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Grands Repères
I - Réussir sa rentrée 5
numérique 18
IV - Le plagiat 106
Glossaire 205
Références 213
Réussir sa rentrée
Réussir sa rentrée
I
À propos du cours 6
Se repérer sur le campus 8
Bibliothèques et services numériques 10
Étudier à l'université 15
Le cours « Grands Repères 1 » est suivi par la quasi-totalité des étudiants qui commencent une
licence à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Ce n'est donc pas un cours comme les
autres.
Pourquoi un cours « Grands Repères » ?
L'intitulé « Grands Repères » renvoie à plusieurs objectifs :
des grands repères pour se situer sur le campus : il s'agit d'identifier les différents services et
les différentes structures qui accompagneront, à l'université, votre vie d'étudiant(e).
des grands repères pour apprendre une méthodologie du travail universitaire : étudier à
l'université, c'est tout d'abord utiliser les ressources mises à votre disposition et en premier
lieu les bibliothèques d'UFR et la bibliothèque universitaire. C'est aussi savoir rédiger et
argumenter : il s'agit là d'exigences communes à toutes les disciplines enseignées sur le
campus.
des grands repères pour acquérir une culture commune : l'université, à la différence de toutes
les autres structures de l'enseignement supérieur, est aussi un lieu de construction des
connaissances. Ce cours vous présentera donc, en plusieurs étapes, différentes manières
d'appréhender l'histoire des savoirs.
Comment travailler le cours ?
Le format de ce cours vous permet une organisation du temps très libre. Néanmoins, pour vous
accompagner, nous vous proposons un calendrier de travail. Celui-ci est organisé en semaines. Cela
signifie concrètement que nous vous proposons, pour chaque semaine, un document disponible sous
trois versions (Web, mobile et PDF, ce dernier format n'intégrant ni les vidéos, ni certains exercices
interactifs). Nous vous recommandons très fortement de consacrer au moins trois heures
hebdomadaires à ce cours, ou, mieux encore, une demi-journée par semaine au travail de vos
enseignements médiatisés (Grands repères et Atelier de Langue Française, par exemple). Ainsi, vous
disposerez d'une quinzaine de révision avant l'examen.
Ce cours en ligne vous incite à être autonome dans votre travail. Cette autonomie ne doit cependant
pas vous conduire à l'isolement : il existe un forum, animé par des étudiants de master, pour toutes
vos questions sur le cours. Ce forum est actif tout au long du semestre, et peut en particulier vous
permettre de poser vos questions pendant vos révisions - d'où l'intérêt de garder du temps pour
celles-ci en travaillant régulièrement.
Comment préparer l'évaluation de ce cours ?
L'évaluation de ce cours aura lieu pendant la session d'examens du premier semestre, pour tous les
étudiants concernés (présentiel et EAD).
Cette évaluation prendra la forme d'un QCM (Questionnaire à Choix Multiples) papier en
amphithéâtre d'une durée de 1h.
Cela ne veut pas nécessairement dire que l'on vous demandera de connaître le cours par cœur : les
questions pourront aussi porter sur la compréhension ou l'analyse d'un document, par exemple. Un
sujet blanc vous sera proposé en cours de semestre pour vous permettre de vous entraîner.
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Réussir sa rentrée
Enfin, l'évaluation portera sur tout le contenu du cours. En revanche, elle n'intègre pas les
ressources complémentaires qui vous sont proposées : les rubriques « Complément » présentées tout
au long du cours, ainsi que les liens vers des sites extérieurs à l'université Paris Ouest Nanterre La
Défense, ne feront donc pas l'objet de questions.
1. À propos du cours
1.1. Vos enseignants
1.1.1. L'équipe enseignante
Le cours « Grands repères 1 » est une œuvre collective qui a rassemblé des
enseignants-chercheurs et deux conservateurs de bibliothèque pour produire les contenus
originaux, des ingénieurs pédagogiques pour accompagner la saisie informatique et la mise en
ligne, et des enseignants coordinateurs de l'ensemble du projet. Vous trouverez ci-dessous une
brève présentation de cette équipe pédagogique, qui suivra le déroulement de l'EC et sera en
contact avec les tuteurs pour les aider à répondre à vos questions tout au long du semestre.
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Réussir sa rentrée
Lydie Rollin
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Réussir sa rentrée
Les QCM sont élaborés pour vérifier votre travail et votre capacité d'analyse, pas pour vous
piéger : ainsi, si l'une de vos réponses est fausse ou incomplète, vous ne gagnerez aucun point,
mais vous n'en perdrez pas non plus. Il n'y a pas de points négatifs.
Les QCM sont relativement longs : pour réussir l'examen, il faut donc avoir travaillé
régulièrement le cours. L'analyse des résultats des années précédentes montre que la régularité
du travail est l'un des principaux facteurs de réussite, ou d'échec, à l'examen.
Attention
>> Cliquez ici pour zoomer et découvrir le détail des services concernés (cf.
Services-campus.pdf) :
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Réussir sa rentrée
Plan du campus
Attention
>> Cliquez ici pour zoomer et découvrir les services qui accompagneront votre vie sur
le campus ! (cf. vie-campus.pdf)
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Réussir sa rentrée
Complément
Le Service de l'Action Culturelle et de l'Animation du Campus (SGACAC) accompagne les projets
afin d'encourager l'expression étudiante ainsi que l'initiative associative. La Médiatrice Culturelle
régionale et le Service accompagnent, valorisent et coordonnent les projets culturels, d'animation du
campus et la vie associative étudiante à la Maison de l'Étudiant.
La Commission d'Aide aux Projets Étudiants (CAPE) issue du Fonds de Solidarité et de
Développement des Initiatives Étudiantes (FSDIE) propose une aide financière aux étudiants et
associations étudiantes qui portent un projet culturel, humanitaire, scientifique, solidaire ou sportif.
: s'ils vous conseillent des lectures, c'est pour que vous alliez consulter ces ouvrages en
bibliothèques. Il vous faut donc, au plus vite, apprendre à vous servir de celles-ci.
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Réussir sa rentrée
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Réussir sa rentrée
Les livres
Plus de 600 000 documents imprimés dont 60 % en libre accès dans les salles de lecture.
Les revues
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Réussir sa rentrée
Les thèses
près de 1400 thèses électroniques mises en ligne depuis 2007 et consultables sur place ou à
distance avec vos identifiants.
7200 thèses imprimées soutenues à Paris Nanterre, à consulter sur place.
70 000 thèses soutenues dans d'autres universités françaises et consultables sur microfiches.
La vidéothèque
Plus de 9000 DVD et VHS de films de fiction ou de documentaires à consulter sur place ou à
emprunter.
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Réussir sa rentrée
Complément : Le saviez-vous ?
Si vous le souhaitez, vous pouvez transmettre vos informations, que ce soit celles de votre association,
de votre formation, de votre compagnie ou tout simplement d'un groupe d'amis afin qu'elles soient
diffusées via le webzine Pointcommun. Pour cela, rien de plus simple : il suffit d'envoyer votre
demande à l'adresse : pointcommun@liste.parisnanterre.fr
Attention
Attention, l'utilisation des services numériques de l'université est soumise au respect des règles
du bon usage du numérique qu'il vous faut donc connaître :
Veiller à la confidentialité des codes qui vous ont été confiés à titre personnel ;
Ne pas usurper une autre identité ni même masquer sa propre identité. Ne prêter ni son
identité ni son mot de passe ;
Se déconnecter lorsque l'on quitte son poste de travail afin de protéger ses données
personnelles ;
Ranger avec précaution le matériel informatique ou les supports papier contenant des données
confidentielles ;
Sécuriser son matériel en installant un logiciel antivirus / pare-feu ;
S'assurer que les informations confidentielles ne puissent pas être accessibles par un tiers ;
Ne pas introduire volontairement de code malicieux dans les ressources informatiques de
l'Université et ne pas insérer d'outils permettant de s'introduire illégalement dans les
ressources informatiques de l'Université ;
Ne pas installer de matériels ou de logiciels sur le réseau de l'Université sans y avoir été
invité ;
Préférer une connexion sécurisée (https) pour votre messagerie ;
Veiller à ce que le contenu de vos communications ne transgresse pas la loi en vigueur en
matière de respect de la vie privée et aux lois (françaises et internationales) relatives à la
diffusion d'opinion (Loi 90-615 du 13 juillet 1990 modifiée) ;
Ne pas porter atteinte, par la nature de ses communications, à l'image et aux intérêts de
l'Université ;
Ne pas utiliser les ressources informatiques de l'Université pour diffuser des informations à
caractère publicitaire et commercial ;
Ne pas diffuser de documents dont on ne possède pas les droits de diffusion.
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Réussir sa rentrée
faut un ordinateur équipé d'une carte WIFI, disposer d'une adresse électronique à l'université et
bien sûr connaître vos login et mot de passe.
4. Étudier à l'université
Objectifs
Vous cessez d'être lycéen(e) pour devenir étudiant(e) : ce changement est l'un
des plus importants de votre scolarité, puisque, quelle que soit la durée qu'auront
vos études supérieures, celles-ci doivent vous conduire à la vie active. Il importe
donc de bien mesurer non seulement ce que l'on attend de vous, mais aussi ce
que vous voulez faire des ressources à votre disposition : désormais, vous aurez à
apprendre à être autonome.
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Réussir sa rentrée
De plus, le rythme de l'année universitaire n'est pas le même que celui de l'enseignement
secondaire. Au lycée, la plupart des chapitres vus en cours font à brève échéance l'objet de
contrôles de connaissances ; ce n'est pas nécessairement le cas à l'université. Mais chaque
chapitre vu en cours peut constituer la base de l'évaluation finale et, au-delà de celle-ci,
contribue à votre formation universitaire de licence.
Enfin, sachez que l'absentéisme est le premier critère pris en compte dans l'examen des
demandes de réorientation : même si vous souhaitez changer de cursus, vous avez tout intérêt à
montrer votre motivation et votre capacité à suivre avec assiduité un cursus universitaire. Ce
critère intervient aussi de manière décisive si vous désirez passer un semestre à l'étranger.
Être étudiant(e), c'est donc avant tout s'imposer une discipline.
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Réussir sa rentrée
encore les enseignants-référents. À vous de les solliciter pour surmonter vos difficultés et réussir
votre année.
* *
*
Vous avez maintenant appris à vous repérer sur le campus, et à projeter l'organisation de votre année
universitaire. Reste encore l'essentiel : comprendre ce que l'on attend de vous. Bien entendu, les exigences
varient en fonction des cursus.
Il y a toutefois une caractéristique commune à toute l'université, dans le système de l'enseignement
supérieur français et européen : celle d'être une institution à la fois d'enseignement et de recherche. Vos
enseignants ne sont pas seulement les détenteurs d'un savoir qu'ils vous communiquent. Ils participent à
la construction de ce savoir comme chercheur, expert, ou juriste œuvrant à l’élaboration d'une
jurisprudence. Les cours dispensés en première année sont très largement des enseignements de base, qui
visent à vous donner une culture et une méthode dans la ou les discipline(s) que vous avez choisie(s)
d'étudier ; mais très vite, dès la deuxième ou troisième année de licence, vous pourrez, suivant les cursus,
être initiés aux méthodes et aux objets de la recherche. C'est ce qui fait la force de l'université par
rapport aux autres structures d'enseignement supérieur.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
On ne peut pas tenir des registres de comptes oralement. C'est pour cette raison, très pragmatique,
qu'est née l'écriture au IVe millénaire, en Mésopotamie.
Complément : Le saviez-vous ?
L'origine du mot « calcul »
Le terme calculi désignait au départ des pierres portant des inscriptions géométriques qui servaient à
compter. Ce terme vient de calculus, « caillou » en latin, qui a donné le mot français calcul. Calculer
c'est donc à l'origine écrire des signes sur des cailloux pour compter.
Comment écrivaient les Sumériens ?
Vers 3 300 avant J.-C., avec un roseau (appelé calamecalame- p.205 §) taillé en pointe, les Sumériens
*
dessinent des formes courbes sur des petites tablettes rectangulaires d'argile fraîche. Chaque
dessin représente un objet (un œuf), un animal (un bœuf), ou même une forme abstraite (un
ami) : c'est un pictogrammepictogramme- p.210 §.*
Certains pictogrammes sont associés pour exprimer une action ou une idée : ce sont des
idéogrammesidéogrammes- p.208 §. Par exemple, en combinant le pictogramme représentant la femme
*
(un triangle pour le pubis) à celui des montagnes, on obtient « l'esclave », « l'étrangère » (qu'on
allait capturer de l'autre côté des montagnes). Ou encore, par l'association du dessin de l'oiseau
et de celui de l'œuf on obtient « fécondité ».
Ces signes, qu'ils soient pictogrammes ou idéogrammes, n'indiquent en rien la prononciation. En
d'autres termes, il n'y a pas de lien entre le son prononcé et le signe écrit. Le dessin de l'oiseau
peut donc être prononcé dans la langue des Sumériens (qui vivent au sud-est et parlent une
langue dont nous ne savons ni l'origine ni par conséquent la famille), ou celle des Akkadiens (qui
vivent au nord et parlent une langue sémitiquelangues sémitiques- p.209 §). *
Fondamental
Le système des pictogrammes sumériens constitue une écriture des choses très rudimentaire qui n'est
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
pas liée à une langue particulière. Il ne permet guère de rédiger des textes théoriques ou littéraires
mais nous apprend en revanche beaucoup sur la vie quotidienne des Sumériens. Les premiers
pictogrammes représentent au départ les marchandises ou les objets des transactions.
Complément : Le saviez-vous ?
Les tablettes d'Uruk :
Uruk (aujourd'hui Warka en Irak) était une des plus
importantes cité-État de Mésopotamie, située sur
l'ancien cours de l'Euphrate. C'est au milieu du XIXe
siècle que l'antique cité sumérienne est mise au jour
par les premières campagnes de fouilles, dirigées par
le géologue anglais William Loftus (1849-1853). Par la
suite, à partir de 1912, la Deutsche
Orient-Gesellschaft (DOG) (« Société allemande de
l'Orient ») poursuit les fouilles. En 1931, l'équipe
d'archéologues allemands découvre près de 2 000
tablettes d'argile qui constituent encore aujourd'hui
les premières traces d'écriture.
Ce sont des tablettes d'argile cuite, du IVe millénaire
avant J.-C., sur lesquelles sont inscrites sous forme de
signes des listes de grains, de têtes de bétail
établissant une sorte de comptabilité du temple. Ces
Tablette d'Uruk, 3 300 avant J.- C., Musée tablettes permettent de comprendre que les premiers
du Louvre signes écrits sont d'abord des comptes agricoles.
Pour la notice complète, voir ici ; n'oubliez pas que
vous pouvez voir cette tablette, comme de
nombreuses autres sources mentionnées dans ce cours,
aux départements des Antiquités orientales et
égyptiennes du Musée du Louvre (cf. plan du
Louvre.pdf).
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
L'écriture au départ est un aide-mémoire pour compter puis elle se transforme et permet
l'enregistrement de contrats, de documents économiques, administratifs, religieux, voire de textes
littéraires et poétiques, telle la fameuse épopée de Gilgamesh. Et au moment où les signes
cunéiformes sont adoptés dans toute la Mésopotamie et même au-delà, d'autres systèmes d'écritures
se développent dans la vallée du Nil, toute proche, ou plus loin, en Chine.
types de signes :
1) des pictogrammes, c'est-à-dire des dessins stylisés qui
représentent les choses ou les êtres avec des combinaisons pour
exprimer les idées. Champollion classait les pictogrammes en 16
catégories (corps célestes, êtres humains, quadrupèdes, oiseaux,
reptiles, outils...).
2) des phonogrammes, c'est-à-dire les mêmes dessins ou d'autres
mais qui représentent des sons. Les anciens Égyptiens utilisent le
procédé des rébus, déjà connu des Sumériens. Par exemple le dessin
du scarabée prononcé [khéper] sert à noter la notion de devenir qui
se prononce aussi [khéper]. Il s'agit donc d'une sorte de rébus,
comme si on dessinait un chat pour noter l'ancien souverain d'Iran,
le Shah.
carte de la vallée 3) des déterminatifs, c'est-à-dire des signes qui permettent de
du Nil savoir de quelle catégorie de choses ou d'êtres il est question. Par
exemple, si on a trois hiéroglyphes : la massue (hd) + le cobra (dj)
+ le soleil, la massue et le cobra jouent un rôle phonétique (c'est le
son qui compte et non le dessin). On obtient à la lecture le son "
hedj". Le soleil ici joue le rôle de déterminant : il guide le sens.
Cela donne "briller".
Fondamental
Les hiéroglyphes apparaissent au IIIe millénaire et se composent de pictogrammes (le dessin signifie
ce qu'il représente), de phonogrammes (c'est le son de ce qui est dessiné qui compte et non ce que
représente le dessin), de déterminatifs (ce ne sont ni le son ni le dessin qui comptent mais cela donne
du sens à l'ensemble).
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Alors que les Mésopotamiens conçoivent d'abord des "aide-mémoire", puis une écriture, le système
hiéroglyphique est, dès son origine, une écriture complète : d'abord parce qu'il rend compte de la
langue parlée (qui a survécu jusqu'à nos jours sous la forme de la langue copte), ensuite parce qu'il
renvoie à des réalités abstraites et concrètes et transcrit aussi bien des conseils pour l'agriculture, la
médecine, que des prières, des mythes, le droit et la littérature sous toutes ses formes.
Complément : Le saviez-vous ?
L'histoire du déchiffrement des hiéroglyphes
1) Au XVIIe siècle, le jésuite Athanasius Kircher a
l'intuition que la langue parlée par les anciens
Égyptiens correspond au copte. Mais il n'arrive pas
pour autant à comprendre le processus ni à déchiffrer
les hiéroglyphes.
2) Au XVIIIe siècle, on avance l'hypothèse que les
cartouches contiennent des noms de dieux et/ou de
rois.
3) Le 19 juillet 1799, est découverte à El-Rashid
(Rosette), localité du delta du Nil, une pierre en
granit noir, dite pierre de Rosette (remise à
l'Angleterre en 1802 selon les termes du traité
franco-anglais d'Alexandrie, la pierre se trouve depuis
au British Museum à Londres ; une copie existe au
musée Champollion de Vif, en Isère). Il s'agit du
texte d'un décret de Ptolémée V daté du 27 mars 196
avant J.-C., écrit en trois versions : hiéroglyphique,
démotiqueDémotique- p.206 § et grecque. À ce stade, les
*
Pierre de Rosette (British Museum)
textes restent encore incompréhensibles, mais on
dispose de la langue (le copte) et d'une clé (dans les
cartouches sont inscrits les noms des souverains). Le
grand problème va être alors de définir les rapports
entre les hiéroglyphes et l'écriture démotique.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Les raisons de cette évolution sont essentiellement techniques : graver des hiéroglyphes dans la
pierre se prête mal à la notation rapide. Le roseau (outil pour tracer les signes à l'encre) et les
nouveaux supports (papyrus, cuir ou étoffe) permettent une écriture plus souple, plus déliée.
C'est donc une simplification du graphisme qui se met progressivement en place.
L'écriture dite « hiératique » apparaît dès
la première dynastie, essentiellement utilisée par
les prêtres, d'où son nom (hieratikos = « qui
concerne les choses sacrées »). Elle ne remplace
en rien les inscriptions monumentales gravées
dans la pierre : elle coexiste avec elle. Mais si
l'écriture hiératique vise au départ à simplifier
les hiéroglyphes pour écrire plus vite, elle
entraîne aussi une transformation importante
des hiéroglyphes. Elle restera réservée aux textes
Papyrus Abbott, Thèbes, Egypte, 20e religieux.
dynastie, 1 100 avant J.-C. environ (British Le Papyrus Abbott, présenté ci-contre, relate
Museum) une inspection officielle des tombes royales dans
la nécropole thébaine, durant la 16e année du
règne du pharaon Ramsès IX, vers 1110 avant
J.-C : c'est un exemple célèbre d'écriture
hiératique.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Les Égyptiens inventent plusieurs types d'écriture qui coexistent les uns avec les autres, sans que
l'un ne supplante l'autre : les besoins auxquels répondent ces écritures sont nettement différenciés.
Complément
Le scribe accroupi, 4e ou 5e
dynastie, 2600-2350 avant
J.-C. (Musée du Louvre)
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Depuis les premiers pictogrammes gravés sur les carapaces de tortue jusqu'aux caractères classiques,
l'écriture chinoise a lentement évolué : peu à peu, le signe s'est éloigné du dessin d'origine jusqu'à ce
qu'il ne soit plus vraiment reconnaissable. Mais en dépit de modifications qui sont toujours allées
dans le sens d'une simplification, l'écriture chinoise est toujours restée fidèle à ses origines.
Fondamental
Un même son prononcé peut signifier, selon sa graphie, plusieurs choses. Ainsi le son « shi » peut
vouloir dire « savoir », « être », « puissance », « monde », « serment », « maison »... Cela signifie
que l'écriture chinoise est, bien plus que la langue parlée, l'élément majeur de l'unité linguistique de
la Chine. C'est une des originalités de l'écriture chinoise.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Stèle phénicienne
(punique) (BNF,
Monnaies, Médailles et
Antiquité)
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément
Cette vidéo de la Bibliothèque nationale de France vous présente l'histoire de l'écriture hébraïque.
De l'alphabet grec à l'alphabet latin
1. La première nouveauté de l'alphabet grec : les
voyelles
Vers 800 avant J.-C., on trace des hiéroglyphes
en Égypte, et on utilise des écritures
alphabétiques sur les bords de la Méditerranée
orientale. À la même époque, en Grèce, on parle
une langue très différente, avec de nombreuses
voyelles (ce qui n'est pas le cas des
langues sémitiqueslangues sémitiques- p.209 §, pauvres
*
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
L'alphabet grec dérive de l'alphabet phénicien, dont l'usage s'est répandu dans le monde grec à
partir du VIIIe siècle avant J.-C. Il a connu des variations d'une cité à l'autre. Avec l'écriture
grecque, apparaît, dès les Ve et IVe siècles avant J.-C., une des plus riches littératures de tous les
temps, représentée par tous les genres : poésie, théâtre, récit, histoire, philosophie.
Complément : Le saviez-vous ?
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément : Le saviez-vous ?
Le premier alphabet latin ne comportait que 20 lettres : A, B, C, D, E, F, H, I, K, L, M, N, O, P, Q,
R, S, T, V, X. Au cours de l'histoire du latin, certaines lettres ont été ajoutées portant ce nombre à
23 :
Le G a été littéralement fabriqué à partir de la lettre C. C vient du Γ grec qui notait une
consonne sonore, mais que l'étrusque a utilisé comme consonne sourde. Le latin en a fait aussi
une consonne sourde, mais a eu besoin d'une lettre pour noter la sonore correspondante. Dans
les inscriptions anciennes et dans certaines abréviations on trouve encore C pour noter la
consonne sonore ; par exemple CN. est l'abréviation du prénom Gnaeus.
Le Y et le Z sont des lettres empruntées directement au grec au I er s. avant J.-C., au moment
où l'hellénisme a triomphé à Rome. Quantité de mots empruntés ont conservé leur graphie
d'origine, alors que dans les périodes antérieures les Romains avaient adapté la graphie des
mots.
Diverses tentatives ont été faites pour introduire de nouvelles lettres (sous l'empereur Claude) ou
pour noter plus précisément la prononciation : introduction de signes diacritiques, modification de la
taille des lettres. La distinction entre i/I et j/J d'une part, et u/U et v/V de l'autre, date en
revanche du XVIe siècle (lettres dites ramistes du nom de l'humaniste Ramus).
Fondamental
C'est l'alphabet latin qui a donné les alphabets utilisés dans l'écriture de la plupart des langues
modernes occidentales.
L'alphabet arabe
Comme l'hébreu, l'écriture arabe est issue de l'alphabet
phénicien même si le mode de passage de l'un à l'autre reste
encore aujourd'hui inexpliqué. Nous savons en revanche avec
certitude que les Nabatéens (les peuples du nord de l'Arabie)
utilisaient au début de notre ère une écriture qui n'était plus
phénicienne et pas encore arabe. Par ailleurs, les spécialistes
pensent aussi que les premières inscriptions proprement arabes
datent des années 512-513 ap. J.-C., c'est-à-dire avant le début
de l'HégireHégire- p.208 §. C'est vers 650 que le Coran aurait été
*
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément
Cette vidéo de la Bibliothèque nationale de France vous présente l'histoire de l'écriture arabe.
Complément : Le saviez-vous ?
Si les tablettes d'argile cuite constituent des supports solides, le papyrus, dont l'usage est devenu
particulièrement important avec le développement de l'écriture démotique, est lui très fragile, si bien
que nous connaissons mieux les bibliothèques mésopotamiennes que les bibliothèques de l'ancienne
Égypte.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Elle est également un lieu de recherche, puisqu'elle accueille des savants venus de tout le
pourtour méditerranéen. Ceux-ci tentent d'approcher l'état originel des textes les plus
importants de l'époque – l'Iliade et l'Odyssée, par exemple ; ils rédigent également le
commentaire ligne à ligne des textes qu'ils conservent – ce sont ces commentaires qui se
retrouveront plus tard dans les scholiesscholies- p.211 §. Enfin, ils réalisent plusieurs découvertes
*
Question 2
2e étape : la recherche du terme « Gilgamesh » dans l'Encyclopedia Universalis
Indice :
L'Encyclopedia Universalis fait partie des nombreuses « bases de données » mises à votre disposition
par le SCD. Il existe plusieurs chemins pour y accéder : le plus simple est de taper Encyclopedia
Universalis dans la barre de recherches, puis de cliquer sur "Accès en ligne" pour ouvrir ce site.
Une fois sur le site de l'Encyclopedia Universalis, tapez « Épopée de Gilgamesh » dans la barre de
recherche.
Qui est l'auteur de l'article ?
Comment citer cet article dans une bibliographie ?
* *
*
Vous venez de passer en revue différentes écritures et alphabets et peut-être en connaissez-vous déjà
plusieurs.
Les documents issus de ces écritures et alphabets sont étudiés, au moins en traduction, dans de
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément : Le saviez-vous ?
Avec l'apparition du codex voit le jour une nouvelle forme de lecture, proche sur bien des points de
celle que nous pratiquons aujourd'hui : il n'est plus nécessaire de « dérouler » tout le contenu d'un
rouleau pour consulter un ouvrage, on peut le lire au hasard ou encore marquer les passages qui
semblent les plus intéressants. L'un des premiers témoignages sur cette forme de lecture date du
tournant du IVe au Ve siècle après J.-C. et se trouve chez saint Augustin (Confessions, VIII, XII) :
« Je pris le livre, l'ouvris et dans le premier endroit que je rencontrai, je lus
tout bas ces paroles sur lesquelles d'abord je jetai les yeux ; puis, ayant
marqué cet endroit du livre avec le doigt ou je ne sais quelle autre marque, je
le fermai ».
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément : Le saviez-vous ?
La base de données Initiales a pour ambition de proposer la consultation à un large public de
l'ensemble des enluminures des manuscrits médiévaux conservés dans les bibliothèques publiques de
France (hors Bibliothèque Nationale de France).
Si vous tapez "Guillaume Durand" dans la barre de recherche, vous pourrez par exemple admirer les
nombreuses enluminures du manuscrit 013 de la Bibliothèque municipale d'Aix-en-Provence
(Pontifical de Guillaume Durand, fin XIVe s).
Complément
Feuilleter un livre manuscrit : Le Livre des Merveilles de Marco Polo, le plus célèbre récit de voyage
du Moyen Age. Aujourd'hui, 143 manuscrits dispersés à travers le monde nous sont parvenus de ce
texte. Celui qui est proposé ici est un luxueux manuscrit, composé vers 1410, destiné au duc de
Bourgogne et riche de 265 peintures.
Le développement de la littérature juridique au Moyen Âge. Écrire pour dire la loi
n'est pas chose nouvelle au Moyen Âge. Dès l'origine, l'écriture a pour fonction d'énoncer la loi.
Prenons par exemple le Code de Hammurabi, emblème de la civilisation mésopotamienne. Cette
haute stèle de basalte, conservée au Louvre, est érigée par le roi de Babylone au XVIII e siècle
avant J.-C. Il s'agit du recueil juridique le plus complet de l'Antiquité, écrit bien avant les lois
37
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
bibliques.
La spécificité du Moyen Âge est de redécouvrir, à partir du XI e siècle, les compilations de
Justinien, rédigées à Byzance au VIe siècle. Cet ensemble de textes a légué à la culture juridique
européenne la synthèse de la législation impériale romaine - dans le Code Justinien - et de la «
jurisprudence », c'est-à-dire des décisions des jurisconsultes romains consignées dans le
DigesteDigeste- p.206 §.
*
Le droit romain, réinterprété par les juristes du Moyen Âge puis par les décisions judiciaires des
parlements à l'époque moderne, constitue le « droit écrit » qui règle les rapports de droit privé
dans le Sud de la France.
En revanche, dans la partie septentrionale du royaume, la loi n'est pas écrite mais orale : c'est
la coutume. Au Moyen Âge se développent les coutumes juridiques dont la multiplicité et la
variété sont le reflet du morcellement qui caractérise la France féodale. Il faut attendre le XVI e
siècle pour que la monarchie pousse à leur rédaction officielle. La coutume orale devient donc
un texte établi, parfois réformé à la fin du XVIe siècle. Il demeure par la suite inchangé jusqu'à
la fin de l'Ancien Régime. Si le droit coutumier peut apparaître a priori comme incompatible
avec la notion même de codification, les légistes s'inspireront pourtant souvent des textes des
coutumes, notamment celle de Paris.
Complément : Le saviez-vous ?
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Les bibliothèques médiévales - qu'elles appartiennent à des monastères, à des universités ou à des
collections royales - comprennent beaucoup moins d'ouvrages que les bibliothèques antiques : cela
39
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
explique qu'une bonne partie du savoir antique soit perdu à jamais. Cependant, les bibliothèques
médiévales jouent un rôle fondamental dans la circulation des savoirs, et voient l'apparition de
pratiques de lecture nouvelles. Elles ne sont pas que des lieux de conservation, mais aussi des lieux
d'invention.
L'oisiveté est ennemie de l'âme. Les frères doivent donc à certains
moments s'occuper au travail des mains, et à d'autres heures fixes
s'appliquer à la lecture des choses de Dieu. (Chapitre 48 de la règle de
saint Benoît)
La lecture n'a donc pas à être rapide : il faut au contraire s'imprégner des textes sacrés. Cela
explique l'aspect dense et compact de nombreux manuscrits médiévaux.
Quand le bon roi Louis était outre-mer, il entendit qu'un grand roi des
Sarrasins faisait rechercher, transcrire à ses frais et ranger dans sa
bibliothèque tous les livres qui pouvaient servir aux philosophes de sa
nation. Voyant que les fils de Ténèbre paraissaient plus sages que les
40
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
enfants de Lumière, il se promit de faire transcrire, à son retour, tous
les livres relatifs à l'Écriture Sainte qui se pourraient rencontrer [...]. Il
faisait copier des livres plutôt que de les acheter : par-là, disait-il, le
nombre des bons livres se trouvait multiplié. (Geoffroy de Beaulieu, Vie
de Saint Louis, XIIIe siècle)
Question 2
Question 2 : Après avoir lu l'article, expliquez de quelle grande institution dépendent les universités.
Justifiez votre réponse en citant précisément l'article.
Indice :
Pour répondre à cette question, il est conseillé de lire l'article dans son intégralité et de ne pas vous
41
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
contenter de quelques extraits : les informations pertinentes peuvent être dispersées en plusieurs
endroits du texte.
Notre ennemi n'a pas de corps ni d'âme, notre ennemi ne mange ni ne boit,
notre ennemi ne souffre pas ni ne meurt, notre ennemi s'appelle livre.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613d3e3c3k6f9791/
Vous aurez compris, au moins à la fin, que ce texte est un faux, une invention ; les spécialistes
expliqueront que jamais un troubadour n'aurait pu prononcer un tel discours. Et pourtant, cette
chronique montre de manière assez forte, quoique plaisante, la proximité entre deux révolutions,
celle de l'imprimé, vécue par nos ancêtres du XVIe siècle, et celle du numérique, que nous vivons
actuellement, en insistant sur un sentiment que l'une et l'autre ont assurément provoqué : la peur.
Que dit ce billet ? Qu'un troubadour, chanteur de vers tout droit venu du Moyen Âge, voyant
exploser la production des livres imprimés, n'aurait pu s'empêcher de voir venir la fin de sa
profession – qui de fait a eu lieu. Les arguments qu'il utilise, froideur de l'objet, invasion de la
technique, fragilité du support, implication d'intérêts économiques, et même peur de l'étranger, tous
ces arguments peuvent se retrouver sous la plume de ceux qui dénoncent aujourd'hui les risques du
numérique – ou plutôt sous leurs touches, car ils utilisent des traitements de textes comme tout le
monde.
En réalité, le cheminement est inverse : l'auteur de ce billet, Xavier de La Porte, place plaisamment
dans la voix de ce troubadour les arguments que l'on entend aujourd'hui face au numérique. Il
suggère que ceux qui redoutent la disparition du livre imprimé auraient eu peur de son invention.
L'argument sous-entendu est que toutes ces craintes, en partie éprouvées par les hommes du XVIe
siècle, ont été balayées par le fait que l'imprimerie a permis un développement de la culture sans
précédent dans l'histoire de l'humanité.
42
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
s'entourer de bons spécialistes dans divers domaines. Gutenberg, c'est une équipe.
Remarque
« abondant » (comme l'on parle d'un repas "copieux", du latin copia, "abondance").
Remarque
La presse, l'énorme outil de bois et d'acier dans lequel on insère les caractères à imprimer et le
papier, est relativement peu chère. Ce qui est coûteux, ce sont plutôt les caractères, d'autant plus
qu'ils s'usent assez vite et doivent être régulièrement remplacésgilmont. Ils coûtent au moins 10 fois plus
cher que la presse elle-même : déjà à cette époque, ce sont les consommables qui fixent le prix de
l'impression.
L'imprimerie, c'est la multiplication. Le livre n'est pas un objet rare au Moyen Âge ; mais
l'imprimerie permet une explosion de la production. Pour cela, il fallait d'abord un autre
support : celui du papier. Les parchemins, faits en peau de veaux (velin) ou d'agneaux, étaient
beaucoup trop chers. 30 exemplaires de la Bible de Gutenberg ont été tirés sur parchemin. Cela
représente à peu près 5000 peaux. Le papier est au parchemin ce que la numérisation sera au
papier. A chaque étape, la capacité de production se multiplie de façon exponentielle. Il faut
cependant nuancer : l'imprimerie conserve des dimensions artisanales jusqu'à la fin du XVIIIe
siècle, et jusqu'à cette époque, les lecteurs restent une minorité de la population.
Le papier est venu de Chine, en passant par le Moyen-Orient. Il arrive en Italie au XIIIe siècle.
Le milieu universitaire, parfois un peu rétif aux innovations technologiques, est inquiet : ce
support fragile, qui pourrit facilement, ne va-t-il pas faire disparaître la culture tout entière ?
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
nombreux. Ils seront préservés par la multiplication. On n'a bien entendu jamais aussi bien
conservé les textes que depuis l'imprimerie. Le papier abaisse beaucoup le coût de production du
livre, le rend plus léger, plus transportable, facile à commercialiser. Il multiplie la surface
potentielle d'écriture.
Remarque
Depuis le XVIe s., les capacités de production ont été surmultipliées, mais aucune révolution nouvelle
n'avait été apportée. La numérisation vient d'apporter une révolution de même ampleur. Plus
besoin d'un support matériel pour « publier » un texte, c'est-à-dire le rendre public. Il suffit de le
taper, et il devient disponible, sous la forme d'un fichier. Internet multiplie encore cette possibilité :
désormais, ce texte peut être mis à disposition du monde entier.
a) L'humanisme
Passons vite sur l'humanisme, sur lequel vous avez un cours (séquence 3 sur l'humanisme).
L'une des grandes activités des humanistes est de découvrir des textes anciens ou de les
redécouvrir, et de proposer des traductions plus correctes, en éliminant les erreurs ou les
transformations appliquées au cours du Moyen Âge. L'imprimerie leur donne les moyens de
réaliser cette entreprise. Érasme passe de longs séjours chez ses imprimeurs, éditeurs, qui sont
eux aussi des humanistes érudits. L'imprimerie favorise le travail de correction :
Le temps que l'on passait à copier, on peut désormais le passer à étudier les textes et à
corriger les épreuves
Il y a une motivation supplémentaire : désormais, toute erreur, toute « coquillecoquilles
- p.206 § » est multipliée en des milliers d'exemplaires. Il devient donc obligatoire de les
*
éliminer.
b) La Réforme
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Exemple
L'imprimeur le plus productif, Christophe Plantin, possède jusqu'à 24 presses en activité, et produit
1500 ouvrages en 30 ans. Il s'installe à Anvers, cité dynamique et cosmopolite, liée à l'empire
espagnol. C'est un industriel. Certes son cas reste exceptionnel : l'imprimerie ne deviendra vraiment
industrielle que quelques siècles plus tard.
Un compagnon typographe dans les grandes villes d'imprimerie travaille de 5 ou 6 heures le
matin à 7 ou 8 heures, avec une pause d'une heure. On lui demande d'imprimer jusqu'à 3000
feuilles par jours, soit environ une toutes les 20 secondes. On embauche des apprentis qui leur
font une concurrence déloyale car ils ne sont guère payés. Des conflits sociaux apparaissent, et
conduisent la ville de Paris à prendre des mesures contre les grèves en 1539 (
interdiction de se regrouper, de porter des épées ou poignards, de battre les apprentisBlasselle).
Un nouveau meuble apparaît : la bibliothèque privée. Une enquête sur Amiens montre que
presque toutes les bibliothèques de plus de 50 livres y apparaissent après 1545A. Labarre. Il y a tout
de même des limites à cet essor. Le lectorat s'agrandit, mais reste limité. Les tirages dépassent
rarement 1 000 ou 2 000 exemplaires, et la moyenne est plutôt sous les 500 ; seuls les manuels
chrétiens assurés de se vendre dépassent ces chiffres.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
l'artisan qui façonne le livre, et non au lecteur, sont très peu clairs. La pagination se généralise
après 1550Vandendorpe.
47
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Remarque
Aujourd'hui la pagination est en péril. Sous certains formats numériques, elle n'est pas fixe : le livre
se repagine à chaque fois que vous l'ouvrez. Dans quelques années on ne pourra sans doute plus
renvoyer à une page précise, au moins pour certaines parutions comme les articles scientifiques, pour
lesquelles il faudra mettre en place d'autres systèmes de référencement.
3.2.4. D. Graphies
Remarque
Polices de caractères
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément
Pour celles et ceux qui souhaitent se plonger, grâce à une œuvre de fiction, dans le cadre historique
qui a vu naître les polices et les réflexions qui ont prévalu pour donner aux caractères la forme la plus
propice à la lecture, on peut conseiller le roman d'Anne Cuneo, Le Maître de Garamond, Livre de
poche, 2004.
Les premières innovations en la matière viennent de la Renaissance italienne, qui a inventé deux
grandes polices de caractères :
la romaine, dont dérive la police Times New RomanTimes New Roman- p.219 ¤ *
l'italique. Cette dernière a été commandée par le grand imprimeur d'Érasme, le Vénitien
Alde Manuce, afin d'imprimer des livres de plus en plus petits (en Italie donc, d'où son
nom). L'amélioration des polices de caractère permet en effet de réduire le format des
livres en pliant les feuillets non plus en 2 (in-folio) ou en 4 (in-quarto), mais en 8
(in-octavo) : on arrive au format du livre de poche. La mécanisation permet la
multiplication et la miniaturisation.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Le livre de poche, une invention pas si récente. Côte à côte, Chateaubriand, Atala-René, Paris,
GF, 1964 / Œuvres¸ Paris, Lefèvre, 1833.
3.2.5. E. Ponctuation
Si vous trouvez que l'on vous embête inutilement avec les virgules, les coupures de phrases,
voire les points virgules, essayez un petit retour au Moyen Âge. Ce cours qui vous semble déjà
un peu épais serait monobloc, avec quelques grandes capitales, sans paragraphes, sans virgules...
et pour tout vous avouer, il serait en latin. Il en irait de même de vos copies (qui par leur nom
conservent le souvenir du moine copiste du XIIe siècle).
Les hommes de la Renaissance ont trouvé que ces textes n'étaient pas très lisibles. Ils étaient
réservés à une élite hautement qualifiéesurdiplômée- p.219 ¤. Il fallait les éclaircir, et l'imprimerie leur
*
en donnait les moyens, techniques et financiers. Après les blancs et la police, la ponctuation est
apparue comme un moyen supplémentaire de clarifier l'organisation des phrases. On lit plus,
plus vite, en silence : il faut marquer mieux les pauses, non seulement entre les phrases, mais à
l'intérieur ; et il faut en distinguer plusieurs, selon leur intensité, voire leur sens ( : n'a pas le
même sens que ; ). Comme beaucoup de règles, la ponctuation va avec la démocratisation :
quand 5% de la population a accès aux textes, il n'y a pas besoin de règles et de
standardisation.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Pas de ponctuation dans le texte médiéval ; des tentatives ont eu lieu ici et là, mais il n'existe
pas de système standardisé. Les humanistes se lancent donc dans l'invention des signes qui leur
paraissent utiles pour reproduire les pauses du discours oral et éviter les malentendus.
Le premier traité de ponctuation est édité en Italie par Gasparino Barzizza (1370-1431). En
France, le premier traité est écrit par l'humaniste Étienne Dolet en 1540, à destination des
imprimeurs. Il distingue essentiellement trois signes, qui sont, du plus fort au plus faible,
le colon ( .), le comma (:), et le point à queue, ou incisum (,) Traité de la ponctuation française.
Remarque
« Comma » signifie aujourd'hui virgule dans certaines langues (comme l'allemand) ; le mot
« virgule » signifie « petite verge » (mais vous savez que ce mot signifiait autrefois « baguette »).
Vous n'avez pas à connaître ces détails, mais vous devez être conscients que ces signes et ces
règles ont été inventés dans un but de communication plus ouverte. À la même époque,
François Ier décide que les écrits administratifs seront en français et non plus en
latinOrdonnance de Villers-Cotterêts, tandis que les partisans de la réforme religieuse traduisent la
Bible dans la langue des différents pays d'Europe.
C'est toujours dans cet esprit de standardisation, d'élaboration de règles communes permettant
que l'on se comprenne sans malentendus, que l'on décide de fixer les règles de l'
orthographeLe français de la Renaissance. On ne fixe pas tout : le diaporama qui suit, avec mes
commentaires, vous montrera que des difficultés persistent ; il vous aidera peut-être aussi à vous
convaincre que l'orthographe a son utilité :
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613d3e5b5h7gmfe9/
Désaccords
Il est vrai que cette volonté d'établir une orthographe commune suscite dès le début des
désaccords. En 1550, Louis Meigret (1510-1558) lance une réforme qui se veut simplificatrice.
Il propose d'écrire tout « comme ça se prononce », d'anéantir le fossé qui sépare l'orthographe
de la prononciation. Pour cela, il utilise de nouveaux symboles, tel le « e cédille », équivalant à
peu près au « e accent grave » – qui lui n'apparaît qu'en 1740...-è p.216 ¤ *
Le résultat est étonnant, même pour nous. Son ouvrage, intitulé Tretté de la grammre
fronçose , a pour adage :
Nou' devons dire, come nou' dizons.
L'uzaje de parler l'a reçu einsi : car ç'ęt celuy qui don' aothorité ao'
vocables - p.220 ¤.
*
Deux camps se font face : d'un côté les partisans d'une orthographe « miroir de la paroleM. Huchon
» dont on enlève les lettres superflues, équivalentes ou polyvalentes (par exemple c prononcé k
ou s), de l'autre, ceux pour qui l'orthographe doit témoigner de l'étymologie, montrer les
procédés de composition lexicale, dérivation, et distinguer les homonymes.
Les grands écrivains ont des comportements variés :
Ronsard n'hésite pas à proscrire « cét epouantable crochet d'y » , ainsi que le x et le z
en finale, à éliminer les consonnes étymologiquesConsonnes étymologiques- p.215 ¤ (il écrit cors et
*
non corps, éiminant le "p" du latin corpus, ou pié pour pied, sans le "p" de pedes ).
51
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Rabelais, au contraire, met au point un système élaboré à partir d'une réflexion sur
l'origine des langues, fondé sur la reconnaissance étymologique. Pour lui, les mots doivent
porter la trace de leur origine. Mais ses imprimeurs ne respecteront pas toujours ses
demandes.
Montaigne à la toute fin du siècle, déclare : « Je ne me mêle, ni d'orthographe [...] : Ni
de la ponctuation : je suis peu expert en l'un et en l'autre »Les Essais, III, 9.- p.216 ¤.
*
Fondamental
L'orthographe et la ponctuation sont des inventions en partie modernes, qui répondent à des
nécessités de communication. Leur développement est étroitement lié à celui de l'imprimerie.
Règles
Simulation
52
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
PERSONNERéponse- p.218 ¤ *
OBJETRéponse- p.218 ¤*
Remarque
L'effet est comparable à celui de l'informatique, qui nous propose de confronter plusieurs
« fenêtres » (windows). Le rapport livre / lecteur s'est inversé. Nous sommes passés d'une situation
où il y avait plusieurs lecteurs-auditeurs pour un seul livre, dans le réfectoire des abbayes, à une
situation où un lecteur unique dispose en même temps de plusieurs livres. Par rapport à cette
invention, la numérisation de l'écrit se distingue parce qu'elle met à disposition du lecteur une
quantité inépuisable de livres, et parce qu'elle est diffusée en masse.
Pour aller plus loin (en accès libre depuis le portail documentaire de l'université) :
53
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Thierry Grillet, « À l'heure des machines à lire », Revue de la BNF 2/ 2012 (n° 41), p. 36-45
L'histoire a-t-elle confirmé ces craintes ? L'imprimerie n'a pas conduit à
un oubli du passé, mais au contraire à sa préservation et à sa
redécouverte. Mais il est vrai, et aujourd'hui plus vrai que jamais, que la
production présente tend à être encore beaucoup plus abondante. On n'a
jamais autant publié. Dans le domaine du savoir comme ailleurs, nous
sommes envahis par le présent
- p.216 ¤ .
*
Complément
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
en 1899.
Plus globalement s'instaure une réglementation. Les premiers livres imprimés sont souvent
des éditions de textes anciens, mais les livres nouveaux sont de plus en plus nombreux. Il
devient beaucoup plus facile qu'avant de publier ses idées. En parallèle se développe l'idée du
privilège royal nécessaire pour être autorisé à publier, et accordé moyennant finance. Il
devient obligatoire en France à partir de 1566. C'est à la fois un
moyen de contrôle et une taxeGilmont.
Remarque
Un effet durable de ce contrôle des publications a été de favoriser jusqu'au XVIIIe s. les éditions des
pays protestants, Hollande et Angleterre notamment. C'est en Hollande que Descartes publie pour la
première fois le Discours de la Méthode (1637). Rousseau, Voltaire, Montesquieu trouvent au siècle
suivant en Hollande ou à Genève des éditeurs pour imprimer leurs œuvres clandestinement. Cette
circulation est favorisée par l'existence d'une Europe francophone hors des frontières du royaume
(Genève, Suisse, Pays-Bas du sud).
Protection. Il ne faut pas voir la réglementation uniquement comme une persécution. La
multiplication et la mécanisation de l'édition permettent aussi les contrefaçons : l'imprimerie
invente une nouvelle forme de copie, l'édition pirate. Au tout début du siècle, dans ses Adages,
Érasme est l'un des premiers à parler de droits d'impression protégeant les auteurs, contre les
impressions pirates, qu'il resitue dans le cadre de la mondialisation des échanges ...- p.213 ¤. Le *
privilège royal est au départ une protection, demandée par les imprimeurs, pour distinguer les
éditions originales autorisées des copies illicitesGilmont.
Complément : Le saviez-vous ?
Le dépôt légal, qui oblige tous les éditeurs français à verser un exemplaire de chaque livre qu'ils
publient à la Bibliothèque nationale, trouve son origine dans l'édit de Montpellier (1537), par lequel
François Ier contraignait les imprimeurs à déposer un exemplaire de chacune de leurs productions à
la bibliothèque royale :
Nous avons délibéré de faire retirer, mettre et assembler en notre librairie
toutes les œuvres dignes d'être vues, qui ont été et seront faites [...] pour
avoir recours aux dits livres si de fortune ils étaient ici après perdus de la
mémoire des hommes. (Édit de Montpellier, 1537)
Bien que très peu respectée, cette disposition a permis d'accroître l'importance des collections et a été
reprise par de nombreux autres princes.
55
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Vous l'avez compris, l'imprimerie, c'est la multiplication. Ce qui se multiplie, ce sont les livres,
et donc les espaces pour les stocker, les bibliothèques, plus nombreuses et plus grandes. Il va
falloir mettre en place des systèmes de classification, et de renvoi bibliographique.
L'ampleur nouvelle des bibliothèques oblige à repenser les méthodes de leur classement. Au
milieu du XVIe siècle, l'humaniste zurichois Conrad Gessner réalise une bibliographie universelle
recensant 12 000 ouvrages classés, de manière très novatrice, par ordre alphabétique (mais de
prénom d'auteur). À la fin du XVIe siècle, le mot « bibliothèque » apparaît dans la langue
française comme « lieu réservé aux livres », tant il devient nécessaire de repenser l'organisation
des collections. Et quelques décennies plus tard, un lecteur et collectionneur acharné comme
Fernando Colomb (le fils du découvreur de l'Amérique) réussit à rassembler 15 000 volumes.
Même si on est encore loin des collections du Musée d'Alexandrie, le problème de l'organisation
des bibliothèques se pose avec une acuité nouvelle.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
même s'ils sont mauvais – ce qui vaut à Naudé le surnom de Gabriel Naudé, Advis pour
« grand ramassier », pour l'ardeur qu'il met à collecter tout type dresser une
d'écrit. Peu à peu, la bibliothèque moderne reprend l'idéal de bibliothèque,Paris, 1627
bibliothèque universelle.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
(1881)... L'essor de certaines est intimement lié aux mutations du nouvel âge industriel : c'est le
cas de Hachette, qui mise sur le livre scolaire peu avant que l'école ne devienne obligatoire, mais
aussi sur la vente de livres à bas prix dans les gares... La lecture, enfin, prend des formes de plus
en plus diverses : elle peut être solitaire et silencieuse, ou bien collective (qu'elle soit bourgeoise,
dans un salon, ou ouvrière et ferment de la vie politique) ou encore familiale, souvent faite par
l'enfant – fille ou garçon – qui, à la différence de ses parents, va à l'école.
Complément : Le saviez-vous ?
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Complément : Le saviez-vous ?
Le portail documentaire vous donne accès non seulement à des revues physiquement présentes
dans l'une des bibliothèques de l'université, mais également à un très vaste ensemble de revues
numérisées ou bien publiées d'emblée sous forme électronique. La vidéo suivante vous indique
comment procéder pour rechercher des documents dans notre catalogue.
https://youtu.be/4ffi0KUdR9k
un phénomène qui n'existait qu'en partie dans les siècles antérieurs (car on pratiquait volontiers
le recueil de plusieurs œuvres, la publication anonyme ou les diverses versions): l'identification
de l'œuvre au livre, et plus tard, au génie à l'œuvre. Le livre et le texte sont des objets
concrets, des incarnations de l'esprit. Être sur les rayons, voir son nom sur une couverture,
restent des événements de premier ordre pour un individu.
Nous l'avons dit plus haut, l'imprimerie a conduit à la multiplication des livres, et au
développement des bibliothèques. Le numérique au contraire conduit à une dématérialisation
de l'écrit, et à l'apparition de bibliothèques numériques qui n'occupent pour ainsi dire pas
d'espace. Nous sommes à une époque où les choses vont vite : à peine le CD a-t-il fait
disparaître les disques vinyles qu'il se voit à son tour menacé par la dématérialisation des
supports musicaux. Il se pourrait que peu de générations se souviennent de cet objet. De même
que la musique ne prend plus la forme ni d'un disque, ni d'une cassette, de même, le livre en
papier semble voué à se dissoudre dans des formes multiples. Le « cube de papier composé de
feuillets » évoqué par Borges a sans doute vécuCité par R. Chartier, « La mort du livre ? .» Vivons-nous,
vivez-vous, en lisant ce cours à l'aide d'un browser, un retour au volumen, au texte déroulant
?
Pas tout à fait : la réalité est plutôt que tous les formats sont désormais possibles. Ce qui se
dissout, c'est l'incarnation fixe du discours.
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Remarque
Au XVIe siècle, les protestants ont critiqué les catholiques qui priaient devant
de magnifiques Bibles dorées, monumentales, portées par un lutrin de bois
sculpté et peint. « Ne vous prosternez pas devant cet objet », disaient-ils, ce
n'est pas l'objet qui est saint, mais la parole divine qu'il contient, le message
de Dieu aux hommes, indépendamment de son support, des mots employés par
Philippe de les scribes qui l'ont transcrit, et de la langue même dans laquelle il est
Champaigne exprimé. Ils distinguaient nettement le discours et ses supports matériels.
(1602-1674), Moïse
présentant les
Tables de la Loi,
Amiens (Musée de
Picardie).
déroulement du texte.
Un exemple, The long, Strange Trip of Dock Ellis, de
Patrick Hruby
Un même livre apparaît sous des formats différents,
s'adaptant aux logiciels qui le supportent. Il est vrai
The long, Strange Trip of Dock Ellis, que ces derniers ne sont pas si nombreux, et qu'au
de Patrick Hruby total, une autre évolution, inverse, se laisse deviner,
celle selon laquelle tous les livres, romans, manuels,
livres de bricolage, apparaissent sous la même forme, à
peine séparés les uns des autres. Ce à quoi nous livre
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Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Difficile de dire quel sera exactement notre rapport aux textes demain – et pourtant, c'est bien
de demain que l'on parle ici, pas d'après-demain. Il faut aussi envisager le fait que tout comme
la révolution de l'imprimé, celle du numérique engendrera de nouvelles manières d'écrire.
Bien malin qui peut dire exactement ce qui se passera. On croyait dans les années 90 que la
civilisation de l'écrit allait s'éteindre face à celle de l'image : on n'a jamais autant écrit
qu'aujourd'hui. Qui aurait prédit, avant l'apparition des e-mails et des sms, que 15 ans après
l'an 2000 l'on serait submergé chaque jour par des dizaines de petits mots écrits ? La version
papier disparaîtra-t-elle ? Pas sûr : feuilleter, annoter, sont des activités qui même avec des
applications sophistiquées et des tablettes munies de stylet restent beaucoup plus efficaces sur le
papier. Ceux qui réfléchissent aujourd'hui sur les mutations du texte sont nés avec le livre ; leur
réflexion s'étale sur des pages. Imaginer comment liront les générations qui se seront passées du
papier leur demande sans doute encore trop d'efforts de sortie de soi-même, de ses habitudes, de
ses souvenirs, de ses fantasmes et de ses goûts.
conseillent des lectures, c'est pour que vous alliez consulter ces ouvrages en bibliothèques.
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Couverture
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4e de couverture
Complément : Le saviez-vous ?
La couverture et la quatrième de couverture donnent de premières informations sur le livre, mais ces
informations sont loin d'être suffisantes. La description la plus simple du livre – appelée sa notice
bibliographique – fait ainsi appel à des éléments qui ne s'y trouvent pas : elle doit en effet
permettre de retrouver, sans aucune ambiguïté possible, le livre en question.
La description bibliographique de ce livre sera par exemple :
MARTIN Jean-Clément, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national , Paris,
Seuil, « l'Univers Historique », 2006.
Or, les lieux et dates d'édition ne se trouvent pas en couverture, mais en pages 5 et 6 de l'ouvrage.
On ne peut donc décrire un ouvrage simplement en le regardant.
La première étape de la lecture : l'appareil critique. Pour savoir ce que contient
réellement un livre, il faut aller plus loin que sa couverture et s'intéresser à son « appareil
critique ». On désigne par là l'ensemble des annotations qui accompagnent un texte original.
Certaines de ces annotations peuvent se trouver en début de volume : avant-propos, préface,
etc. L'essentiel de l'appareil critique se trouve en général en fin de volume : postface, mais
surtout bibliographie, index, éventuellement glossaire, et bien sûr table des matières.
Dans un ouvrage scientifique, cet appareil critique a une fonction essentielle : il indique au
lecteur comment l'auteur a procédé – en fait, il lui donne les clefs du livre. Grâce à l'appareil
critique, le lecteur peut connaître la provenance de l'information de l'auteur : livres imprimés ?
archives inédites ? bases de données nationales ou internationales ? Il peut aussi observer la
démarche suivie par celui-ci : l'appareil critique montre qu'un ouvrage scientifique est issu d'une
démarche, et non d'une inspiration ; et il permet de critiquer cette démarche.
Observer l'appareil critique est donc un bon moyen de jauger un livre et son caractère
65
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
scientifique : un livre sans aucun appareil critique est suspect, car il est très difficile de savoir
comment il a été fait. Un appareil critique important peut inspirer plus de confiance. Bien sûr,
sa présence ne signifie pas automatiquement que la démarche de l'auteur soit valable ; mais
vous avez au moins la possibilité de vérifier ce qui est énoncé.
L'appareil critique a également une autre fonction : en plus d'être lisible, ce que sont (ou
devraient être) tous les livres, un ouvrage scientifique doit être utilisable, c'est-à-dire que l'on ne
doit pas être obligé de le lire de la première à la dernière page pour y retrouver une information,
mais que l'on doit pouvoir se diriger directement vers celle-ci. Savoir utiliser l'appareil critique
d'un livre permet donc de gagner beaucoup de temps.
On peut donc sans exagération poser une règle absolue et intangible : le maniement d'un
ouvrage universitaire commence toujours par l'examen de l'appareil critique.
Index
La bibliographie
Aucun auteur ne peut écrire d'ouvrage scientifique sérieux sans consulter d'autres ouvrages : il
est indispensable de consulter les études faites auparavant sur le même sujet ou sur des sujets
voisins, ou bien les travaux permettant de mieux connaître le contexte du phénomène que l'on
66
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
étudie. Le volume que vous avez entre les mains est donc le produit de l'utilisation (qui n'est
pas la même chose que la lecture) de nombreux autres livres : la bibliographie, c'est tout
simplement la liste des ouvrages utilisés par l'auteur.
Généralement, la bibliographie se trouve à la fin de l'ouvrage ; mais il arrive (notamment dans
les ouvrages collectifs) qu'elle soit divisée en différents chapitres, et présentée à la fin de ceux-ci.
Les annexes
L'auteur est enfin libre, pour prouver ce qu'il avance dans le corps du texte, de publier plusieurs
types de documents :
– des chronologies (du grec chronos, le temps) : ce sont des listes de dates, plus ou moins
ordonnées, choisies autour d'un thème. Ces chronologies permettent d'avoir une rapide vue
d'ensemble sur les principaux événements évoqués dans l'ouvrage, mais aussi de situer
rapidement un événement au cours de la lecture du livre.
– des glossaires ou lexiques : il s'agit de listes de mots en langue étrangère dont on conserve
l'usage en français, ou bien de termes français mais dont la compréhension n'est pas immédiate.
Il peut s'agir aussi de mots spécifiques à une discipline (vocabulaire technique ou juridique, par
exemple).
– les annexes documentaires : l'auteur peut y rassembler un certain nombre de documents qu'il
souhaite mettre à la disposition de son lecteur (tableaux statistiques, graphiques – pyramides
des âges, courbes économiques, etc. – ou bien sources que l'auteur cite et utilise).
– la table des illustrations, ou des documents, ou des graphiques : elle n'existe bien sûr que si le
livre comprend (dans le corps du texte ou en annexe) des illustrations (ou des documents, ou
des graphiques). Mais, quand elle existe, elle est extrêmement précieuse : elle peut non
seulement vous permettre de trouver plus rapidement une information, mais aussi vous donner
accès à des documents qui serviront à illustrer vos propres travaux universitaires.
Les notes de bas de page
Elles servent :
1. À citer les sources et les ouvrages desquels sont tirées les informations données dans le corps
du texte – et donc à rendre cette information vérifiable.
2. À développer des arguments qui « alourdiraient » le texte, ou à donner des éclaircissements
sur celui-ci – et donc à permettre de le comprendre plus en détail.
Leur présence est un indicateur important, et souvent essentiel, du caractère scientifique ou non
scientifique de l'ouvrage que vous avez en main.
normes bibliographiques.
2. Le travail écrit
Dans le cas d'un travail écrit, rédigé sur table ou à la maison, il est important de réinvestir ses
lectures, c'est à dire d'être capable par exemple de faire référence à un ouvrage incontournable dans
le domaine que vous étudiez.
Vous trouverez plus bas quelques conseils et exercices sur la manière d'établir une bibliographie dans
les règles de l'art.
67
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Le genre encyclopédique pose, pour chaque société, la question du rassemblement, de la synthèse et
de l'organisation des connaissances humaines.
Complément : Le saviez-vous ?
L'Histoire naturelle de Pline l'Ancien est une grande enquête sur la nature, exposée dans un ordre
logique et thématique. Après avoir présenté ses sources, l'auteur expose la structure de l'univers, puis
68
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
aborde la géographie, les animaux, la botanique, et la médecine. Enfin il termine par les minéraux, les
pierres et les œuvres d'art créés à partir de ces matériaux. On y retrouve l'ensemble des
connaissances de son temps, qu'elles soient d'ordre scientifique ou non. Pline l'Ancien mourut en 79
après J.-C. lors de l'éruption du Vésuve qui ensevelit Pompéi et deux autres villes romaines. Étant en
lieu sûr lors de l'éruption, il voulut s'y rendre autant par curiosité que pour porter secours à la
population.
De la Renaissance aux Lumières
La découverte du Nouveau Monde et la redécouverte de la
pensée antique provoquent une augmentation importante des
connaissances sur le monde et, au début du XVII e siècle, de
nouvelles classifications des sciences et des savoirs apparaissent
avec Francis Bacon (1561-1626) dans De Dignitate et
augmentis scientiarum. Au siècle suivant, Denis Diderot et
Jean d'Alembert vont mener à bien, entre 1751 et 1772, un
vaste projet éditorial qui portera le titre d'Encyclopédie ou
Dictionnaire raisonné des sciences et des arts. Il comportera
17 volumes de textes et 11 volumes de planches. Ce projet vise
à « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la
terre ; en exposer le système général aux hommes avec qui nous
vivons, et le transmettre aux hommes qui viendront après
nous ; afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été
inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux
devenant plus instruits, deviennent en même temps plus
vertueux et plus heureux ; et que nous ne mourions pas sans
avoir bien mérité du genre humain ». Ce principe général se
Le tome premier de
double d'une exigence de précision, puisque le projet doit
l'Encyclopédie de Diderot et
également « contenir sur chaque science et sur chaque art, [...]
d'Alembert.
des principes généraux qui en sont la base, et les détails les
plus essentiels qui en font le corps et la substance ».
Cette Encyclopédie de Diderot et d'Alembert deviendra l'une
des plus belles réalisations des Lumières. Elle est aujourd'hui
accessible en ligne via le portail documentaire de l'université.
Fondamental
C'est au XVIIIe siècle, en France et en Angleterre, que le genre encyclopédique adopte la forme que
nous lui connaissons aujourd'hui.
Complément : Le saviez-vous ?
Le 7 février 1752, l'impression et la diffusion des deux premiers volumes du Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers sont interdits par un arrêté du conseil du roi Louis XV. Les jésuites
accusent cette œuvre d'être athée et matérialiste. En dépit de cette censure, la publication des
volumes se poursuivra avec succès jusqu'en 1772. Profondément marqué par l'hostilité de l’Église et
des autorités politiques, d'Alembert quittera cette entreprise éditoriale, laissant son ami Diderot
l'achever. Selon l'expression de l'historien américain Robert Darnton, l'Encyclopédie est, malgré tous
les obstacles qu'elle a rencontrés, un « best-seller au siècle des Lumières ».
b) L'encyclopédie aujourd'hui
69
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Le passage du papier au numérique n'est pas simplement un changement de support, il change notre
rapport à l'écrit et au savoir.
Complément : Le saviez-vous ?
En France, les encyclopédies de référence sont l'Encyclopédie Larousse et l'Encyclopædia Universalis.
Dans le monde anglo-saxon, l'encyclopédie de référence est l' Encyclopædia Britannica, dont la
première édition papier date de 1768 et, en Allemagne, l'encyclopédie Brockhaus.
Pourquoi utiliser une encyclopédie ?
L'encyclopédie se distingue du dictionnaire dont l'objet concerne le sens et l'usage des mots ou
du manuel présentant l'état des savoirs dans un domaine particulier. Elle permet de faire
rapidement le point sur une question de cours et offre des pistes de recherche pour la compléter
et l'approfondir grâce aux éléments bibliographiques qui accompagnent chaque article. Grâce à
l'indexation, chaque article renvoie à d'autres articles permettant de compléter la lecture du
premier, d'explorer voire de préciser des points particuliers.
C'est un instrument indispensable à la réussite de votre année universitaire. Lorsque vous
travaillez une question de cours ou à l'occasion d'un exposé, il est toujours intéressant de
rechercher l'article correspondant dans une encyclopédie. En quelques pages, l'article vous donne
un aperçu de la question, les auteurs importants et les principales références bibliographiques
vous permettant d'approfondir l'article encyclopédique et le cours. Par rapport aux version
papier qui nécessitaient une certaine dextérité dans leur maniement, les versions numériques
sont d'un usage plus simple. Chaque encyclopédie en ligne est dotée d'un moteur de recherche
qui vous permet d'accéder très facilement à l'article recherché. Des liens hypertextes et une liste
des articles associés vous offrent également la possibilité de naviguer sur le site afin de préciser
et de compléter vos recherches.
Avec le développement d'internet, Wikipédia est devenu le site le plus consulté
quand une personne cherche une information en dépit de nombreuses polémiques
portant sur la fiabilité des informations publiées et sur la qualité des contributeurs
(souvent anonymes).
Fondamental
Une encyclopédie est un excellent complément du cours : synthétique et ordonné. Son organisation
par articles vous permet d'accéder rapidement aux connaissances dont vous avez besoin. C'est un
premier complément, une porte d'entrée avant d'entamer des lectures plus précises. Cela permet de
baliser un sujet.
70
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
71
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
– le savoir des bibliothécaires, et leur manière de décrire un livre. Celle-ci a bien sûr
considérablement évolué : du manuscrit qui ne pouvait être qu'unique au livre imprimé
reproductible à des milliers d'exemplaires, le livre s'est considérablement transformé. La raison
en est que le support, ou plutôt le contenant, conditionne le contenu. Vous n'aurez pas la même
lecture de la Bible sur un manuscrit copié à la main par un moine, et sur sa version en ligne
disponible via le portail documentaire.
Surtout, les catalogues sont devenus de plus en plus homogènes ces dernières décennies, au point
qu'il est aujourd'hui possible, avec l'informatique et internet, de les fusionner. Ce savoir est
donc devenu extrêmement rigoureux et codifié.
– le savoir « scientifique » de celui qui est capable de dire ce qui a été écrit sur un sujet donné :
c'est ce savoir que produit tout scientifique lorsqu'il veut prouver ce qu'il avance.
72
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Fondamental
Pour un étudiant de première année, il est essentiel de savoir produire une bibliographie bien
ordonnée, c'est-à-dire une liste de références qui suive un unique principe de présentation.
73
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
3. Réformes religieuses
4. Papier fabriqué à partir de la pulpe de bois
5. Simplification des caractères chinois par Mao
6. Invention de l'imprimerie
7. Apparition de l'écriture cunéiforme
8. Diffusion du papier en Europe
9. Développement des enluminures
10. Création du Musée d'Alexandrie
11. Dépôt légal
12. Apparition du codex
13. Fondation des universités
14. Classification Décimale Universelle
15. Bibliothèques numériques
16. Invention de la rotative
17. Développement des scriptoria
18. Apparition de l'écriture chinoise
19. Christianisation de l'Empire romain
20. Gabriel Naudé
74
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
nombre de pratiques qui permettent au lecteur d'échapper à la linéarité originelle de la parole, grâce
notamment à la table des matières , à l' index et au titre courant [...]. Au XVe siècle, la révolution
de l' imprimerie sera de nouveau l'occasion d'une réflexion intense sur l'organisation du livre.
Christian Vandendorpe, Du papyrus à l'hypertexte. Essais sur les mutations du texte et de la lecture
, Paris, La Découverte, 1999, p. 51-55.
Exercice 4 : Définitions
Faites correspondre chaque définition au terme qui lui correspond.
1. Liste des ouvrages interdits par l’Église, qui fut tenue jusqu'en 1969.
2. Système d'écriture dans lequel un signe graphique vaut pour un son (ou, parfois, plusieurs
sons).
3. Ce vaste projet éditorial qui porte le titre de Dictionnaire raisonné des sciences et des arts. Il
comporte 17 volumes de textes et 11 volumes de planches. Il vise à « rassembler les
connaissances éparses sur la surface de la terre ; en exposer le système général aux hommes
avec qui nous vivons, et le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les
travaux des siècles passés n'aient pas été inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos
neveux devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux ; et
que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain ».
4. Ce terme, uniquement utilisé pour l'écriture égyptienne, est construit sur deux racines
grecques qui signifient « gravures sacrées ». Il n'a aucun caractère technique, cette écriture
étant en fait composée d'idéogrammes.
5. Annotation marginale (c'est-à-dire située dans les marges) ou interlinéaire (c'est-à-dire située
entre les lignes) qui accompagne le texte d'un manuscrit. Les informations qu'elle contient
ont été extraites des commentaires antiques (aujourd'hui perdus) pour éclairer le texte.
6. Elle recense l'ensemble des ouvrages parus sur un sujet et en propose une liste selon des
normes précises. Celles-ci peuvent toutefois varier d'une discipline à l'autre.
7. Empilement de cahiers (chaque cahier étant donc composé de quatre feuilles de parchemins
empilées les unes sur les autres) qui donne naissance au livre moderne.
8. Rouleau que l'on déroule pour écrire et pour lire. Il peut être composé de feuilles de papyrus,
collées les unes aux autres et mises bout à bout, ou de parchemins.
Exercice 5
L'image ci-dessous représente l'une des étapes les plus importantes de l'histoire du livre : le passage
du volumen au codex. Repérez donc le volumen parmi les objets représentés en cliquant dessus.
75
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
L'invention de l'imprimerie n'a pas apporté de transformation notable dans la mise en forme des
textes.
L'invention de l'imprimerie n'a pas entraîné de rupture nette dans la mise en forme des textes.
Dans un premier temps, on a cherché à reproduire la mise en forme des textes du Moyen Age
reproduits à la main.
L'invention de l'imprimerie a introduit des modifications décisives dans la mise en forme des
textes : généralisation de la pagination, introduction de blancs, de paragraphes, de pages de
titres...
76
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
Exercice 10
2. Système exprimant les pauses que l'on marquerait à la lecture à voix haute.
Exercice 11
3. Système de standardisation de la manière d'écrire les mots, permettant aux lecteurs et aux
imprimeurs de partager un langage vraiment commun.
Exercice 12
Système permettant au lecteur de renvoyer à un endroit précis du livre. Avant l'imprimerie, il
n'était guère applicable, car pour un même texte les différentes copies n'avaient pas la même mise
en page.
77
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
1.
78
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
2.
79
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
3.
80
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
4.
L'invention du papier L'interaction Il faudra encore L'abaissement des coûts de
permet un entre les attendre quelques production du livre permis par
abaissement pratiques de siècles pour que se l'imprimerie permet l'introduction
considérable du coût lecture et les développe une lecture de pages de titres espacées,
de production, qui technologies. intime, liée au plaisir contenant de plus en plus
permettra plus qu'au travail ou à systématiquement des informations
l'expansion de la connaissance. sur l'auteur et le lieu d'édition.
l'imprimerie.
81
Écrire et organiser les savoirs : de la tablette d'argile à la tablette numérique
CHARTIER Roger, Culture écrite et littérature à l'âge moderne, « Annales. Histoire, Sciences
sociales », tome 56, n°4, 2001, Paris, Armand Colin, p. 783-802.
82
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Ce cours propose une mise au point sur une notion clé, souvent utilisée, notamment dans le
discours politique, où elle paraît recevoir des significations assez variées. « Mise au point » peut être
entendu ici au sens optique : nous partirons du flou pour aller vers le précis, du mobile pour aller
vers le stable. Le flou, c'est le discours médiatique, le flux verbal qui nous entoure, le mainstream,
dans lequel circulent des mots dont la signification n'est pas stabilisée.
Ce discours commun sera représenté ici par une douzaine de citations prises dans la cyber-presse,
qui serviront de point de départ à notre interrogation. Ce n'est pas que les auteurs de ces citations
ne savent pas ce qu'ils disent ; c'est souvent le contraire qui est vrai. Mais leur emploi du mot
« humanisme » est intéressant pour nous, car il joue sur une certaine élasticité de ce mot, qui
peut vouloir dire une chose et une autre – qui peut presque vouloir dire une chose et son contraire.
Pour montrer cette élasticité, ces citations sont empruntées à des médias ou à des personnalités
représentant un éventail idéologique aussi large que possible. La notion d'humanisme peut être
revendiquée dans tous les camps, de gauche comme de droite.
Or cette élasticité pose problème, car l'humanisme est un concept essentiel, constamment
employé dans le présent, et en même temps chargé d'une valeur historique profonde, en relation
avec la construction des savoirs dans la culture européenne. Y voir un peu plus clair paraît donc
utile, en cette première année d'études universitaires.
Il s'agira de partir du connu, du discours qui nous entoure, pour revenir aux notions employées et à
leur sens précis. Nous pourrions passer directement à cette dernière étape. Mais il paraît intéressant
d'effectuer le parcours du flou au précis, et de mesurer l'écart entre les deux. Nous verrons que nous
risquons d'assister à d'étranges retournements.
83
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
...
84
8.
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
fraternité [...]. Le sénateur de l'UMP optera donc pour l'ancien Premier ministre, qu'il
juge proche des questions du handicap : "François Fillon a une approche plus
humaniste. Ce qui l'amène à une compréhension plus naturelle de ces questions là." »
vivrefm Jeudi 15 Novembre 2012 - 10h14 UMP Philippe Bas Matthieu Lemaire
9. « Pour Jean-Pierre Raffarin, il n'y a aucun doute : "Jamais il n'a été question de voter
pour le FN à l'UMP. (...) Je suis humaniste, libéral et européen, je ne peux pas voter
FN." Avec ses propos, François Fillon apporte "un changement brutal qui crée de
l'émotion", estime-t-il. » « UMP-FN : pour Raffarin, "Fillon doit clarifier sa position".
»
RTL, mardi 17 septembre 2013.
10. « [...] j'ai été très intéressé par un article de Kundera sur une théorie qu'il appelle
l'imagologie, c'est-à-dire le règne de l'image. Bon ; on est dans le règne de l'image.
Hélas, l'humanisme est mort. On n'est plus formé à l'humanisme et donc, il n'y a
plus de réflexion qui précède la perception de la chose, et la Shoah est présentée sous
forme d'image, et rien de ce qui touche à l' humanisme, à l'être humain, ne
l'accompagne ; et en plus, on est vraiment dans un monde de la dérision la plus
complète. Et il y a tout un public qui est dans l'image, l'irréel, et qui n'arrive pas à
incarner ce que fut l'horreur de la Shoah. »
Gilbert Collard, dans l'émission « Mots Croisés », animée par Yves Calvi sur France 2
le 14/01/2012. (citation simplifiée, expurgée des hésitations et répétitions propres à
l'oral )
11. « D'abord, on enregistre, fait significatif, une augmentation de la délinquance sous le
règne judiciaire et policier de madame Taubira et de Monsieur Valls... Ensuite, et tout le
monde y a sa part, une inadmissible politisation de la question criminelle. D'un côté, les
hugoliens de gauche qui s'obstinent idéologiquement à voir dans tout mineur un gentil
Gavroche et dans tout criminel un rémissible Jean Valjean. De l'autre, une droite
incertaine qui craint l'excommunication socialiste et qui tremble à l'idée d'un procès
médiatique en ringardise. D'où un pas en avant, un pas en arrière [...]. Comment en
est–on arrivé à cette barbarie dénoncée, qui ne doit pas détruire notre humanisme ? »
gilbertcollard.fr
12. « Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les
civilisations ne se valent pas. [...] Celles qui défendent l'humanitéMais il n'y a pas humanisme !
- p.217 ¤ nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. [...] Celles qui défendent la
*
85
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Remarque
J.-P. Sartre utilise ce terme dans un sens proche, dans « L'Existentialisme est un humanisme ». Par
« humanisme », il entend : conception selon laquelle la valeur de l'homme, le sens de son existence,
ne sont qu'en lui-même, et en ce qu'il fait (et non en un Dieu supérieur, ou en des valeurs qui lui
seraient extérieures, l'avènement de l'histoire, ou du prolétariat).
« L'existentialisme n'est pas autre chose qu'un effort pour tirer toutes les conséquences d'une
position athée cohérente. Elle ne cherche pas du tout à plonger l' homme dans le désespoir. Mais si
l'on appelle comme les chrétiens, désespoir, toute attitude d'incroyance, elle part du désespoir
originelPas compris -? p.217 ¤. L'existentialisme n'est pas tellement un athéisme au sens où il s'épuiserait à
*
démontrer que Dieu n'existe pas. Il déclare plutôt : même si Dieu existait, ça ne changerait rien ;
voilà notre point de vue. Non pas que nous croyions que Dieu existe, mais nous pensons que le
problème n'est pas celui de son existence ; il faut que l'homme se retrouve lui-même et se
persuade que rien ne peut le sauver de lui-même [...]. En ce sens, l'existentialisme est un optimisme,
une doctrine d'action, et c'est seulement par mauvaise foi que, confondant leur propre désespoir avec
le nôtre, les chrétiens peuvent nous appeler désespérésL'existentialisme est un humanisme ».
1.2.2. B. Modération
Autre valeur souvent rattachée à l'humanisme, la modération. Le terme est volontiers appliqué
à quelqu'un que l'on veut désigner comme posé, modéré : dans le discours médiatico-politique, il
est généralement attribué à des personnalités plus proches du centre que des extrêmes. C'est le
cas dans les cit. 6 à 9, où il sert à distinguer un candidat de ses adversaires au sein de son parti,
ou bien à contester cette distinction. Au sein de l'UMP, François Fillon est désigné comme un
modéré. Le propos rapporté dans la cit. 8 va plus loin : il fait le lien entre ce sens et le
précédent. Selon cet élu, F. Fillon est à la fois modéré et humain. C'est peut-être le cas aussi
dans la citation 4, dans un usage typique de l'annonce nécrologique, qui oublie les éventuels
excès de la personne pour lui appliquer post mortem le masque de la sagesse.
1.2.3. C. Culture
Bien souvent, les termes humanisme/humaniste désignent aussi
une personne instruite, cultivée. On prête à l'humaniste des
connaissances aussi bien en littérature qu'en sciences : il
connaît les grands auteurs mais aussi la botanique, le nom des
oiseaux... Cette idée de culture est une trace de cette origine.
Cette signification est présente dans la plupart des éloges
funèbres ; dans la citation 3, elle fait référence à un savant qui
n'est pas enfermé dans sa discipline, cumule un esprit
scientifique et une bonne connaissance des "Lettres". On
pourrait se demander pourquoi cette signification entre dans
l'idée d'humanisme. Nous nous rapprochons ici de la réalité
historique à laquelle renvoyait initialement ce mot : nous
verrons qu'il concerne des savants ouverts à la Léonard de Vinci, Etude de
pluridisciplinarité. fleurs, 1485
Cette signification est sans doute présente également dans
l'expression « grand humaniste » employée dans la cit. 5.
On la retrouve dans les citations 10 à 13, pourtant
politiquement très différentes, où la notion d'humanisme est
opposée au « règne de l'image », à la « barbarie », ou bien
intervient dans un débat sur l'évaluation des civilisations. Le
mot "culture" n'a pas tout à fait les mêmes connotations dans
86
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
1.2.4. D. Histoire
1.2.5. E. Elasticité
Le mot « humanisme » peut revêtir des significations assez diverses. Quel rapport entre la
générosité humaine et le goût pour la culture européenne ? Souvent, les personnes qui l'utilisent
favorisent un sens plutôt que l'autre, mais ce choix reste implicite (c'est-à-dire non dit). C'est
un mot élastique, que l'on a tendance à tirer dans un sens ou dans l'autre, sans toujours préciser
ce qu'il signifie. Voilà qui peut permettre de déstabiliser les contradicteurs.
Complément
Quand vous vous interrogez sur le sens d'un mot, et que vous sentez qu'il regroupe un éventail de
significations étendu, vous pouvez vous aider d'un outil intéressant en ligne : LEXILOGOS
(http://www.lexilogos.com). Voir notamment :
la présentation de lexilogos, un "recueil de mots"
le regroupement de multiples dictionnaires (Larousse, Littré, Académie, anciens, conjugueur,
mots de Brassens...), en relation avec Centre national des ressources textuelles et lexicales (
http://www.cnrtl.fr).
parmi les outils du cnrtl, la "proxémiehttp://www.cnrtl.fr/proxemie", qui représente en 3 D l'éventail
des significations d'un mot. Pour "Humanisme", vous obtiendrez ce graphique (que vous
pouvez faire tourner). Il vous donne une idée de la plus ou moins grande proximité des termes
qui tournent autour de cette notion, d'après des statistiques établies sur leurs usages : - p.203
*
87
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
15e s.
16e s.
17e s.
18e s.
» . Cette étude va
confirmer l'élasticité du concept d'humanisme : il s'étire, vers le passé ou vers le futur, en amont
ou en aval.
1.4.1. A. En aval
Nous avons observé jusqu'ici que ce concept s'était étendu en aval, du passé vers le futur, en se
généralisant et en se déshistoricisant : on parle couramment de l'humanisme comme d'une
vertu humaine, on fait l'éloge de tel ou tel en le déclarant humaniste, ce qui désigne un mélange
de bonté, de générosité, de respect de l'humain et de son cadre de vie, et en même temps le
terme est lié au savoir, à un savoir étendu dans plusieurs domaines. On assiste ici à l'extension
d'un concept historique vers le langage général.
Mais en réalité le mouvement est d'abord inverse, du futur vers le passé. Il résulte d'un
regard rétroactif : le concept historique lui-même a été importé, parachuté, plaqué sur une
réalité qui ne le connaissait pas.
88
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
1.4.2. B. En amont
Avouons-le : l'humanisme n'existe pas. Si vous aviez dit à Montaigne ou à Érasme (souvent
appelé le « prince des humanistes »), qu'ils étaient des humanistes, ils n'auraient pas compris de
quoi vous parlez. Les hommes de cette époque parlaient bien des « Humanités », litterae
humaniores, pour désigner les disciplines « littéraires » (le terme n'existait pas non plus), par
opposition aux sciences de la nature. Mais ces expressions ne désignaient pas un mouvement
culturel marquant une rupture historique ; c'était du jargon universitaire, servant à désigner un
type de cursus.
Remarque
1. Vous le savez, le terme "humanités" revient un peu à la mode, notamment du côté de
Paris NanterreLicence et Master Humanités...- p.217 ¤ ;
*
2. On n'aurait pas utilisé le mot « humanisme » car au 16e siècle la terminaison en « -isme » est
péjorative : elle désigne les fanatiques, les esprits partisans (on forge le mot « calvinisme » au départ
pour critiquer ceux qui suivent Calvin).
Ce mot « humanisme » a donc été inventé, bien plus tard, au XIXe siècle, 300 ans plus tard.
Par qui ? Par des historiens allemands.
Pourquoi ? Pour rendre plus visible une opposition qui existait en partie au XVIe siècle, mais
n'était pas aussi tranchée que cela, et ne séparait pas nettement deux périodes historiques :
l'opposition entre le « Moyen Âge », terme légèrement désobligeant, également inventé par ces
historiens, et la « Renaissance », autre nom donné à la période de l'humanisme. Pourquoi tant
de haine contre le Moyen Âge ? Parce que c'est l'époque des grandes monarchies chrétiennes,
des rois de droit divin. Or nos historiens du XIXe siècle sont des adeptes de la Raison et de la
laïcité. Ils entendent montrer que la religion avait obscurci la pensée et le savoir, du Ve siècle au
XVe siècle, et qu'à partir du XVIe siècle, on a commencé à se sortir de ce carcan intellectuel et
moral. Les intellectuels allemands du XIXe siècle aiment bien les mots en « -ismus » : ils
forgent le mot humanismus, et les francophones n'ont plus qu'à le calquer.
Le mot humanisme est donc au départ un mot militant, voire polémique, inventé dans un
climat de rationalisme se teintant parfois d'anticléricalisme.
Remarque
Vous avez maintenant la réponse à la question posée dans la rubrique « Histoire », et vous constatez
... qu'elle était légèrement piégée. Le mot « humanisme » désigne une réalité du XVIe siècle (en
France, un siècle plus tôt au moins en Italie), mais il a été inventé au XIXe siècle.
Vous avez saisi l'effet boomerang ? Les historiens du XIXe s. ont inventé une notion pour désigner un
phénomène du XVIe s., et cette notion a dépassé ce cadre historique, pour désigner des personnes
d'aujourd'hui. Nous voici prêts à regarder en quoi consistait cette réalité historique, afin de
comprendre pourquoi elle joue un rôle si important dans notre culture.
89
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Garfield
Nous allons retrouver ici des rubriques proches de celles évoquées pour commencer, « valeurs »,
« culture », « histoire »... mais le degré de précision ne sera pas le même.
90
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Quatre-Saints-Couronnés).
par quelqu'un qui ne connaissait pas bien les
mœurs de son époque. Le goût du retour aux
origines se transforme en une méthode critique,
la philologie, laquelle consiste à aborder les
textes en recherchant leur sens originel,
historique. A peine inventée, la grammaire
philologique se met à contester le pouvoir du
pape.
91
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
très différents.
Remarque
lui livre sa vision du monde : maintenant que nous sommes sortis des
ténèbres du temps des Goths (c'est-à-dire le Moyen Âge), les savoirs se
multiplient, les hommes sont plus instruits que jamais.
Un petit extrait ?"Les temps étaient encore ténébreux..."- p.213 ¤
*
Le fait que les héros de Rabelais soient des géants symbolise cette
grandeur retrouvée, cette confiance dans le potentiel humain.
Pantagruel, gravure
de l'éd. de 1537
Au Moyen Âge, l'emprise de la religion, et le fait que la plupart des auteurs sont des moines, a
entraîné une minimisation de la place de l'homme face à Dieu ; on célèbre avant tout la
grandeur de Dieu et de la création, tandis que l'homme est par nature un pécheur, une créature
faible qui n'a pas su se contenter du paradis terrestre. C'est ce que suggère la Genèse, le livre de
la Bible évoquant la création du monde.
Les humanistes vont insister sur une autre affirmation de la Genèse : l'homme a été fait à
l'image de Dieu. Cette conception est notamment défendue par le néoplatonisme. Cette
92
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
théorie philosophique a été redécouverte par les humanistes italiens du XVe siècle. Elle présente
de manière systématique et cohérente les enseignements de Platon, philosophe grec des Ve-IVe
siècles avant Jésus-Christ. Elle décrit l'homme comme une créature intermédiaire, à mi-chemin
entre le monde terrestre et le monde spirituel. Aujourd'hui, dans le mot "humanisme", nous
entendons avant tout l'idée d'une valorisation de l'humain. Historiquement, cette idée est en
partie présente dans ce mouvement intellectuel des XVe-XVIe siècles. L'humanisme est
historiquement un courant érudit, lié à une conception du savoir selon laquelle ce qui est en
jeu dans la construction des savoirs, c'est l'humain et sa manière d'être dans le monde.
Complément
Voici comment Pic de La Mirandole, l'un des grands philosophes néoplatoniciens célèbre la grandeur
de l'homme. De manière un peu paradoxale, elle vient du flou de sa nature. Les animaux ont des
qualités précises, déterminées par leur espèce, et excellent dans leur domaine (rapidité, flair, vue...).
L'homme n'a pas ces capacités, mais il est capable de s'améliorer. Ni ange ni bête, il est capable de se
rapprocher des uns comme des autres suivant son attitude :
Discours de la dignité humainePic de La Mirandole
« Il prit donc l'homme, cette œuvre indistinctement imagée, et l'ayant placé au milieu du monde, il
lui adressa la parole en ces termes : « Si nous ne t'avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni
un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c'est afin que la place, l'aspect, les dons que
toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres, leur
nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te
bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t'ai
mis dans le monde en position intermédiaire (Medium te mundi posui), c'est pour que de là tu
examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t'avons fait ni
céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et
honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta
préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision
de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divinesTraduit du latin et préfacé par Yves Hersan. »
L'un des grands symboles de cette valorisation de l'homme
est l'étude connue sous le nom de « l'homme de Vitruve »,
exécutée par Léonard de Vinci vers 1492, dans laquelle
l'artiste affirme que les proportions humaines sont comprises
dans deux formes géométriques parfaites, le rond et le carré,
en s'inspirant de l'architecte antique VitruveVitruve- p.220 ¤.
*
Cette représentation communique l'idée que l'homme est aussi parfait que la géométrie, qui
elle-même constitue tous les objets de l'univers. Cette conception est encore confortée par la
culture antique, qui célébrait de grands hommes presque divinisés de leur vivant, et dont la
statuaire magnifiait la beauté du corps humain. Selon les néoplatoniciens, le Beau est un moyen
d'accès au Vrai. La beauté du corps de l'homme, sublimée par les règles de l'esthétique, est à
l'image de sa grandeur spirituelle.
93
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
94
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Étude de Léonard de Vinci sur l'embryon humain, 1510-1513. étude anatomique du foetus dans
l'uterus, par Léonard de Vinci (1510-1513, Plume, encre sur papier) Cette célèbre étude montre
un foetus âgé de 4 mois. Outre l'image extrêmement plastique de la "position foetale", Leonard
cherche à visualiser la constitution du placenta.
95
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
96
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
La lettre de Gargantua à Pantagruel évoquée plus haut est l'un des témoignages les plus
célèbres de ce goût de l'humanisme pour un savoir pluridisciplinaire :
« Le monde entier est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de bibliothèques
très amples, si bien que je crois que ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de
Papinien, il n'était aussi facile d'étudier que maintenant. [...] Je vois les brigands,
bourreaux, aventuriers, palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et
prédicateurs de mon temps. Même les femmes et filles ont aspiré à cette louange et à
cette manne céleste de la bonne science. »
Je vous laisse apprécier l'argument a fortioria fortiori- p.214 ¤ qui termine ce passage. Il faut bien
*
reconnaître qu'il n'y a pas beaucoup de femmes dans les romans de Rabelais. Voici le
programme que Gargantua recommande à son fils :
« J'entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement : d'abord la grecque,
comme le veut Quintilien. Puis la latine. Puis l'hébraïque pour l'Écriture sainte, ainsi
que la chaldaïque et l'arabe. Et que tu formes ton style, pour la grecque à l'imitation de
Platon, et pour la latine, de Cicéron. Qu'il n'y aie d'histoire que tu n'aies présente à la
mémoire, à quoi t'aidera la cosmographie. Les arts libéraux, géométrie, arithmétique,
musique, je t'en ai donné quelque goût quand tu étais encore petit, vers tes cinq six ans.
Continue le reste ; et sache tous les canons d'astronomie ; laisse l'astrologie divinatrice
et l'art de Lulle, abus et vanité. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux
textes, et que tu les rapproches de la philosophie. »
On lit souvent ce passage comme un programme d'éducation humaniste. Ce n'est sans doute pas
faux, mais il faut nuancer. Il ne faut pas oublier que nous sommes en littérature, dans une
œuvre de fiction. Certains critiques modernes ont émis l'idée que ce programme n'était
peut-être pas à prendre au pied de la lettre, et qu'il prenait même peut-être un peu de distance
vis-à-vis de l'idéalisme des humanistes italiens, qui visaient un savoir extrêmement élevé.
Gargantua et Pantagruel sont des géants, et on peut se demander si Rabelais ne suggère pas ici
qu'un tel programme ne convient pas à des hommes ; la liste, figure souvent utilisée par
Rabelais, est souvent là pour exprimer l'outrance, la déraison. D'ailleurs, Gargantua signe sa
lettre du pays d'Utopie. Rabelais se fait l'écho de l'enthousiasme des premiers humanistes, mais
il introduit une légère distance vis-à-vis de leur confiance en l'homme.
À la fin du XVIe siècle, le ton aura un peu changé. Montaigne dira qu'il vaut mieux une tête «
« bien faite » que « bien pleine »Essais, Livre I, chapitre 25, « De l'institution des enfants » ». En attendant,
c'est dans cette même lettre que Rabelais fait dire pour finir à Gargantua que « science sans
conscience n'est que ruine de l'âme ». Le sens aigu de la dignité de l'homme apporté par
97
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
l'humanisme a sans doute conduit à quelques excès : le mythe de FaustFaust- p.207 § date du XVIe
*
siècle. Cette époque est marquée par une conscience réelle des limites de l'homme. En France, la
deuxième moitié du siècle est marquée par les Guerres de religion, qui culminent avec le
massacre de la Saint-BarthélémySaint Barthélémy- p.211 § en 1572 : impossible après cela de croire sans
*
Complément
L'Éloge de la Folie publié par Érasme en 1511 est une défense paradoxale de cette morale. La Folie
fait l'éloge d'elle-même, expliquant qu'elle est la reine de tous les hommes, qu'ils soient jeunes, vieux,
philosophes, ou grammairiens. Les femmes ne sont pas oubliées cette fois... Mais les plus concernés
sont les hommes d'Église. Bien entendu, si c'est la Folie qui parle, tout est à inverser : ce qui est bien
pour elle est en réalité condamnable, et inversement. Le lecteur est pris de vertige dans ce jeu de
miroir qui permet au passage à Érasme de glisser quelques idées pas si folles que cela, quoi
qu'audacieuses. C'est souvent à lui de délimiter où commence la folie. Il apparaît progressivement
que tout bien, poussé à l'excès, devient un mal, et qu'il faut savoir réaliser l'équilibre entre sérieux et
insouciance, amour de soi et humilité. Les excès de dame Folie font signe vers une morale faite de
modération dans l'union des contraires.
98
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Montaigne (1533-1592)
Éloge du barbare
Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et
de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté : sinon que
chacun appelle barbarie, ce qui n'est pas de son usage [...].
Juste après, c'est le mot « sauvages » qui se voit ainsi revisité : quand nous disons « sauvage »,
nous pensons « féroce », mais ce mot ne désigne-t-il pas plutôt ce qui est près de la nature, de
son état originel, n'a pas été abîmé par la culture et les inventions de la civilisation, et a gardé
son petit goût piquant, loin de la fadeur de notre pauvre Occident du XVIe siècle ?
Ils sont sauvages de même, que nous appelons sauvages les fruits, que
la nature de soi-même et de son progrès ordinaire a produits : là où à
99
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
la vérité ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice, et
détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt
sauvages. En ces fruits-là sont vives et vigoureuses, les vraies, et plus
utiles et naturelles, vertus et propriétés ; lesquelles nous avons
abâtardies en ceux-ci, les accommodant au plaisir de notre goût
corrompu. Et pourtant la saveur même et délicatesse se trouve à notre
goût même excellente, en comparaison des nôtres, en divers fruits de
ces contrées là, recueillis sans culture [...].
Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu
de façon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté
originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu
abâtardies par les nôtres.- p.216 ¤ *
Un peuple nu
Un peu plus loin, à l'aide d'une figure d'accumulation dont vous connaîtrez les vertus en suivant
le cours sur l'argumentation, Montaigne peint un portrait assez paradoxal de cette civilisation.
Il peint les « sauvages » à l'aide d'une liste, figure de l'abondance, mais c'est une liste privative,
qui dit tout ce qu'ils n'ont pas. Une abondance de mots pour dire une pauvreté de choses :
C'est une nation, dirais-je à Platon- p.218 ¤ , en laquelle il n'y a aucune
*
Fondamental
Plus profondément, ce qui se met en place ici, c'est la naissance du relativisme européen.
100
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
En quoi consiste au juste le relativisme ? Il revient à considérer que quand nous observons un autre
peuple, nous ne pouvons pas le juger avec nos critères. Ceux-ci ne sont pas « absolus », valables en
tous lieux et toutes époques, mais « relatifs », définis par nos mœurs, nos modes, nos coutumes, qui
sont variables dans le temps comme dans l'espace.
Le barbare, donc, n'a pas certaines caractéristiques fixes. Le barbare, c'est l'autre, celui qui est
éloigné, dans le temps, dans l'espace, par ses mœurs, habitudes, goûts... Toutes ces
caractéristiques sont relatives : elles ne font pas partie de lui, elles tiennent à sa situation par
rapport à nous. Et toutes ces caractéristiques sont réversibles : si le barbare est loin de moi, je
suis loin de lui. Pour lui, je suis un autre. On est toujours l'autre de quelqu'un :
101
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
Les Barbares ne nous sont en rien plus étonnants pour nous que nous
ne le sommes pour eux – et n'ont pas plus de raison de l'être, comme
chacun le reconnaîtrait, si chacun savait, après s'être promené parmi
ces lointains exemples, se pencher sur les siens propres, et en faire une
saine comparaison.
Sans mentir, au prix de nous, voila des hommes bien sauvages : car ou
il faut qu'ils le soient bien à bon escient, ou que nous le soyons : il y a
une merveilleuse distance entre leur forme et la nôtre.
La différence est remplacée par une distance : ils ne sont pas inférieurs, ils sont éloignés. Le
relativisme est un jeu de miroirs. C'est aussi ce que dit la science de la perspective en peinture :
notre point de vue conditionne ce que nous voyons.
Trois d'entre eux, ignorant combien coûtera un jour à leur bonheur la
connaissance des corruptions de ce côté-ci de l'océan, et que de cette
fréquentation naîtra leur ruine [...], se trouvèrent à Rouen au moment
où le roi Charles IX y était. Le roi leur parla longtemps ; on leur fit voir
nos manières, notre poste, l'aspect extérieur d'une belle ville. Après
cela, quelqu'un leur demanda ce qu'ils en pensaient et voulut savoir
qu'ils avaient trouvé de plus surprenant [...]. Ils dirent qu'ils trouvaient
en premier lieu fort étrange que tant d'hommes grands, portant la
barbe, forts et armés, qui étaient autour du roi (il est vraisemblable
qu'ils parlaient des Suisses de sa garde), consentissent à obéir à un
enfant et qu'on ne choisît pas l'un d'entre eux pour commander ;
secondement [...] ils avaient remarqué qu'il y avait parmi nous des
hommes remplis et gorgés de toutes sortes de bonnes choses et que [les
autres] étaient mendiants à leurs portes, décharnés par la faim et la
pauvreté ; et ils trouvaient étrange que ces [derniers], nécessiteux,
pussent supporter une telle injustice sans prendre les autres à la gorge
ou mettre le feu à leur maison.
Voilà soudain que les choses les plus habituelles, les plus admises, deviennent étranges ; soudain,
c'est nous qui sommes les étrangers. Là encore, Montaigne montre la voie aux philosophes des
Lumières : Montesquieu s'en souviendra avec ses Lettres Persanes.
102
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
« Nous touchons là le troisième critère qui nous permettra d'affirmer
haut et fort la supériorité de la civilisation occidentale ! Elle est la seule
à parvenir à aussi bien se détester. C'est ainsi que l'on peut trouver une
issue à la polémique actuelle : la supériorité de l'Occident, ce serait au
fond sinon le relativisme lui-même (car le terme est à manier avec
prudence), du moins cette capacité de se décentrer, de s'autocritiquer,
voire de se haïr.
Cela commence avec Homère - très oriental au demeurant - qui dresse
un portrait peu flatteur des Grecs dont il était pourtant censé raconter
l'épopée : que valent Achille le colérique et Agamemnon le mesquin, à
côté du bon et bel Hector ? Et cela n'a ensuite jamais cessé : critique
chrétienne de Rome ; critique humaniste du christianisme ; critique "
moderne " des humanités antiques ; critiques ultraconservatrices et
hyperrévolutionnaire des droits de l'homme ; critiques occidentales de
l'Occident colonial, etc. »
On ne tranchera pas sur ce débat, mais cette position correspond bien à l'humanisme de
Montaigne, qui, certes, marque la fin de la période et est très différent de l'humanisme
flamboyant de l'Italie du XVe siècle ou de l'humanisme enthousiaste et conquérant de la
Pléiade.
* *
*
L'humanisme est d'abord une notion historique, de deux points de vue :
elle désigne un mouvement intellectuel et culturel, qui se développe en Italie au XVe siècle puis
touche toute l'Europe au XVIe siècle ;
elle a été inventée par des historiens, pour donner une cohérence à ce mouvement.
Dès le départ, cette notion couvre des réalités diverses, entre lesquelles elle tente de saisir une
communauté d'esprit. On pourrait la définir comme une conception du savoir fondée sur la recherche
des sources, du sens originel. Ce renouvellement a entraîné avec lui un désir d' expansion du savoir, et
en même temps une confiance nouvelle dans l'aptitude de l'homme à le maîtriser. Du côté de la
morale, il a entraîné une insistance sur la vertu de modération, qui permet de maîtriser ce savoir sans
se laisser enthousiasmer et aller vers l'erreur ou la présomption. A partir de la seconde moitié du XVIe
siècle, confrontée à la découverte de manières de vivre inconnues, cette conscience des limites de
l'homme a eu tendance à se transformer en une crise de conscience de la civilisation européenne. En
réalité, cette conscience des limites de l'homme est surtout un regard critique sur l'homme occidental et
sa supériorité supposée, non seulement sur les animaux, mais aussi, plus implicitement, sur les autres
hommes. Ce qui est en train de se modifier, ce sont les critères de définition de l'humain.
Dans le discours médiatique et politique actuel, le mot « humanisme » porte la trace de cet éventail de
significations. Il faut savoir saisir dans ses différents emplois sur quel aspect se focalise implicitement le
locuteur : raffinement culturel, esprit autocritique, modération, pluridisciplinarité... Ces différentes
interprétations correspondent à des aspects, et parfois à des périodes divers(e)s de l'humanisme. Il suffit
de les pousser un peu pour qu'elles deviennent contradictoires, mais elles furent les embranchements d'un
même élan initial, dont il est certain qu'il fut un moment essentiel de la civilisation européenne et de son
organisation des savoirs.
103
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
2. Exercices d'apprentissage
Exercice 1 : Classer les notions
Classez les éléments cités dans le cadre de gauche à l'intérieur des cases qui leur correspondent le
mieux, à droite.
1. Éloge du cannibale par Montaigne
2. Découverte de l'Amérique en 1492
3. Juste milieu
4. Homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci
5. Erasme
6. Léonard de Vinci
7. Lettre de Gargantua à Pantagruel
8. Lorenzo Valla et la Donation de Constantin
9. Géants de Rabelais
10. Chute de Constantinople en 1453
11. Philologie
12. Invention de la perspective en peinture
Générosité
Droits de l'homme
Culture.
Modération.
Égalité.
Relativisme.
Savoir pluridisciplinaire
104
Penser, construire les savoirs : l'Humanisme
"« D'abord, on enregistre, fait significatif, une augmentation de la délinquance sous le règne
judiciaire et policier de madame Taubira et de Monsieur Valls... Ensuite, et tout le monde y a sa
part, une inadmissible politisation de la question criminelle. D'un côté, les hugoliens de gauche qui
s'obstinent idéologiquement à voir dans tout mineur un gentil Gavroche et dans tout criminel un
rémissible Jean Valjean. De l'autre, une droite incertaine qui craint l'excommunication socialiste et
qui tremble à l'idée d'un procès médiatique en ringardise. D'où un pas en avant, un pas en arrière
[...]. Comment en est–on arrivé à cette barbarie dénoncée, qui ne doit pas détruire notre
humanisme ? »"
gilbertcollard.fr
Idée de modération.
Savoir pluridisciplinaire
Culture classique
Savoir pluridisciplinaire
Relativisme
105
Le plagiat
Le plagiat
IV
En guise de préambule : quelques exemples assez frappants 108
1. Plagiat et création, une relation floue 109
2. Éloge du plagiat. La doctrine de l'imitation. 111
3. L'attitude libérale et ses dérapages. 119
4. La révolte. Le plagiat tue la littérature. 120
5. Plagiat artistique et plagiat scientifique 123
Testez vos connaissances 126
Les différentes manières de citer 128
L'Iliade 129
OBJECTIFS
Méthodologie
Comprendre les enjeux du plagiat, clarifier ses idées sur cette notion et ses conséquences dans
la pratique universitaire
Distinguer l'emprunt créatif et la copie
106
Le plagiat
Repères historiques
Effectuer des repérages dans l'histoire culturelle, autour de la question du statut de l'auteur
Engager une réflexion sur la tension entre liberté et propriété dans le domaine culturel
A la fin de ce cours, vous aurez réfléchi sur la manière dont vous devez utiliser vos sources, et
mis en place quelques points de culture générale.
107
Le plagiat
Dans la saison d'été, une fourmi rôdant dans la campagne, ramassait des
grains de blé et d'orge, et les mettait en réserve pour s'en nourrir en hiver.
Un escarbot- p.207 § l'aperçut et s'étonna de la voir si laborieuse, elle qui
*
travaillait au temps même où les autres animaux, débarrassés de leurs
travaux, se donnent du bon temps. Sur le moment, la fourmi ne répondit
rien ; mais plus tard, quand vint l'hiver et que la pluie détrempa les bouses,
l'escarbot affamé vint demander à la fourmi l'aumône de quelque aliment. La
fourmi lui dit alors : « Ô escarbot, si tu avais travaillé au temps où je prenais
de la peine et où tu m'injuriais, tu ne manquerais pas à présent de
nourriture. »
Pareillement les hommes qui, dans les temps d'abondance, ne se préoccupent
pas de l'avenir, tombent dans une misère extrême, lorsque les temps viennent
à changer.
« La Fourmi et l'Escarbot », Ésope (V-VIe s. av-J.C), traduction Émile
Chambry, Paris, « Les Belles Lettres », 1927, p. 106.
108
Le plagiat
Capture
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b49be8sw9td0b/
Être journaliste, est-ce faire du copier-coller dans Wikipedia ?
La lutte contre le plagiat est un domaine en expansion, tout particulièrement dans l'université.
Les UFR se dotent de logiciels anti-plagiat, capables de retrouver les traces même maquillées de
sources connues, rédigent des chartes morales, sanctionnent lourdement les transgressions.
Pourquoi tant d'attention ? Internet et le numérique sont sans doute l'une des principales
explications. Il est aujourd'hui plus que jamais facile de plagier ; il n'est plus nécessaire de
fouiller les bibliothèques, il suffit de se laisser glisser sur la pente. La numérisation permet des
couper-coller indolores. On peut presque plagier sans s'en rendre compte : le dérapage ressemble
parfois à un lapsusLapsus- p.209 §.
*
Les sources abondent, et sur internet, elles sont souvent déjà plagiées. Ce n'est pas seulement
une question d'abondance, de facilité, mais aussi de détachement du lien qui unissait un texte à
son auteur. La numérisation détache les textes de la forme-livre, qui les associait étroitement et
physiquement à un auteur unique, du moins depuis l'invention de l'imprimerie (voir le cours sur
ce sujet).
Nous sommes peut-être en train de revenir à une situation comparable à celle du Moyen Âge,
où le texte pouvait être modifié par plusieurs intervenants, auteur régulièrement collectif,
copiste, libraire (qui était aussi l'éditeur) : « Le texte valait pour lui-même, presque
indépendamment de sa signature », explique la spécialiste française du plagiat,
109
Le plagiat
Remarque
L'écriture collaborative, le « wiki », systématise ce processus. On peut citer un article de Wikipédia,
en espérant qu'il dise juste, mais on aura du mal à donner son auteur, et l'on ne peut pas garantir
qu'il dira la même chose deux mois plus tard. C'est pourquoi il faut toujours citer la date de
consultation.
Le plagiat quotidien
Il n'y a pas que de grands plagiats manifestes, donnant lieu à des œuvres publiées et vendues ;
vus de l'extérieur, ils paraissent être le fait d'individus à l'équilibre psychologique instable, de
personnes qu'un état d'esprit singulier ou une situation difficile ont conduits à se
déconnecter du réelDu plagiatau point de s'emparer délibérément de la création d'autrui. Mais il
faut aussi parler du petit plagiat quotidien, de celui que chacun d'entre nous peut être tenté de
faire, par manque de temps, fatigue, stress, toutes raisons qui affaiblissent notre « surmoi »,
c'est-à-dire notre aptitude à nous conduire en individus responsables et lucides, conscients des
conséquences de leurs actes.
Remarque
110
Le plagiat
un tas. Mais dans ce cas, à partir de quel grain passe-t-on de « quelques grains de sable » à un
tas ? Le 32e ? Le 57e ? On ne peut pas répondre à cette question. On ne peut pas dire quand
l'on passe du non-tas au tas, et pourtant, la différence qui les sépare existe (>> aller plus loin).
Il en va de même de la différence entre l'imitation créatrice et le plagiat. La limite
entre les deux n'est pas toujours facile à percevoir ; mais ce n'est pas pour cela qu'elle n'existe
pas.
Internet, un révélateur
Dans certains cas, le plagiat n'est pas un fait clairement identifiable, mais plutôt une « zone
grise », entre copie servile et inspiration créatriceDu plagiat. La spécialiste française du plagiat, H.
Maurel-Indart, explique qu'il y a une quinzaine d'années, le sujet était tabou. On n'osait guère
parler de plagiat, car on sentait bien que les grands auteurs eux-mêmes risquaient d'être
mis en causeDu plagiat. La proximité avec la création, l'invention, faisait peur. Paradoxalement,
c'est sans doute internet qui a changé cette situation (et le travail de quelques chercheurs, qui
ont enquêté sur ce phénomène). Internet a révélé, notamment à l'université, l'existence d'un
plagiat trop manifeste, trop grave pour pouvoir être ignoré.
* *
*
Il est important de réfléchir à la frontière entre imitation créatrice et plagiat , car entre les deux, l'on
bascule d'un processus de perfectionnement de sa pensée au vol intellectuel. Dans cette partie, nous avons
vu qu'une certaine confusion pouvait régner, pour des raisons profondes, presque anthropologiques (nous
apprenons par l'imitation), et pour des motifs liés à la grande mutation que nous vivons, celle de la
numérisation. Dans les parties qui suivent, nous allons voir que cette relative confusion s'ancre également
dans notre histoire culturelle.
Au XVIe siècle, on n'aime pas l'originalité ni la nouveauté. Les catholiques accusent les
protestants de vouloir apporter de la nouveauté dans la religion, ce qui leur paraît affreux ; les
protestants leur répondent que ce sont eux qui ont apporté des nouveautés monstrueuses dans la
religion instaurée par le Christ, au cours du Moyen Âge. Ils veulent revenir à la religion des
origines. A cette époque, le meilleur moyen de prouver ce que l'on dit est de trouver un auteur
ancien qui l'avait déjà dit, en latin, ou mieux encore, en grec.
C'est ce que fait Montaigne. Il ne cesse d'appuyer ses dires sur des citations d'auteurs
antiques. Est-ce parce qu'il ne dit que des banalités ? Au contraire. Montaigne dit des choses
très nouvelles en réalité. Il explique que les cannibales ne sont pas inférieurs aux chrétiens
occidentaux, qu'ils sont même plus courageux, plus purs, plus proches de leurs origines, et bien
moins cruels (v. le cours "humanisme"). Il parle de la liberté du membre viril, qui s'émeut
quand il ne faudrait pas, et reste coi quand il faudrait intervenirLes Essais, livre .I
Montaigne dit beaucoup de choses nouvelles, et c'est pour cela qu'il s'appuie sur des auteurs
anciens, pour donner le sentiment qu'il ne fait que développer ce que les Anciens ont dit. En
111
Le plagiat
réalité, il y a souvent un petit décalage entre ce qu'ont dit les Anciens et ce qu'il dit lui-même.
Cette pratique concerne les auteurs les plus connus. Un siècle plus tard, Corneille estime que
les bonnes tragédies, celles qui prennent le public aux tripes, sont celles où l'on voit un frère
amoureux de sa sœur, une mère qui tue son fils...Mais comment raconter de telles horreurs sans
choquer ? En empruntant le scénario à l'histoire antique. Dans ses préfaces, il s'acharne à
montrer qu'il n'invente rien : tout vient des historiens antiques.
Molière de son côté puise abondamment dans la Commedia dell'Arte, et La Fontaine reprend
dans ses Fables les apologues d'Ésope. Il ne s'en cache pas, et fait précéder son recueil d'une vie
du poète grec dont la fonction est claire : placer ses historiettes sous une autorité morale
reconnue de tous.
112
Le plagiat
L'image qui symbolise la création à cette époque, elle-même transmise d'auteurs en auteurs
depuis l'Antiquité, est celle d'une abeille butinant les fleurs. Fleurs, florilège : la littérature
antique est perçue comme une source, un jardin de fleurs dont il faut faire son miel. Cette
image, qui est un vrai
lieu commun de la littérature de la Renaissance (et de l'Antiquité déjà) L'origine de cette image de
l'inspiration
- p.216 ¤,
*
et est donc reprise de texte en texte, symbolise l'importance de l'imitation dans cette
culture.
Nous savons dire : « Cicéron parle ainsi ; voilà les préceptes moraux de
Platon ; ce sont les mots mêmes d'Aristote. » Mais nous, que
disons-nous, nous-mêmes ? Que faisons-nous ? Que jugeons-nous ? Un
perroquet en dirait bien autant.
[...]
Que nous sert d'avoir le ventre plein de nourriture si elle ne se digère
pas ? si elle ne se transforme pas en nous ? si elle ne nous rend pas plus
grands et plus forts ?
Au chapitre suivant, consacré à l'éducation des enfants, il suggère de leur donner un maître «
qui eut plutôt la tête bien faite, que bien pleineI, 26 ». Il y reprend l'image de l'abeille :
113
Le plagiat
Les abeilles butinent de çà de là les fleurs, mais elles en font après le
miel, qui est tout à elle ; ce n'est plus thym, ni marjolaine. Ainsi les
pièces empruntées d'autrui, il les transformera et les confondra, pour
en faire un ouvrage tout sien [...].
Un siècle plus tard, le précepteur de Louis XIV se souvient sans doute de ces pages, lorsqu'il
transforme la métaphore en une mini fable, celle de l'abeille et la fourmi :
L'on peut dérober à la façon des abeilles sans faire tort à personne,
mais le vol de la fourmi, qui enlève le grain entier, ne doit jamais être
imité.
Nos auteurs classiques ne se contentent pas de copier les Anciens ; il picorent parfois aussi chez
leurs contemporains. La Fontaine ne s'inspire pas seulement d’Ésope. Il puise à d'autres sources
vénérables : Horace, qu'il utilise plus qu'Ésope et ne cite pourtant pas, Phèdre, les Évangiles, le
Roman de Renart, et au siècle précédent, Rabelais et MontaigneFables. Il puise aussi chez ses
contemporains, sans juger utile de le dire : notamment dans un recueil de facéties d'un certain
Louis Garon, ou chez Guez de Balzac ; il s'inspire aussi des interprétations de certains savants
de son époque, qui lui fournissent des éléments de morale (Faerne, Guéroult, Corrozet...)Fables.
Cette attitude peut en partie s'expliquer par le fait qu'à cette idée de modèles antiques s'ajoute
une autre idée, qui continue aux temps modernes, et retrouve un certain regain avec le wikiwiki
- p.212 § : la culture collaborative, l'idée que la création est toujours amalgame d'influences
*
diverses, qui peuvent être antérieures ou contemporaines. Cette idée coïncide avec le rêve d'une
République des Lettres dépassant les frontières nationales, d'une culture cosmopolite,
qu'illustre notamment, au début du XVIe siècle, Érasme, écrivain néerlandais qui parcourt
l'Europe de l'Italie à l'Angleterre, et échangeant des lettres avec plus de 600 correspondants. Ce
rêve persistera jusqu'au siècle des Lumières : Rousseau, Voltaire, les grands philosophes, voient
tous le cosmopolitisme d'un œil favorable.
Là encore, Montaigne est un passeur d'idées, communiquant les idéaux de son siècle finissant
aux moralistes du XVIIe siècle et aux philosophes du XVIIIe. Juste avant l'image de l'abeille
citée plus haut, il écrit :
La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont pas plus à
qui les a dites en premier, qu'à qui les dit après. Ce n'est pas plus selon
Platon, que selon moi : puisque lui et moi l'entendons et voyons de
même.
Ainsi selon lui, peu importe qui a dit telle ou telle chose ; quand une pensée est juste, elle est la
vérité, et n'appartient à personne. Belle idée, qui a sans aucun doute sa part de vérité, mais qui
peut aussi cautionner bien des dérapages, nous le verrons.
114
Le plagiat
Sur le même registre, un ouvrage de la même époque au titre évocateur, La Formation du style
par l'assimilation des esprits (1901), cite ces vers de MussetLa Formation du style par l'assimilation des esprits :
On m'a dit l'an dernier que j'imitais Byron- p.215 ¤ ... *
Vous ne savez donc pas qu'il imitait Pulci- p.218 ¤ ?...
*
Rien n'appartient à rien, tout appartient à tous.
Il faut être ignorant comme un maître d'école
Pour se flatter de dire une seule parole
Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.
C'est imiter quelqu'un que de planter des choux.
Il n'est peut-être pas étonnant que le maître d'école fasse les frais de cette rébellion contre les
règles. Nous verrons plus loin que Musset a parfois eu une conception très large de l'emprunt
littéraire. On voit ici s'affronter nos deux problèmes de départ : une conception de la création
comme oeuvre commune de l'humanité, et le sentiment que malgré tout, protéger idées et
œuvres d'art contre la copie sauvageUn autre éloge récent- p.220 ¤ peut être profitable à leurs auteurs.
*
Le concept d'intertextualité
115
Le plagiat
Un manuscrit d'Archimède
transformé en livre de prières,
redécouvert et déchiffré au début
du XXe siècle.
Complément
Dans les autres arts, la copie est sans doute encore plus naturelle qu'en littérature. La moindre
visite de musée nous montre ce qu'il en est en peinture, et qu'à l'époque de Picasso encore les
grands artistes aimaient prendre le même sujet pour le traiter plus ou moins différemment. Copier les
œuvres des grands artistes, c'est une activité essentielle de l'apprenti dans son atelier.
Il en va de même pour la musique. Tout musicien a commencé par jouer les morceaux des autres :
tout compositeur a été interprète, c'est dans la nature de cette discipline. Beethoven reprend les
mélodies de Mozart, les mélodies de Chopin sont reprises en jazz et chantées par Gainsbourg...On
peut aussi croiser : L'opéra de Mozart Les Noces de Figaro est une adaptation de la pièce de
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, parue quelques années avant ; non moins célèbre, la Traviata
de Verdi (1853) est tirée du roman La Dame aux camélias d'Alexandre Dumas (1848), par
l'intermédiaire de son adaptation théâtrale (1852).
Il n'empêche : en musique comme ailleurs, le plagiat existe aujourd'hui, et est sanctionné. S'il existe
des cas peu clairs, d'autres le sont parfaitement. Le cas de « ressemblance musicale » cité en exergue
de ce cours, entre la chanson « Somebody that I used to know » de Gotye et « Seville » de Luis
Bonfa, grand guitariste et chanteur des années 60, a donné lieu à un procès qui s'est soldé par le
versement de « 45% environ des gains de Gotye [...] aux proches du chanteur brésilien » (
qui n'avaient sans doute pas hérité autant de leur aïeul« Pourquoi parle-t-on du "plagiat" de Gotye mais des "samples" de
Daft Punk ? »
- p.213 ¤).
*
Vous aurez peut-être remarqué que l'on reconnaît aussi, dans l'introduction de "Somebody...", l'air
de "Ah vous dirais-je maman", joué par une sorte de xylophone. Gotye ne risque pas d'être inquiété
pour cet emprunt : l'air date du XVIIIe siècle et est donc libre de droits ; son auteur est anonyme,
même si l'air a été rendu célèbre par les variations composées par Mozart autour de ce thème
musical ( K.265). Cet air est tellement célèbre que l'accusation de plagiat ne tient pas : Gotye l'a
inséré par jeu dans l'introduction de sa chanson, l'air est là pour qu'on le reconnaisse. Ce n'est plus
du plagiat.
Fondamental
Il existe plusieurs modes de copie d'une autre œuvre. La parodie, l'allusion explicite, ne sont pas des
plagiats. Le plagiat est un emprunt dissimulé, à un ouvrage qui ne fait pas partie d'un patrimoine
ancien, supposé être connu de tous.
116
Le plagiat
L'une des conséquences de cette idée d'imitation vertueuse est le concept de plagiat par
anticipation, développé par les surréalistes, et repris récemment par un universitaire amateur de
paradoxes, Pierre BayardLe plagiat par anticipation.
L'idée est la suivante. Si toutes les œuvres sont connectées par des liens de ressemblance et
d'influence, il arrive que certaines contiennent des idées, thèmes, motifs, que d'autres
développeront plus tard, et rendront célèbres. Dans ce cas, le premier auteur pourra a posteriori
être reconnu comme un précurseur. Il bénéficiera ainsi de la grandeur donnée à son idée par
celui qui est venu après lui. N'est-ce pas alors lui qui vole son originalité au grand auteur venu
après lui ?
Cette réflexion peut paraître fantasque, mais la question se pose réellement dans certains cas de
plagiats musicaux. Un cas retentissant fut en 2014 l'accusation portée contre le groupe mythique
Led Zeppelin d'avoir trouvé l'introduction de son tube le plus célèbre, « Stairway to Heaven »,
dans une chanson interprétée en 1971 par le groupe Spirit, aujourd'hui très largement oublié.
L'accusation est problématique, dans la mesure où les musiciens du groupe Spirit ne se
manifestent que 40 ans après les faits, et que la ressemblance n'est pas flagrante. Dans cette
situation, on pourrait penser à une simple coïncidence.
Remarque
En tapant « ressemblances musicales » sur internet, vous verrez que le phénomène est courant, y
compris en musique classique, et même entre la musique classique et le rock (mais il faut avouer
qu'avec la musique électronique, et le concept légèrement scabreux de « sample », les problèmes se
multiplient).
On pourrait se demander si ce n'est pas le groupe Spirit qui est malhonnête, jouant sur le fait
que la chanson de Led Zeppelin, bien plus connue que la leur, pourrait leur rapporter beaucoup
d'argent. Il pourrait s'agir d'un cas de création simultanée : le guitariste de Led Zeppelin, jouant
quelques notes d'introduction sur sa guitare, aurait trouvé la combinaison magique, comme il le
déclare, tombant inconsciemment sur un air qui existait déjà. Une explication intermédiaire
serait qu'il ait entendu cet air mais ne s'en souvienne pas. Certes, il est vrai que les deux
groupes avaient fait une tournée commune en 1969...20minutes.fr
Dans ce cas, on pourrait dire que le plagiaire est plutôt le groupe Spirit : il a copié par
anticipation un air qui ne pouvait devenir célèbre qu'avec le génie de Led Zeppelin. On pourrait
dire que la beauté du morceau de Spirit n'est révélée qu' a posteriori par celle du morceau de
Led Zeppelin. Spirit s'approprie une qualité dont il n'aurait pas été conscient sans son illustre
successeur.
Un autre exemple, plus proche ? Ce morceau vous dira peut-être quelque chose (si vous lisez la
version papier, cherchez "les chansons d'artistes feriol" sur votre téléphone):
On est étonné qu'un groupe ose copier de si près la mélodie d'une chanson qui a occupé les
premières places des ventes de musique en France, "Si seulement je pouvais lui manquer" de
Calogero. Comment ses auteurs ont-ils pu imaginer que l'on ne reconnaîtrait pas le modèle ?
Vous avez compris : l'explication est qu'ils ont composé leur chanson non pas après, mais avant
celle de Calogero (dont l'auteur déclaré est son frère). Pas longtemps avant, du reste : cette
chanson a été déposée fin 2001 à la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique) par Laurent Feriol ; ce dernier a porté plainte contre Calogero, dont la chanson est
sortie en 2004. La condamnation initiale, un versement de 80 000 euros de dommages et
intérêts, a été contestée par le chanteur, puis confirmée par la cour d'appel, le 22 juillet 2015,
moyennant l'intervention d'experts. L'avocat de Calogero avait pourtant souligné que le titre
"Les chansons d'artistes" n'avait fait l'objet que d'une diffusion confidentielle, et qu'"à supposer
qu'elle ait été créée antérieurement", il ne pouvait s'agir que d'une "rencontre fortuiteSource
- p.219 ¤". Il n'était pas loin d'invoquer le plagiat par anticipation : la chanson de L. Feriol est à
*
117
Le plagiat
jamais dotée d'un intérêt supplémentaire depuis le succès de "Si seulement je pouvais lui
manquer".
La madeleine de Proust
Revenons à l'écrit. L'un des exemples les plus frappants cités par P. Bayard est l'épisode célèbre
de la "madeleine de Proust". Dans ce passage de Du côté de chez Swann, le narrateur se rend
compte en trempant une madeleine dans son thé que certains goûts, certaines textures, peuvent
nous replonger dans des souvenirs enfouis en nous, et nous connecter avec l'atmosphère ancienne
et oubliée qui les accompagnait. Cette scène est très connue et est un vrai symbole de la
création proustienne. Mais plusieurs auteurs de cette époque, comme Edgar Quinet, avaient
développé des idées similaires auparavant. Ils auraient pu accuser Proust de plagiat. Mais il
aurait pu leur répondre que c'est son roman qui a rendu ce thème célèbre, et qu'ils sont les
bénéficiaires de cette convergence thématique. Edgar Quinet n'avait pas su montrer toute
l'importance de cette idée, et son texte n'est intéressant que grâce à Proust...Du côté de chez Swann
- p.216 ¤.
*
118
Le plagiat
Remarque
On retrouve ce phénomène en sciences : quand plusieurs chercheurs travaillent en même temps sur les
mêmes questions, il est parfois difficile de dire qui est l'auteur de l'invention.
La question se pose même pour l'invention du vaccin par PasteurPlagiats, les coulisses... ; la théorie de
Darwin se rencontre sous des formes au moins partielles chez d'autres savants de son époque, et il
reste difficile d'en attribuer clairement la paternité. Il est d'autant plus nécessaire de signaler
clairement la part qui revient à chacun.
Musset
Les exemples qui suivent sont des cas de copie manifeste (qui surviennent pourtant après la
prise de conscience de la nécessité de fixer des limites). Nous avons cité en exergue le cas de
cette reprise textuelle d'une pièce antérieure par
Alfred de Musset (XIXe), dénoncé par une revue de l'époqueIb:
119
Le plagiat
Le Blond : Qu'est-ce que veut Monsieur le Victoire : Qu'est-ce que veut Monsieur le
Marquis ? Marquis ?
Le Marquis : Allons, donne-moi ma robe de Le Marquis : Donnez-moi une robe de
chambre et mes pantoufles ; je veux me lever. chambre.
Le Blond : Vous badinez, Monsieur le Victoire : Vous badinez, monsieur le
Marquis. marquis.
Lamartine
Les vers les plus connus se révèlent parfois n'être que des emprunts. L'un des vers les plus
célèbres de Lamartine (dans « Le Lac ») est emprunté à un certain Antoine-Léonard Thomas :
Lamartine Thomas
Ô temps, suspends ton vol, et vous, heures Ô temps, suspends ton vol! Respecte ma
propices, jeunesse!
Un seul être vous manque, et tout est Un seul être me manque, et tout est dépeuplé !Ib
dépeuplé !
Impossible de parler de plagiat par anticipation quand la copie est aussi littérale ! Seule
consolation : on finit par oublier que ces vers sont de Lamartine. Il est donc un peu moins
décevant d'apprendre qu'ils ne sont pas de lui... Mais trêve de plaisanterie, le vol intellectuel est
ici sidérant.
Remarque
Parmi ces derniers exemples, plusieurs sont connus par les réactions qu'ils ont suscitées, par les
accusations qui ont été portées contre les écrivains, de leur vivant. Le fossé entre inspiration légitime
et plagiat illégal semble se creuser peu à peu. Notre éloge du plagiat tourne au vinaigre. C'est
qu'entre temps, la révolte a eu lieu.
La notion de plagiat n'a pas toujours existé : cela ne veut pas dire que le plagiat n'existe pas,
mais qu'il a été inventé ; qu'il n'est pas une loi sacrée ayant toujours existé, mais une
convention. Qui l'a inventé ? des juristes ? Des bourgeois, obsédés par l'idée de propriété ?
Nullement : la notion de plagiat a été inventée par des auteurs ; et ces auteurs, ce sont les
philosophes des Lumières, ceux qui affirment par ailleurs que la propriété est une invention de la
société, qui n'existe pas dans la nature.
Les inventeurs de la notion juridique de plagiat sont les prérévolutionnaires, Beaumarchais
notamment, celui qui, dans le Mariage de Figaro, s'en prend aux privilèges de l'aristocratie, et
au fait qu'un homme doué, mais mal né, ne peut pas se faire une place dans la société :
Non, monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne l'aurez pas.
Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand
120
Le plagiat
génie !... Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier !
Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de
naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que
moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de
science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis
cent ans à gouverner toutes les Espagnes [...].
Que demandent ces écrivains philosophes et révolutionnaires ? Des lois. Pourquoi ? Parce que
les lois sont faites pour défendre deux des devises que la France s'apprête à adopter : l'égalité
(des chances), et la liberté (de ne pas être volé).
Que dit Beaumarchais ? Il dit que sans loi, les écrivains ne peuvent pas vivre de leur travail.
Dans son cas particulier, celui d'un écrivain de théâtre, il accuse les acteurs de se réserver
l'argent de la billetterie. Le résultat est concret : ses enfants ne mangent pas à leur faim. A ceux
qui l'accusent de ne pas se contenter de la gloire, il répond :
On a raison : la gloire est attrayante ; mais on oublie que, pour en jouir
seulement une année, la nature nous condamne à dîner trois cent
soixante-cinq fois.
Ceux qui connaissent leur cours sur l'argumentation apprécieront la perfidie de la concession.
Les auteurs, jusqu'ici isolés, commencent à s'unir pour former des groupes de pression : en 1777,
Beaumarchais fonde avec ses amis la Société des auteurs et des compositeurs
dramatiques. Le droit d'auteur est né. Il est fils d'un créateur, de la Révolution, et de
l'autonomie de l'écrivain. Désormais, l'écrivain est libre, indépendant. Il ne doit plus rendre de
comptes à un protecteur, un mécène. Il doit donc être protégé, mais par des lois démocratiques.
Remarque
Le mécénat n'a pas disparu ; les droits d'auteur ne suffisent pas souvent à vivre. Il s'est plutôt
transformé : il est plus le fait d'institutions ou d'entreprises soigneuses de leur image de marque que
de hauts personnages fortunés. L'échange est moins sentimental, plus professionnel.
Bien entendu, cette démarche n'est pas sortie du néant. Si à l'âge classique la doctrine de
l'imitation domine, cette réclamation contre la "liberté de copier" n'était pas entièrement
nouvelle. On l'avait déjà entendue, dès le XVIe siècle (au moins). A l'époque de l'imitation et
du respect des Anciens, une voix s'était faite entendre, fortement, pour réclamer une protection
juridique des œuvres publiées. Cette voix, c'est celle du prince des humanistes, du symbole du
partage des idées, du très pacifiste Érasme. Elle s'exprime dans un ouvrage qui illustre
parfaitement la démarche des humanistes, les Adages, où il recueille des proverbes de l'Antiquité
et les commente, très librement.
Dans l'un de ses commentaires, Érasme, l'ami des imprimeurs, s'en prend pourtant à cette
profession, expliquant qu'ils sont parfois plus dangereux que les copistes du Moyen Age :
1001. Hâte-toi lentement, Festina lente
[...]
Autrefois, on n'avait pas moins de scrupules à copier des livres à la
main que n'en ont aujourd'hui les notaires publics et les avocats
assermentés [...]. Il n'y a pas eu de plus importante source de confusion
dans les textes, que le fait de confier sans discernement une
121
Le plagiat
responsabilité si sacrée à d'obscurs anonymes, à des moines ignorants
et plus tard même à des femmes. Pourtant, un scribe peu soigneux ou
ignorant cause bien moins de dommage qu'un imprimeur ! Sur cette
question, les lois publiques dorment. On punit celui qui vend du tissu
teint en Angleterre en le faisant passer pour du tissu teint à Venise,
alors que celui qui met sur le marché de pures horreurs, des coliques
intellectuelles, pour de bons auteurs, jouit de son audace.
Érasme n'est pas en avance sur son époque en ce qui concerne les femmes, mais pour ce qui
touche au plagiat, il a franchi un pas qui le met en avance sur Beaumarchais : la propriété
intellectuelle est pour lui un produit comme un autre, dont la contrefaçon n'a aucune raison
de rester impunie.
Ce qui est en cause ici c'est la part la plus concrète de la production intellectuelle, l'impression.
Le phénomène est proche de ce qui se passe aujourd'hui. Un nouveau moyen technologique
(l'imprimerie hier, le numérique aujourd'hui) permet de nouvelles manières de copier, et les
multiplie. Nous voyons dans le cours sur la révolution de l'imprimé que cette technologie est un
facteur de multiplication sans précédent ; elle multiplie aussi les possibilités de copier.
Ce n'est pas tout à fait de plagiat qu'il s'agit ici, mais de ce que nous appelons aujourd'hui du
piratage, c'est-à-dire la copie et la diffusion d'une œuvre sans accord de son auteur, contre une
rémunération. Piratage et plagiat sont proches, mais ne se confondent pas tout à fait. Au XVIe
siècle, on reste peu sensible au problème du plagiat, mais à la suite d'Érasme, plusieurs auteurs
se sont plaints des éditions pirates. C'est la naissance d'un sentiment de propriété par rapport
aux œuvres intellectuelles.
Ce qui est en cause ici, c'est une fois encore la disparition du mécénat. Avant la Révolution
française, les écrivains n'ont pas à vivre de leur plume. Leur subsistance ne dépend pas de la
vente de leurs livres (qui n'intéresse que les imprimeurs et libraires), mais du fait qu'ils soient
ou non protégés par un aristocrate. Molière bénéficie tout au long de sa vie de protections
dans la bourgeoisie puis dans la noblesse la plus proche du roiDu plagiat. Vous avez sans doute
entendu parlé des rapports entre La Fontaine et Fouquet, surintendant du roi Louis XIV, qui
finit disgracié, et serait le modèle de l'Agneau dans la fable « Le Loup et l'Agneau ».
122
Le plagiat
À l'époque classique, le plagiat est essentiellement une question morale. Plagier, est-ce bien,
est-ce mal ? On peut toujours en discuter, et la réponse ne fait pas mourir des gens. Il y a bien
une part économique, celle de la protection du droit des imprimeurs : le privilège royal apparaît
comme une solution adéquate pour protéger ces derniers.
A l'aube de la Révolution, le plagiat devient une question économique et presque vitale. Pour
simplifier un peu : plus d'aristocrates, plus de protecteurs. Les écrivains peuvent toujours se
réfugier auprès de la bourgeoisie, mais cette dernière donne moins facilement son argent (qu'elle
a obtenu par le travail, et non par héritage...en principe du moins). Il faut désormais vivre de sa
plume, c'est-à-dire du succès de ses œuvres : c'est le prix de la démocratie.
Dans ces conditions, que devient le plagiat ? Il devient un acte grave, dangereux, qui met en
danger la vie d'une personne, son aptitude à développer son art. Si l'on ne légifère pas, il
deviendra impossible de continuer à produire des œuvres. Alors on légifère. Pendant la
Révolution française, plusieurs lois établissent que seul l'auteur a le droit de reproduire ses
œuvres, puis que ce droit se transmet à ses héritiers pendant cinq ans. Dans les mêmes années,
la constitution des États-Unis adopte des principes similaires. Cela n'empêche pas que l'on
connaisse encore bien des flottements au cours du XIXe siècle, comme on l'a vu dans les parties
précédentes, mais un mouvement est lancé. Au cours du XXe siècle, la durée de protection des
droits d'auteur pour les héritiers est augmentée. Au début du XXIe, le champ du droit d'auteur,
qui s'applique également à la musique et au cinéma, s'étend à la création numérique : jeux
vidéo, logiciels, bases de données.
123
Le plagiat
On peut copier les mots, mais on peut aussi copier un scénario, une idée, une
thématique. C'est là que les choses se compliquent : il devient alors difficile de faire la
différence entre le plagiat et les autres formes d'intertextualité. Difficile, mais nécessaire :
il serait ridicule de dire que Boileau a plagié Ovide ; mais si un écrivain australien
raconte la même histoire qu'un écrivain brésilien en changeant seulement les lieux et les
noms, deux ou trois ans plus tard, le plagiat est manifeste. Dans le domaine scientifique,
la publication d'une idée contraint tout successeur à y faire référence. Le chercheur, quel
que soit son niveau, doit se tenir informé des acquis dans sa discipline.
Il arrive que des universitaires utilisent abusivement les travaux de leurs étudiants. Le scénario
est souvent le même : un jeune thésard rencontre un professeur à un colloque, lui confie ses
travaux, et les retrouve quelques années plus tard publiés dans un ouvrage qui vaut honneurs et
avancement de carrière à son «auteurIb.». Des procès se tiennent, et donnent lieu au versement
de dommages et intérêts (H. Maurel-Indart évoque des sommes allant de 10 000 à 22 800 eurosIb.
). Mais vous imaginez la position d'un jeune chercheur attaquant un professeur réputé, dans un
monde où tout se sait. Engager des poursuites judiciaires, c'est mettre en danger sa carrière
future. selon H. Maurel-Indart, en France notamment, la question du plagiat reste tabou.
Elle-même n'a d'ailleurs pas manqué d'être inquiétée. Voilà pourquoi le combat doit être
commun. Il ne faut pas laisser les victimes se débrouiller seules.
Bien entendu, il faut aussi imaginer la situation inverse : un chercheur reconnu peut attaquer un
jeune chercheur qui utiliserait ses travaux sans les citer. Les cas d'étudiants empruntant tout ou
partie de leur mémoire de master à des sources extérieures sans y faire référence se multiplient.
Dans le cas d'une utilisation sans publication mais pour valider un examen, les choses sont assez
simples. Même si l'auteur ne veut pas s'impliquer dans des poursuites, les services centraux de
l'université invalideront le diplôme de l'étudiant, et peuvent aller jusqu'à l'interdire de tout
124
Le plagiat
examen ou concours d'état pendant une durée de cinq ans. Il vaut mieux avoir passé le permis
de conduire avant...
Université Toulouse-Le-Mirail, juin 2007 : peine d'exclusion de 2 ans de tout établissement
d'enseignement public pour cause de plagiat dans un mémoire de thèse. (pdf)
La citation directe.
Exemple
Selon H. Maurel-Indart, le plagiat se situe dans une ""zone grise", difficilement localisable, entre
emprunt servile et emprunt créatif" (H. Maurel-Indart, Du Plagiat, Paris, Folio Essais, 2011 (rééd.),
p. 11).
Les cours de méthodologie vous montrent comment procéder pour que vos citations soient
efficaces. Elles doivent :
être bien ciblées, en général courtes,
être nettement démarquées, par des guillemets,
être introduites par une formule du type : "comme le dit...", "selon..."
signaler clairement la référence de l'ouvrage dont elles sont tirées.
La paraphrase.
Elle permet de résumer une idée sans citer tout un paragraphe. Il faut faire attention à ne
pas déformer les propos de l'auteur. Là aussi il faut introduire les propos (« c'est la thèse
défendue par... »), et comme toujours, donner les références précises.
Exemple
La dénonciation du plagiat reste un tabou dans le système universitaire français. C'est la thèse
défendue par H. Maurel-IndartPlagiats, les coulisses de l'écriture (H. Maurel-Indart, Plagiats, les coulisses de
125
Le plagiat
Si vous utilisez une idée assez connue, vous n'avez pas besoin de citer directement la source.
Mais il faut tout de même indiquer dans quel ouvrage on trouve des développements sur cette
idée, entre parenthèses ou en note.
Exemple
Quand on fait l'éloge de l'efficacité des travailleurs dans les pays protestants, on reprend
implicitement la thèse weberienne de l'interférence entre protestantisme et capitalisme, qui n'est pas
exempte de critiques.
6.3.1. Conclusion
* *
*
Nous avons vu se croiser deux angles de vue : l'angle économique, et le moral. Les écrits scientifiques
sont par eux-mêmes peu rémunérés : sauf exception, bourse, prix, une thèse ne donne lieu à aucune
rétribution (et coûte plutôt cher à son auteur). Les articles écrits par les chercheurs ne sont généralement
pas rémunérés. Dans ce cas, la faute liée au plagiat est avant tout morale. Mais elle n'est pas légère. Que
vole-t-on quand on vole le travail d'un autre, si on ne lui prend pas d'argent ? Son travail, des années de
recherche, tout ce qu'il s'est imposé à lui-même, tout ce que sa famille a accepté de subir pour qu'il puisse
mener à bien son enquête. On lui vole, à lui et à ses proches, une partie de sa vie.
Au demeurant, des intérêts économiques sont tout de même en jeu, car dans sa carrière, un chercheur
doit passer des évaluations, des diplômes (l'habilitation à diriger des recherches par exemple), des grades,
qui se traduisent aussi en termes d'avancement et de rétribution. C'est pourquoi même lorsque l'on plagie
un ouvrage non publié ou à faible tirage, on s'expose au versement d'importants dommages et intérêts.
A l'inverse en citant les travaux d'autrui, vous montrez que vous avez travaillé, que vous avez classé vos
sources, et que vous êtes capables de les utiliser tout en ayant éventuellement un regard critique sur elles.
Tout cela est parfait.
Il ne faut donc pas se laisser aller au plagiat par omission, celui qui consiste à ne pas citer pour aller
plus vite, s'épargner un travail un peu fastidieux, car les conséquences sont graves.
Ces arguments pourront-ils convaincre ceux qui en seraient tentés d'éviter le plagiat délibéré, celui qui
consiste à reprendre toute une partie d'un ouvrage pour s'en attribuer la gloire ? Ce n'est pas sûr, car une
telle entreprise semble supposer une volonté délibérée de s'approprier l'effort et les capacités d'autrui :
dans ce cas, il ne reste sans doute qu'à faire parler les règles et la répression. Du moins après ce cours
aucun étudiant de Paris Nanterre ne peut dire qu'il ne savait pas !
126
Le plagiat
XVIe (Renaissance) XVIIe (âge classique) XVIIIe (Lumières) XIXe (Romantiques) XXe siècle
127
Le plagiat
6. Utilisation d'une œuvre ou d'un texte sans y faire référence, visant à masquer sa source.
7. Phénomène selon lequel tout texte est porteur de la trace des textes qui l'ont précédé.
8. Idéal de communication libre et prolifique entre les grands auteurs, indépendamment de leur
patrie d'origine ; ce rêve a favorisé une attitude très libérale vis-à-vis du plagiat.
Exercice 1 : Question 1
L'une des conséquences de cette idée d'imitation vertueuse est le concept de plagiat par
anticipation, développé par les surréalistes, et repris récemment par un universitaire amateur de
paradoxes, Pierre BayardLe plagiat par anticipation- p.209 §
*
Renvoi.
Citation
Paraphrase
Exercice 2 : Question 2
« Le texte valait pour lui-même, presque indépendamment de sa signature », explique la spécialiste
française du plagiat, H. Maurel-IndartPlagiats, les coulisses de l'écriture, Paris, la Différence
Renvoi.
Citation
Paraphrase
Exercice 3 : Question 3
La spécialiste française du plagiat, H. Maurel-IndartDu plagiat, explique qu'il y a une quinzaine
d'années, le sujet était tabou. On n'osait guère parler de plagiat, car on sentait bien que les grands
auteurs eux-mêmes risquaient d'être mis en cause
Renvoi.
Citation
Paraphrase
Exercice 4 : Question 4
. ... a donné lieu à un procès qui s'est soldé par « 45% environ des gains de Gotye [...] aux proches
du chanteur brésilien » (qui n'avaient sans doute pas hérité autant de leur aïeulPourquoi parle-t-on du "plagiat
- p.218 ¤).
*
Renvoi.
Citation
Paraphrase
128
Le plagiat
Exercice 5 : Question 5
Les humanistes passent beaucoup de temps à traduire les œuvres des Anciens ; mais ces traductions
sont plutôt des adaptations : «
traduire un poète latin ou grec, pour un Ronsard ou pour un Du Bellay, c'est écrire une œuvre
autre, à la fois dans la continuité du passé et déjà sur la voie d'une langue plus riche et plus
complète. À l'époque de la Renaissance des lettres par la découverte des textes anciens, la mission
d'auteur s'accomplit d'ores et déjà à travers le travail de la traduction Le plagiat littéraire : une contradiction en
soi ?
».
Renvoi.
Citation
Paraphrase
Exercice 6 : Question 6
Selon H. Maurel-Indart, le scénario est souvent le même : un jeune thésard rencontre un professeur
à un colloque, lui confie ses travaux, et les retrouve quelques années plus tard publiés dans un
ouvrage qui vaut honneurs et avancement de carrière à son « auteurIb.».
Renvoi.
Citation
Paraphrase
9. L'Iliade
Objectifs
La dernière étape de cette traversée de la construction des savoirs en Europe sera
la visite de l'une des grandes œuvres fondatrices de cette culture, l'Iliade
d'Homère. Ce sera l'occasion d'appliquer à un cas précis les différentes questions
que vous avez rencontrées dans les cours précédents. Vous verrez quelle a pu être
la surprenante destinée d'une œuvre entre l'Antiquité et la Renaissance, tant que
n'existaient ni le souci philologique de restitution des origines, ni l'assimilation
d'une œuvre à un auteur, fortifiée par l'imprimerie - ni, a fortiori, le droit
d'auteur. Vous verrez en quoi ces phénomènes ont ensuite influé sur l'existence
de cette œuvre, et sur la manière dont elle se présente aujourd'hui à nous.
En remontant ainsi aux sources de la culture européenne, vous allez pouvoir
mettre à profit les connaissances acquises dans votre parcours des Grands
Repères (semestre 1).
L'Iliade – avec l'Odyssée – appartient au patrimoine de l'humanité. Apprise par cœur sous forme
d'extraits dès le Ve siècle avant Jésus-Christ par les petits Athéniens, l'épopée d'Homère figure,
encore aujourd'hui, dans les manuels scolaires. L'Iliade n'est pas seulement un classique (un texte
qu'on fait apprendre aux élèves dans les classes), c'est le classique par excellence, une source
inépuisable à laquelle se sont abreuvés, de l'antiquité jusqu'à nos jours, une multitude d'artistes :
peintres, poètes, sculpteurs, dramaturges, philosophes, etc. Pour ne prendre que deux exemples,
Virgile s'en est inspiré pour écrire l' Énéide (29-19 av. J.-C.) ; Goethe a emprunté à Homère le
personnage d'Hélène pour sa tragédie de Faust (1832). Un tableau d'Ingres, intitulé L'Apothéose
d'Homère (1827) illustre à merveille cette idée :
129
Le plagiat
roman de Goethe, voue à Homère un véritable culte. Le volume, qu'il lit constamment, ne quitte
jamais sa poche.
Or, pour peu qu'on les examine avec soin, les bases sur lesquelles repose ce monument de la
littérature universelle se révèlent extrêmement fragiles. Symbole d'un savoir fixe, solide et
intangible, l'Iliade est en réalité une œuvre incertaine, fluctuante, insaisissable. Le fait que l'Iliade se
présente aujourd'hui sous la forme d'un livre (cf. Séance 2 « écrire depuis 5000 ans, 2.1.b : « Du
volumen au codex ») , c'est-à-dire d'un bloc figé et définitif que l'on peut acheter en librairie,
consulter en bibliothèque (cf. Séance 3 « Organiser, conserver : les sources du savoir : 1.3 A, B & C :
« les bibliothèques face à l'imprimé )»], feuilleter à loisir, est un leurre. En réalité, l' Iliade, à la
différence d'autres grands classiques tels que Hamlet, La Divine Comédie ou Don Quichotte, n'est
pas à l'origine une œuvre écrite, mais une récitation musicale, une performance orale chantée par un
« aède ». Verba volent, scripta manent dit l'adage latin (« les paroles s'envolent, les écrits restent
»). Aussi est-il très improbable que l'Iliade déclamée par Homère au VIIIe siècle avant J.-C. soit
identique à celle que nous lisons aujourd'hui dans les collections de poche, laquelle est le résultat
d'un lent processus de fixation étalé sur plus de 2800 ans. En outre, si Cervantès est l'auteur de Don
Quichotte – fait indiscutable –, il n'en va pas de même pour l' Iliade d'Homère, personnage dont
l'existence même est mise en doute-2 p.214 ¤. Pour expliquer la genèse matérielle de l'Iliade, il existe
*
plusieurs hypothèses, défendues âprement par des spécialistes : si la tradition attribue depuis
toujours l'Iliade et l'Odyssée à un aède unique, dénommé « Homère », l'analyse de la composition de
ces deux épopées a montré qu'elles résultaient sans doute d'une poésie orale et traditionnelle,
véhiculée par des artistes anonymes ; la complexité de cette composition indiquerait qu'elle est bien
plus le résultat d'une élaboration collective que le produit d'un cerveau individuel « génial ». Cette
question indécidable est, encore aujourd'hui, fort controversée.
Mais le fait plus surprenant dans cette généalogie du chef-d'œuvre grec tient moins au flou de
l'identité son auteur et à celui de la date de sa transposition à l'écrit, qu'au fait que, pendant
plusieurs siècles – grosso modo du IVe siècle au XIIIe siècle ap J.-C. – l' Iliade fut complètement
130
Le plagiat
oubliée et remplacée par d'autres Iliade, jugées plus authentiques que celle d'Homère ! (nous
développons amplement ce point plus loin dans ce cours)
C'est dire si ce « pilier » de notre culture repose sur des bases précaires ! En réalité, l'histoire du
texte de l'Iliade nous apprend qu'il n'y a pas – du moins pas nécessairement – adéquation entre un
savoir institué et la source – supposée sûre – dont il émane. Les origines de l'œuvre la plus célèbre
de la littérature mondiale sont non seulement fluctuantes, mais douteuses. Comme nous allons le
voir à présent, la tranquille stabilité de l'Iliade cache une histoire pleine de rebondissements...
Homère chantant ses vers (1834), peinture de Paul Jourdy. École nationale supérieure des
Beaux-arts, Paris
L'auteur de l'Iliade n'est pas un « écrivain », mais un « aède » (du verbe ᾄδω [aidô] : chanter),
autrement dit une espèce de barde qui improvise, cithare à la main, sur un canevas métrique.
Habitués que nous sommes à ce qu'un livre soit l'œuvre d'un auteur travaillant sur son
manuscrit en attendant de le donner à un éditeur qui se chargera d'en fournir autant
d'exemplaires qu'il juge souhaitable à des lecteurs qui, ensuite, le déchiffreront mentalement
chez eux, nous avons du mal à imaginer un processus créatif et un système réceptif différents.
Or, s'agissant de l'Iliade, il convient d'avoir à l'esprit que, à l'origine, cette histoire n'était ni
figée, ni – à plus forte raison – fixée. S'agissant précisément de cette fixation (mise à l'écrit sur
un support [Cf. Séance 2 « Ecrire depuis 5000 ans : 1.2.A]), les spécialistes hésitent entre
plusieurs options :
1. soit « Homère » a lui-même noté par écrits ses poèmes,
2. soit il a dicté ses poèmes à un auditeur lettré,
3. soit un de ses disciples a dicté les poèmes.
4. Soit la recension athénienne de l'époque de Pisistrate serait la première mise par écrit
des poèmes, lesquels auraient été compilés.
131
Le plagiat
Quoi qu'il en soit, le ou les auteurs de l' Iliade ont pris l'initiative de fondre en un tout
consistant et cohérent une multitude d'épisodes isolés et indépendants, en les subordonnant à un
motif nodal (la colère) et à un personnage central (Achille). La « colère d'Achille » est en effet
le nerf de cette chronique de guerre qu'on appelle l'Iliade.
Pour mieux appréhender les différentes étapes de sa lente gestation, un petit rappel de l'intrigue
de l'Iliade s'impose. Contrairement à ce qu'indique le titre dérivé du mot Ilion (ancien nom de
la ville de Troie), l'Iliade est moins centrée sur Troie que sur Achille. Au lieu de narrer
l'interminable guerre (dix ans) qui oppose à une date très incertaine (XIIe siècle avant J.-C.) les
Achéens aux Troyens, Homère se contente de relater un très bref épisode de ce conflit (quelques
journées), situé un peu avant la chute de Troie. Aussi y chercherait-on en vain les péripéties que
de nombreuses réécritures de l'Iliade ont popularisées de l'Antiquité au Moyen Âge (nous y
reviendrons), tels que l'enlèvement d'Hélène, le sacrifice d' Iphigénie-3 p.214 ¤, le talon d'Achille4
*
- p.214 ¤, l'incendie de Troie ou le meurtre de Priam-5 p.214 ¤. Même l'épisode le plus fameux de
* *
cette épopée – ce cheval de bois dans lequel Ulysse et quelques-uns de ses compagnons se
cachent pour pénétrer par ruse dans la forteresse d'Ilion et ainsi la prendre de l'intérieur – ne
figure pas dans l'Iliade-6 p.214 ¤ !
*
Les Troyens font rentrer le cheval dans la cité, par Giovanni Domenico Tiepolo, huile sur toile
(39 x 67 cm) National Gallery (London, United Kingdom)
Comme le suggère le premier vers (« Chante, ô déesse, le courroux du Péléide Achille-7 p.214 ¤ »),
*
« La colère d'Achille » aurait été un titre plus juste. Passons sur les origines du conflit-8 p.214 ¤
*
(elles sont bien connues des amateurs de mythologie grecque) et concentrons-nous sur l'intrigue
de l'Iliade : plus nombreux, mieux armés, les Achéens n'auraient dû faire qu'une bouchée des
Troyens. Or, depuis dix ans, c'est le statu quo. L'équilibre des forces est maintenu grâce à
l'ingérence des dieux. Chaque fois que la balance de la guerre penche d'un côté, les partisans du
camp opposés s'efforcent de la ramener à l'équilibre. Zeus contrôle jalousement cette « balance
d'or »... La colère d'Achille, par laquelle s'ouvre l'Iliade, rompt cet équilibre. En proie à une
vive contrariété, le fils de Pélée se retire sous sa tente, entraînant de facto une modification du
132
Le plagiat
rapport de force : pour la première fois, les Troyens sont en passe de l'emporter.
Des motifs très considérables, se dit-on, ont seuls pu conduire Achille à prendre une si grave
décision... Las ! Ce n'est pas un désaccord militaire avec Agamemnon – le chef des armées
grecques – qui est à l'origine de la fameuse « colère d'Achille », mais une querelle autour d'une
jeune fille, Briséis, objet de leur convoitise : furieux de s'être fait voler sa captive, Achille a
décidé de se retirer de la mêlée. Cette retraite, dictée au fond par l'orgueil, a des retentissements
considérables au plan militaire. Ses conséquences forment en réalité l'essentiel de l'action de l'
Iliade, déployée en vingt-quatre chants. Les principaux temps forts – si l'on passe sur les mille
rebondissements qui n'en modifient qu'à la marge la trajectoire générale – sont les suivants : en
l'absence du plus redoutable des combattants achéens, Hector fait des ravages dans le camp des
Grecs, à telle enseigne que leur flotte est menacée. L'heure est grave. Devant l'urgence de la
situation, Patrocle – le meilleur ami d'Achille – revêt, avec l'accord de celui-ci, ses armes
miraculeuses dans l'objectif de se faire passer pour lui. Soutenu par les Myrmidons, le faux
Achille fait des merveilles. Mais l'excès de zèle lui est fatal : Hector le frappe mortellement et
s'empare de ses armes. La mort de Patrocle (chant XVI) constitue le tournant de l' Iliade :
inconsolable de la perte de son fidèle compagnon, Achille revient sur le champ de bataille, animé
d'un terrible esprit de vengeance : des milliers de combattants périssent sous ses nouvelles
armes, forgées par Héphaïstos.
Mais Hector, seul, occupe ses pensées. Aussitôt l'assassin de Patrocle retrouvé, il le perfore sans
pitié de sa lance de bronze. Non content de lui avoir ravi son âme, il outrage son corps en le
traînant dans la poussière, derrière son char, jusqu'aux nefs achéennes. Cette profanation
indigne les Troyens, mais ne dissuade pas Priam, père d'Hector, de se rendre sous la tente
d'Achille pour récupérer la dépouille de son fils. Dans un accès de compassion, Achille accède
aux prières du vieillard. Le corps du valeureux Hector ne sera donc pas livré aux chiens comme
le désirait Achille, il aura des funérailles honorables comme le souhaitait sa famille. L'Iliade
s'achève sur l'enterrement d'Hector, bref instant de recueillement avant la reprise imminente9
- p.214 ¤ des hostilités.
*
L'outrage au corps du héros mort. Achille traînant le corps d'Hector (vers 490 av. J.-C.
[Lécythe à figures noires, Musée du Louvre]
Telle est, dans ses grandes lignes, l'histoire que les aèdes racontaient aux alentours du VIIIe
siècle avant J.-C.. « Dans ses grandes lignes », car les aèdes avaient la liberté d'ajouter un vers,
voire d'inventer un épisode, à la demande du public. Brodant sur un canevas relativement stable
(la colère d'Achille et ses conséquences), ils faisaient avant tout fonctionner leur fantastique
133
Le plagiat
mémoire (puisqu'ils n'avaient pas de support écrit), mais ne se privaient pas d'improviser pour
mettre en valeur leur génie créatif. Sans doute à cette époque plusieurs versions de l'Iliade
circulaient-elles en Grèce, plus ou moins différentes, plus ou moins complètes, plus ou moins
réussies. Une chose est sûre en tout cas, le succès de ces performances reposait autant sur le
récit en tant que tel que sur l'aptitude de l'interprète à lui donner vie dans une langue et une
musique suggestives.
Une étape importante de la fixation de l'Iliade est néanmoins franchie au Ve siècle avec la
décision de Pisistrate (600-527 av. J.-C.) de consigner les chants d'Homère par écrit. De là date
l'ordre actuel des chants de l'Iliade, qui, jusqu'alors, pouvaient être récités dans le désordre, par
les rapsodes, ces chanteurs qui, à la différence des aèdes, se contentaient de chanter les poèmes
sans y ajouter quoi que ce soit. Premier pas d'une institutionnalisation du texte homérique qui
ira croissant au cours des siècles, les législateurs athéniens instaurèrent leur récitation intégrale
tous les ans aux fêtes des Panathénées et en rendirent obligatoire l'apprentissage à l'école.
Pour autant, l'Iliade n'est pas encore, tant s'en faut, « gravé dans le marbre ». Les savants, les
érudits, les exégètes s'emparent du texte, le discutent sans fin, excluant tel vers jugé suspect, le
remplaçant par tel autre jugé plus authentique. On sait par exemple aujourd'hui avec certitude,
grâce à une analyse précise, que les vers 557-558 de l' Iliade, ajoutés après coup10- p.213 ¤, ne
*
faisaient pas partie de la version originale du VIIIe siècle. Différentes versions manuscrites,
inscrites sur des papyrus, circulent dans tout le bassin méditerranéen (on en a retrouvé
d'abondants fragments vers 1900). Du Ve siècle av. J.-C. au XIIe siècle ap. J.-C., l' Iliade, un
peu comme le sera la bible, est l'objet de gloses, d'analyses et de corrections diverses de la part
d'érudits (Aristarque de Samothrace, v. 220-143 av. J.-C., est le plus connu d'entre eux, mais on
peut citer également, au 12e siècle après J.-C., Eustathe de Thessalonique et son monumental
commentaire), lesquelles ont entraîné parfois une dénaturation du texte d'origine : l'exemple le
plus flagrant est la division en 24 chants, alors que le texte était, dans sa version primitive, un
ensemble subdivisé en épisodes portant des titres qui en marquaient le sujet : « les exploits de
Diomède » (aujourd'hui appelé « Chant V »), « course de chevaux en l'honneur de Patrocle »
(contenu dans le chant XXIII), etc. Ce découpage tardif (il date de l'époque alexandrine), nul ne
songe aujourd'hui à le contester tant il est inscrit dans nos habitudes de lecture. Il nous éloigne
pourtant de la version d'origine.
134
Le plagiat
Certes, son combat contre Hector l'est, mais d'une façon telle qu'elle contredit l'esprit du poème
homérique : dans la version de Darès, Hector n'est pas tué à la régulière, mais par traîtrise, au
cours d'une embuscade.
135
Le plagiat
136
Le plagiat
137
Le plagiat
pas réunis, les exégètes de l'époque formulent des hypothèses à partir du seul texte, fondant leur
conviction sur l'unité – supposée – de ton ou de style de l' Iliade ou au contraire sur son
caractère composite, sur ses incohérences. Cette querelle en cache une autre, plus profonde, dont
les enjeux ont moins trait à l'Iliade proprement dit qu'à l'orientation nouvelle que veulent
donner certains écrivains français (La Fontaine et Perrault entre autres) à la littérature en
cessant de s'appuyer sur les modèles anciens (ce qui implique une désacralisation du texte
homérique), pour inventer des sujets modernes, élaborer des manières d'écrire nouvelles, en prise
avec le monde actuel. Aussi ceux qui préconisent de tourner le dos à l'antiquité n'hésitent-ils pas
à affirmer, quitte à tomber dans l'exagération, que l'Iliade n'est pas une œuvre réfléchie et
composée, mais la simple juxtaposition de chants épars dans la tradition.
La découverte en 1779 par Jean-Baptiste-Gaspard d'Ansse de Villoison d'un manuscrit datant
du Xe siècle en parfait état (654 pages), dit « Venetus A », pourvu d'une riche annotation
(qu'on appelle « scholies » [Lien « Ecrire depuis 5000 ans.1.3 B. « Le Saviez-vous ? »]), relance
la question homérique, encourageant les savants à approfondir la question de l'origine de l'Iliade
sans se focaliser sur Homère. Le problème se déplace de l'auteur vers le texte, qu'on cherche à
établir de la manière la plus rigoureuse possible. Il revint à Friedrich August Wolf (1759-1824)
de faire ce travail d'établissement, lequel devait consister, entre autres, à faire le tri entre les
vers « interpolés » (= rajoutés après coup) bien après le VIIIe siècle, ou douteux (certains
copistes recopiaient en faisant des fautes), et les vers originaux. Chez les philologues du XIXe
siècle, le principe est désormais acquis que l'Iliade est un texte fluctuant, sans auteur assigné
(on évoque un auteur collectif, certains vont jusqu'à soutenir que l' Iliade est une émanation du
peuple, le fruit du « génie populaire »). Pour autant Wolf ne renonce pas à en fournir une
version écrite qui se rapproche le plus possible de la version originale, récitée, chantée.
138
Le plagiat
* *
*
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613c46057g27gasd/
* *
*
Nous avons vu se croiser deux angles de vue : l'angle économique, et le moral. Les écrits scientifiques
sont par eux-mêmes peu rémunérés : sauf exception, bourse, prix, une thèse ne donne lieu à aucune
rétribution (et coûte plutôt cher à son auteur). Les articles écrits par les chercheurs ne sont généralement
pas rémunérés. Dans ce cas, la faute liée au plagiat est avant tout morale. Mais elle n'est pas légère. Que
vole-t-on quand on vole le travail d'un autre, si on ne lui prend pas d'argent ? Son travail, des années de
recherche, tout ce qu'il s'est imposé à lui-même, tout ce que sa famille a accepté de subir pour qu'il puisse
mener à bien son enquête. On lui vole, à lui et à ses proches, une partie de sa vie.
Au demeurant, des intérêts économiques sont tout de même en jeu, car dans sa carrière, un chercheur
doit passer des évaluations, des diplômes (l'habilitation à diriger des recherches par exemple), des grades,
qui se traduisent aussi en termes d'avancement et de rétribution. C'est pourquoi même lorsque l'on plagie
un ouvrage non publié ou à faible tirage, on s'expose au versement d'importants dommages et intérêts.
En citant les travaux d'autrui, vous montrez que vous avez travaillé, que vous avez classé vos sources, et
que vous êtes capables de les utiliser tout en ayant éventuellement un regard critique sur elles. Tout cela
est parfait.
Il ne faut donc pas se laisser aller au plagiat par omission, celui qui consiste à ne pas citer pour aller
plus vite, s'épargner un travail un peu fastidieux, car les conséquences sont graves.
Ces arguments pourront-ils convaincre ceux qui en seraient tentés d'éviter le plagiat délibéré, celui qui
consiste à reprendre toute une partie d'un ouvrage pour s'en attribuer la gloire ? Ce n'est pas sûr, car une
telle entreprise semble supposer une volonté délibérée de s'approprier l'effort et les capacités d'autrui :
dans ce cas, il ne reste sans doute qu'à faire parler les règles et la répression.
139
Qu'est ce que prouver ?
Qu'est ce que
prouver ? V
140
Qu'est ce que prouver ?
1. La preuve logique
1.1. Introduction
Il n'y a pas d'amour, Hélène, il n'y a que des preuves d'amour
Hélène
La citation en exergue est tirée du dialogue écrit par Jean Cocteau pour les Dames du Bois de
Boulogne. La scène se passe au début du film : Hélène veut croire que son amant Jean l'aime
encore, et Jacques, avec qui elle sort du spectacle, lui affirme le contraire. Qui a raison ?
Comment savoir ? Nous apprenons à la scène suivante que Jean a oublié qu'il avait rendez-vous
ce soir-là avec Hélène, soir qui était - circonstance aggravante - celui de l'anniversaire de leur
rencontre. Hélène finit par arracher à Jean l'aveu que ses sentiments pour elle se sont refroidis.
En réalité, ces aveux ne font que confirmer l'inévitable conclusion à laquelle Hélène était déjà
parvenue par elle-même.
On peut en effet tenir avec Hélène le raisonnement suivant
1. Jean oublie le rendez-vous.
2. Si Jean aime encore Hélène, il n'oublie pas le rendez-vous.
3. Donc Jean n'aime plus Hélène.
Examinons en détail la structure d'un tel raisonnement : il se présente comme une suite de trois
affirmations, dont il faut bien distinguer les rôles. Les affirmations 1 et 2 sont posées a priori
comme vraies, indépendamment l'une de l'autre ; on dira que ce sont les hypothèses du
raisonnement. L'affirmation 3, en revanche, introduite par le petit mot donc, se présente
comme conséquence des deux premières : c'est la conclusion du raisonnement.
Méthode
Notre recherche de la vérité procède ainsi en deux mouvements :
Le premier mouvement consiste à poser correctement les hypothèses de départ. Dans notre
exemple, l'hypothèse 1 est un fait avéré et l'hypothèse 2 l'application d'un principe tiré de
l'expérience commune du comportement amoureux.
Le second mouvement est le processus interne qui nous permet de produire la conclusion à
partir des hypothèses. C'est le domaine de la pure logique.
Remarque
Dans le langage courant, la notion de preuve se rapporte le plus souvent au premier mouvement, et
est comprise alors comme élément de vérification d'une source d'information. On dira par exemple
141
Qu'est ce que prouver ?
qu'un accusé de réception constitue une preuve qu'une lettre a bien été reçue.
Les « preuves d'amour » évoquées plus haut sont de cette nature, et ne peuvent jamais procurer une
certitude absolue.
La notion de preuve se rapporte également au second mouvement : elle désigne dans ce cas le
processus logique au cours duquel la conclusion est tirée des hypothèses.
C'est cette étape de déduction que nous étudions ici.
Conséquence logique
C'est la notion fondamentale de conséquence logique qui nous fournit le premier critère
d'appréciation de la justesse d'un raisonnement.
Définition
Une affirmation P est conséquence logique d'une suite d'affirmations A, B, C,... si P est vraie dans
toute situation où A, B, C,... sont simultanément vraies.
Un raisonnement est correct précisément lorsque sa conclusion est conséquence logique de ses
hypothèses. C'est le cas de notre exemple introductif. Inversement, pour réfuter un
raisonnement incorrect, il suffit de construire une situation satisfaisant les hypothèses mais pas
la conclusion. Le lecteur pourra par exemple réfuter aisément le raisonnement suivant :
Si j'ai la grippe, alors j'ai de la fièvre, or je n'ai pas la grippe donc je n'ai pas la fièvre.
Il faut prendre garde au fait que dans la vie courante, on explicite rarement toutes les
hypothèses. Considérons par exemple le raisonnement suivant :
Si la porte était fermée, le voleur serait entré par la fenêtre, or il n'est pas entré par le
fenêtre, donc la porte était ouverte.
Il est intuitivement irréfutable, mais utilise implicitement l'hypothèse qu'une porte qui n'est pas
fermée est ouverte, hypothèse contenue dans la définition même des mots. En d'autres termes,
même si nous ne raisonnons jamais totalement indépendamment d'un contexte donné, nous
devons être en mesure d'expliciter à la demande toutes les hypothèses fournies par le contexte.
Les hypothèses implicites conduisent à la notion de théoriethéorie- p.211 §, dont l'étude demanderait
*
de longs développements, que nous n'aborderons pas ici. Pour le moment, nous restons dans le
domaine de la pure logique, et reformulons la question de la preuve dans les termes suivants :
De quelles méthodes pratiques dispose-t-on pour établir une conséquence logique
dont toutes les hypothèses ont été explicitées ?
142
Qu'est ce que prouver ?
Une découverte essentielle de la logique est qu'il suffit pour cela de disposer d'un petit nombre
de règles de déduction.
Plus précisément, une règle de déduction indique comment tirer une conclusion d'une forme
donnée à partir d'hypothèses d'une forme donnée.
L'application d'une règle ou d'une autre est exclusivement gouvernée par la structure logique
des énoncés à traiter, et aucunement par leur signification.
Exemple
La seule caractéristique à retenir de l'énoncé : la lumière n'est pas allumée, est qu'il est obtenu
comme résultat de l'opération logique de négation appliquée à l'énoncé : la lumière est allumée.
La signification des termes lumière et allumée est indifférente.
De façon générale, on considère les énoncés qui interviennent dans les raisonnements comme des
combinaisons d'énoncés élémentaires obtenues au moyen des opérations logiques
fondamentales : la négationnégation- p.209 §, que nous venons de voir, la conjonctionconjonction- p.206 §
* *
Chaque opération logique conduit essentiellement à deux règles de déduction, suivant qu'elle
apparaît dans une hypothèse à exploiter ou dans une conclusion à établir à tel ou tel moment du
raisonnement.
Remarque
On parle dans le premier cas de règles d'élimination et dans le second cas de règles d'introduction,
suivant la tradition de la déduction naturelledéduction naturelle- p.206 §. Il se trouve que plusieurs règles de
*
déduction portent aussi des noms classiques, bien antérieurs à la terminologie moderne : nous les
avons conservés dans ce texte. En particulier, les quelques noms en latin signalent que le sujet n'est
pas neuf : ils nous viennent du Moyen Âge, qui lui-même redécouvrait la logique d'Aristote.
1.4. L'implication
Nous possédons la précieuse faculté d'imaginer des faits ou des situations qui ne nous sont pas
donnés immédiatement. Elle nous permet de planifier nos actions et d'évaluer les conséquences
de nos actes avant de nous engager. Le résultat de nos réflexions s'exprime alors le plus souvent
en termes d'implicationimplication- p.208 §.
*
Exemple
Si Jean apporte un bouquet de fleurs à Hélène, celle-ci sera contente.
Si tu es sage, tu auras une glace.
L'implication intervient également pour exprimer une corrélation régulière entre certaines
observations.
Exemple
Si j'ai de la fièvre, je suis malade.
Si j'appuie sur ce bouton, la lumière s'allume.
Attention
Les exemples qui précèdent montrent qu'il ne faut pas confondre implication et causalité. On
considère habituellement que la maladie cause la fièvre, mais que le fait d'appuyer sur le bouton est
la cause de l'allumage.
Précisons d'emblée que dans ce texte, nous ne raisonnerons à aucun moment en terme de cause
et d'effet, mais en termes de condition nécessaire et de condition suffisante : dans une
affirmation de type si A alors B, A est la condition suffisante et B est la condition nécessaire.
143
Qu'est ce que prouver ?
Remarque
Un énoncé de la forme si A alors B peut être formulé de plusieurs façons équivalentes :
la condition A est suffisante pour que B soit satisfaite ;
la condition B est nécessaire pour que A soit satisfaite ;
A implique B.
Nous rencontrons encore l'implication dans nombre de situations familières. Lorsque Mr.X
téléphone à une société de services, il entend peut-être ceci :
Si vous désirez consulter votre facture, tapez 1.
Si vous désirez souscrire un abonnement, tapez 2.
puis un silence...
Au cas où Mr.X souhaite effectivement consulter sa facture ou souscrire un abonnement, il saura
quoi faire. Si en revanche il souhaite résilier son abonnement, le message le laissera perplexe et
indécis.
Ce dernier exemple nous conduit naturellement à dégager une première règle de déduction, qui
indique comment utiliser une hypothèse de la forme si A alors B : c'est la règle dite du
modus ponensmodus ponens- p.209 §, que l'on peut traduire approximativement par « mode (de
*
preuve) en posant », c'est-à-dire que l'on peut utiliser l'hypothèse si A alors B à condition de
poser en outre l'hypothèse A.
Comme le montre l'exemple ci-dessus, une hypothèse de la forme si A alors B ne montre son
utilité qu'à partir du moment où la condition A est réalisée.
Nous venons d'apprendre comment utiliser une hypothèse de la forme si A alors B. On peut se
demander comment, inversement, établir une conclusion de cette forme. Empiriquement, pour
parvenir à la conclusion que
Si j'appuie sur le bouton rouge, la sirène retentit,
j'observe ce qui se passe lorsque j'appuie effectivement sur le bouton rouge. Une fois convaincu
que le système fonctionne, je tiens l'implication pour vraie, même lorsque je n'appuie plus sur le
bouton. En transposant cette procédure pratique dans le domaine purement logique, nous
pouvons dégager la règle d'abstractionabstraction- p.205 § suivante :
*
Fondamental : abstraction
Pour établir une conclusion de la forme si A alors B, on établit la conclusion B sous l'hypothèse A
.
Exemple
On sait que, si Albert fait la cuisine, Bernard met la table et que, si Bernard met la table, Charles
fait la vaisselle.
En ajoutant l'hypothèse qu'Albert fait la cuisine, on peut déduire que Bernard met la table,
puis que Charles fera la vaisselle, en application de la règle du modus ponens ;
En revanche, en ajoutant l'hypothèse qu'Albert ne fait pas la cuisine, on ne peut rien déduire
du comportement des autres personnages.
Exemple
Alice, Barbara, Charlotte, Denise et Ernestine projettent une sortie au cinéma. On sait que (1) si
Alice y va, Barbara et Charlotte iront, (2) si Barbara y va, Denise ira aussi et (3) Si Denise y va,
Ernestine aussi. On souhaite établir la conclusion suivante :
Si Alice va au cinéma, toutes les cinq iront.
144
Qu'est ce que prouver ?
En voici une preuve, dans laquelle nous mettons en évidence les règles logiques employées :
Supposons qu'Alice va au cinéma. D'après (1), en application du modus ponens, Barbara y va et
Charlotte aussi. D'après (2), en nouvelle application du modus ponens puisque Barbara y va, Denise
y va. En appliquant à nouveau le modus ponens à l'hypothèse (3), puisque Denise y va, Ernestine y
va aussi. Donc Alice, Barbara, Charlotte, Denise et Ernestine iront toutes les cinq au cinéma.
On applique alors la règle d'abstraction pour obtenir l'implication souhaitée.
On notera bien que la conclusion obtenue à partir des hypothèses (1), (2) et (3) est elle-même une
implication : on ne sait pas si Alice ira au cinéma ou pas !
1.5. La disjonction
Vous avez invité un ami et vous vous rappelez que celui-ci aime le thé ou le café, mais vous ne
savez plus avec précision s'il s'agit de l'une ou l'autre boisson. Que faites-vous pour contenter
votre ami à coup sûr ? Vous préparez l'un et l'autre. Ainsi, dans l'hypothèse où votre ami aime
le thé, il sera content, et dans l'hypothèse où il aime le café, il sera content aussi.
Nous venons de mettre à jour la règle du raisonnement par casraisonnement par cas- p.211 §, qui nous
*
Exemple
Comme le temps se couvre, Alice, Barbara, Charlotte, Denise et Ernestine hésitent à sortir. Après
discussion, elles conviennent que (1) si Alice sort, Charlotte et Denise sortent aussi et (2) si Barbara
sort, Denise et Ernestine sortent aussi. On suppose en outre que (3) au moins l'une des deux, entre
Alice et Barbara, sortira.
On peut déduire de ces hypothèses la conclusion suivante :
Denise sortira
En voici une preuve détaillant les règles logiques employées :
L'hypothèse qu'Alice ou Barbara sortira permet d'appliquer la règle du raisonnement par cas : dans
le premier cas, si Alice sort, la règle du modus ponens appliquée à (1) montre que Charlotte et Denise
sortiront, et en particulier Denise sortira. Dans le second cas, si Barbara sort, la règle du modus
ponens appliquée à (2) montre que Denise et Ernestine sortiront et en particulier Denise sortira. Par
conséquent Denise sortira.
Remarque : dans l'application de la règle de disjonction des cas, il est impératif que la conclusion de
chaque cas soit la même.
On remarquera le caractère indirect de la règle ci-dessus : elle ne consiste pas à déduire
directement de A ou B une conclusion formée à partir des énoncés A et B, mais elle stipule
que l'on peut obtenir une preuve sous l'hypothèse complexe A ou B à partir de deux preuves
sous des hypothèses plus simples, A et B prises séparément.
Par ailleurs, nous avons formulé la règle en partant d'une disjonction de deux hypothèses, mais
elle fonctionne bien sûr avec un nombre arbitraire de cas. Enfin, il n'est pas nécessaire que les
cas examinés soient mutuellement exclusifs : dans notre exemple, rien n'interdit à notre ami
d'aimer le thé et le café !
On peut se demander inversement en quoi consiste une preuve d'une conclusion de la forme A
ou B. Supposons par exemple que j'ai prêté un livre à quelqu'un. Je crois me souvenir qu'il
s'agit d'Alice ou de Bernard. Le problème est donc d'établir la disjonction A ou B des deux
énoncés
A : J'ai prêté le livre à Alice.
B : J'ai prêté le livre à Bernard.
Il faut se résoudre au fait que les seules méthodes générales de preuve sont ici les deux solutions
évidentes
1.
145
Qu'est ce que prouver ?
1. prouver A ;
2. prouver B.
La règle de déduction correspondante, l'introduction de la disjonctionintroduction de la disjonction- p.208 §
*
, que l'on trouvera sans doute simpliste, peut se formuler de la façon suivante :
1.6. La négation
L'opération logique de négation semble à première vue réaliser une simple symétrie entre le vrai
et le faux : l'interrupteur est ouvert ou fermé, ce nombre est pair ou impair etc. Cette symétrie
apparente disparaît dès qu'on s'intéresse aux moyens de prouver une affirmation A ou au
contraire sa négation non A.
Exemple
Imaginons par exemple un lac dans lequel une espèce aquatique X est très rarement observée. Toute
apparition d'un membre vivant de cette espèce dans le lac constitue une preuve immédiate de
l'affirmation A :
Il existe encore au moins un spécimen vivant de l'espèce X dans le lac.
En revanche, comment parvenir à une preuve de la négation non A, autrement dit une preuve
de la disparition totale de l'espèce dans la zone d'observation, si l'on n'est pas en mesure de
sonder chaque litre des eaux du lac ? De façon analogue, comment savoir qu'une maladie est
totalement éradiquée dans une population donnée si l'on n'est pas en mesure de tester tous les
membres de la population concernée ? Dans ce type de cas, où l'on cherche à prouver l'absence
d'objets satisfaisant une propriété donnée, les preuves sont le plus souvent indirectes. On saura
par exemple que telle espèce Y ne peut pas coexister dans notre lac avec l'espèce X, auquel cas
toute apparition d'un membre de Y constituera une preuve indirecte de l'absence de l'espèce X.
Cet exemple nous permet de dégager la règle d'introduction de la négationintroduction de la négation
- p.208 § :
*
146
Qu'est ce que prouver ?
Remarque
Vous aurez peut-être observé la similitude entre les règles de la négation et celles de l'implication : on
peut en effet comprendre la négation non A comme un cas particulier de l'implication, à savoir A
implique une contradiction. De ce point de vue, la règle de non-contradiction est un cas
particulier du modus ponens, et la règle de négation un cas particulier de la règle d'abstraction.
Il reste alors à comprendre quelle est la spécificité d'une conclusion de la forme contradiction par
rapport à toute autre conclusion arbitraire, et pourquoi l'apparition de la contradiction commande
l'arrêt immédiat du raisonnement. La réponse est dans la règle ex falso quodlibetex falso quodlibet- p.207 §,
*
Le nom de la règle signifie : « du faux ce que tu veux ». Ainsi, si nous acceptons une
contradiction dans nos hypothèses, rien de ce que nous pourrons en conclure n'aura la moindre
valeur, ou plutôt, tout se vaudra, indifféremment.
Exemple
Pierre, Quentin et René hésitent à téléphoner à Suzanne. On sait que, si Pierre téléphone, Quentin et
René aussi et que, si Quentin téléphone, René ne téléphonera pas.
Qui téléphonera ? Qui ne téléphonera pas ?
On va montrer que Pierre ne téléphonera pas. Suivant la règle de la négation, on suppose au
contraire que Pierre téléphone. Le modus ponens appliqué à la première hypothèse montre que
Quentin et René téléphonent. Mais si Quentin téléphone, le modus ponens appliqué à la seconde
hypothèse montre que René ne téléphone pas. On obtient donc à la fois que René téléphone et qu'il
ne téléphone pas, ce qui entraîne une contradiction par la règle de non-contradiction. L'hypothèse
que Pierre téléphone conduisant à une contradiction, on en déduit que Pierre ne téléphone pas.
On ne peut rien conclure concernant Quentin et René.
147
Qu'est ce que prouver ?
Le nom de la règle signifie qu'il n'existe pas de troisième possibilité au-delà des deux termes de
l'alternative A et non A. La règle du tiers exclu est particulièrement utile lorsque nous avons
du mal à trouver une preuve directe d'un énoncé, et conduit, combinée avec la règle de la
négation, au raisonnement par l'absurde.
En effet, d'après la figure de la négation, un tel raisonnement prouve que non A est faux, et la
règle du tiers exclu entraîne alors que A est vrai, ce qui est la conclusion attendue.
A première vue, la règle du tiers exclu peut sembler une évidence sur laquelle il serait inutile de
s'attarder. De fait, dans nombre de cas, l'application de cette règle est incontestable. Imaginons
une boîte d'allumettes et examinons les deux énoncés :
la boîte contient un nombre pair d'allumettes
la boîte contient un nombre impair d'allumettes
Si nous appelons A le premier énoncé, le second est la négation non A, et nous pouvons sans
hésiter appliquer la règle du tiers exclu pour affirmer la conclusion A ou (non A). En effet, il
est toujours possible de compter les allumettes et d'obtenir ainsi, soit une preuve de A, soit une
preuve de non A, ce qui nous renvoie à la règle de disjonction mentionnée plus haut.
Il y a cependant des cas plus subtils où le principe du tiers exclu ne coïncide plus avec le point
de vue que nous avons adopté sur la disjonction.
En voici un exemple :
Exemple
On exécute un programme informatique destiné à effectuer un certain calcul, et on s'intéresse tout
naturellement à savoir si l'énoncé A :
Le calcul termine en un temps fini
est vrai ou faux.
La négation non A exprime au contraire que le calcul se poursuit indéfiniment, sans jamais fournir
de résultat. A supposer que nous soyons effectivement dans ce dernier cas - mais seul le programme le
sait ! - nous nous trouvons dans une situation très particulière : d'une part nous ne pourrons jamais
prouver A puisque le calcul ne s'arrêtera pas, mais d'autre part nous n'aurons à aucun moment la
preuve de non A, car nous pouvons à tout moment penser que nous n'avons pas attendu assez
longtemps pour voir terminer le calcul.
En pareil cas il n'existe ni preuve de A, ni preuve de non A, alors que la règle du tiers exclu
constitue une preuve immédiate de la disjonction A ou (non A).
148
Qu'est ce que prouver ?
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La règle du tiers exclu ne peut pas se déduire des seules figures de raisonnement propres à la
négation et à la disjonction, même si en apparence elle ne concerne que ces deux opérations
logiques. Certains arguments font appel de façon essentielle à cette règle, et ne seraient pas
prouvables sans lui.
Il étend donc strictement notre pouvoir de démonstration, mais, heureusement, pas au
point de rendre le système contradictoire !
1.9. Quantificateurs
Cent passagers ont pris place à bord d'un avion. On peut former la conjonction des cent énoncés
suivants :
Le passager du siège numéro 1 a présenté son billet ;
Le passager du siège numéro 2 a présenté son billet ;
...
Le passager du siège numéro 100 a présenté son billet.
Nous sommes évidemment tentés de traduire cette information complexe par l'énoncé beaucoup
plus simple :
Tous les passagers de l'avion ont présenté leur billet.
Le passage d'un énoncé de la forme Le passager du siège numéro x a présenté son billet à
l'énoncé Tous les passagers ont présenté leur billet est l'opération logique de quantification
universelle.
149
Qu'est ce que prouver ?
L'exemple qui précède pourrait faire croire qu'une telle opération se réduit à la conjonction d'un
nombre indéterminé d'énoncés : en réalité, elle obéit à des règles d'emploi tout à fait spécifiques
et sa portée est bien supérieure à celle de la simple conjonction.
Supposons dans notre exemple que le passager du siège numéro 17 soit une personne nommée
Albert. Nous pouvons déduire directement de l'hypothèse : Tous les passagers ont présenté leur
billet la conclusion : Albert a présenté son billet. Nous venons d'appliquer la première figure de
raisonnement appropriée à la quantification universelle, à savoir le passage du général au
particulier, ou élimination du quantificateur universelélimination du quantificateur universel- p.207 §.
*
Exemple
La Logique d'Aristote revisitée au Moyen Âge dresse une liste de raisonnements appelés syllogismes.
Le plus simple prend la forme classique suivante :
Tous les hommes sont mortels ;
Socrate est un homme ;
donc Socrate est mortel.
La logique moderne décompose cette forme de raisonnements en règles de déduction plus
élémentaires.
Les deux règles en jeu ici sont le modus ponens et l'élimination du quantificateur universel.
La première hypothèse du syllogisme peut en effet se paraphraser
pour tout objet x, si x est un homme, alors x est mortel.
C'est donc la combinaison de deux opérations logiques : une implication suivie d'une quantification
universelle. En appliquant à cette hypothèse la règle d'élimination du quantificateur universel, on
obtient la conclusion
si Socrate est un homme, alors Socrate est mortel
qui, avec la seconde hypothèse, donne, en appliquant la règle du modus ponens :
Socrate est mortel.
C'est la conclusion attendue.
Inversement, comment prouver une conclusion universelle de la forme Tous les membres d'un
certain groupe satisfont la propriété P ? Dans notre exemple, pour parvenir à la conclusion que
Tous les passagers ont présenté leur billet, l'idée ne consiste pas à vérifier a posteriori chaque
terme de la conjonction : Le passager numéro 1 a présenté son billet, Le passager numéro 2 a
présenté son billet, etc.
La preuve repose plutôt sur l'examen du dispositif d'accès à l'avion, qui a bien sûr été conçu
avant que le moindre passager se présente à la porte d'accès !
Pour concevoir un tel dispositif, il suffit d'imaginer le cheminement d'un passager arbitraire. On
pourra alors en tirer une conclusion universelle à condition de n'avoir fait entrer dans notre
raisonnement aucune particularité du passager fictif que nous avons invoqué.
Nous pouvons dégager de cet exemple la figure de raisonnement servant à établir une conclusion
universelle : l'introduction du quantificateur universelintroduction du quantificateur universel- p.209 §.
*
150
Qu'est ce que prouver ?
Attention
Dans l'application de la règle précédente, le fait de n'utiliser aucune spécificité de t est primordiale :
ce n'est évidemment pas parce qu'un membre donné d'un groupe porte un chapeau que tous en
portent !
Formellement, pour prévenir toute faute de raisonnement, on commencera de telles preuves par :
Soit t un membre du groupe...
en prenant soin de choisir un symbole t non encore utilisé. De cette façon, il est certain qu'on n'a
rien pu supposer au préalable de cet objet t, et par conséquent aucune particularité ne viendra
restreindre la généralité de l'argument.
Exemple
On suppose que
Tous ceux qui ont écrit une lettre à une personne en ont aussi reçu une de celle-ci ;
Albert a écrit à tout le monde.
Nous allons montrer que tout le monde a écrit à Albert, en précisant les figures de raisonnement
utilisées.
Soit t un membre du groupe. En appliquant deux fois la règle d'élimination du quantificateur
universel à la première hypothèse, on tire la conclusion
si Albert a écrit à t, alors t a écrit à Albert.
En appliquant à nouveau la règle d'élimination du quantificateur universel à la seconde hypothèse, on
tire la conclusion
Albert a écrit à t.
Ensuite, la règle du modus ponens permet de conclure que t a écrit à Albert.
Enfin, la règle d'introduction du quantificateur universel permet de déduire de
t écrit à Albert
la conclusion
Tout le monde a écrit à Albert.
Il nous reste à étudier une dernière opération logique : la quantification existentielle. Appliquée
à une certaine propriété P, elle exprime qu'il existe au moins un objet satisfaisant P. On a par
exemple l'habitude, après un accident, de poser la question suivante :
Y a-t-il un témoin de l'accident ?
Pour apporter une réponse positive il suffit tout simplement de produire concrètement au moins
un tel témoin. Si par exemple Albert a été témoin de l'accident, nous pouvons en tirer la
conclusion :
Il existe au moins un témoin de l'accident.
La figure de raisonnement correspondante est immédiate : l'
introduction du quantificateur existentielintroduction du quantificateur existentiel- p.208 §.
*
151
Qu'est ce que prouver ?
Remarque
Prise isolément, cette règle de déduction peut sembler superflue : pourquoi affirmer seulement qu'il
existe un témoin de l'accident si je dispose de l'information plus précise qu'Albert est un tel témoin ?
En fait, l'intérêt de cette règle n'apparaît vraiment qu'en combinaison avec d'autres règles, et
principalement celle du raisonnement par cas.
Exemple
On sait que, si Albert n'a pas la clé de la maison, c'est Bernard qui l'a.
Nous allons montrer qu'il existe au moins une personne ayant la clé de la maison.
D'après la règle du tiers exclu, ou bien Albert a la clé, ou bien il n'a pas la clé. On tient alors un
raisonnement par cas :
1. Dans le premier cas, Albert à la clé donc par la règle d'introduction du quantificateur
existentiel, au moins une personne a la clé.
2. Dans le second cas, Albert n'a pas la clé. En appliquant la règle du modus ponens à
l'hypothèse de départ, on déduit que Bernard a la clé, et en appliquant à nouveau la règle
d'introduction du quantificateur existentiel, on déduit qu'au moins une personne a la clé.
On conclut enfin qu'au moins une personne a la clé.
Voyons pour finir comment exploiter une hypothèse existentielle, de la forme :
Il existe au moins un objet satisfaisant la propriété P.
La difficulté est qu'une affirmation purement existentielle ne produit en elle-même aucun témoin
concret de cette existence. Je peux par exemple savoir de source certaine que le carrefour auquel
s'est produit notre accident était très fréquenté à ce moment-là, et par conséquent l'existence de
témoins est inévitable, mais il se peut que par paresse ou peur de représailles, aucun témoin
particulier ne se soit manifesté.
La solution consiste à invoquer un témoin arbitraire de l'existence, de qui, comme dans la règle
d'introduction du quantificateur universel, nous ne devons supposer aucune particularité. C'est
la règle d'élimination du quantificateur existentielélimination du quantificateur existentiel- p.207 §.
*
Formellement, on prendra soin ici encore de désigner ce témoin arbitraire par un nouveau
symbole, et on rédigera sur le modèle suivant :
Comme il existe au moins un objet satisfaisant P, choisissons un tel objet t...
Exemple
On suppose que tout le monde connaît quelqu'un qui connaît une personne célèbre, et qu'Albert n'est
pas une personne célèbre.
Nous allons montrer qu'il existe au moins une personne non célèbre qui connaît une personne célèbre.
En appliquant à la première hypothèse la règle d'élimination du quantificateur universel, on déduit
que
Albert connaît quelqu'un qui connaît une personne célèbre.
La règle d'élimination du quantificateur existentiel nous autorise alors à choisir un témoin t
arbitraire satisfaisant les énoncés :
Albert connaît t ;
t connaît une personne célèbre.
On utilise à nouveau la règle d'élimination du quantificateur existentiel pour invoquer un nouveau
témoin u satisfaisant les énoncés
t connaît u;
152
Qu'est ce que prouver ?
1.10. Exercices
Exercice 1
On suppose que si Alice va faire de la bicyclette, Barbara en fera aussi.
Peut-on en déduire logiquement qu'Alice ou Barbara fera de la bicyclette ?
Oui
Non
Exercice 2
On suppose que si Albert va à la piscine, Bernard ira aussi, et que si Bernard va à la piscine,
Charles n'ira pas.
Sachant que Bernard ne va pas à la piscine, classer chacune des affirmations suivantes dans la
catégorie qui lui correspond.
1. Charles va à la piscine
2. Albert va à la piscine
3. Charles ne va pas à la piscine
4. Albert ne va pas à la piscine
Exercice 3
On suppose que
Si Albert ou Bernard, l'un des deux au moins, va se promener, Charles ira aussi
Au moins l'un des deux entre Bernard et Charles n'ira pas se promener
153
Qu'est ce que prouver ?
On peut en déduire que l'un des trois personnages n'ira pas se promener : lequel ?
Albert
Bernard
Charles
Exercice 4
Xavier, Yves et Zoé se demandent s'ils iront au cinema. Ils conviennent que
Si Xavier va au cinéma, Yves ira aussi
Si Zoé ne va pas au cinéma, Yves n'ira pas non plus
Au moins l'un des trois entre Xavier, Yves et Zoé ira au cinéma
On peut en déduire que l'une de ces trois personnes ira au cinéma : laquelle ?
Xavier
Yves
Zoé
Exercice 5
Pierre, Quentin et René sont invités à une fête. On sait que
Si Quentin y va, René n'ira pas
Si Pierre et René y vont, Quentin ira aussi
Si Pierre n'y va pas, Quentin et René iront
On peut déduire de ces hypothèses que Pierre ira à la fête et que René n'ira pas. En revanche on
ne peut rien conclure à propos de Quentin .
Exercice 6
On considère un groupe de personnes, auquel appartient Albert. On suppose que, dans ce groupe
Tous ceux qui portent une cravate portent un chapeau
Albert ne porte pas de chapeau
Parmi les affirmations suivantes, lesquelles sont conséquence logique des hypothèses ci-dessus ?
Au moins une personne du groupe porte une cravate
Exercice 7
On considère un groupe de personnes, composé de femmes et d'hommes, parmi lesquelles figurent
une femme nommée Alice et un homme nommé Bernard. On suppose que, dans ce groupe
Toutes les femmes portent des lunettes
Au moins un homme ne porte pas de lunettes
Parmi les affirmations suivantes, lesquelles sont conséquence logique des hypothèses ci-dessus ?
Bernard porte des lunettes
154
Qu'est ce que prouver ?
Exercice 8
On considère un groupe de personnes, auquel appartiennent Albert et Barbara. On suppose que
Si Albert a lu un livre, alors tout le monde l'a lu
Si une personne du groupe a lu un livre, Barbara a également lu ce livre
Albert a lu l'Odyssée
Barbara n'a pas lu l'Iliade
Parmi les affirmations suivantes, lesquelles sont conséquence logique des hypothèses ci-dessus ?
Toutes les personnes du groupe ont lu au moins un livre
Exercice 9
On suppose que tous les invités ont mangé un gâteau ou un fruit (ou les deux) et que tous ceux qui
ont mangé un gâteau ont pris un café.
On sait de plus qu'au moins un invité n'a pas mangé de fruit.
Reconstituer un raisonnement correct à partir des fragments suivants :
1. Par conséquent, comme tous ceux qui ont mangé un gâteau ont pris un café, t a pris un café.
2. En conclusion au moins un invité a pris un café.
3. Comme au moins un invité n'a pas mangé de fruit, choisissons un tel invité t.
4. Montrons qu'au moins un invité a pris un café.
5. Comme t n'a pas mangé de fruit, t a mangé un gâteau.
Réponse : ___ ___ ___ ___ ___
Exercice 10
Albert ment toujours et Bernard dit toujours la vérité. Classer les affirmations proposées suivant
qu'elles ont pu être prononcées par Albert seul, par Bernard seul, par tous les deux ou par aucun
des deux.
1. Je m'appelle Albert
2. Je m'appelle Bernard
3. Albert a dit qu'il s'appelle Bernard
4. Bernard a dit qu'il s'appelle Albert
Albert seul Bernard seul Tous les deux Aucun des deux
155
Qu'est ce que prouver ?
2. La preuve judiciaire
Une décision de justice, une étude scientifique ou même un simple article de journal ne sauraient se
réduire à l'expression d'opinions arbitraires : nous attendons des auteurs que leurs jugements soient
étayés par des preuves.
Le présent chapitre explore trois aspects fondamentaux de cette notion complexe, sans prétendre
épuiser le sujet, loin s'en faut.
la première partie est consacrée à la preuve judiciaire, domaine où l'importance des enjeux est
évidente : c'est le lieu d'un conflit entre la nécessité de réunir des preuves et l'impossibilité pratique
de parvenir à la certitude absolue dans les délais requis pour rendre la justice ; on y verra dans une
approche à la fois historique et thématique la manière dont le droit résout ce conflit.
la seconde partie aborde l'aspect purement logique de la preuve : ce qui est en jeu ici n'est pas le
rapport à la vérité des affirmations prises isolément, mais la cohérence interne du discours, qui en
assure la solidité ; on y trouvera plus précisément la liste des règles qui gouvernent la construction
d'un raisonnement correct.
La troisième partie, consacrée à l'argumentation, part du constat que la seule correction logique
d'un argument, sauf peut-être dans le domaine des mathématiques, ne suffit pas à elle seule à nous
convaincre, car il y manque un élément essentiel de séduction, qui relève de la rhétorique : on y
apprendra en particulier à reconnaître les figures de style qui contribuent à l'efficacité du discours.
Au terme de ce parcours, vous aurez compris que l'important n'est pas d'acquérir une érudition
stérile, mais d'assimiler les méthodes qui vous aideront à produire vous-même des travaux de valeur.
Considérations générales sur la preuve en justice (d'après Henry Lévy-Bruhl).
Henry Lévy-Bruhl (1884-1964) est un juriste (thèse de droit romain en 1910), dont l'œuvre est
marquée par sa profonde inspiration sociologique. A partir de 1945 il va travailler pour développer
la sociologie du droit. Directeur d'études à l'Ecole pratiques des hautes études (1951), il s'attache à
l'étude des faits juridiques, considérés en eux-mêmes, et sans préoccupations pratiques. Il étudie les
institutions, dans quelque groupe social qu'elles se rencontrent. Son ouvrage sur La preuve judiciaire
(1964) illustre sa méthode et mérite de servir de support à cette introduction ainsi qu'à certains
développements qui suivront.
Dans le cadre judiciaire, les plaideurs ne sont pas les seuls intéressés par l'issue du procès et donc
par l'administration de la preuve. C'est en effet la société (le groupe social) qui est troublée par le
doute qui pèse sur le droit de l'un de ses membres ; elle se considère lésée par l'infraction, et donc
particulièrement intéressée au procès. Elle est incarnée par le juge qui dirige l'administration de la
preuve et qui va rétablir l'équilibre en s'appuyant sur des preuves pour dire le droit.
A la différence de la preuve scientifique, la preuve judiciaire doit être administrée dans un délai
relativement court. La société n'admet en effet pas les blocages qui pourraient être générés par
l'absence de preuve et donc l'absence de décision de justice.
La preuve judiciaire n'est pas absolue. Elle consiste à faire diminuer le plus possible la marge
d'incertitude, à rapprocher le vraisemblable du vrai. Le juge qui représente le groupe social cherche
à obtenir la ratification de la collectivité.
Les parties au procès cherchent à convaincre le juge par la présentation de leurs arguments. La
preuve a donc un caractère conflictuel. Encore une fois, elle sert alors à gagner le procès, davantage
qu'à dévoiler la vérité. En matière pénale certains éléments comme la personnalité de l'accusé
pourront entrer en ligne de compte, alors que l'élément psychologique est plus limité en matière
civile ou commerciale. Dans les sociétés primitives, ce sont surtout des affaires de nature pénale qui
vont devant le juge, qui prendra en compte les éléments liés à la personne de l'accusé : la crédibilité
qu'il inspire, la considération dont il jouit dans la société mais aussi auprès des dieux (ou du dieu).
Par exemple on considérera que tel accusé bénéficie de la faveur divine et n'a donc pas pu
commettre d'infraction. Le caractère social de la preuve judiciaire est dès lors très marqué.
Le procès peut être considéré comme un combat avec une affirmation et une négation argumentées.
Mais qui doit prouver en premier lieu ? En d'autres termes, sur qui pèse la charge de la preuve au
procès ? On pourrait penser que c'est à celui qui prétend bénéficier de la décision de justice,
c'est-à-dire qui demande, et non celui qui n'a initialement rien demandé. Par exemple, est
demandeur le créancier qui n'a pas été payé et qui réclame en justice ce qu'il considère comme son
dû. Il doit apporter la preuve de son bon droit. Mais le demandeur n'est pas le seul à entrer en
156
Qu'est ce que prouver ?
action. Son adversaire s'efforce en effet de répondre à chaque coup porté. Du coup, preuves et
contre-preuves se succèdent, par lesquelles les plaideurs recherchent la "vérité" ou l'homologation
par le groupe social de ce qui sera considéré comme tel.
De son côté, le juge – celui qui apprécie la preuve – n'est pas un individu ordinaire. Il est supposé
être « l'émanation du sentiment collectif du groupe ». Il est celui qui dit le droit et qui l'applique. Il
n'exprime pas son propre point de vue mais le point de vue collectif (en s'appuyant sur la coutume
ou la loi). Aujourd'hui, dans le Code de procédure pénale, l'intime conviction a aussi cette
dimension : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par
tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction » (art. 427 du Code de
procédure pénale).
Le juge n'est donc pas entièrement libre. Il ne peut chercher les éléments de solution au problème
partout où il le croit utile comme le ferait le scientifique. Le groupe lui impose un certain nombre
d'impératifs qu'il ne peut enfreindre (les règles qui encadrent l'administration de la preuve). Cette
tendance a atteint son apogée avec le système des « preuves légales », notamment pratiqué dans
l'Europe médiévale. C'est – nous le verrons – un système par lequel le juge doit utiliser pour des cas
déterminés, tel mode de preuve, à l'exclusion des autres. Une hiérarchie entre moyens de preuve est
alors établie. On assortit même les preuves de coefficients numériques. Une preuve est donc le
résultat de l’addition de fractions de preuves ! Nous verrons aussi qu'aujourd'hui, l'administration
de la preuve est toujours encadrée plus ou moins selon les domaines.
Le juge doit juger le plus exactement possible. Il est obligé de juger sous peine de troubler l'ordre
public (déni de justice). Il ne peut donc rester sans opinion sur le litige dont il est saisi, même si au
fond de lui il n'a pas de conviction ou s'il lui semble que le droit est lacunaire.
Aujourd'hui, d'après l'article 434-7-1 du Code pénal, « le fait, par un magistrat, ou toute autre
personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de
rendre la justice après en avoir été requis, et de persévérer dans son déni après avertissement ou
injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 € d'amende et de l'interdiction de l'exercice des
fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans ».
D'une manière générale, dans toutes les sociétés, la recherche de preuve doit s'effectuer dans un
délai suffisamment court, pour éviter autant que possible la disparition des preuves. La preuve
judiciaire diffère en cela de la preuve scientifique pour laquelle le temps n'est pas un facteur
fondamental. Le juge doit juger dans un délai relativement bref. C'est ce que rappelle aujourd'hui la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par
un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi [...] » (art. 6). Du coup, le juge ne tranche pas
toujours dans la sérénité, notamment à cause de la pression de l'opinion publique, « qui parfois
prend partie sur des critères émotionnels très subjectifs » (Borricand & SimonBorricand & Simon, p. 304).
Pour Henri Lévy-Bruhl, « il semble bien que ce caractère incertain, imparfait soit une faiblesse
congénitale de la preuve judiciaire » (p. 54Henri Lévy-Bruhl).
Le régime de la preuve est très lié aux manières de penser et aux croyances de la société où il s'est
développé. On pourrait donc penser qu'il y a autant de systèmes de preuve qu'il y a de sociétés
différentes. En fait non. Les modes de preuve judiciaire sont très peu nombreux. Mais
l'administration de la preuve varie beaucoup selon les valeurs qui fondent telle ou telle société à telle
ou telle époque. C'est ce que nous allons voir – dans les grandes lignes – en étudiant comment la
preuve judiciaire a évolué au cours du temps depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui.
157
Qu'est ce que prouver ?
femmes, les mineurs, les fous, les sourds, les muets, les aveugles, les esclaves... ne peuvent
témoigner. Les cas les plus graves nécessitent des preuves sûres, c'est la raison pour laquelle une
condamnation à mort ne peut être prononcée sur le fondement d'un seul témoignage (
DeutéronomeDeutéronome- p.206 § XIX, 15). En cas de doute, l'accusé prête serment devant Dieu et
*
un refus de sa part est considéré comme un aveu de culpabilité. A une époque où la collecte des
preuves est souvent difficile à réaliser et où le témoignage est un mode de preuve privilégié, on
va chercher à se garantir autant que possible des abus et dissuader ceux qui seraient tentés de
faire de faux témoignages. C'est ainsi que les faux témoins sont punis de la peine que l'on aurait
infligée à celui qu'ils ont accusés à tort.
Mais lorsque tous ces modes de preuve se révèlent inefficaces, faute de témoignages valables ou
d'écrits, on se tourne vers ce l'on a appelé les preuves surnaturelles ou ordalies. L'ordalie
est une épreuve physique passée par l'une des partie au procès (parfois les deux), le plus souvent
l'accusé. Au cours de cette épreuve, on attend de la divinité une manifestation indiquant la
culpabilité ou l'innocence de celui qui subit l'ordalie.
Il y a des traces d'ordalies chez les Grecs (précipitation dans le vide, d'après StrabonStrabon- p.211 §
*
) et les Romains, mais ces traces possibles font écho à des époques très anciennes. En fait, on
s'aperçoit que les preuves rationnelles ont pris le dessus dès la création de la cité. L’Europe
occidentale connaît alors la laïcisation de la justice, à partir de la philosophie grecque du VI e s
avant notre ère. Cette révolution entraîne l'utilisation de preuves rationnelles (qui s'adressent à
la raison). L'ordalie ne disparaît cependant pas pour toujours car avec la chute de l'Empire
romain d'Occident, les populations germaniques vont contribuer au développement de nouvelles
ordalies qui se répandent dans toute l'Europe. Mais voyons tout d'abord comment les Romains
envisagent la preuve.
Complément
Le recours à l'ordalie est mentionné dans le Code du roi Hammourabi de Babylone, vers 1750
avant notre ère. Dans cette région de Mésopotamie où coulent deux grands fleuves – le Tigre et
l'Euphrate – et de multiples canaux, l'eau revêt un caractère sacré. Il n'est donc pas étonnant que
l'épreuve ait lieu dans ces cours d'eau. D'après le Code, l'ordalie du fleuve est organisée pour des
accusations d'adultère ou de sorcellerie, deux cas pour lesquels l'infraction est difficile à prouver en
dehors du flagrant délit : « Si quelqu'un a imputé à un homme des manœuvres de sorcellerie, mais
sans pouvoir l'en convaincre, celui à qui les manœuvres de sorcellerie ont été imputées ira au
Fleuve-divin et il plongera dans le Fleuve. Si le Fleuve s'empare de lui, son accusateur emportera sa
maison. Mais si le Fleuve innocente cet homme et qu'il en sort sain et sauf, celui qui avait imputé des
manœuvres de sorcellerie sera tué, et celui qui a plongé dans le fleuve emportera la maison de son
accusateur » (Code d'Hammourabi §2). Un peu plus loin on peut lire que « si l'épouse d'un homme a
été montrée du doigt à cause d'un autre homme, sans toutefois qu'elle ait été surprise avec lui, pour
son mari, elle devra plonger dans le fleuve divin » (Code d'Hammourabi §132). On s'est alors posé la
question de savoir comment l'épreuve était organisée. Les archives royales de la ville de Mari
renferment une description de l'ordalie du fleuve, qui date du XVIII e siècle avant notre ère. On y
décrit une véritable cérémonie au cours de laquelle les faits qui doivent être prouvés sont énoncés
après un rituel particulier. C'est une épreuve particulièrement physique, qui consiste à parcourir une
certaine distance sous l'eau (« au cœur du dieu »). En cas d'échec – et donc de culpabilité – c'est la
noyade : « le Fleuve (le dieu) l'a épousée », dira-t-on d'une femme qui s'est noyée au cours de
l'épreuve.
158
Qu'est ce que prouver ?
On retrouve le recours à l'ordalie en cas de suspicion de l'adultère de la femme, chez les Hébreux.
Même si l'on admet que cette épreuve devait être marginale, celle-ci est prévue dans la Bible (
NombresLivre des Nombres- p.209 § V, 12-31), où l'on peut lire que la femme que l'on accuse devra boire les
*
eaux d'amertume, un breuvage spécial préparé par le prêtre à l'issu d'une cérémonie. Le prêtre « fera
boire ces eaux à la femme. Et lorsqu'il les lui aura fait boire, s'il est vrai qu'elle s'est rendue impure
en trompant son mari, alors les eaux de malédiction, pénétrant en elle, lui seront amères : son ventre
enflera, son sexe se flétrira, et pour son peuple elle servira d'exemple dans les malédictions. Si au
contraire elle ne s'est pas rendu impure, et si elle est pure, elle restera indemne et elle aura des
enfants ». La culpabilité de la femme adultère est révélée par les effets terribles du breuvage,
provoqués par Dieu, qui rendent la coupable à jamais stérile.
159
Qu'est ce que prouver ?
160
Qu'est ce que prouver ?
b) Rome
Malgré le changement constitué par l’effacement de l’élément religieux en matière judiciaire, on
cherche toujours à recueillir l’adhésion du groupe social, autant ou plus que la vérité. Avec le
droit moderne les preuves se perfectionnent. Les principales sont le témoignage et l’écrit.
Problème : le témoignage reste fragile (pressions) et l’écrit la cible des faussaires.
Complément
La procédure de l'époque classique laissa une place importante à la rhétorique car on faisait appel à
des jurys ou à des juges privés (choisis par les plaideurs ou avec leur concours), donc des particuliers
issus des hautes classes mais « dénués de connaissances juridiques ». La rhétorique gagna ainsi une
place importante en matière de preuve. Mais avec la professionnalisation des juges la jurisprudence
va gagner du terrain sur la rhétorique.
Dès le début du principat (Ier siècle av. J.C.), les empereurs et le Sénat vont légiférer sur des
questions de preuve, mais sans qu'une théorie générale en soit élaborée (les juristes romains
n'ont pas coordonné leurs solutions dans un système et n'ont pas énoncé de notions et de
définitions générales). Mais on considère malgré tout que « jusqu'à la fin du 1 er siècle de notre
ère, la notion de preuve [...] fut plutôt rhétorique que juridique » (PuglieseGiovanni Pugliese, p. 298).
Les règles commencèrent à se fixer lorsque les juristes étudièrent véritablement les questions
touchant à la charge de la preuve aux IIe et IIIe siècles de notre ère.
En se fondant notamment sur la classification de Quintilien, on peut distinguer les preuves
suivantes : le témoin (testis), le serment (iusiurandum), l'aveu (confessio), les écrits (tabulae),
les rumeurs publiques (rumores), les précédents (praeiudicia). Quelques mots sur certains
d'entre eux.
161
Qu'est ce que prouver ?
Le témoignage
Les témoins sont le plus souvent volontaires et viennent éclairer le juge sur les faits, mais
surtout manifester leur solidarité pour l'une ou l'autre des parties au procès. Ils déposent
oralement ou par écrit (hors procès). Le témoignage par écrit a tendance à se développer à
partir du Ier siècle avant notre ère. Les témoins peuvent aussi être cités par l'accusateur. La loi
les oblige alors à comparaître et à faire leur déposition. En revanche le droit romain dispense
certaines personnes de témoigner en raison de leur proximité avec l'accusé, en raison par
exemple d'un lien de parenté ou d'autorité (patron-client), mais cette règle peut être contournée
en se présentant comme témoin volontaire. Le lien de parenté n'est donc pas cause d'incapacité
à témoigner.
Le droit romain va cependant progressivement aborder cette question de l'incapacité à
témoigner. La loi va par exemple interdire de témoigner en justice à ceux qui ont été condamnés
pour certains crimes ou bien encore aux mineurs (impubères). Mais les femmes et les étrangers (
peregrini) peuvent témoigner en justice. La déposition des témoins s'accompagnait d'un serment
(dont on trouve aussi mention dans les témoignages écrits).
Procédure. Les témoins déposent à l'oral après les plaidoiries des avocats et lorsqu'un écrit
avait été rédigé, il est lu devant le juge qui dans tous les cas apprécient librement l'importance
qu'il faut donner à chaque témoignage (principe de la libre appréciation des preuves).
L'empereur Hadrien (117-138) demandera seulement au juge de ne pas s'appuyer sur un seul
type de preuve. On peut ajouter que pour certains auteurs, le témoignage écrit, pour être
efficace, doit être confirmé par la déposition de témoins présents à l'audience (supériorité du
témoignage oral).
L'aveu
Par l’aveu (confessio), l’accusé reconnaît sa culpabilité, conformément à l’accusation portée
contre lui. Le juge, qui dispose d’une liberté d’appréciation n’est cependant pas lié par l’aveu et
peut rendre un jugement qui ne le prend pas en compte.
Les écrits
Cicéron (qui classe les écrits parmi les preuves) et Quintilien utilisent le mot latin tabulae pour
désigner les preuves écrites. Dans les affaires civiles, on pouvait ainsi produire toute une série de
titres probatoires, qui allaient être de plus en plus protégés contre les falsifications par
l’apposition de cachets.
A l’époque classique, les preuves ne sont pas obtenues à l’initiative du juge, qui se contente des
preuves apportées par les parties. C’est cependant lui qui va apprécier ces mêmes preuves pour
juger selon son intime conviction. Les choses vont changer dans les derniers siècles de l’Empire
romain d’Occident.
ii Antiquité tardive
A l’époque de l’Antiquité tardive (après 284 de notre èreAntiquité tardive- p.205 §), la législation de
*
162
Qu'est ce que prouver ?
force probante des témoins et des écrits dans l'un de ses titres. Au VI e siècle, « la compilation
de Justinien, au DigesteDigeste- p.207 § et au CodeCode- p.206 §, rassemble en trois titres 62 passages de
* *
des royaumes barbares, le droit romain est simplifié ou disparaît devant les coutumes. Dans le
même temps, la religion chrétienne s’implante peu à peu en Gaule.
Prenons l'exemple du procès pénal pour illustrer les changements qui se sont produits en
matière de preuve judiciaire. Avec le recul de la culture latine, l'écrit se raréfie et n'est que de
peu d'utilité en matière pénale. Il reste alors deux principaux modes de preuves qui se fondent
sur la religion : le serment et l'ordalie.
i Le serment
Le serment est prêté par l’accusé mais aussi par les témoins qui déposent devant le juge. Ce
faisant, ils s’engagent devant Dieu à dire la vérité sur les faits de la cause et prennent le risque
d’une sanction divine au cas où ils prêteraient un « faux serment ». Dans ce contexte bien des
tourments consécutifs à un serment (perte de la vue, perte de la parole…) ont été interprétés
par les contemporains comme la punition de Dieu à la suite d’un parjure. Lorsque l’accusé prête
serment c’est pour se disculper (se purgare), il prête alors ce que l’on appelle un « serment
purgatoire ». Mais il ne le prête pas seul. Il s’entoure en effet de ses proches (parents et amis)
qui vont prêter serment eux aussi, et garantir la sincérité de l’accusé. On les appelle des
cojureurs, qui ne sont donc pas des témoins.
ii Les cojureurs
Les cojureurs sont des personnes qui collaborent à un serment prêté en justice, généralement à
celui de l'accusé. Il est fait appel à eux car on considère que le seul serment de l'accusé ne suffit
pas. Plus l'affaire est grave et plus le droit exige un nombre de cojureurs important. Ils peuvent
être choisis dans la famille, les amis ou plus largement dans le groupe social. On applique le
principe de la solidarité familiale au sens large, qui conduit les membres du groupe à prêter
serment comme ils se seraient engagés dans la vengeance si la justice n'avait pas été saisie. Les
cojureurs ne prêtent pas serment à propos de faits dont ils auraient été témoins : ce ne sont pas
des témoins visuels ou auditifs. Ils répètent vraisemblablement le serment prêté par l'accusé
lui-même (« je jure qu'un tel n'a pas commis tel délit ») et n'apportent aucun argument de fait
nouveau, mais témoignent plutôt du crédit que l'on peut accorder à l'accusé. En cas de parjure,
ils encourent les mêmes risques que l'accusé qui se serait parjuré.
Complément
Le droit et le juge fixent précisément le nombre de cojureurs nécessaire. Par exemple le droit
germanique (loi salique) réclame 12 cojureurs pour les crimes ordinaires et 25 pour les crimes graves.
Mais pour des affaires relatives à l’aristocratie les cojureurs pouvaient être bien plus nombreux
comme le relate Grégoire de ToursGrégoire de Tours- p.208 § à propos de l’adultère reproché à la reine
*
franque Frédégonde. Accusée par son mari le roi Chilpéric, elle vint prêter serment accompagnée de
300 cojureurs de haut rang (Grégoire de Tours, Histoire des Francs VIII, 9).
Un accusé qui n'aurait réuni suffisamment de cojureurs n'aurait donc pas l'appui de son groupe
et perdrait sa cause. D'après Lévy-Bruhl, « tout se passe ici comme si l'objet de la preuve
n'était pas le délit lui-même, mais la personne du suspect, dont on se demande s'il bénéficie ou
non du crédit social ». « On peut rapprocher nos témoins de moralité des cojureurs germaniques
163
Qu'est ce que prouver ?
Complément
Certaines lois barbares punissent le parjure de lourdes amendes (15 sous d'or, Loi salique ; 300 sous
d'or, Loi des BurgondesLoi des Burgondes- p.209 §). CharlemagneCharlemagne- p.206 § ira même jusqu'à réclamer
* *
l'amputation de la main droite (celle qui a touché la Bible ou les reliques) pour les faux témoins et
les parjures. Lorsque l'on avait affaire à des affirmations contradictoires sous serment, le recours à
l'ordalie devenait nécessaire.
iii Ordalies
Les ordalies sont des épreuves physiques subies par l'une des parties (ordalie unilatérale) ou par
les deux (ordalies bilatérales). Elles sont destinées à révéler la véracité du serment de celui qui
passe l'épreuve.L'ordalie unilatérale est une épreuve nécessitant le recours à des éléments
primordiaux comme l'eau ou le feu afin de révéler la pureté de celui qui y est soumis (le
« patient ») et donc la véracité de son serment. Les ordalies semblent se généraliser au VIII e
siècle et sont encadrées par une Église qui montre en même temps des signes de réticence à leur
égard. On constate que l'épreuve s'entoure alors d'un véritable rituel. « Avant l'épreuve le
‘patient' était dépouillé de ses vêtements et revêtu d'habits religieux, cela afin d'éliminer les
talismans et autres protections magiques. On célèbre ensuite une messe solennelle, au cours de
laquelle sont bénis les divers instruments de l'épreuve ; celle-ci a lieu à la fin de la messe, en
présence d'une nombreuse assistance qui chante des psaumes et des litanies » (
J.-M. CarbasseJean-Marie Carbasse, p. 95)
Les différentes ordalies :
L'ordalie de l'eau bouillante. L'accusé plongeait la main dans un chaudron d'eau
bouillante pour en ramasser un objet mis au fond (pierre ou anneau). Au bout de trois
jours le juge allait examiner l'allure de la blessure qui avait été préalablement enveloppée
dans un sac de cuir scellé. C'est probablement l'épreuve la plus fréquente.
L'ordalie du fer rouge. L'accusé saisissait un fer rougi au feu, qu'il maintenait pendant
qu'il effectuait neuf pas. La main était examinée de la même manière que dans l'épreuve
précédente.
L'ordalie de l'eau froide. L'accusé était plongé dans l'eau, pieds et poings liés. L'eau
pure (préalablement bénie) rejetait le parjure (qui flottait) et accueillait celui qui avait
dit la vérité (il coulait), ce qui devait être fréquent.
L'ordalie de la croix. C'est une ordalie bilatérale, c'est-à-dire qui fait participer les
deux parties au procès. Beaucoup moins violente que les premières, elle s'adresse
vraisemblablement aux clercs qui doivent rester debout les bras tendus (en croix) le plus
longtemps possible. Le premier qui baisse les bras est considéré comme celui qui n'a pas
le soutien divin et est désigné parjure. Cette ordalie finira par être interdite en 818-819,
car manquant au respect dû à la passion du Christ.
164
Qu'est ce que prouver ?
iv Le duel judiciaire
C'est une ordalie bilatérale. Les parties combattent elles-mêmes ou se font représenter par un
« champion ». Dieu permettra à celui qui a dit vrai de l'emporter. Si son adversaire trouve la
mort, le duel aura à la fois prouvé sa culpabilité et infligé la peine. Mais s'il survit l'accusé
reconnu coupable sera condamné. S'il existe antérieurement, le duel judiciaire semble se
développer à partir du IXe siècle.
Complément
Dès cette époque l’Église condamne cette pratique de manière récurrente, ce qui ne l'empêche
cependant pas de se développer aux Xe-XIIe siècles. En l'absence de témoignages efficaces, le duel est
la preuve utilisée chez les chevaliers, qui répugnent à subir les autres ordalies (réservées aux rustres).
Le duel est le mode de preuve noble, celui des hommes en armes. On rejoue la guerre devant le juge,
et cela jusqu'à la fin du Moyen Age, et au-delà par le duel (en principe interdit) qui suit souvent une
accusation de mensonge.
Duel judiciaire
165
Qu'est ce que prouver ?
Duel judiciaire
Le duel judiciaire n'est généralement pas considéré comme une ordalie, pourtant il a les
caractéristiques d'une ordalie bilatérale. Lors du combat, l'accusé a besoin des puissances sacrées
pour surmonter l'épreuve. S'il existe des combats qui peuvent apparaître comme des duels
judiciaires dans l'Antiquité, c'est surtout au Moyen Age que le duel est pratiqué, devant les
cours féodales. Dans un champ clos, le duel est réglementé. Souvent il se termine par la mort de
l'un des combattants. « Le duel individuel peut et doit éviter de véritables batailles » (
Lévy-Bruhl, p. 84Henri Lévy-Bruhl). Le duel fut combattu par l’Église (et même davantage que
l'ordalie).
b) XIIe-XVIIIe siècles
i La fin des preuves surnaturelles
L’Église qui avait déjà commencé à critiquer ce type preuve dès le IXe siècle, va poursuivre dans
ce sens et finir par interdire aux clercs de participer à des ordalies en 1215 (IV e concile de
Latran). Mais déjà tout au long du XIIe siècle un certain nombre de villes avaient obtenu de ne
plus subir les ordalies. De son côté, le serment purgatoire a presque disparu des cours laïques au
XIIIe siècle. Seul le duel judiciaire se maintient, soutenu par la noblesse, qui le considère comme
la seule preuve noble. Mais là encore, l’Église s'oppose à ce qu'elle considère comme un sacrilège
et convainc le roi de légiférer. C'est ainsi que Louis IX (Saint Louis) prend deux ordonnances
(1254 et 1258), visant à substituer au duel judiciaire la preuve par enquête. Mais la noblesse
continuera à y avoir recours jusqu'à la fin du XIVe siècle où son usage décroît.
Au moment où les preuves surnaturelles déclinent, l'Occident connaît une renaissance juridique
qui se fonde sur la redécouverte du droit romain, notamment le Code de Justinien et le Digeste.
Ce droit précis et technique qui avait progressivement disparu avec l'Empire romain d'Occident
est à nouveau compris et enseigné depuis les écoles d'Italie (Bologne) et se répand en Europe
notamment grâce aux Universités. Du coup, les preuves « raisonnables » (
Carbasse, p. 192Jean-Marie Carbasse) s'imposent, comme l'aveu et le témoignage, sans cependant
abandonner le serment du prévenu et des témoins. Les juristes formés au droit romain
s'appuient sur les leges (lois romaines) pour mettre sur pied le système des « preuves légales ».
Dans ce système, l'aveu (confessio) est considéré comme la preuve la plus efficace (mais doit
166
Qu'est ce que prouver ?
être étayé par des indices). Cet aveu pouvait avoir été fait directement au juge où bien déduit
de la fuite du suspect. Sans aveu, le juge devait se tourner vers les témoins. A partir du XIII e
siècle le droit romain va inspirer une théorie du témoignage. Le témoin est celui qui a lui-même
vu ou entendu les faits reprochés à l'accusé, ce qui exclut les ouï-dire. Les juristes vont aussi
dresser la liste de ceux qui ne peuvent témoigner : ceux qui n'en sont pas dignes en raison de
leur activité ou d'une condamnation (les infâmes), les étrangers ou les femmes de mauvaise vie.
Enfin on attend du témoin qu'il prête serment de dire la vérité avant de déposer.
innocent, ce qui a comme conséquence que c'est l'accusation qui a la charge de la preuve. Dans
ce contexte l'enquête est menée par le juge qui recherche les preuves. Des preuves qui doivent
être fiables, « plus claires que le jour à midi », écrivent les juristes en se fondant sur le Code de
Justinien. Ces « docteurs », enseignants en droit, vont élaborer une doctrine, que l'on a appelé
la théorie des preuves légales, que l'on a aussi préféré appeler « preuves objectives ». L'idée est
d'éviter la subjectivité du juge qui doit mettre de côté toute impression personnelle : « Le juge
doit former son jugement non sur une connaissance privée, mais sur ce qui a été allégué ou
prouvé au cours de l'instance ». On va donc simplement examiner au procès si les preuves
exigées par la doctrine sont réunies. Toujours selon la doctrine, seule les « preuves complètes »
entraînaient une condamnation ; sans elles, le doute profitait à l'accusé : "dans le doute, pour
l'accusé" (in dubio, pro reo) (Carbasse, p. 194-195Jean-Marie Carbasse).
Ces preuves complètes sont l'aveu explicite ou implicite (fuite) étayé d'indices et le témoignage
d'au moins deux témoins concordants. La déposition d'un seul témoin ne correspond qu'à une
demi-preuve.
Complément
Le droit de cette époque a adopté très tôt ces principes en Italie et en Provence (2 e moitié du XIIe
siècle) ; ils arrivent dans la moitié Nord de la France au milieu du XIII e et sont répandus dans tout le
royaume au XIVe siècle.
En pratique les juges se sont heurtés au difficile problème d'avoir à obtenir une "preuve pleine" – la
seule recevable pour condamner – alors que par un certain nombre d'indices ils avaient la conviction
de la culpabilité de l'accusé. Dans ces cas-là le droit romain les incitait à recourir à la torture : une
torture judiciaire – « la question » – qui allait être réglementée.
A partir du XVIe siècle cependant, le juge se réserve le droit de prononcer une peine (certes inférieure
à la normale, mais parfois lourde) lorsqu'il n'a pas de preuve pleine et que l'accusé a résisté à la
torture. Ce faisant, le juge récupère une certaine liberté d'appréciation, liberté qui va encore
s'accroître lorsqu'il parviendra à punir sur de simples indices, auxquels on attribue une valeur :
demi-preuve, quart de preuve, huitième de preuve. Un tel système engendrait des dérives que des
auteurs du XVIIIe siècle comme VoltaireVoltaire- p.211 § ou BeccariaBeccaria- p.205 § ne manquèrent pas de
* *
vivement critiquer. Si donc l'intime conviction du juge s'impose peu à peu, la preuve pleine et donc la
torture perdent de leur justification.
Notons, pour terminer, qu'en matière civileDroit civil- p.207 §, la preuve écrite va prendre de
*
plus en plus d'importance, selon l'adage « lettres passent témoins » (c'est-à-dire l'écrit est
supérieur au témoignage oral). Le roi de France finira par imposer un écrit « devant notaire et
témoins » pour les contrats excédant une valeur de 100 livres, par l'Ordonnance de Moulins
(1566), de manière à éviter toute contestation ultérieure. On retrouvera plus tard une règle de
cette nature dans le Code civil (article 1341).
167
Qu'est ce que prouver ?
b) En matière pénale
i Modes de preuve
L'écrit : L'écrit des particuliers constitue en droit pénal un simple indice (contrat, lettre...). En
revanche les procès-verbaux des agents ou officiers de police judiciaire ont un régime particulier.
Ils rapportent ce que leur auteur a constaté, mais ne sont valables qu'à certaines conditions (la
constatation doit être faite dans l'exercice des fonctions de l'auteur et dans son domaine de
compétence).
Le témoignage : La loi considère que témoigner est un devoir de citoyen. Refuser de le remplir
peut conduire à une amende de 3750 euros (art. 326 & 438 Code de procédure pénale ). Mais il
est possible pour certaines personnes, comme les médecins ou les prêtres, d'invoquer le secret
professionnel.
Pour s'assurer de la plus grande fiabilité possible du témoignage, la loi a cherché à l'encadrer le
mieux possible. Le témoin doit en principe prêter serment de dire « toute la vérité, rien que la
vérité » (art. 446 CPP). Mais cette règle ne s'applique pas aux mineurs de moins de seize ans,
aux parents en ligne directe, aux frères et sœurs, aux conjoints et concubins notoires. Gare à
celui qui serait convaincu de faux témoignage : il encourt 5 ans d'emprisonnement et 75 000
euros d'amende.
L'aveu : Si la police (au moment de l'interrogatoire) et les magistrats (notamment le juge
d'instruction) ont tendance à chercher absolument à obtenir des aveux, il faut savoir que la loi
considère qu'il s'agit d'une preuve comme une autre. « L'aveu, comme tout mode de preuve, est
laissé à la libre appréciation des juges » (art. 428). Il ne doit pas avoir été fait sous la pression
ou la violence, mais doit avoir été librement consenti. Cette règle exclut donc un certain nombre
de méthodes destinées à extorquer des aveux : l'usage d'un « sérum de vérité » (pentotal) ;
l'usage de l'hypnose ou encore du détecteur de mensonges (le polygraphe, interdit dans toute
l'Europe, mais qui est en usage aux États-Unis). Enfin, on sait que les personnes mises en
examen reviennent souvent sur leurs aveux, affirmant qu'ils leur ont été extorqués.
Les indices : D'après l'article 54 du Code de procédure pénale, l'indice est « tout ce qui, sans
fournir une preuve immédiate, rend possible le fait recherché ». De plus en plus souvent, on a
recours à des experts pour analyser ces indices qui constituent un vaste ensemble : toutes sortes
de traces sur le sol, douilles, impacts de balles, cheveux, traces de sang... Ces indices que la
science fait de plus en plus parler, ont tendance à constituer de fait une catégorie particulière
(non reconnue en tant que telle par la loi), qui prend de plus en plus d'importance sous le nom
de « preuves scientifiques » (cf. approche thématique sur la preuve scientifique).
Le principe de la liberté de la preuve en matière pénale signifie que des preuves de toutes
natures sont acceptées, mais dans le cadre de la loi, qui interdit un certain nombre de procédés.
ii La loyauté
Pour être recevable la preuve doit répondre à certaines conditions en vertu du principe de
loyauté. C'est d'abord la loyauté du juge, qui ne doit pas obtenir d'aveux en ayant recours à des
procédés déloyaux. Mais c'est aussi la loyauté des officiers de police judiciaires. Le recours à la
force publique, lorsqu'il est nécessaire doit être proportionné. La garde à vue est réglementée de
manière à ne pas provoquer l'aveu par fatigue ou lassitude ou par privation de nourriture. La
police ne peut décider de procéder à des écoutes téléphoniques (initiative réservée au magistrat).
De leur côté, la sonorisation de certains lieux et l'interception de correspondances
(enregistrements), les photos et les vidéos ne sont autorisés que pour lutter contre la
délinquance organisée, en vertu notamment de la protection de la vie privée et du domicile. De
plus, si les policiers peuvent utiliser des procédés pour faire apparaître la preuve d'une infraction
(infraction qui aurait de toute façon été commise sans qu'ils interviennent), ils ne peuvent
168
Qu'est ce que prouver ?
provoquer une personne à commettre une infraction. La provocation à la preuve est légale, la
provocation à l'infraction ne l'est pas. Enfin, dernier exemple de limite à la liberté de la preuve
en matière pénale, la police ne peut infiltrer que la délinquance et la criminalité organisée (ex. le
trafic de stupéfiants). Et c'est le procureur de la République ou le juge d'instruction qui doit en
donner l'autorisation.
En revanche, les particuliers (personnes privées) ne sont pas contraints à ces limites en matière
de preuve. C'est ainsi que la justice accueille des écoutes téléphoniques, vidéos et autres
enregistrements (ex. « testing » devant les boites de nuit organisé par SOS Racisme). Les juges
reçoivent aussi des documents obtenus illégalement par des particuliers, comme des documents
volés à l'employeur. Ces preuves déloyales sont appréciées par le juge, qui pourra parfois y
opposer le secret professionnel.
En tout état de cause il formera librement sa conviction à partir des preuves qui lui ont été
fournies : c'est l'intime conviction du juge (art. 353 et 427 Code de procédure pénale).
c) En matière civile
Le droit civil suit le principe de légalité de la preuve en ce qui concerne les obligations et en ce
qui concerne les conditions de validité des instruments de preuve.
169
Qu'est ce que prouver ?
La loyauté de la preuve. C'est un principe déjà évoqué en droit pénal et qui s'applique aussi en
droit civil. La Cour de cassation a considéré par exemple (2004) que « l'enregistrement d'une
conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un
procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue ». Le principe de légalité
est appliqué plus strictement qu'en droit pénal (voir ci-dessus).
En matière civile le juge joue le rôle d'arbitre entre les parties. Un arbitre qui se doit
d'intervenir dans certains cas, notamment lorsque l'insuffisance des preuves ne lui permet pas de
juger. Il peut alors « ordonner toute mesure d'instruction légalement admissibles » (art. 10 du
Code de procédure civile). Il peut ainsi demander une enquête, ou l'intervention d'un expert. Il
peut encore demander à une partie de produire un élément de preuve (à la demande de l'autre
partie) ou bien demander ou ordonner la production de tous documents détenus par des tiers (à
la demande de l'une des parties) (art. 11 Code de procédure civile).
Dans la partie qui suit, il est proposé d'approfondir trois thèmes évoqués dans « l'approche
chronologique ». Cette « approche thématique » mettra en en évidence le lien entre les modes
de preuve leur contexte social.
170
Qu'est ce que prouver ?
Pendant des siècles la religion a pénétré l'activité judiciaire à des degrés divers, et c'est seulement il
y a une centaine d'année, que les dernières traces de ce phénomène se sont estompées. Sous l'Ancien
Régime (avant la Révolution française) en effet, les juges sont « convaincus que Dieu, comme il l'a
expressément promis, est présent au milieu d'eux lorsqu'ils s'assemblent pour juger : Dieu les voit,
Dieu les écoute, Dieu les jugent en même temps qu'ils jugent » (
Marie-France Renoux-ZagaméMarie-France Renoux-Zagamé). Dans ce contexte, il paraît important de
développer ici deux thèmes liés à la présence divine au procès : l'ordalie et le serment.
Après la Révolution française, puis à l'arrivée des Républicains au pouvoir (après 1879), la justice a
fini par se débarrasser des derniers signes de l'influence religieuse. Par exemple, la circulaire Vallé du
1er avril 1904 demande de faire disparaître des prétoires, tous les signes religieux ostentatoires. Un
peu plus tard, en application de la loi du 9 décembre 1905 (séparation des Églises et de l’État), on
enlève ou on dissimule les œuvres religieuses et les crucifix des Palais de justice (
Jean-Pierre RoyerJean-Pierre Royer). Ce début du XXe siècle correspond à la période à laquelle les juges
commencent à se tourner vers la science pour étayer leurs convictions. Le phénomène va prendre
une ampleur sans précédent à partir de la fin du XXe siècle. C'est la raison pour laquelle il en sera
question pour clore cette partie sur la preuve judiciaire.
2.2.2. L'ordalie
a) Définitions
Définition : Définitions
« L'ordalie est une épreuve physique imposée soit à l'une des parties au procès, soit aux deux
parties, dont l'issue, censée être imposée par la Divinité, désignera au juge le coupable ou l'innocent
s'il s'agit d'un procès pénal, ou, s'il s'agit d'un procès civil, la partie titulaire d'un droit » (
LainguiAndré Laingui). On note que l'ordalie est plutôt utilisée en matière criminelle.
De son côté, Henri Lévy-Bruhl définit l'ordalie en ces termes : « en présence d'une difficulté qui
émeut le groupe social, notamment lorsque deux ou plusieurs membres de ce groupe se trouvent en
conflit, une procédure est organisée, dont le but est de permettre aux forces supérieures d'intervenir
et de faire connaître leur avis souverain. [...] La solution est fournie par des puissances dont l'autorité
n'est contestée par personne » (p. 42-43Henri Lévy-Bruhl). Il continue en considérant l'ordalie comme une
« épreuve à laquelle on soumet un individu que l'on soupçonne de quelque méfait, et qui est
aménagée de telle sorte que l'intervention supposée de la puissance sacrée produise automatiquement
la solution du litige » (p. 43Henri Lévy-Bruhl). Enfin, il ajoute que « le mécanisme de cette procédure
consiste en ceci : l'individu au sujet duquel se pose une question – le plus souvent il s'agira de savoir
s'il est coupable ou innocent – est placé, peut-on dire, dans un état d'équilibre imparfait. Il est
soumis à une épreuve qui, en apparence, n'a aucun rapport avec le problème qu'il s'agit de résoudre,
et dont l'issue entraînera cependant sa solution d'une manière absolue et indiscutable. L'innocence ou
la culpabilité sera dès lors établie »(p. 59-60Henri Lévy-Bruhl).
Le terme "ordalie" (vieil anglais ordal) est apparenté à l'allemand Urteil, jugement ; il remonte au
latin médiéval ordalium. Mais le plus souvent les textes anciens emploient des périphrases pour
désigner l'épreuve, comme « aller au chaudron », « aller au fleuve », « la vérité de Dieu », « la vérité
du chaudron »...
171
Qu'est ce que prouver ?
i Dans l'antiquité :
Ordalie du fleuve en Mésopotamie ;
Poison (« eaux amères ») chez les Hébreux.
La précipitation du haut d'un rocher. On en trouve seulement des traces dans les légendes
grecques et romaines avec le saut de Leucade (Grèce) et la roche Tarpéienne (Rome). Si la
précipitation est une peine à l'époque historique, c'est à l'origine une ordalie.
ii Au Moyen Âge :
Ordalie de l'eau où l'accusé est plongé dans une eau profonde ;
Ordalie de l'eau bouillante, où le suspect plonge la main dans un récipient d'eau
bouillante pour y retirer un objet ;
Ordalie du fer rouge saisi à main nue ;
Ordalie de la Croix ;
Ordalie du « pain et du fromage » (risque d'étouffement) ;
Ordalie du cadavre ;
Duel judiciaire.
172
Qu'est ce que prouver ?
La justice de l'empereur Otton III (980–1002) : L'épreuve du feu (par Dirk Bouts, vers
1471-1473, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles).
173
Qu'est ce que prouver ?
accusé est « déjà plus que suspect » car désigné comme coupable par la rumeur publique et
souvent par le porte-parole des puissances surnaturelles : le sorcier. Il est donc « présumé
coupable ». C'est donc à lui d'opérer le renversement qui conduira les puissances surnaturelles à
l'innocenter. L'accusé a donc la charge de se disculper. En l'absence d'accusé le groupe peut se
tourner vers des procédés de divination, qui conduiront à trouver une victime « expiatoire » (
p. 39 & p. 77Henri Lévy-Bruhl).
e) L'ordalie aujourd'hui.
Justice de la Nature et des Puissances Surnaturelles chez les Kabiè du Togo. Exemple d'une
174
Qu'est ce que prouver ?
ordalie filmée par Raymond Verdier (Directeur de recherche honoraire au CNRS) et Andreas
Helmis (Université nationale d'Athènes) en 2003 au Togo.
Introduction : Deux personnes s'opposent dans une affaire de sorcellerie, pour laquelle le juge
de droit commun ne s'estime pas compétent en matière de preuve. Les deux parties sont donc
envoyées dans la montagne des ancêtres (lieu sacré, donc en contact avec les forces
surnaturelles) pour passer l'épreuve de vérité. En ville, le juge attend le résultat de l'épreuve
pour rendre sa décision. Une fois sur place les parties exposent les faits : une jeune femme est
supposée avoir été ensorcelée par son oncle. Celui-ci nie les faits et s'oppose au devin qui
l'accuse.
Les deux parties sont donc : l'oncle de la jeune malade (l'accusé) et un devin (l'accusateur). Ils
vont tous deux passer l'épreuve du feu (ordalie bilatérale).
Toutes les étapes du rituel ont lieu en public.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b51e739bpmjk3/
Premier temps du rituel. Dans le cercle de pierre, l'accusé donne sa version des faits et nie
l'accusation qui pèse sur lui. L'accusateur le contredit en donnant sa version.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b51f91l44oglw/
Deuxième temps du rituel. Devant la case des grands ancêtres, on sort les ustensiles qui
vont servir à l'épreuve. Les deux parties répètent leurs versions des faits. Le grand ancêtre est
invoqué pour que la vérité soit révélée.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b51c1auurk4u7/
Troisième temps du rituel. On prépare l'huile bouillante. La divinité est invoquée. L'anneau
est plongé dans l'huile bouillante. L'accusé puis l'accusateur passent l'épreuve.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b5213dehmwhws/
Quatrième temps du rituel et épilogue. L'accusé perd l'épreuve. Les partie retournent dans
la plaine où l'on enregistre officiellement le résultat de l'ordalie ainsi que les aveux de l'accusé.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b5205dou5nil5/
2.2.3. Le serment
Le serment est une « affirmation ou promesse solennelle faite en invoquant un être ou un objet
sacré, une valeur morale reconnue, comme gage de sa bonne foi » (Robert). Celui qui prête
serment est appelé le « jureur » (il jure de la justesse de son affirmation). Pendant longtemps, la
promesse ou l'affirmation du jureur a été assortie d'une formule (formule de malédiction)
prévoyant des sanctions au cas où il n'aurait pas dit la vérité. C'est la raison pour laquelle on a
pu considérer que le serment était alors « une auto-malédiction conditionnelle, exposant le
jureur aux pires malheurs s'il manque à sa parole » ( Lévy-Bruhl, p. 43 & p. 85Henri Lévy-Bruhl). Par
exemple : « Je jure que telle chose s'est produite. Si je mens j'encourrai tel ou tel châtiment ».
Mais l'efficacité de cette auto-malédiction est conditionnée par un contexte particulièrement
favorable au surnaturel : celui des sociétés dans lesquelles on croit à des forces supérieures
auxquelles on confie le soin de juger. Celui qui prête serment invoque directement les puissances
surnaturelles. Chez les chrétiens il peut s'agir de Dieu ou des saints. Dans d'autres sociétés on
peut invoquer le soleil ; mais l'élément sacré peut être localisé dans certains endroits ou dans
certains objets (terre, eau, feu, ciel, animaux sacrifiés...).
Ce mécanisme ne fonctionne donc que s'il repose sur un système de croyance universellement
répandu, étroitement lié au sacré. Le sacré est d'ailleurs souvent matérialisé lors du serment, par
un objet avec lequel le jureur prend contact, par exemple un livre sacré (Bible, Coran) ou des
reliques (fragment du corps d'un saint dont le culte a été autorisé par l’Église). D'après
Lévy-Bruhl, « l'essentiel est qu'une communication soit établie entre le jureur et le divin
(contact direct avec une chose). On a appelé « serment corporel » le serment prêté en touchant
les Évangiles ou les reliques d'un saint (les vies de saints montrent les effets mortels du
parjure)" (p. 88Henri Lévy-Bruhl).
On appelle le serment qui sert de preuve un serment « assertoire ». Il affirme solennellement
une manière de voir sur un point litigieux. Mais qui est amené à prêter ce genre de serment ?
175
Qu'est ce que prouver ?
Le serment peut être imposé à l'accusé. Ou bien l'accusé prend l'initiative de prêter
serment. Le refus de prêter serment peut être considéré comme un aveu (droit romain) ;
Le serment peut être imposé au demandeur ou à l'accusateur ;
Le serment peut être prêté par les témoins ;
Il est aussi pratiqué par les cojureurs. Les cojureurs ne sont pas des témoins des faits en
rapport avec l'affaire pour laquelle ils ont été sollicités. La force de leur déposition émane
du serment qu'ils prêtent avec l'accusé.
Le serment est prêté par les jurés dans certains systèmes juridiques.
Illustration du XVe siècle montrant les 12 jurés d'une Cour royale anglaise (Banc du roi à
Westminster) prêtant serment sur la Bible (sur la gauche de l'image)
Dans bien des cas il arrive que deux serments s'opposent, ce qui ne facilite pas la tâche du juge.
Au Moyen Age, ce blocage est alors réglé par le recours à l'ordalie.
Le serment n'est pas un acte anodin. C'est un acte solennel. Il consiste à prononcer une formule
rituelle qui n'est pas élaborée par le jureur lui même, mais qui a été établie par la coutume.
C'est ce qui donne à la formule toute sa force et qui ne permet pas de s'en écarter. Si la formule
est courte, elle peut être apprise par cœur, mais si elle est longue elle sera soufflée au jureur.
Aujourd'hui, le président des États-Unis prête serment sur la Bible lors de son investiture. Il
répète une formule après un personnage officiel. Mais attention, nous ne sommes pas ici dans le
cadre judiciaire. La scène peut cependant donner une idée de ce type de "récitation". Voir la
vidéo ci-dessous.
https://webtv.parisnanterre.fr/permalink/v125613b4886cmwptt7c/
Quels sont les effets du serment ? Le serment a une réelle force en raison du caractère
176
Qu'est ce que prouver ?
sacré qui le caractérise. Mais le juge est le seul qualifié pour rendre une sentence à l'issue des
serments. En cas de parjure, il faut s'attendre à ce que les différents malheurs énumérés dans les
formules de serment se produisent. Cependant, on constate qu'en général ils ne se produisent
pas sur le champ. C'est ainsi qu'un malheur de la vie, même tardif pourra être attribué par son
auteur (qui se sait coupable) ou par les tiers, à un parjure. Dans une société très empreinte de
surnaturel, l'innocent pourra voir dans ses malheurs, la marque d'une culpabilité à son insu (la
même chose peut se produire pour l'ordalie).
177
Qu'est ce que prouver ?
178
Qu'est ce que prouver ?
179
Qu'est ce que prouver ?
180
Qu'est ce que prouver ?
Fondamental
Telle est la nature du débat, qu'il soit démocratique, juridique ou scientifique : l'argumentation
permet de confronter les arguments les plus plausibles, de manière à ce que le parti le plus crédible
l'emporte.
181
Qu'est ce que prouver ?
Pourquoi faire intervenir le pathos ? Parce que l'on ne parle pas à de purs esprits
mathématiques ; parce que l'on cherche à convaincre des personnes qui résistent à notre opinion
(des juges, des électeurs, des consommateurs...).
C'est aussi une question d'intensité dans la preuve établie. La démonstration permet de montrer
qu'une opinion est absurde ; mais il faut l'argumentation pour suggérer qu'elle est
révoltanteDescotes.
Nous allons observer les rapports entre logos et pathos chez un penseur qui veille
particulièrement à leur équilibre : l'auteur des Pensées, Blaise Pascal.
182
Qu'est ce que prouver ?
b) La répétition.
Il paraît qu'une anaphoreanaphore- p.205 § peut faire gagner une élection présidentielle. Vous
*
rendez-vous compte ! Le langage conserve donc quelque chose de la puissance des formules
magiques, des incantations que les sorciers clament dans les sociétés tribales, et qui sont
censées agir directement sur le réel V. S. Duval-M. Martinez,: oui, parfois, dire c'est faireQuand dire, c'est faire
- p.218 ¤. Et dans ce but, les figures les plus simples sont souvent les plus efficaces. Quoi de plus
*
simple qu'une répétition ? Ici, ce n'est pas tout à fait une anaphore : c'est plutôt ce que les
spécialistes de la rhétorique appellent une antanaclaseantanaclase- p.205 §, et pour aller plus loin,
*
c'est même une antanaclase externe. Un même mot, le mot « raison », est employé deux fois,
mais avec un sens différent :
la première fois, il signifie "motivations" , « inspirations profondes, cachées,
mystérieuses » (comme dans l'expression : « j'ai mes raisons »). On est dans le domaine
de l'affectif.
la deuxième fois, il désigne au contraire la raison, notre capacité de jugement et de
réflexion.
Ainsi le mot « raison » est employé deux fois, mais pour désigner deux principes antagonistes,
les deux forces contraires qui dirigent l'Homme : le rationnel et l'irrationnel. Il y a dans ce jeu
de contraste une énergie sémantique que l'on ressent, même si l'on n'est pas conscient du
mécanisme en cause.
Fondamental
Anaphore, antanaclase, sont des termes spécialisés de linguistique et de stylistique. Ils ne sont pas à
retenir.
Il faut retenir que la répétition est un procédé efficace pour rendre une formulation frappante et lui
injecter de l'émotion, du pathos, des sentiments ; elle sera encore plus forte si elle s'accompagne d'un
jeu de contraste sémantique entre les deux moments de la répétition.
Remarque
Pascal, lui, est conscient du mécanisme, sait très bien ce qu'il fait. La preuve ? Il le dit. Il le dit dans
cette autre « pensée », où il explique que la répétition est à éviterLa répétition à l'âge classique- p.216 ¤ en*
général, mais qu'elle doit être pratiquée quand elle est nécessaire, expressive :
« Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve
si propresSens en français classique- p.219 ¤ qu'on gâteraitSens en français classique- p.219 ¤ le discours, il les faut
* *
laisser, c'en est la marqueSens en français classique- p.219 ¤ [...] ». Pensées,fr. 48.
*
c) La brièveté
Plus simple encore que la répétition, la brièveté permet de concentrer la puissance de
signification de la phrase (à condition qu'elle existe : toutes les phrases brèves ne sont pas
vouées à passer à la postérité...). Avec la première phrase d'un discours : « Je vous ai compris »,
le président de Gaulle met fin à la guerre d'Algérie. J'exagère à peine (mais l'exagération fait
aussi partie des figures de persuasion) ; c'est en tout cas la manière dont la mémoire collective
se représente cet événement.
Ici, cette force de condensation donne toute sa puissance à l'articulation logique de la phrase.
Quel est le raisonnement ? Il consiste à articuler deux idées :
La raison, la partie intellectuelle de l'homme, croit être celle qui fixe les règles, suivant
les principes de la logique ;
Mais le cœur (c'est-à-dire les sentiments, la partie passionnelle de l'homme) a ses règles,
ses motivations, et il suit son chemin.
Ici encore, Pascal est conscient de ce qu'il fait. Une phrase brève, contenant une petite énigme,
183
Qu'est ce que prouver ?
Cette propriété est souvent utilisée par les messages publicitaires, notamment lorsqu'elle
dissimule un contenu licencieux.
Publicité Energizer : "Never let their toys die. The world's longest lasting battery" ("Ne laissez
jamais leurs jouets mourir. La pile la plus durable au monde"). Energizer » DDB – 2007
Méthode
Dans vos devoirs, en revanche, on ne s'attend pas à ce que vous laissiez votre lecteur deviner ce que
vous voulez dire... C'est au contraire une tendance courante à éviter. Le correcteur n'est pas un
lecteur ordinaire. Il doit lire vite beaucoup de choses : elles doivent donc être parfaitement claires. A
la rhétorique de l'énigme s'oppose celle de la clarté. Une fois encore, la rhétorique est un art de
l'adaptation. Il faut prendre en compte le contexte, et votre public.
184
Qu'est ce que prouver ?
d) L'image
Y a-t-il des figures de style dans cette phrase ? Il y en a au moins une, discrète certes, car
commune : la métaphore qui consiste à utiliser le mot « cœur » pour désigner les sentiments.
Elle est commune, usée, peu surprenante, et pourtant, ne participe-t-elle pas à la force de cette
phrase ? On peut lui prêter au moins deux effets :
toute usée qu'elle soit, cette métaphore appartient au langage galant, au langage des
romans d'amour qui fleurissent en ce 17e siècle, mariant bergères et princes dans un
décor bucolique, et qui plaisent énormément au public ; il appartient aussi au langage de
la tragédie, dans laquelle il symbolise toutes les contradictions qui conduisent l'homme à
se déchirer lui-même. Juste après Pascal, Racine montrera que l'homme gouverné par son
cœur finit par y planter une épée.
en même temps, l'emploi de ce mot permet de dresser face à face deux forces s'opposant
en l'homme. Le cœur, mot singulier, masculin, affronte la raison, qui apparaît comme son
inversion symétrique. La métaphore engage ici une discrète personnification de "cœur" et
"raison". L'effet est plus fort que si Pascal avait dit « les sentiments », « l'émotion » ou
« la/les passion(s) ». On pourrait rattacher cette mise en scène aux grandes
"psychomachies" antiques et médiévales dans lesquelles s'affrontent les grandes entités
qui gouvernent l'âme humaine, "Passion", "Vertu", "Courage", sous une forme
allégorique.
On pourrait ajouter que cette phrase suit un rythme poétique : elle est composée de vers blancs,
une moitié d'alexandrin ("Le coeur a ses raisons, 6 syllabes) et un octosyllabe (que la raison ne
connaît pas, 8 syllabes). Aucun doute, si cette phrase a traversé le temps, c'est qu'elle est un
condensé de signification, sous une formulation frappante.
Voilà donc une phrase qui dit que pour convaincre, il faut savoir utiliser d'autres moyens que
ceux qui parlent à la raison...et qui en le disant applique ce principe, confrontant son lecteur à
une étrange répétition, laquelle cache une apparente contradiction, le tout en quelque mots bien
calibrés.
a) Rhétorique et cuisine
185
Qu'est ce que prouver ?
Complément
Marnix de Sainte-Aldegonde, satiriste protestant du XVIe siècle certes peu connu, a inventé un mot,
« argumenterieTableau des différends de la religion- p.219 ¤ », pour dénoncer cette union naturelle entre
*
b) Eloge du mensonge
Cette aptitude à la manipulation peut aussi être revendiquée comme une preuve de la puissance
de l'argumentation. Dans un petit livre intitulé L'art d'avoir toujours raisonL'Art d'avoir toujours raison
(consultable en ligne), le philosophe allemand Arthur Schopenhauer pousse au bout cette idée,
en expliquant que l'éloquence ne vise qu'à défendre des idées, sans se soucier de savoir si elles
sont justes ou fausses. Il y explique que :
la vérité importe peu pour être cru
personne ne peut vraiment savoir si ce qu'il dit est vrai
Dans ce cas, il reste le souci de convaincre, et autant avoir de bonnes techniques dans ce but.
Ces dernières reposent sur une vérité que tous les rhéteurs ont reconnue, depuis l'Antiquité : il
faut connaître le fonctionnement de la psychologie humaine. Ainsi, pour Schopenhauer, il faut
savoir cacher son jeu, clamer victoire malgré la défaite, forcer l'adversaire à aller trop loin, lui
dire qu'on ne comprend rien à ce qu'il dit pour le désarçonner, se défendre en coupant les
cheveux en quatre... Vous avez maintenant compris que l'argumentation fait partie de la vie de
tous les jours.
d) Un équilibre
Eloge du logos
Lorsque l'on oppose démonstration logique et argumentation, on établit des jugements de valeur
pour dire la quelle est la meilleure.
Notre tendance "naturelle" (mais en réalité assez culturelle) est de dire que l'argumentation
est :
186
Qu'est ce que prouver ?
moins honnête,
plus manipulatrice,
et moins rigoureuse que la démonstration.
Elle serait une sorte de démonstration impressionniste, dégradée.
Eloge du pathos
A l'inverse, on peut dire que la démonstration purement logique manque d'efficacité. Elle
établit des vérités de manière indiscutable, mais pas toujours communicative ; elle cherche à
prouver , non à convaincre . Ses moyens sont bien plus pauvres que ceux de
l'argumentationDominique Descotes, : moins riches en procédés, moins littéraires. Si les hommes étaient
tous des mathématiciens, la démonstration suffirait peut-être, mais les hommes sont tous des
hommes, et donc elle ne suffit pas.
e) Figure et mensonge.
Pourquoi utilise-t-on une figure de rhétorique ?
Alors, l'argumentation est-elle menteuse ? Elle peut l'être, car le menteur argumente volontiers.
Mais dans son usage honnête, elle ne cherche pas à tromper. Son but n'est pas de tromper, mais
de frapper. Ce qu'elle recherche, c'est une efficacité plus stable que celle du mensonge.
Observons un cas simple, celui de l'entraîneur dans un vestiaire de football. Comment
convaincre ses joueurs de se dépasser ?
S'il va à gauche, va à gauche ; s'il va à droite, tu vas à droite. S'il va
pisser, va pisser !
Voila comment Raymond Goethals- p.218 ¤ , qui n'a pas l'habitude des
*
fioritures, explique à l'un de ses joueurs la façon dont il doit surveiller
un adversaire durant le match. L'entraîneur de l'Olympique de
Marseille ne gagnera peut-être pas la finale de la Coupe d'Europe,[ ...]
mais il aura, à tout le moins, réussi un exploit : battre les Marseillais
sur leur propre terrain, celui de la gouaille. (Le Monde)
Le commentaire du journaliste montre les liens de ce « bon mot » avec notre sujet ; la gouaille
ne serait-elle pas une version populaire et quotidienne de la rhétorique ?
Autour de cet exemple facile à comprendre, nous pouvons nous interroger sur la place de la
187
Qu'est ce que prouver ?
vérité. L'entraîneur au parler rugueux dit-il la vérité à ses joueurs ? Imaginons que l'un d'entre
eux manque de distance critique : on risquerait de le retrouver aux toilettes avec un adversaire,
et les conséquences seraient potentiellement brutales. Il pourrait accuser son entraîneur d'avoir
menti. Mais il ne devrait normalement pas trouver beaucoup de camarades pour le soutenir. Les
autres auraient bien compris qu'il ne fallait pas prendre son ordre au pied de la lettre, que
c'était une exagération. Peut-être certains pourraient-ils lui donner le nom rhétorique de cette
figure ?
a. La métaphoreMétaphore- p.209 § *
b. La paraboleParabole- p.210 §
*
c. L'hyperboleHyperbole- p.208 § *
d. L'euphémismeEuphémisme- p.207 § *
Cette figure de style est-elle un mensonge ? Non, car un mensonge a pour but que
l'interlocuteur croie à la lettre ce qui est dit, sans se rendre compte de l'écart pris par rapport à
la réalité. Ici, c'est le contraire : l'entraîneur ne veut pas que ses joueurs prennent ses paroles au
pied de la lettre, mais qu'ils mesurent au contraire la part d'exagération qui y entre, afin de
comprendre ce qu'il veut réellement dire.
Au fait, que veut-il réellement dire ? Qu'il faut « marquer » les joueurs adverses sans faille, les
harceler, ne pas les quitter d'une semelle (pardon, cette hyperbole vient de m'échapper).
Pourquoi ne le dit-il pas ainsi alors ? Il éviterait des méprises toujours possibles.
Pourquoi R. Goethals utilise-t-il cette hyperbole, au lieu de dire simplement à ses joueurs de
"marquer" leurs adversaires ? Parce qu'il sait, intuitivement, par expérience, que l'hyperbole est
plus efficace qu'un langage purement informatif, neutre et descriptif.
Qu'en disent les rhétoriciens ? Voici l'avis de Fontanier, l'auteur de l'un des grands recueils de
figures de rhétorique du XIXe siècle :
L'hyperbole augmente ou diminue les choses avec excès, et les présente
bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont, dans la vue, non
de tromper, mais d'amener à la vérité même, et de fixer, par ce qu'elle
dit d'incroyable, ce qu'il faut réellement croire.
Non seulement l'hyperbole ne ment pas, mais elle dit la vérité mieux que ne l'aurait fait un
langage neutre, sans figure.
Si Goethals avait dit à ses joueurs : « marquez vos adversaires de près, sans relâche », il
n'aurait pas vraiment exprimé sa pensée. Dans un match à très fort enjeu, ce qu'il demande à
des sportifs de haut niveau, c'est de dépasser leur attitude habituelle, d'effectuer leur tâche de
façon diabolique.
L'hyperbole de Goethals dit beaucoup plus de choses que ne l'aurait dit une phrase neutre,
plate, descriptive, sans en avoir l'air. Elle les dit indirectement : si Goethals avait détaillé tout
le sens de son hyperbole, ses joueurs n'auraient pas gagné la Coupe d'Europe (
on les aurait retrouvés endormis dans le vestiaireOh ! Vous exagérez.- p.217 ¤).
*
Goethals applique le principe rhétorique énoncé par Pascal : on se persuade mieux par les
raisons qu'on a trouvées soi-même que par celles qui nous viennent des autres. Il oblige ses
joueurs à un petit effort de déchiffrement ; cet effort est au bénéfice de l'entraîneur : en faisant
l'effort de déchiffrer ce qu'il dit, ils sont déjà sur le chemin de la persuasion. Certes, il ne
faut pas en abuser - surtout dans un devoir universitaire.
188
Qu'est ce que prouver ?
Remarque
Les joueurs n'ont pas besoin de comprendre le fonctionnement de l'hyperbole pour en saisir le
sens. C'est même le contraire. Un joueur très éduqué, qui n'aurait pas été retiré des études
secondaires dans ses jeunes années, et pourrait déchiffrer les mécanismes de l'hyperbole, serait moins
sujet à sa force de fascination.
Nous parlions plus haut des pouvoirs magiques du langage ; ils sont nécessairement moins forts
quand on connaît le « truc ». Celui qui connaît le truc du prestidigitateur est plus à même
d'apprécier son art, son adresse, mais il est moins captif du spectacle. Il est plus libre. Ce n'est sans
doute pas ce que Goethals attend de ses joueurs, en cette circonstance en tout cas.
C'est en revanche ce que l'on attend de vous. En tant qu'étudiants et citoyens, vous devez acquérir
des repères qui vous aident à ne pas être captifs des différents discours auxquels vous pouvez être
confrontés, qu'il s'agisse des discours du savoir, des médias, ou, pourquoi pas, du quotidien.
189
Qu'est ce que prouver ?
3.2.2. L'Ethos
La communication de R. Goethals a le mérite d'être clair. Il reste qu'on peut y déceler un
message enfoui, à un niveau presque psychanalytique. En parlant ainsi à ses jouteurs, en
évoquant l'organe qui leur permet d'uriner, il dit indirectement : « soyez des hommes », « ayez
un rapport simple à votre corps ». La gouaille est souvent un peu machiste. La phrase de
Raymond Goethals dit tout cela, en peu de mots.
De la même manière, quand Platon rapproche la rhétorique des autres arts de la flatterie, ce
n'est pas par hasard qu'il classe parmi ces derniers la parure et la cuisine. On peut considérer
qu'il y a là un sous-entendu sexiste, exercé à l'encontre des rhéteurs.
Fondamental
On appelle Ethos l'image que l'orateur communique de lui-même à travers son discours. Logos,
pathos et ethos sont les trois pôles du discours.
Il est possible d'élaborer un ethos ponctuel, pour un discours particulier. Voyez les vœux
présidentiels : selon la circonstance, le chef d’État donnera de lui-même une image de complicité, de
compassion, d'autorité ou de pugnacité.
L'ethos est en général positif. Selon les rhéteurs anciens, l'orateur doit en général communiquer
une image de vir bonus dicendi peritusVir bonus...- p.220 ¤. Mais l'exemple de R. Goethals montre
*
Méthode
Dans vos devoirs universitaires, vous communiquez une image de vous-mêmes, qu'il est bon de
maîtriser. L'idée n'est pas de laisser transparaître des indices de votre personnalité : ce n'est pas le
lieu adéquat. Vous devez plutôt communiquer une image de rigueur, de neutralité scientifique. Clarté
de l'expression, de la présentation, correction de la langue et de l'orthographe sont les premiers
éléments de cet autoportrait implicite. Les enseignants sont sensibilisés à certains troubles tels que la
dysorthographie, mais dans l'usage commun, si l'on fait tant d'efforts pour suivre les règles de la
langue, c'est aussi parce que notre expression véhicule une image de nous-mêmes. L'honnêteté du
raisonnement, l'aptitude à reconnaître certaines hésitations peuvent aussi faire partie d'une démarche
190
Qu'est ce que prouver ?
scientifique rigoureuse. Dans les devoirs universitaires, il ne faut pas faire du Goethals.
Voici un exemple de pensée très géométrique, dans un fragment qui examine les rapports entre
la justice et la force :
Justice, force.- II est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire
que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est
impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans
force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans
la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ;
et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit
juste.
La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans
dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a
contredit la justice et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi ne
pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût
juste ». Pensées, fr. 48.- p.217 ¤
*
Avez-vous tout compris ? L'idée est la suivante : la justice a besoin de la force pour s'imposer,
et la force a besoin de la justice pour se légitimer. Il faut donc qu'elles s'allient. L'idéal serait
que la force se mette au service de la justice. Mais la force est forte : c'est donc elle qui
s'impose. Et c'est donc la justice qui s'est mise au service de la force. La logique peut aussi
insuffler une critique acerbe de la monarchie absolue en train de se construire.
Révolution française :
Le plan de cet Écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous
faire :
1° Qu'est-ce que le Tiers-État ? Tout.
2° Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien.
3° Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose.
L'effet frappant de cet argument est qu'il place sur une balance,
qui apparaît comme la balance de la justice, deux faits,
l'existence réelle du tiers-état, et sa représentation
politique, en leur donnant une valeur contradictoire :
tout/rien.
191
Qu'est ce que prouver ?
Méthode
Dans vos travaux universitaires, la première marque de la présence du logos, de la raison qui
ordonne, est le plan qui organise votre réflexion. La rhétorique antique a beaucoup réfléchi à cette
question. La plupart des auteurs se sont entendus pour distinguer 4 parties :
1. L'exorde (introduction) qui fait entrer l'auditeur dans le discours
2. La narration (corps du discours) qui expose les faits
3. L'argumentation qui expose la thèse soutenue
4. L'épilogue (conclusion) qui condense avec efficacité le résultat de ce travail.
Dans vos travaux universitaires, on vous demande des plans un peu différents, mais la logique et les
objectifs sont les mêmes. Il s'agit de montrer au lecteur qu'il entre dans un discours construit sur les
bases de la raison.
192
Qu'est ce que prouver ?
par l'une des articulations de base des langages de programmationLes langages de programmation- p.216 ¤,
*
IF (condition requise) : "il va pisser"
THEN (commande à exécuter) : "vas-y avec lui"
ELSE (si la condition requise n'est pas réalisée) : "reste à côté de lui"...
Fondamental
La logique peut apparaître comme une forme plus pauvre que l'argumentation, dans la mesure où
elle ne fait pas intervenir tous les procédés de persuasion qui touchent au pathos. Mais à l'inverse,
une argumentation qui ne prendrait pas appui sur la logique serait vide de sens : nous serions dans
la situation absurde mise en scène par le petit traité de Schopenhauer cité plus haut.
L'argumentation n'a de justification que si elle se place au service d'une démonstration, qu'elle
s'attache à rendre plus persuasive. Pour persuader, la première règle est de tenir un
discours logique.
Est-il bon que les communications entre les hommes soient devenues
aussi faciles ? Les nations ne conserveraient-elles pas mieux leur
caractère en s'ignorant les unes les autres, en gardant une fidélité
religieuse aux habitudes et aux traditions de leurs pères ?
J'ai vu dans ma jeunesse de vieux Bretons murmurer contre les chemins
que l'on voulait ouvrir dans leurs bois
- p.216 ¤ ,
*
alors même que ces chemins devaient élever la valeur des propriétés
riveraines.
- p.217 ¤
*
193
Qu'est ce que prouver ?
touchantes : le bon vieux temps a sans doute son mérite ; mais il faut se
souvenir qu'un état politique n'en est pas meilleur parce qu'il est caduc
(ancien) et routinier ; autrement
il faudrait convenir que le despotisme de la Chine et de l'Inde, où rien n'a
changé depuis trois mille ans, est ce qu'il y a de plus parfait dans ce
monde.
- p.217 ¤
*
Je ne vois pas pourtant ce qu'il peut y avoir de si heureux- p.219 ¤ *
à
s'enfermer pendant une quarantaine de siècles avec des peuples en
enfance et des tyrans en décrépitude.
Le goût et l'admiration du stationnaire- p.211 § viennent des jugements
*
faux que l'on porte sur la vérité des faits et sur la nature de l'homme :
sur la vérité des faits, parce qu'on suppose que les anciennes mœurs
étaient plus pures que les mœurs modernes, complète erreur ; sur la
nature de l'homme, parce qu'on ne veut pas voir que l'esprit humain est
perfectible.
- p.216 ¤ *
Enfin on ne s'élève contre les progrès de la civilisation que par
l'obsession des préjugés : on continue à voir les peuples comme on les
voyait autrefois, isolés, n'ayant rien de commun dans leurs destinées.
Mais si l'on considère l'espèce humaine comme une grande famille qui
s'avance vers le même but
- p.217 ¤ ; si l'on ne s'imagine pas que tout est fait ici-bas pour qu'
*
dans leur ignorance, leur pauvreté, leurs institutions politiques- p.217 ¤ *
Dans ce mouvement universel on reconnaîtra celui de la société, qui,
finissant son histoire particulière, commence son histoire générale.
- p.215 ¤ *
Fr. René de Chateaubriand,
Préface du Voyage en Amérique, 1827.
194
Qu'est ce que prouver ?
de savoir que l'argumentation peut utiliser une grande variété de procédés. Toutes les figures
peuvent servir. L'essentiel est de comprendre comment elles fonctionnent. Ce fonctionnement,
c'est toujours le même, celui du mensonge qui ne ment pas.
de connaître les principaux procédés logiques. C'est l'objet de la dernière partie de ce cours.
part parce qu'il ne s'adresse pas à des spécialistes de la rhétorique, d'autre part, parce que ces
catalogues sont particulièrement desséchants, et enfin, parce que, vous commencez à le
comprendre, le point de vue défendu ici est que l'argumentation peut faire feu de tout bois. Mais
il est bon de savoir repérer les grands types de raisonnement. En voici cinq que l'on rencontre
fréquemment.
a) Induction
Elle consiste à tirer une règle générale d'une situation particulière.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit et dit : "Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute."
La Fontaine, "Le Corbeau et le Renard" (Fables)
Le Renard tire par déduction une règle du tour qu'il vient de jouer au Corbeau ( "je vous ai
bien eu, il ne faut pas écouter les flatteurs, ce sont des profiteurs"). L'induction s'oppose à la
déduction, qui reste sur le terrain de la logique et des principes : on tire la conséquence d'une
cause. Logiquement, la déduction est un peu plus solide que l'induction, mais elle peut aussi être
faussée.
b) Concession
Je reconnais qu'une partie des arguments de l'adversaire sont justes, mais je ne le fais que pour
mieux attaquer sa thèse générale.
Il est vrai qu'il y aura la queue pour aller voir ce film. Mais c'est parce
qu'il est exceptionnel !
Elle est en relation avec l'ethos. Par la concession, je donne de moi l'image d'une personne
équilibrée, modérée, et non colérique ou extrémiste.
[...] l'orateur, sûr de la bonté de sa cause, semble accorder quelque
chose à son adversaire, mais pour en tirer soi-même avantage, ou pour
prévenir les incidents inutiles par lesquels on pourrait l'arrêter. »
Encyclopédie de Diderot
Elle est introduite par : certes, il est vrai, il est indéniable, j'admets..., en général suivi
de : mais, pourtant, néanmoins...(qui introduisent une réfutation).
195
Qu'est ce que prouver ?
d) Argument a fortiori
J'imagine des conditions favorables pour accepter la thèse adverse, et je déclare que même dans
ce cas, elle reste inacceptable. C'est une forme d'hyperbole, qui suggère qu'en l'absence de ces
conditions favorables, cette thèse est totalement inacceptable. A fortiori signifie « à plus forte
raison ».
« Même si j'étais le plus riche des hommes, je ne t'achèterais pas ce manteau.
(sous-entendu : mais je ne le suis pas, donc c'est totalement exclu) »
« Même si je savais qui a cassé la fenêtre, je ne vous le dirais pas.
(sous-entendu : mais je ne le sais pas, donc vraiment arrêtez de me demander) »
« Déjà que je ne supporte pas les chats, alors les chiens ! »
(vous avez compris le raisonnement : c'est plus gros, il faut les sortir et interagir avec eux, donc
jamais de la vie...)
e) Attaque ad hominem
Elle consiste à attaquer une thèse d'après les personnes qui la défendent. La version la moins
douteuse consiste à montrer que l'adversaire contredit ce qu'il a affirmé, ou les règles impliquées
par ses agissements.
Lorsque notre adversaire fait une proposition, il faut vérifier si celle-ci
ne serait pas inconsistante – même si ce n'est qu'une apparence – avec
d'autres propositions qu'il a faites ou admises, ou avec les principes de
l'école ou de la secte à laquelle il appartient, ou avec les actions des
membres de son culte, au pire avec ceux qui donnent l'impression
d'avoir les mêmes opinions, même si c'est infondé.
Schopenhauer, L', stratagème 16
Lorsque l'on n'attaque plus les discours de l'adversaire, mais lui-même, sa manière de vivre, cela
devient un argument ad personamAd personam. On arrive sur la pente périlleuse de la diffamation.
« Vu la manière dont il traite ses enfants, il n'a pas de conseils éducatifs à nous donner ».
La rigueur logique peut être contestée : on peut imaginer qu'un individu qui traite mal ses
enfants puisse avoir par ailleurs de bonnes idées pédagogiques.
196
Qu'est ce que prouver ?
Sans rire, j'ai tout ! Même beaucoup trop ! Tu trouves pas, papa, qu'on a
trop de choses, d'objets, d'habits, d'engins électroniques ? On a trois
ordinateurs à la maison, quatre téléphones portables, une ligne fixe avec un
combiné sans fil dans chaque pièce, un réfrigérateur qui fait des glaçons !...
Quand on pense que les trois quarts de la population mondiale crèvent de
faim et de soif !
– Ah ! Nous y voilà.
– Mais oui, nous y voilà ! Dans ma classe, ils seraient prêts à tuer père et
mère pour la dernière paire de baskets fabriquées en Asie !
– Et tu ne crois pas que dans ces pays d'Asie où, justement, la vie est dure,
ils sont bien contents de trouver du travail dans les usines qui fabriquent ces
baskets à la mode ici !
Je n'étais pas d'humeur à me laisser déstabiliser, ni même à ne serait-ce
qu'écouter les arguments de qui que ce soit.
– Sauf que les ouvriers de ces usines sont sous-payés ! Qu'ils n'ont pas le
droit aux heures sup ! C'est dégueulasse !
C'est dégueulasse !
Mickaël Ollivier, Tout doit disparaître (2007) Ed. Th. Magnier.
La société occidentale croule sous des richesses superflues alors que la moitié du monde vit dans
le besoin
La société de consommation mondialisée crée des déséquilibres insupportables entre les pays.
Sans rire, j'ai tout ! Même beaucoup trop ! Tu trouves pas, papa, qu'on a
trop de choses, d'objets, d'habits, d'engins électroniques ? On a trois
ordinateurs à la maison, quatre téléphones portables, une ligne fixe avec un
combiné sans fil dans chaque pièce, un réfrigérateur qui fait des glaçons !...
Quand on pense que les trois quarts de la population mondiale crèvent de
faim et de soif !
– Ah ! Nous y voilà.
– Mais oui, nous y voilà ! Dans ma classe, ils seraient prêts à tuer père et
mère pour la dernière paire de baskets fabriquées en Asie !
– Et tu ne crois pas que dans ces pays d'Asie où, justement, la vie est dure,
ils sont bien contents de trouver du travail dans les usines qui fabriquent ces
baskets à la mode ici !
Je n'étais pas d'humeur à me laisser déstabiliser, ni même à ne serait
qu'écouter les arguments de qui que ce soit.
197
Qu'est ce que prouver ?
– Sauf que les ouvriers de ces usines sont sous-payés ! Qu'ils n'ont pas le
droit aux heures sup ! C'est dégueulasse !
Mickaël Ollivier, Tout doit disparaître (2007) Ed. Th. Magnier.
Sans rire, j'ai tout ! Même beaucoup trop ! Tu trouves pas, papa, qu'on a
trop de choses, d'objets, d'habits, d'engins électroniques ? On a trois
ordinateurs à la maison, quatre téléphones portables, une ligne fixe avec un
combiné sans fil dans chaque pièce, un réfrigérateur qui fait des glaçons !...
Quand on pense que les trois quarts de la population mondiale crèvent de
faim et de soif !
– Ah ! Nous y voilà.
– Mais oui, nous y voilà ! Dans ma classe, ils seraient prêts à tuer père et
mère pour la dernière paire de baskets fabriquées en Asie !
– Et tu ne crois pas que dans ces pays d'Asie où, justement, la vie est dure,
ils sont bien contents de trouver du travail dans les usines qui fabriquent ces
baskets à la mode ici !
Je n'étais pas d'humeur à me laisser déstabiliser, ni même à ne serait-ce
qu'écouter les arguments de qui que ce soit.
– Sauf que les ouvriers de ces usines sont sous-payés ! Qu'ils n'ont pas le
droit aux heures sup ! C'est dégueulasse !
Mickaël Ollivier, Tout doit disparaître (2007) Ed. Th. Magnier.
Métaphore
Hyperbole
Liste
Elle sert à reproduire de manière concrète, dans le texte, l'entassement inutile d'objets.
Le fils est soucieux de donner la liste exacte de tous les objets concernés par sa critique, car il
aime être précis.
198
Qu'est ce que prouver ?
Sans rire, j'ai tout ! Même beaucoup trop ! Tu trouves pas, papa, qu'on a
trop de choses, d'objets, d'habits, d'engins électroniques ? On a trois
ordinateurs à la maison, quatre téléphones portables, une ligne fixe avec un
combiné sans fil dans chaque pièce, un réfrigérateur qui fait des glaçons !...
Quand on pense que les trois quarts de la population mondiale crèvent de
faim et de soif !
– Ah ! Nous y voilà.
– Mais oui, nous y voilà ! Dans ma classe, ils seraient prêts à tuer père et
mère pour la dernière paire de baskets fabriquées en Asie !
– Et tu ne crois pas que dans ces pays d'Asie où, justement, la vie est dure,
ils sont bien contents de trouver du travail dans les usines qui fabriquent ces
baskets à la mode ici !
Je n'étais pas d'humeur à me laisser déstabiliser, ni même à ne serait
qu'écouter les arguments de qui que ce soit.
– Sauf que les ouvriers de ces usines sont sous-payés ! Qu'ils n'ont pas le
droit aux heures sup ! C'est dégueulasse !
Mickaël Ollivier, Tout doit disparaître (2007) Ed. Th. Magnier.
Une métaphore
Une hyperbole
Une liste
Une exagération
Sans rire, j'ai tout ! Même beaucoup trop ! Tu trouves pas, papa, qu'on a
trop de choses, d'objets, d'habits, d'engins électroniques ? On a trois
ordinateurs à la maison, quatre téléphones portables, une ligne fixe avec un
combiné sans fil dans chaque pièce, un réfrigérateur qui fait des glaçons !...
Quand on pense que les trois quarts de la population mondiale crèvent de
faim et de soif !
– Ah ! Nous y voilà.
– Mais oui, nous y voilà ! Dans ma classe, ils seraient prêts à tuer père et
mère pour la dernière paire de baskets fabriquées en Asie !
– Et tu ne crois pas que dans ces pays d'Asie où, justement, la vie est dure,
ils sont bien contents de trouver du travail dans les usines qui fabriquent ces
baskets à la mode ici !
Je n'étais pas d'humeur à me laisser déstabiliser, ni même à ne serait-ce
qu'écouter les arguments de qui que ce soit.
– Sauf que les ouvriers de ces usines sont sous-payés ! Qu'ils n'ont pas le
droit aux heures sup ! C'est dégueulasse !
Mickaël Ollivier, Tout doit disparaître (2007) Ed. Th. Magnier.
199
Qu'est ce que prouver ?
"On a trois ordinateurs à la maison, quatre téléphones portables, une ligne fixe avec un combiné
sans fil dans chaque pièce"
Courage
Raillerie
Juste indignation
Vous êtes trop bon, père Moïse, fit-il, et vous croyez que les autres vous
ressemblent [...]. Si l'on vous écoutait, nous péririons de faim dans cette
200
Qu'est ce que prouver ?
bicoque ; les paysans nourriraient les Russes, les Autrichiens, les Bavarois à
nos dépens ; ce tas de gueux se gobergeraient matin et soir, et nous autres,
nous aurions les dents longues comme des rats d'église.
Erckmann-Chatrian Le Blocus Episode de la Fin de L'empire, Paris, 1867, p.
63.
Une concession
Luc 11
12. Ou, s'il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion? 13. Si donc,
méchants comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos
enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il le
Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent.
Attaque ad hominem
Concession
Preuve a fortiori
Sensibilité.
Clarté tranchante.
Poésie
* *
*
La persuasion se divise en deux branches, la démonstration, qui est du côté de la logique, et l'
argumentation, qui recherche le maximum d'efficacité. Ces deux branches correspondent à des
méthodes très différentes, et il est nécessaire de les distinguer. Mais dans la pratique, elles peuvent
coopérer, car l'argumentation fait feu de tout bois.
On peut distinguer 3 catégories d'arguments :
l'argument logique, mathématique, qui prouve définitivement un fait, mais ne correspond pas à
toutes les vérités, et n'est pas toujours expressif
L'argument semi-logique, qui consiste à utiliser les outils de la logique pour raisonner sur une
201
Qu'est ce que prouver ?
202
Ressources annexes
Ressources annexes
203
Questions de synthèse
Question de synthèse
204
Glossaire
Glossaire
476
Date de la déposition du dernier empereur romain d'Occident
abstraction
La règle d'abstraction permet d'obtenir une conclusion de la forme A implique B. Cette règle
consiste à montrer que l'on peut tirer la conclusion B sous l'hypothèse A.
Dans la terminologie de la déduction naturelle, c'est l'introduction de l'implication.
alphabet
Système d'écriture dans lequel un signe graphique vaut pour un son (ou, parfois, plusieurs sons).
Tous les alphabets sont sans doute issus d'une unique invention, en Mésopotamie.
anaphore
une anaphore est la répétition d'un même terme, par exemple au début des vers d'un poème.
antanaclase
Elle consiste à employer un même mots dans plusieurs sens (en général, sens propre et sens figuré).
Ex. : Les étudiants séchent, le linge aussi. (Coluche) "Plus Néron (tyran) que Néron lui-même (que
l'original, l'empereur romain).
Antiquité tardive
Période de l'Antiquité qui débute avec l'empereur Dioclétien (284-305).
Beccaria
Cesare Beccaria (1738-1794) : juriste, philosophe, économiste et homme de lettres italien rattaché
au courant des Lumières.
bibliographie
Une bibliographie recense l'ensemble des ouvrages parus sur un sujet (ou du moins, en L1, les
livres incontournables sur un sujet). La bibliographie propose une liste de ces ouvrages selon des
normes précises. Celles-ci peuvent toutefois varier d'une discipline à l'autre.
En général, la référence bibliographique d'un livre est présentée de la manière suivante :
MARTIN Jean-Clément, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national ,
Paris, Seuil, 2006 (auteur, titre, lieu d'édition, éditeur, date).
Un article sera lui présenté de la manière suivante :
MARTIN Jean-Clément, « Réflexions sur les évolutions historiographiques depuis le bicentenaire
de la Révolution française », French Historical Studies, 2009, 32, n°4, p. 689-696 (auteur, titre de
l'article, titre de la revue, date et numéro de la revue, pages de l'article).
cahier
Le mot vient du latin quaterni, quatre à la fois, qui a donné quaternio, quaternion en français, ou
cahier de 4 feuillets. C'est l'empilement de cahiers (chaque cahier étant donc composé de quatre
feuilles de parchemins empilées les unes sur les autres) qui donne naissance aux premier livres,
appelés codex.
calame
205
Glossaire
Taillés dans des matières périssables, le bois ou le roseau, les calames sont utilisés dans l'Antiquité
pour écrire. Le roseau peut être taillé en pointe (pour dessiner) ou en biseau (pour imprimer).
Malheureusement, aucun des premiers calames ne nous est parvenu, même si l'on dispose d'. Mais
les spécialistes de l'écriture cunéiforme ont pu déduire de leurs observations les différents types de
calames utilisés.
Charlemagne
Charlemagne : roi des Francs à partir de 768, couronné empereur à Rome le 25 décembre 800.
Cicéron
Philosophe romain, homme d'État (106-43 av. J.C.)
Code
Code de Justinien (529) : recueil de constitutions impériales (leges).
Code Théodosien
Le Code de Théodose ou Code théodosien est une compilation officielle de décisions impériales
(constitutions) promulguée par l'empereur Théodose II (438).
conjonction
La conjonction est l'opération (ou connecteur) logique qui forme, à partir de deux énoncés A et B,
le nouvel énoncé A et B.
Constantin
Constantin Ier (272-337) mit fin à la persécution des chrétiens au sein de l'empire romain, et
favorisa son expansion comme religion unifiée de l'Europe (v. le cours sur l'histoire de l'écriture).
copieux
Au sens où l'on parle d'un "repas copieux", d'après le latin copia, "l'abondance".
coquilles
Cette expression désigne une erreur d'imprimerie (et depuis la machine à écrire, une erreur de
frappe, dans un document dactylographié). On ne sait pas exactement comment on est passé du
sens propre à ce sens figuré : peut-être d'une ancienne expression, « vendre ses coquilles », qui
signifie « tromper en vendant des objets sans valeur », ou encore de la forme de certaines lettres
retournées...(v. Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert dir. A. Rey, 1993, p. 496).
déduction naturelle
On appelle déduction naturelle la présentation de la logique sous forme de règles, due
essentiellement au mathématicien allemand Gerhard Gentzen (1909-1945).
Défendeur
Personne contre laquelle un procès est engagé par le demandeur (demandeur : personne qui prend
l'initiative d'un procès).
Démotique
L'écriture égyptienne démotique ("populaire") est une forme simplifiée de l'écriture hiératique
cursive.
Deutéronome
Cinquième livre du Pentateuque (Bible)
Digeste
206
Glossaire
Le Digeste est un recueil méthodique d'extraits des avis des juristes romains, réunis sur l'ordre de
l'empereur Justinien (533). Il comprend cinquante livres, eux-mêmes divisés en titres, portant sur
l'ensemble du droit privé (personnes, propriétés, obligations, droit successoral), la justice et le droit
pénal. Dans cette compilation se trouve ainsi rassemblée et classée la jurisprudence romaine depuis
le IIe siècle avant J.-C. jusqu'à la fin du IIIe siècle de notre ère. Avec le Code, les Institutes et les
Novelles, cet ouvrage fait partie du Corpus iuris ciuilis et s'inscrit dans la remise en ordre du droit
accomplie par Justinien. Redécouvert en Occident à la fin du XIe siècle, commenté pendant tout le
Moyen-Âge, puis étudié à la Renaissance, le Digeste a transmis à l'Europe la science juridique
romaine.
Digeste
Digeste : compilation décidée par l'empereur Justinien (530), des consultations des jurisconsultes
de la République ou de l'Empire.
disjonction
La disjonction est l'opération (ou connecteur) logique qui forme, à partir de deux énoncés A et B,
le nouvel énoncé A ou B. On a l'habitude en logique de comprendre A ou B de façon inclusive,
c'est-à-dire à attribuer à A ou B la valeur vrai lorsque A et B sont vrais tous les deux.
Droit civil
Droit civil : ensemble des règles de droit privé normalement applicables. Il constitue le droit
commun par rapport aux règles correspondant à des milieux spéciaux et qui se sont constituées en
disciplines propres (droit commercial, droit rural, droit social...).
Droit privé
Ensemble des règles régissant les rapports entre particuliers.
élimination de la conjonction
La règle d'élimination de la conjonction consiste à établir la conclusion A (ou la conclusion B) à
partir d'une hypothèse de la forme A et B.
élimination de la négation
La règle d'élimination de la négation consiste à tirer une contradiction à partir des deux
hypothèses A et non A.
élimination du quantificateur existentiel
La règle d'élimination du quantificateur existentiel permet d'utiliser une hypothèse de la forme "il
existe au moins un objet satisfaisant la propriété P". On utilise cette hypothèse en choisissant un
témoin t arbitraire satisfaisant la propriété P et en raisonnant à partir de cette nouvelle hypothèse.
élimination du quantificateur universel
La règle d'élimination du quantificateur universel affirme que si une propriété P est vraie de tous
les membres d'un groupe, elle est vraie en particulier de tout témoin t appartenant à ce groupe.
Escarbot
Scarabée, bousier.
Euphémisme
NON. L'euphémisme est une figure d'atténuation, qui consiste à dire les choses de manière adoucie.
R. Goethals aurait pu dire : "n'hésitez pas à les suivre un peu de temps en temps"... On place
souvent dans un QCM les réponses contraires.
ex falso quodlibet
La règle ex falso quodlibet permet d'établir une conclusion arbitraire à partir d'une hypothèse
contradictoire.
Faust
Selon ce conte populaire allemand, adapté au 19e s. par Goethe, mais très connu au 16e s., Faust,
savant insatisfait des résultats de son travail, conclut un pacte avec le diable : il accepte de lui
livrer son âme, et accédera en échange à une vie de plaisirs.
Focalisation
207
Glossaire
Dans les termes de la « narratologie », ou étude du récit, on parlera ici d'une « focalisation interne
», notion que vous avez dû rencontrer dans vos études secondaires. Elle désigne le fait que nous
voyons les choses par les yeux d'un personnage unique, et que nous connaissons ses pensées.
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours ( +594), évêque de Tours, historien de l'Église et des Francs.
Hégire
L'ère musulmane qui commence en 622 quand le prophète de l'Islam, Mahomet, quitte La Mecque
pour se réfugier à Médine.
hiératique
L'écriture égyptienne hiératique est la forme cursive simplifiée des hiéroglyphes utilisée par les
prêtres.
hiéroglyphe
Le terme hiéroglyphe, uniquement utilisé pour l'écriture égyptienne, est construit sur deux racines
grecques qui signifient "gravures sacrées". Il n'a aucun caractère technique, les hiéroglyphes étant
en fait des idéogrammes.
Humanités numériques
...ou Digital Humanities. On désigne ainsi l'utilisation des ressources informatiques et
technologiques au service des sciences humaines (lettres, arts, sciences sociales, patrimoine). Elles
ont eu pour point de départ des travaux de numérisation des textes en vue d'établir des
statistiques, des concordances, etc.
Hyperbole
OUI. L'hyperbole est une exagération. En demandant à ses joueurs de suivre leurs adversaires
jusque dans les toilettes, R. Goethals exagère volontairement. C'est une figure d'insistance.
idéogrammes
Pictogrammes constitués en système. Par exemple les "idéogrammes chinois". En parlant
d'idéogrammes, nous parlons déjà d'écriture. Certains caractères chinois, les hiéroglyphes
égyptiens, les glyphes aztèques ou mayas, les premiers cunéiformes, sont tous dans le principe des
idéogrammes.
implication
l'implication est l'opération (ou connecteur) logique qui à partir de deux énoncés A et B forme le
nouvel énoncé si A alors B.
Index
Index librorum prohibitorum, "indicatif des livres interdits"
Inquisitoire
Procédure inquisitoire : c'est une procédure qui apparaît au moment où le pouvoir est capable de
mettre en place des magistrats professionnels, qui ont une rôle central dans la conduite du procès.
La procédure était alors écrite, secrète et non contradictoire. Aujourd'hui on parle de procédure
inquisitoire lorsque le juge exerce un rôle prépondérant dans la conduite du procès et dans la
recherche des preuves (ex. : instruction du procès pénal).
introduction de la conjonction
La règle d'introduction de la conjonction établit une conclusion de la forme A et B à partir des
deux hypothèses A et B.
introduction de la disjonction
L'introduction de la disjonction est la règle qui permet d'établir une conclusion de la forme A ou
B. Elle consiste à établir l'un des deux termes de la disjonction, soit A, soit B.
introduction de la négation
La règle d'introduction de la négation permet d'établir une conclusion de la forme non A en
montrant que l'hypothèse A entraîne une contradiction.
introduction du quantificateur existentiel
208
Glossaire
209
Glossaire
La négation est l'opération (ou connecteur) logique qui à partir d'un énoncé A forme l'énoncé non
A, qui exprime que A est faux. La dualité A / non A ne doit pas être confondue avec l'autre
dualité familière qui oppose A au contraire de A. La raison de la confusion fréquente est que les
deux opérations coïncident dans les cas qui ne présentent que deux possibilités, par exemple
pair/impair, pile/face etc.
papyrus
Plante très répandue dans la vallée du delta du Nil et aux usages variés (cordes, voiles, sandales,
calfatage des bateaux). C'est à partir de cette plante que sont fabriquées des feuilles sur lesquelles
écrivent les scribes de l'Antiquité. Les tiges de papyrus, débarrassées de leur écorce sont découpées
en fines lamelles et disposées à plat les unes à côté des autres. Sur cette première couche
horizontale, on dispose une seconde couche verticale et c'est l'assemblage, sous forme de tissage,
qui donne naissance à la feuille de papyrus qu'il faut ensuite lisser et émincer. On colle une
vingtaine de feuilles à la suite pour obtenir un rouleau de plusieurs mètres. Ce sont ces rouleaux
qu'on appelle des volumina. Pour écrire, le scribe dévide le rouleau de la main gauche et l'enroule
de la main droite au fur et à mesure qu'il le couvre d'inscriptions. La longueur du rouleau (parfois
plusieurs mètres, jusqu'à 40m pour le plus long papyrus parvenu jusqu'à nous) oblige le scribe à
travailler assis en tailleur, le papyrus posé sur lui.
Parabole
NON. La parabole est une histoire imagée servant à illustrer une leçon morale. Ce terme est
proposé ici car il ressemble à la bonne réponse.
paradoxe sorite
sorite est un adjectif dérivé de sõros qui en grec ancien signifie « tas ». Le paradoxe du tas de sable
est le premier des paradoxes sorites ; il a été formulé au IVe siècle av. J.-C. par un certain
Eubulide, et commenté par Hegel.
Parallax
Ce mot désigne à l'origine le défilement des décors dans certains jeux vidéo. On parle de défilement
différentiel (ou parallax scrolling) lorsque deux plans de l'image défilent à des vitesses différentes.
Certains auteurs écrivent des textes que l'on fait obligatoirement défiler avec la souris, tandis que
défilent, en marge ou entre les chapitres, des images, à des vitesses variables. Le texte se déroule,
sans lien, on est contraint de suivre sa linéarité.
parchemin
La technique de fabrication du parchemin est mise au point vers le IIe siècle avant J.-C. à Pergame
(Asie Mineure) pour remplacer le papyrus, alors monopole de l'Égypte. Le parchemin est fabriqué
à partir d'une peau animale (le plus souvent du mouton, mais on trouve aussi de la peau de chèvre
ou encore de jeune veau qui donne une qualité supérieure, le « vélin ») d'abord trempée dans un
bain de chaux afin d'enlever les poils. La peau, après avoir été grattée, est ensuite tendue sur un
cadre pour sécher. Une fois séchée, elle peut être poncée voire même peinte. En raison de la
matière première animale, le parchemin est très coûteux, ce qui explique qu'on le réutilise en
grattant le premier texte pour en inscrire un second. On parle alors de palimpseste.
Parties
Personnes engagées dans un procès
pictogramme
Dessin représentant un objet ou une idée sans que la forme phonique (la prononciation de cet objet
ou de cette idée) soit prise en compte. Un pictogramme peut donc être "lu" dans n'importe quelle
langue. Les pictogrammes sont des éléments isolés alors que les idéogrammes (qui à l'origine sont
d'anciens pictogrammes) constituent un système.
Plausible
Synonymes de plausible : probable / vraisemblable.
quantification
210
Glossaire
211
Glossaire
212
Références
Références
« Et l'homme créa la
page »,
La première étape de cette évolution est l'invention du codex, dont le grand spécialiste de cette
question de « l'espace page », Anthony Grafton, estime qu'elle est une révolution plus importante que
celle de l'imprimerie (« De la page à la Toile : une rupture essentielle ? », entretien avec R. Chartier, in
Critique, « Et l'homme créa la page », n° 785, oct. 2012, p. 857
« Pourquoi parle-t-on
du "plagiat" de Gotye
mais des "samples" de
Daft Punk ? »
« Pourquoi parle-t-on du "plagiat" de Gotye mais des "samples" de Daft
http://www.francetvinfo.fr/culture/musique/pourquoi-parle-t-on-du-plagiat-de-gotye-mais-des-samples-de-daft-pun
10
Solon invoquait ces deux vers à l'appui des revendications athéniennes sur Salamine.
213
Références
12
À l'exception du film de Marino Girolami, L'Ira di Achille (1962), fidèle à l'épopée d'Homère. Les
trente autres adaptations de l'Iliade (de 1902 à 2004) sont centrées soit sur les amours d'Hélène et
Pâris, soit sur le conflit entre Troyens et Achéens.
13
Le Décaméron (du grec ancien / déka « dix », et / hêméra « jour ») est un recueil de
cent nouvelles écrites en italien par Boccace entre 1349 et 1353. Cette œuvre allégorique médiévale est
célèbre pour ses récits de débauche amoureuse, dont la gamme va de l'érotique au tragique.
2
Selon les biographes de l'antiquité, Homère serait né à Smyrne, aurait vécu à Chio et aurait trouvé la
mort à Ios, une île des Cyclades. Son véritable nom serait Mélesigénès ; son père serait le dieu fleuve
Mélès et sa mère, la nymphe Créthéis...
3
À Aulis, où la flotte grecque est immobilisée faute de vent, Agamemnon se voit forcé d'immoler sa fille,
Iphigénie, pour reprendre la mer.
4
Selon la légende (Stace), Achille, plongé dans le fleuve des Enfers, est invulnérable, à l'exception du
talon par lequel sa mère l'a tenu. L'Iliade n'évoque nulle part cette invulnérabilité, ni la flèche fatale
que Pâris aurait tirée sur la cheville d'Achille (et non sur le talon) – épisode figurant dans l' Énéide.
5
Pyrrhus, fils d'Achille, l'assassine froidement au milieu de Troie en flammes (Virgile, Énéide, II, 553).
6
L'événement est évoqué succinctement par Homère au chant IV (251-290) et au chant VIII (492-495)
de l'Odyssée. Virgile a popularisé cet épisode dans le livre II de son Énéide.
8
Tout commence avec le mariage de la déesse Thétis et du mortel Pélée. Au cours de leur cérémonie,
Éris (déesse de la Discorde), pour se venger de n'avoir pas été invitée, offre aux époux un cadeau
empoisonné, une pomme ornée de la dédicace : « À la plus belle ». Trois déesses se disputent le présent
: Héra, Athéna et Aphrodite. Pour mettre fin au différend, Zeus nomme un arbitre en la personne de
Pâris, fils du roi de Troie. Le Troyen choisit Aphrodite, qui, ravie, récompense son admirateur en lui
offrant « la plus belle femme du monde », Hélène, épouse de Ménélas, roi de Sparte. La Belle est
aussitôt enlevée par Pâris, au grand dam de son mari qui, pour récupérer sa femme et châtier le félon,
organise une expédition punitive contre Troie. Ménélas rallie à sa cause tous les princes grecs : son frère
Agamemnon (qui prend la tête de la coalition), le rusé Ulysse, le fidèle Patrocle, le rude Ajax, le vieux
Nestor, le vaillant Diomède, sans oublier le plus fort d'entre eux : l'invincible Achille, fils de Thétis et
de Pélée...
9
« Ils élevèrent vite un tertre et y mirent des gardes,
Craignant un assaut imprévu des Argiens bien guêtrés. » (XIV, 799-800, derniers vers de l' Iliade.).
a fortiori
214
Références
Le sens de cet argument est : "si même les femmes sont instruites, c'est vraiment que l'instruction s'est
répandue"... Vous trouverez une explication du fonctionnement de cet argument dans le cours sur la
Preuve (6e partie).
antithèse antithèse
A savoir ?
Vous devez savoir ce qu'est l'intertextualité, mais les termes hypotexte et hypertexte, plus spécialisés,
ne sont pas à connaître pour ce cours.
Byron
Byron (1788-1824), poète romantique anglais connu pour sa fougue et ses engagements.
C. Perelman
La référence en la matière est C. Perelman L'Empire rhétorique, Paris, Vrin, 1977 ; mais on peut
consulter avec profit le classement de M. Angenot, La Parole pamphlétaire, Typologie des discours
modernes, Payot, 1982, 1995, qui a un abord plus pratique.
Caractères
Les principales polices de caractères sont l'écriture gothique, qui imite la forme des voûtes de
cathédrales, et l'écriture caroline, que les pays d'Europe du sud trouvent plus lisible.
C ki ?
Si vous n'êtes pas sûrs de savoir qui sont ces personnages, c'est le moment d'apprendre à compléter
votre lecture du cours par une petite recherche documentaire.
comparaison
dévalorisante
comparaison dévalorisante : l'être ou l'objet qui permet la comparaison introduit implicitement des
connotations négatives. Ici, les esprits conservateurs qui brisent la liberté sont comparés à un dompteur
plutôt barbare.
concession concession
Consonnes
étymologiques
Ce sont les consonnes qui viennent de l'origine, souvent latine, du mot : le mot corps s'écrit avec un p
car il est issu du mot corpus latin. En français, il ne s'entend plus. Certains veulent le préserver pour
que l'orthographe du mot conserve la trace de son origine.
Donation de Constantin
Ce document, « connu de toute l'Europe tout au long du Moyen Âge, [...] certifiait que l'empereur
Constantin, par gratitude pour le pape Sylvestre qui l'avait miraculeusement guéri de la lèpre, s'était
converti au christianisme et avait fait don à l'Église de Rome d'un tiers de son empire [...]. La plupart
des historiens sont aujourd'hui d'accord pour considérer que le document a été rédigé vers 750 [soit
quatre siècles après la mort de Constantin Ier en 337] (Carlo Ginzburg, Rapports de force. Histoire,
rhétorique, preuve, Feltrinelli, 2000, trad. Paris, Gallimard, 2003, p. 56).
215
Références
è
Argument que vous pouvez toujours essayer quand on vous dit qu'événement s'écrit ainsi, et non
« évènement »...
feuillets
Les livres sont faits de grandes feuilles pliées. On parle d'un in-octavo (in-8) lorsque la feuille est pliée
en 8, d'un in-quarto (in-4) quand elle est pliée en 4 (ce qui fait un livre plus grand), etc. La lettre (A,
B...) indique quelle est la feuille utilisée ; les chiffres romains (en minuscules) disent sur quel pli de
cette feuille on est : pli i, ii, iii...
François-René de
Chateaubriand
(1768-1848)
Écrivain français de la période romantique et homme politique , qui évoque dans ses romans ( René,
Atala) et dans ses Mémoires d'outre-tombe les mouvements du moi, les correspondances entre l'homme
et la nature, et montre des paysages imposants, propices à la méditation.
Ibid. Ibid.
La répétition à l'âge
classique
Pascal écrit au moment où se mettent en place les règles du français classique : nous trouvons la
répétition disgracieuse, et nous cherchons des synonymes, ce qui n'est pas du tout le cas des
anglo-saxons par exemple.
Les langages de
programmation
216
Références
On la retrouve, avec quelques légères différences de syntaxe dans le langage C, JAVA, php,python, et
sous la syntaxe if then else dans Visual Basic...et Pascal, l'un des premiers langages informatiques, qui
a pris le nom de l'auteur des Pensées, en hommage à ses travaux mathématiques. Il y a décidément
plus de Pascal chez Goethals qu'on ne l'aurait cru.
Licence et Master
Humanités...
Licence et Master Humanités, assurés par différentes disciplines présentes sur le campus : les lettres,
l'histoire, la philosophie et les langues (vivantes et anciennes) entre autres.
liste liste
Logos
Du grec λόγος lógos « parole, discours », et par extension, « raison » ; terme que vous connaissez bien
puisqu'il entre dans la formation de tous les mots désignant un savoir : astro-logie, zoo-logie,
physio-logie... Il forme aussi le mot "logique".
opposition opposition
opposition opposition
Pas compris ?
Ce que dit Sartre ici, c'est que pour un chrétien, la vie est fondée sur l'espérance (d'une vie dans
l'au-delà, de la communion des âmes avec leur Créateur...). Selon cette optique, celui qui ne croit pas
en Dieu n'a pas d'espoir : il est désespéré. L'existentialisme consiste à ne reconnaître qu'un espoir
valable, celui que l'homme peut fonder sur sa capacité d'agir dans le monde.
Pathos
Du grec πάθος, pathos, "expérience subie, malheur", qui entre dans la composition des mots
"sympathie" (fait de souffrir avec autrui) , "empathie", "apathie", "homéopathie", "pathétique", et
dans tous les mots de la famille de "pathologie".
Période de l'humanisme
217
Références
La période est assez clairement délimitée au moins pour sa fin : la fin du 16e siècle, qui marque le
passage au classicisme. Pour le début, on parle d'humanisme en France surtout pour le 16e s., mais en
Italie on le voit s'épanouir dès le début du 15e s.
Platon
Platon parle de l'âge d'or, celui dans lequel les hommes vivaient dans la pureté, avant d'être corrompus
par tous les vices que nous connaissons. L'actualité est plus forte que le mythe : les Indiens d'Amérique
sont plus purs que les hommes de l'âge d'or évoqués par Platon, à qui Montaigne donne donc une petite
leçon d'utopie.
Pourquoi parle-t-on du
"plagiat
« Pourquoi parle-t-on du "plagiat" de Gotye mais des "samples" de Daft Punk ?
http://www.francetvinfo.fr/culture/musique/pourquoi-parle-t-on-du-plagiat-de-gotye-mais-des-samples-de-daft-punk_326164
Pulci Luigi Pulci (1432 - 1484), poète italien de la fin du Moyen Âge.
R. Goethals
Raymond Goethals, 1921-2004, entraîneur de football belge, qui mena l'Olympique de Marseille à son
titre de champion d'Europe en 1993, devenant ainsi le premier et le seul entraîneur à remporter la
Ligue des champions avec un club français.
Réponse
On n'est pas dans un lieu de travail, mais de détente, symbolisé par le gros coussin.
Réponse
Le lecteur est solitaire, n'a pas l'allure d'un vieux sage, et pire encore, c'est une femme. Une lectrice.
Aucun doute, la lecture est devenue (aussi) une activité de loisir. Ce qui n'empêche pas une attitude de
concentration. On peut donc avoir des habits vaporeux et réfléchir ? Il est vrai que les fresques de
Pompei attestent déjà d'une lecture féminine silencieuse, plus privée. (Cavallo, Guglielmo et Chartier,
Roger (dir.) (1997), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil).
Réponse
Il ne s'agit pas d'un gros volume symbolisant la somme des savoirs anciens, mais d'un petit livre.
S'agit-il d'un de ces livres « que l'on ne lit que d'une main », suivant une expression prêtée à Rousseau
pour désigner les ouvrages licencieux ? Voilà évidemment qui viendrait nuancer les interprétations
précédentes. Mais cette lectrice a l'air calme et recueillie.
Réponse...
Deux faits apparemment simples donnent toute sa force à cette formulation : la répétition, et la
brièveté.
Réponses
218
Références
1. réponse d. La c est indécidable sans plus de précisions. C'est le fait de ne pas signaler qui crée le
plagiat, même s'il ne s'agit pas d'un emprunt littéral. Mais on a le droit de s'inspirer d'autrui. Tout est
question de proportion dans la copie. En examen, on vous demanderait de choisir une seule réponse et
dans ce cas la d est assurément prioritaire.
2. toutes les réponses sont valides ; il peut y avoir plagiat dès qu'il y a activité de création ou
d'invention. Cela concerne aussi bien les arts que les sciences.
3. a : faux. b : faux. c : vrai. d : vrai. e : faux. (les explications sont dans le cours)
sarcasme sarcasme
Sens en français
classique Ici "propres" signifie "appropriés".
Sens en français
classique Ici "gâter" signifie "abîmer".
Sens en français
classique Ici "marque" signifie "signe".
Sieyès (Emmanuel
Joseph, dit l'abbé
Sieyès)
Homme politique français (1748-1836). Adepte des philosophes des Lumières, il publie à la veille de la
Révolution française son essai Qu'est-ce que le Tiers Etat ?, qui connaît un grand retentissement. Il
joue un rôle décisif dans la transformation des Etats généraux en Assemblée nationale en juin 1789.
Solution
Charles le chauve s'émouvait du sort des pauvres (orthographié : Charles le chauve s'esmouvoit du sors
des povres)
Source
http://www.europe1.fr/culture/calogero-sa-condamnation-pour-plagiat-confirmee-en-appel-1369708
surdiplômée
Remarque : chez les Romains, les plus fortunés se faisaient lire les textes par des esclaves spécialisés
(Vandendorpe, ouvr. cit. p. 17).
Tabulaire
On parle de lecture tabulaire lorsqu'un document se lit comme un tableau, non du début à la fin, mais
en passant d'une zone à l'autre, d'une case à l'autre, dans l'ordre que l'on choisit. Au contraire, la
lecture linéaire ou cursive suit le cours du texte, du début à la fin.
219
Références
Times New Roman est une police romaine, adaptée par le magazine Times en 1932, pour être lue plus
rapidement et occuper moins de place sur la page : nous sommes après le krach boursier de 1929,
désormais le papier doit être économisé.
Tretté de la grammre
fronçose
Tretté de la grammęre fronçoęse, feuillet 26, verso.V. Mireille Huchon, « La prose d'art sous François
Ier : illustrations et conventions », Revue d'histoire littéraire de la France 2/ 2004 (Vol. 104),
p. 283-303, consultable sur : URL :
www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2004-2-page-283.htm. DOI : 10.3917/rhlf.042.0283
Vir bonus...
"Homme de bien qui sait manier le verbe, qui est expérimenté dans l'art de la parole" ; cette définition
de l'orateur, attribuée à Caton, a été reprise par plusieurs rhéteurs, tels Cicéron et Quintilien
notamment.
Vitruve
Il vécut au 1er sièce avant Jésus-Christ. Vous trouverez un plan du De architectura sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/De_architectura
220