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_ LE TS

_. DRAGONS
a

_ PARACHUTISTES

2 DELA DU POSSIPe

4 *
DRAGONS DE à
À 4

“LE MOT DU CHEF DE CORPS”

Créé en 1676, le 13° Régiment de


dragons parachutistes s’est illustré pendant
plus de trois siècles.
Portant successivement les noms de ses
colonels et celui de dragons de “Monsieur”
sous la royauté, il devient 13° Régiment de
dragons sous la République et le 1” Empire.
Dragons de l’Impératrice pendant le Second
Empire, il reprend le numéro “13” dès 1870.
C’est en 1952, qu'il prend sa dénomination
actuelle de 13° Régiment de dragons
parachutistes.

Ce livre se veut la description de


la vie des hommes qui tout au long de ces trois
siècles d’histoire ont donné le meilleur d’eux-
mêmes pour le prestige de leur régiment et
l'honneur de leur patrie.

À cheval, en char ou en
parachute, ils ont tous servi sous le même
étendard, avec la même foi, la même
abnégation et le même courage.

Aujourd’hui, comme hier, le


13° dragons est fier de son passé et de ses
traditions. Il est conscient de servir des
matériels performants pour accomplir une
mission exaltante et essentielle. À Dieuze
comme à Friedrichshafen, en Europe, comme
en Afrique, la valeur du régiment est
reconnue et atteste de la qualité de ses
personnels.

Tous, officiers, sous-officiers et


dragons parachutistes avons à cœur de faire
nôtre la devise du régiment :
“au-delà du possible”.

Que saint Michel et saint


Georges nous aident et nous protègent.

Le colonel Thierry CLEMENT,


commandant le 13° Régiment de
Dragons Parachutistes.

ee
IPERATRICE.

ne

Pafrique à Étousper de Gaugef a Fhatxs


Pierre DUFOUR

LE 13
DRAGONS
DE L'IMPÉRATRICE

DRAGONS
PARACHUTISTES

Editions du fer à marquer


E.F.M.
x nr
4
7
pi

;
Le 14 juillet 1990

Le 22 avril 1959, nous sommes à ALGER : nous dinons au Centre Militaire de Détente de la
LÉGION ÉTRANGÈRE

On' m'appelle au téléphone :

<À Ici le lieutenant-colonel Francis POTTIER, commandant le


<À H3° Régiment de dragons parachutistes.
<À Nous célébrons demain la SAINT GEORGES, ici, à AZAZGA :
<À nous serions heureux que vous puissiez assister à cette
<À manifestation et acceptiez de devenir la marraine des
<À DRAGONS de L’'IMPÉRATRICE. »

Assez émue, je réponds “ oui ”.

Le 23 avril, à notre arrivée matinale en hélicoptère, sur le terrain d’atterrissage, au creux des
montagnes de Grande Kabylie, le Régiment s’étend à mes pieds.

Très lentement, en deux command-cars, le général GILLES, le général GRACIEUX, le


lieutenant-colonel POTTIER, et moi, passons les escadrons en revue : ils sont là ; impassibles, en
tenue de combat, sur leurs blindés légers, fanions en tête.

Je les regarde, incrédule : suis-je bien là, est-ce un rêve ? Ils sont “ mon ” régiment, que
puis-je faire pour eux

Je suis bouleversée.

L’année suivante, je retourne visiter chaque peloton disséminé sur les crêtes et dans les
douars et y être témoin de l’exemplaire action de pacification pédagogique, éducative et sanitaire,
pratiquement ignorée, accomplie entre deux missions de combat, parmi ces populations
déchirées, par les jeunes “ CAVALIERS DU CIEL ”.

Fidèles à la TRADITION séculaire qui voit le glorieux Régiment s’illustrer au service


du ROYAUME de FRANCE, défendre les frontières menacées de la RÉVOLUTION, se couvrir
de gloire sur les champs de bataille des deux EMPIRES, ils sont là, sous le drapeau de la
REPUBLIQUE, toujours solidaires des VALEURS de notre PAYS, aidant l’opprimé pour mieux
combattre l'ennemi.

Les voici, aujourd’hui, revenus aux marches de la LORRAINE depuis toujours marquées par
l'HISTOIRE, d’où

pour la TRADITION, la FIDÉLITÉ et l'HONNEUR,


ils sont prêts à servir “ AU-DELA du POSSIBLE ”.
1655
AU RENDEZ-VOUS DE
7

L’HISTOIRE

LES ORIGINES

L'existence de troupes légères est aussi vieille que la guerre. Dès l’Antiquité, on trouve
trace d’une cavalerie combattant à pied. C’est ainsi que les vélites romains étaient sélectionnés
par César parmi les plus braves de ses légions. Puis, armés légèrement, ils formèrent un corps
parfaitement adapté au combat contre les hordes africaines. II y eut aussi les /aculatores,
lanceurs de dards, dont on attribue l’idée à un centurion, Quintus Navius, qui, le premier,
employa une troupe mixte : cavalerie et infanterie mêlées, contre les Gaulois. Cette tactique
n’était pas étrangère aux guerriers de Vercingétorix, dont César dira dans les Commentaires :
« Souvent dans les combats, ils sautent à terre pour combattre à pied ; l’habitude qu’ils ont
fait prendre à leurs chevaux de rester dans la même place où ils les ont laissés assure leur retraite
quand ils y sont contraints. »
Les guerres médiévales et la chevalerie, qui n’avait que mépris pour la « piétaille »,
oublieront l’emploi de ces corps légers. Il faudra le xvi° siècle avec l'artillerie et les innovations
tactiques des guerres d’Italie pour retrouver une arme qui, dès lors, ne cessera de jouer un rôle
important dans toutes les campagnes.
Charles VII avait créé les Compagnies d'ordonnance ; puis les troupes à cheval de
l’ancienne monarchie furent regroupées en quinze compagnies de gendarmerie fortes chacune de
vingt à soixante lances (une lance comptait une douzaine de cavaliers en moyenne). Dans
chaque compagnie, il y avait un parti d’argoulets qui éclairaient les colonnes et s’opposaient aux
troupes légères adverses. Bien souvent, ils étaient employés comme partisans ; au besoin, ils
mettaient pied à terre pour combattre. Dans ce cas, ils confiaient leurs chevaux aux pages de la
bannière à qui ils appartenaient. Ces argoulets étaient armés d’arcs ou d’arbalètes. Mais au début
des guerres d’Italie, ils abandonnèrent leur ancien armement et formèrent des bandes à part. Un
mémoire de l’époque les décrit ainsi :
« Montés d’un bon cheval, armés de corselet, brassard ou manches de maille et d’un
morion, et, au lieu de lance, un fort et roide épieu, avec la pistole à l’arçon de la selle, au lieu
d’arcs et de flèches qu’ils portoient anciennement avant que cette diablerie de pistoles fût
inventée .»
Après la bataille de Fornoue, Louis XII, reconnaissant leur utilité, augmentera le nombre
des argoulets. Désormais, ils constituent la majeure partie de cette cavalerie légère qui renferme
dans ses rangs, indistinctement, tous les corps autres que ceux de la Maison du roi et de la
gendarmerie. Les argoulets sont bien la souche de cette cavalerie qui, au XvI° siècle et au XvI°
siècle, prendra successivement les noms d’arquebusiers à cheval, carabins, mousquetaires,
enfants perdus, fusiliers et enfin dragons. À Marignan, le pistoletiest remplacé par l’arquebuse ;
l’accoutrement consiste en un casque carré et la cuirasse est échancrée à l’épaule droite afin de
faciliter la mise en joue. Un gantelet protège la main qui tient la bride.
Appelé à de nombreuses guerres, principalement contre le redoutable Charles Quint,
François I°’ songe à réorganiser son armée, puisant ses réformés dans les institutions militaires
de Rome, il fait paraître, en 1534, une ordonnance sur :L'institution des légionnaires au
Royaume de France, leurs privilèges, gages et équipages et le devoir de leur charge, par laquelle
il définit le rôle et les devoirs de chaque corps, leur composition et leur équipement, notamment
celui des 12 000 arquebusiers que compte l’armée royale :
« Les arquebusiers seront bien montés et leur harnais sera pareil à celui des estradiots, réservé la
salade ; car ceux-ci auront seulement un cabasset afin de viser mieux et avoir la tête plus délivre,
l’épée au côté, la massue à l’arçon d’une part et l’arquebuse de l’autre, dans un fourreau de cuir
bouilli, lequel tienne ferme sans branler. Ladite arquebuse pourra être de 2 pieds et demi de long ou
de 3 au plus, et qu’elle soit légère ; des manches et des gants de mailles, et, ainsi que les
chevau-légers, des armes défensives moins complètes et beaucoup moins pesantes. »
Bientôt, sous les ordres des grands capitaines de France ou des condottieri, les arquebusiers
prennent l’habitude d’opérer en avant de l’armée ou sur les ailes et de combattre aussi bien à
pied qu’à cheval. D'origine italienne, au service du roi François I”, ils forment une bande de
deux cents cavaliers placés sous les ordres du duc Strozzi. Ce sera le noyau du futur corps de
cavalerie légère créé quelque temps plus tard par Charles de Cossé, maréchal de Brissac.
Augmentant les effectifs de sa milice, :’employant avec succès au sein de l’armée qu’il
commande dans le Piémont, il est le premier à donner ses lettres de noblesse au futur corps des
dragons. Il peut être considéré comme le fondateur de l’arme. On peut noter à ce sujet la
remarque du cavalier Melzo, chevalier de l’ordre de Malte et capitaine dans les armées
d’Espagne. En 1611, il écrit dans un précis militaire :
« Les arquebusiers à cheval furent une invention des Français dans les dernières guerres du
Piémont, et eux-mêmes leur donnèrent le nom de dragons qui leur est toujours demeuré depuis. »
La date de l’origine des dragons ne peut être indiquée avec certitude : François [°' ou
Henri II, 1537 ou 1554 ; toutefois, les mémoires et manuscrits relatifs à l’histoire militaire
permettent d’affirmer que cette arme est la plus ancienne, non seulement de la cavalerie
française, mais également européenne. Il faudra cependant attendre Louis XIV et Louvois pour
voir l’administration et le service des dragons réglés d’une manière définitive.

L'ANCIEN RÉGIME

C’est en 1645 que le terme « dragon » fait officiellement son apparition dans la
terminologie militaire. A cette date, le maréchal de La Ferté lève le premier régiment de dragons
dans son gouvernement de Lorraine. Formé à partir des compagnies franches d’un sieur des
Fourneaux, il compte une quarantaine de compagnies. Selon les règles de l’époque, et qui
dureront jusqu’à la Révolution, le régiment est la propriété de son colonel ou mestre de camp.
Celui-ci inculque à ses hommes un état d’esprit où audace, rivalités d’honneur, galanterie et
fougue se conjuguent parfaitement. C’est ainsi que les dragons de La Ferté se distinguent au
siège de Mardick en 1646, ils chargent avec Condé, combattent à pied sous Turenne, épousent le
parti du roi ou de la Fronde selon l’humeur du maréchal. Adoptant les querelles galantes de leur
colonel dont l’entrain n’a d’égal que la jalousie, ils se transforment à l’occasion en exécuteurs
des basses œuvres, témoin ce détail piquant rapporté par l’ancien favori de Richelieu, le comte
de Rochefort :
« S’étant trouvé doté d’une belle ramure lors de son séjour aux armées de Sa Majesté, le
Maréchal résolut de faire périr le galant de sa femme. Il envoya de Fribourg, trois dragons de son
régiment à Paris, avec ordre d’empoisonner l’une et d’assassiner l’autre. Hors çà, les dragons ne
trouvèrent pas le succès habituel des entreprises plus nobles auxquelles on les conviait souventes
fois. »

Création de l’état-major des dragons

Sans cesse en guerre contre une partie ou l’autre de l’Europe, Louis XIV a besoin d’une
armée permanente et forte. Louvois va s’attacher à forger l’outil chargé d’assurer la pérennité de
la gloire du « Roi-Soleil ». Il engage un train de réformes qui touchent pratiquement tous les
corps de l’armée royale. Parmi eux, les dragons, dont le recrutement est fluctuant. En 1669, date
de la création de l’état-major, il n’y a que deux régiments sur pied : Colonel-Général et Royal. Il
faudra plusieurs années avant de déboucher sur les « 14 Vieux ». En 1688, le roi crée douze
régiments, puis deux, sept et huit, tous engagés dans la guerre de la ligue d’Augsbourg. Au mois
d’octobre 1690, il y en a quarante-trois sur pied ; puis, après la paix de Ryswick, les vingt-huit
derniers sont licenciés. Pour la guerre de Succession d’Espagne, vingt régiments sont
reconstitués, mais après la paix d’Utrecht, il ne subsiste à nouveau que les « 14 Vieux ». Voici le
tableau de ces régiments avec la date et le nom qu’ils portaient au moment de leur création :
DÉS COIN EGÉNÉTAL ER ae 1668
SAMIR OVAIRES TE Eee ee 1668
4) =" Hocquincourt (la Reine) =: :...2. 20000 1673
SD) RSAUVCDEUTA IS DA EE EE sense. 1673
GA LISERO R e S d q 1673
AR PIMALCON ER ee PS RERe font UNSTA 1673
2) Tessé (Mestre-de-Camp-Général) .............. 1674
DR SAIT NATIOUX nn Se ne ee Re 1674
DJ DU FAN A RE Re 1675
TON AA RTE IESCRES ART Re RER 1675
LD PANARCRÉ RENEA a: 1675
12) a Auioea RE RE EE es Ledermann 1675
SAN BAIDEZÉRS RES Ne RATE RENE Re 1676
14) MTANQUCTOC ER RE ee te 1676

En 1684, avec le titre de Mestre-de-Camp-Général, Tessé devient numéro 2 de l’arme. Avec


lui, Colonel-Général, Royal, la Reine, le Dauphin conserveront leur dénomination jusqu’en
1791. Les autres prendront les noms de leurs propriétaires successifs ou celui des provinces
d’origine. C’est ainsi que Barbezières-Dragons connaîtra quinze mestre de camp jusqu’en 1791,
et onze dénominations entre Barbezières et Monsieur-Dragons.
Dès 1669, tous ces régiments sont régis par l’édit de création de l’état-major des dragons
quia en fait la haute main sur toutes les troupes de l’arme, permanentes ou levées
occasionnellement.

1680
« EDIT
Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut.
Considérant que nous avons mis sur pied deux régiments de mousquetaires à cheval, dits
dragons, et que, pour les maintenir toujours en bon état, faire garder entre eux et ceux que nous
pourrons mettre ci-après sur pied, le bon ordre qu’il convient, et leur faire observer la discipline
et police portées par nos règlements et ordonnances militaires, même y faire exercer la justice, il
est nécessaire de créer à cette fin, à la suite desdites troupes, des officiers qui composeront un
état-major général, lesquels serviront en leurs charges en la même forme et manière que ceux de
l’état-major de notre cavalerie légère.
» Savoir faisons, qu'après avoir fait mettre cette affaire en délibération en notre conseil où
étoit notre très cher et très aimé frère unique le duc d'Orléans, plusieurs princes de notre sang, et
autres grands et notables personnages de notredit conseil, de l’avis d’icelui et de notre certaine
science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par notre présent écrit perpétuel et
irrévocable, créé, érigé, ordonné et établi, créons, érigeons, ordonnons et établissons un
état-major général de nos mousquetaires à cheval, dits dragons, tant de ceux qui sont
présentement sur pied, que de ceux que nous pourrons faire lever ci-après ; lequel était-major
nous voulons être composé d’un colonel-général d’iceux, d’un maréchal des logis, d’un
secrétaire, d’un prévôt, de son lieutenant et d’un exempt, d’un greffier, de cinq archers et d’un
exécuteur, d’un aumônier, d’un médecin, d’un apothicaire, d’un chirurgien et d’un trompette ;
qu’il soit payé à chacun d’eux les gages ci-après, savoir : 600 livres au colonel, 150 livres au
maréchal des logis, 100 livres au secrétaire, 300 livres aux officiers de ladite prévôté, qui font
100 livres au prévôt, 50 livres à son lieutenant, et 30 livres à chacun des exempts et greffier et
15 livres à chacun des archers et exécuteur, 40 livres à l’aumônier, 80 livres au médecin, et
50 livres à chacun des apothicaires et chirurgiens, et 30 livres au trompette ; le tout par mois, et
pour les 12 mois de chacune année ; auxquelles charges il sera par nous pourvu de personnes
capables et suffisantes, sur la nomination qui sera faite par le colonel général desdits dragons ;
lesquels jouiront des mêmes honneurs, privilèges, autorités, franchises, exemptions, immunités
dont jouissent ceux qui sont pourvus des charges de notre cavalerie légère.
» Si nous donnons en mandemant à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre
chambre des comptes et cour des aides à Paris, que notre présent édit ils fassent enregistrer, et le
contenu en icelui garder et observer en ce qui les concerne sans difficulté : car tel est notre
plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à
cesdites présentes, sauf en autre chose notre droit et l’autrui en tout. Donné à
Saint-Germain-en-Laye, l’an de grâce mil six cent soixante-neuf et de notre règne le
vingt-sixième.
Signé : LOUIS

» Et sur le repli : par le roi Le Tellier, et à côté, sur ledit repli, visa Séguier, pour servir aux
lettres patentes portant création d’un état-major des dragons, et au-dessus est écrit : collationné à
l'original, par moi, conseiller secrétaire du roi et de ses finances. Signé : Rambouillet. »
Cet édit consacrait les dragons en tant qu’arme majeure de la cavalerie légère. Le premier
colonel-général de l’arme mérite la citation. Marquis de Péguilin, l’histoire retiendra son
infortune sous le nom de Lauzun. A lire « la Sévigné » ou plus tard Saint-Simon, on saura que
c'était un petit homme à la figure ingrate, dont rien ne laissait supposer autant de bonnes
fortunes galantes. Dragon impétueux, irrésistible au combat, ardent dans les joutes d’alcôve, il
s’en fallut d’un rien pour qu’il ne s’alliât à la famille royale en épousant publiquement la fille de
Gaston d'Orléans, celle que la Fronde avait appelée la Grande Mademoiselle. Mais une cabale
de courtisans, la haine de Mme de Montespan obligèrent Louis XIV à retirer sa parole. Quelques
paroles déplacées envers le roi firent le reste :
« Sire, vous avez fait tant de ducs qu’on n’est plus honoré de l’être, et pour le bâton de
maréchal, Votre Majesté pourra me le donner quand je l’aurai mérité par mes services. »
Ces nobles paroles de dragons valurent aussitôt à monsieur de Lauzun d’être embastillé et
conduit à la forteresse de Pignerol le 22 novembre 1672. Il y restera neuf ans.

L'enrôlement
ss a
Louis XIV (Ecole française du XVIII: siècle)

Le dragon de 1676

Malgré quelques réticences, bientôt les anciennes bandes se soumettent à la discipline


imposée par Louvois et deviennent de solides régiments organisés, réputés pour leur hardiesse et
leur disponibilité. L'entretien d’une telle formation est proportionnel à sa réputation. Mais de
toute manière son coût est toujours élevé. Une lettre de Louvois à propos de Languedoc, en date
du 30 décembre 1676, fait état des dépenses engagées :
« Le roi fait la première dépense : 114 500 livres ; soit 8 500 livres par compagnie (il y en
avait dix-sept), dont 6 000 pour la levée, 1 200 pour manteaux et bonnets, 400 pour les quartiers
d’assemblée, et 900 pour les fusils. »
Jusqu’en 1690, la question de l’habillement reste confuse et confiée le plus souvent à la
diligence des mestres de camp. Certains régiments sont plutôt réticents à endosser l’uniforme.
Le jaune, le vert, le rouge sont les couleurs dominantes et servent plutôt à marquer les
différences qu’à exprimer le bon goût. Les régiments s’identifient à la couleur des revers, au
métal des boutons ou à la forme des poches. Les dragons sont coiffés d’une sorte de bonnet
pointu dont la queue retombe sur les épaules. La coiffe est entourée soit d’un bourrelet en forme
de turban, soit d’un retroussis garni de poil ou de peluche. Lorsque les dragons sont passés en
revue par leur colonel, ou lors d’une présentation au roi, ils portent ce chaperon qu’ils attachent
à la tête de leur cheval pour la parade. Ils le portent également lors du pansage ou du fourrage.
En dehors du service, les dragons portent un chapeau galonné d’argent avec la cocarde noire.
Mais c’est le bonnet qui est caractéristique de l’arme ; mademoiselle de Montpensier ne dit-elle
pas : « Ces bonnets donnaient aux dragons un air de bravoure qui ne se remarquait pas dans les
autres COrps. »
Lorsque l’uniforme habille la totalité des régiments, veste, culotte, habit sont de même
couleur. Sur trente et un régiments portés sur la liste du roi, quinze régiments de gentilhommes
n’ont pas d’uniformes arrêtés. Parmi les seize autres, deux, le Roi et le Dauphin, ont l’habit bleu,
onze autres revêtent l’habit rouge, trois enfin ont l’habit vert, dont Fimarcon, qui a également les
revers et les parements verts.
La veste constitue une sorte de gilet à basques et l’habit, très ample, fendu par derrière,
descend jusqu’au jarret. La culotte supporte des bas blancs à partir des genoux. Par-dessus, de
longues guêtres en cuir noir qui protègent la jambe. Comme les dragons étaient essentiellement
destinés à combattre à pied, ils n’ont que des bottines à la place des bottes de cuir fauve.
9
D’après une ordonnance du 16 mars 1676, contemporaine de la création de
Barbezières-Dragons, les gentilhommes mestres de camp sont tenus d’armer leurs dragons d’une
bonne épée dont la lame soit au moins de deux pieds neuf pouces, hors garde et poignée ; ils
doivent également leur fournir un mousqueton avec baïonnette et un pistolet qui est porté à
l’arçon, à gauche. De l’autre côté du harnachement : une bêche, une serpe ou une hâche, outils
particulièrement employés dans les tranchées ou destinés à ouvrir un passage. Après
Steinkerque, en 1692, le mousquet à mèche est remplacé par le fusil à pierre de l’infanterie. Il est
généralement porté le long de la botte, crosse en bas ; ou pris parfois à la grenadière. A partir de
1715, après le traité d’Utrecht, les officiers abandonnent la cuirasse, qui ne restera en usage que
parmi les officiers généraux. ;
Combattant à pied, les dragons réunissent leurs chevaux en arrière de l’affrontement. Pour
les tenir, une petite longe attachée au bas de la têtière de la bride, du côté du montoir ; et au bout
de cette longe, un crochet mis à un anneau qui se trouve au-dessus de la bossette, de sorte que
chaque cheval est relié à celui qui est à sa droite. Cette chaîne est surveillée par deux dragons, un
à chaque extrémité, et placée sous la responsabilité d’un officier subalterhe qui suit les
déplacements de la bataille en conduisant les chevaux à la main.

Le service des dragons

Lorsque le corps des dragons s’organise, les régiments comportent une ébauche de ce qui
deviendra plus tard le « tableau d’effectifs et de dotations » (TED), base de l’administration
militaire. Au temps du Roi-Soleil, on trouve généralement dans chaque régiment : un mestre de
camp, un lieutenant-colonel, un.major et un aide-major ; par compagnie : un capitaine, un
lieutenant, un cornette en temps de guerre et, en temps de paix, un lieutenant réformé, un
maréchal des logis, deux brigadiers.
Le nombre des compagnies varie souvent dans les régiments, allant de six à dix-sept selon
les conflits, mais rarement au-delà. Ordinairement, l’effectif est de douze compagnies de trente à
soixante hommes. La plupart du temps, elles sont formées en trois escadrons, quatre lors de la
formation des régiments dans les années 1670 et pendant fort peu de temps. Dès leur création,
les dragons se voient attribuer des charges et des missions bien précises. L'Histoire de la milice
française nous dit ce qu’elles furent pendant le règne de Louis XIV :
« En parlant du premier service des premiers dragons, selon le cavalier Melzo, j’ai fait
observer qu’il était à peu près le même que celui où cette milice est aujourd’hui employée, qu’on
s’en servait pour battre l’estrade, pour escorter des convois, pour harceler l’ennemi dans une
marche ou une retraite, pour occuper promptement un poste où l’infanterie ne pouvait pas se
transporter assez tôt, pour combattre tantôt à pied, tantôt à cheval.
» J'ajoute à cela que dans un camp, ils sont toujours postés sur les ailes ou dans des postes
avancés, à quelque passage de rivière, à quelque défilé, à la tête d’un pont ; qu’on s’en sert
souvent pour couvrir le quartier général ; que dans les marches ils sont toujours à la tête et à la
queue des colonnes [...] Il est cependant arrivé que dans les dernières guerres ils ont combattu en
ligne, et quoique leurs chevaux fussent d’une taille beaucoup moindre que ceux de la cavalerie,
ils ont acquis beaucoup de réputation et ont fait parfaitement leur devoir. La vivacité dont ils
chargent l’ennemi, et la vitesse avec laquelle ils se portent là où l’on a besoin d’eux, les rendent
meilleurs pour un corps de réserve, et l’on peut dire que c’est là leur véritable poste un jour de
bataille. On peut s’en servir pour tourner une aile des ennemis, et la revenir prendre en flanc ou
en queue, pour percer un corps d’infanterie et sa cavalerie qui s’en serait trop éloigné ; pour le
charger en queue dans le moment que l’infanterie s’ébranle pour l’attaquer, laquelle doit se
mettre en mouvement, lorsque les dragons partent pour pénétrer.
» Aux sièges, on commande des détachements que l’on place dans les boyaux, près de la
tête de sape, pour tirer sur tout ce qui se montre pendant le jour sur le rempart, dans les ouvrages
détachés, et dans les chemins couverts : en un mot, ils suppléent à la cavalerie et surtout à
l’infanterié, en une infinité de rencontres.
» Quant à l’exercice qu’on leur fait faire, on les forme à tous les mouvements à cheval de la
cavalerie, et à pied à tous ceux de l’infanterie, à la réserve qu’au lieu que la cavalerie pour
l’ordinaire aux revues et lorsqu'elle passe dans un quartier met l’épée à la main, les dragons
mettent le fusil haut. Ils ont encore dans leur exercice à pied une manière différente de
l'infanterie pour présenter les armes, car au lieu de laisser tomber le fusil sur la main gauche, la
crosse basse, ils portent le pied droit plus loin, et laissent tomber le fusil couché le long du bras
gauche tout à plat. Du reste, ils font toutes les évolutions comme l’infanterie. »
Pour devenir ces soldats d'élite, il fallait que le recrutement fût impeccable. Mais les
sergents recruteurs avaient l’œil aussi sûr que les maquignons vendant leurs chevaux aux
mestres de camp. Ils choisissaient des gaillards à la solide réputation, à même de subir les

10
v

Louvois, fondateur de l'armée moderne

rigueurs de la campagne tout en accomplissant des prodiges, On comprend donc que de tels
hommes étaient précieux au roi et à ses capitaines. Aussi, à l’occasion des trêves et des échanges
de prisonniers qui s’effectuaient durant les guerres, une véritable Bourse des soldats s'était mise
en place. On changeait nombre pour nombre et grade pour grade. S’il se trouvait encore des
prisonniers à l’issue de l'échange, la négociation continuait sur la base suivante : deux soldats
pour un dragon, trois pour un maréchal des logis de dragons, dix-huit pour un capitaine, et ainsi
de suite jusqu’à soixante-dix pour un brigadier.
Pour la parade et le combat, chaque compagnie de dragons est entraînée par un tambour qui
rythme la marche, aussi bien à pied qu’à cheval, et par un hautbois. Il peut s’y ajouter des
timbales, à la seule condition que le régiment les ait prises à l'ennemi. Sous Louis XIV, les
dragons n’ont pas d’étendard, car cet emblème désigne uniquement l'enseigne de la cavalerie.
En revanche, l'ordonnance de 1676 mentionne le « guidon » et en attribue un à chaque
compagnie. Les premiers guidons ont la forme d’une banderole beaucoup plus longue que large
et fendue par le bout, Frappés aux armes du mestre de camp, ils sont généralement plus petits
que ceux des autres corps de cavalerie. A la création des hussards, les dragons abandonneront cet
emblème pour un guidon au bord flottant découpé en deux demi-cercles.
En 1684, dans un souci d’uniformité et pour éviter toute confusion avec l'ennemi,
Louis XIV ordonne que sur l’avers de tous les guidons soient brodées les fleurs de lys et, pour
les plus récents, un soleil, l'envers restant aux armes du mestre de camp. C’est ainsi que les
premiers guidons de l'actuel 13° RDP furent aux armes de Chemeranit de Barbezières : d'argent
fuselé de gueules ; et de la famille de Cassagnet de Tilladet de Fimarcon : d’azur à la bande d’or.

LES MESTRES DE CAMP

La filiation du 13° régiment de dragons parachutistes actuel remonte à 1676. Descendant


d’un des quatorze premiers régiments de dragons, ceux que l’on appellera les « Quatorze
Vieux » précédemment cités, il est facile de suivre son histoire sans aucune interruption des
origines à 1791, date à laquelle les régiments abandonnent le nom de leurs colonels pour la
numérotation.
Barbezières-Dragons

Le 4 octobre 1676, Louis XIV fait promulguer une.ordonnance commandant la levée d’un
régiment de cavalerie en Languedoc. Louvois confie l’exécution de cet ordre à Charles-Louis de
Barbezières-Chemerant, marquis de Barbezières.
Depuis 1670, le marquis de Barbezières sert dans les armées royales. Gentilhomme de la
Maison du roi, il a acquis une certaine notoriété dans le métier des armes. Trois ans après ses
débuts, il est fait exempt de la compagnie de Rochefort des gardes du roi, le 11 janvier 1673. La
même année, il est du siège de Maëstricht durant lequel Charles de Batz, comte d’Artagnan,
trouve la mort. Puis il se distingue au combat de Seneff en 1674, à l’armée qui couvre les sièges
de Dinant, de Hug et de Limbourg en 1675. Enfin, au début de l’année 1676, il est dans l’armée
des Flandres qui enlève Condé et Bouchain.
C’est donc un soldat aguerri, jouissant d’une bonne réputation, qui obtient une commission
de campagne pour lever et entretenir un régiment de cavalerie légère. En Languedoc, les
hommes sont impétueux et portent l’honneur à fleur de peau, tout ce qui fait un bon dragon.
L’idée de marcher sus aux Impériaux ou aux Espagnols n’est pas pour déplaire aux descendants
des Trencavel, comte de Carcassonne, ou aux fils de Gaston de Foix...
A la fin de l’année, le régiment est prêt à faire campagne. Convenablement monté et équipé,
il compte vingt-deux compagnies de soixante maîtres. En 1678, Barbezières-Dragons marche
sur le Rhin pour sa première campagne avec l’armée commandée par le maréchal de Créqui. Dès
les premiers combats, la fougue et la vaillance des Languedociens font merveille ; mais elles
comblent difficilement les graves lacunes d’organisation qui se font jour au bivouac ou dans la
manœuvre. Quelque peu dépité, la paix revenue, il obtient, par commission du 10 août 1678, le
commandement d’un régiment de dragons plus ancien : Fimarcon, dont le mestre de camp vient
de se couvrir de gloire, avant d’être tué, à la bataille de Saint-Denis. Permutant son
commandement, le jeune marquis de Fimarcon, Gaston-Paul de Cassagnet de Tilladet, est
nommé par le roi à la tête de l’ancien régiment de Barbezières.
Avec son nouveau régiment, le marquis de Barbezières couvrira le siège de Luxembourg, en
1684, mais surtout, il s’illustrera avec ses dragons au siège de Mayence en se jetant, mêlé aux
premières lignes des troupes d’assaut ennemies, dans la place vaillamment défendue par
monsieur d’Uxelles contre les Impériaux. Il obtient son brevet de maréchal de camp le 2 mai
1692 et se démet de son régiment. Vétéran des guerres de Louis XIV, il combat dans l’armée
d’Allemagne, se distinguant au siège d’Heidelberg, puis à Ostabric. On le retrouve
lieutenant-général en Espagne où, en 1697, il commande l’assaut des fortifications de Barcelone.
En 1701, il passe à l’armée d’Italie où les occasions de s’illustrer sont légion. Mais en 1703, la
chance tourne. Comme il tente, sur ordre du duc de Vendôme, de rejoindre l’électeur de Bavière
dans le Tyrol, il est fait prisonnier à Bregenz et emprisonné à Innsbrück. Libéré en 1704, il sert
encore jusqu’en 1705, puis se retire en son château de Verne où il s’éteint en 1709.

Sous les ordres de Fimarcon

En passant à la famille de Fimarcon, le régiment si cavalièrement abandonné par le marquis


de Barbezières ne sait pas encore quel capital de gloire il va amasser pendant les trente ans où il
sera la propriété de cette famille. En trois générations de mestres de camp, Fimarcon-Dragons va
se hisser aux premières places de l’arme.
Lorsque le jeune marquis de Tilladet prend en main les destinées du régiment, le 10 août
1678, tout est à revoir dans l’organisation de l’unité ; seule la valeur des hommes n’est pas à
discuter ! La chose ne sera pas aisée, puisque au gré des années et des guerres son effectif
connaît des variations importantes. En 1679, comme tous les dragons, Fimarcon est réduit à
4 compagnies de 144 maîtres pour revenir à 12 de 40 maîtres jusqu’au 4 novembre 1697, époque
à laquelle il passe à 16 de 30 maîtres, pour être réduit de nouveau à 12 en 1701. Le nombre des
escadrons reste beaucoup plus stable, puisqu'il est établi à trois, hormis deux ans, entre 1692 et
1694, pendant lesquels il est porté à 4. Engageant des frais considérables, le mestre de camp
pourvoit le régiment en montures, armement et matériel au-delà des dotations nécessaires. Il
fournit les compagnies en guidons aux couleurs du roi et à ses armes et, de surcroît, est tenu de
faire les frais de l’équipement de ses trompettes. Durant tout leur commandement, les Fimarcon
s’attacheront à soigner la composition des compagnies et des escadrons, menant l’instruction
sans répit, avec rigueur, instaurant une discipline empreinte de fermeté, mais aussi de justice.
Soldats de valeur, les dragons sont traités comme tels, et la faute est impitoyablement
sanctionnée.
La période de paix qui survient après la guerre de Hollande est mise à profit par le
Roi-Soleil pour reposer ses armées, puis les réunir dans les camps d’instruction des marches de
l’Est pour les discipliner et les faire manœuvrer. Dix ans de paix, où scandales et affaires
intérieures prennent le pas sur une diplomatie européenne exsangue. La France et ses armées
imposent leur loi au monde. Ses maréchaux victorieux et sa formidable ceinture fortifiée due à
118
Vauban ajoutent à la gloire de Louis XIV. C’est l’apogée du grand siècle ; la France est une
étoile de première grandeur au firmament européen.
Les dragons n’ont que fort peu de choses à faire. Ils seront engagés dans les Cévennes lors
d'opérations déplaisantes auxquelles leur participation brutale donnera le nom de Dragonnades.
A l’extérieur, en 1681, Louis XIV négocie le protectorat français sur le duché de Mantoue, et
Fimarcon, qui n’eut pas à brûler les causses cévenols, occupe la place forte de Casal. Il en est
bientôt retiré pour rejoindre à nouveau les camps de l’Est où cantonne l’armée des Flandres.
C’est ainsi qu’on le retrouve en 1683 au camp de la Sarre, où le jeune marquis de Fimarcon
met tout son zèle à préparer ses dragons aux guerres futures. Reconnaissances et flanc-garde,
charges et combats à pied, travaux de siège et défense d’une place, revues devant le roi ou
quelque prince du sang : rien n’échappe au marquis secondé par des officiers de qualité ; parmi
eux, son frère cadet, Jacques de Cassagnet de Tilladet. Mais pour les dragons, le camp n’est pas
la guerre ; on ne peut guère piller comme en territoire ennemi, l’ivresse de la charge, la fureur de
la canonnade manquent à ces rudes gaillards. Aussi cela les conduit-il à de fâcheuses extrémités.
Un jour, six dragons, las de la monotonie, décident de profiter de la proximité de la frontière
pour déserter ; hélas ! pour eux, monsieur de Tilladet, le frère du mestre de camp, s’en aperçoit
et se lance à leur poursuite. À quelques lieues de la frontière, il les rattrape. Après un combat
sans merci, à l’épée et au pistolet, il en tue trois et ramène les survivants qui seront pendus haut
et court devant le régiment rassemblé. Cette action de discipline menée avec vigueur vaudra à
monsieur de Tilladet le grade de capitaine et le guidon d’une compagnie. De plus, elle lui
procurera un grand ascendant sur ses hommes qui ne se démentira jamais lorsqu'il sera mestre
de camp. Cinq ans vont ainsi s’écouler avant que la guerre n’embrase à nouveau l’Europe.
En fait, la guerre couve depuis plusieurs années ; l’intervention de Louis XIV dans les
affaires des petits Etats allemands, vassaux des Habsbourg, indispose de plus en plus l’Europe.
De même que son soutien à la monarchie catholique de Jacques II en Angleterre et aussi ses
prétentions territoriales sur la rive gauche du Rhin ! En 1688, la conjoncture est favorable à ses
ennemis. L'empereur délivré de la menace turque par les victoires remportées sous les murs de
Vienne peut enfin agir en Allemagne avec ses alliés de la ligue d’Augsbourg. Pendant ce temps,
les Espagnols portent la guerre en Italie, tandis que Guillaume d'Orange, stathouder de
Hollande, protestant et gendre de Jacques IT, débarque en Angleterre pour le déposer.
Les hostilités débutent à la fin de septembre par l’occupation de l’électorat de Cologne par
les troupes de monsieur de Boufflers, dont fait partie Fimarcon-Dragons, et par celle d'Avignon,
en représailles contre l’attitude du pape. Mais c’est à l’armée de la Moselle que Fimarcon va
inscrire sa première page de gloire. Placé en tête des colonnes d’assaut contre le pont de
Coblence, le 3 décembre 1688, Fimarcon-Dragons charge les tranchées coalisées qui défendent
l’ouvrage ; puis le marquis, faisant mettre pied à terre, l’épée à la main, se rue sur la tête de pont
qu’il enlève dans un élan irrésistible. En 1689, alors que Louvois fait ravager le Palatinat par les
troupes du maréchal de Tessé, le régiment prend part à la défense de Mayence, là même où se
distingue son ancien chef de corps. Ù
Au commencement de l’année 1690, les dragons de Fimarcon sont cantonnés à Fribourg.
Malgré le froid et des conditions de campagne très dures, les Impériaux n’hésitent pas à venir
provoquer les avant-postes des Français. Pour enrayer ces infiltrations, les dragons multiplient
les patrouilles et se tiennent en alerte permanente. On signale des mouvements de troupes ?
Aussitôt un détachement du régiment se met en selle. Il s’agit d’un parti de hussards allemands
venu enlever des troupeaux dans les environs de la ville. Les dragons donnent la chasse aux
hussards, en tuent un certain nombre, récupèrent les troupeaux et font de nombreux prisonniers,
parmi lesquels un capitaine Georges « fort célèbre pour son audace de partisan ».

Vauban

13
L'armée du Dauphin et du maréchal de Lorges en Palatinat comprend deux brigades de
dragons. L'une, commandée alors par le marquis de Barbezières, est formée des trois régiments
Colonel-Général, Caylus et Barbezières ; l’autre, commandée par le marquis de Fimarcon,
comprend Gobert-Dragons, Breteuil et Fimarcon. Au mois de juin, ce dernier part pour la
Savoie, passe les Alpes et rejoint l’armée de Catinat. Le 18 août 1690, un de ses escadrons figure
à la bataille de Staffarde sous les ordres du maréchal de camp Saint-Sylvestre. Commandé par le
frère du mestre de camp, l’énergique officier du camp de la Sarre, il combat à pied et à cheval,
participant grandement à la victoire de Catinat sur Victor-Amédée de Savoie.
« La bataille avait eu pour prélude, le 17 au soir, à la nuit tombante, une grande
reconnaissance de cavalerie dont l’escadron Fimarcon faisait partie et qui avait permis à
l'infanterie française de franchir le P6 pour aller prendre ses positions de combat.
» Le lendemain, dès lé point du jour, Catinat prenait avec lui la brigade de cavalerie de
Montgommery, l’escadron de Fimarcon et Languedoc-Dragons, avec lesquels il refoulait partout
les postes ennemis pour faire en personne la reconnaissance du champ de bataille ; puis il
donnait le signal de l’attaque. »
Au plus fort de la bataille, le maréchal fait à nouveau donner les dragons. L’escadron de
Fimarcon, trois escadrons de Mestre-de-Camp et de Général-Dragons lancent une charge
vigoureuse dans un défilé entre les marais qui bordent le P6. Le rapport de Catinat dit que l’élan
et la furie de cette masse de cavalerie l’empêchèrent de charger avec tout l’ordre désirable, mais
il constate aussi que la manœuvre réussit pleinement, deux pièces d’artillerie restant entre leurs
mains. Dans l’action, l’escadron Fimarcon culbute un parti de cuirassiers de Bavière. Au cours
de cette bataille, le comte de Fimarcon eut quatre chevaux tués ou blessés sous lui et fut
grièvement blessé, de même que son frère, le comte de La Tour, lieutenant de l’escadron. Au
soir, alors que la retraite de l'ennemi se précise, les dragons de Fimarcon sont encore à la pointe
de la poursuite. Dans son récit au roi, Catinat écrira :
« Le comte de Fimarcon s’est employé dans cette journée au-delà de ce qu’on peut croire ;
toutes les charges se sont faites l’épée à la main, après avoir tiré.
» Le soir, la retraite de l'ennemi se fit par les bois et la poursuite fut encore vigoureusement
exécutée par l’escadron de Fimarcon débandé, soutenu par quatre escadrons compacts que
conduisait monsieur de Feuquières. »
Deux ans plus tard, en 1692, on retrouve Fimarcon-Dragons au complet, à quatre escadrons, au
siège de Namur sous les ordres de monsieur de Boufflers. La place tombe le 5 juin ; mais deux mois
plus tard, Guillaume d'Orange simule une attaque sur la citadelle et prend l’offensive dans les
Flandres. Le 3 août 1692, il marche rapidement contre l’armée du maréchal de Luxembourg qui se
trouve à Steinkerque et la surprend complètement. La bataille commencée à midi est toujours
indécise lorsque Boufflers, colonel-général des dragons, qui tient Namur, est informé de la situation.
En toute hâte il se porte sur les lieux de la bataille avec plusieurs régiments de dragons, dont
Fimarcon. Cette cavalerie intervient à propos, au moment où l’infanterie française commence à être
débordée sur l’aile gauche. Soutenus par la brigade d’infanterie de Royal, les dragons ouvrent le feu
sur le flanc de l’infanterie ennemie, puis la charge avec vigueur. C’est au cours de cette action que le
marquis de Fimarcon est blessé mortellement. Enragés par la mort de leur colonel, les dragons
taillent de plus belle l'infanterie anglo-hollandaise. Le mouvement de retraite s’étend bientôt à toute
la ligne et la déroute s’accélère : dix canons, cinq étendards, huit drapeaux et 1 500 prisonniers
restent aux mains des Français.
À la suite de cette bataille, monsieur de Boufflers nommé colonel des Gardes est remplacé
par M. de Tessé comme colonel-général des dragons. Le marquis de Fimarcon est remplacé dans
le commandement du régiment par son frère, qui s’est si souvent distingué dans ses rangs et qui,
à Steinkerque encore, a été grièvement blessé.
En 1693, Fimarcon-Dragons est toujours en Flandres sous les ordres du maréchal de
Luxembourg. En juillet, il assiste au siège d’Huy, puis à la bataille de Nerwinden, si glorieuse
qu’elle vaudra au maréchal de Luxembourg le beau titre de « tapissier de Notre-Dame » que lui
décerne le prince de Conti lorsqu'il voit les brassées de drapeaux conquis. Fimarcon est encore
au siège de Charleroi, puis, en 1695, il participe à la prise de Dixmude, à celle de Dieuze, qui
voit la première apparition des dragons, trois siècles avant ceux d’aujourd’hui, puis au
bombardement de Bruxelles, avant de tailler en pièce l’arrière-garde du prince de Vaudemont.
Jusqu'à la paix de Ryswick, signée le 20 septembre 1697, il sert successivement dans l’armée
des Flandres, puis dans l’armée de la Moselle, avant de revenir à la brigade de Saint-Hermine.
La paix est de courte durée ; déjà l’affaire de la succession espagnole inquiète les
chancelleries. En 1701, Louis XIV fait occuper les Flandres espagnoles. Préoccupé par la
sécurité de la Hollande, Guillaume d'Orange noue une coalition comprenant l’ Angleterre, la
Hollande, l’Empire et la majorité des Etats allemands contre la France et l’Espagne. Le 5 mai
1702, la Grande-Alliance déclare la guerre à Louis XIV et à son petit-fils Philippe V d’Espagne.
A la tête de la coalition, des chefs remarquables : Heinsius chez les Hollandais, le prince Eugène
de Savoie commandant les armées impériales et John Churchill, duc de Malborough, à la tête des
troupes anglaises. Louis XIV leur oppose huit armées commandées par des chefs d’inégale
valeur.

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Dès le début de la guerre, les escadrons de Fimarcon sont envoyés en Italie sous les ordres
de Catinat. La campagne débute fort mal ; les Français sont battus à Carpi et à Chiari par le
prince Eugène. L'hiver devrait apporter une trêve, mais les Impériaux continuent les opérations
et, au début de l’année 1702, il s’en faut d’un rien que le prince Eugène ne s'empare de Crémone
où cantonne l’armée française :
« Dans la nuit du 31 janvier au 1° février, quelques soldats autrichiens, pénétrant par un égout,
ouvrent les portes de la ville aux troupes du Prince qui l’envahissent aussitôt. Villeroy, qui commande
l’armée française, est fait prisonnier au moment où il saute à bas de son lit. Heureusement, un régiment
d'infanterie, le Royal-Vaisseau, qui s'était rassemblé avant le jour pour aller manœuvrer sur les
remparts, oppose une première résistance à la principale colonne autrichienne.
» Le colonel de Fimarcon rassemble ses dragons à peine vêtus, sur les chevaux montés à
nu, débouche l’épée à la main par une rue transversale et, prenant l’ennemi en flanc, le charge
jusqu’à six fois de suite avec la plus grande vigueur.
» Les Autrichiens perdent contenance et se retirent précipitamment, serrés de près par les
,
dragons. L’infanterie autrichienne essaye de résister à la Tour-Carrée ; mais le marquis de
Fimarcon fait mettre pied à terre à ses dragons et l’ouvrage est enlevé à la baïonnette. Cette
brillante conduite valut au jeune mestre de camp le titre de brigadier et il ne fut bruit à la Cour
que de la valeur de ce régiment. Il fut même proposé d’accorder à perpétuité au plus ancien
dragon de chaque compagnie le droit de porter une médaille commémorative de cette journée,
mais cette mesure ne fut jamais exécutée. »

Le maréchal de Villars

La fin du Grand Siècle

L'année même où il s’est distingué à Crémone, le régiment combat à Luzzara, où le duc de


Vendôme signe une victoire qui rétablit la situation au profit des Français, puis il est envoyé dans
les Cévennes contre les Camisards, ces protestants que les Dragonnades n’avaient su abattre. I]
fait alors brigade avec un régiment de dragons créé au commencement de l’année 1703 sous le
nom de Second-Languedoc et dont le marquis de La Farre-Tarnac est mestre de camp. Guerre
d’embuscades et de dévastations, d’atrocités réciproques, comme toutes les guerres civiles, le
« grand brûlement des Cévennes » n’apporte que peu de gloire à ceux qui le pratiquent. Le
maréchal de Montrevel d’abord, en 1703, puis Villars lui-même, en 1704, ressentiront
l’amertume de ce commandement. À la fin de la campagne, le marquis de Fimarcon est nommé
maréchal de camp et abandonne son régiment pour aller combattre sur le Rhin. Son neveu, le
comte d’Estafort, en prend alors le commandement ; mais le régiment conserve néanmoins son
nom : Fimarcon-Dragons.
En 1706, le régiment est renvoyé en Italie, où Vendôme a grand besoin de troupes. La
victoire qu’il remporte à Calcinato permet à monsieur d'Estaing, qui compte dans ses rangs
Hautefort et Fimarcon, de marcher sur Asti, Ce sont les dragons qui conquièrent la place et font
prisonnière la garnison. Mais voici le temps des revers pour le peuple de France ! En Italie,

15
Vendôme est remplacé par le duc d'Orléans ; le désastre de Turin, en une seule journée fait
perdre le bénéfice des campagnes précédentes. Dix régiments de dragons qui ont mis pied à terre
pour recueillir l’infanterie dans sa retraite perdent tous leurs chevaux.
Et voici que s’éteint la lignée des Fimarcon. Au mois d’octobre 1708, le comte d’Estafort de
Fimarcon décède brutalement. Le roi commissionne alors le marquis de Foix et lui donne le
commandement du régiment, qui devient Foix-Dragons. Malgré son âge assez avancé, le
marquis est encore fort vigoureux et de belle prestance. De plus, à quelques jours de là, étant
encore lieutenant-colonel du régiment où il a débuté comme cornette, il inspire confiance aux
hommes, ce qui est primordial en ces temps funestes. De 1708 à 1713, Foix-Dragons reste dans
l’armée d’Italie, guerroyant tantôt en Dauphiné, tantôt en Piémont, altant d’escarmouches en
embuscades. Mais les événements se précipitent ; à Denain, le 24 juillet 1712, Villars a sauvé la
monarchie. Les Anglais abandonnent la Grande-Alliance, ne laissant d’autre alternative à leurs
alliés que de signer la paix. Le 11 avril 1713, l’ Angleterre, la Hollande, la Savoie, la Prusse et le
Portugal paraphent le traité d’Utrecht, qui ne nous laisse plus que les Impériaux comme
adversaires. À cette date, Foix-Dragons est envoyé sur le Rhin, où Villars forme une armée de
150 000 hommes. Devant la perspective d’une nouvelle campagne où le poids des ans pèserait
lourdement, le marquis de Foix choisit de démissionner pour ne pas hypothéquer la conduite de
son régiment. C’est alors le comte de Chastillon qui est nommé mestre de camp ; le régiment
devient Chastillon-Dragons le 23 décembre 1713. Deux mois plus tard, le comte de Chastillon
est nommé maréchal de camp et doit céder la place au marquis de Goësbriant, qui donne son
nom au régiment le 27 février 1714. Cette même année, Goësbriant s’accroîft d’une partie de
Parpaille-Dragons et d’une partie de Gauchez-Chastillon, l’ancien régiment du comte de
Chastillon, devenu Servon-Dragons et licencié le 3 octobre 1714.
En Allemagne, Villars a lancé son offensive quelque temps après le traité d’Utrecht,
surprenant les Impériaux qui pensaient bénéficier d’un délai raisonnable après la négociation. Il
met le siège devant Landau, où les dragons du marquis de Foix sont à la tranchée et remplissent
dans les chemins couverts les tâches dévolues aux grenadiers qui font défaut. La place capitule
le 22 août grâce à une attaque des bastions principaux vivement menée par les dragons. Puis
Villars passe le Rhin et assiège Fribourg-en-Brisgau. À nouveau Foix-Dragons est dans les
colonnes de tête et concourt à s’emparer de cet orgueilleux évêché. La ville capitule le
30 octobre. Le traité de Rastatt marque la fin du grand siècle et surtout le début d’une nouvelle
guerre de Cent Ans entre la France et l’ Angleterre. Enfin, le 1° septembre 1715, l’Astre cesse de
luire sur l’Europe. Le plus grand monarque de cette époque s’éteint discrètement au palais de
Versailles. Un siècle s’écoulera avant qu’un souffle épique ne passe de nouveau sur la France.

LE RÉGNE DU BIEN-AIMÉ
La

Le Bien-Aimé, le siècle des lumières, les fêtes galantes, la guerre en dentelle : voilà
quelques-uns des stéréotypes du règne de Louis XV. Pourtant, l’envers du décor est loin d’être
aussi brillant, des guerres cruelles feront perdre à la France son premier empire colonial,
l’intolérance conduira le protestant Calas au bourreau, à Rossbach l’armée française cédera la
prééminence à celle de Frédéric II de Prusse, tandis que la marine royale sera vaincue par les
Anglais.
Pour les dragons, c’est une période de mutation qui amènera l’arme à la forme achevée que
nous lui connaîtrons à la fin du premier Empire. A petites touches, la silhouette du dragon va
s’affiner, perdre cet aspect sauvage qui caractérisait ses chevauchées dans les forêts
germaniques. À la veille de la Révolution, c’est un cavalier élégant et racé dont l’image survivra
jusqu’en 1914.

Condé-Dragons

Après le traité de Rastatt, une grande partie de l’armée royale est licenciée, et les dragons
n’échappent pas à la règle. Ne demeurent plus que les « 14 Vieux », parmi lesquels
Goësbriant-Dragons. Mais ces régiments sont décimés : une ordonnance du 28 avril 1716 réduit
le nombre des compagnies à huit par formation. Ces unités ne comptent plus elles-mêmes que
vingt-cinq ou trente-cinq maîtres. En 1719, les effectifs remontent à douze compagnies groupées
en trois escadrons, car la France est engagée dans la guerre de la Quadruple-Alliance
(Angleterre, Hollande, France, rejoints plus tard par l’Empire) contre l’Espagne. Querelle
dynastique entre les Bourbons, elle se complique de la volonté de Philippe V et de son ministre
Alberoni de vouloir récupérer les domaines espagnols d’Italie perdus lors du traité d’Utrecht et
de l’ambition des Anglais d’affaiblir les Bourbons.
En 1719, le duc de Berwick pénètre en Espagne avec une armée dans les rangs de laquelle
on trouve Goësbriant-Dragons. Il envahit la Guipuzcoa et la Navarre. Les dragons se distinguent

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et contribuent à la prise de Saint-Sébastien, de Fontarabie et de Urgel au mois d'octobre, Mais
bien vite la campagne tourne court et la guerre se termine par les fiançailles de Louis XV (onze
ans) avec la fille de Philippe V, Marie-Anne-Victoire (trois ans). Une ère de paix qui durera
treize ans s’ouvre aux dragons.
En 1724, par une ordonnance royale du 12 décembre, le duc de Bourbon, alors Premier
ministre, achète le régiment, qui abandonne les armes de Goësbriant, d’azur à la fasce d’or, pour
les couleurs de Condé. Le marquis en reste cependant le colonel. Condé-Dragons a un guidon
par escadron. C’est un carré de soie de 50 cm x 50 cm avec des pointes d’un tiers en plus dans le
sens de la longueur, fiché sur une hampe de huit pieds et demi (2,83 m). Il répond au descriptif
suivant :
« Des deux côtés à fond ventre de biche (livrée de Condé) semé de fleurs de lys d'argent,
entouré d’une broderie d’argent et frangé d’argent sur trois côtés. Au centre du guidon, l’écusson
de Condé : d’azur à trois fleurs de lys d’or au bâton de gueules péri en bandes, timbré d’une
couronne en or de prince du sang avec deux palmes d’or accolées à l’écu et liées par le bas. »
LU

Le dragon de Louis XV

Les dragons de Condé vont encore se distinguer pendant la guerre de succession de


Pologne. Dans leur uniforme rouge qui habille maintenant la plupart des régiments de la
cavalerie royale Condé-Dragons : habit écarlate aux parements en panne cramoisie, les cavaliers
courent sus au Rhin ! On met le siège devant Kehl en 1733, puis après de rudes combats devant
Philippsburg où l’armée royale perd le duc de Berwick tué durant l’assaut, les dragons de Condé
enlèvent les remparts et pénètrent dans la ville. La place se rend en décembre 1735. Sur leur
lancée, les dragons combattent encore à Ettlingen et à Klausen.

17
A la fin de cette guerre, alors que l’uniforme de la cavalerie se caractérise par de nombreux
emprunts à l’étranger comme les bavaroises, les parements à l’allemande, le collet à la suédoise,
le dragon reste sagement attaché à la mode française, à l’image de l’infanterie. Sous le manteau
rouge à large collet qui recouvre les épaules (doublure rouge et parements cramoisis pour
Condé-Dragons), le dragon porte le justaucorps en drap très ample. Sur l’épaule gauche, une
patte discrète permet de contenir le cordon du fourniment, tandis que l’épaule droite est garnie
d’une aiguillette dont la couleur est assortie au cordon du sabre (future dragonne). La veste est
légèrement plus courte que le justaucorps et en possède toutes les caractéristiques sauf
l’ampleur. Elle est également rouge à boutonnières blanches. Quant à la culotte, elle est
également rouge, taillée à braguette avec des poches à la ceinture. Tous les dragons ont des bas
blancs. Par-dessus, les fameuses bottines qui n’ont guère évolué depuis 1690. Intermédiaire
entre la guêtre de toile du fantassin et la botte forte du cavalier, elle comporte un éperon fixé à
demeure et une genouillère boutonnée de cuivre. La tige est fermée par des boucles. Lorsque le
dragon se déplace à pied, il lui arrive d’enfiler les guêtres du fantassin. Le bonnet si typique des
dragons n’a subi que peu de modifications et continue de se porter en service ou à l’écurie. Le
chapeau est devenu le tricorne à cocarde noire, galonné d’or ou d’argent.
L’équipage du cheval est aux couleurs du régiment, mais seuls les musiciens arborent sur
leur housse la livrée de leur propriétaire. Sauf le ceinturon, l’équipement diffère sensiblement de
celui du cavalier : là où ce dernier porte la banderole porte-mousqueton, le dragon n’a que le
cordon porte-fourniment. Ce dernier est assez rudimentaire et ne comporte en fait que des
accessoires pour le combat : une réserve de poudre contenue dans un récipient de corne fermé
des deux bouts avec un doseur à pédale sur le haut, quelques outils et accessoires d’armement et
une boîte de cuir à coffret de bois passée au côté droit du ceinturon qui contient de six à neuf
cartouches toutes faites.
Le ceinturon est à boucle de laiton supportant le sabre et la baïonnette. Le sabre est du
modèle réglementé en 1734 pour toute la cavalerie, à double pontat offrant une bonne protection
de la main, avec une lame à double tranchant, ou plate et à dos. Le fusil est plus proche de celui
de l’infanterie que du mousqueton de cavalerie. Long de 1,53 m et d’un calibre de 17,1 mm, il
porte une baïonnette à douille dont la lame plate mesure 32 cm. Enfin, le pistolet du dragon
diffère de celui des autres corps de cavalerie par la présence d’un crochet de ceinture fort utile
dans les corps à corps.
Les influences de la cour et les ministres, plus que les guerres, vont amener des
changements dans l’uniforme des dragons. De modifications en ordonnances, l’habit suivra la
mode jusqu’à la grande transformation ordonnée par Choiseul en 1762.
Mais cette transformation n'ira pas sans heurts ni difficultés. Il faudra bien de la patience
aux différents ministres, s'appuyant sur des ordonnances royales, pour faire entendre raison à
des gentilhommes aussi ardents que frondeurs. C’est ainsi que, le 10 août 1737, Louis XV fait
promulguer une ordonnance enjoignant aux officiers de troupes de dragons de : « Porter toujours
l’habit uniforme pendant le temps qu’ils seraient aux corps, soit en garnison ou dans les places,
au quartier, dans les plats pays, ou en marche, comme le plus décent et le plus convenable pour
les faire connaître et respecter des dragons. »
A l’issue de la guerre de succession d’Autriche paraît un nouveau règlement sur
l’habillement, l'équipement et l’armement des dragons. Hormis quelques détails concernant des
accessoires (suppression du bandeau de fourrure autour du bonnet), il s’adresse essentiellement
aux officiers, dont il codifie la tenue et les insignes de grades. Il impose également une certaine
unité dans les couleurs des régiments. En 1757, puis en 1758 et en 1768, des règlements et arrêts
du roi amèneront encore des modifications vestimentaires. Mais la grande réforme, c’est
Choiseul qui l’impose en 1762.
Par cette ordonnance, les dragons prennent la couleur verte qu’ils conserveront pendant cent
dix ans. Seuls les revers de poitrines, les parements de manches et le collet étaient de couleur
distincte, de même que le sens de l’ouverture des poches, qui variait selon les régiments. Pour le
reste, l’habit s’ouvre sur une veste chamois doublée de cadis blanc et sur une culotte de même
teinte. Le manteau est gris-blanc à trois brandebourgs ; lorsque les dragons servent à pied, ils le
portent relevé en arrière par les coins afin de se distinguer de l’infanterie. Ils abandonnent
également les guêtres au profit des bottes souples.
Toutefois, la grande nouveauté, c’est la prise du casque. Le casque, dit à la Schomberg, est
en cuivre jaune, garni d’un cimier très petit, d’un bourrelet de peluche noire et d’une crinière
courte, frisée par le haut, qui descend juste en dessous de la nuque. Il n’a ni visière ni
couvre-nuque, mais le bourrelet est assez saillant. Cette nouvelle coiffure fit aussitôt l’unanimité
chez les dragons qui, pour être gens de guerre, n’en étaient pas moins d'humeur galante.
Madame de Pompadour leur reprochant de se présenter partout casque en tête, « même à
l’église », elle n’eut de cesse que Choiseul ne fasse cesser « cet abus » par une décision
circulaire donnée à Versailles le 11 mars 1765 :
« Sa Majesté, considérant que, lorsque les dragons ne sont pas de service à l’église, ils
doivent être considérés comme particuliers et par conséquent remplir les devoirs que la décence
et l’édification exigent, elle veut en conséquence que les dragons-soient tenus de lever leurs

18
8
casques et d’avoir la tête nue à l’église avec le reste des fidèles. Vous aurez agréable d'y tenir la
main. »
Hélas ! pour madame de Pompadour, elle ne vécut pas assez longtemps pour voir le résultat
de son dernier arbitrage, et après son trépas, en 1764, c’est le régiment Dauphin qui assura le
service funèbre tête nue.

De Mailly à Monsieur-Dragons

En 1733, à la veille de la guerre de succession de Pologne, Condé-Dragons voit le nombre


de ses compagnies porté à seize et réparties en quatre escadrons. Chaque compagnie compte
vingt-cinq maîtres montés et dix à pied. Jusqu'à la fin du règne de Louis XV, le tableau des
effectifs ne subit guère de modifications. Suivant l’ordonnance de 1737, Condé-Dragons, aux
ordres du marquis d’Argence, un familier des Bourbon qui a remplacé Goësbriant promu

maréchal de camp, compte alors un mestre de camp, un lieutenant-colonel, un major et un
aide-major ayant presque toujours commission de capitaine, 14 capitaines, 16 lieutenants,
8 cornettes et 16 maréchaux des logis. La troupe comprend 400 dragons, dont 32 brigadiers et
16 tambours. Dans tous les régiments de dragons, le mestre de camp et le lieutenant-colonel sont
capitaines en pied des 1° et 2° compagnies de la formation.
En 1740, le duc de Bourbon décède, en ne laissant qu’un fils très jeune, qui deviendra le
chef de l’émigration. Le régiment devient alors la propriété du chevalier de Mailly et devient
donc Mailly-Dragons. Ses guidons et ses uniformes conservent la couleur cramoisie avec les
armes du chevalier de Mailly : d’or à trois maillets de sinople deux et un. Quelques
changements : én 1742, tous les maîtres sont montés ; mais en 1743, le régiment ne comporte
plus que quinze compagnies regroupées en cinq escadrons. 1744 va être fatale au chevalier. En
cette époque où l'intrigue versaillaise fait autant pour les capitaines que le plus glorieux des
combats, voici que la disgrâce à la cour de la belle comtesse de Mailly entraîne celle de son
beau-frère le mestre de camp qui doit, sous prétexte d’ennuis de santé; se démettre de son
régiment au profit du comte d’Egmont, alors mestre de camp d’un régiment de cavalerie qu'il
abandonne au profit de son frère cadet, si bien que l’on compte alors Egmont-Cavalerie et
Egmont-Dragons.
Après la paix d’Aix-la-Chapelle, en 1748, qui règle la guerre de succession d'Autriche, le
royaume connaît des difficultés financières qui l’obligent à serrer le budget. Les régiments de
dragons sont réduits à 2 escadrons comprenant 12 compagnies, dont 8 montées de 30 dragons et
4 à pied de 60 hommes, au total 480 hommes.

ETAT D'ENCADREMENT
Un mestre de camp
Un lieutenant-colonel
Un commandant des compagnies à pied
Un major
Deux aides-majors

8 COMPAGNIES A CHEVAL
1 capitaine
1 lieutenant
1 maréchal des logis
2 brigadiers
27 dragons
1 tambour

4 COMPAGNIES A PIED
1 capitaine
1 lieutenant
1 lieutenant en second
3 sergents
4 caporaux
4 anspessades
48 dragons
1 tambour

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Au mois d’août 1755, le régiment est reporté à quatre escadrons de quatre compagnies de
même type à quarante dragons. La même année, le comte d’Egmont donne sa démission et est
remplacé par le marquis de Marbœuf. Celui-ci conserve le commandement du régiment jusqu’au
30 novembre 1761 avant d’être lui-même remplacé par le comte de Moreton de Chabrillan, qui
achète le régiment 90 000 livres. Mais le 21 décembre 1762, il n’y a plus que deux compagnies
dans chaque escadron.
Peu de temps après la funeste guerre de Sept Ans, il devient la propriété du chevalier de
Montécler. Le 5 juin 1763, le régiment reçoit ses nouveaux guidons aux armes de son nouveau
mestre de camp : de gueules au lion passant d’or couronné de même. Le Manuel du dragon
donne le détail de la cérémonie qui se pratiquait à l’église devant les officiers, les bas-officiers et
un détachement de trois cents hommes en armes :
« Après la messe, les porte-guidons s’approchaient de l’autel, les guidons droits, et l’évêque
les bénissait en les aspergeant. Ensuite, les prières étant terminées, les portes-guidons allaient se
mettre à genoux aux pieds de l’évêque. Celui-ci qui était assis les embrassait. »
Montécler-Dragons conserve les couleurs de Chabrillan : habit vert, collet vert, parement et
revers aurore et poghe coupée en long. Le 17 avril 1772, chaque escadron est reformé en quatre
compagnies, mais 1l n’en existe plus que trois par régiment. Montécler-Dragons compte alors un
effectif de 384 hommes et 288 chevaux. A la mort de Louis XV, le régiment est l’un des plus
brillants de l’armée royale. Ses combats contre l’Anglais, et aussi ses bonnes fortunes galantes,
lui valent une belle réputation ; et à l’octroi de Paris se fredonne une chanson gaillarde dont seul,
hélas ! le refrain nous est parvenu :
« Je porte l’uniforme vert
Et suis dragon de Montécler. »

Messieurs les Anglais...

En 1740, Charles VI de Habsbourg meurt sans héritier mâle. Par la Pragmatique sanction, il
laisse ses biens héréditaires à sa fille Marie-Thérèse. Certains voient là l’occasion de dépecer
l’Empire, notamment Frédéric II et le parti antiautrichien français. Quant à l’ Angleterre, elle
saisit l’occasion pour essayer de mettre la main sur les colonies françaises et si possible
espagnoles, ce qui aurait en plus l’avantage d’affaiblir les Bourbons.

Frédéric IL, roi de Prusse

Au début des hostilités, les Français réunissent environ 70 000 hommes en deux armées,
commandées par Belle-Isle, en Bavière, et Maillebois, contre le Hanovre anglais. Les premiers
temps de la campagne nous sont très favorables ; mais en 1742, la défection de l’allié de la
France Frédéric II de Prusse et, en 1743, le débarquement de George III au Hanovre
infléchissent le cours de la guerre. Cette année-là, Mailly-Dragons est engagé dans la bataille de
Dettlingen. Malgré tout l’héroïsme du jeune chevalier et de ses dragons, le maréchal de Noailles
est vaincu par les Anglais de George III.
Il aura sa revanche sous les ordres du maréchal de Saxe, le 10 mai 1745, lors d’une journée
restée fameuse et dont Voltaire n’a pas craint de dire qu’elle fut la plus glorieuse depuis
Bouvines. Maurice de Saxe, affaibli par la maladie, est à la tête de l’armée des Flandres qui
compte 106 bataillons complets et 172 escadrons parmi lesquels les dragons. Le maréchal a une
affection spéciale pour les dragons. Dans ses Réveries il leur consacre une attention particulière :
« La cavalerie doit être distinguée en deux espèces : la grosse cavalerie et les dragons. Ces
derniers doivent avoir des chevaux qui ne soient pas au-dessus de 4 pieds 8 pouces ni au-dessous
de 4 pieds 6 pouces. Les hommes doivent être petits, de la taille de 5 pieds 1 pouce, pas
au-dessus de deux. »
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Ce sont ces dragons « bien corsés et bien constitués », qui combattent pour six sous par jour,
quatre livres au capitaine, qui vont amener la plus belle victoire de son règne à Louis XV.
Maurice de Saxe est un remarquable capitaine ; par ses mouvements tactiques, il a dérouté
et épuisé ses adversaires :
« Camper et décamper, couvrir la France, faire subsister son armée aux dépens des ennemis,
aller sur leur terrain lorsqu'ils s’avançaient sur le pays défendu, les forcer à revenir sur leurs pas,
rendre par l’habileté la force inutile. »
Pour une telle tactique, qui mieux que les dragons ? Aussi, Mailly-Dragons, comme ses
frères d’armes, évolue en avant de l’armée, sur ses flancs... Illustrant parfaitement les propos du
maréchal, il fait tout le petit service de l’armée, court les quartiers, charge à la guerre,
escarmouche, sort à bataille en débandade et se reforme avec célérité !
« Tournai est investie. Les Provinces-Unies pressent les alliés de livrer bataille pour
secourir la ville. A la tête de 60 000 hommes, Anglais, Hanovriens, Hollandais, Autrichiens, le
duc de Cumberland marche au secours de Tournai... »
Cette fois, le choc est inéluctable. Le maréchal de Saxe ne peut plus se dérober. Louis XV et
le Dauphin ont rejoint l’armée à cette occasion. Ils assistent à la bataille près d’un moulin, ce qui
vaudra au roi d’être baptisé « Louis du moulin » par quelques briscards irrévérencieux.
« Le maréchal de Saxe établit son armée entre Antoin, Fontenoy et le bois de Barry. Les
dragons sont à droite, en potence, depuis la redoute derrière Fontenoy jusqu’à Antoin. Au
commencement de l’action, ils éprouvent quelques pertes par le feu de l’artillerie ennemie. Les
Hollandais se préparant à faire diversion en faveur des troupes anglaises et hanovriennes, les
dragons se mettent en marche pour les charger. Derrière la ligne d’infanterie, il y a deux lignes
de cavalerie et quatre régiments de dragons : Mestre-de-Camp, Royal, Bauffremont et Egmont,
qui sont aux ordres du duc de Chevreuse. Les Hollandais se retirent rapidement, abandonnant
vingt pièces de canon et leurs blessés. Ce succès rend la victoire complète. »
Les dragons sont envoyés à la poursuite de l’armée ennemie en déroute. Quinze escadrons
parcourent la campagne de Flandre, forçant les fuyards dans une infernale cavalcade. Dans son
poème Fontenoy, Voltaire écrira en parlant des dragons :
« Bientôt vole après eux ce corps fier et rapide,
Qui, semblable au dragon qu’il eut jadis pour guide,
Toujours prêt, toujours prompt, de pied ferme, en marchant,
Donne de deux combats le spectacle effrayant. »
En 1746, poursuivant sur sa lancée, le maréchal de Saxe s’empare de Bruxelles, tandis
qu’Egmont-Dragons se distingue à la bataille de Raucoux que le maréchal remporte sur Charles
de Lorraine. On retrouve Egmont en 1747 au siège de Berg-Op-Zoom, dont la prise ouvre les
portes de la Hollande. Et comme au siècle précédent, voici à nouveau les Français devant
Maëstricht. La ville est investie ; les dragons d’Egmont prennent une part active aux travaux du
siège. Ce sont eux qui ouvrent la tranchée et le cheminement en face de la deuxième porte. Le
7 mai, la place se rend et peu de temps après les pourparlers d’Aix-la-Chapelle aboutissent à une
paix de compromis.

Les malheurs de la guerre de Sept Ans

Il faudra moins de sept ans avant que la guerre n’embrase à nouveau l’Europe et avec elle
les possessions des différents belligérants à travers le monde. Née de la querelle entre
Marie-Thérèse et Frédéric II sur la Silésie et de l’expansionnisme anglais avide de conquérir
l’ Amérique du Nord et les Indes, elle aura sur la France les funestes conséquences que l’on sait.
Après la paix d’Aix-la-Chapelle, Egmont-Dragons avait séjourné quelque temps en
Belgique, d’abord à Louvain, puis il avait établi ses quartiers à Enghein, à Braisne-le-Comte et à
Soignes. Lorsque l’armée du duc de Chevreuse a quitté la Belgique, le régiment est parti tenir
garnison à Toul.
En 1755, peu de temps avant le début de la guerre de Sept Ans, on retrouve le régiment au
camp de Gray. Au mois de juillet, il a changé de propriétaire, passant, nous l’avons vu, au
marquis de Marbœuf. Dans la campagne qui s’annonce, Marbœuf est chargé d’une mission
ingrate, mais déterminante pour la sécurité du royaume : la surveillance des côtes normandes et
bretonnes. Jusqu’en 1756, rien ne se passe, pas la moindre voile britannique à l’horizon ; puis,
en 1757, les événements s’accélèrent. Les Anglais viennent tâter les défenses côtières à Paramé,
puis à Cancale en juillet 1758, et enfin ils tentent de débarquer à Saint-Cast, le 2 septembre de la
même année.
Le 4 septembre, le duc d’Aiguillon et le comte d’Aubigny sont informés que la flotte
anglaise a débarqué environ 1 500 hommes qui bivouaquent entre Saint-Briac et Dinard.
Aussitôt, ils décident de marcher sur eux en deux colonnes dont les escadrons de Marbœuf
assurent l’ossature ; l’infanterie étant fournie par des gardes-côtes bas-bretons et par des milices
villageoises. A l’approche de ces troupes, les Anglais lèvent le camp et commencent à

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rembarquer dans la journée du 10. Le duc d’Aïiguillon, se sachant inférieur en nombre et
craignant que l’ennemi ne le découvre, a recours à une ruse pour hâter le départ des Anglais. Il
envoie un dragon de Marbœuf se faisant passer pour déserteur auprès du chef anglais. Il doit lui
révéler l’importance des forces qui va les attaquer...
« Pendant la nuit du 10 au 11, il y a plusieurs alertes : l’une d’elles est produite par
300 gardes-côtes bas-bretons, couchés dans un verger, qui, entendant passer une patrouille,
demandent : Qui vive ? A la réponse Marbœuf ! rendue par la patrouille, les Bretons
comprennent “Marlborough” et font feu aussitôt. Les dragons tombent sur eux, le sabre à la
main, et en tuent quelques-uns, les autres se dispersent sans qu’on puisse les rallier. »
D’autres récits, notamment celui du recteur de Saint-Cast et le journal d’un sieur Rioust des
Villes-Andrains, expliquent cette affaire par une méprise : peu familiers des choses militaires,
les gardes-côtes auraient confondu l’uniforme des dragons de Marbœuf avec l’habit rouge des
Anglais.
Dans la journée du 11, la bataille s'engage véritablement. Au début, le succès semble
sourire aux Anglais et déjà ils crient victoire ! C’est alors que monsieur d’Aiguillon fait avancer
contre eux la colonne de monsieur de Broc, forte de six compagnies de grenadiers, de dix piquets
d'infanterie et de quatre cents dragons de Marbœuf à pied, le terrain empêchant que l’on en fît
usage à cheval. Surpris, l’ Anglais est balayé par la fougue des dragons qui le rejettent à la mer en
grand désordre. À la suite de cette journée, le marquis de Marbœuf est promu brigadier, mais
n’en abandonne pas pour autant le commandement de son régiment.
Echaudé par ces tentatives répétées de raid sur nos côtes, Choiseul maintient Marbœuf en
Bretagne jusqu’au traité de Paris qui clôt la guerre de Sept Ans en 1763.
Quelque temps auparavant, le régiment, qui était devenu Montécler-Dragons, avait
embarqué sur le vaisseau de ligne Royal-Louis pour l’expédition du Brésil sous les ordres du
comte d’Estaing. Mais la paix ayant été conclue, l’expédition fut annulée.

MONSIEUR-DRAGONS

Pendant le règne de Louis XVI, la France ne connaîtra qu’une aventure extérieure : la


guerre d'indépendance américaine, de 1775 à 1783. Encore n’y participe-t-elle qu'avec de
faibles moyens. Il semble bien que l’époque des guerres qui embrasaient régulièrement l’Europe
soit révolue. La dette du royaume s’alourdit et le fossé des privilèges ne fait que s’accroître. Des
émeutes dues à la famine sanctionnent la politique de Turgot, puis celle de Clugny. Necker est
appelé aux affaires. Dans l’armée, où la cause des /nsurgents américains est populaire, les idées
nouvelles se propagent rapidement et bon nombre d’officiers, à l’exemple du marquis de La
Fayette, adhèrent à la franc-maçonnerie. Toutefois les dragons ne sont que peu touchés par ce
mouvement.
En 1774, Montécler-Dragons brille de mille feux. A l’occasion d’une revue, le comte de
Provence, qui deviendra Louis XVIII à la Restauration, manifeste hautement son admiration
envers ces cavaliers de premier plan. Il exprime d’une telle manière son désir de devenir le
propriétaire de ce régiment que le mestre de camp, Henry de Montécler, ne peut se dispenser
d’en faire hommage au prince. La rumeur publique se fit longtemps l’écho d’un bruit qui
attribuait la mort du chevalier de Montécler, survenue dans la même année, au chagrin d’avoir
été obligé de quitter son régiment. |
Le régiment prend donc, par ordonnance du 2 février 1774, le nom de Provence. Le
commandement en est confié à Claude-Louis de La Chastre-Nançay, un ami dévoué du Prince.
Trois mois après, à l’avènement de Louis XVI, le comte de Provence quitte son titre et prend
celui de Monsieur que la mort de Louis XV a remis en usage. Le 20 mai 1774, le régiment reçoit
donc le nom de Monsieur-Dragons qu’il conservera jusqu’en 1791. Cette fois, 1l prend rang
après Dauphin, alors que, de 1724 à 1740, il avait marché derrière Orléans avant de retrouver
son rang de création : le treizième.
En 1776, une réforme fondamentale intervient dans la cavalerie. La compagnie devient
l’escadron ! Chaque régiment de dragons compte alors quatre escadrons de cent hommes
auxquels on adjoint un escadron de chasseurs à cheval. L’unité compte au départ cinquante-huit
dragons montés, puis, par augmentations successives, quatre-vingt-onze montés et neuf à pied. Il
est créé également, par la même ordonnance, une compagnie auxiliäire destinée à servir de
dépôt. Son existence sera éphémère, puisque dissoute la même année. Dans les Mémoires du
comte de Saint-Germain, alors ministre de la Guerre, on trouve la composition suivante de
l’état-major d’un régiment de dragons :

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MONSIEUR-DRAGONS

1 colonel commandant
1 colonel en second
1 lieutenant-colonel
1 major
2 portes-guidons
1 chirurgien
1 maître-maréchal expert
1 armurier
1 quartier-maître trésorier
1 adjudant
1 aümônier
1 maître-sellier

ESCADRON COLONEL (1)

1 capitaine commandant
1 capitaine en second
1 lieutenant
1 lieutenant en second
2 sous-lieutenants
1 cadet gentilhomme
1 maréchal des logis-chef
1 maréchal des logis
1 fourrier-écrivain
8 brigadiers
152 dragons
2 trompettes
1 frater
1 maréchal-ferrant

ESCADRON ORDINAIRE (2)

1 capitaine commandant
1 capitaine en second
1 lieutenant
1 lieutenant en second
2 sous-lieutenants
1 cadet gentilhomme
1 maréchal des logis-chef
1 maréchal des logis
1 fourrier-écrivain
8 brigadiers
152 dragons
2 trompettes
1 frater
1 maréchal-ferrant

(1) Cet escadron est placé sous les ordres du colonel en second et peut détacher des hommes à l’escadron
auxiliaire.
(2) Il existe trois escadrons de ce type dans un régiment de dragons.

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Le comte de La Chastre ayant été nommé maréchal de camp, le 10 mai 1778,
Monsieur-Dragons passe sous le commandement du comte de Damas, autre ami intime de
Monsieur. En 1779 et en 1784, de nouveaux changements interviennent dans la composition des
régiments : les chasseurs sont retirés pour former six nouveaux régiments de chasseurs à cheval
qui continuent néanmoins à compter dans l’arme des dragons ; puis ils sont assimilés à la
cavalerie, disposant cette fois d’un statut sans ambiguïté. De cette époque date probablement
leurs trompettes. En 1787, on double le nombre des escadrons qui sont mis sous les ordres d’un
chef d’escadrons, grade créé à cette époque. L’année suivante, le régiment revient à trois
escadrons de deux compagnies chacun, structure qu’il conservera au début de la Révolution.
A cette époque, les emblèmes des dragons sont soumis à la même loi de 1776 qui a modifié
les tableaux d’effectifs des régiments. Le nombre des guidons est réduit à deux par régiment.
Monsieur-Dragons conserve la couleur cramoisie qu’il porte depuis 1740 et qui est celle de la
plupart des régiments de dragons, comme le bleu est la couleur générale des troupes de cavalerie
de cette époque. Les deux faces sont identiques, semées de fleurs de lys d’or avec un « M »
couronné en or à chaque coin, les broderies qui font le tour du guidon sont de riches rinceaux en
or et argent mélangés, les franges alternent or et argent. Au centre, on trouve un médaillon
représentant un griffon ; au-dessus est inscrite cette devise, devenue celle des dragons : « Nune
leo, nune aquila. » Allusion au double rôle des dragons : combattant à pied comme des lions et
pouvant se déplacer avec la rapidité de l’aigle fondant sur sa proie.

Le dragon à la veille de la Révolution

Vingt ans après la grande réforme et la grande ordonnance de Choiseul, l’organisation a


changé, mais l’uniforme poursuit une évolution lente, empreinte de tradition. Les textes de 1776
et de 1784 ne feront qu’entériner une volonté somme toute conservatrice à laquelle on arrache
parfois une concession. C’est ainsi que Monsieur-Dragons, qui a pris les revers et parements
écarlates, le collet jonquille rabattu et les boutons blancs aux armes de Monsieur, retrouvera les
revers et les parements aurore en 1784.
En 1786, le dragon achève sa mutation en « cavalier de ligne ». Bien sûr, il est tout de vert
vêtu et porte le casque, car ce sont cette couleur et cet attribut qui « font » le dragon !
Eminemment décoratif, le casque n’a pratiquement pas évolué depuis 1767 : même bombe
de cuivre à cimier estampé, crinière de crin noir, ou blanc pour la compagnie du
colonel-général ; le bandeau restant de « chien marin » réglable sur la nuque. L'innovation réside
dans l’adoption d’une houppe distinctive aux couleurs des compagnies fichées sur la gauche du
casque. L’ancien bonnet, si utile au cantonnement, est devenu le « bonnet de police », taillé bien
évidemment « à la dragonne », c’est-à-dire avec une longue flamme dont la pointe frangée se
rabat sur l’épaule gauche de l’homme.
« Les cheveux du dragon doivent être liés en catogan avec un ruban noir noué en rosette.
Les faces (cheveux des tempes) sont coupés “à l’avant-garde”, à la dernière mode. »
En sus de l’habit, qui reste traditionnel avec ses revers et parements aux couleurs du
régiment, le paquetage du dragon s’augmente d’un surtout taillé en frac (droit devant avec une
seule rangée de boutons) et d’un gilet court, coupé dans les restes de vieux surtouts. La chemise,
blanche, est celle qui a cours dans toute l’armée et la veste est celle de l’infanterie. La culotte est
en mouton ou, pour les plus aisés, en peau de daim, bien plus résistante :
« Le système de fermeture se fait à pont-levis et le réglage de taille par une forte boucle au
niveau des reins du cavalier. »
Le manteau de drap gris-blanc, toujours garni de ses trois brandebourgs, a gagné un
capuchon qui protège le casque en cas d’intempéries. A cheval, le dragon porte des bottes molles
en cuir de veau fort et garnies d’éperons noircis. En service à pied, il porte des guêtres de toile
noire montantes. Les gants sont en peau jaune.
L'équipement et l’armement des dragons se composent d’un ceinturon « à la hongroise » de
buffle blanc d’où partent les bélières qui supportent le fourreau du sabre type 1784, d’un
porte-giberne en buffle blanc et d’une giberne en cuir de vache contenant quarante et une
cartouches et une fiole d’huile. Le fusil à baïonnette et le pistolet sont du modèle 1777. Le
harnachement est identique à celui de la cavalerie. La selle comporte, à gauche, la fonte du
pistolet, à droite, un porte-outil.
Comme le corps des officiers qui a connu plusieurs innovations, la hiérarchie de la troupe
s’est élargie et structurée. Elle comporte neuf rangs qui subsisteront pour la plupart durant la
Révolution et sous l’Empire :

GRADES
Dragon rengagé Appointé Fourrier
Maréchal-ferrant Brigadier Maréchal des logis-chef
Dragon-gentilhomme Maréchal des logis Adjudant

24
LU

LES ARMÉES DE LA RÉVOLUTION

Le 14 juillet 1789, l’armée royale disséminée dans ses garnisons des marches de l’Est
effectue l’exercice comme à l’accoutumée. Seuls quelques régiments sont sujets à l’agitation
révolutionnaire, ce qui n’est pas le cas des dragons.
En 1790, Monsieur-Dragons est cantonné à Thionville. La Lorraine est calme ; elle a
relativement bien accueilli l’Assemblée nationale et la monarchie constitutionnelle lorsque
soudain éclate l’émeute. Elle n’est pas le fait d’une populace affamée, mais, stupeur, des
meilleurs et des plus fidèles régiments du roi : les Suisses se sont révoltés ! Le 31 août,
Monsieur-Dragons est désigné pour faire partie des troupes que rassemble monsieur de Bouïillé
pour réprimer la mutinerie qui s’est étendue à toutes les casernes de Nancy. La situation est
délicate, il s’agit de compagnons d’armes.. Monsieur de Bouillé envoie un de ses officiers
parlementer avec les mutins ; puis lui-même leur tient le langage dé la fermeté. Ceux-ci vont
peut-être céder lorsque des coups de feu éclatent ; l’affrontement devient dès lors inévitable. Au
plan militaire, la situation est favorable aux Suisses. Ils sont retranchés dans les casernes, et le
marquis, qui ne dispose que de peu d’infanterie, peut difficilement lancer ses dragons dans les
rues étroites de la ville où ils seraient décimés par les feux de salves partant des embrasures. Les
dragons sont obligés de mettre pied à terre et combattent avec ardeur. Ce n’est qu’après une lutte
opiniâtre que les dragons de Monsieur se rendent maîtres des principales bastilles des Suisses. Il
faut encore quelques heures et de nombreux morts pour que le marquis de Bouillé obtienne la
reddition des régiments mutinés. La répression sera terrible ; supplices et exécutions se
succéderont sur la place Stanislas.
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Le 13° régiment de dragons
Comme les autres corps constitués de la nation, l’armée royale n’échappera pas à la volonté
réformiste des élus du peuple. Le 1° janvier 1791, une loi votée par l’Assemblée nationale
constituante remplace l’armée royale par l’armée française et instaure la numérotation des
unités. Les régiments prendront le numéro que leur confère leur rang d’ancienneté dans l’arme
d’appartenance.
C’est ainsi que Monsieur-Dragons abandonne son titre pour prendre le numéro 13 qui
correspond à son rang lors de sa fondation en 1676. Le comte de Damas d’Antigny, s’il garde
son brevet de colonel délivré par le roi, n’en devient pas moins le premier chef de corps du
13° régiment de dragons. Chaque régiment reste cependant à trois escadrons de deux
compagnies comprenant chacune quatre officiers, onze gradés et soixante dragons. Au mois de
juin 1792, le 13° dragons totalise 492 hommes et il passe à la cavalerie légère. Les guerres de la
première Coalition provoqueront à plusieurs reprises des fluctuations d’effectifs et la création
d’un dépôt permanent. Par exemple, en février 1793, les deux escadrons qui se trouvent sur la
Roër ne comptent plus que 351 hommes. Un an plus tard, les trois escadrons de guerre ne
comprennent plus que 203 hommes et 19 officiers, alors qu’au 1°" janvier 1794, le dépôt est fort
de 200 recrues. Il faudra le décret du 10 janvier 1794 pour stabiliser les régiments à quatre
escadrons. À la fin du mois de mai, le 13° dragons compte 857 hommes et 455 chevaux. Dans les
derniers mois de 1796, ce sont 50 officiers, 900 hommes et 650 chevaux qui entreront en
campagne dans l’armée d’Helvétie.
Sur la lancée de l’ Ancien Régime, lorsque débutent les hostilités, en 1792, l’armée
révolutionnaire est encore, bien armée, équipée et habillée, particulièrement la cavalerie, qui ne
connaîtra que rarement la pénurie de l’équipement. Ce n’est que plus tard que l’image du
Volontaire de l’An II, chère à Victor Hugo, « ce va-nu pieds superbe sur le monde ébloui »,
s’imposera au monde. En attendant, seule l’infanterie, dont l’afflux de volontaires gonfle les
effectifs, souffre de ce manque d’armement. En 1792, les fusils sont retirés aux dragons pour
être distribués aux fantassins. La « levée en masse » de 1793 aggravera encore le problème, mais
en 1796, dans l’armée d’Italie, Bonaparte fera rendre les fusils à ses dragons et, très rapidement,
tous les régiments en seront à nouveau pourvus.
L’uniforme reste celui de 1786, hors le collet de l’habit, qui est redevenu droit, et les
basques, qui se sont un peu allongées. Récemment, les dragons ont adopté les gants à crispin.
Pour conduire les armées de la nation à la victoire, les emblèmes les plus divers rassemblent
les soldats. Ils sont de couleurs composites et chargés de devises républicaines ou d’allégories
révolutionnaires entourant le numéro d’unité qui se trouve au centre. Les deux faces sont
semblables. Toutefois, on ne trouve pas trace d’un étendard ou d’un guidon du 13° régiment de
dragons jusqu’au Consulat.
Ce qui créera le plus de problèmes aux armées de la Révolution, c’est le manque de cadres
qualifiés. Dès le 16 juillet 1789, l’émigration du comte d’Artois provoque le départ de bien des
nobles, de prêtres réfractaires et d’officiers des armées « royales » qui entraînent dans leur fuite
de nombreux soldats qui leur demeurent fidèles.
Depuis la prise de la Bastille, la situation de la monarchie n’a cessé de se dégrader. Chaque
événement, de l’abolition des privilèges, le 4 août 1789, à la démission de Necker, le
4 septembre 1790, a contribué à saper l’autorité du roi. Aujourd’hui, en ce début du mois de juin
1791, il n’est plus qu’un symbole, otage des sections révolutionnaires, retenu aux Tuileries.
Devant la montée des périls, l’ambassadeur d’Autriche, Mercy-Argenteau, convainc la reine de
rejoindre l’Autriche avec Louis XVI et ses enfants. C’est « le chevalier servant » de la reine,
Axel de Fersen, qui est chargé de la bonne exécution de l’opération. Le 20 juin, vers minuit, la
famille royale, accompagnée du comte de Fersen, quitte les Tuileries. Une première étape doit
lui permettre de gagner Nancy pour se mettre sous la protection des troupes du marquis de
Bouillé. Celui-ci envoie le 13° dragons pour assurer l’escorte de la berline et place des troupes
sur le parcours. Dans l’après-midi du 21, la famille royale est à Somme-Vesle ; à 20 heures, elle
arrive à Sainte-Menehould, puis elle poursuit en direction de Varennes, qui, à la suite d’un
malentendu, est dégarnie de troupes. Lorsque le colonel de Damas, à la tête d’un détachement de
dragons, arrive au relais de poste, il est trop tard ; sur la dénonciation de Drouet, Louis XVI a été
reconnu et arrêté. Les gardes nationales sont rassemblées. Le colonel de Damas essaie en vain de
faire libérer le roi ; mais les dragons sont désarmés, et son dévouement ne réussit qu’à le faire
arrêter lui-même. On le mène à Paris où l’Assemblée législative le fait emprisonner.
Pendant l’année 1792, le régiment, où le comte de Damas a été remplacé par le baron de
Malvoisin, voit disparaître à peu près tous ses officiers : les uns, emprisonnés comme suspects, les
autres, obligés d’émigrer. Malvoisin lui-même est surveillé par les sectionnaires. Les menaces de guerre
ne laissent guère le loisir de former une nouvelle classe d’officiers. Ceux-ci sont recrutés un peu au
hasard, selon leur empressement à servir la cause révolutionnaire, au sein de la troupe, après un vote
auprès des compagnons d’armes. Ils ne manquent ni de cœur ni de courage, mais les moyens ne sont
pas toujours à la hauteur de leur bonne volonté ; un grand nombre ne savent ni lire ni écrire. Sous le
Consulat, à l’issue d’une inspection du régiment, le général Boursier précisera dans son rapport :
26
« J’en trouve encore cinq ne sachant pas lire, dont deux capitaines en l’année 1799. »
Néanmoins, les belles traditions du 13° dragons se perpétuent au milieu du désordre
général. Et si, aux premiers temps de la guerre, la manœuvre est imprécise et le mouvement
hésitant, « s’il n’est pas toujours heureux dans les opérations, c’est que la direction lui fait
défaut, mais les actes de courage individuels, d’adresse et d’audace dans les petites rencontres,
sont toujours aussi fréquents que par le passé ».
Un an après Varennes et les désordres qui s’ensuivirent, le 13° dragons est à Thionville. Il
mobilise deux escadrons de cent cinquante hommes chacun, qui rejoignent l’armée du Centre
commandée par La Fayette et qui barrent la frontière nord. Avec les 21° et 23° de cavalerie, le
« 13 » forme l’aile gauche de cette armée, aux ordres du général Stengel, et s’installe à
Maubeuge.
Le 19 juillet 1792, La Fayette, qui négocie avec les Autrichiens pour ramener son armée à
Paris et rétablir la monarchie constitutionnelle, est décrété d’accusation. Après sa fuite, le
lieutenant-général Dumouriez prend le commandement de l’armée du Nord. Le 13° dragons se
trouve au camp retranché de Sedan quand son chef de brigade, M. Malvoisin, est appelé à
Versailles. Il y est massacré le 9 septembre avec d’autres prisonniers, selon les ordres de la
Commune de Paris. Dumouriez nomme à sa place monsieur de Murnan, ancien officier du génie,
puis colonel d’infanterie. Bien qu’il ait supprimé son titre, Murnan n’en sera pas moins dénoncé
comme gentilhomme et obligé de s’enfuir avec Dumouriez quand celui-ci sera menacé
d’arrestation après la défaite de Nerwinden en 1793.

Les barrières de la République

Au mois de février 1792, la pression des ennemis de la République s’accroît aux frontières.
« La victoire en chantant... » n’est guère de mise sur les bancs de l’ Assemblée législative ; par
dérision, dès les premiers accrochages, les volontaires ont été surnommés « vaincre ou courir » |
Après les massacres de septembre et l’emprisonnement de Louis XVI au Temple, les Prussiens
du duc de Brunswick marchent sur Paris par Verdun, qui tombe entre leurs mains, et Châlons.
Dumouriez porte son armée sur les défilés de l’Argonne pour les arrêter. Le 15 septembre, le
13° dragons se heurte aux avant-gardes de Brunswick, puis il se replie vers le défilé du
Chêne-Populeux que garde le général Dubousquet avec quatre bataillons. Le 16 au soir,
Dubousquet reçoit l’ordre de quitter la position et de se retirer à Rethel. L’ennemi, qui stationne
en force à Vouziers, pense surprendre la colonne, mais c’est sans compter avec le 13° dragons
qui engage le combat à l’arrière-garde et repousse les Prussiens en leur tuant une cinquantaine
d’hommes, leur prenant dix chevaux et faisant douze prisonniers.
Dumouriez concentre son armée au camp de Braux, en avant de Sainte-Menehould, entre
l’Aisne et l’Aire. Le 19, le regroupement est achevé, et le 20 septembre 1792, Dumouriez rejoint
Kellermann qui, faisant retraite depuis la Sarre, s’est installé sur les hauteurs près du moulin de
Valmy. Le 13° dragons forme division avec les 21° et 23° de cavalerie sous les ordres du
maréchal de camp d’Hargest et du lieutenant-général Leveneur. Les deux armées sont face à
face. Quelques mouvements de cavalerie, la ligne prussienne qui s’avance, puis la canonnade
qui dure de 7 heures du matin à 7 heures du soir. Elle coûte quelques hommes au 13° dragons,
qui subit le bruit du canon avec le calme des vétérans. Puis, au cri de « Vive la nation ! », le

27
chapeau planté sur les baïonnettes, à l’image de Kellermann, les Français reprennent leurs
positions tandis que les Prussiens se retirent. L’armée des princes, manquant de tout, minée par
la dysenterie, abandonne son camp et bat en retraite dans la nuit, harcelée par des parties de
dragons. Dans les jours qui suivent, Bourbon et Condé perdront leurs illusions et leurs armées
seront dispersées.
C’est alors que Dumouriez décide de ramener l’armée vers le nord. Le 22 octobre, le
13° dragons arrive à Valenciennes et s’installe au camp de Famars.
A l'issue de la sanglante victoire de Jemmapes, Dumouriez décide de pousser son avantage
en Belgique et en Sarre. Les deux escadrons du « 13 » font partie de la brigade en flanquement
sur la droite de l’armée de Belgique commandée personnellement par Dumouriez. La brigade est
aux ordres du colonel de Frégeville, du 11° chasseurs à cheval. Au cours de l’avance, elle livre
quelques combats d’avant-postes et prend part à quelques escarmouches lors des
reconnaissances. Les dragons se distinguent à plusieurs reprises :
« Dans la nuit du 11 au 12 novembre, le dragon Le FI6 de Kerléan est commandé pour aller
à la découverte. Averti que cinq bateaux chargés descendent le canal d’Innoven, il se met à leur
poursuite et force six hommes qu’il rencontre à se réunir à lui. Il attaque le convoi, met les
hussards d’escorte en déroute, en tue plusieurs, prend quinze fantassins et canonniers préposés à
la garde des bagages et s’empare des cinq bateaux. » Le jeune volontaire sera nommé officier au
régiment pour ce fait d’armes, et, sous l’Empire, nous le retrouverons cité à plusieurs reprises,
notamment en Espagne.
Jemmapes a rendu Clerfayt, le général autrichien, extrêmement prudent ; à tel point qu’il en
est inactif ! Dumouriez en profite pour se porter sur Liège par Saint-Trond et, le 27 novembre, au
petit matin, il attaque l’arrière-garde autrichienne dans tous les villages où elle bivouaque
encore. À 9 heures, il entre dans Liège sans coup férir. Les deux escadrons du 13° dragons font
toujours partie des « flanqueurs » de droite quand, le 11 décembre, la brigade Frégeville attaque
l’ennemi et le refoule dans le bourg de Verviers. Le lendemain, renforcée par le 3° chasseurs à
cheval et quelques troupes du général Stengel, elle chasse les Autrichiens de la ville et les oblige
à se retirer au-delà des hauteurs qui la dominent. A partir du 14 décembre, les dragons prennent
position le long de la Roër et restent deux mois en couverture du siège de Maëstricht que mène le
général Miranda.
Au début de 1793, les Autrichiens se sont ressaisis et, pendant que le siège de Maëstricht se
poursuit avec lenteur, ils concentrent leurs forces à Juliers pour porter un coup décisif. A ce
moment, l’armée française compte 43 000 hommes, mais elle est disséminée sur une grande
étendue, de Venloo à Stavelot, sur la Roër et sur la Meuse. A titre d'exemple, le 3° escadron du
régiment n’a rejoint Cambrai que tout récemment, après avoir participé à la défense de
Thionville assiégée par les Prussiens. A la veille d’une campagne difficile, le 13° dragons
présente l’ordre de bataille suivant :

Colonel : Murnan
Lieutenant-colonel : Daubignan
Quartier-maître trésorier : Bridault
CAPITAINES
Chevalier
Moujot
Durand
Couroler
Benazé
Dumetier
LIEUTENANTS
Fourine
Fouque
Lochet
Hag
Casseneuve
Dubois

SOUS-LIEUTENANTS
Ragon Lyonnais
Privé FI6 de Kerléan
Dumas Laboré
Barroteaux Wathier
Mahon Planchon
Fressard Dordanne
28
a"

Dumouriez

Le 1” mars, Clerfayt et l’archiduc Charles de Habsbourg passent la Roër à Juliers et à


Düren. Surprises, les troupes françaises, commandées par le général La Nouë en l’absence de
Dumouriez, abandonnent précipitamment leurs cantonnements. La Nouë rassemble tant bien que
mal deux régiments d’infanterie, soutenus par les escadrons du 7° et du 13° dragons, pour tenter
de tenir à Aldenhoven. Malgré tout leur héroïsme, fantassins et dragons, qui combattent à pied,
sont hachés à mitraille, écrasés par la cavalerie des corps de Clerfayt et Latour. Après avoir
perdu un millier d'hommes et douze canons dans différents engagements, La Nouë bat en
retraite sur les hauteurs d’Aigneux, à proximité de Liège.
S’ensuit alors une longue et funeste période pour les armées de la République. L’archiduc
Charles s’empare de Tongres ; le 18 mars, il bat Dumouriez à Nerwinden. Ce dernier se replie
sur Bruxelles qu’il atteint le 24 mars. Menacé d’arrestation par la Convention, il livre les
commissaires et passe aux Autrichiens. Il faut toute la fermeté de son chef d’état-major, le futur
maréchal Macdonald, pour empêcher les soldats de le suivre. Toutefois, le colonel Murnan,
devenu à son tour suspect, est obligé de fuir avec Dumouriez. Le chef de brigade Chanoine de
Rocmont lui succède au commandement du 13° dragons et le général Dampierre est nommé à la
tête de l’armée.
Au 1° mai, le régiment, porté à quatre escadrons, tient plusieurs garnisons dans le Nord : un
escadron au camp de Sin, près de Douai, un escadron de dépôt à Lille et, surtout, deux escadrons
en protection aux Ecluses-près-le-Lille, sous, les ordres du général La Marlière. Dans les mois
qui suivent, le 13° dragons ne quitte plus les environs de Douai, où il a de fréquents accrochages
avec l’ennemi lors de reconnaissances ou de patrouilles aux avant-postes. Ainsi, le
sous-lieutenant Lochet est blessé lors d’une sortie dans les environs de Douai, le 4 juin ; puis,
une semaine plus tard, le brigadier Palson est tué lors d’un corps à corps...
Après la trahison de Dumouriez, la campagne reste longtemps indécise. Houchard
obtient quelques succès, notamment à Hondschoote, le 8 septembre 1793 ; mais, un mois
plus tard, l’Autrichien Wurmser force les lignes françaises à Wissembourg. Il faut attendre le
16 octobre pour que Jourdan et Carnot rétablissent la situation dans le Nord. Puis les coalisés
envahissent à nouveau la Flandre française. Cette fois, c’est Moreau qui leur est opposé.
Tout au long du printemps de 1794, le 13° dragons est sur la brèche et ses hommes se
distinguent en maintes occasions. Le 19 avril, le dragon de deuxième classe Roux charge
furieusement un parti de hussards hessois lors du combat d’Abscon. Il les force à se retirer,
mais est blessé de plusieurs coups de sabre. Il est nommé sous-lieutenant sur le champ de
bataille. Le 26 avril, c’est au tour de l’adjudant Bullot de se montrer à son avantage et
d’accéder à l’épaulette. Le 9 mai, à Boissieux, près de Tournai, c’est tout le régiment qui
livre un magnifique combat et contient un ennemi très supérieur en nombre. Comment les
citer tous ? Il y a là Dubois, Procope et Vathier, tous trois capitaines au feu et blessés dans la
bataille, et les dragons déchaînés qui sabrent à tout va !
-Le 18 mai, Moreau est victorieux à Tourcoing ; le Nord est reconquis pour la deuxième
fois. Au mois de juillet, il achève la conquête de la Belgique. En septembre, tandis qu’il
lance une offensive à travers la Belgique vers la Rhénanie, Pichegru attaque la Hollande.
Dans son armée, le 13° dragons qui se signale tout particulièrement au combat de Grave, le
19 septembre 1794. Alors que la bataille fait rage, voici que le sous-lieutenant Ranville,
emporté par sa fougue, se trouve isolé au milieu de l’ennemi. Il est sur le point d’être pris
quand le brigadier Brunon surgit et l’aide à se dégager. Trois ans plus tard, Brunon, alors
fourrier, récidivera, le 21 avril 1797, en sauvant pour la deuxième fois le lieutenant Ranville
en fort mauvaise posture contre deux hussards de Blankenstein, qu’il sabre et met hors de
combat. Il est lui-même blessé dans ce duel et il recevra, en 1799, un sabre d’honneur. Le
même mois, le 13° dragons est au premier rang lors de la prise de Bréda, le brigadier
Gaignant enlève un drapeau ennemi. Le 27 décembre 1794, le 13° dragons combat encore

29
devant Nimègue. C’est son dernier titre de gloire en Hollande, car dès le début de 1795, il est
affecté à l’armée de Hoche, en Vendée, où 1l demeure jusqu’à l’été 1796.
Au mois d’octobre, alors que Bonaparte vole de victoire en victoire en Italie, le 13° dragons
rejoint Moreau qui a été placé à la tête de l’armée de Rhin-et-Moselle créée par Carnot. Battu à
plusieurs reprises en Forêt-Noire, Moreau repasse le Rhin ; l’archiduc Charles $’empare de Kehl
et tient la rive droite du fleuve. Aussi, lorsqu’en avril 1797 les Français reprennent l’offensive,
leur faut-il franchir le Rhin de vive force.
Moreau a choisi de passer à Diersheim. Enfin une occasion de se distinguer pour le
13° dragons placé à l’avant-garde de l’armée. Car depuis l’automne précédent, après l’intermède
Fouque à la tête du régiment — un ancien tambour-major sans instruction, et de surcroît
incapable — et après la retraite de l’hiver effectuée dans des conditions pénibles, rien de bien
exaltant n’était apparu dans la grisaille quotidienne. Aujourd’hui, c’est un millier de dragons,
sous le commandement du nouveau chef de brigade, le colonel Baron Roget de Belloguet, qui
sont impatients d’en découdre avec les Autrichiens.
Le 21 avril, malgré la canonnade, l’armée franchit le fleuve de force, dragons et hussards en
tête. Le sous-lieutenant Barthélemy, qui charge à ta tête de son peloton, est tué avec plusieurs
cavaliers par un tir à mitraille. Malgré cela, le régiment a pu passer et se regroupe avec le
8° hussards. Sous les ordres du colonel de Belloguet, la brigade ainsi constituée charge le
régiment d’Alton et le taille en pièces. Le sous-lieutenant Desgarennes et le maréchal des logis
Thourx s’emparent de deux drapeaux autrichiens. L’ennemi abandonne également trois canons
et six cents prisonniers aux mains des Français.
Les préliminaires de Léoben et le traité de Campoformio signé le 17 octobre 1797 marquent
la fin des hostilités en Italie et sur le Rhin. Seule l’ Angleterre demeure en guerre ; en 1798, elle
réunit la Turquie, l’ Autriche, le Portugal, Naples et la Sardaigne, la Russie dans une nouvelle
coalition contre la France.
Bonaparte en Egypte, il revient à Moreau, avec l’armée du Rhin, et à Masséna, avec l’armée
d’Helvétie, de soutenir le choc des coalisés. Le 22 septembre 1798, le 13° dragons est détaché à
l’armée d’Helvétie. Après plusieurs mois de manœuvres et de chevauchées, les opérations
prennent une dimension nouvelle avec l’arrivée de Souvarof et des Russes en Suisse et en Italie.
A partir du mois de mars 1799, Masséna doit combattre deux armées. Le 6, il se heurte aux
Autrichiens à Feldkirch. Le 13° dragons signe là un des plus beaux exploits de la campagne.
Franchissant au galop le pont qui enjambe le Rhin, le capitaine Dumas, à la tête de son escadron,
charge l’artillerie ennemie. Le sous-lieutenant Simon est tué au cours de l’action, mais les
dragons s’emparent de quatre canons et font 880 prisonniers. À Frauenfeld, le 24 maï, à
Rapperschwyl, à Winterthur, le 25 septembre, ils chargent. A Zurich, 1ls sont de cette phalange
conduite par Masséna, « l’Enfant chéri de la Victoire », qui écrase les fantassins de Souvarof et
les lanciers de Korsakov. Puis il y a la défense du fort Paradis, à Schaffhouse, et le capitaine
Dumas, qui se signale une nouvelle fois par son audace et sa vaillance ; avec son escadron, il
n'hésite pas à charger un corps autrichien de 2 000 chevaux qu’il fait reculer en débandade sur
une lieue. Cet exploit lui vaut d’être nommé chef d’escadrons sur le champ de bataille. Au mois
de novembre 1799, le 13° dragons ne compte plus que 525 hommes, officiers compris.

1H VIE.
41
ET" TO à te Et et Es 1" © H AR pe SA

Entrée des Français à Milan le 14 mai 1790 (d'après Carle Vernet)

30
LE CONSULAT

En ce début de siècle, malgré le coup d’Etat du 18 brumaire, les Français sont pessimistes :
le danger à l’extérieur, la faillite et l’insécurité à l’intérieur, sans parler des haines qui divisent la
nation, des conflits d’intérêts ou des rivalités qui agitent les allées du pouvoir. L'expédition
d'Egypte n’ayant pas été à proprement parler un succès, Bonaparte sait qu’il doit s’imposer sur
le terrain. Pendant qu’il guerroyait au pied des Pyramides, Masséna et Moreau ont sauvé la
France sur ses frontières et, en cette année 1800, l’héroïque résistance du Niçois dans Gênes
assiégée fait de l’ombre à la gloire du Premier consul. Et avec Moreau, vainqueur des
Autrichiens à Stockach, voilà un nouveau rival pour Bonaparte. À Marengo répondra
Hohenlinden.

LU A l’armée du Rhin

Le 13° dragons avait quitté l’armée d’Helvétie chargé de lauriers, mais aussi très éprouvé,
ayant perdu près de 50 % de ses effectifs en hommes et une grande partie de ses chevaux.
Lorsqu'il retourne à l’armée du Rhin, Moreau lui ménage une période de repos durant laquelle il
se restructure, complète ses effectifs et sa monte et instruit ses recrues. A partir de l’année 1800,
trois escadrons partiront en guerre ; le quatrième reste au dépôt et fournit une compagnie de
148 hommes pour former un bataillon de dragons à pied en réserve de mobilisation. Toujours à
la pointe du combat, les régiments de dragons se voient pourvus d’une compagnie d’élite qui, si
elle conserve l’habit vert à collet vert, parements, pattes et livrée rose foncé, est dotée du haut
bonnet à poil que les grognards rendront célèbre sur tous les champs de bataille d'Europe. Pour
conduire le régiment vers de nouvelles conquêtes, un nouveau chef : le colonel Levasseur.
Pendant les quatre premiers mois de l’année 1800, le 13° dragons cantonne d’abord à
Saint-Dié, puis à Strasbourg où l’allant et la verdeur de ses hommes sont réputés dans tous les
estaminets de la « Petite France ». Il ne se passe guère de jour sans que l’on ferraille au bord de
l’II1, malgré l’interdiction du général en chef qui enjoint à ses chefs de corps de sanctionner très
sévèrement les manquements au règlement. Mais sous peu les dragons vont avoir l’occasion
d’exercer leurs talents en pays allemand.
Dans un premier temps, le 13° dragons est affecté à la division des dragons de Nansouty,
puis il passe à la division mixte Souham et à la division Colland, avant de trouver sa place
définitive dans la division Legrand, à l’aile gauche du corps d’armée commandé par le général
Sainte-Chapelle.
Une fois de plus, il faut passer le Rhin. Moreau prévoit une manœuvre en deux temps :
pendant que, avec le gros de l’armée, il franchit le fleuve entre Schaffhouse et Bâle, tournant
ainsi la Forêt-Noire pour déboucher dans la vallée du Danube, Sainte-Chapelle exécute une
diversion en aval. Ayant passé le pont de Kehl, il constitue trois colonnes de la valeur d’une
brigade qu’il dirige sur des objectifs différents. Le 13° dragons marche avec la brigade Royer,
sur la route d’Offenbourg, en direction de Rastatt. Il a pour mission de reconnaître les villages en
avant de la colonne. Partout les Autrichiens opposent une résistance acharnée. Le lieutenant
Chauvet se dégage d’extrême justesse d’une embuscade ; il est blessé de plusieurs coups de
sabre. Le 25 avril, à Fregelshurts, le 13° dragons se heurte à une vive opposition. Après une
fusillade d’environ deux heures, l’ennemi est culbuté, tant par les dragons, qui le chargent avec
impétuosité sur la lisière du village, que par plusieurs compagnies de grenadiers qui le
poursuivent dans les rues du bourg, la baïonnette dans les reins. La confusion est grande et il
arrive qu’un cavalier soit isolé. C’est le cas du lieutenant Hauvel, en bien fâcheuse posture :
grièvement blessé, il est sur le point de succomber face à six Autrichiens quand le maréchal des
logis surgit, met les ennemis en fuite et ramène l’officier à l’ambulance.
Le lendemain, les troupes françaises conservent leurs positions ; mais à la nuit tombante,
mission accomplie, les colonnes se replient vers le Rhin. Un rideau de cavalerie avec les
hussards et le 13° dragons masque le mouvement et protège le passage sur le pont de Kehl. En
attirant Kienmayer au nord, Sainte-Chapelle a considérablement facilité la pénétration de
Moreau vers le Danube. Les 27 et 28 avril, le corps Sainte-Chapelle remonte la rive gauche du
Rhin en marche forcée jusqu’à hauteur de Fribourg, où il franchit à Chalampé. Sans marquer de
halte, les divisions s’engagent sur la route du Val-d’Enfer pour rejoindre le gros de l’armée.
Dépassant Fribourg, la division Legrand ouvre la marche vers Neustadt ; la brigade Drouet avec
le 13° dragons est à l’avant-garde. A l’entrée du Val-d’Enfer, les dragons aperçoivent quelques
pelotons de hussards autrichiens. Tandis que la 27° demi-brigade progresse sur les flancs, le
« 13 » s’avance par le fond de la vallée. Soudain se dévoile l’embuscade : une pièce chargée à
mitraille et six escadrons de hussards de Ferdinand et de uhlans de la garde hongroise ! Le
combat se poursuit jusqu’à la nuit, puis l’élément retardateur profite dés ténèbres pour se replier,
continuant toutefois à harceler les unités. Cette guérilla coûte néanmoins deux tués et trois
prisonniers au 13° dragons.

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Le 10 mai, le quartier général de la division Legrand est installé à Altheislingen. Ce jour-là,
deux escadrons ennemis et quelques compagnies d’infanterie isolés attaquent en désespoir de
cause le village de Deckingen où sont cantonnés une compagnie de la 27° demi-brigade et un
détachement du 13° dragons. Fantassins et dragons, à pied, ne s’en laissent pas compter, et,
soutenus par un renfort promptement envoyé par le général Drouet, ils forcent les Autrichiens à
se retirer précipitemment. Le 14, Legrand poursuit son mouvement, marchant sur deux colonnes,
sa droite appuyée au Danube. Le 15, elle réduit une sérieuse résistance et prend ses
cantonnements à Erbach et à Papelau pour un repos bien mérité.
« Le 16, la division est attaquée à 4 heures du matin par des forces considérables, surtout en
cavalerie, qui la rejettent de toutes ses positions. Le 13° dragons soutiént la retraite qui s’opère
en défendant le terrain pied à pied. Le sous-lieutenant Méan et le maréchal des logis-chef
Le Sénéchal sont blessés. À midi, les deux brigades de la division se réunissent près du village
de Reimingen, où se trouve la division de réserve.
» L’ennemi cesse ses attaques et l’on s’observe de part et d’autre jusqu’à 5 heures. Une
vive canonnade s’engage alors entre l’ennemi et quelques pièces d’artillerie placées sur la rive
droite du Danube. C’est une colonne détachée du général Gouvion Saint-Cyr qui attaque
l’ennemi sur son flanc. La division Legrand reprend l’offensive sur toute la ligne et en deux
heures s’établit de nouveau dans toutes les positions que l’ennemi lui avait prises. »
Cette chaude alerte oblige Moreau à resserrer son dispositif et ses divisionnaires à une
vigilance accrue, d’autant que les Autrichiens, très combatifs, ne s’avouent pas vaincus. Le
22 mai, un fort parti de uhlans engage un détachement du « 13 » et tue le sous-lieutenant
Gribelain à Rististheim. Toutes ces escarmouches ne sont que le prélude d’une offensive plus
importante ayant pour but d’envelopper l’armée du Rhin.
Le 5 juin, l’armée de Kray attaque vigoureusement, aux environs d’Ulm, la division de
cavalerie Richepanse ; Moreau envoie Ney en renfort : ces deux divisions repoussent des forces
quatre fois supérieures en nombre et s'emparent de 2 000 prisonniers. Le 13° dragons prend une
part importante à ce combat en défendant opiniâtrement le pont de Kilmentz ainsi que les
positions de Guttenzell et de Pemen. De concert avec le 5° hussards, il exécute une charge qui
aboutit à la prise de huit cents prisonniers, parmi lesquels le général von Sporck pris à trente pas
de sa colonne. Du 6 au 23 juin, les opérations continuent autour d’Ulm, ponctuées par la victoire
de Hochstedt, le 19 juin 1800. Le régiment se distingue à plusieurs reprises : à Burgrieden, le
12 juin, à Gramesthoff, le 13 juin ; le 17 juin, au cours d’une reconnaissance sur les bords du
Danube, le sous-lieutenant Pascaud est grièvement blessé.
A partir du 23 juin, les opérations prennent une nouvelle dimension. Les ponts de
Gunzbourg et d’Erbach, sur le Danube, sont terminés et permettent la bascule de l’armée.
Plusieurs jours se passent en reconnaissances ; les Autrichiens tentent quelques coups de main
sans résultats. Le 28 juin, le 13° dragons quitte la division Richepanse pour réintégrer la division
Legrand à Donauwerth ; mais les divisions changent fréquemment de composition à cette
époque et, peu de temps après, le régiment est à nouveau retiré de la division Legrand pour
passer à celle de Ney.
Le 15 juillet 1800, sentant que la situation lui échappe, Kray propose un armistice que
Moreau accepte. Signé à Parsdorff le même jour, il marque la fin de la campagne. Pourtant, la
trêve n’est pas immédiate et il s’en faut de peu qu’elle ne soit rompue avant l’heure à Ingolstadt !
« Dans la nuit du 16 au 17, la garnison de cette place fait une vigoureuse sortie sur la rive
gauche du Danube et force les postes français à se replier jusqu’à Ettenheim. Le général Ney, qui
commande la division du blocus, arrive à 7 heures du matin, réunit promptement deux escadrons
du 13° dragons, un escadron du 8° chasseurs et le 2° hussards, tombe sur les Autrichiens et
enlève le village de Gemersheim, où ils sont fortement retranchés. Chassé de ce point, l'ennemi
se retire sur les hauteurs de Wedstetten et d’Oberhaunstahl, où il reçoit un renfort de quatre
bataillons et six pièces. Ney, à la tête de sa cavalerie, se jette sans balancer sur ces troupes plus
nombreuses que les siennes, les enfonce et les poursuit jusque sous Ingolstadt. Il prend trois
pièces de canon et fait six cents prisonniers. »
A la suite de ce combat, le général Ney cite le colonel Levasseur et le 13° dragons dans son
ensemble « pour avoir aidé vigoureusement à repousser une sortie de la garnison d’Ingolstadt, le
17 juillet 1800 ». Au plan individuel, également de nombreuses citations et récompenses : le
sous-lieutenant Bulbot fait prisonnier, qui s’évade la même nuit en tuant plusieurs Autrichiens ;
le sous-lieutenant Goyard et l’adjudant Petit, qui sont nommés au grade supérieur sur le champ
de bataille.

Hohenlinden

L’armistice est de courte durée ; à l’instigation de l’Angleterre, Russes et Autrichiens


reprennent les hostilités. En septembre, l’armée d’Helvétie conduite par Macdonald conquiert le
Vorarlberg et le Tyrol ; les Anglais s'emparent de Malte. Pour l’armée du Rhin, les opérations
débutent le 12 novembre. Le 22, l’aile gauche, commandée par le général Grenier, est

52 Pi
rassemblée sur l’Iser : la division Legrand à Landshut, la division Ney, dont fait partie le
13° dragons, à Freising et la division de réserve Bastoul à Mosbourg. Moreau se porte à la
rencontre de l’archiduc Jean qui a remplacé Kray à.la tête des Autrichiens.
Le 27 novembre, Ney est à Forstern, en face de Hohenlinden ; à sa droite, la division
Richepanse. Le lendemain, malgré le harcèlement de détachements de hussards, il s’établit à
Hohenlinden et, le 30, il installe son quartier général à Dorfen malgré une vive résistance de
l’infanterie autrichienne qui laisse à penser que l’archiduc Jean prendra l’offensive le lendemain.
Effectivement, la journée du 1° décembre 1800 commence par une longue canonnade
suivie d’un assaut contre l’aile gauche française. Passé le premier choc, Ney contre-attaque et
livre bataille dans la plaine d’Ampfing. Le colonel Levasseur et le 13° dragons sont à la pointe
du combat. Un instant isolé, le chef de brigade est secouru par le lieutenant Bridault qui, seul,
attaque et met en fuite les quatre hussards qui avaient démonté le colonel. Avec sa cavalerie, Ney
force huit bataillons à la retraite sur plus de deux kilomètres. L’ennemi abandonne entre nos
mains un grand nombre de prisonniers, une pièce d’artillerie et deux caissons. Cependant,
(D ; l’archiduc ne se tient pas pour battu et se déploie dans la vallée de l’Isar afin de couper la retraite
au général Grenier. Toutefois, malgré des charges répétées, il ne peut entamer ses carrés. Dans ce
combat, les contre-attaques des dragons font merveille et les escadrons rivalisent d’ardeur,
comme le 3° du capitaine Lyonnais, détaché auprès du général Despérières, qui charge un
bataillon ennemi retranché derrière une palissade. Quelques dragons, à pied, renversent les
fascines et ouvrent le passage à leurs camarades :
« Tombant sur cette infanterie, les dragons la sabrent à outrance et la font prisonnière. Le
lieutenant Brudault et les sous-lieutenants Perdu et Fouilleuse se font particulièrement
remarquer. »
Le 2, l’archiduc Jean essaie un mouvement par la forêt de Hohenlinden. Le 3, Moreau
déjoue la manœuvre en restant au centre et charge Richepanse et Decaen avec 10 000 hommes
d’enfoncer les arrières du centre autrichien en passant à droite d’Ebersberg et de Mattenpot ; à
gauche, Grenier, avec sa division, doit contenir l’ennemi. Le premier, Legrand subit le choc des
Autrichiens venant de Lehndorf. Très vite, les salves de son infanterie les forcent à la retraite.
Puis c’est autour de Ney, que Moreau a gardé avec lui en arrière d’Hohenlinden, de subir l’assaut
d’un corps considérable. Dans le même intervalle, à l’extrême droite, Grouchy supporte tout le
poids de l’effort ennemi...
« Vers midi, l’archiduc est rejeté dans le défilé de Mattenpot, où se produit un
encombrement prodigieux de canons, de caissons, de bagages. La brigade Heudelet de la
division Ney le poursuit jusqu’à ce village. Elle fait sa jonction avec la division Richepanse, qui
a exécuté son mouvement avec une audace inouïe, en passant au milieu des bois pour couper
l’ennemi de Haag. A 4 heures du soir, une colonne de la droite de l’archiduc Jean commence à
déboucher de Reisendorf et Hartoffen pour envelopper la gauche de la division Bastoul, tandis
qu’une seconde colonne venant de Burkerain, par un chemin de traverse, sort de la forêt, vers
Hohenlinden.
» A cet instant, deux bataillons de grenadiers, deux bataillons de la 103° demi-brigade, la
76°, le 19° de cavalerie et le 13° dragons de la division Grenier placés en échelons, en avant de
ces différents débouchés, parviennent de concert avec la division Bastoul à repousser cette
attaque. Le capitaine Lyonnais se fait encore remarquer avec son escadron qui fait 500
prisonniers. Le brigadier Laisné prend à lui seul une pièce attelée. »
Hohenlinden se révèle décisif dans les négociations qui débutent. L’archiduc Jean a perdu
, 12 000 tués et 25 000 prisonniers ; l’Autriche n’est plus en état de faire la guerre. Le tsar Paul I’
Bataille de Hohenlinden, ue ES : 2
12 frimaire an IX. s’étant retiré de la coalition, l’ Angleterre est à nouveau seule en lutte. Le 18 décembre 1800,
© Photo Musée de l'Armée - Paris l’Autriche signe l’armistice de Steyer qui débouchera sur la paix de Lunéville, le 9 février 1801.
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L’EMPEREUR DES FRANÇAIS
AU 13° REGIMENT DE DRAGONS

Sous l’Empire, le 13° régiment de dragons va écrire une des pages les plus glorieuses de son
histoire. Avec la Grande Armée, en Allemagne, en Espagne, pendant la campagne de France,
pendant les Cent-Jours, il n’est guère de combats où il ne s’illustrera, payant sa fidélité à
l’Empereur d’une dissolution revancharde sous la Restauration.
Après sa campagne d'Allemagne victorieuse, le 13° dragons est envoyé en garnison en
Belgique. Durant toute la paix d'Amiens, il cantonne à Mons et à Bruxelles. Mais bientôt, sous
l’impulsion de William Pitt, des ferments de guerre lèvent en Europe. Et c’est ainsi que l’on
retrouve le 13° dragons dans l’armée du camp de Boulogne. Sous les ordres du colonel
Levasseur, qui ne va pas tarder à céder le commandement au colonel baron de Broc, il fait partie
de la réserve des Côtes de l'Océan. Subordonné à la 1" brigade du général Sébastiani et à la
division Klein, il tient garnison à Amiens et son dépôt est installé à Bapaume.
Comme pour les campagnes précédentes, il met en ligne trois escadrons de guerre. Durant
les dix années à venir, du fait de la conflagration qui s’est étendue à l’Europe entière,
l’organisation et les effectifs du régiment vont subir maintes modifications soit de fait, soit au
moyen d’artifices administratifs. L’un des plus employés étant le système des « régiments
provisoires » ; les renforts que les dépôts faisaient parvenir aux escadrons de guerre étaient
regroupés dans ces unités, mais pour être disloqués et rendus à leurs corps respectifs dès que les
circonstances le permettaient. Cela se comprend du fait de l’extrême dispersion des régiments ;
tel le « 13 » qui, en 1812, aura son dépôt en France et entretiendra simultanément des escadrons
en Espagne et en Allemagne. Sur le plan des effectifs, les fluctuations sont encore plus sensibles.
Une situation de janvier 1806 donne pour le 13° dragons, colonel Laroche : 20 officiers,
448 hommes et 481 chevaux ; 159 hommes et 154 chevaux sont détachés et 25 hommes restent
dans les formations sanitaires. En septembre de la même année, en Allemagne, le régiment
compte 25 officiers, 530 dragons et 591 chevaux.
En 1809, à la suite d’une mesure générale prise par l'Empereur, le 3° escadron verse aux
deux autres ses hommes et ses chevaux ; puis les cadres reviennent en France pour former un
nouvel escadron. Conséquence de la pénurie d’effectifs : en Espagne le régiment ne compte plus
que douze officiers, 307 hommes et 304 chevaux en deux escadrons. Ses renforts appartiennent
alors au 2° régiment provisoire de dragons. Une lettre de Napoléon à Berthier illustre
parfaitement la vocation de ces unités :
« Donnez ordres au 2° dragons qui est à Vitoria de se diriger sur Madrid, d’où il sera envoyé
au 2° corps et dissous. Ainsi le 13° et le 22° auront chacun leurs quatre escadrons. »
Ce système perdurera jusqu’en 1813, obligeant des escadrons ou des compagnies
faméliques et harassées à d’invraisemblables errances à travers l’Europe. Au mois de mars 1812,
par exemple, le 4 escadron du 13° dragons quittera l'Espagne fort de quatre officiers,
trente-deux soldats, quinze chevaux de selle ou de trait pour se rendre à Plau, près de Berlin, où
il est affecté au 1°” régiment provisoire de dragons ! On conçoit que de telles transhumances ne
soient pas faites pour conserver un moral à toute épreuve chez des recrues de plus en plus jeunes.
Aussi, après Leipzig, l'Empereur reconnaîtra-t-il le manque d’esprit de corps et de consistance
de ces régiments et en abandonnera-t-il le principe en laissant à chaque régiment son numéro
propre, même s’il ne compte qu’un escadron présent. De nouvelles difficultés surgiront après le
désastre de Russie et, plus que jamais, le 13° dragons sera dispersé dans toute l’Europe
napoléonienne. En février 1813, le dépôt du régiment et le 5° escadron sont installés à Namur ; le
4° escadron tient garnison à Dantzig ; le 1°", avec la compagnie d'élite, et le 2° escadrons
combattent en Espagne ! Il faudra les premiers revers et la campagne de France pour rassembler
le régiment en un ultime combat.

Les emblèmes

Lorsque Napoléon Bonaparte arrive au pouvoir, selon la tradition révolutionnaire il n’existe


pas de drapeaux uniformes dans les armées. Chaque unité va au combat avec ses emblèmes
personnalisés. En ce qui concerne les dragons, en 1803, il existe un guidon par escadron et la
couleur sert à distinguer l’unité :
« Le 1°’ escadron avait son guidon bleu national à droite et vert clair au revers ; le 2°, vert
dragon des deux côtés ; le 3° vert dragon à droite, rouge au revers ; le 4e, rouge des deux côtés. II
y avait encore divers emblèmes républicains sur les guidons. »
En 1805, après la distribution des Aigles, les guidons continuent d’être l’apanage des
escadrons, mais ils sont remplacés et uniformisés :
« Le bleu et le rouge étaient disposés en diagonale laissant au centre un losange blanc dont
les angles touchaient les bords du guidon, 1 et 4 étaient en bleu, 2 et 3 en rouge. Sur le losange
blanc bordé d’un laurier d’or, on lisait : « L'Empereur des Français au 13° régiment de
dragons. » Au revers, le losange blanc portait : « Vaillance et discipline, … escadron .» Les
angles bleu et rouge étaient chargés de couronnes peintes en or au milieu desquelles se répétait le
numéro du régiment. La hampe était surmontée d’une aigle de bronze doré ; cravate tricolore
frangée d’or. »
Il faut attendre 1811 pour voir apparaître l’étendard qui se présente sous la forme d’un
guidon de régiment de plus grande dimension. Un an plus tard, on inscrit sur ces emblèmes les
victoires auxquelles le corps a participé. Celui du 13° dragons comportera les inscriptions de
Hohenlinden, Austerlitz et Iéna. En ce qui concerne léna, il s’agit d’une erreur que le chef de
corps de l’époque, le vicomte Reizet, ne releva pas. Une lettre du général Grouchy, écrite peu de
jours après la bataille, montre combien le régiment était mortifié de ne pas y avoir participé.
Aussi est-il une autre école pour penser que cette inscription [éna fut portée sur tous les
emblèmes des corps ayant pris part à la campagne de 1806. 35
Le dragon de l’épopée impériale

Comme sous l’ Ancien Régime, le dragon de Napoléon devait respecter certaines normes
physiques, notamment une taille qui n’a pas varié depuis le maréchal de Saxe : cinq pieds trois
pouces pour l’homme, quatre pieds huit pouces pour le cheval. Souvent issu de la campagne, il
n’en attache pas moins une grande importance à son uniforme qui constitue souvent un signe de
promotion sociale. Il est encouragé en cela par l’Empereur lui-même qui voulait des troupes de
belle apparence avec des maréchaux rutilants, des officiers élégants et des soldats « dans des
habits aisés et bien cousus ». Au camp de Boulogne, il écrira : « Il faut que le soldat aime son
état, qu’il y place ses goûts et son honneur ; voilà pourquoi les beaux uniformes sont si utiles. »
En cela, le dragon répond à l’attente de son souverain. Comme à l’accoutumée, il porte
l’habit vert foncé qui a fait sa réputation. Les régiments se distinguent entre eux par des couleurs
différentes au’ collet, aux parements et aux pattes, ainsi que par la disposition des poches. Le
13° dragons conserve la couleur rose et les poches en travers. Si les couleurs affectées à chaque
corps ne changèrent pas jusqu’en 1815, l’habit, sous l’influence de la mode, se transforme. Long
et ample en 1803, il devient plus étriqué et se raccourcit légèrement ; les retroussis, d’abord
flottants et agrafés, sont ensuite fictifs et cousus à demeure. En 1812, il est définitement
remplacé par l’habit-veste.
Dessous l’habit, le cavalier porte une veste en drap blanc à boutons d’étain et une culotte en
peau de mouton. Des bottes molles, dites « à l’écuyère », et des gants à crispin complètent sa
tenue. Mais la silhouette ne serait pas celle d’un dragon sans le casque. Selon monsieur
Rousselot, il y en eut plusieurs modèles et leur dimension fut variable :
« La coiffure des dragons était un casque à bombe et cimier en cuivre, à crinière noire et à
turban en peau de chien marin orné de rosaces à palmettes. Les visières, cerclées ou non, la

Trompette du 13 RD en Espagne en 1810


(collection C.E. Grouvel)
36
mentonnière en cuir simple ou les jugulaires en écailles de cuivre, le turban coupé droit ou en
accolade sur le devant, la houpette renforcée d’une lentille et d’une douille en cuivre ne
changeaient pas l’aspect général de la coiffure. »
Aujourd’hui, il subsiste fort peu de casques de dragons ; néanmoins, on en trouve certains
comportant le plumet qui fut l’objet de nombreuses fantaisies et qui agrémentait la grande tenue.
Celui du « 13 » était moitié rouge et vert. Au quartier et à l’écurie, les dragons portaient le
bonnet de police.
En hiver, ils revêtaient le manteau dit « trois quarts » à grand collet ou rotonde, sans
manches, et confectionné en drap blanc piqué de bleu. Le paquetage comportait également un
surtout confectionné en drap vert que l’on portait à l’exercice, comme petite tenue, ou comme
tenue de sortie durant la semaine. Il y avait également la surculotte en toile écrue, la veste
d’écurie en drap vert et le pantalon d’écurie en treillis. Enfin, au niveau des accessoires : une
cravate de soie noire, un col de chemise, deux paires de guêtres, blanches et noires, et de la
poudre pour les cheveux, qui sont noués en queue sur la nuque.
L'équipement réglementaire répond à l’arrêté du 4 brumaire an X (26 octobre 1801) et
comprend le ceinturon et la buffleterie blancs à boucles de cuivre et la giberne noire. A l’issue
des guerres de la Révolution, l’armement, assez irrégulier, se compose d’un sabre du modèle de
l’an IV, d’un fusil avec baïonnette modèle 1777, modifié an IX, et de pistolets de modèles
différents : 1763, an IX, an XIII. Le harnachement du cheval est constitué d’une selle à la
française en cuir fauve, d’une housse-croupelin vert foncé à galons de bordure blancs, numéro
du régiment en blanc dans les angles postérieurs, d’un porte-manteau supportant le vêtement plié
en portefeuille, d’une paire de fontes, d’un coussinet en cuir naturel, ou cuir de Hongrie, et des
différentes pièces du harnais. A partir de 1809, la schabraque remplace la housse et les chaperons
et le manteau est placé sur les fontes. Au combat, le dragon le porte en sautoir, roulé en boudin.
Les brigadiers se distinguent des simples dragons par deux galons blancs en biais sur les
manches au-dessus des parements. Les sous-officiers portent le même uniforme que la troupe,
mais avec un galon argent. Ils n’ont pas de fusil, et le porte-guidon est traditionnellement un
sous-officier. Quant aux officiers, ils diffèrent de leurs hommes par le casque doré au bandeau de
peau fauve mouchetée. L’habit est à grenades et retroussis argent, de même que les épaulettes de
grade. Ils ne portent pas de giberne et disposent d’une selle à la française couverte de drap vert
pour la parade ou en peau blanche en service ordinaire.
Si les dragons sont remontés en chevaux de robes variées, ce n’est pas le cas des trompettes.
Au nombre de deux par escadron, ils chevauchent des montures grises et portent l’habit de la
troupe aux couleurs inversées, la crinière et la houppette du casque sont en crin blanc. En 1807,
les trompettes adoptent l’habit-surtout plus ou moins galonné et agrémenté de pattes d’épaule ou
d’épaulettes à franges, ou de trèfles.
Les sapeurs représentent une innovation dans le rituel du régiment. Comme leurs collègues
des troupes à pied, ils portent, en plus du bonnet à poil, la barbe traditionnelle et quelquefois le
tablier de peau. Sur l’épaule, la lourde hache, symbole de leur dignité. Défilant en tête du
régiment, ils font admirer l’uniforme des compagnies d’élite : celui-ci se différencie de l’autre
par les épaulettes rouges et par les haches croisées, en drap découpé, cousues sur les bras. Enfin,
il faut savoir que si le sapeur porte la barbe et le dragon la queue sur la nuque, le trompette est
rasé aux cheveux courts, alors que le dragon de la compagnie d’élite porte la moustache.
Cet uniforme, qu’il promènera sur tous les champs de bataille d'Europe, bien souvent le
dragon n’aura ni le temps ni les moyens de l’entretenir ; cependant, même au pire de la guerre
d’Espagne, déployant des trésors d’imagination et de débrouillardise, lorsque « le P’tit Tondu »
passera sur le front du régiment, le dragon mettra un point d'honneur à se présenter à son
avantage à son Empereur.

LA VICTOIRE EN CHANTANT...
Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804 : le pape Pie VII sacre Napoléon empereur des
Français ; mais celui-ci se couronne lui-même et couronne Joséphine. Par ce geste, il croit
rompre avec l’héritage de la Révolution. Et pourtant, l’Angleterre lui déniera toujours cette
dignité impériale et lorsque viendront les heures sombres, malgré son alliance avec les
Habsbourg, les monarchies ne verront en lui qu’un tyran abreuvé du sang de la Révolution. Et à
travers lui, ce sont les idées nouvelles que les vieilles monarchies sclérosées s’efforceront de
détruire. Seule l’ Angleterre, en lui livrant un combat à mort, avait pris la mesure de l’Aigle.
Tout commence en 1804, après deux ans de paix, par quelques accrocs au traité d’ Amiens :
les Anglais refusent d’évacuer Malte parce que le Premier consul a annexé le Piémont alors que
l’ Autriche souhaite récupérer l’Italie du Nord ; Russes et Prussiens sont inquiets de l’hégémonie
française en Allemagne centrale. Mais surtout, Pitt considère qu’Anvers aux mains des Français,
« c’est un pistolet braqué sur le cœur de l’Angleterre ». Ce pistolet, Napoléon, las des perfidies
d’Albion, a bien l’intention de s’en servir. Mais l’histoire s’écrira autrement.

37
Bivouac de l'Empereur la nuit précédant la bataille d’Austerlitz

Austerlitz

Villeneuve et l'Espagnol Gravina bloqués à Cadix par Nelson, l'Empereur sait qu’il n’a plus
aucune chance d’envahir l’Angleterre. Il se retourne donc contre ses alliés continentaux. Le
28 août, la Grande Armée quitte le camp de Boulogne et les côtes de la Manche pour se retourner
contre l’Autriche.
Le 13° dragons fait alors partie de la 2° division de dragons de la réserve générale de
cavalerie, commandée par le général Walther. Avec le colonel de Broc à sa tête, il franchit une
nouvelle fois le Rhin à Kehl, puis, sous le commandement de Ney, il force le Danube à
Elchingen. Le 21 octobre 1805, Napoléon force Mack à capituler dans Ulm. Sa manœuvre a été
foudroyante : en deux mois à peine, il s’est transporté avec une armée de 150 000 hommes des
rivages atlantiques aux berges du Danube. Poursuivant son avance, il porte la guerre au cœur du
pays ennemi. ,
Une fois encore, le 13° dragons est à la pointe du combat ! On le voit figurer au passage de
la Traun, le 2 novembre, quand le colonel de Broc, à pied, à la tête d’un escadron composé de
cinquante hommes de son régiment et d’autant du 6° dragons, enlève à la baïonnette le pont
d’Enns. Le 13 novembre, Napoléon I” fait son entrée dans Vienne et s’installe à Schoenbrünn.
Ne laissant aucun répit à l’ennemi, il déclenche aussitôt l’offensive de Bohême. Le 13° dragons
se distingue encore le 16 novembre au combat de Hollabrünn ; puis il vient s’établir en avant sur
la route d’Olmütz.. Le 20, il est à Raussnitz quand les Russes entament un mouvement en avant
pour empêcher la jonction des différents corps de la Grande Armée sur les routes d’Olmütz et de
Brünn. Marchant au canon, il prend part à l'engagement qui a lieu à Latcin. Avec une partie de la
réserve générale de cavalerie, Murat fait échouer toutes les attaques. A la tête de la compagnie
d'élite du 13° dragons, son ancien chef de corps, le général Roget, arrête par une charge de flanc
les dragons russes lancés à la poursuite du 16° chasseurs. Jusqu'au 1° décembre, manœuvres et
contre-marches se succèdent, mais l’ennemi se dérobe, jusqu’au soir où enfin les armées sont en
présence.
Aujourd’hui, en ce 2 décembre 1989, les collines de Bohême n’ont guère changé.
L’humidité et le froid de la nuit ont laissé la place aux brumes matinales montant des marais
de Blachwitz ; quelques étangs sont gelés profondément. Au loin se dessinent un moutonnement
de hauteurs séparées par des thalwegs aux pentes douces. Dans l’aube indécise, le.petit bourg de
Slavkov-u-Brna s’éveille au labeur quotidien ; l’autoroute de Brno est encore déserte. Hormis
quelques stèles et les marchands de souvenirs, rien ici ne rappelle que Napoléon remporta la plus
achevée de ses victoires : Austerlitz, « la bataille des trois empereurs ».
Pourtant, il y a bientôt deux siècles, le 2 décembre 1805, tout a commencé de la même
façon. Au point du jour, les feux de bivouac se sont éteints quand les tambours ont battu la diane,
et tandis que la droite de Soult s’apprêtait à recevoir le choc de l’infanterie de Koutouzov, les
cavaliers de Murat se mettaient en selle. Au 13° dragons, vétérans et recrues sont impatients d’en
découdre ! Et de fait, avec le colonel de Broc à leur tête, ils prendront part à toutes les charges
brillamment conduites par le prince Murat.
EXTRAITS DU RAPPORT DU PRINCE MURAT SUR LA BATAILLE DU II FRIMAIRE
« Le 2, à 6 heures du matin, les troupes aux ordres de Son Altesse Sérénissime le prince
Murat ont quitté leurs cantonnements respectifs et sont venues passer le ravin de Girschikowitz,
au défilé de la grande batterie du Santon et au point du Moulin à gauche du village de
Girschikowitz. Conformément aux ordres de Sa Majesté, les troupes sont formées en colonnes
par escadron en avant du défilé, entre la route et le village à la droite du corps d’armée de
monsieur le maréchal Lannes dans l’ordre suivant : la division de cavalerie légère de monsieur le
général Kellermann tenait la tête, ayant en arrière la division de dragons de monsieur le général
Walther et celle du général Beaumont, commandée par monsieur le général de brigade Roget [...]
» À 8 heures, les troupes se mettent en mouvement et marchent à l’ennemi ainsi que les
autres corps d’armée. L'armée ennemie étant très rapprochée, on en est venu de suite aux mains,
plusieurs charges ont eu lieu entre les troupes légères et nous avons gagné du terrain.
» Les troupes de Son Altesse Sérénissime continuèrent leur marche ; celles de monsieur le
maréchal Lannes s’étaient aussi avancées, refusant un peu leur gauche et appuyant leur droite au
mafais de Blachwitz. La cavalerie ennemie charge la droite de la division Cafarelli ; elle est
reçue avec vigueur et repoussée avec de très grandes pertes par notré brave infanterie et par le
feu de l’artillerie [...]
» Pendant ce temps, les braves régiments de la division Kellermann et ceux de la division
Walther poussaient et recevaient plusieurs charges, s’emparaient de huit pièces d’artillerie et de
nombreux prisonniers. Le 5° régiment de chasseurs enlève un drapeau au milieu d’un bataillon
russe. La brigade Sébastiani, par un changement de front, tombait sur le flanc de l’ennemi qui
chargeait nos hussards et chasseurs, et lui faisait éprouver une perte considérable [...]
» Un régiment de dragons ennemis charge sur la droite et veut délivrer un bataillon
autrichien qui venait d’être pris ; un bataillon carré de la division Cafarelli reçoit ce régiment et
l’arrête ; le Prince, qui se trouvait là, voyant cette cavalerie sabrer les Autrichiens, ne pouvant
croire qu’elle fût russe et la prenant pour un régiment bavarois, fait cesser le feu ; alors le Prince
fut lui-même très exposé et les officiers de son état-major ainsi que son escorte durent charger
vigoureusement pour le garantir, mais bientôt, revenu de l’erreur, le Prince fait avancer la
division de cavalerie du général Nansouty qui, débordant la droite de l’infanterie, marche à
l’ennemi ; celui-ci, de son côté, marche sur elle, et là s’est engagée une superbe et brillante
charge de cavalerie.
» Pendant quatre à cinq minutes, on se sabre, on reste pêle-mêle, mais les braves régiments
de carabiniers et de dragons, soutenant leur vieille réputation, ainsi que le 2° cuirassiers,
enfoncent l’ennemi et le poussent sur sa seconde ligne ; trois charges successives ont lieu, et
toujours l’ennemi est culbuté, laissant beaucoup de morts sur le champ de bataille ; ce beau
mouvement a coupé en deux l’armée impériale en nous rendant maîtres des hauteurs de Kruck et
de Holuwitz, ainsi que de ces deux bourgs. »
A ce moment de la bataille, alors que Soult, avec l’apport de la division Friant, prend à son
tour l’offensive, l'Empereur fait attaquer le centre sur le plateau de Pratzen. Sur l’air de On va
leur percer le flanc. les grenadiers bousculent les carrés russes. Lannes s’empare des hauteurs
de Silvitz tandis que la grosse cavalerie du général Hautpoul et les dragons de Walther appuient
l’infanterie. Dans ces combats, les dragons font merveille et paient du prix du sang la gloire de
cette journée. |
Le capitaine Cadot et le brigadier Fischer sont grièvement blessés, le maréchal des
logis-chef Salazard est cité pour son courage, de même que le lieutenant Carbonnel qui « a fait
preuve d'intelligence autant que de valeur : envoyé par le grand-duc de Berg (Murat) en mission
auprès du général Beaumont, il somma, au milieu d’une grêle de balles, le prince Auguste de se
rendre et le conduisit au grand-duc ».
Le lieutenant Carbonnel est proposé pour la croix de chevalier de la Légion d’honneur,
tandis que le 13° dragons a les honneurs du communiqué dans le bulletin de la Grande Armée et
que son chef, le colonel de Broc, est fait commandeur de la Légion d’honneur.
Mais déjà la défaite des Austro-Russes se précise : Hautpoul et Suchet ont jonché de morts
le champ de bataille ; ils ont pris un drapeau, onze pièces d’artillerie avec leurs caissons et fait
1 800 prisonniers. Pendant ce temps, Treillard et Milhaud chassent les cosaques dans la vallée de
Silvitz, alors que Kellermann tient les hauteurs de Potzoritzer, de Kruck et de Holuwitz. Davout,
qui a enfin pris pied sur le plateau de Pratzen, force les restes des armées austro-russes vers les
marais de Blaschwitz ; à ce moment, l’artillerie tire à boulets rouges sur les étangs. C’est alors
que Murat se trouve coupé de Bernadotte ; le 13° dragons rétablit la liaison en se frayant un
passage au sabre et au pistolet parmi les fuyards qui essaient de se glisser hors de la nasse.
« L’intention de Son Altesse Sérénissime était de continuer à pousser l’ennemi et d’enlever
les hauteurs de Rauznitz et d’Austerlitz, sur lesquelles il s’était retiré ; mais à la droite, on se
battait toujours avec beaucoup d’acharnement. Le Prince n’en avait pas de nouvelles, mais
voulait contenir une nombreuse cavalerie et garder toujours les communications des routes de
Brünn, d’Austerlitz et d’Olmütz. Craignant que Sa Majesté n’eût bésoin de troupes, il ne voulut
pas trop s’en écarter et fut forcé de suspendre sa marche pour être toujours à portée et en mesure
d’envoyer des renforts à Sa Majesté s’il en était besoin.

49
» À quatre heures et demie, le feu céssa sur toute la ligne et la victoire de l’armée française
fut complète : 7 000 à 8 000 prisonniers , pour la plupart russes, faits dans les différentes charges
de cavalerie ou d’infanterie, deux drapeaux pris ainsi que vingt-sept pièces avec leurs caissons,
des escadrons entiers détruits, des bataillons carrés enfoncés, 1 200 à 1 500 morts restés sur le
champ de bataille, plus de 3 000 blessés restés sur le champ de bataille, voilà le résultat de cette
belle et brillante journée pour l’aile gauche de la Grande-Armée aux ordres de S.A.S. le prince
Murat. »

La campagne de Prusse

Au soir d’Austerlitz, le génie militaire de Napoléon est à son apogée. L’Autriche défaite et
ruinée signe le traité de Presbourg le 26 décembre 1805 qui met fin provisoirement aux
hostilités. Provisoirement, car la Russie et l’ Angleterre ont refusé de le signer ! Poussé par la
reine Louise et le parti guerrier de Potsdam, Frédéric-Guillaume III participe à la quatrième
coalition et entre en guerre contre la France.
Depuis le camp de Boulogne, les opérations qui ont amené la Grande Armée au cœur de
l’Europe ont été très dures ; et l’hiver survenant, on en est à s’inquiéter essentiellement de la
pénurie qui règne dans les services de l’intendance. Aussi la paix de Presbourg est-elle la
bienvenue. Le colonel de Broc en profite pour instruire les jeunes recrues qui complètent
l’effectif, puis acheminer vers ses cantonnements de Souabe les effets, le matériel et l’armement
qui manquent. Les dragons, eux, reprisent leur habillement, réparent le harnachement ou
l’équipement. Au moment de renter en campagne contre la Prusse, l'Empereur aligne sept corps
d’armée et une réserve représentant 180 000 hommes, dont 30 000 cavaliers. La réserve de
cavalerie de Murat comprend deux divisions de grosse cavalerie, deux brigades de cavalerie et
aussi quatre divisions de dragons : au total vingt-quatre régiments, auxquelles est attachée de
l’artillerie légère.
En 1806, le 13° dragons fait toujours partie de la 2° division, commandée maintenant par le
général Grouchy. Il forme avec le 22° la brigade Boussart et présente l’état d'encadrement
suivant :

Colonel : de Broc
Major : Roux .
Chefs d’escadron : Constant, Dumas
Quartier-maître trésorier : Bridault
(également adjudant-major)
Chirurgien-major : Monceaux
Aide-major : Pilliard
Sous-aides-majors : Delaire, Tombeur

CAPITAINES

Bouchotte
Lionois
Lochet
Le Jamtel
Meumann
Cadoll
Hauvel
Kerlau Murat

LIEUTENANTS SOUS-LIEUTENANTS

Cirode Monticelle Perdu Méan


Le Page Samson Roux Billaudel
Desgarennes Dérivaux Mengin Desjardins
Quarré Brunon Le Seneschal Le Riche
Goyard Landrin Dubutte
Griblin Toury
Au début du mois de juillet 1806, le baron de Broc cède le commandement du 13° dragons
au colonel Laroche qui le conservera jusqu’en 1809.
Equipés de neuf, reposés et pleins de fougue, sous le commandement de leur nouveau
colonel, les dragons ne doutent pas un seul instant qu’ils vont culbuter ces Prussiens dont la
légende est morte à Valmy. Après Vienne et Schoenbrünn, Berlin et la porte de Brandebourg.…
Une fois encore, la campagne est foudroyante ! En quelques jours, l'Empereur est à Iéna et
Davout à Auerstaedt. Mais, hélas ! pour les dragons, comme neuf ans plus tard, Grouchy n’est
pas au rendez-vous. Le 1° octobre, sa division est encore à Ulmi, et le 7, alors que la réserve de
cavalerie de Murat franchit les défilés du Frankenwald et se répand dans les pays de la
Haute-Saale, le 13° dragons assiste à la prise de commandement de la division par Grouchy à
Morgentheim. Le 8, il passe le Main à Wurtzbourg, et le 11, il est seulement à Bamberg. Le
14 octobre 1806, les armées sont au contact, mais la division Grouchy arrive tout juste à
Tilschendorf. L'Empereur espère accrocher à Iéna ; aussi enjoint-il à Davout de se porter sur les
arrières de l’ennemi. En fait, c’est l’inverse qui va se produire : Napoléon avec 80 000 hommes
v, va battre le corps de Hohenlohe fort de 50 000 hommes et Davout à Auerstaedt affronte le gros
de l’armée prussienne commandée en personne par le roi qu’assiste Brunswick. Davout se rend
compte de son infériorité numérique : trois divisions, Friant, Gudin et Morant, 26 000 hommes
contre 70 000. Néanmoins, il engage le combat. Par ses feux précis, l’infanterie française décime
les tirailleurs prussiens ; Davout, les habits déchirés par les balles, son chapeau enlevé par un
boulet, est avec Morand dans un carré.
Découragés et épuisés, les Prussiens faiblissent ; Brunswick lui-même charge l’épée à la
main, en tête d’un bataillon de grenadiers, quand il est mortellement touché. Le général
Schmettau est tué, Wartensleben a un cheval tué sous lui, blessé aussi le vieux maréchal von
Mallendorf, compagnon de Frédéric II... A 17 heures, le 3° corps est maître du champ de bataille,
mais, trop épuisé, il ne peut engager la poursuite. L’armée du roi de Prusse, qui bat en retraite,
bute dans celle de Hohenlohe ; la panique se répand et la belle armée n’est bientôt plus qu’un
ramassis de fuyards que les dragons sabrent à tour de bras.
Car ils sont enfin arrivés ces dragons de Grouchy. Et furieux d’être absents du communiqué
à Iéna ou à Auerstaedt, ils se vengent le 26 octobre à Zehdenick en prenant une part active à la
poursuite de l’armée prussienne, ou de ce qu’il en reste. Le 27, le 13° dragons contribue à la
destruction du Régiment des Gendarmes du Roi, près de Wischmannsdorf, et, surtout, le 29, il
exécute, de concert avec le 22°, une charge qui décide du combat de Prentzlow et qui suscite
l’admiration de Murat. Le maréchal des logis-chef Agisson, qui avait gagné son grade à
Austerlitz, est à nouveau à l’honneur ; puis le brigadier Briqueville, qui est cité pour avoir
capturé un officier supérieur, et le fourrier Belhomme, qui donne l’exemple du courage et de la
vaillance. On retrouve le 13° dragons à Anklam, où le général Becker fait 4 000 prisonniers.
Puis la brigade Boussart quitte Grouchy pour former avec les 15° et 25° dragons la nouvelle
5° division sous le commandement du même général Becker.
La veille de Noël, les dragons assistent à l'engagement de Nasielsk. Mais surtout, la
5° division prend une part prépondérante à la bataille de Pultusk. En tête de la division, le
13° dragons ne le cède à personne. Officiers et dragons rivalisent d’ardeur, chargeant les carrés
russes au cri de « vive l'Empereur ! ». Le commandant Cazeneuve, démonté, met en fuite un
groupe de fantassins russe venus l’achever. Le tribut de l’honneur est lourd : plus de cent
cinquante dragons tués ou blessés ; tués également le capitaine Roguet et les lieutenants Dubatte
et Lombard.
Sinistre préfiguration des déboires futurs, la campagne continue, au plus fort de l’hiver
polonais. Attaché au 5° corps, chargé de couvrir Varsovie, le 13° dragons fait front à Ostrolenke,
appuyant les morts-vivants rescapés de la sinistre hécatombe du cimetière d’Eylau. Malgré les
fractures des chevaux sur ce sol profondément gelé, il charge, le 13 février 1807, puis encore à
Villemberg, le 26 mars. Et deux jours avant Friedland, le 12 juin, les dragons, à pied, se
constituent en carrés et contiennent les assauts du Russe Bennigen sur la ligne de l’Omulew.
Après l’épopée, c’est l’apprentissage de la guerre cruelle, celle qu’ils ne vont pas tarder à subir
dans cette Espagne qui sera le tombeau de beaucoup d’entre eux.

Le colonel baron de Broc

Au moment où il charge à la tête du 13° dragons à Austerlitz, le « brave de Broc » a déjà un


passé militaire glorieux. Né le 15 février 1772 au château de La Ville au Fourrier, d’une famille
de petite noblesse, il est de ces « ci-devant » qui abandonneront titres et privilèges pour défendre
« la patrie en danger » et conquérir de nouvelles gloires avec les armées de la Révolution. Le
31 mai 1788, marque du destin, il est cadet au régiment Condé-Dragons. Désormais, il ne
quittera plus l’uniforme vert. Sous-lieutenant le 15 octobre 1789, lieutenant le 15 avril 1791 et
capitaine à la veille de Valmy, Armand Louis de Broc est de stature moyenne et de carrure
imposante. La taille bien prise, l’allure avantageuse et le geste élégant trahissent tout à la fois
l’homme d’action et l’éducation d’une bonne naissance. Sous le casque étincelant, la perruque a
41
été abandonnée au profit de favoris taillés courts qui durcissent un visage où le regard perçant
peut, tour à tour et d’une manière déconcertante, se charger d’orage ou exprimer des sentiments
qu’il essaie de dissimuler sous l’enveloppe frustre du guerrier. Plus tard, avec les blessures et la
fatigue des campagnes, le caractère se fera plus rude ; malgré cela, ses soldats continueront à lui
vouer un culte jamais démenti.
La légende commence le 31 août 1792 contre les Prussiens lors de l’engagement de Nancy,
après que monsieur de Beaurepaire, commandant les volontaires angevins, s’est brûlé la cervelle
plutôt que de rendre la place de Verdun au duc de Brunswick. Ce jour-là, le jeune de Broc étonne
ses anciens par ses « qualités de dragon ». Quinze jours plus tard, le 14 septembre, c’est le
premier sang : un coup de sabre reçu à la Croix-au-Bois de Nargonne. Avec Dumouriez, il est à
Valmy, puis à Jemmapes le 6 novembre. Le 18 mars 1793, à Neerwinden, il est blessé de deux
coups de pistolet et de deux coups de sabre. Quand il est rétabli, sa réputation a franchi les
limites de son régiment ; il est promu chef d’escadron, et multiplie les exploits. Servi par la
chance, il applique à la lettre la célèbre apostrophe de Danton : « De l’audace, encore de
l’audace, toujours de l’audace ! » Jeune vétéran de vingt-trois ans, Armand de Broc fait toutes
les campagnes sur le Rhin, la Sambre, la Meuse, la Moselle, en Allemagne, en Italie.
Au mois d’août 1796, il est à nouveau blessé ; il reçoit un coup de sabre qui lui entaille la
tête et le bras. Quelques mois plus tard, isolé avec une cinquantaine de dragons qui n’ont pas
voulu l’abandonner, il est fait prisonnier ; le traité de Campoformio le tirera des geôles
autrichiennes, au grand soulagement de ses gardiens à qui il en a fait voir de toutes les couleurs.
A peine libéré, il reprend aussitôt du service et rejoint son corps. Blessé à la tête le 9 juin 1800, à
Montebello, cela ne l’empêche pas d’être à Marengo, cinq jours après avoir été pansé ! La paix
d’Amiens le voit major au 5° dragons, puis aide de camp de Louis Bonaparte. Le 26 mars 1804, il est
fait chevalier de la Légion d’honneur, et le 15 juin de la même année, il est promu officier dans ce
nouvel ordre. Le 24 octobre, pour cet homme nourri du tumulte des batailles, c’est la consécration : il
reçoit le commandement du 13° dragons à la tête duquel, jusqu’en 1806, il écrira de splendides pages
de gloire dont les soies de l’étendard garderont à jamais la trace.
Encore blessé à Austerlitz, commandeur de la Légion d’honneur le 6 juillet 1806, il est
attaché au roi de Hollande. Puis il est nommé général de brigade et grand maréchal du palais. Au
printemps de 1807, le rude dragon succombe aux charmes d’une jeune demoiselle de la famille
du maréchal Ney : Adèle Auguie, qu’il épouse le 9 avril, devenant ainsi le beau-frère du
maréchal. Détaché à Madrid du mois d’octobre 1808 à mars 1809, il rejoint à cette date
l’état-major du duc d’Elchingen. De Broc retrouve là ce qui lui est familier : le bruit de la
canonnade, le martèlement des sabots au galop de la charge, l’odeur de la poudre qui grise aussi
sûrement que le tafia du major.
Le 1° mars 1809, il commande la brigade de dragons de l’armée d’Italie, puis, le 23 avril, il
est à Ratisbonne, au combat de Raab-d’Engersdorff. Chevauchant sans trêve ni repos, on le
retrouve à Essling, où il a l’honneur de figurer à l’ordre du jour de l’armée, et, le 6 juillet, à
Wagram, où il se signale par ses charges victorieuses. Homme d’exception, de Broc ne connaîtra
pourtant pas le destin tragique d’ün Lasalle ou d’un Lannes. Malgré une constitution de fer, les
fatigues des campagnes et de trop nombreuses blessures ont ruiné la santé de celui que
l’Empereur a nommé baron, chevalier de la Couronne de Fer d’Italie et de la grande décoration
de l’ordre royal de Hollande.
Gouverneur de Milan, il décède le 11 mars 1810, trois semaines après avoir été nommé à ce
poste. Il avait trente-huit ans ! Trois ans plus tard, le 10 juin 1813, la baronne Adèle de Broc,
dame d’honneur de la reine Hortense, se tuera accidentellement à Grésy-sur-Aix. Elle avait
vingt-cinq ans !

LES SIERRAS HÉROIQUES

L'Espagne ! Terre des plus cruelles passions, mais aussi de l’honneur. Sang et or... Les
dragons vont verser le premier, et oublier jusqu’à l’existence du second. La guerre d’Espagne va
amorcer le déclin du premier Empire et Napoléon y laissera une partie de ses illusions. Toute la
question d’Espagne découle d’un mariage raté. Comme jadis Louis XIV installant son petit-fils à
Madrid, Napoléon voulait marier son frère Lucien à une fille de Charles IV Bourbon. Devant le
refus obstiné de Lucien, qui était déjà marié depuis 1803 et s’en trouvait très bien ainsi,
Napoléon opte pour la solution du « roi intrus ». Fiers et jaloux de leur indépendance, les
Espagnols ne mettent pas longtemps à se révolter contre Joseph Bonaparte, soutenus par le
clergé qui répand partout la bulle d’excommunication prononcée contre Napoléon.
En vue de ses opérations en Espagne, dès la fin de 1807, l'Empereur a réuni des troupes à
Bayonne, sous le commandement du général Dupont, pour envahir la péninsule. On connaît le
sort tragique de cette division. Après quelques succès sur le Guadalquivir et à Cordoue, c’est le
désastre de Baiïlén et le sort odieux des malheureux prisonniers qui vont endurer mille
souffrances sur les pontons de Cadix ou au bagne de Cabrera.
42
à
La guerre totale

Le 16 décembre 1808, la division Lorges arrive à Burgos. Elle se compose de la brigade


Fournier : 15° et 25° dragons, et de la brigade Viallannes : 13° et 22° dragons ; elle fait partie de
la réserve de cavalerie commandée par le maréchal Bessières, duc d’Istrie. Alors qu’elle se
prépare à marcher sur Madrid, un contrordre de l’Empereur lui prescrit d’aller renforcer le corps
Soult dans les Asturies.
L’Anglais Moore n’est plus en mesure d’accepter la bataille, lorsque Napoléon vient
soulager son lieutenant en se portant sur Astorga. Menacées à leur tour par ce mouvement, ses
troupes se replient en toute hâte vers le Portugal. L'empereur charge le maréchal Soult de les
poursuivre et lui laisse la division Lorges. Après le combat de Prieros, le 3 janvier 1809, la
5° division de dragons forme l’avant-garde du 2° corps pour traverser le défilé de Villafranca. Le
4, elle fait 900 prisonniers anglais et prend cinq pièces d’artillerie. Toujours harcelé par les
dragons, presque dépouillé de son train et de son artillerie, Moore atteint La Corogne, où il veut
résister en attendant la flotte qui doit le rembarquer. Mais Soult est déjà sur lui !
Le 13° dragons a tout d’abord pris position sur le bord de mer pour s’opposer à tout
débarquement de soutien sur les arrières du corps Soult. Mais vers le soir, il est engagé avec la
cavalerie pour réduire la résistance des Anglais. L’une de ses charges, conduite par le colonel
Laroche, enfonce et détruit un carré anglais. Comme à Austerlitz, à la tête de son escouade, le
maréchal des logis Fischer fait merveille. Il sera blessé de trois coups de sabre et cité pour sa
conduite durant cette journée qui coûte à l’ Angleterre le général Moore, tombé avec l’élite de ses
soldats, 20 000 fusils, 2 000 chevaux et 44 canons laissés entre les mains des Français.

43
Après la capitulation du Ferrol, Soult envahit le Portugal ; mais la résistance populaire se durcit
et les dragons sont obligés de se frayer un passage par des combats sanglants. A Ribadavia, à Verin, à
Guironda, les dragons de Lorges se taillent la part du lion. Le 11 mars 1809, la place de Chavès
capitule. Le 14, la 5° division pousse une forte reconnaissance vers Villafranca en faisant croire à une
diversion. Le 17, les dragons reçoivent l’ordre de rejoindre l’armée à Braga en marche forcée. Pour
les soldats, c’est un avant-goût de ce qu’ils subiront en Espagne :
« Dans ces pays montueux, déserts et dénués de tout, les marches sont très pénibles, les
moindres vivres ne sont achetés que par des combats ; l’argent, du reste, fait défaut et l’armée est
dans le dénuement le plus complet. De plus, la surexcitation des paysans est très grande et les
atrocités les plus affreuses sont commises sur les isolés qui tombent entre leurs mains. Ils leur
coupent le nez, les oreilles et leur crèvent les yeux ou même leur font subir les dernières
mutilations. Plusieurs sont écorchés vifs, d’autres sciés entre deux planches. »
C’est dans ces conditions horribles que les Français arrivent devant Oporto. La ville
constitue une place forte redoutable, occupée par des troupes fanatisées par l’évêque qui dirige
la résistance. Tous les habitants soupçonnés de sympathie pour les Français ont été assassinés et
mutilés ; quelques prêtres prêchant la modération ont subi le même sort, leurs membres étant
promenés sur les remparts ! Le 29 mars, sur l’aile droite de l’armée, les dragons sont chargés de
prendre les hauteurs d’Oporto :
« Le général fait mettre pied à terre aux deux régiments (13° et 22°) de la brigade Viallannes
et, les réunissant au 31° bataillon d'infanterie, il attaque la position de front pendant qu’une
colonne de cavalerie opère sur la gauche. Les dragons et les fantassins s’avancent à travers les
abattis, gravissent les flancs des hauteurs au pas de charge et trouvent au sommet l’ennemi, qui
commence à s’ébranler.
» Ceux qui ont voulu résister succombent, les autres veulent chercher leur salut dans la
fuite, en abandonnant cinq pièces de canons, mais ils sont obligés de défiler devant la cavalerie
qui sabre tout ce qu’elle peut atteindre ; la lutte continue avec acharnement dans les rues, et la
population désespérée se précipite vers la rade. Les canots surchargés coulent en grand nombre,
des milliers de personnes cherchant à atteindre les bâtiments à la nage sont entraînées par le
courant et noyées. Le nombre de ceux qui meurent de la sorte est incalculable : 8 000 Portugais
sont tués dans le combat ; de notre côté, nous n’avons que 80 tués et 350 blessés. »
Après la bataille d’Oporto, le général Lorges est chargé d’assainir les environs. Il défait un
corps d’armée à Villa da Conde, puis, le 7 avril, le 13° dragons, réduit à trois escadrons, signe un
nouveau fait d’armes en pénétrant dans Ponte-da-Lima en même temps que les milices armées
qu’il poursuivait. Le reste du mois d’avril est employé à des opérations de pacification.
Pendant que l’armée s’enfonce toujours plus vers le sud, le général espagnol Silveyra a
soulevé le pays sur les arrières français et a repris Chavès défendue par seulement cent hommes
et encombrée de malades et de blessés. Parmi les prisonniers, quarañte et un dragons du « 13 »
qui seront massacrés malgré les garanties données par les guérilleros. Bien que Silveyra soit
battu quelque temps plus tard, l’insurrection s’étend de jour en jour ; mais le grand danger, c’est
l’armée anglaise réunie par lord Wellesley, duc de Wellington. Le 12 mai, ayant franchi le Douro
et surpris les Français dans Oporto, il force Soult à la retraite, néanmoins celui-ci parvient à
rejoindre Ney et à rétablir ses communications avec La Corogne.
Le 1° juin, il reprend l’offensive et poursuit en vain le général insurgé La Romana, qui pratique
habilement la guérilla. Ces combats partiels presque journaliers restent sans résultats appréciables, si
ce n’est celui d’user ses troupes. Aussi le maréchal Soult préfère-t-il ramener ses régiments dans la
riche province du Leén pour une nécessaire remise en condition. En 1810, le général Marisy
remplace Viallannes à la tête de la brigade de dragons qui fait maintenant partie de la division
La Houssaye. La division est d’abord affectée à l’armée chargée de conquérir l’Andalousie, puis elle
est ensuite versée au 2° corps sous les ordres du général Reynier. Partout les dragons combattent sans
faiblir et sont redoutés des rebelles. Sur les hauteurs de Xerés de Los Caballeros, ils enlèvent
plusieurs redoutes ennemies « après lui avoir tué beaucoup de monde », environ 1 500 hommes, et
s’être emparés de plusieurs drapeaux et de dix-sept canons. En 1811, la brigade Marisy reprend sa
place dans l’armée du centre sous les ordres du roi Joseph. Au sein de la brigade, le 13° Dragons se
confirme de plus en plus comme un « régiment d’intervention ». Sous la conduite du colonel Reizet,
il est de tous les coups durs et décide bien souvent de l’issue du combat. Ses hommes sont
ombrageux, fiers d’une réputation gagnée dans toutes les affaires de quelque importance contre les
insurgés ou les Anglais. Près de Ciudad Real, le 5 juillet 1811, le colonel Reizet charge à la tête de la
compagnie d’élite deux fortes bandes rebelles qu’il taille en pièces. Le lieutenant Dreuzel rivalise
d’ardeur avec son colonel et sabre à tour de bras, mettant en fuite des Espagnols épouvantés. Entre
deux combats d’envergure, la guérilla continue, éprouvante et meurtrière. Les convois doivent être
escortés par des troupes nombreuses et aguerries ; la moindre reconnaissance est des plus périlleuses,
comme ce 30 juillet où un peloton du 1° escadron tombe dans une embuscade...
Douze dragons commandés par le maréchal des logis Briqueville, tous des vétérans,
commandés par un brave ! Briqueville, c’est le brigadier de Prentzlow, celui qui a capturé un
officier supérieur... Soudain, l’embuscade se dévoile ; les dragons répondent aussitôt au feu
adverse et se battent avec l’énergie du désespoir contre une troupe très supérieure en nombre. Ils
savent qu’ils n’ont rien à attendre de ces gens-là, et surtout pas de pitié ! Après une résistance acharnée,
ils succombent ; les blessés sont achevés et les rares survivants, dont Briqueville, font connaissance
avec les geôles espagnoles. Mais le maréchal des logis est d’une trempe hors du commun, non
seulement il survivra, mais il s’évadera des pontons de Cadix en 1812, il reprendra le combat et, fidèle
jusqu’au bout, il sera nommé lieutenant et se distinguera au siège de Dantzig en 1814.

Vyvy ttutgyll —
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Mau: 42 d'apu Gilow À


deb D-cdemns de 5 du Boëly

Les capucins roses (Espagne 1810)

Las Rosas, la dernière victoire

Voici 1812 avec son cortège d’épreuves, l’année où le destin bascule. A l’est, l’orage gronde
et en Espagne, le drame couve. Tout le pays est ruiné ; la disette s’y fait sentir. On est obligé de
disséminer les troupes dans toutes les provinces pour essayer de les nourrir. Il n’y a plus
d’argent, la solde n’a pas été payée depuis huit mois et, hormis quelques rossinantes, la cavalerie
n’a plus de chevaux. Malgré ces mauvaises conditions, les dragons luttent avec l’abnégation qui
leur est coutumière. Sous les ordres du général Treillard, ils obligent les bandes de Murillo,
fortes de 4 000 à 5 000, hommes à se disperser. Mais cela ne va pas sans mal, et il arrive que les
dragons subissent des revers sanglants, comme le montre le rapport du général Lafon-Blaniac :
« Consuegra, 26 mars 1812.

» Mon général, j’ai la douleur de vous faire rapport que nous avons perdu, dans la nuit
d’hier, trois officiers et cinquante-cinq hommes du 13° dragons avec armes, chevaux etc. Voici
comment : J’envoyai, avec l’approbation de monsieur le général-gouverneur, près de cent
chevaux à Villafranca pour prendre des renseignements et pousser jusqu’à Alcäzar de San Juan
pour y recevoir du blé et de l’orge que l’on devait y amener de La Mota. Monsieur le capitaine
Bounois, officier distingué du 13° dragons, partit le 25 pour Villafranca d’où il fit reconnaître
Herencia et envoya des propios (estafettes) de confiance à Alcäzar.

45
» Partout, il n’y avait rien de nouveau, et, selon les rapports, les partis étaient réunis et
portés sur l’ Andalousie, l’alcade de Villafranca assurant que les brigands les plus voisins de son
village étaient à plus de dix lieues. Sur cela, monsieur le commandant me fit part de tous ces
rapports et me dit qu’il poursuivait jusqu’à Alcäzar ; mais à dix heures et demie du soir, il fut
attaqué. La troupe parfaitement en ordre se battit un instant à pied, fit retirer les assaillants et
ensuite sortit à cheval et culbuta plusieurs escadrons ; mais se trouvant toujours tourmenté et
maltraité par une vive fusillade, monsieur le commandant ordonna une retraite sur Camenias, ce
qui se fit dans le plus grand ordre jusque près du village, où se trouva une colonne ennemie de
troupes fraîches qui finit de les accabler.
» Enfin mon général, de cette malheureuse colonne, il n’est resté que deux officiers et
quarante hommes. Un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant et plus de cinquante dragons
ont été tués ou faits prisonniers. J’ai la certitude que messieurs les officiers sont prisonniers et
qu’il n’y a eu que huit ou neuf dragons tués et quelques-uns blessés. Les bandits étaient forts de
près de cinq cents cavaliers (bandes de Chaleco et Francisquez).
L’adjudant-commandant
BRENOT »

Furieux, le général Treillac prendra bien évidemment des sanctions, le combat de


Villafranca le privant de la moitié d’un excellent escadron. Pourtant, les dragons se sont bien
battus, mais, trahison de l’alcade, sort contraire, infériorité numérique écrasante, ils paient du
prix du sang leur infortune : le capitaine Berthet, les lieutenants Mathieu et Pichotte sont
grièvement blessés ; de même que le sous-lieutenant Cazeneuve, un vétéran des campagnes de la
Révolution qui se fait appeler Régis.
Comme Briqueville, c’est une figure du régiment. Il était déjà là en 1800, sous les ordres de
Moreau, à Kehl, à Rastatt, où il est cité et nommé brigadier, à Hohenlinden et d’autres faits
d’armes.. La paix ne réussit pas au bouillant jeune homme ; quelques affaires d’honneur lui font
perdre un grade chèrement acquis. Heureusement, les campagnes : Austerlitz, la Prusse, la
Pologne, lui permettent de briller au combat.
En 1811, il est adjudant en Espagne. Son ardeur à la bataille est intacte ; le 19 mars, au cours
d’un petit engagement lors d’une reconnaissance, il sauve un officier hollandais pris par les
Espagnols. Le même jour, à la tête d’une escouade de seize dragons, il charge quarante
Espagnols, en tue sept, en capture deux et met le reste en fuite. Après la malheureuse affaire de
Villafranca, lui aussi connaît les bagnes espagnols. Enchaîné sur l’îlot de Cabrera, il parvient
néanmoins à s’en évader après toute une année d’efforts. Le 18 février 1813, il est blessé en
tentant « la belle ». Toutefois, il parvient à s'emparer d’un esquif qui lui permet de gagner Rosas,
où il débarque le 23. A peine remis de sa blessure et des fatigues de sa captivité, il rejoint le
13° dragons en Allemagne, puis il se distingue pendant l’héroïque campagne de France. Le
23 janvier 1814, il est de la charge qui force le passage du pont de Saint-Dizier. En 1815, fidèle à
son Empereur, comme beaucoup d’autres, il ira grossir les rangs des demi-soldes et, entre deux
complots utopiques, il perpétuera le souvenir de l’épopée.
Au mois d’avril 1812, la situation se dégrade notablement et au mois dejuillet vient le
temps des épreuves. Le 22, Marmont est battu aux Arapilles. Le roi Joseph se décide alors à se
retirer sur Madrid, talonné par Wellington. Le 10 août, la capitale est évacuée et Joseph porte son
quartier général à Leganés tandis que la cavalerie marche sur Maja La Honda et Las Rosas où
elle livre bataille. Ce sera la dernière victoire !
« Le 11, avant le jour, j’ordonnai à la 1" brigade de ma division (13° et 18° dragons) qui
occupait Las Rosas de faire éclairer les routes de Galapagor, Torrelodonar et Colmenar, sur
lesquelles elle rencontra les avant-postes de l’armée de lord Wellington, composés de trois
bataillons d’infanterie, cinq pièces d'artillerie et 1 200 chevaux, qui descendaient des
montagnes. Cette brigade soutint avec fermeté l’attaque de l’avant-garde ennemie. »
Menacée d’être submergée par le feu et le nombre ennemis, la brigade est obligée de battre
en retraite en direction de Boadilla. Soutenue par des lanciers et le régiment de
Dragons-Napoléon, sous les ordres du général Schiasetti, elle s’installe en retrait de ce village.
En début d’après-midi, le général Treillard reçoit l’ordre de reprendre ses positions du matin et
de pousser une forte reconnaissance offensive en faisant des prisonniers.
« J’arrivai à Marfa La Honda, où l’ennemi avait pris à un quart de lieue en avant du village
une position avantageuse et soutenue par quatre pièces en batterie ; j’ordonnai de suite de
l’attaquer. Monsieur le colonel Reizet, commandant la 1° brigade, chargea à la tête du 13°,
soutenu par le 18e dragons. Trois pièces furent enlevées en un instant, de nombreux escadrons
ennemis chargèrent avec une opiniâtreté sans égale pour les reprendre. Trois fois la brigade fut
ramenée, trois fois elle retourna à la charge ; accablée par le nombre, elle était forcée de se
retirer, lorsque j’ordonnai aux deux premiers escadrons de la 2° brigade de charger ; l’ennemi fut
culbuté, mais arrivé sur les hauteurs qui dominent Las Rosas, ils y trouvèrent plusieurs
escadrons réunis qui les obligèrent à une retraite qui nous aurait fait perdre le fruit de cette
journée si je ne les avais fait soutenir par la seconde ligne, composée des 19° et 22° dragons et du
régiment de Dragons-Napoléon... »
La charge du général Schiasetti avec cette réserve se révèle décisive et signe la victoire de la
cavalerie française. Outre les trois pièces enlevées par la 1" brigade, les Anglais déplorent la
perte d’un officier supérieur tué au combat avec 150 hommes, entre 700 et 800 tués ou blessés
dans la débandade et une soixantaine de prisonniers dont deux lieutenants-colonels. Les dragons
ont également capturé 200 chevaux et pris un matériel important ainsi que des vivres en quantité.
« Ce combat de cavalerie est un des plus beaux et des plus extraordinaires qui ait eu lieu,
tant par la valeur, que par l’acharnement qu’on y montra des deux côtés. Tous les régiments de
ma division, celui des Dragons-Napoléon et les lanciers, ont rivalisé de zèle et d’intrépidité. »
Le général Treillard fait ensuite l’éloge de ceux qui ont permis ce dernier grand succès de la
guerre d’Espagne et cite principalement le 13° dragons :
« Je ne puis trop faire l’éloge de la valeur, du sang-froid et des connaissances militaires qu’a
montrés le colonel Reizet, qui, dans la retraite du matin, a soutenu seul, à la tête de la 1" brigade
qu’il commandait, tous les efforts de l’ennemi. Cet officier, dans la charge du soir, a été blessé de
trois coups de sabre ; je demande pour lui le grade de général de brigade.
» Le capitaine Le FI6-Kerléan arriva le premier avec son escadron sur les batteries
ennemies. Le lieutenant Chancy prit avec sa division une pièce de canon attelée, eut son cheval
tué et reçut dix blessures. Le maréchal des logis Chadoit traversa les lignes ennemies avec un
courage héroïque pour arriver au secours de son colonel. En arrachant les rênes de son cheval
des mains de l’ennemi, il eut le poignet coupé, une oreille abattue et six autres blessures. Le
brigadier Schwey et le dragon Marc conservèrent seuls une pièce que le régiment venait
d’enlever, malgré les efforts de plus de quinze cavaliers et canonniers qui voulaient la reprendre.
L'un et l’autre reçurent plusieurs blessures. »
Le général citera encore d’autres dragons du 13°, puis le journal de marche du régiment
rendra compte des péripéties de la journée. On y trouve le chirurgien-major Dupont au
dévouement exemplaire, le maréchal des logis chef Gibot, le trompette de 1798, cité avec les
maréchaux des logis Poly et Banquet pour leur bravoure devant l’ennemi, puis l’adjudant-major
Cochois, blessé dans la même action que Chadoit, et les brigadiers Tetard et Gardeux, les
dragons Beaugrand, Lahaye et Lecocq, qui restent auprès du colonel Reizet dans les moments
les plus périlleux, admirable garde prétorienne que ne déparent aucunement les noms du
commandant Mauronnard, tué à l’ennemi, des lieutenants Brixh et Larode, blessés au cours de la
charge, ou du sous-lieutenant Deleau, qui se fait remarquer pour sa tenue au feu !
Malgré les exploits de ses dragons, Joseph Bonaparte ne peut enrayer l’avance ennemie et
continue à faire retraite sur Valence. La division Treillard remplit une mission d’arrière-garde et
couvre la marche du convoi.
« La marche est des plus pénibles à travers un pays d’où les habitants se sont enfuis en
emmenant leurs bestiaux. On trouve bien encore du blé, mais on ne peut avoir de farine ; la
chaleur est toujours excessive et les puits des villages sont promptement épuisés. Plusieurs
. soldats, accablés de soif et de fatigue, sont pris par les bandes d’insurgés qui suivent toujours
l’armée et tuent sans pitié tous ceux qui s’écartent de la colonne. »

13° Régiment de Dragons - Cie d'Élite - 1809

47
Napoléon à la bataille de Wagram (Hippolyte Bellangé)

LE RÊVE PASSE...

« Les voyez-vous, les hussards, les dragons, la garde,


Ceux de Kléber, de Marceau, chantant la victoire... »

A l’est, l’Empire décline. L'Empereur, après avoir pris Smolensk, avait une nouvelle fois
battu Koutousov le 7 septembre 1812, sur la Moskowa, et, le 14, il était entré dans Moscou
évacuée par sa population. Dans son escorte : ceux que le public des Tuileries a appelé les
Dragons de l’Impératrice.
En fait, ils ne portèrent jamais officiellement ce nom sous le premier Empire. Organisés en
1808 sous le commandement d’Arrighi, duc de Padoue, général de brigade et parent de
l’Empereur, ils formèrent très vite un magnifique régiment qui se distinguera en Espagne. En
1809, appelé à l’armée d’Autriche, le régiment quitte Valladolid avec un effectif de 1 324
hommes. Après avoir séjourné pendant huit jours à San Sebastiän, les dragons d’Arrighi se
remettent en route pour Vienne. En soixante-huit jours, ils vont parcourir 700 lieues (environ
2 800 km), ne s’arrêtant qu’un jour à Paris pour changer leurs effets et un autre à Strasbourg
pour être passés en revue avant de passer la frontière. Sous les ordres du colonel Letort, il
arrivera à Vienne dans un état superbe, assez tôt pour Charger à Wagram.

L’Aigle baissait la tête

Alors que les affaires d’Espagne étaient au plus mal, en Russie, comme le dira plus tard
Victor Hugo, « l’âpre hiver fondait en avalanches ». Napoléon est obligé de quitter Moscou ; le
général Rostopchine a fait allumer un gigantesque incendie par des bagnards à qui il a promis la
réhabilitation s’ils font sauterle Kremlin. La Grande Armée amorce ce reflux qui ne s’arrêtera
désormais qu’à Paris.
Pendant la retraite, le mythe rejoint l’histoire : les pontonniers du général Eblé sur la
Bérézina ne le cèdent en rien au maréchal Ney, « le brave des braves », et le quotidien est aussi
sordide que glorieux. Aux intempéries s’ajoutent la maladie et les harcèlements des irréguliers.
Les dragons de La Garde se distinguent en plusieurs circonstances, notamment au lendemain de
la bataille de Malojaroslawetz lorsque les cosaques de Platow, surgis de la tourmente,
enveloppent l’état-major impérial, cherchant à capturer l'Empereur. Mettant le sabre à la main,
les officiers protègent Napoléon tandis que les dragons chargent furieusement, ne faisant aucun
quartier. Lorsque l’Empereur quitte la Grande Armée, les dragons de La Garde lui font escorte
jusqu’à Paris. Puis on les retrouve en Allemagne, où ils se signalent tout particulièrement à la
bataille de Wachau en culbutant les cuirassiers russes de Newachov et à la bataille de Hanau en
prenant part à la grande charge de la cavalerie française commandée par le général Nansouty.
Pendant la campagne de France en 1814, les dragons de La Garde, comme leurs frères
d’armes de la ligne, se multiplient sur tous les fronts pour faire face à la nombreuse cavalerie des
alliés. A Château-Thierry, ils provoquent l’admiration de toute l’armée en enfonçant plusieurs
carrés prussiens. Sous la première Restauration, Louis XVIII préserve le régiment et lui donne le
nom de Dragons de France. C’est sous ce glorieux patronyme qu’il entre en campagne en 1815
et qu’il combat à Gilly, le 15 juin, détruisant un régiment prussien, mais payant ce succès de la
mort du général Letort. Le 18 juin 1815, à Waterloo, fidèles jusqu’au bout, les dragons prennent
part à l’effort suprême des cuirassiers de Milhaud et de Kellermann contre le centre anglais au
Mont-Saint-Jean. Lors du retour définitif des Bourbon, il n’y aura pas de rémission cette fois-ci.
Le régiment est ramené au-delà de la Loire et licencié.
Alors que les dragons de La Garde vivaient le drame de la retraite de Russie, leurs
camarades du 13° subissaient une guerre de plus en plus cruelle en Espagne, et bientôt
repassaient les Pyrénées pour rejoindre l’armée du Rhin et l’ Allemagne où allait se jouer le sort
de l’Empire. Après les multiples modifications de structures et d’effectifs vues précédemment,
le 13° dragons est affecté à la brigade Cavaignac, elle-même dépendant du 11° corps, commandé
par le maréchal Augereau, duc de Castiglione. Vers le milieu du mois de décembre 18172, le
11° corps se porte sur les bouches de la Vistule ; à Noël, la brigade Cavaignac cantonne à Elbing.
En incorporant des conscrits des classes 1814 et 1815, les Marie-Louise Napoléon, a réussi à
reconstituer une armée de 240 000 hommes, dont 90 000 étrangers, avec peu de cavalerie et
600 pièces d’artillerie. En avril, il lance une offensive en direction de Dresdes. Une fois de plus,
le 13° dragons est à l’avant-garde de l’armée. Maïs les batailles sont de plus en plus meurtrières,
et ces soldats sont si jeunes et si peu instruits des choses de la guerre ! Certes ils sont braves et
fougueux : dans les dragons, c’est la moindre des choses. Et il faut toute l’expérience des
anciens pour leur inculquer quelques rudiments de la manœuvre à cheval ou du combat à pied
rendu de plus en plus fréquent par le manque de chevaux. De surcroît, il faut les mettre en
confiance sous le feu de l’ennemi ou lors d’une charge. Et ce n’est pas en parcourant les champs
de bataille de Lützen ou de Bautzen, des victoires pourtant, que les Marie-Louise vont acquérir
le calme des vieilles troupes ! Les cadres donnent l’exemple ; le 5 avril 1813, à Magdebourg, le
maréchal des logis Bartoli se distingue en entraînant son escouade sus à un parti de cosaques
bien impudents. Blessé, il a un cheval tué sous lui et est sauvé par ses dragons de dix-huit ans. A
Dresdes, le 27 août, c’est le chef de corps lui-même qui donne l’exemple d’une rare bravoure et
d’une abnégation totale. Electrisant ses jeunes dragons, il conduit une charge irrésistible contre
des grenadiers autrichiens. Il reçoit plusieurs blessures si graves qu’il en meurt quinze jours plus
tard. Le colonel Monginot venait juste de prendre le commandement du 13° dragons ! Le
régiment combat encore à Grossbeeren et à Dennewitz avant d’assister à la « bataille des
Nations », du 16 au 19 octobre 1813, à Leipzig.
A l’issue de cette bataille, 45 000 Français seulement repassent le Rhin. Désormais, la
bataille se situe sur la terre de France. Cette campagne de 1814 restera comme l’une des plus
belles de l’Empereur. Acculé de toutes’parts, Napoléon et ses 50 000 soldats retrouvent le génie
du général Bonaparte et l’enthousiasme de l’armée d'Italie. Le 13° dragons fait alors partie de la
brigade Liédot, au sein de la division Briche. Subordonnée au 5° corps de cavalerie, elle livre un
habile combat d’arrière-garde fait d’escarmouches, de coups de mains ou d’embuscades. A ce
jeu-là, les dragons montrent une maîtrise peu commune, héritée de l’expérience espagnole. C’est
ainsi qu’on retrouve le sous-lieutenant Fischer, qui se distingue au combat d’Harrebourg, le
2 janvier 1814, puis l’adjudant-major Caïillemer, blessé dans une charge devant Troyes, le
4 février. Au combat de Nangis, c’est tout le régiment qui mérite la citation lorsque le général
Milhaud, à la tête de l’un de ses escadrons, enfonce un carré prussien. À Mormant, puis à
Saint-Dizier, le 22 mars 1814, le 13° dragons jette ses dernières forces dans la bataille. Mais il
est trop tard ; trois jours auparavant, à Arcis-sur-Aube, débordé par le nombre, l’Empereur
venait de subir une défaite décisive. Il ne reste plus au comte de Ligneville, un des anciens de
Las Rosas, qui a succédé au baron Joannés à la tête du régiment, qu’à déposer les armes avec le
dernier carré des fidèles.
TF2
Après l’abdication de Napoléon [° le 5 avril 1814, le comte d’Artois conclut un armistice
avec les alliés qui a pour conséquenée première le démembrement de l’armée impériale et la
réorganisation de l’armée royale selon les privilèges et les rangs de 1789. Vingt-cinq ans de
conquêtes révolutionnaires et de gloires impériales s’effaçaient devant le népotisme des
Bourbon. Le décret du 12 mai 1814 ne conserve que quinze régiments de dragons réduits à
quatre escadrons de deux compagnies, chacun comprenant quatre officiers, 74 hommes et
58 chevaux. Les cinq premiers régiments de dragons ayant été transformés en chevau-légers, les
autres gagnèrent donc cinq rangs, et le 13° prit donc le numéro 8 sous le nom de Condé-Dragons.
Son dépôt est à Livarot, mais ses escadrons sont à Chartres, sans compter le 4°, qui est toujours à
Dantzig ! Peu de temps après, le régiment se regroupe à Maubeuge, sous les ordres du colonel
d’Astorg, tandis qu’à Lyon l’ancien 18° prend le numéro 13, qu’il ne conservera que dix mois.

49
Les Cent-Jours

Le 1° mars 1815, Napoléon, qui a quitté l’île d’Elbe, débarque à Golfe-Juan. Le 19, Louis
X VIII quitte prudemment Paris pour se réfugier à Gand, à portée de ses amis anglais. Le 20,
celui qui, trois semaines plus tôt, était encore l’usurpateur redevient l'Empereur et rentre dans la
capitale, pour le plus grand bonheur de tous ceux que la cocarde blanche dérange. Mais hélas !
les alliés, prétextant ce retour, reprennent les hostilités. Il faut très vite réorganiser l’armée.
Chaque régiment reprend son ancien numéro et appellation et, le 5 juin 1815, le 13° dragons
fait partie de la réserve de cavalerie commandée par Grouchy. Le 12 juin, tous les corps doivent
se porter sur la Sambre. Dans la soirée, l’Empereur apprend que cet ordre n’a pas été exécuté.
Comme à Hohenlinden, Grouchy est en retard. Ce qui a pour conséquence d’obliger certains
régiments à des marches forcées qui vont laisser les conscrits épuisés à la veille de la bataille.
Le 15, l’armée enfin rassemblée se met en marche : le centre sur Charleroi, la droite sur le
Châtelet et la gauche sur Marchiennes. A ce moment, le 13° dragons fait partie du 2° corps de
cavalerie du maréchal Exelmans. Il forme avec le 5° dragons la brigade Burthe de la division
Strolz. Pour l’heure, la manœuvre se déroule selon les plans de Napoléon : Vandamme est arrivé
à Charleroi, tandis que Grouchy et Exelmans ont tourné les Prussiens qui refluent sur Ligny,
prise et reprise avant de rester définitivement aux mains du général Girard. Le 17, Exelmans
pousse sur Sart-à-Valhain et Pervès. C’est l’occasion pour les dragons d’effectuer une charge
comme aux plus belles heures :
« Le 13° dragons occupe la gauche de la première ligne et a à sa droite le 5°. Derrière eux est
établie une batterie qui fait éprouver des pertes sensibles à l’ennemi. Tout à coup, on aperçoit
une masse de cavalerie prussienne qui se prépare à charger. Ce mouvement n’a pas échappé à
l’œil vigilant du comte Exelmans. Il franchit au galop l’espace qui le sépare du point menacé et
se porte à la tête de ces deux régiments, à la rencontre des escadrons prussiens.
» Les deux colonnes ennemies sonnent en même temps la charge et se précipitent l’une sur
l’autre avec une égale intrépidité. Le choc est des plus violents et la mêlée l’une des plus
confuses des annales de la cavalerie. Chacun s’y aborde avec une sorte de rage.
» La cavalerie prussienne doit, malgré sa valeur, céder le terrain après y avoir laissé bon
nombre d’hommes et de chevaux, et se rallier en arrière sous la protection de ses pièces. Le 5° et
le 13° dragons la poursuivent avec une telle impétuosité qu’ils franchissent plusieurs haies vives
qui masquaient des bataillons prussiens, tombent au milieu d’eux comme une avalanche et
renversent tout ce qui veut leur faire résistance ; mais, non contents de ces exploits, nos dragons
s’élancent sur la batterie qui les foudroie et lui enlèvent cinq pièces. »
Hélas ! la victoire de Ligny ne sera pas exploitée ; Blücher pourra se ressaisir, et le 18 juin
1815, selon le mot célèbre : « L’on attendait Grouchy, ce fut Blücher. »
Après la bataille de Waterloo, Grouchy se dirige sur Namur cependant que la cavalerie
d’Exelmans s’en va cantonner à Givet sur la rive droite de la Meuse. Pour les dragons, une
nouvelle retraite commence, ponctuée de combats, tantôt d’avant-garde, pour ouvrir la route de
Paris, tantôt d’arrière-garde, pour protéger le maigre convoi et les blessés. Ramigny,
Château-Porcien, Corberg, Craonne, Corbeil, Fismes, La Ferté-Milon, Danmartin : autant
d'engagements, autant de morts inutiles. Tout est consommé et les uhlans et autres cosaques
s’enhardissent, cherchant le contact des colonnes pour les tronçonner et les massacrer à loisir. En
arrivant près de Paris, le 1° juillet, la cavalerie d’Exelmans tombe dans une embuscade près de
Roquencourt ; le 13° dragons y détruit presque complètement deux régiments de hussards
poméraniens. Ce sera son dernier fait d’armes. Le 23 juin 1815, Napoléon l°’ abdique pour la
seconde fois. L’épopée se termine, la légende s’envole et, du soleil d’Austerlitz aux neiges de
Russie, les voici qui se lèvent en ce 5 mai 1821, cohorte d’ombres glorieuses accompagnant
l’exilé de Sainte-Hélène à sa dernière demeure. Plus loin, les emblèmes des régiments dissous ;
parmi ceux-ci, l’étendard du 13° Dragons et sa garde de vétérans. Ils sont tous là, les Beaugrand,
Fischer, Chadoit, Gribelain, Procope, Lochet, Pascaud, Trouillot, Koguet, Vathier...

« Géants de fer
Allant chevaucher la gloire. »
Le 6 décembre 1815, le colonel Saviot, dernier chef de corps du 13° dragons, remettra
l’étendard du régiment au lieutenant-général baron Lorges qui venait d’en prononcer le
licenciement. Les cadres et le fond sont versés au 5° dragons. Il ne reste plus rien à cette époque
de l’ancien 13° régiment de dragons.

50
[I
Fégément ,ve:s 1809-10. 1 Régiment, vers 180910. 3’ Régiment, 1809. #4 Fegiment ‘306-
Compagnie d'elite. (Marekolsheim}. (Marc o/sheim). MÉ cols heim).
ss,

7< Régiment 1908. 10° Regim enË vers /806-07 11° Régiment. 1809-10.
C* d'élite. (Marckolsheim). C“ordinaires (Marckolsheim) Trompette ajer. (Marclolsherm ).
€. > ht
Se”

11F Régiment. 1809-/0 13° RPe'giment. 1807. 1ÈS Regi ment vers 1810. 19° Régiment 1803-06.
.Marcko/sheim). (Marck olsheim). (Document Espagnol) (Marckolsheim).

Sapeurs et trompettes de 1804 à 1815

SI
re
PA
=
a
S
S=
=
Ÿ
5
3
2
à
=
>
àVU
=
ÈÈ

52
ve,
LES DRAGONS DE
L'IMPÉRATRICE

LA RENAISSANCE

Création du régiment

Le 6 décembre 1815, le général baron Lorges avait rayé des contrôles de l’armée française
le 13° dragons. Il faudra attendre quarante ans et un autre Bonaparte pour que ses gloires passées
lui soient rendues. Le 20 décembre 1855, l’empereur Napoléon III décide la formation du
régiment des dragons de la garde impériale reprenant les traditions des dragons de la Moskowa.
Certes, pendant la Restauration, il avait existé un régiment des dragons de La Garde qui avait
pris part à l’expédition d’Espagne de 1823, mais il avait été licencié après les Trois Glorieuses
de juillet 1830.
1
L'existence du régiment est effective le 1” juillet 1856. Ce jour-là, à Fontainebleau, le
général Dupuch de Felez, commandant la 2° brigade de cavalerie de la garde impériale, remet
officiellement le commandement de la nouvelle unité au colonel Crespin.
Le recrutement a été particulièrement soigné, comme il convient à une unité d’élite.
Constitué de six escadrons entièrement montés (deux chevaux au minimum par officier, dont un
personnel), ses éléments proviennent de tous les régiments de la cavalerie où ils ont été
sélectionnés selon leurs états de service, leur prestance.…. et leur dévouement à la cause
impériale. Les escadrons comptent environ quatre-vingt-dix hommes chacun, Quatre escadrons
sont à demeure à Paris où ils assurent le service de l’empereur aux Tuileries. Les deux autres
constituent le dépôt du régiment installé d’abord à Saint-Germain-en-Laye puis, à partir de 1860,
à Meaux.

ME
COMPOSITION DU REGIMENT
(encadrement)

LES DRAGONS DE L’'IMPERATRICE A LEUR FORMATION

ETAT-MAJOR

Colonel : Crespin
Lieutenant-colonel : Jouve
Chefs d’escadrons : de Véernéville, Martin, Perrot
Capitaines adjudants-majors : de Vouges de Chanteclair, de la Loyère, Hémart de Charmoye
Capitaine-trésorier : Piéplus
Major : Ponsan
Capitaine instructeur : d’Hautefort
Capitaine d’habillement : Durand
Capitaines d’état-major : Haïllot et Grosjean
Sous-lieutenant porte-aigle : Porteret
Sous-lieutenant adjoint au trésorier : Clémencet
Médecin-major de 2° classe : Bruneau
Aides-majors : Baélen et Morel
Vétérinaire de 1" classe : Jourdier
Aides-vétérinaires de 1" classe : Broquet, Favelier
Chef de musique : Conty

CAPITAINES-COMMANDANTS CAPITAINES EN SECOND


Perriolat De Crespin de Billy
Halligon Brown
Gouvernaire De Reinach
Barbault de la Motte Robert (Alfred)
Boré-Verrier Berthier
De Baillencourt (dit Courcol) Chopelet

LIEUTENANTS EN PREMIER LIEUTENANTS EN SECOND


Sautelet Versin
Verrat Deherpe
De Comeau Boujat
De Saint-Léger de la Sauzaye Lenud
De Vintimille Vienne
De Stahl Castello

SOUS-LIEUTENANTS
Lyonnard de la Girennerie Du Bullet
Marguier (dit Madelaine) Mottin
Arnous-Rivière Richard
Demangeat Vauthier
Marye Saclier de Giverdey
Drouet Gosse de Serlay
Hubert Fallet
Robert Aubry
Testu de Balincourt Cuvillier
De Lachevardière Imbs
Ballet Descharmes
Delamain Fuson
ais D au ep à PE

€" Jlégiment. de D ta GONeT 2


(Cpoge

Le 1°’ janvier 1857, l’empereur décide que le régiment des dragons de la garde impériale
prendra la dénomination de « régiment des dragons de l’Impératrice ». Le 7 mai 1857, une prise
d’armes grandiose réunissant l’ensemble de la garde impériale et toutes les troupes de la
garnison de Paris a lieu sur le Champ-de-Mars. Là, en présence du grand-duc Constantin de
Russie — en voyage officiel en France pour sceller la réconciliation franco-russe après l’affaire
de Crimée — et des plus hautes autorités militaires du pays, Napoléon III remet l’aigle du corps
au colonel Crespin qui la présente à l’impératrice Eugénie.
A l’avènement du second Empire, les enseignes distinctes et les guidons des dragons
disparaissent et sont remplacés par l’étendard qui apparaît ainsi pour la première fois dans la
terminologie de l’arme. Comme pour le reste de la cavalerie, il est carré, aux trois couleurs
nationales portées en bandes verticales. A cette époque, l’emblème perd un peu de son
importance du fait qu’il n’est plus emmené en campagne.
Sur l’étendard du régiment des dragons de l’Impératrice, la bande blanche portait sur son
avers l’inscription suivante :
« L'Empereur aux Dragons de l’Impératrice ».
Aux deux angles supérieurs étaient brodées en or deux couronnes impériales et aux deux
coins inférieurs deux aigles. Au milieu de chaque côté, également brodés en or, quatre « N »
entourés d’une couronne de laurier. Sur les bords supérieurs et inférieurs, un semis d’abeilles et
enfin, entre les « N », les couronnes et les aigles, quatre rosaces.
L’étendard était frangé d’or, ainsi que la cravate, sur laquelle étaient brodés des « N » au
centre d’une couronne de laurier. La hampe en bois précieux était surmontée de l’aigle
impériale.

Dans l’armée d’Italie

Après la guerre de Crimée qui limite l’expansion russe vers les détroits, Napoléon IT,
comme beaucoup de ses prédécesseurs, marque un grand intérêt pour les affaires italiennes.
Ayant des visées sur Nice et la Savoie, il soutient les prétentions de Victor-Emmanuel et de son
Premier ministre, Cavour, qui, pour faire bonne mesure, lui met la comtesse de Castigione, la
« divina Contessa », dans les bras. Dans l’optique des nationalismes européens, la maison de
Savoie veut reprendre la Lombardie à l’ Autriche, tandis que les « carbonari » veulent détruire
les Etats de l’Eglise.

55
Au début des hostilités en 1859, les Autrichiens alignent 180 000 hommes qui deviendront
rapidement 270 000. L'armée française qui débarque à Gênes est forte de 120 000 hommes
auxquels il faut ajouter 40 000 Sardes et les bandes de Garibaldi.
Le 16 mai 1859, les 1°", 2°, 5° et 6° escadrons du régiment des dragons de l’Impératrice
quittent Meaux avec l’état-major de l'Empereur pour se rendre à l’armée d'Italie. Avec les
lanciers, ils forment la 2° brigade de la division de cavalerie de La Garde, commandée par le
général comte de Champeron. La division est sous les ordres du général Morris. Parti de Nice le
17 mai, le régiment arrive à Alexandrie le 29 mai. A peine la concentration de la division est-elle
réalisée que le 1” escadron est mis à la disposition du général Autemarre. L’escadron du
capitaine Hautefort ne fera pas campagne. Si l’on peut appeler campagne ces pérégrinations des
dragons de l’Impératrice !
Le 1°”juin, c’est le baptême du feu pour les jeunes dragons. Une reconnaissance formée de
deux pelotons du 2° escadron du capitaine Vouges et commandée par le chef d’escadrons de
Vernéville essuie le feu de quelques tirailleurs autrichiens qui se retirent précipitamment dès que
les dragons mettent la main au sabre.
Après Magenta où Napoléon II à battu le général Gyulay, la division de cavalerie de La
Garde fait mouvement le 11 juin ; elle passe le Pô le 12 à Martana, le Tessin le 14 à Gaggiano,
l’Adda le 17 à Onteguate, l’Oglio le 19 à Brescia et, le 24 juin 1859, elle assiste à la bataille de
Solférino. Le régiment des dragons de l’Impératrice ne participe pas directement à la bataille,
mais manœuvre sur les flancs du côté de Castiglione, là même où l’oncle de l’actuel empereur
avait écrasé les Autrichiens de Wurmster le 5 août 1796. A neuf heures du matin, les dragons du
colonel Crespin traversent la ville au galop, pensant porter moult coups de sabre ! Quelle ne sera
pas leur déception d’entendre le canon à quelques lieues alors qu’ils manœuvrent sur le terrain
environnant.
À 16 heures, enfin de l’action. Le colonel Crespin reçoit l’ordre de se porter à la rescousse
d’une brigade de chasseurs d'Afrique malmenée par un ennemi supérieur en nombre. Un
scintillement d’acier ! Les dragons ont mis sabre au clair. En ligne d’escadrons, ils se préparent à
charger... Mais les hussards autrichiens refusent le combat et préfèrent se retirer, accompagnés
par les boulets de l’artillerie française. Seules quelques salves d’arrière-garde couvrent cette
retraite peu glorieuse. Elles sont suffisantes pour blesser le trompette Lapp et le dragon Balagua,
qui seront cités au titre de Solférino. Quelques chevaux ont été touchés, dont celui du
médecin-major Bruneau, qui n’en continue pas moins son office.
Avec cette seule escarmouche, la campagne est virtuellement terminée pour le régiment des
dragons de l’Impératrice. Les 25 et 26 juin, il demeure à Solférino qu’il quitte le 27 pour se
diriger sur le Mincio qu’il franchit le 3 juillet pour prendre un nouveau bivouac près de
Valeggio. Les opérations militaires se limitent à quelques reconnaissances pour assurer la
sécurité aux abords des cantonnements. Le 7, une alerte met quelque agitation dans les
« guitounes » (les bivouacs étaient alors montés légèrement, sur le modèle de l’armée d’Afrique,
majoritaire en Italie) : une armée autrichienne aurait été signalée en avant de Vérone. Mais les
rêves de gloire meurent avec la nuit !

56
Le 13 juillet, le régiment se met en marche vers Alexandrie qu’il atteint le 24 au soir.
Entre-temps, l’armistice de Villafranca a mis fin aux combats, à la plus grande déconvenue de
Cavour qui le désapprouvait. Les dragons de l’Impératrice séjourneront six jours dans cette ville
qui les accueille en libérateurs et pour qui rien n’est trop beau. C’est avec regret que le 30 juillet
ils reçoivent l’ordre de rentrer en France. Après avoir passé les Alpes italiennes, le 8 août, ils
sont à Saint-Jean-de-Maurienne, où deux pelotons du régiment embarquent en chemin de fer.
L’état-major du colonel Crespin et le reste des escadrons continuent sur Chambéry, où ils sont à
leur tour embarqués et acheminés par voie ferrée. Le régiment des dragons de l’Impératrice fait
son entrée à Paris le 14 août 1859 ; le 15, il participe à une grande revue aux Tuileries et le 16, il
regagne son dépôt à Meaux. Des années plus tard, cette campagne en demi-teinte vaudra
néanmoins à l’étendard du régiment l’attribution de la médaille commémorative du
cinquantenaire de la libération de la ville de Milan.

« LES LARMES AUX YEUX »

La Dépêche d’Ems

Le 19 juillet 1870, sous la pression d’une opinion chauffée à blanc par l’ultimatum prussien
connu sous le nom de « Dépêche d’Ems » dans l’affaire de la succession d’Espagne et jugé
irrecevable par les autorités françaises, le Premier ministre Ollivier déclare la guerre à la Prusse.
Tandis qu’Eugénie voit l’aboutissement de ses efforts, Napoléon III, malade, ne peut s’y
opposer.
Pourtant, les conditions sont loin d’être favorables à un conflit contre la Prusse. La France,
à la suite d’une politique étrangère incohérente, est isolée diplomatiquement ; à l’intérieur, elle
est profondément divisée entre bonapartistes, royalistes et républicains. Les grands hommes sont
incontestablement dans les rangs de ces derniers ; mais tout cela sent la fin de règne ! Bismarck
ne s’y trompe pas quand il juge le moment opportun de déclencher une guerre qui cimentera
l’unité allemande autour d’un empire prussien et protestant.
L'armée française, fière de ses expéditions coloniales (même le Mexique a été présenté comme une
victoire !), est bien mal préparée pour un conflit continental contre la Prusse qui, après Sadowa, est
devenue la première puissance militaire d'Europe.

57
Les dragons de l’Impératrice à la veille du conflit

Depuis la campagne d’Italie, le régiment a connu deux chefs de corps : les colonels Pajol et
Massue, avant que le colonel Sautereau du Part ne soit nommé à sa tête en 1868. Pendant toutes
ces années de servitudes et de manœuvres, il a subi quelques mouvements à la baisse. C’est ainsi
qu’en 1866 il est réduit à cinq escadrons par suite, comme pour tous les régiments de La Garde,
de la suppression du 6° escädron. Ce dernier sera rétabli le 6 février 1867 en utilisant l'excédent
des cadres des carabiniers et des cuirassiers de La Garde, réduits de deux à un régiment de
chaque arme.
Hormis la sortie italienne, le régiment des dragons de l’Impératrice n’a participé à
aucune des aventures impériales. Régiment d’apparat, plus que les autres il est frappé
d’immobilisme. Alors que les pièces d’artillerie françaises se chargent toujours par la
bouche et qu’en 1867 la loi de programmation-militaire du maréchal Niel est controversée à
la Chambre, les dragons de La Garde sont parmi les derniers à être munis du chassepot.
Au moment de la déclaration de la guerre, les quatre escadrons (2, 3, 4, 5) en service à Paris
sont immédiatement mobilisés. Le 1°” et le 6° sont en dépôt à Meaux. A cette époque, le régiment
est à son taux d’effectif le plus bas. Chaque escadron compte environ quatre-vingts dragons pour
autant de chevaux, dotation minimale pour une unité destinée à entrer en campagne.
Le 20 juillet à 18 heures, le colonel Sautereau du Part prend l’étendard aux Tuileries et
le 21, le régiment embarque gare de l’Est dans deux trains à destination de Nancy. Le 23, le
6° escadron rejoint le gros du régiment au bivouac de Malzéville.
Quant au 1° escadron, il reste au dépôt de Meaux pour être affecté à un régiment de marche
de la cavalerie de la garde impériale dont on a commencé la formation le 10 août. C’est le
lieutenant-colonel Bonaparte, ancien des dragons de l’Impératrice, qui doit en prendre le
commandement. Le désastre de Sedan survenant, ce régiment ne verra pas le jour ; l’escadron
des dragons de l’Impératrice, versé à l’armée de Paris, participera brillamment à la défense de la
capitale dans le cadre du 1% de marche, portant provisoirement le numéro « 13 » des dragons.

Housse - Croupelin - Officier des dragons de l’impératrice (Second Empire)

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LE REGIMENT EN 1870

ETAT-MAJOR

Colonel : Sautereau du Part


Lieutenant-colonel : Franchet d’Esperey, puis Boby de la
Chapelle
Chefs d’escadrons : de Verninac, de Louvencourt, Bonaparte
Capitaines-adjudants-majors : Picard, Gautier, Robert (Jules)
Capitaine-trésorier : Saleur
Major : de Lanuze
Capitaine-instructeur : Versin
Capitaine d’habillement : Rémy
Lieutenant d’état-major : Laude
Adjoint au trésorier : Lieutenant Arnal
Sous-lieutenant porte-aigle : Kalt
Médecin-major de 2° classe : Grazietti
Médecin aide-major de 1" classe : Malabard
Vétérinaire en premier : Moulin
Aides-vétérinaires : Salle, Liautard

CAPITAINES-COMMANDANTS CAPITAINES EN SECOND


Boucher Noble
Mayer Morel
Guerre Lyet
De Beaumont Pennet
Maraignon Boehm
De Lavalette Sautelet

LIEUTENANTS EN PREMIER LIEUTENANTS EN SECOND


Richard Deniau
Chevalot Ribet
Vauthier Tavernier
Surget Joannard
Romand Dosne
Arnal Renac
Tresse

SOUS-LIEUTENANTS
De Laurens Castelet Danloux
Gittard Lara
D’Angelo Gaigné
Bontemps Lataste
Tavan Planque
Bulté Philoche
Faivre Chabert
Antonin Masclary
Bouteille Sorret

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Les premiers revers

Les premières batailles, autant de défaites, montrent très rapidement les limites de l’armée
française. Avec 170 000 hommes, Mac-Mahon subit défaite sur défaite : Wissembourg,
Reichshoffen, Froeschwiller ; puis la retraite sur Sedan, Beaumont, la jonction avec
Napoléon III et, le 13 septembre, le désastre de Sedan. Napoléon IIT est fait prisonnier et interné
à Wilhelmshôhe, près de Cassel. Du côté de Bazaine, qui commande une armée de
150 000 hommes, ce n’est pas mieux : défaite à Forbach, combats de Borny et de Gravelotte
les 14 et 16 août indécis, défaite de Saint-Privat. Bazaine s’enferme dans Metz d’où il espère
jouer un rôle d’arbitre dans la lutte qui s’engage pour la succession de l’Empire. Croyant aux
promesses de Bismarck, il garde son armée intacte, sans combattre, et capitule sans conditions
le 28 octobre 1870 : 173 000 prisonniers et 1 570 canons pris par les Prussiens. C’en est fini des
illusions françaises.
Pour son malheur, le régiment des dragons de l’Impératrice fait partie de l’armée de
Bazaine, au sein d’une brigade qui porte très simplement un titre splendide : brigade de
« France », du nom de son général. Les dragons l’honoreront comme il convient quelque temps
plus tard.
En attendant, le régiment manœuvre dans la région de Metz. Le 27 juillet, il s’installe au
bivouac dans l’île Chambière sur la Moselle. Il y reste jusqu’au 4 août, quand il reçoit mission
de se porter en avant pour éclairer et appuyer le mouvement du 4° corps qui se replie sur
Saint-Avold. Jusqu’au 14 août, par un temps affreux : une pluie persistante qui transperce les
vêtements et détrempe les chemins au point de bloquer les équipages, la brigade « de France »
exécute les ordres du général Ladmirault. Le 11 août, elle s’installe en arrière de Borny, près du
hameau de Bordes, dans la banlieue de Metz. Le 14, alors que la garde impériale se prépare à
passer la Moselle à Malroy, les dragons reçoivent l’ordre de marcher au canon en direction de
Borny où l’arrière-garde de Ladmirault est sérieusement accrochée par les Prussiens. Toutefois,
elle reste la bride au bras, sans être engagée. À 21 heures, Bazaine ordonne de continuer la
retraite sur Metz. Pendant vingt-quatre heures, les dragons vont assister au défilé pitoyable
d’une armée vaincue sans combattre. Embofîtant le pas aux derniers bataillons d’infanterie, les
dragons de l’Impératrice se dirigent vers Gravelotte où Napoléon IIT a établi son quartier général
depuis le matin. Arrivé à 20 heures, le régiment s’installe sommairement, car il doit être en selle
à 2 heures du matin pour escorter l’empereur. Le 6° escadron fait l’avant-garde tandis que le
reste du régiment est en protection de la berline impériale. Les reconnaissances fouillent
attentivement les fermes et les bois où des partis de uhlans ont été signalés.
A Jarny, l’escorte rencontre la division du Barail qui se place à la suite de la brigade de La
Garde. Arrivé à Conflans, l’empereur quitte La Garde pour continuer avec les chasseurs
d’Afrique. À midi, le général du Barail prend le commandement des troupes restées sur place.
Au loin, le grondement de l’artillerie se précise. La division marche une nouvelle fois au canon
et s’installe à l’extrême droite de la ligne d’infanterie du général Legrand, à la ferme de Greyère.
Les chasseurs d’Afrique qui effectuent des reconnaissances lointaines, presque jusqu’au contact
de l’ennemi, rapportent avoir vu deux masses de cavalerie se diriger droit sur l’armée française ;
ils ont même échangé des coups de feu avec les uhlans ! En fait, c’est une méprise, et les dragons
rengainent leurs sabres. Il s’agit tout simplement du corps Ladmirault qui rentre en ligne et que
l’on a pris pour des Prussiens.

Plaque de giberne du Second Empire


La grande charge de Mars-la-Tour

Bientôt, la brigade de France quitte la ferme Greyère pour se rapprocher de la division


Legrand et, contournant le grand ravin qui la sépare de Mars-la-Tour, elle s’installe face à une
batterie prussienne installée sur les hauteurs du bourg. Pendant près de deux heures les pièces
ennemies arrosent sans discontinuer la cavalerie française qui guette l’instant propice pour
mettre à mal cette batterie qui fait plus de bruit que de mal. Mais soudain, sur la droite, on
aperçoit les têtes de colonnes de la cavalerie prussienne qui traversent au trot la route
Mars-la-Tour— Verdun pour prendre les troupes françaises à revers. La division Legrand fait
alors volte-face et se porte en avant sur trois lignes. La brigade « de France » rompt par pelotons
vers l’extrême droite du dispositif français et se reforme en colonnes serrées pour traverser le
ravin quand les deux derniers escadrons des dragons de l’Impératrice aux ordres du commandant
Verninac aperçoivent des escadrons de cavalerie ennemie qui s’apprêtent à charger le flanc du
corps d’armée. Les dragons se préparent alors pour ce que l’histoire a appelé « la grande charge
de Mars-la-Tour », le 14 août 1870. En voici le récit établi selon le témoignage des survivants,
dont le colonel Sautereau du Part, et le journal de marche du régiment :
Bonnet de police (Second Empire) « La charge est engagée à environ 600 mètres et les dragons, tout en galopant, tirent plus de
cent coups de chassepot sur les uhlans qui avancent au petit trot, les lances croisées. Le choc a
lieu front contre front. Au centre, où est le colonel, les rangs sont tellement pressés de part et
d’autre qu’il n’y a pas de vides pour se traverser ; aussi les chevaux, heurtés tête contre tête,
poitrail contre poitrail, forment-ils un amoncellement, un pêle-mêle de cavaliers et de montures
au milieu duquel se trouve le colonel, que le choc a le premier renversé et qui reçoit un premier
coup de lance.
» Néanmoins, en bien d’autres endroits, les deux lignes ont pu se traverser et les Dragons
de l’Impératrice viennent alors heurter une seconde ligne allemande formée de hussards et de
dragons. Ils la brisent en achevant de se briser eux-mêmes et la lutte commence corps à corps à
l’arme blanche. Les cavaliers ennemis s’acharnent particulièrement sur nos officiers et nos
trompettes pris pour des officiers à cause de leur uniforme.
» Le ralliement sonne de part et d’autre. Les dragons allemands se retirent d’abord ; puis un
grand nombre de uhlans passent à nouveau, et l’un d’eux, en retraversant, pointe à terre le
colonel du Part d’un second coup de lance dans les reins. Le capitaine adjudant-major Gauthier
vient à son secours avec quelques sous-officiers et soldats démontés et blessés. Ils font le coup
de feu autour de leur colonel pour éloigner les uhlans. Le maréchal des logis Orda le relève, le
maréchal des logis Boinard lui donne son cheval et, tout en combattant, on ramène le colonel
tout sanglant au lieu de ralliement.
» Le lieutenant Deniau, qu’une chute de cheval oblige de porter le bras en écharpe, charge
avec son escadron. Les capitaines de Lavalette, Robert et Lyet regroupent sur le terrain même de
la charge la valeur de deux escadrons qui rejoignent ensuite le gros du régiment reformé plus en
arrière, près de la division de Cissey. »
Cette affaire de Mars-la-Tour témoigne, si besoin en était, de la valeur du soldat français de
1870. Comme celle des cuirassiers lors de la bataille de Reichshoffen, elle est d’une audace
folle, mais coûte très cher au régiment : le lieutenant-colonel Boby de la Chapelle a été tué ; tués
aussi les lieutenants Gosset et Antonin, les sous-lieutenants Bontemps et Bouteille. Grièvement
blessés le colonel Sautereau du Part, les capitaines Lyet et Gauthier, le lieutenant D’Angelo, le
sous-lieutenant Kalt et le maréchal des logis Boinard qui faisait le coup de feu auprès de son
colonel. Au soir de ce combat, vingt-huit dragons ont trouvé la mort ou sont portés disparus ;
trente-trois autres sont blessés, quarante chevaux ont été tués ou perdus.

La capitulation de l’armée de Metz

Le 16 août, à Gravelotte, Bazaine pouvait remporter un succès éclatant aux dépens d’une
armée allemande isolée sur la rive gauche de la Moselle. Et pourtant, il maintient son ordre de
repli sur la place forte. Après ce combat, la division de La Garde manœuvrera beaucoup, mais se
battra peu. Le 18 août 1870, pendant la bataille de Saint-Privat, les dragons de l’Impératrice
reçoivent l’ordre de se porter sous les forts de Philippeville et de Saint-Quentin. Ils seront les
témoins impuissants de la panique qui gagne certaines unités, empêchant le passage des convois
de vivres et de blessés. Le général Desvaux fait mettre pied à terre à deux escadrons et en donne
le commandement au capitaine de Lavalette, avec pour mission de contenir l’ennemi coûte que
coûte afin de protéger l’évacuation des blessés. Quelques heures plus tard, les dragons sont
relevés par une division à cheval et rejoignent le régiment qui bivouaque sous la protection des
forts de Metz.
Le 20, la division de La Garde s’installe au Ban-Saint-Martin ; le 25, elle est sur l’île
Chambière. Le 30, le régiment monte à cheval pour aller cantonner dans les vignes au pied de
Saint-Julien et il assiste en spectateur à la lutte qui se déroule en avant du village de Servigny.
Dans la soirée, la division de La Garde suit le mouvement de retraite de l’infanterie et vient

61
reprendre ses anciens quartiers dans l’île de Chambière. Désormais, les dragons de l’Impératrice
sont enfermés dans Metz avec l’armée de Bazaine. Ils connafîtront les souffrances et les
privations du blocus. Le 28 octobre, Bazaine capitule sans conditions. Une armée intacte tombe
aux mains de l’ennemi. Officiers et dragons sont prisonniers de guerre. La plus grande partie du
régiment est envoyée en Silésie prussienne, tandis que les officiers sont internés à Mayence et à
Hambourg. Le colonel Sautereau du Part est assigné à Düsseldorf.
Le même jour, la garde impériale est officiellement dissoute. Au mois d’avril 1871, les
prisonniers rentrent d'Allemagne. Avec les cadres et les rescapés, on reforme un régiment à six
escadrons. Par décret du 4 février 1871, les dragons de l’ex-Garde (appellation du 4 septembre
1870) reprennent officiellement le numéro « 13 » porté pendant le Siège de Paris par des
éléments du 1° régiment de marche de la cavalerie.

Le colonel Sautereau du Part

Simon Antoine Eugène Sautereau du Part est né le 25 juillet 1819. Ses premières années
sont bercées par les récits de l’épopée impériale, que l’on n’a pas oubliée malgré la Restauration
et Charles X. Les rumeurs glorieuses de l’expédition d'Algérie ne font qu’accroître le désir du
jeune homme de revêtir l’uniforme.
Le 10 novembre 1838, il s’engage au titre du 2° carabiniers. Cinq jours plus tard, il est
admis à l’école spéciale militaire dont il sort sous-lieutenant en 1840. Sa véritable carrière
militaire débute par une affectation, le 1° octobre, au 7° lanciers. Audacieux, avide de grands
espaces, mais surtout de gloire, il a choisi la cavalerie. Hélas ! pour lui, la gloire est de l’autre
côté de la Méditerranée, dans cette armée d’Afrique qu’il n’arrive pas à rejoindre malgré toutes
ses démarches et ses suppliques. Agitée par des crises nationalistes, l’Europe n’est pas prête
pour de grandes chevauchée. Aussi poursuit-il une carrière de garnison : lieutenant le 10 mars
1844, capitaine le 19 décembre 1848...
Mais l’émeute populaire vient de porter à la tête du pays le Prince Louis-Napoléon, un
Bonaparte ! Le capitaine Sautereau du Part y voit un signe du destin. Pourtant, bien que l’Empire
succède à la République, rien ne change. Du Part est promu chef d’escadrons le 3 juin 1854,
puis il est affecté au régiment des guides de La Garde le 21 novembre 1855. Guerre de Crimée,
guerre d'Italie ? Ce ne sont pas des campagnes pour La Garde ! Le 11 août 1862, il est nommé
lieutenant-colonel au 5° hussards. Deux ans plus tard, il tient enfin sa chance et fait voile vers le
Mexique. La campagne est rude et l’ennemi mexicain vaillant ! Il pratique la guérilla et
n’accepte le combat en ligne qu’assuré de sa supériorité numérique. Cela n’empêche pas le
lieutenant-colonel Sautereau du Part de faire une brillante campagne. Le 14 décembre 1864, il
est cité à l’ordre de la 1" division du corps expéditionnaire pour s’être particulièrement
distingué au combat de Guadalupe.
Le 13 août 1865, il est nommé colonel du 5° cuirassiers puis, le 19 décembre 1868, il prend
le commandement du régiment des dragons de l’Impératrice. C’est à sa tête qu’il va signer un de
ses plus beaux exploits, le 16 août 1870, lors de la bataille de Gravelotte. A cette occasion, il est
blessé d’un coup de lance à la jambe gauche et d’un autre au côté droit, mais n’en cesse pas pour
autant le combat, montrant l’exemple à ses dragons déchaînés.
Nommé général de brigade le 27 octobre 1870, après l’effondrement de l’Empire, il
commande la 2° brigade du 6° corps à Lyon, puis la 4° brigade de hussards. Mis en disponibilité
le 25 mai 1875, il est admis dans la réserve par anticipation le 23 décembre de la même année.
Deux ans plus tard, il est réintégré et reprend le commandement de la 4° brigade de hussards,
puis de la 3°. Finalement, le 31 juillet 1879, il fait valoir ses droits à une retraite dont il jouira
pendant dix ans, avant de décéder, en 1889, à l’âge de soixante-dix ans.
Le général Sautereau du Part était commandeur de la Légion d’honneur, officier de l’ordre
mexicain de Guadalupe, 2° classe de l’ordre de la Couronne de fer d’Autriche et 2° classe de
Saint-Anne de Russie.

Sabre du colonel Sautereau du Part

62
ur

Colonel des dragons de


la garde impériale en 1858

La grande tenue des dragons de l’Impératrice

A la Restauration, afin de supprimer définitivement toute référence à la légende impériale,


l’habillement de l’armée française, et particulièrement des corps qui avaient grandement
contribué à l’épopée, subit de profonde modifications. Puis vinrent les apports « exotiques » de
l’armée d’Afrique et le grand règlement de Louis-Philippe en date du 7 octobre 1845.
La mode « philipparde », si caractéristique avec ses tenues à taille de guêpe et ses pantalons
d’excessive ampleur, se modifie sous le second Empire pour tendre vers une plus grande rigueur
de la forme ; on tient encore à la taille fine, mais le pantalon se fait plus étroit et sa ligne se
raffermit.
Le régiment des dragons de l’Impératrice est créé le 20 décembre 1855, ce n’est toutefois
que le 24 juin de l’année suivante que le Journal militaire publie l’essentiel de la tenue du corps.
Le dragon porte l’habit vert clair coupé droit sur le devant. Il possède deux basques courtes
par-derrière qui sont garnies de retroussis factices dessinés par un passepoil écarlate. Deux
pattes de poches portant trois gros boutons de cuivre sont délimitées par un même passepoil. Les
retroussis sont ornés de quatre grenades brodées en laine écarlate. L'innovation principale vient
du plastron : il est fait de deux revers réunis par une couture verticale et boutonnés sur le devant
de l’habit ; de couleur blanche, il est indépendant du vêtement. Ce plastron, doublé de drap vert
clair, est réversible. Il existe également en vert pour la petite tenue au dépôt. Le collet écarlate
Motz en 1870. = Dragons de Plmpératrlee en est liséré et doublé de vert. Les parements en pointe sont verts et factices. L’aiguillette tissée de
fil blanc est jointe à l’épaulette. Elle est devenue un ornement distinctif qui subsiste encore de
nos jours : c’est la fourragère.
L’autre grand changement concerne le pantalon. Le garance tristement célèbre en 1914 fait
son apparition. Le pantalon est orné sur chaque côté de deux bandes vertes laissant apparaître le
fond garance. L’entrejambe est « basané » de drap, mais sans apport de peau de mouton. La
ceinture est montante sur les reins et permet la fixation d’une paire de bretelles. Les jambes sont
garnies de fausses bottes en veau noirci.
Sous son pantalon, le dragon porte des bottes courtes munies d’éperons à molette. Selon le
règlement de 1817, la semelle est garnie de cinquante clous à tête ronde et le talon est maintenu
par trente chevilles. Au cours des années, clous et chevilles deviendront la hantise des
« pioupious » lors des revues de détail.
Le casque est entièrement en cuivre à crinière flottante et aigrette de cimier en crin noir,
plumet écarlate droit en plume de coq. Pour se protéger des intempéries, les dragons de
l’Impératrice portent le manteau blanc piqué de bleu à manches et rotonde. La buffleterie est
blanche et se compose d’une giberne qui est surtout un ornement et d’un ceinturon du modèle de
la « ligne ». Le ceinturon est fermé par une plaque de cuivre estampée d’une grenade. Il
comporte deux bélières pour le port du sabre. Comme armement, le gragon dispose du sabre
demi-courbé et du mousqueton. Il n’a plus de baïonnette, qui lui a été retirée par la monarchie de
Juillet. La selle est commune à tous les corps de cavalerie ;mais la schabraque et le
couvre-fontes sont en drap vert avec une bordure en galons blancs et lalettre « N » surmontée de
couronnes impériales brodées en laine blanche.
Les officiers portent la même tenue que la troupe, à la différence des épaulettes or et, lors
des revues de son régiment par l’impératrice, de la double bande du pantalon de grande tenue,
également or. Le manteau des officiers est vert et les galons et broderies du harnais sont or.
63
Adjudant des dragons de l’impératrice (1870)
SOUS LA TROISIEME
REPUBLIQUE
L’ARMEE DE LA
REVANCHE

La vie de garnison

De l’humiliation de la galerie des Glaces à Versailles, le 18 janvier 1871, où Bismarck


proclame Frédéric-Guillaume de Prusse empereur d’Allemagne sous le nom de Guillaume [°,
aux tragiques événements de la Commune, la nation vit une période trouble qui n’épargne pas
son armée. Lorsque la guerre prend fin et que la France s’est libérée des dettes du traité de
Francfort, tout est à rebâtir.
Comme les autres, l’ex-régiment des dragons de l’Impératrice souffre des confusions entre
l’ancienne armée impériale et la nouvelle armée républicaine.
Après la guerre, le dépôt du régiment, qui avait été replié à Montélimar, remonte à Mâcon
pour créer le nouveau régiment avec les prisonniers libérés et les recrues. Le 7° de marche, qui
avait été créé à Lyon le 20 décembre 1870 et placé sous les ordres du lieutenant-colonel Robert,
fusionne avec les éléments de Mâcon. Enfin, ils reçoivent les cadres de l’escadron des dragons
de l’Impératrice qui s’est distingué à Paris sous les ordres du colonel Lhotte (brigade Moucheton
de Gerbrois, division Coste de Champéron) avec l’ancien numéro « 13 » avant de devenir le
ler dragon dissous à Angoulême.
A sa création le 4 février 1871, le 13° régiment de dragons est placé sous le commandement
du colonel Barbault de la Motte et l’unité au complet est transportée à Compiègne où elle tiendra
désormais garnison. En 1873, il est réduit à cinq escadrons, le 6° concourant à la création du
25° régiment de dragons.
L’uniforme ne va pas rester étranger à la grande réorganisation des armées de la
III République. En 1872, les dragons perdent définitivement l’habit, qui est remplacé par une
tunique bleu sombre à longs pans à collet blanc avec le chiffre « 13 » : dans le cas du 13° RD,
brodé sur fond noir, soubises blanches au poignet, épaulettes tressées rouges et boutons jaunes.
Casque à la Minerve et longue crinière noire. Le cimier du casque, en tôle, est très abaissé et la
bombe allégée. L’aigrette est supprimée. Les dragons, selon le cas, portent la culotte garance ou
les houseaux. Les officiers portent la même tenue que la troupe. Seuls les différencient les
épaulettes or et, pour la tenue à pied, le per garance à bande noire. A cheval, ils portent la
culotte et les bottes.
Sur le cheval, la schabraque et le couvre-sacoches sont noirs bordés de rouge. L’armement
se compose du grand sabre droit modèle 1854 et du chassepot pour la troupe. En 1875, la
schabraque et le couvre-sacoches sont supprimés pour la troupe, les officiers conservant le tapis
de selle. En 1885 les couvre-sacoches sont supprimés pour les officiers. En 1886, le 13° dragons
quitte la tunique pour prendre le dolman gros bleu tressé noir à boutons blancs. L’épaulette est
supprimée et les officiers quittent le galon tournant autour de la manche et l’épaulette pour
prendre le galon en trèfle de la cavalerie légère. Le dolman est en drap noir et les épaulettes sont
remplacées par des pattes d’argent.
Dans un pays avide de revanche et qui a le regard fixé sur « la ligne bleue des Vosges »,
l’enthousiasme pour la chose militaire ne se dément pas. Les villes de garnison soignent
« leurs » régiments. Ils font l’essentiel de l’actualité, et dans les petites cités comme Compiègne,
Joigny ou Lure, le 13° RD est parfaitement intégré à la population.
65
A Vaudricourt, le dragon Blond qui était en permission maîtrise un attelage emballé, ce qui lui vaut
d’être nommé cavalier de 1" classe ; le 27 janvier 1885, à Compiègne, c’est à nouveau un accident de la
circulation qui vaut son galon de 1" classe au dragon Buble. A Joigny, ce sont des actes de sauvetage
dans les eaux traîtresses de l’ Yonne et de son canal envers des camarades du régiment qui valent les
honneurs du communiqué au jeune Champagne, enfant de troupe, et au dragon Cousin.
La vie de garnison est rythmée par les exercices, les manœuvres, les revues et les
événements mondains : le bal de la colonelle rivalise avec celui de la sous-préfète. Pendant ce
temps, les hommes en bourgeron vaquent aux tâches quotidiennes des cavaliers. Et à Lure, le
quartier Lasalle retentit des fortes paroles et des jurons des cavaliers et palfreniers. Ici c’est le
pansage, là le dressage ; un peu plus loin, un groupe de recrues s’essäie à la voltige de pied
ferme. Ailleurs, de jeunes lieutenants démontrent qu’ils n’ont pas oublié Saumur. Bien sûr, les
conversations roulent sur l’Afrique, le Tonkin, avec une petite pointe de nostalgie. Et puis on
confie les chevaux aux ordonnances pour les mener à l’abreuvoir. Demain, il faudra les
embarquer dans les wagons, rude affaire, pour rejoindre les manoeuvres qui se déroulent dans
l'Est. « On va aller tâter les Germains ! »
Puis le retour des manœuvres sera marqué par le défilé du régiment devant la population de
Lure. Suivis par une meute de gosses émerveillés, les fiers dragons du « 13 » défileront en
colonnes d’escadrons derrière leur fanfare, leur colonel, et leur étendard que l’on ne sort plus
que dans les grandes occasions.
A la fin de la guerre franco-prussienne, quand les régiments furent reconstitués, ils durent se
procurer un étendard provisoire fait en laine, sans franges ni cravate, bordé d’un simple ourlet et
fixé à une hampe bleue surmontée d’un fer de lance en bois doré. Le 14 juillet 1880, les
régiments reçurent un nouvel étendard en soie. Celui du 13° RD est un carré de soie de 0,63 m de
côté, aux trois couleurs nationales. Dans les angles, sur chaque face, de larges couronnes de
laurier peintes en or au centre desquelles est répété le chiffre « 13 ». Une longue cravate tricolore
est attachée à la hampe ; sur ses pans encore des couronnes de laurier, mais brodées en or fin. La
hampe est surmontée d’un fer de lance en bronze doré. Sur l’étamine, d’un côté l’inscription :
« République Française - 13° régiment de dragons » ; de l’autre : « Honneur et Patrie », et les
noms des victoires du régiment.
Parfois, des événements tragiques endeuillent le régiment et le bourg. Des accidents, des
maladies. Ce fut le cas pour deux chefs de corps du 13° RD. A la suite du colonel Barbault de la
Motte, de 1876 à 1890, plusieurs officiers supérieurs se sont succédé pour des commandements
plus ou moins longs : les colonels de Villeneuve-Bargemont, Humann, Letenneur et Lacoste de
l’Isle. Ce dernier avait été nommé en 1883 et commandait donc depuis sept ans lorsqu’en 1890 il
est nommé au commandement d’une brigade de cuirassiers, tout en restant nominativement le
chef de corps du 13° RD. Le lieutenant-colonel de Bernouïs, sur le point de passer colonel, est
désigné pour lui succéder ; mais il meurt au mois de septembre et le lieutenant-colonel de
Monspey exerce provisoirement le commandement avant l’arrivée du colonel de Ganay.
Citons encore ces extraits du Patriote de Lure à l’occasion du décès du colonel de Cléric et
de ses obsèques :
« A neuf heures et demie — heure militaire — la bière est transportée de la salle d’honneur
dans le char funèbre ; celui-ci affecte la forme d’un grandiose et imposant catafalque ; il est tout
drapé de noir. Dessus sont exposés les uniformes, armes et décorations du défunt...
» Un peloton d’avant-garde commandé par un sous-officier ouvre la marche, puis viennent
les trompettes exécutant des sonneries funèbres qui étreignent tous les cœurs, les instruments
sont cravatés d’un crêpe noir ; deux escadrons à cheval, un escadron à pied, tous en grande
tenue. Tous les officiers du 13° Dragons ont un crêpe à la poignée du sabre. Le
lieutenant-colonel M. Nogueira qui commande toutes les troupes et qui ne peut dissimuler
l’émotion et la douleur que lui occasionne la fin prématurée de son ami, de son frère d’armes,
monsieur le colonel de Cléric. A dix mètres derrière celui-ci, l’étendard recouvert d’un long
crêpe avec sa garde d’honneur... »
Le rédacteur continue à donner les détails du cérémonial, puis il cite toutes les personnalités
présentes et évoque la carrière du disparu : sorti de Saint-Cyr en octobre 1867, capitaine en
1872, chef d’escadrons en 1883, lieutenant-colonel en 1888 et colonel du 13° dragons le 9 juillet
1893. Il a pris part à la campagne de Tunisie de 1882 et à celle du Tonkin de 1885. Commandeur
de la Légion d’honneur, il est également commandeur de l’ordre du Nicham Iftikar et officier
dans l’ordre impérial du Dragon d’Annam. Poursuivant le panégyrique du colonel de Cléric sur
une demi-colonne, après quelques considérations d’ordre général notre journaliste, tout à fait
dans la ligne patriotique de l’époque, de conclure :

« Pendant la cérémonie à l’église nous circulons au travers de la foule qui encombrait nos
trottoirs ; de toutes les conversations, de tous les échanges d’impressions que nous saisissons au
passage, il en résulte pour nous cette bien réconfortante constatation que, malgré tout, le culte de
l’armée est plus que jamais vivace et profondément enraciné dans le cœur de nos patriotiques
populations franc-comtoises. »
66
De cette époque, citons encore le témoignage de monsieur Jean Garie, engagé volontaire en
1909, à qui nous devons : Histoires de quartier, à la Belle Epoque.
« Il faut redire la triste histoire de l’un d’entre nous : un brave garçon, pas très malin, pas
très méchant, pas très sérieux, pas très courageux, pas très veinard, pas très propre, pas très
docile aussi, enfin, un de ces types qu’on ne peut définir qu’avec “pas très”, et rien de plus.
» Illusions du début : engagé volontaire en 1909 pour trois ans, avec le brevet d’aptitude
militaire. Dévait être brigadier au bout de six mois et maréchal des logis avant un an... Voyons la
suite : le pauvre type a été nommé 1" classe au bout de deux ans et l’est resté. deux heures ; mais
brillant élève brigadier pendant cinq ans. Que la brièveté de ces heures de gloire soit pardonnée au
capitaine Bréant pour avoir offert 2 000 francs sur son modeste revenu au même pauvre type, alors
malade à l’hôpital, et être venu ensuite chaque samedi pendant deux mois lui apporter des livres.
» Toujours la malchance ; se faire punir “pour avoir fait le clown au cirque” ! Comment le
lieutenant-colonel a-t-il pu trouver cela‘anormal ? Et que faisait-il au cirque ! Est-ce bien là la
place d’un lieutenant-colonel ?
» Comment a-t-1l pu être interpellé par un sous-lieutenant maintenant général dit “Fait
neuf” : “Sortez du rang, l’homme le plus sale du régiment”. Alors, parade, cheval, casque,
plumet, crinière, selle, carabine, etc. Pendant cinq samedis de suite ! Quelle injustice criarde
envers celui qui a instauré le balayage de la cour avec un balai au bout d’une lance ! Ce souci de
propreté a gagné nos braves Michel et Laffilée de qui l’ardeur au travail s’accommodait
parfaitement de ce sport. Même désir de bien faire, aussi mal compris, cette fois du copain : sur
ordre d’un adjudant de laver des verres, employer l’eau du rata ! N'est-ce pas plus indiqué que
l’eau claire ? La recherche d'amélioration est donc coupable.
» Vous vous souvenez d'Isabelle, la cantinière ? Notre bleu croyait qu’il s’agissait d’une
jument. Sur le conseil des anciens, il est allé quelque jour avec sa selle à la recherche d’Isabelle
pour la monter. La réponse, vous la devinerez, choquerait vos chastes oreilles et ne saurait
trouver place dans ces graves feuillets. Restons-en là, tous ces faits sont trop navrants.
Mes chers amis, dans ce pauvre type, vous avez tous reconnu ce vieux Garie, pas très
sérieux, maintenant encore ! »
Le 13° régiment de dragons a quitté Lure pour gagner sa nouvelle garnison de Melun. Il y
arrive le 21 avril 1913. Jean Renard, brigadier à ce moment-là, décrit la vie quotidienne des
dragons à la veille de la Grande Guerre.
« Culotte rouge et houseaux, tunique bleu sombre, haut col blanc avec le chiffre brodé sur
fond noir, pattes d’épaules tressées et soubises des poignets blanches, casque à la Minerve et
crinière noire, longue, souple et mince, sabre droit avec dragonne noire. En hiver, long manteau
Noyret Marius, classe 1899, bleu avec pèlerine barrée des deux traits rouges du grade.
5° escadron, 4° peloton
» De ma vie je n’avais eu plus beau costume ! Je le portais avec brio, un pas nerveux, des
gestes rares et rapides, un regard ferme. J'étais aux anges. Quand nous rentrions au quartier,
après un travail de régiment, et que nous défilions devant notre colonel, je n’aurais pas donné ma
place pour une fortune ! Nos officiers criaient “Portez... lances !”
» Nous redressions nos tailles un peu affaissées au fond des selles par le travail au galop et
nous tournions nos têtes coiffées d’acier, bandées de cuivre vers celui qui demandait notre
regard et à qui nous le donnions de tout cœur, notre colonel, dont nous aimions tous la rude
silhouette — si bonne pourtant— de vieil officier du premier Empire.
» Des gens, des gamins accouraient aux grilles pour voir rentrer le beau régiment. La garde
présentait les armes. Nos trompettes, flammes déployées, s’accompagnaient de façon imprévue
des tambours à cheval que le colonel de La Tour avait rétablis en souvenir sans doute de
Condé-Dragons, notre ancien. Nous passions dans une poussière d’épopée, aux piaffements de
nos chevaux énervés, écumant aux gourmettes, aux brides et aux sangles.
» L’Etat-major se tenait à l’entrée du quartier devant la salle d'honneur. Là se trouvait
l’étendard, et aux murs, les portraits des colonels du régiment. Et parmi ces figures anciennes,
ces figures martiales, souvent casquées, brillait d’un pur éclat, en plus belle place, au centre du
plus grand mur, le portrait de l’Impératrice par Winterhalter, avec la dédicace : “Eugénie à son
régiment”.
» Nous savions cela, nous savions que nous avions été son régiment, et beaucoup se
souvenaient ainsi que jadis, pour une belle fortune, peut-être unique en notre histoire française, à
ce régiment avait été confiée la garde d’une femme d’une incomparable beauté. Nos lances
portées, nos tailles raidies, nos regards offerts n’étaient pas seulement pour notre colonel, mais
pour elle aussi, pour le beau, l’altier visage de notre salle d'honneur. Peut-être son règne
véritable fut-il là, installé dans la pureté d’une grâce idéalisée dans le coeur de ces jeunes
hommes, de ces cavaliers imberbes, de ces beaux officiers, de ce vieux colonel... Son fantôme
léger, paré de ses atours désuets, aura trouvé là sa cour la plus belle, la plus désintéressée,
presque religieuse. Sur la tristesse de l’oubli, de l’ingratitude et des trahisons, suprême et
splendide revanche, ignorée de tous, sauf d’un régiment.
67
» A mon arrivée au quartier “Pajol” le 1° octobre 1913, ce fut de Brécourt, sous-officier de
semaine au 3° escadron, qui m’accueillit. Il me vit un peu ému, ainsi que mon grand-père qui ne
m'avait pas encore quitté. Il nous rassura de façon civile, avec sa voix grave où perçait une sorte
d’élégance simple qui charmait immédiatement. Au seuil de cette vie nouvelle, attendue et
redoutée à la fois, une destinée favorable mettait sur mes pas celui qui devait être l’un de mes
meilleurs, de mes plus chers amis.
» Ma vie, courageuse et rude, me parut simple. En janvier j’étais brigadier au 4° peloton,
celui des Bretons, glanés dans le régiment et réunis là par le lieutenant Chanoiïne, avec comme
sous-officier Boyneau, dont la réputation de parfait butor m'était connue.
» Je plus à ce sauvage. Le hasard d’une garde au quartier montée avec lui, des bouteilles de
“vin bouché” qu’il m’invita à partager — et dont il vida la presque totalité — me livrèrent un
esprit ouvert aux arts et aux lettres, chose dont il paraissait se cacher comme d’une tare et que je
fus sans doute le seul au quartier à connaître jamais, tant l’homme était singulier.
» Je fus alors, dans ce peloton, absolument tranquille, satisfait en tout. J'étais bon, gai,
juste et sévère. Quatre mots merveilleux, clefs magiques en l’état militaire. Chaque matin je
présentais un peloton irréprochable à l’étrange Boyneau qui demeurait dans sa chambre
jusqu'aux limites du possible. L’officier paraissait, un sec “Garde-à-vous !”, une rapide revue
valaient presque toujours un compliment au sous-officier flatté et ravi.
» À cinq heures du soir, hors mon temps de semaine, je franchissais “en tenue” la porte du
quartier et je rejoignais une petite chambre que j’avais rue Saint-Barthélemy. J’y trouvais la joie
d’une pièce chaude, d’une toilette complète, d’un souper simple mais fort convenable et,
couronnement de cette fête quotidienne, d’une grande heure d’études ou de lecture.
» “J'étais seul, j’étais à cheval, j’avais un bon manteau blanc, un habit rouge, un casque
noir, des pistolets et un grand sabre...” Ainsi débutait le beau conte de Laurette.
» Comme Vigny, jeune gendarme de la maison du roi, j'étais parfaitement heureux. Sur le
terrain, à la ‘“‘glandée”, à la “sole”, dans nos services en campagne, l’ombre du beau cavalier
m’accompagnait botte à botte. Je ne pensais pas que bientôt elle ferait corps avec moi, davantage
encore, dans l’obscure charge de mon humble fonction de guerre — où si souvent je fus aussi
solitaire sur les chemins de France et de Belgique que le cavalier de Louis XVIII le fut sur la
route d’exil de son roi...
» Cette belle vie me conduisait à certain dimanche de juin — où j'étais en permission à
Paris, dans ma puérile satisfaction de jeune dragon, heureux de montrer une taille mince, un col
blanc, un casque éclatant et une splendide crinière.
» Il faisait une de ces exquises journées d’été parisien qui laissèrent en mon esprit la
cértitude d’une chose résolue. | ,
» On jouait une revue à l’Alcazar des Champs-Elysées, nous nous y rendîmes. Les
marronniers étaient dans leur plus beau feuillage, les pelouses arrosées ainsi que le pavé de
bois... Des moineaux criaient et se battaient sous nos pieds. L’air, empli d’une indéfinissable et
charmante odeur, était léger, léger comme il ne le sera jamais plus... A l’entracte, des éditions
spéciales annonçaïient l’attentat de Sarajevo et l’assassinat du prince héritier d'Autriche.
» En trois secondes, les yeux perdus sur la page de La Patrie que je ne lisais plus, je pensais
que l’événement était grave et j’entrevis, par une sorte d’instinct, la guerre proche, la guerre
certaine. Quand nous sortîmes, les courses “rentraient”. Les équipages : Daumonts, Landaux,
Victorias.…, descendaient l’avenue dans l’inégalable beauté de leur luxe, de leurs chevaux
piaffants aux paires alezanes, noires ou rouannes, cocardes au frontal, aux chaînes joyeuses, aux
cochers prestigieux. Les femmes qu’ils emportaient, heureuses, souriantes. On regardait cela
comme un spectacle, sans savoir qu’il était ultime et que c’était l’adieu d’un monde...
» Au Rond-Point nous étions arrêtés, comme nous l’avions fait si souvent, pour
contempler cette “rentrée” dont mon regard est encore tout empli.
» D'’esprit je suivais cette rivière chatoyante, ce courant d’équipages descendant vers la
Madeleine. Il doublait l’obélisque, il passerait bientôt rue Royale. Je voyais les grands cafés et
leurs terrasses bruissantes.
» Des visages étaient là qui ressemblaient à Caoudal, à Dechelette, à Gaussire (1). Des femmes
allaient — insouciantes et gaies— qu’on regardait, amusé, l’œil sous le bord du haut-de-forme. Deux
bonshommes se hâtaient un peu bousculés, qui auraient pu s’appeler Pons ou Goriot (2) sans se trouver
encore absolument hors du monde. Au coin de la rue Saint-Honoré des cochers d’omnibus et de
“sapins” s’invectivaient très.rouges, très en colère, pour rien... et l’on riait !
» Tandis que nous demeurions là, debout sous les marronniers, silencieux et graves à cause
de cette mauvaise nouvelle de Sarajevo et que, derrière l’Arc de triomphe le soleil commençait
à décliner, encore rutilant de la splendeur du jour... au grand livre des destinées ouvert sur le
prestigieux Lutrin — un index immense lentement tournait une page... »

(1) Sapho de Daudet.


(2) Scènes de la vie parisienne, Balzac.
68
La première guerre
mondiale

Les causes de la guerre de 1914-1918 sont assez connues pour qu’il ne soit pas nécessaire
d’y revenir. Disons simplement qu’une fois encore, au moment où se déclenche le premier
conflit de l’ère moderne, une guerre qui fera appel à toutes les ressources économiques et
industrielles, une guerre qui verra l’effondrement de trois dynasties et l’ébranlement de deux
empires coloniaux, l’armée française n’est pas prête, malgré les rodomontades d’un état-major
qui prêche l’offensive à outrance (charges splendides et assauts à la baïonnette ; « Rosalie » pour
les « p'tits gars en pantalon garance »). D'un côté, déjà le camouflage, une artillerie lourde qui
privilégie la puissance de feu ; de l’autre, la gloire en garance, rouge comme le sang des soldats
français couchés par centaines de milliers sur les champs de bataille du début du conflit. Mais il
y a le « 75 ».

La mobilisation

Au moment de la mobilisation, le 1° août 1914, le 13° régiment de dragons est en garnison


à Melun. Il fait partie de la première brigade de la 7° division de cavalerie, qui appartient au
5° corps et dont le PC est précisément à Melun. Dans la journée, les effectifs sont complétés et
l'encadrement permissionnaire rappelé. L’état-major comprend notamment :

Colonel de La Tour
Lieutenant-Colonel Le Poitevin de la Croix de Vaubois
Chef d’escadrons Grandjean
Major Bolcher
Capitaines commandant les escadrons :
Du Breil de Pontbriand
Goursaut
Wattel
Marzan
Mahieu
D'’Hausen
Un peloton du 3° escadron en 1914
Dès les premiers jours, étant passé en effectifs de guerre, le régiment reçoit une masse de
rappelés, officiers et hommes de troupe. Il faut très vite leur inculquer les méthodes et les
matériels de combat modernes, rafraîchir les souvenirs du règlement de discipline militaire. Ils
étaient partis pour une guerre fraîche et joyeuse, une guerre de cavalier, de dragon. La saignée
sera terrible. Deux mois après la mort du caporal Peugeot (1), l’état d'encadrement du régiment
est pratiquement renouvelé. Le colonel Jehan de La Tour est mort au combat le 11 octobre et la
plupart des officiers ont subi l’épreuve du feu. Déjà les renforts sont venus boucher les trous
ouverts par les canons allemands.

(1) Le caporal Peugeot fut le premier soldat français tombé en 1914.

69
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Le commandant Meyer en 1914. Le commandant de la Teillais en 1916.

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Le capitaine de Toulouse Lautrec en 1916. Le capitaine Peycher en 1916.

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Le capitaine de la Croie Vaubois en 1916. Le lieutenant de la Boulaye. L'offensive du Chemin des Dames (chars Saint-Chamont) en mars 1917.
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Le docteur le Marre en 1919.

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Le lieutenant Blary en 1919. Le capitaine de la D’hausen. Le colonel de Gail, chef de corps, en 1919.
Le dragon de 1914
Comme sous l’Ancien Régime, le recrutement des dragons, à la veille de la Grande Guerre,
répond à des normes bien précises. Le dragon est un homme de taille moyenne, plutôt petit
(entre 1,72 et 1,74 m) ; son poids avoisine les 70 kg. Hormis le casque du modèle 1871-1874,
l'uniforme est issu de la loi du 1° juillet 1900.
Bien que le dragon ait une silhouette typique qui ne saurait être confondue avec celle
d’aucun autre cavalier français, la plupart des effets qu’il porte sont communs à une ou plusieurs
subdivisions d’armes.
Depuis son adoption en 1872, le casque n’a subi que peu de modifications et n’en subira
plus jusqu’à son abandon, en octobre 1915, au profit du casque Adrian. En revanche, il s’est vu
adapter un couvre-casque de tenue de campagne. À sa mise en service, il n’est qu’un « manchon
pour casque confectionné en calicot blanc » destiné à différencier les partis en présence lors des
manœuvres. En 1900, il est teint « au cachou pâle ». En 1901, pour les besoins du camouflage,
notion qui répugne à beaucoup d’officiers de l’armée française, il devient « le couvre-casque en
toile de coton », coupe et nuance inchangées. A partir de 1907, il est fait de cretonne « kaki
pâle ». C’est ce modèle qui équipe toutes les unités en 1914.
Selon la loi de 1900, la tunique est celle des cuirassiers et doit remplacer le dolman au fur et
à mesure de l’épuisement des stocks de l’intendance. En 1914, à de rares exceptions près, cet:
objectif est atteint. Pour les dragons, elle se caractérise par un drap de fond bleu foncé avec
collet et pattes de parement en drap blanc blanchi. Elle est adaptée à l’équitation et sa longueur
est prévue pour ne pas gêner le cavalier. Depuis 1909, la culotte est basanée et par-dessus le
dragon porte des jambières qui épousent la forme de la jambe. A la ville ou au quartier, il porte le
bonnet de police, décrit dans un règlement de l’intendance du 22 juillet 1891 sous le nom de
« calotte de campagne et de corvée ». Il se compose d’un fond, d’un bandeau et d’un pourtour à
oreille, le tout en drap de la couleur de la tunique. Les marques de grade, de fonction et
d’ancienneté se portent sur la tunique et sur le bonnet de police.
Le ceinturon modèle 1884, en cuir fauve, constitue l’essentiel de l’équipement. Il supporte
deux autres éléments : au côté gauche, une bélière de sabre, bien que celui-ci soit porté à la selle,
et sur la hanche droite, une « agrafe-support de carabine » qui empêche l’arme de ballotter. Sur
le devant, une seule cartouchière en cuir, modèle 1898, contenant dix-huit cartouches. Le bidon
de cavalerie à quart attenant, modèle 1884, recouvert d’une enveloppe en drap gris de fer bleuté,
complète l’équipement du dragon.
En 1914, l’armement s’est enrichi d’une lance. Deux modèles sont conjointement en
service : la lance modèle 1890 en bambou royal mâle du Tonkin, qui équipe encore six
régiments, et la lance en acier, modèle 1913, en dotation dans les vingt-six autres formations.
Outre cette « arme de l’offensive », le dragon porte en bandoulière la carabine de cavalerie
modèle 1890, approvisionnée de quatre-vingt-dix cartouches. Le sabre est droit, du modèle
1896.

Le 4 mars 1914 : une partie de la classe 1912


La course à la mer

Au début du mois d’août, les états-majors français et allemand précipitent la concentration


de leurs troupes selon des projets établis de longue date : l’offensive à outrance pour les uns, le
plan Schlieffen pour les autres. Ainsi Joffre attaque-t-il en Alsace, sur Mulhouse et sur
Sarrebourg. Echec dans les deux cas. Une troisième offensive de toutes les armées du Centre et
de l’Est est déclenchée le 19 août 1914...
Peu de temps après la mobilisation, le 13° régiment de dragons débarque dans la région de
Commercy, aux environs de Sorcy-Vold, et s’établit en couverture au pied des Hauts-de-Meuse,
face à la Woëvre. A cette date, la 7° division de cavalerie est rattachée à la III armée du général
Ruffey. .
Le 22 août, alors que la situation est catastrophique en Belgique (Louvain a été incendiée,
les uhlans ont été aperçus dans les faubourgs de Mons), l’offensive déclenchée à l’ouest du camp
retranché de Metz est en train d’échouer. Pourtant, les moyens mis en œuvre par Joffre sont
considérables. L'armée de Ruffey compte 230 000 hommes et 80 000 chevaux. Elle a à sa
disposition 147 batteries d’artillerie et représente, avec la 7e division de cavalerie composées
des cuirassiers de Saint-Germain et de Rambouillet et des dragons de Melun et de
Fontainebleau, une masse de manoeuvre imposante. Elle est renforcée par la IV‘ armée du
général Langle de Cary et son célèbre « corps colonial ».
La 7° DC avec le 13° dragons est en couverture sur le flanc droit de l’armée ; ce sera
l’occasion pour les recrues du régiment de subir le baptême du feu. Alors que l’ennemi glisse
d’est en ouest, à Malavillers, des éléments du 13° RD sont au contact des reconnaissances de
cavalerie ennemie qui précède la contre-offensive allemande sur la Meuse. La riposte vigoureuse
des dragons oblige les uhlans à une retraite précipitée. Prenant l’initiative, les dragons poussent
quelques reconnaissances hardies, pénétrant même dans Audun-le-Romans. D’autres patrouilles,
comme celle de l’adjudant Bouvier, s’enfoncent très loin dans les lignes ennemies. Après avoir
fait parvenir un premier renseignement concernant les mouvements d’une division de cavalerie
ennemie, il reste près de quarante-huit heures au milieu des Allemands à observer leurs
mouvements et, à la faveur de l’obscurité, il décroche en évitant les escadrons lancés à sa
poursuite.
Les trois corps d’armée de Ruffey font mouvement dans une région boisée, dans un
brouillard à couper au couteau. Si le brouillard gêne l’action de l’artillerie et interdit
l’observation aérienne, il n'empêche pas les « pantalons rouges » de France de se faire tuer par
milliers devant les mitrailleuses allemandes servies par des formes grisâtres. Ruffey a devant lui
les fantassins de la V° armée commandée par le kronprinz en personne. L’offensive est un
échec ; devant la supériorité numérique des forces qui débouchent de Thionville, la 7° DC est
obligée de se replier. Désormais, elle partage le sort des armées battues et bas en retraite, à
travers les Hauts-de-Meuse, jusque dans la région de Revigny.

79
En couverture de la division, le 13° RD est soumis au harcèlement des lanciers allemands.
Disputant le terrain pied à pied, les dragons font le coup de feu comme les fantassins. Les chevaux
harassés perdent leurs fers, les hommes sont épuisés, le feu violent les décime. Parfois, le combat de
cavalerie reprend ses droits, comme le 25 août à l’entrée de Conflans quand le lieutenant Hennocque-
avec quatre cavaliers rencontre une forte patrouille ennemie qu’il charge sans attendre. Les
Allemands se débandent, mais l’un d’eux a le temps d’ajuster l’officier, qui est blessé mortellement.
A la fin du mois d’août, le commandement de la IIIe armée est entièrement réorganisé.
Ruffey et Brochin, le commandant du 5° corps dont dépend le 13° RD, sont limogés et remplacés
par Sarrail à la tête de l’armée, et Micheler au corps d’armée. Le 27 août, la III° armée a rempli
sa mission : les Allemands, malgré le repli français, n’ont pas pris pied sur la Meuse ; au
contraire, Sarrail prépare une contre-offensive qu’il diffère pour s’aligner sur le reste du groupe
d’armée. Mais le 31 au soir, il tient la rive gauche de la Meuse, le camp retranché de Verdun
jusqu’à Doulcon et possède de surcroît trois divisions de réserve surla rive droite. Au moment
de la bataille de la Marne, bien qu’épuisés, les corps de cavalerie de Sordet et de Conneau qui
ont combattu contre les uhlans de von der Marwitz et les dragons de von Richthofen font face,
fermement décidés à appliquer l’ordre du jour de Joffre :
« Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se
faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne
peut être tolérée ».
Et le miracle de la Marne aura lieu, von Klück et von Bülow se retirent sur l’Aisne ; l’armée
allemande s’enterre. L'été des généraux a vécu ! Le 13° RD fait mouvement vers Etain et
poursuit l’ennemi, le harcelant à son tour. Les bonnes nouvelles du champ de bataille décuplent
Dragons emmenant des uhlans prisonniers
l’ardeur des dragons qui se multiplient en chevauchées et en prouesses, témoin cette réponse du
cavalier Gaudoux qui, bien que blessé le 12 septembre, accomplit sa mission jusqu’au bout en
répondant à ceux qui lui conseillaient de gagner l’ambulance : « Je suis blessé, mais je chargerai
quand même. »
Commence alors « la course à la mer ». En cette fin de 1914, les deux états-majors ennemis
n’ont pas renoncé à la guerre de mouvement et cherchent mutuellement à se déborder à l’ouest.
C’est en passant par Lille que l’obstiné général Joffre veut réussir le sien. De Noyon à Lens, le
front s’est stabilisé et les tranchées ont fait leur apparition. Mais c’est surtout autour d’Arras,
que les Français ne veulent pas perdre, que la bataille fait rage. Le kaïiser veut Arras. et rameute
ses uhlans, ses lanciers, ses cuirassiers prussiens, ses chevau-légers bavarois à qui il ordonne de
« passer derrière l’ennemi ». Cette cavalerie, le 13° RD l’a déjà combattue lors d’une série
d’engagements à La Morville, à Spada et à Saint-Mihiel, lorsqu'il la retrouve dans le Nord où il
a été transporté comme de nombreuses troupes pour soutenir les territoriaux débordés.
Le 1° octobre, le régiment est engagé dans la bataille. La carabine au poing, il prend les
tranchées dans la région d’Armentières-Lille. Le dragon Marle se souvient de ces combats de
Flandre qui marquent la fin de la guerre de mouvement :
« Le 1° octobre 1914, à 5 h 30, le 4° escadron reçoit l’ordre de quitter Bac-Saint-Maur et de
se porter à Sailly. Les trois autres escadrons gagnent du terrain en avant pour établir un barrage
dans la région d’Erminghen.
» À 14 h 30, un peloton du 1°”escadron, lieutenant de Saint-Cyr, est envoyé sur
Rouge-Croix pour se mettre en relation avec la 7° brigade de cavalerie.
» À 14 h 45, la brigade se dirige sur La Couture où elle prend ses dispositions de combat.
Le lieutenant de Saint-Cyr est grièvement blessé, trois cavaliers du second demi-régiment sont
également blessés. Le régiment prend les cantonnements d’alerte à La Couture. »
Les dragons combattent de moins en moins à cheval ; souvent ils sont accompagnés de
cyclistes, de batteries de mitrailleuses, de canons attelés et même d’un semblant
d’automitrailleuse. Sur les six cents hommes que compte le 13° RD, cent vingt ont l’équipement
nécessaire pour combattre à pied. Aussi les pertes sont-elles lourdes. Au contact de l’ennemi, les
dragons doivent organiser la résistance dans les ruines des bourgs occupés et souvent, comme
des fantassins, creuser des tranchées sommaires qu’ils défendent avec leurs lances. C’est au
cours de ces rudes journées marquant les efforts allemands pour s’emparer de Lille et contourner
le dispositif de Joffre que, le 11 octobre 1914, le chef de corps trouva la mort.
Journée du 11 octobre racontée par Marle.
« [...] Les 1°, 5° et 7° divisions de cavalerie reçoivent l’ordre d’attaque direction nord-est.
La brigade est réunie à 8 heures à La Couture. Le 7° dragons attaque à pied en avant du village
avec le premier demi-régiment du 13° dragons. Le deuxième demi-régiment, en réserve; fournit
la liaison avec les 1" et 5° divisions de cavalerie ainsi que le soutien de l’artillerie.
» À 10 heures, pris sous le feu de l’artillerie ennemie, force est d’évacuer le village. Deux
dragons sont tués et de nombreux autres blessés.
» À 10 heures et demie, on reprend l’offensive. Le deuxième demi-régiment est envoyé sur
Vielle-Chapelle pour appuyer l’attaque de la 5° division.
» À 14 h 30, le colonel de La Tour est tué et le général Chabaud blessé par un obus qui
Dragons chargeant à pied et la lance au poing
tombe sur la route au sud de La Couture. Le colonel Zeude, du 7° dragons, prend le
commandement de la brigade.
74
#
» A 21 h 30, le régiment quitte ses positions et va cantonner à Bourse (sud de Béthune) où il
arrive à 24 h 15. »
Lille ayant capitulé, la course à la mer était terminée. La bataille des Flandres commence ;
le 13° RD va y gagner l'inscription « Ypres » sur son étendard. Dès le 30 septembre, Foch
fortifie les places de Dunkerque et d’Ypres pour soutenir l’armée belge en difficulté. Le
8 octobre, elle fait retraite sur Bruges et Ostende ; les Anglais et les fusiliers-marins de l’amiral
Ronarc’h barrent la route aux Wurtembourgeois et permettent son repli sur une ligne
Nieuport-Dixmude, au sud de l’Yser, qu’il faut tenir à tout prix. Tous les corps de cavalerie
disponibles sont envoyés dans ce secteur. Le 13° dragons monte en ligne et prend part à tous les
combats dans la région de Langemarck-Houtulst. Décimés par les mitrailleuses Maxim,
bombardés par les pièces de 280, ils résistent « à outrance », selon l’ordre de Joffre, dans les
tranchées de boue qui s’effondrent par pans entiers, ensevelissant assaillants et défenseurs.
Certaines nuits, il y a jusqu’à quinze assauts ; le kaiser veut remporter la décision ! Mais, le
27 octobre, dans la vieille tradition flamande, on ouvre les écluses de Nieuport.
L’inondation sauve la situation et malgré un dernier effort de Falkenhayn, le front est
stabilisé. Très éprouvé, ayant perdu la moitié de ses effectifs, le 13° RD est retiré de la zone des
combats et envoyé dans la région d’Aire-sur-Lys pour se reconstituer. Il quitte ce dépôt à la fin
du mois de novembre. II prend le service des tranchées avec les fusiliers-marins dans la région
de Steenstraaste-Nordschoote durant tout le mois de décembre : dur apprentissage pour les
recrues qui ont comblé les vides laissés par la terrible bataille de l’Yser. Les pertes ont été
nombreuses, et les citations témoignent de l’âpreté de la lutte :
« Officier d’une bravoure à toute épreuve. Le 10 octobre 1914, détaché en flanc-garde de la
brigade, engagé dans un combat à pied, à 100 mètres de l’ennemi, ne s’est retiré que pied à pied,
devant des forces supérieures qui menaçaient de l’envelopper, et a permis ainsi l'écoulement de
la brigade. Grièvement blessé, a ramené son peloton sur un dernier point d’appui où il a perdu
connaissance après avoir remis le soin de sa mission à l’officier commandant un peloton qui
venait à son secours. »
Le 15 avril 1915, pour ce fait d’armes, le lieutenant Pierre Raoul Aimé Marie Prévost de
Saint-Cyr était nommé chevalier de la Légion d’honneur.

La guerre de tranchées

Au début de l’année 1915, le 13° régiment de dragons est appelé en Artois pour prendre les
tranchées dans le secteur de Rivière au sud d’Arras. Puisque la décision ne pouvait être obtenue
par une rupture du front, on allait chercher à anéantir les hommes sous un déluge de feu et de fer
et comme cela ne suffit pas, au printemps 1915, on employa les gaz. Surprise, lors des premières
attaques les troupes alliées subirent de lourdes pertes. De leur côté, French et Joffre, durant toute
l’année, lancent des offensives à répétition. Destinées à user le potentiel allemand, celles-ci
étaient très décourageantes pour les hommes qui devaient affronter la mort sans gain apparent.
Une fois de plus, au mois de mai 1915, les Franco-Britanniques lancent une offensive
dirigée par le général Pétain. Le 13° RD est désigné comme troupe d’exploitation et monte en
réserve près d'Arras ; mais il n’est pas engagé, car si la « percée » s’est faite miraculeusement, le
temps d’acheminer les renforts l’ennemi s’est ressaisi, et lorsque le 13° RD arrive près du front,
il est pris sous le tir écrasant des obusiers allemands.
A cette époque, comme les autres régiments de la division cavalerie, il fournit depuis le
mois de janvier un escadron à pied, véritable compagnie d’infanterie, ou groupe léger de
tranchée. Commandé par le chef d’escadrons de Gail, cette unité tient les lignes devant Lens
après avoir combattu à Ransart-la-Bassée et à Neuville-Saint-Vaast. Agissant en véritable corps
franc, elle effectue
des missions ponctuelles dans les positions allemandes ou nettoie les
tranchées lors des assauts. Redoutés de l’ennemi, les dragons multiplient les actes de bravoure :
médailles militaires pour les dragons Hoffleiger, Bouchet, Creuzet ; citation à l’ordre de l’armée
à titre posthume pour le lieutenant du Breuil de Saint-Germain :
« Officier d’une bravoure éprouvée. A été tué le 22 février 1915 en se portant au secours de
plusieurs de ses cavaliers qui venaient d’être tués ou blessés en avant de sa tranchée. »
Citations aussi pour les maréchaux des logis Poussot et Magne qui, ce jour-là, ont ramené le
corps du lieutenant dans les lignes françaises...
L’hécatombe de mai-juin a laissé les deux adversaires exsangues. Une terrible bataille du
« dernier homme » reprend, le temps de reconstituer les réserves. Le 25 septembre, c’est une
nouvelle offensive. Le groupe léger attaque au nord de Souain tandis que le reste de l’escadron à
pied du 13° RD se distingue le 28 septembre en repoussant une contre-attaque allemande sur la
tranchée des Tentes et en reprenant au corps à corps une ligne de boyaux indispensables aux
communications des escadrons. Le mois suivant, le 27 octobre c’est au tour des Allemands de
mener l’offensive. Dans le secteur des Marquises, en avant de la montagne de Reims, ils
déclenchent une violente attaque à l’ypérite. Mal protégés par leurs masques rudimentaires, les
dragons subissent tous les effets du gaz moutarde. Néanmoins, les survivants brisent l’élan des

19
stosstruppen. Appuyés par les feux du secteur, les dragons occupent à nouveau les premières
lignes.
Le jour le plus long du 13°. Témoignage de Gaston Brisson.
« [...] Pour la première fois, le 13° allait prendre les tranchées sur le front de Champagne. Le
détachement fit halte à Verzy et ce n’est qu’au crépuscule qu’il gagna les premières lignes afin
de ne pas être repéré par les “saucisses” allemandes. Je devais, quant à moi, ne rejoindre mes
camarades que le lendemain matin afin d’apporter au capitaine Wattel les ordres du général qui
commandait le secteur face au fort de La Pompelle.
» Je m’installais donc dans le fournil de l’unique boulangerie pour y passer la nuit en
compagnie de mon chien Philos. Le lendemain matin, aussitôt reçu le pli du PC, je partis
rejoindre les tranchées suivi de mon ami à quatre pattes.
» Après avoir remisé mon vélo dans l’église délabrée de Thuisy, je m’engageai dans le
“Boyau blanc” lorsque j’en vis sortir le camarade Laugère du 3° escadron. Il m’apprit, d’une
faible voix entrecoupée de hoquets douloureux, que le secteur avait subi, dans la nuit, une
attaque par les gaz... Peu de survivants... Tous étaient touchés... Plus un seul officier ni
sous-officier de valide, sauf le capitaine Wattel.

ce

Le front de la Somme

» Je fus alors atterré par un hallucinant spectacle. Tout au long des banquettes de tir
gisaient pêle-mêle, morts sur place, la presque totalité des camarades que j’avais quittés la veille
pleins de santé et de vie. Les uns recroquevillés par les atroces souffrances endurées avant de
rendre le dernier soupir... Les autres étendus sur le dos, le visage et les mains bleuâtres.. Leurs
poumons corrodés par le chlore sortaient par leur bouche entrouverte en un horrible et
bouillonnant ectoplasme de bulles jaunâtres qui confirmait les effroyables tortures qu’avaient
subies ces pauvres martyrs. Une nappe mortelle de gaz flottait encore près du sol et le dérisoire
tampon d’hyposulfite, qui devait théoriquement protéger, condamnait pratiquement à
l’étouffement, puisqu'il fallait à la fois boucher le nez et la bouche. Je fus suffoqué à mon tour
après m'être longtemps penché vers la douleur de ceux qui agonisaient encore faiblement.
» Il fallut coûte que coûte aller, durant toute la nuit, de créneau en créneau pour tirer le plus
grand nombre possible de chargeurs afin de donner à ceux d’en face l’illusion que nous étions,
malgré tout, en mesure de repousser une attaque. sh
» Au lever du jour et dès l’arrivée de la relève, le capitaine Wattel réunit la poignée
d'hommes miraculeusement valides pour regagner Verzy. Nous étions partis 150 et nous
revenions 17 !
» Douloureusement absorbé et terriblement éprouvé par les tragiques événements que je
venais de vivre, ce n’est qu’en reprenant mon vélo à l’église de Thuizy que je m’aperçus de la
disparition de Philos. Incommodé certainement par les gaz qui flottaient dans les tranchées à sa
hauteur, il s’était enfui. C’est donc le cœur encore plus gonflé de tristesse et après m'être
recueilli devant les cadavres allongés dans les fosses communes du petit cimetière que je
réintégrai le fournil que j'avais occupé l’avant-veille. J’eus le réconfort d’y être accueilli par des
aboiements joyeux et de touchantes caresses par mon ami Philos qui, refusant par chagrin depuis
deux jours la nourriture offerte par la bonne boulangère, n’aspirait qu’à revoir son maître pour
retrouver sa joie. Cette magnifique joie de ne vivre que pour une affection désintéressée et une
fidélité plus qu’humaine, alors que les hommes s’ingénient à forger des engins de destruction
pour s’exterminer avec plus de cruauté et inventent des frontières pour se haïr et s’affronter
comme des bêtes sauvages. »
76
En juillet 1916, le 13° RD est transféré dans le secteur de la Somme pour la grande
offensive qui doit contrebalancer l’effort allemand sur Verdun. En décembre il assure la défense
de la tête de pont de Soissons ; puis, au printemps de 1917, il rejoint la réserve de cavalerie pour
une éventuelle exploitation des succès locaux. Lorsque la bataille de la Somme s’éteint, le
régiment revient en Champagne pour assurer la défense de Sillery. Pour un temps, les batailles
d’anéantissement sont révolues : la Somme et Verdun ont épuisé les belligérants ; mais les
combats de secteurs, la lutte pour une tranchée, un boyau, n’en demeure pas moins acharnée. Les
dragons se battent pour vingt mètres de terrain. Tous lesjours, les communiqués annoncent de
nouvelles pertes : médaille militaire pour l’adjudant Bouvier déjà blessé en 1914 et éventré d’un
coup de baïonnette cette fois-ci, médaille militaire également pour le 1" classe Kieffer, amputé
de la jambe gauche le 5 juillet 1917, et pour le dragon Sertel : énucléation de l’œil droit au cours
d’un corps à corps ! Citations pour le maréchal des logis Brelier à l’occasion d’une
reconnaissance audacieuse dans les tranchées ennemies ; pour le cavalier Diche qui, intoxiqué à
mort par les gaz, n’a pas cessé de servir sa mitrailleuse ; pour le dragon Hedle-Roboth :
v,
« Au cours d’une incursion dans les tranchées allemandes, a fait preuve d’un très grand
courage et du plus complet mépris du danger en pénétrant dans des abris profonds où, après une
lutte très vive à la grenade, il a, avec l’aide d’un camarade, tué tous les occupants. »
Puis vient la deuxième inscription à l’étendard de cette guerre : Verdun. Le 11 juillet 1916,
le gigantesque effort allemand pour s’emparer de Verdun avait échoué sur le dernier fort avant la
citadelle : Souville. Quelque temps plus tard, les Français reprenaient l'initiative. La 38° DI
s’empare de Thiaumont et de Douaumont ; la 63° DI occupe Vaux évacué par les Allemands. Le
15 décembre enfin, les vagues d’assaut de Mangin démarrent derrière un terrifiant barrage
roulant d’artillerie. En quelques jours, elles mettent la ceinture fortifiée à l’abri d’un coup de
force. Pendant plusieurs mois, Verdun va redevenir silencieux. Puis le 20 août 1917, une
nouvelle offensive permet quelques gains de terrain. C’est au mois d’octobre que le 13° RD
quitte les Vosges où il participait à la défense du secteur de Badonwiller pour la région fortifiée
de Verdun. Il défend avec succès les positions qui lui sont confiées à proximité de
Bois-le-Chaume.

L’année de la victoire

Après la terrible année 1917 : mutineries, effondrement de la Russie, coups de boutoir


répétés des Allemands, 1918 ne s’annonce guère favorable. Les divisions récupérées sur le front
de l’Est arrivent en ligne alors que les Américains sont loin d’être opérationnels. Le
quartier-maître général Ludendorff peut croire, en janvier 1918, à la victoire de ses armées. Au
mois de mars 1918, les Allemands lancent leur grande offensive, réplique du plan Schlieffen de
1914. « En attendant les Américains et les chars », selon le mot de Pétain, les poilus se
cramponnent au terrain. Comme les autres, les dragons meurent sur place. Au mois d’avril, la
puissance des assauts faiblit ; mais au mois de mai, ils reprennent de plus belle. Paris est
menacé. Le 13° RD, qui a retrouvé un rôle depuis longtemps oublié, celui d’éclaireur, combat
dans la région de Château-Thierry. Une reconnaissance brillamment menée par le maréchal des
logis Joubert, dans des conditions périlleuses, apporte des renseignements importants au
commandement.
Les escadrons du régiment combattent dans des secteurs différents, au profit de plusieurs
grandes unités. C’est ainsi qu’à l’été 1918, deux escadrons combattent à Saint-Mihiel avec les
sammies de Pershing, tandis que le 4° escadron est détaché à la 15° division coloniale et se
distingue lors des combats de l’Avre, dans le secteur de Moreuil, pendant les offensives de juillet
et août 1918. Puis le régiment assiste à la prise des Eparges et se lance à la poursuite de
l’ennemi. Le 13 septembre, le 2° peloton du 4° escadron, commandé par le lieutenant Bianchi,
signe le dernier exploit du 13° RD durant la Grande Guerre.
Ayant eu l’ordre de lancer une reconnaissance offensive pour harceler l’ennemi en retraite,
le lieutenant Bianchi divise son peloton en trois patrouilles. Arrivée devant Saint-Hilaire, celle
du centre est reçue à coups de fusil. Les réflexes jouent immédiatement : pied à terre et feu sur le
village. Pendant ce temps, les deux autres groupes manœuvrent sur les flancs. Pour éviter la
capture, l’ennemi traverse une petite rivière, la Longeau, et se retire sur Mardreville, laissant
cinq prisonniers aux mains du peloton. Traversant le pont à son tour, le peloton de Bianchi
charge en fourrageurs sur des boqueteaux à 200 mètres de l’endroit où les allemands se sont
retranchés. Le tir de leur mitrailleuse est bloqué sur le pont. Le lieutenant et plusieurs dragons
ont leurs chevaux tués et sont coincés sur la mauvaise berge du ruisseau. Toutefois, par le pont
ou à la nage, la petite formation regagne Saint-Hilaire et se barricade dans les ruines du hameau.
Il ne manque que le maréchal des logis Paul Droz, qui gît sans connaissance de l’autre côté du
pont. Plus tard, ce sous-officier de la classe 1910 se souviendra de ces moments atroces :
« Comment oublier d’ailleurs [..] pendant la retraite, ces villages qui brûlaient près de nous
et les incendies qui nous suivaient, toujours à même distance, qui indiquaient l’avance des
autres : il y avait des soldats dans ces villages, des habitants dans ces maisons en feu !

72
» [...] Les tranchées, qui peut connaître la vie dans ces fossés étroits ? dans ces gourbis
boueux qui attiraient les rats et les poux ? Qui peut savoir ce qu'était le cheminement dans des
boyaux parfois remplis d’eau qui montait jusqu'aux genoux et où il fallait arracher les jambes
l’une après l’autre pour avancer ?
» [...] Les relèves : je me souviens d’une nuit si noire que je ne voyais pas mon camarade à
côté de moi, ni mon propre cheval qui, sous moi, butait à chaque pas.
» [...] Les postes d’observation, cote 165, cote 323 : c’est là qu’est mort mon camarade le
maréchal des logis Favier, réserviste ; c’est là qu’est mort mon ami Demblans que j’ai enseveli
dans sa toile de tente.
» [...] Les nuits de Verdun, l’odeur nauséabonde des hommes tués, les avions qui passaient
pendant les nuits d’épouvante.
» [...] Les espoirs déçus, chemin des Dames, en avril 1917, la grande attaque : de la neige
partout, la trouée peut-être ? La cavalerie est là, prête, rigide, glacée ; mais ce sont les blessés qui
reviennent, les morts qu’on enterre par milliers et la neige qui recouvre toutes les horreurs.
» [...] Septembre 1915 aux environs de Suippes, nous sommes là déjà, on a mis des ponts de
bois sur les tranchées pour que la cavalerie passe, on attend, fébrile, le cœur en fête : immense
feu d’artifice sur la plaine [...] Toute la nuit s’écoule, et désespérés nous retournons à nos
RÉPUBI IQUE! FRANÇGASE
cantonnements.
Guerré lys 1918
» Je ne crois pas que ceux qui n’ont pas vécu la guerre de 1914 puissent s’en faire une idée
exacte. À Moreuil, en 1918, où nous couchions, Puybaret et moi, dans le même trou de terre, j’ai
CITATION vu deux artilleurs tués dans un trou voisin : ce n’était qu’un fait divers, mais pour nous une perte
presque personnelle. Quand je suis tombé moi-même le 13 septembre 1918, et resté jusqu’à la
nuit entre les lignes allemandes et françaises, les pensées qui assaillent un homme dans cette
situation sont intraduisibles pour celui qui n’en écoute que le récit. »
A la tombée de la nuit, le trompette Lecomte et le cavalier Carmangnole réussissent à
ramener le sous-officier à Saint-Hilaire. Ils seront cités pour cet exploit. Dans l’obscurité, le
dragon Marotte capture un cycliste allemand égaré dans nos lignes. Il s’avère que le « dangereux
espion » est en fait un « homme-soupe » chargé d’apporter du sucre et du schnaps en première
ligne !
Le 25 octobre 1918, le lieutenant Sylvain Bianchi est nommé chevalier de la Légion
d’honneur avec la citation : « A la tête d’une reconnaissance chargée de prendre le.contact avec
l’ennemi, a attaqué un village où l’ennemi s’était retranché. A mis cet ennemi en fuite, lui faisant
trois prisonniers. À entraîné son peloton à la charge contre une arrière-garde sous un feu violent
de mitrailleuses. Son cheval ayant été tué, a rejoint son peloton en traversant une rivière à la
nage et ramenant avec lui un de ses hommes blessé. »
Le Lieutenant Bianchi sortait du rang et avait gagné tous ses grades au feu. Trois fois cité,
une blessure, il était médaillé militaire pour faits de guerre.
Au moment de l’armistice, trois escadrons se trouvent dans la région de Saint- Mihiel etun
autre au bois de Forges dans le secteur de Verdun. Après la mort du colonel de La Tour, le
13° RD a été commandé par le colonel Lagger-Camplong (1914-1915), puis par le colonel
Larroque (1915-1918). Son drapeau s’est enrichi de deux noms de bataille : Ypres et Verdun. Et
si ses officiers, sous-officiers et dragons furent souventes fois décorés ou cités, ils le méritent
amplement, car le 13° RD a perdu pour la patrie 11 officiers, 17 sous-officiers et 148 cavaliers
entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918.

78
21
LA MONTÉE DES PÉRILS

A la fin de la guerre de 14-18, plus rien n’est pareil dans un monde éclaté. Deux puissances
prennent la direction des affaires du monde. La vieille Europe est à genoux et les démocraties
occidentales doivent maîtriser des mouvements d’humeur dans leurs colonies. De plus, les
populations épouvantées par ces quatre années de massacres aspirent à la paix...
Pourtant, la France a gagné la guerre. Son armée est la plus puissante du monde. Mais ses
cadres sont vieillissants et les leçons techniques n’ont pas été retenues. Quand après l’armistice
le 13° régiment de dragons passe le Rhin pour occuper les têtes de pont dans la région comprise
entre Mayence et Coblence, il a repris ses chevaux et sa configuration est étrangement semblable
à celle qu’il avait au début de la guerre. Après la dissolution du 2° corps colonial, le 13° RD est
affecté au 9° corps d’armée.
Il faut attendre le milieu des années 30 pour voir une amorce de modernisation et la
mécanisation des unités de cavalerie. Entre-temps, le 13° RD a quitté l'Allemagne pour installer
sa garnison à Melun, au quartier Pajol. C’est là qu’il va connaître les premières modifications de
structure et toucher ses premiers véhicules blindés. Toutefois, la silhouette du dragon en kaki,
casque Adrian et fusil en bandoulière est solidement ancrée dans le paysage militaire de 1931. A
partir de 1933, le 13° RD est doté d’automitrailleuses de combat, puis de véhicules
semi-chenillés. En 1934, il défile sur les Champs-Elysées dans sa nouvelle formation. Son
groupe motorisé et ses motocyclistes sont très applaudis par les Parisiens. Poursuivant sa
modernisation, il est ensuite doté de chars de combat Somua qui soutiennent la comparaison
avec les meilleurs blindés existants.

LE 13° RD EN 1935
(encadrement)

Colonel de La Forgue de Bellegarde

ETAT-MAJOR

Lieutenant-colonel : Chiappini
Major : Navarre
Capitaine adjoint au colonel : de Villèle
Capitaine trésorier : Mateille
Capitaine chargé des transmissions : Conquéré de Monbrison
Lieutenant porte-étendard : Toubeau de Maisonneuve
Médecin-capitaine : Parlange
Médecin-lieutenant : Carli
Vétérinaire-capitaine : Lépinat

GROUPES D’ESCADRONS

Chefs d’escadrons Lieutenants


De Bellomayre De Caix Repellin
Ravaux De Clerck Delafon
De Sampigny
Capitaines Rolland de Rengervé S/lieutenant
De Clédat De Lantivy de Trédion Caruel
Richier De Buretel de Chassey
De Champeaux Le Lorgne d’Ideville
D'Ussel Hérault
Gache Balade
De Boissieu

OFFICIERS EN DISPONIBILITE

Capitaines
Couderc de Fonlongue
Mabire la Caille
Cuinat.

79
Le 1° janvier 1935, le 13° régiment de dragons fait partie de la 9° brigade de la 5° division
de cavalerie. Il est symptomatique de constater l’emploi du mot cavalerie. Le terme « cuirassé »
n’existant pas encore dans la terminologie officielle. On notera dans l’état d’encadrement de
cette époque la présence du major Navarre, futur général en chef en Indochine.
De l’armistice de 1918 à la déclaration de guerre de septembre 1939, le 13° RD connaîtra
onze chefs de corps qui, tous, ont maintenu très haut les traditions du régiment, tout en
peaufinant l’outil de combat. Directement issus de ses rangs après la Grande Guerre : Vuillier,
Bouchez et de Gail ; ceux de l’occupation de la Ruhr : Dugue Mac-Carthy, Patissier, Cadiot et
Perrot du Varnay ; modernisation et mécanisation du 13° RD : Bret, de La Forgue de Bellegarde,
Bizot-Espiard, Isembart. Il appartiendra au colonel Juin de Baisse de mener le régiment au
combat dès le 3 septembre 1939. |;

80
v,

LA SECONDE GUERRE
MONDIALE

LES HEURES SOMBRES

« Ni en France ni en Grande-Bretagne, on n’avait réellement compris les conséquences du


fait nouveau qu’il était possible de réaliser des véhicules blindés capables de résister à un feu
d’artillerie et de réaliser des avances de plus de cent cinquante kilomètres par jour. »
Mémoires de guerre.
Winston Churchill
A partir de cette confidence, on comprend beaucoup mieux l’effondrement d’une armée qui,
entre la ligne Maginot et la confiance de son haut commandement, représente la puissance
française dans toute sa majesté.

Les dragons en 1939

En 1939, l’armée française se présente au combat forte, en ce qui concerne la « cavalerie »,


de quarante bataillons de chars et de quatre régiments de dragons portés, elle aligne 2 475 chars,
dont 270 B de 35 tonnes et 240 automitrailleuses de combat. Le 10 mai 1940, l’armée allemande
sur le front de l’ouest compte 2 574 chars, dont 278 PzKw. Toutefois, la cavalerie française
compte également dans ses rangs douze régiments à cheval de cinq escadrons et cent douze
escadrons entrant dans la composition des « groupes de reconnaissance », unités de réserve
intégrées aux corps d’armées (GRCA) et aux divisions d’infanterie (GRDI). Comme la cavalerie
polonaise, malgré leur vaillance et leur sacrifice souvent anonyme, à l’heure du choc contre les
panzers et les stukas, ces unités seront broyées.
En fait, le débat sur les chars relève d’une tragique querelle des anciens et des modernes.
Dès 1921, le général Estienne, « père » des chars en France, trace une anticipation correcte et
précise de la guerre cuirassée que les Allemands mèneront vingt ans plus tard. Vers 1930, des
novateurs dégagent le char de son usage au profit exclusif de l’infanterie pour l’intégrer dans le
contexte plus vaste d’une grande unité interarmes. Après d’innombrables tatônnements, ils
réaliseront la « division légère mécanique » qui constitue un instrument de reconnaissance
offensive plus que de combat blindé. Les trois exemplaires qui existeront en 1940 constitueront
les seules divisions aptes à s’opposer vraiment au déferlement blindé. Il est intéressant d’en
connaître la composition :
L'escadron antichar au quartier Pajol (Melun)

81
LA 2° DIVISION LEGERE MECANIQUE
(du 23 août 1939 au 25juin 1940)

SERIE : Active
TYPE : Division légère mécanique
POTENTIEL : A la mobilisation : excellent encadrement ; très bon matériel moderne et complet.
Au 10 mai 1940 : troupe non aguerrie mais bien entraînée.
ELEMENTS ORGANIQUES À LA MOBILISATION
Cavalerie : Découverte : 8° régiment de cuirassiers
Combat : 3° brigade légère mécanique (13° RD, 29° RD) ;
4° brigade légère mécanique (1° dragons portés) ;
12° escadron divisionnaire antichars (rattaché au 13° RD) ;
12° escadron divisionnaire de réparation (rattaché au 29° RD).
71° régiment d’artillerie mixte tracté tout terrain (deux groupes 75, un groupe
105 ©) ;
10° batterie divisionnaire du 71° RA ;
batterie 25 CA 1018/405.
Arme : Bataillon de sapeurs portés n° 38 à trois compagnies (appellation jusqu’au
15 octobre 1939, devient bataillon de sapeurs mineurs le 16 novembre 1939 :
bataillon dissout, les compagnies deviennent autonomes).
Service : 38/16 compagnies d’équipages de ponts.
Transmissions : 38/81 compagnie télégraphique ;
38/82 compagnie radio;
38/83 détachement colombophile.
Train : 228/23 compagnie automobile de quartier général ;
328/23 compagnie automobile transport.
Intendance : 38/22 groupe d’exploitation divisionnaire.
Santé : 38° groupe sanitaire divisionnaire.
Forces aériennes : Forces aériennes 29 ;
groupe aérien d’observation IV/551.

A propos de ces grandes unités mécanisées, Pierre Miquel écrira dans son ouvrage
la Deuxième Guerre mondiale :
« [...] Plus encourageantes sont les DLM. Elles ne sont pas en réserve comme les chars
lourds, mais directement sur la ligne de front. On peut attendre d’elles une riposte immédiate en
cas d’agression [...] Les Allemands ne disposent pas de chars lourds : les panzers 3 et 4, de 20 et
25 tonnes, ont un blindage insuffisant (30 et 35 mm) ; 671 chars seulement sont armés de canons
sérieux (75 et 37 mm), capables de percer les blindages français [...] (les DLM) disposent de
chars moyens Somua 35 (80) et de chars légers Hotchkiss (80) pourvus de canons efficaces de
47 à 37 mm, avec des blindages supérieurs à ceux des chars allemands [...] Maniables et bien
armées, ces divisions sont à pied d'œuvre dès le 9 mai : la 1" à l’armée Giraud, prête à foncer
par la côte vers Ostende, Anvers et la Hollande ; les 2° et 3° à la 1° armée, à l’est de Cambrai,
non loin de la frontière, pour l’opération “coup de poing” de l’offensive française.
» Les DLM ne sont malheureusement que trois. Telles quelles, elles représentent la seule
force d'intervention rapide que les Allemands aient à redouter »

Chars Hotchkiss en avril 1940


La cavalerie d’une DLM
(organigramme réel, septembre 1939 à juin 1940)
— Les régiments sont regroupés en deux brigades légères mécaniques de deux régiments
chacune.
— L’escadron divisionnaire antichars et l’escadron de réparation sont rattachés chacun à un des
régiments de combat.
— Le gros régiment de dragons Portes dispose de trois bataillons tout terrain avec escadrons de
fusiliers-voltigeurs sur véhicules Laffly à pneus.

2° DLM : 3° brigade légère mécanique (13° et 29° RD) et 4° brigade légère mécanique
(8° cuirassiers découverte et 1° RDP soutien porté).
Dotation en véhicules blindés : AMD (2 escadrons) : 40 AMD 178 ;
AMR (3 escadrons) : 60 AMR ;
AMC (8 escadrons) : 160 chars (Somua et Hotchkiss)
TOTAL : 260 engins blindés.

82
Parmi les unités de cavalerie de la 2° DLM, cette grande unité qui préfigure nos divisions
légères blindées actuelles, le 13° RD qui a achevé sa métamorphose. Son TED a été entièrement
recomposé ; sur son état d'encadrement figurent des fonctions nouvelles, d’autres ont disparu
(vétérinaire). L’imbrication des moyens et des matériels, la création de groupes d’escadrons
accentuent la souplesse d’emploi tout en constituant une force à la puissance de feu considérable
qui peut évoluer groupée en exploitation ou séparément en reconnaissance ou action de
retardement. Homogène, bien entraîné, complet en effectif et en matériels, le 13° dragons est
prêt à combattre dans la meilleure tradition de ses anciens.

LE 13° RD À LA MOBILISATION
(encadrement)

Lieutenant-colonel Juin de Bayssé

ETAT-MAJOR

Officier adjoint : capitaine Provost


Transmissions : A/C Genois REX
Service auto : capitaine Gache [v
Service de santé : médecin-capitaine Massias
Officier des détails : sous-lieutenant Bourrioux
Officier approvisionnement : lieutenant Aubanel
Médecin Lt Lagier COQ

ESCADRON HORS RANG


Lt Argod

Commandant : capitaine Durand de Mareuil Adjoint : lieutenant Aubanel

1°” GROUPE D'ESCADRONS 2° GROUPE D’ESCADRONS

Equipé en Somua (chars moyens de 20 à 22 tonnes) Equipé en chars Hotchkiss (chars légers de 12 tonnes)
Commandant : C.E. Galouzeau de Villepin Commandant : capitaine de Villèle
Officier adjoint : aspirant Geny Officier adjoint : sous-lieutenant Donzé
Service de santé : médecin-lieutenant Lagier Service de santé : médecin-lieutenant Clarac
1°" escadron 3° escadron
Capitaine Lesage Capitaine de Dompierre d’Ormoy
Sous-lieutenant Paul-Albert Sous-lieutenant de Vaublanc
Sous-lieutenant Hanus Sous-lieutenant Paquet
Sous-lieutenant Menesson Sous-lieutenant Drouin
2° escadron Sous-lieutenant Odorenko
Capitaine de Clerck Aspirant Benas
Lieutenant Supplisson # escadron
Lieutenant Lacroix Capitaine de Lantivy de Trédion
Aspirant Ehrwein Lieutenant Argod
DA Lieutenant Rivard
Sous-lieutenant Chollet
Aspirant Dehulster

UNITES RATTACHEES AU REGIMENT


Lt Rivard

Escadron de réparation (fusionnement du 24 mai 1940)

Lt Paul Albert Capitaine Dugas


12° escadron antichars (TED origine) Capitaine de Beaumont
Lieutenant Devaux
Capitaine Rolland de Rengervé Lieutenant Muller
Sous-lieutenant Grether Lieutenant Audibert
Sous-lieutenant Guilbert Lieutenant Piolet
Sous-lieutenant Verneret Sous-lieutenant Gantner

Les caricatures ci-dessous sont dues au sous-lieutenant Grether de l’escadron antichar 83


Le tableau d'encadrement du 13° régiment de dragons va subir deux grands remaniements
pendant la campagne. Au 10 mai, il présente l’aspect que nous venons de voir ; au 24 mai,
quinze jours après le début de la grande offensive allemande, les pertes sont telles dans les deux
régiments de la 3° brigade que les 13° et 29° dragons fusionnent en un régiment mixte
combattant sur chars Somua H.35, H.39, sur des AM de récupération et des camionnettes, partie
à pied et le reste sur des véhicules de tous types. Le 7 juin, 1l ne reste plus qu’une trentaine de
chars, autant de camionnettes ; les effectifs ont fondu et l’encadrement comprend maintenant des
sous-officiers subalternes comme chefs de pelotons.
A la déclaration de guerre, la cavalerie française compte deux sortes de dragons : les cavaliers et les
mécanisés. Les cavaliers nous offrent la silhouette qui a été popularisée en-1919, lors du défilé de la
Victoire. Sur la tête, le casque modèle général de 1926 en acier au manganèse a remplacé le casque
Adrian des poilus. Peint en kaki, il porte sur le devant la grenade estampillée « RF » commune à
l’infanterie et à la cavalerie. Au repos, il coiffe le bonnet de police modèle 18 à grandes pointes, et
comme toujours, taillé dans les surplus de drap usagé. L’habillement proprement dit comprend une
Fanion du capitaine de Villèle, 2° escadron - 1939 culotte d'homme monté avec basanage en drap, de forme arrondie sur les côtés, assez ample dans sa
partie supérieure et collante dans sa partie inférieure jusqu’aux genoux. Il est à noter qu’au cours de la
campagne, nombreux seront les dragons à porter les pantalons de golf de l’infanterie, modèle 1938, à
cause des insuffisances de l’intendance. La jambière modèle 1921 couvre la jambe en épousant la forme
du mollet. Mais elle ne fera pas oublier le houseau des années de guerre. Elle constitue, avec le
brodequin modèle 1917 et les éperons à la chevalière, la marque distinctive du cavalier. Sur une
chemise de toile et une cravate kaki, la vareuse du modèle commune à toutes les armes, souvent une
large ceinture de flanelle maintient les reins. Le dragon porte aussi le manteau de la tenue de campagne
modèle 1920-35. Celui-ci reste fort semblable à son prédecesseur de la Grande Guerre, si ce n’est
l’absence de martingale et du boutonnage de la fente dorsale. Il existe une variante dite de sortie qui se
caractérise par un passepoil et la pose immédiate des galons de couleurs distinctives selon l’arme : pour
la cavalerie, cul-de-dé de laine bleu foncé pour les gradés et lézarde argent pour les sous-officiers.
Tous les régiments de cavalerie métropolitaine sont armés du nouveau Mas 36.
L'équipement de base est depuis 1916 celui de l’infanterie étendu à la cavalerie. Il faut y ajouter
l’étui du masque à gaz modèle 1931 et le bidon de deux litres à un seul goulot, modèle 1935.
La plupart du temps, le dragon porte son équipement sur la vareuse, tout de même plus
commode pour se mouvoir ou pour chevaucher. Le manteau n’est enfilé « que sur ordre, lorsque
la température l’exige ».
Le dragon moderne est caractérisé par la tenue particulière des « mécanisés », dont
l’exemple type est le fusilier motocycliste du groupe motorisé du 13° RD. C’est en 1938 qu'est
définitivement adoptée la tenue spécifique des « motards » des GRDI, GRCA et dragons des
DLM. Elle comprend notamment un paletot croisé et une salopette renforcée. Ce nouvel
ensemble est taillé dans une forte toile imperméabilisée mieux adaptée aux intempéries que le
drap de 1935. Le casque et les lunettes sont du modèle 1935 des troupes motorisées. Avec le
chèche, l’été contre la poussière, l’hiver pour se protéger des frimas (souvent remplacé par le
tour de cou des alpins), une petite note armée d’Afrique. Par temps très froid, hormis les gants
épais modèle 1935, les motocyclistes portent, sous le paletot ou parfois en vêtement extérieur,
une veste en peau de mouton fourrée qui donnera naissance à la célèbre « canadienne » mise en
service pour la campagne de Norvège.
Pour le reste : chemise, cravate, brodequins, équipement et armement, tout est du modèle
standard qui équipe le cavalier. Une dernière précision : le passager du side-car est doté d’un
manteau à capuchon kaki porté seulement pendant le transport. Leur moyen de locomotion est
une moto Gnôme-Rhône AX2-800 cm° à caisse Bernardet « dragons portés » conçue pour une
capacité maximale de carburant et de munitions.

La mortelle surprise du 10 mai 1940

Les six mois d’accalmie trompeuse qui ont suivi l’invasion de la Pologne sont brutalement
interrompus par les opérations en Norvège. C’est le signe annonciateur de la tempête qui, un
mois plus tard, va déferler de Sedan à la Manche. Le 10 mai 1940, la Wehrmacht pénètre les
défenses occidentales ; l’invincible ligne Maginot est tournée ! L’acte décisif de ce drame qui
secoua le monde de l’époque commence le 13 mai, lorsque, une fois de plus, les Allemands
percent à Sedan. Les blindés de Guderian franchissent la Meuse. Comme en 1914, en avançant
leur aile gauche en Belgique, les Français sont pris au piège d’un nouveau plan Schlieffen qui,
cette fois, fonctionna parfaitement.
Le 10 mai, alors que Guderian débouche des forêts ardennaises, les armées
franco-britanniques rentrent en Belgique. A la droite des Anglais marche la 1" armée du général
Blanchard, « un officier intelligent mais pessimiste », pense-t-on au GQG. Elle concentre l’élite
des unités françaises : huit divisions d’infanterie et les deux DLM, qui s’installent dans la région
de Saint-Trond et dans la trouée de Gembloux, route classique des invasions. C’est là que, le
vendredi 10 mai, nous retrouvons le 13° dragons.

84
":
HOLLANDE

5° ARMÉE 4D.I.
L’attaque allemande pr +++, @ENDHOVEN
+
+ +i++
de mai 1940 BELGIQUE
1 D.LM.
< PzD
ANVERS +

Armée Belge
_ ©} l DLC. ALLEMAGNE
Le croquis indique la position de la 2° —_

D.L.M. face aux forces allemandes signa- US


Armée Britannique
ga LOUVAIN
lées. Il montre également l’offensive enne-
BRUXELLES @ Fes
mie (non repérée) en direction de Sedan.
(VIE, V9)
“Nous sommes — relativement et inuti-
lement — fort là où les Allemands sont fai-
bles (Nord-Belgique) et inversement (ligne
Dinan-Sedan).

Gr, X°, 15, VIE, VE)

dt
LATE s #, LUXEMBOURG
D.L.C. = division légère de cavalerie
D.L.M.= division légère mécanique +

La victoire de Gembloux

Quatorze ans après la mortelle surprise des blindés franchissant la Meuse, à l’occasion d’un
deuil qui frappait tous les anciens de « Flandres Dunkerque 40 », monsieur Louis Mizzy,
président de l’association, relatait les combats de Gembloux :
« Le 22 Novembre 1954, on annonçait la mort du général d’armée Blanchard, dont le nom
est lié à l’histoire de la tragique épopée de Dunkerque. Mais peu de Français savent que nos
troupes remportèrent sous ses ordres leur seule victoire de la campagne 1939-1940. C’est un fait
historique qu’il me paraît nécessaire de leur rappeler à l’occasion de la mort du grand soldat
qu'était le général Blanchard. En voici la relation (extraite d’un article que j’ai écrit dans
l’Epopée, organe officiel de Flandres-Dunkerque 40).
» Après les combats d’avant-garde, les forces françaises et allemandes prenaient contact
sur le “seuil de Gembloux”, en Belgique.
» Le terrain ? Un ‘“charodrome”, comme le qualifiait le général Mellier. Les effectifs : le
4° corps d’armée (général Aymes) formé de la 1" division marocaine (général Mellier) et de la
15° DIM (général Juin). A sa gauche, le 3° corps d’armée (général de La Laurencie), formé de la
1° DIM (général de Camas) et de la 2° DINA (général Dame). A sa droite : le 5° corps d’armée
(général Altmayer) formé de la 5° DINA (général Mesny) et de la 12° DIM (général Janssen).
» Du côté allemand, c’est la VI° armée à quinze divisions d’infanterie, précédées par le
corps blindé Hoppffner à deux panzerdivisions (les 3° et 4°), qui attaque.
» La bataille est engagée le 14 mai dans la région de Gembloux sur les positions
qu’organisent la 1° DIM, la 17° DIM et la 1° DM, l'effort principal portant sur cette dernière.
» Les 14 et 15 mai, elle fait rage sans arrêt. Les avions bombardent, mitraillent, piquent
sans arrêt ; les chars attaquent, soutenus par une artillerie nombreuse, une infanterie mordante.
» Des infiltrations se produisent ; des contre-attaques se montent. Tous les chars ennemis
qui ont pu passer sont anéantis.
» Le 15 mai au soir, un calme étrange règne sur le champ de bataille. Que se passe-t-il ?
J’en appelle aux souvenirs des hommes qui sont restés sur la position pendant la nuit du 15 au
16. Ce calme subit, succédant à un orage hallucinant, avait quelque chose d’étrangé,
d’incompréhensible, d’inquiétant.
» Calme qui ne devait être qu’une trêve de courte durée, l’attaque devant reprendre de plus
belle le 16 au matin au lever du jour et ne cesser que lorsque l’unité, laissée sur le terrain pour
Char Somua couvrir la retraite, n’eut plus eu qu’un seul fusil-mitrailleur en état de tirer.

85
» Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que nous avons eu l’explication.
» Le 15 mai au soir, devant l’importance des pertes en hommes et en matériel, l’armée
allemande avait reçu l’ordre de repli et s’était effectivement repliée. Ayant attaqué avec toutes
ses forces pendant quarante-huit heures, l’armée allemande abandonnait la lutte, ayant subi un
échec particulièrement sanglant.
» Que furent les pertes ? Il est bien difficile de les chiffrer, les Allemands brûlant leurs
morts dans les fours crématoires qui suivaient les premières lignes.
» Mais ce qui est certain, c’est que dans le bois de Buis, à Perwez (à l’est de Gembloux),
les Belges ont dénombré quatre cents tombes d’officiers généraux et supérieurs allemands. Il est
probable que, pendant ces deux jours de combat devant GE l’Aîlemagne a eu de 8 000 à
10 000 morts et le double de blessés.
» Il eût été logique que, devant ce succès français, toute l’armée reçût l’ordre d’attaque.
» Malheureusement, au même moment, se produisait la percée dans la région de Sedan. Et
le haut commandement français donnait à la 1 armée victorieuse l’ordre de se replier.
» Si la victoire de Gembloux n’a pas été exploitée comme il se devait, il n’en reste pas
moins que ce premier contact entre l’armée française et l’armée allemande a été un succès pour
nos armes, a été une victoire française. »

Les Somua au fort Leveau

Jusqu’au 13 mai, le régiment conduit des reconnaissances offensives et des actions de


nettoyage du terrain entre Fallais et Ville-en-Hesbaye où des infiltrations ennemies ont été
signalées. Mais déjà, les Somua et les Hotchkiss (S et H, abréviations portées dans les JMO)
subissent la pression des blindés et de l’aviation :
« Aucun ennemi n’est en vue. Le bombardement par avion ne cesse pas et, en plus, les chars
de tout l’escadron sont pris à partie par des canons de 75, vraisemblablement de gros chars
ennemis disposés sur les pentes nord de la Méhaigne. »

86
« [...] La collaboration sur le terrain était constante et sans qu’il fût nécessaire d’ordres pour
provoquer les initiatives. Au carrefour nord-ouest de Ciplet, en direction de Moxhe, une patrouille de
deux chars du 13° commandée par le maréchal des logis-chef Ramondec, conducteur brigadier
Harel, est alertée par un dragon. Des éléments importants ont réussi à franchir la Méhaigne et
encerclent son détachement. Ramondec se porte en avant et oblige plusieurs groupes à se réfugier
dans les maisons : fenêtres et soupiraux sont arrosés à la mitrailleuse. Des obus explosifs de 37 font
s’écrouler des pans de murs qui écrasent quelques assaillants. Plus tard on retrouva une trentaine de
cadavres d’ennemis. Le second char reçoit une grenade incendiaire lancée d’un garage voisin dont
tous les occupants sont tués à coups de mitrailleuse. Le silence s’établit quand, d’un hangar à 200 m
dans un pré, part un feu nourri d’armes automatiques. Les deux chars chargent, en tirant à la
mitrailleuse sur les nombreux fantassins ennemis. Ils arrivent si près que leur tir devient sans effet.
Ils chargent alors le groupe qu’ils écrasent. Cette action menée résolument a dégagé le détachement
de dragons portés encerclé. »
Fanion du 2° groupe d'escadrons en 1940 Les pertes sont importantes : le capitaine de Dompierre et le sous-lieutenant Odorenko sont
v, La blessés ; le lieutenant Sanson est tué.
Dans la nuit du 13 au 14 mai, le 1° groupe d’escadrons protège les dernières opérations de
destruction du génie et le repli des éléments avancés en ligne sur la Méhaigne. Le grand repli de
l’armée française est amorcé. Les escadrons sont sans cesse au contact des panzers. Des difficultés
de transmission surgissent : des «S » n’ont plus de liaison. De plus, la coordination avec le bataillon
d’infanterie du secteur est alégatoire. Le commandant Galouzeau de Villepin en retire une
impression pénible d’impuissance. Le 15, le général Jansen commandant la division d’infanterie au
profit de laquelle travaille le 1° GE ordonne un repli sur une ligne Gembloux-Ruisseau
d'ONZ-Jameppe-Sambré. Le commandant de Villepin et ses dragons doivent tenir le bourg de
Kummiee. Partout des encombrements, des files d'hommes harassés, des colonnes de véhicules et
toujours la Luftwaffe maîtresse du ciel qui pilonne les routes. La moindre concentration dans un
village occasionne un bombarbement. Le 17 mai, le régiment est regroupé à la sortie nord de Binche,
puis il s’installe solidement en vue d’une contre-offensive sur l’itinéraire Ronveroy-Havay. A ce
moment-là, le 1° GE est mis à la disposition du général commandant la 43° DI dont le PC, funeste
augure, se trouve à Malplaquet ! Dans un désordre proche de la panique, le commandant de Villepin
reçoit des ordres oraux très vagues d’où il ressort qu’il doit monter une contre-attaque pour appuyer
des chasseurs à pied qui relèvent un bataillon de tirailleurs.
Le 19 mai, le colonel de Baissé, qui s’est déplacé à Malplaquet, est en mesure de préciser au
commandant de Villepin l’ordre suivant :
« Avec le groupement Lesage et les éléments d’infanterie, dégagez le fort Leveau, l’ouvrage
et le faubourg des Sarts, puis, par Marieux et Thesmes, allez dégager Boussois. »
Malgré les difficultés de tout ordre : refus de coopérer de certains, confusion des feux
d’artillerie, obstacles sur la route (un «S » de la 1° DLM détruit lors d’un assaut précédent), la
contre-attaque démarre en présence du colonel de Baissé. Le commandant de Villepin, le
capitaine Lesage, l’aspirant Geny et un capitaine d’infanterie effectuent une reconnaissance sur
la route en direction du fort. Il s’avère que le « S » n’encombre pas la chaussée ; plus loin, à un
carrefour, deux pièces de 47 abandonnées intactes. Aucune réaction ennemie ; la route paraît
libre. Le chef d’escadrons donne alors l’ordre de pénétrer dans le fort. Le capitaine Lesage et le
lieutenant Paul-Albert sur un char, l’aspirant Geny à pied, pénètrent dans l’ouvrage, malgré le
feu d’un plastron de mitrailleuses vite réduit par les 47 des « S » du peloton Menesson. Une fois
encore, le régiment demande à l’infanterie d'occuper le fort. Sans résultat. Le colonel de Baissé
décide alors de prendre l’affaire à son compte :
« Les chars du peloton Paul-Albert sont soumis à un très violent tir d’artillerie. Le chef
d’escadrons allait donner l’ordre de repli, lorsque le capitaine Lesage revient à pied demander
des brancardiers pour les blessés et déclarant que le fort était ouvert. Le lieutenant Lambert, de
l’infanterie, entraîne quelques tirailleurs où l’avait précédé l’aspirant Geny bien que blessé. Le
lieutenant Paul-Albert et les aides, des conducteurs de chars mirent pied à terre. (1)
» Le chef d’escadrons (de Villepin) retourne au fort, nomme le lieutenant Lambert
commandant du fort et donne l’ordre au capitaine Lesage de rentrer. Le colonel de Baissé parti
pour faire arrêter le tir supposé être de l’artillerie française, est d’ailleurs revenu. Les tirs
d’artillerie reprennent sur les chars qui sont dans l’enceinte du fort. Sous ces tirs assez violents,
plusieurs liaisons en moto sont exécutées entre le PC et le fort par le brigadier-chef Amblard et le
dragon Tillaux, qui aident en outre à la relève des blessés. Le peloton Paul-Albert et le peloton
Mennesson sont ralliés au carrefour 147. Les blessés du 13° ont été conduits au poste de secours
sud de Feignies. L’aspirant Geny, qui a continué la visite du fort, ne peut être soigné et continue
Le capitaine Lesage son service [...] »

(1) Arrivé au régiment, peu de temps avant le 10 mai 1940 avec les aspirants Mazurel et Lecointre, l’aspirant
Geny fut affecté au 1° groupe d’escadrons. Blessé et évacué, il ne cessa de servir pendant l'occupation...
Après l’école des cadres d’Uriage... il rejoint le maquis Dunoyer de Segonzac. Il se bat sans repos, est blessé
et pris par les Allemands et abattu en 1944.

87
Le 1°” groupe d’escadrons sera cité à l’ordre de l’armée pour sa belle conduite en Belgique
et en France. Au soir du 19 mai, le colonel de Baïissé ordonne de reprendre le mouvement en
direction de Vendegies par Barvay et Wargnies. Peloton « H » en tête sur l’axe, voitures de
liaison, « S » en encadrement et motos en queue. La colonne est soumise à des tirs antichars et à
des harcèlements d’armes automatiques. Sur la grand’route, le mouvement est pénible à cause
des encombrements.

:== EXTRAIT
DE L'ORDRE
Le Général d'Armée HUNTZIGER commandant en chef - ministre - secré-
taire d'état à la guerre cite
À l'Ordre de l'Armée :

LE PREMIER ESCADRON DU 13e REGIMENT DE DRAGONS


"Sous le commandement du capitaine LESSAGE, a été sans cesse sur la
brèche du 12 mai au 11 juin 1940, tous les cadres et hommes faisant preuve en
toute circonstance de l'allant remarquable, de l'esprit offensif, et du moral
élevé qu'avait su lui inculquer son chef. 5
À attaqué à différentes reprises les 12, 13, 14 et 19 mai des chars
ennemis d'un armement supérieur, Reconstitué après l'embarquement de l'armée
du Nord, a été engagé à nouveau avec un matériel à peine au point pour réta-
blir une situation délicate le 11 juin. A fait l'admiration des Dragons Portés
qui l'accompagnalent. A eu, ce jour, son capitaine blessé et son lieutenant en
premier tué".

VICHY, le 5 août 1940


Signé : HUNTZIGER

Citation homologuée par inscrip-


tion au Journal Cfficiel du 4
septembre 1941 - page 584 C,G.

PAU, le 25 novembre 1981


Le Lt-Colonel ALLARY
Commandant le Bureau Central
d'Archives Administratives Militaires

L’amertume de Dunkerque

À partir du 23 mai, la situation devient de plus en plus confuse. Le JMO note une grosse
activité sur le front et une artillerie ennemie très active. Egalement un « grand défilé de
réfugiés » en direction de Hénin-Liétard. La DLM tient le front entre Gorre et Pont-Avendin ; le
13° RD à Annoelin. Le médecin-capitaine Massias, qui était détaché à Hénin-Liétard pour
organiser l’inhumation des cadavres et donner des soins aux blessés, civils et militaires, rapporte
les renseignements les plus variés : on dit que le front de la Sensée serait toujours tenu par la
DINA ; on dit qu’Arras aurait été pris, perdu et repris par les Britanniques. On paraît redouter
une poussée des panzers sur la Bassé, mais les Britanniques, à partir d’Arras, attaqueraient au
sud-est... Le bruit court que les Allemands seraient à Boulogne ! Une seule certitude de tous les
instants, celle-ci : le bombardement des stukas.
Le 25 mai, la division est relevée par des Britanniques et dans un ordre du jour, le général
Bougrain félicite les troupes de la 2° DLM, cependant que le général Blanchard annonce une
contre-offensive des forces franco-britanniques en direction de Cambrai et demande un suprême
effort pour arracher la victoire. Ce jour-là, du fait de leurs pertes, le 13° et le 29° dragons
fusionnent (voir tableau) :
« Les hommes à pied sont armés de FM et de mitrailleuses de rechange, des chars, sur affût
de fortune, que l’on fabrique au mieux. Chacun oublie sa fatigue ; le moral, qui n’a jamais été
bas, redevient très élevé et tout le monde ne demande qu’à partir de l’avant. »
A partir du 26 mai, la retraite est ininterrompue. La colonne du colonel de Baissé, qui
comprend, outre le 13° RD, un bataillon porté, un groupe de 75 et une compagnie du génie,
traverse Armentières bombardée, puis se dirige vers Kemmel. Elle rencontre des Belges et des
Britanniques qui se replient au milieu des réfugiés civils. Sur les routes très encombrées, elle
subit à nouveau des harcèlements antichars. Le projet de grande offensive est définitivement
Sous-lieutenant Verneret enterré ; les Britanniques font sauter tous les ouvrages d’art.
88
Le 29 mai, le 13° RD se trouve à Steinkerque. Les mânes de Fimarcon n’en peuvent mais !
La situation est désespérée. Entre Furnes, Dixmude et Steinkerque, trois divisions grouillent
dans la nasse.
« On parle de bateaux et d'embarquement ouvert par les Anglais. L’infanterie anglaise passe
en ordre sur Furnes. Le capitaine de Lantivy et le 2° peloton “H” devaient se replier en même
temps que le bataillon de dragons portés d’Arsier. Le capitaine Lesage, avec le peloton Hanus
“S” et le groupe à pied Menneson, reçut l’ordre de détruire leurs chars au nord de Furnes et de se
porter sur Panne. Le reste du régiment s’y porte par Bulskamp-Adinduk. Le matériel est détruit.
C’est lamentable ! On passe péniblement sur une route encombrée à Adikers [...] »
Extraits du carnet de route d’un lieutenant du « 13 » :
« Jeudi 30 mai — Dunkerque : 1 h du matin : départ Furnes, direction La Panne. Reçu ordre
préparatoire de la destruction des chars : pénible !
— 8 h : direction Braye-Dunes. Reçu ordre préparatoire d’embarquement des chars : mieux !
— 18 h : direction Coudekerque-Branche, cantonnement dans une usine. Seuls les chars
n’embarquent pas. Amen !
» Jeudi 30 mai :
— Les D.P. font demi-tour. Le colonel va aux renseignements. Le chef d’escadrons de
Villepin arrête les voitures d’'EM et réclame des ordres : c’est le général Bougrain. Les Anglais
refusent l’embarquement ; le général va aux ordres : “dispersez DLM sur route nord” [...] »

Le colonel Juin de Baissé

Le bombarc'ement de Dunkerque

Un peu plus tard, le régiment fait mouvement sur Malo-les-Bains. Il fait froid, les hommes
n’ont plus de ravitaillement. Des milliers de soldats errent dans les dunes sableuses. De jour
comme de nuit, un bombardement ininterrompu soulève de gigantesques geysers de sable qui
masquent l'horizon. Au 13° RD comme au 29° RD), les pertes sont sensibles. Pour les deux
régiments, c’est le bout du voyage. Toutefois, les chars H du capitaine de Lantivy restent à la
disposition du secteur fortifié de Dunkerque.
Récit des combats de Dunkerque par un des chefs de peloton « H » du capitaine de Lantivy
« Vendredi 31 mai : Coudekerque-Branche : organisation d’un escadron H avec les restes
des trois DLM. La 3° DLM a envoyé ses chars, mais pas ses équipages ; j’en profite pour
remplacer un char malade par un H 39. Formons peloton de quatre chars. Le jeune
sous-lieutenant du 29° RD, malade, est emmené à l’hôpital et embarqué. Je prends son peloton,
ce qui me fait huit chars.
» Samedi 1° juin : 5 h 30 : bombardement intense aviation-artillerie, coups près de l’usine.
— 10 h 00 : départ pour Braye-Dunes. Je suis avec mes huit chars à la disposition de la
12° DI. Sur la route, sommes repérés par l’aviation ennemie et pris comme cible, rentrons dans
nos coquilles et filons plein gaz ; pas de dégât.
— 12 h 00 : Camouflage dans Braye-Dunes.
» Dimanche 2 juin : Nuit : bombardement artillerie ininterrompu.

89
— 8 h 00 : bombardement aviation inimaginable. Il y a de quoi devenir fou. Presque plus de
DCA (DCA anglaise embarquée). Les avions ennemis attaquent comme à l’exercice.
— 11 h 00 : apparition des chasseurs anglais, cinq ou six bombardiers allemands
descendus ; cela dure vingt minutes. Les Anglais disparaissent et les vagues de bombardiers
allemands recommencent leur travail. La 12° DI repousse tous les assauts. Il paraît qu’au sud de
Dunkerque ça craque ; on va nous y envoyer.
— 17 h 00 : départ pour la ferme Lelieur à Téteghem (sud de Dunkerque). Sur la route,
encore repérés par l’aviation — c’est tellement facile — , passons encore entre les gouttes.
— 18 h 00 : ferme Lelieur : recevons les ordres pour le lendemain. Dunkerque doit tenir
jusqu’au 3 juin à minuit pour permettre l’embarquement des dernières troupes. Comme le front
de Téteghem cède, contre-attaque désespérée des Français en direction du sud, les chars en tête.
Le terrain dans cette région est impraticable aux chars (marécages, nombreux grands fossés),
aussi on devra suivre les chemins. Avec mes huit chars, je suis chargé de mener l’aile droite de
l’offensive. À 3 h 35 du matin, je dois prendre contact avec l’infanterie française qui occupe
Bouxein (petit village à l’ouest de Téteghem) ; attaque direction sud, objectif le canal suivant.
» Lundi 3 juin ; 3 h 00 : départ dans la nuit, tous phares éteints, vers Bouxein, Formation :
trois chars en éclaireurs, le gros du peloton, capitaine de Lantivy en side. Traversons Téteghem,
tournons à droite direction Bouxein.
— 3 h 30 : le char de tête arrive à l’entrée de Bouxein. Soudain, un obus lumineux traverse
l’air, un coup de canon sec, le char de tête est immobilisé, le conducteur tué et le chef de char
blessé. Obus et balles lumineux s’abattent sur nous : beau feu d’artifice ! Bouxein a été occupé
la nuit par les Allemands, nous sommes dans une souricière. Les maisons, les fossés et les
champs de chaque côté de la route sont remplis d’Allemands. Il fait encore nuit, il faut à tout prix
sortir de là. Déjà un deuxième char a été touché, le chef de char tué.

Sur la place de Dunkerque, les troupes attendent l'embarquement

» La première surprise passée, la résistance s’organise. Accompagnés du capitaine de


Lantivy, révolver au poing, tirant dans les fossés, nous parcourons la colonne et donnons des
ordres. Bientôt, chaque char mitraille un peu au hasard dans la direction qui lui a été indiquée.
Les derniers chars tirent au canon dans la direction où semblent se trouver les armes antichars
ennemies.
» Devant cette lanière de feu, l'ennemi recule, nous voyons des ombres s’enfuir. Une
voiture blindée ennemie, touchée par un de nos obus, flambe et éclaire la scène. La lueur nous
permet de tirer avec un peu plus de précision. Le capitaine de Lantivy a pris place.dans un char,
son side emmène les blessés vers l’arrière.
» Tirant et reculant, nous arrivons à nous tirer de là, non sans avoir laissé encore un char
dont l’équipage (maréchaux des logis Gondaert et Lunet) a pu se sauver.
— 5 h 00 : le décrochage est terminé, le capitaine de Lantivy va rendre compte au PC que
Bouxein est occupé par l’ennemi : personne ne le savait encore ! Pendant ce temps, la
contre-attaque française s’est déclenchée à l’aile gauche et au centre. Elle attend la mise en
marche de l’aile droite pour continuer. Aussi, me gardant dans la GEO de Bouxein,
j'emmène ce qui reste du pelotonà l’attaque, suivi par l’infanterie.
— 6 h 00 : le jour s’est levé, mais un brouillard épais comme on en voit dans le Nord au
matin des plus belles journées ne nous permet pas de voir à plus de 500 m. Néanmoins, nous
avançons. Les résistances ennemies cèdent les unes après les autres, sans trop de dommages
pour nous.
— 8 h 00 : le brouillard se lève d’un seul coup, soleil resplendissant et, à 800 m devant
nous, une batterie ennemie déclenche sur nous un tir à vue directe, obus de gros calibre. Rien
pour s’abriter, un terrain qui ne nous permet pas de nous déplacer rapidement, la situation est
critique. Mon char de droite, touché, flambe, l’équipage (MDL de Rengerve et Rouiller) ne peut
se dégager et brûle à l’intérieur. Sur ma gauche, un autre char flambe. Je me dégage en zigzag,
les obus sifflent autour du char. La batterie ennemie, copieusement arrosée par nos armes, est
réduite au silence. Les trois chars qui restent en profitent pour aller s’abriter derrière quelques
maisons isolées et, de là, nous pouvons viser plus à l’aise. La grange où semblait se trouver la
batterie est bientôt complètement détruite, plus rien ne bouge aux environs.
— 10 h 00 : nous repartons à l’attaque et avançons, pas pour longtemps, car une autre
batterie ennemie nous prend comme cible. Le char des MDL Dufros et Leroux est touché et
immobilisé, équipage gravement blessé ; l’autre char a réussi à gagner un abri. Je tente d’en faire
Insigne des chars porté par le 13° RD
autant. Soudain, une violente secousse ébranle mon char, touché ! Mon conducteur, le fidèle
Leborgne, me fait signe que la direction ne marche plus, je lui dis de ne pas rester sur place et
d’essayer d’avancer. Au milieu d’un bruit effroyable, nous avançons à une lenteur désespérante.
A 200 m devant nous, une maison en ruine, si nous pouvions l’atteindre ! Mais nous glissons
bientôt dans un fossé. Le char se couche, nous sommes immobilisés et pris comme cible par
CL ds l’artillerie en face. Nous sortons du char et nous précipitons dans le fossé, de l’eau jusqu’au
ventre, les obus pleuvent autour de nous, le char flambe. Nous tâchons de regagner les lignes et
allions les atteindre quand un obus éclate près de nous ; Leborgne est mortellement frappé au
ventre, je le porte jusqu’à une ambulance et, le cœur serré, je quitte ce brave garçon, modèle des
conducteurs de chars, qui a conduit son char sans un instant de repos depuis Avesnes jusqu’à
Dunkerque. Hier encore, il me disait son espoir de revoir un jour sa Bretagne !
— 13 h 00 : notre rôle est terminé, faute de matériel. Que de pertes à déplorer ! Nous
n’aurons pas besoin de détruire nos chars avant le départ. Sentiment d’accablement, de fatigue,
de tristesse. Un seul espoir nous fait tenir debout, ce soir nous embarquons. »
(Mais ils n’embarquèrent pas...)
Extraits du JMO du 1° groupe d’escadrons (Cdt de Villepin)
« Vers 13 h 00, on part. Le régiment entre le canal et la sortie ouest de Malo-les-Bains.
Luiseau vient nous chercher et nous guide jusqu’au bastion 32. On progresse sur la jetée. On est
coupé. Personne n’indique le bateau. Embarquement par groupes. Anxiété de savoir si les autres
sont embarqués. Contre-torpilleur. Fureur de la façon dont nous traitent les Anglais. Départ.
Repêchage d’un aviateur. Douvres à 21 h 00.

Classe 1937. Le 2° escadron

91
» Regroupement à la gare. On attend, on embarque en chemin de fer. Au petit jour, à
Guildford, des Anglais donnent des sandwiches, de la limonade, et prennent correspondance.
— Samedi 1° juin : on arrive à Plymouth. Traversée. Le colonel, Provost, les chefs
RÉPIB LI QUE FRANÇAISE d’escadrons, Lesage, Lacroix, les docteurs, Hanus, Guilbert, et cent hommes. Les autres ont dû
Guërrè) 1939:1945 être dérivés à Douvres sur un autre train. A 14 h 00, embarquement à Plymouth après déjeuner
chez des anglais très aimables. Sur le E] Djezair. On attend l’embarquement d’autres bateaux
GEFATÆON pour former un convoi. À 20 h 00 : départ, on est très bien traité par la marine.
— Dimanche 2 juin : arrivée à Cherbourg à 04 h 00. On attend ; on se lave. Messe à 09 h 00
par l’aumônier de la division de croiseurs auxiliaires. Débarquement à 16 h 00 ; arrêt au stade du
8° d’infanterie. Ravitaillement. Embarquement à la gare auxiliaire (quarante hommes dans un
wagon). C’est une honte :-je proteste et le colonel m’engueule. Je boude et ne dîne pas dans le
train. Dans le train, 13° et 29° en ordre ; le reste, une horde. C’est la raison de ma fureur. La
population des faubourgs de Cherbourg nous acclame et nous donne du cidre. Je ne boude plus !
» Aussitôt débarqué, le régiment fait mouvement sur Évreux où, le 06 juin, les débris de la
2° DLM constituent un groupe de combat. Le régiment est formé en deux éléments équipés de
chars H et S et de matériels de récupération. Reposés, malgré l’absence de l’escadron coincé à
Dunkerque, les dragons sont impatients de reprendre le combat.
» En Normandie, le régiment a retrouvé ses trains de combat (TCI1 et TC2) plus l’EHR. Ils
ont évité l’encerclement de la poche de Dunkerque en faisant mouvement vers le sud au moment
où les escadrons de chars en décousaient en Belgique.
» L’ennemi a maintenant passé la Seine près de Vernon. Le régiment doit se porter à sa
rencontre sur l’axe Passy-Vernon. Très vite, les pelotons de H et de S sont au contact. Le
lieutenant Paul-Albert, un des vétérans de cette tragique campagne, est grillé dans son char avec
son équipage. L’artillerie lourde continue ses ravages, Lesage est blessé et manque de l’être
encore avec l’équipe sanitaire lorsqu'un 150 tombe près de l’ambulance. Les nouvelles sont
mauvaises ; “et cependant, on a l’impression que le boche ne pousse pas et bluffe”. »
Embarquement

2
Les derniers combats

Le régiment continue à faire retraite. Partout, on se prépare à faire sauter les ponts ; mais on
ne se bat pas suffisamment. La 2° DLM est à la gauche de l’armée de Paris. Jusqu’au 15 juin,
les unités bénéficient d’un certain répit. Le 16, débute une période d’intense activité pendant
laquelle les pertes sont nombreuses. Les lieutenants Hanus et Supplisson sont blessés, le MDL
Ventedon aussi. Le 13° RD tient toujours solidement le secteur de Senonches. Les Allemands
utilisent tous les moyens pour passer : « Menesson me signale que deux Citroën traction avant
son arrivés avec des Allemands dedans, qu’il a tiré et qu’ils ont fait demi-tour [...] »
Récit des combats autour de Senonches :
« [...] Le 15 juin au soir, le 1° RDP, réduit depuis Dunkerque à un petit bataillon (où servent
des éléments de l’escadron AC), tient en face au nord la ligne des points d’appui : Senonches, La
Ville-aux-Nonnain, Les Haies-Neuves, Jaudrais, Hauterive, Chappe, Châteauneuf-en-Thimerais
(exclu). Les chars Somua réduits à dix sont, depuis la blessure du capitaine Lesage, sous les
ordres du lieutenant Supplisson. Le lieutenant commandant et le peloton Hanus sont à proximité
du carrefour, 1 500 m S-E de Senonches. Le peloton Menesson a été détaché à Bontgoin au PC
de la division. Le lieutenant Lacroix est avec le commandant d’escadron et quelques éléments en
camionnette auprès du colonel à Digny, en réserve de commandement.
» Le 16 au petit jour, une opération a lieu pour dégager les Haies-Neuves. Elle est
brillamment menée par un peloton Hotchkiss du 29° RD sous les ordres de l’ACH Mercier. Vers
8 h 45, le général Lacroix commandant la ligne de feu leur donne l’ordre suivant : “Senonches
est violemment attaquée par des forces très supérieures, en particulier à l’entrée N-E route de
Mesnil-Thomas. Les chars Somua se porteront à Senonches pour rétablir la situation”.
» Le Lt Supplisson est immédiatement envoyé à Senonches pour prendre la liaison avec les
dragons portés et juger de la situation. Deux chars sont laissés au carrefour pour surveiller le
terrain entre Senonches et La Ville-aux-Nonnain. Le Lt Hanus et quatre chars se portent à
l’entrée S-E de Senonches.
» Le Lt Supplisson a vite apprécié la situation : Senonches est violemment bombardée.
Plusieurs incendies font rage autour de l’église. Les rues sont balayées par des rafales d’armes
automatiques tirées vraisemblablement des grands arbres entourant le village. L’ennemi est
pressant, les dragons portés débordés refluent de toutes les entrées sur la place de l’église. Le
S-Lt Marié du 1° DP rend compte qu’il a reçu un ordre verbal de repli. Mais à l’annonce de
l’arrivée des chars, déclare qu’il est prêt à se reporter aux barricades.
» Les chars arrivent, le temps presse ; il ne peut être question d’agir par les lisières
extérieures. Il faut aller au plus vite et brutalement. Le Lt Hanus et deux chars sont poussés sur la
route de Mesnil-Thomas. Le Lt Supplisson pousse lui-même avec deux chars à l’entrée nord.
L’ennemi reflue, les dragons portés se reportent aux barricades.
» Le bombardement devient de plus en plus violent. Le Bg Monnerot-Dumaine vient rendre
compte que le char du Lt Hanus est troué en plusieurs endroits. Le lieutenant est légèrement
blessé, le char dans le fossé. Le lieutenant, légèrement atteint, est sorti du char et est allé
chercher un des deux chars restés au carrefour. (1)
» Au même moment, suivant les ordres reçus, le Lt Supplisson revient sur la place de l’église pour
assurer l’ensemble de son commandement. Au nord, dit-il, les deux chars font un excellent travail et ont
pris sous leurs feux une colonne allemande. Le conducteur du Lt Hanus revient à son tour à pied. Il croit
son chef de char évacué par les dragons portés. Le deuxième char du lieutenant revient, son chef, le
MdL Vantelon, est blessé à la face et couvert de sang. Le Bg M. Dumaine, qui est encore à proximité,
remonte dans ce char et repart à l’appui des dragons portés sur la route de Mesnil-Thomas.
» Le Lt Supplisson se porte à pied sur cette route pour juger par lui-même de la situation.
Presque aussitôt, il est grièvement blessé au bas-ventre par un éclat d’obus. Le CDT d’escadrons
le fait évacuer dans un side sur Digny, la figure portant déjà le masque de la mort. “Le lieutenant
put encore parler, et c’est uniquement pour se préoccuper de ses hommes, de ses chars et de sa
mission” (2) [...] Le bombardement redouble, de nouveaux incendies s’allument, l’ennemi se fait

(1) En fait, le Lt Hanus a été fait prisonnier peu après être sorti de son char. Parvenu à rentrer en France à sa
quatrième tentative d'évasion en mars 1944, il était chargé du recrutement des corps-francs en Bretagne. Au
cours d’un parachutage d’armes, le 10 juillet 1944, il fut attaqué par une troupe de SS aux environs de
Saint-Brieuc et fusillé avec tous ses camarades le 14 juillet 1944.
(2) A son passage au poste de secours de Digny, le lieutenant avait encore sa connaissance. Il reçut des mains du
colonel la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Son état ne laissait guère d’espoir, 1l fut évacué sur les
formations sanitaires régulières. Mme Supplisson ne fut avisée officiellement du décès de son mari survenu
le 20 juin 1940 à l’hôpital de Châteauroux qu’en février 1941.

93
encore plus pressant. Un instant débordés, dragons portés et chars refluent, mais grâce à un
retour offensif des chars, la situation EE rétablie une fois de plus.
» [...] À peine de retour à Digny, le commandant d’escadron apprend que
Châteauneuf-en-Thimerais a été évacué par le RICM : il faut à tout prix faire refluer l’ennemi
dans ce secteur et conserver le carrefour de Vionnais. Le Lt Menesson (1) avec deux chars y a
d’ailleurs été déjà aiguillé, son troisième char étant momentanément employé vers Bois-Joly [...]
La colonne du RICM, qui a évacué Châteauneuf, a été très éprouvée. Son capitaine a été tué, elle
est commandée par un jeune sous-lieutenant qui, à l’annonce d’une action de chars, fait arrêter le
mouvement de retraite et repartir en direction de Châteauneuf.
» Depuis Vionnais, on aperçoit de nombreux ennemis qui débouchent de Châteauneuf en
traversant la grand’route du nord au sud. Le lieutenant démarre avec deux chars, mitraille
et
canonne. Les coloniaux suivent et occupent une petite crête entre Vionnais et Châteauneuf.
L’ennemi surpris reflue avec des pertes sérieuses. Le troisième char rejoint et étaie l’action des
deux autres [...] Les chars reviennent à la position d’attente et le lieutenant descend de sa tourelle
en se frottant les mains. Tout joyeux, redressant sa haute taille sous les balles qui sifflent, il
déclare : “Nous avons vraiment fait du bon travail” .»
Le 17 juin, le régiment se replit au sud de la Loire :
« Au cours de la nuit, on dépasse et on est dépassé par quantité de camions, des autobus, de
l'artillerie à cheval, des groupes de fantassins sans armes et en désordre, sauf un régiment qui
paraît en ordre avec ses officiers. »
A partir du 20 juin, le 13° RD se replie sur l’Indre. Tours a été déclarée ville ouverte. Le
Cdt de Villepin assiste avec l’aspirant Mazurel à la rencontre des délégations d’armistice ; ils en
conçoivent une rancoeur légitime : celle des combattants trahis par l’arrière.

Le Général d'Armée HUNT£IGER commandant ef - ministre - secré-


taire d'état à la guerre cite

LE PREMIER ESCADRON DU 13e REGIMENT DE DRAGONS


"Sous le commandement du capitaine LESSAGE, a été sans cesse sur la
brèche du 12 mai au 11 juin 1940, tous les cadres et hommes faisant preuve en
toute circonstance de l'allant remarquable, de l'esprit offensif, et du moral
élevé qu'avait su lui inculquer son chef,
A attaqué à différentes reprises les 12, 13, 14 et 19 mai des chars
ennemis d'un armement supérieur. Reconstitué après l'embarquement de l'ar
du Nord, a été engagé à nouveau avec un matériel à peine au point pou
blir une situation délicate le 11 juin. À fait l'admiration de
qui l'accompagnaient. À eu, ce jour, son capitaine blessé
premier tué”,

JT L'ATTRIBUTION DE LA CROIX L

VICHY, le 5 août 1940

(1) Le Lt Menesson trouvera quelques jours plus tard, le 21 juin, à La-Haye-Descartes, une mort glorieuse dans
son char après avoir été à l’avant-garde d’une opération offensive et avoir détruit par son tir une pièce
d’artillerie.
Témoignage extrait de Sous la croix de Lorraine en 1940. La 2° DLM. Par Bersencourt :

« 23 juin : le PC de DLM est installé à Gizay. La région de Poitiers donne lieu à divers
contacts avec de petits éléments motorisés ennemis qui, suivant la tactique habituelle de ces
formations légères, s’évanouissent à la moindre résistance rencontrée. C’est ainsi que le
lieutenant-colonel Juin de Baissé, accompagné du capitaine Provost, son adjoint, visitait à pied
ses pelotons de chars quand il aperçut une unité motocycliste venant vers lui. Comme elle stoppe
dans un nuage de poussière, il reconnaît des uniformes allemands. L’officier du véhicule de tête
lui crie en français : “Rendez-vous, vous êtes prisonniers !”” Tranquillement, le capitaine Provost
riposte : “Mais c’est vous qui êtes prisonnier !” Et tandis que le lieutenant-colonel et le capitaine
se jettent de côté, un char qui s’est avancé ouvre le feu sur les Allemands [...]
» 24 juin : les Somua et les H 39 de la D L M sont déjà sur la position au carrefour de
Saint-Amand-de-Boixe. Le chef de corps signale qu’une colonne motorisée allemande très
importante s’écoule vers le sud depuis le matin par la route Poitiers-Angoulême. Un peloton de
chars est au contact, des prisonniers viennent d’être faits à Saint-Angeau à quelques centaines de
mètres de Saint-Amand. Un examen montre qu’ils appartiennent à deux divisions : la 9° PZ div.
et une division légère (cf. rapport du lieutenant Lacroix).

Le général Weygand Rapport du Lt Lacroix : Compte rendu sur les opérations du 24 juin.
« [...] Le régiment continue son mouvement de repli sur l’itinéraire :
Verteuil-Pocouture-Valence-Saint-Angeau [...] Vers 10 heures, la colonne s’arrête à l’entrée de
Saint-Angeau, les habitants ayant signalé. quelques Allemands dans le village. Le CDC donne
l’ordre [..] envoyer une reconnaissance dans le village et une deuxième jusqu’à la route de
Mansle. L’adjudant Coquis [...] arrive le premier à la mairie où il arrête l’officier allemand qui
s’y trouvait [...]
» Après un temps d’arrêt pendant cette prise, tous les Somua poursuivent leur
reconnaissance [..] Le Lt Lacroix, monté sur le marchepied du premier char, arrête un convoi de
quatre ambulances et un side-car allemand transportant des prisonniers français jusqu’à
Saint-Angeau. Après avoir désarmé les soldats allemands, il fait conduire ce convoi jusqu’à la
mairie où les hommes seront gardés par les gendarmes de la localité et les ambulances mises à la
disposition du service sanitaire du régiment [...]
» Le dispositif est le suivant :
— un char (B/C Timoléon) tient le carrefour ©. de Saint-Angeau ;
— un char (MDL Perreau) plus deux motos au carrefour E. de Puyreaux ;
— un char (B/C Chabrat) au carrefour ©. de Puyreaux ;
— deux chars (MDL Darneau et Véron) au carrefour de Manles sur N 10.
» À Mansles, le bouchon formé par les deux chars arrête le passage de quatre side-cars et
d’un motocycliste qui abandonnent leurs véhicules en essayant de fuir à pied. Quatre ou cinq
d’entre eux tombent entre nos mains [...] Quelques instants après, une voiture tout terrain
ennemie franchit le pont de la Charente et s’arrête à 200 m des chars. Le char du MDL Véron tire
sur la voiture ennemie qui est détruite [...] Une voiture ennemie s’approche du village, elle est
détruite par le char du MDL Darneau [...] Un nouveau dispositif de sécurité est pris aux lisières
de Saint-Angeau en liaison avec un peloton motocycliste du 8° cuirs. Il n’y a plus eu de contact
jusqu’au départ du détachement qui a formé l’arrière-garde du régiment jusqu’à
Saint-Adjutory [...] »
A l’issue de la campagne 39-40, les deux commandants des deux groupes d’escadrons
déploreront, de façon unanime, l’emploi de leurs chars.
Ceux-ci ont toujours été utilisés en soutien de l’infanterie et jamais engagés groupés.
« [...] Le 13 RD aura fait son devoir jusqu’à la fin. Le 29 juin, le général Weygand préside
une prise d’armes avant de prononcer la dissolution de la division. En moins de cent cinquante
ans, c’est le troisième drame qui ébranle notre armée. Le général Weygand nous a réunis ; il est
très ému, c’est la première fois qu’il salue le drapeau depuis les derniers événements, et il nous
dit combien il lui a été pénible, à lui en particulier, de consentir à cet armistice, alors que, il y a
vingt-deux ans, c’était lui qui avait lu les conditions aux côtés du maréchal Foch [...] Cependant,
cet armistice, il l’a proposé au gouvernement depuis le 12 juin, date à laquelle il a estimé tout
perdu. Il regrette de ne pas avoir été écouté, car les conditions auraient été moins dures, la
France moins envahie ; mais c’est du passé. Les Allemands, ajoute-t-il, ont été complètement
muets sur les conditions de paix. A son avis elles seront sévères et dures [...] Il remercie l’armée
pour ce qu’elle a fait et nous indique, à nous officiers, quelle sera nôtre tâche, quel que soit notre
emploi dans l’armée ou dans la vie civile. Il nous assure, tant qu’il sera là, qu’il fera tout pour
nous, ses frères d’armes, et prévoit déjà qu’un certain nombre d’entre nous rendus à la vie civile
pourront trouver utilement à s’employer [...]. » |
C’est fini, le Général salue et repart. Le 13° RD est dissous le 11 juillet 1940. De l’autre côté
de la Manche, une voix s’est élevée pour appeler les Français à continuer le combat.

95
LA RENAISSANCE

En 1944, le temps est loin où l’ Angleterre lutte pour sa survie seule contre la totalité des
forces de l’ Axe. Comme au début du siècle, la guerre est devenue mondiale. Mais pour Hitler,
Tojo et Mussolini, le vent de la défaite souffle des steppes d'Ukraine aux atolls du Pacifique, et
le Khamsin d’Afrique du Nord balaie l’Italie. La machine américaine tourne à plein régime et la
puissance de l’armée Rouge est à son apogée. La défaite est inéluctable. Ce n’est qu’une
question de temps. Au mois de novembre 1944, les Russes sont aux portes de la Prusse,
l’aviation stratégique alliée pilonne l’industrie allemande et les débarquements de Normandie et
de Provence ont permis la libération de la majorité du territoire national. Seuls subsistent le
problème de l’Alsace, « terre d’empire », et celui des poches de l’Atlantique : Royan et La
Rochelle. Le général de Gaulle va mettre un point d’honneur à ce que ces villes soient délivrées
par des forces uniquement françaises :
« Les poches allemandes doivent être, et seront, réduites par la force. Une division blindée
française sera acheminée ici dans un délai que je ne puis préciser, mais qui sera bref.
» Pour l’instant, j’autorise qu’une action d’intimidation soit poursuivie afin d’inciter
l’ennemi à s’abstenir de tout sévice et de toutes destructions dans les poches.
» J’insiste sur le fait que les pourparlers ne devront jamais revêtir le caractère d’une
négociation. C’est par une attitude ferme, au besoin par la menace, et dans le sentiment que nous
sommes les vainqueurs que l’ennemi devra être amené à composition. »
En fonction de cette instruction, les opérations militaires sont confiées, à partir du
22 octobre, au général de Larminat qui dispose pour les mener à bien des FFI de la région, d’une
valeur militaire incertaine, déchirés en factions rivales très engagées politiquement et parfois
Insigne de la 2° DB
d’origine douteuse. En attendant la 2° DB de Leclerc, il reçoit le renfort de régiments mis en
sommeil à l’issue de l’armistice et réactivés pour être amalgamés aux unités de la prestigieuse
1" armée du général de Lattre. Le 13° régiment de dragons est de ceux-là.

De gauche à droite et de haut en bas : - X - A. Charles - B. Périgault ; 2° rang (seul) : Lucuran ; 3° rang : G. Grolleau, Mdl
JM. Marion, Hennecart, Doucet, Marchand, L. Couchouron, P. Nidras ; (seul) P. Bonanni ; accroupis : R. Doucet, G. Brune,
R.Greff, M. Lejeune

Issu de la Résistance

Pour conserver les glorieuses traditions du 13° RD et assurer le regroupement de ses


anciens combattants, une association a fonctionné clandestinement à Paris pendant la période
d’occupation. Placée sous l’égide du colonel Juin de Bayssé et dirigée par le sous-lieutenant
Verneret, elle a regroupé tous les combattants de Belgique et de France, et entretenu en eux
l’esprit de corps.
C’est en grande partie à cette association qu’est due la reconstruction du 13° RD. Dès la
libération de la France, quelques officiers restés en liaison entre eux avaient appris qu’un noyau
de résistance avait été organisé sur des bases militaires dans la région d'Orléans. Conjointement,
des chars de modèle français, en assez grand nombre, avaient été abandonnés intacts par les
Allemands en retraite au parc de Gien. L’idée leur vint alors de reformer leur ancien régiment
avec ces éléments. Après des démarches en ce sens effectuées avec les diverses autorités
militaires, une dépêche ministérielle du 7 octobre 1944 reconstituait le 13° RD comme régiment
de chars et lui donnait pour commandant le chef d’escadrons Lesage.
Le deuxième noyau du corps fut formé avec un groupement FFI régional dénommé
“groupe Lebrun”, du nom de son chef, le lieutenant Lebrun, ancien adjudant-chef du 5° RD. Ce
groupe, du 1°’janvier 1943 à août 1944, mena des actions de renseignement, d'aménagements
logistiques divers, de propagande, de missions spéciales de liaison avec l’armée américaine et
de combats lors de la libération de la ville d'Orléans [...] En remerciement pour son activité, le
général Delmas commandant la 5° région, a tenu à remettre personnellement un fanion au
groupe Lebrun.
Un troisième noyau fut constitué à partir des éléments issus du « réseau Vermillon »
(Bureau « SM » 407), avec le commandant Lesage,le lieutenant Grouvel et le maréchal des
logis Marion.
Dernier régiment de chars des trois DLM à poursuivre le combat avec ses derniers blindés
jusqu’à la fin de juin 1940, le 13° RD sera le premier régiment blindé à reprendre place dans
l’armée de métropole reconstituée en 1944.

Insigne en feutre de béret

L’ESCADRON SOMUA

A partir du 15 novembre 1944, le nouveau 13° RD est en formation à Orléans. A vrai dire,
c’est une ébauche de régiment : les officiers arrivent au compte-gouttes, les sous-officiers et
soldats par petits paquets, engagés et rappelés des classes 38 à 40. Le noyau du régiment est formé
par le groupe FFI du Lt Lebrun. Au 16 octobre 1944, sous le commandement du chef d’escadrons
Lesage, il comprend 15 officiers, 17 sous-officiers et 24 soldats ! A ses débuts, il aligne deux
escadrons : un de Somua, un de chars B1 Bis. Un troisième escadron sera créé le 18 décembre
1944 puis un quatrième le 18 janvier 1945. Un escadron hors rang complète le TED du 13°.
C’est vraiment une période difficile. Les officiers sont chargés de missions diverses et
provisoires. On manque de spécialistes « blindés », il faut tout organiser et créer, pourvoir aux
besoins élémentaires du casernement et de l’intendance. Le matériel est à l’unisson et le parc
automobile dans un état de décomposition avancé. Il comprend en tout et pour tout : une Simca 5
pour le commandant, une petite Opel ferraillante abandonnée par les Allemands durant leur
retraite et douze chars Somua dont certains ont fait la campagne de Russie ! L'ensemble est
stocké dans un manège au milieu d’un monceau de déchets de toutes sortes. Des chars BI Bis
sont envoyés par le dépôt de Gien.
« Les officiers et sous-officiers seront vraisemblablement les cavaliers, même s’ils n’ont
jamais servi ce matériel ; car le personnel “char d’origine” ira sur le matériel BI Bis.
» [...] Mais tout cela ni confirmé, ni précis, ni surtout avancé. Les hommes arrivent au
compte-gouttes, il n’y a point d’armes, point d'équipements. Il est considéré en ces temps
d’extrême dénuement comme un succès de pouvoir (malgré l’intendance) remettre à chaque
homme : une vareuse, un pantalon, une paire de chaussures, une chemise, un caleçon, un
mouchoir et un béret. Le tout neuf, et un manteau, ou plus exactement ce qui avait été autrefois
une capote. »
Cet extrait du JMO du 1° escadron précise encore que les Somua partiront « pour les
armées » avec cet équipement minimal, les hommes n’étant bien souvent qu’à moitié habillés.
Les fusils, les casques et les brosses devant être fournis, comme le matériel lourd et les dotations
parcimonieuses de munitions, par le secteur d’opérations et selon les récupérations effectuées.
Au 1° escadron du capitaine d’Aboville, tout est à créer : il n’y a pas d’adjudant
d’escadron, pas de comptable, pas de fourrier, pas de secrétaire. Un sous-officier de semaine
aidé d’un planton est chargé de « faire tourner la boutique » ! Mais les gros problèmes restent
l’amalgame et la motivation :
« Le personnel, peu nombreux encore, est peu homogène. De tous jeunes hommes n’ont
jamais servi que quelques semaines ou quelques mois. Quant aux vétérans des FFI ou du maquis,
ils auraient besoin d’un dressage sérieux et complet.
» D’autres sont rappelés des chars. Il suffirait de leur rafraîchir la mémoire, pour ceux qui
ont servi les Somua, ou de les adapter, pour ceux qui ont servi l’Hotchkiss 35 ou le Renault 35.
Mais ils sont aussi très rares.
» Enfin, des rappelés de toutes armes forment le gros de la petite troupe. Leur instruction
est à faire entièrement. Les rappelés ont été désagréablement surpris de leur rappel, ils ne
comprennent pas pourquoi les jeunes restent chez eux, ils ne comprennent pas la nécessité de
faire des régiments, puisque l’Allemagne s’écroule ; surtout, n’étant pas spécialistes, ils ne
comprennent pas ce que l’on va faire d’eux, pourquoi on les rappelle dans la cavalerie. »
À compter du 1° décembre, le commandant Lesage pousse l’instruction des escadrons et
Fanion du capitaine d'Aboville - Royan 1944 commence à constituer des équipages de chars sur les Somua remis à neuf par la firme. Parmi les
plus heureux, les équipages affectés aux vétérans de Russie. Fièrement juchés sur leurs « bêtes »,
les dragons ne passent pas inaperçus : les Allemands ayant peint les Somua en jaune ou les ayant

97
camouflés avec une sorte de ciment ! (1) Le 13 décembre, les escadrons font leurs premiers pas
en configuration opérationnelle :
« L'ensemble forme un petit carrousel peu impressionnant : les chars hésitent, calent, virent
brutalement. On avait craint en ville pour les accidents, on tremble maintenant pour les embrayages.
La journée se passera cependant sans accident ni incident. Seul un trottoir en conservera souvenir et
un trou tant qu’on n'aura pas refait sa bordure abîmée par une chenille. Cette première sortie n’est
pas encourageante : il n’y a presque pas de conducteurs, presque pas de spécialistes, peu d’hommes
ayant une formation militaire et encore moins connaissant la mécanique. Il faudra donc des mois
pour que le régiment soit prêt. Le travail semble énorme et le résultat si loin, »
Fanion de commandement du lieutenant-colonel
Lesage
Les poches de l’Atlantique

Pourtant, malgré les difficultés de toutes sortes : tirer sans armes individuelles et faute de
munitions pour les armes de tourelle, rouler sans essence, le régiment respecte son programme et
effectue sa montée en puissance. Quelques alertes et faux départs occasionnent une certaine
effervescence, surtout à l’approche de Noël: Finalement, le 27 décembre, le 1°" escadron
embarque en gare d’Orléans : seize chars Somua, quatre camions disparates, un tracteur Somua
et le cabriolet 302 du capitaine ! Le 28, il débarque à Cognac et s’installe à Burie, à quelques
kilomètres de la ville, où il parfait son entraînement en vue de son engagement prochain sous les
ordres du général de Larminat. à
Si l’ambiance n’est pas encore très guerrière, l’esprit est néanmoins excellent ; les délices
de la région y sont pour beaucoup. Mais le 15 janvier 1945, alerte ! C’est pour le 1° escadron.
La base arrière reste à Lonlay. Les 14 S font mouvement sur Marans où des renseignements FFI
font état d’une contre-attaque allemande à partir du camp retranché de La Rochelle. En fait, il ne
s’agit que d’un raid de ravitaillement au cours duquel les Allemands ont bousculé les FFI et pillé
des fermes avant de retourner à La Rochelle. L’escadron du « 13 » n’aura pas encore son
baptême du feu. Le 28 février, il reçoit l’ordre de se porter sur Mauzé.
L'affaire a l’air de se préciser. Les Somua se déploient et se camouflent derrière les haïes,
car l’ Allemand dispose de l’artillerie et encore un peu d’aviation qui gêne les mouvements sur
les axes routiers. Ses unités sont enterrées à proximité de Ferrières. Cette fois, il n’y a pas de
doute ; la guerre est là. Des scènes vécues en 40 : on voit passer sur la route des habitants qui
fuient la canonnade, des voitures, des chevaux, du bétail évacué des bourgs avoisinants. A
contre-courant, les « S » montent en ligne. Avec lui, le 3° bataillon de zouaves.
Ensemble, dragons et zouaves vont mener la contre-attaque contre les éléments de la
Wehrmacht qui se sont infiltrés dans la région. L’escadron du 13° RD doit appuyer sur
Saint-Jean-de-Liversay et sur Luché afin de traiter des nids de résistance pourvus d’armes
automatiques et antichars. Au cours de ces actions, les dragons essuient des tirs de « snipers » qui
blessent un sous-officier. Toutefois, l’ennemi s’est solidement retranché dans Luché et dans les haies
nombreuses qui bordent le village. Aux 47 des Somua répondent les mitrailleuses lourdes de 20 mm.
Le tir devient de plus en plus nourri et les Allemands font venir des renforts. Craignant
l’encerclement, ils demandent des tirs d’artillerie par fusées. D’abord longs, les coups se font de plus
en plus précis et obligent l’escadron à se replier. Le lendemain, lorsque les « S » et les zouaves
contre-attaquent, fermement décidés à enlever la position, ils trouvent celle-ci vide de tout ennemi ;
les Allemands se sont retirés pendant la nuit pour s’enfermer dans La Rochelle.
Le 2 avril 1945, le 2° escadron, enfin complet en personnels, armes et matériels, quitte
Orléans et est mis à la disposition du détachement d’armée de l’Atlantique, secteur des FFRY, et
affecté à la division Gironde. Le 3 avril, le 1/13° RD le rejoint, venant des FFAU, et compose
avec son cadet le groupement blindé de Gironde. A partir du 14 avril, les escadrons participent à
l’opération « Vénérable » (libération de Royan) dans le cadre du groupement sud : prise de
Le brigadier Pierre Bonanni Semussac, château de Didonne, Merschers et nettoyage de toute la région de Saint-
Georges-de-Didonne.
Dès le début de l’action, les unités se heurtent à un ennemi solidement retranché et d’autant
plus déterminé que le « bombing » des Anglo-Américains du mois de janvier, qui a tué plus de
civils que d’Allemands, a raffermi la résolution de ces derniers à tenir le plus longtemps possible
sans esprit de reddition. Après une préparation d’artillerie de courte durée, les pelotons du
13° RD franchissent les barrages de mines et les positions AP allemandes. Semussac et le
château de Didonne tombent, créant une brèche de 1 200 mètres dans le dispositif ennemi. Le
14, à 13 heures, le 1/13° RD a conquis environ 7 km d’AP allemands. Il se heurte maintenant aux
positions fortifiées de Royan. Le 15, un bombardement aérien intense sur les défenses de la
pointe de Suzac et un tir d’artillerie exécuté par les 75 des Shermann de la 2° DB remplissent de
joie les anciens de 40 qui, pour une fois, se trouvent « du bon côté du manche ». Il prélude à
Plaque d’immatriculation du brigadier Pierre l’assaut sur la principale ceinture fortifiée de Royan. Au loin, le bleu de la mer ; tout près, le
Bonnani

(1) En fait, un revêtement destiné à empêcher l’action des systèmes magnétiques A/C. « Zimmeriz ? »
98
La revanche : Royan

Devant Royan.

Colonne de chars en attente à Royan

Dans Royan.

Somua devant Royan

Somua après la bataille


camouflage rose des Somua destiné à éviter les erreurs de l’aviation alliée. A côté, des pelotons
du 18° chasseurs procèdent à des tirs de V 4. Explication selon le JMO du 1/13° RD :
« Ces engins sont mal lancés ou pas au point. Ils tombent très près, sûrement pas sur le
Teuton qui est vraisemblablement le destinataire. Heureusement, les gens du 18° chasseurs
passent sans doute à une autre activité, car après quelques essais que le succès n’a pas couronné,
ils n’envoient plus de ces curieuses choses qui sont des obus de gros calibre, à l’arrière desquels
était placée une charge. Le projectile était placé dans une gouttière servant à le guider. Mise à feu
dangereuse et faute de tube directeur et de rayures à ce dernier, le projectile partait dans toutes
les directions, parfois basculait en l’air et revenait en arrière. A la suite de tirs qui tuèrent et
blessèrent les artificiers improvisés du 18° chasseurs, cette utilisation type bricoleur de
récupération de munitions dépourvues de tube de lancement fut abandonnée. »
Après la prise de Meschers, le 1/13° RD stationne dans la localité en attente de directives. Il
semble que le 2/13, qui tient statiquement les sorties de Didonne, ait éprouvé de lourdes pertes.
Le 16 avril, le 13° RD se porte en direction de Pontaillac en soutien du 3/4° zouaves, qui a
dépassé Royan libéré et s’attaque au PC de l’amiral Michahelles, patron du réduit allemand de
Royan. Les Allemands sont très actifs, les snipers et les « croqueurs de chars », des vétérans du
front de l’Est « au repos » dans la zone, témoignent de leur efficacité : ici une balle dans la tête
d’un observateur hors tourelle, là une charge explose à l’arrière d’un BI Bis calée entre le
blindage arrière et le rouleau de toile de tente serré à l’extérieur.. Dans la nuit du 16 au 17 avril,
l’amiral Michahelles entame les pourparlers de sa reddition. C’est le 2° escadron de BI Bis du
Maréchal des Logis Marion
capitaine Wuillaume qui la recevra en même temps que le poignard de la Kriegsmarine de
l’amiral. Elle vaudra la Légion d’honneur au capitaine Wuillaume.
Le 18 avril, le 1/13° est détaché à la brigade Médoc pour appuyer les troupes qui libèrent la pointe
de Graves. Dans la journée, l’escadron participe à l’attaque de Soulac en compagnie de l’infanterie FFI.
Un ouvrage bien protégé interdit le croisement des routes de Vieux-Soulac et du Verdon. Imposant, il
domine le paysage ; pourtant, lorsque les 1” et 2° pelotons du 1/13 se rejoignent sur l’objectif, les
Allemandsse rendent sans tirer un coup de fusil. C’est maintenant au fort des Huttes d’être investi :
« De l’autre côté de la voie ferrée, à l’ouest, le 3° peloton ‘appuyait vigoureusement l’infanterie,

Perault sur Somua

à la droite des Espagnols qui progressent sur la plage (bonne troupe). Ne pouvant pénétrer avec
ses chars dans le fort des Huttes, l’aspirant Ollier met pied à terre et emmène l’infanterie jusque dans
le fort. Il est alors blessé au bras. Sa décision énergique a remis de l’ordre, donné l’impulsion et
enlevé l’affaire qui eut pu traîner indéfiniment. Il est environ 18 heures. »
100
Le 20 avril, les « S » se heurtent aux bunkers de la ceinture côtière, prolongement du fameux
mur de l’Atlantique. Bien protégés par des bois, des dunes, des mines et des obstacles de toutes
sortes, ils apparaissent redoutables. Pourtant, le MDL Guiblet réussit à s’emparer sans coup férir de
l’un d’eux, capturant un colonel, quinze officiers et soixante-quinze soldats. Enfin, le lieutenant
Bertoleaud se rend maître de « l’ouvrage 305 », au Verdon, dernier point de résistance de la pointe de
Graves. A 19 heures, l’escadron est rassemblé sur le terrain de football de Soulac pour un bivouac
victorieux, préparant la prise d’armes du lendemain ef la remise des citations.

Opération amphibie

A nouveau, le 13° RD va être dispersé. Le 30 avril, la nuit même où Hitler se suicide dans
son bunker, le 2° escadron BI bis est détaché à la division de marche d’Anselme pour participer à
l’opération « Mousquetaire » qui doit permettre la libération de La Rochelle. Il est affecté au
groupement d’attaque qui enlève Thaire, La Gravelle et La Gigogne. A la même date, le 13° RD
prépare l’opération « Jupiter », sorte d’assaut naval lancé de façon empirique et avec les moyens
Patte de col
du bord contre l’île d'Oléron. En voici le récit selon le JMO du 1/13° RD :

TROT
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La
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Pt
DT
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Le

« Dès l’arrivée du capitaine, le chef du 1° peloton, le lieutenant de Chalambert, part


avec lui sur la plage de Marennes. On part de la Coyeune, des officiers du génie leur
montrent le quai d'embarquement, les radeaux confectionnés par eux pour le transport des
chars. Deux sont faits avec des bateaux, deux avec des fûts d’essence. Un exercice
d'embarquement est prévu pour l’après-midi à titre d’essai.
» Dans l’après-midi, le char “Bacchus”, camouflé à l’aide de couvertures qui cachent son canon
et en font une masse quelconque, est amené au quai d’embarquement. Le temps est exécrable. On le
place sans encombre sur le radeau (planches plus fûts métalliques). L'ensemble flotte. »
A noter qu’au cours des différents essais qui ont eu lieu, et après le naufrage d’un Bren-Carrier,
les radeaux confectionnés à l’aide de bateaux furent abandonnés sur ordre du général de Larminat.
Le 30 avril à 6 heures, le 1° peloton est sur le quai d'embarquement ; l'infanterie a pris
place à bord des « landing-craft ». L’artillerie, de grosses pièces américaines, tire sans

101
Avril 1945 - char Somua du 1°” escadron

discontinuer depuis la veille. Des navires de guerre français, dont un vieux cuirassé embossé au nord
de l’île, participent également au bombardement ; mais leur tirant d’eau ne leur permet pas
d’approcher des plages. L’aviation, des Marauders aux couleurs françaises venus de Saint-Dizier,
participent à la curée, prenant principalement la citadelle et les ouvrages allemands pour cible.
« Il faut attendre la marée montante. Enfin à 9 heures, les chars Atlas et Hercule
embarquent. Hercule sera remorqué par le Cognac et Atlas par deux LCM jumelés au radeau. A
noter un retard important dû au fait que l’officier de plage voulant faire approcher le remorqueur
avait donné l’ordre : envoyez le Cognac, par radio. Au large rien ne bougeait. Enfin, après un
temps qui parut fort long, une plate sur laquelle un marin barbu godillait vigoureusement venait
s’échouer aux pieds de l’officier de plage. Ce dernier furibond : Qu’est ce que vous venez foutre
ici ? — J’apporte le cognac, répond le mataf, embrassant une magnifique marie-jeanne pleine —
Joie folle des journalistes se précipitant sur leurs carnets pour noter cet incident truculent. »

Embarquement à Marennes

102
Toutefois, il ne faut surtout pas croire que la libération de l’île d'Oléron ne fut qu’une
aimable pantalonnade, des résistances sérieuses existaient à Saint-Pierre-d’Oléron. A la pointe
sud de l’île, les Allemands se sont retranchés derrière un champ de mines et l’infanterie doit
conquérir et déminer une tête de pont. Sur la route de la Giraudière, les « S » des dragons sont
mis à la disposition du 131° RI (FFI). La mission est, en gros, de précéder l’avant-garde du
bataillon sur l’axe La Giraudière-Dolus.
« Jusqu’à Dolus, les chars qui précèdent largement l’infanterie ne rencontrent rien. Le chef
du peloton de chars avec ses équipes de choc juchées sur le persiennage décide de pousser
rapidement, jusqu’à ce qu’il tombe sur du gros. Il tâchera alors d’éclaircir la situation, s’il
n’arrive à la règler seul en attendant l’infanterie.
» A hauteur de l’Echardière, alors qu’il allait faire un à droite pour se diriger sur Saint-Pierre,
des hommes à brassard tricolore surgissent d’un fossé. Ce sont les premiers FFI rencontrés, leur
action de renseignement précis et de guides sera très précieuse. Ils signalent une résistance organisée
dans la ferme de La Thibaudière : deux mitrailleuses de 20, des panzerfaust. »
v 7 Cette résistance est rapidement détruite par un petit groupement blindé. Deux officiers et
À trente-huit hommes se rendent. Sur la pointe des Boulassiers, une batterie dépose les armes sans
combattre. Un officier et quarante-cinq hommes sont faits prisonniers. Puis les chars rentrent
dans Saint-Pierre libéré où ils sont acclamés par la population.

12/15 mai 1945, Meung-sur-Loire : embarquement des BI bis

Trois frères au 13° RD


La fin de la guerre

Au début du mois de mai, le régiment est remis à la disposition du ministère de la Guerre.


Les chars Somua, qui se sont distingués lors de la réduction des « poches de l’Atlantique », sont
reversés. Ils vont équiper la gendarmerie mobile engagée dans des opérations de maintien de
l’ordre en Tunisie.
Au 31 mai 1945, le 13° RD compte : 26 officiers, 128 sous-officiers et 771 dragons.
Equipement : 9 chars Cavalier anglais, 15 Somua (en instance de reversement) et 31 chars
BI bis. Armement collectif : 3 mortiers de 81, 2 canons PAK de 75, 2 FM anglais. Armement
individuel : 239 mitraillettes, 321 MAS 36. Après avoir opéré sa reconversion partielle sur
matériel anglais, le régiment rejoint, à Orléans, le quartier Châtillon. Peu de temps avant la fin
de la guerre, le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire, remet leurs emblèmes
aux régiments issus de la nouvelle armée française victorieuse.

« [...] Depuis sept mois, le régiment reconstitué attendait que lui soit rendu son étendard.
Celui-ci, conservé par le 8° cuirs en 1940, avait été rapporté en octobre, à Orléans, au général
commandant la 5° RM, mais avait été envoyé à Paris, le général de Gaulle désirant remettre
lui-même leurs drapeaux et étendards aux régiments reconstitués. Fin mars 1945, le 13° RD fut
informé [...] le 2 avril [...] le général remettrait lui-même à tous les chefs de corps les insignes de
leurs unités [...]
» Le chef d’escadrons Lesage associait dans la garde trois des anciens de 40 qui avaient
répondu à son appel en octobre de cette année : Lt Verneret, Adj. Marchal et Bg. Caille, et trois
nouveaux : major-chef Jean, Bg. Péron et Thiais, de l’escadron B1 Bis qui, quelques jours plus
tard, allait partir au front de l’Atlantique.

Défilé de la victoire à Orléans

» Le 2 avril, les étendards non déployés furent done apportés des Invalides à la place de la
Concorde où, face à l’avenue des Champs-Elysées, sur une haute tribune, se tenaient le général

104
de Gaulle et le ministre de la Guerre. Le général remit personnellement l’étendard du 13°, où
était épinglée la croix de guerre 39-45, au Cdt Lesage [...] »
» [...[ Le 5 mai 1945, le Cdt Lesage [...] présenta l’étendard au régiment [...] Une prise d’armes
eut lieu au château de La Charbonnière, cantonnement des escadrons de combat {...] Y assistaient : le
général Delmas, commandant la 5° RM, le général de Bazelaire, inspecteur de l'ABC [...] L'étendard
fut présenté à la troupe et le commandant Lesage retraça les pages glorieuses du 13°.

Insigne de la 3° DB
» La Légion d'honneur fut remise à Mme Hanus, MM. Mennesson et Paul-Albert, femme
et pères des trois officiers du 1°” escadron commandé par le capitaine Lesage pendant la guerre
de 39-40, et tous trois tués à l'ennemi, le premier dans le maquis. La médaille Militaire fut
décernée à l'Adj. Beaudoin, ancien du 13°. Le Lieutenant Ortel reçut la Légion d'honneur pour
sa belle conduite devant le front de Royan. Plusieurs croix de guerre furent remises pour
citations obtenues sur le front de l'Atlantique.
» Le jeune fils du chef d’escadrons de Bellecombe, ancien du 13°, reçut la croix de guerre
décernée à son père, martyrisé par les Allemands en 1944 [...] »

A 4 4, 4
$ mai 1945, à la Charbonnière, le cdt Lesage
présente le régiment et certains dragons parmi
les plus Yaillants

Le 8 mai 1945, au moment même où l'Allemagne capitule, le 13° RD défile en chars à


Orléans et, dès la fin du mois, il se prépare à partir pour la zone d'occupation française en
Allemagne et fait mouvement vers Wittlich (Rhénanie-Palatinat), en train, de Meung-sur-Loire à
Saint-Wendel (Sarre), puis il poursuit par voie routière après un passage au camp de Baumholder
et le franchissement de la Moselle sur un pont de bateaux à Bernkastel. C’est un régiment blindé
de bonne tenue qui rejoint sa nouvelle garnison bien que ses véhicules et ses matériels soient
hétéroclites (chars Centaure, Cavalier, BI bis, Bren Carrier... ). [l fera partie des forces
occupantes jusqu’en avril 1946, date de sa dissolution. Ses effectifs engagés seront reclassés au
6° chasseurs d'Afrique, au 11° chasseurs et à la 25° division aéroportée.
105
Classe 43. Peloton du lieutenant Verneret - 2° en partant de la droite : A. Charles

LA BREVE
REAPPARITION DE 1948

Le 15 avril 1948, le 13° régiment de dragons est reformé à Alençon. Son chef de corps est le
lieutenant-colonel Marcel-Marie André Henry. C’est une unité blindée spécialisée dans le
combat antichar. Il ne compte pas moins de six escadrons de chasseurs de chars équipés de TD («
Tank destroyer »).
Malheureusement, la réorganisation de l’armée de terre française entraîne une nouvelle fois
sa dissolution au mois d’octobre de cette même année.

Le tank Destroyer M 10

106
Le drame algérien

mise de l’ancien étendard du 13 par le général Jousse, Dans les années 50, l’aide matérielle et financière américaine qui se manifeste aussi bien en
t la 5° RM, au colonel Roland - Castres 1952 Extrême-Orient qu’en métropole permet de donner un nouvel essor à l’armée française. La
division aéroportée est reconstituée. Mais l’effort consenti au profit du corps de bataille blindé et
mécanisé du théâtre Centre-Europe dénature les structures de Diap ; et c’est ainsi qu’elle intègre
des unités blindées, parmi lesquelles le 13° régiment de dragons recréé dans le Sud-Ouest.
Equipé successivement de chars Sherman, puis de Pershing et enfin des tous nouveaux AMX 13,
il participe, sous le commandement du colonel Roland, à toutes les grandes manœuvres
combinées avec les moyens américains. A Castres, la vie quotidienne s’écoule au rythme des
activités de garnison : entraînement, instruction technique, sport, inspections, visites, dont celle
du général Ridgeway, prises d’armes, présentation de l’étendard aux recrues … A cette époque,
les dragons portent le béret bleu des « para-métro ».

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Présentation de l'étendard par le général Jousse

Le 13° dragons a été recréé à Castres le 1° octobre 1952. Le colonel Roland avertit le
président de l’ Amicale des anciens combattants du 13° que la cérémonie de la remise de
l’étendard aura lieu début juin 1953. Il sollicite sa venue à Castres, accompagné d’une
délégation. Composée du président Jallot et de Paris pour les anciens de 14/18, de Loiseau et de
Verneret pour ceux de 39-45, elle se rend à la cérémonie.
« [...] L’étendard du 13° RD est remis au président Jallot qui, entouré de ses camarades, se
tient au centre du dispositif. Sur le plateau du Causse, les blindés, les véhicules de
commandement et services, les escadrons à pied, la musique du 24° RIC, la fanfare du 13° [...]
Le général Jousse et le général Noiret [...] le présidernit Jallot présente l’étendard au Gal. Jousse
qui le remet au colonel Roland, qui le confie à son tour au Lt. Noël, porte-étendard du
régiment. »
107
Les dragons-parachutistes en Kabylie

En 1955, tout change. Depuis le 1° novembre 1954, la Toussaint sanglante, l’ Algérie est en
proie à la rébellion ; et à cette époque charnière de la fin du conflit indochinois, indéniablement
le FLN à l'initiative. Le contrôle de la situation et des points névralgiques du territoire demande
de plus en plus d’effectifs. La France va devoir s’engager entièrement dans une nouvelle guerre,
dont elle refuse le nom. ;
Le 7 septembre 1955, le 13° RDP reçoit l’ordre de se préparer à faire mouvement sur
l'Algérie ; il faut se rendre à l’évidence, le stade du terrorisme est dépassé. Les opérations n’ont
plus de police que le nom..Avec l’envoi des unités métropolitaines et le rappel de 60 000
réservistes des classes 52 et 53, la « pacification » de l’ Algérie commence. Pour le 13° RDP , il
s’agit d’une reconversion. Il laisse sur place ses Pershing et ses AMX pour se doter de
38 automitrailleuses M8, devenant ainsi régiment de reconnaissance. Le 16, il complète sa
dotation avec 102 Jeep, des Dodge, des GMC ; puis il défile en configuration opérationnelle
devant le général Lehr, inspecteur de l’ ABC. L’embarquement commence le 23 septembre sur
deux bateaux : le Lecomte-de-l'Isle pour les 35 officiers, 142 sous-officiers et 733 gradés et
dragons ; le Couesnon pour le matériel. Le 26 septembre, le régiment est regroupé à
Maison-Blanche, dans les faubourgs d’Alger. Mis à la disposition de la 27° DIA, il fait aussitôt
mouvement sur la Kabylie, où la division relève la 2° DIM et se déploie de la manière suivante :
à Palestro, le colonel, le chef du sous-secteur, l’ECS et les services ; à El Esnam, le 2° escadron,
à Dra El Mizan, le 3° escadron, à Oued Aïssi, le 4° escadron. Ces unités ayant à travailler
souvent loin de Palestro et du PC, elles sont dotées d’une infrastructure allégée qui leur permet
une certaine autonomie, notamment pour la logistique et les matériels. Le 1°" escadron est resté
en dépôt à Castres où il assure l’instruction du contingent et l’entretien des matériels « mob ».

108
ORDRE DE BATAILLE
(15 septembre 1955)

ETAT-MAJOR

Lieutenant-colonel Audemard d’Alançon


Commandant en second : lieutenant-colonel Pallu
Emploi : commandant Coupe
Organisation : commandant Tramond, capitaine Gary
Renseignement : lieutenant Tostain
Officier auto : capitaine Jacquier
v Médecin-chef : médecin-commandant Reilhe

ECS 3° escadron
Capitaine Perret Capitaine Compain
Lieutenant Alezeau (trans.) Sous-lieutenant Laporte (officier adjoint)
Sous-lieutenant Gaget (pton reco-orientat.) Lieutenant Force (chef
de peloton)
Sous-lieutenant Renolleau (pton échelon) Sous-lieutenant Layatte (chef de peloton)
Sous-lieutenant Rossignal (pton SA) Sous-lieutenant Landos (chef de peloton)
Sous-lieutenant Besnard (ST) Sous-lieutenant Chapalain (chef de peloton)
Sous-lieutenant Boutet (dépannage) Adjudant-chef Fouillade (officier échelon)
Adjudant Labarrère (pton transport)
Adjudant-chef Desqueyrons (trésorier)
Adjudant-chef Plonquet (matériel)

2° escadron £ escadron
Capitaine Fredizzi Capitaine Bellan
Lieutenant Bouillot (chef de peloton) Lieutenant Laize (chef de peloton)
Sous-lieutenant Bidaux (chef de peloton) Lieutenant Boyer (chef de peloton)
Sous-lieutenant Lafabrie (chef de peloton) Sous-lieutenant Junier (chef de peloton)
Sous-lieutenant Gelle (chef de peloton)
Adjudant-chef Choisy (officier échelon)

Nouvelle mission. nouveau matériel

109
Au début de cette nouvelle campagne, le 13° RDP engage donc 122 sous-officiers et
hommes de troupe en Algérie. Restent au dépôt : 72 sous-officiers et 456 recrues. A partir du
3 octobre, les unités s’installent dans leurs zones d’action. Le 15, le régiment reçoit dix-sept
chars M24, à raison de quatre par escadron, sauf l’ECS qui en compte cinq. Les missions
peuvent commencer, à la diligence des commandants de sous-secteurs : escortes sur itinéraires,
reconnaissances de pistes et de routes, patrouilles et embuscades, réserve d’opération,
surveillance et garde de points sensibles. Seul un peloton de l’escadron du capitaine Beilan est
mis à la disposition du 2° Bureau pour former un commando divisionnaire destiné à
l’exploitation rapide du renseignement à cet échelon.
La deuxième quinzaine d’octobre voit le 13° RDP recevoir le baptême du feu et obtenir son
premier bilan lors de la fouille du village de Talesbout. Noël 1955 est endeuillé par le premier
mort en terre algérienne : le maréchal des logis-chef Poirier, mortellement blessé lors d’une
embuscade à Tafarout.
En fait, les choses sérieuses commencent réellement en 1956 avec l’opération « Chamois »
dans le douar Ait Yabia, où un HLL est tué et trois armes récupérées, puis le 19 février dans la
forêt de Litam, pour le même bilan. A partir du mois de mars, malgré l’intensification des
activités du FLN — poteaux sciés, routes coupées, attentats meurtriers contre les dispensaires et
les écoles—, l’initiative change de camp. Dans cette région qu’il a appris à connaître, le
régiment monte des embuscades, travaille sur renseignements. Dans ce genre de combat, le
commando divisionnaire du lieutenant Mengelle fait merveille. Fouilles surprises sur les
mechtas de Taguemount, embuscades dans le Djurdjura, des fellagha tués, d’autres faits
prisonniers : le FLN apprend à respecter ces commandos aux bérets bleus qui se déplacent la nuit
et surgissent là où on ne les attend pas, causant de sérieuses pertes aux katibas surprises dans les
zones de sécurité, récupérant leur armement. Les commandos ne sont pas en reste ; agissant sur
renseignement, le 1° mai, le 3° escadron monte un coup de main au petit jour. Il capture par
surprise un groupe de 15 rebelles qui se défendent avec l’énergie du désespoir. Soumis au feu
d’une AM 8 postée en soutien des pelotons à pied, les rebelles perdent sept des leurs, trois sont
capturés, dont le chef de la bande très grièvement blessé. Dix armes sont récupérées. Le 3 mai,
c’est une patrouille du 2° escadron, montée sur Jeep, qui tombe dans une embuscade tendue
entre Tizi-Réniff et Chabet el-Ameur. Les appelés font mieux que se défendre en infligeant de
sérieuses pertes aux fellagha. Trois sont tués, quatre armes sont récupérées. Une fois encore, la
qualité de l’entraînement a joué sur un réflexe, une poignée de seconde, un débarquement de
véhicule mille fois répété à l’exercice….
L'été de 1956 apporte de nombreux changements au régiment. Le 1° juin,le
lieutenant-colonel Pallu succède au colonel Audemard d’Alençon à la tête du régiment. La
numérotation des escadrons se décale d’un cran vers l’avant : le 2° devient le 1° qui lui-même,
en qualité d’escadron d’instruction, prend le numéro 4. Le 25 juin, ce dernier quitte le Larzac et
rejoint l’Algérie à bord du paquebot E/-Mansour. Au mois de juillet, cet escadron est organisé
sur le type « AFN », tandis que les autres reversent leurs Jeep pour être dotés de half-track qui
équiperont les pelotons portés.

110
Après l’opération « Aloès », c’est la saison des héliportages. Ajoutant une nouvelle
dimension à leur action, les dragons-parachutistes sont droppés sur les djebels de Bou-Zegga,
puis sur le douar Djennad. En octobre, dans cette même région et dans le douar d’Ifflissen, la
totalité du régiment est engagée dans le processus de démantèlement de l’organisation « K » ;
puis les 22-23 octobre, c’est l’opération « Beni-Smenzer » au cours de laquelle le maréchal des
logis Marchesi monte une embuscade particulièrement payante.
Hélas ! la fin de l’année sera moins heureuse. Le 4 décembre, c’est l’ennemi qui, pour une
fois, surprend le commando Mengelle : renseignements erronés, excès de confiance,
traquenard ? Nul ne le sait, toujours est-il que les pentes du djebel Aïssa-Mimoun retentissent
d’une violente fusillade. Le commando parvient à se dégager, mais un rebelle embusqué blesse
très grièvement le lieutenant Mengelle d’une décharge de chevrotine presque à bout portant ; et
bien que touché lui-même, il parvient à s’échapper dans la brume qui couvre le djebel. Le dragon
Convard a pu suivre ses traces et le débusque dans un fourré. Les deux hommes tirent en même
temps : Convard est blessé, le « fell y est resté ; le lieut’ est vengé ». Le 21 décembre, c’est une
dd
Jeep qui saute sur une mine posée sur la route Azazga-Michelet. De la tombée de la nuit au petit
matin, c’est l’insécurité. Le terrain appartient aux fellagha et aux commandos chargés de les
contrer. À ce petit jeu, les pertes sont nombreuses ; mais ces actions terroristes n’entament
aucunement le moral des gars du 13° RDP.
Pourtant, 1957 ne commence pas sous les meilleurs auspices. L’année sera meurtrière pour
les dragons-parachutistes, et à quelques exceptions près : de petits bilans, une tâche ingrate et en
même temps primordiale. Peut-être un peu de jalousie aussi en lisant les communiqués des frères
d’armes parachutistes des deux divisions TAP regroupées en réserve générale. Face aux Bigeard
et Jeanpierre triomphants, au bout du chemin la mort anonyme pour la protection d’un convoi
ou, simplement, comme ce 24 janvier 1957, du vaguemestre. Ce jour-là la camionnette du BPM
doit déposer le courrier à la gare d’Aomar dans le courant de l’après-midi. Une escorte est
désignée pour l’accompagner. Il s’agit d’une Jeep armée d’une mitrailleuse de 30, dans laquelle
ont pris place le maréchal des logis Monteil, responsable du petit convoi, et les dragons Baillet,
Duhau et Pech. Le convoi quitte Dra-El Mizan à 14 heures, la camionnette du BPM en tête. Vers
15 h 30, coup de téléphone au 1°'escadron auquel appartenait l’escorte. C’est la gendarmerie
d’Aomar : « Il y a eu une embuscade à 2 km du col, grâce au sacrifice des dragons, le
louveau matériel, pour de nouvelles missions
vaguemestre a pu donner l’alerte au village. »
fes
Le commandant du sous-secteur et le capitaine commandant le 1” escadron montent
aussitôt une opération de bouclage et se rendent sur les lieux. La Jeep criblée d’impacts est
arrêtée contre le parapet d’un ponceau'; la mitrailleuse de 30 a disparu. Quarante mètres plus
loin, les cadavres des quatre dragons, échelonnés au bord de la route, mutilés, portant de
nombreux impacts, et tous le coup de grâce dans la tête. Ils sont dépouillés de leurs armes, de
leurs vêtements et de leurs affaires personnelles. Les traces de tir témoignent de l’acharnement
du combat. Malgré un ratissage minutieux, la bande ne sera pas retrouvée, seul un habitant de
Tikit avouera avoir hébergé ce matin-là un groupe de rebelles. L'hiver se fait complice du FLN.

Car l’hiver en Kabylie, c’est quelque chose ! Ici, la douceur méditerranéenne est inconnue.
Les massifs, coupés de gorges et de cols, propices aux embuscades, culminent à plus de
2 000 mètres. En hiver, le brouillard qui s’accroche en couches épaisses sur les flancs des
montagnes, la pluie glacée qui transperce les ponchos et les tenues de combat, et surtout la neige
qui effondre les mechtas, rendent bien souvent les opérations impossibles.

111
Poussés dans ces montagnes inhospitalière par l’invasion des tribus arabes groupées
derrière l’étendard vert du prophète, les Berbères qui constituent la majorité de la population ont
longuement résisté à l’assimilation, bien qu'ils aient embrassé la religion musulmane. Ils
constituent un groupe ethnique étonnant où l’on trouve des blonds, des rouquins, et même des
albinos. Race rude et fière où les femmes ne sont pas voilées, elle fournira à la rébellion ses
meilleurs combattants. Plus tard, toutes les tentatives de récupération, même durant les
événements du 13 Mai, échoueront.

= Sr _ CD An
La récompense : défilé du 14-Juillet, sur les Champs-Elysées

Jusqu'au 1% mai 1957, le régiment continue ses missions quotidiennes entrecoupées


d’opérations importantes. Par mesure de sécurité, trente gradés et dragons français musulmans
sont répartis dans les différents escadrons. Le syndrôme de la saharienne de Timimoun est
proche ! Puis, le 1° mai, reprise de la série noire : au cours d’un ratissage dans la région entre
Yakouren et Ahmil, le dragon Oudry est abattu d’un coup de chevrotines. Le 17 juin, c’est au
tour du 3° escadron de payer le tribut du sang. Ce jour-là, le peloton du sous-lieutenant Boiteau a
été mis à la disposition du 15° BCA pour une opération dans la forêt de Mizrana. Placé en tête du
dispositif, il se déplace sur une route forestière quand il est bloqué par une coupure, rapidement
rebouchée. Cent cinquante mètres plus loin, nouvelle coupure. Les portés débarquent ; à ce
moment-là, une arme automatique se dévoile. De longues rafales cisaillent à hauteur de
l’abdomen le brigadier-chef Mialhe et le dragon Darjo. Evacués immédiatement par hélicoptère,
ils n’auront cependant pas le loisir de vivre assez longtemps pour assister à l’anéantissement de
la bande rebelle.
1957, c’est aussi l’année du centenaire des dragons de l’Impératrice. Souvent à la peine en
deux occasions, le régiment va être à l'honneur. Le 18 mai, le 13° RDP commémore cet
anniversaire sur le terrain d’aviation de Fréha. D’abord un saut de Nord-Atlas, puis, quand les
escadrons se sont regroupés sans casse, la prise d’armes et le défilé. « Trompettes, à
l’étendard ! » Devant le général commandant le secteur, le colonel Pallu rappelle le passé
glorieux du régiment, et les citations et les décorations d’aujourd’hui constituent l'exemple
émouvant de la pérennité de sa tradition. Imperturbable, la musique en grande tenue interprète la
Marche du 13° dragons pendant que, dans un nuage de poussière, défilent Jeep, half-track, AM8
et M24. A quelques longueurs : les paras, qui vont de ce pas souple et décidé, moulés dans leurs
tenues « léopard », semblables à ceux qui ont séduit la population algéroise.
Le 14 Juillet 1957, c’est la consécration pour le 13° RDP. Il a l'honneur de défiler sur les
Champs-Elysées parmi « ceux de Massu ». La foule, comme celle d’Alger, fait un triomphe à
« ses » parachutistes. Pour la circonstance, les dragons ont coiffé le béret amarante :
« Revue militaire grandiose qui souleva l’enthousiasme des Parisiens et fit suer de trouille
beaucoup de milieux politiques.
» Le régiment y était représenté par l’étendard et sa garde, son chef de corps et une
délégation de gradés et de dragons venus de tous les escadrons. »
Un instant de fierté nationale, avant le retour, sur le porte-avions La Fayette, à des tâches
beaucoup plus humbles sur les pistes et dans les djebels de Kabylie. Semi-nomade, le régiment
bouge beaucoup et ses installations sont toujours en « dur provisoire ». C’est ainsi qu'au cours

112
de la seule année 1957, le colonel change deux fois de cantonnement pour s’installer finalement
à Azazga, dont il prend le commandement de secteur. Parmi ces changements « définitifs », la
ronde des escadrons : au mois de juin, l’ECS quitte la ferme Roche pour Azazga, tandis que
l'atelier régimentaire qui était avec le 3° escadron émigre à Taboukert. Le 2° escadron rejoint
aussi Azazga, abandonnant son fief de Freha. En octobre nouveau chassé-croisé : le 1° escadron
perdu à Dra-El Mizan, quitte cette garnison pour des implantations à Youssouf et Bouseguen,
plus proches du PC de Azazga. Le 4° escadron tient fermement le piton Napoléon à Cheurfa ;
mais sûrement ne va-t-il pas tarder à déménager ! Quant au « 3 », il laisse la ferme de Taksebt, à
Oued-Aïssi, pour un cantonnement à Tamda. A l’échelon inférieur, il faut ajouter les
détachements temporaires de pelotons : un peloton sur la RN 25, de sinistre mémoire, un autre à
Camp-du-Maréchal, un peloton « tournant » à Dra-El Mizan, que l’on vient juste d’abandonner !
A chaque déménagement, le scénario est le même :
« Il n’y a plus à reculer. Le “1° avec armes et bagages s’empare de Youssouf, ville
lumière, capitale de la Kabylie-Est, dont les faubourgs s'étendent jusqu’à Azazga.
« On s’installe. Quelle affaire ! L’imagination est reine. Chacun s’organise, mesure, cloue,
visse, tape ou compte ses planches. On n’a oublié ni les cochons, ni les poules, ni les pigeons.
Insigne de la 10° DP
» Les soirées arrivent vite, et, dans l’intimité des soupers aux chandelles, l’escadron oublie
les douceurs de Dra-El Mizan. »
Cet été finissant, durant lequel le 13° RDP avait goûté les honneurs habituellement dévolus
aux parachutistes, avait accru le sentiment du régiment d’être frustré des missions de choc.
Aussi, malgré l'hostilité de la 27° DIA, le chef de corps a entamé des démarches pour réintégrer
la 10° DP. C’est chose faite le 1°" octobre 1957. Massu accueille le 13° RDP en ces termes :
« Le général commandant la 10° division parachutiste souhaite la bienvenue au
13° régiment de dragons, dont l’affectation fournit à la division le régiment de reconnaissance
qui lui manquait jusqu'alors.
» Maintenu en zone Est-Algérois où ses moyens spécialisés sont nécessaires et où sa
réputation est établie, cet excellent régiment ne combattra sans doute dans le cadre de la 10° DP
qu’à l’occasion d’un rassemblement d’une force d’intervention.
» En espérant prochaine cette éventualité, les régiments de la 10° DP comptent d’abord sur
leur nouveau frère d’armes pour préparer à leurs interventions futures en Kabylie des bilans
substantiels, tout en lui souhaitant très amicalement d’y vaincre sans eux, mais en collaboration
avec les troupes du secteur. »
Cet ordre du jour de Massu témoigne ainsi du « gentleman agreement » passé à l’état-major
général. Les dragons réintègrent le giron parachutiste tout en restant à la disposition des alpins.
Quant à l’allusion à la force d’intervention, elle fait suite à la porosité du barrage sur la frontière
tunisienne et à l’envie de beaucoup de militaires de traquer le FLN dans ses sanctuaires
tunisiens.

Gal Dodelier, inspecteur ABC en visite au 13 ; face à lui le


lt-col. Pottier, chefde corps

113
C’est donc en béret amarante que le 13° RDP continue sa besogne en Kabylie.
Périodiquement, la grogne gagne le régiment ; lors des déambulations sans fin dans les maquis
du djebel, pour un fusil de chasse et un suspect appréhendé et relâché aussitôt. Mais le général
Faure sait trouver les mots qui redonnent la foi dans la mission :
« De plus, le 13° RDP est situé dans un quartier particulièrement fréquenté par des chefs
rebelles importants, des unités régulières rebelles, soutenus par l’organisation politico-militaire
locale particulièrement développée. Il est donc remarquablement bien placé pour s’assurer des
Le co lonel Pottier, 1958/1960 résultats fructueux et flatteurs, et il ne tient qu’à lui de monter des actions payantes qui, ajoutant
à ses réussites déjà nombreuses et incontestables, le placeront au niveau des unités parachutistes
les plus renommées. »
Et les opérations du second semestre justifient amplement ces commentaires : 11 août, le
LE
escadron accroche à Boghni : quinze hors la loi tués ; 24 octobre, c’est au tour du 4° escadron
à Iguer-Guedmimem : quatre hors la loi tués. Puis, le 7 décembre, c’est l’embuscade meurtrière
sur la route de Youssouf à Azazga qui annonce les véritables batailles de 1958.
À 7 heures du matin, un puissant convoi du 1°” escadron quitte Youssouf pour le PC
régimentaire. En tête, une Jeep avec un 24/29, puis la Jeep du capitaine Fedrizzi, commandant
l’escadron, et, dans l’ordre, respectantles intervalles réglementaires : une AMB8, un
command-car, deux GMC, une autre Jeep et une AMB d’arrière-garde. La route serpente parmi
les amas rocheux qui constituent autant d’abris fortifiés pour les rebelles. Les
dragons-parachutistes sont attentifs ; mais comme on est tout juste sorti de Youssouf.. Et
pourtant, à 2 km, l’embuscade se dévoile ; importante, fort bien pourvue d’armes automatiques
servies par de remarquables tireurs. Les tirs provenant d’un tumulus sur la droite bloquent la
première Jeep entre deux virages. Le servant du 24/29 s’écroule grièvement blessé au ventre,
tandis que l’adjudant-chef Rigal et les passagers jaillissent du véhicule pour s’abriter en
contrebas. Alors que les moudjahidin donnent l’assaut, Rigal bondit, s'empare du FM et ouvre le
feu, stoppant net les vélléités de carnage des assaillants. Deux cents mètres derrière, le capitaine
Fedrizzi réagit instantanément et plaque la Jeep dans le fossé à droite. Mais c’est déjà trop tard,
il est touché de deux balles à la cuisse. Les dragons répliquent avec leur armement individuel...
De mortelles secondes ! Enfin l’ AM débouche, véritable boule de feu, volets fermés, arrosant les
positions rebelles. C’est alors que le maréchal des logis Orszulik bondit sur la tourelle et, de
l’extérieur, met en action la mitrailleuse de 50. La deuxième AM apparaît à son tour et pilonne
les abords de la route avec son canon. Pour les fellagha, la situation devient intenable, d’autant
que les portés ont débarqués et montent une manœuvre d’encerclement. Des renforts arrivent de
Youssouf. En l’air, la chasse a été alertée et les T6 straffent tout ce qui bouge, poursuivant les
fuyards jusqu’aux abords du village d’ Achallame. Cette funeste initiative des rebelles leur coûte
dix hommes tués et l’armement lourd de la bande.

Et toujours "ratisser", de jour comme de nuit

Encore et toujours des morts ; dès les premiers jours de 1958, on sent que cette année sera
décisive pour l’Algérie. Désormais, les bandes rebelles sont constituées en véritables unités
puissamment armées qui n’ont pas peur d’accepter la bataille contre les meilleures formations
françaises. Les bilans et l’intensité des combats changent de dimension ; mais hélas ! les pertes
progressent en proportion :
114
» 17 avril 1958
Le 3° escadron effectue une opération au profit du secteur de Bordj-Menatel. Bilan :
51 rebelles abattus, dont un aspirant. 12 rebelles capturés, nombreuses armes et documents
récupérés.
» 19 avril 1958
Un peloton du 1° escadron, le 4° escadron, un peloton du 3° escadron et un peloton de
l’ECS participent à l’opération « KS 31 » dans le massif du Beni-Ghobri. Le capitaine Alezeau
Pierre, le maréchal des logis Gillet Daniel, le dragon Pedros Michel, du 4° escadron, le
gendarme Padrine sont tués. Quatre blessés au 4° escadron. Bilan : 15 rebelles tués, 5 armes. »
Surviennent les événements politique du mois de mai 1958. Conjugués avec la victoire sur
le barrage tunisien, ils provoquent une baisse sensible de l’activité opérationnelle. Au mois de
juin, le lieutenant-colonel Pottier prend le commandement du régiment et poursuit l’œuvre de
pacification entreprise par son prédécesseur : recherche et destruction des bandes armées qui
subsistent encore, annihilation de l’OPA, protection des populations. L’effort entrepris
commence à porter ses fruits grâce à un quadrillage des douars et des villages du sous-secteur et
à une pénétration lente, mais efficace, parmi les Kabyles.

Essayer de conquérir les cœurs par la discussion

A l’approche des élections législatives au collège unique, il semble que le FLN ait récupéré
des coups sévères que lui ont portés les parachutistes. Ses katibas se manifestent à nouveau.en
voulant empêcher les populations musulmanes de voter. Le rythmé des opérations reprend
quelque peu. Le 16 novembre, c’est l’opération « KS35 » contre la katiba stationnée dans la
région comprise entre Mira et Achtrouf, qui coûte la vie au sous-lieutenant Fichet pour peu de
résultats. Le 27, un escadron de marche aux ordres du capitaine Lemaître ramasse dix-huit
suspects dans le village d’Adrar, tue le sergent FLN Si-Amar et s’empare d’un drapeau et de
documents importants. Le 30 novembre, l’opération « Vote » sur Hendou est un succès. Mise en
confiance, la population regroupée à Azazga par un « pont aérien » participe aux élections sous
la protection du 13° RDP. Le mois de décembre est celui du commando divisionnaire qui, par ses
renseignements et son action au profit des unités engagées dans de grandes opérations, permet
l’élimination de nombreux rebelles. À Imalgen, onze HLL tués ; quinze, lors de l’opération
« Pomarède » aux ordres du lieutenant-colonel Pottier, le 30 décembre.
1959, c’est l’année Challe, celle des grandes opérations : « Jumelles », « Pierres
précieuses ». Pour le 13° RDP, elle commence par un des plus gros bilans de la guerre d’Algérie.
Du 11 au 12 janvier 1959, cinq régiments et des appuis sont rassemblés aux ordres du
lieutenant-colonel Pottier dans la région de Port-Gueydon pour une opération sur Ifflissen qui,
d’après les renseignements du commando du « 13 » recélerait une importante unité ennemie. Il y
a là du beau monde : 11° choc, 2° RPI Ma, deux compagnies du 27° BCA, 6° RH et le 13° RDP.
Malgré une défense acharnée des rebelles et grâce à un bouclage hermétique, l’opération est
payante. Au compte du 13° RDP : 56 HLL tués et 45 armes saisies. Un peu plus tard,
« Pâquerette », puis, pendant tout le mois de février, des ratissages, des bouclages dans les hauts
massifs de Kabylie ; l’apprentissage de l’emploi des Ferrett qui ont remplacé les AM8. Et durant
tous ces mois d’hiver propices aux maquisards, des pertes ! Non pas la mort dans la fulgurance
115
de l’accrochage, mais la mort odieuse due à l’attentat terroriste, celle de l’embuscade meurtrière
dans le djebel, en pleine ville. Le 25 mars, un beau bilan lors d’une opération de nettoyage à
proximité de Azazga, dans la région de Souk-El Haad : dix-neuf tués, des armes récupérées,
mais le commando du « 4/13 » laisse une équipe complète de voltige sur le terrain.

A nouveau l'hiver

Le dragon Horenbergen avec sa Ferrett au col de Bedoutes

Faire le point, s'orienter, utiliser au mieux le renseignement pour entrer en contact avec l'adversaire
La fête était belle, sous l'impulsion du chef de corps, la tradition des dragons de
l’Impératrice honorait la marraine du régiment : Son Altesse Impériale Alix, princesse Napoléon
pour sa première Saint-Georges chez ses dragons. La fanfare, rutilante et menée de main de
maître, faisait revivre les fastes de l’Empire sur le terrain d'atterrissage de Freha lorsque fut
commis le sacrilège :
» 23 avril 1959
A l’occasion des fêtes de la Saint-Georges, patron des cavaliers, les cérémonies suivantes se
sont déroulées au régiment en présence des généraux Gilles (commandant des TAP), Faure
(commandant la ZEA et la 27° DA), Gracieux (commandant la 10° DP), des autorités civiles et
de LLAAT le prince et la princesse Napoléon (marraine du régiment).
— 9h 30: revue du régiment sur la DZ de Freha. Remise de décorations et défilé.
— |l heures : dépôt de gerbe au monument aux morts de Azazga.
— 11h30 : inauguration de la place du 13e-Régiment-de-Dragons-Parachutistes.
— 12 heures : méchoui.

Mile

» Les événements survenus :

A 8 heures, au cours de la mise en place des éléments sur la DZ de Freha, la Jeep du


capitaine de Cabissole saute sur un obus de 105 piégé. Le capitaine est grièvement blessé et
évacué sur Tizi-Ouzou. L’adjudant Giraux et le dragon Dallest sont légèrement blessés. A
10 h 30, au cours du défilé, la Jeep du sous-lieutenant Stolz saute à son tour sur un 105 piégé. Le
sous-lieutenant meurt de ses blessures. Le dragon Dussard est grièvement blessé et évacué sur
Tizi-Ouzou. Le dragon Yon est légèrement blessé. »
Cette succession de coups du sort n’a pas perturbé pour autant les cérémonies. Touchée
mais fidèle à son lignage, la princesse reste impassible. Sur les lieux du drame, le sous-lieutenant

117
de Montpezat relève le fanion du 1°” escadron et continue la mission en prenant le
commandement de l’escadron, et la mise en place s’effectue normalement. Lors du second
attentat, même abnégation chez les dragons de l’Impératrice. Le colonel Pottier déclare : « Les
fells nous observent. le régiment passera. » Et, contournant la carcasse calcinée de la Jeep, le
défilé se poursuit. Mais laissons la conclusion de ce qui fut un véritable fait d’armes au colonel
Pottier :
« Enfin, la preuve émouvante et certaine de votre magnifique entité, vous l’avez donnée ce
jour dorénavant doublement sacré de la Saint-Georges où, le 23 avril 1959, en présence de nos

ÉCRIS LR L LEA
Les visites de la marraine du régiment furent toujours occasions de réjouissance
chez les dragons, mais également parmi la population civile

chefs et forçant l’admiration et le respect de nombreux témoins, vous avez choisi le risque et
l’honneur, écrasant de votre mépris et du même coup les sceptiques, les destructeurs et les
lâches ; poursuivant invinciblement votre route au-delà du possible. »
Peu avant « Jumelle », au mois de juillet 1959, un état portant sur un an d’activités fait
ressortir le bilan extrêmement flatteur du régiment, mais aussi le prix payé. Sous le
commandement du colonel Pottier, le 13° RDP a tué 180 hommes à l’ennemi, fait
624 prisonniers et pris 115 armes. Ces résultats représentent 13 opérations de division, 49 de
secteur et 84 de quartier. À ces chiffres il convient d’ajouter 427 patrouilles blindées et
652 patrouilles à pied, 1 014 embuscades et 3 047 escortes dans le cadre des servitudes du
secteur. En un an, 14 officiers, sous-officiers et dragons sont tombés pour leur idéal ;
33 souffrent dans leur chair le martyre quotidien des grands blessés.

Joli coin, sale coin...

118 +
En souvenir... de nos amis Kabyles

« qui, taisant leur souffrance


En le giron de la France, gardaient leur espérance. »
« Jumelle », on y croit encore ; mais déjà circulent les rumeurs d’abandon. Et toujours les
mêmes lieux mille fois visités, les pentes des djebels gravis par tous les temps. Des escortes au
profit de la 10° DP. Durant les mois d’août et de septembre, des activités d’embuscades ou de
patrouilles, encore des escortes au profit d’autres unités, des services civils ou des secteurs de
regroupement. Peu de bilans opérationnels, si ce n’est, le 2 août, la mise hors de combat de neuf
HLL et de trois prisonniers ; saisie de sept armes de guerre et de nombreux documents, pour un
mort et trois blessés au 2° escadron. Le 30 août, le commando « 13 » surprend une bande rebelle
au bivouac et lui tue cinq hommes.
1960 commence dans la morosité. Cette fois cela semble bien ne faire plus aucun doute ; le
gouvernement lâchera l’Algérie. La traque des « fells » doit cependant continuer. Aussi le
régiment continue-t-il à arpenter le djebel. Les soubressauts de « l’affaire des barricades » ne le
touche que de très loin. Les dragons continuent leur mission de pacification autour de Azazga.
Parfois, ils travaillent avec le 2° RPIMa, avec le REP ou d’autres régiments de la 10° DP, mais
pour des bilans de plus en plus maigres : beaucoup de sueur et d’ampoules pour pas
grand-chose !

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Constantine, la belle, chère aux cœurs de ceux qui l'ont connue alors

À partir du 25 novembre, le 13° RDP fait mouvement sur ses nouvelles bases en zone
Nord-Algérois, puis il est retiré du corps d’armée d’Alger et restructuré en unité de type réserve
générale dans le cadre de la 10° DP. Le 5 décembre, il est engagé dans le corps d’armée de
Constantine et aménage sa base arrière dans le secteur Aïn-Taya-Maison-Blanche. Du 10 au
25 décembre, les escadrons pratiquent le maintien de l’ordre à Constantine et dans le secteur.
Mission peu exaltante qui se poursuit durant tout le premier trimestre de 1961. Quelques
opérations rompent la monotonie de cette fin de guerre. Peu de pertes chez les « fells », mais des
destructions de ravitaillement ou de caches, de la récupération d'armement, des saisies de
documents. Les rebelles évitent le contact ; le temps et la politique travaillent pour eux.
Après le référendum du début de l’année où le 13° RDP participe à la « chasse aux
votants », il est réuni avec le 6° RPIMa pour mener une opération dans le douar des Arres qui se
conclut par la mort de huit rebelles. Quelques « crapahuts » encore dans la zone
Nord-Constantinois et il passe, après le « putsch » du mois d’avril, en réserve générale de
l’état-major interarmées en Algérie. Dès lors, c’est une interminable nomadisation qui le mène
d’abord à Souk-Ahras, haut lieu de la saga parachutiste, puis de Aïn-Taya à Koléa et enfin au
Sahara, en ce qui concerne le 3° escadron, qui est mis à la disposition de la zone occidentale
saharienne pour la protection de Colomb-Béchar et Hammaguir. Au début du mois d’août, après
la crise de Bizerte, la base arrière du régiment est transférée à Philippeville. Jusqu’au mois de
décembre, sous le commandement du lieutenant-colonel Dunand-Henry, le régiment mène les
dernières opérations de la guerre : en septembre, dans le djebel Grar, dans le kef Djardja en
décembre, infligeant encore seize tués au FLN.

119
A l’heure du cessez-le-feu, le 13° RDP a participé à plus de 500 opérations importantes,
850 rebelles ont été mis hors de combat et 420 armes ont été récupérées. Il a perdu 84 tués, dont
3 officiers, et 137 combattants blessés, dont 17 officiers. Au cours de cette campagne, il compte
1 commandeur, 5 officiers et 7 chevaliers dans l’ordre de la Légion d’honneur et 135 médaillés
militaires. 874 citations témoignent de la valeur des hommes qui l’ont composé au cours de ces
sept ans de guerre.

Lorsque la population n'était pas terrorisée, elle faisait connaître ses sentiments de multiples façons

EN SOUVENIR
(extraits)

En souvenir...
De Tizi-Ouzou, Fort-National et d’Azazga
Des villages, des gourbis et des mechtas
En souvenir.
Des djebels : Djurjura, Afkadou et Naaman
Du douar Izelaguen à ceux de la Souman
En souvenirs des oueds : Eldjema, Sebaou, Mleta et Dits
De tous les Irzers, du plus grand au plus petit
En souvenir...
Des willayas, des kasmas et des katibas
D'’Amirouche, de Mira et de Si-Abdallah !
En souvenir...
Des escalades et des embuscades qui, jusqu’à Boubehir
A toutes les patrouilles valurent plus d’un soupir !
En souvenir...
D'une belle princesse, notre chère Marraine
Qui régna sur nos cœurs en grande souveraine !
En souvenir...
Des nombreux sacrifices par tous consentis
Pour que renaissent amies, la France et l’Algérie !
AZAZGA SP86732 15/8/1960

Le colonel F. POTTIER

120
LA NUIT VERS L’INCONNU

La fin de la guerre d'Algérie ayant engendré des troubles profonds au sein des troupes
aéroportées qui s'étaient totalement investies dans leur mission, lorsque, le 4 mai 1961, le
général Marzloff prend le commandement de la toute nouvelle 11° DLI créée sur les cendres des
divisions de réserve générale (11° DI, 10° et 25° DP), il s’agit moins de traquer le « fell » que de
panser les plaies profondes laissées par les événements. Après vingt-deux années de combats
incessants, les parachutistes s’installent tant bien que mal dans le temps de paix.
Au sein de la 11° DLI, le 13° RDP participe aux toutes dernières opérations d'Algérie, puis
il prépare son repli sur la métropole. Le 26 août 1962, il retrouve la ville de sa création : Castres.
Rien n’a tellement changé ; et les vétérans du régiment retrouvent toutes leurs sensations de
1952. Toutefois la guerre n’est plus fraîche et joyeuse. Entre-temps, il y a eu le syndrôme
algérien. Plus rien n’est comme avant. La guerre est une affaire de professionnels de haut
v
niveau. L'apport technologique en a changé les règles. Le 13° RDP s'adapte à cet état de fait et la
transition du Sud-Ouest permet aux hommes de parfaire leur entraînement et d’affirmer au plus
haut degré la cohésion du régiment.

Vue aérienne du quartier à Castres

Mais, à la fin du mois de juin 1963, des rumeurs de déménagements se font de plus en plus
insistantes. La grande réorganisation des troupes aéroportées est en cours et le 13° RDP
n'échappe pas à la règle. Le 2 juillet, le colonel Dunand-Henry reçoit le TO suivant :
« 13° régiment dragons fera mouvement courant juillet de Castres sur Nancy-Dieuze et
8° Régiment parachutiste d'infanterie de marine de Nancy sur Castres — Ces régiments
rejoindront nouvelles garnisons dans leur état actuel sauf certains matériels à laisser sur place —
Toutes modifications de structure interviendront après mouvement — Détachements précurseurs
des deux corps en place pour le 15 juillet — Mouvements des unités à partir du 25 juillet —
Stationnement 13° dragons à régler entre Nancy et Dieuze par 6° RM en fonction avancement
travaux et en réservant dans caserne Drouot à Nancy place nécessaire pour 26° bataillon
d’infanterie attendu à partir du 15 octobre 1963 — Insiste pour que cadres puissent être rejoints
par familles ‘au plus tôt — A cet effet logements libérés par 8° RPIMa à Nancy seront attribués
priorité familles cadres 13° dragons logés Castres et réciproquement — Instructions
complémentaires suivent par DM. »
Le sort en est jeté. Le 13° RDP retrouve ces marches de l’Est où il s’est constamment illustré. La
Lorraine, Dieuze, que les grands anciens de Fimarcon ou de Mailly ont traversé au galop, sabre au
clair... pour un siège ou une charge ! Mais Dieuze en 1963 n’est plus la même. Située à 45 km de
Nancy, 60 de Metz et 100 de Strasbourg, la ville est encore prospère. La crise n’a pas encore balayé
la sidérurgie lorraine et le bourg, fort d’une soixantaine de petites entreprises, est un chef-lieu de
canton dynamique qui attire les populations voisines. De plus, il jouit d’une très bonne situation
géographique. En effet, Dieuze a la chance d’être aux portes du parc de Lorraine. Son
environnement, la nature, ses étangs, ses forêts et ses terres arables sont d’un attraitet d’une richesse
exceptionnels. Pour les mêmes raisons, avec en plus la Moselle et les Vosges à proximité pour des
exercices spécifiques, c’est un cantonnement idéal pour le 13° RDP.
121
L'arrivée à Dieuze

Le 27 juillet 1963, au cours d’une grande manifestation présidée par le général Massu,
gouverneur militaire de Metz et commandant la 6° RM, le colonel de Courson de La Villeneuve
présente son régiment au maire de Dieuze, monsieur Liard, et à la population du bourg. Le défilé
du régiment derrière son chef de corps et son étendard remporte un franc succès et laisse bien
augurer des liens qui se noueront avec la population et qui, jusqu’à présent, malgré les
vicissitudes d’une situation socio-économique très dégradée, ne se sont jamais démentis. Sitôt
les festivités de l’arrivée terminées, les dragons se mettent au travail. Très vite, le vieux quartier
retentit des chants des dragons ; la place d’armes accueille à nouveau la cérémonie des couleurs,
les escadrons s’installent. A chaque retour d’exercice ou de manœuvres, ils abandonnent le fusil
pour la truelle, la pelle ou le râteau. Petit à petit, les bâtiments reprennent vie : le poste de garde,
le PC avec la salle d'honneur, témoin des gloires passées, les cantonnements des escadrons. De
nouvelles réalisations sortent de terre. L’infirmerie, l’ordinaire et les mess s’installent ; avec eux
les transmissions, les services techniques. La vie du 13° RDP s'organise selon une alternance
d’activités militaires et de travaux. La première Saint-Michel en présence du général Massu et
du général Edel, inspecteur des TAP, la première Saint-Georges sous le haut patronnage de SAI
Alix, princesse Napoléon, marquent des étapes importantes de l’intégration du régiment à
Dieuze.

Arrivée à Dieuze, en présence


du général Massu

122
Au plan structurel, le régiment subit une refonte totale. Il quitte la DLI pour se transformer
en régiment parachutiste interarmes non endivisionné. L’état-major du régiment, les services, le
détachement d’instruction et le 1°’ escadron s’installent à Dieuze. Le 3° escadron cantonné à
Nancy rejoindra le gros du régiment un peu plus tard. Enfin, selon une DM du 1° juillet 1963, le
régiment intègre la 7° compagnie de commandos :
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai décidé de transformer le 13° régiment de
dragons en régiment de recherche à participation interarmes et de lui incorporer les effectifs de
la 7° compagnie de commandos qui sera dissoute le 31 juillet 1963. »

Sur ce cliché, l’on voit bien les bâtiments en ruines et sans toit du quartier affecté aux dragons. Ceux-ci se feront pionniers ;
l’état actuel prouve leur efficacité

Issue des expériences de renseignement militaire : maquis et GCMA d’Indochine, « bleus


de chauffe », « chocs » d’Algérie, la 7° Cie de commandos avait été mise sur pied en avril 1960,
à Langenargen, sur les bords du lac de Constance. Installée dans une école de cadres fondée par
le maréchal de Lattre de Tassigny à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle disposait de toutes
les facilités pour mener à bien son entraînement très particulier. Unité expérimentale, elle
fonctionnait selon les diverses études qui avaient été menées sur les éléments
« action-renseignement » de la brigade JAVELOT II adaptée au théâtre d’opérations
Centre-Europe. Lors de son intégration au 13° RDP, elle devint son 2° escadron de recherche.
C’est en grande partie des méthodes et des procédures de la 7° Cie de commandos que va
s’inspirer la doctrine d’emploi du 13°.
Un ancien de la 7° Cie de commandos se souvient :
« A l’été 1960, le capitaine (INF) Robert Fraisse rentre d’ Algérie. Il est chargé par
l’EMAT 2 de créer une compagnie expérimentale de renseignement à longue distance. Formée à
base d’appelés, l’unité doit pouvoir renseigner. et s’évanouir dans la nature. Cette unité
s’appellera 7° Cie de commandos.
» En septembre 1960, réduite à son seul commandant, elle s’installe à Langenargen.
Administrativement, elle est rattachée pour la comptabilité des effectifs au 42° RI stationné à
Radolfzell (RFA). Elle est supportée en logistique par le 5° RH de Weingarten dont le
3° escadron est stationné à Langenargen dans une partie de l’ancienne école de cadres. La
compagnie possède un TED spécifique, elle est indépendante. Pour l’instruction et l’emploi, elle
reçoit ses ordres du 2° Bureau du CCFFA qui en a reçu délégation de Paris.
» Fin 1960 à 1962 : par tranches de vingt appelés tous les deux mois, l’unité atteint son
plein d’effectifs. Parallèlement, l’encadrement est mis.en place. Différentes compositions
d’équipes de recherche sont étudiées et expérimentées au cours d’exercices et de manœuvres.
Vers la mi-1961, la cellule à cinq hommes est mise au point.
123
» Octobre 1962. Le capitaine Fraisse est remplacé par le capitaine Guy Cunty. Ce seront les
deux uniques commandants de la 7° Cie de commandos. Le capitaine Cunty a trouvé la mort plus
tard lors d’un accident de saut survenu à Laon (Aisnes). Il était alors officier TAP régional.
Pendant son temps de commandement à la 7° Cie de commandos, il n’était pas breveté
parachutiste français. Il n’a obtenu celui-ci qu’en 1963.
» En effet, la 7° Cie de commandos n’était pas une unité aéroportée et n’a jamais dépendu
de l’inspection des TAP. Le capitaine Fraisse n’était pas parachutiste. Dans le cadre des études
sur la mission de l’unité, il est vite apparu que le parachute était un moyen de mise en place
parmi d’autres. Il y eut réticence et blocage au niveau de l’inspection des TAP, dont ne dépendait
en aucune manière la 7° Cie de commandos. |
» Par accord entre le.“ Généchef-FFA” et l’'EM de la Bundeswehr, il y avait eu création de
stages de formation au parachutisme auprès de l’armée allemande. Plusieurs stages ont été
effectués de juillet 1962 à mai 1963 auprès de la Luftlande und Lufttransport Schule de
Altenstadt-Schongau (Bavière). Le premier stage a eu lieu en juillet 1962 ; le premier saut
effectué le 02/08/62. L'autorisation d’effectuer ces stages auprès de l’armée allemande était
accordée par la DM 9699/EMA/2/0MI1/9 du 05/06/1962.
» En fin de service, nombre d’appelés ont quitté la 7° Cie de commandos après avoir
effectué quarante-cinq sauts dans toutes les configurations possibles d’emploi. Ils portaient sur
leur uniforme l’unique brevet de parachutiste allemand !
» Cette question sera réglée plus tard lors d’une rencontre entre le capitaine Cunty et le
général Edel, alors inspecteur des TAP, à Altenstadt, en avril 1963, le général avait trouvé
saumâtre de découvrir des parachutistes français qui portaient pour unique insigne le brevet
allemand ! Un Nord 2500 vint à Kaufbeuren (à l’époque, l’aérodrome de Landsberg n’existait
pas) en avril 1963. Les membres de la 7° Cie de commandos effectuèrent deux sauts de suite et le
brevet français leur fut accordé. Pour les appelés qui avaient été libérés, diplômes et insignes
leur furent adressés via la poste.

Vue aérienne du quartier Lyautey (juin 1990)

124
— ler août 1963. Le 13° RDP a incorporé la 7° cie commando qui est devenue son
2° escadron. Les personnels appelés sont restés dans cette unité. La plupart des cadres ont été
mutés, à l'exception de quelques-uns qui demeurèrent au 2/13°. »
Entretenus jalousement par le 2° escadron, les bâtiments et chalets de bois de l’ancienne
école des cadres vont abriter cette unité de 1963 à 1986. Installé dans un cadre unique, qui fit
bien des envieux, le commandant d’escadron, commandant d’armes de Langenargen, « régnait
sur la place » : cités cadres, mini-économat, école primaire, quartiers autonomes, mess. Les
dragons étaient logés dans des chalets de bois baptisés : Wingate, Vandenberghe, Strasbourg,
Colmar... qui, l'hiver, leur procuraient une fraîcheur virilisante…
En 1986, à la suite de la restructuration de l’armée de terre, le 2° escadron, prévu pour
s'installer à Donaueschingen, alla s’implanter à 15 km de là. A l’exception de la villa du
commandant d’unité, des cités cadres et (temporairement) de l’infirmerie et du club, les autres
bâtiments furent rasés par les autorités allemandes auxquelles les terrains avaient été rétrocédés.
L'unité occupe actuellement une partie du quartier Durand de Villiers à Friedrichshafen.

: Po ||

L'installation à DIEUZE

Après la guerre de 14-18, l’importante garnison de Dieuze n’avait plus la même


signification stratégique. Les quartiers, qui avaient abrité une brigade germano-bavaroise et
légèrement soufferts de la guerre, furent partagés. Les gendarmes mobiles et le 125°RT
s’installèrent dans les locaux. Une grande partie des bâtiments furent vendus : mess des officiers
du 136°, bâtiment abritant le PC du général, intendance, boulangerie, manutention, hôpital de
garnison. La petite histoire de Dieuze relate que le coût de la construction du mur isolant les
quartiers de l’ex-« Offizier Casino » fut plus élevé que la somme déboursée pour l’acquisition
du bâtiment (qui devint l'Hôtel du Parc). :
Après avoir demandé aux quelques « squatters » civils de bien vouloir quitter les lieux, les
précurseurs écrasèrent les herbes, prirent la mesure des dégâts et retroussèrent leurs manches.
Les anciens quartiers de l’ex-« 3 tte Bayerische Kôniglische Chevau-Leger Regiment » (Herzog
Karl-Théodor) étaient de bonne facture, mais avaient été très abîmés lors du dernier conflit. Les
deux quartiers avaient été initialement partagés entre gardes mobiles et personnels du train. Les
gendarmes avaient commencé par raser la majeure partie des cantonnements d’infanterie pour y
construire, dans les années 30, un casernement incluant les logements de leurs familles. Le mess
des officiers bavarois devint leur popote. Les anciennes installations annexes, elles, avaient été
aménagées pour recevoir les véhicules du 125° RT.:Après 1945, du fait des destructions subies
par la ville, de nombreux Dieuzois avaient trouvé un toit dans ces quartiers.

125
En 1963, un détachement « pionnier » du 1° escadron s’installe à Dieuze au quartier
Boussat. L’escadron d’instruction s’installe à qui mieux-mieux dans l’un des anciens manèges.
Le tout s’effectue dans une atmosphère de liesse populaire de la part des habitants de la ville
comme de la région. À Nancy, le 3° escadron et la majeure partie des services de l’ECS occupent
le quartier Drouot laissé libre par le départ du 8° RPIMa. La majorité des cadres mariés se logent
à Nancy ou dans la région, car à Dieuze, rien n’est prévu.
Parallèlement à ces mouvements, les officiers et les sous-officiers interarmes commencent à
arriver au régiment, constituant un formidable apport de sang neuf ! C’est l’époque où l’on peut
croiser des uniformes de toutes les couleurs : ex-armée d’Afrique, ex-RCP, ex-1°" et 11° RPC...
Les cadres de la demi-brigade de para. de choc feront largement profiter le « nouveau 13° » de
leurs expériences tactiques et techniques. Le lieutenant-colonel de Courson uniformisera la
tenue. Pour tous, galons blancs et bérets rouges. Même le peloton ALAT (H 19), détaché auprès
du régiment (et habillé par lui), porte la tenue de saut des parachutistes et le béret rouge avec
insigne ALAT (état de chose qui ne durera pas).
M. Mesmer, ministre de la Défense mais surtout député de Sarrebourg, localité proche de
Dieuze, est sollicité par les élus locaux : il fait hâter la réfection des cantonnements. L’escadron
de gardes mobiles quitte Dieuze en 1964. Son ancien bâtiment PC deviendra l’infirmerie
régimentaire ; elle campait jusque-là dans ce qui est devenu bâtiment ECS (l’ex-hôpital de
garnison, plutôt le bâtiment d'administration, « Verwaltungsgebaude », est privé, les petits
bâtiments qui servaient aux soins sont devenus des garages très abîmés).

A Dieuze, l’installation bat son plein. Les appelés donnent une partie de leur temps et se
transforment en pelotons de « dragons-bâtisseurs ». A Nancy, le 3° escadron se prépare à ses
nouvelles missions. Le bureau d’instruction du corps fait venir des cadres de l’ex-7° Cie Cdo
pour faire la démonstration des méthodes et des procédures qu’elle a patiemment mises au point.
Petit à petit, le virage se prend.
Le 26° RI, rentré d'Algérie, fronce les sourcils en pénétrant dans le quartier Drouot de
Nancy, où le portail d’entrée s’orne des couleurs vert et rouge des dragons para. La fraîcheur des
relations officielles va de pair avec les frottements qui opposent les dragons, revêtus des
nouvelles tenues, aux fantassins, qui partent à l’exercice en capote, équipements de cuir, casque
lourd, pelle au ceinturon.. alors que les dragons reviennent en hélicoptère sur le stade qui jouxte
le quartier. L’escadron fait mouvement à l’été 1964 sur l’ancien quartier de la 11° DLI : la
caserne Blandan. En 1963, sert au PC le chef d’escadron Bizard. Vétéran d’Indochine,
« centurion » d’Algérie, il fera passer un souffle épique sur le régiment. Avec lui, c’est un peu de
la légende des parachutistes qui entre à Dieuze.
Le lieutenant-colonel de Courson s’est installé avec'sa nombreuse famille dans une maison
louée par un particulier, les autres familles habitant les rares appartements libres de Dieuze ou
des localités environnantes, la majorité d’entre elles résidant à Nancy. Les officiers célibataires,
en attendant la réfection du mess actuel, habitent le château d’Alteville.

126
En 1963, restructuré, le 13° RDP se présente ainsi :
1 EM - 1 ECS - 1 escadron d'instruction basé à Nancy - 1 escadron de recherche basé à
Langenargen.

ENCADREMENT LE ler AOÛT 1963

Lieutenant-colonel de Courson de La Villeneuve

Etat-major :
Commandants d’escadrons :
le fs Laflaquière
Bizard
Labrieu
Cariou

Capitaines : Médecins :
Delivret (1) Capitaine Bataillard
Tostain Lieutenant Paulus
Pujol
Fulaine

E.C.S 2 Escadron
Capitaine de Gramont Chef d’escadrons Doussau
Capitaine Putz Capitaine Leclère

Groupement d’instruction
Capitaine Bon Pradère-Niquet
Capitaine Helie.

1° Escadron 3° Escadron
Capitaine Lemeur Chef de bataillon Betant
Lieutenant Colinmaire Capitaine de Boisse

A partir de ses nouvelles structures, le 13° RDP a désormais pour mission de : « Rechercher
le renseignement à l’intérieur du dispositif ennemi. A cet effet, il constitue, instruit et entraîne
des escadrons spécialisés. Le 1° août 1963, à O heure il cesse d’appartenir à la 11° DLI pour être
classé unité de réserve ministérielle des forces de manœuvres. »
Commence alors la nouvelle histoire du 13°. Instruction, exercices, manœuvres et
inspections vont se succéder à un rythme soutenu. La tranquillité du « pays des étangs » ne va
pas tarder à être troublée par le bruit des avions ou des hélicoptères.
Sous l’égide de l’'EMAT, une commission siège depuis 1963. Elle assure le suivi de
l’évolution du régiment, l’adéquation de ses moyens à ses missions de renseignement.
La première grande manœuvre conduite selon le nouveau mode de travail va avoir lieu en
< 1964 sur le territoire de la 6° RM. Son nom de baptême sera, bien sûr : « Eugénie n° 1 ». Les
A ARS NU « équipes recherche » vont être parachutées sur un front de 200 km par rotations de Noratlas. Le
RO général Massu, qui a tout de même ses idées sur les TAP, a demandé que l’on ajoute aux équipes
de recherche : « [...] deux commandos aéroportés pour faire sauter quelque chose [...] ». Deux
groupes « de marche », constitués à la demande, détruiront (fictivement) qui un dépôt d’essence,
qui un dépôt de munitions installé dans un fort de la ceinture de Toul. L'exercice de
renseignement va très bien se dérouler et intéressera le général (il'sera également très satisfait du
succès de ses deux commandos improvisés).

(1) Le Capitaine Delivret disparaîtra en mer, cette même année.

127
Cette même année voit le début de la coopération avec les unités de même style des armées
de l'OTAN. Dès octobre se déroulent des exercices bilatéraux. En 1965, le lieutenant-colonel
d’Harcourt fait revenir le 3° escadron à Dieuze. Les quartiers sont rebaptisés et deviennent :
maréchal Lyautey au lieu de Boussat, maréchal Abraham Fabert, au lieu de Verlin. Entre-temps,
à la suite de tractations entre la ville et les armées, une partie des terrains militaires a été
échangée. Une société mixte immobilière construit alors l’actuelle résidence Verlin et la SNI fait
bâtir la cité cadres (CILOF). Seuls les alignements d’arbres rappelleront encore, quelques
années, le tracé de l’ancienne caserne allemande.
Les hommes du « bataillon » prennent possession des anciens logements des gendarmes
mobiles. Pour la petite histoire, le commandant d’escadron a demandé à son adjudant d'unité
« [...] de lui dégotter un mât des couleurs en n’importe quoi... mais légèrement plus haut que
celui du quartier d’en face ».
Le colonel d'Harcourt va donner au 13° un style qui durera. Vont fusionner : procédures
issues de la 7° Cie Cdo, expérimentations menées par les spécialistes de la demi-brigade de
chocs, essais et innovations en tout genre dans tous les domaines.
(De cette époque datent, entre autres, les trappes « viet », l’usage des plastiques
d'étanchéité, le harnais « Deverre » devenu EL:27, les rations « Paulus ».. et même l’étude et la
fabrication, grandeur nature, d’une nacelle pour le largage des équipes — le projet fut
abandonné.)
La structure du régiment est assise. À côté de l’EM, l’ECS enfin regroupé ; le groupement
d'instruction qui coiffe l’escadron d'instruction proprement dit et le 1” escadron. Ce dernier est
chargé d’instruire cadres, spécialistes et gradés du contingent. Le mur aveugle qui sépare les
deux quartiers est à demi abattu pour faire place aux grilles et à l’entrée en rotonde du
3° escadron installé en face du PC.

Manœuvres dans le cadre de l'OTAN

128
1967 : l’année du lieutenant-colonel Bizard.

Diên Biên Phû, 25 mars 1954, le capitaine Bizard vient de sauter sur la cuvette. Depuis
douze jours déjà, la bataïlle fait rage. Les points d’appuis sont pris, perdus, repris, et toujours des
combats féroces pour la possession d’un trou, d’une tranchée ! C’est dans ces conditions que,
le 27, il remplace sur « Huguette 7 » le lieutenant Rondeau, blessé, qui commande la
1° compagnié du 5° BPVN. La pluie ne cesse de tomber, effondrant les abris où s’entassent les
blessés qui ne peuvent plus être évacués. Le 31 mars, alors que les bo-doïs de la division 316
déferlent sur « Eliane 2 », les parachutistes vietnamiens du capitaine Bizard se battent à un
contre dix sur « Huguette 7 ». En hurlant, ils bousculent les réguliers de la « 312 », désorientés
par une telle résistance. Les pertes sont terribles et les compagnies du 5° BPVN sont réduites à
deux sections à peu près valides.
Le 11 avril, le colonel Langlais réorganise la défense du camp retranché ; la bataille marque
un temps d'arrêt. Sur « Huguette 6 » où elle s’est installée, la 1° compagnie manque de tout :
munitions, vivres. La soif torture les Bawouans de Bizard. Dans la nuit du 14 au 15, des
éléments des BEP essaient de ravitailler le PA par la piste Pavie ; la colonne atteint le capitaine
Bizard, mais son décrochage coûte si cher que de Castries décide d’évacuer « Huguette 6 ».
Le 18, le lieutenant-colonel Bigeard laisse carte blanche à Bizard pour évacuer la position. A
8 heures, il tente la percée et traverse les rangs viêt-minh abasourdis. Le corps protégé des éclats
de grenades par des sacs de terre à demi remplis, Bizard et ses hommes se ruent vers les PA amis.
Le 24 avril, le dispositif défensif est encore remanié. Cette fois, la compagnie Bizard
évacue « Opéra » pour s’installer au nord de « Dominique » dans la boue du marécage que l’on
appelle le « PA sans nom ». Elle y restera jusqu’au cessez-le-feu du 7 mai 1954...
Voici l'officier légendaire qui prend le commandement du 13° RDP à la Saint-Michel 1967.
Mettant l’accent sur l’entraînement physique, il fait construire un stade qu’il inaugure en
remportant le décathlon organisé à cet effet. Sous ses ordres, les escadrons ont une activité
incessante. Il sait communiquer sa foi et son enthousiasme à ses subordonnés. Il n’en néglige pas
pour autant le bien-être des hommes ; l’amélioration du cadre de vie reste une de ses
préoccupations constantes. Il instaure également l’instruction des langues étrangères, toujours
dans un souci d'efficacité et afin de favoriser au maximum les liaisons avec les alliés.
Au cours des journées d’été, pendant les différentes manifestations de la fête du Régiment
en 1969, le colonel Bizard organise une prise d’armes à l’occasion du départ à la retraite du
général Massu le dimanche 6juillet 1969. Il s’adresse au général en ces termes : « Mon Général,
le 10 mai 1796, au soir de la bataille de Lodi, les vieux grenadiers décidèrent de nommer caporal
d'honneur leur général Bonaparte. Aujourd’hui, le 13° régiment de dragons parachutistes, qui,
par deux fois, servit sous les ordres du général Massu, est heureux de le nommer brigadier
d'honneur. Voici, mon général, votre diplôme de bonne conduite. C’est la première fois qu’un
grade d'honneur est attribué par le 13° RDP. »
Le lieutenant-colonel Morbieu, le lieutenant-colonel Renaud, puis le lieutenant-colonel
Faivre qui prendront ensuite le commandement, continueront à améliorer et à affiner l'outil qui
leur est confié. Avec la venue du lieutenant-colonel Heux, c’est l’arrivée à la tête du régiment du
premier «ancien commandant d’escadron de recherche». C’est également un grand spécialiste du
renseignement. Le lieutenant-colonel Bichon qui lui succède, est également un ancien
commandant d’unité « de la maison ». Pendant son commandement, le régiment intervient
outre-mer : Mauritanie, Tchad, Centre-Afrique, Zaïre ou les équipes de recherche sauteront sur
Kolwezi avec le 2° REP. En 1979, le 13° participe au défilé du 14-Juillet à Paris, c’est la seconde
fois depuis qu’il est devenu aéroporté. A cette occasion, le 1” escadron sera présenté au
Président de la République. Le lieutenant-colonel Gomart prend le commandement en 1979.
C’est un cas unique dans les annales du régiment, le 13° étant le seul corps où il ait servi :
sous-lieutenant en Algérie, lieutenant à Dieuze, commandant d’unité, chef du BOPS... et chef de
corps. Le lieutenant-colonel Ferron poursuivra son œuvre en matière de désenclavement de
renseignement, il amplifiera la coopération interalliée… à une époque difficile.
En 1983, l’arrivée du colonel Baleyte donnera un nouveau coup de fouet aux méthodes
comme aux hommes. Parallèlement, l’outre-mer sera fertile en événements : Tchad, opération
«Manta».…. Le lieutenant-colonel Marin fera effectuer au régiment un bond décisif en imposant
le système informatique du traitement du renseignement. Le lieutenant-colonel de Quenetain
poursuivra la mise en place des systèmes de traitement de données et lancera le programme
d’intelligence artificielle. Ce sera le lieutenant-colonel Clément, premier chef d’équipe de
recherche à prendre le commandement, qui donnera au 13° sa dimension actuelle.

Lieutenant Gomart

Général Berthier, lieutenant-colonel Gomart


au second plan, le général Schmitt

130
L’amicale des anciens du 13° RD - 13€ RDP
Aprés la grande guerre de 1914-1918, les anciens combattants se regroupèrent en
associations. Sous l’égide du colonel Larroque, leur ancien chef de corps, ceux du 13° créèrent
« l’amicale des anciens combattants du 13° RD ».
Au second conflit, après l’armistice de 1940, ceux qui venait de se battre restèrent en
contact. Parrainée par le colonel Juin de Baissé et sous l’impulsion du sous-lieutenant Verneret,
cette association clandestine perpétua le souvenir et l’esprit de corps. Elle contribua ainsi à la
remise sur pied du régiment en 1944.
Les deux associations fusionnèrent après la Seconde Guerre. La présidence d’honneur échut
au colonel Juin de Baissé, la présidence à J. Jallot, ancien de 14-18. C’est une partie de ce
comité, qui amalgamait ceux de 14-18 et de 39-45, qui transmit l’étendard quand le 13° fut remis
sur pied à Castres.
Au décés de M. Jallot, le poste fut tenu par J.Loiseau, ancien de 39-45.
Parallèlement, les personnels qui servaient au 13° RDP fondèrent en 1970 leur propre
mouvement et les deux associations entretinrent de bons rapports. Lorsque M. Loiseau dut
abandonner sa charge en 1987, le flambeau fut repris par MM. Marion et Bonanni.
Les deux mouvements fusionnèrent administrativement en 1989 sous le nom : « Amicale
des anciens du 13° RD - 13° RDP ». Le président J.Lecat, responsable de cette nouvelle
association, se portant garant de l’indépendance d’action des anciens du 13° RD et de leurs trois
groupements : Melun, Orléans et Paris.

PLACE
DU
15 RÉGIMENT
DE
GalukX, phetn
Arrivée du 13* Dragons à MELUN = 21 Avril 1813 DRAGONS PARACHUTISTES
131
L’ETENDARD

Le 18 février 1987, le 13° régiment de


dragons parachutistes recevait son quatrième
étendard en remplacement des soies
anciennes, indépendamment des bannières et
guidons de l’ancien régime, des emblèmes de
la révolution du consulat de l’Empire, de ceux
du Second Empire et de la troisième
République.
Le glorieux étendard de la Grande Guerre
a été reversé au musée des armées en 1925.
Celui qui le remplacera sera confié en garde
au 8° cuirs lors de la dissolution de 1940.
. Soustrait à la vindicte allemande en 1943, il
rejoindra les Invalides. Il sera remis
solennellement au chef d’escadrons Lesage
par le général de Gaulle le 2 avril 1945 à Paris,
puis reversé au Service Historique lors de la
dissolution en 1946. En 1952, lorsque les
dragons deviennent parachutistes, c’est au
colonel Roland qu’échoit la garde de
l’Etendard. Il lui est remis symboliquement
devant le front des troupes par une garde
d’honneur composée d’anciens du 13° RD, le
6 juin 1953. Au cours des années, l’emblème a
subit quelques détériorations. Les soies et la
cravate ont été réparées une première fois au
début de 1953, puis encore une fois la soie
blanche en 1954. Reversé une dernière fois au
Invalides lors de la remise d’un étendard neuf
au régiment, il sera incinéré le 24 avril 1963.
Entre temps, le 10 décembre 1962, le
colonel Dunand-Henry a reçu la garde d’un
nouvel emblème qui restera au corps
jusqu'au 27 mars 1987. A cette date le
tablier et la hampe rejoignent le Service
Historique, les broderies de la cravate
serviront à orner un nouvel étendard.
L’emblème du 13° retournera une nouvelle
fois à Vincennes en 1989 pour l’inscription
Valmy 1792.
L’Etendard est décoré de la croix de
guerre 1939-1945 avec une palme. Le
régiment a reçu la médaille d’or de la ville de
Milan, mais cette décoration n’est pas cousue
sur la cravate. Les soies blanches portent les
noms de bataille suivants :

HOHENLINDEN 1800
AUSTERLITZ 1805
IENA 1806
LA MOSKOWA 1812
YPRES 1914
VERDUN 1916

et les soies bleues :

VALMY 1792
17979
CHANT DE TRADITION
Nous sommes descendants des fiers dragons
De l’Impératrice nos escadrons
Vainqueurs d’Austerlitz
A Iéna
La Moskova
Ont fait l’impossible et vont encore bien au-delà

Comme notre griffon


Tour à tour aigle et lion
Nous sommes soldats du ciel et de la terre
Parachutiste un soir
Commando le lendemain
Les armes à la main pour suivre notre destin
Nous irons nous battre un
Pour l’honneur et pour l’ar
De la liberté de la p (D

Quand nous
Disparaitre
La mission

rmes aux yeux E |


e dire adieu re ‘à
SE Se
m ‘ac
serein + ;
Nous partons pour . Mexique D. ve
Pape : Nous partons la voile au vent “F4
/ all f. Adieu donc belle Eugénie
c& : Nous reviendrons dans un‘an
Ce n’est pas facile du tout
Que de penser à l’amour io
Surtout quand il fait grand vent
Par dessus l’gaillard d’avant

Nous partons pour le Mexique


Nous partons la voile au vent
Adieu donc belle Eugénie
Nous reviendrons dans un an

134
L’insigne

"Ecu de dame de sinople à l’ombre de soleil éteint de vieil ivoire


issant de la pointe accompagnée en chef de deux "E" adossés et
entrelaçés en scriptes d’or brochant sur les rais et chargée en pointe
d’une aigle impériale de sable plumetée d’or. A la bordure d’or
chargée en flancs, de feuilles de laurier du même et en pointe d’un
listel aussi d’or portant le titre "13° Dragons" en chiffres et en
capitales gravées. Pour timbre une couronne impériale d’or brochant
sur le chef de l’écu et assortie de deux lambrequins aussi d’or, en
forme de banderoles, chargés d’abeilles du même."
Telle est le descriptif de l’insigne officiel du 13° RDP. C’est en L’homologation est accordée le 24 janvier 1953, sous le numéro
1939, que l’idée d’un insigne pour le régiment prend corps. Le 6 G983. Elle est accompagnée d’une description qui correspond au
février, le colonel Juin de Bayssé engage les officiers du régiment à modèle Arthus-Bertrand mais avec de l’émail blanc pour le soleil.
lui soumettre un projet. C’est le dessin du sous-lieutenant Lacroix, Cette description est suivie de la précision : "couleurs des dragons de
futur commandant de la Garde Républicaine, qui est retenu. La l’Impératrice". (Les dragons de l’Impératrice portaient l’habit vert
maison Arthus-Bertrand est chargée de la réalisation de l’ouvrage ; le clair avec plastron blanc, le soleil blanc ne se justifie qu’avec un fond
17 novembre 1939, elle livre un premier lot d’insignes que les vert clair).
dragons arborent fièrement. Mais la tourmente de 1940 rend futile Les différences entre l’insigne Drago et celui d’Arthus-Bertrand
toutes préoccupations de traditions et d’esthétique. sont nombreuses : - Les lauriers ont complètement disparus de la
Dès la reconstitution du régiment en 1944, le commandant bordure qui est lisse - l’inscription « 13° Dragons » n’est plus gravée
Lesage, chef de corps, décide de lui redonner son insigne. La maison sur listel mais sur la bordure - Aigle à tête tournée à dextre au lieu de
Arthus-Bertrand effectue un retirage. L’émail vert foncé faisant senestre - soleil émaillé blanc au lieu de crème - monogramme de
totalement défaut, le régiment doit accepter que l’insigne soit réalisé l’Impératrice Eugénie réduit - rayons inférieurs du soleil raccourcis,
en vert amande. pointes reposant sur la bordure - tache d’émail rouge simulant la
coiffe intérieure de la couronne - bombement de l’insigne moins
« Nous n’irons plus chez Arthus-Bertrand accentué - faisceau de jupiter noir au lieu d’être du même émail que le
les lauriers sont coupés soleil. - bord de la couronne garni de perles émaillées (1) - dernière
Monsieur Drago que voilà différence, mais non la moindre, remplacement des aigles de la
les a tous supprimés ». couronne par des fleurs de lys.
Cette mauvaise parodie d’une comptine bien connue résume
admirablement la triste aventure de l’insigne du 13° dragons. La devise du régiment :
C’est le 9 décembre 1952 que le lieutenant-colonel Roland,
commandant le 13° RDP à Castres, demande l’homologation de
l’insigne du régiment. Cette formalité n’existait pas lorsque l’insigne "Au delà du possible"
original avait été créé en 1939.

(1) peut être considéré comme une amélioration.

135
Filiation du 13° Régiment Dragons Parachutistes

1676
BARBEZIÈRES-DRAGONS

Ÿ
1678 1808
FIRMACON-DRAGONS Régiment des dragons de la Garde impéria

Ÿ Ÿ
1710 1856
FOIX-DRAGONS Régiment des dragons de la Garde impéria

Ÿ Ÿ
1713 1857
CHASTILLON-DRAGONS Régiment des dragons de l'Impératrice
.
Ÿ
1714 1870
GOËSBRIANT-DRAGONS Régiment de l'ex-garde

Ÿ
1724
CONDÉ-DRAGONS

Ÿ
1740
MAILLY-DRAGONS

Ÿ
1744 Association clandestine du 13°
EGMONT-DRAGONS C* JUIN de BAISSE - S/Lt VERNERET

Ÿ Y
1755 1944
MARBŒUF-DRAGONS Maquis du LOIRET

Ÿ SE
1761
CHABRILLAN-DRAGONS

Ÿ
1763
MONTÉCLER-DRAGONS

Ÿ
1774
MONSIEUR-DRAGONS

136
4 1791
13: DRAGONS

1814
Première restauration DRAGONS de CONDÉ (n°8)

Y
Les Cent-jours
13° DRAGONS (dissolution)

1870
1* Régiment mixte de cavalerie (Siège de Paris)

1871
13° régiment de dragons

1940
DISSOLUTION

France Combattante
1943 Réseau "VERMILLON"
Août 1944 - Bureau 407 "S.M."
C“ LESAGE - L' GROUVEL - S/L' MARION

: 1944
Groupe FFI. - Lieutenant LEBRUN
NE

Octobre 1944
13° régiment de dragons (dissolution en avril Ci

à Avril 1948
: 13° régiment de dragons (dissolution en octobre 1948)

1952
ï 13° régiment de dragons-parachutistes

157
Les chefs de corps
du 13° R.D.P.

1676 Marquis de Barbezières


1678 Marquis de Fimarcon,
tué à l'ennemi
1692 Marquis de Fimarcon,
lieutenant-général
1705 Comte de Fimarcon
1708 Marquis de Foy
1713 Comte de Châtillon Ch
DATA TOR
ARR
Se
1714 Marquis de Guesbriant
1738 Marquis d’Argence
1740 Chevalier de Mailly
1744 Comte d’'Egmont
1753 Marquis de Marbeuf
1761 Comte de Chabrillant
1763 Chevalier de Montécler
1774 Marquis de la Châtre-Nançay
1788 Comte de Damas
1791 Baron de Malvoisin
1792 Murnand
1793 Chanoine de Rocmont
1796 Fouques
1796 R
re I DES _ Colonel Colonel Colonel
=EVaASsEur Roland (1952-1954) Audemard d'Alançon (1954-1956) Pallu (1956-1958)
1804 Broc
1806 Laroche
1808 Arrighi, général de division
1809 Letort, général de division
1809 Reizet
1813 Mouginot
1813 Dart
1814 Comte d’Astorg,
général de division
1815 Saviot
1856 Crespin
1861 Pajol
1865 Massue
1868 Sautereau Dupart
1871 Barbault de Lamotte
1876 de Villeneuve Bargemont
1878 Humann
1882 Letenneur Colonel Colonel Lieutenant-colonel
1883 Lacoste del’Isle d'Harcourt (1965-1967) Bizard (1967-1969) Morbieu (1969-1971)
1890 de Ganay
1893 de Cleric
1898 Durand de Villiers
1902 Thil
1906 Labit
1911 de la Tour
1915 Larroque
1918 Vuillier
1919 Boucher
1919 de Gail
1920 Dugue Mac Carthy
1920 Patissier
1923 Cadiot
1925 Perrot du Varnay
1931 Bret
1934 de la Forgue de Bellegarde
1935 Bizot Espiard
1936 Isengart Lieutenant-colonel Lieutenant-colonel Colonel
1939 Juin de Baissé Gomart (1979-1981) Ferron (1981-1983) Baleyte (1983-1985)

1944 Lesage
1948 Henry
(N
NU

Colonel Lieutenant-colonel Colonel Colonel


Pottier (1958-1960) du Serech d'Aurimont de Saint-Avit (1960-1961) Dunand-Henry (1961-1963) de Courson de la Villeneuve (1963-1965)

Lieutenant-colonel Lieutenant-colonel Lieutenant-colonel Colonel


Renaud (1971-1973) | Faivre (1973-1975) Heux (1975-1977) Bichon (1977-1979)

Lieutenant-colonel Lieutenant-colonel Colonel


Marin (1985-1987) Huchet de Quenetain (1987-1989) Clément (1989-

159
La transmission discrète des messages de renseignement
Servir
aux Dragons
Parachutistes.
dir

141
EE +
das |A.
.

Dieuze

Depuis plus d’un quart de siècle, le 13° régiment de dragons parachutistes est implanté à
Dieuze, petite ville de la vallée de la Sielle.
Ce chef-lieu de canton est situé sur le plateau lorrain qui s’étend au sud de la Sarre entre la
Moselle qui a donné son nom au département et le nord des Vosges. Il est aux portes du parc
régional, dans un triangle dont les trois grandes métropoles de Strasbourg, Metz et Nancy
marquent les sommets et qui en sont distantes respectivement de 100, 60 et 45 kilomètres.
Les paysages d’étangs, de forêts, de cultures, de paturages du dieuzois sont d’un attrait et
d’une richesse exceptionnels ; le commerce y est très dynamique ; une soixantaine d’entreprises
artisanales travaillant le bois, le cuir, les textiles, de petites industries alimentaires, des
installations d'hygiène et de soins permettent à la cité de jouer pour la population un rôle
privilégié de centre local.

Arrivée en Dieuzoiïis

Le régiment est entré officiellement à Dieuze pour y tenir garnison le 27 juillet 1963 au
cours d’une cérémonie présidée par le général Massu, alors gouverneur militaire de Metz et
commandant de la VI° région militaire.

Les quartiers du 13€ RDP

Depuis son arrivée dans le "pays des étangs", le 13° régiment de dragons parachutistes
occupe les quartiers Lyautey et Fabert qui ont été rénovés et qu’il ne partage avec aucune autre
unité.

142
L’implantation en Allemagne

Le 2° escadron est toujours stationné en Allemagne, au bord du lac de Constance.


(Le Bodensee)
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, dès 1945, il s’est d’abord installé à langenargen,
dans une école de cadres créée par le maréchal de Lattre.
Ce vaste plan d’eau et l’arrière-pays constituent un cadre unique qui offre des facilités
exceptionnelles d’entraînement, notamment pour les activités nautiques et de montagne ;
celui-ci a été heureusement conservé par cette unité du 13° RDP lorsqu'elle a été transférée au
quartier Durand-de-Villiers à Friedrichshafen à l’occasion d’une restructuration de l’armée de
terre.

Missions

Désormais hautement spécialisé dans la recherche du renseignement à l’intérieur des lignes


ennemies, le 13° régiment de dragons parachutistes a pour mission en temps de guerre :
- d'évaluer la nature, le volume et le dispositif de l’adversaire,
- de renseigner sur les objectifs,
- de rendre compte des résultats obtenus au combat par les forces en présence.
Le 13€ régiment de dragons parachutistes peut également assurer à la demande dans les pays
amis, notamment d'outre-mer, ou sur les théâtres d'opérations extérieures, différentes missions :
- d’assistance technique,
- de recherche du renseignement.
C’est le régiment lui-même qui assure la plus grande partie de l’instruction de ses
personnels pour les préparer à remplir les différentes missions qui peuvent lui être confiées.

143
Fête du régiment (juin 1990).
Revue des troupes passée par
le général Lafont
en présence de la princesse Napoléon

Les officiers

Le régiment compte plus de soixante-dix officiers ; ils forment une équipe soudée dont la
cohésion très forte est peut-être due paradoxalement, à la diversité des formations d’origine et des
armes d’appartenance.
Les officiers sortent, en effet de Saint-Cyr (ESM) ou de l’école militaire inter-armes
(EMIA) ; d’autres sont ORSA ou issus du rang. Ils appartiennent à l’ABC, l'infanterie, l’artille-
rie, le génie ou encore les transmissions.
La richesse du corps des officiers du 13° RDP provient de leur expérience acquise dans les
formations des différentes armes au cours de leurs affectations précédentes. Hautement spéciali-
sés, ils effectuent pour nombre d’entre eux, plusieurs séjours au régiment auquel ils restent très
attachés.

Les sous-officiers

Les sous-officiers, qui sont presque 300 au 13° RDP, ont pour beaucoup d’entre eux servi
depuis le début de leur carrière au régiment ; ils en constituent l’ossature, particulièrement stable
et solide ; il n’est pas rare qu’un adjudant commande une équipe de recherche, dans laquelle il
a débuté plusieurs années auparavant.
Ces sous-officiers sont la richesse du régiment, en raison de leur compétence et de leur
expérience étendue et variée, acquise au cours des différentes missions exécutées sous tous les
cieux du monde.

De gauche à droite :
Lt Clément
Mdi Meunier
Le colonel Clément décorant le major Meunier de la Médaille militaire (mai 1969)
(juin 1990)

144
Les militaires du rang

Les militaires du rang affectés au 13° régiment de dragons parachutistes sont, soit des
appelés du contingent, soit des personnels servant sous contrat. Les uns et les autres sont
sélectionnés au départ sur des critères intellectuels, physique et moraux.
Les appelés : 11s commencent par « faire leurs classes » pendant deux mois à l’escadron
d'instruction.
Ils y passent le brevet de parachutiste.
A l'issue de cette période, ils sont répartis dans les différentes unités du régiment.
Les personnels sous-contrat : VIS suivent initialement la même formation de base que les
appelés du contingent. Ils sont ensuite orientés vers la filière « recherche aéroportée ».
Nommés brigadiers-chefs au bout de deux ans, la plupart sont destinés à devenir
ultérieurement les sous-officiers du régiment aptes à remplir des missions en équipe de
recherche.
Les Escadrons

RS:
QÙ 2 CT

si

Les escadrons du 13 au cours d’un cross régimentaire

4€ escadron

À son arrivée au régiment, le jeune appelé ou engagé est initialement affecté au 4° escadron,
qui est l’unité d’instruction. Il y deviendra d’abord un dragon, puis ensuite un dragon
parachutiste.
son cycle d'instruction débute par la formation élémentaire toutes armes, qui dure deux
mois et qui permetà la nouvelle recrue d’acquérir les connaissances militaires de base
indispensables.
A l’issue d’une formation au sol qui dure une semaine, le dragon effectue les sauts
réglementaires à Pau à l’Ecole des troupes aéroportées et obtient le brevet parachutiste.
Le 4° escadron forme également les conducteurs des véhicules légers et des poids lourds qui
sont nécessaires aux régiments. Cette formation est donnée au cours de « l’instruction
élémentaire de conduite » ( IEC ).

146
1% escadron

Le 1° escadron est plus particulièrement chargé de la formation des spécialistes de la


recherche aéroportée. A ce titre il instruit :
- Tous les élèves gradés du corps. Ceux-ci y obtiennent le certificat militaire élémentaire
(CME)).
- Les futurs radio-opérateurs. Ceux-ci y passent le certificat technique élémentaire ( CTE }
« transmissions » et suivront la filière radio d’équipe de recherche ( RER ) qui leur permettra
aussi d’être radio-opérateur de centrale ( ROC ).
- Les adjoints chef d'équipe ( ACE ) sélectionnés parmi les sous-officiers désignés pour se
présenter à l’examen national du certificat technique n°1 ( CTI ) de la branche « recherche
aéroportée ».
Les stages qui se déroulent au 1°" escadron sont uniques dans l’armée de terre et les CTI
« RA » sont des certificats nationaux.
Le 1° escadron participe également aux activités régimentaires : exercices et manoeuvres
aéroportés ou non, convocation des réservistes et mises sur pied des unités du plan de
Brevet de Chef d'équipe de Recherches.
mobilisation.
aéroportée et CT2 RA

Brevet CT 1 RA

Brevet de radio d'équipe


de recherche

Brevet d’observateur d’équipe


de recherche

147
Test renseignement
Test ‘‘ manip’?

Lecture au son ‘‘Las’’

Annonce des résultats du PESO en salle d'honneur


‘adrons de recherc Les unités opérationnelles exécutent l’essentiel de la mission du 13° régiment de dragons
parachutistes. Elles sont toujours sur la brèche : manœuvres, entraînement, sauts, séjours en montagne,
stages nautiques, séjours outre-mer.
Les perse nnels des escadrons de recherche sont extrêmement qualifiés techniquement et armés
moralement pour faire face aux difficultés de toutes sortes qu’ils rencontrent dans l’exécution de la
mission.
“Dans la recherche, les objectifs sont fugitifs, les zones à surveiller vastes, les
besoins en renseignements dans la profondeur nombreux.”
G. LAGARDE (Juillet 1978)
Préparation et étude de la mission
dans le cadre d'une manœuvre “ Eugénie ” en juin 1990
Dés,hs

Préparation matérielle avant l'embarquement pour la mise en place aéroportée


Ainsi, la mission est de transmettre dans un délai le plus court possible, une masse brute de
renseignements tactiques, qui, une fois, traitée et interprétée, immédiatement, sera fournie au
grand commandement afin de l’aider dans l’évaluation de la force, des capacités et du dispositif
de l’ennemi dans sa profondeur. Cette mission est entreprise dans le cadre Europe mais peut
s’appliquer ailleurs.
NS
L\LA EE GS
ati? Ÿ AA,

Le 13° RDP est, en fait, un régiment en situation expérimentale permanente. Tout y est testé : armement. moyen de mise en
place, récupération, alimentation, techniques médicales, équipements, procédures opérationnelles, matériels de
transmissions; chacun participe, à son niveau, à cette recherche, à cette demande du plus léger, du plus solide, efficace, sûr,
qui permet de durer sur le terrain, de ne pas se laisser dépasser par les "autres", par la technique, le progrès
TS
DA
ji à
NUE

Conditionnement des sacs en gaine collective.

157
Sa = Ÿ È = =
= © &=Ÿ = Ÿ S = S È = as Ÿ = LS S 2
Dernier SIN stants de répit avant l'épreuve de véérité
Ultime briefing sous les ailes

159
“Les recherches d'amélioration des modes d’action supposent
une ouverture sur les techniques nouvelles de mise en place des
équipes de recherche dans la profondeur...”

160
161
Régiment parachutiste, son entraînement repose sur l’obtention
du brevet, puis sur le maintien en condition sur le plan parachutiste
avec en particulier : sauts en zones boisées, sur plan d’eau, de nuit.
Attendre. se concentrer sur l'exécution de la mission puis partir vers l'inconnu...

7
a” ©
Les chuteurs opérationnels

Les chuteurs opérationnels tiennent une place à part dans les équipes de recherche.lls sont
tout particulièrement entraînés à effectuer des sauts à grande hauteur avec charges et sont tous
capables de remplir discrètement au sol une grande variété de missions.
Chuteur opérationnel au-dessus de la baie du Mont-Saint-Michel

165
S’'infiltrer discrètement
“Solitaires et largement autonomes une fois mises en place, loin du monde, loin
des villes, loin du bruit, elles obeissent à des procédures strictes, réactualisées avec
l’évolution des matériels...”
C’est dire que les membres de ces équipes de recherche, doivent posséder des aptitudes et des qualités :
- endurance physique et solidarité morale - initiative, opiniatreté, discernement - esprit d’équipe.
Chef d'équipe nageurs en progression aquatique
"Voir sans être vus, renseigner longtemps dans la précision, transmettre sans
être détectés ”’.

(LES TAUPES) L'équipe de recherche, unité de base, exécute les missions, qui
reposent sur un enseignement très poussé de la topographie, de l’identification et des
techniques de transmissions.

‘“.. malgré le champ de bataille en verre, le


porteur de la plus grande combinaison de
capteurs d’investigation continuera de jouer un
rôle décisif :l’homme !”
BERNHARDT
Équipe moto
en progression

Ce mode de locomotion permet d'effec-


tuer des déplacements de grande ampli-
tude.
Ces équipes spécialisées peuvent
naviguer en sûreté de nuit grâce à des
moyens de vision nocturne à intensi-
fication de lumière.
La discrétion qui entoure les modes d’action du régiment est une garantie de
survie et d’efficacité.

“Il existe toujours, de nos jours, autour de certaines unités de l’ Armée de terre,
un mystère auquel vient s’additionner /a contre-vérité non vérifiable, le mélange
vrai-faux, la déformation du vrai, la modification du contexte, l’estompement, …
(Volkoff). Le 13° RDP fait, certainement, partie de ces unités.”
Entraînement montagne

Chaque hiver, les escadrons de recherche s’initient aux différentes techniques alpines. Après une
formation initiale dans les Vosges, ils effectuent leur entraînement à Modane, dans les Alpes.

174
175
Entraînement commando

En complément de l’entraînement spécifique à la recherche aéroportée, l’entraînement


commando permet d’obtenir un accroissement des forces morales et physiques nécessaires à la
bonne exécution de la mission régimentaire.
Chaque année les unités bénéficient des installations du centre d’entraînement commando
( CEC ) de la région : Pont-Saint-Vincent, Givet, Vieux-Brisach, etc.

176
(s) 1M68.de TERRE

La mise en condition physique suppose l’acquisition de techniques spécifiques autant


que variées, telles que le franchissement de coupures, le rappel pendulaire, la survie
dans toutes sortes de conditions climatiques. Les "savoir-faire" sont simples mais
supposent une grande rigueur d’éxècution et une rare faculté d’adaptation au milieu
ambiant

UT
OMS és do TERRE

Aéromobilité

: Le régiment est capable, aujourd’hui comme hier, d’être mis en place


avec à peu près tous les types d’aéronefs français et alliés.

178
Saut de C 130 HERCULE

180
Saut de Puma
République centrafricaine

Opérations extérieures

Envoyées dans de nombreuses opérations extérieures, les équipes du 13° RDP ont été
présentes sur de nombreux théâtres d’opérations : Mauritanie, Tchad, République
centrafricaine …

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MUNISTÈRE DE LA DÈFENSE

|
TÉMOIGNAGE DE SATISFACTION

LE MINISTRE DE &A DÉFENSE


|
|
Vu le Décret N° 75-675 du 28 juillet 1975 portant règlement de
discipline générale dans les Armées
Témolgne se satisfaction

oser

Kolwezi 1978

182
Opération MANTA - Tchad 1983

183
Tr ansmetire quoiqu'il advienne et dan s n'importe quelles € onditions

184
Opération MANTA

Le 13 en opération à Djibouti

185
“Ces systèmes de transmission, rodés, testés en grandeur nature cherchent à
offrir toutes les qualités de la technologie dernier cri’.

La visualisation concrète des renseignements fournis par les équipes du régiment

186
“Sans recherche préalable, permanente, complète, et en temps opportun, du renseignement, il est
impossible à qui se défend, de réagir avec rapidité et souplesse.”
(Photo infrarouge d'une zone.)

Une équipe du 13 en tournée de province en RCA

187
Un détachement du régiment intervient dans le golfe d'Arabie dans le cadre
de l'opération DAGUET (octobre 1990).

Les véhicules ont été repeints en couleur sable dans des délais très rapides
pour les transformer en “vaisseaux du désert”, des temps modernes.

188
Le 13 présent, en tous cieux, en tous lieux, dans de nombreuses disciplines
re inerte

190
Les insignes
spécifiques

100 sauts de nuit

Plus de 1 000 sauts

Chuteur opérationnel

191
Se fondre dans la nature
_Cet ouvrage a été réalisé
par les Éditions du Fer à Marquer (EFM)

Direction littéraire : général (cr) Madelin


Maquette et photos : Patrice George
: Emmanuel Lievremont
Aquarelles originales : adjudant-chef Brembor
: Philippe Perret

L'éditeur et le chef de corps du 13° R.D.P. tiennent à


remercier tout particulièrement pour leur collaboration le
lieutenant-colonel Mevel, ancien chef du bureau instruction et
le capitaine Perret.

Ils expriment également leur profonde gratitude à


Monsieur Jean-Marie Marion, ancien du régiment et membre de
l’amicale, pour l’aide courtoise et le dévouement constant
qu’il leur a apportés au cours de la préparation de ce livre.

Achevé d'imprimer 4° trimestre 1990


pour les Editions du Fer à Marquer
par A.G.L. Imprimerie - Maringues
Photogravure C.E.R.A.T. - Cachan
Dépôt légal XXX 1990 - ISBN 2-907-671-08-1
© 1990 Editions du Fer à Marquer
DRAGONS DE
IPÉRATRICE.
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LE 13eÿ DRAGONS

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