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LA PROPOS DE LA REVUE DU 14 JUILLET

NOS TROUPES COLONIALES

La Revue du 14 Juillet présentera, cette année, un attrait tout spécial par la présence des délégations des
régiments coloniaux qui n'avaient pas encore de drapeaux, et auxquels seront remis ces emblèmes de la
patrie.
Déjà, il y a quelques mois, le 1er régiment de tirailleurs sénégalais a reçu son drapeau, à la hampe duquel
brille la croix de la Légion d'honneur, récompense des hauts faits accomplis par nos troupes noires. Les
autres régiments vont avoir eux aussi leurs étendards.
Ces régiments sont au nombre de treize : trois de tirailleurs sénégalais, trois de tirailleurs malgaches, quatre
de tirailleurs tonkinois, un de tirailleurs du Gabon, un de tirailleurs du Tchad et un de tirailleurs annamites.
En outre, les 4e, 5e, 6e et 7e régiments d'artillerie coloniale, qui sont stationnes en Afrique et en Indo-Chine,
recevront eux aussi leurs drapeaux.
Tous ces drapeaux portent dans leurs plis des inscriptions relatant les actions de guerre accomplies par les
divers corps. C'est toute l'histoire de notre expansion coloniale ainsi relatée en lettres d'or ; c'est le livre
d'honneur de nos vaillantes troupes indigènes, le résumé de leurs exploits au Tonkin et à Madagascar, en
Chine et au Dahomey, au Soudan, au Tchad et au Maroc.
La distribution de ces drapeaux, le 14 juillet, sera le clou patriotique de la fête militaire.

VARIETÉ
NOS TROUPES NOIRES
Les tirailleurs sénégalais. - Comment Faidherbe les recrutait. - Le pays des soldats.- Quelques traits
épiques. - Des époux assortis. - L'oeuvre de l'armée noire.

Il y a si longtemps qu'ils sont au péril et à la peine : c'est bien leur tour d'être à l'honneur. Paris acclamera à
la revue du 14 juillet, les représentants de nos troupes coloniales d'Afrique et d'Extrême-Orient, et ces bons
soldats :français des pays lointains seront, cette année, les héros de la fête nationale.
N'est-ce point le moment de les faire mieux connaître à nos lecteurs, et de puiser, dans l'histoire de épopée
coloniale accomplie grâce à eux, quelques traits de leur esprit guerrier, de leur courage et de leur fidélité ?
Parmi ces auxiliaires coloniaux qui figureront à la revue de Longchamp, la place d'honneur appartient aux
Tirailleurs Sénégalais, dont le drapeau sera solennellement décoré. Il n'y a pas moins d'un demi-siècle que
ces admirables soldats ont commencé à servir la France. C'est Faidherbe qui eut le premier l'idée de tirer

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parti de ces races superbes et de les discipliner au point de vue militaire. Car le grand général, le héros de
Bapaume et de Saint-Quentin, était aussi un administrateur de premier ordre. C'est lui qui commença la
conquête de l'immense empire africain que nos soldats ont donné à la France, lui qui le premier appela sous
nos drapeaux ces Yolofs, ces Peulhs, ces Bambaras, ces Toucouleurs, grâce auxquels nos officiers devaient
poursuivre et réaliser cette conquête.
A l'époque où Faidherbe était gouverneur du Sénégal, la traite des Noirs sévissait encore sur la côte
occidentale d'Afrique ; mais le gouverneur la combattait de toute son énergie.
Chaque fois qu'un « marchand de bois d'ébène » lui était signalé, il le faisait arrêter et il rendait la liberté au
misérable troupeau d'esclaves que le trafiquant de chair humaine s'apprêtait à emmener en caravane vers la
Haute-Egypte ou vers Tripoli. Mais parmi ces Noirs libérés, nombreux étaient ceux qui venaient de villages
lointains et qui ne pouvaient regagner leur pays d'origine. Faidherbe leur proposait de s'engager dans les
contingents coloniaux qu'il venait de créer, et la plupart acceptaient, trop heureux de toucher une forte prime
d'engagement et de servir la France, plutôt que d'aller languir en esclavage.
Telle est l'origine de nos régiments sénégalais et soudanais. Faidherbe, en les créant, accomplit une oeuvre
humaine et patriotique à la fois.
Quelle reconnaissance ne devrions-nous pas au grand soldat qui, avant de sauver l'honneur de nos armes, en
1870, nous avait ouvert le plus merveilleux empire colonial.
Et dire que Paris, qui compte tant de monuments, trop souvent injustifiés, n'a pas même élevé une statue à
Faidherbe !

***
Un journal satirique anglais, raillant la France de s'être contentée en Afrique des régions où la terre est peu
fertile, publiait il y a quelque trente ans un dessin montrant le coq gaulois grattant de ses pattes un sol
improductif.
Stanley, auquel on montra le dessin, répondit :
- Oui, mais les Français ont tout de même la meilleure part : ils ont le pays des soldats.
L'expérience a prouvé la vérité de cette réflexion. Les races qui habitent l'Afrique occidentale, française
portent en elles-mêmes toutes les qualités guerrières : la force, l'esprit de discipline, la fidélité, l'amour des
armes, le courage à toute épreuve. C'est avec ces admirables soldats que sont les Sénégalais que nos officiers
ont conquis le Soudan et maintiennent le calme dans notre immense empire africain.
Tous ceux qui ont commandé ces régiments noirs s'accordent à leur rendre pleine justice et à vanter, non pas
seulement leur ardeur au combat, mais leur esprit d'abnégation, leur vigueur, leur dévouement au chef.
A la suite d'une mission qu'il avait accomplie avec une escorte de Sénégalais, le colonel Mangin écrivait :
« Aucune troupe n'a jamais eu à donner les mêmes preuves de résistance à la fatigue, aux privations de toute
sorte. Par la longueur des étapes parcourues, par la continuité des efforts, par l'absence de toute espèce de
ravitaillement, par la privation de nourriture et parfois de sommeil, nos Sénégalais ont donné la mesure de
leur résistance. Par le chiffre des tués et des blessés que certaines troupes ont supporté sans faiblir, sans
cesser de se porter en avant, par la longueur des combats qui duraient parfois plusieurs jours, ils ont montré
leur élan dans le choc et leur ténacité dans la lutte. Encadrés comme ils le sont aujourd'hui par des officiers
et des sous-officiers français, il n'est pas d'ennemi, quels que soient son nombre, sa couleur et son armement,
qu'ils ne soient en état d'affronter avec les plus grandes chances de succès... »
Telle est l'opinion d'un des hommes qui connaissent le mieux nos troupes sénégalaises.
Au surplus, les traits d'héroïsme accomplis par ces vaillants soldats, justifient éloquemment les éloges de
leurs chefs. L'histoire de nos conquêtes africaines en est amplement illustrée.
Citons-en quelques-uns pour l'édification de nos lecteurs.
On a quelquefois mis en doute l'esprit d'initiative de ces soldats noirs, et d'aucuns ont prétendu que hors de
l'inspiration des chefs blancs, pour lesquels ils ont une fidélité poussée jusqu'au fanatisme, ils ne seraient pas
capables d'une action personnelle.
Voici un exemple qui démontre au contraire qu'ils n'ont pas moins le sentiment de l'initiative et du devoir

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que celui de la discipline et de la fidélité.


Personne n'a oublié l'histoire tragique de la mission Cazemajou qui, partie pour explorer la région comprise
entre le Niger et le Tchad, fut attirée dans un guet-apens par le sultan de Zinder. Le capitaine Cazemajou et
son interprète Olive, assassinés, furent jetés dans un puits qu'on combla aussitôt, et le sergent indigène
Semba Taraoré, qui commandait leur escorte, fut saisi et enchaîné dans une case.
L'escorte se trouvait réduite à onze hommes, sous le commandement du caporal indigène Kouby-Keïta.
Celui-ci, cependant, ne songea pas un instant à se rendre ; au contraire, il se mit en devoir de fortifier son
campement ; et, le même jour, il repoussait deux formidables assauts qui lui tuèrent trois hommes.
Bien mieux, avec une audace épique, ce caporal nègre, loin de s'effrayer, menace. Il met le sultan en
demeure de rendre les prisonniers, sinon, dit-il, je prendrai la ville et la brûlerai.
De fait, la nuit suivante, il opère une sortie et brûle tout un groupe de cases sans que l'ennemi ait osé bouger.
Le sultan, impressionné par tant d'intrépidité, met en liberté le sergent Semba Taraoré et propose à la petite
troupe de la pendre à son service.
- Rends-nous d'abord les corps de nos chefs, répond le sergent. Nous verrons après.
Alors, ce sont des attaques incessantes que les braves Noirs repoussent avec une vaillance inlassable. Le
brave caporal Kouby-Keïta est tué avec deux tirailleurs, deux autres sont blessés. Bientôt les munitions vont
manquer. Le sergent prend le parti de se replier sur le premier poste français du Niger. Mais ce poste est à
onze cents kilomètres de Zinder - la distance de Dunkerque à Perpignan. La vaillante troupe se met en route,
poursuivie trois jours et trois nuits par une nuée d'ennemis. Après cinquante-quatre jours de marche, après
des privations sans nombre et des fatigues inouïes, elle arriva enfin au but. Sur les dix-huit tirailleurs de
l'escorte, six avaient été tués, huit blessés. Quatre seulement étaient intacts.
Cette résistance héroïque, cette retraite à travers la brousse, d'une poignée de soldats fidèles à leur devoir
envers la France, ne sont-elles pas dignes d'une épopée ?
Voulez-vous d'autres traits de ce courage et de ce dévouement des Noirs à la cause française et à leurs chefs
? Consultez les rapports, les journaux de route de nos officiers coloniaux : ils en sont pleins. Le Sénégalais
n'a peur de rien, et il se fait hacher plutôt que de fuir.
Un officier rapporte cette anecdote caractéristique. Un jour, il avait envoyé un de ses miliciens à la recherche
d'un peu de viande fraîche. L'homme, ayant rencontré un troupeau de boeufs sauvages, en avait visé un, mais
n'avait réussi qu'à le blesser. L'animal, furieux, fonça sur lui. Le Sénégalais eût pu grimper sur un arbre pour
éviter le choc ; il n'en fit rien. Froidement, baïonnette au canon, il attendit l'adversaire de pied ferme. On le
retrouva sans connaissance, sur le terrain, le corps percé de seize coups de corne.
- Mais enfin, lui dit l'officier, pourquoi ne t'es tu pas mise à l'abri ? Tu aurais pu recharger ton arme et tuer le
boeuf.
Et l'homme répondit simplement :
- Moi y a jamais f... le camp !
On ferait un livre de tous ces traits de vaillance simple dont nos officiers furent les témoins. Mais il en est
qui laissent bien loin d'eux les plus étonnants récits des romans de chevalerie.
Par exemple, celui-ci, que le commandant Bonnassiés contait naguère à notre confrère. M. de Tesson, et qui
eut pour héros Samoré, ex-maréchal des logis de spahis soudanais, actuellement percepteur d'Oussourou,
dans le cercle de Kayes.
« Les colonnes mobiles opéraient alors dans le sud contre Samory. Avec quelques cavaliers, Samoré servait
d'escorte à son lieutenant. Tout à coup, la petite troupe tomba dans une embuscade dressée Par les Sofas, et
un combat infernal s'engagea. Le lieutenant s'affaissa sur le sol dès le début, mortellement blessé, et ce fut
seulement au prix d'héroïques efforts que les spahis purent remporter son corps tout en se ralliant au poste le
plus proche.
» A l'appel, Samoré fut porté manquant. Il avait disparu, et tout le monde pensait qu'il gisait. dans quelque
coin de la brousse, lorsque, le lendemain soir, il réapparut
» Où est le lieutenant ? » commença-t-il par demander.
» Ses camarades ne purent que lui montrer une voiture Lefèvre, dans laquelle reposait le cadavre du chef.

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» Samoré s'avança, ouvrit son manteau et en sortant une tête, de Sofa, la jeta en hommage dans la voiture : «
Tiens, mon lieutenant, s'écria-t-il, voilà sa tête. »

***
Je ne sais si dans le code matrimonial des Sénégalais il est dit, comme dans le nôtre, que la femme doit
suivre son mari. Mais il est certain que c'est là un devoir que les épouses de nos soldats noirs se gardent bien
de négliger. Et c'est un appoint de plus pour la cause française en Afrique occidentale.
Le tirailleur sénégalais ne se déplace jamais sans emmener sa femme. Que ce soit pour un simple
changement de poste ou pour une campagne, Mme Tiraillous accompagne toujours son mari ; elle lui est
indispensable. A la fois porteuse, cuisinière et blanchisseuse, elle sait, à l'occasion, être mieux encore.
Témoin l'ordre du jour que le colonel Patey, commandant les troupes de Mauritanie, a publié, dernièrement,
à la suite d'un combat, ordre du jour dans lequel il est dit :
« Est cité, Mousina, femme du caporal goumier Ahmed Yacoub, blessée mortellement au combat de
Talmeust, en distribuant des cartouches sur la ligne de feu, »
Le même ordre du jour félicite Fatma, Bintou-Korré, Niemellane et Soulma, toutes femmes de tirailleurs
tués au cours du même combat, « qui ont fait preuve de courage en distribuant, sous un feu intense, des
cartouches aux Sénégalais vivement engagés avec l'ennemi.
On voit que si les tirailleurs sénégalais sont d'admirables soldats, leurs femmes ne leur sont pas inférieures
en vaillance.

***
Donc, parmi les troupes coloniales qui figureront à la revue de Longchamp, c'est à coup sûr aux tirailleurs
sénégalais, à ces héros de la grande épopée africaine qu'iront les plus enthousiastes hommages de la foule.
Comme préface à cette journée glorieuse pour nos troupes noires, le gouvernement décida dernièrement de
décorer de la Légion d'honneur le drapeau du 1er régiment sénégalais.
A ce propos, le Journal Officiel de l'Afrique occidentale française, rappelant les services rendus par l'armée
coloniale et les distinctions accordées aux drapeaux de ses divers corps, insérait une page éloquente que
nous ne saurions mieux faire que de reproduire en terminant.
« A l'oeuvre grandiose accomplie dans ces soixante dernières années de campagne et de conquêtes lointaines
qui ont abouti à la constitution de l'immense empire colonial de la France, les soldats sénégalais ont
collaboré autant qu'aucun autre corps : tirailleurs, canonniers, spahis, laptots, ils ont assuré la paix au
Sénégal avec Faidherbe, et Pinet-Laprade, défendu Médine avec Paul Holle et le sergent Desplats, pénétré
au Soudan avec Borgnis-Desbordes, Archinard, Galliéni, le capitaine Mahmadou Racine et le lieutenant
Yoro Coumba, descendu le Niger avec Caron et Hoursi, conquis le Dahomey avec Dodds, traversé l'Afrique
avec Marchand ; ils étaient au Congo avec Brazza, Ballay et le sergent Malamine, à la Côte-d'Ivoire avec
Binger, Monteil et Levasseur, à Tombouctou avec Bonnier, à Zinder avec Cazemajou, en Mauritanie avec
Coppolani et Gouraud. Ils ont fait flotter les couleurs françaises sur Tananarive avec Duchêne et Voyron, sur
Abéché avec Fiegenschuch et Moll ; et c'est hier qu'ils versaient leur sang à Fez, à Marrakech et à Mogador.
Partout, ils furent admirables, dans les profondeurs de la forêt tropicale comme dans les sables du désert
saharien.
» Ils sont prêts à faire mieux encore, sur tous les points de son territoire où la France, leur patrie tutélaire,
aura besoin de leur dévouement.
» Nulle autre troupe ne possède une histoire plus riche en actes d'héroïque bravoure, en nobles sacrifices
simplement consentis ; en décorant le drapeau du 1er sénégalais, la République française a voulu honorer ce
passé glorieux, que le présent confirme et qui est le gage de l'avenir.
L'Afrique occidentale entière dans une commune pensée de gratitude, s'incline avec émotion devant ce
drapeau, symbole du loyalisme fervent de ses enfants, qui sont aussi ceux de la France. »
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 13 juillet 1913

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