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FAMILLE ET GROSSESSE PRECOCE AU SENEGAL

THEME : Maternités adolescentes

Mamadou AMOUZOU
Démographe à l’Agence Nationale de la Statistique et de Démographie (ANSD), Dakar-Sénégal
e-mail : amouzoumamadou@yahoo.fr

RESUME

Les données de l’EDS-continue, conformément au Schéma Directeur de la Statistique


du Sénégal, permettent de créer un flux continu de données sur la population qui aidera à
répondre à la demande de suivi régulier des indicateurs de couverture et d’impact résultant des
initiatives en cours, visant à renforcer les programmes de santé. Elles constituent alors une
source de suivi des grossesses des adolescentes sur plusieurs périodes et d’optimiser de façon
durable les interventions. A cet effet, les études théoriques et empiriques indiquent que le
phénomène s’inscrit dans les normes et les valeurs en matière de sexualité, de nuptialité, de
famille et de fécondité (Rwenge, 1999 ; Blum et al., 2013), mais aussi dans un contexte de
précarité économique et un contexte politique ou institutionnel. Les résultats révèlent que les
grossesses précoces au Sénégal ont une tendance haussière de 2012 à 2014 passant de 15,5% à
17,6%. On note une plus forte proportion d’adolescentes ayant une première naissance vivante
que celles enceintes de leur premier enfant ceci quel que soit la période considérée. Les
grossesses précoces sont plus un phénomène rural et augmentent globalement avec l’âge de
l’adolescente. Elles touchent plus les musulmanes et animistes que les chrétiennes, les
adolescentes peuls et manding que des autres ethnies, celles résidant dans des ménages dirigés
par hommes, celles ayant entamé de façon précoce leur activité sexuelle et entretenant des
relations sexuelles sans tenir compte de cycle d’ovulation mais celles qui cohabitent avec leur
partenaire. En revanche, le phénomène touche moins les adolescentes ayant un lien de parenté
assez faible avec le CM, de degré de modernité ou de niveau de vie élevé. Cependant, les
facteurs déterminant du phénomène au Sénégal sont essentiellement la famille à travers le lien
avec le CM et la cohabitation avec le partenaire, l’ethnie, la précocité de la sexualité et le niveau
de désir d’enfants par l’adolescente.
Les implications de cette étude seraient une éducation sexuelle des adolescentes
formalisée dans les écoles comme dans les média, le maintien des filles à l’école mais aussi une
sensibilisation des acteurs.

1. INTRODUCTION

Une grossesse est dite précoce lorsqu’au moment de sa survenance la porteuse est
mineure. Cette période est en général située avant l’âge de 20 ans en d’autres termes pendant
l’adolescence. Selon les études, les grossesses précoces sont de plus en plus fréquentes et
deviennent un problème prioritaire de santé publique. En effet, une grossesse ou une naissance

1
vivante à cet âge est à risques non seulement pour l’enfant mais pour la maman ou la future
maman.
Par définition, une grossesse à risques est une grossesse qui fait courir des risques pour
la santé de la mère et/ou celle de l’enfant. Elle est due soit à une pathologie liée à la maman,
soit au développement du fœtus, soit à la survenue d'événements spécifiques lors de la
grossesse. En clair, on parle de grossesse à risques lorsque la future mère se trouve en situation
de vulnérabilité : une femme très jeune ou âgée, ou qui souffre d’une maladie chronique telle
qu’un diabète, une hypertension artérielle, une pathologie cardiaque, etc. De même, la grossesse
est considérée comme à risque lorsque la femme présente des antécédents obstétricaux
particuliers tels que des anomalies du bassin, d’utérus trop petit avec un ou plusieurs kystes ou
encore d'utérus rétro versé, des fausses couches.
Dans la présente étude, nous nous intéressons au cas particulier des grossesses des
adolescentes autrement dit à la grossesse précoce au Sénégal de 2012 à 2014. A ce titre, les
études théoriques et empiriques ont révélé de façon générale que la grossesse des adolescentes
s’inscrit dans les normes et les valeurs en matière de sexualité, de nuptialité, de famille et de
fécondité (Rwenge, 1999, Blum et al., 2013), mais aussi dans un contexte de précarité
économique et un contexte politique ou institutionnel.
Cependant, il s’agit dans ce travail d’examiner le rôle de la famille dans la survenance
des grossesses des adolescentes au Sénégal entre 2012 et 2014 en utilisant les données issues
de l’Enquête Démographique et Santé (EDS) Continue dudit pays.

2. CONTEXTE DE L’ETUDE

D’après les résultats du dernier Recensement Général de la Population, de l’Habitat, de


l’Agriculture et de l’Elevage (RGPHAE) de 2013, la population sénégalaise s’établit à
13 508 715 habitants dont 6 773 294 soit 50,1% de femmes. Cette population est caractérisée,
par son extrême jeunesse comme en atteste l’âge médian qui est de 18,7 ans montrant ainsi que
plus de la moitié de cette population est âgée de moins de 19 ans notamment en milieu rural où
le même indicateur est de 16 ans.
La population sénégalaise croit rapidement avec un taux d’accroissement de 2,7%,
observé entre 2002 et 2013, résultant essentiellement d’une fécondité élevée (ISF de 5 en 2012-
2013) et d’un taux de mortalité infantile en baisse.
Par ailleurs, les résultats de l’EDS-Continue 2014 révèlent que les adolescentes représentent
22% des femmes en âge de procréer et contribuent à près de 9% à la fécondité totale des
femmes. Ce qui dénote d’une prévalence non négligeable de grossesses dans cette sous-
population sénégalaise. Cette situation est corroborée par les données montrant une
augmentation de la proportion d’adolescentes ayant entamé leur vie féconde entre 2012 et 2014.
En effet, cette proportion est passée de 15,5% en 2012-2013 à 17,6% en 2014 soit une
augmentation de 2,1 points de pourcentage entre ces deux périodes.
S’agissant des politiques en matière de santé, elles sont pour l’essentiel inscrites dans le
Plan National de Développement Sanitaire (PNDS-II, 2009-2018) avec pour objectif la
réduction de la mortalité maternelle et celle infanto-juvénile, la maitrise de la fécondité et un
peu plus d’accès aux services sociaux de base pour les plus démunis.

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3. APPROCHES THEORIQUES

Il est question ici d’explorer les différentes facettes sous lesquelles la grossesse précoce
a été abordée ainsi que l’influence de la famille dans l’amplification ou l’atténuation du
phénomène.
Les approches de la grossesse chez les adolescentes sont celles qualifiées «
d’écologiques » car tenant compte de la gamme des multiples facteurs qui entrent en jeu dans
ce phénomène et de leurs actions conjuguées dans toute leur complexité. Elles mettent en
exergue trois grandes approches: il s’agit des approches socioculturelles, socioéconomiques et
des approches institutionnelles (Blum et al, 2013). Les différents facteurs agissent à cinq
niveaux imbriqués allant du national à l’individuel en passant par les niveaux communautaire,
scolaire/paire puis familial.
Selon l’approche socioculturelle, les mœurs, les normes et valeurs sont susceptibles
d’influencer les comportements procréateurs dans la société. Elle a donc pour soubassement le
fait que les perceptions et les pratiques sexuelles et procréatrices des individus découlent du
système socioculturel dans lequel ils sont moulés. Elle traduit le fait que la sexualité et la
fécondité ne sont pas des phénomènes isolables, mais s’inscrivent dans les normes et les valeurs
en matière de sexualité, de nuptialité, de famille et de fécondité (Rwenge, 1999).
De cette approche, se dégagent deux sous-approches dont l’une est fondée sur l’héritage culturel
(tradition) et l’autre sur la théorie de la désorganisation sociale ou encore the « social
disorganization ».
 La théorie de l’héritage culturel explique la grossesse précoce des adolescentes à travers
les valeurs traditionnelles et normatives véhiculées par l’ethnie et la religion.
 La désorganisation sociale, comme soulignée par Diop J. N. en 1995, fait partie intégrante
de la théorie générale de la modernisation. Cette dernière stipule l’affaiblissement des
structures traditionnelles et le relâchement du contrôle des aînés sur les jeunes dans la
famille. Les comportements nouveaux ainsi nés sont orientés plus vers la satisfaction
personnelle et la gratification émotionnelle, que vers la responsabilité familiale.
L’approche socioéconomique ou encore la théorie de l’adaptation rationnelle a été
développée par Cherlin et Riley (Calvès, 1996). Ce modèle se fonde surtout sur les effets de la
pauvreté des populations. Les difficultés économiques sont une des raisons de la motivation
financière de la sexualité chez les adolescentes. En effet, dans un contexte de précarité
économique, l'acceptation de rapports sexuels par l’adolescente répond à son besoin impérieux
de survie (Rwenge, 1999). Dans ce contexte, les jeunes filles font des rapports sexuels avec les
hommes aisés, plus âgés et déjà mariés, afin de profiter de certains privilèges, et cela, parfois,
avec la bénédiction tacite ou sous la pression soutenue des parents eux-mêmes, désireux de voir
partir rapidement leur fille, et alléger quelque peu la charge financière de leur ménage (Görgen
et al, 1998).
On retrouve dans l’ensemble des facteurs institutionnels les politiques relatives à l’accès
des adolescentes à la contraception ou la non-application des lois interdisant les mariages
d’enfants. Ce sont, en d’autres termes, les lois, les cadres institutionnels nationaux et
internationaux en matière de mariage et de formation des familles, de procréation, d’éducation
sexuelle des adolescentes, d’approvisionnement et de vulgarisation des méthodes

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contraceptives modernes. Les facteurs institutionnels peuvent par conséquent influer sur les
grossesses des adolescentes.
Ainsi, l’hypothèse qui sous-tend cette étude est que les facteurs socioculturels, les
facteurs socioéconomiques et les facteurs institutionnels influencent la grossesse précoce au
Sénégal sous l’effet des variables sociodémographiques. En outre, les deux premiers facteurs
agissent directement sur la grossesse précoce.

4. ASPECTS METHODOLOGIQUES

La philosophie sous-jacente à la création de méthodes étant « que tout progrès, dans un


domaine quelconque, ne peut être réalisé que grâce à des méthodes appropriées » (Festinger
et al., 1963), il est important de présenter ici la source de données ainsi que la méthode d’analyse
utilisées dans cette étude.

4.1. SOURCE DE DONNEES


Les données utilisées sont celles de l’EDS-Continue de 2012 à 2014 du Sénégal. Cette
source consiste conformément au Schéma Directeur de la Statistique à créer un flux continu de
données sur la population qui aidera à répondre à la demande de suivi régulier des indicateurs
de couverture et d’impact résultant des initiatives en cours, visant à renforcer les programmes
de santé. Elle a été réalisée par l’Agence Nationale de Statistique et de la démographie avec
l’assistance technique de ICF International et l’organisme américain en charge du programme
international des EDS (DHS).
L’EDS-Continue utilise trois types de questionnaires dont celui individuel femme qui
constitue l’élément centrale de l’enquête mais aussi de notre étude.

4.2. LES VARIABLES


Comme susmentionné, ce travail vise à étudier les grossesses des adolescentes ou
grossesses précoces. Il s’agira, compte tenu de la méthodologie, de déterminer l’influence de la
famille dans la survenance de la première grossesse chez les adolescentes au Sénégal entre 2012
et 2014. Ainsi, la variable dépendante est la « grossesse avant 20 ans »1.
Les variables indépendantes utilisées sont celles qui sont sensées pouvoir expliquer
théoriquement (selon la littérature) la grossesse précoce, présentes dans le fichier de données
ou pouvant être construites à partir des variables dudit fichier. Il s’agit de l’ethnie, de la religion,
du statut matrimonial, du lien de parenté avec le chef de ménage (CM), de l’âge et du sexe du
CM, de la connaissance du cycle d’ovulation (pour les relation sexuelles), du niveau
d’instruction, le milieu et la région de résidence, l’âge à la première activité sexuelle, le nombre
idéal d’enfants et degré de modernité de l’adolescente, du niveau de vie du ménage.

4.3. METHODES D’ANALYSE


Dans cette étude nous avons recours à deux méthodes d’analyses : la première est
descriptive et la seconde explicative. Dans la première, nous utilisons les croisements entre la

1
Cette variable est à deux modalités : 1 = Oui, lorsque l’adolescente a connu une grossesse avant 20 ans ; 4
0 = Non, sinon.
variable dépendante et celles indépendante pour déterminer le degré de liaison entre elles. Dans
la seconde, par une régression logistique, nous déterminons les variables qui expliquent notre
phénomène.

5. RESULTATS

Les résultats révèlent que les grossesses précoces ont une tendance haussière de 2012-
2013 à 2014, passant de 15,5% à 17,6%. On note une plus forte proportion d’adolescentes ayant
une première naissance vivante (au moins 79%) que celles enceintes de leur premier enfant ceci
quel que soit la période considérée.

Graphique 1 : Niveau et tendance des grossesses et naissances vivantes des adolescentes

20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
2012-213 2014 Ensemble
Naiss viv 12,31 14,11 13,17
Naiss viv & gross 15,49 17,62 16,51

Naiss viv Naiss viv & gross

Source : Nos calculs issus les données de l’EDS-continue

L’analyse descriptive (Cf. Tableau 1) montre, par ailleurs, que quel que soit l’année
considérée les grossesses précoces sont plus un phénomène rural qu’urbain et augmentent
globalement avec l’âge de l’adolescente. Elles touchent plus les musulmanes et animistes que
les chrétiennes, les adolescentes poular et manding que les autres, celles n’ayant aucun niveau
d’instruction, celles résidant dans des ménages dirigés par hommes jeunes, des régions du Sud,
du Nord et du Centre. En revanche, le phénomène touche moins les adolescentes n’ayant aucun
lien de parenté avec le CM mais aussi ses propres filles et petites-filles. Le phénomène a en
outre plus d’ampleur chez les adolescentes ayant précocement commencé leur activité sexuelle
(Moins de 15 ans), ayant eu leur première cohabitation avant 19 ans, vivant avec leur mari ou
partenaire et entretenant des relations sexuelles après ou à n’importe quel période de leur cycle
d’ovulation. De plus, la prévalence des grossesses précoces augmente avec le niveau de la
fécondité désirée par la femme mais diminue avec son degré de modernité et le niveau de vie
du ménage dans lequel elle réside.

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Tableau 1 : Niveau et tendance des grossesses précoces des adolescentes selon certaines
caractéristiques sociodémographiques.
Année 2012-2013 2014 Ensemble Année 2012-2013 2014 Ensemble
Age Période d'entretien des RS/ au CO
15 1,64 0,65 1,15 Pas encore d'activité 0 0 0
16 8,42 6,57 7,55 Durant le cycle 43,91 80,81 66,19
17 16,64 20,98 18,68 A la fin du cycle 72,25 75,8 74,29
18 21,37 31,62 26,3 Au milieu du cycle 62,74 57,84 60,39
19 29,04 27,62 28,39 Avant le début du cycle 35,53 53,83 43,65
Grande région A tout moment 64,69 60,26 62,73
Nord 18,7 17,56 18,13 Autre 0 100 100
Ouest 8,13 11,84 9,9 NSP 53,52 58,73 55,9
Centre 16,46 21,46 18,81 Cohabitation avec le partenaire
Sud 25,44 24,5 25,02 Célibataire 1,46 3,79 2,57
Ethnie Vit avec elle 66,33 70,44 68,22
Wolof 12,83 14,6 13,71 Est ailleurs 55,4 56,63 56,01
Poular 23,04 23,18 23,1 Veuve/Divorcée/Séparé 53,41 51,04 52,78
Sérer 10,24 15,36 12,22 Groupe d'âge à la 1ère cohabitation
Mandingue 12,86 25,46 20,88 Célibataire 1,46 3,79 2,57
Diola 13,04 7,12 9,17 Moins de 19 ans 61,85 64,52 63,11
Soninke 7,72 7,66 7,69 19 ans et + 26,59 2,57 17
Non sénégalaise 17,77 43,95 29,66 Groupe d'âge à la 1ère activité sexuelle
Autre 18,13 3,63 15,21 Pas encore d'activité 0 0 0
Moins de 15 ans 77,64 73,99 75,74
Milieu Entre 15 et 18 ans 56,6 62,41 59,41
Urbain 7,7 11,92 9,82 19 et + 24,05 0 14,36
Rural 21,85 23,44 22,56 NSP 100 100 100
Niveau d'intruction Degré de modernité
Aucun niveau 27,53 31,8 29,49 Faible 32,34 34,76 33,45
Primaire 16,87 15,71 16,33 Moyen 15,92 18,96 17,28
Secondaire et + 5,06 8,85 6,93 Élevé 6,03 8,95 7,49
Religion Niveau de vie
Musulmane 15,36 17,83 16,53 Faible 23,35 25,09 24,14
Chrétienne 19,26 10,84 15,15 Moyen 11,45 16,22 13,6
Animiste 14,53 31,02 24,28 Élevé 10,71 11,73 11,24

Source : Nos calculs issus des données de l’EDS-Continue

Les résultats de l’analyse des déterminants de la grossesse des adolescentes en 2012-


2013 et en 2014 montre la constance de certains facteurs, au seuil de 10%, même si leurs
manifestations différent d’une période à une autre. Il s’agit :

 Du lien de parenté avec le chef de ménage : on constate que dans les modèles saturés
et par rapport aux filles du CM, toutes les autres adolescentes apparentées au
dirigeant du ménage ont plus de risque d’avoir une naissance vivante ou une

6
grossesse avant l’âge de 20 ans. Ce risque est globalement et significativement 3
fois plus élevé chez les CM, leurs coépouses ou leurs épouses et 4 fois plus chez les
sœurs du chef de ménage. De même, les belles-filles du CM sont plus exposées au
phénomène (1,2 fois plus) que les filles du CM même si le risque n’est pas
significatif au seuil de 10%. En revanche, les filles adoptives et celles n’ayant aucun
lien de parenté avec le CM sont globalement plus à l’abri des grossesses précoces
que les propres filles du dirigeant du ménage.
La cohabitation avec le partenaire et l’âge de l’adolescente mais l’âge à la première
activité sexuelle influent sur cette variable dans les modèles pas à pas en diminuant
les risques du phénomène chez adolescentes membres du ménage par rapport aux
filles du chef de ménage contrairement à l’ethnie et le milieu de résidence.

 De l’âge de l’adolescente : il ressort des analyses que le risque de tomber en


grossesse avant 20 ans augmente significativement avec l’âge de l’adolescente. La
religion et l’ethnie contribuent à l’augmentation de ce risque contrairement au degré
de modernité et l’âge à la première activité sexuelle. En d’autres termes et toutes
choses étant égales par ailleurs, la culture et la modernité ont des effets contraires
sur le risque de manifestation du phénomène avec l’âge des adolescentes
sénégalaises.

 De l’ethnie : il vient de nos modèles que les adolescentes manding, soninké ou


poular courent un risque plus élevé (au moins 1,7 fois plus) de connaitre une
grossesse avant l’âge de 20 ans que leurs homologues wolof. Notons que ces risques
sont en partie imputables à la précocité de l’activité sexuelle selon l’ethnie d’autant
plus que la considération de la variable âge à la première activité sexuelle diminue
les risques du phénomène chez ces groupes d’adolescentes.

 De l’âge à la première activité sexuelle : d’après cet étude, plus l’activité sexuelle
de l’adolescente est précoce plus elle est exposée aux grossesses précoces. En effet,
par rapport à celles n’ayant pas encore entamé une activité sexuelle, les adolescentes
ayant eu leur première activité sexuelle avant 15 ans risque fortement et de façon
très significative (au seuil de 1%) de tomber enceinte avant 20 ans. Ces risques
peuvent être amplifiés lorsque les relations sexuelles sont entretenues sans que
l’adolescente ait une bonne maitrise ou la prise en compte de son cycle d’ovulation.

 Du nombre idéal d’enfants désiré par l’adolescente : les résultats révèlent que
globalement le risque d’une grossesse précoce augmente avec le niveau de désir
d’enfants de l’adolescente. En effet, le désir d’un nombre élevé d’enfants peut
motiver la femme à commencer précocement son activité sexuelle de façon formelle
(mariage) ou non et à augmenter ainsi son niveau d’exposition aux grossesses
précoces.

Signalons enfin que la variable cohabitation, sauf en 2014, explique significativement au seuil
de 5% le phénomène.

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Tableau 2 : Effets nets des variables explicatives sur la grossesse précoce.

2012- 2012-
VARIABLES -MODALITES 2014 Global VARIABLES -MODALITES 2014 Global
2013 2013

Lien de parenté avec le CM * *** ** Milieu de résidence ns ns ns


CM/Epouse ou Coépouse 3,47* 2,97* 2,96** Urbain réf réf réf

Fille réf Réf réf Rural 1,24 ns 0,89 ns 0,98 ns


1,20 1,20
Belle-fille 1,40 ns ns ns Degré de modernité ns ns *
2,24 0,80
Petite fille 0,19* ns ns Faible réf réf réf
9,90**
Sœur 1,96 ns * 4,26** Moyen 0,80 ns 0,72 ns 0,68*
1,46 1,40
Autre parent 1,23 ns ns ns Elevé 1,09 ns 0,69 ns 0,75 ns
Groupe d'âges à la première activité
Fille adoptive 0,29* 0,23** 0,34* sexuelle *** *** ***
0,31 0,91
Sans lien 1,31 ns ns ns Pas encore d'activité réf réf réf
Cohabitation avec le 1091,25* 787,44** 850,79**
partenaire ** Ns ** Moins de 15 ans ** * *
0,57 146,63** 312,22** 225,81**
Célibataire 0,20** ns 0,45** Entre 15 et 18 ans * * *

Vit avec elle réf Réf réf 19 et + 15,56** ## 14,00***


0,91 0,78
Est ailleurs 0,78 ns ns ns Nombre idéal d'enfants ** *** *
0,88 0,65
Veuve/Divorcée/Séparé 0,68 ns ns ns 0-2 0,76 ns 2,13 ns 1,59 ns

Age de l'adolescente *** *** *** 3 0,42** 0,59 ns 0,49*


0,02** 0,02**
15 0,01*** * * 4 1,16 ns 0,38*** 0,70 ns
0,17** 0,17**
16 0,17*** * * 5 1,41 ns 0,36*** 0,68*
0,63 0,43**
17 0,39*** ns * 6 et +
réf réf réf
0,77 0,51**
18 0,30*** ns * Réponse non numérique

19 réf Réf réf Sexe du CM ns ns ns

Niveau d'instruction ns Ns ns Masculin 1,49 ns 0,68 ns 0,83 ns

Aucun niveau réf Réf réf Féminin réf réf réf


0,61 1,08
Primaire 1,59 ns ns ns Groupe d'âges du CM * ns ns
1,06 1,06
Secondaire et + 0,55 ns ns ns 15-34 ans réf réf réf

Religion *** Ns ns 35-44 ans 1,83 ns 0,50 ns 1,33 ns


Musulmane réf Réf réf 45-60 ans 2,65* 0,92 ns 1,69 ns
1,61 2,02
Chrétienne 5,42*** ns ns de 60 ans 1,88 ns 1,03 ns 1,69 ns
0,53 0,53
Animiste 2,20 ns ns ns Niveau de vie du ménage ns ns ns

Ethnie * ** ** Faible réf réf réf


Wolof réf Réf réf Moyen 0,86 ns 0,96 ns 0,83 ns

Poular 1,17 ns 2,42** 1,71** Elevé 0,74 ns 1,03 ns 0,89 ns


1,09
Sérer 1,21 ns 1,6 ns ns Région/Grande région ns ns ns
Mandingue 1,64 ns 3,19** 2,40** Nord 0,84 ns 0,59 ns 0,71 ns

8
0,90 0,76
Diola 1,66 ns ns ns Ouest 0,55 ns 1,18 ns 0,91 ns
1,21 2,04
Soninké 2,10 ns ns ns Centre réf réf réf
0,94 0,57
Non sénégalaise 0,24* ns ns Sud 0,96 ns 0,72 ns 0,78 ns
0,23 0,56
Autre 0,47 ns ns ns

Source : Nos calculs issus les données de l’EDS-continue

Dans ce qui suit, nous allons hiérarchiser les déterminants du phénomène. En effet, dans
le contexte des pays en développement en particulier de l’Afrique sub-saharienne où les moyens
financiers font généralement défaut, il importe d’indiquer pour chaque facteur son niveau de
contribution dans l’explication du phénomène afin de pouvoir définir des domaines
d’intervention prioritaires pour lutter contre les grossesses précoces.
Le procédé de calcul consiste à faire la différence entre le Pseudo R² final et le Pseudo
R² du modèle sans la variable afin de saisir la contribution absolue de chaque facteur. Cette
dernière rapportée à la valeur du Pseudo R² final permet d’obtenir la contribution en
pourcentage du facteur considéré. La formule de calcul est la suivante :

𝑃𝑠𝑅²𝑓 − 𝑃𝑠𝑅²𝑠𝑖 𝑃𝑠𝑅²𝑠𝑖


𝐶𝑖 = = 1−
𝑃𝑠𝑅²𝑓 𝑃𝑠𝑅²𝑓
Où :
𝑃𝑠𝑅²𝑓 désigne la valeur du Pseudo R² final ;
𝑃𝑠𝑅²𝑠𝑖 désigne la valeur du Pseudo R² sans la variable 𝑖 ;
𝐶𝑖 désigne la contribution de la variable 𝑖.
Le tableau suivant présente les contributions des facteurs explicatifs de la grossesse précoce à
chaque période (2012-2013, 2014, et globalement).

Tableau 3 : Contribution des différents facteurs explicatifs.

2012-2013 2014 Global


Contribution Contribution Contribution
Variables Rang Rang Rang
relative relative relative
Lien de parenté avec le CM 0,87% 3 1,30% 5 0,70% 4
Cohabitation avec le partenaire 0,84% 5 0,00% 6 0,27% 6
Age 6,28% 2 5,13% 2 5,53% 2
Religion 0,59% 7 0,00% 6 0,00% 7
Ethnie 0,87% 3 1,42% 4 0,95% 3
Groupe d'âges à la première activité sexuelle 13,45% 1 22,97% 1 19,99% 1
Nombre idéal d'enfants 0,61% 6 1,76% 3 0,48% 5

Source : Nos calculs issus les données de l’EDS-continue

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Les résultats de la hiérarchisation des déterminants montrent que pour lutter efficacement contre
les grossesses précoces au Sénégal l’accent devra être prioritairement mis sur l’éducation à la
vie sexuelle des adolescents en général et ceux de sexe féminin en particulier notamment en
matière contraception et des risques de la conception précoce. La deuxième action serait de
mener une sensibilisation accrue auprès des communautés et des groupes ethniques peuls et
mandings (le grand groupe) en vue de l’élimination des mariages précoces et d’autres pratiques
tendant à exposer les adolescentes aux grossesses.

Par ailleurs, bien que les données pour deux périodes ne soient représentatives que dans
les Grandes Régions et au niveau Urbain/Rural, nous avons essayé par une estimation directe
(Horvitz-Thomson) et le calcul des coefficients de variation (CV) du phénomène d’évaluer la
possibilité de sortir des taux de grossesses précoces au niveau régional. A cet effet, on note une
grande variabilité du phénomène en 2012-2013 comme en 2014 mais acceptable lorsque qu’on
agrège les données de ces deux périodes (CV de moins de 10%). Nous obtenons la carte ci-
dessous donnant l’incidence des grossesses précoces par région par agrégation des données.
Cette carte mise en corrélation avec la proportion des ethnies par région permettra d’affiner le
ciblage et d’optimiser les interventions futures.

Incidence des grossesses/naissances précoces


au Sénégal de 2012 a 2014
P opo on %
<10
10 15
Saint-Louis 15 20
20 25
25 30
30 40
>40
No da a
Louga
Matam

Thiès Diourbel
Dakar

Fatick Kaff ne
Kaffrine
Ka
Kaolack
Tambacounda

H W
Kolda
Sédh ou Kédougou
Ziguinchor

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Il ressort de cet exercice que les régions les plus touchées par le phénomène sont celles en
général où les ethnies peuls et mandings sont plus présentes.

En outre et comme décrit dans les approches théoriques, l’activité sexuelle des adolescentes est
souvent liée à une situation socioéconomique précaire. Ainsi, comme révélée dans cette étude,
les grossesses précoces étant fortement liées à l’activité sexuelle des adolescentes elles peuvent
en partie être imputables au niveau de pauvreté de la localité. Cela est corroboré par les données
visualisées dans les cartes ci-après qui confirment la théorie selon laquelle l'acceptation de
rapports sexuels par l’adolescente répond à un besoin impérieux de survie (Rwenge, 1999)
d’une part, et d’autre part un allégement des charges financières pour les parents désireux de
voir partir rapidement leur fille.

nc dence de a pauv e é au Sénéga en 2011 nc dence des g ossesses na ssances p écoces


%
au Sénéga de 2012 a 2014
%

M m
M m
Dakar D
Diour
Diourbel
D D

m
m

Ziguinchor

6. CONCLUSION

Les grossesses précoces, vues leur niveau et leur tendance, constitue une préoccupation
sérieuse tant au niveau familial que dans le domaine de la santé publique. Cette étude montre
en effet que la famille contribue à l’entretien du niveau de prévalence élevée du phénomène à
travers les mariages précoces ou une sexualité précoce entrainant ainsi une exposition précoce
à la grossesse. C’est ainsi qu’il est ressorti de ce travail que les adolescentes ayant un lien de
parenté étroit avec le chef de ménage notamment ses épouses ou belles-filles surtout celles
cohabitant avec leur partenaire sont plus exposées aux grossesses précoces que ses filles.

Par ailleurs, nous retiendrons que le manque de maitrise du cycle menstruel pourrait
contribuer à l’amplification de ce risque. Il serait ainsi judicieux de mettre en place des

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programmes d’éducation sexuelle pour les adolescents en général et ceux du sexe féminin en
particulier pour inverser la tendance du phénomène. Ces actions devront aussi être
accompagnées d’une sensibilisation des masses pour le maintien des filles à l’école mais
l’interdiction des mariages précoces et la création d’activités génératrices de revenus ou des
formations professionnelles en faveur des adolescentes vulnérables (pauvres, sans
instruction…).

Le phénomène pourrait être mieux appréhender si nous avions à notre disposition des
données prenant en compte des adolescentes de moins de 15 ans, ce qui constitue une des limites
de cette étude ainsi que la non considération de certaines variables comme l’utilisation de la
contraception par la femme ou de son partenaire avant la conception (non disponible dans la
base de données).

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