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Avant-propos

Lorsque l’éditeur Michel Brûlé m’a demandé si j’étais disponible pour écrire une
biographie non autorisée du chanteur Éric Lapointe, je me suis aussitôt rappelé
un incident qui s’est déroulé il y a plusieurs années. Mon gendre, le mari de ma
fille, un personnage sympathique, mais un peu baveux et téméraire, rencontre
Éric lors d’un soir de beuverie dans un bar. Les deux sont éméchés. Stéphane
— c’est le nom de mon gendre — ne veut pas quitter le bar avant d’avoir
terminé sa bière, même si l’heure de fermeture a sonné. Les doormen ont beau
insister, il n’y a rien à faire ; Stéphane revient sur place et répète qu’il ne partira
pas avant d’avoir terminé sa bière. Une bagarre éclate entre les deux. Éric
n’entend pas à rire. Il a beau être petit de taille, il a le bras long, et paf ! Il assène
un direct à la mâchoire de mon gendre, qui est, disons-le, déjà dans un état
d’ivresse fort avancé. Fin de la bagarre. Il est jeté à l’extérieur de
l’établissement, la face ensanglantée. Stéphane se retrouve ensuite au poste de
police tout près pour porter plainte, mais des policiers poursuivent le travail de
démolition d’un gars éméché. Fin de l’anecdote.
Je n’ai pas hésité longtemps avant d’accepter, mais je me suis dit : « J’espère
qu’Éric ne m’en voudra pas de faire ainsi intrusion dans sa vie, privée et
publique ; je ne voudrais pas qu’il m’assène un direct au menton. » Puis j’ai
pensé qu’il ne pourrait pas m’en vouloir, puisque nous sommes tous deux du
même côté de la barricade et que tout ce que je m’apprête à raconter a été public.
Donc, aucun secret, aucune révélation juteuse, aucun ragot — je n’ai rien
inventé —, mais un portrait le plus juste possible de l’homme et de l’artiste.
Je me suis souvenu qu’il avait fait un petit clip pour appuyer la candidature de
Pierre Karl Péladeau à la direction du Parti québécois, et je suis allé le visionner
de nouveau. « Enfin, un qui se mouille », je me suis dit. Peut-être que je me
trompais, mais il m’a alors semblé être le premier de la longue liste d’artistes et
de personnalités du milieu culturel qui allaient appuyer PKP par la suite. Je
pense qu’il est comme ça, Éric : il n’a pas peur de se mouiller. Du moins, je peux
l’affirmer après coup, après avoir parcouru, année après année, cette
histoire brève de sa vie mouvementée.
Voici ce qu’en disait l’aspirant chef à la direction du Parti québécois sur son
site web: « Le Québec est un Pays, Éric est son Rock.
C’est en pensant à son mentor, Pierre Bourgault, qu’Éric Lapointe a décidé de
m’appuyer.
Je suis Fan de la première heure du rockeur qui a vendu plus d’un million
d’albums, reçu la médaille de l’Assemblée nationale, des Félix, des records en
masse et qui soulève les foules en liesse.
De Terre promise à son dernier opus Jour de Nuit, Éric, avec ton soutien, nous
serons
gonflés à bloc.
Avec toi, dans Le Ciel de nos Combats, nous irons jusqu’au bout!»
J’ai toujours su qu’Éric était souverainiste. Comment d’ailleurs pourrait-il en
être autrement, avec toutes les fêtes de la Saint-Jean-Baptiste qu’il s’est tapées
depuis des années ? Je ne l’ai jamais vu chanter lors d’un 1er juillet pour la fête
du Canada, comme l’ont fait quelques-uns de nos fleurons nationaux pour des
cachets qui en valent sûrement la peine. Mais ce n’est pas pour notre Éric
national, qui m’a toujours semblé être un homme de principes qui ne se laisse pas
acheter. Ne s’est-il pas entouré d’artistes qui n’ont jamais caché leurs options
politiques en faveur de la souveraineté du
Québec, que l’on parle de Michel Rivard, Richard Desjardins, Paul Piché,
Patrick Huard ou encore Luc Plamondon?
Ce que je savais de ce chanteur venait de ce que les journaux à potins et la
rumeur publique en ont toujours dit : un alcoolique et un polytoxicomane
inguérissable, un écumeur de bars à la recherche de sensations fortes, un
bagarreur prompt à réagir lorsqu’on l’insulte — et surtout, un homme à femmes
qui jouit d’un confortable statut de rock star. Une personnalité, donc, qui n’est
pas sans rappeler celle d’un autre chanteur, Serge Gainsbourg. Aussi, bien sûr, je
savais que c’était un immense artiste à succès reconnu à travers tout le Québec,
ce que les ventes de ses albums ne démentent pas. Qui peut se vanter d’avoir
vendu plus d’un million d’albums en si peu de temps et de voir chacun de ses
albums figurer en tête du palmarès des meilleures ventes ?
Alors, j’ai plongé, moi aussi, dans les rumeurs, dans les journaux et dans les
coulisses du showbiz pour tenter de dresser un portrait aussi fidèle que possible
de cet homme qui rêve grand, que ce soit pour lui-même ou pour le Québec.
1. 1994, l’année où tout a commencé
Marche ! Ou tu crèves
Faut que tu frappes le premier
Pas d’amis, pas de pitié
Cash ! Ou tu crèves
À genoux pour supplier
La grande idole en papier
Marche ou crève
(Éric Lapointe/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)

Éric n’a que vingt-cinq ans lorsque le succès lui tombe dessus sans qu’il s’y
attende. Son album rock Obsession se vend à cent mille exemplaires. Et autant
sinon plus d’admirateurs se pressent aux portes des salles où il se présente. Il n’a
« aucune idée » de la raison de ce succès, affirme-t-il au journaliste Alain Brunet,
de La Presse, venu l’interviewer sur cette popularité inattendue pour un chanteur
rock québécois qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Le rock québécois
est-il en manque de chanteurs emblématiques et de textes évocateurs de nos
désarrois et de ces peines d’amour que nous vivons tous, un jour ou l’autre ?
L’autre chanteur à la voix rauque, Gerry Boulet, est mort quatre ans plus tôt, et il
ne fait aucun doute qu’on s’en ennuie. « Nul n’est à l’abri/de ce mal sans merci »,
chante-t-il. Ce mal, sans le nommer, c’est l’amour, c’est cette passion dévoreuse
d’énergies, cette maladie d’amour que l’alcool n’arrive jamais à noyer. Cette
année-là, Kurt Cobain, du groupe Nirvana, un symbole du rock international, est
retrouvé mort chez lui. On connaissait sa dépendance à l’héroïne. Il s’est suicidé
à vingt-sept ans. Un mal aussi soudain que profond dont nul n’est à l’abri…
Éric Lapointe, lui, avec sa bouille de jeune poète maudit à la Rimbaud, rêve de
percer, de prendre sa place, quitte à bousculer ceux qui lui barrent la route.
D’ailleurs, ne chante-t-il pas, dans sa chanson Terre promise, qu’il n’a rien dans
les poches, qu’il marche au gré du vent le long des autoroutes, où « la bohème
n’appartient qu’à l’horizon » ? Me viennent quelques bribes du poème Ma
bohème, du jeune Arthur Rimbaud : « Je m’en allais, les poings dans mes poches
crevées ; mon paletot aussi devenait idéal ; j’allais sous le ciel, Muse, et j’étais
ton féal ; oh là ! là ! Que d’amours splendides j’ai rêvées ! » Rimbaud, comme une
sorte d’Éric Lapointe du XIXe siècle, brûlait lui aussi la chandelle par les deux
bouts. Même la fameuse toile de Fantin-Latour, Un coin de table, où l’on voit un
Rimbaud romantique et rêveur assis aux côtés de Verlaine, me rappelle la bouille
de notre adolescent rockeur, car à vingt-cinq ans, il nous semble encore empêtré
dans
l’adolescence, avec ses valses hésitantes, ses rêves immenses, ses descentes aux
enfers et ses coups de poing solennels, le tout orchestré en une mise en scène très
théâtrale. D’ailleurs, Éric l’a dit : « L’exil et la bohème sont des thèmes bien
adolescents.»
***

Son adolescence, parlons-en brièvement. Rien de bien extraordinaire. Il la


passe en suivant ses parents, qui déménagent sans arrêt, non pas pour fuir un
propriétaire trop enquiquinant, mais bien pour des raisons professionnelles. Son
père est menuisier. Il fait partie de la grande famille des employés de la chaîne
Zellers, qui l’envoie aux quatre coins du Québec pour rénover et moderniser ses
installations. Alors, automatiquement, la famille — la mère et les trois
garçons — doit le suivre. De véritables gitans sans domicile fixe. Il déménage
pas moins de treize fois. Cela forme son caractère et lui donne le goût de la
bougeotte.
Dans chaque nouvelle ville où s’installe temporairement la famille, le temps
que le père effectue les travaux nécessaires, il faut trouver une école pour les
enfants, qui doivent de nouveau s’adapter à un environnement parfois hostile.
Pas facile de se faire de vrais amis dans de telles conditions ; il faut bien souvent
durcir la carapace et jouer les durs pour se défendre de ceux qui voient d’un
mauvais œil l’arrivée d’intrus venus de la grande ville. C’est ainsi qu’Éric
apprend tout naturellement à serrer les poings, comme un mécanisme
d’autodéfense, et découvre que la vraie vie des adolescents se déroule en dehors
des murs de l’école, dans les parcs, à l’abri de la société des adultes, qui ont pour
leur part perdu leurs rêves.
Parfois, l’attrait du large est trop grand, et le jeune Éric fait l’école
buissonnière. Mais cela ne dure jamais longtemps ; ses parents sont
immanquablement avisés, et cette escapade lui vaut des réprimandes — et
parfois même une suspension de l’école pour quelques jours. Mais toujours, Éric
se rattrape, et heureusement, ses notes n’en souffrent pas trop. S’il décroche, ce
n’est pas parce qu’il est médiocre et peu talentueux, mais bien parce que ce
rêveur s’ennuie un peu sur les bancs de l’école. Heureusement, il a toujours avec
lui la guitare que son père lui a achetée. Une vraie bouée de
sauvetage, qui le mènera très loin, mine de rien.
Petit à petit, avec l’aide de son oncle, il s’initie au langage de la musique. Il a
douze ans, entre deux âges, et il passe ses temps libres à gratter sa guitare, à
fredonner des chansons et même à en écrire, rêvant de pouvoir un jour monter
sur scène pour y interpréter ses propres compositions.
Il n’usera pas longtemps son fond de culotte sur les bancs de l’école. Il se dit
que la vie est ailleurs, et il ne tardera pas à aller voir ailleurs, justement. La
bougeotte… Il n’a pas encore dix-huit ans, et au cégep, il décroche
définitivement. Adieux, études, adieux, famille ! Désormais, ce sera « l’école du
rock’n roll », comme il le chantera plus tard dans cette chanson éponyme : « Je
voyage en enfer/Dans les bas-fonds de la rue/Noyé dans la boucane/Entre les
bouteilles de bière/Parmi les femmes qui travaillent nues.»
Attiré par l’aventure, assoiffé d’inconnu, il part sur la route, vers l’Ouest
canadien. Pour pouvoir casser la croûte et survivre dans ce milieu anglophone, il
exerce plusieurs petits métiers. Malheureusement, un accident de travail l’oblige
à revenir plus tôt que prévu au Québec. Ce malencontreux incident n’a pas que
de mauvais côtés. Il touche une indemnité d’accidenté, et avec cet argent, il
reprend son petit bonhomme de chemin. Cette fois-ci, c’est l’Europe qui l’attend.
À Paris, il compose la chanson Terre promise, qui deviendra son premier succès,
puis il visite l’Espagne, le Portugal, la Belgique, l’Allemagne, la
Hollande et finalement Londres, où il devient serveur dans un restaurant…
italien.
Il découvre les joies et les risques du squat dans des appartements
momentanément abandonnés par leurs propriétaires. C’est ici qu’il prend contact
avec la dure réalité des sans-abris.
Cette errance nourrit son imaginaire et lui fait comprendre bien des choses.
Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Comme Raymond Lévesque le
chantait dans les années soixante, il peut se dire : « C’est alors que j’ai
compris/Que c’est Québec qu’est mon pays […] Partout, ça parlait
français/Partout, le monde était fin. » Lui, citoyen du monde ? Peut-être, mais
avec les deux pieds plantés sur la Terre-Québec, la patrie à laquelle il s’identifie
depuis son adolescence. C’est d’ailleurs en faisant cette prise de conscience qu’il
écrit sa première chanson, Terre promise : « J’entre avec l’aube/Dans le village
endormi/Mon vieux sac de cuir à l’épaule/Étranger en ce pays… »
2. Les premiers balbutiements On était pauvres mais
heureux Tant qu’il nous restait quelque chose à
boire On parlait encore à Dieu tout seul à y croire
Pas sûr de finir vieux Mais partis pour la gloire Les
années coups de poing (Roger Tabra, Éric Lapointe/Éric
Lapointe,
Stéphane Dufour, Steve Hill)

Il revient donc chez lui, au Québec, la tête pleine de souvenirs et de projets,


« bien décidé à empoigner la vie » (Je me voyais déjà, Charles Aznavour). Il
vivote pendant quelques années, milite au Parti québécois et devient même
président des jeunes de sa circonscription. C’est au PQ qu’il rencontre Yves-
François Blanchet, qui est son aîné de quatre ans. Ce dernier, qui deviendra par
la suite ministre dans le gouvernement de Pauline Marois, a écouté quelques-
unes des compositions d’Éric, et il trouve qu’il y a là une belle matière première
qui ne demande qu’à être exploitée. Il l’a aussi vu et entendu sur la scène du
Club Soda, lors d’une sorte de gala des découvertes, et il a été étonné par la
puissance de cette matière brute. Il l’encourage fortement à faire le saut. Il vient
d’ailleurs de mettre sur pied sa propre maison de productions culturelles,
Paradigme et Diffusion YFB. Yves-François Blanchet devient ainsi l’agent
d’Éric, celui qui va lancer sa carrière.
Finalement, en mai 1991, Éric se produit à la salle de l’Intro, rue Jean-Talon
Est, dans le cadre de l’événement Dégel Rock, consacré à la relève. D’autres
sont passés avant lui, mais pour Éric, c’est son premier vrai concert, et il se
donne complètement. C’est un début prometteur, et son ami et agent croit en lui
dur comme fer. Certains parlent même d’une véritable bombe dans le milieu du
rock québécois. Éric commence alors la tournée des bars rock et des boîtes à
chansons de cégeps, où il tente de se faire connaître. Cela ne se fait pas toujours
dans la paix et l’harmonie, et déjà, une légende commence à se tisser à propos de
ce jeune Montréalais, qui semble avoir du front tout le tour de la tête. Le rockeur
à la baby face n’a pas froid aux yeux, et l’alcool aidant, il ne craint pas
l’affrontement lorsque les esprits s’échauffent. Le jour, il se fait tendre et exerce
mille et un métiers pour vivre un tant soit peu dignement : installateur de piscine,
éboueur, serveur, vendeur de cartes de crédit, etc. La nuit, il change de peau et se
frotte à un autre genre de clientèle. Son nom commence à circuler lentement,
mais sûrement dans le milieu du showbiz.
En 1992, un heureux événement vient changer la vie d’Éric. Un certain Roger
Tabra, homme d’origine française qu’un ami a inscrit à son insu à un concours
de chansons organisé par Jean Beaulne (un ex-Baronnet), est sélectionné pour
venir au Québec. Yves-François Blanchet, toujours à l’affût de nouveaux talents,
le présente à Éric, dont la réputation de « fêtard » ne lui déplait pas. Blanchet lui
fait une confidence : « Éric, lui [Tabra], c’est toi dans vingt ans. » Entre les deux
artistes, c’est un peu le coup de foudre. Une longue et prolifique collaboration
commence. Cela débute avec le premier succès d’Éric, N’importe quoi : « Tu
m’avais dit/Les mots les plus fous/Ceux qu’on ne croit pas/Qu’une seule
fois/Tout c’que tu veux/Si tu veux tout/Je te promets/N’importe quoi… »
À la même époque, Blanchet a la bonne idée d’organiser au Club Soda un
showcase avec les artistes qu’il défend. Rien de mieux pour lancer une carrière.
Patrice Duchesne, qui représente la maison de disques Gamma, est sur place, à
l’affût de nouveaux talents. La performance d’Éric ne lui échappe pas. Il voit
déjà en lui un grand artiste de la chanson. Quelque temps plus tard, Duchesne lui
fait signer un premier contrat d’enregistrement. Puis à l’automne 1993, Éric se
rend à Memphis, au Tennessee, pour y tourner son premier clip. Il s’agit de sa
chanson Terre promise (poussé par le vent), qu’on retrouve sur son disque
Obsession. Le clip tourne beaucoup et est un succès. Il se maintient à la tête du
palmarès Top rock de Radio fax et de MusiquePlus pendant plusieurs semaines.
Aldo Nova, un artiste assez conflictuel, mais qui est bourré de talent et qui
collabore déjà avec Bon Jovi et Céline Dion, devient le réalisateur du premier
CD sur lequel planche Éric. Au mois de mai 1994, après plusieurs mois de
travail, de rencontres intenses, de longues séances d’écriture entrecoupées de
soirées bien arrosées avec Roger Tabra, l’album Obsession est lancé. On y
retrouve les neuf chansons suivantes : Danger, L’école du Rock & Roll, Terre
promise, Condamné, Marie Stone, Hypocrite, Misère, Obsession et L’exquise.
C’est un album qui « ressemble plus à Aldo Nova qu’il ne me ressemble. Je
sais que c’est un premier disque, c’est le traitement que ça prenait », dit Éric.
Nova, soucieux de trouver un son différent, lui a présenté un jeune guitariste
talentueux qui fera plus tard sa marque dans la musique rock : Stéphane Dufour.
Au départ, il devait faire la guitare sur trois chansons de l’album, mais
finalement il se retrouve sur cinq, tellement le son puissant de sa guitare
accompagne à merveille la voix rauque du chanteur. Cette collaboration
s’étendra d’ailleurs sur plusieurs années, le temps de trois nouveaux albums : À
l’ombre de l’Ange, Adrénaline et Coupable. Il sera également aux côtés d’Éric
Lapointe pour la réalisation de la chanson thème du film Les Boys.
Le premier album d’Éric Lapointe connaît un succès inespéré pour un jeune
artiste à peine sorti de l’adolescence. Dufour n’est pas étranger à ce succès.
« C’est lui qui réalise et arrange toutes les tounes. On n’a même plus besoin de se
parler tellement on a fait de chansons ensemble. Juste dans le regard, on se
comprend. On se devine. C’est une relation cosmique », dit Lapointe en entrevue
avec le journaliste musical Olivier Robillard Laveaux.
Après le lancement de son premier album, les choses commencent à débouler.
Éric se retrouve au Café Campus, le temps d’un concert, puis au Café Blues,
dans le cadre du Festival d’été de Québec, mais dans sa version off-festival, où il
joue à guichets fermés. À Matane, où il a été invité pour participer à la Fête
nationale des Québécois, il découvre, lors d’un spectacle, que le public connaît
par cœur sa chanson Terre promise. C’est dans le camion, alors qu’il revient de
la Gaspésie avec son groupe, qu’il apprend qu’il a gagné le concours de la
chanson francophone la plus populaire, organisé à l’occasion du 24 juin. Sans se
péter les bretelles, Éric commence à croire réellement à son potentiel comme
chanteur.
Le Festival d’été de Québec bat son plein, mais Éric n’est pas encore invité,
car il est peu connu. On l’invite toutefois à chanter dans un café en périphérie, le
Café Blues. En s’approchant, il voit une longue file d’attente devant le café. Il
pense que c’est pour quelqu’un d’autre, mais en fait, ce sont des gens qui sont
venus l’entendre, mais qui ne peuvent pas entrer, car on affiche complet. Tout va
très vite.
3. C’est parti!
As-tu l’rock en toé Es-tu prêt à t’saigner pour te faire aimer As-tu les tatoos ben accrochés
As-tu toujours ton cœur su toé ?
Fais un bum de toé
(Christian Gilles Desrochers, Éric Lapointe/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)
Petit à petit, la rumeur commence à grossir et à s’étendre un peu partout. Le nom
d’Éric Lapointe circule de plus en plus, et le bouche-à-oreille fait son chemin
sans tapage publicitaire. Tout se fait en douceur. « Un nouveau rockeur nous est
né », semblent dire les promoteurs de festivals. Ils en ont bien besoin, car le
public québécois est difficile et exige des talents locaux. Il a été gâté, ce public,
avec les Charlebois, Deschamps, Forestiers, Gauthier, Léveillée, Pagliaro,
Rivard, Boulet, Marjo, Lavoie, Dufresne, Dubois, Plamondon et autres. On
décide donc de l’inviter aux FrancoFolies de Montréal, qui ont lieu, en 1994, au
mois d’août, et on inscrit son spectacle dans la programmation extérieure. C’est
toute une première pour ce jeune rockeur.
Éric, qui est peu connu alors, s’attend à une foule de deux ou trois mille
personnes maximum. Mais ce sont plus de 30 000 admirateurs qui envahissent la
rue Sainte-Catherine, ce soir-là, pour entendre la nouvelle idole du rock
québécois, celle dont tous les médias parlent. C’est beaucoup pour un jeune
musicien qui, hier encore, était un illustre inconnu vendant des cartes de crédit et
installant des piscines chez de riches banlieusards. Mais Éric sait vivre avec le
stress, et il plonge la tête première dans le star-système en jouant le jeu du
vedettariat sans aucun complexe. En cela, il se montre un vrai Québécois qui n’a
peur de rien, et surtout pas de se mesurer aux grands du monde du rock. Plus de
misérabilisme ni de petite gêne; il semble se dire: «Je suis Éric Lapointe!»
Il aime raconter ses premières impressions, ses premières griseries sur une
scène, son premier shoot d’adrénaline. « C’était la première fois que j’entendais
une foule — et une grosse foule, en plus — chanter l’une de mes chansons »,
dira-t-il des années plus tard au journaliste Alexandre Vigneault de La Presse.
« Je ne m’attendais pas à ça. On se regardait sur le stage et on ne comprenait pas
ce qui se passait. On était dans un autre monde. Ç’a été une
soirée magique.»
Dans un premier temps, il vend plus de 50 000 exemplaires de son disque
Obsession, méritant ainsi un disque d’or. À peine trois semaines plus tard, il
reçoit un disque platine, qui confirme la vente de plus de 100 000 exemplaires de
ce même album — une première au Québec. Finalement, il vend plus de
200 000 disques, un succès prodigieux qui le propulse rapidement au firmament
des stars québécoises.
Éric Lapointe est maintenant un incontournable, et son fan-club grossit sans
cesse. Sa vie privée commence à devenir de plus en plus publique. Quoi qu’on
dise, Lapointe se fait connaître comme un personnage authentique, qui ne vit pas
retranché dans sa bulle. Le succès d’Éric se rend jusqu’aux oreilles du chanteur
Patrick Bruel, qui l’invite à faire la première partie de son spectacle au Forum de
Montréal, en octobre. Il ne fait aucun doute que les admirateurs de Patrick Bruel
sont venus également pour entendre Éric Lapointe, et ils lui réservent un accueil
des plus chaleureux. Quelques semaines plus tard, il donne à guichets fermés
quelques
spectacles au prestigieux Spectrum de Montréal. Le perspicace duo Ménard-
Simard ne veut pas être en reste avec ce véritable phénomène qui gagne de plus
en plus les faveurs des amateurs de rock pur et dur, et il lui réserve le Spectrum,
une sorte de temple de la chanson québécoise. Il y a plusieurs supplémentaires,
et le Spectrum devient ni plus ni moins sa
résidence secondaire.
Pendant ce temps, sa chanson N’importe quoi grimpe au palmarès de Radio
Énergie FM et est nommée la chanson de l’année, ce qui lui vaut un autre
trophée. Entre-temps, Éric s’est payé un bar, Le Bleu est noir, rue Rachel Est, au
cœur du Plateau Mont-Royal, son quartier préféré, celui où il habite.
L’atmosphère est un peu glauque et sombre, il y a une cheminée pour y faire un
vrai feu de foyer, et les filles sont craquantes autour de la table de billard. En
fait, Éric est associé à deux Saguenéens, Claude Pilote et Stéphane Cayouette,
qui ont ouvert le bar en 1994. Il y tourne deux vidéos, Marie Stone et Les Boys 1.
L’année 1995 est à peine commencée que déjà, les demandes affluent au
bureau de l’agent d’Éric, dont la réputation dépasse largement les frontières du
Québec. Il vient à peine de tourner un clip avec sa chanson Marie Stone : « Elle
est mon eau-de-vie/La température grimpe quand elle entre/Elle me sourit/Et
toute la nuit on danse/Avec elle, le rythme devient pervers… » C’est le jeune
réalisateur Alain Desrochers, fraîchement diplômé de l’Université Concordia en
cinéma, qui tourne les images en direct du bar Le Bleu est noir.
Le rockeur à la voix rauque a à peine un an de notoriété publique dans le corps
que déjà, on l’invite à faire partie d’un jury de la finale de la douzième édition de
L’Empire des futures stars Bud-CKOI aux côtés de Luc Plamondon, entre autres.
L’événement est parrainé par Luc De Larochellière et a lieu au Spectrum. Ainsi,
il est invité à faire la fête aux côtés du plus grand parolier du Québec.
Plamondon, puisque c’est de lui dont il s’agit, a vingt-cinq ans de métier, et
justement, le double album produit par Guy Cloutier qu’on lance ce soir-là au
Spectrum s’intitule 25 ans de succès, 25 chansons. Depuis sa fameuse chanson
Dans ma Camaro (Tous les chemins d’été), chantée par Steve Fiset, qui s’est
rapidement transformée en tube en 1970, son succès ne s’est jamais essoufflé.
On peut facilement imaginer la nervosité du jeune premier Éric Lapointe, qui
côtoie ces grands noms de la chanson québécoise : Gilles Vigneault, Paul Piché,
Robert Charlebois, Marie-Denise Pelletier, Marie Carmen, Daniel Lavoie, Tony
Roman, Renée Claude, Nanette Workman, Ginette Reno, le pianiste André
Gagnon et de nombreux autres.
Ensuite, une autre invitation époustouflante que Lapointe ne peut refuser se
présente : les Rolling Stones l’invitent à faire la première partie de leurs deux
concerts à Paris, qu’ils effectuent dans le cadre de la tournée Voodoo Lounge
Tour, aux côtés de Bon Jovi. Le petit Québécois, qui a à peine 26 ans, fait donc
l’ouverture de ce méga spectacle sur la scène immense de l’Hippodrome de
Longchamp, en banlieue parisienne. Il faut avoir « du front tout l’tour de la tête »
et des « cuisses comme un tronc d’arbre », pour reprendre les paroles de la
chanson de Raul Duguay, La Bitt à Tibi, pour accepter de relever un tel défi.
Pendant deux soirs, il chante devant cent soixante mille personnes, en première
partie d’un concert donné par un des groupes mythiques les plus populaires de
plusieurs générations. C’est la première fois qu’Éric Lapointe se produit en
France. Quel Québécois peut se vanter d’avoir réussi un tel exploit en si peu de
temps dans sa carrière de chanteur ? Bien sûr, il ne se fait pas d’illusions, comme
il le confie au journaliste Philippe Zeller, de La Presse Canadienne. « À vrai
dire, moi, la France, je n’y crois pas. Les Français eux-mêmes ont de la misère à
percer leur marché. Je vois mal comment un Québécois peut le faire. Il n’y en a
pas beaucoup qui ont réussi. Donc, je n’ai pas d’attentes face à ça. C’est un
événement de ma carrière. La France, advienne que pourra. » Il y a bien une ou
deux chansons qui ont été entendues à la radio française, mais « aucune réaction
significative », même s’il a reçu quelques lettres du fan-club de France. Mais il
souhaite, bien sûr, que cette visibilité inopinée le fasse un peu mieux connaître.
Qui voudrait bouder son plaisir ? Il est ensuite invité à participer aux
Francofolies de La Rochelle, aux côtés de Florent Pagny. C’est un doublé pour
Lapointe!
Finalement, le fait d’ouvrir le spectacle des Stones s’avère positif. « Les
Français appellent ça “l’abattoir” », explique-t-il à la journaliste Marie-Christine
Blais, de La Presse, à son retour au Québec. « Tout le monde m’avait raconté que
Bryan Adams, la première fois qu’il avait joué à Paris, s’était fait siffler par le
public, au point que cela avait enterré la fin du show. Quand je suis monté sur
scène, je ne te mens pas, j’avais les “kételles”. » Puis son agent, Yves-François
Blanchet, précise : « Le premier soir a été le plus “tough”. C’étaient les fans purs
et durs des Rolling Stones. […] Samedi soir a été plus facile. C’était une
supplémentaire, il y avait des fans de Jovi comme des Stones. […] On a décidé
aussi de faire ça un peu plus court, plus rock et on a laissé tomber N’importe
quoi. Bobépine, de Plume Latraverse, a notamment beaucoup plu.»
Selon son agent, la réaction du public a été plus que polie. Ils ne se sont pas
fait huer ni siffler. Quelqu’un leur a lancé une pomme et une tarte, c’est tout. Et
c’est bien peu, quand on connaît les us et coutumes des spectateurs français.
Pour Lapointe, « l’important, c’est que des gens nous écoutent, que certains nous
découvrent ». Et puis, ils n’ont pas été traités en parias par l’organisation des
Stones ; on leur a donné du temps pour que Lapointe et son groupe puissent
accorder leurs instruments, en après-midi. Ils ont pu jouer devant une foule de
100 000 personnes pendant une quarantaine de minutes. « On n’en espérait pas
tant», conclut Blanchet.
À La Rochelle, c’est moins réussi. Il y a des problèmes de sonorisation, et la
balance de son n’est pas au point, de sorte que la voix du chanteur rock
québécois est enterrée par les riffs de son guitariste, Stéphane Dufour. Le public,
qui s’est rassemblé au Grand Théâtre de La Coursive, y est d’abord et avant tout
pour Florent Pagny, et il le fait savoir en accueillant tièdement le rockeur
québécois. Même écho dans la presse française, qui n’est guère impressionnée
par l’ensemble des artistes québécois qui s’y sont produits.
Mais l’année 1995 est loin d’être terminée pour Éric. De retour au Québec,
entre le Festival de la gibelotte de Sorel, l’ouverture d’un bar à Laval ou à
Brossard et le Festival international de folklore de Drummondville, il participe,
cette fois-ci officiellement, au Festival d’été international de Québec, où, avec
son groupe — un claviériste, un batteur, un bassiste, deux musiciens à la guitare
électrique et trois saxophonistes invités —, il fait un malheur devant quelque
50 000 spectateurs, dont plusieurs fredonnent les paroles de ses meilleurs succès.
« Outre ses propres chansons dont il est tantôt le compositeur, tantôt le parolier,
ou encore l’un et l’autre, Éric Lapointe n’hésite pas à aller fouiller dans le
répertoire québécois. Il fait à sa façon du Pagliaro, Émeute dans la prison, du
Plume, Bobépine. Du Nanette Workman, aussi. Justement, à un moment donné,
Nanette elle-même, surgissant de l’arrière-scène, viendra se joindre au jeune
rockeur qui vient d’entamer l’interprétation de Naziland, l’une des chansons
favorites de sa grande aînée. Belle surprise, joli duo, un des moments forts du
spectacle que Lapointe a
terminé par pas moins de trois rappels » rapporte le journaliste de La Presse,
Gilles
Marcotte.
Lapointe devient le premier artiste à recevoir, la même année, deux prix
Miroir : choix du public pour avoir attiré plus de 50 000 personnes lors de son
concert et meilleure prestation scénique. Son spectacle rock est par la suite
diffusé aux Beaux Dimanches, à la télévision de Radio-Canada, le 30 juillet
suivant, ce qui est sans doute une première. Il reçoit également le trophée
Francophonie Diffusion, un organisme qui regroupe les discothécaires de cent
dix stations de radio. « Un bon moyen de faire connaître la chanson québécoise
dans le monde», s’exclame le jeune rockeur.
Au mois d’août 1995, Éric Lapointe est comme une queue de veau : il doit
courir partout, et on dirait qu’il a chaussé des bottes de sept lieues pour pouvoir
honorer tous ses engagements professionnels. Spectacles en plein air dans des
parcs, concerts-bénéfices, tapis rouges lors des soirs de premières, émissions de
télévision et de radio où il est invité à causer et à chanter, participation au
Festival des montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu aux côtés de Beau
Dommage, de Nanette Workman, des B.B. et de Mario Pelchat, etc. Il remet ça,
quelques semaines plus tard, au Festival de montgolfières de Gatineau, toujours
aussi populaire. Ensuite, Loto-Québec, pour célébrer ses vingt-cinq ans
d’existence, lance un nouveau jeu dont les prix sont 100 000 albums-
compilations regroupant vingt-cinq chansons marquantes des années 1970 à
1994. Entre les œuvres de Leclerc, Charlebois, Dufresne et Boulet, on trouve une
chanson du jeune
rockeur à la voix rauque, Éric Lapointe.
Pour le spectacle de clôture des 7es FrancoFolies de Montréal, André Ménard,
l’un des patrons du Spectrum et le G.O. du Festival international de Jazz de
Montréal, a la bonne idée de fêter Jean-Pierre Ferland en invitant toute une
flopée
d’artistes à chanter des chansons du fêté, à les interpréter à leur manière. Éric est
du nombre des invités à La fête à… Jean-Pierre Ferland, produite par Guy
Latraverse. Il est jeune et nouveau dans le métier, mais déjà, on l’invite à jouer
dans la cour des grands, aux côtés des Claude Dubois, Ginette Reno, Laurence
Jalbert, Marie Carmen, Pierre Légaré et autres. Il chante Qu’est-ce que ça peut
ben faire, dont on aurait dit que les paroles avaient été écrites expressément pour
lui : « Qu’est-ce que ça peut ben faire/Que je vive ma vie tout à l’envers/Qu’est-
ce que ça peut ben te faire…» Sa
prestation ne passe pas inaperçue.
1995 est une année référendaire, et on retrouve, dans un spectacle historique
mis en scène par André Ménard au Forum de Montréal, Éric Lapointe aux côtés
des Artistes pour la souveraineté (AS), comme Paul Piché, Dan Bigras, Les
Colocs, Claude Gauthier, les Séguin, Beau Dommage, Louisette Dussault et
Laurence Jalbert, pour ne mentionner que ceux-là, en présence de Jacques
Parizeau et de Lucien Bouchard, les deux dirigeants du camp du OUI. Dix mille
personnes assistent à ce concert où plus de trente artistes chantent et prennent la
parole. Pour Éric, qui chante Bopépine, de Plume Latraverse, la liste des artistes
qui appuient la souveraineté est assez impressionnante. « Ça fait assez longtemps
qu’on paie des politiciens pour s’obstiner, qu’on règle la question une fois pour
toutes. » Il dit se « câlisser » du partage de la dette. « Ce que je veux, c’est un
pays !» clame-t-il à qui veut bien
l’entendre.
Une bonne partie de ces artistes se retrouvent le soir du référendum, le
30 octobre 1995, au bar Le Medley pour assister au lancement du deuxième
album des Colocs tout en assistant aux résultats du référendum sur écran géant.
« Si on gagne, on fête, si on perd, on boit », aurait lancé Dédé Fortin. Éric
Lapointe a revêtu, pour l’occasion, un veston sur lequel est cousu le fleurdelisé.
« Y a pas beaucoup d’occasions de porter ce veston », dit-il. « Au Forum, lors de
la soirée des AS, puis ce soir. C’est assez dur de passer inaperçu. Je milite pour
le Parti québécois depuis l’âge de 17 ans. Depuis lors, je n’ai jamais arrêté de
rêver à ça. »
Malgré la défaite du camp du OUI, « the show must go on », se disent les
artistes. Les causes sont nombreuses et les besoins, immenses. On voit Éric
Lapointe, peu de temps après, au Show du Refuge, animé pour une cinquième
année par Dan Bigras, aux côtés d’autres chanteurs engagés comme Claude
Dubois, Luce Dufault et Linda Lemay, entre autres, afin d’amasser des fonds
pour le Refuge des Jeunes, où des sans-abris peuvent trouver aide et réconfort à
longueur d’année. Il chante de nouveau Qu’est-ce que ça peut ben faire, de Jean-
Pierre Ferland, et Fragile, de Sting. Il est accompagné par Dan Bigras et Luce
Dufault. Le Show du Refuge est ensuite rediffusé à l’émission Les Beaux
Dimanches, à la télé de Radio-Canada. Puis, un peu avant Noël, il est de
nouveau au bar Le Medley, rue Saint-Denis, pour un concert-bénéfice, en
compagnie de Breen Lebœuf et Carl Tremblay, au profit de la banque
alimentaire Moisson Montréal.
Au Gala de l’ADISQ de 1995, Éric Lapointe, mis cinq fois en nomination,
reçoit deux Félix. L’un le consacre découverte de l’année, tandis que son
premier album reçoit un Félix dans la catégorie pop rock, même si sa
chanson N’importe quoi, qui a mérité la palme selon le sondage annuel de
Radio-Énergie, n’apparaît pas dans la liste des dix chansons que l’ADISQ
soumet au vote du public. Il s’agirait d’un cas de « discrimination », affirme
Radio-Énergie, ce dont se défend Francine Dubois, la directrice générale de
l’ADISQ. Quoi qu’il en soit, Éric est conscient que cette visibilité soudaine
contribue à améliorer l’image du rock, un rock francophone dynamique et fort
qui tend à remplacer petit à petit l’espace occupé par les groupes rock
d’expression anglaise qui ont envahi depuis belle lurette le showbiz québécois.
Après tout, ne sommes-nous pas plus de cent quatre-vingts millions de
francophones à parler français et à le chanter à travers la
planète?
Les récompenses s’accumulent. Il mérite le Prix des radios francophones du
monde, accordé par l’organisme des Radios francophones internationales (RFI),
pour sa chanson Terre promise, consacrée chanson de l’année 1994-1995, tandis
que sa chanson N’importe quoi est consacrée choix du Québec par les auditeurs
du réseau radiophonique Énergie. Dressant un bilan de l’année musicale 1995,
les journalistes de La Presse Alain Brunet et Marie-Christine Blais disent du
jeune chanteur qu’«émergeant lors de l’été 1994, le pop-
rockeur Éric Lapointe a étendu son emprise en 1995, notamment en assurant la
première partie des Stones à Paris en juin. Il a consolidé ses acquis, s’est imposé
comme la figure
dominante de la pop-rock québécoise».
4. Faut que ça bouge Jusqu’au bout j’ai choisi Le ciel
de mes combats Et quel qu’en soit le prix Quitte à
payer de ma vie Jusqu’au bout je s’rai moi Jusqu’au
bout
(Roger Tabra/Éric Lapointe)
Tout va très vite et même trop vite pour le jeune Éric Lapointe. Au début de
l’année 1996, il sent le besoin de marquer une pause, qui sera brève, cependant,
le temps qu’il se consacre à l’écriture à temps plein de nouvelles chansons pour
son prochain album. Bien évidemment, ce travail d’écriture se fait toujours en
compagnie de son ami Roger Tabra, qui, incidemment, lance en avril 1996 son
premier CD en terre québécoise. La pression est forte, surtout à cause du succès
de son premier album, Obsession — plus de cent cinquante mille exemplaires
vendus — et du Félix du meilleur album 1995. Lapointe est un perfectionniste,
et il ne veut surtout pas décevoir ses milliers d’admirateurs. Tabra dira plus tard
au journaliste Bryan Dionne, qui l’interviewera pour le magazine L’Itinéraire
(mai 1998) : « Quand j’écris pour Éric, j’ai pas de limite, je peux écrire sur
mesure pour lui. Quand j’ai envie de dire : qu’il prenne son cul et non son cœur,
eh bien, je le dis. »
Entre-temps, le torchon brûle entre la jeune vedette et la maison de disque
Gamma. Éric est insatisfait de la manière dont cette maison gère et dirige sa
carrière musicale, et il entreprend une action en justice pour rompre son contrat.
Son avocat, Me Yves Archambault, plaide « des clauses exorbitantes, une
incompatibilité artistique et de l’abus basé sur l’inexpérience et la vulnérabilité
de l’artiste au moment de la signature ». Bien sûr, il y a des questions de gros
sous derrière tout cela. Lapointe n’a touché que cent mille dollars pour
Obsession, plus quelque quarante mille dollars en droits d’auteur. Il se sent lésé.
Cela ne se fera pas en criant «Bingo ».
Son deuxième album, Invitez les vautours, paraît le 6 mai 1996 sous l’étiquette
Disques Star, une maison dirigée par André Di Cesare, qui a offert au jeune
rockeur cette visibilité temporaire en attendant le règlement du litige. Aussitôt,
les patrons de la compagnie Gamma obtiennent du tribunal une injonction et en
bloquent la sortie. Ils envoient également une mise en demeure à différentes
stations de radio leur interdisant de faire jouer toute chanson qui figure sur le
disque Invitez les vautours. Certaines stations de radio font fi de l’injonction et
font jouer Je rêve encore, une chanson qui risque de devenir un succès : « Qu’est-
ce que tu faisais/Pendant ma vie sans toi ? Pour qui tu dansaisPendant ta vie sans
moi ? » L’injonction est cependant reconduite par le juge Pierre Dalphond, de la
Cour supérieure, en attendant le verdict concernant la poursuite d’Éric Lapointe.
Éric Lapointe ne s’en laisse pas imposer, et il décide d’aller de l’avant malgré
cela. Il s’agit de lui, de sa personne et de ses chansons, après tout. La chanson,
c’est son gagne-pain. On ne peut tout de même pas l’empêcher de gagner
honnêtement sa vie. Le 16 juin, malgré l’injonction, il donne un « méchant
party » au bar Le Medley (l’ex-Vieux Munich) sans qu’aucun incident ne se
produise, fort heureusement. Il chante, bien sûr, ses nouvelles chansons, dont Je
rêve encore, que le public connaît déjà, Elle dort avec moi (« Tu peux serrer les
poings/Tu peux me rire aux nez/Ça ne me fait plus rien/Puisqu’elle m’a
pardonné ») et Laisse-moi seul (« Laisse-moi seul avec moi-même/Avec mes
rêves d’océan/Laisse-moi seul dans mes je t’aime/Laisse-moi seul pour très
longtemps »). Il est entouré de nouveaux musiciens, dont le bassiste Lauréat
Cormier et le batteur Angelo Curcio. Ces apports donnent une nouvelle couleur à
ses chansons. « Je voulais faire un album des années 1990, moins “corporate”.
Faque, bye bye, les effets sur ma voix, pis allô le mixage plus international », dit-
il à la journaliste de La Presse Marie-Christine Blais.
Cela donne un album plus digne des années 1990, plus rock, plus imprégné de
guitare. Il a confié la réalisation à Paul Northfield — « pour son panorama
différent » — et les arrangements, entre autres, à John Webster — « pour son
originalité et parce qu’il crée ses arrangements sans chercher à associer la
chanson qu’on lui donne à une chanson américaine déjà existante ». Quant au
rôle joué par Stéphane Dufour dans les arrangements, à la réalisation et aux
guitares, il semble des plus importants. « Les mois qu’on a passés dans un chalet
à travailler les musiques ! Ce disque-là lui appartient autant qu’à moi » souligne
un Éric Lapointe enthousiaste.
Les contributions aux textes des chansons sont diverses. Il y a bien sûr Luc
Plamondon avec D’l’amour, j’en veux plus. Six autres chansons sont écrites par
Roger Tabra, certaines en collaboration avec Éric. « Au départ, on avait une
trentaine de pièces. On a fait une sélection et on est arrivé avec six chansons de
Roger. Parce qu’elles étaient meilleures sûrement ! » Éric avoue être très fier de
ce deuxième album. « J’aime le son. J’aime les mots. J’aime la manière.»
Il avoue qu’il a songé un temps à faire appel à des artistes amis pour qu’ils
interprètent ses chansons sur un CD — Kevin Parent, France D’Amour et
Laurence Jalbert avaient même accepté —, mais qu’il a vite abandonné l’idée.
« Ça me faisait tellement de peine de penser que j’avais passé un an et demi sur
des tounes que d’autres allaient chanter. Je les avais écrites pour moi…»
Puis il accepte l’invitation de se produire au Parc des Îles, en compagnie du
groupe américain Styx et de la chanteuse canadienne Alannah Myles, le 22 juin.
Ce méga spectacle se déroule sous la pluie battante, mais, la bière aidant, les
milliers d’admirateurs du jeune rockeur québécois et du groupe Styx n’ont pas
peur de se mouiller et bravent les intempéries. « Interprétant ses grands succès et
plusieurs de ses nouvelles chansons, celles qui n’ont pu paraître sur l’album en
raison de problèmes légaux avec sa maison de disques, le jeune rockeur a su
capter l’intérêt de la foule malgré la recrudescence liquide. Mausus qu’elles sont
bonnes ces nouvelles chansons ! Quel saint va-t-il falloir invoquer pour que
l’album Invitez les vautours sorte un jour?» se demande la
journaliste de La Presse, Marie-Christine Blais.
On le voit même inaugurer le circuit international de karting de Saint-Roch-
de-l’Achigan, en compagnie de Serge Postigo, Marc-André Coallier, Patrick
Normand, Grégory Charles, Marina Orsini et les joueurs du Canadien Stéphane
Quintal et Patrice Brisebois, au profit de la Fondation de la recherche sur les
maladies infantiles.
Mais ses engagements professionnels ne l’empêchent pas de partir rapidement
pour le Saguenay, une région déclarée sinistrée à cause des terribles inondations
que l’on connaît en juillet 1996. C’est un véritable drame que vivent les
habitants des régions affectées par les destructions de toutes sortes, et Éric est
sans nouvelles de sa famille. Les patrons et les employés du bar Le Bleu est noir,
rue Rachel à Montréal, dont Éric est le gérant, songent même à organiser un
« party déluge » pour recueillir des fonds qui seront remis à la Croix-Rouge pour
qu’elle vienne en aide aux victimes des inondations.
Heureuse initiative : un regroupement d’artistes enregistre rapidement une
chanson de solidarité dont les profits seront remis aux sinistrés du Saguenay.
Plus de soixante-dix artistes, techniciens du son et fournisseurs de services se
regroupent autour de ce qu’ils nomment « RAPIDE SOS » (pour Regroupement
des Artistes Professionnels de l’Industrie du Disque et du Spectacle, Opération
Solidarité) pour mettre sur pied ce projet en vue d’enregistrer et de
commercialiser cette chanson. Parmi ces artistes, on retrouve Éric Lapointe, Lara
Fabian, Claude Gauthier, Breen Lebœuf, Dan Bigras, Richard et Marie-Claire
Séguin, Luce Dufault et Daniel Lavoie, entre autres. Jacques Thivierge écrit, en
moins de deux jours, les paroles de la chanson Si chacun, tandis que la musique
est composée par Gaston Rochon : « Ma sœur, mon frère, mon ami/Le cœur est
un outil sans âge/Qui peut remettre son ouvrage/Sur les cent métiers de la vie/Si
chacun frotte son caillou/Nous verrons briller la montagne…»
Il y a également un spectacle, un party monstre de quatre heures trente au
Centre Molson produit par Guy Latraverse, De concert avec le Saguenay, auquel
participent une trentaine d’artistes, des gros noms comme Charlebois, Vigneault,
Céline Dion, Yvon Deschamps, Nathalie et René Simard, Michel Barrette,
André-Philippe Gagnon, Véronique Cloutier, des artistes du Cirque du Soleil et
de nombreux autres, bien sûr, comme Éric Lapointe, Paul Piché, Michel Rivard,
Daniel Lavoie, Lynda Lemay, Lara Fabian, pour ne nommer que ceux-là. Et la
foule est au rendez-vous, certains arrivant très tôt pour voir de près leurs idoles,
les Éric Lapointe, Bruno Pelletier ou Kevin Parent, car il n’y a pas de
réservations ; c’est premier arrivé, premier servi.
Finalement, le 22 août, une entente à l’amiable intervient entre les disques
Gamma et Éric Lapointe. Il est autorisé à reprendre tous ses droits. Lapointe est
prêt à tout pour ne pas retourner chez Gamma, même à demander au juge de
fixer le montant des dommages pour qu’il rachète son contrat. Mais il n’a pas à
le faire. Il crée alors sa propre compagnie, Les gestions Lapointe inc., et son
deuxième album, Invitez les vautours, peut enfin être commercialisé sous
l’étiquette Star, avec ses onze chansons : Priez !, Bobépine, Je rêve encore,
Marche ou crève, Elle dort avec moi, Deux fois la même histoire, Loadé comme
un gun, Sa tanière, Invitez les vautours, Laisse-moi seul, et D’l’amour, j’en veux
pus.
« Nous allons nous asseoir au cours des jours qui viennent, afin de décider
quoi dire et comment le dire», indique Yves-François
Blanchet, l’agent du jeune rockeur. « Mais Éric n’a pas l’intention de s’étendre
sur le conflit. Ce n’est pas un héros mais un gars qui veut faire son chemin.»
Le lancement officiel a lieu dans un bar du quartier Côte-des-Neiges, et
l’événement est très bien couvert par les médias, qui peuvent enfin parler sans
risque du nouveau CD de Lapointe. Les amis du chanteur sont présents en grand
nombre pour célébrer l’arrivée tant attendue de ce disque. « Tu embarques dans
la machine, tu enregistres un disque, tu fais des shows, ça marche bien… pis t’as
l’impression que tout le monde est mélomane comme toi. Et un jour, tu réalises
que pour l’industrie, l’art passe au second plan. Cela dit, aujourd’hui, ma voix
m’appartient. Je peux chanter où je veux, quand je veux », raconte-t-il à la
journaliste Sonia Sarfati, de La Presse. Cinquante mille albums sont vendus en
une seule semaine. Cet exploit est souligné par un disque d’or, remis lors du gala
organisé pour célébrer les dix ans de MusiquePlus. À ce jour, plus de cent
quarante mille albums ont été écoulés. Maintenant que le litige est réglé, Éric
peut entreprendre une tournée de promotion qui dure plusieurs mois, ce qu’il
aime tout particulièrement, car la scène, c’est un peu comme son deuxième chez
lui. Et il accepte toutes les invitations.
Un peu auparavant, il participe à La fête à… Berger-Plamondon, présentée
dans le cadre du spectacle d’ouverture des huitièmes FrancoFolies de Montréal
et dont la mise en scène est assurée par Olivier Reichenbach. C’est quelque
chose d’extravagant et de démesuré. Pour l’occasion, on a rassemblé quelque
huit cents artistes européens et québécois, qui se partageront la scène de la salle
Wilfrid-Pelletier pour rendre un hommage choral et symphonique à Luc
Plamondon et à Michel Berger. Cela signifie la présence d’un orchestre de
35 musiciens, de 500 choristes, dont 350 viennent de France, et de nombreux
solistes : Éric Lapointe, France D’Amour, Diane Tell, Luce Dufault, Marie
Denise Pelletier, Luck Mervil, Isabelle Boulay, Bruno Pelletier, Élise Boucher.
On a aussi prévu une chorale d’enfants. Éric Lapointe chante pour l’occasion
L’amour existe encore, une chanson écrite par Plamondon sur une musique de
Michel Berger et popularisée par Céline Dion. Puis, en duo avec France
D’Amour, il chante la chanson Ce soir on danse à Naziland, tirée de l’opéra rock
Starmania. « Ce sont les moments musicaux qui ont été, à l’occasion, quasi
parfaits. Par exemple, quand France D’Amour et Éric Lapointe ont chanté en
duo Ce soir on danse à Naziland avec l’énergie et le plaisir voulus, alors qu’ils
avaient fait un petit tabac chacun de leur côté », nous rapporte la journaliste
Marie-Christine Blais.
Éric participe également au spectacle de clôture des FrancoFolies, Félix
Symphonique, présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.
Avec le lancement de son deuxième CD, certifié or quelques semaines plus
tard, puis platine à peine un mois et demi plus tard, l’automne s’annonce chargé
pour Éric. Au tout début du mois de septembre, il participe à un concert en plein
air, rue Sainte-Catherine, devant les studios de MusiquePlus, qui célèbre ainsi
son dixième anniversaire. Quelques jours plus tard, il organise une conférence
virtuelle en direct avec ses admirateurs sur Internet, avec la collaboration de la
Toile du Québec et Cyberblack, le webzine de la culture planétaire. Puis il
participe à une « vente aux enchères d’artistes québécois » en compagnie de
Patricia Paquin, Patrick Huard, Mitsou, Jo Bocan, Stéphane Rousseau, Marie-
Soleil Tougas et Mado, entre autres, pour venir en aide à la Fondation d’Aide
directe Sida Montréal. Ils récoltent près de 125 000 dollars. Sa popularité n’est
sans doute pas étrangère au fait qu’Éric est de toutes les causes sociales et qu’il
met toujours la main à la pâte lorsqu’il s’agit d’aider son prochain.
Le samedi 19 octobre, la jeune vedette du rock s’offre le Centre Molson, rien
de moins ! Et ses milliers d’admirateurs sont au rendez-vous pour voir le rockeur
au visage de bébé, enfin libre, lâcher son fou, en musique et en chansons de son
cru pour faire vibrer l’Hémicycle du Centre Molson. Un spectacle impeccable,
bien rodé, avec des musiciens qui suivent au pas leur jeune maître du rock’n’roll
— avec
Stéphane Dufour à la guitare et Luc Lemire au saxophone, entre autres.
« Lorsqu’un gars gueule vraiment sa vie, s’égosille en relatant ses virées
nocturnes, ses enseignements tirés à l’école du rock’n’roll, les tiraillements entre
ses anges et ses démons, l’ambivalence entre sa quête de l’âme sœur et son désir
de chair fraîche, les princesses de ses nuits et les vautours qui rôdent autour de
son portefeuille, que rajouter à cela ? » se demande le journaliste Alain Brunet, de
La Presse. « Lorsque ces poètes et artilleurs s’avèrent pour la plupart de
valeureux combattants, garçons honnêtes et intelligents, peut-on se permettre de
faire dans la tiédeur ? […] Tous les tubes de ses deux albums ont été joués,
d’autres interprétations ont émaillé de répertoires de winner — Ce soir on danse
à Naziland, du tandem Plamondon/Berger, Le Screw, de Richard Desjardins,
Bobépine, de Plume. Avant de quitter la scène et qu’on lui réclame des rappels,
il nous a fait Marie Stone, et il y a en plus des étincelles sur le band. Et des
pétards ont explosé, comme dans le temps de Bon Jovi et autres bombes hard
rock.»
Au début de janvier de 1997, TVA présente cinq soirées consécutives qui font
revivre les meilleurs moments des FrancoFolies. Ceux qui n’ont pas pu apprécier
les performances d’Éric Lapointe in vivo sont servis. Au cours des premiers mois
de l’année, Éric multiplie les entrevues sur les différentes chaînes de télévision,
que ce soit avec Sonia Benezra ou Francis Reddy, en passant par Grégory
Charles et Normand Brathwaite. On a l’impression qu’il est partout, et le public
en redemande. On peut le voir aussi bien au combat de boxe du jeune Québécois
originaire de Repentigny, Claude Lambert, au Forum de Montréal, qu’à
l’émission Souverains anonymes, animée par Mohamed Lofti sur une radio
communautaire, avec les détenus de Bordeaux.
En mai, il est de retour au Spectrum, et il est de la programmation du
30e Festival d’été de Québec, avec Nanette Workman et la chanteuse de pop
haïtienne Teri Moïse. Il participe également aux FrancoFolies 1997, en juillet-
août, aux côtés de valeurs sûres comme Paul Piché, dont c’est la « fête » et qui,
pour l’occasion, a carte blanche pour organiser le spectacle avec ses invités
choisis parmi la relève (Éric Lapointe chante à cette occasion Les pleins), comme
les Colocs, Laurence Jalbert, Grégory Charles, Luc De Larochellière et autres.
Interrogé par le journaliste Bruno Guglielminetti de La Presse, il lui avoue qu’il
est très fier de son site Web (www.ericlapointe.com), où « il offre aux visiteurs
de son site de l’information introuvable ailleurs ».
Entre-temps, après avoir participé à la quinzième Fête de la musique
électronique à Saint-Jean-sur-Richelieu, dans le cadre de l’événement Solstice,
diffusé simultanément à Paris, il est du grand spectacle de la Fête nationale, au
parc Maisonneuve, dont le thème est « Québec, une histoire de cœur ». René-
Richard Cyr en assure la mise en scène pour une deuxième année consécutive, et
cinq vedettes québécoises s’y produisent. Outre Lapointe, on entend Gilles
Vigneault, Luc De Larochellière, Luce Dufault et Nanette Workman ; c’est un
beau voyage à travers plusieurs générations. Le spectacle, que Cyr a baptisé
Chacun porte son âge, selon les paroles d’une chanson de Gilles Vigneault, est
diffusé à la télévision de Radio-Canada en soirée, de même qu’à travers la
francophonie via le réseau TV5. Quelque cent mille personnes assistent au
spectacle de la Fête nationale.
Mais pour Éric Lapointe, la saison estivale n’est pas synonyme de vacances. À
la fin de juin, il se rend en Beauce pour participer au festival Woodstock en
Beauce, à Saint-Éphrem-de-Beauce, plus précisément, en compagnie de Plume
Latraverse, Bob Walsh et Zébulon, entre autres. C’est la troisième édition de ce
festival, où la pluie et la boue des terrains détrempés forment un heureux
mélange pour les amateurs de camping et de musique rock. Quelques années
plus tard, en 2002, Lapointe sortira une vidéo de la chanson Motel 117, tournée
en direct à Woodstock en Beauce. Les paroles ont été écrites en collaboration
avec Roger Tabra : « Une chambre de motel sur le bord de la 117/J’attends de tes
nouvelles les mains derrière la tête/Je dessine au plafond les courbes de ton
corps… » Le motel en question s’appelle le Motel Totem et est bien situé sur la
route 117. C’est l’endroit où ont séjourné Roger Tabra et Éric Lapointe et où
logeaient les lauréats du premier Festival de la chanson de Saint-Sauveur,
organisé par Jean Beaulne,
l’ex-Baronet.
Il retourne à Montréal pour participer, les 26 et 27 juillet, aux spectacles de
clôture du Festival Juste pour rire, qui est organisé dans le Vieux-Port de
Montréal. Il est entouré de Marjo, Sylvain Cossette, Jean Millaire, Luck Mervil,
Offenbach et l’imitateur Marc Dupré, ainsi que d’une vingtaine de danseurs, de
treize musiciens et d’une chorale de trente chanteurs, dans une mise en scène du
comédien Christian Bégin.
L’automne s’annonce à l’image de l’été : occupé et chaud. En octobre, on fête
les quinze ans du Spectrum, cette salle devenue mythique. Éric est de la fête,
bien entendu, aux côtés de Jean Leloup, Paul Piché, Plume Latraverse, Laurence
Jalbert, Lhasa de Sela, Michel Rivard et Marjo, entre autres. Les artistes chantent
à guichets fermés, mais certains déplorent que la fête soit trop sage et manque de
magie. Puis l’imprésario Guy Latraverse reçoit le mandat d’organiser, le
27 novembre, au Centre Molson, un méga show de Noël, dont les profits seront
versés à la Fondation du Centre
hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Éric Lapointe est approché,
comme chaque fois qu’il s’agit d’œuvres humanitaires, et il chante en compagnie
d’une flopée d’artistes connus comme Claude Dubois, les sœurs McGarrigle,
Zachary Richard, Gilles Vigneault et Florent Vollant, entre autres. Mouffe en
assure la mise en scène.
Puis c’est son retour sur la scène du Spectrum, où Éric participe au lancement
d’un album d’une trentaine de chansons écrites par des prisonniers, hommes ou
femmes, et dont certaines sont aussi chantées par ces mêmes détenus. Mohamed
Lofti, qui anime depuis plusieurs années l’émission radiophonique Souverains
anonymes depuis la prison de Bordeaux, est l’initiateur de ce projet appelé Libre
à vous. Éric a déjà participé à quelques reprises à ces rencontres avec des
prisonniers de Bordeaux, et il interprète la chanson Mal d’avoir fait mal : « T’as
comme un goût de ressentiment/Tu sais qu’il est trop tard maintenant/Mais tu
aimerais juste lui faire savoir/Comme tu t’en veux pour ses malheurs ».
L’écrivain Christian Mistral, récemment sorti de prison, est de la partie avec une
chanson intitulée Y’a pas d’poésie en prison. Ces deux-là se retrouvent par
personnes interposées. Richard Séguin, qui est l’un des quatre réalisateurs de cet
album, ne pense pas « avoir fait une bonne œuvre, mais une œuvre bonne.
L’album n’est pas simple, les textes sont ardus : il brise un certain silence,
soulève le voile d’un endroit où on ne met jamais les pieds. Il y a maintenant
autre chose que les graffitis sur les murs d’une prison pour témoigner de ce que
vivent les détenus ».
Au Gala de l’ADISQ, Éric est en nomination dans trois catégories. Vêtu d’un
smoking Versace, qu’il porte sur une chemise blanche, aussi invraisemblable que
cela puisse paraître, le jeune rockeur à la voix rauque et aux nuits blanches
— parce que c’est la nuit que lui vient l’inspiration — se prête au jeu des
vedettes et se laisse croquer par les nombreux photographes présents sur les
lieux. Il repart avec le trophée du meilleur album rock de l’année pour son
disque Invitez les vautours.
Vers la fin du mois de novembre, Lapointe est de nouveau de l’équipe
d’artistes qui participent au Show du Refuge, parrainé par Dan Bigras pour venir
en aide au Refuge des jeunes de Montréal. L’événement, scénarisé par Mouffe,
se tient au Spectrum et regroupe des artistes connus comme Laurence Jalbert,
Jean Leloup, Bruno Pelletier, Zachary Richard et Bob Walsh, et il sera rediffusé
en décembre à la télé de Radio-Canada. Lapointe, que les jeunes apprécient tout
particulièrement et en lequel ils se reconnaissent, chante Loadé comme un gun :
« S’il faut briser ses poings/Sur la face de l’ennemi/Je briserai les miens/Sur la
face de la vie… » et L’amour, j’en veux pus : « La rage au corps/La mort au
cœur/J’te veux encore/J’en vis et j’en meurs… » après avoir chanté une version
blues d’Avec le temps, de Léo Ferré, en compagnie de Luce Dufault, puis La
ballade de Jean Batailleur, avec Zachary Richard.
Il s’attèle ensuite à la chanson thème du film Les Boys, de Christian Fournier.
On connaît bien l’histoire de cette ligue de garage de joueurs de hockey
amateurs qui se retrouvent tous à la brasserie après avoir disputé leurs matchs.
La chanson Les Boys (« Allez, viens, j’te paye une broue/Toé t’as l’cœur ben à
bonne place/Quand un des nôtres mange un coup/T’es l’premier sauté s’a
glace ») obtient un grand succès à travers tout le Québec, d’autant plus que le
film a plusieurs suites. On voit même le chanteur sur la patinoire de l’aréna
Maurice-Richard, en compagnie d’autres artistes, pour disputer un match de
hockey contre le club des médias, qu’ils battront 8 à 6. Une vraie ligue de garage
avec ses joueurs vedettes et d’autres, plus ou moins pourris. Éric Lapointe est
peut-être petit de taille, mais il a du chien, ce jour-là, sur la patinoire, pour
disputer un match devant public, un public qui
applaudit chaudement les joueurs.
5. Le vent dans les voiles Parce qu’on ne peut effacer
Tout ce qui brûle nos mémoires Parce que le temps
va passer Et parce que tout nous sépare Même si
on veut s’aimer
Même si on veut y croire On ne peut jamais recommencer Deux fois la même histoire Deux
fois la même histoire
(Roger Tabra/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)
En janvier 1998, quatre ans à peine après que son premier album, Obsession, soit
sorti et que le public comme la critique lui aient accordé leur faveur, le nom
d’Éric Lapointe est sur toutes les lèvres. On le voit sur toutes les scènes, toutes
les tribunes, toutes les émissions de variétés ou les talk-shows télévisés. On veut
le voir, l’entendre et le toucher. Son fan-club, d’ailleurs, grossit jour après jour.
Et lui, il le rend bien à ses admirateurs. Il les tient informés de chaque
déplacement. Il n’hésite pas à rendre visite à un enfant de sept ans qui souffre
d’une maladie coronarienne et qui est
hospitalisé à Sainte-Justine, en attente d’un donateur inconnu. Et Éric a été
approché pour lui donner un peu d’attention et de consolation, à l’instar de
plusieurs autres vedettes de la chanson et du showbiz, comme Jean-Marc Parent,
Jean-Michel Anctil, France D’Amour, Michel Louvain et de nombreux autres. Il
a toujours le cœur sur la main. Sa mère, qui le suit dans tous ses concerts, est
fière de son rejeton. Elle se dit qu’elle l’a bien élevé, pour qu’il soit si généreux
et attentionné envers ceux qui souffrent.
Comme Téléfilm Canada a refusé à Pierre Falardeau le financement pour qu’il
réalise son nouveau film, 15 février 1839, qui relate les dernières vingt-quatre
heures de Marie-Thomas Chevalier de Lorimier et de quatre autres patriotes
avant qu’ils ne soient pendus, au pied du courant, à Montréal, par les soldats de
l’armée britannique, plusieurs personnes, indignées par les refus répétés de cet
organisme fédéral, décident de mettre sur pied un comité pour amasser des fonds
qui permettront à Falardeau de mener à terme son projet. Le lancement officiel
de ce comité pour la collecte de fonds a lieu au Spectrum, et une trentaine
d’artistes y participent, dont Éric Lapointe, qui ne se fait pas prier pour mettre la
main à la pâte. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, que Lapointe s’engage
avec Falardeau. Il chante depuis quelque temps la chanson Le Screw, tirée du
film de Falardeau, Le Party. Il l’a même
chantée à l’émission de Julie Snyder, Le Poing J, ce qui a soulevé l’ire du
président du syndicat des agents des services correctionnels, qui a exigé des
excuses — que l’animatrice a par
ailleurs dû présenter.
Le 19 avril, il assiste, au Centre Molson, au nouveau concert des Stones à
Montréal. Le concert, qui devait avoir lieu initialement au stade olympique, en
janvier, a été annulé en raison de la crise du verglas qui sévissait dans le sud-est
du Québec. On se souvient qu’Éric a été invité à faire la première partie du
légendaire groupe rock à Paris, lors de la tournée Voodoo Lounge, en 1994.
Cette fois-ci, c’est en spectateur qu’il y va, et il est l’un des rares artistes
québécois présents au concert, selon les journaux qui couvrent l’événement.
Pour une deuxième année, le RockFest Molson Dry a lieu au cœur du Quartier
latin de Montréal, du 3 au 6 juin. Cet événement s’inscrit dans le cadre des
festivités entourant le Grand Prix de Montréal. Cette fois-ci, on doit déplacer la
scène, pour ne pas faire concurrence aux FrancoFolies, même si celles-ci se
déroulent un peu plus tard en saison. L’Équipe Spectra ne voit pas d’un bon œil
l’arrivée d’un nouveau joueur dans ses plates-bandes, un événement qui risque
de semer la confusion dans le bouquet des spectacles offerts à la population.
Alors, c’est autour de la place Émilie-Gamelin qu’est érigée la scène principale,
ainsi qu’à l’angle des rues Berri et Ontario. Qui dit « rock québécois » ne peut
ignorer le petit dernier de la scène musicale. Ainsi, Éric Lapointe se produit le
3 juin, avec Nancy Dumais et Steppenwolf en avant-première, devant quinze
mille admirateurs qui ont bravé la froidure inattendue du début juin. Lapointe les
comble en chantant ses succès, qu’ils connaissent tous par cœur, comme Invitez
les vautours, Marie-Stone, Danger, Terre promise, Hypocrite, Une émeute dans
la prison, etc. Il est aussi de l’Internationale de l’art vocal de Trois-Rivières, un
festival qui aligne plusieurs spécialités, du classique au chant de choral en
passant par le rap avec Dubmatique et le rock engagé avec Pagliaro, Sylvain
Cossette, Térez Montcalm et Anthony Kavanagh.
Le 19 juin, il participe au Festival des fromages de Warwick. Il n’est pas
nécessaire d’aimer les fromages de la région pour assister au spectacle du jeune
rockeur. Le 23 juin, il se déplace à Québec, pour le show de la Saint-Jean, sur les
plaines d’Abraham, diffusé sur les ondes de TQS. Grégory Charles est chargé de
la programmation et de l’animation. Il promet que ce sera différent des autres
spectacles de la Saint-Jean. Pour lui, il ne s’agit surtout pas d’un show
traditionnel où les artistes vont venir sur scène pour effectuer trois petites
« steppettes » et promouvoir leurs chansons pour ensuite se retirer dans leurs
terres. Non, il veut que tous les artistes
invités participent, s’entraident et se mêlent les uns aux autres, dans un joyeux
mélange des genres, entre opéra, chanson pop et rock. Éric se mêle donc à Térez
Montcalm, Nathalie Choquette, Danielle Martineau et, bien évidemment,
Grégory Charles. Le résultat, malheureusement, n’est pas à la hauteur des
attentes du public, rassemblé ce soir-là sur les plaines d’Abraham. Cette Saint-
Jean ne passe pas à l’histoire.
Pour les FrancoFolies 1998, les organisateurs organisent La fête à… Zachary
Richard au Métropolis, avec Isabelle
Boulay, Michel Rivard, Florent Vollant et Éric Lapointe. Mais Éric doit annuler
sa participation à la dernière minute en raison d’une laryngite. Ce n’est sûrement
pas de gaieté de cœur qu’il accepte de se plier aux recommandations de son
médecin, surtout quand on sait que le jeune rockeur adore les parties. Cette
laryngite se complique ensuite, avec l’apparition d’un polype sur l’une de ses
cordes vocales. C’est une grosse déception pour ses milliers d’admirateurs. Il
doit également annuler sa participation au 31e Festival d’été de Québec. Il est
remplacé à la dernière minute par le groupe Les Respectables, et il apprend qu’il
devra être opéré à l’automne.
En attendant le grand jour de la délivrance, il est condamné, si on peut dire, à
ne pas parler pendant deux à trois semaines, mais le pire est à venir. Il doit
également s’abstenir de chanter pendant les trois prochains mois. Il n’est pas
question, pour le jeune rockeur de 28 ans, de respecter à la lettre les
recommandations de son oto-rhino-laryngologiste. Il continue de chanter malgré
tout, mais en réduisant considérablement ses engagements pour l’été. Il craint
par-dessus tout que la machine à rumeurs s’emballe et qu’on commence à
chuchoter qu’il est fini, que sa voix, son principal instrument de travail, est
sérieusement détériorée. Cela ne prend pas grand-chose pour que la confiance
disparaisse. Mais en fait, il s’agit d’une usure « normale », compte tenu de toutes
les prestations auxquelles il s’est livré au cours des deux ou trois dernières
années. La voix n’est pas faite pour être utilisée aussi intensément, et la cigarette
n’aide pas. Aussi, il tente de diminuer sensiblement sa consommation de tabac.
« Je fume depuis seize ans, et pas mal, jusqu’à deux paquets et demi par jour. On
va voir», dit-il en entrevue à La Presse Canadienne.
Plus de 1500 admirateurs le voient et l’entendent, en grande forme, au
spectacle rock organisé par le Challenge Volleyball Ford de Repentigny. Puis
Éric se déplace au Théâtre Saint-Denis, le temps d’un spectacle-bénéfice intitulé
La bande à Bonneau, pour venir en aide à l’Accueil Bonneau, dont les locaux
ont été détruits dans une explosion. Les Colocs, France D’Amour, Isabelle
Boulay, Dan Bigras, Mario Peluso, Sylvie Paquette et Nicola Ciccone, entre
autres, sont également de la partie. Et quand ça adonne, c’est son imitateur qui se
produit sur scène lorsqu’il n’y est pas. Marc Dupré est « un excellent imitateur,
un excellent humoriste, un excellent chanteur. Il chante mieux que l’original »,
dit la publicité, paroles qu’on attribue à Éric Lapointe. Alors, cela accentue
l’impression d’une présence continue du jeune rockeur.
Pour une troisième année consécutive, Éric est du Show du Refuge, organisé
depuis huit ans par Dan Bigras, « le chanteur à la camisole », pour venir en aide
aux jeunes en difficulté. L’objectif, cette année-là, est d’amasser
100 000 dollars, et il sera atteint. « Dan m’a dit : “Tu le fais, tabarnac !” Avec la
shape qu’il a, je ne pouvais pas refuser ! » lance en riant Éric Lapointe, qui en est
à sa troisième participation à l’événement. Puis, plus sérieusement : « C’est une
bonne cause et puis, sur scène, ça donne vraiment lieu à des
moments magiques », lance-t-il au journaliste de La Presse venu l’interviewer.
Comme pour les années passées, le Show du Refuge sera rediffusé à la télé de
Radio-Canada en décembre. Plume Latraverse, Marjo, Patrick Huard, Gilles
Vigneault, Jim Zeller, Sylvain Cossette et de nombreux autres y sont également.
Et comme pour sceller cette amitié qui unit les deux artistes, Éric Lapointe
interprète en duo avec Bigras, sur le nouveau CD de ce dernier (Le chien), la
chanson Un homme ça pleure aussi, dont les paroles sont de Roger Tabra : « Tu
viens d’ouvrir les yeux et c’est déjà la nuit/Et déjà le ciel bleu se recouvre de
gris/T’as pas le temps de voir où le soleil se lève/Que déjà nos
histoires viennent briser tes rêves…»
La saison des spectacles-bénéfices bat son plein, en cet automne 1998, et les
artistes sont très sollicités, car les besoins de toutes sortes sont immenses. Un
peu avant le Show du Refuge, on retrouve Éric Lapointe au spectacle des Enfants
de l’espoir Maisonneuve, un organisme qui vient en aide aux enfants en
difficulté du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Pour la somme de 43,75 $, on
assiste à un programme tout à fait intéressant et novateur. Des critiques et des
chroniqueurs, dont Alain Brunet et Marie-Christine Blais, trois animatrices de
Cité Rock Détente, etc., changent de rôles et jouent les artistes critiquées. Dans
la salle du Cabaret, calepin, vitriol et crayon en main, Éric Lapointe, Nancy
Dumais, Robert Charlebois et d’autres artistes analysent les prestations. Plaisir et
fous rires garantis, avec, en supplément un peu de crêpage de chignon.
Le 25 novembre, Éric lance le mini CD Les Boys II au centre Molson, en
présence de Patrick Huard et de Rémy Girard, tandis que la suite des Boys, le
film de Louis Saïa, sortira quelques semaines plus tard sur DVD. Le mini CD
comprend trois chansons. Outre Les Boys, on y trouve Alléluia ! et Rocket : On est
tous des Maurice Richard. Ce mini album se vend à plus de 25 000 exemplaires
en quelques semaines seulement. Ensuite, Éric apparaît brièvement sur la scène
du Théâtre Saint-Denis, le temps d’interpréter la chanson L’héroïne de cette
histoire, à l’invitation d’Isabelle Boulay :
« L’héroïne de cette histoire/Faisait couler des jours heureux/Dans les veines des
stars/L’héroïne de cette histoire/Tu paraissais blanche comme neige… » Il fait
une autre brève apparition au Chien-show de Dan Bigras, en mars 1999, pour
interpréter encore une fois la chanson Un homme ça pleure aussi.

***

En avril 1999, Éric Lapointe lance un nouveau disque intitulé À l’ombre de


l’Ange, un album qui s’est fait dans des conditions idéales, pour reprendre les
propres paroles du jeune rockeur. Il y a consacré énormément de temps et
d’énergie. Que de nuits blanches, arrosées de cognac et autres alcools ! « C’est le
mélange des deux mémoires et des deux générations », affirme Lapointe au
journaliste Jean-Christophe Laurence de La Presse, à propos de sa collaboration
avec Roger Tabra pour ce qui est des paroles. « Mais ce disque s’est fait aussi
avec Stéphane Dufour, à la console. Ce disque leur appartient autant qu’à moi, et
particulièrement à Stéphane parce qu’il s’est donné corps et âme comme si
c’était son disque. Et qu’il a supporté mes doutes et mes insécurités. Ce que
j’avais à exprimer est sur l’album. […] Pour la première fois avec cet album, on
est rentrés dans notre échéancier. On a même eu le temps de se faire une belle
pochette», continue Lapointe.
« Si Invitez les vautours était le disque de la déprime et du défoulement, À
l’ombre de l’Ange serait plutôt celui de l’introspection », poursuit Lapointe dans
une entrevue qu’il accorde au journaliste de La Presse. Le rockeur affirme que
c’est le résultat de son étroite collaboration avec Tabra, qui prête sa plume à
pratiquement toutes les chansons et avec qui il partage cette même fascination
pour l’univers des piliers de bars, des sinistrés de l’amour et des oiseaux de nuit.
« Tabra et moi, on a deux manières d’écrire différentes, mais en même temps, on
est tous deux en période de réflexion. Lui vient d’avoir un kid à 50 ans. Moi, je
m’enligne sur la trentaine, je vis une relation stable depuis quatre ans. J’ai moins
l’impression de tourner en rond. Et je suis plus conscient de ce qui se passe
autour de moi. […] Ce disque-là me fait peut-être encore plus peur. Le
deuxième, je m’en sacrais, je m’étais défoulé dedans. Alors, un troisième disque,
me semble que c’est celui qui établit si t’as fait ton trou ou si t’es juste de
passage. »
Ce troisième album, qualifié par plusieurs de chef-d’œuvre, se vend à plus de
50 000 exemplaires en deux semaines et est consacré disque d’or, comme les
précédents. Il s’inscrit nettement dans la lignée des œuvres précédentes.
Lapointe n’est pas quelqu’un qui sacrifie quoi que ce soit aux modes passagères,
celles des musiques électroniques. Cette bête de scène préfère le rock heavy
metal, celui des années quatre-vingt. « De quoi parler au juste ? » lui demande le
journaliste Jean-Christophe Laurence, de La Presse. « Ben… de la vie de nuit (Le
Miroir, Dernier service), de l’amour (Mon Ange, Rien à regretter), du cul
(Tendre fesse, 1-900-XXX), des ruptures (On commence à s’quitter, Motel 117) et
de tout ce qui peut aller mal dans la vie d’un gars. La plupart des chansons ont
été signées à trois : Roger Tabra aux paroles (pas très joyeuses mais efficaces),
Stéphane Dufour aux riffs de guitare (pas très subtils mais efficaces) et Éric
Lapointe sur un peu des deux. […] À l’ombre de l’Ange n’est pas un disque très
souriant. Le décor est sombre, malgré quelques entrés de lumières (Mon Ange,
Rien à regretter). Quelques complaintes tord-tripes viennent tourner le couteau
dans la plaie (Cœur au vif), mais c’est surtout dans ses tounes les plus pesantes
que Lapointe a vraiment l’œil du tigre. Des chansons pur rock comme Le Miroir,
Partir en paix et 1-900-XXX, sont particulièrement juteuses, ajouterais-je.
Prévisible. Un peu beaucoup. Mais à défaut de surprendre, ce disque a au moins
le mérite de sonner juste de bout en bout. Et il sonne comme une tonne de
brique.»
Et le journaliste lui accorde la cote de 4 étoiles et demie, ce qui est plutôt
enviable. Comme quoi exprimer son mal de vivre peut se faire selon les règles
de l’art. Son disque trône sur tous les palmarès pendant des mois un peu partout
au Québec, et on l’invite à toutes les émissions et les talk-shows. Il devient aussi
un régulier de MusiquePlus, où il peut communiquer en direct avec ses
admirateurs.
Voici une petite anecdote à propos de la chanson Tendre fesse. Tabra n’était
pas d’accord pour qu’elle figure sur ce nouvel album, il trouvait que cette
chanson détonnait et qu’elle allait tout gâcher. Mais Éric a préféré ne pas
l’écouter, et cette chanson, un peu cochonne, s’est finalement retrouvée sur
l’album À l’ombre de l’Ange. « Il croyait que ce serait surtout les hommes qui
allaient la chanter, mais, en fin de compte, elle a beaucoup plu aux femmes »,
avoue-t-il au journaliste de La Presse.
En voici une autre à propos de la pochette qui a beaucoup fait jaser. On y voit
Éric Lapointe debout au sommet d’une falaise, comme s’il allait s’élancer dans
le vide. On a évoqué une scène suicidaire, et les organismes qui œuvrent à la
prévention du suicide ont vivement dénoncé cette pochette. Éric a été forcé de
s’expliquer, en affirmant qu’il ne s’agissait que d’une image et que cela n’avait
rien à voir avec une invitation au suicide. Cela se passait un an avant le suicide
de Dédé Fortin…
En mai, c’est déjà le temps pour Alain Simard, président des FrancoFolies de
Montréal, d’annoncer la programmation de la onzième édition. Éric Lapointe est,
bien évidemment, de la fête, et il participe au concert Une fois cinq : Nouvelle
génération, un rappel du fameux concert qui a eu lieu sur la montagne, le
23 juin 1976, et où Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Yvon Deschamps,
Claude Léveillée et Jean-Pierre Ferland ont fait vibrer plus de
300 000 personnes. Cette nouvelle mouture met en vedette, outre Éric Lapointe,
Paul Piché, Dan Bigras, Pierre Flynn et Pierre Légaré, et elle est présentée le
31 juillet 1999, non pas sur la montagne, mais bien sur la scène principale. C’est
tout un défi à relever pour ces cinq gars, car l’ambiance de 1999 n’a rien à voir
avec celle de 1976, alors que le Parti québécois allait être élu quelques mois plus
tard pour la première fois. « Nous partons d’hier pour aller vers demain », précise
le producteur Guy Latraverse, comme pour se défendre d’être nostalgique. Mais
il voit tout de même une filiation entre ces cinq artistes d’aujourd’hui et ceux de
1976. Il y aura aussi la soirée Carte blanche à
Isabelle Boulay, au Théâtre Saint-Denis, où Lapointe, le rockeur qu’on reconnaît
de loin à ses verres fumés, de jour comme de nuit, et à ses pantalons de cuir,
chante en compagnie de Laurence Jalbert, Daniel Seff et quelques autres. On
prévoit aussi d’autres fêtes plus ou moins improvisées au Métropolis avec
Youssou N’Dour, le populaire chanteur sénégalais.
À la fin de mai, Lapointe « casse » son nouveau show à Saint-Lazare devant
huit cents admirateurs qui connaissent déjà par cœur les paroles des chansons de
son nouvel album. Huit cents personnes, c’est le maximum que peut accepter le
bar Chez Maurice, situé à environ une demi-heure de
Montréal, en banlieue ouest.
Pour clôturer le Printemps du Québec à Paris, Éric Lapointe est du spectacle
franco-québécois Tapis rouge, qui attire plus d’un million de téléspectateurs sur
le réseau TVA. Lapointe est aux côtés de notre Céline nationale et d’une
multitude d’artistes québécois et français, comme Robert Charlebois, Claude
Dubois, Roch Voisine, Isabelle Boulay, Louise Forestier, France D’Amour,
Zachary Richard et
Gilbert Bécaud, pour ne nommer que ceux-là. Ce méga show, d’une durée de
quatre heures, est animé par Michel Drucker, un ami du
Québec.
En juillet, le Festival Juste pour rire invite Éric à participer à des spectacles à
saveur érotique, Le désir : Juste pour lire érotique, ou La fureur du troisième âge.
Des artistes comme Lapointe, Mario St-Amand, Mara Tremblay, Martin Petit,
Marie-Chantal Perron, Didier Lucien et d’autres sont invités à se livrer à
quelques caresses textuelles coquines.
En septembre 1999, on annonce les nominations du prochain Gala de
l’ADISQ, et Éric Lapointe obtient deux nominations dans les catégories de
l’interprète de l’année et de la chanson populaire pour Rien à regretter (« Les
murs de bars qui penchent/Et les marins qui s’y accrochent/Les années noires et
les nuits blanches/Avec du vent au fond des poches »), en plus d’y faire une
prestation. La soirée,
diffusée sur les ondes de Radio-Canada, est animée par Véronique Cloutier, en
direct du Capitole de Québec.
Lapointe fait partie des artistes invités au Medley par la station radiophonique
CKMF (94,3 FM), qui organise, quatre-vingt-quatorze jours avant l’an 2000, « le
plus gros show rock de l’automne ». Deux mille auditeurs ont été invités par la
station radiophonique. Éric revient ensuite au Spectrum pour deux soirs, à la fin
du mois d’octobre, avec ses cordes vocales qui semblent bien guéries et des plus
performantes. Entouré de ses six musiciens, il chante à guichets fermés durant
les deux soirs, prouvant aux sceptiques que sa voix n’a rien perdu de sa force,
dans la plus pure tradition du rock. Plus de 100 000 exemplaires de son dernier
album, À l’ombre de l’Ange, se sont déjà écoulés. Il chante vingt-cinq chansons
pendant deux heures endiablées, entrecoupées de la visite de M. Pointu avec son
violon discret et d’Elvis Gratton, qui vient mettre son grain d’humour avec la
chanson Think Big.
Comme s’il s’agissait d’une répétition générale, Éric Lapointe revient sur la
scène du Spectrum, le 23 novembre, pour le rendez-vous annuel du Show du
Refuge de Dan Bigras. Là aussi, on chante à guichets fermés avec d’autres
complices, comme Richard Séguin, Richard Desjardins, Lili Fatale, Laurence
Jalbert, Isabelle Boulay, Steve Faulkner, entre autres. Le public québécois est
vraiment un bon public, tout comme les artistes de la chanson, d’ailleurs. Ils sont
toujours présents lorsqu’on les invite à manifester leur solidarité afin de « nourrir
l’espoir des jeunes itinérants ». À cette occasion, l’organisateur de l’événement,
Dan Bigras, affirme qu’il y aurait dix mille itinérants à Montréal.
Lapointe chante quelques-unes de ses chansons où il exprime son mal de
vivre, comme Un homme ça pleure aussi et On commence à s’quitter, mais aussi
Tendre fesse, qui appartient à un tout autre registre. Il recommence quelques
semaines plus tard, à l’invitation du boxeur et poète du ring Stéphane Ouellet, au
Bar le Dupont, à Repentigny, pour venir en aide aux plus démunis de dix villes
et villages de la MRC de L’Assomption. Puis, entre deux présences à l’émission
de Julie Snyder, Le Poing J, où il est très certainement « l’artiste le plus souvent
invité à cette émission », il accepte l’invitation de Maman Dion à mettre la main
à la pâte pour faire cuire des côtelettes de porc à la bière à TVA.
Cette journée-là, il a plusieurs cafés-cognacs derrière la cravate, à tel point que
la cuisinière, Maman Dion, se demande s’il va pouvoir finir l’émission.
Finalement, Éric tient le coup et livre la marchandise, comme promis. Cette
émission devient par la suite une pièce d’anthologie et marque beaucoup la
chroniqueuse télé à La Presse, Louise Cousineau. Éric Lapointe est un touche-à-
tout, comme on peut le constater, et il se prête généreusement à toutes les causes
qu’il juge bonnes et justes.
Au moment de faire le bilan de l’année 1999, les deux journalistes spécialisés
en musique à La Presse, Jean-
Christophe Laurence et Alain Brunet, concluent, à propos du jeune rockeur
national : « Paradoxal : alors que le Québec prétend “s’ouvrir sur le monde”, une
nouvelle génération d’artistes locaux connaît un succès considérable en jouant à
fond la carte de la québécitude. Avec son troisième disque (À l’ombre de l’Ange,
vendu à 150 000 exemplaires), Éric Lapointe s’impose pour de bon comme notre
seul vrai rockeur national. » Et c’est ce qu’il tient à prouver le 31 décembre pour
son « party de famille » au Spectrum, où il a convié ses admirateurs à venir
célébrer la nouvelle année avec lui. Il est entouré de ses amis habituels, comme
Dan Bigras et France D’Amour, de même que M. Pointu et son violon, sans
parler de ses musiciens, dont Stéphane Dufour, qui vient alors de lancer son
propre album solo. Éric propose même une tournée générale de bonne broue à
tous ses admirateurs. L’année 2000 peut commencer en beauté, sur les chapeaux
de roue.
D’ailleurs, dès le 2 février, il invite ses admirateurs à participer, comme
figurants, au tournage de son nouveau vidéoclip intitulé Tendre fesse, chanson
tirée de son dernier album, À l’ombre de l’Ange : « Je suis membre
viscéral/Membre du règne animal/J’ai la langue bestiale/Pour le bien
conjugal/Allez viens qu’on s’étale/Pour goûter le péché original… » Le tournage
a lieu au fameux bar de danseuses le Solid Gold, boulevard Saint-Laurent.
Bienvenue aux dames, comme disait la réclame, à l’époque. Ce clip est plus ou
moins
censuré ; à MusiquePlus, on n’en montre qu’une version tronquée, parce que trop
osé. Lapointe se défend d’avoir voulu faire un film de cul. « Je veux avant tout
célébrer la fête et le party», réplique le chanteur aux bien-pensants offusqués.
Lapointe retourne ensuite au Spectrum, le 8 avril, pour jouer encore une fois à
guichets fermés.
6. Un rockeur national « Oh j’y vas-tu ou ben j’y vas
pas»
Y a calé d’un coup sec son double téquila Y a traversé tout’les danseurs Pis y est allé y
d’mander
« Viens-tu danser un beau grand slow collé ? »
Un beau grand slow
(Richard Desjardins)

En février de cette année 2000, dans un sondage réalisé par SOM pour le compte
de La Presse et qui concerne, entre autres, les personnalités artistiques les plus
populaires, Éric Lapointe arrive en quatrième place avec 6,1 % des votes,
derrière Céline Dion (49,2 %), le Cirque du Soleil (11,1 %) et Claude Meunier
(9,8 %). Il devance à ce moment-là Julie Snyder, Jean Leloup et Luc Plamondon,
entre autres. En fait, les jeunes idolâtrent totalement la jeune rock star. Une
émission de Radio-Canada, Enjeux, se penche justement sur le phénomène de
l’idolâtrie et du fanatisme, et Éric Lapointe y est interviewé. Voici ce qu’en dit
Louise Cousineau, la chroniqueuse télé à La Presse : « Le cas d’Éric Lapointe
provoque une idolâtrie qui frôle le délire. Vous verrez une jeune femme dont
l’enfant est mourant. Les murs de la maison sont couverts de photos d’artistes :
c’est ça, dit la mère, qui a empêché le petit de mourir plus tôt. Il y a 50 ans, les
murs auraient été couverts d’images saintes. […] Aujourd’hui, elle persuade son
petit d’accepter les traitements en lui promettant qu’il va voir Éric Lapointe. Le
chanteur avoue qu’il ne sait pas quoi faire de tels appels, très nombreux.
“J’essaie de me sauver moi-même, je ne peux pas sauver les autres”, dit-il. Il
raconte qu’il lui arrive de signer des autographes sur la peau et qu’il a eu la
surprise de revoir son autographe tatoué. »
On s’arrache même son t-shirt (était-ce celui qu’il portait lors de sa dernière
performance au Spectrum ?) lors d’un encan vestimentaire à l’hôtel Marriott
Château Champlain à Montréal. Cet événement est organisé pour venir en aide
aux personnes handicapées en recherche d’emploi. Puis c’est au tour du
populaire anthropologue Serge Bouchard d’inviter Éric Lapointe à son émission
Histoire de chansons, à Télé-Québec, pour qu’il nous parle de son
processus créatif. Quel cheminement!
Pour le spectacle de la Fête nationale de l’année 2000, la plus grosse
production depuis les vingt-cinq dernières années, on réunit une trentaine
d’artistes au parc Maisonneuve, dont Luce Dufault, La Chicane, Louise
Forestier, Daniel Boucher et Éric Lapointe. Il y a de fortes chances pour que ce
spectacle soit marqué par la politique et orienté vers la promotion des idées
indépendantistes. Deux artistes du groupe n’ont jamais caché leur parti pris en
faveur de l’indépendance du Québec : Daniel Boucher, pour qui « il ne faut pas
avoir peur et le dire », et Éric, qui avoue d’emblée qu’il n’irait jamais « chanter à
la fête du Canada ». Seule Louise Forestier manifeste quelques réticences : « Les
Québécois ne sont pas tous nécessairement souverainistes », lance-t-elle, comme
si ce n’était pas évident. Le spectacle du 24 juin, qui est retransmis à la
télévision de Radio-Canada et diffusé également par TV5, est un mélange
vitaminé de folklore, de chansons québécoises et de rock.
Les artistes, énormément sollicités en cette période faste de l’année, ont à
peine le temps de reprendre leur souffle avant que le Festival d’été de Québec les
interpelle, avec une programmation très diversifiée, « une fête avec des couleurs
bien à elle, québécoise dans son esprit et internationale dans sa programmation »,
selon le nouveau directeur général du festival, Jean-Pier Doucet. On annonce
qu’il y aura plus de mille artistes provenant de vingt pays. Le groupe La Chicane
et Éric Lapointe s’affrontent sur les plaines d’Abraham pour le spectacle
d’ouverture. Les gens se demandent s’ils assisteront à un affrontement entre Val-
d’Or et Montréal, avec pour arbitres Michel Pagliaro, Gilles Vigneault, Plume,
Claude Léveillée, Luce Dufault, Kevin Parent, Sylvain Lelièvre, Les Cowboys
Fringants et bien d’autres ? Au terme de ce 33e Festival d’été de Québec, on
remet le prix Miroir Radio Énergie à Éric, le seul prix à être attribué à la suite
d’un scrutin populaire. Mais un peu avant, le jeune rockeur fait un saut en
Beauce pour participer à la sixième édition du Woodstock de Saint-Éphrem,
avec comme complices Claude Dubois, Daniel Boucher et les Frère à Ch’val. On
se dit que ça va brasser à coup sûr, alors que les organisateurs attendent plus de
60 000 joyeux campeurs.
Alors que la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique (SOCAN) remet à Éric Lapointe, Roger Tabra et Éric Pineault une
plaque commémorative pour souligner le fait que la chanson Mon ange soit
restée à la tête du palmarès radio au cours des derniers mois, les organisateurs
des FrancoFolies 2000 donnent, pour la première fois, carte blanche à Éric
Lapointe, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, ainsi qu’un budget
pharaonique pour l’industrie d’ici, obtenu grâce aux droits de diffusion de
Radio-Canada : 400 000 $ ! On y voit et entend, entre autres, Nanette Workman,
Roger Tabra et Laurence Jalbert, ses complices de toujours. Ils interprètent une
vingtaine de chansons durant un spectacle d’une durée
prévue de deux heures.
Pour ce petit rockeur de l’est de la ville, c’est une première présence sur une
scène de la Place des Arts, et il se fait plaisir. « Un petit bout d’homme coincé
dans un semblant de smoking, sur fond de rideaux bordeaux tachés par un halo
de lumière. Figure angélique aux favoris rebelles, les lèvres à peine pressées sur
le micro. À ses côtés, un joueur de guitare d’allure flamenco, nœud papillon de
cabaretier. La Bohème, version Éric Lapointe. […] Une soirée “carte blanche”
somme toute réussie. Son armée de fans remplissant la salle — ainsi qu’une
partie de la scène transformée pour l’occasion en “bar” fumant —, Éric Lapointe
s’est fait plaisir à son premier passage à la PDA. […] Lapointe, armé de
musiciens inspirés (Luc Lemire au saxophone), avait la forme. […] Le rockeur
emblématique a livré l’essentiel d’un répertoire plus rock que ballade. […] La
mise en scène de Denis Bouchard nous aura fait oublier pendant deux heures la
froideur légendaire de la PDA, les danseuses ondulantes de Tendre fesse y étant
peut-être pour quelque chose », rapporte le journaliste de La Presse. La
testostérone est à l’honneur.
Le rockeur à la voix rauque participe également au spectacle de clôture en
hommage à Gerry Boulet, décédé il y a dix ans. Il y interprète, entre autres,
Ayoye. La formation mythique rock Offenbach est réunie pour cette occasion
avec Pierre Harel, McGale, Weso et Willi, comme au bon vieux temps, mais
d’autres chanteurs sont également sur scène pour mettre en valeur l’héritage de
Gerry, dont son fils, Justin Boulet, Claude Dubois, Daniel Boucher et Nanette
Workman, « la reine des rockeuses », qui entonne Georgia avec Vic Vogel au
piano. Le spectacle sera plus tard diffusé à Radio-Canada, dans le cadre des
Beaux Dimanches.
Ensuite, le Théâtre Hector-Charland, une institution très active dans le milieu
culturel de L’Assomption, dans la région de Lanaudière, invite une flopée
d’artistes de la chanson pour animer ses soirées, dont Éric Lapointe, Sylvain
Cossette, Lynda Lemay, Claude Dubois, Paul Piché, Jean Leloup, Claire
Pelletier, Zachary Richard et bien d’autres parmi les valeurs sûres.
Les 29, 30 et 31 août, Éric Lapointe, aux côtés de Lara Fabian et Sylvain
Cossette, est invité à participer aux trois spectacles que donne le chanteur
français Johnny Hallyday au Théâtre Saint-Denis, à Montréal. Il chante en duo
avec le rockeur français l’une de ses chansons favorites. Une grande absente :
Nanette Workman, qui a été à une époque l’amoureuse de Johnny. L’événement
Halliday a pour but de marquer les 40 ans de carrière de cet artiste habitué de
chanter devant des foules immenses en Europe.
Au début du mois de septembre, c’est le combat tant attendu entre le poète-
boxeur Stéphane Ouellet et le dur de dur Dave Hilton. L’humble poète prend le
dessus sur la brute, au grand plaisir des 18 000 spectateurs et plus qui se sont
donné rendez-vous au Centre Molson. Parmi ces spectateurs, un chanteur, Éric
Lapointe, ne passe pas inaperçu. Il n’a jamais caché ses sympathies pour Ouellet.
Il se serait même fait tabasser par un partisan de l’autre clan (certains parlent de
quelques motards). Résultat : une petite « souris » sur l’œil. Il se fait soigner par
le médecin de Stéphane Ouellet, qui doit lui faire deux ou trois points de suture
en haut de l’œil. L’affaire fait énormément de bruit. On se demande pourquoi il a
été ainsi agressé. Pour avoir ridiculisé un partisan du boxeur perdant ou pour
avoir affirmé que lui, il n’aurait jamais accepté de chanter à un mariage des
Hells, comme l’ont fait d’autres chanteurs ? Quoi qu’il en soit, Éric Lapointe doit
annuler la conférence de presse, prévue quelques jours après le combat de boxe,
où il est censé annoncer plusieurs projets. Mais il part tout de même pour le
Sénégal, où son disque À l’ombre de l’Ange est distribué et tourne à la radio.
Accompagné de cinq musiciens et six techniciens, il se produit le 23 septembre
au Théâtre national Daniel Sorano de Dakar.
À son retour d’Afrique, Éric donne un nouveau concert au Spectrum de
Montréal. Y a-t-il un lien avec ce qui s’est passé au gala de boxe au Centre
Molson ? Toujours est-il qu’une bagarre éclate entre un groupe de spectateurs à
la fin du spectacle. Éric Lapointe semble y avoir pris part. Coups de poing et
chaises volent dans les airs. Une victime doit même être transportée à l’hôpital,
souffrant d’une commotion cérébrale. Cette fois-ci, le chanteur est épargné, fort
heureusement. Mais il se peut fort bien qu’il s’agisse d’une nouvelle tentative
d’intimidation de la part de motards, tant et si bien que le second spectacle,
censé avoir lieu quelques jours plus tard, doit être annulé ; les billets ne se
vendent pas.
Selon La Presse du 26 octobre 2000, « seulement une centaine de billets
auraient été vendus pour son spectacle de samedi prochain, dans une salle qui
peut accueillir jusqu’à 1200 personnes. La dictature des motards ferait-elle fuir
les admirateurs ? Les deux faits sont-ils nécessairement liés ? Après une
vingtaine de concerts au Spectrum, Lapointe aurait-il tout simplement fait le tour
de la grande région montréalaise ? Serait-ce une combinaison de tout ça ?
Beaucoup de questions et bien peu de réponses. Une certitude toutefois : Éric
poursuit sa tournée québécoise automnale, qui le mènera du Tops de Laval au
Stirling de Joliette (20 décembre) et dont les meilleurs moments devraient
aboutir sur un album live. »
D’après ce qu’on raconte, exaspéré par toute cette publicité non désirée,
Lapointe aurait même bousculé un journaliste et un caméraman de TVA qui
faisaient le pied de grue devant chez lui. La scène a été filmée, mais n’est pas
diffusée au complet. Il s’agit d’une atteinte à la vie privée de l’artiste, invoque-t-
on en haut lieu. C’est la première fois, en quatre cents spectacles, qu’un tel
événement malheureux se produit. Éric se défend d’être lié au milieu des
motards criminels, et il ne peut tout de même pas contrôler les entrées à la porte
de ses spectacles. Mais sa réputation de rebelle lui colle toujours à la peau, et
Nathalie Petrowski, journaliste à La Presse, ne se gêne pas pour questionner le
chanteur : « Éric Lapointe n’est pas le premier chanteur à s’identifier à l’image
rebelle et romantique des Hells ni à les fréquenter en dehors des heures de
bureau. On pourrait même dire que la fréquentation purement récréative des
motards est un classique de la culture rock’n’roll. […] Ces liaisons dangereuses
s’expliquent aisément. Les motards projettent une image de rébellion et de non-
conformisme que les rockeurs comme Lapointe partagent. Mais surtout les
motards ont toujours du bon stock gratuit et abondant et ils peuvent toujours
compter sur le soutien “moral” d’une armée de pitounes qu’ils prêtent volontiers
à leurs amis. Comment y résister ? L’ennui, c’est que la fréquentation, même
purement récréative, des motards, n’est pas sans périls.»
Est-ce un geste d’apaisement, un signal de fumée pour faire la paix de la part
du chanteur ? Toujours est-il que pour la première fois, Éric Lapointe accepte
l’offre du magazine Sept Jours de poser avec sa blonde, son « ange » avec qui il
vit depuis cinq ans, et même de révéler son nom.
Pour le 22e Gala de l’ADISQ, animé par Guy A. Lepage le 5 novembre en
direct du Théâtre Saint-Denis, Éric Lapointe est en lice avec sept nominations,
dont celles d’interprète masculin de l’année (choisi non pas par l’industrie, mais
par le public), d’album rock de l’année, de chanson populaire de l’année (choisie
par vote téléphonique le soir du gala), avec Mon ange, et de spectacle de l’année.
Il mérite le Félix pour le meilleur vidéoclip de l’année avec Mon ange. Puis, à la
soirée de la remise des prix, Éric repart les bras remplis par trois autres Félix :
album de l’année/meilleur vendeur (avec des ventes de 220 000 exemplaires
pour À l’ombre de l’Ange), album de l’année/rock et spectacle de l’année/auteur-
compositeur-interprète.
Éric esquive les questions des journalistes à propos des derniers événements
que l’on connaît. Concernant le Félix du meilleur vendeur pour la chanson À
l’ombre de l’Ange, il parle d’un trophée « statistique » qui revient « à toute la gang
qui a permis d’en faire un succès ». Puis, il ajoute : « J’espère que le feu est éteint
et que ce soir, les médias sont assez énervés de même. » On sait tous qu’Éric
n’est pas doué pour les discours, « mais écoutez les premiers accords d’intro de
Mon ange, et vous allez arrêter tout sauf le disque. Zéro pour la parlotte, Éric
Lapointe, mais tout là pour la chanson qui vous chavire le cœur, qui vous
transporte», nous dit la journaliste de La Presse Louise Cousineau.
Loin de se retirer dans ses terres pour célébrer son triomphe à l’ADISQ, Éric
Lapointe plonge sur la patinoire. Il est de la distribution des Boys III, avec
Patrick Huard, Marc Messier, Rémy Girard et d’autres joueurs de hockey. Les
deux premiers volets des Boys ont rapporté beaucoup, plus de six millions de
dollars pour le premier et cinq millions et demi pour le second.
De la patinoire givrée au tapis vert feutré de la table de billard, il n’y a qu’un
pas à franchir, et Éric le fait allégrement. Il annonce en grande pompe le premier
Classique Éric Lapointe, un tournoi de billard qui servira à amasser des fonds
pour le Refuge des jeunes, la grande cause de Dan Bigras. Le tournoi se déroule
le 6 décembre 2000 au Mont-Royal Billard, avenue du Mont-Royal Est, sur le
Plateau. Des vedettes de la communauté artistique ont été invitées à participer à
ce tournoi amateur, et plusieurs sont présents pour soutenir cette noble cause,
mais aussi pour se mesurer au « Petit Roi du rock ». Il y a Dan Bigras, bien
évidemment, puis Daniel Boucher, Yvon Lambert, et Patrick Huard. Surprise :
Gilles Vigneault est présent, ainsi que quelques autres joueurs. Soixante-quinze
pour cent des frais d’inscription vont au Refuge des jeunes, et l’autre partie est
remise au grand gagnant du tournoi. Dans l’éventualité où Éric Lapointe
remporterait le tournoi, il s’engage à remettre alors son prix à Dan Bigras, pour
le Refuge.
Une cause n’attendant pas l’autre, Éric et Tabra s’unissent pour produire un
CD d’une chanson, à l’initiative du Centre pour hommes opprimés et colériques
(CHOC), un organisme d’aide pour hommes violents qui célèbre son quinzième
anniversaire. La chanson s’intitule Papa, pourquoi tu cries ? et parle du problème
de la violence conjugale et
familiale.
Par ailleurs, Yves-François Blanchet, l’agent et l’imprésario d’Éric Lapointe,
annonce que son agence, YFB, représentera désormais d’autres artistes comme
Laurence Jalbert, Nancy Dumais et Mélanie Renaud. Nancy Dumais, qui lance
un deuxième CD au début de 2001, fait la première partie des prochains
spectacles d’Éric Lapointe, au Club Soda, cette fois du 28 au 30 mars 2001.
Quelques jours avant le jour J, Éric invite ses admirateurs à une session de
clavardage sur le site Web du Club Soda. Éric, on le sait, a toujours été très
présent pour ses admirateurs.

***

C’est l’été, et le jeune rockeur est toujours aussi en demande. Son étoile est
loin de pâlir, comme certains le craignaient à la suite des événements violents
survenus plus tôt. Il n’a guère le temps de songer à la paternité ou à des vacances
avec sa blonde. Un soir, on le trouve à Saint-Hyacinthe pour chanter avec sa
joyeuse bande à l’occasion d’un méga party pour l’association des célibataires, et
un autre soir, il est dans le Vieux-Beloeil pour le Festibel, en compagnie de Yelo
Molo et Plume Latraverse, recevant la visite surprise de Patrick Huard. Une
autre fois, il est sur le sable de la plage de Rawdon, en compagnie de Daniel
Boucher et Laurence Jalbert, pour le EauShow, ou alors aux FrancoFolies, invité
sur la scène par le trio Dubmatique en compagnie de La Orchestra Cubana. Puis
il se retrouve au parc Jarry, devant 10 000 spectateurs de La Fureur animée par
Véronique Cloutier, où Éric est accompagné à la guitare par le gardien de but
José Théodore. Et ça, c’est quand il n’écrit pas une nouvelle chanson avec Tabra
pour un jeune prodige, Matt Laurent, qui s’est fait connaître surtout avec le
personnage de Quasimodo dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris, ou
pour Mélanie Renaud, la choriste d’Éric lors de l’enregistrement de Mon ange,
ou alors pour Luce Dufault avec son nouvel album, Au-delà des mots, ou encore
pour Caroline Néron, qui entend mener une nouvelle carrière de
chanteuse «libre et respectée».
Éric foule le tapis rouge à l’occasion de l’ouverture du restaurant Le Lychee,
sur le boulevard Saint-Laurent, auquel s’est associé Garou. Il participe de
nouveau à une émission télévisée, invité par Maman Dion, qui concocte toutes
les semaines ses fameux brunchs. Et un autre soir, il est au 34e Festival d’été de
Québec pour rendre un hommage à Dédé Fortin des Colocs, en compagnie de
nombreux autres chanteurs. Il fait deux chansons : Mauvais caractère et Juste
une p’tite nuitte. Ouf ! Juste avant lui, Manu Chao a soulevé la foule des
festivaliers rassemblée sur les plaines d’Abraham en interprétant ses principaux
succès, dont Babylon et Esperanza.
Les 4es Jeux de la Francophonie ont lieu dans la région de Hull-Ottawa, du 14
au 24 juillet. Il s’agit d’un événement important, voire gigantesque, qui dispose
d’un budget de plusieurs millions de dollars. Ces jeux à caractère olympique
comportent leur volet culturel compétitif, avec chansons, danse, littérature,
peinture, sculpture, photographie et arts de la rue. Le 14 juillet, c’est la soirée
d’ouverture, ainsi qu’un point culminant, puisque c’est également la Fête
nationale des Français. Dominic Champagne en assume la conception et Ginette
Laurin, la chorégraphie. Alexis Martin se charge des textes, qui sont lus par le
comédien Pierre Lebeau, tandis que l’organisation est confiée à un spécialiste
qui en a vu d’autres, Guy Latraverse. Ce dernier en dira plus tard qu’il s’agissait
de sa plus grosse production à vie.
De très nombreux artistes y participent, et tous les énumérer ici serait trop
long, mais mentionnons Éric Lapointe, Robert Charlebois (qui ne peut participer
à la fête à cause d’un léger malaise), Claude Dubois, Diane Dufresne, Jean-
Pierre Ferland, Daniel Lavoie, Roch Voisine et Isabelle Boulay, nommée
ambassadrice de ces jeux. Luc Plamondon est mis à contribution pour la chanson
officielle de ces 4es Jeux de la Francophonie. C’est dans de telles circonstances
que naît la chanson L’un avec l’autre, une sorte de We Are the World en français.
Isabelle Boulay en est l’interprète, mais elle est accompagnée par la voix
d’autres chanteurs de la francophonie, comme Khadja Nin, Hélène Ségara,
Natasha St-Pierre, Patrick Fiori, Garou, Véronic Dicaire et Éric Lapointe, entre
autres.
Le spectacle tant attendu, le dernier bébé du producteur Guy Latraverse, a pu
voir le jour grâce à un budget de trois millions de dollars. On n’a pas lésiné sur
les effets spéciaux, les contrastes et les grosses vedettes. Il y a Diane Dufresne,
Jean-Pierre Ferland, Isabelle Boulay, Roch Voisine, Marie-Jo Thério, Zachary
Richard, Daniel Bélanger Véronic Dicaire, Loco Locass et plusieurs autres. Ils
ont tous livré de puissantes performances. Mais les chefs d’orchestre, qui ont
assuré la couverture musicale du spectacle extraordinaire et qui ont travaillé dans
l’ombre de cette gigantesque organisation, sont à féliciter tout autant. Dominic
Champagne à la mise en scène, Alexis Martin à l’écriture des très beaux textes
narrés avec professionnalisme par Pierre Lebeau, et Ginette Laurin à la
chorégraphie, ont accompli un travail de haut calibre. Le spectacle retraçait en
chansons, en danses, en acrobaties, les 400 ans d’histoire de la langue française
au Canada, depuis l’arrivée de Jacques Cartier jusqu’aux déchirements
linguistiques d’aujourd’hui, en passant par la déportation des Acadiens. La scène
a
littéralement vibré lorsque Diane Dufresne a chanté Mon pays, lorsque Marie-Jo
Thério a interprété un déchirant Mummy Daddy, lorsqu’Isabelle Boulay et Jean-
Pierre Ferland ont uni leurs voix pour chanter Un peu plus haut, lorsque les
effets spéciaux ont cédé le pas à la simplicité pour que les artistes entonnent Ils
s’aiment, de Daniel Lavoie. Et des moments d’énergie pure également, avec la
présence des uniques Loco Locass qui ont rappé Malamalangue, de France
D’Amour et de Luck Mervil (C’est un mur), d’une Diane Dufresne égale à elle-
même avec Oxygène, et d’Éric Lapointe semant ses Bombes à tous vents.

***

En septembre 2001, il y a les attentats meurtriers contre les tours du World


Trade Center à New York, un événement dramatique qui marquera la mémoire
collective à jamais. Quelques semaines plus tard, le 28 septembre, plus
précisément, on organise un spectacle-bénéfice appelé Québec-New York/Un
show pour la vie . Le concert a lieu au Centre Molson devant 12 000 personnes
qui ont toutes payé 20 $. Les profits sont versés à la Croix-Rouge canadienne,
qui les remettra à son équivalent américain pour venir en aide aux victimes des
attentats. Céline Dion accepte d’y participer, en compagnie de quelque deux
cents artistes, dont Claude Dubois, Éric Lapointe, Dan Bigras, Marie Denise
Pelletier, Luce Dufault, Kevin Parent, ainsi que des membres du Cirque du
Soleil. Des comédiens seront présents sur scène pour lire des textes sur la
tolérance. On y voit et entend également le premier ministre du Québec, Bernard
Landry. Céline chante L’amour existe encore, composée par Luc Plamondon,
tandis que Diane Dufresne entonne une chanson de circonstance : « Ne tuons pas
la beauté du monde/Faisons de la Terre un jardin/Pour ceux qui viendront après
nous.» Le spectacle est diffusé en direct sur les ondes de TQS.
« Rarement a-t-on vu une telle démonstration de solidarité », peut-on lire dans
La Presse sous la plume du journaliste Alexandre Vigneault. « Rarement a-t-on
vu autant de gens se mobiliser en si peu de temps. Une semaine jour pour jour
après avoir entendu l’appel lancé par un regroupement d’artistes, environ
10 000 personnes se sont rassemblées au Centre Molson hier soir pour assister
au spectacle Québec-New York/Un show pour la vie, et manifester leur
sympathie aux familles des victimes des attentats du 11 septembre.»
L’étoile d’Éric Lapointe, jeune rockeur fougueux, ne pâlit pas, malgré certains
actes violents auxquels il a été associé et malgré une certaine réputation
sulfureuse d’écumeur de bars. On l’invite même au prestigieux Gala Excellence
La Presse/Radio-Canada, animé par Patrice L’Écuyer, pour qu’il y chante une
chanson, en compagnie de Robert Charlebois, Mélanie Renaud, Jim Corcoran,
Laurence
Jalbert, les sœurs McGarrigle et Lynda Lemay.

***

C’est l’hiver, les besoins sont nombreux, et c’est de nouveau le temps du


concert pour le Show du Refuge de Dan Bigras. Outre les habitués, comme
Lapointe, Daniel Boucher, Nanette Workman, France D’Amour et Luce Dufault,
on aperçoit au Métropolis quelques nouveaux noms, comme Sébastien Plante (du
groupe Les Respectables), Garou et même Michel Louvain, qui interprète Mon
Ange tandis que Lapointe y va avec La dame en bleue. Boom Desjardins, qui
participe à l’événement pour la deuxième fois, souligne qu’avant d’arriver à
Montréal et de voir les gens qui vivent dans la rue, il n’avait jamais connu cette
misère humaine, lui qui vient d’Abitibi. Lara Fabian fait une brève apparition
pour chanter Tue-moi en duo avec Dan Bigras. Comme par les années passées, le
Show du Refuge permet d’amasser 130 000 $.
À peu près au même moment, Moisson Montréal, qui est membre de la grande
chaîne de Moissons du Québec et qui vient en aide à ceux qui n’ont pratiquement
rien pour remplir leur réfrigérateur — quand ils en ont un — a la bonne idée de
réunir des chanteurs pour produire un CD dont le titre est Les Divans. Ainsi, ils
joignent l’utile à l’agréable. Le lancement a lieu au restaurant Chez mes amis,
situé sur la rue Sherbrooke Ouest, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce.
L’idée, mise de l’avant par Christian Legault, le guitariste de La Chicane, est de
reprendre des classiques de la chanson française et québécoise. On y retrouve les
artistes suivants : Martin Deschamps, Patrick Normand, Luck Mervil, Boom
Desjardins, Jean-François Dubé, Gildor Roy, Sébastien Plante, du groupe Les
Respectables, Jonathan Painchaud, du groupe Oukoumé, Mario Pelchat, Bruno
Landry et, bien évidemment, Éric Lapointe. Le disque comporte treize chansons,
plus une autre qui est interprétée en groupe : Ordinaire, de Robert Charlebois. Le
but est de vendre, à l’approche des Fêtes de fin d’année, 50 000 exemplaires du
CD afin de remettre 200 000 $ aux Moissons du Québec, ce qui
correspond à 4 $ par disque vendu.
Finalement, au début de décembre, le film Les Boys III, d’après un scénario de
Louis Saïa, René Brisebois et François Camirand, sort en salle. C’est sans
contredit le plus réussi des trois films de la série. On y retrouve les acteurs
habituels : Marc Messier, Rémy Girard, Patrick Huard, Serge Thériault, Pierre
Lebeau et Paul Houle, entre autres. Lapointe y joue également le personnage de
Bruno. « Finalement, un coup de chapeau pour la qualité de la bande musicale du
film et pour le jeu sobre et étrangement discret d’Éric Lapointe, presque
intellectuel dans le film », conclut le critique de La Presse Jean Beaunoyer. La
bande sonore du film sort en même temps sur CD.
Le 31 décembre 2001, Éric Lapointe et sa joyeuse bande de « rock’n’rolleurs »,
c’est-à-dire Patrick Huard, Daniel Boucher, Les Respectables, Roc Lafortune,
Mélanie Renaud et Marie-Chantal Toupin, prennent d’assaut le Spectrum pour
leur party de fin d’année. La mythique boîte de spectacles de la rue Saint-
Catherine Ouest lévite à la vitesse grand V.
« La place où je veux être dans la vie, c’est le stage. Fêter le jour de l’An sur
une scène, pour moi, c’est naturel », lance-t-il à la journaliste Sonia Sarfati,
venue l’interviewer. On dirait que la guerre est terminée, du moins le temps de
faire la paix pour célébrer dignement la fin de l’année et le début de 2002. Puis,
à la même journaliste, qui l’interroge sur son rôle dans Les Boys III, il répond
qu’il a su attendre le bon moment pour se lancer dans le métier d’acteur. Deux
autres occasions se sont offertes à lui précédemment : le rôle Johnny Rockfort
dans Starmania, puis le personnage de Rick Bonnard dans Omerta. Mais ce
n’était manifestement pas pour lui. On l’a aussi aperçu vitement dans Histoires
de filles, où il jouait plus ou moins son propre rôle, mais rien de plus. C’était, là
encore, Louis Saïa qui dirigeait le comédien. Pour le personnage de Bruno, dans
Les Boys III, il se sent plus près de ce qu’il est dans la vraie vie. « J’ai jamais
rêvé d’être employé dans une caisse populaire. Mais tu vois, il est timide dans la
vie pis il devient quelqu’un d’autre sur le stage. C’est peut-être le seul parallèle
que je peux faire entre lui et moi. On m’a souvent demandé si c’était pas
effrayant de jouer avec Marc Messier, Rémy Girard, Serge Thériault, Patrick
Huard… Au contraire, ça me rassurait. » Puis, lorsque la journaliste lui demande
s’il a, depuis, la piqûre du cinéma, il répond : « Le cinéma ne fonctionne pas dans
le même fuseau horaire que moi. La dernière fois que je me suis levé aussi tôt, je
passais les journaux. »
Puis il avoue qu’il a d’autres chats à fouetter : il a de nouvelles chansons
écrites avec Roger Tabra et qui pourraient bien se retrouver sur un nouveau
disque à l’automne 2002 ou au printemps 2003. Et, entre-temps, il sort un album
live, son premier, sur lequel il travaille depuis assez longtemps et qui comporte
des chansons de scène, là où il se sent comme chez lui. Pour le 31 décembre, il
raconte, sans trop s’en faire : « Ca va être juste ça : un party. On n’a pas de
metteur en scène. On est une gang de chums qui vont fêter avec du monde qui a
envie de fêter. Si ça fait pas lever le Spectrum, y a rien qui va le faire lever».
7. Une chance qu’on l’a Reste là, à l’abri des
combats
Reste là, ma guerre est finie
Je t’en prie, reste là, pour mon cœur de soldat Veille sur mon insomnie, respire dans ma voix
Reste là
(Éric Lapointe/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)
Coup de tonnerre ou coup de théâtre : le 5 janvier 2002, on apprend qu’Éric
Lapointe s’est fait arrêter en République dominicaine à la suite d’allégations de
possession de drogue. Il a été arrêté par la police dans un bar de la ville de
Sosua, située à une trentaine de kilomètres de Puerto Plata, où il séjournait pour
des vacances pourtant bien méritées. Tout le Québec est en émoi, car la nouvelle
s’est répandue comme une traînée de poudre (sans mauvais jeu de mots).
Heureusement, après quelques jours de détention, la brigade des stupéfiants de la
République dominicaine recommande son expulsion. Éric a été détenu dans des
conditions extrêmement difficiles. « Il était le seul gringo, le seul Blanc parmi 15
ou 20 Dominicains, dans une cellule où il n’y avait pas de lits, pas de
couvertures, pas de toilettes, pas de nourriture, pas de cigarettes et personne qui
parle français. Honnêtement, je ne voudrais pas vivre ça. Quand je l’ai vu
débarquer de l’avion, c’était clair qu’il n’avait pas dormi depuis quatre jours »,
écrit l’imprésario du jeune rockeur dans un communiqué intitulé « Bienvenido a
Sosua ».
Tout ce qu’on sait de cette affaire, c’est qu’Éric n’était pas en possession de
cocaïne au moment de son arrestation, car si cela avait été le cas, il n’aurait pas
été libéré. La loi est claire : en République dominicaine, il est interdit d’être en
possession de cocaïne. Donc, aucune procédure judiciaire n’a été entreprise
contre lui. Mais on lui a « gentiment » montré la porte, avec l’interdiction de
retourner dans ce pays des Caraïbes. Lapointe a été escorté jusqu’à l’aéroport par
des policiers. Le ministère des Affaires étrangères a été prévenu : « On s’est
assuré qu’il avait un billet de retour », a conclu Reynald Doiron, le porte-parole
de ce ministère canadien. Comble de malheur, cet incident s’est passé au tout
début des vacances d’Éric, et il n’a même pas eu le temps de piquer une tête
dans la piscine de l’hôtel.
Les médias, bien évidemment, font leurs choux gras des déboires d’Éric
Lapointe. Sa vie privée est étalée en noir et blanc ou en couleurs un peu partout
dans les principaux journaux du Québec. Des tribunes de Marc Cassivi et
Stéphane Laporte à l’émission Infoman, la tête d’Éric est à l’affiche pendant un
certain temps. On l’invite tout de même au nouveau spectacle de Céline, La
Fureur, au Centre
Molson, où il chante L’amour existe encore avec sa voix rauque. Ce spectacle est
ensuite diffusé à la télé de Radio-Canada.
Éric a tout de même suivi son plan de match, et il sort enfin son premier album
live, intitulé Adrénaline, au début d’avril 2002. Il s’agit d’un album double qui
comprend douze chansons « qui fessent » d’un côté et 11 reprises chantées en
duo et tirées surtout du répertoire de Jean-Pierre Ferland, Richard Desjardins,
Michel Rivard, Daniel Boucher et Plume Latraverse de l’autre.
En ouverture, il reprend une vieille chanson de Jean-Pierre Ferland, comme
pour lancer un message à ceux qui se mêlent de sa vie privée : « Qu’est-ce que ça
peut ben faire/Que j’vive ma vie tout à l’envers ? » Au journaliste Alexandre
Vigneault, de La Presse, qui l’interviewe à l’occasion de la sortie de son album,
il lance : « Ce que je veux dire avec l’album live, c’est que tout va bien. Ça va
bien avec ma blonde, je suis fier de mon disque et j’ai hâte à mort de remonter
sur le stage. Je ne verrais pas la pertinence de faire des albums si ce n’était pour
faire des shows ensuite. »
Il raconte ensuite au journaliste qu’il « a fait enregistrer plus d’une douzaine de
concerts dans autant de villes, changeant parfois l’ordre des chansons à la
dernière minute pour éviter le pilote automatique. Ensuite, il a passé environ
quatre mois à sélectionner les moments où sa musique faisait des flammèches. »
Puis le chanteur précise : « On a laissé les imperfections, d’une part parce que les
gars jouent tellement fort qu’il n’y avait rien à faire pour les cacher et parce
qu’on voulait que ça sonne sale. On n’a pas nécessairement choisi les tounes qui
sont passées à la radio, on a pris celles où la magie opérait. C’est un survol de
mes trois albums et de mes trois tournées.»
On y trouve des classiques, mais aussi ses chansons fétiches, à propos
desquelles il s’explique : « Shefferville (avec Michel Rivard) et T’es mon amour,
t’es ma maîtresse (avec Laurence Jalbert), ce sont deux souvenirs de jeunesse.
Shefferville, c’est une des premières tounes que j’ai apprises quand j’avais
12 ans. C’était la préférée de mon grand-père et je la lui chantais à répétition.
Ç’a été bien spécial de la chanter avec Michel Rivard. » Il confie qu’il n’a qu’une
seule envie, c’est de remonter sur scène, après une absence de trois longs mois.
« C’est une thérapie, le stage, j’en ai besoin pour ma santé mentale. Je suis addict
à l’adrénaline. » Mais il ne cache pas son inquiétude à la suite de la publicité qui
a entouré ses dernières frasques. « C’est sûr que le monde ne s’imagine pas que
je me tiens dans les cafés chrétiens, mais quand on parle d’histoire de drogue
dure, il y a peut-être une couple de madames qui trippent sur Mon ange qui vont
décrocher.»
Il enregistre également une chanson en duo sur le nouvel album de Mario
Pelchat, Avec le temps, de Léo Ferré. « Éric Lapointe n’est pas un démon », lance
Mario Pelchat au journaliste Jean Beaunoyer, de La Presse, qui lui demande de
s’expliquer à propos de son amitié avec le rockeur turbulent. « Tout ça n’est
qu’une image. Quand on chante comme il le fait, on ne peut pas être un démon.
Éric, que j’appelle souvent “le flo”, parce qu’il est plus jeune que moi et une
personne d’une grande sensibilité qui m’a impressionné par son authenticité et
son talent. On a enregistré Avec le temps sur un coup de cœur, après un repas au
Bistro Saint-Denis. À trois heures du matin, l’enregistrement était parfait, déjà
en boîte. »
Le 9 mai, Éric Lapointe lance sa nouvelle tournée en effectuant une apparition
inoubliable sur la scène du Spectrum de Montréal. Tout le gratin du rock et ses
admirateurs de la première heure se sont donné rendez-vous pour entendre leur
idole, plus en forme que jamais, « loadée comme un gun », leur chanter ses
classiques comme les chansons de son dernier album double, Adrénaline, dont
plus de 50 000 exemplaires ont déjà été vendus en quelques semaines à peine et
qui figure toujours en première place des palmarès des ventes.
« Comme sur Adrénaline, Lapointe a saupoudré son spectacle de reprises telles
que Ce soir on danse à Naziland, Un beau grand slow, L’émeute dans la prison,
Qu’est-ce que ça peut ben faire et Bobépine. Des reprises généralement
bienvenues qui s’inséraient très bien entre ses propres hits et qui ont maintenu le
rythme du début à la fin de la soirée. » L’auditoire, poing en l’air, buvait
littéralement ses paroles et les chantait en même temps que le jeune loup en
pleine possession de ses moyens. La fusion à l’état pur entre le chanteur et son
public. « N’oublions pas les “scandales” qui marquent le personnage autant que
sa musique ! Une petite phrase à propos de ces “premières pages des journaux”
introduira la chanson… Rien à regretter. Dans le paysage lisse et léché du
showbiz québécois, Éric Lapointe est quand même rafraîchissant. Avec lui, au
Spectrum comme dans les médias, on ne s’ennuie pas », constate le journaliste de
La Presse, Philippe Renaud.
MusiquePlus en profite pour rediffuser l’émission Éric Lapointe Live, qui a
attiré un auditoire extraordinaire. Même la chroniqueuse télé de La Presse,
Louise Cousineau, applaudit les performances du rockeur. « Si vous avez,
comme moi, un faible pour ce rockeur un peu bum à la voix rauque qui chante
avec ses tripes et qui a du tempérament, vous allez adorer vos 90 minutes. Les
meilleures performances d’Éric Lapointe, ce sont ses solos. En deuxième partie,
on le fait chanter avec Mélanie Renaud, Laurence Jalbert et Marc Dupré — qui
imite Éric Lapointe —, et cela a moins de punch. Mais les chansons du début, où
il ruisselle de sueur, sont excellentes. L’entrevue aussi, où vous aurez le choix de
croire si son bonheur est de boire le matin un verre d’eau. […] Il fera Mon ange
avec une seule guitare à l’accompagnement. Vous vous ennuierez de cette intro
de piano du disque qui vous prend aux tripes. Mais vous n’aurez qu’à écouter le
disque après. » Louise Cousineau, malgré sa différence d’âge avec le jeune
rockeur — ce n’est pas lui faire offense que d’affirmer qu’elle est d’une autre
génération —, est une admiratrice finie d’Éric, au point où elle assiste à ses
spectacles, même dans des endroits des plus loufoques, comme le bar Chez
Maurice, à Saint-Lazard, à l’ouest de Montréal.
Durant l’été 2002, Éric ne chôme pas, encore une fois, et on le voit un peu
partout où il y a de la musique en plein air. Il est un habitué du spectacle de la
Fête nationale, alors qu’il alterne, selon la demande, entre celui de Québec et
celui de Montréal. Cette année-là, le 24 juin, il chante au parc Maisonneuve en
compagnie de Claude Dubois, Jean-Pierre Ferland, le groupe Mes Aïeux,
Nanette Workman et Mélanie Renaud, tandis que Jici Lauzon est l’animateur de
la soirée. Pour le 35e Festival d’été de Québec, on demande à Éric Lapointe
d’organiser l’un des spectacles thématiques, et il choisit le chanteur et poète
abitibien Richard Desjardins. Devant quarante mille personnes, il chante, avec
d’autres artistes à ses côtés — Laurence Jalbert, Daniel Boucher et Garou —, les
plus beaux textes de ce chanteur engagé.
Si, au début, il se sentait très impressionné de se retrouver aux côtés des
grands, comme Gilles Vigneault, ou d’entendre des milliers d’admirateurs
chanter ses chansons par cœur, le jeune rockeur a pris un peu plus d’assurance,
et il se sent désormais parfaitement à l’aise partout où il va. Mais il demeure un
rockeur fragile, malgré les apparences.
Au journaliste de La Presse qui lui demande s’il lui est plus difficile de chanter
en plein air que dans une salle, il lui répond que lorsqu’il s’agit de festival, il doit
travailler un peu plus fort qu’en salle, car « c’est beaucoup plus familial et c’est
pas nécessairement des fans qui sont là ». Il avoue ensuite qu’il aime bien boire
du thé glacé pour se désaltérer, mais qu’une bonne bière froide fait très bien
l’affaire. « Mais ce que je préfère, c’est boire du daiquiri aux fraises sur une
terrasse », ajoute-t-il. Car il avoue qu’il est « très terrasse mais aussi très piscine
quand [il va] chez [sa] mère ou chez Patrick Huard ». Questionné à propos de ce
que représente pour lui de participer au spectacle de la Fête nationale, il répond :
« C’est toujours l’occasion de chanter de grandes chansons qui m’ont marqué.
Mais j’avoue que j’ai hâte qu’on laisse tomber les numéros de style “les
Patriotes” pis tout ça. J’aimerais ça qu’on inclue tout le monde qui vit dans le
Québec d’aujourd’hui. Et j’aimerais ça que les gens qui organisent ces shows-là
cessent d’essayer de reproduire les Saint-Jean de leur jeunesse, avec des tounes
de Charlebois, Vigneault, etc. Ben justement, à l’époque, pendant les grands
rassemblements, les Charlebois et compagnie, c’est leurs chansons à eux qu’ils
chantaient, pas celles de leurs prédécesseurs. Ce serait le fun qu’on puisse, nous
aussi, chanter nos chansons. » Éric Lapointe fait tout de même lui aussi partie de
ces chanteurs dont certains artistes en devenir interprètent les chansons,
désormais. C’est ainsi qu’au spectacle de la Saint-Jean, le 24 juin, à
McMasterville, le jeune chansonnier Jocelyn Lemay interprète quelques
chansons de notre Éric national. Mais la déclaration d’Éric, à l’émission animée
par Gildor Roy à la télé de Radio-Canada, selon laquelle il est passionné par « les
beaux vêtements chers », surtout lorsque ces boutiques de luxe lui offrent « des
drinks de qualité», fait découvrir un aspect insoupçonné de sa personnalité.
Lors de la veille de sa participation au grand spectacle de la Fête
nationale 2002, la troisième en ce qui le concerne, Éric Lapointe se confie à la
journaliste de La Presse Isabelle Massé : « Ma première participation au spectacle
de la Saint-Jean au parc Maisonneuve, en 1995, est un de mes souvenirs les plus
émouvants. Je venais de lancer mon premier album. En voyant les drapeaux à
perte de vue et Gilles Vigneault à mes côtés, j’ai eu les larmes aux yeux. Je n’ai
jamais caché que j’étais un indépendantiste convaincu. Il faudrait me payer cher
pour faire un spectacle le 1er juillet ! Mais s’il y a une connotation politique à la
Saint-Jean, ce spectacle est d’abord une occasion de s’aimer et de se le dire. […]
C’est sûr que ça prend un bloc de chansons de feu de camp, mais pas durant tout
le spectacle. Avec les années, je me suis tanné de ne faire que de vieilles
chansons. Je tenais à chanter les miennes. J’ai un répertoire moi aussi ! » Il mêle
volontiers ses propres compositions à celles des autres artistes à ses côtés,
comme À Naziland, tirée de l’opéra rock Starmania et popularisée par Nanette, et
Comme un voyou, de Claude Dubois. « Un clin d’œil à un thème qui nous
ressemble. On a toutefois un problème de tonalité, ajoute en riant Éric Lapointe.
C’est le pinson contre le tas de
gravier!»
Plus de deux cent cinquante mille personnes assistent à ce concert, qualifié de
plus festif que patriotique au parc Maisonneuve. Le gardien de but du Canadien
de Montréal, José Théodore, cause même un petit émoi lorsqu’il monte sur scène
pour accompagner à la guitare Éric Lapointe sur la chanson Les Boys. Pour
l’occasion, Éric a revêtu son chandail du Canadien tandis que le gardien de but
talentueux, lui, a laissé au vestiaire son équipement et son uniforme. « J’étais
content de jouer avec des pros, surtout Stéphane Dufour, le guitariste du groupe
qui est bon à mourir. […] Je n’étais pas bien préparé. Quand je suis arrivé sur la
scène, j’ai vu cette mer de monde. J’ai essayé de me concentrer sur la musique.
En même temps, je ne voulais pas voler le show en bougeant trop. C’était le show
d’Éric Lapointe, pas celui de José Théodore. Puis, je me disais que c’était un
honneur de jouer avec de tels artistes. Un cadeau qu’on me faisait » affirmera-t-il
plus tard. Le rockeur à la voix rauque accompagne aussi Jean-Pierre Ferland
pour la chanson T’es mon amour, t’es ma maîtresse, puis toute la bande se joint à
Ferland pour interpréter quelques-unes de ses chansons, dont Une chance qu’on
s’a.
Un peu plus tard, en juillet, on retrouve un Éric Lapointe un peu timoré,
métamorphosé soudainement en Robin, lors d’un spectacle de Patrick Huard au
premier gala de la 20e édition du Festival Juste pour rire. Patrick Huard,
l’animateur, est pour sa part vêtu en Superman, tandis que Daniel Boucher est
déguisé en Batman. Soudainement, le héros des Jeux olympiques, Marc Gagnon,
descend sur scène, déguisé en Spiderman: fin de la plaisanterie.
Puis c’est de nouveau l’International de montgolfières de Saint-Jean-sur-
Richelieu, à la fin de juillet, avec une pléiade d’artistes comme Gabrielle
Destroismaisons, les frères Painchaud, Catherine Durand, France D’Amour,
Michel Mpambara, Zachary Richard, Bïa et bien d’autres. À lui seul, son
spectacle attire plus de 63 000 spectateurs, dépassant le record d’assistance établi
par les Backstreet Boys.
On ne sait pas si Éric a l’occasion de s’envoler dans le ciel de Saint-Jean-sur-
Richelieu à bord d’une montgolfière à l’occasion du festival, mais il doit par
contre se trouver à Le Gardeur, le vendredi 2 août, en soirée, pour participer au
Rendez-vous estival de Le Gardeur, qui débute cette journée-là. Une foule
record de près de 27 000 personnes impatientes et gonflées à bloc l’attend.
Fidèle à ses engagements envers un public qui lui manifeste sans hésiter son
enthousiasme, il chante certains de ses plus grands succès, et les gens ont droit à
un autre méga party signé Lapointe.
À l’invitation de son ami Mario Pelchat, il se rend ensuite au Spectrum pour y
chanter en duo quelques-unes de ses chansons dans le cadre de la soirée Carte
blanche à Mario Pelchat, aux 14es FrancoFolies de Montréal, à laquelle
participent aussi Boom Desjardins, Lynda Lemay et Mélanie Renaud. Il est
également présent sur la grande scène d’Expo Québec, près du Colisée de
Québec, où se tient une foire agricole parmi les plus courues dans l’Est canadien,
avec Jean-Pierre Ferland, Mario Pelchat, Plume et quelques autres comparses.
Entre bêlements, hennissements et meuglements, le jeune rockeur n’a aucun
problème à s’imposer.
Lapointe se produit le 12 septembre à guichets fermés au Théâtre Hector-
Charland, une salle régionale fort prisée à Repentigny. Les billets s’étant envolés
rapidement, il faut ajouter une supplémentaire le 18 septembre. Un peu
auparavant, le 6 septembre, on voit Éric Lapointe à un gala de boxe, au Centre
Bell, où divers combats ont lieu, dont celui opposant Alex Hilton à Alain
Bonnamie et celui entre le boxeur québécois d’origine haïtienne Joachim Alcine
et le Manitobain Brooke Welby. Plusieurs autres personnalités de la colonie
artistique sont également présentes, dont son ami Patrick Huard, le patron du
Cirque du Soleil, Guy Laliberté, le chanteur Florent Vollant et le comédien
Denis Bouchard.
Comme tous les automnes, le Gala de l’ADISQ, dont c’est la 24e édition et qui
est télédiffusé le 27 octobre en direct du Théâtre Saint-Denis à Radio-Canada,
annonce ses artistes sélectionnés dans les différentes catégories. Éric Lapointe
obtient six nominations, dont celle de l’interprète masculin de l’année, et le
public est appelé à voter pour le candidat de son choix. La compétition se fait
entre Daniel Bélanger, Daniel Boucher, Sylvain Cossette, Martin Deschamps,
Garou, Mario Pelchat et Éric, bien entendu. Finalement, l’enfant terrible du rock
québécois — son téléphone cellulaire sonne pendant ses remerciements —
récolte un seul Félix, celui de l’album rock de l’année, pour Adrénaline, un
album live. « C’est un disque live, c’est pour ça que je fais ce métier-là, c’est
pour ça que je fais des disques, c’est pour monter sur un stage, c’est là que tout
se passe. Je suis bien content, un album live, c’est vraiment représentatif de ce
qu’on est pour de vrai et de l’énergie que l’on dégage pour vrai. Je le prends au
nom de toute mon équipe. Sans elle, je ne suis rien » avoue-t-il, la cigarette au
bec, devant le public du gala.
Un peu avant ce gala, Éric participe au méga party organisé pour fêter la
comète blonde, le joueur de hockey Guy Lafleur, avant qu’il ne soit trop tard.
Plus de mille personnes sont invitées, ainsi que plusieurs artistes. Outre Éric
Lapointe, il y a Robert Charlebois, Gino Vanelli, André-Philippe Gagnon, Les
Cowboys Fringants et plusieurs autres. Puis, le 17 octobre, il fait un saut aux
Ailes de la Mode, rue Sainte-Catherine Ouest, pour participer à l’inauguration du
12e magasin Archambault, avec un spectacle d’une durée de 45 minutes suivi
d’une séance de signatures de ses albums, en
compagnie d’écrivains et d’autres chanteurs.
Comme il s’y attendait depuis plusieurs semaines, le 6 décembre, Éric
Lapointe est finalement opéré dans un hôpital de New York afin qu’on enlève
les polypes sur ses cordes vocales. Il a souffert pendant plusieurs mois et a dû
annuler des concerts et ralentir la cadence en raison de douleurs répétitives à la
gorge. Il a accepté de consulter une oto-rhino-laryngologiste de New York qu’un
ami lui avait recommandée, et celle-ci en est venue à la conclusion que le
chanteur devait se faire opérer sans plus attendre. À l’approche des Fêtes de fin
d’année, Lapointe a donc dû annuler ses engagements pour les trois prochains
mois.
Pour ne pas se faire oublier — car il craint par-dessus tout qu’on l’oublie —, il
lance un album double dont le premier disque est une nouvelle édition de son
deuxième album, Invitez les vautours, qui a été produit dans la controverse et qui
est maintenant introuvable chez les disquaires. On y trouve des violons et de
nouvelles versions de N’importe quoi et Mon ange. L’autre disque est un DVD
qui contient huit clips, dont trois ont été tournés sur le thème des Boys : Le Boys
Blues Band, Rocket (On est tous des Maurice Richard) et Les Boys. C’est en
quelque sorte une façon originale de
souhaiter un joyeux Noël à ses milliers
d’admirateurs.
Mais le rockeur québécois a trouvé une autre façon de souhaiter un joyeux
Noël à son public. Il signe une entente de commandite avec la brasserie Sleeman
du Québec, qui fabrique la bière Old Milwaukee Dry. Cette entente, d’une durée
de trois ans, prévoit que cette marque de bière
commanditera les tournées et les spectacles du rockeur à la belle gueule. C’est
une autre façon, pour Éric, de dire « à votre santé », en cette fin d’année. Inutile
de dire que l’annonce de cette entente fait couler beaucoup… d’encre.
Trois jours après son opération, on retrouve Éric à la salle de billard Boul
Noir, de l’avenue du Mont-Royal Est. Il ne peut pas laisser de côté son tournoi
annuel de billard, auquel participent de nombreux artistes et dont les profits sont
maintenant remis à l’organisme L’Itinéraire. C’est devenu un rendez-vous
annuel. Quelque trois mille dollars, provenant du tournoi et d’une partie des
bénéfices de la vente d’alcool, gracieuseté du propriétaire de la salle de billard,
sont ainsi remis à cet
organisme sans but lucratif qui vient en aide aux sans-abris. « C’est ma façon à
moi de leur dire de pas lâcher. Je les trouve vraiment courageux. Faut
absolument les encourager», dit-il devant des camelots enchantés par son
enthousiasme et sa générosité.
Éric n’arrête jamais, et on se demande comment il fait ; un peu plus, et on
croirait qu’il a le don d’ubiquité. Quelques jours plus tard, c’est un Éric Lapointe
particulièrement en forme qui se rend au Centre Bell pour y disputer un match
opposant le Canadien de Montréal à l’équipe des Boys, dans le cadre du défi
McDonald’s. Les profits seront remis à différents organismes, dont la Fondation
du club de hockey Canadien pour l’enfance et à la Fondation Saku Koivu. Parmi
l’équipe des Boys, dirigée par Rémy Girard, on retrouve Marc Messier, Luc
Guérin, Paul Houde, Pierre Lebeau, Roc Lafortune, Yvan Ponton et Éric
Lapointe, bien entendu.
Au début du mois d’avril, Paul Piché organise, au Métropolis, un spectacle-
événement intitulé J’ai trouvé l’eau si belle pour alerter l’opinion publique sur la
nécessité de protéger nos sources d’eau potable, nos lacs, nos rivières et notre
fleuve. Y participent, entre autres, Luck Mervil, Sylvie Legault, Daniel Boucher,
Claire Pelletier, Richard Séguin, Florent Vollant et Éric Lapointe. Le spectacle
sera télédiffusé quelques jours plus tard sur le réseau TVA. Éric collabore
également au nouvel album de Nanette Workman, avec Jim Zeller et Jean
Millaire. Il accepte même de faire une chanson, en duo avec Nanette, en anglais :
Rock Steady, de Bryan Adams.
Ensuite, il participe à plusieurs fêtes et festivals au cours de l’été 2003. Les
FrancoFolies, qui fêtent leur quinzième anniversaire, réunissent sur une même
scène, le 24 juillet, pour l’ouverture, « les trois boys les plus en vue de la pop
québécoise, Daniel Boucher, Kevin Parent et Éric Lapointe, dans un spectacle
baptisé Le Vent, la Mer, le Roc », rapporte le journal La Presse. Le « roc » fait
référence au jeune rockeur Éric Lapointe. Rappelons que la belle carrière d’Éric
a réellement débuté aux FrancoFolies de 1994, tandis que celle de Kevin Parent
a été lancée un an plus tard. Alain Simard, le patron des FrancoFolies, et le
producteur Guy Latraverse ont convoqué les journalistes à une conférence de
presse pour annoncer le joyeux concert en présence des trois vedettes. Or, il en
manque une : Éric Lapointe, qui s’est apparemment couché très tard. On doit
faire poireauter les journalistes pendant une heure, le temps de réveiller le jeune
rockeur et de l’envoyer
chercher.
On estime que plus de 100 000 spectateurs constituent la foule présente à ce
spectacle d’ouverture gratuit où les trois Boys sont à l’honneur. À un moment
donné, Éric Lapointe se laisse porter par la foule de spectateurs qui se presse sur
le devant de la scène. « Daniel Boucher, Kevin Parent et Éric Lapointe — le
vent, la mer et le roc, comme le disait l’affiche, ont formé un trio offensif et
émotif d’une redoutable efficacité et ont fait rocker sans aucun mal les dizaines
de milliers de spectateurs massés au centre-ville. Osons l’écrire : ce concert
monté dans l’urgence va marquer durablement les esprits », écrit le journaliste de
La Presse, Alexandre Vigneault, qui a parlé précédemment « d’échangisme
chansonnier qui peut donner des résultats vraiment intéressants, à la condition
que les participants fassent preuve d’un mélange d’audace, d’imagination… et
d’autodérision ». Patrick Huard, le responsable de la mise en scène de ce
spectacle appelé à devenir mémorable, renchérit : « On a affaire à trois gars
généreux qui s’aiment pour vrai. Ils ne sont pas seulement des collègues, mais
aussi des amis. Des gars qui se rencontrent à l’occasion pour un souper, un petit
jam ou un petit-déjeuner. » Rappelons qu’en 2002, Patrick Huard a réalisé, pour
la première fois, un vidéoclip sur une chanson d’Éric, Un beau grand slow, tirée
de l’album Adrénaline.
Après avoir assisté à quelques scènes de répétition entre les trois chanteurs, le
journaliste Alexandre Vigneault conclut : « L’amitié entre Kevin Parent et
Éric Lapointe date d’avant la célébrité. Elle est née autour d’une couple de bières
au Quai des brumes. Une passion commune pour Elvis a permis à Daniel
Boucher de se lier à Éric Lapointe. Kevin a commencé à fréquenter Daniel
Boucher avant la sortie de Dix mille matins. […] Trois gars d’un peu plus de
trente ans, trois auteurs-compositeurs-interprètes très populaires, un titre lyrique,
il est clair que les FrancoFolies cherchent à donner une dimension symbolique
au concert de ce soir.»
Après avoir assisté au spectacle et en faisant son compte-rendu pour La
Presse, le journaliste Alexandre Vigneault conclut, dans un article coiffé du titre
« Superbe tour du chapeau » : « Ensemble, ces trois populaires chanteurs
possèdent bien assez de tubes pour remplir un concert de deux heures. En plus,
on n’avait pas affaire à trois professionnels prêts à se mélanger pour les besoins
de la cause, mais à trois amis qui jouent parfois ensemble juste pour le fun. Ça se
sentait lorsque, après avoir interprété Fréquenté l’oubli sur la
passerelle près du public, ils sont remontés sur la scène principale en se tenant
par les épaules, fiers et heureux. […] En deux heures de concert, on a entendu de
bien belles choses. Des trios percutants (Terre promise, Silicone, Ma croûte), des
duos sensés et des solos très intéressants. Chacun des trois a livré l’une ou
l’autre de ses plus grandes chansons. Boucher, excellent showman, a fait Boules
à mites en roulant des hanches. Lapointe a fait Loadé comme un gun, les deux
yeux plantés sur la scène. Parent a apporté un peu de tendresse avec Father on
the Go Part II. […] Entendre Lapointe chanter Seigneur, une chanson qu’il
n’aurait jamais osé écrire mais qui lui colle à la peau, c’était grand. […] Et que
dire de ce pot-pourri impossible qui a clôturé le spectacle ? Lapointe sur la scène
principale, Parent devant le Complexe Desjardins et Boucher sur le toit du
Musée d’art contemporain, ils ont entrecroisé Mon Ange (“Ce monde n’sera
jamais beau/Le monde est tellement fou/Ce monde, j’en aurais fait
cadeau/Heureusement tu changes tout”), Boomerang (“Tu rentres dans un bar, tu
fais mine de rien/Y a un baveux dans chaque coin/Ils ont une telle grandeur
d’estime de soi/Qu’ils se réunissent pour rire de toi”) et La désise (“Je suis un
crotté/Un égocentrique/Je suis un pas d’cœur/Un pas de classe/Un charmeur/Un
courailleux…”, chantant tour à tour une strophe de leur chanson, comme s’ils
s’échangeaient une rondelle. Complètement fou et réussi. On n’a pas assez de
place ici pour décrire tous les frissons ressentis durant ce grand concert. »
Toutefois, à l’encan des artistes du Festival Juste pour rire, quelques semaines
plus tard, il y a une grosse déception : la petite culotte d’Éric Lapointe,
autographiée de sa main, n’a pas trouvé preneur. La publicité a sans doute été
défaillante. Mince consolation : le bâton de hockey de José Théodore n’a pas
trouvé preneur non plus. Julie Snyder invite Éric Lapointe à chanter au cours
d’un party privé qu’elle a organisé en l’honneur de son chum, Pierre Karl
Péladeau, et Louise Cousineau, la chroniqueuse télé de La Presse, réclame à
grands cris la présence de son idole, Éric Lapointe, à l’émission Belle et Bum,
animée par Normand Brathwaite et Sophie Durocher et diffusée en direct depuis
le Théâtre Plaza sur les ondes de Télé-Québec.
Quant au rockeur, après une participation à l’Internationale des Montgolfières
de Saint-Jean-sur-Richelieu, il trouve le temps de revenir sur terre pour la
première du film Sur le seuil, au cinéma Quartier latin, dans lequel joue son ami
Patrick Huard en compagnie de Michel Côté. De plus, il participe, avec une
chanson, au nouvel album de son ami Florent Vollant, Katak, dont le lancement
a lieu au Cabaret du Plateau (ex-Théâtre des Variétés), récemment acquis par
l’agent d’Éric, Yves-François Blanchet, propriétaire de Diffusion YFB. Deux
jours plus tard, il donne un autre spectacle au Métropolis. Même Garou, cet autre
chanteur à la voix rauque, lui commande une chanson pour son deuxième album
studio, Reviens, qui est lancé en novembre au Medley devant quelque
900 personnes, tout le gratin de la colonie artistique montréalaise. Il ne manque
que Céline Dion, qui prend tout de même la peine d’envoyer des fleurs.
Les Beaux Dimanches, l’émission culturelle phare de Radio-Canada, présente,
au début du mois de novembre, une émission spéciale d’une heure, en humour et
en chansons, animée par Paul Houle et consacrée aux vingt-cinq ans de la pièce
de théâtre Broue, écrite par Claude Meunier, Louis Saïa, Jean-Pierre Plante et
Francine Ruel, pièce qui a été, à ce jour, présentée devant public 2549 fois.
L’émission, intitulée Broue Ha Ha, réunit plusieurs amis des comédiens qui ont
vu à de nombreuses reprises l’œuvre la plus populaire de notre répertoire théâtral
québécois, comme France D’Amour, Jean Lapointe, Daniel Lemire, Éric
Lapointe, Claudine Mercier, Caroline Néron et quelques autres. Éric Lapointe y
interprète, pour sa part, une version inédite de la chanson Jonquière, de Plume
Latraverse : « Saoul comme une botte/Assis au bas pas loin d’la porte/Je r’garde
danser les Black Labels/Sur une vieille toune de Eddy Mitchel/Curieux j’y
pensais justement même pas…»
Encore une fois, pour une énième année consécutive, Éric Lapointe est en
nomination pour le meilleur interprète masculin de l’année au 25e Gala de
l’ADISQ, un prix du public. La compétition s’annonce serrée, avec la présence
des Daniel Bélanger, Sylvain Cossette, Plume Latraverse, Jean Leloup, Bruno
Pelletier et Yann Perreau. Sylvain Cossette repart avec le trophée, au grand dam
d’Éric, qui rêve à juste titre de le recevoir. Puis, comme tous les automnes et
pour une treizième année consécutive, le Show du Refuge, la grande cause de
Dan Bigras, revient en novembre, sur la scène du Métropolis. Bien évidemment,
on y voit et entend Éric Lapointe, qui chante Je n’t’aime plus, ainsi que d’autres
habitués, comme Lulu Hughes, Martin Deschamps, Mario Pelchat, Luc De
Larochellière, Stefie Shock et Garou. Le spectacle sera diffusé quelques
semaines plus tard sur la chaîne de Radio-Canada.
En décembre, quelques semaines avant Noël et pour la troisième année
consécutive, Éric Lapointe tient son tournoi de billard, qu’on appelle désormais
Le Classique Éric Lapointe. Plusieurs amis du rockeur, dont de nombreux
artistes, y participent. Cette année-là, les gens ont toute une surprise : Patrick
Huard bat son grand ami Éric, après que plusieurs autres — Éric Lucas, Michel
Goyette, Martin Deschamps et Richard Petit, pour ne nommer que ceux-là —
aient été éliminés. Le tournoi permet d’amasser deux mille dollars, qui sont
remis au journal L’Itinéraire.
Puis, avant que ne se termine l’année 2003, Éric Lapointe donne quatre
concerts, dont deux ont lieu au Cabaret du Plateau, propriété de son agent. Il est
accompagné de ses fidèles amis : Martin Deschamps, Les Respectables, Maxime
Martin, la jeune Andrée Watters, Papillon et, bien entendu, Patrick Huard. Éric
promet qu’en 2004, il se mettra à l’écriture d’un nouvel album.
Le 11 janvier 2004, Éric reçoit un chèque de Loto-Québec, non pas parce qu’il
a gagné le gros lot, mais parce qu’il participe au traditionnel gala
Célébration 2004, diffusé sur la chaîne TVA et animé par Gildor Roy depuis le
Théâtre du Casino, à Gatineau. Gilles
Corbeil fait tirer les numéros gagnants. D’autres artistes sont également
présents : Ginette Reno, Gregory Charles, Patrick Norma, Gabrielle
Destroismaisons, Mélanie Renaud et Wilfred LeBouthillier.
Le rockeur, de plus en plus célèbre et en demande, est approché pour faire
partie des artistes qui animent, à l’occasion, les galas dominicaux de Star
Académie 2, diffusés sur TVA. Les prestations des artistes ont lieu dans les
immenses studios Mel’s. Puis Patrice Duchesne l’invite à faire la fête à Jean-
Pierre Ferland, sur un CD consacré à ses plus belles chansons et intitulé Le Petit
Roi. Douze artistes acceptent de participer à ce projet. Éric a déjà interprété de
façon émouvante, il y a quelques années, la chanson Qu’est-ce que ça peut ben
faire, mais cette fois-ci, il choisit un ton plus viril avec Une chance qu’on s’a
(« Une chance que j’t’ai/Je t’ai, tu m’as/Une chance qu’on s’a… »), que chantera
également Bïa, dans une version portugaise, Que bom você. En quelques
semaines, plus de 50 000 exemplaires sont écoulés.
Éric fait, le temps d’une chanson, une brève apparition au spectacle de son ami
innu Florent Vollant, non pas à Maliotenam, près de Sept-Îles, mais bien à
Montréal, en plein territoire blanc, au cabaret du Plateau, plus précisément, pour
y chanter en duo Miam Maikan (Loup blanc). Puis il fait une autre apparition au
Théâtre du Centre Bell, pour un duo de voix rauques avec son ami Garou. Il est,
encore une fois, de la programmation culturelle au Théâtre Hector-Charland, qui
présente de nombreux événements, entre danse, théâtre, humour et chansons.

***

Le rockeur, on le sait, a plusieurs talents qui ne demandent qu’à être exploités.


Il accepte donc de jouer les caïds dans une série policière à être diffusée à TVA.
La série Le négociateur est basée en partie sur la vie du chroniqueur judiciaire
fort connu, Claude Poirier. Éric doit jouer le rôle de Richard Blass, surnommé
« Le Chat ». Il s’agit d’un des criminels les plus connus des annales judiciaires
récentes. Il s’est évadé à plusieurs reprises, y compris du pénitencier Saint-
Vincent-de-Paul, et il était accusé de plusieurs assassinats. Il a été abattu par la
police en janvier 1975, alors qu’il n’avait pas encore trente ans. Lapointe doit
apparaître dans les deux premiers épisodes, et il avoue avoir très hâte de jouer
son premier vrai rôle dramatique, car dans Les Boys, c’était tout à fait autre
chose. Il tient à préciser qu’il n’est pas un tueur comme Blass, mais qu’il se
trouve des atomes crochus avec ce criminel, car tout comme lui, il est très
impulsif et passionné.
Denise Filiatrault est approchée pour coacher Éric dans son nouveau métier de
comédien. L’oiseau de nuit, qui se couche normalement au petit matin et se lève
vers midi, dit qu’il est prêt à se coucher de bonne heure et à se lever très tôt pour
recevoir les précieux enseignements de Denise. Frédérick De Grandpré joue,
quant à lui, le rôle du négociateur, tandis que la comédienne Ève Duranceau joue
la blonde du Chat. Une autre Lapointe, Stéphanie, qui s’est fait connaître à Star
Académie, est également de la série produite par
Sovimage.
Bientôt, son jeune frère, Hugo, vient le rejoindre dans le métier parfois si
imprévu de la chanson. Son premier CD, intitulé Célibataire, est aux antipodes
de la musique écrite par Éric, fort heureusement, car la confusion aurait été
inévitable. Hugo n’a rien du sombre rockeur ; sa musique est plutôt légère, avec
des rythmes latins et du reggae. C’est un tout autre univers en musique et en
paroles, même s’il a, lui aussi, la voix rauque. Tout ce qu’il demande, c’est que
le public lui donne le temps de se faire un nom. Éric lui donne un sérieux coup
de main en le conseillant, en le dirigeant et en assurant la réalisation de ce
premier album. Bientôt, il part en tournée pour faire la promotion de son CD et
surtout pour rencontrer son public, qui lui fournira ses premières vraies
réactions.
Pour les célébrations de la Fête nationale 2004, Éric Lapointe est sur les
plaines d’Abraham, à Québec, en bonne compagnie, puisqu’il y a Kevin Parent,
Bruno Pelletier, Mario Pelchat, Luc De Larochellière, Andrée Watters,
Corneille, Florent Vollant et plusieurs autres. Mais il a demandé que son frère
Hugo soit à ses côtés pour qu’il connaisse son vrai baptême du feu. Hugo a déjà
chanté dans des bars enfumés, devant de petits publics, avec ou sans son frère
Éric, mais jamais sur une aussi grande scène et devant autant de monde — plus
de 250 000 personnes. Le party risque fort de s’étirer jusqu’au matin. Mais Éric
Lapointe se rend ensuite rapidement à Montréal, et on le voit monter rapidement
sur scène, au parc Maisonneuve, pour faire l’accolade à son ami Daniel Boucher.
Malgré les cris de la foule, il ne chante pas, car ce n’est pas au programme.
Puis la tournée habituelle des festivals recommence, et à la fin du mois de juin,
Éric se rend à Saint-Éphrem pour le Woodstock en Beauce, qui célèbre, cette
année-là, son dixième anniversaire. Paul Piché et le groupe Mes Aïeux ont brisé
la glace la veille, en compagnie de Vincent Vallières, du groupe Les
Respectables et de Marie-Chantal Toupin, entre autres. Une foule record, soit
74 000 personnes, défile pendant les quatre jours du festival. Lapointe chante
une bonne trentaine de chansons, et la foule en redemande sans cesse.
À l’automne, une polémique éclate à la nouvelle émission Tout le monde en
parle, à Radio-Canada. C’est soir de première, et on vise grand pour couvrir
l’actualité médiatique récente. Jeff Fillion, qui anime son émission
radiophonique à CHOI-FM, à Québec, qualifiée de radio-poubelle, dérape
quelques jours auparavant en se moquant de Martin Deschamps et des
handicapés, de même que d’Éric Lapointe, qu’il qualifie de « trou du cul » et de
« sale ». Ces propos font la manchette. L’animateur Guy-A. Lepage croit bon
d’inviter le patron de CHOI-FM, Patrice Demers, pour qu’il s’explique en ondes
sur les propos pour le moins disgracieux qui ont été tenus à son antenne. Mais le
patron de CHOI-FM quitte subitement le plateau du studio, avant même le début
de l’enregistrement de l’émission, parce qu’il se sent « isolé » et en minorité,
comme il se justifie par la suite. C’est qu’il vient d’apprendre qu’Éric Lapointe
serait aussi sur le même plateau comme « invité-surprise ». Or, quelques jours
auparavant, le rockeur a laissé entendre que si Jeff Fillion ne l’aimait pas, c’était
parce qu’il avait « probablement baisé sa femme », propos qu’il a répétés en
ondes. Durant l’émission, Guy A. Lepage renchérit en disant à la blague que le
bébé de Fillion est peut-être celui d’Éric.

***

Éric est un grand amateur de boxe, c’est connu, et on le voit presque toujours
lors des grands galas de boxe. Le samedi 9 octobre, le réseau des sports de TVA
pense l’inviter comme analyste pour commenter les combats principaux, l’un
opposant Joachim Alcine à Fernando Hernandez et l’autre opposant Alain
Bonnamie à Martin Berthiaume. Il s’acquitte de cette mission avec brio.
En novembre, l’agent d’Yvon Deschamps lance un coffret CD qui renferme
les grands moments de la carrière de l’humoriste. Pour lui rendre hommage, on
demande à une trentaine de chanteurs et à une quarantaine d’humoristes de
chanter une petite phrase de la chanson phare de Deschamps, Aimons-nous
quand même, écrite en 1970. Éric Lapointe est du nombre, aux côtés de Louis-
José Houde, Marc Labrèche, Stéphanie Lapointe, Jean-Pierre Ferland, Gilles
Vigneault, Céline Dion, Ginette Reno et bien d’autres. Désormais, personne ne
peut nier qu’Éric Lapointe, le rockeur, fait partie de la grande famille des artistes
québécois les plus appréciés.
8. L’infatigable oiseau de nuit Coupable, je plaide
l’homme facile
Coupable, oui, j’ai blessé des femmes fragile
Coupable, enchaîné à la beauté, incapable [de résister Prisonnier de leurs corps pour
l’éternité
Coupable
(Éric Lapointe/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)

Le 28 octobre 2004, trois jours avant le Gala de l’ADISQ, nouveau coup de


théâtre : Éric Lapointe est arrêté pour violence conjugale envers une ex-amie de
cœur. Il est emmené sur-le-champ en prison, où il passe la nuit en attendant sa
comparution le lendemain au palais de justice de Saint-Jérôme. Il a beau nier,
c’est la procédure normale. Il est accusé de voies de fait graves et de voies de
fait ayant causé des lésions. « Cette affaire remonterait à deux ans et les
événements se seraient déroulés dans la région de Lachute. L’arrestation du
chanteur survient à la suite d’une enquête de quelques mois qui aurait été menée
par la Sûreté du Québec. Selon les premières informations, obtenues au compte-
gouttes, la SQ a porté plainte au nom de la jeune femme, qui préférait ne pas
ébruiter l’histoire de violence. Elle n’aurait eu qu’une liaison de quelques mois
avec le rockeur », révèle La Presse. Mais on apprend également qu’il y aurait eu
un autre incident entre les deux mêmes personnes il y a quelques jours à peine.
La nouvelle est traitée en gros titres à la une de La Presse et des autres médias.
On souligne qu’ironiquement, le prochain album d’Éric Lapointe doit sortir dans
quelques jours, avec un méga lancement au Métropolis, et que cet album porte le
titre de Coupable. On mentionne aussi quelques titres des chansons contenues
dans cet album, comme Crime et Fais un bum de toé. On peut voir un peu partout
à Montréal des affiches annonçant la parution de cet album, avec un Éric
Lapointe menotté. Signe prémonitoire ? Publicité douteuse ? Lapointe est
finalement libéré le lendemain sans qu’aucune accusation ne soit portée contre
lui — pour l’instant. Le substitut du procureur général a préféré demander un
supplément d’enquête avant d’aller plus loin dans cette affaire.
Dans une longue entrevue accordée à la journaliste Nathalie Petrowski, de La
Presse, la veille de son arrestation, dans un petit restaurant de la rue Saint-
Hubert, le Lulou, dont il a déjà été copropriétaire, il ne laisse pourtant rien
transparaître de ses déboires à venir. « C’est sûr qu’avec mon band aujourd’hui,
c’est pas la même chose que quand on était tous célibataires et sur le party.
Maintenant, mes boys sont tous pères de famille, ça fait que je me rabats sur les
techniciens. » Puis la journaliste raconte que le rockeur mène une vie plus
tranquille depuis deux ans, parce qu’il est en amour avec Marie-Pier Gaudreault,
qu’il a rencontrée alors qu’elle était serveuse au bar Dagobert, à Québec. Elle l’a
suivi à Montréal, et Éric en est
follement amoureux.
La journaliste, notant son penchant avoué pour l’alcool fort, surtout la vodka
tonique, qu’il qualifie lui-même de « drink hypocrite car on peut en boire des
heures sans que ça paraisse », le questionne sur ses lectures. « Ce soir-là, il a
admis avoir lu Le Cœur au beurre noir, le témoignage accablant des filles Hilton
contre leur père », poursuit Petrowski. Lapointe lui avoue : « Hilton, c’est pas un
chum, mais je le connais et je trouve que c’est un boxeur de grand talent. Je n’ai
aucune idée si ce que sa fille écrit est vrai, mais si c’est vrai, il doit certainement
y avoir quelque chose qui l’a mené là. Évidemment, cela n’excuse rien. Tout ce
que je veux dire, c’est que je n’ai pas été capable de finir le livre et que ce n’est
pas à moi de juger si Hilton est coupable ou non.»
Il lui parle aussi de Sur la route, un roman de Jack Kerouac qu’il doit avoir lu
au moins huit fois et qu’il s’apprête à lire de nouveau. « Pourquoi ? » lui demande
Petrowski. « Pour cette recherche de liberté, de passion, de je-m’en-foutisme. Ce
livre-là, c’est l’histoire de gens qui ont le courage que j’aimerais avoir. Le
courage de courir après la liberté, de vivre à 100 milles à l’heure sans se soucier
de se bâtir un avenir. Malheureusement, on finit toujours par avoir besoin de
sécurité. » La journaliste note qu’il a lancé cette dernière phrase « avec une
pointe de regret et la culpabilité de ne pas être à la hauteur du romantisme de ses
idéaux ». Il lui parle également des femmes qui ont toujours fait partie de sa vie.
« Elles représentent mon côté féminin, qui est beaucoup plus développé que mon
côté macho, qui est plus de la frime qu’autre chose. »
Il admet à la journaliste de La Presse que même s’il est en couple, il continue
d’être un oiseau de nuit pas du tout reposant. « Je ne me couche jamais avant 6
ou 7 heures du matin, avoue-t-il presque fièrement. Je dors les mêmes heures
que tout le monde, mais à l’envers. Je suis fait de même. Je vis la nuit, je
travaille la nuit. Le jour, je fatigue, je me cherche de quoi à faire, alors que la
nuit, je relaxe. Le jour, en plus, le monde sont trop en forme, trop de bonne
humeur, trop productifs, ils me font chier. C’est pour ça que j’ai choisi ce
métier-là. J’ai pas besoin de me lever le matin, je peux boire sur la job, mais ça
ne veut pas dire que je ne travaille pas aussi fort que les autres. C’est juste pas
aux mêmes heures.»
Il admet que quoi qu’il fasse, il sera toujours coupable aux yeux des autres.
« Coupable d’être moi-même dans le fond, mais je m’en crisse. Je sais qui je
suis. Si le monde veulent m’accuser de tous les maux et me traiter comme si
j’étais un élu alors que je suis juste un chanteur, j’y peux rien. Vous voulez que
je sois coupable? Parfait. »
Puis il parle de sa rencontre avec Pierre Bourgault, quelques semaines avant sa
mort. Car la journaliste l’a questionné sur la chanson écrite par Bourgault, Entre
deux joints, qu’il a intégrée à son répertoire en la faisant précéder d’un court
extrait d’un discours de Bourgault, fruit de sa
rencontre avec le leader indépendantiste.
« Six semaines avant sa mort et sans rien dire de sa maladie, Bourgault m’a
invité avec Patrick Huard, Daniel Boucher et d’autres à un brunch chez lui.
Pendant qu’on carburait au scotch, il nous a dit qu’il était vieux, fatigué et qu’il
avait fait sa part. Il a ajouté : c’est à votre tour, les boys, de faire quelque chose.
Vous êtes jeunes. Qu’est-ce que vous attendez pour vous grouiller le cul ? J’ai
trouvé qu’il avait raison. Quand je regarde les chanteurs de ma génération, ceux
de 30-35 ans, je n’en vois aucun qui a envie de prendre position. Ceux qui le
font, c’est la vieille gang comme Paul Piché ou les plus jeunes comme Loco
Locass. Mais de ma gang à moi, personne. Ça fait que j’ai décidé de suivre les
conseils de Bourgault et de lui rendre hommage parce que je crois encore qu’il
reste un espoir à la souveraineté. L’espoir est peut-être mince mais j’ai envie de
lui donner une dernière chance. Oui, j’en ai envie. »
Selon la journaliste, les convictions souverainistes de Lapointe sont réelles et
bien senties, et surtout, elles sont profondément ancrées dans son passé ; à quinze
ans, il militait déjà au Parti québécois. Il a toujours refusé de chanter à la fête du
Canada. « De toute façon, y’ont pas les moyens de m’engager, et c’est très bien
comme ça», ironise-t-il.
Nathalie Petrowski en conclut que ce franc-parler va de pair avec un grand
respect pour la chanson à texte québécoise, ce qui est un fait plutôt rare pour un
rockeur. Alors, les chansonniers le lui rendent bien. Michel Rivard « lui a écrit le
texte de Crime pendant que Ferland lui donnait le feu vert pour reprendre Si je
savais parler aux femmes et que Jamil, dont il venait de découvrir le premier
disque, lui a offert La Bartendresse ». Mais elle se questionne sur l’absence de
son parolier favori, Roger Tabra, et Lapointe lui explique qu’il n’était pas
disponible.
« Dans le fond, c’est un mal pour un bien. Tabra a un talent extraordinaire. J’ai
appris énormément avec lui, mais peu à peu, à son contact, je suis devenu lâche
et paresseux. Au lieu de continuer à écrire mes affaires comme je le faisais au
début, je lui ai tout laissé entre les mains. Cette fois-ci, comme il était occupé
ailleurs, j’ai été obligé de repartir ma propre machine», affirme Lapointe.
Mais il a dû en baver, semble-t-il, avant de remplir ses pages blanches. Le
bonheur, la vie de couple, tout cela y était peut-être pour quelque chose. Alors, il
est allé s’enfermer dans un chalet à la campagne, et il a commencé à écrire,
décrivant ce qu’il vivait. « Le texte a accouché d’une chanson (Le bonheur me
tue), et d’un déblocage. Éric Lapointe, l’auteur, venait de renaître et de retrouver
son sujet de prédilection : les femmes. Sujet dangereux et fatal s’il en est un.
Dans le disque, les trois quarts des chansons sur les femmes sont sombres et
tourmentées et relatent des expériences douloureuses et une dépendance
excessive à leur endroit. Pourtant, le soir de notre rencontre, Lapointe affirmait
que les femmes étaient son refuge et qu’elles étaient avant tout des amies, des
mères, des sœurs, des compagnes de vie plutôt que des
aventurières d’un soir», poursuit Nathalie Petrowski.
Puis Lapointe y va d’une confidence : « J’ai toujours été en couple. La
première fois pendant sept ans, puis pendant cinq ans, et finalement avec Marie-
Pier depuis deux ans. J’ai besoin d’avoir une femme dans mon quotidien.»
Puis il ajoute qu’en spectacle, ce qui l’émeut le plus, ce ne sont pas les cris des
groupies prêtes à déchirer leur blouse. « C’est le monde, les yeux fermés, les
poings fermés, qui chante avec moi. S’il y a du monde que j’ai aidé à passer à
travers leur crise d’adolescence, du monde à qui j’ai fait du bien avec mes
chansons, alors ma job est complètement justifiée et je ne suis coupable de rien
sinon d’être moi-même », dit-il en concluant l’entrevue. Il invite la journaliste à
venir contempler l’éclipse lunaire à l’extérieur du restaurant, car il est déjà
23 h 00. « J’avoue qu’en le voyant aussi insouciant, j’ai failli lui donner le bon
Dieu sans confession,» conclut Petrowski.
Bien sûr, Éric Lapointe n’assiste pas au Gala de l’ADISQ, qui a lieu le
31 octobre, deux jours après sa libération de prison. Le mal est fait, et le doute
va subsister très certainement dans la tête du public. Il n’a pas envie d’être
obligé de répondre à tous ceux qui très certainement l’interrogeront à propos de
cet incident plus que malheureux. Il préfère suivre les conseils de son imprésario
et demeure bien sagement à la campagne tout en se concentrant sur son
lancement, qui doit avoir lieu le lendemain.
Un peu plus tard en semaine, la journaliste Petrowski revient, dans La Presse,
sur l’arrestation arbitraire d’Éric Lapointe et se questionne sur la compétence de
la police. « Un publicitaire aurait voulu mettre en scène cette opération douteuse
pour promouvoir Coupable, le nouveau disque de Lapointe lancé aujourd’hui,
qu’il n’aurait pas fait mieux. Car ce cafouillage calamiteux de la SQ, qui s’est
précipitée chez le chanteur sans vérifier ses preuves, illustre bien pourquoi
Lapointe a intitulé son disque Coupable. Peu importe ce que fait le rockeur
assumé et impénitent, aux yeux de la société, il se retrouve immanquablement au
banc des accusés. […] L’image de mauvais garçon de Lapointe est si forte dans
l’imagination populaire qu’il ne peut espérer en tirer aucune clémence et n’aura
jamais le bénéfice du doute. Dans les premières heures de cette sombre affaire,
j’avoue que j’ai moi-même succombé au procès d’intention. […] Le soir des
actes reprochés, il n’était pas à Lachute comme le souhaitait ardemment la
police, mais en train de manger des sushis, tranquille, au resto avec sa blonde.
[…] La profonde injustice de cette affaire m’est tombée dessus comme une
tonne de briques. S’il y avait un coupable dans cette histoire, ce n’était plus Éric
Lapointe, c’était la police. […] Comment ne pas douter de la bonne foi policière
quand, 12 heures avant d’agir, elle laisse filtrer ses intentions à un animateur de
radio réputé pour être l’ennemi juré de Lapointe (en l’occurrence Jeff Fillion, de
CHOI-FM) ? Comment enfin ne pas voir dans cette sale opération que Lapointe a
des ennemis qui, de toute évidence, ont manipulé la police ou alors — j’espère
que ce n’est pas le cas — étaient de mèche avec elle ? Peu importe les
circonstances, ce cafouillage demeure inquiétant. […] Tout le monde sait
qu’Éric Lapointe n’est pas un ange. Il est le premier à le reconnaître. […] Avec
son karma de mauvais garçon et sa propension à attirer l’attention, s’il était une
brute notoire avec les femmes, ça fait longtemps que ça se saurait, non ? Plus j’y
pense, plus je crois que Lapointe s’est trompé de titre pour son nouveau disque.
Ce n’est pas Coupable qu’il fallait l’intituler. C’est Victime.»
Les productions YFB, qui gèrent la carrière du rockeur, maintiennent donc la
date du lancement du cinquième album en carrière d’Éric Lapointe au
Métropolis, prévu pour le 1er novembre. Impossible d’annuler l’événement. Et ce
serait admettre que Lapointe est coupable ou qu’il a quelque chose à se
reprocher. Deux mille cartons d’invitation au lancement du CD Coupable ont
déjà été envoyés, bien avant l’arrestation de Lapointe, sur lesquels on peut lire :
« Assignation à comparaître à titre de témoin privilégié ». Un peu plus, et on
croirait que cette arrestation de Lapointe est arrangée avec le gars des vues pour
mousser les ventes du CD qui doit sortir en magasin le lendemain du lancement,
comme le laisse également entendre la journaliste Nathalie Petrowski. Mais les
Québécois sont très vigilants lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles ou de
violence conjugale, et la carrière d’Éric pourrait être rapidement brisée — et
pour longtemps —, si les allégations se confirmaient. Pour l’instant, Éric
Lapointe jouit d’une aura de sympathie auprès du public québécois, malgré ses
frasques antérieures, et il sait qu’il doit soigner son image. Mais un cas avéré de
violence envers une femme serait fatal.
Les fidèles et les admirateurs d’Éric répondent presque tous à l’invitation du
chanteur rock. Ils sont environ deux mille au Métropolis pour tenter de voir de
près leur idole et écouter les nouvelles chansons de son album Coupable. Mais
contrairement à ses habitudes, Éric se fait discret ; il n’y a pas vraiment de bain
de foule, et ça se comprend. C’est plutôt son imprésario, Yves-François
Blanchet, qui se charge de répondre aux journalistes présents sur place. Non,
Éric ne poursuivra pas la police pour son mauvais travail. Oui, il s’attend à ce
que la police s’excuse publiquement et reconnaisse ses torts, mais aussi à ce
qu’il y ait « [au] moins quelqu’un avec une casquette devant une caméra qui
[dise] qu’Éric n’a rien à voir là-dedans ». Ce qui est loin d’être acquis, du moins
pour l’instant, car la SQ demeure muette, se contentant de dire qu’un
supplément d’enquête est en cours.
Quant à son nouveau bébé musical, le critique Alexandre Vigneault, de La
Presse, dit que Lapointe est fidèle à lui-même, avec ses thèmes récurrents
d’amour blessé, de victime, d’oiseau de nuit, de femmes trop belles. « Coupable,
chaque fois que j’ouvre les yeux/Coupable, chaque fois qu’elle répond : oui je le
veux/Coupable de tous les péchés de la chair/Coupable, oui blessé des femmes
fragiles… » (Coupable) Ou encore : « Reste là/Envers et contre moi/Reste là, le
monde est guéri/Je t’en prie/Reste là/Je devine où tu vas/Même à l’autre bout du
monde/Tu restes ici/Tu me poursuis… » (Fais un bum de toé) Ou encore : « T’as
pas de cœur/Tu me fais mal pis ça te fait rien/Tu me fais mal/T’as pas de cœur
pis tu veux le mien/T’as pas de cœur/Non, t’as pas de cœur/Tu cherches un
donneur, un
sauveur… » (Sans cœur) « La seule différence notable sur ce nouvel album
studio, affirme le journaliste Alexandre Vigneault, se trouve au plan sonore.
Coupable a subi une légère influence du métal-alternatif très en vogue au cours
des dernières années sans nier tout ce qu’il doit au “hard rock en collant” des
années 80. […] C’est sans doute l’album le plus brut de ce rockeur maudit. Le
son n’a pas été poli ni arrondi pour mieux passer à la radio. L’âpreté de la voix
du chanteur — plus rauque et aussi plus pâteuse qu’avant — est même mise en
valeur, dans les pièces les plus fermes comme dans les ballades. […] Il continue
de creuser le même sillon, de s’y vautrer corps et âme. Et c’est bête, mais c’est
comme ça, le secret : le rockeur se donne tout entier. […] Chaque mot est mordu
et craché avec la même vérité. »
Après le lancement viennent inévitablement la tournée de promotion et la
tournée des spectacles en salle. Déjà, on annonce ses premiers concerts les 3 et
5 novembre à
L’Assomption, puis le 20 novembre à l’auditorium Héritage de Longueuil ou au
Cabaret dans le cadre des 18es Coups de cœur
francophones.
Entre-temps, le 12 novembre, il y a un dernier rebondissement dans l’affaire
des voies de fait armées contre une femme, imputées à Éric Lapointe. La Sûreté
du Québec annonce que des accusations seront portées contre une jeune femme
de 35 ans, résidente de Lachute, une certaine Nathalie Lafond, qui prétendait être
une ex-épouse de Lapointe, mais que ce dernier ne connaît ni d’Ève ni d’Adam.
La jeune femme a prétendu à tort avoir été agressée par le chanteur Éric
Lapointe. Celui-ci est donc innocenté officiellement. Il fait savoir, par l’un de
ses attachés de presse, qu’il est réellement soulagé. « J’avais l’impression d’avoir
tout le Québec sur le dos depuis les trois dernières semaines, alors que je ne
connais même pas cette femme», déclare-t-il.
Lapointe peut enfin respirer : ces accusations que le procureur porte contre la
jeune inconnue devraient chasser tout doute dans la population et laver une fois
pour toutes sa réputation. Du coup, on décide d’organiser un deuxième
lancement de son nouveau CD Coupable, sans aucune ombre au tableau, cette
fois-ci, contrairement au précédent lancement au Métropolis. On change donc de
lieu. Le 19 novembre 2004, la marquise du Spectrum affiche, en gros caractères :
« Lapointe Coupable ». Quelques heures auparavant, ce même jour, un important
imprésario et agent d’artistes, Guy Cloutier, plaidait coupable à cinq accusations,
dont celles d’agressions sexuelles contre une mineure, Nathalie Simard, la
célèbre chanteuse. Questionné à ce sujet, Lapointe admet qu’il s’est toujours
bien entendu avec Cloutier, que celui-ci a toujours été correct et qu’il a toujours
eu du plaisir avec lui. Mais ce soir, c’est sa fête, c’est son vrai lancement, c’est le
party auquel tous ses amis sont invités, et ils sont encore une fois nombreux à
répondre à l’appel.
Dans sa loge, il retrouve de nouveau celle qui l’a longuement interviewé il y a
quelques semaines, Nathalie Petrowski. C’est un homme détendu et souriant
qu’elle découvre, tout le contraire de la dernière fois. « Hier soir, il n’y avait ni
rage ni tristesse chez Lapointe. Au plus, il avait une vilaine pharyngite qu’il
tentait en vain de soigner. Pour le reste, Lapointe a répété à tous ceux qui lui
posaient la question qu’il n’avait aucune intention de déposer une plainte contre
les policiers qui l’ont arrêté et qui, par la suite, ne l’ont pas appelé pour
s’excuser de leur erreur », écrit-elle le lendemain dans La Presse. Le chanteur lui
dit : « Je n’ai pas eu d’excuses ni rien, mais quelque part, je comprends et
j’endosse complètement la démarche qui consiste, dans le cas de violence
conjugale, à d’abord arrêter le danger potentiel et à vérifier son alibi après. Je
suis complètement d’accord avec cette façon de procéder, même si j’en ai fait les
frais. » Voilà qui dénote une grande générosité de sa part.
Plus loin, Petrowski lui demande quelle a été l’expérience la plus
traumatisante : son arrestation et son emprisonnement pendant une semaine en
République dominicaine, il y a deux ans, pour avoir tenté d’acheter de la drogue,
ou son arrestation récente sous de fausses accusations. Il répond sans hésiter :
« La République dominicaine. D’abord, question hygiène, disons que nos prisons
sont nettement supérieures. Et puis, ce qui était traumatisant là-bas, c’est que
j’étais enfermé dans un système dans lequel je n’avais aucune confiance et qui
aurait pu faire n’importe quoi avec moi. Alors qu’ici, j’ai confiance dans notre
système. Même s’il n’est pas parfait, je savais que tôt ou tard, la vérité allait
sortir et moi aussi. Je sais très bien que les gens qui ne me connaissent pas ont
douté de moi et cru que j’étais coupable. Pour ma mère, ma blonde, mon
entourage, ceux qui n’ont jamais douté, c’est ce qui a été le plus rough à prendre.
Cette fille-là, je ne la connais pas et je m’en câlice. Elle ne mérite pas la moindre
seconde de mon attention. Tout ce que je sais, c’est qu’elle fait pitié. »
Plus tard, cette femme sera de nouveau arrêtée pour non-respect des
conditions, et d’un commun accord entre la couronne et la défense, elle devra
subir un examen psychologique. Finalement, la jeune femme, qui a reconnu sa
culpabilité, sera condamnée à quatre mois à purger dans la communauté et à
deux ans de probation.
Lapointe a maintenant la conscience tranquille ; il tourne la page et est prêt
pour un nouveau départ, après avoir été freiné en plein élan. La semaine
suivante, il retourne au Métropolis pour le lancement officiel de son nouveau
spectacle, qu’il va promener ensuite sur de nombreuses scènes du Québec : après
Montréal, ce sera Terrebonne, Sherbrooke, Maniwaki et Gatineau. Pour l’instant,
avec son groupe, qui comprend quatre guitares, Lapointe crie sa rage et fait lever
la foule, qui ne demande qu’à apprendre par cœur ses paroles. C’est une
véritable séance de défoulement, même s’il souffre d’une pharyngite et
d’épuisement, comme s’il s’agissait de prouver au monde que Lapointe, c’est du
rock solide, sans concession. Il semble vouloir prouver également qu’il est un
« tendre ravageur », pour reprendre l’expression consacrée par un autre chanteur
rock, Pierre Harel. D’ailleurs, son CD Coupable continue de flotter en tête des
palmarès avec plus de 100 000 exemplaires vendus en quelques semaines à
peine, ce qui prouve que son public lui est toujours fidèle.
Voyant qu’Éric est épuisé, son agent lui conseille fortement de prendre
quelques semaines de repos, quitte à déplacer ses engagements. Lapointe sait
que désormais, quoi qu’il fasse, il sera toujours suspect aux yeux de certaines
personnes jalouses de son succès. Éric accepte la proposition de son agent et
décide de se fiancer à Marie-Pier, avec qui il partage sa vie depuis deux ans. À la
fin du mois de novembre 2004, ils partent donc tous les deux aux Îles Turques-
et-Caïques, dans les Caraïbes, où un ami d’Éric possède une élégante villa. Ils
séjournent pendant deux semaines dans cet endroit paradisiaque et rentrent au
Québec le 10 décembre, en pleine forme, requinqués et prêts pour ce nouveau
départ.
Entre-temps, à l’approche du temps des Fêtes, la chanteuse Joe Bocan a eu la
brillante idée de faire une compilation de chansons de Noël, qui s’adressent
surtout à la famille pendant le temps des Fêtes. Les deux Lapointe, Éric et Hugo,
sont invités à y participer. L’un chante 23 décembre et l’autre, Happy Xmas (war
is over). En plus du CD, il y a également un DVD qui nous montre l’émission de
télévision où ont été enregistrées ces chansons, à TQS. Ce CD-DVD s’intitule
Les étoiles de Noël, et il regroupe onze chanteurs. « C’est pas un club sandwich,
c’est plutôt une bûche de Noël aux diverses saveurs et aux textures
heureusement mariées », déclare-t-il en entrevue.
Pendant cette même période, Éric est invité sur le plateau de la populaire
émission de Radio-Canada, Tout le monde en parle, animée par Guy A. Lepage.
Il y admet qu’il a toujours eu de bons rapports avec Guy Cloutier, qui est
incarcéré pour des agressions sexuelles contre deux mineurs, et que ce n’est pas
à lui de le juger pour ses actes. Cette déclaration cause un certain émoi sur le
plateau.
Lors de son 15e gala annuel, la Société canadienne des auteurs, compositeurs
et éditeurs de musique (SOCAN) remet ses prix aux chansons les plus entendues
à la radio durant l’année. C’est ainsi que la chanson Un beau grand slow, de
Richard Desjardins, mérite un prix grâce à
l’interprétation qu’en a faite Éric Lapointe.
Se sentant investie de la mission de faire la promotion du Québec en hiver, la
chaîne TQS a l’idée d’inviter des chanteurs français à l’auberge Sacacomie, à
Saint-Alexis-des-Monts, dans la réserve faunique de Mastigouche, en Haute-
Mauricie. Le réseau veut les faire chanter dans un contexte auquel ils ne sont pas
habitués : l’hiver québécois. Cette idée originale a germé dans la tête d’un
promoteur touristique, dans le but de vendre notre hiver aux Français à travers le
prisme de la culture populaire. Certains font du traîneau à chiens, d’autres de la
motoneige ou de la raquette, et d’autres encore vont pêcher sur un lac glacé. Des
chanteurs québécois se joignent à nos cousins français. Le produit final est une
émission de plus de deux heures, Soir de fête, qui est projetée sur France 2 le
24 décembre et à TQS le 26 décembre.
Parmi les chanteurs français, il y a de grosses pointures : Henri Salvador,
Johnny Hallyday, Renaud, Françoise Hardy, Eddy Mitchell, Bernard Lavilliers,
Zazie et Julie Zenatti. Du côté québécois se trouvent des noms connus
également : Corneille, Éric Lapointe, Sylvain Cossette, Jean-François Breau,
Laurence Jalbert, Nicola Ciccone et Daniel Lavoie. Le lien entre les deux
groupes est effectué par Isabelle Boulay, qui est l’hôtesse et qui chante aux côtés
des uns et des autres quelque vingt-cinq chansons. La nature est très présente
durant ce tournage qui s’échelonne sur plusieurs jours, et c’est Stéphane
Rousseau qui sert de guide touristique. Rien ne prouve que la sauce va prendre
entre les Québécois et les Français, tant les ego des uns et des autres sont gros,
voire immenses, mais l’expérience vaut la peine d’être tentée. On peut imaginer
les efforts, le tact et l’ingéniosité nécessaires pour mener à bien cette opération
compliquée.
Le 29 décembre, Éric est au Tabou, à Québec, pour son party des Fêtes dans la
capitale nationale. Puis, le 31 décembre, il est de retour au Métropolis de
Montréal pour son traditionnel party de fin d’année avec sa bande de musiciens.
C’est la troisième fois en deux mois qu’il prend littéralement possession de cette
salle. Le Métropolis est plein à craquer ; deux mille admirateurs l’ont suivi avec
une joie exubérante, prêts à dire au revoir à cette année 2004, qui a été des plus
difficiles pour l’artiste. Et il y a ses fidèles amis qui sont venus fêter avec lui :
Patrick Huard, un inconditionnel, Andrée Watters et Martin Deschamps
également, qui y sont pour la deuxième année, ainsi que son frère Hugo, qui
nage dans son sillage tout en affirmant sa personnalité propre. Mais il y a
également quelques invités-surprises : les membres de Loco Locass, qui ont
revêtu leur fameuse tuque à trois cornes et qui sautillent en entraînant la foule
dans leur fameuse chanson-slogan, Libérez-nous des libéraux. Patrick Huard
réussit à faire rire les fêtards avec son personnage de Tiger. Et l’incontournable
Paul Piché, celui qu’on voudrait tous avoir dans son party de famille, chante des
airs qu’on connait maintenant par cœur, comme Les châteaux de sable, Où sont-
elles ? et Mon Joe : « C’t’aujourd’hui le jour de l’An/Gaie-lon-la mon Joe ma
lurette/C’t’aujourd’hui l’jour de l’An/Y faut changer d’maîtresse/Changera qui
voudra/Gaie-lon-la mon Joe ma lurette/Mais moi je garde la mienne… » Puis,
vers minuit, c’est un Éric Lapointe transformé qui vient entonner un solennel
Minuit chrétien. On ne peut y échapper, et les larmes sont de la partie pour ceux
qui ont connu cette époque pas si lointaine où les gens se réunissaient dans les
églises à minuit, la veille de Noël pour célébrer la fameuse messe de minuit.
« Des cris de joie perçaient du côté du bar, assiégé par les assoiffés durant toute
la soirée, quelques spectateurs se laissaient aller à exécuter une petite gigue par-
ci ou une langoureuse danse lascive par-là. Bref on s’amusait ferme », rapporte
Christian Côté, dans La Presse.
Le 17 janvier 2005, Le Négociateur, la série de huit épisodes d’une heure
basée sur la vie du reporter Claude Poirier et ses démêlées avec le monde
interlope, commence à TVA. Éric Lapointe y joue un premier vrai rôle, celui du
méchant Richard Blass, surnommé « Le Chat » dans la série comme dans la vraie
vie. Son personnage est très crédible, et la critique n’a que des éloges pour sa
bonne performance. Il faut préciser que le rockeur a pu recevoir les bons conseils
de Denise Filiatrault. « Le Chat, interprété avec conviction par le chanteur Éric
Lapointe, est un tueur abominable qui enfermera un soir 13 personnes dans le
frigo d’un bar avant d’y mettre le feu. Le Chat, inspiré du célèbre Richard Blass,
ne peut pas parler sans brandir ses revolvers. On ne sait jamais quand il va péter
les plombs, ce qui rend le suspense délicieux », dit la critique de télé Louise
Cousineau dans La Presse.
Par ailleurs, le 22 janvier 2005, on souligne la 200e émission de La Fureur,
présentée le samedi soir à 20 h 00 à la télé de Radio-Canada depuis 1998 et
animée jusqu’en 2003 par Véronique Cloutier, de même que par Sébastien
Benoît. En six ans, la palme des apparitions à cette émission où deux clans, celui
des filles et celui des gars, s’affrontent autour de thèmes musicaux revient au
rockeur Éric Lapointe.
Comme tous les ans, Éric Lapointe défie amicalement ses amis dans un
tournoi de billard dont les bénéfices sont remis au journal L’Itinéraire. La
compétition, appelée Le Classique Éric Lapointe, se déroule à la salle de billard
Boul Noir, sur l’avenue du Mont-Royal Est, en plein cœur du Plateau. Comme
l’an dernier, Patrick Huard réussit à battre Éric Lapointe en finale. Stefie Shock,
Normand Daneau, Bobby Beshro, James Hyndman et le journaliste Franco
Nuovo, entre autres. Nicky, une camelot du journal L’Itinéraire, s’exprime dans
ce même journal : « Le 1er mars dernier, je suis allée retrouver les membres de ma
gang du journal L’Itinéraire avec celle d’Éric Lapointe pour la 4e édition de son
tournoi annuel de billard au profit de notre journal. Ce fut un succès. C’était
l’fun de voir tout ce beau monde. […] Éric, je n’ai pas eu la chance de te dire
que je te félicite pour ton interprétation dans le rôle du Chat dans Le
Négociateur. Je suis fière de toi. »
Et comme si le petit bum-rockeur à la gueule d’ange n’avait pas assez fêté le
31 décembre précédent, il convoque de nouveau ses admirateurs au Métropolis,
le temps d’un nouveau party, à peine trois mois plus tard, le samedi 9 avril 2005.
Éric semble avoir inventé un principe, non pas celui de la « révolution
permanente », mais bien celui de la « fête permanente ». Comme pour appeler la
chaleur du printemps à la rescousse, les 2000 admirateurs, entassés dans un
Métropolis qui est devenu comme la seconde demeure du rockeur, patientent
d’abord en écoutant les chansons du groupe Funkafone, chargé de réchauffer
l’atmosphère avec ses rythmes soul et funk. Ils se déchaînent lorsque leur idole
apparaît, faisant dos au public et tenant les bras en l’air, avant de se retourner et
de crier « Coupable », le titre de son nouvel album maintenant certifié platine.
« L’auteur de Loadé comme un gun est à l’aise sur scène : sa façon de beugler
dans le micro, de faire l’accolade à ses musiciens, de chanter une ballade avec la
serviette blanche autour du cou, d’être racoleur avec la gent féminine. Samedi
soir, quand les passages étaient chantés et non criés, sa voix avait toutefois du
mal à tenir la route. Généreux, le public lui venait en aide. Vingt-trois chansons
et deux heures plus tard, l’intensité des décibels de Lapointe et du public n’avait
pas baissé d’un cran. Le bum était au sommet de sa forme. […] Les spectateurs
étaient conquis d’avance, mais leurs attentes ont été surpassées », affirme la
journaliste
Émilie Côté, de La Presse
Éric prend une petite pause, puis on le voit fouler le tapis rouge du Cirque du
Soleil, dans le Vieux-Port, en compagnie d’une longue brochette de chanteurs,
de comédiens, d’animateurs de télé et d’athlètes, pour assister à la grande
première du nouveau spectacle du Cirque, Corteo. Le 27 avril, il se retrouve à la
salle André-Mathieu, à Laval, pour poursuivre sa tournée de spectacles afin de
promouvoir son dernier album, Coupable.
La fête des Mères est célébrée en grand à TQS, qui diffuse du Théâtre Plaza à
Montréal un spectacle animé par Jean-François Baril et intitulé Moi, ma mère. Il
s’agit de la deuxième édition d’une telle célébration en l’honneur de toutes les
mamans de la Terre. Une belle brochette d’invités prend part à cet événement :
les deux frères Lapointe, Éric et Hugo, Michel Sardou, Garou, Patrick Normand,
Johanne Blouin, Véronique Cloutier, Mélanie Renaud, Pierrette Robitaille,
Danièle Lorain, Mireille Thibault, Anthony Kavanagh, Michel Tremblay, Lise
Dion et sûrement quelques autres provenant aussi bien de la chanson que des arts
de la scène.
« C’est très touchant. Il faut voir Éric s’approcher de sa mère pour lui chanter
You are so beautiful, et son frère Hugo lui offrir Une star à sa façon, de Cabrel.
[…] Nathalie Mallette, qui attend son premier enfant, parle de la maternité.
Patrick Normand rend hommage aux mamans qui ont fait appel à l’adoption
internationale avec What a Wonderful World, et les trois comédiennes du film
Laura Cadieux unissent leurs voix pour un potpourri de circonstance. On passe
par toute la gamme des émotions », rapporte la journaliste Thérèse Parisien. Puis
Louise Cousineau, une admiratrice finie d’Éric Lapointe, donne son verdict dans
La Presse : « Cette nouvelle émission est encore plus réussie que celle de l’an
dernier. Sa première qualité est que tous les mots de toutes les chansons, même
celle d’Éric Lapointe, sont parfaitement audibles. Pas de grosse musique à boum
boum qui enterre les voix. C’est rare, alors profitez-en. […] Éric Lapointe
chantant à sa mère dans la salle You are so beautiful, le tube de Jo Cocker, est
irrésistible. Son frère Hugo est là aussi, la voix moins rauque. […] Un beau
moment. » Plus de 800 000 personnes regardent cette émission.
À l’approche des FrancoFolies, où Éric est de nouveau invité à faire la fête,
Patrice Duchesne, qui est l’organisateur des hommages à Jean-Pierre Ferland et à
Beau Dommage, rencontre le journaliste Alexandre Vigneault, de La Presse, qui
tente de dresser un portrait de cet homme polyvalent, architecte de nombreux
succès, qui se définit d’abord comme un rassembleur. « Quand j’ai vu Éric
Lapointe pour la première fois, ç’a été un coup au cœur. J’aimais sa voix, ses
textes. J’avais 18 ou 19 ans. » Puis il raconte que cette rencontre a chamboulé sa
vie rangée. Avant de connaître Lapointe, il jouait au Monopoly et buvait du 7-
Up. « Il m’a fait tripper. Mais je ne l’ai pas suivi longtemps. Un an m’a suffi »,
confie Duchesne. Après, il se remet au Coke et aux crottes de fromage, une
façon de dire qu’il ne peut pas suivre le rythme d’enfer du rockeur déchaîné sans
amputer sérieusement son avenir. Il n’a pas l’étoffe d’un oiseau de nuit, et c’est
tout à fait normal.
Dans une autre entrevue donnée à Gabriel Bissonnette, du Journal L’Itinéraire,
Lapointe se confie : « Le monde de la rue est une source d’inspiration inépuisable
pour moi. C’est des gens qui sont témoins de beaucoup de choses et il y a
énormément à apprendre de ce monde-là. Si en tant qu’artiste, on veut être le
reflet d’une partie de la société, le but des chansons, c’est de véhiculer des
émotions, et Dieu sait que l’émotion, il y en a dans la rue. De l’émotion refoulée
et énormément de colère et de haine. Parfois aussi beaucoup d’amour et de
recherche d’amour. Sur une scène, c’est un peu comme dans la rue, je suis
chargé d’émotions et à la recherche de l’amour, comme les gens de la rue. C’est
la rue qui me fait écrire, c’est la rue qui me fait chanter. »
Puis il raconte au journaliste qu’il a eu énormément de difficulté à écrire les
chansons de son dernier album, Coupable, et lui avoue qu’il craignait que le
bonheur dans lequel il baignait nuise à son inspiration. « J’ai commencé à me
remettre en question. Je me suis dit : Ostie ! C’est ça ! J’ai le gros char, la belle
maison, une belle blonde, chus en amour. C’est peut-être pour ça que je n’ai plus
rien à dire. J’avais peur que l’écriture soit devenue une routine. J’écrivais
comme si j’étais dans une usine. J’étais pas content des résultats, pis je me
questionnais : Chus peut-être trop ben ? Et c’est là que la chanson Le bonheur me
tue a été l’élément déclencheur qui m’a donné le guts pour écrire le reste de
l’album. J’ai vécu cette période creuse en étant aussi en contact avec les vraies
affaires et la base, en réalisant l’album de mon frère [Hugo]. J’ai travaillé avec
des gars qui avaient faim, et ça, ça m’a fait du bien. […] Cet album, c’est à peu
près tout ce qui m’est arrivé avec les front pages que j’ai faites pour de
mauvaises raisons, avec l’étiquette de rockeur collé dans le front et en endossant
le suit de vedette. J’ai réalisé que c’était le métier et la vie que j’ai choisis et je
l’assume. C’est peu payé pour le fun que j’ai sur le stage. » Et le journaliste
conclut en disant que ce disque, Coupable, est le plus mature d’Éric Lapointe,
avec des paroles plus accrocheuses et qui viennent du cœur ou du fond de l’âme.
Avant de partir, Éric tient à parler de Pierre Bourgault et de la seule chanson
qu’il a écrite, Entre deux joints, qui se retrouve dans son répertoire : « T’as un
gouvernement qui t’vole à tour de bras/Blâme pas le gouvernement, mais
débarrasse-toé-z-en/Couche-toé pas comme un chien, pis sens-toé pas
coupable/Moé j’te dis qu’t’es capable, c’pays-là t’appartient. » Éric lui dit : « Si
j’ai repris cette chanson, c’est pour rendre hommage à mon grand chum Pierre
Bourgault, décédé en 2004, pis j’avais un message à faire au peuple québécois :
Crissez-moé Charest dehors, tabarnac!»
L’International de montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu revient vers la
mi-août, comme tous les ans, et on annonce déjà la programmation. Cette année-
là, les prestations artistiques sont nombreuses et de qualité. Sylvain Cossette
brise la glace. Ses invités : Ima, France D’Amour, Daniel Boucher, Bruno
Pelletier et Les Respectables. Il y a également un gala d’humour avec, entre
autres, Stéphane Rousseau, Réal Béland et Guy Nantel. Le volet rock est
particulièrement prometteur. Offenbach en fusion brasse la cabane — ou la
montgolfière, c’est selon — avec ses invités spéciaux : le Vic Vogel Big Band,
Martin Deschamps, Éric Lapointe, Michel Pagliaro et Andrée Watters. Et ce
n’est que la pointe de l’iceberg. Il y a même un espace pour les petits avec Annie
Brocoli. Il faut dire que les organisateurs de cet événement soignent
particulièrement bien les artistes et déroulent le tapis rouge, et c’est pour cela
que ceux-ci ne se font pas prier pour revenir d’année en année.
Entre-temps, la traditionnelle Fête nationale à Québec, sur les plaines
d’Abraham, réunit quelques valeurs sûres : Éric Lapointe, Claude Dubois,
Michel Rivard, Sylvie Desgroseilliers, Jean-François Breau, le Grand Chœur de
Québec, ainsi que Les Charbonniers de l’enfer. Fait cocasse : au même moment,
le frère d’Éric, Hugo, se produit, lui, au parc Maisonneuve pour le grand
spectacle de Fête nationale. La famille Lapointe s’empare de Montréal et des
plaines d’Abraham: on aura tout vu !
Les fêtes se déplacent aux quatre coins du Québec. La grande scène du parc du
Lac des Nations à Sherbrooke accueille Les trois Accords, Éric Lapointe, Yann
Perreau et Richard Desjardins. Il y a aussi l’incontournable Festival d’été de
Québec, qui fête son 38e anniversaire. Pendant dix jours, sur les plaines
d’Abraham, Simple Plan, ZZ Top, Isabelle Boulay, les Trois Accords, Mes
Aïeux, Les Cowboys Fringants, Offenbach et les deux Lapointe, Éric et Hugo,
brassent la cage.
Viennent ensuite les 17es FrancoFolies de Montréal, où Éric organise son
méchant party, au Métropolis, le 2 août. Comme s’ils étaient des membres de sa
grande famille, plusieurs artistes y participent : Martin Deschamps, son frère
Hugo, Marie-Mai, Andrée Watters et quelques autres invités-surprises, dont
Plume Latraverse. En tout, 28 chansons sont lancées, crachées, et reprises en
chœur par ses admirateurs jusqu’à tard dans la nuit comme autant de feux de joie
allumés au cœur de la nuit montréalaise.
Dans le cadre des FrancoFolies, les journalistes de la section Arts et
Spectacles de La Presse ont la bonne idée de lancer le Gerry d’or pour tenter de
désigner qui entre Boom Desjardins et Éric Lapointe sera consacré le rockeur de
l’année 2005. Les lecteurs du journal ont à peine quelques heures pour voter, et
après un premier décompte, puis un recomptage serré, il est impossible de
désigner un gagnant, les résultats de chaque chanteur étant à égalité. Meilleure
chance la prochaine fois.
Alors qu’on croyait que tout était réglé avec l’ancienne maison de disques
Gamma, dont s’est séparé Éric quelques années auparavant et avec laquelle il a
fait son premier album, Obsession, voilà que Gamma poursuit Éric, son agent,
Yves-François Blanchet, et le distributeur de ses albums, Distribution exclusive
DEP. Selon la poursuite, Éric aurait négligé de verser certaines sommes
d’argent, des redevances atteignant un total de 50 700 $. Les avocats du chanteur
tentent de départager le vrai du faux. Mais Éric veut éviter que le litige sorte
publiquement, car il ne veut surtout pas de scandale dans les journaux. Éric y a
déjà goûté, et la coupe est pleine. Pendant ce temps, la guerre des ondes est bien
entamée entre CKOI et Rythme FM. La station radiophonique Rock Détente
veut à tout prix rajeunir sa marque et revamper son look en offrant un nouveau
style musical, plus rock. La station souhaite ainsi retrouver sa clientèle d’avant,
qui semble avoir opté pour le concurrent, Rythme FM. Éric Lapointe est mis à
contribution. CKOI organise des « week-ends Méga Star » où des artistes connus
défilent et se font voir et entendre. On l’utilise même pour des publicités maison.
Tant qu’on parle de lui en bien, Éric est d’accord pour se prêter au jeu.
Comme s’il s’ennuyait de sa bande, le rockeur convie de nouveau ses
admirateurs à un autre party au Métropolis, le 19 octobre, seulement pour le
plaisir, car il n’y a rien à fêter en particulier. Il veut seulement sentir l’adrénaline
couler dans ses veines, lorsqu’il est sur scène, devant son public. C’est cela, sa
véritable dépendance : la scène — plus que la bière, le cognac ou quelque autre
substance chimique.
En studio, c’est autre chose. C’est un Éric Lapointe détendu et sans stress
qu’on voit et qu’on apprécie. Il est même un peu blagueur. Les studios de Radio-
Canada, de TVA, de TQS, il les fréquente presque tous les jours, mais pas en
même temps, bien entendu. Il est un peu le chouchou de toutes les émissions
mondaines qui font un peu people, comme diraient nos amis français. Après tout,
son nom circule partout, même dans la grille des « Génies en herbe » de La
Presse. Hier encore, Louise Cousineau, la chroniqueuse télé de La Presse, une
admiratrice finie du rockeur à la gueule d’ange, commentait en ces termes son
dernier passage à la nouvelle émission Véro (Véronique Cloutier): «Et pour finir,
mon idole, Éric Lapointe, a chanté avec un quatuor à cordes. Vais-je me
plaindre?»
Mais un quatuor à cordes, il n’y en a pas au Centre Bell de Montréal, où le
rockeur doit assurer la partie musicale lors d’un gala de boxe dont le combat
principal est assuré par le Québécois d’origine roumaine, Lucian Bute, et Kabary
Salem, un rude boxeur d’origine égyptienne. Lapointe et Martin Deschamps
doivent faire lever le Centre Bell pendant l’entracte, ce qui n’est pas du tout
impossible. Et puis, le 20 septembre, au Spectrum de Montréal, les Porn Flakes
lancent leur premier album, auquel ont collaboré plusieurs artistes, dont Éric
Lapointe, qui y revisite la chanson Patof Blue. Sur scène, le rockeur est déguisé
en clown au nez rouge, porte une perruque et du maquillage et chante cette
chanson; seule sa voix rauque le trahit.
Pour rappeler le 10e anniversaire du référendum de 1995, le Conseil de la
souveraineté du Québec veut organiser une grande soirée. On ne veut surtout pas
oublier que le OUI a presque gagné la bataille et que la victoire a été volée. Le
camp du NON a triché, comme le prouvera plus tard l’enquête du juge John
Gomery. On ne peut compter sur aucune aide gouvernementale, puisque les
libéraux de Jean Charest sont au pouvoir depuis deux ans. On nomme Paul Piché
responsable de l’organisation de l’événement. Il a servi durant de nombreuses
années, si on peut le dire ainsi, la cause souverainiste. En bon rassembleur, il
appelle auprès de lui ses amis chanteurs indépendantistes: Luck Mervil, Florent
Vollant, les frères Diouf, Ariane Gauthier, Martin Matte, Hugo Lapointe, Yann
Perreau, Miranie Morissette, Loco Locass et Éric Lapointe.
Cette année-là, le Show du refuge est présenté le 22 novembre à la salle
Maisonneuve de la Place des Arts. En louant cette salle, Dan Bigras s’assure
qu’il aura tout l’espace nécessaire pour recevoir les spectateurs, car les années
antérieures, le Spectrum ou le Métropolis ne suffisaient pas, et il fallait présenter
un deuxième spectacle, ce qui ne convenait pas à tous les artistes. Éric Lapointe
est encore de la partie, aux côtés des habitués : Boom Desjardins, Isabelle
Boulay, Bob Walsh, Breen Lebœuf, Mélanie Renaud, Pierre Lapointe, Garou,
Stéphanie Lapointe et plusieurs autres. Depuis sa création, en 1991, le Show du
Refuge a attiré plus de 12 000 spectateurs et amassé plus de 1 500 000 $. C’est
un bel exemple de générosité, aussi bien de la part du public que des artistes, qui
sont pour la plupart connus.
La diffusion du Gala de l’ADISQ de 2005 coïncide avec celle de l’émission
Star Académie, le dimanche. Étant donné la grande popularité de cette dernière,
avec ses 2,5 millions de spectateurs, le 27e Gala de l’ADISQ risque fort de subir
une baisse considérable de son auditoire. Star Académie refuse de reporter d’une
semaine son émission, car cela entraînerait des coûts considérables. Julie Snyder
fait valoir que son émission fait énormément pour la promotion de la chanson
québécoise, car elle organise dix galas d’une durée de deux heures chacun. Qui
dit mieux ? Quoi qu’il en soit, Éric Lapointe est en nomination pour le meilleur
album rock de l’année avec Coupable, où il affronte Les Respectables, Marie-
Mai, Martin Deschamps et Marie-Chantal Toupin. À cette occasion, Éric laisse
tomber le blouson de cuir pour un veston qu’il a porté cinq ans plus tôt dans un
Gala de… l’ADISQ. Sa chemise est un cadeau offert par Franco Nuovo, qui l’a
ramenée d’Italie. C’est finalement Marie-Chantal Toupin, avec son album Non
négociable, qui repart avec le trophée du meilleur album rock de l’année.
Pour son traditionnel party de fin d’année, Éric Lapointe conserve la formule
gagnante en invitant ses nombreux amis et admirateurs au Métropolis, après
avoir fait la fête à Québec et à Jonquière où son groupe a semé des feux de joie
qui devraient durer jusqu’au Nouvel An. À Montréal, ceux qui doivent
réchauffer la salle en attendant l’apparition du boss sont les membres de Mesh,
un nouveau groupe rock. Il y a aussi les Porn Flakes, avec Lulu Hugues, Anik
Jean et Richard d’Anjou, anciennement du groupe Too Many Cooks.
Arrivent ensuite dans le désordre, un désordre organisé un petit peu, tout de
même, son house band et la meute de ses copains de musique : Martin
Deschamps, Garou, Paul Piché, Patrick Huard, Stefie Shock et son frère Hugo.
« Lapointe et sa gang cherchent rien de moins que le gros fun noir, la seule et
unique motivation derrière ce sixième spectacle piloté par Lapointe », rapporte,
dans La Presse, le journaliste Philippe Renaud, parti à sa rencontre pour savoir
dans quel état d’esprit se trouve le rockeur à la veille de la fin de l’année 2005.
« Ce n’est pas un show avec des invités ; c’est un show de gang, à la bonne
franquette. Surtout, ce n’est pas stagé comme trop de shows collectifs du genre et
qui, souvent, manquent d’âme, tant qu’à moi. Là, c’est sûr, que c’est un party
rock’n’roll. On ne s’en va pas chanter pour le monde, on s’en va chanter avec le
monde. On n’a pas vraiment de barrière. On a monté les tounes qu’on avait envie
de monter. On s’amuse. C’est sûr que chacun fait son matériel, et souvent on
s’intègre dans les tounes des autres. C’est le fun, surtout avec Martin et Garou.
Nous trois, c’est le festival de la gravelle. On fait une version de Belle (de Notre-
Dame-de-Paris). Moi, je fais le curé, je ne sais pas si je fitte dans le
personnage », lui dit Lapointe. Puis parlant de Paul Piché, il précise : « Ça fait
plusieurs fois que je travaille avec lui. C’est un gars super généreux, c’est le fun
de travailler avec lui. Et puis, qui dit jour de l’An… dit Paul Piché. Il fait partie
— comment dire — de notre inconscient collectif. Beaucoup d’entre nous ont
appris à faire de la musique sur ses tounes. » Enfin, en terminant, le journaliste
lui demande quels sont ses vœux pour la nouvelle année. « À tous, tout ce que
vous désirez, surtout la paix. Que la bombe à retardement mondiale soit
désamorcée. » Le journaliste lui demande alors : « Et pour toi, Éric, qu’est-ce
qu’on te souhaite pour 2006 ? » Le rockeur répond alors : « Des stages, en masse
de stages, en espérant que le monde soit toujours au rendez-vous. » Mais il faut
préciser qu’en 2005, Éric a réussi l’exploit de vendre plus de 10 000 billets de
spectacles au Métropolis, dans le cadre de sa tournée Coupable.
C’est un secret de polichinelle qu’Éric souhaite, pour 2006, avoir
suffisamment de temps pour sortir un nouvel album. En attendant, la soirée est
mémorable, à n’en pas douter. Ses engagements sur scène ne l’empêchent pas,
cependant, de participer à un album en hommage au chanteur français Jo Dassin,
celui des chansons Champs-Élysées, Et si tu n’existais pas, Le Moustique et
L’Été indien, quatre succès que tout le monde connaît. Ce projet est intitulé
Salut, Jo ! et est mis de l’avant par Stefie Shock. Éric se retrouve au côté de
chanteurs aussi différents que Pierre Lapointe, Mario Pelchat, Patrick Normand,
DobaCaracol, le groupe rock alternatif Les Breastfeeders, Raphaël Torr, Mara,
Guy A. Lepage et Marc Labrèche qui chantent un duo, etc.
En mars, on a droit à une émission spéciale de Flash (TQS) sur « les coulisses
d’Éric Lapointe ». Louise Cousineau ne tarit pas d’éloges pour ce bel ange qui
avoue avoir tous les excès ou presque. Patrick Marsolais, qui dirige le reportage,
appelle à la barre des amis fidèles du rockeur, comme Patrick Huard et Paul
Piché. « Je m’attendais à voir ici et là de grandes lignes de poudre blanche dans
les coulisses d’Éric Lapointe. Rien de cela… Mais tout à coup, événement tout à
fait inattendu : Paul Piché admet qu’il faisait des cambriolages dans sa jeunesse.
Il entrait dans des maisons pour chercher du cash ! Paul Piché qui a si bien
tourné ! […] Éric Lapointe s’en va à Saguenay en décembre présenter le
spectacle Coupable. Grosse distribution : Garou, Stefie Shock, Martin
Deschamps, Anik Jean, Hugo Lapointe et Paul Piché. Sans oublier Patrick
Huard, perdu tout autant qu’Éric Lapointe dans les rues de Jonquière. On sent
Éric s’énerver. Il regarde sa montre. A peur d’être en retard. Loadé comme un
gun, peur de personne, mais peur d’être en retard. Pour se calmer, les deux
allument une cigarette. Autre mauvais exemple pour la jeunesse, je suppose. Le
reportage de Patrick Marsolais est truffé de chansons d’Éric Lapointe et de
propos recueillis auprès de ses collègues artistes. Garou parle de l’extraordinaire
second souffle de Lapointe dans un spectacle. […] Il est question de sa passion
pour la musique. […] Tous ceux qui ont vu Éric Lapointe en spectacle savent à
quel point son plaisir est évident et communicatif. […] Le succès ne l’a pas
changé, dira-t-il. Mais la réaction des gens s’est transformée. Il lui a fallu deux
ans pour être à l’aise. […] Après le spectacle, la réaction : J’ai soif. Et il signera
un autographe sur le sein d’une animatrice. En rigolant », raconte Louise
Cousineau. Éric parle aussi brièvement de son arrestation en République
dominicaine et des fausses accusations d’agression sexuelle qui ont pesé un
temps sur lui.
Il n’oublie surtout pas d’organiser son tournoi de billard, la 5e édition du
Classique Éric Lapointe, à la salle Boul Noir, sur l’avenue du Mont-Royal Est.
C’est maintenant une véritable tradition, à laquelle participent de nombreux
artistes. Les profits de l’événement, quelque 2500 $, sont remis au journal
L’Itinéraire. Cette fois-ci, on a droit à de la grande visite : Gilles Vigneault est
présent et se dit ravi de participer à l’événement. Il y a également la chanteuse
Ima, de même que le journaliste Franco Nuovo. « Que l’on veuille ou non, le
chanteur Éric Lapointe ne laisse personne indifférent. Pour nous tous, au journal
L’Itinéraire, il est synonyme de fidélité. En effet, c’est avec un grand plaisir
qu’Éric a organisé son fameux tournoi de billard, au profit du journal, avec ses
nombreux chums de la colonie artistique. […] Merci beaucoup, Éric, pour ta
solidarité envers nous. Nous sommes tous fiers de t’avoir avec nous », écrit la
camelot Nicky.
Le premier avril 2006, Éric revient au Métropolis. Comme d’autres ont l’appel
du large, Éric a l’appel des planches ; il a besoin de son shoot d’adrénaline.
Le 14, il est à Valleyfield, à la salle Albert-Dumouchel. Puis il participe à une
compilation CD en hommage à Serge Fiori, intitulée Un musicien parmi tant
d’autres. Sa version de la chanson L’exil est l’une des meilleures de ce CD. C’est
le troisième album en hommage à d’autres chanteurs. Auparavant, il y a eu Jean-
Pierre Ferland et Jo Dassin. On retrouve aussi, sur ce CD, Diane Dufresne,
Bruno Pelletier, Marc Déry, Boom Desjardins, France D’Amour, Mes Aïeux et,
bien sûr, Serge Fiori. C’est justement à la demande insistante de Fiori que
Lapointe a accepté de faire L’exil, au risque de se casser la gueule. « C’est moi
qui lui avais demandé ! J’avais entendu dire qu’il avait déjà enregistré Folle de
nuit. On s’est vus dans un lancement. Je suis allé le voir et je lui ai dit : Éric,
O.K. pour Folle de nuit, mais faut que tu me fasses L’exil. Il m’a dit : je vais me
péter la yeule. Je lui ai dit : pas grave, amuse-toi, ça peut être un démo, si tu
veux. Mais j’avais besoin qu’Éric Lapointe fasse L’exil. Éric, il y a quelque
chose… c’est facile de l’aimer ou de le haïr. Mais il est tellement authentique.
Tellement silencieux. Tellement dans ce qu’il fait que moi, je me reconnais un
peu dans lui. Quand j’ai entendu le disque, les guitares, le son, j’ai vraiment
craqué », raconte Fiori au journaliste de La Presse. « C’est drôle depuis le
réveil/J’me sens plus tellement pareil/J’ai du mal à m’regarder/Le miroir me
laisse tomber/Y’a pourtant d’autres choses qu’un café/Pour m’aider à
voir/J’veux noircir de l’eau/Pour blanchir mon cerveau/L’appareil est branché
dans mon dos/Et brûle dans ma peau. »
(L’heptade).
Le 6 mai, il retourne dans son autre maison, le Spectrum, pour poursuivre sa
fête permanente. Et ses admirateurs le suivent fidèlement, tels de petits soldats
qui vont s’entraîner à la fête. Éric ne veut surtout pas perdre la forme. Lapointe,
c’est un marathonien : il sait que pour réussir à garder la forme, il doit s’entraîner
tous les jours, et c’est ce qu’il fait, malgré la vie nocturne où il bourlingue entre
deux bars et des salles de billard. Bien des gens pensent qu’il brûle la chandelle
par les deux bouts, mais c’est justement son style de vie qui fait d’Éric Lapointe
notre rockeur national. Peut-on
l’imaginer autrement? Pour l’instant, non…

***

C’est déjà le temps des 18es FrancoFolies, et on annonce une ambiance festive
des plus contagieuses. Luck Mervil est désigné pour inaugurer les festivités,
tandis qu’Éric Lapointe, « LE bum du Québec », pour reprendre l’expression de
la journaliste Émilie Côté, assure la clôture de ces FrancoFolies des plus
colorées. On lui donne la carte blanche pour le choix de ses invités. Il est tout de
même du spectacle d’ouverture à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts,
en compagnie de Loco Locass, Boom Desjardins, Marco Calliari, Monique
Fauteux, Marc Déry, Stéphanie Lapointe et le groupe Mes Aïeux.
Cette année-là, les FrancoFolies rendent hommage à Serge Fiori. À propos de
sa carte blanche, Éric garde le secret jusqu’au dernier moment. La seule
contrainte : ses invités doivent chanter ses chansons à lui. Il n’y a qu’une seule
exception, « parce qu’il me fait l’honneur de venir sur mon stage, et j’en suis très
honoré », précise-t-il d’un ton respectueux au journaliste de La Presse.
Impossible de savoir de qui il s’agit. Il raconte au même journaliste, Alexandre
Vigneault, que lorsqu’il montera sur la scène des FrancoFolies, ce sera vraiment
un moment très émotif pour lui, car il se souviendra que sa carrière a débuté un
même jour, en 1994, et qu’il a alors commencé à croire que sa vie pourrait être
coulée dans le rock. « Depuis, poussé par le vent de popularité qui ne se dément
pas, il sillonne le Québec en tous sens et, à chaque spectacle, des centaines ou
des milliers de “quelqu’un” l’attendent. Il a beau avoir l’impression de lancer les
dés à chaque nouveau disque, Éric Lapointe est l’un des rares artistes d’ici que le
succès n’a jamais quittés. Au train où vont les choses, il franchira avant
longtemps le cap du million d’albums vendus. Son bassin de fans lui est fidèle,
mais il n’ose pas le tenir pour acquis. Il est du genre qui doute. Il ose tout au plus
se sentir privilégié de faire partie de la vie de ces gens », écrit Vigneault dans La
Presse.
Il raconte aussi qu’il va chanter, comme il le fait lors de chaque spectacle
depuis 12 ans, sa chanson porte-bonheur, Terre promise. « Nul n’est à l’abri/De
ce mal sans merci/De l’appel de la patrie/Que j’entends aujourd’hui. » « Je n’ai
jamais passé un show sans la faire. Ce n’est pas parce que je suis superstitieux,
mais… C’est un peu comme un porte-bonheur. Et j’espère que les gens vont me
faire le bonheur de la rechanter avec moi », assure-t-il. Il révèle aussi que pour
son prochain album, il n’y aura que des textes écrits par des femmes. Il a
demandé à des poètes, des politiciennes, des parolières, des femmes journalistes
de lui écrire des chansons, et il choisira les textes qui l’inspirent le plus. Il veut
avoir un autre point de vue que le sien ou celui des hommes, car il est persuadé
que les femmes ont une façon différente d’aborder les grands thèmes comme
l’amour, la vie, la mort et l’amitié.
Finalement, le Jour J arrive, et Éric Lapointe, qui doit fermer le bar des
FrancoFolies en ce dimanche 18 juin, appelle des renforts. On voit apparaître sur
scène ses vieux chums, Daniel Boucher et Kevin Parent. Le Vent, la Mer et le
Roc sont de nouveau réunis, comme il y a trois ans. C’est une grosse surprise :
personne ne s’y attendait. Il y a également Steve Hill, Mélanie Renaud,
Sébastien Plante et Pascal Dufour, du groupe Les Respectables. Lapointe lance :
« Ça va, la gang ? Ostie que vous êtes beaux à voir. Êtes-vous prêts pour un
party? Y a-tu du monde stone icitte à soir?»
« Déjà les spectateurs avaient le poing en l’air et roulaient des hanches au son
de Marie Stone. […] On connaît Lapointe, il ne le fait pas à moitié, son métier.
Hier, ses musiciens et lui ont une fois de plus donné un spectacle haut en
décibels et en intensité. […] C’est après avoir demandé au public : “Avez-vous
du fun, câlisse ?” que Lapointe a accueilli sur scène Kevin Parent et Daniel
Boucher au son de Terre promise : “Poussé par le vent/Rien dans les poches j’me
promène/Au gré des saisons/Poussé par le vent/Au chemin je m’accroche, la
bohème/N’appartient qu’à l’horizon.” Inutile de préciser que ça criait et que ça
tapait des mains devant la Place des Arts », rapporte la journaliste Émilie Côté,
dans La Presse.
Puis le clou de la soirée arrive enfin : Pagliaro en personne, avec ses éternels
verres fumés noirs, et il est accompagné de sa femme, Stephend. Il est le seul
autorisé à chanter autre chose que du Lapointe. Sans se faire prier, il entonne
aussitôt Dangereux : « Allumé dans la tronche/On va jusqu’au bout/C’est
dangereux/C’est un jeu dangereux. » Là encore, les gens crient et tapent des
mains. « Un vrai party de 18 ans [comme les FrancoFolies de Montréal]. Qui de
mieux qu’Éric Lapointe pour fermer le bar?» conclut la journaliste.
Pendant ce temps, la chroniqueuse télé de La Presse, Louise Cousineau, une
admiratrice avouée du rockeur à la gueule d’ange, nous apprend que le nom
d’Éric Lapointe est mentionné à quelques reprises dans la section « Qui aimeriez-
vous avoir comme père ? », selon un sondage organisé par KARV, l’anti-gala de
la chaîne VRAK-TV. Mais de toute évidence, Éric Lapointe n’est pas choisi
comme modèle de père cette année-là. L’année précédente, l’humoriste Louis-
José Houde a été élu dans cette section. Lors de chaque édition, le public est
appelé à voter dans une quinzaine de catégories.
Peu après, Éric Lapointe doit démontrer, si c’est vraiment nécessaire, sa fierté
d’être Québécois en participant à la Fête nationale au parc Maisonneuve, en
compagnie de Garou, Nanette Workman, Mélanie Renaud, Chloé Sainte-Marie,
Ariane Moffatt et Pierre Lapointe, entre autres, ainsi que d’un orchestre de douze
musiciens. Normand Brathwaite anime, pour la troisième année consécutive,
cette grande fête de notre fierté nationale, qui est diffusée à la télé de Radio-
Canada. Interviewé par la journaliste Isabelle Massé, pendant les répétitions,
Lapointe avoue qu’il a beaucoup voyagé, en Europe et en Afrique, et qu’il en est
venu à la conclusion que le plus beau pays au monde, c’est le Québec.
Le comédien Raymond Bouchard fait la lecture d’un texte patriotique devant
quelque 250 000 personnes, face à une mer de drapeaux fleurdelisés. « Plusieurs
pots-pourris ont ensuite rendu hommage à la carrière d’artistes québécois
d’adoption ou de naissance. […] Éric Lapointe a présenté un potpourri de ses
titres très rock’n’roll : Priez ! (“Nuit de fous/Rush d’adrénaline/Rendez-
vous/Pour les jeux sublimes”), Terre promise, La Bartendresse (“C’est une
princesse vraiment unique/c’est la sirène des alcooliques/On lui parle comme
une amie/C’est une déesse de la nuit…”) et Bobépine, tandis que les
DobaCaracol ont interprété quatre de leurs chansons aux rythmes africains et aux
textes en français, accompagnées par une Ariane Moffatt très en forme. Question
Solo, Ariane Moffatt (Retourne chez elle), Pierre Lapointe (La forêt des mal-
aimés) Éric Lapointe (Coupable) et Garou (Je suis le même) ont présenté des
titres de leurs plus récents albums. […] En fin de soirée, Normand Brathwaite,
Pierre Lapointe et Éric Lapointe ont poussé la chansonnette et esquissé quelques
pas de danse sur la Bitt à Tibi pour le plus grand plaisir du public. […] Éric
Lapointe a chanté les louanges des nuits de Montréal », rapporte la journaliste
Anabelle Nicoud, dans La Presse.
Le 6 juillet, Éric Lapointe se produit sur les plaines d’Abraham, à l’occasion
du 39e Festival d’été de Québec. Plus de 30 000 spectateurs se sont massés
devant et le réclament, chantant ses chansons et dansant, les poings en l’air.
C’est le spectacle d’ouverture, et le rockeur à la gueule d’ange casse la glace
avec un orchestre de trente musiciens. Sa performance est telle que le public lui
remet par la suite le Miroir du spectacle le plus populaire. L’autre Lapointe,
Pierre de son prénom (aucun lien familial), reçoit le Miroir de la chanson
française pour la qualité de sa composition, de son interprétation et de
l’originalité de son œuvre. Les prix sont assortis d’une bourse de 2 000 $.
En attendant la suite, Laminé Touré, le fondateur du festival Nuits d’Afrique,
à Montréal, se donne une mission : il rêve de faire connaître Éric Lapointe aux
Africains en l’invitant à faire une tournée panafricaine. Pourquoi pas ? S’il a été
capable d’amener au Québec des groupes africains, pourquoi le contraire serait-il
impossible ? « Les Africains ne seraient pas très impressionnés par nos artistes
qui jouent leurs styles musicaux. On veut des artistes plus représentatifs du
Québec et du Canada. Je pense à Éric Lapointe, à Sylvie
Desgroseilliers et à Michel Cusson », avoue Touré.
Lorsqu’on le sollicite pour aider une bonne cause, Éric n’hésite jamais. Aussi,
il accepte de participer au Mixaide, une soirée de financement pour Médecins du
Monde Canada, organisée par le docteur Réjean Thomas à la salle Loft du
Musée Juste pour rire. Cette ONG est engagée dans la lutte contre le sida un peu
partout dans le monde et dans l’aide humanitaire en cas de catastrophe. De
nombreuses personnalités des milieux culturel et politique acceptent d’y
participer dans la bonne humeur, puisque les participants sont invités à se
maquiller en arrivant sur place et même à effectuer quelques pas de danse sur
des rythmes technos ou autres, selon les DJ qui se succèdent à la console et dont
fait partie justement Éric Lapointe.
Au mois d’août, comme tous les ans à pareille date, l’International de
montgolfières de Saint-Jean-sur Richelieu ouvre son ciel au grand public venu
de tous les coins du Québec et d’ailleurs. Et encore une fois, de gros noms du
showbiz québécois foulent les planches, à l’ombre des montgolfières. Pour le
« show du ciel », Garou invite deux de ses amis, Natasha St-Pierre et Éric
Lapointe. Ce dernier n’en est pas à ses premières armes à cet événement des plus
courus, où les organisateurs accueillent toujours avec beaucoup
d’empressement les artistes invités.
Quelques jours plus tard, on le retrouve au Centre culturel de Joliette, pour la
continuation de sa tournée de Coupable. Entre-temps, Éric a écrit et enregistré
une chanson thème intitulée Tattoo pour le film Bon Cop Bad Cop, dans lequel
joue son ami Patrick Huard. « Danse comme si t’avais la rage/Viens cracher
devant ma cage/Danse pour lécher la mort/Donne-moi les clés de ton corps. » La
chanson est mise en nomination au 27e Genie Awards, à Toronto. Mais qu’on se
rassure, Éric demeure à Montréal, et il participe au spectacle du 15e anniversaire
du groupe Les Respectables, au Centre Bell, devant 7500 admirateurs. D’entrée
de jeu, Les Respectables entonnent la chanson On fait c’qu’on veut, en duo avec
Éric : « C’est à l’époque où l’on voyageait/La tête en fête et pleine de projets/Le
tour du monde dans un camion minable et désuet… » La fête vient de
commencer, et d’autres artistes invités s’y greffent. Le Cirque du Soleil a même
délégué quelques acrobates pour accompagner la chanson Plaisir : « Plaisir, qui
suis-je pour te fuir/Serait-ce un autre manque d’intuition/Ou l’angoisse d’une
autre désillusion ?»
Jean-Pierre Ferland a nettement moins de chance, car un AVC le terrasse alors
qu’il est en pleine répétition pour ce qu’il a qualifié de dernier spectacle de sa
vie. L’incident se produit un vendredi 13 octobre au Centre Bell, alors qu’on
affiche complet. Le spectacle est censé se dérouler devant huit mille spectateurs,
dont des centaines d’invités et d’amis : Gilles Vigneault, Éric Lapointe, Isabelle
Boulay, Kevin Parent et Claude Dubois, pour ne nommer que ceux-là. Mais le
spectacle est tout simplement reporté, le temps que Ferland se remette et
récupère. Sur le carton d’invitation du premier spectacle de sa tournée d’adieu,
qui commençait par le Casino de Montréal, il a écrit : « Je ne veux pas vous dire
adieu, mais je vous avoue que je suis sur mon départ. » À la suite de son AVC, il
doit subir une intervention chirurgicale, car ses médecins ont diagnostiqué un
rétrécissement de son artère carotidienne droite.
Au Gala de l’ADISQ, en octobre 2006, Éric est invité à participer à un
hommage à Diane Dufresne. Outre Lapointe, il y a quatre autres chanteurs :
Daniel Lavoie, Daniel Boucher, Vincent Vallières et Pierre Flynn. Accompagnés
par Benoît Brière et tous vêtus de noir, ils sont invités à chanter la chanson Que
de Diane Dufresne : « Rien n’est impossible, je veux bien y croire pour des
années/Je tourne la page au marchand de sable le plus redouté/Mes nuits
d’enfant sage ont tellement changé que sur l’oreiller/Je regarde un ange endormi
sur mon cœur… » C’est une chanson extrêmement difficile à interpréter et que la
Diva a chantée en 2002, lors du concert Liberté surveillée.
Au début du mois de novembre, les 20es Coups de cœur francophones ont lieu.
Pour démarrer en beauté, on a pensé à organiser une soirée en hommage à Plume
Latraverse, au Spectrum de Montréal. Malheureusement, comme il fallait s’y
attendre, le principal intéressé, Plume, brille par son absence. Comme les absents
ont toujours tort, la soirée d’hommage est des plus enlevantes et originales. On y
voit même Gilles Vigneault et Éric Lapointe réunis sur une même scène. On a
droit à des duos inespérés, comme ceux de Damien Robitaille et Pierre Lapointe,
Marc Déry et Louise Forestier, ou Thomas Hellman et Romulo Larrea. Une
bonne partie du répertoire du « grand flan mou » y est interprétée. Éric Lapointe
chante pour sa part Les pauvres avec toute l’intensité qu’on lui connaît : « Les
pauvres ont pas d’argent/Les pauvres sont malades tout l’temps/Les pauvres
savent pas s’organiser/Sont toujours cassés… » Au même moment, à l’approche
des Fêtes de fin d’année, Lapointe sort une nouvelle compilation intitulée
N’importe quoi (1994-2006). Elle atteint rapidement le top du palmarès des
disques. Puis, au début de décembre, il participe au 30e Téléthon de la recherche
sur les maladies infantiles, en direct du Complexe sportif Claude-Robillard, en
compagnie de Nicola Ciccone, Dany Bédar, Wilfred LeBouthilier, Marie-
Chantal Toupin, Jonas, Annie Villeneuve, etc.
L’événement est diffusé sur les ondes de TQS.
Noël approche, et c’est le retour des parties du temps des Fêtes. Fidèle à son
habitude, c’est la 7e année consécutive qu’il organise son party des fêtes, lequel
est devenu une véritable tradition, et pour ne pas décevoir ses admirateurs, Éric
réserve à nouveau le Métropolis pour le 31 décembre. Comme s’il avait besoin
d’une répétition générale, il se retrouve au même endroit quelques jours
auparavant, soit le 26 décembre. Ainsi, personne ne peut trouver une excuse
raisonnable pour ne pas avoir assisté et surtout participé au party d’Éric Lapointe
à Montréal. Auparavant, il s’est réchauffé la voix le 23 décembre à Québec, au
Grand Théâtre, puis au Palais des sports de Jonquière le 28.
À ses côtés pour faire la fête, il y a Andrée Watters. Au journaliste Alain de
Repentigny, de La Presse, il dit à propos d’elle que c’est une « fille tellement
sweet, simple, professionnelle. Elle, tu ne te poses pas de question, tu lui
demandes n’importe quoi et quand elle arrive le lendemain, c’est fait avec un
professionnalisme incroyable. En plus, elle performe, elle est belle à voir aller
sur le stage. » De Daniel Boucher, il dit : « Il a un charisme évident. Un autre
professionnel qui n’est pas compliqué et qui a une signature que personne ne
peut imiter. Daniel est là pour longtemps. Un autre qui va s’imprégner dans le
code génétique des Québécois. D’une certaine façon, je suis tombé en amour
avec ce bonhomme-là la première fois que je l’ai rencontré. » Son frère Hugo
Lapointe est également sur scène : « J’ai changé ses couches et je lui ai donné sa
première guitare, une des miennes. Je l’adore. Il a un talent fou. Le monde a
toujours tendance à nous comparer alors qu’on est deux gars très différents. » Il
ajoute que de toute façon, il a toujours fait à sa tête. De Martin Deschamps, il
raconte : « Il est spectaculaire. Avec lui, il n’y a jamais de problème. Il a
surmonté des obstacles crissement plus gros que ça. Il a une voix large comme la
planète, tu lui fais faire du rock, de la ballade, des harmonies, il a une oreille de
fou, il m’impressionne chaque fois. Écoute, voir quelqu’un jouer de la basse
avec un moignon aussi bien que quelqu’un qui a cinq doigts… Il a toujours le
sourire, c’est un grand bonhomme. Envoie donc un fax à Jeff Fillion pour lui
dire ça ! (Rires). » Et finalement, à propos de Marjo, l’autre comparse en cette
veillée de fin d’année, il dit : « C’est une icône, elle fait partie de nos vies. Elle
sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Je suis comme ça, moi aussi. […]
Quand le premier accord de guitare décolle, elle redevient adolescente et elle se
met à briller. J’ai vu son dernier show, on dirait qu’elle a vingt ans. »
« On va faire beaucoup de Marjo, de Corbeau, comme l’année passée on faisait
beaucoup de Paul Piché, parce qu’ils font partie de nos vies, ils sont imprégnés
dans notre code génétique », explique-t-il au journaliste Alain de Repentigny. Il
ne veut pas que ses invités en profitent pour lancer leurs nouvelles chansons ; il
préfère que tout le monde chante ses chansons les plus connues et ses succès.
Comme ça, les gens pourront chanter avec eux. Il faut au moins trente-cinq
chansons, selon lui, pour remplir l’espace musical de la soirée. Cette année, son
ami Patrick Huard n’est pas présent, car il est épuisé. Alors, c’est Lapointe qui
doit voir à tout, « jouer à la police » et voir à la mise en scène. Il doit mettre les
bouchées doubles, et c’est visiblement épuisant.
D’ailleurs le chanteur s’en explique à Alain de repentigny : « Comment je fais
ça ? La réponse est toute simple : je ne dors pas. À occuper plusieurs chaises, tu
deviens épuisé. Cette année, je trouve ça un peu plus rough, parce que je suis
vraiment tout seul. Pat (Huard) a vraiment le sens de la mise en scène. Dans mes
shows à moi, il n’y a jamais eu de mise en scène. J’ai toujours voulu que ce
show-là soit instinctif. On m’a proposé de le faire en télé, j’ai refusé parce que
ça gâcherait tout.. »
« Ces spectacles des Fêtes bouclent une belle année de tournée pour Lapointe,
soulignée par la parution de 1994-2006 : N’importe qui, un CD et un DVD
regroupant ses grands succès », poursuit le journaliste.
Lors du même entretien, Éric continue : « J’avais peut-être envie de faire le
bilan. Tout s’est passé tellement vite, j’ai l’impression que ça vient de
commencer. J’ai bâti une belle équipe, on est tous rendus des vieux chums, des
pères de famille — je ne parle pas pour moi. Il ne s’agit pas de faire un virage,
mais peut-être juste de faire le point parce qu’on n’a jamais arrêté. Quand on
arrêtait, c’était pour entrer en studio, faire des albums ou de la musique de film,
écrire des tounes pour les autres. De toute façon, je n’ai jamais voulu prendre un
break, c’est là que je vire fou. »
Au début du mois de janvier 2007, Éric part en vacances aux Îles Turques-et-
Caïques, où il demeure un mois et demi. Il en profite pour travailler sur son
nouvel album et pour choisir des textes de femmes qu’il a demandés à gauche et
à droite. C’est à ce même endroit qu’il s’est fiancé, dans le plus grand secret, il y
a quelque temps, et il apprécie beaucoup le calme de la villa où il séjourne. Pas
de nightlife, pas de nécessité d’aller en ville voir ce qui se passe, pas de
véritables tentations. « J’ai besoin de ne pas avoir la hantise de manquer le last-
call», confie-t-il.
Son cœur est partagé entre la cabane dans le bois et la villa au bord de la mer.
Mais dans les deux cas, il faut qu’il soit coupé du reste du monde ; c’est la seule
chose qui importe, car il y va pour travailler. Si au terme de ses vacances, il n’a
pas terminé ses devoirs, il ne stressera pas pour autant. Il mettra tout simplement
les bouchées doubles, car il a hâte que paraisse son nouveau disque pour pouvoir
ensuite partir en tournée et donner de nouveaux spectacles. Il ne peut imaginer sa
vie autrement que sur une scène, sur un « stage », comme il aime le dire. « S’il y a
une place où je suis vraiment bien sur la Terre, c’est sur un stage, raconte-t-il au
journaliste de La Presse. J’ai passé ma vie à être malheureux sans savoir
pourquoi, je suis un mélancolique chronique, mais tous ceux qui me connaissent
— ma femme, ma mère —, quand je suis sur un stage, ils voient dans mes yeux
que je suis bien. Ces deux heures sur le stage, c’est mes nuits de sommeil, c’est
là que je me repose le cœur. Un stage, c’est un ring, moi j’ai toujours envie de
me battre. Heureusement, toute la violence que j’ai en moi passe par là. Je n’ai
pas besoin de psychiatre, de psychologue, ma thérapie, c’est le stage, quand je
débarque de là, crisse que je suis bien. Je vole. J’aime voir un spectateur, les
yeux fermés, le poing en l’air, qui chante comme s’il était sur le stage. Tabarnak,
c’est sa vie qu’il chante, ça donne un sens à ma job ! Je n’ai jamais voulu être
une star, je veux faire de la musique. C’est un besoin
physiologique. »
On a vraiment l’impression que le rockeur s’est vidé le cœur, qu’il s’est
déculotté pour nous montrer à quelle enseigne il loge, celle de l’authenticité, de
la transparence. Pour ce «mélancolique chronique», la scène est très
certainement un passeport pour l’éden.
Le 26 décembre, les gens n’attendent pas minuit pour célébrer. Des coulisses
surgit la petite voix d’Andrée Watters, qui entonne un pieux Ave Maria. On
allume les lumières, puis on chasse vite le religieux pour faire place à la célèbre
et païenne Bobépine. C’était parti pour plus de deux heures.
Si la performance des rockeurs peut sembler à la baisse, lors du party des Fêtes
du 26 décembre au Métropolis, cela peut fort bien se comprendre. Les artistes
arrivent de deux nuits endiablées à Gatineau et à Québec. Ils n’ont guère eu le
temps de reprendre leur souffle, et le lendemain de veille se fait terriblement
sentir chez ces êtres de chair et de sang, un peu comme lorsque les Canadiens de
Montréal reviennent d’une tournée dans l’ouest. Mais l’âme est à la tendresse,
pourtant, et
l’esprit est résolument à la fête. « Les vacances, ce sera pour plus tard »,
semblent-ils tous se dire, acteurs comme spectateurs. C’est maintenant le
moment de lâcher son fou entre amis, et il ne fait aucun doute que les gens vont
beaucoup s’amuser.
Les filles, cependant, semblent gonflées à bloc, et elles indiquent au reste de la
troupe la voie à suivre, celle de la démesure. « De toute évidence, Andrée
Watters et Marjo avaient ces derniers jours économisé de l’énergie pour fouetter
avec bagou le public du Métropolis et montrer aux boys de quelles bûches de
Noël elles se chauffent. La matriarche du clan, en resservant ses classiques, a fait
preuve d’une fougue exemplaire, alors que son héritière occupait la scène
comme si c’est elle qui nous recevait. Leurs interprétations de Dépendre de toi
(Andrée Watters) (“Attache-toi à mon cou/Ne lâche jamais ma main/Respire au
rythme de mon pouls/Fais de moi ton dessin…”), Illégal (en duo) (“Illégal/Tu
m’fais faire des bêtises/Dans les rues de Montréal/Quand y faut que j’me
maîtrise…”), J’lâche pas (“Tu m’avais dit/Qu’tu m’aimerais toujours/J’aurais dû
savoir que tu mentais…”) et Provocante (Marjo) (“Provocante/Tu fais
exprès/Quand tu t’émoustilles/Devant ses beaux yeux…”) resteront parmi mes
meilleurs moments de cette généreuse soirée », rapporte le journaliste présent sur
les lieux, Philippe Renaud.
Le clou de cette soirée de veille est sans aucun doute le moment où deux
mamans montent sur scène, celle d’Éric et celle du guitariste Stéphane Dufour.
Elles ont un cadeau à leur remettre : un disque d’or qui souligne la vente de
50 000 exemplaires du CD de compilation N’importe qui, lancé il y a quelques
semaines à peine. L’émotion est palpable.
« La “famille élargie” de Lapointe a mélangé ses succès personnels aux airs de
circonstances et autres reprises. Le vent soufflait mes pellicules de Boucher
(“Tout partout dans l’air/J’avais l’air d’avoir fait affaire avec un coiffeur/preneur
de pilules…”), à Célibataire de Lapointe junior (“Célibataire/J’commence à m’y
faire/À sortir tous les soirs…”), entrecoupées des Ma porte de shed de Plume
(“A m’dit qu’a m’aime pis a m’fait des coups bas…”) et 23 décembre d’une
autre époque (“J’ai dans la tête un vieux sapin, une crèche en d’ssous/Un Saint-
Joseph avec une canne en caoutchouc…”) […] Et dans ce beau moment de gros
fun, alors que la gang s’est
rapprochée des cuivres flamboyants, tout l’esprit de ce spectacle éclatait. Éric
Lapointe le rassembleur, l’éternel hédoniste, toujours prêt à célébrer la
communion des Fêtes, un micro dans une main, une bière dans l’autre. Dans ces
moments-là, forcément, on range le calepin et le stylo et on fait comme tout le
monde : on se commande un verre. Le party des Fêtes ne supporte pas la critique,
tant l’intention est généreuse et le plaisir est palpable. […] Le 31, les Boys
reviennent défoncer l’année au
Métropolis», poursuit le journaliste.
***
***

La mère d’Éric Lapointe est-elle en train de faire une maman Dion d’elle-
même ? Une chose est certaine : Doris Lapointe aime bien apparaître en public
pour appuyer son fils. Elle est sa plus grande admiratrice et assiste à presque
tous ses spectacles. Éric, qui ne se plaint pas de cette proximité, ne se présente
jamais chez elle sans un bouquet de fleurs. Le 31 décembre, elle reçoit chez elle
plusieurs membres de la famille élargie des Lapointe : Jean Lapointe, Jean-Marie
Lapointe et aussi Lisette Lapointe, la conjointe de Jacques Parizeau. Aux
fourneaux, il n’y a nulle autre que Suzanne Lapointe. Et grâce à la magie de la
caméra, celle de TVA, nous pouvons participer, nous aussi, aux agapes festives
de fin d’année, en compagnie d’Éric Salvail, qui anime l’émission populaire On
n’a pas toute la veillée. Pourtant, Lapointe a composé cette chanson, Moman, où
il prévient sa génitrice : « Moman, laisse pas ton petit gars devenir une rock
star/Tiens-lé loin des guitares, des Harley/Des beaux chars, loin des bouteilles de
fort/Moman, laisse pas ton petit gars devenir une rock star/Ça finit tout seul d’un
bar ou dans sa loge saoul mort/Pendant que la foule gueule encore… » Paroles
prémonitoires?
À la fin du mois de janvier, on annonce une bonne nouvelle pour les chanteurs
québécois. Et le journaliste Philippe Renaud en explique la portée dans La
Presse : « Depuis mardi dernier, Éric Lapointe, Mes Aïeux, Jean Leclerc et une
foule d’autres musiciens d’ici sont désormais sur iTunes grâce à une entente
survenue entre les bureaux d’Apple à Toronto et DEP Distribution, l’un des plus
gros distributeurs indépendants du Québec. […] L’arrivée progressive du
catalogue de DEP Distribution représente la première véritable percée d’un
groupe québécois sur la populaire plate-forme d’Apple. […] À cause de
l’omniprésence de la plate-forme d’Apple et de l’écrasante popularité du
baladeur iPod, la présence d’artistes québécois sur iTunes est capitale si
l’industrie veut se
positionner à long terme dans le marché de la musique en ligne.»

***

À la même période, Lapointe est invité à l’émission Les Francs-tireurs et


interviewé par Patrick Lagacé, qui, au cours de l’entretien, se montre à quelques
reprises méprisant en disant des choses comme « Tu pognes avec les filles, mais
t’es pas Brad Pitt » ou « Ça m’étonnerait que tu sois encore vivant à cent ans… »
Disons que ce n’est pas très diplomate de sa part, c’est le moins qu’on puisse
dire. Mais Éric, bon joueur, ne s’offusque pas et garde son calme.
Le rockeur explique à Lagacé qu’il vit au jour le jour et qu’il préfère vivre la
nuit plutôt que le jour. Il a même fait poser dans sa chambre des rideaux doublés
d’aluminium pour empêcher toute pénétration de la lumière lorsqu’il dort
pendant la journée. Il se définit en rigolant comme un vampire qui aime vivre
dans le noir. Questionné sur sa capacité à supporter ce rythme de vie encore
longtemps — vivre constamment sur le party, fréquenter les bars et consommer
autant d’alcool —, il répond posément qu’il a choisi un métier qui lui permet de
placer une bouteille de scotch sur le coin de son piano pendant qu’il pratique.
S’il peut se payer ce luxe, il se défend néanmoins d’être excessif dans sa
consommation d’alcool, car il réussit tout de même à fonctionner et à être
productif. Il admet qu’il est plus ou moins équilibré émotivement, mais que c’est
ce qui est l’essence de sa sensibilité d’artiste — et qu’en cela, il n’est pas
différent des autres artistes comme lui. C’est ce « déséquilibre » qui fait qu’il se
sent bien sur une scène, devant son public.
À propos de son train de vie, il confirme qu’il vit à cent milles à l’heure et
qu’il gagne beaucoup d’argent. Bien qu’il se sente très inquiet, cela ne
l’empêche pas d’être très dépensier. D’ailleurs il roule en Porsche parce qu’il
aime la vitesse. Pour le reste, le journaliste essaie de lui faire dire que toute la
mauvaise publicité qui a entouré sa carrière récemment lui a tout de même servi,
que cette image de « bad boy » est rentable dans son cas, mais le rockeur ne le
suit pas sur ce terrain et dit qu’il n’y a rien d’organisé dans tout cela. Il ajoute
que sa vie ne se résume pas à une campagne de publicité, avec tous ces gros
titres à la une des journaux qui montrent le mauvais côté des choses, alors qu’on
devrait plutôt parler de sa musique.
À propos de sa facilité à attirer les femmes, ce qui semble rendre jaloux
l’intervieweur, il raconte que c’est peut-être son « sex-appeal vocal » ou le
pouvoir des mots. L’intervieweur demeure sceptique. Lapointe suggère alors que
c’est peut-être une question d’instinct maternel et qu’elles veulent toutes le
sauver. L’intervieweur se montre de nouveau moqueur, mais Lapointe insiste :
« Quand tu es sur une scène, devant 50 000 personnes tu peux toutes les séduire
en même temps, ce n’est pas un problème. Dans le lot, il s’en trouve toujours
quelques-unes qui veulent aller plus loin. Il y a aussi le fait d’être rockeur et de
vivre cette vie de rockeur. Les gens s’imaginent toutes sortes de choses même si
dans la vraie vie, on est confronté aux mêmes banalités que tout un chacun. »
Manifestement, l’intervieweur ne sait plus dans quelle direction aller pour
tenter de le piéger, de le faire trébucher. Il va jusqu’à lui demander : « Avoir du
prestige, ça poigne ? » C’est une question un peu bébête, voire insignifiante, et
Éric lui répond simplement: « D’après toi? »
Il le questionne ensuite sur sa vie de couple. Lapointe admet qu’il n’est pas
facile à vivre et qu’il n’est pas nécessairement un bon chum. Avec son rythme de
vie et le métier qu’il exerce, celui de chanteur, il lui faut une blonde
compréhensive. Et effectivement, sa fiancée l’est. Il ne lui demande pas de faire
des compromis, tout comme lui n’en fait pas. Il admet, comme si c’était un
crime aux yeux de l’intervieweur, qu’il a vécu, au début, sur l’aide sociale, parce
qu’il n’avait pas d’autre choix. Il devait se consacrer à la musique à plein temps,
et comme il ne pouvait pas travailler sur autre chose, cette période sur l’aide
sociale a été pour lui un moment de transition qui lui a permis d’émerger et de
faire son chemin dans le domaine qu’il aimait le plus, celui de la musique.
Pendant cet apprentissage, il devait manger et payer son loyer, et cette aide a été
bénéfique, même s’il ne vivait pas sur l’or, bien évidemment. Lapointe dit :
« Quand tu es un artiste, tu ne dois pas avoir du dédain pour le beurre d’arachides
ni pour le Kraft Dinner. Tu vends peut-être du rêve et des émotions, mais c’est
un besoin pour la société. » Et du rêve, Éric en a en masse, car il rêve d’écrire LA
chanson qui va traverser le temps et les années. C’est tout à son honneur. On
peut dire que le « match » se termine 1 à 0 pour Éric, qui n’a pas trébuché une
seule fois, malgré les attaques sournoises de Lagacé. L’intervieweur est arrivé
bourré de préjugés, et il repart gros penaud.
***

Voilà qu’Alain Simard, le président de Spectra, pense au rockeur à la gueule


d’ange pour casser la glace de son huitième Montréal en lumière, qui opère, à la
fin de février, par des froids sibériens de préférence. Ça tombe bien, car Éric a
fait le plein de chaleur aux Îles Turques-et-Caïques, qu’il vient à peine de
quitter, mettant fin à sa séance d’écriture. Il est volontaire pour monter au front.
Ce soir-là, la foule est plutôt dispersée, mais tout de même, quelques centaines
d’inconditionnels de l’hiver et d’Éric Lapointe ont bravé la froidure. Alors, plein
de bonnes intentions et voulant réchauffer l’atmosphère — car c’est pour ça
qu’on l’a convoqué ici même —, il met le feu à ses gros canons : Coupable,
Priez, Marie-Stone, Reste là, On commence à s’quitter, puis Attends : « J’passe
ma vie ent’ deux accords/Ent’ deux villes, ent’ deux shows, ent’ deux bars/Tu
t’imagines que j’vis et revis ma jeunesse/Pourtant c’est moi qui meurs de peur
que tu m’laisses… » Les spectateurs, qui commencent à se réchauffer, font un
triple rappel et obtiennent Tendre fesse, Bobépine et Bartendresse. Il ne leur reste
plus qu’à se lancer quelques verres de Caribou dans le gosier, et le tour est joué.
À la fin, les admirateurs se comptent par milliers, et tout le monde se dit : « À
l’an prochain! »

***

Fidèle au poste, le 28 février, Éric organise encore une fois son tournoi de
billard au Boul Noir, sur l’avenue du Mont-Royal Est. Environ cent personnes et
artistes, dont Jean-Marc Parent et Marie-Chantal Toupin, participent au
Classique Éric Lapointe, et les profits sont versés, comme précédemment, au
journal L’Itinéraire. Cette année-là, Claude Doyon, le directeur de la promotion
de la station Rythme FM, remporte le tournoi. Éric peut ainsi verser la somme de
2 600 $ à l’organisme à but non lucratif.
Il s’envole ensuite pour les Îles Turques-et-Caïques, son repaire secret, avec sa
fiancée, Marie-Pier, qu’il épouse sur place, sans crier gare. Ce mariage n’a pas
été annoncé, et il se fait dans la plus grande confidentialité. Malheureusement, à
peine un an plus tard, Marie-Pier et Éric se séparent, sans qu’on sache trop
pourquoi. Éric garde le secret le plus total sur sa vie privée, qui a été trop
longtemps étalée à la une des journaux. Il vit cette séparation péniblement, et il
se lance dans le travail pour éviter de broyer du noir chez lui. Le stage est sa
planche de salut. Par la suite, certains médias affirment que Lapointe entretient
peut-être une liaison avec Lucie Laurier, mais Lapointe s’en défend, affirmant
que c’était une bonne copine et que leur amitié dure depuis une dizaine d’années.
Même s’il vit une période difficile, Éric est toujours très sollicité, et il
participe à un
projet intitulé Défi pour la Terre à la fin du mois de mars 2007. C’est un gros
spectacle engagé, qui a lieu au Métropolis et qui est organisé par K. Cette
dernière en est également la conceptrice et la promotrice. Elle a demandé à
plusieurs personnalités de différents horizons, comme les membres de RBO,
Patrick Huard, Éric Lapointe, Marco Calliari, Jorane, Jocelyne Blouin, Josée di
Stasio et Caroline Dhavernas, pour ne nommer que ceux-là, quelle cause les
touchait tout particulièrement. En entrevue avec La Presse, elle explique : « Les
réponses allaient de l’accumulation des déchets à l’eau et à la pauvreté. Ensuite,
on a identifié douze organismes qui s’y attaquent. Tous les profits de la soirée
leur seront versés. » Sur scène, chacun y va d’un petit numéro : sketch, chanson
ou vidéo. Toute l’organisation est pensée en fonction d’un minimum de
gaspillage. On favorise le covoiturage pour se rendre au spectacle, et on décide
qu’une fois qu’on aura calculé la quantité totale d’émissions de CO2 générées
par le spectacle, les organisateurs iront planter des arbres pour les annuler. Cette
émission est ensuite diffusée à Radio-Canada à l’occasion du Jour de la Terre,
dans le cadre de l’émission On n’a pas toute la soirée.
Lapointe participe également au projet de CD Duos Dubois, où douze
chansons, parmi les plus connues de Claude Dubois, sont interprétées par autant
de chanteurs, dont Gilles Vigneault, Garou, Francis Cabrel, Céline Dion et
Richard Desjardins. Éric y chante, en duo avec Garou, Chasse-Galerie : « À
force de rester dans la forêt à s’ennuyer/Le diable est venu les tenter… » C’est
une chanson assez difficile à interpréter. Le DVD du groupe Les Respectables
paraît également presque au même moment, et Éric y interprète une chanson. La
captation a eu lieu au Centre Bell, pour leur 15e anniversaire, à l’automne
précédent. Puis, comme un projet n’attend pas l’autre, les patrons du réseau
Énergie (94,3 FM) décident de fêter le départ des Grandes Gueules, José Gaudet
et Mario Tessier, en invitant au Métropolis une pléiade d’artistes, dont Éric
Lapointe, Jean-Marc Parent, Frédérick De Grandpré, les Denis Drolet et de
nombreux autres. Ce duo d’humoristes a animé pendant quinze ans une
quotidienne d’humour, collée à l’actualité québécoise, en parodiant souvent des
personnalités d’ici.
Pour le Mondial choral Loto-Québec, qui en est à sa troisième édition,
Grégory Charles, qui en est le président et directeur artistique, décide d’innover
en organisant, au Centre de la nature de Laval, quatre grands événements parmi
les trois cents au programme. Quatre artistes connus, mais aux parcours et styles
différents (Gilles Vigneault, Marie-Michelle Desrosiers, Loco Locass et Éric
Lapointe) chantent accompagnés d’un chœur. L’originalité est garantie. L’année
précédente, 500 000 personnes ont participé à cette fête du chant de chorale qui
se déroule aux quatre coins de Laval.
S’ennuyant sans aucun doute du stage et de la communion avec ses
admirateurs, Éric s’offre le Spectrum pendant deux soirs en juin. Cette année-là,
pour la Fête nationale, pas de grande scène au parc Maisonneuve ni de fête sur
les plaines d’Abraham. Éric est à Laval, au Centre de la nature, en compagnie du
grand Gilles Vigneault, ainsi que des groupes Les Charbonniers de l’enfer et
Mes Aïeux. Éric a été choisi pour clore en beauté la soirée de ce 23 juin.
Bienvenue aux oiseaux de nuit.
Un autre projet, semblable à Défi pour la Terre, est en train de voir le jour. Ici,
c’est Montréal sur terre, mais ailleurs, on appelle l’événement Live Earth, sous
le patronage d’Al Gore. On prévoit qu’un million de spectateurs et deux millions
de téléspectateurs pourront voir ces concerts-bénéfices, qui seront présentés en
simultané le 7 juillet (07-07-07) dans différentes grandes villes de la planète :
Londres, Tokyo, New York, Shanghai, Johannesburg, Sydney, Rio de Janeiro,
Hambourg, Montréal et possiblement Toronto. Plusieurs artistes de renom
acceptent de chanter bénévolement pour
sensibiliser la population aux problèmes de la planète.
À Montréal, nous voyons et entendons Zachary Richard, Garou, DJ Champion,
Éric Lapointe, Jorane, Dan Bigras, Daniel Boucher, Marilou, Pascale Picard et
quelques autres, et l’animateur est Steven Guilbeault, le porte-parole de
Greenpeace. Le concert, qui se veut grand public, a lieu au quai Jacques-Cartier,
dans le Vieux-Port de Montréal. Ailleurs, on a annoncé que Madonna, The
Police, Genesis, Bon Jovi, Duran Duran, Metallica, Rihanna, Lenny Kravitz,
Enrique Iglesias, Shakira et Melissa Etheridge, pour ne nommer que ces noms,
seront en concert dans les différentes capitales sur tous les continents. Ce sont
plus de cent cinquante artistes qui se mobilisent dans les neuf concerts officiels
afin de susciter une nouvelle prise de conscience sur le réchauffement climatique
et l’environnement. Et le Québec fait partie de ce vaste mouvement planétaire
grâce à la générosité de nos artistes d’ici, qui se font ainsi les porte-voix de tous
ceux et celles qui demandent des changements. Au Québec, les profits amassés
sont remis à la Fondation Sedna, de Jean Lemire.
Si, par le passé, Éric Lapointe a déjà invité Marjo à ses parties sur scène, c’est
maintenant au tour de Marjo d’inviter, à l’occasion des FrancoFolies de
Montréal, « ses » hommes, dont font partie Éric Lapointe, Éric Goulet (Les
Chiens), Marco Calliari et le Français Calogero (qui finalement se retire au
dernier moment). La fête, qui se déroule sur la scène extérieure principale et qui
est animée par neuf musiciens, est censée commencer à 21 h 00 le 30 juillet et se
termine à l’épuisement des artistes. Malheureusement, à la dernière minute, il
faut changer de programme. Marjo s’est blessée au pied en tombant de la scène à
Saguenay, quelques jours avant le rendez-vous des FrancoFolies, et elle a été
opérée d’urgence. Alors qu’elle tendait son micro à quelqu’un dans la salle,
pendant un rappel, elle a trébuché. Les organisateurs doivent donc annuler la
présence de Marjo tout en maintenant le rendez-vous, qui s’est entre-temps
transformé en spectacle-hommage à la rockeuse, anciennement de Corbeau. Pour
ce faire, ils peuvent compter sur une flopée de chanteurs et de
chanteuses appelés à la rescousse : Laurence Jalbert, Annie Villeneuve, Sébastien
Plante (Les Respectables), Angel Forrest et l’auteure-interprète Mireille Matte. Il
semble donc qu’il faut cinq artistes pour
remplacer une Marjo!
Il ne reste qu’à savoir si Marjo va tout de même se présenter, en béquilles ou
en fauteuil roulant. Marjo ne veut certainement pas tout perdre. Finalement, en
coulisse, assise sur un fauteuil roulant, elle assiste au spectacle. Tout au long du
spectacle, Laurence Jalbert semble nettement dominer et contrôler la scène. Éric
Lapointe a des trous de mémoire à deux reprises, lorsqu’il chante S’il fallait
(tirée de Bohémienne) et J’lâche pas. Mécontent, il repart en coulisse, où il lance
son micro par terre alors qu’il est toujours ouvert, et tous les spectateurs
entendent la colère d’Éric Lapointe.
Marco Calliari reprend rapidement les choses en main, sans que cela paraisse
trop. Éric revient malgré tout à la fin pour chanter Provocante en duo avec Annie
Villeneuve:
« Provocante/Tu fais exprès/Quand tu t’émoustilles/Devant ses beaux yeux… »
On raconte que les gens de la sécurité, craignant du brasse-camarade en coulisse,
auraient alerté la police. En réalité, des policiers ont bel et bien été appelés sur
les lieux, mais à leur arrivée, tout était rentré dans l’ordre. Les organisateurs des
FrancoFolies ont pu s’expliquer rapidement avec le chanteur, qui s’est senti lésé
par ces pannes. Un peu plus tard, Lapointe a admis qu’il avait mal réagi, mais il
s’est défendu en disant qu’il ne gérait pas toujours très bien son adrénaline et
qu’il était incapable de jouer la comédie.
Quant à Marjo, la fêtée, elle apparaît sur la scène en fauteuil roulant, au
moment des rappels, pour chanter avec toute sa bande Les yeux du cœur. Ce
n’est que quelques moments plus tard qu’on a apprend que ces « trous de
mémoire » d’Éric Lapointe étaient dus à une défaillance du télésouffleur où
devaient défiler les paroles des chansons que le rockeur devait interpréter.
Alors qu’Éric s’échine à chanter sur la grande scène des FrancoFolies, on
apprend une bien triste nouvelle. Le Spectrum, cette salle mythique de la rue
Sainte-Catherine, va fermer définitivement ses portes, après vingt-cinq ans de
loyaux services. Michel Rivard y a chanté plus d’une centaine de fois. Éric
Lapointe arrive en cinquième position avec 34 concerts, après Richard Séguin,
Daniel Bélanger et Marjo, mais devant Paul Piché.
Un peu plus tard, il participe pour la première fois à un défilé de mode à
l’occasion de la soirée des joueurs de la Coupe Rogers de tennis, qui se tient au
Reine Élizabeth le 5 août 2007. Autre innovation : le FestiBlues International de
Montréal invite un rockeur, Éric Lapointe, à casser la glace pour son dixième
anniversaire, au parc Ahuntsic, à Montréal. Malheureusement, au beau milieu du
spectacle, sa voix ne coopère plus. Ce n’est pas la première fois qu’une telle
chose se produit depuis qu’il a été opéré pour des polypes sur les cordes vocales.
Heureusement, le public, son public, celui qui l’adore, lui vient en aide et chante
avec lui. Une chose est certaine : le rockeur à la voix rauque doit apprendre à
soigner sa voix et à la laisser se reposer de temps en temps, ce qu’il ne fait pas,
malgré les avis en ce sens des médecins. Il lui arrive même très souvent de
chanter dans les bars qu’il fréquente, juste pour le plaisir, comme au Bistro à
Jojo, sur la rue Saint-Denis. Selon le principal intéressé, cet épuisement vocal est
dû au trop-plein d’émotions, et non pas à de soi-disant abus. Mais qu’il le veuille
ou non, dès qu’un pépin surgit dans la vie du rockeur, les journaux s’en
emparent et montent cela en épingle.
Quelques jours plus tard, vers la mi-août, Éric participe de nouveau au Festival
International de Montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu, qui fête son
24e anniversaire. Comme chaque année, de nombreux artistes sont invités à se
produire sur scène, et personne ne se fait prier, car l’accueil est des plus
chaleureux. Cela va de Loco Locass à Raoul Duguay, en passant par Marie-Mai,
Stefie Shock, Les Cowboys Fringants ou Peter MacLeod. Éric Lapointe se
produit en compagnie de Dennis DeYoung, l’ex-chanteur de Styx, et bien malin
est celui qui pourrait détecter un quelconque malaise dans la voix du rockeur. Un
véritable miracle ? Sans doute pas. Mais Éric s’est reposé entre-temps et n’a
presque pas fait usage de la parole.
À la fin du mois d’octobre, dans le cadre du huitième Festival du monde arabe,
on rend hommage à Roger Tabra, qui est né d’un père algérien et d’une mère
allemande. Éric Lapointe, pour qui il a composé de nombreuses chansons, et
Michel Rivard, France D’Amour, Patrick Normand et Lynda Thalie chantent à
cette occasion, au cours d’une soirée animée par Monique Giroux. La présence
d’Éric Lapointe est des plus appréciées par Roger Tabra.
Noël approche, et pour une huitième année consécutive, Éric Lapointe
organise son fameux party de fin d’année. La tournée du temps des fêtes
comprend quatre étapes : Rivière-du-Loup, Québec (salle Albert-Rousseau),
Saguenay (Palais des sports de Jonquière) et Montréal (deux fois : les 26 et
31 décembre). À ses côtés, ses fidèles complices : Martin Deschamps, Les
Respectables et Paul Piché, pour qui c’est la troisième fois. Aussi, pour la
première fois, Nanette Workman, Gabrielle Destroismaisons, Marc Déry et Mike
Ward sont présents. Ces artistes sont un peu comme sa famille, comme il aime
souvent le répéter. Et la famille, c’est important dans le temps des Fêtes. Si le
programme de la soirée demeure plus ou moins secret, on sait que le répertoire
est constitué de chansons populaires que le public connaît en général par cœur et
chante avec les artistes sur scène. Paul Piché et Éric disent plus tard en entrevue
que le spectacle commençait au ciel et se terminait en enfer.
Paul Piché se confie au journaliste de La Presse, Alexandre Vigneault : « Le
public chante pendant tout le show. C’est une grosse fête et c’est relax pour nous
aussi. Quand ce sont toutes des tounes connues, on peut chanter facilement tous
ensemble. » Et Éric rajoute : « On mise justement sur les chansons que tout le
monde connaît, parce qu’on est là pour chanter avec le monde.»
Pour faire la promotion de sa tournée des Fêtes, Lapointe accepte de participer
à la populaire émission du dimanche soir à la télé de Radio-Canada, Tout le
monde en parle, animée par Guy A. Lepage. C’est toujours risqué d’accepter de
participer à cette émission ; il faut en effet être bien préparé, mais on est assuré
d’une grande écoute à travers tout le Québec, et c’est ce que vise le rockeur,
puisque sa mini tournée touche plusieurs régions du Québec. Détendu et souriant
pendant l’émission, Éric tient à rassurer ses admirateurs. Il leur dit qu’il va bien
et qu’il est en grande forme, car il s’entraîne maintenant quotidiennement avec
un entraîneur privé. Il parle de ses parties des Fêtes et du fait qu’il aime se
retrouver sur scène le plus souvent possible, car il a peur que ses admirateurs
l’oublient. Il parle aussi de son prochain album, qui est censé sortir en 2008,
peut-être même au printemps. Il aborde brièvement sa situation matrimoniale,
confirmant qu’il s’est séparé de sa femme, Marie-Pier, et qu’il est maintenant
célibataire. L’animateur souligne alors le côté torturé de sa personnalité.
Mais célibataire, Éric ne le restera pas longtemps, car dans les premiers mois
de 2008, il rencontrera Mélanie Chouinard, qui lui
donnera deux enfants. (On y reviendra plus tard.)
Questionné sur les paroles blessantes que l’écrivain Christian Mistral a tenues
à son endroit — celui-ci l’a traité de « vidange » sur ce même plateau de
télévision —, Lapointe ne se laisse pas désarçonner. Il dit même :
« Ironiquement, avant de chanter, j’étais vidangeur. Christian Mistral m’a
proposé plusieurs chansons que j’ai refusé de chanter. Il me doit encore 50 $.
Moi, je n’ai pas de casier judiciaire, et j’ai toutes mes dents.»
Alors, comme prévu, le 26 au soir, au Métropolis, c’est jour de répétition
générale devant public : Éric et sa bande de joyeux lutins du bonheur sont
présents, comme pour dire : « Vous n’avez encore rien vu, ma belle gang !
Attendez de voir ce qui va se passer le 31 décembre !»
Le journaliste Alexandre Vigneault écrit : « L’habit ne fait pas le moine.
Encore moins quand c’est Éric Lapointe qui porte la robe. Or, c’est revêtu de ce
costume religieux et en chantant Ave Maria que le rockeur a donné le coup
d’envoi de son spectacle du temps des Fêtes dans un Métropolis bien rempli.
Personne ne s’attendait à un concert pour enfants de chœur. Lapointe voulait un
party et il s’est arrangé pour que ça lève. […] Tout n’était pas parfait, mais ce
genre de spectacle ne vise justement pas la perfection. Ni à dérouter d’ailleurs.
… Une bière à la main, un micro dans l’autre, Lapointe fête et il fête fort. Tout
en tenant le haut du pavé. Il a beau partager sa scène avec des artistes de calibre,
celui qui brasse le plus, qui en demande le plus et qui en donne le plus, c’est
toujours lui. On ne songe pas une seconde à se demander pourquoi c’est lui qui
reçoit. Ôtez-vous de là quand il va défoncer l’année. »
Comme il fait souvent en début d’année, lorsqu’il sent le besoin de se retirer et
de s’isoler après sa virée du temps des Fêtes, Éric part pour les Îles Turques-et-
Caïques. Il veut finaliser son projet de nouvel album, dont le titre est déjà choisi :
Ma peau. Il retourne à sa table de travail pour mettre un point final à l’écriture
de son nouvel album. Comme Céline a sorti un CD intitulé D’Elles, Éric
abandonne son idée d’avoir uniquement des textes écrits par des femmes. Il
conserve le thème des femmes et de la souffrance amoureuse, mais il s’entoure
de nouveaux collaborateurs, comme Michel Rivard, Jean-Pierre Ferland, à qui il
a déjà emprunté Qu’est-ce que ça peut ben faire, Luc Plamondon, qui lui a donné
D’l’amour, j’en veux pus, Jamil, qui est à l’origine de Bartendresse, et
l’incontournable Roger Tabra, bien sûr.
Bien s’entourer est important pour lui. Il explique à Alexandre Vigneault : « À
un moment donné, c’est l’angle qui devient difficile à trouver. Peut-être que j’ai
trop le nez dans ma vie pour écrire 12 chansons ces temps-ci. J’en ai écrit, mais,
c’est drôle à dire, j’ai besoin d’un regard extérieur pour voir ma vie. Rivard m’en
a écrit une écœurante. On a juste jasé, je lui ai raconté ce qui s’est passé dans ma
vie cette année… et il a parlé à ma place d’une façon extraordinaire. » Rivard
semble avoir réussi à cerner le problème, à mettre le doigt sur le bobo, comme
on dit familièrement. Cette chanson s’appelle Avalanche : « Les images se
mélangent/Dans la poudre et le sang/La mémoire me démange/C’t’à quelle
heure/Le présent?»
Oui, beaucoup de choses se sont produites dans sa vie, en cette année 2007 qui
se termine. Il s’est séparé de sa femme, Mari-Pier. Son guitariste et complice
depuis treize ans, Stéphane Dufour, est parti, lui aussi. Lapointe avoue : « Je suis
en train de tourner une page de ma vie. Vivre deux peines d’amour dans la même
année… Ça me pousse ailleurs et c’est peut-être une bonne affaire. Qu’est-ce
que ça va donner ? Je ne sais pas. Ça va peut-être être extrêmement mauvais.
Mais à ce jour, ça sent bon. »

***

Quoi qu’il en soit, Éric est bien déterminé à passer à autre chose et à suivre sa
route sans regarder en arrière et sans s’apitoyer sur son sort. Car ce qu’il
souhaite, c’est rencontrer l’amour de sa vie le plus rapidement possible. Mais
cette situation de fragilité lui permet peut-être de piler sur son orgueil et l’incite
à appeler lui-même son parolier et ami, Roger Tabra, avec qui il s’est brouillé
depuis un certain temps. Il a besoin de son aide. Il lui dit quelque chose comme :
« Toi qui connais le chagrin et la solitude, peux-tu écrire pour moi ? » Tabra, de
son côté, est des plus heureux de retrouver son vieux complice des soirs de
spleen et d’ivresse, mais il estime que c’était à Lapointe à faire les premiers pas.
On se souvient que cette collaboration Lapointe-Tabra a produit sans doute ses
plus belles chansons, comme Mon ange, N’importe quoi et Loadé comme un gun.
Lapointe se défend d’avoir mal agi, mais il reconnaît que Tabra a sans doute pris
trop de place dans son processus d’écriture. En fait, il reconnaît que ce n’est pas
la faute de Tabra, mais bien de la sienne, car il a été trop paresseux — et que
cela a fini par créer un malaise. Mais c’est chose du passé, et ce nouveau disque
le prouve de belle façon.
9. Les années d’affirmation Danse comme si t’avais
la rage
Viens cracher devant ma cage
Danse pour lécher la mort
Donne-moi les clés de ton corps
Tatoo
(Éric Lapointe, Jamil/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)
L’année 2008 est censée être un peu plus reposante que 2007. Du moins, c’est le
souhait du rockeur de 38 ans, qui prépare fébrilement son nouvel album, bien
entouré par les paroles de ses amis collaborateurs. Entre deux sessions de studio,
il multiplie les apparitions à la télévision, surtout à Flash, l’émission culturelle
de TQS. Son emploi du temps chargé ne l’empêche pas d’organiser, en
mars 2008, pour la cinquième année consécutive, son Classique Éric Lapointe au
profit du journal L’Itinéraire, à la salle Boul Noir, sur l’avenue du Mont-Royal
Est. C’est à cette occasion qu’Éric s’affiche publiquement pour la première fois
aux côtés de sa nouvelle flamme, Mélanie Chouinard. Quelques centaines d’amis
et d’artistes répondent à l’appel du rockeur, qui peut ainsi amasser la somme de
3000 $, remise à ce journal des itinérants. Le gagnant du tournoi n’est nul autre
que Michel Désautels, l’animateur connu à la radio de Radio-Canada. À
l’ouverture du tournoi, Éric Lapointe déclare à un journaliste de L’Itinéraire :
« Ça me touche de voir que ce magazine-là permet à du monde de travailler et de
s’exprimer dans la dignité et avec une équipe professionnelle. »
Le nouvel album, intitulé Ma peau, n’est pas encore lancé officiellement que
déjà, les demandes d’entrevues affluent. Il s’agit de son cinquième album studio
en quatorze ans de carrière. Les journalistes ont déjà reçu des copies de presse, et
la présentation matérielle, unique et absolument hors de l’ordinaire, fait déjà
jaser — en bien, naturellement — et fait des envieux. Le boîtier est en métal (et
non pas en plastique, comme cela se fait habituellement) et est recouvert de
similicuir embossé avec une gravure de serpent, ce même serpent qu’Éric porte
tatoué sur sa peau. Pour absorber les coûts supplémentaires de ce modèle de
boîtier spécial fabriqué en Chine, il a fallu en commander au moins
100 000 exemplaires, ce que le rockeur n’a pas hésité à faire. Bref, Éric a pris un
gros risque pour que son nouvel album se fasse remarquer en magasin, pour qu’il
ne passe pas inaperçu. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’une édition de luxe
que seuls ceux qui ont de grands moyens peuvent se payer. Non, ce serait mal
connaître Éric: il s’agit d’une
édition normale, accessible à tout le monde et qui est vendue au même prix
qu’un autre CD.
La grosse machine promotionnelle s’est mise en marche il y a quelques jours,
et elle tourne désormais à plein rendement. La veille de son lancement, il lance
sa nouvelle tournée et « casse » ses nouvelles chansons, comme on dit dans le
jargon du métier. Le booking va bon train, et le cahier des rendez-vous est plein
jusqu’au mois de novembre, incluant, bien évidemment, une présence obligée au
Métropolis, sa deuxième maison, dans le cadre des
FrancoFolies de Montréal à la fin de juillet.
Le lancement officiel a lieu au Club Opéra, sur la rue Sainte-Catherine Ouest,
près du boulevard Saint-Laurent, devant mille personnes. C’est un lancement
digne des grandes vedettes internationales. Luc Plamondon présente le rockeur
au public en délire. Entouré de son musicien Steve Hill et d’un autre rockeur,
Martin Deschamps, Lapointe chante, entre autres, Le Mari Pop : « Le jet-set, la
clique qui s’éclate/Les soirées trash de taches/C’est ben beau/Mais penses-y
comme y faut… » Puis il s’attaque à Va-t’en : « Je t’ai dit va-t’en/J’l’ai pensé
pour un instant/Je t’ai dit va-t’en inconsciemment/Avec des mots déments/Qui te
rentrent dedans… » Enfin, il chante Belle dans’tête : « Brûle ta langue sur sa
peau, perds la vue dans sa voix/Fais-la rire, tiens-la au chaud, aime-la mieux que
moi/Tous les drames près de toucher son âme/Si tu la touche, t’as plus le
choix… »
Déjà, le journal La Presse titre : « Terre natale, souris, car demain, ton enfant
de 38 ans revient. Avec un nouvel album dans les mains. » Dans une entrevue
accordée à Marie-
Christine Blais, de La Presse, à quelques jours de son lancement, il lance :
« ‘’L’inspiration, ça n’existe pas, c’est les autres qui t’inspirent’’, à propos des
nombreux textes autobiographiques et crus qu’il signe sur son cinquième album
studio, Ma peau. […] Magané, le gars Lapointe ? Non, plutôt enfin dans son
élément : la scène, la musique. Là où l’amour du public le guérit tranquillement
de nouvelles blessures. »
Avec la journaliste, il aborde brièvement la question de ses deux séparations
douloureuses survenues en 2007. Pour Marie-Pier, on le sait déjà, c’est sorti dans
les journaux, mais sans trop de détails, car Éric ne se livre pas facilement quand
il s’agit de sa vie privée. Cependant, pour ce qui est de son vieux complice,
Stéphane Dufour, on en apprend un peu plus. « Sur les albums précédents, j’étais
aussi devenu un peu dictateur : avec Stéphane, on leadait tout à deux, mais
j’avais l’impression d’être passé du côté patronal et que les musiciens étaient des
employés qui n’avaient pas grand-chose à dire. Le départ de Stéphane, ça m’a
permis de retrouver l’esprit de band, de me rappeler que j’étais d’abord un gars
de gang et de faire le disque en gang. Et pour le moment, il y a un malaise entre
Stéphane et moi. Et puis, pour ce qui est de ma peine d’amour… Qu’est-ce que
tu veux que je te dise ? J’ai appelé cet album-là Ma peau parce que je m’y mets à
nu, je me montre sans pudeur ; ce n’est pas un personnage, c’est juste moi, je me
chante des chansons pour moi. Je ne suis pas un poète, j’écris au premier degré,
mais disons que là, j’ai 38 ans et je sais que je ne peux plus mettre le blâme sur
le dos des autres. J’aurais pu écrire des chansons où la fille est la bitch et moi le
seigneur trompé. J’ai décidé de dire plutôt : c’était moi le trou du cul, des fois…
J’ai pas fait ce disque pour faire plaisir. Je me soigne avec lui. J’ai écrit des
chansons d’amour, mais je pense que c’est la première fois que je le fais sans
colère, sans rancœur. Tsé, la chanson Laisse-moi pas guérir de toi ? C’est la
chanson que j’avais écrite pour le mariage ; j’ai juste eu à changer “quand t’es
arrivée” par “quand t’es partie” » (« Quand t’es partie/J’avais pu rien à perdre/À
part ma vie pis une vieille guitare désaccordée/Quand t’es partie/j’avais juste
envie d’me perdre/J’me suis perdu/À force de te chercher… ») Visiblement émue
— elle affirme qu’elle a envie de consoler le chanteur —, la journaliste le
questionne ensuite sur sa collaboration avec Michel Rivard. « Je regardais des
photos dernièrement et j’ai trouvé une photo de moi sur mon premier stage, à
11 ans, avec une guitare plus grosse que moi et sais-tu ce que je chantais ? Le
phoque en Alaska de Michel Rivard ! Bon, j’ai pas gagné le concours, mais je
suis le seul à avoir eu un rappel (rires). Tu peux
imaginer l’honneur que ça représente, pour moi, que Michel accepte de m’écrire
une chanson. Et tu peux imaginer que ça m’a pris un petit peu de guts pour lui
demander s’il acceptait, en plus, de jouer de la guitare sur la toune et de faire des
back vocals !»
Sur le disque, on trouve aussi une chanson écrite par Luc Plamondon,
Toucher : « Aimer/Comme j’tai aimé/J’pensais pas que ça se pouvait/J’savais pas
que ça existait/T’aimer/Comme j’tai aimée… » Plamondon lui a également
permis de reprendre un classique, L’amour existe encore, une chanson écrite
pour Johnny Hallyday et popularisée par Céline Dion. Lapointe a déjà interprété
cet hymne à l’amour aux FrancoFolies de 1996, lors de La fête à… Berger-
Plamondon. « Quand je m’endors contre ton corps/Alors je n’ai plus de
doute/L’amour existe encore/Toutes mes années de déroute/Toutes, je les
donnerai toutes/Pour m’ancrer à ton port… » Il y a également une chanson
composée par Louise Forestier et Daniel Lavoie, 1500 milles, une road song à
l’image du rockeur : « Dans mes bagages, deux t-shirts blancs, un coup d’été/Un
peu de vent et tout mon temps dans le coffre à gant… » Tabra, qui a dû rentrer en
France pour renouveler son visa de travail, comme l’exige Immigration Canada,
y va de trois contributions : Ciel de Carbone (« Le soleil se détache dans le ciel
de carbone/Et la laideur se cache sous les voiles des madones… »), Le cuir de ma
vie (« Tu as toujours dit oui à l’amour… ») et Les malheureux (« Y’a des soirs
comme ça/On a peur de la folie/Des fois on sait qu’il ne faut pas/Se noyer seul
dans la nuit… ») Et puis, bien sûr, il y a cette chanson écrite avec Dennis
DeYoung, de Styx, One hundred years from now, qui parle de l’environnement
et de la guerre : « Tell me, how do we begin this tragic tale/When centuries of
fear and hate have left a bloody trail ?… » En français, cela donne ceci : « Dis-
moi comment nous avons fait pour que débute cette tragique histoire/Quand des
siècles de peur et de haine ont laissé une traînée de sang ?… » Il existe d’ailleurs
sur le web une très belle interprétation de cette chanson, en duo Lapointe-
DeYoung, à l’Espace Dell’Arte, à Montréal.
Lapointe raconte ensuite à la journaliste que la plupart de ces chansons, que
l’on parle des paroles ou des musiques, ont été composées alors qu’il se trouvait
aux Îles Turques-et-Caïques en compagnie de son « power trio » : Dan Georgesco
à la guitare, Martin Bolduc à la basse et Bruce Cameron, multi-instrumentaliste
et réalisateur. Il poursuit : « On n’avait que ça à faire, des chansons, alors on en a
fait. Bon, c’est vrai que quand on est revenus, il a fallu augmenter la vitesse des
chansons, elles étaient un peu trop “îles”, relax, mollo, mais sinon, ça allait
(rires).»
Éric raconte qu’une fois de retour à Montréal, il a travaillé dans son studio,
qu’il a installé dans son sous-sol à la maison. Les chansons y ont été entièrement
enregistrées, sauf pour ce qui est de la batterie. « Un des avantages de ma cave,
c’est qu’elle est extrêmement sombre, on ne sait jamais si c’est le jour ou la nuit.
Pendant deux mois, on a travaillé là tout le temps. Bruce (Cameron) dormait
dans la chambre d’ami. Et Glen Robinson, qui avait fait le mix de À l’ombre de
l’Ange [le troisième album d’Éric], en 1999, se trouvait en ville. Alors, on
travaillait au disque avec Bruce la nuit, et avec Glen le jour. Et comme c’est
toujours une auberge espagnole chez moi, ben tous les copains musiciens qui
passaient finissaient par y faire quelque chose. Je me suis fait du bien, en faisant
ce disque-là. Comme j’aime les cordes, j’ai engagé des violonistes et je les ai
installés dans ma cave et on en a mis en masse ! C’est mon rêve, faire un show
de rock symphonique. Parce que le rock, c’est pas un ampli poussé à fond, c’est
dans les propos, dans l’attitude que se trouve le rock. Je le sais, que j’ai une
étiquette de rockeur collée dans le front. Moi, je pense que tous ceux qui font de
la musique vivent à peu près comme moi. Bon, je suis peut-être un peu plus
intense (rires).»
Éric a prévu un premier tirage de plusieurs milliers d’exemplaires. Si tout va
bien, comme il le prévoit, ce cinquième album lui permettra de dépasser la barre
du million d’exemplaires vendus, tous disques confondus. C’est un exploit
qu’aimerait bien atteindre ce rockeur à l’âme sensible et au cœur en compote au
moment de lancer ce nouvel album.
De Ma peau, la journaliste Marie-Christine Blais dit : « Éric Lapointe n’a
jamais fait dans la sobriété, au propre comme au figuré. Sur son nouvel album,
notre excessif préféré beurre donc toujours aussi épais, avec sa voix, la guitare
dans le tapis et sa vie de bum des grands chemins — avec en plus des violons en
masse. Mais ce disque souligne surtout le droit fil qui court dans l’œuvre de
Lapointe depuis 14 ans. C’est en écoutant son tout premier album (Obsession,
1994), puis son tout dernier que la chose frappe : même puissance
d’interprétation, même rock classique fait sur mesure pour lui (et sur les deux
albums, Stéphane Dufour était absent…), mêmes thèmes simples et
fondamentaux (l’amour, le sexe, l’alcool, la liberté, le désespoir), et surtout,
surtout, même intensité charnelle. Ce n’est pas de la répétition, c’est de l’Éric
Lapointe, reconnaissable entre tous. […] Mais ce sont les chansons de Lapointe
lui-même qui accrochent le plus (Belle dans’tête : “Brûle ta langue sur sa
peau/Perd la vue dans sa voix…” et Le diable m’en veut : “Quand je t’ai vue,
c’est elle que j’ai reconnue/Peut-être que je voulais me mentir…”) tant il assume
totalement ce qu’il est. De nos jours, c’est une vertu.»
Le journaliste du Devoir, Sylvain Cormier, est tout aussi enthousiaste — voire
délirant — en faisant la critique du dernier album du rockeur : « Atteint. Plus
qu’atteint. Ouvert à vif, au couteau. Ma peau, le nouvel album d’Éric Lapointe,
son premier en quatre ans, le
premier que j’écoute plus d’une fois au complet depuis… sans doute depuis
Obsession, au tout début, en 1994, est si terrifiant d’honnêteté crue qu’il me tue.
J’exagère. Me touche, à tout le moins. Excusez la lapalissade, Ma peau est un
album tactile, palpable. Pas seulement à cause du boîtier de métal recouvert
d’une couche de similicuirette imitation épiderme rugueux mais parce que le
gars qui chante là-dessus est nu. Terriblement nu. Bien sûr qu’il y a des murs de
guitares, des riffs marteau-piqueur en masse, et même des lits de cordes, mais
pour l’essentiel, c’est rien de moins que la fouille complète, le passage aux
aveux. Sans avocat. La catharsis, en plein public. Effarante transparence. Les
chansons prêtent tellement flanc qu’on a le goût de se dévoiler soi-même. Même
à moi, ça fait mal, tellement il y a de douleur révélée là-dedans. Ce n’est pas rien
: je me tiens loin d’Éric Lapointe depuis longtemps. Dans l’autre siècle, nous
avons eu des heurts, je l’ai un jour blessé dans une critique purulente de
mauvaise foi (qu’il peut citer à la demande), je m’en suis excusé, on a fait la
paix, chacun est parti de son côté, je me suis arrangé pour ne plus l’avoir dans le
collimateur. Et le revoilà. En pleine face, en plein ventre. Chantant, criant,
hurlant le drame de sa vie d’ado éternel, incapable de vivre seul, incapable de
vivre en couple, incapable d’être bien dans sa peau autrement que sur scène ou
avec les copains au bout de la nuit rock’n’roll. Clichés ? Oui et non. Cette fois-ci,
la vérité que tente d’exprimer Éric Lapointe, chanson forte après chanson forte,
déshabille les clichés.»
En entrevue avec le même journaliste du Devoir, Éric raconte un peu
l’aventure de ce cinquième album : « Jusqu’à cet album-là, je me donnais le beau
rôle. Je me fabriquais un personnage. Là, j’ai laissé faire le personnage. Là, c’est
moi. C’est mes torts. C’est mes constats sur moi-même, sur mes relations
affectives. Y a pas de hargne, pas de rancœur, pas d’amertume là-dedans. C’est
moi qui me rends compte que si toutes mes histoires d’amour ont avorté, c’était
peut-être moi, le problème. Je pense que j’étais rendu là, à 38 ans. Strip-tease
total. Besoin d’exorciser mes démons. Je te dirai pas que j’ai pas braillé en
chantant les tounes ou en les
écrivant, mais je sais qu’une fois le lancement fait, je me suis senti léger comme
un oiseau. Le gros moton que j’avais en dedans, je l’ai sorti. J’ai tourné une page
de ma vie. Je pense que je suis en train de sortir de l’adolescence.»
À propos de ses collaborateurs, il dit : « Ils sont venus enregistrer ça chez nous,
j’écoutais comme un enfant émerveillé. J’adore les cordes, je m’en suis payé une
traite. Je ferai peut-être un album juste avec des cordes. Mon rêve a toujours été
de jouer avec un orchestre symphonique. Ç’a jamais adonné. Mais ça va arriver
un jour. C’est vrai que là, je suis content. Je sais que je vais remonter sur scène
avec un nouveau show, je recommence à avoir peur, je me sens vibrer. Je suis
content du trip de gang qu’a été l’album, avec Steve Hill, mon chum Bruce
Cameron, Dan Georgesco. Je suis content d’avoir retrouvé [Roger] Tabra et
Plamondon, j’en reviens pas des tounes que Michel Rivard, Louise Forestier et
Daniel Lavoie m’ont faites. Mais le bonheur ? J’ai jamais cru au bonheur comme
un état permanent. C’est un frisson qui te passe dans le dos. Je suis un éternel
mélancolique, Victor Hugo disait que c’est la joie d’être triste. Je me trouve
chanceux d’avoir la musique pour exprimer ça : autrement, je pense que je serais
mort.»
Le journaliste conclut : « La quarantaine en vue, ça tient de l’exploit pour un
gars qui ambitionnait de coiffer Jim Morrison au poteau d’exécution.»
Puis le mot de la fin revient à Éric : « Je me surprends à avoir envie de rester à
la maison le soir. Me faire à manger. Je me surprends à m’entraîner. Adulte, je
pense que ça me tente. »
À peine une semaine après sa sortie publique, son album Ma peau se trouve au
19e rang du top 100 des ventes d’albums au Canada effectuées sur le site d’achat
en ligne iTunes. Il est le seul francophone à y figurer. C’est tout de même pas
mal, pour un éternel mélancolique. Mais ce qui est encore mieux, c’est que dans
le même laps de temps, 100 000 exemplaires de ce même disque se sont écoulés
jusqu’à maintenant, de sorte que désormais, Éric Lapointe fait partie du club des
millionnaires. En 14 ans, depuis la sortie d’Obsession, en 1994, il a vendu un
million d’albums ! Il a rejoint ainsi, dans ce club sélect, les deux seuls artistes
québécois qui y figurent : Céline Dion et François Pérusse. Une telle
performance mérite d’être soulignée en haut lieu, et ce n’est rien de moins que
l’Assemblée nationale qui convoque un Éric Lapointe bien sapé au Salon bleu
afin de le féliciter et l’applaudir chaleureusement pour cet exploit. Qui aurait pu
prévoir une telle ascension pour ce rockeur romantique que rien ne prédestinait à
de tels honneurs ? C’est à l’occasion de cette cérémonie que la première ministre
Pauline Marois aurait approché l’imprésario d’Éric, Yves-François Blanchet, qui
accompagnait son protégé, pour lui proposer de se présenter à l’investiture dans
la circonscription de Drummond. Rappelons que Blanchet a rencontré Éric alors
qu’il militait au Parti québécois, bien avant qu’il ne devienne une rock star, et
que le 25 octobre précédent, Éric a participé au spectacle organisé pour le
40e anniversaire du Parti québécois.
On voit ensuite Éric au gala de boxe du Grand Prix de la Formule 1 de
Montréal. Il se dit davantage attiré par le côté réception et cocktail de
l’événement international que par la course elle-même. Cette année-là, Éric
célèbre la Fête nationale au parc Wilfrid-Laurier, à Saint-Jean-sur-Richelieu, en
plein territoire des Patriotes, puis il est présent à deux événements aux
FrancoFolies de Montréal, qui débutent le 24 juillet. Il participe au lancement du
DVD mettant en vedette les trois rockeurs qui ont fait l’ouverture extraordinaire,
en juillet 2003, des 15es FrancoFolies, Kevin Parent (Le Vent), Daniel Boucher
(La Mer) et lui-même, Éric Lapointe (Le Roc), lors d’un spectacle gratuit sur la
grande scène extérieure, dans une mise en scène de Patrick Huard. Les
organisateurs ont, à l’époque, qualifié cette performance d’« événement
historique », et soixante mille personnes les attendaient sous les étoiles. Ce DVD
capte les moments mémorables où l’on voit trois vrais chums sourire et avoir du
plaisir à chanter ensemble et à rocker. C’est, pour Éric, l’occasion de retrouver
ses deux complices, qu’il n’a pas vus depuis un certain temps.
Le 26 juillet, invité aux FrancoFolies, il donne un spectacle au Métropolis, où
il joue, à guichets fermés, les chansons de son nouvel album. En pleine forme, il
fait taire les rumeurs selon lesquelles il est en congé forcé, inapte à chanter.
C’est son premier véritable concert montréalais depuis le lancement de la
tournée Ma peau. Le public répond bien à ses coups de gueule. Il fait une entrée
en scène très spectaculaire au milieu de ses musiciens, avec ses lunettes noires et
son blouson de cuir noir sur lequel est imprimé « Lapointe-Ma peau ». Ses
cheveux sont relevés à la Elvis, et il chante de sa voix toujours aussi rauque et
romantique : « Quand t’es partie, j’avais plus rien à perdre/À part ma vie pis une
vieille guitare désaccordée/Quand t’es partie, j’avais juste envie de me
perdre… » Le public en redemande, et il n’est pas déçu. La journaliste de La
Presse Anabelle Nicoud affirme : « Il faut dire qu’Éric Lapointe sur scène se
démène pour donner aux spectateurs ce qu’ils veulent, du brut, de la sueur, du
Éric Lapointe. […] À peine plus tard, pour Tendre fesse, il dénoue la boucle de
sa ceinture et pose une main virile sur son entrejambe, ce qui ne manque pas
d’échauffer une spectatrice qui lui lance son soutien-gorge. Le sous-vêtement
passera le reste du concert délicatement accroché au pied du micro de Lapointe :
cela ne s’invente pas. […] Sans temps mort, Éric Lapointe décline un show on ne
peut plus professionnel. Qu’on l’adore ou l’abhorre, il faut reconnaître qu’il a
ceci de parfaitement louable : au moins, il ne fait pas les choses à moitié. Quitte à
se casser la voix, ou à casser les oreilles des spectateurs les moins avertis. »
Un nouveau festival a lieu du 6 au 10 août à Joliette, dans la région de
Lanaudière. Appelé Les Dyades, ce festival, à mi-chemin entre Halloween et
Woodstock, met en vedette cinq artistes — Éric Lapointe, Claude Dubois, Boom
Desjardins, Sylvain Cossette, ainsi qu’un groupe d’enfants — dans autant de
spectacles différents. Il s’agit d’un mélange entre la mythologie, le cirque et la
chanson populaire. Chaque soir, de nouvelles créatures fantastiques (loups-
garous, trolls, elfes et spectres) évoluent sous les étoiles, en compagnie d’un
chanteur, chaque fois différent. Pour Éric Lapointe, c’est le cycle des loups-
garous, et son concert s’intitule donc Le sabbat des loups-garous. Les créatures
fantastiques se réunissent à la pleine lune pour retrouver l’animalité en elles, et
elles sont accompagnées de cracheurs de feu et de tambours tribaux. Tout cela
est censé symboliser « l’énergie presque animale en Éric Lapointe », affirme
Bryan Perro, le concepteur des spectacles et auteur de la série pour adolescents
Amos Daragon. Mais c’est le rockeur qui donne le coup d’envoi de ce festival
avec un spectacle où il offre ses dernières compositions, ainsi que ses grands
succès. Il est entouré de cracheurs de feu et accompagné d’un des meilleurs
guitaristes du Québec — sinon le
meilleur —, Steve Hill.
Le 16 août, il est de retour à Expo Québec pour un spectacle en plein air
devant une foule imposante. Une bière dans une main et un micro dans l’autre, il
entonne plusieurs chansons de son dernier album, Ma Peau, avant de chanter ses
succès les plus connus avec la foule, qui les réclame et qui les chante avec lui :
Mon Ange, N’importe quoi, Le Screw, Bobépine et d’autres chansons de son
répertoire. Il lance : « Vous êtes le meilleur public au monde », puis il exhibe un
soutien-gorge qu’une admiratrice vient de lui lancer.
Le 22 août, il est de nouveau à Québec, sur les plaines d’Abraham, cette fois,
dans le cadre des célébrations du 400e anniversaire de la ville. On a donné carte
blanche à Céline Dion, qui a décidé d’inviter plusieurs de ses amis chanteurs.
Quelques jours auparavant, elle s’est produite au Centre Bell, à Montréal, devant
22 426 spectateurs, et Éric Lapointe y était comme spectateur. Sur le coup, il
s’est étonné de cette atmosphère fébrile, même s’il y est habitué : « Chaque fois
que Céline se présente quelque part, commente-t-il, il y a toujours un
engouement spectaculaire. Mais je ne pensais pas que ce serait tant que ça »,
confie-t-il à Alain de
Repentigny.
Une dizaine d’artistes répondent à l’invitation de la diva : Jean-Pierre Ferland,
Claude Dubois, Éric Lapointe, Marc Dupré, Nanette Workman, Zachary
Richard, Dan Bigras, le groupe Mes Aïeux, Garou et la Famille Dion, ainsi
qu’une invitée surprise (mais la surprise n’est pas de longue durée) : Ginette
Reno. Son spectacle, intitulé Céline sur les Plaines, se déroule exclusivement en
français, et elle chante en duo avec chacun de ses invités, devant plus de deux
cent mille personnes, sans parler des milliers d’autres qui n’ont pu entrer et qui
assistent au concert devant des écrans géants installés autour du site.
Un peu avant le spectacle, Éric, à la fois excité et en pleine possession de ses
moyens, se confie à La Presse : « Céline est toujours impeccable. Je ne suis pas le
premier à le dire. Céline, c’est la plus grande chanteuse du monde. C’est
tellement un plaisir de chanter avec elle. Elle est tellement généreuse avec les
gens avec qui elle travaille. C’est une technicienne. Elle n’est pas seulement une
chanteuse, c’est une musicienne. Elle a un vrai sens musical. On s’est rencontré
à plusieurs reprises, mais on ne s’appelle pas pour aller souper. C’est toujours
ben l’fun de la rencontrer… Dans la vie de tous les jours, on a des conversations
en dehors du métier. Céline et René m’ont déjà laissé un message de la Floride
après une prestation télévisée. Je n’avais pas répondu, mais si je l’avais fait,
j’aurais cru que c’étaient Les Grandes Gueules… Il y a plusieurs chansons de
Céline que j’adore, mais celle que j’aime le plus, c’est celle que je vais faire ce
soir, L’amour existe encore. Luc Plamondon a le don d’écrire des choses
profondes avec des mots simples. Tous les numéros avec les invités, ce sont des
happenings, ce sont des moments spéciaux, Ce sera un show à la hauteur de ce
qui avait été annoncé. L’amour existe encore, je le reprends sur mon dernier
album. Ça prend une autre dimension, chanté par un gars. Je suis bien fier de la
faire avec Céline. Le mélange de ma gravelle et de la pureté de la voix de Céline,
tout ça mélangé avec la
chanson, c’est génial.»
Ce spectacle passe à l’histoire, au même titre que les spectacles sur le Mont-
Royal, comme J’ai vu le loup, le renard, le lion, il y a une trentaine d’années. La
foule crie, chante avec Céline et les autres artistes, pleure quand Céline pleure
sous le coup d’émotions fortes, trépigne de joie, etc. C’est quelque chose comme
une apothéose sous le ciel de Québec. Et malgré toute son expérience, Céline a
le tract et est nerveuse avant de monter sur scène. Éric chante en duo avec Céline
L’amour existe encore, la chanson de Plamondon et Cocciante. Puis il interprète
Chasse-galerie avec Garou et Claude Dubois, et il chante Toucher et Mon Ange
en solo.
Le journaliste de La Presse Alain de Repentigny écrit, au lendemain du
spectacle mémorable : « Les larmes de Céline étaient des larmes de joie, celle
d’avoir pu toucher à la beauté d’aussi près en compagnie d’une grande dame
[Ginette Reno] qui n’a jamais cessé de l’habiter. Des grands moments, cette
soirée d’été idéale nous en a offert plusieurs. Je pense au
plaisir tangible et communicatif de Céline dansant et chantant Dégénération avec
Mes Aïeux (“Ton arrière-arrière-grand-père il a défriché la terre…”). À cette
grande rencontre avec Zachary Richard, le plaisir qu’éprouvait Céline en
blowant sur L’arbre est dans ses feuilles, mais surtout leur communication sur le
thème de la patrie dévastée par l’ouragan Katrina. […] Éric Lapointe chante
toujours comme s’il fouillait dans ses plaies les plus profondes. Hier soir, quand
il a chanté avec Céline le chef-d’œuvre de Plamondon et Cocciante, L’amour
existe encore, il était plus intense que jamais, mais comme en paix avec lui-
même, serein presque. […] Tout ce beau monde n’a pas seulement été à la
hauteur de cet événement, il s’est carrément surpassé. […] Céline Dion est une
grande. Elle l’a prouvé de la plus belle façon qui soit, hier soir. »
Croyez-le ou non, les 29 et 30 août, le premier Festival de la Poutine a lieu à
Drummondville, bien évidemment, qui revendique le statut du lieu d’invention
de ce mets très calorifique. C’est le groupe musical Les Trois Accords qui a pris
l’initiative d’organiser ce festival de la « frite-fromage-sauce », et ils ont invité un
chanteur aussi populaire que la poutine, Éric Lapointe, parmi d’autres artistes
moins connus à l’échelle nationale, comme Pépé et sa guitare, Kodiac,
Omnikrom, le Pascale Picard Band et Shilvi (pour les enfants amateurs de
poutine). Ce premier festival est un véritable succès, car 15 000 personnes sont
venues sur place, non pas pour se sucrer le bec, mais bien pour se le saler et
écouter le rockeur.
Après le Festival de la Poutine de Drummondville, Éric doit courir — question
de bien digérer tout ce gras qu’il a dû ingurgiter — dans la région de Lanaudière
pour participer au Festival de Saint-Donat, qui allie musique et fine cuisine. La
bouffe, on n’y échappe pas ! Cette fois-ci, il est jumelé à Sylvain Cossette, le
temps d’un spectacle au Centre civique Paul—Mathieu, alors que la diva Diane
Dufresne est
accompagnée d’un quatuor à cordes à l’église de Saint-Donat.
Le 30e Gala de l’ADISQ, qui a lieu cette année-là le 2 novembre, est présenté
exceptionnellement au Centre Bell. On y rend hommage à Céline Dion, qui
reçoit donc le Félix hommage. Elle détient le record, avec 39 Félix. À l’époque,
il y a 10 ans, Céline Dion a animé le 20e gala en compagnie de Jean-Pierre
Ferland, André-Philippe Gagnon et René Simard, et c’est justement au Centre
Bell, appelé à l’époque Centre Molson, qu’a eu lieu l’événement qu’on veut
rappeler. Éric Lapointe est en lice dans la catégorie de la chanson populaire de
l’année, pour sa chanson 1500 Miles : « 1500 miles sur des routes de pluie me
séparent encore de toi/1500 miles je reviens ma vie, seras-tu encore là pour
moi ? » Cette chanson a été écrite sur mesure pour Éric Lapointe par Daniel
Lavoie et Louise Forestier. Selon le principal intéressé, cette chanson raconte
l’histoire d’un gars qui revient vers sa blonde. C’est le public qui est appelé à
voter, et le vote a lieu par téléphone, dans les deux semaines qui précèdent la
présentation du gala. Il est aussi en nomination pour le spectacle de l’année, avec
son party des Fêtes du 31 décembre. Lors du gala, il est sur scène et chante, tout
comme Robert Charlebois, Claude Dubois, Alfa Rococo, Les Cowboys
Fringants et plusieurs autres. Même l’orchestre
symphonique de Montréal rend hommage à Céline.
Peu après, Éric publie un DVD qui expose six mois dans la peau du rockeur,
intitulé 6 mois dans ma peau. On peut suivre les péripéties d’Éric et de sa
joyeuse bande au cours des six premiers mois de l’année 2008. On y voit ses
nuits blanches dans le studio qu’il a monté chez lui et les musiciens qui
l’accompagnent dans ses séances d’enregistrement au studio de la rue
Parthenais : Steve Hill, Dan Georgesco, Bruce Cameron aux guitares. On y voit
également ses séances d’écriture aux Îles Turques-et-Caïques, le lancement du
disque Ma Peau, le tournage du clip 1500 miles, des instants de sa tournée, des
sessions de tatouage et des séances photo. Bref, on voit Éric Lapointe dans son
intimité comme on ne l’a jamais vu, sans censure. C’est un documentaire
touchant, impudique, provocant, brut, sans retouches ni gadgets — et sur fond
musical intense.
10. La lente descente aux enfers J’ai le cœur qui
claque
Et j’en connais la cause
Pris la main dans l’sac
J’ai un peu forcé sur la dose
Messieurs les corbeaux
Qui attendez ma mort
J’vous dis que bientôt
Vous danserez sur mon corps
Partir en paix
(Éric Lapointe/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)
Depuis quelques mois, de nombreuses personnes, parmi ses amis, trouvent
qu’Éric ne va pas très bien, qu’il abuse de l’alcool et de certaines substances
chimiques. D’ailleurs, son look s’est transformé et subit les contrecoups de cette
vie débridée. On note que son visage est boursoufflé et qu’il sourit moins. En
novembre, il donne une entrevue à Benoît Gagnon, qui anime l’émission Le
retour sur les ondes de TQS. Éric Lapointe est dans un état assez avancé. On ne
sait plus si c’est l’effet de l’alcool, de substances chimiques ou d’une
combinaison des deux. Mais l’entrevue est un fiasco total. On y voit un Éric
Lapointe qui cafouille et qui sue abondamment. Son agent nie catégoriquement
qu’il était sous l’effet de l’alcool et se borne à dire qu’il était grippé ce soir-là,
que c’est la faute à l’intervieweur, qui n’a pas su prendre sa défense et l’aider,
étant donné son état. Quant à Benoît Gagnon, il multiplie les entrevues à la suite
de cette rencontre avec le rockeur, affirmant que cela a été extrêmement difficile
et qu’il a dû gérer « une crise nationale ». C’est ce qu’on appelle tirer la
couverture de son côté.
Cette entrevue suscite une multitude de commentaires négatifs et méprisants
sur le web. Mais il y a également un courant de sympathie qui se dessine et qui
presse le chanteur de se faire soigner avant qu’il ne soit trop tard. On doit même
annuler un spectacle qu’il devait donner à Rimouski, invoquant le fait qu’Éric a
la grippe. À Rivière-du-Loup, il arrive en retard, et il est visiblement en état
d’ébriété. Son spectacle est écourté et ne dure que 45 minutes. Il faut dire que
son agent, Yves-François Blanchet, l’a quelque peu abandonné à lui-même, car il
tente sa chance comme candidat à l’investiture péquiste dans la circonscription
de Drummond ; il ne peut donc plus être son agent. Malgré cette triste nouvelle,
Éric semble vouloir demeurer près de son ami. Pour l’encourager, Éric assiste à
l’assemblée d’investiture de son agent avec Loco Locass et quelques autres
artistes.
Pendant ce temps, au début de décembre, la copine d’Éric Lapointe, Mélanie
Chouinard, avec qui il entretient une liaison amoureuse depuis plusieurs mois,
sent le besoin d’intervenir publiquement pour défendre la réputation de son
chum. Cette lettre est envoyée par la principale intéressée au magazine web
People, qui la reproduit sur son blogue le 4 décembre 2008 : « Éric n’est pas un
débris, c’est l’homme le plus authentique et transparent que je connaisse. Un
homme romantique à fond qui rendrait n’importe quelle femme envieuse,
n’importe quel homme jaloux. […] Ça fait maintenant 11 mois que j’habite avec,
et il n’est même pas à un centième près des méchancetés que vous décrivez. […]
En passant, les trois quarts du temps, il est couché à 10 h 00 pm, se réveille le
matin pour faire le petit-déjeuner à mon fils, le reconduit à l’école…»
Quelques jours avant les élections, la police de Drummondville appréhende
Blanchet alors qu’il est assis dans sa voiture en état d’ébriété. Blanchet affirme
qu’il n’avait nullement l’intention de prendre le volant et qu’il s’est rendu dans
sa voiture pour y prendre des objets personnels, car il habite tout près, puis qu’il
voulait écouter ses messages sur son téléphone cellulaire alors que le moteur de
la voiture n’était pas en marche. Tout porte à croire que Blanchet aurait été
piégé. La nouvelle de son arrestation demeure secrète, car aucune accusation n’a
encore été portée contre lui, mais
malgré tout, l’information finit par être « coulée » aux médias. Le lendemain de
cet incident où il a échoué l’alcotest, Éric Lapointe lui envoie un courriel qui dit
à peu près ceci : « Bienvenue dans la vie d’Éric Lapointe », comme pour lui
rappeler que des crises de cet ordre, il en a connu plusieurs et qu’il sympathise
avec lui. En dépit de cet incident de dernière minute, Blanchet, l’ex-agent de
Lapointe, sera par la suite élu député de Drummond.
Mais pour Éric Lapointe, la vie continue. La fin de l’année 2008 approche, et
le rockeur, qui n’a plus d’agent, doit organiser malgré tout son party de fin
d’année, un must, avec sa belle « gang de malades », car on ne peut pas être
infidèle aux traditions qu’on a soi-même créées. L’année 2009 est l’année de ses
quarante ans, l’année des grands questionnements, la mi-temps d’une vie. Après
tout, il s’apprête à célébrer son neuvième party du temps des Fêtes, un
événement devenu incontournable, celui que tout le monde attend, et
particulièrement ses complices : Paul Piché, son frère Hugo Lapointe et Martin
Deschamps, ainsi que quelques nouveaux venus, comme Loco Locass, Marie-
Mai, Suzie Villeneuve et Jonas. Il y a un gros changement, cette année-là :
l’événement a lieu au Centre Bell, rien de moins, là où la bière est très chère,
mais où ça va rocker très fort. La scène du Centre Bell est ample et permet un
meilleur déploiement des musiciens : deux batteries, six cuivres et quatre guitares
— avec celle d’Éric. 3500 chauds partisans brassent la cage, une bière à la main,
et assistent au décompte de la fin d’année.
Comme d’habitude, la commande est de faire les chansons les plus populaires
du répertoire des artistes — les classiques — pour que le public puisse chanter
en même temps que les artistes. C’est tout le sens qu’Éric veut donner à son
party. Loco Locass a déjà été invité à ce party en 2004. Un des membres du
groupe, Chafik, a une explication à propos du fait qu’Éric les ait invités de
nouveau cette année, qu’il donne au journaliste Alexandre Vigneault, venu
assister à la répétition générale : « Il nous invite chaque fois que Charest est
majoritaire, parce qu’il aime beaucoup l’une de nos chansons qui traduit
exactement ce qu’il en pense, lui aussi. » Il fait allusion à Libérez-nous des
libéraux, bien évidemment. Quant à Paul Piché, il sait qu’il va chanter son
hymne typique du temps des Fêtes, Mon Joe (« C’t’aujourd’hui, l’jour de
l’An/Gaie-lon-la mon Joe ma lurette…»).
À propos de son ex-agent, Yves-François Blanchet, qui est devenu député du
Parti québécois dans la circonscription de Drummondville, Éric rappelle que
c’est maintenant à lui de donner des tapes dans le dos à son ex-agent, car celui-ci
a découvert comment il est difficile de vivre comme un grand livre ouvert et de
faire les manchettes avec des événements qui n’ont rien à voir avec la fonction.
Il est content qu’Yves-François ait été élu. Son départ ne l’inquiète pas outre
mesure, puisque la machine est bien huilée et que sa carrière se porte bien.
Ceux qui ont acheté des billets V.I.P. peuvent passer la soirée sur la scène, aux
côtés des deux batteurs. Un bar a été aménagé au fond du parterre. Mais à cause
de la vastitude des lieux, sans doute, la magie n’opère pas comme les années
précédentes au Métropolis, même si tous les artistes donnent leur 110 %. Le
journaliste Philippe Renaud, de La Presse, rapporte : « Mais le spectacle était
autant dans ce feu roulant de gros classiques du top 40 américain et québécois
que dans la mine béate d’Éric Lapointe, un micro dans une main, une bière dans
l’autre, se promenant sur scène comme dans son party de sous-sol, heureux de se
faire une fête entre amis comme lui seul sait les organiser. Reste que nous
aurions pris quelque chose d’un peu plus relevé qu’un duo d’Éric Lapointe et
Suzie Villeneuve (L’amour existe encore de Céline) pour passer les derniers
instants de 2008. Et c’est Biz de Loco Locass qui a investi la scène après le duo
pour nous informer que l’année 2009 était bel et bien arrivée, bises et accolades,
le traditionnel décompte (en retard !) puis un Minuit, chrétiens (version
éthylique) chaleureusement gueulé par les artistes et leurs fans, avant de repartir
sur la dérape rock pendant encore une bonne heure.»
En 2009, la station radiophonique Rythme FM 107,5 célèbre ses 10 ans, et elle
organise différents spectacles pour souligner l’événement, dont un avec Éric
Lapointe. Mais à la fin du mois de janvier, de retour d’un voyage à Cuba — où il
était en compagnie, entre autres, de Jonathan Painchaud (groupe Okoumé) et de
chanteurs du groupe Les Respectables pour y préparer un spectacle —, le
rockeur est hospitalisé d’urgence à l’hôpital Royal Victoria de Montréal. Il a
ressenti un malaise en s’entraînant dans le gymnase qu’il fréquente assidûment,
selon le communiqué officiel émis par son attachée de presse, Élizabeth Roy.
Gardé aux soins intensifs et maintenu dans un coma artificiel pendant plusieurs
jours, il est soumis à toute une batterie de tests, et il doit recevoir un traitement
pour atténuer les effets du sevrage d’alcool. Plus tard, on apprend qu’il a frôlé la
mort et que sa dépendance à l’alcool en est la cause, selon toute vraisemblance.
Il doit être mis en contention et rester plongé dans un coma artificiel pour
accélérer sa guérison. Le sevrage d’alcool et de drogue suscite, chez le rockeur,
un grave délire neurologique. Il est en proie à des hallucinations terrifiantes et
semble incapable de reconnaître ses proches. Les médecins ont peur pour sa vie,
car ils craignent une cirrhose. Pour l’instant, seule sa participation à l’événement
Harley-Davidson, organisé à l’aréna Maurice-Richard, est annulée.
La presse s’empare de la chose, et tout le monde y va de ses commentaires, de
ses mises en garde, de ses craintes. La blogosphère s’enflamme, et on suppute
les chances de rémission du rockeur, ses possibilités de s’en sortir ou sa
prochaine rechute. Mais Éric reçoit également des milliers de messages
d’encouragement de la part de ses admirateurs, ainsi que des fleurs, des toutous
et des lettres de soutien. Son hospitalisation se retrouve au deuxième rang des
nouvelles, selon Influence Communication, avant les déboires du club Canadien
et ceux de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Nathalie Petrowski, de La Presse, ne peut s’empêcher de rappeler, dans sa
chronique habituelle, qu’elle s’est entretenue avec lui cinq ans auparavant et
qu’Éric Lapointe lui est alors apparu en plein contrôle de lui-même, se croyant
même invincible. Elle affirme avoir toujours admiré le « rockeur sanctifié »
(reprenant l’expression de Lucien Francoeur). Selon elle, Éric est un être
généreux, sensible et ouvert, et elle ne l’a jamais jugé malgré ses excès. À une
époque, il lui semblait qu’Éric était sans doute le dernier des vrais, le dernier des
Mohicans, le dernier bad boy qui résistait à la tendance générale, à l’heure où
tous les vieux rockeurs prennent leur retraite et se recyclent en chanteurs de
casino ou en gentlemen-farmers. Mais Petrowski estime que là, Éric vient de
frapper un mur et qu’il devra sérieusement se questionner sur la suite des choses :
« Éric est désormais confronté à un choix : ou bien il revient dans le droit chemin,
avec le reste de l’humanité sobre et salariée, ou bien il en crève. Ou bien il fait
un Dan Bigras de lui-même ou bien il va rejoindre Gerry et Dédé au ciel. […] La
réalité à laquelle Éric Lapointe est aujourd’hui confronté, c’est que personne
n’est invincible. […] La réalité dans le cas d’Éric Lapointe, c’est qu’à sept mois
de ses 40 ans, la machine endurante et tenace de son corps qui a été soumise à
tous les excès commence dangereusement à s’essouffler et à voir le bout de ce
qu’elle ne croyait jamais atteindre: ses limites.»
Devant l’incertitude de son état de santé, bien qu’on sache que celui-ci
s’améliore et qu’il sortira de l’hôpital vraisemblablement dans quelques jours, on
n’a pas d’autre choix que d’annuler tous ses spectacles pour le mois de février :
Sept-Îles, Baie-Comeau, Saint-Lazare, Terrebonne et l’Assomption. Mais on
maintient toujours la sortie de son prochain album pour le 31 mars. Son attachée
de presse, Élizabeth Roy, affirme qu’ « il semblerait que l’origine de son malaise
ait été une grande fatigue générale, sa consommation excessive d’alcool et une
pneumonie».
Comme prévu, le 17 février, Éric Lapointe sort de l’hôpital après avoir
séjourné plusieurs jours à l’unité des soins intensifs de l’hôpital Royal Victoria
de Montréal. Il accepte de prendre plusieurs semaines de repos pour se remettre
sur pied. Il est suivi par une équipe de supervision spécialisée qui doit veiller à
ce qu’il cesse complètement sa consommation d’alcool, « complètement » étant le
mot magique, sans doute. L’endroit de sa retraite demeure secret afin qu’il n’y
ait aucune tentation possible, mais c’est un secret de polichinelle qu’il va
s’envoler avec sa compagne Mélanie Chouinard vers les Îles Turques-et-
Caïques, où il a ses aises et ses habitudes. Il a besoin de cette retraite pour
reprendre le contrôle sur sa vie. En frôlant la mort, il a compris qu’il tient à la
vie, qu’il ne veut plus tout risquer pour une image de rockeur insouciant et à la
vie déréglée. Il veut se prouver qu’il peut mener une vie plus rangée sans pour
autant sacrifier sa carrière de rockeur, ou sa bande d’amis, sans tomber pour
autant dans la routine des relations de 9 h 00 à 5 h 00.
Il confie la gérance de sa carrière à deux personnes responsables : Jean-Yves
Blais et Élizabeth Roy, qui tiennent son agenda à jour pendant son absence. La
machine à réservation continue de fonctionner, malgré la mise au repos du boss.
On pourrait même penser qu’elle s’emballe, tout le monde désirant avoir, sur son
plateau ou dans sa salle de rédaction, le rockeur qui revient d’un voyage outre-
tombe.
Ainsi, on annonce qu’Éric participera, le 25 avril 2009, au concert spécial Une
chance qu’on s’a, hommage à Jean-Pierre Ferland, qui aura lieu au Théâtre
Saint-Denis pour célébrer les 50 ans de vie artistique du Petit Roi. Éric sera aux
côtés de Ginette Reno, Marie-Élaine Thibert, Bruno Pelletier, Kevin Parent et
Natasha St-Pierre, et la mise en scène sera assurée par le comédien Denis
Bouchard.
Le 19 mars 2009, Michelle Coudé-Lord, qui couvre l’actualité culturelle au
Journal de Montréal depuis fort longtemps, réalise une première entrevue de
fond avec le rockeur à peine rentré de sa retraite des Îles Turques-et-Caïques.
Dans cette entrevue, publiée dans Le Journal de Montréal le
lendemain, s’intitulant « Éric Lapointe, entre l’ombre et la lumière », le rockeur
revient sur son accident, son séjour à l’hôpital et sa cure de désintoxication.
Le dimanche 22 mars, Éric le survivant, bien bronzé, fait sa première sortie
publique à la télé pour participer à l’émission Star Académie. Il appréhende ce
moment avec beaucoup de désir et d’anxiété à la fois. Éric n’y est pas seul.
Sylvain Cossette, Dany Bédar, Michel Rivard, Kent Nagano, son ami Patrick
Huard, et, bien sûr, Julie Snyder et le directeur de Star Académie, René
Angélil, le mari de Céline, l’accompagnent.
En l’apercevant, René Angélil ne peut empêcher l’émotion de l’étreindre : « Je
ne t’ai jamais vu aussi beau que ce soir et tu sais comment gros je t’aime. Je te
trouve fort. » Il est fort, certes, mais il a l’œil vif et sobre, surtout. Patrick Huard
est tout aussi ému et lui rappelle combien le monde l’aime en l’appelant « mon
estie ». Tel un boxeur qui revient de loin, Éric doit maintenant prouver que le
rockeur n’a rien perdu de sa force et de sa capacité de séduction, qu’il n’a plus
besoin d’alcool ni de drogue pour le pousser plus en avant. C’est le moment de
vérité. Le survivant, celui qui a frôlé la mort de près, attaque avec quatre
chansons : Terre promise, Les malheureux, Belle dans la tête et 1500 miles. On
crie et on applaudit. On pourrait le surnommer « Monsieur 100 000 volts »,
comme pour Bécaud, tellement il dégage de l’énergie brute. C’est ce dont il avait
besoin, ce contact presque charnel avec son public. Il est de nouveau consacré le
rockeur le plus populaire du Québec, et tout le monde semble lui dire : « Ne nous
refais plus jamais ce tour!»
Interrogé par Julie sur sa maladie, Éric n’est pas encore prêt à se confier
totalement. Même s’il demeure sur ses gardes, il répond à toutes les questions,
même celles qui lui rappellent de mauvais souvenirs. « À vingt ans, on veut
mourir, à quarante ans, on veut vivre », répond-il à une question venant de
participants de Star Académie, ajoutant que son histoire d’amour avec la
bouteille a failli le tuer. Plus de 2 291 000 personnes assistent ainsi au retour en
direct d’Éric Lapointe à Star Académie.
Devant l’immense succès de l’album Duos Dubois (250 000 exemplaires
vendus), auquel a collaboré Éric Lapointe, voici que le producteur Paul Dupont-
Hébert convainc Jean-Pierre Ferland de faire un album de chansons en duo avec
ceux qui vont lui rendre hommage le 25 avril. Ferland accepte, bien
évidemment, et ajoute au moins deux chanteurs qui ne seront pas présents lors de
l’hommage à Ferland: Gilles Vigneault et Linda Lemay.
Le 26 avril, Éric passe de nouveau à l’émission populaire de Radio-Canada
Tout le monde en parle. Le 28 avril 2009, il lance un nouvel album, Ailleurs,
Volume 1, une compilation qui comprend des chansons en duo, dont L’amour
existe encore avec Céline Dion, des chansons-hommages, des chansons puisées
dans le répertoire de ses amis et des collaborations spéciales, dont l’étonnante
interprétation de À toi, de Joe Dassin : « À toi, à la façon que tu as d’être belle/À
la façon que tu as d’être à moi/À tes mots tendres un peu artificiels
quelquefois… ». Bref, on y retrouve plusieurs chansons qui étaient éparpillées à
gauche et à droite depuis quinze ans et que les admirateurs sont contents de
retrouver, puisque 40 000 exemplaires de l’album sont écoulés en seulement
quelques semaines.
Le 2 mai 2009, il donne une nouvelle entrevue à Nathalie Petrowski, dans La
Presse, intitulée « La soif de vivre ». La rencontre a lieu dans un restaurant italien
du nord de la ville. Attablé devant la journaliste, un verre de Virgin Mary à la
main — Éric a promis qu’il ne toucherait plus à une seule goutte d’alcool pour le
reste de sa vie —, il répond avec un plaisir évident à ses questions. Il raconte
avec aplomb : « Quand je suis sorti de l’hôpital, je suis parti au bord de la mer
avec ma blonde et je n’ai pas dit un mot pendant trois semaines. Ma blonde
capotait. Elle ne m’avait jamais vu de même. Je lui ai dit de ne pas s’en faire.
J’étais seulement en train de réfléchir et de faire le bilan de ma vie. C’est bizarre,
mais j’ai toujours été convaincu que j’allais mourir jeune. Fallait que je trouve
autre chose. Mon histoire d’amour avec la dope, l’alcool et la nuit, c’était
romantique, rock’n’roll et très inspirant pour écrire des tounes, sauf que c’était
en train de me tuer. Je le savais, mais je continuais pareil parce que je suis un
excessif. Je suis allé jusqu’au bout de ça. Je ne regrette rien. J’ai vécu ce que
j’avais à vivre. J’ai eu ben du fun jusqu’au jour où ce n’était plus le fun pantoute.
La scène me faisait peur. Quand je regardais mes horaires de shows, je me
demandais chaque fois comment j’allais me rendre jusqu’au bout. J’avais encore
envie de faire plein d’affaires, mais la fille Vodka refroidissait mes élans à tout
coup… Je ne sais pas pourquoi je buvais autant. Tout ce que je sais, c’est que
boire de même, c’est clair que c’est un suicide calculé.»
Il raconte que lorsqu’il a reçu son congé de l’hôpital, le médecin ne lui a pas
interdit de boire. Il lui a seulement dit que s’il touchait à une goutte d’alcool, une
seule, il serait mort à la fin de l’année. Lapointe était déjà passablement ébranlé
par le calvaire physique qu’il venait de traverser. Cet avertissement n’a fait que
confirmer que c’était bel et bien fini entre la « fille Vodka » et lui — fini à jamais.
Il n’avait plus le choix: c’était l’abstinence ou la mort.
Lapointe remarque : « En y repensant, je me suis dit que si tout ça m’était
arrivé à 30 ans, j’aurais continué à boire pareil, mais avec mes 40 ans qui
approchent, y’a la maturité qui s’est installée. Et puis, à ma grande surprise, ne
plus boire, c’est plus facile que je l’imaginais. Tout ce que j’en retire est positif.
Je me réveille en forme. J’ai le double d’énergie. J’ai retrouvé des fréquences
dans ma voix que je croyais perdues. On me comprend quand je chante. J’ai le
goût de faire de la musique, des shows, toutes sortes d’affaires. Je refais
connaissance avec le kid que j’ai quitté à 25 ans pour la fille Vodka et ça me fait
le plus grand bien.»
Petrowski raconte que les derniers événements ont obligé Éric Lapointe à faire
le bilan de sa vie, à se pencher sur ce qu’il a fait depuis 1993. Et il s’est rendu
compte qu’épisodiquement, il sortait de chez lui pour aller à la découverte
d’autres voix, d’autres univers. C’est ainsi qu’il a découvert Céline Dion, Roger
Tabra, Elvis, Dan Bigras, Isabelle Boulay, Claude Dubois et Nanette Workman
pour ensuite chanter leurs chansons. Il a donc voulu en faire un album qui porte
bien son titre, Ailleurs, et a rassemblé ainsi 14 chansons diverses. Il y a aussi mis
une chanson, Le matou dégriffé, qu’il a composée en 2006, pour la série Annie et
ses hommes, où il avait un petit rôle, mais qui est toujours d’actualité : « Je suis
un bazou pas mal usé/Une vieille minoune aux ailes rouillées/J’ai trop roulé à
100 milles à l’heure/J’ai fait trois fois le tour du compteur/Mais fie-toi pas à
carrosserie/En d’dans, le moteur est pas fini. »
Petrowski continue : « Le mot résilience m’est venu plusieurs fois à l’esprit en
sirotant un Virgin Mary avec Lapointe. La résilience, on le sait, est une forme de
résistance positive aux chocs et aux traumatismes. Habituellement, elle survient
grâce à l’analyse ou à une forme d’encadrement. Mais Lapointe est un résilient
naturel. Il n’a vu un psy qu’une fois et n’a pas l’intention d’entrer chez les A.A.
Mieux encore : il continue de fréquenter les bars et jure qu’il n’a aucun problème
à être entouré d’amis qui boivent. Même qu’il
encourage son monde à boire pendant qu’il reste sobre.»
Mais Lapointe tient à préciser que cela ne veut pas dire qu’il n’a plus envie de
recommencer à boire : « Après tout, ça fait juste trois mois. J’ai encore des
instants très forts de soif. Mais c’est jamais avec les autres. C’est quand je suis
tout seul. Dans ce temps-là, je prends un Ativan pour me calmer les nerfs et ça
me passe. Reste qu’il y a une affaire dont je suis sûr : c’est pas dans mes plans de
rechuter. Vraiment pas. Je suis trop bien. »
Mais il rassure immédiatement la journaliste : il n’a pas « l’intention de devenir
un saint ni de laver plus blanc qu’un vicaire. » Petrowski écrit alors : « On peut
peut-être sortir la vodka du rockeur, mais pas le rockeur… du rockeur.»
Lapointe demande à la journaliste : « Sais-tu c’est quoi la définition du rockeur
dans le dictionnaire ? “Personne qui imite les comportements d’un chanteur
rock.” Ce qui veut dire que même le dictionnaire sait pas c’est quoi un rockeur.
Pour moi, un rockeur, c’est quelqu’un de vrai, pas un phony, quelqu’un qui joue
le jeu de la vérité, quitte à ce que ça se retourne contre lui. »
Puis, Petrowski conclut : « Pas de doute possible, Éric Lapointe est encore un
rockeur. Mais il est aussi un homme qui ne vit plus à l’envers de l’humanité, qui
partage son quotidien avec sa blonde et son fils de 6 ans, qui joue au hockey
bottine dans la ruelle avec le gamin et le reconduit le samedi matin à l’aréna, tout
cela entre une séance d’enregistrement avec les Lost Fingers ou Marjo
(prochainement), le lancement du nouveau CD, une série de concerts dans tout le
Québec, dont un à Montréal, au Métropolis le 16 mai, et la tranquille gestation
de nouvelles chansons. À ce tourbillon d’activités, il faut ajouter l’apprentissage
d’un bonheur sobre dont le seul excès pour l’instant est une rutilante moto
Harley-Davidson Low Boy noire, full chrome que Lapointe vient de s’acheter.
[…] Avant de quitter Lapointe, je lui demande où il se voit dans dix ans. D’un
air un brin provocant, il me cite un vieux proverbe chinois : Plus on s’élève, plus
dure sera la chute… »
Quelques jours auparavant, il accorde une entrevue à Michelle Coudé-Lord
pour le Journal de Montréal, à l’occasion de la sortie du volume 1 de l’album
Ailleurs. Il y tient plus ou moins les mêmes propos. La journaliste dit : « Sobre
depuis trois mois, Éric Lapointe apprivoise sa nouvelle vie au quotidien et se
surprend même à aimer la solitude sans avoir à ses côtés son ancienne blonde
nommée… Vodka. […] À l’aube de ses 40 ans, qu’il fêtera le 28 septembre
prochain, l’interprète a voulu rassembler, comme il le dit fort bien, “ces moments
de création et de générosité qui m’ont permis de briller avec de nombreuses
étoiles”. De Céline Dion, en passant par les Dubois, Ferland, Bigras, Isabelle
Boulay. Il nous donne rendez-vous dans un petit café de la rue Saint-Laurent…
en fin de matinée. Déjà bien différent de l’oiseau de nuit qui avait l’habitude de
rencontrer la presse dans les bars, et surtout pas avant la fin de l’après-midi.
L’homme est reposé, énergique, heureux et fièrement sobre. »
Le sage rockeur confie : « C’est moins pire que j’aurais pensé. J’ai du plaisir ;
plus de facilité à m’exprimer et à faire mon métier qui est ma raison de vivre, ma
passion. Je redécouvre mes amis, je ne pensais pas que j’en avais autant. Des
bons. Des vrais. J’ai dit à ma gang de musiciens et de techniciens qu’ils
pouvaient boire avant et après les shows s’ils le voulaient. Ils m’ont dit qu’ils
jouaient mieux à jeun. Je commence à croire qu’ils se relayaient chacun pour
boire avec moi, mais que ce n’était pas leur bag. C’est bizarre, on dirait que je
redécouvre un personnage qui s’appelle Éric Lapointe. Je ne le connaissais pas.
Sur scène, j’ai été nerveux, les premiers spectacles. Je titube encore un peu, de
vieilles habitudes d’un gars qui a performé parfois avec de la boisson dans le
corps. Je ne sais pas où placer mes mains, j’avais souvent une bouteille de bière
dans la main. Mais j’ai tellement plus de fun, avoue-t-il avec sincérité. Mon
adolescence fut longue, très longue. J’ai tout fait pour mourir jeune. Et là, ayant
atteint 40 ans, me voilà trop vieux pour mourir jeune. Je dois faire d’autres
plans, comme m’habituer à vivre le jour. Je me suis souvent demandé à quoi les
gens qui ne vivaient pas la nuit occupaient leur journée. Quoi faire de tout ce
temps ? J’ai eu des petits moments d’anxiété et là je prends mes pilules pour
m’aider. Ça ne m’est pas arrivé souvent. Je suis fier. […] J’ai tout ce que je peux
désirer dans la vie. Je vis de mon art, de ma passion, j’ai des fans incroyables,
j’ai dû ajouter deux dates au Métropolis, même en ces temps plus durs. Je suis
privilégié. »
Pour Éric, les artistes qui atterrissent dans ce métier sont en quête d’amour. Et
de l’amour, il en reçoit beaucoup de la part de ses admirateurs et de ses amis.
Des gens de tous les âges lui ont envoyé des témoignages d’encouragement et
d’espoir. Il avoue qu’il est complètement désarmé devant les femmes, qu’il ne
sait pas quoi dire. Il révèle : « C’est peut-être pour cela que j’ai commencé à
boire. J’ai vécu une histoire d’amour passionnée avec l’alcool. Ça m’a donné des
nuits folles d’intensité, des albums, des femmes incroyables que je n’aurais
jamais pensé avoir. Mais l’alcool me tuait. Je ne buvais plus par passion, mais
par besoin physique. Mourir ou changer de vie. J’ai décidé d’apprendre à vivre
le jour. »
À propos de son album Ailleurs, il confie qu’il aime vivre de beaux moments
avec des gens qu’il aime et qu’il respecte, que c’est un peu le sens de sa
démarche quand il chante quelques chansons d’auteurs ou d’interprètes qu’il
apprécie tout particulièrement. Il ajoute : « Ça me sort de ma bulle et me permet
d’aller dans l’univers d’un autre artiste. J’y vais d’instinct. J’apprends et je
grandis à travers ces expériences. Je ne le fais jamais pour me positionner. Ce
sont des coups de cœur.»
Puis il s’explique sur ses choix de chansons. À propos de L’amour existe
encore de Céline Dion, il dit : « Une chanson que j’affectionne. La plus belle de
Plamondon à mon avis. Je l’ai chanté pour la première fois lors d’un hommage à
Berger-Plamondon. Et l’été dernier, sur les plaines avec Céline. Un de mes
grands moments de carrière. Je remercie Céline de m’avoir permis de l’inclure
dans cet album. Une chanson que Plamondon avait écrite pour un gars, car c’est
une histoire de bum. On parle d’années de déroute… mais elles sont où les
années de déroute à Céline? Cette toune-là me colle plus à la peau.
« Le pitbull s’en vient. Ma chanson composée pour le film Les Boys 3. Je vis
une belle histoire avec cette gang-là. Et mon agent
m’appelle, depuis 20 ans, le pitbull. Une toune que
j’aimerais bien faire en show.
« À toi. C’est mon hommage à Joe Dassin. J’ai été initié par ma mère, qui était
une grande fan.
« Le matou dégriffé. C’est une chanson enregistrée pour Annie et ses hommes.
Un épisode dans lequel Claude Legault m’avait écrit une chanson. Je l’ai
arrangée. C’est une belle toune d’été. Et le matou dégriffé, ça me ressemble à ce
moment-ci de ma vie.
« Une chance qu’on s’a. Ferland, c’est l’ensemble de son œuvre qui
m’impressionne. Il a une plume et le talent que j’aurais aimé avoir. Je crois que
nous n’avons pas développé une amitié d’homme parce que je l’admire trop, ça
crée une barrière. Mais on se ressemble, c’est un bum et un
romantique dans l’âme. Je l’aime profondément.
« Un homme, ça pleure aussi. Elle est de Roger Tabra, et Dan Bigras et moi,
on la chante. Ça nous ressemble tellement tous les deux, Bigras et moi. Je n’ai
aucune pudeur à pleurer en public. Ça fait du bien de pleurer pour toutes sortes
de raisons. C’est la vie. Et Bigras et moi, on s’aime.
« Folle de nuit. L’album solo de Serge Fiori. Les arrangements laissaient à
désirer — excuse-moi, Serge (rires) —, mais Harmonium, j’en ai tellement
écouté, j’ai de la difficulté à choisir parmi leurs compositions. Tant qu’à prendre
une chanson, il faut que tu lui apportes quelque chose qui t’amène ailleurs.
« Si je savais parler aux femmes. Ça rejoint bien des hommes. Je suis très
maladroit pour cruiser une femme et la séduire. Sur scène, c’est fameux, tu en as
des milliers devant toi. Mais la femme me désarme, on ne vient pas de la même
planète.
« L’héroïne, cette histoire. Une demande d’Isabelle Boulay, de son premier
album. Quand on dit qu’un duo, une collaboration fait grandir. C’est un échange.
Isabelle t’apporte tout cela.
« Papa, pourquoi tu cries ? Une chanson très forte de Roger Tabra sur la
violence des hommes, que j’ai enregistrée au début des années 90 pour une
campagne de levée de fonds. Elle circule encore dans les maisons de thérapie.
C’est une superbe chanson qui me touche énormément. Pour moi, la violence
chez les hommes, c’est un manque de vocabulaire.
« Chasse-galerie. L’une des grandes chansons de notre répertoire. Un honneur
de chanter avec Claude Dubois et Garou. Je dis merci à Claude et à Sony de
m’avoir permis de la reprendre sur cet album.
« I want you, I need you, I love you. Je suis un fan fini d’Elvis Presley. J’ai une
collection incroyable de ses albums. À huit ans, je m’endormais avec sa
musique. J’avais enregistré cette chanson pour un magazine, Top CD, qui est
mort rapidement, donc la chanson n’a pas eu de rayonnement. J’ai décidé de
l’inclure dans cet album.
« Rock steady. C’est ma Nanette, mon fantasme. J’aime tout de cette femme.
Sa voix, son énergie. Participer à son album fut un grand honneur.
« Les uns contre les autres. Aucun homme ne l’avait jamais chanté. C’est
vraiment
l’ailleurs…»
Quelques jours plus tard, Éric Lapointe reprend son costume de chanteur des
causes humanitaires, et il est du spectacle organisé par Patrick Groulx, alias Pat,
au Théâtre Saint-Denis, pour venir en aide à l’organisme Entraide Grands
Brûlés. Il se retrouve en compagnie de Boom Desjardins, Jean-Michel Anctil et
plusieurs autres. Il pourrait passer son tour en alléguant qu’il revient de loin et
qu’il est toujours sous le choc à cause de ce qui lui est arrivé, mais non,
l’adrénaline de la scène lui manque, et il s’empresse d’accepter l’invitation pour
cette noble cause. Quelques jours plus tard, on le sollicite de nouveau. Cette fois-
ci, c’est pour une soirée-bénéfice au profit de la Fondation québécoise pour les
enfants malades du cœur, En Cœur, dont Jacques Demers est le porte-parole.
Plusieurs dizaines d’artistes et de personnalités sportives sont présentes, dont son
ami Michel Rivard et les boxeurs Éric Lucas, Joachim Alcine et Jean Pascal.
À la fin du mois de mai, les téléspectateurs voient à la télé quelque chose
d’insolite et de fascinant : deux Éric Lapointe. Le premier, c’est celui d’avant la
chute. Le 30 septembre 2008, il est monté à bord du train de Josélito Michaud. Il
était dans un état second. Le journaliste Hugo Dumas rapporte dans La Presse :
« Il digérait encore l’alcool ingurgité la veille, lors de sa fête d’anniversaire.
L’œil vitreux, le visage bouffi, le rockeur de 39 ans butait sur les mots et
bredouillait ses phrases avec la voix graveleuse d’un noctambule qui a écumé
tous les bars de Montréal en une seule nuit. Il buvait même de la vodka pendant
l’interview. » Au cours de la même émission, On prend toujours un train, on
peut voir une deuxième entrevue du même rockeur devenu sobre, effectuée
plusieurs mois après la première. Éric Lapointe vient alors de sortir de son long
coma artificiel, alors qu’il a été aux prises avec un delirium tremens
cauchemardesque. « Éric ne se souvenait même pas de notre premier entretien »,
raconte Josélito Michaud, le concepteur, animateur et producteur de ces grandes
entrevues qui explorent — avec douceur et tact — toutes les formes de deuil.
Puis le journaliste poursuit sa description de l’entretien : « Enfoncé dans sa
banquette, une cigarette à la main, l’interprète de Terre promise se raconte avec
une franchise désarmante. Sur sa relation quasi fusionnelle avec sa mère, Doris,
il confiera : “L’hôpital de l’âme, c’est ta mère.” Sur son corps qu’il a
passablement usé : “Mes médecins me donnent 15 ans de plus.” Sur son
hospitalisation, une sorte de suicide calculé : “Les médecins m’ont sauvé la vie.
Ils m’ont aussi sauvé le cerveau.” Sur ses vices : “Il ne me reste que la cigarette.
Les femmes, ç’a l’air que c’est bon pour la santé.” Sur sa rupture avec l’alcool,
son enfer paradisiaque : “Je ne m’en cache pas, j’adore l’ébriété. Ça va me
manquer jusqu’à la fin de ma vie.”»
11. La rémission Ils ont tous dans leurs larmes
quelque chose
[d’étrange
Un signal d’alarme qui désarme et séduit
[même les anges
Ils sont tous dans les yeux ce que tu ne vois pas Qui n’appartient qu’à eux qui n’appartient
[qu’à moi Le miroir
(Éric Lapointe, Roger Tabra/Éric Lapointe, Stéphane Dufour)
Le fait de le voir ainsi en pleine forme, avec le visage normal, sans les rictus
occasionnés par trop d’alcool et d’autres substances chimiques, avec sa baby
face, reposé et presque transparent, ne peut qu’encourager tous ceux qui luttent
avec les mêmes problèmes à persévérer. Il y a une lumière au bout du tunnel.
Heureusement pour Éric, il n’a pas le temps de se morfondre longtemps sur son
sort. Juin s’annonce très chargé. Le rockeur sera en concert à deux reprises au
Métropolis, les 12 et 16 juin, puis à l’Étoile du Dix30 de Brossard le 4 juin, ainsi
qu’un peu plus tard, le 15 octobre.
Une certaine bonne nouvelle semble parfaite pour remonter, s’il y a lieu, le
moral de notre rockeur national. Trois journalistes culturels de La Presse, Marie-
Christine Blais, Jean-Christophe Laurence et Alexandre Vigneault, se donnent
comme tâche de dresser la liste des 24 plus belles chansons du Québec moderne.
Le chiffre 24 s’impose, comme dans la date de la Fête nationale des Québécois,
le 24 juin. La chanson d’Éric Lapointe, Terre promise, arrive en deuxième place !
«Poussé par le vent/Rien dans les poches, je me
promène au gré des saisons/Terre natale, souris, car demain/Ton enfant revient. »
Les journalistes disent que dans cette chanson, il y a « toute la québécitude : le
goût de l’errance, du voyage et de l’ailleurs, toujours présent depuis l’époque des
coureurs des bois et des défricheurs de terres ». En première place se trouve celle
de Claude Gauthier, Le plus beau voyage : « Je suis Québec mort ou vivant. »
Daniel Boucher arrive en troisième place avec Chez nous. Félix est à la
quatrième place, mais aussi à la cinquième avec Le tour de l’île et La nuit du
15 novembre. Claude Léveillée le suit avec Mon pays, et Gilles Vigneault est en
huitième place avec Il me reste un pays.
Malgré ses déboires passés, il est de nouveau invité à faire la fête au parc
Maisonneuve, le 24 juin, à l’occasion de la Fête nationale des Québécois, aux
côtés d’Ariane Moffatt, Marie-Mai, Florence K et Karkwa. La Bottine souriante
et Zébulon réchauffent l’atmosphère avant le début du spectacle. Le concert est
animé pour la première fois par Guy A. Lepage, qui prend ainsi la relève de
Normand Brathwaite. Les gens et la population en générale gardent une image
positive d’Éric Lapointe, celle d’un gars qui est tombé et qui est capable de se
relever dans la dignité. Son ami Dan Georgesco, des Porn Flakes, avec qui il a
travaillé à plusieurs reprises, assure la direction musicale. Sous les étoiles,
devant 250 000 personnes et une mer de drapeaux bleus, les artistes s’en donnent
à cœur joie. Même le ciel bleu s’est mis de la partie durant la journée en
préparant le terrain à une nuit étoilée remplie de joie et de fierté. Le spectacle
commence avec la chanson J’ai l’rock and roll pis toé, d’Offenbach, chantée par
Éric Lapointe, Marie-Mai, Ariane Moffatt, Karkwa et Zébulon, puis se termine
quelques heures plus tard avec la chanson Terre promise, chantée par Éric. La
boucle est bouclée: mission
accomplie.
Dans une entrevue à la journaliste Michelle Coudé-Lord, du Journal de
Montréal, Éric avoue que chanter un 24 juin à l’occasion de la Fête nationale,
c’est un geste éminemment politique : « Bien sûr que ce sont des shows à
connotation politique. Voyons, faut dire les vraies affaires. Tu chantes pour ton
pays, et le mien c’est le Québec. Sur cette scène-là du parc Maisonneuve, le
24 juin, je suis un chanteur politique rockeur. […] Ça fait longtemps que je
milite. J’ai connu Yves-François Blanchet, maintenant député du Parti
québécois, il y a 20 ans, et il fut mon gérant, donc, oui, je n’ai pas honte de
chanter haut et fort mon pays. Et moi, les fêtes du Canada ne pourraient pas
m’attirer avec le double du cachet pour aller chanter le 1er juillet sur une scène à
Ottawa. […] La vue qu’on a de ces 200 000 personnes au parc Maisonneuve en
communion parfaite avec nous sur scène est un moment magique. Je suis ému à
chaque fois. »
Les FrancoFolies reviennent pour une 21e année. Parmi les onze grands
événements gratuits qui se déroulent entre le 30 juillet et le 9 août 2009, Éric
Lapointe est invité à se joindre au « duo d’enfer » formé par Marjo et Marie-
Chantal Toupin, qui seront réunies pour la première fois sur une même scène et
dans un même spectacle. Éric ne peut pas se plaindre d’être ainsi entouré par
deux bêtes de scène, à moins que ce soit plutôt Marie-Chantal Toupin qui se
retrouve entourée de deux bêtes de scène du rock’n’roll. Éric chante L’amour
existe encore en duo avec Marie-Chantal, puis Ailleurs avec Marjo. Ce sont des
moments vraiment touchants que les
milliers d’admirateurs apprécient.
Puis le FestiBlues prend la relève des concerts en plein air. Au parc Ahuntsic,
on peut entendre et voir Éric Lapointe, lors du spectacle de clôture, entouré des
Porn Flakes, de Patrick Bourgeois et d’Élizabeth Blouin-Brathwaite, entre
autres.
Les 12 et 13 septembre a lieu l’événement Le Moulin à paroles, sur les plaines
d’Abraham à Québec. Plusieurs artistes et personnalités diverses y lisent pendant
deux jours des extraits de textes de la littérature d’ici qui retracent les grands
moments de notre présence française en terre d’Amérique. Il y a, entre autres, le
député péquiste Maka Kotto, le maire de Québec Régis Labeaume, la
comédienne Andrée Lachapelle, l’ex-premier ministre du Québec Bernard
Landry, le syndicaliste Gérald Larose et l’auteur-compositeur-interprète Éric
Lapointe. L’événement est organisé par la metteure en scène Brigitte Haentjens,
Sébastien Ricard et Biz, du groupe Loco Locass. Le Moulin à paroles devient
une référence
incontournable dans les événements culturels à caractère politique.
Éric se réserve une plage horaire pour pouvoir célébrer son quarantième
anniversaire de naissance, le 28 septembre, qui coïncide avec ses 20 ans de
carrière musicale. Il exprime le souhait d’être sur scène avec ses amis et les
musiciens qu’il aime. La fête a lieu à L’Astral, une nouvelle salle située à la
Maison du Festival Rio Tinto Alcan. Quatre cents personnes répondent à l’appel
et viennent entendre le rockeur fêté chanter 26 de ses plus grands succès en
20 ans de carrière. Sa mère, Doris, et son frère, Hugo, sont bien sûr présents, tout
comme André Ménard, le patron des FrancoFolies, Yves Lambert, Franco
Nuovo, Martin Fontaine (Elvis Story) et Steve Hill, entre autres. Mais
auparavant, la station Rythme FM lui a également organisé une fête
d’anniversaire, le 16 septembre, à la Maison des arts de Laval, avec un spectacle
où le rockeur désormais
quarantenaire a été invité à chanter.
Le 19e Show du Refuge, le spectacle qui vient en aide aux sans-abris et qui est
organisé, année après année, par Dan Bigras, revient cette année-là le 7 octobre
au Théâtre Saint-Denis. On retrouve un chanteur toujours généreux de son
temps, Éric Lapointe, accompagné de Sylvain Cossette, Stéphanie Lapointe,
Annie Villeneuve, Lulu Hughes, Marjo et Kra-Z-Noize, ainsi qu’un orchestre de
quinze cuivres. Depuis le début de ce spectacle-bénéfice annuel, il y a 18 ans,
quelque 20 000 personnes y ont assisté, ce qui a permis d’amasser 2 671 950 $,
argent qui a été remis à l’organisme.
Entre-temps, notre Éric national ne chôme pas, et il multiplie les apparitions
sur différentes scènes aux quatre coins du Québec et à la télévision. Où trouve-t-
il temps et énergie ? Puisque les duos sont à la mode, Ferland sort, comme
promis par son producteur Paul Dupont-Hébert, son album, intitulé Bijoux de
famille, où Éric chante avec Kevin Parent et Ferland une chanson inédite de ce
dernier, Le chanteur est un menteur, puis Qu’est-ce ça peut ben faire. Trois
semaines seulement après la sortie du CD, il est déjà certifié or avec plus de
40 000 exemplaires vendus. Marjo se sent aussi inspirée, et elle publie un nouvel
album intitulé Marjo et ses hommes. On y retrouve dix chansons, et on peut y
entendre Éric et Marjo chanter Ailleurs, comme elle a été interprétée aux
FrancoFolies cet été-là. Même les frissons y sont reproduits ! Parmi les plus
belles voix masculines : Daniel Boucher, Richard Desjardins, Kaïn, Gilles
Vigneault, Mario Pelchat, Daniel Lavoie et plusieurs autres.
Ayant pu remettre enfin de l’ordre dans sa vie, Éric accélère la cadence, et il
nous revient vitement avec le volume 2 d’Ailleurs. La journaliste Marie-
Christine Blais part justement à sa rencontre, à l’occasion de la parution de ce
deuxième volume. Éric est alors en studio en train de répéter en duo avec Yves
Lambert la chanson traditionnelle L’ivrogne et le pénitent, qui doit paraître sur le
nouveau CD de Lambert, Bal à l’huile, et qui figure également sur le volume 2
d’Ailleurs. Le trad qui rencontre le rock, cela donne un heureux mélange des
genres. Si certains pensaient que le « Éric nouvelle mouture » allait s’assagir, ils
n’ont qu’à bien se tenir. Cet Éric nouveau genre donne une impression de force
encore plus grande qu’auparavant.
Il explique à la journaliste de La Presse : « Le projet de la compil Ailleurs n’est
pas évident depuis le début. Ce sont des duos et des reprises enregistrés à
différentes époques, ça aurait pu donner une mauvaise sauce à “spagate”. Mais
finalement, ça goûte bon. Pour le premier volume (lancé en avril dernier), j’étais
à l’hôpital, dans le coma, disons que ça choisit mal. Pour le deuxième, j’avais
peur de ne plus avoir de stock. Mais finalement, je pense que ça a donné un
meilleur disque, tellement il est diversifié : j’y chante en innu (avec Florent
Vollant), en italien (Caruso avec Nathalie Choquette), du trad (avec Lambert),
du jazz (Fever). Suspicion Mind de Presley, ça fait 15 ans que je la fais, quand je
vais au Bistro à Jojo, c’est rendu un running gag : quand je rentre là, les gars se
mettent à la jouer (rires). Je l’avais fait sur le disque de Carl Tremblay
(harmoniciste et pilier, lui aussi, du Bistro à Jojo). Mais j’avais eu l’occasion de
la chanter avec Martin Fontaine et les Porn Flakes et ça “fittait” tellement bien,
j’ai eu envie de la réenregistrer avec lui pendant un show à
L’Assomption.»
On y trouve aussi du Fiori et du Faulkner, de même que deux chansons qu’il a
moins faites, Les pauvres de Plume Latraverse, avec la musique de Steeve Hill et
son groupe The Majestics, et Le cœur au vif, déjà sur l’album À l’ombre de
l’Ange, enregistrée il y a dix ans. Il explique : « Je trouve que je l’avais “over-
producée”, je n’en ai jamais été content. Je l’ai donc recommencée. » Puis il en
profite pour parler de son show des Fêtes, son dixième — autant dire une
institution. Il y aura trois représentations du party des Fêtes de Lapointe : les 19
et 31 décembre au Métropolis de Montréal et le 23 décembre à la salle Albert-
Rousseau à
Québec. Tout ça devra se faire le plus sobrement possible, contrairement aux
années précédentes, où Lapointe, même s’il réussissait à performer, n’était plus
que l’ombre de lui-même, enfilant bière après bière.
Il explique : « Je me fais un cadeau avec ce show-là, je travaille juste avec le
monde avec qui j’ai envie de travailler. J’ai pas besoin des FrancoFolies pour me
payer une “carte blanche” (rires). Cette fois, par contre, j’ai moins d’invités que
les autres années. Marjo et Marie-Mai, plus son band, des cuivres et des cordes.
Comme ça, on va avoir plus de temps ensemble pour chanter. Pis on s’entend-tu
qu’elles ont quelques hits, mes deux fées des étoiles ? Des hits mais aussi une
super attitude, c’est du monde généreux, hyper travaillant, qui bouge bien, avec
du charisme… Disons que je vais devoir travailler fort pour pouvoir occuper le
stage.»
La journaliste ajoute : « C’est ingrat, mais c’est comme ça. Il semble qu’un
séjour ait fait le plus grand bien au rockeur, droit sur ses pieds, fort et juste en
voix, la guitare solidement maintenue, imposant et souverain sur scène. Même si
le bar ne dérougissait pas et que ses fans ont convergé vers le Métropolis avec la
même intention que les années précédentes, le Lapointe nouveau, lui, servait ses
fans, avant de se servir lui-même une couples de froides. Le Métropolis était
bondé et accueillait son Messie avec cris et réjouissances. C’était la fête dans la
foule et sur scène, avec son bataillon de musiciens — dont une puissante section
de cuivre de six instrumentalistes — et ses deux amours, Marie-Mai et Marjo,
celle-ci particulièrement en voix ce soir-là, applaudie avec l’honneur qu’on lui
doit lorsqu’elle entonnait Illégale, pour ne nommer que ce succès. Le party des
Fêtes de Lapointe était chaleureux, intense, alors que le rockeur, toujours aussi
près de ses fans, a offert une performance exemplaire. Généreux, Lapointe, faut-
il souligner : alors qu’au parterre, on levait son verre, lui, à sec, chantait fort pour
ses fêtards. On lui souhaite une bien meilleure nouvelle année. » Et la journaliste
souligne que ce party n’avait rien à voir avec celui de l’année dernière, au Centre
Bell, alors qu’Éric Lapointe avait peine à se tenir sur ses jambes, à tel point que
c’en était navrant.
Entre deux parties des Fêtes qui n’ont rien d’éthylique, Éric enregistre, dans le
plus grand secret, une chanson qui sera présentée lors de l’émission Tout le
monde en parle à Radio-
Canada le 31 décembre, à laquelle ont été invitées plusieurs personnalités de
différents milieux, d’André Sauvé et Véronic Dicaire à Xavier Dolan et Anne
Dorval, en passant par Mario Dumont, le maire Labeaume et Jean Pascal, pour
ne nommer que ceux-là. Cette année-là, Radio-Canada décide de ne pas
présenter de Bye bye, cette revue de fin d’année qui suscite toujours de vives
discussions au lendemain de sa projection à la télévision.
L’année 2010 arrive comme prévu après minuit alors que notre rockeur
national est demeuré ferme dans ses promesses de sobriété. Bien sûr, on le
taquine un peu partout, dans les revues de fin d’année, dans les dessins des
caricaturistes et dans les sketchs des humoristes. Ce n’est rien de bien méchant,
au contraire : c’est plutôt une preuve du fait que tout le monde est derrière Éric
Lapointe. Les producteurs de La série Montréal-Québec, où s’opposent à la
manière d’une téléréalité deux équipes de hockey, l’une de Montréal et l’autre de
Québec, lui demandent même de composer l’Hymne à Montréal : « C’est une
grande dame trafic rock and roll/Un drame sonore qui a du soul/On entend le
chant des sirènes downtown/L’enfer du décor underground/La belle Catherine a
mis son rouge à lèvres piments… » Le moins que l’on puisse dire, c’est que la
chanson, écrite par Lapointe et Tabra, a du swing ! Quant à l’hymne à la ville de
Québec, il est composé et chanté par Loco Locass. Peu après un CD sort, et l’on
y retrouve, outre les deux hymnes, des chansons de Marie-Mai, du groupe Les
Colocs, de Malajube, de Wilfred LeBouthillier et de Marc Déry.
Même si Éric ne prend pas souvent l’avion — sinon pour aller bien au chaud
dans le Sud —, il voyage à Vancouver, dans le cadre des Jeux olympiques
d’hiver qui se déroulent dans cette ville, le temps de faire une chanson ou deux
en compagnie du groupe Les Cowboys Fringants, à la Place de la Francophonie.
Il est de retour à Montréal à temps pour rejoindre Marjo au Centre Bell, le
26 mars, alors qu’elle présente son spectacle Marjo et ses hommes. Ils sont une
quinzaine de mâles, outre Éric : Yann Perreau, Jean Millaire, son ex, Daniel
Lavoie, Mario Pelchat, Jonathan Painchaud, Jonas, Martin Deschamps,
Sébastien Plante, du groupe Les Respectables, et Daniel Boucher, entre autres.
Richard Desjardins et Gregory Charles ont dû déclarer forfait, car ils avaient
déjà des
engagements ailleurs.
Le 20 mai, Guy A. Lepage présente, pour la troisième année consécutive, son
spectacle-bénéfice intitulé Charité bien ordonnée… commence par nous tous. Le
concert, auquel participent Éric Lapointe, Isabelle Boulay, Rachid Badouri, Les
Grandes Gueules, Antoine Bertrand et plusieurs autres, a lieu au Métropolis. Au
cours des deux premières années, 70 000 $ ont ainsi été amassés et donnés à la
Fondation du Dr Julien et au Club des petits déjeuners. Cette année-là, la vente
des billets permet d’amasser 35 000 $, une somme qui est par la suite doublée
par une grande famille des Cantons-de-l’Est proche d’un des musiciens des Porn
Flakes.
À la mi-août, Éric est de nouveau à l’International de Montgolfières de Saint-
Jean-sur-Richelieu, comme pour les années précédentes. Ce festival, qui au fil
des ans est devenu le cinquième en importance au Québec, accueille, année après
année, de nombreux artistes de qualité. Éric fait partie du spectacle Marjo et ses
hommes, en compagnie, entre autres, de Daniel Lavoie, Daniel Boucher, Antoine
Gratton et Jonathan Painchaud. Il participe également au disque Crossroads, de
Guy Bélanger, un joueur d’harmonica qui fait du blues. Ce dernier raconte à
Marie-Christine Blais : « Éric est un fou du blues. D’habitude, quand on travaille
avec lui, on laisse des choses dans sa boîte à lettres et il nous en donne des
nouvelles. Mais là, quand je suis passé chez lui, il a entendu le bruit de la boîte
aux lettres et il a ouvert sa porte… et on a passé deux heures à travailler sur la
chanson, avec sa guitare. Il est venu enregistrer les voix en studio, mais de retour
chez lui, il a enregistré d’autres voix pour les harmonies, qu’il m’a envoyées le
lendemain. Il s’est vraiment investi. Avec le solo de guitare de Steve Hill, ça fait
presque country punk. Disons qu’on est loin du blues classique. » Éric Lapointe
en bluesman ? Pourquoi pas ? Il a, après tout, participé quelques semaines
auparavant à l’enregistrement d’un autre CD intitulé Nos stars chantent le blues
à Montréal, lancé à l’occasion du Festival international de Jazz de Montréal.
La rumeur court depuis quelques semaines déjà que la compagne d’Éric,
Mélanie Chouinard, serait enceinte. Elle a déjà un fils, prénommé William, né
d’une union précédente. Éric a déjà déclaré aux médias qu’il n’était pas dans ses
plans en ce moment d’avoir un enfant, puisqu’il était déjà père par procuration.
La nouvelle vie de couple d’Éric, qui vit désormais le jour et se repose comme
tout le monde la nuit, doit très certainement jouer en faveur d’une vie familiale
normale.
Le 17 novembre, le Show du Refuge célèbre ses vingt ans. Dan Bigras porte à
bout de bras cette noble cause depuis ses débuts, et il a toujours fort
heureusement bénéficié du soutien du milieu artistique. Cette année-là, le
17 novembre, au Théâtre Saint-Denis, Dan concocte un mélange de nouveaux et
d’anciens, avec Éric Lapointe, Marie-Mai, Marie-Élaine Thibert, Michel
Louvain, Marc Hervieux, Nicola Ciccone, Marjo et plusieurs autres.
Tout en poursuivant sa tournée dans les différentes salles de spectacle du
Québec, Éric entre en studio pour enregistrer son nouveau disque, Le ciel de mes
combats, dont la sortie est prévue pour le 30 novembre 2010. De toute évidence,
ce nouvel album n’est pas très loin des problèmes qu’a vécus le rockeur au cours
des dernières années, et on peut imaginer que les vieux démons continuent de le
hanter la nuit et le jour. Car Éric n’est pas de glace ; ce n’est pas un saint qui veut
évangéliser ses semblables. Sa femme est enceinte et accouchera au début de
l’année 2011. Éric sera donc papa, et cela change un homme et la perception
qu’il a du monde qui l’entoure. Cette paternité nouvelle ne peut que lui donner le
courage nécessaire pour aller de l’avant et pour surmonter toutes les embûches,
jour après jour.
Le ciel de mes combats est le sixième disque studio d’Éric Lapointe. Il a
renoué, il y a quelque temps, avec Roger Tabra, son parolier préféré, qui n’en
mène pas large en ce moment : il souffre d’une cirrhose parce que lui aussi a
brûlé la chandelle par les deux bouts en se disant : « Advienne que pourra. » Il a
renoué aussi avec Stéphane Dufour, le guitariste de ses débuts. Tous les trois
étaient jadis très unis, peut-être trop. Chacun rêvait de faire son propre chemin,
et c’est ce qu’ont fait Tabra et Dufour. Le premier a publié un roman aux allures
autobiographiques, La Folitude, et il a écrit une comédie musicale, Dracula. Le
second s’est émancipé en publiant deux disques en solo et en signant un contrat
avec une compagnie de disques prestigieuse. Mais tous les trois devaient se
retrouver et travailler de nouveau ensemble, et c’est ce qu’Éric leur a demandé,
en accéléré. Quelques mois plus tard, le CD Le ciel de mes combats, avec ses
douze chansons — dont 10 originales —, est lancé à la TOHU, en présence du
gratin médiatique habituel. Et un mois plus tard, son nouveau CD est certifié
disque d’or, avec plus de 50 000 exemplaires vendus.
Invité de nouveau sur le plateau de Tout le monde en parle le 28 octobre 2010,
Éric semble reposé et calme. Il admet que c’est plus difficile de composer et de
se mettre à nu en chanson en étant sobre, mais il se contente de boire de la bière
à 0.5 % d’alcool, car il aime encore et toujours le goût de la bière. Il en boit
même en onde. Il admet qu’il a eu quelques rechutes, mais comme pour clore le
débat, il dit que ce combat se gagne en privé, et non pas en public. C’est une
belle façon de dire que ses problèmes d’alcoolisme ne concernent que lui. Il
parle aussi de la nouvelle paternité qui l’attend vers la mi-février. Il semble dire
qu’il apprendra sur le tas, avec l’aide de sa blonde, qui a déjà un fils et qui lui
fera part de son expérience, sans aucun doute. Il admet qu’il est plutôt timide
dans la vie, même si ça ne paraît pas, et qu’il n’aime pas tellement faire des
entrevues, qu’il considère comme un mal nécessaire.
Guy A. Lepage le questionne sur le Beach Party qu’il organise à Varadero, à
Cuba, en février, avec Loco Locass et Jonas. Éric a déjà organisé un party
semblable à Cuba deux ans auparavant. Comme cela a bien fonctionné, il a
l’intention de récidiver, avec une cinquantaine de musiciens et de techniciens qui
joueront pour leur bon plaisir et pour le plaisir de ceux qui feront le voyage pour
les entendre et les voir.
À l’occasion de la parution de son nouvel album, Lapointe se confie
également à la journaliste de La Presse Marie-Christine Blais, qui suit sa
trajectoire depuis fort longtemps. D’entrée de jeu, Éric explique la raison de ce
nouvel album : « Tu comprends, moi, j’ai un public qui revient. Quand il revient
pour la troisième fois, faut que tu lui donnes du nouveau, pis toi, faut que tu aies
un peu la chienne… J’ai callé le lancement du disque alors que j’avais juste deux
tounes écrites. Disons que je n’ai pas dormi pendant deux mois.»
La journaliste poursuit : « Lapointe a néanmoins relevé le défi, grâce à l’aide
de “ses deux vieux complices” : Roger Tabra (avec qui Lapointe signe les textes)
et Stéphane Dufour (réalisateur, arrangeur, compositeur et guitariste). Réfugié
dans son studio maison — un endroit étonnant, apaisant, tout en noir et rouge,
comme une matrice —, Lapointe a travaillé jour et nuit. Mis de la pression sur
son monde. Demandé à Corno de peindre à toute vitesse un tableau à partir de
son visage pour la pochette. Le tableau, rouge et noir (c’est Corno qui l’a décidé)
a carrément séché pendant son transport de New York à Montréal ! Dans sa
maison du bas de la ville, Éric Lapointe joue au piano l’intense Berceuse à
l’infidèle, qui clôt Le ciel de mes combats.»
Lapointe s’explique à propos de cette chanson : « Une toune de gars. L’histoire
d’un homme qui pile sur son orgueil parce que la femme qu’il aime lui revient…
Ça ne veut pas dire qu’il lui posera pas de question le lendemain matin, précise-
t-il en riant. Mais pour l’instant, il lui dit de se coller contre lui, on va essayer de
faire comme si de rien n’était… » (« Pose et repose encore jusqu’au matin/Pose
et repose ton corps/Contre le mien, tout va bien/Ferme les yeux, oublie/Ne pense
à rien/Ferme les yeux et fuis/Jusqu’à demain, tout va bien… ») Puis il parle
d’une autre chanson, Les années coups de poing, qui traite de son amitié avec
Tabra (« On fumait des rouleuses/Sur un sofa défoncé/Et déjà les filles
malheureuses venaient nous consoler/Ça s’oublie pas les années de poèmes/Je
chantais n’importe quoi, tu écoutais du Cohen… ») : « Quand on s’est connus,
j’avais 20 ans et Roger en avait 40. Cette chanson, c’est littéralement notre
histoire dans la période pré-Obsession (premier disque de Lapointe, en 1994).
Roger était barman à L’écume des jours à l’époque, il en avait les clés, on
ouvrait le bar à trois heures, on finissait endormis sur le plancher. On pensait
même pas qu’on collaborerait étroitement un jour, tous les deux. Roger avait sa
carrière, ses shows, sa cour. Tous les deux, on était le couple de petits fendants
dans le milieu des poètes !»
La journaliste poursuit : « Même longue collaboration avec Stéphane Dufour,
devenu guitariste dès la première tournée de Lapointe, au milieu des années 90.
Mais les excès des uns et des autres avaient jeté un froid entre les trois amis. En
2008, l’album Ma peau a été enregistré pratiquement sans Dufour et Tabra. »
Lapointe continue : « On s’est retrouvés où on s’était laissés. On est une équipe
de rêve : on se connaît, on a tellement travaillé ensemble, ça va tout seul. On
avait l’impression de retomber dans nos pantoufles… mais des pantoufles avec
des studs, disons.»
Marie-Christine Blais raconte que Tabra a même essayé de le convaincre de
chanter des chansons sur son futur enfant, mais que Lapointe a refusé. Éric
raconte : « Roger avait écrit un texte superbe à ce sujet, mais… Ça m’a fait
quelque chose quand j’ai senti l’enfant bouger, mais je ne peux pas dire que je
réalise vraiment… Je vais attendre, j’aime mieux faire quelque chose de senti. »
Pour la journaliste de La Presse, c’est pour ce genre d’honneur qu’on aime
Lapointe, « la même honnêteté un peu brutale qui anime la chanson Tu t’es laissé
tomber, écrite à l’intention d’un proche qui s’est suicidé. » (« Comme un glacier
qui craque/Une corde qui claque/Et la nuit qui plaque/Sont des accords
majeurs… ») Lapointe s’explique : « Pendant la production du disque, le frère de
mon meilleur ami s’est pendu. On le connaissait bien, en fait, on connaît bien
toute la famille, qui est très proche de la mienne, depuis des années : à tous les
réveillons de Noël, on mélange nos deux familles. J’ai donc traversé ce deuil-là à
travers mon meilleur ami, ses parents. Et on a décidé d’en faire une chanson.
Avec Roger, on a travaillé fort : on a écrit plusieurs versions de texte, on voulait
pas donner une vision romantique du suicide, comme il y en a tant. En même
temps, j’avais tendance à y aller trop fort : j’ai lu une version à la mère du défunt,
qui m’a dit : “T’as pas besoin de le déterrer, pis de le finir à coups de pelle.”
Fallait que je modère ma colère, mais que je l’exprime aussi, que
l’entourage puisse l’exprimer…»
Sur ce nouvel album, Lapointe reprend la chanson de Daniel Lavoie, Ils
s’aiment. Lapointe poursuit : « J’avais jamais pensé la reprendre, parce que je
trouvais l’originale parfaite. Et puis, un jour, mon trucker, le gars qui conduit
mon 53 pieds d’équipement (Pascal Bélisle), m’est arrivé avec cette idée-là. Je
croise ensuite Jonas, et comme j’aime beaucoup sa voix raunchy, je lui ai
demandé de venir la
chanter avec moi. »
La journaliste conclut : « Or, Jonas va faire partie du spectacle Le Party des
Fêtes à Lapointe qu’Éric monte pour la onzième année, avec Michel Pagliaro et
son frère Hugo. On espère que Lapointe chantera aussi, à cette occasion, Aimer
pour deux, chanson d’amour intense… entre le public et le chanteur, qui clame :
“Au pied du mur/Dans le coma/Par les temps durs/Par les temps froids/[…] Tu
m’as aimé comme un héros/Je t’ai aimé comme un
sauvage”.»
Éric reconnaît humblement : « Le public a toujours été ma thérapie. C’est
toujours en show que j’ai retrouvé confiance en moi, c’est toujours la scène qui a
repompé mes pneus… C’est le public qui m’a aimé à ma place.»

***

Le party des Fêtes de Lapointe a lieu au Métropolis les 17 et 31 décembre.


Auparavant, la caravane s’arrête à Québec le 23 décembre, puis à l’hôtel La
Saguenéenne de Chicoutimi, la ville natale d’Éric, le 29 décembre. Ce sont
16 000 personnes qui assistent à ces deux concerts. C’est énorme. C’est son
onzième party des Fêtes en autant d’années, et c’est son dernier party avant
d’être papa en 2011. Sont sur scène, pour défoncer la nouvelle année, Éric
Lapointe, son frère Hugo, Jonas et nul autre que Pagliaro, le vieux rockeur aux
cheveux poivre et sel hirsutes et aux yeux cachés par ses éternels verres fumés.
Y aura-t-il une émeute au Métropolis ? Après un chassé-croisé viril entre
Lapointe, Jonas et Pag — sans parler des neuf musiciens qui se mettent de la
partie, incluant une belle section de cuivres étincelants —, Pag, sur le coup de
minuit, apparaît sur scène, égal à lui-même, guitare à la main, pour entamer coup
sur coup Une émeute dans la prison, J’entends frapper et Les bombes. Pag vient
de voler la vedette, et s’il y avait eu un
référendum, il l’aurait gagné haut la main.
Le rockeur demeurera-t-il sobre en 2011 ? Rien n’est moins sûr, semble-t-il,
car il avoue, dans une entrevue au Journal de Montréal, avoir connu des
périodes difficiles lorsqu’il était à l’écriture de son dernier album, Le ciel de mes
combats : « J’ai été abstinent pendant plus d’un an. Les chemins de la guérison
sont pavés de rechutes. L’alcoolisme est une maladie. Je n’ai pas pu créer dans la
sobriété. Je sais que je suis un alcoolique pour le restant de mes jours. Je ne
gagnerai pas ce combat en public. Aujourd’hui, je suis sobre, demain je ne le
sais pas. Je suis un battant et je vais essayer très fort de ne pas tomber dans les
extrêmes comme je l’ai fait dans le passé. Mais, désormais, je veux que ça reste
du domaine de ma vie privée. Si j’ai des faiblesses, je ne veux pas en avoir
honte. » Tout ce qu’il demande, c’est que le public ne le juge pas, ne le
condamne pas. Et qu’on n’en fasse pas un scandale public.
Quoi qu’il en soit, Éric donne rendez-vous à ses admirateurs qui veulent le
suivre, du 4 au 11 février, quelque part sur une plage de Varadero, à Cuba, où il
promet un super Beach Party, avec concerts in vivo, juste pour le plaisir et la
beauté de la chose. Lapointe y est accompagné de ses musiciens, de Loco
Locass, de Jonas et d’invités-surprises. Pour faire diversion, il y a également
Peter MacLeod, qui donne son show d’humour, lui aussi. Le prix du billet-hôtel-
animation tout compris est de 1400 $ pour une semaine. Selon la rumeur qui
court après l’événement, les 400 joyeux vacanciers se sont bien amusés, et le
rockeur n’a surtout pas joué à la vedette inaccessible.
***

Éric Lapointe a à peine le temps de rentrer au Québec en provenance de Cuba


que sa femme, Mélanie Chouinard, donne naissance au premier enfant du couple
célèbre et très médiatisé. Christophe-Arthur — Arthur, c’est pour l’arrière-grand-
père d’Éric qui se prénommait ainsi, et « Christophe, c’est pour le petit Christ…
et toff…» — vient au monde le 19 février et pèse à la naissance près de 7 livres.
Pour Éric, c’est le plus beau et le plus grand moment de sa vie. Quand une
journaliste du Journal de Montréal lui demande si le bébé lui ressemble, il
répond sans hésitation : « C’est moi en neuf… C’est le fun, les bébés naissent
avec les yeux pochés ! » On peut imaginer qu’il fait allusion à ses propres yeux,
souvent boursoufflés par le manque de
sommeil.
Il dit à la journaliste Michelle Coudé-Lord, du Journal de Montréal : « Ça fait à
peine une heure qu’il est né et il est déjà le centre de ma vie. Je le crie haut et
fort, je ne serai plus jamais seul. D’abord Mélanie devait être provoquée, puis
hop ! le travail a commencé. J’ai donc assisté au combat intense qu’une mère
doit livrer pour mettre au monde son enfant. J’ai pleuré avec elle. J’ai écrit Le
ciel de mes combats, mais j’ai vu le combat d’une mère. Je me sentais comme
tous les hommes, si impuissant que ça me faisait mal. J’ai coupé le cordon. C’est
tout un trip, la naissance de son enfant. Ça vaut toutes les rides de bicycle du
monde et les plus beaux spectacles devant 100 000 personnes. C’est
spectaculaire, grandiose. Le but de l’existence, c’est procréer, je le sais
maintenant. […] Mélanie l’allaite. J’ai sa petite photo sur mon téléphone. Je vais
le montrer un jour, faut prendre le temps de le laver un peu. C’est incroyable,
l’effet que ça me fait. Mon père ne me croyait pas capable de couper le cordon.
Mais quel effet formidable que ça fait. Wow ! Quel moment ! Le plus dur, c’était
voir ma blonde tant souffrir. Le ventre d’une femme, c’est vraiment un trésor et
personne ne détient la clé ni la réponse. Je respirais avec elle, je voulais tant
l’aider. Les contractions ont commencé vers 10 h 00 le matin et le petit s’est
montré le bout du nez à 15 h 48.»
Au moment où il accorde cette entrevue à la journaliste du Journal de
Montréal, Éric est en route pour son concert à Valcourt, en Estrie. Il confie :
« S’il y avait eu des complications, il est clair que j’aurais annulé. La semaine
dernière, j’étais en spectacle à Cuba et j’ai failli revenir. Mais ce show-là, je l’ai
dédié à Christophe-Arthur. C’est mon premier comme père, ça va en être tout un.
Je me sens comme une bombe, je vais leur arracher la tête, je crois. Et surtout, je
vais faire une chanson que je ne fais jamais sur scène et que je dédierai à la
naissance de mon fils. Une chanson prémonitoire que j’ai écrite pour le
deuxième album de Ma peau. Ça dit : “J’ai dérivé toute une vie sans pouvoir jeter
l’ancre, j’ai cherché toute la nuit la menthe brûlante, enfin tu m’as choisi, dans
tes yeux j’enfante, dans tes bras ch’t’a l’abri même quand la mer se lamente…”
Je vous le dis que ce texte était prémonitoire. […] Je l’ai
partout en moi. »
Éric prend quelques jours de congé avec sa blonde et son fils. Et il promet que
dès qu’il reprendra la route, Christophe-Arthur sera de la tournée. Il poursuit :
« Je le porte en moi, maintenant. C’est incroyable, l’effet que ça me fait. C’est
spectaculaire, grandiose, le début d’une autre vie pour moi. Je l’ai partout dans
ma tête, dans mes tripes et j’ai juste hâte de donner mon show et de vite aller
courir vers Mélanie et mon petit bébé. Je regarde sa face sur mon téléphone et
maudit qu’il est beau ! Je le répète, c’est moi en neuf. Moi, papa rockeur. C’est
incroyable. Je ne savais pas à quel point j’étais prêt à devenir père. Ça fait des
années que ça me travaille, mais là, je l’ai vécu, le moment. C’est le plus beau de
toute ma vie.»
En juin, le 10, plus précisément, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des
Arts, se réalise enfin le vieux rêve d’Éric Lapointe : un spectacle rock
symphonique avec ses propres chansons. C’est le spectacle d’ouverture des
23es FrancoFolies. L’an dernier, les patrons des FrancoFolies ont dû, presque à la
dernière minute, annuler l’événement en raison des coupures gouvernementales
dans les subventions, ce qui avait soulevé la colère d’Éric Lapointe. Mais cette
année, le rêve peut se réaliser, et Éric promet que ce sera un show rock avec des
ballades. Son propre groupe se joint à l’Orchestre symphonique de Montréal
pour interpréter certaines chansons. Il y a soixante-dix musiciens sur la scène du
Théâtre Wilfrid-Pelletier, ce qui n’est pas habituel pour un rockeur. C’est un
spectacle grandiose et mémorable, aux dires de Lapointe, où le rock se mêle à la
musique classique. Les tâches sont multiples au niveau des arrangements
musicaux, et c’est un beau défi pour le rockeur et pour tous les musiciens. Éric
chante plusieurs de ses compositions, dont deux chansons dédiées à son enfant.
Ce moment mémorable est gravé sur un CD, Lapointe Symphonique, qu’il lance
au début du mois de novembre 2011.
Quelques jours plus tard, il est de l’hommage à Jean-Pierre Ferland pour les
20 ans de l’album Jaune, célébré à la même Place des Arts. En fait, il est son
seul invité. Ensuite, il a à peine le temps de se remettre de ses émotions qu’on le
retrouve sur la grande scène des FrancoFolies, le 14 juin, pour l’hommage à
Gerry, avec son vieil ami Martin Deschamps et plusieurs autres artistes. Et
comme c’est le temps plus que jamais de « booker » les artistes pour les festivals
d’été, Éric Lapointe est de retour cette année-là au Festival d’été de Québec, sur
les plaines d’Abraham, avec sa formule gagnante « party des Fêtes ». Il y a aussi
Pagliaro et Jonas, plus un big band de 13 musiciens, sans parler de son groupe à
lui. C’est où, la banlieue des plaines d’Abraham ? Une chose est certaine : ici, il
n’y a personne pour se plaindre du fait que les décibels sont trop élevés.
Un peu avant le Festival de Québec, Éric est de la Fête nationale au parc
Maisonneuve, à Montréal, en compagnie de son frère Hugo. Il y en a pour tous
les goûts, et toutes les générations sont à l’honneur, avec Robert Charlebois et
son fils Jérôme, Éric et son frère Hugo, Claude Gauthier, Damien Robitaille,
Brigitte Boisjoli, Yves Lambert et plusieurs autres de la relève. La direction
musicale est encore une fois confiée à Dan Georgesco, le leader du groupe Porn
Flakes. Les deux frères Lapointe sont sur la même scène, mais il se peut bien
qu’un troisième membre du clan Lapointe soit également sur scène depuis les
coulisses : Christophe-Arthur, âgé de 4 mois, sur lequel veille Mélanie, sa mère.
Et entre deux changements de couche, Lapointe prend le temps de participer au
concert-bénéfice au profit de la Croix-Rouge pour venir en aide aux sinistrés des
inondations en Montérégie.
Vient le Gala de l’ADISQ, en novembre, et Éric a la surprise de sa vie. Il
reçoit ENFIN le Félix de l’interprète masculin de l’année 2011. Il a souvent été
en lice, mais il ne l’a jamais reçu ; chaque fois, il est revenu bredouille. Il y a de
quoi frustrer un rockeur pourtant populaire qui a vendu plus d’un million
d’exemplaires de ses albums au Québec. De plus, chacun de ces disques s’est
vendu à plus de 100 000 exemplaires. Cette année, comble de malheur, le
rockeur affronte, dans la même catégorie, deux jeunes diplômés de Star
Académie. Il faut le faire!
Content, mais un peu désabusé, il se confie, quelques jours plus tard, au
journaliste de La Presse, Alain de Repentigny, dans un restaurant du Plateau
Mont-Royal. « J’ai vaincu la machine ! Tu peux dire que j’ai bu une bouteille de
champagne », confie-t-il, une fois débarrassé de ses verres fumés pour laisser
voir le regard souriant de l’homme comblé, sobre et pas mal plus en forme qu’il
ne l’était dans ses années de galère, avant son hospitalisation, il y a trois ans,
comme le note Alain de Repentigny.
Le chanteur explique : « Le fait d’être à jeun inverse complètement la
perspective. Avec l’alcool, tu débarques de scène et t’as l’impression que t’as
performé comme un dieu alors que t’étais complètement bourré, mais quand t’es
à jeun, tu penses que t’as été pourri alors que t’as fait une belle performance.
L’adaptation s’est surtout faite du côté du personnage. Les premières fois que tu
le fais à jeun, t’as l’impression d’être un imposteur, un acteur. Ça m’a pris au
moins une dizaine de shows avant de remettre mon habit de vedette et de me
lancer à genoux en tendant la main aux fans sans me prendre pour un clown.»
Le journaliste rapporte que Lapointe hésite à parler de sa sobriété, qu’il ne
veut surtout pas porter comme une étiquette. Éric confie : « J’ai été obligé de me
cacher pour prendre un verre de vin en soupant. Ça m’arrive de prendre un verre,
mais je ne serai plus jamais l’excessif, le suicidaire que j’ai été. La vie m’a
donné une claque dans la face : j’ai conscience que mes organes internes sont
beaucoup plus vieux que mon âge réel. Pour compenser, je fais du sport tous les
jours. Et puis j’ai un enfant, et un autre qui s’en vient en mai prochain. » Éric est
incapable de garder le secret à propos de la nouvelle grossesse de Mélanie.
« Lâchez-moi pas, et jusqu’au bout, je serai là ; jusqu’au bout de ma voix »,
lance Lapointe en acceptant son Félix inespéré et inattendu. S’il y a une chose
qui n’a pas changé en lui, commente le journaliste, c’est sa dévotion totale à la
musique. « Je vis pour chanter, je vis pour être sur scène, c’est la raison pour
laquelle je fais des albums », dit Lapointe sans affectation aucune.
L’artiste en lui est comblé, ces temps-ci, rapporte Alain de Repentigny. Moins
d’un an après Le ciel de mes combats, rapidement certifié disque d’or, son album
Lapointe Symphonique arrive en magasin. Et le rockeur commence déjà à écrire
des chansons pour un autre album, qui devrait voir le jour à l’automne 2012.
Ce nouvel album, enregistré avec l’Orchestre symphonique de Montréal en
ouverture des FrancoFolies, le 10 juin dernier — le tout dernier concert de
l’OSM à Wilfrid-Pelletier — est un rêve qui habitait Lapointe depuis longtemps.
Le risque — Lapointe et le chef et orchestrateur Scott Price en étaient bien
conscients — était que le band rock écrase le grand orchestre dans les chansons
plus lourdes, plus rythmées. La priorité a donc été donnée aux ballades, avec en
prime quelques chansons plus costaudes qui, pour la plupart, ne se trouvent pas
sur le nouvel album. On n’y trouve pas non plus de chansons provenant de
l’album Le ciel de mes combats. Lapointe explique : « Pour cet album, je m’étais
payé des vraies cordes, dont une partie venait de l’OSM. C’était donc
sensiblement les mêmes arrangements, signés Scott Price, et il était peut-être un
peu trop tôt pour revisiter ces chansons de toute façon. »
Il y a sur ce disque, poursuit de Repentigny, deux cadeaux qui ont un lien avec
la naissance de son fils, Christophe-Arthur, en février dernier : Le météore, de
Stephen Faulkner, que Lapointe a chanté sur l’album 2000 et un enfant de Dan
Bigras, en 1999, et Regarde bien, écrite avec ses complices retrouvés, Roger
Tabra et Stéphane Dufour après la naissance de fiston. Le nouveau père dit : « On
l’a composée en fonction de ce show-là. C’est la seule pièce où il n’y a pas de
solo de guitare, mais un solo d’orchestre! »
Cette chanson forte, Lapointe ne la fait pas encore dans son spectacle qui
tourne depuis près d’un an et dont la première escale montréalaise doit avoir lieu
au Métropolis le 24 novembre. Il ajoute : « Je vais laisser le temps aux gens de la
découvrir. On connaît le show sur le bout des doigts, on peut donc s’amuser,
interchanger les chansons, improviser. À Montréal, je vais ajouter trois cuivres,
pour mon plaisir et le plaisir du public, j’espère. »
Le Métropolis est également témoin des retrouvailles sur scène de Lapointe et
du guitariste Stéphane Dufour pour la première fois depuis la tournée Coupable,
il y a environ six ans, constate de Repentigny. Lapointe raconte : « Stéphane et
moi, on est un couple et notre séparation n’était sûrement pas étrangère à mon
autodestruction. C’est comme si on était retombés tous les deux dans nos
pantoufles. À l’autre Gala (de l’ADISQ), je lui ai dit à la blague : “La seule année
où je n’ai pas gagné le Félix de l’album rock de l’année, c’est quand t’étais pas
là.” Disons qu’aujourd’hui, Stéphane fait plus partie du band que du patronat et il
est bien là-dedans. De toute façon, je n’ai jamais joué au boss.»
Après onze années consécutives à passer les Fêtes avec ses amis musiciens et
son public, poursuit Alain de Repentigny, Éric Lapointe décide de faire une
pause cette année, histoire de célébrer Noël avec son fils et sa blonde. Mais il a
déjà une idée pour 2012 : « Maintenant que j’ai en main les partitions, il y a dans
l’air le projet de faire une tournée avec tous les orchestres symphoniques de la
province, à Trois-Rivières, Chicoutimi, Québec… Ça sera peut-être la tournée de
Noël de l’année
prochaine. »
Entre-temps, après avoir organisé son Beach Party deux fois à Cuba, nous
apprend le journaliste, Lapointe convie ses admirateurs à une semaine de
farniente et de rock au Club Med Turques-et-Caïques (Turks & Caicos), du 3 au
10 février prochains. Lapointe dit : « J’ai réservé le Club Med au complet pour
500 personnes. C’est un voyage tout inclus avec un show tous les soirs, avec mon
frère Hugo, Marco Calliari, les Porn Flakes et Martin Fontaine avec leur show
Rock the King, Jonas et François
Massicotte. »
Selon Alain de Repentigny, Lapointe a des engagements jusqu’à la fin de
2012. Le chanteur confie : « Deux semaines sans jouer et j’ai l’impression que je
suis un artiste fini, que le monde me déteste. Je pense que je fais ce métier-là
parce que j’aime avoir peur. C’est peut-être pour ça que je conduis vite ma moto
et que je saute en parachute. »
L’année 2011 a donc été des plus heureuses pour le rockeur québécois à la
voix rauque. Il a été enfin consacré, par l’ADISQ, interprète masculin de
l’année, ce qu’il attendait depuis longtemps, en plus de remporter une fois de
plus le Félix du meilleur album rock de l’année pour Le ciel de mes combats. De
plus, sa compagne est à nouveau enceinte, le couple attend un second enfant pour
le mois d’avril 2012. Il devait garder secrète cette nouvelle, mais il a été
incapable de garder le secret bien longtemps. Selon l’échographie que Mélanie
Chouinard a passée juste avant le lancement de Lapointe Symphonique, il
s’agirait d’un autre petit garçon. C’est donc un homme comblé, papa et
musicien, qui va attendre en famille la nouvelle année, ce qu’il n’a pas fait
depuis belle lurette.
Dans des entrevues subséquentes, données en 2012, Éric revient à quelques
reprises sur sa lutte contre l’alcoolisme. Il ne s’en cache pas, ce n’est pas gagné
d’avance, et il fait des rechutes, mais ce ne sera jamais comme avant, selon lui,
car il est bien conscient du problème. Il fait part de ses difficultés à l’occasion du
5e gala de Star Académie, où il est l’invité de Julie Snyder. Il se défend de jouer à
l’hypocrite en se cachant derrière de belles déclarations, et il dit ne pas regretter
de se monter ainsi vulnérable devant le public.
« Prison, drogue, alcool, altercations avec des motards, les artistes dont la
carrière a survécu à une telle série de scandales sont rares. Éric Lapointe en est
conscient. D’après lui, c’est sa franchise envers ses fans qui lui a permis de sortir
— sur le plan professionnel — presque indemne de cette avalanche de
controverses », rapporte le journaliste Marc-André Lemieux, du journal Métro.
Lapointe confie au Journal de Montréal : « C’est un cheminement personnel,
mais durant ma carrière, j’ai toujours joué la carte de l’honnêteté. Ça m’a mal
servi à certains moments, mais je pense qu’à long terme, c’est une bonne chose.
Les gens savent qui je suis. Je ne leur ai jamais conté de bullshit… ni dans mes
entrevues ni dans mes chansons. What you see is what you get. Prenez-moi
comme je suis. Sinon, changez de poste. […] Dans tous mes moments down et
mes coups durs, c’est toujours le public qui m’a remis sur pied. Après ma sortie
de l’hôpital, ce sont mes fans qui m’ont donné la force de remonter sur scène.
Une chance qu’ils étaient là… C’est grâce à eux que je n’ai pas sombré plus
profondément. Ce n’est pas un combat qui se livre en public, a-t-il insisté. Ce
n’est pas pour rien que les groupes d’entraide sont anonymes. »
Le journaliste Marc-André Lemieux, qui travaille maintenant au Journal de
Montréal, raconte que le visage du chanteur s’illumine lorsqu’il est question de
son fils, Christophe-Arthur, dont il vient de fêter le premier anniversaire en
compagnie de sa conjointe et mère de l’enfant, Mélanie Chouinard. Le nouveau
papa déclare : « Je redécouvre le monde à travers ses yeux. Quand je vois à quel
point il peut s’émerveiller devant des trucs tout simples, ça me fait sourire. Ce
n’est pas un enfant qui pleure, mais c’est un enfant qui se fâche quand il n’a pas
ce qu’il veut. Il ne parle pas encore, pour l’instant, il est à l’étape “maman,
maman, maman”! Il n’a pas encore appris à dire papa… Mais je travaille là-
dessus. »
Il affirme au journaliste qu’il ne se considère pas comme un papa gâteau, mais
il a emmené toute sa petite famille en voyage aux Îles Turques-et-Caïques.
Le 21 avril 2012, Éric est de nouveau papa. Mélanie, sa compagne, accouche
d’un autre garçon, qu’ils appellent Édouard. Ils sont tous deux contents et très
fiers de leur nouvelle progéniture. Éric n’aura guère de répit, et son congé de
paternité sera de bien courte durée. Les demandes de concerts affluent de
partout ; on dirait que cette cure de désintoxication a suscité un nouvel
engouement pour le « rockeur sanctifié », pour reprendre l’expression de Lucien
Francoeur. On lui confie les commandes de la Fête nationale à Laval, qu’on a
intégrée au Mondial de Laval, il participe au 15e FestiBlues international de
Montréal au parc Ahuntsic, il célèbre le fleuve Saint-Laurent à Rimouski, il
chante au spectacle de clôture du Festival Juste pour rire, puis il se retrouve au
Festival de la Poutine de Drummondville, sans oublier le concert organisé à la
mémoire de Denis Blanchet, assassiné par un enragé qui en voulait à Pauline
Marois, au Métropolis, le soir de son élection, et dont les profits sont remis à la
famille de la victime, tout cela entrecoupé de lancements de disques et
d’entrevues sur à peu près toutes les chaînes de télé et les stations de radio.
Comment voulez-vous qu’un couple résiste à tant de vent dans les voiles?
C’est dans ce contexte que de gros nuages se pointent à l’horizon. Sans que
l’on sache vraiment pourquoi, en septembre 2012, Éric Lapointe et Mélanie
Chouinard annoncent, par voie de communiqué, qu’ils se séparent, mais sans en
fournir la raison. Mais ils ajoutent que c’est « avec regret » qu’ils en sont arrivés
à cette solution. Ils disent tout simplement qu’ils ont pris cette décision dans
l’intérêt supérieur de leurs deux enfants, Christophe-Arthur et Édouard, mais
aussi du fils de Mélanie,
William.
On peut facilement supposer que l’atmosphère à la maison était devenue
insupportable et toxique pour la santé des trois enfants, d’où la séparation
physique des deux parents afin de calmer le jeu. Quelques mois auparavant, un
peu avant la naissance de leur second fils, Éric a tourné un clip sur la chanson
Brume de ta bouche, tirée de son dernier album Le ciel de mes combats (« Celui
qui a voulu voir le bout de sa vie/Celui qui a connu la chaleur de ton lit/Celui qui
a touché le ciel de tes cheveux/Ne sait plus oublier même en fermant les
yeux… »). On y apercevait Mélanie, enceinte d’Édouard, étendue dans un lit sur
la plage, sans doute aux Îles Turques-et-Caïques, avec son fils Christophe-Arthur
dans les bras. De très belles images de paix et de bonheur. C’est ce qui explique
qu’on les voit tout de même, à l’automne, fouler ensemble le tapis rouge du Gala
de l’ADISQ, cette année-là.
Pour son party de fin d’année, Éric remet ça au Métropolis, le 31 décembre,
après un an d’absence à cause de sa paternité. Il n’y a rien de moins qu’une
quarantaine de musiciens sur scène, dont un big band, une chorale et quelques
nouveaux venus. Le rockeur ne néglige pas ses admirateurs de l’extérieur de
Montréal, puisqu’il y a également des parties des Fêtes à Québec et à Chicoutimi.
Il compte emmener avec lui en tournée ses deux jeunes enfants, qu’il ne voit que
quelques jours par semaine, en fonction de ses disponibilités.
Puis, son 4e Beach Party — ou Le Show au Chaud d’Éric Lapointe —, a lieu
du 1er au 8, puis du 9 au 15 février 2013, mais en Jamaïque, cette fois-ci, et dans
un hôtel « tout inclus ». Kevin Parent, Marjo, Kaïn, DJ Shortcut, Styves Lemay et
son frère Hugo sont du voyage. Éric en profite pour travailler sur son prochain
album entre deux spectacles, album qui pourrait paraître soit au printemps, soit à
l’automne 2013.
Bonne nouvelle : la séparation d’Éric et de Mélanie ne dure que quelques
mois, jusqu’en février 2013, moment où ils renouent. Éric est plutôt discret sur
ses mouvements de cœur, et c’est en général sur la page Facebook de Mélanie
qu’on apprend ce qui se passe dans la vie du couple Lapointe-Chouinard. Et on
ne peut honnêtement décortiquer les paroles de chansons du rockeur pour en
faire une traduction fidèle de ses désirs et de ses états d’âme ; ce serait ne pas
comprendre qu’il y a une bonne part de fiction dans toute œuvre créatrice.
En novembre 2013, Éric lance le 15e album de sa carrière, intitulé Jour de nuit,
qui contient dix chansons : Donnez-moi du gaz (J’t’un fumeux de tract/vendeur
d’amour/qui boit de la peur/Quand j’mange la claque… »), Homme sauvage
(« Elle a tranché le ciel en deux/Un peu pour elle beaucoup pour moi/Elle a posé
dans ses cheveux/L’ombre et la lumière à la fois… »), Moman (« Y’a vu le jour
dans une taverne sul’ bord/D’une table de pool/Il aime l’odeur des femmes au
matin… »), Faire et refaire (« Dévorer le cœur du désir/violer le parfum
divin/D’une démone qui transpire… »), Toi (« La chevelure du temps/Sur les
paupières du rêve/Le fracas des tourments… »), Je te l’ai juré (« Si dans ce qui
passe aux lignes de tes mains/Tu me gardes une place/Je te dirai mon
chemin… »), Tout ce que je veux (« Encore le ciel, l’amour, l’envie d’y
croire/Encore la nuit dans le jour/Le soleil plein d’idées noires… »), Ostie de vie,
Désaccordé (« Je fais l’amour avec la haine/Entre les rocks à marée basse/Je fais
l’amour à des sirènes… ») et Ça me manque (« J’ai le blues à soir/J’m’ennuie
d’avoir de la peine/Quand nous deux ça cassait/Comme de la porcelaine… »).
Le lancement est digne d’une rock star. Devant 1 800 admirateurs réunis au
New City Gas, une salle de concert située rue Ottawa, dans le Vieux-Montréal,
le rockeur, une vraie bête de scène, leur offre sept de ses nouvelles chansons,
dont plusieurs ont été écrites en collaboration avec Roger Tabra. Sa mère, Doris,
toujours très fière de son fils, est présente, comme à tous ses lancements.
Un peu avant de monter sur scène, il se confie au journaliste de l’Agence
QMI, Daniel Daigneault : « Il y a toujours eu une saveur rock, mais celui-ci est
plus cru, il y a moins de cordes à grand déploiement, moins d’harmonies vocales
aussi. C’est un peu un retour aux racines, on flirte aussi un peu avec le country
parce qu’il y a deux chansons du genre sur cet album. C’est un album qui est
sans filtre, avec tous mes contrastes, mes contradictions, entre la haine et
l’amour, entre la sagesse et l’adolescence. Oui, je suis surpris d’être encore là et
mes problèmes de santé survenus il y a quelques années m’ont fait réfléchir ; je
vis peut-être moins à 100 milles à l’heure, j’ai pris conscience que je vieillissais.
Le fait d’avoir des enfants me motive aussi beaucoup à faire attention à moi. Ça
change une vie, des enfants, tu as envie de les voir grandir, tu veux travailler non
pas juste pour toi, mais aussi pour eux autres et leur laisser un patrimoine. Les
enfants vont apprendre à mieux me connaître à travers mon matériel.»
12. Papa va mieux Aimer
Aimer comm’ ça Ça doit r’ssembler à l’ivresse Du premier gars Qui a mis l’pied su’ l’ top de
l’Everest Toucher
(Luc Plamondon, Dan Georgesco, Éric Lapointe, Bruce Cameron)
À propos de sa participation à l’émission La Voix, qui a été annoncée il y a peu,
il avoue au journaliste Daniel Daigneault, du réseau TVA : « À ma grande
surprise… J’étais un peu réticent au début, j’avais peur de ne pas être dans mon
élément et dans ma zone de confort mais l’équipe est l’fun, la chimie entre les
coachs est bonne et Marc Dupré, qui a fait l’émission l’an dernier, m’a beaucoup
sécurisé, de même que Charles Lafortune qui s’investit à fond. Tout le monde
m’a mis à l’aise et je me suis mis à avoir du fun. Je suis content de faire partie de
cette aventure-là, parce qu’il y a
tellement peu d’émissions qui sont consacrées à la musique. Et en plus, je réalise
à quel point on est un peuple d’artistes et que le Québec est une mine inépuisable
de talents. On produit depuis toujours des musiciens et des créateurs
extraordinaires et malgré notre petit bassin de population, le calibre d’artistes est
très élevé. »
Quelques jours avant le lancement de son nouvel album, Éric a, en effet,
appris qu’il avait été choisi pour devenir le quatrième « coach » de la populaire
émission La Voix, où on pourra le voir dès le mois de janvier 2014 à l’antenne de
TVA. Il avait préalablement passé une « audition à l’aveugle » pour cette
émission. En vue d’être en forme pour affronter ce nouveau défi — une émission
hebdomadaire à l’antenne de TVA, devant plus d’un million de
téléspectateurs —, et comme les enregistrements commencent à la mi-décembre,
le rockeur décide d’entrer de nouveau dans une maison de thérapie pour se
refaire une santé. L’annonce de cette « retraite fermée » temporaire cause un
certain émoi, mais son attachée de presse, Élizabeth Roy, tient à rassurer tout le
monde. Elle confirme que c’est un endroit qu’Éric fréquente épisodiquement
pour prévenir toute n’est donc pas menacée, et cela n’a rien à voir avec l’épisode
où le chanteur s’est retrouvé à l’hôpital Royal Victoria, plongé dans un coma
artificiel pendant huit jours. Ses séjours durent normalement une semaine.
Cette activité l’occupe pendant quelques années. Il embauche l’une de ses
élèves de l’émission La Voix à titre de choriste officielle de son band. Rosa
Laricchiuta remplace Rick Hughes, qui faisait équipe avec Éric Lapointe
depuis 2007. Il déclare à Patrick Delisle-Crevier, du magazine Sept Jours :
« Rosa, à sa façon, donne tout un spectacle. Elle est très à l’aise sur scène, et
j’adore ça. Il y a de plus en plus d’interactions entre nous. Rosa me colle à la
voix. Elle connaît mes intentions, elle me devine, elle est mon double, mon alter
ego. Je n’ai jamais eu de choristes féminines parce que j’ai toujours préféré les
harmonies de voix masculines. Rosa a un registre de voix très large qui
s’harmonise bien au mien. Et son énergie est semblable à la mienne, je me
reconnais en elle. Rosa amène un vent de fraîcheur, et ça me permet de faire les
chansons romantiques de mon répertoire, car j’ai quelqu’un à regarder quand je
les fais en spectacle.»
Puis il parle des chansons qu’il préfère : « Je n’ai jamais fait un spectacle sans
interpréter Terre promise, ma première chanson. Je l’ai écrite à seize ans ! Je
crois qu’elle vieillit bien. Elle parle de mes rêves d’adolescent et, dans le fond, je
suis toujours un ado. Mais je ne renie aucune de mes chansons, même si
certaines, par rapport au public, peuvent perdre un peu de leur punch. Soit
qu’elles ont beaucoup tourné ou que les textes, avec le temps, prennent un tout
autre sens.»
Éric avoue qu’il a un peu modifié son rythme de vie avec l’âge. « Ç’a
beaucoup changé par rapport au passé. Maintenant, plusieurs d’entre nous ont
des familles, alors on rentre à la maison [après les spectacles]. Parfois, je veux
aller prendre un verre… mais je rentre tôt. […] Je sens plus l’âge que j’ai
maintenant. Je déploie beaucoup d’énergie et je bouge beaucoup sur scène, mais
je me rappelle que même à 25 ans, j’étais épuisé quand je sortais de scène, car
j’avais tout donné. L’adrénaline, ça épuise. »
Sa deuxième tentative de réconciliation avec Mélanie Chouinard, la mère de
ses deux enfants, échoue plus d’un an après leur tentative de réunion, en 2014.
Cette nouvelle séparation est officialisée, encore une fois, par un communiqué
de Mélanie sur sa page Facebook : « La douleur, la peine, la tristesse, la solitude
n’ont rien de sain quand tu es foncièrement positive, que tu aimes la vie et que tu
es sans amour, ça te ronge la vie du cœur. Mais là, je ferme définitivement le
chapitre… »
Que penser de ce cri du cœur de Mélanie ? Probablement qu’Éric n’a plus
d’amour pour Mélanie… Marie-France Côté, de la firme Roy & Turner
Communications, qui gère les relations de presse d’Éric, confirme, de son côté,
qu’Éric et Mélanie ne sont effectivement plus ensemble depuis un moment. On
sait qu’Éric avait entrepris des démarches en vue d’adopter légalement William
Benoit, le premier enfant de Mélanie, et que celui-ci devait s’appeler William
Lapointe, mais ces procédures, on peut facilement
l’imaginer, doivent être abandonnées.
***

Mélanie refait sa vie avec l’écrivain Marc Fisher, avec qui elle se fiance. Sur
sa page Facebook, elle écrit : « J’ai eu la chance de rencontrer un homme qui fait
attention à mon cœur et à mon âme, avec qui je me sens bien de tout partager…
un homme protecteur, avenant et patient… un homme qui me fait rire aux éclats
et qui se paye ma gueule une fois de temps en temps avec de bonnes blagues, j’ai
trouvé mon complice, l’homme avec qui je veux passer ma vie parce qu’il me
rend heureuse et il traite l’amour que j’ai à donner comme la pierre la plus
précieuse et c’est magique!»
Quant à Éric, il confie à Échos Vedettes : « Je suis rendu à un âge où mes
années de folie sont passées. J’ai vécu plein d’histoires d’amour déchirantes et je
ne veux pas revivre la même chose. Tout ce que j’espère, c’est que la prochaine
avec qui je partagerai ma vie sera aussi la dernière. Pour l’instant, c’est le calme
plat en amour. Je ne suis pas pressé, j’attends que ça vienne. Je consacre surtout
mon temps à mon rôle de père, car mes fils Édouard (trois ans) et Christophe-
Arthur (quatre ans) sont pour moi le centre de mon existence. »
En janvier 2015, Éric récidive avec son sixième Show au Chaud. C’est sous le
chaud soleil du Mexique, au Club Med Ixtapa, que la fiesta bat son plein, du 23
au 31 janvier. Les Respectables, Marjo, son frère Hugo, Jonas, Valérie Lahaie et
Rick Hughes sont de la partie, de même qu’Yves Lambert, DJ Shortcut, Styves
Lemay et l’équipe de CKOI. Éric est présent sur place tous les jours, et les
vacanciers peuvent l’approcher.
Peu après son retour du Mexique, le 22 février 2015, pour ses 25 ans de
carrière, Éric se lance en affaires avec quatre partenaires : Gabriel Julien, le
gagnant d’Occupation double en 2007, Sébastien Lavallière, de la Brasserie
Rachel Rachel, Éric Lefrançois, le propriétaire du Diable vert, et Gabriel
Marsen, anciennement du Bistro à Jojo. Ensemble, ils ouvrent un bar-spectacle,
L’Exit, sur la rue Saint-Denis, dans le Quartier des spectacles. Leur but est
d’offrir, sur la rue Saint-Denis, au cœur du Quartier latin, un endroit où des
groupes musicaux, des groupes émergents, des chansonniers et même des
humoristes pourront se produire sans trop de contraintes, dans une salle qui peut
contenir 150 personnes. Pour l’ouverture, il y a foule, et Éric a convoqué ses
nombreux amis pour fêter le joyeux événement, dont Kevin Parent, Rick et Lulu
Hughes, son frère Hugo, Sébastien Laplante, les Porn Flakes, Simon Morin et
Valérie Lahaie, les deux protégés d’Éric à La Voix, ainsi que plusieurs autres.
Les rumeurs vont bon train à propos d’une liaison amoureuse entre Éric et
Valérie. Il a d’ailleurs collaboré à la production de son album Vertige, réalisé
avec la complicité de Stéphane Dufour, le guitariste d’Éric. Mais Valérie s’en
défend en affirmant qu’ils sont
simplement de bons amis.
Sa participation à La Voix se poursuit pour une deuxième saison, au
printemps 2015. C’est un Éric rassurant et rassuré que l’on voit maintenant sur la
scène télévisuelle. Il a pris de la confiance, et côtoyer d’autres coachs l’oblige à
se surpasser. On a l’impression que ce n’est plus l’Éric Lapointe un peu cabotin
que l’on a connu dans d’autres vies antérieures. La Voix, dont la finale a lieu le
12 avril 2015, reviendra à l’automne 2016 à l’antenne de TVA pour une
quatrième saison. Entre-temps, il faudra procéder aux différentes étapes de
préauditions et d’auditions des candidats à Montréal et à Québec.
Au mois d’août 2015, il se rend pour la première fois aux Îles de la Madeleine,
à Havre aux Maisons, plus précisément, pour un concert public dans le cadre du
concours des Châteaux de Sable des Îles de la Madeleine. C’est tout un voyage
en perspective. Éric n’est pas seul et chante en compagnie de Paul Piché et de
quelques groupes musicaux des Îles.
Il a aussi été invité au mariage de Julie Snyder et de Pierre Karl Péladeau,
célébré à Québec, le 15 août 2015. Il a chanté en compagnie de nombreux
artistes, dont Paul Piché, Michel Rivard, Jean-Pierre Ferland, Claude Gauthier,
Alexandre
Belliard et Marie-Mai.
Éric est indéniablement l’artiste québécois qu’on a le plus vu sur scène, là où
il dit vraiment vivre pleinement. C’est sur le stage qu’il se nourrit de l’énergie du
public, et sa passion n’a pas diminué avec le temps. Il a besoin de cette
adrénaline que lui procure ce contact avec la foule, et même après 20 ans de
métier, il a toujours le tract avant d’entrer en scène. Et d’ailleurs, il ne cesse de
répéter que lorsqu’il passe deux ou trois semaines sans chanter, il se sent
diminué, inutile, inintéressant. Son métier de chanteur est pour lui une fête, une
source de plaisir. Et ce plaisir, il le partage avec son équipe de 18 personnes, une
véritable PME de la culture.
Les paroles qu’il a lancées en début de carrière, il y a 21 ans, à Alain Brunet,
de La Presse : « Je ne suis pas arrivé à maturité. Je n’ai pas vraiment l’impression
d’être meilleur que les autres. Et j’ai la crainte de ne pas répondre aux attentes.
[…] L’inspiration, je la trouve dans la douleur, l’épuisement physique et moral »,
il pourrait les répéter aujourd’hui — bien que, pour ce qui est de la maturité, Éric
en a pris pendant ces 20 ans sur le « grill ». Mais il est toujours le même homme
timide et inquiet, craignant de ne pas être à la hauteur des attentes de son public,
qui a vieilli à ses côtés, mais qui s’est aussi renouvelé. Et son inspiration, il la
trouve toujours dans la douleur et l’épuisement physique et moral, mais avec une
petite dose de responsabilité paternelle qui lui va bien.
D’ailleurs, il lui arrive de se produire en spectacle en emmenant ses deux
jeunes enfants. Il les installe dans sa loge avec des lits de camp, et parfois, ils
viennent dans les coulisses pour voir leur père performer sur scène. Éric est
maintenant un autre homme, même s’il adore toujours faire la fête et est toujours
engagé envers la cause de l’indépendance du
Québec, ne ratant jamais une occasion d’en faire la promotion.

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