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Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie
Ensuite, toute ma gratitude va à mes lectrices, la professeure Fallon et Madame Claro, pour
avoir bien voulu me consacrer une part de leur temps.
Un énorme merci à mon super duo de Lara, Manfredi et Lombard ! Pour leur écoute, conseils
et bienveillance à toute épreuve.
Mon amie de toujours, Céline Innocent, pour sa relecture, son soutien et sa compréhension.
Mehdi Bouzalgha pour son soutien inconditionnel et pour être toujours à mes côtés.
Je tiens également à remercier du fond du cœur ma maître de stage, Sophie Poidlins. Elle m’a
aidé à prendre petit à petit confiance en moi et je lui serai toujours reconnaissant pour cela.
Un tout grand merci à Sarah Schlitz de m’inspirer au quotidien et de me porter vers le haut.
Un énorme merci à ma famille sans qui rien n’aurait été possible. Je pense tout particulièrement
à maman, mamie, Clémence, marraine et papy.
Finalement toute ma gratitude va à Dana, Darina et Sarah pour leur amitié et soutien au
quotidien.
« However sugarcoated and ambiguous, every form of authoritarianism must start with a
belief in some group's greater right to power, whether that right is justified by sex, race,
class, religion or all four. However far it may expand, the progression inevitably rests on
unequal power and airtight roles within the family »
EF : Eagle Forum
Les années 1970 marquent une véritable montée en puissance des associations de femmes
conservatrices aux USA. Un projet est à l’origine de cette fulgurante ascension : l’Equal Rights
Amendment. L’ERA souhaite placer les droits des femmes égaux aux droits des hommes dans
la Constitution américaine. L’amendement proposé est le suivant : « Equality of rights under
the law shall not be denied or abridged by the United States or by any State on account of sex
» (Résolution commune proposant un amendement à la Constitution des Etats-Unis relatif à
l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, 1972). Néanmoins, il a échoué à de
nombreuses reprises et ce notamment par l’action d’associations de femmes antiféministes
telles que Stop Taking Our Privileges – ERA (STOP-ERA), l’Eagle Forum (EF) et Concerned
Women for America (CWA).
STOP-ERA est créée en 1972 par Phyllis Schlafly, expressément pour lutter contre l’ERA
(Critchlow, 2005). L’EF voit le jour en 1975 et est l’héritier direct de STOP-ERA. Il s’oppose
dès lors naturellement au projet d’amendement à la Constitution (site Internet de l’EF, 2023).
Enfin, CWA lutte également contre l’amendement depuis sa fondation en 1979 (site Internet de
CWA, 2023).
1
les croyances religieuses et les valeurs conservatrices peuvent influencer la perspective des
femmes sur les questions liées à leurs propres droits.
Comme le souligne une précédente recherche, certains auteurs ont entrepris de répondre à des
questions spécifiques sur les origines de l'antiféminisme 1 (Deleuze, 2020). Cependant, peu
d'entre eux se sont réellement intéressés à l'antiféminisme porté par des femmes, notamment
aux États-Unis. Godet relève qu’il serait nécessaire d’approfondir la notion de conservatisme
féminin et plus particulièrement celle de l’antiféminisme (Godet, 2016, 27). De plus, Mort
affirme que peu d’études scientifiques ont été menées autour de la personne de Phyllis Schlafly2
(Mort, 2015). Encore moins nombreux sont ceux qui ont examiné de près leur vision du monde,
leurs croyances et la manière dont elles les traduisent en actions politiques. La professeure
Ronnee Schreiber souligne que cette thématique représente un enjeu politique qui a
fréquemment été négligé par les politologues (Schreiber, 2012, 3).
Ainsi, ce travail de fin d’études vise à comprendre pourquoi, selon leur vision du monde, les
associations EF et CWA se sont opposées à l’ERA — et pourquoi elles s’y opposent toujours,
comment (quelles coalitions ?) et avec qui (quels soutiens ?).
Aussi, cette recherche souhaite mettre en valeur les relations que les femmes antiféministes
entretiennent avec le pouvoir. Par exemple, le Président Trump était présent à l’enterrement de
Phyllis Schlafly (Reena, CBS News, 2016). De surcroît, Concerned Women for America a
organisé une campagne de soutien à la nomination d’Amy Coney Barrett (juge conservatrice et
antiavortement) à la cour suprême des USA (site Internet de CWA, 2021).
« Quelle est la vision du monde des femmes conservatrices américaines de l’Eagle Forum et
de Concerned Women for America et s’investissent-elles dans l’antiféminisme comme voie
d’accès au pouvoir et d’émancipation ? Une analyse à travers la théorie des coalitions de
cause autour de l’Equal Rights Amendment ».
1
Voir entre autres Lamoureux et Dupuis-Déri (2015), Rochefort (1998), McGirr (1962), Dworkin (1983).
2
Figure majeure du conservatisme féminin américain, à l’origine de STOP-ERA et de l’EF (Critchlow, 2005 ;
Ben Barka, 2022).
2
1. Méthodologie
La section méthodologie de ce mémoire revient sur le processus réflexif ayant conduit à son
aboutissement. Elle a pour but de dévoiler les choix conceptuels et les orientations
intellectuelles du présent travail, ainsi que les postures épistémologiques qui sous-tendent ici la
recherche. Elle offre un éclairage sur les fondements qui guident la démarche, permettant ainsi
de saisir l'impact du positionnement méthodologique sur la construction et la compréhension
de la problématique, le conservatisme chez les femmes américaines de l’Eagle Forum et de
Concerned Women for America. En résumé, cette plongée introspective offre une perspective
essentielle pour appréhender la genèse et la portée de ce mémoire.
Il apparaît pertinent de préciser que ce mémoire de master se veut être une suite directe et une
amélioration du Travail Dirigé en Sciences Politiques (TDSP) (Deleuze, 2020).
a. Posture épistémologique
Avant de plonger dans les aspects centraux de la méthodologie, il convient d'approfondir la
posture épistémologique, offrant ainsi au lecteur une compréhension approfondie des choix du
chercheur. Cette démarche vise simplement à garantir une intégrité intellectuelle dans le
contexte de la recherche scientifique (Lombard, 2022 ; Manfredi, 2022).
Par la suite, il est essentiel de souligner que la méthodologie de cette recherche ne vise pas à
atteindre une neutralité totale. Bien au contraire, ce mémoire assume l'impossibilité de parvenir
à une neutralité absolue, même dans une perspective de neutralité axiologique. De plus, il s'agit
3
de reconnaître que toute démarche de recherche est influencée par des préconceptions et des
positions préexistantes. Les politologues Pierre Delvenne et Céline Parotte assument le fait que
la recherche porte intrinsèquement une dimension politique (Delvenne & Parotte, 2019). Nier
cette dimension politique serait non seulement contre-productif, mais aussi une limitation de la
compréhension globale de la recherche (Lombard, 2022). Dans ce contexte, Delvenne et Parotte
font référence à une citation de John Fitzgerald Kennedy, lui-même inspiré par Dante Alighieri,
soulignant que « The hottest places in hell are reserved for those who maintain their neutrality
in times of moral crisis » (Delvenne & Parotte, 2019, 7). Cette citation met en relief l'importance
de s'engager et de prendre position, même dans le domaine académique, et d’autant plus en
temps de crise politique.
Par ailleurs, le politologue François Thoreau évoque la « forte volonté d'agir des sciences
sociales » (Thoreau, 2013, 12). Cette affirmation résonne particulièrement avec la démarche
adoptée, car le choix de la thématique d’un mémoire ou tout simplement d’un sujet de recherche
n'est jamais dénué de considérations éthiques et de convictions personnelles. À cet égard, Guba
et Lincoln écrivent : « Anyone who has done research involving human is well aware that one
cannot abandon one’s own humanness in the interest of ‘objective’ inquiry; it is both impossible
and ethically undesirable to do so » (Guba & Lincoln, 1982, 240).
Il convient de rappeler que cette recherche vise à approfondir la compréhension d'une vision
spécifique du monde, à savoir le conservatisme américain, et des arguments qui la sous-tendent,
même si je n’en partage pas personnellement les valeurs.
b. Délimitation du terrain
Après avoir établi la posture épistémologique de ce travail, il est primordial d’exposer la logique
de réflexion qui entoure les choix de la délimitation du terrain, de la chronologie de la recherche
et des critères d’analyse retenus.
Comme susmentionné, cette recherche assume une posture constructiviste. Son objectif est de
comprendre pourquoi les femmes conservatrices américaines de l’Eagle Forum et de Concerned
Women for America, depuis leur vision du monde, s’opposent à l’Equal Rights Amendment et
plus généralement aux revendications féministes.
En premier lieu, il est retenu que l’EF est né de Stop Taking Our Privileges-ERA, dont l’objectif
unique était de s’opposer à l’ERA (Miller, 2015). Aujourd’hui, EF a élargi son champ d’action,
mais l’un de ses principaux objectifs est toujours de lutter contre le vote de l’amendement
4
constitutionnel (entretien avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023 ; site Internet de l’EF,
2023). CWA, quant à elle, est née à la fin des années 1970 en réaction à l’avènement de la
deuxième vague du féminisme, en voulant proposer une « voie alternative » aux femmes.
L’opposition à l’ERA est, depuis sa création, également au centre de ses préoccupations
(Dorrough Smith, 2014). La partie de ce mémoire intitulée « La naissance du projet de l’ERA »
approfondit le système législatif américain ainsi que le procédé nécessaire à l’aboutissement du
projet d’amendement de la Constitution des USA.
Finalement, la formule retenue a été d’interroger des militantes soit au niveau des États fédérés
soit au niveau fédéral, ainsi que des expertes académiques. À partir de là, l’objectif a été de
confronter la revue de la littérature et les conclusions du TDSP aux entretiens menés.
De plus, il est à noter que les USA sont un État fédéral ne reconnaissant aucune langue officielle.
La langue usuelle de l’administration, et la plus parlée à l’échelle du pays, est l’anglais
américain. Il fallait donc prendre cela en compte pour la rédaction des guides et la poursuite des
entretiens.
Enfin, il est intéressant de citer d’autres associations de la même mouvance qui agissent au
niveau local ou bien qui n’existent plus aujourd’hui, raisons pour lesquelles elles ne font pas
partie de cette étude. Mariam Darce Frenier dresse une liste assez précise de ces acteurs :
« Opponents of the ERA. and Happiness of Womanhood, The Conservative Party, The
American Legion, The Veterans of Foreign Wars, The Catholic Daughters of America, The
Federated Women’s Clubs of New York City, The Daughters of the American Revolution, The
Conservative Caucus, The National Right to Life Movement, March for Life, The National
5
Council of Catholic Women, The Mormon Church and the John Birch Society » (Darce Frenier,
1984, 459). Allured, quant à elle, écrit sur les Females Opposed to Equality (Allured, 2017).
Finalement, la professeure Coste parle de l’importance des Mums for Liberty qui, d’après elle,
sont « très actives en ce moment » (questionnaire de la professeure Françoise Coste, annexe 4,
2023).
c. Question de recherche
Cette section vise à présenter la question de recherche tout en détaillant le processus de réflexion
ayant influencé son évolution et son objectif. Cette partie vise également à décomposer la
question pour une compréhension approfondie du sujet étudié.
Comme précisé plus-haut, ce mémoire est la suite directe du TDSP. La question d’origine de
celui-ci a constitué le point de départ pour cette nouvelle recherche. Ensuite, les nouvelles
informations provenant des intersections entre la revue de la littérature et les entretiens ont fait
apparaître des aspects à prendre en compte. Par après, une hypothèse a été intégrée à
l’interrogation finale.
6
comme voie d’accès au pouvoir et
d’émancipation ? Une analyse à travers la
théorie des coalitions de cause autour de
l’Equal Rights Amendment »
d. Collecte de données
La recherche a commencé par une revue approfondie de la littérature scientifique. Celle-ci
comporte des ouvrages, des articles de revue, des encyclopédies, mais également de la
littérature grise avec des articles de presse, des sites Internet, des documents des associations
de la coalition de cause étudiée tels que les statuts des organisations, et des blogs, entre autres.
Conséquemment à la revue de littérature, des entretiens principaux à titre semi-directif ont été
réalisés. Cette méthode qualitative permet une compréhension enrichie de l’objet d’étude. Paillé
et Michielli définissent l’approche qualitative comme « expérience du monde-vie »,
« transaction expérientielle », « activité de production de sens » et « faculté de l’esprit
7
cherchant à se relier au monde et à autrui » ce qui correspont à la question de recherche de ce
mémoire (Paillé et Michielli, 2016, 35-62).
Cette recherche ne comporte pas d’entretiens exploratoires. Ce choix résulte du fait que
beaucoup de données ont déjà été récoltées lors de l’écriture du TDSP. Il paraissait dès lors plus
judicieux de tester et d’approfondir les conclusions de cette première étude.
Initialement, il était prévu de mener quelques entretiens de type semi-directifs à titre principal
avec des femmes membres de Concerned Women for America et de l’Eagle Forum. Les
entretiens semi-directifs ne sont ni totalement cadenassés ni totalement ouverts. L’ordre des
questions peut varier, les questions ne sont pas fermées et l’objectif est de laisser une grande
place à la liberté de l’interviewé dans ses réponses (Van Campenhoudt et al., 2017, 242). Le
recours aux entretiens semi-directifs permet de fluidifier la conversation, de la rendre plus
flexible et de laisser émerger des thématiques qui n’auraient pas été abordées de prime abord
(Parotte & Fallon, 2018). L’objectif était de découvrir des aspects inattendus, de faire émerger
des sujets qui ne sont pas présents dans la littérature ou bien issus du TDSP.
La suite de cette première approche était d’obtenir, dans un second temps, des entretiens à titre
confirmatoire avec des professeures d’universités, dans l’objectif de confirmer ou d’infirmer
les conclusions de cette étude (Parotte & Fallon, 2018). Encore une fois, le type semi-directif
est utilisé afin d’exposer les résultats de la recherche à des expertes de la thématique et d’en
faire ressortir des échanges analytiques constructifs.
Comme cela est souvent le cas en cours de recherche, le déroulement des entretiens ne s’est pas
passé selon le modèle exposé ci-haut. Au vu de la difficulté d’obtenir des interviews, la
séparation temporelle entre les parties exploratoires et confirmatoires n’a pas pu avoir lieu.
Contrairement aux premières réflexions, il n’y a pas eu d’étapes simultanées entre phase
principale et confirmatoire. Les deux se sont juxtaposées. Néanmoins, cela s’est avéré tout aussi
pertinent. En réalité, l’alternance entre militantes et expertes académiques a été bénéfique à la
recherche. Ce procédé a permis de confronter la revue de littérature et les données du TDSP à
la vision du monde d’une militante conservatrice pour, ensuite, décoder certains aspects de cette
vision avec une experte. Ce processus s'est perpétué, démontrant des effets réellement positifs.
En ce qui concerne la prise de contact pour obtenir les entretiens, des difficultés sont rapidement
apparues. Pour commencer, la recherche des coordonnées s’est avérée très complexe. Afin de
se les procurer, les sites Internet des associations ont été consultés. La plupart des noms des
membres des comités d’aministration y figurent. Néanmoins, les mails n’y sont pas toujours
8
liés. Afin de les trouver, il a été nécessaire de faire des recherches approfondies telles que
consulter des pages Linkedln, des annuaires en ligne, et autres. Au total, une soixantaine de
personnes, militantes et professeures inclues, ont été contactées par courriel. En somme, une
petite centaine de mails ont été envoyés, comprenant les relances. Si onze personnes ont
répondu par l’affirmative, seulement quatre d’entre elles ont accepté de me recontrer et de
m’accorder du temps.
Par ailleurs, uniquement des militantes de l’Eagle Forum ont répondu par l’affirmative. Aucune
des Concerned Women for America n’a souhaité me rencontrer. Il est donc constatable que le
silence et l’absence de réponse constituent également une réponse.
Lors des quatre entretiens, le consentement oral a été demandé avant chaque enregistrement.
3
Voir annexe 8.
4
Voir annexe 1 pour la version en anglais et annexe 2 pour la version francophone.
9
francophones du
conservatisme féminin
aux USA
Professeure Melissa Le 02/11/2023 Présidente du Public Semi-directif
Deckman Religion Research oral en ligne
Institute, professeure et
Doyenne à la faculté de Annexe 5
sciences politiques au
Washington College,
spécialiste des
thématiques de genre et
du conservatisme
féminin aux USA,
autrice de « Tea party
women: Mama
grizzlies, grassroots
leaders, and the
changing face of the
American right ».
Madame Candius Le 28/11/2023 Présidente du chapitre Semi-directif
Stearns du Michigan de l’Eagle oral en ligne
Forum et ancienne
candidate républicaine Annexe 6
à la chambre fédérale
des représentants des
USA
Professeure Stacie Le 04/01/2024 Professeure d’histoire Questionnaire
Taranto au Ramapeo College écrit
dans le New Jersey,
spécialisée dans le Annexe 7
genre et plus
précisément dans le
conservatisme féminin
10
aux USA. Autrice de
« Kitchen Table
Politics. Conservative
women and family
values in New York »
Malgré les biais introduits, il est important de préciser que « l’interview reste quelque chose de
socialement construit et elle est le résultat des interactions entre deux interlocuteurs.
L’interview ne peut donc pas être conduite de manière neutre » (Parotte, 2018). Ce qui rejoint
la posture épistémiologique de ce mémoire, la démarche de la recherche n’étant jamais neutre
et l’objectif de celle-ci n’étant pas de l’être à tout prix.
11
f. Analyse des données
Cette sous-section de la méthodologie vise à expliquer comment les données récoltées lors des
des entretiens ont été analysées. Ces précisions permettent au lecteur de mieux comprendre quel
processus a été mis en place afin d’obtenir les résultats exposés dans ce mémoire et de les mettre
en relation avec la revue de la littérature.
Tout d’abord, chaque entretien a été minutieusement restrancrit au détail près dans la langue
dans laquelle s’est déroulée la conversation, c’est-à-dire en anglais américain pour la plupart
d’entre eux, dans l’optique d’exposer au mieux les éléments faisant partie de la dynamique
d’échange et de permettre une représentation réaliste de l’échange.
Ensuite, la méthode de l’analyse thématique, telle que décrite par Virginia Braun et Victoria
Clarke, a été appliquée aux retranscriptions des entretiens. Cette approche consiste à identifier
des thèmes récurrents au sein des données récoltées puis de catégoriser ces thèmes dans
l’optique d’obtenir des clés de lecture liées à ces thèmes (Braun & Clarke, 2006, 79). Paillé et
Micchielli décrivent quant à eux la mise en thème comme l'étape fondamentale de la procédure,
consistant à convertir un ensemble de données en plusieurs thèmes caractéristiques du contenu
analysé, tout en tenant compte de l'orientation de la question de recherche (Paillé & Micchielli,
2016, 236).
Il y a une certaine liberté et flexibilité quant à la manière d’utiliser cette méthode d’analyse
(Braun & Clarke, 2006, 79-82). C’est pourquoi il est important de détailler la façon dont la
thématisation a été menée.
La méthodologie a été adaptée en accord avec ma propre perspective et elle s’est modélisée de
la sorte. Premièrement, une relecture attentive des entretiens a eu lieu. Deuxièmement, une
seconde relecture des retranscriptions a été menée, mais cette fois-ci en créant un code couleur
par thèmes. Les propos des personnes interviewées ont été colorés en fonction du thème et de
la couleur qui lui a été attribuée. Troisièmement, les thèmes ont été classés en mégathèmes. Ce
mémoire est organisé selon les mégathèmes qui ont été confirmés ou bien qui sont ressortis des
entretiens. On peut ainsi retrouver les sous-chapitres intitulés « la famille », « la religion », « le
féminisme » et « la place de la femme dans la société » qui sont en réalité des mégathèmes issus
de l’analyse thématique. Quatrièmement, un tableau Word a été réalisé en reprenant les
mégathèmes en ordonnées et les personnes ayant tenus ces propos en abscisse5. L’utilisation de
5
Le tableau de l’analyse thématique est disponible à l’annexe 9.
12
ce tableau en lieu et place d’un logiciel est un choix personnel. En effet, cette façon de procéder
a permis de mettre en parallèle et ce directement visuellement des idées et discours des
militantes ou expertes. Cette méthode a été vraiment précieuse pour procéder à l’analyse
thématique.
Finalement, il est indispensable de préciser qu’au début de la recherche, j’avais déjà une
certaine idée de potentiels thèmes émergeants suite à l’écriture du TDSP. L’idée consistait alors
à confronter certaines conclusions de cette première recherche à des militantes et des expertes
académiques du sujet. Ce processus s’est avéré efficace. En effet, des thèmes inattendus ont
surgi dans les conversations et des thèmes phares se sont vus traités de façon dissemblable à
mes attentes. Tous ces élements ont donc permis de créer de nouveaux thèmes et de mettre à
jour les anciens.
Au fil de la recherche, l’analyse thématique a porté un autre avantage. J’ai une pensée en
arborescence et tendance à faire énormément, voire trop, de liens entre les différentes données
récoltées. Comme le cadre théorique adopté est la théorie des coalitions de cause de Sabatier,
qui consiste à analyser les valeurs et la vision du monde des parties prenantes, il semble
opportun d’utiliser la méthode de Braun et Carke (Sabatier, 1988). Assurément, il paraît
intéressant de lier des thèmes à une vision du monde, qu’ils soient émergeants ou attendus. Cela
permet de voir comment les différentes militantes ou académiques s’expriment ou non sur un
sujet et de voir quel champ lexical elles emploient pour décrire un même phénomène. Une
citation de Braun et Clarke illustre cet avantage : « If themes ‘reside’ anywhere, they reside in
our heads from our thinking about our data and creating links as we understand them » (Braun
& Clarke, 2006, 80).
13
2. Contexte historique – Revue de littérature
Cette section a pour objectif d'examiner les événements significatifs qui ont contribué à la
consolidation du mouvement conservateur féminin aux États-Unis d'Amérique. L'inclusion de
ces faits notables vise à approfondir la compréhension du phénomène actuel, en mettant
particulièrement l'accent sur l'ERA mais également sur l’évolution de la rhétorique
conservatrice féminine. Cette partie décortique les propos de Critchlow qui écrit que
« [Conservative women] their participation in conservative politics fell within an established
Anglo-American tradition of women’s involvement in conservative political causes and
polemics » (Critchlow, 2005, 16). Ces événements clés comprennent la fondation de la première
grande organisation de femmes conservatrices, l'implication de ces femmes dans le contexte de
l'anti-communisme, l'émergence de la nouvelle droite chrétienne américaine, et la genèse du
projet de l'ERA.
14
membres de cette organisation étaient généralement issues de la classe moyenne (Schreiber,
2008, 18).
Il semble paradoxal que des femmes créent une association contre leur propre droit de vote, en
prennent la direction et en constituent la majeure partie. Pourquoi ne pas laisser la place aux
hommes si la politique ne fait pas partie des attributions des femmes selon leur propre
argumentaire des sphères séparées ? La partie « Hypothèse » revient sur cette interrogation.
Après 1917, une autre stratégie de cadrage des femmes conservatrices a été initiée. Il s’agit de
vilifier le féminisme et de le lier à diverses autres causes n’ayant pas forcément de rapport avec
lui. Concrètement, à cette période précise, les militantes de la NAOWS ont commencé à
associer le féminisme à des valeurs antibibliques, à la propagation du communisme, du
socialisme et d’autres idéologies, en se focalisant sur les causes les plus sensibles du moment
(Maddux, 2004, 293).
En outre, Mariam Darce Frenier compare dans un article la rhétorique des militantes anti-
suffrage à celle des anti-ERA. Elle souligne la forte dimension émotionnelle de la bataille anti-
suffrage (Darce Frenier, 1984, 455)6. Cette affirmation est importante dans le cadre de notre
analyse car elle fait référence aux valeurs des femmes conservatrices. Celles-ci perçoivent un
problème allant à l’encontre de leurs convictions et décident d’agir afin de défendre celles-ci.
C’est typiquement, selon Sabatier, l’auteur de la théorie des coalitions de cause, la perception
d’un problème lié aux valeurs (Sabatier, 1988, 130). C’est pourquoi, notamment, cette théorie
est retenue comme cadre analytique dans ce mémoire.
6
Dans la partie « La religion », une section concerne la religion évangélique et comment elle fait souvent appel
aux émotions et au moralisme.
15
Au fil du temps, cette stratégie de cadrage, framing, consistant à connecter le féminisme aux
sujets d’actualité les plus délicats de l’époque concernée, constituera l’une des stratégies
principales des associations de femmes conservatrices 7 . Ce mémoire est donc consacré à
l’évolution de cette rhétorique antiféministe et anti-ERA au cours du temps, tout en essayant de
comprendre les raisons derrière ce phénomène.
L’historienne Michelle Nickerson, spécialiste des femmes et du genre, s’intéresse à la place des
femmes dans le maccarthysme. Selon elle, « Groups of predominantly white, middle-, and
upper-class wives and mothers took advantage of their privileged social circumstances to
become militant anticommunist crusaders. By measuring the reach of their political activism
and evaluating its impact, we see that women's clubs were important incubators of
McCarthyism and that housewife activists played a critical role in mobilizing the grassroots
base of the conservative movement » (Nickerson, 2003, 17-18). McGirr considère l’engagement
des « suburban warriors » comme une petite révolution en elle-même (McGirr, 2001, 4). Pour
elle, ces femmes se sont investies afin de contrer ce qu’elles percevaient comme une
« décadence » du pays, aussi bien morale et économique que politique (McGirr, 2001, 4). C’est
un élément qui reviendra très souvent dans l’argumentaire des femmes conservatrices.
En outre, Nickerson affirme que la Guerre Froide a été prolifique à l’engagement des femmes
en politique et que celles-ci ont eu un rôle important dans la prolifération du patriotisme et du
maccarthysme (Nickerson, 2003). L’historien Thomas Critchlow rejoint cette idée. D’après lui,
les femmes ont joué un rôle particulièrement important dans l’émergence de l’anticommunisme
de terrain (Critchlow, 2005, 65). L’élément le plus saillant de la contribution académique de
Critchlow est le rôle qu’a porté Phyllis Schlafly dans le mouvement anticommuniste.
Assurément, le début de l’activisme de la future fondatrice de l’Eagle Forum s’est fait au sein
7
Voir la partie sur le cadrage, framing.
16
de l’anticommunisme féminin. Ce militantisme amorce son statut de personnalité nationale,
popularise sa rhétorique de militante et pose les bases de ses tactiques politiques (Critchlow,
2005, 62-88).
Dans sa thèse de doctorat sur la politisation des femmes américaines dans l’après Seconde
Guerre Mondiale, Florence Kaczorowski se rallie aux écrits de Nickerson et Critchlow et
qualifie la position des femmes de l’époque comme « l’ultime rempart contre la tyrannie ; le
lieu où la famille, et plus particulièrement la femme, avait pour mission de préserver et
perpétuer les croyances religieuses, les valeurs démocratiques américaines et les rapports
sociaux de sexe – à la base d’un système menacé quotidiennement par l’infiltration
communiste » (Kaczorowski, 2016, 409). Elle ajoute qu’il y a un retour à la considération du
foyer comme un lieu doté d’une « aura de sacralité » (Kaczorowski, 2016, 410).
Par ailleurs, Nickerson explique que, dans le cas de la lutte contre le communisme, la supposée
supériorité morale des femmes leur confère une sorte de mandat pour lutter contre la
prolifération de celui-ci (Nickerson, 2003, 18-19). Il s’agit du même argument que celui
employé par la NAOWS dans les années 1910 afin de s’opposer au droit de vote des femmes.
On peut donc établir une continuité dans l’argumentaire des femmes conservatrices et ce depuis
100 ans.
Cette section a démontré que la Guerre Froide et le militantisme anticommuniste ont été
prolifiques à l’investissement des femmes en politique et dans le militantisme de terrain aux
USA. Cette époque a également vu la propulsion de Phyllis Schlafly sur la scène nationale. Il a
aussi été analysé que l’argument de la supériorité morale des femmes est un élément de
persuasion présent également à cette époque. En somme, c’est l’argument central du
mouvement des femmes conservatrices à travers le temps, le fondement même de leur
argumentaire. Ce mémoire tend à vérifier l’hypothèse selon laquelle les femmes conservatrices
s’investissent dans les associations antiféministes CWA et l’EF afin de légitimer leur entrée en
politique et la sortie du modèle traditionnel de la femme au foyer, garante des valeurs
traditionnelles américaines et de la famille nucléaire. Cette question est analysée dans la partie
« Hypothèse ».
17
c. L’émergence de la nouvelle droite chrétienne américaine
Il est nécessaire de comprendre les tenants et aboutissants de la droite chrétienne américaine
car les femmes conservatrices étudiées dans ce mémoire s’inscrivent tout particulièrement dans
cette mouvance politique. En effet, Rebecca Klatch l’explique très bien : « However, if social
conservatism is not a distinguished mark of the New Right, what is unique about the New Right
is the visible presence of women throughout the conservative movement » (Klatch, 1988, 672).
Phyllis Schlafly est considérée par bon nombre d’auteurs comme une figure majeure de la droite
chrétienne. Le professeur Ben Barka écrit même que son influence est telle qu’elle « amorça le
rassemblement de toutes les tendances de la future droite chrétienne » (Ben Barka, 2022, 53).
Les années 1980 sont témointes d’une montée en puissance du conservatisme : « The 1980s
have witnessed a resurgence of conservative activism commonly termed the ‘New Right’ »
(Klatch, 1988, 671). De plus, Françoise Coste souligne l’importance des associations étudiées,
à savoir l’EF et CWA, dans la mouvance de la nouvelle droite chrétienne américaine
(questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023). Mais l’aspect le plus important est que
cette tendance est particulièrement opposée au féminisme et que, depuis son émergence, le
conservatisme voit un regain de popularité dans le pays (Ben Barka, 2022, 53). Kaczorowski
note quant à elle que le courant se focalise de plus en plus sur des questions dites morales telles
que le droit à l’avortement, la prière à l’école ou l’ERA (Kaczorowski, 2016, 676).
La première fois que l’Equal Rights Amendment a été proposé remonte à 1923. Il s’inspire alors
des amendements suivant la Guerre de Sécession afin de cesser les discriminations entre
personnes noires et blanches (Nardon, 2015, 23). Son objectif premier est de faire inscrire la
phrase « Equality of rights under the law shall not be denied or abridged by the United States
or by any State on account of sex » dans la Constitution nationale (Résolution commune
proposant un amendement à la Constitution des États-Unis relatif à l’égalité des droits entre les
18
hommes et les femmes, 1972). Le projet acquiert le soutien officiel du Parti Républicain en
1940. Il faudra attendre 1944 pour qu’il obtienne celui du Parti Démocrate (Critchlow, 2005,
215).
Ensuite, en 1971, l’ERA est adopté à la Chambre par 354 votes pour et 23 contre (Critchlow,
2005, 216). C’est finalement en 1972 que le projet est validé par le Sénat. Une fois les deux
chambres du Congrès en accord, un délai de sept ans est laissé aux États fédérés pour signer
l’amendement (Critchlow, 2005, 216 ; Nardon, 2015, 23).
Afin de mieux comprendre l’enjeu lié aux sept ans évoqués dans le paragraphe précédent, il
faut décrire la procédure législative permettant d’insérer un amendement dans la Constitution
nationale des États-Unis d’Amérique. La proposition d’amendement doit, à la suite du vote à la
majorité des deux tiers de chaque Chambre du Congrès, être ratifiée par une majorité des trois
quarts des États, soit au moins 38 sur 50 (Constitution des USA, article V). C’est une
« supermajority » (entretien avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023). « Chaque fois que
les deux tiers de chaque Chambre l’estimeront nécessaire, le Congrès pourra proposer des
amendements à la présente Constitution. À la demande des législatures des deux tiers des
différents Etats, il pourra également convoquer une convention pour proposer des
amendements. Dans l’un et l’autre cas, ces amendements seront valides à tous égards comme
faisant partie intégrante de la présente Constitution une fois qu’ils auront été ratifiés par les
législatures des trois quarts des différents tats […] » (Constitution des USA, article V).
Pour continuer la chronologie du projet de l’ERA, en 1973 soit un an après le vote du Congrès
national, 30 États l’avaient ratifié (Critchlow, 2005, 216). Il ne nécessitait donc plus que la
signature de huit d’entre eux. En vertu du considérable soutien exprimé par un nombre
significatif de votes favorables à la Chambre des représentants, au Sénat, ainsi que de
l'approbation rapide de 30 États, l'ERA se profilait comme le nouvel amendement à la
Constitution du pays sans heurts apparents. C’était sans compter sur l’implication de Phyllis
Schlafly et les mouvements de terrain conservateurs qu’elle a su mobiliser. Un autre élément à
souligner est que Schlafly a réussi à pousser des femmes jusque là inactives en politique à la
mobilisation (Critchlow, 2005, 220). Nardon explique très bien ce qu’il s’est passé
ensuite : « Mais alors que l’ERA est sur le point d’être ratifié par les États, le pays assiste à
l’émergence de figures fortement antiféministes » (Nardon, 2015, 23).
L’année 1972 et son mois de septembre marquent l’année de fondation du mouvement STOP-
ERA (Critchlow, 2005, 217). En raison de la campagne prospère menée par l’association, la
19
ratification ralentit les années suivantes. En 1974, trois nouveaux États signent, contre un en
1975 et un dernier autre en 1977, soit un total de 35 États signataires en 1977, cinq ans après le
feu vert du Congrès (Critchlow, 2005, 218-219).
Aujourd’hui, une double bataille juridique a lieu. D’un côté, on s’interroge sur la possibilité de
lever l’expiration du délai pour voter l’amendement, comme le souhaitent les États ratifiant
l’ERA depuis 2017 (Stracqualursi, CNN, 2020). De l’autre, la légalité de la révocation de l’ERA
pose question. Cette question est déterminante pour le calcul de la majorité des deux tiers
(Stracqualursi, CNN, 2020).
Cette étude se propose donc de comparer les oppositions à l’ERA de la coalition de cause
composée d’associations de femmes antiféministes américaines, en analysant non seulement
leurs rhétoriques, mais aussi leurs stratégies et leur engagement militant au fil du temps. Cette
approche permet non seulement de confronter les visions du monde, la rhétorique et les
arguments des femmes antiféministes à travers une perspective chronologique, mais également
d'évaluer s'il y a eu des changements dans ces domaines. La théorie des coalitions de cause est
présentée dans la prochaine partie de la recherche afin de fournir un cadre analytique adapté à
cette comparaison.
8
A savoir le Nevada en 2017, l’Illinois en 2018 et la Virginie en 2020 (Stracqualursi, CNN, 2020).
20
3. Cadre théorique – La théorie des coalitions de cause
Cette recherche mobilise la théorie des coalitions de cause et l’applique à l’étude des parties
prenantes. Cet outil a été développé par Paul Sabatier en 1988 avec sa publication « An
advocacy coalition framework of policy change and the role of policy-oriented learning
therein ». La théorie a été développée, corrigée et améliorée de nombreuses fois au cours du
temps. À travers des articles tels que « Evaluating the advocacy coalition framework » de
Sabatier et Jenkins-Smith en 1994, « Themes and variations: Taking stock of the advocacy
coalition framework » de Weible, Sabatier et McQueen en 2009 et bien d’autres.
Plusieurs auteurs utilisent la théorie afin d’analyser une politique publique précise au cours du
temps, comme par exemple Weible en 2006 dans son article « An advocacy coalition framework
approach to stakeholder analysis: Understanding the political context of California marine
protected area policy ».
Premièrement, l’objet d’étude doit être âgé d’une décennie ou plus. Employer la méthodologie
développée par Sabatier permet de comprendre le processus de changement autour d’une
politique publique sur le long terme.
Deuxièmement, l’auteur met en avant les « policy subsystems ». Ces derniers sont un ensemble
d’organisations privées et publiques telles que des lobbies, des entreprises, des associations ou
des gouvernements, entre autres, qui se sentent concernés par un problème ou un phénomène
politique. Sabatier explique que cette approche particulière autour du sous-système de politique
publique permet de sortir l’analyse traditionnelle « iron triangle ». Celle-ci se focalise
uniquement sur des groupes d’intérêts à un seul niveau gouvernemental, aux agences
administratives et aux comités législatifs (Sabatier, 1988).
21
voit le jour est « le refus du modèle de l’acteur rationnel en raison de son simplisme » (de
Maillard et Kübler, 2015, 186). L’action politique, la perception des causes, les solutions à
apporter sont donc toutes guidées par un système de valeurs selon la théorie des coalitions de
cause (de Maillard et Kübler, 2015).
Le belief system des coalitions de causes est établi par Sabatier en 1988. C’est un système de
croyances hiérarchique qui repose sur trois échelons de valeurs propres à chaque individu et
donc à chaque association de la coalition de cause. Premièrement, les valeurs et croyances les
plus importantes se retrouvent dans le deep normative core « Fundamental normative and
ontological axioms. Part of basic personal philosophy. Applies to all policy areas. Very difficult
to change; akin to a religious conversion » (Sabatier, 1988, 145). En somme, ce sont des
croyances fondamentales qui résistent aux changements. Deuxièmement, les croyances
légèrement moins importantes, mais tout de même ancrées, sont nommées les near (policy)
core « Fundamental policy positions concerning the basic strategies for achieving normative
axioms of deep core. Applies to policy area of interest (and perhaps a few more). Difficult, but
can occur if experience reveals serious anomalies » (Sabatier, 1988, 145). Troisièmement, les
valeurs secondaires, c’est-à-dire les secondary aspects, « instrumental decisions and
information searches necessary to implement policy core. Specific to policy subsystem of
interest. Moderately easy to change; this is the topic of most administrative and even legislative
policy-making » (Sabatier, 1988, 145).
Progressivement, le concept de belief system a évolué, la place des valeurs ayant été accentuée
pour devenir centrale à l’analyse. Cette évolution approfondit le concept de système de
croyances. Aujourd’hui, la théorie des coalitions de cause part du postulat que les politiques
publiques menées sont les résultats de croyances, soit une traduction des croyances dans l’action
publique (Weible, Sabatier & McQueen, 2009, 122).
Weible, quant à lui, identifie cinq questions à se poser pour aider à conceptualiser les
dynamiques d’un sous-système de politique publique et ainsi faciliter l’analyse des parties
prenantes (Weible, 2006, 96).
Cette interrogation vise à identifier les parties prenantes, les acteurs principaux d’un sous-
système de politique publique. C’est le point de départ de l’analyse. Elle permet également
d’expliquer le choix des acteurs retenus pour l’analyse, de les présenter et d’introduire la suite
de l’étude (Weible, 2006, 98).
22
II. What are the stakeholders’ interests and beliefs?
Ensuite, la recherche se questionne sur la hiérarchie des croyances des parties prenantes. Cette
partie comprend l’analyse des différents cores des militantes (Weible, 2006, 99).
Cette partie de l’analyse par la théorie des coalitions de cause appliquée aux parties prenantes
se questionne sur la façon dont se coordonne la coalition de cause. La question financière est
donc primordiale (Weible, 2006, 99).
La réponse à cette interrogation permet de rappeler ce qu’est une coalition de cause, comment
elle se forme et, le cas échéant, d’analyser ses parties prenantes (associations, acteurs,
politiciens et autres) (Weible, 2006).
Enfin, une venue est la recherche d’une arène politique, d’un lieu de négociations
instititutionnelles et d’acteurs propices à faire avancer une politique publique particulière (de
Maillard & Kübler, 2015, 252). Cerner cette notion aide à comprendre le contexte dans lequel
des stratégies sont créées et comment elles s’appliquent.
23
Ce graphique illustre la profonde stabilité du deep core des membres d’une coalition de cause.
En fonction d’un changement externe tel que l’évolution de la société sur une question de
mœurs, tout comme ce qui est considéré comme polémique à une époque, le deep core reste le
même mais les near (policy) core et les secondary aspects peuvent changer. Il peut également
s’agir d’un changement de conditions socio-économiques ou d’une décision de politique
publique, par exemple.
En fait, l’important est de saisir qu’une coalition de cause va essayer de s’adapter à l’évolution
de la société pour faire advenir son deep core et les valeurs qui en découlent. Même si, pour ce
faire, elle doit changer de stratégie et de venue.
24
4. Analyse empirique
Consécutivement à la présentation de la théorie des coalitions de cause, cette section se veut
justifier l’emploi de la théorie de Sabatier, mais également proposer une réponse aux cinq
questions de Weible en ce qui concerne la coalition de cause anti-ERA dans le but final de
répondre à la question de recherche. Pour ce faire, la revue de la littérature a été testée dans les
entretiens et l’analyse thématique de ceux-ci a permis de faire émerger des thèmes qui se
retouvent dans la deuxième question de Weible.
a. Les
Parti Républicain + 17 Etats
Les socles de Sabatier sont intéressants pour poser les bases de l’analyse. Ils permettent de
mieux appréhender la théorie tout y en liant pour la première fois quelques notions analytiques.
Tout d’abord, le premier socle de Sabatier est basé sur la dimension temporelle. Selon l’auteur,
la théorie des coalitions de cause s’applique à des politiques publiques qui sont âgées au grand
25
minimum d’une décennie (Sabatier & Jenkins-Smith, 1994, 178). Cela corrèle avec l’ERA,
puisque la première fois qu’il a été déposé au congrès remonte à 1923 (Nardon, 2015, 23).
Enfin, le troisième socle de Sabatier concerne l’organisation des associations étudiées autour
d’un belief system reposant sur trois échelons, les cores. Cela correspond à l’EF et CWA, qui
dont les systèmes de croyances sont basés sur un socle commun : les valeurs religieuses,
évangéliques pour la plupart, le fort patriotisme, l’antiféminisme et le conservatisme au sens
général. Un autre élément permet de souligner l’applicabilité de la théorie des coalitions de
cause aux femmes conservatrices américaines : la conflictualité des idées et valeurs due à leur
belief system, si fort qu’il leur est difficile de concevoir qu’on puisse s’en écarter. Le débat
permanent autour de l’ERA et plus généralement la contestation des revendications féministes
illustrent bien cette dynamique conflictuelle. L’auteur de la théorie écrit « Likewise, they find it
easy to convince each other that attacks on their core programs are based on invalid
understandings of the world » (Sabatier, 1988, 155). Weible ajoute : « People are also very
suspicious of people with dismilar beliefs and remember lost policy battles more than previous
gain » (Weible, 2006, 99).
i. Eagle Forum
L’importance d’étudier l’EF est capitale pour comprendre le belief system du mouvement anti-
ERA. En effet, Ben Barka considère même que la personne de Phyllis Schlafly « amorce le
rassemblement de toutes les tendances de la future Droite chrétienne » (Ben Barka, 2022, 53).
À l’origine de l’Eagle Forum se trouve STOP-ERA, en réalité un acronyme pour « Stop Taking
Our Privileges – Equal Rights Amendment » (Critchlow, 2005). L’association crée par Phyllis
Schlafly était un single-issue group (SIG) dont l’objectif unique était la lutte contre l’ERA (Ben
Barka, 2003, 23). Dans la foulée de la bataille contre le projet d’amendement constitutionnel,
Phyllis Schlafly initie en 1975 une nouvelle association, l’Eagle Forum. Cette organisation ne
traite plus exclusivement d’une seule thématique mais élargit son champ d’action au
conservatisme social dans son ensemble, c’est-à-dire la lutte contre le droit à l’avortement,
contre les droits LGBTQIA+, pour la liberté religieuse, contre les toilettes mixtes, entre autres
(site Internet de l’EF, 2023). Néanmoins, sa portée concerne également d’autres questions,
notamment de sécurité nationale chères à Schlafly telles qu’un soutien inconditionnel à Israël
et la lutte contre le socialisme et le communisme 9 (entretien avec Madame Ann Schlalfy,
annexe 3, 2023).
9
Comme on peut le voir dans la section dédiée aux femmes conservatrices et à leur lutte contre le communisme.
27
L’association revendique aujourd’hui environ 80.000 affiliées. Elle se compose d’une coupole
nationale avec des bureaux à la capitale fédérale, Washington District Capital, et 34 chapitres
locaux. Certains États n’ont pas de section, comme le Vermont, alors que d’autres en ont
plusieurs, comme la Floride, qui en comporte trois (site Internet de l’EF, 2023). Le conseil
d’administration national de l’association est quant à lui composé de neuf femmes. Les
fonctions sont affichées en anglais et sont au masculin sur la page officielle du site Internet. Il
se constitue de la sorte : Ann Schlafly « Chairman and Treasurer », Kris Ullman « President »,
Cathie Adams « First vice-president », Eunie Smith « President emeritus », Colleen Holcomb
« Director », Doctor Carolyn McLarty « Secretary », Kathy Wilmot « At-large director », Glyn
McKay « Director » et Gayle Ruzicka « Director » (site Internet de l’EF, 2023). L’association
dispose également d’un Political Action Committee (PAC), branche légale dont l’EF se sert
pour soutenir publiquement des candidats conservateurs aux élections et les aider dans leur
campagne (entretien avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023).
L’association est fondée en 1979 par Beverly LaHaye pour s’opposer au vote de l’ERA
(Schreiber, 2012, 4). Après avoir entendu une interview de la féministe Betty Friedan, LaHaye
n’accepte pas que la militante affirme parler au nom de toutes les femmes. Selon LaHaye,
Friedan promouvait « homosexuality, abortion on demand, and thoroughly ‘undermine’ the
core of American culture: the family » (site Internet de CWA, 2023). Elle décide alors de créer
son propre mouvement de femmes afin de défendre les valeurs bibliques et la Constitution des
USA (site Internet de CWA, 2023), mais aussi d’offrir une opposition à son contrepied
féministe, la National Organization Women (NOW) (Schreiber, 2012, 4).
L'association CWA définit ses préoccupations principales de la sorte : « We focus on seven core
issues: the family, the sanctity of human life, religious liberty, education, sexual exploitation,
national sovereignty, and support for Israël » (site Internet de CWA, 2023). Depuis 2013,
28
l’association n’est plus uniquement focalisée sur des questions sociales mais porte également
un soutien inconditionnel à l’État d’Israël, tout comme l’EF (Rubin, Washington Post, 2013).
L’association n’indique pas de nombre précis de chapitres locaux. Néanmoins, le site Internet
de CWA indique la présence de 18 équipes de coordination au niveau étatique (site Internet de
CWA, 2023). En ce qui concerne le nombre d’affiliées, le chiffre de 500.000 membres est
avancé par Dorrough Smith (Dorrough Smith, 2014). Le comité d’administration national est
formé de dix membres et les fonctions sont, comme pour l’EF, indiquées au masculin. Il est
composé de la sorte : Linda Murphy « Chairman », Jeanne Reigsecker « Vice-Chairman »,
Charlotte Johnson « Secretary », Caroline Aderholt, Debbie Beyer, Carrie Chupp Harper,
Victoria Meyer, Betty Jane Strong, Linda Thorson et Jon Whetsell (site Internet de CWA,
2023). L'organisation est également dotée de deux PACs. Par ailleurs, sa présidente, dont la
fonction est de diriger les opérations, est Penny Nance (site Internet de l’EF, 2023). Le premier
se nomme Concerned Women Political Action Committee et a pour objectif de créer de
l’engouement politique autour de ses thèmes de prédilection. Le second, Concerned Women
for America Legislative Action Committee, se concentre plutôt sur les possibilités d’influence
des parlementaires (Afendi Salleh, 2013 ; site Internet de CWA, 2023).
Celle-ci a comporté une revue de la littérature et des entretiens. Ces derniers ont fait l’objet
d’une analyse thématique qui a permis de faire émerger des thèmes. Ces thèmes ont alors été
retenus comme critères d’analyse pertinents afin d’organiser les subdivisions de ce chapitre. Si
tous les sujets ne tournent pas systématiquement autour de l’ERA, ils permettent néanmoins
tous de mieux comprendre la vision du monde, le belief system, des femmes conservatrices
américaines membres de ces deux associations et donc pourquoi elles s’opposent à l’ERA.
Ces thèmes sont : la famille, la religion, le féminisme et la place de la femme dans la société.
La théorie des coalitions de cause, appliquée à l'analyse des parties prenantes, positionne la
question des valeurs au cœur de l'engagement politique (Sabatier, 1998). Cette phase de la
recherche se concentre spécifiquement sur la compréhension des convictions inhérentes aux
femmes conservatrices américaines examinées dans cette étude. L'objectif est d'affiner notre
29
compréhension de leur perspective du monde et d'élucider les motivations éventuelles qui sous-
tendent la promotion de cette vision particulière de la société.
i. La Famille
Aussi bien les entretiens que la revue de la littérature confèrent une place très importante à la
famille dans le deep core des femmes conservatrices de l’EF et de CWA. Cette partie du travail
a donc pour objectif d’expliciter en quoi la famille constitue pour ces militantes un moteur
d’action politique, une valeur centrale de leur deep core à défendre. Différents concepts sont
abordés, comme le motherhood frame. Avant d’en venir à des notions plus développées et de
disserter sur la stratégie de la coalition de cause anti-ERA sur la famille, il importe en premier
lieu de définir la conception de la famille de CWA et de l’EF.
Pour commencer à définir l’importance de la famille dans le deep core des militantes de CWA
et de l’EF, il faut dire que la famille est l’un des deux piliers du conservatisme américain, l’autre
étant la religion (Huret, 2008). L’important ici est que la famille est justement la voie de
transmission de la religion : « La nouvelle droite fait de l’autorité du père la pierre angulaire
de la famille ‘traditionnelle’ » (Ben Barka, 2003, 27). Néanmoins, même si le père représente
l’autorité, la mère est considérée comme la garante de l’unité familiale. Stacie Taranto explique
quant à elle que l’image de la famille traditionnelle est celle d’un foyer nucléaire, blanc,
hétérosexuel et religieux (Taranto, 2017).
10
La partie cadrage de l’analyse se focalise plus en profondeur sur ce phénomène de lier l’ERA à des sujets
sensibles d’une époque donnée.
30
leur deep core : la famille traditionnelle (Taranto, 2017). Ben Barka approfondit cela et affirme
que toute désacralisation de la famille est comparée à une attaque contre la nation (Ben Barka,
2003, 30). Il cite les propos issus du « système de valeurs » du pasteur Tim LaHaye, l’époux de
Beverly LaHaye, qui affirme que les libéraux, les féministes, les humanistes laïcs et les
homosexuels participent à cette attaque. Pour cet homme, ils sont donc « anti-moral, anti-self-
restraint and anti-American » (Ben Barka, 2003, 30). On peut donc imaginer pourquoi CWA
est fondée par Beverly LaHaye. Il s’agit, pour sa fondatrice, de défendre la famille et de contrer
l’influence de la NOW, qui voulait « parler au nom de toutes les femmes » (site Internet de
CWA, 2023).
Ensuite, la recherche a établi un aspect principal de la politique des femmes conservatrices sur
la thématique de la famille. Il s’agit de la stratégie dite du motherhood frame. Cette tactique
repose sur la mise en avant du rôle de mère sur la scène politique (Deckman, 2016). Nickerson,
pour désigner le même phénomène, le qualifie plutôt de housewife populism (Nickerson, 2003).
Marion Douzou consacre un article à l’activisme politique des mères conservatrices. Dans
celui-ci, elle décline le militantisme de ces mères en quatre facettes distinctes ; la « maman
grizzli », la « femme au foyer comme gestionnaire avisée », la « mère au foyer comme
communicante hors pair » et la « mère au foyer comme porte-parole rassurante » (Douzou,
2016). Deckman suggère que, en raison d'une religiosité prononcée, les revendications
maternalistes pourraient être des stratégies efficaces pour accéder à la sphère politique,
31
traditionnellement dominée par les hommes (Deckman, 2016). Elle avance également que cette
rhétorique est couramment déployée par les antiféministes, leur permettant d'attirer l'attention
et parfois d'acquérir de la crédibilité sur la scène politique (Deckman, 2016). La partie
« Hypothèse » de ce mémoire revient sur cette interrogation quant à l’engagement des
conservatrices dans l’antiféminsme comme potentielle voie d’accès au pouvoir et à
l’émancipation.
En outre, un fait intéressant dans la lignée du motherhood frame est que, lorsqu’on demande à
une militante conservatrice de se présenter, un de ses premiers réflexes est très souvent de dire
qu’elle est mariée et de préciser qu’elle est mère. On peut notamment constater cela dans
l’entretien mené avec Madame Candius Stearns, la présidente du chapitre du Michigan de l’EF.
En effet, dans sa présentation personnelle, elle met directement en avant son rôle de mère et
son statut de femme mariée (entretien avec Madame Candius Stearns, annexe 6, 2023).
Finalement, Douzou met en avant un phénomène intéressant : « à travers leur progéniture, elles
ont accès à un univers militant qui reste en grande partie fermé aux femmes sans enfants »
(Douzou, 2016, 120). Beaucoup de ces femmes font partie du comité d’administration de l’école
de leurs enfants, ce qui leur permet notamment de négocier les budgets et le programme scolaire
de l’établissement en question (Douzou, 2016, 120–121). Françoise Coste, dans notre entretien,
démontre l’importance qu’accordent les femmes conservatrices de l’EF et de CWA aux débats
sur les programmes scolaires (questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023). Beaucoup
d’entre elles utilisent cette position comme une stratégie qui consiste à affirmer qu’être mère et
tenir un foyer confère des compétences en politique. De la sorte, tenir les cordons de la bourse
d’un ménage permettrait d’être capable de tenir et de gérer les dépenses du gouvernement.
Assurément, elles opèrent une transposition de leurs compétences acquises au niveau de
politique local sur la scène nationale (Douzou, 2016, 121).
En définitive, l'analyse des mouvements conservateurs EF et CWA révèle que la famille joue
un rôle central dans le deep core des femmes conservatrices. Liée à la religion, la famille est un
pilier du conservatisme, utilisé comme argument clé contre l'ERA. La stratégie du motherhood
frame renforce cette position, permettant aux femmes conservatrices d'accéder à la sphère
politique. De plus, leur implication locale, notamment dans les comités scolaires, renforce leur
influence. Ainsi, la famille émerge comme un élément essentiel façonnant l'engagement
politique des femmes conservatrices aux États-Unis.
32
ii. La Religion
Les entretiens ont fait ressortir la religion comme thème important. Ils ont également permis de
mettre en évidence l’une des différences les plus fragrantes entre l’EF et CWA : la foi.
Effectivement, les deux organisations ont une approche disparate sur la question de la religiosité
de leurs membres et de la société américaine en général. La présente partie vise donc à comparer
les données récoltées sur cette approche divergente des deux associations majeures du
conservatisme féminin américain afin de mieux comprendre leur vision de la société, leurs
belief systems respectifs. De surcroît, il est essentiel de souligner le manque, voire l'absence
quasiment totale, de documentation scientifique comparant les deux courants du point de vue
religieux.
Dès le début de cette recherche, il était assez clair que la religion aurait un rôle très important
dans ce mémoire et la vision du monde des femmes conservatrices américaines. Néanmoins,
elle n’était pas envisagée comme une différence entre les deux organisations mais plutôt comme
un point commun, un élément rassembleur.
Tout d’abord, Madame Ann Schlafly, Présidente du conseil d’administration de l’Eagle Forum
et fille de sa fondatrice, Phyllis Schlafly, est la première personne à avoir évoqué la religion
comme critère distinctif entre EF et CWA. Celle-ci a expliqué lors de notre rencontre que
l’Eagle Forum est une organisation qui se veut être multiconfessionnelle : « My mother put
together a coalition of people of different faith traditions who work together for the same goal.
And that was her innovation in politics. Previously in American politics, Evangelicals and
Catholics did not get along. And hum, that was quite well played out ». L’EF n’est donc pas
seulement une organisation de femmes conservatrices multiconfessionelle, mais la première
organisation de ce type aux États Unis d’Amérique. En outre, il ne se compose pas uniquement
de femmes chrétiennes : d’autres religions sont représentées. Schlafly l’exprime ainsi : « Hum,
but hum, but this coalition that she put together, included hum, Catholics, Evangelicals, Church
of Later Day Saints11 and Orthodox Jews ». Dans son ouvrage biographique sur la personne de
Phyllis Schlafly, l’historien Thomas Critchlow met également en avant ce phénomène rarissime
en politique américaine qu’est l’alliance de différentes religions dans une cause commune
(Critchlow, 2005, 220). Coste rallie ces propos et souligne l’importance de l’alliance entre les
catholiques et évangéliques initiée dans les années 1970 (questionnaire la professeure Coste,
annexe 4, 2023).
11
Plus communément appelés Mormons en Europe.
33
Ensuite, Melissa Deckman rejoint les propos de Madame Schlafly et qualifie CWA de la même
manière, à savoir comme une organisation conservatrice et purement évangélique (entretien
avec la professeure Melissa Deckman, annexe 5, 2023).
Par après, cette différence majeure soulevée par Madame Schlalfy est confirmée une fois de
plus par Madame Candius Stearns, présidente du chapitre de l’État du Michigan d’Eagle Forum.
En effet, quand cette dernière est questionnée sur la raison pour laquelle elle a rejoint
spécifiquement l’EF et non pas CWA, elle tient ce discours « So, Concerned Women for
America, when you look at their guidelines, they hummm… They don’t believe what I believe
[Ms Stearns laughs]. There are a lot of women organizations that couch themselves or express
to the world that they’re all about supporting women and helping women. Back to this ERA
concept, right? But when you look into their bios and their missions and who’s running the
organization, a lot of them are marxists. And they believe in, you know, a one world order or
they believe in globalization of all things and things that are not freedom driven. So, Eagle
Forum is very closely tight to Christian women, as well. Altough, we do have Jewish and
Muslims in different religious people in our organization. We are very closely tight to the
founding fathers of the United States, who created our Constitution, biblical principles and
freedom is the most important for women that are part of Eagle Forum. And freedom means,
you might not like what somebody else say, but they should be free to say it. They shouldn’t be
persecuted for having a different belief than you » (entretien avec Madame Candius Stearns,
annexe 6, 2023). Madame Stearns fait de cette façon écho au concept de liberté religieuse. Elle
place de la sorte cette valeur au centre du belief system de l’EF, dans son deep core. Ce concept
figure par ailleurs de manière manifeste sur la page d’accueil du site Internet de l’EF. En effet,
la liberté religieuse est citée comme l’un des piliers de l’organisation (site Internet de l’Eagle
Forum, 2023).
Dans la suite de l’entretien, la présidente du chapitre michiganais compare l’EF et CWA avec
les propos suivants : « I don’t wanna speak on behalf of anybody else that are part of, you know,
part of somebody’s other organizations. Cause, CWA does have conservative Christian values,
as well. But there are quite a few organizations out there like NOW and you know, that kind of
thing, that are completely different than us. Yeah, and the CW organization is, you know,
socially conservative and Christian. We try to be, hum, we try to be more open and educate.
So, we wanna meet people where they are » (entretien avec Madame Candius Stearns, annexe
6, 2023). De cette manière, Madame Stearns essaie subtilement de pointer les différences
d’approches entre les deux associations. Lorsque l’EF tente de toucher un public plus large, en
34
étant peut-être moins directif sur ses lignes directrices et une foi particulière, CWA se veut être
exclusivement évangélique, prône un conservatisme débridé et des orientations qui paraissent
plus indéfectibles.
Malgré toutes ces considérations, il est nécessaire de préciser que, même si l’EF est une
organisation qui se veut être multiconfessionnelle, elle est tout de même constituée d’une
majorité d’évangéliques (entretien avec Madame Candius Stearns, annexe 6, 2023 ; entretien
avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023). De plus, les femmes chrétiennes et les valeurs
bibliques sont majoritairement mises en avant dans la communication officielle en ligne et dans
les entretiens. Comme dans cet extrait des dires de Madame Stearns : « We are very closely
tight to the founding fathers of the United States, who created our Constitution, biblical
principles and freedom is the most important for women that are part of Eagle Forum »
(entretien avec Madame Candius Stearns, annexe 6, 2023). Par ailleurs, CWA est uniquement
composée de femmes évangéliques, comme l’évoque Madame Schlafly quand on lui demande
si CWA est également multiconfessionnelle : « No, I think they have a very specific faith
tradition in that organization » (entretien avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023). Ronnee
Schreiber appuie également ce point dans son ouvrage « Righting feminism » (Schreiber, 2012).
En guise de conclusion, on peut affirmer que CWA et l’EF partagent toutes deux une vision
conservatrice et traditionnaliste de la religion au sein de leur deep core. Néanmoins, elles
n’appliquent pas cette vision du monde de la même manière. L’EF se veut multiconfessionnelle
et CWA uniquement évangélique. Leur near policy core et secondary aspects sont différents,
mais souhaitent voir advenir la même vision de la société, leur deep core. Cela est tout du moins
à nuancer. Effectivement, même si l’EF prône une plus large ouverture d’esprit quant à la
religiosité de ses membres, il n’en est pas moins que la plupart de ses militantes restent
d’obédience évangélique.
anti-ERA
Après avoir établi la position des associations de la coalition de cause anti-ERA quant à la
religion, il est maintenant impératif d’avoir une meilleure compréhension de l’évangélisme
américain afin de mieux se représenter le belief system des femmes conservatrices membres de
l’EF et de CWA. Il convient également d’analyser les valeurs découlant de ce belief system et
comment elles influent sur leur vision d’une forme de monde idéal, selon quels préceptes celui-
35
ci devrait être régulé et pourquoi cette vision les amènent à s’opposer à l’inscription de l’ERA
dans la Constitution.
En premier lieu, les origines du mouvement datent de la réforme protestante. Martin Luther et
Jean Calvin étaient les fondateurs de ce mouvement (Lacoste, 2005). Selon ce courant religieux,
les leadeurs de l’église catholique étaient trop corrompus et autoritaires. Ils ont donc décidé
d’intervenir (Lacoste, 2005). Malgré l’adhésion initiale des précurseurs évangéliques à la
plupart des réformes de Martin Luther, ils ont ultérieurement rompu avec le mouvement afin
de promouvoir une vision plus radicale de la Réforme. Dans une perspective plus étendue, on
peut donc affirmer que l'évangélisme trouve ses racines dans le protestantisme (Lacoste, 2005).
Ensuite, le théologien canadien André Gagné s'appuie sur la théorie élaborée par l'historien
David Bebbington pour distinguer l'évangélisme du protestantisme. Bebbington a défini quatre
critères principaux visant à établir une frontière entre ces deux mouvements religieux. En
premier lieu, il y a la nouvelle naissance, marquée par une conversion volontaire qui constitue
une renaissance spirituelle. Deuxièmement, le biblicisme accorde à la Bible une place
fondamentale dans la foi, caractérisée par une lecture fondamentale du texte sacré.
Troisièmement, il y a la centralité de la crucifixion de Jésus, également appelée crucicentrisme,
ainsi que ses messages porteurs de salut. Enfin, le quatrième critère est le prosélytisme et, fait
notable pour ce travail, l'engagement dans des actions sociales (Gagné, 2020, 11-12).
De plus, il apparaît que Concerned Women for America s'inscrit dans ce courant religieux
évangélique que Gagné décrit comme opposé au libéralisme théologique et aux mœurs de la
société libérale (Gagné, 2020, 12-13). On peut y retrouver également l’Eagle Forum dans une
certaine mesure car, même si le mouvement se revendique multiconfessionnel, il est composé
d’une majorité de femmes évangéliques. De surcroît, comme le souligne Ben Barka, elles font
plus que simplement être une partie intégrante de la droite chrétienne : elles en sont un réel
pilier (Ben Barka, 2022, 91). On peut donc qualifier cette mouvance anti-ERA comme une
réelle alliance des conservateurs américains.
Grâce à ces précisions sur la foi évangélique et ses origines, on peut saisir un aspect particulier
du belief system des femmes de CWA et, à un certain niveau, de celles de l’EF. Ceci se révèle
utile pour mieux comprendre leur système de pensées, leurs combats dans la société américaine,
leur rhétorique et surtout leurs arguments.
Pour examiner de manière plus approfondie les liens entre l’évangélisme américain et le belief
system des femmes conservatrices de CWA et de l’EF, ainsi que les raisons de leur implication
36
en politique, il est important d’écrire sur la place des notions de moralisme et des sentiments au
sein de l’évangélisme. La professeure d’Histoire Mariam Darce Frenier s’inspire de Daniel Bell
et détaille ses commentaires. Selon eux, la droite est liée à la moralité plus qu’à la piété et à
l’émotionalisme. Toujours d’après Darce Frenier, la droite radicale s'identifie
fondamentalement à la moralité, tout en caractérisant ses adversaires comme dépourvus de
moralité (Darce Frenier, 1984, 459). Weible explique que la mise en avant des valeurs sur la
scène politique est le cœur même de la théorie des coalitions de cause (Weible, 2006). Cette
façon de l’EF et CWA de vilifier leurs adversaires politiques, notamment autour de la question
de l’ERA, correspond à ce que Sabatier décrit ainsi : « they find it easy to convince each other
that attacks on their core programs are based on invalid understandings of the world »
(Sabatier, 1988, 155). Weible rajoute quant à lui que « People are also very suspicious of people
with dismilar beliefs and remember lost policy battles more than previous gain » (Weible, 2006,
99).
Au sein de l'évangélisme, les émotions et le moralisme occupent une place centrale (Darce
Frenier, 1984). Cela signifie que les croyances morales fortes et les émotions jouent un rôle
essentiel dans leur engagement politique. Cette notion est en lien avec ce que Sabatier et Weible
appellent le belief system, principe guidant de l'action publique (Sabatier, 1988). En d'autres
termes, les femmes antiféministes de CWA s'appuient sur des convictions morales profondes et
sur des émotions fortes pour motiver leur participation à la politique. Ces croyances et émotions
constituent un élément clé de la manière dont elles prennent des décisions et agissent dans le
domaine public. Le fait que les femmes de l’EF et CWA rejoignent ces associations pour
défendre les valeurs traditionnelles d’une Amérique qu’elles jugent « décadente » est une
question de moralisme et de valeurs.
Par ailleurs, le duo Fer et Malogne-Fer affirme que les femmes constituent la majorité de ces
églises évangéliques, mais également d’un sous-courant évangélique, le pentecôtisme (Fer &
Malogne-Fer, 2015, 8). Ben Barka rallie ces propos, affirmant que la communauté évangélique
est composée d’une majorité de femmes. Pour soutenir ses dires, il cite les statistiques de James
Davidson qui expriment que 59,9 % des membres de la tendance religieuse sont en réalité des
femmes (Ben Barka, 2022, 138).
Les femmes conservatrices s’investissent de la sorte en politique pour défendre leur deep core
et promouvoir, mais surtout défendre, une vision de la société qui se veut patriarcale.
Après avoir établi ce constat, il faut rappeler que beaucoup des militantes de CWA et de l’EF
sont issues de ces milieux religieux conservateurs. Certaines d’entre elles ont donc peut-être
intégré ces croyances et pourraient s’en servir afin de tenter de se propulser et de se légitimer
sur la scène politique. La partie de ce mémoire intitulée « Hypothèse » revient sur et approfondit
cette interrogation.
De même, Malogne-Fer et Fer analysent la supposée position sacrée des femmes dans les
mouvements évangéliques et surtout pentecôtistes. Pour eux, il ne faut pas trop s’attarder sur
l’exceptionnel, comme les dons spirituels conférés aux femmes, mais plus sur le quotidien (Fer
& Malogne-Fer, 2015, 17). Par là, ils signifient que, même si dans des circonstances
particulières, les femmes peuvent être mises en avant dans l’église, leur situation quotidienne
reste inchangée : une famille religieuse, traditionnelle et patriarcale.
38
En addition, ils affirment que ces églises sont souvent représentées par des couples de pasteur
(Fer & Malogne-Fer, 2022, 20). Les femmes peuvent être considérées comme puissantes mais
sont généralement moins visibles, toujours sous l’influence ou la supervision d’un homme. Pour
ancrer ces écrits dans cette recherche sur les femmes conservatrices de CWA et l’EF, on peut
citer le couple pastoral composé de Tim et Beverly Lahaye, la fondatrice de CWA.
En conclusion, cette étude approfondie des femmes conservatrices de l’EF et de CWA met en
lumière l'influence profonde de l'évangélisme sur leur engagement politique. Les racines de ce
mouvement, liées à la réforme protestante, définissent leur belief system à travers la nouvelle
naissance, le biblicisme, le crucicentrisme et le prosélytisme. L'adhésion de CWA à
l'évangélisme conservateur, opposé aux mœurs libérales, et la prédominance des femmes
évangéliques au sein de l’EF constituent une alliance conservatrice. Le moralisme et les
émotions guident leurs actions, tandis que la lutte contre l'ERA a pour but de défendre la famille
patriarcale. L'implication politique des femmes conservatrices s'ancre aussi dans l'attrait des
églises évangéliques et pentecôtistes, qui leur offrent des positions dites « spirituelles ». Malgré
la reconnaissance de dons spirituels aux femmes, leur position quotidienne reste toutefois
alignée sur des structures familiales traditionnelles et patriarcales. En somme, la compréhension
du belief system de la plupart des femmes conservatrices américaines de l’EF et de CWA est
inextricable des valeurs et de la foi évangélique.
iii. Le Féminisme
Aujourd’hui, le mot « féminisme » est employé très largement, si bien qu’une polysémie
s’installe et sème le doute. Un retour aux origines et une analyse des discours sont nécessaires.
Cette recherche souhaite explorer la perception de la coalition de cause anti-ERA de ce terme
à travers le temps. Quand on lui pose la question de savoir si, selon elle, l’emploi du mot
« féminisme » fait débat aujourd’hui, Coste répond : « Bien sûr, il y a plein d’interprétations
différentes du terme féminisme, surtout aux États-Unis, où il y a plein de débats entre féministes
blanches, non-blanches, universalités, décoloniales, etc… C’est un mot compliqué et explosif,
à manier avec prudence, et sans jamais généraliser » (questionnaire de la professeure Françoise
Coste, annexe 4, 2023). D’où l’importance d’étudier ce sujet.
Pour commencer cette analyse, il est intéressant de paraphraser les conclusions du TDSP
(Deleuze, 2020). Dans les années 1970, les femmes qui défendaient des valeurs antiféministes
refusaient catégoriquement le label de féministe. Néanmoins, certaines d’entre elles, comme
Sarah Palin, le revendiquent aujourd’hui (Gagnon, 2019, 248). Beaucoup d’entre elles
s’accordent pour dire que le réel antiféminisme réside dans les mouvements féministes (Coste,
39
2010, 3). Selon Guionnet, il y a donc une appropriation sélective du terme féministe (Guionnet,
2017). Par exemple, l’association Feminist for Life est en fait une association de femmes luttant
contre l’avortement (questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023). Le terme « contre-
féminisme » est parfois employé en lieu et place d’« antiféminisme », notamment par de Hoop
Scheffer et Vergniole de Chantal, qui soutiennent que « l’étiquette du genre recoupe des réalités
très variées » (de Hoop Scheffer & Vergniole de Chantal, 2016, 5). Questionnée sur la
rhétorique de Palin, Taranto répond : « It’s not feminist to minimize a woman’s choice in any
way, of course! Saying they are feminist justifies them being in politics promoting their ideas.
But, to be sure, their ideas are not feminist! » (questionnaire de la professeure Taranto, annexe
7, 2024).
Le TDSP souligne que, dans les années 1970 et 1980, la coalition de cause anti-ERA se
positionne explicitement contre le féminisme (Deleuze, 2020). Cependant, Deckman observe
que, malgré leur opposition aux mœurs libérales, CWA emploie parfois des rhétoriques basées
sur le genre, bien que le site de l’EF déclare explicitement son opposition à toute forme
d'activisme féministe (Deckman, 2016 ; site Internet de l’Eagle Forum, 2023). Deckman
explore le concept de « playing femball » développé par Ronnee Schreiber. Il décrit le fait que
ces groupes contestent les revendications politiques genrées des féministes, en orientant
toutefois principalement leur activisme autour de leur identité de femme et de leur rôle de mère
au foyer (Schreiber, 2012), générant un notable paradoxe. On peut noter ici également l’appel
au motherhood frame.
L’objectif du mémoire sur cette thématique a été de confronter la théorie du playing femball en
entretien. Françoise Coste, l’une des seules francophones ayant étudié le sujet de manière
publiée, soutient ce concept. Elle affirme que « Des femmes comme Phyllis Schlafly incarnent
une contradiction intense : elles prônent le retour des femmes au foyer mais passent elles-
mêmes leurs vies en dehors du foyer, à militer partout dans le pays » (questionnaire de la
professeure Coste, annexe 4, 2023). Cet aspect de la question est abordé plus en détail dans la
partie « Hypothèse ».
Comme l’ont montré les observations précédentes, les conservatrices refusent le label
d’antiféministe (Deleuze, 2020). Pour elles, c’est le mouvement féministe qui est en fait
antiféministe (Coste, 2010 ; Deleuze, 2020). Stacie Taranto écrit même ceci : « In recent years,
family values politics has proceeded so far that its proponents have tried to reframe the debate
that ensure that they are not accused of waging a ‘war on women’, as the media have dubbed
proposals that curb women’s rights » (Taranto, 2017, 222). Les conservatrices considèrent que
la tendance féministe se battrait contre la plupart des Américaines (Coste, 2010). Sarah Palin
partage cette vision des évènements et rajoute que le mouvement féministe aurait caricaturé la
femme comme « une victime fragile, incapable de prendre soin d’elle et dépendante des
programmes sociaux de l’État » (Deckman, 2016, 245 ; Deleuze, 2020). L’apport de ce
mémoire est l’entretien avec Ann Schlafly. Elle rejoint les propos de Sarah Palin en parlant de
l’ERA. Quand on lui pose la question « What would you write instead of the ERA in the
Constitution? », elle répond « Well, I would ask, what is the problem we are trying to solve?
What is that women can’t achieve today? What is it, what is… Is there any barrier holding an
American woman back from doing whatever she wants to? ». En résumé, pour ces deux
conservatrices, conférer des aides ou une reconnaissance étatique aux femmes pourrait en faire
des « assistées ». Pour aller plus loin, quand on l’interroge sur l’éventuelle nécessité d’apporter
une modification à la Constitution américaine quant aux droits des femmes, elle répond :
« I think the Constitution provides plenty of rights for both men and women. Many of these
rights are founded in the fourtheenth amendment. Which is equal protection to everyone, male
and female. And I don’t see that there’s any benefit or gain that is ERA… that a new amendment
would offer » (entretien avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023).
Pour aller plus loin, quand on lui pose la question de savoir si elle se qualifierait elle-même de
féministe, elle répond « I’m a woman, I don’t need to say anything more than that » (entretien
avec Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023).
La professeure Coste poursuit ce raisonnement. Quand on lui demande son avis sur l’emploi du
terme « féministe » par les conservatrices, elle répond : « Ces femmes se présentent souvent
comme des féministes, comme des femmes qui défendent d’autres femmes. C’est un moyen très
malin de déguiser/minimiser leurs idées en réalité patriarcale. Les gens qui ne sont pas
spécialistes de ces questions (comme beaucoup de journalistes) tombent ainsi facilement dans
le panneau » (questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023).
Dorrough Smith, quant à elle, souligne une stratégie plus globale de cadrage qui consiste à lier
l’ERA à des thématiques sensibles, dont et surtout le féminisme. Elle explique l’influence de
Beverly LaHaye, fondatrice de CWA, dans la manière dont les militantes de l’association
perçoivent le féminisme, l'ERA et d'autres thématiques sensibles comme étant des menaces à
la sacralité de la famille nucléaire (Dorrough Smith, 2014).
En ce qui concerne les suffragettes ayant milité pour le droit de vote des femmes aux USA,
Madame Ann Schlafly, dans notre entretien, refuse de leur attribuer le qualificatif de féministes.
En effet, quand on lui demande ce qu’elle pense sur le fait de désigner ainsi les suffragettes, la
présidente du comité d’administration de l’EF répond : « Well, but you have to look at that, hum
movement in its entierity. Hum, you can’t just tease out the voting rights » (entretien avec
Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023). Elle lie et met en exergue des revendications de
certaines suffragettes. Elle précise que la plupart des femmes membres des suffragettes auraient
fait partie du mouvement surtout afin de promouvoir la prohibition, soit l’interdiction de la
vente d’alcool. Madame Ann Schlafly fait de même en ce qui concerne le travail des enfants :
« … that was pushed by… as you call them ‘feminists of that era’. It’s a much much more
complicated history … historically much broader » (entretien avec Madame Ann Schlafly,
annexe 3, 2023).
42
Kristy Maddux écrit sur la rhétorique des mouvements pro et antisuffrage féminin aux USA.
L’autrice confirme que les suffragettes ne revendiquaient pas l’adjectif féministe (Maddux,
2004, 294). Au contraire, le féminisme était à l’époque un courant à part entière qui considérait
le vote comme « a tool to complete social revolution » (Maddux, 2004, 294). C’était donc un
mouvement distinct qui voulait aller plus loin que donner le droit de vote aux femmes. Elle
ajoute que le mouvement antisuffrage, quant à lui, tenta de vilifier le mouvement féministe et
de le lier au courant suffragiste (Maddux, 2004, 293). Cela s’avère être, comme le démontre ce
mémoire dans ses diverses parties, une tactique récurrente de cadrage, de framing des
mouvements antiféministes. Cette stratégie consiste à diaboliser le féminisme et à lui attribuer
de nombreux maux. Dans le cas échéant, on le lie à la propagation du communisme et du
socialisme. Ces revendications, comme le droit de vote, diminueraient la supposée pureté de la
femme et sa moralité dite supérieure (Maddux, 2004, 286-293). On ne peut néanmoins pas
affirmer que, en réalité, les réclamations des suffragettes n’étaient pas féministes, même si elles
ne revendiquaient pas ouvertement le label.
Un exemple plus récent s’illustre avec les positions de Kellyanne Conway, ancienne conseillère
spéciale du Président Donald Trump (Lima, Politico, 2017). Au lieu de l’adjectif « féministe »,
elle préfère se nommer « individual feminist ». Selon elle, ce terme permet de défendre des
positions antiavortement tout en se qualifiant de féministe. Elle affirme également que le terme
féministe est connoté de notions antihommes, ce qu’elle rejette (Lima, Politico, 2017).
En conclusion, les recherches autour de cette thématique permettent d’observer que les
mouvements féministes sont depuis toujours très fortement critiqués par la coalition de cause
anti-ERA. Cependant, le changement de position réside ici dans l’emploi du mot féministe,
moins diabolisé qu’avant. Si les femmes membres de l’EF ou de CWA rechignent à l’employer,
comme elles le confient en entretien, elles ne vilipendent plus d’autres militantes conservatrices
qui l’emploient, comme Kellyane Conway, Sarah Palin ou encore Marjorie Danenfelser.
43
1970 et le retour de l’ERA sur le devant de la scène vers la fin les années 2010. Elle a également
pour objectif de montrer à quel point cette croyance est ancrée dans le deep core de ces femmes.
Premièrement, au début des années 1910, les membres de la NAOWS exprimaient leur
conviction d'un statut privilégié de la femme dans la société en déclarant « We believe that
political equality will deprive us of special privileges hitherto accorded to us by law »
(Pamphlet de la NAOWS, 1912, 2 : annexe 10).
Mariam Darce Frenier démontre que cette position persiste à travers le temps et affirme : « Even
between 1865 and 1919, most women and men opponents of women’s suffrage claimed that
women were men’s moral superiors » (Darce Frenier, 1989, 723). Dans une autre publication,
elle souligne que « Much more numerous were the claims that women were superior to men, at
least in some ways » (Darce Frenier, 1984, 457). La professeure explique que cette perspective
considère que l'octroi du droit de vote enlèverait aux femmes une sorte de position de
supériorité, voire un certain contrôle sur les hommes, et que ces derniers perdraient leur sens
de la galanterie (Darce Frenier, 1984, 457). Maddux s’intéresse également à cette rhétorique et
explique que le mouvement antisuffrage féminin liait l’obtention du droit de vote aux femmes
à la propagation du communisme et du socialisme, et que cela diminuerait la pureté de la femme
et sa moralité dite supérieure (Maddux, 2004, 286-293).
Pour revenir à Darce Frenier, cette dernière explique que ces femmes estiment que l'obtention
du droit de vote perturberait l'équilibre des familles, enlevant aux femmes leur statut en quelque
sorte « sacré » de non-partisanne supposément conciliatrice (Darce Frenier, 1984, 457).
Le projet suffragiste était donc perçu par une majorité de femmes du mouvement anti-
suffragiste comme une attaque au modèle traditionnel américain de la famille nucléaire, ce qui
met en exergue cette peur commune et constante dans les mouvements de femmes
conservatrices aux USA. Cela porte atteinte à leur deep core qui est justement basé sur un socle
de valeurs communes fondé sur la religion chrétienne et la famille nucléaire comme garante de
ces valeurs intrinsèques. Darce Frenier illustre ainsi la situation : « Underlying concerns that
the vote would lead to conflicts between wives and husbands were concerns that the institutions
of marriage and family would be harmed » (Darce Frenier, 1984, 458).
En outre, Samantha Schmidt, journaliste au Washington Post, rédige en 2020 un article sur les
femmes anti-suffrage. Elle cite Anya Jabour, professeure d’histoire à l’université du Montana :
« But their reasons for opposing suffrage were often more complex, focusing on the idea that
women already had their own form of power… They felt women could better achieve their aims
44
through influencing others — particularly their husbands and sons — using their supposed
moral superiority to persuade men to do what they wanted ». Elle continue à s’inspirer de
Jabour et explique qu’une véritable opération de diabolisation du féminisme a eu lieu. Elle
dresse ensuite un parallèle avec le 21ème siècle qui voit, selon elle, le même genre de phénomène
se dérouler (Schmidt, Washington Post, 2020).
Deuxièmement, le mouvement Stop Taking Our Privileges – Equal Rights Amendment (STOP-
ERA) se positionne fermement contre l’ERA en avançant l'argument que son adoption priverait
les femmes de leur statut de privilégiées dans la société. Ceci est inscrit dans le nom du
mouvement (Critchlow, 2005).
Ce mouvement soutient que les femmes sont intrinsèquement supérieures moralement aux
hommes et que l'ERA menacerait cette supériorité de mœurs par assimilation des « spécificités
féminines » aux droits et aux responsabilités des hommes. Cette organisation rejoint donc
l’analyse de l'essayiste féministe Andrea Dworkin. Celle-ci développe le concept de
« l’antiféminisme de la supériorité » (Dworkin, 1983, 203). La recherche se focalisera sur cette
théorie plus tard dans ce travail.
La professeure Françoise Coste analyse la position de Phyllis Schlafly. Elle explique que,
d’après la militante conservatrice, la famille est la cellule de base de la société aux États-Unis,
dont le noyau est la femme, en raison de sa capacité à avoir des enfants. Les hommes les auraient
ainsi placées sur un piédestal. Schlafly soutient que la supériorité des femmes dans la société
actuelle découle de l'évolution biologique et historique (Coste, 2010, 169). Selon elle, la
civilisation judéo-chrétienne a instauré des lois et des coutumes qui exigent des hommes qu'ils
contribuent financièrement et protègent physiquement leurs enfants et les femmes qui les
portent. Schlafly insiste particulièrement sur le bien-être matériel des femmes américaines,
soulignant que la supériorité des femmes va au-delà de simples politesses, se manifestant dans
des aspects tangibles tels que l'investissement financier des hommes dans des diamants et des
maisons pour leurs épouses (Coste, 2010, 169). En conséquence, STOP-ERA cherche à
préserver ce statut présumé de privilège féminin en s'opposant résolument à l'égalité formelle
inscrite dans l'amendement.
Par ailleurs, quand on demande à la professeure Taranto de commenter l’affirmation suivante :
« A constant and persistant belief among conservative women is that women have a divine and
privileged status in our society. A divine status which would protect them and would make that
they do not need assistance, legislation for protection », elle écrit : « Yes, the women I studied
and wrote about did seem to think women had a divine (meaning God-given) role to play in
45
society that centered on full-time motherhood and housekeeping. They thought men were
ordained to be breadwinners. They thought it was a privilege to be a full-time homemaker
(especially as many women I studied were first-genertion homemakers, with mothers who had
been unable to stay at home). They thought these were equal, complimentary roles. Many of
them were for equal pay laws, for those women who had to go out an work. They did think the
ERA, in particular, was unnecessary and would upend their privilege/opportunity to stay at
home full time. So it’s mostly in line with what you said » (questionnaire de la professeure Stacie
Taranto, annexe 7, 2024).
Toutefois, il est important de noter que cette interprétation de l'ERA participe à cadrer le projet
d’amendement comme vecteur de changement radical de la société, cadrage assez erroné. En
effet, l'Equal Rights Amendment vise simplement à mieux protéger les droits des femmes et à
leur offrir la liberté de mener la vie qu'elles souhaitent, sans pour autant menacer leur statut ou
leur supposée supériorité morale. Le mouvement lancé par Phyllis Schlafly, aujourd’hui
principalement incarné par l’EF et CWA, persiste toutefois dans son argument selon lequel
l'ERA conduirait à un bouleversement des rôles traditionnels des genres et dévaloriserait ainsi
la supposée position privilégiée des femmes dans la société américaine.
Les idées présentées par Andrea Dworkin sur le concept qu’elle nomme « l’antiféminisme de
la supériorité féminine » fournissent une perspective intéressante sur la manière dont certaines
conceptions traditionalistes ont attribué une supériorité morale intrinsèque aux femmes,
quasiment inatteignable pour les hommes (Dworkin, 1983, 203). Selon cette interprétation, les
femmes sont considérées comme étant les gardiennes de la justice et du bien, représentant ainsi
une sorte de vertu naturelle. Dworkin va jusqu'à citer la figure de la Vierge Marie comme un
exemple symbolique majeur de cette bonté féminine sacralisée dans le contexte religieux
(Dworkin, 1983, 203).
Cette idée soulève des questions quant aux mécanismes utilisés pour perpétuer certaines normes
de genre et quant aux façons dont ces stéréotypes ont été instrumentalisés pour marginaliser les
femmes, en les maintenant dans une position subalterne malgré la valorisation initiale de leur
supposée excellence morale.
46
Ces perspectives offrent un éclairage pertinent sur les constructions sociales de genre et sur la
manière dont les notions de supériorité féminine ont été exploitées pour maintenir des inégalités
persistantes. Il est essentiel d'examiner ces discours afin de comprendre comment ils ont
contribué à façonner les dynamiques de pouvoir entre les sexes et comment ils ont influencé les
mouvements féministes contemporains dans leur lutte pour l'égalité des sexes et la
déconstruction des stéréotypes de genre. En étudiant de près ces discours, la recherche peut
contribuer à une meilleure compréhension des origines et des conséquences de ces
représentations, en vue de promouvoir une société plus égalitaire et inclusive.
Troisièmement, ce mémoire ajoute une plus-value au travail de Darce Frenier et montre que
cette rhétorique est à nouveau employée au 21ème siècle par les mouvements de femmes
conservatrices. Si les combats changent, le deep core, l’idéologie de base et ses arguments, eux,
ne varient que très peu. Cela n’affecte donc pas leur philosophie personnelle, mais bien leur
near core et ce qu’elles jugent devoir combattre, ce qu’elles jugent mauvais pour la société.
Cette peur se transforme généralement en une vision sur la décadence morale de la société
américaine.
Il peut donc être établi qu’à chaque époque, le mouvement conservateur vise à cadrer l’opinion
publique de sorte à diaboliser le féminisme et à y lier d’autres thématiques sensibles
contemporaines.
Les principales organisations de femmes conservatrices aux États-Unis font preuve d’une
longévité conséquente. Comme l’explique Mokhtar Ben Barka, Concerned Women for
America est le dernier pilier fondateur du mouvement de la nouvelle droite américaine existant
toujours (Ben Barka, 2022). Le deep core de cette coalition est resté inchangé au cours du
temps. Celui-ci est basé sur les valeurs traditionnelles américaines que sont la famille nucléaire,
le mariage et la religion.
Un exemple type illustrant le near policy core est celui de Spiro Agnew, ici citée par Darce
Frenier : « I’m fine. I don’t need to be liberated. » (Darce Frenier, 1984, 459). Schlafly s’ancre
dans la même idée : « I’m a woman… I do not need to say more than this » (entretien avec
Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023). La rhétorique de base, identique, se greffe aux
éléments en présence selon le contexte politique du moment. Cette tactique sera mieux illustrée
dans la partie « framing ».
Pour aller plus loin, la professeure Coste affirme : « Pour ces militantes, les femmes ont un
statut privilégié. Par contre, cela n’empêche pas qu’elles ont besoin d’être protégées ! Mais
47
cette protection doit venir de leurs maris, ou de leur église, pas de la société ou du
gouvernement ; c’est précisément ça qui fait qu’elles sont de droite, cette méfiance envers
l’État » (questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023).
En guise de conclusion, cette partie explore l'histoire du conservatisme chez les femmes aux
États-Unis, mettant en évidence la vision constante de la femme comme entité divine et
privilégiée dans la société. Trois moments clés sont analysés : la lutte contre le droit de vote
féminin au début des années 1910, l'opposition à l'ERA dans les années 1970, et la résurgence
de l'ERA vers la fin des années 2010. Les femmes conservatrices perçoivent ces combats
comme des menaces à leur statut privilégié, ancré dans des valeurs religieuses et familiales. Le
mouvement STOP–ERA s'oppose à l'amendement en arguant que l'égalité formelle menacerait
la supériorité morale des femmes. Les idées d'Andrea Dworkin sur « l'antiféminisme de la
supériorité féminine » sont également amorcées, ce qui souligne la manière dont la notion de
vertu féminine est utilisée pour maintenir les inégalités de genre. Enfin, le texte examine la
persistance de ces idées dans les mouvements conservateurs féminins contemporains,
soulignant la nécessité d'analyser ces discours pour comprendre les dynamiques de pouvoir
entre les sexes.
Une dimension intrigante émerge également avec l'implication financière d'individus privés,
notamment les frères Koch, des multimilliardaires renommés dans les cercles conservateurs,
qui semblent jouer un rôle significatif dans le financement de CWA (Fang, The Intercept, 2015).
48
IV. With whom do stakeholders form coalitions?
Cette partie a pour objectif d’examiner la composition de la coalition de cause anti-ERA.
Tout d’abord, il faut préciser que la coalition de cause anti-ERA s’inscrit dans le courant de la
nouvelle droite chrétienne américaine qui est une alliance inter-religieuse catholique et
évangélique dont l’influence grandit depuis sa création dans les années 1970 (entretien avec la
professeure Françoise Coste, annexe 4, 2023 ; entretien avec Madame Ann Schlafly, annexe 3,
2023).
Dans leur lutte contre l’ERA, les conservatrices ont refocalisé l’attention publique sur d’autres
thématiques. Elles ne se sont pas contentées de militer contre l’ERA en affirmant que la
situation des femmes ne nécessitait selon elles aucune intervention étatique, mais ont aussi
générer des récits sur les portes que pourraient ouvrir l’inscription de l’amendement dans la
Constitution. Elles y ont, entres autres, lié deux thématiques très controversées à l’époque : les
droits des personnes homosexuelles et le communisme. Elles ont ainsi fondé leur campagne sur
le fait que l’ERA était une porte d’entrée à la dépravation morale de l’Amérique et à sa
déliquescence. En effet, en focalisant la campagne sur ces thématiques, elles ont changé la
49
perception de l’ERA par l’opinion publique, et les soutiens politiques et publics à l’amendement
ont drastiquement changé par la suite.
Un autre exemple qui illustre la stratégie de cadrage adoptée autour de l'Equal Rights
Amendment est celui de Louise Johnson. En 2017, Janet Allured, professeure d'Histoire à
l'université McNeesse, a dressé le portrait de cette militante. Louise Johnson, membre de la
Chambre des Représentants de la Louisiane en 1972 et de confession baptiste (sous-branche de
l’évangélisme selon Gagné, 2020), s'est engagée activement dans la lutte contre l'amendement
constitutionnel dans son État. Elle a utilisé une approche similaire en reliant le vote de l'ERA à
d'autres luttes (Allured, 2017). Cette stratégie est perceptible dans la rhétorique qu'elle
employait alors : « There are only three groups that stand to profit by passage of this
amendment—the prostitutes, the homosexuals, and the lesbians ». Janet Allured explique que
la stratégie de Johnson visait à influencer l'opinion publique de manière à suggérer que, si les
individus n'appartenaient pas à l'un de ces trois groupes, ils ne devraient pas soutenir le projet
(Allured, 2017). Ainsi, plutôt que de se concentrer sur la loi et son contenu, Louise Johnson
préférait attirer l'attention sur des liens sensationnels qu'elle établissait avec ce projet. Janet
Allured qualifie cette approche de politics of respectability (Allured, 2017).
En ce qui concerne la stratégie de cadrage visant à lier l’ERA à la promulgation des droits
homosexuels dans les années 1980, l’EF s’en revendique lui-même : « Eagle Forum
successfully led the ten-year battle to defeat the misnamed Equal Rights Amendment with its
hidden agenda of same-sex marriages and tax-funded abortions » (site Internet de l’Eagle
Forum, 2023). Mariam Darcier Frenier explique qu’une des principales tactiques des femmes
conservatrices américaines dans la lutte contre l’ERA a été de lier le projet aux droits
homosexuels (Darce Frenier, 1989).
En conclusion, on constate que le deep core de la coalition de cause anti-ERA reste le même,
mais que le near core a dû évoluer. Cette adaptation est un succès, puisque les mouvements ont
perduré avec vigueur (Ben Barka, 2022). Le tableau ci-dessous correspond au near core, c’est-
à-dire aux croyances, normes de la coalition de cause qui peuvent évoluer au cours du temps. Il
n’est pas figé et permet à la coalition de cause d’évoluer en fonction du contexte et de se
maintenir dans le temps tout en conservant ses croyances profondes, le deep core.
50
Décennie Thème lié à l’ERA (framing) – near core
1970s Communisme
1980s Homosexualité
2010s Big Government (réaction à la crise
financière)
2020s Transidentité
51
ii. Liens entre la coalition de cause anti-ERA et l’administration Trump
Pour commencer, Gagné met en avant l’importance que les évangéliques portent à la présidence
de trump. Ils le considèrent comme un réel allié (Gagné,2020). Son soutien à Israël, principe au
cœur de l’EF et de CWA, est primordial à l’analyse.
En outre, Trump est le premier président à créer un conseil spirituel de cette envergure à la
maison blanche. Paula White-Cain, figure notable de l’évangélisme conservateur en fut la
directrice (Gagné, 2020).
En ce qui concerne CWA, sa présidente, Penny Nance, a été une fervente supportrice de Donald
Trump pendant son mandat. Elle a participé à des événements en faveur de l'administration
Trump et a exprimé son soutien pour ses politiques conservatrices comme notamment en
organisant une campagne de soutien à la décision de Trump de nommer la juge conservatrice
Amy Coney Barett à la Cour Suprême (site Internet de CWA, 2020).
Finalement, Phyllis Schlafly. La fondatrice de l'Eagle Forum, Phyllis Schlafly, a été une
fervente partisane de Donald Trump lors de l'élection présidentielle de 2016. Elle a soutenu ses
politiques conservatrices et a participé à des événements de campagne en sa faveur avant son
décès en septembre 2016. L’ancien président Donald Trump était présent à son enterrement en
2019. Mère de Ann Schlafly, actuelle présidente du comité d’administration de l’EF (site
Internet de CWA, 2023 ; Reena, CBS, 2016).
52
L’ouvrage « Right-Wing Women » d’Andrea Dworkin explore l'idée d’un consensus entre les
féministes et les femmes de tendance politique de droite quant à l'existence d'une forme de
domination masculine, tant sur le plan sexuel que matériel. Cependant, il reconnaît également
des divergences quant aux approches stratégiques adoptées pour faire face à cette domination
(Foster, 1983, 59). Dworkin met donc en avant que les conservative women seraient conscientes
du statut de dominées des femmes dans la société, soit de leur propre statut de dominées
sexuellement et matériellement (Dworkin, 1983, 42-43). Deniz Kandiyoti défend cette vision.
Il asserte même que les antiféministes accepteraient ces conditions de vies désavantageuses
pour la plupart des femmes mais s’avérant bénéfiques pour elles-mêmes (Kandiyoti, 1988, 284).
Un lien peut être établi entre la partie consacrée à la religion de ce mémoire et l’hypothèse
susmentionnée. Andrea Dworkin évoque des femmes « égarées » et « mystifiées » pour
qualifier les femmes conservatrices (Dworkin, 1983, 31). Selon Dworkin, les antiféministes
sont conscientes du statut que leur procure le fait de s’investir dans le conservatisme social
(Dworkin, 1983, 31-32). Ce postulat coïncide avec les écrits de Fer et Malogne-Fer expliquant
que, le pentecôtisme et les autres mouvances du même type issues de l’évangélisme
reconnaissent des dons spirituels aux femmes (Fer & Malogne-Fer, 2015, 9). Néanmoins, ils
relativisent l’importance de ces observations et préconisent le fait de se focaliser davantage sur
l’analyse du quotidien (Fer & Malogne-Fer, 2015, 17). La mise en avant féminine au sein des
églises évangéliques et pentecôtistes ne suffirait pas, selon eux, à sortir ces femmes d’une
routine de vie fermement ancrée dans le patriarcat.
Pour faire écho au chapitre concernant la place de la famille dans le belief system des
conservatrices de la coalition de cause anti-ERA, il est nécessaire de parler de ce que Kandiyoti
appelle le familialisme. Il s’inspire de Chafetz et Dworkin et écrit : « The familism of the
antifeminist movement could therefore be interpreted as an attempt to reinstate an older
patriarchal bargain, with feminists providing a convenient scapegoat on whom to blame
current disaffection and alienation-among men » (Kandiyoti, 1988, 284). Tous les points
précédemment abordés dans ce chapitre se retrouvent énoncés dans les propos de Kadiyati :
c’est la diabolisation de toutes les luttes féministes, telles que l’ERA ou le droit à l’avortement.
La question est dès lors de savoir si l’approche à retenir est la théorie des coalitions de cause
appliquée à l’analyse des parties prenantes de Sabatier et Weible, ou bien le modèle du pacte
avec le patriarcat soutenu par Dworkin et Kadiyati.
53
La première méthodologie place la question des valeurs comme levier de mobilisation pour
défendre un belief system au centre de l’action politique. Les femmes conservatrices de la
coalition de cause anti-ERA, composée principalement d’EF et de CWA, se lanceraient donc
dans le militantisme afin de défendre leur deep core.
La seconde méthode d’analyse préfère mettre en avant une forme de pessimisme des
conservative women, pessimisme qui pousseraient ces dernières à accepter la domination
masculine contre laquelle elles ne peuvent lutter. Les femmes ne se battent donc pas pour un
changement vain, mais restent dans le statut quo et espèrent ainsi bénéficier d’un minimum de
« protection » masculine (Dworkin, 1983, 44-45). Pour aller plus loin, ces femmes préfèreraient
se battre à un niveau individuel afin de s’élever socialement et de garantir leur position, même
s’il faut pour cela maintenant en bas les autres femmes (Kandiyoti, 1988).
En outre, Phyllis Schlafly constitue de nouveau un cas d’étude intéressant afin de questionner
la théorie des coalitions de cause. « À plusieurs reprises et pour plusieurs combats, elle effectue
des tournées à travers les USA, mais dit explicitement à chaque ouverture de meeting que, si
elle est présente et prend la parole publiquement, c’est avec la permission de son mari »
(questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023). En coulisse, elle fait toutefois
campagne pour un poste dans l’administration Reagan (Dworkin, 1983). Taranto, quant à elle,
dit ceci : « Yes, I do think that anti-feminists took advantage of space that feminists had carved
out for women’s issues in politics, if that’s what you mean – and they took organized around
women and women’s issues (their intepretation of it). Schlafly tried so hard to find a lane in
politics (talking about foreign policy, etc.). She finally got influence when she started talking
as a woman about women’s issues, as feminists had cleared space for that gendered politics »
(questionnaire de la professeure Stacie Taranto, annexe 7, 2024).
De nombreux auteurs ont documenté le rôle majeur de Phyllis Schlafly dans l'émergence de la
nouvelle droite américaine. Elle a soutenu ce mouvement et a activement milité pour la
campagne présidentielle de Ronald Reagan, s’y plaçant elle-même en figure de proue (Ben
Barka, 2022 ; Critchlow, 2005 ; Schreiber, 2008). Cette campagne s'est avérée être un succès,
et Ronald Reagan a été élu Président. Lors de la formation de son administration, de nombreux
conservateurs sont nommés à des postes clés, tant à la Maison Blanche qu'au sein d'agences
gouvernementales (Critchlow, 2005, 275). La militante conservatrice pousse alors son
investissement encore plus loin : elle aide à mettre sur pied la Coalition for Change in
Government, une organisation de femmes conservatrices visant à influer sur la nomination des
membres de l’administration Reagan (Critchlow, 2005, 276). Dès ce moment, il est très difficile
54
de douter de son ambition de pouvoir. Certaines membres de la Coalition se voient offrir une
place dans le Cabinet du Président, mais pas la fondatrice de l’Eagle Forum. Dès lors, elle mène
une intense campagne de lobbying afin de se voir offrir un poste au sein du Gouvernement
Reagan. Elle vise les postes de Secrétaire à l’Education ou de Vice-Secrétaire à la Défense.
Malgré tous ses efforts, Schlafly ne se voit pas offrir une place au sein de l’administration
Reagan (Critchlow, 2005).
Dworkin illustre cela avec les écrits suivants : « Elle se sert vraisemblablement des femmes
comme base politique pour se tailler une place à l’échelon supérieur des leaders mâles de la
droite. Elle réalisera peut-être son identité de femme […] lorsque que ses collègues mâles lui
refuseront de sortir du ghetto des dossiers féminins pour accéder au vrai pouvoir » (Dworkin,
1983, 38).
Phyllis Schlalfy est interrogée par l’avocate Catharine MacKinnon lors d’un débat à l’université
Stanford en 1982. Les questions s’orientent sur les nominations du Cabinet Reagan. Fait
notable : la présidente de l’Eagle Forum avoue en creux être déçue de ne jamais avoir obtenu
de place au sein de l’administration Reagan (Dworkin, 1983, 38-39). En outre, Schlafly tente à
deux reprises de se faire élire au Congrès, sans succès (Critchlow, 2005, 3) : « Des femmes
comme Phyllis Schlafly incarnent une contradiction intense : elles prônent le retour des femmes
au foyer mais passent elles-mêmes leurs vies en dehors du foyer, à militer partout dans le pays »
(questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023).
5. Limites
Il aurait été intéressant d’établir la même analyse sur la coalition de cause souhaitant faire passer
le vote de l’ERA. Pour des recherches futures, les associations de femmes féministes repérées
sont entre autres NOW et ERA-merica.
55
Conclusion
Ce mémoire avait pour objectif de comprendre le belief system des femmes conservatrices
américaines de la coalition de cause anti-ERA, membres de l’EF et de CWA. La recherche
contribue modestement à améliorer les connaissances sur ces organisations et particulièrement
concernant leur vision de la famille, de la religion, du féminisme et de la place de la femme de
la société américaine.
Nous avons pu établir de nombreux points communs entre l’EF et CWA. Huret affirme que la
famille et la religion sont les deux piliers des conservateurs américains. La logique de l’unité
familiale est l’élément le plus précieux, le vecteur de transmission de la religion, considérée
comme garante des valeurs taditionnelles américaines (Huret, 2008). De plus, les militantes
conservatrices se positionnent de la même façon concernant l’emploi du terme « féminisme ».
Dans le passé, elles abhoraient ce label. Aujourd’hui, elles ne vilipendent plus les conservatrices
qui l’emploient (questionnaire de la professeure Coste, annexe 4, 2023). Si, leur position
concernant la place de la femme dans la société a pu évoluer d’une certaine façon, elles n’en
restent pas moins catégoriquement opposées à l’ERA.
En ce qui concerne les différences entre les deux associations, la religion, le champ d’action et
la taille sont les éléments retenus. Les membres de CWA ont une tradition de foi particulière,
c’est-à-dire l’évangélisme, tandis que l’EF se veut mutliconfessionnelle (entretien avec
Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023 ; entretien avec la professeure Deckman, annexe 5,
2023). Néanmoins, l’évangélisme reste prépondérant au sein de celle-ci. Le nombre de
thématiques traitées par ces organisations diffère. Quand l’EF a historiquement un champ
d’action très large allant du conservatsime social à des questions de défense nationale en passant
par un soutien infaillible à Israël, CWA, se focalise sur les question morales (entretien avec
Madame Ann Schlafly, annexe 3, 2023 ; Rubin, Washington Post, 2013). Néanmoins, au cours
du temps, elle ont élargi leur scope à la défense d’Israël. Il faut aussi noter que leur nombre
d’affiliées n’est pas du même ordre. L’EF compte 80.000 membres et CWA environ 500.000
(site Internet de l’EF, 2023 ; Dorrough Smith, 2014).
56
entre les deux. Si certaines militantes peuvent se lancer sur la scène politique pour défendre
leurs valeurs en « rabaissant » les autres femmes, elles ne le font peut-être pas forcément de
manière consciente. Ce questionnement devrait être analysé dans de plus amples recheches.
En guise d’ouverture sur le futur, ces dernières années, des mouvements féminins sont créés
afin de contrer l’émergence de la troisième vague du féminisme et des théories de genre. Parmi
ces mouvements nous pouvons citer les femmes au sein des Tea Parties pour les années 2008 à
2015 et plus récemment les Tradwives à partir de 2018 (Deckman, 2016 ; Love, 2020). Il serait
intéressant de mener des études sur ces tendances. De sucroît, il semble logique de conseiller
une étude précise sur les liens entre l’EF et CWA et de chercher à savoir si l’adhésion à l’une
d’elles est forcément antithétique à l’autre. Finalement, mener une enquête sur la coalition de
cause pro-ERA serait aussi pertinent.
57
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https://edition.cnn.com/2020/01/30/politics/equal-rights-amendment-virginia-litigation-
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IV. Sites Internet
Concerned Women for America, 2023, disponible à l’adresse suivante :
https://concernedwomen.org/meet-amy-coney-barrett/ (Consultée le 22/12/2023).
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