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la Solitude du coureur de fond (1959)

Alan SILLITOE (ROYAUME UNI)

Catégorie: LONGUE NOUVELLE


Dans la rubrique Littérature sur le sport, voici le très bon livre “la solitude
du coureur de fond” écrit par Alan Sillitoe en 1959. Ce livre est en réalité
une longue nouvelle donc un format assez court (71 pages)

Genre: SOCIETE

Résumé:
C’est l’histoire de Colin Smith, adolescent un peu délinquant qui commet de temps en temps
de petits délits, jusqu’à en faire un plus grand.
Envoyé en maison de correction pour avoir cambriolé une boulangerie, le jeune Smith se voit
laisser l'opportunité de sortir tous les jours pour courir en dehors de la maison de correction où
il séjourne.

Devant la formidable capacité du délinquant à avaler les kilomètres, Le directeur de la maison


le repère et lui propose de courir pour la course des maisons de corrections du pays et gagner
le “ruban bleu”. le directeur de la maison de correction s'autorise à espérer une victoire dans le
"prix du ruban bleu de la course de fond des maisons de correction". Colin Smith porte en lui
les espoirs du directeur qui espère en faire un exemple de réhabilitation.
Colin accepte, s’entraîne tous les jours seul, dans les champs et se pose la question de rester
dehors ou de rentrer dedans. Il décrit très bien ses courses, son désir de liberté, sa recherche
d’identité à travers le jogging, seul espace de liberté qui lui est accordé.

Mais s'il court si vite, ce n'est pas pour devenir compétiteur, et encore moins pour faire gagner
la coupe au directeur. C'est parce que paradoxalement, courir lui offre la possibilité de faire
une pause dans une vie passée à courir contre l'ennui d'une société aux murs de laquelle il s'est
déjà trop souvent cogné. Courir lui permet de laisser derrière lui tous ses vieux et lourds
souvenirs et de préparer ses coups futurs.Il s’entraîne tout en sachant qu’il va mettre un point
d’honneur à perdre la course, pour ne pas accepter l’ordre du directeur, le décevoir
consciemment et ainsi l’humilier. C’est sa façon à lui de “prendre” la liberté qui lui a été
donnée.

Et son premier combat à lui sera de perdre cette coupe que l'on veut lui faire gagner, et qui est
pour lui le symbole de cet avenir que veulent lui imposer tous les bien-pensant et dont il ne
veut pas. Car pour lui, l'"honnêteté" n'est pas celle que défend le directeur du pénitentiaire,
c'est la liberté de décider lui-même de ce qu'il doit vivre, inlaw ou outlaw.
Interprétation :
Ce livre est donc une longue course où l'on a l'impression que Smith court sur place
continuellement et seul le décor change, tantôt présent lorsqu'il s'entraine tôt le matin, tantôt
passé lorsqu'il raconte comment il est entré au pénitentiaire et comment son père est mort,
puis futur lorsqu'il décrit la coupe, cette coupe qu'il doit perdre pour ne pas perdre son
honneur.
Nous voici alors livré le long monologue de Smith le coureur de fond, qui laisse courir son
esprit aussi vite que son corps, et si l'on a l'impression qu'il a passé sa vie à courir, c'est le
style qui y fait beaucoup. Car si finalement le jeune héros n'a mené jusque là qu'une vie de
"glandeur", l'insolence du ton et le flot ininterrompu de paroles concourent à rendre haletant
et passionnant cette histoire en même temps qu'elles intensifient la violence du discours.
Violence qui se traduit par des attaques directement contre nous, lecteurs, inlaws
complaisants qui restent sur place là où lui courre plus loin vers le destin qu'il s'est choisi.
Une petite bousculade ne fait jamais de mal, même si l'affection dont on se prend pour le
narrateur affecte certainement la portée du message.

Dans le noir, dans une cellule de la maison de correction, commencent à jaillir les mots, plein
la tête de Colin Smith ; quelques notes retentissent peu à peu pour les accompagner puis, un
halo de lumière éclaire le coureur de fond. Dans ce texte d'Alan Sillitoe, on assiste à une
course incessante, course à pied d'un coureur de fond inépuisable et course des mots qui se
bousculent dans sa tête et se jettent inlassablement au-devant de lui pour éclairer sa route, sa
vie, son cheminement personnel. Le saxo d'Esaïe Cid, par des incursions, l'accompagne ,puis
le cherche, puis s'accorde à lui dans une intensité narratrice sur les notes d'Arthur Pepper qui
lui insufflent sa résolution. Les images vidéo ou en noir et blanc, d'un coureur solitaire à
travers champs, accentuent encore plus l'effet d'errance de la pensée d'un homme, ni tout noir,
ni tout blanc, qui se meut dans une atmosphère surréaliste et impressionniste. Le coureur de
fond, solitaire mais assailli par ses pensées, court vers Sa victoire, son souffle se mêlant au
souffle du saxophone, le corps et l'esprit en osmose. Dans cette course au bout de lui-même,
l'homme se dévoile, se construit, dans une fabuleuse leçon de théâtre. Le coureur de fond
solitaire dit le texte, le projette, le souffle, l'amplifie, le partage avec nous, il l'éclaire, en rend
la part d'ombre et de souffrance et nous transperce dans une image finale d'abnégation, dans la
beauté du geste, pour la victoire de l'Etre. L'immense acteur -metteur en scène, Patrick Mons,
dans cette double performance, transfigure les mots et donne au personnage une ampleur
shakespearienne !

Cette longue nouvelle est décrite par le narrateur (Colin) qui transforme la course à pied en
une métaphore de la vie et de la survie. On comprend l’importance de déroger à l’ordre, de ne
pas se soumettre aux règles, construire son espace de liberté à travers la course.
On se demande jusqu’à au moment de la fameuse course s’il sera capable d’aller au bout, de
la perdre ou s’il ne la gagnera pas quand même (il faudra lire le livre pour le savoir…). Colin
nous montre comment la course peut devenir un exutoire, former une personnalité. Il nous
montre la différence entre courir, sans but, sans repères et faire la course.
Le livre a été adapté pour le cinéma en 1962 par Tony Richardson, et l’on retrouve encore le
DVD disponible

Classique de la littérature britannique, cette nouvelle de 1959 est un texte moderne d'une
grande musicalité qui se lit comme il semble avoir été écrit : d'une traite.

Le sport est un lieu de lutte où la société tente de contrôler les corps et donc les esprits en les
soumettant au culte de la médaille et de la performance. Smith n'a que faire du prix du Ruban
Bleu et va tout faire pour perdre une course qu'il pourrait aisément gagner.

Pour Colin le jeune coureur de 17 ans emprisonné pour vol dans une boulangerie, c’est sa
dignité et son intégrité qui sont en jeu. Pour le directeur de l’établissement pénitentiaire, il
s’agit de remporter la coupe afin de renforcer le prestige de l’institution judicaire qui utilise le
sport comme moyen de réhabilitation des jeunes délinquants et pour promouvoir le culte de la
performance. Y a-t-il vraiment quelque chose de changé en 2014 ? A l’inverse, Colin
revendique pendant toute la course son statut de perdant.
La remarquable nouvelle adaptation pour le théâtre mise en scène par Patrick Mons, à la fois
maître d’œuvre et coureur fougueux en jogging et running, qui parcourt en temps réel devant
les spectateurs les 5 miles de cette compétition initiatique. Il est accompagné du saxophoniste
Esaïe Cid, en habit de soirée qui ponctue le monologue de Colin sur la musique inoubliable
d’Arthur Pepper, de David Cid, créateur vidéo qui éclaire et donne vie à la piste au sol et
projette sur le rideau de scène un arrière-plan féérique ; un intermède comique représente en
ombre chinoise le bobby ‘à la face d’Hitler’ qui interroge Colin sur le pas de la porte.
Le long monologue intérieur de Colin est entrecoupé achronologiquement par une profonde
réflexion sur les circonstances qui l’ont amené en prison, l’épisode de la mort de son père, la
vie avec sa mère et ses frères. Le texte du monologue a conservé toute sa vigueur, son
authenticité et sa raison d’être au XXIème siècle.

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