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IDÉES BOUTIQUE
L’ouvrage Nom de Constance Debré publié aux éditions Flammarion, est considéré par
notre rédactrice comme une littérature de la pensée anarchiste en acte, caractérisée par
une forme de subversion non consensuelle et idiosyncrasique. Cet article s’e몭orce
notamment de montrer en quoi l’écriture de Debré, par la revalorisation qu’elle opère
du libre-arbitre et du jugement rationnel, exhibe les écueils et les limites inhérentes à
la discipline psychanalytique.
la discipline psychanalytique.
« Quel est le problème avec ce qui est vrai, quel problème ils ont avec la vérité, je me demande tout
le temps. »
LE CORPS DE L’ÉCRIVAIN
Ce corps – donnée empirique tangible, comme les os deviennent sensibles à l’anorexique –
« est apparu quand je suis devenue écrivain, quand je suis devenue homosexuelle, quand je
me suis débarrassée de beaucoup de choses et que j’ai perdu le reste ». Pour autant qu’il
cesse d’être une entité naturelle, ou même sociale, le corps auto-constitué apparaît
premièrement sans genèse, ou sans généalogie ; il n’entretient pas de rapport avec
premièrement sans genèse, ou sans généalogie ; il n’entretient pas de rapport avec
l’origine, il ne découle pas linéairement ni même de manière discontinue de l’histoire
familiale. Il a au contraire a une dimension performative : il est à lui-même son propre
commencement – ou recommencement, dans les termes 몭naux du livre. Plus exactement,
on pourrait dire que le corps advient dans et par l’écriture, comme chez Ka몭a corps et
visage pourraient « en몭n » apparaître, et s’inscrire dans le temps, avec les progrès de
l’œuvre littéraire :
« Probably any work where you start with nothing on a page and you have to 몭ll the page is
accompanied by a lot of anxiety and a lot of fear. Fear that simply you can’t do it. And frustration
as you’re doing it because what comes is very crude. But over the years I think what you develop is
a tolerance for your very crudeness. And patience, patience with your own crap, really. And a kind
of belief in your crap, which is: just stay with your crap and it’ll get better if you just stay with it. »*
Le choix procède du libre-arbitre et celui-ci est à son tour, écrit Debré, un certain
« rapport avec le vide », le vide étant lui-même dans un antagonisme perpétuel avec
l’origine. Dans l’ascèse de l’anorexique, il en va bien d’un refus simultané de la nourriture
et de l’emprise maternelles. L’anorexique cherche à se libérer de l’incorporat maternel :
elle veut un corps séparé de celui de sa mère. Le facteur de la séparation, c’est le vide.
J’ai reçu le livre de Debré comme une critique des écueils de la psychanalyse, quoique
relativement involontaire de la part de l’auteure sans doute, même s’il est fait mention
deux fois de la psychanalyse – une fois dans l’épigraphe, l’autre pour la décrire comme un
« système » inopérant. Ce que le livre met en évidence, ce sont deux points sur lesquels la
psychanalyse échoue à reconnaître ses limites, et qui engagent un seul et même problème
méthodologique : comment savoir ce qui, de la parole de l’analysant, doit être soumis à
une recherche étiologique, et ce qui fait au contraire exception à la science freudienne, en
ceci que c’est la manifestation d’une liberté subjective irréductible à toute causalité
inconsciente ? L’analyste compétent doit être en mesure de distinguer entre des croyances
qui méritent d’être déconstruites ou réélaborées, et des a몭rmations du sujet qui ne
peuvent pas être impunément soumises à l’exercice du scepticisme analytique – sauf à
vouloir semer le chaos.
Certainement, cette di몭culté motive les critiques les plus vigoureuses mais aussi les plus
justi몭ées à l’endroit de la psychanalyse : où s’arrête le soupçon de l’analyste ? Quel refus
ou désaccord ne prendra-t-il pas aisément pour une dénégation ? Son ironie peut-elle
indé몭niment et indi몭éremment s’appliquer à tout le matériel que lui soumet le patient ?
La réponse, évidemment, est non ; sans quoi d’ailleurs on est impuissant à envisager qu’il
existe une 몭n possible de l’analyse ; sans quoi l’analyse devient un mode de vie, ce que
Winnicott déplorait comme l’une des formes de l’échec thérapeutique. L’analyse
interminable est celle qui n’a jamais vraiment commencé pour lui : elle prend appui sur le
faux self du patient. Mais nous pourrions a몭rmer que c’est également l’analyse qui refuse
d’admettre comme sa limite et comme sa 몭n temporelle ce qui, du sujet, résiste
principiellement à l’investigation – l’homosexualité d’un patient, par exemple, appelle-t-
elle une interprétation ? Il s’agit donc moins d’une résistance de l’analysant que d’une
entièreté du sujet. C’est cette entièreté, je crois, qui est au cœur de l’écriture de Constance
Debré.
Si tout, dans la vie psychique, a une cause inconsciente, si le déterminisme est intégral,
comme Freud l’écrit au chapitre 12 de la Psychopathologie de la vie quotidienne, lorsqu’il se
distingue du superstitieux – qui croit de son côté au déterminisme de la réalité extérieure…
« Ce qui me distingue d’un homme superstitieux, c’est donc ceci : je ne crois pas qu’un
événement, à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part, soit capable de
m’apprendre des choses cachées concernant l’état à venir de la réalité ; […]je crois au
hasard extérieur (réel), mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique). » (Je souligne)
… Si le hasard intérieur n’existe pas, alors certes des choses contingentes peuvent se
produire dans le réel qui ne doivent pas être ramenées à une projection fantasmatique du
patient – ce qui permet de déjouer bien des accusations paranoïaques à l’endroit de la
psychanalyse – ; cependant, les productions idéelles et plus largement les données
intrapsychiques sont toujours susceptibles de « cacher » un motif secret, qui se trouve
derrière elles. Un exemple saisissant parmi ceux que rapporte Constance Debré, en con몭it
patent avec cette thèse, est celui de l’étonnement qu’elle éprouve au moment où elle
retrouve de manière fortuite le visage de sa mère à l’écran, plusieurs années après la mort
de celle-ci :
« C’est ma mère, j’ai dû le dire quatre ou cinq fois. Je ne disais rien d’autre. Qu’est-ce que
ça te fait, m’a demandé la 몭lle. Qu’est-ce que ça me faisait, je n’arrivais pas à savoir. Ça
m’étonnait, c’est tout ce que je pouvais dire. J’étais étonnée. C’était étonnant. De la voir.
Ou bien de me souvenir que ça avait existé. Elle. Elle et moi. Elle pour moi. Tellement
d’importance. Et puis rien. J’ai essayé de trouver autre chose que l’étonnement, je n’ai pas
trouvé. Ni ce jour ni les suivants. Il n’y avait plus rien derrière. »
Dans l’exemple du visage de la mère, revu après des années d’oubli, l’étonnement n’est pas
le sentiment apparent qui dissimulerait une émotion abyssale, terrible, nécessairement
hors d’accès car dangereuse pour l’intégrité du sujet : c’est pourtant le rapport à soi auquel
la psychanalyse tend à soumettre systématiquement le patient. Le rien n’est jamais rien, il
fait signe vers autre chose. La force du passage cité est de reconnaître le rien comme tel –
ou la surface comme le tout. Il n’y a que de l’étonnement devant le fait qu’une relation si
intime ait pu devenir entièrement étrangère au sujet, au point qu’un accident de
intime ait pu devenir entièrement étrangère au sujet, au point qu’un accident de
l’existence la ramène inopinément à la mémoire. C’est dire que le sujet peut oublier, mais
que les forces sociales – des forces essentiellement conservatrices du tissu familial, dont la
psychanalyse fait partie –, luttent contre cette réalité : « Si les choses étaient bien faites, à
dix-huit ans on oublierait tout, on ne reverrait jamais ses parents, et on changerait de
nom. »
« Parfois il me semble que je pourrais oublier la femme que j’aime, oublier qu’elle existe,
qu’il su몭rait d’une in몭me distraction, que je pourrais l’oublier comme je peux oublier
mes clés sur une porte ou des billets dans un distributeur. Je fais attention, ça n’arrive pas
mais ça pourrait arriver, il y a un endroit comme ça en moi. »
Seule issue devant un tel constat : « partir, recommencer » : « C’est ça que je fais, quand je
fais du vélo, quand je construis des cabanes, quand j’apprends l’anglais, quand je lis des
histoires de héros, toute l’enfance je m’entraîne et j’attends. »
La sœur de Constance, elle, ne peut pas. Elle est toujours associée au plus grand
conformisme : « C’est plein de cadavres la vie de héros. Tout le monde ne peut pas. Ma
sœur ne peut pas, c’est pour ça qu’elle s’est mariée et qu’elle a trois enfants et un chien. La
plupart des gens ne peuvent pas. Moi je peux. »
plupart des gens ne peuvent pas. Moi je peux. »
À distance de cette condition féminine, Constance Debré veut «faire du sport, nager,
courir, se raser la tête, se tatouer le corps, séduire, être séduit, quitter, être quitté,
s’entraîner, s’améliorer, recommencer, risquer, vouloir, faire, ne pas pleurer, être beau, être
un héros ». Ailleurs, décrivant son enfance et son adolescence, elle écrit : « je suis la seule
몭lle au milieu des garçons, tout le monde est habitué », ou encore : « je suis une 몭lle à ma
façon », « ce que je raconte ce ne sont pas mes émotions, ce ne sont pas mes sentiments –
les émotions et les sentiments sont des choses répugnantes –, ce sont mes idées », « je
serai un garçon », « je ne suis pas vraiment une 몭lle », « c’est ça qui vous répugne, les
indignations, les chagrins, les plaintes, les pleurs », « je suis beau comme les taulards qui
font des pompes, pour l’honneur ».
La mère, les tantes, la sœur de Constance, chacune est folle ou faible à sa manière ; le père
est quant à lui égoïste, peu enclin à parler de sa propre intériorité ou à s’intéresser à celle
des autres ; ni introspectif ni bavard, relativement équanime et indi몭érent. Je ne prête pas
à ces descriptions un caractère normatif : je les considère comme des descriptions, à cet
égard contingentes, sans prétention d’essentialisation. Néanmoins, il est impossible de ne
pas voir que l’identi몭cation au masculin, ou plus exactement le trajet d’une féminité
atypique au discours de soi au masculin, traduit un genre peu consensuel de féminisme.
Une respiration par ces temps étou몭ants d’injonction à la sororité.
BIBLIOGRAPHIE
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Margaux Mérand
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