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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE 2 : HISTOIRE MODERNE ET


CONTEMPORAINE
Laboratoire de recherche UMR 8596

THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline/ Spécialité : histoire
Présentée et soutenue par :

Thierry Noulens
le : 18 novembre 2011

L’ARME BLINDÉE ET CAVALERIE EN


GUERRE D’ALGÉRIE :
ADAPTATION D’UN SYSTEME D’ARME
ENTRE ARCHAÏSME ET MODERNITÉ
1954 - 1962
Sous la direction de :
Monsieur Jacques FRÉMEAUX Professeur des universités, Paris IV
Monsieur Jean-Charles JAUFFRET Professeur des universités, IEP Aix-en-P.

JURY:
Monsieur Maurice VAÏSSE Professeur des universités, IEP Paris
Monsieur Rémi PORTE Lieutenant-colonel, CDEF
Monsieur Frédéric GUELTON Colonel, SHD (RHA)
2
AVERTISSEMENT

Ce travail est rédigé sous l’entière responsabilité de son auteur. Il ne saurait en


aucune manière engager le ministère de la Défense et des Anciens combattants
ou l’Ecole de Guerre.

3
4
SOMMAIRE GENERAL
Tome I
Avertissement…………………………………………………………………........ p. 3

Sommaire général.……………………………………………………………........ p. 5

Avant-propos…………………………………………………………………......... p. 7

Introduction.
Triple héritage de l’ABC en 1954 : une arme jeune héritière d’une longue tradition. p. 15

Titre premier
L’arme blindée et cavalerie encore une fois dans la tourmente d’un conflit d’un
nouveau type………………………………………………………………………... p. 39

Chapitre I
Une montée en puissance chaotique (1954 – 1957)………………………………… p. 41
I. L’ABC surprise par le conflit, mais pas démunie…………………......... p. 41
II. L’ABC fait le grand écart……………………………………………….. p. 48
III. 1956, l’ABC enfin en ordre de marche…………………………………. p. 55
IV. 1957 : « Il n’y a plus de cavalerie blindée ».…………………………… p. 80

Chapitre II
A la recherche de la cohérence……………………………………………………… p. 93
I. Difficile conciliation entre l’Europe et l’AFN………………………….. p. 93
II. Le succès en demi-teinte d’une ébauche de réforme………………........ p. 104

Chapitre III
Une réforme ambitieuse mais constamment perturbée……………………………... p. 123
I. La décision ministérielle du 18 février 1960 : une première étape
semble franchie…………………………………………………………. p. 123
II. Les impératifs de l’Algérie prennent définitivement le pas…….............. p. 133

Chapitre IV
La réforme rattrapée par les événements…………………………………………… p. 153
I. 1961, une année de transition…………………………………………… p. 153
II. A la recherche d’une organisation plus classique…………………......... p. 166
III. Vers la mise en place des forces dites d’ « apaisement »……………….. p. 176

Titre deuxième
Des moyens en quantité juste suffisante qui doivent s’adapter constamment aux
circonstances………………………………………………………………………... p. 191

Chapitre I
Une communauté humaine protéiforme.……………………………………………. p. 193

5
I. L’ABC face à une situation inédite……………………………………... p. 193
II. L’état d’esprit des cavaliers face à la guerre d’Algérie……………......... p. 225
III. L’instruction et la formation……………………………………………. p. 255

Chapitre II
L’adaptation des matériels blindés, un problème qui trouve des solutions trop
tardivement………………………………………………………………………….. p. 285
I. Les priorités dans le domaine de l’équipement inversées………………. p. 285
II. Entre pis-aller et bricolage…………………………………………........ p. 303
III. Des matériels conçus pour l’Algérie qui arrivent trop tard……………... p. 319

Chapitre III
Les unités à cheval, le retour d’un vieux savoir-faire ?............................................. p. 341
I. La perception du cheval dans la tradition………………………………. p. 343
II. Renaissance de la vieille cavalerie d’Afrique ?......................................... p. 366
III. Une vielle institution face à un conflit de type nouveau………………... p. 394

Titre troisième
Emploi d’une arme « classique » dans la guerre révolutionnaire…………………... p. 423

Chapitre I :
L’insertion des unités de l’ABC dans le dispositif général…………………………. p. 425
I. Les unités parent au plus pressé et se dispersent dans leurs missions
comme dans leurs stationnements………………………………………. p. 425
II. L’esprit cavalier demeure………………………………………………. p. 446
III. L’économie des forces, clef de la réussite….…………………………... p. 469
IV. De la concentration du dispositif au retrait……………………………... p. 497

Chapitre II
Les spécificités de l’ABC en Algérie.…………………………………………......... p. 509
I. Les barrages…………………………………………………………….. p. 509
II. La lutte antichar………………………………………………………… p. 551
III. L’emploi des unités à cheval……………………………………………. p. 585

Conclusion générale……………………………………………………………….. p. 614

Tome II
Annexes………………………………………………………………………………. p. 621

Tables des annexes…………………………………………………………………… p. 622

Tome III
Monographie des unités de l’ABC en Algérie (1954-1964)…………………………. p. 842
Table des matières……………………………………………………………………. p. 1051

6
AVANT-PROPOS

Lors de mon arrivée au Prytanée militaire de la Flèche, en 1981, j’ai, pour la première
fois côtoyé quotidiennement des officiers et des sous-officiers qui avaient participé à la guerre
d’Algérie. Mon père, saint-cyrien de la promotion Ceux-de-Dien-Bien-Phu et lieutenant au 3e
escadron du 21e RS entre 1957 et 1959, ne m’en avait quasiment jamais parlé auparavant. Ce
n’est donc qu’à partir de cette époque que j’ai commencé à mesurer combien ce conflit avait
marqué une génération de militaires d’active. Par la suite, à Saint-Cyr, à l’école de cavalerie
puis au 6e régiment de cuirassiers, j’ai écouté avec attention les récits que m’en faisaient les
anciens. Cependant beaucoup manifestaient une certaine retenue et bon nombre de mes
questions restaient sans réponse. Aussi, ayant été affecté au service historique de l’armée de
Terre en 1995, après mon temps de commandement au 3e régiment de dragons, ai-je décidé de
profiter de l’ouverture récente des archives de l’Algérie pour m’y intéresser.
Sur les conseils du lieutenant-colonel Frédéric Guelton, j’ai contacté le Professeur
Jean-Charles Jauffret, qui fut mon professeur à Saint-Cyr et qui a bien voulu accepter de
diriger mes travaux de recherches. Le mémoire du DEA, rédigé sous sa direction, portait sur
l’emploi des animaux pendant la guerre d’Algérie. C’est bien évidement mon intérêt pour le
cheval qui m’avait poussé à choisir ce sujet.
Pour ma thèse le Professeur Jauffret m’a conseillé d’élargir le sujet et de traiter celui
de l’arme blindée et cavalerie en Algérie, ce que je me suis empressé d’accepter tant l’étude
de ce sujet, jamais traité en tant que tel, m’attirait.
Il me semblait pertinent, à l’heure où la guerre insurrectionnelle commençait à faire sa
réapparition dans le monde, d’étudier dans quelle mesure une arme dont la vocation, depuis
1942, était de se battre sur un champ de bataille classique, avait pu mettre à profit ses savoir-
faire tactiques et techniques dans le cadre de l’engagement contre-insurrectionnel qu’a
constitué la guerre d’Algérie.

1. Le mode de travail.

Mon affectation au SHD de 2007 à 2010, m’a permis d’avoir un accès privilégié aux
archives, bien que, comme tous les chercheurs, j’ai été obligé d’obtenir des dérogations pour
pouvoir faire état de certaines archives consultées.

7
Le corpus d’archives que j’ai consulté au SHD est très volumineux. Il m’a fallu
recenser tous les cartons traitant de l’ABC en Algérie. Mais je me suis vite rendu compte que
le plus souvent on trouvait les mêmes documents d’archives d’un organisme à l’autre. Les
cartons contenant les archives du 1er bureau de l’état-major interarmées (EMI) (1 H), par
exemple, renferment quasiment les mêmes courriers que ceux du 1er bureau de l’EMAT (6 T).
C’est donc tout naturellement que j’ai commencé mon travail par les archives de
l’inspection (générale) de l’arme blindée et cavalerie (31 T) où se trouvent les meilleurs
documents de synthèse concernant le sujet. Il m’a fallu ensuite descendre toute les chaînes
hiérarchiques pour terminer avec les archives des unités (7 U), dont la communication est
encore soumise à dérogation1, en m’attachant à y suivre l’évolution des différents dossiers. En
cela, mon expérience d’officier rédacteur en état-major m’a grandement était utile.
En plus des riches informations que livrent les fonds privés (1K) et de l’histoire orale
(3 K) du SHD, les nombreux témoignages écrits et oraux que j’ai pu recueillir m’ont permis
de combler les lacunes des documents d’archives et surtout de comprendre certaines décisions
dont les véritables raisons ne sont pas toujours mentionnées dans les archives officielles. En
outre, ces témoignages m’ont permis de rencontrer ou de correspondre avec les acteurs de
cette période. La majorité des témoins que j’ai contactés étaient officiers ou sous-officiers
subalternes d’active ou de réserve. J’ai eu la chance de rencontrer deux anciens chef de corps
peu de temps avant leur mort : le général de Parcevaux (16e régiment de dragons) et le colonel
Puga (27e régiment de dragons). En revanche, le général Berthet, ancien chef de corps de mon
père au 21e régiment de spahis, est décédé peu de temps avant l’entretien que nous avions déjà
programmé.
Pour élargir le nombre de mes témoins, je me suis adressé aux associations d’anciens
qui de plus en plus ont créé leurs propres sites internet sur lesquels se trouvent de nombreux
témoignages et, généralement, une riche iconographie (UNABCC, ANORABC2, Le Burnous,
associations régimentaires, etc.). Les présidents d’association m’ont mis en contact avec leurs
membres ce qui m’a permis de recueillir des témoignages trop nombreux pour être tous cités
dans cette thèse. Ma position d’officier de cavalerie et de fils d’officier de cavalerie ayant
combattu en Algérie, a considérablement facilité mon travail. Tous les anciens cavaliers
d’Algérie, qu’ils soient officiers, sous-officiers ou hommes de troupe, m’ont toujours réservé

1
La référence des cartons soumis à dérogation porte un astérisque (*).
2
UNABCC : union nationale de l’arme blindée et cavalerie - chars.
ANORABC : union nationale des officiers de réserve de l’arme blindée et cavalerie.

8
le meilleur accueil pour m’apporter leurs témoignages, à l’exception toutefois de certains
membres de la FNACA qui n’ont pas accepté de répondre à mes questions.
Depuis quelques années, les anciens d’Algérie publient leurs carnets, leur courrier ou
simplement mettent par écrit leurs souvenirs de leur passage en Algérie. Les récits sont de
valeur inégale ; cependant, dans chacune de ces publications, on trouve des éléments
intéressants sur la vie quotidienne et les combats menés par les unités d’Algérie. Il a fallu
retrouver, parmi cette masse de témoignages, parfois recueillis par des chercheurs, ceux
concernant l’ABC. Ce qui n’a pas toujours été facile. En effet, les titres choisis par les auteurs
comportent rarement une référence à leur appartenance à l’ABC. Par exemple, le témoignage
de Jean-Yves Alquier (Nous avons pacifié Tazalt, publié par le Centre de doctrine et d’emploi
des forces), précise dans son sous-titre que l’auteur a servi dans une unité des TAP3, mais pas
qu’il s’agit du 1er régiment de hussards (RH). D’autres, comme Daniel Zimmermann
(Nouvelles de la zone interdite), ne donne pas le numéro de leur régiment qu’il a fallu
identifier par recoupements, dans ce cas précis le 3e RC. Il a donc été nécessaire, dans bien
des cas, de consulter les textes pour les sélectionner.
Les articles de presse et de revues publiés pendant la guerre d’Algérie concernent peu
l’utilisation des engins blindés ou même des chevaux. Les revues destinées aux officiers, à
l’exception de celles de l’EAABC et du service vétérinaire, ne traitent que des problèmes de
la guerre révolutionnaire dans laquelle les engins blindés et les chevaux sont loin de jouer le
rôle principal. Ainsi, les revues destinées à la troupe sont constituées d’articles que l’on
nommerait de nos jours de « communication interne » et présentent peu d’intérêt, si ce n’est
celui de mieux percevoir l’évolution de l’image que souhaite donner le commandement des
unités au cours du conflit. La qualité d’impression de ces publications rend leur iconographie
peu exploitable.
Les fonds de l’ECPAD4, en revanche, sont abondamment pourvus de clichés et de
films qui permettent de découvrir la vie quotidienne des unités. Certains films de l’INA
présentent également un intérêt, surtout ceux diffusés dans les journaux télévisés qui montrent
des images d’opérations et, beaucoup plus rarement, de combats.
Dans les nombreuses publications concernant la guerre d’Algérie, aucune ne
s’intéresse vraiment à l’ABC en tant que telle. Seuls des régiments des TAP (1er régiment de
hussards et 13e régiment de dragons) ou les régiments étrangers (1er et 2e régiments étrangers
de cavalerie) ont fait l’objet d’études.

3
TAP : troupes aéroportées, plus connues sous le nom de parachutistes.
4
ECPAD : Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense.

9
La thèse de Frédéric Médard constitue le principal travail universitaire utilisé. Les
aspects logistiques y sont traités à fond. Il n’est donc pas apparu utile d’y revenir en détail,
sauf pour le soutien vétérinaire que Frédéric Médard a laissé volontairement de côté car il ne
rentrait pas dans son sujet. Comme le service vétérinaire ne fait plus partie de la cavalerie
depuis 1940, son organisation en Algérie est présentée en annexe.
L’immense regret éprouvé lors de la rédaction de cette thèse est l’absence quasi-totale
d’accès à des sources du FLN. Parmi les témoignages publiés ou consultables sur internet,
deux ont surtout été utilisés : celui d’Azzedine et celui de Khaled Nezzar. Ce dernier, qui a
combattu avec l’ALN extérieure sur le barrage-ouest entre 1958 et 1962, fait un récit très
détaillé de son expérience. Malheureusement, il ne précise que très rarement la date des
actions qu’il a menées. Cela rend difficile la confrontation de son témoignage avec les
informations que rapportent les archives de SHD ou les témoignages des militaires. En outre,
il fait parfois des confusions dans le nom des unités auxquelles il est confronté5. Ce
témoignage n’en est pas moins précieux, car il permet bien souvent de comprendre le but
qu’avait l’ALN lors de ses attaques de harcèlement contre le barrage-est après 1958.

2. Difficultés rencontrées.

21. Le temps.

La principale difficulté rencontrée a été le manque de temps disponible pour mener à


bien cette tâche.
La préparation du concours de l’Ecole de Guerre, alors appelé CID6, et la scolarité que
j’y ai suivie, ainsi que mon affectation à Metz, me m’ont pas permis de m’inscrire rapidement
en thèse après mon DEA.
Affecté aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan en 2003 en tant que chef du département
histoire et directeur du musée du Souvenir, j’ai été surchargé par un travail important dans
lequel la recherche historique n’avait que très peu de place. Les réformes continuelles qui sont
menées à Coëtquidan, la direction du musée qui rencontrait de très grosses difficultés lors de

5
Par exemple, Khaled Nazzer pense s’être heurté à des AM du 7e RH dans le Constantinois en 1959, or non
seulement ce régiment n’est pas doté d’automitrailleuses (il est aligné sur un TED 107 - à pied), mais en plus,
aucun de ses escadrons n’a jamais été engagé dans le Constantinois. Si c’est d’un régiment de hussards dont il
s’agit, ce ne peut être que le 4e RH, mais qui est équipé de M24, et non d’AM. Khaled Nezzar, Journal de guerre
(1954-1962), Paris, Editions Publisud, 2004, 291 p., p. 83.
6
CID : Collège interarmées de Défense. Ecole de l’enseignement militaire supérieur du 2e degré créé en 1993
par le regroupement des écoles supérieures de guerre des trois armées et de la Gendarmerie.

10
mon séjour, le suivi pédagogique d’une filière de saint-cyriens, la programmation des cours,
la gestion des enseignants résidants et vacataires, l’enseignement (qui ne portait pas sur la
guerre d’Algérie) ont été autant de freins à mon travail de recherche.
Si mon affectation au SHD, en tant que chef de la division études du département de
l’armée de Terre, m’a effectivement permis d’accéder plus facilement aux archives, le travail
administratif et l’enseignement dans les centres de formation de l’armée de Terre m’ont
grandement éloigné de l’Algérie, conflit pour lequel aucun travail ne m’a jamais été confié
par ma hiérarchie. Malgré la bienveillance de mon chef direct, le colonel Guelton, qui n’a
jamais ménagé ni ses conseils et ni son soutien, peu de mon temps a pu être consacré à la
rédaction de cette thèse. En outre la réorganisation permanente du SHD et les nombreux
travaux d’infrastructure qui y ont été menés pendant mon séjour ont grandement restreint
l’accès aux archives, malgré le dévouement et la gentillesse sans faille du personnel chargé de
la communication des archives.
Mon année passée en tant que cadre-professeur à l’Ecole de guerre m’a permis de
dégager plus de temps pour enfin m’atteler à la rédaction de ma thèse, bien que mon service y
soit également très prenant, tout en préservant ma vie de famille qui a toutefois pâti de cette
surcharge de travail que je me suis imposé.

22. Le sujet.

Etudier une arme ou un service au cours d’une campagne semble de prime abord
relativement facile. Pour l’ABC en Algérie, il n’en est rien car il n’existe d’unicité, ni dans
son emploi, ni dans son organisation, ni dans son équipement.
L’étude du sujet est restreinte à l’ABC en tant qu’arme et non en tant que fonction
opérationnelle, ce qui exclut les unités blindées de l’infanterie coloniale (infanterie de
Marine). En effet, les régiments de l’ABC qui sont engagés en Algérie ne sont pas tous
blindés. En revanche, cela inclut le personnel de l’ABC qui sert dans des unités qui
n’appartiennent pas à l’ABC : le lieutenant (LTN) Degueldre au 1er régiment étranger
parachutiste, le LTN Grillot, chef du commando Georges, le capitaine (CNE) Bizard au 1er
régiment de chasseurs parachutistes… Dans la partie consacrée aux unités montées, les unités
de supplétifs (harka et maghzen) ou à statut spécial (GMPR/GMS7) ne sont pas traitées. Il
n’est pas apparu utile de le faire dans la mesure où, d’une part, ces unités n’appartiennent pas

7
GMPPR : Groupes mobiles de protection rurale. Ils prennent l’appellation de GMS (groupe mobile de sécurité)
en 1957.

11
à l’ABC, sauf les harkas de ses propres régiments, et, d’autre part, il aurait été nécessaire,
notamment pour les GMPR/GMS qui n’ont jamais été traités en tant que tel, d’étudier leurs
statuts et spécificités, ce qui nous aurait éloigné du sujet. En outre, ces unités, mis à part la
harka du 585e bataillon du Train8, ne sont généralement composées que d’une dizaine ou
d’une vingtaine de cavaliers dont les modes d’action se rapprochent plus de ceux des harkas à
pied que de ceux des unités montées de l’ABC.
Une autre difficulté tient au fait que, en 1954, les subdivisions de l’ABC (cuirassiers,
dragons, hussards, etc.) ne correspondent plus à des emplois particuliers. Parmi les régiments
de hussards, par exemple, certains sont à pied, comme le 6e régiment, d’autres sont montés sur
des engins blindés de reconnaissance (EBR), comme le 8e régiment, d’autres servent sur
automitrailleuses M8 (AM M8), comme le 3e régiment, d’autres enfin sont équipés de chars
M24, comme le 9e régiment. En outre, les changements de matériels sont fréquents en Algérie,
le 1er régiment de hussards9 (RH), par exemple, échange ses M24 contre des automitrailleuses
britanniques Ferret en 1958. Il a donc fallu faire un inventaire exhaustif de tous les régiments
et de tous les escadrons en s’attachant à suivre leur évolution. Cette analyse est présentée dans
le tome III.
Se pose la question de savoir ce qui peut bien les rapprocher une unité comme le 7e
régiment de hussards (RH), qui est à pied et ne remplit que des missions territoriales, et le 1er
régiment de spahis algériens (1er RSA10), régiment équipé d’EBR qui fait le service de la herse
sur le barrage-est à deux reprises. Ou encore de trouver un dénominateur commun entre le 5e
RSA, régiment monté, et le 13e régiment de dragons (13e RD), régiment aéroporté sur AM
Ferret.
En fait, ce dénominateur commun est constitué par la ressource humaine. En Algérie,
comme en Indochine, où les cavaliers servaient à pied, en vedette fluviale, sur engins
8
Un article du n° 3/1978 de la RHA écrit par le chef d’escadron Gourmen présente ce que furent les bataillons
du train en Algérie. Le 585e bataillon du train y est traité de façon très approfondie. Ce bataillon, compte dans
ses rangs une harka à cheval de cent cavaliers mise sur pied par le chef d’escadron Lallart, lui-même ancien de
l’escadron de Saint-Cyr. NB : le grade de chef d’escadron (sans « s ») (CEN), dans le Train correspond à celui de
commandant.
9
Ce régiment est un régiment aéroporté, comme le 13e régiment de dragons (13e RD). Il est parfois désigné sous
l’appellation de 1er régiment de hussards parachutistes (1er RHP), mais celle-ci n’a pas de caractère officiel. Du
reste, dans les documents d’archive consultés, elle n’est jamais employée.
10
Au cours du conflit, les régiments de spahis changent à plusieurs reprises d’appellation en perdant leur
qualificatif d’algériens, tunisiens, ou marocains. Les appellations « marocain » et « tunisien » disparaissent en
novembre 1956. Le 1er régiment de spahis marocain devient 1er régiment de spahis (1er RS). Mais lorsque
l’appellation « algérien » disparait à son tour en novembre 1958, c’est le 1er régiment de spahis algériens qui
prend cette appellation. Les régiments de tradition marocaine, sauf le 6e, sont alors numérotés dans la série des
20, comme cela était le cas, pendant quelques temps, avant la Seconde Guerre mondiale. L’ex- 1er RSM/1er RS
devient donc 21e RS. Ces changements prêtent d’autant plus à confusion que les régiments sont tous les deux
équipés d’EBR. C’est pourquoi, dans le texte du mémoire, l’origine des régiments de spahis est toujours indiquée
par parenthèses : 1er RS(M) ou 1er RS(A).

12
amphibies etc., ce n’est pas tant le matériel qu’ils servent qui compte, mais l’usage qu’ils en
font. Les hommes qui composent ses unités ont pour la plupart reçu la même formation et sont
animés d’un esprit commun, que l’on nomme encore aujourd’hui « l’esprit cavalier ». L’école
d’application de l’ABC (EAABC) de Saumur, qui constitue ce creuset commun, tient une
importance dans l’ABC qui est loin d’être négligeable, même encore aujourd’hui. En outre, ils
dépendent d’un même inspecteur dont le souci est de les rendre opérationnels, non seulement
pour mener des combats en Algérie mais également pour participer à la défense de l’Europe
occidentale dans le cadre de l’OTAN. C’est donc sur les hommes qu’il faudra s’appuyer pour
mener cette étude. Plus que l’ABC, il s’agit d’étudier les « cavaliers dans la guerre
d’Algérie ». Cependant, comme la thèse traite également des matériels et de l’organisation,
nous avons choisi de maintenir le terme ABC dans le titre.

3. Remerciements.

Pour terminer cet avant-propos, je souhaite remercier en premier lieu ma femme


Sabine qui a supporté de vivre toutes ces années au milieu d’une documentation très
volumineuse et m’a toujours soutenu dans cette éprouvante aventure.
Mes remerciements vont également au professeur Jean-Charles Jauffret dont la
patience et la confiance m’ont été très précieuses. Je remercie également vivement le
professeur Jacques Frémeaux qui a accepté de codiriger cette thèse et sans lequel elle n’aurait
sans doute jamais aboutie.
Je remercie également madame Annick Besnard et le professeur Hervé Coutau-
Bégarie, d’avoir bien voulu relire mon travail et de m’avoir fait bénéficier de leurs précieux
conseils.
J’associe à ces remerciements le lieutenant-colonel Christophe Gué, mon fidèle
camarade et adjoint, dont les conseils et avis me font maintenant cruellement défaut.
J’exprime enfin ma vive gratitude à l’ensemble des officiers, sous-officiers, brigadiers-
chefs, trompettes et cavaliers qui ont accepté de me livrer leurs témoignages.

* *

13
14
INTRODUCTION

Triple héritage de l’arme blindée et cavalerie en 1954 : une


arme jeune héritière d’une longue tradition

I. La mécanisation de l’ABC : une réalisation récente fruit de


nombreux tâtonnements.

En 1954, au moment où éclate la guerre d’Algérie, l’Arme blindée et cavalerie est une
arme à la fois jeune et très ancienne. Jeune, car elle est créée en novembre 1942 par la fusion
de la cavalerie et des unités de chars. Ancienne, car son histoire remonte à Charles VII,
créateur des compagnies d’ordonnance en 1445, dont la cavalerie française est issue
directement.
Cependant, cette longue tradition de combat à cheval semble bien compromise avec
les progrès fulgurants des armes à feu lors de la révolution industrielle. L’un des
enseignements titrés de la guerre franco-prussienne de 1870 était que la cavalerie en tant
qu’arme du champ de bataille avait vécu. Les dramatiques charges des cuirassiers à
Frœschwiller (Woerth) ou celles des chasseurs d’Afrique à Floing avaient montré clairement
que la puissance de feu de l’infanterie et de l’artillerie y interdisait toute action de masse à
cheval. De même, les combats entre les deux cavaleries lors de la bataille de Mars-la-Tour
s’étaient transformés en mêlées furieuses dont aucun des protagonistes n’était sorti victorieux.
Face à ce constat, une commission de généraux de cavalerie présidée par le général de
Galliffet, fut réunie à Tours en mai 1881 pour décider de l’avenir de l’arme. Lors de cette
réunion, surnommée le « Concile de Tours », la tradition l’emporta et la cavalerie n’évolua ni
dans son organisation, ni dans son emploi11. Cet attachement au mythe des grandes
chevauchées et la mise en application de la doctrine de l’offensive à outrance, qui, pour
favoriser une manœuvre plus rapide, avait entraîné la quasi-disparition de la mission
d’exploration de la cavalerie, furent sans doute les raisons principales de l’usure inutile et
prématurée de la cavalerie française lors des premières semaines de guerre en 1914.

11
Procès verbaux publiés chez Berger-Levrault en 1881.

15
Jusqu’aux offensives Nivelle (1917), le rôle de la cavalerie est de mener l’exploitation
dans la profondeur, après la rupture du front ennemi, mais celle-ci n’est pas obtenue. La
stabilisation du front, en France, relègue donc la cavalerie à des missions secondaires, certains
régiments de cuirassiers sont même démontés et transformés en régiments de cuirassiers à
pied. C’est à cette époque que commence la mécanisation de la cavalerie, avec l’apparition
des automitrailleuses et des autos-canons. Servies par des marins à leur création, elles sont
d’abord rattachées à l’artillerie. Mais déjà, lors de leur création, le général Destremeau,
directeur de la cavalerie pense qu’ « une seule arme, la cavalerie a besoin des autos-canons,
c’est donc à elle qu’il faut les donner. Elle seule s’y intéressera, elle seule saura les
employer12 ». Une Dépêche ministérielle datée du 29 juin 1916 les rattache officiellement aux
divisions de cavalerie. Le 13e escadron du 27e régiment de dragons constitue leur dépôt. C’est
le début d’un lent processus de mécanisation qui ne s’achève qu’en octobre 1962 : la fin de la
guerre d’Algérie marque également la fin de la cavalerie à cheval.
Parallèlement à cette mécanisation, toujours au cours de la Première Guerre mondiale,
apparaissent les premiers chars. Même si certaines fines cravaches y servent, comme le chef
d’escadrons Bossut, le colonel Danloux ou encore le général Wattel, les chars sont créés au
sein de l’artillerie (artillerie spéciale ou artillerie d’assaut13), et lorsqu’ils quittent cette arme,
en 1920, c’est pour rejoindre l’infanterie et non la cavalerie.
Le fait que les chars de combat rejoignent l’infanterie n’empêche pas la cavalerie de se
lancer dans la mécanisation pour autant. Entre les deux guerres, il existe donc des engins
blindés, parfois très similaires, dans deux armes différentes : les chars de combat, dans
l’infanterie, et les automitrailleuses, appelées ainsi quelque soit leur tonnage et leur type de
roulement (chenilles ou roues), dans la cavalerie. Ces dernières portaient des noms différents
selon leur emploi : automitrailleuses de combat (AMC), automitrailleuses de reconnaissance
(AMR) et automitrailleuses de découverte (AMD).
Si le nom des engins est différent selon qu’ils sont utilisés dans la cavalerie ou dans
l’infanterie, le concept d’emploi l’est aussi. La commission qui rédige le règlement des unités
de chars de combat est tiraillée entre deux tendances. Celle des tenants de l’artillerie spéciale
ou d’assaut, qui appuie de ses feux directs des unités d’infanterie et celle d’officiers tournés
vers l’avenir qui voient dans les unités de chars, des unités autonomes capables d’emporter la
décision sur le champ de bataille. L’inspecteur de l’infanterie s’inscrit dans la première

12
Général Andolenko, Recueil d’historiques de l’arme blindée et de la cavalerie, Paris, ANORABC, 1968, 202
p.
13
SHD/Terre, 7 N 407, note n° 23 774 SA/3 du 9 août 1916.

16
tendance, les officiers des chars qui siègent dans la commission sont donc obligés de
composer avec sa vision du combat des chars. Il en résulte un règlement de compromis qui
n’est signé que le 27 mars 1940 par le ministre de la Guerre14. Ce document accorde quand
même quelques concessions dans le domaine de l’emploi autonome de chars qui peuvent être
réunis en « groupement de manœuvre d’ensemble ».
En ce qui concerne la commission du règlement d’emploi des automitrailleuses, elle
fait preuve de plus d’audace et d’esprit d’innovation. Certains grands noms de la future ABC
figurent sur la liste de ses membres comme Langlois, Flavigny ou Touzet du Vigier. Mais
cette commission est confrontée à un autre problème que celui de la commission des chars. Il
lui faut régler l’épineux problème de la conciliation, dans une même doctrine, de l’emploi
d’unités à cheval et de celui d’unités mécanisées : les divisions de cavalerie (DC) et les
futures divisions légères mécaniques (DLM). La commission trouve comme dénominateur
commun à ces unités le fait qu’elles représentent « la mobilité jointe à la puissance de feu ».
Le règlement de la cavalerie est scindé en deux en 1939 : un pour les unités montées et
un pour les DLM. Pour la cavalerie à cheval, dont les régiments sont regroupés dans des
divisions de cavalerie (DC), qui deviennent divisions légères de cavalerie peu après l’entrée
en guerre, les dispositions de l’IGU 21 sont toujours en vigueur. Elle a pour mission :
« Renseigner, couvrir, combattre en liaison avec les autres armes »15. Les DLM, grandes
unités interarmes, conservent les missions traditionnelles de la cavalerie : renseigner, couvrir
et combattre. Leur règlement d’emploi est d’une étonnante modernité. Il faut noter qu’une
notice d’emploi de la DLM, datée de 1935 parle déjà beaucoup de combat offensif : sous
couleur de « reconnaissance », on s’achemine vers un combat d’unités de chars autonomes.
Si les fantassins disposent de chars avant les cavaliers, leurs divisions cuirassées (DCr)
ne commencent à voir le jour qu’à partir de janvier 1940. Les cavaliers, en revanche,
disposent d’une DLM en 1935, de deux en 1937 et d’une troisième en décembre 193916. Le
général Frère, qui eut les deux types d’unités sous ses ordres constate que les DLM sont
animées d’un esprit offensif que les DCr n’ont pas17.

14
Gérard Saint-Martin, L’Arme Blindée française, tome 1 : mai-juin 1940 ! Les blindés français dans la
tourmente, Paris, Economica 1998, 365 p. et L’Arme Blindée française, tome 2 : 1940-1945 ! Dans le fracas des
batailles, Paris, Economica 2000, 473 p. (Thèse sous la direction du Pr. André Martel, Montpellier III, 1994).
Tome 1, p. 39.
15
Ministère de la Guerre, Instruction provisoire du 6 octobre 1921 sur l’emploi des grandes unités (IGU 21),
Paris, Lavauzelle, 1932, Article 2, p. 27. Cité par le sous-lieutenant Pierre-Henri DELORGE, Doctrine et emploi
de la cavalerie montée dans l’armée française de 1918 à 1935. - 239 p., Mémoire de maîtrise d’histoire, Paris IV
– 2005, directeur : Georges-Henri SOUTOU, p. 138.
16
Il avait été décidé en juillet 1939 de créer 8 DLM dans l’année 1940 à partir des divisions de cavalerie.
17
SHD/Terre, 3 P 112, rapport n° 153/3/S du 5 septembre 1940. Cité par Saint-Martin, op. cit.

17
Il n’en demeure pas moins vrai que, en dehors des DLM, le cheval occupe une place
de choix dans l’arme. Même si dans certains régiments il est déjà mal vu de se dire « fana
cheval », force est de constater que bon nombre d’unités sont semi-montées comme les
divisions légères de cavalerie, les groupes de reconnaissance de corps d’armée et les groupes
de reconnaissance de division d’infanterie. Ces unités, où est tentée une manœuvre à base du
cocktail « crottin et cambouis » font leur devoir pendant la campagne de 1940, mais il s’avère
impossible de faire manœuvrer au même rythme les chevaux et les automitrailleuses.
D’ailleurs, une fois l’action engagée, ces dernières se retrouvent souvent engagées au sein
d’unités mécanisées.
Les matériels étudiés et entrés en service entre les deux guerres dans la cavalerie ou
l’infanterie sont le résultat de compromis entre mobilité et protection. Les chars d’infanterie
souffrent du trop grand souci du commandement de parer la puissance de feu des armes
antichars. A cause du sur-blindage qu’il leur est imposé ils perdent en mobilité ce qu’ils
gagnent en protection. En outre, le souci d’économiser l’acier pousse le commandement à ne
concevoir que des tourelles monoplaces, ce qui aura de fâcheuses conséquences lors des
combats contre les chars allemands équipés de tourelles multiplaces. Le meilleur compromis
est trouvé par le SOMUA, qui sous le nom d’AMC est en fait un véritable char de cavalerie.
De même, l’AMD Panhard 178 est un excellent engin de découverte avec sa tourelle biplace
et son pilote inverseur.
Il n’est pas utile d’insister sur la campagne de 1940 où, malgré l’action de certains
officiers, dont celle général Langlois, à la tête de la 3e DLM, ou celle du général de Gaulle à
la tête de la 4e DCr, ni les chars de l’infanterie, ni les AM de la cavalerie ne peuvent enrayer
l’avance des chars allemands malgré l’action de de Gaulle à Montcornet et, surtout, celle de
Langlois à Hannut. Cette sévère leçon est prise en compte par le commandement lors de la
création de l’ABC en 1942 à Alger.
Après le débarquement allié en novembre 1942, une première DLM est reconstituée à
la hâte pour participer à la lutte contre les Allemands en Tunisie. Composée de régiments
stationnés en AFN (4e régiment de chasseurs d’Afrique, 1er régiment de spahis algériens, 1er
régiment étranger de cavalerie), elle participe à une campagne hivernale très dure contre
l’Afrika Korps avec ses matériels de dotation : ce n’est qu’au printemps 1943 que les
matériels américains commencent à être mis en place. Le colonel Le Couteulx de Caumont
intervient à la tête d’un groupement blindé équipé de matériels britanniques (chars Valentine
du 5e régiment de chasseurs d’Afrique), américains (9e régiment de chasseurs d’Afrique) et

18
français (Somua du 12e régiment de chasseurs d’Afrique)18. Ces actions sont les premières
accomplies par la jeune Arme Blindée et Cavalerie à laquelle sont intégrés les régiments des
Forces Françaises Libres (501e RCC et 1er RMSM19) qui pendant près de trois ans n’ont pas
cessé de combattre aux côtés des Alliés.
L’Arme Blindée et Cavalerie20 n’a donc que douze ans d’existence en 1954. Elle a été
créée « par ordre n° 1 du 24 novembre 1942, signé par le général d’armée Giraud,
commandant en chef les Forces terrestres et aériennes »21 avec prise d’effet au 1er décembre
1942. « Héritière d’une double tradition, la nouvelle arme réussit d’emblée, grâce à la qualité
de ses personnels, la difficile synthèse entre le cavalier habitué à juger le terrain de haut, vite
et loin et le char préoccupé par le combat en atmosphère close où prime la cohésion de
l’équipage et le service du matériel. »22 Cette option du général de corps d’armée A. Woisard,
bien que très optimiste, résume assez bien le double héritage de l’ABC.
Certains officiers des chars, comme le lieutenant-colonel Puga (chef de corps du 27e
régiment de dragons [RD] d’août 1960 à mai 1961), après la dissolution des unités blindées en
juin 1940, avaient déjà eu à choisir entre rester dans l’infanterie ou passer dans la cavalerie.
C’est ce qui le fit affecter au 2e régiment de dragons (RD) à Auch23. D’autres, comme
Georges Buis (chef de corps du 8e régiment de spahis algériens en 1958), qui commande la 1re
compagnie de chars du 501e RCC en 1943, ne passent dans l’ABC qu’une fois la guerre
terminée (en septembre 1945 en ce qui le concerne)24. C’est également le cas de Jacques de
Witasse, commandant la 2e compagnie du 501e RCC en 1943 (chef de corps du 25e RD de
1958 à 1960). Certains cavaliers comme Jacques Branet25 (chef de corps du 5e RSA d’août

18
Jean Delaunay (général), « Chars de combat et cavalerie (1917-1942) : la naissance de l’arme blindée », in
Revue historique des Armées, n° 2/1984, p. 17.
19
501e régiment de chars de combat et 1er régiment de marche de spahis marocains.
20
Le nom officiel de l’A.B.C. est « Arme Blindée et Cavalerie », sur l’étendard de l’EAABC, il est inscrit :
ECOLE DE L’ARME BLINDEE ET DE LA CAVALERIE. Cependant, l’usage aidant, cette arme est souvent désignée sous
le nom d’Arme blindée Cavalerie. De nos jours c’est cette dernière appellation qui est utilisée officiellement bien
qu’aucun document réglementaire n’ait modifié le document de novembre 1942.
21
Saint-Martin, op. cit. tome 2, p. 155 et 429.
22
Arsène Woisard (général de corps d’armée), « L’Arme Blindée Cavalerie de 1942 à 1984 », RHA, n° spécial
2/1984, 184 p., p. 25 – 43, p. 25.
23
SHD/DITEX, 3 K 43.
24
SHD/DITEX, 3 K 27.
25
Le titre donné par Jacques Branet à ses carnets de la Deuxième Guerre mondiale (L’Escadron, carnet d’un
cavalier) est d’ailleurs révélateur, bien qu’il y écrive : « Février [1944]. Je demande que mon unité perde sa
dénomination d’escadron, pour prendre celle de compagnie, comme les autres. Il en coûte un peu aux cavaliers,
mais c’est fort bien vu du régiment, ainsi très homogène », mais de préciser aussitôt, tant l’esprit de corps est fort
à cette époque : « Il est en même temps décidé que l’unité reprendra la tradition du 5e régiment de hussards,
qu’avait mon escadron du 8e dragons. » (Jacques Branet, L’Escadron, carnets d’un cavalier, Paris Flammarion
1968, 232 p., p. 166.

19
1957 à juin 1958 puis du 6e RS de mai 1960 à septembre 1961)26 sont affectés au 501e RCC
de la France Libre avant la création de l’ABC.
Les chefs de corps des régiments ABC des années 50 issus de la cavalerie ont pour
beaucoup servi à cheval pendant la campagne de 1940. Alain de Boissieu, chef de corps du 4e
régiment de chasseurs à cheval (RCC27) (1956-1958), est, à l’époque, lieutenant, chef de
peloton à cheval au 15e groupe de reconnaissance de division d’infanterie28. Hervé de
Blignières, chef de corps du 1er régiment étranger de cavalerie (REC) (1958-1960), exerce la
même fonction avec le même grade au 31e RD29. Jacques Branet, déjà mentionné, est chef de
peloton au 8e RD30 et Gabriel de Galbert, chef de corps du 6e régiment de spahis marocains
(1956-1958), au 37e groupe de reconnaissance de division d’infanterie (GRDI)31. Même si
d’autres, comme André Gribius, chef de corps du 4e RCC (1954-1956), qui commande un
peloton d’Hotchkiss H-35 au 29e RD32, servent sur engins blindés en 1940, tous sont
fortement marqués par l’esprit cavalier, d’autant plus qu’à l’escadron de Saint-Cyr
l’instruction est exclusivement donnée à cheval jusqu’à la guerre33, l’instruction sur
automitrailleuse n’étant reçue qu’en application à Saumur34.
La fusion entre les officiers issus des chars de combat, donc de l’infanterie, et les
officiers de cavalerie ne s’est pas toujours passée d’une façon aussi idyllique que l’a écrit le
général Woizard. La différence d’esprit qui existe entre eux s’explique en partie par les
querelles doctrinales d’avant guerre entre l’emploi des chars d’infanterie et ceux de cavalerie,
comme nous l’avons vu plus haut35. En 1951 paraît un règlement français remplaçant

26
Dans son ouvrage, Jacques Branet évoque la différence d’esprit qui régnait entre les unités de chars du 501e
RCC selon que le personnel venait de l’infanterie ou de la cavalerie. (Id.)
27
Le sigle RCC désigne aussi bien les chars de combat que les chasseurs à cheval, mais les régiments de chars de
combat sont tous numérotés dans la série 500, ce qui rend toute confusion impossible. En outre, les régiments de
chasseurs à cheval sont parfois désignés, dans certains documents d’archive par l’abréviation RCh. A partir
1963, les chasseurs à cheval ne sont plus désignés que sous l’appellation de « chasseurs », suite à leur fusion
avec les chasseurs d’Afrique. L’abréviation « RCh » est alors systématiquement utilisée pour les désigner. La
présence du « h » évite de les confondre avec les régiments de cuirassiers (RC).
28
Alain de Boissieu (général c.r.), Pour combattre avec de Gaulle, 1940 – 1946, Paris, Plon 1981, 360 p., p. 13 -
61.
29
Hugues Keraly, Hervé de Blignières : un combattant dans les tourmentes du siècle, Paris, Albin Michel, 1990,
342 p., p.19 – 72.
30
Branet op. cit. p. 7 – 42.
31
Gabriel de Galbert (lieutenant), « Carnet de route d’un chef de peloton à cheval », RHA n° spécial 2/1984, 184
p., p. 64 – 77.
32
André Gribius, Une vie d’Officier, Paris, Editions France Empire, 1971, 298 p., p. 21 – 54.
33
Thierry Noulens (chef d’escadrons), « L’Escadron de Saint-Cyr », Carnet de la Sabretache, n° spécial
Bicentenaire de l’Ecole Spéciale Militaire, décembre 2002, 236 p., p. 150-153.
34
Selon le général (c.r.) Pierre Durand, ancien chef de peloton à cheval au 5e RS en Algérie puis écuyer en chef
de 1975 à 1984, la construction en 1933 à Saumur, d’un bâtiment destiné à l’instruction des automitrailleuses
(actuel bâtiment Bossut) sur la carrière des Ecuyers avait, en son temps, sinon choqué du moins surpris beaucoup
d’officiers de cavalerie. A cette époque, encore le culte du « Dieu Cheval » est très vivace à Saumur.
35
Saint-Martin, op. cit. tome 1, p. 33 - 57.

20
l’américain : Le Règlement provisoire des troupes blindées. Il précise les caractéristiques de la
nouvelle arme dont les missions sont : renseigner, couvrir, combattre, c'est-à-dire celles de la
cavalerie avant la Première Guerre mondiale36. Mais le texte précise : « C’est à l’esprit qui
l’anime et au matériel qu’elle met en œuvre que la cavalerie blindée doit ses qualités
fondamentales. Héritière des traditions de la cavalerie et des chars d’assaut, elle garde les
qualités inhérentes à chacune de ses deux armes : culte du matériel, initiative, audace
réfléchie, rapidité d’exécution, ténacité, esprit de sacrifice, camaraderie au combat, habileté
manœuvrière »37.
Par la suite cette différence s’estompe avec la nouvelle génération du personnel
recrutée directement au sein de la nouvelle ABC38, mais il est révélateur que l’association des
anciens de l’ABC s’appelle, encore aujourd’hui : Union nationale de l’Arme Blindée
Cavalerie - Chars (UNABCC). Cette appellation a été choisie pour satisfaire les anciens des
chars de combat.
En 1945, l’ABC est entièrement équipée et organisée sur le modèle des unités blindées
américaines. Les divisions blindées sont constituées, sur le pied de guerre de trois
groupements interarmes (combat comand) Les unités montées opérationnelles sont réduites à
deux régiments de spahis qui forment une brigade (7e régiment de spahis algériens et 5e
régiment de spahis marocains) et aux unités montées des Goums marocains. L’ABC compte
deux centres d’instruction (un au Maroc et un en métropole), sept centres d’organisation de
l’arme blindée (Saumur, Maubeuge, Orléans, Dinan, Lyon, Rambouillet et Auch) et 47
régiments, nombre qui passe à 38 sitôt la guerre terminée39.
Avec la création de l’OTAN, l’armée française se trouve confrontée aux deux
phénomènes nouveaux que sont le feu nucléaire et la menace soviétique. La France a pris des
engagements vis-à-vis de l’OTAN dont elle membre et doit mettre sur pied une force blindée-
mécanisée apte à être engagée aux côté de ses alliés. L’organisation américaine est conservée
mais des études sont lancées dans le domaine organique et dans celui des équipements, dans

36
Eric Labaye, Le combat de cavalerie en 1914 : doctrine et réalité – 164 p., sous la direction du Prof. André
Martel, mémoire de DEA d’histoire militaire et d’études de défense nationale, Montpellier III, 1990.
37
Cité par Woisard, op. cit., p. 32.
38
Il faut noter, cependant, que le personnel de l’infanterie coloniale (spécialité blindée), puis TDM/blindé,
héritiers des chars de combat de l’infanterie coloniale, ne s’identifie pas, encore de nos jours, à l’ABC mais aux
TDM. Le colonel Fredet, de la promotion « Ceux de Dien-Bien-Phu » (2e bataillon), nous a rapporté que lorsque
les officiers coloniaux sont arrivés à Saumur, ils décidèrent, pour se différencier des cavaliers, de porter des
éperons dorés en tenue d’équitation. Or, cela est contraire aux traditions de l’armée de terre selon lesquelles,
seuls les officiers généraux, les spahis et les écuyers du Cadre Noir portent de tels éperons. Auparavant, comme
il n’y a jamais eu d’unités montées dans l’infanterie coloniale, les officiers des chars de combats de l’infanterie
coloniale ne portaient pas d’éperon.
39
Woisard, op. cit., p. 29.

21
un contexte économique d’autant plus difficile que le prêts-bails (lend-lease) américain
n’existe plus. Le développement de l’ABC « paraît compromis dans cette période de difficile
d’après guerre »40 car tout est à faire. Les coûts des matériels modernes qui sont tous à créer
sont extrêmement élevés et l’existence même du char comme engin de combat semble
compromise du fait de l’apparition de nouvelles armes anti-char.
L’ABC doit donc relever un double défi41 : être en mesure de participer à la guerre
d’Indochine tout en créant un nouvel outil de combat moderne.

II. L’arme blindée et cavalerie écartelée entre l’OTAN et l’Empire


colonial.

Pour ce nouvel outil soit cohérent, la France doit être en mesure de développer sa
propre gamme de matériels modernes. Or en 1945 le parc d’engins blindés est loin d’être
homogène. Le colonel Jacques Vernet définit trois sources d’équipement de l’armée française
entre 1940 et 1945 : l’exploitation des possibilités impériales, avec le service CDM (pour
« camouflage du Matériel »), l’appel à l’aide extérieure (britannique pour les FFL puis
américaine à partir de 1943), et enfin, le retour à la ressource métropolitaine.42 Le résultat de
cette dernière ressource, exploitant certaines études faites avant et pendant la guerre porte ses
fruits rapidement. Soixante exemplaires du char, dit « ARL 44 », issu d’études faites dans la
clandestinité, sont mis en service en 194643. L’EBR qui a été mis au point grâce aux études de
l’AMR 201 menées en 193844 est mis en fabrication en 1949. Mais, « il faut attendre la
réorganisation du pays pour que les premières réalisations françaises apparaissent enfin
dans les unités, à partir de 1950 »45.

40
Ibid. p. 31.
41
A cette époque encore, les armes de l’armée de Terre mènent leurs propres politiques d’équipement et de
doctrine d’emploi.
42
Jacques Vernet (colonel er), « Comment réarmer les Français ? 1943 – 1945 », in La France face aux
problèmes d’armement, actes du colloque organisé par le CEHD à l’Ecole Militaire le mercredi 31 mai 1995.
Paris Editions Complexe, 1995, 156 p., p. 13 –26.
43
François Bedeaux (ingénieur en chef (H) de l’armement), « La Renaissance des véhicule blindés français –
1945 –1951 », id., p. 63-73.
44
AMR : automitrailleuse de reconnaissance. Un prototype de cette AM avait même été réalisé par Panhard au
printemps 1940. Stéphane Ferrard, Engins Blindés français : cent ans d’histoire, Paris, Editions E/P/A 1996, 144
p., p.89 (cliché).
45
Vernet, op.cit., p. 19.

22
21. La nécessité de former rapidement un corps blindé-mécanisé.

En 1950, le général de division Boutaud de La Villéon, inspecteur de l’Arme Blindée


et de la Cavalerie fait un constat préoccupant sur la situation de l’ABC : « Si cruelle que soit
cette constatation, il est de mon devoir absolu de vous dire que l’Arme Blindée Française
telle qu’elle est actuellement constituée est absolument incapable, en cas de conflit, de livrer
un combat heureux en rase campagne devant une armée moderne »46. Pour lui, la cause
principale en est « la méconnaissance trop répandue du rôle capital et décisif que l’Arme
Blindée aura à jouer dans le conflit futur »47. Il s’avère qu’effectivement, à cette époque, le
développement des munitions à charge creuse (obus G stabilisé) et les études sur les missiles,
ont poussé une partie du commandement à remettre en cause le rôle du char sur le champ de
bataille. Le général Boucher, répond à ces contempteurs du char que, « malgré le
développement de la défense antichar, le blindé est loin d’avoir atteint toutes ses possibilités,
en particulier son emploi en liaison avec les troupes aéroportées, lui a procuré de nouvelles
virtualité : pour l’instant il reste et restera encore, au moins pendant un certain temps, un des
principaux atouts de tout commandant en chef»48. Cette allusion aux troupes aéroportées,
pour surprenante qu’elle soit, semble répondre plus à un souci de plaire aux fantassins qui y
servent et qui connaissent peu les blindés, qu’à un réel besoin tactique, car il n’y est fait
allusion nulle part ailleurs.
Du reste, le général de Lavilléon se plaint de cette méconnaissance dont fait preuve le
commandement des servitudes et des contraintes techniques liées à l’emploi des engins
blindés qui sont indispensables à leur mise en œuvre : « L’Arme Blindée est une arme qui a
des servitudes particulières très précises ; elle ne s’improvise pas. Elle combat par équipages
et la formation, particulièrement difficile de ces derniers, demande du temps »49.
Aux yeux du général inspecteur de l’ABC (IABC), il est donc impossible, en temps de
paix de faire une Arme Blindée véritablement apte au combat en rase campagne avec un
service militaire réduit à un an. Face à la proposition du général Schlesser, commandant la 5e
division blindée (DB) à cette époque, de porter le service dans l’arme blindée à trois ans,
l’IABC souhaite doter cette arme d’un nombre suffisant d’engagés de trois ans, en se

46
SHD/Terre, 31 T 9, « Rapport d’ensemble pour 1949, de l’inspecteur de l’arme blindée et de la cavalerie » n°
171/IABC/5 du 30 avril 1950.
47
Id.
48
J. Boucher (général), L’Arme blindée dans la guerre, Paris, Payot, 1953, 270 p., p. 6.
49
SHD/Terre, 31 T 9, Id.

23
contentant pour les emplois secondaires du personnel appelé effectuant un service de deux
ans.
Face cette nécessité, la guerre d’Indochine représente une contrainte de plus en plus
forte pour l’ABC. Du fait des désignations pour l’Extrême-Orient, l’encadrement des
régiments ne cesse de diminuer depuis février 1949. Or ces cadres font défaut non seulement
pour assurer l’instruction dans de bonnes conditions mais surtout pour permettre aux unités
blindées d’être pleinement opérationnelles. D’autre part le nombre peu élevé d’unités de
l’ABC engagées en Indochine a pour conséquence le fait que de nombreux officiers de cette
arme servent dans des formations de partisans ou même d’infanterie, ce qui ne permet pas de
rentabiliser leur formation blindée qui est longue et coûteuse. En outre, ces officiers cessent
de se former dans cadre du combat blindé ce qui nuit à leur qualité de chef d’unité blindée. Ce
phénomène est encore plus préjudiciable en ce qui concerne les sous-officiers et les hommes
de troupes d’active.
En ce qui concerne le matériel, le fait que l’ABC ne soit pratiquement entièrement
équipée que de matériels américains datant de la Seconde Guerre mondiale, pose de graves
problèmes de maintenance. Parmi ces matériels, les AM M8 sont jugées très usées et le
manque de pièces de rechange interdit une disponibilité opérationnelle satisfaisante, d’autant
plus que les AM révisées sont envoyées en Extrême-Orient. L’IABC réclame la mise en
service des AM Panhard (engin blindé de reconnaissance – EBR) et insiste fortement pour que
les études sur les matériels futurs soient maintenues.
Pour faire face à ses engagements vis-à-vis de l’OTAN, la France a besoin d’une
armée qui soit en mesure d’être engagée en Europe aux côtés de ses alliés. Mais force est de
constater que les unités blindées ne sont pas ou peu opérationnelles à cette époque. L’ABC
doit donc faire un effort pour recentrer son personnel sur l’emploi pour lequel ils ont été
formés et se doter de matériels modernes en plus de ceux obtenus grâce au plan d’aide
américain (PAM) qui commencent à être mis en place en 1950.
En 1951, la situation s’améliore. Non seulement l’AMX 13, dont le prototype date de
1949, et l’EBR Panhard, deux matériels nouveaux de fabrication française, entrent en service,
mais en plus, les unités de chars sont recomplétées en chars moyens M4 Sherman remotorisés
et les matériels deviennent plus homogènes avec notamment l’arrivée des véhicules de
dépannage M32 Recovery et Wrecker. L’IABC conclut son rapport annuel en écrivant que
« s’il fallait résumer par une formule le caractère de l’année 1951, on pourrait dire qu’elle

24
fut l’année, sinon de la revalorisation intégrale des Régiments Blindés, du moins de leur
remise en ordre»50.
Cependant, l’IABC déplore « l’absence dans la gamme de matériels blindés dont
dispose l’Arme Blindée, de chars modernes, puissamment armés et blindés tels que le
Patton »51 car, selon lui, c’est le seul char qui puisse, sous certaines conditions, s’opposer au
char Staline, char lourd soviétique, qui, à l’époque passe encore pour redoutable. L’IABC
réclame donc la mise en fabrication du char de 50 t, déjà demandé par la commission de
l’Arme Blindé en mars 1950.
A cette époque, en effet, dans les esprits de tous les cavaliers blindés, un fort tonnage
reste encore le garant non seulement d’une meilleure puissance de feu mais aussi d’une
meilleure protection52. Les chars de fort tonnage ont fait leur apparition à partir du milieu de
la Seconde Guerre mondiale avec le panzerkampfwagen (PzKpfw) VI Tiger I allemand de 55 t
(69,4 t pour le Tiger II), le M26 Pershing américain d’un poids de 41,9 t et surtout le Joseph
Staline soviétique de 46,2 t qui sera valorisé à trois reprises (IS 1,2 et 3) et dont la dernière
évolution dépasse les 55 t. Or, pour s’opposer à ce dernier, le char ARL 44 (48 t), alors en
expérimentation au 503e RCC, ne donne pas satisfaction du fait de son manque de mobilité et
de robustesse53, ce qui explique l’intérêt soutenu de l’ABC pour le char de 50 t.
Pourtant, ce char ne réussit pas à voir le jour. Après que l’état-major a lancé une
commande en 1946, les Ateliers d’Issy-les-MoulineauX (AMX) sortent leur premier
prototype en 1949 et le deuxième en 195054. Ce char pèse 51 t. Son train de roulement, avec
ses galets en quinconce, et sa caisse soudée sont d’inspiration allemande. Après quelques
essais concluants effectués aux Etats-Unis, il est construit un troisième prototype sur-blindé et
surbaissé de 55 t en 1956. La France, qui n’a pas les moyens financiers de s’offrir ce char,
compte sur les crédits off-shore américains attribués dans le cadre de l’OTAN pour mener à
bien ce projet. Mais ce char paraît bien lourd alors que, avec le développement du missile et
surtout de l’obus G à charge creuse stabilisé, capables tous deux de le percer, le char semble
trouver de plus en plus son salut dans sa mobilité et non dans l’épaisseur de son blindage.
C’est ce que confirment les engagements en Corée.55 L’OTAN donne donc sa préférence aux
chars moyens car ils disposent d’une plus grande mobilité, ce qui est indispensable pour ces
engins « qui doivent effectuer concentration et dispersion rapides pendant les combats

50
Ibid. « Rapport d’ensemble 1951, n° 146/IGABC du 29 février 1952 ».
51
Id.
52
Général R. d’Elissagaray, « La D.M.R. », Revue des forces terrestres, n° 5, juillet 1956, p. 77 - 93.
53
SHD/Terre, 31 T 9, Id.
54
. Ceux de SOMUA fabriqués en 1952 ne sont pas retenus. Bedeaux, op. cit. p. 66.
55
Camille Rougeron, Les Enseignements de la guerre de Corée, Paris, Berger Levrault, 1952, 261 p., p. 89 – 93.

25
atomiques »56. Les Allemands également, qui mettent sur pied la Bundeswehr, refusent de se
doter d’un char aussi lourd, erreur qu’ils ont commise à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Cela marque l’arrêt de mort de l’AMX 50 et le lancement d’un programme d’étude pour la
construction d’un char moyen franco-allemand57.
Les préoccupations de l’IABC, pour cette période ne concernent donc nullement la
situation en Indochine : toutes ses inquiétudes et ses demandes s’inscrivent dans le cadre de la
constitution du corps manœuvre blindé. Il considère toujours l’envoi d’un trop grand nombre
de cadres de l’ABC en Extrême-Orient comme un handicap plutôt que comme une plus-value
pour l’arme. L’expérience de la guerre subversive acquise par eux sur ce théâtre ne lui semble
pas être très bénéfique : « Personnellement j’estime qu’il n’y a aucun intérêt à autoriser des
officiers à faire un deuxième et encore moins un troisième séjour en Indochine. (…) Il est très
bon que le plus grand nombre y passe : l’expérience humaine et guerrière qu’on y acquiert
peut être excellente. Mais on n’y apprend pas le maniement d’unités blindées pour le théâtre
européen »58.
Avec l’arrivée du général Lehr à la tête de l’inspection, en 1952, cette opinion est
maintenue non seulement dans le rapport annuel pour 1952, mais également dans celui
concernant l’instruction tactique des cadres subalternes en Métropole, Allemagne et AFN où
l’inspecteur constate que « les Chefs de corps et Capitaines Commandants n’ignorent pas
qu’une fraction appréciable de leurs cadres est changée tous les six mois, par le jeu des
libérations, et souvent même plus souvent, en raison des départs et retours des T.O.E. »59. Il
ne peut que déplorer cet état de fait qui, selon, porte un grand préjudice à la qualité des unités
blindées.
Par ailleurs, le général Lehr se félicite de la modernisation des unités de l’ABC dans le
cadre du PAM :
« Le remplacement très avancé en fin d’année [1952] des Sherman par des
Patton (pour les régiments de chars des DB) et des Pershing (pour les
régiment de chars des DI60) a considérablement accru la puissance des Unités
de l’Arme Blindée. (…) Un petit nombre de matériels français nouveaux (AMX

56
Article de Ordnance-Land, Sea, Air, mai-juin 1955, cité par Elissagaray, op. cit. p. 83.
57
Français et Allemands ne pouvant se mettre d’accord sur un char commun, ce dernier ne verra jamais le jour.
Les Français fabriqueront l’AMX 30 et les Allemands le Leopard I séparément.
58
SHD/Terre, 31 T 9. Souligné dans le texte.
59
Ibid. « Observations faites au cours des inspections passées dans les corps de Troupe de l’Arme, n°
698/IGABC/7/R du 6 juin 1953. »
60
C’est la raison pour laquelle le 13e RD, nouveau régiment TAP de l’ABC créé le 1er octobre 1952 pour être
inscrit à l’ordre de bataille de la 25e DP, est équipé Sherman puis de Pershing, ce qui peut paraître surprenant
pour un régiment parachutiste.

26
– EBR – Jeep Delahaye) a été mis en place dans les unités pour
expérimentation. (…) Leurs caractéristiques essentielles devraient en faire des
engins de guerre valables. »61
Cet effort est poursuivi en 1953 qui, selon le rapport annuel de l’inspecteur général de
l’ABC, est caractérisée par une amélioration notable non seulement dans la dotation en
matériels, mais également dans le domaine organique et dans celui de l’instruction. Tous les
matériels blindés ont été changés, ils sont mieux adaptés aux missions de l’ABC : le nombre
des chars Patton est passé, en 1953, de 271 à 854, celui des M24 Chaffee, de 961 à 1 172 et
celui des EBR de 37 à 155. Les escadrons de chars sont passés de trois à quatre pelotons de
combat avec 22 chars par escadron au lieu de 17 ce qui doit entraîner une efficacité accrue
dans un système plus économique. Enfin, une nouvelle méthode d’instruction, dite « Méthode
Rationnelle » fait son apparition. Elle est entièrement consacrée à l’instruction individuelle
dans le cadre du combat blindé en Europe62. Son déroulement est fixé par des fiches
d’instruction normalisées éditées sous forme de règlement « ABC» dont le numéro varie selon
de type de matériel étudié. Après la guerre d’Indochine, la mise en place de cette méthode
semble bien nécessaire, l’instruction doit être cadrée car « les sous-officiers, lorsqu’ils
rentraient en France, ne valaient plus grand-chose pour l’instruction du contingent : avoir
commandé à des soldats de métier dans une guerre coloniale ne prépare pas des hommes
d’une souplesse intellectuelle généralement limitée à des séances d’instruction de jeunes
recrues pour une éventuelle guerre atomique »63.
C’est de cette époque que date l’idée de créer des centres d’instruction (CI) qui
permettraient l’application en plein emploi de cette Méthode Rationnelle et qui libérerait « les
Chefs de Corps des servitudes de l’instruction individuelle, leur laissant ainsi la possibilité de
conduire l’instruction de leurs unités et leur entraînement au combat avec les moyens
nécessaires et dans un cycle simplifié »64. La décision de mettre en place un système qui
consiste à former les recrues dans des CI est prise avant le début de la guerre d’Algérie. Il sera
mis en place à partir de 1956 et maintenu tout au long du conflit, car c’est un système qui se
révélera très efficace et bien adapté aux besoins des corps de troupe opérationnels.
Pour améliorer encore l’instruction, tout en gagnant un temps précieux, le souhait de
l’inspecteur général de l’ABC serait de voir stationner tous les régiments blindés dans des
camps, ce qui, pour lui, demanderait un effort important en matière d’infrastructure,

61
Ibid., rapport annuel d’inspection, n° 66/7/R-AN du 22 janvier 1953.
62
Idid., rapport annuel d’inspection n° 36/IGABC/7/R.A. du 19 janvier 1954.
63
Jean Planchais, Le Malaise de l’armée. Paris, Plon, 1958, 114 p., p. 13.
64
SHD/Terre, Id.

27
notamment pour le logement des familles.65 Ce projet connaît une ébauche d’exécution avec
le stationnement à Mourmelon de deux régiments de chars, mais face aux difficultés
rencontrées dans le domaine de l’infrastructure et surtout aux besoins des unités engagées en
Algérie, on y renonce rapidement.
Contrairement aux unités blindées, la composante « combat d’infanterie » n’est pas
une priorité de l’ABC de cette époque. En Europe, la composante « combattants débarqués »
de l’ABC est volontairement réduite. Dans les régiments de chars, les groupes de protection
sont supprimés, seul est maintenu, par escadron, un peloton porté d’une trentaine d’hommes.
Dans les escadrons de reconnaissance, appelés à travailler isolément, le peloton porté
d’escadron et le groupe de protection régimentaire sont maintenus. Mais tous ces éléments à
pied ne sont pas des sections d’infanterie, leur mission est d’accompagner et de protéger les
éléments blindés. Cependant, les cavaliers continuent à être engagés à pied car les régiments
de corps de bataille en Indochine ne comptent qu’un seul escadron de M24, pour un escadron
porté sur half-track et trois escadrons portés sur GMC. Le combat à pied est donc un savoir-
faire qui se perpétue plus par nécessité opérationnelle que par la volonté du commandement.
A la veille de la guerre d’Algérie, l’ABC compte en Métropole, dans les FFA et en
AFN, 44 régiments. En Indochine sont encore engagés trois régiments mixtes blindés, cinq
groupes d’escadrons66 de réserve générale, ossature des groupements amphibies, et cinq
régiments de défense du territoire et de protection des convois67. En temps de guerre, après
mobilisation, ce chiffre serait poussé à 64 (unités d’Indochine comprises). Ces régiments
doivent se répartir dans les trois divisions blindés (un régiment de reconnaissance et quatre
régiments de chars), les onze divisions d’infanterie (un régiment de reconnaissance, un
régiment de chars moyens et un régiment d’AMX 13), les éléments organiques de corps
d’armée (cinq régiments de reconnaissance de corps), l’AFN (trois régiments non
endivisionnés) et les réserves générales (neuf régiments).
La guerre d’Indochine est toujours ressentie comme une forte contrainte, non
seulement pour la formation et la stabilité des officiers, mais également pour le recrutement
d’hommes de troupe engagés. Les candidats à l’engagement sont peu nombreux et de
mauvaise qualité. L’ABC qui a pourtant besoin de spécialistes bien formés compte, en 1953,

65
Id.
66
Dans l’ABC le groupe d’escadrons (GE) correspond à un bataillon pour l’infanterie.
67
Les régiments de l’ABC présents en Indochine en 1953 sont les suivants :
- Corps de bataille : 1er RCC, 8e RSA et 6e RSM.
- Défense du territoire : deux groupements amphibies de la Légion au Tonkin et trois au centre Annam, 1er
REC, 5e RC, 2e RSM, 5e RSM et 4e RD.
SHD/Terre, 31 T 9.

28
un déficit de 70 % d’hommes de troupes ADL68. Entre autres raisons de ce manque
d’engagements ou de rengagements, l’inspecteur général de l’ABC se demande s’il n’y aurait
pas « le fait que l’engagé pour l’EO [Extrême-Orient] au titre de l’Arme Blindée ne perçoit ni
la même prime ni la même solde que celui qui s’embarque pour la même destination et pour
la même guerre au titre des Troupes Coloniales »69. Il n’en demeure pas moins vrai que
l’ABC est peu attractive pour les candidats à l’engagement qui y voient une arme technique
dont le matériel est contraignant à entretenir. En outre, l’apparition de l’arme nucléaire sur le
champ de bataille européen impose au commandement de l’ABC de rechercher, par des
manœuvres dans les camps, des savoir-faire tactiques nouveaux pour y faire face ce qui rend
le service dans les unités blindées d’autant moins attrayant.
Pourtant, la prise en compte des contraintes tactiques liées au feu nucléaire reste la
priorité du général inspecteur pour l’année 1955. La recherche de nouvelles articulations
opérationnelles pour y répondre impose la mise en place de réformes dans ce domaine. Pour
lui, la création de grandes unités du type « JAVELOT » répond bien à ce besoin. Il se félicite
même de l’apparition de ce type de grande unité, car elle semble remettre en honneur la
manœuvre dans le style « propre à l’Arme Blindé [qui] en revendique légitimement les
missions et les responsabilités »70. En revanche, la création de nouvelles unités imposées par
la situation en AFN n’apparaît qu’en troisième position dans ses préoccupations, après la mise
en service des nouveaux matériels français et la déflation des effectifs en Indochine qui
permettrait d’honorer les TED des régiments du corps blindé.
Une autre orientation qu’essaye de prendre l’ABC à cette époque est celle de la
troisième dimension pour remplir ses missions de reconnaissance :
« Bien plus, toujours préoccupée d’accomplir ses missions de renseignements,
de couverture et de combat avec les moyens les mieux adaptés du moment,
l’Arme Blindée envisage pour l’avenir l’utilisation de la troisième dimension
afin d’être libérée des servitudes du terrain et du poids de ses matériels. »71
Reprenant la tradition des premiers officiers d’aviation de la Première Guerre
mondiale (de Rose, Chambe, Nungesser…), beaucoup d’officiers de l’ABC servent dans
l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), créée le 1er novembre 1954.72 En 1955, l’IABC

68
I.e. servant au-delà de la durée légale (ADL), autrement dit le personnel d’active. Celui-ci comprend le
personnel de carrière et le personnel sous contrat.
69
Id.
70
Ibid., rapport n° 78/IGABC/702 du 22 janvier 1955.
71
Id.
72
Pendant la guerre d’Algérie ce phénomène perdurera. C’est notamment le cas d’André Chauvière qui, après
avoir servi au 2e RSM en Indochine et au 2e RD en Algérie, devient pilote de l’ALAT (André Chauvière, Rouge-

29
demande la mise en service dans son arme d’un hélicoptère léger et d’un avion léger
d’appui73. mais ces matériels tardent à être mis en service. Cependant, dès la fin de la guerre,
les sous-lieutenants en application à l’EAABC sont formés comme pilote d’avion à Terrefort.
Dans un premier temps cette formation est à leurs frais74, par la suite cette instruction entrera
pleinement dans le cadre de l’instruction dispensée par l’Ecole75.
Les études menées par l’IGABC, avant que la guerre d’Algérie n’éclate, sont donc
exclusivement orientées vers le combat sur le théâtre européen avec la création de corps
d’armée et de leurs éléments organiques et, surtout celle de la division type « JAVELOT ».
En fait la préoccupation est de pouvoir disposer de grandes unités blindées susceptibles soit
d’agir en renforcement de certains corps d’armée (cadre tactique), soit d’agir isolément, ou en
groupe, au profit de la manœuvre d’armée ou de groupe d’armée (cadre stratégique)76.
La situation en AFN, à la fin de l’année 1954, va cependant forcer l’ABC à se
détourner progressivement des préoccupations du champ de bataille européen pour s’adapter à
un type de conflit qui n’avait pas été prévu, ni dans l’étude des matériels futurs, ni dans
l’organisation des unités, ni même dans l’instruction du personnel. La directive d’instruction
particulière à l’Arme Blindée pour l’année 1955 ne tient compte, en plus de la guerre dite
« classique », que de deux conceptions de la guerre : la guerre en surface et la guerre
atomique. La guerre en surface concerne la défense du territoire et des arrières des zones
d’opérations en cas de conflit en Europe77, la guerre atomique est définie, quant à elle, comme
une guerre « sans front et sans flancs »78.
En somme, aucun document consulté dans les archives de l’IABC (série 31 T) ne traite
des enseignements pouvant être tirés de l’Indochine pour l’Arme Blindée. Cependant
l’inspection de l’Arme Blindée en Indochine a rédigé un texte (ca. 1955) concernant les

couleur calot, Paris, Edition du Panthéon, 2001 239 p. et Bleu-couleur de ciel, chez l’auteur, 2004, 216 p.), ou de
François Dénoyer (promotion ESMIA « Amilakvari » 1954-1956), qui après avoir servi aux 1er RCC et au 4e
RH, suit la même voie (François Dénoyer, 4 ans de guerre en Algérie : lettres d’un jeune officier, Paris,
Flammarion, 1962, 220 p.).
73
Ibid. « Rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.
74
C’est le cas pour Guy de La Malène (promotion ESMIA « Leclerc » 1946 – 1948).
75
Martial de La Quintinie, promotion ESMIA « Terre d’Afrique » (2e bataillon 1958 – 1959), a ainsi passé son
brevet de pilote à Saumur. Les sous-lieutenants, à cette époque, ont même la possibilité de voler le week-end
pour faire du tourisme.
76
SHD/T, 31 T 2, Etude sur la réorganisation de l’arme blindée n° 771/IGABC/3/COM/F. du 23 septembre
1954.
77
La guerre en surface prendra l’appellation de défense opérationnelle du territoire en 1959. Marie-Catherine
Villatoux, La Défense en surface (1945-1962) : le contrôle territorial dans la pensée stratégique française,
Vincennes, SHD, 2009, 87 p.
78
SHD/Terre, Id., Directive d’instruction particulière à l’Arme Blindée Cavalerie pour l’année 1955 n°
278/IGABS/310 du 23 mars 1955.

30
procédés de lutte anti-blindés du Vietminh.79 Mais dans l’esprit des rédacteurs, il ne s’agit
nullement de tirer des enseignements pour faire face à une nouvelle guerre de type
insurrectionnel mais bien de les exploiter « utilement (…) dans un conflit européen tant pour
la défense de nos propres arrières que pour l’action défensive des forces régissant sur ceux
de l’ennemi »80.

22. Enseignements de l’ABC en Indochine : « un legs ambigu »81 ?

Même le rapport dit « ELY », dont une partie concerne l’emploi des unités de l’ABC
en Indochine estime que « tirer de l’emploi fait de l’Arme Blindée en Indochine des
enseignements applicables à une guerre européenne semble relever plus de l’imagination que
de la déduction »82.
Cependant, uns part importante du personnel de l’ABC servant en Algérie, avait
acquis une certaine expérience de la guerre révolutionnaire en Indochine, soit à pied, comme
Guy de La Malène83, soit en engin blindé, soit, pour très peu d’entre eux, à cheval, comme
Robert Labouche84, voire à dos d’éléphant.85 D’autres savoir-faire, propres au théâtre
indochinois avaient été acquis en Indochine par l’ABC : celui du contrôle des voies fluviales
(grâce aux vedettes fluviales) et des zones humides (groupements amphibies). Ce dernier
savoir-faire ne fut utilisé par les unités ABC de la Légion étrangère, entre 1954 et 1962, qu’au
cours de l’opération de Suez en 1956.

79
. Une copie de ce texte a été publié par l’UNABCC : CGA (2S) Codet, GNL Le Diberder, GNL Guillot (et al.),
Arme Blindée et Cavalier en Indochine 1945 – 1955. Paris, 1998, 329 p., p. 306 – 311.
80
Ibid. p. 310.
81
Capitaine Jean-Marc Marill, « L’Héritage Indochinois : adaptation de l’armée française en Algérie (1954 –
1956) », Revue Historique des Armées n° 2/1992, p. 26 – 32, p. 27.
82
SHD/Terre, 10 H 983, Commandement en chef en Extrême-Orient, enseignements de la guerre d’Indochine,
fascicule III, mai 1955, p. 45. Les textes concernant l’ABC ont été publiés en 1998 par l’UNABCC : op. cit., pp
312 – 322.
83
En 1954, en plus de ses huit régiments « jaunis » à plus de 50 %, l’ABC a prêté aux autres armes 53 % de ses
officiers, que l’on qualifié de « substitués ». Guy de La Malène, qui a commandé un escadron au 1er RCC puis le
3/1er RSM en Algérie a fait deux séjours en Indochine, au cours du 1er séjour il a servi au 1er REC comme chef de
peloton d’AM et, au cours du 2e, il a commandé la 5e compagnie du IIe bataillon Thaï avec laquelle il a tenu
Dominique V à Diên-Biên-Phu.
84
Une seule unité de l’armée française était montée en Indochine (le 3e escadron du régiment mixte du
Cambodge), mais les chevaux furent également utilisés par des unités commando. Le cheval utilisé était un
cheval autochtone de très petite taille dit « Barbe annamite ». Le colonel Robert Labouche, aujourd’hui décédé,
grand cavalier de course, a commandé le 3e escadron monté du Cambodge de 1949 à 1950. Lorsque que nous
l’avons rencontré à Fontainebleau en 1996, il nous transmis un historique électronique de cette unité.
85
« Le 5e RC avait au Cambodge un peloton monté et, en 1947, un peloton opérant à dos d’éléphant dans la
chaîne des Cardamones inaccessible aux véhicules. » (Saumur : Ecole des blindés de demain, Paris, Lavauzelle,
2000, 203 p., p. 61.)

31
Cependant l’auteur du rapport s’efforce de dégager des enseignements techniques,
pour l’emploi des matériels, et tactiques, du niveau des petites unités. Le principal défaut qui
ressort, dans ce dernier domaine, est la dispersion des unités au niveau du peloton, car
l’emploi des blindés qui est fait en Indochine est surtout celui de l’appui feu direct des unités
d’infanterie. Cette conception d’emploi explique, en partie, le volume très peu élevé des
blindés à Dien-Bien-Phû. On n’y comptait que dix chars M24 de l’escadron HERVOUET du
1er régiment de chasseurs à cheval, qu’il avait fallu démonter pour les transporter par avion
Bristol. Le général (2S) Alain Bizard, cavalier et ancien officier parachutiste, pense que ce
nombre aurait pu et aurait dû être doublé, car, selon lui :
« Dans ce terrain très favorable aux chars, le commandement n’avait
(…) pas donné au commandant de la garnison les moyens de contre-
attaque indispensables pour assurer l’intégrité de son dispositif, qui
seul pouvait éviter l’asphyxie. Une vingtaine de chars n’aurait pas
changé l’issue de la guerre d’Indochine mais aurait vraisemblablement
permis de modifier le sort de la bataille. »86
Cet exemple n’est pas un cas isolé, la dispersion excessive des unités blindées
empêche, tout au long du conflit, de constituer des réserves blindées, privant ainsi le
commandement d’un instrument de manœuvre. En outre, cette dispersion pose de gros
problèmes en termes de soutien logistique, car seul l’escadron dispose d’un train de combat
(TC 1) permettant « de pourvoir journellement aux besoins d’entretien et de ravitaillement du
matériel. (…) Tout autre fractionnement suppose donc une modification dans la structure
même des corps de troupe ou l’attribution de moyens non organiques »87.
Un autre enseignement tactique est que « l’infanterie nécessaire aux formations
tactiques blindées doit leur être organique »88. Ce débat est très ancien. Déjà en 1917, après le
premier emploi des chars par l’armée française à Berry-Au-Bac, il avait été décidé de former
des unités de chasseurs à pied spécialisées dans l’accompagnement des chars. Par la suite, ce
furent les dragons portés qui devaient assurer ses missions au sein des divisions légères
mécaniques. La difficulté était de trouver un moyen pour faire progresser cette infanterie sous

86
GCA (2S) Alain Bizard, « Adaptation de l’arme blindée à la guerre d’Indochine » in Maurice Vaïsse (dir.),
L’armée française dans la guerre d’Indochine : adaptation ou inadaptation ? Acte du colloque des 30 novembre
et 1er décembre 1998 organisé par le CEHD et l’UNABCC, Paris, Editions Complexe 2000, 364 p., p. 260. Cette
opinion est cependant contestée par Guy de La Malène ne pense pas que « les chars, même s’ils avaient été plus
nombreux (…) aient pu changer l’issue de la bataille. Parce que aussi bien les batteries de 105 que les chars ont
été détruits par des tirs à vue dès le début des combats. Ces tirs à vue avaient été préréglés par le Viêt-minh (…)
», Ibid. p. 262.
87
SHD/Terre, 10 H 983, p. 45.
88
Id.

32
blindage. Le half-track des divisions de l’armée américaine de la Seconde Guerre mondiale ne
répondit que très imparfaitement à cette exigence, car cet engin n’avait pas la même mobilité
que les chars. Cependant cela ne remit nullement en cause le fait que l’infanterie
d’accompagnement devait être spécialisée dans ce domaine. Le général Simonds, chef du IIe
corps d’armée canadien, pour l’opération Totalize en août 1944, avait fait transformer des
canons automoteurs M7 Priest en transports de troupe, surnommés Unfrocked Priest (prêtre
défroqué). Ce matériel était monté sur le même châssis que le Sherman et pouvait le suivre
partout, pourtant cette initiative resta sans lendemain89.
En ce qui concerne les matériels, du fait de la priorité accordée au théâtre européen,
« l’arme blindée n’a disposé en Indochine d’aucun engin conçu pour les conditions
particulières de la guerre »90. Le constat est cependant fait que certains matériels, dépassés
pour le théâtre européen, pourraient rendre encore de grands services dans des missions de
défense du territoire. C’est le cas de l’obusier automoteur M8 qui, malgré son châssis périmé,
a rendu de grands services en Indochine où l’absence d’armement anti-char dans les rangs du
Viêt-Minh, à l’exception notable des mines, a donné aux blindés une relative invulnérabilité.
Quant à l’expérience acquise par les cadres lors de la guerre d’Indochine, le
commandement semble très circonspect dans ses propos : « Les opinions sont dans ce
domaine très partagés et, tandis que les uns voient un enrichissement certain, d’autres
concluent à la déformation des cadres et sont prêts à leur dire quand ils reviendront en
France : Oubliez tout ce que vous avez appris jusqu’ici »91. Certains chef de corps vont
jusqu’à déclarer : « Nos unités ont souvent fait précisément ce qu’il ne fallait pas faire et (…)
nos jeunes cadres ont désappris ce qu’il leur a été enseigné dans les écoles. » 92 D’autres sont
plus nuancés : « Cette instruction avait quand même sa valeur car elle était faite sur le terrain
même du combat. »93
Cependant, tous s’accordent à dire que les cadres ont acquis en Indochine une
expérience enrichissante tant sur le plan technique (mise en œuvre des engins blindés) que sur
le plan tactique (coopération avec l’infanterie et l’artillerie).
En 1954, malgré les événements du Maroc et de Tunisie, la participation des unités de
l’ABC à une guerre révolutionnaire ne semble pas à l’ordre du jour. Dans son rapport sur les
activités de l’ABC au cours de cette année là, l’inspecteur de l’ABC en Indochine conclut :

89
Brian A. Ried, No holding back, Toronto, Robin Brass Studio, 2005, 490 p., p. 90.
90
SHD/Terre, Ibid, p. 47. Exception faite de certaines vedettes fluviales.
91
Ibid. p. 51. Souligné dans le texte.
92
Id.
93
Id.

33
« En 1955 les cadres seront réadaptés à la guerre européenne, en particulier dans le sens de
la coopération des armes, du danger aérien et des engins blindés. »94
Cependant l’expérience acquise en Indochine ne semble pas transposable au cas de
l’Algérie. Même si ces conflits comportent certaines similitudes dans la mesure où il s’agit
d’une guerre subversive et d’une action de reprise en main des populations, les opérations
menées en Algérie sont très différentes de celles qui l’ont été en l’Indochine. Le contrôle des
populations, dans un cas comme dans l’autre, suppose la mise en place d’un quadrillage
assurant le renseignement à partir duquel, des unités d’intervention agissent, ce qui rend
nécessaire la présence sur le théâtre d’effectifs très volumineux.
Mais, contrairement aux unités du Viêt-Minh, très organisées militairement, les bandes
armées de l’ALN ne disposent pas d’artillerie, et ne sont pas employées au sein de grandes
unités. D’autre part, le terrain algérien, très différent de celui de l’Indochine, paraît plus
propice à l’emploi de blindés : en Indochine, l’action des engins blindés à roue et à chenille se
cantonnait aux axes routiers.
Une première expérience de ce que sera la guerre d’Algérie est pourtant fournie par les
événements de Tunisie. En février 1955, le général Lehr tire un bilan plutôt positif de l’action
qu’y a menée l’ABC, tant pour les unités blindées (4e régiment de chasseurs d’Afrique et 4e
régiment de chasseurs à cheval de la 14e division d’infanterie, et 8e régiment de chasseurs
d’Afrique et 18e régiment de dragons de la 11e division d’infanterie) que pour les unités à
cheval nouvellement remises sur pied (4e régiment de spahis tunisiens et 5e escadron de spahis
algériens) : « Les opérations qu’ont menées les unités ont été extrêmement profitables non
seulement du point de vue politique, mais aussi du point de vue militaire en raison du
caractère concret qu’elles ont imprimé à l’instruction. »95 Quelques mesures d’adaptation
sont prises, dont le remplacement des M24 des régiments endivisionnés par des AM M8 et des
M5. Les AM M8 sont mieux adaptées au terrain, mais il s’agit également de donner
satisfaction aux Américains qui voient d’un très mauvais œil l’utilisation en AFN de matériels
destinés aux divisions de l’OTAN. C’est pour cette deuxième raison que, face à la carence
d’AM M8 disponibles, le commandement doit remettre en service des M5, qui donnent peu
satisfaction et qui sont retirés du service en 1956. Cependant, la situation en Algérie à cette
époque empêche le commandement d’avoir le recul nécessaire pour tirer réellement des
enseignements des opérations de Tunisie ou du Maroc. En fait, à la fin de la guerre

94
Ibid. p. 52
95
SHD/Terre, 31 T 9/d. 3, Inspection des unités de l’arme blindée et de la cavalerie de Tunisie – rapport n°
131/IGABC/701 du 11 février 1955.

34
d’Indochine, malgré les événements de Tunisie et, dans une moindre mesure, ceux du
Maroc96, personne ne semble croire à la possibilité d’une autre guerre de type révolutionnaire
qui aurait comme théâtre l’Afrique du Nord.

* *

Entre 1945 et 1954, l’évolution que connaît l’ABC et qui semble nécessaire à tous, ne
fait que répondre à la menace soviétique. Comme le rappelle le général Boucher dans la
conclusion de son livre L’Arme blindée pendant la guerre : « Le char a donc été partout, dans
toutes les phases de la bataille, sur tous les théâtres d’opérations. Sans doute, pour subsister,
devra t-il se plier, au point de vue aussi bien technique que tactique, à une évolution
inéluctable. »97
Pour mener à bien cette évolution, le double héritage de l’ABC, semble être une force
plus qu’une contrainte. Ses officiers et sous-officiers, quelque soit leur origine ont une grande
expérience des opérations militaires. Les chefs de corps, issus des chars de combat ou de la
cavalerie, ont participé à la Seconde Guerre mondiale, comme lieutenant chef de peloton à
cheval ou blindé en 1940, puis comme commandant d’unités blindée de 1943 à 1945. Les
capitaines commandants d’escadron ont pour beaucoup combattu en Indochine et beaucoup de
sous-officiers parmi les plus anciens ont également le même bagage opérationnel.
La volonté du commandement est de faire de cette arme l’« Arme de la
reconnaissance, de la manœuvre et de la décision »98 en accomplissant ses missions
traditionnelles que sont renseigner, couvrir, combattre en liaison avec les autres armes dans
le cadre d’un engagement sur le théâtre européen.
Cependant la nouvelle arme souffre encore d’un manque de matériels modernes et
surtout de celui d’un corps de doctrine (organisation, instruction et emploi). C’est pourquoi la
guerre d’Indochine, malgré l’expérience humaine qu’elle représente, est vécue comme une
forte contrainte. Alors que celle-ci s’achève, le commandement souhaite accélérer la montée
en puissance d’un corps blindé mécanisé français opérationnel qui puisse être engagé au sein
de l’OTAN. Tous les efforts se tournent vers la création de ces grandes unités blindées
mécanisées moderne. La « division blindée US type 1944 », jugée beaucoup trop lourde tant

96
L’ABC eut moins à y intervenir avant 1955, car il s’est surtout agi de violences urbaines.
97
Boucher, op. cit., p. 268.
98
SHD/Terre, 31 T 9, rapport du général Boutaud de Lavilléon IABC, rapport d’ensemble 1949 n° 171/IABC du
3 avril 1950.

35
du point de vue des effectifs99 que du point de vue de la logistique, est en pleine évolution
vers ce qui deviendra la division 1959. En 1953 est lancée l’expérimentation d’une grande
unité légère blindée, dont les missions seraient la découverte, la couverture de corps d’armée
et l’exploitation. Cette unité expérimentale prend le nom de 7e division mécanique rapide
(DMR) « JAVELOT » le 28 janvier 1955 à Constance (RFA). Elle doit permettre un
engagement opérationnel adapté au feu nucléaire tactique grâce à « des dispositifs aérés, non
jointifs et laissant de grands intervalles non contrôlés pour éviter la destruction des
unités »100, mais laissant toutefois aux unités la possibilité de se concentrer rapidement. C’est
ce double impératif qui mènera à la création, au sein de la 7e DMR, des régiments interarmes
(TED TTA 928101) dont le 2e RD, qui sont composés de deux escadrons d’AMX 13 et de deux
compagnies de voltigeurs antichars (VAC). Mais lors de son transfert en Algérie en avril
1956, la 7e DMR sera totalement réorganisée pour s’y adapter à la situation tactique, alors
qu’elle est commandée par le général François Huet, l’un de ses pères fondateurs.
Des modifications profondes sont intervenues dans l’équipement des unités de l’ABC
à partir de 1952. Les divisions blindées ont abandonné le Sherman pour le Patton, mais il leur
a fallu, pour rester mobilisables, mener l’instruction de leurs régiments de chars sur les deux
matériels pendant près d’une année. La modernisation des engins de reconnaissance de
division blindée (DB) et de corps d’armée (CA), encore inachevée en 1954, prend plus de
temps que prévu avec le retard que connaît la mise en service de l’EBR et de l’AMX 13. Les
unités de l’ABC des divisions d’infanterie (DI), portées à trois régiments sont équipées de
Pershing en fort mauvais état et souffrent elles aussi de la lenteur de l’entrée en service de
l’AMX 13. Les unités d’Afrique du Nord sont équipées des matériels abandonnés par les
unités de métropole et d’Allemagne. Le général Lehr, inspecteur en 1955, se félicite dans son
rapport annuel que les travaux de la commission de l’arme blindée, qui étaient encore axés en
1952, en ce qui concerne les chars, sur des matériels qu’il juge trop lourds, se soient enfin
orientés vers un programme définissant, dans l’allégement, un système cohérent d’engins

99
« Dans une division blindée, 300 chars à 5 hommes d’équipage, on ne trouve donc que 1 500 hommes servant
le système d’arme principal sur un effectif de 15 000 hommes, les autres n’étant là que pour aider à la
progression des blindés. » Elissagaray, op. cit., p. 65.
100
Lieutenant-colonel Claude Franc, « L’Évolution du système divisionnaire français de 1945 à nos jours », in
Objectif Doctrine, CDEF, Paris 2002, n° 34, 79 p., p. 66 – 68.
101
TED TTA 928 : Tableau des Effectifs et de Dotations TouTes Armes n° 928. Chaque arme, ou service,
possède ses propres TED, ils sont alors appelés : TED ABC, pour l’ABC, TED INF, pour l’infanterie, TED
TRN, pour le Train, TED VET, pour le service vétérinaire, etc. Quand un TED concerne plusieurs armes, il
s’appelle TED TTA. Le chiffre désigne le TED.

36
blindés102. Le concept d’emploi et la mise sur pied de la 7e DMR semblent bien s’inscrire
dans cette logique.
Même si, les « événements d’Afrique du Nord » n’apaisent pas les controverses que
cette nouvelle division ne manque pas de susciter103, la guerre d’Algérie, va, toutefois
rapidement devenir la principale préoccupation du commandement. L’inadaptation de l’arme
face à ce nouveau type d’engagement est parfois reprochée assez vertement au
commandement. Dans son rapport sur le moral pour l’année 1955, le colonel Lemasson, chef
de corps du 16e RD, ne ménage pas ses critiques :
« Qui en effet ignore dans le milieu militaire que depuis 1947 nous est imposée
un genre de guerre qui répugne à notre mentalité trop classique parfois, voire
même (sic) trop humaine. Après nos échecs en Indochine, ne savait-on pas en
effet que ce genre de guerre gagnerait également notre Afrique du Nord, en
admettant même qu’il n’atteigne pas un jour notre pays lui-même ?
« Devant de telles évidences, qu’a-t-on fait pour adapter notre système
militaire à celui-ci ? Nos EM104 nous ont abreuvé de tactique voire même (sic)
de stratégie atomiques… et finalement la majorité de l’Armée française se
trouve actuellement en AFN avec des unités remaniées en catastrophe, trop
lourdes et inadaptées. »105
En fait les régiments de l’ABC sont surpris par le déclenchement de cette guerre à
laquelle ils ne se préparaient pas. Leurs structures et leur dotation en matériel ne les
prédisposent nullement à participer à une guerre subversive, il leur faudra s’adapter en faisant
parfois appel à des savoir-faire oubliés, parfois archaïques, mais également à des innovations
tant techniques que tactiques d’une très grande modernité.
Or, de prime abord, cette transformation semble bien porter un frein à la modernisation
de l’ABC qui doit lui permettre de participer efficacement à un conflit de « haute intensité »
tant sur le plan de la dotation en matériels que sur celui de l’organisation, de l’instruction et
de l’emploi.
Mais, au bout du compte, la guerre d'Algérie a-t-elle été une entrave à la capacité
opérationnelle de l'ABC ou n'a-t-elle pas plutôt, même par ses aspects archaïques, constitué
un formidable champ d'expérimentations dont le commandement a su, dans certaines limites,

102
SHD/Terre, 31 T 9.
103
Elissagaray, id.
104
Etats-majors.
105
SHD/Terre, 7 U 847*, rapport sur le moral de fin d’année n° 512/16e Drag/COL/A du 8 décembre 1955.

37
tirer profit pour les années à venir ? Mais ces résultats n’ont-ils pas été acquis au prix d’une
désorganisation durable de l’arme ?

* *

38
TITRE PREMIER

L’Arme Blindée et Cavalerie dans la tourmente d’un


conflit d’un nouveau type

Comme nous l’avons noté, la cavalerie, depuis 1870, a toujours connu des débuts de
conflit difficiles. Pendant la guerre franco-prussienne, les charges de masse auxquelles elle
s’est consciencieusement préparée ont tourné au désastre. En 1914, avant l’enlisement dans
les tranchées, elle a été usée prématurément par des mouvements d’une ampleur démesurée.
En 1940, le cocktail « picotin/gasoil » s’est révélé peu adapté au rythme de la guerre rapide.
En Indochine, où les unités blindées n’ont été employées qu’en petits échelons du niveau du
peloton, l’ABC a dû se reconvertir et fournir essentiellement des éléments à pied ou sur
vedettes fluviales. Le conflit qui s’ouvre en Algérie ne semble pas faire exception à la règle.
L’ABC doit à nouveau faire un effort d’adaptation en mettant à profit sa mobilité qui est des
plus appréciée dans les guerres coloniales106.

106
Jacques Frémeaux, De quoi fut fait l’empire. Les guerres coloniales au XIXe siècle, Paris, CNRS Editions,
2009, 580 p., p. 197-199.

39
40
CHAPITRE I

Une montée en puissance chaotique (1954 – 1957)

I. L’ABC surprise par le conflit, mais pas démunie.

Avec la fin de la guerre d’Indochine, l’inspecteur de l’ABC espère bien pouvoir enfin
consacrer tous ses efforts à la modernisation de son arme. Pourtant, l’année 1954 plonge à
nouveau l’ABC dans un conflit dont personne ne mesure ni l’ampleur, ni la durée.
Considérant ce dernier comme secondaire, l’inspecteur de l’ABC commence son rapport
annuel en qualifiant l’année 1954 de décevante107. Le moral des cadres, qui ont été victimes
de trop d’instabilité, n’est pas bon. La mise en place des nouveaux matériels français subit
trop de retard car le plan de 1952 est loin d’être respecté. Trop d’incertitudes pèsent sur
l’avenir des régiments. En outre, l’AFN ne constitue qu’une zone de repli, de 1946 à 1954, en
cas d’invasion de la métropole108.
Au début de l’année 1955, la situation en AFN occupe encore peu de place dans les
préoccupations du commandement, la guerre en Algérie étant alors perçue comme une suite
d’attentats au sein d’ « événements ». L’emploi de projectiles nucléaires sur le champ de
bataille et la place que doivent tenir les blindés au sein des divisions de type OTAN
constituent quasiment la seule source de réflexion pour l’avenir de l’ABC. On se réjouit de la
mise en place de la division Javelot devenue le fleuron de l’ABC, qui souhaite en assumer les
missions et les responsabilités. La réflexion porte également sur les unités blindées des
divisions d’infanterie. L’ABC exige qu’elles soient mises sous les ordres d’un officier de
l’arme affecté à l’état-major, car l’emploi des chars demande une expérience que les officiers
d’infanterie n’ont pas. Quant aux divisions blindées de type américain, dont le soutien
logistique est jugé trop lourd, des réflexions sont menées pour les alléger en remplaçant l’un
des quatre régiments de Patton par un régiment de chars AMX, ce qui aurait pour résultat
également d’accroître leurs possibilités de manœuvre.

107
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 78/IGABC/702 du 22 janvier 1955.
108
Jean Doise et Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, 1871-1969, Paris, Imprimerie nationale, 1987,
570 p., p. 449 ; pour le détail, Jean-Charles Jauffret (sous la direction de), Les Portes de la Guerre, 1946-1954,
p. 232-262, t. II de la série, inachevée, La Guerre d’Algérie par les documents, Vincennes, SHAT, septembre
1998, 1 024 p.

41
Toutes ses évolutions doivent être menées dans un climat de stabilité pour éviter toute
cassure. Avec la fin de la guerre d’Indochine, l’ABC pense pouvoir achever sa montée en
puissance. Pourtant, la création de nouvelles unités imposées par la situation en Afrique du
Nord, notamment en Tunisie, commence déjà à apporter un certain désordre dans cette
évolution.

11. L’ABC face aux événements de Tunisie.

L’effort que doit fournir l’ABC, pour renforcer les troupes de Tunisie, n’est pas très
élevé. Seuls le 18e RD et le 4e RCC, deux régiments de reconnaissance d’un type nouveau à
trois escadrons légers de chars M24, sont mis sur pied au début de l’été 1954 pour y
intervenir. Ils sont destinés à entrer dans la composition des 11e et 14e divisions d’infanterie
(DI). La mise sur pied de ces deux régiments ne représente pas une lourde charge ni pour le
matériel, ni pour le personnel. Cependant, ces nouvelles unités sont la cause d’une certaine
insatisfaction pour le personnel et du commandement.
Le fait de voir ses chars légers M24 remplacés par des automitrailleuses AM M8 à son
arrivée en Tunisie, est accepté sans difficulté par le personnel des escadrons concernés. Les
équipages comprennent effectivement que ces automitrailleuses, qui ont toujours donné
satisfaction en reconnaissance, sont mieux adaptées aux missions qu’elles doivent remplir sur
ce terrain particulier. En revanche, ceux qui servent dans les escadrons qui passent sur char
M5 l’acceptent mal. Ils savent qu’ils doivent aux exigences américaines et au manque d’AM
M8 disponibles de devoir servir sur ce matériel dépassé, qui déjà a donné peu de satisfaction
lors de la Seconde Guerre mondiale. Bien que le M5 soit jugé suffisant pour la Tunisie, les
équipages qui les servent nourrissent une réelle déception, car ils attendaient avec impatience
les matériels français récents. Pour eux, il s’agit d’un retour en arrière rendu nécessaire non
par des considérations opérationnelles mais diplomatiques. La remise en service d’un matériel
suranné est donc très mal vécue.
La présence d’unités de cavalerie légère blindée (CLB) au sein des nouvelles divisions
d’infanterie de Tunisie n’est pas pour autant remise en cause. Elles répondent à un besoin
opérationnel incontestable. Cependant, la mise sur pied de ces deux régiments provoque la
désorganisation de six régiments pour une durée qui est estimée au minimum à plusieurs
mois. La solution consistant à envoyer en AFN deux régiments constitués aurait sans doute
été plus heureuse aux yeux de l’IGABC. Pour lui, le 5e RD, qui vient d’être rapatrié

42
d’Autriche pour s’installer à Périgueux, aurait particulièrement bien convenu. D’autres
régiments, devant être « mis en sommeil », auraient pu utilement y être envoyés également.
L’IGABC insiste sur le fait qu’il y aurait toujours avantage pour lui à ne déplacer en renfort
que des unités organiques, quitte à changer leur TED. Il en va non seulement du moral et de la
cohésion du personnel, mais également de la cohérence de l’ordre de bataille.
En revanche, la réapparition d’unités montées pour répondre aux besoins opérationnels
de Tunisie est accueillie avec satisfaction. Le 4e régiment de spahis tunisiens (RST) et le 5e
escadron de spahis algériens (ESA) (ex-2e escadron du 7e groupe d’escadrons de spahis
algériens) sont remis sur pied en Tunisie. En Algérie, le 11e ESA est créé le 1er décembre
1954 à Khenchela, le 10e ESA l’est à son tour le 1er janvier 1955 à Sebdou, puis le 12e ESA le
1er avril 1955 à Tiaret. Le général de division Lehr, inspecteur général de l’ABC, a été
convaincu de la nécessité de ce retour des unités à cheval lors d’un voyage d’inspection qu’il
fait en Algérie entre le 31 janvier et le 11 février 1955. Il constate que les unités blindées sont
peu adaptées à la montagne mais, qu’en revanche, les escadrons de spahis à cheval sont tout
désignés pour travailler là où les véhicules à roues ou à chenilles ne peuvent aller109. De prime
abord, étant donné le faible volume du personnel concerné, le commandement pense qu’il n’y
a aucune difficulté majeure à assurer l’encadrement et la remonte de ces formations. Des
dispositions en vue de former du personnel pour ces unités sont prises tant à l’EAABC que
dans les centres d’instruction d’AFN, ceux d’Hussein-Dey pour l’Algérie et de Zarzis pour la
Tunisie. Cette charge supplémentaire semble marginale pour ces écoles et réalisable sans
augmentation importante des moyens, qu’il s’agisse du personnel ou de l’infrastructure. En ce
qui concerne la remonte, même si le nombre de chiens commence à augmenter de façon
importante, l’achat et le dressage de chevaux supplémentaires peuvent être facilement
absorbés par les nouveaux groupes vétérinaires (GV), quitte à ce que les remontes achètent
des chevaux d’âge en attendant l’arrivée des jeunes chevaux.
La tournée d’inspection du général Lehr le mène également en Tunisie. Il rend donc
visite à toutes les formations de l’arme blindée stationnées en AFN à l’exception de celles du
Maroc110. L’impression qu’il en retire est très bonne, voire excellente. En Tunisie, où les
opérations se déroulent depuis plus longtemps qu’en Algérie, il se félicite de l’expérience
particulièrement profitable que les unités ont pu acquérir notamment pour les jeunes cadres

109
Rapport au ministre des Armées n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955 concernant les unités ABC de la Xe
RM, SHD/Terre 31 T 8.
110
En janvier 1955 sont présents en AFN :
- Algérie : 1er RSA, 2e RCA, 5e RCA, , 9e RCA, 6e ESA et 9e ESA
- Tunisie : 18e RD, 4e RCC, 4e RCA, 8e RCA, 4e RST et 5e ESA.
- Maroc : 1er RCA, 12e RCA, 2e REC, 3e RSM, 4e RSM.

43
dont, selon lui, « toutes les fautes de commandement sont – hélas – sévèrement sanctionnées
par les hors-la-loi »111. Dans l’ensemble, il est satisfait des résultats obtenus par les unités
blindées sur ce théâtre. Cependant, l’expérience tunisienne fait par la suite l’objet de vives
critiques, notamment d’un officier des troupes aéroportées qui écrit à ce sujet en 1958 :
« A quoi bon les unités d’artillerie et de chars venues d’Allemagne à grands
frais, avec leur matériel complet ? Ils se sont bien moqués de nous, les
Tunisiens, en voyant débarquer ces matériels qui ne pouvaient quitter les
routes pour lutter contre les fellaghas opérant dans l’ombre. Mais
évidemment, il était décevant pour les commandants de ces unités de mettre
leur matériel sur cadre pour se transformer en fantassins. Alors, on a sacrifié
la Tunisie au désir de ne pas contrarier ces braves gens. »112
Le parti pris est flagrant, car non seulement les chars des unités de l’ABC envoyées en
AFN sont restées en Allemagne mais, en plus, celles-ci sont réorganisées avec des pelotons
portés voire à pied. Il n’est donc pas exact de voir la cause de l’abandon de la Tunisie dans
des egos mal placés, d’autant plus que les unités blindées n’y sont pas employées dans des
missions de cavalerie mais plutôt dans des missions d’escorte et d’appui direct.

12. Une stabilisation nécessaire au personnel de l’ABC pour le bon


déroulement de la mutation de l’arme.

Du reste, dès le début de l’année 1955, l’emploi que souhaite faire le commandement
des unités de l’ABC en AFN préoccupe beaucoup l’IGABC. Il est à craindre, pour lui, que les
chefs fantassins, ne connaissant pas toutes les possibilités qu’elles offrent, les cantonnent à un
rôle d’arme d’appui direct ce qui est contraire à l’esprit manœuvrier qu’il souhaite voir se
maintenir au sein de l’arme. Pour veiller aux intérêts de l’ABC, en termes d’emploi et de
gestion, le commandement de l’ABC de Tunisie est séparé de celui de l’Algérie et devient
autonome.
C’est toujours dans le même esprit que l’IGABC émet les plus vives réserves
concernant le projet qui consisterait à répartir les escadrons du 31e RD dans les régiments
d’infanterie motorisée de la 2e DIM en cas de mobilisation. Il est essentiel, pour lui, que ces
escadrons soient « instruits et restent groupés dans les mains d’un chef de corps de cavalerie
pour l’exécution de leurs missions dont les principales se situent au cours des préliminaires
111
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
112
Claude Paillat, Le Dossier secret de l’Algérie, Paris, Le Livre Contemporain, 1961, 538 p., p. 113 et 114.

44
du combat offensif ou défensif. »113 Dans le premier cas, ils doivent éclairer la division dans sa
zone d’action, dans le deuxième cas, leur mission est de prendre contact avec l’ennemi au plus
loin et de jalonner ses avant-gardes. Or, ces misions ne peuvent pas être menées à bien en
étant décentralisées au niveau des régiments d’infanterie. Mais l’inspecteur général n’est pas
entendu. Lorsque la 2e division d’infanterie motorisée (DIM)114 est envoyée en Algérie, en
juin 1955, le 31e RD est dissous et ses escadrons répartis comme escadron d’éclairage
antichar (EEAC) dans les quatre régiments d’infanterie motorisée.
Le même problème se pose à cette époque pour les unités ABC intégrées dans les
régiments d’infanterie aéroportée. Si, pour l’emploi, l’IGABC comprend qu’une
décentralisation de ces escadrons sur jeeps est nécessaire en raison du caractère particulier des
missions d’une division d’infanterie aéroportée (DIAP), il estime en revanche que
« l’instruction et l’entraînement de ces escadrons doivent être réalisés au sein d’une cellule
régimentaire de l’arme »115.
L’évolution de la situation en AFN fait donc craindre à l’ABC de voir non seulement
les efforts de modernisation réduits quasiment à néant, mais également de voir l’esprit
« cavalier » faiblir par la transformation des unités blindées en unités d’appui. Les chefs de
l’ABC souhaitent que leur arme reste avant tout celle de la manœuvre, qui renseigne, qui
couvre et qui combat, ce que des missions d’appui ou de défense statique compromettraient
grandement.
Un autre problème auquel est confronté l’ABC est celui de la formation de son
personnel et du maintien de leur niveau opérationnel dans le domaine de la mise en œuvre des
blindés. En cela, l’année 1954 est porteuse d’espoir. Elle marque le retour d’une certaine
stabilité des sous-officiers dans les unités, alors que l’instabilité des officiers entraîne encore
de fortes perturbations dans le service comme dans la vie des familles. Il s’agit d’un mal
chronique qui se traduit dans l’année écoulée par 1 045 mutations d’officiers pour un effectif
de 2 673. Dans certains corps, il est même arrivé que la moitié des officiers soit mutée en
même temps cette année-là. Certaines de ces mutations sont dues à la relève d’Extrême-
Orient, d’autres à la création d’unités nouvelles. En revanche, beaucoup sont le fait d’un
manque de concertation et d’anticipation. Or, selon l’IGABC, on ne s’improvise pas chef de
peloton blindé et les jeunes officiers sortant d’école ne trouvent plus le mentor parmi les plus

113
SHD/Terre, Ibid.
114
Cette division est parfois appelée par erreur division d’infanterie mécanisée par certains témoins, y compris le
général Beaufre, qui pourtant en a été le chef. Cf. général Beaufre, « De l’OTAN à Tizi-Ouzou », HISTORIA
MAGAZINE, La Guerre d’Algérie, 7 volumes, 1971-1974. p. 331 – 340
115
Id.

45
anciens qui peut les guider et les former. Ce phénomène est encore plus vrai pour les officiers
du contingent formés dans les écoles d’application où ils suivent le cours des EOR. C’est
pourquoi, avec la fin de la guerre d’Indochine, de grands espoirs sont fondés sur le fait que les
officiers de l’ABC vont enfin pouvoir se concentrer sur le métier de chefs d’unité blindée
susceptible d’intervenir efficacement dans la défense de l’Europe de l’Ouest.
Pour les sous-officiers, ce processus semble déjà bien enclenché et le corps des sous-
officiers est jugé comme étant de bonne qualité, surtout parmi les techniciens (auto-chars,
transmissions…). Les autres qui ont connu des fortunes diverses dans 15 dernières années,
constituent un ensemble « d’une très honnête moyenne » selon l’IABC. Quant à la troupe,
composée pour son immense majorité d’appelés, elle ne donne pas entière satisfaction du fait
de la durée du service militaire, fixée à 18 mois par la loi du 30 novembre 1950, qui est jugée
insuffisante pour former des équipages d’engin blindé opérationnels. Une plus longue
formation, par rapport à celle nécessaire dans les autres armes, semble indispensable aux yeux
des chefs de l’ABC. Une partie jugée trop importante des équipages n’a pas le temps
d’achever son cycle de formation, et, quand tel est le cas, la libération du contingent réduit à
néant tous les efforts consentis pour atteindre ce but. Le recours à une plus forte proportion
d’engagés est donc vivement souhaité pour que cette formation soit rentable. Cependant, une
telle politique n’est pas à l’ordre du jour. Une circulaire de l’EMA cherche en effet à limiter
leur nombre au sein des troupes métropolitaines116. L’IGABC s’élève avec la plus grande
vigueur contre cette directive qui compromet, à ses yeux, l’avenir de son arme. Il pense, en
effet, que seul du personnel servant pour une durée de deux ans minimum est en mesure de
tenir convenablement des postes de chefs de char, de tireurs ou de pilotes. Il pense même
qu’une telle durée de service serait de nature à générer des économies non négligeables en
carburant, en munitions d’instruction et surtout en matériels qui, mieux utilisés, seraient
préservés d’une usure prématurée. En outre, la masse des engagés représenterait un vivier
important dans lequel il pourrait être recrutés des sous-officiers. Cependant, l’allongement de
la durée légale du service de 24 à 28 voire 30 mois selon les spécialités117, dû à la guerre
d’Algérie, va donner partiellement satisfaction à l’inspecteur, mais les missions qui y sont
remplies ne permettent d’accroître que la formation technique des équipages : l’école de
peloton et, à plus forte raison, l’école d’escadron y sont négligées, car elles n’y représentent
pas un grand intérêt au point de vue opérationnel.

116
SHD/Terre, 8 T 179, note n° 4.123/EMA/IE du 24 décembre 1954.
117
Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. Expériences contrastées des hommes du contingent, 1954-1962,
Autrement, 6e édition revue et augmentée, septembre 2011, 384 p., p. 29-32.

46
13. Le retour des cavaliers à pied

Cette carence en instruction collective est d’autant plus préoccupante que, dès 1954, le
besoin d’un volume d’infanterie débarquée plus important se fait sentir en AFN. Déjà, en
Indochine, l’ABC a souffert d’être écartée de ses missions principales. En 1954, plus de 50 %
des officiers qui y sont encore affectés le sont en dehors de l’arme. Sur un total de 684
officiers, 153 officiers sont détachés dans l’infanterie. Ce qui est vécu comme un facteur
préjudiciable pour l’ABC et pour ses officiers. Leur carrière risque en effet de souffrir, car la
priorité dans les régiments d’infanterie, et surtout d’infanterie coloniale, en termes de
notation, n’est pas donnée aux officiers de l’ABC qui y sont détachés.
C’est pourquoi, conscient du fait que, face au problème algérien qui est en train de
naître, le besoin en unités d’infanterie risque de s’accroître, l’IGABC milite pour la création
de groupes d’escadrons à pied composés exclusivement de personnel de l’ABC. Cette formule
a donné satisfaction en Indochine car ce type d’unités, commandées par un officier de l’ABC
et contrôlées par l’inspection de l’ABC, « y étaient animées d’un moral élevé, et pouvaient
supporter en tous points la comparaison avec des unités analogues des autres armes »118.
Cette solution est retenue pour l’Algérie. Des bataillons composés uniquement de
personnel de l’ABC sont mis sur pied. Mais le fait de leur attribuer un nom et des traditions
d’unités d’infanterie nuit grandement au moral. La constitution du 63e bataillon de tirailleurs
algériens119 présente dès le début de son existence de grands inconvénients tant sur le plan du
service que sur le plan moral. Le personnel de l’ABC accepte généralement mal le fait de se
transformer en fantassins, surtout au sein d’une unité dont les traditions ne sont pas celles
d’un régiment de son arme.
Si, à la fin de l’année 1954, l’ABC semble enfin pouvoir bénéficier d’un climat de
stabilité pour poursuivre sans cassure son évolution, l’ampleur et l’aggravation des
« événements d’AFN », selon l’expression employée à l’époque, lui demandent un nouvel
effort, de nature différente de celui d’Indochine, du fait de l’engagement du contingent, ce qui
provoque de sérieux remaniements. Ces remaniements, indispensables pour faire face à une
situation imprévue, vont perturber la montée en puissance de l’outil blindé-mécanisé
nécessaire au théâtre européen que le commandement veut préserver à tout prix. La poursuite

118
SHD/Terre, 8 T 179, note n°4.123/EMA/IE du 24 décembre 1954.
119
Ce bataillon est un bataillon de protection mis sur pied par la Xe RM avec les disponibles d’Algérie en mai
1955. Il est encadré par des officiers et des sous-officiers des régiments de l’ABC de la 6e DB

47
de deux objectifs difficilement conciliables crée un certain désordre auquel il ne sera jamais
réellement mis un terme.

II. L’ABC fait le grand écart

21. Une adaptation improvisée par nécessité

Du reste, au début de 1955, l’IGABC est conscient que les unités doivent s’adapter au
plus vite à la situation tactique de l’Algérie, il écrit dans son rapport du 22 février : « Comme
constatation d’ensemble sur ma visite en Algérie et notamment dans les Aurès, la preuve a été
faite, si tant est qu’elle avait besoin de l’être, de l’inaptitude des troupes blindées type NATO
aux opérations nord-africaines »120. Pour les rendre plus adaptées à la guérilla, l’organisation
et la dotation en matériels des unités déjà stationnées en Algérie évoluent. Ces nouvelles
dispositions sont souvent le fruit d’initiatives locales et ne s’inscrivent dans aucun TED
officiel. Les escadrons de chars sont transformés en unités de jeeps et d’automitrailleuses
(AM) ou dotés de vieux chars M5 et d’obusiers M8 tout aussi usés. En revanche, les Sherman
M4 A-1, dont il reste quelques exemplaires en Algérie, au 5e régiment de chasseurs d’Afrique
(RCA) notamment, sont jugés totalement inadaptés dans les terrains montagneux et restent
stockés dans leurs garages. Les M24 sont également jugés peu adaptés au terrain et à
l’ennemi, cependant, avec l’extension de la « rébellion », il est fait appel à eux rapidement au
cours de l’année.
L’IGABC estime que cette transformation s’est déroulée sans heurt et que le personnel
s’y est bien adapté, il appelle de ses vœux l’attribution d’une jeep pour le chef de peloton
blindé qui est prévue depuis longtemps et dont l’absence, en Tunisie, lui semble
désastreuse121. En 1955, le déficit en véhicules légers tactiques dépasse 10 000 véhicules, ce
qui rend impossible une dotation supplémentaire pour les chefs de pelotons blindés, cette
demande ne sera donc jamais satisfaite122. Elle peut paraître relever du détail, mais c’est la
seule doléance de l’IGABC concernant les dotations et l’organisation en ce début d’année.

120
SHD/Terre, 31 T 5.
121
Les chefs de pelotons blindés sont obligés d’effectuer les liaisons en char ou en half-track. SHD/Terre, 31 T
18, rapport n° 131/IGABC701 du 11 février 1955.
122
SHD/Terre, 31 T 18, BE n° 17394/EMA/CAB du 28 octobre 1955.

48
Force est de constater que les unités de l’ABC ont, pour l’instant, su faire face à cette
mutation rapide.
Cette réussite, qui reste cependant partielle, est le fruit d’un effort considérable. A la
fin de l’année 1954, après la création des deux régiments de cavalerie légère blindée (CLB)
des 11e et 14e DI et d’unités à cheval, il faut équiper des unités de chars en AM anciennes ou
les transformer en unités portées, mixtes ou à pied. Il faut également remplacer certains
matériels américains par des EBR ou des AMX 13 qui, du coup, font défaut en France ou en
Allemagne.
La fin de la campagne d’Indochine a permis d’honorer les TED des sous-officiers,
voire de créer un sureffectif dans certains régiments. Mais cela provoque le non
renouvellement de contrat de certains brigadiers-chefs et un manque de candidats à
l’engagement dont l’ABC va souffrir dans les années suivantes du fait du besoin croissant en
encadrement des futures unités mises sur pied dans le cadre du plan Valmy123. D’une façon
générale, les dispositions prises pour réduire les effectifs au lendemain de la fin de la guerre
d’Indochine, notamment la suppression des autorisations de servir au-delà de la limite d’âge,
déçoivent les sous-officiers qui craignent pour leur retraite, ces mesures vont entraîner un
départ des meilleurs éléments vers les « emplois réservés » qui est un phénomène qui prendra
de l’ampleur par la suite. Pour augmenter le nombre d’hommes du rang engagés, des
campagnes de recrutement sont lancées dont l’accent est mis sur le caractère technique de
l’ABC. Mais le succès n’est pas au rendez-vous, car les candidats à l’engagement préfèrent
s’orienter vers les troupes aéroportées où les soldes sont bien meilleures.
En ce qui concerne le contingent, l’ABC a de gros besoins en catégories 1, 2 et 3 (i.e.
celles dont le niveau intellectuel est le plus élevé). L’arrivée massive de catégories 4, 5 et 6,
pose de sérieux problèmes pour armer les postes de pilotes ou de tireurs et de petits gradés.
L’IGABC s’en émeut, il demande à ce que 60 % au moins du contingent affecté à l’ABC
soient choisi dans les trois premières catégories. Ce déséquilibre entraîne une disparité
marquée entre la qualité du contingent affecté aux unités blindées et celle du contingent
affecté aux unités à pied.
Quel que soit leur statut, les appelés, dont les effectifs grossissent, ont un esprit qui
donne globalement satisfaction à la chaîne de commandement notamment celui de ceux qui
sont envoyés en AFN. Les unités que visite l’IGABC en janvier 1955, lui donnent une
excellente impression, elles lui paraissent disciplinées, bien tenues et vigoureuses

123
Plan d’envoi de renfort en Algérie faisant suite au rappel des disponibles des contingents des classes 52-1 et 2
et 53-1 (décret du 11 avril 1956).

49
physiquement, « celles qui sont en opération semblant s’être accommodées avec entrain et
intérêt à la vie en campagne »124.

22. Un renforcement qui se fait au détriment des unités d’Europe

Les besoins de renfort pour l’Algérie augmentent de façon considérable au cours de


l’été 1955, notamment après le bain de sang des massacres des 20 et 21 août à Philippeville et
dans le Nord-Constantinois et la contre-terreur qui s’en suit. En juillet, le général Cherrière,
commandant la Xe Région militaire (Algérie), demande 30 bataillons, 18 escadrons et 10
compagnies de transport pour le corps d’armée de Constantine, volume qu’il estime devoir
porter à 52 bataillons, 30 escadrons et 18 compagnies de transport si les troubles devaient
s’étendre. Entre le 25 juillet et le 27 septembre, 13 escadrons blindés sont envoyés en renfort
en Algérie125. Mais, le 14 octobre, la dégradation de la situation en Oranie pousse le général
Lorillot, successeur du général Cherrière, à demander les renforts supplémentaires prévus
pour pousser l’ensemble de ses effectifs à 246 000 hommes126. Il souhaite que ces renforts
soient envoyés dans le cadre de deux divisions à neuf bataillons chacune, et non sous la forme
d’unités isolées qui sont plus difficiles à soutenir et à commander. Dans le même temps, il est
décidé de mettre sur pied les unités territoriales d’Algérie127. En conséquence, le général
Lorillot ajoute à ses demandes initiales le retour du Maroc des unités d’Algérie,
l’augmentation du nombre des supplétifs et, concernant l’ABC, deux régiments à trois
escadrons dotés d’EBR ou d’AM M8 et un régiment à cheval128.
Les renforts destinés à l’Algérie prennent différentes formes. Tantôt il s’agit de
régiments organiques, comme c’est le cas pour le 1er régiment de spahis marocains ou le 12e
régiment de dragons (régiments affectés au Maroc) et un groupe d’escadrons129 (GE) du 16e
RD, tantôt de régiments de marche constitués à partir d’un noyau régimentaire complété sur le
théâtre par un ou plusieurs escadrons, comme pour le 3e régiment de hussards (RH) (affecté

124
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
125
8e RSA (3 esc./841 h.) le 25 juillet d’Indochine, 6e RSM (3 esc./861 h.) le 4 août d’Indochine, 8e RH (2
esc./563 h.) le 18 août de France, 16e RD (2 esc./835 h.) le 16 août de France et 13e RD (3 esc./814 h.) le 27
septembre de France.
126
SHD/Terre, 6 T 771/d1.
127
Les unités territoriales ne comprennent qu’une seule unité blindée : l’unité territoriale blindée – A 199 ou 76e
escadron territorial blindé. Elle est créée le 7 février 1956, avec des effectifs et des cadres provenant
essentiellement de l’A.B.C. Elle est équipée de Sherman pris sur le stock de mobilisation du 10e RCA qui est le
régiment dérivé du 5e RCA auquel cet escadron est rattaché. Il s’agit des seuls Sherman employés en Algérie.
128
SHD/Terre, ibid.
129
Dans l’ABC un groupe d’escadrons (GE) correspond à un bataillon dans l’infanterie. Traditionnellement, il
comprend deux escadrons, mais, en Algérie les GE en comptent parfois trois.

50
au Maroc) et le 8e RH, tantôt d’effectifs globaux à agglomérer de toutes pièces, comme pour
les trois régiments à pied qui sont créés.
Ces derniers sont formés de toutes pièces à partir des divisions qui sont stationnées en
Allemagne avant d’être envoyées en Algérie à partir de l’automne 1955 au sein de la Xe
brigade de cavalerie de la 19e DI. Ses trois nouveaux régiments regroupent du personnel
prélevé sur les DB. Ils prennent le nom de régiments de dragons pour marquer leur caractère
de régiment de cavalerie à pied. Le 4e RD, formé avec du personnel de la 5e DB, est recréé le
5 novembre 1955130 et débarque en Algérie le 28. Le 20e RD, créé le 1er décembre 1955 à
Trêves avec du personnel de la 1re DB, arrive à son tour le 17 de ce mois. Le 29e RD, quant à
lui, est remis sur pied le 15 novembre 1955 à Fritzlar (RFA) à partir d’éléments de quatre
régiments de l’ABC stationnés en Allemagne (5e RH, 30e RD, 7e RCA et 3e RSA) et débarque
à Alger le 7 décembre 1955.
La 6e DB doit également fournir des éléments à pied. Le 10 décembre 1955, arrive en
Algérie un groupe d’escadrons de marche du 6e RC, son régiment de Patton. Il compte un
escadron de commandement et des services (ECS) (7e esc.) et trois escadrons à pied
numérotés de 4 à 6 (venant des 501e RCC, 7e et 6e RC), ce qui lui donne en fait le volume
d’un régiment.
Bien que la formule consistant à former des régiments de circonstance soit la moins
bonne, comme l’IGABC l’a déjà souligné au sujet de la Tunisie, elle a toutefois été retenue
pour éviter d’avoir à affaiblir d’une façon trop ostensible les DB. Mais tout le monde
s’accorde à dire qu’il est toujours, en effet, préférable d’engager un régiment constitué plutôt
qu’un régiment de marche, même doté d’une nouvelle appellation et « d’un étendard au passé
glorieux »131. Cette solution est cependant admise à condition que les escadrons ne soient pas
dissociés une fois le régiment arrivé sur le théâtre d’opérations et que les hommes restent avec
leur encadrement. Mais tel n’est pas toujours le cas, des régiments, comme le 6e RD ou le 2e
RH, doivent fournir à d’autres armes un certain volume de leur personnel132. De telles
mesures interdisent aux unités, nouvellement constituées, d’entrer sans délai en campagne et
compromettent le bon ordre de la mise sur pied des renforts.
La quasi-totalité des unités de l’ABC, à l’exception des gros des DB, est ponctionnée
en personnel, ce qui entraîne un certain désordre. Par exemple, le 12e RD, qui opère au Maroc

130
Le 4e RD d’Indochine est dissous depuis son retour d’Indochine en 1954.
131
SHD/Terre, 31 T 9.
132
Ces régiments fournissent notamment le personnel nécessaire à la mise sur pied du 45e BTA, qui devient 25e
régiment de dragons en avril 1956. SHD/Terre, 6 T 285.

51
avec la 4e DIM, change trois fois de structure en 1955. Il résulte de ces changements faits
dans l’urgence une certaine confusion.
Des unités blindées arrivent également en renfort avec leurs matériels. Le 4e RCC (AM
M8) est rappelé de Tunisie en mai. Deux escadrons du 8e RH, régiment de reconnaissance de
la 6e DB, arrivent de France avec leurs EBR en août, et les deux autres en octobre. Les 8e RSA
et 6e RSM sont envoyés directement d’Indochine en Algérie respectivement en juillet et en
août. Mais ils sont en fait peu disponibles car leur personnel doit prendre ses congés de fin de
campagne133. D’autres unités, en revanche, changent de matériels. Le groupe d’escadrons
(deux escadrons) du 16e RD, régiment de chars de la 2e DIM, échange ses chars Pershing
contre des AM M8 pour débarquer en Algérie le 18 août 1955, tout comme le 13e RD,
régiment de chars de la 25e division d’infanterie aéroportée (DIAP), qui arrive à son tour le 25
septembre 1955 après avoir également échangé ses Pershing et ses AMX 13 contre des AM
M8.
Ces nouvelles unités relèvent parfois celles qui avaient été envoyées en première
urgence. L’escadron de marche du 1er RH, arrivé en Algérie le 21 novembre 1954 au sein des
éléments « blizzard » de la 25e DIAP, rejoint son régiment à Tarbes le 12 septembre 1955.
Ces changements concernent tous les domaines, de la doctrine à l’organisation en
passant par l’instruction et la politique d’équipement. Ils sont menés avec le souci constant de
préserver le sens de la manœuvre, donc de la mobilité, et d’établir une standardisation des
types de formation dont l’organisation théorique est mise à mal par le commandement
territorial en Algérie.

23. Remise en question de l’organisation opérationnelle des unités

Mais c’est surtout l’extrême diversité des escadrons, source de problèmes de soutien et
de commandement, qui préoccupe le commandement. C’est pourquoi, à partir de 1955, la
recherche d’une standardisation des unités devient sa priorité en matière d’organisation. La
diversité des missions dévolues aux unités blindées entraînant celle des matériels, la recherche
de toute homogénéité de ces derniers semble vaine, d’autant plus que l’ABC doit faire face à
la fois à la préparation opérationnelle d’une guerre classique (conventionnelle ou nucléaire) et
à celle d’une guerre de type révolutionnaire qui est déjà en cours. Mais la coexistence de
matériels différents ne semble pas exclusive de la standardisation des unités élémentaires. La

133
Sur le retour du 8e RSA d’Indochine, voir le témoignage du général du Temple de Rougemont, in François
Porteu de La Morandière, Soldats du djebel, Paris, Société de production littéraire 1979, 379 p., p. 48 et 49.

52
situation toujours particulière des différentes zones d’engagement pousse les chefs de corps à
s’affranchir de l’organisation théorique pour bénéficier de plus de souplesse selon le terrain,
l’ennemi et le volume des troupes des autres armes y opérant. C’est dans ces improvisations,
parfois justifiées, que le commandement voit la cause principale de la confusion qui semble
régner, mais l’EMA porte également sa part de responsabilités en constituant parfois trop
rapidement les unités envoyées en renfort en AFN.
En outre, les changements de matériels, ou la mise à pied de certaines unités,
entraînent une perte de rendement non négligeable pour l’avenir de la fonction blindée. Mais
la réorganisation opérationnelle des unités en escadrons mixtes blindé/porté ne règle pas tout,
encore faut-il que les mentalités évoluent. L’inspecteur émet des réserves sur l’emploi qui est
fait des unités de l’ABC de nouvelle structure en Algérie.
Du fait de l’immensité des zones d’opérations et de la faiblesse des effectifs, les unités
sont dissociées. Ce qui nuit non seulement à leur cohésion mais également à leur soutien
technique et administratif. D’une façon générale, il en résulte que les unités de l’ABC ne
peuvent être conçues qu’à l’échelon du régiment, y compris pour les unités à cheval. Cette
organisation permet un meilleur suivi du personnel et du matériel. Dans le domaine de
l’emploi, grâce à la standardisation des unités, le régiment, échelon plus administratif
qu’opérationnel, peut alors mettre à la disposition des unités d’infanterie les éléments blindés
qui lui font défaut pour remplir une mission précise.
Sur le plan tactique, l’emploi que le commandement local fait en 1955 des unités
blindées, inadaptées à la montagne, se limite à des opérations de police en plaine ou à des
bouclages, ce qui est peu dans l’esprit de l’arme et, de ce fait, préoccupe d’autant plus
l’IGABC134.
Sur le plan technique, à court terme, les équipages passent relativement facilement
d’un matériel moderne à un matériel plus vétuste, généralement plus facile à mettre en œuvre.
En outre, le métier de fantassin semble rapidement assimilable. Mais des qualifications
onéreuses tendent à disparaître. Ce qui semble d’autant plus fâcheux que les jeunes sous-
officiers doivent réussir leurs examens (certificat interarmes et brevet d’arme)135 pour espérer
faire carrière. Or les programmes des examens portent sur les matériels modernes et le combat
de type Europe, face aux forces du Pacte de Varsovie. Il est donc demandé aux régiments

134
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
135
Il existe deux niveaux d’examen pour les sous-officiers. Le 1er niveau correspond à celui d’un chef d’engin
dans l’ABC, chef de groupe (10 hommes) dans l’infanterie. Le 2e niveau correspond à celui d’un chef de peloton,
chef de section dans l’infanterie. Chacun de ces niveaux comporte deux diplômes : le certificat interarmes (CIA),
qui est un tronc commun à toutes les armes, et le brevet d’arme (BA) qui est un diplôme de spécialiste : chars,
automitrailleuse, etc.

53
d’organiser des séances d’instruction « cadres » en Algérie sur le thème de la guerre
classique. Mais le rythme auquel se succèdent les opérations interdit leur réalisation. Après
quelques séances menées en 1955, ce type d’instruction est délaissé totalement.
Dans le domaine de l’organisation opérationnelle, des décisions antérieures sont
remises en cause, le concept de régiment interarmes ne semble pas très heureux, l’IGABC
souhaite que le 2e RD redevienne un régiment uniquement composé de cavaliers136. Mais le
problème le plus grave, à ses yeux, est celui des escadrons intégrés à des régiments
d’infanterie. L’IGABC s’insurge contre la dissolution du 31e RD et l’émiettement des moyens
divisionnaires de reconnaissance dans les régiments d’infanterie motorisé de la 2e DIM :
« Sans préjuger de la qualité des moyens attribués aux unités dispersées pour
remplir ce rôle : jeeps et AMX, il était à prévoir, et il est maintenant consacré
par les opérations d’AFN, que ces escadrons, isolés au sein d’un régiment
d’une autre arme, ne sont absolument pas viables, privés de tout soutien tant
moral que technique. Les résultats qu’ils obtiendraient, regroupés aux mains
de leur chef, sont sans commune mesure avec le rendement diminué que leur a
imposé la dispersion. »137
Il n’est pas favorable non plus à la présence d’escadrons dans les régiments
d’infanterie parachutiste, encore que ces unités ne relèvent pas de l’ABC car le personnel de
l’arme s’y résume aux cinq officiers de l’unité et à six de ses sous-officiers sur 17. Il les
considère donc comme des unités d’infanterie malgré le nom qu’elles portent.
En 1955, des études du bureau études générales de l’EMA visent donc à supprimer les
escadrons d’éclairage des régiments d’infanterie motorisée (RIM), pour les regrouper dans un
seul et même régiment de cavalerie. En revanche, il est prévu de maintenir, dans les RIM,
comme dans les régiments d’infanterie aéroportée, des commandos sur jeep dont le personnel
appartiendrait à l’infanterie138.
La montée en puissance des unités de l’ABC d’Algérie repose sur un changement
quasi radical des unités du fait de leur peu d’aptitude à y opérer dans leur configuration de
type Europe. Cela engendre une certaine instabilité qui contraint l’ABC à entamer un effort de
remise en ordre. Afin que les unités de l’ABC ne se retrouvent pas diluées dans le dispositif
en Algérie et cantonnées à des missions secondaires, l’IGABC insiste sur le maintien des
unités de son arme dans leur domaine de responsabilité. Il veut éviter à tout prix que son arme

136
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.
137
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.
138
SHD/Terre, 3 T 15.

54
« perde son âme et son esprit d’allant indispensable au bon accomplissement des missions
traditionnelles de la cavalerie » 139. Il souhaite fermement que le cadre régimentaire, avec des
escadrons standardisés, soit maintenu afin que les matériels blindés ne soient pas émiettés
dans d’autres unités. Pour lui l’ABC a comme vocation de mener un combat mobile, pour
lequel son personnel est formé, et doit rester l’arme de la manœuvre.

III. 1956, l’ABC enfin en ordre de marche

L’année 1955 est donc une année difficile pour l’ABC qui se trouve prise entre la
préparation de ses missions dans le cadre de l’OTAN et la mise sur pied d’unités pour l’AFN
dont certaines sont encore désignées pour faire partie de la force d’intervention terrestre, ce
qui suppose qu’elles continuent à s’entraîner sur leur matériel de dotation.
Comme en 1955, l’IGABC se rend en AFN en début d’année pour y inspecter les
unités. Il y séjourne du 23 janvier au 9 février 1956. Il ne peut pas toutes les inspecter, car son
emploi du temps, qui prévoit une visite non seulement en Algérie mais également en Tunisie
et au Maroc, ne le lui permet pas. Dans son rapport, il fait part de sa « satisfaction quant au
comportement des corps de troupe »140. Cependant, il déplore qu’ils soient encore loin d’être
tous parfaitement opérationnels, du fait d’une réorganisation inachevée, d’une transformation
en cours ou de « matériels déficitaires, déficients ou non encore utilisables faute de
l’indispensable ».

31. Les effectifs au cœur des préoccupations du commandement

Au début de l’année 1956, des manques apparaissent dans tous les domaines, qu’il
s’agisse d’effectifs ou de matériels. Les unités blindées organiques la Xe RM, qui sont toutes
équipées d’AM M8, après le stockage éventuel de leurs chars de dotation, semblent moins
concernées par ce problème, et leurs nouvelles dotations conviennent à leur emploi de
l’époque. Cependant, elles commencent à être concernées par l’arrivée de nouveaux matériels
dont la mise en place n’est pas automatiquement suivie d’un changement de structure. Le 1er
RSA, qui vient d’être doté d’EBR, est encore aligné sur le TED ABC 006 (AM M8) alors qu’il
aurait dû s’aligner sur le TED ABC 012. Cette discordance oblige le chef de corps à jongler

139
Id.
140
SHD/Terre, 31 T 19, rapport n° 150/IGABC/701 du 20 février 1956.

55
en permanence avec ses effectifs pour répondre aux besoins engendrés par le service de son
nouveau matériel.
Mais plus que le matériel, c’est la gestion et l’encadrement d’un volume important
d’effectifs qui engendre le plus de difficultés et, partant, un certain désordre que des solutions
improvisées peinent à résorber. Les besoins d’encadrement pour l’instruction des recrues
grèvent l’enveloppe des effectifs opérationnels des corps qui, comme le 8e RH ou le 13e RD,
ont conservé un dépôt en France. De ce fait, ils souffrent d’un sous-effectif chronique pour
leur encadrement en Algérie. Mais la priorité n’est pas donnée aux unités d’instruction qui se
retrouvent surchargées. L’Ecole de l’ABC d’Hussein-Dey voit ses missions augmenter de
façon considérable avec la prise en charge de l’instruction des recrues originaires d’Algérie,
alors que son TED reste inchangé. Le chef de corps doit également trouver des solutions plus
ou moins heureuses pour faire face à un besoin en encadrement toujours croissant.
En outre, le recrutement régional ne donne absolument pas satisfaction à l’inspecteur.
Les appelés de l’ABC sont originaires des régions parisienne, lilloise, lyonnaise et de l’Est.
Un apport de jeunes Français issus du milieu rural semble indispensable pour permettre un
meilleur équilibre au sein des unités blindées. L’IGABC émet également de sérieuses réserves
sur la mise en place du futur système de relève (10 % tous les deux mois). D’une part, il lui
semble qu’il sera nuisible à la cohésion des unités qui traversent une période difficile, d’autre
part il aura pour conséquence de désorganiser les escadrons. L’IGABC souhaite donc la mise
en place d’un système de relève collective par escadron, qui verra effectivement le jour, du
moins partiellement, quelque temps après.
Mais c’est surtout le problème des sous-effectifs qui préoccupe le commandement, car
il s’aggrave du fait de l’organisation territoriale pour laquelle les unités ne sont pas
dimensionnées par leur TED qui se limite aux emplois opérationnels. L’organisation en
« secteurs opérationnels »141 conduit à un prélèvement, jugé excessif, de personnel d’état-
major ou de servitude sur les régiments, quand ceux-ci ne reçoivent pas intégralement la
charge du commandement de l’un des secteurs, comme le 16e RD à Aïn-Beida. Ces missions

141
Le 17 mars 1956, les divisions territoriales prennent le nom de divisions militaires. Elles sont réparties en
subdivisions qui peuvent devenir éventuellement des zones opérationnelles. Parallèlement sont créés des secteurs
opérationnels dont certains peuvent se situer à cheval sur deux subdivisions. La séparation du commandement
territorial et du commandement opérationnel sous deux autorités distinctes crée une certaine confusion. En mars
1957, les divisions militaires deviennent des corps d’armée et les subdivisions limitées à 12 dont les limites
correspondent à celles des 12 nouveaux départements. Elles prennent le nom de zone et sont confiées chacune à
une division opérationnelle. A partir du 8 août 1957, sont créés en leur sein des secteurs territoriaux dont les
chefs réunissent à la fois le commandement territorial et le commandement opérationnel. De 66, en 1957, leur
nombre passe à 74 au cours du conflit. Les secteurs sont divisés en quartiers, qui eux-mêmes se divisent en sous-
quartiers. SHD/Terre, 6 T 771.

56
territoriales ne sont pas du goût de l’inspecteur, dans la mesure où elles détournent du
personnel (environ 10 % de l’encadrement) de sa mission première qui est de mener des
actions combinant le mouvement et le feu.
Cependant, l’inspecteur ne remet pas en cause la constitution d’unités de cavalerie à
pied dont l’organisation, qui n’est prévue par aucun plan de mobilisation, pêche encore. Il
apparaît que leur TED, qui est celui d’un bataillon d’infanterie autonome est inadapté à leur
volume du fait de l’absence d’une unité de soutien dotée de moyens suffisants142. Un nouveau
TED est donc créé au début de l’année 1956, sur lequel toutes les unités à pied sont alignées
quelque soit leur arme d’appartenance bien qu’il prenne le nom de TED INF 107, c'est-à-dire
celui d’un TED de l’infanterie. Ce nouveau TED prévoit pour chaque bataillon, trois
escadrons de combat et un escadron de commandement et des services (ECS), appelé parfois
escadron hors rang (EHR) par tradition dans l’ABC, avec un effectif théorique total de 22
officiers, 93 sous-officiers et 547 hommes de troupe, ce qui représente une augmentation des
effectifs par rapport à l’ancien. Aucun véhicule de transport n’y figure. Pour se déplacer, les
unités doivent faire appel aux unités de transport du Train. Cette absence de moyen de
déplacement n’est pas du goût des cavaliers qui sont peu faits pour remplir des missions
statiques.
En fait, les cavaliers ont le souci constant de retrouver leurs capacités de manœuvre.
Ainsi, lorsque le 12e RD, régiment de reconnaissance sur AMX 13 de la 4e DIM, arrive en
Algérie avec cette division en septembre 1955, il est partiellement transformé en unité
d’infanterie portée. Seul son 1er escadron est équipé d’engins blindés (M24). Les trois autres
sont équipés de half-tracks ou de Dodge. Mais la mise à terre partielle de ce régiment est plus
le fait de l’absence d’engins blindés disponibles que d’une volonté d’augmenter le nombre de
cavaliers débarqués. Le fait d’avoir des escadrons sur camions non seulement réduit
considérablement ses possibilités de manœuvre mais gaspille la formation sur AMX de ses
recrues. Il est prévu de le doter d’engins blindés dès qu’il y en aura de disponibles143. Dès
novembre 1955, son 3e escadron passe sur AM M8 mais il faut attendre l’arrivée des 250 AM
M8 en provenance des Etats-Unis en juillet 1956, pour qu’il puisse redevenir un régiment
blindé. En septembre, il adopte une structure « bataillonnaire », ce qui reste exceptionnel dans
l’ABC. Son 1er groupe d’escadrons comprend alors deux escadrons de M24, et le 2e, deux
escadrons d’AM M8.

142
SHD, Ibid. Les unités sont alignées sur un TED INF 507, qui, au lieu d’une CCS, ne comporte qu’un peloton
de commandement et des services dont les moyens sont insuffisants pour le chef de corps qui, dans les faits,
commande une unité du volume d’un régiment et non d’un simple bataillon.
143
SHD/Terre, 6 T 285.

57
Si les unités de chars moyens se révèlent peu adaptées à la guerre révolutionnaire, ce
qui n’est pas un constat nouveau, les formations mixtes AM/portés ou chars légers/portés, qui
commencent à apparaître peuvent parfaitement remplir les missions de cavalerie dans la
« guerre en surface » : raids, patrouilles, actions rapides sur alerte ou embuscades nocturnes à
pied. Il n’en demeure pas moins que le terrain difficile interdit souvent aux blindés
d’intervenir à fond et permet à l’adversaire de s’échapper. C’est pourquoi l’IGABC prône
l’emploi d’hélicoptères de transport pour transformer en succès des opérations jusqu’alors peu
probantes.
Si l’IGABC ne remet pas en cause le fait que les escortes reviennent aux unités
blindés, mais il déplore encore que, trop souvent, on leur confie également des missions de
garde statique, « bien que ces dernières aillent à l’encontre du rendement des personnels et
des matériels »144. L’obsession des cavaliers est d’intervenir par la manœuvre combinant le
mouvement et l’application des feux, ce que les premières opérations menées en Algérie leur
donnent peu l’occasion de faire. En outre, pour pouvoir combiner efficacement le feu et la
manœuvre, surtout dans un terrain très compartimenté, les unités doivent être équipées en
conséquence, ce qui n’est pas le cas, comme le constate l’IGABC : « tant [que la cavalerie] ne
disposera pas de transports à roue, d’automitrailleuses et d’hélicoptères, elle ne pourra
intervenir le plus souvent que trop tard, et trop près de la route »145. Pour augmenter la
puissance de feu des escadrons mixte AM/portés qui ne disposent pas d’obusiers M8, il est
demandé une dotation de mortiers de 81 mm au niveau de l’escadron et de 60 mm à celui du
peloton, quitte à ce que ces armes soient servies à terre. Des mortiers sont donc mis en
dotation au cours de l’année 1956, mais ils ne serviront pratiquement qu’à défendre les postes.
Le général d’armée Blanc, inspecteur général de l’armée de Terre (IGAT), comprend
bien le souci qui anime le général Lehr, cependant, il pense que ses souhaits légitimes ne
peuvent pas être pris en compte « alors que les présentes circonstances exigent
impérativement toujours plus de fantassins adaptés et instruits aux formes du combat de
guérilla en terrain difficile »146. En ce qui concerne l’utilisation des hélicoptères au profit des
unités de l’ABC employées en tant que telles, l’IGAT estime qu’il ne peut être que très limité.
En février 1956, il y a dans l’armée de Terre, 27 hélicoptères légers et 24 hélicoptères
moyens. Même si leur nombre passe respectivement à 60 et 69 en juin, il n’est pas question de

144
SHD/Terre, ibid.
145
Id.
146
SHD/Terre, 31 T 19, note n° 6157/IGAT du 29 mars 1956.

58
les attribuer exclusivement à une arme. Le projet de créer une cavalerie aéromobile ne verra
donc jamais le jour.

32. Des unités en quantité satisfaisante grâce aux rappelés147

Pour l’heure, l’urgence reste de régler le problème des effectifs qui se fait sentir non
seulement en AFN mais également en France et en Allemagne. Certains régiments se
retrouvent dans des situations très critiques. C’est le cas du 1er RH et du 13e RD, tous deux
régiments de la 25e DIAP. Le 1er RH doit mettre sur pied un groupe d’escadrons de marche à
destination du Maroc (un escadron de commandement et des services et trois escadrons de
combat), or le régiment, qui a déjà fourni de nombreux renforts au 13e RD lors du départ de
ce dernier pour l’Algérie en septembre 1955, ne peut laisser en base arrière que 3 officiers et
13 sous-officiers, alors qu’il est prévu d’incorporer 291 recrues en 1956 et que le matériel
laissé sur place doit continuer à être entretenu. Pour le 13e RD la situation est encore plus
préoccupante car le régiment doit assurer l’entretien des matériels du 22e RD, son régiment de
réserve dérivé, soit 73 chars M26 et 36 chars AMX. Avec le départ du régiment, son dépôt ne
dispose plus que de 10 officiers, 44 sous-officiers et 121 cavaliers, ce qui est jugé très
insuffisant148.
En outre, l’instruction des recrues ne peut permettre de fournir du personnel polyvalent
apte aussi bien au combat d’infanterie et à la reconnaissance sur AM M8, qu’à la conduite et à
l’entretien des chars M26 Pershing et AMX. Finalement, la priorité est donnée à l’Algérie et le
choix est fait de stocker pour une longue durée les matériels de mobilisation dans un
établissement du Matériel. Les centres instruction-dépôt (CID) reçoivent leur autonomie
administrative et ne sont plus sous la responsabilité de leurs anciens chefs de corps, ce qui
allège d’autant leur charge administrative. Les CID des 1er RH et 13e RD fusionnent
administrativement149, puis sont à nouveau séparés une fois leurs effectifs permanents
renforcés grâce au rappelés maintenus en Métropole.

147
Après leur service militaire actif, les appelés peuvent être maintenus par décret durant un certain nombre de
mois. Ils sont alors désignés sous le terme de « maintenus ». Une fois libérés, le personnel du contingent est
disponible durant 4 mois (deux mois en première disponibilité et deux en deuxième disponibilité) pendant
lesquels il peut être convoqué pour reprendre un service actif. Si tel est le cas, on désigne ces hommes sous le
terme de « disponibles ». Après ces 4 mois, toujours sur décret, ceux-ci peuvent être rappelés par tranches d'âge.
On les appelle alors « rappelés ». Durant la guerre d'Algérie, tous ces statuts, qui prêtent parfois à confusion,
sont utilisés. Les rappels, en métropole, connaissent deux vagues : septembre-octobre 1955 et printemps 1956.
148
SHD/Terre, 31 T 19, fiche au sujet de l’ABC de la 25e DIAP.
149
SHD/Terre, 6 T 576, DM n° 7959/EMA/1.O.S. du 23 avril 1956.

59
En janvier 1956, la demande de renfort du 14 octobre 1955 du général Lorillot n’est
encore honorée que partiellement. Il n’a reçu à cette date qu’une division légère (la 19e DI,
qui comprend la 10e brigade de cavalerie à pied), trois bataillons d’infanterie, deux escadrons
blindés (8e RH) et trois compagnies de transport. Il maintient donc sa demande et réclame en
complément deux divisions légères (à six bataillons et trois escadrons), un régiment blindé à
deux escadrons, cinq compagnies de transport et 60 hélicoptères moyens. Avec la libération
du contingent 54/1 et des disponibles d’Algérie, les effectifs présents en Algérie tomberaient à
171 000 hommes si aucun effort supplémentaire n’était fourni150.
Le commandement étudie alors la possibilité de mettre des régiments blindés à terre,
mais l’EMA est réticent. En effet, les études menées font ressortir le fait que les régiments
blindés ne peuvent être mis à pied qu’avec un effectif de 15 officiers, 67 sous-officiers et 450
hommes-de-troupe en raison du prélèvement de personnel qu’imposent la garde et l’entretien
du matériel. Il est donc impératif d’affecter des renforts en quantité importante aux unités que
l’on destine au combat à pied. Pour faire face aux besoins urgents de l’Algérie, les régiments
blindés des divisions blindées sont mis à terre pour être envoyés en Algérie au sein de leur
division. Pour les renforcer et garder les matériels restés sur place, il est fait appel à des
régiments voisins. C’est ainsi que le groupement blindé n° 5, qui appartient à la 5e DB, est
transformé en 5e brigade de cavalerie le 1er avril 1956, et ses deux régiments de chars (1er
régiment de cuirassiers et 6e régiment de chasseurs d’Afrique151) sont mis à pied avant de
rejoindre l’Algérie. La 7e division mécanique rapide (DMR), quant à elle, met sur pied la 12e
brigade de cavalerie qui n’est composée que du 2e RD, à 4 escadrons à pied, et du 457e groupe
d’artillerie anti-aérienne (GAA) converti lui aussi en bataillon à pied. Mais le personnel de
l’ABC, comme celui des autres armes (artillerie et train), n’est pas formé pour le combat à
pied et il faut le convertir en infanterie152.
En mars 1956, alors que le 1er bureau de l’EMA constate qu’il n’existe plus en
métropole un seul bataillon d’infanterie « valable pour l’AFN »153, 34 régiments de l’ABC
sont déployés en AFN (dont six au Maroc et cinq en Tunisie). Parmi eux, 18 sont affectés
organiquement, dont les trois régiments ou groupes d’escadrons à cheval, et 16 sont détachés
« provisoirement » (dont 8 sous la forme d’un bataillon de cavalerie à pied). Il apparaît déjà
une très grande diversité dans les emplois que tient le personnel de l’ABC : 44,5 % sert dans

150
SHD/Terre, 6 T 771.
151
Le 6e RCA est mis à pied grâce à des renforts fournis par les 3e et 4e escadrons du 11e RCA. C’est la raison
pour laquelle Jacques Chirac, alors sous-lieutenant au 11e RCA, a pu partir en Algérie avec ce régiment au lieu
de rejoindre sa nouvelle affectation à Berlin.
152
SHD/Terre, 6 T 576.
153
SHD/Terre, 6 T285.

60
des unités d’AM ou de chars, 17,5 % dans des unités portées sur half-track154, 8,5 % dans des
unités à cheval et 29 % dans des unités à pied.
Cette période marque un tournant dans la montée en puissance. Le renforcement des
troupes en Algérie prend désormais le pas sur les missions de défense de l’Europe. Le statut
des unités envoyées en renfort change. Elles ne le sont plus à titre provisoire mais elles y sont
affectées. Les unités restées en France et en Allemagne, qui deviennent « squelettiques »,
n’ont plus pratiquement que vocation à les alimenter en effectifs.
Le gouvernement n’a d’autre choix que de convoquer les rappelés par le décret du 11
avril 1956. Leur arrivée permet à l’armée de Terre155 de disposer 188 000 hommes instruits
supplémentaires. Entre mai et juin, six bataillons à pied156 sont créés majoritairement avec du
personnel de l’ABC157 ainsi que 14 escadrons également à pied, destinés à devenir le 4e ou le
5e escadron de régiments déjà engagés en Algérie158 qu’ils doivent rejoindre dans le cadre du
plan Valmy. A ces unités, s’ajoutent celles du plan Ovide qui permet, le 1er avril 1956, la
création en AFN de trois autres bataillons :
- le 24e bataillon de dragons à pied159, créé à Clairefontaine (département de Bône) à
partir du 63e bataillon de tirailleurs algériens (BTA) (bataillon de protection mis sur
pied par la Xe RM) avec du personnel ABC provenant des FFA,
- le 25e bataillon de dragons à pied, créé à Tizi-Ouzou à partir du 45e BTA composé de
réservistes d’AFN et des noyaux actifs provenant du 6e RD et du 2e RH,
- le 26e bataillon de dragons à pied, créé à Turenne (département d’Oran, secteur de
Tlemcen) à partir du 46e BTA et des « compagnies rurales » 202, 206 et 216, avec des

154
En fait les unités portées sur half-track, à l’exception de 4 escadrons, sont toutes intégrées organiquement à
des escadrons à base d’AM ou de M24 dont elles servent de soutien porté comme l’entérinera le TED ABC 021.
SHD/Terre, 31 T 9.
155
Dont les exemptés d’AFN qui sont affectés en Allemagne pour l’essentiel.
156 er
I bataillon du 30e régiment d’infanterie (I/30e RI) (devenu 1er RCC), III/94e RI (devenu 18e RCC), III/117e
RI (devenu 28e RD), II/121e RI (devenu 6e RH), 224e BI (devenu 7e RH) et 251e BI (devenu 4e RH).
157
Tous les rappelés ayant servi auparavant dans l’ABC ne sont pas systématiquement affectés dans une unité de
leur arme. Pierre Jozeau, ancien brigadier-chef engagé du 7e escadron de spahis qui a servi en Tunisie de juillet
à novembre 1954 est rappelé au 171e RI à Teniet-El-Haad. C’est le cas également de Gérard de Villiers,
romancier et père de SAS, qui a effectué son service militaire comme aspirant au 8e RH en 1953, et qui se
retrouve dans une unité de l’armée de l’Air à son grand étonnement : « curieusement mes camarades de Saumur
et moi-même avons été regroupés à Besançon dans les commandos de l’Air. Cette anomalie reflétait la
monstrueuse pagaille qui était alors de règle dans l’armée. (…) Ma formation d’officiers de blindés ne me
destinait pas à une telle affectation et je n’ai jamais compris le sens de cette bizarrerie administrative ».
Marnier, op. cit., t. 2, p. 163.
158 e
5 escadron du 3e RC (5/3e RC), 5/4e RD, 4/13e RD, 4/16e RD, 5/20e RD, 5/8e RH, 4/4e RCC, 4/2e RCA, 4/5e
RCA, 4/9e RCA, 4/1er RSA, 4/2e RSA, 4/8e RSA et 4/6e RSM. Le 4/16e RD est finalement affecté à un autre
régiment. En outre, en juin 1956, les rappelés du 2e RSA permettent de créer un peloton supplémentaire par
escadron. Son 4e escadron n’est créé qu’en septembre.
159
Par tradition, dans les unités de dragons, les groupes d’escadrons portent l’appellation de bataillon lorsque les
dragons qui le constituent servent à pied.

61
éléments provenant des différents régiments de l’ABC des FFA (ce bataillon est
aussitôt envoyé au Maroc).
Quatre régiments blindés, à trois escadrons de M24, sont également mis sur pied avec les
rappelés pour former les régiments blindés des divisions de réserve :
- le 9e régiment de hussards (13e DI) au camp de Sissonne,
- le 8e régiment de chasseurs à cheval (9e DI) à Orléans,
- le 10e régiment de dragons (29e DI) au camp de Ger,
- le 19e régiment de chasseurs à cheval (20e DI) à Fontevrault.
Un cinquième, le 27e régiment de dragons, est également mis sur pied au camp de Mourmelon
avec le même ordre de bataille pour être affecté aux territoires du Sud.
A la fin du mois de juin 1956, une fois leur montée en puissance achevée, les
nouvelles unités du plan Valmy sont envoyées en Algérie. L’IGABC semble plutôt optimiste
quant à la capacité opérationnelle de ces nouvelles unités. Même s’il émet quelques réserves,
il pense que « les unités de disponibles, une fois leur instruction achevée, exécuteront avec
succès les missions qui leur seront confiées »160. Les « noyaux actifs » autour desquels les
nouveaux régiments blindés et les bataillons d’infanterie à base de cavaliers sont formés, ont
vu leur valeur baisser au fur et à mesure de la montée en puissance. Les derniers mis sur pied
sont les derniers servis et la qualité de leurs « noyaux actifs » est de moins en moins bonne au
fur et à mesure de la mise sur pied des régiments. L’ABC est donc arrivée à son maximum en
termes de ressource en personnel.

33. Mais dont la capacité opérationnelle est très inégale

Le commandement compte sur les unités de rappelés pour réaliser le quadrillage du


terrain. Cependant, leur efficacité est mise en doute dès leur création, leur capacité
opérationnelle tient en fait à la qualité de leur encadrement. L’IGABC qui les inspecte toutes
lors de leur mise sur pied semble optimiste de ce point de vue. Il est un fait que les officiers
de réserve, parmi lesquels quelques-uns ont paru très bons, manquent d’expérience du
commandement. Le chef de corps du Ier bataillon du 30e régiment d’infanterie (I/30e RI) juge
les siens « médiocres », mais il est le seul à porter un jugement aussi sévère. La situation est
perçue comme plus préoccupante pour les sous-officiers qui, généralement promus en fin de
service, n’ont pour la plupart strictement aucune expérience dans le domaine du

160
SHD/Terre, 31 T 19, rapport n° 444/IGABC/701 du 21 juin 1956.

62
commandement. La troupe, en revanche, donne une bonne impression générale161. Elle est
qualifiée techniquement pour la mise en service des engins blindés, mais beaucoup moins
dans le domaine du combat à pied où son instruction tactique est à peine ébauchée, bien
qu’elle soit jugée primordiale. L’IGABC pense qu’il est indispensable qu’elle soit achevée en
AFN et que les unités à pied ne seront réellement opérationnelles qu’au bout d’un mois
environ (deux dans le cas des 5e escadrons des 4e et 20e RD). La mentalité des disponibles
rappelés est, pour l’IGABC, « à base de résignation », il constate que l’enthousiasme n’est
pas au rendez-vous. Le commandant pense encore une fois que la faute incombe à la presse
dont il ne loue « ni l’honnêteté, ni l’objectivité ». Certains disponibles sont arrivés en retard.
Cet échelonnement des arrivées est dû, selon l’IGABC, en partie au « manque de discipline »
et à la « nonchalance » de certains éléments, mais surtout au fait de l’absence de date
impérative sur les ordres de rappel162. Les rappelés se sont rendus à la convocation sans
vraiment comprendre pourquoi le gouvernement faisait appel à eux, mais aucun cas
d’indiscipline sérieux n’est signalé : quelques cas individuels d’absences illégales sans
permission, sanctionnées sévèrement, n’ont pas eu de suite, et un cas d’indiscipline de la part
d’un instituteur rappelé (paroles hostiles à l’action militaire en Algérie) a fait l’objet d’une
enquête de gendarmerie. A Alençon et à Mourmelon, il est également fait état de la libération
de punis de jours d’arrêt par leurs camarades. La sécurité militaire ne signale que quelques
suspects fichés (18 au 8e régiment de chasseurs à cheval, 26 au 251e bataillon d’infanterie et 4
au 27e régiment de dragons notamment). Comme tous les éléments « douteux », ils sont
envoyés en Algérie par voie aérienne. Parmi les officiers de réserve, il n’est signalé qu’un seul
sous-lieutenant (du 4e escadron du 8e RSA) qui semble être mal disposé vis-à-vis de l’action
militaire en Algérie163. La plupart des désordres lors des déplacements en train résultent, selon
les comptes-rendus des chefs de détachement, d’interventions concertées à l’extérieur, dans
certaines gares où des manifestants attendent les trains de rappelés164. Du reste, la publicité
qui est faite autour de ces événements étonne les maintenus, notamment ceux du contingent
54/2/A du 25e RD165, qui servent depuis 30 mois, alors que les rappelés ne totaliseront en fin
de compte que 18 à 24 mois de service. L’IGABC estime donc que les opérations de mise sur

161
Cependant, au 8e RCC, une proportion importante de petits gradés (brigadiers-chefs) est médiocre et
inutilisable selon le chef de corps. SHD/Terre, 31 T10.
162
SHD/Terre, 31 T 17/3.
163
A ce sujet, lire : Jean-Charles Jauffret, « Le mouvement des rappelés en 1955-1956 ». in Mohammed Harbi et
Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004 la fin de l’amnésie. Paris, Robert Laffont, 2004, 730 p.,
p. 133 - 160.
164
SHD/Terre, Id.
165
SHD/Terre, 31 T 13.

63
pied des unités du plan Valmy se sont déroulées sans grandes difficultés et note que le moral
est devenu meilleur dès que l’instruction a pu être commencée.
Cependant ce jugement optimiste doit être nuancé. La montée en puissance du IIIe
bataillon du 177e RI (ce bataillon prend l’appellation de 28e RD à compter du 1er novembre
1956) ne s’est pas faite sans difficulté. Michel Delacour, qui commande la CCS en témoigne.
Le chef de corps, le chef d’escadrons Vergne, usera sa santé en se démenant pour rendre son
unité opérationnelle, il doit quitter son commandement gravement déprimé, « sans qu’il ait
démérité, au contraire » selon les termes de l’IGABC166. Dès leur arrivée, les rappelés font
une mauvaise impression à Michel Delacour. Les sous-officiers et les gradés refusent de
porter leurs galons, il est rare qu’un rappelé salue ses supérieurs et, si seule « une minorité est
au bord de la révolte », la majorité « traduit son mécontentement par une parfaite inertie »167.
La description qu’il donne de la manifestation contre l’envoi des rappelés en Algérie en gare
de La Rochelle, confirme l’idée que l’IGABC s’en fait :
« Les quais sont envahis par des manifestants brandissant des banderoles
hostiles à l’envoi de troupes en Algérie. Les militants invitent les hommes à
déserté. (…) Au loin, la masse sombre d’une unité de CRS qui se gardera bien
d’intervenir. Contrairement à ce que nous aurions pu craindre, les hommes ne
se laissent pas séduire par le chant des sirènes et restent dans les wagons. »168
Les manifestants font usage de la violence, certains d’entre eux montent dans les
voitures, le commandant du bataillon est violemment frappé au visage et doit être évacué
d’urgence. En réaction, un officier fait mettre en batterie un FM face à la foule pour éviter le
pillage du wagon de munitions. Au bout de quelques heures, certains hommes finissent par
descendre du train, c’est le moment que choisissent les employés de la SNCF pour faire
redémarrer le train en espérant ainsi laisser sur le quai une bonne partie de l’effectif. Les
hommes courent vers leur wagon et, en définitive, il ne reste qu’une vingtaine d’hommes sur
les quais. Abandonnés à leur sort par les manifestants qui se dispersent, ils se rendent à la
gendarmerie pour demander de l’aide et rejoignent l’unité à Marseille par leurs propres
moyens169.

166
Id.
167
Michel Delacour, Cavalier en Algérie. Paris, La Pensée Universelle, 1994, 248 p., p. 24.
168
Id.
169
Par la suite, pour éviter que les hommes ne descendent des trains, les poignées des portières et des fenêtres
sont retirées. Comme le constate Francis Mauro, EVDA, qui, après sa période d’instruction au 7e RC, rejoint le
4e RH en octobre 1956 dans le cadre du plan Bugeaud II qui vise à relever les rappelés. Francis Mauro, Un
Engagé en Algérie, Angicourt, Editions 1900-2050, 2002, 190 p., p. 18.

64
Arrivés en Algérie, les hommes font preuve d’abattement. L’objectif prioritaire de
l’encadrement est donc de donner une âme à cette troupe. L’unité est installée dans la Mitidja,
où aucune action du FLN n’a encore été enregistrée à cette époque. L’unité n’est pas
opérationnelle. A la compagnie de commandement et des services (CCS), une nuit, un
phénomène de panique fait ouvrir le feu aux sentinelles et bientôt à toute la compagnie dont
les hommes tirent dans tous les sens. Par chance personne n’est blessé. Michel Delacour
profite de l’incident pour s’imposer par son sang-froid et ramener le calme.
Lorsque le 117e RI est envoyé à Alger pour participer au bouclage de la casbah, le
commandement se rend compte qu’il ne peut pas compter sur ce régiment de rappelés.
Entraînés par la population européenne, les hommes boivent plus que de raison et ne sont plus
en mesure de remplir leur mission. Le dispositif est levé le jour même et les compagnies
envoyées dans des cantonnements situés loin de la ville. Le IIIe bataillon, dont le chef est
rappelé d’urgence de sa permission de convalescence, est installé, comme réserve du CA,
dans la région de Boufarik. Des officiers sont relevés de leur commandement. Les activités
opérationnelles permettent une prise en main. Les premiers accrochages démystifient
l’adversaire aux yeux des hommes et leur redonnent confiance en eux. L’unité, renforcée
progressivement en cadres d’active, n’est devenue réellement opérationnelle que peu de temps
avant le départ des rappelés et que le bataillon ne devienne 28e RD.
Les unités blindées sont confrontées également au même type de problèmes. Si la mise
sur pied du 19e RCC (20e DI) par la IIIe région militaire (RM) est jugée satisfaisante, grâce
aux efforts fournis par le 1er RD et de l’école d’application de l’ABC (EAABC) de Saumur, le
régiment, lors de son arrivée en Algérie, a encore fort à faire avant d’être pleinement
opérationnel. Lors de la montée en puissance, les sous-officiers semblent médiocres et
beaucoup d’emplois ne peuvent pas être tenus par les titulaires qualifiés. Il existe notamment
un gros déficit de radios, de pilotes et de conducteurs ce qui fait que le régiment ne peut pas
se déplacer sans que les sous-officiers ne prennent les postes des chasseurs170. Mais, comme
pour le IIIe/117e RI, au bout de quelques mois de présence en Algérie, le régiment devient
opérationnel et donne finalement satisfaction au cours de l’année 1957.
En fait la capacité opérationnelle des unités de rappelés est un problème de
commandement. Au bout de quelques mois, toutes sont devenues opérationnelles. Seule la
situation du 8e RCC (19e DI) est encore préoccupante en janvier 1957, malgré le
remplacement des rappelés. Créée le 22 mai 1956 à Orléans avec 97% de rappelés, cette unité

170
SHD/Terre, 31 T 10.

65
a subi des manifestations d’indiscipline, sans grande gravité mais continuelles. Le chef de
corps, pour y mettre fin, a cassé un certain nombre de gradés et obtenu le renvoi de plusieurs
meneurs. Mais la reprise en main n’a pas été totale car, selon l’IGABC, le chef de corps n’a
pas su s’imposer. Le régiment est encore sous-encadré, il accuse un déficit de 60 sous-
officiers avec un déficit de 40% en sous-officiers d’active. De ce fait, si l’on retire ceux qui
tiennent des postes administratifs ou techniques, il n’en reste pratiquement pas pour les
pelotons de combat. Les recrues, venues de toutes les armes, ont dû être formées pour servir
sur les engins blindés, mais les équipages restent mal encadrés et insuffisamment commandés.
L’instruction collective en pâtit, malgré son importance capitale dans les circonstances
d’Algérie. Le cadre officier est encore jugé de qualité très ordinaire par l’IGABC : les deux
seuls capitaines de valeur sont l’un détaché à la divisions et l’autre en instance de départ, sur 9
lieutenants, 4 seulement sont jugés de bonne valeur. L’IGABC rejette la responsabilité de
cette situation sur le chef de corps, qui, s’appuyant exclusivement sur son commandant en
second, ne paraît capable que de peu d’action personnelle171. Il songe à le faire relever.
La plus grande partie du 8e RCC est groupée dans des cantonnements répartis à
quelques kilomètres autour des Attafs où se trouvent le PC et l’ECS. Seul le 2e escadron est à
l’écart, à Malakoff à 60 kilomètres. L’emploi qui est fait des unités du régiment, dont les
missions sont essentiellement des escortes de convois et d’appui d’opérations menées par
l’infanterie (sécurité – bouclage), ne favorise pas le moral. Le régiment souffre d’un complexe
grave, les cadres et hommes de troupe mettent leur confiance dans le commandant en second.
En janvier 1957, l’IGABC conclut son rapport d’inspection en insistant sur la reprise en main
impérative du régiment : « Il en résulte une tonalité morale généralement très réservée et qui
ne laisse pas bonne impression. C’est un régiment médiocre du fait de son chef de corps qui
paraît un instable et qui n’a pas la confiance de ses subordonnés. (…) Le régiment a été remis
en ordre, pendant la récente maladie du chef de corps, par le lieutenant-colonel de St Haouen
[du 9 novembre 1956 au 7 janvier 1957], commandant en second, qui serait très qualifié pour
donner au 8e RCh172 la valeur qu’il doit acquérir au plus tôt »173.
Mais le 8e RCC fait figure d’exception. Les difficultés qu’il rencontre sont liées à une
défaillance de commandement, les autres unités de rappelés de l’ABC donnent satisfaction au
bout de quelques temps. C’est le constat que fait Jacques Chirac, alors chef de peloton au 6e

171
Id.
172
8e régiment de chasseurs (à cheval). Cette abréviation est parfois utilisée alors que l’abréviation officielle est
RCC jusqu’en 1963. Cette année-là, les régiments de chasseurs à cheval fusionnent avec les régiments de
chasseurs d’Afrique portant le même numéro, et deviennent régiments de chasseurs.
173
Id.

66
RCA : « Il y avait eu en France un certain nombre de manifestations de rappelés qui ne
voulait pas rejoindre l’Algérie et qui ont fait un tas de difficultés. (…) C’est dans cet esprit
que j’ai touché un jour un groupe d’une trentaine de garçons qui avaient fait les pires bêtises,
incendié un train et refusé de s’embarquer, etc. Je les ai pris en charge à Oran. En quinze
jours ou trois semaines, ils avaient totalement changé d’état d’esprit et au bout de 6 mois -
puisque leur rappel était de cette durée - plus de la moitié ont demandé à rester 6 mois de
plus : plusieurs de leurs camarades avaient été tués ou blessés. J’avais été très frappé de voir
à quel point il pouvait y avoir des divergences d’appréciation entre la Métropole et au niveau
du contingent. »174
L’expérience montre qu’une unité opérationnelle ne s’improvise pas, qu’elle soit à
pied ou blindée. Toutes les unités de rappelés sont confrontées au problème des réticences de
ces derniers qui vivent leur situation comme une injustice, alors qu’ils pensaient être libérés
définitivement de leurs obligations militaires.
Un commandement à la fois ferme et générateur de confiance peut en venir à bout,
comme le montre le chef d’escadrons Jean Pouget, officier de l’ABC, qui, en octobre 1956,
prend la tête du 228e bataillon d’infanterie (devenu 584e bataillon du Train) à Bordj de l'Agha
au sud de Bou-Saada, dont il réussit à faire une unité opérationnelle, alors qu’il était réputé
« incommandable ». Ces rappelés aux cheveux longs sculptaient des quilles géantes, avant
qu’il n’en prenne le commandement175.
En fait, c’est la volonté de ne pas se faire tuer qui pousse les rappelés à faire confiance
à leurs chefs. René Piquet, militant communiste176, fait partie des rappelés et rejoint le 501e
RCC où il a effectué son service en 1953. Il est affecté dans un bataillon à pied de l’ABC177. Il
répond à l’appel car il pense que c’est son devoir et que « devant des problèmes de cette
importance, l’acte individuel ne sert à rien [, seul] un rassemblement des individus concernés
par une situation donnée peut permettre de la changer ». Bien que toujours cavalier de 2e
classe, il est, selon lui, « reconnu par la majorité de ses camarades comme leur porte-parole,
un de ceux avec qui on pouvait parler ». Pourtant, malgré son opposition au conflit, il
participe aux opérations et, même si il n’a jamais tiré un coup de feu, il écrit en 1983 : « Si
j’avais été attaqué, j’aurais fait comme les autres. Je me serais défendu. (…) Si par naïveté,

174
Gérard Marinier, Ils ont fait la guerre d’Algérie, 40 personnalités racontent…Mâcon, Editions MI, 1983, 167
p., p. 46.
175
Jean Pouget, Bataillon RAS, Algérie, Presses de la Cité, 1981, 382 p.
176
René Piquet, né en 1932, entre au comité central du PCF dès 1961 et devient membre de son bureau politique
de 1964 à 1990.
177
Il s’agit probablement du IIe bataillon du 121e RI (futur 6e RH), mais le numéro de ce bataillon n’est pas
précisé dans le texte consulté. Gérard Marinier, op. cit., p. 139.

67
j’avais crié quelque part « je suis communiste », ils m’auraient tiré dessus comme sur
n’importe quel autre. » Il pense que si l’unité à laquelle il appartient est devenue
opérationnelle, c’est surtout à l’embuscade de Palestro qu’elle le doit178, plus qu’à
l’encadrement. Ce combat, qui s’est déroulé à proximité de son lieu de stationnement, fait
profondément modifier les comportements.

34. Une organisation qui consomme toujours trop d’effectifs

Malgré l’arrivée des rappelés, la situation des effectifs en Algérie n’en reste pas moins
préoccupante, notamment en raison des désertions dans les régiments marocains179 à
l’annonce de leur prochaine dissolution, suite au recouvrement de la souveraineté marocaine
le 2 mars 1956. Les unités souffrent toutes d’un déficit théorique oscillant entre 5 et 15 %. Les
TED sont calculés au plus juste. Par exemple, les postes d’aide-pilote des M24 ne sont pas
pourvus, les équipages sont donc limités à quatre hommes au lieu des cinq normalement
prévu. Or ce cinquième homme fait défaut tant pour l’entretien de l’engin que pour sa
protection sur le terrain ou ne serait-ce que pour la mise en œuvre de la mitrailleuse de capot,
ce qui prive l’engin de l’une de ses armes de bord180. En outre, même réduits, les TED sont
rarement honorés. Le 6e RSM accuse un déficit de 45 sous-officiers sur 139 théoriques et de
51 hommes du rang (HDR) sur 742.
En outre, l’arrivée de renfort en unités constituées ne règle en rien le problème des
postes à pourvoir pour assumer les charges territoriales Les chefs de corps continuent à
détacher auprès des secteurs du personnel chargé d’assurer les services de la place ou de la
garnison (garde, police militaire, vaguemestres, gérant de mess…). Le 6e RSM subit un
prélèvement de 26 hommes au profit du secteur autonome de Tébessa, faute pour celui-ci de
disposer d’un TED particulier. En outre, la campagne d’Algérie s’installant dans la durée, il
est nécessaire d’envoyer des permissionnaires selon une planification préétablie et il faut tenir
compte en plus des malades et des blessés assez nombreux surtout par accident.

178
Le point sur cette célèbre embuscade, Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro. Algérie 1956, Armand
Colin, 2010, 256 p.
179
Sur cette question et les mutineries, y compris dans les régiments de tirailleurs algériens, cf. général Maurice
Faivre, Les Combattants musulmans de la guerre d’Algérie. Des soldats sacrifiés, préface de Jacques Frémeaux,
L’Harmattan, 1995, 270 p., p. 21 à 26.
180
Même lorsque le poste est honoré, il est fréquent, tout au long du conflit, que le 2e pilote des engins (M24,
AM M8 ou EBR) ne soit pas emmené en opération car les charges de gardiennage du campement demandent trop
d’effectifs. C’est notamment le cas en 1960 au 1er escadron du 4e RCA dans la région d’Arris, où les AM M8
n’ont jamais de copilote pour les opérations. Témoignage Philippe Dumoulin.

68
A ces absences, s’ajoutent en plus celles dues à la formation des cadres et des hommes
du rang. Les premiers, surtout les sous-officiers, doivent suivre des cours ou des stages divers,
les seconds doivent parfois poursuivre une instruction spécialisée adaptée aux matériels
particuliers de leur régiment, ou suivre un peloton d’élèves gradés (PEG) ou d’élèves sous-
officiers (PESO). Souvent, ces pelotons sont regroupés par période dans un escadron de
combat qui constitue un petit CI et dont la capacité opérationnelle se retrouve
considérablement diminuée. En outre, le prélèvement des élèves et des instructeurs sur les
autres unités est une charge supplémentaire qui grève d’autant les effectifs qui sont déjà
insuffisants. Il en est de même pour les périodes préparatoires au certificat interarmes (CIA),
d’une durée d’un mois, pour les sous-officiers d’active. Au 6e régiment de spahis marocains
(RSM), l’instruction CIA et brevet d’arme est centralisée dans un escadron à Bekkaria, ce qui
représente une lourde charge pour lui, en plus de priver les escadrons d’un certain nombre de
chefs de voiture.
Pour dégager des effectifs supplémentaires, les chefs de corps sont obligés de puiser
dans les pelotons portés, car le personnel des équipages blindés et ceux qui occupent des
postes indispensables à l’ECS ou dans les pelotons hors rang, ne peuvent être détournés de
leur emploi. Cette ponction est d’autant plus fâcheuse qu’elle diminue notablement le nombre
de cavaliers débarqués, ce qui limite considérablement l’action des unités blindées surtout en
terrain accidenté et les cantonne à un rôle inférieur à leurs possibilités181.
Pour augmenter le nombre de combattants à pied, les premières harkas, dont
l’existence est officialisée le 8 février 1956 par le général Lorillot, font leur apparition,
comme au 29e RD dans le quartier de Zemmoura. Le recours à ces supplétifs répond plus à un
problème de sous-effectif qu’à la volonté du commandement d’associer la population
musulmane à la lutte contre l’ALN.
Mais l’apport des supplétifs ne règle pas pour autant le problème de l’encadrement. Le
18e RCC, créé le 1er novembre 1956 à Edgard-Quinet (Batna), par changement d’appellation
du III/94e RI182, souffre non seulement d’un déficit en hommes du rang, surtout après le
départ des rappelés, mais surtout en officiers. A une exception près, toutes les unités
élémentaires sont commandées par des lieutenants. Certains officiers lui sont même prêtés par
d’autres régiments (9e RCA et 8e RH) pour honorer des postes vacants. Ce sous-effectif gêne
considérablement le régiment. En effet, il est installé dans la région de Kheirane qui est une

181
SHD/Terre, 31 T 9, Commandement de l’ABC d’Algérie, Synthèse sur l’adaptation opérationnelle des unités
en service en Algérie du 21/12/1956.
182
Ce bataillon est mis sur pied avec des rappelés et des cadres de l’ABC par la IIe RM.

69
zone montagneuse où les bandes de l’ALN sont très présentes. Bien que la population soit
rassemblée à Kheirane, les unités peinent à contrôler leur zone car les sorties ne peuvent se
faire à moins d’un escadron du fait du volume important de l’adversaire qui dispose d’une
puissance de feu non négligeable.
Le déficit en personnel d’encadrement est d’autant plus préoccupant qu’il concerne
dans de fortes proportions le personnel d’active qui font cruellement défaut. Les cadres de
réserve, dont certains n’ont parfois même jamais servi dans l’ABC ou dans l’infanterie, sont
encore trop nombreux dans les unités mises sur pied avec les rappelés, et les officiers
subalternes de contact (commandants d’unité et chefs de pelotons) ont une moyenne d’âge
beaucoup trop élevée. Même s’ils sont le plus souvent animés d’une bonne volonté, les efforts
physiques qui leur sont imposés, surtout dans les unités à pied, sont parfois au-dessus de leurs
forces. Au 7e RH (TED INF 107) les escadrons sont de ce fait quasiment cantonnés à des
missions de garde statique dans une dispersion fâcheuse183. Non seulement il manque au
régiment 46 sous-officiers sur 88, mais en plus la qualité de son encadrement est jugée
médiocre : cinq sous-officiers et quatre officiers, dont deux capitaines commandant, sont des
transmetteurs dont le 224e BI, ancienne appellation du 7e RH, était largement pourvu. Même
si l’IGABC juge très sévèrement l’encadrement de ce régiment dans son rapport d’inspection
de janvier 1957184, il ne constitue pas un exemple isolé. Les anciens du Ier bataillon du 30e RI
(devenu le 1er régiment de chasseurs à cheval [RCC] le 1er septembre 1956) ont eu l’occasion
de le dire sans complaisance à François Meyer, président de l’association des anciens de ce
régiment qu’il a commandé par la suite. Dans leur souvenir, cet encadrement de réservistes
n’est pas à la hauteur de la tâche qui leur est imposée par un conflit de type insurrectionnel185.
Une solution est trouvée dans l’urgence. Les sous-lieutenants d’application quittent
l’EAABC prématurément le 1er décembre 1956 pour rejoindre des unités en Algérie. Leur
stage d’application est réduit à un cinquième de sa durée normale. Leur formation blindée se
limite à celle de chef d’engin, qu’ils ont reçue en dernière année à Coëtquidan, et à un vernis
de celle de chef de peloton. Peu importe, la formation de chef de section d’infanterie qu’ils
ont reçue à Coëtquidan paraît suffisante pour l’heure. C’est ce que confirme François Meyer
pour qui seule la formation donnée à Coëtquidan par ses « voraces » (cadres de contact), qui
ont tous fait l’Indochine, lui a été utile en Algérie. De toute façon, si l’inspection accepte cette
solution ce n’est qu’à la condition expresse que les sous-lieutenants soient renvoyés par la

183
Ses escadrons sont répartis en huit points différents sur une distance totale de 75 km dans le quartier territorial
d’Aumale.
184
SHD/Terre, 31 T 11.
185
Témoignage de François Meyer.

70
suite à Saumur, par rotation, pour terminer leur stage d’application. Cette solution extrême
montre bien la difficulté dans laquelle se trouve le commandement pour faire face à la
situation en Algérie. L’annulation du traditionnel carrousel en 1957, du fait du départ des
sous-lieutenants, en est bien le symbole. Depuis sa création en l’honneur de la duchesse de
Berry en juin 1828, seules les guerres mondiales avaient jusqu’alors empêcher le déroulement
de cette représentation.
D’autres dispositions sont adoptées pour libérer le maximum d’officiers d’active des
unités de l’ABC en France et en Allemagne186 au profit de l’AFN. L’idée émise en juin par le
général Loth, alors IGABC, de les remplacer par des officiers PDL est adoptée. La proportion
d’officiers d’active est d’environ 75 % selon les unités. Il est donc prévu d’abaisser ce taux à
65 % pour les centres d’instruction (CI), les écoles et, si possible, pour les régiments blindés
quitte à réduire le nombre de leurs unités élémentaires. Pour les CI cette mesure ne sera pas
toujours heureuse, car les postes tenus par les cadres PDL187 sont surtout ceux de cadres
subalternes instructeurs ce qui rend l’instruction de qualité très inégale, comme en témoignent
les appelés qui y ont été formés. L’IGABC est conscient de ce problème, il pense que « la
moyenne des officiers de réserve est moins apte aux fonctions d’instructeur qu’à celles du
chef de peloton »188. Le nombre des incorporations d’EOR passe de deux par an en 1954 à
cinq en 1956189. Afin de conserver des officiers de bon niveau tout en augmentant leur
nombre, il est proposé de doubler le nombre d’élèves des grandes écoles soumis à
l’instruction militaire obligatoire (IMO) affectés dans l’ABC, et d’étendre cette possibilité à
d’autres grandes écoles dont les élèves sont, pour l’instant, tous affectés dans d’autres armes.
En 1957, le nombre d’EOR effectuant leur IMO dans l’ABC passe de 11 à 53. Vingt pour-
cent des EOR des sections scientifiques de l’Ecole Normale Supérieure et de l’Ecole des
Mines de Paris y sont affectés au détriment des autres armes où ils étaient affectés jusqu’alors.
Cette arrivée massive d’EOR pose de sérieux problèmes d’encadrement à l’EAABC qui, avec
la mise sur pied du IIIe bataillon du 117e RI (futur 28e RD), a perdu 20 officiers et 58 sous-
officiers. L’école a atteint un seuil qui ne peut pas être dépassé. C’est pourquoi, l’IGABC,
bien conscient que « la mission (…) dévolue aux Ecoles et aux Centres d’Instruction est d’une
importance primordiale », insiste sur l’impérative nécessité de leur laisser leurs effectifs
d’active qu’il juge déjà insuffisants. Les effectifs d’active sont donc abaissés à 65 % pour les

186
Comme unités de l’ABC, il reste, en dehors des centres d’instruction, en France, deux régiments de chars et,
en Allemagne, deux régiments de reconnaissance et deux régiments d’AMX.
187
PDL : personnel servant Pour la Durée Légale, autrement dit : du contingent.
188
SHD/Terre, 31 T 9.
189
A partir de 1957, une promotion est incorporée tous les deux mois. Entre 1954 et 1962, 40 promotions d’EOR
se succèdent à Saumur.

71
régiments blindés mais maintenus, dans la mesure du possible, à 75 % et plus pour les CI et
les écoles.
Quant à la pénurie d’hommes du rang d’active, elle tient en partie au fait que les
engagés volontaires par devancement d’appel (EVDA), le sont au titre d’un régiment et ne
peuvent être envoyés en opération qu’au sein de celui-ci et non individuellement dans une
autre unité. Jean Molineau, lui-même EVDA (54/2/C) pour 2 ans au titre du 30e RD stationné
à Maarburg, souffrait de cette situation d’autant plus pénible que lui et ses camarades sont très
mal vus par les appelés, « car c’est eux tous les 10 - 15 jours que l’on désignait pour les
départs en Algérie, la situation devenant insupportable, à l’entrée du foyer régimentaire, y
compris les sorties en ville, ce qui nous obligeait de rester au quartier »190. En mars 1956,
une note de service demandant des volontaires de tous grades, appelés ou engagés, pour le
renfort de la 5e DB en Afrique du Nord est diffusée. Les restrictions concernant les EVDA
sont levées. Jean Molineau en prend connaissance avec soulagement pour lui, « le moment
était venu pour échapper aux humiliations du quartier voire même à celles de la
chambrée. »191 Mais si l’abrogation de la règle concernant les EVDA permet d’honorer
certains postes, le déficit demeure, car les demandes d’engagements ne sont pas suffisamment
nombreuses. Une campagne d’engagement est lancée au début de l’année 1957. Elle met
l’accent sur les possibilités qu’offre l’ABC de pouvoir donner une formation technique à ses
engagés comme le montrent les tracts et les dépliants diffusés pour le recrutement192. Certains
sont séduits par cet aspect comme Pierre Simonin. Il souscrit un engagement pour servir dans
les blindés. Mais au lieu d’être affecté au 4e RSM au Maroc, il se retrouve au 4e RSC en
Tunisie dans un peloton à cheval suite à une confusion entre les deux régiments de spahis193.
Le sous-effectif chronique dont souffrent les régiments reste l’une des préoccupations
majeures du 1er bureau de l’EMA qui peine à trouver des solutions pour renforcer les effectifs
d’Algérie. En octobre 1956, force lui est de constater que la limite des possibilités des FFA en
renforcement de l’AFN est atteinte après l’envoi de la 4e DIM et de la 5e DB, et les
prélèvements déjà effectués. Un prélèvement supplémentaire compromettrait gravement la
mission de couverture qui nécessite un minimum de 75 % du personnel instruit194. Les
effectifs des FFA sont fixés à 53 000 en mars 1956 avec l’accord des Alliés, auxquels
s’ajoutent les 8 000 recrues à l’instruction destinées à l’AFN. Leur dispositif est repensé, les

190
Témoignage de Jean Molineau.
191
Id.
192
SHD/Terre, 27 T 144.
193
Témoignage de Pierre Simonin.
194
SHD/Terre, 6 T 576.

72
unités sont regroupées en zone sud pour faciliter le gardiennage des matériels, et un système
d’abonnement est mis en place entre les unités d’AFN et les unités de France et d’Allemagne
pour faciliter les relèves.

35. Une nouvelle organisation mieux adaptée à l’AFN

Ce système permet aux unités pourvoyeuses de personnel de répondre aux besoins des
unités engagées en Algérie par contact direct entre les chefs de corps. Ce dialogue est d’autant
plus nécessaire qu’avec l’arrivée massive des unités nouvelles, l’organisation opérationnelle
s’opère en ordre dispersé ce qui entraîne une diversité très grande parmi les régiments. L’un
des soucis de l’inspection et de la Xe RM est donc d’homogénéiser la structure des escadrons.
Dès juillet 1955, celle-ci est mise à mal par les chefs de corps qui font le constat que la
proportion d’engins blindés y est trop importante pour remplir les missions d’Algérie.
Rien n’avait préparé l’ABC à affronter une situation opérationnelle comme celle de
l’Algérie en 1955. Le chef de corps du 9e RCA écrit que son régiment « n’était pas préparé à
résoudre les problèmes qui allaient lui être posés. » Il estime qu’ « il sut cependant s’adapter
assez facilement à ses nouvelles missions » bien que, de novembre 1954 à juillet 1955, le 9e
RCA doive faire face « avec les moyens du bord »195. Des solutions organiques sont trouvées
mais ces modifications, commencées en juillet 1955, ont débouché sur une composition
hétérogène qui marque selon lui « un net retour en arrière ». Les solutions transitoires
adoptées pendant l’année 1955, dont le chef de corps du 9e RCA se plaint, comporte
l’inconvénient principal de faire perdre toute cohésion aux régiments196. En fait, les chefs de
corps ont improvisé pour parer au plus pressé. Dès cette époque, la notion de trois escadrons
homogènes (portés ou blindés) est remise en cause. Le choc n’est plus l’élément dominant,
c’est la rapidité, la fluidité et la possibilité d’infiltration qui priment. En outre il apparaît
nécessaire d’employer les mêmes moyens que l’adversaire et donc de l’aborder à pied, avec
l’appui des feux des engins blindés dont la densité est réduite par rapport aux besoins du
théâtre européen. Les régiments de l’ABC doivent donc augmenter de façon importante la
proportion de leur personnel porté, spécialement entraînés à des manœuvres de débordement
rapides et à une mise pied à terre flash. La formule retenue dans un premier temps est de
former des groupes d’escadrons mixtes composés d’un escadron porté et d’un escadron blindé

195
SHD/Terre, 7 U 957*.
196
Id.

73
car des TED existent déjà pour chacun d’entre eux197. Il n’est alors pas encore question de
créer un nouveau TED car le commandement pense qu’il ne s’agit que d’une mesure
temporaire qui ne devrait durer que quelques mois tout au plus198. Mais, tous les régiments
d’Algérie forment progressivement des escadrons mixtes, dont le TED n’existe pas. Cette
réorganisation s’est avérée nécessaire car, selon le chef de corps du 9e RCA, l’organisation du
temps de paix « était un défi à la logique et au bon sens »199. La Xe RM en prend acte et fait
constituer des escadrons mixtes blindés/portés au sein des régiments blindés, et tous les corps
envoyés de France prennent cette structure avant leur départ.
Afin d’adapter officiellement les structures aux missions de l’Algérie (pacification et
opérations) tout en assurant un soutien logistique efficace, le TED ABC 021 : régiment de
reconnaissance type AFN est créé par la DM du 3 avril 1956 et appliqué à partir du 1er mai.
L’idée de former officiellement des escadrons mixtes blindés/portés fait l’unanimité. Cette
nouvelle organisation offre l’avantage d’être suffisamment souple pour permettre une
meilleure adaptation au cas par cas, tout en s’inscrivant dans des chaînes de commandement
et de soutien logistique et administratif. Cela permet une meilleure économie des moyens qui
restent limités.
Le nouveau TED vise surtout à augmenter le nombre de pelotons portés. Chaque
escadron de combat est composé de deux pelotons blindés et de deux pelotons portés. Les
ECS sont tous alignés sur une structure identique quelque soit le matériel qu’ils ont à soutenir.
Leur atelier régimentaire est renforcé et un groupe de mortier de 81 mm leur est affecté, car
les armes anti-personnel à tir courbe font défaut. Les régiments alignés sur le TED ABC 021
comptent généralement trois escadrons blindés bien que leur ECS puissent en soutenir jusqu’à
six. Toutefois, la dispersion des unités est telle que le chef de corps risquerait de perdre le
commandement voire le contrôle d’un régiment comptant plus de quatre escadrons, c’est
pourquoi ce nombre est retenu comme celui du maximum que peut compter un régiment.
L’adoption progressive de ce nouveau TED permet de redonner plus de cohésion aux
régiments et surtout de créer des escadrons de combat et des ECS standardisés.
Mais le problème de l’uniformisation des régiments est loin d’être réglé pour autant.
En octobre 1956, le dispositif de l’ABC en Algérie est alors de 24 régiments blindés, dont
deux sur EBR (1er RSA et 8e RH), et de 16 régiments (ou bataillons) à pied. Or, ces 40

197
SHD/Terre, 31 T 5.
198
SHD/Terre, 6 T 575, DM n° 12592/EMA/1.OS du 9 août 1955
199
En novembre 1954, le 9e RCA est organisé en trois escadrons : le 1er escadron sur TD M10, le 2e escadron sur
chars légers M5 et le 3e escadron à trois pelotons d’AM et un peloton porté. SHD/Terre, 7 U 957*.

74
régiments sont encore organisés selon 13 TED différents200, ce qui n’est pas sans poser des
problèmes de gestion du matériel et du personnel.
Cette disparité résulte parfois de besoins ponctuels comme la mise sur pied de la Force
A pour l’expédition de Suez, en juillet 1956. Trois régiments de l’ABC doivent participer à
l’opération Mousquetaire : le 3e régiment de chasseurs d’Afrique, le 2e régiment de dragons
et, dans une moindre mesure, le 2e régiment étranger de cavalerie qui est encore en garnison
au Maroc. Le 3e RCA et le 2e RD doivent reprendre leur TED/Guerre : TED/G ABC 929 pour
le 3e RCA et TED TTA 928 pour le 2e RD. Le 2e REC détache son 2e escadron (AMX 13) au
1er régiment étranger parachutiste le 1er août 1956201. Seul le 2e RD qui est un régiment à pied
est réellement concerné par cette remontée en puissance de la 7e DMR, ce qui lui demande de
gros efforts. Du reste, c’est parce que sa montée en puissance a été difficile à réaliser que, à la
demande du général Beaufre et du général Callies, inspecteur des forces terrestres, les unités
de la force A conservent leur organisation opérationnelle, une fois la crise de Suez passée. En
outre, il paraît souhaitable au commandement de la conserver pour faire face à d’autres
événements imprévus202. C’est pourquoi, après son faux départ, le 2e RD n’est pas remis à
terre et conserve son TED/G203, ce qui est contraire à la politique de standardisation des unités
qui vient d’être amorcée.
La disparité est également le fait d’initiatives locales. Les chefs de corps continuent à
adapter l’organisation de leurs unités en fonction du terrain, des missions qu’elles ont à
remplir et surtout des effectifs réellement disponibles. Comme c’est le cas au 8e RCC, dont le
chef de corps met sur pied quatre unités allégées d’effectif variable selon les besoins et la
situation. Les trois premiers escadrons conservent leur numéro, mais le quatrième est
débaptisé pour prendre le nom de « groupement mobile »204. Le chef de corps du 5e RCA doit
également repenser l’organisation de son unité. Le TED ABC 021 ne répond pas à tous les
besoins du régiment qui réclame un excédent de 20 % de ces tableaux d’effectifs pour pouvoir
faire face correctement à ses charges. Ce sureffectif ne lui étant pas accordé, le colonel met en
sommeil ses deux escadrons à pied dont l’effectif « troupe » est réduit, et les verse dans les
trois escadrons blindés qu’ils complètent. Un autre exemple est donné par le 25e RD qui, en
janvier 1957, selon son TED, est composé de deux escadrons portés sur half-track et de deux
200
Le 16e RD, par exemple est aligné sur le TED ABC 021, mais il est articulé en deux groupes d’escadrons,
l’un de chars et l’autre d’AM M8.
201
SHD/Terre, 1 H 2132.
202
Les unités de la Force A seront maintenues « sous hypothèque » jusqu’en décembre 1959. SHD/Terre, 6 T
771.
203
Le personnel de l’infanterie servant dans les compagnies de « voltigeurs anti-char » ne rejoint son arme
d’origine qu’en mars 1958.
204
SHD/Terre, 31 T 10.

75
escadrons à pied type TED 107. Il doit être en mesure de mettre sur pied, quand le besoin s’en
fait sentir et par couplage avec le 5e RCA, deux sous-groupements mixtes (blindés/portés) et
un sous-groupement à pied, au profit du général commandant le secteur Est Atlas Blida. Le
chef de corps organise son régiment comme suit : 1er escadron à quatre pelotons portés sur
half-tracks (HT) (dont deux disposent d’un groupe de harkis), 2e escadron à quatre pelotons
portés sur HT et un peloton de harkis, 3e escadron à trois pelotons à pied et un peloton de
harkis et 4e escadron à trois pelotons renforcés de harkis205. D’autres chef de corps, comme
celui du 29e RD ou celui du 4e RCC206, répartissent leurs engins blindés dans tous les
escadrons de façon à les avoir tous sur le même pied. En fait le TED est plus un droit ouvert
en matériel et en personnel qu’une réelle organisation opérationnelle rigide.
C’est ce que confirme en décembre 1956, le colonel Gassiat, commandant de l’ABC
en Algérie, lorsqu’il tire un premier bilan de la mise en place du nouveau TED207. Il ressort
que la qualité essentielle de celui-ci est sa souplesse, car il permet de former des régiments à
la demande, comportant de trois à cinq escadrons blindés ou portés quelque soit le matériel.
En outre, la structure des escadrons blindés à deux pelotons portés et deux pelotons blindés,
augmente leurs possibilités de manœuvre en terrain varié pour remplir les missions qu’ils
reçoivent et qui sont, en Algérie, de deux sortes :
- participation à des opérations proprement dites,
- participation au maintien de l’ordre et à la pacification.
L’escadron de cavalerie blindé est à même de remplir ces missions grâce à son
autonomie relative, aux effectifs et aux moyens dont il dispose. Son articulation doit donc lui
permettre d’assurer les multiples tâches de combat, de police ou de simple protection qui lui
incombent. Elle doit être d’autant plus souple que ces tâches sont excessivement diverses, ce
qui nécessite l’emploi de pelotons ou de patrouilles dont l’importance et la forme varient avec
le cas à traiter. C’est précisément à ces exigences, selon le colonel Gassiat, que répond le TED
ABC 021. Avec deux pelotons blindés et deux pelotons portés, des articulations de
circonstance sont facilement réalisables pour mettre sur pied soit des cellules élémentaires,
soit des ensembles adaptés à une mission donnée :
- patrouille mixte blindés-portés,
- patrouille blindée sans soutien,

205
SHD/Terre, 31 T 9.
206
Le 1er avril 1956, deux escadrons sont créés au sein du 4e RCC avec les rappelés : le 2e (AM M8), dont le
numéro était vacant, et le 4e (TED 107). Les pelotons de ce dernier sont échangés avec les trois autres escadrons
contre des pelotons blindés. Les quatre escadrons se retrouvent donc alignés à trois pelotons blindés et un
peloton à pied.
207
SHD/Terre, 31 T 9.

76
- patrouille de jeeps sans blindés,
- pelotons blindés mixtes208,
- pelotons portés pour s’engager à pied assez loin dans le djebel et susceptibles par
ailleurs d’être héliportés.
L’efficacité dépend beaucoup plus de la manière dont sont associés les éléments blindés et
portés que de leur propre agencement.
Mais cet avantage ne vaut que si les moyens mis en œuvre permettent aux escadrons
d’être interchangeables pour remplir au mieux leurs missions, ce qui n’est pas toujours le cas.
Par exemple, le 6e RSM, dont la mission en 1956 est d’assurer la surveillance de la frontière
algéro-tunisienne au sud de Tébessa, est organisé en deux escadrons d’AM et un escadron de
M24. Or dans la région où il opère, qui comporte de vastes étendues, les chars, contrairement
aux AM se révèlent inaptes à mener des actions rapides et discrètes à la fois, ce qui est
pourtant essentiel pour intercepter les bandes ou les caravanes qui franchissent la frontière.
L’activité opérationnelle dans la région et l’étalement des unités sur le terrain constituent une
épreuve rude pour les AM M8 qui sont déjà très usées. Mais ces dernières font toujours défaut
et il n’est pas question de les remplacer, ni d’échanger les M24 contre des AM. C’est pourquoi
le colonel Gassiat demande à ce que les engins blindés soient répartis de façon plus judicieuse
en n’affectant les chars qu’aux régiments qui opèrent sur des terrains où ils sont réellement
efficaces. Plutôt que d’équiper les escadrons avec un autre matériel de même génération, ce
qui suppose de reconvertir les équipages, on préfère donc les déplacer. Le 9e RH qui opère
dans la région de Mascara à partir de juin 1956, n’est équipé que de chars, ce qui le gêne pour
remplir les missions d’escorte ou certaines missions éloignées. Plutôt que de remplacer l’un
de ses escadrons de M24 par un escadron d’AM, comme cela est envisagé pendant un temps,
on préfère le déplacer pour lui faire rejoindre une zone où l’emploi de chars se justifie mieux.
En mars 1957, le régiment quitte donc la région de Descartes pour celle de Crampel (zone
centre oranais - ZCO), quartier dont le chef de corps prend le commandement.
Le rôle du colonel Gassiat ne cesse de croître avec à la montée en puissance des unités
de l’ABC en Algérie, dont le nombre est devenu très supérieur à celui de celles stationnées en
Europe. En juin 1956, le commandant de la Xe RM éprouve donc le besoin de transformer son
208
Le commandant de l’ABC du Maroc demande en juin 1957 que les pelotons soient mixtes, ce à quoi s’oppose
le colonel Gassiat, commandant de l’ABC en Algérie. Celui-ci pense que l’inconvénient de ce « projet de la
cavalerie du Maroc réside surtout dans la suppression radicale des pelotons portés dont l’utilisation s’impose à
tout instant. Ils permettent aux unités de l’Arme d’accroître sensiblement leur mobilité en terrain accidenté et de
participer ainsi plus à fond, à des opérations de combat. Or s’il est facile de prélever en cas de besoin, des
patrouilles sur ces pelotons pour renforcer les soutiens ou former des pelotons mixtes, il serait pratiquement
impossible de constituer des pelotons portés valables en partant de pelotons mixtes organiques ». SHD/Terre, 31
T 9, note n° 1935/ABC/100 du 19 juin 1957 du commandant de l’ABC d’Algérie.

77
commandement en inspection. Il souhaite étendre son autorité sur toutes les unités de l’ABC
présentes en Algérie qu’elles soient ou non organiques à la Xe RM209. Mais cette proposition
ne reçoit pas l’agrément de l’IGABC qui ne souhaite pas modifier les attributions du
commandant de l’ABC d’Algérie qui lui ont été fixées par une instruction datant pourtant de
mars 1953. Il pense que le commandant de la Xe RM « peut lui donner les délégations qu’il
juge opportunes en ce qui concerne la gestion des personnels, l’organisation et l’instruction
»210, mais que le commandant de l’ABC d’Algérie doit rester avant tout un conseiller
technique pour l’emploi de son arme et un inspecteur technique vis-à-vis des unités, qu’elles
soient affectées ou détachées à la Xe RM. En revanche, « en limitant [son] rôle à celui d’un
inspecteur régional [le commandant de la Xe RM] se priverait de la possibilité de réaliser une
décentralisation du commandement pour certaines questions propres à l’ABC »211. L’EMA
souscrit à ces arguments et refuse de transformer le commandant de l’ABC d’Algérie en
inspecteur. Pour lui, ses attributions doivent continuer à s’exercer dans les domaines de
l’instruction technique de son arme et de la gestion du personnel d’active et de réserve212. Si
le commandant de l’ABC en Algérie voit son autorité s’étendre à toutes les unités de son arme
présentes en Algérie, il assume peu son rôle de conseiller technique pour l’emploi de son
arme en raison de la conduite décentralisée des opérations. Il est, de plus, un relais de
l’inspection générale de l’ABC sur place et s’occupe surtout de veiller à la bonne gestion du
personnel et du matériel, ce qui revient pour lui à remplir le rôle d’un inspecteur. Ce relais de
commandement est essentiel pour les généraux qui se succèdent rapidement à la tête de
l’inspection générale de l’ABC pour la défense les intérêts de leur arme, tant de son personnel
que de son matériel, qui sont parfois lésés par la montée en puissance du dispositif militaire en
Algérie.
Si, à la fin de l’année 1956, l’ABC a rempli son contrat opérationnel, c’est en effet au
prix de la perte d’une bonne partie de sa capacité opérationnelle dans le cadre d’un conflit
classique. L’arme se trouve dans une situation critique, selon le général Renaudeau d’Arc, qui
succède au général Loth à la tête de l’inspection213. Pour lui, il est urgent de rendre à l’ABC
ses capacités opérationnelles et de remettre de l’ordre et de la cohérence dans sa structure
mise à mal par l’augmentation très rapide du nombre de ses unités formant corps (régiments,
groupes d’escadrons et CI) qui est passé en un an de 61 à 83.

209
Le commandant de l’ABC n’a théoriquement sous ses ordres que les unités stationnées en Algérie avant
l’arrivée des renforts.
210
SHD/Terre, ibid.
211
Id.
212
SHD/Terre, 6 T 576, lettre n° 13646/EMA/1.O.S. du 11 juillet 1956.
213
SHD/Terre, 31 T 9, rapport annuel de l’IGABC pour 1956 du 18 mars 1957.

78
Sur ce chiffre, à la fin de l’année 1956, 52 corps sont présents en AFN : 33 régiments
blindés, 16 régiments à pied et 3 régiments à cheval, auxquels s’ajoutent deux GE à cheval, et
les escadrons d’éclairage des régiments d’infanterie motorisée (RIM) de la 2e DIM et des
régiments d’infanterie aéroportée. Il ne reste en Europe que 18 CI, 9 régiments blindés (à
effectifs réduits), le régiment-école de Saumur (1er RD) et l’escadron de spahis de Senlis (7e
ESA). Au cours de l’année, le volume des unités de l’ABC présentes en AFN a donc été porté
à 170 % de ce qu’il était en 1955, alors que celui des unités de France et d’Allemagne a chuté
de 45 %.
A la fin de l’année, le désordre provoqué par cette énorme restructuration commence à
peine à être résorbé par l’EMA et une certaine cohérence commence à poindre. Mais les
formations de l’ABC, depuis les divisions blindées jusqu’aux unités élémentaires, présentent
alors une très grande disparité tant dans leur composition interne, que dans leur rattachement
hiérarchique, leurs moyens organiques et leur type d’emploi. C’est pourquoi il paraît urgent
au commandement de reconvertir les unités dans un court délai pour qu’elles puissent être en
mesure d’être engagées rapidement, en cas de besoin, dans un conflit en Europe. L’avenir de
la mobilisation de l’arme semble compromis par le volume très important de recrues de
l’ABC formées uniquement au combat d’infanterie qui devront pourtant être affectées, en cas
de mobilisation, dans des régiments blindés pour y tenir des emplois pour lesquels elles ne
seront pas qualifiées. La forte proportion d’unités à pied ou portées a donc entraîné de graves
lacunes dans l’instruction blindée, tant pour les hommes du contingent que pour les jeunes
officiers d’active.
C’est la raison pour laquelle, l’IGABC est animé d’une forte volonté de voir rendre
leur mobilité aux unités de cavalerie d’Algérie et de sauvegarder ainsi la spécificité de son
arme. Cette sauvegarde paraît essentielle. C’est pourquoi, pour l’année 1957, les objectifs sont
de reconstituer en régiments blindés les corps qui ont eu momentanément à stocker leurs
engins blindés. Le principal souci de l’IGABC n’est plus que son arme puisse faire face à ses
missions en Algérie, ce qu’il considère dès lors comme acquis, mais d’arrêter rapidement un
plan de modernisation car « la cavalerie blindée ne s’improvise pas »214.

214
SHD/Terre, 31 T 15.

79
IV. 1957 : « Il n’y a plus de cavalerie blindée »

41. L’ABC, à la recherche de son équilibre

L’inspecteur souhaite donc par-dessus tout que le plus d’unités possibles de l’ABC
soient dotées de véhicules pour retrouver la capacité de manœuvre qui est le propre de la
cavalerie. A ses yeux, si le combat à pied permet d’aguerrir le personnel de façon
irremplaçable, cela se fait au prix de la perte progressive de leurs savoir-faire dans le domaine
du combat blindé, tant dans celui de la manœuvre que dans ceux de la conduite des feux ou de
l’entretien des matériels. Or, en 1957, les contingents alloués à l’ABC ont été environ pour
moitié instruits et employés comme combattants à pied. Au surplus la qualité de ces
contingents n’offre pas assez d’éléments valables ni pour former les équipages solides et les
nombreux spécialistes dont les unités blindées ne peuvent se passer, ni pour fournir les gradés
du contingent qui ont à accomplir au combat des missions réclamant un fort esprit d’initiative.
Les cadres employés dans les unités à pied et dans les CI qui alimentent celles-ci perdent
progressivement les réflexes manœuvriers qu’exige le combat blindé215.
Mais cette volonté de motoriser toutes les unités se heurte à la pénurie de véhicules et,
au cours de l’année 1957, peu d’unités pourront être reconverties. Seules les nouvelles
nécessités opérationnelles pousseront à motoriser certaines unités à pied.
La première d’entre elles est la surveillance des frontières. Elle doit être renforcée et
assurée par des unités plus mobiles du fait des indépendances tunisienne et marocaine de
1956, et de l’installation de bases de l’Armée de libération nationale (ALN) dans ces deux
pays. Peu après leur proclamation en mars 1956, le 6e RC, qui participe à la surveillance de la
frontière tunisienne avec ses cinq escadrons à pied, reçoit déjà en sur-dotation 18 scout-cars,
21 half-tracks et 5 chars M24. Le 1er mars 1957, il passe officiellement sur le TED 021 avec
deux escadrons d’AM, un escadron de M24 et un escadron à pied. Les M24 et les AM M8 sont
répartis dans les trois escadrons blindés qui se retrouvent sur le même pied, tandis que
l’escadron à pied dispose de half-tracks, ce qui en fait pratiquement un escadron porté. Du
côté marocain, le 1er avril, le 3e régiment de cuirassiers (RC) est également motorisé et adopte
le TED 021. Ses cinq escadrons216, dont les pelotons sont à pied, portés ou cyclistes (seul le 5e
escadron compte déjà un peloton de chars), sont tous motorisés. Le régiment compte alors un

215
SHD/Terre, 31 T 9.
216
Le 5e escadron est créé le 26 mai 1956 avec des rappelés.

80
escadron sur M24217, deux escadrons portés sur half-tracks et un escadron 107 de type
saharien sur GMC218 blindés.
Deux autres régiments sont également motorisés partiellement ou totalement soit, dans
le cas du 25e RD, qui compte également des cyclistes, pour constituer une réserve mobile
devenue indispensable219, soit, dans celui du 28e RD, pour répondre aux exigences du terrain.
Ce dernier régiment, regroupé en août 1956 dans la région de Rouiba (subdivision de Tiaret),
est à la disposition du général commandant le secteur Est-Atlas avec ses quatre escadrons à
pied. Mais il apparaît rapidement qu’il opère sur un terrain trop vaste pour ces éléments à
pied. En novembre 1956, deux escadrons sont transformés en escadrons portés sur half-tracks.
Le 1er juillet 1957, les deux autres escadrons sont dotés de GMC et le régiment adopte le TED
ABC 021. Mais le chef de corps adopte lui aussi une organisation qui lui permet de mettre ses
quatre escadrons sur le même pied (mixtes GMC/HT). La structure de ce régiment, qui
compte déjà un commando de nuit de 23 hommes rattaché à l’ECS, est unique dans l’ABC, ce
qui va à l’encontre de la politique d’homogénéisation voulue par le haut commandement.
La conversion d’unité 107, en unités blindées ou motorisées, s’étend encore au 2e RSA
et au 13e RD qui transforment leur 4e escadron en escadrons de M24 en mars.
Cependant cette reconversion ne semble pas à l’ordre du jour car le haut
commandement souhaite disposer de nombreux combattants à pied. Certains escadrons sont
même mis à terre pour des périodes plus ou moins longues selon le besoin. Ainsi, lorsque le
30e RD, sur AMX 13, arrive du Maroc au début d’août 1957 dans la région de Tlemcen, il doit
mettre son 2e escadron à terre jusqu’au mois d’octobre, après avoir stocké ses chars220.
Seule la faiblesse des effectifs oblige le commandement à réduire le nombre
d’escadrons de type 107. Comme il n’existe plus de marge de manœuvre pour obtenir des
effectifs supplémentaires, malgré la fusion des éléments de gardiennage des matériels aux
FFA, certains sont réduits à l’état de squelette après le départ des rappelés. Ils sont alors
dissous ou réduits à des escadrons « cadres ». Cette carence d’effectifs se fait d’autant plus
sentir que le volume du personnel de certains services, qui avait été sous-évalué pour donner
la priorité aux unités de combat, doit impérativement être augmenté. Entre mars et mai 1957,
le 5e escadron (TED 107) des 6e RCA, 1er RSA et 5e RCA, sont donc dissous pour permettre
de renforcer les services des Essences et de la Poste aux armées notamment.

217
Les M24 sont répartis entre deux escadrons.
218
Camion américain fabriqué par la General Motors Corporation.
219
Cf. supra.
220
Albert Roger, Carnet de route d’un soldat d’Algérie, La Crèche, Geste éditions, 2002, 237 p., p. 35.

81
Au bout du compte, la proportion des unités à terre reste globalement la même et
continue de représenter un tiers des unités de l’ABC en Algérie, ce qui est jugé beaucoup trop
élevé par les chefs de l’ABC qui se préoccupent de ne pas perdre le contact avec elles.
C’est pourquoi, il est attaché une très grande importance à l’esprit de corps, donc aux
traditions. Les liens qui attachent les cavaliers à pied à leur arme se limitent, d’une part, aux
traditions relevées par leur régiment d’appartenance et, d’autre part, au fait que leurs cadres
d’active appartiennent tous à l’ABC. Ces deniers possèdent un esprit et un style de
commandement propre à l’arme. En outre, l’ensemble du personnel, y compris les hommes du
rang, y attache une si grande importance aux traditions de cavalerie de leur unité, que la
remise en question de cette disposition par l’état-major de l’armée est très mal accueillie. Ce
dernier fait valoir, dans le courant de l’année 1957, que le TED 107 est celui d’un bataillon
qui est donc normalement commandé par un chef de bataillon (i.e. un commandant ou chef
d’escadrons dans l’ABC)221, et ne doit être dépositaire que d’un fanion, et non d’un drapeau
(ou d’un étendard pour la cavalerie). L’état-major de l’armée de terre souhaite lever cette
ambiguïté et appeler ces unités « groupe d’escadrons à pied du ne régiment de … ». L’IGABC
s’y oppose formellement. Il pense que ce serait une grave erreur psychologique qui porterait
atteinte à la personnalité morale des corps tant vis-à-vis du personnel qui y sert, car cela
entraînerait la suppression de l’étendard, que vis-à-vis des populations avec lesquelles il est en
contact. Il a gain de cause et l’appellation de « régiment » est conservée222 bien que dans les
autres armes, comme le train, les unités 107 formant corps soient dénommées « bataillons ».
Peu à peu, au fur et à mesure des relèves, les chefs d’escadrons, chefs de corps de ces unités,
sont remplacés par des lieutenants-colonels et les régiments ne seront plus du tout considérés
comme des bataillons.
Mais l’esprit de corps est loin d’être suffisant pour faire du personnel des cavaliers à
part entière. Pour leur redonner un vernis blindé, il est étudié la possibilité de les doter de
quelques engins AMX. Mais, étant donné la pénurie en engins blindés, ils sont dotés au mieux
que de quelques half-tracks.

221
« Chef de bataillon » est un grade et non une fonction. L’officier qui commande un bataillon est désigné sous
l’appellation de « commandant de bataillon » quelque soit son grade : un lieutenant-colonel peut être
commandant de bataillon, bien qu’il n’ait pas le grade de chef de bataillon.
222
SHD/Terre, 31 T 15.

82
42. Une organisation opérationnelle efficace mais obtenue par
tâtonnements

La nécessité de répondre aux besoins opérationnels de l’Algérie, l’emploi de la


cavalerie dans le service de « la herse » (surveillance mobile) sur la ligne Morice (étendue à
l’Est par un seconde barrage septentrional, ou ligne Challe en 1959) et le barrage algéro-
marocain entrepris lui aussi dès 1957223, pousse le commandement à revenir sur l’organisation
théorique des régiments prévue pour le combat en Europe. Pour renforcer la puissance de feu
anti-char des régiments d’EBR il est initialement prévu de doter leur 4e escadron d’AMX 13
comme le prévoit le TED/G. Au mois de janvier 1957, les trois régiments équipés d’EBR
présents en Algérie sont tous organisés de façon différente : le 1er RSA compte trois escadrons
d’EBR et un escadron à pied, le 8e RH compte quatre escadrons d’EBR et un escadron 107, et
le 3e RCA en compte trois. En mars, le 2e RSA, passe à son tour sur EBR, trois de ses
escadrons en sont équipés, le quatrième reste sur M24 dans l’attente de l’arrivée programmée
d’AMX 13. Mais force est de constaté qu’en Algérie la puissance de feu anti-char n’est
d’aucune utilité. En revanche, le fait d’avoir tous les escadrons sur le même matériel facilite le
soutien. C’est pourquoi, en avril 1957, il est finalement décidé d’aligner les régiments d’EBR
présents en Algérie à quatre escadrons identiques. Il est également prévu d’équiper, par
régiment, dix EBR équipés d’une tourelle FL 10, ce qui justifierait encore moins la présence
d’AMX 13224.
En juillet, le 1er REC termine à son tour sa conversion sur EBR. Sa structure change du
tout au tout. Il perd son 4e escadron en passant de deux groupes d’escadrons225 à deux
escadrons d’EBR et un escadron porté 021. Mais tous les escadrons d’EBR doivent rester
alignés sur un TED ABC 012 (type Europe226) et non ABC 021. Ils ne disposent pas de ce fait
de pelotons portés. Pour y remédier, le chef de corps décide de répartir les pelotons portés du
3e escadron dans les autres en les échangeant contre des pelotons blindés. Le 1er REC est donc
aligné à trois escadrons de même pied (mixte blindé/porté) pour qu’ils aient chacun des

223
L’étude la plus complète sur les barrages, due à une initiative du général Jean Delmas, ancien chef du SHAT,
reste le n° spécial de la Revue Internationale d’Histoire Militaire, n° 76 – 1997, « La guerre d’Algérie. La
défense des frontières. Les barrages algéro-marocain et algéro-tunisien, 1956-1962 », 374 p.
224
Les tourelles FL 10 et FL 11 sont interchangeables, mais la tourelle FL 10 est normalement celle de l’AMX et
la tourelle FL 11, celle de l’EBR.
225
Chaque GE compte un ECS et deux escadrons blindés sur AM M8, scout-cars et obusiers M8.
226
Les escadrons alignés sur ce TED comptent 17 engins (trois pelotons de cinq et deux engins de
commandement) et ils n’ont pas de peloton porté. Les escadrons alignés sur le TED ABC 021 (AFN) comptent
11 engins (deux pelotons de cinq et un engin de commandement), ils comptent deux pelotons portés et deux
pelotons blindés.

83
cavaliers portés. Mais les autres régiments d’EBR, comme le 3e RCA qui doit rester également
sur son TED/G en tant qu’unité de la force A, n’ont pour la plupart ni peloton, ni escadron
porté avec lequel il aurait pu en être formés. Le lieutenant-colonel Argoud, à son arrivée à la
tête du 3e RCA, souhaite malgré tout organiser son régiment pour le combat à pied et
n’utiliser par roulement que huit à dix EBR par escadron. Il répartit le reste du personnel dans
des pelotons de combat portés sur des camions de 25 hommes qu’il obtient en sur dotation. Il
reçoit pour cela, également en sur dotation, six FM et 50 fusils pour remplacer les PA et les
PM des équipages d’EBR227.
Mais ce genre de solution ne donne pas toujours entière satisfaction étant donné la
faiblesse des effectifs de certains régiments. Le 30e RD (AMX 13), sitôt arrivé en Algérie en
juillet 1957, forme également des escadrons mixtes blindés/portés en mettant à terre certains
de ses équipages. Mais les pelotons portés ainsi formés se révèlent beaucoup trop faibles pour
les besoins opérationnels, d’autant plus que les équipages conservent la charge de l’entretien
des AMX non employés. Contrairement à celui du 3e RCA, le rendement de ce régiment est
donc jugé insuffisant228.
Il n’en demeure pas moins que, quelque soit leur structure théorique ou leurs matériels
de dotation, l’organisation opérationnelle des régiments s’inscrit toujours dans l’esprit du
TED ABC 021 qui, grâce à sa souplesse, se révèle être le mieux adapté aux opérations
d’Algérie. Pourtant, en mai 1957, le commandant de l’ABC du Maroc souhaite aller plus loin
dans l’imbrication des portés et des blindés en organisant des pelotons blindés mixtes au sein
des escadrons déployés en AFN. Le colonel Gassiat, commandant l’ABC d’Algérie, s’y
oppose. Il pense que l’imbrication de cellules sur des pieds différents ne doit pas descendre en
dessous du niveau de l’escadron. En termes d’entretien du matériel et de gestion du personnel,
cela complique considérablement la tâche du chef de peloton, et surtout, en termes d’emploi,
seul un capitaine commandant a les moyens de commandement indispensables pour mener
une manœuvre interarmes. Un chef de peloton ne peut pas concevoir et conduire une
manœuvre mêlant l’action de groupes portés à celle d’engins blindés, ces deux composantes
se gêneraient plus qu’elles ne se soutiendraient. En outre, si le besoin s’en fait sentir, rien
n’interdit de renforcer un peloton blindé avec un groupe porté venant d’un autre peloton.
C’est pourquoi, en Algérie, le TED ABC 021 est maintenu avec l’escadron comme cellule de
base dans l’ABC.

227
Antoine Argoud, La Décadence, l’Imposture et la Tragédie, Paris, Fayard, 1974, 360 p., p. 143.
228
SHD/Terre, 31 T 14.

84
43. L’ABC pillée par les autres armes ?

En revanche, les escadrons d’éclairage antichar (EEAC) de la 2e DIM et les escadrons


de reconnaissance des DP, constitués tout ou partie de cavaliers, échappent totalement à la
responsabilité de l’ABC et font figure d’exception dans l’organisation et l’emploi des unités.
L’inspecteur donne même l’impression de se sentir pillé par les autres armes. En effet, non
seulement l’ABC doit assurer la formation initiale de ce personnel, mais en plus, les cavaliers
qui forment ces unités élémentaires sont exclusivement employés comme des fantassins, alors
que la vocation de ces escadrons est la reconnaissance et la couverture, qui comprend la lutte
antichar. En mai 1957, l’IGABC adresse une note au cabinet du secrétaire d’Etat aux forces
armées à ce sujet229. Il ne remet nullement en cause l’utilité opérationnelle de ces unités qui
rendent de grands services en Algérie, mais il déplore que les deux années qui viennent de
s’écouler donnent raison aux réticences qui avaient été les siennes en novembre 1955. Il
demande à ce que tous les escadrons soient regroupés dans un seul et même régiment ABC au
sein de leur division d’appartenance et répartis en fonction des besoins dans les régiments
d’infanterie motorisée.
Il ne manque pas d’arguments pour justifier le bien-fondé de sa demande. Au cours de
l’inspection de ces unités, l’IGABC constate tout d’abord un déséquilibre entre elles au point
de vue de la qualité de leur personnel. Les hommes du rang, qui appartiennent à l’infanterie,
sont formés par des CI de l’ABC (le centre d’instruction-dépôt du 16e RD pour la 2e DIM).
Mais ceux-ci fournissent les hommes en quantité sans aucune consigne concernant les
spécialités souhaitées, ce qui nuit à l’homogénéité des escadrons. Les chefs de corps des
régiments d’infanterie motorisée et des régiments de chasseurs parachutistes sont en effet
dans l’impossibilité de combler ces différences car ils ne disposent pas de la ressource dans
leurs régiments qui sont composés par du personnel d’infanterie. C’est pourquoi, il est
impératif, pour l’inspecteur que le personnel soit entièrement géré au niveau de la division
pour pouvoir jongler entre les unités. Mais, malgré la nomination d’un « commandant de
l’ABC » à l’état-major de la 2e DIM, qui est en fait l’ancien chef de corps du 31e RD, la
situation des escadrons affectés dans les régiments d’infanterie motorisés ne s’améliore pas.
Ces unités sont de plus en plus absorbées par leur régiment et complètement coupées de
l’ABC. Certains sous-officiers songent même à rengager au titre de l’infanterie car ils ne
peuvent pas préparer leurs examens dans de bonnes conditions du fait de leur faible volume

229
SHD/Terre, 31 T 2, note n° 353/IGABC/100 du 20 mai 1957.

85
au milieu des fantassins. La solution consistant à les regrouper au sein d’un régiment ABC de
leur division pour suivre les cours préparatoires à leurs examens, apporte plus d’inconvénients
que d’avantages. Cela a pour conséquence de nuire grandement à la capacité opérationnelle de
leur unité d’appartenance et représente une charge supplémentaire importante pour le
régiment chargé de l’organisation des stages. En outre cette solution ne règle pas le problème
de l’organisation des pelotons de formation de petits gradés et de maréchaux-des-logis du
contingent.
Mais les dysfonctionnements constatés ne concernent pas seulement la gestion et
l’instruction du personnel. L’entretien des matériels blindés des escadrons de la 2e DIM
rencontre également de grandes difficultés. Les escadrons d’éclairage antichars ne disposent
organiquement que d’un échelon réduit et l’atelier de leurs régiments d’appartenance n’a pas
de spécialistes blindés. Les sous-officiers mécaniciens de l’unité sont donc obligés de prendre
en mains des opérations de 3e échelon, alors qu’ils n’en n’ont pas les moyens. Parfois, ils
n’ont pas non plus les compétences pour diagnostiquer des pannes qui ne sont pas de leur
niveau. C’est la raison pour laquelle un char du 26e RIM brûle entièrement à la suite du
mauvais état des circuits électriques de tourelle qu’aucun dépanneur de l’escadron n’avait pu
déceler. Plus grave encore, au 152e RIM, le matériel char a dû être entièrement renouvelé à
deux reprises en six mois.
Tous ces arguments sont entendus et, le 18 juin 1957, il est décidé de remettre sur pied
le 31e RD qui doit retrouver ses anciens escadrons. Mais les problèmes d’effectifs empêchent
l’exécution rapide de cette décision car l’ECS, qui doit être créé de toute pièces, nécessite de
dégager du personnel supplémentaire.
Si l’inspecteur obtient gain de cause pour les EEAC de la 2e DIM, il n’en va pas de
même avec les escadrons de reconnaissance des régiments d’infanterie des divisions
parachutistes dont le personnel de l’ABC se limite aux cinq officiers de l’unité et à six de ses
sous-officiers sur 17. Le général Gilles s’oppose fermement à la création d’un régiment de
l’ABC dans lequel ils seraient regroupés. Pour lui, non seulement le soutien du matériel ne
pose pas de difficulté, car ils ne sont équipés que de jeeps, mais en plus les escadrons ont
vocation à n’être employés que comme des unités d’infanterie : « Le combat des escadrons
doit être un combat à pied, la jeep ne constituant qu’un moyen de transport : c’est donc un
travail d’infanterie. »230 Il prend exemple sur les unités d’éclairage de la 4e DIM qui ne
comptent plus de cavaliers du fait que leurs AMX sont restés en Europe. Une solution de

230
SHD/Terre, 6 T 677, lettre n° 2.288/TAP/E du 8 mai 1957.

86
compromis est donc trouvée. Il est décidé de changer l’appellation des escadrons de
reconnaissance des régiments d’infanterie aéroportée en celui de « compagnies portées ». Le
personnel ABC de ces dernières devant être remplacé par du personnel de l’infanterie au fur et
à mesure des mutations.
Cela ne semble pas avoir été systématiquement le cas. Le capitaine Alain Bizard,
officier de l’ABC, ne quitte le 1er régiment de chasseurs parachutistes que lorsqu’il rend le
commandement de l’escadron du régiment, le 31 décembre 1959. Cette unité est la seule des
régiments d’infanterie aéroportée à continuer de porter, par usage, l’appellation d’escadron
bien qu’officiellement elle ait été transformée comme les autres en compagnie portée. Elle
continue également par la suite à porter son fanion sur une hampe de cavalerie avec un thoug
(queue de cheval).
De même des officiers de l’ABC continuent à servir dans les compagnies portées des
REP, comme le lieutenant Degueldre au 1er REP ou, au 2e REP, le capitaine Bourgin231 qui est
tué à la tête de la compagnie portée du régiment le 1er mars 1959. Ce dernier est du reste
remplacé par le capitaine Devouges qui est également un officier de cavalerie.
En revanche, les pelotons d’AM M8 armés par des cavaliers dans les régiments
étrangers d’infanterie et dans les compagnies sahariennes portées ne sont absolument pas
remis en cause. Le cas de ce personnel est à peine mentionné dans les rapports de l’IGABC.
Sans doute est-ce dû au fait que ce personnel sert sur des engins blindés dont l’entretien est
plus facile que celui des AMX. En outre il semble que la présence de cavaliers dans les unités
d’infanterie de la Légion étrangère soit vécue comme quelque chose de normal. Il arrive
même qu’un officier de l’ABC soit affecté dans un REI sans pour autant y servir comme chef
de peloton blindé. C’est le cas de Philippe Gentil qui, à son arrivée au 2e REI en 1955,
apprend qu’il n’y a pas de place de chef de peloton pour lui. Il reste toutefois au régiment
jusqu’en 1960 après avoir été adjoint de compagnie puis, après son cours préparatoire des
officiers subalternes, officier au bureau opérations.
Mais, l’IGABC déplore toujours le détachement dans d’autres armes ou services de
personnel de l’ABC, à l’exception notable de ceux qui servent dans l’ALAT. Non seulement
ce personnel d’active lui fait défaut pour armer ses propres unités, mais en plus il craint que
ce dernier perde ses qualifications de chef d’unité blindée. Mais malgré son insistance, les
besoins sont tels que l’ABC continue à détacher des cadres pour répondre à des besoins

231
Avant de servir au 2e REP, le capitaine Bourgin, surnommé Raspoutine en raison de sa barbe, avait été
lieutenant à la 3e CSPLE. Sur les unités sahariennes, cf. la synthèse de Jacques Frémeaux, La France et le
Sahara, Paris, SOTECA, octobre 2010, 320 p.

87
particuliers, comme celui des services spéciaux, où servent notamment Jacques Gagniard (de
1956 à 1958)232 et Michel Lemonnier (de 1959 à 1962)233, ou encore celui engendré par la
montée en puissance des SAS n’est pas le moindre. On trouve même des cavaliers dans les
unités méharistes, qui sont pourtant toutes rattachées à l’infanterie. C’est le cas du capitaine
de Pommereau, capitaine commandant de la compagnie méhariste de la Saoura de 1956 à
1957, ou du lieutenant Merle, chef de peloton méhariste à la compagnie de l’Erg Oriental de
1958 à 1960234. Ces détachements sont également parfois le fruit de circonstances
exceptionnelles comme dans le cas, déjà évoqué, du commandant Jean Pouget. Selon lui, s’il
se retrouve à la tête de son bataillon du Train235, c’est parce que le commandement cherche
« un pigeon » pour le reprendre en main236. Dans d’autres cas, l’ABC se fait forcer la main,
comme dans celui du lieutenant Georges Grillot que Bigeard fait muter de son escadron
d’éclairage antichar (EEAC) au 3e RPC. Grillot ne quitte pas Bigeard. En janvier 1959, il le
suit à Saïda où, peu après, il met sur pied le commando qui porte son prénom.

Cliché n° I/1
Caricature du capitaine E. de Pommereau, commandant la compagnie méhariste de la Saoura de 1956 à
1957. (Mémorial de la promotion « Victoire », p. 196)

232
Témoignage de Jacques Gagniard.
233
Michel Lemonnier, Les Éclaireurs spéciaux, Guerrier de l’ombre, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 2004,
230 p.
234
Témoignage de Dominique Merle.
235
Le 228e BI, formé dans l'Eure-et-Loir avec des rappelés, s'embarque à Marseille le 20 mai 1956 puis il rejoint
la région de Tizi-Ouzou. Il prend le nom de 584e BT le 1er novembre 1956. Après le départ des rappelés, il est
composé majoritairement d'appelés du contingent. Il dispose de peu de moyens de transport et de peu de
matériels de transmission fiables. Son encadrement est insuffisant. La plupart du personnel n'a suivi qu'une
formation spécialisée dans l'arme du Train. Jean Pouget, « Voir Bordj-de-l’Agha », in Historia Magazine, La
guerre d’Algérie, 7 volumes, 1971-1974, p. 673 – 681 et, du même auteur, Bataillon RAS, Paris, Presses de la
Citée, 1981, 381 p.
236
Marnier, op. cit., t. 1, p. 125.

88
En fait, au cours de l’année 1957, l’encadrement des unités d’Algérie est au cœur des
préoccupations du commandement. Leur mise sur pied, parfois hâtive, a entraîné un fort
déséquilibre entre elles. Certains régiments sont mieux lotis en cadres que d’autres tant dans
le domaine des spécialités que dans la qualité même des officiers et des sous-officiers. Pour
corriger ce déséquilibre, il est procédé à un « amalgame » et de nombreux cadres sont mutés
d’un régiment à un autre. Le 12e RD, qui est le régiment le plus concerné par cette valse des
cadres, voit ainsi partir d’un seul coup 21 de ses officiers et 31 de ses sous-officiers. Si ces
permutations semblent profitables sur le long terme, elles ont en revanche un effet désastreux
sur la cohésion des escadrons dont les cavaliers doivent changer de chefs. Avec ces
permutations, ce sont également les liens et les habitudes de service qui doivent changer ce
qui demande toujours un certain délai surtout dans un contexte opérationnel où la confiance
entre les hommes est essentielle. En outre, les garnisons de rattachement en France changent
également, ce qui complique d’autant plus la mise en place d’un système de relève cohérent et
engendre une certaine confusion du fait de l’importance du volume du personnel concerné.

* *

Au cours de l’année 1957, malgré beaucoup de dysfonctionnements, les efforts pour


améliorer le dispositif jeté rapidement en 1956 commencent à porter leurs fruits, mais ces
efforts ont un coût. En décembre 1957, 58,5 % des 3 427 officiers de l’ABC servent en AFN.
L’ABC a atteint le maximum de ses capacités et les désordres occasionnés dans son
organisation opérationnelle compromettent son avenir dans tous les domaines. Les matériels
blindés en service en Algérie sont soumis à une usure intensive, les moyens de transport
blindés manquent et les véhicules de servitude de la gamme parallèle, qui en tiennent lieu
parfois, se révèlent inaptes à se mouvoir hors des routes et constituent plus un frein qu’une
aide à la rapidité et à la souplesse de manœuvre des formations blindées. De tout ceci, il
résulte, pour le général inspecteur que son arme « doit être reconvertie sans délai, faute de
quoi les forces terrestres ne posséderont plus devant l’ennemi continental l’arme du
renseignement au sol, de couverture d’engagement rapide, brutal et décisif, ni survivre aux
actions atomiques, ni couvrir leurs flancs ou leurs arrières »237.
A la lecture du rapport de l’IGABC pour 1957, le cabinet du secrétariat d’Etat aux
Forces armées prend conscience de l’ampleur du problème. Il attire l’attention du ministre par

237
SHD/Terre, 31 T 9.

89
une fiche qui commence par cette phrase alarmante : « Il n’y a plus de cavalerie blindée »238.
Deux DB sur quatre ont été dissoutes, les contingents alloués à l’ABC ont été, pour environ la
moitié, instruits et employés comme combattants à pied. Au surplus la qualité de ces
contingents n’offre pas assez d’éléments valables pour former les équipages solides et les
nombreux spécialistes dont les unités blindées ne peuvent se passer. En outre, les cadres
employés dans les unités à pied, et dans les centres d’instruction qui les alimentent, perdent
progressivement les réflexes manœuvriers qu’exige le combat blindé. Ceux qui servent dans
les unités blindées prennent de mauvaises habitudes car l’emploi que le commandement local
en fait ne correspond pas à leurs possibilités. La reconversion des unités de l’ABC dans le
cadre de forces terrestres modernisées, que l’IGABC appelle de ses vœux n’est toujours pas
lancée.
Il s’en préoccupe d’autant plus que l’URSS, comme les Etats-Unis, développent leurs
moyens blindés en raison des effets escomptés des armements nucléaires. Un plan à long
terme est enfin lancé en novembre 1957239. Mais pour l’heure, à la fin de l’année 1957, il ne
reste en France et en Allemagne, comme division blindée opérationnelle, que la 1re division
blindée (DB), amputée du 1er régiment de spahis marocains (RSM), son régiment de
reconnaissance, et d’une bonne partie de ses moyens de transmission et logistiques. Ces
amputations la rendent peu apte à être engagée dans de brefs délais. La seule note optimiste
est la remise sur pied du 12e régiment de cuirassiers (RC) comme régiment de chars240, grâce
au regroupement des CI des FFA en avril 1957. Les autres régiments de chars de la 5e DB (1er
RC et 6e RCA) sont toujours en Oranie où ils opèrent à pied et leur personnel de relève ne
sont plus formés sur Patton. La 6e DB est dissoute, à l’exception du groupement blindé n° 2
(GB 2). Quant à la 7e DMR, elle à perdu toute ses caractéristiques propres. L’IGABC pense
que sur le plan de la défense nationale cette situation est « un affaiblissement considérable
[des] forces »241. Une cavalerie ne se refait jamais vite, une fois qu’elle est usée. Un
redressement s’impose qui doit viser à reconstituer les divisions blindées opérationnelles :
organiquement complètes, équipées de matériels modernes, instruites et entraînées dans le
sens de la mobilité et de la puissance. L’IGABC a bien conscience que cette reconversion est
coûteuse, et sans doute hors de portée financière. Cependant il estime que la valeur
opérationnelle de l’ABC est néanmoins fonction du prix que le gouvernement pourra y mettre,

238
SHD/Terre, 2 T 92.
239
La première étape de ce plan sera la mise au point, en 1959, d’un modèle de division blindée à trois brigades
qui ne se concrétisera qu’au fur et à mesure du retour des unités d’Algérie.
240
Le 12e RC est le seul régiment de la 5e DB à avoir été maintenu en Allemagne. Au départ de la division, il
avait été transformé en CI.
241
SHD/Terre, 31 T 9, rapport annuel d’inspection de l’ABC pour 1957 n° 035/IGABC/702 du 12 mars 1958.

90
et que ses attributions exigent qu’il rende compte de la nécessité de cette reconversion dans
son rapport en écrivant au sujet de cette reconversion : « J’en ai déjà fait ressortir la nécessité
après l’année 1956 et je l’aurais fait encore comme membre du conseil supérieur de la
Guerre, si cet organisme avait été réuni en 1957. »242

242
SHD/Terre, Id.

91
92
CHAPITRE II

A la recherche de la cohérence

I. Difficile conciliation entre l’Europe et l’AFN

11. L’avenir de l’ABC de plus en plus compromis

L’IGABC cherche constamment, malgré la priorité donnée à court terme aux


impératifs de la campagne d’Algérie, à sauvegarder l’avenir de son arme en insistant sur deux
points qui lui paraissent essentiels. Tout d’abord, dans le cadre du plan lancé en novembre
1957, il souhaite mettre au point une nouvelle organisation de la DB qui lui assure à la fois
puissance et souplesse. Le modèle retenu ressemble à celui adopté par les Etats-Unis, mais, en
France, malgré l’approbation de certaines autorités possédant une expérience acquise lors de
la Seconde Guerre mondiale de l’emploi des formations blindées, le projet peine à aboutir et
en est encore à l’état de projet, ce qui laisse penser que la priorité de l’état-major n’est plus le
corps blindé/mécanisé. L’autre souci de l’IGABC est de moderniser les unités blindées
d’Europe en les dotant de nouveaux matériels et en poussant l’étude des matériels futurs. Mais
dans ce domaine encore, la priorité du commandement est de répondre avant tout à
l’équipement des unités engagées en Algérie. En 1958, sur le plan de l’organisation, le seul
résultat allant dans le sens souhaité par l’IGABC est la récupération des EBR du 24e RS,
dissous au Maroc, par la 5e DB.
Or, pour lui, l’ABC doit être prête en tout temps à mener ses missions qui constituent
sa vocation dans les premières heures d’un conflit qui s’ouvrirait en Europe car « la DB est la
seule grande unité à pouvoir faire face au flot de blindés soviétiques sous les feux classiques
et de survivre sous les feux nucléaires »243. Mais encore faut-il qu’elle reçoive l’organisation
et le matériel pour le faire. Faute de quoi, selon lui, les forces terrestres seront impuissantes.
C’est pourquoi, il s’attache à faire respecter les échéances des études du plan à long terme qui
dessinent le cadre dans lequel doit se développer la reconversion de l’ABC au cours des cinq
années à venir. Pour 1964, il est prévu que l’ABC comporte au titre des forces permanentes
(intervention et défense du territoire) : deux divisions blindées, les régiments blindés de 11

243
Id.

93
divisions d’infanterie, les escadrons blindés des cinq groupements sahariens et des régiments
blindés de réserve générale. Le tout correspondrait en volume à 36 régiments et cinq
escadrons d’automitrailleuses légères (AML). Mais si rien n’est changé à brève échéance, ce
but ne semble pas pouvoir être atteint dans les délais impartis, même avec le retrait des
régiments du Maroc et de Tunisie qui viennent renforcer les unités d’Algérie et en alléger les
charges.
En 1958, seule la 1re DB existe en tant que telle, mais le 3e RC est définitivement retiré
de son ordre de bataille. La 6e DB, toujours réduite au GB 2, doit être remise sur pied en tant
que deuxième grande unité, mais le faible volume de Patton, dont la munition n’est plus
efficace contre les nouveaux chars soviétiques, rend cette disposition peu crédible, même si
l’emploi de l’hélicoptère antichar, qui a déjà été expérimenté à Saumur, semble pouvoir
pallier cette faiblesse. Le personnel de la 5e DB n’est plus du tout entraîné au combat blindé à
l’exception de celui de son régiment de reconnaissance, le 2e RS, qui opère avec ses EBR de
dotation. Ce n’est pas le cas du 3e RCA (7e DMR), qui, bien que toujours organisé en
régiment de reconnaissance sur EBR, n’opère quasiment qu’à pied. Quant à la 7e DMR, elle
est finalement transformée en division d’infanterie motorisée en novembre, et le 2e RD,
toujours aligné sur le TED TTA 928, perd progressivement son personnel appartenant à
l’infanterie qui est renvoyé dans son arme à partir du 24 mars 1958.
Un effort est toutefois consenti pour la mobilisation au cours de l’année par
l’affectation de cadres d’active supplémentaires dans les centres de mobilisation, mais son
organisation reste encore peu satisfaisante. L’IGABC pense qu’elle comporte une part de
duperie vis-à-vis de l’OTAN.

12. Une organisation en Algérie toujours peu satisfaisante

Sur les 74 régiments que compte l’ABC en janvier 1958, en incluant le 1er RD
(régiment école de l’EAABC) et les 7 CI, 11 régiments blindés seulement sont stationnés en
Europe244. En AFN, en revanche, on en compte 54 : 28 sur matériels blindés (dont 21 sur du
matériel américain AM M8 ou M24), quatre sont des corps à cheval et 14, soit toujours
presque un tiers, sont à pied. L’année 1958 marque un tournant pour l’ABC comme pour
l’ensemble des troupes engagées en Algérie. L’armée reprend l’initiative sur la rébellion, les
barrages sont achevés et pleinement opérationnels. L’évolution du dispositif, qui bénéficie

244
En France : un régiment sur Patton et un régiment sur AMX 13, et en Allemagne : quatre régiments sur
Patton, quatre régiments sur AMX 13 et un régiment sur EBR.

94
d’une certaine stabilité, commence à porter ses fruits et les dysfonctionnements à être
résorbés, ce qui permet de mieux calibrer les missions confiées aux régiments.
L’année 1958 est également marquée par une réorganisation des régiments déjà
présents en Algérie pour uniformiser les structures régimentaires, tout en les adaptant au
mieux à leurs missions, à leur terrain d’opérations et à l’ennemi auquel ils sont confrontés.
Des escadrons à pied supplémentaires sont attribués à certains d’entre eux. En mars, le 6e RH
(Azazga, ZEA) reçoit un escadron en provenance du Ier groupe245 du 11e régiment d’artillerie
(RA), ce qui le porte à cinq escadrons 107. En octobre, alors que son chef de corps prend le
commandement du secteur d’Aïn-M’Lila, le 8e RH perd un escadron EBR tout en conservant
son escadron 107. Il se retrouve aligné à trois escadrons d’EBR, comme les autres régiments
équipés de ces matériels246, mais il peut dès lors constituer quatre escadrons mixtes, sans
changer de TED.
D’autres régiments, au contraire, perdent un escadron 107. Le 24e RD (Djidjelli, ZNC)
en perd un en janvier247, le 1er février c’est au tour du 1er RSA (Médéa, ZSA), puis du 4e RH
(Bordj-Bournazel, ZEC), le 28 du même mois, pour former l’ECS du 31e RD.
Les transformations par permutation d’escadron concernent également les régiments
blindés organiques des DI en Xe RM, dans le but de tous les aligner à un escadron de M24 et
deux escadrons d’AM M8. En février, le 8e RCC (9e DI, Duperré, ZOA) échange avec le 27e
RD (20e DI, Bir-Rabalou, ZSA) un escadron de M24 contre un escadron d’AM M8, en juin, le
10e RD (29e DI, Ain-Temouchent, ZCO), échange deux escadrons de M24 contre deux
escadrons d’AM M8 avec le 1er RCA (Médéa, ZSA) arrivé du Maroc. Comme ce régiment,
n’est pas endivisionné, il passe à trois escadrons de M24248, ce qui permet de répondre aux
besoins du nouveau type d’opérations qui se déroulent à partir de janvier 1958 dans
l’Algérois. Face à l’augmentation de la puissance de feu des katibas (compagnies) de l’ALN
qui y opèrent, les chars M24 s’y montrent indispensables pour soutenir et appuyer l’infanterie
par des tirs directs249.
La mise en service des automitrailleuses légères Ferret entraîne également un
changement de structure des quatre régiments qui en sont progressivement dotés. Le 21 août,
le 18e RD (Tébessa, ZEC) passe à trois escadrons de Ferret. Le 1er octobre, c’est au tour du 1er
RH (Tébessa, ZEC) qui reçoit en plus un escadron d’appui équipé de canons de 106 sans recul

245
Dans l’artillerie, un groupe correspond à un bataillon.
246
Le 1er RSM arrive du Maroc en juillet avec trois escadrons d’EBR et un escadron d’AM M8, qui devait, à
l’origine être équipé d’AMX 13.
247
Le 24e RD est affecté à compter du 1er octobre 1958 à la 20e DI.
248
SHD/Terre, 1 H 1349.
249
SHD/Terre, 1 H 2188.

95
(SR) sur jeep. Le 13e RD (Azazga, ZEA) adopte la même structure le 1er décembre. Ce que
fait, avec un peu de retard, le 12e RD (Tiaret, ZEC) le 1er janvier 1959. Il est prévu que tous
les régiments soient aérotransportables dans le cadre des DP ou de la force d’intervention,
sous réserve de la disponibilité en avions de transport.
D’une façon générale, le commandement recherche toujours une meilleure économie
des forces qui est absolument nécessaire, étant donné le caractère limité des ressources. Aussi,
lorsque le 2e bureau de la Xe RM demande à ce qu’un poste d’officier de renseignement (OR)
soit créé dans chaque escadron, celui-ci est confié à un chef de peloton qui, dans la plupart des
cas, n’est pas volontaire. En effet, les chefs de peloton ont bien conscience qu’ils n’ont ni la
compétence, ni l’expérience qu’un tel poste exige250. Ces nominations améliorent néanmoins
quelque peu l’efficacité de la collecte du renseignement, jusque-là exercée au niveau
régimentaire par l’officier des transmissions du corps, mais, rapidement, la tâche des OR
d’escadron se limite à confier les suspects arrêtés au 2e bureau du secteur ou au dispositif
opérationnel de protection (DOP) local (chargé des basses besognes du renseignement251)
lorsque celui-ci existe252. Certains ont même une conception très personnelle de leur fonction.
Alain Thiers, alors chef de peloton au 5e RSA, se rappelle que l’officier de renseignement de
son escadron n’a jamais arrêté ni interrogé personne. Il se contentait, pour exercer sa mission
d’OR, de faire courir de faux bruits pour tenter de semer la zizanie au sein de l’OPA mais
l’efficacité de cette méthode n’est pas mesurable253.
L’esprit d’économie des forces prévaut également lors de la création de nouvelles
unités qui est obtenu en fait par le regroupement de certaines unités déjà existantes. En avril,
le 31e RD est remis sur pied, avec les EEAC de la 2e DIM auxquels le peloton d’AMX est
retiré. Le régiment compte un ECS et quatre escadrons de M24254. L’ECS est créé à partir des
effectifs rendus disponibles par la dissolution de l’organe de commandement des EEAC de la
2e DIM et celle d’un escadron 107 du 4e RH. En juillet, le 23e RS est également remis sur pied
par le regroupement des 3e et 10e GESC. Tous les GE à cheval sont maintenant regroupés en
trois régiments. Cependant, le 23e régiment de spahis (ex-3e régiment de spahis marocains) est
le seul a conservé une organisation à deux groupes d’escadrons (GE) pour lui permettre de

250
SHD/Terre, 6 T 445.
251
Sur cette question, Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, août
2001, 575 p.
252
Témoignages de Raymond Noulens, OR au 3e escadron du 21e RS, et de Martial de La Quintinie.
253
Témoignage d’A. Thiers.
254
Les escadrons du 31e RD ne sont pas tout à fait sur le même pied. Le 1er escadron est à deux pelotons de chars
(5 M24 et un HT) et un peloton porté (2 obusiers M8, 2 HT et 6 jeeps), les autres à trois pelotons de chars (3 M
24, une HT, 3 jeep), un groupe d’appui (2 obusiers M 8) et une réserve (1 M 24 et 1 HT).

96
conserver ses deux pelotons d’AM et les moyens de transmission (six postes radio en tout) qui
paraissent indispensables255.
L’arrivée progressive en Algérie des régiments métropolitains, et de ceux du Maroc et
de Tunisie, apporte un renfort non négligeable aux troupes qui y opèrent. La mise en place des
barrages permet un tel transfert sans affaiblir le contrôle des frontières par le départ d’unités.
Il n’est maintenu dans chaque pays nouvellement indépendant qu’un régiment : le 22e RS256
au Maroc257 et le 8e RCA en Tunisie qui reste seul, après le départ du 4e RCA. Ce dernier est
affecté en juillet 1958 à la protection de la construction du gros pipe-line en renfort du 12e
RCA et du 21e RD, arrivés du Maroc respectivement en mai et en juillet258. Les régiments en
provenance de Tunisie et du Maroc sont réorganisés pour être mieux adaptés à leurs nouvelles
missions. En juillet, le 26e RD, passé du Maroc au Sahara au mois de janvier précédent, est
aligné à quatre escadrons 107. En novembre, avec la dissolution de son 4e escadron à pied, le
9e RCA (Batna, ZSC), passe à un escadron de M24 et deux escadrons d’AM M8. A la même
période, le 12e RCA (M’Sila, ZOC) intègre l’escadron d’AM M8 du 8e RCA qui lui était
détaché depuis juillet, et passe ainsi à un escadron de M24 et trois escadrons AM M8.
Au final, l’ABC compte, au 31 décembre 1958, 66 corps (dont le régiment école, mais
sans compter les CI). Les régiments présents en Algérie sont passés de 44 à 50. La proportion
des corps de troupe de l’ABC qui y sont stationnés est passée de 65,6 % en 1957, à 75,7 % en
1958. Il ne reste en Tunisie et au Maroc qu’un seul régiment (après la dissolution du 24e RS).
En revanche, il ne reste en France que trois régiments blindés, dont un régiment école, et neuf
en Allemagne. En outre, leur organisation a été perturbée par des mouvements d’effectifs
imprévus pour l’Algérie. L’engagement de la France aux côtés de l’OTAN est compromis, et
les Américains s’en inquiètent.
Les 50 corps d’Algérie présentent encore 18 types différents d’organisation, ce qui est
jugé excessif. A la fin de l’année 1958, il existe huit types d’escadrons en AFN (AM M8,
M24, EBR, AMX, Ferret, portés, montés et à pied). La Xe RM estime nécessaire le panachage
de ces matériels à l’intérieur des corps en fonction des besoins. Mais l’extrême diversité
qu’implique cette mesure se concilie mal avec l’uniformisation que l’inspection et l’EMA
appellent de leurs vœux. L’inspecteur espère que les réductions d’effectifs, en cours à la fin de
l’année 1958, permettront de donner à certains régiments une organisation mixte dont il attend

255
SHD/Terre, 1 H 1349.
256
Ex-2e régiment de spahis marocains. Bien que de tradition marocaine, ce régiment ne compte plus dans ses
rangs que des Français.
257
Le 21e RS, le 1er RCA, le 12e RCA, le 21e RD, le 26e RD et le 3e RH passent du Maroc en Algérie, le 24e RS
est dissous.
258
SHD/Terre, 1 H 1938.

97
une meilleure adaptation à leurs missions locales en Algérie et de plus grandes facilités pour
le maintien du niveau de formation des cadres.
Il obtient gain de cause pour les unités d’EBR dont le matériel est précieux et coûteux,
et dont dépend en grande partie l’avenir opérationnel de la cavalerie légère blindée (CLB).
L’entretien dans celles-ci demande du personnel spécialement qualifié et leur soutien exige
qu’elles restent groupées par régiment. Ces escadrons, qui font du coup exception à la règle,
sont impérativement regroupés dans des régiments par trois et, en aucun cas, un escadron
d’EBR ne peut être affecté isolément à un régiment comme c’est le cas pour ceux équipés
avec les autres matériels blindés. Cela s’impose également parce que les régiments d’EBR
sont destinés ultérieurement aux forces permanentes du plan à long terme qui prévoit 14
régiments EBR pour 1964. Or, il n’en existe, à la fin de 1958, que neuf, dont six sont en
Algérie. Les engins de ces derniers y sont soumis à des conditions d’emploi très sévères qui
exigent un entretien et un soutien attentifs sous peine de ruiner le matériel. Il est donc
essentiel pour ces unités de n’y affecter que du personnel formé dans les CI dotés d’EBR.
Mais, le TED des escadrons d’EBR, par l’absence de pelotons portés, se révèle
inadapté aux opérations menées en Algérie. En octobre 1958, les régiments sont donc tous
alignés à trois escadrons d’EBR à trois pelotons de cinq engins auxquels il est décidé
d’adjoindre un peloton porté pour adapter, autant que faire se peut, leur TED aux besoins de
l’Algérie, ce qui est déjà le cas pour ceux du 1er RSA. Cependant, les escadrons du 3e RCA,
parce que ce régiment est celui de reconnaissance de la 7e DMR, sont maintenus à trois
pelotons de quatre engins, sans peloton porté259. Il doit donc être fait appel aux nombreux
harkis dont dispose le régiment, pour en former et les répartir dans les escadrons.
L’articulation opérationnelle nécessaire peine donc à se concilier avec le respect des
TED prévus par les états-majors. Pour contourner la difficulté, tout en tenant compte des
circonstances liées aux opérations, il est parfois constitué des unités de marche. Mais si cette
solution donne satisfaction du point de vue tactique, elle se heurte cependant à des difficultés
liées au soutien administratif et logistique lorsqu’elle doit perdurer. A la fin du mois de
septembre 1958, le général Gilles, adjoint opérationnel du général commandant la Xe RM et
commandant du CAO, met sur pied un groupement opérationnel interarmes. Ce dernier inclut
un régiment blindé de marche qui est placé sous les ordres du colonel commandant le 12e RD.
Le recours à un régiment de marche lui permet de panacher des AM M8 et des EBR, ce qui est
exclu pour un régiment organique. Il comprend deux escadrons d’AM M8, l’un du 12e RD et

259
SHD/Terre, 6 T 445.

98
l’autre du 10e RD, et un escadron d’EBR du 2e RSA. Pour le soutenir, il lui est affecté la 186e
compagnie de réparation divisionnaire (CRD). Le régiment forme, au bout d’un mois, une
unité cohérente qui donne satisfaction dans l’exécution de ses missions. Aussi le général
Gilles souhaite-t-il prolonger son existence. Mais ce régiment connaît un taux important
d’indisponibilité de ses matériels qui laisse aux escadrons un nombre peu élevé de véhicules
de combat. En fait, lors de la mise sur pied de ce régiment de marche, non seulement les
pelotons, qui en composaient les escadrons, n’étaient pas complets, mais en plus on n’avait
pas jugé utile de lui adjoindre un 2e échelon B260. Or, la 186e CRD (3e échelon) ne peut
assurer que les réparations qui sont de son niveau. Les engins doivent être donc soutenus par
leur corps d’appartenance ce qui entraîne de gros délais de réparation261. Le général Gilles
souhaite donc qu’un atelier régimentaire soit désigné pour être détaché auprès de son régiment
de marche, mais cela revient à en priver un régiment, ce qu’aucun d’entre eux ne peut se
permettre. Entre outre, cela reviendrait à créer un régiment complet qui perdrait les avantages
qu’offre son caractère de régiment de marche. Fort de cette expérience de la constitution de
régiments de marche pour de longues périodes n’est plus reconduite par la suite. Seuls sont
constitués des groupements et des sous-groupements interarmes pour participer à des
opérations n’excédant pas quelques semaines.

13. Une réforme génératrice de désordres

Les dissolutions d’unités en Algérie et l’évacuation du Maroc ont entraîné une certaine
perturbation dans la répartition des renforts. Le système d’affectation des recrues est parfois,
de ce fait, le fruit d’une improvisation néfaste à la cohérence du système de relève. La
répartition des recrues instruites par les CI entre les corps a subi en 1958 de profondes
perturbations qui anéantissent les avantages du rattachement de chaque régiment à un CI.
Certaines recrues sont envoyées dans des régiments qui sont dotés d’un matériel sur lequel
elles ne sont pas formées et, encore une fois, ce sont les unités d’EBR qui en font le plus les
frais. Le problème vient du fait que, alors que la répartition des recrues est établie longtemps à
l’avance en fonction des prévisions initiales262, les plans de réorganisation et de dissolution
des unités sont parfois bouleversés dans des délais très courts. En mars 1958, le CI/6e RD

260
Le niveau d’entretien « 2e échelon B » est celui de l’atelier régimentaire (AR).
261
SHD/Terre, 1 H 2139.
262
Lorsque l’état-major de l’armée établit le plan Joinville VI et rédige l’arrêté de répartition du contingent
58/2/C, il doit déjà prendre en compte le fait que certains régiments ne devraient plus être alimentés à partir
d’avril 1959.

99
reçoit, avec un préavis de cinq jours, 150 recrues qui étaient prévues pour Hussein-Dey, car le
commandement des troupes au Maroc, a brusquement refusé l’entrée des recrues qui y étaient
dirigées. Elles ont donc été détournées vers l’Algérie après avoir été formées en France. Au
chef de corps du 6e RD qui demande quelles sont les spécialités dans lesquelles elles doivent
être formées, il est répondu d’en former 50% dans la spécialité ABC/portés, et 50% sur AMX,
sans plus de précisions. Pour les déterminer de façon un peu plus précise, seules les
propositions officieuses émanant de l’EM de la Xe RM sont prises comme guide. D’où une
certaine incohérence due au maintien de certains régiments que l’on croyait devoir être
dissous. Ces décisions ont des répercutions fâcheuses dans certains régiments dont
l’organisation se désagrège et dont la relève des spécialistes n’est pas satisfaisante263. Le chef
de corps du 2e RD s’en plaint dans ses rapports sur le moral en 1958, où il signale qu’ un seul
dépanneur lui est affecté en novembre alors qu’il en libère huit, et plus encore en 1959 où « le
régiment perdant onze dépanneurs à la libération de la 57/1/C n’a reçu qu’un dépanneur de
la classe 59/1/B en compensation »264.
Mais ce n’est pas tout, des facteurs structurels et conjoncturels conjuguent parfois
leurs effets au détriment de la satisfaction des besoins en personnel d’un corps. Au cours de
l’année 1958, le 6e RCA reçoit du personnel des six fractions du contingent 1957 en trois lots,
auxquels s’ajoutent des cavaliers de différents CI et même des aviateurs, sans que cela ne soit
prévu. Cela est dû au fait que ce régiment n’est alimenté qu’avec du personnel ancien et que
le corps parrain ne peut lui fournir d’éléments que dans la mesure de ses ressources. Les
besoins complémentaires sont forcément prélevés sur d’autres corps. En revanche, l’arrivée
d’aviateurs n’est qu’une mesure exceptionnelle qui est la conséquence de l’affectation à
l’armée de Terre de 10 000 aviateurs de la Xe RM issus des demi-brigades de fusiliers de l’Air
(DBFA), dissoutes du fait de leur trop faible capacité opérationnelle.

14. Une ressource en personnel d’active qui s’amenuise

Cet apport donne un peu d’air aux unités à pied et portées, mais uniquement pour
honorer des postes d’hommes du rang, voire de maréchaux-des-logis. En revanche la pénurie
d’officiers d’active se fait toujours sentir. En 1958, l’ABC compte 732 officiers supérieurs et
2 053 officiers subalternes d’active. La proportion de ceux qui servent en AFN se maintient
aux alentours de 58 % (58,5 % en 1957 et 58,2 en 1958). En Algérie, 307 servent dans des

263
SHD/Terre, 6 T 576.
264
SHD/Terre, 7 U 845*.

100
états-majors, 1 183 dans des corps de troupe et 303 dans les SAS. Leur relève, dont le système
s’est organisé progressivement, se fait dans des conditions satisfaisantes. La durée de séjour
en AFN est de 28 à 30 mois, le séjour en Europe entre deux de ces séjours est d’environ deux
ans pour les chefs d’escadrons et les capitaines, et de 18 à 20 mois pour les lieutenants et
sous-lieutenants. La réalisation de l’encadrement officiers des corps de troupes oscille
généralement autour des droits théoriques. Mais cette réalisation est plus apparente
qu’effective, car les TED ne tiennent toujours pas compte des absences ou de certaines
charges qui sont cependant irréductibles et qui mettent les corps en sous-effectifs permanents.
En Algérie, à la date du 1er novembre 1958, l’encadrement officiers des corps de
troupe de l’ABC accuse, dans les faits, un déficit d’officiers supérieurs (84% réalisés) et un
sureffectif en officiers subalternes (109,3 % réalisés). Celui-ci est dû essentiellement aux
excédents en officiers du contingent, qui sont alors recrutés massivement, et aux officiers de
réserve en situation d’activité (ORSA), mais ils sont loin de combler le déficit pratique
imposé par l’augmentation des missions de tous ordres confiées aux régiments (actions
psychologiques, officiers de renseignement (OR), dont le nombre augmente, encadrement des
harkas, EM de secteur, officiers détachés dans les SAS, etc.)265. En outre, vingt-sept officiers
de cavalerie sont encore affectés, en 1958, dans des unités d’infanterie et d’infanterie
aéroportée. L’inspecteur n’approuve toujours pas cette situation qui n’apporte à l’infanterie
que des appoints individuels, mais prive l’ABC d’officiers dont elle a un besoin crucial.
La situation des effectifs des sous-officiers d’active est encore plus préoccupante. Leur
proportion servant en Algérie est moindre que celle des officiers. Elle s’élève toutefois à 56,5
%. Cependant le corps des sous-officiers commence à s’épuiser du fait du départ prématuré
d’un nombre croissant d’entre eux. Ces départs ne sont pas le fait exclusif de la fatigue morale
et physique due à des séjours renouvelés en Extrême-Orient et en AFN. Un autre phénomène,
plus préoccupant, vient s’y ajouter. Les nombreux spécialistes de l’ABC trouvent facilement
dans le secteur civil des emplois stables et rémunérateurs pour lesquels ils sont
particulièrement qualifiés. Et ce, au cœur des « Trente Glorieuses », époque du plein emploi,
des grands travaux et de la reconstruction où les sociétés de BTP recherchent, notamment, des
conducteurs d’engins. C’est ainsi que de 6 794 au 1er janvier 1958 le nombre des sous-
officiers est passé à 6 548, au 31 décembre. Cela représente une perte de 246 hommes sur un
an, chiffre qui porte le déficit pour l’ABC à 479, pour un effectif théorique de 7 027.

265
SHD/Terre, 31 T 9.

101
Ces départs ne seraient pas trop préjudiciables s’ils étaient compensés par un volume
de recrutement équivalent. Or le recrutement des sous-officiers d’active s’amenuise de façon
alarmante. Les carrières, qui leur sont proposées, ne semblent pas très attractives pour des
raisons de rémunération et de blocage de l’avancement. Ce blocage est dû à une disposition
administrative dont le commandement avait mal mesuré les effets. La base de la pyramide des
grades est étranglée par le volume trop élevé de sous-officiers du contingent imposés aux
corps par une DM de septembre 1956. Et comme le volume des maréchaux-des-logis-chef
(MDC) et des maréchaux-des-logis-major-majors (MDL-majors) (qui sont obligatoirement
ADL) est plus élevé que celui des maréchaux-des-logis ADL d’où ils proviennent, il est
manifestement impossible de combler le déficit qui, au 31 décembre 1958, se monte à près de
383 MDC et 130 MDL-majors. Devant une carrière aussi bouchée, il n’y a pas un sous-
officier du contingent, même passionné par le métier des armes, qui puisse être tenté de
rengager à moins d’être conquis par les parachutistes, où ils sont attirés par la tenue, les
chaussures et le béret portés dans ces unités266, et où « par surcroît on dispose des meilleures
armes, des meilleurs postes radio, d’un encadrement pléthorique, qu’on est transporté par
des moyens modernes et qu’on touche aussi une prime augmentant considérablement la solde
à chaque fin de mois »267.
Ce sous-effectif n’est pas compensé par la promotion de sous-officiers PDL dont le
nombre est lui aussi trop peu élevé. Les CI s’efforcent de former des gradés valables comme
moniteurs. Les cours de pédagogie ont été développés à cet effet. Mais ces sous-officiers
n’atteignent tout leur rendement qu’au moment de leur départ pour l’AFN où ils donnent, du
reste, généralement satisfaction. Cependant la plupart auraient besoin d’être encore conseillés
sur le plan « formation » par de sous-officiers ADL anciens, qui sont de plus en plus rares et
souvent désabusés, ce qui ne les pousse pas à se soucier de la formation des plus jeunes. En
outre, pour préserver le taux d’encadrement des CI, il est décidé que les maréchaux-des-logis
du contingent qui sont moniteurs des CI, ne seront envoyés en Algérie qu’au bout de 18 mois
de service au lieu de 14. Cette mesure est jugée nécessaire pour conserver des MDL du
contingent de qualité comme instructeurs et pallier en partie le manque de ressource en
appelés aptes à devenir sous-officier. Mais la conséquence en est un déficit non négligeable en
MDL du contingent en AFN.

266
C’est de cette période que date la généralisation du port du béret en toile beige dit « Gurkha » dans les unités
de l’ABC en Algérie. Le bonnet de police kaki, qui n’est jamais porté, ayant été jugé disgracieux et peu
confortable, est retiré du service.
267
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 701/5°DB/CAB/S du 25 novembre 1958, du général commandant la 5e DB.

102
Les efforts consentis pour le combler semblent couronnés de succès, au moins
partiellement en 1959. Le 1er mars, le taux de satisfaction des TED passe de 65%268 à 90%.
On compte alors 2 026 MDL du contingent sur un effectif théorique de 2 224. Mais la
réalisation du volume théorique de sous-officiers PDL se heurte, elle aussi, à un certain
nombre d’obstacles. L’insuffisance quantitative et qualitative des contingents ne permet pas
de trouver le volume nécessaire de gradés PDL, d’autant plus que les meilleurs sont
facilement orientés vers les EOR dont le volume s’accroît. Ainsi il est impossible, dans un
régiment type 107, de réaliser la proportion de deux gradés pour cinq recrues FSE, comme le
prévoit la DM de septembre 1956, selon laquelle il faut trouver 50 MDL et 136 brigadiers-
chefs et brigadiers, soit 186 gradés, sur les 450 FSE d’un recrutement dont la moyenne est
souvent jugée médiocre. En outre, selon la réglementation alors en vigueur, les sous-officiers
PDL ne peuvent être nommés qu’au bout de 10 mois de service et doivent partir pour l’AFN à
leur quatorzième mois de service. De sorte qu’ils ne peuvent appartenir qu’à deux
contingents. Or chaque contingent ne donne dans un corps que sept à huit candidats valables.
Il en résulte que le TED ne peut jamais être honoré qu’à 50 % de sous-officiers PDL dans les
corps d’Europe, si ceux qui instruisent des recrues ne pouvaient obtenir des sursis de départ
pour leurs sous-officiers PDL instructeurs. Quant aux nominations effectuées en Algérie, elles
sont limitées par les multiples activités qui empêchent de former convenablement un volume
important de candidats. Il en résulte que dans tous les corps de l’ABC, l’effectif en sous-
officier PDL souffre d’un énorme déficit dû en partie à la rigidité de la réglementation dans
un contexte où la qualité du recrutement reste très inégale.
La faiblesse de cette qualité provoque une gêne de plus en plus accusée dans
l’ensemble de l’ABC. Les ressources en spécialistes sont nettement insuffisantes pour
satisfaire les besoins des corps, tant blindés qu’à pied. Et lorsque, après la sélection à
l’incorporation, on a extrait de chaque contingent les EOR potentiels, les moniteurs, les
qualifiés « équipage blindé » (tireurs et pilotes) et quelques spécialistes (mécaniciens, radios,
électroniciens auto, etc.) il ne reste, pour occuper les postes de conducteur et de cavalier porté,
que des éléments parmi les plus médiocres. Les inaptitudes physiques viennent encore
aggraver cette situation et provoquent, en Algérie, des creux d’effectifs dans les corps
opérationnels. Le 25e RD, qui semble être l’un des régiments les plus concernés, compte en
mars 1958, 78 inaptes opérationnels sur un effectif total de 666 sous-officiers et troupe. Les
chefs de corps pensent que la faute en incombe aux centres de recrutement qui, selon eux, ont

268
Le 1er novembre 1958, il n’y a en Algérie que 1 403 sous-officiers PDL pour un effectif théorique de 2 161.

103
tendance à surévaluer les recrues. Ils exigent pour remédier à ce problème que des contrôles
plus détaillés et plus précis soient effectués lors des opérations de sélection. Il est donc décidé
de ne plus affecter les recrues nominativement à un régiment pour permettre aux CI de les
répartir eux-mêmes dans les différentes spécialités selon les besoins réels des corps de
troupe269.

II. Le succès en demi-teinte d’une ébauche de réforme

Trois ans après le déclenchement de la guerre d’Algérie, l’ABC peine toujours à faire
face. Les effectifs, malgré l’arrivée des régiments de Tunisie et du Maroc, paraissent toujours
insuffisants, tant en quantité qu’en qualité. Les désordres, provoqués par une montée en
puissance très rapide mais selon des plans de mobilisation peu adaptés à la situation, ne sont
que très partiellement résorbés. Les tentatives effectuées pour y mettre fin apportent même
parfois plus de confusions encore (échanges d’escadrons entre les régiments, problèmes
d’alimentation en recrues, etc.). Comme cela est évoqué plus haut. La volonté de remise en
ordre se heurte surtout à des dissensions qui commencent à apparaître entre les différents
acteurs. Les gestionnaires de France veulent des structures clairement définies pour assurer le
soutien administratif et logistique, alors que les échelons locaux souhaitent, au contraire, des
structures adaptées à leur situation tactique particulière. Ils sont surtout gênés par le maintien
imposé des TED/G qu’implique la mise en place des matériels modernes (EBR et AMX), alors
que le TED ABC 021 est unanimement approuvé. Les solutions adoptées localement pour
contourner cette difficulté ajoutent encore leur part de confusion. Il ressort qu’à la fin de
l’année 1958, l’organisation des 50 régiments de l’ABC en Algérie, qui comporte 18 types de
structures, est loin d’être satisfaisante. Ce manque d’homogénéité, dû au fait qu’au cours des
trois années écoulées depuis le début de la guerre, des unités ABC de provenances et de
structures très diverses ont été envoyées en Algérie pour parer au plus pressé, commence à
être particulièrement préjudiciable au plein emploi de cette arme.
Cette situation n’est pas satisfaisante à plus d’un titre. En plus des problèmes déjà
évoqués, se pose en 1959 celui des relèves internes de l’Algérie, notamment sur les barrages
où elles s’avèrent indispensables étant donné l’usure du personnel et du matériel des unités

269
SHD/Terre, 6 T 576.

104
qui y opèrent depuis plusieurs mois. Or, le fait que les régiments n’aient pas la même
composition rend cette opération, sinon impossible, du moins difficile.
Une uniformisation rapide est donc jugée indispensable non seulement pour des
questions de soutien, mais également pour des questions d’emploi. Mais elle se heurte à deux
difficultés. D’une part, elle ne doit pas conduire à la constitution de régiments
« incommandables » de par le volume excessif et la diversité de leurs escadrons. D’autre part,
elle ne doit conduire à aucune augmentation des effectifs : il s’agit en fait d’obtenir une
meilleure économie des moyens avec la même ressource humaine fournie par les plans Victor.

21. Une première réduction du nombre des régiments pour économiser des
postes

Les problèmes d’effectifs restent toujours au cœur des préoccupations des chefs de
l’ABC. La durée du conflit commence à peser lourdement y compris pour la relève des chefs
de corps qui commencent à devenir une denrée d’autant plus rare que le commandement ne
souhaite pas qu’ils soient trop âgés. Bien que la tendance au rajeunissement dans les grades
constatée an 1958 commence aussitôt à s’estomper, ce vœu est réalisé dans l’immense
majorité des cas puisque 61 des chefs de corps de l’ABC, sur 73, sont considérés comme des
lieutenants-colonels jeunes ou relativement jeunes. Mais la relève reste difficile à organiser, il
arrive souvent que certains régiments se retrouvent sans chef de corps attitrés entre le départ
de l’ancien et l’arrivée du nouveau. La vacance du poste peut même durer plusieurs mois. En
septembre 1959, la Xe RM s’en émeut, un effort est donc consenti dans ce domaine, mais il
n’est pas rare qu’un officier commande deux régiments l’un après l’autre, comme le colonel
Giraud, qui commande successivement le 4e RH puis le 23e RS, le colonel Branet qui fait de
même avec les 5e puis 6e RS, ou encore le colonel Buis qui, après avoir commandé le 5e RH
en Allemagne, prend celui du 8e RS en Algérie.
L’IABC s’efforce de conserver au maximum sa ressource humaine et de la disperser le
moins possible pour l’exécution de missions qui ne sont pas celles de son arme. Cependant,
les officiers qui en ont l’aptitude sont toujours incités par lui à rejoindre l’ALAT. On y voit
l’avenir de l’ABC. Mais, pour limiter la charge que représente la présence d’officiers de
cavalerie dans l’ALAT, l’IGABC demande à ce qu’ils y interrompent leur détachement pour
effectuer des temps de commandement dans l’ABC, quitte à retourner, par la suite dans
l’ALAT.

105
De prime abord, la situation des effectifs des sous-officiers semble s’améliorer. Leur
nombre augmente et atteint le chiffre de 6 737 en décembre 1959. Mais cette augmentation ne
suffit pas à rattraper celle de l’effectif théorique qui passe de 7 018 à 7 225 avec la création
d’unités territoriales d’un nouveau type imposée par la Xe RM. Le sous-effectif est donc de
488 et les départs continuent à dépasser largement les entrées. La situation est donc plus grave
qu’il n’y paraît. Le nombre des sous-officiers servant en Algérie (53,5 % du total) a diminué
de 275 et l’effectif théorique n’est réalisé qu’à hauteur de 91 % (70 % pour les FSNA). Le
respect de la règle qui veut qu’un sous-officier serve en Algérie pour une durée de 2 ans tous
les 30 mois en moyenne, limite les possibilités de relève de ceux qui quittent le service. Ce
nombre reste toujours très élevé chez les plus anciens et, comme aucune mesure concrète n’a
été prise pour enrayer le phénomène, tout porte à croire qu’il perdura. La situation qui
commence à se créer en Algérie fait planer une sérieuse menace sur l’avenir du cadre des
sous-officiers de l’ABC. Du reste, en 1959, « l’amenuisement progressif, en nombre et en
qualité, du cadre des sous-officiers de carrière [est] constaté par presque tous les chefs de
corps »270. Pour maintenir à un niveau acceptable l’effectif des sous-officiers en Algérie, le
commandement n’a d’autre choix que de ponctionner les régiments stationnés en Europe ce
qui entraîne un sentiment d’injustice chez le personnel qui doit retourner en Algérie avant leur
tour et les incite encore plus à quitter le service.
Avec l’arrivée des classes creuses, dont la qualité est jugée médiocre, la pénurie de
sous-officiers de carrière est loin d’être compensée par l’apport des sous-officiers PDL. Le
tableau d’effectif est pourtant honoré à 100 %, mais cela se fait au prix d’un déficit
considérable des corps des FFA qui sont sacrifiés pour faire face aux besoins de l’Algérie. La
plupart des sous-officiers du contingent y sont affectés après 14 mois de service, alors qu’ils
commencent à être efficaces dans leur grade.
La situation des effectifs de la troupe est également préoccupante. Il existe en
permanence un sous-effectif pouvant aller jusqu’à 140 personnes à certaines périodes pour un
régiment. Ces déficits sont souvent comblés avec du personnel en provenance d’autres
régiments voire d’autres armes qui n’ont pas toujours les qualifications requises. La situation
est due généralement à des problèmes de gestion des renforts ou parfois d’organisation
décidée localement sans droits ouverts supplémentaires. C’est le cas du commando du 4e RD
qui n’a pas d’existence officielle et dont l’alimentation en personnel par le régiment entraîne
un sous-effectif dans les autres unités élémentaires271.

270
SHD/Terre, 31 T 9.
271
L’existence de ce commando est reconnue officiellement en juillet 1959.

106
A l’occasion des réductions d’effectifs du début de l’année 1959272, des économies
sensibles sur les frais administratifs sont réalisées. La réduction du nombre de corps présents
en Algérie permet la réduction du volume des ECS, sans diminution du nombre des escadrons
blindés qui sont répartis dans les autres régiments. En revanche, le nombre d’escadrons 107
baisse sensiblement pour permettre d’honorer des postes qui sont en passe d’être créés.
Le 31 janvier 1959, le 21e RD (ZOC - trois escadrons 107), le 24e RD (ZNC - trois
escadrons 107) et le 4e RCA (ZOC - un escadron sur M24 et deux sur AM M8) sont dissous.
Les escadrons du 21e RD sont affectés aux 9e et 12e RCA, le personnel de ceux du 24e RD est
réparti dans d’autres régiments dont le 21e RS, un escadron passe au 4e RCC et un autre au 9e
groupe d’escadrons de spahis algériens (GESA) où il doit être transformé en escadron monté
(TED ABC 022), ce qui permet, le 1er août, de transformer ce GE en régiment. L’escadron de
M24 du 4e RCA est affecté au 4e RCC, un escadron d’AM au 29e RD et l’autre au 18e RCC.
Le chef de corps de ce dernier décide de répartir les AM dans les quatre escadrons 107 que
compte alors son régiment, le 5e escadron n’existe en fait que sur le papier. Ces permutations
entraînent parfois la reconversion d’une partie du personnel qui est envoyée en stage pendant
parfois plusieurs semaines, ce qui limite la capacité opérationnelle des nouvelles unités
pendant un laps de temps plus ou moins grand.
Le 1er février, c’est au tour du 4e RH (ZEC - trois escadrons 107) d’être dissous. Deux
de ses escadrons passent au 31e RD qui reprend l’appellation du 4e RH le 1er avril. Le 31e RD,
qui compte quatre escadrons de M24, en donne un au 6e RC et se retrouve avec trois
escadrons de M24 et deux escadrons 107. Le 6e RC, quant à lui, se retrouve aligné à deux
escadrons d’AM M8, deux escadrons M24 et un escadron 107. Dans les faits, le chef de corps
répartit les AM et les chars dans les différents escadrons blindés qui se retrouvent quasiment
sur le même pied.
Le 1er mai, le 8e RCC qui opère dans l’Ouarsenis est également dissous. L’un de ses
escadrons d’AM M8 est affecté au 28e RD, l’autre, ainsi que l’escadron M24, au 5e RS. Cette
solution permet non seulement de conserver les escadrons sur leurs emplacements où ils
conservent leurs charges territoriales, mais également de laisser à la disposition de la ZOA
deux escadrons blindés mixtes de zone qui sont implantés au centre de celle-ci. Les ateliers
passent au 5e RS, régiment monté qui n’en dispose pas et qui devient un régiment hybride.
Cependant, aux yeux du commandement, il ne s’agit nullement d’un retour du cocktail
avoine/gasoil car les engins blindés ne doivent pas manœuvrer avec les pelotons montés, sauf

272
Entre mars et avril 1959, 559 postes sont récupérés pour l’ensemble de l’armée de Terre en Xe RM.

107
pour leur apporter ponctuellement un appui feu. Il n’en demeure pas moins vrai que le
régiment devient plus difficile à administrer par le chef de corps et ses chefs de service.
Ce résultat est en fait en partie dû aux conflits d’intérêts des différents échelons de la
hiérarchie qui ont déjà été évoqués. Les décisions sont souvent le résultat de compromis qui
ménagent les exigences de Paris, celles de la Xe RM et celles des commandements locaux qui
veulent surtout avoir des structures leur permettant de répondre à leurs besoins opérationnels
immédiats. Pour les régiments étrangers, il faut en plus compter avec le commandant de la
Légion étrangère (COMLE) de Sidi-Bel-Abbès, qui, lui aussi, a ses exigences. Le 3 avril, il
estime que les deux régiments étrangers de cavalerie sont alignés sur des TED ne
correspondant ni aux possibilités d’encadrement de leurs ECS ni à leurs conditions d’emploi.
Il souhaite les voir passer à quatre escadrons, dont un porté, car il pense que le nombre de
cavaliers portés est insuffisant au 1er REC et indispensable au 2e REC qui, employé dans la
zone particulièrement sensible de l’Atlas saharien, souffre d’autant plus de cette carence, que
son 2e escadron mis à la disposition du 1er REP pour l’opération de Suez ne lui a pas été
rendu. Le COMLE pense pouvoir disposer de suffisamment d’effectifs en les prélevant au 1er
RE chargé de la mise en œuvre de l’escadron amphibie d’Arzew. Cette unité est dotée
d’engins amphibies LVT273 et a pour mission le transport du bataillon amphibie de la force
d’intervention. Or, non seulement cette unité n’est pas employée, mais en plus ces matériels,
qui sont simples d’emploi, ne nécessitent pas, pour leur mise en œuvre, du personnel d’active
qui serait mieux employé à des missions opérationnelles. Il propose donc que la Marine
prenne cette mission à son compte et en libère le personnel de la Légion. Mais entre-temps, la
décision de confier cet escadron aux troupes de Marine tombe le 9 avril 1959, alors que le
COMLE semble ne pas avoir été informé de ce projet274. Le 1er novembre est créé l’escadron
amphibie des troupes d’outre-mer (TOM) par changement d’appellation de l’escadron
amphibie du 2e REC, cette relève s’effectue progressivement jusqu’au 1er janvier 1960 et
permet la création de nouveaux escadrons portés des REC. Le 1er novembre au 1er REC275 et
le 6 janvier 1960 au 2e REC276.

273
Landing vehicle tracked. Il s’agit d’engins armés de transport amphibie de construction américaine
274
SHD/Terre, 1 H 2139.
275
En fait, le 1er REC passe en théorie à quatre escadrons d’EBR TED 021, mais un escadron porté à quatre
pelotons est créé en regroupant les pelotons portés des escadrons blindés. En outre, le régiment détache à
l’escadron d’instruction ABC du 1er RE des matériels pour former son futur personnel issu du groupement
amphibie.
276
Décision du 15 octobre, SHD/Terre, 6 T445.

108
22. Des nouvelles contraintes d’emploi qui bousculent les plans

Une autre contrainte est liée à la mise en place d’un nouveau dispositif en Algérie,
dans le cadre des directives du général Challe, commandant en chef en Algérie, qui prévoit la
création d’unités dont les missions seraient exclusivement territoriales pour en libérer les
unités opérationnelles. Toutes les armes doivent fournir des effectifs pour constituer ces
nouvelles unités. Pour sa part, l’ABC doit fournir cinq compagnies de commandement de
secteur. Entre avril 1959 et le début de l’année 1960, les compagnies de commandement des
secteurs de Duperré (ZOA), d’Aïn-Taya (ZNA), d’Azazga (ZEA)277, d’Inkermann et de
Lafayette (ZOC) sont créées et armées par l’ABC. Ces secteurs sont dits « d’obédience
ABC ». Les unités élémentaires sont appelées officiellement compagnies, mais la tradition
aidant, elles ne sont désignées que sous le nom d’escadrons par leur personnel.
Pour trouver les effectifs nécessaires à la création de ces nouvelles unités, les deux
dernières brigades de cavalerie (5e et 10e) sont dissoutes ainsi que quelques unités 107. Le 4e
RH est dissous le 1er février 1959 à Barral278. Le 16 mars, c’est au tour du 7e RH (Zeriba) dont
les escadrons de combat passent au 19e RCC, son ECS sert à former l’escadron de
commandement du secteur d’Aïn-Taya. Celui du 8e RCC devient escadron de commandement
du secteur de Duperré. Celui de la 5e brigade de cavalerie, dissoute le 31 mars 1959 à Bosquet
(Oran), devient le 1er avril 1959 l’escadron de commandement du secteur d’Inkermann. Enfin,
celui de la 10e brigade de cavalerie à pied, dissoute le même jour à Kerrata, devient le 1er avril
1959 l’escadron de commandement du secteur de Lafayette.
Un autre type d’unité territoriale est également créé. Il s’agit d’unités opérationnelles
qui doivent mener des actions sur les populations, soutenir l’action des SAS et maintenir une
pression active contre le rétablissement des bandes grâce à leur commando de chasse de
secteur. Elles prennent le nom de compagnies de support de quartier de pacification (CSQP).
Il est prévu de les regrouper dans les bataillons de pacification ou, dans des cas exceptionnels,
de leur laisser leur autonomie. L’ABC doit également contribuer à ce projet. Le 1er octobre,
elle met sur pied la compagnie de support de quartier de pacification (CSQP) isolée de

277
La création de cette compagnie permet de libérer le 13e RD de ses charges territoriales et de rejoindre sa DP
comme le réclament depuis longtemps ses chefs de corps successifs.
278
Ces traditions sont reprises par le 31e RD qui en reprend l’appellation le 1er avril 1959 à Bordj-Bournazel.

109
M’Chira (ZNC)279 et surtout, le 1er décembre, le bataillon de secteur pacification d’Inkermann
qui reprend les traditions du 9e RCA280.
Ce bataillon de secteur est formé à partir du IIe bataillon du 93e RI, qui est commandé
par un officier d’artillerie, et de l’escadron de secteur d’Inkermann qui vient d’être créé. Ce
bataillon, dont le TED porte le nom d’INF 143, est composé d’un état-major, d’un escadron
de commandement de secteur, de quatre escadrons de support de quartier de pacification281 et
du commando de chasse n° 51 d’Inkermann (150 hommes) qui forme son 5e escadron. Il
s’agit d’une unité expérimentale dont le type devrait être appelé à se développer.
Les résultats obtenus par ces deux vagues de réorganisation ne sont pas toujours très
heureux. Certains corps se retrouvent dans une situation délicate suite à cette réorganisation.
Le 4e RH, qui compte cinq escadrons ne peut plus les soutenir avec son ECS réduit. De plus,
ses escadrons blindés, tels qu’ils sont constitués, ne possèdent pas suffisamment d’éléments
portés et doivent être renforcés en permanence par des soutiens prélevés sur d’autres unités282.
Avec la dissolution du 7e RH, le 19e RCC se retrouve à sept escadrons (trois sur le TED ABC
021 et quatre sur le TED INF 107) ce qui, non seulement, pose des problèmes de soutien pour
l’ECS, mais en plus gène les opérations car les postes radio n’ont pas les mêmes gammes de
fréquences : les escadrons 107 sont équipés de SCR 300 et 694, alors que l’ECS/TED ABC
021 dispose de 506 et 508283.
Les nécessités opérationnelles, qui sont parfois mal évaluées ou très changeantes,
entraînent, au cours de l’année, d’autres permutations. Le 4e RCC doit être libéré de ses
charges territoriales pour être envoyé sur le barrage-est, mission pour laquelle, ces deux
escadrons 107 ne se justifient plus. Le 9e RH en réclame un, mais, comme ce régiment
n’appartient pas au même corps d’armée, le 5e escadron du 4e RCC, qui est celui qui venait du
24e RD, passe au 9e RS le 1er décembre. En moins d’un an, après avoir été un escadron à pied,
puis un escadron que l’on commence à transformer en escadron porté, cet escadron finit
l’année comme escadron monté. Le 4e RCC, quant à lui, part sur le barrage avec son autre
escadron à pied. Il y relève le 6e RC qui lui laisse le commando L 42 de La Calle. Pour des

279
Cette unité est dissoute le 1er septembre 1961 dans le cadre de gains de 5 000 postes au CAC. Elle est relevée
par un escadron du 30e RD.
280
Le nom du 9e RCA est vacant car, le 1er avril 1959, le 9e RCA est devenu 4e RCA. Pour des raisons
historiques, l’inspecteur de l’ABC a estimé que le 4e RCA, dissous en janvier, ne devait pas disparaître car, outre
le fait qu’il porte la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre 14/18, son nom jouit d’un réel prestige dans
l’Arme.
281
L’ESQP de Renault avec renfort pour trois SAS, l’ESQP d’Inkermann avec renfort pour quatre SAS, l’ESQP
de Ramka avec renfort pour deux SAS et l’ESQP de Ammi Moussa avec renfort pour deux SAS.
282
SHD/Terre, 1 H 1349.
283
SHD/Terre, 6 T 445.

110
raisons d’emploi, le chef de corps décide alors de répartir ses cavaliers à pied dans les
escadrons blindés, l’escadron 107 n’existe donc plus que sur le papier.

23. L’ABC, une arme dont l’emploi est toujours dévoyé

L’effet rechercher initialement, qui est l’uniformisation des corps, semble perdu de
vue pour répondre, dans l’urgence, à des situations inattendues. En outre, alors que le nombre
des unités 107 diminue, à la grande satisfaction de l’inspecteur, il lui faut accepter de
détourner ses effectifs des missions de combat blindé pour assurer des missions statiques et ce
n’est que contraint et forcé qu’il s’y soumet, tout en faisant état de ses vives réticences284.
Ses doléances continuent à porter également sur le fait que les besoins opérationnels
de l’Algérie, occultent de plus en plus ceux de la défense de l’Europe. Il rappelle dans un
rapport que l’ABC, pour remplir ses trois missions (renseigner, couvrir et combattre en liaison
avec les autres armes) doit disposer de trois types d’unités : des unités de reconnaissance
équipées de blindés à roues (EBR et AM), les unités de chasseurs de chars (pour assurer la
couverture) équipées d’AMX et des unités de chars de bataille285. Mais aucune évolution
majeure allant vers cette organisation n’est constatée, et les faibles moyens accordés aux
régiments qui ne sont pas totalement accaparés par la préparation de recrues destinées à
l’Algérie, ne permet toujours pas de dépasser le stade des études et des projets. L’exécution
des missions prévues en cas de conflit européen est fortement compromise car les unités
auxquelles elles sont normalement confiées sont réduites à l’état de squelette comme la 5e DB
et la 7e DMR qui ne sont plus que des unités de quadrillage. Face à cette carence, quatre
divisions d’infanterie opérant en Algérie sont officiellement affectées à l’OTAN286, ce qui
entraîne des contraintes organiques pour les régiments de l’ABC inscrits sur leur ordre de
bataille.
En outre, les régiments équipés d’EBR et d’AMX doivent être tous aptes à opérer sur
d’autres théâtres dans le cadre de la force terrestre d’intervention (FTI)287. Le commandement
veille donc toujours à ce que les escadrons équipés de ces matériels ne soient pas mélangés à
des escadrons équipés avec d’autres types d’engins blindés. L’IABC se refuse toujours, pour
régler le problème du manque de cavaliers portés dans les régiments d’EBR, à former des
régiments mixtes EBR/portés. Le 3e bureau de l’EMI aurait pourtant voulu échanger quelques
284
SHD/Terre, 31 T 9.
285
Id.
286
20e DI (2e et 27e RD), 2e DIM (16e RD et 4e RH), 4e DIM (30e RD et 1er RS) et 11e DI (21e RS).
287
SHD/Terre, 1 H 2133.

111
half-tracks des 25e et 28e RD contre des EBR du 8e RH et du 21e RS pour former quatre
régiments identiques. Mais cette proposition est rejetée. A la raison de la libération rapide des
régiments d’EBR si leur intervention en Europe s’avérait nécessaires, s’en ajoute une autre :
les deux matériels sont jugés « de pied trop différent »288 pour pouvoir être jumelés dans un
même escadron. C’est la raison pour laquelle les pelotons portés des escadrons EBR sont
dotés de Dodge 6 x 6 prélevés sur les excédents dus à la réorganisation des troupes en
Algérie. Ce qui est également le cas de certains pelotons portés des escadrons ABC 021. Et
ce, du fait du manque de half-tracks disponibles ou du type de terrain sur lequel ils opèrent
qui parfois se prête mieux aux véhicules à roues qu’aux engins chenillés, comme c’est le cas
dans les confins sahariens par exemple.
Pour accroître le nombre des portés, qui est limité par les TED « Europe » à un seul
par escadron, il est fait souvent appel à des supplétifs. Au 3e RCA, où aucun peloton porté
n’est prévu par le TED, ils sont exclusivement formés dans chaque escadron par la harka dont
ils sont tous pourvus. En outre, le régiment met sur pied en avril 1959 le commando Typhon-
K42 d’Aïn-Taya. Ce commando, composé de harkis, constitue en fait un escadron à pied
supplémentaire. En juillet, lors du déplacement du 3e RCA sur le quartier de Bekkaria (ZEC)
dont le chef de corps prend le commandement, il laisse la plupart de ses harkis sur place mais,
en octobre, le commando Chimère-V 48 de Tébessa lui est affecté.
Au 21e RS, une solution mixte est trouvée. Non seulement, le 4e escadron (AM M8)
devient un escadron à pied289, le 1er janvier, grâce à l’apport du personnel d’un escadron du
24e RD dissous, mais en plus il est fait appel à des harkis pour former un deuxième escadron à
pied. Cet escadron, qui porte le n° 5, est formé le 10 mai 1959. Pour l’encadrer, un escadron
107 « cadre 69 »290 est officiellement créé. La troupe est constituée de harkis provenant de
l’élément opérationnel du sous-quartier de Condé-Smendou. Dans les faits, les quatre
escadrons de combat sont sur le même pied : un peloton de commandement, un peloton
d’échelon, deux pelotons blindés, un peloton porté sur jeep et un peloton à pied. L’ECS a un
peloton de combat à pied car une partie des 450 harkis que compte le régiment sont répartis
dans les escadrons.
Mais la proportion d’engins blindés par rapport aux éléments de soutien porté est
jugée encore trop importante. Cette disproportion a pour conséquence une trop grande
dispersion des moyens. Comme aucun secteur n’a besoin d’un régiment à 60 engins blindés,

288
C’est dire qu’il existe trop de différences entre leurs capacités techniques.
289
Le retrait des dernières AM M8 du régiment est dû à l’impossibilité de constituer des régiments mixtes
EBR/AM M8 ou EBR/M 24 (cf. infra).
290
C'est-à-dire un escadron qui n’est composé que de 69 cadres, sans homme de troupe.

112
les régiments sont éparpillés dans les zones, tout comme les bataillons qui doivent leur fournir
le soutien d’infanterie. Les escadrons échappent au contrôle opérationnel de leur chef de corps
ce qui se traduit par un mauvais emploi et surtout une usure anormalement prématurée des
matériels. Ce sont surtout les EBR qui sont concernés par ce phénomène. Certains parmi eux
parcourent parfois jusqu’à 1 200 km par semaine pendant des périodes pouvant aller jusqu’à
deux mois de suite. Les engins conservés aux ordres des chefs de corps ne parcourent en
revanche qu’environ 500 km même si le secteur est plus difficile. En fait, les commandants de
secteur n’appartenant pas à l’ABC usent les engins qu’ils ont à leur disposition dans des
missions d’escorte, là où un chef de secteur cavalier n’utilise que des jeeps armées en
conservant une réserve blindée, ce qui lui permet d’économiser le potentiel kilométrique de
ses engins. Mais les situations sont parfois surprenantes, comme celle de ce chef de corps de
cavalerie qui a dans son quartier un escadron blindé d’un autre régiment, alors que l’un des
siens est détaché dans un quartier voisin. Dans une autre zone, le chef de secteur a prélevé sur
un corps un officier pour en faire son « conseiller ABC » car il a à sa disposition trois
escadrons blindés de trois régiments différents dont, en fait il doit faire un régiment marche
pour lequel il n’a de structure ni de commandement, ni de soutien. Avec l’arrivée du général
de Rouvillois en septembre 1959, le commandement de l’ABC d’Algérie devient une
inspection, ce qui permet au nouvel inspecteur de circuler plus librement dans les CA pour
veiller à éviter ce genre de situation291. Mais son action n’est pas suffisante et le mauvais
emploi qui est fait des unités de l’ABC pousse l’IGABC à demander la remise en place d’un
colonel adjoint ABC auprès des commandants de CA dont le poste avait été supprimé en 1958
pour des raisons de réduction d’effectif292. Son rôle consiste à suivre tous les régiments ABC
stationnés dans la zone de responsabilité et surtout à étudier et à proposer les modifications de
dispositif qui lui paraissent nécessaires.
La situation des unités 107 préoccupe également l’inspecteur qui voudrait bien leur
voir attribuer des moyens de transport blindés supplémentaires. Ces unités sont tellement
démunies d’engins blindés qu’elles prennent des risques jugés excessifs. Elles opèrent la
plupart du temps dans des zones montagneuses et sont de ce fait contraints de s’articuler par
pelotons, quand ce n’est pas groupes, pour assurer la présence militaire et le quadrillage.
Leurs postes, du fait de la faiblesse de leur garnison, sont très vulnérables même si aucun ne

291
A partir de cette date, l’inspecteur de l’ABC d’Algérie inspecte les régiments de l’ABC stationnés en Algérie.
Ses rapports sont consultables dans le carton n° 1 H 1909 au SHD. Avant septembre 1959, en revanche, les
archives du commandement de l’ABC en Algérie sont très réduites.
292
Jusqu’en 1958, il existe un commandant de l’ABC dans chaque état-major de division et de CA. Ils sont
supprimés au même moment.

113
s’est encore trouvé dans une situation difficile. Mais s’ils faisaient l’objet d’une attaque en
force, le régiment ne pourrait venir les secourir qu’avec quelques vieux half-tracks qui sont
vulnérables aux embuscades en pays montagneux. Mais le plus grave est que les régiments
ravitaillent chaque jour leurs pelotons sur les mêmes pistes, et souvent aux mêmes horaires,
sans protection particulière, ce qui revient à lancer un défi aux unités de l’ALN. C’est la
raison pour laquelle l’IABC milite pour augmenter le nombre d’engins blindés en dotation
dans ces unités, soit en transformant un escadron à pied en escadron porté, soit en renforçant
l’ECS d’une douzaine d’engins blindés qui pourraient fournir un appoint tactique et moral aux
pelotons sans pour autant créer une grande charge de travail supplémentaire. Cependant, cela
suppose d’augmenter le nombre de cavaliers avec la création de postes de pilotes et surtout de
trouver des half-tracks disponibles. Or le matériel américain, qui montre des signes d’usure
important, commence à devenir une denrée rare.

24. La fin des TED « Europe »

Plus encore que les half-tracks, les AM M8 et les M24 posent de sérieux problèmes de
soutien. Or, en attendant la mise en service de l’AML, seuls les matériels modernes (EBR et
AMX) peuvent les remplacer. De ce fait, au cours de l’année 1959, un nombre croissant
d’unités, jusque-là dotées de M24 ou d’AM M8, voit donc leurs matériels américains
remplacés par des matériels modernes français, et l’EMA prévoit encore de remplacer 90 AM
M8 par des EBR. Or le changement de matériel entraîne l’abandon du TED ABC 021 pour un
TED moins adapté au théâtre algérien (cf. supra note 225). Ce sont surtout les unités du
Constantinois qui s’en plaignent. Les TED de type européen les rendent certes très mobiles
mais ne leur permettent pas de mettre en ligne beaucoup de combattants à pied. En outre, elles
ne peuvent pas, sans aménagements des structures internes, échanger nombre pour nombre
leurs matériels américains contre des matériels modernes qui sont, de plus, d’un soutien
logistique plus délicat et nécessitent un nombre plus élevé de spécialistes auto-chars.
Le Xe RM propose donc d’aligner tous les régiments, quelques soient leurs matériels
sur le TED 021, mais en donnant à chaque régiment une organisation théorique à trois
escadrons de trois pelotons blindés et un peloton de commandement et d’échelon (PCE), et à
un ou deux escadrons portés 021 de quatre pelotons chacun. Il appartiendra alors au chef de
corps d’articuler son régiment pour répartir les pelotons portés dans les escadrons. Comme le
TED 021 ne prévoit que 11 engins par escadrons et deux à l’ECS, ces régiments ne

114
compteraient que 35 engins au lieu de 70 pour un régiment sur le pied de guerre. D’où
l’impérieuse nécessité de les regrouper deux par deux dans le but de permettre la mise sur
pied rapide d’un régiment à 70 engins type OTAN, apte à être engagé en Europe en laissant
sur place le complément d’escadrons portés sous forme de régiments portés de souveraineté
pour maintenir le quadrillage.
Mais pour être réalisable, ce système impose que les deux régiments binômes ne soient
pas trop éloignés l’un de l’autre, ce qui représente une contrainte forte pour le dispositif
militaire en Algérie. Cependant, les avantages que le commandement compte en tirer
compense largement les inconvénients qu’il présente. Non seulement le projet permet la mise
en service de matériels modernes tout en conciliant les besoins opérationnels de l’Algérie
avec ceux de l’ordre de bataille des divisions OTAN, mais en plus il permet de dégager une
ressource supplémentaire d’engins et d’économiser, en tout, les postes de 8 officiers, 11 sous-
officiers et 137 hommes du rang, ce qui correspond à l’effectif d’un escadron EBR sur le TED
021. Mais le projet est ambitieux, car cette réorganisation doit s’effectuer sans gêner le bon
déroulement des opérations en cours et devra être effectuée très progressivement.
Le 11 octobre 1959, l’EMI établit donc un projet d’organisation qui doit répondre à
trois conditions :
o Il souhaite tout d’abord abandonner les TED européens et aligner tous les
régiments sur le type ABC 021. Il souhaite obtenir ainsi une uniformatisation
rendant plus aisée la relève des unités et facilitant la gestion et l’instruction du
personnel tout en simplifiant le soutien des matériels. En outre, l’abandon des
TED « Europe » permettra des économies appréciables en personnel et en
matériel blindé.
o Il souhaite également continuer à réduire les frais administratifs en composant
chaque régiment d’un ECS et de cinq escadrons de combat. Ce nombre, qui
permet de ramener 3 escadrons blindés rapidement en Europe en laissant deux
escadrons portés en Algérie, lui paraît être le maximum que peut soutenir un
ECS type 021.
o Enfin, il souhaite libérer de leurs charges territoriales certains régiments qui
deviendraient ainsi mobiles et interchangeables. Les relèves, en particulier sur
« la herse », et l’emploi des réserves générales en seraient facilités.
L’EMI est pressé, il souhaite que certaines réorganisations aient lieu dans de brefs
délais, si possible à partir du 1er décembre. La première phase vise à réaligner sept régiments,
renforcer les deux REC et dégager le 13e RD de ses charges territoriales, puisque ce régiment

115
de la 10e DP, employé par la 27e division d’infanterie alpine (DIA), demande depuis
longtemps à rejoindre sa division d’appartenance. Les postes et matériels nécessaires doivent
être récupérés lors du plan Victor à partir 1er janvier 1960.
A cette date, il souhaite que quatre régiments équipés d’EBR, jusqu’alors alignés sur le
TED ABC 512, soient alignés sur le TED ABC 021 : le 21e RS qui devra passer à quatre
escadrons d’EBR tout en conservant son escadron 107 « cadre » à 69 hommes ; le 2e RS
conservera son escadron d’AMX, comme quatrième escadron, tout en alignant ses trois
escadrons d’EBR sur le TED 021 ; le 8e RH reconvertira son escadron 107 en un quatrième
escadron d’EBR ; le 1er RS restera, dans un premier temps, à trois escadrons d’EBR mais les
alignera sur le TED 021. La réorganisation doit également concerner un régiment AMX. Le 2e
RD devra passer de son TED 928 (deux escadrons AMX, un escadron sur jeeps et deux
escadrons de voltigeurs antichar) à trois escadrons d’AMX TED 021 et deux escadrons portés
021.
Seuls le 30e RD (AMX) et le 3e RCA (EBR) devront conserver leur TED « Europe »,
respectivement 929 et 516. Le 30e RD est placé sous hypothèque FTI. Pour le 3e RCA, le
problème est différent. Le fait d’aligner ses trois escadrons sur le TED 021, le fera passer de
54 à 33 EBR, ce que l’EMA n’accepte pas293. Il exige qu’avant de passer sur le TED 021, le
régiment soit doté d’un quatrième escadron ce que les effectifs disponibles ne permettent pas
à l’époque294.
Il s’étonne de constater que le projet ne respecte pas les critères que la Xe RM a elle-
même retenus. Non seulement sur les sept régiments dont l’organisation doit évoluer, un seul
doit avoir cinq escadrons, mais en plus le panachage des matériels reste encore très important.
En outre ce projet entraîne un déficit en véhicules qui ne peut pas être comblé. L’EMA
souhaite également que soit adapté aux 2e, 4e DIM et 20e DI, un régiment EBR et un régiment
AMX sur le TED 021 à 5 escadrons pour le cas où elles devraient être rappelées rapidement en
Europe en première urgence.
Mais l’EMI doit avouer qu’il n’est pas en mesure de satisfaire cette exigence. Elle
suppose de former six régiments à cinq escadrons 021, dont trois sur EBR ou sur AMX, pour
les divisions d’infanterie OTAN. La raison principale étant que, si un ECS peut soutenir cinq
escadrons, ce n’est qu’à la seule condition que le régiment soit employé de façon groupée
dans la même zone. Or cet emploi ne se justifie à peu près nulle part en Algérie. La dispersion
des unités remet donc en cause le but principal de la réforme, à savoir une meilleure

293
SHD/Terre, 6 T 445.
294
Le 3e RCA ne passe à quatre escadrons d’EBR qu’en septembre 1960.

116
adaptation des régiments ABC type Europe au combat en Algérie par la juxtaposition de deux
régiments pouvant former un régiment OTAN à trois escadrons de 17 engins et un régiment
AFN avec les blindés restants et les portés.
Une nouvelle proposition est donc envoyée à l’EMA le 1er décembre. Le type standard
retenu est à trois escadrons blindés et un escadron porté (ou à pied). Cette nouvelle
proposition permettrait la réalisation d’une première vague de réorganisation dès le 1er mars
1960. Ce ne serait que par la suite, que les régiments passeraient progressivement à cinq
escadrons. Elle prévoit également une plus grande homogénéité des régiments sur EBR ou
AMX, qui n’auront plus de M24 ou d’AM M8 en raison du fait que les CI de rattachement qui
forment les recrues sur EBR n’en forment pas sur d’autres matériels295. La Xe RM y accorde la
plus grande importance pour l’équilibre et l’emploi de l’ABC en Algérie.
La nouvelle standardisation entraîne le report de l’alignement des régiments d’EBR à
quatre escadrons à l’automne. Le passage sur le TED ABC 021 du 2e RD est remis en
question étant donné l’emploi qui est fait du régiment dans la région de Négrine, il est décidé
de mener des études complémentaires pour trouver la meilleure solution.
D’autres mesures sont prises comme l’alignement sur le TED 021 des ECS des
régiments 107 qui ont été, tout ou partie, motorisés au cours des mois précédents (1er RCC,
18e RCC et 26e RD)296. Cette mesure est jugée urgente et indispensable. En effet, la
motorisation de ces corps apparaît à l’IABC comme une « improvisation coûteuse ». En effet,
ces régiments ne disposent pas des moyens d’entretenir un parc de véhicules réalisé petit à
petit à la demande des chefs de corps mais sans, qu’en même temps, des éléments de soutien
leur soient attribués297. En revanche le problème du 19e RCC (CAA) reste entier. Ce régiment
conserve ses trois escadrons blindés, son EMT, ses trois escadrons 107 et son escadron
« cadres » qui sert de structure au commando K 04 de Bouira, rattaché au régiment depuis le
13 mars 1959. Il conserve également ses six harkas (145 hommes en tout), l’une étant en
réserve de quartier et les autres renforçant les cinq escadrons du secteur de Bouïra. Enfin, la
transformation de l’un des escadrons 107 du 9e RS (CAC) est lancée298. Mais le grand

295
Le remplacement des matériels des unités se heurte en effet au système d’abonnement des régiments à un CI.
En 1959, il est prévu que le 16e RD remplace les AM M8 de deux de ses escadrons par des EBR, et les M24 des
deux autres par des AMX. Mais, le centre d’instruction auquel est rattaché ce régiment n’étant pas doté d’EBR,
seuls les M24 peuvent être remplacés par des AMX 13 à partir du 1er juillet. Il en va de même pour le 6e RC dont
les 22 AM M8 ne peuvent être remplacées par les EBR à provenir de la réorganisation des régiments sur le TED
512.
296
Le 1er RCC (CAO) reste à quatre escadrons 107, en partie motorisés, le 18e RCC (CAC) reste à 1 escadron
d’AM et quatre escadrons 107 et le 26e RD (CIS) passe de quatre escadrons 107 à deux escadrons portés et deux
escadrons 107.
297
SHD/Terre, 31 T 10.
298
SHD/Terre, 1 H 1908 et 6 T 445.

117
bénéfice qui est tiré de cette réforme vient du fait que la généralisation des TED 021 va
permettre de remplacer plus facilement les AM M8 par les EBR et les M24 par des AMX 13.
Le 1er décembre il est donc décidé que le 4e RH et le 9e RH passeront sur AMX 13 le 1er avril
1960.
De grands espoirs sont fondés avec la mise en œuvre de cette réforme. Cependant, à la
fin de l’année 1959, la situation est loin d’être conforme à l’objectif recherché. En Algérie,
suite aux réorganisations effectuées dans le cadre de « l’Algérianisation » du conflit par le
développement, entre autres, d’unités de harkis et d’autres supplétifs, le nombre de corps de
troupe est passé de 50 à 44299, ce qui correspond à celui de 1957300. Mais sur 44 régiments, 33
sont encore de types différents, et il existe 26 types de structure au lieu de 18 à la même date
en 1958, comme le montrent les deux tableaux présentés ci-dessous :

Situation des régiments de l’ABC en décembre 1958.


SHD/Terre, 31 T 5
Type de régiment France Allemagne Algérie Tunisie Maroc Total
Patton 1 4 5
AMX 1 4 1 6
AMX/AM M8 0 0
AMX/portés 1 1
EBR 1 2 2301 5
EBR/M 24 1 1
EBR/AM M8 1 1
EBR/portés 1 1
EBR/à pied 1 1
M 24 3 3
M24/AM M8 9 1 10
M24/AM M8/à pied 5 5
M24/portés/à pied 1 1
AM M8 2 2
AM M8/à pied 2 2
AM M8/portés/à pied 0 0
AM M8/portés 0 0
Ferret 3 3

299
Le 31 décembre 1959, l’ABC compte en tout 67 corps de troupe auquel il faut ajouter le CIABCA, le CIDB,
le CTEB et l’EAABC.
300
En 1959 les régiments dissous sont les suivants : 21e et 24e RD, 8e RCC, 4e RH (dont le 31e RD reprend
l’appellation), 7e RH et 4e RCA (dont le 9e RCA reprend l’appellation).
301
Dont le 24e RS qui est sur le départ pour l’Allemagne.

118
Montés 2 2
GE montés 1 1
Escadron monté 1 1
A pied 12 12
Portés/à pied 2 2
CI (arme) 2 2
CI (à pied) 5 5
Régiment école 1 1
Total 11 9 50 1 2 73
Organismes d’instruction
EAABC X
CID/1er RH X
CIABC X
CIDB X
CTEB X

Situation des régiments de l’ABC en décembre 1959.


Les chiffres entre parenthèses indiquent l’évolution par rapport à 1958
SHD/Terre, 31 T 9
Type de régiment France Allemagne Algérie Tunisie Maroc Total
Patton 1 4 5 (=)
AMX 3 (-1) 1 4
AMX/AM M8 1 (+1) 1
AMX/portés 1 (=) 1
EBR 2 (+1) 1 (-1) 1 (-1) 4
EBR/M24 0 (-1) 0
EBR/AM M8 0 (-1) 0
EBR/portés 1 (=) 1
EBR/à pied 4 (+3) 4
M24 ou M24/à pied 3(=) 3
M24/AM M8 2 (-7) 1 3
M24/AM M8/à pied 9 (+4) 9
M24/portés/à pied 1 (=) 1
AM M8 0 (-2) 0
AM M8/à pied 3 (+1) 3
AM M8/portés/à pied 1 (+1) 1
AM M8/portés 2 (+2) 2
Ferret 4 (+1) 4
Montés/AM M8 1 1

119
Montés/à pied 1 1
Montés/M24/AM M8 1 1
GE montés 0 0
Escadron monté 1 1
A pied 5 (- 7) 5
Portés/à pied 2 2
CI (arme) 7 (+5) 7
CI (à pied) 2 (-3) 2
Régiment école 1 1
Total 12 9 44 1 1 67
Organismes d’instruction
EAABC X
CIABC X
CIDB X
CTEB X

L’année 1959, au crescendo du plan Challe de lutte contre les maquis de l’ALN, est
donc encore une année intermédiaire car la restructuration des unités est beaucoup plus longue
que prévue, étant donné les contraintes qui s’ajoutent les unes aux autres. Il est toutefois prévu
qu’elle aboutisse dans le courant de l’année 1960 ou au début de 1961 au plus tard. Au lieu
des 26 types de régiments qui existent en 1959, on espère pouvoir n’en conserver que six. Ces
six types doivent se réduire à trois principaux : le type TED ABC 021, le type TED ABC 022
(unités montées) et le type INF 107. Les trois autres ne devant être en fait que des dérivés du
type TED ABC 021 à trois escadrons blindés avec un ou deux escadrons à pied. Seuls les
régiments d’EBR seront portés à quatre escadrons blindés du type TED ABC 021 et
disposeront d’un ECS renforcé.

* *

120
On fonde donc beaucoup d’espoir sur la future réorganisation qui a pour but essentiel
d’améliorer la capacité opérationnelle des unités. Il s’agit de rompre avec l’esprit qui avait
prévalu jusqu’alors qui tenait plus de l’improvisation que de la planification. Il faut que
l’ABC puisse disposer de « structures logiques, souples et adaptées à la mission de ses unités
en Algérie et non de groupements dits « du moment » créés à la hâte en 1956 pour faire face
à la situation et qui durent encore en 1959 »302. Cette volonté de réorganisation se heurte
cependant à certains chefs de corps qui « cherchent par tous les moyens (…) à faire subsister
cette organisation hétéroclite parce qu’elle les favorise aux dépens d’autres ». L’IGABC veut
mettre un terme à cette affaire et fait de la réorganisation de l’ABC en Algérie sa priorité pour
les mois à venir303.

302
SHD/Terre, 31 T 19.
303
SHD/Terre, 31 T 19.

121
122
CHAPITRE III

Une réforme ambitieuse mais constamment perturbée

A partir du début de l’année 1960, des décisions sont prises pour faire de l’ABC un
système d’arme cohérent permettant d’allier le plus possible les besoins immédiats et l’avenir
de l’arme. Mais, cette nouvelle politique arrive trop lentement et surtout tardivement pour
pouvoir atteindre ses buts. Chaque décision fait l’objet d’échange de nombreux courriers entre
les différents niveaux de la hiérarchie qui ont le plus souvent des intérêts contradictoires. Les
tâtonnements sont nombreux et certaines décisions sont remises en cause alors qu’elles
viennent à peine d’être exécutées. A partir du début de l’année 1961, alors qu’une grande
partie des projets sont encore dans les cartons, tout doit être arrêté pour enclencher un
processus inverse de désengagement et de déflation des effectifs.

I. La décision ministérielle du 18 février 1960 : une première


étape semble franchie

Les discutions entamées en 1959 continuent, l’EMA et l’EMI semblent enfin trouver
un accord qui reçoit l’aval de l’inspection. En janvier 1960, il est accepté par le Xe RM
d’affecter un régiment AMX et un régiment EBR par division d’infanterie OTAN (2e DIM, 4e
DIM et 20e DI). Ces régiments doivent être alignés à cinq escadrons (trois blindés et deux
portés toujours pour pouvoir en extraire plus facilement les escadrons blindés et laisser les
portés sur place), ils ne doivent comporter qu’un seul matériel blindé et n’avoir aucune charge
territoriale.
Mais, pour le général Challe cette réorganisation passe au second plan de ses
préoccupations. Il est d’autant moins pressé de la voir aboutir qu’elle suppose un
redéploiement opérationnel qui risque de gêner son idée de manœuvre dans ses trois volets
que sont la défense des frontières, la destruction des « bandes » et la pacification304. Ces
nécessités opérationnelles ralentiront les dispositions préparatoires nécessaires à la
réorganisation.

304
De nos jours c’est le terme de stabilisation qui serait employé.

123
11. Un nouveau système de mobilisation qui donne le change

En premier lieu, il faut décider du jumelage des régiments TED ABC 021 de même
matériels modernes qui doivent donner naissance à un régiment OTAN, avec 17 blindés par
escadron, et à un régiment AFN qui disposerait des blindés restant et des unités portées. En
outre, la libération des charges territoriales des régiments ne pourra s’effectuer que très
progressivement au fur et à mesure de la mise en place de l’infrastructure de pacification.
Enfin, comme un volume de cinq escadrons est trop important pour un seul ECS si le
régiment n’est pas groupé dans la même zone (ce qui est rarement le cas en Algérie), il
propose une organisation entraînant une plus grande homogénéité des types de régiments dont
le type standard est à trois escadrons blindés et un escadron porté (ou INF 107), qui serait une
première étape vers les cinq escadrons de combat vers laquelle on s’efforcera de parvenir par
la suite305. Dans l’ensemble, ces propositions restent identiques à celles exprimées
antérieurement.
Le jumelage des régiments se révèle plus compliqué à réaliser que prévu. Les 3e et 4e
bureaux de l’EMI ne tombent pas entièrement d’accord sur l’affectation des régiments. En
janvier 1960, le 3e bureau de l’EMI souhaite en exclure le 3e RCA, le 1er REC et le 2e RD,
pour des raisons de déploiement. Il propose de faire l’appoint avec des corps dotés d’AM M8
et de M24 (10e RD, 27e RD, 1er RCA et 5e RCA). Mais cela suppose de les équiper d’EBR et
d’AMX, ce qui paraît difficile étant donné le nombre d’engins disponibles. Il faut donc
attendre que les transformations proposées des régiments TED ABC 512 en TED ABC 021,
soient acceptées et réalisées pour libérer le nombre d’engins nécessaires. Pour le 3e bureau, le
passage sur le TED 021, est donc la condition nécessaire à la mise en place du nouveau
système.
C’est ce manque d’engins disponibles qui pousse le 4e bureau à faire une proposition
différente. Pour l’heure, il limite son choix aux régiments déjà dotés d’EBR et d’AMX. Les
divergences portent sur les régiments prévus pour les 4e DIM et 20e DI (cf. tableau ci-
dessous). Le 4e bureau propose pour former le régiment d’EBR de la 4e DIM d’en prélever les
escadrons sur le 2e RS et le 3e RCA, et pour la 20e DI, de former son régiment d’EBR avec des
escadrons en provenance de trois régiments différents (le 1er RS et les deux escadrons restants
des 2e RS et 3e RCA), et son régiment d’AMX avec les 2e RD et 9e RH)306. Le 3e bureau
n’approuve pas ces propositions, il préfère éviter la mise sur pied de guerre des régiments au

305
SHD/Terre, 1 H 1349.
306
SHD/Terre, 1 H 1908.

124
moyen d’escadrons provenant de différents régiments. En outre, il trouve que les régiments
binômes d’AMX 13 sont trop éloignés les uns des autres, mais cela lui semble inévitable pour
le 2e RD et le 9e RH, étant donné le manque d’AMX 13.
Proposition des B3 et B4 pour la constitution des divisions OTAN en janvier 1960
Division OTAN Régiments désignés Régiment par jumelage Reliquat
e
21 RS Un régiment EBR à cinq Un ECS
e e
2 DIM 8 RH escadrons TED 021 Un escadron d’EBR
deux escadrons TED 107
Un escadron « cadres »
e
4 RH Un régiment AMX à cinq Un ECS
16e RD escadrons TED 021 Deux escadrons d’AM M8
Deux escadrons TED 107
e
2 RS Un régiment EBR à cinq Un ECS
4e DIM escadrons TED 021 Un escadron TED 107
e
B4 : 3 RCA B4 : 1 esc EBR
e
B3 : 10 RD B3 : 1 esc M24
30e RD Un régiment AMX à trois -
escadrons TED 516
er
1 RS Un régiment EBR à cinq Un ECS
e
20 DI escadrons TED 021
e
B3 : 27 RD
B4 : 2 escadrons venant du B4 : 1 esc M24
2e RS et 3e RCA
2e RD Un régiment AMX à cinq Un ECS
e
9 RH escadrons TED 021 Un escadron AMX
Deux escadrons portés

Au final, les propositions du 4e bureau sont celles qui sont retenues. En effet, celles du
3e bureau ne peuvent être retenues qu’une fois que tous les régiments sont passés sur le TED
021. Or, cette transformation se traduit par une facture élevée en véhicules (300 jeeps, 140
GMC) et en postes radios (72 postes SCR), ce qui exige des délais beaucoup plus longs que
ceux prévus initialement selon le 4e bureau de l’EMI. Mais ce système de jumelage ne change
rien quant au déploiement des régiments et chacun espère qu’il ne sera jamais fait appel aux
divisions OTAN dont la mise sur pied serait un vrai casse-tête.

125
12. A la recherche de compromis

En février 1960, alors que le chef de l’Etat, chef des armées, indique que la France,
disposant d’une « Force de frappe » nucléaire, doit retrouver sa place de grande puissance
militaire en Europe307, l’EMA donne son accord pour la réorganisation. Mais il ne s’agit pour
lui que d’une première étape. Il souhaite aller plus loin que ne le prévoient les dispositions
prévues pour la Xe RM. Son souci reste l’administration et le soutien des corps et, si le projet
est accepté, il resterait encore dix régiments sur des types particuliers308 ce qui lui paraît
excessif. Il souhaite donc poursuivre la réorganisation pour ne conserver que :
- six types de régiments blindés mixtes : 2 esc. TED 021 et 2 esc. TED 107 ; 3 esc. TED
021 ; 3 esc. TED 021 et 1 esc. TED 107 ; 3 esc. TED 021 et 2 esc. TED 107 ; 4 esc.
TED 021 ; 4 esc. TED 021 et 1 esc. TED 107,
- deux types de régiments INF 107,
- un type de régiment monté.
L’EMA demande à la Xe RM la réalisation des restructurations suivantes qui, en outre,
permettent d’économiser une cinquantaine de personnes dont sept officiers supérieurs309 :

Régiments Organisation prévue en février 1960 Organisation souhaitée par l’EMA


par la Xe RM
1er RCC EM - ECS TED 021 – 4 esc. TED
107 EM – ECS 021 – 2 esc. TED 021 –
18e RCC EM - ECS TED 021 – 4 esc. TED 2 esc. TED 107
107 – 1 esc. AM M8
25e RD EM - ECS TED 021 – 2 esc. 021 – 1
esc. TED 107 – 1 esc. 107 c69310
28e RD EM - ECS TED 021 – 3 esc. 021 – 1
esc. TED 107 – 1 esc. TED 107 c69
e
21 RS EM - ECS TED 021 – 3 esc. 021 – 1
esc. TED 107 – 1 esc. TED 107 c69 EM - ECS TED 021 – 3 esc. TED

307
Avant même le célèbre discours sur l’autodétermination du 16 septembre 1959, tournant politique de la
guerre d’Algérie, en juillet 1959, Charles de Gaulle indique par une note au ministre des Armées, Pierre
Guillaumat, (qui la récuse) le triple objectif : « le soutien des opérations en Algérie ; la constitution de notre
force de frappe nationale ; la contribution française à l’OTAN », cf. Maurice Vaïsse, Comment de Gaulle fit
échouer le putsch d’Alger, Paris, André Versailles éditeur, février 2011, 352 p. , p. 110.
308 er
1 RCC, 18e RCC, 25e RD, 26e RD, 19e RCC, 2e RD, 30e RD, 5e RS, 23e RS et 9e RS.
309
SHD/Terre, 6 T 577.
310
Escadron sur le TED 107 « cadres » à 69 personnes.

126
19e RCC EM - ECS TED 021 – 3 esc. TED 021 – 2 esc. TED 107
021 – 2 esc. TED 107 – 1 esc. TED
107 c69
2e RD EM – ECS – 5 esc. TED 021
e
30 RD EM - ECS TED 516 - 3 esc. TED EM - ECS TED 021 – 3 esc. TED
516 AMX 021

La décision ministérielle (DM) du 18 février 1960, qui entérine les décisions prises au
cours de l’année 1959, n’est donc considérée que comme une étape intermédiaire qui ne
concerne que treize régiments de l’ABC. Elle prévoit une première vague de réorganisations à
compter du 1er avril.
Sitôt publiée, cette DM engendre des craintes dans les régiments qui doivent passer sur
le TED 021, car si leurs moyens sont allégés, leur mission reste identique. Les chefs de corps
font part de leurs inquiétudes à leur inspecteur qui écrit au général Challe, le 27 février 1960,
pour lui demander d’apporter quelques aménagements aux décisions prises afin de mieux
adapter les corps à leur emploi. Il demande à ce que des EBR soient mis en sur-dotation dans
les régiments qui passent sur le TED 021, afin que les escadrons puissent disposer en
permanence de onze engins, il pense également que des jeeps supplémentaires permettraient à
leurs escadrons 107 d’être plus mobiles en attendant qu’ils soient transformés en escadrons
portés 021. L’IABC demande que, avant de procéder aux réorganisations, ces matériels soient
mis en place311.
Le général commandant le corps d’armée de Constantine (CAC) joint sa voix à celle
de l’inspecteur. Ses critiques sont d’autant plus vives qu’aucun général commandant de CA
n’a été consulté lors des études menées en 1959. S’il accepte sans restriction la transformation
du 9e RS et du 18e RCC, il demande de ne pas modifier le 20e RD qu’il destine à être régiment
de pacification. Mais cela représente une modification minime qui ne remet pas en cause
l’essentiel. En revanche, il s’insurge vivement contre la diminution annoncée du nombre des
EBR qu’entraîne le passage sur le TED 021 et demande à ce que les régiments passent
impérativement à quatre escadrons d’EBR avant d’adopter le nouveau TED. De ce fait, au lieu
de perdre 21 engins en passant de 54 à 33, ils n’en perdraient que 10 en passant à 44.
En fait, on se rend compte rapidement que la réorganisation des cinq régiments du
CAC, dont trois sont sur le barrage, est plus difficile à réaliser que prévu. La diminution du
nombre d’engins blindés entraînerait un service beaucoup plus important pour ceux qui

311
SHD/Terre, 1 H 2139.

127
resteraient. Or, le service de la herse est déjà considéré comme trop lourd pour des escadrons
à 17 engins. En outre, contrairement aux unités opérant à l’intérieur, l’augmentation du
nombre de leurs pelotons portés n’apporterait pas d’amélioration à la leur capacité
opérationnelle. Le 3e bureau propose donc de commencer par les régiments qui ne sont pas sur
le barrage, puis de passer aux autres après leur relève, ce qui donnerait le calendrier suivant :
le 1er avril 1er RS et 1er REC, le 1er mai 2e RD, le 1er juin 8e RH et 3e RCA. En revanche,
malgré un avis défavorable du 4e bureau, il souscrit à l’octroi d’une dotation supplémentaire
de deux EBR par escadron. Quant aux jeeps, il préfère transformer les escadrons directement
en escadrons portés car le commandement d’un escadron sur jeeps lui paraît difficile en
opérations à cause de l’encombrement que cela représente.

Cliché n° I/2
Deux pelotons du 1er RS(M) se croisent dans la vallée de l’Oued Serou (Maroc) en mars 1957. Un nombre
trop important de jeeps sur le terrain entraîne des problèmes d’encombrement et de commandement
souvent difficiles à régler. (Cliché Musée des Spahis, Valence)

13. La parenthèse du plan Arc-en-ciel

Les délais pris pour mener les réflexions tout au long de l’année 1959, quant à la
structure de régiments, semblent avoir été beaucoup trop longs. La situation en Algérie évolue
vite avec le commandement du général Challe, et ce qui était réalisable en 1959 ne l’est plus
forcément en 1960. Les régiments, confrontés aux réalités du terrain, voient leur structure
évoluer en marge du projet d’uniformisation. Les commandos de chasse fleurissent un peu

128
partout. En janvier 1960, le 6e RC quitte le barrage Est pour prendre en charge le secteur
d’Ain-M’Lila, dont le chef de corps devient commandant. Le régiment y mène des missions
de pacification, de lutte contre l’organisation politique et administrative (OPA) du FLN et de
protection des fermes. Son 4e escadron devient commando V 26 de Aïn-M’Lila. Chaque
escadron a sa propre harka (à pied ou à cheval) avec 380 harkis en tout pour le régiment. Le 4e
RCC prend sa place sur le barrage Est dans la région de Lamy où il englobe le commando L
142 de La Calle (formés de harkis) que lui laisse le 6e RC. Toujours en janvier, le 27e RD de
Bir-Rabalou (ZSA) constitue le commando K 12 sans que les effectifs ne soient prévus par
son TED. Au 5e RCA, un commando de harkis de secteur est également créé à l’ECS puis, en
juillet, un autre de 45 hommes au 3e escadron. Le 12e RCA crée également le commando V 66
de M’Sila en février.
Ces nouvelles structures sont le fait d’une volonté du général Challe qui souhaite
passer, en février, à la seconde phase de son plan avec la mise en œuvre du plan Arc-En-Ciel
qui est la prolongation des grandes opérations qu’il mène depuis le début de l’année 1959. Il
s’agit de mettre en place une infrastructure de pacification dans toute l’Algérie. Dans ce
cadre, il est demandé à l’artillerie et à l’ABC de mettre sur pied des bataillons de secteur. Il
est prévu d’organiser huit bataillons de ce type (trois de l'ABC et cinq de l'artillerie) dans le
CA d’Oran et dans celui d’Alger, et neuf (quatre de l'ABC et cinq de l'artillerie) dans celui de
Constantine. Pour former ces neuf bataillons prévus, la facture pour l’ABC s’élève à 36
escadrons sur les 54 qu’elle compte.
Ces bataillons doivent être mis sur pied à partir d’unités déjà implantées dans le
secteur, sans « hypothéquer » ni les régiments de la FTI, ni ceux qui opèrent sur les barrages :
- pour le CA d’Oran il est proposé de transformer le 1er RC, le 3e RC et le 6e RCA,
- pour le CA d’Alger, le 6e RH, le 28e RD et le 19e RCC,
- pour le CA de Constantine, le 18e RCC, le 4e RD, le 20e RD, le 4e RCA et le 6e RS.
Cette réforme fera disparaître tous les régiments 107 de l’ABC et cinq régiments 021,
mais pour préserver le potentiel blindé, il est envisagé de transférer les escadrons d’AM M8 et
de M24 dans d’autres régiments312.
La mise en place de ces bataillons de secteur, répond à un besoin de rationnaliser les
modes d’action de pacification sur l’ensemble du territoire et de séparer nettement les unités
opérationnelles des unités territoriales pour éviter que la pacification ne se fasse selon les
initiatives locales. Il s’agit de réunir dans une même unité des groupes de contact chargés

312
SHD/Terre, 1 H 1875.

129
d’assurer auprès d’un regroupement moyen de population (600 à 800 habitants) les missions
d’information, d’assistance, d’éducation et de contrôle. Ces groupes de contact pourront être
fixes ou itinérants. Leur volume et leur composition doivent être adaptés au type d’urbanisme.
Pour la population urbaine le ratio doit être d’un militaire pour 500 habitants et d’un groupe
pour 6 000 habitants. Pour la population rurale, le ratio sera de 1,5 militaire pour 100
habitants et d’un groupe pour 700 habitants. Chaque équipe de contact doit être composée en
moyenne de neuf FSE et de quatre FSNA. Au total, il est nécessaire de dégager 20 000
hommes (17 000 FSE et 3 000 FSNA réguliers).
Le bataillon doit être composé d’un EM, d’une compagnie de commandement de
secteur, comprenant les groupes de contact population appelés PAC (pacification, assistance,
contrôle), d’un commando de chasse (à quatre sections) et de trois à quatre compagnies de
support de quartier de pacification (CSQP). Chacune de ces CSQP doit comprendre une
section de commandement (avec un groupe PAC) et un goum de CSQP à une section de
combat (30 hommes) et trois sections de 40 harkis. Il est prévu que ces compagnies soient
renforcées de 10 hommes par SAS présente sur son territoire. Ces bataillons doivent permettre
de stabiliser la situation et doivent rester en place après le cessez-le-feu après avoir doublé le
nombre de leur CSQP313.
L’expérience du 9e RCA, qui est bataillon du secteur de pacification d’Inkerman
depuis le 1er décembre à titre expérimental, n’est pourtant pas concluante pour l’IBAC. Cette
unité est toujours commandée par un officier d’artillerie et encadrée par des fantassins
renforcés de quelques officiers de cavalerie. Si cette formule paraît mauvaise à l’IABC, c’est
parce qu’il pense qu’il aurait mieux valu affecter à cette tâche un régiment 107, qui aurait pu
être le 1er RCC qui serait remplacé soit par le 22e RS du Maroc, soit par le 9e RH qui lui
semble sous-employé à Le Telgah et que son chef de corps peine à administrer. Du reste, il
souhaite que ce régiment, une fois ses AMX perçus en juillet, aille effectivement relever le 1er
RCC sur le barrage314. Le 3e bureau de l’EMA refuse de revenir sur le principe de constitution
du 9e RCA en bataillon de secteur. Pour lui, les notions de boutons sont périmées. Il demande
même à ce qu’y soient affectés les meilleurs officiers, ainsi que dans les unités de TED
107315, car il pense que pour exécuter les autres missions, des officiers « moyens » sont

313
SHD/Terre, 1 H 1908.
314
Id.
315
En 1960, il existe toujours un déséquilibre entre les régiments dans le domaine de l’encadrement tant pour les
officiers que pour les sous-officiers. Certains régiments jouissent d’une excellente réputation qui y attire souvent
les meilleurs, non seulement à la sortie d’école, où le choix des régiments se fait dans l’ordre du classement,
mais également lors des demandes de mutations. L’IABC constate, par exemple, que le 29e RD et le 4e RCA ont
un encadrement très inférieur en qualité à celui des autres régiments. Or le 29e RD est à La Calle, sur le barrage

130
suffisants. Il envisage même de transformer le 3e RC, qui est superposition avec le 2e RCA, en
bataillon de secteur pour Sebdou, quand la situation le permettra. Mais cette fois, c’est le 4e
bureau de l’EMA qui s’y oppose car, pour lui, la mise à terre316 d’un régiment est
préjudiciable pour le matériel317. L’IABC s’y oppose également avec la plus grande fermeté,
même s’il n’est pas opposé à la mise à terre d’un régiment de l’ABC, mais seulement s’il n’y
a pas de possibilité de former ces bataillons de pacification avec des 107.
Le lancement du plan Arc-en-ciel remet en cause la réorganisation prévue par la DM
du 18 février. Le 3e bureau de l’EMI demande à ce qu’elle ne soit exécutée ni pour le 18e
RCC (CAC), ni pour le 19e RCC (CAA), ni pour le 20e RD (CAC) de façon à les transformer
directement en bataillons de secteur318. Mais les conséquences du plan Arc-en-ciel dépassent
largement ces simples restrictions. Une réunion est organisée à Alger le 18 mars 1960 pour
décider de l’avenir de la réforme. Il est décidé de ne retenir que le projet du mois de novembre
1959, car le nouveau semble trop ambitieux étant donné les nouvelles contraintes dues à
l’évolution de la situation en Algérie, notamment la dissolution des unités territoriales le 1er
mars, qui entraîne le rappel dans le corps d’armée d’Alger des cinq escadrons de gendarmerie
mobile de celui de Constantine qui doit être renforcé. En outre, une certaine lassitude
commence à poindre dans les unités dont le personnel a le sentiment d’être ballotté d’un
endroit à un autre, sans comprendre la raison de ces atermoiements qu’il subit depuis les
quatre derniers mois avec les modifications d’implantation et de missions que connaissent
certains régiments319. Le 4 avril 1960, l’EMA accepte de surseoir provisoirement les
réorganisations en raison du plan Arc-en-Ciel, mais souhaite qu’elles soient terminées pour le
début de l’année 1961 car l’EMA ne peut pas continuer à soutenir le parc auto-chars
correspondant aux anciennes structures320.
Pour mettre en place les bataillons de secteur, la réorganisation est donc ajournée, sauf
pour le 1er REC dont le 4e escadron (porté) est créé en avril. L’IABC l’accepte pour les
régiments EBR et ceux qui sont susceptibles d’être transformés en bataillon de secteur, mais
pas pour les autres dont la nouvelle organisation est déjà effective, comme le 26e RD321, ou

dans quartier du Tarf qui est un quartier sensible, et le 4e RCA est responsable du secteur de Batna auquel est
confiée une mission essentielle. Un effort est demandé à la direction du personnel pour veiller à un meilleur
équilibre dans les affectations, ce qui ne se fait pas sans mal.
316
C'est-à-dire sa transformation en unité à pied.
317
SHD/Terre, 1 H 1349.
318
SHD/Terre, 1 H 1908.
319
Id.
320
SHD/Terre, 6 T 577.
321
En mars, le 26e RD reçoit une sur-dotation en véhicules qui lui permet de transporter tout son personnel, mais
il souhaite remplacer les GMC par des Dodge 6 x 6 plus adaptés au Sahara. Deux de ses quatre escadrons 107
sont transformés officiellement en escadrons portés 021 en octobre 1960.

131
absolument nécessaire, comme le 2e RD322. Le 3e bureau de l’EMI regrette que la
réorganisation, déjà remise à plusieurs reprises, ne doive pas être entreprise sans délai car le
TED ABC 021 est le mieux adapté à l’Algérie. Il souhaite la mener dans son ensemble même
si cela entraîne une perte de potentiel en engins blindés pour certains CA.
Mais quelques jours plus tard, suite à l’affaire de la « semaine des barricades d’Alger »
fin janvier 1960, le 24 avril, le général Challe est remplacé par le général Crépin à qui le
lancement du plan Arc-en-ciel paraît prématuré. Il estime que sa mise en œuvre ne pourra
s’effectuer que très progressivement323. Une première tranche ne devrait plus concerner que
quelques secteurs et la mise en place des autres bataillons, qui n’est pas remise en cause, doit
s’échelonner sur plusieurs mois en fonction de l’évolution de la situation. Pour 1960, la
facture présentée à l’ABC se limite à un seul bataillon de secteur de pacification
supplémentaire pour le secteur de Lafayette. C’est le 4e RD qui est choisi. En septembre,
l’IABC qui est en tournée d’inspection en Algérie est informé de la transformation du 4e RD
en bataillon de secteur de pacification de Lafayette et l’approuve. Ce régiment devient
bataillon de secteur de Lafayette (TED INF 143) le 1er octobre 1960 ce qui entraîne l’échange,
pour des raisons d’implantation, de ses 3e et 4e escadrons avec les 1er et 2e du 20e RD, et le
transfert de son 5e escadron au 6e RS qui passe à cinq escadrons (trois escadrons 021 et deux
escadrons 107). Le nouveau régiment comprend alors :
- un état-major,
- un escadron de commandement de secteur type C,
- le commando V 60 de 150 hommes (ex-2e escadron),
- 3 équipes de commandement de quartier,
- 3 escadrons de support de quartier de pacification (avec renfort pour 3 SAS chacun) :
Nord-Ouest Guergour (ex-2/20e RD), Est Guergour (ex-1/20e RD), Sud-Ouest
Guergour (ex-1/4e RD),
- 12 harkas (500 hommes).

322
SHD/Terre, 1 H 1349.
323
Il l’avait déjà fait savoir en septembre 1960, lorsqu’il commandait le CAA. SHD/Terre, 7 U 887*.

132
II. Les impératifs de l’Algérie prennent définitivement le pas

A la fin du mois d’avril, il est décidé de lancer la réorganisation dans toutes ses
dimensions : un retour graduel au type régiments ABC 021 à quatre puis cinq escadrons avec
la disparition des TED 512, 516, 928 et 929, et l’alignement à quatre escadrons des régiments
montés. Pour établir un calendrier, l’EMI demande aux chefs de CA et au CIS de lui faire des
propositions sur les dates auxquelles ils pensent pouvoir réaliser les transformations. L’EMA,
qui croit toujours qu’il est impossible de continuer à soutenir 23 types de régiments sur les 45
présents en Algérie, approuve cette décision et souhaite même inclure dans cette réforme non
seulement le 2e RD, mais également le 30e RD qui doit passer, selon lui, du type TED 516 au
type TED 021 à trois escadrons, et non deux 021 et un 516 comme prévu par la Xe RM324.
Un nouveau projet de transformation, qui doit être le prolongement des mesures déjà
prévues, est établi par l’EMI en mai. Cette réorganisation apporte peu de changement par
rapport à celle prévue en janvier.

Régiment Organisation réalisée au Organisation envisagée en Organisation envisagée en


début de 1960 janvier 1960 mai 1960
2e RD ECS 928 ECS TED 021 ECS TED 021
1 esc jeeps TED 928 3 esc AMX TED 021 3 esc AMX TED 021
2 esc AMX TED 928 2 esc porté TED 021 2 esc porté TED 021
2 esc portés TED 900
er
1 RS ECS TED 012 ECS TED 021 ECS TED 021
3 esc EBR TED 012 3 esc EBR TED 021 4 esc EBR TED 021
e
2 RS ECS TED 512 ECS TED 021 ECS TED 021
3 esc EBR TED 512 3 esc EBR TED 021 4 esc EBR TED 021325
1 esc AMX TED 021 1 esc TED 107
e
21 RS ECS TED 512 ECS TED 021 ECS TED 021
3 esc EBR TED 512 3 esc EBR TED 021 4 esc EBR TED 021
1 esc TED 107 1 esc TED 107
1 esc TED 107 c69 1 esc TED 107 c69
e
8 RH ECS TED 512 ECS TED 021 ECS TED 021
3 esc EBR TED 512 3 esc EBR TED 021 4 esc EBR TED 021
1 esc TED 107 1 esc TED 107

324
SHD/Terre, 1 H 1349.
325
Le CAO demande que ce régiment soit aligné à trois escadrons d’EBR et un escadron porté, mais cette
solution est rejetée car elle est contraire à l’esprit de la réorganisation qui veut que tous les régiments d’EBR
passent à quatre escadrons.

133
3e RCA ECS TED 929 ECS TED 021 ECS TED 021
3 esc EBR TED 929 3 esc EBR TED 021 4 esc EBR TED 021
1 esc TED 107
26e RD ECAS326 TED 107 ECS TED 021 ECS TED 021
4 esc TED 107 2 esc porté TED 021 2 esc porté TED 021
2 esc TED 107 2 esc TED 107
18e RCC ECAS TED 107 ECAS TED 021 ECAS TED 021
1 esc AM M8 TED 021 1 esc AM M8 TED 021 1 esc AM M8 TED 021
4 esc TED 107 4 esc TED 107 4 esc TED 107
19e RCC ECS TED 021 ECS TED 021 ECS TED 021
3 esc blindés TED 021 3 esc blindés TED 021 3 esc blindés TED 021
327
1 EMT TED INF 130 1 EMT 1NF 130 1 EMT 1NF 130
3 esc TED 107 2 esc TED 107 2 esc TED 107
328
1 esc TED c22 1 esc TED c22 1 esc TED c22
er
1 REC ECS ECS
3 esc EBR 4 esc EBR TED 021
1 esc porté
EM et CCS d’Azazga Création avec un esc. TED Création avec un esc. 107
107 venant du 19e RCC venant du 19e RCC

21. La généralisation du TED 021 ne peut aboutir que partiellement

En juin 1960, aucun changement n’est encore apporté. Les dispositions prévues, dont
le passage des unités d’EBR et d’AMX sur le TED ABC 021, se heurtent à des problèmes dont
la complexité avait été mal évaluée mais que les commandants de CA ne manquent pas de
mettre en avant. Le général Gandoët, commandant le CAC, estime pour sa part, dans une
lettre datée du 25 mai, qu’il lui sera difficile d’aligner les régiments à cinq escadrons car cela
détruirait l’équilibre des moyens blindés de son corps d’armée. En outre, il pense que la
diminution de son potentiel en engins blindés sera trop importante pour qu’il puisse
l’accepter. Afin de le maintenir en partie, il propose que ses régiments EBR (21e RS, 8e RH et
3e RCA) passent à quatre escadrons de 11 EBR dès leur passage sur le TED ABC 021. En
revanche il accepte que le 2e RD passe à trois escadrons AMX TED ABC 021 et deux
escadrons portés TED ABC 021329.

326
Escadron de commandement d’appui et des services.
327
Etat-major tactique. Il s’agit en fait d’une unité de marche du volume d’un bataillon d’infanterie.
328
Escadron ne comptant dans ses rangs que 22 cadres, sans homme de troupe.
329
SHD/Terre, 1 H 2139.

134
L’inspecteur souscrit à ces arguments, car le fait d’avoir quatre escadrons d’EBR par
régiment permet de remplir plus efficacement les missions sur le barrage et dans le
quadrillage, et surtout de faciliter les permutations d’escadrons et la relève des régiments330.
Au début de l’année 1960, celle-ci est toujours difficile à réaliser car les régiments d’EBR ne
comptent pas tous le même nombre d’engins. Quatre régiments sont à 56 EBR (1er RS, 2e RS,
21e RS et 8e RH), le 1er REC en compte 34331 et le 3e RCA en compte 58. Le souci de dégager
des EBR supplémentaires pour remplacer des AM M8 ne lui semble pas un argument valable
car l’alignement de tous les régiments à quatre escadrons de 11 engins (plus un engin de
commandement à l’ECS) permet un gain de 46 EBR. En outre, si cette décision entraîne la
mise en place de 120 Dodge supplémentaires, elle permet un gain de 160 jeeps et de 100
GMC332.
Le 9 juillet 1960, le général Crépin propose à l’EMA qu’une première tranche
intervienne le 1er août qui comporte :
- l’alignement sur le type TED 021 à quatre escadrons de cinq régiments EBR (1er RS,
2e RS, 21e RS, 8e RH et 3e RCA),
- la transformation de l’escadron de commandement d’appui et des services (ECAS) du
26e RD en ECS 021,
- la création de l’EM et de la compagnie de commandement et des services (CCS)
d’Azazga pour libérer le 13e RD de ses charges territoriales, les compensations
nécessaires sont fournies par la dissolution d’un escadron TED 107 du 19e RCC.
Dans une tranche suivante, il souhaite :
- aligner le 2e RD sur le type TED 021 (trois escadrons AMX et deux escadrons portés)
ce qui ne peut être fait pour l’instant en raison des conditions d’emploi du régiment,
- aligner tous les autres régiments de l’Algérie sur le type TED 021 à quatre puis à cinq
escadrons, en fonction des régiments appelés à devenir bataillon de secteur,
- Réduire de façon sensible le nombre de M24 et d’AMX en service qui est jugé trop
élevé pour la forme prise par les combats en Algérie, en outre ils immobilisent pour

330
Pour les relèves, on se heurte cependant rapidement à un problème qui a été mal anticipé. La relève d’une
unité par une autre qui est dotée d’un matériel différent, suppose que les compagnies de réparation divisionnaires
changent de structure également pour pouvoir soutenir correctement ce nouveau type de matériel. Or, le service
du Matériel est souvent mis devant le fait accompli et doit jongler avec ses spécialistes pour s’adapter
rapidement au nouveau dispositif mis en place.
331
Le 1er REC n’a, en dotation théorique, que deux escadrons d’EBR. Son troisième escadron est théoriquement
un escadron porté. Mais dans les faits, les EBR sont répartis dans les escadrons ce qui donne l’illusion qu’il
compte trois escadrons d’EBR, ce que tous les anciens de ce régiment affirment.
332
Id.

135
leur emploi et leur soutien un volume considérable de personnel dont l’utilisation
serait beaucoup plus rentable dans des formations portées ou à pied333.
Le projet de janvier prévoyait une diminution de 116 EBR et de 11 AMX, la solution
retenue ne réduit le nombre d’EBR que de 57 engins. Le manque de half-tracks (HT) fait
adopter des matériels de substitution : pour un peloton porté, au lieu d’une jeep et trois HT, on
adopte deux jeeps, un Dodge 6 x 6 et un GMC. On compte sur l’arrivée de half-tracks
d’Allemagne libérés par la mise en service des AMX 13 VTT334.
Le 16 août, l’EMA décide donc de faire passer les 1e RS, 2e RS, 21e RS, 8e RH et 3e
RCA sur une composition identique à compter du 1er septembre 1960 avec quatre escadrons
EBR TED ABC 021 et des pelotons de dépannage renforcés. Pour le 2e RS, le remplacement
des AMX par des EBR est reporté au 1er novembre 1960 pour tenir compte des missions
opérationnelles qui lui incombent. Le plan d’approvisionnement du 2e semestre 1960 est
majoré de 27 EBR, mais les autres véhicules (73 jeeps et 16 GMC long) doivent être prélevés
sur les ressources de l’Algérie. Le 1er REC, doté d’un escadron porté supplémentaire en avril,
n’est pas concerné par cette décision, le régiment aligne ses trois autres escadrons sur le TED
021, ce qui ne change pas le nombre de ses EBR fixé à 34 engins. L’EMA ne s’oppose pas
aux autres projets, il demande qu’on lui précise le nombre des matériels pour les corps 021 à
quatre puis cinq escadrons, et les chiffres des réductions des M24 et des AMX, car les
décisions seront irréversibles335.
Certaines mesures transitoires sont prises. Le général commandant la ZNEC336 se
plaint du fait que le passage du 1er RS sur le TED ABC 021 le privera de 11 EBR. Or ces
engins lui sont indispensables pour la défense du barrage Est tant que les nouveaux travaux
d’aménagement ne sont pas terminés. Il est donc décidé de lui laisser 11 EBR en sur-dotation
jusqu’au 15 novembre, date à laquelle la valorisation de l’obstacle sera en place. Au début du
mois d’octobre 1960, le 3e RCA demande à conserver 5 jeeps qu’il doit reverser dans le cadre
de son nouveau TED car il en a besoin pour transporter les électromécaniciens, d’autre part la
dispersion du régiment (un escadron au Kouif) lui pose le problème de la réduction des
Wrecker dont souffrent tous les régiments EBR mis sur TED 021 qui doivent en reverser un
sur les deux dont ils disposent. Ces engins de levage sont pourtant indispensables car, pour
333
SHD/Terre, ibid.
334
VTT : véhicule transport de troupe.
335
Id.
336
Le 15 juin 1960, la ZEC est divisée en deux zones de frontières : la zone Nord-Est Constantinois (2e DIM, PC
à Bône) et la Zone Sud-Est Constantinois (7e DLB, PC à Tébessa). La ZNEC comprend les secteurs de Bône,
Guelma, La Calle, Souk Ahras et le nord du secteur de Clairefontaine. La ZSEC comprend les secteurs de
Tébessa et le reste de celui de Clairefontaine (dissous). SHD/Terre, 1 H 1875, décision n° 45/EMI/1.ORG du 13
juin 1960.

136
accéder au moteur, les mécaniciens doivent détoureller l’engin. Généralement, comme au 21e
RS, l’AR en utilise un qui reste en permanence sur place, et l’autre assure l’évacuation et le
dépannage des EBR des escadrons les plus éloignés. Il est donc décidé de laisser les deux
Wrecker, qui sont les véhicules de « lot 7 », en dotation ce qui obligera, au début de l’année
1961 à en déstocker cinq de la mobilisation337.

Cliché n° I/3
Dépose de la tourelle d’un EBR par un Wrecker.

Le 1er septembre, le 3e RCA, le 1er RS et le 21e RS passent à quatre escadrons d’EBR


sur le TED 021. Le 21e RS conserve son escadron cadres/harkis mais perd son escadron TED
107. Le 1er novembre 1960, les AMX du 4e escadron du 2e RS sont remplacés par des EBR.
Mais la transformation du 8e RH se heurte aux manques de ressources humaines disponibles
dans la Xe RM. Le déficit en sous-officiers lui interdit de passer rapidement à quatre
escadrons sur le type TED 021. On pense dissoudre les 6e escadrons de certains régiments
voire certains régiments si cela est nécessaire mais la décision est reportée à 1961. Il vient
d’être relevé à la fin du mois de juin sur le barrage par le 4e RCC pour rejoindre le Sud-
Algérois338. Sa transformation est donc moins urgente que celle des autres régiments. Le
commandant du CAA souhaite que le changement soit différé pour permettre au 8e RH de

337
SHD/Terre, 15 T 211.
338
En mai 1960, en raison des difficultés que rencontre le CAC pour effectuer les relèves des régiments blindés
sur le barrage oriental, il est décidé qu’exceptionnellement le 1er RS relève le 8e RH qui est mis à la disposition
du CAA bien que le 1er RS comporte un escadron de moins que le 8e RH. La relève est effectuée le 1er juillet
1960. Il est prescrit au CAC de donner un secteur au 1er RS où le terrain justifie l’utilisation d’engins équipés
d’un inverseur, le 1er RS est donc envoyé dans le secteur de Lamy au nord du secteur du 8e RS, pour y relever le
4e RCC. Le 4e RCC, quant à lui, est envoyé dans la région d’Ouenza où le terrain est plus favorable aux AM M8
pour relever le 8e RH. Pour augmenter sa puissance de feu et surtout sa protection contre les mines, le 1er juillet
1960, le 4e RCC échange les AM M8 de l’un de ses escadrons contre les M24 d’un escadron du 6e RC. Le 6e RC
se retrouve avec trois escadrons d’AM M8, un de M24 et un escadron 107, et le 4e RCC avec trois de M24, un
escadron d’AM M8 et un escadron 107.

137
s’adapter à sa nouvelle zone d’action dans le CAA où il vient d’arriver, il souhaite que son
escadron TED 107 (deux pelotons à pied, trois pelotons sur Dodge blindés) lui soit conservé
car la présence d’unités à pied s’avère de plus en plus nécessaire pour assurer les missions de
contact avec les populations dans le cadre des charges de pacification que les unités doivent
assurer339.

Cliché n° I/4
Dodge blindés du 5e escadron du 8e RH à Ouled Nadja. (Cliché Robert Alazet)

Du reste, en juillet 1960, son escadron 107 devient le commando de chasse


« partisans » P 30 d’Aumale. A son arrivée dans la région de Médéa, le 8e RH n’a pas de
mission propre, ni de responsabilité territoriale. L’ECS constitue le soutien du secteur de Paul
Cazelle, où est installé le PC régimentaire, les escadrons blindés sont mis à la disposition de
trois secteurs différents et échappent totalement à l’autorité du chef de corps dans le domaine
de l’emploi. Les pelotons protègent les axes, assurent un service d’escorte et participent aux
opérations de leur secteur. La création d’un 4e escadron d’EBR peut donc être reportée sans
trop de gêne et le 8e RH, qui a perdu son 4e escadron d’EBR en octobre 1958, passe à trois
escadrons TED 021.
En ce qui concerne les régiments d’AMX, en septembre 1960, l’EMA accepte la
transformation du 30e RD en régiment 021 à trois escadrons mais sous réserve que le régiment
soit en mesure de remettre sur pied rapidement un escadron 516 dans le cadre de la force
terrestre d’intervention (FTI). En revanche, le problème du passage sur le TED 021 du 2e RD

339
SHD/Terre, 1 H 1349.

138
semble beaucoup plus compliqué à réaliser tant les aménagements nécessaires sont
nombreux340. Le 2e RD ne figurait pas dans le projet initial, mais l’EMA souhaite depuis
longtemps sa transformation en régiment 021 à trois escadrons AMX et deux escadrons portés,
ce que le CAC accepte sous réserve que lui soient attribués des half-tracks. Une étude est
lancée en juin 1960 pour savoir si son passage sur le TED 021 est gênant pour
l’accomplissement de ses missions sur le barrage dans la région de Négrine.
Depuis le 1er décembre 1959, alors qu’il s’installe dans cette région, le 2e RD
compte trois escadrons d’AMX 13 et deux escadrons portés. Il doit y assurer la surveillance de
70 km du barrage oriental, dont 25 non électrifiés, rechercher les indices de passage en avant
et en arrière du barrage, et intercepter les éléments infiltrés. Il doit en outre contrôler les
populations, nomades principalement. Enfin, en liaison avec les secteurs de Touggourt et de
Biskra, il doit chercher des indices sur la ligne des Chotts et éventuellement y intercepter les
éléments repérés. Le chef de corps a réarticulé son régiment pour remplir la globalité de ses
missions. Deux escadrons sont adaptés au barrage : le 2e escadron (deux pelotons de cinq
AMX et trois pelotons portés) et le 5e escadron (un peloton de chars et trois pelotons portés).
Ils sont implantés à proximité de Négrine pour des raisons de soutien logistique. L’expérience
des neuf mois passés sur la ligne Morice, montre que ces escadrons doivent disposer de trois
pelotons portés pour assurer les rotations de service entre le peloton de surveillance barrage,
et les pelotons de 1re et de 2e interventions. Ces pelotons sont de constitution identique à trois
patrouilles d’une jeep et un Dodge. Cette structure s’est avérée indispensable étant donné les
distances à parcourir. Le 3e escadron (trois pelotons et une harka nomade portée sur jeeps et
Dodge) tient le poste d’Hassi-Douillet et a pour mission d’intervenir sur le barrage et de
surveiller sa partie non électrifiée. Le 4e escadron (quatre pelotons portés sur jeeps et Dodge
et une harka à pied) est chargé plus particulièrement du contrôle des nomades341.
Pour remplir ces missions, étant donné les distances, le régiment a besoin de moyens
radios puissants jusqu’à l’échelon du peloton, et de nombreux véhicules adaptés au terrain, ce
qui exclut les half-tracks qui sont prévus par le TED 021 et que le CA de Constantine veut lui
attribuer342. En juillet 1960, le 1er escadron (quatre pelotons de quatre AMX 13) jusque-là
détaché dans la zone Nord-est Constantinois (ZNEC), rejoint le régiment, mais il est conservé
en réserve par le général commandant la zone Sud-est Constantinois (ZSEC). A la même

340
La réorganisation du 2e RD, bien qu’approuvée par l’EMA, se heurte également à un manque de spécialistes
radios et de mécaniciens auto-chars que le CI de rattachement ne peut pas en fournir dans des quantités
suffisantes.
341
SHD/Terre, 1 H 1349.
342
Id.

139
période, la zone d’action du 2e RD augmente de 700 km² en s’étendant dans le massif de
l’Abiod qui n’est contrôlé par aucune unité343.
La mission d’étude envoyée sur place pour étudier la réorganisation du régiment,
estime qu’avec son passage sur le TED 021, le 2e RD ne sera plus en mesure d’assurer ses
missions qui prennent de l’ampleur. Elle pense que le régiment ne pourra plus qu’assurer la
surveillance du barrage, sauf si des moyens supplémentaires en véhicules à roue et en moyens
logistiques (dont deux Recovery M32 supplémentaires) lui sont accordés. En outre, elle estime
que les half-tracks prévus doivent être remplacés par des Dodge 6 x 6, et les obusiers M8 par
des canons de 75 SR montés sur camion, tant le terrain se prête peu aux engins chenillés.
Enfin, il doit impérativement conserver ses moyens de transmissions en sur-dotation. Le 3e
bureau souhaite toutefois que la 2e RD passe sur le TED 021 pour gagner des moyens en
véhicules et en radios. Il propose que les moyens supplémentaires, jugés indispensables, lui
soient attribués au titre du secteur afin qu’ils restent sur place si le régiment est relevé. Mais le
passage sur le TED 021 suppose également la disparition de 6 postes d’officiers, 24 de sous-
officiers et 30 d’hommes de troupe. Cette diminution, étant donné les charges de l’ECS,
affaiblira les pelotons portés sur lesquels ces postes seront prélevés. En outre, le régiment
gagnerait six AMX alors que les 34 existants lui suffisent amplement car non seulement
l’absence de filtres à sable les rend vulnérables au terrain, mais ces engins ne peuvent pas
effectuer les mêmes missions que les EBR sur le barrage. En revanche le régiment doit perdre
un tiers de ses véhicules à roue (68 jeeps, 10 Dodge et 4 GMC) qui lui sont indispensables non
seulement pour les opérations mais également pour le ravitaillement depuis Tébessa qui est à
150 km. Il perdrait également bon nombre de ses postes radio et ses 16 canons de 75 SR.
Le 8 septembre, le général Crépin se rend personnellement sur place et ne peut que
souscrire aux conclusions de la commission d’études. Mais, le 29 septembre 1960, l’EMA
maintient sa décision de faire passer le 2e RD sur le TED 021. La seule concession qu’il fait
est que le nombre d’escadrons d’AMX soit limité à deux, au lieu de trois et que les trois autres
soient des escadrons portés344. Face à l’impossibilité de trouver un terrain d’entente, il est
décidé finalement de déplacer le 2e RD dans la région du Kouif pour lui permettre de passer
sur le TED 021 au début de l’année 1961 avec une dotation réglementaire de half-tracks.

343
SHD/Terre, 1 H 1908.
344
SHD/Terre, 6 T 577.

140
22. Nécessité de réduire le nombre de chars

Au cours de l’été 1960, un autre souci vient s’ajouter aux autres pour la réorganisation
de l’ABC. L’EMA demande à ce que le nombre d’AMX, et surtout de M24 soit réduit pour des
raisons de soutien. Cette volonté va dans le sens de ce que désire le général Crépin qui pense
que, étant donné l’affaiblissement de l’ALN intérieure, les chars sont trop nombreux. En
juillet 1960, il y a en Algérie 21 escadrons de M24 et 11 escadrons d’AMX345, soit 32
escadrons. Le général Crépin décide de réduire non seulement le nombre de chars M24 mais
également celui d’AMX en Algérie dans de fortes proportions. Une première étude de l’EMI
conclut au maintien de 24 escadrons (à deux pelotons de 5 chars, soit 11 chars par escadron
avec le char du capitaine). Mais Crépin estime que c’est encore trop. Le 3e bureau descend
alors à 21 escadrons : 14 sur les barrages et 7 à l’intérieur.
Mais, une étude plus approfondie reste nécessaire car il faut décider si les escadrons
mis à terre seront de type TED 107 ou portés type TED 021, prendre en compte les
hypothèques OTAN, et répartir judicieusement les escadrons maintenus sur le terrain346, car la
répartition réalisée ne donne pas entière satisfaction. Le CAA, par exemple, dispose de huit
escadrons de chars mais n’en a pas l’emploi, l’EMI propose au CAC de lui prélever un
escadron d’AM M8 et de lui donner un escadron de M24 en provenance du CAA car il estime
que les chars seront plus utiles dans les Aurès ou le Hodna comme appui d’infanterie. Du
reste, pour l’opération Flammèche, qui s’est déroulée dans le Hodna de mai à début juin, un
escadron de M24 avait dû être envoyé en renfort, ce qui montre bien que le besoin est réel.
Bien que le CA de Constantine n’y soit pas favorable, le général Crépin donne l’ordre qu’un
escadron de chars du 1er RCA (ZSA) permute avec un escadron d’AM M8 du 4e RCA ou du 3e
RH. Mais, avec la réorganisation prévue, il est finalement décidé de continuer à avoir recours
à des escadrons envoyés en renfort à la demande. C’est ainsi qu’un escadron de marche du 1er
RCA, formé à partir du 3e escadron et de deux pelotons du 1er, est envoyé en ZNC et en ZSC
du 6 octobre au 24 novembre.
En septembre, pour éviter d’avoir recours à ce type d’expédient, le général Crépin
demande à l’inspecteur de l’ABC d’Algérie de lancer une étude sur le redéploiement et la
diminution des chars en Algérie dans le cadre de la réorganisation des unités. Celui-ci ne voit

345
En plus, le 1er RBIMa et le 21e RIMa comptent chacun 10 AMX dans leur compagnie d’éclairage, et le RICM
un escadron de M24. En outre, les M24 du 2e escadron du 6e RS sont déjà remplacés par des scout-cars depuis
août 1959, alors que cette unité est toujours inscrite à l’ordre de bataille comme escadron de chars.
346
SHD/Terre, 1 H 1908.

141
pas d’objection à la réduction du nombre d’escadrons blindés, mais il appelle l’attention de
son chef sur les répercussions qu’elle risque d’avoir. Il est essentiel, selon lui, de ménager le
facteur « mobilité » qui est la caractéristique de l’ABC et qui reste au moins aussi important
que les années précédentes étant donné le fractionnement de plus en plus accentué des unités,
d’une part, et la dilution des bandes de l’ALN, d’autre part. C’est pourquoi le colonel de
Quenetain souhaite que les escadrons de chars dissous soient exclusivement remplacés par des
escadrons portés. Du reste, le besoin de mobilité est tel que, en 1959, des régiments 107
comme le 18e RCC et le 1er RCC ont déjà dû être partiellement motorisés, même si c’est de
« bric et de broc », selon l’expression utilisée par le général de Rouvillois dans son rapport
d’inspection de mars 1960347. La présence d’unités 107 dans l’ABC ne peut donc se justifier,
toujours selon le colonel de Quenetain, que jusqu’à la mise en place des divers bataillons de
secteur qui ne doit se faire que très progressivement. En outre, même mis en place, ces
bataillons de pacification ne permettront de ne couvrir que les quartiers nord de l’Algérie,
allant jusqu’aux Hauts Plateaux. Dans le centre et le sud de l’Algérie, le dispositif devra
vraisemblablement être complété par des unités mobiles aptes à surveiller de grands espaces
et des populations souvent mouvantes.
En somme, le colonel de Quenetain reste très mesuré dans ses propos. Il semble
vouloir concilier la volonté du général Crépin, qui est son chef direct, et l’avenir sur le plan
mobilité des moyens de l’ABC, qui est le souci permanent de son inspecteur. C’est la raison
pour laquelle il propose le remplacement des escadrons de chars par des escadrons portés 021,
quitte à ce que dans un premier temps le volume des véhicules nécessaires ne soit pas honoré,
ou ne le soit que partiellement en fonction des différents types de véhicules disponibles348.
Car si cette transformation ne pose pas de problème sur le plan du personnel, les effectifs
étant sensiblement les mêmes, elle en pose sur le plan du matériel349.
De son côté, l’IABC est beaucoup plus réticent face au projet. Il se veut beaucoup plus
précis dans les arguments qu’il avance pour en limiter les effets. Il pense qu’il faut exclure de
l’étude les régiments ne disposant que d’un seul escadron de chars, car dans les faits, ils ne
disposent que de deux pelotons de chars dont l’utilité pour le soutien de l’infanterie n’est pas
à démontrer. Sur le plan de l’organisation, il remarque que seuls trois régiments ne comptent
que des escadrons de chars (30e RD, 9e RH et 1er RCA). Les autres régiments ont tous un ou
deux escadrons d’AM M8, portés ou 107, en plus d’un ou plusieurs escadrons de chars. En

347
SHD/Terre, 1 H 2139.
348
SHD/Terre, 1H 1349.
349
Un escadron porté compte 14 half-tracks rang et deux half-tracks commandement, alors qu’un escadron chars
TED 021 compte neuf half-tracks rang et un seul half-track commandement.

142
outre, parmi ces trois régiments, seul le 30e RD n’est pas sur le TED 021, ce qui signifie que
les autres ont déjà une forte composante d’éléments portés puisque leurs escadrons
comportent deux pelotons portés et deux pelotons de chars par escadron. Il rejette l’argument
selon lequel, sur le plan du personnel, le char immobilise un nombre important de spécialistes
pour assurer son maintien en condition, car le coefficient d’entretien est de 1,6 pour le M24 et
l’AMX, alors qu’il est de 5 pour l’EBR. Sur le plan tactique, il insiste sur le fait que le char est
le seul engin blindé qui puisse se déplacer facilement dans le djebel et que le canon du M24
convient parfaitement aux opérations de police à tel point que l’adaptation de la tourelle du
M24 au châssis de l’AMX est prévue au cours de l’année 1961. Enfin, comme le colonel de
Quenetain, il souligne les difficultés qu’aura le 4e bureau à pourvoir aux nouveaux besoins en
véhicules, notamment à roue, du fait de la réorganisation de l’ABC déjà en cours350, car il
n’acceptera la disparition d’escadrons de chars que s’ils donnent naissance à des escadrons
portés, quitte à les doter de GMC. Cela permettra, selon lui, de leur faire conserver leur
mobilité de cavaliers et de compléter l’infrastructure de pacification dans les régions de
parcours difficiles, dans les Hauts Plateaux en particulier.
Une fois encore, on cherche un compromis. En septembre, une réunion est organisée à
Alger. Les participants tombent d’accord sur le fait qu’il est impossible de conserver moins de
24 escadrons de chars sans compromettre la capacité opérationnelle des corps d’armée. Cette
réunion fait ressortir la nécessité de conserver six escadrons de chars dans le CA d’Oran (au
lieu de huit), dont quatre pour le barrage Ouest, et 14 dans le CA de Constantine (au lieu de
19), dont 10 sur le barrage Est, où la puissance de feu de l’ALN extérieure ne cesse de croître.
En revanche, les escadrons de chars du CA d’Alger semblent pouvoir être réduits de moitié et
passer d’un volume de huit à quatre escadrons seulement.
La réorganisation se précise. Elle doit concerner en premier lieu les régiments qui
comptent trois escadrons de chars ou d’AMX dont un ou deux pourront passer sur le type porté
ou 107. Mais, pour des raisons de soutien, on souhaite que les escadrons d’AMX restent
groupés au moins par deux dans les régiments, ce qui représente une contrainte
supplémentaire. En outre, il est fait le constat que, étant donné que le nombre de véhicules
blindés pour les portés (Dodge 6 x 6 ou half-tracks) ne peuvent pas être augmentés, deux
escadrons de chars (4 pelotons de chars et 4 pelotons portés) ne pourront donner naissance
qu’à un escadron porté (4 pelotons portés) et un escadron 107.

350
SHD/Terre, id.

143
Entre-temps, le 4e bureau de l’EMA fait savoir que la capacité de maintenance des
M24 a été sous-estimée et qu’un nombre plus élevé d’engins de ce type peut être conservé.
Etant donné que le M24 est beaucoup mieux adapté au théâtre algérien que l’AMX, il est donc
décidé d’en conserver le plus grand nombre possible. D’autre part, l’arrivée de 88 AMX
équipés de tourelle de M24 prévue pour la fin de l’année 1961, pousse à conserver huit
escadrons équipés de ce matériel351.
Le général Crépin se rend aux arguments de la commission d’étude et en accepte les
conclusions. Le nombre d’escadrons de chars maintenu sera donc de 24, ce qui suppose
toutefois d’en supprimer un tiers. On pense commencer par dissoudre les compagnies
d’éclairage du 1er RBIMa et du 21e RIMa, réduire le 30e RD, qui est encore sur le TED 516 à
trois escadrons, à deux ou trois escadrons TED 021, ou deux escadrons TED 021 et un TED
107, et ne laisser que deux escadrons d’AMX au 2e RD, au lieu des trois prévus. L’EMA
accepte ces propositions352. Mais avant toute chose, l’EMI souhaite recueillir l’avis des CA
qui, pour l’instant, n’ont pas été associés à l’étude.
Les généraux commandant de CA livrent rapidement leurs propositions. Le CA
d’Oran propose de transformer un escadron M24 du 10e RD et un escadron AMX du 9e RH353
qui pourront être remplacés respectivement par un escadron 107 et un escadron porté. Il ne
prend pas en compte le fait que l’escadron d’AMX du 2e RS est sur le point de passer sur EBR.
En revanche sa demande de GMC supplémentaires n’est pas acceptée par 4e bureau qui en
manque. Le CA d’Alger propose la transformation d’un escadron M24 du 19e RCC354, de
deux escadrons M24 du 1er RCA et de l’escadron M24 du 5e RS. Il souhaite en faire deux
escadrons portés et deux escadrons 107. Pour éviter que le 5e RS ne se retrouve avec six
escadrons de trois types différents, le CA d’Alger souhaite que, une fois l’escadron de chars
mis à terre, il soit affecté à un autre régiment. Le CA de Constantine, contrairement aux autres
CA, se refuse à désigner le nombre demandé d’escadrons de chars à dissoudre, tant il craint
que son dispositif s’affaiblisse alors que les harcèlements de l’ALN extérieure se multiplient.
Il exclut d’emblée de toucher aux escadrons de chars de la frontière (4e RH, 29e RD et 4e
RCC, compagnies des RIMa et 2e RD). En cas de tentative de franchissement de celle-ci, il lui
paraît indispensable de pouvoir disposer d’une force blindée suffisante pour intervenir
rapidement. A l’intérieur, il souhaite conserver l’escadron M24 du 6e RC qui est nécessaire
dans le secteur de Djidelli pour la sécurité des communications, ainsi que celui du 4e RCC qui

351
SHD/Terre, 1 H 1908.
352
SHD/Terre, 6 T 577.
353
En octobre, les trois escadrons M24 du 9e RH sont en cours de transformation pour passer sur AMX.
354
Le 19e RCC vient de perdre son 6e escadron (107) pour permettre la création de la CCS d’Azazga.

144
est le seul de la ZSC, de même que celui du 12e RCA en raison de l’extension du secteur de
M’Sila au sud du Chott-El-Hodna. Enfin, il pense que le 16e RD, qui est appelé à devenir
unité ABC du secteur de pacification d’Ain Beida, doit donc conserver l’un de ces deux
escadrons d’AMX pour pouvoir intervenir rapidement en tout point du secteur. En
conséquence, il ne reste plus, comme escadrons pouvant être transformés, que celui du 6e RS
(qui est déjà sur scout-cars), un escadron AMX du 16e RD et, éventuellement, un ou deux
escadrons du 30e RD mais qui, en tant que régiment de la FTI ne peut être transformé qu’avec
l’accord de Paris. En somme, sur les cinq escadrons de chars qu’on lui demande de mettre à
terre, il n’en propose que trois355.
Ces propositions sont jugées insuffisantes et les arguments avancés par le CAC
discutables. Le 3e bureau de l’EMI pense que les deux escadrons d’AMX du 16e RD peuvent
être transformés car, si ce régiment est destiné à devenir un bataillon de pacification, il n’est
pas utile de lui laisser un escadron de chars car le 3e bureau pense que les missions
d’intervention rapide dans le secteur d’Ain-Beida, peuvent être attribuées à une autre unité
portée. En outre, le 3e bureau estime que l’extension du secteur de M’Sila au sud du Chott-El-
Hodna ne justifie pas non plus le maintien de chars au 12e RCA qui comptera encore trois
escadrons d’AM M8. Le B3 demande au CAC de revoir sa copie et de désigner cinq
escadrons.
L’IABC, de son côté, fait savoir le 24 octobre qu’il approuve les propositions du CAA
et du CAO et qu’il souhaite que le 16e RD conserve son escadron AMX. Les transformations
des 12e RCA, 6e RS et 30e RD n’appellent aucune remarque de sa part. Au total, cette
transformation permet de prélever 111 chars au lieu des 122 demandés pour l’ensemble de
l’Algérie. Pour atteindre ce chiffre, comme il pense qu’il faut maintenir des régiments du CA
de Constantine à trois escadrons blindés (à l’exception des régiments d’EBR) pour faciliter les
relèves, il propose de supprimer les AMX des RIMa356 et de prélever un escadron de chars sur
le 4e RH. Ce régiment passerait alors de trois escadrons de M24 et deux escadrons 107, à deux
escadrons de M24, un escadron porté et un escadron 107.

355
SHD/Terre, 1 H 1349.
356
Décolonisation oblige, c’est en 1958 que les troupes de marine retrouvent leurs anciennes dénominations, au
détriment des troupes coloniales créées par la loi du 7 juillet 1900.

145
23. Les nécessités opérationnelles perturbent la planification des réformes

Les discussions se compliquent encore lorsque certains chefs de corps sont consultés
en novembre. Le lieutenant-colonel Branet, chef de corps du 6e RS (secteur de Bordj-Bou-
Arreridj en ZEC), s’émeut de la transformation officielle annoncée de l’un de ses escadrons
M24 en escadrons portés. Il souhaite pouvoir conserver les 14 scout-cars qui ont remplacé les
chars du 2e escadron depuis le mois d’août 1959, pour lui permettre de remplir ses missions
actuelles. Le fait de passer en escadron porté sur half-tracks entraîne, pour lui, la perte de six
jeeps et de huit engins blindés. En effet, les 10 half-tracks et 14 scout-cars seraient remplacés
par 16 half-tracks. En outre, l’escadron perdrait ses deux obusiers M8. Or le 2e escadron a la
responsabilité de sept postes militaires, de 14 villages en auto-défense et de la surveillance de
la RN 5 sur 20 km. Pour mener à bien ses missions, il doit donc disposer de véhicules blindés
à roue, pour la surveillance de la route, et de patrouilles mixtes jeeps/blindés en nombre
suffisant pour réaliser le quadrillage tout en étant en mesure de fournir une réserve
d’intervention rapide au profit des GAD. Le chef de corps pense que la réduction du nombre
de blindés l’amènera à supprimer deux postes et à désarmer des GAD dont il ne pourra plus
assurer la protection, ce qui, pour lui, aurait des conséquences psychologiques désastreuses. Il
demande à ce que la structure de son 2e escadron ne soit pas modifié ou qu’il soit transformer
en escadron d’AM M8 pour être aligné sur les autres escadrons357.
Les projets de réorganisation se heurtent souvent aux réalités du terrain. En effet, les
chefs de corps ne respectent pas les TED officiels et organisent leurs régiments en fonction de
la situation locale. Lorsqu’ils le découvrent, les états-majors supportent mal d’être mis devant
le fait accompli et de voir leur tâche compliquée. A la lecture du rapport qui décrit
l’organisation du 2e RD en juillet 1960, un officier du 3e bureau de l’EMI, sans doute le chef
de bureau, en fait l’amer constat en inscrivant à la main dans la marge : « Chaque corps de
l’ABC invente son petit TED !!! »358.
Le lieutenant-colonel de Blignières, chef de corps du 1er REC, a lui aussi réorganisé
son régiment, après avoir reçu l’aval du CAC. En avril 1960, ce régiment est aligné à trois
escadrons d’EBR TED 021 et un escadron porté. Il compte alors six pelotons d’EBR et dix
pelotons portés. Le 1er REC forme un groupe d’escadrons (GE) à pied composé de l’escadron
porté et d’un escadron regroupant les pelotons portés des autres escadrons. Les pelotons
blindés, quant à eux, restent en mesure d’intervenir sur le barrage-est. Cette formule, qui

357
SHD/Terre, 1 H 2139.
358
Id.

146
transforme en grande partie le 1er REC en un bataillon d’infanterie, est adoptée presque à
chaque opération et donne satisfaction. Cependant, elle oblige à des improvisations sur le plan
des moyens en augmentant notamment le nombre de harkas qui passent de deux à trois (i.e.
une par escadron blindé). Le chef de corps pense encore pouvoir améliorer l’organisation. La
mission du 1er REC, qui est en réserve de CA, est double : intervention sur le barrage-est et,
plus fréquemment, actions territoriales axées sur les Aurès et Nementcha mais qui sont des
terrains sur lesquels le binôme blindé/porté ne peut pas donner toute sa mesure. Les unités du
1er REC sont donc cantonnées à des missions de bouclage, d’accompagnement ou d’appui. Or,
le chef de corps souhaite que des missions plus payantes lui soient confiées.
Pour cela il organise ses unités de façon à pouvoir mettre sur pied un élément de choc
en créant un GE porté. Il veut supprimer les véhicules lents (half-tracks) et passer d’une
capacité de 10 pelotons portés à 13. Cette augmentation lui permet de former au maximum un
GE à trois escadrons de quatre pelotons portés (le 13e étant affecté à l’état-major du GE), tout
en conservant trois groupes de pelotons EBR pouvant assurer des missions d’appui ou des
missions indépendantes. En fait, le régiment s’articule, y compris pour le service courant, en
un GE à deux escadrons portés, de quatre pelotons chacun, et deux escadrons mixtes
EBR/porté359. Cette organisation, qui n’est prévue par aucun TED, complique d’autant les
études menées sur l’uniformisation des corps, en faisant du 1er REC un régiment dont
l’organisation opérationnelle est unique.
Mais ce type d’initiative n’est pas isolé, et les organisations faites par les chefs de
corps posent par la suite des problèmes de soutien qui ne sont pas prévus. Le 27e RD, qui
stationne dans le secteur d’Aumale (ZSA) est théoriquement aligné à trois escadrons blindés
et compte, en plus, depuis le mois de janvier le commando K12 au titre duquel il n’est pas
alimenté en personnel. Ce commando est constitué de 157 hommes, dont 50 harkis. Ce
personnel est prélevé sur les autres unités, ce qui y entraîne un déficit permanent de 15 % et
compromet leur capacité opérationnelle. Le lieutenant-colonel Hubert Puga, qui prend le
commandement du régiment le 1er août 1960, s’en plaint auprès de l’IABC. Il attache une
importance toute particulière à ce commando auquel il a affecté des éléments de qualité. Il
demande à pouvoir disposer d’un escadron TED 107 en plus ou à être déchargé de ce
commando360. Le CA d’Alger, en septembre, propose que l’escadron de chars du 5e RS donne
naissance à un escadron 107 « cadre 69 » au 27e RD ce qui est refusé. Pour le 3e bureau de

359
SHD/Terre, 1 H 2139.
360
SHD/Terre, 6 T 577.

147
l’EMA, l’escadron de chars du 5e RS doit quitter la ZOA et être affecté au 25e RD361. L’EMA
souhaite pour régler le problème d’effectifs du 27e RD, soit de lui retirer ce commando, soit
d’y créer un escadron 107 supplémentaire. En novembre, le chef d’état-major de l’EMI qui
pense que « la mission confiée aux commandos de chasse [lui] paraît être particulièrement
adaptée à l’esprit offensif et dynamique qui anime généralement les cadres de la cavalerie »
répond à l’EMA qu’un effort sera consenti à son profit lors de l’arrivée des plans de renfort362.
Des effectifs supplémentaires sont donc consentis au 27e RD mais sans création d’unité
administrative.
Mais les initiatives des chefs de corps ne sont pas les seules raisons qui poussent le
commandement à modifier ses projets car certaines décisions prises depuis longtemps ont
parfois des conséquences qui ont été mal évaluées. Le 1er aout 1960, la CCS d’Azazga est
créée à partir d’un escadron TED 107 du 19e RCC. En novembre, le 13e RD peut alors être
relevé et rejoindre la 10e DP dans les réserves générales, ce qu’il appelle de ses vœux depuis
longtemps. Mais, avec le départ de ce régiment, le CA d’Alger se rend compte que la région
qu’il quitte, bien que peu adaptée aux blindés, se retrouve dépourvue de moyens d’escortes et
de protection des axes, et que le commandement local n’y dispose plus d’éléments rapides
d’intervention. Le colonel de Quenetain incite le commandant du CA d’Alger à demander à ce
que le 6e RH soit doté d’un escadron d’AM M8 qu’il échangerait contre un escadron 107 avec
le 5e RCA qui, opérant dans l’Ouarsenis, a plus l’emploi d’éléments à pied que d’éléments
blindés. Dans un premier temps, un escadron de M24 du 19e RCC est mis à la disposition du
secteur d’Azazga. Mais les chars se révèlent beaucoup moins adaptés au terrain que les AM
M8. En décembre, le commandant du CA d’Alger demande à ce que cet escadron soit échangé
contre un escadron d’AM M8 du 5e RCA et transformé en escadron porté. Pour éviter les
mutations, il propose que les escadrons soient détachés. Le colonel de Quenetain rejette cette
solution et maintient sa proposition. Mais le problème doit trouver une solution rapide car, le
1er février 1961, le 19e RCC doit transformer l’un de ses escadrons de chars en escadron porté
dans le cadre de la réduction du nombre de M24. A cette date, il n’y aura plus que deux
escadrons blindés en ZEA (un dans le secteur d’Azazga et l’autre dans celui de Bouira). Pour
maintenir trois escadrons blindés, le commandant du CA d’Alger demande à ce que
l’escadron du 19e RCC ne soit pas transformé en escadron porté, mais soit équipé avec les AM
M8 d’un escadron du 5e RCA (ZOA). Cela aura pour conséquence de porter le 19e RCC à
deux escadrons d’AM M8, un escadron de M24 et un escadron 107, et le 5e RCA à un

361
L’escadron est finalement affecté au 27e RD, mais en juillet 1961 seulement et comme escadron porté.
362
SJD/Terre, 7 U 887*.

148
escadron d’AM M8, un escadron M24, un escadron porté et un escadron 107. Cette nouvelle
organisation irait à l’encontre de l’esprit de la réorganisation en cours qui vise avant tout à
uniformiser les régiments. Le 1er bureau de l’EMI pense supprimer l’escadron de chars du 5e
RCA, mais avec le départ du 5e RS prévu en avril 1961, il n’y aurait plus eu d’escadron de
chars en ZOA, il propose donc de faire passer un escadron d’AM (11 engins) de ZOA en ZEA
afin d’y conserver un minimum de trois escadrons blindés363. Le général Crépin suit cet avis
et, en décembre, l’escadron nouvellement porté du 19e RCC est affecté au 5e RCA (ZOA/NE),
et un escadron d’AM M8 du 5e RCA est affecté au 19e RCC (ZEA). Pour éviter de provoquer
de trop grand bouleversement dans les corps, seuls les pilotes et les tireurs sont affectés avec
leurs engins.
D’autres décisions sont prises pour officialiser des situations déjà existantes comme
celle du 26e RD. Ce régiment, officiellement à quatre escadrons 107, applique la recherche
systématique de traces (RST), et a un besoin impératif de pouvoir déplacer rapidement ses
pelotons. Les hommes se reposent la nuit et cherchent les traces le jour. Lorsqu’ils en
détectent, ils entament la poursuite. Depuis mars 1960, le régiment est entièrement motorisé
ou porté grâce à l’apport de véhicules en sur-dotation. En octobre, il passe officiellement à
deux escadrons portés et deux escadrons TED 107. Mais il est impératif que ces escadrons
soient dotés de Dodge 6 x 6, prélevés sur la ressource de la Xe RM, qui sont mieux adaptés au
Sahara que les half-tracks prévus par le TED 021. Mais comme son équipement est toujours
jugé insuffisant par rapport à celui des compagnies sahariennes portées (CSP), on souhaite le
faire passer à quatre escadrons portés et le doter d’AML. Le commandant du CA d’Oran
propose de prélever des Dodge 6 x 6 et des AM M8 sur les régiments motorisés de Légion
étrangère qui ne peuvent pas assurer des missions de surveillance du désert à cause des
risques élevés de désertion. Mais le 3e bureau de l’EMA s’y refuse car, même s’ils ne sont pas
employés à la surveillance de la frontière en zone désertique, les REI doivent rester des
régiments d’intervention.
Les propositions que fait le général Crépin à l’EMA le 26 novembre, ne permettent
donc pas de régler tous les problèmes en suspens. Cependant, l’organisation qui en découlera
lui permettra de concilier ses impératifs avec les contraintes qui lui sont fixées. Pour sa part, il
souhaite, pour l’année 1961, consolider les résultats acquis par les grandes opérations en
mettant en place un quadrillage plus étoffé dans les zones traitées364. Les unités de l’ABC,
tout en voyant le nombre de leurs escadrons de chars baisser, conserveront leur mobilité pour

363
SHD/Terre, 1 H 1349.
364
SHD/Terre, 1 H 1875.

149
faire face à un ennemi très dilué, ce qui est un vœu de l’IABC. L’EMA a également lieu
d’être satisfait, car la nouvelle organisation facilitera le soutien des unités. Mais, la baisse
annoncée des effectifs en Algérie limite quelque peu les espérances que beaucoup avaient
fondées quant aux ambitions du projet.
Le général Crépin annonce la suppression immédiate de 103 chars (66 M24 et 37
AMX) avec la transformation de huit escadrons de chars en escadrons portés et la
transformation du 30e RD en deux escadrons 021 et un escadron 516 (FTI)365. Il souhaite
ultérieurement réaliser une nouvelle réduction du nombre de chars sur le barrage Est, avec la
suppression des AMX des RIMa et la transformation du 2e RD. Pour le 1er février 1961, il
prévoit366 :
- pour le 9e RH, la transformation de deux de ses escadrons d’AMX FL 10, que le
régiment vient à peine de percevoir, en escadrons d’AMX/T M24 et du troisième en
escadron porté367,
- pour le19e RCC, la transformation d’un escadron de M24 en escadron porté368,
- pour le 1er RCA la perte de deux escadrons de M24 et le gain de deux escadrons
portés369,
- pour le 6e RS, il s’agit simplement d’officialiser la transformation de son 2e escadron,
- pour le 16e RD, perte d’un escadron de M24 et gain d’un escadron porté370.
Ce projet présente une avancée vers la constitution d’un système cohérent mais qui
n’est pas celui qui avait été mis sur les rails au début de l’année 1959. Les contraintes
nouvelles et les imprévus dus à l’évolution de la situation militaire en Algérie, ont
considérablement modifié les projets de l’IABC qui ne peut que constater que « la mission
principale de l’ABC au cours de l’année 1960 a été de soutenir ses unités qui combattent en
Algérie »371. Son avenir est un peu perdu de vue malgré la mise sur pied des premières
brigades de la division modèle 1959. Alors que la définition d’un programme d’équipement
sur dix ans se fait de plus en plus sentir, les études menées sur les équipements ne concernent

365
Il est fait le choix de conserver un escadron sur le TED 516 pour éviter d’avoir à en former un à partir de deux
escadrons 021 si le besoin s’en faisait sentir.
366
SHD/Terre, 1 H 1908.
367
Transformation effectuée le 1er mars 1961.
368
Non réalisé.
369
La transformation de ce régiment avait été reportée du fait de l’engagement de l’escadron de marche mis à la
disposition du CAC en octobre et novembre 1960. En outre, le général Crépin décide d’affecter le 1er RCA aux
réserves générales et de le mettre à la disposition du CAC à compter du 1er février pour être utilisé dans la bande
côtière de Djidjelli, en plus d’un bataillon d’infanterie. Le régiment est finalement envoyé dans la région de Sétif
à cette date. C’est à l’occasion de ce transfert qu’a lieu le changement de structure.
370
Dans les faits, la transformation tarde à être réalisée : en juin 1961, un escadron AMX devient escadron porté
et l’autre passe sur AMX/TM24 en septembre.
371
SHD/Terre, 31 T 9.

150
que ceux qui doivent être employés en Algérie, comme l’AML 60, dont on définit en août les
TED.
Il n’en demeure pas moins que des progrès significatifs sont accomplis dans le
domaine de la cohérence. L’ABC compte 59 corps de troupe, 12 CI et une école. En Algérie,
45 régiments sont présents372 parmi lesquels deux sont des régiments de secteur (9e RCA à
Inkerman et 4e RD à Lafayette), l’ABC fournit également le personnel de trois états-majors de
secteur373. Le total représente 179 escadrons (sans compter les quatre compagnies nomades
d’Algérie montées) qui se répartissent en escadrons d’AM (35 %)374, de chars (17%)375, à pied
(30 %), à cheval (6 %), portés (6 %) et d’appui (6 %). A l’exception des 2e et 30e RD, qui ont
un TED AMX 13, tous les régiments sont alignés sur trois types de TED : ABC 021, ABC 022
(régiment à cheval) ou INF 107.
Les régiments EBR et Ferret sont homogènes, sauf le 1er REC qui n’a que 34 EBR, et
le 18e RD qui n’a pas d’escadron d’appui. Les régiments à cheval sont tous à quatre escadrons
ou sur le point de l’être. Les escadrons du 9e RS ne sont pas sur une structure homogène376
mais ils commencent à être remontés avec l’apport de la 13e compagnie nomade d’Algérie
(CNA) dissoute le 31 juillet. Le 23e RS perd sa structure de GE en mars, ses deux pelotons
d’AM M8 sont regroupés à l’ECS377. L’IABC milite pour qu’en plus des quatre escadrons
montés, ils aient tous un escadron d’AM M8, et que « par contre [ils perdent] tous les
impédimentas dont on les a gratifiés, tel cet escadron de chars M24 au 5e RS »378.
La réorganisation de l’ABC, entreprise en 1960, répond initialement à un certain
nombre d’impératifs. Les régiments doivent conserver leur efficacité en disposant d’éléments
à pied en nombre suffisant pour mener à bien les opérations de pacification, tout en possédant
des éléments blindés assez étoffés pour assurer d’autres missions. A l’intérieur, ils doivent,
d’une part, fournir l’appui des unités engagées et, d’autre part, la défense des frontières, tout
en conservant en toute circonstance leur caractéristique d’unité mobile pour lutter contre les
bandes. A cet effet, les régiments doivent disposer d’unités légères et bien armées, aptes à
exercer la surveillance de grands espaces et à intervenir rapidement en un point donné. Le

372
Il n’y a plus de régiment au Maroc et seul de le 8e RCA est encore maintenu en Tunisie.
373
Les compagnies de commandement de secteur d’Aïn-Taya, d’Azazga et de Duperré.
374
EBR : 9 %, AM M8 : 20 %, Ferret : 6 %.
375
AMX : 6 %, M24 : 11 %.
376
Le 1er escadron est à 3 pelotons montés et un peloton à pied, le 2e escadron également, le 3e escadron est à
quatre pelotons montés, le 4e escadron est à 3 pelotons montés et un peloton mixte (moitié monté, moitié à pied).
377
En octobre 1960, le commando 133 « Griffon » de Géryville est créé par le LTN Meyer. C’est le commando
de chasse du secteur de Géryville. Composé de 60 à 110 hommes selon les périodes. Il est mis sur pied avec des
hommes du 23e RS, des tirailleurs du 2e RTA et harkis. Il est dissous le 15 avril 1962.
378
SHD/Terre, 31 T 9.

151
TED ABC 021 répondant bien à toutes ces caractéristiques doit servir de base pour organiser
les régiments. Ces derniers doivent être alignés, dans un avenir plus ou moins proche à quatre
ou cinq escadrons pour permettre une meilleure économie des moyens. La proportion d’unités
blindées, portées ou à pied, sera variable selon le terrain et la situation locale. Cette
réorganisation permet un emploi plus souple des unités, une relève plus facile de leur
personnel et surtout un soutien logistique mieux approprié pour les matériels. Pour veiller au
bon emploi des unités, un commandant de l’ABC a été mis en place dans chaque CA.
Cependant, l’ABC se heurte toujours à des problèmes d’effectifs, notamment en raison
des nombreux départs de sous-officier. Lors de son inspection en 1960, le colonel Marzloff
note pour le 13e RD un déficit « classique » de 12 % chez les sous-officiers379, et le travail de
renseignement, les tâches d’actions psychologiques, et les détachements de personnel au
profit des secteurs ou des zones absorbent un personnel toujours plus important. A ce déficit
chronique, s’ajoute la volonté de réduire l’ensemble des effectifs de l’Algérie. L’avenir est de
plus en plus incertain sur le dénouement de la guerre et beaucoup se demandent si tous ces
efforts de réorganisation ne sont pas trop tardifs.

379
SHD/Terre, 1 H 1908.

152
CHAPITRE IV

La réforme rattrapée par les événements

I. 1961, une année de transition

11. Continuation de la réforme dans le même esprit jusqu’en avril

Au début de l’année 1961, la réorganisation continue de porter essentiellement sur


l’uniformisation des régiments montés, Ferret et d’EBR. Ces derniers sont quasiment tous
alignés à quatre escadrons TED 021, ce qui leur permet de conserver une puissance de feu
suffisante face au renforcement de la menace sur les barrages, tout en simplifiant leur soutien
et en leur laissant la possibilité de se reconvertir rapidement en régiment de reconnaissance
type Europe. En 1961, il est prévu de remettre en ordre les régiments TED 021 et de motoriser
les six régiments TED 107 qui restent dans l’ABC et que l’IABC veut voir mis en place dans
les quartiers de pacification. En outre, il souhaite que les chefs de corps, quel que soit le
matériel dont leur régiment est doté, puissent tous disposer d’un éventail varié de moyens :
blindés, portés et à pied. Cette mesure doit également concerner les régiments TED 107 dont
l’éparpillement des pelotons sur le terrain, sous prétexte qu’ils sont des unités de cavalerie,
rend indispensable, aux yeux de l’IABC, de leur attribuer un escadron blindé, ou au moins un
ou deux pelotons blindés d’AM M8 à l’ECS, pour leur permettre d’assurer un certain
rayonnement blindé et la protection de convois sensibles, ce qui lui est refusé car un peloton
d’escorte à base de scout-cars ou de half-tracks existe déjà dans leurs ECS. En revanche,
l’inspecteur obtient que tous les régiments TED 107 soient dotés d’un ECS sur le TED 021, ce
qui leur permet de disposer d’un meilleur soutien dans le domaine de la maintenance. En fait
l’IABC souhaite, comme depuis le début de la guerre, que tous les régiments ABC conservent
en toute circonstance leur caractéristique de mobilité tout en luttant contre l’ALN et l’OPA, et
disposent d’unités légères et bien armées qui soient aptes à surveiller de grands espaces et à
intervenir rapidement en un point donné.
Les buts recherchés au cours du premier trimestre de 1961 sont donc de revaloriser
partiellement les unités TED 107, d’attribuer un quatrième escadron aux régiments qui n’en
ont encore que trois, de compléter en AM et véhicules blindés de transport les éléments

153
blindés déjà existants des régiments montés pour leur donner à tous la valeur d’un escadron
d’AM, et de transformer les deux derniers régiments de type particuliers (2e et 30e RD) en
régiments TED 021380.
Si, au début de 1961, la poursuite de la réorganisation s’inscrit dans l’esprit de celui
qui a prévalu lors de la prise des décisions en 1960, un certain nombre de corrections doivent
toutefois être apportées. Le projet qui vise à diminuer le nombre de chars a beaucoup plus de
répercussions que prévu. Sa diffusion entraîne de vives réactions comme celle du général
Gouraud, commandant le CA de Constantine. Le 3 janvier 1961, il écrit à l’EMI qu’il ne veut
pas voir disparaître l’escadron de chars du 12e RCA qui doit être transformé en escadron porté
car il pense lui faire relever le 8e RS, il obtient gain de cause sur ce point. Le 7 janvier,
l’IABC réagit également sur la question de la réduction des chars sur le barrage-est. Pour lui,
la revalorisation du potentiel de l’ALN extérieure nécessite de plus en plus de disposer de
moyens rapides et bien armés pour s’opposer à toute tentative de passage en force par des
bouclages courts. Cette mission est confiée aux unités de l’ABC pour une très large part. Du
coup, le char qui était considéré comme trop puissant devient en fait le seul matériel
permettant de répondre aux nouveaux besoins tactiques. Il est le seul à offrir à la fois une
possibilité d’intervention rapide sous blindage avec une puissance de feu suffisante. Il peut
donc non seulement surveiller le barrage mais également le défendre contre une attaque
d’envergure. Ces nouvelles données font qu’une baisse du nombre des chars sur les barrages
n’apparaît plus souhaitable à l’inspecteur qui pense même qu’elle irait à l’encontre du but
poursuivi qui vise à maintenir l’étanchéité des barrages.
Un autre événement vient s’ajouter à la réforme en cours, mais n’a pas une très grande
incidence sur elle. Dans le courant de l’année 1960, l’infanterie peine à administrer et à
inspecter l’ensemble des compagnies sahariennes qui dépendent d’elle depuis leur création en
1902. Avec les expérimentations nucléaires et l’exploitation du pétrole et du gaz, le dispositif
militaire au Sahara doit être renforcé, et l’infanterie souhaite en partager le fardeau avec
l’ABC. Bon nombre de cavaliers servent dans les compagnies sahariennes, surtout depuis la
mise en place d’un peloton d’AM M8, armé par l’ABC, dans chaque compagnie saharienne
portée (CSP)381 en 1952. Le dispositif militaire au Sahara est réorganisé le 1er janvier 1961.

380
SHD/Terre, 1 H 1349.
381
En 1954, ces compagnies sont toutes les cinq organisées selon la même structure avec une section de
commandement, un peloton d'automitrailleuses, trois sections portées de fusiliers-voltigeurs et une section de
canons de 75 SR. Leur effectif est de 195 hommes avec des véhicules de tous types. Mais cette organisation
théorique évolue au fil du temps.

154
Les Territoires du Sud deviennent Commandement interarmées du Sahara (CIS)382, dont le PC
est installé à Reggan. Il est divisé en deux zones opérationnelles : la ZOS à Colomb-Béchar et
la ZES à Ouargla. Cette réorganisation fait également passer deux groupes sahariens
motorisés et quatre CSP, dont une de légion étrangère383 sous la responsabilité de l’ABC. En
octobre 1961, les troupes sahariennes sont à nouveau réorganisées (DM du 19 août 1961)384.
Cette transformation est due à l’adaptation des unités sahariennes à l’articulation du territoire
saharien (un groupe par sous-secteur) et à la réduction du nombre de types d’unités utilisées
au strict minimum exigé par les caractéristiques géographiques. Les groupes sont composés
des différents types de pelotons385. L’ABC perd la responsabilité de trois CSP qui forment, en
fusionnant chacune avec une CSI, des groupes sahariens mixtes. Il existe alors :
- 2 groupes sahariens motorisés (tous deux rattachés à ABC)386,
- 8 groupes sahariens mixtes (tous rattachés à l’infanterie),
- 9 compagnies sahariennes portées (dont seul l’ESPLE qui est rattaché à l’ABC),
- 5 compagnies méharistes (toutes rattachées à l’infanterie).
Mais, malgré ce rattachement, plus administratif qu’opérationnel, les unités
sahariennes sont toutes des unités interarmes où cavaliers et fantassins servent côte à côte.
Seule la proportion des uns ou des autres varie selon l’arme de rattachement de l’unité.
Curieusement, aucune unité saharienne de l’ABC, à l’exception de l’ESPLE, ne compte de
peloton d’AM M8, les pelotons des groupes sahariens motorisés sont tous des pelotons
motorisés. Les GSM sont conçus comme des unités administratives regroupant des unités
élémentaires indépendantes sur le plan opérationnel. En novembre, le CIS souhaite leur
donner leur indépendance administrative et en faire des unités autonomes en supprimant
l’échelon du groupe. L’IABC s’y oppose car il pense que cette formule, en augmentant les

382
Le 15 décembre, le CIS devient commandement supérieur au Sahara (CSS), lors de la scission de la Xe RM
en deux régions : région militaire d’Algérie et région militaire du Sahara
383
Il s’agit des 2e et 3e groupes sahariens motorisés, et des escadrons sahariens portés de l’Oued-Rhir, de Metlili,
des Oasis et du 1er Escadron saharien porté de la Légion étrangère.
384
Sur cette réorganisation voir : Pierre Denis, L’Armée française au Sahara. Paris, L’Harmattan, 1991, 320 p.,
p. 218.
385
Il existe six types de pelotons sahariens (SHD/Terre, 1H 4753 et 4753 bis) :
- le peloton de commandement : 63 hommes, trois mortiers de 60, deux Dodge 4 x 4, deux Dodge 6 x 6,
- le peloton porté (TED INF 120) : 39 hommes, un groupe de commandement et trois groupes de combat
sur Dodge 6 x 6,
- le peloton motorisé (TED INF 128) : 76 hommes, six Dodge 4 x 4, neuf Dodge 6 x 6, sept mitrailleuses
de 7,62, deux mitrailleuses de 12,7 et un mortier de 81,
- le peloton méhariste (TED INF 123) : 39 méharistes,
- le peloton d’AM (TED INF 120) : cinq AM,
- le peloton canon : deux canons de 75 SR sur Dodge.
386
Groupe saharien motorisé de l’Erg Oriental (ex-2e GSM) et le groupe saharien motorisé de l’Issaouane (ex-3e
GSM).

155
postes administratifs dans un contexte de déflation des effectifs, est une solution coûteuse et
peu rentable. En outre, elle est, toujours selon lui, très mauvaise sur le plan de l’entretien du
matériel car elle supprime l’échelon intermédiaire entre l’unité et la compagnie du Matériel
qui devra être renforcée. Les groupes sahariens motorisés (GSM) sont maintenus jusqu’au
désengagement. Le Groupe saharien motorisé de l’Erg Oriental est dissous le 1er octobre
1962, et le Groupe saharien motorisé de l’Issaouane, le 1er décembre 1962. Ces unités, dont la
gestion n’est pas une lourde charge pour l’ABC, ne représentent qu’un épiphénomène dans la
réorganisation de cette arme en Algérie entreprise en 1960.
Dans le cadre de celle-ci, le 11 mars 1961, l’IABC propose une réorganisation qui doit
permettre d’aligner toutes les unités blindés et tous les ECS sur le TED 021, y compris ceux
des unités montés et des unités 107, qui devront toutes être revalorisées par la mise en place
de moyens de transports organiques. Il prévoit de réduire le nombre de chars dans de moindre
proportions et d’aligner tous les régiments à quatre escadrons au minimum pour réduire les
frais généraux dans un contexte de réduction des forces. L’inspecteur propose de mener son
projet en trois phases. Une première phase verra la transformation de deux régiments (2e et
30e RD) sur le type 021 (ce qui permet de dégager 22 postes, dont ceux de 11 officiers) et la
transformation de six escadrons de chars en escadrons portés, au lieu des huit prévus
initialement. Dans une deuxième phase, un régiment d’AM M8 sera reconverti en régiment
d’EBR, afin de retirer du service les AM M8 les plus usées387. Enfin, la troisième phase
consistera à faire passer les six régiments qui n’en n’ont encore que trois, à quatre escadrons.
L’existence de régiments à trois escadrons ne devra être considérée que comme un expédient
si possible provisoire388. Cette phase est jugée comme la plus délicate car ce changement de
structure risque de désorganiser le dispositif en place, d’autant plus qu’il est envisagé de doter
des régiments d’EBR d’un cinquième escadron qui serait un escadron 107389.

387
Le passage sur EBR du 2e REC est fortement envisagé pour simplifier la relève des sous-officiers mais des
motifs opérationnels font renoncer au projet, on pense au 4e RCC ou au 4e RCA qui finalement ne passeront pas
sur EBR.
388

Répartition des escadrons de combat dans les régiments ABC en mars 1961
Régiment à trois escadrons de combat 6
Régiment à quatre escadrons de combat 24
Régiment à cinq escadrons de combat 12
Régiment à six escadrons de combat 1
Régiment à sept escadrons de combat 1
Total 44 (176 escadrons)

389
SHD/Terre, 31 T 9.

156
A cette période, il y a en Algérie 250 M24 et 170 AMX, l’effort consenti par le
Matériel permet de soutenir un peu plus de M24 que prévu : 200 à 220 chars au lieu des 120
annoncés dans un premier temps. La réduction ne porte plus que sur 50 chars au lieu de 66
qu’il convenait jusqu’alors de supprimer. En outre, onze escadrons doivent équipés
d’AMX /TM24 en 1961 (88 engins). L’objectif est d’en équiper 14 en tout entre 1961 et 1962,
ce qui doit porter le nombre d’engins à 112 engins en tout390.
Bien que l’augmentation de la menace qui pèse sur les frontières, et l’augmentation du
nombre de M24 pouvant être soutenus par le Matériel, changent quelque peu la donne, les
principes de la réforme restent globalement les mêmes.
Dès le mois de mars, le 1er bureau de l’EMI envisage de supprimer les régiments à
trois escadrons. Pour le CAO, il souhaite commencer par le 9e RH (ZCO) et 10e RD (ZEO).
Pour augmenter leur nombre d’escadrons, le 1er bureau propose de dissoudre un régiment 107
de la ZNO, soit le 1er RC, soit le 6e RCA (tous deux anciens régiment de chars de la 5e DB)
qui sont en superposition dans le secteur d’Inkermann dont le 9e RCA à la responsabilité.
Dans le CAC, trois régiments sont à trois escadrons : le 18e RD, auquel il manque son
escadron d’accompagnement, le 1er RCA et le 30e RD. On pense profiter des mouvements
d’unités prévues pour les faire passer à quatre escadrons. Le 4e RCA, qui dispose de cinq
escadrons doit relever le 8e RS qui en a quatre. En conséquence, le 1er bureau propose qu’un
escadron 107 du 4e RCA soit attribué au 18e RD pour former son escadron d’appui et
d’accompagnement. Le 21e RS, qui est aligné à quatre escadrons d’EBR doit relever le 29e RD
qui compte quatre escadrons blindés et un escadron 107. La relève pourrait être l’occasion
d’affecter ce dernier au 30e RD. Enfin, comme le 6e RC compte cinq escadrons dont un
escadron de chars qui est détaché dans le secteur de Djidjelli que l’on pense affecter au 1er
RCA391.
Ce dernier, qui doit transformer l’un de ses trois escadrons de M24 en escadron porté,
est transféré dans ce secteur pour compenser le prélèvement du 4e escadron de Gendarmerie
mobile (EGM) qui est envoyé à Alger remplacer des unités territoriales (UT). Le régiment
s’installe dans le secteur de Sétif à Ziama-Mansouriah où il est placé en réserve générale à 96
h 00. Il y assure un service d’escorte et de protection de l’oléoduc. Il se retrouve dispersé dans
plusieurs zones ce qui est peu compatible avec sa position d’unité de réserve. L’EMI demande
à ce qu’il soit regroupé dans les meilleurs délais dans une seule zone. Le 29e RD est
également placé en réserve à 96 h 00, et passe en mars de la région du Tarf (ZEC) à celle de

390
SHD/Terre, 1 H 1908.
391
SHD/Terre, 1 H 2139.

157
Condé-Smendou (ZNC), à proximité du 1er RCA. Le régiment compte toujours cinq escadrons
(deux escadrons d’AM, un de M24 et un escadron 107).

12. Le putsch des généraux entraîne une baisse des effectifs plus
importante que prévue

Les études sont encore peu avancées quand elles sont rattrapées par les évolutions
politiques et militaires du conflit. Le putsch des généraux et l’ouverture de négociations avec
le FLN vont, encore une fois, bousculer les prévisions faites. Les unités de réserve générale
sont désorganisées suite au putsch392 et une nouvelle diminution du nombre des unités est
annoncée pour l’été393. Il est prévu de renvoyer en France cinq régiments de l’ABC, soit avec
leur division d’appartenance, soit isolément394. La diminution des effectifs entraîne un
allégement du quadrillage qui doit être compensé par un regain de mobilité. En outre,
l’interruption des opérations offensives (du 25 mai au 11 août) et l’intervention à Bizerte, en
juillet, modifient encore les missions et le déploiement des unités.
Le 25 juillet 1961, la 11e division légère d’infanterie (DLI) avatar de la 10e DP
dissoute à la suite du putsch, est rapatriée en France. Elle emmène avec elle le 1er RH qui
prend garnison à Sedan. Ce régiment laisse ses Ferret sur place. La 7e division légère blindée
(ex-DMR) retourne également en France avec deux de ses régiments qui passent sur Patton.
Le 2e RD est envoyé en garnison à Haguenau le 7 septembre. Il laisse en Algérie deux
escadrons portés : le 3e escadron passe au 4e RCC et le 4e au 18e RCC. Le 30e RD part, quant
à lui, prendre garnison au Valdahon le 3 septembre. Il laisse son escadron TED 107 (qu’il
avait reçu le 1er août du 20e RD) au 4e RD pour remplacer l’escadron de support de quartier de
pacification (ESQP) de M’Chira dissous. Quant au 8e RH, après avoir été envoyé à Bizerte en
juillet 1961, il rentre en France le 14 octobre 1961 et va prendre garnison à Colmar pour
devenir régiment de reconnaissance de la 7e DLB. Son 4e escadron/commando, resté en
Algérie lors du départ du régiment pour la Tunisie, est dissous le 15 septembre 1961.
D’autres mesures concernent les unités de l’ABC, le CAO doit perdre 2 700 postes
avant le 1er octobre. Pour ce faire, à la fin du mois de juillet, le général commandant le CAO
souhaite remplacer les unités de pacification du plan Arc-en-ciel par des unités 107 dont

392
Les 10e DP, 25e DP et 11e DI donnent naissance à la 11e DLI, qui rentre en France, et à trois brigades
numérotées de 1 à 3, et affectées chacune dans un CA. Le 13e RD passe à la disposition de l’EMI et reste
implanté dans le CAC.
393
La participation des unités de l’ABC au putsch est traitée dans le titre II.
394
Le 1er RC rentre en Allemagne (Saint Wendel) le 12 décembre 1961.

158
l’action opérationnelle prendra le pas sur l’action de pacification. Il demande la dissolution de
ses bataillons de secteur395, et la création d’un nouveau régiment de secteur en y regroupant
les éléments des 1er RC et 6e RCA. L’état-major du CA d’Oran pense ainsi pouvoir substituer
une organisation dynamique et souple à un système purement statique et par conséquent
mieux adapté à la mission de contrôle et de protection des régions de l’Ouarsenis entre
Inkermann et Orléansville ainsi que les rocades Perregaux/Méchéria et Relizane/Aflou396.
Le CA de Constantine est davantage concerné par la réduction des effectifs. En août il
est décidé d’y supprimer 5 000 postes, ce qui implique une réorganisation de son dispositif
pour continuer à assurer les mêmes missions avec moins d’effectifs. Le démantèlement des
réserves générales ne facilite pas la tâche. Pour en reformer, sans augmenter les effectifs, des
unités sont placées en alerte à 48, 72 ou 96 h 00, tout en étant affectées à des secteurs. C’est
dans ce cadre que le 1er RCA et le 29e RD passent en réserve générale. Cette disposition ne
donne pas satisfaction au général Ducournau, commandant le CA de Constantine à la suite des
palinodies du général Gouraud lors du putsch, qui, du fait de leur lourdeur et de leur manque
de mobilité, pense que ces régiments ne pourront être utilisés dans le cadre des réserves
générales (RG) que par escadron. Or, leur présence reste indispensable dans leur secteur, c’est
pourquoi il obtient que ces deux régiments dans le CAC et ne soient maintenus dans les RG
qu’avec un préavis de 96 h 00 ce qui leur permet le maintien de leurs missions habituelles,
pour le 1er RCA, escortes et participation au maintien de l’ordre, et, pour le 29e RD,
principalement des escortes.
Ce type de disposition n’est qu’un palliatif face aux problèmes des effectifs. La baisse
annoncée aggrave une situation déjà préoccupante pour l’ABC. La déflation des effectifs
ampute l’ABC en Algérie de 5 895 postes, son effectif global passe en 1961 de 41 489 à
35 594. Cette déflation entraîne une diminution de 15 % des officiers, 21 % des sous-officiers
et 13 % des hommes de troupe. La baisse des effectifs des appelés PDL doit être compensée
par une augmentation du personnel ADL. Mais les effectifs de ces derniers sont loin d’être
réalisés, leur déficit s’élève à 3 389 FSE et 1 278 FSNA, soit 4 667 en tout sur un effectif
théorique de 7 285.
Le nombre des engagés FSE en Algérie n’est plus que de 480, au lieu de 780 en 1960.
Les chefs de corps cherchent à recruter mais leurs efforts ne sont pas couronnés de succès. Au
27e RD, au cours de l’été, 1 300 lettres et notices sont envoyées aux brigades de gendarmerie
et aux bureaux de recrutement en France. Les résultats sont très décevants. Au mois de

395
Le 9e RCA (Inkerman), le 31e BCP (Tiaret) et le 454e GAAL (Saïda).
396
SHD/Terre, 1 H 1875.

159
novembre, seuls deux brigades et deux bureaux de recrutement répondent, et aucun
engagement n’est souscris397. Le commandement souhaite donc que la politique de
recrutement des engagés ne soit plus laissée aux régiments, mais qu’elle soit centralisée au
niveau national car il est difficile, sinon impossible pour un régiment déployé en Algérie de
recruter des engagés en France. La politique de recrutement des engagés FSNA est également
globalement décevante. Même si certains régiments, implantés au même endroit depuis
plusieurs années, arrivent à en recruter sans grande difficulté, il reste encore, à la fin de 1961,
1 115 postes à pourvoir sur les 2 595 qui ont été ouverts. Les engagements des FSNA portent
principalement sur de jeunes civils, quelques harkis398 et, dans une très faible proportion, sur
des appelés qui sont généralement conscients que l’indépendance de l’Algérie est inéluctable.
Ce sous-effectif en engagés est d’autant plus préoccupant que le commandement souhaite
compenser la diminution du nombre d’appelés par un volume plus important d’engagés.
A l’été, l’effectif théorique des appelés servant dans l’ABC en Algérie est de 22 900
FSE, dont 960 au Sahara, et de 4 400 FSNA, dont 106 au Sahara399. Mais, bien qu’avec le
déficit en ADL, ses besoins soient supérieurs, cet effectif théorique doit passer en Algérie à 19
600 en 1961, du fait de la déflation des effectifs et de la diminution, voire de la suppression
des plans de renfort400. Ces diminutions, et surtout ces suppressions, mettent les corps de
troupe dans des situations parfois critiques. Ils souffrent tous d’un déficit chronique, surtout
ceux qui sont abonnés au CIABC dont les recrues, incorporées directement en Algérie, sont
libérées un mois plus tôt que les autres. Ces problèmes d’effectifs obligent, encore une fois,
les gestionnaires à jongler avec les différents CI pour les pallier au mieux. Mais, la diminution
des effectifs est accompagnée par une meilleure répartition qualitative des cadres entre les
différentes unités, ce qui est le seul point positif dans les réorganisations en cours.
Si les TED sont à peu près honorés, grâce aux différentes réorganisations, ils restent
cependant déficitaires pour les sous-officiers supérieurs, et les sous-officiers FSNA qui ont vu
leur nombre passer de 302 à 358. En outre, les TED ne tiennent toujours compte ni des
servitudes de garnison, ni des charges territoriales (OR et leur équipe, encadrement des
harkas, écoles, centres de transit et de tri (CTT), etc.), à cela s’ajoute les officiers en stage ou
détachés dans d’autres armes, dans les affaires algériennes (AA) ou dans la 123e brigade

397
SHD/Terre, 7 U 887*.
398
Le 27e RD ayant licencié tous les siens en septembre lorsqu’il passe en réserve de secteur, en conserve une
bonne partie comme engagés.
399
L’ABC compte tout, avec les effectifs de France et d’Allemagne, 32 600 appelés (25 900 FSE et 6 700
FSNA).
400
Les plans de renfort Montpensier IV et V en provenance des FFA sont annulés lors de la libération des
contingents 59/1/B et 59/1/C.

160
(grande unité de renseignement dépendant du Centre de Coordination Interarmées ou CCI),
qui ne sont le plus souvent pas remplacés dans leur corps et dont le total s’élève à 498. Les
régiments les plus concernés sont les huit régiments « supports » de secteur qui ne bénéficient
toujours d’aucune majoration à ce titre401.
Il existe un déficit de 20 % en officiers supérieurs. Les officiers subalternes accusent
un déficit de 10 % dans le grade de capitaine, alors que les effectifs des lieutenants et des
sous-lieutenants sont honorés à 116 %. Mais cet excédent est trompeur, car il existe un
manque de lieutenants anciens dont les postes sont bien souvent tenus par des officiers de
réserve. Dans beaucoup d’escadrons, le capitaine commandant est le seul officier d’active et,
lorsqu’il s’absente, il ne reste pas d’officiers d’active dans l’unité. Les effectifs d’officiers du
contingent sont réalisés à 109 %, une centaine d’entre eux servent dans les AA ou le service
de formation de la jeunesse algérienne (SFJA).
La situation des sous-officiers d’active continue à se détériorer. En un an, 422 sous-
officiers cavaliers en service en Algérie sont rayés des cadres, soit par décès, soit pour prendre
leur retraite, soit encore par démission ou non renouvellement de contrat. Le déficit des corps
s’est encore accentué, surtout dans les grades d’adjudant-chef et de major402. En décembre, le
chef du bureau ABC de la DPMAT décide que les régiments où ce déficit atteint 15 à 18 % ne
recevront plus que des spécialistes dont le besoin est vital, les autres postes ne sont plus
honorés403. En outre, la moyenne d’âge dans ces deux grades est très élevée et beaucoup de
leurs titulaires sont usés par les campagnes auxquelles ils ont participé. La relève n’est pas
assurée de façon satisfaisante, les jeunes sous-officiers d’active ont un niveau décevant et,
souvent, les MDL du contingent sont d’un rendement supérieur. Une loi adoptée dans l’année
prévoit une revalorisation des soldes particulièrement avantageuse pour les jeunes sous-
officiers, ce qui fait espérer que le nombre de candidats au recrutement augmentera tant en
quantité qu’en qualité dans les mois à venir. Pour l’heure, le commandement cherche à
recruter des maréchaux-des-logis parmi les engagés et les FSNA, mais sans beaucoup de
succès.
En 1961, la situation des MDL du contingent s’est en revanche considérablement
améliorée. Bien que les règles d’avancement ne soient pas assouplies, les chefs de corps

401
SHD/Terre, 6 T 577.
402
A cette époque le grade de major est un grade intermédiaire entre celui de maréchal-des-logis-chef et
d’adjudant.
403
SHD/Terre, 7 U 887*.

161
trouvent dès lors, parmi les renforts404, les hommes susceptibles de faire de bons maréchaux-
des-logis. A défaut, les excédents de gradés des FFA leur sont affectés.

13. Réorganisation plus importante que prévue initialement

La déflation de 2.300 postes d’appelés est une nouvelle donne qui doit être prise en
compte dans les décisions à prendre. Il n’est plus question seulement d’uniformisation mais
également de réduction des effectifs et de l’évolution du dispositif militaire qui doit en
découler, en tenant compte, à partir de 1961, du début du rembarquement vers la métropole et
du redéploiement, notamment des unités de cavalerie, en ville pour le maintien de l’ordre
suite aux violentes manifestations (à Alger essentiellement) de décembre 1960. En mai,
l’EMA décide une première tranche de changements de structure qui sont réalisés le 1er juin.
Le 30e RD passe à trois escadrons TED 021 mais doit être en mesure de mettre sur pied un
escadron 516 dans les délais impartis à la mise sur pied du groupement amphibie d’assaut de
la FTI405. Quatre escadrons de chars (M24 et AMX) sont transformés en escadrons portés (1er
RCA, 6e RS, 16e RD, 5e RS). L’escadron porté du 5e RS passe aussitôt au 27e RD à la
demande du CA d’Alger. Le 1er juillet 1961, le 2e RD passe du TED TTA 928 au TED ABC
021 à trois escadrons d’AMX et deux escadrons portés qu’il laisse sur place lors de son départ
en septembre.
Le 30 septembre, le 25e RD est dissous à Zeralda. Ce personnel est affecté au 28e RD.
Cette dissolution permet aussitôt d’affecter les matériels des deux escadrons portés à deux
escadrons TED 107 du 6e RH406. Du fait de la priorité donnée à la préservation du potentiel
blindé lors de la déflation des unités, un escadron TED 107 de chacun des 4e RCC407, 4e RCA
et 6e RC, est également dissous.
Ces décisions permettent de couvrir l’ensemble des missions dévolues aux régiments
de l’ABC dont 40 % font du quadrillage, 30 % sont en réserve mobile et 30 % défendent les
barrages. Le dispositif de celui de l’Est reste le plus volumineux du fait de la pression que
l’ALN extérieure y exerce :

404
Les appelés arrivent en Algérie soit à 18 mois (FFA et sous-officiers des CI), soit à 14 mois (unités de
métropole), soit à 4 mois (CIABC ou CI de métropole).
405
SHD/Terre, 1 H 2133.
406
Le 1er octobre, le 6e RH passe de cinq escadrons 017 à deux escadrons portés et trois 107.
407
L’escadron 107 du 4e RCC était déjà en sommeil et son personnel complétait les autres escadrons. C’est à la
même période que le 3e escadron du 2e RD (porté) lui est affecté.

162
Types et nombre d’escadrons 021 par corps d’armée en juin 1961
AMX M 24 EBR Ferret Portés AM M8 Total
CAA 4 4 6 10 24
CAO 2 4 4 3 4 17
CAC 9 11 12 3 11 24 70
CIS 3408 2 5
RG 6 6
11 19 23 12 19 48 122

Cette organisation permet également de retirer du service 56 chars, 100 Dodge et 145
jeeps du service, elle suppose la mise en place en Algérie de 111 half-tracks pour honorer la
facture qui s’élève en tout à 243409. L’équipement de la 1re DB en AMX 13/VTT et l’effort
entrepris en France pour augmenter les cadences de construction, et de transformation des
half-tracks/DCA en half-tracks commandement ou transport de troupe, ont permis de dégager
un nombre suffisant d’engins pour équipés les unités transformées dans un délai de six mois
avec une priorité pour les escadrons portés. En attendant l’arrivée de ces matériels, certains
pelotons portés continuent à être transportés dans des camions et n’opèrent pas sous blindage.
Pour pallier ce manque de protection, le 1er RS conserve ses 11 EBR en sur-dotation. Les
pelotons portés des régiments d’EBR, en revanche, sont laissés sur véhicules à roue car les
half-tracks sont peu adaptés pour manœuvrer au même rythme que celui des EBR. Le nombre
de half-tracks présents en Algérie passe, en quelques mois, de 3 122 (dont 63 au titre des
secteurs) à 3 435. En outre, 80 Dodge 4 x 4 blindés entrent également en service pendant cette
période pour y remplacer des scout-cars, bien que ce véhicule ne soit considéré par certains
que comme un pis aller. Le général de Menditte, commandant le CAA, pense même qu’« il
est illusoire de considérer le 4 x 4 blindé comme un véhicule de combat. Le poids de son
blindage lui interdit les routes accidentées et ne lui permet de porter que deux hommes
d’équipage par ailleurs mal protégés »410.
Cependant, il arrive que les camionnettes soient préférées aux half-tracks. En
septembre, le CA d’Oran demande à ce que le 1er RCC soit équipé d’AMX/T M24 pour
intervenir sur le barrage-ouest. Bien que le 3e bureau de l’EMI n’y soit pas favorable411, on
prévoit toutefois de lui affecter deux escadrons AMX/TM 24 à la fin de l’année 1961. En

408
Il s’agit du 1er REC qui est envoyé à Colomb-Béchar du 22 juin au 1er août 1961.
409
SHD/Terre, 6 T 577.
410
SHD/Terre, 1 H 1908.
411
Le B3 pense que la zone d’action du 1er RCC nécessite plutôt des matériels à roue, et que sa mission
« barrage » peut le conduire à engager du personnel à pied y compris des quatre pelotons de chars qui lui seront
affectés.

163
novembre, la transformation du 1er RCC n’est pas approuvée par l’EMA, le matériel qui est
hypothéqué à son profit se retrouve donc disponible. Mais le général commandant le CAO
n’est pas favorable à ce que le 1er RCC soit aligné sur un quatre escadrons portés sur half-
tracks comme le suggère l’EMA. La raison en est l’utilisation qui est faite du régiment. Le
régiment doit surveiller et défendre le barrage dans une région montagneuse tout en menant
des actions profondes de dissuasion au-delà du barrage, en terrain ouvert. Il doit donc disposer
de moyens lui permettant soit de se déplacer rapidement le long du barrage, soit de pousser
aussi loin que possible en ayant des éléments de reconnaissance et de dissuasion dotés de
moyens de feu puissants. Il souhaite donc que le régiment reste sur camionnette car, selon lui,
les half-tracks ne possèdent ni la mobilité, ni la capacité de transport tous chemins des
camionnettes qui ont déjà fait leur preuve dans la plaine d’alfa. Il souhaite maintenir le
nombre de ces camionnettes qui sont une quarantaine et reverser 21 de ses 45 half-tracks pour
n’en conserver que 24. Cependant il maintien toujours sa demande d’AMX/T M24.
La carence de matériel ne permet pas d’honorer tous les besoins. Si le CIS obtient
qu’un escadron du 26e RD soit doté d’AM M8412, le CAA n’en obtient pas pour le 6e RH qui
opère en Grande Kabylie où il a fallu détacher un escadron de chars du 19e RCC après le
départ du 13e RD. Les 9e et 23e RS ne sont pas, non plus renforcés en AM.
Le dispositif de pacification est également remis en cause. Dans un contexte de
déflation des effectifs, le commandement souhaite faire porter l’effort non seulement sur les
escadrons TED 107, mais également sur ce type d’unité. Le principe même des bataillons de
pacification est remis en cause car, selon le colonel de Quenetain, « ce type de régiment est
dépassé par les événements du fait de la démilitarisation des SAS, du regroupement des
postes et de l’accroissement des la mobilité et de l’activité opérationnelle »413. En outre, dans
le secteur d’Inkermann, comme dans celui de Lafayette la superposition d’un régiment
opérationnel TED 107 avec un régiment de pacification se révèle être une mauvaise solution.
Le 14 juin, le général Ailleret propose donc la dissolution du 20e RD en superposition du 4e
RD dans le secteur de Lafayette414. L’EMA lui donne son accord et, le 1er août, le 4e et le 20e
RD fusionnent sous l’appellation de 4e RD. Cette dissolution permet de doter d’un quatrième
escadron les régiments du Constantinois qui ne sont qu’à trois escadrons (1er RCA, 18e RD et
30e RD) sans toucher aux unités TED 021, et de ne conserver dans le secteur de Lafayette

412
Ces AM sont jugées indispensables étant donné la menace que le commandement croit peser sur la frontière
marocaine, dans la région de Colomb-Béchar. Il a fallu y envoyer en urgence un escadron du 13e RD puis le 1er
REC qui quitte la zone en août pour rejoindre le secteur de Saïda.
413
Id.
414
SHD/Terre, 1 H 1349.

164
qu’un seul ECS ce qui permet de régler de nombreux problèmes d’ordre administratif et de
soutien logistique en plaçant les escadrons de support de quartier de pacification (ESQP) et
les escadrons 107 sous un seul et même commandement. Trois escadrons et le commando V
12415 du 20e RD passent au 4e RD, un escadron passe au 1er RCA et un autre passe 30e RD. Le
personnel de l’ECS passe au 18e RD, ce qui permet de mettre sur pied son escadron
d’accompagnement et d’appui (EAA) équipé de jeep canon de 106 sans recul qui lui faisait
défaut. Le 12 septembre 1961, le chef de corps du 4e RD prend le commandement du secteur
de Lafayette. Une décision similaire est prise avec les 6e et 9e RCA, conformément au souhait
exprimé en mars par le 1er bureau de l’EMI. Le 1er septembre, la décision est prise de procéder
également à la fusion des deux régiments sous l’appellation de 6e RCA. Le 1er octobre 1961,
les escadrons du 9e RCA dissous deviennent les 5e, 6e, 7e, 8e et 9e (commando n° 51)
escadrons du 6e RCA. Le régiment, dont l’effectif est porté à 1 755 hommes, est alors
organisé en deux groupes d’escadrons, soutenus chacun par un escadron de commandement et
d’appui (en plus de l’ECS régimentaire). Mais le personnel de celui du 2e GE est réparti dans
les escadrons. Le régiment compte alors une vingtaine de harkas qui totalisent près de 800
hommes. Le 15 octobre 1961, le chef de corps prend le commandement du secteur
d’Inkermann.
Mais ce n’est pas tout, l’existence des ESQP « ABC » est également remise en cause.
Il est envisagé de rattacher l’ESQP de M’Chira, créée en octobre 1959 comme unité isolée, au
6e RC dont le chef de corps commande le secteur d’Aïn M’Lila416. Au bout d’un an
d’existence, le commandement se rend compte que, faute de moyens propres suffisants, ce
type d’unité autonome rencontre les pires difficultés pour vivre et mener à bien ses missions
de pacification. Mais la solution de le rattacher au 6e RC est tout d’abord écartée car, en cas
de relève, cela poserait trop de complications. Ce n’est qu’en raison de l’insistance de l’IABC,
qu’il est finalement rattaché administrativement au 6e RC puis dissous en septembre pour être
remplacé par un escadron TED 107. Celui-ci est l’ancien escadron TED 107 du 20e RD passé
au 30e RD. On profite du retour en France de ce régiment pour transférer cet escadron au 4e
RD et lui attribuer les missions de pacification du quartier de M’Chira. Entre septembre et
décembre, les secteurs d’Azazga, d’Aïn-Taya et d’Inkermann passent également
progressivement sous la responsabilité d’une autre arme.
La déflation des effectifs a raison de l’inspection de l’ABC d’Algérie qui reprend la
dénomination de commandement de l’ABC d’Algérie le 26 août 1961. Ce changement permet

415
Le commando V 12 rentre dans la composition du groupement des commandos de chasse d’Akfadou.
416
SHD/Terre, 6 T 577.

165
de réduire son état-major de 30 % de ses effectifs. Cette baisse d’effectif ramène l’état-major
du commandement de l’ABC en Algérie à ce qu’il était en 1954 lorsqu’il n’y avait que quatre
régiments de l’ABC en Algérie. Le rôle du colonel de Quenetain, qui prend ce poste à la
même date, est alors celui de conseiller technique du général commandant supérieur des
forces en Algérie, il n’est plus le représentant de l’IABC avec lequel il ne peut plus
correspondre que sous le couvert de son chef direct. Mais, dans la réalité, les seules fonctions
que perd le commandant de l’ABC d’Algérie sont celles « d’adjoint barrage » et d’inspecteur
ABC au Sahara, depuis que ce dernier est devenu « région militaire autonome ». Pour le reste,
ses missions restent quasiment identiques mais son autonomie est réduite. Il conserve comme
relais les adjoints ABC des corps d’armée, mais celui d’Alger, le colonel Arkwright, n’est pas
remplacé lors de son départ. Le colonel de Quenetain demande à ce que chaque commandant
de zone disposant d’au moins trois régiments ABC ait également un adjoint ABC, mais cette
demande reste sans suite en raison de la déflation des effectifs.

II. A la recherche d’une organisation plus classique

La réorganisation ne s’arrête pas là, car non seulement les objectifs fixés ne sont pas
atteints mais, en plus, la déflation des effectifs et le retour en France de certaines unités
obligent celles qui restent à être plus mobiles, plus polyvalentes et à se redéployer. La
structure encore disparate de la plupart des régiments affaiblit leur rendement. Cette disparité
nuit en effet non seulement à la bonne répartition du personnel spécialiste et au soutien, mais
surtout à la souplesse d’emploi qui exige de disposer d’unités interchangeables. En outre, à
l’intérieur, les réorganisations du dispositif se traduisent par une diminution des missions de
pacification et un regroupement des unités ce qui tend à redonner à l’ABC ses missions de
sûreté, d’intervention et d’appui rapide.

21. Le projet du colonel de Quenetain

Le 30 août, le colonel de Quenetain présente un projet au général commandant


supérieur des forces en Algérie, le général Charles Ailleret, nommé à ce poste malgré ses
hésitations à rallier le putsch alors qu’il commandait la Zone Nord-Est du Constantinois417. Le

417
Marcel Duval (vice amiral d’escadre), Marin sous trois républiques (1931-1995), Paris, Economica, 2011,
283 p., p. 99.

166
commandant de l’ABC d’Algérie propose de continuer à prendre comme base le TED 021, en
l’étendant aux unités montées et à pied, pour leur permettre de disposer d’un escadron blindé
et éventuellement de devenir entièrement blindées. Il souhaite toujours restreindre le nombre
de types de régiments qui devront chacun répondre à une mission particulière et être défini par
un qualificatif particulier : découverte, aéroporté, reconnaissance ou chars. Le projet prévoit
que les régiments soient tous alignés à quatre escadrons de combat, dont deux ou trois blindés
et un ou deux portés, selon le matériel de base qui devra être identique pour les escadrons
blindés. Cela suppose le retrait du service d’un certain nombre d’entre eux et devra
s’effectuer, pour cette raison, progressivement en fonction de la déflation des effectifs et de la
disponibilité des matériels.
Ce nouveau projet permettrait la mise sur pied de six régiments de découverte (quatre
escadrons d’EBR), trois régiments aérotransportables (Ferret), seize régiments de
reconnaissance (AM M8), huit régiments de chars (M24 ou AMX), trois régiments mixtes
montés/reconnaissance (montés et AM M8) et trois régiments mixtes infanterie/reconnaissance
(TED 107/AM M8). Le projet ne prend en compte ni le 1er RC, dont le retour en France est
déjà décidé, ni les 4e RD et 6e RCA, qui restent des régiments de pacification418.
Ce projet, qui est présenté alors que la réorganisation en cours, n’est toujours pas
achevée, est jugé irréalisable par le 4e bureau de l’EMI, car les ressources en half-tracks et en
AM M8 sont trop faibles pour équiper les régiments selon ces nouvelles structures. Mais le 3e
bureau l’approuve sans réserve, car il répond bien aux impératifs fixés de simplification des
types d’unités et de renforcement des liens hiérarchiques. En outre, il permet de maintenir à la
fois le potentiel blindé, notamment sur les barrages, et la composante « infanterie » de l’ABC.
Le 3e bureau propose que les CA soient associés au projet, ce qui est refusé dans un premier
temps par le chef d’état-major qui note en marge : « Non, on en finira plus. »419 Il est donc
décidé de former un groupe de travail pour étudier la faisabilité du projet.
Le 15 septembre, le groupe se met au travail pour étudier le projet qui doit
s’échelonner sur l’année 1962. Mais déjà les donnés du problème changent avec l’annonce du
volume de la déflation des effectifs ABC pour 1962 qui est fixé à 1 930 (sur 4 500 pour
l’ensemble des armes et services). C’est cette annonce qui provoque le retour en France du 1er
RC en France, ce qui sera fait au début du mois de décembre, et la dissolution immédiate du
25e RD. La transformation du 1er RCA420 et du 29e RD421, qui sont en réserve générale et

418
SHD/Terre, 1 H 1349.
419
SHD/Terre, 1 H 1908.
420
Alors à deux escadrons M24, un escadron porté et un escadron 107.

167
doivent, pour cette raison, être alignés à trois escadrons blindés (1er RCA et 29e RD)
(respectivement M24 et AM M8) et un escadron porté, est reportée. Le général Ducournau a
déjà fait savoir qu’il n’y est pas favorable (cf. supra) et l’on souhaite attendre que ces
régiments soient « désimplantés » (sic) et la déflation effectuée, avant d’en changer les
structures.
Le plan de l’IABC, qui est jugé très ambitieux, car il prévoit la dissolution de quatorze
escadrons et la transformation de trente-huit autres, est retenu mais uniquement comme une
espèce de loi-cadre dont il sera tenu compte en fonction de la déflation des effectifs, de la
disponibilité des matériels et de l’évolution des missions. Les principes retenus sont :
- de ne pas réduire la composante « infanterie » de l’ABC, ce qui n’interdit pas dès lors
de motoriser les escadrons 107, voire de les transformer en escadrons portés422,
- d’attribuer leur mission en fonction de leur matériel principal : les EBR doivent être
employés sur les barrages, les AM M8 et les Ferret doivent assurer la sureté des axes
de communication à l’intérieur, les unités montées doivent opérer dans le sud, les
chars doivent être employés essentiellement sur les barrages, mais ils peuvent
également participer au maintien de l’ordre dans les villes423, ou venir renforcer
temporairement certaines zones,
- d’équilibrer entre les zones de l’intérieur le potentiel de reconnaissance, sûreté,
escorte, « police secours », et le potentiel « canons d’assaut » des chars, compte tenu
des forces de l’ALN, des surfaces, du terrain et de la densité des troupes amies,
- d’uniformiser l’organisation régimentaire en évitant de répartir un même régiment sur
deux zones, tout en admettant temporairement que certains régiments restent à cinq ou
six escadrons de combat pour des raisons d’économie des effectifs.
Il est décidé, en outre, de retenir la solution consistant à donner à chaque régiment
blindé, trois escadrons blindés et un escadron porté (auxquels peut être adjoint un escadron
107), à l’exception des régiments EBR qui restent à quatre escadrons blindés, et des régiments
Ferret qui restent à trois escadrons blindés et un EAA. Les transformations nécessaires
doivent se faire d’autant plus progressivement que l’homogénéisation des régiments est
justifiée du point de vue de l’emploi par le regroupement programmé des unités dans la cadre
de la modification du dispositif. Cela doit rendre progressivement à l’ABC ses missions

421
Alors à trois escadrons d’AM, un escadron M24 et un escadron 107.
422
Raison pour laquelle le 1er RCC reste un régiment 107 sur half-tracks jusqu’en septembre 1962, où il passe
sur Ferret.
423
A partir de 1962, des M24 seront attribués à la Gendarmerie pour assurer ses missions de maintien de l’ordre
en ville.

168
traditionnelles, alors que jusqu’alors, les missions territoriales justifiaient une certaine
diversité dans les structures des régiments424. Afin d’obtenir une répartition plus homogène
des régiments, on souhaite qu’il y ait un régiment d’AM ou Ferret par zone,
exceptionnellement deux si le terrain le justifie et un régiment de chars au niveau du CA. Sur
les barrages, alors que l’ALN extérieure ne cesse de se renforcer, un savant calcul est fait par
kilomètre linéaire, on compte un escadron d’AM pour 30 km et un escadron de chars pour 50
km dans les régions difficiles. Il ressort de ces normes que le barrage-est nécessite seize
escadrons d’AM et neuf escadrons de chars, et le barrage-ouest douze escadrons d’AM et
quatre escadrons de chars. Un redéploiement est donc nécessaire car, selon ces estimations, le
CA d’Oran manque d’unités blindées, alors que celui de Constantine en est largement pourvu.
En revanche, le CA d’Alger est déjà pourvu du minimum nécessaire.
Certains officiers d’état-major reprochent au projet le fait que le regroupement des
unités blindées devrait aboutir à une certaine concentration de matériels blindés, ce qui ne
correspondra pas forcément au potentiel nécessaire localement compte tenu de la menace qui
reste faible à l’intérieur. Mais ce défaut est présenté comme un avantage par les tenants du
projet, car cela entraînera, d’une part, une économie du potentiel des matériels de plus en plus
difficiles à remplacer et, d’autre part, la possibilité de mettre à terre des équipages lorsque le
besoin s’en fera sentir.
L’entrée en service progressive des AML 60 et des AMX/T M24, matériels blindés
spécialement conçus pour l’Algérie, est prise en compte par le projet qu’elle ne perturbe pas
pour les AMX/T M24 qui comptent comme les autres chars. Trois escadrons du 4e RH en sont
déjà équipés depuis avril, et deux escadrons du 9e RH depuis mars. En septembre, un escadron
du 16e RD en est équipé à son tour ainsi que les compagnies des deux régiments d’infanterie
de marine. Soixante-deux engins sont attendus pour l’année 1962, dont 24 (trois escadrons) en
début d’année. Le départ des 2e et 30e RD facilite le problème de la répartition des AMX/T
M24. En novembre, on renonce à en équiper deux escadrons du 1er RCC (CAO), les engins
sont stockés dans l’attente d’une décision. Pour les régiments d’AML, le TED arrêté en août
1960, prévoit d’attribuer 50 engins par régiment répartis dans trois escadrons blindés et un
escadron d’accompagnement et d’appui. Chaque peloton comprendra un groupe de
commandement, deux groupes d’AML, un groupe de protection, et un groupe d’allégement425.

424
Pour ne pas casser la cohésion des régiments lors de la transformation des escadrons, seuls les matériels
changeront de régiments qui conserveront leur personnel dont une partie devra être reconvertie sur le nouveau
matériel.
425
Il a été envisagé pendant un temps d’attribuer un groupe de mortier de 60 par peloton, mais l’idée n’en a pas
été retenue du fait que les AML disposent déjà d’une arme à tir courbe.

169
Le groupe d’appui de mortier de 60 mm envisagé pendant un temps est supprimé. A la fin du
mois de septembre, un escadron du 12e RD commence à en être équipé, et l’équipement des
autres escadrons doit s’échelonner jusqu’en janvier 1962426.
A la mi-octobre, la réorganisation est lancée, mais, pour faire face à la déflation des
effectifs, c’est la capacité opérationnelle qui prend le pas sur les problèmes de relève et
d’administration, comme le note le chef du 3e bureau en marge d’une note qui lui est adressée
par le 4e bureau, « il n’y a pas le feu pour réorganiser l’ABC, ne faire que ce qui peut l’être
pour aider les CA et non sources de nouvelles difficultés »427. La transformation du 4e
escadron du 1er REC en escadron d’EBR est donc reportée en raison de l’emploi qui en est fait
en zone présaharienne. En novembre, la transformation du 1er RCC n’est pas approuvée par
l’EMA qui souhaite que ce régiment reste un régiment 107. Le matériel qui est hypothéqué à
son profit se retrouve donc disponible. On pense attribuer ces deux escadrons AMX/TM24 au
3e RC ou 16e RD. C’est la deuxième solution qui est retenue car elle permettrait la mise sur
pied de deux régiments « reconnaissance » à trois escadrons d’AM en attribuant les AM M8 du
16e RD, pour un escadron, au 6e RS et, pour l’autre, au 18e RCC qui serait alors à deux
escadrons d’AM, un escadron porté (venu du 2e RD) et trois escadrons TED 107 (au lieu de
quatre).

22. Les corps d’armée compliquent le projet

Puisqu’il n y a pas d’urgence et que la priorité leur est donnée, l’EMI souhaite
recueillir l’avis des CA avant de prendre des décisions. Le 9 octobre, le projet leur est envoyé
pour qu’ils fassent les propositions nécessaires à la réorganisation des unités dans leur zone de
responsabilité. Le projet est reçu de façon différente selon les CA qui n’ont pas été consultés
auparavant. Ils répondent tous au début du mois de novembre.

221. Le corps d’armée d’Alger


Les six unités blindées du CAA428 paraissent plus simples à réorganiser que celles des
autres CA qui ont à défendre les frontières. Mais le général de Menditte, commandant le
CAA, se refuse à payer une facture plus élevée en moyens blindés et voit la réorganisation
prévue d’un mauvais œil. En outre, il est satisfait des structures existantes qui répondent bien
426
En fait des retards de livraison feront que, en janvier 1962, seules 15 AML seront affectées au 1er escadron
pour expérimentation. Le régiment n’est entièrement équipé qu’à partir du 1er juillet 1962.
427
SHD/Terre, 1 H 1908.
428 e
5 RCA, 28e RD, 19e RCC, 27e RD, 2e REC et 6e RH, sans compter le 5e RS qui est monté.

170
à ses besoins et se refuse à en changer tant qu’une évolution de la situation ne l’exigera pas.
En outre, il se refuse à mettre fin au panachage des unités, il estime même que les structures
hétérogènes des régiments sont un avantage pour les chefs de corps et pour les cadres qui
peuvent ainsi s’instruire sur plusieurs matériels par mutation interne entre escadrons. Mais cet
argument semble difficile à accepter, car il y a peu de mutation interne dans les régiments. La
réorganisation lui paraît également inopportune car elle suppose la dissolution de quatre
escadrons 107 dans les unités de quadrillage et par conséquent de nouveaux aménagements du
dispositif, or il estime que le CAA a besoin de stabilité après avoir connu de récents
changements. Mais il demande à être renforcé en moyens blindés et à passer de 14 escadrons
blindés à 19 par transformation de cinq escadrons 107.
Il accepte finalement, après avoir consulté le colonel de Quenetain, de revoir ses
ambitions à la baisse et de ne transformer que trois escadrons 107 en escadrons portés429 dans
un premier temps. Le départ du 8e RH ayant entraîné une réduction des moyens d’escorte du
CAA, il demande également que le 5e RCA soit équipé d’AML en 1962. Il propose de
reporter à plus tard la suite des transformations430.
Le 3e bureau de l’EMI pense que face aux réticences du CAA, aucune réorganisation
n’est possible car ses propositions ne répondent pas aux buts visées par celle-ci431.

222. Le corps d’armée d’Oran


Le général Canterel, ancien commandant de le 5e DB qui a refusé, en 1958, de présider
le Comité de Salut Public d’Oran432, fait une contre-proposition quant à l’organisation de
l’ABC dans son CA. Il est conscient de ne pas respecter les critères imposés car, pour lui, les
conditions d’emploi doivent avoir le pas sur l’uniformisation des régiments. Il souhaite
conserver au maximum l’implantation des régiments, seuls le 1er REC et le 10e RD doivent,
selon lui, changer d’implantation et de structure. Il souhaite également que les corps en
service sur le barrage disposent de deux escadrons de chars et d’un escadron de
reconnaissance, et que les escadrons TED 107 disparaissent au profit d’escadrons portés, sauf
s’ils constituent un cinquième escadron433.

429
Aux 5e RCA, 19e RCC et 28e RD.
430
SHD/Terre, 1 H 2139.
431
SHD/Terre, 1 H 1908.
432
Jean-louis Gérard, Dictionnaire historique et biographique de la guerre d’Algérie, Hélette, Editions Jean
Curutchet, 2001, 208 p., p. 57.
433
La déflation des effectifs, avec le départ des 1er et 110e RI, du 1er RC et d’une compagnie de transport, réduit
considérablement les moyens de transport de troupe dans le CAO. Or, cette déflation n’est pas accompagnée
d’une réduction des missions des unités qui devront, de ce fait être, beaucoup plus mobiles, donc être

171
Les propositions du général commandant le CAO, qui souhaite conserver des unités
panachées lui permettent d’être renforcé de 33 AMX qui seraient attribués au 10e RD et de 11
EBR attribués au 1er REC434, contre une perte de 11 chars M24 du 10e RD, ce qui lui permettra
de renforcer la défense du barrage. Il souhaite également que le 23e RS, qui ne dispose que
d’un peloton d’AM dans chacun de ses groupes d’escadrons (GE), et le 9e RS, qui n’en
compte qu’un seul dans son ECS, se voient attribuer un complément de ce matériel pour les
aligner à trois escadrons montés et un escadron d’AM.
La contre-proposition du CA d’Oran, sauf en ce qui concerne le 1er REC, le 10e RD et
les régiments montés, ne reçoit pas l’aval du colonel de Quenetain qui s’oppose au maintien
des unités panachées, notamment le 3e RC, et souhaite renforcer le CA d’Oran par deux
escadrons TED 107 prélevés au 18e RCC (CA de Constantine) pour les attribuer au 9e RH et
au 10e RD afin que ces régiments soient alignés à trois escadrons blindés et un escadron TED
107.

223. Le corps d’armée de Constantine


Le général Paul Ducournau, grande figure des parachutistes qui avait eu la sagesse de
se tenir à l’écart du putsch, met en avant, dans sa réponse, les contraintes imposées par la
défense du barrage pour laquelle il a besoin de sept régiments blindés435. A ces régiments s’en
ajoutent huit436, qui ont des missions territoriales et qui doivent être en mesure de relever les
unités du barrage, deux (29e RD et 1er RCA), qui sont en réserve générale pour assurer la
surveillance des axes ou le maintien de l’ordre en ville, et le 13e RD qui est en réserve de CA
pour intervenir sur le barrage ou en milieu urbain.
Le général Ducournau estime qu’aucune variante quant à l’emploi de ses régiments
n’est possible. Cependant, il approuve la réorganisation projetée car elle facilitera les relèves
des unités du barrage. Mais celle-ci ne doit concerner qu’un nombre restreint des régiments du
CA de Constantine dans la mesure où huit régiments blindés sont déjà équipés de matériels
blindés de façon homogène. Mais il insiste pour qu’aucune ponction ne lui soit faite car celles
déjà effectuées à l’été ont réduit ses moyens ABC au strict minimum, et le départ des 2e et 30e
RD a déjà provoqué un certain changement dans le dispositif du CA de Constantine437. Ce
redéploiement ne laisse dans le secteur d’Aïn Beida que le 16e RD qu’il a fallu renforcer par

transportées facilement. C’est la raison qui pousse le général Canterel à demander la disparition des unités 107.
SHD/Terre, 1 H 1875.
434
Il s’agit des engins qui sont encore en sur-dotation au 1er RS.
435
En novembre 1961 : 21e RS, 1er RS, 4e RCA, 4e RH, 4e RCC, 3e RCA et 18e RCC.
436 e
4 RD, 6e RS, 3e RH, 6e RC, 18e RD, 8e RS et 12e RCA.
437
Le 4e RCC, relevé par le 18e RCC, a relevé le 2e RD.

172
deux escadrons TED 107 prélevés au 29e RD et au 18e RCC. Le général Paul Ducournau
propose en conséquence que le 16e RD reçoive les 22 AMX/T M24 (prévus pour le 1er RCC) et
cède un escadron d’AM au 6e RS et un autre au 12e RCA. Ce dernier passerait un escadron de
M24 au 4e RCA qui donnerait un escadron d’AM au 6e RC, lequel céderait un escadron de
M24 au 4e RCC dont les AM pourraient être placées en maintenance. Dans un deuxième
temps, il propose que le 1er RCA reçoive un escadron de chars du 29e RD. Et dans un
troisième temps, que le 18e RCC passe sur AMX ou EBR. L’IABC s’oppose à ce projet car il
va à l’encontre de son souhait d’aligner à trois escadrons équipés du même matériel blindé. Le
projet du CA de Constantine comporte, selon lui, le défaut de créer deux régiments blindés à
quatre escadrons blindés : le 12e RCA et le 4e RCC, en outre ce régiment se retrouverait avec
trois escadrons de M24 et un escadron d’AM M8. Enfin, l’IABC pense toujours qu’il est
nécessaire de prélever deux escadrons TED 107 au profit des 9e RH et 10e RD du CA d’Oran.
Il fait une contre-proposition qui suppose de nombreuses permutations et complique
considérablement le projet438.
Finalement, en décembre, un projet pour le CAC se limitant, dans un premier temps
aux 16e RD, 18e RCC et 6e RS, voit le jour. Le général Paul Ducournau souhaite que les
transformations interviennent dès le 1er janvier 1962 du fait de la disponibilité des matériels
AMX 13/T M24 d’un volume correspondant à trois escadrons. Les autres régiments devant
être transformés au cours de l’année 1962, cela suppose l’entrée en service effective des
matériels supplémentaires au cours du premier semestre 1962. Les différentes options ne sont
pas encore arrêtées, mais toutes permettent une uniformisation des régiments à l’exception du

438
Il propose, dans un premier temps que :
- le 16e RD, pour former un régiment à trois escadrons AMX/T M24 et un escadron porté, donne 11 AM
au 6e RS, qui en équipera l’un de ses escadrons 107, et en reverse 11 autres,
- le 6e RS transforme un escadron 107 en escadron d’AM, pour passer à trois escadrons d’AM, un
escadron porté et un escadron 107,
- le 12e RCA transforme un escadron M24 en escadron porté, pour passer à trois escadrons d’AM, un
escadron porté et un escadron 107,
- le 4e RCA reverse 11 AM et reçoive 11 M24 du 12e RCA, pour former un régiment à deux escadrons M
24, un escadron AM et un escadron 017 puis porté,
- le 6e RC transforme un escadron M24 en escadron porté, pour former un régiment à trois escadrons
d’AM, un escadron porté,
- le 4e RCC reçoive les M24 du 6e RC et donne un escadron d’AM complet (personnel et matériel) au 18e
RCC, pour former un régiment à trois escadrons M 24 et un escadron porté.
Dans un deuxième temps, que :
- le 1er RCA reçoive les chars de l’escadron du 29e RD avec lesquels il équipera son escadron 107, pour
former un régiment à trois escadrons M24 et un escadron porté,
- le 29e RD, transforme son escadron de M24 en escadron porté, pour former un régiment à trois
escadrons M24 et un escadron porté.
Enfin, dans un troisième temps, que le 18e RCC reçoive les AM des 16e RD et 4e RCC, pour transformer deux de
ses escadrons 107 en escadrons d’AM pour former un régiment à trois escadrons d’AM, un escadron porté et
deux escadrons 107 qui pourront être affectés au CAO par la suite (9e RH et 10e RD).

173
4e RCC qui serait transformé plus tardivement. Les 3e et 4e bureaux de l’EMI donnent
globalement leur accord au projet, mais le 4e bureau fait valoir qu’il n’est pas opportun, pour
lui, de diminuer le parc des AM M8 au profit de half-tracks ou de Dodge, alors que le parc de
M24 doit, dès 1963 subir une importante déflation, c’est pourquoi certains changements
devraient se limiter au simple transfert de matériels.

23. Un processus de décision trop lent face à la liquidation de la guerre


d’Algérie

Au bout du compte, le 3e bureau constate que le CAC est le seul CA à avoir fourni un
projet cohérent alors que les autres ne semblent pas vouloir jouer le jeu. Il estime que, en ce
qui concerne le CAA, il n’y a aucune urgence et qu’aucune transformation ne s’y justifie. La
priorité est donnée aux CA qui ont la responsabilité des frontières. Les nouveaux matériels
sont donc affectés aux 10e RD (CA d’Oran) et au 16e RD (CA de Constantine). Force lui est
de constater que l’unification des unités de l’ABC ne pourra être conduite dans de brefs délais
que dans le CA de Constantine et que dans les autres CA les progrès seront réduits439.
Le 6 décembre 1961, le général Charles Ailleret, commandant supérieur les forces en
Algérie, décide de limiter dans l’immédiat la réorganisation aux 10e RD, 16e RD et 1er REC
pour répartir rapidement les AMX/T M24 et les EBR en sur-dotation au 1er RS. Les
transformations ont lieu à partir du 1er janvier 1962. Les autres transformations restent
envisagées, mais rien n’est décidé440. L’EMA accepte les transformations du 1er REC (CAO),
qui reçoit les 11 EBR du 1er RS pour transformer son escadron porté en escadron d’EBR, du
10e RD (CA d’Oran), qui reçoit un escadron AMX/T M24 en remplacement d’un escadron
d’AM M8, et du 16e RD (CA de Constantine) qui reçoit deux escadrons AMX/T M24
remplacement de deux escadrons d’AM M8. L’EMA demande à ce qu’aucune modification
supplémentaire n’intervienne tant que l’IABC, qui doit se rendre sur place au début de
l’année, n’aura pas rendu ses conclusions441.
En somme, au bout de cinq mois de réflexion et d’échanges de points de vue, la
réorganisation de l’ABC n’a pas beaucoup avancé du fait, en grande partie, des incertitudes

439
SHD/Terre, 1 H 1908.
440
SHD/Terre, 1 H 1349.
441
A la fin du mois de novembre, Paris insiste sur le fait que l’IABC, qui avait été « court-circuité » pour la prise
de certaines décisions, participe activement au projet de réorganisation de son arme en Algérie dans la mesure où
il concerne les 2/3 de ses corps de troupe et que le plan à long terme sur lequel il travaille en sera fortement
influencé. SHD/Terre, 1 H 2139.

174
qui pèsent sur l’avenir. Les seules mesures prises le sont pour répondre au besoin d’affecter
les nouveaux chars AMX/T M24, ce qui est indispensable. Pour le reste, les deux conceptions
concernant les structures des régiments de l’ABC n’ont pas trouvé de terrain d’entente. Les
commandants de CA et commandements locaux préfèrent toujours des régiments panachés,
car ils sont soucieux de faire face à leurs besoins immédiats, et souhaitent conserver une
structure qui leur permette une plus grande souplesse d’emploi tactique. A l’échelon du
commandement supérieur des forces en Algérie (CSFA), en revanche, on pense qu’il est
préférable de disposer de régiments homogènes car non seulement cela permet de réaliser des
modifications du dispositif et également cela facilite la gestion du personnel, le soutien des
matériels et la conduite de l’instruction.
Dix-sept régiments sont concernés par les restructurations, soit 47 % des unités
stationnées en Algérie. Tous les régiments 107 sont soutenus par des ECS alignés sur le TED
021, et trois d’entre eux sont motorisés, soit comme escadrons portés (deux au 6e RH), soit
comme escadron d’AM (un escadron du 26e RD). Tous les régiments sont maintenus à quatre
escadrons, à l’exception du 9e RH et du 10e RD qui reste à trois unités élémentaires de combat
et auxquels l’IABC souhaite vivement voir attribuer un escadron porté ou un escadron 107
car, pour lui, ce doit être la norme pour tous les régiments blindés.
Les mouvements de matériels ont toujours comme but de réduire le nombre de M24,
d’AMX FL 10 et de Ferret, et d’augmenter le nombre de half-tracks. Le nombre de M24 en
service passe de 246 à 190 au cours de l’année 1961 grâce à la transformation de cinq
escadrons de M24 en six escadrons portés et trois escadrons AMX. Mais les half-tracks font
toujours défaut. L’équipement de la 1re DB en AMX 13/VTT ne permet de n’en dégager que 56
en 1961. Les 50 Ferret du 1er RH laissées en Algérie permettent de disposer d’un important
volant de maintenance, ce qui règle le problème de la carence en pièces de rechange. Mais la
mise en service des AML prend du retard, les quinze premières ne sont livrées qu’en octobre
au 12e RD. A la fin de l’année 1961, la réorganisation de l’ABC n’est donc qu’ébauchée.
Mais il semble bien qu’elle ne pourra sans doute pas être poursuivie du fait de l’état d’usure
des matériels blindés et de la déflation annoncée des effectifs, notamment en cadres d’active.
Mais, à la fin de l’année 1961, le problème des types d’unités n’est toujours pas réglé.
Deux conceptions sont encore en présence en Algérie. A l’échelon des commandements
locaux, on préfère des régiments « panachés », c’est l’avis des commandants de corps
d’armée qui ont le souci de faire face à leurs besoins immédiats et désirent que l’organisation
donne une grande souplesse dans l’emploi tactique. Ils souhaitent que les régiments blindés
soient formés pour certains, par deux escadrons d’AM, un escadron de chars et un escadron

175
porté, et pour d’autres de deux escadrons de chars, un escadron d’AM et un escadron porté. Le
général Ailleret, commandant supérieur des forces en Algérie, préfère des régiments
« homogènes » qui permettent de réaliser les modifications profondes de dispositif et qui
donnent de meilleures conditions de gestion du personnel, d’entretien du matériel et
d’instruction. Dans une note datée du 26 décembre442, il réitère sa volonté de voir tous les
régiments blindés alignés sur le TED 021 avec trois escadrons blindés de même pied (AM ou
chars) et un escadron porté. Mais, le 29 décembre, l’annonce du retrait progressif des troupes
d’Algérie par le général de Gaulle443, porte un coup d’arrêt à la réforme en cours.
Le nombre des régiments ABC présents en Algérie, qui est déjà passé de 43 (160
escadrons) à 35 (148 escadrons) au cours de l’année, devra encore baisser, la priorité devient
donc l’évacuation de l’Algérie et la montée en puissance des DB 1959 en France et en
Allemagne, selon les vœux du chef de l’État.

III. Vers la mise en place des forces dites d’ « apaisement »

31. Une nouvelle réorganisation pour une situation inédite

En janvier 1962, il reste 35 corps de troupe de l’ABC en Algérie (dont le CIABC)444.


Au Sahara sont stationnés le 26e RD, les deux groupes sahariens motorisés (de l’Erg Oriental
et de l’Issaouane) et l’ESPLE.
Mises à part les modifications déjà décidées qui sont effectivement réalisées, les
réformes sont suspendues tant que l’avenir de l’Algérie ne sera pas connu de façon plus
précise. L’IABC pense que la cohésion des unités, l’instruction du personnel et le moral des
cadres supporteraient mal ces modifications qui lui semblent prématurées étant donné les
circonstances445. La période qui s’ouvre entre janvier 1962 et l’indépendance est toutefois
marquée par une certaine incohérence. Des régiments sont équipés de matériels qu’ils doivent

442
SHD/Terre, 1 H 1908.
443
« Dans tous les cas, l’année qui vient sera celle du regroupement, en Europe, et de la modernisation, de la
plus grande partie de l’armée française. Dès le mois prochain, deux divisions nouvelles et certaines formations
aériennes commenceront le mouvement qui les ramènera d’Algérie dans la métropole, comme celles qui viennent
d’être transférées, et comme d’autres qui les suivront. En même temps, un allégement de nos charges en effectifs
nous aideront (sic) à pourvoir à nos dépenses d’armements modernes. » www.ina.fr/fresques/de-gaulle/fiche-
media/Gaulle00222/voeux-pour-l-annee-1962.html (consulté le 2 janvier 2011).
444
Sept dans le CAA, dix-huit dans le CAC (dont sept sur le barrage) et onze dans le CAO (dont quatre sur le
barrage).
445
SHD/Terre, 6 T 577.

176
reverser quelques semaines plus tard, d’autres encore sont dotés d’un escadron qu’ils doivent
rapidement laisser sur place lors de leur retour en France qui ne semble pas avoir été prévu,
d’autres, enfin, changent de type de mission à plusieurs reprises, et doivent faire évoluer leur
organisation en conséquence.
Le 1er janvier, le 1er REC, malgré les réticences de son chef de corps, perçoit les 11
EBR du 1er RS pour équiper son 4e escadron. La perception de ces EBR demande beaucoup de
délais car les cadres et les légionnaires du 4e escadron sont formés comme fantassins. La
durée de cette transformation est estimée à 6 ou 8 semaines. Mais cette transformation pose
un problème de transport au chef de corps, le colonel de Lannurien, qui se plaint du fait qu’il
« est pratiquement impossible, même en surchargeant abusivement les Dodge et en
transformant les jeeps en voiture de romanichel, de transporter le minimum indispensable à
la vie en campagne »446. Or il estime que pour remplir sa nouvelle mission d’unité de réserve
générale, il faut absolument une sur-dotation d’au moins 6 GMC pour pallier la disparition des
moyens de transport de son escadron porté. Il demande en outre à ce que les jeeps des
escouades soient remplacées par de scout-cars : « Ces essaims de jeeps supposées transporter
les groupes de protection des pelotons blindés, sont certainement adaptés aux opérations de
reconnaissance en Europe occidentale. Ils constituent une charge considérable et sont
parfaitement inutilisables pour les opérations en Algérie. Ils mobilisent un personnel de
conduite et de maintenance important et ne rendent aucun service opérationnel. Les quatre
Jeeps du groupe de protection des EBR seraient très avantageusement remplacées par un seul
Dodge 6 x 6 »447. En février, le colonel de Lannurien obtient gain de cause, et conserve ses
moyens de transport.
Les 88 nouveaux AMX/T M24 sont répartis pour remplacer des M24 qui sont retirés
définitivement du service ou versés à la Gendarmerie448. Le 10e RD remplace donc les M24 de
son escadron de chars par des AMX/T M24. Le 16e RD fait de même mais avec les AM de
deux escadrons contre des AMX/T M24. Le passage des régiments sur AMX 13 à trois
escadrons blindés et un escadron porté, reste toujours à l’ordre du jour. Le 9e RH (ZCO) est à
trois escadrons 021 de 11 AMX 13/FL 10, le 1er mars 1962, il commence à percevoir des
AMX/T M24 pour passer à deux escadrons de 8 TM 24 et 3 FL 10449, et un escadron porté sur

446
SHD/Terre, 1 H 2139.
447
Id.
448
En janvier 1962, en plus des 200 AM M8 dont elle dispose déjà, cinq chars M24 sont attribués à la
Gendarmerie pour le maintien de l’ordre à Alger. En avril, leur nombre augmente. Il passe à 16 pour Alger et 16
pour Oran. SHD/Terre, 1H 1938.
449
Les tourelles FL 10 sont conservées pour permettre aux équipages de se maintenir à niveau dans son
utilisation.

177
half-track. Mais des difficultés de mise en place des AMX/T M24 fait que dans un premier
temps, un seul escadron les perçoit, l’autre restant entièrement sur FL 10 provisoirement.
Dès la fin du mois de février, le retour des régiments en France, dans le cadre des
plans Cigogne450, s’accélère. Les escadrons 107 sont tous appelés à disparaître pour être soit
dissous, soit transformés en escadrons blindés, soit servir de cadre aux unités de la Force
locale (cf. infra). Les secteurs commencent à être dissous et le retrait de quatre régiments est
décidé. Ces dissolutions et ces retours en métropole entraînent des permutations d’escadrons
qui s’étalent tout au long de l’année 1962 et permettent de réduire les effectifs de l’ABC en
Algérie de 19 500 hommes. Cette réduction a pour conséquence une valse de mutations des
cadres devant terminer leur temps de présence en Algérie, certains officiers changent trois fois
de régiment au cours de l’année. Ce qui non seulement provoque une certaine confusion, mais
nuit à la capacité opérationnelle des unités.
Le 20 février, le 6e RH est rapatrié pour être dissous à Sissonne. Le 24, c’est au tour du
18e RCC qui prend garnison à Kaiserlautern et devient 5e RC. Après le cessez-le-feu, le 9e RH
part le 24 mars pour prendre garnison à Reims, le 16e RD le suit le 25 avril pour prendre
garnison à Noyon. Ces régiments ne sont pas remplacés, ce qui entraîne un redéploiement des
unités notamment dans le CAC où le départ du 18e RCC et du 16e RD crée un vide.
Le départ pour la métropole de ces régiments et la déflation d’effectifs à prévoir
poussent le commandement à limiter la transformation des régiments au strict minimum
comme par exemple l’affectation des matériels spécifiques à l’Algérie (AMX/T M24 et Ferret)
qui sont laissés sur place par les régiments rapatriés ou dissous. Le 1er mars 1962, avant son
retour en France, le 9e RH échange un escadron de chars AMX/T M24 contre des AM avec le
10e RD. En outre, certains escadrons sont laissés sur place lors du départ des régiments.
L’escadron porté du 6e RH passe au 27e RD, celui d’AM du 18e RCC passe au 4e RCC et son
escadron porté, au 3e RCA. En août, à son retour en France, le 13e RD est équipé de jeeps en
attendant de recevoir ses AML. Ses Ferret sont attribuées au 1er RCC avec une partie des
équipages prise parmi les appelés. Les escadrons TED 107 du 1er RCC sont reconvertis en

450
Les plans Cigogne s’étalent jusqu’en mars 1963 :
- le plan Cigogne I entraîne le départ du 6e RH et du 18e RCC,
- le plan Cigogne II celui du 16e RD et du 9e RH,
- le plan Cigogne III, qui démarre en juillet 1962, entraîne le retrait ou la dissolution d’une quinzaine de
régiments et la réduction du CIABC à un escadron régional d’instruction rattaché au 1er RCA ;
- le plan Cigogne IV, en septembre, en supprime huit,
- les plans Cigogne V et VI étalé entre octobre 1962 et janvier 1963, en suppriment six,
- le plan Cigogne VII en supprime quatre en mars 1963.
SHD/Terre, 1 H 2139.

178
trois escadrons blindés et un escadron d’appui et d’accompagnement (EAA). Les autres
escadrons TED 107 commencent à être dissous à partir du mois d’avril au fur et à mesure du
démontage du quadrillage et des unités de secteur. Le 31 mai, 11 escadrons 107 (dont 4 au 6e
RCA) sont dissous ainsi qu’un escadron porté du 27e RD et un escadron monté du 5e RS451.
En juin, le commandement envisage de dissoudre un escadron par régiment de l’ABC sauf au
26e RD qui est le seul régiment blindé du Sahara. Le commandement envisage de le renforcer
d’un escadron de M24. La décision est aussitôt suspendue en mars, car le régiment doit mettre
sur pied une UFL avec ses appelés FSNA. Le 26e RD est finalement réduit à trois escadrons
d’AM. Le 15 octobre, une compagnie de mortiers lourds stationnée à Colomb-Bechar, lui est
rattachée.
Les départs et les dissolutions permettent, malgré la baisse des effectifs, de combler
certains déficits des TED. L’encadrement officier reste satisfaisant au point de vue quantitatif,
même si un manque en moyenne de trois officiers PDL par régiment est à prévoir compte tenu
qu’un tiers des EOR formés à Saumur est destiné aux affaires algériennes. L’encadrement en
sous-officiers n’accuse plus qu’un déficit de 180 personnes. Ce déficit concerne toujours les
grades les plus élevés et risque de s’accroître avec les départs à la retraite ou les demande de
changement d’arme pour les services comme le Matériel ou l’Intendance qui concerne surtout
les spécialistes.
L’alimentation en personnel troupe FSE est satisfaisante sur le plan quantitatif, mais
les chefs de corps continuent à se plaindre de la mauvaise qualité des recrues du plan
Montpensier. La qualité physique des hommes semble en baisse, et la proportion des exempts
est en augmentation. Elle atteint 12 % dans les deux régiments à pied, ce qui est
particulièrement fâcheux étant donné leur type de mission. Le niveau d’instruction militaire
est également en baisse, surtout pour les recrues venant des CI dont les plans de renfort ont
été fortement perturbés par la remise sur pied des unités de FFA qui absorbent désormais les
meilleurs éléments. La proportion de FSNA atteint partout 20 %, et même dépasse parfois ce
pourcentage. Dès lors, la proportion des FSNA dans les unités de combat atteint parfois 40 %
car ils sont peu affectés dans les ECS. Les chefs de corps considèrent plus leur présence
comme une charge que comme une aide, ils préfèrent largement renforcer leurs unités avec
des harkis intégrés ou non. Ils accueillent avec un certain soulagement la décision de verser
les appelés FSNA, à partir du mois d’avril dans les unités de forces locales qui doivent servir
d’embryon à la future armée de l’Algérie indépendante.

451
SHD/Terre, 1 H 1349.

179
32. Les unités de force locale (UFL)452, embryon de la nouvelle armée
algérienne

L’ABC, comme toutes les armes, doit participer à la mise sur pied de ces unités.
Certains n’y voient qu’un moyen de se débarrasser du problème des appelés FSNA en évitant
qu’ils désertent en grand nombre. C’est en tous cas ce que rapporte Rémi Begouen, maréchal-
des-logis PDL, qui arrive d’Allemagne pour finir son service militaire en Algérie, au 8e RS453
d’avril à novembre 1962 :

« Peu après mon arrivée, je suis pour une fois volontaire, sans guillemets,
pour une tâche qui me semble intéressante, plutôt que de moisir dans un camp.
Il s'agit de la constitution, selon les termes des Accords d'Evian, d'une "Unité
de Force Locale" transitoire entre l'Armée Française et l'A.L.N. : Cette U.F.L.
est composée d'office par les jeunes appelés musulmans encore dans l'armée
française, et en principe encadrés par des volontaires de l'A.L.N. et de notre
armée. En pratique, elle ne sera encadrée que par l'A.L.N. (et donc vite
intégrée à celle-ci) car... il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de volontaires
français.
C'est exactement ce que me dit le Capitaine qui m'a convoqué, après que, suite
à la lecture de cet appel au volontariat je me sois réglementairement avancé
d'un pas pour signifier ma candidature, à l'énorme stupéfaction de tous. Le
capitaine est fou de rage :
- "Il ne sera pas dit que mon unité sera la seule à se déshonorer du fait de
votre candidature. Vous la retirez immédiatement, c'est un ordre".
J'essaie de faire valoir que j'ai, comme tous les sous-officiers de l'armée
française, entendu cet appel au volontariat, qui émane d'autorités supérieures
explicites.
- "C'est exact, mon petit, mais il y a l'esprit et la lettre. A la lettre, d'après
ces fichus accords d'Evian, nous sommes obligés de diffuser cet appel. En

452
Ces unités sont désignées dans certains documents sous l’appellation d’unités des forces opérationnelles
(UFO).
453
www.4acg.org/IMG/doc/LEPIEGE.doc (consulté le 14 juin 2011). Rémi Begouen se présente juste comme
MDL du contingent d’un régiment de spahis, mais les détails qu’il donne permettent d’identifier son régiment
comme le 8e RS.

180
fait, sauf cas très particuliers, nous sommes tous, des généraux aux
capitaines, contre la réalisation de cette U.F.L., qui n'est qu'un "truc" pour
nous débarrasser des musulmans du contingent, avant qu'ils ne désertent
en masse : le phénomène prend tellement d'ampleur depuis quelques mois
qu'il inquiète même le F.L.N.. Alors on lui "refile le paquet"... et vous n'y
avez pas votre place. De toute façon, si vous mainteniez votre candidature,
j'ai bien des moyens de vous en empêcher, ne serait-ce que de vous faire
envoyer très vite en hôpital psychiatrique, pour troubles mentaux."
Devant de tels arguments, je retire mon volontariat... UFL n’est qu’un truc
pour se débarrasser des appelés musulmans et éviter qu’ils ne désertent
massivement. »454
Il est un fait que le 3e escadron du 8e RS devient effectivement l’UFL n° 428 le 16
avril. Cependant, Bernard Landry, qui sert dans l’UFL n° 446 formée au Sahara par la 3e
batterie du 13e RA puis rattachée administrativement au 6e RS en juin, trouve « ce témoignage
assez violent dans le ton pour quelqu'un qui finalement n'a pas fait la guerre d'Algérie ou à
peine »455. En outre, il trouve ce texte surprenant car « l'auteur y parle clairement de
volontariat ce qui n'était absolument pas le cas pour nous. Si le capitaine Laurent456 avait
demandé des volontaires je crois qu'il n'y en aurait pas eus car cela signifiait continuer le
combat, mais cette fois contre l'OAS, pendant que la majorité des petits camarades rentrait
au pays ou restait l'arme aux pieds dans leur casernement »457. Bernard Landry ne vit
absolument pas la même expérience que Rémi Begouen :
« A propos des UFL (Unité de Force Locale Algérienne). J'ai vécu la vie et les
missions de la 446e Unité de Force Locale, de sa création à sa dissolution et si
le départ est bon, la fin ne le semble pas.
Constitution à Tadjerouna-Oasis dans la plaine du Djebel Amour avant son
transfert en Petite Kabylie où la 446e UFL a dû procéder à la relève des
troupes Françaises à Guenzet, puis à Lafayette. Pour être ensuite transférée à
Alger pour faire de la lutte anti-OAS. Tout au long de cette période qui va du
1er avril 1962 au 5 juillet 1962 (compris la surveillance et la sécurité d'un
certain nombre de bureaux de vote le jour du référendum pour

454
Id.
455
Témoignage de Bernard Landry recueilli par messages électroniques les 29 juin et 13 juillet 2011.
456
Capitaine commandant de la 446e UFL. (Note de l’auteur)
457
Id.

181
l'autodétermination). Personnellement, j'étais responsable de celui du Clos
Salembier, sur les hauteurs d'Alger.
Le 5 juillet 1962 elle était encore en tant que telle stationnée dans une école
sur la Place de la Redoute sur les hauteurs d'Alger, pas très loin du siège de la
5e Base Aérienne Française où elle prenait ses repas par roulement.
Ce que je sais, c'est que théoriquement les appelés du contingent n'étaient pas
supposés faire partie des conseillers militaires des UFL, ce type de rôle étant
réservé aux militaires de carrière458.
Dans la 446e UFL ce n'était pas du tout le cas et le binôme de commandement
de cette unité, le capitaine Laurent et le lieutenant Chergui pour les
musulmans, assumait une présence relativement importante d'appelés du
contingent459. Il faut savoir que la 446e UFL a été constituée par la 3e batterie
du 13e RA. Le 13e RA était basé dans l'oasis de Laghouat et la 3e batterie dans
l'oasis de Tadjerouna (ou Tadjerma) à 150 km au sud-ouest, dans la plaine du
Djebel Amour. La 3e batterie avait aussi en son sein le commando de chasse X
28. C'était donc une unité qui n'était pas composée de "fainéants". Cette
batterie, amputée de ses cadres, a été dissoute après le départ de la 446e vers
la Kabylie.
Pour ce qui concerne les effectifs de cette unité, ils n'ont pas cessé de grossir
de façon impressionnante. Les métropolitains représentaient environ 10% du
total au départ. A la fin, ils ne devaient sûrement pas dépasser les 2 ou 3 %.
J'en reviens aux cadres d'active peu favorables à la constitution de ces UFL. Je
ne sais rien là-dessus. La constitution de ces unités était simplement le résultat
des accords d'Evian. Ces unités ne dépendaient pas de l'armée française. Les
UFL dépendaient directement de l'Exécutif Provisoire présidé par le Président
Abderrahmane Farès.
Ce qui a valu à la 446e UFL pendant son transfert de Kabylie à Alger le 17
juin 1962 pour entrer dans la lutte contre l'OAS, de voir son train stoppé et
encerclé en gare de Ménerville (Thenia) par les parachutistes français, en
position de tir, qui évidemment n'y comprenaient rien quand ils ont vu des
cadres français, képi sur la tête, descendre sur le quai. Le train a été bloqué

458
En fait l’effectif théorique des UFL compte 20 appelés FSE.
459
A sa création la 446e UFL compte 6 officiers FSE mais aucun officier musulman, mais il est possible que le
lieutenant dont parle B. Landry ait rejoint à partir du mois de juin.

182
plusieurs heures sans incidents graves mais cela a provoqué un incident
diplomatique qui est remonté jusqu'à Rocher Noir. »460
Le déplacement de la 446e UFL vers la Kabylie est le résultat d’une décision prise en
mai par l’EMA afin de mettre sur pied des unités de force locale au Sahara, puis de les
transférer en Algérie. Le 1er juin, l’UFL n° 471, créée en avril au sein du 26e RD au Sahara
avec du personnel originaire des 14 corps du CIS, passe au 27e RD. A la même date, en plus
de la 446e, le 6e RS, dont le 4e escadron est devenu l’UFL n° 445 en mai, doit soutenir la 444e
qui vient du Ier groupe du 12e régiment d’artillerie de marine (RAMa). La décision de l’EMA
prévoit que les cadres de ces dernières seront remplacés progressivement par des cavaliers
afin d’assurer la meilleure intégration possible au sein de leur nouveau régiment461.
Cependant, on sait par Bernard Landry que la 446e UFL conserve l’encadrement venu du 13e
RA. Bernard Landry ne s’aperçoit même pas que son unité est rattachée administrativement
au 6e RS avec lequel il n’a aucune relation. Il est peu probable que cette décision de remplacer
les cadres des autres armes par des cavaliers ait été exécutée car l’encadrement français quitte
les UFL à l’indépendance. Au total, l’ABC met sur pied ou soutient 16 UFL (cf. le tableau
infra) dont l’emploi est confié aux autorités préfectorales auprès desquelles un officier est
détaché pour les commander462. Ces unités sont dissoutes dans des conditions parfois restées
obscures après l’indépendance.

Escadron/Régiment ayant mis sur pied l’UFL Régiment soutien de l’UFL Numéro de l’UFL
e e
5/4 RH 4 RH 410e UFL
29e RD 29e RD463 puis 6e RC 423e UFL
3/8e RSA 8e RSA 428e UFL
6e RS
I/12e RAMa 444e UFL
4/6e RS 445e UFL
I/13e RA 446e UFL
5/12e RCA 12e RCA 447e UFL
4/3e RH 3e RH 448e UFL.
19e RCC
5/19e RCC 458e UFL
7/19e RCC 457e UFL
26e RD 26e RD puis 27e RD 471e UFL

460
Id.
461
SHD/Terre, 1 H 1874.
462
SHD/Terre, 1 H 1909.
463
Au début du mois de juillet, le 29e RD passe du CAC dans le CAA.

183
1/5e RS 5e RS 478e UFL
28e RD 28e RD 479e UFL
1er RCC 1er RCC 507e UFL
4/23e RS 23e RS puis 8e RI 508e UFL
2/2e RCA 2e RCA 514e UFL

Cliché n° I/5
Le groupe du MDL d’artillerie Bernard Landry de la 446e UFL le jour de la fête de l'Aïd el Kébir le 15
mai 1962 à Guenzet (Petite Kabylie). Jusqu’à l’indépendance, c’est le drapeau français qui est hissé sur
le mât des couleurs, mais des petits drapeaux FLN à usage interne étaient tolérés dans la troupe464.
(Cliché Bernard Landry)

33. Des forces d’« apaisement » au retrait définitif

Depuis le cessez-le-feu, effectif le 19 mars (ce qui ne veut pas dire que les attaques de
l’ALN, de l’OAS, pour ne rien dire des enlèvements de Français d’Algérie, ne cessent pour
autant465), le retour du service légal à 18 mois et la décision de limiter le séjour des cadres à
15 mois de présence en Algérie posent des problèmes d’effectifs qui ne trouvent pas de
solution. En outre le rythme des relèves et des libérations fait que le personnel de la plupart
des régiments est renouvelé à 70 ou 80 % entre novembre 1962 et mars 1963. Les EOR à la
sortie de Saumur ne choisissent plus les régiments d’Algérie en tête de classement, la qualité
des chefs de pelotons du contingent s’en ressent sensiblement. En outre, comme les régiments
de la force d’apaisement n’ont plus la possibilité de recruter d’engagés, le nombre de ces
derniers baisse dans des proportions si préoccupantes que la mesure est levée en janvier 1963.
464
Témoignage de B. Landry.
465
Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, novembre 2000, 400 p.

184
Le commandement souhaite que les régiments soient regroupés dans des zones où ils
peuvent mener leur instruction dans de bonnes conditions466, notamment celle du tir sous
tourelle et de l’école de peloton qui redeviennent une priorité absolue. Les nombreuses
missions d’escorte qu’effectuent les unités après le cessez-le-feu, sont mises à profit pour
mener des exercices de manœuvre au niveau du peloton, voire de l’escadron. Mais ils doivent
être en mesure de se déplacer rapidement en cas de besoin tout en étant bien armés, c’est
pourquoi, lors des dissolutions, le commandement porte une grande attention à maintenir en
service les engins qui sont en meilleur état. En outre, les caisses des AMX/T M24 du 4e
régiment de hussards (RH) et du 10e régiment de dragons (RD) commencent à se fissurer de
façon préoccupante467. En juin 1962, on en compte 26 au 4e RH et 15 au 10e RD. On envisage
de les remplacer par des AMX/FL 10 mais ces engins sont destinés en priorité aux régiments
de France et d’Allemagne. Le 4e bureau demande donc que les régiments soient dissous en
septembre 1962 (plan Cigogne V) et non en mars 1963 (plan Cigogne VII) comme prévu
initialement468. Le 4e régiment de hussards quitte l’Algérie le 18 septembre 1962 pour tenir
garnison à Morhange où il devient 8e RD en février 1964. Le 10e RD est rapatrié le 17
septembre 1962 et dissous le 31 octobre 1962 à Sissonne.
Au début du mois de juillet 1962, il y a encore 32 régiments de l’ABC en Algérie. Il
est décidé d’en réduire le nombre à 12 pendant la période de stabilité, tous alignés sur le TED
021. Il est prévu de laisser 11 escadrons portés, 8 escadrons d’EBR (96 engins), 15 escadrons
d’AM (171 engins), 4 escadrons de chars M24 (46 engins), un régiment Ferret (50 engins). Ce
volume répond aux possibilités de soutien pendant trois ans. Pour les Ferret il n’est pas
possible de soutenir deux régiments. Les AML étant encore en expérimentation et ne pouvant
de ce fait être utilisée en opérations tant que tous les problèmes qu’elles connaissent ne seront
pas réglés, il est décidé d’envoyer le 12e RD terminer leur expérimentation en France, il part
le 21 août. Toutes les unités montées sont dissoutes469.
Une période dite « intermédiaire » précède le plan d’ « apaisement », doux
euphémisme dans le chaos de l’indépendance algérienne. En juillet, les CA perdent leur
appellation territoriale pour prendre des numéros. Ils sont composés de deux ou trois

466
Cela n’est pas toujours possible. Dans bien des cas les installations matérielles sont insuffisantes. Le 3e RC,
par exemple, doit parcourir une centaine de kilomètres pour pouvoir disposer d’un champ de tir canon en accord
avec les autorités locales.
467
Les techniciens pensent tout d’abord qu’il s’agit d’un problème de réglage des barres de torsion, mais les
études approfondies montrent qu’en fait ces fissures sont dues à une défectuosité générale de la série 1 R.
SHD/Terre, 1 H 1909.
468
SHD/Terre, 1 H 2050.
469
1er juin : dissolution des CNA, 31 juillet : dissolution du 23e RS, 1er août : dissolution du 5e RS et 1er
septembre : dissolution du 9e RS.

185
brigades470. En août 1962, il reste onze régiments ABC au XXIIe CA, sept au XXIIIe CA, huit
au XXIVe et un à la 26e DI. Le plan d’apaisement prévoit de ne conserver que 12 régiments
qui seront répartis en mars 1963 (après les plans Cigogne) à raison d’un régiment par brigade,
plus un comme élément organique de CA :
XXIIe CA 1er RS (EBR), 12e RCA (AM) et 6e 11 escadrons
RC (AM-M24)
e
XXIII CA 18e RD (Ferret), 1er RCA (AM- 15 escadrons
M24), 5e RCA (AM-M24) et 29e RD
(AM-M24)
e
XXIV CA 1er REC (EBR), 1er RCC (Ferret), 17 escadrons
2e RCA (AM-M24) et 3e RC (AM-
M24)
e
26 DI 26e RD (AM) 3 escadrons

Mais le nombre d’escadrons est jugé trop élevé en égard aux effectifs disponibles, un
régiment par CA et le 26e RD doivent perdre un escadron pour ramener le nombre des
escadrons à 44, soit au total 524 engins blindés471. Les études se poursuivent pour trouver des
solutions permettant de concilier à la fois un nombre de blindés élevés et une réduction des
effectifs. Celle qui est retenue est d’abandonner le TED 021 et d’aligner tous les escadrons à
trois pelotons blindés et un porté en novembre, ce qui permet de faire passer les régiments à
trois escadrons, au lieu de quatre, sans abaisser le nombre d’engins blindés.
Les retours et les dissolutions se poursuivent. A la fin du mois d’août, il reste 27
régiments, fin octobre il en reste 21, et 15 à la fin du mois de décembre472. Au Sahara, les
GSM sont dissous. Le 31 mars 1963, l’ESPLE, dernière unité saharienne de l’ABC, est
dissous à son tour. Son personnel est versé à la 5e compagnie du 2e REI.

470

Anciens corps d’armée Appellation, composition


CAA XXIIIe CA, devient la 20e division en janvier 1963, dissoute en juin 1964
31e, 32e et 33e brigades, plus la 52e brigade le 30 avril 1963
CAO XXIVe CA, devient la 4e division en janvier 1963, dissoute en juin 1964
41e, 42e et 43e brigades, plus la 51e brigade le 30 avril 1963
CAC XXIIe CA, devient la 2e division en janvier 1963, dissoute en novembre 1963
21e et 22e brigades
CSS 26e DI, devient 26e division en janvier 1963, dissoute le 30 avril 1963
1re puis 51e brigade (ex-ZOS)
2e puis 52e brigade (ex-ZES)

471
En novembre 1962 le nombre d’AM de la force d’apaisement est fixé à 376 (Gendarmerie comprise) dont 86
pour le Sahara. L’Algérie en demande plus mais le nombre n’est pas augmenté. L’EMA lui demande même de
limiter le nombre de pelotons à 20 pour le mois de juillet 1963. SHD/Terre, 1 H 1908.
472
Dont le 3e RH et le 4e RCC qui sont sur le départ, et le 3e RCA est en instance de dissolution.

186
Les 12 régiments de la force d’apaisement doivent avoir rejoint leur garnison en mars
1963. Le nouveau dispositif des régiments de la force d’apaisement prend en compte les
possibilités d’instruction que peuvent offrir les garnisons éventuelles. Si le 2e RCA, par
exemple, est envoyé à Sidi-Bel-Abbès, c’est qu’il peut y disposer d’un terrain d’exercice de
15 hectares et d’un champ de tir canon au camp du Bedeau. Le 26e RD monte un parcours de
tir réel. L’activité principale des unités devient progressivement l’instruction473.
En mars, le dispositif est en place. Au cours de l’année 1963, trois régiments sont
renvoyés en France pour y être dissous : le 8e RSA en mai, le 12e RCA en novembre et le 6e
RC en décembre. Le retour des autres régiments s’échelonne dans la première moitié de
l’année 1964. Entre janvier et juin, sept autres régiments rentrent à leur tour. Le 26e RD,
maintenu au Sahara, rentre en septembre. A partir de cette date, il ne reste plus que le 1er REC
en Algérie qui rejoint Orange en octobre 1967, lors de l’évacuation définitive de Mers el-
Kébir474.

* *
*

Alors qu’en 1954, toutes les études concernant l’ABC cherchent à constituer des
grandes unités blindées équipées de matériels modernes et aptes à combattre en ambiance
nucléaire, la guerre d’Algérie qui commence va porter un coup d’arrêt considérable aux
projets qui sont en cours d’élaboration.
En 1955, le commandement pense que le conflit sera court et ne souhaite pas changer
sa politique de modernisation de l’ABC. Il remet sur pied, sans hésiter des unités à cheval qui
avaient disparu depuis 1945, mais reste très réticent à envoyer en Algérie son matériel
moderne qui n’est pas conçu pour ce type de conflit. Mais, à partir de 1956, l’effort demandé
par l’Algérie prend trop d’ampleur pour passer au second rang des préoccupations de
l’organisation de l’arme. Les unités sont mises sur pied selon des plans de mobilisation qui ne
correspondent pas aux besoins opérationnels de l’Algérie. Dans l’urgence, des unités sont
montées à la va-vite pour parer au plus pressé. La mise sur pied de régiments de cavalerie à

473
SHD/Terre, 6 T 398.
474
Geste symbolique d’adieu à la terre d’Afrique et protestation muette contre l’abandon de l’Algérie : lorsque le
dernier navire quitte la rade, des officiers du 4e escadron, le plus décoré du régiment depuis les « Camerone » de
Messifré et de Rachaya au Levant en 1925, en tenue blanche TOE (théâtre d’opérations extérieures), sans un
mot, lèvent ensemble leurs sabres, les brisent sur le bastingage et jettent les deux morceaux en mer. Témoignage
d’un ancien officier du 1er REC, qui a voulu conserver l’anonymat, recueilli par Jean-Charles Jauffret en 1972,
au quartier Labouche à Orange, dont il a bien voulu nous faire part.

187
pied est vécue comme une forte contrainte car, non seulement elle compromet l’avenir des
unités blindées, mais en plus, elle risque de faire perdre le sens de la manœuvre blindée à
toute une génération de jeunes cadres.
Le dispositif qui est mis en place ne donne satisfaction ni à l’inspecteur, ni aux
commandants locaux en Algérie. Ces derniers font preuve d’initiative et arrangent les unités
selon leurs besoins. Mais même les TED organisés pour l’Algérie ne prendront jamais
totalement en compte les charges territoriales qui sont confiées à des unités opérationnelles,
alors qu’elles sont primordiales dans le cadre d’une guerre contre-révolutionnaire. Les unités
de l’ABC souffriront, tout au long du conflit, d’un sous-effectif chronique qui ne sera comblé
que partiellement par des supplétifs.
A partir de 1957, alors que le conflit s’installe dans la durée, un effort de
rationalisation est engagé pour tenter de préserver dans la mesure du possible la capacité de
l’ABC à être engagée en Europe. Mais, jusqu’à la fin de l’année 1961, des conflits d’intérêts
entre les différents échelons le gêneront considérablement. D’un côté, les échelons centraux
souhaitent des unités les plus homogènes possibles et ayant toutes des éléments, blindés,
portés ou au minimum motorisés, de l’autre, les commandants locaux ont surtout besoin de
gros effectifs pour quadriller le terrain en Algérie et cantonnent, le plus souvent les éléments
blindés dans des rôles secondaires. Pendant toutes ces années, l’ABC est en perpétuelle
réforme, il lui faut non seulement adapter ses structures aux nouveaux matériels qui rentrent
progressivement en service, mais également leur permettre de s’adapter dans un éventail de
missions très large, allant de la pacification à la défense des barrages frontaliers, en passant
par l’appui de l’infanterie pendant les opérations, ou le service des escortes. En fait, tout au
long du conflit, l’organisation des unités est le fruit de compromis qui demandent des délais
trop importants pour déboucher sur une décision rapide.
Si, globalement, l’ABC réussit à s’adapter efficacement au conflit, c’est au prix de
perpétuels efforts et de nombreux tâtonnements, et en sacrifiant quasiment les unités
d’Europe. Cependant, alors qu’une solution commence à poindre en 1961, il est trop tard. Le
projet d’organisation reste en grande partie dans les cartons de ses concepteurs. Le retrait des
troupes d’Algérie permet de remettre sur pied les forces en Europe avec la constitution des
divisions blindées type 1959. L’aide américaine devait permettre à l’armée française de
devenir une armée puissante, destinée à devenir le socle de la défense européenne contre la
menace soviétique, mais, du fait de l’engagement en Algérie, ce rôle est en passe d’être joué
par la jeune Bundeswehr. L’ABC sort du conflit profondément désorganisée et peine à se

188
remettre en ordre de marche, la mobilisation est compromise et l’instruction du personnel est
à faire totalement.

189
190
TITRE DEUXIEME
Des moyens en quantité juste suffisante qui doivent
s’adapter constamment aux circonstances

Si l’organisation de l’ABC en Algérie ne cesse d’évoluer sans qu’une solution


définitive ne puisse être trouvée, les moyens dont elle dispose, évoluent également. L’ABC
est avant tout une communauté humaine avec des traditions et un esprit qui lui sont propres,
comme c’est le cas pour toutes les armes et tous les services. Cependant, si ces deux éléments
demeurent, le personnel de l’ABC connaît des expériences très différentes les unes des autres,
alors que leur formation est à peu près identique. Si un esprit commun les anime, les cavaliers
ne perçoivent pas tous le conflit de la même façon et ont parfois des réactions différentes face
aux événements. La formation du personnel, initialement prévue pour lui permettre de
combattre contre les armées du pacte de Varsovie, ne semble pas lui avoir été d’un grand
secours en Algérie, sauf dans le domaine de la mise en œuvre des matériels. Ceux-ci évoluent
également au cours du conflit. En effet, si le matériel de construction américaine semble à peu
près bien adapté aux missions de l’Algérie, son usure le rend petit à petit indisponible. Or le
matériel français, qui pourrait le remplacer, n’est pas conçu pour ce type de conflit. Le souci
des chefs de l’ABC est donc de trouver des solutions techniques pour disposer d’un matériel
qui réponde aux nouveaux besoins. Le retour du cheval sur le champ de bataille s’inscrit dans
cette démarche. Cependant, la remise sur pied d’unités qui ont disparu depuis 1945 se heurte à
des difficultés dues à l’évolution des armes à feu et surtout à une situation inédite jusqu’alors.

191
192
CHAPITRE I

Une communauté humaine protéiforme

I. L’ABC face à une situation inédite

11. Les officiers de l’ancienne cavalerie et la nouvelle armée : le choc des


cultures ?

Au début de l’année 1955, tous les rapports d’inspection s’accordent à dire que, d’une
façon générale, la qualité des officiers de l’ABC est en amélioration et donne satisfaction.
Cette population reste encore très disparate du fait de la Seconde Guerre mondiale au cours de
laquelle les officiers ont connu des fortunes diverses. Certains officiers supérieurs, surtout des
chefs d’escadrons anciens, en restent encore aux déboires de 1940, n’ont pas servi en
Extrême-Orient et peinent à s’adapter à l’évolution constante des unités. D’autres, en
revanche, se sont remis en question et ont su devenir d’excellents chefs de corps. Les officiers
subalternes, dont beaucoup ont participé aux opérations de la guerre d’Indochine, ont une
bonne expérience du commandement au feu. Le commandement fonde donc de grands espoirs
sur tous ces jeunes cadres et s’en félicite475.
Cependant, les officiers de cavalerie, semblent atteints par une crise morale latente qui
attire l’attention du commandement. Si leur situation matérielle s’améliore quelque peu, ils
semblent inquiets sur l’avenir de l’armée ce qui crée un climat d’incertitude et
d’appréhension476. Ils déplorent également le désintérêt que leur porte la société civile et la
faible considération dont souffre l’armée, après la « sale guerre d’Indochine », auprès des
milieux intellectuels et universitaires. L’IGABC parle même d’un « fossé entre la Nation et
l’armée [qui] continue à se creuser »477. L’ABC est d’autant plus concernée par ce
phénomène qu’elle passe pour une arme très attachée aux traditions de la vieille armée et
qu’elle compte encore dans ses rangs des « grands noms » de l’aristocratie française, comme
Henri d’Orléans, fils du comte de Paris, qui sert au 3e escadron du 4e RCC en 1959. La

475
SHD/Terre, 31 T 5.
476
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
477
SHD/Terre, 31 T 9, Rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.

193
proportion du « noyau solide issu de la petite noblesse », selon une expression employée par
Jean Planchais en 1958478, y est supérieure à celle des autres armes479. C’est même parfois un
sujet de moquerie. Les plaisanteries de popote ne manquent pas sur le sujet. On peut en
trouver une trace dans les souvenir d’un ancien élève de la promotion Maréchal de Lattre
(Saint-Cyr) qui fait un portrait peu flatteur de l’un de ses instructeurs de l’époque :
« L’instructeur de ce jour-là était un fringant et jeune officier de
cavalerie. Il portait un joli nom double, que l’on dit être de véritable
« noblesse républicaine », ce qui l’avait amené à passer une très
grande partie de sa carrière, les deux quartiers de nom vissés sur les
faux-quartiers d’une selle de cheval »480.
Avant la guerre, l’attrait pour la cavalerie poussait certains jeunes hommes de « bonne
famille » à y commencer leur carrière comme sous-officier, plutôt que de risquer de se
retrouver officier dans l’infanterie en passant par Saint-Cyr. A la fin des années 50, c’est
beaucoup moins vrai, même si de telles situations existent encore. C’est le cas, au 5e régiment
de spahis algériens, du maréchal-des-logis-chef Jacques Lugand481, fils du général comte
Lugand. A l’étonnement de tous, il n’est pas passé officier, d’où le surnom de « dossier
perdu » qui lui est attribué : on pense que seule la perte de son dossier peut expliquer son
maintien dans le corps des sous-officiers482. L’ABC est une arme traditionnelle dont les
officiers sont politiquement de droite et où règne un fort esprit de corps qui plonge ses racines
dans une longue histoire qui jouit d’un prestige indéniable. Mais l’attachement à ce passé de
plus en plus révolu donne le sentiment d’un déphasage avec la société moderne.
Ce sont surtout les officiers les plus anciens, ceux qui ont commencé leur carrière à
cheval, qui ont ce sentiment. Ils ont vécu la mécanisation de leur arme comme une nécessité
et s’y sont pliés, mais certains sont loin d’être des férus de mécanique, même parfois chez les
instructeurs « chars ». Un exemple peut en être donné par ce chef de peloton blindé de
Coëtquidan qui, « véritable homme de cheval, présentait le blindage du char étudié en le
tapotant négligemment et en disant : « Le blindage entre... 3 et 10 centimètres… »483 Ou

478
Planchais, op. cit., p. 21
479
La proportion d’officiers issus de la noblesse dans la cavalerie a toujours été importante. En 1885, elle est de
38 % contre 8 % dans l’infanterie. Cette proportion est en baisse, par la suite. En 1900 elle passe à 23 %, pour 6
% dans l’infanterie. Allain Bernède, « La IIIe république et les guerres mondiales », in André Corvisier (dir), Les
Hussards et la France. Musée de l’Armée, Paris, éditions Complexe, 1993, 253 p., p. 109.
480
Cinquantenaire de la promotion Maréchal de Lattre, Saint-Cyr l’Ecole, 2002, 217 p., p. 141.
481
Sous-officier adjoint du lieutenant des Roches de Chassay aux côtés desquels il meurt le 3 mars 1957 à Beni
Slimane.
482
Témoignage de Pierre Durand.
483
Cinquantenaire de la promotion Maréchal de Lattre, p. 87.

194
encore, toujours dans les mêmes circonstances, cet instructeur auto-char, champion
d’équitation, qui fait ses cours en bottes, mais n’arrive pas à répondre à une question de l’un
de ses élèves sur le fonctionnement du blocage du différentiel :
« Dans un geste très élégant, [il] ramassa d’une seule main sa cravache et ses
gants et les passa sous le bras. Puis il opposa ses deux mains, ainsi libérées,
l’une à l’autre, les doigts écartés en corolle (…). Il imprima à chacune de ses
mains un mouvement rotatif et contraire, sec et itératif qui ponctua et rythma
son explication verbale. Celle-ci fut la suivante :
- Pour expliquer dans toute sa complexité le fonctionnement du blocage
différentiel, il me faudrait, bien-sûr un tableau noir… Mais en deux mots, le
blocage différentiel… c’est un système mécanique… mécanique (accélération
de la rotation des mains) qui bloque (arrêt subit du mouvement des mains se
faisant face comme deux griffons)… qui bloque… le différentiel. Pas d’autre
question ? »484
Cet état d’esprit est celui de certains chefs de corps qui ont parfois des difficultés à
suivre l’évolution technique de leurs engins, comme l’un des chefs de corps du 1er RSM.
Celui-ci, voyant de l’eau couler sous un EBR à l’entretien, déclare au pilote qu’il doit y avoir
une fuite de liquide de refroidissement. En fait, cet écoulement est celle de l’eau que le tireur
vient de déverser dans sa tourelle pour en nettoyer le fond. Il ne peut pas y avoir de fuite de
liquide de refroidissement car le moteur de l’EBR est refroidi par air, ce que le colonel semble
ignorer totalement485. Cette scène est toutefois exceptionnelle, car le colonel d’un régiment
blindé ne va jamais assister à l’entretien des engins. Quand cela ce produit, les équipages en
sont étonnés mais c’est souvent le fruit du hasard comme cela se produit au 23e régiment de
spahis (RS). Le chef de corps, le lieutenant-colonel H. Giraud, rentrant d’une promenade à
cheval tombe sur le lieutenant de La Morsanglière, chef de peloton d’AM M8, occupé à
l’entretien de ses blindés. Désirant, sans doute, montrer l’intérêt qu’il porte à ses engins, il
s’approche et il lui demande, sans mettre pied à terre, ce qu’il fait. Le lieutenant répond qu’il
mène une séance d’entretien. Le chef de corps lui demande alors :
- « Et bien, présentez-moi. »
Le lieutenant s’exécute et se tournant vers son engin lui déclare :
- « Cher Ami, je vous présente le lieutenant-colonel Giraud. »486

484
Ibid. p. 141-142.
485
Témoignage de Raymond Noulens.
486
Cette anecdote nous vient de Claude Franc qui la tient du colonel de La Morsanglière.

195
Mais il est juste de dire qu’en Algérie, les chefs de corps sont le plus souvent éloignés
de leurs escadrons et qu’ils ne côtoient leurs engins pratiquement qu’en opérations. En outre,
la connaissance qu’ils doivent avoir de leurs blindés se limite à leurs possibilités d’emploi, ce
qui est toujours le cas.
Mais le respect d’une certaine tradition n’est pas le privilège des chefs de corps.
Certains officiers de l’ABC, parmi les plus anciens toutefois, portent encore le monocle et ne
se séparent pas de leur stick. La tenue d’équitation est encore considérée comme une tenue de
service courant ou de cérémonie. Avant la guerre, un officier du 3e régiment de spahis
algériens (RSA) de 1940, qui écrit sous le pseudonyme de Mazel, explique la mauvaise image
dont souffre l’officier de cavalerie auprès des fantassins de la façon suivante :
« Le fantassin croit qu’il a le privilège des dures épreuves, le fantassin c’est
pratiquement chaque Français qu’on rencontre. Aussi la croyance est-elle
généralement répandue que le Ciel réserve aux seuls mille-pattes les grands
dangers comme les rudes efforts. Présenté au monde par quelques croquis
malveillants l’officier de cavalerie est souvent pour le Français moyen le type
monoclard, bellâtre bon à passer des petits-fours. Le fait d’être assis sur un
cheval semble à tous une injustice choquante par rapport à ceux qui vont à
pied. Surtout on ne peut pardonner l’esprit de corps évident, le goût de la
propreté et même de l’élégance, la terminologie militaire un peu
différente. »487
En 1954, ces clichés ont la vie dure et les officiers de l’ABC ne font pas beaucoup
d’efforts pour les faire disparaître. Il existe même chez certains d’entre eux un certain sens de
la provocation qui les pousse à forcer le trait. Le lieutenant-colonel de Saint-André, par
exemple, s’est mis à porter le monocle le jour de sa prise de commandement du 9e groupe
d’escadrons de spahis algériens (GESA)488. Certains chefs de corps ne portent que la tenue de
sortie, y compris en opérations. C’est le cas du lieutenant-colonel Hubert Puga, pourtant issu
des chars de combat, qui, lors des opérations, commande son régiment, le 27e régiment de
dragons (RD), en tenue de sortie avec un stick sous le bras489. Le lieutenant-colonel de
Galbert, chef de corps du 6e RS, paye ce souci de l’élégance par une blessure à la tête que son
képi rend particulièrement repérable490.

487
Mazel, Tunisie 39. Le Muy, chez l’auteur, 1981, 185 p., p. 73 – 74.
488
Témoignage de Raymond Noulens.
489
Témoignage d’Hubert Puga.
490
SHD/Terre, 7 U 1004*.

196
Sauf dans les unités à cheval, les officiers de contact, en revanche, dans la majorité des
cas ne portent pas systématiquement leur képi en opérations 491, et sont toujours dans la même
tenue que leurs hommes. Certains, comme ceux du 4e escadron du 4e RD en 1956, ne portent
même pas leurs galons car leur tête est mise à prix par le FLN492. Cependant, les jeunes
officiers comprennent et apprécient le fait que leurs supérieurs respectent les codes
vestimentaires traditionnels, ils s’en amusent parfois mais toujours avec un certain respect493.
Mais une différence d’esprit très nette existe entre les deux générations d’officiers.
En revanche, les officiers des autres armes « qui ne portent pas de chemise » s’en
offusquent. La confrontation de ces officiers qui ont une conception très différente de l’image
que doit donner un officier, donne parfois lieu à des scènes restées célèbres dans les annales.
Bigeard voyant un jour le chef d’escadrons494 (CES) Guyot, commandant le 1er groupe
d’escadrons (GE) du 23e RS, arriver à une réunion de commandement, selon son habitude, en
bottes vernies, veste rouge et son monocle visé sur l’œil, l’interpelle et lui demande :
- « Alors, Guyot, vous avez mal à l’œil ? »495
Bigeard ira même jusqu’à l’humilier, commettant ainsi une grave faute de
commandement. Au cours d’une opération il lance sur le réseau radio :
- « Je ne veux plus voir le képi du commandant Guyot sur le terrain. »496
Les relations tendues qu’entretiennent les deux officiers sont connues, Jean Lartéguy
comme Erwan Bergot s’en sont fait l’écho497. En fait, les torts semblent bien partagés. Chacun
des deux officiers veut représenter une certaine image de l’institution militaire. L’un veut
donner de lui une image jeune et dynamique, symbole d’une nouvelle armée aux méthodes
modernes et efficaces. L’autre, au contraire, se veut le tenant de la tradition selon laquelle
l’officier doit se démarquer des sous-officiers et de la troupe par sa tenue et son attitude
stricte. Le commandement ne semble pas en être dupe et le déplore, dans un rapport
d’inspection concernant le 5e RSA en novembre 1960, le général inspecteur note :
« L’excellente entente qui règne entre le chef de corps et le commandant de secteur est un

491
Quelques cas sont signalés, notamment celui du lieutenant de Berre du 6e RS en 1960. Jean-Paul Angelelli,
Une guerre au couteau. Algérie 1960-1962, un appelé pied-noir témoigne. Paris, Jean Picollec, 2004, 329 p., p.
80.
492
Albert Naour, La Jeunesse d’Albert. De la Bretagne à l’Algérie. Le Faouët, LIV’EDITION, 2007, 253 p., p.
160.
493
Témoignage de François Meyer.
494
Dans l’ABC le grade de chef d’escadrons correspond à celui de commandant. On l’appelle : « mon
commandant. »
495
Témoignage de François Meyer.
496
Id.
497
Promotion Extrême-Orient (1950-1952), Paroles d’officiers. 1950-1990. Des saint-cyriens témoignent. Chez
l’auteur (Ed. St-Avertin), 1991, 654 p., p. 333 - 338.

197
facteur primordial dans la bonne utilisation du régiment, ce qui n’est pas le cas de tous les
régiments à cheval. »498 Il n’en demeure pas moins vrai, qu’il existe dans l’attitude de certains
officiers de cavalerie, une part, sinon de provocation, du moins d’affirmation de leur
identité499. Mais il existe, sans doute, également une certaine part de nostalgie, dans l’attitude
de ces officiers anciens qui se refusent à ce qu’un officier ressemble à un mécanicien revêtu
de son « bleu de chauffe » pour commander ses hommes sur le terrain.

Cliché n° I/6
Prise d’armes au 4e RH en 1958 à Mondovi. Bien que le régiment ne soit pas un régiment monté, le LCL
Henri Giraud, chef de corps, préside la cérémonie en bottes avec un stick. (Cliché amicale des anciens du 4e
RH).

498
SHD/Terre, 31 T 12.
499
Jacques Bernot a consacré des passages de son DEA aux officiers de l’ABC ayant servi en Algérie. Jacques
Bernot, Un exemple de la spécificité militaire dans l’armée française aujourd’hui : l’Arme blindée cavalerie et
ses officiers, mémoire de DEA, sciences politiques, Paris I, 1981, 120 p.

198
Cliché n° I/7
« Bigeard n’a pas de chemise. » L'Algérie des combats. Cinq colonnes à la une. Diffusé le 02 octobre 1959,
http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/decolonisation/video/AFE01000521/L_Algerie_des_combats.tix.
Consulté le 02 décembre 2010.

Cliché n° I/8
Autoportrait du chef d’escadrons Humbert Guyot. Il porte une veste à col saxe qui était portée avant la
Seconde Guerre mondiale. Sous son bras, il a fait figurer sa cravache à « triples viroles » qui est celle des
instructeurs d’équitation militaires. Promotion Extrême-Orient (1950-1952) : Paroles d’officiers. 1950-1990.
Des saint-cyriens témoignent. Chez l’auteur (Ed. St-Avertin) 1991 – 654 p., p. 334.

199
12. Emergence d’une nouvelle génération de cavaliers

Chez les jeunes officiers, ce sentiment n’existe pas. Certains prennent même
l’initiative de former des commandos, comme Michel Delacour au 28e RD en 1957, ou
François Meyer en octobre 1960 au 23e RS. Sitôt leur commando créé, ils s’empressent de les
équiper de tenues camouflées, de les coiffer d’un béret noir, voire de la casquette « Bigeard »
sur le terrain. Pour équiper celui de Michel Delacour, le major du 28e RD500 trouve
« d’invraisemblables treillis camouflés, vieux stocks de l’armée britannique perdus dans les
recoins d’un magasin d’habillement »501. Si, sur le plan psychologique, le fait d’être différents
des autres permet que les hommes soient « gonflés à bloc »502, dans certaines unités, comme
le 6e RS, « ce désaccord vestimentaire [est] très mal vu par certains « képis ». La cavalerie
[doit] se distinguer par sa bonne tenue et ne pas imiter les « voyous » qui [s’habillent] au
décrochez moi ça »503.
Mais, chez certains officiers de cavalerie, comme le lieutenant Grillot, le mimétisme
va plus loin encore. En plus de la tenue, ils adoptent un style et des méthodes peu conformes à
l’esprit de leur arme et passent pour des officiers atypiques504. C’est ce qui vaut au lieutenant
Dubièvre, officier de renseignement (OR) du 3e escadron du 6e RS en 1960, une mutation
anticipée en Allemagne. Selon Jean-Paul Angelelli, cet officier est « mal adapté à la
cavalerie, arme d’élite et de principe par excellence »505.
Ce mimétisme vient en partie du fait que certains cadres de l’ABC se sentent occultés
par les troupes aéroportées. L’inspecteur de l’ABC le constate au 25e RD lors d’une
inspection en juillet 1958 :
« [Les cadres] constatent avec amertume la partialité de la propagande
faite en faveur des parachutistes dans le pays tout entier. Cette propagande
tend en effet à attribuer aux unités aéroportées la plus grande part sinon
l’exclusivité des résultats obtenus par l’Armée en Algérie, et à les considérer
comme les seuls capables de concevoir et de réaliser sous une forme moderne
et adaptée l’action que doit mener l’armée. »506

500
Le terme de « major » désigne l’officier chef des services administratifs du régiment.
501
Delacour, op. cit., p. 55.
502
Id.
503
Angelelli, op. cit., p. 67.
504
Témoignage de François Meyer.
505
Angelelli, op. cit., p. 60
506
SHD/Terre, 31 T 14.

200
Il craint que cette situation n’aboutisse à une certaine scission à l’intérieur de l’armée.
Cette scission correspond parfois à une réalité qui existe déjà avant le compte-rendu du
général inspecteur. Le LCL Argoud, alors chef de corps du 3e RCA, y est confronté en juin
1956. A Massu qui lui reproche de faire fusiller les « terroristes » reconnus coupables, Argoud
répond : « De toutes manières je ne suivrai jamais l’exemple de vos parachutistes », et il lui
révèle que dans son sous-secteur les hommes d’un régiment de la 10e DP ont enfoui dans un
charnier 60 cadavres, dont ceux de femmes et d’enfants. Ces exactions aveugles lui paraissent
extrêmement contre-productives du point de vue psychologique et, en tout cas, beaucoup plus
condamnables que l’exécution d’ « assassins » sans procès légal. Argoud a également, selon
ses écrits, de sérieuses difficultés avec Bigeard auquel il reproche sa sensibilité à l’encens et
la haute opinion qu’il a de lui-même qui « lui laisse à penser qu’il est le seul à faire son
métier ». En dehors du fait qu’il n’obéit à personne et qu’il agit dans le secteur des autres sans
les en informer, il lui reproche surtout de ne pas lésiner sur les procédés pour obtenir du
renseignement, ce qu’Argoud ne veut pas tolérer dans sa zone de responsabilité507. Il serait
faux de croire que la torture n’a pas été pratiquée dans des régiments de l’ABC, ni même les
exécutions sommaires. Certains officiers, comme Michel Delacour, lieutenant au 28e RD, en
font l’amer constat : « Décidément la guerre est loin d’être belle et les méthodes qui nous sont
imposées ne sont pas faites pour humaniser notre combat. »508
Le colonel de Pontbriand, commandant le 8e RS d’avril à septembre 1957, ne se
contente pas de le déplorer, il rédige un rapport dans lequel il condamne les méthodes du DOP
qui agit dans son secteur. Selon Georges Buis, qui lui succède à la tête du régiment, c’est ce
qui lui vaut d’être relevé509.
Il n’en demeure pas moins vrai que l’état d’esprit qui règne dans l’ABC est différent
de celui des autres armes. Les militaires du contingent en sont conscients. Leurs réactions sont
partagées. La majorité d’entre eux trouvent normal, dans une unité de cavalerie, que leurs
officiers soient différents d’eux par leurs habitudes vestimentaires, même si, parfois, leur état
d’esprit semble relever d’un autre temps. Ainsi Jean-Paul Angelelli, pied-noir d’Alger qui n’a
rien d’antimilitariste et qui militera pour l’Algérie française, pense qu’à Hussein Dey, où il est
incorporé en décembre 1959 « l’esprit cavalerie s’est conservé dans ce qu’il y a de plus
rétrograde »510. Cependant, en octobre 1960, le colonel Branet, lors de sa prise de

507
Antoine Argoud, La Décadence, l’Imposture et la Tragédie. Paris, Fayard, 1974, 360 p., p. 153 - 155.
508
Delacour Michel, op. cit., p. 85.
509
Georges Buis, Les Fanfares perdues : Entretiens avec Jean Lacouture, Paris, Editions du Seuil, 1975, 279 p.,
p. 176 -177.
510
Angelelli, op.cit., p. 129.

201
commandement du 6e RS, lui fait, comme à tous ses camarades, une très forte impression :
« Très pâle, un peu voûté, [il se promène] parmi les groupes. Un homme d’un aspect froid,
avec des yeux bleus et un regard glacé qui vous [transperce]. Le contraire du colonel para,
rouleur de mécanique, à la Bigeard. Rien du bourreau, mais un côté colonel allemand511 très
accentué. »512 D’autres, à l’esprit sans doute beaucoup plus mal disposé vis-à-vis de
l’institution militaire, ne ménagent pas leurs critiques, et trouvent ainsi une occasion de
déverser leur ressentiment contre elle. C’est sans doute cette volonté qui anime Daniel
Zimmermann lorsqu’il relate, sans jamais citer ni le nom de son régiment, ni celui de son
colonel, la réaction des cuirassiers apprenant, le 28 juillet 1958, que le lieutenant-colonel Bes
de Berc commandant le 3e régiment de cuirassiers (RC), vient de sauter sur une mine :
« En ce soir de juillet la bière coulait à flots dans tous les escadrons, il fallait
bien arroser ça, le colonel venait de sauter sur une mine. Certes, il n’était pas
mort, mais avec les deux jambes brisées on ne le reverrait pas de sitôt, ce qui
diminuerait d’autant le nombre de crapahutages inutiles. C’était sans compter
avec la fierté d’un cavalier héritier d’un nom à particule et dont la noblesse
remontait aux romans d’Alexandre Dumas père. A peine plâtré, le colon (sic)
revint de Tlemcen. Désormais en opération, il eut besoin de quatre porteurs,
deux pour sa chaise et deux pour ses caisses de rosé. »513
Le lieutenant Abdelkader Rahmani, qui souffre de son statut spécial d’officier
musulman, définit quant à lui l’EAABC, où il est stagiaire en 1948, comme une « enceinte
sacro-sainte où régnait l’esprit de caste, l’orgueil le plus ridiculement prétentieux »514. Par la
suite, cet officier devient le porte-parole d’un groupe de 52 officiers musulmans qui
dénoncent les injustices dont ils se sentent victimes.
Les officiers de contact, capitaines-commandants ou chefs de peloton, surtout dans les
unités à pied, n’en partagent pas moins la vie rustique de leurs hommes et ne semblent pas
faire preuve de cet esprit que dénoncent le lieutenant Rahmani et Daniel Zimmermann. Albert
Naour, qui décrit le capitaine Laurent, commandant le 4e escadron du 4e RD en 1956, comme
un « homme droit et juste avec ses soldats »515 se souvient que ce dernier « endurait les
mêmes maux [qu’eux]. Il portait son paquetage individuel, sa nourriture et son eau (…) Il

511
La comparaison n’est pas très heureuse, quand on sait que le colonel Branet, fait prisonnier en 1940, s’est
évadé de son OfLag, en compagnie d’Alain de Boissieu, pour rejoindre l’URSS et qu’il est compagnon de la
Libération.
512
Angelelli, op. cit., p. 91.
513
Daniel Zimmermann, Nouvelles de la zone interdite, Paris, Actes Sud, 1996, 102 p., p. 75.
514
Abdelkader Rahmani, L’Affaire des officiers algériens, Paris, Seuil, 1959, 169 p., p. 15.
515
Naour, op. cit. p. 121.

202
avait faim, il avait soif et, la nuit, il couchait sur le sol et il avait froid. Il partageait notre vie
et nos souffrances. C’est pour cela que nous l’apprécions et lui faisions confiance. (…) On
prétendait même qu’avec lui nous serions allés jusqu’en enfer »516. En outre, dans cet
escadron à pied, « tous les hommes enduraient les mêmes maux : soldats, gradés et officiers.
Tous portaient leur nourriture et leurs armes et tous prenaient leur tour de garde, sans
distinction. Il n’y avait pas de privilèges »517.
Certains capitaines commandant ont une expérience du combat très grande, la plupart
d’entre eux ont fait l’Indochine et sert en Algérie à deux ou trois reprises, cependant, ils ont
peu l’expérience de l’administration et la gestion de leur unité en souffre. Beaucoup
également souffrent des séquelles de blessures reçues ou de maladies contractées en
Indochine. La moyenne d’âge est assez élevée, elle est de 40 ans pour les capitaines, dont plus
d’un tiers sont issus du rang, et de 31 ans pour les lieutenants, dont 14 % sont issus du rang. A
la fin du conflit, le commandement perçoit une certaine fatigue, voire une certaine lassitude
de leur part, surtout après le putsch, mais ce phénomène est loin d’être généralisé.
En ce qui concerne les officiers du contingent, tous les chefs de corps, à quelques
exceptions près518, reconnaissent la qualité de ces jeunes officiers. Leur formation à Saumur
semble très satisfaisante et leur intégration dans les corps de troupe particulièrement bonne.
Au 5e RS, selon Alain Thiers, lui-même officier du contingent, il n’y avait aucune distinction
entre les lieutenants d’active et ceux du contingent au point que certains ne savaient même
plus quel était le statut d’un tel ou d’un tel519. A partir de 1960, quelques-uns, classés parmi
les meilleurs, demandent à rengager pour six mois pour pouvoir accomplir tout leur temps de
service et au-delà dans leur régiment échappant ainsi à la loi de la double affectation, mais ce
pourcentage reste très faible.
Mais les officiers de l’ABC, qui paraissent vivre dans un passé révolu aux yeux de
certains, ne sont pas seulement attachés à une apparence. Ils ont tous un sens du devoir et de
la discipline particulièrement développé. L’ABC est d’ailleurs citée en exemple en 1958 par
un journaliste du Monde, pour la discipline qui y règne, « chacun sait d’ailleurs que l’ouvrier
le plus affranchi de la région parisienne reviendra avec la conscience d’avoir fait quelque
chose de son temps de service dans un escadron très strict de l’arme blindée, alors qu’il
rentrera écœuré d'avoir perdu deux ans comme « rampant » dans une base aérienne mal

516
Ibid. p. 132 et 156.
517
Ibid. p. 130.
518
Notamment le chef de corps du 29e RD en 1961. SHD/Terre, 31 T 5.
519
Témoignage d’Alain Thiers.

203
commandée »520. Cependant, si elle est très stricte au quartier, Albert Naour du 4/4e RD écrit
qu’« en Algérie, dans le bled, la discipline est plus souple, adaptée aux circonstances »521.
C’est ce que confirme également Jean-Paul Angelelli du 3/6e RSM : « Les adjudants
d’escadron s’épuisaient pour obtenir un minimum de propreté. Puis, à leur tour, ils laissaient
tomber. »522
La vie en campagne, qui est celle des unités au cours du conflit, les plonge dans une
situation inédite à laquelle son encadrement doit s’adapter. Les officiers de l’ABC ne sont pas
préparés au type de conflit auquel ils sont confrontés. Cependant, même s’ils doivent
quasiment changer de métier pour passer de celui de cavalier blindé à celui de fantassin, de
protecteur de convois routiers ou d’artilleur d’appui direct, ils ne perdent pas leur âme pour
autant. L’esprit cavalier, dont il est fait état constamment à l’époque, demeure, même si la
situation oblige à faire quelques concessions au style des combats et de vie en campagne de la
guerre d’Algérie. Comme celui de Michel Delacour au 28e RD, de nombreux témoignages
montrent que le plus souvent, entre officiers, « l’ambiance était soudée, joyeuse, sous
l’autorité d’un chef de corps admiré et respecté. La camaraderie qui marquait nos rapports
contribuait à créer une atmosphère heureuse et souvent détendue malgré les conditions
particulièrement sévères de la vie d’unité en campagne »523.

Cliché n° 1/9
Le lieutenant François Meyer, chef du commando Griffon. (Cliché François Meyer)

520
Planchais, op. cit., p. 6.
521
Ibid. p. 210.
522
Angelelli, op. cit., p. 50.
523
Delacour, op. cit., p. 68.

204
Cliché n° I/10
FM du commando Griffon en batterie dans le Gantara. (Id.)

13. Un corps de sous-officiers fragilisé par la guerre d’Algérie

Si les officiers d’active acceptent les sacrifices que leur demande leur engagement en
Algérie, il n’en va pas de même chez les sous-officiers. Le problème de la baisse du nombre
des sous-officiers supérieurs, qui débute à partir de 1955, se fait de plus en plus sentir car, en
bénéficiant vers 35 ans d’âge de sa retraite, le bon sous-officier est assuré de trouver un
emploi rémunérateur et stable. Cette hémorragie est d’autant plus préoccupante qu’elle
concerne surtout les meilleurs524. Le commandement pense tout d’abord qu’il s’agit d’un fait
conjoncturel dû à la fin de la guerre d’Indochine, mais, en 1957, force est de reconnaître qu’il
perdure. Des études sont lancées pour en connaître les véritables raisons. Il en ressort que, si
les sous-officiers font confiance à leur commandant d’unité et à leur chef de corps, ils ont bien
conscience que le commandement est impuissant face aux graves inquiétudes qu’ils
nourrissent sur le plan matériel. Les sous-officiers d’active n’ont pas encore vu paraître le
statut qui leur avait été promis sous délai de six mois par la loi du 26 septembre 1948, et rien
n’est venu compenser l’instabilité de leur situation, ni celle de leur famille525.

524
SHD/Terre, 31 T 9.
525
Id.

205
La revalorisation de leur condition se heurte depuis longtemps à la rigidité des
organismes financiers, qui mine tous leurs espoirs, alors que les civils dans les administrations
sont bien mieux lotis. Cette situation les incite donc à postuler pour les « emplois réservés ».
Or des améliorations de solde sont exclues étant donné l’effort financier que représente la
guerre d’Algérie pour le budget de la Défense, alors que la solution pour enrayer le
phénomène des départs massifs des sous-officiers semble bien être surtout d’ordre
pécuniaire526.
Cependant, le niveau de rémunération n’est pas la seule cause de ces départs. Les
sous-officiers souffrent également de l’instabilité de leur condition qui entraîne des difficultés
parfois insurmontable pour le logement de leur famille dont ils sont séparés pour de longues et
fréquentes périodes. Cette séparation, qui dure depuis plusieurs années pour certains, est
vécue comme une véritable plaie. L’éducation de leurs enfants en souffre. En 1960, certains
fils de cadres mutés en Algérie sombrent même dans la petite délinquance et deviennent des
« blousons noirs », notamment à Baden-Baden. En outre, les difficultés de logement
auxquelles sont soumises les familles restées en France ou en Allemagne créent des situations
qui frisent parfois le scandale527. Les sous-officiers ne comprennent pas qu’en Algérie des
logements soient construits pour les musulmans mais pas pour eux. Le commandement
cherche donc également des solutions pour offrir aux sous-officiers une certaine stabilité, fort
du constat qu’au 22e RS, au Maroc, et dans les régiments dits « de souveraineté » dont la
garnison est en Algérie, les sous-officiers rengagent plus facilement parce qu’ils vivent en
famille. L’IABC veut trouver une solution pour loger toutes les familles en Algérie.
L’argument qu’il met en avant est le fait que l’arrivée de familles aurait un impact
psychologique sur les musulmans qui verraient que l’armée n’a pas l’intention de partir. Mais
le commandement semble impuissant dans ce domaine également. En attendant, il est étudié
la possibilité de mettre en place un système de relève par des mutations entre les corps
d’Algérie et les centres d’instruction (CI), mais la complexité et les délais que demande la
mise en place de ce système le rendent rapidement irréaliste. Le commandement est donc
impuissant face l’amélioration des conditions de vie des sous-officiers. Comme le statut de
ces derniers leur interdit tout recours à des moyens de pression collectifs, ils continuent à
quitter individuellement l’armée dès qu’ils ont l’occasion de trouver ailleurs une vie
professionnelle compatible avec une vie familiale dont ils se sentent frustrés. Malgré l’action

526
SHD/Terre, 31 T 9.
527
En 1956, il s’en est fallu de peu que les familles des cadres envoyés en Algérie ne soient expulsées de leur
logement en Allemagne.

206
de l’IGABC, qui pense qu’il n’est pas admissible de vouloir faire des sous-officiers de
carrière les parents pauvres de la nation, le corps des sous-officiers de cavalerie qui « pendant
des siècles, a constitué la charpente essentielle de l’arme »528 menace de se désagréger.
L’ABC n’est pas la seule arme à être concernée par le départ important des sous-officiers.
L’EMA en a conscience mais les mesures qui permettraient d’enrayer ce phénomène sont
avant tout d’ordre financier et échappent de ce fait au ministère. Les mesures proposées par
l’IGABC en 1958 restent lettre morte. La seule mesure qui peut être prise en 1960 est la
majoration des primes d’engagement et rengagement, mais cette disposition ne se révèle pas
suffisante pour enrayer le phénomène des départs.
Le commandement agit également pour améliorer les conditions de l’avancement et de
préparation des examens qui le conditionne. En 1957, l’étude précise des pyramides des
grades des régiments montre que leur conception interdit un avancement normal des jeunes
sous-officiers, ce qui les incite à ne pas rengager ou à quitter prématurément le service. Au 8e
RH, par exemple, l’effectif de chaque grade est fixé proportionnellement à l’effectif global
total des sous-officiers du corps, alors que le grade doit normalement correspondre à un poste
d’emploi. La proportion de sous-officiers du contingent est fixée à 35%, or ils sont
pratiquement tous MDL, ce qui se fait au détriment du nombre de MDL d’active, et rend la
base de la pyramide des grades des sous-officiers d’active très rétrécie. Cela laisse donc peu
de place pour les MDL du contingent qui souhaiterait s’engager. La baisse du volume des
engagements en tant que sous-officiers est également due, en partie, à un problème de gestion.
La réduction du nombre des brigadiers-chefs fixé par les TED entraîne la suppression des
nominations dans les régiments, d’où un retard pour la nomination de sous-officiers et l’arrêt
des vocations militaires possibles. Mais ces défauts ne sont corrigés qu’en 1958, ce qui
permet de faire souscrire des engagements aux MDL du contingent dont la qualité est parfois
supérieure à celle des ADL qui se dégrade en 1959 selon l’IABC529. Pour honorer les TED, un
nombre plus important de maréchaux-des-logis-chef (MDC) est promu au grade d’adjudant.
Mais les vacances dans le grade de MDL-major et de MDC sont difficiles à combler car le
niveau des MDL d’active est d’une valeur jugée médiocre. Certains voient leur candidature à
l’avancement refusée pour incapacité, punitions importantes ou manque de titres530. En outre,
les cas d’alcoolisme signalés par les différents rapports chez certains sous-officiers,
notamment les plus anciens, ne sont pas rares. Le problème du déficit n’est alors que déplacé.

528
SHD/Terre, 31 T 5.
529
Id.
530
Id.

207
Pour faciliter la préparation des examens, il est demandé aux chefs de corps de
s’impliquer d’avantage et des cours préparatoires sont organisés à Hussein Dey. En
septembre 1960, une nette amélioration du niveau des examens des sous-officiers est
constatée, ce qui permet de mettre les sous-officiers dans les conditions d’avancement
prévues.
Mais, en 1960, les départs, qui concernent surtout les spécialistes, se sont multipliés.
Sur 867 sous-officiers ayant quitté cette année-là, 33 seulement sont atteints par la limite
d’âge de leur grade. Pour combler le déficit, la proportion des sous-officiers servant en
Algérie passe de 56,2 à 61,32 % en 1960, ce qui est jugé particulièrement élevé. Malgré cela,
les TED ne sont honorés qu’à 81 %, au lieu de 91 % en 1959. Il en résulte un sous-
encadrement des unités du personnel d’active comblé par les appelés et les FSNA que l’on
cherche à promouvoir. Mais le nombre de ces derniers n’atteint que 425 sur 6 529 sous-
officiers dans l’ABC au début de l’année 1961.
En fait, seul le retour des régiments en France met fin au phénomène des départs
anticipés chez les sous-officiers. L’ABC souffre de ce phénomène tout au long du conflit et le
commandement n’a pas pu trouver de solutions satisfaisantes pour y mettre fin.

14. Place particulière des musulmans dans l’ABC

En 1954, si les soldats du contingent forment le gros des effectifs des unités de l’ABC,
la proportion de soldats musulmans, appelés et engagés confondus, y est limitée à 15 %,
comme dans toutes les armes dites « techniques »531. Les musulmans sont essentiellement
affectés à des postes de voltigeurs ou de cavaliers portés. En juin 1954, l’IGABC demande
que ce pourcentage ne dépasse pas 16 % dans les unités blindées532.
La raison en est, officiellement, l’inaptitude des musulmans « à assimiler la
techniques des armes dites savantes »533. Le lieutenant (LTN) Rahmani avance un autre
motif, celui de la méfiance que nourrit le commandement vis-à-vis des musulmans et sa
« volonté de les convaincre de [leur] infériorité »534. Si aucun document consulté ne semble
apporter de crédit à cet argument, en revanche, une fiche de l’inspection des forces terrestres,

531
Cette règle ne s’applique pas aux unités montées où, au contraire, le nombre de musulmans est très élevé, y
compris chez les cadres. C’est le cas en 1955 au 9e ESA où « l’encadrement officiers et sous-officiers est
indigène en presque totalité ». (SHD/Terre, 31 T 9). En 1956, le commandement souhaite ramener leur
proportion à 45 % pour toutes les unités montées.
532
SHD/Terre, 31 T 9, lettre n° 500/IGABC/1/EFF du 9 juin 1954.
533
Rahmani, op. cit., p. 10.
534
Id.

208
maritimes et aériennes de l’Afrique du Nord semble révéler une certaine méfiance de la part
du commandement vis-à-vis des musulmans. On peut y lire notamment :
« L’affectation des appelés musulmans dans les armes techniques, ne
présente apparemment aucun inconvénient, si ce n’est pour l’arme du
Génie, ce serait peut-être (sic), en effet, faire l’instruction des futures
équipes de sabotage des partis nationalistes. Il n’en est pas de même
pour l’Arme blindée, élément essentiel du maintien de l’ordre. Cette
arme, mis à part des régiments de Spahis algériens, ne devrait
théoriquement comprendre aucun français-musulman. Par DM n°
2.431/EMFAG/IO du 2 juillet 1952 elle s’est vu attribuer un contingent
de Français-musulmans dans la proportion de 1 à 6. Ne risque-t-on
pas, dès lors, en cas de troubles, de voir nos matériels blindés à la
merci des actes de sabotage perpétrés par les recrues P.P.A. ? »535
Cependant, les restrictions évoquées par le rédacteur de la fiche ne concernent que les
appelés nord-africains et nullement les officiers ou les sous-officiers de carrière. Toujours
selon le LTN Rahmani, en 1948, on n’affectait dans les régiments blindés qu’« un officier
Algérien (sic), jamais deux par régiment »536. Cependant, en 1948, il n’y a que trois officiers
musulmans en application à Saumur et, avec ce nombre, il paraît difficile d’en affecter plus
d’un par régiment. Du reste, en décembre 1955, alors que l’on ne compte que 124 officiers
musulmans pour toute l’armée de Terre537, certains régiments blindés en comptent plusieurs
dans leurs rangs et, en 1956, leur effectif théorique est fixé à trois par régiment blindé538. Il
faut ajouter qu’en 1950 le manque de chefs de peloton dû à la guerre d’Indochine avait déjà
permis à certains d’entre eux « d’accéder à l’emploi de chef de peloton de chars »539 emploi
dans lequel ils donnent immédiatement satisfaction.
Mais le statut spécial de 1940 reste en vigueur et engendre une frustration
incontestable de la part des officiers musulmans. En 1948, des mesures provisoires sont prises
en vue d’appliquer le statut général aux officiers musulmans, dans le cadre des réformes
entreprises en Algérie en 1947. Il leur est proposé de passer un examen assez simple pour
accéder au statut général. Mais beaucoup d’entre eux se refusent, par principe, à le passer et
535
SHD/Terre, 1 H 2673.
536
Rahmani, id. p. 16.
537
SHD/Terre, 1 H 2376, lettre du général Cailles, inspecteur des forces terrestres, maritimes et aériennes de
l’Afrique du Nord du 9 décembre 1955. Selon le général (2S) Faivre on en compte seulement 51 en 1954.
Maurice Faivre, Les Combattants musulmans de la guerre d’Algérie. Paris, L’Harmattan, 1995, 270 p., p. 122.
538
A l’exception du 6e RSM qui est entièrement composé de « FSE » après son retour d’Indochine. SHD/Terre, 6
T 576.
539
Rahmani, op. cit. p. 17.

209
conservent leur ancien statut540. Les concours de l’école spéciale militaire interarmes
(ESMIA541), direct et semi-direct, leur sont ouverts, mais sans grand succès.
En 1955, leur recrutement tend à s’amenuiser. Cette baisse de candidats n’est pas sans
inquiéter l’IGABC : « tant sur le plan militaire que politique, ce problème mériterait de
recevoir une solution. Un projet est actuellement à l’étude à l’administration centrale, il a
reçu l’accord du ministre de la Défense nationale »542. En octobre, le nouveau statut voit
enfin le jour alors que l’on compte dans l’ABC 38 officiers musulmans, dont 21 sous le statut
de 1940543. Pour éviter les déboires précédents, des solutions intermédiaires sont trouvées
pour permettre aux officiers du statut de 1940 d’accéder au statut général sans passer
d’examen. Le tableau d’avancement leur est ouvert en priorité, et ils peuvent accéder au grade
d’officier supérieur dans les mêmes conditions que les autres officiers544. En 1958 on compte
dans l’armée de Terre 12 officiers supérieurs musulmans, chiffre qui passe à 36 en 1960, dont
deux colonels545. Le général de Gaulle, dans son discours du 5 novembre 1960, porte à son
crédit cette augmentation en annonçant comme un progrès important le fait qu’en trois ans, le
nombre des officiers d’active FSNA546 est passé de 198 à 386, et celui des officiers de réserve
en situation d’activité (ORSA) de 25 à 244.
Cependant, le problème des emplois que peuvent tenir les musulmans au sein des
régiments blindés est d’autant moins réglé qu’avec la fin de la guerre d’Indochine, on assiste à
leur arrivée massive, qu’ils soient Marocains ou originaires des départements algériens. Cet
afflux entraîne une augmentation de leurs effectifs dans les unités blindées. Dans un premier
temps, en juillet 1955, pour « donner au plus grand nombre possible de Nord-Africains
rapatriés la faculté de demeurer sous les drapeaux », les quotas sont augmentés mais
néanmoins, leur suppression est exclue547. La proportion de personnel musulman dans les

540
SHD/Terre, id.
541
L’ESMIA de Saint-Cyr est une école de formation initiale pour les officiers. Elle est implantée à Coëtquidan
(56) depuis 1945. Elle est composée de trois bataillons : le 1er bataillon regroupe les élèves de recrutement direct
de deuxième année, le 2e bataillon regroupe les élèves de recrutement semi-direct (qui ne passent qu’un an à
l’école), le 3e bataillon regroupe les élèves de recrutement direct de première année. En 1961, l’école se scinde
en deux pour former d’un côté, l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (recrutement direct), et de l’autre, l’Ecole
militaire interarmes (recrutement semi-direct).
542
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
543
La répartition exacte des officiers musulmans dans l’ABC en octobre 1955 est la suivante :
Grade LCL CES CNE LTN SLT
Statut de 1940 1 1 6 12 1
Statut général 2 14 1
SHD/Terre, 1 H 2376.
544
Edmond Michelet, ministre des Armés du 21/11/1945 au 26/01/1946, avait déjà accordé cette possibilité pour
trois ou quatre capitaines. Rhamani, op. cit., p. 20.
545
Faivre, op. cit., p. 123.
546
Nouvelle appellation officielle des FMA depuis février 1958.
547
SHD/Terre, 6 T 575, DM n° 11612/EMA/1.O.S du 23 juillet 1955.

210
régiments d’AM M8 passe alors de 15 à 28 %, comme c’est le cas au 8e et au 9e RCA.
L’IGBAC s’en inquiète car, pour lui, « l’expérience montre que ce pourcentage est excessif ».
Ce taux élevé est jugé d’autant plus excessif pour les régiments où les EBR commencent à
remplacer les AM M8548. Dans un rapport de 1955, l’IABC souhaite donc que la mise en place
des EBR dans une unité, y entraîne une baisse de la proportion des musulmans549. Finalement,
en 1956, ce taux est fixé en moyenne à 20 % pour tous les régiments blindés, toujours à
l’exception du 6e RSM (cf. infra), et une expérimentation d’amalgame concluante est faite au
4e RCC en 1956550.
Cette année-là, le 6e RSM perd l’ensemble de son personnel marocain engagé qui est
remplacé par des appelés désignés hâtivement. Cette transformation est due à « la
désagrégation du moral des Marocains ». En février 1956, le colonel Gassiat, commandant
l’ABC en Algérie, tire la sonnette d’alarme : « Les Marocains [du 6e RSM] ont de plus en
plus tendance à vivre à l’écart de leurs camarades français (…), l’incident banal de la vie
courante provoque des réclamations collectives qui dénotent un esprit de rébellion
systématique contre les règles traditionnelles de la discipline militaire. » Il cite même le cas
d’un sous-officier refusant de débarquer d’un scout-car avec son groupe pour combattre. Il
estime la situation comme potentiellement dangereuse, c’est pourquoi la décision est prise de
remplacer tous les Marocains par des Français provenant de différents régiments551. Pour
éviter tout problème, non seulement les Marocains quittent le régiment avant l’arrivée de leurs
remplaçants, mais le commandement, sur proposition du colonel Gassiat, décide qu’il ne
comptera dans ses rangs aucun musulman. Du coup ce régiment est le seul de l’ABC à ne plus
compter que des Français de souche à partir du mois de mars 1956552. En revanche, si le 8e
RSA perd également son caractère de régiment d’engagés musulmans, dont certaines familles
ont fait l’objet de menace de mort de la part du FLN, il n’en conserve pas moins des
musulmans, mais uniquement dans les mêmes proportions que les autres régiments553. Les
engagés de ce régiment sont alors mutés dans d’autres unités.
Mais, en 1956, c’est surtout l’augmentation du nombre des appelés musulmans
décidée par le commandement qui change la donne. Le nombre de ces derniers, qui stagne
entre 1953 et 1955, aux environs de 10 000 pour l’ensemble des armées, passe en 1956 à
13 780. Il augmente progressivement les années suivantes pour atteindre 34 450 hommes, son

548
SHD/Terre, 6 T 575.
549
SHD/Terre, 6 T 285.
550
SHD/Terre, 31 T 10.
551
SHD/Terre, 1 H 1349.
552
SHD/Terre, 1 H 1905.
553
SHD/Terre, 31 T 12.

211
maximum, en 1959. Par la suite ce chiffre baisse et passe à 20 360 en 1960, 22 260 en 1961,
et 6 500 en 1962554. A partir de 1958, il est demandé à tous les régiments d’accueillir des
appelés FSNA, y compris au 2e RD, qui du fait qu’il est régiment de la 7e DMR ne compte, en
dehors de ses 140 harkis, qu’un seul homme de troupe FSNA qui est engagé. Lors de la
libération du contingent 1956/2, il absorbe 91 appelés et 14 engagés FSNA, alors que, du fait
de son départ de la ZNA et du manque de crédits, le nombre de ses harkis passe à 61. Parmi
les FSNA, huit seulement sont titulaires d’un permis de conduire, tous les autres sont
employés comme cavalier porté et, selon le chef de corps, « la plupart sont illettrés et ne
comprennent pas le français »555. Ce fort volume de cavaliers non qualifiés pose un sérieux
problème dans ce régiment qui compte encore 300 véhicules pour lesquels il n’a pas
suffisamment de conducteurs.
Pour éviter ce genre de situation, en juillet 1958, une directive de Salan encourage
l’intégration des FSNA dans les unités en levant toutes les restrictions d’emploi, ce qui
bouleverse les habitudes et engendre des difficultés. Les habitudes ont la vie dure, les chefs de
corps continuent à cantonner les FSNA dans des emplois de voltigeurs ou de cavaliers portés.
L’IGABC finit par s’en plaindre. En juin 1960, il envoie une lettre de rappel sur l’utilisation
des FSNA. Il y fait part de son mécontentement de constater que trop d’officiers de l’ABC,
jeunes ou anciens, n’aient pas compris l’importance qu’il faut accorder à la promotion du
cavalier musulman :
« Trop d’officiers ont tendance à décider a priori que les FSNA sont
inaptes aux fonctions de combattants qualifiés, bien souvent parce que
leur formation est plus longue et plus difficile que pour les FSE. Trop
de FSNA sont encore relégués systématiquement à des tâches
subalternes au mépris de toute psychologie. D’ailleurs, quand je
rencontre un chef de corps qui a compris le problème, les résultats sont
excellents. »556
Il fait de ce problème l’une de ses priorités, et avertit qu’il en tiendra compte lors de
ses visites d’inspection. En 1960, il montre en exemple le LCL de La Morsanglière, chef de
corps du 3e RCA (régiment sur EBR qui passe pour l’un des fleurons de l’ABC) : « Le 3e RCA
forme, parmi les FSNA, des spécialistes très valables557, comme : chef de voitures [i.e.

554
Colonel Jacques Vernet, « Recrutement indigène et appelés musulmans », in Guerre d’Algérie magazine, n°
16, mai 2009, 66 p., p. 49 – 55.
555
SHD/Terre, 7 U 845*.
556
SHD/Terre, 31 T 9.
557
Souligné dans le texte.

212
d’engins blindés]558, conducteurs de jeep, tireurs, ce qui prouve que la chose est possible
quand les chefs de corps veulent bien l’exiger des Capitaines Commandants »559. Au 12e
RCA, on compte à la même époque parmi les FSNA, qui représentent 20 % des effectifs : 4
sous-officiers, 5 tireurs AM, 20 pilotes ou conducteurs et 25 élèves-gradés560.
Par la suite, la situation s’améliore et le nombre de FSNA tenant des emplois de
spécialistes va en s’accroissant. En outre, même si les FSNA arrivent généralement avec
comme seule qualification celle de cavalier porté, dans un nombre croissant de corps de
troupe, ceux qui en ont le potentiel reçoivent une formation dans une spécialité plus
technique. Cette évolution permet de réduire les problèmes de sous-effectifs chroniques, mais
surtout, d’un point de vue psychologique, l’amalgame qui est créé, sans restriction d’emploi,
apporte beaucoup. Mais il atteint ses limites et doit être réalisé avec attention. La barrière de
la langue est le plus souvent un obstacle à la constitution d’équipages mixtes, comme au 12e
RD en janvier 1962. Le régiment vient d’être équipé d’AML 60, que tout le personnel doit
apprendre à mettre en œuvre, or selon le rapport du général inspecteur :
« Les FSNA sélectionnés comme tireur (1) ou pilotes (2) sont
inutilisables, la faiblesse de leur connaissance de la langue française
ne leur permet pas de comprendre les ordres transmis par interphone ;
un chef de voiture FSNA [i.e. d’engin] ne peut commander un membre
de son équipage en français et l’autre en arabe ; un équipage
homogène FSNA n’est pas souhaitable. »561
En outre, l’amalgame ne peut être poussé sans restriction que dans les zones où le FLN
a perdu suffisamment d’influence pour ne pas menacer les familles des appelés FSNA. Dans
les unités chargées du quadrillage territoriale, où les contacts avec la population sont très
fréquents, le contingent FSNA est volontairement plus restreint et obligatoirement issu d’une
autre région que celle sur laquelle l’unité est implantée, ce qui complique le travail de la
répartition des recrues. Enfin, se pose le problème des unités 107 dans lesquelles le nombre de
postes de spécialistes est plus restreint et normalement confiés à des FSE, ce qui relègue les
FSNA aux unités de combat, où leur proportion égale parfois celle des FSE.
A la fin de l’année 1960, la proportion des FSNA est uniformisée définitivement à 20
% (40 % pour les unités à cheval). Une augmentation de ce pourcentage ne semble pas

558
Dans la cavalerie légère blindée, les chefs d’engins, dans ce cas précis d’EBR, sont appelés « chef de
voiture » par tradition.
559
SHD/Terre, 31 T 10, rapport d’inspection du 3e RCA, n° 72/IABC/701/SC du 5 avril 1960.
560
SHD/Terre, 1 H 2139, compte rendu d’inspection du 15 mai 1960.
561
SHD/Terre, 31 T 15.

213
réalisable pour les unités sur le TED 021 car, comme les FSNA y trouvent peu d’emploi dans
les ECS, leur proportion dans les unités de combat atteint 35 à 40 %, voire plus comme dans
le peloton de Philippe Dumoulin au 1er escadron du 4e RCA. Celui-ci est surpris, à son
arrivée, de constater que la proportion de FSNA dans son peloton atteint presque 90 %. Il est
encore plus surpris de constater que certains parmi eux, considérés comme insoumis, partent
sur le terrain sans arme. Il reçoit du reste comme conseil de ses chefs de ne pas hésiter à les
abattre en cas de grosse difficulté, mais il n’est jamais amené à de tels extrémités562.
Pour éviter d’avoir une trop forte proportion de FSNA dans certains pelotons, il est
nécessaire que l’orientation des recrues, lors de leur incorporation, évolue. Or, dans les CI, les
formations de spécialistes continuent à absorber plus du tiers de l’effectif FSE, et les élèves-
gradés sont en forte majorité FSE. En raison de leur très faible instruction générale, les FSNA
sont obligatoirement versés, pour la plupart, dans les pelotons fusiliers-grenadiers-voltigeurs
(FGV), sur lesquels se concentre ainsi l’augmentation du pourcentage FSNA qui y atteint
environ 50 %, alors que le taux souhaitable de l’amalgame est d’un tiers de FSNA pour deux
tiers de FSE. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que la proportion de FSNA à chaque
incorporation ne dépasse pas 25 % de l’effectif des FSE. Or, en 1958, elle atteint plus de 42 %
dans certains CI, comme le 5e RC où elle est de 42,5 % (80 sur 180) pour le contingent 58/2/A
et de 43 % (65 sur 151) pour le contingent 58/2/B. Mais cette forte proportion de FSNA ne
semble pas poser de problème majeur de commandement ou de cohésion. C’est pourquoi,
l’EMA fixe le pourcentage des FSNA à 50 % pour les pelotons de fusiliers-grenadiers-
voltigeurs à l’instruction.
Une DM du 21 août 1959, demande à ce que des FSNA soient formés dans les
spécialités de conducteurs auto et d’exploitants radio. Mais elle n’est pas appliquée par les CI
qui doivent être souvent rappelés à l’ordre.
Il est décidé, en outre, que le pourcentage FSNA sera limité à 25 % lors de
l’incorporation dans les corps, pour arriver à ne pas dépasser un taux de 50 % dans les unités
les moins spécialisées. L’intégration des FSNA dans les corps de troupe blindés et à pied
d’Algérie s’opère tout naturellement lorsqu’ils sont éparpillés au milieu des FSE comme le
rapportent les témoignages d’appelés. C’est pourquoi on fixe un pourcentage de l’effectif
« troupe » à ne pas dépasser à 30 % dans les unités à pied, 10% dans les unités blindées et 5 %
dans les escadrons de commandement et des services (ECS). En 1959, le pourcentage des
appelés FSNA est considéré, pour l’ABC, comme le maximum qui peut être atteint sans

562
Témoignage de Philippe Dumoulin.

214
entraîner un déséquilibre dans les unités563 car, dans les faits, les quotas ne sont pas respectés,
comme le confirment certains témoignages. Le peloton d’AM d’Hervé Lales compte près de
25 % de FSNA à cette époque564 et, au 1er escadron du 4e RCA, sur AM M8 également, il
représente 40 % de l’effectif565.
A partir du mois de mai 1958, pour faire face à ces nouveaux besoins, du personnel
d’encadrement FSNA est mis en place dans les CI à raison d’un sous-officier et deux
brigadiers-moniteurs arabophones, pris parfois parmi les pieds-noirs, pour 30 recrues. En
outre, il est décidé de les incorporer un mois à l’avance pour leur inculquer des notions de
français et leur permettre de prendre de l’avance sur leurs camarades. Cette disposition
présente beaucoup d’avantages, bien qu’elle entraîne une surcharge de travail pour
l’encadrement. L’expérience montre en outre, qu’à l’arrivée des FSE, l’amalgame se fait sans
aucune difficulté même si les FSNA sont à 95 % arabophones et s’expriment mal en français.
Mais ces mesures ne règlent pas tous les problèmes liés à l’amalgame des FSE et des
FSNA qui reste un élément très important de l’action psychologique. Albert Ducloz découvre
l’Algérie à son arrivée au CIABCA en mars 1960. Il écrit à ses parents qu’il s’est
personnellement rapidement lié d’amitié avec un musulman mais que son peloton « se divise
en deux catégories : ceux qui parlent aux appelés arabes et qui les respectent, ce qui fait que
les Arabes nous respectent. Ceux qui sont plus ou moins racistes, vivent entre eux, et ne
parlent pas aux musulmans, et guère aux Français qui parlent à ces derniers »566. Les
Français dont il parle ne sont pas forcément des pieds-noirs, qui dans son peloton forme une
catégorie encore à part. Il est également surpris d’apprendre que les FSNA ne montent pas la
garde au dépôt de munitions et ne font pas partie des futurs équipages blindés, il en tire une
conclusion de bon sens qui révèle bien les difficultés que rencontre un commandement qui ne
souhaite pas prendre de risques : « c’est plus sûr, mais ça montre bien aux Arabes que nous ne
leur faisons pas confiance et de ce fait, je comprends qu’ils ne soient guère avec nous »567.
Si l’IGABC insiste sur la nécessité de ne pas noyer les FSE sous l’apport massif de
FSNA afin de ne pas compromettre la réussite de l’amalgame, la présence de harkis dans les
escadrons augmente encore le pourcentage des FSNA dans les unités de combat. En outre,
leur nombre ne cesse de s’accroître à cette période568.

563
SHD/Terre, 31 T 9.
564
Témoignage d’Hervé Lales.
565
Témoignage de Philippe Dumoulin.
566
Albert Ducloz, Lettres d’Algérie à mes parents, Paris, Editions Jeanne d’Arc, 2003, 254 p., p. 22.
567
Ibid. p. 53.
568
Le volume réel des harkis est toutefois difficile à connaître avec précision, car un certain nombre d’entre eux
n’existe que sur le papier. Au 6e RC, Gérard Kempf, détaché au quartier de Châteaudun-du-Rhumel sous les

215
Témoin de la volonté politique, mais aussi de celle du haut commandement, d’aller
vers une « algérianisation » du conflit, sur le modèle adopté lors de la guerre d’Indochine
avec le « jaunissement », cet accroissement du nombre des harkis se fait, parfois au détriment
du nombre de rengagements. En effet, le statut de harki, qui est moins contraignant, semble
plus attractif de prime abord569. Le recrutement d’engagés FSNA reste faible en grande partie
de ce fait et un régiment comme le 1er RS qui, en juin 1960, compte 120 engagés FSNA,
parmi lesquels 60 tiennent des postes de spécialistes, fait figure d’exception.
En 1959, des efforts sont consentis pour former un nombre beaucoup plus élevés de
gradés et de sous-officiers FSNA. Mais cette volonté se heurte à de grosses difficultés, malgré
l’appoint d’anciens harkis ou d’anciens moniteurs d’Issoire. Elles sont dues, encore une fois, à
la trop faible instruction générale des candidats qui est jugée insuffisante pour leur offrir
pleinement des possibilités de promotion, on estime donc que cette politique de recrutement
ne pourra porter ses fruits qu’après plusieurs années. Le CIABCA organise un peloton
d’élèves sous-officiers (PESO) destiné aux engagés et aux appelés ayant une connaissance
insuffisante du français pour être formés dans leur corps. Cette initiative donne satisfaction.
En 1960, le CIABC délivre 69 certificats d’armes de 2e niveau sur 76 candidats FSNA venant
de tous les corps de troupe. Selon l’IABC il s’agit des seuls résultats positifs enregistrés dans
ce domaine. En effet, les FSNA francophones continuent à être formés dans les corps, et, étant
donné leur niveau de culture générale, ils n’arrivent pas à assimiler les connaissances qui leur
sont dispensées au même rythme que leurs camarades FSE et échouent pour la plupart aux
examens de sortie ce qui a un effet psychologique désastreux. Bien que cette solution mette à
mal l’amalgame qui est pourtant l’un des buts principaux, sinon le principal, de
l’augmentation du nombre des appelés FSNA, il est décidé d’organiser les PESO pour tous les
FSNA dans les CI, y compris ceux situés en France. En mars 1960, il est donc créé dans les
CI, des pelotons II spéciaux pour le personnel FSNA qui, faute d’une instruction suffisante, ne
peut pas suivre le PESO dans les corps. Le premier de ces pelotons commence en mai 1960 au
2e RH, mais il ne compte que 4 candidats, car les propositions des régions militaires (RM)

ordres du CES Dumont Saint-Priest, classe les harkis en quatre catégories. La première, la plus volumineuse,
regroupe les vrais harkis qui sont armés et participent effectivement aux opérations. La deuxième est celle des
harkis « pelles-poches », elle regroupe des musulmans plus âgés et non armés qui sont utilisés aux travaux
d’infrastructure. La troisième est celle des « harkis fictifs » qui n’existent pas mais sont déclarés dans le but de
recevoir les primes dont l’argent permet au corps d’améliorer ses conditions de vie, notamment dans le domaine
de l’infrastructure. La dernière celle constituée par la « harka de Moussetas » qui est le nom du piton où sont
enterrés les membres du FLN abattus dont les noms sont relevés et inscrits sur les registres comme harkis. A
partir de 1961, un contrôle plus rigoureux met fin à une très grande partie de ces abus.
569
En 1958, un Harki vit en famille et perçoit 750 francs par jour, alors que l’homme de troupe, qui est nourri,
n’en perçoit que 30. SHD/Terre, 1 H 1391.

216
restent très en dessous des besoins. Un effort leur est donc demandé pour détecter au mieux
les candidats potentiels à l’avenir. Au bout du compte, les résultats ne sont pas à la hauteur
des espérances et, en 1960, l’ABC ne compte que 425 sous-officiers FSNA pour 660 postes
ouverts pour eux, tous statuts confondus. En outre, le recrutement des MDL du contingent est
gêné par le fait que les meilleurs appelés FSNA sont sélectionnés pour la Gendarmerie, le
SFJA ou les EOR, ce qui en laisse peu au sein des corps de troupe susceptibles de devenir
MDL.
Mais, dans l’ABC, les élèves-officiers de réserve (EOR) FSNA ne donnent pas entière
satisfaction. Le commandant de l’EAABC se plaint du fait que la sélection des EOR FSNA ne
permet absolument pas de recruter l’élite intellectuelle. Selon lui, les EOR FSNA ne sont que
des « petites gens » (sic) d’un niveau intellectuel très inférieur à la moyenne des étudiants
FSNA570. Sur 54 EOR FSNA instruits jusqu’à cette période, on compte peu ou pas de
bachelier et aucun candidat issu de la préparation militaire supérieure (PMS). Une sélection
plus rigoureuse est donc mise en place, mais la qualité des EOR FSNA n’évolue pas dans un
sens favorable, et l’élite continue de s’abstenir de se porter candidat pour les EOR. Les
résultats sont toujours décevants en 1960 où seuls 24 candidats sont reçus sur 45571.
En 1961, le commandement cherche à recruter en priorité ces maréchaux-des-logis
d’active parmi les engagés FSNA. Le 1er juillet 1961, afin de créer de nouveaux postes pour
eux, il est décidé de remplacer dans toutes les unités élémentaires de type 107, quelques soit
leur arme, un sous-officier FSE par un sous-officier FSNA. Cette mesure permet de créer 536
postes de sous-officiers FSNA supplémentaires en Algérie, dont 230 pour l’ABC. Mais les
efforts consentis ne sont pas couronnés de succès. Dans l’ABC, seuls 56 engagés passent
maréchal-des-logis sur les 230 espérés. En outre, la plupart de ceux qui sont nommés ont du
mal à s’imposer, car ils éprouvent une certaine gêne à commander d’autres FSNA plus
anciens qu’eux dans l’armée. En outre, avec cet apport, le nombre de maréchaux-des-logis
FSNA d’active ne passe que de 302 à 358 pour l’ensemble de l’ABC. Selon le colonel de
Quenetain, ce faible chiffre s’explique par le fait qu’ils « sont difficiles à recruter, en raison
de la médiocre qualité des engagés et de la faiblesse de leur culture qui les handicapent aux
examens ». Cependant il ajoute que « bien amalgamés et disciplinés, ils rendent
d’incontestables services mais atteignent rapidement leur plafond »572.

570
SHD/Terre, 6 U 84.
571
Id.
572
SHD/Terre, 1 H 1908.

217
A l’été 1961, face à l’évolution politique, le moral des 60 000 FSNA servant sous les
drapeaux, des 90 000 supplétifs et des 60 000 GAD commence à être affecté par le retrait
annoncé des troupes. Le général Ailleret souhaite, soit les attacher définitivement à la France,
soit leur rendre leur liberté après les avoir désarmés (il estime à 170 000 le nombre des armes
confiées aux FSNA en juillet 1961)573. Il est un fait que, après le putsch, les officiers et, dans
une moindre mesure, les sous-officiers FSNA de l’ABC sont dominés par l’incertitude du
lendemain en ce qui concerne leur sort personnel. La politique de recrutement des engagés
FSNA devient de plus en plus décevante. Quatre régiments seulement, sur 35, obtiennent de
bons résultats dans le recrutement des FSNA sous contrat. A la fin de l’année 1961, on
compte encore 1 115 postes qui ne sont toujours pas honorés, sur les 2 595 ouverts. La
meilleure source de recrutement est représentée par les harkis, considérés comme un appoint
appréciable bien qu’ils soient de valeur inégale, poussés à s’engager par la politique de
déflation de leurs effectifs.
Le 16e RD en recrute une quarantaine parmi les siens en août 1961. Mais,
généralement, le nombre est beaucoup plus limité comme au 30e RD où seuls 15 harkis
s’engagent. Ceux du 4e régiment de chasseurs à cheval (RCC) préfèrent s’engager dans les
groupes mobiles de sécurité (GMS) où seules 25 candidatures sont retenues sur les 45
présentées. En outre, la politique de recrutement est parfois mise à mal par les lourdeurs de
l’administration. Le 6e RC réussit n’en engager que 12 de ses harkis alors qu’il compte 74
candidats pour lesquels il ne peut pas lancer de procédure faute de crédits ASSES.
Pour les engagements de civils, le succès dépend surtout de la situation géographique
du corps. Dans l’Ouarsenis le 5e RCA obtient un bon nombre d’engagements de FSNA, et se
retrouve même avec un léger sureffectif. En revanche, les régiments du CA de Constantine
peinent à recruter574. En somme, comme l’écrit le colonel de Quenetain, « les résultats atteints
dans ce domaine par les autres corps [que le 5e RCA] sont en général nettement
insuffisants »575.
Les 4 317 appelés FSNA576 semblent moins affectés par l’évolution de la situation,
mais leur attitude évolue également. Si les régiments les absorbent sans difficultés majeures
tant que leur pourcentage avoisine 20 % de l’effectif de la troupe, les chefs de corps estiment,
573
SHD/Terre, 1 H 1875.
574
La faiblesse du recrutement est si faible dans le Constantinois que l’EMI demande au 5e RCA de céder des
engagés à des régiments du CAC. Le chef de corps s’y refuse mais propose aux recruteurs du CAC de venir eux-
mêmes mener des campagnes de recrutement dans l’Ouarsenis. Mais cette démarche n’est pas suivie du succès
attendu car les futurs engagés souhaitent servir dans leur région d’origine.
575
SHD/Terre, 1 H 1909.
576
En 1961, le nombre d’appelés FSNA atteint son maximum dans l’ABC. L’effectif théorique étant fixé à
3 678, il existe un sur effectif de 639 hommes.

218
pour la plupart que leur présence est plus une charge qu’une aide, et que leur appel ne
s’explique que par le désir du commandement de favoriser la promotion sociale des
musulmans. C’est la raison pour laquelle, lors de son départ pour la Tunisie en juillet, le 8e
régiment de hussards (RH) laisse ses 114 appelés FSNA en Algérie avec sa base arrière dont
le chef ne sait pas quoi en faire.
Des désertions commencent à apparaître dans certains corps de façon inquiétante.
C’est le cas au 1er RS(A), qui est sur le barrage-est, au début du mois de mars. Albert Ducloz
relate l’événement dans une lettre à ses parents. Le réseau ayant été endommagé, le courant
est coupé en vue de le réparer. Deux musulmans en profitent alors pour passer de l’autre côté.
« L’un y est arrivé, l’autre n’a pas fait assez vite. Les gars d’alerte l’ont tiré»577. En août,
suite à la désertion d’appelés FSNA avec armes, plus aucun d’entre eux ne monte la garde sur
le barrage, « ils font des corvées au cantonnement et n’ont plus d’armes », ce qui crée un
climat de suspicion particulièrement néfaste578. Le commandement revient sur sa décision les
FSNA sont à nouveau envoyés sur le barrage mais ils sont obligatoirement binômés avec un
FSE et ne sont pas armés avec un pistolet mitrailleur (PM), mais avec un fusil. Cependant, en
décembre, un spahi musulman assomme son binôme avec lequel il est de garde dans un
blockhaus et court rejoindre un autre musulman de garde dans un autre blockhaus qui devait
lui aussi assommer son binôme. « Mais l’assommé (…) réussit à se traîner jusqu’au téléphone
interblockhaus pour prévenir (…). Ce qui fait que lorsque le déserteur [arrive] au blockhaus,
le spahi européen (…) lui [fait] des sommations au lieu de tirer directement. Le musulman qui
[est] de garde avec lui, lui [tire] une balle dans le bras. » Par la suite, des éléments de
l’escadron arrivés en renfort trouvent les deux déserteurs essayant vainement d’ouvrir une
porte du barrage. L’un se suicide, l’autre se rate et est arrêté579.
Au 3e escadron du 6e RS, en août, deux nouveaux arrivés, un sergent infirmier ADL et
un appelé kabyle, désertent avec de l’armement. Cette désertion surprend tout le personnel de
l’escadron dont près de la moitié est constituée de FSNA, selon Jean-Paul Angelelli, «s’il a
frictions et parfois rixes, il n’y a jamais eu de coup dur avant celui-là ». Le capitaine
commandant procède aussitôt à des mutations internes pour casser les éventuelles chaînes qui
auraient pu se créer. Il craint d’autres désertions chez les appelés FSNA alors que jusque-là, il

577
Ducloz, op. cit., p. 143.
578
Ibid., p. 180.
579
Ibid., p. 216 – 217.

219
ne constatait chez eux que, soit un je-m’en-foutisme profond, soit un mauvais esprit mais
uniquement sur des questions matérielles comme la nourriture ou les tours de garde580.
En France ou en Allemagne, si des cas de désertion ne reste que très marginal,
l’attitude des appelés FSNA n’en demeure pas moins de plus en plus hostile. Au 7e ESA, où le
nombre d’engagés reste toujours très majoritaire581, aucun acte hostile grave n’est signalé,
même lorsque la proportion d’appelés est augmenté à partir de 1958. Mais tel n’est pas le cas
à l’escadron de spahis de l’EAABC, où les appelés forment l’essentiel du personnel et dont
les missions sont loin d’être aussi prestigieuses que celles du 7e escadron de spahis algériens
(ESA)582. En 1958, le commandement de l’école porte des soupçons sur la fiabilité de cette
unité. On y constate des cas de rackets des permissionnaires pour l’Algérie, et l’attitude des
gradés, qui ont des contacts répétés avec des civils « douteux », fait craindre qu’ils ne soient
noyautés par le FLN de métropole583. Une enquête est diligentée par la sécurité militaire (SM)
en liaison avec la DST. L’EMA envisage de dissoudre l’escadron pour la réduire à un peloton
d’honneur584. Mais, en septembre, les conclusions des enquêtes font apparaître qu’il ne s’agit
que d’activités malhonnêtes et non politiques, les coupables sont découverts et sanctionnés, et
l’escadron est finalement maintenu. Ce n’est qu’en 1961 que l’esprit des appelés FSNA
change du tout au tout. En novembre 1961, un grave incident de commandement éclate et
révèle que les appelés FSNA « sont des sympathisants au FLN »585. La méfiance est telle que
les cadres sont armés en permanence pendant le service. L’escadron est donc dissous au début
de l’année 1962 et les appelés FSNA envoyés dans les UFL en Algérie.
Au début de l’année 1962, la situation des FSNA devient critique. La politique
d’engagement des harkis dans les régiments devient une priorité. Au 6e RS, le nombre des
sous-officiers FSNA sous contrat dépasse les droits ouverts. Mais, dans bien des cas, les
harkis ne peuvent pas s’engager, car ils ne remplissent pas les conditions nécessaires, ce qui
pose des cas de conscience aux chefs de corps qui savent qu’ils ne peuvent pas les renvoyer à
la vie civile. Dans certains régiments, le volume très important de harkis pose un grave

580
Angelelli, op. cit., p. 180 -185. Les deux déserteurs, passés à l’ALN sont faits prisonniers l’un après l’autre
par leur ancien escadron. Ils sont tous les deux exécutés.
581
En 1956, l’escadron est formé uniquement avec des spahis qui rentrent d’Indochine. Selon le rapport
d’inspection, ils ont un excellent état d’esprit, mais leur comportement est toutefois très surveillé. « Le seul
danger pourrait venir du manque de BMC au quartier. Les spahis sortent en ville où ils peuvent avoir des
relations incontrôlables avec la population. » SHD/Terre, 31 T 12.
582
Les spahis de l’école n’a pas vocation à servir de troupe de manœuvre. Les spahis sont utilisés pour des
missions d’honneur, les corvées, le service du mess et la garde des installations. Cet escadron, qui comprend la
fanfare de l’école, compte deux officiers, seize sous-officiers et 171 cavaliers.
583
Déjà en janvier 1956, des problèmes de ce type avaient été relevés, mais aucune suite n’avait été donnée.
584
SHD/Terre, 6 U 84.
585
SHD/Terre, 6 U 82.

220
problème au colonel, comme au 2e régiment de chasseurs d’Afrique (RCA) qui en compte
encore 230. Les harkis servant dans l’ABC connaissent généralement le même sort que ceux
des autres armes. Au 23e RS, François Meyer, ramène lui-même les familles et les membres
de son commando qui lui en font la demande. Il reçoit pour cette opération l’appui sans faille
de son chef de corps qui met tout en œuvre pour l’y aider586.
La décision de former les unités de la force locale (UFL) avec les appelés FSNA, qui
représentent encore parfois 40 % des effectifs des pelotons de combat, est vécue par certains
chefs de corps comme une bonne occasion de se débarrasser du fardeau qu’ils représentent.
Au cours du mois de mai, le colonel de Quenetain inspecte certaines UFL récemment
mises sur pied dans les régiments de l’ABC. Il a le sentiment que le personnel qui les
compose « [a] compris que ces unités peuvent être appelées à jouer un rôle important et que
la réussite de cette expérience revêt un grand intérêt »587. Cependant, il déplore le manque de
volontariat de la part des officiers et sous-officiers FSNA pour y servir. Deux unités (458e
[19e RCC] et 446e [6e RS] UFL) ne comptent aucun officier musulman. Les autres n’en
compte qu’un seul, à l’exception des 410e [4e RH] et 445e [6e RS] qui en comptent deux. Pour
honorer le poste prévu à la 458e UFL, il faut aller chercher au CIABC l’unique lieutenant qui
y a fait acte de volontariat. Le nombre des sous-officiers FSNA atteint rarement la dizaine, la
410e [4e RH] n’en compte que quatre. Pourtant, au 6e RS, le nombre des sous-officiers FSNA
sous contrat dépasse les droits ouverts. Mais, comme il doit soutenir trois UFL, il n’est en
mesure ni de combler les déficits en cadres FSNA, ni même de maintenir les effectifs FSE
dans toutes les catégories. Il est pourtant essentiel qu’à court terme, le nombre de cadre FSNA
soit au moins égal à celui des FSE, de façon à ce que, au départ de ces derniers, l’encadrement
puisse être entièrement assuré par des Algériens qui feront partie de la nouvelle armée après
l’indépendance. Pour assurer le binômage prévu, le colonel de Quenetain souhaite en prélever
sur d’autres unités « soit en obtenant leur adhésion, soit en recourant à des mesures
d’autorité lorsqu’il ne s’agit pas de cas très particulier »588. Cette politique de gestion permet
d’affecter aux UFL un nombre suffisant de cadres musulmans, le plus souvent appelés.
Comme en témoigne Bernard Landry, alors MDL à la 446e UFL :
« La constitution des binômes était basée sur un autre critère ce n'était
pas un sous-officier armée française pour un sous-officier ALN, c'était

586
Général (2S) François Meyer et Benoit de Sagazan, Pour l’honneur…avec les harkis de 1958 à nos jours,
Tours, CLD Éditions, 2005, 213 p., p. 161 – 166.
587
SHD/Terre, 1 H 1909.
588
Id.

221
un sous-officier métropolitain pour un sous-officier musulman ce qui
n'est pas tout à fait la même chose.
Un équilibre qui n'a pas été respecté très rapidement, les sous-officiers
métropolitains devenant très vite minoritaires.
La structure mise en place dans la 446e semblait assez simple. Il y
avait toujours un sous-officier métropolitain (conseiller) par groupe
(un groupe faisait environ 12 hommes). Dès que c'était possible les
officiers étaient en binômes, sauf pour le toubib militaire, l'aspirant
Martin, que le capitaine avait obtenu parce qu'il avait le bras long.
C'était la première fois que j'en voyais un affecté dans une unité de
terrain. Et ce toubib crapahutait comme tout le monde.
Quand les effectifs sont montés en puissance j'ai été désigné comme
adjoint au chef de section musulman (Sous-lieutenant). On parlait
assez tranquillement ensemble et s'il y avait quelqu'un qui se
demandait ce qu'il foutait là c'était bien lui. Instituteur en métropole
dans un petit village de la France profonde. Il se demandait, à juste
titre, comment tout cela allait se terminer. »
L’état d’esprit des FSNA est généralement celui qui anime ce chef de section. Dans les
mois qui précèdent l’indépendance, les appelés FSNA restent dans l’expectative. Mais les
incidents deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que le temps passe. Un
premier incident, au demeurant mineur, éclate à la 478e UFL (5e RS), alors qu’elle est
présentée au colonel de Quenetain. La troupe manifeste sous la direction d’un meneur. Elle
réclame d’être « employée dans une grande ville pour protéger les Frères musulmans et
européens »589. Une brève intervention du colonel suffit à rétablir le calme. Le meneur est
présenté au sous-préfet de Duperré pour être puni. Par la suite, il semble ces unités deviennent
de plus en plus difficiles à commander :
« La discipline imposée par le double commandement un capitaine
français de souche et son alter égo musulman était de fer pour éviter les
dérives des patriotes de la dernière heure. 10% environ des effectifs
étaient composés de métropolitains de souche qui portaient le nom de
Conseiller Technique Militaire. Les incidents ont été nombreux.

589
SHD/Terre, 1 H 1909.

222
Le capitaine Laurent qui semblait bien en cour auprès des autorités
militaires françaises a joué de ses influences dans l'Institution pour
avoir le droit de choisir ses conseiller militaires pour pouvoir
s'entourer dans cette mission difficile de soldats et de cadres qu'il
connaissait parfaitement et donc aussi des appelés. Les appelés du
contingent qui ont été choisis par lui n'ont pas apprécié ce privilège
(j'en faisais partie) et cela a provoqué un refus d'obéissance d'une
demi-douzaine de conseillers militaires lorsque nous étions en Kabylie
sur des problèmes de principe après une petite émeute de la troupe
algérienne qui s'est réglée de justesse grâce aux sous-officiers
musulmans.
L'armement individuel, fourni par l'armée française, était ridicule car
la troupe était équipée de fusil US 17 (les fusils américains de la
guerre de 14/18). Les cadres toutes catégories confondues, n'étaient
pas à l'aise car en face de l'OAS nous aurions fait piètre figure. Mais
cela ne s'est pas produit. Ces fusils nous servaient en Métropole pour
le parcours du combattant lorsqu'il fallait se rouler dans la boue pour
ne pas abîmer les vrais. Les gradés musulmans, eux, avaient des armes
aux normes. Quant aux Conseillers Militaires Métropolitains nous
étions, nous, surarmés. Nous dormions avec un PM sous la couverture
et un PA sous l'oreiller. Par contre la 446e était correctement équipée
en armes lourdes.
Pour ce qui est des désertions nous en avons eu deux, mais c'est l'ALN
qui se chargeait des recherches. Les deux ont été rattrapés par le FLN.
Un a été placé dans un trou creusé dans la terre sans pouvoir
s'allonger ni se tenir debout, une tôle sur le trou en guise de couvercle,
une grosse pierre par-dessus, le tout en plein soleil pendant 48 h. Le
deuxième, un sous-officier, a tout simplement disparu des listes et on
nous a demandé de ne pas poser de question. Aucun des deux n'a été
restitué à l'unité. »590
Mais ce n’est que progressivement que la situation se dégrade. En mai, les 444e et 445e
UFL, qui ne sont rattachées que pour administration au 6e RS, stationnent à l’écart des

590
Témoignage de Bernard Landry.

223
localités importantes et vivent, selon le rapport du colonel de Quenetain « dans des conditions
de calme très salutaires ». Elles sont chargées de missions de protection et de maintien de
l’ordre. Etant donné le manque de confiance que le commandement semble accorder aux
UFL, les escadrons du 6e RS restent discrètement en mesure de les épauler instantanément,
éventuellement à l’initiative de leurs chefs. La coordination entre les deux UFL et le 6e RS est
assurée par l’officier conseiller du sous-préfet pour les UFL qui est en même temps chargé de
mission à l’état-major du secteur591. L’ambigüité de la situation du personnel de ces unités les
conduit à disparaître sans intégrer la nouvelle armée algérienne.
« L'uniforme était français et le drapeau était français jusqu'à la déclaration
d'indépendance. Je n'imagine pas des éléments de l'ALN dans cette situation.
Le jour de l'Indépendance, seulement, le drapeau algérien a pris la place sur
le mât des couleurs lors d'une cérémonie solennelle.
Finalement cette unité n'a été intégrée nulle part. Peu de temps après le
départ clandestin, au petit matin du 5 juillet 1962, des conseillers militaires
français, cette unité a été dissoute chacun étant prié, de façon surprenante, de
rentrer chez soi sans autre forme de procès.
Après notre réintégration dans l'armée française ce n'est pas, évidemment,
tout à fait la description qu'en fait le texte de la "Décision n° 19" publié, en
l'honneur de notre retour, le 14 juillet 1692 par le Chef d'Escadron Scotto Di
Vettimo commandant notre régiment d'origine le I/13e RA à Laghouat. »592
Les UFL ne remplissent pas leur rôle de servir de noyau de la nouvelle algérienne,
avec l’arrivée de l’ALN extérieure, elles disparaissent et les hommes sont individuellement
renvoyés chez eux.

II. L’état d’esprit des cavaliers face à la guerre d’Algérie

21. Un enthousiasme initial qui tend à disparaître progressivement

Au début de ce conflit, la dégradation progressive de la situation en Algérie, ne semble


pas affecter le moral des officiers et des sous-officiers de l’ABC, selon leur général
inspecteur. Ils ont le sentiment de faire leur devoir à la tête de leurs unités. Bon nombre
591
SHD/Terre, 1 H 1909.
592
Témoignage de Bernard Landry.

224
d’officiers de valeur partent en Algérie avec un réel enthousiasme, car ils croient connaître la
situation et s’attendent à recevoir des commandements opérationnels. Mais une fois arrivés,
ils déchantent du fait qu’ils sont « appelés à remplir, mais en d’autres lieux, des fonctions
analogues à celles qu’ils occupaient dans leur ancienne garnison »593. Beaucoup ressentent
de surcroît une certaine amertume d’abandonner des matériels dont ils ont assuré l’entretien et
avec lesquels ils se sont préparés au combat, pour servir sur des engins usés et techniquement
dépassés sur lesquels ils ont le sentiment de ne pas pouvoir compter de façon sûre. Ce retour
en arrière de 10 à 12 ans est d’autant plus mal vécu que certaines unités d’infanterie sont
équipées de matériels neufs. Les unités de cavalerie légère blindée (CLB) des divisions
d’infanterie motorisée (DIM), qui en font le constat quotidiennement, ont le sentiment d’y
faire figure de parent pauvre.
L’ABC, qui éprouve des difficultés à obtenir la satisfaction de ses besoins, semble en
perte d’influence dans l’armée de Terre. En 1955, aucun général de l’ABC ne fait partie du
haut-commandement594. Le nombre peu élevé de cavaliers aux postes clefs de l’EMA, dont
aucun chef ou sous-chef de bureau n’appartiennent à l’ABC en 1955, l’empêche de peser
suffisamment sur les décisions prises. Or, elles lui sont souvent préjudiciables, soit par
ignorance, soit pas favoritisme et esprit de bouton. Les projets de l’IABC sont souvent
contrariés par cette perte d’influence comme, par exemple, la prise à son compte des
hélicoptères qui finit par lui échapper totalement.
En outre, « les rares colonels proposés en 1955 pour le grade de général de brigade
au choix jeune n’ont pas été promus parce que n’ayant pas cinquante ans, alors que dans les
troupes coloniales, par exemple, plusieurs colonels du choix très jeune ont accédé aux
étoiles »595. C’est en grande partie le type de combat mené en Algérie, comme ce fut le cas en
Indochine, qui explique cette mise en avant des officiers d’infanterie et en particulier de ceux
de l’infanterie coloniale. L’utilité des blindés, composées par des soldats du contingent,
semble échapper aux commandants locaux qui la sous-estime et cantonnent les unités de
l’ABC, qu’ils ont sous leurs ordres, à des missions secondaires. Les escadrons voient donc
leur rôle limité à des missions de protection, de couverture, d’escorte ou d’appui. Ce sous
emploi est très préjudiciable à l’influence de l’ABC dans l’armée de Terre. C’est contre cette
tendance que s’attachent à lutter les généraux qui se succèdent à la tête de l’inspection de

593
, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
594
L’ABC, en 1955 compte 30 généraux pour 2 815 officiers, l’infanterie 74 pour 7 263, et l’artillerie 32, pour
3 249. Mais l’ABC ne compte qu’un général d’armée (de 89 ans) et 2 de corps d’armée, alors que l’infanterie en
compte 5 d’armée et 7 de corps d’armée. Ces chiffres montrent bien que l’ABC est une arme en perte
d’influence à cette époque. SHD/Terre, Ibid.
595
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.

225
l’ABC. Ils souhaitent donc voir jouer aux blindés un rôle plus important et répondant à leurs
missions traditionnelles.
Malgré ce sentiment, l’IGABC constate en 1956, que, dans l’ensemble, « la valeur
morale des cadres conserve sa solidité » et que « leur qualité professionnelle s’est même
développée par une expérience du combat qui, dans le monde actuel, est unique »596. Mais, les
cadres constatent que leur arme est atteinte dans ses structures, qu’elle est dotée de moyens
déficients et gérée sans prévisions à long terme pour parer au plus pressé et prendre à leur
compte les missions ingrates d’escorte, de garde d’itinéraires ou de bouclage. Ils ont
l’impression de perdre leur mordant de cavaliers. Le peu de résultats obtenus par les
premières opérations menées en Algérie, que Jean-Paul Angelelli ressent comme « crevantes
et stupides »597 fait en outre craindre qu’une certaine lassitude routinière ne s’installe. L’esprit
du personnel servant en Algérie reste un souci constant. Si le moral se maintient, cela est
surtout dû au fait qu’ils ne s’ennuient pas, étant donné l’emploi intensif des unités de l’ABC à
l’époque. Certains, « qui possèdent une intelligence lucide et un caractère fort, c’est-à-dire
les meilleurs, sont sur la voie de la rancune. Les autres, c’est-à-dire le plus grand nombre,
subissent leur sort en s’usant ». L’IGABC s’en inquiète car, pour lui, « leur force morale ne
saurait résister longtemps alors que fléchissent autour d’eux toutes les règles qui assurent la
permanence des organismes forts »598.
Au début de l’année 1956, le commandement craint que l’impopularité de la guerre
n’influe de façon très négative sur le moral : « Sur le plan psychologique, le refus de tout
ruban pour les actes de bravoure,599 les déficiences d’engins à bout de souffle, ou sortant de
rénovation, susceptibles de « lâcher » au combat, ont certes de fâcheuses répercussions ;
mais c’est surtout le climat créé par la presse et les restrictions d’emploi qui sont
néfastes. »600 Ce climat a une influence plus grande encore sur l’encadrement, et
« l’impossibilité de discerner une politique quelconque en Algérie où l’armée est tenue en
laisse à tous les échelons »601, accentue encore le désarroi et l’amertume qui commencent à

596
SHD/Terre, id.
597
Op. cit. p. 63.
598
Id.
599
Comme la croix de guerre ne peut pas être décernée en Algérie où il n’y a officiellement pas de guerre, la
croix de la valeur militaire est créée pour la remplacer par le décret n° 56371 du 11 avril 1956. Elle récompense
les actions d’éclat accomplies en Algérie à partir du 31 octobre 1954, avec effet rétroactif. Sur la question des
décorations et la dévalorisation de la Croix de la valeur militaire pendant la guerre d’Algérie, cf. Lieutenant-
colonel Frédéric Médard, « Les décorations de la guerre d’Algérie », Guerre d’Algérie Magazine, n° 17,
septembre, octobre, novembre 2009, p. 48-55.
600
SHD/Terre, id. La loi accordant les pouvoirs spéciaux, votée le 12 mars 1956, lèvera certaines des restrictions
auxquelles le commandement devait se soumettre.
601
Id.

226
poindre. Cependant, l’attitude des soldats du contingent au feu n’est décevante que lorsque
ces derniers sont mal encadrés ou occupés à des tâches statiques, comme c’est le cas au 7e RH
où des problèmes de commandement sont signalés.
En revanche, dans les unités où le rythme des opérations est plus élevé, la troupe fait
preuve de mordant. C’est le constat que font bon nombre de témoins également. Michel
Delacour (28e RD), qui se retrouve encerclé toute une nuit avec son commando d’appelés,
dans une maison par une katiba, est surpris par le sang-froid de ses hommes : « Je vais d’un
emplacement à l’autre, ne recueillant que des comptes rendus précis, des propos optimistes
auxquels se mêlent parfois des plaisanteries aussi inattendues que réconfortantes. Et pourtant
notre situation est précaire. »602 Cet esprit combatif n’est pas le privilège des commandos,
dont les hommes sont sélectionnés parmi des volontaires. Jean Gas, MDL appelé au 3e RCA
écrit à ses parents au sujet d’un combat mené par son escadron en septembre 1956 : « nos
gars y sont allés volontiers ». Au cours du combat, il écrase avec son EBR une mechta et tire
au canon sur les autres où se sont retranchés des djounouds. Il est lui-même blessé sur sa
tourelle, en voulant régler un incident de tir, ainsi que son chef de peloton et quelques
chasseurs. S’il regrette d’avoir été blessé, c’est surtout parce que cela l’a empêché d’assister à
la fin du combat603.
Le cas de ce maréchal-des-logis PDL est révélateur de l’attention particulière qui est
portée au recrutement des sous-officiers appelés, qui constituent l’ossature principale de
l’encadrement de bon nombre de pelotons de combat Dans l’ensemble, ils donnent
satisfaction, même si le niveau général des contingents n’est toujours pas suffisamment élevé
pour pourvoir à l’ensemble des postes techniques qui sont nombreux dans l’ABC604. En outre,
l’augmentation du nombre d’EOR se fait au détriment de celui des MDL.
Jusqu’en 1961, l’esprit reste globalement bon. Au début de l’année 1958, l’IGABC
écrit encore que : « cette jeunesse, quand elle est commandée, se donne avec générosité aux
tâches les plus rudes et les plus dangereuses »605. Le commandement estime que l’action
psychologique a une très bonne influence sur eux. Mais, encore une fois, il regrette que cette
action ne soit pas reliée par la nation (en famille, à l’école ou dans le milieu professionnel) et
se cantonne uniquement aux mois de service militaire. Se faisant l’écho de ce que pense la
grande majorité de ses officiers, l’IGABC termine son rapport de fin d’année de 1957 sur
cette conclusion :

602
Delacour, op. cit., p. 85 – 92.
603
Martine Lemalet, Lettres d’Algérie, Paris, J C Lattès, 1992, 353 p., p. 127 - 128.
604
SHD/Terre, 2 T 129.
605
SHD/Terre, 31 T 9.

227
« En cas de conflit, si l’action psychologique doit en fin de compte
permettre de mettre en œuvre « l’arme psychologique », en face d’un
ennemi dont tous les actes sont inspirés d’une idéologie matérialiste ou
autre, il est essentiel que notre action psychologique soit inspirée de
l’idéologie chrétienne, fondement de notre civilisation. Faute de cette
base, elle ne serait qu’une propagande superficielle, conduisant à de
graves déceptions. Il serait d’ailleurs aussi erronée de l’amputer de
cette base, que de refuser à nos lois de s’inspirer de la déclaration des
droits de l’Homme ou même d’observer le calendrier qui détermine les
dates des fêtes chrétiennes. »606
Ces propos inscrits dans un rapport officiel signé d’un général de corps d’armée ont de
quoi surprendre de nos jours où de tels propos seraient jugés très incongrus. Mais si
l’inspecteur tient de tels propos c’est parce que, au début de l’année 1958, même si le moral
des cadres donne encore satisfaction, il perçoit chez eux une certaine lassitude qui commence
à apparaître.
Dans les différents rapports sur le moral de cette année-là607, il est fait le constat que le
personnel de l’ABC fait preuve d’esprit de discipline et de mordant dans toutes les formations
à l’image des chasseurs d’Hervé Lales, chef de peloton au 2e escadron du 8e RCC dont même
les libérables se font un point d’honneur de sortir en patrouille blindée jusqu’à leur départ et
qui conservent un esprit de discipline, même formelle, jusqu’au bout : « Ce jour là [celui de
leur départ] est annoncé depuis belle lurette par les sirènes de bateau qu’ils imitent en
soufflant dans leur canette de bière, car nous interdisons toute référence à la quille. »608
Cependant, il ressort également des rapports sur le moral que, bien qu’ils n’en fassent
pas état devant leurs subordonnés, dans l’esprit de bon nombre d’officiers, la France est en
décadence. Il leur paraît étrange, à eux qui ont pour vocation de servir dans la discipline, et
qui ont le sentiment d’avoir « assumer l’honneur de commander au feu des jeunes
français »609, que leur pays soit « conduit à coups de luttes partisanes, génératrices de
l’instabilité et de la carence d’autorité des gouvernements admis successivement au
pouvoir »610. Ils n’assistent pas sans amertume, ni sans indignation, aux dissensions politiques
internes qui leur donnent l’impression que la France est incapable de remettre de l’ordre dans

606
Id.
607
SHD/Terre, archives de la sous-série 7 U*.
608
Témoignage d’Hervé Lales.
609
SHD/Terre, 31 T 9.
610
Id.

228
ses affaires intérieures comme de maintenir sa vocation de grande puissance mondiale. Ils
constatent que les solutions politiques sont toujours remises sine die et que cette absence
d’orientation politique conduit à prolonger le conflit, et à confier à l’armée, en plus de ses
missions normales, des tâches que les organismes civils doivent normalement assumer. Ils se
donnent néanmoins avec une certaine abnégation à ses missions, comme à ces tâches, mais ils
ont le sentiment de le payer de leurs intérêts personnels et notamment familiaux. Ils craignent
qu’au lieu du respect que devrait leur attirer ce dévouement, « ils ne se soient appelés encore
une fois à recueillir le fruit amer des humiliations nationales »611. Ils ne comprennent
notamment toujours pas que la presse, quelque soit son orientation politique, continue à mener
des attaques contre une armée qui a le sentiment de faire son devoir, et même plus que son
devoir612. A ces préoccupations, s’ajoutent, comme pour les sous-officiers, celles liées aux
familles laissées dans les garnisons d’origine et à la faiblesse des soldes.

22. Les espoirs déçus des événements de mai 1958

Cette perception change du tout au tout lors des événements du 13 mai 1958 qui font
naître un certain espoir chez les cadres favorables à une République qui sait ce qu’elle veut,
notamment en faveur de l’Algérie française. Comme l’écrit Guy de La Malène, capitaine
commandant du 3e escadron du 1er RS(M) qui opère depuis quatre mois sur le barrage-est :
« Ici l’ambiance de cette révolution est de dire non à la politique d’abandon. L’enthousiasme
de la masse musulmane est quelque chose d’inattendu et d’extraordinaire. Il est temps de
passer aux actes. Nous bouillons d’impatience, inutile de le dire. Un ordre à donner et nous
marcherions sans l’ombre d’une hésitation sur nos chers parlementaires. Ils ne pèseraient
pas lourd dans la balance. »613 Ils ont l’impression qu’enfin le gouvernement gouverne et que
l’armée va être commandée.
Lorsque le lieutenant-colonel Branet convoque ses capitaines commandant614 à la fin
mars pour leur annoncer le retour imminent du général de Gaulle, dont il est l’un des acteurs,
ils l’assurent tous de leur soutien, sauf François Arlabosse qui, arrivée au régiment en janvier,
n’était pas dans la confidence. Le lieutenant-colonel Branet l’éclaire : « Nous avons à faire à
un gouvernement qui ne sait ce qu’il veut. (…) Il est temps que l’on mette à la tête de la
France quelqu’un capable de la diriger. Nous avons organisé tout cela l’année dernière à

611
Id.
612
SHD/Terre, 31 T 5.
613
Pierre Pélissier, Saint-Cyr : Génération Indochine – Algérie, Paris, Plon 1992, 460 p., p. 274.
614
Dans l’ABC un capitaine qui commande un escadron est appelé « capitaine commandant ».

229
l’Ecole de Guerre. L’armée va renverser le gouvernement et mettre à sa tête le général de
Gaulle »615. François Arlabosse refuse d’être du complot mais s’engage à garder le secret.
Mais, cela n’empêche pas le lieutenant-colonel Branet d’écarter d’Alger l’escadron du
capitaine Arlabosse en l’envoyant en opérations le 10 mai dans le secteur de Ténes pour
quatre jours616.
Dans leur très grande majorité, les officiers de l’ABC souscrivent au retour au pouvoir
du général de Gaulle617. Ils s’investissent personnellement pour la réussite du référendum de
septembre. Les résultats des élections de décembre les confortent dans ce sentiment, comme
François Dénoyer618 l’écrit à ses parents en décembre 1958 : « Les résultats du premier tour
des élections me semblent être le signe du désir des Français d’avoir une politique suivie et
plus combative, parce que plus à droite, dans le conflit communisme-monde chrétien. Si ce
désir est réel, quel admirable tremplin auront nos hommes politiques pour gouverner la
France des prochaines années. »619
Mais, au cours de l’année 1959, cet enthousiasme commence à perdre de sa vitalité.
Les cadres de l’ABC sont surpris, voire dépités par la prise de certaines décisions, tant en
matière de politique algérienne qu’en matière d’organisation en Xe RM. Le doute s’installe
progressivement quant à l’avenir que veut donner le nouveau gouvernement à l’Algérie620.
Les cadres, qui sont aux prises avec les réalités quotidiennes, n’arrivent pas à déceler le bien-
fondé de mesures soudaines, telles que la libération de prisonniers FLN qui reviennent dans
les mechtas sans être pour autant convertis à la cause française, ou l’élargissement d’anciens
chefs de la révolte. Le moral des cadres est sensible aux heurts qui ne sont pas rares dans les
décisions qui sont prises à chaque échelon. Cela entraîne parfois un certain désarroi, voire des
doutes et des incompréhensions dans les unités. A cette époque la notion de communication
interne et d’adhésion des subordonnés aux ordres reçus ne fait pas partie des soucis des chefs
politiques et militaires, les ordres sont faits pour être exécutés « sans hésitation ni murmure »
comme le rappelle le règlement de discipline générale. Les officiers de contact n’ont donc pas
le recul nécessaire pour comprendre que leur hiérarchie, livrée quasiment à elle-même depuis

615
Témoignage de François Arlabosse.
616
François Arlabosse n’est pas gaulliste. Membre de l’ORA, il a dû rendre des comptes lors de l’épuration pour
avoir servi dans l’armée de Vichy.
617
Faute de source, il n’a pas été possible d’établir la proportion des officiers de l’ABC qui ont été membres
d’un comité de salut public.
618
François Dénoyer est saint-cyrien de la promotion Amilakvari. Après un premier séjour en Algérie au 1er RCC
où il est blessé en mai 1958, il termine son cours d’application de septembre à décembre à l’EAABC. Il est tué
en combat le 21 décembre 1960 peu de temps après être passer dans l’ALAT.
619
François Dénoyer, Quatre Ans de guerre en Algérie : Lettres d’un jeune officier, Paris, Flammarion, 1962,
220 p., p. 119.
620
SHD/Terre, 31 T 9.

230
le début du conflit, est reprise en main par le pouvoir politique. Pour eux, c’est le début d’une
période d’incompréhension de la politique du nouveau chef de l’Etat621.
Le discours sur l’autodétermination, du 16 septembre 1959, surprend bon nombre
d’officiers de l’ABC et provoque chez eux des réactions parfois très différentes selon
l’interprétation qu’ils en font. Le colonel Berthet, commandant le 21e RS, donne l’ordre à ses
officiers de ne plus exposer leurs hommes, car il lui semble que la partie est jouée et que toute
mort d’homme sera désormais un sacrifice inutile622. Au 1er escadron du 23e RS, les officiers
écoutent ensemble le discours en silence. Ce qu’ils entendent semble donner raison à leur
capitaine commandant, le capitaine Gely, qui, peu après son arrivée en février 1959, les avait
choqués en leur déclarant : « Ici comme ailleurs, nous partirons… La France quittera
l’Algérie. »623 Dans cet escadron c’est surtout, selon François Meyer, les sous-officiers qui
« stigmatisent de discours d’abandon », cependant, il ne ressent pas l’inquiétude générale
dont certains parlent par la suite car, comme bon nombre de personnes il a noté que
l’autodétermination est assortie de certaines conditions qui la rendent acceptable624. C’est
également ce que pense Michel Alibert, lieutenant au 13e RD : « Moi, je suis tout à fait
partisan de cette politique (…) ça me paraît une idée tout à fait intéressante ; Je vois les trois
options, je me dis après tout c’est le challenge : si les gens ne choisissent pas l’option
française, c’est qu’on aura mal fait notre boulot. »625 Ce n’est qu’à partir de 1960, que Michel
Alibert, en entendant parler d’ « Algérie algérienne », commence à avoir l’impression d’avoir
été trompé626. François Dénoyer, chef de peloton au 4e RH, quant à lui, écrit à ses parents que
le discours du 16 septembre 1959 est « l’œuvre de la raison » et qu’il n’a « soulevé aucun
mouvement chez [ses] relations »627. Il qualifie la parole du général de Gaulle de « reflet d’un
immense bon sens », il se demande pourquoi on devrait s’y opposer ou même retarder le
progrès qu’il pense être en marche en Algérie « par la neutralité »628. Il est tué dans le crash
de son hélicoptère le 21 décembre 1960, sans avoir remis en doute la politique du général de
Gaulle.

621
Maurice Vaïsse, Comment de Gaulle fit échouer le putsch d’Alger, op. cit., p. 86-129 (voir notamment le
tableau sur les prises de position successives du général de Gaulle entre le 4 juin 1958 et le 11 avril 1961, p. 112-
116).
622
Témoignage de Raymond Noulens.
623
Général Meyer, op.cit., p 34.
624
Ibid. p. 50.
625
Témoignage de Michel Alibert in Vincent Quivi, Les Soldats perdus : Des anciens de l’OAS témoignent,
Paris, Seuil 2003, 255 p., p. 64.
626
Ibid. p. 76 – 77.
627
Dénoyer, op. cit. p. 157.
628
Ibid. p.161.

231
Cette neutralité, dont parle François Dénoyer, semble être le sentiment le plus répandu
dans l’ABC. Elle pousse, à partir de la fin de l’année 1959, les cadres à exécuter les ordres,
même si ils n’adhèrent pas forcément à leur bien-fondé, et à s’installer parfois dans une
certaine routine. Celle-ci est également la marque de la reprise en main progressive de l’armée
par le chef de l’État. Ce phénomène aurait pu être remis en cause si des unités de cavalerie
avaient été engagées, par exemple, aux côtés d’unités aéroportées, très politisées, lors de la
semaine des barricades à Alger. Cette prudente réserve à l’égard de tout engagement politique
est surtout perceptible parmi les unités qui remplissent de missions statiques, comme celles
qui s’enferment dans des fortins le long des barrages. C’est le cas du 4e RH sur le barrage-est.
François Dénoyer, qui y est alors chef de peloton, écrit qu’il perçoit de la lassitude dans son
peloton, et trouve que la monotonie de son travail est rebutante. En mars, il constate même
que l’escadron dans lequel il sert « tend de plus en plus à disparaître dans le confort, la
routine et le tape à l’œil », et qu’il ne sera bientôt plus capable « de soutenir le moindre
combat car [il a] perdu non seulement l’initiative, mais le désir de la conserver. Plus de
patrouilles, plus d’opérations ou de sorties, mais blockhaus et gardes, voilà notre horizon
»629. Sur le barrage-ouest, en janvier 1960, des escadrons du 1er RCC (107) s’enterrent
également dans la région de Sfissifa (ZSO). Cependant d’autres escadrons continuent à
surveiller la région et à en contrôler les pistes entre le barrage avant et la frontière. Mais il n’y
a pas de contact avec l’ALN dont l’action se limite quasiment à la pose de mines, dont 133
exemplaires sont relevés en 1960630. L’absence de contact, et la menace aveugle que
représentent les mines631, pèsent sur le moral qui se dégrade. Lors de son inspection annuelle,
l’IABC déplore que le régiment ait perdu « les belles traditions du 1er chasseurs
d’Indochine », même si il constate que « si l’on considère que depuis son arrivée dans la
région en janvier 1960 aucun passage n’a été tenté, [le 1er RCC] remplit efficacement sa
mission de dissuasion »632.
L’IABC, en revanche, s’émeut de l’esprit routinier qui existe dans les anciens
régiments dits « de souveraineté » dont la garnison se trouve en Algérie (Médéa pour le 1er
RS[A] et Alger pour le 5e RCA) où sont logées leurs familles. L’IABC le déplore et souhaite
les voir transférés sur les barrages. Comme 1er RS(A) doit relever le 8e RH sur le barrage-est,
il souhaite que le 5e RCA fasse de même sur le barrage-ouest en relevant le 3e RC. En tout

629
Ibid. p. 170.
630
SHD/Terre, 1 H 2139.
631
Sur cette guerre cruelle et ignorée qui annonce pour les soldats français l’expérience afghane, cf. Jean-Charles
Jauffret, « La guerre des mines en Algérie », Guerre d’Algérie Magazine, n° 13, septembre-novembre 2008, p.
50-61.
632
SHD/Terre, 31 T 10.

232
état de cause il souhaite un renouvellement complet de l’encadrement à court terme. En
revanche, l’IABC ne remet pas en cause la présence des familles en Algérie, car cela s’inscrit
parmi les mesures qu’il prône pour maintenir les sous-officiers dans les corps.
Cet esprit de routine est essentiellement le fait d’un problème de commandement. Les
hommes du contingent continuent à donner satisfaction lorsqu’ils sont bien commandés. Si les
chefs de corps formulent des critiques à leur égard, elles ne concernent que leur sélection et
leur répartition dans les différentes armes. Ils estiment que les recrues qui leur sont envoyées
ont un niveau intellectuel insuffisant pour pourvoir aux nombreux postes techniques de
l’ABC. L’inspecteur pense que cette baisse de qualité est due, en partie du moins, au fait que
les centres de sélection orientent trop facilement les recrues vers les EOR, ce qui a pour
conséquence, non seulement de priver la troupe de spécialistes et de petits gradés, mais aussi
d’envoyer à Saumur des recrues qui n’ont pas toutes les qualités requises pour devenir
officier. Le général commandant l’EAABC se plaint du fait qu’un tiers des 638 EOR à
l’instruction n’ont absolument pas leur place à l’EAABC en raison de leur manque de
« classe »633.
A la vue de ces doléances, le cabinet de l’EMA estime pour sa part que les chefs de
corps de l’ABC sont trop exigeants sur la qualité de leurs recrues. En effet, d’une part, les
autres armes et services ont de plus en plus besoin de spécialistes, d’autre part, pour le
contingent 59/2/C, 54,1 % des recrues affectées à l’ABC sont au-dessus de la moyenne pour
leur niveau général, et 53,8 % pour la valeur physique. L’EMA estime donc que les chefs de
corps de l’ABC ont tort de se plaindre car ils sont servis au mieux. La seule disposition prise
est donc de sélectionner plus sévèrement les candidats aux EOR, mais la qualité des recrues
destinées à l’ABC n’est améliorée pour autant. Par la suite, les chefs de corps continueront à
se plaindre de la faible valeur physique des recrues et l’importance du volume des inaptitudes
au tir, à la marche ou à la garde634. En revanche, sur le plan de la valeur professionnelle,
l’ensemble des appelés donne satisfaction. Les recrues à 4 mois sont généralement
opérationnelles au bout de 2 mois dans leur corps. Celles à 14 mois ont plus besoin d’une
période d’adaptation à l’Algérie car, après quelques mois passés dans un régiment en
métropole ou en Allemagne, elles arrivent en Algérie en ayant perdu le bénéfice de leur
formation commune de base (FCB). D’une façon générale, le contingent ne pose pas de
problèmes de commandement. Il fait confiance à ses chefs et exécute les ordres.

633
SHD/Terre, 31 T 20.
634
En 1961 elles sont, toutes confondues, de 18 % au 18e RD, au 1er RCC et au 6e RCA. SHD/Terre, 31 T 9.

233
23. L’ABC et le putsch des généraux

Cependant, avec les événements d’avril 1961, cette confiance est ébranlée. Pour le
personnel des régiments, le 22 avril est ressenti comme un choc. L’émotion est d’autant plus
forte que le putsch en surprend la quasi-totalité.
A écouter ou à lire leurs témoignages l’immense majorité des officiers de l’ABC
semble avoir eu des sympathies pour les putschistes, mais peu d’entre eux ont un rôle actif
dans cette aventure. Si le ralliement du 13e régiment de dragons (RD) et des unités étrangères
de cavalerie (1er et 2e REC, et ESPLE) est souvent évoqué, l’action du 27e RD l’est moins.
Quant aux hésitations qui ont eut lieu au 6e RC, ou l’échec du ralliement du 18e RCC, ils sont
pratiquement occultés.
Au 27e RD, le lieutenant-colonel Puga est contacté très tôt par les organisateurs du
putsch dont font partie les colonels Argoud et de Blignières, tous deux officiers de l’ABC. Le
21 avril en début d’après-midi, le colonel Puga demande individuellement à tous ses officiers
s’ils sont d’accord pour faire mouvement sur Alger pour participer au putsch. Tous, sauf un,
acceptent de le suivre635. Dans la nuit du 21 au 22 avril, un GE (deux escadrons) du 27e RD se
rend à Alger et s’installe place du gouvernement636. Ni les sous-officiers, ni les dragons ne
sont informés de la raison exacte de ce déplacement, mais comme le régiment participe
régulièrement au maintien de l’ordre à Alger, cela ne leur semble pas anormal, même si le
volume engagé est plus important que ce qu’il est habituellement. Les blindés restent à Alger,
où ils sont déployés par petits paquets dans des endroits sensibles, par exemple, une AM est
postée par Michel Delacour devant l’amirauté pour faire pression sur l’amiral Querville.
Si celui-ci ne se rallie pas, en revanche, le général Bigot, commandant la Ve région
aérienne le fait. Mais le commandant de la base aérienne (BA) 142 de Boufarik fait savoir
qu’il reste dans la légalité. Le lundi 24 avril, son officier supérieur adjoint (OSA637) avertit le
général Bigot que la situation risque de dégénérer si une unité de l’armée de Terre tentait de
s’emparer de la base. Mais il est trop tard, un escadron du 27e RD est déjà en route. Il arrive
vers 11 h 30 à l’entrée de la base. Le capitaine commandant de cet escadron exprime ses
regrets au commandant de la BA 142 et lui donne l’assurance qu’en aucun cas il ne sera tenté
une action en force. La mission de son escadron est de rester sur place jusqu’au lendemain
vers midi, car, selon les termes du message qu’il a reçu, la BA 142 est commandée par de

635
Témoignage d’Hubert Puga.
636
Delacour, op. cit., p. 171.
637
L’officier supérieur adjoint d’un corps remplit des fonctions qui s’apparentent à celles d’un chef de cabinet.

234
« dangereux gaullistes ». Le personnel de la base n’est pas inquiété, il circule librement. Dans
l’après-midi, l’OSA fait alors remarquer au capitaine commandant l’inutilité de sa présence,
mais celui-ci maintient sa position. Dans la soirée, le colonel Puga, envoyé par le colonel
Godard, arrive sur place et demande à l’OSA de la base à être reçu par le commandant de la
BA car des troubles y ont été signalés. Il ne ressort rien de l’entretien et la situation en reste
là. L’escadron quitte sa position le 25 au matin pour rentrer dans sa garnison sans qu’aucun
incident n’ait lieu638.
Le 13e RD, quant à lui, passe trois jours à Constantine sans tirer un seul coup de feu,
malgré la présence des gendarmes639. Les escadrons se répartissent entre le centre-ville640 et la
base 211 de Telergma avec d’autres unités aéroportées641. Le 25, tout rentre dans l’ordre et le
régiment rejoint ses cantonnements.
Les unités de légion de l’ABC ont une part également active dans le putsch, un
escadron du 1er REC tente d’arrêter le général Simon, commandant la ZEA, qui s’enfuit
déguisé en soldat d’aviation. En revanche, le 2e REC, rallié mais resté à Médéa, refuse
d’arrêter le général Arfouilloux, général le plus ancien du CAA depuis la fuite du général
Simon et qui, de ce fait, prend la tête du CAA, que l’arrestation du général Vésinet laisse sans
chef642. A l’ESPLE, le capitaine Gaud participe plus activement au putsch. Le 23 avril, alors
que l’escadron s’apprête à fêter la Saint-Georges à Ksar-El-Hirane, le capitaine reçoit par
radio le message convenu pour aller garder les autorités arrêtées par les putschistes à In-Salah,
ville située à plus de 600 km au sud de sa position. L’escadron part aussitôt. Le personnel des
sections portées embarquent à Djelfa en C47, le reste de l’escadron part par la piste avec le
capitaine. C’est en cours de déplacement qu’il apprend que le « colis est livré » et qu’il ne doit
pas lui rendre les honneurs. Le « colis » est en fait composé du général Fernand Gambiez,
commandant en chef en Algérie, de Robert Buron, ministre des Transports et des Travaux
publics qui était de passage à Alger au moment du putsch, de Jean Morin, délégué général du
gouvernement en Algérie, et du colonel Delbrosse, chef de la gendarmerie mobile en Algérie.
Ils sont gardés par des sentinelles en arme dans un hôtel réquisitionné pour l’occasion. Les
méharistes qui se trouvent sur place restent neutres. La situation se prolonge jusqu’au 25 vers
23 h 00, heure à laquelle la nouvelle de l’échec du putsch parvient à In-Salah. Le général
Gambiez exige du capitaine Gaud qu’il trouve un avion pour le ramener au plus tôt à Alger. Il

638
Témoignage d’Hubert Puga.
639
Témoignage de Michel Alibert, Quivi, op. cit, p. 91 -92.
640
Pierre Boissel, Les Hussards Perdus, Paris, Editions Saint-Just, collection action, 1966, 253 p., p. 233 - 243.
« Pierre Boissel » est un pseudonyme de Michel Alibert et les hussards sont en fait des dragons du 13e RD.
641
Général Robert Gaget, Au-delà du possible, Paris, Grancher, 2002, 296 p., p. 119.
642
Colonel H. Le Mire, Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1982, 405 p., p. 347.

235
l’obtient non sans difficulté tant les transmissions sont mauvaises. Le lendemain, l’escadron
rend les honneurs au général qui ne décolère pas. Il déclare aux légionnaires qu’il ne leur en
veut pas mais que « ceux qui [les] ont commandés seront punis ». L’ESPLE rentre à Ksar-El
Hirane le 28643.
Certaines unités, dont les chefs sont sympathisants du putsch, ont un rôle beaucoup
moins actif. Le 3e RCA et le 6e RC se contentent de faciliter la mise en place du 1er REC qui
se rend à Alger. Au 3e RCA, le capitaine Brezet est informé dès le 10 avril du projet de putsch
par le lieutenant-colonel de La Chapelle, commandant le 1er REC. Une grosse opération le
long de la ligne Morice, qui doit réunir l’escadron Brezet et le 1er REC, est prévue pour le 21
avril. La Chapelle doit donc prévenir le capitaine Brezet de l’absence éventuelle de son
régiment car il souhaite s’assurer que le 3e RCA ne s’opposera pas à son mouvement. Il
convient d’un code pour l’avertir lorsqu’il quittera l’opération en cours qui devra aussitôt être
démontée644. Le lieutenant-colonel de La Morsanglière, chef de corps du 3e RCA, en est
informé. Il se garde bien d’avertir son successeur désigné, le lieutenant-colonel Pichon, venu
prendre ses consignes, mais qui sert encore à l’état-major particulier du Président le
République. Le 21 avril au soir, le capitaine Brezet entend comme convenu le message du
colonel de La Chapelle et se contente d’assurer le démontage de l’opération645. Mais pour se
mettre en place, le 1er REC a besoin d’autres complicités. Au 6e RC, elles lui sont acquises. Le
chef d’escadrons646 (CES) Dumont Saint-Priest, commandant le quartier de Châteaudun-du-
Rhumel, donne l’ordre par radio de le laisser passer lorsqu’il se présente sur les points
d’itinéraire gardés par les éléments du 6e RC647.
Dans ce régiment, c’est toutefois l’hésitation qui prédomine. Le 22 avril au matin, le
personnel du régiment n’apprend le déclenchement du putsch que lorsqu’il se regroupe par
escadron pour fêter la Saint-Georges à Ain-M’Lila. Un capitaine commandant, qui souhaite
garder l’anonymat, se rappelle s’être senti immédiatement favorable au putsch :
« Pour ma part, ayant vécu dans le bled algérien les événements du 13 mai
1958 et apprécié l’amélioration de la situation qui en était résultée, je ne peux
qu’espérer qu’il en aille de même. Notre mission n’est-elle pas de créer les
conditions d’une solution française, quelle qu’elle soit, au conflit algérien. Je

643
Robert Le Cloirec, « Opérateur radio à la Légion », in Claude Charbonneau (dir.), Fors l’honneur ou le
respect de la parole d’un Breton, Plougrescant, Editions Confrérie Castille, 1990, 208 p., p. 147 – 156.
644
Péllissier, op. cit., p. 312.
645
Ibid., p. 314.
646
Dans l’ABC le grade de « chef d’escadrons » correspond à celui de « commandant ».
647
Témoignage de Gérard Kempf, qui a entendu l’ordre donné par radio par le CES Dumont Saint-Priest depuis
sa chambre. Le lendemain, il apprend que c’est le 1er REC qu’il s’agissait de laisser passer.

236
suis donc a priori favorable au putsch et je fais confiance au chef de corps, le
lieutenant-colonel Rolland, pour nous donner les directives adéquates. Il me
paraît que le chef de corps est résolu à agir pour soutenir l’initiative d’Alger, à
condition que cela soit en cohérence avec la décision du corps d’armée de
Constantine dont dépend le régiment, mais il n’envisage pas d’entraîner le
régiment vers Alger et l’aventure. »648
Le lieutenant-colonel Rolland est effectivement très favorable au putsch, mais, selon
Argoud, « la fermeté de son caractère lors du putsch, ne se révèlera pas à la hauteur de la
force de ses convictions »649. L’ambiance au régiment est tendue. Le chef de corps fait savoir
à ses officiers qu’il ne veut pas faire marcher son régiment tant que le général Gouraud,
commandant le CA de Constantine, ne sera pas prononcé. Celui-ci hésite, au grand
mécontentement de certains officiers, comme le CES Dumont Saint-Priest qui le compare à
une girouette650. Finalement, quand le général Gouraud décide de se rallier au putsch, il est
top tard et le 6e RC ne bouge pas.
Malgré une certaine effervescence, due à la scission qui se fait au sein du régiment
entre les tenants du putsch et ses opposants, aucun trouble grave ne se produit dans ce
régiment, ce qui est loin d’être le cas au 18e RCC651. Au petit matin du 22 avril, le colonel
Klein, ancien résistant, reçoit à Babar une communication radio qui l’informe que le putsch
vient d’être déclenché à Alger. Le matin même, le 3e escadron est emmené en camion par son
capitaine vers une destination inconnue par les hommes, qui semble bien être Constantine où
l’escadron doit participer à des arrestations652. Le convoi est arrêté par un barrage tenu par des
appelés qui informent les chasseurs du putsch. Ces derniers, ainsi que des sous-officiers,
refusent de poursuivre la route. Le convoi fait donc demi-tour et rentre à la ferme Berthon où
il cantonne. Le lendemain, après la cérémonie de la Saint-Georges, qui se passe normalement,
des chasseurs du PC régimentaire, qui viennent d’entendre le discours que le général de
Gaulle vient de prononcer, sortent dans la cours et entonnent la Marseillaise pour marquer
leur loyalisme. L’attitude de ses hommes pousse, le lendemain, le lieutenant-colonel Klein à

648
Général A. de Saint Salvy, Campagne d’Algérie. 1955 – 1963 : 6E régiment de cuirassiers, Plaquette de
l’amicale du régiment, 1999, 52 p., p. 43.
649
Argoud, id.
650
Témoignage de Gérard Kempf.
651
Les faits ne sont pas évoqués dans les archives consultées, seuls les témoignages permettent de les
reconstituer. Mais ces témoignages ont été rédigés longtemps après les faits et sont parfois contradictoires. Voir :
Jean-Pierre Legendre, Histoire du 18e Régiment de Chasseurs à Cheval : Aurès-Némentchas 1956-1962,
Mamers, chez l’auteur, 2008, 437 p., p. 307 – 329, et F.N.A.C.A., Témoignages : La Guerre d’Algérie, les
Combats du Maroc et de Tunisie, s.l., Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie
1986, 833 p., p. 669 – 672.
652
Legendre, op. cit., p. 314.

237
faire le tour de ses escadrons où le bruit court qu’il s’est rallié. Il s’adresse d’abord aux
hommes de son PC et au 2e escadron qui sont sur place à Babar. Il déclare que ceux qui ont
chanté la Marseillaise sont des mutins et qu’ils doivent être punis en conséquence. Les
chasseurs font bloc et l’affaire en reste là. Le lieutenant-colonel part continuer sa tournée. A
Zoui, les chasseurs du 1er escadron accueillent tout aussi fraîchement son discours et refusent
de se rallier. A Khenchela, où se trouvent la base arrière et le 5e escadron, sa jeep essuie des
jets de pierre lors de son départ. Le colonel finit par être enfermé dans son bureau par le
personnel de son PC. Un adjudant-chef prend alors en main les destinés du PC régimentaire.
Le lendemain, au 5e escadron, un jeune sous-lieutenant chef de peloton est molesté par ses
hommes alors qu’il veut faire remettre de l’ordre dans leur baraquement, avant un départ en
opération. Il évite de justesse d’être frappé. Il se replie dans sa chambre sur la porte de
laquelle une croix de Lorraine au milieu d’un immense V a été peinte. La confusion règne, un
maréchal-des-logis-chef, chef de peloton, part prendre le maquis, le capitaine part à sa
recherche et le ramène. Le calme revient petit à petit. Le capitaine donne l’ordre à ses chefs de
pelotons de sortir avec leurs hommes sur le terrain pour les occuper et les fatiguer, ce qui
s’avère efficace. Mais, au 3e escadron, l’affaire dégénère. Le lundi 24, les chasseurs refusent
d’obéir à leurs officiers y compris pour partir en embuscade. Un chef de peloton, un sous-
lieutenant FSNA, gifle deux de ses chasseurs. Les autres se ruent sur lui et l’auraient sans
doute accablé de leurs coups sans l’intervention du sous-officier adjoint (SOA). Selon un
témoin, les FSNA réclament des armes pour passer à l’ALN, mais elles leur sont refusées par
les appelés eux-mêmes. Le capitaine reçoit une délégation du peloton du sous-lieutenant. Les
hommes acceptent de partir en embuscade, mais l’officier FSNA passe la soirée sous la
menace d’une arme tenue par un appelé. L’ambiance s’envenime, le capitaine se retrouve
enfermé dans son bureau et les autres officiers dans leur chambre. Un maréchal-des-logis-chef
(MDC) prend l’escadron en main, les autres sous-officiers d’active semblent observer une
prudente neutralité. L’adjudant d’unité incite le capitaine à ne pas rentrer dans un rapport de
force qui pourrait mal finir. Une espèce de conseil est formé avec deux délégués par peloton
pour s’entretenir avec le capitaine qui les met en garde contre les conséquences que peuvent
avoir leurs acte de mutinerie, mais l’affaire en reste là. Le soir même, une conversation est
captée par un radio selon laquelle des éléments du 1er REC pourraient attaquer l’escadron. Le
mardi 25, c’est la panique, les chasseurs mettent en batterie leur mortier et leurs deux half-
tracks. Un sous-officier de carrière fait remarquer que cette défense serait dérisoire face à un

238
escadron d’EBR. Le jour même, un Piper653 se pose à proximité de l’escadron, le capitaine est
autorisé, sous bonne escorte, à se rendre auprès de lui. « Le capitaine salue le premier ce qui
fait supposer que son interlocuteur est plus gradé. (…) L’entretien est assez bref. Le capitaine
hausse les épaules à plusieurs reprises en signe d’impuissance, salue de nouveau et rejoint le
véhicule. »654 Ce dernier incident marque la fin du putsch au 3e escadron du 18e RCC.
Sitôt l’échec du putsch connu, le capitaine met les hommes en garde contre les
musulmans et en particuliers contre les harkis, cependant ces derniers ne manifestent aucune
agressivité, bien que, selon le témoin, le sous-lieutenant FSNA les incite à tuer les principaux
mutins, dont le MDC qui a pris l’escadron sous sa responsabilité. Les chasseurs décident de
monter la garde devant sa chambre mais rien ne se passe. Le calme ne revient à l’escadron
que le 27 quand le sous-lieutenant FSNA est finalement éloigné de l’escadron, et le capitaine
relevé de son commandement le 29. Pour éviter tout problème de commandement, bon
nombre d’officiers, dont tous les capitaines commandant, sont également mutés et remplacés.
Le lieutenant-colonel Klein est relevé de son commandement, mais n’est pas emprisonné.
Dans la majorité des régiments, le putsch n’a pas une grande incidence. Le 20 avril,
selon Argoud, lors de son passage à Aïn Beida avec le LCL de La Chapelle, le LCL Weil,
commandant le 16e RD lui propose un escadron pour l’accompagner à Alger. Mais aucun
escadron du 16e RD ne bouge lors du putsch655. Au 6e RS, selon Jean-Pierre Angelelli, c’est
l’indifférence qui prédomine même si les événements génèrent une certaine pagaille : « Le
contingent n’eut pas chez nous cette attitude d’héroïsme républicain si vanté par la suite,
mais ils s’en foutaient manifestement. »656 Jean-Pierre Angelelli assiste à l’arrivée d’un
colonel, qu’il croit être le colonel Gardes, escorté de légionnaire venu rencontrer le colonel
Branet, commandant du 6e RS. En fait il s’agit d’Argoud escorté par des légionnaires du 1er
REC qui se présente à Branet, pourtant réputé gaulliste, pour tenter de le rallier. Selon
Argoud, la conversation tourne court :
« - Tu es un fou, me lance-t-il.
- Je ne sais pas si je suis un fou, mais je sais que tu es un lâche. »657
Au 1er RH, le colonel Gautier est également fermement opposé au putsch. Le 24, le
capitaine Bertrand de Dinechin658, commandant le 1er escadron, lui fait part de ses sympathies
pour les putschistes et lui demande pourquoi le 1er RH ne s’est encore rallié. Le colonel

653
Avion léger de reconnaissance.
654
Legendre, op. cit., p. 320 et 321.
655
Argoud, op. cit., p. 258.
656
Angeleli op. cit, p. 99 et 100.
657
Argoud, op. cit., p. 261.
658
Il s’agit du cousin du futur inspecteur de l’ABC.

239
Gautier répond qu’il n’a pas confiance dans l’issue de ce putsch mais qu’il le laisse libre d’y
adhérer isolément. Le colonel prend la peine toutefois de s’adresser aux hussards du 1er
escadron, commandé par le capitaine de Dinechin. Il leur rappelle ce qu’est la légalité et la
discipline. Il ne s’adresse pas aux autres escadrons mais les envoie tous en opération le soir
même sur le barrage pour occuper les esprits659.
Au 1er RS(A), le lieutenant-colonel Biosse-Duplain partage l’opinion du colonel
Gautier, non seulement il refuse de se rendre à Constantine à l’appel des putschistes, mais il
convoque ses officiers pour les sommer de rester dans la légalité660.
Quelques jeunes officiers sont déroutés lors du putsch car ils ne reçoivent pas d’ordre
et sont parfois mal informés de ce qui se passe. L’expérience de Paul Cayrat, chef de peloton
au 19e RCC661, en témoigne :
« J'étais perdu dans le bled (…). Deux de mes chars devaient se rendre
à Alger, pour vraisemblablement se rallier, mais aucun ordre précis ne
m'avait été donné. Étant naturellement pour l'Algérie française, nous
étions heureux de remplir cette mission. Durant le trajet Bouira -Alger
nous croisions roulant en sens inverse, les EBR de la Légion étrangère.
Trouvant étrange ce mouvement de véhicules, en arrivant à Palestro,
j'ai appelé mon capitaine par le téléphone local (la radio était hors de
portée) pour lui rendre compte. La seule chose que m'ait dite mon
capitaine : « Stop sur place, armée loyaliste, un officier va te donner
des ordres sur la place du village »662.
Arrivé sur la place du village, Paul Cayrat rencontre un colonel de gendarmerie qui fait
mettre le peloton en observation face au djebel pour intercepter des « déserteurs ». Paul
Cayrat ne voit rien. A son grand étonnement, il se fait vertement réprimander par le colonel de
gendarmerie revenu en fin d’après-midi qui le menace de cour martiale. En fait, le colonel de
gendarmerie avait désigné sous le terme de « déserteurs » une colonne de parachutistes qui
rentrent dans leurs cantonnements après l’échec du putsch, alors que Paul Cayrat pensait qu’il
s’agissait de déserteurs FSNA.

659
Général Bertrand Dupont de Dinechin, Algérie guerre et paix : Défense et Illustration d’une victoire oubliée
sur la révolution, Paris, Nouvelles Editions Latines 1992, 290 p., p. 158.
660
Ducloz, op. cit., p. 161.
661
Dans son récit, Paul Cayrat ne mentionne pas le nom de son régiment, mais par recoupements, on sait qu’il
s’agit du 2e escadron du 19e RCC. Il est à noter que le 3e escadron de ce régiment stationne dans la région
d’Alger du 16 avril au 7 juillet 1961, mais il ne semble pas qu’il ait bougé lors du putsch.
662
« Vivre le putsch ! », http://www.cinquantenaire-de-verdun.fr/ (site des anciens de la promotion du
cinquantenaire de Verdun [EMIA 65-66]). Consulté le 6 septembre 2010.

240
« Après un moment, il revint et m'ordonna de suivre une piste dans la
plaine, ce que je fis avec ma jeep accompagné de deux chars M24. Au
bout d'un kilomètre, une autre jeep est venue à ma rencontre avec à son
bord un autre colonel. Il était en tenue camouflée, décorations
pendantes, suivi de nombreux camions avec ses hommes à bord. Après
l’avoir salué, il m'informa qu'il se rendait à l’autorité militaire que
j'étais mais pas aux gendarmes.
Ayant été laissé dans l'ignorance des événements, je ne comprenais
rien. Mais il était très sympa ! Il monta à côté de moi dans ma jeep et
m'ordonna de faire demi-tour. Nous repartîmes suivi de mes blindés et
de l'ensemble des régiments. Il m'indiqua le PC de Palestro où nous
garâmes les chars. Mon colonel, après m'avoir chaleureusement
remercié, disparut dans les bureaux. C'est seulement le soir, lorsque
nous sommes arrivés à la popote, que nous comprîmes : nous avons été
accueillis par des bravos et des cris de libérateurs ! Pourtant durant
toute la journée nous ignorions tout de la situation et pensions avoir à
faire à des rebelles.
Nous regagnâmes Bechloul le lendemain. Le soir même, je reçus l'ordre
de partir à Alger. Vraiment je ne comprenais plus rien. (…) Nous
partîmes à Alger pour la caserne du 19e régiment de génie. (…) A
Zéralda, nous nous sommes arrêtés devant la caserne de la Légion
étrangère pour attendre notre mission. Mes chars garés au bord de la
route, tout le monde débarqua, excepté les tireurs à la mitrailleuse
12,7, pour admirer la mer et discuter avec les légionnaires de garde.
L'attente des ordres se prolongeant, nous en profitâmes pour manger
des brochettes. Après quelques heures, le commandant nous indiqua
que nous pouvions rentrer à la caserne du 19e régiment de génie.
C'est seulement plusieurs années après que je découvris, à la lecture
d'un livre sur les événements d’Algérie, les raisons de ce déplacement.
En effet, dans ce livre figure la photo de mon char M24, baptisé Bône.
La légende indique : « Après avoir été encerclé par des blindés, la
Légion s'est rendue aux forces loyalistes ». Voilà comment s'écrit
l'histoire ! Jamais nous n'avions été informés et n'avions menacé les

241
légionnaires qui ont continué leur mission jusqu'à la dissolution de leur
régiment. »663
Le CES Haëntjens, commandant le 4e groupe de compagnies nomades (GCNA) qui est
implanté dans la région de Reibell, n’est lui non plus pas très informé de ce qui se trame à
Alger. Il est surpris par le déclenchement du putsch. Il se décide à attendre dans un premier
temps se refusant à engager son groupe « sur un coup de tête personnel », mais devant
l’enthousiasme de ses capitaines commandant, il choisit de franchir le pas664. Il envoie un
télégramme au général Challe, pour l’informer de son soutien et rend compte au commandant
de secteur de Paul Cazelle qui n’approuve pas cette décision. Les seules actions que mène le
4e GCNA sont de récupérer des armes que le sous-préfet avait accumulées dans les sous-sols
de la sous-préfecture, et d’établir des barrages-contrôles, tout en se maintenant à la disposition
du secteur pour mener d’éventuelles opérations. C’est là toute leur « rébellion » selon les
termes même de Jacques Haëntjens665.
En métropole, Guy de La Malène, instructeur à la division des EOR de l’EAABC, est
en revanche contacté très tôt par le lieutenant-colonel de La Chapelle de passage à Saumur. Il
ne croit pas à la réussite du putsch mais assure La Chapelle de son soutien qui lui demande de
rallier le 1er régiment de dragons, régiment de l’école, lors du déclenchement du putsch, ce qui
lui paraît totalement irréaliste666. Se sentant solidaire des putschistes, il tente de rallier Alger
en se faisant hospitaliser au Val-de-Grâce où il est encore le 26667. C’est donc bien malgré lui
qu’il ne participe pas au putsch.
Les putschistes comptent également sur la participation du 501e RCC. Le
gouvernement prend cette menace très au sérieux car le régiment est stationné à Rambouillet
aux portes de Paris. Mais les officiers du régiment savent qu’ils ne peuvent pas bouger de leur
garnison car, non seulement ils n’ont pas de munitions, mais, en plus, ils savent que le
contingent ne suivra pas. Le colonel Alain de Boissieu, gendre du général et chef d’état-major
de l’inspection de l’ABC, se rend à Rambouillet et somme le colonel de faire transporter les
officiers « factieux » au fort de l’Est, ce que le colonel de Vandière refuse en éconduisant
l’importun duquel il estime ne pas à avoir à recevoir d’ordres668. Le 22 dans la soirée, c’est un
coup de téléphone de Michel Débré voulant s’assurer de la position des chars qui met une fin
663
Id.
664
Jacques Haëntjens, « Commandant du 4e groupe de compagnies nomades », in Claude Charbonneau (dir.), op.
cit., p. 45.
665
Ibid. p. 46.
666
Témoignage de Guy de La Malène.
667
Pellissier, op, cit., p. 321.
668
Cet incident n’est pas évoqué par Alain de Boissieu dans ses mémoires Pour servir le Général, Paris, Plon,
1982, 277 p.

242
provisoire à l’affaire669. Mais l’une des conséquences du putsch est le remplacement immédiat
du colonel de Vandière par le colonel Lalo et de tous les capitaines commandant.
L’année 1961, selon les différents rapports sur le moral consultés, marque vraiment un
tournant dans l’état d’esprit du personnel. Les cadres semblent dès lors résignés à admettre
l’évolution de la politique algérienne sans toujours y adhérer toutefois. Aucun officier ayant
participé activement au putsch ne fait état de regrets pour leur action, comme le déclare
Michel Delacour : « Avec le recul, je continue à ne pas regretter d’avoir sacrifié une carrière
au bénéfice de ce qui me permet le matin de me raser sans honte. »670
Quelques officiers de l’ABC rejoignent l’OAS. Michel Alibert, à qui son nouveau chef
de corps refuse sa démission, déserte671 et passe dans la clandestinité au lendemain du putsch,
mais ce cas extrême reste tout à fait exceptionnel. D’autres, comme Dominique de
Pontbriand, ancien capitaine commandant au 5e RS, ne rejoignent l’OAS que beaucoup plus
tard. Au moment du putsch, comme Guy de La Malène, il est à Saumur où il est instructeur à
la division des sous-lieutenants. « Chez bon nombre des officiers de l’école, la crise morale
qui les atteint est la conséquence logique d’un véritable désarroi »672 comme le constate le
général de Boisredon, commandant de l’EAABC dans son rapport sur le moral de 1961.
Comme beaucoup d’officiers de l’école, Dominique de Pontbriand ne cache pas ses
sympathies pour les putschistes, mais il ne se décide à basculer dans l’OAS qu’en juillet alors
qu’une chasse aux sorcières, qui lui semble injuste et disproportionnée, est lancée. En outre, il
faisait partie des capitaines commandant de Branet au 5e RS qui l’avaient assuré de leur
soutien. Très déçu par la politique du général de Gaulle, il se sent un peu responsable de ce
qui arrive. Deux des autres anciens capitaines commandant du 5e RS, qui avaient assuré
Branet de leur soutien en 1958, basculent également dans l’OAS. L’action de Dominique de
Pontbriand dans l’OAS est très réduite, elle ne se limite pratiquement qu’à la distribution de
tracts. Son manque de discrétion le fait arrêter en janvier 1962673. Condamné à quatre ans de
prison, il purge 28 mois puis est libéré. Les motifs qui l’ont poussé a basculé dans l’OAS se
justifient encore aujourd’hui à ses yeux : « Mon parcours d’officier m’a comblé de bonheur et
de très hautes satisfactions. Il s’est terminé devant un tribunal militaire (…), sans écorner
l’estime que continuent à me porter mes anciens subordonnés » 674.

669
Ibid. p. 323.
670
Témoignage de Michel Delacour.
671
Quivy, op. cit., p. 95
672
SHD/Terre, 6 U 84.
673
Témoignage de Guy de La Malène.
674
Témoignage de Dominique de Pontbriand.

243
Il peut être également cité l’exemple du colonel Hervé de Blignières, ancien chef de
corps du 1er REC. Soupçonné d’être le chef de l’état-major de l’OAS en métropole où il se
trouve au moment du putsch comme chef du groupe des études tactiques à l’Ecole militaire, il
est arrêté le 9 septembre 1961 et inculpé de « complot contre l’autorité de l’Etat »675.
Par la suite, d’autres officiers de l’ABC feront preuve de sympathie pour l’OAS. Au
début de l’année 1962, des officiers des régiments du Constantinois sont contactés par
Château-Jobert dont l’adjoint est Michel Alibert. Château-Jobert arrive secrètement dans le
Constantinois en janvier pour y diriger l’OAS. Il prend des liaisons avec les chefs d’escadrons
(CES) du Crest et Reglade du 2e REC, le CES Dars du 13e RD et le LCL de Lavernhe du 6e
RC, qui symbolise pour lui « le chef prestigieux qui [l’] assurait de son régiment autant que
de lui-même parce que, pour lui, le devoir était où se trouve la haute mission civilisatrice de
la France »676. Il reçoit auprès de ces officiers un accueil favorable et leur promesse de faire
marcher leurs unités aux côtés de l’OAS. Cependant, il ne semble pas que Château-Jobert leur
ait dévoilé l’ensemble de son projet677, qui est de se rendre maître de l’Est-algérien.
Selon Château-Jobert, ni l’annonce du cessez-le-feu, ni l’arrestation du général
Jouhaud à Oran le 25 mars n’entament « la fidélité des chefs de corps ou de leurs envoyés
déjà contactés »678. Cependant, l’échec de son projet viendrait toutefois de l’attitude du 2e
REC, dont le chef de corps aurait été indécis, contrairement à son subordonné, le CES du
Crest. Les légionnaires demandent à ne démarrer qu’en deuxième phase avec l’ensemble des
unités de la Légion, ce dont ne veut pas Château-Jobert. Il décide d’annuler son action et
contacte juste à temps le LCL de Lavernhe qui devait donner le signal par son action.
Les archives concernant cette affaire ne sont pas consultables, et il est difficile à
l’heure actuelle de savoir dans quelle mesure le commandement a été informé de ce projet.
Cependant, les mutations qui ont lieu peu de temps après, font penser qu’au moins une partie
de l’affaire a dû être connue. Le CES du Crest quitte le 2e REC précipitamment le 2 mai, suivi
par le CES Reglade qui est muté le 10 à la compagnie administrative régionale n° 1679, où est
muté le personnel sans affectation. Le 2e REC est dissous le 24 juillet, comme cela était prévu
depuis quelques mois. Le LCL de Lavernhe prend le commandement du 6e RC le 19 mai,

675
Hugues Kéraly, Hervé de Blignières, un combattant dans les tourmentes du siècle, Albin Michel, 1990, 346 p.
Sur les débuts de l’OAS « métro » et le complot devant porté au pouvoir le maréchal Juin, cf. p. 287-289.
676
Colonel Chateau-Jobert, Feux et lumière sur ma trace, Paris, Presses de la Citée, 1978, 349 p., p. 281 – 282 et
286 – 287. Château-Jobert se trompe sur les grades et les fonctions des personnes qu’il cite. Le LCL de Lavernhe
ne prend le commandement du 6e RC que le 19 mai, jusqu’à cette date, il n’est que commandant en second, en
outre, au 2e REC, du Crest n’est que CES et non colonel.
677
Ibid. p. 286.
678
Ibid. p. 283.
679
Cette compagnie est une unité où est affecté le personnel isolé ou en attente d’affectation.

244
mais il est relevé le 3 août, sans que personne, y compris les anciens du régiment, ne puisse
l’expliquer680. Par la suite cet officier connaît une carrière chaotique au cours de laquelle il
occupe des postes ne présentant pas beaucoup d’intérêt. Le degré d’implication du 13e RD est
encore plus difficile à estimer. Il quitte, comme prévu, l’Algérie le 25 août sans que son chef,
nommé à la suite du putsch, ne soit relevé. Les rapports et comptes-rendus concernant la vie
des unités ne font, en tout cas, aucune allusion à d’éventuelles démarches de l’OAS vis-à-vis
de leur personnel, mais, il est difficile d’imaginer qu’un escadron formé par des soldats du
contingent puisse se lancer dans une aventure aussi hasardeuse.

24. Les répercussions du putsch dans l’ABC

La durée du putsch ayant été très courte, les officiers sont surtout marqués par les
suites qui lui sont données par le pouvoir politique. Le patriotisme de certains est mis à mal.
Le sentiment qui prédomine est celui de l’incompréhension à l’annonce de sanctions
prononcées contre des échelons subalternes pour lesquels avait joué, avant tout, l’attachement
au chef direct.
L’interruption des opérations offensives (IOO), trêve unilatérale décidée par le général
de Gaulle avant les événements d’avril681, est acceptée par les cadres. Son déclenchement, le
25 mai 1961, correspond à l’ouverture des pourparlers de paix d’Evian-Lugrin, il semble donc
bien naturel aux cadres que les offensives cessent pendant cette période. En revanche, les
cadres sont surpris par le fait que l’IOO soit prolongée jusqu’au 11 août alors que les
pourparlers sont interrompus le 28 juillet. Ils ne comprennent pas pourquoi, alors que l’ALN
intérieure est exsangue, le gouvernement lui donne la possibilité de se refaire. Certains voient
d’un très mauvais œil des résultats obtenus au prix de leur sang et de leur sueur compromis
pour des raisons politiques qui leur échappent totalement et qui passent pour une preuve de
faiblesse.
Le transfert de grandes unités en métropole et les mesures simultanées de déflation des
effectifs, qui entraînent la modification des missions puis un remaniement du dispositif, sont
initialement vécus comme un début d’abandon. Mais les regroupements d’unités ramenant
une liberté d’action non négligeable, sont finalement acceptés comme un point d’autant plus

680
Témoignage Alain de Saint-Salvy qui se demande pourquoi cet officier, qui était très apprécié au 6e RC, a
connu de tels déboires après août 1962, alors qu’après le putsch, il n’a pas été inquiété.
681
Argoud, op. cit., p. 266.

245
positif que la fin des déplacements correspond avec celle de la période de l’interruption des
opérations offensives. Les opérations reprennent donc dans de meilleures conditions.
Une scission entre les cadres est toutefois apparue dans certains régiments comme le
6e RC. Certains sous-officiers restent toujours de fervents partisans du putsch, d’autres, au
contraire, y sont violement opposés682. Il n’est pas dit que les escadrons auraient marché sur
Alger, ou alors ils l’auraient fait comme ceux du 27e RD, dont le personnel, mis à part les
officiers, ignorait ce qu’il allait y faire. Au 6e RC, dans les jours, et même les semaines, qui
suivent le putsch, l’ambiance est très tendue du fait de la méfiance qui s’établit au sein du
personnel. Certains sont soupçonnés, sinon de vouloir rallier l’OAS, du moins de la soutenir.
Cette inquiétude est entretenue par les informations diffusées à la radio que le contingent
écoute. Un capitaine commandant fait placer un portrait du général de Gaulle, qu’il a dans son
bureau, au mur du foyer de ses cuirassiers pour calmer les esprits qui s’échauffent. Cette
simple mesure s’avère relativement efficace, mais il faut attendre le plan annuel des mutations
et surtout le retour des opérations offensives pour que l’ambiance tende à redevenir ce qu’elle
était avant le putsch sans jamais vraiment y parvenir toutefois683.
L’esprit de suspicion est entretenu, dès la fin du putsch, par les autorités civiles
locales, avec lesquelles les relations du régiment ne sont pas toujours bonnes684. Elles se
plaignent de l’attitude du 6e RC dont la dissolution est alors envisagée. A la fin du mois
d’avril, le général Lennuyeux se rend à Aïn M’Lila pour mener une enquête, mais il ne
constate aucun malaise au sein du régiment pouvant justifier sa dissolution. Toutefois, pour
couper court aux critiques formulées par les autorités civiles, le général en chef envisage sa
permutation avec un régiment du barrage. Après une enquête plus approfondie et des
échanges avec les autorités civiles locales, il apparaît que rien ne milite pour que le régiment
soit déplacé et qu’il s’agit plus d’un problème de mauvaise entente entre un capitaine
commandant et l’autorité locale que d’un problème politique grave. Le général Lennuyeux
propose de limiter les mesures à une permutation d’escadron entre celui d’Aïn Fakroun (1er
escadron) et celui de Djilleli (5e escadron) pour donner satisfaction aux autorités civiles qui
désirent surtout se débarrasser de certains officiers. La permutation est effectuée rapidement
dans le courant du mois de mai685. Le 1er mai, le lieutenant-colonel Rolland est relevé de son

682
Dont les sous-officiers de l’atelier régimentaire qui reprochent aux légionnaires du 1er REC d’avoir fait main
basse sur leurs caisses d’outillage lors de leur passage. Témoignage anonyme.
683
Saint-Salvy, op. cit., p. 44 -45.
684
Gérard Kempf rapporte que de nombreux incidents ont lieu entre le maire et le député local, et le régiment
concernant notamment l’attribution de logements sociaux ou de céréales que ces autorités refusent aux femmes
des harkis blessés ou mort au combat.
685
SHD/Terre, 1 H 1908.

246
commandement. Le chef d’escadrons de Lavernhe assure l’intérim jusqu’à l’arrivée du
lieutenant-colonel Bonnefous le 25 mai.
Celui-ci, qui en est à son troisième commandement de régiment, reprend en main le
régiment qui est fortement ébranlé. Lors de la reprise des activités offensives, toutefois, le
chef de corps déplore un certain flottement dans la discipline car « certains éléments sans
responsabilité, auraient émis un doute sur la légitimé de cette reprise » 686. Mais ce flottement
est de courte durée comme le constate le colonel de Quenetain venu en inspection à la fin du
mois d’août687.
Le personnel du 27e RD est encore plus marqué par le putsch et surtout par ses
conséquences. Le 27 avril, tous les postes de commandement se trouvent vacants car, non
seulement le colonel Puga, qui prend tout sur lui, est arrêté, mais en outre, les capitaines
commandant sont tous relevés. Le commandement du régiment est assuré par le commandant
en second et, dans les escadrons par des officiers désignés parmi ceux qui restent, ce qui, dans
cette période de flottement ajoute encore à la confusion et affecte la discipline. Les hommes
du contingent, unanimement opposés au putsch688 qui risque de prolonger leur présence sous
les drapeaux, constatent que leurs chefs peuvent se tromper et le sens de la hiérarchie s’en
trouve fortement ébranlé689. Des dispositions sont prises pour la reprise en main par le
nouveau chef de corps. Mais, comme l’écrit en novembre le nouveau capitaine commandant
le 2e escadron : « Les hommes ne voient pas sans désarroi reparaître une certaine atmosphère
de CI dont le souvenir reste pour beaucoup celui de la pire période de leur service. »690 En
septembre, le régiment perd ses missions territoriales et devient régiment de réserve de zone.
Cette disposition permet de regrouper les pelotons par escadron, parfois sous tentes et de leur
faire remplir des missions dynamiques. Un effort est fait dans le domaine des distractions des
dragons et de la pratique du sport. Mais l’emploi du régiment dans le maintien de l’ordre à
Alger est très mal vécu par l’ensemble du personnel. Le régiment y manque de vigueur,
notamment le 1er novembre où des dragons, essentiellement FSNA, cèdent devant des
manifestants.
Le malaise perdure chez les officiers d’active qui, pour la plupart, en sont à leur
deuxième séjour en Algérie et qui redoutent que les sacrifices consentis n’aboutissent sur un
abandon. Bon nombre de sous-officiers d’active sont également dans cet état d’esprit mais de

686
SHD/Terre, 1 H 1909.
687
Id.
688
Y compris ceux qui sont intervenus à Alger.
689
SHD/Terre, 7 U 887*.
690
Id.

247
façon moins profonde. En somme, le colonel Cortet, nouveau chef de corps, constate en
décembre dans son rapport sur le moral que le régiment n’est toujours pas remis de l’épreuve
qu’il a subie lors du putsch691.
Dans les régiments de légion de l’ABC, après le départ des deux chefs de corps et du
capitaine Gaud (ESPLE), les esprits semblent s’être apaisés, bien que ces officiers ne soient
nullement désavoués par leurs subordonnés. En septembre, le colonel de Quenetain note
même qu’au 2e REC une « légère sensibilité existe encore parmi les cadres du régiment ; elle
se manifeste principalement chez de jeunes officiers présents depuis très longtemps au
corps»692. Il suggère de simplement mener quelques changements d’affectations pour y
remédier. Cependant, cette analyse semble bien optimiste au regard de l’attitude de certains
officiers du 2e REC en janvier 1962, comme cela est évoqué plus haut.

25. Le désengagement et la période d’ « apaisement »

Si dans les régiments qui n’ont pas été concernés directement par le putsch l’état
d’esprit est meilleur, il n’en demeure pas moins vrai qu’un malaise concerne l’ensemble de
l’ABC. Le personnel d’active souffre de voir que la politique algérienne ne correspond pas à
leurs souhaits et s’éloignent des objectifs attendus de 1958. Le putsch les plonge dans un
certain désarroi dont la perte du prestige de l’institution militaire et sa vigoureuse reprise en
main par le pouvoir politique sont sans doute, les causes premières. Un grand nombre d’entre
eux, en particulier parmi les officiers supérieurs, ont perdu confiance et enthousiasme, et se
murent dans une discipline formelle pour continuer à exécuter les missions qui leur sont
confiées.
Alors qu’il existe un déficit de 20 % en officiers supérieurs, la DPMAT rencontre les
pires difficultés à recruter, parmi les lieutenants-colonels et les colonels, des chefs de corps ou
des commandants de secteurs. Ceux qui sont nommés sont parfois très jeunes en grade ce qui
n’est pas sans poser des problèmes de subordination localement. Le colonel de Quenetain
émet plusieurs hypothèses à ce manque d’empressement des officiers supérieurs à exercer des
commandements en Algérie. L’âge moyen élevé des officiers titulaires de ces grades (47 ans
pour les lieutenants-colonels et 50 pour les colonels) ne semble pas être la seule explication.

691
Id.
692
SHD/Terre, 1 H 1349.

248
La question se pose de savoir si cela n’est pas plutôt dû à la tournure que prend la guerre
d’Algérie693.
Dans leur immense majorité les officiers subalternes continuent à remplir leur mission
même si ils ont bien conscience en cette fin d’année 1961 que le destin de l’Algérie est scellé
quelque soit leurs efforts. Certains, comme Guy de La Malène, quittent l’armée.
Les sous-officiers, moins sensibles à l’évolution politique, sont en revanche plus
marqués par les fautes contre la discipline car ils sont « formés sur le principe de la
soumission à la « légalité », [et] ne se posent pas de cas de conscience »694. Leur désaveu est
marqué par une augmentation des départs vers la vie civile qui les attire plus que jamais.
Le colonel de Quenetain, dans son rapport de fin d’année, constate que la troupe est
peu touchée par les événements de l’année 1961. Si un sentiment de méfiance a commencé à
naître chez certains à la suite du putsch, il s’est relativement vite dissipé devant la loyauté de
la grande majorité des cadres. En fait, le moral des appelés métropolitains semble avoir peu
évolué. En revanche, les appelés FSNA semblent profondément troublés ce qui se traduit par
des désertions. Mais, dans l’immense majorité des cas, ils font preuve d’une certaine passivité
qui leur permet d’attendre le dénouement sans être contraints de rejoindre le maquis qui
semble avoir peu d’attrait pour eux, puisqu’ils auront des comptes à rendre pour ne pas avoir
été insoumis dès leur convocation dans les centres de sélection.
Les harkis, en revanche, se montrent beaucoup plus inquiets. Des désertions
collectives de harka sont constatées, mais le commandement en attribue la faute à leurs chefs
directs qui n’ont pas su les encadrer correctement. Peu de harkis s’engagent, car, dans
l’ensemble, ils préfèrent garder leur statut plus avantageux de supplétifs.
Selon le colonel de Quenetain, c’est surtout, encore une fois, la façon dont la presse
rapporte les différents événements d’Algérie qui entame le plus le moral des cadres. Il
dénonce, dans son rapport de fin d’année « la manière dont fut présentée, en la déformant,
l’attitude du contingent en avril, les comptes-rendus maladroits ou tendancieux des procès
qui suivirent, certains débats du parlement ou furent exposés des thèses connues comme étant
celles de l’OAS, sont autant de gestes de publicité qui ont contribué à entretenir le trouble
dans les esprits »695. Certains cadres voient même une forme de trahison dont, selon eux, « la
propagande rebelle » tire un profit d’autant plus grand qu’elle est répercutée non seulement

693
SHD/Terre, 1 H 1908.
694
Id.
695
Id.

249
par des réseaux français mais également par des Etats « prétendus amis » qui agissent sur le
personnel musulman.
En fait, le colonel de Quenetain se plaint de la carence de communication interne. Il
pense que pour mettre fin à l’incompréhension de la politique algérienne, il faut en expliquer
la logique et les buts : « Il ne suffit pas que périodiquement s’élève la voix du Président de la
République, il est nécessaire ensuite que chaque échelon de la hiérarchie commente à qui lui
est immédiatement subordonné, les décisions prises par le gouvernement. (…) Ainsi se
développera la confiance dans une hiérarchie jugée parfois un peu distante en raison de sa
réserve vis-à-vis des sujets de préoccupation essentiels. » Il pense également qu’un effort doit
être fait pour contrebattre « les propagandes mensongères [dont l’armée est victime], tels les
reportages cinématographiques et radio passant les uns aux actualités, les autres sur les
chaines nationales. »696 En somme le seul facteur positif de l’année, pour le moral du
personnel, est la riposte de Bizerte au cours de laquelle, le gouvernement a fait preuve d’une
fermenté qui a été appréciées par le personnel servant en Algérie. Mais, l’ensemble du moral
baisse considérablement au cours de l’année 1961, et c’est parmi les officiers que cette baisse
est la plus sensible.
A côté de ces motifs de déception, voire de mécontentement, les conditions
d’existence sont d’autant moins bien acceptées. Le colonel de Quenetain estime même que
« ce sont ces dernières, lorsqu’elles sont pénibles, qui usent les énergies et servent de
prétextes au découragement »697. Il est certain que l’évolution de la situation en Algérie rend
encore plus douloureuses les séparations familiales et la situation matérielle dans laquelle
elles vivent, et n’aide pas à retenir dans l’ABC des sous-officiers qui hésitaient à la quitter
pour la vie civile ou les services.
L’année 1962 s’ouvre donc dans un contexte de morosité dans les unités de l’ABC.
Des enquêtes sur l’état d’esprit des régiments sont menées par tous les échelons de la
hiérarchie. Le général Lennuyeux, nouvel inspecteur de l’ABC se rend personnellement en
Algérie au début du mois de janvier pour une tournée d’inspection.
Au début de l’année 1962, les régiments qui opèrent sur les barrages vivent dans une
ambiance moins tendue que ceux qui sont déployé à l’intérieur. Certes, pour eux, comme pour
tout le monde, le dénouement du problème algérien est un source de déception et
d’inquiétude, mais le fait que leur mission est uniquement une mission de guerre, face à un
ennemi classique, et que leur action n’est gêné sur aucun plan par les difficultés qui peuvent

696
Id.
697
SHD/Terre, 1 H 1908.

250
naître de rapport ou de liens avec les populations locales, les cadres restent encore
dynamiques et croient à l’accomplissement de leur mission.
En revanche, à l’intérieur, les hommes qui sont engagés dans des missions de
pacification et de la conquête de la population, sont désorientés par la tournure que prend la
situation politique. Ils voient le fruit de leur travail comme la réalisation d’écoles, d’AMG, le
mise sur pied de GAD ou la constitution de harkas, compromis voire réduit à néant. Selon
l’IABC, « l’orientation politique les place devant des cas de conscience qui leur laisse au
minimum une très grande amertume », et il ne peut que constater que leur rêve d’une
« Algérie fraternelle pour laquelle ils se sont battus » s’effondre. Faute d’idéal, les officiers,
qui sont les plus atteints par ce phénomène, se réfugient plus encore dans une exécution
ponctuelle du service et par faute d’idéal, « ils se raccrochent à une discipline formelle » 698.
L’IABC pense que pour enrayer la crise morale que traversent les officiers, il serait
vain d’essayer de justifier ou même de simplement commenter les décisions
gouvernementales car, selon lui, « les mots « d’honneur, d’engagement, de tromperie » sont
encore trop dans les cœurs sinon sur les lèvres »699. Pour lui, il faut ramener la pensée des
officiers à leur mission première de chef qui a la responsabilité de ses subordonnés. Le
regroupement des unités qui est en cours est, de son point de vue, une bonne occasion de le
faire car « il semble bien que les missions inhabituelles pour lesquelles ils se sont passionnés
à l’occasion de la guerre d’Algérie leur aient inconsciemment fait perdre de vue ce concept
traditionnel dans [l’] Armée »700.
Selon l’IABC, l’homme de troupe ne se pose que peu de question sur le fond du
problème algérien, il n’y voit que les incidences qui le concernent directement comme la
durée du service militaire ou l’hostilité des pieds-noirs. Il continue à effectuer son service
ponctuellement et entretient généralement de bonnes relations avec son camarade FSNA.
Celui-ci se livre peu et attend avec une certaine passivité la suite des événements. Les harkis
en revanche sont plus préoccupés. Malgré l’adoption d’un nouveau statut plus favorable, un
nombre de plus en plus élevés quitte leur unité, parfois avec leur armement pour rejoindre
l’ALN ou rentrer chez eux. L’IABC pense que « la période de reconversion qui s’ouvre doit
permettre de mieux orienter l’activité des cadres et de la troupe sur le développement et le
perfectionnement de leur instruction militaire »701. Cette nouvelle orientation est souhaitable
pour occuper les esprits et surtout leur montrer clairement que l’avenir de l’Armée n’est pas

698
SHD/Terre, 31 T 9.
699
Id.
700
Id.
701
Id.

251
en Algérie mais en Europe dans le cadre de la préparation d’une guerre classique ou nucléaire
contre le Pacte de Varsovie. Le commandement compte pouvoir valoriser les régiments par la
résorption des déficits et l'amélioration de la qualité du personnel, ce qui est une condition
essentielle pour la reprise en main des unités. Selon l’IABC, « le moral de chacun y
[gagnerait] et (…) dans la situation actuelle, c’est le premier point à considérer car, dans une
certaine mesure, il conditionne les autres »702.
Les opérations se prolongent jusqu’au cessez-le-feu dans les unités, sur le barrage
comme à l’intérieur. Le commando de François Meyer tue deux officiers de la mintaqua 53 le
13 mars703.
A partir du 19 mars, un certain flou règne dans la définition des missions. Elles ne sont
pas toujours exprimées avec une très grande netteté par le commandement et leur transmission
aux échelons d’exécution ajoute encore à leur caractère vague. Mais l’essentiel reste de
maintenir au sein des unités la discipline et l’ordre pour faire respecter les clauses des accords
et ne surtout pas donner l’image d’une débandade.
Les missions données aux régiments sont de trois ordres :
- Assurer la protection des Européens et des harkis ;
- Escorter les convois ;
- Avoir des réactions opérationnelles planifiées correspondant à différentes hypothèses.
La première de ces missions devient assez rapidement sans objet en raison du départ
des Européens, et du fait que ceux qui restent préfèrent s’adresser aux autorités algériennes
plutôt qu’à l’armée. Aussi les rapports entre les régiments et les Européens deviennent de plus
en plus rares, sauf dans la Mitidja et dans la région de Bône. Les officiers de renseignement
n’ont plus de source et le commandement a de moins en moins d’informations sur les
situations locales. Peu de renseignement sont donc obtenus sur la situation réelle des anciens
harkis, mais le commandement sait « que d’une façon générale ils sont mal traités par les
autorités légales »704. Des sous-officiers d’active FSNA qui se sont retirés dans leur lieu
d’origine sont parfois exécutés, comme le maréchal-des-logis Mostepha qui est fusillé à
Géryville en 1962705, peu après la dissolution de son régiment le 23e RS. En l’absence de
renseignements ou de références fiables, le tri parmi les personnes qui se présentent dans les
cantonnements est de plus en plus difficile à faire par les unités entre les harkis authentiques
et des personnes qui veulent simplement partir s’installer en France.

702
Id.
703
Général Meyer, op. cit., p. 136.
704
SHD/Terre, 31 T 9.
705
Général Meyer, ibid., p. 28.

252
Les escortes de convoi sont très nombreuses en raison du déménagement des troupes,
des services et des parcs de matériel. Ces missions, qui présentent peu d’intérêt, sont d’autant
moins effectuées de gaité de cœur étant donné le contexte dans lequel elles se déroulent.
Les chefs de corps doivent traiter avec les nouvelles autorités au fur et à mesure de
leur mise en place. Cela donne parfois lieu à des situations cocasses. Ce n’est pas sans
surprise, en effet, que le chef de corps du 16e RD voit arriver à son PC un chef local de
l’ALN. Ce dernier vient lui demander des armes et des équipements car ses hommes en
manquent cruellement, et il ne veut pas faire pâle figure face aux unités de l’ALN extérieure
lorsque celle-ci pénétrera en Algérie706. Le colonel refuse bien évidement de donner une suite
favorable à cette demande incongrue.
Les régiments blindés sont les derniers à quitter les positions les plus éloignées. Le 4e
RCC, dont les officiers refusent d’ouvrir eux-mêmes les portes des barrages, organise
l’accueil des réfugiés civils algériens rentrant de Tunisie, et, en juillet, se regroupe dans la
région de Tébessa en couvrant le redéploiement des troupes707.
Après l’indépendance, les unités sont confrontées à des situations locales différentes
qui influent sur l’état d’esprit des officiers. C’est ainsi que les deux régiments de la région
d’Orléansville (5e RCA à Kherba et 1er RCC à Perrégaux) rencontrent des difficultés avec
l’ALN locale et doivent souvent faire face à des mesquineries et une certaine mauvaise
volonté de la part des autorités algériennes. Or, ils n’ont pas le sentiment d’être soutenus par
le commandement et doivent souvent se débrouiller comme ils peuvent comme Jacques
Gagniard qui vient de prendre le commandement d’un escadron de M24 du 2e RCA dans
l’Oranais (Sidi-Bel-Abbès et Tlemcen). Deux de ses sous-officiers sont arrêtés par la police
algérienne nouvellement créée pour des raisons futiles. Le capitaine, face au refus des
policiers de lui rendre ses hommes, se met à la tête d’un petit détachement comportant deux
chars et, par ce moyen, réussit à convaincre les policiers de libérer ses sous-officiers sans
délai708.
En revanche, d’autres régiments, en particulier ceux qui assurent la protection des
grands axes, comme le 18e RD sur la RN1 (Alger-Djelfa) ou le 1er REC sur la RN6 (Oran-
Colomb-Béchar), ont su maintenir dans leur zone une certaine marge de supériorité face à
l’ALN qui fait jurisprudence. Cela leur assure une relative liberté d’action. Enfin, les corps
stationnés près de la côte ou dans les centres sans histoire comme Colomb-Béchar ont presque

706
Témoignage de Martial de La Quintinie.
707
Témoignage de François Muller.
708
Témoignage de Jacques Gagniard.

253
l’impression d’une vie de garnison ayant des rapports de plus en plus lointains avec la
situation en Algérie.
Progressivement, les activités des unités s’orientent vers l’instruction, notamment
collective qui était très négligée jusque-là. Lors de son inspection en décembre 1962, l’IABC
a le sentiment que la « plupart des cadres ont tourné la page en faisant violence à leurs
sentiments personnels et en s’astreignant à une discipline totale. Les cadres souhaitent
vivement que cessent la surveillance et les enquêtes de la SM et « la chasse aux sorcières »
qui a provoqué le mise à l’écart de certains officiers de l’Arme connus pour leur loyauté et
leur désintéressement »709. Ils attendent avec impatience une amnistie générale et un arrêt des
procès d’officiers qu’ils trouvent iniques. L’inspecteur inspecte les quinze régiments qui sont
encore stationnés en Algérie. Il y rencontre, séparément ou en groupe, tous les officiers et tous
les sous-officiers pour leur parler de l’avenir de l’Armée. Cette intervention s’est révélée
nécessaire car le moral du personnel est particulièrement bas. Les cadres ont le sentiment que
les unités d’Algérie sont devenues les parents pauvres de l’ABC et que l’avenir de l’arme ne
se joue plus en Algérie.
Le 1er décembre 1962, on compte en France et en Allemagne neuf régiments de
Patton, cinq régiments d’EBR, six régiments d’AMX, un régiment d’AML 60 et un régiment
sur jeeps (13e RD). La priorité leur est donnée dans tous les domaines et le sentiment qu’ont
les cadres des régiments restés en Algérie d’être devenus des « régiments de 3e zone », avec le
matériel le plus usagé et les appelés les moins performants710, semble bien justifié. En outre,
leurs conditions de vie se dégradent, ils ne touchent plus aucune prime. Les changements
d’implantation ont obligé les unités à se réinstaller totalement dans leur nouveau
cantonnement. Les conditions de logement sont médiocres. Tout est à refaire au point de vue
de l’infrastructure ce qui ne se fait pas avec entrain car le personnel ignore la durée de son
stationnement dans son nouveau cantonnement711.
C’est donc avec un soulagement, mêlé d’une certaine amertume que les derniers
régiments progressivement quittent l’Algérie. Le retour des 12 régiments de la force
d’ « apaisement », à l’exception du 1er REC, s’échelonne entre le 8 mai 1963 et 15 juin 1964,
date du départ du 1er RS.

709
SHD/Terre, 31 T 9.
710
SHD/Terre, 1 H 1908.
711
SHD/Terre, 31 T 9.

254
Cliché n° I/11
Rembarquement du 1er RS à Alger le 15 juin 1964. SHD/DITEX, 1K 669.

III. L’instruction et la formation

Dans le domaine de l’instruction, le déclenchement de la guerre d’Algérie se situe à


une période charnière pour l’ABC. Au commencement des années 50, l’arrivée de matériels
modernes et l’apparition de nouveaux concepts d’emploi, entraînent une révision complète de
l’organisation et des méthodes d’instruction. L’IGABC souhaite que son arme puisse disposer
d’un système cohérent qui permette d’obtenir rapidement des unités opérationnelles qui soient
en mesure de mener un combat blindé, éventuellement en ambiance nucléaire. Les principes
de ce combat sont fondés à la fois sur la fluidité de la manœuvre, notamment pour les unités
de reconnaissance, et la puissance du choc, pour les unités de chars.
C’est dans ce but qu’une réforme est lancée. Elle apparaît d’autant plus nécessaire que
pour former des équipages blindés efficaces, la durée du service militaire est jugée trop
courte. Il faut donc rationnaliser l’instruction afin qu’elle soit efficace malgré sa brièveté.
Pour ce faire, dès 1953, l’inspecteur de l’ABC souhaite mettre en place des centres
d’instruction où sera employée une nouvelle méthode d’instruction dite méthode rationnelle
pour la formation commune de base (FCB) et les formations de spécialités712. Grâce à cette
nouvelle organisation, on espère libérer les chefs de corps du souci de l’instruction

712
Ces formations pour lesquelles les fiches de la méthode rationnelle portent les noms suivants, pour les
principales :
FRAC : formation rationnelle accélérée de conducteur.
FRAD : formation rationnelle accélérée de dépanneur.
FRAP : formation rationnelle accélérée de pilote.
FRAT : formation rationnelle accélérée de tireur.
FRAR : formation rationnelle accéléré de radio.

255
individuelle et leur permettre de concentrer leurs efforts sur l’instruction collective et la
préparation opérationnelle de leur régiment.
Les efforts consentis dans le domaine de l’instruction sont importants et donnent
satisfaction tant pour la troupe que pour les sous-officiers. La mise en place des centres
d’instruction (CI) reçoit l’aval du commandement de l’armée de Terre en 1954. La nouvelle
méthode rationnelle est expérimentée au centre d’instruction de division blindée (CIDB) de
Trêves où son application permet effectivement de gagner un temps non négligeable pour la
formation des recrues dans les spécialistes blindés. Les fiches d’instruction sont déjà rédigées
pour certains matériels et diffusées dans les corps. Mais pour être réellement efficace, cette
méthode rationnelle doit impérativement être dispensée dans des CI. L’ABC, en dehors des CI
de DB713, et de l’EAABC, ne dispose que de l’Ecole de cavalerie d’Hussein Dey, héritage de
la guerre, qui assure déjà la formation initiale du personnel des régiments organiques
d’Algérie et du Sahara.
La création des CI est donc entièrement à réaliser. Elle représente de gros
investissements non seulement en infrastructure et en moyens d’instructions, mais également
en instructeurs. Cependant, l’IGABC, qui en attend beaucoup, pense que ces investissements
sont indispensables à la formation individuelle initiale du personnel. Il insiste sur le fait que
l’encadrement doit y être de qualité et essentiellement composé par du personnel de carrière,
dont les régiments se séparent difficilement. Cependant, ils doivent être les premiers
bénéficiaires de cet investissement car chacun d’entre eux sera abonné à un CI qui instruira
son personnel. Ce système d’abonnement repose sur l’incorporation bimestrielle,
nouvellement mise en place, qui permet d’assurer le plein emploi du CI et une meilleure
stabilité dans les corps par la mise à disposition d’un niveau d’effectifs que l’on prévoit être
plus équilibré et mieux instruit.

31. Un système d’instruction prévu pour la guerre froide qui peine à


s’adapter aux besoins de l’Algérie

En 1955, les premiers engagements qui se déroulent en Algérie, montrent rapidement


que les corps, qui y sont engagés, ne peuvent pas assurer de front des missions opérationnelles
et l’instruction de leur personnel. Le système de centres d’instruction, conçu pour répondre
aux besoins de la guerre moderne, répond donc particulièrement bien à ceux de la guerre

713
Trêves (CIDB), La Valbonne (8e RC), Périgueux (5e RD) et Orange (11e RC).

256
d’Algérie. Tout au long du conflit, ce système permettra aux chefs de corps de ne se
préoccuper que de leurs missions opérationnelles en les allégeant du fardeau que représente
l’instruction des recrues.
Mais ce dispositif peine à se mettre en place car la priorité est donnée à l’envoi des
renforts en Algérie. Le système d’abonnement des régiments n’est pas réalisé immédiatement
et, dans un premier temps, ils ne reçoivent pas toujours des recrues formées sur le matériel
dont ils sont dotés. L’instruction est donc toujours une charge importante pour les régiments
déployés en Algérie à l’exception de ceux qui ont conservé un centre d’instruction-dépôt dans
leur garnison d’origine714 ou des régiments à pied qui restent approvisionnés en recrues par
les régiments à partir desquels ils ont été constitués715. Les quatre CI existants en France et en
Allemagne ne forment que les équipages destinés aux divisions blindées (DB), et le centre
d’Hussein-Dey n’a pas encore la capacité d’absorber l’ensemble des recrues incorporées
directement en Algérie, surtout pour les unités montées. L’instruction est d’autant plus lourde
à mener en AFN que les recrues arrivent dans les régiments en faible quantité, du fait de
l’incorporation bimestrielle, et que les anciens et les cadres sont accaparés par les missions
opérationnelles. De ce fait, il faut consentir des sacrifices en cadres et en matériels
disproportionnés par rapport au faible effectif de recrues à instruire. Si les CI ne se mettent
pas rapidement en place, il est même envisagé de revenir à une incorporation semestrielle.
Une solution transitoire est trouvée par le commandant de l’ABC d’Algérie : l’instruction de
toutes les recrues de l’ABC s’effectue dans un seul régiment désigné à tour de rôle. Après 4
mois de formation initiale (6 mois pour les musulmans), elles sont réparties dans leurs unités
d’affectation. L’école de l’ABC d’Hussein-Dey prend à sa charge la formation des élèves-
gradés, spécialistes ou non716. Cette solution, qui permet de limiter le nombre de cadres
immobilisés pour l’instruction, se rapproche dans l’esprit de celle des CI. Mais elle est jugée
par le 3e bureau de l’EMA « comme un procédé de fortune inacceptable pour l’avenir en
raison de la position géographique d’Hussein-Dey, de son manque d’infrastructures
d’instruction »717. L’EMA suggère donc d’organiser un CI dans le Sud-algérien où toutes les
recrues d’AFN de l’ABC seraient instruites. Ce projet restera sans suite faute de crédits et de
temps.
L’IGABC est conscient que la mise sur pied des CI comporte de gros investissements
dans le domaine de l’infrastructure, qui sont d’autant plus difficile à dégager que l’envoi des

714
Ils sont créés officiellement le 1er décembre 1955.
715
SHD/Terre, 6 T 285.
716
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.
717
SHD/Terre, 31 T 18, BE n°17394/EMA/CAB du 28 octobre 1955.

257
renforts en Algérie grève les budgets. Mais il pense que leur rentabilité sera largement à la
hauteur des dépenses effectuées718. Il met donc tout son poids dans la balance pour les CI
voient le jour au plus vite.
Le plein rendement de la méthode rationnelle est à ce prix. Mais cette instruction
élémentaire ne vise pas à préparer les hommes aux combats qui se déroulent en Algérie. C’est
le constat que fait Albert Naour (contingent 55/2/B) qui, après avoir été incorporé à l’EAABC
et avoir fait « ses classes » à Vouneil-sous-Biard (près de Poitiers), sert au 4e escadron du 4e
RD d’avril 1956 à novembre 1957.
« On ne nous enseignait rien qui nous fût utile pour affronter les « rebelles » et
pour la « pacification ». On ne nous parlait pas, ou presque pas, de la guerre
d’Algérie. Et on nous envoyait au casse-pipe, naïfs et ignares (...). »719
En fait, à cette époque, l’instruction ne porte que sur la guerre classique, y compris à
l’EAABC pour les sous-lieutenants en application720. Le personnel, une fois arrivé en Algérie,
ne peut encore bénéficier d’aucune expérience acquise par de plus anciens. Ils découvrent
donc la guerre « en marchant ». Cela occasionne des pertes anormales, notamment la nuit où
des tirs fratricides sont parfois à déplorer comme le constate Michel Delacour du 28e RD venu
au secours d’un peloton accroché avec son commando :
« Arrivés sur le lieux, nous avons eu à relever et à soigner plusieurs blessés.
Après un examen de la situation il n’était pas évident que les rebelles soient à
l’origine de la fusillade. Plus probablement faute d’avoir reçu une formation
adaptée aux aspects très particuliers du combat de nuit, nos malheureux
camarades s’étaient tirés dessus.(…) Par la suite, j’ai été indirectement témoin
d’opérations de nuit ratées se soldant par des bilans sévères. L’une coûtant la
vie à un jeune dragon, l’autre envoyant à l’hôpital un lieutenant
incontestablement blessé par une sentinelle qu’il avait lui-même mise en
place »721.
En Algérie, des directives sont données pour que la progression de la FCB ne soit pas
troublée ou raccourcie par des missions opérationnelles qui sont parfois confiées aux recrues à
l’instruction du CIABCA, par manque d’effectifs722. Quand cette progression est respectée, la
méthode rationnelle donne satisfaction car elle permet de gagner un temps précieux. François

718
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.
719
Naour, op. cit., p. 223.
720
Témoignage de Martial de La Quinitinie.
721
Delacour, op. cit., p. 72.
722
Les recrues d’Hussein Dey sont appelées régulièrement, au cours de leur formation, à participer au maintien
de l’ordre à Alger pour remplir des missions statiques.

258
Arlabosse qui commande alors un escadron d’instruction au 5e RD pense qu’en outre, elle a le
mérite de ne nécessiter qu’une formation très rapide des instructeurs723. Mais avec le
formatage des recrues, l’instruction perd quelque peu en qualité.
« Comme à l’usine, le travail à la chaîne devient monotone. Lassant pour
l’exécutant d’abord qui répète des formules toutes préparées et à qui l’on
impose un rythme rapide et découpé ; lassant surtout pour le moniteur et
l’instructeur qui reprennent périodiquement le même cycle qu’ils ne
connaissent que trop et dont le niveau ne présente pour eux qu’un intérêt
relatif. »724
Des directives sont données pour rendre cette instruction plus humaine et surtout plus
attrayante. Des séances de pédagogie commencent à faire leur apparition dans le programme
des cours dispensés à Saumur. Des directives sont données en outre aux officiers-élèves, sur
leur rôle « d’instructeur moral » qu’ils doivent jouer vis-à-vis de leurs hommes dont on
souhaite qu’ils aient le souci constant.
Il est également demandé aux officiers d’acquérir « l’amour et le respect » non
seulement de leurs hommes, mais également de leur matériel. Comme autrefois les chevaux,
ceux-ci doivent être l’objet de toute leur attention :
« Le but à atteindre est de donner au jeune officier le goût et le respect du
matériel et d’en faire le meilleur exécutant de son peloton (Le chef de peloton à
cheval était autrefois capable de démontrer à ses hommes que n’importe quel
cheval bien en main pouvait franchir un obstacle). »725
Pour cela, le commandement souhaite que les officiers connaissent leur matériel à
fond.
Mais si la formation dans le domaine auto-char donne satisfaction, car la mobilité est
une priorité dans l’ABC, il est fait le constat que celle dispensée dans le domaine des tourelles
et de l’artillerie embarquée pêche beaucoup. Les rapports d’inspection technique font état
d’insuffisances d’entretien dues à l’absence de spécialistes d’armement lourd et léger dans les
unités726. L’IGABC souhaite donc qu’un effort soit fait pour combler cette « lacune
importante » par l’organisation de stages de formation des officiers dans les établissements du
Matériel d’AFN.727 Mais cette disposition reste lettre morte, le général inspecteur de l’armée

723
Témoignage de François Arlabosse.
724
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.
725
SHD/Terre, 31 T 2, lettre n° 505/IGABC/330 du 14 juin 1955.
726
SHD/Terre, 31 T 8.
727
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 1074/IGABC/702 du 30 décembre 1955.

259
de Terre s’y oppose. En raison du rythme des opérations en AFN, il souhaite qu’au contraire
le nombre de stages soit réduit au minimum, il insiste sur le fait qu’il s’agit dans ce domaine
précis d’une instruction commune et non d’une formation de spécialistes. Pour lui, c’est donc
aux écoles de faire un effort de formation dans ce domaine. Le problème reste entier tout au
long du conflit, les cavaliers ont toujours plus le souci de la caisse que de la tourelle de leurs
engins.
L’IGABC souhaite également que la spécialisation sur un matériel donné soit étendue
aux officiers et aux sous-officiers qui doivent, selon lui, servir pendant trois ou quatre ans sur
le même engin pour être réellement efficaces. Mais l’évolution constante des régiments en
Algérie ne permettra pas de réaliser cette stabilité. Les cadres, tout au long du conflit
passeront continuellement d’un matériel sur l’autre, voire d’une unité blindée à une unité à
pied ou à cheval. Le nombre toujours trop élevé de types de matériels728 en service dans
l’ABC interdit, pour les cadres toute spécialisation.
Cependant, la spécialisation des cadres sur un matériel n’est pas le souci majeur de
l’inspecteur. Pour lui, l’ABC a comme vocation de mener un combat mobile pour lequel son
personnel est formé et doit, avant tout rester l’arme de la manœuvre. Il craint que l’emploi qui
est fait des unités en Algérie ne mette à mal cette caractéristique qu’il juge essentielle. C’est
dans ce sens qu’en mars 1955, il donne ses directives d’instruction particulières à son arme
pour l’année à venir. Il y insiste sur le souci constant de la rapidité de la manœuvre que
doivent avoir en tête le personnel de l’ABC, jusqu’aux échelons les plus bas. Celui-ci lui
semble « indispensable à la bonne exécution des missions » de l’arme. A cet effet, les
officiers doivent s’attacher à « voir vite et réagir vite » et ne pas perdre leur temps dans de
vaines dissertations : « une unité qui reçoit un ordre impliquant un mouvement doit jaillir et
non perdre des minutes précieuses avant de démarrer. » Le chef doit ensuite s’attacher à
combiner judicieusement le feu et le mouvement « pour progresser aux moindres frais. »
Pour la première fois depuis 1945, ses directives concernent également la guerre en
surface et non plus exclusivement la guerre classique. Cependant, les recommandations
exprimées, visent plus à faire appliquer les savoir-faire utilisés dans celle-ci qu’à réellement
exiger l’acquisition de nouveaux procédés tactiques, il n’est pas question de contre-
insurrection, ni de guerre révolutionnaire :
« La mise en garde permanente (…) suppose :

728
L’ABC compte en service les matériels suivants : Patton M 47, Pershing M 26, Sherman M 4/76 mm,
Sherman M 4/105 mm, Chaffee M24, char-obusier M8, EBR FL 11 (FL 10 pour certains), AMX 13 FL 10 (FL 11
pour certains), AM M8, TD M 10 et TD M36.

260
 la recherche permanente du renseignement et la préservation du secret,
 la sûreté, par des patrouilles et la protection des itinéraires,
 le réflexe de défense, par des dispositifs permanents. » 729
Il est également recommandé de s’entraîner au combat de nuit, mais les dispositifs
infrarouges sur engin blindé en sont, à l’époque, à peine au stade des études730. La directive de
l’IGABC concernant l’« éclairement du champ de bataille » de 1953, s’appuyant sur
l’expérience de la guerre de Corée, ne les évoque même pas731.
La directive complémentaire destinée à l’EAABC, ne traite pas non plus de contre-
insurrection. En revanche, il y est beaucoup question de manœuvre de cavalerie blindée
classique. L’IGABC y souhaite notamment que l’instruction dispensée aux sous-lieutenants
en application vise, chez eux, à : « développer l’esprit cavalier, synthèse des qualités d’allant
et de perçant, d’esprit d’initiative, de sens de la manœuvre large est audacieuse, alliées à une
connaissance exacte des possibilités des matériels sur un terrain donné »732. En conclusion, il
demande à ce que l’instruction « les prépare à leur rôle de petits chefs de guerre, durs à la
peine, aimant leurs hommes et leur matériel, sachant toujours les tenir en condition et
capables de les employer utilement »733.
Mais le mois suivant, l’IGABC semble déçu dans ses attentes. Des critiques mettant en
cause l’efficacité de l’ABC lui parviennent de différentes « autorités plus ou moins haut
placées »734. Ces critiques portent sur le manque de perçant et la lenteur des unités, et sur le
fait qu’elles ont tendance à ne pas s’exposer, notamment en demandant une protection à
l’infanterie et en n’agissant que par appui de feux. L’IGABC impute cet état de fait à des
causes telles que « l’instabilité des unités, les changements de matériels [ou] la fréquence des
mutations »735. Mais il vient également, selon lui, de la méconnaissance des chefs des autres
armes de l’emploi qu’ils peuvent faire des engins blindés. Ces critiques ne concernent pas
exclusivement l’action des unités en Algérie, mais elles sont le fruit de l’observation des
exercices qui sont menés dans le cadre d’une guerre classique. Cela est encore plus grave aux
yeux de l’Inspecteur qui donne des directives plus fermes visant à inculquer aux jeunes
officiers « la psychose du mouvement en avant qui semblerait leur faire défaut » en mettant
l’accent sur l’étude des missions de la cavalerie légère blindée. Il en va selon lui de la survie
729
SHD/Terre, 31 T 2, directive d’instruction particulière à l’ABC pour l’année 1955, n° 278/IGABC/310 du 23
mars 1955.
730
Id.
731
SHD/Terre, 31 T 5.
732
SHD/Terre, 31 T 2, lettre n° 505/IGABC/330 du 14 juin 1955.
733
Id.
734
SHD/Terre, 31 T 2, lettre n° 569/IGABC/100 du 5 juillet 1955.
735
Id.

261
de l’esprit cavalier que semble déjà avoir été mis à mal par la période de mutation que connaît
l’ABC.
Du reste, les nouveaux CI qui voient le jour entre mai et juin 1956, n’assurent
l’instruction que des recrues destinées aux unités alignées sur le TED INF 107 (unité à pied).
Ces CI sont formés à avec tous les corps de l’ABC, qui n’ont aucune charge permanente au
titre de l’AFN736 : le 5e RC de Vannes, le 7e RC de Noyon, le 2e RH d’Orléans et le 503e RCC
de Mourmelon737. La formation des recrues destinées aux unités blindées continue être
assurée par les CI de DB et des CI-dépôts devenus automnes des 6e RC, 13e RD, 16e RD, 1er
RH, 3e RH et 8e RH. Avec le départ de la 5e DB, en avril 1956, le 12e RC est également
transformé en CI pour alimenter les deux régiments ABC envoyés en Algérie au sein de la
division (1er RC et 6e RCA). En Algérie, l’Ecole de l’ABC d’Hussein Dey, dont le TED est
revu à la hausse, est transformée en CIABC (le 1er mai 1956), il assure la formation des
recrues incorporées en Algérie et destinées non seulement à l’ABC mais également aux unités
sahariennes738.
Pour encadrer correctement les nouvelles unités créées en 1956, notamment celles
constituées à l’origine de rappelés, l’ABC doit consentir à un gros sacrifice. Les sous-
lieutenants quittent l’EAABC le 1er décembre 1956, pour devenir chefs de peloton en Algérie.
Leur stage d’application est réduit à un cinquième de sa durée normale. Or une durée aussi
courte ne permet pas de préparer ces jeunes officiers au commandement d’un peloton blindé.
Cela compromet leur efficacité non seulement dans ce premier emploi, mais également dans
celui de capitaine commandant. Cette disposition exceptionnelle ne sera plus reconduite. Dès
octobre 1957, le stage est rétabli pour une durée de 10 mois et les sous-lieutenants qui ont été
envoyés en Algérie en cours d’application doivent revenir en école à partir d’octobre 1958,
par rotation. En effet, leur formation ne peut pas être achevée dans de bonnes conditions dans
les corps de troupe en Algérie739. Ce complément d’application a pour but de leur donner une
formation pédagogique, technique et surtout tactique car, dans les régiments, la préparation
opérationnelle à une guerre classique ou atomique a été interrompue au profit des missions de
contre-guérilla.
Pour pallier ce manque, un bulletin d’information, réalisé par l’EAABC à Saumur, est
diffusé dans tous les régiments. Le premier numéro paraît en janvier 1957. Par la suite, il

736
Chacun conserve un volant de cinq chars pour l’entraînement des cadres qui ne doivent pas perdre leurs
savoir-faire.
737
Le nombre des CI évolue au cours du temps. En 1960, la situation est la suivante : 2e RH, 7e RC, 5e RC, 5e
RD, CI du 1er RH, 503e RCC, 6e RD, 8e RC et 11e RC.
738
En avril 1956, il formait les recrues des 2e, 5e, 9e RCA, du 4e RCC, du 8e RSA et du 6e RSM.
739
SHD/Terre, 12 T 28, DM n° 2927/EMA/3-E du 16 mars 1956.

262
paraît en moyenne tous les deux mois. Les officiers peuvent y trouver des thèmes tactiques de
guerre de haute intensité. Peu de témoins interrogés se rappellent les avoir étudié avec
attention, ce dont le commandement de l’époque n’est pas dupe : « La diffusion du bulletin de
documentation réalisé par l’EAABC doit permettre à tous les officiers de l’arme de trouver un
guide excellent pour l’entretien et le développement de leur instruction tactique et technique.
Palliatif très utile et efficace, ce bulletin ne saurait remplacer toutefois l’action dans la
manœuvre blindée. Son exploitation réclame en outre un minimum de liberté d’esprit, dont
bien des officiers sont loin de disposer au bivouac ou en opération. »740
L’apport des sous-lieutenants d’active ne règle pas pour autant tous les problèmes
d’encadrement des pelotons de combat constitués en grade partie de cadres du contingent qui
bien souvent, dans certaines unités en forment l’ossature. Martial de La Quintinie, à son
arrivée au 1er escadron du 6e RC, en 1957 comme maréchal-des-logis-chef, est le seul cadre
d’active de son peloton741. Celui-ci est commandé par un sous-lieutenant du contingent et tous
les chefs de groupes sont des maréchaux-des-logis du contingent. Ce cas est loin d’être isolé
comme en témoignent les rapports d’inspection des régiments742. Les sous-officiers du
contingent donnent généralement satisfaction au bout de quelques semaines de grade ce qui
est indispensable au bon fonctionnement des unités. Mais leur formation se heurte, tant en
AFN qu’en France ou en Allemagne, à la difficulté de recruter un nombre suffisant
d’éléments aptes à suivre un peloton d’élèves sous-officiers (PESO) dans des contingents
bimestriels de volume réduit. En outre, les corps d’AFN parviennent difficilement à grouper
dans des pelotons d’élèves sous-officiers, qui durent 5 à 6 semaines, les candidats des
différents escadrons qui sont très dispersées sur les secteurs opérationnels. De plus, l’absence
des candidats comme du personnel d’encadrement se fait cruellement sentir dans leurs unités
d’origine pendant le déroulement de ces stages. Le 2e RD, où un peloton d’élèves brigadiers
puis élèves sous-officiers fonctionne en permanence, immobilise, à cette fin, un officier et
quatre sous-officiers. Cependant, le chef de corps consent au sacrifice que représente cette
charge supplémentaire car elle est essentielle à ses yeux743.
La dispersion des unités et, souvent, le problème du sous-effectif, gênent également
considérablement la préparation des sous-officiers d’active aux épreuves du certificat
interarmes (CIA) et brevet d’arme (BA), dont dépend pourtant la qualité de leurs
connaissances professionnelles et leur accession à des échelons de solde supérieurs. En outre

740
SHD/Terre, 31 T 9, rapport annuel d’inspection de l’ABC pour 1957, n° 035/IGABC/702 du 12 mars 1958.
741
Témoignage de Martial de La Quintinie.
742
SHD, série 31 T.
743
SHD/Terre, 6 U 845.

263
l’existence qu’ils mènent en AFN ne leur permet absolument pas de se préparer à ces examens
qui exigent des connaissances théoriques très approfondies, surtout pour le CIA. La décision
est donc prise de maintenir certaines dispositions dérogatoires pour les candidats servant en
AFN. Il n’en demeure pas moins que les présidents de commission pensent que les corps de
troupe n’apportent pas tout le soin nécessaire à cette partie de l’instruction. Du fait de la
priorité qui est donnée aux opérations, les stages préparatoires aux examens y sont « souvent
réduites à quelques séances hâtives précédant immédiatement les sessions »744. Des directives
sont données aux chefs de corps pour qu’ils veillent à ce que leurs sous-officiers puissent
préparer leurs examens dans les meilleures conditions possibles. Les chefs de corps seront
jugés également là-dessus et, à partir de 1956, les rapports d’inspection comportent tous une
partie consacrée aux résultats des sous-officiers à leurs examens.
Pour la troupe, la formation commune de base (FCB) est entièrement donnée par les
18 CI de l’ABC745. L’instruction blindée y est très limitée en 1956, car, d’une part sur les
18 000 recrues incorporées dans l’ABC, plus de 8 000 ne reçoivent qu’une formation de
combattant à pied, et d’autre part, un nombre important de recrues destinées à des postes
d’équipage a été dirigé dès la fin de l’instruction de base sur les unités à pied d’AFN. En
outre, certains engins d’instruction des CI sont indisponibles pour une longue durée, ce qui
entrave gravement le déroulement de l’instruction. En 1956, le 8e RC n’a même aucune de ses
quatre AM M8 en état de marche, et les équipages qu’il envoie au 12e RD n’ont reçu aucune
formation sur cet engin. Les écoles d’équipage et de peloton, quant à elles, ne sont quasiment
pas été effectuées avant le départ des recrues dans les corps de troupe.
Il existe une grande disparité entre les différents CI. Les deux plus grands centres, que
sont le centre d’instruction de division blindée (CIDB) de Trêves et le centre d’instruction de
l’ABC d’Hussein-Dey, sont beaucoup mieux équipés et dotés que les centres d’instruction-
dépôts pour mener à bien leurs missions. Ils disposent d’un nombre élevé de recrues, 1 000
pour l’un et 800 pour l’autre, et peuvent compter sur un encadrement correspondant. Les CI
qui ne fournissent de recrues qu’à un ou deux régiments746 sont en revanche soumis, en 1956,
à un surcroît de travail avec l’arrivée massive des recrues des plans de renforcement de
l’Algérie pour la formation desquelles ils ne sont renforcés ni en instructeurs, ni en matériels
d’instruction. Leurs installations sont souvent aménagées dans la précipitation et sans

744
Id.
745
Sauf pour les régiments du Maroc qui assurent eux-mêmes l’instruction de leurs recrues de bout en bout.
746
Les régiments sont abonnés à un CI avec lequel ils sont en contact direct pour exprimer leurs besoins en
recrues instruites. Les CI doivent également être en mesure de fournir une relève des cadres, sans mutation de
corps, aux régiments d’AFN.

264
coordination. Les pistes auto-chars sont encore très déficientes dans un grand nombre de
garnisons, où elles se résument souvent à des tronçons cimentés sur des parcours en terre. Les
infrastructures pour l’instruction du tir sous-tourelle sont insuffisantes et le nombre de
créneaux d’utilisation des champs de tir est trop faible. Les allocations en munitions de petit
calibre sont trop réduites pour permettre le bon déroulement de l’instruction prévue par les
fiches d’instruction. Enfin, l’insuffisance quantitative de l’encadrement, les déficits et le
mauvais état du matériel, la succession ininterrompue des contingents bimestriels, la pénurie
des moyens d’instruction soumettent les cades à un rythme de travail exténuant, dont rien ne
leur permet d’entrevoir une amélioration. On craint qu’une certaine lassitude ne s’installe
rapidement. Les recrues, cependant, ne se rendent compte des faiblesses et des
dysfonctionnements de l’instruction élémentaire qu’ils ont reçue dans leur CI, qu’après leur
arrivée dans une unité opérationnelle en Algérie. Elles y sont employées immédiatement
comme combattants, et l’instruction se poursuit tant bien que mal au cours des opérations. La
méthode rationnelle n’est pas appliquée dans les unités opérationnelles. L’instruction s’y fait
en fonction des besoins y compris pour les pelotons d’élèves sous-officiers qui sont
généralement formés dans leur régiment et dont l’instruction est menée à la guise du chef du
peloton747.
Les premiers constats, faits en 1956, n’ont pas été suivi de beaucoup d’effets en 1957
en ce qui concerne les CI. Le rendement de l’instruction du contingent 57/1/B est décevant.
Le principal problème rencontré est celui du sous-effectif des instructeurs dont la qualité n’est
pas toujours à la hauteur de leur tâche. Les pelotons sont très volumineux (de 60 à 65 recrues)
et sont souvent encadrés par des sous-lieutenants sortant d’application qui manquent
d’expérience. En outre, la proportion des moniteurs qui devrait être de 1 pour 6 recrues,
oscille dans les faits entre 1 pour 10 et 1 pour 15, ce qui est nettement insuffisant pour tirer le
meilleur profit de la méthode rationnelle. Cela est dû aux absences régulières incompressibles
notamment du personnel qui prépare des examens ou suit des stages. Enfin les CI ont des
charges de mobilisation pour lesquelles leur TED ne prévoit aucun personnel et qu’il faut
prélever sur les pelotons d’instruction. A la fin de l’année 1957, il est envisagé de supprimer
les petits CI en les regroupant dans des structures plus importantes, ce qui permettrait
d’économiser des postes administratifs et d’affecter un sureffectif de 5 %. On pense que
seules ces mesures permettraient d’assurer un encadrement d’un instructeur pour 6 recrues.

747
Bernard Top, Quand finira-t-elle ? Guerre d’Algérie : Un passé à reconstruire, Paris, La pensée universelle,
1998, 171 p., p. 68 et 69.

265
L’IGABC réclame toujours que les CI formant des équipages blindés puissent disposer
de recrues d’un meilleur niveau général (NG), qui ne doit pas être, selon lui inférieur à 4 sur
10, car il estime qu’il s’agit là du niveau au dessous duquel, la recrue est inapte à toute
spécialisation. Or on constate que le CIDB a reçu dans le contingent 1957/2/B une proportion
de 40 % de recrues dont le NG varie entre 1 et 3, ou qui sont inaptes aux emplois d’équipages,
en raison de leur mauvaise vue, voire à tout emploi non sédentaire. En outre, le nombre de
réformés ou d’inaptes opérationnels envoyés en Algérie est jugé beaucoup trop élevé,
notamment au CIABC d’Hussein Dey et dans les régiments à pied (TED 107). Le 20e RD en
compte 62.
Il n’en demeure pas moins que former des recrues en quatre mois, alors qu’on estime
qu’il en faudrait six, est une tâche qui réclame des cadres avertis, compétents et nombreux.
L’IGABC pense que s’ils possédaient cet encadrement, les CI fourniraient aux régiments des
recrues d’un meilleur potentiel opérationnel. Mais, faute de cadres et de stabilité dans les
affectations à la fin de l’instruction, ils envoient obligatoirement dans les régiments des
hommes incomplètement préparés au combat. Pour l’IGABC, « la dépense en cadres, que le
budget ne permet pas, se paie en définitive par le sang des jeunes français »748.
Le système de relève des recrues à quatre mois par abonnement des régiments à un CI
est souvent modifié au cours de l’année du fait du changement de matériels des régiments en
Algérie, ce qui provoque parfois des situations aberrantes. Des recrues formées sur engins
blindés comme tireur ou pilote sont envoyées dans des régiments à pied et inversement des
recrues formées comme grenadiers-voltigeurs sont envoyées dans des régiments blindés. Le
CI/11e RC d’Orange forme 68 recrues du contingent 56/2/A pour le 3e RCA, mais aucune
d’entre elles n’y est affectée, bien qu’elles aient toutes été formées sur EBR. En revanche, ce
CI doit lui fournir 115 hommes du contingent 56/2/C, alors qu’il n’en a formé que 72 sur EBR
conformément aux prévisions initiales. Pour chacun des contingents de 57/1/A à 57/2/A, le
11e RC reçoit de 40 à 76 recrues à destination du 3e RH, alors que ce régiment a son propre
centre d’instruction-dépôt. Du coup, ces recrues formées sur AM M8 ne sont finalement pas
affectées au 3e RH. Au 9e RH, les plans Bugeaud I, II et III n’ont fourni que du personnel
instruit « à pied » dont une partie a dû être formé sur M24 sur place, ce qui a allongé d’autant
la période pendant laquelle ils ne sont pas opérationnels. Le plan Bugeaud IV n’a fourni que
des équipages EBR, AMX et Patton qu’il faut également adapter au M24 sur place. Ce

748
SHD/Terre, 31 T 9.

266
phénomène concerne également les nouveaux aspirants affectés en janvier 1957 qui ont été
formés sur EBR à Saumur749.
Les régiments d’AFN se plaignent de ces dysfonctionnements qui les mettent dans des
situations fâcheuses. Ils accusent les CI de ne pas tenir compte de leurs besoins. Mais les CI
ont du mal à s’y retrouver dans les ordres et les contre-ordres qu’ils reçoivent. Le moral de
leur encadrement en souffre d’autant plus. Un nouveau plan d’abonnement est arrêté en mars,
et les régiments organiques d’Algérie sont désormais tous abonnés au CIABC d’Hussein Dey,
y compris le 19e RCC750.
La formation des sous-officiers du contingent dans les unités a fait l’objet d’un
considérable effort en 1957, notamment dans les corps d’Algérie. Néanmoins, le recrutement
des élèves-gardés reste limité par le faible volume et la qualité médiocre des contingents
bimestriels, qui n’offrent que peu de ressource de bon niveau.
L’instruction des cadres est donc essentielle. Pour l’ABC, c’est sur l’EAABC de
Saumur que repose en grande partie celle-ci. Cette vieille école qui a vu défiler des
générations d’officiers de cavalerie, est pour beaucoup d’entre eux l’âme de leur arme. La
qualité de l’instruction qui y est dispensée, est suivie avec beaucoup d’attention, mais la
période difficile que traverse l’ABC n’épargne pas cette « vieille dame ». Le TED de
l’EAABC n’a pas évolué fondamentalement depuis 1952, malgré 13 modifications, alors que
ses tâches ont augmenté de façon importante. Le commandement de l’école est obligé de
jongler en permanence avec ses effectifs pour pouvoir y faire face. Des stages
supplémentaires, pour les officiers marocains et tunisiens notamment, y font leur apparition.
Mais c’est surtout le nombre exponentiel des EOR qui y sont formés qui pose le problème le
plus urgent à régler. Le TED de l’école prévoit d’en former 160 par an, mais, en 1957, ils sont
1 056 à y être instruits751. La DPMAT veille à affecter à la division des EOR les meilleurs
officiers comme instructeurs. Mais, malgré leurs qualités, ils font difficilement face au
nombre des élèves et au rythme de l’instruction. La division des EOR, formés dans toutes les
spécialités de l’ABC, ressemble de plus en plus à une véritable usine à chefs de peloton. La
qualité de ces derniers s’en ressent. Bien que les officiers formés à Saumur soient quasiment
tous appelés à servir en Algérie, l’instruction y porte pour l’essentiel sur la guerre de type

749
SHD/Terre : 31 T 11.
750
SHD/Terre, 6 T 576. Après la dissolution du centre de Zarzis, le 8e RC (La Valbonne), prend en charge
l’instruction des recrues des 4e et 8e RCA, stationnés en Tunisie, en plus de celle des recrues des 8e RCC et 12e
RD.
751
Le volume de morts d’officiers de l’ABC formés à la division des EOR s’élève à 60 pour l’ensemble du
conflit.

267
« centre-europe » car leur passage à l’EAABC est pour eux l’une des rares occasions de
suivre ce type d’enseignement.
En décembre 1957, les officiers de l’ABC représentent 10,16 % des officiers de
l’armée de Terre (3 427 sur 33 716) et, à la même date, 58,5 % d’entre eux servent en AFN.
L’IGABC pense donc que son arme est mise à contribution dans des proportions qu’il juge
trop importante. Il se plaint d’autant plus que ces officiers n’y apprennent pas leur métier de
chefs d’unités blindées. Bon nombre d’entre eux servent dans des unités à pied ou dans des CI
où ils n’enseignent que le combat d’infanterie. Quant à ceux qui servent en Algérie sur engin
blindé, il estime qu’ils y prennent de mauvaises habitudes. Certes, la vie en campagne à bord
de leurs engins leur permet de conserver des savoir-faire techniques et ils apprennent à réagir
rapidement en faisant appel à leur esprit d’initiative, mais le « respect de l’adversaire rebelle
pour le blindé conduit souvent [les] chefs de petites unités blindées à un certain abandon des
règles de dispersion, de camouflage, d’utilisation du terrain, d’alternance du feu et du
mouvement, qui risque d’être durement sanctionné en cas de conflit contre des adversaires
plus évolués et armés »752. C’est la raison pour laquelle les situations tactiques d’Algérie sont
encore peu étudiées à Saumur pendant cette période.
Une autre mission de l’école, menée par son bureau d’étude est de réfléchir à l’emploi
futur de l’arme. Mais la contre-insurrection ne fait partie de son champ d’étude. Ce bureau
cherche surtout à développer l’emploi de moyens modernes dans la recherche du
renseignement du champ de bataille. L’IGABC attache toujours une grande importance à ce
que les officiers de l’ABC de tous grades soient entraînés « à exploiter à fond la mobilité de
leurs unités blindées grâce à l’utilisation de la troisième dimension » et souhaite « créer chez
les jeunes officiers et chez les sous-officiers de l’arme des vocations de cavaliers du ciel aussi
bien que de cavaliers légers »753. L’IGABC voit toujours dans les hélicoptères une grande
partie de l’avenir de son arme. Il se félicite de voir bientôt se créer une escadrille de l’ALAT
au sein de l’EAABC, sur laquelle il fonde de grands espoirs. Les sous-lieutenants
d’application passent leur brevet de pilote, en outre, des avions sont à leur disposition, dans le
cadre de l’aéroclub de l’école, avec lesquels ils peuvent voler librement pendant les jours de
permission754.
Si l’ABC s’intéresse de près aux hélicoptères et aux avions légers c’est qu’elle
souhaite en voir placer des unités sous sa responsabilité, ce qu’elle réclame depuis plusieurs

752
Id.
753
SHD/Terre, 31 T 9, rapport annuel d’inspection de l’ABC pour 1957, n° 035/IGABC/702 du 12 mars 1958.
754
Témoignage Martial de La Quintinie.

268
années déjà. Les cavaliers pensent que l’hélicoptère permet de remplir les missions
traditionnelles de leur arme, qu’il s’agisse de reconnaissance ou d’action dans la profondeur.
Ils pensent même que « la cavalerie doit devenir aéromécanisée »755. Le Djinn, hélicoptère
conçu, à l’origine pour l’ABC est expérimenté à l’école en août 1957.

Cliché n° I/12
Hélicoptère Djinn dont le nom de code est SO-1221. Son rotor bipale est entraîné par l’air comprimé
d’une turbine Turboméca de 240 CV. Sa vitesse de croisière est de 105 km/h et son autonomie de 190 km.
Ces caractéristiques ont été fixées par l’ABC. Mais, en 1959, après les expérimentations effectuées à
Saumur, sa vitesse et de sa charge utile se révèlent trop réduites pour un hélicoptère léger polymission
devant travailler au profit de la cavalerie. L’ABC se tourne alors vers l’Alouette III, dont
l’expérimentation et l’emploi lui échappe finalement totalement.

32. La guerre d’Algérie devient prioritaire dans l’instruction par nécessité

A partir de la fin de l’année 1957, force est de constater que, contrairement à ce que le
commandement pensait, la guerre d’Algérie s’installe dans la durée. L’instruction dispensée à
Saumur sur la guerre classique s’estompe peu à peu dans l’esprit des cadres qui opèrent en
Algérie. La dispersion des unités interdit d’organiser des séances d’instruction pour les
cadres, et seuls quelques officiers d’active s’attèlent, avec plus ou moins d’assiduité, à la
lecture du bulletin de l’EAABC. Cette perte de savoir-faire est préoccupante mais elle semble
inéluctable, car le souci des cadres est avant tout d’être efficace dans l’exécution de leurs
missions quotidiennes, et non de celles éventuelles qui seraient appelés à remplir dans un
hypothétique conflit en Europe756.
Certains officiers supérieurs, qui font figure d’exception, cependant ont conscience
que l’avenir du combat moderne ne se joue pas en Algérie. C’est la raison qui pousse Georges

755
SHD/Terre, id.
756
SHD/Terre, 31 T 9 et 6 U 84.

269
Buis, rentrant d’Iran, à demander, en 1956, le commandement du 5e RH en Allemagne plutôt
qu’un régiment en Algérie :
« Je tenais beaucoup à servir en Allemagne. (…) Là je voulais reprendre un
contact véritable avec mon arme. (…) Il ne s’agissait pas de se lancer dans un
métier de plus, d’improvisation dans les djebels. (…) [Il s’agissait d’] une
impérieuse nécessité. Non seulement de carrière mais en soi : problèmes des
personnels, des matériels, de l’emploi, problème tactiques, tous se posaient
dans cette époque floue, pimentée de guerres coloniales conduites au pifomètre
mais où le Corps de bataille, auquel on croyait encore, cherchait avec ténacité
un passage entre la guerre de 39-45 et la guerre future »757.
Mais Georges Buis n’échappe pas à l’Algérie. En avril 1958, il prend le
commandement du 8e RS. C'est-à-dire peu avant le retour au pouvoir du général de Gaulle
dont il est un fervent partisan depuis 1940.
En outre, dans les écoles, comme dans les CI, l’instruction s’oriente de plus en plus
vers la préparation à l’Algérie, notamment celle des EOR à Saumur. Les charges et les
missions de l’EAABC s’accroissent encore en 1958. Cet accroissement est compensé
partiellement par une augmentation correspondante du nombre des officiers instructeurs (89
officiers en octobre 1958 contre 76 en octobre 1957). Mais cet équilibre restera précaire tant
car l’EAABC n’a toujours pas un TED officiel correspondant aux missions qui lui sont
imposées. En particulier, les lieutenants instructeurs sont absorbés à longueur d’année par la
succession des stages qu’ils doivent encadrer et ne peuvent pas être distraits de leurs fonctions
pour « s’aérer », ou pour suivre eux-mêmes des stages.
En 1958, 1 014 EOR sont formés à l’EAABC758. Tous les deux mois un nouveau
contingent arrive pour 5 mois et demi de formation. Tous les deux mois il faut recommencer
les mêmes démarches administratives et cérémonielles. L’encadrement, qui n’a que quinze
jours d’interruption entre deux promotions, souffre d’un manque de repos entre deux cours
d’EOR, et d’un manque de sous-officiers d’encadrement. Cette situation est d’autant plus
préoccupante que de nouvelles directives prévoient encore une augmentation du volume des
EOR en 1959. Ces derniers sont répartis inégalement en quatre spécialisations : CLB, portés,
chars de bataille (sur Patton) et montés (une fois par an). Etant donné le manque de moyens

757
Georges Buis, Les Fanfares Perdues : Entretiens avec Jean Lacouture, Paris, Editions du Seuil, 1975, 279 p.,
p. 169.
758
Les élèves soumis à l’IMO suivent en plus une période bloquée du 13 juillet au 2 août pour éliminer ceux
d’entre eux n’atteignant pas « le niveau moral indispensable à un officier ». Ces élèves proviennent de l’Ecole
Normale Supérieure, de celle de la France Outre-mer, de celle des Arts et Manufactures, de celle des Haras et de
celle des Mines, sans compter les Polytechniciens.

270
blindés disponibles et du personnel de troupe de manœuvre, l’EMA donnent de nouvelles
directives pour la formation des EOR soit exclusivement orientée vers l’AFN, ce qui suppose
la disparition de la spécialisation « chars de bataille » et paraît difficile à appliquer pour la
cavalerie légère blindée (CLB) dont la mission principale reste la reconnaissance.
Il n’en demeure pas moins vrai que, quelque soit la spécialisation, l’instruction
préparatoire aux opérations d’AFN est particulièrement poussée grâce à un nombre toujours
plus élevé de séances d’instruction qui lui sont consacrées. Un effort particulier est mené dans
le domaine du combat de nuit, car il est très pratiqué en Algérie où le manque d’entraînement
à provoqué notamment des tirs fratricides759. En fin de cycle, pendant deux semaines, les EOR
dorment le jour et s’instruisent la nuit. Ils suivent également des cours de sociologie
musulmane et de langue arabe760. Les résultats des cours EOR restent variables suivant les
pelotons. Le peloton débutant en novembre, constitué généralement d’étudiants en études
supérieures, est d’une qualité supérieure aux autres pour lesquels la sélection, qui demeure
primordiale, en particulier pour les pelotons à base de corps de troupe, s’avère insuffisante. Le
niveau des officiers de réserve issus de ces promotions en souffre.
Les cours d’application ont repris leur déroulement normal, mais la décision de réduire
la spécialisation « arme » à Coëtquidan et de la supprimer à l’avenir porte à la formation des
sous-lieutenants un tort considérable, selon le commandant de l’Ecole761. Les officiers de la
promotion Amilakvari, dont le cours d’application n’avait pas été mené à son terme, suivent
un stage du 1er juillet au 15 décembre. Mais après 18 mois en Algérie, les élèves sont
difficiles à plier au rythme scolaire et 65% d’entre eux souhaite retourner en Algérie sans
délai. En revanche, les stages d’officiers supérieurs sont supprimés pour des raisons d’urgence
nationale, de ce fait, plus aucune instruction n’est dispensée sur la manœuvre des régiments.
La formation des élèves sous-officiers d’active (ESOA), d’une durée d’un an, est jugée
satisfaisante, mais étant donnée la pauvreté en matériel, elle représente une charge très lourde
pour l’Ecole.
L’EAABC n’est pas le seul centre de formation à souffrir d’un sous-effectif chronique.
L’encadrement des CI est toujours fixé au plus juste car les nécessités budgétaires et la
priorité du soutien des effectifs en Algérie conduisent à chercher par tous les moyens à gagner
des effectifs. Des décisions sont prises pour gagner des postes supplémentaires. En 1958,
l’affiliation des corps de la Xe RM aux CI est à nouveau refondue, et il est décidé de ne

759
Voir notamment : Delacour, op. cit., p. 72 – 73.
760
Les cours d’arabe sont obligatoires à Saumur dans toutes les formations. Pour les EOR, ces cours ne servent
pas à grand-chose étant leur brièveté et le peu d’assiduité des élèves. (Témoignage d’Alain Thiers).
761
SHD/Terre, 6 U 84.

271
conserver qu’un seul CI par RM ce qui entraîne la dissolution des CID des régiments engagés
en Algérie762. Les CI ne sont plus que 10 en comptant le CIDB et le CIABC d’Hussein-
Dey763. Mais, la dissolution des cinq CI, ainsi que celle des états-majors de l’ABC de Tunisie
et du Maroc, ne permet de récupérer de façon pratique que 5 officiers et 35 sous-officiers. En
revanche elle s’est traduite par une accumulation de charges sur les CI restants.
L’affectation, en 1958, de sous-lieutenants et d’aspirants de réserve sortant de Saumur
a permis que les droits théoriques en officiers soient honorés. Mais de l’avis unanime des
commandants de CI, en dépit de leur bonne volonté, ces jeunes officiers n’ont qu’un
rendement très faible du fait de leur manque d’expérience de la troupe, tant le domaine de son
instruction que de celui de son commandement. En outre, ils n’ont pas le prestige du
combattant que possèdent la plupart des moniteurs placés sous leurs ordres. C’est pourquoi, il
est décidé que les jeunes officiers feront un séjour dans les unités en opérations avant d’être
affectés dans des CI.
Tous les CI souffrent d’un déséquilibre fondamental entre les moyens qui leur sont
accordés et les charges qu’ils ont à assumer. Les TED ne leur accordent que le personnel
indispensable pour assurer uniquement l’administration et l’instruction d’un volume
déterminé de recrues. Mais ils ne tiennent pas compte des situations particulières de certains
CI, comme celui du 5e RC qui a deux quartiers à garder, ni du vieillissement des
infrastructures, ni des charges de garnison, ni des variations du nombre initialement prévu de
recrues, ni des charges liées à l’entretien et à la réparation du matériel qui pourtant est très
utilisé malgré son usure avancée. En outre les charges de mobilisation leur incombent depuis
la disparition des centres mobilisateurs en 1958. Ces charges de mobilisation obligent les CI à
distraire de l’instruction des moniteurs pour assurer l’entretien-stockage et les épreuves de
roulement d’un important volume d’engins blindés. Cette tâche excède visiblement les
possibilités du groupement de mobilisation accordé aux CI par leurs TED764.
En outre, les centres d’instruction « blindés» doivent dispenser l’instruction d’une
multiplicité de spécialisations, en raison de la grande diversité des matériels en usage dans les
corps qu’ils alimentent. Le CI/11e RC doit encore assurer 16 qualifications ou spécialisations
différentes même après la dissolution de son escadron mobilisation sur Sherman décidée en
mai. Le cas du CI/ 8e RC est encore plus révélateur. Il doit former du personnel d’équipage
sur M24, AM M8 et Ferret, des équipiers mortier et canon SR, des tireurs FM, des

762
Sont dissous les CI « arme » des 3e RH, 8e RH, 16e RD et 13e RD, le CI « à pied » du 6e RC.
763
8e RC, 11e RC, 1er RH, 5e RD, 503e RCC, 2e RH, 7e RC et 5e RC.
764
SHD/Terre, 6 T 676.

272
mitrailleurs, des trompettes, des secrétaires, des voltigeurs et des conducteurs. Or cette
diversité semble bien incompatible avec les possibilités d’encadrement du centre et ses
dotations en matériels (trop riches en Ferret, convenables en M24, mais trop faibles en AM
M8), et avec la qualité des contingents. Le centre ne peut former que 170 spécialistes auto et
blindés, le reste (i.e. environ la moitié du contingent) étant formé comme cavaliers portés, les
meilleurs de ceux-ci constituant un peloton d’élèves-gradés. Pour former les spécialistes auto
et blindés, les instructeurs sont disséminés dans de multiples ateliers d’instruction dont le
rendement est parfois dérisoire. Le nombre d’élèves-pilotes sur M24 se situe en permanence
entre de 18 et 24 recrues alors que celui des élèves-pilotes sur Ferret n’est que de 6 à 12. Si la
formation des portés est celle qui pâtit le plus du sous-encadrement dans les CI, la formation
sur engin blindé qui souffre le plus de ces différents problèmes est celle des pilotes d’EBR.
Cet engin étant plus compliqué à mettre en œuvre que les autres, le sous-encadrement et le
faible niveau général des élèves, ainsi que la brièveté des stages, sont montrés au doigt pour
expliquer l’usure anormale des EBR en Algérie765.
Les carences des CI ne se limitent pas au personnel d’encadrement. Certains CI ne
disposent pas de l’armement d’instruction correspondant à celui des corps en AFN qu’ils
alimentent, ni du nombre de véhicules d’instruction correspondant au volume de conducteurs
à former. Le CI/5e RC n’a que 231 fusils Garand semi-automatique M1, car son armement de
base est le fusil US 17. Or, il compte, au 1er novembre 1958, 541 recrues à l’instruction
destinées à des unités qui sont toutes armées du fusil Garand. En outre, il a une dotation
d’atelier FRAC qui ne peut absorber que 60 élèves conducteurs, alors qu’il en a en
permanence 70.
Il n’en demeure pas moins que la formation de spécialistes est en général correctement
conduite. Mais les contingents n’offrent jamais assez de recrues qualifiées pour recevoir cette
formation (radio, dépanneurs radio, dépanneurs auto-chars) et les besoins des corps en
spécialistes ne sont que rarement pleinement satisfaits. L’augmentation du pourcentage de
FSNA dans les contingents, imposée par le général Challe, ne fait qu’aggraver cette lacune.
Les recrues suivent peu de séances psychologiques les préparant à l’Algérie car elles
ne sont pas inscrites dans le déroulement de la méthode rationnelle. Ces séances leur sont
dispensées dans leur corps, en France et en Allemagne avant leur départ qui s’opère à 4 mois
de service pour certains. Le soin donné à l’action psychologique dépend de l’attention qu’y
portent les chefs de corps. L’IGABC a dû, dans certains corps, insister fortement sur la

765
Id.

273
nécessité absolue de développer l’action psychologique comme moyen indispensable pour
l’exécution de la mission des unités. Mais dans la grande majorité des régiments, cette action
est menée consciencieusement, et on estime qu’elle donne d’excellents résultats, tant sur la
troupe que sur la population. Cependant, le départ pour l’Algérie est précédé par une période
de permission au cours de laquelle les cavaliers en partance entendent un autre discours sur
l’action de l’armée en Algérie, qu’il soit divulgué par la presse ou par leurs proches. Leur
encadrement constate le plus souvent, qu’à leur retour, ils ont perdu une bonne part des
résultats de l’action psychologique dont ils ont été l’objet.
La qualité et le rendement de l’instruction sont inégaux selon l’organisation des CI et
des modalités de répartition des recrues quand elles en sortent. La formation commune de
base (FCB) est l’objet d’un effort constant, notamment en ce qui concerne l’instruction AFN,
le tir, la marche, le combat de nuit, la formation civique et l’EPM. Mais l’obligation de
développer l’instruction AFN conduit à limiter les rudiments de la formation militaire
générale. Pour les recrues qui sont incorporées directement en Algérie ou qui y sont envoyées
une fois leur formation achevée, ce problème n’est pas très grave. Sitôt arrivés, ils sont pris en
main et mis dans des conditions opérationnelles. En revanche, le problème se pose pour le
personnel qui ne rejoint l’Algérie qu’à partir de leur 14e mois de service. Autant le personnel
servant dans les unités de combat avant de rejoindre l’AFN conserve l’habitude d’être
encadré, autant le personnel sans qualification, qui a généralement perdu le fruit de sa FCB
dans des emplois de servitude, doit être repris vigoureusement en main à son arrivée en
Algérie dans les unités opérationnelles pour mettre fin aux mauvaises habitudes qu’il a pu
contracter. Quand les circonstances le permettent, tous les renforts sont regroupés pendant un
temps dans un peloton de marche, afin de leur permettre de s’adapter à leur nouvel
environnement, comme c’est le cas, en mai 1958, au 30e RD lors de l’arrivée de 14 cavaliers
des contingents 56/2/C et 57/1/A en provenance du 3e RS et du 7e RCA d’Allemagne :
« Un peloton d’instruction est créé spécialement pour ces bleus de luxe,
totalisant déjà… dix-huit et seize mois d’armée. Il est utile d’initier ceux qui
arrivent d’Europe aux traquenards de la guerre d’Algérie. Ce peloton, sous les
ordres du lieutenant Gardette secondé par le MDL Landreau, multiplie les
exercices de progression sur le terrain. La garde est montée en double avec
des anciens afin d’habituer les nouveaux aux pièges de la nuit : ne pas se

274
laisser affoler par le jappement d’un chacal, ni tirer sur une ombre furtive
dessinée par la lune. »766
Les recrues de l’ABC affectées en Algérie au bout des quatre premiers mois de
service, qui correspondent à leur formation initiale, sont de plus en plus nombreuses à partir
de 1958. Dans certains régiments, elles reçoivent une instruction complémentaire d’une
quinzaine de jours avant d’être affectées en escadrons de combat. Cette période d’adaptation
s’applique également aux officiers dans certains régiments, comme le 2e RD. En outre, dans
ce régiment, qui a subi de lourdes pertes, dans un accrochage avec Azzedine le 4 août 1957
(29 morts, 12 blessés et 2 disparus)767, un effort est fait pour adapter les cavaliers blindés au
combat à pied, même si selon le chef de corps du 2e RD l’instruction est difficile à réaliser à
cause de la dispersion et de l’activité opérationnelle des unités :
« En dehors de la diffusion des revues officielles, l’instruction des cadres se
limite à la guerre subversive. La formation des jeunes officiers se fait sur le tas
dans le cadre de leur escadron où ils sont, pendant les premiers temps
employés en doublure pour l’exécution de patrouilles, d’embuscades et en
opérations. La manœuvre du peloton à pied (combinaison, feu, mouvement) fait
l’objet d’exercices d’entraînement au combat, combinés avec des exercices
d’accoutumance au feu.
Des critiques sont faites à l’occasion de la plupart des sorties : ce procédé est
le plus simple et le plus rentable. L’accent est mis constamment sur la notion
de sureté en marche et en station à pied ou en véhicule768. »
Cette période d’instruction complémentaire doit être parfois plus poussée car,
l’affectation des renforts à 14 mois, qui proviennent, en principe, des régiments FFA, est plus
aléatoire que celle des recrues à 4 mois. Beaucoup arrivent avec comme seule qualification
celle de « voltigeur » alors que le corps attend des tireurs ou des pilotes, qu’il doit former à la
hâte.
A la fin de l’année 1958, une réorganisation est lancée dans les CI. Elle se propose de
mieux répartir entre eux les charges d’instruction spécialisées. Il est décidé le 23 mars 1959
que les CI blindés seront limités à deux matériels à partir du 1er mai. A partir de juin 1959, le

766
Roger Albert, Carnet de route d’un soldat d’Algérie, Paris, Geste éditions, 2002, 239 p., p. 160
767
Selon Azzedine, la plus part de ces pertes sont à mettre au crédit de l’artillerie qui, ce jour là tire sur ses
propres troupes. Commandant Azzedine, On nous appelait Fellaghas. Paris, Ed. Stock, 1976, 345 p., p. 161 -
167.
768
SHD/Terre, 7 U 845*.

275
CI 8e RC ne forme plus d’équipage Ferret et le CI/11e RC n’en forme plus sur AM M8769.
Cela entraîne également la transformation de deux CI/infanterie en CI/blindé (5e RC et 2e
RH)770, ce dont se réjouit leur personnel. L’IABC se félicite également de cette mesure qui
permet aux cadres un entraînement permanent dans le domaine blindé. Il souhaite étendre
cette mesure à deux des trois derniers CI/infanterie (5e RD, 7e RC et 503e RCC), ou du moins
les transformer en CI mixtes.
Mais outre la qualité des contingents, c’est surtout le manque de cadres qui fait
craindre pour l’avenir de l’instruction, y compris pour la formation commune de base (FCB).
Le sous-effectif en instructeurs est toujours aussi criant alors que le nombre de recrues à
instruire est en augmentation, notamment avec l’arrivée plus importante d’appelés FSNA.
L’ABC incorpore, en 1959, 3 600 recrues par contingent et, par an, 1 600 engagés dont
l’instruction dure 6 mois. Or, les CI ne disposent que de 7 960 places à l’instruction (dont 900
au profit d’autres armes, essentiellement du Train). Le CIABCA, par exemple, qui est conçu
pour instruire 1 600 recrues voit, en 1959, leur nombre atteindre plus de 2 000771. Cette
augmentation est d’autant plus gênante que le CIABCA est confronté non seulement à des
problèmes d’encadrement mais également à des problèmes d’infrastructures qui restent
médiocres. Aucun crédit n’est prévu pour les améliorer et l’EMA refuse de lui octroyer des
effectifs d’encadrement supplémentaires.
Les réorganisations des corps et la mise en place d’AMX supplémentaires et de Ferret
en Algérie, entraînent encore une transformation des CI. Même si elle ne leur permet toujours
pas de faire face au nombre élevé de tâches imprévues qui leur sont assignées fréquemment,
la réorganisation des CI opérée en 1959 est généralement accueillie favorablement772. En
effet, les CI sont soulagés par les mesures de spécialisation qui sont adoptées. Cependant, les
missions de mobilisation continuent à peser d’autant plus lourdement sur eux que le matériel
dont ils ont la charge n’est généralement pas celui sur lequel ils doivent instruire leurs recrues.
Malgré les quelques suppléments d’effectifs qui leur sont accordés en 1959 pour faire
face à leurs différentes tâches, la plupart des CI éprouvent toujours autant de difficultés à
entretenir le matériel, qui leur est confié au titre de la mobilisation, et à tenir prêts les noyaux
actifs indispensables aux régiments de réserve. Mais personne n’est dupe quant aux
769
SHD/Terre, 3 T 9, lettre n° 10146/EMA/CAB/M du 10 juin 1959.
770
Le 5e RC redevient CI « à pied » en septembre 1960.
771
Le CIABCA, qui alimente 12 régiments d’Algérie (plus les Sahariens, les Nomades et les Gendarmes) forme
des recrues dans presque toutes les spécialités : AM M8, M24, EBR, montés et à pied.
772
Plan de charge des CI en 1959 (SHD/Terre, 6 T 576) : 8e RC, 8 régiments ; 11e RC, 7 régiments dont les
FSNA des 2e et 21e RS ; 503e RCC, 4 régiments ; 1er RH, 4 régiments Ferret et jeep 106 SR ; 5e RD, 2 régiments
107 et 5 bataillons du Train ; 5e RC, 2 régiments 107 et 3 bataillons du Train ; 7e RC, 1 régiment porté et les
FSNA de 3 autres ; 2e RH, 2 régiments 107.

276
possibilités réelles de mettre sur pied les régiments blindés de mobilisation à partir des CI
dans les délais impartis. Etant donné l’effort consenti en Algérie, la mobilisation passe au
deuxième rang des préoccupations du commandement. Les engagements pris vis-à-vis des
alliés et la priorité donnée à l’Algérie, qui pousse à y affecter des unités OTAN, oblige le
commandement à concilier l’inconciliable. Seule la moitié des unités blindées sont
mobilisables en quelques heures en Allemagne. La spécialisation AFN des recrues continue à
se faire au détriment de celle prévues pour les postes de mobilisation. Plus aucun personnel
n’est formé sur Sherman au cours de son service actif alors que des régiments mobilisables de
2e série en sont encore équipés.
En outre, la nouvelle organisation ne règle pas le problème de la conduite de
l’instruction de perfectionnement. Celle-ci commence à partir du 4e mois dans les corps. Elle
s’y heurte à des difficultés qui semblent difficiles à surmonter du fait du rythme des
opérations pour les corps d’Algérie, et de la multiplicité des servitudes qui pèsent sur les
corps de France et d’Allemagne. Pour ces derniers, s’ajoutent encore comme difficulté celle
de la restriction du carburant. L’instruction tactique d’arme est donc réduite à sa plus simple
expression, et l’instruction interarmes inexistante. En fait l’instruction de la troupe se limite
quasiment à celle du combattant pour l’Algérie. L’instruction des spécialistes est
généralement bien conduite, mais, comme pour les futurs gradés, les contingents continuent à
n’offrir qu’un nombre insuffisant de recrues aptes à recevoir une formation d’opérateur radio
ou de dépanneur auto-chars. Les besoins des corps en spécialistes sont donc toujours
difficilement satisfaits sans qu’une solution puisse être trouvée.
En 1959, le déficit en sous-officiers du contingent reste toujours important. Ce
phénomène est dû à l’irrégularité de l’alimentation en personnel et à la valeur des contingents
jugée trop médiocres. A cela s’ajoute un blocage administratif dû à l’envoi des appelés en
Algérie dans leur 14e mois de service qui ne peuvent plus être promus. Pour combler les trous
dans les effectifs, des MDL du contingent du Train envoyés en Algérie à leur quatorzième
mois de service sont transférés dans l’ABC. Cette disposition permet de limiter le déficit des
corps d’Algérie qui doivent toutefois continuer à former leurs propres sous-officiers PDL
parmi les incorporés directement en Algérie. Mais l’organisation des pelotons d’élèves sous-
officiers s’y heurte à des difficultés dues aux charges opérationnelles. Il en résulte que
l’instruction des futurs sous-officiers se limite presque exclusivement aux savoir-faire
tactiques au détriment des autres domaines, notamment celui du service courant. L’essentiel,
pour les corps est de former des MDL sur lesquels ils puissent compter non seulement pour le
service courant mais surtout au cours des opérations. Leur formation leur est donc dispensée

277
en ambiance opérationnelle et à un rythme particulièrement soutenu, comme en témoigne
Bernard Top du 3e escadron du 6e RC :
« De ce peloton, je retiendrai l’obstination de notre lieutenant à faire de nous
des hommes rompus à toutes les situations. Combien de fois sommes-nous
sortis au plus profond du no man’s land ? Il organisait des embuscades,
laissant là des hommes, partant avec d’autres. Il nous apprenait à nous repérer
aux aspérités des collines qui se dessinaient sur l’horizon. Il nous fallait
vaincre notre peur dans cette obscurité, dans ces lieux où le rebelle pouvait
surgir à tout moment. (…) Il n’était pas question de se perdre, le réseau
n’ouvrait qu’à une heure convenue. Seul le lieutenant connaissait le mot de
passe. » 773
Malgré ses dysfonctionnements, la qualité du contingent n’est pas remise en cause par
les unités d’Algérie. Contrairement à leurs prédécesseurs de 1956 ou de 1957 qui devait tout
découvrir, ils profitent de l’expérience acquise des plus anciens. Si un temps d’adaptation leur
est nécessaire, au bout de quelques semaines, ils donnent satisfaction, et au bout de quelques
mois, ils sont généralement dignes de la confiance de leurs chefs tant ils connaissent leur
environnement. Hervé Lales 2e peloton (AM) du 2e escadron du 8e RCC, ne tarit pas d’éloges
sur ses chasseurs. Ces pilotes connaissent parfaitement les pistes du sous-quartier de Djelila
(Ouarsenis) et notamment « les coins à mines ». Ils prennent des initiatives pour les éviter qui,
quelques fois, le déconcertent :
« Je m’inquiétais de ces fantaisies de parcours, au risque de ne plus savoir où
nous étions. L’obsession du point topo, apanage du chef ! C’était sans compter
avec le savoir faire de mon équipage. Mon pilote, un solide savoyard, tourne
dans le coin depuis plus d’un an et en connaît la moindre haie de figuiers de
barbarie. D’un coup de volant il rejoint la piste initiale, car il connaît le
thalweg rocailleux que nous longeons maintenant à droite et dans lequel nous
ne pouvons progresser. Là, nous sommes liés à la route et on ne peut faire
qu’une petite prière pour que l’artificier zonal ne soit pas venu œuvrer cette
nuit. (…)
Mon admiration pour mes gars du contingent n’a d’égale que mon sentiment
d’incompétence topo ce soir. A moi aussi il me faudra plusieurs mois pour
posséder à fond le coin. C’est donc à la fois avec humilité, mais aussi grand

773
Bernard Top, op. cit., p. 69 – 70, voir également : Angelelli, op. cit. p. 59 – 61.

278
soulagement, que je constate que nous roulons maintenant sur la route
bitumée qui relie sur vingt kilomètres notre poste de DJELIDA au PC du
régiment situé à DUPERRE au bord de l’oued CHELIFF. »774
Si, avec l’expérience du terrain, le personnel d’active ou de réserve arrive à donner
satisfaction dans l’accomplissement de ses missions en Algérie, cela ce fait toujours, pour les
jeunes sous-officiers d’active parfois au détriment de la préparation de leurs examens, malgré
une attention plus soutenue de la part des chefs de corps dans ce domaine. Des dispositions
sont prises pour faciliter l’obtention des certificats interarmes (CIA) et des brevets d’arme
(BA) des sous-officiers, à défaut d’en améliorer les conditions de préparation. Si les résultats
sont honorables en 1958, cela est dû en grande partie à la générosité des commissions
d’examen et, dans certains cas, à des notes d’aptitude flatteuses mises par les chefs de corps.
Même si il pense que les difficultés qu’éprouvent les sous-officiers à se préparer justifient, en
partie, cette bienveillance, l’inspecteur voit d’un très mauvais œil cette baisse du niveau exigé
pour l’obtention des examens car cela concourt à faire baisser la qualité du corps de sous-
officiers. Or, il constate que la qualité des sous-officiers anciens est en baisse, du fait du
départ anticipé des meilleurs, et que le niveau des MDL sous contrat est à améliorer
considérablement. Il décide donc l’instauration d’un centre de préparation des sous-officiers
au CIA et au BA 1er et 2e niveaux au CIABCA d’Hussein Dey pour les candidats de l’Algérie.
Des officiers des corps de troupe sont désignés à tour de rôle tous les deux mois pour assurer
ces cours. Mais, la mise en place de ces cours suppose que les candidats quittent leurs unités
pour les suivre, ce qui augmente encore le problème du sous-effectif des sous-officiers de
carrière en Algérie775.
En 1959, le taux de réussite aux examens CIA et BA est honorable, mais il est encore
une fois surtout le fait de la mansuétude des jurys. L’IGABC propose de créer deux brevets
d’arme différents : l’un pour l’AFN et l’autre pour l’Europe. Les titulaires d’un BA de niveau
1 « AFN » devront passer un BA de niveau 2 « Europe »776 et réciproquement. Mais l’EMA
estime qu’une telle disposition n’est pas nécessaire. Il est donc décidé de maintenir une option
« cavalier porté » en adaptant une partie du programme aux modes d’action utilisés en Algérie
et de continuer à autoriser tous les sous-officiers servant dans des unités 107 à présenter des
brevets « infanterie ». L’IABC n’accepte le prolongement de cette dernière disposition

774
Témoignage d’Hervé Lales.
775
En 1960, une majoration de trois officiers est accordée au CIABCA qui met fin à ce système de détachement.
SHD/Terre, Id.
776
Le 1er niveau correspond à celui de chef d’engin ou de groupe, le 2e niveau correspond à celui de chef de
peloton.

279
qu’avec les plus grandes réticences, car il a le sentiment, une fois encore, de sacrifier une
partie de l’avenir de son arme en raison de la situation conjoncturelle de l’Algérie qui a pris le
pas sur celui-ci.

33. L’avenir de l’ABC compromis par son niveau d’instruction

Le système des CI donne globalement satisfaction, cependant il suppose une


planification rigoureuse des plans de renfort et entraîne un manque de souplesse dans la
réorganisation des corps qui est en cours en Algérie. Il interdit de jongler librement avec
l’organisation des régiments opérationnels comme pour le 16e RD en juin 1959 qui ne peut
pas être équipé d’EBR. En effet, les CI qui forment les recrues sur EBR ne les forment sur
aucun autre engin. C’est la raison pour laquelle, le 3e bureau de l’EMI en juin 1959 se voit
refuser l’attribution d’un escadron d’EBR au 16e RD qui lui aurait été utile pour
l’accomplissement de ses missions dans le Constantinois.
Des améliorations sont apportées au dispositif en 1960. Il existe désormais un CI dans
chacune des neuf régions militaires (RM)777 plus un en Allemagne (CIDB de Trêves) et un en
Algérie (CIABC d’Hussein Dey). Mais, du fait que chaque régiment d’Algérie n’est plus
rattaché qu’à un seul CI, ce recrutement régional comporte l’inconvénient, de constituer des
unités avec des recrues majoritairement originaires de la même région. Or, selon les chefs de
corps, la qualité globale des appelés change selon leur origine géographique. Les appelés de la
2e RM, originaires du Nord, par exemple, fournissent une plus forte proportion de spécialistes,
certains régiments sont donc moins bien lotis que d’autres778. Ce plan de rattachement
entraîne également un changement de structure pour deux CI. En septembre 1960, le 5e RC
redevient CI « à pied », et le 6e RD un CI sur AM M8 et M24. Leurs charges restent lourdes,
pour la mobilisation notamment, malgré une meilleure organisation générale. En outre, la
formation des recrues du Train, qui étaient assurée par deux CI de l’ABC, est supprimée.

777
CI de l’ABC au début de l’année 1960 :
1re RM 2e RH Orléans
2e RM 7e RC Noyon
3e RM 5e RC Vannes-Meucon
4e RM 5e RD Périgueux
5e RM CI du 1er RH Tarbes
6e RM 503e RCC Mourmelon
7e RM 6e RD Besançon
8e RM 8e RC La Valbonne
9e RM 11e RC Orange

778
SHD/Terre, 7 U 845*.

280
Mais, le fait que les corps d’AFN ne soient rattachés qu’à un seul CI, facilite
grandement le dialogue des chefs de corps avec leur fournisseur de recrues qui peuvent plus
facilement adapter leur instruction aux besoins de corps de troupe. Cependant les difficultés
quotidiennes auxquelles se heurtent le bon déroulement de l’instruction et la sélection des
recrues restent globalement les mêmes.
A l’EAABC, les problèmes perdurent également. L’école doit former un volume
toujours croissant de stagiaires. Ils atteignent le nombre de 2 416 élèves sur an, dont 1 805
EOR, 40 IMO779 et 18 polytechniciens. Pour les EOR, la pénurie de matériel blindé disponible
et de personnel troupe pour le mettre en œuvre, ne permet toujours de n’instruire que 57% des
EOR en spécialité « blindé » au lieu des 80 % prévus. Pour les ESOA, le courant
d’engagement n’a cessé de grossir depuis 1958. Il double en 1960 et passe à 206, en incluant
les anciens enfants de troupes (AET) dont le nombre est passé de 14 à 33. Deux cours par an
sont donc maintenus étant donné ce volume important, qui cependant n’est pas suffisant pour
combler les déficits provoqués par les départs prématurés.
L’instruction des sous-lieutenants d’application couvre l’ensemble des matériels en
service dans l’ABC. Mais, une fois sortis de l’école, les sous-lieutenants oublient rapidement
une bonne part de leurs connaissances. En Algérie, ou même dans les CI, faute d’entraînement
des réflexes manœuvriers propres à la cavalerie s’effacent de plus en plus, ce qui rend
d’autant plus nécessaire non seulement le maintien du cours des capitaines mais également le
rétablissement des stages des officiers supérieurs. Cependant, ces différents stages ne
concernent pas l’ensemble des officiers de l’ABC. Lorsque, après un séjour en Algérie, les
arrivent dans les corps de troupe d’Allemagne ou de France, ils ont tous une expérience
importante du combat. Cependant, sur le plan tactique et technique, ils possèdent des lacunes
importantes qui sont difficilement comblées du fait du manque de carburant et des départs du
contingent en Algérie.
A la fin de 1960, l’IABC estime que l’avenir de son arme est de plus en plus
grandement compromis. Il est persuadé que seul l’arrêt des combats en Algérie, qui perturbent
l’instruction des officiers et des sous-officiers, et qui incite un nombre de plus en plus grand
d’officiers et de sous-officiers à quitter l’armée, pourra sauver la capacité opérationnelle des
unités dans le cadre de la défense de l’Europe780.
Un effort dans le domaine de l’instruction des cadres est perceptible en 1961 grâce en
partie à la stabilisation relative de la situation en Algérie. La dispersion des unités était

779
Elèves de grandes écoles en Instruction Militaire Obligatoire.
780
SHD/Terre, 31 T 9.

281
l’obstacle majeur que rencontraient les chefs de corps dans le domaine de l’instruction. Le
regroupement des pelotons et souvent des escadrons, dans le cadre de la nouvelle orientation
tactique, permet aux chefs de corps de rendre sa priorité à l’instruction des cadres. Certains
chefs de corps organisent périodiquement des conférences sur des sujets d’actualité que les
officiers du corps prononcent à tour de rôle devant l’ensemble de leurs camarades. Ces chefs
de corps mettent même sur pied des exercices cadres sur cartes. Mais, à l’exception du 18e
RD, qui organise des contrôles opérationnels au niveau du peloton, l’instruction collective
continue à être négligée par les corps qui n’estiment pas avoir suffisamment de temps à y
consacrer, mais le commandement souhaite vivement que l’exemple du 18e RD fasse florès.
L’effort porte surtout sur la formation des sous-officiers afin d’élever leur niveau
général. Ils sont de plus en plus incités à préparer leurs examens avec assiduité. Des séances
sont organisées, sous la responsabilité du commandant en second au niveau du corps, et non
plus exclusivement au niveau des escadrons, même si les capitaines commandant conservent
sous leur responsabilité une partie de la préparation et qu’ils sont chargés de contrôler
périodiquement le travail de leurs sous-officiers. L’organisation des pelotons d’élèves sous-
officiers est plus régulière, les corps de troupe arrivent à en mettre sur pied deux ou trois par
an, ce qui leur permet d’attribuer 50 à 60 diplômes et de disposer ainsi d’une bonne ressource
pour choisir leurs maréchaux-des-logis du contingent.
Pour les spécialistes, des stages de formation de remise à niveau sont également
instaurés au différents échelons de commandement tant pour ceux de la filière administration
que pour ceux de la filière technique. Malgré cela, les besoins en spécialistes ne sont toujours
pas satisfaits, notamment pour les comptables et les dépanneurs. Pour pallier ces manques, les
appelés sont souvent mis à contribution selon leur emploi civil ce qui affaiblit d’autant les
pelotons de combat.
Les changements de structure des régiments en Algérie obligent les CI auxquels ils
sont abonnés à changer de plus en plus le type de matériel sur lequel ils instruisent leurs
recrues781. Mais, les CI, qui doivent être prévenus avec un délai de 5 mois pour pouvoir
s’organiser en conséquence, souffrent des à-coups des réorganisations qui ont de fâcheuses
répercussions sur l’alimentation en recrues des corps. Les recrues qui sont livrées aux
régiments ne correspondent plus forcément à leurs nouveaux besoins, ce qui oblige les chefs
de corps à organiser des cycles d’instruction technique en Algérie. En outre, la suppression du
plan Montpensier IV met les régiments EBR en difficulté. Des équipages de remplacement

781
La disparition des AM M8 du 16e RD entraîne la suppression de ce matériel au 2e RH.

282
sont donc formés dans l’urgence782. Le retour en métropole de certains régiments entraîne
également un allégement des tâches pour leur CI de rattachement, voire leur dissolution
comme c’est le cas du 5e RC783.
A partir de mai 1962, en prévision de la disparition des unités 107 de l’ABC,
l’instruction dans les CI s’oriente prioritairement vers les qualifications blindées. En juillet
1962, les CI ne sont plus que 8, dont le CIABC de Carpiagne qui vient d’être mis sur pied. Au
fur et à mesure des retours en France, les régiments maintenus assurent eux-mêmes la
formation de leurs recrues.
A la fin de l’année 1962, les régiments de la force d’ « apaisement » reprennent le
rythme quasiment normal d’un régiment du temps de paix dont la préparation opérationnelle
est l’activité principale. Du reste, leur garnison est choisie prioritairement en fonction des
possibilités d’instruction qu’elle offre.

782
SHD/Terre, 1 H 1875.
783
SHD/Terre, 6 T 577.

283
284
CHAPITRE II

L’adaptation des matériels blindés, un problème qui trouve des


solutions trop tardivement

I. Les priorités dans le domaine de l’équipement inversées

11. Un parc d’engins blindés hétéroclite dont la rénovation est mise en


péril

En 1954, l’ABC ne compte pas moins de dix modèles principaux de chars ou


d’automitrailleuses (AM). Cette grande diversité représente de nombreux inconvénients. Le
principal est que cette diversité gêne la revalorisation et le maintien en condition du matériel.
Celui qui date de la Seconde Guerre mondiale demande des efforts importants à tous les
échelons et, surtout, un approvisionnement en pièces détachées de plus en plus volumineux
que les constructeurs sont de moins en moins en mesure de fournir. Ce problème est d’autant
grave que le roulement des contingents, qui se succèdent tous les 6 mois et dont la qualité est
très inégale, fait souffrir les engins, ce qui entraîne une usure anormale, surtout des matériels
les plus anciens. En outre, à cause du nombre élevé des types de matériels, l’instruction des
cadres et des spécialistes est plus compliquée et plus lourde à organiser.
Face à cette hétérogénéité des matériels, l’ABC souhaite faire des efforts de
standardisation en réduisant le nombre des types de blindés et en ferraillant les plus anciens
d’entre eux. Mais le besoin important en engins blindés pour l’Algérie va mettre à mal cette
politique. L’ABC rentre en guerre avec un parc blindé déjà usé que les nouveaux matériels
(EBR et AMX 13) ne remplacent que très progressivement et, face aux nouveaux besoins
opérationnels, que très partiellement.
A la fin de l’année 1954, l’équipement de l’ABC s’apprête à connaître une grande
évolution. Neuf ans après la fin des combats en Europe, elle continue à chercher des solutions
aux nouveaux problèmes tactiques auxquels elle est confrontée. Les orientations en matière
d’emploi et d’organisation qui ont été prises dans les années précédentes, commencent à
porter leurs fruits. Bien que celles-ci répondent plus aux besoins d’un conflit de haute
intensité, les unités en tireront le meilleur profit au cours de celui qui s’ouvre en Algérie.

285
Réciproquement, les enseignements qui en seront tirés et les expérimentations qui y seront
menées, alimenteront la réflexion sur l’emploi des blindés sur le théâtre européen.
La mobilité repose sur deux facteurs essentiels, qui permettent aux chefs de conserver
leur liberté d’action. Tout d’abord, il faut des matériels modernes permettant d’allier à la fois
une forte puissance de feu et une bonne mobilité. Ensuite, il faut des transmissions
performantes qui seules permettent une coordination des moyens quand la zone d’engagement
est vaste ou que le relief est découpé. Or la technologie des années 40 ne permet pas de
réaliser un bon compromis : les chars qui ont une bonne puissance de feu sont trop lourds et
ceux qui ont une bonne mobilité ne disposent pas d’une artillerie suffisamment performante.
Pour le théâtre européen cela doit se traduire par la conception et la réalisation du char de 25
tonnes, que l’ABC considère comme prioritaire dans la « politique en matière d’engins
blindés »784. La priorité en matière d’équipement n’est donc pas donnée aux éventuels
théâtres périphériques où un tel type de char ne serait d’aucun secours. C’est pourquoi, le
commandement, qui pense que les événements d’Algérie ne dureront pas, cherche, dans un
premier temps, d’autres solutions que la conception d’un nouvel engin dédié à la contre-
insurrection.
En septembre 1955, des études sont lancées pour évaluer le comportement des engins
en Algérie, même si le commandement a conscience que cette étude est prématurée étant
donné le faible nombre d’EBR en service qui, en outre, sont utilisés depuis trop peu de temps
pour pouvoir être correctement évalués. En Algérie, seul un escadron, du 1er RSA en est
équipé et les deux autres en attendent l’arrivée. A cette époque, l’immense majorité des
escadrons blindés est équipée d’AM M8785.
L’ABC compte 227 AM M8 et 14 AM M20786 en service en Algérie. Sur ce volume, 19
sont en réserve mobilisation ou ministérielle et 11 (dont 2 AM M20) sont en indisponibilité de
longue durée. Au point de vue de l’emploi, l’AM apparaît en Algérie, par rapport à l’EBR,
plus économique, plus rustique, plus légère, moins bruyante et moins encombrante. En outre,
la puissance de feu importante de l’EBR présente peu d’intérêt dans l’emploi qui en est fait.
Enfin l’EBR, engin coûteux787 et délicat, suppose pour être correctement employé et
entretenu, d’être servi par des équipages dont la formation est beaucoup plus longue que ceux
de l’AM M8.

784
SHD/Terre, 15 T 211.
785
Il faut noter toutefois qu’il existe également un escadron mixte M24/obusiers M8 au 2e RCA et un escadron
mixte Sherman/obusiers M8 au 5e RCA.
786
Version « commandement » de l’AM M8.
787
Un EBR coute 40 millions de francs de l’époque.

286
Mais l’AM M8 est un matériel dont la fabrication a été abandonnée et pour lequel il
commence à se poser de graves problèmes de maintenance et de réparation (en septembre
1955, en Algérie, 48 engins sont en attente de pièces, dont les 11 cités plus haut)788. Une
solution doit donc être rapidement trouvée pour régler la question des équipements. Sur
19 000 engins en service dans l’ABC (en comptant les half-tracks et les scout-cars), 5 000
seulement sont adaptés à un conflit moderne. Le reste représente une masse de matériels
périmés et usés maintenus difficilement en service pour répondre aux besoins de l’Algérie.
En octobre 1955, le gouvernement donne la priorité en matière de Défense nationale
au rétablissement de l’ordre en AFN. Pour bon nombre de régiments, qui sont encore équipés
de matériels lourds, cela implique un changement de matériel pour se doter de véhicules
légers et rapides. La priorité n’est plus ni à la protection, c'est-à-dire au blindage, ni à la lutte
anti-char, c'est-à-dire à une artillerie précise et de longue portée. Cette nouvelle orientation
remet en cause la politique d’équipement qui doit permettre de faire face à une guerre
conventionnelle et atomique, mais sans qu’elle soit abandonnée totalement toutefois. Mais
elle arrive à un très mauvais moment car les chars américains Patton, Pershing et Sherman
doivent être remplacés rapidement. Non seulement ils sont très usés et de plus en plus
difficiles à maintenir en condition opérationnelle, mais en outre la mise au point d’une
nouvelle munition à charge creuse, et les progrès importants en matière de missile anti-char
commencent à les rendre obsolètes. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, à partir
de la fin de l’année 1955, l’intervention en Algérie semble s’installer dans la durée et que les
prévisions les plus optimistes font penser que d’ici à trois ou quatre ans les matériels légers
américains (AM M8, half-tracks ou Scout-cars), dont il est fait un emploi intensif, seront
totalement hors d’usage et non renouvelables.
Dans un premier temps, il s’agit de parer au plus pressé. La seule solution
envisageable semble être l’achat aux Américains de 300 à 400 AM M8 afin d’équiper les
unités, y compris celles qui l’ont été avec des AM M8 de la Gendarmerie qui en exige la
réintégration. Si les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent pas fournir un tel volume, il est
envisagé de demander à la Grande-Bretagne de vendre à la France des scout-cars Humber qui
ont déjà été employés en Indochine où ils ont donné satisfaction. Simultanément, il est prévu
de pousser la sortie des matériels français utilisables en guerre de surface (EBR et AMX) ainsi
que les hélicoptères dont l’ABC souhaite être dotée.

788
SHD/Terre, 1 H 2673.

287
En ce qui concerne les chars, le parc de l’Algérie semble suffisant, mais il n’est
constitué que de matériels américains, ce qui présente, en plus de son état d’usure, un autre
inconvénient. La liberté d’action du commandement est limitée par le souci de ne pas déplaire
aux Américains en utilisant du matériel OTAN hors d’Europe. En outre, le Sherman789,
comme le tank destroyer (TD) M10790, se révèlent totalement inadaptés aux conditions
d’engagement et ne sont rapidement plus utilisés en opération en Algérie. Le seul char
disponible reste donc l’AMX 13 qui commence à entrer en service. Mais la tourelle FL 10,
dont il est normalement équipé, paraît d’emblée inadaptée à un combat anti-personnel sur un
terrain très compartimenté du fait du trop faible débattement de son canon. Pour les
remplacer, le commandement envisage donc la construction supplémentaire d’AMX 13
tourelle FL 11 (avec un canon de 75 mm à v° 600791), dont seul le 2e REC est doté au Maroc à
titre d’expérimentation792. Cependant, le 4e bureau de l’EMA s’y refuse car, dans le plan
d’armement, il est prévu que seul l’EBR soit équipé de tourelle FL 11 et non l’AMX. La mise
en service d’AMX 13/FL 11 supposerait non seulement un dispositif logistique supplémentaire
mais également de remettre des tourelles FL 11 en fabrication, ce qui est absolument exclu793.

Cliché n° I/13
AMX 13 FL 11 du 2e REC à Oujda. (Cliché Musée des Blindés)

789
La seule unité de Sherman à être employée par la suite en Algérie est l’unité territoriale blindée – A 199 (ou
76e escadron territorial blindé). Cet escadron, créé en septembre 1956, est rattaché au 5e RCA. Comme les autres
UT, il devient unité de réserve en mars 1960 et est dissous le 15 avril 1961.
790
Le 17 novembre 1954, les TD du 1er escadron du 9e RCA sont remplacés par cinq AM M8, cinq M5 et cinq
half-tracks. Ce matériel provient de la mobilisation.
791
I.e. avec une vitesse initiale (v°) de 600 m/sc.
792
SHD/Terre, 31 T 5.
793
SHT/Terre, 31 T 18, BE n° 17 224/EMA/CAB du 26 octobre 1955.

288
En ce qui concerne les AM, le commandement rechigne à envoyer des EBR
supplémentaires en Algérie, car, d’une part, il souhaite conserver son potentiel blindé en
Europe et, d’autre part l’emploi de cet engin en Algérie lui paraît être un luxe. Si le conflit en
Algérie doit durer, il apparaît donc rapidement qu’il faudra mettre en service d’un nouveau
type d’automitrailleuse légère (AML) armée d’une mitrailleuse et d’un lance-grenade.
La carence d’engins blindés pour le transport de troupes, dont le programme
d’armement ne prévoit qu’un modèle chenillé794 qui n’existe qu’à l’état de prototype, pose un
autre problème qui ne trouve pas de solution. Mais, on pense qu’un camion blindé d’une
capacité d’emport de six hommes devrait suffire, car on estime que les capacités tout terrain
d’un tel engin n’ont pas besoin d’être très élevées et que cette solution permettrait de
transporter en sécurité quelques escouades d’éclaireurs pour accompagner les véhicules de
combat.
La montée en puissance des unités doit être accompagnée par celle de la chaine
logistique, qui montre des dysfonctionnements préoccupants795. Dans certaines unités, en
raison des conditions trop rapides de perception et d’embarquement, le matériel n’est pas
révisé avant l’arrivée en AFN. Il s’en suit plusieurs avaries en début de séjour. Un système de
soutien de proximité est mis en place en 1955 pour réduire les délais de réparation et
d’entretien de 3e échelon. Les 2e, 5e et 9e RCA reçoivent en renfort une compagnie du matériel
qui leur est détachée pour emploi. Les réparations sont faites rapidement et ce système donne
satisfaction.
Mais ce système ne règle pas le problème de la pénurie des pièces de rechange qui
porte déjà un fort préjudice aux opérations menées en Tunisie, où 80 % des half-tracks sont
indisponibles faute de chenilles. Des tractations avec les Etats-Unis sont en cours. Mais
contrairement à l’Indochine, le problème communiste ne se pose pas en Algérie, et ceux-ci
souhaitent surtout « redonner à l’armée française sa place de premier rang au sein de
l’OTAN »796. Le retrait des M24, qu’ils ont déjà exigé en 1954, et leur remplacement par des
AM M8, et surtout par des vieux M5, portent un grave préjudice à l’ABC car, selon
l’inspecteur, le M24 a fait preuve en AFN « d’excellentes qualités au cours des opérations et

794
Il s’agit du futur AMX 13 VTT (véhicule transport de troupes).
795
Les questions de soutien logistique on été abondamment traités dans sa thèse par Frédéric Médard : Fréderic
Médard : La présence militaire française en Algérie, entre archaïsme et modernité, aspects techniques,
logistiques et scientifiques 1953-1957, Montpellier, thèse de doctorat (nouveau régime), sous la direction de J.C.
JAUFFRET, 1999, 1353 p.
796
Jean-Charles Jauffret, recension de l’ouvrage d’Irwin M. Wall, Les Etats-Unis et la guerre d’Algérie, RHA,
n° 250, 2008.

289
étaient très appréciés des exécutants qui le regrettent. Cette mesure, bien que les raisons en
soient comprises, n’est pas sans affecter le moral des unités »797.
En juillet 1955, il insiste sur le fait que le M24 a des possibilités en tout terrain que
l’AM M8 n’a pas, et que la portée de ses armes de bord lui permet de compenser son manque
d’accès à certains chemins encaissés. En outre, l’AM M8 a une tourelle ouverte et ne dispose
pas de moyens d’observation abrités, ce qui expose l’équipage aux tirs d’infanterie qui
représentent l’unique menace lors des embuscades. C’est pourquoi il pense que la présence de
M24 aux côtés des AM M8 serait de nature à compléter les capacités de ces dernières sur un
terrain moyennement accidenté et en zone urbaine où « sa masse provoque un effet
psychologique certain »798. Le remplacement des chars M24 par des chars M5 pose en outre le
problème de l’obtention des brevets d’arme pour les sous-officiers. Pour cette raison, ils
demandent à ce que soient laissés sur place quelques M24 pour leur permettre de préparer ce
brevet. Mais le maintien, même de « quelques chars M24 » n’apparaît pas possible face aux
exigences américaines. Le résident général de Tunisie souhaite donc voir arriver au plus vite
quelques AMX 13 afin de pouvoir montrer du matériel français. L’IGABC pense que cette
disposition « aurait au point de vue politique d’excellente répercussions »799, il estime que,
comme, pour l’Algérie, des AMX à tourelle FL 11 conviendraient, mais il se heurte encore une
fois au refus de l’EMA qui avance les mêmes arguments.

12. Des choix imposés par la situation

La mise sur pied des quatre régiments blindés des divisions d’infanterie de réserve800
avec les rappelés en 1956, oblige le commandement à passer outre les réticences des
Américains, et à remettre les M24 en service en AFN. Avec ceux du 27e RD, régiment non
endivisionné affecté aux territoires du Sud, ces régiments représentent un apport de 15
escadrons, soit 165 engins. La quasi-totalité du parc des M24 se retrouve en Algérie, et sa
maintenance commence à devenir problématique : la carence en pièces détachées entraîne un
taux d’indisponibilité non négligeable qui atteint 40 à 50 % dans certains régiments.

797
SHD/Terre, 31 T 9, rapport n° 131/IGABC/701 du 11 février 1955.
798
SHD/Terre, 31 T 5, lettre n° 594/IGABC/400 du 16 juillet 1955.
799
Id.
800
Pour mémoire : 9e RH (13e DI), 8e RCC (9e DI), 10e RD (29e DI) et le 19e RCC (20e DI).

290
Cliché n° I/14
Char M24 du 3e escadron du 9e RH. Ce char rencontre parfois en Algérie des difficultés à se mouvoir en
tout terrain, comme ici lors du franchissement d’un oued. (Cliché général Guy Péret)

En somme, ce char est jugé comme particulièrement utile pour la guerre en surface,
bien que les signes de fatigue inquiétants qu’il donne demandent constamment de sérieux
efforts pour le maintenir en condition. Comme il est exclu de le remplacer par des AMX 13 FL
11, l’inspecteur général de l’armée de Terre pense qu’il faudra les faire durer jusqu’en 1960,
tant pour le corps de bataille que pour la défense en surface801.
L’armement individuel, dont sont dotées les unités de rappelés, est en quantité
suffisante pour les équiper toutes, même si il reste très disparate802. En revanche, le long
stockage « mobilisation » des matériels amènent parfois à quelques déboires. Le 17 juillet
1956, lors de son premier accrochage dans la région de Kheirane, une section de la 12e
compagnie du III/94e RI (futur 2e escadron du 18e RCC) a non seulement son poste radio qui
tombe en panne, mais aussi son FM qui se bloque. Elle ne doit son salut qu’à l’arrivée
providentielle d’EBR qui appuient son décrochage803.

801
SHD/Terre, 1 H 2376.
802
Sur l’armement individuel voir : Médard, op. cit. p. 443 - 466.
803
Jean-Pierre Legendre, op. cit., p. 29.

291
Mais la qualité du matériel n’est pas le seul problème rencontré. Les dotations prévues
par le nouveau TED ABC 021 se révèlent rapidement trop faibles en matériel radio. Pour
manœuvrer efficacement dans de grandes zones d’action, la qualité des liaisons est pourtant
essentielle. Si la portée des postes est insuffisante, les commandants d’unité doivent pouvoir
compter sur des estafettes sur motocyclette. Mais on doit y renoncer rapidement car non
seulement le terrain ne s’y prête pas, mais en plus les pertes de motards décapités par des fils
de fer tendus au travers des routes ou des pistes, sont jugées trop importantes. Jean Molineau
(brigadier-chef/trompette-motocycliste804 au 2e RSA) perd ainsi son chef de peloton, le
MDC/trompette-major Mukechtum à la fin du mois d’avril 1956. Ce dernier tombe dans un
ravin en voulant éviter un fil de fer805.

Cliché n° I/15
Jean Molineau, trompette/estafette moto au 2e RSA dans la région d’Aïn-Témouchen en avril 1956. (Cliché
Jean Molineau)

Etant données les élongations et la nature des missions, les unités blindées réclament
donc des moyens transmissions supplémentaires et plus performants. Il en va du maintien de
l’esprit dans lequel doivent manœuvrer les cavaliers. Certains chefs de corps anticipent le
problème. Le peloton transmissions du 6e RCA (TED 107) complète sa « maigre dotation
officielle par du « rab » [qu’il a pris] la précaution d’emporter de Spire »806, ce qui permet au

804
Traditionnellement, à cette époque, le peloton motocycliste est formé par la fanfare. Dans la cavalerie
d’avant-guerre, les agents de liaison étaient tous trompettes.
805
Témoignage de Jean Molineau.
806
Arnaud de Balorre, Le 6e Régiment de chasseurs d’Afrique dans la guerre d’Algérie, 1956-1962. Paris, A d B
Editions, 2007, 206 p., p. 12.

292
PC du régiment d’avoir de bonnes liaisons en amont comme en aval. D’autres unités, en
revanche se contentent de leur dotation qui est très insuffisante. C’est le cas notamment au 12e
RCA où les pelotons d’AM ne disposent pas de postes SCR 506, pourtant jugés indispensables
et qui ne sont mis en place que dans le courant de l’année. Au 21e RD, les postes SCR 300 ne
permettent pas d’établir une liaison satisfaisante entre les escadrons, et doivent être remplacés
par des SCR 694. Les études montrent que les régiments blindés doivent être dotées, à
l’échelon régimentaire, de trois SCR 506 (ou de deux SCR 506 et un ANGRC 9), au lieu des
deux SCR 506 pour pouvoir permettre aux escadrons de s’essaimer sur de grandes distances.
A l’échelon escadron il apparaît indispensable de doter les pelotons d’AM de deux postes SCR
506 au lieu d’un seul, et les pelotons portés d’un ANGRC 9 afin qu’ils restent toujours en
liaison avec leur chef lorsqu’ils opèrent à des distances supérieures à la portée de leur poste
SCR 300 dont les possibilités sont relativement limitées dans le djebel807. Un effort dans le
domaine des transmissions sera consenti tout au long du conflit. Mais il ne peut rien contre la
vétusté de certains postes américains qui les rend de plus en plus sujets à des pannes
fréquentes. Les postes de la série 510-508 et 528, qui fonctionnent mal et ont une portée jugée
insuffisante, seront progressivement retirer du service et remplacés par des postes plus
performants. Du reste, progressivement, à part le SCR 506, beaucoup ne sont plus utilisés du
fait de leur manque de fiabilité. Il est décidé, dans l’attente de la mise en service des AN/VRC
12, qui n’est prévue qu’en 1963, de rénover les SCR 508 et 399 qui équipent les engins
blindés. Le SCR 506, en revanche ne sera remplacé à partir de 1961 par l’AN/VRC 9.
Dans le domaine du renseignement, des nouveaux matériels modernes commencent à
faire leur apparition. Un radar terrestre est en expérimentation au 6e RSM. Il donne la
possibilité de repérer, de rejoindre et d’anéantir en pleine nuit une troupe de l’ALN cheminant
à pied à une distance de vingt kilomètres en terrain ouvert808. Il est prévu également de mettre
en service des matériels d’observation nocturne d’infrarouge actif, matériel qui est déjà en
dotation dans d’autres armées occidentales mais qui n’est toujours pas entré en service en
France809.
Les appuis feu de l’infanterie débarquée souffrent de l’absence d’armes à tir courbe.
Les mortiers mis en dotation s’avèrent difficiles à transporter et trop longs à mettre en
batterie. Dans les escadrons blindés, ils sont laissés au poste dont ils assurent la défense fixe.
Seul, l’obusier M8 répond bien au besoin d’accompagnement sur le terrain car son canon est

807
SHD/Terre, 31 T 5.
808
SHD/Terre, 7 U 996*.
809
SHD/Terre, 1 H 3782.

293
bien adapté au tir anti-personnel. Mais les exemplaires encore en dotation sont
« mécaniquement hors service » sauf à de rares exceptions, et se déplacent difficilement. La
solution semble avoir été trouvée par les quelques régiments qui disposent de mortier de 120
mm qu’ils ont adaptés à l’AM M20810. Mais cette initiative ne fera pas florès car pour être
efficace, un tir de mortier suppose d’avoir des vues sur l’objectif, ou d’être réglé par un
observateur à l’avant ce qui, étant donnée la rapidité des accrochages, est très rarement le cas.
Toujours dans le domaine de l’appui, il s’avère qu’au cours des combats qu’ils livrent
en Algérie, les engins blindés font beaucoup plus usage de leur armement secondaire que de
leur armement principal. L’appui des unités se fait surtout avec les mitrailleuses de bord (7,5
mm, 7,62 mm et 12, 7 mm) ce qui entraîne une grande consommation de munitions de petit
calibre. Or, les unités de feu (UF) des unités blindées sont calculées pour répondre aux
besoins en munitions d’un combat de haute intensité, donc à un usage intensif de leur
armement de gros calibre mais peu important de leur armement secondaire. Le type de
missions que doivent remplir les unités blindées en Algérie rend donc la situation en munition
de petits calibres critique811. Les états-majors, qui n’ont pas anticipé ce nouveau phénomène,
voient leurs prévisions bouleversées et doivent inverser leurs priorités en matière de
ravitaillement en munitions.
Mais ce qui paraît le plus préoccupant dans le domaine de l’équipement est la situation
des matériels blindés qui, à la fin de l’année 1956, est jugée alarmante par l’IGABC. La plus
grande partie des engins blindés légers et des véhicules tout terrain de fabrication américaine
est à bout de souffle. Ceux qui sont encore opérationnels sont employés de façon très
intensive et commencent à présenter des signes d’usure. Seuls l’AMX 13 et l’EBR donnent une
note positive au bilan tiré sur les matériels, mais ils ne comblent qu’une très faible partie des
besoins de l’ABC qui a besoin d’être modernisée d’urgence.
Avant 1955, il semblait que l’AMX sortait plus vite que l’EBR de l’ère des maladies de
jeunesse. Mais, en 1955, il faut déchanter. Il apparaît en fait que sa fabrication n’est pas
encore au point, et que les engins sont loin d’avoir atteint la qualité que l’utilisateur est en
droit d’attendre. Les constructeurs font l’objet des vives critiques, particulièrement la firme
FCM et, dans une moindre mesure Roanne et Schneider. En outre l’expérience du 2e REC
montre que la longévité de l’AMX est trop faible dans toutes ses parties. Les moteurs n’ont
une durée de vie moyenne que de 220 heures, soit une durée d’utilisation de 15 à 18 mois. Le
régiment, qui compte 38 AMX, doit donc recevoir trois moteurs neufs par mois. L’engin fait

810
SHD/Terre, 1 H 1908.
811
SHD/Terre, 6 T 285, lettre n° 7331 EMA/3-1 du 08/08/1955.

294
également l’objet de deux autres reproches. D’une part, son poste de pilotage est jugé trop
exigu, et les pilotes, pourtant tous de petite taille, ne peuvent y demeurer très longtemps sans
engourdissement. D’autre part, l’AMX 13 à une faible capacité d’emport de munitions. Celle-
ci n’est que de 36 coups de 75, et de 900 coups de mitrailleuse seulement. En outre, la
fabrication des obus de 75 SA-50 de l’AMX 13, n’a pas suivi le rythme prévu du fait de
problèmes de mise au point de la munition812, il en résulte des retards dans la mise en service
des engins.
Aussi l’AMX, dont la mobilité est jugée très satisfaisante, est-il décevant par son faible
potentiel mécanique qui limite ses possibilités et sa fiabilité. Ces défauts n’auraient sans doute
pas de graves conséquences si les réparations étaient effectuées rapidement. Mais les corps
dotés d’AMX se plaignent généralement de l’insuffisance de l’approvisionnement en pièces de
rechange et de la lenteur des réparations. Les CI d’Orange et de la Valbonne notamment, dont
le rythme de travail est très soutenu, sont loin de disposer réellement du nombre d’engins
blindés d’instruction disponibles correspondant à leurs besoins.
Des mesures énergiques sont prises aussitôt. La Direction des Etudes et de Fabrication
d’Armement (DEFA) mène une enquête auprès des trois constructeurs, pendant le
déroulement de laquelle les livraisons sont suspendues. Il en ressort que les chars sont de
valeur sensiblement égale quel que soit le constructeur. La sévérité des épreuves de recette est
accrue et certains engins sont refusés. L’EMA estime toutefois que les fabrications et
rénovations des chars AMX en France peuvent être considérées comme « mise au point »,
mais il reconnaît que la perfection n’existera jamais. Pour régler les difficultés qu’éprouve la
Direction Centrale du Matériel (DCMAT), un effort financier est fait pour les pièces de
rechange qui sont commandées à hauteur de 40% du prix du matériel. L’EMA espère ainsi
que de nettes améliorations soient perceptibles en 1956, mais il recommande que les chars
AMX ne soient pas dispersés dans les unités pour en faciliter le soutien. Quant à la durée de
vie du moteur SOFAM, rien ne semble pouvoir être fait, étant donné la technologie de
l’époque.
En somme, l’AMX se révèle, de prime abord, peu adapté au conflit. Sa capacité de lutte
anti-personnel en limite l’emploi pour les escortes et pour l’appui de l’infanterie. Son soutien
logistique est non seulement délicat, ce qui nécessite de conserver les engins à proximité de
l’atelier régimentaire (AR) et limite la surface de déploiement des unités, mais également

812
De nombreux incidents ont fait interrompre la production : douilles fendues, mauvais sertissage. A ces
retards s’ajoute la nécessité d’honorer des commandes étrangères. SHD/Terre, 31 T 9 : note n° 7812/IGAT du 20
avril 1956.

295
disproportionné, car il suppose la mise en place d’importants moyens à l’ECS et surtout au
sein des compagnies de réparation divisionnaire (CRD). Entre 1955 et 1956, tous les
régiments qui en sont équipés laissent leurs engins dans leur garnison avant d’être envoyés en
Algérie. Ils sont soit dotés d’autres matériels, comme le 13e RD, soit cantonnés à l’utilisation
de leurs EBR, comme le 8e RH, soit, encore, ils sont mis à terre comme le 3e RC ou le 2e RD.
Mais les besoins de l’Algérie ne cessent d’augmenter. Aussi, en février 1956, il est décidé
d’envoyer le 30e RD au Maroc avec ses AMX 13. Son arrivée, en septembre, permet de libérer
le 2e REC qui est aussitôt doté d’AM M8 en provenance des États-Unis et envoyé en
Algérie813. Les AMX FL 11 sont cédés à la jeune armée marocaine.

13. Des solutions difficiles à trouver

L’aptitude de l’EBR au théâtre algérien, où il continue à être considéré comme un


produit de luxe, est également remise en cause par certains814. Les conclusions des premières
études menées en 1955 au 1er RSA, se confirment. L’EBR est effectivement un matériel qui
n’est pas rustique et qui demande un personnel qualifié pour être employé et entretenu
correctement815. En mars 1956, c'est-à-dire cinq ans après leur mise en service, les EBR ne
sont pas encore suffisamment connus par les utilisateurs. Des ouvriers de la DEFA sont
envoyés dans les régiments d’AFN nouvellement dotés de ce matériel pour donner aux
équipages les notions techniques rudimentaires qui leur font encore cruellement défaut816. En
outre, quelque soit l’adresse des pilotes, les sorties de pistes des EBR sont fréquentes. Huit
jours après son arrivée en Algérie, en août 1955, le 8e RH perd déjà l’un de ses chefs de
voiture dont l’EBR bascule dans un ravin817. En outre, l’emploi des EBR, en tout terrain
provoque une usure telle qu’elle impose une maintenance constante en pièces de rechange
beaucoup plus important que prévue. Les chefs de voitures sont sanctionnés lorsqu’ils mettent
leur engin en mauvaise posture. En juin 1956, Jean Gas, MDL au 3e RCA, prend ainsi deux

813
SHD/Terre, 6 T 576.
814
Rapport annuel de l’IGABC pour 1956 du 18 mars 1957, SHD/Terre, 31T 9.
815
En mars 1956, c'est-à-dire cinq ans après la mise leur mise en service, les EBR ne sont pas encore
suffisamment connus par les utilisateurs. Des ouvriers de la Direction des Etudes et de Fabrication d’Armement
(DEFA) sont envoyés dans les régiments d’AFN nouvellement dotés de ce matériel pour donner aux équipages
les notions techniques rudimentaires qui leur font encore cruellement défaut.
816
L’EMA estime qu’une telle mesure n’aurait sans doute pas été nécessaire si un centre d’instruction EBR avait
été mis en place plus tôt. C’est l’une des raisons qui poussent à spécialiser les CI.
817
Robert Alazet, Le 8e régiment de hussards, souvenirs et anecdotes (1793-1993), Maison Lafitte, chez l’auteur,
s.d., 380 p., p. 223.

296
jours de consigne818 parce que, alors qu’il pleut, son EBR est « incliné sur le bas côté de la
piste »819.

Cliché n° I/16
Un EBR du 8e RH qui a fait une sortie de piste doit être tracté par câble. (Cliché Noblet
http://www.amicale-8-hussards.com/index.php, consulté le 10 février 2011)

Si, en 1956, l’EBR fait la preuve qu’il est apte à entrer en campagne, et l’expérience
d’AFN a été particulièrement révélatrice à cet égard, il reste toutefois considéré comme un
engin délicat qui exige des équipages soigneux. Il est jugé, pour l’Algérie, un peu lourd, trop
puissamment armé et surtout trop bruyant. Mais sa fiabilité n’est pas remise en cause malgré
les défauts constatés de son équipement radio820 et de son optique, qui limite l’observation.
Son principal défaut de conception vient de la position du moteur qui est placé en fond de
caisse, ce qui implique de détoureller pour y accéder. Or, l’éclatement des escadrons sur le
terrain rend l’unique Wrecker 10 t de l’ECS insuffisant. Il ressort donc que tout escadron
détaché et éloigné de sa portion centrale doit en disposer d’un. Cependant leur nombre est
critique. Seuls trois exemplaires sont attribués à la Xe RM, ainsi qu’au Maroc et à la Tunisie.
Ce n’est qu’après l’indépendance de ces deux pays que le problème est au moins
partiellement réglé par l’attribution d’un deuxième Wrecker par régiment d’EBR. Malgré les
reproches qui lui sont faits, l’EBR rend de très grands services en Algérie et le

818
Les tours de consigne sont des punitions plus légères que les jours d’arrêt où le puni est enfermé sous clef. Un
puni de tours de consigne est privé de sortie le soir, ce qui, en opération n’a pas de grandes conséquences.
819
Lemalet, op. cit., p. 87.
820
La mise au point TRVM-1, qui vient d’entrer en service, n’est encore achevée et ses organes de télécommande
ne sont pas étanches à la poussière ce qui particulièrement gênant en Algérie.

297
commandement souhaite en accélérer la production car c’est le seul engin dont la sortie puisse
permettre une redistribution des AM M8821.
Celles-ci, selon l’IGABC « restent les outils qui se rapprochent le plus des exigences
actuelles » 822. Mais elles ne sont pas exemptes de défauts. Leur faible rayon de braquage et
leur manque de capacité tout terrain en limitent parfois les capacités de mobilité. En outre,
leur tourelle ouverte et de la faiblesse de leur canon de 37 mm font qu’elles conviennent
mieux à la défense des convois qu’à l’accrochage de l’adversaire ou à la réduction d’un point
de résistance. Enfin et surtout, les engins sont très fatigués, et leur remise en service en grand
nombre en AFN pose le double problème de la maintenance de la partie automobile, et de
l’approvisionnement en munitions de 37 mm. En outre, certains engins blindés sont perçus en
mauvais état, du fait de mauvaises conditions de stockage. Toutes les AM que perçoit le 12e
RD en octobre 1956 ont des moteurs aux cylindres oxydés et sont dépourvues de leurs lots de
bord.
En juillet 1956, l’arrivée de 250 AM M8, en provenance des Etats-Unis, permet à peine
de faire face aux nouveaux besoins en matériels engendrés par la nouvelle organisation des
régiments d’AFN823. Le nombre des engins est toujours trop faible pour répondre à tous les
besoins, alors que les EBR sortent très lentement des usines pour les remplacer.
Les transports d’infanterie blindés (half-tracks et scout-cars) sont également à bout de
souffle, et le transport de troupe blindé sur châssis d’AMX 13 qui doit les remplacer n’existe
toujours qu’à l’état de projet, et n’est absolument pas adapté à la contre-insurrection. Le
commandement espère quand même le voir entrer en service rapidement pour pouvoir
envoyer en Algérie les engins américains dont il prendra la place en France et en Allemagne.
Le half-track reste en effet le seul transport de troupe à peu près adapté à l’Algérie.
C’est un matériel robuste, sauf pour le train de roulement. Il a toutefois le défaut d’être lent et
surtout bruyant. Il commence à être remplacé par des camions blindés à partir de 1957. Mais
le half-track est finalement conservé car, d’une part le nombre de camions nécessaires est trop
élevé et, d’autre part, il a des atouts supplémentaires en termes de protection et d’évolution en
tout terrain. Ce matériel est du reste apprécié pour sa rusticité et sa fiabilité. Martial de La
Quintinie, maréchal-des-logis-chef en 1957 au 1er escadron du 6e RC à Chéria en témoigne. A
son arrivée à l’escadron, il demande à servir sur half-track comme SOA de peloton porté. Non
seulement les missions des pelotons portés lui semble plus intéressantes que celles des AM

821
SHD/Terre, 31 T 19.
822
Id.
823
SHD/Terre, 6 T 576.

298
qui ne font pratiquement que du bouclage et des escortes, mais surtout il sait pouvoir compter
sur un meilleur taux de disponibilité des half-tracks qui peuvent plus facilement être réparés, y
compris par du « bricolage »824. Le seul réel problème que présente cet engin est la pénurie de
chenilles de rechange. Au 16e RD, 25 % d’entre eux sont indisponibles pour cette raison825.
Mais le nombre des half-tracks est limité. Pour doter les unités d’AFN de cet engin, l’ABC
doit puiser dans la dotation de celles de France et d’Allemagne dans lesquelles, même les
camions tout chemin de servitude font défaut. Au début de l’année 1957, l’ABC est arrivée au
maximum de ses possibilités dans le domaine du matériel.
L’urgence est le remplacement des AM M8, dont la durée de vie est également estimée
à trois ou quatre ans par le bureau « armement et études » (ARMET), par une nouvelle
automitrailleuse « de police ». Des études sont lancées en vue de sa réalisation par la
commission de l’ABC en janvier 1955826.
Celle-ci commence par constater que la guerre en surface, « tenue à l’origine pour une
forme inférieure », est devenue « la forme essentielle d’un certain nombre de conflits
importants »827. Mais curieusement, elle semble découvrir l’ampleur que peut revêtir cette
forme de guerre : « les formations modernes classiques se sont révélées inadaptées à la
guérilla » dans laquelle elles s’opposent « à des troupes de structure tout à fait nouvelle et
baptisées selon le cas : rebelles, fellaghas, hors-la-loi, partisans, etc. » La commission estime
que pour vaincre cet ennemi, « insaisissable quand il n’a pas la supériorité numérique locale,
il faut (…) disposer de moyens d’intervention très rapides et non liés aux routes ». Des raids
sont également estimés nécessaires pour le surprendre, à condition que la mise en place ne
s’effectue pas par les axes routiers. Elle estime que la création d’une nouvelle automitrailleuse
est rendue nécessaire « du fait de la généralisation d’une nouvelle forme de guerre : la guerre
en surface »828 qui, selon elle, pourrait même faire son apparition en Afrique noire. La
commission a bien conscience que la nécessité de disperser un minimum de forces à des
missions statiques entraîne celle de les ravitailler, or c’est bien là que réside la faiblesse des
troupes régulières : toute diminution dans les besoins des troupes engagées diminue la
vulnérabilité du système de ravitaillement, de même que toute réalisation dispensant les
convois d’emprunter les routes. La commission en tire la conclusion que le facteur principal
du succès réside dans l’allégement des unités qui doivent être mobiles et s’affranchir d’un

824
Témoignage de Martial de La Quintinie.
825
SHD/Terre, 1 H 1905.
826
SHD/Terre, 31 T 9, minute n° 11/IGABC/360 du 5 janvier 1955.
827
Id.
828
SHD/Terre, 31 T 5.

299
soutien logistique trop important. Les blindés doivent donc réduire leur blindage au profit de
leur mobilité. C’est à partir de ce constat que sont lancées les études qui aboutiront à la mise
en service de l’AML 60.
En février 1956, l’inspection de l’ABC rend ses conclusions. Elle transmet une fiche
d’expression de besoins au colonel Doin, chef du bureau de l’ARMET qui les présente le 1er
mars 1956 aux représentants de l’état-major de l’armée829. Le colonel Doin souscrit aux
arguments selon lesquels, d’une part la durée de vie des AM M8 ne devrait pas dépasser trois
ans et, d’autre part, que, selon les enseignements tirés des premiers mois d’opérations, les
EBR ne peuvent pas les remplacer car ils se révèlent trop coûteux et surtout trop puissants
pour l’emploi qui en est fait en Algérie. Il conclut que seule une nouvelle AML peut répondre
à ces besoins et qu’elle doit être réalisée au plus vite.
Mais les délais nécessaires à la mise en service d’un nouveau matériel sont estimés à 6
ou 7 ans, ce qui est jugé excessif. Pour les ramener à trois ans, trois solutions sont donc
proposées :
- soit acheter des engins à l’étranger, ce qui exige des devises ;
- soit d’en fabriquer sous licence étrangère mais les industriels français s’y refusent ;
- soit de partir de projets déjà étudiés en appliquant des procédures d’urgence.
Or il se trouve que la société Panhard vient d’adresser à l’état-major une étude récente
d’un véhicule de 3 t qui se déplace à 80 km/h. Il est armé de deux mitrailleuses extérieures de
7,5 mm et mis en œuvre par un équipage de trois hommes.
Le colonel de Parcevaux, de l’EMA/3 (bureau emploi), s’oppose à ce projet avec
véhémence, il pense qu’il faut utiliser des EBR car, selon lui, cette nouvelle AM sera démodée
quand elle sortira. En outre, il pense que sa fabrication ralentira celle des EBR et des AMX
dont la mise en service est vitale pour le corps blindé/mécanisé.
Mais, il lui est répondu que ces deux engins, comme beaucoup d’engins blindés en
service, à l’exception de l’obusier M8, disposent d’un armement principal d’un débattement
en site trop faible pour se défendre efficacement dans une embuscade. C’est surtout le cas de
celui de l’AMX 13 qui est conçu pour la lutte anti-char. C’est pourquoi il est impératif de créer
un nouvel engin qui soit doté d’une arme à tir courbe.
L’argument selon lequel le financement d’un tel projet n’est pas prévu, avancé par le
4e bureau de l’EMA (finances et budget) qui se demande d’où seront tirés les crédits
nécessaires, est balayé par le colonel Doin qui se lance dans des calculs théoriques pour

829
SHD/Terre, 1 H 2673.

300
écarter cette objection. Selon lui, 20 milliards de francs sont consacrés à la construction des
blindés, ce qui revient à 2 000 francs par kilo. Donc, une AM de 4 t couterait 8 millions tout
au plus, alors qu’un EBR coûte 40 millions. La cadence de fabrication devant être de 500 à
600 engins par an, il ne faudrait que 3 milliards par an, à partir de 1958/1959, pour mener à
bien leur fabrication, ce qui est possible financièrement. Ces prévisions optimistes seront
démenties par la suite.
Sur les bases de l’expression des besoins de l’IABC, les caractéristiques de l’AM sont
arrêtées. Celles-ci doivent répondre aux besoins opérationnels de l’Algérie, mais pas
seulement, car cette automitrailleuse doit également pouvoir être employée en Europe dans le
cadre de la défense en surface, ancêtre de la DOT830. Mis à part l’absence d’inverseur, qui est
souhaitable mais non obligatoire, et la présence d’une arme à tir courbe, le concept de cet
engin fait penser à celui de l’AMD 178831 qui équipait la cavalerie d’avant-guerre :
• poids maximum : 4 t (elle doit être transportée par le Nord 2501),
• blindage : 12 mm sur tous les côtés et 15 mm pour le plancher (à l’époque, l’ALN
n’est pas équipée d’arme antichar à tir direct mais la menace des mines et pièges
est déjà bien réelle),
• équipage : 3 hommes dont 2 en tourelle de préférence832, le chef de bord sera tireur
(un équipage de quatre hommes suppose de plus grands effectifs),
• autonomie : 500 km sur route à vitesse moyenne,
• vitesse maximum : 80 à 90 km/h,
• pneus increvables, aptes à la boue, à la tôle ondulée et au sable,
• quatre roues motrices avec le même rayon de braquage que la jeep (6 m),
• franchissement d’un gué de 80 cm, si possible 1 m,
• transmissions et moteur silencieux, avec un refroidissement par air souhaitable,
• température d’utilisation : entre – 20° et + 50°,
• armement : 2 mitrailleuses de 7,62, ou 7,5 de préférence, avec 4 000 coups en
tourelle, une de 12,7 mm et, surtout, un lance-grenades d’une portée de 50 à 500
m, permettant d’atteindre un ennemi défilé, avec un emport 40 coups,

830
Voir à ce sujet : Villatoux, op. cit.
831
Automitrailleuse de découverte mise en service avant la Seconde Guerre mondiale.
832
Il n’est pas envisagé de mettre deux hommes en châssis et un seul en tourelle car l’expérience en l’Indochine
de l’utilisation des scout-cars britanniques montre qu’un deuxième homme en tourelle est indispensable pour
bénéficier d’une meilleure capacité d’observation, d’une meilleure mise en œuvre des armes de bord et permettre
la mise à terre rapide d’un membre d’équipage. SHD/Terre, 31 T 5.

301
• poste d’une portée de 100 à 200 km pour le chef de peloton, et de à 4 à 8 km pour
les AM « rang »,
• le paquetage et le lot de bord devront être allégés au maximum et l’engin devra
pouvoir emmener deux jours de réserve en eau et en vivre pour l’équipage833.
Les caractéristiques sont approuvées par le secrétariat d’Etat aux Forces armées le 23
mars 1956. Il est précisé que l’AML est destinée à des missions de guerre en surface, en
particulier pour l’AFN et les TOM, de protection des terrains d’aviation, de police et de
rétablissement de l’ordre en temps de paix. Sa silhouette devra être profilée, pour une plus
grande discrétion visuelle et son moteur peu bruyant. Le cahier des charges insiste également
sur l’excellence que doivent avoir ses possibilités d’observation, et sur sa rusticité et son
entretien facile. Une version transmissions (sans tourelle), qui ne verra jamais le jour, est
également prévue834. Ce projet prend le pas sur celui du char de 25 tonnes pour lequel aucune
décision n’est encore prise835, alors que l’entrée en service rapide de ce char était considérée
jusqu’alors comme une priorité absolue.
Mais pour l’heure, à la fin de l’année 1956, la dégradation du parc auto-chars
compromet gravement la capacité opérationnelle de l’ABC pour les années à venir. L’urgence
est donc à la reconstitution d’un parc auto-chars par la mise en service de nouveaux engins
qui puissent rendre la cavalerie apte à la guerre nucléaire, subversive ou classique. L’IGABC
compte encore une fois beaucoup sur la qualité de ses cadres pour mettre sur pied une
nouvelle ABC. En outre la nécessité de remplacer les engins à bout de souffle, lui semble être
une bonne occasion pour équiper à neuf les unités. Pour lui ces deux facteurs « créent une
situation éminemment favorable à un redressement de l’organisation de l’ABC et à la
rénovation de son potentiel de combat »836.

833
SHD/Terre, 1 H 2673.
834
Id.
835
La mise au point d’un nouvel obus de 105 à charge creuse, en 1955, permet l’allégement des tourelles. Les
études sur le char de 50 t. sont définitivement abandonnées. L’EMA pense même pouvoir transformer l’AMX 13
en char de bataille. Mais son faible blindage et l’exigüité de son habitacle interdisent, selon l’IGABC cette
transformation. Les études concernant le char de 25 t. sont donc poursuivies. (SHD/Terre, 31 T 2, lettre n°
451/IGABC/400 du 21 mai 1955).
836
Id.

302
II. Entre pis-aller et bricolage

21. Un équilibre précaire qui ne peut pas durer

Au début de l’année 1957, la situation dans domaine des matériels est toujours
préoccupante. Les engins américains continuent à s’user à grande rapidité et le parc des
véhicules tout-terrain à disparaître. En outre, l’entretien du matériel souffre du sous-effectif
chronique des unités.
Cette situation est aggravée encore par la forte pénurie des pièces de rechange qui
sévit, même si les pièces commandées fin 1955 aux Etats-Unis pour les AM M8 commencent
à être livrées. Pour les M24, en revanche, il est décidé, en mai 1957, de prélever des pièces sur
des engins stockés à Gien en attente de réforme. Pour les AMX, le problème des pièces de
rechange n’est toujours pas réglé, mais un crédit de 5 milliards est accordé en octobre 1956
pour en commander837.
L’effort pour équiper les régiments d’Algérie doit impérativement être poursuivi. En
août 1957, près de 14 000 véhicules, dont 1 200 blindés de tous types, sont livrés à la Xe RM.
Les EBR des plans d’entretien de 1956 et 1957, dotés d’un financement de 6 milliards,
commencent à être livrés en novembre 1957. En outre, de façon à réduire le taux
d’indisponibilité, il est encore prévu la mise en place en 1958 de 35 engins de maintenance
pour les 240 EBR en service. Malgré des améliorations qui lui sont apportées838 (de nouvelles
suspensions lui permettent de mieux encaisser les heurts en tout-terrain), l’EBR reste quand
même peu adapté au terrain et ne remplace pas l’AM M8 de ce point de vue là.
Le remplacement de cette dernière est donc toujours au cœur des préoccupations. Trois
cents AM Ferret sont commandées à la Grande-Bretagne. Au cours de l’été 1957, des
exemplaires (treize MK 1 et deux MK 2)839 sont mis en expérimentation au 12e RD, mais il lui
ordonné d’éviter de trop rouler car aucune pièce de rechange n’a été achetée. Il est prévu
d’équiper au cours de l’année 1958 quatre régiments, à raison d’un par trimestre, dont les
deux régiments TAP : le 18e RD (ZEC), le 1er RH (ZNC), le 13e RD (ZEA) et enfin le reste du
12e RD (ZSO) qui est chargé de former les équipages à partir de la fin de l’année 1957.

837
SHD/Terre, 31 T 5.
838
Ces améliorations, tout comme celles à venir, sont le fruit notamment des raids d’expérimentation effectués
au Sahara à la fin de l’année 1956 par le 8e RH, puis, en 1958, par le 1er REC.
839
Les MK1 sont dépourvus de tourelle, alors que les MK 2 ont une tourelle monoplace.

303
L’EAABC et 4 CI840 sont équipés de cinq engins pour former le personnel destiné à servir sur
Ferret en Algérie841. Il est prévu que les régiments soient soutenus par l’ERM de Constantine.
Mais le souci, dans le domaine des engins blindés, reste toujours le remplacement du
matériel de fabrication américaine qui n’est plus utilisable qu’au prix d’un effort considérable
d’entretien qui, en outre, ne sera efficace que jusqu’à extinction du ravitaillement en pièces de
rechange. A la fin de l’année 1957, le parc de la Xe RM est de 351 chars M24. En raison de
l’état d’usure de ces matériels, le taux d’indisponibilité dû à leur maintenance est estimé à 40
% sur une année, soit une moyenne de 140 chars indisponibles en permanence. Or, le 4e
bureau de l’EMA estime qu’il ne peut en être absorbés que 100 par les unités de réparation ce
qui allonge considérablement les délais de réparation842.
Malgré les réticences exprimées lors des premières opérations, le char M24 se révèle
excellent pour le genre d’opérations menées en AFN. Sa mobilité en montagne est très
satisfaisante à condition de suivre les lignes de crête beaucoup plus que les pistes. Les M24 du
1er RCA escaladent même les sommets du djebel Mongorno, en étant encordés les uns aux
autres, ce qui surprend des experts américains venus observer les aptitudes techniques de ce
char843. Avec ce char, la cavalerie légère blindée reste, même dans le djebel, l’arme de la
vitesse et de la surprise. D’un point de vue technique, le M24 offre en outre l’avantage, par
rapport à l’AMX, d’être plus simple à mettre œuvre, et surtout plus rustique et moins
contraignant à entretenir844 ce qui permet une sélection plus large des recrues, une formation
moins poussée des spécialistes et un gain de temps important lors des réparations.

22. L’AMX 13, un mal nécessaire ?

Cependant, l’entretien des M24 rencontre de plus en plus de difficultés que l’EMA
estime devenir à brève échéance insurmontables. C’est pourquoi, en juillet 1958, il propose à
la Xe RM de remplacer les M24 de l’un de ses régiments à trois escadrons par des AMX 13. Il
compte ainsi pouvoir disposer, grâce à ce volant de 33 M24, de suffisamment de pièces pour
entretenir le reste du parc845. Bien que le remplacement des M24 par des AMX 13 soit loin de

840
L’EAABC, qui forme les chefs de pelotons et de voitures reçoit 1 MK1 et 4 MK2. Le 8e RC (CI du 12e RD),
le 11e RC (CI du 18e RD), le CID/1er RH et le CID/13e RD reçoivent 5 MK 2.
841
SHD/Terre, 6 T 576.
842
SHD/Terre, 31 T 9.
843
Yves Salkin, « Le 1er Chasseurs d’Afrique », in Revue historique des armées, numéro spécial Arme Blindée
Cavalerie, 2/1984, 182 p., p. 129 – 139, p. 137.
844
SHD/Terre, 1 H 2050.
845
SHD/Terre, 1 H 1938.

304
faire l’unanimité, cette solution est la seule à être envisagée, par défaut, à l’époque846. Si les
AMX donnent satisfaction par leur bonne mobilité et la qualité de leur caisse, le peu d’aptitude
que leur donne la tourelle FL 10 en Algérie, en a fait limiter le nombre jusqu’alors qu’aux
deux escadrons du 2e RD, ce qui est l’héritage de la force A, et aux trois escadrons du 30e RD,
qui sont hypothéqués par la force terrestre d’intervention (FTI).
La grande longueur de son tube de 75 rend délicate sa circulation en tout terrain ou sur
piste, notamment lors du franchissement des oueds escarpés. Mais l’inconvénient principal
vient du fort débattement qu’a ce tube quand il est libéré de sa chaise de route. Il risque, avec
les secousses dues au terrain de provoquer le matage des crémaillères et les détériorations que
cela entraîne. Or, comme la chaise de route se fixe par l’extérieur, elle est systématiquement
retirée dès que le char se déplace en zone d’insécurité ce qui est pratiquement toujours le cas
en Algérie. La retirer sous le feu de l’ennemi comporterait l’inconvénient pour l’équipage de
s’exposer à ses coups. Cet inconvénient est d’autant plus fâcheux que comme la tourelle est
une tourelle oscillante847 et, de ce fait, la mitrailleuse coaxiale ne peut être utilisée qu’une fois
la chaise de route retirée. En disposition de route, l’équipage n’a donc à sa disposition aucune
arme de bord, ce qui le rend inutilisable en cas d’embuscade.
En outre, la cadence de tir de l’AMX FL 10 est très réduite avec des obus explosifs
étant données les restrictions d’emploi imposées par les fusées en service à l’époque. Ayant
été jugées trop dangereuses lors du stockage, elles doivent être vissées au dernier moment sur
l’ogive, ce qui interdit l’emploi du barillet et oblige à une manipulation supplémentaire en
tourelle qui réduit considérablement la cadence de tir. De plus, comme la fonction principale
pour laquelle ce char est conçu est la lutte antichar, ses obus explosifs sont peu efficaces
contre du personnel à terre ou faiblement protégé848, qui est le type d’adversaire principal en
Algérie. Enfin, le nombre de munitions embarquées, limité à 36 obus849 et 900 cartouches de
mitrailleuse, est jugé insuffisant dans un type de combat où les consommations de munitions
de l’armement secondaire sont élevées. Une transformation, pour doubler le nombre de
munitions de mitrailleuse emportées, semble indispensable avant de l’envoyer massivement

846
En avril 1958, il est envisagé par l’état-major de l’armée de Terre de remplacer des M 24 par des Sherman CN
76 dont il existe encore plusieurs centaine d’exemplaires en excellent état dans les centres mobilisateurs. Mais
leur tonnage élevé et leur manque de mobilité poussent la Xe RM à refuser cette solution. SHD/Terre, 1 H 2188.
847
Le canon est solidaire de la tourelle.
848
L’ARMET ne partage pas cet avis. Selon lui, « l’efficacité de l’obus explosif Mle 51 destiné au canon de 775
SA 50 est strictement la même que celle de l’obus explosif Mle 18 du canon SA 49. Les deux projectiles ont en
effet la même enveloppe et la différence du chargement en explosif est négligeable. » SHD/Terre, 15 T 24.
849
En ordre de combat, l’AMX 13 compte 15 obus dans la soute de la caisse et 21 en tourelle, dont 12 dans le
barillet.

305
en Algérie850. Du point de vue de l’emploi, le faible débattement en site du canon (-
6°/+13°)851, conçu pour le combat antichar lui interdit de traiter des objectifs situés en
hauteur, ce qui limite ses possibilités d’appui de l’infanterie en terrain montagneux et sa
défense en cas d’embuscade. Ces restrictions techniques ont pour conséquence la faible
utilisation de leur canon par les AMX 13. A la 7e DMR, au cours des huit premiers mois de
l’année 1958, alors qu’ils sont employés à une cadence élevée dans l’Atlas blidéen et à Djelfa,
les dix AMX 13 d’un escadron n’ont tiré en moyenne qu’un obus par char et par mois, soit 85
coups de canon pour dix engins852.
En outre, la mise en place des engins suppose celle également d’un dispositif
logistique d’autant plus important que l’expérience prouve que les unités nouvellement dotées
d’un matériel neuf ont besoin dans leurs débuts d’une assistance plus grande que celle prévue.

Cliché n° I/17
AMX 13 lors d’un exercice de conduite. La longueur du tube interdit à l’engin de franchir des fossés trop
étroits sous peine de « faire une carotte » (ficher le canon en terre). Sur ce cliché, on peut noter que le tube
est bloqué par sa chaise de route de façon à ne pas endommager le système d’artillerie par ses oscillations.
(Cliché de la salle d’honneur du 4e GEH/Metz).

850
SHD/Terre, 1 H 2139.
851
A titre de comparaison, le M24 a un débattement en site allant de – 10° à + 15°.
852
SHD/Terre, 1 H 1349.

306
Cliché n° I/18
L’AMX 13 étant un engin moins rustique que le M24, demande plus de soin pour son entretien. Or les
conditions dans lesquelles celui-ci est effectué dans les postes sont jugées parfois insuffisantes malgré
l’ingéniosité des équipages : en mai 1958, l’atelier du 30e RD à Montagnac, au nord de Tlemcen, n’a pas de
camion atelier, pas de chars de dépannage et aucun matériel qui lui permette d’organiser une station-
service. Ici, un pont de fortune a été construit. Historia Magazine, La Guerre d’Algérie, p. 1357.

En octobre 1958, l’EMA décide de lancer des études pour trouver des solutions à tous
ces problèmes. Il saisit notamment le bureau ARMET qui livre ses conclusions après une
rapide étude. Pour lui, l’utilisation des chars en tout terrain, canon déverrouillé et verrou de
tourelle (blocage en azimut) dégagé est réalisable à condition de respecter certaines règles
d’utilisation853. En revanche, son opinion reste réservée quant au problème des fusées des
obus explosifs dont l’utilisation ne pourra être sensiblement aménagée qu’après une étude
poussée.
Le colonel de Gastine, commandant de l’ABC d’Algérie, propose une solution plus
radicale qui consisterait à équiper les AMX destinés à l’Algérie de tourelles FL 11854. La
fabrication de ces dernières étant arrêtée, le colonel de Gastine soumet l’idée d’en prélever sur
les EBR des régiments stationnés en Allemagne en les remplaçant par des tourelles FL 10855.
Mais cette solution technique n’est pas retenue.
Cependant, le retrait du service d’une trentaine de M24 devient impératif pour pouvoir
disposer des pièces de rechange. La décision d’envoyer 33 AMX en Algérie est maintenue. Le
régiment devant en être équipé doit être choisi avec soin, en fonction du terrain sur lequel il
opère qui doit être le plus adapté possible aux possibilités de la tourelle FL 10. La question est
posée aux trois corps d’armée.

853
Il faut, selon l’ARMET, « passer en position de pointage hydraulique, après avoir mis en route le moteur de
tourelle, et que le pilote conduise volet fermé, jusqu’à ce que le dispositif de protection adopté ait été
effectivement mis en place sur tous les chars. » SHD/Terre, 15 T 24.
854
La tourelle FL 11 dispose d’une mitrailleuse coaxiale, approvisionnée à 2 250 cartouches.
855
SHD/Terre, 1 H 1349.

307
Le CA d’Alger, pour sa part, estime que, étant données ses caractéristiques, l’AMX 13
ne peut être employé efficacement que dans des terrains permettant des tirs lointains, c'est-à-
dire la plaine de Chelfa et la région des Hauts-Plateaux. Il peut alors lui être confiées des
missions de destruction d’objectifs précis (grottes, mechtas) ou des patrouilles sur des
itinéraires étant donné la protection que lui confère son blindage qui est son seul véritable
atout856.
Le colonel de Gastine décide de répartir les AMX 13 entre deux régiments. Le CAA
ayant refusé de s’en voir attribuer, les engins sont attribués à un régiment du CAC, le 16e RD
(Aïn-Beida, ZEC) qui recevra deux escadrons, et à un régiment du CAO, le 2e RSA
(Mostaganem, ZNO) qui recevra le troisième857.
Le choix du 16e RD se justifie par le fait qu’il dispose de conditions favorables de
terrain sur les hauts plateaux de la région d’Aïn-Beida. En outre, ce régiment est entièrement
aux ordres de son chef de corps ce qui facilite l’entretien des engins. Enfin, le rattachement
logistique est acceptable car le régiment n’est qu’à 120 kms de Constantine, ville à laquelle il
est relié non seulement par la route mais également par le chemin de fer. Le choix du 2e RSA
est de toute autre nature. Le fait que le terrain du secteur de Mostaganem se prête
effectivement bien à l’emploi d’AMX 13, n’a pas été le seul critère retenu. Le 2e RSA est le
régiment organique de reconnaissance de la 5e DB. Or, il doit normalement être composé de
trois escadrons d’EBR, qu’il a déjà, et d’un escadron d’AMX 13. Le colonel de Gastine voit
donc une bonne occasion de lui redonner la dotation normale d’un régiment de reconnaissance
de DB, ce qui répond bien au souci de l’IGABC de ne pas perdre de vue les impératifs du
combat en Europe.
En décembre la décision est prise. Le 4e bureau de la Xe RM demande la mise en place
des engins. Il pense, qu’une fois celle-ci effectuée, le nombre des AMX 13 en service en
Algérie sera suffisant. Cependant, il estime que si le remplacement des M24 devrait être
poursuivi, il serait indispensable, soit de remettre en fabrication des tourelles FL 11, soit de
trouver un nouvel engin capable d’appuyer l’infanterie en terrain montagneux. La
reconversion des équipages est lancée et se fait progressivement858. Les escadrons conservent
leurs M24 jusqu’en juillet 1959, date à laquelle on estime qu’ils sont devenus opérationnels
sur leur nouveau matériel.

856
SHD/Terre, 1 H 1349.
857
Le 2e RSA compte alors trois escadrons d’EBR et un escadron de M24.
858
Les deuxièmes pilotes des M24 sont affectés aux éléments de dépannage pour tenir compte de la robustesse
moins grande du matériel. SHD/Terre, 1 H 2188.

308
23. Les Ferret, une solution par défaut

L’état d’usure des AM M8 pose parfois des problèmes d’ordre opérationnel dans les
zones où l’armement de l’ALN est de plus en plus puissant comme en Kabylie où le 13e RD a
toujours le charge du sous-secteur d’Azazga et dont un quart des AM M8 est indisponible. La
charge de ce sous-secteur, qu’il doit assumer seul, paraît trop lourde pour lui car le fait qu’il
soit le seul régiment blindé dans cette zone montagneuse entraîne un usage intensif de son
matériel vétuste, qui plus est dans de mauvaises conditions. Un escadron peut parcourir
jusqu’à 3 000 km par mois en missions d’escorte de camions civils roulant lentement sur de
mauvaises routes. En outre, un peloton d’AM du régiment est détaché à 120 km auprès du
commandant du secteur de Dra El Mizan où il n’assure qu’un service d’escorte, ce qui réduit
d’autant le potentiel du régiment. Les AM M8 de ce régiment doivent donc être remplacées de
toute urgence. Il est prévu de le faire en dotant le régiment de Ferret, qui est un matériel qui
répond bien au caractère aéroporté du 13e RD.
Les Ferret, qui ont été achetées pour remplacer, au moins partiellement, les AM M8,
dans l’attente de l’entrée en service des AML, donnent satisfaction aux équipages du 12e RD
du point de vue mécanique et on attend leur mise en service avec d’autant plus d’impatience
qu’elle permettra, en outre, de libérer les M24 de quatre escadrons supplémentaires. Mais, dès
les premières expérimentations menées au 12e RD, il apparaît indispensable de doter les
pelotons de reconnaissance Ferret d’armes d’appui montées sur un véhicule de même pied,
étant donnée leur très faible puissance de feu.
Une solution transitoire est trouvée pour le 13e RD par le maintien de M24 pour faire
face à la puissance de feu de l’ALN qui s’accroît de plus en plus en Kabylie. Mais, en
moyenne, un tiers de ses M24 sont indisponibles, ce qui est une proportion d’autant plus
importante que le régiment n’en compte que 11 qui lui restent d’une sur-dotation initiale de 17
provenant de la 2e DIM et qui sont répartis dans les escadrons d’AM.
Dans un premier temps, la Xe RM projette, pour accroître la puissance de feu des
quatre régiments sur Ferret, de leur affecter un 4e escadron sur EBR en plus de leurs trois
escadrons de Ferret. Mais, en mars 1958, l’EMA s’y oppose, car, d’une part, cette solution
entraînerait un manque d’homogénéité sur le plan de la logistique et de l’aérotransport, et,
d’autre part, les disponibilités en EBR ne permettent pas d’en mettre sur pied quatre nouveaux
escadrons.

309
La Xe RM propose alors de doter chaque escadron d’une MK1, de 22 MK2 et de 17
Dodge 6 X 6. Une forte composante portée permettant l’emport d’armes d’appui. Mais,
compte tenu des besoins de l’instruction et de la maintenance, le nombre de MK2 doit être
limité à 15 par escadron. En outre, les disponibilités en Dodge 6 x 6 ne permettent de n’en
attribuer que quatre par escadron.
L’IGBAC et l’inspecteur des TAP, qui ont été consultés tous les deux, proposent que
les régiments ne soit dotés que de deux escadrons sur Ferret et de leur adjoindre un escadron
d’accompagnement et d’appui, et un escadron de M24 à titre temporaire pour satisfaire les
besoins de certaines région de l’Algérie où la puissance de feu de l’ALN s’est accrue. Ils
proposent également que le peloton de Ferret soit composé de trois groupes : un groupe
Ferret, un groupe de protection monté sur quatre jeeps et un groupe d’appui doté de mortiers
de 60 mm. Enfin, pour réduire les besoins en véhicule, ils proposent que les groupes portés
soient allégés au maximum de façon à ce que chacun d’entre eux puisse embarquer sur un
seul et même camion. En avril, l’EMA tranche. Les régiments seront à trois escadrons de
Ferret et un escadron d’appui et d’accompagnement sur jeeps comptant 12 canons de 106
sans recul répartis en trois pelotons, ce qui permet d’en adapter un par escadron859. Cette
solution lui paraît être la seule permettant à la fois de satisfaire les vœux de la Xe RM, qui est
le premier employeur, et les ressources économiques. Mais la mise en place de quatre
escadrons d’accompagnement et d’appui ne parait pas réalisable à court terme par faute de
moyens disponibles tant en matériel qu’en personnel. Seuls les régiments aéroportés (1er RH
et 13e RD) en seront donc dotés. Le 12e RD (4e division d’infanterie motorisée) conservera
son 4e escadron sur M24, et le 18e RD (11e DI) ne comptera que trois escadrons Ferret.

Cliché n° I/19
Jeep équipée d’un canon de 106 sans recul. (Cliché Musée des blindés - Saumur)

859
SHD/Terre, 31 T 9.

310
Au 12e RD, lors de l’expérimentation, l’escadron blindé est composé d’un seul peloton
porté et de trois pelotons blindés composés de cinq AM, d’un groupe de protection et d’un
groupe d’appui (mortier de 60 mm) montés sur jeeps. Mais, le fait de monter ces groupes sur
des jeeps ne donne pas satisfaction, car d’une part, l’escouade étant répartie sur deux
véhicules, il faut un conducteur pour cinq combattants et, d’autre part, les hommes ne sont pas
protégés. Ce dernier inconvénient force les AM à protéger leur groupe de protection, ce qui est
le contraire de l’effet recherché.
Mais une solution doit être trouvée d’urgence, car le manque de puissance de feu des
Ferret a une incidence non négligeable sur certaines situations locales. Avec le passage du 12e
RD sur ce matériel, la 4e DIM se retrouve sans aucun escadron de chars à sa disposition. Le
général Gambiez, commandant le CA d’Oran, s’en émeut auprès de la Xe RM. S’il convient
que la ZSO a un fort besoin en véhicules à roues, notamment pour la surveillance de l’axe
routier Tiaret - Aflou, il déplore le fait qu’elle se retrouve dépourvue d’éléments de feux
puissants tout terrain et sous blindage pour le maintien des communications dans le secteur
d’Aflou, qui est difficile, et pour participer aux opérations. Il propose donc d’échanger des
éléments du 12e RD sur jeeps contre des AMX du 30e RD. En tout état de cause, il demande le
maintien d’un escadron de M24 en attendant que les unités Ferret puisent disposer d’une
meilleure puissance de feu860. En juin 1959, le 30e RD (AMX) est donc envoyé en ZSO dans la
région d’Aïn-Sefra puis de Saïda.
Si, avant leur mise en service, les engins sont facilement équipés avec les postes radios
en service en France par l’établissement régional du Matériel d’Oran, le problème du sous-
armement semble plus difficile à résoudre. En mai 1958, il envisagé de leur monter soit une
mitrailleuse de 12,7 mm, soit un canon de 75 SR. La section technique de l’armée trouve une
solution pour pouvoir monter l’un ou l’autre de ces armements, y compris pour les MK2 dont
il faut au préalable déposer la tourelle861. Pour éviter toute augmentation du nombre total des
Ferret prévus au TED des unités, l’IGABC propose, après avoir reçu l’aval de l’inspection
des TAP, de remplacer dans chaque peloton l’une des quatre MK2 par un engin équipé d’un
canon. Le peloton se trouverait constitué ainsi par :
- une MK1 pour le chef de peloton,
- une patrouille de reconnaissance à deux MK2,

860
SHD/Terre, 1 H 1349.
861
SHD/Terre, 15 T 211.

311
- une patrouille d’appui à une MK2 et un autocanon, armé soit d’un canon de 75 sans
recul (SR), soit d’une mitrailleuse de 12,7 mm, en fonction des besoins du moment862.
Finalement le projet de transformer des Ferret en autocanon détourellée ne voit pas le
jour. A la fin de l’année 1958, le LCL Compagnon trouve une autre solution qui est moins
contraignante. Il fait réaliser par les tourellistes de son régiment (1er RH) un montage
permettant de fixer un canon de 75 SR en superstructure sans détoureller. Il pense, en effet,
que le mortier de 60 mm, qui est la seule arme dont dispose le peloton de Ferret ne peut pas
donner satisfaction. Non seulement la mise en batterie de cette arme demande trop de délais,
mais son efficacité est contestable à cause de sa faible portée et de l’efficacité relative de la
munition qui n’a d’effet que sur du personnel non abrité863.
En avril, le bureau de l’ARMET est chargé d’étudier le nouveau montage et de le
mettre en expérimentation au 12e RD. En juillet, trois engins sont équipés de canon. Les
défauts du système apparaissent aussitôt. Tout d’abord celui de l’approvisionnement qui doit
être effectué par le chef de voiture après qu’un pourvoyeur, qui peut éventuellement être le
pilote, lui a donné une munition depuis le sol. En effet, la tourelle ne peut pas emporter de
munitions qui ne peuvent être stockées, au mieux, que dans les coffres à la place du lord de
bord. Or, ce pourvoyeur ne sera pas protégé et devra s’exposer aux coups de l’ennemi. En
outre, le retour de flamme du canon en limite la hausse quand la tourelle est située entre 11 h
et 1 h sous peine d’endommager la plage arrière864. Enfin, le balourd du tube gêne le bon
fonctionnement de la tourelle en l’entraînant par son poids dans les virages ou quand l’engin
est en devers. Cela oblige le chef de voiture à remettre la tourelle dans l’axe d’observation en
permanence s’il veut faire usage rapidement de sa mitrailleuse. Or comme la tourelle se
tourne à l’épaule, cela entraîne une fatigue importante. Ce dernier inconvénient est d’autant
plus gênant que dans les missions de herse qu’effectuent le 12e RD sur le barrage-ouest,
l’usage du projecteur, couplé à la tourelle est très fréquent. Le LCL Fajeau, chef de corps du
12e RD, émet donc des réserves quant à l’adoption de ce système, il lui préfère la solution qui
consiste à monter le canon sur un camion d’accompagnement ou de trouver le moyen de
monter un canon de 37 mm sous tourelle. Les tests sont poursuivis au 13e RD en septembre.
Bien qu’aucun essai n’est été effectué en opération, ni même en tout terrain étant donné le
relief de la Kabylie, le chef de corps se dit satisfait du dispositif « Bercheny » (sic), même s’il
convient que « le déplacement de l’AM équipée du canon doit se faire tourelle bloquée dans

862
SHD/Terre, 31 T 5.
863
SHD/Terre, 1 H 2050.
864
Le cadran horaire sert à déterminer la direction du canon par rapport à la caisse. Lorsque la tourelle est dans
l’axe de la caisse, on dit qu’elle est à midi.

312
l’axe de marche, le véhicule ne peut donc utiliser ses armes (mitrailleuse et canon) qu’à
l’arrêt »865. Il suggère de n’équiper que trois engins sur les cinq que compte le peloton. Mais
la suite des expérimentations montrent un autre défaut beaucoup plus préoccupant. Le poids
du canon provoque en effet une usure anormale des freins et des verrous de tourelle. Ces
inconvénients techniques s’ajoutant aux autres déjà évoqués, en novembre, le général
Gambiez, commandant le CA d’Oran, demande à ce que ce système ne soit pas généralisé.
Les avis restent donc très partagés.

Cliché n° I/20
Ferret MK 2 du 1er RH équipé d’un canon de 75 SR à la fin de l’année 1958. C’est ce montage, dû à une
initiative du LCL Compagnon, est adopté pour les autres unités. Sur le cliché, le canon est maintenu par
sa chaise de route. (SHD/Terre, 1 H 2050)

865
SHD/Terre, 15 T 211. Bercheny est le nom de tradition du 1er RH.

313
Cliché n° I/21
Le chef de voiture s’expose pendant l’approvisionnement du canon SR. (Id.)

Cliché n° I/22
Le chef de voiture en position de tir. (Id.)

Le général Rouvillois, nouvel inspecteur de l’ABC d’Algérie, informe le général


Challe que, selon lui, les rapports d’expérimentation montrent que l’adoption d’une AM
équipée de canon par peloton donne à ce dernier l’appui feu de même pied qui lui manque et
que, d’une façon générale, les avantages de ce système l’emportent sur les inconvénients. Il
propose une solution qui consiste à autoriser le 1er RH à conserver les neuf montages qu’il a
déjà réalisés et d’en mettre le même volume dans les autres régiments en laissant les chefs de
corps libres de décider de l’opportunité de leur montage sur les AM. C’est cette solution qui
est finalement retenue.

314
Le canon n’est monté que pour remplir les missions de combat où une puissance de
feu supérieure à celle de la mitrailleuse est nécessaire. Mais ce montage n’est considéré
rapidement par les équipages que comme un pis-aller. Le système donne peu satisfaction lors
des opérations. Non seulement le canon a du ballant dès que l’on retire la chaise de route,
mais sa mise en œuvre comporte les inconvénients déjà constatés, lors de l’expérimentation,
qui sont loin d’être négligeables. Les deux plus contraignants, d’un point de vue tactique,
tiennent aux faits qu’avant de tirer, le chef de voiture doit s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacle
derrière le tube pour éviter d’avoir un retour de flamme, et que l’approvisionnement ne peut
pas être effectué sous tourelle. C’est pourquoi, le canon sans recul n’est, le plus souvent, pas
emporté en opération.
Au 1er RH, un autre système est mis en place sur certains engins. Une rampe de six
MAS 36/51 est installée à l’extérieur de la tourelle permettant de tirer des salves de grenades
anti-personnel866. Ce système, réduit à deux FLG, est expérimenté au 13e RD en 1960867.
Malgré les résultats jugés satisfaisants, il n’est pas adopté par les autres régiments.

24. La « herse » la meilleure des armes antichar ?

L’emploi des EBR, imposé en Algérie par l’absence d’un matériel plus adapté, est une
solution que certains officiers jugent de plus en plus coûteuse au regard des résultats obtenus.
Les corps appelés à l’utiliser sur les pistes des djebels, ou au rythme des missions de « herse »
le long des barrages, voient fondre rapidement leur potentiel, car ce matériel n’est pas fait
pour travailler en tout terrain et exige un entretien de plus en plus soutenu. En revanche sur un
terrain plus adapté où il souffre moins, l’EBR donne sa pleine mesure. C’est le cas de ceux du
2e RS(M) qui travaillent sur routes ou en bon terrain au Maroc, et qui ne sont indisponibles
qu’en des quantités infimes.
Une mission menée en octobre 1957 par la section de section technique de l’armée de
terre, rend ses conclusions au début de l’année 1958. Elle a étudié le comportement de l’EBR
en AFN. Il en ressort que l’ABC, du fait des problèmes rencontrés dans les CI, ne dispose
effectivement pas de suffisamment de pilotes EBR bien formés. Cependant, elle a dans ses
rangs un nombre satisfaisant de sous-officiers qualifiés pour la mise ne œuvre et l’entretien
des EBR. En revanche, tel n’est pas le cas des unités du service du Matériel, à l’exception
notable de la compagnie de réparation divisionnaire (CRD) de la 7e DMR. La 186e CRD, qui

866
Médard, op. cit., p. 457 et 591.
867
SHD/Terre, 1 H 1908.

315
soutient le CA d’Oran, n’en a même aucun. L’idée d’envoyer des cadres de l’ABC suivre des
stages de perfectionnement à Bourges ou au centre d’instruction du Matériel de Meknès, qui a
été envisagée pendant un temps, n’est pas retenue. En revanche, il est décidé de former plus
de spécialistes du Matériels sur EBR868.
Mais le manque de sous-officiers du Matériel qualifiés ne semble pas en cause dans
l’usure importante des EBR des deux régiments qui participent au service de la herse sur le
barrage-est en octobre 1958. Il s’agit du 1er REC, qui est installé dans la région de Tébessa
(ZEC) depuis le mois de mars, et du 1er RS869, qui est, quant à lui, installé dans celle de Souk-
Ahras (ZEC) depuis le mois de janvier, date de son arrivée du Maroc. Ce régiment est réparti
entre Dréa et Tébessa sur la RN 16 à l’exception du 4e escadron (AM M8) qui est implanté à
Khenchela (ZSC). Son atelier régimentaire est à Montesquieu et travaille dans des conditions
acceptables. Cependant, certains escadrons, comme le 3e, sont sous tente et ne disposent
d’aucune installation spéciale pour mener les séances d’entretien.

Cliché n° I/23
Bivouac du 3e escadron du 21e RS à Morsott au pied du « Chapeau de Gendarme » au nord de Tébessa.
(Cliché colonel R. Noulens)

868
SHD/Terre, 47 T 3.
869
Il s’agit de l’ancien 1er RSM qui prend l’appellation de 21e RS le 1er novembre 1958.

316
Cliché n° I/24
EBR du 3e escadron du 21e RS à l’entretien. (Id.)

L’usure des EBR de ces deux régiments inquiète le 4e bureau de la Xe RM qui s’en
émeut auprès de l’EMA. En partant de la durée de vie d’un EBR qui est, selon les données
expérimentales, de 30 000 km, il constate que, comme les engins parcourent en moyenne
1 000 km par mois pour assurer la herse, ce service entraîne, dans l’absolu, l’usure de 40 EBR
par an870. Si l’on en croit les annotations manuscrites figurant sur les pièces d’archives,
l’officier du 1er bureau de l’EMA en charge du dossier trouve cette présentation tendancieuse,
car elle ne s’appuie que sur l’aspect logistique. Le rédacteur écrit également en marge qu’il
pense que le problème n’est pas lié aux EBR mais au système de la herse qui selon lui est « un
moyen barbare, amélioration motorisée de la tranchée de 1915 »871. Le 1er bureau souhaite
soumettre cette étude au bureau de recherche opérationnelle pour en obtenir des réponses plus
objectives, mais cette proposition reste sans suite. Il est donc répondu au 4e bureau de la Xe
RM que si, sur le plan matériel ses affirmations semblent justifiées, elles risquent d’être mal
interprétées. En outre, la réponse précise que, sur le plan opérationnel, « un EBR avec
quelques coups de 75 par son action à vue directe peut être susceptible d’économiser le
déplacement de l’unité d’infanterie ou les nombreux obus d’artillerie qu’aurait réclamé
l’exploitation d’un simple renseignement d’AM Ferret, sans faire état des vies humaines

870
SHD/Terre, 6 T 645.
871
Id.

317
sauvegardées par la même occasion »872. L’affaire en reste là et les EBR continuent à
participer au service de la herse, faute de mieux, jusqu’au cessez-le-feu.
Des améliorations sont apportées aux EBR pour remplir au mieux cette mission de
herse. Un phare de recherche est expérimenté en mai. Cinquante EBR des deux régiments en
sont équipés. Sur certains engins, de projecteur est couplé avec l’une des deux mitrailleuses
Reibel de capot (i.e. sur la caisse de l’engin) montée en superstructure sur un mat. Cette
solution permet de disposer d’une arme anti-personnel sans qu’il y ait besoin d’une dotation
supplémentaire en mitrailleuses.
Les jeeps des pelotons de combat sont également équipées d’un projecteur. Mais,
selon Christian de Massiac, « il représente un inconvénient car le plancher est occupé par un
tapis de batteries 12 v qui surcharge le véhicule et nécessite une conduite prudente »873. Des
projecteurs sont aussi montés en couplage des 12,7 des M24 et des half-tracks. En revanche,
leur montage sur les AM M8 est techniquement plus difficile à réaliser pour un problème de
manque de place pour les batteries électriques supplémentaires se chargeant au secteur dans
les postes électriques du barrage874. Le phare doit en effet pouvoir fonctionner sans que le
moteur soit en route pour des raisons de discrétion.

Cliché n° I/25
Un EBR du 3e escadron du 1er RS (21e RS) sur le barrage dans la région de Souk-Ahras en mai 1958. Il est
équipé du nouveau projecteur de recherche. Le tireur a posé son PM MAT 49 sur les DREB875. On
aperçoit, dans le poste du pilote, dont les volets sont ouverts, un chargeur de rechange pour la mitrailleuse

872
Id.
873
Témoignage Christian de Massiac.
874
SHD/Terre, 1 H 2034.
875
Défense rapprochée d’engin blindé, il s’agit de lances pots-fumigènes.

318
Reibel de capot. Lorsque l’une des deux de ces mitrailleuses est montée en superstructure, il faut boucher
le trou qui se situe entre les jambes du pilote pour éviter que l’eau ne rentre dans le poste. (Id.)

Cliché n° I/26
Jeep d’un chef de peloton du 21e RS équipé du nouveau phare de recherche. (Id.)

III. Des matériels conçus pour l’Algérie qui arrivent trop tard

Au début de l’année 1959, la situation des blindés est si préoccupante que l’ABC
semble être en sursis. L’usure du matériel inquiète le directeur du service du Matériel. Les
véhicules sont usés au bout de trois ans ou de 30 000 km. Dans un rapport d’inspections
groupées de la 2e division d’infanterie (ZSA) daté de décembre 1959, il estime que cette usure
incombe, certes au terrain qui est difficile avec « ses pistes dures et ses djebels rocheux »,
mais surtout aux différents échelons du commandement qui, par méconnaissance, ne réservent
pas suffisamment de créneaux pour l’entretien, et aux utilisateurs qui roulent à des vitesses
excessives. Enfin, il accuse les chefs de corps qui, ne disposant pas toujours du personnel
compétent, ne s’intéressent pas à leur matériel. Il appelle donc le commandement à corriger
ces négligences876. Mais, il paraît difficile aux unités, toujours sous la pression de leurs chefs,
de ménager leur matériel en opération au cours desquelles il faut aller vite et passer partout.
Le rythme des opérations répond à des nécessités opérationnelles que personne n’arrive à
maîtriser. En revanche, tout le monde s’accorde à dire que les accidents sont les causes

876
SHD/Terre, 1 H 2188.

319
principales du vieillissement du parc, et il est demandé une sévérité intraitable dans ce
domaine.

31. Une puissance de feu toujours nécessaire

Cependant le nombre d’accidents n’explique pas tout. Les véhicules de construction


américaine, qui ont à leur actif 15 ans de service et qui ont été reconstruits en moyenne deux
fois chacun, souffrent surtout du fait que, depuis 1955, ils sont soumis à un rythme qui est
supérieur à ce qu’il serait dans un conflit classique. Le potentiel des unités qui en sont dotées
est de plus en plus aléatoire.
La solution envisagé d’envoyer des AMX remplacer les M24 semble être la seule qui
puisse permettre de résoudre, en partie les problèmes liés au soutien des M24. Pourtant,
l’AMX 13 ne peut assumer que très partiellement le rôle que joue le matériel blindé en
Algérie. Les AM et les EBR sont employés pour la sécurité des communications, ou la
surveillance des barrages, et les chars légers pour l’appui de l’infanterie en zone accidenté.
Or, en juin 1959, pour le 3e bureau de la Xe RM, l’AMX ne peut qu’assurer la sécurité
des communications car lui demander d’accompagner et d’appuyer l’infanterie en zone
difficile est presque impossible étant donné les caractéristiques techniques de sa tourelle. Son
entretien délicat constitue en outre une servitude particulièrement lourde qui est
disproportionnée par rapport au rendement qu’il peut avoir dans les missions de sécurité des
communications.
L’EMI pense en outre que la Xe RM est déjà largement dotée en AMX pour remplir les
missions où sa présence est indispensable. Celles-ci se limitent aux éventuelles interventions
au Maroc et en Tunisie qui sont planifiées pour le cas où elles seraient nécessaires. Pour lui,
seul l’accomplissement de ses missions justifie la présence d’AMX dans ses rangs. Or, pour
mener à bien ces missions, le volume qu’il estime nécessaire est celui d’un seul régiment
AMX complet pour la FTI, ou une éventuelle intervention au Maroc, et d’un ou deux
escadrons dans un autre régiment pour une éventuelle intervention en Tunisie. Or, en juin
1959, la Xe RM dispose déjà de deux régiments complets d’AMX (2e et 30e RD), des deux
escadrons du 16e RD, d’un escadron au 2e RS et d’un autre dans un régiment d’infanterie de
Marine. Pour l’EMI, l’Algérie est donc largement excédentaire par rapport à ses besoins
exprimés et il n’y a aucune possibilité d’emploi supplémentaire pour ce matériel.

320
Malgré l’avis de l’inspecteur de l’ABC qui défend l’AMX et croit possible d’améliorer
son rendement à peu de frais, le 3e bureau de l’EMI souhaite refuser les AMX, au fur et à
mesure que les M24 devront être reversés quand leur soutien ne pourra plus être assuré. Il
pense pouvoir les remplacer dans les régiments n’appartenant pas aux divisions OTAN par
des escadrons portés sur scout-cars, half-tracks et Dodge 6 x 6, ce qui reviendrait à
transformer six escadrons de M24 en escadrons portés877. Certains chefs de corps partagent
également cet avis. Celui du 30e RD réclame même le reversement du matériel AMX de deux
de ses escadrons pour le remplacer par des transports de troupe, comme c’est déjà le cas au 6e
RS qui, en août 1959, stocke les M24 de son 2e escadron pour les remplacer par des scout-
cars.
Mais même les véhicules transport de troupe sont dans une situation critique. Les half-
tracks, dont certaines caisses, en Algérie, ont tendance à s’effondrer, sont considérés à bout
d’usure. Il est envisagé de les remplacer par des VTT/AMX, mais cet engin fermé est
rapidement reconnu comme inapte au théâtre algérien. Pour parer au plus pressé, on fait appel
à des camions blindés aménagés de circonstance, en attendant la réalisation d’un véritable
camion blindé. Après une première expérimentation, la société Berliet termine la mise au
point d’un camion blindé 6 x 6 mais il ne pourra être expérimenté par la DEFA qu’au 3e
trimestre 1960.
C’est pourquoi, en septembre 1959, le 4e bureau de l’EMA fait état de ses exigences
qui ne vont pas forcément dans le sens de celles de la Xe RM. Les raisons qui l’amènent à
changer les matériels blindés en Algérie ne sont pas d’ordre opérationnel. Il souhaite avant
tout diminuer le nombre d’AM M8 et de M24 dont la plupart arrivent à limite d’usure et dont
l’entretien s’avère particulièrement onéreux car les pièces de rechange font grandement
défaut. Toutes les occasions sont mises à profit pour pouvoir en récupérer. Dans certains
régiments, des engins, souvent ceux de commandement, sont immobilisés pour servir de
réserve en pièces de rechange pour les autres, et, dès qu’un engin saute sur une mine, l’AR
récupère dessus le plus de pièces possible avant de le reverser.

877
SHD/Terre, 1 H 2139.

321
Cliché n° I/27
Dépanneur du 4e RH démontant un barbotin d’un M24 qui a sauté sur une mine. La tourelle de l’engin est
« à 6 h 00 » (i.e. dirigée vers l’arrière) pour permettre le remorquage. (http://www.amicale-4e-hussards.org/,
consulté le 14 mars 2011)

Le 4e bureau de l’EMA est confronté également à un autre impératif. Il doit revaloriser


les formations blindées des 2e DIM, 4e DIM et 20e DI classées OTAN qui, ne disposant que
d’AM M8, de M24 ou de Ferret, n’ont aucune valeur en couverture extérieure sur le théâtre
européen. Il lui apparaît nécessaire également d’améliorer les conditions d’instruction en
uniformisant les matériels affectés dans un même régiment. Enfin, et surtout, il souhaite
pouvoir disposer dans les réserves, à plus ou moins brève échéance, du personnel entraîné sur
AMX qui fait pour l’heure cruellement défaut pour la mobilisation. L’EMA affecte donc
d’autorité 66 AMX 13 à la Xe RM alors que celle-ci réclame des EBR et des matériels de
transport blindés pour les cavaliers portés.
Mais ces demandes ne peuvent pas être satisfaites car le nombre de half-tracks
disponibles est toujours aussi réduit et la création prévue d’un régiment d’EBR en France ou
en Allemagne hypothèque déjà les engins qui doivent être retirés du Maroc. La solution
proposée par Paris est donc de retirer deux escadrons d’AM M8 et six de M24 pour mettre sur
pied quatre escadrons d’AMX et cinq escadrons portés. Cette solution permet d’attribuer aux
divisions OTAN un régiment d’EBR et un régiment d’AMX en tenant compte des
implantations en Xe RM selon le tableau présenté ci-dessous878 :

878
SHD/Terre, 1 H 2188.

322
Régiments Organisation des Type proposé Matériel enlevé Matériel ajouté
unités en par l’EMA
septembre 1959
16e RD 2 esc. AMX 3 esc AMX 2 esc. AM M8 1 esc. AMX
2 esc. AM M8 1 esc porté 1 esc. porté
1er RCA 3 esc. M 24 3 esc. AMX 3 esc. M 24 3 esc. AMX 1 esc. porté
1 esc. porté 1 esc. porté formé avec du
personnel de la
Xe RM
9e RH 3 esc. M 24
6e RC 2 esc. AM M8 Suivant
2 esc. M 24 propositions 3 esc. M 24 3 esc. porté
19e RCC 1 esc. AM M8 de la Xe RM
2 esc. M 24
Total (nombre 2 esc. AM M8 (22) 4 esc. AMX (44)
d’engins) 6 esc. M 24 (66) 3 esc. portés

Afin d’optimiser l’emploi des AMX, des rapports sont demandés aux chefs de corps
des quatre régiments qui en sont dotés. Il leur est demandé de comparer l’AMX et le M24 en
faisant ressortir les qualités et les défauts de chacun de ces engins. Les différentes
implantations de ces régiments permettent de couvrir la gamme des divers terrains d’Algérie,
à l’exception des dunes de sables879. Dans le rapport qu’ils rendent en novembre 1959, les
chefs de corps sont unanimes pour dire que la conception de l’AMX, engin prévu pour la lutte
antichar sur un théâtre européen, est à l’opposé de celle du matériel nécessaire en Algérie. En
outre, pour pouvoir tirer profit de sa mobilité, il doit être engagé sur un terrain favorable. Le
M24, en revanche, conçu comme char léger de reconnaissance et d’appui d’infanterie, est très
efficace par son aptitude à remplir indifféremment toutes les missions dévolues aux unités
blindées en Algérie. Il tient sa supériorité principalement à sa tourelle, dont l’armement est
mieux adapté et l’habitacle plus confortable pour des missions qui durent plusieurs jours.
Cette remarque n’avait pas échappé à la Xe RM qui, en janvier 1959, avait émis l’idée
d’équiper des châssis d’AMX 13 de la tourelle de M24880 qui est mieux adaptée au théâtre
algérien que la tourelle FL 10. Des études sont lancées. Les conclusions des rapports des
utilisateurs ont raison des réticences qu’avait alors exprimées le 3e bureau de l’EMA (études
et expérimentation)881. La direction d’étude et de fabrication des armements (DEFA) demande
un délai de huit mois pour réaliser cette opération882, mais on ne peut pas attendre. Elle est

879
Quatre régiments sont désignés : le 2e RD, d’abord stationné à Alma qui ensuite opère sur le barrage Ouest
dans la région de Souk-Ahras ; le 16e RD, stationné à Aïn-Beida, qui opère dans le Bouachi ; le 30e RD qui est
dans la région de Montagnac et opère dans les Beni-Ouarsous ; le 2e RS, à Cassaigne, opère dans la plaine du
Chelif et dans les massifs de l’Ourasenis et du Dahra.
880
SHD/Terre, 1 H 2050.
881
SHD/Terre, 15 T 211.
882
Les diamètres de fixation des tourelles de M24 et d’AMX 13 ont une différence de 10 cm, et le système de
fixation est légèrement différent. Ces problèmes sont techniquement solubles mais demandent d’importants
délais d’étude et de réalisation.

323
donc priée de le faire dans des délais beaucoup plus brefs. Il est prévu de livrer les 150
premiers AMX13/T M24 avant septembre 1960. Mais les ambitions sont revues aussitôt à la
baisse, car ces engins hybrides ne peuvent être réalisés qu’avec des tourelles des M24 achetés
sur le budget français et non avec celles des chars fournis par l’aide américaine883. Le coût de
ces modifications est estimé à un million de francs, ce qui représente une forte somme.
Cependant on pense que celle-ci sera amortie rapidement par l’économie qui sera faite sur les
munitions au bout de 150 coups seulement. En effet, les munitions de M24 proviennent des
stocks américains alors que celles de la tourelle FL 10 doivent être fabriquées. A la même
période, une autre solution consistant à envoyer en Algérie des AMX 13 équiper d’un obusier
de 105 mm est mise à l’étude. Une nouvelle tourelle est conçue par les Ateliers et Chantiers
de la Loire, qui en réalise un prototype, mais elle se révèle trop exigüe et le projet est
abandonné884.
Cependant, l’affectation de 33 AMX 13 en 1958 ne paraît pas suffisante à l’EMA qui
se refuse à attendre la mise en service des AMX à tourelle de M24 (AMX/T M24). En octobre
1959, en puisant dans la réserve ministérielle d’AMX 13, qui compte 230 chars, il est décidé
de poursuivre le remplacement des M24 par des AMX. Pour établir un certain équilibre entre
les deux frontières, il est décidé qu’en mars 1960, les trois escadrons de M24 du 9e RH, qui
opère dans la région de Tenira (ZCO) passeront sur AMX 13885.

32. Une situation critique pour les AM

Les Ferret, quant à elles, sont surtout appréciées par leur grande mobilité et leur
rusticité. Même si les régiments commencent à manquer de pièces de rechange à la fin de
1959, certains regrettent de ne pas pouvoir en disposer en plus grand nombre pour assurer les
missions d’escorte. Malgré leur faible puissance de feu, les Ferret semblent plus adaptées que
les EBR aux types d’opérations menées en Algérie. Grâce à leur faible empattement, elles
peuvent emprunter des pistes étroites, et de simples gouttières de franchissement lui
permettent de franchir une coupure qu’un EBR ne pourrait franchir sans moyen de pontage.
Mais si l’EBR, bien mieux armé, semble toujours trop puissant pour la lutte antiguérilla, la

883
SHD/Terre, 1 H 2188. Pour pouvoir disposer des tourelles des chars de l’aide américaine, il faut au préalable
obtenir l’accord de Washington ce qui non seulement nécessite des délais importants, mais semble avoir peu de
chance d’aboutir.
884
Pour le cliché de ce prototype voir : Jean-Gabriel Jeudy, Chars de France, Boulogne, ETAI, 1997, 287 p., p.
239.
885
SHD/Terre, 1 H 1349.

324
Ferret pêche cruellement dans ce domaine. Malgré le montage d’un canon de 75 SR, son
armement est toujours jugé insuffisant, d’autant plus que l’optique interdit l’utilisation
maximale de la mitrailleuse AA 52886 (7,5 mm) dont elle est équipée. En outre, dans une
patrouille blindée, des mitrailleuses de 7,5 mm seules sont jugées insuffisantes. On pense
équiper certaines Ferret d’une mitrailleuse de 12,7 mm en utilisant le montage du tourelleau
du VTT/AMX. Mais face aux difficultés techniques que cette opération demande, on doit y
renoncer.
Pour recueillir les avis des utilisateurs des Ferret, une mission d’étude est effectuée en
Algérie par un officier de l’état-major de l’IABC entre le 5 et le 11 juin 1959. Les trois
régiments qui en sont alors dotés opèrent sur des terrains quelque peu différents : le 13e RD
effectue surtout des escortes en Grande Kabylie, dans un terrain montagneux, coupé et
couvert ; le 1er RH est sur le barrage-est dans la région présaharienne de Bir-El-Ater, sur un
sol rocailleux et sablonneux ; le 18e RD, qui est également sur le barrage-est, opère dans la
région de Duvivier sur un sol argileux et souvent boueux.
Les qualités de mobilité, de discrétion et de robustesse des Ferret sont confirmées. La
résistance de sa coque à une explosion de mine se révèle même remarquable. En revanche, ses
défauts sont nombreux : manque d’autonomie (300 km), tourelle monoplace exigüe et
faiblesse de l’armement qui, de surcroit, n’est pas fiable (enrayage) et demande trop de délais
pour être réapprovisionné. Les utilisateurs sont unanimes pour déclarer qu’il faudrait à cette
AM la possibilité de tirer à courte distance un obus de type « canister », pour se dégager, ou
celle de pouvoir tirer ce type de munition jusqu’à 500 m pour dégager une autre AM prise à
parti, ou atteindre un ennemi dissimulé dans un fossé ou derrière un obstacle887.
Les conclusions tirées de cette visite conforte l’opinion que l’on a sur les
caractéristiques que doit avoir de la future AML. Les espoirs reposent donc sur son entrée en
service rapide. Mais elle doit encore faire l’objet d’études plus poussées car l’IABC y voit un
véhicule plus économique que l’EBR qui serait d’un rendement égal dans les missions
d’Algérie ou de défense intérieure du territoire (DIT)888. La mise en service de l’AML est
donc attendue avec impatience. On étudie même la possibilité d’en équiper certaines de canon
de 90 mm889 mais uniquement pour la DIT car, pour l’Algérie, le mortier de 60 mm semble
largement suffisant. Il est cependant prévu de jumeler une mitrailleuse de 12,7 mm ou de 7,5
mm avec ce mortier.

886
Arme automatique modèle 1952.
887
SHD/Terre, 31 T 9.
888
SHD/Terre, 31 T 5.
889
Cette version ne sera livrer que bien après la fin de la guerre d’Algérie.

325
En mai 1959, il est commandé dix exemplaires de présérie, mais il n’en est réalisé que
cinq qui ne sortent des usines qu’en août 1960. Cependant, l’objectif reste de pouvoir mettre
en service une cinquantaine d’exemplaire à la fin de l’année 1961890. Cet apport indispensable
paraît bien tardif et surtout peu volumineux au regard des 456 AM M8 de l’ABC qui sont en
service en Algérie en décembre 1959891. Pour n’en remplacer, ne serait-ce que la moitié,
plusieurs années semblent nécessaires. Donc, si le conflit devait se prolonger, l’ABC serait
bien en peine de maintenir un parc d’automitrailleuses suffisant.

33. Des solutions toujours transitoires dans l’attente de matériels conçus


pour l’Algérie

L’EBR, malgré sa fragilité, continue à donner satisfaction, selon les chefs de corps
dont les unités en sont équipées. Cependant, ils estiment que le prix de revient au kilomètre
par rapport à celui de l’AM M8 n’est pas proportionnel aux quelques avantages qu’il apporte
notamment la bonne protection qu’offre sa caisse contre l’effet des mines. Cette remarque est
valable également sur le barrage où l’usure des matériels blindés est sensiblement le double
de celles des matériels des régiments de quadrillage. Le taux d’indisponibilité des EBR varie
en permanence entre 10 et 30 %. Mais on espère qu’une meilleure connaissance des
possibilités et des limites de ce matériel par les employeurs, fera baisser sensiblement ce taux.
L’une de ses principales limites est due au poids important de la tourelle FL 11, dont il est
doté. Celle-ci, en l’alourdissant, diminue la stabilité de l’engin et sa puissance. L’EBR est
donc peu apte au terrain humide, au dévers et aux confins saharien où son emploi, en dehors
des expérimentations, est exclu892. Certains chefs de corps proposent d’échanger des EBR
contre des AM M8 avec la Gendarmerie893, mais la Gendarmerie s’y refuse car les EBR ne lui
conviennent pas pour remplir ses missions.
Des améliorations de la tourelle FL 11 sont envisagées pour faciliter le travail des
escadrons affectés sur les barrages. Il est étudié un dispositif lance-grenade monté en

890
SHD/Terre, 31 T 9.
891
Si l’on ajoute à ce nombre les 32 AM M8 d’instruction, les 60 des REI, les 85 des CSP et les 222 de la
Gendarmerie, le nombre total des AM M8 en usage en Algérie s’élève à 856.
892
SHD/Terre, 1 H 1349.
893
Les escadrons de Gendarmerie ont chacun un peloton de cinq AM M8. Elle dispose, en Algérie, de 220 engins
dont la tourelle a été modifiée pour en permettre la fermeture et protéger ainsi l’équipage des projectiles qui
pourraient leur être lancés.

326
superstructure et un lance-fusée éclairante adapté au DREB894. Leur mise au point est achevée
mais leur entrée en service est retardée de plusieurs mois, ce que regrettent les corps car
l’ALN extérieure accentue sa pression sur le barrage. Les actions que mène celle-ci contre le
barrage dépassent le niveau de simples « tiraillades » qu’affecte de leur attribuer le général de
Gaulle dans son discours du 5 novembre 1960. Pour augmenter la puissance de feu
antipersonnel des engins, l’IABC réclame la mise au point d’obus canister de 75 mm pour les
EBR et les AMX 13.
Le manque de Wrecker, que la dispersion des escadrons, rend encore plus sensible,
oblige toujours les ateliers à trouver parfois des moyens de substitution pour détoureller les
engins avec des moyens de fortune. En fait, l’ensemble du parc de véhicules à roues semble
avoir atteint la limite de ses possibilités. La dotation en camions tactiques des régiments, à
cheval et à pied notamment, reste insuffisante. La Xe RM, par mesure d’économie, décide de
réduire le nombre des GMC en service, ce qui entraîne, selon l’IABC, notamment au 10e RD,
le doublement du kilométrage des half-tracks. Même si le 4e bureau de l’EMA trouve cette
évaluation très exagérée, il n’en demeure pas moins vrai que la baisse du nombre des camions
entraîne mécaniquement une plus grande utilisation des half-tracks, ce qui est contraire à la
politique d’économie des kilométrages des matériels de construction américaine895.
La carence de camions tactiques pose en outre le problème de la montée en puissance
des pelotons portés des régiments EBR qui sont officiellement inscrits au TED. Pour les
former, la solution semble difficile à trouver dans la mesure où, étant donnée la vitesse des
EBR sur route, aucun véhicule n’arrive à les suivre. Comme en Algérie, la priorité est donnée
à la protection et non à la mobilité, il est donc envisagé de les doter de half-tracks par le 3e
bureau de la Xe RM, bien que ces derniers soient très usés. Pour éviter d’avoir à augmenter
leur nombre, le 3e bureau souhaite réorganiser les régiments pour faire des unités mixtes
EBR/half-tracks. Il propose d’échanger des EBR des 8e RH et 21e RS contre des half-tracks
des 25e et 28e RD. Le colonel de Gastine s’y oppose, d’une part pour des raisons de soutien,
car cette solution suppose de créer deux ateliers EBR de plus et, d’autre part, parce qu’il pense
que les half-tracks et les EBR sont d’un pied trop différent pour pouvoir être jumelés au sein
d’une même unité. Il s’oppose également à doter les pelotons portés de jeeps dont le nombre
encombrerait le commandant d’unité sur le terrain. Il pense que les pelotons portés ne peuvent
être embarqués que sur des camionnettes de type UNIMOG « S », à condition qu’elles soient

894
Défense rapprochée d’engin blindé. Il s’agit de lances pot-fumigène qui sont montés à l’extérieur de la
tourelle.
895
SHD/Terre, 8 T 87.

327
blindées896. Il est donc décidé de monter les pelotons portés sur des camions blindés bien que
cette solution, en les alourdissant, limite leur vitesse et, par conséquent leur capacité à suivre
le rythme de manœuvre des EBR. Cependant, ainsi renforcés d’une infanterie embarquée, les
escadrons d’EBR se révèlent particulièrement aptes aux missions notamment sur la herse.
En revanche, les unités équipés d’AMX897 ne peuvent absolument pas remplir ce type
de missions du fait de l’impossibilité qu’a cet engin de pouvoir utiliser rapidement ses armes
de bord y compris sa mitrailleuse coaxiale. Pour contourner cette difficulté, on étudie la
possibilité d’équiper les AMX d’une circulaire de défense rapprochée, mais aucun matériel de
ce type n’est disponible. Une étude est lancée pour leur adapter une circulaire de GMC, mais
le projet se heurte à des difficultés tant techniques que financières qui en rendent la réalisation
impossible. Le 2e RD est très gêné par ce handicap étant donné son emploi dans la région de
Négrine. Ses tourellistes trouvent une solution. Ils réussissent à monter une mitrailleuse de
12,7 mm en superstructure couplée à un projecteur en fixant le tout sur un mât en
superstructure.

Cliché n° I/28
Mitrailleuse de 12,7 mm montée en superstructure d’un AMX 13 du 2e RD en 1960. Elle est couplée avec
un projecteur pour être utilisé sur le barrage. SHD/Terre, 7 U 845.

Mais cette solution n’est qu’un pis-aller car le chef de char doit s’exposer
dangereusement pour mettre la mitrailleuse en œuvre, notamment pour tirer sur les flancs.
Malgré les avantages que représente ce système, il n’est adopté pas par les autres unités car on
compte sur l’entrée en service imminente des AMX/T M24.

896
SHD/Terre, 1 H 1349.
897
En février 1960 : trois escadrons au 30e RD, deux escadrons au 2e RD et deux escadrons au 16e RD.

328
Cependant les études visant à adapter autant que faire se peut l’AMX 13 aux conditions
d’emploi de l’Algérie, sont poursuivies. Pour utiliser les obus explosifs modèle 1951, on
installe un système de neutralisation du refouloir automatique, et des études sont lancées pour
doubler la durée de vie des moteurs898 qui, étant donné l’usage intensif des engins, se révèle
de plus en plus insuffisante. Enfin, dans le domaine du soutien, les chars AMX 13 dépannage
(M55) sont en cours de construction, mais la cadence de sortie d’usine reste faible par manque
de crédits suffisants, bien que le remplacement des M32 Recovery devienne de plus en plus
urgent. Le nouvel engin de dépannage est d’emploi plus facile, notamment celui de la grue de
levage, et son encombrement est moindre (14,5 tonnes au lieu de 38 tonnes pour le Recovery).

Cliché n° I/29
AMX 13 M 55. (Cliché Musée des Blindés)

898
On souhaite la faire passer de 220 heures à 500 heures.

329
Cliché n° I/30
Dépose moteur à l’AR du 4e RH en 1961 au moyen de la grue d’un AMX 13 M55. (http://www.amicale-4e-
hussards.org/, consulté le 14 mars 2011)

Cliché n° I/31
Char de dépannage M32 Recovery. (Cliché Musée des Blindés)

330
Cliché n° I/32
Char de dépannage M32 avec sa flèche déployée (6,40 m) à l’AR du 4e RH en 1960. (http://www.amicale-4e-
hussards.org/, consulté le 14 mars 2011)

La mise en service des AMX/T M24 apparaît être toutefois la seule solution permettant
de remplacer efficacement les M24. Elle doit être terminée en 1961 avec un total de 110
engins sur un total de 180 équipés du châssis de l’AMX. Tous les régiments de chars doivent
en être équipés à l’exclusion du 30e RD qui doit conserver ses AMX 13 en tant que régiment
de la FTI. Les 4e (ZEC) et 9e RH (ZCO) doivent être équipés par la première tranche. Mais
étant donné les délais de réalisation des engins, d’une part, et l’urgence qu’il y a à diminuer le
nombre de M24, d’autre part, il faut impérativement que l’un des deux régiments passe sur
AMX FL 10 au plus vite, le second régiment étant directement équipés de T M24 à la fin de
1960.
Comme le 4e RH est sur le barrage, c’est le 9e RH qui est retenu, bien que les M24 du
4e RH soient très usés. En outre, l’IABC fait valoir que le 4e RH doit intervenir souvent à l’est
du barrage qui est une zone particulièrement minée, or, il estime que la caisse du M24 résiste
mieux à l’effet de souffle que celle de l’AMX 13. C’est pourquoi il souhaite que ce régiment
reste sur M24 le plus longtemps possible899.

899
SHD/Terre, 1 H 1908.

331
Le 23 mai 1960, 34 AMX FL 10 sont livrés au 9e RH avec deux AMX de dépannage
M55. Les escadrons doivent être reconvertis successivement par tranche de trois semaines.
Mais une surprise désagréable attend les équipages. Dés le début, le 3e escadron, qui est le
premier à les percevoir, connaît des déboires avec ces chars stockés depuis trop longtemps.
Un char prend feu au démarrage à cause des vapeurs d’essence. A l’occasion, on se rend
compte que ni les extincteurs du char, ni ceux des chars environnants ne fonctionnent. Des
pannes se produisent au fur et à mesure du rodage, un seul char, sur les onze de l’escadron
réussit à atteindre 1 000 km sans panne. Les autres ont des problèmes de porosité des
réservoirs, leurs chenilles sont en mauvais état, des moteurs ont des fuites ou sont mal montés,
les commandes de tourelles sont grippées900. Il est décidé de revoir entièrement le matériel car
cela n’a pas été fait avant l’envoi des chars en Algérie. Un temps précieux est ainsi perdu et le
9e RH n’est équipé qu’à partir d’octobre, alors qu’il doit passer sur T M24 au début de 1961.
Etant donné son emploi, il doit être le dernier à les percevoir, après les régiments du barrage-
est qui sont jugés prioritaires : 4e RH, 2e RD et 16e RD.
De façon à pouvoir disposer de personnel formé sur tourelle FL 10 dans le cadre de la
mobilisation, il est décidé que les chars de commandement (colonel, capitaine et chef de
peloton) des unités équipées, seront des AMX FL 10, ce qui n’exclut pas de les utiliser au
cours des opérations. Chaque escadron comptera donc huit tourelles de M24 pour trois FL 10,
soit pour un régiment à trois escadrons : 24 AMX 13/T M24 pour 10 FL 10 (en comptant le
char colonel).
Les chars T M24 commencent à sortir des ateliers à partir du 15 décembre 1960, à
raison de 12 par mois. Pour 1961 il est prévu d’en mettre 88 en service. Une première
répartition prévoit d’en attribuer 24 aux 9e RH, 4e RH et 2e RD, et 16 au 16e RD. Mais, avec la
politique de réduction du nombre de chars, le 9e RH et le 16e RD perdent chacun un escadron,
ce qui libère 16 chars T M24. La Xe RM propose de les affecter à des escadrons équipés de
M24 : un du 10e RD (CA d’Oran) et un du 4e RCC (CA de Constantine), ou à deux escadrons
du 4e RCC901. Finalement, sur proposition de l’IABC, qui constate que tous les régiments du
barrage seront équipés soit de M24, soit de T M24, il est décidé d’équiper deux escadrons du
30e RD, en laissant le troisième sur AMX 13 pour la FTI.
Si l’entrée en service rapide des AMX/T M24 semble imminente à la fin de l’année
1960, ce qui permettra de régler en grande partie le problème des chars, l’entrée en service de

900
SHD/Terre, 1 H 2188.
901
SHD/Terre, 1 H 1908.

332
la nouvelle AML, malgré l’insistance du colonel Georges de Boissieu en mars 1960902, se fait
cruellement attendre. Or, c’est la seule solution qu’il y ait pour remplacer efficacement les
AM M8. On espère que le premier escadron sur AML verra le jour en Algérie au plus tôt en
octobre 1961. Il est prévu que les cinquante premiers exemplaires remplacent en priorité les
Ferret qui donnent globalement satisfaction, mais dont le nombre diminue. Le manque de
pièces de rechange a, en effet, rendu nécessaire la mise à pied de certains pelotons dont les
engins servent de réserve de maintenance et ne sont plus réparés.
De décembre à juin 1960, des prototypes d’AML sont testés en ZSO pour expérimenter
leur endurance et le service de la tourelle. Le mortier n’est pas encore tout à fait au point car
certaines pièces sont trop fragiles lorsque les relais de poudre sont trop nombreux903. Leur
nombre est limité à deux ce qui ne donne que 800 m de portée au projectile. En outre,
l’aération de la tourelle n’est pas satisfaisante et, lors des tirs de mitrailleuse avec les volets
fermés, le taux de CO2 y est trop élevé. Des modifications sont donc étudiées, mais les
cinquante premiers exemplaires n’en bénéficient pas. En raison de l’urgence qui est donnée à
leur mise en service, le commandement préfère disposer d’engins imparfaits plutôt que de
devoir attendre qu’ils soient définitivement au point904.
Etant donné son implantation à côté d’un grand port, c’est le 12e RD qui est désigné en
octobre, sur la proposition de la Xe RM, pour être équipé le premier d’AML 60. Il sera chargé
d’en mener l’expérimentation pendant trois mois par escadron sur les Hauts-Plateaux et
ultérieurement sur le barrage. Pour mener à bien cette expérimentation, il est décidé de
regrouper le plus possible les escadrons afin qu’ils soient soutenus plus facilement. Il est
demandé en outre que les AML ne soient pas engagées en opération avant un délai de 5 à 6
semaines suivant leur livraison. Pendant cette période, les escadrons conservent leur Ferret en
double dotation afin de continuer à être opérationnels. Il est décidé également que les
équipages seront formés à tour de rôle par escadron au 2e RH qui est un CI qui offre
l’avantage de ne pas être trop éloigné de la région parisienne.

902
SHD/Terre, 1 H 2188.
903
Pour permettre à la munition d’avoir une portée plus grande, on fixe des sachets de poudre dans son
empennage. Ces petits sachets sont appelés « relais de poudre ».
904
SHD/Terre, 1 H 2139.

333
34. Les nouveaux matériels entrent en service alors que commence
le retrait

En 1961, les véhicules blindés, qui représentent 8 % du parc total (4 500 engins sur 47
850) continuent à être employés de façon intensive en Algérie905. Mais, des nouvelles
directives d’emploi font évoluer les missions des unités blindées selon leur matériel de
dotation.
Les régiments EBR devront être employés en priorité sur les barrages tout comme les
régiments d’AM qui pourront cependant être employés éventuellement à l’intérieur pour
assurer la sécurité des communications, en complément des régiments Ferret dont ce sera la
mission exclusive. Les régiments de chars seront employés en priorité sur les barrages, mais
le seront également à l’intérieur pour agir dans le cadre du maintien de l’ordre, notamment
dans les centres urbains, pour participer à des opérations en tant qu’unité d’appui rapprochée
et, éventuellement, pour renforcer temporairement les unités des barrages. Les unités à cheval
seront employées sur les Hauts Plateaux ou dans le Sud. A l’intérieur il est donc prévu de
déployer un régiment d’AM ou de Ferret par zone, éventuellement deux dans les zones
difficiles ou de grandes étendue, et un régiment de chars par corps d’armée906.
Le nombre de chars est donc jugé toujours trop important car, mis à part sur les
barrages, leur utilisation se justifie moins étant donné la dilution des bandes de l’ALN dont la
puissance est fortement réduite. Les mouvements de matériels ont de plus en plus pour but de
réduire le nombre de M24, d’AMX FL 10 et de Ferret, et d’augmenter le nombre de half-
tracks pour équiper des pelotons portés en plus grand nombre.
En mars 1961, le général Gambiez estime que les unités ABC, qui sont fréquemment
appelées à intervenir à pied, doivent disposer d’un armement adapté à ce type de combat. En
outre, pour les appuyer, il souhaite que tous les engins blindés soient équipés d’une
mitrailleuse. Depuis l’année 1960, un certain nombre de pistolets automatiques (PA) et de
carabines sont remplacés par des pistolets mitrailleurs (PM) et des fusils, ce qui donne
satisfaction. Mais bon nombre de half-tracks de l’ABC ne sont pas armés, car le TED ne
prévoit de mitrailleuses de bord que pour les engins transport de troupe des groupes portés.

905
Moyenne d’utilisation mensuelle des engins dans l’ABC en Algérie pour l’année 1961 :
Jeeps GMC Dodge Half-tracks AM et EBR Chars
1 500 kms 1 800 kms 1 300 kms 800 kms 1 500 kms 25 heures

906
SHD/Terre, 1 H 1908.

334
Les engins de commandement, de dépannage ou de pionniers ne sont pas armés alors qu’ils
sont appelés souvent à se retrouver au contact. C’est pourquoi, il est décidé d’armer tous les
half-tracks des régiments ABC ou du moins de le faire dans les limites du nombre de
mitrailleuses disponibles.
Pour pallier l’insuffisance du nombre de half-tracks, il est confirmé le fait que les
unités portées (escadrons et pelotons) des régiments de blindés à roues pourront être montés
sur Dodge 6 x 6, mais que ceux des régiments équipés de blindés à chenille seront
impérativement équipés de half-tracks, éventuellement prélevés sur les secteurs. Certains
véhicules de remplacement sont toutefois toujours maintenus, soit parce qu’ils répondent
mieux aux conditions d’emploi comme au 2e RS qui a des Dodge au lieu des half-tracks
prévus par son TED, soit pour des raisons de maintenance comme au 1er RCC dont les Dodge
sont remplacés par des Renault 4 x 4, soit quand le terrain l’exige comme au 26e RD dont un
escadron 107 est transformé en escadron porté sur Dodge 6 x 6 plus adapté au Sahara.
Lorsque ces dotations, qui ont été étudiées au plus juste, ne correspondent pas aux
besoins, elles sont complétées par des dotations en matériels (Dodge, GMC, scout-cars)
affectés au titre du secteur. A la fin de l’année 1961, les unités se retrouvent donc parfois
dotées du double des camions prévus au TED, mais ce sont les conducteurs et les dépanneurs
qui font alors défaut907.
Le half-track, dont la fragilité et, surtout, le peu de longévité du train de roulement,
sont les défauts principaux, est devenu un matériel critique. La mise en place de 56 half-tracks
en 1961 permet d’équiper deux escadrons portés du 2e RD, qui sont laissés en Algérie lors du
départ du régiment, et de transformer en portés quatre escadrons blindés : un escadron M24
des 1er RCA, 5e RS et 6e RS et un escadron AMX du 16e RD. Malgré cela, les half-tracks
continuent à faire l’objet d’une vive préoccupation pour les états-majors.
Le remplacement des vieux matériels américains d’usage général par des matériels de
construction française (jeeps Hotchkiss, Renault 4 x 4 ou camion Simca) est amorcé au cours
de l’année et se poursuit lentement.
La proportion des véhicules américains continue de baisser mais, en janvier 1961, elle
est encore de 60 %908. En 1961, 200 AM M8 sont reconstruites par l’établissement régional du

907
SHD/Terre, 8 T 86.
908
Evolution de la proportion du nombre de véhicules américains en service dans l’ABC (SHD/Terre, 15 T211) :
Janvier 1957 80 %
Janvier 1958 72 %
Janvier 1959 67 %
Janvier 1960 63 %
Janvier 1961 60 %

335
Matériel (ERM) de Boufarik, et 208 blindés sont réparés dans les quatre ERM de l’Algérie.
Mais ces AM M8, qui équipent encore 43 escadrons, ne donnent pas satisfaction à cause de la
qualité médiocre des ensembles rénovés (moteur, boite de vitesse et de transfert, etc.). Les 26e
et 27e RD doivent remplacer un tiers de leurs AM M8 entre janvier et septembre 1961. En
outre, pour équiper les régiments montés d’un escadron d’AM complet, il est fait appel aux
AM de métropole.
L’armement et les postes radios les plus vétustes commencent à être remplacés par des
matériels plus modernes. L’ABC utilise 4 500 postes radios dont l’immense majorité est de
conception américaine. Une revalorisation des moyens de transmission est effectuée au cours
de 1961, les SCR 536 et 300 sont remplacés par des TRPP 8 et des AN/PRC 10.
Les chars M24 ne sont plus des engins fiables. Le manque de maintenance oblige
d’envisager rapidement la poursuite de la réduction de leur nombre dans les mois à venir.
Celui-ci passe de 246 à 190 au cours de l’année 1961 grâce à la transformation de cinq
escadrons de M24 en deux escadrons portés et trois escadrons d’AMX. Le nombre de ces
derniers passe, dans la même période de 167 à 40 avec l’adoption du TED 021 et le départ des
2e et 30e RD, qui, contrairement aux prévisions ne passeront pas sur T M24.
En janvier 1961, sur le barrage, les chefs de corps s’accordent à dire que l’EBR reste le
meilleur engin pour effectuer les missions de surveillance des barrages. Malgré un entretien
délicat, il possède trois qualités essentielles : un canon précis sous blindage dont la puissance
est suffisante, il est rapide, dispose d’un inverseur, et résiste bien aux mines de forte charge, y
compris les mines MK7. A défaut d’obus canister, on utilise des obus explosifs M48 armés de
fusées à temps qui se révèlent efficaces contre des ennemis non abrités. Mais l’emploi délicat
des ses obus en limite l’usage. Les chefs de voitures ne peuvent les employer que sur ordre du
capitaine commandant, et ils ne doivent pas les employer en cas de contact avec des troupes
amies, ce qui interdit son emploi pour appuyer l’infanterie. En octobre, le 4e bureau de l’EMI
en interdit finalement l’emploi.
Sur les six régiments d’EBR stationnés en Algérie, trois sont engagés sur le barrage où
ils donnent entière satisfaction. Mais la ZNEC ne dispose que d’un seul régiment. Compte
tenu de la menace qui pèse sur cette zone, dont le terrain est accidenté, l’IABC pense qu’il est
nécessaire d’y affecter un deuxième régiment, ce que les ressources de l’Algérie ne
permettent pas. C’est pourquoi il propose qu’un régiment soit équipé d’EBR pour être
implanté en ZNEC. La livraison de 27 EBR supplémentaires est donc demandée à Paris. Mais,

336
en Algérie, les besoins en maintenance sont calculés à six mois, auxquels s’ajoutent trois mois
pour la livraison, ces EBR ne seront donc jamais livrés.
L’AM Ferret est un matériel déjà fatigué dont les défauts de conception, de l’optique
notamment, commencent à se faire lourdement sentir. Le départ du 1er RH et la perception des
AML par le 12e RD permet toutefois de disposer d’un parc de maintenance suffisant pour les
13e et 18e RD.
Les cadres de l’ABC présents en Algérie ont toutefois le sentiment que le matériel sur
lequel ils servent, en général fort usé, est une charge trop lourde pour eux et ils s’inquiètent
tellement des conditions dans lesquelles le matériel blindé sera remplacé que certains s’en
émeuvent auprès du chef d’état-major de l’Armée lors d’une de ses tournées en Algérie. Le
général d’armée Houssay, major général de l’armée de Terre, rédige donc à leur intention une
note d’information visant à mettre en avant les côtés positifs des efforts qui sont consentis
pour mettre en service du matériel moderne. Il affirme que le maintien en service des vieux
matériels américains n’est qu’un pis aller mais que c’est, « compte tenu des possibilités
industrielles et budgétaires limitées, la seule solution qui puisse permettre de remplir la
mission »909. L’annonce de l’entrée en service de matériels nouveaux mieux adaptés au théâtre
d’opération donne une touche d’optimisme à cette note. Les nouveaux matériels (AML et
AMX/T M24) arrivent bien tardivement alors que l’esprit commence à être au désengagement.
En octobre 1961, le colonel de Quenetain donne de nouvelles directives à l’intention
des corps de troupe de l’ABC. Celles-ci définissent les différents types souhaitables de
régiments auxquels devra aboutir la nouvelle réforme. Il souhaite qu’elle se mette en place
progressivement à partir du début de l’année 1962, en fonction de l’arrivée des nouveaux
matériels AMX/T M24 et AML 60, tout en tenant compte des impératifs d’emploi.
Les délais d’entrée en service des AMX/T M24 sont lents car il faut changer
l’instruction des recrues de la relève, mettre en place des spécialistes dans le régiment et les
compagnies de réparation divisionnaires (CRD), réaliser l’outillage spécifique et les
maintenances, et acheminer puis roder le matériel en Algérie. Les quarante premiers AMX/T
M24 ne sont livrés qu’en mars 1961.
L’IABC insiste pour que le 4e RH soit équipé en dernier ressort, toujours en raison de
la menace des mines qui pèse sur lui. Mais le 4e bureau de l’EMA s’y oppose car
l’approvisionnement pour M24 est déjà réduit pour ce régiment et il doit les reverser
rapidement. En outre, les faibles dégâts constatés sur deux AMX qui viennent de sauter sur

909
SHD/Terre, 1 H 1908.

337
une mine, montrent que la résistance de la caisse de cet engin est aussi grande que celle de la
caisse du M24. La préférence de l’IABC devient donc sans objet, et, à partir d’avril 1961, les
trois escadrons du 4e RH passent sur AMX 13/T M24 l’un après l’autre.
Pour les deux escadrons du 9e RH, qui doit en outre transformer son 3e escadron
d’AMX en escadron porté, la mise en place est plus longue que prévue car les livraisons
d’AMX/T M24 tardent à être honorées. Seul un escadron d’AMX est équipé en mars d’AMX/T
M24, l’autre reste sur AMX 13 jusqu’en août. Le même mois, vingt-quatre autres engins sont
distribués : huit au 16e RD, huit au 1er RBIMa et huit au 21e RIMa. Le 1er janvier 1962, les 24
derniers engins de la première tranche sont distribués : seize sont attribués au 16e RD et huit
au 10e RD.
La mise en service de ces 88 engins permet de réduire de deux tiers la maintenance des
M24. L’engin donne satisfaction. Les reproches que lui font les équipages des 4e et 9e RH sont
surtout dus, encore une fois, au manque de révision des engins avant leur mise en service.
Cependant cet engin arrive bien tard. La livraison des tranches suivantes est annulée. Après le
cessez-le-feu, l’équipement des régiments de France et d’Allemagne devient la seule
préoccupation dans ce domaine, or il n’est pas prévu d’utiliser l’AMX/T M24 pour équiper ces
derniers. Les engins sont donc retirés du service au fur et mesure du départ des régiments,
quelques mois à peine après leur entrée en service.
Le 9e RH rentre en France le 24 mars 1962, il laisse un escadron de T M24 au 10e RD.
En avril, c’est au tour du 16e RD puis, en septembre celui des 4e RH et 10e RD. Certains
engins sont envoyés au CIABC de Carpaigne, où ils servent pendant quelques années à la
formation des pilotes après que le masque du tube a été remplacé par une plaque de plexi
glace.

Cliché n° I/33
AMX/T M24 du 4e RH en 1961. (Cliché Georges Brignone)

338
Clichés n° I/34
AMX/T M24 du 4e RH en 1961. On note que la tourelle est posée sur un cadre qui est soudé à la caisse. De
ce fait le défaut de tourelle de l’engin est particulièrement vulnérable. (Cliché Robert Lang, salle d’honneur
du 4e GEH/Metz)

L’autre engin spécialement conçu pour l’Algérie est également mis en service
tardivement. Les premières AML n’arrivent en Algérie qu’en septembre 1961. Le 1er octobre,
elles doivent équiper le 1er escadron du 12e RD, les autres escadrons devant l’être
respectivement en novembre 1961 et en janvier 1962. Mais la livraison ne se déroule pas
conformément au plan. En novembre, les estimations les plus optimistes n’évaluent le nombre
de véhicules livrés en première tranche qu’à 42 exemplaires, ce qui ne suffit pas à équiper les
trois escadrons. En outre, seules sont livrées des AML du type « commandement », c'est-à-dire
armées de deux AA 52 et non de mitrailleuse de 12,7 mm comme les AML dites « de
combat ».
De ce fait, le 1er escadron ne perçoit en décembre que 15 voitures lui permettant
d’équiper trois pelotons910. Le 2e escadron perçoit les 15 suivantes, en janvier. Mais il faut
attendre l’arrivée des AML de la 2e tranche, dont celles équipées de mitrailleuses de 12,7 mm,
en juillet 1962, pour que le régiment soit entièrement équipé avec les différents types d’engin.
Sitôt l’expérimentation commencée, l’AML, est jugée comme étant bien le meilleur
matériel blindé pour l’Algérie. Le commandement souhaite donc en équiper en priorité les
régiments maintenus en Algérie, d’autant plus que l’allégement progressif du dispositif doit
être pallié par un surcroît de mobilité et un accroissement de la puissance unitaire des
910
Les pelotons sont équipés de cinq AML : trois avec postes AN VRC 10 et ANGRC 9, et deux avec seulement
un poste AN VRC. Ces deux dernières correspondant aux deux AML « de combat » prévu par le TED.

339
matériels dont elles sont équipées. Mais la fin de l’expérimentation est jugée prioritaire. Le
12e RD est donc rapatrié en France le 21 août 1962 pour la terminer. L’AML, qui « a été
spécialement conçue et organisée pour les opérations de maintien de l’ordre effectuées par
les unités du quadrillage en Algérie, principalement en dehors des périmètres urbain » 911, n’y
aura donc jamais été employée. En France, il est prévue de l’utiliser dans les misions de
cavalerie légère blindée (CLB) et de défense du territoire. Une version légèrement différente
sera finalement retenue pour l’AML mortier et la version canon de 90 mm rentrera en service,
à laquelle certains donneront le sobriquet de « pot de yaourt ». En fait l’AML ne sera utilisée
que par l’armée portugaise en Angola où elle donnera satisfaction pour la lutte antiguérilla.

Cliché n° I/35
L’AML 60 telle qu’elle est mise en service en 1961. Le mortier de 60 est accouplé avec deux mitrailleuses
de 7,5 mm de chaque côté de la tourelle. (Cliché musée des Blindés Saumur)

911
SHD/Terre, 31 T 5.

340
CHAPITRE III

Les unités à cheval, le retour d’un vieux savoir-faire ?

Au début des années 1950, la place que doit tenir le cheval dans la nouvelle ABC, que
les inspecteurs successifs appellent de leurs vœux, se limite presque exclusivement à des
activités sportives ou à des services d’honneur. En 1944, il ne reste déjà plus, dans l’armée
française, qu’une brigade à cheval à deux régiments (5e régiment de spahis marocains et 7e
régiment de spahis marocains), qui termine la guerre dans la forêt Noire, un escadron par
tabor marocain et quelques unités dites de « souveraineté » restées en AFN. En novembre
1948 le nombre des unités de spahis à cheval est fortement réduit. Il ne reste, pour les services
d’honneurs, que quatre escadrons en AFN (4e escadron de spahis tunisiens à Tunis, le 6e
escadron de spahis algériens à Alger, le 9e escadron de spahis algériens à Batna et le 3e
escadron de spahis marocains à Rabat) et un groupe d’escadrons en France (7e groupe
d’escadrons de spahis algériens à Senlis) qui, comme le régiment de cavalerie de la Garde
républicaine, participe aux services d’honneur en France. En Extrême-Orient, quelques rares
petites unités participent encore aux opérations dont l’escadron monté n° 3 du régiment mixte
du Cambodge où elles rendent des services appréciables mais très limités.
En revanche, les opérations de maintien de l’ordre menées en Tunisie révèlent
rapidement tout le profit que l’on peut tirer d’unités montées opérationnelles dans une région
où les infrastructures routières sont, sinon inexistantes, du moins nettement insuffisantes. Les
unités montées permettent, en complément des unités motorisées, d’y mener à bien des
opérations de contrôle de zone grâce à leur mobilité qui est nettement supérieure à celles des
unités à pied. Pour réponde à ses besoins, en avril 1952, un deuxième escadron à cheval est
créé en Tunisie sous le nom de 8e escadron de spahis tunisiens (EST)912. En outre, au cours de
sa visite en Tunisie les 16, 17 et 18 février 1953, le général Lehr, IABC, reçoit de
l’ambassadeur de France, Résident général à Tunis la confirmation de la nécessité, pour le
commandement, de pouvoir disposer d’unités à cheval. Le Résident général insiste sur « les
services considérables rendus pendant les derniers mois par les unités à cheval qui avaient
été appelées à participer au maintien de l’ordre. Il verrait d’un très bon œil le développement

912
La tradition veut que les unités de spahis tunisiens portent les numéros 4, 8 ou 12.

341
des escadrons à cheval, actuellement réduits à deux »913. Il n’y a en effet, à cette époque, en
Tunisie que les 4e (secteurs du Cap Bon et de Gabès) et 8e (secteur du Kef - Maktar)
escadrons de spahis tunisiens914. Le général Lehr appuie favorablement toute proposition
allant dans le sens de l’augmentation de leur nombre.
Déjà, le 7e groupe d’escadrons de spahis algériens (deux escadrons) avait été envoyé
en renfort de janvier à juin 1952 (secteur de Tunis). Il y retourne de juillet à novembre 1954
(secteurs de Sousse puis de Sfax). Le 1er escadron rentre seul à Senlis le 9 novembre où il
prend l’appellation de 7e escadron de spahis algériens (ESA)915. Le 2e escadron, quant à lui,
reste en Tunisie (secteur de Kairouan) et prend l’appellation de 5e ESA916. En plus de ce
dernier, qui restera un escadron autonome jusqu’en février 1956, le nombre des escadrons
montés va s’accroître en Tunisie jusqu’à former un régiment à cheval à trois escadrons en
septembre 1954 qui prend le nom de 4e régiment de spahis tunisiens917. Au Maroc, c’est le 3e
régiment de spahis qui est remis sur pied à deux escadrons, à partir du 3e ESM en octobre
1955918.
Dès le début de la guerre d’Algérie, le choix fut fait d’engager en opérations des
escadrons à cheval autonomes rattachés pour l’administration à un régiment blindé. Le 6e
ESA, implanté à Alger, est rattaché au 5e régiment de chasseurs d’Afrique (RCA) et le 9e
ESA, stationné à Batna, au 9e RCA. Cependant ce volume est jugé rapidement très insuffisant.
Il faut donc remettre sur pied des unités opérationnelles à cheval alors qu’elles avaient disparu
de l’ordre de bataille plus de dix ans auparavant. Ce retour en arrière n’était pourtant prévu
par aucun projet concernant l’avenir de l’ABC. De ce fait, les unités à cheval, qui vont être
remises sur pied, ne bénéficient plus des savoir-faire techniques et tactiques de l’ancienne
cavalerie. Les officiers ayant fait la guerre à cheval ont atteint à cette époque des grades
d’officiers supérieurs et n’ont pas transmis leur savoir aux jeunes chefs de peloton qui vont
être engagés dans le conflit. En outre, les jeunes cadres officiers ou sous-officiers ne sont plus
formés en école pour servir dans une troupe montée919. De même, les officiers supérieurs
n’ont pas l’expérience du commandement de groupes d’escadrons ou de régiments montés. La
seule référence reste les règlements d’emploi d’avant-guerre tant dans l’organisation des

913
SHD/Terre, 31 T 9, rapport d’inspection du général Lehr en Tunisie, n° 294/7 du 12 mars 1953,
914
Sans compter les spahis de l’Oudjak, composés d’anciens militaires musulmans, qui forment des
détachements d’honneur.
915
SHD/Terre, 7 U 970* et 979*.
916
SHD/Terre, 7 U 979*.
917
Un quatrième escadron est créé le 1er avril 1956. SHD/Terre, 7 U 981*.
918
Un troisième escadron est créé en mars 1956, puis un quatrième en septembre de la même année. Id.
919
L’escadron de spahis de Coëtquidan, qui était une troupe de manœuvre, avait disparu en 1947, après deux ans
d’existence.

342
unités que dans leur emploi. Mais, pour échapper à la lourdeur administrative de ce type
d’unités, le commandement va s’efforcer de trouver des solutions pour mieux répondre aux
besoins opérationnels. Pour créer des types d’unités plus souples d’emploi et moins
contraignantes dans leur type de recrutement et d’administration, il souhaite donc constituer
des escadrons autonomes.
Mais ce souci constant n’est-il pas finalement le reflet d’une certaine inadaptation de
la conception qu’ont les militaires français du combat de la cavalerie à cheval dans la seconde
moitié du XXe siècle ? Et, partant, l’attachement à une certaine tradition et aux savoir-faire
ancestraux ont-ils vraiment été une aide à l’élaboration du concept d’emploi des unités
montées en Algérie. N’ont-ils pas plutôt été un frein à l’innovation qui aurait permis la mise
sur pied d’un outil mieux adapté aux besoins opérationnels ?

I. La perception du cheval dans la tradition

Le cheval tient une place importante dans la conception de leur métier qu’a un bon
nombre d’officiers de l’ABC. Aussi est-ce avec contentement que les jeunes officiers, qui ont
une certaine nostalgie d’un passé pourtant révolu, apprennent la formation d’unités montées.
En outre, le cavalier a toujours joui d’un prestige non négligeable dans les pays musulmans et
c’est encore le cas dans l’Afrique française du Nord de 1954920 où le cheval barbe est encore
fortement présent dans les campagnes.

11. Le cheval dans la société musulmane d’Afrique du Nord

La remise sur pied d’unités de cavalerie montée en Afrique du Nord ne répond pas
seulement à un besoin tactique de contrôle d’un terrain manquant fortement d’infrastructures
routières. Le commandement pense également que l’utilisation de chevaux permettrait de
prendre et de garder le contact avec la population non seulement physiquement mais
également psychologiquement. En effet, l’Algérie compte de nombreux chevaux dans le
milieu rural où ils représentent non seulement un moyen de travail et de locomotion, mais
aussi des animaux dont la procession est génératrice de prestige, surtout du fait qu’ils tiennent

920
Lors de la dissolution du 4e RST en février 1957 à Sfax, les spahis, qui étaient généralement originaires de la
tribu cavalière des Zlass (région de Kairouan), refusèrent pour beaucoup de servir dans les pelotons portés au 8e
RCA car ils voyaient, dans le fait de devenir fantassin, une déchéance. (Témoignage du général Arnold).

343
encore une place importante dans la tradition de la civilisation arabo-musulmane, comme le
dit Pierre Rousselet-Blanc, qui sert comme vétérinaire-aspirant dans une compagnie nomade
d’Algérie (CNA) montée : « Pour eux, le cheval était extrêmement important. Pour des
raisons de présence, mais aussi de prestance. (…) Les Algériens admiraient les chevaux et il y
avait là pour nous une manifestation de prestige indiscutable »921.Cependant, le respect des
règles fixées par la tradition représente parfois une contrainte particulièrement lourde pour les
unités montées.
Les Arabes passent pour un peuple de cavaliers. Ils se considèrent toujours eux-
mêmes, comme le peuple qui compte les meilleurs cavaliers. Cette certitude repose en grande
partie sur une croyance religieuse. La tradition musulmane enseigne en effet, que le premier
fils d'Abraham, Ismaël922, l'ancêtre de tous les Arabes, fut le premier homme qui monta à
cheval. Avant lui, dit cette tradition, le cheval vivait à l'état sauvage dans la péninsule
arabique. Ismaël l'apprivoisa sur l'ordre du Seigneur lorsqu'il vint à La Mecque avec son père,
poser les fondements du sanctuaire923.
Mais cette légende ne semble pas reposer sur des faits historiques avérés. En fait,
avant d’être des cavaliers, les Arabes étaient des chameliers. Le cheval ne fut introduit en
Arabie depuis la Syrie qu’au commencement de notre ère924. Le dromadaire continuait
toutefois à être utilisé comme monture de guerre : vers l'année 353 de notre ère, Ammien
Marcellin, note que les Arabes les utilisaient aux côtés des chevaux925.
Si le cheval prend une grande importance dans la civilisation arabo-musulmane, il le
doit en fait aux deux facteurs que sont, d’une part, le mode de vie des bédouins aux temps du
paganisme qui vivaient de chasse et de razzia, et, d’autre part, l’expansion de l’Islam dont le

921
Témoignage de Pierre Rousselet-Blanc, in Gérard Marinier (propos recueillis par), Ils ont fait la guerre
d’Algérie : 40 personnalités racontent, tome 1, Mâcon, Editions MI, 1983, 166 p., p. 137.
922
« Hicham Ibn Kelbi écrit, en se référant à Mohamed Ibn Saïb, qui se réfère à Abu Salah, celui-ci se référant à
Ibn Abbas, contemporain du Prophète (ce processus de références successives est caractéristique de la méthode
de recherche des maîtres arabes) : « Le premier homme qui ait monté le cheval et l'ait domestiqué fut Ismaël fils
d'Abraham, il fut aussi le premier à parler l'arabe classique (la langue du Coran). Lorsqu'il atteignit l'âge de la
puberté, Dieu lui fit don de l'arc avec lequel il atteignait tout ce qu'il visait. Lorsqu'il devint adolescent, Dieu fit
sortir pour lui cent chevaux de la mer, qui séjournèrent dans les environs de La Mecque, y restant un certain
temps, devant la porte d'Ismaël. Il les mit « dans un enclos. » Il en fit la reproduction et les monta. » Mohamed
Ibn Arabi écrit d'après Ibn Abbas : « Les chevaux étaient sauvages et on ne les montait pas ; le premier qui les
monta fut Ismaël... C'est pour cela qu'on les appela Arab. » Bakhchi Mohamed al-Jeluati, écrivain du XVIIe
siècle, rapportera la même version. » Denis Bogros, Les chevaux des Arabes. Chapitre II, 1978,
http://www.miscellanees.com/b/bogros03.htm consulté le 11 février 2007.
923
D'après « Kitab hayyat et hayyawan » de Kamal eddin al Damiri – XIIe siècle in Denis Bogros, L’équitation
dans la civilisation arabe et musulmane du Ve au XXe siècle. 1983,
http://www.miscellanees.com/b/bogros03.htm consulté le 11 février 2007.
924
P.K Hitti, Précis d’histoire des Arabes (History of the Arabs), Paris, Payot, 1950, 207 p., p. 24.
925
Officier romain d’origine grecque. Commandant Émile Duhousset, « Notice et documents historiques sur les
chevaux orientaux », extrait du Journal de Médecine Vétérinaire Militaire, n° 7, Décembre 1862, Saint-Germain,
Imprimerie et Librairie H. Picault, 1862, 22 p., p. 10.

344
cheval fut l’un des principaux vecteurs. C’est dans cette société bédouine que Mohamed Ibn
Abdallah Ibn Abd El Mottalib (Mahomet) le Prophète de l'Islam entreprend sa prédication. On
sait les difficultés qu'il rencontre et qui le forcent à fuir La Mecque pour Yathrib (devenue
Médine) en 622 (l’Hégire). L'histoire de l'Islam et des conquêtes des Arabes devenus
musulmans commence à cette date.
Ayant entrepris son combat avec une poignée de cavaliers il meurt en 632 à la tête
d’un territoire couvrant toute la péninsule arabique. L’armée musulmane compte alors
environ 30 000 hommes avec une cavalerie de 10 000 chevaux926 dotée d'une tactique
d'emploi adaptée aux conditions de vie des bédouins et à l’esprit de la nouvelle religion.
Mahomet sut tirer profit des qualités de ses compatriotes : résistance, frugalité, n'aimant que
les actions rapides dans l'exaltation de l'aventure et de l'appât du butin. Le raid, ou razzia, est
donc, sinon le seul, du moins le principal mode d’action de son armée. Sur le champ de
bataille la tactique est celle de la charge et du brusque repli. C’est pourquoi il a besoin d’une
nombreuse cavalerie pour mener sa guerre d’expansion religieuse qu'il sacralise sous le nom
de Djihad. Or le cheval, qui est un animal importé en Arabie, est peu adapté au milieu
désertique.
« Le cheval, animal des steppes herbeuses, n'avait pu, par ses propres moyens,
s'implanter dans la péninsule qui n'est et ne fut toujours que plateaux et
montagnes désertiques, coupés, en quelques régions privilégiées, de vallées
profondes où coulent quelques rivières pérennes. Cette implantation n'a pu se
faire qu'avec l'homme, car sans lui le cheval ne pourrait vivre en cette région
du monde. En ce pays, le cheval ne se reproduira que par la volonté délibérée
de l'homme et avec son aide constante. Ce qui implique de la part de son
maître un choix esthétique et un amour extraordinaire porté au noble animal
considéré comme le prolongement de l'homme, comme l'être par lequel il peut
exprimer tout ce que la vie austère du désert refoule en lui, en prix de sa
liberté. »927
Le cheval, élément indispensable à la propagation de la nouvelle religion, doit donc
être l’objet de soins constants non seulement pour son entretien quotidien mais également
pour son élevage. Le prophète, qui s’occupe personnellement de la remonte et de
l'entraînement de sa cavalerie, « a prêté son autorité à des superstitions, peut-être autant par

926
Marc Bergé, Les Arabes, Paris, Éditions Lidis, 1983, 702 p., p. 598.
927
Denis Bogros, Les chevaux des Arabes, chapitre II, 1978, http://www.miscellanees.com/b/bogros03.htm.

345
conviction personnelle qu’en vue d’encourager l’élevage du cheval pour la guerre »928. Il
s’attache à valoriser l’homme de cheval parmi les fidèles (il attribue à chaque cavalier trois
parts de butin : une pour lui et deux pour son cheval)929 et donne au cheval une place
privilégiée dans l’Islam en fixant des règles strictes sur son entretien et les soins qui doivent
lui être apportés allant jusqu’à les élever à la hauteur d’un acte religieux930 de sorte que dans
le Coran et les Hadith du prophète le chameau est rétrogradé au rang d’animal impur. Les
musulmans firent donc « du cheval une monture élue d’Allãh, d’origine surnaturelle ; cela se
justifiait du fait qu’ils devaient à cet animal leur victorieuse expansion »931.
Le Coran cite le cheval, désigné parfois par le même mot que le « bien »932, à de
nombreuses reprises933. Dans la centième sourate, celle des Juments Coureuses, ces dernières
sont prises à témoin pour dénoncer l’appât du gain chez l’Homme934. Les Hadith contiennent,
quant à aux, des révélations et commandements clairs et précis sur l’origine, l’entretien et
l’élevage des chevaux935. Ali Ben Aberrahman ben Hodeil el Andalusi936 en rapporte un qui
est devenu célèbre :
« Ali - que Dieu agrée ! - attribue au Prophète béni de Dieu, les paroles
suivantes : « Lorsque Dieu a voulu créer les chevaux, il a dit au vent du Sud :
je vais créer de toi une créature en qui je placerai la puissance de mes amis,
l'avilissement de mes ennemis, le rempart des gens qui m'obéissent.
- Crée ! » dit le vent.
Dieu prit alors de ce vent une poignée et créa un cheval auquel il dit :
« Je te nomme et te crée Arabe ;
Je lie le bien aux crins de ton toupet ;937
Le butin sera pris grâce à ton dos.

928
Aly Ben Abderrahman Ben Hodeïl El Andalousy, La parure de cavaliers et l’insigne des preux, Paris, Libris
Editions, 1998 (édition originale de 1924), 502 p. Edition traduite et annotée par Louis Mercier, p. 27.
929
Bogros, id.
930
Fernand Vatin, Etude sur le cheval arabe dans le Nord de l’Afrique. Commercy, Imp. Léon Tugny, 1909, 40
p., p. 4.
931
B.Lewis, Ch. Pellat, J. Schacht (et al.), Encyclopédie de l’Islam, Paris, G.-P. Maisonneuve & Larose S.A.,
1977, p. 804.
932
Général E. Daumas, Les Chevaux du Sahara, Paris, Michel Lévy frères, 1858, 438 p., p. 47 et Bogros, idib.
Chap. VI.
933
Malek Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, Paris, Albin Michel, 1995, 501 p., article Cheval, p.
93.
934
Le Coran (al-Qor’ân), traduit de l’arabe par Régis Blachère, Paris, G.-P. Maisonneuve, 1957, 748 p., Sourate
C.
935
L’Émir Abd El-Kader en cite de nombreux lors de ses entretiens avec le général Daumas. Daumas, op .cit.,
passim.
936
Mercier, op. cit., p. 7 et 8.
937
Ceci explique pourquoi en Afrique du Nord les chevaux étaient toujours « à tous crins ». Les poulains y
étaient tondus jusqu’à cinq puis plus du tout par la suite. Cela leur permettait d’avoir une crinière très fournie.

346
La puissance est avec toi où que tu sois.
Je te préfère à toutes bêtes de somme, dont je te fais le Seigneur.
Je te rends sympathique à ton maître.
Je te fais capable de voler sans ailes ;
Tu es destiné à la poursuite et à la fuite.
J'imposerai à ton dos des hommes qui me glorifieront,
Et proclameront ma grandeur et mon unité.
Et lorsqu'ils me glorifieront tu me glorifieras aussi ;
Et lorsqu'ils proclameront ma grandeur, tu la proclameras aussi;
Et lorsqu'ils attesteront mon unité, tu l'attesteras aussi. »938
Pour augmenter facilement le volume de sa cavalerie, le prophète interdit de castrer les
chevaux. A ce sujet, Mercier rapporte l’anecdote suivante :
« Tur fils de Yazid déclarait « (…) Au retour [d’une] expédition, le prophète (…)
demanda ce qu’était devenu un cheval :
- Nous l’avons castré, dit l’homme.
- Oh mais ! tu l’as marqué d’opprobre ! Les crinières des chevaux sont destinées à
leur tenir chaud, leurs queues sont une défense [contre les mouches]. Recherchez
leurs produits. »939
En outre, le prophète interdit également de vendre la semence des étalons. Pour
faciliter la reproduction, la saillie doit rester entièrement gratuite940.
L’hippologie et l’hippiatrie font partie des seules branches de la zoologie, avec
l’ornithologie et l’autourserie, qui aient fait vraiment l’objet d’études approfondies par les
savants arabes941. Les traités qui y sont consacrés emploient un vocabulaire équestre très riche
car « l’immense intérêt que les Arabes portèrent à leur race de chevaux et le rôle
considérable que joua cet animal dans l’expansion musulmane fournirent à la langue un
grand nombre de termes, souvent qualificatifs, pour compléter ce que faras ne précisait pas
du sexe, de l’âge, de l’origine, des particularités extérieures et du tempérament »942.
En 1851, le général Daumas, regroupe tous les dictons et proverbes concernant le
cheval ayant en cours en Algérie dans son ouvrage Les Chevaux du Sahara. Les usages

938
Bergé, op. cit., p. 613 et Mercier, id.
939
Mercier, op. cit., p. 41.
940
Cet usage de ne pas faire payer la saillie avait encore cours en Algérie au XXe s.
941
Bergé, op. cit., p. 614.
942
Lewis, op. cit., p. 803.

347
hippiatriques qui y sont mentionnés sont encore en vigueur en Algérie en 1954, de même que
les nombreux termes d’hippologie qu’Abd El Kader a communiqués à l’auteur943.
De plus un certain nombre de légendes y sont encore répandues attestant du caractère
sacré des chevaux et de leur origine divine944 car ils constituent un moyen matériel de la lutte
pour la gloire de Dieu945. Ces légendes ont été transmises par les marabouts et les taleb946.
Cette tradition est encore vivace dans l’imaginaire collectif des musulmans d’Afrique du
Nord. C’est ce que note Malek Chebel : « [Le cheval] est un animal auquel les Musulmans en
général et les Arabes en particulier accordent un respect sans mesure »947.
Pourtant, les officiers qui ont servi dans les unités à cheval quelque soit l’époque,
s’accordent à dire que, s’il se prétend « homme de cheval », l’Arabe nord-africain, même
originaire des tribus traditionnellement cavalières du Sud de l’Algérie (Ouled-Sidi-Cheikh
répartis à l’ouest de Djelfa et Ouled-Naïls à l’ouest de Biskra) n’est ni très doux, ni très
soigneux avec les chevaux, malgré sa réputation de cavalier et d’homme de cheval accompli.
Le commandant Licart pense que l’Arabe d’Afrique du Nord est un cavalier dont les
méthodes gâtent les chevaux : « Il faut substituer à cette légende la réalité : l’Arabe excellent
cavalier en puissance, à instruire. »948 En fait les cavaliers d’Afrique du Nord cherchent à
passer pour des cavaliers vigoureux montant des chevaux fougueux afin de briller dans les
fantasias. Ce qui explique qu’ils sont généralement des cavaliers adroits mais violents. Dans
les unités, les spahis veulent faire passer le cheval qu’ils montent pour un cheval nerveux et
bougeant dans tous les sens, et les chefs de peloton doivent souvent calmer leurs ardeurs. Ils
doivent leur inculquer la notion du « cheval calme, en avant et droit » qui est étrangère à leur
culture.
Quant aux mauvais soins que les cavaliers arabes apportent aux chevaux, malgré les
nombreuses recommandations que donnent les Hadith949 à ce sujet, ils sont plus la
conséquence d’usages ancestraux, parfois liés à la superstition950, et de l’ignorance, que d’un
désintérêt pour le bien-être de leurs chevaux. C’est ce que pense Pierre Durand pour qui les

943
Daumas, op. cit., passim.
944
En plus de la légende d’Ismaël, déjà évoquée dans la note 1, on peut encore citer celle des cinq juments dont
descendent les cinq branches des chevaux arabes. Lewis B., Pellat Ch., Schacht J. (et al.) op. cit. p. 804.
945
« Une légende maghrébine estime que le cheval prie pour son maître du lever du jour jusqu’à la mi-journée et
pour lui-même ensuite. » Chebel, id.
946
Daumas, op. cit., p. 36 –38.
947
Chebel, id.
948
Lieutenant Licart, Le Cheval barbe et son redressage. Paris, Berger-Levrault, 1930, 212 p., p. 40.
949
Général Daumas (général), Principes généraux du cavalier arabe. Paris, Libris Editions, 1998, 62 p. in 12°,
passim.
950
Les spahis musulmans ont l’habitude de siffler lorsqu’ils abreuvent leur cheval dans un oued, il s’agit plus
pour eux d’éloigner les mauvais esprits que d’inciter le cheval à boire.

348
spahis musulmans s’attachent rapidement à leur cheval et, parfois, ne veulent pas changer de
peloton de peur d’avoir à s’en séparer. Si les spahis ne s’intéressent pas au pansage de leur
cheval, c’est qu’en Afrique du Nord, il n’est pas d’usage de le faire, « on se contente
d’essuyer le cheval, on le lave souvent »951. Du reste, Jean-Jacques Guyon estime que ce
défaut est rapidement corrigé chez les spahis musulmans qui, une fois qu’ils ont un cheval qui
leur est affecté, mettent un point d’honneur à le soigner le mieux possible pour qu’il soit non
seulement le plus beau de l’escadron, mais surtout pour qu’il soit fiable en opérations. En
outre, comme l’image du cheval est encore fortement associée à celle du guerrier, son aspect
extérieur doit donc répondre à un certain nombre de critères afin de coïncider avec l’idée que
l’imaginaire collectif s’en fait et pour répondre à un souci de prestige et d’amour-propre.
Mais l’attachement aux traditions engendre également des exigences qui peuvent
paraître peu compatibles avec la vie en campagne d’une troupe de cavalerie. L’entretien de
chevaux à tous crins demande beaucoup plus d’attention que celui de chevaux à la crinière
taillée ou tondue. En France, dans la cavalerie, on tond les chevaux une fois qu’ils ont leur
poil l’hiver pour leur permettre de sécher plus rapidement quand ils sont en sueur952. En 1956,
au 5e RSA, un lieutenant, fraîchement muté de Saumur où il servait au Manège comme
écuyer, veut s’affranchir du respect de la tradition nord-africaine et faire tondre la crinière des
chevaux de l’escadron dont il vient de prendre le commandement. Cette décision qui porte
atteinte à la tradition qui veut que le bien soit attaché aux toupets des chevaux et que la
crinière serve à protéger des mouches, est exécutée. Cependant, elle suscite un tollé tant chez
les spahis musulmans que chez les officiers. Le lieutenant Caplat, qui relate ce fait dans un
courrier adressé au président du Burnous (association des anciens spahis) de conclure : « Vous
ne pouvez pas vous imager ce que ces jeunes novices livrés à eux-mêmes peuvent faire
comme… erreur (j’allais dire un terme plus militaire)»953. Pour respecter la tradition et
conserver l’image que doivent avoir les cavaliers dans la population algérienne, les spahis
préfèrent passer plus de temps au pansage, à démêler les crins, plutôt que de monter un cheval
à la crinière tondue.
L’usage de ne pas castrer les chevaux, car le Prophète l’avait interdit dans les Hadith,
est encore plus contraignant mais c’est toujours la règle dans l’Afrique du Nord des années
50, où les chevaux ne sont jamais castrés « bien que les docteurs de la foi l’aient permis pour

951
Daumas, Les Chevaux du Sahara, p. 130.
952
Cours abrégé d’hippologie à l’usage des sous-officiers, des brigadiers et élèves brigadiers des corps de
troupe à cheval, Paris imprimerie nationale, 1875, 287 p., p. 199.
953
Lettre du LTN Caplat du 17 décembre 1956 à M. Huguet, président de l’association des anciens spahis (le
Burnous), SHD, fonds privé Heurley, 1 K 669/5.

349
corriger certains défauts de méchanceté à l’homme »954. Les tribus cavalières d’Algérie, à
955
l’arrivée des Français, ne combattaient que sur des chevaux entiers . En effet, un Nord-
Africain estime qu’il est déshonorant de monter un cheval hongre956. C’est pourquoi les
chevaux de la cavalerie d’Afrique, depuis sa création, sont toujours des chevaux entiers, y
compris ceux des Chasseurs d’Afrique. Non seulement cela a pour conséquence d’interdire la
présence de jument sur les rangs, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de remonte, mais,
au quartier comme en campagne, un regroupement de chevaux entiers du volume de celui
d’un escadron ou même d’un simple peloton, implique un souci constant de précautions si
l’on veut éviter les accidents. En effet, les chevaux entiers sont bagarreurs et ont une fâcheuse
tendance à vouloir s’échapper pour rejoindre les juments ou même les ânesses du bled. L’un
des deux chevaux de tête957 du lieutenant François Meyer, alors chef de peloton au 23e RS,
devient quasiment incontrôlable à la vue d’une jument, il lui arrive parfois de monter deux
chevaux à la fois : le sien et une jument en dessous. Les réactions de ce cheval sont parfois si
violentes qu’il ne peut être calmé qu’en lui jetant une poignée de sable dans les yeux958. Mais
une telle attitude n’est quand même pas la règle générale. Jean-Jacques Guyon dit qu’il lui
suffisait de faire prendre le trot à son peloton sur quelques centaines de mètres dès qu’il
passait à proximité de juments pour que le calme revienne parmi ses chevaux959.
Le tempérament du cheval barbe, permet en effet d’atténuer grandement les
désagréments provoqués par les réactions des chevaux entiers. Comme le rappelle le
règlement ABC 125, qui ne fait aucune allusion aux traditions musulmanes, ces derniers
doivent « cette exception [de ne pas être castrés] à des qualités spéciales : ils sont doux avec
l’homme, très maniables, très sobres, très résistants aux fatigues et sont excellents pour le
service des avant-postes, les reconnaissances et la guerre de partisans ; on ne peut leur
reprocher que d’être querelleurs entre eux, de jeter parfois du désordre dans les camps

954
Mercier, op. cit., p. 8.
955
Les Larbaa, tribu du sud de l’Oranais, étaient les seuls à monter des juments pour la guerre, Général du
Barail, Mes Souvenirs, 2e vol., Paris, Plon, 1896, 516 p., p. 287.
956
« Les lois musulmanes défendent la castration des chevaux, parce qu’elle les affaiblit et réduit la nature mâle
à la nature femelle, qui est un amoindrissement. » Daumas, op. cit., p. 210
957
Les chevaux sont divisés en deux catégories : les chevaux de rang et les chevaux de tête. Les chevaux de tête
sont des chevaux réservés aux chefs de pelotons et aux commandants d’unité. Ils sont d’une qualité supérieure
aux chevaux de rang.
958
Témoignage du général François Meyer.
959
Témoignage de l’adjudant-chef Jean-Jacques Guyon.

350
lorsqu’ils s’échappent, et d’exposer les cavaliers à être trahis dans une embuscade, par leurs
hennissements » 960.
Il n’en demeure pas moins vrai que plusieurs incidents dus au fait que les chevaux
soient entiers ont des conséquences parfois fâcheuses sur les opérations. Le colonel Paul
Gaujac rapporte que, dans le courant de l’été 1957, alors que comme sous-lieutenant il est à la
tête de la 6e compagnie du 5e groupe de chasseurs portés961, il voit passer près du poste de
Tircine (secteur de Saïda), où son unité tient garnison, un escadron du 10e GESA qui
nomadise. Intrigué par ce mouvement dont il n’est pas informé, il se renseigne sur l’itinéraire
de l’escadron qui poursuit son chemin. A la tombée de la nuit des coups de feu éclatent.
Pensant que les spahis sont accrochés, le sous-lieutenant Gaujac se rend sur place en jeep et
découvre qu’en fait les spahis avaient abattu des juments en liberté, dont les habitants de la
région vivent de l’élevage. Ces dernières, qui étaient en chaleur, avaient été attirées par les
chevaux entiers de l’escadron qui étaient à la corde et y avaient semé un désordre qui aurait
pu tourner au drame. Mais le plus grave est ailleurs. Certains éleveurs viennent en effet de
perdre une partie de leur moyen de subsistance. Or, le capitaine commandant l’escadron se
refuse à faire état de l’incident et, malgré les protestations du sous-lieutenant Gaujac, quitte la
zone sans chercher à faire indemniser les propriétaires des juments962. Or le but de la
nomadisation est certes de créer un climat d’insécurité pour les bandes de l’ALN, mais
également de reprendre contact avec la population que l’on veut se rallier. Dans ce cas précis,
l’effet obtenu par la nomadisation est extrêmement contre-productif. Un tel incident ne se
serait sans doute pas produit avec des chevaux hongres.
Par ailleurs, du fait de leur attrait pour les juments, beaucoup de chevaux entiers sont
fugueurs. Au quartier, les chevaux, qui se libèrent de leur licol à l’écurie, peuvent
généralement être rattrapés sans difficulté. En revanche, en opérations la fugue d’un cheval de
bât porteur d’un FM ou d’un poste radio a des conséquences beaucoup plus fâcheuses car le
matériel qu’il transporte peut tomber entre les mains de l’adversaire. Or, le cheval de bât est
souvent choisi parmi les plus caractériels car cela permet d’éviter d’avoir à le monter, ce qui
multiplie les risques, surtout au contact lorsqu’il règne un certain affolement. En cas de fugue

960
Ministère de la défense nationale et des forces armées/état-major de l’armée/3e bureau : ABC – 125 : Notice
provisoire pour l’instruction et l’emploi des petites unités de cavalerie « unités à cheval. » Approuvée le 15
octobre 1957 sous le n° 1127/EMA/3.1, s.l., 318 p., p. 275.
961
Le colonel Gaujac précise que cette compagnie avait été dérivée d’une autre compagnie du groupe et alignée
sur un TED INF 107. Elle disposait de très peu de moyens et regroupait la plupart des éléments « indésirables »
de la compagnie d’origine qui était restée motorisée. Le nom officiel de « compagnie dérivée » avait donc été
tourné en dérision par le surnom que lui donnaient ses membres de « compagnie à la dérive ».
962
Le JMO du 10e GESA ne fait pas état de cet incident (SHD/Terre, 7 U 978*), et les anciens du 23e RS
interrogés n’en ont pas entendu parler.

351
d’un cheval de bât au contact, le chef de peloton doit immédiatement le rompre pour rattraper
son déserteur, et surtout le précieux matériel qu’il transporte et dont la récupération prend le
pas sur la conduite du combat963. Au 9e GESA, le 9 mars 1956, un FM manque ainsi d’être
perdu au contact, mais le cheval de bât porteur du FM est finalement retrouvé en arrêt devant
une jument locale964. Parfois le matériel est bel et bien perdu comme au 23e régiment de
spahis, en 1959, où un cheval de bât porteur d’un poste radio SCR 300 s’échappe sans qu’il
puisse être rattrapé965.
Rapidement, pour éviter d’avoir à subir les inconvénients que représente l’utilisation
d’un cheval de bât, les chefs de pelotons évitent, lorsque la durée prévue de l’opération le
permet, de lui faire porter le poste radio ou le FM. Ils sont alors confiés à un cavalier. Le
poste radio est porté à dos d’homme et le FM est porté « à la botte », voire, en cas
d’insécurité, en bandoulière.

Cliché n° I/36
Cheval du 23e RS porteur du FM « à la botte » lors d’une opération dans le secteur de Saïda. (Cliché
François Meyer)

963
Témoignage de Philippe Laparra, sous-lieutenant chef de peloton au 1/5e RS de 1961 à 1962.
964
Dupont de Dinechin, op. cit., p. 77.
965
SHD/Terre, 7 U 1020*.

352
Cliché n° I/37
Spahis en opérations, sans doute du 9eRS. Le cavalier de gauche porte le FM en bandoulière.

Malgré ces inconvénients les régiments de spahis et les escadrons nomades continuent
à être exclusivement remontés avec des chevaux entiers. Raymond Dufour, vétérinaire
lieutenant au 3e groupe d’escadrons de spahis à cheval (futur 23e RS) signale toutefois que
« quelques castrations d’animaux présentant une agressivité reconnue vis-à-vis des autres
chevaux [y sont] tentées par suite de l’absence de musulmans dans les effectifs des
spahis »966. Le 3e GESC perd en effet tous ses Marocains lors de son transfert en Algérie et
n’est, pendant quelques mois, composé que de FSE. Mais mis à part ce cas, tout à fait
exceptionnel, la castration des chevaux n’est jamais envisagée au cours du conflit tant il est
alors inconcevable de remonter des régiments nord-africains avec des chevaux hongres et des
juments.

Cliché n° I/38
Cheval de bât du 5e RSA porteur d’un poste radio SCR 300. Le poste est arrimé sur un bât porte-FM.
(Coll. Général Pierre Durand)

966
Témoignage écrit de Raymond Dufour.

353
Le respect de la tradition liée à l’image traditionnelle du cheval dans l’Algérie
musulmane des années 50 comporte donc des contraintes parfois lourdes dont le respect
semble pouvoir nuire à l’efficacité des troupes montées. Mais ces inconvénients sont
largement compensés par la bonne image traditionnelle qu’elles possèdent. Le général Pierre
Durand pense que l’attachement au cheval, en tant que symbole musulman, est surtout
répandu chez les élites sociales mais qu’il s’agit, chez elles, plus du respect d’une certaine
tradition que d’une croyance sincère. Il n’en demeure pas moins vrai qu’à la campagne les
cavaliers jouissent d’un certain prestige et d’une réelle sympathie. Le cheval en tant
qu’« animal bénéfique »967 y facilite les contacts, et, quasiment partout, les détachements
montés y sont bien mieux accueillis que les unités à pied ou motorisées.
En outre, les unités montées connaissent peu de problème de recrutement chez les
musulmans malgré les fortes contraintes que représente le service à cheval pour un homme-
du-rang. Les jeunes musulmans campagnards font partie d’une population qui « attache de la
noblesse à porter les armes à cheval »968. Au début de l’année 1955, le général Lehr, IABC,
espère bien en tirer profit :
« L’intérêt des escadrons à cheval, outre leur aptitude opérationnelle en
terrains difficiles, est de servir de pôle d’attraction aux jeunes indigènes et
ainsi rétablir un courant d’engagement qui peut être profitable aux intérêts
français.
D’ailleurs, dans ce même ordre d’idée, la création en cours de nombreux
goums aura certainement les plus heureux effets tant sur le déroulement des
opérations que sur la mentalité de la population.»969

12. Le Dieu cheval et l’importance de la tradition équestre militaire dans


l’ABC

Mais cet attrait pour les unités montées ne se limitent pas aux musulmans. En 1954, le
cheval jouit au sein de l’ABC d’un prestige qui peut paraître sans doute de prime abord
disproportionné par rapport à la place qu’il tient dans une armée moderne. Cet attachement au

967
Chebel, id..
968
Rapport d’inspection du général Dodelier, IGABC, n° 130/IABC/701/S du 22 juillet 1959. SHD/Terre, 31 T
14.
969
SHD/Terre, 31 T 9 : rapport n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955.

354
cheval et à l’équitation est une tradition ancienne. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le
commandement redoutait que la préparation de compétitions sportives fasse oublier aux
officiers leur devoir de préparation opérationnelle. C’est pourquoi l’équitation sportive et
savante ne prend réellement de l’importance qu’au lendemain de la guerre. A cette époque, la
motorisation commence à reléguer la pratique de l’équitation dans le cadre de la pratique
d’activités sportives.
Bien qu’il « [faille] attendre 1956 pour que la compétition soit assignée au Manège970
comme mission cardinale »971, c’est à cette époque que la pratique de l’équitation à Saumur
devient essentiellement sportive sous l’impulsion des quatre écuyers-en-chef qui se succèdent
à la tête du Manège : le lieutenant-colonel Wattel, le colonel Danloux, le chef d’escadrons
Wallon et le chef d’escadrons Lesage. Les deux premiers finissent la guerre dans les chars,
tout comme le colonel Decarpentry, ancien écuyer, qui après avoir commandé la section de
cavalerie de Saint-Cyr, fut nommé commandant en second de l’école de cavalerie972. Tous ont
conscience que bientôt le cheval n’aura plus sa place sur le champ de bataille, et que
l’instruction équestre dispensée à Saumur doit plus s’orienter vers l’équitation sportive que
vers l’équitation purement militaire. L’entre-deux-guerres est sans doute la période où
l’équitation militaire fut la plus brillante à Saumur, et la génération d’officiers qui y est
formée alors, continue à vivre dans ce souvenir après la guerre. Ils sont pour beaucoup d’entre
eux des hommes de cheval, même si tous ne pratiquent pas une équitation de haut niveau. Or
c’est cette génération d’officiers qui tient les postes de commandement entre 1954 et 1962.
Les résultats de ceux qui montent en compétition sont révélateurs de la place que tient
l’équitation dans la vie des officiers de cavalerie de l’après-guerre. Les équipes françaises qui
participent aux compétions internationales ne sont composées pratiquement que par des
officiers, même si les cavaliers civils commencent à y faire leur apparition. Entre 1900, date
de l’apparition de l’équitation comme discipline olympique973, et 1960, tous les médaillés
olympiques français dans ce sport sont des militaires, à trois exceptions près974. Cette même
année, les militaires français participent à 69 épreuves internationales et remportent 16

970
A Saumur, le terme de Manège désigne le Cadre noir.
971
Lieutenant-colonel Pierre Durand, « Le Cadre Noir et la compétition » in Le Cadre Noir, Paris, Julliard, 1981,
180 p. p. 135 – 160.
972
Colonels Challan-Belval et Lesage, Trois grands écuyers du manège de Saumur, s.l., s.d., 70 p.
973
En fait, avant la Première Guerre mondiale, l’équitation ne fut discipline olympique qu’en 1900 et 1912.
974
Jean-François d’Orgeix fut le premier cavalier civil français médaillé en CSO (médaille de bronze à Londres
en 1948 avec Sucre-de-Pomme). Quant à Pierre Jonquère d’Oriola, qui fut le second (médaillé d’or à Helsinki en
1952), il faut noter qu’il montait un cheval militaire (Ali-Baba). A Rome, en 1960, M. Jéhan Leroy fut le premier
cavalier civil français médaillé en concours complet (bronze par équipe avec le CNE Guy Lefrant et l’ADC Jack
Legoff). Il fallut attendre 1988 pour qu’un cavalier civil français soit médaillé en dressage (argent individuel :
Margit Otto-Crepin sur Corlandus).

355
premiers prix, 24 deuxièmes prix et 23 troisièmes prix. Au niveau national, ils courent 97
épreuves de CSO, 30 de CCE975 (21 premiers prix, 17 deuxièmes prix et 14 troisièmes prix),
12 de dressage (8 premiers prix, 4 deuxièmes prix et 4 troisièmes prix). Ils remportent, en
outre, 36 courses internationales ou mixtes (i.e. ouvertes aux civils et aux militaires) pour 78
participations976. De ce fait, à cette époque, les sports équestres français reposent sur les
épaules des officiers de cavalerie pour qui monter à cheval est une activité qui tient une place
importante dans leur service977.
L’équitation sportive et savante au Manège de Saumur prend une telle importance que
certaines expressions religieuses ou mythiques y entrent dans le langage courant : on parle du
culte du Dieu-cheval, la reprise des écuyers est appelée la reprise des Dieux ou la Grand-
messe, et l’écuyer-en-chef le Grand Dieu. Même si ces expressions relèvent plus de la
tradition de popote que d’un réel culte, il n’en demeure pas moins vrai que l’équitation est
considérée comme quelque chose d’essentielle à l’EAABC. Du reste, jusque dans les années
60, celui qui veut devenir cavalier professionnel n’a pas d’autre choix que d’embrasser la
carrière des armes, comme c’est le cas d’Yves Benoist-Gironière978 parmi beaucoup d’autres,
car seule l’armée offre la possibilité de vivre de l’équitation.
Lors de la création de l’EAABC, en octobre 1945, le commandement s’empresse de
remettre également sur pied le Manège, alors que la mission de l’école est de former les
cadres des unités blindées. Dans le courant du mois, le capitaine Margot (écuyer en chef de
1945 à 1958), est muté à l’école avec 10 sous-officiers et 30 palefreniers militaires. Une
centaine de chevaux lui sont affectés et les écuyers de Fontainebleau arrivent dans le courant
de l’année 1946. Le centre de Fontainebleau prend l’appellation de Centre National des Sports
Equestres le 1er novembre de cette même année. Ces missions sont de préparer les
compétitions nationales et surtout internationales979.

975
CSO : concours de saut d’obstacles (i.e. concours hippique), CCE : concours complet d’équitation. Cette
épreuve comprenant un CSO, un parcours de cross et une épreuve de dressage.
976
SHD/Terre, 6 T 666.
977
Cet état d’esprit date de l’entre-deux-guerres. En 1935, alors qu’il était lieutenant, le général de Castries, qui
commanda à Dien-Bien-Phu, avait battu le record du monde de saut en hauteur en franchissant 2,38 m avec le
cheval Vol-au-vent. Loin de se considérer comme un cavalier professionnel, il vivait cela comme une activité
rentrant pleinement dans le cadre de ses missions d’officier.
978
Le CES Yves Benoist-Gironière, entré à Saint-Cyr en 1923 (promotion Chevalier Bayard) relate ainsi son
arrivée à l’école : « J’entrai dans la vie sans aucune expérience, face à l’indifférence, à la rudesse, à l’égoïsme,
au devant des chagrins et des épreuves. Qui m’avait poussé là ? Il faut bien l’avouer : le cheval ! Je n’imaginais
pas la carrière des armes en dehors du cheval. » Commandant Benoist-Gironière (dir.), Joie du Cheval, Paris,
Hachette, 1969, 262 p., p. 8. Le CES Benoist-Gironière quitte l’armée en 1946 pour se consacrer à l’équitation, à
la peinture et à la sculpture.
979
Décision n° 13247/EMA/1 du 18 octobre 1946. SHD/Terre – 6 U 115.

356
Si, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’équitation et l’élevage français
reposent en effet encore largement sur les militaires980, c’est qu’il n’existe pas suffisamment
de structures civiles pour pratiquer l’équitation et, par conséquent, les éleveurs de chevaux de
selle comptent encore sur l’armée pour acheter bon nombre de leurs produits. De plus, la
renommée de l’équitation militaire et son caractère formateur milite en faveur du maintien
d’une pratique de l’équitation sportive chez les officiers de l’ABC. Pour le commandement,
l’instruction équestre, qui demeure, pour lui, un des plus sûrs moyens de maintenir dans cette
arme les qualités d’allant et d’audace, est du domaine de l’écuyer en chef. Il dispose, en 1954,
de 11 écuyers et sous-écuyers, de 11 sous-maîtres et de 260 chevaux. Deux manèges sur les
cinq que possédait autrefois l’école sont conservés. Les hippodromes de Verrie et du Breil
situés à proximité de Saumur sont utilisés fréquemment pour les épreuves d’extérieur et
d’obstacles981. On compte dans l’armée de Terre en 1960 encore 121 chevaux de compétition
internationale et 50 de compétition nationale982.
Les fines cravaches se retrouvent, tout naturellement, affectées dans les unités à cheval
en Algérie. Certains y conservent un cheval de sports qui leur est affecté nominativement
comme le prévoit l’IM n° 2632/SDV.R du 19 mai 1953 (BOPP, p. 1826). Parmi ces chevaux
de sports, il en est qui ne sont pas des barbes entiers, mais des demi-sang voire des purs-sangs
anglais. Cependant, dans les régiments, les officiers et les sous-officiers sélectionnent certains
chevaux barbes qui ont des bonnes dispositions pour le saut d’obstacle. L’adjudant-chef Jean-
Jacques Guyon, champion olympique de concours complet à Mexico en 1968, se rappelle de
deux d’entre eux qu’il a connus au 5e RS lorsque, en 1962, il y sert comme chef de peloton
avec le grade d’adjudant. Ces deux chevaux barbes, Mycham et Homiti, sont alors imbattables
sur un parcours de chasse à 1,50 m. Même si le cheval barbe, qui a très peu d’air sous lui983, a
du mal à déplier son dos sur un oxer, il n’en demeure pas moins un cheval de selle sur lequel
on peut pratiquer une équitation sportive d’un certain niveau.
Dans les régiments blindés ou à pied, les officiers qui le désirent, et qui en ont la
possibilité, se font affecté un cheval de la réserve des groupes vétérinaires prévus pour
l’encadrement des harkas et le montent régulièrement comme cheval de sport. C’est le cas du
capitaine Philippe Gentil qui dispose au sein du 3e escadron du 12e RCA, qu’il commande en

980
Vétérinaire-colonel Carnus, « Le rôle de l’Armée dans la sauvegarde du cheval de selle », in Revue
d’information des troupes françaises d’occupation en Allemagne, n° 5, février 1946, p. 23 et 24.
981
Historique et renseignements succincts sur l’EAABC depuis 1945. Texte rédigé par l’E.A.A.B.C pour faire
suite à la note n° 2197 EMA/3-E du 15 mars 1954 (SHD/DAT/centre de documentation, carton EAABC), publié
dans la Revue historique des Armées n° 3-4, d’octobre 1954, p. 201 - 205.
982
SHD/Terre, 6 T 666.
983
Qui a de petites jambes.

357
1960 à M’Sila, d’une harka d’une dizaine de cavaliers. Tous les matins, il monte son cheval
qu’il se fait amener à la porte de sa chambre après son petit-déjeuner984. Il peut être également
cité le cas du colonel d’Avout d’Auersteadt qui commande le 2e régiment de spahis algériens
de 1956 à 1958. Son régiment dispose d’une harka de 80 hommes dont 25 sont montés avec,
pour certains, des chevaux pris à l’ALN985. Deux chevaux sont affectés en permanence à
l’état-major pour le colonel. C’est en se déplaçant avec l’un d’entre eux qu’il est grièvement
blessé le 28 janvier 1958 au cours d’une embuscade986. Il n’est donc pas surprenant que, dans
son roman La Grotte qu’il rédige en partie dans le Constantinois quand il est chef de corps du
8e RSA, Georges Buis fasse mourir son personnage principal, le chef d’escadrons de hussards
Enrico, au cours d’une embuscade de l’ALN montée contre lui alors qu’il se promène à
cheval987. Des concours hippiques sont parfois organisés dans les unités avec les chevaux de
la harka à l’occasion de la Saint-Georges, comme par exemple au 28e RD où cette occasion
est mise à profit pour faire une opération de relations publiques988.

Cliché n° I/39
L'aspirant Jordan, chef du 2e Peloton du 5e escadron du 12e RCA et de la Harka du poste de Melouza, en
mars 1960. Le chef de peloton saute une jeep avec un cheval destiné à l’encadrement de la harka.
(http://512rca.canalblog.com/, consulté le 12 mars 2011).

984
Témoignage du colonel Philippe Gentil.
985
Témoignage de Jean Molineau, brigadier-chef trompette au 2e RSA affecté au peloton de protection de l’état-
major régimentaire.
986
Selon la version officielle, le colonel d’Avout inspectait des éléments du régiment sur le terrain (SHD/Terre,
7 U 967*) mais, selon Jean Molineau, il était en train de chasser à cheval.
987
Georges Buis, La Grotte, Paris, Juillard, 1961, 317 p., p. 313 -317.
988
Delacour, op. cit., p. 138 -139.

358
Cliché n° I/40
Le capitaine Denis Bogros commandant le 2e escadron du 23e RS à Bou-Alam en 1961. Le capitaine
franchit une barrière de Spa « dans le train », avec un cheval barbe. Ancien écuyer de Saumur, il a une
position très classique. Les rênes sont longues pour permettre au cheval de placer son dos. Ce dernier a
une bonne attitude sur l’obstacle qu’il franchit très au-dessus de la barre. Ce cliché montre que le cheval
barbe est également un cheval de sport qui peut avoir un bon coup de saut. (Alain Maillard de la Morandais,
L’Honneur est sauf. Paris, Seuil, 1990, 370 p.)

Certains officiers possèdent même des chevaux personnels, comme le capitaine


Ragonnaud du 5e RS. Ce dernier emmène ses chevaux de course en Algérie. Persuadé que les
événements d’Algérie ne dureront pas et que l’hippodrome d’Alger (le Caroubier) va rouvrir
bientôt, il fait affecter dans son escadron des appelés qui sont jockeys de profession, pour
monter ses chevaux à l’entraînement. Pour pouvoir disposer d’une piste de galop, il demande
la construction d’une piste ALAT en sable, qui ne vit jamais un avion se poser. Il y fait en
revanche galoper ses chevaux tous les matins en les observant à la jumelle989. On peut
également citer le cas du chef de services techniques du 1er RSM. Ce dernier se trouve en
permission lors de l’arrivée des EBR au régiment en mars 1957. Mais à peine rentré, son seul
souci est d’aller voir si ses chevaux vont bien avant de s’intéresser au nouveau matériel990.
Quant aux officiers du contingent, que le général Durand qualifie, sans doute de façon
un peu caricaturale, de « gentilshommes réservistes »991, ils sont issus pour beaucoup d’entre
eux d’un milieu où ils ont pu apprendre à monter à cheval avant d’être appelés sous les
drapeaux. Leur choix de servir dans une unité montée répond à l’idée traditionnelle qu’ils se
font de cavalerie.

989
Témoignage du général Pierre Durand.
990
Témoignage du colonel Raymond Noulens.
991
Général Pierre Durand, « L’Art et la Manière », in Avenir et Tradition, revue de l’UNABCC, n° 87, mars
2004, p. 11- 13, p.11.

359
Parmi les hommes du rang FSE, en revanche, certains n’ont appris à monter à cheval
qu’à l’occasion de leurs classes généralement effectuées à Hussein-Dey sans qu’ils aient fait
acte de volontariat.
Le manque de cadres qualifiés pour servir dans les unités montées milite pour que les
cavaliers du Manège ou les officiers ayant suivi le cours de perfectionnement équestre992 y
soient mutés. Quatre écuyers-en-chef de Saumur y ont servi : le colonel de Saint-André (chef
de corps du 9e GESA), le lieutenant-colonel de Boisfleury (commandant du 1er escadron du 5e
RS), le colonel Bouchet (commandant du 2e escadron du 5e RS), le général Durand (chef de
peloton au 5e RS) et le colonel de Beauregard (chef de peloton au 9e RS).

Cliché n° I/41
Le capitaine de Boisfleury à la tête du 1er escadron du 5e RS. (Cliché Le Burnous)

992
Le cours de perfectionnement équestre est créé avant la Première Guerre mondiale à Saumur. A l’origine, il
sert à former les officiers instructeurs d’équitation des régiments. Le futur maréchal Foch suivit ce stage comme
lieutenant d’artillerie. Après la Seconde Guerre mondiale, il est rétabli mais uniquement pour former les futurs
écuyers du Manège ou les cavaliers de compétition. Pendant la guerre d’Algérie, cinq ou six officiers suivent ce
stage chaque année.

360
Cliché n° I/42
Le lieutenant-colonel de Boisfleury, écuyer en chef du Manège de Saumur de 1972 à 1974. (Cliché EAABC)

Des cavaliers de compétition internationale y servent également comme le capitaine de


La Sayette « le cavalier aux 90 victoires » (commandant le 2e escadron du 23e RS), le
capitaine Lefrant (commandant le 3e escadron du 9e RS), l’adjudant-chef Le Goff (médaillé de
bronze en concours complet d’équitation [CCE] aux JO de Rome en 1960 et qui devint
entraîneur de l’équipe de CCE des Etats-Unis) ou encore l’adjudant-chef Guyon, déjà cité993.
Parmi les grands cavaliers de course, il peut être cité le lieutenant-colonel Marlin (chef de
peloton au 9e RS). Cependant, certains cavaliers de compétition ne servent pas dans les unités,
comme le capitaine Robert Labouche qui commande un escadron au 19e régiment de
chasseurs à cheval.
Même en Algérie, des concours hippiques, de dressage ou, plus rarement, complets
sont organisés régulièrement dans les régiments montés. Ces épreuves réservées aux officiers
et sous-officiers peuvent se dérouler sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Pour

993
Jean-Jacques Guyon a abrégé son séjour au 5e RSA en 1962 car l’écuyer-en-chef, voyant la guerre se finir, le
rappelle pour préparer les JO de Tokyo de 1964. Il n’y participe pas finalement par manque de temps pour s’y
préparer.

361
permettre à tous de faire l’épreuve, le parcours reste en place sur la carrière et les concurrents
passent selon la disponibilité que leur donnent le service ou les opérations994.
C’est souvent l’intérêt porté à l’équitation et au cheval qui a poussé les officiers
d’avant-guerre à choisir la cavalerie. Du reste, le manque d’attrait de certains d’entre eux pour
les engins blindés, les a poussés à quitter leur arme pour rejoindre l’infanterie, notamment
aéroportée. C’est le cas du chef d’escadrons Raffali qui meurt en Indochine à la tête du 2e
BEP, mais également du colonel Hubert de Seguins-Pazzis qui, comme capitaine, commande
le 2e escadron du 5e régiment de chasseurs d’Afrique (Sherman) au sein de la 1re division
blindée en 1944. Cavalier de course de haut niveau et vainqueur du Military de la Victoire en
1945 à Marseille, il demande sa mutation dans l’infanterie coloniale pour son premier séjour
en Indochine. De 1958 à 1960, il commande le 8e RPC en Algérie995. Il se fait remarquer par
sa prise de position très ferme contre toute exaction, acte de torture ou de représailles
contraire aux traditions de l’armée996.

Cliché n° I/43
Le lieutenant Hubert de Seguins-Pazzis participant à un steeple-chase à la veille de la Seconde Guerre
mondiale. (Colonel François de Beauregard, L’Equitation à Saumur, Evreux, Ed. Charles Hérissey/NAN
Editions, 2001, 157p. , p. 127).

994
Témoignage de Pierre Durand.
995
Lorsqu’il est à la tête du 8e RPC, le colonel de Pazzis reçoit le surnom de « Chie des tubes » car il part en
opérations avec sa canne-siège sur laquelle il s’assoit régulièrement. (Témoignage du colonel Jacques Aragonès
chef du corps du 8e RPIMa en 2008, lors de l’embuscade d’Huzbin, en Afghanistan).
996
Ancien d’Indochine et des camps de rééducation du Viêt-Minh, il interdit toute atteinte aux règles de la guerre
que se doit d’appliquer une armée républicaine si elle veut gagner sur le plan moral. Cf : Jean-Charles Jauffret,
Ces officiers qui ont dit non à la torture. Algérie 1954-1962, Autrement, 2005, 176 p. p. 81.

362
Cliché n° I/44
Le colonel H. de Seguins-Pazzis, chef de corps du 8e RPC de 1958 à 1960. (Coll. 8e RPIMa)

Pour les officiers de la jeune génération, cet amour de l’équitation est moins
important. L’immense majorité d’entre eux n’a pas embrassé la carrière des armes pour
monter à cheval. Ils considèrent l’équitation comme un sport de service, dont, du reste,
quelques-uns ne goûtent pas beaucoup les joies. D’autres apprécient l’équitation mais se
refusent à servir dans une unité montée comme le lieutenant Robert Devouges. En 1956, ce
dernier est envoyé au cours de perfectionnement équestre par son régiment, le 2e REC, où il
sert depuis 1952. A l’issue de ce stage, il se retrouve muté d’office au 10e groupe d’escadrons
de spahis algériens, ce qui ne lui convient pas. Au bout d’un an, il se fait muter à l’escadron
du 2e REP997. D’autres quittent volontairement les unités montées car ils pensent pouvoir être
plus efficaces dans un autre type d’unité. C’est le cas du lieutenant Gaget qui, ayant servi dans
les parachutistes coloniaux en Indochine avant d’intégrer le 2e bataillon de l’ESMIA998, se
porte volontaire pour quitter son régiment, le 13e RDP, pour être affecté dans une unité
montée. Après un séjour au 9e GESA puis au 23e RS, il se présente au lieutenant-colonel
Bigeard, nouveau chef du secteur de Saïda où stationne le 23e RS, qui lui propose de créer et
de prendre la tête du commando Cobra où il sera suivi par le lieutenant de Chabalier, lui aussi
chef de peloton monté, et quelques sous-officiers et spahis musulmans du régiment999.
Pour ces officiers, comme pour le lieutenant François Meyer, chef de peloton au 1er
escadron du 23e RS, le cheval est avant tout un moyen de combattre. Pour eux, l’équitation

997
UNABCC, L’Arme blindée en Algérie 1954-1962. Retour d’expérience. Paris, Lavauzelle, 2005, 205 p., p.
147.
998
Le 2e bataillon de l’ESMIA regroupait les élèves-officiers d’active de recrutement semi-direct.
999
Général R. Gaget, Commando Cobra. Les centurions noirs en Algérie. Paris, Jacques Grancher éditeur, 1988,
367 p., p. 21 -23.

363
n’est pas une fin en soi, mais un savoir-faire technique nécessaire à la bonne exécution de leur
mission opérationnelle.
Pour les officiers plus anciens, le cheval a souvent fait partie de leur vie militaire, ils
voient dans l’apparition de ces nouvelles unités, non pas un retour en arrière mais plutôt un
moyen normal de répondre à un besoin tactique. Cependant, les conditions d’engagement sont
bien différentes de celles des unités de 1940 ou de 1944. Il ne s’agit pas d’affronter un ennemi
de type conventionnel disposant d’appuis puissants, mais de courir après des bandes armées
de partisans, sans grande puissance de feu tout en reprenant contact avec la population. Le
seul savoir-faire qui est transmis à la jeune génération est donc le soin des chevaux et
l’équitation.
Pour les spécialistes de l’équitation, et certains officiers de l’ABC de la génération
d’avant guerre, celle-ci peut sinon devenir une fin en soi, du moins perdre une importance
parfois démesurée. Le général Durand, alors lieutenant au 5e régiment de chasseurs d’Afrique,
se rappelle avoir vu tous les matins le chef d’escadrons Giraud, fils du général Giraud et futur
chef de corps du 23e RS, et le capitaine Moreau-Siossat, « cherchant inlassablement, sur
place, les mains aux oreilles du cheval, la chute miraculeuse du fruit mûr annonçant la mise
en main »1000. Cette recherche de la décontraction de la bouche est l’héritage de la doctrine
équestre de Baucher dont le colonel Gassiat, commandement de l’ABC d’Algérie jusqu’en
1958, est un fervent partisan. Pour lui, comme l’a écrit le LCL Margot, ancien écuyer en
chef : « c’est surtout la décontraction et le soutien de tout l’avant-main qui sont recherchés
ici beaucoup plus que le ploiement souvent outré et contraint de la nuque »1001. Le colonel
Gassiat, brillant cavalier, fait même diffuser un opuscule d’équitation à la destination des
chefs de peloton monté regroupant de larges extraits de cet enseignement qui va de pair avec
la directive prescrivant l’usage du filet à la place du mors de bride. Cet attachement à ce
principe est parfois poussé à l’extrême. Le 15 octobre 1957, le colonel Gassiat accompagne
l’inspecteur général de l’ABC, le général de division Renaudeau d’Arc qui vient voir le 5e RS.
Le général Durand, alors lieutenant commandant le 4e escadron par intérim, est chargé de
rendre les honneurs. Pour l’occasion, il est obligé de monter un cheval de rang, et non son
cheval de tête qui est indisponible. Après la présentation, il met pied à terre, confie son cheval
à son ordonnance et se rend à la réception offerte par le colonel Branet, chef de corps du
régiment. Le colonel Gassiat rejoint les invités un peu plus tard « visiblement préoccupé ».
Sitôt arrivé, il prend le lieutenant Durand à part et lui déclare : « Je viens de voir votre cheval

1000
Durand, ibid., p.13
1001
Lieutenant-colonel Georges Margot, Cheval Cavalier. Saumur, Cheminement, 1996, 110 p., p. 21.

364
aux abords. Votre ordonnance me l’a présenté avant de le débrider. Il ne répond à aucune
flexion. Il n’est pas décontracté »1002. Ce reproche semble avoir pour lui autant d’importance
que les résultats opérationnels de l’escadron. Pourtant, comme le rappelait le marquis de
Castries dans ses Observations sur l’état actuel et l’instruction de la cavalerie, (1770) :
« Sans équitation on n’a pas de cavalerie, avec trop d’équitation on n’en a pas davantage. »
Une équitation trop compliquée est incompatible avec une exécution collective aux allures
vives qu’exige le service en campagne1003.
Certains jeunes officiers des unités montées n’en ont sans doute pas conscience.
N’ayant pas, pour certains, un niveau d’équitation à la hauteur de leurs ambitions, ils sont plus
attirés par la possibilité de pouvoir monter à cheval que par le goût du commandement d’une
troupe nord-africaine. C’est le constat, sans doute un peu sévère que fait le lieutenant Caplat,
commandant l’escadron de commandement et des services du 5e RSA en 1956, quand il écrit
à M. Huguet, présidant du Burnous :
« Nous n’avons plus de vieux spahis comme officiers. Les jeunes lieutenants
qui arrivent sont bien gentils, même si ils montent remarquablement bien à
cheval (c’est le cas des anciens écuyers de Saumur) ils n’y connaissent rien en
matière de troupe nord-africaine et en particulier de spahis. »1004
François Meyer pense que les graves problèmes que connaît le 10e GESA à ses débuts
sont en partie dus à l’intérêt plus grand que portent certains chefs de peloton au dressage de
leurs chevaux qu’à leur troupe, exclusivement musulmane. Ces officiers se font une gloire de
mettre un cheval au « pas espagnol », qui n’est du reste pas une allure artificielle pratiquée
traditionnellement à Saumur1005. En revanche, ils s’intéressent peu à la dimension
psychologique du conflit pourtant essentielle dans une guerre insurrectionnelle.
Cet attachement, parfois excessif à l’équitation savante est d’autant plus surprenant
que l’Afrique du Nord est une région où elle n’existe pas traditionnellement. En outre, le
cheval barbe n’est généralement pas utilisé par les cavaliers de haute école, à l’exception

1002
Durand, id.
1003
Le reproche fait aux officiers de cavalerie de trop privilégier l’équitation par rapport au service en campane,
n’est pas nouveau. Après la défaite de 1871, on reproche aux officiers de cavalerie d’être des « sportsmen »
plutôt que des militaires.
1004
Lettre du lieutenant Caplat du 5e RSA à M. Huguet, président du Burnous du 17 décembre 1956.
SHD/DITEX, fonds privé Heurley, 1 K 669/5.
1005
Le pas espagnol est considéré à Saumur comme « une allure de fantaisie » car il modifie « les proportions du
jeu naturel du cheval de l’avant et de l’arrière-main [et diffère] donc, par définition, des allures de l’Equitation
Académique », Général Decarpentry, Equitation académique, Paris, Lavauzelle, 1991, 276 p., p. 18.

365
notable d’Etienne Beudant, que le général Decarpentry appelait « l’écuyer mirobolant », mais
« n’est pas Beudant qui veut »1006.

Cliché n° I/45
Le capitaine Etienne Beudant (1863 -1948) au piaffer brillant sur Mabrouk, cheval barbe, en 1916. Le
cheval, embouché d’un simple filet, donne l’impression d’être en liberté et d’agir sans contrainte dans la
décontraction. Général Decarpentry écrit à son sujet : « Beudant est l’écuyer le plus mirobolant que j’ai
jamais rencontré – je n’ai pas connu d’exécutant pouvant lui être comparé – J’ai vu Mabrouk et son travail
de haute-école tenait de l’invraisemblable. » Beudant, disciple de Baucher, qui « préconisait de lier
intimement l’équitation savante à une pratique vigoureuse et hardie » (Pierre Durand, op. cit.), reste une
référence importante dans les esprits des officiers spécialistes d’équitation d’après-guerre. (Etienne
Beudant, Main sans jambe… Notes et souvenirs, Lyon, Edition de la Guillotière, 1924,126 p., p. 56).

II. Renaissance de la vielle cavalerie d’Afrique ?

En fait, rien ne se prête dans les unités montées d’Afrique du Nord à la pratique d’une
équitation savante et sportive, ni le cheval barbe, ni l’équitation dite « arabe ». Ces deux
piliers de la cavalerie d’Afrique, qui permettent de pratiquer une équitation avant tout
utilitaire, sont connus et maîtrisés depuis longtemps en 1954.

21. Du cheval barbe au cheval arabe-barbe : à la recherche du cheval


d’arme idéal

Le cheval barbe tient son nom des pays où il vit le jour, autrefois appelés
barbaresques qui s’étendent aujourd’hui de l’Atlantique jusqu’aux confins de la Tripolitaine.

1006
Durand, id.

366
Désigné pour la première fois sous le nom de barbe par Rabelais en 1534, il fut le vecteur de
l’expansion de l’Islam à la fin du VIIe siècle entre la Libye et l’Espagne1007. Selon le colonel
Bogros, la définition qui peut être donnée au cheval appelé barbe est tout simplement :
« cheval indigène du Maghreb »1008. Cette race est utilisée en France depuis longtemps. Louis
XIV aimait les barbes et c’est sur l’un d’entre eux qu’il fait son entrée solennelle à Paris après
son sacre1009. Dans un arrêt du conseil d’Etat pour rétablir les Haras dans le Royaume du 17
octobre 1665, il est décidé d’utiliser 678 barbes comme étalons reproducteurs pour 13 024
poulinières qui sont saillies1010.
Mais, bien que le cheval barbe soit considéré comme un excellent cheval de selle par
les plus grands écuyers du manège de Versailles1011, il est abandonné en France comme
cheval de guerre au profit des chevaux de l’élevage national.
Ce n’est que lors de leur arrivée en Algérie en 1830 que les officiers de cavalerie
français redécouvrent le cheval barbe qui y est alors un cheval de guerre1012. A cette époque,
la puissance des tribus se mesure au nombre de leurs cavaliers. Rappelons ici que l’émir Abd
el-Kader, un des plus grands esprits du XIXe siècle, descendant du Prophète, chef de guerre
et fin politique, était aussi un excellent cavalier dont l’armée, et la cavalerie en particulier,
infligea une cinglante défaite aux Français lors de l’expédition de La Macta, le 28 juin
18351013. Mais les Français n’attendent pas cette défaite pour se rendre compte de l’intérêt que
représente le cheval barbe pour leur cavalerie. Le 11 février 1832, dix-sept mois après l’entrée
des troupes françaises à Alger, le ministre de la Guerre décide que l’armée d’Afrique devait se
remonter en chevaux du pays1014. Pour cette raison, et pour pallier l’absence de toute
organisation de l’élevage équin en Afrique du Nord, hormis celle régie par les usages
traditionnels, les vétérinaires militaires s’intéressent aux problèmes de santé des animaux
civils et militaires de l’Algérie dès cette période. Ils doivent éradiquer les maladies et
1007
Selon l’historien arabe Ibn Khalinkhan, lors de la bataille du Rio Barbate qui l’opposa à l’armée wisigothe en
711, la cavalerie musulmane ne comptait que 12 chevaux arabes sur un total de 12 000 (E.J Roux, Le Cheval
barbe, Paris, Librairie Jean Maisonneuve, 1987, 173 p., p. 30).
1008
Denis Bogros, Le Barbe, cheval du Maghreb, 1994, http://www.miscellanees.com/b/bogros03.htm. Consulté
le 11 février 2007.
1009
Philippe Barbié de Préaudeau, Le cheval arabe, Paris, Les éditions du Jaguar, 2002, 220 p., p. 77.
1010
Denis Bogros, Le Cheval barbe, Lausanne, Caracole, 1987, 198 p., p. 38.
1011
La Guérinière trouvait qu’il avait « beaucoup de nerf, de légèreté et d’haleine », qu’il réussissait
« parfaitement aux airs relevés » et qu’il durait « longtemps dans une école. » Cité par Barbié de Préaudeau, op.
cit. p. 79.
1012
Le capitaine Morris écrivait en 1834 : « Sans la guerre le cheval ne servirait dans ce pays que comme bête
de somme, sans la guerre que les Arabes ne font qu’à cheval, et pour cela il leur en faut de bons, ils auraient
encore bien plus laissé leurs races de chevaux s’abâtardir » (Fernand Vatin, Etude sur le cheval arabe dans le
Nord de l’Afrique, Paris, Imp. Léon Tugny, 1909, 40 p., p. 10.)
1013
Lors de sa captivité à Pau, il livre au peintre Eugène Fromentin, son amour du cheval et sa manière de le
dresser. Bruno Etienne, Abd el-Kader le magnanime, Découvertes/Gallimard, juin 2007, 128, p. 104-105
1014
Roux, op. cit. p. 113

367
organiser l’élevage par la sélection des étalons. L’une des premières maladies qu’ils
combattent est la morve qui existe alors en Algérie de façon endémique. Grâce à eux, la
maladie disparaît au début du second Empire. Les autres maladies telles que la dourine
(maladie vénérienne), la lymphangite épizootique (due à un champignon et transmissible par
le sol)1015 ou la « bou frida » (maladie des lèvres) disparaissent au fur et à mesure de la
conquête. Un effort important est fourni entre 1890 et 1914 pour l’éradication des maladies
dangereuses. Les affections contagieuses sont jugulées ainsi que certaines maladies
génétiques par élimination des reproducteurs qui en sont atteints. Le taux de mortalité passe
de 26,37 °/°° en 1900 à 19,15 °/°° en 1910.
Pour remettre de l’ordre dans la sélection des reproducteurs et assurer la remonte de la
cavalerie d’Afrique, en 1840, le colonel Morris propose au ministre de la Guerre la création
de haras militaires en Algérie1016. En 1842, le général de Lamoricière crée le premier dépôt
d’étalons à Mostaganem puis, en 1844, le maréchal Bugeaud décide d’en créer deux autres, ce
qui porte leur nombre à trois. Ces dépôts d’étalons, qui prennent le nom de haras militaires en
1848, et qui échappent à la tutelle des haras nationaux1017, sont situés à Boufarik, pour la
province d’Alger (transféré par la suite à Blida) ; à Mostaganem, pour l’Oranais et à Allelick
(à côté de Bône - transféré par la suite à Constantine) pour le Constantinois. En 1852 paraît le
Règlement sur le service des remontes en Algérie qui prescrit que les dépôts doivent être
dirigés par des vétérinaires militaires qui mènent des études très poussées sur la race
chevaline en Afrique du Nord, en vue de maintenir et de contribuer à l’amélioration constante
de la race barbe. Les vétérinaires militaires doivent reconnaître les ressources du pays,
pénétrer les tribus où la race primitive s’est conservée, informer les éleveurs des
encouragements du gouvernement, préparer dans les tribus les achats des commissions,
distribuer des « étalons de tribus » (86 en 1852) et instituer le système des « étalons
approuvés » par sélection des meilleurs d’entre eux. Les saillies des étalons étant
traditionnellement gratuites en Algérie, comme les Hadith du Prophète l’exigent, la sélection
d’étalons ne lèse pas les propriétaires des reproducteurs médiocres non sélectionnés. C’est

1015
Ce n’est qu’au cours de la Première Guerre mondiale que la transmission par le sol de cette maladie fut
découverte : les chevaux venus d’Afrique du Nord avaient infesté des sols et transmis cette maladie aux chevaux
de métropole.
1016
Mennessier de La Lance, Bibliographie hippique, Paris, 1915, Lucien Dorbon, 2 t., 760 p. et 736 p., t. 2, p.
227.
1017
Depuis leur création sous Louis XIV, les haras et l’armée ont été en opposition permanente. En 1848, une loi
fait perdre au ministère de la Guerre la possibilité d’entretenir des « haras militaires » en France. La production
devient du ressort exclusif des haras nationaux, les remontes militaires n’ont comme mission que l’achat.
L’Algérie est une exception car les achats de chevaux n’y ont aucune conséquence pour les éleveurs français qui
font interdire l’importation de barbes en France après la guerre de 1870. http://www.haras-nationaux.fr consulté
le 26 octobre 2010.

368
pourquoi, les éleveurs adhèrent massivement au projet, ce qui permet de quadrupler la
production en 18561018. Malgré ces qualités indéniables, le cheval barbe, n’est utilisé que pour
la remonte des régiments d’Afrique et n’est pas utilisé pour remonter les régiments de
cavalerie de métropole.
Pourtant, en 1851, le général Daumas le regrette car, pour lui, le cheval barbe est le
cheval de guerre par excellence1019. Le comte d’Aure, écuyer en chef du manège de Saumur,
lui donne raison en 1852 dans une lettre qu’il lui adresse au sujet de son livre sur les chevaux
du Sahara :
« Par patriotisme, le ministère de la Guerre est aujourd’hui en France, le seul
acquéreur du cheval de selle français. Ce patriotisme lui coûte cher, grâce à
cette lacune dans l’élevage, car le cheval de troupe est d’ordinaire forcé de
rester au moins deux ans dans les dépôts avant d’être capable d’entrer dans le
rang ; et encore combien s’en trouve-t-il qui sont réformés avant d’avoir rendu
le moindre service. »1020
Bien que cette opinion soit partagée à l’époque par bon nombre d’officiers de
cavalerie, la cavalerie française métropolitaine n’est remontée, jusqu’à la Seconde Guerre
mondiale, qu’avec des chevaux de demi-sang et des anglo-arabes pour favoriser l’élevage
national1021. Le seul régiment métropolitain à avoir été remonté avec des chevaux barbes est le
celui des chasseurs à cheval de la Garde Impériale de Napoléon III. Ce régiment, dont les
cavaliers sont recrutés parmi les chasseurs d’Afrique, forme une brigade avec celui des
Guides sous les ordres du général du Barail. Le contraste entre les deux régiments est, selon
lui, saisissant :
« Rien n’était gai et vivant comme ce régiment de chasseurs à cheval, qui
ressemblait à la mer moutonneuse, sur ces petits chevaux gris que les Arabes
appellent « buveurs d’air » et qui, perpétuellement agités, la queue et la
crinière au vent, paraissaient souffler du feu ; tandis que les Guides,
tranquilles sur de superbes chevaux normands, avec leur équipement un peu
lourd, donnaient l’idée du calme, de la majesté et de la force. »1022
Mais si les chevaux normands de la cavalerie métropolitaine brillent lors des prises
d’armes, la guerre de 1870 montre leur peu d’aptitude à subir les fatigues d’une campagne. En

1018
Bogros, id. p. 55.
1019
Daumas, op. cit., p. 11.
1020
Ibid. p. 25.
1021
Lire à ce sujet : Colonel Denis Bogros, Les chevaux de la cavalerie française de François Ier (1515) à
Georges Clemenceau (1918), La Roche-Rigault, PSR éd., 2001, 111 p.
1022
Général du Barail, Mes souvenirs, t. 3, Plon Paris 1896, 612 p., p. 39.

369
revanche, les barbes de la cavalerie d’Afrique donnent entière satisfaction tout au long du
Second Empire. Les chasseurs d’Afrique et les spahis envoyés dans des opérations outre-mer
emportent avec eux leurs chevaux barbes qui s’adaptent à tous les théâtres. En Crimée
notamment, ils sont regardés avec envie par les Britanniques dont les chevaux ne résistent ni
au climat, ni à la nourriture. Les Britanniques offrent même des prix fabuleux pour acquérir
des chevaux barbes1023.
Les Allemands ne s’y trompent pas non plus, ils ne conservent à leur service que les
barbes parmi les nombreux chevaux qu’ils saisissent lors de la guerre de 18701024. Plus tard,
en septembre 1918, le général Jouinot-Gambetta doit son succès, lors du raid sur Uskub
(aujourd’hui Skopje) à travers les sentiers des montagnes de Macédoine, en grande partie aux
qualités des 2 000 chevaux barbes qui, selon ses propres termes « se montrent admirables
pour grimper la terrible pente »1025. Enfin, en 1940, après l’armistice, la Wehrmacht saisit
encore des chevaux barbes, dont certains font toute la campagne du front de l’Est1026.
Mais l’obtention de ce cheval de guerre exceptionnel est le fruit d’un long travail de
sélection qui a permis aux militaires, affranchis des contraintes des éleveurs français et des
haras nationaux, de tirer le meilleur parti des qualités naturelles du barbe. En 1878, l’armée
dispose en Algérie, en plus de ses trois dépôts d’étalons, de trois compagnies de remonte et de
la « jumenterie » de Tiaret créée en 18771027. La cavalerie d’Afrique dispose, alors de 759
chevaux d’officier (chevaux de tête) et de 9 189 chevaux de troupe (chevaux de rang). Une
politique d’élevage est établie par les remontes militaires en vue d’améliorer la race barbe en
Algérie. Cette politique est jugée d’autant plus nécessaire qu’une certaine dégénérescence de
la race a été constatée par le service vétérinaire à la fin du XIXe s. Cet appauvrissement de la
race n’est pas entièrement dû aux guerres du Second Empire, elle est plutôt le fait des
bouleversements survenus en Algérie depuis la conquête française1028. La pacification du pays
a, en effet, rendu inutile et coûteux l’entretien de chevaux destinés à la guerre et à la razzia.
Sous la Régence, la production de chevaux en Algérie est estimée à 10 000 animaux, mais, en
1847, les commissions d’achat ne s’en voient plus proposer que 2 000, alors que les besoins
de la cavalerie d’Afrique s’élèvent à 4 000 par an1029. En outre, comme les éleveurs nord-

1023
Vatin, op. cit. p. 32.
1024
Bogros, id., p.45.
1025
Général de brigade Jouinot-Gambetta, Uskub ou le rôle de la Cavalerie d'Afrique dans la victoire, Paris,
Berger-Levrault, 1920, 387 p.
1026
Hartmut Miegel, Bei der Kavallerie - 1942 bis 1945. Herford, Verlag E. S. Mittler & Sohn Gmbh, 1988, 136
p., p. 11 et sqq.
1027
Aujourd’hui haras national de Chaou-Chaoua.
1028
Roux, op. cit., p. 139. et Daumas, op. cit. p.213.
1029
Bogros, p. 53.

370
africains ne se fient qu’à l’extérieur des chevaux et à leur caractère pour juger de leurs
qualités, la sélection des reproducteurs n’avait jamais été menée avec toute la rigueur voulue.
Pour remédier à cet appauvrissement de la race barbe, les autorités décident d’en
améliorer le sang. Après des essais infructueux faits avec des reproducteurs pur-sang anglais
et anglo-arabes, force est de constater que seul le sang arabe convient à l’amélioration de la
race barbe1030. L’introduction d’étalons arabes, alliée à une sélection rigoureuse des
poulinières, finit par donner d’excellents résultats. C’est ainsi qu’apparaît un cheval appelé
arabe – barbe qui forme la majorité des chevaux d’Algérie1031 et avec lequel sont remontées
les unités à cheval entre 1954 et 1962.
Ce cheval a plus d’influx nerveux que le barbe mais, chez lui, le type barbe reste
prédominant, bien que l’infusion de sang arabe l’affine par rapport au barbe en allégeant un
peu son dessous, et en lui faisant perdre un peu de sa compacité. Il faut noter cependant qu’un
apport trop important de sang arabe peut être néfaste1032. Les meilleurs chevaux sont ceux qui
ont un léger courant de sang arabe de 15 % et au-dessous1033.
La politique d’élevage des remontes militaires est menée à partir des trois dépôts
d’étalons et de la jumenterie de Tiaret. Cet établissement, situé dans une vaste région de
plateaux herbeux propres à l’élevage, joue donc un rôle pilote tout au long de son histoire. Il
fournit des poulinières de très grande qualité et est doté de bons étalons qui doivent pouvoir
travailler en race pure, comme en croisement avec le barbe1034. Dans l’entre-deux-guerres le
service des remontes continue à importer des étalons arabes d’Orient.
On peut affirmer que la gestion de l’élevage algérien par les remontes militaires
jusqu’en 1946 a été couronnée de succès. Le cheval arabe-barbe, créé par elles, est un
excellent cheval d’arme particulièrement apte à faire campagne. A partir de cette année-là, les
établissements d’Algérie passent sous la responsabilité des haras nationaux qui poursuivent la
même politique d’élevage. Mais en 1963, le Stud-book1035 du cheval barbe, créé en 1886 et

1030
Vatin, op. cit., p. IX.
1031
Actuellement on compte un cheval barbe pur pour 5 arabes-barbes (chiffre de l’organisation mondiale du
cheval barbe).
1032
Un rapport de l’inspection des remontes note en 1931, après une inspection en Algérie : « [Les chevaux] les
moins bons sont ceux qui sont trop poussés dans le sang arabe. Les meilleurs, du moins, comme modèle sont
ceux qui, légèrement parfumés d’arabe, ont gardé le beau massif antérieur du barbe, sa forte membrure et ont
été légèrement améliorés dans leur modèle et surtout dans leurs allures. » (SHD/DAT, centre de
documentation : carton ABC III).
1033
Id.
1034
Barbié de Préaudeau, op. cit., p. 189.
1035
« Un stud-book est un répertoire dans lequel sont inscrits tous les reproducteurs et poulains portant
l’appellation d’une race ainsi que les naisseurs français. Le règlement définit les conditions permettant de
porter l’appellation d’une race et de reproduire dans la race. »
http://www.haras-nationaux.fr, consulté le 2 septembre 2011.

371
intégré au Stud-book français en 1941, est supprimé en France, car son élevage y est
pratiquement inexistant et les éleveurs ne s’y intéressent pas. Les chevaux barbes rapatriés
d’Algérie sont classés dans la catégorie « origine inconnue ». Il faut attendre 1989 pour que la
race barbe soit à nouveau reconnue par l’administration des haras et que son Stud-book soit
rétabli.
En Algérie, on compte trois types de morphologies pour le cheval barbe selon « qu’il
se développe depuis des générations dans les régions de plaines littorales ou de montagne, de
hauts plateaux ou de limite de régions désertiques du sud »1036. La température et la
pluviométrie sont certainement pour beaucoup dans ces différences, mais le goût des éleveurs
et les traditions tribales sont également des facteurs non négligeables. Le barbe des plaines
littorales est plus lourd et plus grand, celui des montagnes est plus trapu, et celui des hauts-
plateaux, qui est plus harmonieux et mieux développé, passe sinon pour le meilleur, du moins
pour le plus pur car les éleveurs de cette région « ne veulent pas entendre parler de
croisement »1037. Celui des confins sahariens est plus élancé, avec plus d’air sous lui1038.

Cliché n° I/46
Cheval barbe de Constantine né en 1925. (Coll. Colonel Denis Bogros)

1036
Texte de l’assemblée constituante de l’organisation mondiale du cheval barbe de 1987.
1037
Jacoulet, cité par l’ABC 125, op. cit., p. 275.
1038
Il a de plus longues jambes.

372
Cliché n° I/47
Cheval barbe d’Oran né en 1934. (Roux, op. cit., n° 32).

Cliché n° I/48
Le lieutenant Philippe Arnold, chef de peloton au 23e RS, lors d’une prise d’armes le 19 mai 1959.
L’arabe-barbe gris pommelé monté par cet officier est un « cheval de tête », c'est-à-dire un cheval d’un
modèle supérieur à celui de la troupe. Il est particulièrement bien proportionné et répond au standard du
cheval barbe. Le lieutenant Arnold vient visiblement de l’arrêter par une action de main sans doute un
peu vive (la rêne de bride est plus tendue que la rêne de filet) pour saluer du sabre. On peut noter que
pour l’occasion, le cheval est équipé d’une bride anglaise et non de la bride d’arme et que, contrairement
au règlement mais en accord avec la tradition, il porte des pompons de laine sur sa longe-poitrail.
(ECPAD/FLAM 30-R810, Titre : Présentation du 23e Régiment de Spahis. Photographe : Marc Flament).

373
Le cheval arabe-barbe est un cheval étonnamment résistant et sobre pour son physique.
C’est un cheval « carré »1039 qui mesure en moyenne 1,55 mètre au garrot, il a une tête assez
forte chargée en ganaches, un chanfrein droit et légèrement busqué. Son encolure est épaisse
et courte, bien greffée sur un garrot fortement marqué. Sa ligne du dessus est caractéristique
avec un dos tendu et tranchant, se terminant par une croupe en pupitre et une queue attachée
bas, qui est toujours très fournie et que le barbe ne soulève pas comme le fait le cheval arabe.
C’est un cheval qui saute facilement des obstacles de volée mais plus difficilement des
obstacles qui demandent au cheval de s’étendre du fait de l’épaisseur de son encolure. Son
port de tête est assez haut et ses foulées sont plutôt relevées, mais sa tension dorsale et la
souplesse latérale de son rachis en font un cheval confortable. Il a le pied très sûr malgré ses
jarrets bas, larges et secs, parfois clos, surtout chez les spécimens élevés en montagne, ce qui
est plus disgracieux que nuisible. Il a des tendons d’une qualité remarquable, les risques
d’engorgement après un effort important sont très faibles. Ses pieds, qui sont de petite taille et
ont une corne très dense, ont tendance à l’encastelure1040. C’est un cheval très en équilibre et
endurant : « il peut la faim, il peut la soif »1041. Il est mieux membré, plus compact et offrant
plus d’étendue que le cheval arabe1042. Selon le général Daumas, il peut aisément porter 159
kg « soit 26 kg de plus que le cheval de cuirassier en France »1043.
Il est dit parfois que l’une des particularités du cheval barbe est qu’il n’a généralement
que cinq vertèbres lombaires au lieu de six. Or, chez le cheval, les lombaires ne tiennent que
par les muscles, ce qui en fait le point faible du rachis. Aussi le fait de posséder une vertèbre
lombaire en moins permet au cheval de moins fatiguer son dos sans en limiter la souplesse
pour autant. Les tenants de cette théorie pensent que cette anomalie serait à l’origine, non
seulement du confort des allures des chevaux barbes, mais également de leurs qualités
d’endurance et de résistance. Mais, si ces qualités sont bien réelles, aucune étude scientifique
n’est venue confirmer l’absence d’une vertèbre lombaire chez le cheval barbe1044.

1039
La longueur de son corps est sensiblement égale à sa taille.
1040
L’encastelure est un resserrement de la boîte cornée au niveau des talons, la fourchette s’enclave dans les
barres ce qui l’empêche de jouer son rôle d’amortisseur. Le pied étant moins fonctionnel, cela peut engendrer des
boîteries.
1041
Vers d’un chant arabe au sujet du cheval barbe. Daumas, op. cit., p. 212.
1042
Louis Gayot, La Revue de Zootechnie, 1936.
1043
Daumas, ibid. p. 43.
1044
Le vétérinaire biologiste général inspecteur (VBGI) (2S) Claude Milhaud, consulté sur le sujet, précise que :
« Barone, pape des anatomistes vétérinaires indique la constance de 5 lombaires chez l'âne, le caractère
aléatoire de la présence de 5 ou 6 vertèbres chez le mulet, mais ne signale pas cette éventuelle caractéristique
chez le Barbe. Connaissant le caractère encyclopédique des connaissances de Barone et son souci du détail, je

374
Cliché n° I/49
Le peloton du lieutenant Caplat du 5e RSA en progression dans le lit d’un oued en 1956. Le cheval arabe-
barbe grâce à son équilibre naturel et son pied sûr est un cheval adroit même dans les terrains très
accidentés. (SHD/DITEX, fonds privé Heurley, 1 K 669).

La robe la plus répandue, chez le barbe, est la robe grise avec ses différentes nuances :
« Foncé, quand le noir domine ; pommelé, quand des taches blanches dominent ; clair, quand
le poil noir a fait sa chute et de fer, couleur gris bleu avec la tête noire »1045. Cependant on
trouve également en grande quantité des chevaux alezans (dont des palominos1046) et bais. En
1954, une tradition veut que les chevaux soient répartis dans les pelotons en fonction de leur
robe1047, ce qui donne un aspect homogène à ces derniers lors des prises d’armes. Mais, il est
rapidement décidé d’attribuer les chevaux bais et alezans aux escouades éclaireurs pour des
raisons de discrétion. Les chevaux gris sont donc attribués en priorité aux escouades FM. De

suis convaincu qu'il faut abandonner l'hypothèse ancienne de Sanson reprise toujours avec prudence que ce soit
par Chauveau ou par Jacoulet. »
1045
ABC – 125, op. cit., p. 235.
1046
Les robes « crème » sont rares car elles proviennent de la présence d’un seul gène, or, au Maghreb, la robe
« crème » est considérée comme une tare par la tradition, aussi les poulains de cette robe ont-ils été éliminés à
leur naissance au fil du temps.
1047
« 1er peloton : gris fer, 2e peloton : gris clair, 3e peloton : bais et alezans, 4e peloton : multicolore. » Pierre
Durand, « La Cavalerie à cheval pendant la guerre d’Algérie 1956-1962 : survivance ou résurrection ? », in
Guerre mondiales et conflits contemporains, 2007/1, n° 225, 160 p., p. 81 - 91, p. 83.

375
même, seuls les chevaux de robe sombres participent aux embuscades de nuit, prescrites par
le colonel Gassiat en 19561048.
Le caractère calme et froid au repos du cheval barbe le rend apte à ce genre de combat.
Mais ce tempérament indolent est trompeur, c’est un cheval qui bouillonne dès qu’il est
sollicité par son cavalier. Il démontre alors ses qualités d’influx nerveux et révèle des allures
pleines de fougue. Mais son énergie est généralement facile à canaliser car c’est un cheval
qui « possède à la fois le sang et la sagesse »1049. Il conserve cette énergie jusqu’à un âge
avancé car, comme Jacques de Solleysel (1617 -1680) en faisait déjà le constat en 1664, « les
barbes meurent et ne vieillissent jamais »1050.
Le cheval arabe-barbe dont héritent les unités montées en Algérie entre 1954 et 1962
est sans doute le meilleur de tous les chevaux d’arme. Les vétérinaires militaires, comme les
officiers et la troupe le connaissent particulièrement bien et savent en tirer le meilleur profit.
A partir de 1954, la politique d’achat des chevaux change. Il ne s’agit plus d’acquérir
des chevaux de sport ou de cérémonie mais, à nouveau, des chevaux aptes à faire campagne,
pouvant se déplacer dans des terrains parfois difficiles et qui soient le plus endurant possible.
Le cheptel algérien, quelque soit la région d’élevage, permet sans difficulté de répondre à ce
nouveau besoin.
Entre le 1er novembre 1954 et le 15 octobre 1955 il est en effet prévu d’acheter 1 241
chevaux et 724 mulets, dont 346 chevaux et 320 mulets à acquérir avant le 31décembre 1954.
En octobre 1955, l’effectif des animaux à charge du service vétérinaire en Algérie s’élève
ainsi à 4 132 chevaux et mulets, et 324 chiens, ce qui entraîne une demande urgente de renfort
en vétérinaires1051. Le nombre des chevaux militaires en service se stabilise autour de 2 500,
avec un pic de 2 800 chevaux en 19601052. Les variations d’effectif sont dues, non seulement à
l’évolution des besoins opérationnels, mais également au prix du fourrage, dont
l’augmentation amène parfois à réduire le nombre de chevaux et de mulets.
Cette augmentation des effectifs animaliers se traduit par une nouvelle organisation du
service vétérinaire en Algérie. Suite à la création en leur sein de pelotons cynophiles, les deux
établissements hippiques de Mostaganem (établissement hippique principal n° 31) et de Saint-
Arnaud (établissement hippique secondaire n° 32) sont transformés le 1er février 1955 en 31e
et 32e groupe vétérinaire (GV), et deviennent des unités de réserve générale. Le dispositif est

1048
Ibid. p. 85.
1049
Sollesley, Le Parfait Mareschal, Amsterdam, chez l’Honoré et Chatelain, 1723 (1re édition en 1664), 2 t. 282
p. et 252 p., t. 2, p. 176.
1050
Ibid. p. 177.
1051
SHD/Terre, 1 H 1237.
1052
SHD/Terre, 6 T 667.

376
renforcé, le 1er août 1956 est créé le 33e GV à Blida et, le 6 septembre 1957, le 541e GV (créé
le 1er février 1955 à partir de l’ambulance vétérinaire 541 à Temara au Maroc) est transféré du
Maroc en Algérie. Il séjourne dans l’Oranais puis dans l’Algérois jusqu’à sa dissolution le 31
janvier 1959. Il donne, alors son nom et ces unités de remonte au 33e GV de Blida dont le
numéro disparaît.
L’instruction du personnel du service vétérinaire d’Algérie est assurée par le Centre
d’instruction du service vétérinaire de la Xe RM (CISV/10) créé au sein du 31e GV en
19561053.
Les ressources en chevaux de l’Algérie, d’une part, et l’organisation du service
vétérinaire et le savoir-faire de son personnel, d’autre part, permettent de répondre, sans
grande difficultés, aux besoins des unités opérationnelles. Malgré une mise en sommeil d’une
dizaine d’années, il n’y a pas eu de rupture, dans le domaine de la remonte entre la cavalerie à
cheval d’avant-guerre et celle qui monte en puissance à partir de 1954.

Cliché n° I/50
Spahi du 5e RSA (peloton Caplat) montant un cheval arabe-barbe bai. Le cavalier est un éclaireur, il est
armé d’une carabine US M1. (SHD/DITEX, fonds privé Heurley, 1 K 669).

1053
Le service vétérinaire en Algérie est présenté en annexe.

377
Cliché n° I/51
Spahi du peloton Caplat au galop en décembre 1956. Le cavalier, qui monte un cheval gris, appartient à
l’escouade de la pièce FM dont il porte des munitions dans une sacoche fixée sur le karbouss à gauche de la
selle. Le cheval barbe, surnommé « buveur d’air », peut galoper ainsi, en équilibre avec un port de tête
assez haut pendant plusieurs kilomètres sans fatigue excessive. (SHD/DITEX, fonds privé Heurley, 1 K 669).

22. L’équitation « arabe » et son harnachement fruit d’une tradition


ancestrale particulièrement efficace en campagne

En plus de la monture traditionnelle de la cavalerie d’Afrique, les unités montées


conservent également l’équitation traditionnelle d’Afrique du Nord dite « équitation arabe »
qui est une équitation utilitaire très éloignée de l’équitation académique et sportive pratiquée
en France. L’image du spahi et, plus généralement du cavalier d’Afrique du Nord, est souvent
associée à celle de la fantasia, spectacle tourbillonnant et haut en couleurs. Certains peintres
orientalistes, comme Eugène Delacroix qui séjourna au Maroc en 1832, ont su immortaliser
ses scènes. Pourtant, loin d’être une activité folklorique qui fait le bonheur des âmes
romantiques, l’équitation pratiquée en Afrique du Nord répond avant tout à un besoin
d’efficacité au combat. Cette façon de monter à cheval avec des étriers très courts, appelée
autrefois en France « à la Zénète » et qui demande un harnachement spécial, est spécifique de
l’Afrique du Nord.

378
A leur arrivée, en 1830, les militaires français décidèrent de conserver, dans les unités
de spahis, le harnachement traditionnel magrébin auquel, « par des motifs particuliers au
service spécial ou au recrutement de ce corps, on a cru devoir laisser le cachet indigène »
1054
. Mais c’est surtout pour des raisons d’efficacité au combat que ce harnachement
traditionnel est conservé car l’équitation et le harnachement « arabes » forment un tout
indissociable.
Cependant si la réglementation fixe un modèle de harnachement « arabe » en 1840, il
faut attendre le 9 avril 1900, pour qu’un décret fixe « les principes d’équitation et les
procédés d’instruction à cheval à employer dans la cavalerie indigène ». Ce retard est lié au
fait que les officiers de cavalerie s’intéressaient assez peu à cette équitation et que tous les
spahis savaient déjà monter à cheval quand ils étaient recrutés. Avec l’extension du service
militaire universel aux musulmans d’Algérie, tel n’est plus le cas. De plus les Arabes dits « de
grande tente » mis à cheval dès leur plus jeune âge, commençaient à bouder le service dans
les régiments de spahis. Or, le savoir-faire équestre ne se transmettait que par la tradition et
par l’exemple. Les deux principaux ouvrages arabes traitant des règles de cette forme
d’équitation, qui datent du XIVe siècle, ne furent jamais publiés et restèrent inconnus par
l’immense majorité des cavaliers et des éleveurs d’Afrique du Nord1055. Il n’existait donc pas
de doctrine équestre bien établie à laquelle les officiers de troupe auraient pu se référer pour
dispenser leur instruction. Les jeunes recrues n’étant plus les cavaliers d’autrefois et la
transmission par l’exemple étant rompue, la rédaction d’un règlement devint nécessaire.
Cependant non seulement le nouveau règlement de 1900 se limite à la seule école du
cavalier, mais en plus, les officiers de spahis, dont certains n’ont aucune expérience des
troupes nord-africaines, ne l’appliquent pas et s’obstinent à inculquer à leurs hommes une
équitation classique avec la jambe à la sangle, les rênes ajustées à deux mains et la pratique du
trot enlevé. Or, ni la tradition équestre magrébine, ni le harnachement « arabe » ne sont
compatibles avec ce type de monte. C’est pourquoi, le niveau d’équitation des régiments de

1054
Capitaine Cogent, Manuel de harnachement à l’usage des troupes à cheval, Paris, Imp. Félix Malteste et
cie., 1856, 125 p., p.25.
1055
Ben Hodeïl El Andalousy (Aly Ben Abderrrahman), La parure de cavaliers et l’insigne des preux. Edition
traduite et annotée par Louis Mercier, Paris, Libris Editions,1998 (édition originale de 1924), 502 p. et IBN
BERD (Abou Berk), El Nâceîi, Edition traduite et annotée par Nicolas Perron (docteur vétérinaire), Paris, Veuve
Bouchard-Huzard, 1852 – 1860, 3 vol.
Une traduction plus récente de ce dernier ouvrage a fait l’objet d’une thèse pour le doctorat vétérinaire soutenue
par M. Mohamed Mehdi Hakimi sous la direction du Dr Christophe Degueure en 2004 à la faculté de médecine
de Créteil. Ce texte, publié aux éditions Errance en 2006, concerne un manuscrit qui diffère de celui utilisé par
Perron et qui n’était pas connu en France jusqu’alors.

379
spahis d’avant 1914 devient médiocre. En outre, le manuel d’équitation et de dressage du 9
avril 1912 ne traite pas d’équitation « arabe ».
Face à cette situation préoccupante, en octobre 1919, le général Henri-Vincent
Descoins, dans un rapport au général commandant la cavalerie d’Algérie, propose un manuel
d’équitation « arabe » en se référant aux ouvrages du XIVe siècle et aux écrits du général
Daumas. Ce manuel fut adopté officiellement en juillet 19201056. Mais le style du texte en est
modifié pour s’accorder avec celui des règlements. C’est pourquoi le général Descoins, qui se
sent trahi, décide de faire publier le texte primitif en 19241057.
Le texte réglementaire est recopié par la suite dans tous les règlements qui suivent,
dont celui de 1956 sur l’instruction et l’emploi des petites unités à cheval, et reste en usage
jusqu’en 1962. Il aura donc fallu attendre l’époque où la cavalerie commence à se mécaniser
massivement pour que l’équitation « arabe » fasse l’objet d’un règlement définissant une
doctrine qui puisse prendre le relais de la tradition pour perpétuer les savoir-faire en matière
d’équitation « arabe » pourtant figée au XIVe siècle en Afrique du Nord.
Le harnachement qui équipe les régiments montés en 1954 est celui du modèle
1889/19221058. Seuls, les officiers, par tradition, et les radios, pour des raisons pratiques,
échappent à cette règle. Ils sont dotés de la selle et de la bride d’arme respectivement du
modèle 1884, pour les officiers1059, et 1874, pour la troupe.

Cliché n° I/52
Peloton du 5e RSA en décembre 1957. Le poste SCR 300, (marqué par une flèche) ne peut pas être porté à
dos d’homme avec la selle arabe du fait de la hauteur du troussequin (guedda). Les radios étaient donc

1056
Manuel à l’usage des régiments de spahis, approuvé par le ministre de la Guerre le 8 juillet 1920.
1057
Général Henri-Vincent Descoins, L’Equitation arabe, ses principes, sa pratique, Limoges, Lavauzelle, 1924,
169 p. (réédité en 1991 aux éditions Jean-Michel Place).
1058
Le modèle 1922 prévoit, comme système de sangle celui des selles américaines de cow-boy. On pense alors
que le cavalier peut ainsi ressangler sans mettre pied à terre. Cette solution ne donnant pas satisfaction, on
revient rapidement au système traditionnel des contre-sanglons.
1059
Selon Pierre Durand, les officiers de contact du 5e RS montent une fois par semaine en selle arabe pour se
rendre au champ de tir.

380
équipés de la selle modèle 1874 et, comme le veut le règlement, d’une bride d’arme. (SHD/DITEX, fonds
privé Heurley, 1 K 669).

Cliché n° I/53
SANS (barbe marocain), un des deux chevaux d’arme du lieutenant François Meyer, chef de peloton au
23e RS. Il est équipé de la selle modèle 1884 d’officier. Sans ayant une bouche particulièrement sensible, le
LTN Meyer le monte en filet à aiguilles, et non en bride. Pour éviter d’être séparé de son radio, le LTN
Meyer a installé son poste radio dans l’une des sacoches de sa selle modèle 1884, ce qui suppose qu’il y ait
un contrepoids de l’autre côté. (Cliché général François Meyer).

La selle réglementaire de spahi est faite d’un arçon en bois de peuplier grisard1060.
Celui-ci est surmonté à l’avant par un long pommeau (karbouss) et à l’arrière par une haute
palette (guedda) qui tient lieu de troussequin. Les pièces en bois sont recouvertes par une
garniture en peau parcheminée. Celle-ci, préalablement trempée dans l’eau, est posée encore
humide et se rétrécit en séchant, ce qui donne une très grande solidité à l’ensemble. Les
accessoires sont attachés à l’arçon au moyen de ligatures en cuir, selon l’usage traditionnel,
qui sont facilement réparable en cas de rupture. Pour fixer les étrivières un moyen de secours
est prévu : une courroie en cuir est fixée sur l’arçon par des rivets aux extrémités de laquelle
se trouve un dé à violon. L’arçon est recouvert par une chemise en filali rouge qui, pour des
raisons d’économie, ne descend pas jusqu’au bord du tapis comme il est d’usage en Afrique
du Nord. Enfin, la selle comporte des accessoires : un bissac, enfilé sur la guedda et un

1060
Dans certaines régions, les selliers nord-africains emploient du laurier rose pour fabriquer des selles, mais le
montage réalisé avec ce bois demande trop de minutie pour une fabrication industrielle. (Descoins, op. cit., p.
137)

381
poitrail ce qui lui permet de ne pas glisser vers l’arrière dans les fortes pentes. La hauteur du
karbouss permet également d’accrocher la amara qui est un sac en cuir remplaçant chez les
spahis le seau en toile, et dans lequel sont placés le matériel de pansage et le bridon
d’abreuvoir.
Certains spahis ont la fâcheuse habitude d’y suspendre également leur arme, or, si le
cheval s’échappe, non seulement le cavalier se retrouve sans arme, mais en plus celle-ci court
le risque de tomber aux mains de l’ALN. En outre, ce qui arrive plus rarement, si le cheval est
abattu lors d’une embuscade, l’arme peut se retrouver coincée sous lui. C’est cette
mésaventure qui arrive à un harki du 6e RS, surnommé Citroën, en janvier 1960 : « Il avait
attaché son arme à la bête (sic) qui le portait. Il ne craignait pas un coup dur. (…) Quand la
pétarade a éclaté, la monture de Citroën s’est abattue du côté de l’arme. Impossible de la
récupérer. Citroën s’est enfui, comme tous les harkis d’ailleurs. »1061 Jean-Jacques Guyon se
rappelle avoir souvent mis les hommes de son peloton en garde contre ce défaut1062.

Cliché n° I/54
Arçon de la selle de spahis modèle 1889/1922 et son tapis côté montoir. Sur le karbouss est fixé un sanglon
sur lequel s’accroche l’anneau de bélière du fourreau du sabre. Sous la guedda, on aperçoit la poche à fer
et la boucle dans laquelle passe le fourreau du sabre. Selle exposée à la sellerie de l’Ecole militaire (Paris).
(Cliché Th. Noulens).

1061
Angelelli, op. cit., p. 42.
1062
Témoignage de Jean-Jacques Guyon.

382
Cliché n° I/55
Le spahi Claude Girard du 3e ESM en 1957. Le peloton s’apprête à partir en opération. Le paquetage du
cheval est allégé par rapport à celui d’avant-guerre. On distingue l’amara accroché au karbouss à droite
de la selle. A l’intérieur se trouve le matériel de pansage et le bridon d’abreuvoir. (Claude Girard, Les
Cavaliers du soleil. L’épopée des spahis, Ottignies, Quorum, 1995, 281 p., p. 169)

Cliché n° I/56
Spahi du 23e RS dans le Sud-Oranais. L’homme a accroché son PM MAT 49 au karbouss de sa selle pour
éviter d’avoir à le porter. (Cliché F. Meyer)

383
La sangle n’existe pas sur la selle traditionnelle nord-africaine qui est fixée par un
surfaix. Cependant, elle est ajoutée sur la selle réglementaire de spahis en 1889, car elle lui
évite de tourner. Il s’agit là de l’une des rares entorses faite à la tradition. Cependant, le
surfaix est conservé en plus de la sangle. Ce dernier permet, entre autres, de fixer le tapis
(tarar), lorsque le cavalier monte sans selle. Pour cette raison, afin d’éviter au cavalier de
déchirer ses effets sur un ardillon1063, le système de fixation ne comporte pas de boucle mais,
comme le veut l’usage en Afrique du Nord, une courroie en cuir que le cavalier passe dans
deux anneaux et qu’il bloque au moyen d’un nœud qui demande une certaine expérience pour
être correctement serré. S’il se détend, le tapis tombe, accompagné parfois du cavalier, ce qui
peut arriver fréquemment car la morphologie du cheval barbe en fait un cheval rond. Ce tapis
est fait de six feuilles de feutre1064 superposées et disposées de la façon suivante (en partant du
dos du cheval) : une blanche, deux bleues puis encore une blanche et deux bleues. Elles sont
assemblées par une couture médiane correspondant à l’épine dorsale du cheval de façon à ce
qu’elles jouent les unes sur les autres lorsque que le cheval se déplace. Ce système est
excellent pour le dos du cheval, bien meilleur en tout cas que la couverture en laine pliée en
usage pour les selles d’arme.

Cliché n° I/57
Surfaix réglementaire de spahi et son système de fixation par anneaux et lanières. (Colonel Marcel Dugué-
Mac Carthy, La Cavalerie française et son harnachement, Paris, Maloine, 1985, 530 p., p. 462)

Ce modèle de selle, figé au XIVe siècle en Afrique du Nord, est conçu pour combattre
à cheval selon les procédés du « El Kerrul Ferr » que Mercier traduit par « la charge et le repli
brusque »1065. Mercier avance, sans certitude, qu’elle aurait été adoptée en Afrique du Nord,
avec l’apparition de l’arbalète, car elle donne au tireur, s’appuyant sur la guedda ou le
karbouss, plus de stabilité pour prendre sa visée avec cette arme qu’il doit épauler1066. C’est
également une selle très rustique dont la solidité a fait ses preuves et sur laquelle le cavalier

1063
En 1913, un système de fixation du surfaix par une boucle est mis à l’essai, mais on y renonce en 1921,
devant les dégâts occasionnés aux culottes des spahis. Descoins, op. cit., p. 142.
1064
Le capitaine Borrelly signale que, selon la tradition, le premier à avoir fait usage d’un tapis à six feuilles de
feutre fut Ali (le cousin du Prophète). Ce tapis est, selon lui, un emblème religieux pour les musulmans. Cela
était sans doute vrai à la fin du XIXe s., cependant aucun des témoins de la période qui nous intéresse n’en fait
état. Capitaine Borrelly, Historique du 1er régiment de spahis, Paris, Lavauzelle, 1887, 50 p., p. 12.
1065
Mercier, op. cit., p. 404.
1066
Ibid. p. 410.

384
débutant acquiert rapidement une certaine stabilité, comme Chateaubriand en fit le constat
lors de son voyage vers Jérusalem :
« Vous êtes assis d’ailleurs sur des selles de mamelouk, dont les étriers, larges
et courts, vous plient les jambes, vous rompent les pieds et déchirent les flancs
de votre cheval. Au moindre faux mouvement, le pommeau élevé de la selle
vous crève la poitrine, et si vous vous renversez en arrière, le haut rebord de la
selle vous brise les reins. On finit pourtant par trouver ces selles utiles, à cause
de la solidité qu’elles donnent à cheval, surtout dans les courses
hasardeuses. »1067
Pour rééquiper les unités dont le nombre commencent à grossir rapidement, une
commande de harnachements « arabes » modèle 1889/1922 est lancée en 1956 par
l’établissement régional du matériel de Clermont-Ferrand. L’Arçonnerie Française, entreprise
de Saint-Sulpice la Pointe (Tarn), obtient le marché et en assure la fabrication. Les selles
utilisées en Algérie ne sont donc pas fabriquées en Afrique du Nord.

Cliché n° I/58
Selle de spahi modèle 1889/1922 réceptionnée en avril 1960 par l’ERM de Clermont-Ferrand. Sur la
droite on distingue le poinçon de l’Arçonnerie française qui en est le fabricant (tête de cheval). Selle
exposée dans la sellerie de l’Ecole militaire (Paris). (Cliché Th. Noulens)

1067
François de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Paris, Gallimard/Folio, 2005, 726 p., p. 69.

385
Cliché n° I/59
Selle de spahi modèle 1889/1922 recouverte de sa chemise en filali. Elle est équipée de son bissac et de
l’amara. La commissure des rênes, posées sur le siège, se termine par une lanière qui sert de fouet. A
l’origine, ce fouet permettait au cavalier de tenir ses rênes au moment du montoir sans tirer dessus, ce qui,
avec l’embouchure arabe, aurait eu un effet désastreux sur la bouche. Selle exposée à la sellerie de l’Ecole
militaire (Paris). (Cliché Th. Noulens).

La bride traditionnelle « arabe » (El jam) est également modifiée par l’ajout d’un sous-
gorge1068. Les œillères permettent de protéger les yeux du cheval car les cavaliers nord-
africains utilisent le fouet des rênes, qui sont cousues en pointe, comme cravache. Elles les
protègent également contre les mouches, le vent et le sable. Sur chacune de ces œillères,
comme sur le poitrail, se trouve un croissant de lune (Hillal) apposé au fer et rehaussé à la
peinture « or » que les spahis surnomment la « baraka »1069. Il s’agit d’une survivance des
amulettes porte-bonheurs que les Nord-Africains ont coutume d’accrocher sur leur
harnachement1070. Au somment de la têtière se trouve un bouton en cuivre qui sert à fixer le
collier d’attache de cavalerie légère qui y remplace le licol.

1068
En Afrique du Nord la bride ne comporte pas traditionnellement de sous-gorge car cela permettait dans une
mêlée, si un adversaire saisissait le montant de têtière, de se dégager en lui laissant la bride dans la main.
(Daumas, op. cit., p. 170)
1069
Bien que cela ne soit pas réglementaire, les Nord-Africains fixent également dans les crinières des pompons
en laine, selon le major Souplet, la disposition et la couleur de ces derniers avaient une signification symbolique,
mais aucune précision supplémentaire n’a pu nous être donnée sur le sujet. Ce qui est sûr, en revanche c’est que
beaucoup d’officiers en interdisaient la présence.
1070
Voir notamment Mercier, op. cit., p. 39.

386
Cliché n° I/60
Bride de spahi. On distingue sur les œillères un croissant de lune posé dans une couronne de laurier,
survivance des amulettes porte-bonheur contre le « mauvais œil » que les Arabes ont coutume de fixer sur
le harnachement de leurs chevaux. Elles sont reliées par une lanière en cuir, qui passe sur le frontal et
comporte en son milieu une pièce en cuir surnommé « demoiselle ». Le sous-gorge, dont la bride
traditionnelle n’est pas équipée, est fixé aux montants de têtière par deux pièces en cuir. Le bouton en
cuivre au sommet de la têtière sert à fixer le collier d’attache. Le mors, qui se règle d’une façon originale,
est du modèle 1912 à passage de langue. (Cliché : Musée des spahis de la ville de Senlis).

Cette bride est parfois remplacée en campagne par le bridon d’abreuvoir, car le mors
« arabe » fait l’objet de vives controverses dans la cavalerie française à cause de sa sévérité.
Ce mors est connu en Europe depuis longtemps, il y a même été en usage sous le nom de
mors « à la genette »1071. Mais il est tombé en désuétude au cours du XVIIIe siècle, époque à
laquelle il était dénommé « mors à la turque »1072. Ce mors, qui comporte un anneau
métallique en guise de gourmette, interdit de monter avec les rênes ajustées (tendues). Le
canon du mors modèle 1912 comporte un passage de langue, ce qui est contraire à l’usage en
Afrique du Nord mais qui le rend plus dur car son action porte exclusivement sur les barres.
1071
Antoine de Pluvinel, Le Manège royal, Paris, chez Guillaume Le Noir, 1623, n.p., figure 56.
1072
Diderot et d’Alembert, L’Encyclopédie : Art du cheval, s.l., Interlivre, 2001, n.p. Chapitre Eperonniers,
planche VII.

387
Celui du modèle 1922, mis au point par le général Descoins, est plus doux par ses proportions
et son canon droit (i.e. sans passage de langue). Les rênes s’adaptent aux branches par des
coulisseaux, dans les mors traditionnels comme dans les mors réglementaires, ce qui en
adoucit un peu l’action. Il n’en demeure pas moins que le mors « arabe » est jugé comme une
embouchure trop sévère par bon nombre de cavaliers. Le débat est ancien. Le chef
d’escadrons Licart, alors lieutenant-écuyer, en est l’un des plus vibrants contempteurs dans
son ouvrage commencé à Tlemcen en 1921 et paru en 1930 alors qu’il servait au 2e RSA : Le
Cheval barbe et son redressage1073. Il s’y montre également très sévère pour le cavalier arabe
du Magheb qui est pour lui un « cavalier adroit mais violent » qui n’utilise le mors, que Licart
n’hésite pas à qualifier de « véritable instrument de torture », que pour arrêter sa monture en
l’asseyant sur les jarrets. Cela a pour effet de les ruiner rapidement et de faire porter le cheval
« au vent », voire de le rendre rétif. Son ouvrage vaut au lieutenant Licart de se voir traiter de
« colonialiste » et de raciste. Cependant certains officiers, comme Yves Benoist-Gironière,
suivent ses conseils et remplacent les embouchures arabes par des filets1074.

1073
Licart, op. cit.
1074
Yves Benoist-Gironière écrit, pendant sa captivité en Allemagne : « Laissez donc tous les autres mors en
panoplie et si vous voulez mettre au milieu le plus brutal et le plus dangereux, celui qu’une sotte tradition
conserve malgré ses méfaits : choisissez le mors arabe. Je ne saurais trop le combattre. C’est lui qui rend rétif le
cheval arabe si doux et si facile, c’est lui qui ruine ses jarrets et le tare précocement, c’est lui qui enlève au
spahi moyen tout tact équestre Je sais bien, c’est jolie d’avoir un cheval nerveux et chaud comme la braise :
Fantasia, saut du caïd, etc. Tout cela n’est que manifestation de douleur, préférons-lui le dressage. Pourquoi
mettre entre les mains des spahis de pareils instruments de torture quand leurs coreligionnaires civils se
promènent souvent avec des chevaux sans mors du tout. (…) Tous les chevaux de mon peloton étaient embouchés
en filet et c’est chez moi que l’on venait chercher l’animal facile pour remonter les uns ou les autres. » Yves
Benoist-Gironiere, La Conquête du cheval. Paris, Librairie des Champs-Elysées, 1947, 162 p., p. 151-152.

388
Cliché n° I/61
Mors de spahi modèle 1922. Mis au point par le général Descoins, il ne comporte pas de passage de langue
ce qui en adoucit l’action. (Descoins, op. cit., planche XV).

Pendant la guerre d’Algérie, le débat n’est pas clos. Jean-Jacques Guyon qui a dans
son peloton des chevaux précédemment embouchés en mors « arabes » dit toute la difficulté
qui est la sienne à les remettre « en avant » tant la crainte que leur inspire la main du cavalier
est grande. Le colonel Gassiat, en tant que partisan de la 2e méthode de Baucher (cf. supra),
prête au bridon d’énormes qualités. Il fait retirer les mors « arabes » dans les régiments, sauf
pour les prises d’arme, pour les remplacer par des filets à aiguilles, dit « filet US »1075. Mais
de ce fait, les jeunes recrues ont de grosses difficultés à contrôler leur monture notamment
sous le feu. Cela se révèle parfois dramatique. Le 1er mars 1957, le peloton du lieutenant des
Roches de Chassay (3/5e RSA) est accroché par surprise dans un village au nord-ouest de
Béni-Slimane. Au cours du combat le peloton perd douze hommes, tués (dont le chef de
peloton) ou disparus et quinze chevaux. Dès les premiers coups de feu, les chevaux qui sont
tous jeunes, s’affolent et certains spahis sont emmenés au grand galop à plusieurs kilomètres
du lieu de l’accrochage sans pouvoir s’arrêter à cause de la faible action du filet.

1075
Témoignage de Pierre Durand.

389
Certains officiers pensent que l’embouchure « arabe », à défaut de mors « L’Hotte »
est indispensable pour le service en campagne1076. D’autres, comme Denis Bogros, que Pierre
Durand trouve un peu excessif, lui prêtent même des vertus1077. Lors de sa prise du
commandement du 2/23e RS en juillet 1960, il fait remettre en place dans cet escadron les
mors « arabes » qu’il juge indispensables à la pratique de l’équitation « arabe » :
« En juillet 1960, prenant le commandement du 2e escadron du 23e Régiment
de Spahis, à Boualam dans le Djebel Amour, mon premier acte fut de remettre
tous les chevaux de Sous-Officiers, Brigadiers et Spahis en MORS-ARABE. Les
appelés du contingent, en majorité français de Métropole, sans idées reçues,
s'adaptèrent tout de suite à cette bonne embouchure. Au printemps 61, avec
mon escadron, renforcé de ma Harka à cheval, je fis un raid-coup de main sur
le petit Oasis d'El Maïa. Au cours de ce raid de trois nuits, mon attention fut
attirée par un spahi qui, de toute évidence, se posait des questions. Son
lieutenant me rendit compte, qu'étant donné notre sous-effectif, il avait dû
l'emmener... bien que... il ne fût arrivé à l'escadron, par la liaison bimensuelle,
que le jour du départ en raid ! Ainsi, ce garçon, breveté tireur sur char, au
canon de 90 mm, en Allemagne, n'étant jamais monté à cheval, se retrouvait
Spahi, et dès le premier jour en opération, par les hasards des renforts. Au
retour, je le pris avec moi, et durant quelques heures je lui enseignai
l'équitation arabe. En quelques semaines le Spahi Le Gallic devint « fiable ».
Trois mois après il était « performant » et je le nommai Brigadier. Ce fut l'un
de mes meilleurs chefs de Patrouille. Je le revois encore rentrant de mission, à
la tête de son escouade en fourrageurs, au galop dans la steppe d'alfa. En
équilibre sur ses étriers, rênes longues, encolure du cheval allongée, il est très
à l'aise... Puis passant au pas en douceur, il rentre au bivouac... ayant mis son
escouade en colonne.

1076
L’attribution de mors L’Hotte, se serait heurtée, selon Pierre Durand, au problème de la petitesse de la
bouche des chevaux barbes.
1077
Denis Bogros ne ménage pas ses critiques à l’endroit de Licart : « Dans ce contexte, s'appuyant sur ces
travaux suspects, des propos de popotes, et l'observation d'une équitation arabe de casernes, le Lieutenant
Licart (autorisé par sa hiérarchie ! car c'était la règle à l'époque) publie « Le Cheval Barbe et son redressage ».
La deuxième partie de cet ouvrage de jeunesse est un véritable pamphlet. Il attaque avec violence l'équitation
arabe des Régiments de Spahis et le règlement de 1920. Il reconnaît cependant la qualité de l'équitation arabe
de tribu, mais conclut à l'adoption de l'équitation française. C'est le discours idéologique colonial de
l'assimilation. Quant au procédé employé, pour développer ce discours, il apparaît, en comparant les photos de
cet ouvrage, à celles du livre du Général Descoins. L'auteur a fait un véritable « montage » pour désinformer le
lecteur. Or, il exprimait les idées des Cavaliers français de ce temps là ! »
http://www.miscellanees.com/b/bogros03.htm , consulté le 29 mars 2009.

390
Il n'y a que le système équestre arabe – « selle - mors - équitation – cheval »
qui permette de faire un cavalier opérationnel au combat en si peu de
temps. »1078
Il est un fait que partisans et contempteurs du mors « arabe » s’accordent tous à dire
que l’équitation en selle « arabe » permet de former rapidement un cavalier. Licart pense
même que l’habileté équestre du cavalier nord-africain est due à la selle « où il trouve tout ce
qu’il faut pour se cramponner et de laquelle le plus mauvais cavalier ne peut tomber », et que
« sans le mors le harnachement arabe serait parfait car la selle permet à quiconque de tenir
en selle rapidement »1079. En outre, le cavalier débutant acquiert ainsi une telle solidité à
cheval qu’il « ne se chagrine nullement de certains vices du cheval »1080. Il s’agit donc bien
d’une équitation utilitaire dans laquelle l’académisme n’a pas sa place.
L’aide naturelle qu’est l’assiette n’est pas employée en équitation « arabe » car elle ne
se pratique pas assis aux allures vives mais en équilibre sur des étriers très courts (les
étrivières sont réglées à la longueur correspondant à la largeur de trois mains et de trois
doigts) ou en s’appuyant sur le karbouss dans la position dite « arabe ». Le trot enlevé est
strictement interdit car un cavalier en perte d’équilibre risque de s’accrocher brusquement à la
bouche. Le poids du corps est en revanche d’un très grand secours. Le contact permanent avec
la bouche ne doit pas se faire sur des rênes tendues mais se limiter à l’action qu’y fait peser le
poids des rênes, l’action de main ne devant servir qu’à arrêter le cheval. Il est possible ainsi
d’obtenir en quelques semaines des cavaliers capables de se déplacer en équilibre sur leurs
étriers, rênes longues, en laissant leur cheval avec une encolure allongée, alors que dans les
régiments à cheval métropolitains d’avant la Seconde Guerre mondiale, il fallait plusieurs
mois d’instruction pour obtenir des cavaliers qui tenaient à cheval avec le harnachement
réglementaire. Le choix est donc fait de ne former les cavaliers qu’à l’équitation « arabe »
quelle que soit leur origine (Français de souche européenne ou Français de souche nord-
africaine) et donc de conserver la selle « arabe » en dotation. Cette équitation élémentaire,
pratiquée en selle « arabe », est suffisante pour que même les jeunes cavaliers puissent
rapidement participer à des opérations à cheval, malgré les défauts qu’elle comporte d’un
point de vue académique. Si ce harnachement est conservé, ce n’est donc pas uniquement par
respect de la tradition, mais bien parce qu’il répond à des critères d’efficacité1081.

1078
Id.
1079
Licart, op. cit., p. 53.
1080
Daumas, op. cit., p. 108.
1081
Certains officiers ne trouvent pas le harnachement « arabe » à leur goût. Michel Minot, qui est vétérinaire au
10e GESA en garde un souvenir épouvantable : « Ce jour là, j’avais essayé la selle de spahi, avec le burnous plié

391
Cliché n° I/62
Deux spahis du 9e régiment au trot lors d’une opération de contrôle des populations aux confins tunisiens
en 1957. Les chevaux sont en bridon d’abreuvoir. Le cavalier de gauche est appuyé sur la guedda, la main
et la main posée sur le karbouss avec des rênes flottantes. Celui de droite essaie d’appliquer ce qu’on lui a
appris en tentant de se mettre en position « arabe » avec l’abdomen posé sur le karbouss. Mais sa jambe
fuit vers l’arrière et il n’est pas en équilibre au-dessus de ses pieds. Du coup il s’accroche à la bouche ce
qui aurait de très graves inconvénients avec une embouchure « arabe ». Cet exemple montre un défaut
que peuvent prendre les jeunes cavaliers en n’étant qu’à l’équitation « arabe ». Cependant, pour
participer à une opération, cela lui permet d’acquérir une solidité à cheval qui, bien que n’étant pas
académique, est suffisante pour participer aux opérations à cheval. (Image tiré du documentaire : Patrouilles
du 9e spahis aux confins tunisiens, documentaire produit par Les Actualités Françaises - 16/01/1957 - 37s -
http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/decolonisation/video/AFE01000521/patrouilles-du-9eme-spahis-aux-
confins-tunisiens.fr.html, Consulté le 02 décembre 2010.

Les savoir-faire équestres et hippologiques de la vieille cavalerie et, en particulier,


celui de la cavalerie d’Afrique sont transmis sans grande difficulté aux nouvelles unités
montées. Cela est dû en grande partie au fait que, d’une part, l’Algérie n’a pas beaucoup
changée depuis les années trente, le cheval est encore très présent dans la société rurale, et,
d’autre part au fait que l’équitation tient encore une place importante, voire disproportionnée,
au sein de l’ABC. Les officiers subalternes de 1939, sont les officiers supérieurs et généraux
de 1954, et un nombre non négligeable de jeunes officiers aspirent à devenir des hommes de
cheval. Le manège de Saumur et les unités d’honneur, maintenues an Afrique du Nord après
la Seconde Guerre mondiale, ont été des conservatoires des savoir-faire techniques de

sur l’arçon, harnachement aussi utilisé par le médecin, espérant se tenir au guerbous afin d’amortir les chocs de
la guedda qui lui déchirait le dos. Sellerie inconfortable, pièce de torture si l’arçon en bois n’est pas protégé
(…) Votre plexus empalé sur le guerbous se défend en vous expédiant sur l’arrière, ce qui vous écrase les reins
sur la guedda. » Témoignage écrit de Michel Minot.

392
l’ancienne cavalerie, sans lequel ce retour en arrière n’aurait sans doute pas pu être réalisé. Le
respect de certains usages plus traditionnels qu’efficaces, est cependant parfois un frein à la
souplesse d’emploi des unités et à l’exécution du service, mais ces usages sont des facteurs de
discipline et d’esprit de corps sans lesquels les unités montées n’auraient sans doute pas
perpétué l’âme qui fit le prestige de la cavalerie d’avant-guerre.

III. Une vieille institution face à un conflit de type nouveau

Cependant si les savoir-faire techniques, tant dans le domaine de la remonte que dans
celui de l’équitation, sont effectivement transmis, les unités montées rencontrent de grandes
difficultés lors de leur montée en puissance du fait du faible volume qu’elles représentent en
1954. L’organisation et l’équipement des escadrons ne répondent qu’aux besoins des services
d’honneur, et le combat à cheval n’est plus ni pratiqué, ni même enseigné. En fait, l’apparence
qu’ont les unités à cheval en 1954 ressemble à s’y méprendre à celle des unités d’avant-
guerre, mais les savoir-faire tactiques et l’organisation opérationnelle ne sont transmis que par
la réédition des règlements d’avant-guerre. Le fascicule diffusé par le colonel Gassiat en
janvier 19561082, comme l’ABC 125, qui paraît en octobre 1957, reprennent intégralement les
textes des règlements d’avant-guerre. En outre, dans son introduction, l’ABC 125 précise que
les textes qu’il contient « constituent, en attendant la rédaction d’un nouveau règlement, le
guide indispensable aux cadres des petites unités à cheval »1083. Mais ce nouveau règlement
ne sera jamais publié. Pourtant, la remise sur pied des unités à cheval en Algérie provoque
une évolution importante de la conception de la tactique, du soutien logistique et de la
formation du personnel.
Malgré cette perte de savoir-faire, le retour des unités montées semble, comme en
Tunisie quelque temps auparavant, indispensable. Dès le début de l’année 1955, le général de
division Lehr, l’IGABC, le souligne dans son rapport annuel pour l’année 1954 :
« Comme constatations d’ensemble sur ma visite en Algérie et
notamment dans les Aurès, la preuve a été faite, si tant est qu’elle avait
besoin de l’être, de l’inaptitude des troupes blindées type NATO aux
opérations nord-africaines. Il est indispensable de doter l’Afrique du

1082
Ce fascicule, publié en 130 exemplaires sur stencils, ne figure pas dans les archives du SHD, cependant le
général Pierre Durand en conserve un exemplaire dans ses archives personnelles.
1083
ABC 125, p. 3.

393
Nord de troupes spéciales à base de Goums, Tabors, commandos
tirailleurs et spahis (deux nouveaux escadrons de spahis à cheval vont
être prochainement créés) comprenant une forte majorité d’indigènes
connaissant le pays et la mentalité des habitants, de telle sorte que nous
puissions lutter à qualité égale avec l’adversaire. »1084
A son retour d’un voyage d’inspection en Algérie entre le 31 janvier et le 11 février
1955, il est conforté dans son opinion en constatant sur place que les unités blindées sont peu
adaptées à la montagne, mais que les escadrons de spahis à cheval lui semblent tout désignés
pour travailler là où les véhicules à roues ou à chenilles ne peuvent pas intervenir1085. C’est
donc essentiellement le manque d’infrastructure routière dans l’Algérie de 1955, où
« l’administration s’arrêtait là où s’arrêtait le goudron », qui pousse le commandement à
remettre sur pied des unités de cavalerie à cheval pour reprendre contact avec la population et
contrôler le terrain.
Dans un conflit de ce type, trois conceptions d’emploi des troupes à cheval, qui ne
sont pas exclusives les unes des autres, sont possibles. Tout d’abord des unités régulières,
organisés en régiment, qui est l’échelon administratif dans l’armée française de l’époque.
Mais, de prime abord, le commandement juge ce type de formations trop lourdes pour
l’emploi qu’il souhaite en faire. A des régiments il préfère des escadrons autonomes, qui
existent déjà en Algérie en 1954 pour les services d’honneur.
La deuxième solution est de former des unités de supplétifs qui sont recrutés avec leur
monture pour l’entretien de laquelle ils perçoivent une prime supplémentaire. Cette solution,
beaucoup plus souple, permet de disposer de cavaliers connaissant bien le terrain et la
population. En outre elle ne représente pas de lourdeur administrative et règle le problème de
la remonte. Cependant, ce type d’unité ne peut rester que d’un faible volume, une trentaine
d’hommes tout au plus, et, partant, ne peut servir que de troupe auxiliaire pour des actions
secondaires. C’est pourquoi, les harkas montées des régiments ou des secteurs n’excèdent
généralement pas ce volume. Cependant, au 585e BT, le chef d’escadron1086 Lallart, lui-même
ancien cavalier passé dans le Train, forme une harka composée d’une centaine de cavaliers
qu’il organise pratiquement comme un escadron de spahis1087. Il est mis sur pied également
des éléments montés dans les maghzens des sections administratives spécialisées, et dans 27

1084
SHD/Terre, 31 T 9.
1085
Rapport au ministre des Armées n° 182/IGABC/701 du 22 février 1955 concernant les unités ABC de la Xe
RM, SHD/Terre 31 T 8.
1086
Dans le Train, le grade de « chef d’escadron » s’écrit sans « s », car un escadron y est une unité du volume
d’un bataillon encore à l’époque.
1087
Lire à ce sujet : Gourmen (chef d’escadron), « Les Bataillons du train en Algérie », in RHA n° 3/78.

394
des 114 groupes mobiles de police rurale (appelés groupes mobiles de sécurité à partir du 15
juin 1957)1088. Des pelotons montés sont également mis sur pied au sein de la DBFM de
Nemours (créés le 1er décembre 1956) bien que, dans ce cas précis, il ne s’agisse pas d’unités
de supplétifs.
Enfin, la troisième solution consiste à former des commandos montés, dont les
montures peuvent éventuellement se déplacer en camion. Cette dernière solution est envisagée
parfois, notamment au 1er REC en octobre 1960 avec l’apport des légionnaires de la
compagnie de discipline1089, mais seul le commando Griffon, du lieutenant Meyer, la met
effectivement en application grâce à l’apport des chevaux du 23e RS.

Cliché n° I/63
Le commando Griffon en opérations avec des chevaux au cours de l’été 1961, dans l’oued Trifia, au sud
d’El Maïa. (Cliché François Meyer)

31. La mise en place d’unités de spahis se révèle plus ardue que prévu

Dès le début de la guerre d’Algérie, le choix est fait, non seulement d’engager en
opérations des escadrons à cheval autonomes rattachés pour administration à un régiment
blindé (le 6e ESA, implanté à Alger, était rattaché au 5e RCA et le 9e ESA, stationné à Batna,
au 9e RCA), mais encore d’en mettre d’autres sur pied. Le 11e ESA est créé à Khenchela le 1er

1088
Le premier peloton monté des GMPR fait son apparition au sein du GMPR 43 à Sedrata (Constantinois) en
avril 1956.
1089
Michel Bourret, Historique du 1er R.E.C., Aubagne, Ed. Képi – Blanc, 1983, 328 p., p. 172.

395
décembre 1954, le 10e ESA à Sebdou le 1er janvier 1955, suivi par le 12e ESA qui est mis sur
pied à Tiaret le 1er avril. Le 16 mars, le 5e ESA est transféré de Tunisie en Algérie et s’installe
à Aumale. Au Maroc, se trouve le 3e ESM et en Tunisie, le 4e RST qui vient d’être mis sur
pied grâce au regroupement des 4e et 8e EST.
Malgré l’expérience héritée de l’engagement récent d’unités à cheval en Tunisie et au
Maroc, les quatre escadrons d’Algérie, qui n’y ont pas participé, à l’exception du 9e ESA
engagé en Tunisie de juin à novembre 1954, connaissent des débuts difficiles. Ces escadrons
sont trop peu nombreux et ont des effectifs incomplets ce qui ne les rend que partiellement
utilisables.
En outre, aucun centre d’instruction ne forme de recrues pour les unités montées.
L’instruction à cheval est donc entièrement à la charge des escadrons ce qui, étant donné leur
taille et leur dispersion, représente pour eux une charge qu’ils ont du mal à supporter. Le
choix de ne former que des escadrons autonomes montre, en outre, rapidement de graves
inconvénients pour l’administration et la cohésion des unités. L’organisation d’avant-guerre
se révèle inadaptée au quadrillage, qui suppose une grande dispersion des unités et des
moyens de communication performants et rapides.
Au début de l’année 1955, le 9e ESA, qui vient pourtant d’être engagé dans la région
du Kef où il a donné satisfaction, n’est pas considéré comme une unité entièrement
opérationnelle, malgré un encadrement, presque entièrement composé de musulmans, qui a de
l’expérience et est jugé solide. En janvier 1955, il doit céder deux sous-officiers et 13 hommes
au 11e ESA pour permettre la mise sur pied de ce dernier, ce qui pour un escadron correspond
à un volume de personnel non négligeable. Sa base, ses recrues et ses jeunes chevaux sont à
Batna, mais son capitaine-commandant est aux mines de Bou-Khadra où les deux pelotons
opérationnels surveillent un point de passage obligé situé sur la frontière algéro-tunisienne
dans la région de Morsott.
A sa création, le 11e ESA, qui dépend également administrativement du 9e RCA, est en
cours de formation à Khenchela. Une quarantaine de ses recrues n’sont pas instruites. Le
commandement estime qu’il faut quatre mois pour les former ainsi que les jeunes chevaux qui
sont arrivés non encore dressés. En outre, ses officiers n’ont pas l’expérience des unités
montées et doivent encore s’y adapter.
Le 10e ESA, installé à Sebdou dépend, quant à lui, du 2e RCA situé à Tlemcen. En
février, il lui reste encore à recevoir une cinquantaine de chevaux. Comme le 11e ESA, son
personnel est composé en majorité de recrues qui sont à l’instruction et sa cavalerie est surtout
composée de jeunes chevaux. En outre, ses casernements, situés dans l’ancien bordj, ont

396
besoin d’un sérieux aménagement, notamment pour le logement des cadres. Les chevaux ne
sont logés qu’en partie dans le bordj. La place nécessaire existe à l’intérieur de celui-ci, mais
il faut y construire les écuries de deux pelotons. L’éloignement de son régiment support le
gêne considérablement notamment dans le domaine du soutien sanitaire pour le personnel et
pour les chevaux. Il ne dispose en propre, ni de vétérinaire, ni de médecin, mis à part le
médecin civil de Sebdou que le commandement souhaite conventionner.
D’autres problèmes apparaissent dans le domaine du soutien, comme celui de
l’entretien des harnachements pour lequel aucun crédit n’est prévu. Traditionnellement, c’est
le produit de la vente des fumiers qui permet de le financer, or celle-ci ne peut être effectuée
que lorsque l’unité est en garnison.
L’IGABC, dans le rapport cité plus haut1090, estime qu’il faudra plusieurs mois pour
que ces unités parviennent à devenir pleinement opérationnelles. Certaines améliorations lui
paraissent urgentes à apporter. Le TED est celui d’avant-guerre1091 et ne prévoit aucun
véhicule à moteur. Le général Lehr obtient cependant une jeep pour les capitaines
commandant qui n’ont que leur cheval comme moyen de déplacement alors que leurs pelotons
sont très dispersés sur le terrain. En outre, l’armement des pelotons ne lui semble pas adapté.
Il suggère la mise en dotation d’un ou deux pistolets mitrailleurs par groupe et d’un bazooka
pliant de modèle M9 au lieu du M1 qui ne se plie pas. En fait le bazooka est utilisé, à cette
époque, pour tirer dans les grottes où les combattants de l’ALN se réfugient, or un bazooka
pliable est plus facile à transporter à cheval. Enfin l’IGABC pense que chaque groupe de
combat doit disposer d’un poste radio SCR 536 pour ses liaisons soit avec le groupe voisin,
soit avec le chef de peloton. Or, cette dotation n’est pas prévue dans les pelotons à cheval, car,
encore une fois, le règlement d’emploi de la cavalerie d’avant la Seconde Guerre mondiale ne
prévoit, comme moyen de transmissions, pour un escadron à cheval que deux signaleurs
colombophiles, quatre trompettes/agents de transmission et deux agents de transmission1092.
En outre, pour que les unités à cheval puissent participer efficacement aux opérations,
l’inspecteur pense qu’il est nécessaire de doter les escadrons de camions-vans1093 pour les
transporter jusqu’à proximité de leur lieu d’emploi. Cette solution permettrait, selon lui, non
seulement d’augmenter leur rayon d’action, mais aussi de réduire leurs délais d’intervention et

1090
SHD/Terre, 31 T 9.
1091
Un escadron compte quatre pelotons de fusiliers à deux groupes de combat.
1092
Ministère de la Guerre : Aide mémoire de l’officier de cavalerie en campagne, Paris, Imprimerie nationale,
1936, 376 p., p. 64.
1093
Ces camions-vans sont en fait des GMC ou des Ford équipés d’un plancher en bois et dont les ridelles sont
rehaussées. Les camions Ford, ainsi aménagés, permettent de transporter sept chevaux, alors que les GMC sont
limités à cinq.

397
« arrivant fraîches, en état de parcourir immédiatement 20 à 30 km, elles rendraient alors
d’excellents services dans les terrains difficiles, peu accessibles aux unités motorisées ou
mécaniques »1094. Ces aménagements sont jugés absolument indispensables pour que les
unités acquièrent leur pleine efficacité.
La mise en dotation de bazooka M9 est accordée par le 4e bureau de l’EMA en octobre
1955, bien que ces armes ne soient pas utilisées par la suite car les unités à cheval, inadaptées
aux terrains montagneux, n’auront plus l’occasion de s’en servir. En revanche, la situation des
postes SCR 536 est très déficitaire dans l’armée de Terre. Il en manque en particulier 200
dans l’ensemble des nouvelles grandes unités. Pour le 4e bureau de l’EMA, le moment est
donc mal choisi pour consentir aux escadrons à cheval une augmentation des dotations. Mais
il se défausse sur le général commandant la région qui « dispose d’une réserve régionale
sérieusement renforcée sur laquelle il peut prélever en faveur des unités intéressées, à titre
provisoire et pour des missions déterminées »1095. Ce n’est donc que très progressivement que
les pelotons sont dotés de SCR 536. Pour l’entretien des harnachements, la direction centrale
du Matériel, qui n’a qu’un nombre très réduit de selliers, ne peut pas former de sections de
bourrellerie dans les établissements régionaux du Matériel (ERM) par manque de crédits, et
encore une fois, le faible effectif des escadrons leur interdit d’avoir leur propre atelier. Une
prime de harnachement est donc attribuée aux escadrons qui doivent faire effectuer leurs
réparations par des selliers civils.
Pour le transport des chevaux, l’inspection générale de l’armée de Terre rappelle que,
en mai 1954, le commandement supérieur des troupes de Tunisie (CSTT) avait fait
transformer 16 camions Ford du 26e escadron du Train1096 (ET) en véhicules transport de
chevaux. Or l’essai n’avait pas été heureux car les planchers en bois ont été rapidement
défoncés. Cette idée a donc été abandonnée parce que trop coûteuse. En outre, l’IGAT reste
encore sur le concept d’emploi de la cavalerie d’avant-guerre :
« Toute unité à cheval doit être capable de parcourir une cinquantaine de
kilomètres dans la nuit, et de s’engager le lendemain. Il ne semble pas que
cette solution soit rentable. Pour déplacer un effectif suffisant de cavaliers et
de montures il faudrait un nombre de véhicules tels que le déplacement et
l’arrivée du convoi, à proximité des lieux d’emploi, ne sauraient passer

1094
SHD/Terre, ibid.
1095
SHD/Terre, 31 T 18.
1096
A cette époque, un escadron dans le Train correspond à un bataillon dans l’infanterie. Il est composé de
compagnies. Les escadrons du Train sont des unités organiques territoriales qui mettent des moyens de transports
à la disposition des unités opérationnelles.

398
inaperçus et iraient à l’encontre du but recherché. Les lenteurs de
l’embarquement, la vulnérabilité des chevaux en cours de transport et au
débarquement (près des lieux d’emploi) contribuent également à faire rejeter
cette solution sans compter la difficulté de dégager le matériel auto nécessaire.
De toute façon, on ne peut retenir la proposition de mettre « en propre » à la
disposition des unités à cheval les camions nécessaires à ce transport.»1097
L’administration centrale se refuse à admettre qu’un vecteur de combat (cheval ou
engin blindé) n’est pas un moyen de locomotion. Pour des raisons économiques, elle pense
que la mise en place des unités de combat sur leur lieu d’engagement doit se faire avec ses
moyens de combat, ce qui, en fait, use ces moyens au détriment de leur utilisation
opérationnelle. Mais l’insistance des chefs des unités montées1098, relayée par les
commandants locaux, a finalement raison des réticences de l’IGAT et de l’EMA. Des camions
vans, à plancher en bois et à ridelles rehaussées sont réalisés dans les unités de transport du
Train à partir de l’année 1957. Des remorques « bétaillères » sont même mises en place dans
certaines unités. En juillet 1959, le CA de Constantine en attribue 11 en sur-dotation au 9e
groupe d’escadrons de spahis. Selon le chef de corps, elles sont d’une aide précieuse car «
elles permettent l’embarquement et le débarquement rapide, et n’importe où, des chevaux
transportés en GMC. Elles permettent en outre, au même GMC, de transporter soit un cheval
supplémentaire, soit du fourrage, soit des harnachements »1099.

Cliché n° I/64
GMC aménagés pour le transport des chevaux utilisés par le 23e RS en 1960. Les ridelles sont rehaussées.
Pour le transport, un spahi est mis entre chaque cheval en guise de banc-flanc. (Cliché François Meyer)

1097
SHD/Terre, 31 T 19, note n° 6157/IGAT du 29 mars 1956.
1098
Voir notamment le rapport sur le moral du 5e RS pour l’année 1956. SHD/Terre, 7 U 969*.
1099
SHD/Terre, 7 U 1013*.

399
Cliché n° I/65
Le camion dans lequel le cheval du 23e RS a embarqué, n’est pas aménagé pour le transport des chevaux.
Son plancher métallique étant glissant, de la paille est posé dessus en grande quantité. (Cliché François
Meyer)

L’idée de disposer d’escadrons autonomes pouvant nomadiser librement est


alléchante, mais les problèmes de soutien, qu’entraîne cette autonomie, rendent cette idée trop
difficilement réalisable. Dès le début de l’année 1955, l’inspecteur demande à ce que les
escadrons soient regroupés en groupes d’escadrons ou en régiments « notamment pour des
raisons d’instruction des recrues, de dressage des jeunes chevaux, de cohésion et de plus
grande simplification administrative »1100. A cette époque, le commandement ne mesure pas
encore l’ampleur des contraintes que va entraîner le retour des unités montées. On pense que
le nombre de ce type d’unité a atteint son maximum et que l’ABC pourra facilement faire face
à ce nouvel impératif qui reste, somme toute, marginal au regard des autres problèmes qui
restent à régler.
L’organisation régimentaire pour les unités montées est déjà adoptée en Tunisie, avec
la mise sur pied du 4e régiment de spahis tunisiens en août 1954, et au Maroc, avec celle du 3e
régiment de spahis marocains en octobre 1955. Mais, en Algérie, malgré la succession des
projets d’organisation, aucune formule définitive n’est encore arrêtée. Cependant, il apparaît
de plus en plus que les six escadrons autonomes rattachés à des formations blindées, ne sont
pas viables. Leur existence, et a fortiori leur utilisation, imposent un regroupement, au
minimum à l’échelon du groupe d’escadrons.

1100
SHD/Terre, 31 T 9, Rapport n° 78/IGABC/702 du 22 janvier 1955.

400
Les escadrons sont donc progressivement regroupés. Le 16 janvier 1956, le 10e et le
12e escadrons de spahis algériens forment le 10e groupe de spahis algériens. Le même jour, les
9e et le 11e ESA forment le 9e GESA. Le 16 février 1956, le 5e RSA est reconstitué comme
régiment à cheval, sous les ordres du colonel Marzloff à Aumale (Algérois). Le 5e ESA en
forme le 1er escadron. Les 2e et 3e escadrons sont mis sur pied à Djelfa et à Aumale ainsi que
l’escadron de commandement et des services qui comprend un peloton de cinq AM M8. Les
difficultés que rencontre le 2e escadron à Djelfa sont particulièrement grandes, notamment
dans le domaine de l’infrastructure. Il n’est réellement installé qu’en décembre. Le 15 août
1956, le 6e ESA forme son 4e escadron. La montée en puissance est rendue difficile, d’une
part par la dispersion des escadrons et, d’autre part, par le manque de jeunes cadres en mesure
de manœuvrer à cheval.
Le 4e régiment de spahis à cheval (ex-4e RST) est dissous en Tunisie en février 1957.
Le 1er juillet 1957, le 3e RSC (ex-3e RSM), qui perd ses cavaliers marocains, est transformé en
3e groupe d’escadrons de spahis à cheval (GESC) à deux escadrons composés à 75 % de
d’Européens. Le 22 juillet 1957, il est transféré à Saïda, ce qui porte le nombre d’unités de
spahis à cheval en Algérie à un régiment et trois groupes d’escadrons. La transformation de
ces derniers en régiments est plus longue à réaliser.
Il faut attendre le 1er août 1958 pour que le 10e GESA et le 3e GESC forment le 3e RS
(23e RS à compter de novembre) et ce n’est que le 1er février 1959 que le 9e GESA, devenu 9e
GES le 1er novembre 1958, reçoit un escadron à pied du 24e régiment de dragons dissous qui
devient son 3e escadron, pour devenir 9e RS, le 1er août 1959. Il doit cependant attendre le 1er
décembre pour recevoir son quatrième escadron. Il s’agit d’un autre ancien escadron à pied du
24e RD passé au 4e régiment de chasseurs à cheval lors de la dissolution. Cet escadron aura
donc changé deux fois de régiment en moins d’un an. La mise à cheval du 3e escadron se fait
à partir du mois de mars avec des chevaux qui arrivent progressivement de Saint-Arnaud.
Mais le 4e escadron n’est mis à cheval qu’en juillet 1960 grâce à la dissolution de la 13e
compagnie nomade d’Algérie dont les chevaux et une partie du personnel y sont mutés. Le
capitaine Perin, qui commande le 4e escadron, s’organise tant bien que mal pour convertir son
personnel dont une faible proportion connaît les chevaux1101. Le régiment adopte alors une
organisation mixte : le 1er escadron est à trois pelotons montés et un peloton à pied, le 2e
escadron également, le 3e escadron est à quatre pelotons montés, le 4e escadron est à trois
pelotons montés et un peloton mixte (moitié monté, moitié à pied).

1101
La mise en place de cet escadron à cheval ne se fait pas sans heurt. Le capitaine Perin a notamment la
mauvaise surprise de découvrir que les fers qui lui sont livrés sont des fers pour mulet. Pélissier, op. cit., p. 259.

401
Les TED évoluent également. Lors de sa création, le 4e RST s’est mis sur pied sur la
base du TED/P ABC 018 qui est élaboré hâtivement pour permettre le démarrage de l’unité
mais qui ne correspond pas aux besoins opérationnels. Ce TED est établi à partir du TED 009
d’un groupe d’escadrons à cheval, qui est le seul existant à l’époque. Pour l’adapter au 4e
RST, on se contente d’y ajouter un escadron de fusiliers. La seule répercussion sur l’escadron
de commandement et des services (ECS) de cette addition, est la mise en place de deux
camions supplémentaires dans cet escadron avec les conducteurs correspondants. Mais, le
TED 009 est celui du 7e groupe de spahis algériens qui est une unité d’honneur. Il est donc
conçu pour un groupe d’escadrons vivant groupé dans une même garnison en France, alors
que les escadrons en AFN sont répartis parfois sur plus de 500 km et sont en opérations en
permanence. Des modifications sont apportées progressivement avec la mise en place de
moyens automobiles et transmissions supplémentaires, et d’un peloton d’AM M8. La présence
de ce dernier se révèle indispensable dès le mois de février 1956 pour assurer à la fois la
sécurité du PC, jusqu’alors à la charge d’un escadron, et celle des convois. Malgré le manque
d’AM, un peloton de cinq engins est affecté également au 3e RSM le 1er mai 1956, et au 5e RS
le 1er avril. En août 1956, ces modifications sont entérinées par le nouveau TED ABC 022
pour les unités de spahis à cheval1102.
Lors de la mise sur pied des régiments, l’IGABC souhaite qu’ils soient tous les trois
organisés selon la même structure. Mais, étant donné les conditions d’emploi des unités, cela
ne sera jamais le cas. En mai 1959, le 5e régiment de spahis reçoit un escadron d’AM et un
escadron de M24 du 8e régiment de chasseurs à cheval dissous. S’il perd son escadron de M24
en juin 1961, il conserve en revanche son escadron d’AM jusqu’à sa dissolution en août 1962.
Le 23e régiment de spahis continue à être organisé en deux groupes d’escadrons avec chacun
un peloton d’AM jusqu’en mars 1960. A cette date, les deux pelotons d’AM sont regroupés à
l’ECS. Le 9e RS est en fait le seul régiment dont l’organisation, à partir d’août 1960, reste
toujours conforme au TED 022, jusqu’en août 1962.
Il ressort de ce qui précède que si les unités à cheval ont effectivement bénéficié de la
transmission de savoir techniques, leur organisation et leur équipement a dû évoluer pour
s’adapter à une guerre insurrectionnelle d’un type nouveau. Cette adaptation leur a permis
d’accroître leur mobilité et leur puissance de feu. La durée du conflit, qui cantonne l’emploi
des unités montées au quadrillage, et l’administration du temps de paix, qui limite leur
autonomie, restreignent leur capacité opérationnelle. En fait, le spahi de 1954 s’est transformé

1102
Ce TED prévoit un effectif de 183 hommes et 179 chevaux par escadron de combat, et 151 hommes et 45
chevaux pour l’ECS. SHD/Terre, 6 T 444.

402
progressivement en fantassin monté pour lequel il a fallu adapter les TED. Leur existence
n’est jamais remise en question.

32. Les compagnies nomades : tentative d’appliquer le système des goums


marocains

Les unités de spahis à cheval, qui existent quasiment depuis l’arrivée des Français en
Algérie, sont des unités régulières qui sont soumises aux mêmes règles administratives que les
autres. Elles ne sont donc pas spécialement conçues pour reprendre le contact avec les
populations, même si cela fait intégralement partie de leurs missions. Pour répondre plus
spécialement à ce besoin, surtout vis-à-vis des populations les plus isolées, le commandement
souhaite s’inspirer du système des goums marocains, afin de pouvoir disposer d’unités
extrêmement souples d’emploi et dont les règles de recrutement et d’administration puissent
s’affranchir de la lourdeur des règlements.
L’emploi d’unités montées afin de contrôler le territoire avait déjà été prévu dans le
cadre de la défense en surface par l’arrêté du 17 mars 1953 portant sur la création des unités
territoriales destinées à participer à la défense en surface. Leur mise sur pied est fixée par une
instruction datée du 25 février 19541103. Celle-ci prévoit des unités territoriales de trois types
différents :
- les compagnies urbaines territoriales, dans les localités importantes,
- les compagnies rurales territoriales, « dans les circonscriptions rurales de
l’Algérie septentrionale possédant un peuplement européen suffisant »,
- les escadrons de spahis territoriaux, « dans les communes mixtes du Sud des hauts
plateaux et dans le Nord des territoires du Sud »1104.
Mobilisées par l’administrateur de la commune mixte, ces unités doivent être
composées de Français musulmans. Il est prévu qu’elles soient montées ou motorisées. Placé
sous le commandement d’un administrateur officier de réserve ou, à défaut, d’un chef
musulman influent, chaque escadron ne doit être employé, en principe, que sur l’étendue de sa
commune mixte. Un escadron doit être constitué de trois pelotons de 30 hommes et d’un
groupe de commandement de 10 hommes. Les véhicules doivent être fournis par réquisition et
les cavaliers doivent être requis avec leur monture et le harnachement correspondant.

1103
SHD/Terre : 1 H 1926.
1104
Id.

403
Mais le commandement ne veut pas faire appel aux escadrons de spahis territoriaux,
car leur mise sur pied suppose de décréter la mobilisation générale. Il est, cependant, constitué
par endroits des petites unités montées portant le nom de « cavaliers de commune mixte » qui,
comme les GAD, sont employées par les autorités préfectorales et locales. De même, tout au
long du conflit on voit se multiplier de petites unités de supplétifs montés que ce soient des
harkas, au sein d’unités militaires, ou des maghzens, au sein de SAS.
Mais ces unités de supplétifs, de par le statut de ceux qui les composent, n’ont ni le
volume, ni la structure leur permettant d’acquérir une capacité opérationnelle de grande
ampleur. Il faut donc trouver une solution pour former des unités aptes à la nomadisation et au
contrôle de zone. Cette aptitude suppose que ces unités disposent d’un statut suffisamment
souple, pour s’affranchir de certaines contraintes administratives militaires, mais qui soient
suffisamment structurées, pour être pleinement efficaces sur le plan opérationnel.
Selon Jacques Soustelle, « l’idée première de création en Algérie d’unités légères,
adaptées contre le terrorisme et la guérilla, et composées essentiellement d’autochtones
algériens, (…) semble avoir été exprimée dès le mois de décembre 1954 (…) par (…) le
gouverneur Léonard et sans doute par le secrétariat général du gouvernement »1105. Mais la
formation de telles unités suppose de trouver un cadre légal pour pouvoir disposer d’unités
calquées sur le modèle des « goums marocains » dont certains opèrent en Tunisie et en
Algérie depuis leur retour d’Indochine1106.
Les goums marocains sont des unités composées de Marocains, qui se sentent
beaucoup plus préoccupés par la situation politique du Maroc que par celle de l’Algérie. Ils
restent donc très réservés vis-à-vis de la population algérienne dont ils se sentent très
différents. Pour pouvoir disposer d’un outil similaire, il faut donc en mettre un sur pied avec
des musulmans d’Algérie. C’est la raison pour laquelle, il est décidé de mettre sur pied, de
nouvelles unités créées ex nihilo.
Elles voient le jour à partir du 1er juillet 1955 sous le nom de compagnies mobiles
d’Algérie. Mais comme ce nom risque de porter à confusion avec les unités de la
Gendarmerie, elles sont rebaptisées compagnies nomades d’Algérie (CNA) au bout de deux
mois. Leur organisation est calquée sur celle des goums. Elles sont regroupées par quatre

1105
Claude Bréjot, Historique des G.M.S. en Algérie 1955-1962, Association des personnels des GMS, t. 1,
1986, 347 p., t. 2, 1987, 350 p. Préface de Jacques Soustelle, t. 1, p. 5.
1106
Dès le début du conflit algérien, le général Cherrière réclame des unités de ce type pour l’Algérie. Les VIIIe
et Xe tabors marocains arrivent en Algérie respectivement le 27 janvier 1955 et le 1er mars 1955. Le 25 avril, le
IIIe Tabor arrive à son tour de Tunisie. Au sein de ces trois tabors, les goums se succèdent jusqu’à avril 1956.
Les unités montées des goums ne sont engagées ni en Tunisie, ni au Maroc.

404
unités élémentaires, trois d’infanterie et une à cheval1107, dans quatre groupes (GCNA), eux-
mêmes placés sous un commandement régional. Les compagnies sont numérotées de 1 à 16,
les numéros 13, 14, 15 et 16 correspondant aux compagnies à cheval.
Mais leur similitude avec les goums, outre leur tenue qui y fait référence, s’arrête là.
Le statut des goums ne peut en effet pas être appliqué aux musulmans d’Algérie car selon la
loi du 28 mars 1928, les goums sont des formations auxiliaires composées par du personnel
non français et non soumis aux obligations militaires légales. Leurs membres, tous
volontaires, louent leurs services pour des contrats spéciaux de courte durée. Adopter ce
modèle en Algérie aurait représenté de nombreux avantages pour les autorités militaires qui
cherchent, en 1955, à pouvoir disposer de troupes mobiles, dont les membres auraient été
contractuels pour une courte durée et qui s’affranchiraient de la lourdeur des règlements
administratifs militaires. Mais les Français musulmans d’Algérie sont soumis à la loi du
recrutement depuis 1912 et, partant, de telles unités ne peuvent pas légalement y voir le jour.
Certains chefs militaires sont tentés de jouer sur l’ignorance des musulmans pour leur
appliquer la législation des goums, mais en cas de problèmes disciplinaires, le code militaire
n’aurait pas pu leur être appliqué. En outre, leur contrat ne pouvant pas être reçu par un
intendant militaire, les services effectués n’auraient pas été considérés comme des services
militaires et n’auraient ouvert droit à aucune pension. Enfin, pour déterminer le droit à solde,
il aurait fallu un décret contresigné du ministère des Finances qui ne connaît que le régime des
soldes légales1108. C’est pourquoi c’est le statut des compagnies sahariennes qui est donné aux
nomades. Les hommes sont commissionnés et touchent avec leur solde une prime
d’alimentation, de chauffage et d’éclairage. L’entretien de leur paquetage est également en
partie à leur charge. Leur équipement est entièrement fourmi par l’Etat, y compris la monture
pour ceux qui servent à cheval. Le commandement compte bien, grâce à ces unités, pouvoir
contrôler de vastes régions dans lesquelles les compagnies nomades se déplaceraient
continuellement.
Les unités recrutent elles-mêmes leur personnel. Les cadres qui en sont chargés
prennent contact avec les antennes de recrutement qui sont en liaison avec les chefs de douars.
Ces cellules sont implantées dans la partie nord des territoires sahariens là où il peut être
trouvé plus facilement des candidats, surtout pour les unités montées car il n’y est recruté que
des personnes sachant déjà monter à cheval. La première campagne de recrutement se déroule

1107
Le personnel de ces unités à cheval appartient tous à l’ABC, mais les quatre groupes de compagnies
nomades dépendent de l’infanterie.
1108
SHD/Terre, 1 H 1926.

405
d’août à novembre 1955. Celle-ci s’effectue sans grosses difficultés étant donné le statut
particulier qui est proposé aux futurs nomades1109. La troupe doit être exclusivement
composée de musulmans volontaires. Cependant, en avril 1956, il est affecté aux CNA des
appelés du contingent FSE pour occuper les postes techniques et administratifs
essentiellement. Ils doivent tous être originaires d’Algérie et leur nombre est limité à cinq par
peloton. Mais leur nombre est progressivement augmenté et leur volume représente entre 20
et 25 % des effectifs globaux en 1959.
Les CNA à cheval sont alignés sur la structure des CNA à pied à quatre pelotons. Elles
comptent 157 chevaux, contre 179 pour les escadrons de spahis. Chaque peloton comporte un
groupe FM et deux groupes éclaireurs. Il n’y a pas d’escouade de fusiliers supplémentaire
dans le groupe de commandement. Ce TED (INF 122) diffère donc sensiblement du TED 022
des spahis. Les pelotons de nomades n’ont qu’un seul FM, au lieu de trois chez les spahis.
Cette différence de puissance de feu s’explique par l’emploi auquel sont destinées les CNA
dont le combat n’est pas la mission prioritaire.
En octobre 1955, une instruction du 3e bureau fixe leurs missions qui sont comparables
à celles des goums. Cette instruction précise que les compagnies nomades « sont, également,
des instruments de politique auprès des populations musulmanes à la disposition des autorités
territoriales sur le territoire desquelles elles se trouvent placées »1110. Elles peuvent être
mises temporairement à la disposition d’un officier des affaires algériennes, en vue d’assurer
la recherche du renseignement et de constituer un appui de l’action politique. Elles peuvent
également être « mises à la disposition d’un groupement tactique pour participer à une
opération déterminée » pour assurer la recherche du renseignement, la sûreté ou des coups de
main1111. Mais cette instruction précise surtout que la compagnie nomade ne peut pas tenir
garnison dans un poste ou un ouvrage permanent.
Les unités commencent à être opérationnelles au début de l’année 1956, après que les
nouveaux nomades ont reçu une instruction militaire. Le lieutenant-colonel Bravelet,
commandant des CNA, rappelle aux chefs de groupe que leur action principale reste la
nomadisation, à pied ou à cheval selon les compagnies, pour manifester la présence de
l’autorité de la France et « apprivoiser (sic) ou renouer des liens amicaux auprès des
populations »1112. C’est dans ce sens qu’il souhaite que l’instruction soit menée en priorité.

1109
Serge Bollé, Les Compagnies nomades (Goums algériens), Saint-Avertin, chez l’auteur, 2009, 510 p., p. 69.
1110
SHD/Terre, 6 T 775.
1111
Id.
1112
SHD/Terre, 1 H 1926.

406
A partir du mois de février, les CNA partent en nomadisation pour plusieurs jours et
vont de douar en douar. Des consignes très strictes leur sont données, il leur est formellement
interdit, « sauf ordre contraire ou en cas de flagrant délit, de procéder à des perquisitions à
domicile, qu’il s’agisse de maisons ou de kheimas. Si des renseignements font envisager une
action de ce genre, le commandant de la troupe doit obtenir l’accord préalable de l’autorité
administrative et, si possible le concours de la Gendarmerie »1113. Mais le commandement se
rend compte que, si les officiers des CNA ont des contacts utiles avec la population, celle-ci
les assimile à des officiers des affaires algériennes qui portent la même tenue. Elle ne
comprend donc pas pourquoi ils ne peuvent rien faire pour régler leurs problèmes. Le colonel
Bravelet demande que des pouvoirs administratifs, même limités, soient attribués aux officiers
des CNA, ce qui lui est refusé1114.
Ce refus limite considérablement l’utilité de la nomadisation dans l’esprit des officiers
nomades qui, en outre, accrochent très peu au cours de celles-ci. A partir de 1957, face à ce
constat, les CNA remplissent de moins en moins de missions de nomadisation et passe
progressivement sous la coupe des commandants de secteurs qui sont toujours à l’affût
d’effectifs supplémentaires pour mener à bien leurs missions. En avril 1957, le capitaine
Clément-Bollée, commandant la 15e CNA, reverse même 50 de ses chevaux pour former un
commando à pied afin de participer plus activement aux opérations de secteur1115, et, à partir
de 1958, le commandant du 3e GCNA demande à reverser ses mulets qui avaient été attribués
à ses CNA à pied pour nomadiser.
Le développement des commandos de chasse rend encore plus obsolète la formule des
CNA de 1955. Du reste, les 5e et 6e CNA en forment chacune un. En avril 1959, le LCL Le
Bihan, commandant régional des CNA, ne peut que constater que : « les circonstances ont
voulu que leur raison d’être a été perdue de vue au cours des dernières années » et que seule
l’idée de bataillon qui ne coûte pas cher en effectif a été retenue »1116. Ce changement de type
d’emploi ne se fait parfois pas sans heurt entre les chefs de secteurs et les commandants de
groupes, notamment en ce qui concerne l’accomplissement de missions statiques et le
parcellement des compagnies. Celui-ci est en effet normalement proscrit, car la nomadisation
doit s’effectuer avec un effectif suffisamment important pour éviter qu’un élément isolé ne
tombe dans une embuscade.

1113
SHD/Terre, 7 U 604*.
1114
SHD/Terre, 6 T 775.
1115
Témoignage de Claude Clément-Bollée.
1116
SHD/Terre, 7 U 590*.

407
En 1959, il est fait le constat que non seulement l’emploi, mais aussi le style de vie
même des nomades deviennent de plus en plus semblables à ceux de toutes les unités de
secteur. Des « popotes » troupe font même leur apparition, alors que le nomade est sensé
s’approvisionner tout seul avec sa prime d’alimentation. Le chef d’escadrons Bouillac,
commandant le 1er GCNA, demande, en novembre 1959, que chaque compagnie soit
implantée définitivement, comme c’est déjà le cas à la 2e GCNA1117. L’implantation
progressive des CNA provoque parfois des plaisanteries de la part des autres unités qui
parlent d’elles en les appelant les « nomades sédentarisés »1118. Cependant le rendement des
CNA est égal, sinon supérieur, à celui des autres unités selon leur commandement
régional1119.
Mais si les CNA sont devenues des unités de secteur, en revanche, leur TED n’y est
pas adapté, notamment par leur faiblesse en moyens de commandement. En outre leur statut
spécial en fait des unités qui coûtent plus cher à entretenir que les autres pour un emploi
équivalent. Alors qu’au début de l’année 1959, le général Salan pense étendre cette formule à
d’autres unités pour y attirer plus d’engagés musulmans, en novembre on envisage leur
disparition en versant leur personnel soit dans des unités de tirailleurs, soit dans des unités de
spahis. En juin 1960, le général Crépin, qui souhaite implanter plus de bataillons dans le
Constantinois en en prélevant dans l’Oranais, décide de dissoudre le 1er GCNA dont la
formule ne lui semble plus utile1120. Ce groupe est dissous le 1er juillet. Son personnel est
versé soit au 6e régiment de tirailleurs qui est en train de se mettre sur pied, soit au 9e RS. Ils y
perdent leurs avantages pécuniaires (leur solde passe de 20 500 francs à 18 000). En outre,
cette nouvelle mutation les éloigne de chez eux et de leur famille. L’effet est donc désastreux
sur le rengagement. Alors que le commandement cherche à recruter par engagement des
FSNA, la dissolution des CNA risque d’entraîner leur départ massif. Le chef d’escadrons
Haëntjens, commandant le 4e GCNA, fait part de sa vive préoccupation au commandement
régional auquel il demande : « Comment peut-on, dans un état-major a priori placer les
cadres français dans une position déloyale et dangereuse vis-à-vis des hommes ?»1121 Face au
problème que soulèverait la transformation des autres CNA en unités de tirailleurs ou de
spahis, le commandement décide leur maintien. Les CNA font pourtant partie des premières
unités dissoutes en 1962 après le cessez-le-feu. La décision en est prise en avril. L’esprit qui y

1117
SHD/Terre, 7 U 595*.
1118
SHD/Terre, 7 U 596*.
1119
SHD/Terre, 7 U 590*.
1120
SHD/Terre, 1 H 1875.
1121
SHD/Terre, 7 U 590*.

408
règne, tant chez les FSNA que chez les appelés FSE, du fait qu’ils soient en très grande
majorité des pieds-noirs, est devenu intenable. Elles sont dissoutes officiellement le 1er juin
1962.
En somme, le concept des goums marocains n’a pas pu être appliqué à l’Algérie car le
contexte ne s’y prête pas. Les compagnies nomades d’Algérie à cheval sont devenues en fait
des escadrons de spahis dont seuls le statut spécial et le type de recrutement les
différenciaient.

33. La spécificité du personnel des unités montées

La remise sur pied d’unité à cheval surprend les appelés quand ils en apprennent
l’existence, comme Jean George lors de son séjour au CIABC à la fin de l’année 1957 : « Une
autre spécialité qui m’apparut très étrange, était la formation de troupes à cheval. Depuis
deux mois j’en avais vu à plusieurs reprises du côté est du camp [du Lido]. Décidément je me
dis : on n’a pas encore compris les leçons de 1939 »1122. Mais, comme lui également, ceux
qui y servent en comprennent rapidement l’utilité. Cependant, Jean George sert comme
secrétaire au 3e escadron du 5e RS (de février 1958 à février 1960) et, à ce titre, n’a pas à
monter à cheval. Or tel n’est pas le cas de bon nombre d’appelés du contingent comme
Bernard Beney. Incorporé à Hussein Dey le 4 novembre 1958, il est formé comme radio puis
muté, le 1er mai 1959, à la 13e CNA où il doit apprendre à monter à cheval1123.
Comme lui, de nombreux appelés se retrouvent dans des unités montées sans s’être
portés volontaires, ni savoir monter à cheval. Lors de la création des escadrons, en 1955,
l’instruction équestre est entièrement dispensée par les unités. Un peloton d’instruction de
marche est alors formé pour la période des classes. Mais, même en ne formant les recrues
qu’à l’équitation « arabe »1124, cette charge se révèle rapidement beaucoup trop lourde à
assurer, d’autant plus que les recrues, appelés ou engagés, arrivent en très petit nombre dans
les escadrons isolés.

1122
Jean George, Les Mémoires d’un spahi. Publication électronique, 2008, 217 p., p. 71,
http://fr.calameo.com/read/000049154915570adc0c9, consulté le 21 juin 2011.
1123
Témoignage de Bernard Beney. A la dissolution du 1er GCNA en juillet 1960, Bernard Beney fait partie du
personnel muté au 9e RS. Il se retrouve alors, au PHR du 3e escadron avec son cheval Babar qui l’a suivi dans sa
mutation. Il est libéré le 14 janvier 1961.
1124
Dans les régiments à cheval métropolitains d’avant la Seconde Guerre mondiale, il fallait plusieurs mois
d’instruction à cheval pour obtenir des cavaliers qui tenaient à cheval avec le harnachement réglementaire (selle
de troupe modèle 1874 et bride d’arme).

409
Les recrues doivent apprendre non seulement à monter à cheval mais également à les
soigner1125. Après la séance de pansage, qui est faite avec la plus grande rigueur, les chevaux
sont passés en revue par un sous-officier. La plus grande rigueur était exigée pour le soin des
chevaux avec une attention particulière portée au soin des pieds. En effet, la moindre blessure
ou maladie de la fourchette ou de la sole peut rendre le cheval indisponible pour de longues
périodes. Un vieil adage de cavalerie française est rappelé pour l’occasion : pas de pied pas de
cavalerie. L’instruction initiale des jeunes cavaliers, qui doit se faire sans étrier, se fait en
tapis, fixé par le surfaix, et en bridon d’abreuvoir1126. Cette équitation en tapis1127 a l’avantage
de faire acquérir rapidement au cavalier une bonne assiette et des jambes. Cela déconcerte les
recrues musulmanes peu habituées à le faire. Il leur arrive de tomber, ce qui représente pour
eux une très grave perte de prestige surtout si des civils sont présents.
Cependant, la majorité d’entre eux sait déjà monter à cheval en arrivant dans les
unités. Les régiments prennent soin de recruter leurs engagés parmi les tribus cavalières du
Sud algérien (Ouled-Sidi-Cheikh et Ouled-Naïl) ou les Berbères de l’Aurès car, comme le
rappelle le colonel Gassiat dans l’opuscule qu’il fait distribuer en janvier 1956, leurs membres
sont de très brillants cavaliers1128. L’instruction équestre est donc très rapide pour ces
hommes qui montent à cheval depuis leur enfance et auxquels il suffit d’inculquer la façon de
les soigner. En revanche, les appelés FSNA peuvent « provenir des villes ou des régions ne
possédant pas de chevaux. Il [faut] alors plus de soins et plus de temps pour former ces
derniers, il [faut] leur inculquer tout ce qui se rapporte au cheval »1129.
Le rythme de l’instruction initiale pour les cavaliers montés est d’autant plus soutenu
qu’à l’équitation et au pansage s’ajoute l’instruction du combat à pied commune à toutes les
recrues. Les exercices terrain, comme dans les autres armes, permettent d’acquérir les actes
réflexes et les actes élémentaires du combattant. Puis on passe aux actes élémentaires de
l’escouade et, enfin, à ceux du peloton. Le peloton d’instruction est alors organisé comme un

1125
La chasse est faite également à la présence de paille dans les crins, ce souci relevant en fait de l’esthétisme.
Les chevaux gris, robe très courante chez le cheval barbe, sont d’un entretien plus exigeant, la moindre trace de
crottin y étant beaucoup plus visible que sur les autres robes. Sur les séances de pansage et d’instruction, voir
Claude Girard, op. cit., chapitre IX, p. 85 – 107.
1126
La selle « arabe », dont l’arçon en bois est dépourvu de matelassure, interdit la monte au trot assis. Les
cavaliers se blesseraient inévitablement les fesses rapidement. Cette équitation en tapis avait l’avantage de faire
acquérir rapidement au cavalier une bonne assiette et des jambes et, lorsque après trois mois, ce dernier se trouve
assis sur une selle arabe avec des étriers, cela lui paraissait beaucoup plus facile de contrôler son cheval tout en
maniant son arme. Il fallait, pour être opérationnels, qu’en peu de temps les cavaliers fussent parfaitement
maîtres de leur monture à l’extérieur, y compris sous le feu de l’ennemi.
1127
I.e. sans selle. Le cavalier n’utilise que le tapis pour s’assoir sur le dos du cheval.
1128
Commandement de l’ABC d’Algérie, Instruction des unités de spahis à cheval, janvier 1956, 79 p., p. 4,
archives personnelles du général Pierre Durand
1129
Id.

410
peloton organique opérationnel avec escouades éclaireurs et escouades FM. Les déplacements
se font à cheval mais le combat est celui du fantassin : déplacement de l’escouade éclaireur
appuyée par l’escouade FM puis le contraire pour permettre aux FM d’appuyer le bond
suivant. Mais bien souvent, dans les escadrons autonomes, l’instruction collective est négligée
par manque de temps et d’effectifs. Une fois que les recrues tiennent sur un cheval en
harnachement arabe, généralement au bout d’une centaine d’heures d’équitation, l’instruction
s’arrête car on juge qu’elles ont atteint un niveau suffisant pour participer à des opérations à
cheval et aux défilés.
Le commandement se rend compte rapidement que ce système d’instruction « sur le
tas » n’est pas satisfaisant, surtout pour les jeunes cadres. Dans son rapport du 22 février
1955, l’IGABC appelle l’attention de l’EMA sur le fait que les escadrons de spahis à cheval
sont incomplets, surtout en cadres européens et, de ce fait, partiellement inutilisables1130. Or,
pour l’EMA, cette situation résulte de la rareté des jeunes officiers français de l’ABC ayant
reçu une formation à cheval. Pour y remédier, il est fait appel à des volontaires, tant officiers
que sous-officiers. Une vingtaine d’entre eux, dont certains viennent d’autres armes, sont
regroupés à Saumur de février à mai 1955 pour y apprendre à monter à cheval1131. Comme
l’EAABC n’a pas encore son escadron de spahis qui n’est créé qu’en novembre 1956, les
stagiaires sont ensuite envoyés jusqu’au mois de juillet au 7e ESA de Senlis pour y apprendre
l’équitation « arabe » et découvrir les spahis musulmans. Cet apport de cadres permet
d’aligner les effectifs réalisés sur les effectifs théoriques.
Mais le stage de Senlis ne représente qu’une initiation trop rapide. Or l’IGABC
souhaite « voir affecter des lieutenants de cavalerie éprouvés dans les unités à cheval, alors
qu’elles sont à base de sous-lieutenants ou aspirants de réserve »1132. En outre, la spécialité
« troupe montée » n’existe plus chez les sous-officiers ce qui interdit à ceux qui y servent de
passer leur brevet d’arme dans celle-ci. Une structure d’instruction complète doit donc être

1130
Situation au 1er mars 1955 (SHD/Terre, 31 T 8) :
Formations Capitaines Lieutenants et SLT Off du régime du décret 7.2.40 Total
Théo Réal Théo. Réal. Théo. Réal. Théo. Réal.
6e ESA Alger 1 2 3 1 1 2 5 5
9e ESA Batna 1 1 3 1 1 2 5 4
10e ESA Sebdou 1 1 3 3 1 0 5 4
11e ESA Kenchela 1 1 3 3 1 1 5 5

1131
C’est parmi eux que se trouve Serge Giraud qui, à son retour d’Indochine, sert comme MDC au 3e RH à
Alençon. Témoignage de Serge Giraud.
1132
Id.

411
mise sur pied mais il faut attendre le début de l’année 1956 pour que l’EABCA d’Hussein
Dey1133 soit en mesure de le faire.
Il commence à accueillir les recrues des unités montées lors de l’incorporation du
contingent 56/2/A1134. Pour ce faire, une division des officiers et des sous-officiers à cheval,
commandée par un capitaine, et un peloton d’instruction monté (rattaché au 5e escadron
d’instruction) y sont créés. Ce peloton se transforme progressivement en 8e escadron
entièrement monté qui regroupe les officiers, les sous-officiers et les recrues à l’instruction
destinés aux unités montées. En 1958, le nombre des chevaux du CIABC passe à 300. Ils sont
regroupés au sein du 3e groupe d’escadrons d’instruction créé le 1er novembre 1958. Ce
dernier comprend deux escadrons mixtes monté/porté1135. En outre, le 7e ESA de Senlis
continue à fournir tout au long du conflit des recrues à 14 mois.
Si le recrutement d’appelés ne pose pas de difficulté, dans la mesure où leur avis ne
leur est pas demandé, en revanche celui des cadres reste plus délicat. Un appel est fait au
volontariat. Pierre Durand, qui sert comme chef de peloton au 5e régiment de chasseurs
d’Afrique, y répond. Il suit le premier cours pour les cadres des unités montées en février
1956 organisé à Hussein Dey. Sachant déjà monter à cheval, il y apprend surtout à manœuvrer
avec un peloton monté. Mais il a le sentiment d’appliquer surtout les règlements d’avant-
guerre. Lors de l’examen final, selon ses souvenirs, pour avoir une bonne note, il faut terminer
le test tactique en tirant son sabre et en criant : « Chargez ! »1136 En fait, lors de son séjour au
5e RSA, ce sont surtout les savoir-faire techniques qui lui seront utiles.
Mais, pour la formation des cadres, ce système n’est pas suffisant. A Saumur, en
novembre 1956, une brigade de 25 EOR destinés aux unités montées est formée. Elle est
surnommée rapidement la « brigade mondaine », bien que, selon François Klein, qui, comme
capitaine, y est instructeur de 1958 à 1960, cette réputation est surfaite. Selon lui, la sélection
des EOR se fait sur leur niveau d’équitation1137 et non sur le fait qu’ils sonnent passablement
de la trompe ou qu’ils portent une particule1138.
Mais le manque d’officiers et de sous-officiers d’active reste problématique,
notamment pour les capitaines commandant. Peu après sa prise de commandement du 5e
RSA, le lieutenant-colonel Branet demande le remplacement de l’un des siens en décembre
1133
L’EABCA d’Hussein Dey est transformée en CIABCA en avril 1956.
1134
SHD/Terre : 7 U 1040*.
1135
Id.
1136
Témoignage de Pierre Durand.
1137
Jean-Serge Bertoncini qui fait partie de cette brigade en novembre 1959, est un cavalier de concours
international, mais un tel niveau d’équitation reste exceptionnel chez les EOR. Témoignage de Jean-Serge
Bertoncini.
1138
Colonel François Klein, « La Mondaine », in Le Burnous, n° 3/93, décembre 1993, 16 p., p. 13.

412
1957. Il exige un officier ayant déjà servi dans une troupe montée et qui soit titulaire de titres
de guerre. La DPMAT ne peut en trouver qu’un seul qui réponde à ces critères. Il s’agit de
François Arlabosse qui a servi au 5e régiment de spahis marocain (à cheval) à la fin de la
Seconde Guerre mondiale. Mais il n’est pas volontaire pour ce poste. Ayant servi au 1er REC
de 1951 à 1953 en Indochine, il lui reste en effet deux ans avant son tour pour l’AFN, et il
souhaite rester au CI/5e RD de Périgueux. Il se rend à la DPMAT pour y faire part de ses
réticences. Le colonel qui l’y reçoit lui apprend que son ordre d’affectation pour l’AFN est
déjà signé mais qu’il lui laisse le choix entre un régiment à pied ou le 5e RS. C’est donc
quelque peu contraint qu’il prend le commandement du 4e escadron du régiment. Rapidement,
il se rend compte que sa présence y est effectivement nécessaire et qu’une reprise en main s’y
impose :
« Le cantonnement n’était absolument pas protégé. Les chevaux étaient sales et
ne sortaient pas tous les jours. Les pelotons étaient commandés par des sous-
lieutenants du contingent qui passaient leur temps à monter à cheval dans une
espèce de carrière, à faire des concours hippiques entre eux. J’allais avoir un
sacré travail ! »1139
A cette époque, les besoins en cadres d’active sont de plus en plus grands étant donné
le regroupement des unités montées en groupe d’escadrons. Un cours spécial est donc créé à
Saumur pour leur formation de février à juin 1957. Il est placé sous la direction du capitaine
de Royer. Sa courte durée et le nombre peu élevé d’élèves, qui ne sont que 5 officiers et 12
sous-officiers, font qu’il est facilement absorbé par l’Ecole. Mais ce cours ne donne pas les
résultats que l’on en attend à cause de la sélection insuffisante des élèves presque tous
désignés d’office parmi les moins bons éléments pour les sous-officiers. Le commandant de
l’Ecole les juge, pour la plupart, trop âgés et d’une instruction militaire trop sommaire1140.
Gilles Méhu, qui suit ce stage comme lieutenant, se souvient que certains sous-officiers n’ont,
à leur arrivée, strictement aucune connaissance du cheval1141. Les officiers, en revanche sont
tous volontaires1142. Les chevaux barbes de l’Ecole ne sont pas utilisés par les stagiaires qui
sont remontés avec des chevaux d’instruction, dits « du paddock ». L’escadron de spahis
n’étant pas employé comme troupe de manœuvre, l’instruction tactique se limite sur le terrain

1139
Témoignage de François Arlabosse.
1140
SHD/Terre, 6 U 84.
1141
Témoignage de Gilles Méhu.
1142
Les jeunes officiers espèrent, comme Bertrand de Dinechin, pouvoir y trouver « une vie exaltante faite de
grands espaces et de longues chevauchées. » Promotion Extreme-Orient (1950-1952), Paroles d’officiers. 1950-
1990 : Des Saint-cyriens témoignent, s.l., Chez l’auteur (Ed. St-Avertin) 1991, 654 p., p. 234.

413
au niveau du groupe, car c’est le maximum qui peut être fait avec une petite vingtaine de
cavaliers.

Cliché n° I/66
Le capitaine de Royer entouré de ses officiers stagiaires. La photographie est prise dans la région
d’Argenton-sur-Creuse, au sud de Châteauroux. Un exercice de vie en campagne d’une semaine y est
organisé au cours du stage car le terrain y ressemble à celui de l’Algérie. (Cliché Gilles Méhu)

Il est prévu d’organiser deux stages par an, mais on doit y renoncer car le nombre de
chevaux est juste suffisant pour l’instruction d’abord des EOR montés, pendant 5 mois et
demi, puis du cours à cheval des cadres d’active pendant 4 mois1143. Les stages suivants sont
donc organisés à partir du mois d’août pour permettre aux sous-lieutenants sortant
d’application et aux ESOA de les suivre. François Meyer, qui le suit en 1958, ne rejoint le 23e
RS qu’au mois de novembre.
Malgré ses efforts, en décembre 1959, l’IBAC constate que « le nombre de sous-officiers
possédant la spécialité « montée » reste insuffisant et leur qualité est encore médiocre.
L’effort entrepris dans les corps pour leur recrutement et à Saumur pour le perfectionnement
équestre n’est pas jugé encore satisfaisant, le commandement demande à ce qu’il soit
poursuivi pour pouvoir répondre aux besoins des unités montées »1144.
Même à cette époque, le nombre de sous-officiers volontaires pour servir dans les unités
montées est si faible que tous ceux qui en font la demande y sont affectés, même s’ils ne savent pas
monter à cheval. C’est le cas de Marc Surmonne. Après avoir servi au centre d’instruction de
division blindée de Trêves de juillet 1958 à octobre 1959 comme MDL du contingent, il
demande à servir dans une unité montée. Il est aussitôt muté au 3e escadron du 9e RS où il doit

1143
Pour faire face au manque de chevaux, les barbes de l’escadron de spahis sont employés par les EOR à partir
de 1958. Ils sont montés en harnachement « arabe ».
1144
SHD/Terre, 31 T 9.

414
apprendre à monter à cheval avant d’être opérationnel1145. En outre, il arrive parfois que des
renforts arrivent dans une unité montée sans savoir monter à cheval, mais cela semble plutôt
dû à des erreurs plutôt qu’à une volonté de vouloir combler à tout prix le manque d’effectifS.
Ainsi, en 1957, le 5e RSA reçoit du CIABC d’Hussein Dey un renfort de 60 hommes venus de
l’infanterie coloniale n’ayant aucune instruction équestre, alors 40 hommes instruits au 7e
ESA de Senlis sont, dans le même temps, affectés au 16e régiment de dragons qui est un
régiment motorisé1146.
Si les volontaires font défaut parmi les sous-officiers pour servir à cheval, c’est
essentiellement parce que la vie y est beaucoup plus contraignante que dans les autres unités
de l’ABC du fait que « le cheval [y] compte autant que l’homme »1147. Aux nombreux
services qu’ont toutes les unités, s’ajoute celui des chevaux qui est très prenant. Ces derniers
doivent être nourris, abreuvés, soignés et montés tous les jours quelque soit l’effectif des
hommes pour s’en occuper. Lorsqu’ils ne sont pas en opérations, les journées des spahis sont
rythmées par le soin à apporter aux chevaux. Après le pansage les pelotons vont faire la
promenade des chevaux en tapis1148, l’après-midi ils doivent parfois les sortir une deuxième
fois pour l’instruction en harnachement complet. Ils doivent emmener leurs chevaux à
l’abreuvoir plusieurs fois par jour, et la nuit, en plus du service de garde normal, ils doivent
assurer le service de garde à l’écurie. En opérations, ils doivent également soigner leurs
chevaux et veiller à leur confort, avant de penser au leur. Pour économiser le dos de leurs
chevaux, ils doivent marcher une bonne partie de leur parcours à pied en les tenant par la
bride. Au retour d’opérations, en plus de leur armement et de leur paquetage, ils doivent
veiller à la remise en condition de leur cheval. En outre, en cas d’absence de leurs camarades,
ou de manque d’effectifs, certains cavaliers doivent prendre en charge plusieurs chevaux. Il
arrive donc fréquemment, qu’étant donné le sous-effectif chronique dont souffre leur
régiment, les chefs de corps demandent à reverser des chevaux qui ne leur servent pas faute de
personnel, mais dont ils doivent assurer l’entretien. En août 1959, le lieutenant-colonel
d’Ussel, commandant le 5e RS, souhaite que le TED 022 soit entièrement revu et que le

1145
Témoignage de Marc Surmonne.
1146
SHD/Terre : 31 T 12
1147
Témoignage de Bertrand de Dinehin, op.cit., p. 253.
1148
Au début du conflit, comme le veut le règlement, cette promenade s’effectue à la proximité immédiate du
cantonnement et sans arme. Mais, en novembre 1957, un peloton du 3e escadron du 5e RSA tombe dans une
embuscade au cours de la promenade des chevaux. Le bilan est particulièrement lourd car les spahis ne peuvent
pas se défendre : trois morts, six blessés et trois chevaux tués. Après cet incident, au moins au 5e RSA, les
promenades des chevaux s’effectuent en selle d’arme avec l’armement. George, op. cit., p. 118.

415
nombre de chevaux passe par escadron de 179 à 130, mais son projet n’est pas accepté par
l’EMI1149.

Cliché n° I/67
Bivouac d’un escadron du 23e RS au sud d’Aïn-Krecheb (Sidi Amem) en 1960. Les chevaux sont entravés
par un antérieur à une corde fixée au sol par deux piquets. Le soin à apporter aux chevaux en opérations
est d’autant plus pénible que la météo est mauvaise. (Cliché François Meyer)

Lorsque François Meyer, au cours du stage qu’il effectue au 1er régiment de cuirassiers
en août 1957 à sa sortie de Saint-Cyr, voit pour la première fois une compagnie nomade à
cheval rentrant d’opération, il se dit que jamais il ne servira dans une unité de ce type. Il
constate qu’une fois arrivés à l’étape, les hommes accablés par la chaleur, couverts de
poussière et exténués par des heures de chevauchée, doivent s’occuper de leurs chevaux avant
de songer à eux-mêmes1150.
L’impression qu’a François Meyer correspond à une réalité. En décembre 1955, le
capitaine commandant le 5e escadron de spahis algériens constate que le « spahi français de
souche n’est pas attiré par le cheval qui crée beaucoup de servitudes en dehors de son
utilisation »1151. Il demande que les Européens soient choisis parmi des agriculteurs car ils ont
l’habitude de soigner les animaux. Le commandement s’efforce de le faire, mais, selon le
général Renaudeau d’Arc, même si les agriculteurs sont « bons dans l’ensemble, [ils] n’ont
toutefois que des moyens limités de par leur extraction paysanne et ne peuvent que
difficilement accéder au grade de sous-officier, voire de brigadier-chef »1152.

1149
SHD/Terre, 1 H 2750.
1150
Témoignage de François Meyer.
1151
SHD/Terre, 7 U 979*.
1152
SHD/Terre, 31 T 12, rapport d’inspection du 9e GES de mars 1959.

416
Si les musulmans sont plus attirés par les chevaux, au bout de quelques temps, ils se
rendent compte que leur vie serait sans doute plus agréable dans un autre type d’unité. Aussi,
lorsqu’ils demandent à rengager, ils le font souvent au profit d’unités non montées. Au 5e
RSA, en février 1957, soixante engagés FSNA quittent ainsi le régiment à la fin de leur
contrat. Le LCL Marzloff, chef de corps du 5e RSA, pense que cela est dû « soit aux menaces
ou à la propagande rebelles exercées sur eux ou sur leur familles, soit à une surenchère
d’autres organismes tels que les CNA, SAS, GMPR, qui leur offrent des avantages matériels
supérieurs à ceux de l’armée, soit, simplement du fait même que le régiment a été créé par
apport de gradés et spahis musulmans de tous les régiments de l’ABC d’Algérie qui en ont
profité pour se débarrasser de tous leurs éléments indésirables »1153. Il est un fait que les
spahis qui viennent des régiments motorisés n’ont pas l’habitude d’un service aussi lourd que
celui des régiments montés et, toujours selon le LCL Marzloff, « beaucoup parmi eux n’ont
pas compris, qu’engagés ou rengagés au titre d’unités blindées, ils avaient été mutés d’office
dans un régiment à cheval. Cette manière de procéder s’est d’ailleurs traduite, au début, par
quelques refus d’obéissance ». La situation devient même préoccupante, entre le 1er juillet et
le 1er décembre 1956, période pendant laquelle il n’y a que cinq candidats à l’engagement.
Aussi, en 1958, le général Renaudeau d’Arc, IABC, propose-t-il d’attribuer « sous une forme
à trouver, un avantage matériel, si minime soit-il, au personnel sous-officier et troupe servant
dans les unités montées »1154. Cette mesure paraît d’autant plus justifiée que les avantages
pécuniaires offerts par les GMPR, où en outre la discipline est moins stricte, nuisent
effectivement au recrutement des régiments montés. Mais une telle prime, qui pourtant
semble aussi légitime que la solde à l’air1155, sinon plus, ne verra jamais le jour.
Les escadrons montés sont parmi les unités où le volume de FSNA est le plus élevé.
En 1954, il est fixé à 55 %, puis, en 1956, à 45 %, sauf pour les nomades où il reste beaucoup
plus élevé. Mais toujours pour les mêmes raisons que dans les autres unités, il atteint parfois
le volume de 70 ou 90 % pour les pelotons de combat car les FSE sont affectés en priorité aux
postes techniques et administratifs des cellules de soutien ou de commandement. Le moral des
unités montées est donc particulièrement sensible à l’évolution politique du conflit. Plus que

1153
SHD/Terre, 7 U 969*.
1154
SHD/Terre, 31 T12, rapport d’inspection du 5e RSA de juillet 1958.
1155
Nom couramment donné à l’indemnité pour service aérien. Cette indemnité représente 40% de la solde de
base. Elle est attribuée au personnel naviguant des aéronefs (avions ou hélicoptères). Elle a également été
attribuée au personnel des unités parachutistes lors de leur création dans l’armée de l’Air sous le nom
d’« infanterie de l’air ». Lorsque ces unités de l’infanterie de l’Air sont passées dans l’armée de Terre, pour y
former les unités aéroportées, le personnel a conservé cet avantage pécuniaire. Ce supplément de solde, qui est
non négligeable, explique en grande partie l’attrait qu’ont les unités aéroportées pour le personnel.

417
les autres unités, les spahis sont confrontés au problème des désertions dont le taux varie en
fonction des périodes, des lieux et de l’emploi que l’on fait d’eux.
Le 10e groupe d’escadrons de spahis algériens (GESA) connaît une période
particulièrement noire dans ce domaine en 1956. Selon le témoignage de Michel Minot, le
vétérinaire du GE, lors des départs en opération, l’armement n’est donné qu’au dernier
moment aux spahis car « entre le magasin d’armes et le pied à l’étrier, il est arrivé que
presque un peloton entier ait déserté »1156. Entre juin et septembre 1956, le GE ne compte pas
moins de 56 déserteurs, dont des sous-officiers et, effectivement deux sous-officiers et une
dizaine de spahis d’un même peloton en même temps1157. Face à cette situation, toutefois
exceptionnelle, le commandement envisage soit de remplacer les musulmans par des
Européens, soit de dissoudre le groupe d’escadrons. En septembre, les deux capitaines
commandant sont remplacés. En décembre, le chef d’escadrons Picart, qui prend le
commandement du GE en septembre1158, tente de donner des explications sur la situation de
son unité.
Il pense que, si des fautes de commandement ont dû être commises par les chefs de
peloton, officiers « frais émoulus des écoles et sans expérience », son GE est peut-être
noyauté par le FLN qui prend de l’importance dans les régions de Géryville, d’Aflou et de
Tiaret dont sont originaires bon nombre de spahis. Mais il impute surtout le nombre élevé des
désertions aux conditions matérielles particulièrement pénibles dans lesquelles vivent les
pelotons et à l’inaction relative due au manque d’équipement radio dont ils ne sont toujours
pas équipés. En outre, il déplore « la désaffection du commandement à l’égard d’une telle
troupe aussi sensible, et surtout l’incompréhension de certains chefs locaux incompétents et
incapables de retirer les nombreux avantages que ces unités offrent en Afrique du Nord »1159.
Il est un fait que le mauvais emploi des unités montées a entraîné des pertes anomales,
notamment le 5 mai 1956 où 25 spahis disparaissent.
L’avenir semble lui donner raison. Le nombre de désertions baisse considérablement
dès que le 10e GESA est déplacé1160. En septembre, les escadrons quittent leurs
cantonnements de Sebdou et de Mascara où ils étaient séparés par de grandes distances pour

1156
Vétérinaire biologiste chef des services Michel Minot, Etre vétérinaire dans une unité à cheval : Un Rêve
réalisé, Toulouse, chez l’auteur, 2000, 12 p., p. 6.
1157
SHD/Terre, 31 T 12.
1158
Si son prédécesseur n’est pas relevé. Il quitte son commandement uniquement parce qu’il vient de passer
lieutenant-colonel qui est un grade trop élevé pour commander un GE.
1159
SHD/Terre, 7 U 978*.
1160
Si certains déserteurs reviennent au GE en août, cinq en novembre, dont trois laissent une lettre qui explique
leur geste par « la mauvaise nourriture, le prêt insuffisant et le travail excessif ». Il n’en demeure pas moins vrai
que le commandement pense que certains sont passés à l’ALN. SHD/Terre, 7 U 978*.

418
rejoindre la région de Saïda. Par la suite, le taux de désertion de cette unité, qui fusionne avec
le 3e GESC en août 1958, n’est pas plus élevé que dans les autres unités même si des
désertions, ou des tentatives de désertion, continuent à être signalées au cours du conflit
comme dans les autres unités montées. Cependant, les désertions collectives restent
exceptionnelles, comme celle signalée au 3e escadron du 5e RS mai 1959. Un maréchal-des-
logis musulman, resté en base arrière alors que l’escadron est en opération, déserte avec les
appelés qui sont de garde sous ses ordres. Cependant, aucune violence n’est faite aux huit
Européens restés avec lui, alors que les FSNA étaient seize en tout1161.
Les compagnies nomades d’Algérie restent plus sensibles que les autres unités dans ce
domaine du fait que leur recrutement s’effectue sur place avec des hommes mariés. Or, quand
la compagnie est en opération, la protection des familles laissées en base arrière n’est plus
assurée de façon satisfaisante, ce qui rend le nomade plus vulnérable aux pressions du FLN. A
la 14e CNA de Liebert, en juin 1958, cinq sous-officiers musulmans, dont un adjudant, sont
arrêtés pour avoir récolté des fonds auprès des autres nomades et transmis à l’OPA des
renseignements sur les activités de l’unité1162.
En somme, les unités à cheval sont des unités dont la montée en puissance se révèle
plus compliquée à mettre en œuvre que prévu. Ces difficultés tiennent en partie au personnel
qui les compose. Non seulement il faut former des cadres de contact compétents qui
connaissent à la fois les chevaux et la culture nord-africaine, mais en outre, dans un conflit
révolutionnaire, leur composition majoritairement musulmane en font des unités dont l’esprit
est plus fragile que les autres. La guerre d’Algérie ne permet donc pas la résurrection intégrale
des unités à cheval. A la fin de la guerre d’Algérie, toutes les unités montées sont dissoutes.
Les chevaux connaissent des fortunes diverses. La majorité est vendue sur place. Cependant,
quelques-uns sont cédés à la future armée algérienne, d’autres sont envoyés à Dakar pour
remonter la garde Rouge1163. Un petit nombre est rapatrié, soit pour être cédé à l’institut
Pasteur1164, soit pour rejoindre les sociétés hippiques nationales de garnison.

* *
*
1161
George, op. cit., p. 162 et 163.
1162
Jean-Marie Doirau, La 14e Compagnie nomade à cheval. Algérie 1955-1962, Amicale du 2e RSM, avril
2000, 148 p., p. 45.
1163
Cette unité descend d’un escadron du 1er régiment de spahis algériens qui a été détaché à Dakar en 1845.
Devenue escadron de spahis sénégalais, que Pierre Loti choisit comme cadre pour son roman, elle passe dans la
Gendarmerie et devient garde coloniale en 1928. A l’indépendance du Sénégal, elle devient garde présidentielle
son le nom de garde Rouge.
1164
Le sérum de ces chevaux y sert à fabriquer des vaccins.

419
Les moyens dont dispose l’ABC tout au long du conflit sont extrêmement riches de
par leur diversité. Cette diversité est notable chez les hommes tout d’abord. Les plus anciens
ont combattu à cheval en 1940, en char en 1944 et, pour beaucoup, à pied en Indochine, alors
que les plus jeunes n’ont pas cette expérience. Ils découvrent une guerre pour laquelle ils ne
sont ni formés, ni équipés. Cependant, ils réussissent à s’adapter au conflit car l’immense
majorité d’entre eux en comprend rapidement les enjeux. Même si une certaine lassitude se
fait jour petit à petit, ils ont le sentiment de s’être grandement investis personnellement.
Aussi, la grande majorité des cadres est-elle déçue, voire dépitée par l’issue du conflit. Tous
ont du mal à admettre que des négociations soient menées avec le FLN, qu’ils considèrent
comme un parti politique sans aucune légitimité et dont la violence est le seul moyen
d’expression. Or, cette violence les entraîne dans une spirale infernale où certains ont le
sentiment de perdre leur âme pour une cause perdue.
L’ABC paie chèrement sa participation au conflit. Non seulement elle y déplore des
pertes humaines, comme l’ensemble des forces armées, mais elle lui sacrifie son avenir
opérationnel. C’est la raison pour laquelle, dans les premières années, une instruction
spécifique au conflit tarde à voir le jour, y compris pour les appelés. Le système des centres
d’instruction, conçu à l’origine pour la préparation opérationnelle d’une guerre classique,
permet toutefois de répondre efficacement aux besoins de l’Algérie. Cependant, si
l’instruction individuelle est bien menée, l’instruction collective est négligée, notamment celle
concernant la lutte antichar. Si, à court terme, cette carence n’a pas de grande importance, en
revanche, l’avenir opérationnel des unités est fortement compromis. En cas de mobilisation,
elles n’auraient sans doute pas été aptes à combattre avant plusieurs semaines.
Cette montée en puissance aurait été sans doute également gênée par l’état du parc
d’engins blindés que l’Algérie ne permet pas d’améliorer. La mise en service du char moyen
de 25 t est retardée par celle d’une automitrailleuse peu apte au combat de haute intensité et,
de surcroît, qui arrive trop tard pour être engagée en Algérie. Les matériels américains ont
tous été usés au cours du conflit et sont retirés du service lors du rapatriement des unités. En
1962, il ne reste plus dans l’ABC, comme matériel blindé américain, que le Patton qui est un
char dépassé pour affronter les chars soviétiques.
A défaut de régiment de chars modernes, l’ABC compte, en revanche, le volume de
quatre régiments à cheval (trois régiments et trois compagnies nomades au début de l’année
1962). Ce retour en arrière est très bien vécu par le personnel du fait de la place que tient
encore le cheval dans l’ABC et en AFN. Mais si ces unités bénéficient d’un savoir-faire

420
technique ancien, les savoir-faire tactiques ne sont transmis que par des règlements d’avant-
guerre. Les structures des unités de cavalerie à cheval doivent être revues entièrement pour
s’adapter au contexte particulier de la guerre d’Algérie. En outre, l’idée de faire nomadiser
des unités à cheval automnes doit rapidement être abandonnée du fait des charges trop
importantes que représente la vie de garnison pour les unités isolées. En fait, si les unités à
cheval se sont muées progressivement en unité de combat d’infanterie montée, cela tient plus
au fait qu’elles ont due être regroupées dans de grosses unités qu’à une réelle volonté du
commandement.
En somme, l’ABC a su faire face au conflit en y apportant ses moyens et ses savoir-
faire. Mais ceux-ci ont dû s’adapter constamment et leur évolution a transformé le visage de
cette arme qui, après 1962, doit se remettre sur pied pour retrouver sa vocation première. Il
n’est donc pas dit que l’ABC aurait pu continuer bien longtemps à participer à la guerre
d’Algérie, il était temps pour elle que celui-ci prît fin.

421
422
TITRE TROISIEME

Emploi d’une arme « classique » dans la guerre


révolutionnaire

Les moyens humains et matériels employés par l’ABC au cours de la guerre d’Algérie,
lui permettent d’y remplir un très large éventail de missions qui, de prime abord, diffèrent de
des missions pour lesquelles elle est conçue.
En 1954, l’ABC est une arme dont la première caractéristique est devenue celle de
porter des tirs directs puissants à un endroit du champ de bataille. L’autre caractéristique de
l’ABC est celle de la recherche du renseignement de manœuvre sur les avant-gardes et les
gros d’un ennemi en marche. Ce renseignement s’obtient par la population, si elle est encore
là, la manœuvre et le feu pour forcer l’ennemi à se déployer et dévoiler, sinon ses intentions,
du moins son axe d’effort. Enfin, la dernière caractéristique de l’ABC est celle de la
couverture à l’avant, sur les côtés (flanc-garde) ou, en cas de retrait, à l’arrière (arrière-garde).
Le but est alors de permettre aux unités qu’elle couvre de disposer de suffisamment de délais
pour se mettre en garde face à un ennemi qui les menacerait.
Dans une guerre insurrectionnelle, face à un ennemi faiblement armé et dilué sur le
terrain comme au milieu de la population, ces modes d’actions ne semblent effectivement pas
être d’un grand secours. Pourtant, plus que l’application littérale de ces missions, n’est-ce pas
plutôt l’esprit dans lequel elles sont accomplies qui prime ? Ces modes d’action ne sont-ils
pas, en somme, que des procédés qui répondent à des circonstances particulières ?
En fait, l’esprit dans lequel les cavaliers remplissent leur mission, fait de prise de
décisions rapide, de mobilité et de concentration des feux, n’est-il pas finalement la
caractéristique première de l’ABC qui lui donne toute sa place dans le dispositif opérationnel
déployé en Algérie ?

423
424
CHAPITRE I

L’insertion des unités de l’ABC dans le dispositif général

I. Les unités parent au plus pressé et se dispersent dans leurs


missions comme dans leurs stationnements

11. Une première dispersion des moyens blindés due initialement à leur
rareté

En novembre 1954, les régiments blindés de l’ABC ne sont que quatre en Algérie1165.
Le 9e régiment de chasseurs d’Afrique (RCA), implanté à Batna, est touché directement par
les attentats du 1er novembre. L’une de ses sentinelles, dont l’arme n’est pas approvisionnée,
est tuée d’un coup de pistolet vers 3 h 00 du matin1166. Les escadrons, étalés sur plus de 100
km de Tébessa à Batna, sont aussitôt mis en état d’alerte et envoyés par peloton partout où des
attentats ont été commis, notamment à Arris pour y évacuer des familles européennes. Le 3
novembre, un détachement va dégager la gendarmerie de T’Kout.
Le 15 novembre, le chef de corps prend le commandement du secteur opérationnel
temporaire de la région Nord-Ouest/Nord-Est des Aurès. Le 9e RCA reste groupé dans les
Aurès-Nementcha mais le territoire est immense et ses escadrons sont souvent détachés au
profit des secteurs d’Arris, de Timgad ou de Briskra.
Les autres régiments doivent également détachés leurs escadrons partout où le besoin
se fait sentir dans le cadre de groupes de marche interarmes. Le 3e escadron du 2e RCA est
envoyé dans les Aurès. Le 1er escadron du 5e RCA est envoyé en Kabylie, dans la région de
Tizi-Ouzou là où des sabotages et des harcèlements de convoi ont lieu. Il effectue des
missions de ratissage pour regrouper les hommes des villages afin d’effectuer des contrôles
d’identité. Le capitaine Benet, qui le commande découvre, pour la première fois, la population
du bled : « C’était mon premier contact avec les autochtones. Très vite, je comprends les
difficultés de notre action qui consistait à extirper « l’ivraie du bon grain »1167. A peine rentré
à Maison-Carrée, l’escadron repart pour les Aurès, où il s’installe dans une ferme à proximité

1165
1er RSA, 2e RCA, 5e RCA et 9e RCA.
1166
Il s’agit du chasseur Pierre Audat.
1167
Le Bulletin de l’union nationale des anciens chasseurs d’Afrique, n° 26, décembre 1998, 36 p., p. 22.

425
de Khenchela. Il remplit alors des missions d’escorte, d’appui d’infanterie et de bouclage. Il a
des contacts avec des bandes venant de Tunisie. Mais la situation devenant tendue en Oranie,
l’escadron est envoyé en septembre 1955 dans la région de Tlemcen au sein du groupe de
marche n° 221. Celui-ci comprend, en plus de l’escadron, un bataillon de tirailleurs et une
compagnie de zouaves. Il y reste jusqu’au retour des deux escadrons du 2e RCA qui opèrent
au Maroc d’août à octobre 1955.
Le 2e régiment de chasseurs d’Afrique, qui tient garnison à Tlemcen est très peu
concerné par les attentats. Le personnel ne se sent pas menacé. Le chef de corps ordonne de
toutefois de prendre des mesures de protection préventives. Mais Jacques Moser, qui y est
comme chef de peloton, pense qu’elles ont eu surtout des répercussions lamentables sur le
moral des musulmans du régiment. Dans le courant du mois de novembre 1954, un exercice
d’alerte de nuit est déclenché. « Des hommes en armes sont postés aux créneaux des vieux
bastions du mur d’enceinte qui dataient du temps de la conquête. Des sacs de sable sont
disposés sur la murette du mur soutenant les grilles de l’entrée principale et de la « porte des
chars ». Lors de l’inspection du colonel, Jacques Moser observe avec étonnement un
lieutenant musulman dont il devine le désarroi. « Benadjina est blême. Il se penche vers moi
et il me dit à voix basse :
- Pourquoi vouloir anticiper déjà ?
(…) En fait, le premier élément annonciateur d’un malaise fut l’ensemble des consignes de
sécurité renforcée dicté aux troupes stationnées en Algérie. La confiance mutuelle entre
Français et Algériens fut atteinte.»1168
En janvier 1955, au retour du 3e escadron des Aurès, un groupe léger d’intervention est
créé au 2e RCA1169. Ce peloton n’est engagé pour la première fois qu’en octobre pour assurer
la protection du barrage des Beni Badel, car des émeutes et des sabotages ont eu lieu dans la
région. Il y reste un mois sans qu’aucun incident ne soit signalé. « Le mois de garde aux Beni
Badel se passera dans le calme. (…) Des patrouilles sont envoyées en half-tracks pour faire
acte de présence dans des villages isolés où les habitants nous regardent d’un air plutôt
méfiant. (…) Tout le monde semble un peu gêné. Y compris nos sous-officiers musulmans
[dont] certains sont rentrés d’Indochine au début de l’année. » 1170
Le 1er régiment de spahis algérien doit également disperser ses escadrons, qui restent
peu de temps au même endroit pour répondre à tous les besoins. Le 2e escadron est envoyé à

1168
Témoignage de Jacques Moser.
1169
Ce groupe est constitué par une jeep, un groupe blindé de deux AM M8, un peloton porté de trois half-tracks
et un groupe muletier de six mulets et d’un GMC pour les transporter. Id.
1170
Id.

426
Souk-Ahras, puis, en février 1955, à Zribet-El-Oued pour surveiller la piste qui longe le sud
du massif des Aurès de Biskra à Khenchela1171. Le 3e escadron est envoyé à Biskra jusqu’en
mars, où le chef de corps prend le commandement du sous-secteur lui-même inclus dans la
zone opérationnelle Aurès-Nementcha que commande le général Gilles. Les pelotons
participent, en plus des missions d’escorte et de bouclage, à des opérations de « dissuasion »
afin de montrer sa force avec des tirs au canon et à la mitrailleuse. L’une d’entre elles est
déclenchée en décembre à la suite de la découverte d’un pistolet enterré. Selon Nicolas
Vuillerme, alors officier renseignement du 1er RSA : « L’opération (…) se traduisit dans les
48 h 00 par la remise spontanée de 76 armes, dont 24 fusils de guerre. »1172 A la fin du mois
de mars, le 3e escadron s’installe à Babar, au sud de Khenchela, puis, en septembre, il est
envoyé au Maroc.
Le 2 novembre, un escadron de marche du 1er régiment de hussards (RH) monté sur
jeeps armées et commandé par le capitaine Jean Martin1173, est envoyé en Algérie avec les
unités blizzard de la 25e division d’infanterie aéroportée. Il est mis à la disposition du colonel
Ducournau qui commande le groupement aéroporté 1 (GAP 1) et le secteur d’Arris. Sur ce
terrain montagneux coupé de profondes vallées, les jeeps ne peuvent pas quitter les pistes et
n’ont qu’une action très limitée. Aussi l’escadron est-il envoyé le 28 novembre à la palmeraie
de Seïar (140 km au sud de Biskra) dans le secteur de Khenchela où il doit former un sous-
groupement avec des éléments du 9e régiment de chasseurs d’Afrique afin d’intercepter des
bandes qui viendraient de Tunisie.
Mais il doit se scinder en deux le 24 décembre pour participer à une opération avec le
groupement aéroporté du colonel Ducournau. Laissant un peloton à Seïar avec un peloton du
9e RCA, le capitaine Martin remonte à Liana, à 55 km de Seïar, avec le reste de son unité.
Cette dispersion a des conséquences dramatiques pour les hussards. Le 16 février 1955, une
patrouille à pied du peloton resté à Seïar tombe dans une embuscade. Le maréchal-des-logis-
chef, qui commande la patrouille est tué et un hussard blessé est achevé. Les six autres
hussards sont faits prisonniers1174. Etant donné les délais de transmission et les distances, une
intervention ne peut avoir lieu que le lendemain. Le capitaine Martin, qui avait alerté le
commandement sur les dangers de cette dispersion, tire la conclusion de cet événement :

1171
Cet escadron est accroché sévèrement le 12 juin 1955 au col de Garga dans le secteur de Tébessa. Alain
Gandy en fait le récit, dans son livre Spahis (Alain Gandy, Spahis, Paris, Presses de la Cité, 1987, 280 p, p. 261 -
271). Mais selon Yves Steyer, MDL à l’époque dans cet escadron, ce texte comporte un certain nombre
d’inexactitudes. Témoignage d’Yves Steyer.
1172
Le Burnous, Spahis blindés en Algérie (1954-1962), Paris, Chez l’auteur, 2002, 96 p., p. 19 et sq.
1173
Jean Martin est le fils du général Henri Martin.
1174
Ces six hussards réussissent à s’évader le 26 mai.

427
« L’escadron de marche du 1er RHP paye ainsi lourdement son
écartèlement quasi permanent qui imposait de confier à un jeune SLT,
sorti depuis quatre mois à peine d’école, un commandement autonome
où, loin du contrôle de son capitaine, il était à la merci de l’impulsive
ardeur de son âge. »1175
Le faible nombre d’engins blindés en Algérie, entraîne tout au long de l’année 1955
leur éparpillement au profit de commandants locaux qui souvent leur donnent de nombreuses
missions d’escorte. L’arrivée de renfort, au cours de l’année, ne fait pas évoluer grandement
la situation tant les besoins d’engins blindés sont élevés du fait de l’insécurité des axes.
Après le 4e régiment de chasseurs à cheval, transféré de Tunisie en mai, les deux
régiments de spahis d’Extrême Orient débarquent en Algérie en juillet et en août. Mais leur
personnel doit prendre ses congés de fin de campagne, ce qui rend ces unités peu disponibles.
Le 8e régiment de spahis algériens attend son matériel pendant un mois. Le colonel de
Rougemont, qui le commande, profite de cette période pour faire de l’instruction des cadres et
reconnaître le terrain de sa zone d’action. Le matériel a subi des détériorations pendant le
transport qui s’est effectué sur des bateaux grecs nolisés pour l’occasion. Le 1er escadron, à
peine remis sur engins blindés, est aussitôt envoyé en opération. L’instruction se poursuit pour
les autres jusqu’à la mi-septembre pour s’adapter aux nouvelles conditions d’engagement qui
différent du tout au tout de celles d’Indochine.
Le 19 octobre, les trois escadrons restants et une partie de l’escadron de
commandement et des services, qui porte encore le nom d’hors rang au 8e RSA, sont envoyés
à Kerrata, sous-secteur dont le chef de corps prend le commandement en plus de celui de
Bordj Bou Arreridj. Sa mission est d’interdire le passage d’une bande signalée dans la région
entre Kerrata et Souk-El-Tenine. Au bout d’un mois, la mission s’achève sans résultat
apparent1176.
Des unités blindées continuent à être envoyées en Algérie. Entre juin et août, le 16e
régiment de dragons arrive avec la 2e division d’infanterie motorisée (DIM), sa division
d’appartenance1177. Il est envoyé à Bouïra (Zone opérationnelle de Kabylie) avec elle, où les
blindés se révèlent très peu adaptés au terrain montagneux. En août, les deux premiers
escadrons du 8e régiment de hussards débarquent à leur tour. Ils sont envoyés d’urgence

1175
Jean Martin, Souvenirs, manuscrit détenu par son fils Régis Martin, p. 76.
1176
Général du Temple de Rougemont, « Avec le 8e spahis algériens », in François Porteu de La Morandière,
Soldats du djebel, Paris, Société de production littéraire 1979, 379 p., p. 48 – 50.
1177
Le 16e RD laisse ses Pershing à Haguenau et reçoit des AM M8 pour deux de ses escadrons, et des M24 pour
les deux autres.

428
directement dans la région de Philippeville où les massacres viennent d’avoir lieu. Les unités
y escadronnent sur les axes, à partir du 23 août 1955, les missions s’enchaînent, « entraînant
une forte dilution des escadrons et pelotons sur le terrain. Cet emploi tactique décentralisé au
plus bas échelon va être une constante de l’activité opérationnelle du 8e Hussards durant
toute cette période »1178. Les deux autres escadrons arrivent à leur tour en Algérie et
rejoignent le régiment en octobre.
Le 22 septembre, c’est le 13e régiment de dragons qui arrive, puis, à partir de
novembre, les premiers régiments de chars des divisions blindées qui ont laissé leur matériel
dans leurs garnisons1179.

12. La dispersion des unités persiste malgré les renforts

Avec l’arrivée progressive des renforts, le commandement espère mettre fin à la


dilution des moyens. Le nouveau TED ABC 021 lui permet d’avoir une réponse à ses besoins
en Algérie. Il lui faut des unités blindées qui soient en mesure d’assurer la sécurité des voies
de communication, de dégager un convoi d’une embuscade ou de l’escorter, d’effectuer des
raids en profondeur pour intercepter des bandes de l’ALN voire les surprendre dans un bref
délai (ce qui suppose de disposer d’un réseau de renseignements et de bonnes liaisons sol-air),
d’effectuer des bouclages, d’appuyer l’infanterie dans les ratissages et de participer au
maintien de l’ordre en zone urbanisée. Le commandement se rend bien compte que la vieille
règle appliquée en Algérie consistant à faire étalage de sa force n’est plus à l’ordre du jour et
qu’il faut trouver des modes d’opération nouveaux.
Mais l’IGABC se plaint de l’emploi qui est fait de certaines unités de renfort. Le 6e
régiment de cuirassiers (RC), régiment à pied, est employé dans de nombreuses gardes
statiques, ce qui va à l’encontre de ses exigences. Il veut en effet éviter à tout prix que les
unités de son arme soient sous-employées ou cantonnées à des tâches secondaires. Il demande
donc que le 6e RC passe sur le type AM M8/portés. Mais face à la pénurie des AM M8, le 6e
RC ne passe sur ce matériel qu’en mars 1957 en prévision de la mise en place du barrage-est.
Les besoins en AM M8 augmentent d’autant plus qu’un troisième escadron doté de ce matériel

1178
Georges Reichert, Le 8e régiment de hussards en Afrique Française du Nord, Mémoire de DEA « méthodes
de l’histoire, de l’archéologie et de l’historie de l’art », sous la direction d’Hervé Coutau-Bégarie, Ecole pratique
des hautes études, 2003, 131 p., p. 16.
1179
27 novembre : arrivée de la 10e BC (19e DI), 28 novembre : arrivée du 4e RD, 7 décembre : arrivée du 29e
RD, 10 décembre : arrivée du GE de marche du 6e RC et 17 décembre : arrivée du 20e RD

429
est créé au sein du 4e RCC en avril 1956. En outre, le 18e régiment de dragons en Tunisie
remplace son escadron de M24 par un escadron d’AM M8 en août 1956.
A la demande de l’inspection générale, les premières études concernant l’emploi de
l’ABC en Algérie sont menées, à la fin de l’année 1956, par des chefs de corps désignés1180. Il
en ressort qu’effectivement, les unités blindées légères, après avoir connu les quelques
modifications nécessaires se sont globalement bien adaptées aux opérations d’Algérie. Elles
travaillent en permanence avec les unités d’infanterie au profit desquelles elles assurent des
missions d’appui ou de bouclage. Les seules limites d’emploi proviennent toujours du manque
de moyens « transmission » des éléments à terre des unités blindées, ce qui gêne
considérablement la manœuvre interarmes dès que celle-ci prend une certaine ampleur.
Cependant cette coopération n’est pas sans inconvénients pour les unités blindées qui ont
tendance à être détournées de l’emploi pour lequel elles seraient sans doute le plus efficaces.
Si grâce à des opérations nombreuses menées en commun, les liens se resserrent avec les
autres armes, les chefs de ces dernières ont tendance à faire appel aux blindés trop souvent et
parfois même de façon abusive. Le chef de corps du 6e régiment de spahis marocains pense
que, d’une façon générale, les unités blindées sont considérées comme des « bonnes à tout
faire ». La raison en est, selon lui, qu’un peloton blindé peut opérer isolément là où le volume
d’une compagnie d’infanterie est nécessaire1181.
Les capacités et l’emploi des blindés semblent donc mal connus des commandants
territoriaux qui les utilisent à tout-va. Les chefs de corps de l’ABC s’en plaignent, bien que
certains d’entre eux, qui sont également chef territorial, emploient leurs engins presque
exclusivement pour des missions d’escorte. C’est le cas du lieutenant-colonel Frappa, chef de
corps du 9e RCA et commandant du secteur de Batna. En fait, le blindage dont disposent les
engins pousse les chefs territoriaux, cavaliers ou non, à utiliser systématiquement des
pelotons, voire des patrouilles de deux engins, pour escorter les convois, car ils n’ont pas
d’autres moyens à leur disposition. Or ce fractionnement et ce type de mission routinière et
défensive fait craindre de voir les équipages perdre de leur combativité. Le colonel du 6e RSM
suggère donc d’affecter aux unités du Train des véhicules blindés afin qu’elles assurent elles-
mêmes l’escorte des convois. Cette solution, qui ne sera jamais retenue, permettrait, selon lui,
de libérer les escadrons et de les faire participer plus activement à toutes les opérations. Dans
l’esprit de ses chefs, étant donné son potentiel opérationnel, l’ABC ne doit pas se cantonner à
effectuer des missions de protection qui sont même, dans certains cas, statiques.

1180
Il s’agit de ceux du 1er RSA, du 16e RD, du 9e RCA et du 6e RSM.
1181
SHD/Terre, 7 U 995*, Rapport sur la campagne d’Algérie du 21 novembre 1956.

430
Parfois, la raison avancée à ce sous-emploi est le manque de capacité opérationnelle
d’un régiment qui a encore des progrès à faire en ce qui concerne la formation de ses cadres et
l’entraînement de ses escadrons. Selon l’IGABC, c’est le cas du 19e régiment de chasseurs à
cheval, régiment de rappelés sur M24 et AM M8. Ses escadrons sont répartis entre Palestro et
El Esnam où ils sont généralement employés à la sécurité des axes routiers, aux escortes de
convois et aux opérations de secteur dans le cadre de la 20e division d’infanterie. Mais deux
d’entre eux ont des missions de garde statique de la tour de guet de Palestro et du terrain
d’aviation situé à 3 km d’El Esnam. Les capitaines commandant ont un certain dépit de ne pas
parvenir à accrocher les « rebelles »1182.
Une autre raison, plus fréquemment avancée pour justifier le sous-emploi des unités
blindées est qu’elles ne peuvent pas être engagées sur un terrain trop compartimenté. Mais
pour les chefs de l’ABC, même dans les terrains qui s’y prêtent le moins, les blindés peuvent
intervenir1183 sous réserve que les axes soient connus. Toujours selon le chef de corps du 6e
RSM : « Il a été prouvé à plusieurs reprises que ces progressions avaient l’avantage de
surprendre l’adversaire, d’abréger les délais de mise en place sans imposer au matériel une
épreuve excessive »1184.
Cependant le chef de corps du 13e régiment de dragons ne partage pas ce point de vue,
il déclare à Jean Servier, en juillet 1956 en parlant de la Kabylie : « Les forêts sont
infranchissables pour nos blindés. Avec nos roulettes, que voulez-vous que nous fassions ?
Inlassablement nous gardons les axes, et encore… »1185 Le 13e RD, à cette époque, mis à la
disposition de la 27e division d’infanterie alpine, est réparti par escadron dans les divers sous-
secteurs de la zone opérationnelle de Kabylie. Le chef de corps, chargé du commandement
d’un sous-secteur, conserve avec lui à Azazga son escadron de commandement et des services
et un escadron de combat. Les autres unités sont réparties dans les quartiers du sous-secteur.
Elles exécutent de nombreuses opérations, à petite distance de leurs cantonnements ou dans le
cadre du sous-secteur, ainsi que d’incessantes escortes de convois1186. Non seulement, ces
missions ne sont pas à la hauteur des capacités d’un régiment blindé, qui plus est aéroporté,
mais leur efficacité est douteuse, comme Jean Servier en fait le constat :

1182
SHD/Terre, 31 T 10.
1183
En 1959, des experts américains, venus vérifier les aptitudes techniques des chars M24, sont stupéfaits de les
voir employés par le 1er RCA en pleine montagne dans le djebel Mongorno dont ils escaladent les sommets,
parfois même reliés entre eux par un câble de remorquage. Yves Salkin, « Le 1er Chasseurs d’Afrique », in Revue
Historique des Armées, numéro spécial 2/1984, 164 p., p. 128 – 139, p. 137.
1184
SHD/Terre, 7 U 995*.
1185
Jean Servier, Adieu Djebels. Paris, Editions France Empire, 1958, 285 p., p. 75.
1186
SHD/Terre, 31 T 15.

431
« Gardez les axes ! De l’essence brûlée pour rien, des routes défoncées,
le parc auto de l’Armée française usé jusqu’aux essieux. J’ai vu
« garder les axes » - le grondement des moteurs que l’on entend de
loin, les véhicules sourds et aveugles qui passent à petite vitesse. Et
puis, trois hommes tapis dans le fossé se remettent à scier les poteaux
télégraphiques voisins sitôt disparus les feux rouges de la dernière
voiture. »1187
Cependant si le relief de l’Algérie tellienne ne se prête pas facilement à l’emploi des
chars, dans certaines zones, en revanche, les chars légers et les AM réussissent à donner une
grande partie de leur mesure, surtout si les unités restent groupées. Mais une fois l’adversaire
retiré dans ses zones-refuges, les engins blindés ne peuvent pas le suivre avec toute
l’efficacité voulue. Le 16e RD, qui est regroupé dans le secteur d’Aïn-Beïda dont il a la
charge, en donne l’exemple. Les escadrons ne sont qu’à une trentaine de kilomètres du PC du
régiment qui tient le secteur avec l’aide du 67e régiment d’infanterie. Le secteur est situé dans
une région de parcours facile et tout à fait favorable à l’emploi des blindés entre le massif de
l’Aurès et le terrain accidenté de la région de Souk-Ahras/Ouenza, proche de la frontière
tunisienne. Arrivé sur ce terrain en octobre 1955, le 16e RD réussit à chasser, voire à détruire,
les petites bandes qui se sont aventurées dans la plaine. Mais, une fois cet adversaire disparu,
le régiment ne se heurte, au début de l’année 1957, qu’à des actes de terrorisme contre
lesquels sa capacité de manœuvre ne lui est pas d’un grand secours. Il consacre alors, à son
tour, la majeure partie de son activité aux escortes et à la protection de la route Constantine-
Tébessa, car les éléments de l’ALN ne peuvent plus être atteints.
Il n’en demeure pas moins vrai que le mauvais emploi des blindés incombe surtout aux
commandements locaux qui en réclament en permanence pour assurer des missions de
protection. Le 27e régiment de dragons, régiment équipé de M24, est mis à la disposition des
territoires du Sud algérien. Il est réparti en six postes sur une étendue de 140 km sur 60, et
travaille entièrement au profit du sous-secteur de Géryville. Bien que le terrain se prête à
l’engagement des blindés, son emploi dans les opérations se limite au bouclage et l’appui feu.
En outre l’escadron stationné à Géryville assure tous les jours l’escorte du convoi de
Bouktoub situé à 105 km de Géryville. Ce type d’emploi entraîne une dispersion des
escadrons, pouvant s’étendre sur plus de 150 km².

1187
Id.

432
Du fait de cette dispersion, les chefs de corps n’ont plus autorité sur certains de leurs
escadrons, parfois même sur aucun d’entre eux. Le chef de corps du 6e RSM, qui commande
le secteur de Tébessa de mars à juin 1956, n’a aucun de ses escadrons de combat sous ses
ordres, et en juillet il n’en a que deux. Les chefs de corps en sont surpris et déçus, d’autant
plus que ce phénomène semble bien être le privilège des unités de l’ABC. Pour eux, le
commandement d’un régiment blindé ne doit pas se limiter à la mise à disposition des secteurs
voisins de leurs escadrons. Non seulement cette dispersion empêche de tirer le meilleur parti
des possibilités des unités blindées, mais en plus cela nuit de façon considérable à
l’instruction et surtout à la maintenance des engins. Le 8e régiment de hussards, régiment
équipé d’EBR, est encore moins bien loti que le 6e RSM. Ses escadrons sont implantés à des
distances allant de 75 à 150 km de leur chef de corps qui ne garde avec lui, à Constantine, que
deux pelotons du 5e escadron. Ils sont employés à des missions d’escorte et de bouclage. Leur
dispersion considérable est aggravée par l’existence des bases arrière d’escadron. Celles-ci
sont constituées par un peloton qui cantonne aux environs de Constantine dans un rayon de 20
km. En principe ce système doit permettre aux escadrons de mettre leurs pelotons à l’entretien
par roulement. En fait ces pelotons sont utilisés par le commandement local à des missions
d’escorte et travaillent autant que les autres. Au total, le 8e RH est dispersé en plus de 12
paquets dont les plus distants sont éloignés l’un de l’autre de 170 km à vol d’oiseau. Une telle
situation a des conséquences fâcheuses sur l’état du matériel. Celui-ci est employé sans
ménagement par les commandants locaux qui n’ont pas la charge de leur entretien et qui, par
conséquent, s’en soucient peu. Or le matériel est soutenu difficilement par les organes de
réparation en raison des distances. Les services chargés des révisions périodiques et des
réparations sont débordés. Les EBR doivent être révisés régulièrement et les délais, que prend
le service du Matériel pour la révision des 15 000 km, compromettent la disponibilité des
engins qui roulent beaucoup trop et sur de mauvaises pistes qui les usent prématurément. Le
même problème se pose au 1er RSA, lui aussi sur EBR. Etalé sur un vaste espace entre la
Chiffa et la région de Berrouaghia, il est employé en quadrillage de secteur et, par escadron, à
des opérations mobiles. Il obtient de bons résultats au combat, notamment dans la région
d’Aumale, mais au début de l’année 1957, le taux d’indisponibilité de ses engins commence à
devenir inquiétant et compromet la capacité opérationnelle du corps.
Cette dispersion des unités, qui concerne également les unités à pied, comporte un
autre inconvénient de taille. Le commandement, voulant couvrir tout le territoire, disperse les
unités par petits paquets. Or, il apparaît rapidement qu’un poste isolé ne peut pas être tenu par
un volume de troupe inférieur à celui de l’escadron. Si celui-ci n’est de la valeur que d’un ou

433
deux pelotons, les difficultés pour assurer sa subsistance et sa protection sont trop
importantes. Alourdie par trop de charges, la garnison perd alors sa valeur combative et reste
enfermée dans son poste. Mis à part quelques exceptions, comme le 4e régiment de dragons
qui, après avoir été envoyé à Lafayette, puis après un détachement de quelques mois à
Corneille, est responsable d’un secteur autour d’Aïn Roua, bon nombre d’unités alignées sur
le TED 107 voit leurs effectifs dispersés par petits volumes.
Le 6e régiment de chasseurs d’Afrique, en décembre 1956 est étalé sur 750 km² et
réparti dans deux quartiers du secteur de Tlemcen, dont l’un comporte neuf points
d’installation. Trois fois par semaine, les deux escadrons installés dans le quartier du 1er
régiment de cuirassiers doivent ouvrir une piste sur un parcours de 20 km. La situation du 4e
régiment de hussards, au début de l’année 1957, est encore plus préoccupante. Ce régiment est
réparti en 22 postes différents dont certains d’un effectif inférieur au peloton, descendant
parfois jusqu’à moins de 10 hommes, notamment pour la garde de fermes. Les 1er, 3e et 4e
escadrons ainsi que l’ECS relèvent du quartier de Penthièvre (30 km au sud de Bône), le 2e
escadron relève du sous-secteur de Laverdure (40 au sud-est de Penthièvre). Le chef de corps
n’a aucune responsabilité territoriale. Du fait de son grade de chef d’escadrons il doit céder le
commandement à un lieutenant-colonel d’un autre régiment. Les unités sont placées pour
emploi sous les ordres des autorités qui assurent les commandements du quartier de
Penthièvre et du sous-quartier de Laverdure. L’émiettement des unités au-dessous du peloton
conduit à une faiblesse des effectifs dans les différents postes, ce qui condamne les unités à un
immobilisme néfaste.
Un autre exemple peut être donné par les compagnies du IIe bataillon du 121e RI
(bataillon encadré uniquement par des cavaliers et futur 6e RH1188), qui sont dispersées dans
les montagnes de Grande Kabylie1189. L’une d’elles est même dispersée sur plusieurs postes.
Elles sont cantonnées dans des locaux en dur et sont ravitaillées tous les quatre jours sous
escorte. Elles essaiment autour de leur poste dans la mesure où leur effectif limité et leur
encadrement déficitaire en sous-officiers le permettent, c'est-à-dire à courte distance. Le 1er
régiment de chasseurs à cheval, lui aussi régiment type 107, souffre également de ce
problème. Il est réparti dans la zone de Mécharia, sur onze postes, dont certains se trouvent à
plus de 200 km du PC du régiment. En outre, les escadrons sont dispersés entre plusieurs

1188
En arrivant en Kabylie ce bataillon avait un moral terne. Le chef de corps pense que, entre autres facteurs, ce
« bataillon conserve au cœur le regret de porter une dénomination qui le met en dehors de son arme ». Pour lui,
comme pour l’IGABC, il semble indispensable que ce bataillon reçoive au plus tôt une appellation d’un régiment
de l’ABC. Mais il faut attendre le 15 mars 1957, pour qu’il prenne celle de 6e RH. (SHD/Terre, 31 T 9).
1189
A l’exception de la 4e qui est maintenue en réserve opérationnelle.

434
sous-secteurs sur une étendue de 300 km sur 120. Ils assurent non seulement une certaine
partie de l’infrastructure de cette zone mais aussi la surveillance, sur 140 km, de la voie ferrée
Bouktoub/Aïn-Sefra. Son chef de corps se trouve dans l’impossibilité d’instruire
convenablement ses cadres. Sous équipé en moyens de transports et écartelé sur une vaste
étendue, le régiment n’est pratiquement pas commandable, selon les termes même de
l’IGABC1190.
Dans certaines zones montagneuses où les bandes de l’ALN sont très présentes,
comme celle de Kheirane où est déployé le 18e régiment de chasseurs à cheval, chaque liaison
avec le poste d’un escadron nécessite le montage d’une opération, du coup, le ravitaillement
ne parvient aux unités que tous les 15 jours par convoi et par parachutage le reste du temps.
Mais la situation du 7e régiment de hussards est encore plus préoccupante pour le
commandement. Ce régiment est créé le 15 novembre 1956 à Tamgout (Tizi-Ouzou) par
transformation du 224e bataillon d’infanterie. En janvier 1957, ses escadrons sont répartis sur
la surface du quartier territorial d’Aumale, en huit points différents sur une distance totale de
75 km. Un seul escadron est resté groupé. Les trois autres sont dispersés par pelotons. Chacun
d’entre eux est couplé dans son cantonnement avec une compagnie du 5e ou du 9e bataillon de
tirailleurs algériens. Ces compagnies d’infanterie étant opérationnelles, les pelotons de
hussards assurent la garde statique de leurs cantonnements lorsqu’elles partent en opération.
Ce n’est qu’exceptionnellement que des détachements du 7e RH effectuent des missions
mobiles avec des camions fournis par la subdivision d’Aumale. Ce quasi-cantonnement du
régiment à des missions de garde statique dans une dispersion fâcheuse est dû au fait que le
régiment est mal loti en cadres, tant en qualité (cinq sous-officiers et quatre officiers dont
deux capitaines commandant sont des transmetteurs dont le 224e BI était largement pourvu)
qu’en quantité (il manque 46 sous-officiers sur 88). Il est prévu que le régiment soit envoyé en
Kabylie, mais l’IGBAC émet les plus grandes réserves sur ce déglacement qui, selon lui,
comporte des risques importants car il estime que l’unité n’est pas opérationnelle. Il demande
avant tout à ce que le chef d’escadrons qui la commande soit relevé car il semble dépassé par
les événements1191. Il demande également que les cadres issus des Transmissions soient
remplacés par des cadres valables de l’ABC et que les unités soient regroupées au moins par
escadron pour permettre l’instruction des petits gradés et de la troupe qui est très insuffisante.

1190
SHD/Terre, 31 T 10.
1191
Le chef de corps est effectivement relevé le 1er mai 1957. Il s’agit du seul cas de relève d’un chef de corps de
l’ABC à cette période signalé dans les archives consultées. La relève du chef de corps du 8e RCC à la fin de
l’année 1956 est bien envisagée mais elle n’est pas mise à exécution.

435
Pour éviter une certaine lassitude des hommes installés dans des postes isolés, un
système de relève est mis en place. Mais, pour pouvoir assurer les relèves entre les escadrons,
il est nécessaire que ces derniers soient sur le même pied. Or tel n’est pas le cas dans les
régiments blindés. Au 6e RSM, le chef de corps ne peut pas mettre son escadron de chars dans
le tour des relèves. Cet escadron est installé au sud de Tébessa, dans un cantonnement
particulièrement favorisé. S’il ne peut pas participer à la relève des autres unités stationnées
dans des zones désertiques c’est que son emploi n’y serait pas valable. Le 6e RSM, en janvier
1957 est aligné sur le TED 021, son escadron à pied est en sommeil faute d’effectifs. Le
régiment est employé à la garde de la frontière algéro-tunisienne et aux escortes. Sur les
terrains difficiles de la région de Tébessa, Négrine, Soukies (les djebels Regara, Anouai et
Rhifoui, le massif du Toubia, et le plateau de Telidjene) les unités affrontent un adversaire
très actif qui reçoit des renforts de Tunisie, pays indépendant depuis mars 1956. Les missions
d’escorte sont de loin celles qui absorbent le plus les pelotons et qui ruinent le plus le matériel
en raison du mauvais état des pistes. L’étalement des escadrons sur le terrain est une cause
supplémentaire d’usure, les mouvements nécessaires à la vie des unités se faisant par une
mauvaise piste. La situation des matériels est catastrophique : six chars M24 sur douze et
quinze AM M8 sur vingt-trois sont bloqués aux 3e et 4e échelons, faute de pièces. Or les
premières indisponibilités datent de juillet 1956. Cette situation commence à affecter le moral
des exécutants qui ne peuvent pas remplir leurs missions.
C’est également le cas au 4e RCC dont les matériels, employés dans les escadrons
stationnés hors du secteur confié au régiment (Bougie et Aïn-Beïda), échappent en partie à la
surveillance de son colonel. L’emploi qui en est fait est jugé parfois abusif par le chef de
corps qui s’en plaint. C’est ainsi que, dans le secteur de Bougie, chaque jour deux AM M8
doivent escorter le train en suivant la route proche de la voie ferrée. Or, les irrégularités du
parcours routier obligent les blindés à rouler très vite pour se maintenir à la hauteur du train et
l’utilité de cette escorte qui ruine le matériel reste à démontrer.
Le sous-emploi des escadrons blindés est dû également à un problème de sous-effectif
chronique. Comme la ponction en personnel due aux différentes charges territoriales
s’effectue dans les pelotons portés, l’affaiblissement de ces derniers compromet la capacité
opérationnelle des escadrons qui ne peuvent plus être employés en unité constituée. Il en
résulte que le commandement ne les considère plus que comme des réservoirs où il peut
puiser des moyens pour assurer des missions d’escorte ou d’appui de feux. Les possibilités de
manœuvre et d’action rapide des unités blindées sont perdues de vue et leur rôle essentiel
oublié.

436
13. Des procédés tactiques qui s’adaptent progressivement

Pour obtenir des succès, les unités de type 107 ne peuvent donc absolument pas agir
seules, surtout en Petite Kabylie où la situation est particulièrement défavorable au début de
l’année 1956. Pour y réimplanter les unités, une opération, baptisée Espérance est lancée. Elle
met en œuvre des moyens importants sans lesquels l’action des unités 107 livrées à elles-
mêmes serait vouée à l’échec. C’est dans ce contexte qu’est engagé le 20e régiment de
dragons les 15 et 16 mars dans les douars de Bou-Sellam (du nom d’un oued qui se jette dans
l’oued Soummam).

Carte n° I/68
Zone des combats des 15 et 16 mars 1956. Carte Michelin n° 172, 1958, 1/1 000 000, pli n° 7.

Le 15 mars 1956 à 6 h 30, un moghazni de l'officier SAS d'Ouled-El-Bahri signale une


troupe importante de l’ALN en déplacement à 800 mètres seulement au nord du poste du 4e
escadron du 20e RD, ce qui tend à montrer qu’elle se sent en sécurité même à proximité des
postes. Le capitaine commandant, après avoir vérifié lui-même le renseignement, envoie à sa
poursuite l’un de ses pelotons (ADJ Pangreacm) dont l’effectif n’est que de 23 hommes, au
lieu des 31 prévus par le TED. Puis le peloton du LTN Barre-Villeneuve, dont l’effectif n’est
que de 15 hommes, est envoyé à son tour. Le capitaine demande également l'aide d'un Piper
pour localiser exactement la bande qui continue sa progression. Conscient que cet adversaire
est hors de portée de son effectif trop faible, il alerte le PC du colonel qui, étant en
déplacement, ne peut être prévenu qu’à 9 h 45. A 10 h 30, un peloton du 3e escadron (SLT
Gomart - 30 hommes) est envoyé en renfort du 4e escadron.
Pendant l'acheminement des troupes à pied qui dure toute la matinée, le Piper, présent
à 8 h 30, demande le renfort de la chasse qui intervient par bombing et straffing sans
interruption de 10 h 30 à 18 h 30. A 13 h 00, tous les éléments disponibles du 20e RD sont en
place autour de la côte 842.

437
L’intention du colonel est, dans un premier temps, d’occuper les pentes nord de la côte
842 avec ses éléments venant du sud et de l'ouest, en barrant au nord le ravin d'Altrouch, puis,
dans un deuxième temps, de détruire la bande rassemblée dans le ravin par une action allant
du nord au sud à partir de la côte 697. Mais il estime que ses moyens sont insuffisants. Il
obtient le renfort du commando du 1er régiment de chasseurs parachutistes (45 hommes) qui
arrive par la route à 15 h 45 à Ouled-El-Bahri, puis est héliporté sur la côte 697 en 9 rotations
car il n’y qu’un seul appareil pour les transporter. Il n’est en place qu’à 17 h 45 alors qu’il ne
reste plus qu’une heure avant la tombée de la nuit. Le capitaine qui le commande décide de
modifier le déroulement des opérations prévues car, dès son débarquement, il est pris à parti
par des tirs d’armes nombreuses, dont un FM, installées sur les pentes nord-ouest de 842.
Pour se déployer, il entreprend immédiatement une action en direction du sud qui le porte à la
tombée de la nuit sur les pentes de 842 alors que l’élément sud se porte vers le nord-est pour
faciliter dette progression et que l’élément ouest prend la résistance sous son feu. La nuit met
fin à l’engagement pour éviter des tirs fratricides.
Profitant de l’obscurité, des membres de la bande essayent de s’exfiltrer vers le nord.
Ils sont aperçus lorsque le terrain est éclairé par l’aviation (missions Lucioles) de 22 h 45 à 1
h 30 puis de 4 h 00 à 6 h 30.
Dès le lever du jour, une compagnie d’un régiment d’artillerie coloniale (RAC) est
donc héliportée pour couper leur retraite à partir des côtes 1108 et 1115 en fouillant les
mechtas et tous les ravins à leur recherche. Dans le même temps, les autres unités se lancent
dans la fouille de la zone des combats de la veille. Au cours de la matinée, des fuyards
appartenant à la bande ou à l’OPA du village d’Alia sont abattus dans leur fuite vers la vallée
de l’Oued Alia. L’aviation intervient encore contre le village de Bou Zekout dont le
bombardement fait 4 morts et 3 blessés. Ce village est connu comme un centre de passage
important et pour être probablement le siège d’un PC de l’ALN, ce que la neige et son
éloignement des pistes avaient jusqu’alors interdit de vérifier. Un drapeau FLN flottant au
dessus du village semble bien confirmer cette hypothèse.
Un prisonniers interrogé ayant déclaré que 25 djounouds, dont un chef, étaient restés
la veille dans le village de Mezada, une opération aussitôt montée avec une compagnie du 29e
bataillon de chasseurs à pied et deux pelotons du 2e escadron du 20e RD, mais la fouille du
village ne donne rien.
Celle du terrain permet, en revanche, de décompter 68 morts, dont 43 en uniforme.
Trois hommes ont été faits prisonniers et trois suspects arrêtés. Un armement nombreux est
saisi. Par la suite des renseignements permettent d’apprendre que la bande comptait une

438
centaine d’hommes, dont la moitié a réussi à s’échapper. Le 20e RD et le 1er RCP ont chacun
perdu un homme tué.
Cette opération démontre que les régiments 107 de l’ABC sont capables d’action de
guerre, mais que les moyens dont ils disposent sont insuffisants. Sans aide extérieure, jamais
le 20e RD n’aurait pu venir à bout d’un tel adversaire, à moins d’accepter un taux de perte
beaucoup plus élevé. L’action de l’aviation est déterminante par sa présence quasi permanente
au-dessus de la bande, ce qui a permis qu’elle soit localisée en permanence et fixée par des
tirs meurtriers en attendant l’arrivée des troupes au sol. Enfin, l’emploi des hélicoptères de
transport qui commencent à s’intensifier en Algérie a permis un encerclement rapide dont le
délai aurait pu être réduit de moitié avec la présence d’un second appareil1192.
Il n’en demeure pas moins vrai que le 20e RD a rencontré un certain nombre de
difficultés qui auraient pu avoir de fâcheuses conséquences. La principale d’entre elles a été
de rassembler des effectifs en quantité suffisante, étant donné, d’une part, son déficit en
personnel qui atteint 150 hommes, et, d’autre part, la dispersion des escadrons et leur
fractionnement en différents postes pour la garde desquels des effectifs doivent rester sur
place. L’absence de réserve tant au régiment qu’à la 10e brigade de cavalerie, grande unité
dont dépend le 20e RD, s’est fait cruellement sentir : l’alerte a été donnée vers 7 h, mais
l’exploitation du renseignement n’a pu réellement commencer qu’à 17 h 45, ce qui représente
un délai de 10 h 00 qui, sans la présence de l’aviation, aurait sans doute été mis à profit par la
bande pour se disperser. La seconde difficulté vient de la faible portée du SCR 300 sur un
terrain compartimenté ce qui ne permet pas d’établir de liaisons directes avec le PC arrière
situé à Ouled El Bahri. Il a fallu pour rendre-compte et prendre des ordres que le capitaine
utilise le Piper comme relai, ce qui a eu pour effet d’encombrer son trafic radio de façon
importante. Tous ces problèmes sont connus du commandement qui cherche des solutions
pour y remédier.
Des enseignements sont tirés sur les modes d’action de l’ALN. On constate que ses
combattants, quand ils se sentent encerclés et en infériorité, se terrent en utilisant le moindre
accident du terrain pour se cacher, et laissent passer le ratissage sans ouvrir le feu pour tenter
de s’exfiltrer une fois la nuit venue. Cette façon de procéder impose d’effectuer le ratissage en
deux échelons, ce qui implique de disposer d’un double effectif, ce que le 20e RD ne peut pas
se permettre. L’obscurité a permis à 50 djounouds de s’exfiltrer malgré les opérations Luciole.
Celles-ci ne sont déclenchées que sur ordre du commandant de l’opération, or il semble que le

1192
L’ALN tira profit du grand nombre de rotations en faisant courir le bruit qu’il s’agissait de la relève des
morts qui, par conséquent devaient être très nombreux.

439
terrain doive être éclairé en permanence au cours de la nuit ou, au moins, à l’initiative des
unités au contact. L’absence de dispositif de vision nocturne se fait de plus en plus
cruellement ressentir. Ce combat apprend également aux dragons que leur adversaire le plus
dangereux est la pièce FM, généralement une MG 42, qui est servie par les hommes les plus
expérimentés et les plus déterminés qui s’en servent jusqu’au bout et dont seul le dernier
servant survivant décroche. C’est ce que tendent à penser les trois cadavres relevés à
l’emplacement d’un FM. Les hommes se sont faits tuer sur place alors qu’aucun FM n’a pu
être récupéré1193.

1193
SHD/Terre : 7 U 876*.

440
Carte n° I/69
Combat des 15 et 16 mars 1956 dans les douars de Bou-Sallem. SHD/Terre : 7 U 876

441
Avant la construction de la ligne Morice, les convois de Tunisie peuvent s’infiltrer
parfois très loin en profitant des zones montagneuses comme la Petite Kabylie dont le terrain
et la végétation s’y prêtent particulièrement bien. Après l’opération Espérance, les bandes se
sont dispersées dans ses djebels boisés. Des moyens beaucoup plus limités peuvent alors être
mis en œuvre avec succès contre des convois, sous réserve de disposer impérativement de
renseignements fiables et exploitables. En octobre 1956, la mission générale du 4e régiment
de dragons, qui a repris contact avec la population, est de démanteler les organisations
politico-militaires et de pourchasser et détruire les bandes. Le 26 octobre, un habitant du
village de Djahnit informe le capitaine commandant du 4e escadron qu’un convoi doit
remonter l’oued Mahadjar dans la nuit. Le capitaine décide de l’intercepter avec son escadron
qui ne compte que 4 officiers, 10 sous-officiers et 75 hommes-de-troupe disponibles sur un
effectif théorique de 5 officiers, 15 sous-officiers et 108 hommes-de-troupe. Ils sont répartis
en trois pelotons, sur les quatre que compte théoriquement l’escadron, et un petit élément de
commandement. Les pelotons sont à peu près complets mais un seul emporte son lance-
roquette antichar. Le capitaine souhaite, dans un premier temps, porter tout son effectif sur la
coupure de Mahadjar en évitant tous les villages, puis, dans un deuxième temps, mettre en
place une large nasse pour y laisser s’engager entièrement le convoi avant de l’attaquer. Les
1er et 3e pelotons assureront la fermeture nord et sud de la nasse à partir de la rive ouest du
Mahadjar, et le 2e peloton, avec le capitaine, restera au centre du dispositif et sur la rive Est.
Le déplacement de l’escadron s’effectue sans incident et il arrive au lieu prévu pour
l’embuscade une heure avant le lever du jour. Le 1er peloton s’installe sur les pentes ouest qui
dominent le Sud-Ouest de Djahnit. Au centre du dispositif, les deux pièces FM sont mises en
batterie.

442
Carte n° I/70
Dispositif des pelotons du 4/4e RD et des éléments héliportés du 3/4e RD lors du combat du 27 octobre 1956
au matin. SHD/Terre : 7U 868.

Vers 6 h 30, le convoi, avec une vingtaine de mulets lourdement chargés et


accompagnés d’une cinquantaine d’hommes en arme arrive en vue de Djahnit, par le fond de
l’oued. Au moment où la tête d’élément arrive à hauteur du bouclage nord, le capitaine fait
ouvrir le feu. A ce moment, le gros du convoi est à la hauteur du village et quelques éléments
d’arrière garde ne sont pas encore entrés dans la nasse. Le feu est ouvert simultanément par
les bouchons nord et sud. Les convoyeurs, ne pouvant ni avancer ni reculer, se précipitent
dans le village et s’y organisent pour résister. Les quelques éléments qui ne sont pas encore
pris dans la nasse essaient de se replier vers le sud et essuient les feux du FM du 1er peloton.
Quatre d’entre eux sont tués et 3 autres réussissent à s’enfuir mais sont tués dans le fond de
l’oued par un avion T 6 qui, appelé d’urgence par le Piper commandé la veille, vient d’arriver
sur zone. Pour éviter toute fuite et assurer un bouclage hermétique entre le 1er et le 3e peloton,
un héliportage est demandé immédiatement pour y porter des éléments du 3e Escadron sur une
drop-zone (zone de posé) à proximité du village. L’attaque est menée du sud vers le nord

443
après un straffing de l’aviation, complété par préparation au mortier et au canon de 75 sans
recul amené par hélicoptère. Le 1er peloton remonte vers le village et essuie le feu des
hommes postés dans les jardins, sans déplorer aucune perte.
En fin de journée, le village est pris. Trente-quatre combattants de l’ALN ont été tués,
dont 2 chefs de groupe et 3 sont faits prisonniers, l’ensemble du convoi est saisi, il comprend
surtout de l’habillement militaire et une très grande quantité de médicaments1194.

Carte n° I/71
Itinéraire de mise en place du 4e escadron du 4e RD lors combat du 27 octobre 1956 au matin. SHD/Terre,
7 U 868.

1194
SHD/Terre : 7 U 848*.

444
Carte n° I/72
Zone du combat du 27 octobre 1956. Carte Michelin n° 172, 1958, 1/1 000 000, pli n° 7.

Ces opérations, dont l’ampleur est exceptionnelle pour une unité, montrent encore une
fois les limites des unités 107 de l’ABC. Seuls des moyens aériens peuvent leur permettre
d’être réellement efficaces contre un adversaire un peu consistant. Les missions principales
des unités 107, en tout cas celles auxquelles elles consacrent le plus de temps, sont des
missions territoriales de secteur ou de quartier. Mais leurs moyens pour les remplir ont été
mal évalués, tant en qualité qu’en quantité. Les TED ne sont calculés que pour répondre aux
besoins d’opérations de guerre. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire, aux yeux des
chefs de corps, de pouvoir bénéficier d’un sureffectif de 20 à 30 % afin que leurs unités soient
réellement opérationnelles. Pour préserver les effectifs des unités de combat, il est également
demandé que soient prévus des TED de PC opérationnels adaptés au commandement des
secteurs. Les régiments qui doivent assurer des missions de pacification en plus de leurs
missions strictement opérationnelles sont touchés de plein fouet par ce problème. C’est le cas
du 4e RCC qui, en plus de ses missions d’escortes sur l’axe Constantine – Sétif, a la charge
d’un chantier de pacification dans la région située au nord d’Oued Athménia.
Mais les missions territoriales, notamment celle de recensement, ne sont pas toujours
considérées comme une contrainte nuisible aux opérations, au contraire, elles donnent aux
unités une occasion supplémentaire de connaître en détail leur terrain d’emploi et les
populations que le FLN infiltre progressivement. Or l’acquisition du renseignement permet de
mener des actions plus ciblées, et donc de réaliser une meilleure concentration des efforts.

445
II. L’esprit cavalier demeure

21. Apparition de nouveaux modes d’action

L’ABC a encore le culte du renseignement à cette époque et ces unités sont orientées
vers son acquisition prioritairement. Mais, pour l’exploiter, encore une fois, les TED sont mal
adaptés. Des initiatives sont prises au cas par cas par les chefs de corps. A la fin de l’année
1956, au 28e RD, régiment relativement groupé dans son secteur opérationnel de la
subdivision de Tiaret, un commando de nuit (1 officier et 22 hommes) est mis en place à
l’ECS par le lieutenant Delacour. L’idée lui en vient alors qu’il est en permission et qu’il
réfléchit aux solutions tactiques à appliquer pour renforcer l’efficacité des unités sur le terrain.
Le but de commando est de monter des embuscades de nuit et de chercher du renseignement.
Mais ce commando, étant donné son effectif et la situation tactique de l’époque, n’a pas
l’ambition de remplir les missions qui seront plus tard celles des commandos de chasse. Le
colonel commandant le 28e RD, n’est pas facilement convaincu de l’utilité d’un tel
commando, seule la forte détermination de Michel Delacour vient à bout de ses réticences.
Ce commando opère en s’enfonçant profondément dans des zones où les troupes
interviennent peu. Après une longue marche nocturne, il s’installe en observation dans un
endroit discret à la recherche d’indices. Mais, souvent, le renseignement arrive trop tard ou
trop confusément pour être exploité efficacement par les unités tenues en réserve. Le
commando finit par obtenir le ralliement d’un commissaire politique qu’il manque de peu à
plusieurs reprises la nuit lors de ses réunions dans des douars. Ce n’est que grâce à ce
ralliement que le commando réussit à démanteler l’OPA locale1195.
Au début de l’année 1957, il s’agit du seul commando de ce type dont l’existence est
mentionnée dans les régiments de l’ABC. Les autres régiments disposent parfois de quelques
harkis mais ils sont généralement répartis dans les escadrons. Le concept d’emploi des
régiments ne prévoit que des éléments d’intervention de jour. Blindés ou motorisés, ils sont
tenus en réserve car le commandement souhaite pouvoir tirer profit de leur vitesse
d’intervention et/ou de leur protection sous blindage pour faire face à des événements
imprévus. Ce type d’emploi correspond bien à leurs possibilités, mais, dans les faits, ils
interviennent peu souvent. Les secteurs conservent à leur niveau généralement un peloton,
voire un escadron, en tant qu’unité d’intervention tout en maintenant les autres unités dans

1195
Delacour, op. cit., p. 51 - 61.

446
l’accomplissement des autres missions, ce qui dépossède encore le chef de corps de ses
prérogatives de commandement opérationnel.
Le régiment qui en est la meilleure illustration est sans doute le 9e régiment de
hussards. Réparti dans la région de Mascara avec son PC à Descartes, son dispositif ne s’étend
que sur une zone de 50 km sur 30. Il est facile à administrer pour le chef de corps, tout en
étant apte à fournir à la 13e division d’infanterie des unités mobiles prêtes à intervenir en
n’importe quel point de son secteur dans d’excellentes conditions. Un escadron est adapté, au
début de l’année à chaque sous-secteur de la division. Le régiment dispose en plus d’une
harka de 10 hommes (ex-Bellounistes) à l’ECS, et d’une autre montée de 25 cavaliers au 2e
escadron. La situation du 10e régiment de dragons est quelque peu différente car la réserve
blindée qu’il doit fournir peut être formée à partir de toutes ses unités en fonction de leurs
charges du moment. Au début de l’année 1957, ce régiment est implanté sur deux sous-
secteurs du secteur d’Aïn-Temouchent. L’un d’entre eux est commandé par le colonel
commandant le régiment. Il y dispose de son régiment moins le 1er escadron qui est installé
dans l’autre sous-secteur à 70 km de son PC. Le régiment doit être en mesure de participer à
la mise sur pied du groupement opérationnel de la 29e DI. Etant donné leur faible dispersion,
les escadrons sont en mesure de le faire rapidement. Des unités mobiles sont prêtes à
intervenir en n’importe quel point du secteur dans des conditions qui sont jugées excellentes
par le chef de corps1196.
Le cas du 2e régiment de spahis algériens est moins idyllique. A son arrivée en juin
1956 dans le secteur de Nemours, il assure les missions les plus diverses. Le colonel
commande le quartier de Nemours, qui couvre 25 km de frontière marocaine et son arrière
pays mesurant de 5 à 15 km de profondeur. Il ne conserve sous ses ordres que l’ECS, et les 1er
et 4e escadrons. Les deux autres escadrons sont sous les ordres du secteur : le quartier voisin
de Nédroma est sous les ordres du capitaine commandant le 2e escadron, et le 3e escadron est
en réserve de secteur avec des pelotons détachés en réserve de quartier. Mais il intervient peu
en unité constituée. Ses pelotons, comme ceux du reste du régiment, assurent la plupart du
temps des ouvertures de route et des escortes de convois routiers et ferrés, pour lesquels le
régiment a reçu deux draisines en dotation. Ils mènent également des patrouilles sur la
frontière et renforcent des points d’appui d’infanterie avec des chars isolés, ce qui est
normalement proscrit dans l’ABC. On peut encore citer le 8e régiment de chasseurs à cheval

1196
SHD/Terre, 31 T 15.

447
(sur M24 et AM M8), qui au mois de janvier 1957, malgré ses difficultés, met sur pied avec le
1er escadron un groupement opérationnel d’intervention de sous-quartier à Sainte-Monique.
De rares régiments sont maintenus entièrement en réserve au niveau de la Xe RM. Il
s’agit tout d’abord des deux régiments de la 7e division mécanique rapide, qui doivent cette
situation au fait que, au début de l’année 1957, ils sont encore maintenus sous l’hypothèque
de la « Force A » et que, par conséquent ils ne peuvent pas être affectés dans un secteur trop
éloigné du port d’Alger. Comme la Xe RM fait rarement appel à eux, ils assument surtout des
missions territoriales. Le 2e régiment de dragons, qui conserve son caractère de régiment
interarmes, doit pouvoir mettre sur pied un sous-groupement opérationnel, tout en assurant le
quadrillage du sous-secteur d’Alma-Marine. Mais il n’emploie pas son matériel et opère à
pied. Le sous-secteur de l’Alma-Marine, dont il a la charge, se subdivise en 5 sous-quartiers
dont chaque escadron est responsable. Trois de ces derniers sont fortement implantés dans le
djebel ce qui est jugé peu compatible avec son emploi éventuel dans le cadre de la Force A.
L’autre régiment de la 7e DMR, le 3e régiment de chasseurs d’Afrique, après son faux départ
pour Suez, ne remplit pratiquement que des missions territoriales dans la région de l’Arba, de
Rivet et de Rovigo. Les EBR ne sortent qu’exceptionnellement en unité constituée pour
intervenir au profit d’un autre secteur : entre novembre 1956 et janvier 1957, un seul escadron
d’EBR à trois pelotons a participé à une opération. Le régiment, sous le commandement du
lieutenant-colonel Argoud, dont le PC est à Bou-Kandoum, a la responsabilité du sous-secteur
sud Aïn-Taya – Maison Blanche, qui est en grande partie montagneux et couvert. Le LCL
Argoud a une idée de manœuvre qui se résume au triptyque : protection – engagement –
contrôle1197. Il organise son régiment pour le combat à pied, n’utilisant par roulement que 8 à
10 EBR par escadron et répartissant le reste du personnel dans des pelotons de combat portés
sur des camions de 25 hommes. En effet, le TED/G, encore en vigueur du fait de
l’appartenance du 3e RCA à la force A, ne prévoit pas de peloton porté organique. Il a reçu
pour cela une sur-dotation de 6 FM et de 50 fusils pour remplacer les PA et les PM de
dotation pour les équipages d’EBR. Pour remplir ses missions territoriales, le régiment est
renforcé de 3 bataillons d’infanterie et d’un groupe d’artillerie. Il assure ainsi avec un état-
major fourni par lui le commandement de 5 éléments de 800 h environ qui tiennent 21 postes
dispersés dans la montagne. L’action du régiment est fondée sur l’activité incessante de
patrouilles motorisées légères. Les EBR patrouillent plusieurs fois pas jour sur les axes
routiers, à intervalles irréguliers. Les postes isolés sont relevés en moyenne tous les mois et

1197
Argoud, op. cit., p. 143.

448
des contact-parties du régiment sont envoyées en cas de besoin pour dépanner les engins qui
y sont détachés. Dans le domaine de la pacification, le régiment obtient des succès
marquants : on estime que la région de l’Arba est complètement pacifiée au départ du
lieutenant-colonel Argoud en décembre 1957, et les axes routiers ne sont plus menacés. La
route de Sakamodi en particulier, auparavant témoin de nombreuses embuscades, est ouverte
à la circulation. Les patrouilles permanentes des EBR semblent avoir eu un effet
psychologique salutaire1198.

Cliché n° I/73
EBR du 3e RCA sur la route du Sakamodi en juin 1957. Le chef de voiture observe à la jumelle car
l’optique de bord est montée sur la tourelle dont la rotation est bloquée par l’arbre sur la gauche du
cliché. L’évaluation des distances se fait également à la jumelle, du fait de l’absence de télémètre. On peut
observer à la droite du chef de voiture une mitrailleuse Reibel MAC 31 montée en superstructure. Elle
provient de l’un des postes de pilotage dont elle a été retirée. (Argoud, op. cit.)

Le 5e RCA, régiment organique de la Xe RM, est placé en réserve de celle-ci dans la


région d’Alger mais pour des raisons différentes. Il doit être en mesure de former quatre sous-
groupements avec les unités du 25e régiment de dragons stationné à Bouïra. Mais ces sous-
groupements ne sont jamais mis sur pied car ils n’auraient pu l’être que dans le cas d’une
opération de très grande envergure. C’est pourquoi, le 12 février 1957, le 5e RCA, tout en
entrant dans la composition du groupement d’intervention n° 18, prend la responsabilité du
sous-secteur de Bourbaki.

1198
SHD/Terre, 31 T 10 et 7 U 937*.

449
Parmi les unités placées en réserve, ce sont les unités composées de chars qui sortent
le moins, alors que les engins à roue continuent à être employés dans les missions routinières.
Le 2e RCA en est l’illustration. Son escadron de chars M24, qui fait partie du groupement
blindé de la zone opérationnelle de Tlemcen, où il stationne, sort peu. Ses engins ont une
moyenne de 20 h d’utilisation par mois. En revanche, les AM du régiment, qui sont déjà très
usés, roulent beaucoup et parcourent environ 1 500 km pendant la même période, et les half-
tracks 1 000. La raison en est leur utilisation pour assurer la surveillance de la frontière avec
le Maroc, et le contrôle de la population du secteur que commande le chef de corps. On
souhaite donc motoriser son escadron à pied qui est appelé à intervenir rapidement dans une
zone d’action étendue.
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Une motorisation accrue des régiments ABC est
vivement souhaitée pour permettre de faire face en partie aux problèmes opérationnels liés à
la dispersion des unités. En outre, dans le cadre de la reconversion que l’IGABC appelle
instamment de ses vœux, il est indispensable que le personnel conserve au moins en partie ses
savoir-faire et surtout l’esprit de son arme.
La mise en place des barrages le long des frontières facilite cette reconversion car le
besoin en unités mobiles s’accroît considérablement pour assurer le service de la herse et
l’interception dans la profondeur. Alors que la ligne Pédron, du côté marocain, est mise en
place à partir de juin 1956, à la fin de l’année, l’organisation de la surveillance de la frontière
de l’Est est encore fondée sur un dispositif en profondeur comprenant un quinconce de postes
forts dans la bande frontière, des places d’armes où sont concentrées les réserves mobiles et
des postes arrières1199. En avril 1957, le général Salan décide de la construction d’un barrage
similaire à la ligne Pédron sur la frontière tunisienne1200. Certains régiments de l’ABC sont
déjà installés de part et d’autre des deux frontières1201. Le 21e RD (INF 107) est au Maroc
entre Oujda et Figuig, le 18e RD (ABC 021) est dans le Kef en Tunisie. Jusqu’à la mise en
place des barrages sur les deux frontières, les actions des unités à pied, blindés (le 2e RSA est
dans la région de Nemours) et même à cheval (le 9e ESA est dans la région de Morsott) y sont
complémentaires. Mais une fois que les unités du Maroc et de Tunisie sont évacuées vers

1199
SHD/Terre, 1 H 2034.
1200
SHD/Terre, 1 H 2034.
1201
« [Après l’indépendance de la Tunisie et du Maroc] Les troupes françaises maintenues dans les deux pays
avaient alors leurs effectifs les plus élevés (125 000 hommes au Maroc et 55.000 en Tunisie) ; mais elles ne
pouvaient s’opposer à l’installation de l’ALN algérienne sans l’accord des gouvernements marocain et tunisien.
Le 22 octobre 1956, le détournement vers Alger par l’aviation française d’un avion marocain transportant de
Rabat vers Tunis les chefs de la délégation extérieure du FLN sonna le glas de la coopération militaire entre la
France et ses anciens protectorats. » Guy Pervillé, La Ligne Morice en Algérie, 1956-1962,
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=95, consulté le 12 mars 2011.

450
l’Algérie et le barrage installé, le dispositif est entièrement repensé et le nombre d’unités
motorisées revu à la hausse.
En novembre, la Xe RM demande un renfort en EBR pour assurer des patrouilles
mobiles de surveillance le long du barrage-est, l’EMA décide l’envoi de 50 engins en Algérie.
Cela suppose de convertir un régiment supplémentaire sur ce matériel par rapport aux
prévisions, ce qui est accueilli favorablement par les cavaliers1202. Cette nouvelle mission
donne même l’occasion à l’ABC de motoriser certains régiments de type 107 qui sont déjà
implantés dans les secteurs frontaliers du Maroc, comme le 3e régiment de cuirassiers, ou de
Tunisie, comme le 6e RC.
Un effort allant dans ce sens est donc entrepris à la fin de l’année 1956. Le 3e RC est
implanté sur 6 postes, dans le sous-secteur de Sebdou, où il contrôle une zone montagneuse le
long de la frontière marocaine, qui s’étend sur 80 km d’est en ouest. Il a fort à faire face à un
adversaire très actif avec lequel les accrochages sont nombreux. Il est donc indispensable
qu’il puisse bénéficier d’une plus grande capacité de manœuvre. Ce régiment, qui a la
dotation théorique d’un bataillon 107, et dont le 5e escadron arrivé en novembre est déjà doté
d’un peloton de cinq chars M24, reçoit un supplément de dotation pour accroître sa
mobilité de 31 half-tracks, deux chenillettes Ford T-161203 et 120 bicyclettes1204. Il est alors
organisé de la façon suivante : le 1er escadron compte 2 pelotons portés et 2 pelotons
cyclistes ; le 2e escadron, 2 pelotons cyclistes et 2 pelotons à pied ; les 3e et 4e escadrons, 2
pelotons portés et 2 pelotons à pied, et le 5e escadron, un peloton de chars, 2 pelotons portés et
un peloton à pied. En outre, les GMC des escadrons de combat sont blindés. Pour effectuer
l’entretien du matériel, l’atelier régimentaire (AR) est grossi de 15 personnes et est autorisé à
faire des opérations de 3e échelon, bien qu’il ne possède pas l’outillage nécessaire pour les
mener.
Du côté tunisien, le 6e RC reçoit en sur-dotation 18 scout-cars, 21 half-tracks et 5
chars M24. Ce qui lui donne des possibilités de mouvement et de combat supérieures à celles
d’un bataillon d’infanterie.
Mais cette remotorisation des régiments de l’ABC ne se limite pas aux seuls régiments
installés sur les frontières. Le 29e RD, opérant dans le quartier de Zemmoura (sous-secteur
Hodna-ouest, dans la région montagneuse des Bibans, à l’est des Portes de Fer) est

1202
SHD/Terre, 6 T 576.
1203
Le Carrier, Universal, T16, Mark I est une amélioration du Carden-Loyd Universal Carrier (ou Bren-
Carrier), chenillette d’infanterie conçue en 1935 en Grande-Bretagne. La version T-16 a été conçue par Ford of
Canada et construite par Ford aux Etats-Unis entre 1943 à 1945.
1204
Au 2e escadron du 25e BDP, on trouve également des pelotons cyclistes.

451
transformé en régiment ABC 021 porté sur half-tracks en juillet 1956 puis, en avril 1957, sur
AM M8 avec les engins livrés par les Américains. Le 25e bataillon de dragons à pied (BDP),
mis depuis août 1956 à la disposition du général commandant le secteur Est-Atlas dans la
région de Rouïba, voit deux de ses escadrons dotés de half-tracks. Si la priorité lui a été
donnée, c’est parce qu’il opère dans une zone étendue et de parcours relativement facile pour
les engins blindés. Ce n’est pas le cas du 1er régiment de cuirassiers qui est regroupé dans un
sous-quartier de Souk-el-Tnine dont le terrain est difficile. Le régiment en assure pourtant
l’infrastructure opérationnelle et le quadrillage permanent. Malgré le souhait de l’IGABC, il
n’est équipé que de quelques matériels blindés ou motorisés et ne sera pas aligné sur le TED
021.

22. Le 25e bataillon de dragons à pied dans la bataille d’Alger

Le 25e bataillon de dragons à pied commence à être doté de half-tracks à partir du


mois de novembre 1956. Après avoir opéré en Kabylie jusqu’en août, il est mis à la
disposition du général commandant le secteur Est-Atlas Blida. Les éléments du bataillon qui
tenait les postes de la région de Rivet, Fondouk sont repliés sur Rouïba. Le 1er janvier 1957, il
adopte officiellement le TED ABC 021, et compte deux escadrons portés sur half-track et
deux escadrons à pied type 107, chaque escadron étant renforcé d’une harka. Mais, même si la
moitié de ses unités sont portées sur engins blindés, il intervient, en tant que réserve, dans une
opération où sa nouvelle dotation de blindés ne lui sera d’aucun secours. Le 25e BDP est en
effet désigné pour participer à la bataille d’Alger1205.
Du mois de janvier au mois de mars, trois escadrons et un peloton sur half-tracks y
sont engagés. Leur mission, dans le cadre de l’opération Rideau, consiste, dans un premier
temps, « à filtrer les personnes et les véhicules franchissant la ceinture établie autour du
centre de la ville d’Alger ». Par la suite, le contrôle se fait plus sévère, il s’agit de « contrôler
strictement ou interdire, suivant le cas le mouvement des personnes et des véhicules dans
certains quartiers de la ville ». Les dragons doivent remettre à la police les « suspects » pris
en défaut d’identité qu’ils arrêtent. Le nombre des arrestations s’établit entre 70 et une
centaine, selon les jours. Ce chiffre va en décroissant et, à la fin du mois de janvier, on n’en
compte plus qu’une vingtaine par jour. Un seul homme est pris en flagrant délit le 20 janvier,
alors qu’il venait de lancer une grenade au restaurant de la Grotte, rue de l’Echelle.

1205
Les recrues du CIABC participent déjà régulièrement au maintien de l’ordre à Alger, mais elles n’assurent
que des missions de patrouille et de garde statique.

452
Le chef d’escadrons (CES) de Monclin estime pour sa part que cette mission délicate
est confiée à des militaires peu préparés mais qui en mesurent l’importance. Du reste, ni le
JMO, ni les comptes-rendus d’opérations ne signalent de cas où un homme aurait perdu son
sang-froid, ni aucun incident majeur. A partir du 29 janvier, l’opération Casbah est
déclenchée, son but est de « faire échec à la grève des travailleurs ordonnée par le FLN,
mettre les ouvriers au travail, faciliter leur transport et assurer leur protection et contrôler
les oisifs ». Des camions du groupe de transport 535 sont mis à la disposition du bataillon
pour l’occasion. Jusqu’au 4 février, les dragons organisent le transport des ouvriers dans les
camions militaires et assurent leur protection. Pour la seule journée du 29 janvier, ils en
transportent 600 en 24 rotations. En deux jours, les magasins ouverts dans leur secteur passent
de 7 à 60, de nombreuses boutiques restent cependant fermées, même si le CES de Monclin
constate que l’ambiance s’est considérablement détendue à partir du 31, où « de nombreux
travailleurs musulmans se rendent normalement à leur travail ».
A partir du 5 février commence la 2e phase de l’opération. Il est demandé au bataillon
d’ « accélérer le mouvement de réouverture des magasins, de faire signer aux commerçants
une déclaration par laquelle ils reconnaissent avoir fait grève sous la contrainte du FLN et de
maintenir quelques magasins fermés à titre sanction (sic) après décision Autorité
Préfectorale ». Au bout de deux jours, 191 commerçants signent la déclaration, mais 7
refusent de le faire, et 41 magasins sont fermés à titre de sanction. La phase se termine le 11
février. Le CES de Monclin ne tire pas une très grande satisfaction de ces opérations qu’il
considère comme « particulièrement ingrates et obscures ». Il constate en outre que, si les
dragons ont donné satisfaction dans l’exécution de ces missions, ils s’en « lassent d’autant
plus vite que la presse et la radio ne mettent l’accent que sur l’aspect spectaculaire de la
question ». En outre, il déplore une certaine improvisation dans les mesures prises pour briser
la grève, même si, selon lui : « la diversité et l’apparente contradiction de quelques-unes de
ces mesures ont dérouté les cellules FLN dans leurs réactions ».
La 3e phase de l’opération Casbah commence aussitôt. A partir du 12 février, le
bataillon doit « effectuer par rue ou îlot d’habitations le ramassage des enfants et les
conduire à l’école » et les ramener chez eux le soir. Les dragons doivent en outre
« rechercher les groupes d’enfants ou d’adolescents qui se livreraient à des manifestations
d’hostilité ou d’intimidation envers les écoliers ». Le bataillon est chargé de trois, puis de cinq
écoles. Le nombre d’élèves augmente à chaque demi-journée, même si certains enseignants
voient arriver leurs élèves avec peu de satisfaction. L’opération est réussie, sauf dans la
Casbah où une présence quasi-permanente est nécessaire pour « combattre les mots d’ordre

453
du FLN transmis par des gosses de 12 à 14 ans ». En revanche, les comptes-rendus signalent
l’attitude des femmes musulmanes « comme très favorable dans son ensemble à la scolarité
de leurs enfants ». Cette phase s’achève le 19 février, et le bataillon, réduit à un escadron et
demi, est aussitôt engagé dans l’opération Ceinture.
Cette fois il s’agit de « filtrer les personnes et les véhicules sortant de l’agglomération
algéroise, dans le but d’arrêter les éléments rebelles » tout en assurant la « surveillance
générale et recherche d’indices ayant trait à l’activité rebelle – contrôle des personnes –
fouille des bagages et des véhicules – Protection des Ecoles. » Le bilan des contrôles
effectués pendant neuf jours, en alternance avec les missions de protection, est plutôt maigre.
Sur les 10 000 véhicules contrôlés, les dragons ne découvrent qu’une liste de collecteurs
d’impôt des quartiers Belcourt et Kouba, qui est transmise aux parachutistes pour
exploitation. Des effets militaires et un fusil de chasse sont également découverts. Moins
d’une dizaine de personnes, sur les 15 000 contrôlées, sont remises à la police.
C’est avec un certain soulagement que les dragons quittent Alger le 3 mars pour
rejoindre leurs cantonnements1206. Si cette mission est mal vécue par les cadres notamment,
c’est qu’elle est à l’opposé de l’idée qu’ils ont de leur mission de cavalier.
Le bataillon est déplacé quelques jours après son retour d’Alger. Son PC s’installe à
Malakoff puis à Bougainville en ZOA (secteur d’Orléansville), avec sa base arrière à Bouira.
Il prend l’appellation de 25e régiment de dragons le 1er juillet. Ses unités effectuent des
opérations de contrôle de populations, de fouilles de mechtas, d’arrestations de suspects
repérés, elles assurent la sécurité des cités ouvrières, et mènent des opérations mobiles avec
l’infanterie de l’Air pour la division d’Alger (dans les environs d’Orléansville et de Blida).
Mais les résultats sont peu payants au regard des efforts consentis, ce qui, après l’intervention
à Alger, influe de façon négative sur le moral1207.

23. Un dispositif qui peine à se stabiliser

Tout au long de l’année 1957, le problème de l’éparpillement des unités blindées est
au cœur des doléances des chefs de corps qui se voient souvent enlever l’essentiel de leurs
attributions de commandement. Du reste, ce souci anime les chefs de corps tout au long du
conflit. Hubert Puga se rappelle que, en tant que chef de corps du 27e RD, c’est toujours le

1206
SHD/Terre, comptes-rendus d’opération du 25e Dragons, 7 U 881*.
1207
SHD/Terre, 31 T 13.

454
sien en 19601208. Si les chefs de corps n’y prennent pas garde, le plus clair de leurs actions se
résume à recevoir des comptes-rendus de punition et de détérioration. Leur tâche de notateur
et d’instructeur de leurs cadres, la sauvegarde de leurs matériels et surtout leur
commandement en pâtissent de façon considérable.
La situation du 8e RH, malgré son changement de stationnement ne s’est pas
améliorée. En décembre 1957, le régiment a son PC et un escadron à Biskra, son ECS à
Nemours, l’atelier régimentaire à Rouached, et un escadron réparti autour d’Aïn Farouk. Le
chef de corps a donc son régiment morcelé sur 200 km du nord au sud et sur 120 km d’est en
ouest. Ses escadrons coopèrent dans leurs secteurs respectifs avec des escadrons d’autres
régiments blindés, sous les ordres de divers commandants de secteur. Cette solution consistant
à former des unités de marche avec des escadrons de même pied venant de différents
régiments, plutôt que d’engager des unités constituées, est un non sens aux yeux des chefs de
l’ABC. Il est donc demandé aux commandants de secteur de reconsidérer l’emploi qu’ils font
des unités blindées et à la Xe RM de revoir leur déploiement de façon à faire mieux
correspondre les chaines organique, logistique et opérationnelle.
Le lieutenant-colonel Ogier de Baulny, chef de corps du 2e REC, n’a pas la patience
d’attendre une décision de la part de sa hiérarchie pour regrouper son régiment. Ce dernier,
après avoir séjourné pendant trois mois dans la région d’Ouargla, est regroupé en janvier 1957
dans celle de Ghardaïa, à Laghouat. Il participe aux opérations de secteur montées par le
commandant du territoire de Ghardaïa, dont il relève. Il assure en outre la sécurité du convoi
journalier Laghouat – Djelfa. Mais son 1er escadron est resté sous les ordres du territoire de
Touggourt à M’Raier. Il est prévu qu’il rejoigne le régiment, mais la décision tarde à arriver.
Le 6 mai 1957, lassé de cette attente, le lieutenant-colonel Ogier de Baulny va lui-même
cherché son escadron et l’installe de son propre chef à Laghouat.
Les déménagements des unités ne sont pas toujours bien vécus. Le 1er REC, l’autre
régiment étranger de cavalerie, vit mal son départ de la Tunisie. Depuis son arrivée en
Algérie, en novembre 1956, le 1er REC est installé sur le territoire de la région d’Aumale,
avec son PC dans cette ville. Il est employé à des tâches que les légionnaires considèrent
comme secondaires et armé d’un matériel américain qui vient à 80% d’Indochine qui est
désuet et qui se désagrège. Le personnel n’a pas le sentiment d’être considéré comme
constituant un corps d’élite. Le commandement juge, qu’étant donné son potentiel, ce
régiment est effectivement sous-employé, et qu’il doit être rapidement équipé d’EBR, car il

1208
Témoignage Hubert Puga.

455
pense pouvoir compter sur des engagés pour en faire rapidement des équipages opérationnels.
En mars 1957, le 1er REC rejoint Bou-Saada où le 4e escadron est dissous en mai. Il remplit
alors des missions d’escorte de convois et participe à de rares opérations sur le territoire de la
subdivision. En outre, les escadrons, parfois des pelotons isolés, sont en réserve et participent
à des opérations interarmes. Entre le mois d’avril et le mois de juin 1957, il passe sur EBR
grâce à l’arrivée des 50 engins attribués par l’EMA en novembre 1956. Cette reconversion
donne des résultats particulièrement décevants. A la fin de l’année 1957, après quelques mois
d’utilisation, les EBR ont un taux d’indisponibilité anormal. En outre, selon le chef de corps,
le changement de structure du régiment, qui passe du TED 021 (AFN) au TED 012 (Europe),
rend le régiment beaucoup moins apte à l’exécution des missions tant opérationnelles que
territoriales. Certains sous-officiers avouent que le régiment n’a pas été pleinement
opérationnel pendant cette période1209. Le chef de corps met en cause la fragilité des EBR dont
20% seulement sont des engins neufs, tous les autres ayant été remis à niveau par les ateliers
de Rueil-Malmaison. Il se plaint du fait qu’une opération de 4 à 6 jours se déroulant sur des
pistes et en tout terrain, entraîne une évacuation de 35% des engins et des réparations au
retour au cantonnement pour la totalité d’entre eux1210.
Des techniciens de la DEFA sont envoyés auprès du régiment pour conseiller les
cadres et les équipages en matière de pilotage, d’entretien et de réparation, et, du 6 janvier au
18 février 1958, le 1er REC est chargé de l’expérimentation des EBR en milieu désertique et
effectue un raid de 6 000 kms au Sahara. Le 13 mars 1958, il est envoyé dans la région de
Tébessa où il assure le service de herse. Si la situation du matériel s’améliore, les légionnaires
se lassent rapidement de cette tâche ingrate qui ne leur paraît pas digne d’eux.
Certains régiments, tout au long de l’année 1957 ne sont pas encore remis des
difficultés auxquelles ils ont dû faire face depuis leur arrivée en Algérie. C’est le cas du 12e
régiment de dragons qui, en plus d’avoir perçu des AM M8 dont les moteurs étaient en
mauvais état, a changé de structure à quatre reprises en deux ans. En outre, le chef de corps
rencontre des problèmes de commandement dus à l’amalgame des officiers et des sous-
officiers. Sa deuxième fonction opérationnelle de commandant de sous-secteur ne lui facilite
pas la tâche pour reprendre son régiment en main. Son PC régimentaire, implanté à Palikao,
est éloigné de 50 km de son PC de sous-secteur, implanté à Clinchant où il est tenu d’être en
permanence. En outre, les missions confiées aux escadrons sont essentiellement des missions
territoriales qui leur donnent trop peu l’occasion de participer à des opérations de grande

1209
Médard, op. cit., p. 590.
1210
SHD/Terre, 31 T 5.

456
envergure en unités constituées. Leur cohésion et leur moral en souffrent. Le 12e RD est l’un
des régiments de l’ABC où le moral semble le moins élevé au cours de cette période1211.
La mise en place des barrages le long des frontières, qui prend de plus en plus
d’ampleur bouleverse encore plus le déploiement des unités. Le 18e RD (AM M8) arrivé de
Tunisie en juillet 1957, où il opérait déjà le long de la frontière, prend en charge la
responsabilité du quartier de Duvivier (ZEC/Bône) dont le terrain est pourtant peu propice à
l’engagement des engins blindés. Sa mission principale devient celle d’y assurer le service de
« herse mobile », le long de la frontière. Pour permettre une meilleure adaptation à cette
nouvelle mission sur un terrain difficile, le régiment est désigné pour être le premier à être
équipé de Ferret.
Le 6e RC, remis sur engins blindés en mars 1957, doit également faire un effort dans la
réorganisation de ses escadrons et la prise en compte de sa nouvelle mission. Le régiment,
responsable du sous-secteur de Chéria, est employé à la surveillance de la frontière tunisienne,
qui comprend la protection des travaux de construction du barrage, et à l’interception des
bandes circulant entre les Nementchas et la Tunisie, dans la région située au sud de Tébessa.
Le chef de corps forme, à partir de ses deux escadrons d’AM M8 et de son escadron de M24,
trois escadrons sur le même pied mélangeant chars et AM, et confie à son escadron 107 les
missions territoriales. Il réussit bien dans cette mission grâce à la mobilité retrouvée et à sa
connaissance du terrain, sur lequel il opère depuis le mois de janvier 1956. En outre, il s’agit
d’une zone étendue d’accès relativement facile aux blindés. A la fin de l’année, l’escadron à
pied est finalement installé sous béton à la frontière, cette mission de défense statique est peu
aux goûts des cavaliers qui s’en émeuvent.
Du côté marocain, le dispositif évolue également. Au début de l’année 1957, le 2e
régiment de spahis algériens opère toujours dans la zone frontalière de Nemours, mais le
commandement estime qu’une fois qu’il sera sur EBR, il devra se voir confier un autre secteur
et d’autres types de missions car « il y a lieu de l’employer avec précaution si l’on ne veut pas
risquer de détériorer le matériel nouveau qu’on lui confie »1212. La perception du nouveau
matériel commence en février. Les équipages suivent par roulement un stage de reconversion
à Hussein Dey. En mars, le régiment quitte la zone frontalière et s’installe dans la région de
Mostaganem. Son PC est implanté à Blad-Taouria. En juillet, le régiment est aligné à trois
escadrons d’EBR et un de M24. Le 25 juillet 1957, le chef de corps prend le commandement
du secteur de l’Ouarsenis (ZNO) et son PC est déplacé à Zemmora. Il y reste jusqu’en juin

1211
SHD/Terre, 31 T 13.
1212
SHD/Terre, 3 T 12.

457
1960. La mission prioritaire du régiment devient alors la pacification et la protection (convois
sensibles, équipes de travaux, des récoltes…). Les escadrons doivent également répondre aux
besoins de leurs secteurs et des échelons supérieurs.
Le 3e RC en revanche reste le long du barrage-ouest. Son PC est implanté à Sebdou
(Subdivision de Tlemcen). Après sa transformation en régiment blindé, il fait le service de la
« herse » à compter d’avril 1957. Il dispose alors d’un escadron sur M24, de deux escadrons
portés sur half-track et d’un escadron 107 de type saharien équipé de GMC blindés. Encore
une fois l’organisation théorique doit être adaptée, les M24 sont répartis entre deux escadrons.
Les escadrons sont répartis en six postes où les conditions de vie sont difficiles. Les trois
escadrons blindés font la herse systématique le long du barrage. L’escadron 107 est en réserve
d’intervention en arrière de celui-ci. Le commandement du chef de corps n’est pas facilité par
la répartition de ses escadrons qui dépendent pour certains d’entre eux d’autres chefs
territoriaux. En revanche, le système de commandement est assoupli selon les besoins
opérationnels : les escadrons passent sous les ordres de leur chef de corps en cas de
franchissement, ce qui lui permet occasionnellement de commander son régiment en
opérations.
Le dispositif s’installe en profondeur le long de la frontière. Le 30e RD, arrive du
Maroc et s’installe dans la région de Tlemcen (ZOO) en août, puis dans celle de Montagnac
(id.) en novembre. Bien que l’une de ses missions soit de « pourchasser les bandes qui
viennent du Maroc »1213, le régiment remplit essentiellement des missions de pacification et
de maintien de l’ordre dans les zones où il est implanté : Montagnac, Saïda, Mascara, Ampère
et Sédrata. Il fournit des escortes et constitue des réserves blindées de secteur. En outre, une
partie de ses équipages est mis à terre. Comme il doit être en mesure d’aligner rapidement
trois escadrons d’AMX 13 en tant que membre de la force terrestre d’intervention, il fait partie
des rares régiments blindés à n’avoir jamais participé à « la herse ».
De l’autre côté de la frontière, des régiments agissent toujours sur le sol marocain. En
novembre 1957, 21e régiment de dragons (TED 107) est à Touissit, à 25 km d’Oudja et
surveille la frontière en liaison avec les unités d’Algérie tout en assurant la protection des
personnes et des biens français de la région. Comme pour les autres unités 107, on souhaite
lui affecter six GMC pour que les escadrons puissent se déplacer par leurs propres moyens,
sans faire appel aux unités du Train. Le projet reste sans suite car, une fois le barrage achevé,
le 21e RD est replié dans la région de Meknès en décembre.

1213
SHD/Terre, 31 T 13.

458
24. La manœuvre blindée s’adapte aux portés

Apparemment, il existe peu de différence entre un escadron 25e RD porté sur half-
tracks, et une compagnie d’infanterie dotée du même matériel. Mais cette apparence est un
peu trompeuse. Les half-tracks donnent aux cavaliers l’occasion de monter des manœuvres
qui sont plus dans le style de leur arme. Contrairement aux fantassins, qui ne voient dans leurs
engins que des moyens de transport, les cavaliers combattent naturellement à bord de leurs
engins dont ils utilisent les armes de bord. Les groupes ne débarquent qu’au dernier instant,
soit pour monter à l’assaut d’une position déjà fixée par les armes d’appui, soit pour coiffer
l’objectif. La manœuvre menée avec des half-tracks, pour les cavaliers, s’apparente avec celle
menés avec des chars à la seule différence qu’une partie de l’équipage peut combattre à pied.
Mais, dans un combat classique, la manœuvre combinant l’engagement de pelotons
portés aux côtés de pelotons blindés est délicate. En effet, les délais de débarquement et de
rembarquement des portés rompent le rythme de progression des engins blindés et
compromettent soit une exploitation, soit un repli rapide. En Algérie tel n’est pas le cas car
l’adversaire est toujours à pied et, de ce fait, le rythme de la manœuvre est donné par les
troupes à pied. La vitesse de déplacement des engins permet un déplacement rapide jusqu’au
contact, mais une fois celui-ci établi les engins blindés ne sont plus là que pour appuyer les
combattants à pied. L’acquisition des savoir-faire tactiques est généralement très rapide, car il
ne concerne que deux types de pions de manœuvre, et la conduite des feux de l’artillerie ou du
CAS1214 se limite généralement à un seul objectif au contact. En revanche, deux facteurs de
succès restent indispensables, tout d’abord le renseignement et, en second lieu, la ruse pour
déjouer le système de guet et d’alerte mis en place par l’ALN. Un combat, mené avec succès
par un escadron du 10e régiment de dragons (RD), semble bien réunir tous ces éléments1215.
A la mi-mars 1957, le 1er escadron du 10e RD (M24) à la charge du sous-secteur du
Tlelat. Ce vaste territoire correspond à une zone de plaine mais il est adossé au sud à
d’importants massifs montagneux : djebel Malah, monts de sidi Ralem, continuation vers l’est
de la chaîne du Tessalah. Ces montagnes sont à la fois une zone de passage et une zone
« refuge » pour les bandes de l’ALN d’Oranie. Le dispositif du 1er escadron du 10e RD qui,
outre ses misions de quartier, conserve son rôle d’unité blindée de la 29e division d’infanterie,
comprend trois pelotons de combat groupés aux environs du Tlelat et un peloton détaché à
Tafaraoui au pied de la montagne. Dans la période du 1er au 10 avril, l’ALN mène plusieurs

1214
Close air support : appui air/sol.
1215
SHD/Terre : 7 U 868*.

459
actions de sabotage contre des installations de la commune de Tafaraoui : cinq fermes sont
incendiées et 3,5 km de poteaux électriques sont abattus à la hache en limite de sous-quartier.
Les sorties incessantes de l’escadron, de jour comme de nuit n’empêchent pas l’ALN
d’attaquer les fermes inoccupées ou gardées par des commis musulmans. Pour mettre un
terme à ces actions, le capitaine, commandant le sous-quartier du Tlelat prend liaison avec le
commandant du 14e bataillon de tirailleurs algériens (BTA) pour monter une opération contre
la base refuge de l’ALN dans les montagnes de Sidi Ralem.
Les renseignements fournis par les officiers de renseignement des deux unités sont
concordants et précis. Un plan d’action est établi mettant en œuvre la totalité du 14e BTA et
du 1er escadron du 10e RD. L’opération, prévue pour le 11 avril, doit être reportée à cause de
pluies torrentielles qui rendent le djebel inaccessible. L’action est déclenchée finalement le 16
à 12 h 00.
L’idée de manœuvre du capitaine Bart, commandant le 1er escadron, est de surprendre
l’adversaire en plein jour par une action brutale des blindés dans sa zone refuge et le fixer en
vue de permettre ensuite la fouille méthodique par les éléments d’infanterie. Pour bénéficier
de l’effet de surprise, il souhaite que la mise en place sur les bases de départ s’effectue à une
vitesse particulièrement rapide, puis, sans temps d’arrêt, foncer, à l’horaire (i.e. sans ordre
radio mais selon un heure définie à l’avance) sur la zone refuge, par plusieurs directions
convergentes ; occuper les positions clefs et barrer les itinéraires de fuite des combattants de
l’ALN ; enfin, avec une partie des moyens blindés, accompagner et appuyer les éléments
d’infanterie chargés de la fouille du terrain. Encore une fois, l’infanterie ne doit débarquer
qu’au dernier moment, tout le reste est affaire de vitesse comme dans un combat de cavalerie
légère blindée classique.
L’articulation choisie comporte deux éléments, eux-mêmes divisés en détachements
aux missions précises. Dans ce genre d’opération où tout est planifié, le commandement reste
centralisé et l’initiative des subordonnés est limitée.
L’élément blindé est constitué de trois détachements :
- Le détachement A (LTN Ruby) : 2e peloton de chars (5 chars M24) et un groupe de
protection sur half-tracks. Sa mission est la suivante : « par l’itinéraire « A »,
atteindre pour 14 h 00 la région de la cote 415 et interdire tout mouvement des
rebelles vers l’ouest et le nord-ouest. Ultérieurement, sur ordre, pousser un élément
vers la côte 661 en vue d’appuyer l’infanterie. »
- Le détachement B (SLT Patin) : 4e peloton porté (half-tracks et jeeps) renforcé d’un
groupe de deux chars du 1er peloton. Il reçoit comme mission : « par l’itinéraire « B »,

460
atteindre pour 14 h 00 la ligne des crêtes 542 –553, interdire tout mouvement des
rebelles par le ravin Chabet Er Rhama en direction du nord-est. » Le PC du capitaine
commandant l’escadron (half-track et char de commandement) plus un élément de
gendarmerie, doit accompagner ce détachement.
- Le détachement C (SLT Giraudeau) : 3e peloton porté (half-tracks et jeeps) renforcé
du 1er peloton de chars (moins un groupe) et d’un détachement de gendarmerie avec
l’officier renseignement (OR) de l’escadron, avec comme mission : « par l’itinéraire
« C », atteindre pour 14 h 00 la cote 800 et le marabout de Sidi Ralem en vue
d’interdire toute fuite des rebelles vers le sud, le sud-est et le sud-ouest.
Ultérieurement, pousser un élément par la cote 741, en accompagnant des unités
d’infanterie chargées du ratissage. »
L’élément d’infanterie comporte deux détachements :
- Le détachement Nord : une compagnie du 14e BTA qui est aux ordres du capitaine
commandant l’escadron de chars, qui a comme mission : « opérant à pied depuis le
point X, remonter le Ch’ El Caricha et ses versants est et ouest, se trouver pour 14 h
00 en bouclage face au sud de la cote 419 ».
- Le détachement Sud : 14e BTA, aux ordres du chef de bataillon, commandant le 14e
BTA et l’ensemble de l’opération opérant à pied à partir du point Z et dont la mission
comporte deux temps : « dans un premier temps ; pour 14 h 00, achever par le sud le
bouclage de la zone refuge des rebelles, dans un deuxième temps : accompagnés par
des blindés du détachement C, procéder au ratissage méthodique de toute la zone
suspecte. » Le PC du commandant du 14e BTA accompagne avec les éléments de
fouille.
Pour obtenir l’effet de surprise maximum et éviter de laisser aux combattants de
l’ALN le temps de se ressaisir et de s’enfuir, il est décidé que chaque détachement (blindé ou
infanterie) effectuerait son mouvement de mise en place d’une façon indépendante, en ne
tenant compte que de l’heure d’arrivée sur l’objectif qui est fixée à 14 h.
Depuis leurs cantonnements respectifs, tous les éléments arrivent par des axes
différents et sans temps d’arrêt foncent sur l’itinéraire d’approche. Cette dispersion initiale
permet d’endormir la méfiance des guetteurs qui, à aucun moment, n’aperçoivent
d’importants regroupements de force, qui sont généralement le prélude des vastes opérations
d’encerclement et dont le manque de discrétion est le plus souvent la principale cause
d’échec.

461
Le détachement blindé C est confronté lors de sa progression à des coupures creusées
sur la piste de Sidi Ralem et à des rochers poussés là pour en obstruer certains passages. A 14
h 00, cependant, tous les éléments blindés et le détachement d’infanterie Nord ont atteint leur
objectif. Le gros du 14e BTA, constituant le détachement d’infanterie Sud est, quant à lui,
retardé par des difficultés d’itinéraire et n’atteint sa base de départ qu’avec une demi-heure de
retard.
Le bouclage est toutefois si rapidement réalisé par les blindés qu’il semble alors peu
probable que la bande ait pu sortir de sa zone refuge. A 14 h 00, tous les itinéraires de piste
sont battus par les feux. Dès que le 14e BTA atteint sa base de départ du Tamezrirt, le chef de
bataillon donne l’ordre de commencer la fouille méthodique du sud au nord. Vers 15 h 15, des
tirailleurs de la 2e compagnie reçoivent quelques coups de feu sans pouvoir localiser avec
précision leur origine. Puis, vers 16 h 00, l’accrochage se produit dans le ravin de l’ouest du
marabout de Sidi Ralem. Les combattants ALN qui essayent de s’exfiltrer vers la nord-est, par
le ravin, voient leur retraite coupée par un élément du détachement C, aux ordres du lieutenant
de Gramont, officier renseignement (OR) de l’escadron qui, apercevant leur mouvement,
fonce à pied dans le ravin pour couper leur itinéraire de fuite.
Les tirailleurs de la compagnie de fouille, achèvent alors l’encerclement rapproché et
commencent la réduction de la bande qui est acculée et fait face avec détermination.
Dès le début de l’accrochage, le MDL Gengembre, adjoint de l’OR, est blessé dans le
fond du ravin en barrant la route aux fuyards. Cependant le terrain, qu’ils utilisent au mieux,
leur est favorable car la gorge est extrêmement profonde et obstruée de blocs de rochers. Il
faut aller au contact au plus près, ce qui occasionne des pertes chez les tirailleurs.
Le capitaine commandant l’escadron porte alors son PC vers la zone d’accrochage
avec trois chars et deux half-tracks du détachement B qui, malgré les difficultés du terrain,
réussissent à se mettre en position face au ravin que les djounouds empruntent comme
itinéraire de repli. Pour éviter les tirs fratricides, les tirailleurs qui sont au plus près, à la limite
de l’imbrication, doivent rompre le contact, avant que les chars n’ouvrent le feu à l’obus
explosif en pilonnant, mètre par mètre, le fond du ravin et les parois afin d’en détacher des
blocs rocheux qui, en tombant écrasent leurs adversaires. Vers 18 h 30, l’affaire est quasiment
terminée, l’infanterie coiffe l’objectif et nettoie le ravin où quelques survivants résistent
encore.

462
Au cours de cette opération, l’ALN perd 32 combattants, tous tués et 11 armes de
guerre à l’état neuf. Dans ce type d’accrochage, les JMO consultés1216 ne signalent que très
rarement des prisonniers. Les témoignages rapportent que les prisonniers blessés sont soignés
et évacués sur un hôpital1217, mais parfois ils sont achevés sur place, surtout quand leur
blessure est grave. Parfois, les prisonniers sont en fait déclarés morts et emmenés pour être
interrogés au quartier, puis abattus. Jean-Paul Angelelli, maréchal-des-logis au 3e escadron du
6e RS, où il exerce les fonctions d’adjoint de l’OR en témoigne. En octobre 1961, après un
combat à Bir Menten (ZOC), il a la pensée suivante en écoutant un déserteur passé à l’ALN
fait prisonnier qui livre des caches vides : « Tu veux te raccrocher à la vie, gagner un jour,
deux jours, une semaine… Déserteur avec repentir : cinq à dix ans. (…) Tu as loupé ta
chance, Arezki. Fury et moi nous te regardons et nous nous regardons. Nous savons que tu
n’es plus qu’un mort en sursis car le compte rendu de l’opération indique que nous n’avons
pas de prisonniers. » 1218
Le principal facteur de succès de l’affaire de Sidi Ralem est sans doute l’effet de
surprise. Il est obtenu, d’une part, grâce à une mise en place très rapide et discrète par des
itinéraires différents, sans préparatifs annonciateurs, d’autre part, grâce à une coordination des
mouvements lors de la mise en place sans temps d’arrêt sur les bases de départ et, enfin, grâce
au choix d’une heure inhabituelle pour déclencher une opération. En effet, vers midi, les
guetteurs, en observation depuis l’aube relâchent généralement leur vigilance, surtout, comme
dans ce cas précis, en période de ramadan. En outre, l’apparition de l’aviation d’observation
sur la zone d’engagement après le déclenchement de l’action, a permis également de ne pas
éveillé l’attention de la bande. Un autre facteur de succès tient à la bonne coordination
blindés/infanterie. Le 14e BTA et le 1er escadron du 10e RD se connaissent bien, ils ont
l’habitude d’opérer ensemble et remplissent leurs missions de quartier depuis des mois en
étroite collaboration. Cette confiance mutuelle entre les deux unités permet de surmonter
l’éventuelle rivalité qui existe parfois en Algérie et de partager le renseignement qui est
exploité au mieux.

1216
Sur ce combat : SHD/Terre : 7 U 868*.
1217
Francis Mauro, Un Engagé en Algérie, Angicourt, Editions 1900-2050, 2002, 190 p., p. 106.
1218
Angelelli, op. cit. p. 210. Sur l’exécution d’un prisonnier : ibid. p. 242 - 244.

463
Carte n° I/74
Carte du secteur des Monts de Sidi Ralem. Carte du GH 2.

464
Carte n° I/75
Combats du 1/10e RD du 16 avril 1957. Bulletin d’étude et de documentation de l’E.A.A.B.C, n° 5 (juillet-août
1957)

24. Les Royal Pataugas gagnent en capacité opérationnelle

Les régiments 107, n’opèrent qu’à pied, ce qui leur vaut rapidement ce surnom de
Royal Pataugas.1219 Ils connaissent des fortunes diverses selon leur déploiement, même s’ils

1219
Bon nombre de régiments de l’ABC sont les descendants de régiments royaux, i.e. appartenant au roi : le 24e
RD descend de Royal Lorraine, le 25e RD descend de Royal Normandie, etc. Ces noms sont encore en usage

465
remplissent tous quasiment les mêmes types de mission. Le souci permanent est de les doter
de véhicules de transport et de les regrouper, autant que faire se peut, dans la main de leur
chef de corps. Leur situation s’améliore au fur et à mesure que leur expérience grandit. A
partir de mai 1957, le 7e régiment de hussards est repris en main par son nouveau chef de
corps qui est lieutenant-colonel, contrairement à ce que prévoit le TED du bataillon 107. Le
régiment a changé d’implantation. Après avoir rejoint la région d’Aumale en décembre 1956,
il est affecté en mars 1957 à la zone est algérois (ZEA) dans la région sud-est du secteur de
Bouira. Le chef de corps commande le quartier des Ksars. Les escadrons sont regroupés,
l’encadrement a été changé et le commandant de zone semble satisfait de l’exécution des
missions qui lui sont confiées.
La situation du 1er régiment de chasseurs à cheval s’améliore également. En avril
1957, le régiment est regroupé dans la région de Tiout sur une étendue moins vaste que la
précédente mais qui mesure encore 125 km sur 60. Le chef de corps commande le groupe de
quartiers centre du sous-secteur d’Aïn-Sefra. Trois de ses escadrons sont motorisés pour
permettre au régiment d’assurer simultanément la mission opérationnelle de surveillance du
barrage-ouest et de poursuite des bandes. Il doit être en mesure de mettre, sur ordre, à la
disposition du sous-secteur d’Aïn-Sefra trois escadrons motorisés à regrouper en trois heures
à Tiout. Les escadrons mènent également des missions territoriales dont les résultats sont
jugés relativement satisfaisants, notamment dans le quartier de Chellala. Cependant, le
ravitaillement de ce quartier, où est implanté un escadron, reste délicat. Il se fait, soit par
parachutage direct depuis Oran, soit de façon bimensuelle par convoi par la seule piste de 120
km de Tiout à Chellala qu’il faut déminer à chaque rotation. Les courses harassantes donnent
peu de résultats, quelques bandes éparses du FLN/ALN sont diluées sur une vaste étendue et
le renseignement fait encore partiellement défaut. En fait, avant d’être pleinement
opérationnelles dans une zone nouvelle, les unités ont besoin de temps.
Parfois, le regroupement des moyens n’est pas compatible avec le quadrillage du
terrain. Dans le Constantinois, le 4e régiment de hussards, malgré un changement de dispositif
effectué en mars, est encore réparti en 22 postes différents dont certains d’un effectif inférieur
au peloton. Les 1er, 3e et 4e escadrons et l’ECS relèvent du quartier de Penthièvre (en zone est
constantinois - ZEC) alors que le 2e relève de celui de Laverdure. En mai, le lieutenant-
colonel Giraud en prend le commandement. Du fait de son grade, il prend également le

pour désigner les corps. D’où des surnoms de Royal quelque chose, donnés à certains régiments pour en relever
une caractéristique. Par exemple, au 3e RCA, qui est l’un des rares régiments de l’ABC à être équipé de brelages
en toile, l’usage veut que le personnel en porte toujours les bretelles de suspension en tenue de combat. Cela vaut
au régiment le surnom de Royal bretelles.

466
commandement du quartier de Penthièvre que son prédécesseur, qui n’était que chef
d’escadrons avait dû céder à un chef de bataillon d’infanterie coloniale. Ce qui permet de
remettre sous l’autorité du chef de corps les escadrons placés dans le quartier de Penthièvre et
le sous-secteur de Laverdure. Mais l’émiettement des unités au-dessous du peloton conduit à
une faiblesse des effectifs dans les différents postes, ce qui condamne les unités à un certain
immobilisme. Le moral du personnel en souffre d’autant plus que le régiment accuse un sous-
effectif de 50 % de ses sous-officiers. En décembre, le régiment est redéployé. Il installe son
PC à Bordj-Bournazel-Barral, toujours dans la ZEC. Il reçoit alors une mission territoriale
dans son quartier. Mais les nombreuses servitudes de garde (postes électriques du barrage,
fermes…) nécessitent toujours la dispersion des pelotons dans des petits postes le long du
barrage. Ces derniers mènent des patrouilles à la recherche d’indices de tentative de
franchissement et assurent la protection des équipes de réparation qui doivent travailler sur le
barrage. Le régiment fournit également des pelotons d’intervention en cas de rupture du
barrage. Ils sont en alerte à quatre minutes avec cinq half-tracks et deux scout-cars. Pour le
reste, les escadrons participent aux opérations en tant qu’unité d’infanterie pour assurer des
ratissages ou des bouclages pendant lesquels leurs détachements restent parfois spectateurs
comme Francis Mauro, alors brigadier-chef au 1er escadron, le décrit à l’occasion de la
première opération à laquelle il participe et dont le ratissage est mené par des tirailleurs
sénégalais du 13e régiment : « Nous sommes au spectacle, arrêtés face à l’action qui continue.
Nous bouclons l’oued qui se trouve à nos pieds. Je pense pourvu que nous n’y allions pas !
(…) Nous n’avons pas franchement peur. Mais nous venons juste d’arriver. C’est notre
première opération ! »1220 Les hussards font cependant plus de 30 km à pied ce jour-là pour
effectuer le bouclage.
L’occasion de participer à un ratissage est donnée au 1er escadron quelques semaines
plus tard au Cap de Fer qui marque l’extrémité occidentale du massif de l’Edough entre El
Marsa et Bône. Les hussards sont mis en place par camions à bord desquels ils roulent toute
une nuit. Une fois arrivé sur place, le chef de peloton, qui est un sous-lieutenant du
contingent, apprend à ses cavaliers qu’ils vont participer à un ratissage aux côtés de
légionnaires du 1er REP, ce qui suscite un sentiment de fierté de leur part. Le ratissage
commence après un pilonnage effectué par l’artillerie navale. L’escadron, aligné sur 400 m,
fouille le terrain en brûlant tous les abris pouvant servir de cachette. Les hussards, « pas peu
fiers d’être les égaux de la Légion »1221, mettent à la tâche une application particulière. Mais

1220
Mauro, op. cit., p. 51.
1221
Ibid., p. 60 - 62.

467
la fouille ne donne rien, il n’y a pas contact car les combattants de l’ALN se sont évaporés. En
revanche, certaines opérations montées sur du renseignement frais sont plus payantes. C’est
ainsi que le 1er escadron du 4e RH intercepte, sur les rives de Seybouse, un convoi d’une
centaine de jeunes recrues de l’ALN qui s’apprêtaient à franchir le barrage pour y être
formées en Tunisie. Le colonel décide de faire défiler les prisonniers dans Mondovi devant la
population qui fait semblant de ne rien voir1222.
La vie dans les postes est rustique, elle est scandée par des patrouilles de routine dans
leurs environs qui accrochent rarement. L’une d’entre elles, du 1er escadron, tombe dans une
embuscade en pleine journée. Le chef de peloton est blessé à la tête et deux hussards sont
tués, cependant l’intervention rapide de la garnison du poste permet de dégager le peloton.
L’intervention de T6 met en fuite les combattants de l’ALN qui abandonnent un blessé sur le
terrain. Ils n’ont pu s’emparer d’aucune arme1223. Ce type d’action reste exceptionnel, c’est le
seul cas à être signalé pour cette période. Les harcèlements des postes de nuit constituent la
plupart des actions de feu menées par les escadrons.
Mais la stabilité et le regroupement des moyens ne règlent pas tous les problèmes,
notamment celui du manque d’effectifs. En février 1957, le 1er RC est déployé de façon
satisfaisante. Il est articulé par escadron sur le territoire d’un sous-quartier de Souk El Tnine
et chaque escadron est groupé dans un poste. Sous les ordres directs de son chef de corps, ils
assurent l’infrastructure opérationnelle et le quadrillage de leur zone. Mais par la suite du jeu
des absences, ils ne comprennent pratiquement que trois pelotons d'intervention complets au
lieu de quatre ce qui limite grandement leurs possibilités d’intervention.
A la fin de l’année 1957, les unités à pied, sont placés dans de meilleures conditions
pour remplir leurs missions. Même si bon nombre de problèmes chroniques, comme celui du
sous-effectif, ne sont pas réglés, ces unités ont surmonté la plupart des difficultés rencontrées
depuis 1955.

1222
Ibid. p. 59.
1223
Ibid. p. 65 et 66.

468
III. L’économie des forces, clef de la réussite

Avec la mise en place des barrages, puis le déroulement des opérations du plan Challe,
la situation militaire évolue favorablement en Algérie. Cette amélioration progressive permet
aux unités de quadrillage d’avoir une action plus efficace dans leurs missions de pacification.
En outre, sur le plan tactique, les enseignements des premières années d’engagement portent
leurs fruits.

31. La stabilité et la cohésion, facteurs de succès

Avec la dispersion des moyens, les déménagements incessants représentent sans doute
l’un des freins les plus importants à la capacité opérationnelle des régiments. Sur le plan de
l’infrastructure, à chaque changement d’implantation, tout est à refaire. Le 3e escadron du 6e
régiment de cuirassiers (RC), où sert Bernard Top (57/1/C), par exemple, change de poste à
trois reprises entre l’année 1958 et l’année 1959. Il est installé parfois sous tente, parfois dans
des baraques délabrées et à chaque fois « comme d’habitude, tout [est] à construire.
L’essentiel [est] de savoir combien de temps nous [allons] occuper la colline »1224. Le moral
des cuirassiers de l’escadron est surtout affecté lorsqu’ils quittent un poste relativement
confortable pour en rejoindre un autre dans une zone déshéritée.
Le problème le plus fâcheux est qu’à chaque fois, les unités doivent redécouvrir une
zone d’action nouvelle, qu’il s’agisse de son terrain ou de sa population. Cependant, ces
déplacements son rendus nécessaires par l’évolution de la situation militaire. Les grandes
opérations du plan Challe doivent être impérativement suivies par une période de stabilisation
ce qui implique de revoir le dispositif de quadrillage au fur et à mesure du déroulement du
plan. C’est la raison pour laquelle, le 1er RC, régiment 107, est déplacé dans l’Oranais.
Depuis avril 1957, il est stationné dans le massif du Dahra au nord-est de
Mostaganem. Son PC est à Cassaigne. Chaque escadron a la responsabilité d’un sous-quartier.
Le 5e escadron forme le commando Z 56 de Cassaigne. Grâce à l’action en profondeur que les
escadrons mènent pendant des mois, « la pacification progresse d’une manière tout à fait
remarquable », selon les termes de l’IGABC1225. Les douars, pour une moitié environ, ont été
organisés en auto-défense, sur leur demande. En un an, huit cents armes, dont 176 au cours

1224
Bernard Top, Quand finira-t-elle ? Guerre d’Algérie : un passé à reconstruire. Paris, La Pensée Universelle,
1998, 171 p., p. 140.
1225
SHD/Terre, 31 T 16.

469
d’une seule opération dans des grottes à Beni Amrame, sont récupérées. Ce bilan est le
résultat d’un contact constant avec la population et d’une très bonne connaissance du terrain.

Cliché n° I/76
Zone de déploiement du 1er RC d’avril 1957 à avril 1959. Carte du GH 2.

Mais, à la fin du mois de mars 1959, après l’opération Couronne, le régiment est
déplacé pour s’installer à l’extrémité ouest de l’Ouarsenis à Guillaumet pour y stabiliser la
zone, alors que l’opération Courroie commence. Il laisse son commando au IIIe bataillon du
44e RI qui le relève. Son nouveau quartier de pacification couvre 320 km², mais ne compte
que 10 000 habitants répartis dans quatre communes (Guillaumet, Maricha, Meknessa et
Chekkala). Tout est à refaire. Pendant un an, il doit se consacrer à la lutte contre les éléments
résiduels des bandes tout en se lançant dans la pacification.

Cliché n° I/77
Zone d’implantation du 1er RC à Guillaumet au nord de Tiaret. Carte Michelin n° 172, 1958, 1/1 000 000,
pli n° 14.

470
Mais ce n’est qu’à partir de juin 1960, qu’il peut réellement se consacrer pleinement à
la destruction de l’OPA et à la pacification. Les escadrons sont répartis en 13 postes de
pelotons sur l’ensemble du quartier. Le régiment organise dix douars en autodéfense, douze
villages sont resserrés et cinq écoles sont tenues par des militaires.

Cliché n° I/78
En 1959 le LCL de Froment, chef de corps du 1er RC depuis le mois de juillet, préside une opération
d’armement d’un GAD. Le chef de corps remet lui-même un fusil de chasse. Sur la table on observe
également des fusils 07/15. Cliché GE 1er cuirassiers - Carpiagne.

En décembre 1960, le régiment élargit sa zone d’action. Le quartier de Guillaumet


fusionne avec celui d’Ammi Moussa où le PC du régiment s’installe. Le quartier couvre alors
580 km² et compte 23 000 habitants en partie dispersés à l’ouest de l’Oued Riou. Vingt-deux
villages sont organisés en autodéfense. Mais si les escadrons ne bougent pas pour la plupart,
ils doivent encore armer 24 postes. Ce nombre est jugé excessif étant donné les contraintes
que leur volume représente. Leur nombre passe rapidement à 19, mais cela suppose de
regrouper une partie de la population dans des douars aménagés.

471
Cliché n° I/79
Zone d’implantation du 1er RC à Ammi Moussa au nord de Guillaumet. Carte GH 2.

En février 1961, les combattants armés de l’ALN sont réduits à une vingtaine de
combattants qui se cachent dans deux zones refuges que leur offre le terrain. Ces combattants
cherchent surtout à survivre. En revanche, l’OPA urbaine et rurale intensifie son action auprès
de la population pour recruter des combattants. C’est vers sa destruction que se concentrent
tous les efforts des escadrons. Dans le domaine de la pacification, six cents élèves sont
instruits par les 12 instituteurs du régiment, un foyer sportif est créé à Guillaumet, l’AMG est
menée, essentiellement dans le sud du quartier, par un aspirant médecin et les infirmiers du
corps1226.
Au début de l’année 1961, la zone occupée par le 1er RC est considérée comme
quasiment pacifiée. Mais, pour mener à bien cette pacification, deux facteurs essentiels ont
été nécessaires : la stabilité du stationnement des unités et surtout leur regroupement sous les
ordres de leur chef de corps. C’est le constat que fait le général inspecteur dans son rapport de
1959 lorsqu’il écrit que « les régiments qui sont regroupés sous les ordres de leur chef de
corps, comme le 20e RD, le 6e RCA ou le 1er RC, bien qu’étant plus pauvres que les autres,
sont ceux qui donnent le plus satisfaction dans les missions de quadrillage »1227.
Cet argument est mis en avant pour montrer qu’un régiment doit impérativement être
employé sous les ordres de son chef. Or, tel n’est pas le cas pour bon nombre de régiments car
le quadrillage continue, en grande partie, à être assuré de façon décentralisée. Ce sont surtout
les unités blindées qui en souffrent, ce qui nuit à leur cohésion et leur emploi. La stabilité des

1226
SHD/Terre, 31 T 16.
1227
SHD/Terre, 31 T 9.

472
unités à un même endroit ne suffit donc pas, encore faut-il qu’il y ait une cohérence dans leur
emploi.
Certains régiments se retrouvent même dans des situations délicates. Le 10e régiment
de dragons, entre juin 1956 et novembre 1957, se déplace à de nombreuses reprises dans la
région d’Aïn-Temouchent pour assurer les missions qui lui sont confiées par la 29e DI. Son
chef de corps change l’emplacement de son PC à trois reprises : Bou-Tleles, Trois-Marabout
puis Rio-Salado où il s’installe en novembre 1957. Ce n’est qu’à partir de cette date que les
trois escadrons (un sur M24 et deux sur AM M8) sont regroupés sous les ordres de leur chef de
corps dans le secteur côtier.
La longévité de son implantation et son regroupement lui permettent de remporter un
certains succès. L’OPA est démantelée, et l’ALN est réduite à quelques bandes évaluées à une
dizaine d’hommes qui échappent au régiment grâce à leur fluidité. Le chef de corps,
n’obtenant pas de faire remplacer ses half-tracks par des jeeps, décide, en juin 1958, de
former un commando pour les atteindre, ce qui donne des résultats assez probants.
La pacification est passée mission prioritaire. Elle a pour objet l’organisation de
l’auto-défense des fermes, le contrôle des populations, le regroupement des Douars, la
surveillance des services de scolarité et d’hygiène1228.
Mais en octobre 1958, le besoin d’engins blindés se faisant sentir ailleurs dans
l’Oranais, le régiment est à nouveau déplacé et ses escadrons dispersés dans le secteur d’Oran.
Le chef de corps prend le commandement du quartier d’Arcole et installe son PC à Canastel.
Il doit alors remplir simultanément des missions territoriales et des missions opérationnelles
de longue durée parfois à de grandes distances. En novembre, le 2e escadron, moins deux
pelotons, est mis à la disposition du commandant autonome de Mécheria. Il s’installe à
Tachatouf (au sud d’Aïn-Sefra) et patrouille sur le barrage. Le 3e escadron, à la même
période, est mis à la disposition de la ZSO pendant 45 jours durant lesquels il opère dans la
région de Saïda, d’Aflou et de Géryville.
Devant les difficultés d’entretien du matériel, le chef de corps réorganise son régiment
en décembre. Les éléments des 1er et 2e escadrons sont fondus dans deux escadrons de marche
de même pied avec un peloton de M24, un peloton d’AM M8, deux pelotons portés sur half-
tracks. L’un, aux ordres du capitaine commandant le 1er escadron, est détaché dans le secteur
d’Aïn Sefra, à 500 km de Canastel. L’autre est détaché dans le secteur d’Inkerman à 150 km
de Canastel. Le 3e escadron conserve sa structure ABC 021 (AM M 8).

1228
SHD/Terre, 31 T 14.

473
Pour remplir ses missions territoriales, le chef de corps met également sur pied au sein
du régiment :
- un bureau de pacification de sous-secteur,
- trois bureaux de pacification de quartier,
- un bureau d’officier de renseignement de sous-secteur (auquel est affecté un
commando de harkis),
- trois bureaux d’officiers de renseignement de quartier,
- la harka de Prévost Paradol (30 hommes dont 20 montés),
- la harka de Palat (27 hommes à pied)
- trois équipes de pacification.
Mais, cette structure nouvelle ne lui permet pas de remplir efficacement ses missions
territoriales car il est dans l’impossibilité de commander ses escadrons. L’inspecteur de
l’ABC regrette vivement de voir cette situation perdurer, il pense que ce régiment « pourrait
rendre ailleurs de grands services »1229 et se voir relevé, au moins en partie, par des
fantassins.
Le commandement en prend conscience. En mars 1959, le régiment passe à la 4e
division d’infanterie et se déplace pour la région de Palat (ZEO) où il relève le 12e RD. Le
chef de corps prend alors le commandement du sous-secteur de Mina. A la fin du mois de
décembre, le chef de corps prend en outre le commandement du sous-secteur opérationnel des
Rhezalas (appelé Sothat en février) créé pour trois mois afin d’anéantir les unités de l’ALN
implantées dans les monts Frenda.
Son action est alors jugée efficace1230, mais, encore une fois, des missions
supplémentaires lui sont données, ce qui disperse, une fois de plus, ses moyens. En mars
1960, non seulement il doit faire assurer la protection des travaux du gazoduc Hassi
R’Mehl/Relizane par l’un de ses escadrons qui est mis sous tente près de Trezel, mais il doit,
en plus, mettre à la disposition du secteur d’Aflou des éléments d’intervention. En somme, il
ne reste plus qu’un seul escadron sous ses ordres. Cet escadron tient un quartier, mais les
autres quartiers du secteur sont tenus par un escadron du 9e régiment de spahis pour l’un, et le
GMS 61 pour l’autre.
En août, dans le cadre de la création des secteurs de pacification, il est décidé de
regrouper le 10e RD dans le secteur d’Aflou. A son arrivée dans ce secteur, en octobre, il

1229
SHD/Terre, 31 T 13.
1230
Entre mars 1959 et mars 1960, le bilan du 10e RD de 94 djounouds tués, 51 faits prisonniers, 125 membres
de l’OPA arrêtés, 68 armes récupérées. Ses pertes s’élèvent à deux tués et quatre blessés. SHD/Terre, 7 U 868*.

474
englobe le commando 49 et les trois harkas du secteur : 120 cavaliers à Aflou, 80 cavaliers à
Gueltet et 30 cavaliers à Sidi-Djelloul puis à Sidi-Ali. Mais les escadrons, dispersés dans un
premier temps entre deux sous-secteurs, ne sont regroupés sous les ordres de leur colonel
qu’en mars 1961.
Il aura donc fallu attendre plus de trois ans pour que le régiment soit enfin regroupé
entre les mains de son chef. Il reçoit alors des missions purement territoriales. Le colonel
Marzloff, inspecteur de l’ABC d’Algérie, s’en félicite dans son rapport d’inspection de février
1961 : « Son regroupement dans le secteur d’Aflou et une organisation rationnelle au point
de vue de l’emploi, ont permis de rétablir une situation qui l’an dernier n’était pas
satisfaisante »1231. L’action du régiment devient alors beaucoup plus efficace tant dans le
domaine opérationnel que dans celui des missions territoriales. Mais ces améliorations
arrivent bien tardivement.

Cliché n° I/80
Implantation du 10e RD de mars 1961 à mars 1962. La couleur des escadrons est rajoutée : bleu pour le
1er, rouge pour le 2e, vert pour le 3e et jaune pour l’ECS. SHD/Terre, 7 U 868.

Lorsque les régiments sont regroupés et que leur stationnement est stable, leur
efficacité est décuplée comme le montre l’exemple du 16e régiment de dragons qui, après son
séjour difficile en Kabylie, suit la 2e division d’infanterie motorisée dans le Constantinois en

1231
SHD/Terre, 1 H 1909.

475
janvier 1956. Il déploie ses escadrons dans le secteur d’Aïn-Beida qui est particulièrement
favorable à l’emploi des blindés. Le régiment est employé à l’interception des bandes qui y
sont implantées ou qui y transitent en venant de Tunisie. Il lutte également contre l’OPA qui
s’est installée au milieu d’une population d’environ 100 000 habitants dont 5 % seulement
sont des Européens. Le chef de corps commande le secteur qui correspond à l’arrondissement
territorial et dispose, en plus de son régiment, du 67e bataillon d’infanterie et de neuf SAS.
Lorsqu’il en prend le commandement, en octobre 1957, Jacques de Parcevaux décide
d’appliquer les trois volets des missions traditionnelles de la cavalerie. Il estime que son
régiment doit renseigner, couvrir et combattre en liaison avec les autres armes1232.
Au bout de deux ans, l’IGABC estime que le régiment mène « une action pacificatrice
extrêmement efficace »1233. En effet, si, en 1957, les bandes de l’ALN dans la zone d’action
du 16e RD sont estimées à 1 200 combattants, en 1959, ce chiffre estimé à une centaine
d’hommes dont 75 seulement seraient armés. Ils agissent encore de façon sporadique par
petits groupes isolés de deux ou trois combattants essentiellement dans la partie du nord du
secteur (Ksar Sbahi) où le 1er escadron doit être implanté à la fin de l’année 1959 pour mettre
fin à leurs actions.
Après la bataille de Souk-Ahras, le 16e RD doit être en mesure de fournir dans les
quatre heures un sous-groupement d’intervention à deux escadrons sur les arrières du barrage.
La seule contrainte qu’a le régiment, dans le cadre de la mission « barrage » permanente, est
de mettre à la disposition des secteurs frontaliers plusieurs escadrons pendant plusieurs
semaines voire plusieurs mois. Cela les détournant de leur mission principale, le chef de corps
demande à ce que ces missions soient confiées au bataillon d’infanterie1234, mais il n’est pas
entendu et le régiment conserve cette charge.
Le secteur est coupé par des chaînes montagneuses orientées sud-ouest/nord-est qui
délimitent de larges compartiments de terrain par où passent les filières du FLN. L’action des
pelotons, qui prennent sous leur responsabilité les communes, comprend essentiellement des
patrouilles et des embuscades de nuit, de la surveillance d’itinéraire, ou de zone, et des
fouilles de jour.
La bonne connaissance qu’ont les chefs de peloton de la zone leur permet parfois
d’exploiter des renseignements sans délai, comme c’est le cas en janvier 1958. Le lieutenant
Bosch du 1er escadron, disposant d’une AM M20 et d’une jeep, effectue une reconnaissance

1232
Témoignage de Jacques de Parcevaux.
1233
SHD/Terre, 31 T 14.
1234
SHD/Terre, 7 U 874* et Id.

476
dans la région de F’Krina, à 8 kilomètres au sud-ouest d’Aïn-Beida. Il s’agit de contrôler et de
préciser un renseignement de prisonniers concernant les itinéraires suivis par les bandes qui
transitent dans le secteur. L’état des pistes, détrempées par les pluies récentes, gêne
considérablement la progression et impose aux conducteurs une attention soutenue pour éviter
l’embardée fatale qui stopperait net la reconnaissance. La patrouille arrive vers 16 h 00 en vue
du Garaet-et-Tarf (1 163 m) et se porte à hauteur du gourbi « G ». De là elle a des vues sur le
débouché d’un oued qui se perd dans le lac quelques centaines de mètres plus loin, par de
multiples ravinements creusés dans une zone large de 60 mètres. Celle-ci est dominée par des
falaises de terre meuble de 10 mètres à 15 mètres de hauteur. Plus près, les abords de l’oued
se sont transformés en un marécage de 200 mètres de largeur qu’il est nécessaire de franchir
pour passer sur la rive sud. L’observation méthodique et minutieuse du terrain permet aux
dragons de découvrir quelques individus en tenue sombre dans les ravinements asséchés.
Le lieutenant Bosch qui ne peut agir avec les moyens réduits dont il dispose, alerte
immédiatement par radio le peloton d’Andoque (deux AM M8 et deux groupes portés sur half-
tracks) qui procède à un recensement de population non loin de là. Tandis que l’AM M20 reste
en surveillance au gourbi, le commandant d’unité gagne un point d’où il pourra identifier les
individus suspects, contrôler leurs chemins de repli éventuels, et préparer l’engagement du
peloton d’AM AM8. Celui-ci, retardé par le mauvais état des pistes, rejoint au bout d’une
demi-heure.
Les individus repérés sont bien des combattants de l’ALN et tout porte à croire qu’il
s’agit d’une section articulée en trois groupes, l’un sur le versant nord du thalweg au pied des
falaises, les deux autres sur le versant sud plus raviné. Le lieutenant Bosch décide de les
attaquer en exploitant au maximum l’effet de surprise provoquée par l’irruption soudaine de
peloton de part et d’autre du thalweg.
Il souhaite porter l’effort principal sur le versant sud. A cet effet, il pousse une AM M8
en direction des falaises de la rive nord pour contrôler cette zone, interdire le repli vers le nord
et neutraliser le groupe qui s’y trouve. Simultanément, le reste du peloton traverse le
marécage au point le plus favorable pour déborder les deux autres groupes et les attaquer par
le sud. Mais l’AM s’enlise et il n’est pas question de procéder au dépannage de terrain qui
retarderait l’action. Elle reçoit alors une mission de bouclage à l’est et est remplacée par l’AM
M20 qui avait été maintenue au gourbi.
Le combat s’engage quelques instants plus tard. L’effet de surprise est total et le
groupe le plus à l’est est anéanti par les feux conjugués de l’AM et des portés.

477
Le commandant d’unité, qui s’est porté sur un point d’observation situé entre les
djounouds et le lac, au sud de l’oued, discerne un certain flottement dans leurs rangs.
Quelques éléments tentent de s’échapper vers le nord-ouest en longeant le lac. L’AM M8 qui
progresse sur la rive nord ouvre le feu sur les fuyards mais elle est gênée par l’angle mort de
la falaise et ne peut interdire efficacement l’itinéraire de repli.
Une arme automatique est alors installée à proximité de l’observatoire d’où elle prend
le bord du lac en enfilade. Puis les groupes portés ratissent le versant sud de l’oued. Le
nettoyage est terminé à 17 h 30.
Le bilan est de 19 morts pour l’ALN, dont le chef de la section. Deux MG 42, 3 PM,
14 fusils de guerre et 5 grenades italiennes sont ramassés sur le terrain.
Encore une fois, la surprise est le principal facteur de succès. L’approche discrète et
l’observation méthodique de la patrouille de reconnaissance ont permis de déceler l’adversaire
sans donner l’éveil. L’autre facteur de succès est la qualité du réseau radio qui permet de
concentrer rapidement des moyens suffisants pour obtenir un rapport de force favorable. En
effet, c’est grâce à l’écoute radio permanente du peloton d’AM sur le réseau de l’escadron que
le commandant d’unité a la possibilité de rameuter instantanément les moyens nécessaires
pour intervenir. Enfin l’action offensive immédiate et énergique d’un peloton réduit, sa
rapidité d’exécution et la manœuvre hardie du commandant d’unité, effectuée dans un terrain
peu praticable, a pas permis de bousculer l’adversaire, pourtant très bien armé, sans lui laisser
le temps ni de se mettre en garde, ni de se ressaisir1235.

Cliché n° I/81
Zone de l’accrochage de janvier 1958. Carte Michelin n° 172, 1958, pli n° 9.

1235
SHD/Terre, 7 U 874* et Bulletin d’étude et de documentation de l’E.A.A.B.C., n° 10 (juillet 1958)

478
Cliché n° I/82
Plan du combat de janvier 1958. Bulletin d’étude et de documentation de l’E.A.A.B.C., n° 10 (juillet 1958)

Mais le lieutenant-colonel de Parcevaux se rend compte que certaines zones proches


des axes, notamment de la RN 10, et des postes, sont négligées par les patrouilles. C’est
pourquoi, en mars 1958, il décide de monter une opération flash dans un massif situé au nord
de la RN 10 pour y surprendre d’éventuelles unités de l’ALN qui s’y sentiraient à l’abri.
Le terrain y est moyennement accidenté et couvert, ce qui présente de grandes facilités
de camouflage avec son maquis de petits arbustes. En revanche, il est très perméable à
l’infanterie et aux blindés. Le temps est très sec, il n’y a pas de risque d’embourbement. De
gros moyens sont engagés. L’infanterie est composée de deux compagnies du 67e BI, d’un
escadron à pied du 16e RD et du GMPR 42. Les éléments blindés comportent deux escadrons
d’AM M8 et un peloton de chars M24.Enfin, un Piper et une patrouille de T6 composent les
éléments aériens.

479
Cliché n° I/83
Zone de l’opération de mars 1958 au nord de la RN10 qui est tracée en rouge. Carte Michelin n° 172, 1959,
pli 9.

A 5 h 30, avant le lever du jour, une section du 67e BI s’installe sur le point culminant
de la zone (côte 1248, symbolisée par un triangle sur le plan) d’où elle doit surveiller et
déceler tout mouvement suspect au lever du jour. Deux heures plus tard, le bouclage est en
place au nord-est et au sud-ouest. A 8 h, le ratissage commence. Le peloton de M24, chargé de
l’appui feu de l’infanterie progresse avec elle, tandis que le Piper observe la zone en la
survolant. Celui-ci signale vers neuf heures quelques individus qui s’enfuient de la côte 1 193
(zone hachurée sur le plan), en direction de l’est et du nord-est tandis que l’élément à pied du
16e RD accroche à l’ouest de ce point. Le peloton de chars s’y porte immédiatement pour lui
fournir des feux d’appui. A 10 h, le point de résistance, défendu par 28 combattants de l’ALN,
est réduit. Deux dragons sont blessés, dix-huit combattants de l’ALN sont tués et quatre se
rendent. Leur armement (une mitrailleuse, deux PM et 15 fusils) est saisi. La fouille du
terrain, effectuée aussitôt, permet encore de faire deux prisonniers, alors que le chef de la
bande est intercepté par le bouclage à l’est du lieu d’accrochage. De 13 h à 15 h 30, la
deuxième phase de l’opération, qui consiste à fouiller les djebels Khang at Gouafel, se déroule
sans autre contact.
Le succès de cette opération repose non seulement sur la surprise, mais également sur
la vitesse de concentration des forces sur le lieu de l’accrochage. C’est là que réside la
principale difficulté de la manœuvre. L’opération n’est en effet pas montée sur
renseignement, mais sur l’intuition du LCL de Percevaux qui a une bonne connaissance du
terrain. Ignorant l’éventuelle position de leur adversaire, les éléments de ratissage doivent
impérativement se disperser pour couvrir une zone suffisamment grande de terrain. Or, pour
combattre, ces éléments doivent se concentrer au plus vite. C’est pourquoi les chars sont
placés en soutien éloigné au centre du dispositif. Cette position centrale et l’espace de
manœuvre qui existe entre eux et les troupes de ratissage leur permet d’intervenir plus
rapidement là où leur présence est nécessaire. Encore une fois, c’est la bonne connaissance du

480
terrain qui permet au cavalier qu’est le LCL de Parcevaux de savoir qu’il peut y engager des
chars en arrière des unités de ratissage, et les faire intervenir rapidement en appui direct des
unités au contact.
Le bouclage a été efficace, mais il a demandé proportionnellement beaucoup de
moyens. Cependant, le LCL de Parcevaux souhaite qu’il soit très serré car son expérience lui
a montré que les djounouds ont tendance à s’éclater par petits groupes quand ils sont en
grande infériorité numérique. Mais l’efficacité du bouclage tient également à la bonne
connaissance du terrain de ceux qui en sont chargé.1236.
Ce succès montre qu’une unité implantée pour une longue durée sur un terrain qu’elle
connaît et qui reste dans la main de son chef, est beaucoup plus efficace qu’une unité
dispersée qui déménage constamment. Cependant, un délai de plusieurs mois, et même
plusieurs années, lui est nécessaire pour obtenir des résultats probants.

Cliché n° I/84
Schéma de l’opération du 14 mars 1958 au nord de la RN10. SHD/Terre, 1 H 2086.

1236
SHD/Terre, 1 H 2086.

481
32. Le combat interarmes

L’appui feu que peuvent fournir les engins blindés à l’infanterie est très
complémentaire de celui fourni par l’aviation et l’artillerie. Cet appui peut être fourni par un
seul peloton, voire un groupe de deux engins, à des fantassins au cours de ratissage. Il peut
également être fourni par tout un escadron pour des opérations de plus grande ampleur
montées dans un but très précis comme celle au cours de laquelle Amirouche, le chef de la
Wilaya 3, trouve la mort.
Ce dernier souhaite que les actions contre les barrages soient maintenues pour y fixer
le plus d’effectifs possibles des forces françaises. Voulant défendre cette demande
personnellement et dénoncer un vaste complot, qu’il croit être dirigé dans toutes les wilayas
par les services secrets français, il décide de se présenter à Tunis pour rencontrer le GPRA. Il
quitte son PC de l'Akfadou le 6 mars 1959. Il est accompagné de Si El Haouès, chef de la
wilaya 6 et, pour assurer sa sécurité, d’une escorte commandée par Amar Driss et composée
d’une quarantaine d’hommes. Il se dirige, avec un convoi d’ânes chargés de documents, vers
le sud. Il passe entre Djelfa et Bou-Saada, avant de se diriger vers l’est. Son itinéraire ayant
été communiqué aux forces de l’ordre, une opération est montée par le colonel Ducasse, chef
de corps du 6e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa), qui décide de
l’intercepter entre les djebels Tsameur et Djininibia à 70 km au sud de Bou-Saada. Cette
opération mobilise 2 500 hommes, dont ceux du 2e escadron du 1er régiment de spahis (ex-
algériens).
Ce régiment, à l’époque, est en réserve de la zone sud Algérois (ZSA) à Paul-Cazelles
depuis novembre 1958. Il n’a pas de responsabilités directes. Son chef de corps est adjoint du
colonel commandant le secteur. Chaque escadron, dégagé de responsabilité territoriale, forme
un élément mobile mis à la disposition d’un secteur particulier. Les missions d’escorte et de
protection représentent la moitié de leurs activités. Les missions de surveillance et de
protection en représentent environ 40 %, et la participation aux opérations (bouclage, soutien
d’infanterie, reconnaissance, raid en zone d’insécurité) n’en représente que 10 %1237.
C’est dans ce cadre que, le 17 mars, que le 2e escadron quitte son cantonnement de
Paul-Cazelles au complet1238 pour s’installer à Djelfa où il prend la place du 3e escadron qui
est en opération de longue durée. Jusqu’au 25, il effectue des missions, devenues classiques
pour lui, d’escorte et d’ouverture de route. Les spahis ignorent les raisons de ce déplacement

1237
SHD/Terre, 1 H 2139.
1238
Dix-sept EBR (3 pelotons de cinq engins et deux engins au PCS) et un peloton porté.

482
jusqu’au moment où ils reçoivent une dotation d’essence supplémentaire. Effectivement, le
25, l’escadron desserre au grand complet pour participer à une opération dans le djebel Zemra
(région d’Aïn-Mellah, 30 km à l’ouest de Bou-Saada) pendant laquelle l’escadron est engagé
pendant 48 h 00 contre de fortes bandes. Le 27, alors que l’opération est démontée, un bruit
court parmi les spahis qu’un renseignement important a été obtenu1239. Le soir même, le
capitaine d’Arras, commandant de l’escadron, est convoqué au PC de la division à Bou-Saada
où il se rend en hélicoptère. Il reçoit la mission suivante : « Encercler le djebel Tsameur1240
par le sud-ouest et le sud afin de permettre à deux bataillons à pied (dont le 6e RPC1241) de le
fouiller »1242.
Le 28, l’escadron repart au milieu de la nuit en colonne. Par souci de discrétion, les
engins roulent en silence radio et en black-out1243, ce qui représente un tour de force selon
Etienne Octave car non seulement la nuit est noire et la piste est inconnue, mais en plus, c’est
la première fois que les pilotes se retrouvent dans cette situation1244. Les chefs de voiture des
engins de tête doivent se placer sur les plats bords pour les guider1245. Cet effort de discrétion
paraît pourtant illusoire dans la mesure où l’EBR est un engin très bruyant, surtout sur les
mauvaises pistes où les pilotes doivent faire emballer les moteurs pour franchir certains
obstacles.
Le capitaine d’Arras fait encercler le djebel par le sud-ouest et le sud mais également,
en dépit du terrain chaotique, par le sud-est et par l’est grâce à l’utilisation de ses deux PC
dont le deuxième, ignoré du commandement, est commandé par le lieutenant Fernand de
Maupeou. Au lever du jour, le peloton de tête cherche un cheminement pour rejoindre sa
position de bouclage. A l’entrée sud du vallon qui sépare le Djebel Tsameur du djebel
Djininibia, il surprend des éléments du convoi d’Amirouche1246. Le combat s’engage aussitôt.
Malgré le bruit des EBR, la surprise joue à plein, comme le montre le récit qu’en fait Si Larbi

1239
« Au foyer du bordj, un commando du 584e BT [bataillon du Train] raconte que son OR a dit au chef de la
bande accrochée, (…) (qui serait d’obédience MNA, la région étant l’ancien fief de Bellounis) : « Tu as été
vendu par le FLN ! » et celui-ci pour se venger lui aurait indiqué qu’à une cinquantaine de kilomètres au sud-est
de Bou-Saada se trouvent une bande importante avec un gros poisson. » Octave Étienne, « La mort
d’Amirouche », in FNACA, op. cit., p. 287 – 291, p. 288.
1240
Ou Thamer.
1241
Le 6e régiment de parachutistes coloniaux (RPC) est devenu 6e RPIMa le 1er décembre 1958, mais l’usage
perdure pendant quelques temps d’utiliser son ancienne appellation.
1242
Le Burnous, Spahis blindés en Algérie (1954-1962). Paris, Chez l’auteur, 2002, 96 p., p.22.
1243
Lorsqu’un engin roule en black-out, cela signifie qu’il roule tout feu éteint. Seul reste allumé un petit phare
qui projette sur le sol un faible rectangle de lumière. Lorsqu’un obstacle se présente sur la route de l’engin, le
rayon lumineux averti le pilote en l’éclairant. Ce système empirique suppose de rouler à une allure très faible,
sinon le pilote n’a pas le temps de freiner avant de rentrer en collision avec l’obstacle.
1244
ETIENNE, Octave, « Un Appelé témoigne », in Historia Magazine, La Guerre d’Algérie, p. 2011 – 2017.
1245
Témoignage d’Aurélien Inesta, MDL chef de voiture du 2/1er RS.
1246
Une corvée d’eau selon le capitaine d’Arras, un chameau transportant un FM selon Octave Étienne.

483
Abdou, qui fait partie de l’escorte d’Amirouche : « A notre grand étonnement, les djounoud
qui se trouvaient à la tête de notre groupe nous avaient alerté sur la présence des soldats
français. Djebel Thameur s’est transformé soudain en un véritable enfer. Pris au piège dans
l’embuscade, nous nous sommes organisés spontanément sur les hauteurs de la
montagne. »1247
A partir de leur position de repli, les djounouds qui, réfugiés en haut d’une falaise,
disposent de bonnes positions, prennent à parti les EBR. Selon le capitaine d’Arras, le PC de
la division lâche immédiatement deux bataillons sur le djebel. Mais l’infanterie est longue à
arriver, l’escadron reste seul au contact jusqu’au début de l’après-midi.
L’escadron se déploie pour interdire les sorties sud du djebel. Le peloton porté, qui ne
compte qu’une vingtaine d’hommes, est envoyé pour boucler les sorties sud-est en escaladant
le piton. Il accroche une dizaine de djounouds qui cherchent à s’exfiltrer. Un spahi est blessé
et évacué sur les épaules du tireur FM qui continue à faire feu avec son bras de libre. La
progression des djounouds est arrêtée. Les EBR, de leur côté, font usage de toutes leurs armes
de bord contre Amirouche et ses hommes, et les fixent pendant toute la matinée avec l’aide de
l’aviation. Lorsque les combattants de l’ALN essayent de s’exfiltrer par les cheminements, en
passant entre les engins, la situation des spahis devient particulièrement inconfortable, car le
peloton porté étant engagé, les engins n’ont plus de fantassins pour assurer leur protection
rapprochée. Pourtant, Etienne Octave rapporte qu’aucune action contre les blindés n’est
tentée. Mais c’est avec soulagement qu’il voit arriver les hommes du 6e RPIMa sur la colline.
Les combats rapprochés qui suivent sont très difficiles pour eux étant donné le terrain qui
offre de nombreux postes aux combattants de l’ALN. A la nuit tombée, le feu cesse pour
éviter les tirs fratricides. Quelques tirs d’armes individuelles se font entendre contre les
survivants qui tentent encore de s’exfiltrer. Le lendemain matin, la résistance cesse.
Amirouche ayant été tué, les djounouds survivants mettent bas les armes.

1247
Témoignage de Si Larbi Abdou, chef du commando « Djamel ».
http://www.benbadis.org/vb/showthread.php?t=12839, consulté le 29 avril 2011.

484
Carte n° I/85
Emplacement du djebel Tsameur. Carte Michelin, plis 6 et 7.

Cliché n° I/86
Combat du Djebel Tsameur.
1. Peloton porté du 2/1er RS avec le LTN de Maupeou.
2. EBR et jeeps du 2/1er RS.
3. Dodge 4 x 4, PC du CNE d’Arras.

Cet engagement comporte quelques zones d’ombre, car les témoignages sont parfois
contradictoires, notamment pour déterminer avec précision d’où venait le renseignement
signalant la présence d’Amirouche et qui est le responsable de sa mort1248. Il montre
cependant que l’EBR peut facilement porter des feux puissants pour fixer une résistance qui
doit être réduite par de l’infanterie. Mais il montre également que sa défense rapprochée doit

1248
Selon les anciens du 1er RS, Amirouche à été tué par un éclat d’obus d’EBR, mais selon le colonel Ducasse,
c’est l’un de ses hommes qui l’a abattu d’une rafale de PM. Témoignage d’Aurélien Inesta.

485
être assurée par des hommes à terre en cas d’imbrication. Les hommes d’Amirouche n’avaient
pas à leur disposition d’arme antichar, ni de bouteille Molotov ce qui explique peut-être le fait
qu’ils n’osèrent pas aborder les engins qui pourtant étaient très vulnérables.
Au cours de cette opération, l’appui feu des blindés est déterminant car ni l’aviation, ni
l’artillerie ne peuvent atteindre par des feux aussi précis des hommes postés dans une falaise.
Mais le succès tient également au fait que les EBR, dont la mission est en fait le bouclage,
sont sur place dès le début du combat, or, bien souvent, il n’est fait appel aux blindés qu’en
cours d’opération. Pourtant leur présence au contact est souvent nécessaire. L’expérience
montre que lors des bouclages, les djounouds tiennent leur position toute la journée pour
pouvoir profiter de l’obscurité de la nuit pour s’échapper. Or, la présence de chars permet
souvent d’abréger les combats grâce à des tirs directs à l’obus explosif. Mais leur intervention
demande souvent des délais trop importants pour qu’ils soient engagés à temps. En effet, il
faut les alerter, les faire venir, reconnaître les accès à la base de feu puis les y installer alors
que le terrain est souvent difficile. C’est pourquoi le général de Gastine, commandant l’ABC
d’Algérie, fait une proposition qui, selon lui, non seulement permet d’économiser le potentiel
des engins blindés, mais également d’augmenter leur rapidité d’intervention. Il pense qu’il
faut utiliser des porte-chars pour la mise en place des engins lorsque leur appui est nécessaire.
Mais les porte-chars sont en nombre réduit en Algérie et leur emploi se limite aux opérations
logistiques (évacuation, long déplacement sur route, etc.). Il est donc demandé à l’EMA d’en
prélever en France et en Allemagne pour en doter les unités de l’Algérie. L’EMA se contente
de répondre laconiquement : « S’il faut des porte-chars pour amener les chars à pied d’œuvre
pour le combat, qu’on supprime les chars » 1249, et l’affaire en reste là.

1249
SHD/Terre, id.

486
Cliché n° I/87
Remorque porte-char type D 45 – LF – 1. Cette remorque de construction américaine date de 1942. Elle
peut porter des engins de 40 t. Il s’agit de la remorque la plus utilisée en Algérie.

Cliché n° I/88
Char M24 du 2e escadron du 2e RSA évacué après avoir sauté sur une mine dans la région de Nédroma en
1957. La remorque porte-char est tractée par un camion Diamond M 20, son tracteur habituel. Cliché Jean
Molineau.

Cette opinion est révélatrice d’une certaine méconnaissance des possibilités tactiques
qu’offrent les blindés dont certains commandants locaux font preuve également. C’est ce que
montre, par exemple, le cas du 19e régiment de chasseurs à cheval (RCC), régiment organique
de la 27e DIA dont le chef de corps commande le secteur de Bouïra (ZEA), en 1958. Ces M24
ne reçoivent pratiquement comme mission que de protéger la RN 5, alors que le chef de corps
demande régulièrement aux employeurs des chars qu’ils soient utilisés en tout terrain où les
équipages trouveraient leur raison d’être1250. Le chef de corps du 27e RD, en 1959, se plaint
également de l’usage qui est fait des AM M8 de son 1er escadron. Celui-ci est « responsable de

1250
SHD/Terre, 31 T 10.

487
la sécurité de la RN 8 entre l’Arba et le sud-est de Tablat, soit sur 60 km d’itinéraire au profil
sévère à travers la territoire dépendant de 3 quartiers différents. Son capitaine a en outre la
charge d’un petit sous-quartier (…) [et] participe aux opérations menées par le secteur
d’Aïn-Taya – Maison Blanche » 1251. Or le chef de corps du 27e RD estime que les AM M8 ne
sont pas adaptées à de telles missions en zone montagneuse. Par ailleurs, il estime que « la
solution consistant à confier la sécurité d’un axe à une unité et la sécurité du terrain
environnant à d’autres unités n’est pas heureuse »1252. Par comparaison, il donne l’exemple
de l’emploi qu’il fait personnellement de son 3e escadron qui est la seule de ses unités à être
sous ses ordres : « Il constitue l’unité d’intervention du sous-secteur Nord et participe à la
sécurité des points sensibles en cantonnant deux de ses pelotons à 8 km de part et d’autre de
la portion centrale »1253.
Parfois, le maintien d’un matériel peu adapté au terrain tient au fait que le
commandement ne préfère pas le déplacer car le régiment, implanté depuis longtemps connaît
bien le terrain et la population. C’est le cas du 13e RD qui passe sur Ferret à la fin de l’année
1958. En septembre 1960, le colonel Marzloff, inspecteur de l’ABC d’Algérie, ne peut que
constater, qu’ « un régiment type Ferret n’est pas spécialement adapté à un emploi dans une
région montagneuse. Il est certes très qualifié pour des missions d’escortes sur des axes dans
une zone délicate. Mais au fur et à mesure que cette servitude ne s’imposera plus, il
conviendra de rechercher un emploi plus rationnel. (…) Il conviendrait d’agir
progressivement. Il doit être tenu compte de l’expérience qu’il possède de la population et du
terrain où il est implanté depuis plusieurs années »1254. Ce n’est donc qu’en novembre 1960
que le 13e RD rejoint la 10e division parachutiste, sa division organique, et passe en réserve
générale dans le secteur d’Ain-Taya (CAC) dans un emploi et sur un terrain plus adaptés à ses
Ferret.
Mais bien souvent, les capacités des blindés sont sous-évaluées parce qu’elles sont mal
connues. Guy Péret, qui commande le 3e escadron du 9e régiment de hussards (M24) de 1958
à 1960, en fait le constat lors de son arrivée à la tête de son escadron. Selon lui, le mauvais
emploi de l’escadron est dû à la méconnaissance des chefs de l’infanterie de ses possibilités et
« peut-être aussi à un manque de volonté de certains cadres de l’Arme de démontrer les

1251
SHD/Terre, 7 U 788*.
1252
Id.
1253
Id.
1254
SHD/Terre, 1 H 2139.

488
capacités de leur matériel »1255. A cours d’une opération dans le djebel Krama, en septembre
1958, il démontre que le M24 peut passer partout.
« Très vite, le commandement et les fantassins ont saisi l’intérêt de
l’escadron de chars, qui leur évitait des pertes sensibles. Le schéma
type de l’opération était le suivant : l’escadron en tête pour la mise en
place assurait rapidement le bouclage d’un secteur difficilement
accessible aux camions de l’infanterie. Une fois le bouclage de la zone
assuré, les chars étaient devant les fantassins, écrasant les buissons,
éventuellement mitraillant les rebelles en fuite. L’infanterie récupérait
les armes ou les blessés. Souvent, les groupes rebelles, voyant les chars,
préféraient se rendre plutôt que de passer sous les chenilles. Pour nous
le principe d’emploi était simple : amener de la mitrailleuse, ou du
canon, là où les fantassins pouvaient être accrochés. Pour ceci, nous
devions prendre des risques de terrain parfois sérieux. »1256
A la fin du temps de commandement de Guy Péret, l’escadron est équipé d’AMX
13/FL 10. C’est avec regret que les hussards voient partir leurs M24 car leur nouvel engin ne
disposant pas de mitrailleuse de capot, l’appui des fantassins devient moins efficace.

33. Le combat d’infanterie

Le peu d’aptitude de l’AMX 13 à remplir les missions d’appui feu pousse parfois le
commandement à transformer les équipages en fantassins, ce qui n’est pas toujours concluant.
A son arrivée, en juillet 1959 dans la région d’Aïn-Sefra (ZSO), le 30e RD est entièrement mis
pied-à-terre pendant deux mois pour opérer sur le barrage-ouest. Les AMX sont tous stockés
dans le quartier1257 du 2e régiment de chasseurs d’Afrique. L’expérience n’est pas heureuse et
le régiment aura des difficultés à s’en remettre tant sur le plan moral que sur le plan du
maintien en condition des engins. Lors de la remise en service des chars, 11 moteurs doivent
être changés rapidement1258. En outre, le régiment subit pendant cette période des pertes
anormales. Le 13 juillet 1959, au cours d’une opération, le 3e escadron s’engage
imprudemment en véhicule dans des gorges profondes et étroites dans la région d’Ich, le long

1255
Témoignage de Guy Péret.
1256
Id.
1257
Le terme de « quartier » désigne ici la caserne car, dans l’ABC cette appellation est bannie, on lui préfère,
par tradition, celle de quartier.
1258
SHD/Terre, 31 T 14.

489
de la frontière. Il tombe dans une embuscade montée par une centaine d’hommes bien armés,
venus du Maroc. La colonne blindée qui arrive à son secours est bloquée par des mines et
arrive trop tard alors que la bande a déjà décroché. Le bilan est lourd en fin de journée : 15
morts, dont le capitaine commandant et deux sous-lieutenants, 10 blessés et 4 prisonniers1259.
Un mois plus tard, le 28 août 1959, une nouvelle embuscade coûte la vie à quatre dragons
dans le djebel Bou Ahmoud.
Au cours de ces deux mois, 26 hommes trouvent la mort au combat1260, ce qui est un
bilan particulièrement lourd. L’IGABC pense que cela était prévisible car, selon lui : « On ne
met pas des équipages d’AMX du jour au lendemain dans des véhicules à roues sans un
minimum de préparation et d’entraînement. On ne stocke pas un matériel aussi délicat
pendant des mois sans prévoir les quelques équipes d’entretien indispensables. »1261
Devenir un combattant à pied ne s’improvise pas. Les cavaliers blindés sont parfois
mal à l’aise lorsque les nécessités opérationnelles les transforment en fantassins, étant donné
la vitesse et l’espace de manœuvre réduits des unités à pied. Les pelotons blindés du 2e
escadron du 8e RCC1262, pendant l’hiver 58/59, étant confrontés à de nombreuses mines, leur
capitaine décide de les faire opérer à pied plus souvent. Hervé Lales, alors chef de peloton
d’AM M8 dans cet escadron, se souvient des difficultés qu’il rencontre avec ses fantassins
improvisés :
« La solution la plus radicale et souvent la mieux adaptée au terrain et
à l’ennemi, consistera à combattre à pied… Nous disposons d’un bon
lot de fusils mitrailleurs et autres flingues pour compléter notre
armement individuel assez peu adapté. Cette reconversion épisodique
sera souvent payante. Elle réservera cependant quelques surprises car
l’espace du fantassin est souvent plus réduit que celui du cavalier. Je
me souviendrai longtemps de l’ordre donné à l’un de mes sous-officiers
lors de la mise en place d’une embuscade de nuit. Je lui désigne la
direction de la crête où je lui demande de mettre son FM en batterie
pour nous soutenir. Je mettrai plus d’une heure à le récupérer car, en
bon cavalier, il est allé se poster à cinq cents mètres et non à cinquante
mètres comme je le souhaitais. »1263

1259
Parmi eux Maurice Lanfroy qui n’est libéré discrètement que le 25 juin 1962. Albert, op. cit., p. 218.
1260
SHD/Terre, 7 U 894*.
1261
SHD/Terre, 31 T 19.
1262
Cet escadron opère dans le sous-quartier de Djelida dans l’Ouarsenis.
1263
Témoignage d’Hervé Lales.

490
En fait les seules unités de l’ABC qui font preuve d’une bonne efficacité sur le terrain
sont celles qui sont instruites et organisées pour le faire, qu’il s’agisse des portés, des
commandos de chasse ou des unités 107. Du reste, selon Michel Carlier, ces unités sont très
prisées à la sortie de Saumur par les sous-lieutenants. Lui-même, classé 16e sur 60, est
heureux de pouvoir choisir le 6e régiment de hussards. Au début du mois de septembre 1960,
il est chef de peloton-harka au 1er escadron, et chef du poste du village d’Aït-Yahia-Youssef
(700 h.) et du GAD du village. En mars 1961, il prend le commandement du commando de
chasse K 06 (2e escadron) qui fait partie du groupe de commandos de chasse de l’Akfadou et
échappe au commandement de son chef de corps. Jusqu’en février 1962, date de son départ,
cet officier ne sert qu’à pied. Selon son témoignage, ni son peloton-harka, ni son commando
ne connaissent de coup dur, mais à son arrivée, les opérations Jumelles avaient déjà réduit de
façon considérable les katibas de l’ALN en Kabylie. Cependant, Michel Carlier peut
témoigner que les éléments qui résistent encore savent bien manœuvrer et montent parfois des
embuscades avec des schémas tactiques relativement sophistiqués. Entre avril 1960 et
novembre 1961, son commando, entièrement composé de hussards dont 60% d’appelés,
déplore deux morts et six blessés, mais, face à lui, l’ALN laisse sur le terrain dix morts et un
prisonnier, ainsi que 13 armes dont 8 fusils de guerre1264.
Parmi les unités 107, on compte le 26e RD qui est un régiment dont l’emploi est
unique dans l’ABC. Lors de son transfert du Maroc, en janvier 1958, il est envoyé au Sahara
où il opère dans la région de Colomb-Béchar. En juillet, il passe de trois à quatre escadrons
qui sont progressivement motorisés sur GMC et sur Dodge.
En novembre 1959, un problème se pose au commandant du secteur de Colomb-
Béchar. Sur un territoire inhabité, grand comme huit départements français (40 000 km²
environ) et situé à proximité des bases de l’ALN installées en territoire marocain, comment
obtenir des renseignements suffisamment précis pour en intercepter les bandes ou les détruire
dans leur repaire ? Les méthodes classiques, nomadisation, patrouilles, embuscades,
n’apportent aux troupes du secteur aucun élément permettant de déclencher une opération
avec quelque chance de succès en raison de l’immensité du territoire et de l’absence de
population pouvant renseigner les unités. Le matériel et les hommes s’usent donc sans
résultat.
En décembre 1959, le commandant décide alors de rechercher systématiquement et
d’exploiter sans délai les traces laissées par les passages et les installations de l’ALN. La

1264
Témoignage Michel Carlier.

491
« recherche systématique de traces » (RST) est née. Accueillie avec scepticisme, cette
méthode se révèle rapidement efficace et, surtout, permet aux cavaliers à pied de remplir une
mission qui s’apparente à celle de l’ABC, car elle allie à la fois la recherche du renseignement
et une action rapide.
Quels que soient la nature et l’état des sols, les passages d’animaux, d’hommes isolés
ou de groupes laissent des traces plus ou moins précises, plus ou moins « parlantes », mais qui
peuvent presque toujours constituer des sources de renseignement pour un œil exercé.
Correctement interprétées, ces traces indiquent, outre la direction suivie, le genre et le nombre
d’individus, renseignent sur leur degré de fatigue et sur leur manière de marcher. Enfin, leur
fraîcheur peut être précisée à peu près sûrement : trois jours, une nuit, deux heures, une demi-
heure, etc.
Le problème est de trouver des hommes capables de repérer, d’interpréter et de suivre
ces traces. Les nomades de la région, bergers habitués à rechercher un de leurs chameaux1265
égaré et chasseurs entraînés à pister un gibier pendant plusieurs jours, fournissent une
cinquantaine de pisteurs. Une sélection sévère permet de ne retenir que ceux qui sont aptes à
combattre car, dans la plupart des cas, ils sont les premiers à découvrir l’adversaire et à en
essuyer le feu.
Les escadrons sont réorganisés au bout de quelques mois en commandos légers mixtes
(troupes régulières et harkis) composés d’un officier et d’une trentaine d’hommes dont quatre
pisteurs, montés sur Dodge ou GMC et équipés d’un AN/GRC 9 qui est un appareil qui a une
portée supérieure à celle des SRC normalement en dotation dans les pelotons des unités
alignées sur le TED 107
Le secteur est jalonné de lignes qui constituent les circuits des patrouilles de RST. Ces
circuits recoupent le maximum de fois les itinéraires probables des bandes de l’ALN et sont
tracés, dans la mesure du possible, sur un sol favorable à la conversation et à l’interception
des indices de passages. Treize circuits sont établis.
Chaque matin, une patrouille parcourt son itinéraire à allure réduite pour bien
observer. Tout repose alors sur la valeur du binôme chef de patrouille-pisteur. Ce travail
fastidieux demande une vigilance de tous les instants.
Lorsque le pisteur relève une trace sur une ligne parcourue systématiquement depuis
des semaines, l’alerte est donnée par radio et tous les renseignements recueillis sont
communiqués ainsi que la fiabilité du pisteur qui a relevé l’indice.

1265
Il s’agit en fait de dromadaires car on ne trouve pas de chameaux au Sahara. Mais l’usage, en AFN, veut que
le dromadaire soit désigné sous le nom de chameau ou de méhari (plu. méhara) s’il s’agit d’un animal de selle.

492
Une véritable course contre la montre s’engage alors. Pour intercepter la bande, les
dragons doivent utiliser au maximum les véhicules et tenter de ralentir sa marche par l’emploi
de patrouilles aériennes qui, même si elles ne la repèrent pas, la forcent à se camoufler, donc à
perdre du temps. La poursuite, initialement menée par la patrouille de RST, est vite confiée à
une unité plus importante, de la valeur d’un escadron, capable de se scinder en deux. Un
élément est envoyé pour essayer de recouper la trace le plus en avant possible (jusqu’à 100
km) sur son itinéraire probable. Le second élément reste sur la trace même. Une fois celle-ci
recoupée, cet élément est rameuté pour un nouveau bond en avant (progression en perroquet).
Ainsi l’avance de la bande diminue rapidement. Pendant que se déroule cette manœuvre un
bouclage est mis en place en avant de la bande sur les passages qui lui sont habituels.
Une réserve, le plus souvent héliportée, se tient prête à intervenir. Ainsi la nasse prend
forme. La « tête chercheuse » gagne petit à petit du terrain et, sans perdre la trace, l’élément
de recoupement fait des bonds en avant. L’avance de la bande s’amenuise, le bouclage se
précise, se resserre jusqu’à l’accrochage de la bande, dans les cas favorables.
Une des premières unités à appliquer cette méthode et à en obtenir des résultats
concrets est le 2e escadron du 26e RD. Implanté dans le quartier de Meridja (3 500 km²) bordé
au nord et à l’ouest par la frontière marocaine, cet escadron contrôle un immense territoire
constitué par une hammada coupée seulement par l’oued Guir et ses nombreux affluents.
Cette région et, en particulier, la Menouna, au sud du quartier et à moins d’une nuit de marche
des bases marocaines, constitue la zone favorite des bandes de l’ALN. En la traversant elles
peuvent rejoindre les agglomérations de Kenadza et d’Abadla et se perdre dans la population.
Le quartier dispose de deux pelotons sur GMC en plus des trois pelotons portés sur
Dodge du 2e escadron. Deux circuits de RST sont tracés dans le quartier, l’un allant de
Meridja à l’oued Guir en suivant l’oued Meridja qui coule à 40 kilomètres du Maroc, le
second remontant l’oued Meridja vers l’ouest puis descendant vers le sud en empruntant
l’oued Douès. Tous les matins, chacun de ces deux circuits est parcouru par un peloton
disposant de trois pisteurs. Peu à peu la méthode, perfectionnée à chaque sortie, apporte des
résultats probants. L’un des premiers est obtenu le 8 janvier 1960.
A l’aube, le peloton du maréchal-des-logis-chef (MDC) M. part en RST sur le circuit
n° 1. A 10 h 30, il signale qu’il a repéré les traces de 8 hommes se dirigeant vers le sud. Les
traces datent de la nuit. Il reçoit l’ordre de continuer la RST pour s’assurer qu’il n’y a pas
d’autres passages puis de revenir sur les traces et de les suivre. Le peloton du lieutenant H.,
aussitôt mis en alerte, reçoit l’ordre de longer l’oued Meridja pour essayer de recouper les
traces à 15 km plus au sud. A 12 h 30, le peloton H. a recoupé les traces et en rend compte en

493
indiquant qu’elles se dirigent vers l’oued Guir. Un Piper est mis à sa disposition. Le peloton
M. est relevé de sa mission, tandis que le peloton du sous-lieutenant B., lui aussi mis en alerte,
reçoit l’ordre de se porter à Oglat-Glaoua, sur le Guir, pour essayer de recouper les traces au-
delà de cet oued. Le dernier peloton reste au PC, d’où il doit être en mesure d’intervenir dans
les plus brefs délais. A 16 h 30, le SLT B. retrouve les traces au-delà du Guir et les suit à pied,
le Piper est mis à sa disposition. Le peloton H. rejoint ses véhicules et se porte à Oglat-Glaoua
que le capitaine rejoint avec son PC et le peloton qui était en alerte. A 17 h 00, le peloton B.
accroche. Les djounouds se retranchent dans les grottes de l’oued Guir. B. n’a que son
peloton, il tente de manœuvrer par les hauts, mais les djounouds parviennent à s’échapper car
la réserve n’a pas eu le temps d’intervenir. Les dragons font toutefois un prisonnier.
Le 9 janvier les recherches reprennent sans résultat. Le 10 janvier, le peloton B.
effectue une RST le long de l’oued Meridja. A 9 h 30, il signale les traces de 6 hommes se
dirigeant vers le nord. Il pense qu’il s’agit de la bande passée le 8 qui tente de regagner le
Maroc. Il lui faut faire vite et ne pas la laisser s’échapper. Le peloton B. continue sa RST
jusqu’à l’oued Guir tandis que le peloton M. est découplé dans l’oued Douiffa pour essayer de
recouper les traces. A 11 h 30, M., qui n’a rien découvert, reçoit l’ordre d’effectuer une RST
dans un oued parallèle au Douiffa et à l’oued Meridja, tandis que le SLT B. reçoit l’ordre de
reprendre les traces découvertes le matin. Un peloton est envoyé en alerte sur le bord de la
hammada, position dominante de toute la région. A 13 h 30, le peloton B., qui suit toujours la
trace et sait que son adversaire est très près de lui, tombe sur une bande camouflée dans un
fond d’oued. La surprise est totale, l’engagement est bref. Un combattant de l’ALN et tué, un
autre blessé et les quatre autres se rendent.
Il s’agit effectivement des hommes signalés l’avant-veille. Ainsi une trace deux fois
recoupée, puis perdue, retrouvée seulement le surlendemain permet, avec une économie de
matériel et de fatigue importante par rapport aux méthodes classiques, d’accrocher par deux
fois et de détruire une bande de 8 hommes, ce qui représente un bilan non négligeable pour la
région. Cette action de combat à pied, menée dans un style de cavalerie légère, est l’une des
premières à apporter la preuve que la RST est bien la bonne méthode. D’autres suivent. Au
cours des cinq premiers mois de 1960, cette méthode a permis au secteur de Colomb-Béchar
(26e RD et 35e RI confondus) d’établir le bilan suivant :
- 17 caravanes interceptées,
- 72 djounouds tués,
- 88 armes de guerre récupérées1266.

1266
SHD/Terre, 7 U 884* et Bulletin d’étude et de documentation de l’E.A.A.B.C, n° 22, avril 1962.

494
Cette méthode est ensuite systématiquement appliquée et chaque peloton se voit attribuer
un pisteur réguibat. En 1961, ce système permet parfois de prendre l’initiative, il est même
arrivé à Claude Brignone, alors chef de peloton au 26e RD, de franchir la frontière pour aller
harceler les recrues de l’ALN à l’instruction, « ce fut le cas notamment avec la CSPLE qui
attaqua des fells à l’instruction avec des fusils en bois »1267.

Cliché n° I/89
Carte du secteur de Colomb-Béchar. Bulletin d’étude et de documentation de l’E.A.A.B.C, n° 22, avril 1962, p.
79.

1267
Témoignage de Claude Brignone.

495
Cliché n° I/90
Croquis du combat du 8 janvier 1960. Ibid., p. 83.

Cliché n° I/91
Croquis du combat du 10 janvier 1960. Ibid., p. 84.

496
IV. De la contraction au dispositif au retrait

41. La nécessité d’une plus grande capacité de mobilité

A la fin de l’année 1960, les résultats des opérations du plan Challe se font sentir. Les
axes sont plus sûrs, et comme le constate le général Dodelier, « avec la sécurité accrue, rien
ne justifie plus ces ridicules ouvertures et fermetures de route du matin et du soir qui, à elles
seules, dépensent un potentiel de 100 000 km par an pour un régiment. Dans l’ambiance
actuelle, il n’y a pas lieu de confier à deux EBR, valant chacun 50 millions de telles
missions »1268.
Au cours de l’été, on assiste à une baisse du nombre des opérations due à la protection
des moissons, aux très grosses chaleurs et surtout aux nouveaux procédés tactiques de l’ALN.
Celle-ci a beaucoup souffert lors du printemps, ce qui l’amène à diluer ses unités à l’exception
des Aurès où des katibas complètes continuent d’opérer. Dans le Constantinois, l’ALN est
constituée de petits groupes qui opèrent isolément et refusent généralement le contact. En
septembre, les opérations reprennent mais les commandants d’unité ont réduit le volume des
détachements qu’ils envoient en opération. Dans l’ABC, ce volume est descendu au niveau du
peloton qui semble être le niveau minimum permettant de tenir le terrain.
A la fin de l’année, les unités, hormis celles des barrages, orientent leurs actions vers
la pacification. Le 4e régiment de dragons devient en octobre bataillon de pacification et
adopte la même organisation que le 9e régiment de chasseurs d’Afrique, recréé à cette fin en
novembre 1959. Des régiments blindés servent de support de secteur comme le 19e RCC qui
compte trois escadrons blindés et trois escadrons 107. En janvier 1961, tous ses escadrons, à
l’exception du commando de chasse, sont stationnés dans le secteur de Bouïra et ont la charge
d’un sous-quartier où ils assurent la sécurité des personnes et des biens, luttent contre l’OPA
et mènent des actions au profit de la population (29 écoles, 48 GAD, 36 équipes de contacts).
Dans le domaine tactique, les escadrons 107 exécutent des patrouilles et montent des
embuscades, et les escadrons blindés assurent la sécurité des grands axes. Le nombre des
combattants de l’ALN est estimé à 180 dont 8 officiers et 35 sous-officiers, leur moral semble
atteint et leur effort semble se porter vers la ville de Bouïra1269. Pour certaines unités, la
situation semble moins stable. Le 25e régiment de dragons est entièrement sous les ordres de

1268
SHD/Terre, 31 T 9.
1269
SHD/Terre, 1 H 2139.

497
son chef dans le quartier de Malakoff (secteur d’Oléansville), y compris le commando K 33.
L’accent est également mis sur la pacification, les bandes de l’ALN semblent réduites à
quelques groupes, mais des filières de ravitaillement passent entre l’Ouarsenis et le Dahra. Le
sud du secteur reste encore sensible, ce qui oblige le chef de corps à y reprendre une activité
opérationnelle plus intense1270.
Dans le secteur de Khenchela, dans la région de Babar, le 18e RCC participe
activement à l’opération Trident contre les bandes de la wilaya 1, notamment celles de
mintaqua 14 qui opèrent dans la région du djebel Fedjoudt. Le 13 mars, l’opération Sextus
mobilise l’ensemble du régiment sur les flancs sud de la vallée d’El Abiod où il saisit, dans
des caches, un gros volume de nourriture et de matériel. Les postes du régiment continuent
parfois à être harcelés par des groupes de deux ou trois hommes. C’est en tentant d’y mettre
fin qu’un sous-lieutenant récemment arrivé au régiment se fait tuer le 19 avril dans une action
imprudente de nuit qu’il avait décidé de mener de sa propre initiative1271.
L’articulation de l’ABC varie peu. Elle est toujours répartie entre les barrages
frontaliers dont elle contribue à assurer l’étanchéité, et l’intérieur où elle remplit des missions
territoriales. Mais ses conditions d’emploi sont modifiées en 1961, soit du fait des nouveaux
aménagements des barrages, soit en raison de l’évolution de la situation qui conduit le général
Crépin à donner, en septembre, de nouvelles directives1272.
Un tiers des unités de l’ABC, soit 13 régiments, participe à la défense des frontières. A
l’intérieur, la dispersion démesurée imposée par le quadrillage, commence à prendre fin à
partir du premier semestre de 1961. A cette période, l’affaiblissement considérable de l’ALN
intérieure permet au commandement de regrouper les unités pour leur permettre non
seulement de retrouver leur cohésion, mais surtout de pouvoir mener des opérations plus
mobiles et mieux ciblées. Le mouvement des unités se fait très progressivement et
s’échelonne sur toute l’année. Certains régiments, comme le 9e RH et le 10e RD en Oranie, le
27e RD et le 2e REC dans l’Algérois ou le 1er RCA dans le Constantinois, sont regroupés par
escadron. La majorité des autres ne tiennent pas plus de trois points par escadron. Un petit
nombre, toutefois, le 29e RD et le 3e RH en particulier, n’ont pas encore relevé leurs postes et
restent très dispersés.
La montée en puissance des bataillons de pacification se limite finalement au 4e RD,
qui absorbe le 20e RD, et au 6e RCA, qui absorbe le 9e RCA. L’emploi initial qui devait en

1270
Id.
1271
SHD/Terre, 7 U 910*.
1272
Directive n° 3494 CSFA/EMI/3/OP du 9 septembre 1961, SHD/Terre, 1 H 1875.

498
être fait évolue, le plan Arc-en-ciel est abandonné. Ces deux unités, alignées sur une structure
d’infanterie, sont chargées des missions de quadrillage. Elles sont moins dispersées et ont des
missions plus opérationnelles que celles exclusivement de pacification prévues initialement.
Quelques unités de l’ABC sont en réserve générale1273. A ce titre elles sont sous les
ordres directs du général commandant supérieur des forces en Algérie qui, sur un préavis de
12 ou 48 heures, selon le cas, peut les engager sur n’importe quelle zone de l’Algérie. Le reste
du temps, ces unités sont laissées pour emploi à la disposition de leur zone ou de leur CA.
Cependant elles sont dégagées de toute mission territoriale, à l’exception du 29e RD qui en a
encore à la fin de l’année 1961. De ce fait, il est encore très dispersé et éprouverait sans doute
de grosses difficultés à intervenir dans le cadre des réserves générales.
En somme, si, jusqu’en 1961, les régiments blindés ne sont employés que sous forme
parcellaire pour lutter contre les bandes, en revanche, à partir de cette année-là, les conditions
générales d’engagement sont modifiées. D’une part, les effectifs déployés en Algérie
commencent à baisser, cinq régiments de l’ABC doivent rentrer en France, ce qui entraîne un
allégement du quadrillage. D’autre part, le dispositif de l’ALN extérieure se renforce en armes
lourdes aux frontières, ce qui interdit d’en alléger le dispositif de défense. Enfin, le risque de
troubles graves dans les agglomérations augmente, ce qui nécessite de tenir prêtes des troupes
qui puissent y intervenir pour le maintien de l’ordre. En outre, la désorganisation des réserves
générales suite au putsch remet en cause l’implantation de certains régiments que
l’intervention à Bizerte, en juillet, va encore perturber.

42. Changement de dispositif en mai 1961

En application d’une directive venue de l’Etat-major général de la Défense nationale


datée du 4 juillet 1961, visant à réduire les effectifs engagés en Algérie de 37 000 hommes
(dont 12 000 supplétifs), le général Ailleret décide de pallier la baisse du nombre de ses
troupes en donnant une plus grande mobilité à ses réserves générales qu’il doit auparavant
reconstituer. En outre, il pense que l’allégement du quadrillage doit être compensé par un
regain de mobilité.
Cependant, les nouvelles missions des forces armées en Algérie ne sont pas définies
avec toute la précision voulue par le gouvernement. Le général Ailleret pense pouvoir les
ramener à deux préoccupations :

1273
1er REC, 13e RD, 1er RCA et 29e RD.

499
- « Assurer dans toute l’Algérie la sécurité des personnes et des biens,
- « être en mesure d’exercer une influence sur la population, en vue d’aider à sa
promotion et de l’amener à répondre dans un sens favorable aux solutions du
Gouvernement dans des référendum ou scrutin d’autodétermination. 1274»
Les missions que le général Ailleret pense être les siennes, sont des missions plus
politiques que réellement militaires. Il s’agit pour lui, tout en limitant la violence, de
convaincre la population, non pas que les départements algériens doivent rester dans le giron
de la République française, mais devenir ce que le général de Gaulle voudra bien qu’ils
deviennent. Il n’en demeure pas moins que l’action militaire doit être poursuivie. Le général
Ailleret pense que pour remplir ses missions, il doit maintenir ces objectifs militaires visant à
détruire les bandes armées, défendre les frontières et lutter contre le terrorisme tout en
préservant la population musulmane de la propagande du FLN afin de l’empêcher
« d’apporter un soutien logistique aux bandes et de la protéger contre les exactions de celles-
ci »1275.
De prime abord, même si les objectifs politiques ont changé, la mission des troupes
reste la même. Ce paradoxe n’est pas sans jeter le trouble parmi les militaires qui se
demandent pourquoi ils doivent continuer à mener la lutte contre l’ALN, alors que tout porte à
croire que le FLN obtiendra gain de cause et atteindra les objectifs qu’il s’était fixé lors du
congrès de la Soummam, malgré son échec militaire.
Du reste, le général Ailleret estime que les missions militaires ont été remplies de
manière satisfaisante, il fait le constat que « depuis 1958, les bandes ont perdu plus des deux
tiers de leur potentiel, les frontières sont devenues pratiquement étanches. (…) La sécurité
des populations, entreprises et voies de communication a atteint un degré élevé dans les
premiers mois de 1961, degré que l’interruption des opérations offensives a diminué par suite
de la flambée du terrorisme qui s’est allumée depuis lors, mais d’une manière d’ailleurs
insuffisante pour en changer encore l’ordre de grandeur »1276.
En revanche, la situation politique lui semble plus préoccupante. Si au début de
l’année 1961, la population manifeste, selon lui, « en apparence des sentiments amicaux [aux
forces de l’ordre] – souvent d’ailleurs en échange d’avantages matériels directs – (…) depuis
le 20 mai, la situation a considérablement changé ». En ville, selon Ailleret, la population suit
les directives du FLN, plus par crainte des représailles que par conviction, et dans les

1274
SHD/Terre, 1 H 1875/d. 3.
1275
Id.
1276
Id.

500
campagnes, en de nombreux endroits, « les populations, plus ou moins encadrées de quelques
rebelles en armes, ont récemment démontré leur sympathie pour le FLN »1277.
La diminution des moyens dont il dispose par rapport à ses prédécesseurs préoccupe
donc le général Ailleret qui doit maintenir les acquis opérationnels dans un contexte politique
beaucoup plus difficile. La disparition de la plus grande partie des éléments de choc affaiblit
considérablement le potentiel des unités de réserve générale qui sont susceptibles de faire face
à une attaque inopinée sur les frontières, et la détérioration de la situation politique dans les
villes oblige à y consacrer une vingtaine de bataillons supplémentaires à Oran et à Alger.
La remise sur pied des réserves générales, l’affectation de ces bataillons
supplémentaires et la défense des frontières face à un adversaire qui se renforce, se font au
détriment du quadrillage. D’où la crainte de voir l’influence sur la population diminuée. C’est
pourquoi le quadrillage doit être maintenu par une implantation des troupes regroupées sur
des points donnés d’où elles pourront rayonner par une capacité de mobilité accrue même si le
général Ailleret ne se berce pas d’illusions « sur le maintien d’une influence efficace dans les
intervalles ». Le général Ailleret a bien conscience que, si la lutte contre les bandes pourra
encore être menée efficacement, la sécurité des personnes ne pourra plus être pleinement
assurée dans les campagnes où la diminution des effectifs sera la plus grande. Il pense réduire
de moitié les 4 000 points tenus en avril 1961. Dans les zones laissées par les unités, l’autorité
civile, livrée à elle-même, devra donc faire au mieux pour prendre en charge les conséquences
de ce redéploiement, tout en collaborant efficacement avec les armées. Mais elle devra
impérativement pouvoir compter sur une capacité d’intervention plus grande des unités de
secteur. Le général Ailleret mesure bien la précarité de la stabilité relative de la situation,
« tout faux pas, tout manque de coordination pourrait compromettre irrémédiablement la
victoire militaire qui n’est durable que si la lutte est poursuivie sans cesse et avec
acharnement contre l’appareil politico-militaire de la rébellion »1278. Suite à ces nouvelles
directives, les régiments blindés passent, pour certains d’entre eux, en réserve sur préavis soit
au profit d’un CA, soit au profit de l’EMI.

43. Remise en cause de la cohérence du dispositif

Mais, parfois, leur regroupement dans des zones où ils peuvent intervenir plus
rapidement se révèle plus délicat que prévu. Le commandement souhaite déplacer le 28e

1277
Id.
1278
Id.

501
régiment de dragons qui doit passer en réserve du CA d’Alger et être regroupé au centre du
dispositif de ce dernier pour pouvoir intervenir en ville plus rapidement. Or ce régiment est
implanté dans le secteur sud de Miliana depuis 1957. A la mi-mai 1961, le colonel Magendie,
commandant ce secteur, proteste. Il pense que le départ de ce régiment serait particulièrement
mal venu dans le contexte des négociations d’Evian. Selon lui, « les cadres du 28e RD ont
établi avec la population des liens étroits qu’une unité nouvellement arrivée aura bien de la
peine à tisser de nouveau. Non seulement le régiment a créé 25 nouveaux villages, 14 GAD et
15 cercles féminins, mais en plus, sa stabilité lui a permis de mettre sur pied huit harkas qui
totalisent 254 hommes »1279. Ces harkas sont considérées par le commandant de secteur
comme très bien tenues et certains harkis souhaitent s’engager au titre du 28e RD, mais
excluent de le faire au titre d’un autre corps. Les harkis du 1er escadron dans le sous-quartier
du Ghribb, ont même manifesté leur intention de déposer les armes lorsque l’escadron a été
incorporé dans un régiment de marche mis sur pied le 12 mai. Ils n’ont repris le service
qu’après avoir reçu l’assurance du retour de l’escadron. Le départ du 28e RD fait donc
craindre une défection en chaine des harkis qui ne manquera pas d’être interprétée comme une
perte d’influence de l’armée sur la population dans le contexte des négociations. En outre, le
28e RD, disposant de deux escadrons portés, deux escadrons 107 et un escadron d’AM
repartis sur 21 postes, est particulièrement bien adapté, toujours selon le commandant du
secteur, à son quartier qui couvre 900 km². Chaque escadron tient un sous-quartier et une
hypothèque pèse sur le 5e escadron qui doit être disponible sur préavis de 36 heures. Le
commandant de secteur met donc en garde contre le retrait du 28e RD sans lequel il ne
garantit pas de pouvoir maintenir l’ordre dans son demi-secteur sud, y compris dans la ville
d’Affreville (27 000 habitants sur les 37 000 que compte la zone de responsabilité du
régiment), car l’escadron de gendarmerie mobile blindée qui y était implanté en a été retiré. Il
propose une solution pour réorganiser son secteur avec les autres troupes qu’il a sous ses
ordres en insistant sur le fait qu’il ne peut s’agir que d’un pis-aller. Finalement, face aux
arguments du commandant de secteur, le 28e RD, tout en passant en réserve de CA est
maintenu dans son secteur et continue ses missions de pacification1280.
En juillet 1961, le commandement pense envoyer le 30e RD à Bizerte. Il est donc
envoyé le 23 juillet dans la région de Sedrata où il reste mis en disponibilité pour cette
éventuelle intervention. Il y reçoit comme mission d’être en mesure d’intervenir au profit de
la ZNEC ou de la ZSEC dans l’hypothèse d’un important franchissement du barrage. Son

1279
SHD/Terre, 1 H 1875.
1280
Id.

502
intervention est subordonnée à la décision du CA de Constantine. Le régiment est placé toutes
les nuits, entre 21 heures et 6 heures, en alerte permanente à 4 heures qui peuvent être
ramenées à 2 en cas de période de tensions. Une planification est établie qui prévoit les
itinéraires à emprunter selon des hypothèses données. Le 30e RD doit être également en
mesure d’intervenir au profit d’un autre CA avec 48 heures de préavis. Il se voit toutefois
attribuer un certain nombre de missions territoriales.
Mais ce système de mise en alerte des régiments blindés atteint parfois ses limites. Le
général Ducournau estime que la situation du 13e RD ne permet pas d’en tirer le meilleur
parti. Les effectifs du régiment se répartissent entre ceux qui opèrent dans le Constantinois,
l’escadron en alerte Sauterelle et les effectifs de la base arrière restée (150 hommes) à Koléa
dans l’Algérois. En outre, le régiment compte en permanence plus d’une centaine d’absents.
En fait la base arrière est répartie en six points différents ce qui entraîne une lourde charge de
gardiennage à laquelle s’ajoute celle du sous-quartier de Koléa. Les mouvements de relève
des escadrons placés en alerte Sauterelle hypothèque, tous les mois, 6 escadrons/jour, et les
distances à parcourir usent le matériel inutilement. Les délais d’absence des permissionnaires
sont allongés par le fait qu’ils doivent transiter par la base arrière avant de rejoindre leur
escadron situé à plusieurs centaines de kilomètres de celle-ci. Le chef de corps peine à
administrer son régiment dans ces conditions. Le général Ducournau propose de déplacer la
base arrière du régiment à Philippeville, ce qui lui est refusé par l’EMI. Il insiste, en avançant
comme argument que le 13e RD, qu’il n’a que partiellement pour emploi, doit être
entièrement placé sous ses ordres dans le Constantinois pour échapper aux servitudes que lui
impose le CA d’Alger et en affirmant que l’escadron d’alerte peut très bien la prendre dans le
Constantinois. Son insistance finit par lui faire obtenir gain de cause. Le 3 août, le 13e RD
installe sa base arrière à Philippeville afin d’être en mesure soit de participer au maintien de
l’ordre, soit d’intervenir sur le barrage1281.
En septembre, le général Ailleret a remanié son dispositif, d’une part, en reconstituant
des réserves générales, dont le 1er RCA et le 29e RD font partie, et, d’autre part, en contractant
son dispositif de quadrillage. La disparition de cinq compagnies de transport complique la
tâche du général Ailleret. Ayant motorisé ses unités de réserve générale, il n’a plus
suffisamment de ressources pour équiper les unités de secteur qui, pourtant doivent
impérativement être plus mobiles. Il en réclame à l’EMA. Comme il souhaite qu’au moins
deux unités élémentaires par bataillon 107, soient motorisées, ses besoins s’élèvent à 400

1281
Id.

503
camions supplémentaires au titre des secteurs. Ces derniers sont mis en place au cours de
l’année 1961, mais sans conducteur, ce qui entraîne une surcharge pour les unités1282.
En vue de gagner des effectifs, les délais de préavis des unités d’alerte sont allongés.
Les unités peuvent être placées, selon les cas, en alerte à 48, 72 ou 96 h, ce qui leur permet de
continuer à remplir leurs tâches territoriales. En septembre 1961, certaines unités sont
toutefois libérées de toute charge territoriale, comme le 27e RD dans le CA d’Alger qui est
placé à la disposition du secteur d’Aumale dont il constitue la réserve opérationnelle1283. Pour
remplir ses nouvelles missions, le 27e RD doit licencier tous ses harkis.
Dans le Constantinois, le nouveau dispositif ne donne pas satisfaction au général
Ducournau. Le 3 septembre 1961, il estime que ses moyens lui permettent tout juste de faire
face à la menace tant extérieure qu’intérieure. Si la suppression de 5 000 postes dans son CA
se confirme, il estime donc que les missions ne pourront plus être remplies sauf si la menace
intérieure diminue de façon importante. Il ne peut donc pas se permettre d’être privé du 1er
RCA et du 29e RD qui se retrouvent hypothéqués par une mise en alerte. Le général
Ducournau pense que mettre un tel volume d’unités en alerte n’a pas de sens dans la mesure
où les régiments ABC ne peuvent être utilisés que par escadron, car leurs moyens sont plus
lourds et moins mobiles que ceux des autres régiments. Il estime donc qu’il n’est pas
nécessaire de les hypothéquer entièrement. En outre, il pense que le maintien en réserve
générale des 1e RCA et 29e RD entraînerait non seulement leur sous-emploi, mais que leur
déplacement provoquerait des lacunes importantes dans son dispositif. Il propose donc de les
maintenir tous les deux dans leurs missions habituelles et de ne les placer qu’en alerte à 96 h.
Encore une fois, le général Ducournau obtient gain de cause. Le 1er RCA et le 29e RD restent
sur leurs emplacements et continuent essentiellement à faire des services d’escorte. Leur mise
en alerte n’a pratiquement aucune incidence ni sur leur vie quotidienne, ni sur leur
organisation1284.

44. Les missions de l’ABC dans la marche vers l’indépendance

Au début de l’année 1962, les relèves le long du barrage provoquent encore des
mouvements de certains régiments. Courant janvier, le 18e régiment de dragons et le 2e
régiment étranger de cavalerie échangent leurs implantations. Le 18e RD est envoyé à Djelfa

1282
SHD/Terre, 1 H 1908.
1283
Sauf le 1er escadron qui est à la disposition du secteur de Bou-Saada.
1284
SHD/Terre, Id.

504
(CA d’Alger), et le 2e REC à Biskra (ZSC), quartier dont le chef de corps prend le
commandement. Le 1er régiment de spahis et le 16e RD doivent également échanger leurs
implantations. Le 15 février, le 1er RS s’installe à Aïn-Beïda, mais le 16e RD, au lendemain de
la fusillade de la rue d’Isly, doit rejoindre Alger où il est appelé d’urgence.
Le 26 mars 1962, son PC s’installe à l’Alma. Les escadrons qui relèvent deux
escadrons du 1er régiment de chasseurs d’Afrique, reçoivent comme mission de maintenir et,
au besoin rétablir par la force, le libre usage des pistes de la base aérienne de Reghaïa et
d’assurer la protection des installations tout ne participant à la protection du point sensible de
Rocher Noir. Un escadron est stationné à Maison-Blanche où il relève le 5e escadron du 29e
régiment de dragons. Sa mission est la même que celle des autres escadrons mais pour la base
aérienne de Maison-Blanche. A partir du 16 avril, le 16e RD est relevé de sa mission pour
préparer son retour. Mais il n’est relevé que par un escadron M24 du 29e RD et un escadron
porté du 1er RCA. Le dispositif de défense des bases aériennes est sensiblement abaissé.
Les unités blindées doivent, de plus en plus, participer au maintien de l’ordre dans les
villes. Certains escadrons ont déjà assuré de telles missions1285, comme ceux du 1er RS à Bône
en juillet 1961. Mais jusqu’alors, il suffisait de montrer les blindés, en les faisant parfois
rouler sirènes hurlantes. Après le cessez-le-feu, les conditions d’engagement changent du tout
au tout. Le 19e RCC et le 18e RD participent au bouclage de Bab-El-Oued le 23 mars. Hubert
Tourret, qui prend le commandement du 3e escadron du 19e RCC juste après cette affaire, ne
garde pas un bon souvenir de cette période de tension entre les pieds-noirs et l’armée.
« Le 3e escadron (M24) a effectivement participé au maintien de l'ordre
à Alger avant ma prise de commandement ; il a notamment dégagé une
unité à pied (de zouaves si mes souvenirs sont bons), qui s'était fait tirer
par l'OAS dans la rue principale de Bab el Oued, au FM et un peu
toutes les armes, et qui s'était réfugié dans des portes cochères ; pour
calmer le jeu, un des chars a tiré un coup de canon "au bleu"1286 dans
l'axe de la rue, obus qui a fini sa trajectoire en mer quelques km plus
loin ! Cela a effectivement calmé le jeu... Bien entendu, la saga OAS a
toujours prétendu que le "Cambronne" avait tiré sur une maison... à
telle enseigne que ma première décision en prenant le commandant de

1285
Le CIABC participe au MO dans Alger et fournit en 1961 l’équivalent de 40 escadrons sur l’année.
1286
On dit que le tube est « au bleu » quand il est à son site maximum en hauteur (on verrait le bleu du ciel si on
regardait dans le tube de l’intérieur de la tourelle). Si le canon est à son site minimum, on dit qu’il est « au vert ».

505
l'escadron a été de le rebaptiser "CARNOT", ce qui nous a permis de le
faire sortir sans déclencher des hurlements ! »1287
Le 18e RD, quant à lui, ne fait pas usage de ses armes. Même si, après avoir patrouillé
en ville pendant sept jours, ses Ferret sont utilisées à partir du 24 au matin pour participer au
bouclage de Bab-El-Oued1288.
Mais ces missions de maintien de l’ordre en ville sont très mal vécues par les
cavaliers. Ils redoutent de devoir y affronter les populations européennes. L’IABC, au début
de l’année 1962 avertit le commandement sur l’état d’esprit de ses cadres : « Bien
qu’admettant sans réticences que « force doit rester à la loi », ils accepteraient difficilement
de faire ouvrir le feu sur des foules françaises. (…) L’opinion unanime est que cela est affaire
de gendarmerie ou de police, mais non de l’Armée qui n’a déjà que trop souffert des risques
et des conséquences de semblables confrontations. »1289
Déjà en novembre 1961, le capitaine commandant du 2e escadron du 27e RD, qui est
intervenu à quatre reprises à Alger depuis le mois de juillet, note dans son rapport sur le
moral en parlant de ses hommes : « Faire du maintien de l’ordre devient pour eux une tâche
qui leur répugne, tâche pour laquelle ils ne sont d’ailleurs nullement préparés et que la
politique actuelle du gouvernement ne justifie plus à leurs yeux. » Le 1er novembre, au clos
Salembier à Alger, les hommes restent inactifs alors qu’un maréchal-des-logis est giflé par
une manifestante, certains, parmi les FSNA, tournant même le dos aux manifestants au lieu de
leur faire face1290.
Mais en 1962, la situation est encore plus tendue surtout à Oran où le 9e régiment de
hussards intervient. Bernard Moinet, qui y commande un escadron, décrit dans son livre
Journal d’une agonie, une scène, sans doute inspirée de faits réels, où un capitaine
commandant se fait reprocher par un général de ne pas avoir fait tirer sur la foule, même au
canon, et se fait relever de son commandement1291. Une chose est sûre c’est que le 9e RH
rentre en France le 24 mars et se fait relever par la 10e RD dans les missions de maintien de
l’ordre à Oran. Le 25, trois hommes du 2e escadron, dont un sous-lieutenant, y sont
blessés1292. Le 11 avril, un détachement blindé de l’ECS se porte au secours de civils
européens agressés dans le quartier de Saint-Denis du Sig. Le 10e RD intervient peu par la
suite à Oran. Il est regroupé à Sidi Bel Abbès à la fin du mois de juin 1962.

1287
Témoignage d’Hubert Tourret.
1288
Porteu de La Morandière, op. cit. p.356.
1289
SHD/Terre, 31 T 9.
1290
SHD/Terre, 7 U 887*.
1291
Bernard Moinet, Journal d’une agonie, Paris, Editions Saint-Just, 1981, 240 p., p. 133.
1292
Témoignage de JP Chaîneau.

506
Le commandement, conscient que les unités blindées de l’ABC sont peu aptes au
maintien de l’ordre en ville, renforce les moyens de la Gendarmerie en matériel blindé. A
partir du mois de janvier 1962, en plus des 200 AM M8 dont elle dispose déjà, cinq chars M24
lui sont attribués pour le maintien de l’ordre à Alger. En avril leur nombre passe à 32 : 16
pour Alger et 16 pour Oran1293.
En avril 1962, alors qu’il dispose de 33 M24 et de 50 AM M8, le général Katz,
commandant le CA d’Oran en réclame davantage, ce qui fait écrire par le chef du 3e bureau de
l’EMI en marge de sa demande : « Il serait intéressant de savoir combien le général Katz
voudrait avoir de blindés, sachant qu’il a déjà 80 chars et AM M8 ce qui devrait permettre
d’arrêter pas mal de jeeps OAS ! »1294
A partir du cessez-le-feu, les unités sont essentiellement chargées de protéger les
convois, les personnes et les biens. Gérard Scotto d’Apollonia, affecté comme maréchal-des-
logis à sa sortie de Saumur, au 5e escadron du 28e RD à Affreville le 1er mai 1962, pense que
cela « n’avait rien de bien guerrier mais [que c’était] indispensable pour le moral que d’avoir
toujours à s’occuper. Les missions étaient de deux types :
- extérieur : escorte vers Alger par la RN 4, sécurité des proximités à Affreville, mission
de contrôle et de sécurité sur les axes routiers de proximité de jour comme de nuit ;
- intérieur : entretien du matériel, garde, corvées et instruction. »1295
Parfois, l’attitude que doivent avoir les militaires français le laisse pantois. Alors qu’il
tient un point de contrôle, il découvre dans le coffre d’une voiture une importante somme
d’argent. Interrogés, les occupants disent qu’ils sont collecteurs de fonds du FLN. Le
capitaine arrive avec des gendarmes. Mais après discussion, « au grand dam de l’un des
harkis, les collecteurs de fond et la voiture quittèrent seuls l’escadron »1296. Toujours avant
l’indépendance, il a également l’occasion de participer au dégagement de la gendarmerie de
Molière encerclée par « des éléments hostiles ». L’arrivée des AM semble refroidir l’ardeur
des assaillants. « Le chef de peloton descendit de son AM et, après quelques palabres avec
l’officier de l’ALN (…) et, bien sûr échange radio avec le PC du régiment, nous faisons demi-
tour (…) et rejoignons nos quartiers. »1297

1293
SHD/Terre, 1 H 1938.
1294
SHD/Terre, 1 H 1909.
1295
Témoignage écrit de Gérard Scotto d’Apollonia.
1296
Id.
1297
Id.

507
Après l’indépendance, les régiments devant rester en Algérie, s’installent dans leurs
nouvelles garnisons, mais continuent à protéger les convois, comme c’est le cas du 1er RS qui
stationne à Aïn M’Lila. Pierre Autef y arrive comme sous-lieutenant en septembre 1962 :
« Avec nos EBR, notre mission était principalement d’escorter les
convois qui évacuaient les Pieds-Noirs encore très nombreux dans la
région. Mais on ne protégeait pas que les convois de Pieds Noirs, on
escortait aussi ceux des harkis qui, par bateaux, à partir de Bône,
gagnaient la France. Missions périlleuses on s’en doute, et le dispositif
en convoi était d’un EBR suivi d’un camion chargé de harkis et leurs
famille et ainsi de suite. Le tout avec couverture aérienne et ouverture
de route par EBR toute sirène hurlante. (…) Bien-sûr, les gens de la
willaya 5 ne voyaient pas d’un bon œil cette évacuation de nos harkis et
tentaient souvent de l’empêcher de préférence par la pose de
mines. »1298
Au Sahara, le 26e RD, dont un escadron passe sur AM M8 en septembre 1961,
intervient au profit du secteur de Tindouf. Il dégage les axes de ravitaillement en particulier
celui de Beni-Ounif/Colomb-Béchar/Adrar/Reggan. En septembre 1962, les deux autres
escadrons passent sur AM M8. Le régiment continue à assurer ces missions après le retrait et
les dissolutions des unités sahariennes. Il assure alors la protection du centre interarmées
d’essais d’engins spéciaux (CIEES) à Colomb-Béchar. Le 30 mars 1963, les unités
sahariennes du Nord disparaissent officiellement ou perdent leur appellation « saharienne ».
L’ESPLE est dissous le 31 mars 1963, son personnel est versé à la 5e compagnie du 2e REI.
Le 26e RD rentre en France en septembre 1963 pour être dissous.

1298
Autef Pierre, « Témoignage », in MODEL SELECTION, Spécial EBR, n° 19, mai 2008, 66 p., p. 39.

508
CHAPITRE II

Les spécificités de l’ABC en Algérie

I. Les barrages

La mise en place des barrages, à partir de 1957, permet à l’ABC de justifier


pleinement l’emploi de blindés en Algérie. Pourtant, de prime abord, il semble paradoxal que
des unités formées pour porter des feux rapidement sous blindage au plus loin, donnent leur
pleine mesure dans un dispositif de défense statique. Mais à y regarder de plus près, force est
de constater qu’il s’agit en fait pour les régiments blindés de remplir une mission de
couverture qui est l’une des trois missions principales de la cavalerie. Le fait qu’il s’agisse
d’une couverture fixe qui ne signifie nullement qu’elle soit statique car même une couverture
fixe s’effectue dans la profondeur.

11. Mise en place des barrages

Le premier des barrages à avoir été mis en place est celui de l’ouest. Il s’étend de
Nemours à Colomb-Béchar sur près de 700 km et traverse quatre grands compartiments de
terrain. Au nord, il traverse les montagnes du Tell, dont les deux chaînes principales, celle des
monts des Traras et celle des monts de Tlemcen, séparées par la plaine de Marnia, sont
orientées d’est en ouest. Il aborde ensuite les hauts plateaux qu’il traverse jusqu’aux monts
des Ksours. Ce massif de l’Atlas saharien, découpé en djebels discontinus qui atteignent
parfois 2 000 mètres, forme une barrière qui sépare les hauts-plateaux du Sahara dont la
hammada du Guir constitue la quatrième partie de terrain traversé par le barrage. Les deux
axes de pénétration principaux pour l’ALN sont les monts des Ksours et les monts de
Tlemcen.
Avant la construction du barrage, en mars 1956, le 3e régiment de cuirassiers, régiment
107, s’installe sur le flanc sud de ces derniers. Placé sous les ordres de la 12e division
d’infanterie, il est implanté sur six postes, dans le sous-secteur de Sebdou, où il contrôle une
zone montagneuse qui s’étend sur 80 km d’est en ouest. Pour faire face à ses missions

509
d’interception, il est transformé en régiment blindé1299 en avril 1957. De juin à septembre, les
escadrons opèrent les monts de Tlemcen où ils accrochent souvent des bandes en provenance
du Maroc. Sitôt le barrage devenu opérationnel, les trois escadrons blindés font la herse
systématique au sud-ouest et à l’ouest de Sebdou. Le 2e escadron (type 107) est en réserve
d’intervention en arrière. Sa composition mixte chars/portés, lui permet de monter des
opérations autonomes.
Le système est mis à l’épreuve. En janvier 1958, une brèche est découverte dans la
région de Bel Abed, mais les éléments infiltrés ne sont pas retrouvés, le dispositif n’a pas
fonctionné correctement du fait d’une mauvaise diffusion de l’alerte. Des enseignements sont
tirés. Ils sont mis à profit notamment le 15 avril, alors que l’ALN tente de forcer les barrages.
Le 3e escadron découvre une brèche dans le réseau et donne l’alerte. Le 4e escadron retrouve
des traces dans la région du djebel de Djillali. Tout le régiment, aux ordres de son colonel
boucle la région du djebel Tchouchfi (ou Tenouchfi). Le 4e escadron accroche la bande qu’il
détruit partiellement et s’empare de nombreuses armes.

Cliché n° I/92
Zone d’action du 3e RC. Carte Michelin n°172, 1959, pli n° 12.

Les combats sporadiques et les tentatives de franchissement se poursuivent jusqu’à


l’automne, les escadrons accrochent régulièrement des bandes d’une vingtaine d’hommes
dont ils viennent à bout. A partir d’octobre, s’ouvre une période beaucoup plus calme, les
tentatives de franchissement de gros détachements cessent pratiquement. Du coup, le 3e RC

1299
Un escadron de M24, deux escadrons portés, un escadron 107 type saharien sur GMC blindés.

510
reçoit des missions territoriales en plus de celle de la surveillance du barrage. En deux ans,
dans la zone du 3e RC, qui déplore pendant cette période 20 tués et 52 blessés, cent soixante-
quatre djounouds sont tués, trente-huit blessés et quatre-vingt-sept sont faits prisonniers. Leur
armement, qui inclut quelques mitrailleuses et FM, est saisi1300. A la fin de l’année 1958, le
système du barrage montre son efficacité au sud des monts de Tlemcen1301.
Le 1er régiment de chasseurs à cheval, régiment de type 107, est, quant à lui, implanté
sur les hauts plateaux, dans le secteur d’Aïn-Séfra entre cette ville et Méchéria. Il y assure, à
la fois, la protection des populations et la lutte contre le passage d’armes et d’éléments de
l’ALN par la frontière algéro-marocaine, ses postes sont souvent l’objet de harcèlements
nocturnes. A partir d’octobre 1956, les escadrons montent parfois des opérations mais elles
tombent le plus souvent dans le vide comme celle à laquelle participe François Dénoyer,
lieutenant au 1er escadron, en décembre 1956 : « Nous avons été posés sur un piton par
hélicoptère à midi. Nous en sommes redescendus le lendemain matin à 6 heures sans avoir
mangé, bu ou dormi, ayant marché 13 heures de suite, sans carte ! »1302 Très dispersés et
difficiles à commander pour le chef de corps, les escadrons sont regroupés dans la région du
Tiout, une fois le barrage opérationnel, en septembre 1957. D’une surface d’action de 120 km
sur 300, il passe à une zone de déploiement de 125 km sur 60. Le régiment assure la double
mission de surveillance du barrage et de poursuite des éléments de l’ALN l’ayant franchi
(trois de ses escadrons motorisés sont maintenus en alerte à 3 heures), et de pacification
notamment dans le quartier de Chellala. Les escadrons participent également à des opérations
avec le 2e REI.
A partir de janvier 1958, alors que les travaux d’électrification se poursuivent, les
escadrons sont répartis dans des postes le long de la frontière, et ont chacun une mission
particulière : surveillance du barrage (3e escadron), interception et destruction (1er escadron),
pacification (2e et 3e escadrons)1303. Le régiment commence progressivement à obtenir des
succès. Au début du mois d’avril, après un héliportage, le 1er escadron tombe sur un camp que
viennent d’évacuer les combattants de l’ALN après l’avoir piégé. Quelques jours plus tard, cet
escadron réussit à arrêter dans une palmeraie toute une organisation FLN ainsi que des
ravitailleurs et des agents de liaison1304. Mais c’est le 21 mai, dans le djebel Tanout, que le
nouveau système montre son efficacité. Trois escadrons y sont engagés pendant deux jours

1300
SHD/Terre, 7 U 822*.
1301
Le 2e RCA opère dans la même région que le 3e RC. Il est équipé de d’AM M8 et de M24 et agit en liaison
avec le groupe radar/canon d’El Aricha.
1302
Dénoyer, op. cit., p. 28.
1303
SHD/Terre, 31 T 10.
1304
Dénoyer, Ibid., p. 105 – 106.

511
contre une bande qui vient de franchir le barrage. La bande est anéantie, elle laisse sur le
terrain 54 morts et 17 prisonniers, le 1er RCC perd trois morts et cinq blessés. Ce combat porte
un coup d’arrêt aux infiltrations de l’ALN dans ce secteur1305.
Le barrage tunisien, dont la première tranche est construite entre juin et octobre 1957,
est installé sur un terrain beaucoup plus accidenté, dans sa partie nord, que celui sur lequel est
établie la ligne Pédron. Trois grandes parties peuvent être distinguées. Au nord, se trouvent
des montagnes traversées à hauteur de Souk-Ahras par la vallée de la Medjerda. Au centre se
trouve la dorsale constituée de massifs difficiles d’accès et orientés du sud-ouest vers le nord-
est, avec les djebels d’Ouenza et de Nementcha. Au sud de cette dorsale, se trouve un vaste
plateau traversé par quelques chaînes de plus de 1 000 mètres d’altitude, et couvert d’alfa. Le
Sahara commence à partir de Négrine.
A la fin du mois de décembre 1957, la ligne Morice est défendue par 26 bataillons
d’infanterie (dont le 4e régiment de hussards), quatre régiments blindés (6e régiment de
cuirassiers, 16e régiment de dragons, 18e régiment de dragons et 6e régiment de spahis) et cinq
groupes d’artillerie. Le dispositif est installé dans la profondeur. Des premiers enseignements
sont tirés par le commandant de la ZEC. En deux mois, « une centaine de franchissements du
barrage ont été tentés : 70 passages réussis, 2 000 hommes armés sont entrés en Algérie et
3 000 recrues ont rejoint la Tunisie »1306. Le général Salan pense que cela provient d’un
défaut de surveillance et d’alerte. Le système est renforcé et les procédés tactiques améliorés.
Des unités blindées sont envoyées sur le barrage pour y effectuer une surveillance mobile sur
toute sa longueur. En cas de franchissement, elles doivent donner l’alerte aux unités installées
en profondeur et à des éléments d’intervention. La herse devient systématique.
Le 18e RD, sur AM M81307, opère dans le secteur de Duvivier depuis son arrivée de
Tunisie en juillet 1957. Il commence à faire la herse mobile de nuit à partir du mois de mars.
Le 21e régiment de spahis, équipé d’EBR, est envoyé dans la région de Souk-Ahras en janvier
1958. En mars, le 1er régiment étranger de cavalerie, également sur EBR, y est envoyé à son
tour dans la région de Tébessa. Au début du mois d’avril, le 1er RH1308 est envoyé plus au sud,
dans la région de Bir-El-Ater et de Soukies, et le 2e REC est envoyé dans la région de
Négrine.

1305
SHD/Terre, 7 U 899*.
1306
André-Roger Voisin, Algérie 1956 – 1962, La Guerre des frontières sur les barrages électrifiés, Charenton,
Presses de Valmy, 2002, 183 p., p. 110.
1307
Le 18e RD passe sur Ferret en août 1958.
1308
Le 1er RH passe sur Ferret en octobre 1958.

512
Le dispositif de la herse permet de disposer un escadron tous les 20 ou 25 km, où il est
chargé essentiellement du renforcement de la surveillance de nuit. Ces escadrons assurent
cette mission par un système combiné de patrouille le long des réseaux barbelés et électrifiés,
d’embuscades sur des points de franchissement présumés et d’éléments d’alerte prêts à
intervenir. En somme, ils constituent l’essentiel des moyens mobiles en action permanente de
nuit. Aux côtés des blindés, toujours sur le barrage, les moyens « secteurs » surveillent de jour
comme de nuit, protègent les postes électriques et interviennent immédiatement sur le
barrage. Ils disposent d’appui feu de l’artillerie de secteur et d’une partie des moyens appui-
lumière (28 projecteurs entre Bône et Négrine). Ils assurent le pistage des franchissements
avec des équipes cynophiles, et recherchent et diffusent le renseignement sur le barrage. Les
moyens d’interception en profondeur sont constitués de groupes mobiles articulés autour d’un
régiment d’infanterie aéroportée de la zone. Ils sont engagés à l’est et surtout à l’ouest du
barrage en exploitation systématique du renseignement fourni par les unités du barrage :
- en effectuant dans un délai de 1 à 4 heures le bouclage d’une zone dans laquelle un
franchissement aurait pu avoir été effectué avec succès,
- en effectuant des opérations préventives sur renseignement dans la région comprise
entre le barrage et la frontière tunisienne.
Cette forme d’intervention préventive qui tend de plus en plus à se développer est un
des facteurs qui contribue à alléger la pression qui s’exerce directement sur le barrage.
Parmi les unités de secteur du barrage, le 4e RH implanté dans la région de Bordj-
Bournazel/Barral, tient des pelotons en alerte à 4 minutes pour intervenir rapidement en cas de
rupture du barrage. L’action qu’il mène le 18 mars 1958 donne une bonne idée de ses
capacités d’intervention.
Vers 02 h 45, le poste électrique de Mondovi signale un incident permanent sur le
tronçon sud du barrage électrifié. Le chef de peloton d’intervention de nuit, le sous-lieutenant
de La Vernette, se porte sur les lieux et constate qu’à 2 km au nord-ouest de Barral, la haie
électrifiée est coupée sur une longueur de 4 mètres. L’étude des traces permet de penser
qu’une centaine d’hommes, au moins, ont franchi. Immédiatement alerté à Bordj Bournazel,
le lieutenant-colonel Giraud commandant le 4e RH, arrive sur la brèche avec des éléments de
son PC opérationnel et commence l’exploitation du « renseignement – barrage ».
D’après les traces, la bande semble se diriger vers le sud-ouest. Mais les hussards
savent que l’ALN dispose d’une filière de relais et de guides menant vers l’Edough. Plusieurs
hypothèses sont émises :
- soit la bande file vers le sud-ouest et cherche à gagner les Beni Mezzeline,

513
- soit elle se dirige vers l’ouest pour atteindre dès que possible le djebel Oust puis
remonter ultérieurement vers le nord dans l’Edough.
Le colonel commandant le régiment décide de lancer tous ses escadrons sur les
rocades et les pénétrantes afin de cloisonner la région. Il espère que la présence de patrouilles
circulant sur les principaux axes gênera les mouvements de la bande et l’empêchera de sortir
du périmètre contrôlable par les éléments du secteur. L’éclatement rapide de la presque
totalité du 4e RH permettra, par ailleurs, d’exercer le plus tôt possible une surveillance active
sur toute la région, de recueillir le maximum de renseignements, puis de boucler la zone
suspecte dès que la direction prise par la bande sera connue. Il apparaît toutefois que la
recherche précise du renseignement doit être menée par un élément pisteur qui, marchant dans
les pas des djounouds, est seul capable de déterminer avec précision la direction prise, de
localiser la bande et d’avoir éventuellement un contact. Cette mission est confiée à un
détachement mis sur pied par le 3e escadron et comprenant le peloton d’élèves sous-officiers
et deux équipes cynophiles.
Grâce au réseau des routes et de pistes du secteur, un bouclage d’ensemble a pu être
mis en place, avant la fin de la nuit, dans un rayon de 15 km autour du point de
franchissement. Ce bouclage est assuré par des éléments mobiles circulant tous phares
allumés sur les itinéraires ouest et sud des Djebels Marioum et Berda, et par des petits
éléments fixes – placés a priori en embuscade – capables de transmettre par radio tous les
renseignements utiles. Les faces nord et ouest sont confiées au 1re escadron. Le 3e escadron
s’installe au sud entre Sidi Aïssa et Saint-Joseph et assure, de plus, la surveillance du barrage
à l’est. Le 4e escadron, à Sidi Djemil, reçoit pour mission de surveiller le débouché sud du
Koudiat El Angar et d’occuper la côte 484. Le 2e escadron (PC à Oued Frarah) est maintenu
en surveillance du barrage dans la partie sud du quartier.
Le LCL Giraud installe son PC opérationnel au bordj SAS de Sidi-Aïssa. Il y est
rejoint par le LCL Jeanpierre qui prend le commandement de l’ensemble des troupes devant
participer à l’opération d’interception et dont le régiment (1er REP) se met en état d’intervenir.
Vers 10 h 40, le pistage de l’équipe cynophile indique que la bande prend la direction
du sud-ouest. Deux prisonniers sont faits par elle. Les escadrons reçoivent l’ordre de boucler
au plus près des djebels Marioum et Berda et d’en contrôler les itinéraires de sortie en
exerçant une surveillance toute particulière sur les fonds de l’oued.
- A 11 h 45, le LCL Jeanpierre arrive en Alouette avec l’officier SAS du Talha Dramena
accompagné de son interprète afin d’interroger les prisonniers.

514
- A 11 h 20, une compagnie héliportée du 3e groupe de compagnies nomades, chargée
d’assurer la sûreté, rejoint l’élément pisteur qui reprend sa progression et pénètre,
après avoir franchi un col, dans le djebel Marioum.
- Vers 13 h 00, sur les pentes du massif, les éléments de pistage accrochent la bande
qu’ils fixent.
- Le 1er REP entre alors en action et boucle au plus près la zone où stationne la bande, le
4e RH assure la couverture de l’opération de destruction qui réussit pleinement1309.
Cette action conforte le chef de corps dans l’idée de ce que doit être la manœuvre de
son régiment. Il écrit dans son compte-rendu : « Le franchissement du barrage n’est pas
impossible mais son efficacité qui n’est plus à démontrer, réside dans la rapidité de
transmission du renseignement. Cette instantanéité permet le succès d’opérations telles que
celle rapportée ici. Le renseignement ainsi fourni ne conserve toute sa valeur que si les
éléments de secteur alertés par le barrage prennent toutes dispositions pour l'exploiter
immédiatement. Très rapidement, une vaste zone a été bouclée dans laquelle tous les éléments
ont cherché à préciser le renseignement pour déterminer la direction prise par la bande et la
localiser. (…) Conscient de cet impératif, le 4e RH a su mener une manœuvre de cavalerie qui
a contribué au succès général de l’opération. »1310

Cliché n° I/93
Zone d’action du 4e RH. Carte Michelin n° 172, 1959, pli n° 9.

1309
Le bilan fait état de 117 tués et sept prisonniers, et de 85 armes saisies dont 3 mitrailleuses. Le 4e RH perd un
mort et neuf blessés dans l’affaire. SHD/Terre, 1 H 1906.
1310
SHD/Terre, 7 U 918*.

515
Cliché n° I/94
Hypothèses retenues de la progression de la bande de l’ALN lors de la tentative de franchissement du 18
mars 1958.

516
Cliché n° I/95
Accrochage du 18 mars 1958. (id.)

Contrairement au 4e RH, les trois autres régiments de l’ABC implantés en arrière du


barrage (le 6e RC, le 6e RS et le 16e RD) sont des régiments blindés. Ils assurent des missions
territoriales, mais sont en mesure de participer à d’éventuelles interceptions. Le 1er avril, le
31e RD est remis sur pied pour regrouper les escadrons d’éclairage antichar des régiments
d’infanterie de la 2e division d’infanterie motorisée sous une même autorité administrative et

517
logistique. Cependant, les escadrons restent pour emploi aux ordres de leur régiment d’origine
dans quatre secteurs différents. Le chef de corps ne commande en fait pas son régiment. Deux
de ses escadrons sont effectivement bien employés à des missions blindées notamment sur le
barrage, mais les deux autres ne sont affectés qu’à des missions secondaires de convoyage et
de garde.

Cliché n° I/96
EBR du 3e escadron du 21e RS sur le barrage-est en 1958. L’engin est équipé d’un projecteur de recherche
en superstructure. Cliché Raymond Noulens.

A la fin du mois d’avril, la bataille de Souk-Ahras montre l’efficacité du dispositif1311.


Mais, l’année 1958 est éprouvante pour les unités qui font la herse sur le barrage-est dont
l’organisation varie selon les secteurs en fonction du terrain. En fait, le procédé de herse est
laissé à l’initiative des colonels commandants les régiments. Peu à peu, la solution la plus
couramment adoptée consiste à regrouper des véhicules sur certains points forts entre lesquels
circulent des jeeps. Mais avec ce système, deux escadrons sur trois sont en permanence sur la
herse. Or, non seulement le matériel souffre à cause des nombreux kilomètres qu’il effectue,
mais surtout le personnel est fatigué par ce service qu’il trouve ingrat, comme l’écrit un chef
de peloton quelque temps après : « La herse ! Le travail le plus ingrat que je connaisse et qui
consiste à jouer les chiens de garde le long d’un tronçon de barrage, à rouler à vitesse
réduite en essayant de déceler un défaut dans la forêt de barbelés. »1312

1311
Sur cette période, voir notamment : Général Jean Delmas « L’Evolution des barrages frontières en Algérie, la
bataille des frontières », in Revue internationale d'histoire militaire, La Guerre d'Algérie. La Défense des
frontières. Les barrages algéro-marocain et algéro-tunisien 1956 – 1962, no 76 - 1997. 340 p., p. 55 - 67.
1312
Extrait du carnet de route du lieutenant P., SHD/Terre, 1 H 1906.

518
En octobre, force est de constater qu’il faut relever rapidement ces unités. Le dispositif
est remanié à la fin de l’année. Les deux REC sont relevés et le 21e RS se déplace en ZNC,
dans la région de Condé-Smendou, El Milia et Fedj-M’Zala.
En novembre 1958, peu après son arrivée en Algérie, le 3e régiment de hussards (AM
M8) s’installe sur le barrage-est où il est employé dans la région de Montesquieu au sud de
Souk-Ahras. Dans chaque escadron, deux pelotons assurent la surveillance du barrage de nuit,
les deux autres restent en alerte dans les cantonnements. Le 6e RS est envoyé dans la région
de Négrine, et le 8e régiment de hussards dans celle de Bekkaria où il assure le service de la
« herse » sur 125 km, tout en participant également aux missions d’interception par bouclage.
Le 6e RC quitte Tébessa pour couvrir le barrage dans la région des centres miniers d’Ouenza
et du Kiouf.
Le 30 novembre 1958, une tentative de franchissements impliquant 600 à 800 hommes
au sud de Port-Say est repoussée, ce qui fait craindre une tentative plus au sud. Mais, à la fin
de l’année 1958, il n’est signalé qu’un seul gros passage d’une trentaine d’hommes dans la
région de Beni-Ounif et Duveyrier.

12. Le renforcement de l’ALN extérieure

En janvier 1959, un premier bilan est tiré par le bureau recherche opérationnelle de
l’EMA sur les barrages. Il se félicite du succès du dispositif1313. Il constate que, avant que le
21e RS n’assure le service de la herse entre Souk-Ahras et Morsott (94 km), entre le 30
novembre 1957 et le 1er janvier 1958, 29 franchissements sont réussis et 8 déjoués. Une fois
ce régiment sur place, la proportion est inversée : entre la 30 janvier et le 30 mars 1958, 8
franchissements sont réussis et 18 déjoués. L’EMA pense que c’est face à ce succès que
l’ALN tente un passage en force entre le 28 avril et 3 mai 1958.
Mais si le système de la herse est jugé efficace, l’EMA regrette qu’il demande
beaucoup de moyens, à savoir cinq régiments blindés dont deux sur EBR. Cette
consommation l’incite à trouver un système qui soit plus économique en moyens blindés. Il
pense pouvoir limiter le potentiel des EBR en attribuant aux unités des véhicules d’autres
types (Dodge, scout-cars ou jeeps) pour assurer les missions de herse, en conservant les EBR
dans les unités d’alerte. Cette solution est parfois déjà adoptée par endroits mais, les

1313
SHD/Terre, 1 H 2034.

519
commandants locaux attachent une importance vitale à la présence d’EBR sur certains
tronçons de la herse.
En outre, l’usure anormale des engins du 21e RS et du 1er REC semble due à des
facteurs conjoncturels. Tout d’abord, lors de leur arrivée sur la frontière, la situation du
matériel n’est pas très bonne (au 21e RS, 31 EBR sur 56 doivent subir des opérations de 3e
échelon). Ensuite, il semble qu’un manque d’adaptation en début de mission ait entraîné un
usage excessif des engins qui, par la suite, sont utilisés de façon plus rationnelle. Enfin, et
surtout, la situation dans les premiers mois de l’année 1958 est particulièrement tendue sur le
barrage, car l’ALN y mène de nombreuses actions dont le point culminant est la bataille de
Souk-Ahras. Depuis la fin de celle-ci, les engins font encore l’objet d’un emploi soutenu mais
dans les limites du raisonnable. Au début de l’année 1959, le kilométrage quotidien moyen de
chaque EBR n’est plus que de 30 km.
L’emploi des EBR sur le barrage présente de nombreux avantages tactiques car, avec
leurs équipages, ils constituent des cellules de combat à la fois mobiles, puissantes et
protégées disposant d’un excellent éclairage et de moyens radios fiables. Leur protection
contre les mines est également appréciable, il n’y a jamais de mort à déplorer de leur fait. Un
autre avantage est souvent mis en avant. Il semble que l’EBR impressionne
psychologiquement beaucoup plus que les autres blindés à roues les combattants de l’ALN
qui hésitent à ouvrir le feu contre lui, non seulement avec des mitrailleuses, mais également
avec leurs mortiers car ils savent que la riposte au canon sera immédiate. L’EBR, qui, en
dehors des mines, n’a à craindre que les armes antichar à tir direct, semble donc être l’engin le
plus adapté pour les missions de la herse1314.
Mais le commandement profite toutefois de la baisse du nombre de tentatives de
franchissement du barrage à partir du milieu de l’année 1958, pour y réduire l’emploi des
EBR. En janvier 1959, il n’y a plus que le 8e RH comme régiment d’EBR à opérer sur le
barrage, jusqu’à l’arrivée du 3e RCA à la fin du mois de juillet dans la zone de Bekkaria.
Un autre moyen envisagé par l’EMA est de faire faire la herse par des draisines qui
sont déjà employées sur la partie centrale du massif de la Médjerda et y donnent satisfaction.
Mais cet engin étant lié à la voie ferrée, il ne peut pas jouer un rôle d’intervention comparable
à celui des blindés. En fait, le seul avantage qu’il présente est celui de profiter des meilleures
vues qu’offre la voie ferrée par rapport à la route.

1314
Id.

520
Les études visant à réduire les effectifs sur les barrages ne sont pas poussées plus loin
car, malgré le coût que ces dispositifs représentent en terme de moyens, la mise en œuvre du
plan Challe interdit d’y relâcher l’attention. Avant de lancer la première des opérations de son
plan, le général Challe, en janvier 1959, confie la défense des frontières aux généraux
commandants les CA de Constantine et d’Oran. Pendant « la période d’assainissement de
l’Est-Ornais », il leur donne des directives visant à contrecarrer l’action du FLN sur les
barrages. Il pense qu’à l’ouest, cette action ne peut se traduire que par des tentatives de
franchissements par des petits convois de ravitaillement, par les monts des Ksours
notamment. A l’est, en revanche, Challe pense qu’il est possible que des attaques en force
soient encore tentées par des effectifs plus importants. Il n’exclut pas que des tentatives de
débordement par le sud aient également lieu. En tout état de cause, il pense que le FLN
pourrait entreprendre des opérations de diversion pour soulager ses forces intérieures y
compris contre les voies de communication intérieures. Pour lui, la tâche principale des deux
CA frontaliers reste la défense des barrages, en vue de parer à une nouvelle « bataille du
barrage »1315.
Le général commandant le CA de Constantine décide de centraliser le commandement
du barrage-est à Bône pour que le dispositif y gagne en cohérence, non seulement dans la
conduite des opérations, mais également dans celle des installations. Cette nouvelle
organisation qui se révèle rapidement efficace est appliquée également au barrage-ouest.
Toujours à l’est, la mise en place du barrage avant de Gambetta à Kouif (ligne Challe)
qui impose six heures de marche entre les deux barrages par endroits, permet de diminuer
encore le nombre des tentatives de franchissement. La construction d’un deuxième tronçon est
prévue entre Souk-Ahras et La Calle pour lequel il manque encore des crédits.
Le nouveau système, notamment la mise en place de patrouilles entre les deux
obstacles, permet parfois la réalisation d’opérations offensives auxquelles les blindés
participent pour apporter un appui direct. Mais, du fait que les unités blindées sont astreintes
au service de la herse, ce type d’opérations reste très occasionnel et toujours limité dans le
temps.
Le 26 mai 1959, deux escadrons d’EBR du 8e RH, deux escadrons mixtes équipés
d’AM M8 et de M24 du 16e RD, et deux escadrons d’AM M8 du 3e RH participent à une
opération en avant du barrage dans le djebel Harraba, massif de 20 km² à cheval sur la

1315
Id.

521
frontière tunisienne au nord de l’oued Mellegue, où des renseignements signalent la présence
de 7 à 8 katibas.
L’opération est commandée par le général commandant la 25e division parachutiste
avec, en plus des moyens ABC, deux régiments d’infanterie aéroportée (9e et 14e régiments de
chasseurs parachutistes), deux compagnies du 22e régiment de tirailleurs (RT), deux
compagnies du 26e régiment d’infanterie motorisée (RIM), le GMS 73, un peloton de
gendarmerie mobile, sept batteries d’artillerie, dont une de 155, trois équipes de grotte et des
moyens aériens fournis par l’ALAT et l’armée de l’Air.
Le djebel Harraba, dont le point culminant est à 1 095 m d’altitude, est un massif
rocailleux, en partie boisé, qui comporte des grottes, des failles et des falaises abruptes. La
proximité de la frontière tunisienne gêne les opérations, car l’encerclement total du massif
suppose de pénétrer en Tunisie, or, dans un tel cas, la thèse de l’incident de frontière provoqué
par l’adversaire ne serait pas soutenable.
Le plan initial qui prévoit une incursion de 4 km en territoire tunisien est donc rejeté.
Mais, au cours de l’opération, face aux difficultés du terrain, le général se résout quand même
à le faire effectuer, sans qu’il y ait contact avec l’armée tunisienne qui se refuse à intervenir
malgré la durée des combats.
Les escadrons du 3e RH, les deux compagnies du 26e RIM, le GMS et le peloton de
Gendarmerie forment un sous-groupement interarmes. Le 16e RD en forme un autre avec les
deux compagnies de tirailleurs. Les escadrons du 8e RH sont adaptés au (mis à la disposition
du) au 9e RCP.
Le 14e RCP franchit le barrage avant à 4 h 15, suivi du sous-groupement du 3e RH. A
7 h 00, le contact est établi autour du djebel Meridef (point côté 1 095). Le 3e RH,
accompagné des fantassins du 26e RIM, est chargé de reconnaître l’adversaire. A 7 h 45, le
14e RCP occupe le point coté 1 095. Vers 9 h 00 il est pris à parti par des éléments ALN qui
sont traités à l’artillerie. Le 3e RH, n’ayant aucun contact, est mis en couverture face à l’est,
en mesure d’intervenir vers le sud.
Au même moment, le deuxième sous-groupement (9e RCP renforcé des deux
escadrons d’EBR du 8e RH) passe le barrage plus au sud pour établir la liaison avec le 14e
RCP. Le 3e RH commence sa progression vers le sud pour venir appuyer le 14e RCP, les AM
appuyant la progression des fantassins du 26e RIM. Il reçoit en renfort les escadrons du 16e
RD pour établir des bases de feux d’appui direct autour du massif.
A 10 h 45 la liaison est établie entre les RCP. Vers 11 h 50, l’assaut commence,
appuyé par de puissants tirs d’artillerie et ceux des engins blindés. Accompagné de deux

522
équipes grottes du génie, le groupement Bréchignac est chargé de la fouille du Kel El-Luiza et
du Kel El-Retra.
Devant les difficultés rencontrées dans la progression, le lieutenant-colonel
Bréchignac décide de déborder le djebel Harraba. Des nids de résistance, qui se manifestent
sur l'arête du djebel Betoum et sur la côte 729, sont traités par des tirs d'EBR et de canons sans
recul (SR). A 15 h 30, la 5e compagnie du 9e RCP occupe la totalité du djebel Betoum, mais la
résistance continue. Son capitaine est tué par balle. La 1re compagnie du 9e RCP est alors
transportée en véhicules avec mission d'attaquer la côte 729 par la face est. Après une
préparation au mortier de 120 mm, l'assaut est donné. Les deux escadrons d'EBR et un peloton
de 75 SR appliquent des tirs en avant de la progression des voltigeurs pendant toute la
dernière phase. Vers 16 h 30 toute résistance a cessé et, à 22 h 30, tous les éléments ont
repassé le barrage avant.
Le bilan n’est apparemment pas à la hauteur des espérances du général de la 25e DP.
Trente-deux cadavres seulement de l’ALN sont relevés et il n’est fait que neuf prisonniers.
Cependant ces pertes paraissent au général Ducournau inférieures à la réalité en raison de
l’intensité des tirs directs et indirects appliqués sur les points de résistance les plus difficiles
d’accès. La venue de la nuit a empêché de fouiller le terrain complètement. Parmi les troupes
engagées, les pertes s’élèvent à 10 morts et 18 blessés dont 2 graves.
Dans cet exemple de combat également, il peut être fait le constat que les tirs directs
appliqués par les blindés ont le mérite d’être plus précis que les tirs indirects sur des objectifs
repérés que l’infanterie ne peut pas atteindre. En revanche, le fait que des éléments de la herse
aient participé à l’opération a constitué une gêne, car ils devaient impérativement rentrer dans
leur cantonnement le soir même pour pouvoir reprendre leur service le lendemain. Le général
Ducournau regrette de n’avoir pas pu utiliser plus les blindés en exploitation après des tirs
d’artillerie même si le terrain montagneux ne s’y prête guère1316.

1316
SHD/Terre, 1 H 3783.

523
Cliché n° I/97
Carte du djebel Harraba.

Ce type d’opération, qui reste toutefois exceptionnelle, montre au commandement que


la situation a beaucoup évolué sur le barrage en 1959. Non seulement, la prise d’initiative est
rendue possible grâce à la construction du barrage avant, mais en outre, l’ALN ne semble plus
vouloir tenter de passage en force mais simplement y fixer le plus de troupes possible. Dans
ces conditions, y maintenir les sept régiments et leurs 296 blindés qui font le service de la
herse sur le barrage-est en novembre 19591317, semble plus faire le jeu de l’ALN que celui du
commandement français.

13. Un système qui doit évoluer

La herse a été mise au point pour faire face un ennemi constitué en unités de
circonstance, armé de façon disparate, incapable d’actions coordonnées et fortement
impressionné par les blindés. A partir du printemps 1959, l’ALN connaît une évolution
notable quant à ses capacités et ses modes d’action. Ses unités sont plus nombreuses et leurs
actions sont beaucoup mieux coordonnées. Largement pourvues en munitions, elles sont
dotées de plus en plus de moyens de lutte antichar composés de lance-roquettes, de canons
sans recul de 57 et de 75 mm, de grenades au phosphore, voire de bouteilles Molotov que les
hommes lancent au moyen de frondes.
En fait, l’arrivée de Boumédienne comme chef d’état-major général de l’ALN marque
un tournant dans les combats le long du barrage comme l’écrit Khaled Nezzar : « Nous
sommes passés, avec l’avènement de Boumédienne et de son équipe, d’un semblant d’état-
major à un véritable centre de décision qui donnera une âme à l’ALN. (…) L’ALN disposait,

1317
6e RC (23 AM et 23 M24), 3e RH (34 AM), 4e RH (ex 31e RD) (34 M 24), 2e RD (34 AMX), 8e RH (56
EBR), 3e RCA (58 EBR) et 8e RS (34 AM). Soit : 91 AM M8, 57 M 24, 34 AMX et 114 EBR. SHD/Terre, 6 T445

524
pour la première fois de son histoire, d’un commandement qui connaissait parfaitement les
buts à atteindre, ce à quoi nous n’étions pas habitués avec l’ancien état-major. 1318» Des
bataillons de 600 hommes, répartis en trois compagnies de combat, une compagnie lourde et
une de commandement, sont formés officiellement et portent des numéros1319. Pour les
soutenir et les appuyer, Boumédienne décide la création de compagnies lourdes zonales
(CLZ) chargées d’appuyer chacune trois bataillons. La première, celle de la zone 11320, est
confiée à Khaled Nezzar dans la région du Bec de Canard1321.
A la fin de l’été le commandement français pense que l’ALN est apte à conduire des
actions contre le barrage avec de nombreux effectifs et des moyens de feu adaptés et
abondants. François Dénoyer, maintenant chef de peloton au 2e escadron du 4e RH (ex-31e
RD), en fait personnellement le constat. Dans la nuit du 11 au 12 septembre, un détachement
de l’ALN franchit le barrage pour attaquer une batterie d’artillerie qui est dégagée par les trois
chars de Dénoyer. Celui-ci fait le récit de l’accrochage dans une lettre adressée à ses parents :
« L’ennemi est devenu très fort, armé, entraîné, manœuvrier ! Ce qui nous a surpris. Le temps
des fusils de chasse est fini dans notre région ; nous nous battons contre des mitrailleuses,
des mortiers, des canons, et bien servis ! »1322
Le commandement estime que les actions de l’ALN seront de plus en plus menées de
façon coordonnées, avec un emploi judicieux de bouchons de fixation, d’éléments de
couverture, d’équipes de destruction abondamment outillées. En outre, il pense que ces
actions seront combinées avec des harcèlements de postes et de PC mettant en œuvre des
moyens lourds (canons SR et mortiers). Face aux unités de l’ALN qui disposent dès lors
d’une infanterie assez moderne, bien dotée en moyens offensifs contre les blindés et que des
succès peu coûteux risquent de rendre confiants, les patrouilles blindées de la herse étirées
largement derrière le barrage, observées et audibles, sont en train progressivement de passer
de la position du chasseur à celle du gibier. Les transformations de l’ALN, la nature du terrain
souvent couvert et dominant, lui permettent sans être vue, au point et au moment choisis,
d’agir la première, par surprise et à courte distance. Il apparaît dans ces conditions que le
système de défense et d’exploitation du barrage doit être révisé tant dans le domaine de

1318
Nezzar, op. cit., p. 142.
1319
Ibid., p. 137.
1320
Les troupes sont réparties en cinq zones numérotées du nord au sud. En mars 1962, l’ALN de Tunisie est
composée de 25 bataillons, 7 CLZ, une base logistique pour trois bataillons et des batteries d’artillerie et de
mortiers lourds.
1321
Ibid., p. 154.
1322
Dénoyer, op. cit., p.156.

525
l’organisation du commandement sur le barrage, que dans celui des méthodes et des procédés
d’action.
Le général de Rouvillois, IABC d’Algérie1323, propose, à la fin de l’année 1959, de
constituer, dans le cadre et sous l’autorité des secteurs, des commandements de « quartiers
barrage ». Ces derniers seraient dégagés de toutes charges et missions territoriales. Sur un
front dont la largeur sera déterminée en fonction du terrain, ils auraient autorité directe sur les
escadrons blindés de la herse et les compagnies d’infanterie « barrage ». Enfin, ils
coordonneraient l’action du trinôme infanterie/herse/artillerie d’appui.
La nouvelle organisation consisterait à constituer un 1er échelon composé d’infanterie
et de blindés qui serait employé à faire des patrouilles sur le barrage combinées avec, le long
de la route hersée, des embuscades valorisées par des mines antipersonnel sur les
cheminements surveillés et battus par les feux de jour comme de nuit. Les patrouilles
blindées, voire des véhicules isolés, opéreraient de façon classique sur les positions favorables
du parcours de herse. Le 2e échelon serait constitué par une réserve de chars M24 et d’unités
d’infanterie. Celle-ci devra fournir, d’une part, des patrouilles à l’est du barrage de type
commando, d’autre part, des embuscades ponctuelles sur les lieux d’installation connus ou
probables des éléments de l’ALN. Les chars, renforcés d’infanterie, seraient en mesure
d’intervenir sans délai aussi bien à l’est qu’à l’ouest du barrage en fonction des
renseignements ou des actions de l’ALN. En arrière du dispositif des quartiers « barrage », les
moyens des secteurs seraient chargés sur toute l’étendue du secteur des actions en surface et
des missions d’interventions opérationnelles à temps1324.
Pour se rendre compte de l’évolution de la situation sur le barrage, l’IABCA s’y rend
en février 1960. Il constate une évolution allant dans le sens de son projet. Le commandement
est décentralisé, chaque quartier reçoit la responsabilité d’une portion de barrage, les secteurs
ont les moyens de coordonner la défense des « quartiers-barrage ». De plus, le renforcement
en moyens d’infanterie des unités de barrage a permis de réaliser un dispositif en profondeur
en avant, sur et en arrière du barrage qui permet de manœuvrer. Profitant de l’espace de
manœuvre que constitue la zone située entre les deux barrages, les commandos de chasse,
comme le L 42 qui passe du 6e RC au 4e RCC lors de la relève en janvier 1960, y sont
envoyés régulièrement pour patrouiller et donner l’alerte. Le jour, ils font intervenir l’aviation
en cas de contact. La nuit, ils montent des embuscades en conservant des éléments blindés en

1323
L’IABCA ne devient officiellement adjoint « barrage » du général commandant en chef qu’à compter du 5
septembre 1960. Cependant ses fonctions l’amènent à remplir ce rôle bien plus tôt.
1324
SHD/Terre, 1 H 1909.

526
réserve, prêts à intervenir1325. Le système de la herse mobile, mettant systématiquement en jeu
tous les moyens blindés du barrage à intervalles réguliers, semble révolu.
Le général de Rouvillois se félicite de ce meilleur emploi des unités blindées, qui
induit une fatigue moindre du personnel et une usure plus normale du matériel. Il pense que
des améliorations sont encore réalisables pour économiser les moyens. Il souhaite que le tracé
des pistes soit amélioré pour éviter, comme dans le secteur du 3e régiment de chasseurs
d’Afrique (quartier de Bekkaria), que la piste qui longe le réseau ne comporte des pentes qui
dépassent les 30 %, pour éviter de faire des engins des cibles faciles. Il souhaite également
que ces derniers soient mieux adaptés au terrain sur lequel ils interviennent. Certaines
situations lui paraissent aberrantes. Comme celles du 8e régiment de hussards et du 8e
régiment de spahis. Le 8e régiment de spahis doit parcourir des pistes où ses AM ne peuvent
ni se dégager, ni faire demi-tour, alors que le 8e régiment de hussards, dont les EBR disposent
d’un inverseur, opèrent sur un terrain plat et dégagé où il est possible de tourner partout. Le
bon sens voudrait que ces deux régiments échangent leur zone d’action.
D’autres anomalies sont encore relevées. Le 2e régiment de dragons, implanté à
Negrine, détache à 200 km un escadron d’AMX donc l’activité consiste à effectuer des
ouvertures de routes dans la région de Sakiet. Or cette mission serait remplie plus
efficacement par des M24. Cette situation est d’autant plus curieuse que le régiment ABC
implanté dans la région de Sakiet, le 4e RH, détache l’un de ses escadrons M24 dans le secteur
de La Calle où il est sous-employé depuis l’arrivée d’un renfort d’infanterie. Il serait donc
logique de rappeler cet escadron, et de rendre au 2e RD le sien. En outre, d’une manière
générale, tout regroupement des escadrons sous l’autorité de leur chef de corps, ou au moins
dans le quartier voisin, permet un rendement bien supérieur. En effet, un escadron détaché
totalise un kilométrage double à celui d’un escadron conservé par son régiment, pourtant le
constat n’est pas nouveau.
Le problème de la relève des unités reste au cœur des préoccupations du
commandement. Il souhaite que les régiments soient relevés au bout de 12 mois, pour des
raisons de fatigue physique et nerveuse des équipages. Le 8e RH sur le barrage, dans la région
d’Ouenza depuis 16 mois « ne peut plus assurer sa mission dans de bonnes conditions »1326.
En mai 1960, en raison des difficultés que rencontre le CA de Constantine pour effectuer les
relèves des régiments blindés sur le barrage, il est décidé qu’exceptionnellement le 1er RS

1325
Le 8e RS ne dispose pas de commando, en revanche, peu avant de le relever en mars 1961, le 4e RCA forme
le commando V 49 avec son 5e escadron.
1326
SHD/Terre, 1 H 1909.

527
relève le 8e RH qui est mis à la disposition du CA d’Alger. La solution n’est pas totalement
satisfaisante, car le 1er RS compte un escadron de moins que le 8e RH. La relève est effectuée
le 1er juillet 1960. Il est prescrit au CA de Constantine de donner un secteur au 1er RS où le
terrain justifie l’utilisation d’engins équipés d’inverseurs. Le 1er RS est donc envoyé dans le
secteur de Lamy, au nord du secteur du 8e RS, pour y relever le 4e RCC. Le 4e RCC, quant à
lui, est envoyé dans la région d’Ouenza où le terrain est plus favorable aux AM M8 pour
relever le 8e RH qui est envoyé dans la région de Médéa (ZSA)1327.
Le régiment où la lassitude et la fatigue semblent les plus perceptibles est le 8e RS. En
décembre 1959, après un séjour à Négrine, il s’installe dans le secteur de Souk-Ahras, où il
prend à sa charge le barrage avant en janvier 1960. L’ensemble de ses moyens est faible pour
assurer la surveillance de 22 km de barrage dans le terrain difficile du Bec de Canard qui est
pratiquement imperméable aux véhicules en dehors de la route qui longe le barbelé. Dans ces
conditions, les moyens du régiment sont entièrement dépensés à une surveillance quasi
linéaire du barrage électrique dont le tracé traverse une zone habitée et particulièrement
sensible, à une trentaine de kilomètres en arrière de la frontière. Cette action entraîne pour les
véhicules blindés une moyenne kilométrique mensuelle élevée : de l’ordre de 1 500 à 2 000
km par véhicule et par mois1328. Mais le personnel également souffre du rythme élevé auquel
il est soumis, comme l’écrit Bruno de Jeu qui commande le 2e escadron :
« Mes plus mauvais souvenir datent de l’hiver 1959-1960 où les
effectifs de mon escadron ont fondu comme neige au soleil, atteints
d’une maladie surnommée la « barragite », caractérisée par une
grande nervosité due au manque de sommeil. Responsable à Gambetta
d’une portion de barrage trop grande pour un simple escadron, nous ne
devions travailler que la nuit et dormir la journée. Mais durant la
journée, il fallait bien entretenir les matériels, assurer les
ravitaillements divers et recevoir de nombreuses visites et
inspections. »1329
Pour assurer un système de relève cohérent, le général de Rouvillois propose de
binômer les régiments avec ceux de l’intérieur pour les relèves, mais cette mesure se heurte à
l’opposition des commandants de CA. En effet, d’une façon générale, la stabilité est l’une des
conditions de l’efficacité du contact avec les populations et il est jugé peu opportun de rompre

1327
SHD/Terre, 1 H 1349.
1328
SHD/Terre, 31 T 12.
1329
Revue de la commission internationale d'histoire militaire, op. cit., p. 251.

528
la continuité du travail de pacification des régiments implantés dans les secteurs de l’intérieur,
chaque fois que ce travail commence à porter ses fruits. Il apparaît donc peu souhaitable de
donner un caractère systématique aux relèves de régiments implantés sur le barrage par des
régiments de l’intérieur.
Peu avant son départ, le 4 avril 1960, le général Challe donne de nouvelles consignes
pour le renforcement des barrages-frontières. Après trois ans d’expérience, il tire un certain
nombre d’enseignements qui ne remettent cependant pas en cause les principes généraux du
système défense en profondeur. Celui-ci repose toujours sur la surveillance, le ralentissement
et l’interception. Challe insiste sur le fait que chaque secteur, le long du barrage a des
caractéristiques très différentes suivant le terrain et l’ennemi dont les capacités
opérationnelles ont augmenté avec le temps. Même si l’ALN semble encore « peu rôdé[e] aux
opérations d’envergure exigeant une coordination », Challe pense que « des progrès dans ce
domaine (…) ne sont pas à exclure à échéance de quelques mois, en particulier du côté
tunisien » et que « les échecs passés ne constituent pas pour [les troupes du barrage] une
prime d’assurance à valeur perpétuelle contre le risque d’une attaque en force »1330.
Challe rappelle que la mission prioritaire des troupes sur le barrage n’est pas d’arrêter
les unités de l’ALN qui tentent de s’infiltrer, mais de donner l’alerte. Un combat engagé dans
la zone du barrage risque en effet de détériorer celui-ci. Tout repose donc sur la manœuvre
défensive en profondeur. Cependant, le volume de l’élément de surveillance doit être calculé
pour être suffisamment léger pour intervenir rapidement, mais suffisamment lourd pour ne pas
être neutralisé. Ce risque semble être de plus en plus grand étant donné la généralisation des
armes antichars du côté de l’ALN. D’où l’importance qui est donné au barrage avant qui doit
ralentir l’adversaire de façon à leur faire aborder l’obstacle principal en fin de nuit. Le rôle du
dispositif de patrouilles et d’embuscades, installé entre les deux obstacles, reste donc
essentiel. Cette couverture avant du barrage a également pour but d’éloigner les combattants
de l’ALN du barrage pour éviter qu’ils ne l’observent ou qu’ils ne tirent sur les blindés de la
herse1331.
Mais le but de l’ALN n’est plus de franchir le barrage avec d’importants effectifs. Le
combat se déplace progressivement à l’avant, où les blindés sont de plus en plus nombreux.
Cependant, la juste répartition des moyens sur le barrage semble poser un problème insoluble.
Pour renforcer les secteurs les plus menacés, il faut affaiblir ceux où l’action de l’ALN
semble la moins forte. Le 30 juin, l’escadron AMX du 2e RD stationné à Colonna (sous-

1330
SHD/terre, 1 H 2034.
1331
SHD/terre, 1 H 2034.

529
secteur de Gambetta) quitte la ZNEC pour la ZSEC, il est remplacé par le 2e escadron du 4e
RH stationné à Lacroix. Le quartier de la Calle se retrouve donc sous-équipé en moyens
blindés. Il ne dispose plus que deux escadrons d’AM pour 44 km et n’a aucune réserve
blindée. Compte tenu de la pression que l’ALN maintient sur ce quartier, et de la menace qui
pèse sur les villages frontières, une réserve blindée apparaît indispensable dans sa proximité
immédiate. Pour constituer cette réserve, le 1er escadron du 4e RH (M24) est retiré de Guelma
pour être installé à Colonna, mais le mouvement ne peut s’effectuer qu’en juin 1961, alors que
sa présence y est devenue absolument indispensable.
Par ailleurs, devant l’évolution de l’équipement de l’ALN de Tunisie, les AM M8,
efficaces face aux bandes de l'intérieur, semblent dépassées. Leur armement est jugé trop
faible et leur souplesse insuffisante. Les escadrons d’AM du 29e RD, en particulier, ne sont
plus adaptés à la nature de l’ennemi qu’ils doivent affronter étant donné le terrain sur lequel
ils interviennent. Comme dans le cas du 8e RS, les pistes de leur zone d’action sont encaissées
et les AM ne peuvent pas y faire demi-tour, ce qui les rend vulnérables lorsqu’elles sont
bloquées sous le feu ennemi. D’autre part, ce régiment a plus d’un an de séjour sur le barrage.
En décembre 1960, le commandant de la ZNEC demande qu’il soit relevé par un régiment
équipé d’EBR, et non des AM M8. En effet, l’EBR apparaît de plus en plus comme le seul
engin réellement apte à être engagé sur le barrage1332, comme le montre le combat que mène
le 3e RCA le 18 juillet 1960 dans la région de Kiouf.
Un peloton et demi d’EBR assure la surveillance nocturne du barrage, la mise en place
s’effectue avant la tombée de la nuit. Comme chaque soir depuis quelques semaines, les
équipages et les électrotechniciens s’attendent à un harcèlement ou à un sabotage du réseau
qui sont devenus fréquents. De façon à pouvoir décrocher et se mettre à l’abri en Tunisie
avant le lever du jour, l’ALN agit généralement à heure fixe, entre 23 h et une heure du matin,
et souvent à partir des mêmes points.
Vers 23 h, un détachement de l’ALN fait trois brèches sur le barrage à cent mètres de
distance les unes des autres. Un groupe feu (quatre mortiers et deux mitrailleuses) et un
groupe d’appui (un lance-roquettes, un mortier, un FM) sont en place, prêts à détruire la
patrouille qui ne manquera pas de venir constater les dégâts.
Celle-ci, composée de jeeps et d’EBR, arrive effectivement une vingtaine de minutes
plus tard. Les chasseurs d’Afrique sont pris sous les feux des armes lourdes dès qu’ils sont sur
place. Les EBR ripostent. Dix minutes après, les tirs d’artillerie se déclenchent. L’aviation

1332
SHD/Terre, 1 H 1908.

530
intervient avec des lucioles pour éclairer le champ de bataille. Le sous-officier adjoint du
peloton est blessé en reconnaissant la coupure pour faire franchir ses EBR.
Vers 23 h 40, la section de l’ALN, malgré la violence du tir d’artillerie, commence son
repli, elle abandonne quelques tués et blessés. Un groupe placé très près du réseau n’ose pas
se lever et cesse le tir. Les autres groupes se replient en se protégeant mutuellement.
Deux EBR franchissent le réseau et avancent sur les emplacements de tir où ils font un
prisonnier qui se rend avec son équipe lance-roquette et tout son armement. Une section
d’infanterie, arrivée en renfort fouille le terrain sous la protection des EBR, alors que les
sapeurs réparent le réseau. A deux heures, tout est terminé et les troupes rentrent dans leurs
cantonnements.
Le bilan de cette action semble disproportionné : l’ALN laisse sur le terrain huit morts,
six prisonniers et de l’armement dont un LRAC et deux mortiers. Les chasseurs d’Afrique,
quant à eux ont perdu un mort et un blessé1333. Cependant elle montre bien le danger que
représentent les sections de l’ALN qui tendent de plus en plus d’embuscades aux éléments de
la herse. Si les pertes de l’ALN sont parfois lourdes1334, elle réussit toutefois à fixer sur le
barrage un nombre important de troupes ce qui allège la pression exercée sur les katibas de
l’intérieur. En outre, lorsqu’un EBR est détruit, par mine ou par LRAC, cela représente une
perte bien plus disproportionnée pour les forces armées que celle de quelques armes
collectives dont l’ALN ne manque pas. Il n’en demeure pas moins vrai que l’EBR permet un
certain retour à la manœuvre de peloton, ce que la lourdeur du M24 ou la vulnérabilité de
l’AM M8 limitent considérablement pour leur part.

Cliché n° I/98
Lieu du combat du 3e RCA du 18 juillet 1960.

1333
« Un escadron d’EBR sur le barrage », Bulletin d’instruction des cadres de l’ABC, n° 21, décembre 1961, p.
53 - 58.
1334
Le 15 mars 1960, à proximité d’Ouenza, un escadron du 8e RH et une section du 26e RI sont engagés dans
des conditions semblables. Ils ne subissent pas de pertes mais font sept prisonniers et saisissent un FM et 8 armes
de guerre.

531
Cliché n° I/99
Croquis du combat du 18 juillet 1960. Bulletin d’instruction des cadres de l’ABC, n° 21, décembre 1961, p.
55.

En outre, malgré les risques et les coûts que cela représente, le 3e bureau de l’EMA
estime que, comme les régiments blindés sont peu aptes à la contre-guérilla dans le djebel, ils
doivent être utilisés au maximum pour défendre les barrages. Si peu intéressante que soit la
mission de la herse, elle ne doit permettre de dégager un maximum de fantassins pour les
opérations intérieures1335.
Selon l’IABC, les enseignements tirés sur le barrage-est ne sont pas mis à profit sur le
barrage-ouest en ce qui concerne la herse mobile systématique qui, pour lui est un procédé

1335
SHD/Terre, 1 H 1349.

532
usant et n’assurant parfois qu’un semblant de sécurité. Il pense que ce procédé n’a plus de
raison d’être après les renforcements et parfois le doublement de l’ouvrage. Or,
paradoxalement, le barrage-ouest, qui est moins menacé que le barrage-est, consomme plus de
moyens malgré les améliorations du système des défenses fixes conçus précisément pour
alléger la herse.
Celle-ci avait effectivement commencé à l’être mais, suite aux changements de
commandement, en ZNO et en ZSO, la herse à l’horaire a été reprise. En fait, la herse rassure
les commandements locaux, bien que ce procédé n’assure qu’une sécurité relative, surtout
pendant la journée, et entraîne des kilométrages anormaux. Le 12e RD, qui est sur le barrage à
Aïn-Séfra depuis mars 1959, continue à faire la herse sur le barrage arrière à une cadence bien
déterminée et ces Ferret parcourent 3 500 km par mois. Ces engins vont totaliser 40 000 km
pour un an de herse, or leur entretien devient très difficile par suite de l’absence de pièces de
rechange1336.
Les half-tracks du 1er RCC et du 3e RC font, quant à eux, 1 500 km par mois, alors que
sur le barrage-est, les engins n’en parcourent qu’en 500 et 1 000 pendant la même période. Le
kilométrage excessif du 1er RCC entraîne l’indisponibilité de 35 % des half-tracks, or ce
régiment de type 107 a été motorisé sans que lui soit affecté un atelier et des spécialistes
correspondant. En plus, en période de forte chaleur, les conditions d’engagement deviennent
difficilement supportables.
Cette situation est d’autant plus regrettable que les 35 AM M8 du 2e REI ne peuvent
pas être employées sur le barrage, par crainte que les légionnaires n’en profitent pour déserter.
Ces AM ne sont donc utilisées pratiquement que pour un service d’escorte ou d’appui lors des
opérations1337.
Le 2e RCA et le 3e RC, dont les PC se trouvent tout deux à Sebdou, font un travail
raisonnable sur les barrages avant et arrière, sauf dans la partie nord de Sebdou où ils font la
herse. Leur action est conjuguée avec celle des radars-canons. Le colonel Marzloff, IABC
d’Algérie, regrette que les procédés du barrage-est ne soient pas appliqués pour ces unités non
plus. Pour sa part, il pense que, notamment dans la région nord des monts de Tlemcen, il
serait plus judicieux, en lieu et place de la herse, de monter des embuscades et de mener des

1336
L’usure des Ferret du 12e RD entraîne sa relève par le 2e RSA en juin 1960, alors que le commandement se
refusait jusqu’alors d’engager des EBR sur le barrage-ouest étant donné leur peu d’aptitude à évoluer en terrain
sablonneux.
1337
SHD/Terre, 1 H 1908.

533
coups de sonde avec des patrouilles blindées entre des petits postes d’infanterie dont
l’emplacement changerait chaque nuit1338.
Pour relever le 12e RD, le 2e régiment de spahis arrive sur le barrage-ouest en juin
1960 dans la région de Tiout, où le PC du régiment s’installe. Le régiment se trouve
entièrement sous les ordres de son chef qui commande le sous-secteur de Tiout (secteur d’Aïn
Taya). C’est la première fois que des EBR sont engagés sur le barrage-ouest. Les trois
escadrons d’EBR font la herse sur un front de 30 km pour le barrage avant et 90 km pour le
barrage arrière. Chaque nuit, 15 EBR, 20 jeeps et 150 hommes sont employés à la
surveillance de l’obstacle. Son escadron d’AMX 1339 est en réserve de secteur, sauf son peloton
porté tient le poste de Bah-Bah et le pont du Tiout où existent deux zones de franchissement
préférentielles. Un peloton d’AMX est à la disposition du sous-secteur sud et l’autre est
détaché à la surveillance des travaux de pistes. Ce système hypothèque la majeure partie des
moyens du régiment. Il ne lui reste pour les opérations de jour à l’intérieur du sous-secteur
que 4 pelotons EBR et 6 pelotons portés. Dans la journée, ces éléments sont employés à la
protection de la SAS en nomadisation, des travaux agricoles, au contrôle des populations et au
soutien des unités voisines. Certaines missions sont prises en charge par la harka (80 hommes
dont 25 cavaliers) ou le commando régimentaire dans les monts Ksours qui assure également
des missions de reconnaissance sur le barrage avant. Les conditions climatiques sont pénibles
à supporter, principalement pour les équipages des engins blindés.
Le régiment peine à s’adapter à sa nouvelle mission après avoir effectué des missions
de pacification pendant trois ans entre Cassaigne et Thiersville. Le colonel Marzloff, lors
d’une inspection en octobre, impute ces difficultés à l’insuffisance de commandement1340. Il
espère, cependant, qu’à l’achèvement du prolongement du barrage avant des Ksour, le
régiment n’assurera plus qu’une herse réduite, même si sa zone d’action doit augmenter.

14. L’influence des négociations sur les combats le long des barrages

Sur le barrage-est, la tactique de dissuasion, voulue par le général Challe, semble bien
fonctionner. Les détachements de l’ALN renoncent à s’engager dans une aventure qu’ils
savent vouée à l’échec. Mais cela déclenche de leur part, à partir du mois de novembre 1960,
une tactique de harcèlement appliquée dans les zones où le terrain permet la meilleure
1338
Id.
1339
Le régiment passe du TED 512 au TED 021 le 1er novembre 1960 et les AMX de son 4e escadron sont
remplacés par des EBR.
1340
SHD/Terre, 1 H 1908.

534
efficacité. C’est la raison pour laquelle, l’ALN exerce 65 % de son activité dans la ZNEC
entre le cap Roux et Roum-El-Souk, et dans le secteur de Lacroix, où le terrain très chaotique
est particulièrement favorable à ce type d’action. Elle ne peut en revanche pas y tenter de
passage en force car, en cas de succès, les hommes déboucheraient ensuite sur le plaine de
Bône où ils seraient particulièrement vulnérables. Il s’agit bien d’actions limitées visant à
faire le plus de dégâts possible et à maintenir une certaine pression qui montre que l’ALN
peut encore mener des opérations.
Albert Duloz, qui sert à Lamy au 1er RS, se rend compte, comme tous ses camarades,
de l’intensification des harcèlements. Alors qu’entre juillet et octobre l’ALN reste peu active,
à la fin du mois de novembre il écrit à ses parents que la situation se dégrade :
« Même les journées ne sont plus calmes. Il est quatre heures de
l’après-midi et nous en sommes au troisième coup de mortier depuis ce
matin. Avant, ils ne tiraient que la nuit et sur l’ECS, maintenant, ils
tirent de jour et sur les escadrons de combat. »1341
Ces tirs de harcèlement qui, faute de précision, ne font pas beaucoup de dégâts,
mettent les nerfs à rude épreuve des spahis car ils ne peuvent pas passer leurs journées dans
les abris. La riposte est toujours immédiate, soit par de l’artillerie, soit par un EBR depuis le
barrage, si le départ du coup a été observé. Les attaques de poste en force de grande ampleur
restent toutefois exceptionnelles, comme celle que subit le 4e RH dans la nuit du 27 novembre
1960 dans le secteur de Sakiet, où l’un des postes manque de se faire anéantir1342.
Face à cette recrudescence d’activité de l’ALN, le général Crépin exclut toute
possibilité de défense statique des barrages par des plans de feux, car cela est incompatible
avec les effectifs disponibles. Or, il constate sur le terrain que ces instructions ne sont pas
suivies d’effet. Il rappelle qu’il ne veut absolument pas créer une organisation du genre ligne
Siegfried qui suppose la mobilisation de petits éléments dont l’efficacité de nuit est dérisoire.
Les éléments sur le barrage ne sont là que pour donner l’alerte et la localisation des
adversaires. L’action sur le barrage avant ne doit être constituée que de patrouilles mobiles
dont les armes ne doivent servir qu’à protéger le barrage et non à détruire les « bandes ». Et
c’est par la manœuvre d’éléments mobiles d’un volume allant du peloton à l’escadron, que
doit être réalisé l’interception1343.

1341
Ducloz, op. cit., p. 116.
1342
Georges Brignone, « L’attaque généralisée de l’ALN sur le barrage Est », In Guerre d’Algérie magazine, n°
16, mai 2009, 66 p., p. 4 – 23.
1343
SHD/Terre, 1 H 2034.

535
Pour répondre aux préoccupations du général Crépin, le général Gouraud,
commandant le CA de Constantine, demande au colonel Marzloff, IABC d’Algérie, si les
moyens ABC de la ZNEC lui semble suffisants, et si le dosage des matériels est satisfaisant. Il
souhaite également recueillir son avis pour savoir comment, avec ces moyens et
l’augmentation de la pression exercée par l’ALN, il peut être envisagé de revoir le dispositif
pour l’articuler dans la profondeur de façon à moins user les moyens et les hommes, et éviter
ainsi les relèves. En février 1961, le colonel Marzloff se rend en ZNEC pour y étudier en
détail le dispositif ABC et trouver des solutions aux problèmes soulevés par le général
Gouraud1344.
Le colonel Marzloff fait part de sa surprise au général Crépin quant à l’opinion qu’il a
du système de défense car, pour lui, après s’être rendu sur le terrain, il n’y a pas lieu de
qualifier le système en place de ligne Siegfried. Dans le quartier de La Calle, on ne compte,
sur 44 km, que six points d’appui combinés à une défense mobile. Ce qui, étant donné le
terrain, semble une solution économique et efficace dans ce secteur où l’activité de l’ALN a
baissé de 65% en six mois et où pratiquement aucun franchissement n’a été constaté pendant
cette période. Il constate également que, sur le reste de la zone, la nouvelle organisation de
défense dans la profondeur se met en place, et qu’il n’y est question que de manœuvre1345.
Depuis décembre 1960, le dispositif ABC a été entièrement poussé sur le barrage avant1346.
Mais il en résulte une absence de réserves blindées échelonnées en profondeur1347, et
un service de la herse qui redevient particulièrement lourd, comme Albert Ducloz l’écrit le 14
décembre :
« Les herses ont été renforcées, c'est-à-dire que nous en faisons
davantage, donc moins de nuits de repos. Ensuite l’alerte de jour est
renforcée elle aussi, donc moins de journées récupérées. De fait il ne
nous reste qu’une nuit sur trois de repos et un jour sur deux »1348.
En outre, des actions à base de mouvement ne sont pas réalisables partout avec la
même facilité. La diversité que présentent les trois tronçons de terrain sur lequel est implanté
le barrage en ZNEC, entraîne un emploi différent des quatre régiments de l’ABC qui y
opèrent tous sur le barrage avant, et qui semblent, pour certains, sombrer dans une routine
néfaste à leur capacité opérationnelle.

1344
SHD/Terre, 1 H 1908.
1345
Id.
1346
Les changements de stationnement entraîne parfois la mise des escadrons sous toile, ce qui et un facteur de
fatigue supplémentaire.
1347
A l’exception des AM dont est doté le 4e REI, et un escadron du 4e RH qui doit être transféré sur le barrage.
1348
DUCLOZ, op. cit. p. 121.

536
A la suite de l’attaque massive de la nuit du 27 novembre, des valorisations sont en
cours de réalisation. Elles doivent être accompagnées d’un remaniement partiel du dispositif
dans le but d’ajuster les missions des unités en fonction des moyens dont elles disposent et de
procéder à leur relève. Le principal effet rechercher est d’arrêter les tentatives de
franchissement dans la profondeur ce qui suppose de réaliser de nouvelles pistes de bouclage
et d’intervention. En outre, se pose toujours le problème de la dispersion des escadrons dont
certains sont toujours détachés en dehors du secteur de leur chef de corps.
Dans la partie nord de la ZNEC, le dispositif mis en place à partir de novembre 1959,
fondé sur l’emploi combiné de points d’appui installés sur les points clefs du terrain et d’une
surveillance mobile, montre ses limites. Les forces qui le défendent sont jugées juste
suffisantes. Le 29e RD1349, renforcé d’un escadron M24 du 4e RH, assure l’étanchéité du
barrage sur 81 km en liaison avec les autres armes (un bataillon 107 et deux batteries
d’artillerie). L’étirement des unités est jugé disproportionné, et la monotonie des missions
exécutées toujours sur le même axe, deux nuits sur trois, lasse le personnel et use le matériel.
La relève de ce régiment, sur le barrage depuis le mois de novembre 1959, paraît
indispensable. Pour régler le problème de l’encaissement des pistes sur lesquelles les AM ne
peuvent pas faire demi-tour, en mars 1961, c’est la 21e RS, équipé d’EBR qui, retournant une
deuxième fois sur le barrage, relève le 29e RD qui est envoyé dans le secteur de Condé-
Smendou.
La partie du barrage qui s’étend de Roum-El-Souk à la limite sud du quartier de Lamy,
a fait l’objet d’une grosse revalorisation en 1960, car le terrain, qui y est tourmenté et boisé,
est peu perméable. Ce tronçon compte à la fin de l’année 1960 un réseau de pré-alerte, un
grillage anti-bazooka, un système d’éclairage, des bandes minées de freinage et des pistes de
bouclage court. Les forces qui y sont installées sont jugées suffisantes. Le 1er RS, employé
dans le cadre du sous-secteur, n’a à sa charge que 40 km de barrage. En outre, trois bataillons
d’infanterie et un groupe d’artillerie opèrent également dans cette zone. Le terrain en avant du
barrage ne permettant pas de faire des opérations à base de blindés, les EBR du 1er RS1350
assurent, depuis le mois de juin 1960, essentiellement la surveillance de l’obstacle. Une
nouvelle conception de manœuvre de défense dans la profondeur est en cours d’élaboration.
Elle vise à canaliser l’ennemi dans des nasses où il doit être détruit le jour suivant. Des

1349
PC et ECS à Le Tarf, 1er escadron (AM) à Oum-Teboul, 2e escadron (M24) à Le-Guergour, 3e escadron
(AM) à Toustain, 4e escadron (107) à Roum-El-Souk et 5e escadron (AM) à Yusuf,.
1350
Trois escadrons sur quatre sont sous toile : PC, ECS et 3e escadron à Lamy, 1er escadron à Munier, 2e
escadron à la maison forestière de Fedj El Hamed et 4e escadron (créé en septembre 1960) sur une piste de
bouclage.

537
exercices en permettent la mise au point. Les premières conclusions font ressortir, d’une part,
la nécessité d’une manœuvre sur les bouclages car, étant donné le volume des moyens
disponibles, une interception reste hasardeuse, d’autre part, celle d’accroître dans certaines
zones le ralentissement de l’ennemi pour gagner les délais nécessaires à l’intervention. Enfin,
et surtout, elles mettent en exergue l’importance capital qu’à le renseignement qui permet aux
unités d’être informées sur le rythme, l’axe et le mode de progression des éléments infiltrés.
Ceci conduit le commandement à adopter un dispositif dans la profondeur, s’articulant autour
des trois éléments que sont l’infanterie sur le barrage, les éléments mobiles et les éléments de
bouclage dont l’articulation varie en fonction du terrain.
Au sud de Lamy, le terrain, centré autour de Souk-Ahras, revêt un caractère particulier
du fait de la profondeur de la zone comprise entre le barrage et la frontière. Le 8e RS (AM
M8)1351 opère depuis décembre 1959 au nord et dans la vallée du Medjerda où le terrain est
boisé et peu perméable. Il assure la surveillance de 26 km de barrage avec deux de ses
escadrons blindés, le dernier étant à la disposition du 4e RH dans le sous-secteur de Gambetta.
Il est mesure de mener des manœuvres de bouclage court mais le terrain en avant du barrage,
peu favorable à l’emploi de blindés, l’oblige à adopter un dispositif linéaire, comme cela a
déjà été évoqué. Le service de la herse est moins soutenu que pour le 29e RD, cependant la
lassitude des équipages, dont les prémices avaient été constatées par le capitaine du Jeu,
devient telle que leur vigilance en pâtit. Au début du mois de mars 1961, un peloton tombe
dans une embuscade particulièrement meurtrière. Cet incident douloureux entraîne la relève
anticipée du régiment à la fin du mois par le 4e RCA.
Au sud du 8e RS, le 4e RH a la charge d’un sous-secteur. Il surveille 32 km de barrage
avant situé à 25 km de la frontière. Le terrain plus ouvert de cette zone y permet l’engagement
des blindés au profit des postes de M’Raou, de M’Zaret et de Sakiet. En plus le 4e RH
surveille 45 km de barrage arrière et assure des missions de pacification. Etant donné le
terrain sur lequel il opère, ce régiment est celui qui travaille le plus selon les normes d’emploi
de la cavalerie légère blindée. Mais les attaques perpétuées le 27 novembre 1960 montrent
que le système doit être revu. En attendant, les postes sont remis en état. A M’Raou, où
l’attaque a été la plus forte, les travaux sont activement poussés. De nouvelles bandes minées
sont mises en place, les moyens de transmission et le personnel sont mis sous abri, les appuis
feu sont renforcés. Un escadron à pied du 4e RH a remplacé la garnison du 153e RI,
particulièrement éprouvée, et les regroupements sont évacués vers Aïn-Mokra pour éviter les

1351
PC, 1er et 2e escadrons (AM M8) à Hamman Saïd, ECS à Souk-Ahras, 3e escadron (107) à Aïn El Fakroum et
4 escadron (AM M8) à Batoum (à la disposition du 4e RH).
e

538
infiltrations au milieu de la population. A Sakiet, la remise en état de défense du poste est
également la priorité, même si le problème de la protection du personnel rencontre de grosses
difficultés. Un nouveau poste est installé sur la côte 878 avec des champs de tir dégagés. La
superficie du nouveau poste est volontairement réduite et aucune installation n’est montée en
superstructure. Les moyens d’intervention sont regroupés à la ferme Colonna. Ils sont en
mesure d’intervenir sur l’ensemble des postes. Des améliorations sont encore prévues pour
l’année 1961.
En ZSEC, où le colonel Marzloff se rend en mars, le dispositif, sérieusement
revalorisé en 1960, lui paraît meilleur. Cinq régiments blindés y sont installés : le 2e RD
(sous-secteur de Négrine), le 3e RCA (sous-secteur d’El-Ma-El-Abiod), le 4e RCC (Tébessa)
et deux régiments blindés de l’infanterie de Marine à Bir-El-Ater et au Kiouf. Dans le sous-
secteur du Kiouf, où la proximité de la frontière interdit toute action en avant du barrage, les
infrastructures de défense visent à canaliser l’adversaire dans des fonds de nasse minés entre
Ouenza et Tébessa. Les unités peuvent bénéficier d’un appui d’artillerie important. Seule
l’infrastructure de manœuvre semble devoir être améliorée au sud du Kiouf où le massif boisé
à l’est de Bekkaria représente une gêne à la mobilité. Dans les deux autres sous-secteurs, plus
au sud, la zone située entre les deux barrages est beaucoup plus vaste et permet de détecter
des infiltrations beaucoup plus rapidement par les radars notamment. Cette détection rapide
est d’autant plus nécessaire que le terrain situé en arrière de la piste de surveillance, entre
Tébessa et Négrine, rend les interceptions délicates pour le 2e RD. Entre janvier et mars, on
compte une quinzaine d’actions de l’ALN qui ont essentiellement lieu dans la région du Kiouf
et dans la zone sud-ouest de Bir-El-Ater1352.
Le fait que l’ALN ait tendance à tenter sa chance toujours aux mêmes endroits facilite
la tâche des défenseurs des blockhaus. Un adjudant du 29e RD met au point un système
surnommé « micro fell ». Il s’agit de disposer un micro entouré de mines bondissantes sur une
position habituellement utilisée. Lorsque les hommes du blockhaus détectent du bruit grâce au
micro, ils déclenchent les charges. Ce procédé se montre souvent très efficace1353. Dans le
même esprit, au 3e escadron du 4e RCC, François Muller, qui y est lieutenant-premier, fait
mettre des mines télécommandées dans les endroits où se trouvent des douilles.
« Le lendemain, les fells se mettaient au même endroit, il n’y avait pas
beaucoup de postes, on déclenchait la mine au 1er coup de feu. On

1352
SHD/Terre, 1 H 2139.
1353
Capitaine René-Charles Plancke, Un Régiment seine-et-marnais, Le 29e Dragons, Le Mée-sur-Seine,
Editions Amatteis, s.d., 75 p., p. 63

539
trouvait des traces de blessures. On faisait parfois aussi des fils de
dérivation avec les 5000 volts. On retrouvait des électrocutés. Une fois
on en a trouvé deux, l’un avait essayé de tirer l’autre. »1354
La mise en service de lunettes à infrarouge actif facilite encore la défense statique.
Non seulement, les hommes des blockhaus peuvent éclairer le champ de bataille sans se faire
tirer dessus, mais surtout cela crée un sentiment d’insécurité chez l’assaillant qui ne sait plus
s’il est repéré ou non. François Muller reçoit deux AA 52 équipées d’un tel dispositif.
« On créée un blockhaus au PK 57-1 (toujours celui où se déroulaient
les tentatives de passage) avec 4 gars. Les fells essayaient de passer au
même endroit car ils étaient en dessous du barrage. On prévient que 4
brins ont été coupés (au lieu de 8 pour déclencher avec possibilité de
franchissement). Un fell est retrouvé mort au milieu du barrage, six
balles au but de l’AA 52. »1355
Si les combats les plus violents et les plus intenses se déroulent sur la barrage-est au
printemps 1958, il semble bien que la pression exercée par l’ALN extérieure à partir de 1959
gêne considérablement la liberté d’action du commandement en Algérie qui doit y consacrer
un personnel et un matériel volumineux qui s’usent dans cette mission de couverture où les
pertes, tant en matériel qu’en hommes, sont loin d’être négligeable. Les barrages ont été
l’objet d’une réflexion constante pour obtenir une meilleure économie des forces, avec la
construction des barrages avant notamment. Mais le système retenu ne semble avoir atteint
son efficacité maximum, surtout à l’est, qu’au début de l’année 1961.

15. Le dispositif des barrages atteint sa forme la plus accomplie

A cette période, treize régiments de l’ABC, soit un tiers du total présent en Algérie,
participent à la défense des frontières, soit sur les barrages mêmes, soit en arrière de ceux-ci.
Sept régiments sont déployés à l’est, et six régiments à l’ouest. Ces unités ont pour mission de
veiller à l’intégrité des barrages. Elles adaptent leur déploiement et leurs modes d’action à la
fois à la profondeur de l’obstacle, et à la distance qui le sépare de la frontière. Chaque
régiment est donc employé différemment en fonction du terrain sur lequel il opère et de la
menace à laquelle il doit faire face.

1354
Témoignage de François Muller.
1355
Id.

540
Lorsque la profondeur est suffisante et que des obstacles intermédiaires successifs sont
installés, un réseau de pistes de manœuvre est réalisé. Celui-ci permet aux unités blindées de
s’affranchir, au moins partiellement, du système de herse et de mener une surveillance du
barrage avant à partir de points fixes ou au moyen de patrouilles agissant en liaison avec les
postes d’électromécaniciens. Il existe cependant des tronçons où ce système n’est pas encore
adopté pour des raisons de manque d’infrastructure bétonnées pour la protection du personnel.
Ce dernier doit être éloigné de la portée des armes lourdes de l’ennemi et, de ce fait risque
d’avoir plus de difficultés à mener, en cas de besoin, des opérations de bouclage sur les fonds
de nasse.
En avant du barrage, l’intervention des unités est liée à la distance qui les sépare de la
frontière. Là où le no man’s land est suffisamment vaste, elles y ont considérablement
augmenté leurs activités et on assiste à un retour de la manœuvre blindée à caractère mobile et
offensif. Ce nouveau mode d’action permet de rompre avec la monotonie d’une défense
purement passive génératrice de lassitude et d’esprit routinier.
Mais sur bien des portions, dans le nord que se soit face au Maroc ou face à la Tunisie,
le barrage se confond pratiquement avec la frontière et les unités chargées de sa surveillance
n’ont d’autre solution que de mener une surveillance statique où elles exposées aux vues et
aux coups de l’ennemi agissant à partir de position situées en territoire étranger. En revanche,
sur chacun des deux barrages, les régiments qui bénéficient d’une sécurité relative assurée par
le barrage avant, comme le 2e régiment de spahis dans la région d’Aïn-Sefra, obtiennent une
meilleure économie de leurs moyens.
L’engagement de nuit et la lutte contre les mines sont au cœur des préoccupations du
commandement. Toutes les unités sont équipées de projecteurs orientables, ce qui représente
un progrès significatif. Les équipements infrarouges commencent à faire leur apparition.
Mais, les appareils fixés sur les armes légères sont trop lourds pour être emportés en opération
et ne sont utilisés que dans les postes fixes.
Le retard que connaît le barrage-ouest n’est toujours pas comblé. Peu après le putsch,
le général Ailleret se rend sur place. Il « s’étonne avec vigueur (…) du retard pris à l’ouest
dans l’organisation défensive en profondeur pour faire face au développement de la
puissance de l’armement de l’ALN »1356. Des mesures sont prises qui permettent de faire
évoluer rapidement la situation.

1356
Delmas, op. cit., p. 64.

541
A partir du début de l’année 1961, alors que la tenue de négociations commence à se
profiler, le FLN, étant donné sa faiblesse militaire à l’intérieur, voit dans les barrages le seul
moyen militaire pour peser dans les pourparlers. L’ALN intensifie ses harcèlements, alors
que, parallèlement, les effectifs des forces de l’ordre déployées en Algérie commencent à
baisser.
Déjà, en décembre 1960, le CA de Constantine est amputé de sept régiments
d’infanterie, de deux escadrons blindés et d’un groupe d’artillerie. En février 1961, le général
Gouraud s’en inquiète et remet en question la baisse annoncée du nombre de chars et de
batteries/canons. Il craint que cette baisse de ses moyens ne lui permette plus de faire face à
l’ALN qui devient plus agressive et dont la tactique et la puissance de feu ne cessent de
s’améliorer. Il craint même de voir apparaître des chars dans les rangs de l’ALN à partir de
1962. Pour lui, « cette situation nouvelle impose un renforcement de la frontière en artillerie
et ne rend plus possible d’envisager une diminution du nombre des chars dans les zones
frontières »1357.
A défaut de chars, il demande à ce que des EBR supplémentaires lui soient attribués.
La relève des 29e régiment de dragons et 8e régiment de spahis en zone nord-est Constantinois
(ZNEC), décidée le 31 janvier 1961 pour la deuxième quinzaine de mars, est mise à profit
pour lui donner satisfaction. L’arrivée du 21e RS permet donc de satisfaire le besoin en EBR
supplémentaires pour la ZNEC. Le 8e RS est relevé sur place par le 4e régiment de chasseurs
d’Afrique. L’EMI demande au général du CA de Constantine de mettre à profit cette relève
pour remettre de l’ordre dans son dispositif dans l’optique d’une meilleure économie des
moyens. Il doit veiller à équilibrer les missions des unités blindées pour éviter leur usure
prématurée et tenir compte du renforcement de l’ALN. Il doit également affecter les unités en
veillant à ce que leur matériel soit bien adapté au terrain et éviter de disperser les escadrons.
Malgré quelques modifications marginales, le dispositif du barrage-est ne connaît plus
d’évolution notable après ce dernier aménagement.
En revanche, à partir de mai, l’inquiétude grandit sur le barrage-ouest. Le
renforcement jugé considérable en personnel et en armement des forces de l’ALN stationnées
au Maroc (estimées à trois bataillons équipés d’armes lourdes), face au barrage saharo-
marocain créée une situation nouvelle. Celle-ci force le général Revol, commandant
interarmées du Sahara (CIS), à adapter son dispositif alors que l’interruption des opérations

1357
SHD/Terre, 1H 1908.

542
offensives vient d’entrer en vigueur. L’infrastructure du barrage est améliorée par le Génie, en
particulier sur les postes les plus exposés1358.
Mais les délais de mise en place de ce dispositif sont estimés à deux mois ce qui
représente une longue période pendant laquelle les moyens de la zone ouest Sahara (ZOS)
risquent d’être insuffisants pour faire face aux actions de l’ALN contre le barrage, notamment
contre le poste dit « du monument Leclerc ». En outre, des incidents dans la région d’Hassi
Sobti – Hassi Zerzour, avec notamment l’investissement d’Hassi Sobti par des éléments de
l’armée royale marocaine, créent une situation tendue que l’on estime devoir régler
militairement si une solution diplomatique n’est pas trouvée rapidement. Le général Revol
dépêche une compagnie saharienne portée de la Légion étrangère (CSPLE) à Colomb Béchar.
Toutefois, cela lui semble très insuffisant pour permettre de forcer le passage sur des
itinéraires collés au barrage ou à la frontière, en cas de dégagement des postes attaqués ou
d’une manœuvre de poursuite. Il lui semble donc indispensable de disposer d’éléments
blindés en renfort et demande la mise à disposition d’un escadron de M24.
Mais il décide de ne pas attendre l’arrivée de ces hypothétiques renforts sans agir de
façon préventive. Le 20 mai, devant la menace que constitue la manœuvre de l’armée
marocaine dans le Kem-Kem, il décide d’interdire sans délai toute infiltration d’éléments
militaires marocains au-delà de la limite de la zone interdite. En outre, il demande au
commandant de la ZOS de surveiller les mouvements des Marocains, de contrôler activement
les limites de la zone interdite dans la région d’Hassi Oudika – Hassi Tiroucht, et de leur
interdire, si besoin par la force, toute incursion nouvelle en direction de l’Algérie.
Parallèlement, il doit refouler au nord de la zone interdite les Aït-Khebbache qui s’y trouvent,
en rejetant la responsabilité d’une telle mesure sur les autorités marocaines locales. Pour
permettre cette manœuvre, dès son arrivée, l’escadron de chars doit être envoyé sur le barrage
où il assurera la relève des moyens nécessaires à l’opération. En aucun cas le général Revol ne
souhaite qu’il participe à l’opération dans le Kem-Kem étant donné la nature du terrain1359.
Mais, même sur les autres secteurs de la zone, l’EMI estime que les M24 ne sont pas
adaptés au terrain. Il pense y envoyer un escadron d’EBR du 2e RS, mais ce détachement
suppose que cet escadron soit impérativement relevé à Aïn Sefra par un escadron du 8e RH
venant du CA d’Alger, ce qui demanderait de trop grands délais. Devant l’urgence de la

1358
Id.
1359
Id.

543
situation1360, c’est finalement le 3e escadron du 13e RD, alors en alerte Sauterelle1361 à Aïn
Taya, qui est envoyé le 24 mai bien qu’il ne soit équipé que de Ferret au lieu des chars
initialement demandés. Du reste, ces Ferret envoyées pour des raisons de disponibilité « ne
sont pas un argument sérieux » selon le 3e bureau de l’EMI1362.

Cliché n° I/100
Carte du barrage dans la région de Colomb-Béchar. SHD/Terre, 1 H 2034.

En outre, face à l’accroissement du potentiel de l’ALN au Maroc et aux menaces


accrues de débordement du barrage au nord de Colomb-Béchar, la ZOS demande à disposer
de blindés qui soient puissamment armés, et surtout qui offrent une bonne protection contre
les mines. Le B3 juge que l’AM M8 répond mal aux critères exigés et que l’AMX, comme le
M24, n’est pas adapté aux conditions d’emploi du Sahara. La conclusion est que seul un
escadron d’EBR, qui peut être soutenu par l’établissement régional du Matériel (ERM) d’Aïn
Sefra, peut être envoyé dans la région de Colomb-Béchar. D’autre part, le CA d’Oran a besoin
d’un renfort en moyens blindés pour intervenir à la frontière, notamment en zone ouest
Oranais (ZOO). Le choix se limite au 1er REC, qui est en réserve du CA de Constantine, ou au
2e RS, qui opère dans le sous-secteur de Tiout où il surveille 30 km de barrage avant et 90 de
barrage arrière en liaison avec le 1er régiment de chasseurs à cheval et des éléments du 2e

1360
Les renseignements obtenus par le 2e bureau indiquent que pendant les pourparlers d’Evian, malgré l’IOO, le
FLN ne manquera pas de rechercher un succès spectaculaire sur un poste dans la région de Duveyrier et du
monument Leclerc où les forces ne sont pas considérables. SHD/Terre, 1 H 1908.
1361
Le plan Sauterelle est un plan mis en œuvre en cas d’attaque de la frontière par l’armée marocaine.
1362
SHD/Terre, loc. cit.

544
régiment étranger d’infanterie. Le B3 propose donc de faire relever le 2e RS par le 1er REC
qui détacherait un escadron à Colomb Béchar1363, et de mettre le 2e RS en réserve du CA
d’Oran car, au début du mois de juin, les demandes de ce dernier se font plus présentes.
Il a besoin absolument de maintenir en permanence sur l’obstacle une importante
densité de blindés en raison, d’une part, du manque d’espace de manœuvre à l’arrière du
barrage qui rend aléatoire toute tentative d’interception éloignée et, d’autre part, de la tactique
de l’ALN qui consiste à empêcher ou à retarder l’arrivée de renforts blindés jusqu’au points
de franchissement par l’itinéraire de la herse. La seule solution est donc de prélever un
régiment blindé sur un autre CA. En dehors du 1er REC, il ne reste de disponibles dans le CA
de Constantine que le 8e RH, qui opère dans la région de Paul Cazelle où il est sous-employé
depuis l’interruption des opérations offensives (IOO), le 30e RD, mais qui est équipé d’AMX
13/FL 10 inadaptés au Sahara, et le 1er RCA, dont l’emploi en zone ouest Constantinois
(ZOC) est vivement critiqué par l’IABC qui le juge sous-employé.
Pour sa part, le général Henri de Pouilly, commandant le CA d’Oran, pense implanter
le 1er REC en zone ouest Oranais (ZOO) à Marnia sur le barrage. Selon lui, les derniers
franchissements montrent la nécessité de disposer sur le barrage d’une plus grande quantité de
blindés, notamment en ZOO où les travaux sur la rocade arrière ne sont pas terminés. Pour
des raisons d’état d’esprit après le putsch auquel il a refusé d’adhérer, il ne souhaite pas que le
1er REC soit implanté en zone sud Oranais (ZSO), car le pourcentage d’unités de Légion y est
déjà élevé. Dans un deuxième temps, il souhaite envoyer ce régiment dans les plaines d’alfa.
Finalement, en juin, il est décidé d’envoyer tout le 1er REC à Colomb-Béchar pour
répondre aux besoins urgents du commandement interarmées du Sahara. La 12e compagnie
saharienne du Matériel de Rouiba est renforcée pour assurer son soutien. Il quitte Khenchela
et s’installe à Colomb Béchar à partir du 22 juin pour, officiellement « se remettre en
condition ». En fait, il doit se faire un peu oublier. Le 3e escadron du 13e RD quitte Colomb-
Béchar le 4 juillet. D’un escadron de Ferret, les moyens blindés de la ZOS passe à un
régiment d’EBR, ce qui paraît, pour le coup, d’autant plus riche que le départ du 1er REC du
CA de Constantine n’est pas compensé.
Le général commandant le CA de Constantine, dont c’était la seule réserve blindée,
pense que cela aura de graves répercussions dans les Aurès et dans la zone sud-est
Constantinois (ZSEC) où le régiment surveillait les zones de refuge de l’ALN dans la région
des Beni Melloul et de Tamzachelia. C’est en partie pour cette raison qu’il obtient en août,

1363
Le 1er REC compte 11 EBR de moins que le 2e RS, mais la présence du 1er RCC et du 2e REI paraît
suffisante pour combler ce déficit.

545
non sans peine1364, que le 13e RD quitte Koléa pour Philippeville, et soit placé pour emploi
sous ses ordres, tout en continuant d’assurer l’alerte Sauterelle par escadron tous les 14 jours.
Pour éviter de consommer un régiment entier d’EBR, le général Ailleret obtient de
l’EMA qu’un escadron à pied du 26e RD soit transformé en escadron d’AM M8. La
transformation de cet escadron est acceptée aussitôt. Cependant, elle n’est programmée que
pour le mois de septembre à cause du manque de disponibilité d’AM et du fait que le 26e RD
doit changer de centre d’instruction pour recevoir des recrues formées sur ce matériel.
Mais, si la présence du 1er REC à Colomb Béchar règle largement le problème de la
zone ouest Sahara, celui de la zone ouest Oranais (ZOO) reste entier. Pour pallier son manque
de blindés dans cette zone, où il ne dispose que de sept escadrons blindés alors qu’il estime
son besoin à douze, le général Emile Cantarel, qui remplace le général de Pouilly à la tête du
CA d’Oran, prélève un escadron d’AMX du 9e RH (zone centre Oranais) et un escadron M24
du 10e RD (zone est Oranais) pour les mettre en réserve en ZOO. Mais cette solution ne peut
être que provisoire, car les prélèvements effectués au profit de la métropole imposent un
remaniement de dispositif. L’EMI, qui pense que la présence d’un régiment d’EBR entier à
Colomb-Béchar ne se justifie pas, décide donc de remettre le 1er REC à la disposition du CA
d’Oran.
Le 1er août, le régiment s’implante à Saïda (zone sud Oranais), où il est versé dans les
réserves générales avec un préavis de trois jours. Le 2e escadron du 2e RS le relève à Colomb-
Béchar le 10 août. Des restrictions d’emploi sont données le concernant pour des raisons
techniques tenant au milieu désertique et pour faciliter le commandement du chef de corps du
2e RS.
En septembre, après le passage sur AM M8 d’un escadron du 26e RD, la présence de
cet escadron est remise en cause. Le général Revol, CIS, demande à le conserver, car il s’agit
de sa seule réserve blindée face aux menaces qu’il croit se préciser contre le barrage-ouest.
Mais le 18 septembre, l’ordre est donné de renvoyer l’escadron vers son régiment. La
présence de blindés en ZOS se limite donc pratiquement à l’escadron d’AM du 26e régiment
et aux pelotons d’AM des compagnies sahariennes.

1364
Les réticences du 3e bureau de l’EMI sont difficiles à vaincre. Celui-ci considère, en effet, que les arguments
présentés par le CAC ont peu de valeur, car d’une part l’évolution de la situation doit mener à une réduction du
dispositif, sinon cela reviendrait à reconnaître que l’effort mené dans le CAC depuis un an n’a aucun résultat, et
d’autre part, la menace semble plus forte à l’Ouest qu’à l’Est où le barrage a été considérablement renforcé et où
les RG peuvent intervenir rapidement. En outre le 3e bureau fait valoir que le CAC peut dégager sans difficulté
un autre régiment blindé pour former une réserve et que les craintes dans les Aurès ne semblent plus justifiées
alors que le potentiel de l’ALN est abaissé à une hauteur estimée à 40% par rapport à l’année précédente et que
l’IOO limite grandement son emploi. SHD/Terre, 1 H 1908.

546
Le 26e RD, responsable du quartier de Kenadza, y remplit une double mission de
surveillance sur 240 km de la frontière ouest et d’intervention au profit du secteur de Colomb
Béchar entre le « monument Leclerc » et Duveyrier. Son renforcement en AM ne donne pas
entière satisfaction, car ces engins manquent de puissance de feu pour traiter des objectifs
éloignés. En décembre, le commandement étudie la possibilité d’attribuer au régiment soit un
escadron de chars (AMX ou M24), soit un escadron d’EBR. La capacité d’instruction du seul
CI disposant d’EBR étant totalement utilisée, l’attribution de ce type de matériel est aussitôt
exclue. La dotation de chars (AMX ou M24) reste envisageable mais suppose que le 26e RD
change encore de CI, c’est pourquoi, plutôt que de changer la structure du régiment, l’EMI
préfère qu’un escadron d’EBR soit détaché en ZOS à la demande, car les besoins en EBR
interdisent d’en affecter un en permanence.
Il n’en demeure pas moins que l’EMI pense que la menace de l’ALN s’est renforcée
de façon considérable sur le barrage-ouest et que le CA d’Oran n’a pas suffisamment de
moyens à lui opposer en ZOO et en ZSO. Il lui paraît donc impératif de lui rendre une réserve
blindée. En août, le 1er REC détache en permanence des éléments en ZOO dans la région de
Tlemcen et de Marnia. Mais cette solution ne semble pas satisfaisante, le CA d’Oran souhaite
disposer dans chacune de ses zones frontalières d’un régiment d’EBR. C’est pourquoi, en
février 1962, le 2e RS va s’implanter dans la région de Marnia pour renforcer la ZOO. Le 1er
REC, quant à lui, reste en ZSO mais quitte Saïda le 9 mars pour s’implanter à Méchéria, d’où
il peut plus facilement intervenir sur le barrage.
Du côté du barrage-est, le départ du 16e RD oblige à revoir également le dispositif. Le
15 février, ce régiment est relevé à Aïn-Beïda par le 1er RS qui quitte le barrage. Pour l’y
remplacer, alors qu’il n’y a plus d’unités disponibles, le 21e RS étend sa zone d’action vers le
sud, et le 4e RCA la sienne vers le nord en recouvrant son escadron détaché à Lacroix.
L’ALN de Tunisie, qui est évaluée à 20 000 combattants par le 2e bureau1365,
déclenche des puissants harcèlements à partir du 6 mars 1962 grâce à de nouvelles pièces
qu’elle met en œuvre pour la première fois. Kahel Nezzar y participe avec son unité.
« Nous recevons un ordre d’opération émanant de la zone, nous
enjoignant de mener des opérations du 6 au 13 mars 1962. Les actions
ont continué bien après le cessez-le-feu parce qu’il fallait occuper, face
aux Français, les positions stratégiques. (…) Durant cette période, nous
avons expérimenté trois nouvelles armes, les canons d’artillerie de 122

1365
Delmas, op ; cit., p. 65

547
mm et 85 mm d’une portée respective de 12 et 14 km, des lance-
flammes utilisés pour la première fois contre des blockhaus. »1366
Les canons sont hissés sur certains sommets par des cordes, les objectifs sont choisis
avec soin. « J’avais opté pour deux postes : Tarat et Hammam Nebeil, se souvient Khaled
Nezzar, (…) Les deux postes d’artillerie seront mis hors de combat dès la nuit du 6 au 7
mars. »1367. L’attaque surprend bel et bien les troupes sur le barrage qui ne s’attendent pas à
être pris à parti par des tirs indirects. L’escadron d’Albert Ducloz intervient :
« Arrivés lundi soir avec tout l’escadron, nous avons tiré soit depuis les
engins ou les blockhaus, soit depuis le sol couchés dans la boue pour
être au ras du sol afin de faire des tirs tendus. Le plus dur est le
manque de sommeil. Deux spahis des 3e et 4e escadrons ont été tués,
plusieurs blessés. (…) Brusquement, jeudi après-midi, l’ALN s’est
retirée et a cessé ses tirs. Nous pensons que les fells ont eu de très
lourdes pertes. »1368
L’impression d’Albert Ducloz semble la bonne. Le 13 mai, Khaled Nezzar déplore au
moins une soixante d’hommes morts et blessés1369. Certaines unités font demi-tour au bout de
quelques tentatives, comme celle de ce chef ALN sur le cadavre duquel un carnet est retrouvé
quelques jours après l’attaque.
« Première tentative, premier jour du Ramadan ; le silence de nos
mortiers nous oblige à nous retirer. Deuxième tentative, deuxième jour
du Ramadan : l’appui a été efficace (…) Cependant, l’ennemi posta ses
nombreux chars sur notre passage. Il était deux heures du matin
environ, nous nous sommes repliés. Troisième tentative, troisième jour
du Ramadan : il y a eu des échanges d’obus et de balles de part et
d’autres. (…) Nos bengalores éclatent et ouvrent le barrage… Les
chars signalent notre emplacement. L’artillerie ennemie lance ses obus
près de nous et sur les crêtes environnantes, tandis que les blindés
tentent de nous bloquer le passage. Il nous restait encore les lignes
électrifiées et une ligne de barbelés à franchir. (…) L’un des djounouds

1366
Général Khaled Nezzar, Récits de combats, guerre de libération nationale (1958 – 1962), s.l., Chihab
Editions, 2000, 218 p., p. 200.
1367
Ibid., p. 201.
1368
Ducloz, op. cit., p. 235.
1369
Nezzar, ibid., p. 204.

548
de notre escorte fait sauter une mine, il a le pied arraché. Deux autres
sont blessés. Nous nous sommes repliés sur la base arrière. »1370
Mais, malgré ses pertes, l’ALN réussit à impressionner le commandement, surtout
celui d’Alger. Selon le général Valentin, alors chef de l’EMI, cette nouvelle puissance de feu
fait peser une menace si sérieuse sur le barrage, qu’elle fait craindre que la victoire militaire
soit compromise, si les combats devaient se prolonger1371.
Après le cessez-le-feu, des consignes sont données aux unités « barrages » sur
l’attitude qu’elles doivent avoir. L’EMI insiste sur le fait que l’étanchéité des frontières doit
rester une des missions prioritaires, car l’accès du territoire algérien doit être rigoureusement
interdit à l’ALN extérieure.
La réorganisation du dispositif prévoit cependant des prélèvements de moyens sur le
barrage. L’effort principal doit porter sur l’interdiction de toute tentative d’infiltration, soit au
travers des réseaux, soit au milieu de la population civile qui emprunte les portes1372. Les
zones interdites sont maintenues même si leur surface baisse progressivement après le cessez-
le-feu. La surveillance mobile est également maintenue entre le barrage et la frontière, afin
d’assurer le contrôle des zones interdites et l’interdiction de pénétration en territoire algérien
d’unités de l’ALN. Elle est également maintenue le long du barrage, afin d’assurer la
surveillance de l’obstacle électrique. Tous les dispositifs de détections restent en service. Seul
le régime de veille des radars au sol doit être réduit en fonction de l’évolution de la situation
pour économiser le matériel.
L’action principale est donc portée sur le barrage lui-même puisque le cessez-le-feu
empêche toute poursuite par les unités. Le dispositif devient, de ce fait, beaucoup plus linéaire
et ne prévoit plus de manœuvre dans la profondeur, sauf en cas de rupture unilatérale du
cessez-le-feu. Toute tentative de franchissement en force doit être considérée comme une
agression et repoussée par la force avec poursuite et destruction des agresseurs.
En conséquence, il est donné comme consigne d’intercepter tout élément non identifié
découvert en zone interdite, ou tentant de s’infiltrer, mais de n’ouvrir le feu qu’en cas
d’agression caractérisée. Les travaux de valorisation des barrages sont réalisés comme prévu
afin de compenser la diminution des effectifs, mais la pose de mines est suspendue1373.

1370
Michel Saboury, 1954 1962, Chroniques d’une drôle d’époque, Mâcon, Mâcon-Imprimerie-Editions, 1985,
525 p., p. 432-433.
1371
Delmas, id.
1372
Des points de passage sont ouverts sur les frontières. Ils sont tenus par des éléments des forces de l’ordre et
des Douanes chargés de contrôler les personnes isolées et désarmées autorisées à entrer en Algérie ou à en sortir.
1373
SHD/Terre, 1 H 2030.

549
Les incidents ne sont pas rares, comme celui que rapporte Michel Carlier. Il sert alors
comme lieutenant premier1374 dans un escadron du 4e RCC stationné aux mines de Kiouf qui
doit faire désarmer certains postes.
« Un jour des fells occupent un poste abandonné, l’escadron, placé
sous les ordres du 26e RIM1375, reçoit l’ordre de le reprendre. Je me
rends sur les lieux avec deux pelotons d’AM. Je veux d’abord leur
demander de partir. Je parlemente mais ils ne veulent pas partir. Au
bout de 4 ou 5 heures ordre est donné de s’emparer du poste par la
force. Je fonce vers le poste avec un peloton, l’autre en appui et je fais
voler la porte en éclats. Les fells se sont enfuis comme des moineaux,
on a gardé le poste. »1376
Dans l’attente des résultats du référendum, le but de la mission des unités reste le
même : « s’opposer à toute tentative de l’ALN extérieure de s’assurer de vive force de
quelques avantages payants, soit sur le plan tactique, soit sur le plan politique ou
psychologique »1377.
Dans les zones qui sont jugées d’une importance essentielle, notamment celles au nord
d’El-Aricha à l’ouest, et du Djebel Bou Roumane à l’est, les unités doivent être en mesure
« d’interdire toute infiltration, de freiner, et si possible interdire, après renforcement, tout
franchissement en force »1378. Cependant, alors que la date du référendum approche, il est
demandé aux unités d’éviter tout incident pouvant entraîner l’ouverture du feu, sauf en cas de
riposte à une violence adverse.
Une fois les résultats du référendum connus, les unités doivent être en mesure de
renseigner sur les mouvements éventuels de l’ALN extérieure et d’assurer la sécurité propre
des unités, « le feu n’étant ouvert qu’en cas de légitime défense »1379.
Le repli s’effectue rapidement après le 3 juillet. Le 4e RCC est le dernier régiment à
quitter la herse en poussant tout devant lui. L’ambiance reste très tendue, selon Michel
Carlier.
« On donnait les postes à l’ALN, on a fait ça 2 ou 3 fois, à
Clairefontaine et à Zerizert, plaine de Bône. Comme on était blindé

1374
Terme propre à l’ABC qui désigne le lieutenant le plus ancien d’un escadron, il tient généralement le rôle
d’adjoint du capitaine commandant l’unité.
1375
Régiment d’infanterie motorisée.
1376
Témoignage de Michel Carlier.
1377
SHD/Terre, 1 H 2034.
1378
Id.
1379
Id.

550
l’ALN baissait ses prétentions quant au contrôle de nos mouvements,
elle ne demandait plus les « laissez-passer » etc. Le colonel est toujours
resté très ferme et a soutenu ses cadres. (...) C’était une ambiance de
cessez-le-feu, de fin de guerre avec le sentiment d’être vaincu, ce ne
sont pas de bons souvenirs. Des problèmes de commandement sont
apparus avec les appelés, dont certains ont commencé une grève de la
faim. Ils se demandaient pourquoi il devait faire 28 mois en Algérie,
alors que le gouvernement menait une politique d’abandon. »1380
Malgré les ordres, le colonel du 4e RCC refuse d’abandonner les harkis et leurs
familles réfugiés dans les postes. Il les fait escorter jusqu’à Bône par Michel Carlier. Des
familles de harkis sont également récupérées dans leur village. Pour y accéder, les AM
passent en force les barrages tenus par l’ALN, mais aucun coup de feu n’est tiré. Pour montrer
sa détermination à se faire respecter, le colonel ordonne aux blindés de se montrer au moindre
incident. Lorsqu’un village refuse le passage d’un véhicule non armé, un escadron est appelé
et le traverse avec tous ses engins. La couverture du retrait fait partie des missions de l’ABC
et le 4e RCC réussit grâce à ses engins qui restent dissuasifs1381.

II. La lutte antichar

21. Les mines

A partir de l’été 1957, le nombre de mines et de pièges posés par l’ALN commence à
inquiéter le commandement de la Xe RM. Dans la région de Colomb-Béchar notamment, les
itinéraires sont minés de façon sporadiques mais de plus en plus fréquemment. En deux mois
70 mines artisanales y sont signalées.
Ces mines, dont l’emploi commence à se généraliser dans certaines zones, sont
fabriquées à partir d’une bombonne de gaz ou d’une simple caisse en bois bourrée d’explosif
(parfois volé dans des exploitations minières ou sur des chantiers) mélangé à de la
ferraille1382, ou encore, très souvent, à partir d’un obus d’artillerie, ou d’une bombe d’avion,

1380
Témoignage de Michel Carlier.
1381
Id.
1382
Ces pièges peuvent contenir des charges de 10 kg et plus, ce qui peut endommager gravement les blindés
Bulletin d’étude et de documentation de l’EAABC, n° 20, septembre 1961.

551
ramassés sur le terrain1383. Les pièges réalisés avec ces munitions sont d’une efficacité
redoutable.1384
Parfois, l’artificier de l’ALN emploie des contacteurs à crémaillère. C’est alors le 4e
ou 5e blindé qui saute, « ou “la popote” à midi comme ce fut le cas pour nous », précise
Philippe Dumoulin qui note également quelques ratés « soit à cause d’une mise à feu
défectueuse, soit parce que le blindé de tête avait sectionné l’un des fils qui relie le
contacteur à la bouteille de gaz »1385.
Par la suite, l’ALN utilise des mines antichars : MK VII britannique, M6 américaine
ou, à partir de 1960, une mine en bois soviétique. En général, ces mines antichars sont
utilisées dans le Constantinois1386. Sur le barrage-ouest, en revanche, il n’est pratiquement fait
usage que d’obus piégés1387.
L’ALN emploie les mines isolément ou en bouchons et les place sur des points
judicieusement choisis. Elles lui servent également souvent de « buttoir »1388 pour une
embuscade montée le long de la piste. En revanche, l’ALN ne réalise jamais de champs de
mines organisés.
C’est un spécialiste, généralement artificier zonal, qui est chargé de les fabriquer et de
les poser. Selon Philippe Dumoulin, ces artificiers sont formés en Tchécoslovaquie. Des
fiches techniques sont réalisées par l’ALN pour former de nouveaux artificiers1389, mais étant
donné la rusticité de certains engins, tout le monde n’est pas capable de les installer sans
danger. Les accidents, même pour les spécialistes, ne sont pas rares. Philippe Dumoulin se
souvient que « beaucoup se faisaient “sauter la gueule”. Parfois on trouvait un cadavre
calciné sur la piste, au bord du trou où il avait posé la bouteille de gaz. Ce qui signifiait pour
nous au moins trois mois de tranquillité »1390.
Les poseurs de mines recherchent la discrétion des dispositifs en portant la plus grande
attention sur le camouflage. Ils mettent à profit les temps très secs de façon à ce que la
poussière camoufle les indices de pose. Ils minent également lorsque la pluie menace pour
que les averses et le ruissellement effacent les traces de pose. En revanche, ils mettent

1383
SHD/Terre, 15 T 467.
1384
Jean-Charles Jauffret, « La Guerre des mines en Algérie », in Guerre d’Algérie magazine, n° 13, septembre
2008, p. 50 – 61, p. 58.
1385
Témoignage de Philippe Dumoulin, chef de peloton au 1er escadron du 4e RCA de février 1960 à juin 1961.
1386
L’Algérois est en revanche l’endroit où les mines sont le moins employées, on compte une explosion par
mois en 1959 en moyenne. SHD/Terre, 1 H 1550.
1387
SHD/Terre, 1 H 2034.
1388
Dans une embuscade, un buttoir permet d’arrêter un convoi ou une colonne pour la prendre plus facilement
sous des feux.
1389
SHD/Terre, *10 T 532.
1390
Témoignage de Philippe Dumoulin.

552
rarement les dispositifs en place sur les sols mouillés qui conserveraient des empreintes. Ils
évitent également de poser des mines aux endroits où les éléments des forces de l’ordre
prennent systématiquement des mesures de détection. Ils placent les corps de mines dans les
nids de poule des routes, sur les bas-côtés, dans les virages, dans les ornières des pistes, voire
sous les revêtements goudronnés, soigneusement découpés et remis en place. Les dispositifs
de mise à feu électrique, très utilisés, sont posés soit à proximité immédiate du corps de mine,
soit à une certaine distance, occupant des emplacements assez inattendus comme les arbres,
les broussailles, des objets paraissant abandonnés, etc. Pour endormir la méfiance et lasser les
recherches, il arrive parfois qu’ils enterrent des morceaux de ferraille autour de leurs mines et
même au-dessus de celles-ci.
Mais le plateau de pression qui permet le contact électrique est pratiquement toujours
disposé sur la charge1391.
« Heureusement pour nous !, écrit H. Lales, car il eût suffi de creuser
un deuxième trou en décalant le plateau de pression actionné par nos
roues, pour que la mine fasse bien plus de dégâts en explosant sous
notre ventre. « Ah si c’étaient les Viets, on dérouillerait dix fois
plus … » nous serinent les anciens qui ont fait l’INDO ! En effet, nos
planchers tiennent plus de la boite à sardines que du blindage. Ce qui
n’est pas le cas sur les flancs de la caisse où le blindage est assez épais
pour assurer une assez bonne protection de l’équipage lorsque la roue
est arrachée par l’explosion.
S’agit-il d’un manque d’imagination ou le souci de ne pas multiplier
les risques de repérage d’un dispositif plus élaboré exigeant deux trous
et le camouflage des fils électriques de liaison ?
Est-ce le souci de faire mouche à tous les coups, en ne prenant pas le
risque de voir exploser la mine à l’extérieur du véhicule lorsque nous
louvoyons ? Nous ne le saurons jamais. Quand on pense aux nombreux
tronçons à flanc de djebel où nous n’avons strictement aucune
possibilité de quitter la route, on ne peut que remercier Allah de cette
négligence ! »1392

1391
Les artificiers de l’ALN emploient parfois des mines antipersonnel détectables à volonté (APDV) modèle
1959, ou « mines encriers » comme dispositif de mise de feu pour les mines anti véhicules. Comme elles se
déclenchent par pression, elles sont obligatoirement posées sur la charge qui explose par sympathie. Ces APDV
sont récupérées dans les champs de mines des barrages.
1392
Témoignage écrit d’Hervé Lales, chef du 2e peloton d’AM du 2e escadron du 8e RCC en 1958.

553
En cas d’explosion, la réaction des équipages des autres engins blindés n’est pas
toujours la bonne. Ils ont généralement le souci immédiat de porter secours aux blessés, ce qui
les rend très vulnérables si la mine est battue par des feux, comme cela est assez souvent le
cas, surtout à partir de 1960. « A chaque fois il faut que le chef de bord du blindé qui suit celui
endommagé, ait le réflexe de demander à son tireur de demeurer à son poste pour surveiller
les crêtes avoisinantes et que l’on fasse déborder un élément à pied, voire un autre blindé
lorsque le terrain s’y prête »1393.
Parfois, les combattants de l’ALN tentent d’entraîner les unités dans un traquenard en
harcelant un poste ou un village rallié, et en minant l’itinéraire par lequel les blindés d’alerte
arrivent généralement. La rapidité dont font preuve alors les renforts leur font négliger les
mesures de prudence, surtout la nuit. Malgré la prudence dont ils font preuve, les chefs de
peloton, tombent parfois dans le piège, comme l’évoque encore Hervé Lales :
« Les fells ont saboté la canalisation qui alimente la SAS. La captation
de la source est située à quinze kilomètres dans le djebel Doui. Nous
flairons un piège car nous savons que l’artificier zonal est dans le coin.
Nous commençons par refuser d’intervenir dans l’urgence. Tant pis
pour la piscine de la SAS. Bien que nous entretenions les meilleures
relations avec son commandant. Au bout de trois jours nous finissons
par monter l’opération. Nous progressons au maximum en tout terrain,
multipliant les sondages à la poêle à frire sur les points de passage
obligés. Vers midi nous atteignons les abords de la source. Le peloton
porté en fond de thalweg assure la protection rapprochée des travaux
de réfection. C’est dans cet oued Ouaguenay, que voici un an, une
sérieuse embuscade nous avait causé des pertes. Chargé de la sûreté
plus éloignée, mon peloton peine à progresser sur les crêtes
environnantes en forte déclivité. Soudain, à cinq cents mètres sur ma
droite, c’est l’explosion. »
L’impact psychologique d’une mine est très important. Les réactions des équipages
qui viennent de sauter sur une mine sont souvent surprenantes. Le pilote de Philippe
Dumoulin, dont le half-track vient de sauter sur une mine, s’exclame alors que l’engin
effectue son vol plané : « Ce n’est pas de ma faute mon Lieutenant ! »1394 Hervé Lales cite

1393
Id.
1394
L’engin de Philippe Dumoulin saute sur une mine lors de l'ouverture de route quotidienne entre Barika et
Mac Mahon, le 3 février 1961 à 7 h du matin. Si son pilote se justifie c’est que « deux mois auparavant, dans la

554
également un autre cas, celui d’un pilote dont l’AM vient d’être détruite mais qui retourne
dans son poste pour couper son robinet de batterie1395 dont il ne reste pourtant plus rien.
Les victimes font souvent preuve d’altruisme, comme pour se convaincre qu’ils ne
sont pas atteints. Les autres membres du peloton ont du mal à accepter l’évidence. De retour
au cantonnement, ils sont souvent prostrés en pensant qu’ils auraient très bien pu être victimes
d’une mine, car ils ont un sentiment d’impuissance face à elles dont le déclenchement tient à
une part non négligeable de hasard. Au cantonnement, écrit encore Hervé Lales, personne
n’en parle, mais tout le monde y pense : « Dans la pratique on ne parle pas de mines, on
parle de pots de fleurs, terme moins terrifiant teinté de dérision, comme pour se convaincre
que ce n’est pas si grave que ça. »1396
La pression psychologique est telle que les artificiers de l’ALN sont particulièrement
haïs. Alors qu’il est à l’hôpital, Philippe Dumoulin apprend par un visiteur que ses hommes
ont trouvé le poseur complètement calciné sur la piste près d'un trou : « Il avait fait une
fausse manœuvre et la mine qu'il s'apprêtait à poser lui avait explosé à la figure. Ils ont joué
au foot avec sa tête m'a-t-on dit ! C'est à peine croyable et pourtant on m'a certifié que c'était
la stricte vérité! La guerre rend fou ! »1397
Mais, malgré ce danger permanent, il faut que la mission soit remplie, ce qui augmente
considérablement le stress des équipages et des chefs de peloton. Philippe Dumoulin rapporte
à ce sujet l’anecdote suivante :
« Lors d’un impressionnant Briefing d’une « Grande Opération » dans
les Aurès (environ 8 000 hommes y participaient), devant une carte
d’Etat Major qui tenait toute la surface du mur, le Général donne ses
intentions de manœuvre et l’ordre de bataille :
“ Dès minuit, le 4e RCA mettra le bouclage en place, et évidemment,
toutes lumières éteintes.”
Le colonel de notre Régiment désigne le 1er escadron pour remplir
cette mission.
A son tour le Lieutenant LANGLE commandant le 1er Escadron me dit :
”DUMOULIN, avec votre Peloton “Prévôt Blanc Carmin”, vous
passerez en tête”. Prenez vos dispositions !”.

descente du col du Baali, passant outre mes ordres de ralentir, il avait manqué un virage et notre Half Track
avait fait un tonneau magistral s'arrêtant chenilles en l'air à 2 mètres à peine du ravin. Miracle prodigieux,
personne n'a été blessé. » Témoignage de Philippe Dumoulin.
1395
En cas d’accident, le règlement prévoit cette mesure pour limiter le risque d’incendie.
1396
Id.
1397
Id.

555
Le Général, du haut de son estrade m’interpelle, (j’étais dans mes petits
souliers car je réalisais que le bon déroulement de cette énorme Opé
reposait sur mes épaules) :
“Vous avez bien compris Aspirant, il fera nuit noire mais je veux que la
mise en place du bouclage se fasse toutes lumières éteintes... Ah, faites
tout de même attention, la Piste est très certainement minée !”
Bonjour le Moral !
“A vos ordres, mon Général ! »1398
Cependant, personne n’y échappe. Dans l’ABC trois chefs de corps sautent sur une
mine : le lieutenant-colonel Bes de Berc du 3e RC, le colonel de Schacken du 5e RCA, qui en
meurt, et le lieutenant-colonel Oddo du 4e RH. C’est également une mine qui met fin à la
carrière de cavalier de compétition internationale du lieutenant-colonel Bernard Chevalier.
Champion olympique de concours complet d’équitation en 1948 à Londres avec la jument
Aiglonne, il saute sur une mine en 1956 alors qu’il est commandant en second du 2e RSA. Il
en restera fortement handicapé.

Cliché n° I/101
Le lieutenant-colonel Oddo, le 17 octobre 1960 à son retour de convalescence. Après avoir sauté sur une
mine en juillet il souffre d’une fracture de l’avant-bras droit, d’un délabrement maxillo-facial droit avec
atteinte du globe oculaire droit. Salle d’honneur du 4e RH, Metz.

1398
Témoignage de Philippe Dumoulin.

556
Cliché n° I/102
La jeep du lieutenant-colonel Oddo après l’explosion d’une mine anti-char le 20 juillet 1960. L’opération
qu’il commande alors a pour but de récupérer un avion posé dans la région du Djebel Bou Rzine. Le
colonel Oddo n’était pas dans la jeep mais à côté. Salle d’honneur du 4e GEH, Metz.

En outre, les mines peuvent sauter n’importe quand. Parfois même à un endroit et à un
moment où les cavaliers s’y attendent le moins, comme le 23 avril 1959 au 13e RD sur la zone
de saut de Fréha. Lors de la mise en place pour la prise d’armes de la Saint-Georges, la jeep
du capitaine Cabissole, qui est en tête de son escadron, saute sur une mine qui fait trois
blessés graves dont lui. Le chef de corps décide de poursuivre la prise d’arme car il se pense
observé par ceux qui ont fait le coup. Mais, au cours du défilé, une seconde jeep saute
également sur une mine faisant un mort (le SLT Stoltz du 1er escadron) et deux blessés. Le
défilé reprend pour montrer que rien ne saurait émouvoir les dragons de l’Impératrice, et le
programme des festivités, auxquels assiste son Altesse impériale Alix qui vient d’être promue
marraine du régiment, n’est pas annulé, pour des raisons, encore une fois, psychologiques.
Dans les jours suivants des opérations sont lancées pour retrouver les auteurs de l’attentat
mais elles permettent de ne découvrir qu’une cache, le 30 mai, dans laquelle les dragons
trouvent des obus et des systèmes de mise de feu. Les artificiers ne sont pas retrouvés1399.

1399
Général Robert Gaget, Au-delà du possible. Recherche du renseignement en régions hostiles. Paris,
Grancher, 2002, 296 p., p. 88 – 89.

557
Cliché n° I/103
Le SLT Kohrr du 4e RH neutralise une mine antichar MK VII dans la région de Sakiet-Sidi-Youssef en
1960. Cliché G. Brignone.

Cliché n° I/104
Mine antichar en bois de fabrication soviétique relevé par un équipage du 4e RCA en 1961. Cliché P.
Dumoulin.

558
Cliché n° I/105
Au cours de l’expérimentation des démineurs en 1960 au camp du Lido, un piège fabriqué à partir d’un
obus non explosé est reconstitué par un artificier du Génie. Il en montre le fonctionnement aux
spectateurs. Le dispositif de contact électrique est lui aussi assez rudimentaire : il s’agit d’un bout de
madrier creusé dans lequel s’enfonce une sorte de carotte en bois, clouée sur le plateau de pression. Les
contacts au fond de ce trou, sont parfois en cuivre, souvent en boite de conserve. SHD/Terre, 1 H 2050.

Cliché n° I/106
Char M24 dérourellé par le souffle de l’explosion d’un obus piégé. FNACA, op. cit., p. 263.

559
Cliché n° I/107
A Barika, en février 1961, un half-track du 4e RCA est victime d’un piège fabriqué avec une bombonne de
gaz. http://michel.bousigniere.pagesperso-orange.fr/index.htm

Cliché n° I/108
Plan de pose d’une mine fabriquée à partir d’une bombonne de gaz et son système de mise de feu. Dessins
de P. Dumoulin.

560
Dispositif de mise à feu
A

Explosif

Plaque métallique

Clou

Masse de plomb
B

Dispositif
de mise à feu

Bille d’acier
Clou

Tube d’aspirine
Bouchon

Cliché n° I/109
Au fur et à mesure que se déroule le conflit, les mines artisanales sont de plus en plus sophistiquées. Des
dispositifs de piégeage anti-démineurs font leur apparition. Dans l’exemple du haut, à la base de la mine,
un clou recourbé dont la tête est alourdie par une masse de plomb, repose sur le sol et établit le contact dès
que l’on soulève la mine. Dans celui du dessous, une bille d’acier circule librement dans un tube d’aspirine
incliné fermé par un bouchon en liège. Elle établit le contact avec une pointe métallique qui traverse ce
dernier, dès que la mine est soulevée. Les deux systèmes fonctionnent avec des détonateurs électriques
alimentés par une pile plate du commerce. Ils ne peuvent pas être neutralisés y compris par le poseur qui
prend de gros risques. Bulletin d’étude et de documentation de l’EAABC, n° 20, sep. 1961.

En raison du grand nombre d’escortes et de missions de sécurité assumées par les


unités blindées, le problème du déminage des routes et des pistes devient d’une importance
primordiale. Des mesures sont prises pour limiter l’action des mines. Les itinéraires
empruntés ne sont jamais les mêmes, comme en septembre 1958, au 2e escadron du 8e RCC :
« Chaque nuit deux patrouilles blindées sillonnent le sous-quartier
selon des itinéraires et des horaires aussi précis que strictement

561
aléatoires. En effet, le lieutenant qui commande l’escadron, prend soin
de les détailler avec une minutie scrupuleuse, car il ne faut à aucun prix
tomber dans la routine. L’itinéraire retour est toujours différent de
celui de l’aller. Même le lieu exact où les AM doivent faire demi-tour
sur route est précisé au moyen de noms de code connus des équipages.
Il faut dire que cela fait déjà deux fois que des mines ont été posées à
tel carrefour où les blindés avaient pris l’habitude de faire demi- tour,
ou à tel élargissement de chaussée où la manœuvre était plus
aisée. »1400
Les engins blindés, quel que soit leur type, protègent généralement assez bien les
équipages. Le fait que la mine explose toujours là où la roue, ou le train de roulement, la
déclenche, provoque généralement peu de dégâts sur la caisse, qui peut cependant se fendre
ou se fausser. On relève donc relativement peu de morts parmi les équipages, mais parfois les
blessures sont graves.
En revanche, un engin blindé qui saute sur une mine est généralement irrécupérable.
Malgré les consignes du capitaine commandant, au 2e escadron du 8e RCC, les équipages
s’obstinent à conserver le même nom pour leurs AM de remplacement auquel ils ajoutent un
chiffre : BERTHIER II ou BOURNAZEL III. Selon H. Lales, « les équipages sont
farouchement attachés à ce tableau de chasse à rebours, bien qu’il ne soit pas évident que ce
soit bon pour le moral des troupes. Mais il est vrai que cela témoigne des risques acceptés,
des souffrances endurées, de toutes ces missions d’ouverture de route, de protection de
convois de munitions, ou de ces nombreuses opérations de bouclage confiées aux cavaliers,
où ils ont peu d’occasion de faire un carton, tout en prenant le risque de sauter »1401.
Le personnel qui est à bord de véhicules légers et de camions est bien évidemment
beaucoup plus exposé, alors que les convois que ces véhicules forment sont des cibles
privilégiées. Claude Brignogne se rappelle qu’à son arrivée au 26e RD, en zone ouest Sahara,
en mai 1960, une vingtaine de camions sont victimes de mines chaque mois. C’est également
ainsi que, le 8 novembre 1959, le SLT de Bodman du 18e RCC (zone sud Constantinois)
trouve la mort et que son conducteur est grièvement blessé. Une opération est montée, ce jour
là, pour intercepter une bande signalée dans la région. Les quatre escadrons du régiment y
participent, y compris le peloton d’élèves gradés que commande le SLT de Bodman. Ce
dernier prend la place de chef de bord dans le camion serre-file, à la place d’un autre officier

1400
Témoignage d’Hervé Lales.
1401
Id.

562
qui change de véhicule au dernier moment. Un quart d’heure après le départ, le camion saute
sur une mine artisanale faite avec une bombonne de gaz. « Le lieutenant de Bodman est tué
sur le coup ; son corps déchiqueté est retrouvé plus de trente mètres plus loin ». Le
conducteur, Jean-Pierre Legendre, qui en rapporte le récit, est grièvement blessé à la jambe
droite1402.
L’adjonction d’une plaque de blindage au plancher des véhicules légers et les poids
lourd envisagée pendant un temps, est abandonnée car cela alourdit considérablement le
véhicule, ce qui, non seulement nuit à sa mobilité, mais peut endommager le moteur par le
surpoids occasionné. Quelques AM M8, en revanche, ont leur fond de caisse doublé d’une
plaque de blindage de 3 cm. C’est le cas également de certains Dodge ayant servi en
Indochine1403. Mais pour les AM M8, si ce système protège « bien des éclats des obus piégés,
gare à la caisse d’explosifs, qui trouvant alors du répondant, projette l’AM à une dizaine de
mètres. Alors bonjour les dégâts… »1404.
Des tapis anti-mine en caoutchouc sont distribués, mais le plus souvent, les
conducteurs en bricolent un eux-mêmes1405. Certains sont installés sur les planchers des
blindés, mais ils se révèlent peu efficaces. Les équipages préfèrent y installer à la place des
sacs de sable qui sont disposés de façon à permettre la rotation de la tourelle et le bon
fonctionnement du levier de vitesse et des pédales. Selon Hervé Lales, « ce système D
encaisse en partie les éclats d’obus et minimise les effets de souffle des charges d’explosif ».
Ce système permet effectivement de sauver des vies. Hervé Lales rapporte encore que
lors d’une opération Challe, il doit renvoyer l’un de ses half-tracks pour aller chercher des
paquetages complémentaires, notamment les vestes matelassées, pour son peloton car
l’opération est plus longue que prévu initialement. Alors que l’escadron complet est passé le
matin même par la route qu’il emprunte lors de son retour, le half-track saute sur une mine
composée de deux obus de 105 et d’une bombe d’avion. Le blindé est éventré et tous les
occupants sont éjectés. Pourtant, on ne relève qu’un seul mort qui est le mitrailleur demeuré à
son poste au centre du half-track. Il est criblé d’éclats. « Ce qui sauvera le restant de

1402
Jean-Pierre Legendre, Histoire du 18e Régiment de Chasseurs à Cheval. Autès – Nementchas 1956 – 1962.
Mamers, chez l’auteur, 437 p., p. 259 – 264.
1403
C’est le cas du Dodge de Pierre Torrès, MDL au 8e RCC. Cet engin avait servi en Indochine dans la
gendarmerie mobile et avait été équipé d’une telle plaque. Son engin ayant sauté sur une mine, c’est, selon lui, ce
qui a sauvé la vie à son équipage. Cité par Médard, op. cit. p. 591.
1404
Témoignage d’Hervé Lales.
1405
Jauffret, id.

563
l’équipage d’un massacre annoncé, ce sera ce monceau de sacs à dos bourrés de vestes
matelassées, dont l’épaisseur protégera en partie les hommes juchés dessus »1406.
Des consignes de prudence sont données en permanence aux équipages, surtout
lorsque la présence de l’artificier zonal est signalée. La recherche visuelle des mines et des
pièges est confiée à des hommes connaissant parfaitement leur secteur, entraînés à l’ouverture
des pistes, capables de « sentir » la mine et sachant éviter tout acte ou tout geste routinier.
L’expérience montre que plus le nombre d’observateurs qualifiés est grand, plus faibles sont
les risques de mise hors de combat par mines. Ainsi, en 1957, au 1er régiment de chasseurs à
cheval, les itinéraires sont ouverts par les pelotons cyclistes, qui peuvent à la fois observer le
terrain et se déplacer plus vite qu’un homme à pied1407.
Mais dès que l’attention des équipages se relâche et qu’ils tombent dans la routine, le
danger devient plus grand. Les mines, selon Philippe Dumoulin, « sont la hantise des
équipages… puis on s’habitue… et on saute »1408. Hervé Lales en fait l’amère expérience en
avril 1959. Après avoir participé à une opération de trois jours en zone ouest Algérois, dans
l’Ouarsenis, alors que son peloton est à 10 km de son cantonnement, il décide de faire piloter
son aide-pilote qui doit passer le permis le lendemain. Il passe le commandement du peloton à
son adjoint et, resté seul sur le terrain, il fait piloter son chasseur en tout terrain. Alors qu’il
prend le chemin du retour, il saute sur une mine.
« Une sensation fugace d’être lourdement plaqué sur le blindage et tout
qui s’estompe… « Mon Dieu qu’est-ce qui se passe ? » Plus rien… Je
ne reprendrai connaissance que le lendemain dans un lit tout
blanc…Les autres me raconteront. La mine, encore une caisse de
poudre surdimensionnée, a pratiquement explosé sous mes fesses. Le
train avant est arraché. Les deux chasseurs en tourelle, éjectés, tentent
déjà de nous dégager. Nous avons été sauvés par les fameux sacs de
sable ! Le plancher s’est éventré au niveau du levier de vitesses. Le
pilote est blessé à l’aine et aux jambes. Je m’en tirerai avec une
fracture du bassin et des plaies aux jambes. Ainsi me suis-je fait piéger
en parfaite contradiction avec les ordres que je faisais respecter
scrupuleusement : jamais un blindé seul, éviter d’utiliser les tronçons
de piste débouchant sur la route sécurisée par notre fameux système de

1406
Id.
1407
Dénoyer, op. cit., p. 67.
1408
Témoignage de Philippe Dumoulin.

564
gardiennage de nuit. Deux corps de fells ayant participé à la pose de la
mine, demeureront plusieurs jours dans son immense cratère, histoire
de leur faire passer l’envie de recommencer ce petit jeu. »1409

Cliché n° I/110
EBR du 8e RH ayant sauté sur une mine en septembre 1955 dans la région de Constantine.
http://www.amicale-8-hussards.com/index.php

Cliché n° I/111
AMX 13/T M24 du 4e RH après avoir sauté sur une mine dans la région de Sakiet en 1960. Salle d’honneur
du 4e RH, Metz.

1409
Id.

565
Cliché n° I/112
Une AM M8 du 4e RCA ayant sauté sur une mine est évacuée par chemin de fer. Cliché Philipe Dumoulin.

Cliché n° I/113
Le half-track de Philippe Dumoulin (1er escadron du 4e RCA) vient de sauter sur une mine lors de
l’ouverture de route Barika-Mac Mahon le 3 février 1961. L’engin a fait un bond de 8 mètres et s’est
trainé sur 35. Des éclats de blindage sont retrouvés à plus de 100 m. http://michel.bousigniere.pagesperso-
orange.fr/index.htm

566
Cliché n° I/114
Les membres de l’équipage indemnes posent devant l’engin quelques instants après l’explosion. Le SLT
Dumoulin, chef de peloton et chef d’engin, a moins de chance, il est blessé à la jambe et perd connaissance
quelques instants après. Il doit être évacué. Id.

Cliché n°I/115
Half-track du 4e RH ayant sauté sur une mine. Cliché Jean-Marie Hirtz http://www.amicale-4e-hussards.org/

567
Cliché n° I/116
GMC du 4e RCA ayant sauté sur une mine en juin 1961 dans la région du Bec de Canard. Tous les
occupants sont tués sur le coup. Cliché Philippe Dumoulin.

Cliché n° I/117
Un autre GMC du 4e RCA ayant sauté sur une mine. Cliché Philippe Dumoulin.

22. La lutte contre les mines

Des mesures sont prises pour limiter le phénomène des mines dès 1957. Un effort est
entrepris pour « désobuser » le terrain où des ratés sont constatés, et une prime de 1 000 frs
est offerte à la population par mine ou projectile rapporté. Cette dernière mesure permet de
récolter 262 obus en deux mois dans la ZOA. Mais ces mesures sont jugées insuffisantes,
notamment en Kabylie et dans l’Ouarsenis. Des études sont également lancées pour réduire le

568
pourcentage de ratés des fusées et l’amener à 1 %, d’autres mesure visent à étudier la
possibilité de l’autodestruction des projectiles n’ayant pas éclaté à l’impact1410.
Le commandement souhaite également inciter la population à avertir de la pose d’une
mine. Mais, elle reste le plus souvent prudente, y compris après une explosion. Personne n’a
rien vu, rien entendu, même dans les mechtas situées parfois à trois cents mètres de la route.
En août 1958, le chef de corps du 8e RCC décide qu’en cas d’explosion d’une mine, la
population demeurant à proximité de la route sera imposée pour ne l’avoir pas signalée : la
moitié du cheptel, vaches, ânes, moutons sera confisquée et vendue au titre de l’amende.
« Ce sera effectivement le cas quelques semaines plus tard, lorsque une
de mes AM sautera de nuit sur le même axe. En pénétrant dans les
mechtas situées à proximité immédiate, après avoir éventuellement
enfoncé la porte, on trouve la vaillante population qui dort à poing
fermé. Non, ils n’ont même pas entendu l’explosion de l’obus. Le
lendemain, réquisition d’une trentaine de têtes de bétail, la moitié du
cheptel. Pleurs, cris… Elles seront vendues dans les marchés des
environs dans la Mitidja. Les cours baissent bien sûr avec un tel afflux.
Contre reçu dûment signé, nous remettons l’intégralité du fruit de la
vente au PC du régiment. C’est parait-il en application d’une loi datant
de Richelieu, que nous levons cet impôt au motif que les paysans sont
responsables des dégradations commises sur les chemins proches de
leur domaine. »1411
Les chasseurs vont plus loin, la population est chargée de surveiller la route de nuit.
« Un fellah du coin muni d’une fusée éclairante est responsable d’un
kilomètre de route. Affublé d’une capote militaire, marqué d’un G peint
en blanc sur le dos, G comme garde, nous les croisons dans le noir,
postés près d’un petit tas de cailloux peint en blanc, qui marque chaque
portion de route. Ils brandissent leur fusée intacte pour nous indiquer
RAS. Le procédé se révèle efficace, aucune mine n’explose sur la route
de Duperré. Mais les routes et les pistes non surveillées continuent à
être minées »1412.

1410
SHD/Terre, 1 H 2050.
1411
Témoignage d’Hervé Lales.
1412
Id.

569
Pour conserver malgré tout la maîtrise des zones interdites et pouvoir y manœuvrer
aisément et aux moindres risques, il importe pour les unités non seulement de pouvoir détecter
le mines, mais aussi de pouvoir les détruire rapidement. Les délais de mise en œuvre des
procédés classiques (sonde et SCR 6251413), pourtant quasiment infaillibles1414 sont
prohibitifs. Les unités de l’ABC n’y ont donc recours qu’occasionnellement lorsqu’une piste
semble vraiment suspecte. « C’est-à-dire au pifomètre ou pour se donner bonne conscience
en ne faisant pas totalement l’impasse »1415, selon Philippe Dumoulin. En outre les
combattants de l’ALN disposent parfois des objets métalliques inoffensifs dans le but de faire
perdre du temps aux démineurs et à assoupir leur attention.
Les chiens démineurs, qui commencent à faire leur apparition en 1959, donnent de
bons résultats, mais ils ne peuvent être utilisés universellement en raison des servitudes qu’ils
imposent. Leur dressage est long et délicat (de l’ordre de 10 à 12 semaines) et ils doivent
impérativement être accompagnés de leur maître avec lequel ils forment un binôme
indissociable. En outre, la vitesse de déplacement d’une équipe cynophile est celle d’un
homme à pied, ce qui ne convient pas aux blindés1416.
Le commandement pense alors à utiliser des engins mécaniques démineurs. De prime
abord, ils semblent susceptibles d’apporter une solution satisfaisante, en raison de leur vitesse
de progression élevée et de la largeur de la bande qu’ils déminent. Des exemplaires sont mis
en expérimentation dans certains corps, dont le 2e régiment de spahis algériens1417. Mais leur
usage est décevant. Le fléau rotatif équipé de lourdes chaînes fait un bruit assourdissant et
dégage un énorme nuage de poussière, ce qui le rend très peu discret. En outre, non seulement
une certaine proportion de mines échappe à son action, mais il lui arrive d’être détruit par les
grosses charges. Son usage est vite abandonné.
Face à ce manque de moyens, les unités improvisent :
« On fait au mieux avec son intuition du moment : AM blindée en tête,
ouverture de route par l’obusier M8 de l’escadron qui est mieux blindé
que nos AM, ou bien sortir de piste dès que possible pour louvoyer,
s’efforcer de reprendre les traces du blindé qui a ouvert la route,
assurer la relève de l’AM de tête tous les trois kilomètres afin de

1413
Cet engin est plus connu sous le nom de « poêle à frire ».
1414
Cependant, le SCR 625 ne détecte que les pièces métalliques dont certaines mines en bois sont très peu
pourvues.
1415
Témoignage de Philippe Dumoulin.
1416
Sur le sujet voir : Thierry Noulens, « L’utilisation des chiens militaires pendant la guerre d’Algérie », in
Revue historique des Armées, n° 229, 4/2002, 144 p., p. 37 – 49.
1417
SHD/Terre, 1 H 2737.

570
répartir les risques liés à l’ouverture et sa tension psychologique. Mais
toute cette alchimie se révèle assez aléatoire car souvent c’est le
deuxième engin qui saute. Un autre moyen d’éviter les mines, que nous
emploierons lorsque la casse s’avérera trop lourde, consistera à utiliser
un bouclier humain. Nous embarquerons deux prisonniers, collecteurs
de fonds par exemple, assis sur les volets du pilote et de l’aide pilote de
l’AM de tête. Le procédé s’avérera efficace pour notre protection, mais
douteux pour la pacification. C’est pourquoi nous n’en abuserons
pas. »1418
Face à ce manque de moyens adaptés, dès juillet 1957, le général Salan demande au
bureau armement et études de l’EMA, une solution pour le déminage des itinéraires. Il
souhaite pouvoir disposer d’un engin démineur ayant la capacité de détruire des mines
composées de 5 kg d’explosifs ou d’un obus de 155 piégé.
En attendant, un dispositif inventé en 1952 en Indochine, est remis en usage, il s’agit
d’une barre portant des détecteurs montée à l’avant d’une jeep. Il en est mis en place une
cinquantaine dans les unités. Mais, non seulement ce genre de détecteur est moins efficace sur
les pièges, mais le système est aussi peu fiable quand les pièges contiennent peu ou pas de
pièces métalliques. De surcroît, une fois la mine détectée, il faut la neutraliser, ce qui prend
des délais.
Plus qu’un détecteur de mines, c’est d’un démineur motorisé dont les unités ont
besoin. A la fin de l’année 1957, un nouvel engin est mis au point à partir d’un tank-doser qui
pousse devant lui un rouleau utilisé dans l’agriculture. Mais il ne passe pas partout et le
rouleau accroche mal au terrain. Les unités expérimentent alors des rouleaux démineurs
composés d’essieux et de roues à bandage plein poussés par GMC. Cependant, si l’idée est
séduisante, les résultats déçoivent, car le GMC n’est pas suffisamment protégé. Le général de
Gastine, commandant l’ABC d’Algérie, pense pouvoir le monter sur des Sherman de
dépannage (M32 Recovery) dont le rôle serait d’être des chars démineurs, mais on y renonce
car certaines unités ne peuvent pas se passer de cet unique engin de dépannage blindé dont le
nombre est limité1419.
Le lieutenant-colonel Laurent, de l’armée de l’air, propose un engin qu’il destine, à
l’origine, au déminage des pistes d’aviation. Il s’agit d’un rouleau poussé par un half-track
surblindé dont un prototype est réalisé en avril 1959. Les tests, effectués en octobre et en

1418
Témoignage d’Hervé Lales.
1419
SHD/Terre, 15 T 211.

571
novembre sur une gamme complète de mines et de pièges, sont relativement concluants. Le
half-track ne souffre d’aucune détérioration, et aucun éclat ne permettre dans la cabine. Mais
le timon et le rouleau doivent être remis en état après chaque explosion.

Cliché n° I/118
Démineur Laurent. Un rouleau est poussé au bout d’un timon par un engin blindé : char ou half-track
protégé. SHD/Terre, 1 H 2050.

Cliché n° I/119
Essai du démineur Laurent au camp du Lido en octobre 1959. Lorsqu’il saute sur une mine, le rouleau est
détruit. A gauche du cliché, les officiers en imperméable sont des vétérinaires chargés d’analyser les
réactions du chien qui est installé dans l’habitacle de l’engin lors des essais. SHD/Terre, 1 H 2050.

Au début de l’année 1960, le matériel est mis en expérimentation dans les corps. Il s’y
révèle peu efficace sur les mauvaises pistes sur lesquelles le rouleau, qui n’épouse pas le

572
terrain, se détériore assez rapidement. En outre, sa conduite est délicate, le franchissement de
certains oueds lui est impossible, et il est facilement bloqué par la boue par temps de pluie. En
fait, il ne donne satisfaction que sur les routes de plaine d’au moins 4 mètres de large et pour
le balayage des terrains d’aviation car, dans les virages serrés, le half-track ne roule pas là où
le rouleau est passé. En outre, sur les pistes difficiles, il doit être accompagné d’un engin de
levage, et les nombreuses servitudes pour le monter et le faire progresser sont jugées trop
importantes pour un résultat contestable. Les essais effectués au 3e régiment de chasseurs
d’Afrique montrent qu’il ne déclenche pas les mines MK VII. Au 4e régiment de hussards,
alors que 19 mines sont relevées grâce au SCR 625, dont l’utilisation s’avère en fait plus
rapide que celle du système Laurent, aucune ne l’est grâce à de dernier. Les conclusions font
apparaître que cet engin n’est pas adapté aux pistes opérationnelles, surtout en Kabylie, qui
sont pourtant celles qui sont le plus susceptibles d’être minées. Les unités répugnent à
employer l’engin pour effectuer du déminage réel car, en plus d’être encombrant, il est jugé
peu efficace. Certains chefs de corps vont jusqu’à écrire que le système Laurent ne présente
aucun intérêt.
En octobre 1960, un autre système est mis au point par le capitaine Bizard
commandant le 3e escadron du 3e régiment de cuirassiers qui opère le long du barrage-ouest
(secteur de Viollet, ZOO). Le rouleau est remplacé par une herse formée de patins de chenille
réformés (formule très économique) positionnés avec les dents de guidage vers le sol. Le tout
est poussé par un M24 grâce au timon mis au point par le LCL Laurent. Ce système agit à la
fois par le poids des patins et par l’effet de leurs dents qui labourent le sol comme une herse.
Il a l’avantage d’épouser le terrain, de déclencher la plupart des pièges et de mettre à jour
ceux qui n’explosent pas. Les essais, dans des conditions réelles, montrent qu’il est d’une
grande efficacité contre les mines antipersonnel. Il réalise, en outre une piste hersée de 3,30 m
de large à une allure allant de 8 à 12 km/h. En décembre, l’EMA demande à en pousser
l’expérimentation dans d’autres secteurs du CA d’Oran. Mais le taux de détection n’atteint
pas 100%. Entre le 18 mars et le 17 juin, au 3e RC, trois mines ne sont pas révélées par
l’engin, ce qui entraîne la détérioration de deux chars M24 et d’un half-track1420.
En outre, à cette période, les mines utilisées par l’ALN ont évolué. Sur le barrage-
ouest, les mines artisanales ont laissé leur place à la mine anti-véhicule en bois soviétique
dont l’emploi se généralise au début de l’année 1961. Son système de mise à feu (plateau à
pression) est solidaire de la caisse soutenant la charge et n’est pas bousculé par la herse

1420
SHD/Terre, 1 H 2050.

573
comme cela était le cas auparavant avec une mise à feu constitués par une mine « encrier » ou
par un plateau en bois. En août 1961, dans le CA d’Oran, on revient au déminage à la
baïonnette, la herse n’est passée qu’après l’action des démineurs pour matérialiser la zone
déminée et surtout permettre de relever des traces de pas. Elle est alors tractée par un véhicule
ce qui rend le timon Laurent tout à fait inutile.

Cliché n° I/120
Système mis au point par le capitaine Bizard du 3e RC à partir du démineur LAURENT dont il ne
conserve que le timon. SHD/Terre, 1 H 2050.

En avril 1961, un dernier système est mis au point par la DEFA avec un montage de
ressort pour déclencher les mises de feu à pression. Il est expérimenté par le 1er régiment de
chasseurs à cheval en octobre 1961 dans le secteur d’Aïn-Sefra, mais les résultats, quoique
supérieurs aux autres systèmes, ne sont pas à la hauteur des espérances du concepteur. Dès
lors, comme le note le commandant de l’ABC d’Algérie dans son rapport de fin d’année de
1961, « force est de se rabattre sur les procédés de déminage traditionnels : sondage
systématique et SCR 625, qui donnent encore les meilleurs résultats. A titre d’exemple par ces
moyens, depuis le début de l’année [1961], le 4e RH a relevé 102 mines MK 7 ou M 5, le 1er
RCC, plus de 200 »1421.

1421
SHD/Terre, 1 H 1908.

574
Cliché n° I/121
Système de démineur mis au point par la DEFA et expérimenté par le 1er RCC en octobre 1961.
SHD/Terre, 1 H 2050.

Le problème des mines ne trouve pas de solution réellement efficace en Algérie.


Jusqu’au bout, les véhicules, blindés ou non, en sont victimes. La dispersion des mines et
l’ingéniosité toujours croissante de leurs poseurs rendent la lutte anti-mines plus complexe
que dans un conflit classique où elle consiste à ouvrir des brèches dans les champs de mines
qui sont repérés plus facilement. Face à ce danger, seuls les moyens traditionnels de déminage
à la main ou par chiens démineurs se révèlent efficaces. Ces moyens, qui demandent des
délais importants, ne sont pourtant pas compatibles avec la vitesse de la manœuvre qui doit
être celle des unités blindées. Les mines, même si elles blessent les membres d’équipage des
engins blindés plus qu’elles ne les tuent, constituent tout au long du conflit une entrave à leur
liberté d’action. En outre, étant donné leur faible coût, elles occasionnent des pertes
financières proportionnellement très élevées surtout quand elles détruisent des EBR ou des
AMX.

23. Les armes antichars

Si l’emploi des mines et des pièges se généralise du côté de l’ALN au cours du conflit,
les embuscades antichars1422 y sont très rares en dehors de la zone des barrages. Lorsque des
éléments blindés tombent dans une embuscade, c’est parfois le fruit du hasard comme celle
que subit le 1er escadron du 19e RCC en juin 1958. Depuis août 1957, les escadrons de ce

1422
C’est-à-dire contre un détachement composé exclusivement d’engins blindés contre lesquels il est utilisé des
armes antichars.

575
régiment sont répartis entre Palestro et El-Asnam où ils sont généralement employés à la
sécurité des routes (notamment la RN 5), aux escortes de convoi et à des opérations de secteur
sous le commandement de la 27e division d’infanterie alpine. Le chef de corps a le
commandement du secteur de Bouïra. Le régiment a une mission territoriale dans une portion
du secteur et une mission opérationnelle au profit de l’ensemble dont sont chargés deux
escadrons blindés. Le 1er escadron est détaché en permanence au profit du secteur de Palestro.
C’est dans le cadre d’une opération monté par ce secteur que l’accrochage a lieu au col
de Masief, aux confins des secteurs de Palestro et de Tablat. Ce col est un lieu de passage car,
d’une part, la présence militaire est faible et, d’autre part, le relief et la végétation sont
propices à l’infiltration. C’est dans cette zone qu’opère le commando zonal d’Ali Khodja,
c’est également à cet endroit qu’Azzedine est fait prisonnier au cours de l’opération
Couronne. Les éléments du 1er escadron du 19e RCC sont, comme souvent, en bouclage. « Il
ne se passe strictement rien. Nous devisons, fumons, admirons l’extraordinaire paysage
kabyle. Le 13 juin, en fin d’après-midi, l’opération se déplace en direction de l’Isser et du
Soufflat. »1423 Le 14, après avoir bivouaqué à proximité d’un poste du Ier bataillon du 1er
régiment d’infanterie coloniale à Laperrine, les chars redémarrent et atteignent Lahouiat où se
situe le PC de l’opération.
Le capitaine Labouche, commandant de l’escadron, reste au PC avec deux chars pour
pouvoir obtenir les ordres plus rapidement et ainsi faire agir son peloton sans délai. Le sous-
lieutenant Bossuat prend le commandement de l’escadron et part surveiller les accès du col de
Msaief. A 7 heures, le dispositif est en place. A peine le dernier char a t-il rejoint sa position
que les engins de l’escadron sont pris sous un tir nourri. Les équipages sont surpris, ils
mettent du temps à réagir. Le poste radio du half-track de commandement tombe en panne.
Croyant se faire déborder, le sous-lieutenant Bossuat fonce sur la position supposée de son
adversaire en faisant feu de toutes ses mitrailleuses de bord : coaxiale, capot et superstructure.
Le half-track radio suit en faisant feu également de sa 12,7 mm. Cette action stoppe la
progression des djounouds et les force à reprendre leurs positions initiales d’où ils sont pris de
trois-quarts arrière. Ils sont alors traités à l’obus explosif. Le char du chef de peloton tire 40
de ses 48 obus de soute. Mais, malgré les tirs, le feu des MG 42 et des FM reste très nourri. La
radio étant réparée, le capitaine est averti : « Il a tout de suite une réaction de cavalier (…). Il
est parti dans sa jeep accompagné des deux chars de réserve ». Mais le combat ne dure que

1423
Jean Bossuat, « Quand les fells n’hésitent pas à attaquer les chars », in F.N.A.C.A., op. cit. p. 257 -261.

576
vingt minutes et, lorsqu’il arrive sur les lieux, les assaillants se sont éparpillés en emportant
leurs morts1424.
Au cours de l’accrochage, certains djounouds tentent d’escalader les tourelles des
chars ou de se laisser tomber dessus pour ceux qui se trouvent dans les arbres. Les chars se
dégagent en faisant feu de leurs mitrailleuses car l’imbrication interdit l’usage du canon. Les
djounouds réussissent toutefois à aborder un half-track un peu isolé et à tuer cinq chasseurs de
l’équipage1425.
En fait si ces combattants de l’ALN ont attaqué des chars, c’est qu’ils sont surpris et
veulent se dégager tout en provoquant le plus de dégâts possible. Ils étaient en fait en place,
comme le révèle un rallié quelque temps plus tard, pour tendre une embuscade à une section
d’infanterie qu’ils avaient repérée et qui devait déboucher en contrebas de leur position. Ils
perdent dans l’affaire 33 morts sur un effectif de 230 présents.
Si l’ALN ne s’attaque pas aux chars, c’est parce que les bandes de l’intérieur ne
disposent pas de l’armement nécessaire. Peu d’exemplaires d’armes antichars réussissent à
parvenir aux katibas de l’intérieur. En outre, le transport des munitions, qui sont lourdes et
encombrantes, se prête mal au type de combat qu’elles mènent. En revanche, tel n’est pas le
cas sur les barrages, surtout à partir de 1959.
Les armes antichars, dont l’ALN extérieure dispose alors, sont composées de lance-
roquettes antichar, de canons sans recul ou de fusils anti-char de conception soviétique
PTRD-41 (ou sa version semi-automatique PTRS-41) de 14,5 mm1426. Ce fusil antichar n’est
pas très efficace contre les blindés, surtout quand la distance de tir est élevée. A 500 m, il
perce toutefois 25 mm de blindage, ce qui correspond à l’épaisseur de celui de l’AM M8. Le
seul témoin qui en signale la présence dans les rangs de l’ALN est Claude Brignone. En mai
1960, il est chef de peloton au 26e RD (Colomb-Béchar, ZOS) le long du barrage-ouest. Il se
rappelle avoir entendu les impacts de ces balles, qu’il prend d’abord pour celui d’une vipère à
corne, sur le blindage des AM M8 de protection du PC. L’équipage n’est pas atteint, même si
le blindage est effectivement percé. Les tirs, selon toute probabilité, venaient de l’autre côté
du barrage.

1424
Ibid, p. 260.
1425
Le pilote a la jambe droite brisée par une rafale mais réussit à dégager son engin en appuyant sur
l’accélérateur avec un manche de pioche. Une fois son engin dégagé, il fait feu avec la 12,7.
1426
Le PTRD-41 et le PTRS-41 sont des armes qui ont les mêmes caractéristiques balistiques. La première tait
fabriquée par la société Degtyarov et la seconde par la société Simonov. Ils se différencient par la longueur de
leur tube, respectivement 1,35 m et 1,21 m. Leur poids est d’environ 20 kg et il faut deux hommes pour les
mettre en œuvre.

577
En revanche, les lance-roquette et les canons sans recul, qui apparaissent sur le
barrage-est au début de l’année de 19591427, provoquent beaucoup plus de dégâts. Tous les
régiments déployés le long du barrage-est ont à souffrir de cette menace particulièrement
meurtrière. Ces armes antichars sont utilisés le plus souvent à partir de positions situées de
l’autre côté de la haie électrifiée. Le tireur qui n’est pas dérangé peut installer son poste de tir
avec beaucoup de soin, ce qui rend généralement le tir meurtrier. En août 1959, le long du
barrage-est, un EBR du 3e RCA est détourellé par une roquette qui le perce à hauteur du
défaut de tourelle et qui tue tout l’équipage1428.
A la fin de l’année 1960, pour éloigner les engins de la portée des armes antichars
employées par l’ALN, il est décidé de construire une deuxième piste à 100 m de l’autre. Là où
le terrain ne le permet pas, il est installé un grillage anti-bazooka qui donne satisfaction. Ce
grillage permet de déclencher la charge creuse avant que la roquette n’atteigne le blindé1429.
En outre, il est mis en place un système de couverture à base de mines et de barbelé qui vise à
mettre la route empruntée par les engins blindés hors de la portée des armes antichars1430.
Cependant, dans les secteurs où le barrage avant est proche de la frontière, la menace des
armes antichar continue à se faire sentir. Entre le cap Roux et Roum-El-Souk (quartier de la
Calle) on recense encore 160 coups de bazooka entre novembre et décembre 19601431.
Dans le quartier de Lacroix, à la même période, un dispositif d’éclairage est testé. Il
consiste à aveugler l’adversaire tout en permettant aux véhicules amis de circuler dans
l’ombre, tous feux éteints, avec des cataphotes de guidage le long du barrage. Ce dispositif
met totalement les engins blindés à l’abri des coups de bazooka ou de canon de 57 mm sans
recul (c 75 SR). Il recueille tous les suffrages des équipages, mais coute très cher. On pense
ne l’installer qu’aux endroits où la piste ne peut pas s’écarter du barrage.
La présence de ces projecteurs gêne effectivement considérablement les combattants
de l’ALN surtout lorsqu’ils sont bien placés, comme le reconnaît Khaled Nezzar.
« Au cours des différentes actions que nous avons menées, nous avions
tous remarqué que parmi les projecteurs installés par les Français pour
mieux surveiller la ligne, celui de Khangat Aoun oppose le plus de
difficultés (…) Quand il est question d’actions, le sujet revient toujours
dans la bouche des djounoud et des responsables, non pas pour éviter

1427
SHD/Terre, 1 H 2034.
1428
http://www.anciens3rch-3rca.fr/23.html, consulté le 23 mars 2011.
1429
Delmas, op. cit., p. 63.
1430
SHD/Terre, 1 H 2034.
1431
SHD/Terre, 1 H 1908.

578
d’agir dans la région. La discussion tourne, simplement, autour de la
manière d’effectuer une approche dissimulée. »1432
Khaled Nezzar décide d’attaquer le projecteur au canon de 75 mm. Après s’être faufilé
avec son équipe de destruction jusqu’à 600 m du mirador portant le projecteur, il fait tirer
dessus au canon et le détruit avec son troisième obus. Mais le lendemain, le projecteur est
remplacé par un autre qui est amené d’urgence en hélicoptère1433.

Cliché n° I/122
EBR du 3e RCA tiré par une roquette antichar le long du barrage depuis l’autre côté du barrage en
septembre 1959. http://www.anciens3rch-3rca.fr/23.html

Cliché n° I/123
Le même EBR après son évacuation. La roquette a atteint le défaut de tourelle ce qui a ouvert l’engin par
le haut. Tout l’équipage est mort. Id.

1432
Nezzar, op. cit, p. 189.
1433
Nezzar, ibid., p. 189 et 190.

579
Mais, toutes ces mesures ne sont plus d’aucune utilité lorsque l’ALN extérieure
commence à monter des embuscades contre les blindés intervenant sur une coupure du réseau.
Le capitaine Voekel, qui commande le 2e escadron du 8e régiment de spahis, en fait le constat
lorsqu’il quitte Négrine pour le Bec de Canard :
« Nous avons connu la herse dans un secteur particulièrement calme
mais à proximité du « Bec de canard » la situation était tout autre. Pas
de tentatives d’isolés mais des groupes à l’effectif d’une katiba
disposant d’une base de feu. Il nous est arrivé de subir des assauts
pendant plusieurs heures. Les tirs de lance-roquettes, de mortiers et de
canons sans recul étaient monnaie courante contre nos AM et nos
HT. »1434
En mars 1961, une katiba réussit à passer le barrage grâce à des bengalores et à tendre
une embuscade antichar le long de la piste utilisée par les engins de la herse. Un peloton du 8e
RS venu reconnaître la coupure tombe dedans.
« Les deux automitrailleuses et les deux half-tracks furent vite détruits ;
les équipages tués ou prisonniers ; les fellaghas eurent le temps de
démonter les armes lourdes des engins, et de se replier sans encombre
avec toutes les armes et des prisonniers. »1435
Selon le général Multrier, commandant la ZEC de 1961 à 1962, qui s’étonne que
l’ALN n’ait pas été tenté d’appliquer ce procédé plus tôt, il s’agit toutefois du seul succès
notable de l'ALN durant cette période1436.
Le général Khaled Nezzar, alors chef de la compagnie lourde zonale 11437, relate une
autre embuscade à laquelle il assiste personnellement1438. Malheureusement, si le lieu est
indiqué avec précision, il s’agit de l’attaque d’un poste situé à l’est de Roum-El-Souk (Reml
Essoug), l’auteur ne donne pas de renseignement sur la date que l’on peut toutefois situer au
début de l’année 1961. Il s’agit pour le 13e bataillon de l’ALN, appuyée par la compagnie
lourde zonale d’attaquer le poste de Sabouna situé sur un pont sur la route de Roum-El-Souk.
Les combattants de l’ALN décident de constituer trois groupes, l’un étant chargé de l’attaque
et les deux autres de la couverture de part et d’autre. Lors de l’attaque, un soldat français
1434
Témoignage de Charles Voekel cité dans Le Burnous; Spahis blindés en Algérie (1954-1962). Paris, Chez
l’auteur, 2002, 96 p., p.53
1435
Général Multrier, « Le Barrage en zone est-constantinois (ZEC) », Revue Internationale d'Histoire Militaire,
no 76, 1997, 340 p.
1436
Id.
1437
Cette compagnie compte six canons de 75 mm, six autres de 57 mm, six mortiers de 82 mm, six mitrailleuses
de 12,7 mm, douze mitrailleuses de 7,62 mm et douze LRAC. Nezzar, op. cit., p. 165.
1438
Nezzar, ibid., p. 160 -164.

580
s’échappe du poste et demande de l’aide par radio. Nezzar intercepte la communication grâce
à un poste VHF dont il dispose. Il entend les ordres donnés au peloton envoyé sur place dont
il voit les phares peu après. Une fois les véhicules engagés sur la route, ils sont pris dans une
embuscade montée par l’élément de couverture qui est restée sur place après l’attaque dans
l’attente probable de l’arrivée de renforts.
« Trois EBR et un véhicule chenillé half-track se présentent. Le premier
est surpris par deux mines antichars lancées sur l’asphalte, les deux
autres sont tirés au but au moyen de lance-roquettes. Le véhicule
chenillé reçoit un obus de 57 mm. Les trois EBR transportant chacun 5
hommes (sic)1439, sont détruits ; leurs équipages, ne pouvant s’extirper,
seront calcinés. Les 8 hommes du half-track sont pris sous les tirs des
armes individuelles des moudjahidine. Un seul soldat échappera à la
mort et sera fait prisonnier. Choqué, il ne pourra répondre à mes
questions, répétant hébété : Ils ont tous cramé ! »1440.
Une étude un peu plus poussée1441 permet en fait de dater cette embuscade. Il s’agit de
la nuit du 6 au 7 mai 1961. Vers minuit, une patrouille du 1er escadron du 21e RS se rend
effectivement à l’ouest de Roum-El-Souk, mais pour se porter sur un incident électrique. Elle
est composée de deux EBR et d’un half-track. Les trois engins sont tirés au bazooka1442. Un
EBR et le half-track flambent, le deuxième EBR a sa tourelle bloquée. Une patrouille de
secours se rend aussitôt sur les lieux alors que l’ALN a décroché. Les pertes, quoique
inférieures à ce qu’annonce Khaled Nezzar, sont importantes. Elles s’élèvent à un sous-
officier et trois spahis morts (sans doute l’équipage de l’EBR qui a brûlé), trois blessés, dont
l’adjudant-chef chef de peloton, et un disparu, sans doute le prisonnier dont parle Khaled
Nezzar1443.

1439
L’équipage de l’EBR n’est composé que de 4 hommes.
1440
Nezzar, ibid. p 164.
1441
Le 21e RS est le seul régiment d’EBR présent dans cette zone à cette époque. Il y arrive en avril 1961 pour
relever le 29e RD qui est équipé d’AM M8. Il y reste jusqu’en juillet 1962. La seule embuscade dont le lieu et le
volume de perte correspondent au récit de Nezzar est celle de la nuit du 6 au 7 mai 1961.
1442
En Algérie les cavaliers disent plus volontiers « bazookés ».
1443
SHD/Terre, 7 U 1012*.

581
Cliché n° I/124
Zone de déploiement du 21e RS en mai 1961. La route D 110 est exposée aux coups de l’ALN. André
Mercier, qui sert comme militaire du rang au 29e RD en juin 1959, y essuie un coup de bazooka alors qu’il
effectue une liaison en camion entre le poste de Yusuf et le Tarf1444. Carte Michelin, pli n° 10

Cliché n° I/125
Tracé du barrage avant dans la région de Roum-El-Souk. La flèche indique le lieu de l’embuscade.
SHD/Terre, 1 H 2040

Sur le barrage-est, les engins détruits par des armes antichars sont de plus en plus
nombreux. Le 31 mai deux engins du 1er escadron du 1er RS sont également victimes d’une
embuscade avec comme perte un mort et deux blessés1445. Chacune de ces embuscades
marque les équipages qui ne se sentent plus invulnérables dans leurs blindés. Albert Ducloz,
en permission au moment des faits, écrit à ses parents, peu après son retour au régiment, en
juin :
« Le secteur n’a pas été calme pendant ma permission (…) Deux EBR
ont morflé ; l’un a eu une roue arrachée par une mine, mais l’équipage
n’a rien eu ; mais l’autre a été bazooké, il a explosé. Ils ont retiré
l’équipage carbonisé ! Je ne connaissais pas les trois gars. »1446

1444
André Mercier, « Des chasseurs d’Afrique aux Dragons », in Guerre d’Algérie, témoignages d’appelés,
Paris, Trésor du Patrimoine, octobre 2002, 80 p., p. 80
1445
SHD/Terre, 7 U 999*.
1446
Ducloz, op. cit., p. 167

582
D’autres tentatives ont lieu par la suite, mais elles sont beaucoup moins meurtrières,
car des dispositions sont prises pour appuyer les pelotons d’intervention. Il n’en demeure pas
moins vrai que des engins blindés sont encore détruits de cette façon comme cet AMX du 5e
escadron du 2e RD le 20 mai 1961 sur la bretelle de Rhilane. Les occupants de la tourelle,
chef de char et tireur, trouvent la mort. Le pilote, qui est indemne, ramène toutefois le char en
feu au col de Rhilane1447.
Les attaques de blindés sont parfois menées avec un sens de la manœuvre qui est
révélateur du niveau tactique que l’ALN extérieure atteint alors. Le 4 juillet 1961, un EBR du
2e escadron 3e régiment de chasseurs d’Afrique, dont Daniel Debernardi est le pilote, est pris
sous le feu d’une mitrailleuse alors qu’il est observation le long du barrage dans le quartier de
Bekkaria. Il répond aussitôt à coups de canon et commence à vider sa soute. Mais, alors qu’il
est occupé à tirer, une bande fait sauter le barrage un peu plus loin et commence à le traverser.
L’EBR est alors pris sous un tir de mortier. Quarante minutes plus tard, il est pris d’assaut et,
lorsqu’il essaye de se dégager, il est atteint par une roquette antichar qui pénètre par un
réservoir, traverse le poste du pilote est explose dans son dos. Trois autres roquettes atteignent
la tourelle, l’EBR prend feu. Le pilote qui a été éjecté essaie de trouver un abri alors que les
combattants de l’ALN cherchent à l’achever et le blessent grièvement au thorax. Six EBR
arrivent en renfort et le pilote profite de leur arrivée pour s’exfiltrer. Il est rejoint par son chef
de voiture qui a sauté de la tourelle juste avant qu’elle soit atteinte par les trois roquettes. Ils
sont ramassés par un EBR du peloton qui était à leur recherche. Le tireur s’en tire également
indemne mais aurait perdu la raison quelque temps après1448.
Des embuscades sont parfois montées par l’ALN dans le no man’s land où des
patrouilles blindées font des incursions. Le chef de corps du 4e régiment de chasseurs à
cheval, après avoir relevé le 8e régiment de spahis peu après l’embuscade de mars, y envoie
régulièrement en patrouille ses deux commandos (V44 et V49). Ils sont alors suivis par des
éléments blindés qui restent en réserve. Mais, parfois, le commando ne détecte pas la présence
de l’ALN et les engins, chargé de son soutien tombent dans une embuscade antichar. C’est
dans ces circonstances que le capitaine Lamarle, commandant d’un escadron, trouve la mort.
sur la RN 20 le long de voie ferrée Souk-Ahras-Ghardimaou dans la vallée de l’Oued
Medjerda.

1447
Historique du 2e régiment de dragons. Saint-Maixent, Chez l’auteur (P.I.A.T.) 2000, 308 p., p. 244.
1448
Témoignage de Daniel Debernardi, in FNACA, op.cit., p. 262 - 263.

583
Cliché n° I/126
Carte du no man’s land entre le barrage-est et la frontière tunisienne à l’Est de Souk-Ahras. SHD/Terre, 1
H 2034.

Le cas d’embuscades s’inscrivant dans des opérations de plus grande ampleur sont très
rares. On en relève un à la fin de l’année 1960 qui a déjà été évoqué (cf. supra p. 540 et note
n° 1340). Le 27 novembre 1960, à 1 h 30, les postes de Sakiet et de M’Raou tenus par des
unités du 153e régiment d’infanterie sont attaqués. Le poste de Colonna, où est stationné le 2e
escadron du 4e RH, subit des tirs de mortier. Georges Brignone, alors chef de peloton dans cet
escadron, part au secours de Sakiet avec son peloton (cinq M24 et un half-track) en black-out
1449
et à une allure de 3 km/h. Il tombe dans une embuscade et les deux chars de tête sont tirés
au bazooka. Mais les coups passent largement au dessus des tourelles ou sont courts. Une
roquette se fiche quand même dans le barbotin1450 du char du chef de peloton, mais la charge
creuse ne se déclenche pas. Les combattants ALN avaient prévu l’arrivée de ces renforts et
avaient installé un dispositif de couverture avec des canons SR de fabrication chinoise dont
des containers de munitions sont trouvés sur le terrain le lendemain1451.

1449
Cf. note n° 1241.
1450
Le barbotin est la roue dentée qui entraîne la chenille. Il se situe à l’arrière sur le M24, mais à l’avant sur
l’AMX 13. A l’autre extrémité du train de roulement se trouve la poulie de tension qui sert, comme son nom
l’indique, à tendre la chenille.
1451
Témoignage oral de Georges Brignone et « L’Attaque généralisée de l’ALN sur le barrage Est », in Guerre
d’Algérie magazine, n° 16, mai 2009, 66 p., p. 4 – 23.

584
Cliché n° I/127
L’EBR Buzenval du 1er escadron du 8e RH tiré par une roquette antichar le 5 janvier 1960 dans la région
de Clairefontaine (ZEC). http://www.amicale-8-hussards.com/index.php, consulté le 4 avril 2011.

Sur le barrage-est, l’utilisation d’armes à charge creuse sur une grande échelle par
l’ALN entraîne, dans certains secteurs, la suppression de la herse qui est compensée par la
mise en place d’un dispositif de petits postes d’infanterie au début de l’année 1960. Du côté
marocain, où ce type d’action est plus rare, il n’est en revanche pas question de la
supprimer1452.
Les armes antichars sont plus mortelles que les mines pour les équipages des engins
blindés. Même si leurs effets sont beaucoup plus dévastateurs, les armes antichars
représentent une menace qui pèse donc beaucoup moins sur les unités blindées que celle
représentée par les mines qui sont leur hantise dans certaines zones.

III. L’emploi des unités à cheval

Parallèlement à ces combats qui s’apparentent à ceux qui peuvent être menés en
Europe, des unités à cheval, qui semblent d’un autre âge, refont leur apparition sur le champ
de bataille. Lors de leur remise sur pied sous forme d’escadrons autonomes, elles sont
engagées alors qu’elles sont loin d’avoir atteint la cohésion et l’entraînement indispensables
pour le faire. Cet emploi est désordonné, sans doctrine, et mène souvent à de grandes
déceptions. Le commandement local s’étonne de ne pas pouvoir compter sur ces unités qu’il
considère comme une réserve prête à agir rapidement, et les cadres des unités montées se
1452
SHD/Terre, 1 H 1349.

585
sentent sous-employés ou mal employés. Le regroupement des escadrons en groupe
d’escadrons ou régiment ne semble pas, dans un premier temps, apporter d’amélioration à
cette situation. Le 5e régiment de spahis algériens, auquel sont confiées, dans ses débuts, des
missions de garde, n’a pratiquement aucun contact avec l’ALN au cours de l’année 1956, si ce
n’est des harcèlements de poste.
La méconnaissance des possibilités et surtout des servitudes de la cavalerie à cheval,
l’ignorance du rythme de vie et « ficelles » du métier de cavalier par les jeunes cadres1453, font
parfois remettre en question l’utilité de ces unités. A fur et à mesure que le temps passe,
l’expérience acquise par les cadres dont la stabilité est essentielle, et un emploi plus judicieux
par le commandement des escadrons à cheval, font que la situation se redresse et que les
unités deviennent rentables.

31. Un emploi limité par des contraintes matérielles

Le cheval barbe est un animal rustique, mais il n’en demeure pas moins qu’il a des
exigences pour être pleinement opérationnel. En premier lieu, il lui faut des conditions de
logement au quartier pour être à l’abri des intempéries. L’une des causes principales de
l’hécatombe des chevaux pendant l’hiver 1939/1940 est précisément le manque
d’infrastructures et d’hygiène qui en découle. Or les conditions climatiques de l’AFN
peuvent être parfois très rigoureuses : il peut y faire une chaleur écrasante, mais il peut
également y faire très froid. Pour implanter une unité à cheval dans un poste, il est donc
indispensable d’installer des abris. Or, seules les unités stationnées dans les anciens quartiers
de cavalerie peuvent bénéficier d’écurie. Dans les postes, il s’agit d’écuries de fortune, qui
sont même parfois dépourvues de toit. Les travaux d’infrastructure, même sommaires, sont
donc toujours plus importants pour une unité montée que pour une unité à pied ou blindée.
Lorsque François Meyer s’installe dans le Ksar d’El-Maïa avec son peloton, en plus des
travaux de mise en défense du ksar et du logement de ses hommes, il doit également veiller à
ce que ses chevaux soient le mieux logés possible. Si tel n’est pas le cas, son peloton risque de
se retrouver avec des chevaux indisponibles, ce qui limiterait sa capacité opérationnelle.

1453
En décembre 1956, le LCL Marzloff, commandent le 5e RSA, écrit au président du Burnous : « Les cadres
sont jeunes, pleins d’enthousiasme, mais ignorent tout de l’instruction et de l’emploi de la cavalerie à cheval ;
ils n’ont pas l’expérience des Français-Musulmans, ce qui est plus grave en ce moment. Le métier de chef de
peloton à cheval n’est pas simple ; il exige une longue pratique. » SHD/DITEX, 1 K 669/13.

586
Cliché n° I/128
Ecurie du 1er escadron du 3e GESC à Saïda en novembre 1958. Cliché François Meyer

Cliché n° I/129
Ecurie du peloton du lieutenant Meyer 2e escadron du 3e GESC dans le ksar d’El Maïa, dans le sud
Oranais lors de l’achaba pendant l’hiver 1959. Cliché François Meyer.

Une autre contrainte forte que connaissent les unités est le soin quotidien que l’on doit
apporter aux chevaux. Il leur est donc indispensable de disposer d’un effectif suffisant pour
soigner l’ensemble de leur cavalerie. En outre, ce service doit continuer à être assuré quand
l’escadron est en opération, car tous les chevaux n’y participent pas, soit pour indisponibilité,
soit parce qu’il n’y a pas assez de cavaliers. Cette contrainte limite les effectifs disponibles,
surtout si l’unité est isolée.

587
Le pansage a lieu au moins une fois par jour, autant que possible après le travail du
matin. S’il revêt tant d’importance, c’est parce qu’il n’est pas seulement une mesure de
propreté, mais également un puissant moyen d’hygiène qui peut empêcher l’engorgement des
membres et les refroidissements. En outre, un bon pansage facilite la respiration et la
circulation cutanées ce qui améliore les processus sanguins et, partant, la digestion. Certains
cavaliers prétendent même qu’un bon pansage vaut un quart de la ration1454.
Au bivouac, les chevaux sont généralement entravés à la corde. Parfois, ils sont
attachés individuellement à un corps mort, mais cette solution ne peut être adoptée que dans
une zone où la sécurité est assurée.

Cliché n° I/130
Chevaux du peloton Meyer, du 3e GESC, au bivouac. Les chevaux sont entravés à la corde qui est fixée sur
le sol. Ils sont en train de manger leur orge grâce aux musettes-mangeoire. Cliché François Meyer.

Au bivouac comme au quartier, la logistique nécessaire aux chevaux est très lourde.
Au quartier, il lui faut de la paille pour la litière qu’il faut ensuite changer régulièrement1455.
La paille doit être livrée par grosse quantité par des convois, qui évacuent également le
fumier, dont il faut assurer la protection.
En outre, chaque cheval consomme une ration de 5 kg d’orge par jour. Elle doit être
répartie tout au long de la journée, car les chevaux ont un estomac de petite taille.
L’échelonnement des repas est une contrainte importante en campagne1456. L’orge passe pour
être l’un des meilleurs aliments pour le cheval de selle. Elle est plus énergétique que l’avoine

1454
Claude Charvin, Pratique de l’alimentation des chevaux. Paris, Crépin-Leblond, 1980, 207 p., p. 74 -75.
1455
Selon Claude Girard, un escadron produisait 800 m3 fumier par mois, op. cit. p. 112, note n° 12.
1456
Réveil : 500 gr, à l’arrivée à l’étape : 2 kg, vers 16 h 00 : 1,5 kg et à 20 h 00 : 1 kg.

588
mais contient moins de cellulose, c’est pourquoi on la classe dans les nourritures lourdes1457.
Les chevaux, nourris à l’orge, sont moins sujets à la constipation. Mais cette céréale est
particulièrement nuisible quand elle est germée ou humide, mélangée de terre ou de sable.
Son stockage dans les postes isolés est donc un souci permanent pour le chef de détachement.
Un escadron de spahis en consomme une trentaine de tonnes par mois, qu’il faut lui livrer par
convoi tant au quartier qu’en opération.
Si l’orge est un bon aliment pour les chevaux, elle doit être en revanche équilibrée
avec un lest plus important du fait de sa dureté. Le cheval doit impérativement consommer du
fourrage1458, avant son orge pour remplir la moitié de son estomac et pouvoir la digérer
correctement. Cela suppose, en opération, de livrer du fourrage, surtout dans les régions
pauvres en végétation, or la ration quotidienne d’un cheval est d’environ 3 kg de fourrage par
jour, soit plus de 500 kg pour un escadron. Chaque escadron est donc approvisionné en
moyenne deux fois par mois par deux ou trois camions d’orge et de fourrage1459.
Mais le problème le plus difficile à résoudre est celui de l’eau. Un cheval boit une
vingtaine de litres d’eau par jour. Les chevaux barbes, plus rustiques, peuvent plus facilement
être rationnés. Cependant le règlement de 1875 estime que leur ration quotidienne minimum
est de 14 litres, à laquelle il faut ajouter celle de leurs cavaliers. Or l’eau est d’autant plus rare
en Algérie que celle des oueds est souvent saumâtre et rend parfois les chevaux malades.
Donc, si un escadron doit opérer dans une zone où il n’y pas de puits, il faut également lui
livrer de l’eau par citerne, ce qui demande non seulement de former un convoi, mais
également de gros délais pour remplir la citerne puis distribuer l’eau dans les amara.
En mai 1960, Albert Sauvanet, commandant le 1er escadron du 9e groupe d’escadrons
de spahis algériens (GESA), est durement confronté à ce problème lorsqu’il s’implante avec
son escadron dans la plaine située au pied des monts des Adjalets dans le secteur d’Aflou,
dont le terrain a une configuration qui semble idéale pour l’emploi d’une unité montée. Mais
la région n’est pas bien pourvue en eau. Cependant, un survol en hélicoptère permet d’y
repérer de nombreuses éoliennes. Albert Sauvanet, à peine implanté, effectue une
reconnaissance en jeep pour repérer ces points d’eau. Il se rend compte alors que, non
seulement les éoliennes sont toutes sabotées, mais également que les puits ont une profondeur
qui atteint parfois plus de cent mètres, ce qui interdit d’y puiser l’eau. L’escadron doit donc

1457
L’orge de bonne qualité à une couleur jaune paille, son grain est renflé, lourd et sec, et son poids au litre est
de 0,62 kg (0,5 kg pour l’avoine).
1458
Il est facile de trouver du fourrage en Algérie. Selon les régions on pouvait donner aux barbes du drinn, de
l’alfa, ou même du modeste kfat dans Sud.
1459
Dinechin Bertrand (de), « Petites affaires, grandes chevauchées », in Promotion Extreme-Orient, op. cit., p.
237.

589
être livré par camion citerne. Ainsi, malgré l’excellence du terrain sur lequel se trouve
l’escadron, il ne peut donc se voir confier essentiellement comme mission que la protection
des travaux du gazoduc1460.
La lourdeur logistique des régiments est jugée excessive par la Xe RM qui, en juin
1960, souhaite les voir disparaître pour ne former que des pelotons sous forme de harkas. Les
chefs de corps des régiments montés s’y opposent, ainsi que les commandants de secteur.
Alors que les régiments viennent à peine d’être mis sur pied, le commandement local
commence à comprendre le parti qu’il peut en tirer1461.

32. Des conditions d’emploi restrictives

Si les unités à cheval ont la réputation de passer là où le véhicule s’arrête, tous les
terrains ne se prêtes pas à son emploi. Les unités à cheval ne sont absolument pas adaptées au
désert saharien car les chevaux y souffrent trop. Ils sont en effet très sensibles à la grande
différence de température entre le jour et la nuit et aux vents de sable qui sont très nocifs pour
leurs voies respiratoires. En outre, il est très difficile de les y approvisionner en eau par
citerne. Les clichés du fonds Marc Flamand1462, qui montrent des spahis à cheval du 23e RS
dans les dunes de sable du sud Oranais, ont été réalisés au cours d’une opération spécialement
montée pour l’occasion1463 et donnent une fausse image de l’emploi des unités montées en
Algérie.
Les zones montagneuses à forte végétation sont également à proscrire, ce que le
commandement ignore au début du conflit. Ainsi, entre août et septembre 1956, le 9e GESA
participe à la surveillance de la frontière tunisienne entre Lamy et la mer dans le secteur de
Blandan. Le régiment, en nomadisation permanente et sans base arrière, y éprouve les pires
difficultés, pour un maigre résultat. Dans cette région l’eau est rare et l’approvisionnement par
camion citerne difficile du fait de manque de piste carrossable. De plus le terrain chaotique,
couvert d’une végétation épineuse et dense, est peu propice à l’emploi des unités à cheval qui
ne peuvent pas s’y déployer en cas de contact alors que l’adversaire peut s’exfiltrer
facilement. Robert Gaget qui sert au 10e GESA, fait le même constat pour la zone de Saïda :
« Les unités montées ne paraissent pas adaptées aux combats dans ces terrains coupés et

1460
SAUVANET Albert, « Le Cheval sauvage », in PROMOTION INDOCHINE (1946 – 1947), Ils témoignent,
Compiègne, chez l’auteur, 1999, 527 p., p. 481 - 482
1461
SHD/Terre, 31 T 9.
1462
ECPAD, FLAM 30 R 3805 à 4020.
1463
Témoignage de François Meyer.

590
boisés. Lorsque je pense aujourd’hui aux risques que l’on a fait prendre en engageant nos
escadrons à cheval dans de tels maquis, où régnaient des katibas bien armées, j’en tremble
encore. »1464 Du reste, c’est sur un terrain similaire que, le 5 mai 1956 dans les monts de Daïa
(au sud d’Oran), ce groupe d’escadrons perd 25 spahis en un seul accrochage.
Les unités à cheval ne peuvent pas non plus s’engager en forêt. Parfois des fuyards y
trouvent leur salut car, comme le rappelle François Meyer, les cavaliers lancés à leur
poursuite s’arrêtent à la lisière des zones boisées. Du reste, Gilles Méhu est bien conscient de
sa vulnérabilité lorsque, à peine arrivé au 2e escadron du 5e RSA, il nomadise dans la forêt de
l’oued Okriss1465, dans le sud-ouest de la chaine des Bidan, pendant un mois. L’escadron n’y a
aucun, heureusement pour lui, aucun contact. Les spahis vont de point de ravitaillement en
point de ravitaillement avec comme seul souci celui de l’abreuvoir1466.
En 1956, le 9e GESA est également déployé sur un terrain peu propice à son action
dans le quartier de Blandan, cette fois, doit le terrain, difficile et boisé, est « peu apte aux
unités à cheval » comme le rappelle le chef de corps dans un rapport annuel de 19581467.
Alors que sa mission principale doit être de surveiller la frontière tunisienne, il ne se consacre
pratiquement qu’à la lutte contre l’OPA, pour laquelle l’utilisation de chevaux n’est pas
pleinement justifiée.
Dans le domaine de l’emploi, les commandants locaux surestiment parfois les
capacités des unités à cheval qui ne peuvent se déplacer qu’à 6 km/h et ne couvrir qu’une
étape d’une quarantaine de kilomètres par jour que les cavaliers parcourent en partie à pied
pour ne pas user le dos de leurs chevaux. En outre, si le cheval barbe est un bon marcheur et
un bon galopeur, il ne peut, en revanche, pas couvrir de grandes distances au trot, étant donné
son manque d’amplitude à cette allure. Le 2 juillet 1957, le 10e GESA est ainsi usé avant de
pouvoir être engagé. Dans le cadre d’une opération monté avec le 8e régiment d’infanterie,
renforcé de légionnaires et de gendarmes mobiles, le GE reçoit pour mission de fouiller une
grande surface situé dans la région de Khelfallah, au sud de Saïda. A 7 h 00, les 210 cavaliers
disponibles quittent leur base. A 19 h 00, après 60 km de déplacement au cours duquel ils
fouillent le terrain, ils arrivent à Tafraoua, sans que les chevaux n’aient bu par une chaleur
torride due au sirocco. Ils repartent le lendemain à 6 h 00 tout en continuant la fouille de
mechtas et de khaimas abandonnées. Une fois au cantonnement, les chevaux, très éprouvés,

1464
Général Robert Gaget, Le Commando Cobra, Paris, Jacques Grancher, 1988, 243 p., p. 17 et 18.
1465
Le 2e escadron stationne à cette période en bordure de cette forêt qui est une zone interdite reliant la région
des Portes de fer à celle de Médéa et qui est fort utilisée par les bandes en transit entre l’Algérois et la Tunisie.
1466
Témoignage de Gilles Méhu.
1467
SHD/Terre, 7 U 1013*.

591
doivent être mis au repos pendant plusieurs jours après cet effort excessif qui n’a permis,
somme toute, de ne découvrir qu’une caisse de documents sur une position défensive
abandonnée par l’ALN1468. De telles fatigues sont par la suite évitées grâce à la mise en place
de camion-vans.
Mais, l’emploi excessif des chevaux leur est toujours préjudiciable lorsqu’ils sont
engagés sur une longue période. En novembre 1959, un escadron de marche du 9e RS
participe aux opérations Pierres précieuses au cours desquelles il doit se déplacer
constamment en vivant sur l’habitant pendant plusieurs semaines. Mais, ces déplacements
constants sont trop répétitifs et usent les chevaux de façon démesurée. Il faut les renouveler
constamment, car beaucoup d’entre eux tombent malades du fait de leur fatigue. Le taux
d’indisponibilité est tel que l’escadron est finalement retiré car la forme d’emploi est « un peu
excessive dans des terrains difficiles et en une saison peu propice »1469.
La méconnaissance qu’a le commandement des possibilités des unités montées le
pousse, soit à les utiliser à pied ou par héliportage1470, soit à leur confier des missions
secondaires, ce dont souffre le moral du personnel qui mène une vie très dure, sans qu’il n’y
ait de résultats probant pour récompenser ses efforts. Ce sous-emploi ne permet pas, en outre,
de former les jeunes cadres dont aucun n’a pratiquement d’expérience des pelotons montés.
Ce manque d’expérience se solde, au 5e RSA, par des pertes anormales lors du premier
accrochage sérieux auquel participe l’un de ses pelotons le 1er mars 1957. Ce jour-là, le
3e escadron perd douze hommes, tués ou disparus et quinze chevaux. Cet escadron avait été
envoyé en nomadisation dans la zone forestière située vers l’oued Isser, au nord-ouest de
Béni-Slimane. Après avoir passé la nuit dans une ferme, il reprend sa progression vers l’oued
Malah. Le 3e peloton, celui du sous-lieutenant des Roches de Chassay, progressant au sud de
l’escadron, est accroché dans un village vers 10 h. Le chef de peloton et huit hommes sont
tués immédiatement. Le capitaine de Rochefort, commandant l’escadron, aussitôt informé,
fait manœuvrer ses deux autres pelotons en vue de dégager le peloton au contact. Le
2e peloton, commandé par le sous-lieutenant Ouazzani, est arrêté dans sa progression par des
« djounouds » postés en couverture. Il fait mettre pied à terre pour forcer le passage mais reste
fixé sur place. Le chef du 1er peloton, le sous-lieutenant Renucci, qui a de mauvaises liaisons
radio avec son capitaine, prend l’initiative de se porter au galop en direction des coups de feu.
Il se heurte à un dispositif ennemi qui tente de l’encercler. Il réussit à se replier et à faire

1468
SHD/Terre, 7 U 978*.
1469
SHD/Terre, 7 U 1013*.
1470
Tout au long du conflit, le personnel des unités à cheval est régulièrement héliporté au cours des opérations.

592
mettre pied à terre pour reprendre le combat. Comme tous ses pelotons sont au contact, le
capitaine tente alors de venir commander au plus près. Bien qu’il soit pris à parti par des feux
intensifs venant de crêtes boisées, il réussit à rejoindre les 1er et 2e pelotons qu’il regroupe
avec lui, afin de porter secours au 3e peloton. Entre-temps, une AM M8 de la patrouille
blindée de l’escadron, alertée par un cavalier du 3e peloton, réussit à se mettre en appui et tire
au canon sur les mechtas d’où s’échappent les coups de feu. Cette action permet à un
maréchal-des-logis de faire décrocher les restes du 3e peloton, puis de relever les dix morts.
Même si l’ALN laisse vingt-cinq morts sur le terrain, l’impact psychologique qu’à ce combat
est énorme tant sur les spahis que sur le commandement qui commence à remettre en doute
l’utilité des unités à cheval.
Ce combat montre bien la vulnérabilité d’un peloton à cheval qui doit mettre pied à
terre pour combattre et la difficulté qu’il rencontre pour se dégager lorsqu’il est fixé par de
feux supérieurs aux siens. La présence d’AM M8, au sein du régiment, ou du GE, apparaît dès
lors indispensable, c’est la raison pour laquelle on souhaite en attribuer un escadron à chacun
d’entre eux.
Face à leur vulnérabilité, il apparaît essentiel, que les pelotons se dispersent le plus
possible en zone d’insécurité ou en cas de contact. Selon Gilles Méhu, cette solution permet
non seulement de limiter les pertes mais aussi de manœuvrer plus facilement1471. Cette
dispersion leur permet, en outre d’être plus efficace dans la recherche du renseignement,
sachant qu’en plaine, l’escadron déployé par escouade couvre une surface d’environ 25
hectares1472. En revanche, en cas de contact, ils doivent se regrouper rapidement pour pouvoir
disposer d’une puissance de feu suffisante.
Le 22 janvier 1959, c’est ce type de dispositif de marche qui permet à l’escadron de
Gilles Méhu de ne pas tomber dans une embuscade. Ce jour là, l’escadron participe à
l’opération Cygne bis, dont le but est la destruction d’une katiba dans le secteur de Roumia. Il
opère dans le cadre d’un groupe d’escadrons de marche qu’il forme avec le 4e escadron et qui
est commandé par le chef d’escadrons Chevant. Ce dernier dispose d’une patrouille d’AM du
régiment et d’un PC à cheval, mis sur pied avec le peloton trompettes du régiment et dont les
postes radio sont transportés par des chevaux de bât. Ce GE est mis à la disposition du 1er
REP et a comme mission de le renseigner sur les mouvements d’une katiba qui chercherait à
décrocher vers le sud face aux légionnaires qui attaquent par le nord. Les spahis interceptent

1471
Témoignage de Gilles Méhu.
1472
Girard, op. cit. p. 144.

593
des communications radio sur différentes fréquences, donnant comme consigne aux
djounouds : « Laissez les passer, cachez-vous, n’attaquez pas. »
En fin de journée, la liaison physique avec les éléments du 1er REP est effectuée sans
qu’aucun contact avec l’ennemi n’ait été établi, malgré la présence au sol de nombreuses
traces. Vers 17 h 45, il est décidé de démonter l’opération. Le 4e escadron quitte la position
suivi du 1er, dont Gilles Méhu, en tant que lieutenant premier, ferme la marche. Les pelotons
ne marchent pas en colonne mais sont dispersés autant que le terrain le permet. Gilles Méhu
aperçoit sur sa droite une tête qui se lève en haut d’un petit piton. Aussitôt il se met au galop
et donne l’alerte. Il rameute son peloton pour l’installer sur une base de feu. Se voyant
repérés, les djounouds ouvrent le feu, c’est la confusion, le cheval de Gilles Méhu est touché
au ventre et s’effondre une fois qu’il est à couvert. Le peloton se rétablit sur un petit
mouvement de terrain, les chevaux sont mis à couvert. Le FM du peloton ouvre le feu à partir
de sa nouvelle position, mais le tireur est tué à bout portant pas un homme isolé qui est caché
dans un buisson. Il blesse également gravement le sous-officier adjoint. Gilles Méhu abat le
tireur isolé d’un coup de pistolet. Le capitaine commandant le 4e escadron monte une contre-
attaque avec son 3e peloton et prend pied sur le piton où les djounouds sont embusqués. Il
dégage ainsi ses éléments accrochés au corps à corps. A 18 h 00, deux avions T6
interviennent à la mitrailleuse.
Le 1er escadron, alerté par radio, rallie la position au galop qu’il atteint 30 minutes
après le début de l’accrochage. Une fois la levée des feux aériens effectuée, les deux
escadrons agissent de concert, en se portant en avant. Leurs adversaires décrochent. Les
derniers coups de feu sont tirés vers 20 h. Les éléments du 1er REP, venu à marche forcée
porter secours aux spahis n’arrivent sur les lieux qu’à 21 h 30. Ils participent à la fouille du
terrain sur lequel on relève trois morts avec leurs armes et des documents. Le groupe
d’escadrons a perdu au cours du combat, trois morts et deux blessés, ainsi que deux chevaux
tués (ceux de deux chefs de peloton), trois de blessés et cinq d’échappés.
L’effectif de l’ALN est estimé à plus de 100 hommes, peut être y avait-il non pas une
mais deux katibas. Le fait que les spahis n’aient jamais été tous regroupés ou en colonne leur
a sans doute permis d’éviter le pire. Si la katiba n’a pas ouvert le feu plus tôt, c’est sans doute
parce qu’elle n’aurait pu atteindre qu’une faible partie de l’effectif.

594
Cliché n° I/131
L’ordonnance de Gilles Méhu. Le cheval démonté est celui de Gilles Méhu, R’Kaïb. Il trouve la mort le 22
janvier 1959. Cliché Gilles Méhu.

Cliché n° I/132
Le peloton de Gilles Méhu à l’abreuvoir peu avant l’embuscade du 22 janvier 1959 où le spahi Gannereau,
à droite de la photo, trouve la mort en servant son FM. Cliché Gilles Méhu.

33. Une efficacité liée avant à un terrain favorable

Si certaines unités, comme la 16e compagnie de nomades d’Algérie qui, depuis 1957,
« constitue un outil particulièrement efficace sur les Hauts-Plateaux »1473, sont d’emblée
installées sur un terrain propice aux unités à cheval , il faut attendre 1958 pour qu’elles le

1473
SHD/Terre, 7 U 603*.

595
soient à peu près toutes. A la fin du mois de novembre, le 9e régiment de spahis1474, par
exemple, se voit affecter le quartier d’Oued Zanati (au sud de Bône) dont le terrain est propice
à une unité montée et où il relève le bataillon de Corée. Ce quartier mesure 55 km du nord au
sud et 25 en moyenne d’ouest en est. Chaque escadron a la responsabilité d’un sous-quartier.
Il dispose, en outre d’une batterie d’artillerie implantée au nord de sa zone. Il est organisé, en
moyenne, une opération de quartier par semaine avec les escadrons toujours renforcés de
moyens d’appui feu. Toutes les opérations engageant au moins un escadron comportent un
Piper, une ambulance et deux éléments réservés, l’un à cheval et l’autre sur AM. Les
escadrons bouclent ou ratissent des zones de 10 à 20 km². En fin d’opération, un élément léger
est toujours laissé sur le terrain pour être récupéré le lendemain. Les commandants de sous-
quartier montent également leurs propres opérations sur des renseignements qu’ils obtiennent
localement. Les postes ont leur zone de patrouille, ils y font des contrôles de population, des
marquages d’habitation. Il assure ainsi une présence permanente de jour comme de nuit, à
pied ou à cheval. Selon le chef de corps, « ce grenouillage constant de tous les postes et des
escadrons » donne de bons résultats1475.
L’adversaire, auquel les escadrons sont opposés, jouissait, avant leur arrivée, d’une
relative invulnérabilité en mettant à profit un terrain qui lui est favorable. Il a un faible réseau
routier et domine les implantations militaires. Son sol est raviné et souvent rocailleux, ce qui
facilite la dissimulation. En outre, le barrage accaparait les unités qui devaient négliger leur
propre zone du fait de la faiblesse de leurs effectifs. De ce fait, de grandes zones de terrain
sont devenues incontrôlées. A l’arrivée du 9e RS, le volume de l’ALN y est estimé à deux
sections d’une trentaine d’hommes et à deux commandos qui s’appuient sur une OPA très
bien structurée et sur la population qui n’est pas regroupée. Ces éléments, qui ne cherchent
pas le contact, circule à pied ou à cheval par groupes d’une dizaine d’hommes, voire moins, et
commettent essentiellement des exactions : incendie de moissons, coups de main sur des
fermes isolées, enlèvements, etc. L’arrivée de spahis change la situation. Engagé sur un bon
terrain, le 9e RS réussit à accrocher les groupes. Entre avril 1959 et avril 1960, l’ALN perd 45
tués, dont trois chefs de section, et 35 prisonniers, dont un chef de section. Les spahis
déplorent, pour la même période, 4 morts, 8 blessés et 2 mousquetons1476.
En mai 1960, le régiment et déplacé pour s’installer dans les hauts plateaux du Sud-
Oranais. Les escadrons sont alors dispersés en postes pour que les pelotons puissent rayonner

1474
Ex-9e GESA.
1475
SHD/Terre, 7 U 1013*.
1476
Id.

596
au mieux sur la nouvelle zone d’action du quartier de La Fontaine qui couvre une superficie
de 7 500 km². Du fait des résultats des opérations Challe qui ont ramené l’ALN à leur portée,
les escadrons peuvent mener beaucoup plus facilement des actions de nomadisation et des
opérations de détails.
Comme le 9e RS, le 23e RS finit par trouver une implantation dont le terrain lui permet
une plus grande efficacité. Le 4 mai 1959, le 1er groupe d’escadrons (1er et 2e escadrons) est
affecté au secteur d’Aïn-Séfra à 350 km du PC régimentaire. Il reçoit une mission qui
convient très bien à une unité à cheval. Il doit escadronner en arrière du barrage, entre les
monts des Ksours et le djebel Aïssa pour y empêcher toute implantation de guides ou de
ravitaillement susceptibles d’aider les éléments s’infiltrant de l’Algérie vers le Maroc ou en
sens inverse. En revanche, les spahis du 2e GE restés à Saïda sont utilisés essentiellement
comme fantassins par le colonel Bigeard qui commande le secteur. Pendant les opérations, ce
dernier leur demande d’assurer le gardiennage d’un sous-secteur où ils sont répartis dans des
fermes. Les spahis, très mal employés par ce commandant de secteur, sont inutilement
dépensés. C’est la raison pour laquelle, le 22 septembre, l’état-major du régiment et le 2e GE
passent au secteur de Géryville, où ils sont rejoints le 1er octobre par le 1er GE. Le régiment
s’occupe alors du sous-secteur est. Dans ce sous-secteur de 20 000 km², le terrain est plus
favorable aux unités à cheval qu’il ne l’est dans celui de Saïda. A l’exception du 1er, qui est en
réserve à Géryville, les escadrons tiennent des quartiers, où la recherche du renseignement,
mission principale du régiment, peut être remplie dans de très bonnes conditions. Les
escadrons sont réduits à 3 pelotons au lieu de quatre en raison des charges territoriales, mais
ils sont renforcés d’une harka. A l’automne 1960, le régiment prend en compte le sous-secteur
nord, qui ne mesure que 10 000 km² avec une plaine d’alfa et une zone montagneuse.
L’adversaire est évalué alors à une quarantaine d’hommes armés. Les pelotons participent à
la recherche du renseignement dans la plaine d’alfa en particulier où « les patrouilles rapides,
hors des pistes, permettent de surprendre les agents de liaison de l’adversaire »1477. Les
escadrons assurent également des missions territoriales pour lesquelles les chevaux sont très
utiles car les tribus sahariennes refusent d’être regroupées. Dans le cadre de ces missions, il
arrive que les escadrons vivent sous la tente, comme c’est le cas des 3e et 4e escadrons à Kef
El Ahmar (en plaine d’alfa au nord du secteur de Géryville) au cours de l’été 1960 où ils
doivent contrôler un important regroupement de tribus afin de démembrer les filières de
passage depuis le Maroc.

1477
Meyer, op, cit., p. 93

597
Le 1er janvier 1959, le 5e RSA s’installe dans le quartier de Rounia où la nuit
appartient encore à l’ALN. Le LCL d’Ussel décide d’orienter son action sur le renseignement
et le démantèlement de l’OPA. La mobilité des chevaux permet à chaque peloton de visiter en
quelques heures une population répartie dans un rayon de 20 à 30 kilomètres. Aucune
anomalie ne leur échappe. Sur le chemin du retour, à la tombée de la nuit, les pelotons laissent
un groupe en embuscade. Ainsi il est créé petit à petit, pour les djounouds, un sentiment
permanent d’insécurité, ce qui est confirmée par un document saisi par le capitaine Boucher
sur le corps d’un chef de l’ALN. Il y fait état de la crainte qu’inspire les unités montées : « Ils
passent partout, ils vont plus vite que nous. » Cette crainte influe sur le moral des combattants
de l’ALN, car on peut lire plus loin qu’ils « font tous des demandes de mutations car ils
trouvent le secteur trop dangereux »1478. Le 21 juin 1960, le lieutenant-colonel Feste prend le
commandement du 5e RS. Des postes sont créés au sud du quartier afin d’y implanter des
pelotons. Ce système permet de mieux tenir le terrain et surtout de mieux rester en contact
avec la population. Les vétérinaires d’escadron, en plus du soin aux chevaux et aux animaux
civils, remplissent la fonction d’officier de renseignement avec une réelle efficacité grâce à
leurs mission d’assistance vétérinaire gratuite notamment. La population, qui est plutôt de
tendance du MNA, donne facilement des renseignements exploitables. En outre, le régiment
anime trois centres de jeunesse et forme 140 habitants dans le cadre de la mise sur pied de
GAD.

34. Modes d’action tactiques particuliers

En fait, la mission qui doit être donnée aux unités montées et celle de la recherche du
renseignement sur un terrain non perméable aux véhicules mais approprié aux chevaux1479.
Mais, une fois au contact, les unités à cheval ne peuvent pas agir seules étant donné leur faible
puissance de feu et leur vulnérabilité. Il faut qu’elles soient soutenues au plus près par des
unités mieux armées auxquelles elles livrent l’ennemi dont elles ont décelé la présence.
Si les unités de l’ALN se sentent en supériorité, elles n’hésitent pas à attaquer pour
récupérer à bon compte de l’armement. Si l’unité de l’ALN se sent en infériorité numérique,
elle se disperse et ne peut être rattrapée que très difficilement surtout en fin de journée. Il est
donc nécessaire, dans un cas comme dans l’autre, que les unités de sûreté ne soient pas trop

1478
SHD/Terre, 7 U 1003*.
1479
Un terrain trop plat est à proscrire car les cavaliers y sont repérés de loin et ne peuvent pas agir suffisamment
rapidement une fois qu’ils le sont.

598
éloignées de l’unité à cheval. L’autre avantage qu’ont les unités montées tient au fait que, en
cas de tentative de décrochage de l’adversaire, elle peut le suivre plus facilement et plus
rapidement qu’une unité à pied.
Il faut ajouter que le cavalier voit plus loin que le fantassin, qu’il n’hésite pas à
escalader un piton distant de quelques centaines de mètres, ce que le fantassin rechigne à
faire, surtout en fin de journée, et qu’une escouade d’éclaireurs à cheval fouille autant de
terrain qu’une section d’infanterie, et à une vitesse double.
Pour une unité à cheval la surprise est un facteur indispensable au succès. Dans le cas
contraire, lorsque qu’elle est prise en embuscade, elle est bien plus vulnérable qu’une troupe à
pied car elle doit mettre pied à terre pour combattre. Lorsqu’elle prise sous le feu, elle doit
éclater au galop, se regrouper à l’abri, mettre pied à terre, confier les chevaux aux gardes-
chevaux qui doivent rester à l’abri des coups de l’ennemi, et de déployer à pied. De plus la
mise en batterie du FM demande un drill plus important pour des cavaliers que pour des
fantassins.
Lorsque l’unité doit aller chercher du renseignement sans soutien, elle peut se
retrouver rapidement en difficulté, comme c’est le cas de la 16e compagnie de nomades
d’Algérie en août 1958. Cette unité est implantée depuis plusieurs mois dans la région de
Guelt-Es-Stel à 35 km au sud de Paul-Cazelles. Elle effectue en permanence de nombreuses
sorties dans les environs qu’elle connaît bien, notamment les Djebels qui s’étendent de part et
d’autre de la RN 1 (Alger-Laghouat). Le 10 août, vers midi, le lieutenant Robardet, qui
commande provisoirement l’unité, reçoit l’ordre de mettre deux pelotons en alerte et de se
tenir prêt à participer à une opération montée par le commandant du sous-secteur de Paul-
Cazelles à l’ouest de la RN 1.
Sa mission lui parvient vers 15 h 30. Elle lui prescrit :
1. de tenir pour la nuit les points d’eau de Daiet-El-Bkrour (P1) et de Si Lakdar (P2) ;
2. d’effectuer, au cours de la matinée du 11 août, le ratissage de la face sud des djebels
Oukett Rharbi et Oukat Chergui (15 km nord et nord-ouest du Chott-El-Rharbi).
Le commandant du sous-secteur précise qu’en fin de mission, les éléments de la 16e
compagnie devront rejoindre l’escadron d’AM commandé par le capitaine Gregory, qui
opérera à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de l’Oukat Chergui.
Le lieutenant Robardet décide, alors d’utiliser ses véhicules de transport de chevaux
pour mettre rapidement en place ses deux pelotons :
- le troisième, aux ordres de l’aspirant de Boynes, à Daiet-El-Bkrour ;
- le premier, aux ordres du maréchal-des-logis Gicquel des Touches, à Si-Lakdar.

599
A 18 h 30, l’installation des pelotons est terminée et le lieutenant Robardet, qui ne
connaît pas le volume probable de son ennemi, donne ses ordres pour le lendemain :
- les deux pelotons, allant à la rencontre l’un de l’autre, commenceront le ratissage à
l’aube,
- dès que celui-ci sera terminé ils se regrouperont à Hassi-Mora où ils retrouveront
les véhicules de transport de chevaux.
Le 11 août, à 5 h 00, le 3e peloton se dirige vers l’oued Gharbi. Le 1er peloton, resté
avec le lieutenant Robardet se porte au pied de l’Oukett Chergui. A 6 h 30, les éclaireurs de
tête de ce peloton atteignent une mechta où ils apprennent d’un civil que des soldats non
identifiés sont en train de s’approvisionner en eau avec deux mulets à un puits situé à 1 500
mètre de la mechta, au pied du djebel. Un groupe à cheval se rend au puits, pendant que le
reste du peloton se dirige vers la côte 1 191 que le lieutenant Robardet veut occuper pour
dominer le terrain. Au moment où il atteint les premières crêtes, l’éclaireur de tête tombe sur
un guetteur qui ne l’a pas vu arriver. Des coups de feu partent du djebel, le peloton, dont
l’approche n’a pas été décelée rentre dans le dispositif des guetteurs qui, surpris, ouvrent un
feu peu nourri. Le peloton prend le galop et fonce à travers le diapositif sans subir de perte
pour atteindre le sommet suivant. Il est à nouveau pris à parti par un autre groupe de tireur
plus volumineux situé à 500 m. Le peloton fonce sur lui au grand trot. Les tireurs cherchent à
se regrouper sur deux pitons à l’est et au sud-ouest. Le lieutenant demande au groupe parti au
puits de les y devancer.
Continuant sa progression, le peloton est pris sous un feu plus nourri et mieux ajusté,
car les tireurs sont revenus de leur surprise. Les cavaliers mettent pied à terre et engage le
combat, un tireur FM est tué. Le chef de peloton, qui n’a que 30 cavaliers avec lui, estime le
volume de son adversaire à 90 hommes disposant d’un FM. Sa situation devient critique, car il
se trouve isolé sur une crête dont les accès sont tous battus par les feux de son adversaire.
Les nomades sont sauvés par l’arrivée providentielle d’une patrouille de T6 qui chaque
jour ouvre la RN 1. Le lieutenant Robardet leur fait signe avec son képi qu’il agite au dessus
de sa tête et indique la direction de l’ennemi avec des chèches posés au sol. L’intervention des
T6 cloue les djounouds sur place. Profitant de l’effet de surprise, le peloton se porte en avant
et fait décrocher son adversaire. Mais les munitions leur font défaut, les cavaliers reculent de
deux cent mètres pour laisser le champ libre à de nouveaux avions équipés, cette fois, de
roquettes. Se rendant compte de la faiblesse des cavaliers, les djounouds tentent alors de les
encercler, les forçant alors à se retirer au galop.

600
Deux pelotons d’EBR du 1er RS arrivent en fin de matinée et bouclent le djebel au nord
et à l’ouest. Ils en surveillent les faces sud et est. Lendemain, une opération de ratissage est
menée par les unités de secteur. Elle permet de détruire la bande de l’ALN qui perd une
trentaine de tués et une cinquantaine de prisonniers1480.

Cliché n° I/33
Carte de la région située à l’ouest de Guelt Es Stel. Carte du GH 2.

Cliché n° I/134
Plan du combat du 11 août 1958 sur l’Oukart Chergui. Bulletin de documentation de l’EAABC, n° 12,
décembre 1958, p. 66.

1480
SHD/Terre, 7 U 603* et Bulletin de documentation de l’EAABC, n° 12, décembre 1958, p. 64 -68.

601
Cliché n° I/135
Carte du combat de l’Oukart Chergui. Ibid., p. 67.

Le combat mené par les deux pelotons de la 16e CNA montre bien l’aptitude des unités
à cheval à débusquer un adversaire dans une région difficilement accessible qu’elles peuvent
surprendre. Mais il montre également les risques qu’encourt un faible détachement qui se
retrouve face à un adversaire trois fois plus nombreux, mieux armé et mieux doté en munition.

602
Sans l’intervention fortuite des T6, les pelotons auraient eu bien du mal à décrocher sans subir
de lourdes pertes.
Le même problème se pose lors des nomadisations. Si elle est utile pour reprendre
contact avec la population et lutter contre l’OPA, le détachement qui la mène est
particulièrement vulnérable. Une fois repéré, il peut être harcelé facilement surtout la nuit.
C’est de cette façon que, en février 1961, un peloton isolé, toujours de la 16e CNA, perd 13
chevaux dans la région de Guelt-Es-Stel. Au cours d’une nomadisation, le chef de peloton
choisit de passer la nuit dans une mechta pour être au contact de la population du village.
Mais l’exigüité de la cour l’oblige à installer une bonne partie de ses chevaux à l’extérieur.
Les nomades sont attaqués durant la nuit. Au déclenchement de celle-ci, ils se retranchent
dans la mechta mais doivent abandonner leurs chevaux sous le feu de son adversaire1481. Cette
mission de nomadisation se solde par un échec.
En revanche, lorsque l’ennemi est à sa portée, un escadron peut exploiter lui-même un
renseignement obtenu par un peloton. En outre, grâce à leurs chevaux, les spahis peuvent
intervenir au profit d’autres unités très rapidement. Ainsi, le 9 mars 1959, le lieutenant
Carlier, chef de peloton du 4e escadron du 5e RS, qui assure la protection d’un marché,
aperçoit vers 12 h 30 un avion Piper à une dizaine de kilomètres de sa position. Il se met sur
la fréquence « air » permanente, et apprend ainsi qu’un convoi de ravitaillement d’une unité
d’infanterie est tombé dans une embuscade. Les assaillants sont en cours d’exfiltration en
direction de l’est. Le chef de peloton avertit aussitôt son capitaine commandant, le capitaine
Arlabosse, qui rentrait au cantonnement avec le reste de l’escadron. Tout l’escadron déployé
au trot, fonce en tout terrain en direction de l’axe supposé de repli du groupe de l’ALN.
Arrivé le premier, le lieutenant Carlier, qui avait parcouru plus de 7 kilomètres en 45 minutes,
repère la bande en fuite et prend le contact à cheval, avant qu’elle n’ait pu se réfugier dans la
forêt de l’Ouarsenis. Il fait ensuite déployer son peloton afin de maintenir le contact visuel en
attendant le reste de l’escadron. Une patrouille de T6 arrive sur les lieux et fixe son
adversaire. L’escadron au complet, renforcé d’un maghzen, peut ensuite réduire le reste de la
bande qui laisse 25 morts et autant d’armes sur le terrain. Les AM du régiment, alertées en
même temps que le capitaine Arlabosse, n’arrivent sur le terrain qu’une fois le combat
terminé1482.
L’unité de cavalerie peut être également être conservée en réserve de manœuvre dans
une opération à base d’infanterie lorsque l’adversaire est accroché au terrain. Une intervention

1481
SHD/Terre, 7 U 603*.
1482
Témoignages de Gilles Méhu et de François Arlabosse.

603
au galop peut alors débloquer la situation. Il ne s’agit cependant pas d’une charge, quoique le
règlement en prévoie encore l’exécution à l’arme blanche en 19571483.
C’est une action de ce type que mène le 2e escadron du 3e régiment de spahis à cheval
en mai 1957. Arrivé du Maroc, il est depuis une huitaine de jours à son bivouac de Magoura,
sur le territoire algérien du sous-quartier d’El Aricha, pour une tournée de nomadisation. Le
14 mai 1957, à 11 h 00, la participation de l’escadron est demandée par le commandant du
sous-quartier pour le bouclage de Djebel El Hairech où une opération est montée. Un
renseignement récent signale en effet la présence d’un groupe d’environ 12 « rebelles »
installés dans les grottes et chargés de garder une cache d’armement.
Le capitaine Brelière, commandant cet escadron met sur pied le peloton hors rang et
deux pelotons à cheval qui arrivent au pied du Djebel El Abed vers 14 h 30. D’un temps de
galop, le capitaine a précédé son escadron et joint le PC du commandant du 1er escadron du 2e
régiment de chasseurs d’Afrique chef de l’opération, qui lui fait un point de situation :
« Le contact a été pris vers 13 h00 par deux pelotons du 1/2e RCA, qui
progressait d’est en ouest par la crête 1 450 et ne peuvent prendre pied
sur le grand piton, et par une section de la compagnie saharienne
portée de Kasdir qui est en bouclage sud et qui est très fortement
accrochée. Il s’agit non pas d’un groupe mais d’une forte section, peut-
être deux. Les H.L.L. [hors-la-loi] sont installés dans les grottes sur des
pentes ouest et sud du Djebel Hairech et tiennent le grand piton. »1484
La nécessité d’agir rapidement pour régler l’affaire avant la nuit et interdire le
décrochage des éléments de l’ALN, incite le capitaine commandant à proposer l’abandon de
la mission de bouclage confiée initialement à l’escadron. Il pense que, par une irruption
soudaine et une action menée au galop, celui-ci doit pouvoir bénéficier de la surprise pour
franchir la zone battue par les feux et ébranler la résistance.
Les pelotons sont alors déployés et orientés sur leurs objectifs. La progression est
rapide, le premier mouvement de terrain, puis l’oued asséché, sont franchis au trot. C’est alors
que les djounouds déclenchent un tir d’armes automatiques. La progression se poursuit au
galop, les pentes du djebel sont abordés à cette allure, une première crête est enlevée en
balayant au passage quelques vedettes adverses.

1483
ABC 125, op. cit. p. 111.
1484
Bulletin de documentation de l’EAABC, n° 9, avril-mai 1958, p. 75. D’après les déclarations ultérieures de
prisonniers, ces éléments venant du Maroc auraient pénétré en territoire algérien par Teniet-Sassi, au cours de la
nuit précédente pour éclairer une katiba.

604
Le capitaine entraîne son peloton hors rang et une pièce FM du peloton Pigoury
jusqu’au pied d’un escarpement où la mise pied à terre s’effectue en marche. Les garde-
chevaux emmènent les chevaux démontés par groupes de 5 à 6 à l’abri derrière les rochers.
Tandis que la capitaine, avec ses cavaliers, escalade l’escarpement pour neutraliser la
résistance du grand piton, le peloton Pigoury, qui a mis pied à terre dans les mêmes conditions
que le peloton hors rang, prend à son compte la fouille et le nettoyage des grottes où il
découvre du thé chaud abandonné en hâte.
Le peloton Gelot, qui progresse plus au sud, a pour mission de s’emparer du petit piton
puis de remonter vers le grand piton qu’il doit aborder par la face sud pendant que le peloton
hors rang et le peloton Pigoury attaqueront par la face ouest. Il a dû mettre pied à terre au pied
des rochers qui jalonnent le premier changement de pente et poursuit sa progression à pied.
Le mouvement rapide des pelotons, mené au galop dans un dispositif très dilué a
permis de réaliser la surprise recherchée et de traverser la zone battue sans aucune perte. En
effet, les adversaires ne pouvaient pas ajuster leurs tirs sur des objectifs fugitifs et dispersés.
De plus, l’irruption soudaine du peloton hors rang et du peloton Pigoury a provoqué le
décrochage des djounouds vers le sud.
A 15 h 45, la situation de l’escadron est la suivante :
• Le peloton hors rang et le peloton Pigoury sont au pied du grand piton et fouillent les
grottes,
• Le peloton Gelot, qui vient d’atteindre le petit piton, prend liaison à vue avec le
capitaine et aperçoit une vingtaine de « rebelles » en tenue qui tentent de s’échapper
en empruntant le thalweg sud.
Le lieutenant Gelot alerte la capitaine, fait demi-tour et progresse rapidement par la
crête jusqu’au dernier surplomb pour couper leur retraite. Les T6, qui survolent la zone
d’opération, prennent les fuyards à parti. A 16 h30, le peloton hors rang et le peloton Pigoury
rejoignent le peloton Gelot.
Le capitaine décide de donner l’assaut aux derniers résistants qui se sont retranchés
dans le lit de l’oued très encaissé. Deux FM sont installés en appui de feu aux ordres du sous-
lieutenant Neveux, officier de renseignement de l’escadron, chargé également de guider
l’appui aérien. Les trois pelotons se portent en avant baïonnette au canon. Une dernière passe
de T6 est effectuée puis l’assaut est donné à 50 mètres de la résistance. Un corps-à-corps
s’engage au cours duquel le spahi Vedrenne est tué à bout portant par un homme qu’il
transperce de sa baïonnette en tombant.

605
La section saharienne, primitivement fortement accrochée sur les pentes sud-est du
djebel, a pu lier son mouvement à celui de l’escadron et progresse à l’est du thalweg en
ratissant le terrain. A 17 h, deux pelotons du 2e escadron du 2e RCA arrivent en renfort et
fouillent le terrain pour le nettoyer des survivants qui se cachent dans les touffes d’alfa. Au
cours de cette action, ils ont deux tués dont un chef de peloton.
A 17 h 45, après l’évacuation des blessés par hélicoptère, l’escadron du 3e régiment de
spahis à cheval et les différentes unités engagées rejoignent le PC du colonel commandant le
2e RCA qui a pris le commandement de l’opération. Ils y emmènent les corps de leurs
camarades tués, les prisonniers et l’armement récupéré.
L’action audacieuse et déterminante du 2e escadron du 3e régiment de spahis à cheval,
dans un terrain difficile et fortement tenu par l’ennemi, illustre les possibilités des petites
unités montées, qui bien employées et bien menées peuvent parfois enlever la décision.

Cliché n° I/136
Carte de la zone du combat du 14 mai 1957. Carte Michelin, pli n° 14.

Cliché n° I/137
Carte détaillée de la zone du combat du 14 mai 1957. Carte GH 2.

606
Cliché n° I/138
Plan du combat du 14 mai 1957. Bulletin de documentation de l’EAABC, n° 9, avril-mai 1958, p. 75.

Un autre exemple peut venir également illustrer ce type d’action mais dans un contexte
très différent. Il est donné par la 14e compagnie nomade d’Algérie. En février 1959, le général
Gracieux, commandant la 10e division parachutiste, demande sa mise à disposition pour une
opération qu’il mène dans la région de Vialar dans l’Ouarsenis. La veille, le lieutenant de
Beaulieu, qui commande par intérim la CNA, l’a convaincu, au cours d’une partie de bridge à

607
sa popote, que les unités à cheval peuvent rendre de grands services quand elles sont bien
employées.
Arrivée sur le lieu de l’opération, la compagnie est mise en réserve au PC du général.
Au cours de l’accrochage, deux compagnies d’infanterie aéroportées sont bloquées sur les
flancs d’une crête dont une katiba tient les hauts. Une troisième compagnie est bloquée à son
tour en cherchant à la déborder. Les autres unités de la DP sont trop loin pour intervenir. Le
général Gracieux demande donc à la CNA de s’emparer de la crête. Le lieutenant de Beaulieu
place ses nomades en bataille1485 et prend le trot. Il dépasse les fantassins puis prend le galop
en faisant feu de toutes ses armes. Surprise, la katiba décroche en faisant des tirs mal ajustés
car aucun nomade, ni aucun cheval n’est touché. Une fois sur la crête, la végétation et le
terrain interdisent la poursuite à cheval. Le relais est donné aux fantassins qui avaient suivi les
chevaux au pas de course1486. Dans cette action, l’effet de surprise, qui joue pleinement,
permet le succès, cependant, le général Gracieux prend un risque énorme en engageant des
chevaux contre des armes automatiques bien postées. Si les combattants de l’ALN avait fait
preuve de plus de sang-froid, il y a de fortes chances que les cavaliers auraient été fauchés.
Les chefs de cavalerie, qui ont généralement fait la campagne de 1940 à cheval, sont
beaucoup plus réticents à engager leurs chevaux dans de telles conditions. Ainsi, le 11 avril
1958, le 5e RS participe à une opération de secteur, dans le Bougaouden. Des renseignements
font état de la présence d’un commissaire politique dans cette région qui s’avère être Si
Lakhdar accompagné de trois katibas.
Les 1er, 2e et 3e escadrons sont engagés à pied et le 4e gardé en réserve à cheval. Le
groupement à pied remonte la vallée de l’Oued Mendes avec deux escadrons en tête et un en
soutien.
Des éléments du IIIe bataillon du 2e RI ayant été durement accrochés au moment où ils
allaient aborder une colline, les escadrons à pied du 5e RS reçoivent l’ordre de s’en emparer.
Le 1er escadron réussit à prendre pied sur le piton, mais ne peut pas en déboucher. Le 2e
escadron franchit l’Oued Mendes et vient l’appuyer. Le 3e déborde l’objectif par le nord.
Les trois escadrons se trouvent cloués au sol par le feu intense et ajusté des hommes
postés dans les rochers et les broussailles. Ils subissent des pertes en essayant de déboucher.
Mais le colonel du 5e RS se refuse à engager son escadron à cheval, ce n’est que grâce à
l’appui de deux chars du 27e régiment de dragons, que les escadrons réussissent, en fin

1485
En ligne.
1486
Henri de Beaulieu, « Et les cavaliers chargèrent », in PROMOTION EXTREME-ORIENT, op. cit., p. 237 –
241.

608
d’après-midi, à prendre pied sur la position après avoir été renforcé par un commando de
l’armée de l’Air1487.
L’action au galop sous le feu reste donc très exceptionnelle. Son succès n’est en fait dû
qu’à l’effet de surprise et à l’ascendant moral dont bénéficie le cavalier au galop sur le tireur
embusqué. C’est l’opinion de Dominique de Pontbriand qui en mène deux au cours de son
temps de commandement au 5e RS. A chaque fois, l’action est entreprise contre des éléments
disposant d’un terrain qu’il leur est favorable. « Dans les deux cas les tireurs ont décroché,
nous causant peu de pertes (chevaux tués ou blessés). Visiblement les fells étaient
impressionnés par cette action d’un autre âge. »1488
Il est plus fréquent, en revanche, que le galop soit pris pour poursuivre des fuyards sur
un terrain dégagé. En septembre 1960, une opération est montée par le 2e escadron du 23e RS
en liaison avec le commando Griffon. Le commando part en opération pour accrocher un
groupe de l’ALN qu’il a localisé et souhaite le faire sortir en plaine. L’escadron est en réserve
à quelques kilomètres de là. Au cours de l’accrochage, l’ennemi décroche en direction de la
plaine, c’est alors qu’il est poursuivi et atteint par les spahis1489.
Mais, comme généralement le terrain sur lequel les spahis galopent n’est pas connu, ce
genre d’action peut mal tourner. Le 9e régiment de spahis, au cours de l’été 1959, est chargé
d’intercepter des incendiaires de moissons. Ses actions tapent généralement dans le vide car
un système de guet permet aux incendiaires de s’enfuir avant l’arrivée des spahis. Un chef de
peloton en ayant surpris quelques uns en flagrant délit, lance contre eux ses spahis au galop à
travers les blés. Mais, le peloton, comme les cuirassiers de Waterloo, culbute dans un oued
étroit où il perd quatre chevaux qui se brisent un membre1490.
Les régiments peuvent également être engagés en entier ou par groupe d’escadrons
dans de grandes opérations. Dans ce cas, les chevaux sont plutôt employés pour le bouclage
comme le 23e RS lors des opérations Prométhée au printemps 1960. Mais, contrairement aux
unités à pied, ils peuvent intervenir rapidement en cas de contact. Les unités interviennent
alors sur ordre ou à l’initiative de leur chef. C’est en se portant au secours d’une compagnie
du 8e régiment d’infanterie et se guidant avec les bruits du combat que le capitaine de La
Sayette, célèbre cavalier de concours hippique, tombe à la tête de son escadron (2e escadron
du 23e RS) en lisière de la forêt des Hassasnas (secteur de Saïda) le 7 février 1959. Arrivés au

1487
L’ALN laisse 34 morts et 4 prisonniers, et perd 19 armes de guerre. Pour sa part, le 5e RS laisse 4 morts et 9
blessés dont qui un meure peu après des suites de ses blessures.
1488
Témoignage de Dominique de Pontbriand.
1489
Témoignage de François Meyer.
1490
Témoignage de François de Beauregard.

609
contact, les spahis mettent pied à terre et appuyés par les fantassins, tentent un assaut, mais il
faut attendre l’arrivée de commandos de l’Air pour venir à bout des éléments de l’ALN.
En fait, comme le note René de Parisot, qui commande le 3e escadron du 5e RS de
1960 à 1962 dans le sous-quartier d’Affreville, les chevaux bien utilisés remplissent avec
succès les missions qui leur sont confiées, que ce soit la découverte, la fixation d’un ennemi
ou le bouclage d’un compartiment de terrain ou d’une zone d’accès. Mais il précise « qu’il ne
faut pas perdre de vue que tenir ce sous-quartier avec [ses] moyens de base (chevaux et
harka) n’était possible que parce qu’il n’existait plus de forces militaires puissants et
organisées en face de [lui]. Nous avons fait plus de la pacification que de la destruction »1491.
C’est également l’opinion de Pierre Durand qui pense que les unités à cheval doivent
leur succès à l’absence d’armes à tir courbe (artillerie ou mortier) dans les rangs de l’ALN
intérieure, et surtout, à la possibilité qu’elles ont de faire appel à l’aviation ou aux hélicoptères
pour être appuyées1492. Gilles Méhu, pour sa part, pense que leur rôle en opérations aurait dû
se limiter à la découverte de l’ennemi et certainement pas à sa destruction. Il aurait fallu pour
cela qu’elles fussent suivies systématiquement par de unités plus puissantes auxquelles elles
auraient livré l’ennemi1493.
Aptes à observer loin et à s’infiltrer discrètement, passant à peu près partout, les unités
à cheval peuvent effectivement de surprendre un adversaire qui n’est pas sur ses gardes1494.
En outre, le cheval permet, si la zone est sûre, d’établir et de maintenir le contact avec les
populations rurales, et d’exploiter immédiatement le renseignement obtenu à cette occasion.
Dans ce cas, le rôle des unités à cheval est généralement d’intervenir rapidement sur un
objectif précis et de le fixer en attendant des appuis1495 ou des renforts. Enfin, les unités à
cheval offrent l’avantage de pouvoir fournir des réserves de fantassins qui peuvent être
transportés en camions, voire héliportées, lors de grandes opérations1496. Après une montée en
puissance difficile, les unités à cheval finissent par trouver leur raison d’être dans le dispositif
militaire déployé en Algérie.

1491
Mémorial de la Promotion Victoire, op. cit., p. 211.
1492
Témoignage de Pierre Durand.
1493
Témoignage de Gilles Méhu.
1494
Par exemple, en mars 1958, un peloton du 4e escadron du 5e RS surprend une assemblée de l’OPA et arrête le
chef politique de la nahia d’Aumale et neuf de ses hommes.
1495
La faible puissance de feu des pelotons montés fait renoncer rapidement à la carabine US M1 au profit de
mousquetons Lebel Mle 16 de 8 mm, ou de FSA 49 et 49/56 (version lance-grenades). Ces armes sont beaucoup
plus lourdes que les carabines mais ont une puissance d’arrêt bien supérieure.
1496
Par exemple, le 31 mars 1958, le 1er escadron du 5e RS est héliporté en deux rotations, dans la région d’Aïn
El Meridjat (à l’ouest d’Aumale) où il met à terre 15 hommes de l’ALN. SHD/Terre, 7 U 1003*.

610
* *
*

Au cours de la guerre d’Algérie, les unités de l’ABC remplissent des missions très
diverses. Le succès de ces missions, quel que soit la structure des unités tient essentiellement
à la concentration des efforts sur un terrain donné et sur une longue période. Etant donné la
surface des zones à contrôler et la nature de l’ennemi, ce principe n’est, dans un premier
temps pas respecté. Les unités dispersent leurs moyens et changent constamment de zone
d’action au gré des besoins qui se font sentir partout. L’apparition d’une certaine stabilité et
d’une meilleure cohérence dans les actions entreprises permet une meilleure efficacité des
unités engagées. Le souci constant des cavaliers devient alors de pouvoir disposer d’une
certaine capacité de mobilité qui leur rend leur liberté d’action.
Ce retour à la mobilité devient d’autant plus nécessaire que, d’une part, avec le plan
Challe, les katibas de l’intérieur se diluent sur le terrain, et, d’autre part, à partir de 1961, les
effectifs diminuent. Or, cette baisse des effectifs, qui entraîne un regroupement progressif des
unités, doit impérativement être compensée par une meilleure capacité d’intervention y
compris pour les unités à pied.
La manœuvre blindée en Algérie est le plus souvent limitée au niveau du peloton,
parfois de l’escadron, plus rarement à celui du régiment ou du groupement interarmes.
L’emploi de blindés dans la guerre insurrectionnelle ne se limite pas aux escortes de convois
ou à la sécurité des axes, même si ces missions sont privilégiées par les commandants locaux
qui n’ont pas toujours conscience du profit qu’ils peuvent tirer des blindés.
Dans la phase de destruction des bandes les automitrailleuses peuvent être employées
dans des missions d’interception le long des pistes ou au fond des vallées tandis que les chars,
avec le soutien des pelotons portés, peuvent progresser même dans des terrains difficiles et
apporter des feux de façon d’autant plus déterminante qu’ils ont un impact psychologique non
négligeable.
Les unités blindées peuvent également obtenir du renseignement par l’observation ou
la population. Leur mobilité leur permet non seulement d’élargir leur champ de recherche,
mais également d’exploiter le renseignement en détruisant un ennemi décelé, si son volume et
le terrain le permettent, ou en le fixant1497.

1497
Fixer un ennemi ne signifie pas obligatoirement de le clouer au sol. Il s’agit en fait de maintenir le contact
avec lui et entraver ses possibilités de manœuvre.

611
En somme, malgré des débuts difficiles, l’ABC s’est bien intégrée dans le dispositif
général en Algérie en lui apportant la plus-value de ses spécificités. Les unités donnent le
meilleur d’elles-mêmes sur les barrages. Au cours du conflit, la mission de surveillance, qui
est donnée aux unités blindées, évolue pour devenir une mission d’arrêt grâce à la mise en
place de la ligne Challe qui permet d’obtenir le renseignement au plus loin. Les missions que
remplissent les unités blindées sur le barrage s’apparentent donc progressivement à des
missions de flanc-garde fixe dont la ligne de surveillance et la ligne couverture1498 seraient
valorisées par des obstacles.
Cette évolution est rendue nécessaire par l’augmentation du potentiel de l’ALN
extérieure à partir de 1959. Elle se traduit par une puissance antichar accrue, non seulement
par l’utilisation de mines de plus en plus puissantes, mais surtout par celle d’armes antichars à
tir direct. Non seulement leur usage entraîne des pertes de véhicules blindés, mais en outre il
met à mal le moral des cavaliers qui ont conscience qu’ils perdent leur invulnérabilité. Ces
armes antichars sont d’autant plus efficaces qu’elles sont utilisées dans le cadre de manœuvres
tactiques de mieux en mieux conçues qui permettent à l’ALN de mener des actions
ponctuelles parfois très efficaces qui dépassent le niveau du simple harcèlement.
En outre, si, tout au long du conflit, la supériorité des feux échappe à l’ALN, en 1962,
l’apparition d’artillerie lourde dans ses rangs lui permet, sinon de compenser, du moins de
réduire cette infériorité. En fait, si les barrages remplissent très bien leur rôle d’entrave à
l’approvisionnement de l’ALN intérieure, ils n’en constituent pas moins une charge de plus en
plus lourde pour le commandement en général, et pour l’ABC en particulier qui doit y
immobiliser des moyens qui lui font défaut par ailleurs. L’effort qu’ils doivent y consentir est
de plus en plus harassant pour les hommes et néfaste pour le matériel, qui en plus des
difficultés du terrain et de l’intensité du rythme d’engagement doivent affronter un adversaire
de mieux en mieux armé et de plus en plus manœuvrier. En somme, non seulement l’action de
l’ALN entrave la liberté d’action du commandement, mais elle lui occasionne des pertes en
hommes et en matériels de plus en plus importantes qui usent son potentiel de façon
alarmante.
Si les combats sur les barrages se transforment petit à petit en combats de haute
intensité, ils se déroulent sur une profondeur réduite. De ce fait, si le personnel de l’ABC tire
un grand profit de cette expérience dans le domaine de l’aguerrissement et des savoir-faire

1498
Dans une mission de flanc-garde, la ligne de surveillance est la ligne où est pris un contact visuel avec
l’ennemi. En arrière de celle-ci, la ligne de couverture est celle où cet ennemi est arrêté pour laisser l’unité
couverte en dehors de la portée de ses armes et lui permettre de se mettre en garde.

612
techniques, l’absence d’espace de manœuvre lui fait perdre en revanche son savoir-faire
tactiques.
Cette perte de savoir-faire semble encore plus importante pour le personnel qui sert
dans les unités montées. Manquant d’expérience et mal employées dans leurs débuts, ces
unités ne sont réellement adaptées au conflit qu’à partir de 1958. Le commandement se rend
compte alors que la puissance de feu de l’armement d’infanterie de l’ALN les rend
particulièrement vulnérables, surtout sur un terrain qui ne leur est pas adapté. Leur
engagement suppose la mise en place rapide de feux d’appui puissants, le plus souvent
aériens. En fait ces unités de cavalerie sont des unités d’infanterie montée qui offrent la
possibilité de pouvoir être engagées à cheval, à pied, en camion ou en hélicoptère. C’est donc
plutôt dans le domaine du combat d’infanterie que l’expérience de la guerre d’Algérie est
profitable pour l’avenir.
En somme, la guerre d’Algérie apporte à l’ABC une expérience profitable dans le
domaine technique. En revanche, dans le domaine tactique, cette expérience se limite au
combat des petites unités et à l’aguerrissement. La manœuvre des escadrons, insérée dans
celle de grandes unités interarmes, est presque totalement négligée entre 1954 et 1962, ce qui
compromet la capacité opérationnelle du corps de bataille. Dans le domaine de l’emploi, la
guerre d’Algérie est une éclipse dans la montée en puissance d’une arme blindée moderne
française. En 1962, les nouvelles divisions blindées 59 sont donc loin d’être opérationnelles et
l’instruction collective des unités est entièrement à faire. Dans ce domaine également, la
prolongation de la guerre d’Algérie aurait été préjudiciable à la crédibilité de l’armée
française dans le cadre de la défense de l’Europe.

613
614
CONCLUSION GENERALE

En somme, lors de son entrée en guerre, la cavalerie n’est pas plus adaptée à la guerre
d’Algérie qu’elle ne l’a été au début de tous les conflits du XXe siècle. Mais ce conflit est, à
bien des titres, un conflit atypique dans toutes ses dimensions.
L’Algérie n’est ni une colonie, ni un protectorat, mais fait partie du territoire national, ce
qui permet d’y engager des appelés en grande quantité dans le cadre des missions de maintien
de l’ordre dévolues aux armées. Le FLN n’est pas un parti d’obédience communiste, ce qui
affaiblit la France vis-à-vis de ses alliés. En outre, il est certes un parti nationaliste, mais
l’indépendance n’est qu’une partie du but qu’il cherche à atteindre. Enfin, d’un point de vue
militaire, les bandes armées de l’ALN ne représentent pas la menace principale, car celle que
fait peser l’OPA au sein de la population semble bien plus importante. La guerre d’Algérie est
donc une guerre de libération nationale qui se double d’une guerre civile dont le succès
dépend à la fois de la pugnacité des partisans et de l’adhésion de la population, ou du moins
de son contrôle.
Les moyens employés par les meneurs d’une guerre de ce type sont le terrorisme et les
actions de guérilla. Ces deux modes d’action sont impérativement accompagnés par des
actions d’ordre psychologique. Le but du FLN est bien, avant tout, de prendre le pouvoir par
la violence, ce qui suppose de chasser l’administration française et d’éliminer tous les
obstacles qui pourraient se trouver sur son passage, y compris les partis indépendantistes
concurrents, comme la MNA, et les élites musulmanes qui n’adhèrent pas à son projet. Lors
du congrès de la Soummam, le 20 août 1956, ses objectifs sont définis. Il sait qu’il est
essentiel pour les atteindre de maintenir des bandes de partisans sur le territoire de l’Algérie
même réduites. Leur action n’a pas pour but de remporter une victoire militaire, qui est hors
d’atteinte, mais de maintenir un niveau de violence suffisamment élevé pour forcer le
gouvernement à entretenir des effectifs importants pour les y combattre. Ce maintien de la
guérilla est d’autant plus important que toute tentative de s’emparer d’une parcelle du
territoire de l’Algérie par l’ALN extérieure, pour en faire une zone libérée, est vouée à
l’échec.
La tactique des petites unités de partisans est liée à leur faible volume. Leur principal
atout est la mobilité : elles se déplacent et se positionnent rapidement en empruntant
n’importe quel type de chemin. Mais elles ne peuvent ni manœuvrer, ni aménager fortement
leurs positions. Leur utilisation se limite donc à des actions de harcèlement contre les postes

615
ou les convois de son ennemi, des sabotages ou des exactions. Comme la défense tactique leur
est impossible, leur action se caractérise par la dispersion des combats et la diffusion
progressive de la lutte dans de vastes zones. Il s’ensuit une dispersion des efforts de l’ennemi
qui doit contrôler une grande surface de terrain. En somme, les partisans sont voués à la
défensive au niveau opératif, et à l’offensive au niveau tactique.
L’objectif de tout chef militaire est de vaincre la volonté de son adversaire le plus
rapidement possible afin que la guerre soit courte. Il convient donc de le désarmer par une
bataille décisive en atteignant son centre de gravité. Mais dans une guerre révolutionnaire, la
mise sur pied et l’engagement d’une armée régulière dans une dernière phase de la guerre
révolutionnaire n’est pas toujours réalisable1499. Si le FLN réussit à former en Tunisie une
armée organisée de façon classique, le rôle de cette dernière ne peut se limiter qu’à fixer sur le
barrage des moyens adversaires pour soulager l’ALN intérieure. Cependant, même si la
bataille décisive ne se matérialise pas, elle sert, selon l’expression de Clausewitz, de « point
de mire éloigné ». Déjà, au XIXe siècle, il ne lui a pas échappé que l’opinion publique peut
constituer un centre de gravité important, voire un objectif militaire vital.
C’est pourquoi, depuis la Deuxième Guerre mondiale, il est devenu impératif de porter
la cause de la révolution sur la scène internationale et de mener des actions de communication
offensives afin d’ébranler à la fois l’opinion publique internationale et celle de la puissance
coloniale. Elles sont devenues toutes deux un centre de gravité dans ce type de conflit. Mais il
faut pour cela obtenir une légitimité incontestable. C’est le soutien de la population, qui peut
se limiter à une apparence, qui doit l’apporter. Si l’adhésion spontanée de la population est
insuffisante, il faut utiliser la compromission et le terrorisme. La guerre devient alors presque
exclusivement politique, et la violence atteint son paroxysme. La bataille décisive n’est plus
obtenue sur le champ de bataille mais sur la scène internationale.
En fait l’armée adverse n’est pas battue militairement, mais grâce à ce que le général
Beaufre appelle la « manœuvre par lassitude »1500. Il s’agit d’une guerre d’usure, au sens
psychologique du mot, et non au sens physique que lui donne Delbrück : la population de la
métropole se lasse d’un conflit qui lui paraît de moins en moins justifié et pousse le
gouvernement qu’elle a élu à négocier avec les « rebelles ».

1499
Sur les phases de la guerre révolutionnaire, voir le colonel Charles Lacheroy « Scénario-type de guerre
révolutionnaire », Revue des Forces Terrestres, n° 6, octobre 1956, p. 25-29 ; Ximenes, « Essai sur la guerre
révolutionnaire », Revue militaire d’information, n° 281, n° spécial : « la guerre révolutionnaire », février-mars
1957, p. 9-22 (réédité dans Gérard Chaliand, Stratégies de la guérilla, Paris, Payot, 1994, 938 p., p. 524-536) ;
général Beaufre, La Guerre révolutionnaire, les formes nouvelles de la guerre, Paris, Fayard, 1972, 305 p.
1500
Général André Beaufre, Introduction à la stratégie, Paris, Armand Colin, 1963, 128 p., chap. V.

616
Mais pour mener à bien cette manœuvre d’usure, il faut que le parti révolutionnaire
mène une offensive médiatique et diplomatique très soutenue et, pour ce faire, il faut
impérativement que la guérilla survive. Si, seule, elle ne peut pas emporter la victoire par son
action militaire, son maintien est donc essentiel à la réussite de l’entreprise. Ce maintien
suppose que les combattants conservent la volonté de se battre.
Les qualités morales des combattants font partie des données que le chef de guerre doit
intégrer dans ses choix tactiques et stratégiques. Les valeurs morales propres aux armées
régulières, la vertu guerrière, s’exercent le mieux dans un combat en rase campagne, lorsque
l’armée est réunie et peut manœuvrer, tandis que les partisans suppléent à la vertu guerrière
par le courage individuel et l’enthousiasme. Au contact, le partisan ne peut pas confier sa vie
et le succès de la mission à ses camarades, car une bande de partisans n’a pas la vigueur
collective d’une troupe régulière. C’est parce qu’il ne peut compter que sur lui-même que le
partisan combat mieux dans les terrains compartimentés où il peut s’embusquer et prendre des
initiatives individuelles.
On pourrait distinguer chez Clausewitz, dans son chapitre sur L’armement du Peuple
de Vom Kriege, les prémices de ce qui sera plus tard les actions de partisans au sein de guerres
révolutionnaires :
« Une résistance aussi largement dispersée n’est évidemment pas apte à
frapper de grands coups exigeant une action concentrée dans l’espace et dans
le temps. Son action, comme le processus d’évaporation dans la nature
physique, dépend de l’étendue de la surface exposée. Plus elle sera grande,
plus étroit sera le contact avec l’armée ennemie, plus cette armée se dispersera
et d’autant plus puissant seront alors les effets de l’armement populaire. Il
ruinera les fondements de l’armée ennemie comme une combustion lente et
graduelle. (…) Selon nous, la guerre populaire, comme quelque chose de
vaporeux et de fluide, ne doit se condenser nulle part en un corps solide ; sinon
l’ennemi envoie une force adéquate contre ce noyau, le brise et fait de
nombreux prisonniers. »1501
La guérilla doit être menée en recherchant la supériorité locale, sachant que la notion
d’initiative ne doit pas être confondue avec celle d’offensive. Un belligérant peut choisir de
ne pas passer à l’offensive tout en gardant sa liberté d’action, et même en entravant celle de
son adversaire, donc en imposant son rythme1502. C’est ce que les partisans de Mao Tsé Toung

1501
Carl von Clausewitz, De la Guerre, livre VI, chapitre 26, p. 551.
1502
T. Derbent, Clausewitz et la guerre populaire, Bruxelles, Edition Aden, s.d . 191 p., p. 39.

617
avaient parfaitement compris. « Pour les stratèges occidentaux, l’initiative est souvent une
force cinétique directement basée sur l’action offensive. Pour les communistes chinois,
l’initiative était plutôt une force potentielle : c’était la liberté d’action, la capacité pour
l’armée de se rendre là où son chef voulait l’envoyer. »1503
Les actions de guérilla doivent donc être menées pour disperser les forces de
l’adversaire. Cette action est conceptualisée par T.E. Lawrence1504. Si celui-ci semble
repousser la nécessité de gagner une bataille décisive dans le désert, cela est dû au fait qu’il
existe d’autres fronts où doit se réaliser celle-ci : la guérilla arabe n’est qu’une partie des
vastes opérations menées pendant de la Première Guerre mondiale. C’est pourquoi Lawrence
fait le choix de ne pas s’emparer de Médine où les Turcs, qui y sont cantonnés, sont
inoffensifs1505. En revanche, l’action de Lawrence les force à disperser leurs efforts, ce qui
allège d’autant les fronts d’Irak et de Palestine. La révolte arabe, dans un contexte de paix
mondiale, aurait sans doute été vouée à l’échec ou appelée à se prolonger indéfiniment. Dans
ce dernier cas, elle aurait pu devenir un conflit où la lassitude seule aurait pu forcer les Turcs
à engager des négociations. Seul le coût politique, humain et économique du conflit aurait
poussé les Turcs à y renoncer.
Les armées européennes classiques mettent parfois beaucoup de temps avant de
s’adapter au combat des partisans, car le temps de paix s’accommode mal de l’existence
permanente de troupes non conventionnelles de lutte contre-insurrectionnelle1506.
C’est le cas de l’armée française en Indochine. Il faut attendre l’arrivée du général de
Lattre de Tassigny en décembre 1951 pour voir l’armée française s’adapter réellement au
conflit, avec notamment la création des groupes mobiles. Cependant, à son arrivée en 1953, le
général Navarre fait le constat que les troupes dont il dispose sont mal réparties. La grande
majorité d’entre elles restent immobilisées dans la lutte contre la guérilla au détriment des
réserves générales1507. Cela permet à Giap de leur opposer 125 000 hommes, alors qu’elles
n’en comptent que 50 000 sur les 450 000 que comptent le corps expéditionnaire français

1503
Boorman et Boorman, Chinese Comunist Insurgent Warfare, repris par Scott A. Boorman dans : Gô et Mao
– Pour une interprétation de la stratégie maoïste en termes de gô, Paris, Editions du Seuil, 1992, p.170.
1504
T.E. Lawrence, « La Guerre de guérilla », in Gérard Challiand, Anthologie mondiale de la stratégie, Paris,
Robert Laffont, 1990, 1523 p., p. 1126 – 1137.
1505
Les y battre ne sert à rien et aurait même de fâcheuses conséquences : il faudrait garder et nourrir les
prisonniers et, en cas de fuite, les affronter au Sinaï où ils auraient renforcé les troupes qui s’y trouvent déjà.
1506
Ainsi les hussards, puis plus tard les troupes légères apparus au cours des conflits de l’Ancien régime furent-
ils, une fois la paix revenue soit intégrés dans la ligne, soit dissous. Napoléon Ier voulut même créer des espèces
de « cosaques » au sein de son armée avec les Karkus polonais ou encore les Tartares et lanciers lituaniens, mais
ces troupes furent finalement inscrites à l’ordre de bataille de ligne ou de la Garde impériale et partant, subirent
la lourdeur d’emploi des autres unités de cavalerie.
1507
Général Henri Navarre, Agonie de l’Indochine. Paris, Plon, 1956, 345 p., p. 46.

618
d’Extrême-Orient et les armées alliées1508. En fait, au bout de sept ans de guerre, la situation
de l’armée française et de ses alliés leur est très défavorable du fait de la dispersion des efforts
et du manque de capacité de manœuvre pour créer un rapport de force favorable lors des
opérations importantes. Par nature, selon Clausewitz, les partisans qui souffrent d’une
infériorité numérique globale, sont condamnés à la défensive stratégique et à l’offensive
tactique. Ce que Mao Tsé Toung établit, par la suite comme la stratégie de 100 contre 1 et la
tactique de 1 contre 10. En revanche, le concept de « grande guérilla » ne s’applique pas en
Algérie car il n’existe pas de zones refuges suffisamment grandes, ou tenues suffisamment
longtemps par l’ALN pour pouvoir établir des bases d’opérations permettant son
développement.
L’importance du plan de guerre pour la lutte révolutionnaire est essentielle. C’est un
avantage non négligeable dont dispose une rébellion face à un gouvernement démocratique
dont la longévité et la liberté d’action sont entravées par les échéances électorales. Une fois le
plan de guerre établi, il faut ensuite choisir les modes tactiques à utiliser. Cette étape ne
semble pas avoir été franchie par le FLN. Il est beaucoup plus opportuniste dans ses modes
d’action que réellement attaché à un plan. L’exploitation d’opportunités ne se fait pas au
détriment des objectifs finaux, à savoir couper l’armée de la population en entretenant un
climat d’insécurité, et forcer les autorités gouvernementales à maintenir un effort de guerre
coûteux tant sur la plan économique, que sur le plan de la politique intérieure.
La supériorité tactique des forces de l’ordre à partir de 1959, n’empêche cependant pas
le FLN de conserver l’initiative sur la scène internationale. En outre, il garde toujours comme
but de ne déposer les armes qu’une fois tous ses buts atteints, c’est-à-dire la prise du pouvoir
dans une Algérie indépendante qui inclut le Sahara. La victoire militaire ne lui est donc pas
indispensable, puisqu’il atteint ses buts sans remporter de succès militaire marquant.
Face à ce type de conflit, l’ABC, arme du renseignement et du choc sur un champ de
bataille classique, paraît donc bien démunie. Elle l’est d’autant plus que le terrain sur lequel
elle doit agir ne correspond pas à celui pour lequel elle est équipée. L’Algérie est, à cette
époque, indiscutablement sous-équipée. Si l’infrastructure peut satisfaire avant 1940 aux
besoins de l’armée, aucun crédit ne la valorise entre 1941 et 1954. Les grandes routes sont
rares. Une seule grande rocade en très bon état relie le Maroc à la Tunisie. La route des
corniches, quant à elle, est étroite, sinueuse et d’un débit irrégulier. Une esquisse de rocade
court à travers les hauts plateaux mais toutes les autres routes sont étroites et, pour beaucoup,

1508
Par conséquent, à Diên-Biên-Phu, 1/6e de l’armée populaire vietnamienne n’affronte que 1/45e du CEFEO.
Id.

619
seulement empierrées. Le passage des rivières se fait par radier sur la majorité des points de
franchissement. Un effort est consenti pour l’amélioration de ses infrastructures en 1956. Des
pistes de manœuvre sont réalisées, mais le réseau des routes et des pistes a une densité trop
faible pour permettre à un engin à moteur d’avoir accès à tous les compartiments de terrain
rapidement. Or le terrain est particulièrement compartimenté en Algérie.
Ce pays, d’une superficie de 340 000 km² (hors Sahara1509), est, dans son ensemble,
une haute terre dont l’altitude est fréquemment supérieure à 1 000 mètres. Les deux chaînes
du massif de l’Atlas, Atlas tellien au nord et saharien au sud, sont séparés à l’ouest par des
hauts plateaux (700 à 1 000 m) sur une distance de 150 à 200 km à proximité du Maroc, mais
ils se rapprochent jusqu’au nord de Biskra pour se confondre en massif de l’Aurès puis des
Nementcha. A l’est d’Alger se trouvent des massifs élevés de la Grande Kabylie, avec le
Djurdjura (2 308 m) et de la Petite Kabylie, avec les Babors (2 004 m), séparées par la vallée
de la Soummam.
Il s’agit donc bien d’un territoire idéal au combat de guérilla, d’autant plus qu’il existe
partout de nombreuses falaises abruptes, truffées de grottes profondes et des régions comme
les Aurès, avec des sommets culminant à 1 800 ou 2 000 mètres, ou comme la forêt de Beni-
Melloul qui restent très difficiles d’accès surtout aux engins blindés.
Pour pouvoir faire face à ce nouvel ennemi et aux problèmes que pose le terrain,
l’ABC a dû évoluer rapidement dans ses structures, dans la formation de son personnel, dans
son équipement et dans son emploi.
Cette évolution permet aux unités de faire face en grande partie aux nouveaux besoins
opérationnels mais le système qui est mis en place manque de cohérence. Cela tient au fait
que les besoins diffèrent selon les zones d’engagement, ce qui entraîne de grosses difficultés
non seulement dans le domaine du soutien mais aussi, et surtout dans celui des relèves tant
individuelles que collectives.
En outre, pour mettre sur pied un nombre important d’unités, l’ABC est obligée de
faire appel à toutes ses ressources disponibles et atteint ses limites au bout de quelques
années, tant dans le domaine de la ressource humaine que dans celui des matériels.
L’emploi, parfois désordonné, de ces derniers entraîne une usure prématurée sans
qu’aucune solution réellement satisfaisante ne puisse être dégagée pour les remplacer y

1509
Le Sahara, d’une superficie de 2 millions de km², au sud de l’Atlas couvre la plus grande partie de l’Algérie
actuelle. Plus de la moitié de ce désert est un reg. Les plateaux qui entourent le Hoggar, dont les sommets
dépassent 3 000 m, portent le nom de Tassili. Les dunes se regroupent fréquemment en massifs (les ergs), formés
de cordons alignés parallèlement à la direction des vents dominants.

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compris en sacrifiant une partie du potentiel de combat des unités susceptibles d’intervenir en
Europe dans le cadre de l’OTAN.
L’ABC, qui aurait sans doute eu beaucoup de peine à poursuivre un tel effort bien
longtemps, sort exsangue de la guerre d’Algérie. Tout est à reconstruire, y compris l’esprit
d’une partie de son personnel qui termine le conflit avec un fort sentiment d’amertume. Sept
années d’engagement ininterrompu dans une contre-insurrection ont mis à mal les savoir-faire
du combat des blindés. Les régiments, parfois au prix de lourds sacrifices, ont acquis une
solide expérience et des savoir-faire indiscutables dans le domaine du combat à pied et dans
celui de la mise en œuvre des matériels. Cependant la culture du combat blindé s’est
évanouie. Pour y remédier, le programme AMX 30, sur lequel celui de l’AML 60 avait pris le
pas, subit une accélération. En 1965, ce char commence à remplacer le Patton et, six ans plus
tard, toutes les formations de chars de l’ABC en sont équipées. Un tel effort n’aurait sans
doute pas été possible en menant de front un conflit sur un autre théâtre.
Si l’ABC réussit à transformer ses formations en de bons outils de contre-insurrection,
elle le fait au prix de la perte de sa spécificité blindée. Le cadre d’emploi et la structure des
unités d’Algérie sont aux antipodes de celles susceptibles d’être engagées dans un conflit en
Europe centrale. Seuls, le personnel reste le même et c’est sans doute à sa capacité
d’adaptation que l’ABC doit non seulement d’avoir pu tenir son rang en Algérie mais surtout
d’avoir conservé son âme.

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