La Grande Guerre marqua un tournant pour les soldats originaires
d’Afrique subsaharienne. Pour la première fois, ces hommes vinrent combattre en Europe. De ces cinq années, émergèrent une série de principes indispensables à leur gestion et leur utilisation. Plus qu’une expérience militaire, ce conflit doit aussi être pensé sous les angles social et culturel pour parfaitement aborder ce moment. L’hivernage, l’alimentation et la forme de leurs combats furent autant d’éléments pensés entre 1914 et 1919, puis qui perdurèrent au cours de l’entre- deux-guerres. I.ORIGINES DES TIRAILLEURS SENEGALAIS
Tirailleur d'origine bambara (Mali) (gravure de 1890).
En 1857, Louis Faidherbe, en manque d'effectifs venus de la France métropolitaine dans les nouveaux territoires d'Afrique, pour faire face aux besoins de maintien de l'ordre de la phase de colonisation, crée le corps des tirailleurs sénégalais. Un décret est signé le 21 juillet 1857 à Plombières-les-Bains par Napoléon III. Jusqu'en 1905, ce corps intègre des esclaves rachetés à leurs maîtres locaux7 (et lors d'opérations militaires des tirailleurs s'approprient comme « prise de guerre » des femmes elles-mêmes esclaves), puis des prisonniers de guerre ainsi que des volontaires ayant une grande diversité d'origines. Les sous-officiers sont, dans un premier temps, recrutés au sein des chefferies locales. Les officiers sont moins nombreux, proportionnellement que dans le reste de l'armée française (un officier pour 30 hommes chez les tirailleurs, dans les zouaves et dans les « régiments étrangers », contre un pour vingt dans le reste de l'armée). Les tirailleurs sénégalais ne sont pas nécessairement Sénégalais, ils sont recrutés dans toute l'Afrique subsaharienne aussi bien en Afrique de l'Est qu'en Afrique centrale et de l'Ouest. Le terme « sénégalais » leur est donné du fait que le premier régiment de tirailleurs a été créé au Sénégal. Certains Sénégalais, nés Français de « statut civil réservé » dans les Quatre communes du Sénégal, ne sont pas considérés comme tirailleurs. À cause de l'existence du droit musulman incompatible avec la pleine citoyenneté française, dont la pratique de la polygamie, l'administration limita, dans un premier temps, les droits de ces citoyens particuliers. C'est durant la Première Guerre mondiale, sous l'impulsion du député Blaise Diagne que les ressortissants des Quatre communes (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis) sont considérés comme citoyens à part entière et dès lors intégrés dans les régiments métropolitains plutôt que dans ceux de tirailleurs sénégalais. Jusqu'en juillet 1900, quand fut créé le ministère des Colonies, les troupes africaines dépendaient des troupes de marine (artillerie, infanterie, corps des télégraphistes et des travailleurs) et du ministère de la Marine. À cette date, les troupes de marine devinrent les troupes coloniales, dépendant de l'Armée de terre, dont certains éléments étaient détachés au ministère des Colonies (bureau des Services Militaires) pour servir aux colonies et pour encadrer les troupes indigènes. À cette époque il existait au sein du ministère de la Guerre deux ensembles distincts : les troupes métropolitaines comprenant l'armée d'Afrique et ses corps indigènes spécifiques (tirailleurs algériens, tunisiens, marocains, goums, spahis, etc.) ; les troupes coloniales servant principalement dans les colonies et autres possessions ou dépendances ultramarines mais dont des unités étaient également stationnées en Métropole et en Afrique française du nord. Dans la terminologie militaire, les fantassins des troupes de marine, reçoivent le sobriquet de « marsouins » ; les artilleurs, celui de « bigors » (leurs canons s'accrochent aux rochers, tels des bigorneaux…). Entre 1908 et 1914, les tirailleurs sénégalais sont engagés dans la campagne du Maroc et au Maghreb, conformément au projet de Charles Mangin qui est, selon la « manœuvre du perroquet »13, de soulager le 19e corps d'armée qui peut dès lors être envoyé au front de l'Ouest. II.LE ROLE DES TIRAILLEURS SENEGALAIS DANS LES DEUX GUERRES La fin de la Première Guerre mondiale est marquée par une profonde réorganisation des Troupes Coloniales. La pénurie de main d'œuvre due aux pertes effroyables françaises subies pendant le premier conflit mondial (1 355 000 morts et 3 595 000 blessés), explique en partie cette situation. Le ralentissement marqué du recrutement des jeunes engagés est constaté. De plus les rigueurs budgétaires imposées par l'effort de reconstruction, et l'absence de menace de la part de l'Allemagne vaincue, ont raison d'une grande partie de l'infanterie française. Les Troupes Coloniales voient près de 80 % des régiments qui la composent dissous. Seuls subsistent en tant que régiments blancs, les 3e, 21e, 23e RIC en métropole, les 9e et 11e RIC en Indochine, et le 16e RIC en Chine. C'est ainsi que disparaît le 1er mai 1923 le 24e régiment d'infanterie coloniale qui tenait garnison depuis sa création à Perpignan et qui s'était brillamment illustré pendant tout le conflit perdant plus de 8 000 hommes et décrochant la croix de la Légion d'honneur. Pour pallier cette carence il est alors décidé d'incorporer des soldats locaux (Sénégalais, Malgaches et Indochinois). En 1926, sous l'appellation générique de Tirailleurs Sénégalais, sont créés les 4e, 8e (Toulon), 12e (La Rochelle) et (Saintes), 14e (Mont-de- Marsan), 16e (Montauban), et 24e régiment de tirailleurs sénégalais (RTS) (Perpignan). Le 42e à Pamiers et 52e à Carcassonne, ces deux derniers régiments deviennent les 42e et 52e bataillons de Mitrailleurs Malgaches et Indochinois et seront implantés dans des garnisons du sud de la France. Tout comme les unités Nord- Africaines, (Tirailleurs Algériens, Tunisiens, Marocains), les RTS s'avèrent plus économiques et plus dociles, que les unités blanches. C'est ainsi que Perpignan récupère un régiment colonial, le 24e régiment de tirailleurs sénégalais, régiment qui malgré sa nouvelle appellation et sa composition, hérite des traditions et du drapeau aux huit inscriptions de son prédécesseur. la plus grande partie de l'effectif hommes de troupe est désormais constituée par des soldats Africains, communément appelés « Tirailleurs sénégalais » ou soldats indigènes, tous originaires des diverses colonies de l'Afrique Occidentale Française (AOF). Les soldats « européens », en petit nombre, tiennent les emplois de spécialistes (transmissions, servant d'engins, secrétaires) et sont destinés, en principe, aux pelotons d'élèves-gradés, caporaux et sergents. III.LE MASSACRE DE THIAROYE En novembre 1944, 1 280 tirailleurs sénégalais originaires de différents pays de l'Afrique-Occidentale française sont regroupés dans un camp de transit à une quinzaine de kilomètres du centre de Dakar. Ils se sont battus lors de l'offensive allemande de mai-juin 1940 et la plupart sont restés prisonniers des Allemands en France, employés comme travailleurs forcés dans des fermes ou des usines d'armement. Faisant partie des premiers prisonniers libérés, ils sont rapidement démobilisés mais sans que cela règle le problème de leurs indemnités et pensions. Dans le camp, une manifestation est organisée et le général Dagnan est chahuté. Celui-ci, en accord avec son supérieur le général Yves de Boisboissel, décide de faire une démonstration de force et envoie des gendarmes, renforcés de détachements de soldats indigènes issus des 1er et 7e régiment de tirailleurs sénégalais et du 6e régiment d’artillerie coloniale et de quelques blindés. Après deux heures et demie de discussion, l’ordre d’ouvrir le feu est donné, ce qui fait soixante-dix tués et autant de blessés graves, plus des centaines de blessés légers. Immédiatement, trois cents ex-tirailleurs sont extraits du camp pour être envoyés à Bamako. Trente-quatre survivants, considérés comme meneurs, sont condamnés à des peines de un an à dix ans de prison. Ils ont une amende de 100 francs de l'époque et perdent leurs droits à l'indemnité de démobilisation. Ils sont graciés en juin 1947, lors de la venue à Dakar de Vincent Auriol, président de la République, mais sans recouvrer leurs droits à leur retraite militaire. En août 2004, à l'occasion du soixantième anniversaire du débarquement de Provence, la journée du 23 août est déclarée Journée du tirailleur sénégalais par le président du Sénégal Abdoulaye Wade (lui-même fils de tirailleur), qui invite les autres États d’Afrique d’où étaient originaires les tirailleurs et un représentant de l'État français, Pierre-André Wiltzer. Le massacre de Thiaroye y est commémoré. En septembre 2004, le gouvernement sénégalais institue par décret cette journée en journée commémorative annuelle. CONCLUSION La Grande Guerre marqua un tournant pour les soldats originaires d’Afrique subsaharienne. Pour la première fois, ces hommes vinrent combattre en Europe. De ces cinq années, émergèrent une série de principes indispensables à leur gestion et leur utilisation. Plus qu’une expérience militaire, ce conflit doit aussi être pensé sous les angles social et culturel pour parfaitement aborder ce moment. L’hivernage, l’alimentation et la forme de leurs combats furent autant d’éléments pensés entre 1914 et 1919, puis qui perdurèrent au cours de l’entre- deux-guerres.