en tête : « il cherche à me
chose que j’apprécie et je saurai le punir dans le cas
dominer, et je ne vais pas le laisser faire. Il faut que je
contraire, mais jamais je ne le verrai comme un en-
me méfie ».
nemi, je ne le verrai toujours que comme
mon chien ».
Imaginons maintenant que le quidam aille plutôt voir
M. Bird, le simple comportementaliste. Imaginons Le même exercice donne le même résultat, mais il
aussi qu’il arrive en lui disant : « je sais que par ins- peut être agrémenté de différentes interprétations.
tinct de meute, il cherche à me dominer ». M. Bird le Or, le fondement même de notre pratique de
regardera avec le regard vide en lui expliquant qu’il TCCistes ne repose que sur une seule interprétation
est possible que des instincts de meute subsistent, qui n’en est même pas une puisqu’elle a pour elle
mais qu’après plusieurs dizaines de milliers d’années d’être une loi : le comportement est sensible au con-
de domestication, les chiens ont connu des sélections ditionnement, à ses conséquences. C’est se souvenir
et des manipulations telles qu’ils ne ressemblent plus de cette chose aussi simple qui permettra aux TCC de

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Introduction aux TCC

ne pas se perdre doucement dans la psychopatholo- et en ayant suivi une bonne formation en psycholo-
gie expérimentale ou scientifique. Car les TCC sont de gie, nous pouvons aujourd’hui expliquer ces phéno-
la psychologie expérimentale et scientifique, mais mènes que sont les émotions, les comportements et
elles sont plus encore, car elles ne s’embarrassent pas les cognitions (fussent-elles conscientes ou incons-
d’autres explications que celles vérifiables. cientes) à l’aide de principes du conditionnement ou
Or, que se passe-t-il aujourd’hui avec l’apparition de d’apports de la génétique. Ainsi, la formulation de
toutes ces formes de thérapies aux acronymes plus pensées alternatives diminue l’affect négatif, la
imprononçables les uns que les autres ? Un simple mindfulness favorise l’exposition, l’habituation et le
éloignement des fondements épistémologiques de désengagement attentionnel, la psychologie positive
notre approche. Sans doute par frustration pour cer- augmente le taux de renforcement, etc.
tains qui ne peuvent accepter que comportements et
Certes, ces nouvelles méthodes peuvent être effi-
psyché reposent sur quelque chose d’aussi simple
caces et peuvent être des progrès, mais en les modé-
que la compréhension du conditionnement, alors que
lisant autrement que sur les principes épistémolo-
l’homme est « bien plus » ; sans doute par un
giques des TCC, elles éloignent notre pratique de son
manque de connaissances pour d’autres auxquels, au
souci de preuves. Aussi, pour éviter que trop d’ésoté-
lieu de parler avant tout de conditionnement, on a
risme ne s’empare de ces nouvelles méthodes, il n’y
enseigné des théories et des modèles, qui bien qu’in-
a d’autres moyens que de les rapprocher de la psy-
téressants, n’ont pas de preuves empiriques incon-
chologie expérimentale en affirmant qu’une étude
testables.
prouve qu’elles sont efficaces. Pourtant, si les proces-
Au risque de heurter, posons-nous cette question : sus fondamentaux des TCC y étaient repris, il suffirait
mis à part le fait qu’untel ou untel l’a dit et qu’untel d’énoncer ceux sur lesquels elles reposent pour
ou untel a pignon sur rue, qu’est-ce qui fait que telle qu’elles gardent un critère de scientificité.
ou telle approche ou tel ou tel outil est à classer dans
Les TCC sont avant tout un modèle du patient, donc
les TCC ? Il n’y a pas de réponse évidente aujourd’hui,
une attitude épistémologique du thérapeute, une vi-
et il existe des débats. Le problème peut être là. Car
sion de la pathologie. Se demander ce qui fait que
la réponse devrait être évidente : tel outil ou telle ap-
quelque chose est de l’ordre des TCC, c’est se deman-
proche repose sur tel principe du conditionnement
der pourquoi nous acceptons que la terre tourne au-
ou tel processus cognitif clairement identifié (ce qui
tour du soleil. Des lois existent et ces lois, jusqu’à
revient au même). Mais bien souvent on préfère
preuve du contraire, sont valables et applicables et se
théoriser, modéliser, se référer à la logique d’un rai-
suffisent à elles-mêmes. N’allons pas vérifier que la
sonnement.
terre tourne autour du soleil (nous ne le pouvons
Ainsi, et en écrivant ceci nous savons que nous au- d’ailleurs pas à notre échelle), n’allons pas remettre
rons droit au bûcher, on ressort aujourd’hui de en cause les principes du conditionnement. Si une ap-
vieilles théories psychanalytiques en les mettant au proche repose sur les lois du conditionnement, si ses
goût du jour pour expliquer les comportements de processus actifs sont explicables en ces termes, alors
l’enfant, et Bowlby [5] retrouve son heure de gloire c’est de l’ordre de la TCC, sinon ça ne l’est pas, même
auprès de ceux mêmes qui durant des années se sont si les résultats semblent probants. Ou pour être plus
battus, preuves à l’appui, pour que le commun des juste, il faudrait se dire, si telle approche semble
mortels ne croie pas en ces chimères. Aujourd’hui, montrer des résultats probants, expliquons-la en
par trains entiers, des thérapeutes s’investissent dans termes de conditionnement et alors ce sera de l’ordre
des formations pour appréhender l’émotion selon des TCC et si nous n’y parvenons pas, alors c’est que
d’autres approches, méditent, acceptent, en étant les TCC sont vouées à disparaître, car leur paradigme
persuadés de découvrir une nouvelle vague, alors épistémologique est mauvais.
qu’ils ne découvrent qu’une autre façon de se con-
À notre goût, il semble tout de même que le véritable
fronter, de laisser les phénomènes d’habituation,
problème est qu’il suffit aujourd’hui de présenter
d’extinction ou de contre-conditionnement faire of-
quelque chose dans un congrès de TCC pour que cela
fice. Pourtant, en adoptant le principe de parcimonie,
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Introduction aux TCC

soit accepté comme faisant partie de nos pratiques. Il Références


n’y a plus chez certains de réflexion épistémologique, [1] Monestès JL. La fin des « TTC » : les thérapies fondées
il n’y a que des effets de modes. Plus que le reste c’est sur la psychologie scientifique. J Ther Comport Cogn
cela qui fera qu’à un moment, ceux qui voudront se 2015;25:1–2.
[2] Lashley KS. The behavioristic interpretation of con-
revendiquer comme psys scientifiques n’auront
sciousness. I. Psychol Rev 1923;30(4):237.
d’autre choix que de se revendiquer comme psys qui
[3] Mariné C, Escribe C. Histoire de la psychologie géné-
adhèrent à la psychopathologie expérimentale, au
rale : du behaviorisme au cognitivisme. Paris: In Press;
risque que lorsque quelqu’un parlera de TCC on ne 2010.
soupçonne chez lui qu’une légère dyslexie quand il [4] Skinner BF. Science and human behavior. New York: Si-
veut aborder le poids des taxes et divers impôts. mon and Schuster; 1953.
[5] Bowlby J. Attachment and Loss. Volumes I & II: Anxiety
[…]
and Anger. London: The Hogarth Press and the Institute of
Psychoanalysis; 1973. »

QUELQUES NOTIONS CLES

Revenons sur ce fondement des TCC abordé dans l’ar- un comportement qui diminue la probabilité que
ticle : « le chien, comme l’homme, comme tous les l’organisme le reproduise dans un contexte simi-
organismes vivants, teste son environnement en laire. Les punitions sont souvent utilisées dans l’édu-
émettant différents comportements et […] si les con- cation des enfants ainsi que dans la loi. Tout comme
séquences de ses tests sont positives pour lui, alors il les renforcements, elles peuvent être de deux
réitère ces comportements, mais […] si elles sont né- ordres : soit on ajoute quelque chose d’aversif à la si-
gatives, il arrête » (p. 74). Toute conséquence favo- tuation (p. ex. dans le cas d’une amende), soit on re-
rable d’un comportement, c’est-à-dire toute consé- tire quelque chose d’attendu ou d’agréable à la per-
quence qui augmente la probabilité que l’organisme sonne (c’est le cas, p. ex., de la privation de liberté).
réitère ce comportement dans un contexte similaire (Cf. de Vries, 2017 ainsi que le module e-learning Les
constitue un renforcement. Un exemple bien connu modèles de l’apprentissage.)
du renforcement est la récompense. En effet, on ré-
Dans les TCC, les cibles de l’action thérapeutique sont
compense quelqu’un lorsque l’on souhaite l’encoura-
les comportements du patient (qui, comme nous
ger à garder un comportement. Par exemple, on peut
avons vu plus haut, englobent, au sens large, égale-
récompenser un enfant par une sortie de son choix
ment les pensées et les émotions). En se référant
s’il a bien fait ses devoirs. Cependant, le renforce-
principalement aux mécanismes du conditionnement
ment n’est pas nécessairement quelque chose que
opérant décrit ci-dessus (l’organisme garde ou
l’on ajoute à la situation comme dans le cas de la ré-
change ses comportements en fonction de leurs con-
compense. La soustraction d’un stimulus aversif peut
séquences), mais aussi d’autres types d’apprentis-
aussi constituer une conséquence favorable. Pouvoir
sages (le conditionnement classique et l’apprentis-
éviter ou s’échapper à quelque chose de désagréable
sage social, qui seront présentés dans le module e-
grâce à un comportement augmentera aussi la pro-
learning Les modèles de l’apprentissage), on va es-
babilité que l’individu garde ce dernier. Par exemple,
sayer de comprendre à chaque fois : qu’est-ce qui fait
si je me rends compte qu’en allant au travail suffisam-
que le comportement (dysfonctionnel*) du patient se
ment tôt, je peux éviter les embouteillages (stimulus
maintient (voire même s’aggrave) ? Pour cela, nous
aversif), mon comportement de se rendre au travail
allons faire une analyse fonctionnelle (AF). L’AF est
tôt le matin sera renforcé.
donc une hypothèse comportementale visant à ex-
Regardons maintenant les conséquences défavo- pliquer (la mise en place et) le maintien du compor-
rables des comportements. On les appellera des pu- tement problème. C’est à partir de l’AF que nous al-
nitions. La punition sera donc toute conséquence à lons construire notre plan de traitement et choisir les

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outils thérapeutiques les plus adaptés au cas du pa- compte des particularités du patient et de ses com-
tient. En effet, la thérapie aura pour objectif de portements problèmes. Par exemple, si une pho-
mettre en place de nouveaux apprentissages qui bique de chien évite d’aller chez son copain parce que
aboutissent à un comportement plus fonctionnel (qui ce dernier a un chien, une variable qui permettra de
ne fait pas souffrir). mesurer l’efficacité de sa thérapie peut être le
nombre de fois où il se rend chez son copain sur une
Les TCC étant, comme nous l’avons constaté plus
semaine. Pour un autre phobique de chien, le pro-
haut, « de la psychologie expérimentale et scienti-
blème peut être qu’il arrive toujours en retard à son
fique » (p. 74), on va considérer chaque cas comme
travail pour éviter de croiser sa voisine et son chien
une expérience scientifique. Nous allons donc tester,
qui font un tour dans le jardin de leur copropriété
pour chaque patient, l’efficacité de la psychothérapie
tous les matins à l’heure à laquelle le patient devrait
mise en place. Si le patient ne s’améliore pas, cela
partir au travail. Dans ce cas, la variable choisie
nous obligera de revoir et d’ajuster notre démarche
pourra être le nombre de fois où il est en retard par
afin d’atteindre les objectifs fixés : le problème se si-
semaine ou son temps de retard moyen sur la se-
tue-t-il au niveau de l’AF, c’est-à-dire au niveau de
maine, etc.
nos hypothèses de départ, ou bien au niveau de la
mise en place du projet thérapeutique qui découle * Grosso modo, on considère qu’un comportement
d’une AF juste ? Ou encore, est-ce quelque chose au est dysfonctionnel s’il est source de souffrance pour
niveau de l’alliance thérapeutique et/ou la motiva- l’individu et/ou pour son entourage. Cependant, il est
tion du patient qui pose un problème ? Etc. important de garder en tête que si ce comportement
se maintient, c’est très souvent parce que dans un
Pour pouvoir suivre l’évolution de notre patient, nous
sens, il fonctionne, c’est-à-dire : il est renforcé. Dans
allons définir des indicateurs de suivi, des variables,
ces cas, il existe donc, d’un côté, des conséquences
que nous allons mesurer tout le long de la thérapie,
favorables à court terme et, de l’autre, des consé-
du début à la fin. Les lignes de base sont les valeurs
quences défavorables à long terme, qui peuvent
des variables choisies à la première mesure, au dé-
créer la demande.
but de la thérapie. Le choix des variables tient

LE CAS DE LEO

Léo vient en cabinet et dit qu’il veut faire soigner ses lui dit « mais je t’aime » et ils se font un petit câlin,
colères. Plusieurs fois dans la semaine, il se met en qui se transforme en grand câlin la plupart du temps.
colère et sa femme lui a dit : « Si tu ne gères pas tes
On peut déjà comprendre l’AF du patient à partir de
colères, autrement, ça va mal aller entre nous. »
ces éléments : mon patient, qui est agoraphobe, son
Après avoir discuté avec Léo, on s’aperçoit qu’en fait
(comportement) problème, c’est « je me mets en co-
il se met en colère à chaque fois qu’on lui demande
lère » au cas où « on me demande d’aller quelque
d’aller en magasin. Un entretien plus approfondi
part ». Cette situation provoque toujours une anxiété
nous montre qu’il est en réalité agoraphobe et qu’il a
énorme chez lui parce qu’il anticipe les angoisses qu’il
pris l’habitude, quand on lui demande de sortir, de se
pourrait avoir dans les endroits. Sa réponse est tou-
mettre en colère. Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois
jours la colère. Les conséquences sont, tout compte
qu’il se met en colère, ça déclenche une dispute et la
fait, « on me laisse tranquille chez moi », l’anxiété di-
dispute se termine par sa femme qui lui dit : « J’y vais
minue donc complètement. Le fait de se mettre en
toute seule, tu m’énerves trop. » Par conséquent, il
colère est maintenu par ce renforcement. Il existe
se retrouve chez lui, tout seul. Il regarde la télé parce
aussi quelques renforcements secondaires, car
qu’il a envie de regarder la télé, il s’endort un peu et
comme la honte apparaît après et qu’il est capable
quand sa femme revient, il lui demande pardon de
d’aller demander pardon à sa femme, il a le petit câ-
s’être mis en colère, elle lui dit « mais je t’aime », il
lin, il a le gros câlin, et généralement ce sont les

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Introduction aux TCC

occasions pour qu’il ait ce gros câlin dans la semaine, renforcement ne soit plus associé à la colère, ce qui
et il a associé aussi le gros câlin au fait de se mettre n’est pas la même chose. Les séries et les émissions
en colère. Il a aussi en renforcement secondaire « je qu’il peut regarder dans la semaine, il faut aussi qu’il
suis tranquille chez moi, je regarde ce que je veux à la puisse les avoir. C’est donc une ligne de base qui doit
télé (d’habitude, je ne peux pas regarder les émis- rester stable. Quitte à, s’il change de comportement,
sions ou les feuilletons qui me plaisent, là, je regarde faire augmenter un peu : un petit peu plus de câlins,
ce que je veux) », il associe donc ça aussi à ses co- un petit peu plus de séries…
lères. Cependant, il existe des conséquences défavo-
D’autre part, on a besoin de lignes de base qui vont
rables à long terme : Léo ne sort jamais et sa femme
montrer que notre intervention fonctionne. Par
lui en veut de plus en plus de ses colères. Maintenant,
exemple, un pourcentage de colères par rapport aux
il vient pour ses colères, mais il est en fait agora-
demandes qu’on lui fait sur une semaine. Ensuite, le
phobe. Et on traite son problème qui est « je me mets
nombre de sorties qu’il arrive à faire par semaine. Et
en colère quand on me demande de sortir ».
on peut imaginer d’autres lignes de base avec notre
Situation (stimulus) : on me demande d’aller quelque patient, en le connaissant. Si, par exemple, Léo nous
part dit : « C’est vrai qu’avant je sortais souvent le chien
Réponse émotionnelle : anxiété dans la rue, maintenant je ne le fais plus, j’envoie
Réponse comportementale : je me mets en colère mon fils le faire. », on peut prendre le nombre de fois
Conséquences (de la réponse comportementale) à où il sort le chien ou combien de temps il passe dans
court terme : mon anxiété diminue complètement, la rue à sortir le chien sur une semaine. S’il dit :
j’ai un gros câlin, je regarde ce que je veux à la télé « Comme je me mets en colère, ma femme me parle
(ces conséquences vont renforcer le comportement) encore, mais mes enfants maintenant généralement
Conséquences (de la réponse comportementale) à me disent juste bonjour et ils vont dans leur
long terme : je ne sors jamais et ma femme m’en veut chambre. », on peut prendre le temps d’interaction
de plus en plus (c’est ce qui crée la demande) positive avec ses enfants dans la semaine. Si à cause
de son agoraphobie, il arrive en retard au boulot le
Cela est donc une AF que l’on peut comprendre en
matin « parce que c’est vachement dur pour moi de
stimulus–réponse–conséquences. On appréhende le
prendre le bus, puis le métro ou même de sortir, à
maintien de la réponse par les conséquences qui
chaque fois j’hésite », on prend le temps de retard to-
viennent derrière.
tal sur une semaine et s’il y a une amélioration, Léo
Maintenant, réfléchissons sur quelles lignes de base n’arrivera plus en retard parce qu’il ne réfléchira plus
nous allons nous baser. autant à la porte de sa maison, on aura donc une évo-
D’une part, on a besoin de lignes de base qui nous lution. On a donc besoin de lignes de base comporte-
permettent de constater que certains renforcements mentales comme celles-là pour savoir si notre patient
secondaires sont toujours là, donc, du nombre de fois va mieux. Enfin, on peut avoir des lignes de base
où Léo a de petits câlins et de gros câlins dans la se- comme les scores de questionnaires d’agoraphobie,
maine. Il ne faut pas que notre intervention fasse qu’il de questionnaires d’anxiété, etc.
n’y ait plus ce renforcement. Il faut que ce

Le cas de Justine

Justine (6 ans) se plaint d’avoir mal au ventre. Elle a On reçoit Justine et on se rend compte qu’elle a plein
fait plein d’examens, tous les médecins ont dit qu’il de peurs. Elle a peur de s’endormir toute seule, elle a
n’y avait pas de cause médicale. Plusieurs d’entre eux peur d’être dans le noir, elle a peur que des voleurs
ont suggéré qu’il faudrait peut-être aller voir un psy. viennent dans la maison, etc. Et à chaque fois qu’elle
se plaint d’avoir mal au ventre, papa et maman vont
la voir, ils la prennent dans les bras, ils lui font des

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câlins et lui disent : « Bon, endors-toi ici, je te mettrai Conséquences (de la réponse comportementale) à
dans ton lit après. » ou « Tu verras, il n’y a rien. » etc. court terme : ma peur diminue, papa et maman s’oc-
Par conséquent, comme bénéfice primaire, sa peur cupent plus de moi, ils font attention à moi, ils
diminue. Comme bénéfice secondaire, elle passe plus m’amènent au McDo le lendemain, etc.
de temps avec ses parents, et plus de temps d’ailleurs Conséquences (de la réponse comportementale) à
que sa petite sœur ou sa grande sœur. On s’occupe long terme : j’ai toujours peur que des voleurs vien-
beaucoup plus d’elle et on fait très attention à elle, nent dans la maison, je ne m’endors jamais seule, j’ai
on lui demande son avis tout le temps sur tout : « Est- des maux de ventre, papa et maman sont inquiets et
ce que tu crois que ça va aller si on fait telle chose ? » je dois faire plein d’examens
Et comme elle n’a pas mal au ventre quand elle va
Sur quelles lignes de base nous allons pouvoir nous
manger au McDo, elle a, en plus, beaucoup de McDo.
baser ? A vous de jouer !
Ces bénéfices expliquent que Justine se plaint tou-
___________________________________________
jours du ventre quitte à avoir un réel ressenti parce
___________________________________________
que la peur, de toute façon, entraîne des maux de
___________________________________________
ventre.
Voici quelques exemples : combien de fois Justine
On a donc en AF :
dort toute seule, combien de fois elle se plaint de
Situation (stimulus) : je dois m’endormir seule maux de ventre sur une semaine, on repère les
Réponse cognitive : « Des voleurs viendront dans la choses qu’elle ne fait plus ou qu’elle ne fait pas bien
maison. » à cause des maux de ventre et comment elle arrive à
Réponse émotionnelle (et physiologique) : peur (es- les faire (p. ex. le nombre d’aliments différents
tomac noué) qu’elle peut manger, le nombre de fois où elle va à
Réponse comportementale : je me plains d’avoir mal l’école sur un mois), etc.
au ventre

BIBLIOGRAPHIE
- de Vries, H. (2017). La formulation des cas cliniques en thérapie comportementale et cognitive. Psychologie
& Éducation, 2, 57–74.
https://www.aftcc.org/sites/default/files/attachements/2017_formulation_cas_cliniques_afpen_2017-2.pdf
- Rusinek, S. et Kosinski, T. (2015). Psychopathologie comportementale, psychopathologie cognitive, psycho-
pathologie expérimentale et TCC : de la parabole du petit chien. Journal de Thérapie Comportementale et
Cognitive, 25(2), 73–75.

Si à l’issue de la lecture de cette fiche, vous avez des questions sur la thématique qui sera abordée pendant
la journée de formation, n’hésitez pas à les poser en début de cours afin de permettre à votre enseignant(e)
de mieux ajuster son intervention à vos attentes, connaissances et lacunes.

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