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’Enfance d’un chef

Cela fait déjà quarante-trois ans que le monde a perdu Jean-Paul-Sartre, auteur de la prestigieuse
nouvelle l’Enfance d’un chef, et philosophe existentialiste génial du XXe siècle. A sa mort, les mondes
de la littérature et de la philosophie françaises ont perdu une figure extraordinaire, dont les idées
brillantes continuent de nous enjouer, de nous assombrir, de nous engouffrer dans un monde de
magie, de tendresse, et de psychologie.

Né en 1905 à Paris, Jean-Paul Sartre y mourut septante-cinq ans plus tard, après avoir connu une vie
d’immense succès, pendant laquelle des œuvres classiques comme l’Etre et le Néant (1943) et
l’Existentialisme est un humanisme (1945) y furent créées, un prix Nobel de la littérature lui fut
donné, et la fabuleuse nouvelle l’Enfance d’un chef y fut écrite.

L’Enfance d’un chef a été publiée en 1939, qui, en effet, est un temps de véritable secousse
politique : la deuxième Guerre Mondiale était au bord d’éclater, et l’avenir de l’Europe était, pour
une première fois dans l’histoire humaine, complètement incertain. C’est à cette époque
tumultueuse que fut introduit le jeune personnage Lucien Fleurier au monde de la littérature
française.

Dans la nouvelle, Sartre peint le portrait concret de Lucien, un mignon petit garçon, qui, le long de
son enfance dorée est confortable, va être à la recherche de lui-même : d’une enfance dans une
famille idéale, aux révoltes de l’adolescence, de la bohème aux milieux d’extrême droite, Lucien
Fleurier tente de connaitre l’homme qui émerge en lui, sans oublier de devenir un chef à la fin de
son chemin.

Lors de l’histoire, le prestigieux Jean-Paul Sartre se contente d’utiliser ses talents de description :
premièrement, il conçoit le portrait du personnage principal, Lucien Fleurier. Il s’agit d’un petit
garçon tellement charmant mais néanmoins sensible, un garçon qui ressemble à une fille, avec ses
longues mèches blondes et ses petites robes bleues ravissantes. Comment un petit être aussi
indéniablement mignon pourrait-il devenir aussi vil ? Quelle tragédie aurait-il pu subir pour avoir
l’envie grotesque de devenir, lui aussi, un chef ?

Jean-Paul Sartre décrit également le portrait sublime de M. et Mme. Fleurier, les parents de Lucien.
La mère n’est présente qu’en tant que mère « imposante et belle », « chaude et parfumée », et n’a
aucun vrai rôle dans l’histoire. Son personnage est plat comparé à son mari, M. Fleurier, un homme
« aux yeux gris métalliques et froids d’un chef », propriétaire d’usine, qui est l’exemple que doit
suivre Lucien pour réussir à devenir chef. En effet, sans lui, le petit Lucien ne pourrait jamais devenir
un grand chef, et l’histoire n’aurait pas de but.

Un quatrième personnage marquant serait un homme plus âgé nommé Bergère, pour lequel Lucien
éprouve de la fascination. Il finit par avoir une liaison amoureuse avec celui-ci, mais elle ne dure pas
longtemps.

Parmi ces quatre personnages ci-dessus, Julien est sans nul doute celui que je préfère.
Premièrement, Lucien nous rappelle de notre propre enfance : le garçon a une qualité assez
innommable que nous avons tous un jour rencontrée chez un garçon dans la cours de récréation.
Elle s’agit d’un mélange d’innocence, de sensibilité, et d’intelligence. Ainsi, lors de la lecture, je
n’arrêtais pas de penser que Julien était si familier : «  pourquoi ai-je l’impression de l’avoir un jour
rencontré  ? Il s’agit pourtant d’un personnage fictionnel, il n’existe pas.  » De plus, cette qualité
prouve une chose : un garçon comme Julien, qui non seulement s’adhère aux idéologies d’extrême
droite mais qui devient aussi un chef, peut se trouver partout. Nous avons à coup sûr déjà rencontré
lors de notre enfance un garçon comme celui-ci, qui deviendra peut-être même un chef. Voici d’où
rentre la brillance de Sartre : en comprenant la signification de cette même qualité, on ne peut
s’empêcher d’éprouver un sentiment d’inconfort, un sentiment sinistre. De cette façon, Lucien est
non seulement un personnage d’un livre fabuleux, mais une preuve que tout le monde, même moi,
a la possibilité de devenir un chef, de supporter des idéologies fausses d’extrême-droite. Quel
personnage !

Lors de son adolescence, Lucien va vivre des moments d’immense bonheur et d’affreuse solitude.
Pour ma part, deux de ces moments méritent d’être mentionnés. Le premier s’agit d’un passage bref
pendant lequel Lucien joue à la poupée mécanique avec Mme Besse, une amie de famille. Dans ce
passage merveilleux, Jean-Paul Sartre décrit avec émotion nos bonheurs humains. Il nous invite à
nous enjouer, à former un lien tendre avec Lucien, avant que le malheur et la réalité politique ne
fondent sur nous. Ceux-ci apparaissent dans le deuxième passage qui mérite d’être mentionné. Il
s’agit de la « transformation » en chef de Lucien maintenant devenu adulte. Sommet de ses
convictions, de sa posture conservative et de sa volonté de durcir le caractère qu’il a développées
tout le long de son adolescence, Lucien s’engage dans la politique et s’inscrit dans un groupe
d’extrême-droite antisémite, violent et d’orientation fasciste. Il fait ce qu’il faut pour être un chef,
pour devenir quelqu’un d’intimidant, sans pitié, capable de provoquer la terreur. Cette scène est
essentielle pour l’achèvement de sa transformation, et nous savions qu’elle aura lieu en lisant le titre
de l’œuvre, mais elle est pourtant si tragique à nos yeux : nous venons de suivre le chemin à l’âge
adulte d’un garçon sensible, pur, quelqu’un avec qui on a formé un lien, et cet extrait nous fait
assister au moment affreux ou Lucien suit les idéologies imposées par la société, par son père en lui
faisant croire qu’être « un chef » est son destin, et oublie de penser pour lui-même. Lors de
l’histoire, Sartre était à la recherche de la vérité politique, et il l’a trouvée dans cet extrait :
quelqu’un aurait beau être intelligent, sensible, individuel, venant d’une bonne famille (prenez
l’exemple de Lucien), il se laissera quand-même de se faire endoctriner par la propagande et la
société.

Cela fait longtemps qu’une œuvre ne m’a pas autant marquée que la brillante l’Enfance d’un chef.
En effet, en à peu près cent pages, Jean-Paul Sartre dévoile avec finesse et bravoure
l’endoctrinement des hommes. Il nous fait comprendre à travers l’expérience de Lucien que, peu
importe le régime concerné, les chefs les plus vils de l’histoire étaient victimes de leur propre
éducation. Tous les grands chefs étaient petits un jour, ils jouaient tous avec les autres, ils avaient
tous au moins une liaison amoureuse, comme Lucien. En revanche, et la nouvelle nous le montre
bien, ceux-ci ne savaient pas comment éviter de s’adhérer aux idéologies imposées par leurs
familles, et se faisaient donc endoctrinés sans même le savoir. Ainsi, on comprend qu’il est
impossible de naitre chef, mais de le devenir.

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