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Michel Tournier

Grâce à sa formation philosophique, discipline dont il n’a jamais vraiment voulu se


départir, Michel Tournier est devenu un des écrivains français marquants du dernier tiers du XX e
siècle, après qu’il décide de «faire servir à la chose littéraire ce qu(’il) savai(t) de philosophie».
L’œuvre de Tournier tire son originalité et sa profondeur de l’actualisation des grands
mythes oublies. Philosophe de formation, il transmet au roman un fond métaphysique par une
approche nouvelle de certains grands mythes (R. Crusoé, l’ogre, les jumeaux, les Rois Mages) et
il casse les habitudes de pensée.
Il donne une vision personnalisée de « ces histoires fondamentales que tout le monde
connait déjà ». Il rattache les mythes aux grandes problématiques humaines : la connaissance, la
parole, le temps, la mort. Mais il leur associe également des problématiques historiques – la
civilisation (Vendredi..), la guerre (Les Rois des Aulnes), la religion (Gaspard).
Par ses œuvres, il interroge le parcours humain, soulevant des questions comme celle de
la nature et de la civilisation, de la détermination du bien et du mal et de la chute ou du rapport a
l’autre et a soi-même à travers le thème du double et de l’androgyne.
Après plusieurs textes qu'il juge trop médiocres, il publie en 1967, à 42 ans, son premier
roman qui ouvre trois décennies consacrées à la littérature. Vendredi ou les limbes du Pacifique
réécrit le mythe du Robinson Crusoé, en y inversant les valeurs.
Le roman présente les aventures de Robinson de Tournier qui après 28 ans passés dans
son Île au lieu de rentrer en Europe et de réintégrer la société "civilisée", va choisir de rester à
Spéranza jusqu’à la fin de ses jours, en demandant aux navigateurs du Whitebird de ne pas
dévoiler l’existence de son île.
La décision de Robinson s’explique d’abord très simplement par son refus d’organiser sa
vie selon les normes de sa civilisation. Il se sent plus jeune parce qu’il vit dans un éternel
présent, au lieu de regretter le passé ou de se projeter constamment dans l’avenir.
À un niveau encore plus profond, c’est toute la structure psychique qui constitue notre
rapport à autrui qui s’est métamorphosée chez Robinson. La règle essentielle de la sociabilité
consiste à accepter au moins une partie des valeurs de l’autre, à renvoyer l’image que celui-ci
attend de nous pour confirmer le sentiment de sa propre existence. Or Robinson sent bien qu’il a
oublié cette exigence que son éducation lui avait inculquée. S’il retournait parmi les hommes, il
serait semblable à "l’étranger" d’Albert Camus.
Autrui, c’est aussi ce qui structure la sexualité dite "normale". Or, c’est bien à une
irrémédiable perversion que Robinson est parvenu. Il ne s’agit pas de relations homosexuelles
avec Vendredi, ni de ses rapports fécondants avec la terre de Spéranza, qui reproduisent, de
façon symbolique, le modèle phallique. Mais Robinson a accédé à une forme de sexualité
"élémentaire" où autrui n’intervient plus, où la part de féminité que la société refoule s’affirme
dans un rapport direct avec "l’Astre Majeur".
Tournier développe une théorie originale de l’intersubjectivité. On observe sa conception
d’Autrui comme structure. Autrui comme structure c’est l’expression d’un monde possible sans
quoi le monde réel n’aurait aucune stabilité et le sujet, corrélativement, aucune rationalité.
« Vendredi.. » est une œuvre protéiforme, d’une rare ambition qui embrasse de nombreux
domaines de l’activité humaine (de la marine a l’agriculture, de l’écriture a la vie sauvage) et
d’interroge sur le sens de l’existence à travers un personnage-homme dépouillée qui va devoir se
reconstruire en trouvant une signification à sa nouvelle vie de solitaire.
« Le Roi des Aulnes » reprend une ancienne légende germanique d’un ogre dévorateur
d’enfants et dont le contexte se situe dans l’Allemagne nazie des années ’40.
Ce roman illustre l’attitude ambiguë de Tournier vis-à-vis de l’Allemagne, pays "noir et
blanc", comme il le décrit. L’attraction fondamentale du roman réalisée réside sans doute dans sa
dimension mythologique. La détermination de certaines correspondances symboliques de Roi
des Aulnes semble être justifiée par l’option ferme de Tournier pour le thème du double et celui
de la gémellité primordiale.
Roman métaphysique, « Le Roi des Aulnes » est aussi un roman réaliste. C’est sans doute
la coexistence de deux visions et de deux discours qui donne à l’œuvre sa force et son originalité.
D’un côté, les « écrits sinistres » des Tiffauges où celui-ci, livrée à ses seules obsessions,
reconstruit la réalité en un système de signes et de présages ; de l’autre, la chronique impeccable
des horreurs de la guerre.
En 1985, Michel Tournier publie « La goutte d’Or », un roman centré autour du
personnage d’un jeune maghrébin. Le livre explore le thème de l’image et de la représentation ;
l’auteur aborde aussi la question de l’immigration et du déracinement. C’est un roman de
formation qui retrace l’itinéraire d’un jeune homme a la recherche de lui-même. Ce jeune héros,
tout au long de son périple, va faire plusieurs expériences de l’image et de la société.
L’auteur permet au lecteur de s’interroger sur les effets des images modernes, sur les
notions de réalité et de représentation. On connait la passion de Tournier pour la photographie et
l’on sait également la méfiance de l’islam à l’égard des images. Dans ce roman, cette passion et
cette méfiance se bousculent, l’une cherchant à s’imposer à l’autre.
Dans son constant travail de réinterprétation des mythes, dans sa constante prédilection
pour le thème de l’initiation, Michel Tournier, qui est d’un éclectisme délibéré comme d’une
curiosité insatiable, loin de se limiter au roman, adopta différentes approches littéraires pour
devenir une sorte de « polygraphe mythologique ».

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