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SURVIVAL E.N.D : Le chaos d’un


nouveau monde

William Carthe
Cet ebook a été mis en ligne par Edition999

© William Carthe, 2024

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Chapitre 1 : Courir

C'est une nuit notablement sombre et paisible. Le manteau nuageux de ce voile de ténèbres
recouvre avec prestesse et élégance la robe de Dame Nature. Tout autour de notre humble
personne se dressent des bois vaillants et fiers de leur grand âge : ces arbres robustes défient le
ciel avec témérité depuis toujours. Contre l'écorce de ces soldats au sang-froid extraordinaire
se frotte une très légère brise qui siffle une mélodie douce et imperturbable. Un milieu où le
drame et le stress n'ont pas raison d'être.

Et pourtant...

Le sol boueux se fait piétiner par des talons et des pointes qui foulent le sol dans une certaine
hâte. Une hâte qui trahit un sentiment de terreur, de panique... et de rage également. Ces
percussions malvenues retentissent au sein du domaine de Dame Nature. De vives lumières
sautent et tressautent dans tous les sens ; une véritable pollution visuelle à en perdre tout calme.
Pour accompagner cette cacophonie, des voix fortes s'élèvent dans les airs mélodieux de
Zéphyr ; des voix dont les propriétaires transpirent d'une détermination malsaine, ce qui est
plutôt sensé— Ils sont les prédateurs et leurs cibles sont les proies.

Les deux proies en question ne comptent pas se laisser attraper et ce malgré le souffle qui
manque sournoisement à l'appel. Pour Kaiden, en tout cas. Roxan se révèle être la personne la
plus endurante des deux... à cause d'une condition pour le moins— "extraordinaire". Et Kaiden ?
Il n'est pas exagéré de dire qu'il est le plus frêle. Mais pourquoi donc sont-ils traqués telles des
bêtes sauvages ? Je vais répondre à cette question, n'ayez crainte.

Kaiden Carter et Roxan Idris sont considérés comme un véritable danger public par un grand
nombre de survivants de l'innommable. L'Apocalypse si vous préférez... mais ce n'est pas, selon
moi, le mot à employer ; la planète n'a pas cessé d'exister après tout. Nous pourrions résumer
cette situation à la fin d'une ère et le début d'une autre— remplie de créatures plus ou moins
mortes et vivantes.

Le havresac de Kaiden percute, au rythme de sa course effrénée, le dos de ce dernier ; de quoi


se détruire la colonne vertébrale si vous voulez mon avis. Mais il y tient à ce sac à dos. Il faut
croire qu'il accorde plus d'importance à ce fichu havresac qu'à ses jambes qui lui paraissent
atrocement lourdes. Elles lui font un mal de chien.

Mais !

Ce n'est pas comme s'il avait le choix : courir n'est pas une option, mais une nécessité. De toute
manière, Roxan ne compte pas non plus le laisser derrière. L'emprise que l'hybride avait sur son
camarade était si forte que le jeune homme aux cheveux blancs commençait à se demander où
il avait le plus mal.

«Serrer moins fort, c'est possible ?!

–Non ! Tu vois bien que ces cinglés nous veulent du mal !» répond notre hybride à la chevelure
d'un blond vénitien terni par la crasse et la poussière.
Kaiden ne peut s'empêcher d'exprimer son mécontentement dans une râlerie agaçante. Bien sûr,
il est conscient que Roxan a raison. Cependant, ce n'est pas ce qui l'empêche de ronchonner. Il
a terriblement mal aux pieds et il est presque sûr d'avoir un point de côté. Mais s'il ne veut pas
mourir, il va falloir passer outre ces désagréments.

Les hurlements derrière nos deux jeunes gens se font de plus en plus tonitruants ; les voix
trahissent l'impatience et l'irritation des prédateurs. Une impatience qui monte crescendo. Sans
nul doute que le groupe, qui est à la recherche de Roxan et de Kaiden, n'a aucune bonne
intention à leur égard... Qui sait ce qu'ils compteront faire une fois leurs griffes acérées sur la
peau de notre duo.

Aucun de nos deux fuyards n'a envie de connaître la réponse à une pareille question. Imaginer
les possibilités rendait d'ailleurs toute cette situation encore plus pénible qu'elle ne l'était déjà.
La course est devenue bien trop éprouvante, en particulier pour Kaiden et aucune issue de
secours ne semble être à portée de main.

Quand soudain...

La sensation de littéralement perdre pied est une chose étrange que je ne recommande pas, très
personnellement. La minute qui précède, vous êtes encore en train de courir pour votre vie et la
seconde suivante, vous voilà en train de faire un roulé-boulé dans une très raide descente.

Nous sommes d'accord : ce n'est pas quelque chose de spécialement agréable de trébucher ainsi,
mais cette chute a sauvé la vie de nos deux compagnons. Comment me demandez-vous ? C'est
pourtant simple... Les prédateurs ont perdu leur trace. Heureusement ! Roxan et Kaiden vont
avoir besoin d'un instant pour se remettre de cette violente roulade.

Roxan est la première personne à reprendre ses esprits ; probablement grâce à sa condition toute
particulière. Notre ami aux cheveux à la teinte ambrée se redresse lentement et elle s'empresse
de vérifier si Kaiden n'a rien de cassé. Il remarque alors le sac à dos de son compagnon, grand
ouvert et entouré de son contenu... l'hybride pousse un soupir, conscient que le jeune homme
va faire une crise de nerfs en voyant ce bazar.

Kaiden ouvre mollement les yeux... et la première chose qui lui vient à l'esprit, c'est de se relever
brutalement ; il est alors pris de violents vertiges. Le jeune homme se rattrape malhabilement
pour ne pas s'écrouler par terre et se redresse un peu plus en douceur. Il se précipite ensuite en
direction de son sac à dos. Il vérifie avec une minutie grotesque chaque objet, soucieux de les
savoir en bon état.

"Chut ! Un, deux, trois, check !"

Encore et encore... Pour chaque objet. À plusieurs reprises.


Roxan ne dit rien. Elle ne dit rien et il se contente d'observer son ami faire ce qu'il a toujours eu
tendance à faire, de façon répétée, lorsque le stress le submerge. Notre chère hybride soupire
tristement : Kaiden a toujours été un peu comme ça. Il ne lui en tenait pas rigueur, bien entendu...
Mais ça lui fait de la peine de voir le jeune homme aussi tendu.

Roxan s'approche doucement, pour ne pas brusquer Kaiden et il pose une main sur son épaule.
La tignasse blanche habillée d'un bonnet noir se tourne pour croiser les yeux pâles de son amie ;
ce vert est vraiment singulier et ces pupilles blanches n'ont rien de commun. Mais ça n'a pas
l'air de déranger le jeune homme qui se contente de fixer Roxan. Roxan qui propose à Kaiden
de l'aider avec ses affaires. Kaiden qui accepte et qui demande à plusieurs reprises s'il a bel et
bien mis tel ou tel objet dans son sac et si tout est en ordre. Les réponses de l'hybride le rassurent
très visiblement.

«Merci... De m'avoir aidé, marmotte le jeune homme en frottant la manche gauche de son
hoodie zippé bleu cobalt.

–C'est normal, Deden.

–Ah non ! Pas Deden ! s'offusque la personne ciblée par ce surnom.

–Pourquoi ? Ça te va plutôt bien, s'amuse Roxan en passant une main sur sa nuque.

–Non. Pas de Deden ou de Kakai.» décrète le grincheux de service.

À la mention du second surnom, auquel Roxan n'a jamais pensé, s'ensuit un immense fou rire.
Kaiden n'a pas l'air de comprendre tout de suite pourquoi son amie est au bord des larmes. Il lui
pose donc la question en croisant les bras d'un air vexé. "Personne n'appellerait jamais quelqu'un
Kakai ! Ça sonne trop comme caca !" est la réponse que Roxan lui a donné.

Lorsque Kaiden réalise ce qu'il a dit et surtout qu'il comprend enfin pourquoi sa compagne se
plie de rire, il sent une vague de gêne l'envahir : il détourne son regard pour ne plus faire face à
la réaction de l'hybride. Les joues du jeune homme se gonflent et ses sourcils se froncent de
honte. Il marmonne quelque chose du style "Ce n'est même pas drôle".

Une fois la crise de fou rire passée et le gigantesque sentiment de honte estompé, notre petit
duo de fuyards se rend compte qu'il se trouve en lisière de forêt et que, non loin de leur position
se situe une ville ; qui dit ville dit ressources. Qui plus est, elle n'est qu'à environ un ou deux
kilomètres de distance.

Ça devrait le faire.

Chapitre 2 : Ruine urbaine

La route n'est pas vraiment difficile quand on oublie le fait incontestable que nos deux amis ont
couru un marathon pour échapper à des sauvageons... Oui, oui ! Des survivants, comme eux.
Mais des survivants qui, je vous le rappelle, leur voulaient du mal. Kaiden a encore mal aux
pieds. Pour être parfaitement honnête, il a mal absolument partout.

Roxan ne dit pas un mot. Kaiden ne dit pas un mot. L'unique chose qui brise le silence autour
d'eux sont les gargouillis et les grognements des créatures qui les entourent. De très longues et
belles griffes acérées. Mâchoire pendante. Un œil manquant et quelques morceaux qui se sont
absentés avec le temps... Oui. C'est ce qui brise le silence. Soyez certains que ce n'est pas un
orchestre appréciable.

Les choses ne voient pas grand intérêt à s'en prendre aux deux jeunes gens. Une différence
notable qui fait de leur présence une protection considérable. Mais pourquoi cette différence de
traitement ? Encore une fois, c'est une réponse évidente que je vais vous donner : Roxan est à
moitié l'une de ces choses et Kaiden... a la chance de ne pas être neurotypique. Et infecté à un
différent degré. Je vais être franc : aucun de nos deux protagonistes n'est "normal".

Au moment précis où Kaiden se rend compte que la griffure sur sa joue gauche est de nouveau
visible, il ne perd pas une seule seconde et il la cache derrière une mèche de ses cheveux blancs.
Roxan le regarde d'un air interrogateur, se demandant depuis toujours pourquoi diable son ami
semble si complexé par cette blessure ; elle ne se remarque même pas. Enfin... L'hybride décide
de ne rien dire. Mais ça l'interpelle un peu quand même. Kaiden porte littéralement un short en
jean noir qui s'arrête au niveau des genoux et ses jambes sont recouvertes d'ecchymoses, de
contusions et de petites plaies. Elles sont visibles. ELLES SONT VISIBLES ! Alors, pourquoi
cache-t-il la griffure sur son visage ?

Le sol qui les entoure est un peu sec comparé à la verdure du bois dans lequel ils se trouvaient
auparavant. Kaiden sourit et il se permet de faire le rapprochement avec l'environnement
extérieur d'une ville appelée Midgar dans un jeu vidéo, sorti en 1997. Ça fait rire Roxan. Grâce
à cette petite remarque, une conversation s'engage :

«Toujours aussi passionné, à ce que je vois ! s'amuse l'hybride au pull violet améthyste. Que ce
pull est dans un sale état.

–Il faut bien... Ça me fait penser, commence Kaiden en épiant une des choses errantes, Tu te
rappelles la créativité dont les gens ont fait preuve quand c'est parti en cacahuète ?

–Oh ! Pitié ! Non ! Ne me le rappelle pas !

–Il y a quand même un type qui a fracassé un mec random juste pour lui râper la langue.

–Kaiden ! Chut ! C'est dégueulasse ! vocifère Roxan. Il grimace en passant une main sur ses
lèvres.

–Désolé, Rox... Mais tu visualises le truc ?!

–J'y tiens pas plus que ça.» répond la tête rousse.

Ne vous méprenez pas : Roxan adore Kaiden. Mais qu'est-ce qu'elle déteste quand son ami
change de sujet sans prévenir. Et cette manie de faire un virage à 180 degrés ! Quel est le rapport
entre un jeu vidéo et un crime ? Notre tête rousse ne doute pas que son compagnon au bonnet
noir a possiblement fait un lien qui lui semble tout-à-fait logique mais— Roxan n'a aucune idée
de ce que ça pourrait être. D'ailleurs, la jeune personne essaye désespérément de chasser cette
image sordide de son esprit.

Kaiden ne s'arrête d'ailleurs pas ; il continue de balancer diverses informations qui— n'ont pas
l'air, par moment, d'être connectées entre elles. En tout cas, Roxan n'arrive pas à comprendre ce
qui peut bien relier ces différents sujets... Enfin ! Ça ne l'empêche pas d'écouter son compagnon
avec une attention toute particulière. Ça fait plaisir à Kaiden et puis, avec quelques questions,
Roxan finit toujours par comprendre.

Kaiden et Roxan arrivent enfin à l'entrée de la ville. Cette dernière est en grande partie envahie
par Dame Nature qui semble vouloir reprendre ses droits. Nos deux protagonistes ne
comprennent toujours pas pourquoi la plupart des gens ne retournent pas ici : il est évident que
les personnes haut placées, comme les membres du gouvernement, sont encore présents. Il y a
du courant la journée. Une fois le soleil couché, l'électricité et internet sont coupés. Quelqu'un
a forcément remarqué, non ?

Somme toute, ils ne vont pas s'en plaindre. Si les autres sont stupides ou ignorants, cela fait
beaucoup plus de ressources pour les deux jeunes gens. En plus d'une journée plus ou moins
confortable pour se détendre un peu. De toute manière, c'est à la nuit tombée que la vie est
compromise : les survivants profitent de l'obscurité pour récupérer des vivres ou piller des
camps et— il y a des choses bien plus dangereuses que les créatures qui errent sans but ici et
là. Mais le jour se lève alors ne nous ne soucions pas de ça !

Nos deux amis ne vont pas se séparer, comme vous pouvez vous en douter. Qui sait quel danger
rôde et quelle menace se terre dans ces rues et ces bâtisses à l'abandon ? L'adulescent aux
cheveux blancs sort une petite hache de son sac à dos. Il retire la protection de la lame et la
range dans son havresac. Roxan n'aime pas beaucoup l'idée de manier une arme ; elle se
contente donc d'être les yeux de son compagnon et il compte être très attentif à ce qui les
entoure. Pour Kaiden et pour lui-même. Ensemble, ils arpentent une rue bondée de bestioles en
tout genre... Des animaux, ces créatures humanoïdes et, bien sûr, la verdure un poil
envahissante. Ils s'approchent prudemment d'une enseigne délaissée et ils pénètrent à l'intérieur.

C'est l'heure des courses ! Il y a encore pas mal de vivres encore viables dans les rayons. Kaiden
aime penser que les gens haut placés s'amusent à renouveler les stocks, non pas pour le citoyen
lambda, mais pour leurs agents sur le terrain. C'est malin, en effet. Mais revenons à nos
moutons : les deux adulescents progressent, avec prudence, dans les allées du magasin. Les
plafonniers néon clignotent et quelques vitrines réfrigérées ont l'air d'être encore en état de
tourner... Quoique— personne ne serait assez fou pour essayer de goûter des produits qui ne
sont pas conservés au frais la nuit tombée. Ce que cherchent nos deux amis, ce sont des
conserves et surtout des cochonneries de catégorie "chips & sucreries".

Pendant cette chasse à la malbouffe, Roxan et Kaiden ont pu rassembler un tas de petits paquets
de chips, de bonbons et diverses autres trouvailles qui sont néfastes pour l'organisme. Tout allait
plutôt bien.
Quand !

Un bruit suspect. Ils ont entendu quelque chose qui ne présage rien de bon. Kaiden serre
nerveusement ses doigts autour du manche de sa hache et il marche, à pas de loup, vers la source
du bruit. Il aperçoit une silhouette. Il lève sa lame. Kaiden ne veut prendre aucun risque. Il doit
frapper. Maintenant.

Chapitre 3 : Magasin

La lame de la hache de Kaiden s'abat sur sa cible. Un bruit cru et désagréable se fait entendre ;
quelque chose qui ressemble à de la viande que l'on coupe et à quelque chose que l'on brise...
comme du bois ou— dans ce cas-là, très certainement de l'os. Le silence est revenu. Les deux
jeunes gens ne disent rien et ils regardent ce qui vient de se faire ouvrir la tête en deux. Kaiden
est pris de panique en constatant que sa hache est coincée dans le crâne de sa victime.

«Je crois que je l'ai tué ! s'affole Kaiden en tirant sur le manche de son arme.

–Noooooooon !? Tu crois !? ironise Roxan en exagérant une expression de surprise sur son
visage ; ce qu'ils ont en face d'eux est une vision répugnante.

–T'es sérieux, là ?! s'offusque le jeune homme qui commence à perdre patience.

–C'est humain ou autre chose ? demande la tête rousse en croisant les bras. Elle ne compte pas
aider son ami.

–Ça... a l'air humain ? répond Kaiden en fronçant les sourcils, Sérieux ! Viens m'aider ! C'est
coincé !

–Non. Tu l'as tué, tu te débrouilles. Je ne touche pas à ça.» lance la jeune adulte en grimaçant
de dégoût.

Le jeune homme pousse un grognement : ce n'est pas la réponse qu'il voulait entendre. Il
continue de rouspéter tout en tirant de toutes ses forces sur le manche de son arme. Il constate
que continuer d'essayer de cette manière ne va le mener nulle part. Il grimace. Il se dirige vers
le rayon électroménager et il revient avec un four à micro-ondes. Roxan devine immédiatement
ce que compte faire son ami et il détourne le regard ; ça la répugne d'avance. Kaiden frappe le
crâne du cadavre avec son arme de fortune pour libérer la lame de sa hache. Les bruits sont—
indescriptibles ?

Étant donné la facilité avec laquelle le jeune homme réduit en bouillie la tête de ce pauvre
cadavre, on peut en déduire que la chose n'était pas humaine mais qu'elle n'était pas non plus
un être hybride : les créatures sont plus fragiles que les humains et les humains sont plus fragiles
que les hybrides. Simple comme bonjour, non ? Malgré tout, Roxan ne se sent pas très bien. Il
a comme un léger pincement au cœur... Il est vrai que ces trucs n'ont pas grand-chose à voir
avec elle, mais quand même ! Elle ressent de la peine pour ces créatures.

Roxan ne dit rien. Il regarde son ami récupérer sa hache et elle décide de s'éloigner un peu. Elle
veut, semble-t-il, se charger de vérifier qu'ils ont bien pris tout ce qu'ils voulaient emporter,
avant que la chose ne les interrompe. Le jeune adulte n'a pas vraiment envie de parler de ce qui
vient de se passer et pour cause : c'est absolument répugnant et surtout, ce sentiment un tantinet
désagréable qu'il a eu à l'égard de la créature est quelque chose qu'il souhaite oublier au plus
vite.

«Ça va, Roxan ? demande le jeune homme après avoir nettoyé la lame de son arme.

–Hm ? Heu... Oui. Ça... Ça va. Ça va.

–Tu peux tout me dire, tu sais ? Je vois bien que tu ne te sens pas bien. Tu ne sais pas cacher ce
que tu ressens. Pas à moi, en tout cas.» observe Kaiden qui regarde son compagnon avec un air
terriblement sérieux.

Roxan passe nerveusement une main dans ses cheveux et il enroule une mèche autour de ses
doigts. Kaiden a une furieuse tendance à scruter ce qui l'entoure... C'est agaçant ! Notre amie à
la tignasse rousse n'a pas envie d'aborder le sujet. C'est évident ! C'est évident, seulement— le
bonnet noir est un peu trop buté pour ignorer les signaux que lui envoie Roxan : la jeune adulte
se mordille nerveusement les lèvres, ses mains tremblent un peu et son corps a l'air raide,
comme s'il s'était totalement bloqué. Kaiden ne peut pas ignorer ça. Il ne peut pas. Il sait que
Roxan n'est pas en état, mais, en même temps, cette dernière refuse d'affronter ce qui la met
dans un état pareil. Et ce n'est pas une bonne chose ; ils doivent communiquer autant que
possible ! C'est important.

Malheureusement pour notre ami Kaiden, la tignasse d'un blond vénitien reste murée dans son
silence. Le jeune homme affaisse les épaules dans son soupir et il lâche l'affaire. Il renfile son
sac à dos, plein de provisions et il se tourne vers Roxan. Il s'approche d'elle et il pose une main
sur son épaule : le geste est maladroit... voire même un peu hésitant. Les yeux bruns de Kaiden
fixent un long moment ceux de Roxan. C'est un interminable silence qui s'installe. Kaiden
n'insistera pas. Mais il compte bien revenir sur le sujet dès que possible. Pour le bien de Roxan.
Et pour apaiser son inquiétude.

Notre duo sort tranquillement du magasin. Ils observent tous les deux les alentours, à l'affût du
moindre bruit suspect pouvant indiquer une menace potentielle. On ne sait jamais : des
survivants pourraient très bien avoir eu l'idée de tenter une escapade en ville... ou pire. Ou pire.
Les agents du gouvernement ont une vilaine tendance à se rendre en milieu urbain pour— Ce
n'est pas quelque chose que vous avez besoin de savoir. Il semble que personne ne soit à
l'horizon ; Roxan et Kaiden s'éloignent donc de l'enseigne.

Kaiden remet la protection sur la lame de sa hache pour éviter de blesser quelqu'un... et par
quelqu'un, j'entends par là éviter de se blesser ou de blesser Roxan. Les autres ? La plupart des
survivants veulent la mort de nos deux amis. Je pense donc que la sécurité de ces individus est
plutôt optionnelle. Roxan est silencieuse. Kaiden le regarde ; il meurt d'envie de revenir sur ce
qui s'est passé dans le magasin. Heureusement pour la jeune adulte au pull violet, il s'abstient.
Ils marchent sans aucun mot dire. L'homme aux cheveux blancs glisse timidement sa main dans
celle de son compagnon. Compagnon qui baisse les yeux pour contempler leurs doigts
entrelacés. Roxan sourit légèrement. Kaiden gonfle les joues... et il lâche enfin un léger rictus.

"Tu as entendu ça ?"

On dirait un moteur. Il y a un véhicule— non. Il y a plusieurs véhicules qui se déplacent dans


leur direction. Il est très peu probable que ce soit un groupe de survivants : il est particulièrement
difficile de s'accaparer une voiture ou n'importe quel moyen de transport, alors... en posséder
plusieurs ? Non. Impossible. Invraisemblable. Si ce ne sont pas des survivants, ça ne peut
vouloir dire qu'une seule chose. Kaiden et Roxan le comprennent immédiatement et ils se
cachent derrière une carcasse de SUV.

Chapitre 4 : Détresse

Les véhicules s'approchent dans un brouhaha calculé à un point tel qu'on peut se demander s'ils
ne le font pas exprès : on dirait un orchestre symphonique qui ne compte pas faire une seule
fausse note. Une fois la destination atteinte, les engins s'arrêtent. Des hommes en blouse blanche
en sortent. Ils sont, bien entendu, accompagnés par des individus armés et entraînés pour
combattre en terrain hostile. Kaiden et Roxan se font le plus petit possible, cachés derrière le
SUV. Ils ne doivent faire aucun bruit. Aucun ! Absolument aucun !

Ces chercheurs sont très attentifs à l'environnement qui les entoure ; ils prennent note de la
moindre observation qu'ils font. Les soldats ? C'est évident, non ? Ils font le tour du périmètre.
Ce n'est d'ailleurs qu'une question de temps avant que l'un d'entre eux ne tombe sur les deux
adulescents. Et ça... Ce n'est pas du tout une bonne nouvelle. Kaiden commence à chercher de
quoi les sortir de cette situation dans son sac à dos.

Le jeune homme n'est ni très adroit, ni très rapide : ils entendent, Roxan et lui, le bruit des pas
de l'un de ces militaires approcher dans leur direction. Kaiden dégaine alors un pistolet de
détresse et se tourne vers l'homme armé qui leur fait maintenant face. La tignasse blanche est
prise de panique et tire sur la figure imposante en face de lui... L'homme est touché en plein
visage. Il est tué sur le coup.

Beurk. Oh diantre...

Quelle vision répugnante.

Une bonne partie du visage du soldat est brûlée, son casque également. Le tout a l'air de
fusionner en un mélange dégoûtant. Roxan plaque une main sur sa bouche. Kaiden fixe en
silence l'homme qui tombe sur le sol. Sa lèvre inférieure tremble légèrement... mais le bonnet
noir se gifle sans prévenir et il essaye de se ressaisir ; ils doivent prendre la fuite et ralentir ces
hommes. Il tire alors une autre fusée de détresse en direction des véhicules afin que ce vacarme
attire les choses qui pullulent en cet endroit.

En considérant le bruit que font ces fusées une fois tirées, il n'est pas du tout difficile d'attirer
l'attention de ces créatures qui errent sans but au sein de ces ruines urbaines. Ajoutez à cela la
panique naissante des hommes en blouse blanche (qui devient de plus en plus évidente), et vous
avez tout ce qu'il faut pour offrir un buffet de choix aux trucs vaguement humanoïdes.

Notre petit duo prend la fuite ; c'est bien plus simple quand une horde de créatures affamées
festoie joyeusement autour d'un copieux repas. Kaiden et Roxan quittent la ville pour se mettre
en sécurité un peu plus loin. Au début, ils courent, ensuite, ils ralentissent le pas. Ils ont parcouru
une bonne distance. Mais ce n'est pas le plus important : les mains de Kaiden tremblent encore.
Roxan le regarde, l'air triste et soucieux, sans savoir quoi dire ni quoi faire.

«Tu veux en parler ? demande Roxan en fronçant un peu les sourcils, toujours aussi inquiet.

–Non. Pas envie, répond sèchement son compagnon.

–Désolé...

–Je peux savoir pourquoi est-ce que tu t'excuses ? s'agace Kaiden en dévisageant son amie ;
Roxan remarque que ses mains tremblent toujours autant.

–Tu as... Tu sais ? Et je sais que tu fais le dur, mais ça te touche.» bredouille le jeune adulte en
tendant une main vers celle de Kaiden.

Le jeune homme regarde sombrement la paluche de son partenaire se diriger, d'un geste timide,
vers la sienne. Il a un mouvement de recul presque imperceptible. Il fronce les sourcils en
voyant une moue se former sur le visage de Roxan qui s'apprête à abandonner son approche. Le
bonnet noir pousse un soupir et tend discrètement sa main en direction de celle de la tête rousse ;
Roxan retrouve un très petit sourire et il entrelace ses doigts dans ceux de la tignasse blanche.
La main de Kaiden tremble toujours autant... Roxan exerce donc une légère pression sur cette
dernière.

"Merci..."

Roxan est persuadé d'avoir entendu quelque chose s'échapper des lèvres Kaiden— des lèvres
qu'il pince nerveusement. Mais elle prend la décision de ne pas briser le silence afin de ne pas
brusquer son compagnon ; il a besoin de temps... tout comme lui. Qui plus est, il serait malvenu
de sa part d'insister alors que Kaiden ne l'a pas fait. Le jeune hybride remonte ses lunettes et
elle observe le jeune homme : Kaiden contemple pensivement les alentours, fuyant très
ouvertement le regard de l'adulescente.

«Tu as peur que j'aspire ton âme avec mes yeux ? plaisante notre amie binoclarde.

–Que... Quoi ? Tu peux faire ça ?! s'exclame le jeune homme qui tourne enfin sa tête vers celle
de Roxan qui éclate de rire.

–Bien sûr que non ! répond-il avant d'arquer un sourcil en voyant une mine déçue se dessiner
sur le visage de son ami, Tu aurais aimé ?

–Bah... Oui ! C'est bizarre ?


–Non ! Non... Ta réponse est juste... Heu...

–Bizarre, insiste le jeune homme aux cheveux blancs.

–Ouais. Un peu. J'avoue.» finit par admettre Roxan en affaissant les épaules.

Ils se laissent, tous les deux, aller au rire : l'ambiance a l'air bien moins lourde quand les sourires
se pointent et que les gloussements se font entendre. C'est agréable. Néanmoins, il est fort
dommage que nos deux amis aient été dans l'obligation de quitter la ville... Oui ! Il y a toujours
une solution ; les maisons qui se trouvent à l'extérieur de la ruine urbaine sont des abris—
potables. Non. Je ne vais pas m'étendre sur le sujet. Je suis le narrateur et je fais ce que je veux.
Revenons à nos deux bouffons : ils comptent marcher un peu et une fois qu'ils trouveront une
habitation en bon état, ils s'installeront pour la journée. Si personne ne vient, ils dormiront peut-
être même sur place.

Chapitre 5 : Croco rouge

Après une petite trotte, les deux jeunes adultes trouvent une maison qui ne semble pas avoir
pris trop de dégâts : les pilleurs et tous les survivants manquant de délicatesse ont une furieuse
tendance à mettre l'intérieur sens dessus dessous— voire détruire les fenêtres, les portes ou tout
autre élément non négligeable dans une maison. En tout cas, cette habitation a l'air d'être plutôt
en bon état ; Roxan et Kaiden entrent donc... avec prudence, vous vous en doutez bien.

Prudence est mère de sûreté. Les deux jeunes gens se montrent ainsi particulièrement méfiants.
On ne sait jamais : qui sait si quelqu'un ne se cache pas dans une pièce, à l'intérieur d'un placard
ou sous un lit ? Il est plus sage de prévenir le danger avant qu'il ne nous tombe dessus, ai-je
tort ? Bien sûr non. Roxan et Kaiden vérifient chaque pièce, plusieurs fois, pour s'assurer que
personne d'autre n'est à l'intérieur de cette maison.

On dirait qu'il n'y a personne. C'est rassurant, mais— Kaiden n'arrive pas à se convaincre qu'il
n'y aucun danger potentiel à l'intérieur de la maison. Il est conscient que cette pensée n'est pas
tout-à-fait rationnelle et qu'elle entre plus dans la catégorie des idées obsédantes. Le problème,
c'est qu'il est incapable de chasser cette angoisse vicieuse et perfide. Ils ont pourtant vérifié
plusieurs fois... Malheureusement, c'est quelque chose qui lui colle à la peau ; cette anxiété
grandissante et ces craintes particulièrement envahissantes. Heureusement pour lui que Roxan
est à ses côtés.

Roxan qui pose une main sur l'épaule de son compagnon. Elle lui montre son sourire le plus
doux et il hoche lentement la tête en insistant sur le fait qu'il n'y a personne d'autre. Le jeune
adulte précise qu'ils ont tous les deux contrôlé le périmètre avec une méticulosité monstrueuse.
Elle ajoute également que les yeux de Kaiden ne le trompent pas ; Roxan a, lui aussi, constaté
que la maison était vide. Ils sont en sécurité. Elle insiste bien sur ce point en frottant doucement
l'épaule du jeune homme.
Les mots que prononce notre ami hybride ont l'air d'apaiser le cerveau en surchauffe de Kaiden.
Le calme s'installe graduellement dans l'esprit de l'homme aux cheveux blancs— Quoique... ce
serait plus, selon moi, un semblant de paix intérieure ; ce bonhomme est beaucoup trop tendu
pour se détendre correctement. Roxan tapote l'épaule de l'anxieux de service et tous les deux
s'installent dans le salon, près d'une cheminée. Les adulescents sortent quelques affaires du
havresac et bientôt, les paquets de chips et les paquets de bonbons sont disposés sur le tapis de
la pièce.

Roxan sourit. Il déchire l'emballage qui la sépare de délicieux gummies ; dinosaures, oursons
et crocodiles n'attendent que lui. Elle en propose à son compagnon qui accepte l'invitation—
uniquement dans le but de jouer avec ces bonbons gélifiés. Notre ami à la chevelure ambrée
fronce les sourcils. Pauvre petit crocodile rouge ! Il se fait écrabouiller par les doigts de la main
dégantée de Kaiden. Et le voilà qu'il entortille ce pauvre reptile sucré ! Roxan grimace
légèrement, d'abord peinée par la torture que subit cette innocente sucrerie... avant de sourire et
d'engloutir une poignée de bonbons sans aucune once d'hésitation.

«Arrête de torturer ce crocodile, Deden ! s'esclaffe la jeune adulte en piochant une nouvelle
fournée de bonbons.

–Rox ! Non ! Pas de Deden !

–Deden, Deden, Deden ! Tu es un bourreau d'animaux à la gélatine ! Un vrai monstre, mon


pauvre Deden !

–Stoooop !! Stop ! Arrête avec ce surnom ! ordonne le jeune homme qui s'agace de plus en plus.

–Tu es vraiment pas croyable !» s'amuse notre ami à lunettes. Elle éclate même de rire.

Kaiden bougonne un bon moment. Il n'apprécie pas beaucoup ce surnom. Il a même croisé les
bras pour exprimer son mécontentement tel un enfant boudeur. On ne peut que plaindre la
victime gélatineuse de ce jeune homme : elle repose dorénavant sur le tapis poussiéreux du
salon. Immangeable. C'est immangeable maintenant. Quel gâchis ! C'est ce que pense Roxan
qui— est bien incapable de calmer sa crise de fou rire. La réaction de son ami est adorable et si
immature.

Bref ! Sachez que les deux jeunes adultes profitent au maximum de ce repas... Hm. Non. Pas
un repas, un goûter, à la limite. Un casse-croûte. Pas un repas. Qui mange des cochonneries
deux ou trois fois par jour ? Personne, vous en conviendrez. Quoique— Taisez-vous ! Vos
pensées me déconcentrent ! Revenons à nos deux bouffons avant que vous ne me dérangiez à
nouveau.

Après que le jeune homme ait cessé de bouder, la conversation se remet sur les rails. Divers
sujets sont abordés. Pour être parfaitement honnête, c'est Kaiden qui mène le dialogue en étant
fidèle à lui-même : surcharge d'informations qui n'ont pas l'air d'avoir grand lien entre elles. Le
nombre de fois où Roxan est obligé de demander à la tignasse blanche de ralentir est
impressionnant.

La pause malbouffe est arrivée à son terme. Les deux adulescents mettent les emballages vides
à la poubelle et rangent ceux qui contiennent encore des chips ou des bonbons dans le sac à dos
de Kaiden, après s'être évidemment assurés de les avoir fermé correctement. Une fois le ménage
fait, ils cherchent dans les placards de quoi se couvrir pour la nuit qui viendra incessamment
sous peu. Roxan insiste pour être celui qui commencera le tour de garde, ce qui contrarie Kaiden
qui soutient qu'il n'est pas fatigué et qu'il peut, pour une fois, être celui qui veille en premier.
La jeune adulte pousse un soupir et il explique à son compagnon qu'il est plus sage que ce soit
à elle d'ouvrir le bal.

Cela n'enchante pas particulièrement Kaiden de savoir qu'il est, comme toujours, celui qui est
obligé d'aller dormir en premier. Ça l'irrite par-dessus tout d'être perçu comme une personne
fragile alors qu'il est le seul à être presque toujours armé— Pas que Roxan ait nécessairement
besoin d'avoir de quoi se défendre. Mais vous comprenez l'idée. Cependant, il accepte la
proposition ; il n'a pas vraiment envie de se disputer avec son ami. Le jeune homme s'installe
donc à l'intérieur de son lit de fortune et il s'enroule dans la couverture. Il tousse un peu. Il va
sans dire que dormir à même le sol dans une maison poussiéreuse provoque une petite irritation
au niveau de la gorge. Une nouvelle frustration à ajouter à la liste ! Kaiden ferme finalement
les yeux.

Chapitre 6 : Intrusion

Je sais ce que vous vous dites : il n'aurait jamais dû se rendre dans ce coin paumé tout seul.
Mais personne n'a voulu venir avec moi. Personne n'a voulu me suivre. J'ai pourtant expliqué
que cette maison avait l'air abandonnée et que, donc, nous pourrions y passer la nuit— voire
même quelques jours. Ça vaut le coup, vous ne croyez pas ? Mais ils m'ont dit que c'était trop
dangereux... Foutaise ! Je m'apprête à pénétrer à l'intérieur de cette maison. Et je compte bien
prouver à mon groupe qu'on ne risque rien. Dans le pire des cas, il y aurait d'autres survivants.
Mais on peut discuter le partage de cette baraque, non ? Je deviens fou, je crois. Me voilà en
train de parler comme si quelqu'un pouvait m'entendre ou me lire.

Je dois admettre que m'y rendre la nuit, c'était pas l'idée du siècle— mais ce n'est pas du tout le
moment de se dégonfler ! Allez, Mallory ! Tu peux le faire ! Pourquoi mes parents m'ont donné
ce nom, bordel... J'inspire profondément et je m'applique à ne pas faire le moindre bruit en
poussant l'arrière-porte. Je ne tiens pas à effrayer des survivants s'il y en a qui campent ici ; un
survivant qui flippe à mort est un survivant qui te bute sur place. Et je ne veux pas vraiment
passer l'arme à gauche. Cette maudite porte grince un peu. J'espère que personne n'a entendu
ça. En tout cas, je pose un pied à l'intérieur de la maison. C'est— plutôt silencieux. Très calme.

Très franchement, je ne pense pas qu'il y ait qui que ce soit dans cette vieille baraque. Enfin...
C'est pas improbable qu'ils dorment ; je ferais pareil si j'étais eux. Au cas où, je reste sur mes
gardes. Je reste très prudent. Je serre doucement ma batte de baseball entre mes doigts, prêt à
taper de la bestiole s'il y en a dans le coin. Je progresse à pas de loup dans le couloir et, pendant
un court instant, je crois distinguer quelque chose dans l'encadrement de la porte qui mène à la
salle de séjour. Je me cache sans faire de bruit. J'observe l'intérieur de la pièce : deux silhouettes,
l'une en position assise et l'autre allongée par terre. J'espère que la première ne m'a pas repéré,
sinon ça risque de déraper très vite. Je ne blague pas quand je dis qu'un survivant qui flippe tue
plus vite que son ombre. Hm... Ils ont l'air plutôt jeunes. De visu. Comme ça. Après, je dis ça
mais j'ai la quarantaine passée !

Attendez deux secondes... La personne qui est assise... Sa peau. Sa peau est cyanosée, non ?
Elle est aussi décolorée que celle de ces monstres qui traînent dehors. Est-ce— l'une de ces
choses ? Elle n'a pas l'air dangereuse, pourtant. Si ? Est-ce que la personne allongée sur le sol
serait une victime de cette créature ? Je devrais peut-être intervenir... Peut-être que celui ou
celle qui est par terre est encore en vie. Je dois agir ! Maintenant !

"Kaiden ! Kaiden ! Réveille-toi !"

J'ouvre les yeux. Mes paupières sont encore lourdes. Je me suis réveillé en sursaut. Je fronce
les sourcils et je distingue une personne qui ne devrait pas être là. Un homme. Plutôt grand. Il
s'en prend à Roxan. Roxan qui est en train de se battre contre lui... Roxan est en danger. Je me
redresse aussi vite que possible et j'attrape le premier objet qui me tombe sous la main. Un
tisonnier, je crois. Ça fera l'affaire. En tout cas, je l'espère. Je me lève et je me précipite vers cet
intrus. Je crois que j'ai planté mon arme de fortune dans le bas du dos. Ou dans la cuisse. Il fait
plutôt sombre et je ne suis pas encore tout-à-fait sorti du monde des rêves. Il y a un hurlement.
Je sens quelque chose. Au niveau du ventre. Je crois qu'il m'a frappé avec son coude.

Je tombe sur le sol. Je passe une main au niveau de l'abdomen. Ça fait mal... Enfin... Il faut voir
le bon côté des choses ; ça m'a officiellement ramené sur terre. Je lève les yeux pour observer
notre adversaire. Il ne retire pas le tisonnier enfoncé au niveau des lombaires. Bonne décision.
Il se viderait de son sang s'il retirait cet objet. Roxan essaye de maîtriser cet homme— sans le
tuer. Il y a d'ailleurs quelque chose qui me turlupine : pourquoi a-t-il eu l'air surpris de me voir ?
Est-ce que cet homme sait qui nous sommes ? Est-ce qu'il nous a reconnus ? Si c'est le cas,
Roxan aura beau vouloir jouer la carte du pacifiste, cela ne mènera à rien. Cet homme est
dangereux. Pour nous deux.

Je me relève, non sans une certaine maladresse et j'attrape un balai. Je retourne au cœur du
combat et je frappe l'indésirable de toutes mes forces. Grâce à cette action, il décide de juste
repousser Roxan avec un coup de pied pour pouvoir se concentrer sur moi. Le problème,
maintenant, c'est qu'entre une batte de baseball et un vieux balai, ce n'est pas le dernier qui va
avoir une chance de sortir victorieux de ce duel ; la preuve étant qu'un seul coup de son arme a
détruit la mienne en moins de deux. Je tente de me protéger autant que possible avec ce qui me
reste de mon balai. Heureusement pour moi, Roxan revient à la charge. Armée d'un vase, elle
le fracasse sur le crâne de l'homme.

Le problème, c'est que ce n'est pas terminé. Notre adversaire avait le mérite d'être un solide
gaillard. Il improvise et il parvient à donner un coup dans l'abdomen de Roxan. Il la pousse
ensuite avec un coup de tête. Elle recule de plusieurs pas avant de trébucher par terre. Je sais
que mon compagnon est extraordinairement résistant mais— il ne se relève pas. Il ne se relève
pas ! Je recule. Je recule... Je recule encore. Je m'empresse de fourrer ma main dans mon sac
pour récupérer ma hache. Je n'ai pas le temps de l'atteindre que l'homme se trouve déjà tout près
de moi. Je suis à genoux sur le sol. Il est debout. Il lève sa batte de baseball. Je me crispe et je
fais une roulade sur le côté pour esquiver le coup. Je vais mourir... Je vais mourir !

Chapitre 7 : Séquelle

Roxan ouvre difficilement les yeux. Elle est accueillie par un son assez étrange mais...
reconnaissable. Il semble que quelqu'un soit en train de frapper quelque chose avec une
véhémence effrayante. Le bruit est— C'est abominable. Le jeune adulte est en proie à la terreur ;
est-ce que cet homme a réussi à... à avoir Kaiden ? Elle se redresse, doucement, sans faire le
moindre bruit et il écarquille les yeux. Sur le sol. L'homme. L'homme est inerte. Son corps
allongé par terre. Kaiden est debout, la batte de baseball dans les mains. La tignasse blanche
frappe. Il frappe. Il frappe. Il frappe encore et encore. On dirait... On dirait que le jeune homme
ne se rend même pas compte de ce qu'il est en train de faire. Il le fait. C'est tout. Roxan est
tétanisé ; elle ne sait pas comment réagir et il reste immobile pendant deux bonnes minutes.
Bam. Bam. Bam. Bam. Kaiden ne s'arrête pas.

Roxan décide in fine de prendre son courage à deux mains et il se lève, non sans difficulté, pour
courir en direction de son compagnon. Elle se précipite vers Kaiden et il lui retire la batte des
mains. Notre amie hybride dépose ses deux paluches sur les épaules du bonnet noir et il le
secoue pour tenter, dans un élan de panique, de le ramener à la raison. De le ramener dans le
monde réel. Ses efforts ne sont pas vains car, au bout du compte, le jeune homme retrouve ses
esprits. On dirait que Kaiden sort tout juste d'une torpeur vicieuse ; d'un sommeil éveillé... Il
regarde Roxan pendant un très long moment, sans rien dire. Son visage déborde de larmes. Ses
yeux sont rouges. Finalement, l'adulescent demande à la rouquine si c'est bien elle. Roxan hoche
doucement la tête et il passe une main sur la joue de celui qui semble encore piégé dans le
brouillard.

«Kaiden... Qu'est-ce qui s'est passé ? demande la jeune adulte en caressant légèrement sa joue
pour lui prouver qu'elle est réelle.

–Je sais pas...

–Kaiden... Respire. Doucement. Je suis là. Je vais bien. Regarde-moi. Je suis là, chuchote Roxan
qui a l'air de plus en plus inquiet, Je suis avec toi.

–Tu... Tu es avec moi. Je... J'ai cru que j'allais mourir, Rox...

–Tu... Tu te rappelles de... comment tu as renversé la situation ?» demande l'hybride alors qu'il
déplace sa main dans les cheveux de son ami.

Kaiden ne réagit pas tout de suite. Il fronce légèrement les sourcils et il finit par secouer
nerveusement la tête, un peu comme un enfant qui n'est pas certain de savoir s'il s'est fait mal.
Le jeune homme a beau se creuser les méninges, il n'arrive tout simplement pas à se rappeler
de ce qui a bien pu se passer. Il se souvient de ce sentiment d'effroi qui le submergeait alors
qu'il était persuadé qu'il allait mourir... Il peut encore sentir la détresse qui l'étranglait alors que
cet intrus allait le frapper avec sa batte ; la crainte de perdre Roxan. La suite des évènements—
c'est flou. Un véritable black-out. L'adulescente n'insiste pas plus. Il a très vite compris ce qui
s'est produit dans la tête de Kaiden et elle décide de se concentrer sur autre chose : réconforter
et rassurer son ami. Roxan entoure délicatement l'homme au bonnet noir de ses bras et il le serre
doucement contre lui. Kaiden reste immobile. Roxan, quant à elle, évite le moindre contact
visuel avec le cadavre qui gît sur le sol. Le silence s'installe et il est particulièrement pesant.
Que vont-ils faire maintenant ?

Il est impératif qu'ils fassent quelque chose : ils ne peuvent pas rester dans cette maison comme
si de rien n'était. C'est tout bonnement impossible d'ignorer ce qu'ils— ce que Kaiden a fait.
Roxan inspire longuement et il expire avec tout autant d'insistance. Il se tape les joues et elle se
tourne vers son compagnon qui n'a pas bougé d'un pouce. L'adulescente prend la main du jeune
homme et il la secoue faiblement pour attirer son attention. Kaiden lève les yeux, l'air encore
fébrile et le regard vague.

"On doit partir, Kaiden..."

Sur ces mots, la personne aux cheveux à la teinte ambrée donne des explications claires et
précises sur ce qu'ils vont devoir faire. Il est flagrant que le bonnet noir n'est pas capable de
faire les choses de lui-même. Pour l'instant. Une fois les consignes données, Roxan s'assure que
Kaiden a bien tout compris. Il hoche la tête. Ils retournent donc vers le petit campement de
fortune qui se trouve au pied de la cheminée. Ils s'appliquent à le défaire et ils rangent
minutieusement la moindre bricole dans le havresac du jeune homme. Une fois que tout est en
ordre, les deux adultes quittent la salle de séjour. Ils abandonnent le cadavre de cet homme et
Roxan jette un coup d'œil inquiet à son compagnon. Ils quittent ensemble la maison.

Je m'inquiète pour Kaiden. Je sais bien que ce n'est pas la première fois qu'il... qu'il tue
quelqu'un. Mais on dirait vraiment qu'il ne pourra jamais s'y habituer. C'est quelque chose qui
le perturbe profondément à chaque fois. Ça fait environ un an que tout a commencé et je peux
vous assurer que ce n'est pas la première fois qu'il finit dans cet état. Je serre doucement ma
main dans la sienne et je lui offre mon plus doux sourire ; si ça l'aide à se sentir un peu moins
mal, c'est une petite victoire pour moi. Il a besoin de savoir que je ne le vois pas comme un
monstre— de toute façon, de nous deux, je suis probablement le plus proche de la définition du
mot "monstre".

Quelque chose me tracasse depuis que j'ai repris connaissance. Dans cette maudite maison.
Mais la pensée qui me traverse l'esprit et qui refuse de le quitter est... abominable. Terrible. Et
affreusement triste. Si c'est bel et bien ce que je pense, il est plus sage de ne rien dire à Kaiden.
Il n'est pas en état d'entendre une chose pareille pour le moment. Et pour être honnête avec
vous, je ne pense pas le lui dire un jour. Je sais que vous ne pouvez pas me répondre, mais je
pense qu'il y a eu un quiproquo. Un énorme malentendu. Si seulement je pouvais changer ce
qui s'est passé dans cette maison... J'aurais vraiment préféré ne pas envisager cette possible
vérité.

Allons, Roxan. Il ne faut pas s'enfoncer dans des pensées aussi sinistres ! Si je commence à
dérailler, qui pourra m'aider à me sortir de ce bourbier ? Certainement pas Kaiden ; il ne semble
pas encore être revenu sur terre. Je dois tenir le coup. Je dois au moins tenir jusqu'au prochain
abri que nous trouverons. En attendant, je pourrais— je pourrais essayer de lancer une petite
conversation. Histoire que nous puissions nous changer les idées, lui et moi. Ouais... Ouais !
C'est une bonne idée.

«Kaiden... Tu as vu le ciel ? demandé-je en esquissant un petit sourire. Je pointe mon index en


direction du rideau étoilé qui nous surplombe.

–Hein ? Heu... Le ciel ? balbutie-t-il en levant les yeux en direction du voile céleste, Oh... Oui.
Il est beau. Il y a beaucoup d'étoiles.

–Oui. Ce qui s'est produit, il y a un an, n'a pas engendré que des mauvaises choses.

–Hm... Oui... J'imagine.» bredouille-t-il en baissant les yeux. Je sens sa main trembler dans la
mienne.

Je n'aurais peut-être pas dû mentionner le début de la "Nouvelle Ère" : cette conversation a très
vite pris fin à cause de ça. Le pire étant que Kaiden n'a pas l'air de se sentir mieux. Je fais ce
que je peux pour ne pas trahir mon anxiété. Je n'ai pas envie qu'il s'en rende compte et qu'il se
sente triplement, voire quadruplement coupable. Bon sang ! Ça m'agace ! J'aimerais pouvoir
faire quelque chose pour qu'il ne soit plus dans cet état... Mais c'est mission impossible. Peut-
être a-t-il besoin d'un peu de temps ? Il ne devrait pas avoir à se sentir responsable quand un
drame se produit. Nous sommes deux. Nous pouvons partager cette charge ensemble. Nous
sommes un duo ! Le problème— c'est qu'il ne l'acceptera jamais. Il est celui qui tient la hache.
Celui qui utilise les armes.

Chapitre 8 : Mallory

Deux journées entières se sont écoulées depuis la mort de Mallory. Kaiden s'est remis, lentement
mais sûrement de l'acte qu'il a commis : son compagnon n'a pas ménagé ses efforts pour aider
le jeune homme à sortir de cette brume de confusion et de culpabilité qui persistait dans son
esprit. Il est évident que Roxan a volontairement omis de parler de la possibilité que le drame
ait eu pour origine un terrible malentendu... mais c'est mieux ainsi. Kaiden ne doit rien savoir.
Les deux jeunes adultes ont trouvé un nouvel abri et c'est dans une maison en assez piteux état
qu'ils ont repris des forces. Ils ne comptent pas vraiment rester sur place ; personne n'aurait
envie de risquer une nouvelle confrontation avec un potentiel intrus.

Mais peu importe ! Laissons ces deux bouffons tous les deux et allons jeter un coup d'œil du
côté de Mallory le cadavre ! Transition trop brutale ? Mes excuses... Mais il faudrait quand
même vous y faire ! Comme vous le savez, ce bonhomme faisait partie d'un groupe de
survivants. Vous vous doutez bien qu'ils se sont inquiétés en constatant qu'il ne revenait pas ?
Non ? Si ? Si vous me répondez, sachez que je rigole très fort. Bref. En tout cas, certains
membres de son groupe ont décidé de se rendre à l'intérieur de la maison dont Mallory leur
avait parlé. Ils constatent ainsi que leur camarade est— mort. Dans d'horribles circonstances.
Chacun réagit à sa manière : il y a des personnes dans le groupe qui pleurent sa disparition et
d'autres qui aimeraient bien mettre le grappin sur les meurtriers. C'est évident que ce ne sont
pas les créatures qui s'en sont prises à ce pauvre homme ; aucune trace de morsures ou de
griffures. Les choses n'iraient pas ratatiner le visage d'un humain non plus.

Une femme, plutôt jeune d'apparence, s'agenouille pour examiner attentivement les blessures
sur le corps et sur le visage de Mallory. Elle tourne son regard en direction de la batte de baseball
ensanglantée. Elle soupire. Elle lève les yeux vers un homme à la stature imposante et elle
confirme que ce n'est pas l'œuvre d'une créature. Le problème, c'est que l'idée qu'un humain ait
pu s'acharner sans raison sur une personne de sa propre espèce est... impensable. La majorité
des groupes de survivants suit des règles strictes dans le seul but de préserver l'humanité sur
Terre. Ce qui veut dire que si ce n'est ni une bestiole, ni un humain— C'est obligatoirement un
hybride.

«Tu es sûre de toi, Molly ? demande le colosse qui fronce les sourcils.

–Oui. Malheureusement...

–Je vois, bougonne-t-il en passant une main sur son menton ; il a l'air de réfléchir à un moyen
de retrouver le meurtrier.

–Konrad. Tu ne penses quand même pas à pourchasser un hybride ? s'inquiète la femme en se


redressant. Elle s'écarte ensuite du corps.

–Et pourquoi pas ? Ce sauvage a massacré Mallory.

–Je sais mais... C'est dangereux. Les hybrides sont dangereux, insiste Molly qui sent monter
l'angoisse dans son cœur qui s'emballe.

–C'était ton mec ! vocifère Konrad. Il est clair qu'il est tout aussi secoué par la mort de son
camarade que les autres membres du groupe.

–Konrad... C'est trop risqué... Enterrons juste Mallory...» le supplie-t-elle.

Molly a beau se mettre à genoux et implorer l'homme en face d'elle, rien n'y fait : Konrad est
déterminé et il n'abandonnera pas sa quête de vengeance. Cet homme refuse d'accepter la mort
de Mallory comme étant un malheureux accident. Il refuse d'accepter qu'une de ces sales choses
faussement humaines s'en sorte sans être châtiée pour ce crime abominable. Il retrouvera le
responsable et, il en fait la promesse, il le fera souffrir. Longtemps. Très longtemps... Les
hybrides sont plus résistants que les humains, vous vous rappelez ? Autant exploiter cette force
pour torturer celui qui a osé tuer ce pauvre Mallory. En tant que narrateur, sachez que je n'aime
pas la tournure que cela prend.

Roxan observe attentivement son compagnon : le jeune homme est assis par terre, sur le pas de
la porte. Il regarde, d'un air distrait, les choses qui errent ici et là. Il les fixe sans rien dire tandis
que certaines d'entre elles trébuchent ou se bousculent sans se rendre compte de ce qui se passe
autour d'elles. Kaiden s'est peut-être rétabli, mais il reste assez souvent dans un état second.
C'est compréhensible, bien sûr, mais notre amie à lunettes préférerait qu'il puisse s'habituer à
ce genre de choses. C'est peut-être trop demander, mais il se sent coupable de ne rien pouvoir
faire pour aider le bonnet noir vis-à-vis de— ça.

Kaiden ramasse une petite pierre et pendant un court instant, il hésite à la lancer sur l'une des
bestioles dans son champ de vision. Il se triture pensivement la peau des lèvres avec sa main
dégantée et il sourit. Il lance son projectile. Le caillou se cogne contre la tête de la créature qui
regarde dans toutes les directions, un peu comme si elle était... confuse ? Le jeune homme ne
sait pas si c'est quelque chose qui prouve que c'est toujours en partie conscient ou si c'est
simplement un réflexe naturel. Roxan pousse un soupir face à cette scène et elle s'approche en
fourrant une main dans la poche de son pantalon. Il s'installe soigneusement à côté de la tignasse
blanche et elle lui adresse un léger sourire.

«T'es vraiment vilain, Kaiden ! plaisante la tête rousse en le dévisageant d'un air faussement
accusateur.

–C'est pas ma faute s'ils sont bêtes, confesse le jeune homme dont les yeux restent rivés sur les
bestioles, Et puis... Je pense avoir le droit de les embêter.

–Deden...

–Bah quoi ? Ils ne vont pas nous attaquer ! Si je le voulais, je pourrais même danser avec l'un
de ces trucs ! affirme-t-il en se tournant vers Roxan.

–Alors pourquoi tu ne danses pas avec, au lieu de leur lancer des projectiles ?

–Tu vas voir.» lâche le jeune homme.

Il se lève un peu trop vite et il manque de retomber sur les fesses. Heureusement, il tient le coup
et il reste debout. Il époussette le derrière de son short, il renfile les gants qu'il avait retirés un
peu plus tôt et il marche tranquillement en direction de la créature qui s'est fait agresser à coup
de pierre. Kaiden se tourne ensuite pour faire signe à Roxan ; il lui demande d'aller chercher de
quoi mettre l'ambiance. Notre ami hybride lève les yeux au ciel, il se retient de rire et elle se
dirige à l'intérieur de la maison. Il revient avec un téléphone portable abîmé, mais fonctionnel.
Il fait jour, internet et le courant sont donc actifs. La chevelure ambrée esquisse un sourire et
elle sélectionne une chanson— ridicule. Bumble Bee.

Kaiden fait les yeux ronds, très visiblement surpris par le choix que son compagnon a fait.
Néanmoins, il se ressaisit très vite et il voit alors une occasion en or : il va tenter d'apprendre à
la bestiole la chorégraphie. Je vous le dis tout de suite... Je doute que le machin retienne quoi
que ce soit. Mais notre bonnet noir semble vouloir essayer. Il prend délicatement les bras de la
chose et il manipule doucement ceux-ci pour lui montrer le geste à reproduire. Le machin
pousse un râle qui trahit un simulacre de curiosité ; c'est quelque chose qui provoque un
gloussement chez Kaiden. Progressivement, le jeune homme au hoodie bleu cobalt oublie qu'il
danse avec quelque chose de fragile et il s'emballe... arrachant accidentellement les bras de son
partenaire de danse. Il sursaute et il regarde la chose puis les bras de la chose. Plusieurs fois.
Avant de percuter. Il grimace et il s'excuse en tendant les deux membres manquants de la chose
qui est— silencieuse et qui le dévisage en silence. Roxan éclate de rire.

Chapitre 9 : Nouvelle ère

Enfin ! J'ai réussi à convaincre la mère de Kaiden de nous faire confiance pour passer quelques
jours juste tous les deux ! Je peux comprendre que madame Carter soit du genre à vouloir
protéger son fils... Mais elle devrait savoir que je suis conscient que Kaiden est handicapé ! Et
puis, je sais gérer son handicap ! Sans compter qu'il va avoir 25 ans à la fin de l'année— Je peux
l'aider à s'adapter à cet environnement ; ce n'est pas comme s'il allait rester loin de chez lui plus
d'une semaine ou d'un mois. D'ailleurs, je viens tout juste d'avoir 21 ans. Kaiden a apporté tous
les cadeaux qu'il a accumulés pour me les offrir aujourd'hui. Je regarde sa tête recouverte de
cheveux bruns plonger dans son sac à dos pour récupérer les peluches, les livres et les autres
surprises qu'il me réserve. Il n'est pas aisé de cacher mon excitation à l'idée de recevoir une
montagne de présents. En retard ou non, Kaiden essaye toujours de se rattraper quand il ne peut
pas m'offrir quelque chose le jour J.

Sa tête ressort finalement de son bric-à-brac, il se redresse et il s'approche timidement en


tripatouillant une première partie des choses qu'il compte m'offrir aujourd'hui. Il tend ses bras
et il marmonne un hésitant "Pour toi". Je fronce les sourcils en remarquant qu'il grimace et, sans
prévenir, il tourne la tête pour éternuer bruyamment. Je hausse les sourcils, la surprise palpable
sur mon visage. Hm... C'est vrai que la saison pollinique a débuté vachement tôt cette année ;
habituellement, Kaiden commence à éternuer en mai. Ce sont cependant des choses qui arrivent.
C'est comme ça, on n'y peut rien. C'est arrivé en mars, c'est arrivé en mars. On ne contrôle pas
la nature, après tout ! J'esquisse un sourire et je prends soigneusement les cadeaux qui me sont
destinés. Je remercie mon adorable petite tête brune et je dépose un baiser sur sa joue.

Je sens que cette semaine va être fantastique ! Ouais... Bon... Pas exactement une semaine. Une
semaine, c'est sept jours. Mais ça ne change rien au fait que je compte bien profiter de chaque
jour que nous allons passer ensemble ! Nous allons faire beaucoup de choses tous les deux, se
créer de nouveaux souvenirs et partager une flopée de bons moments ! J'en fais la promesse !
Kaiden tente un sourire maladroit et je passe une main dans ses cheveux pour les ébouriffer
plus qu'ils ne le sont déjà. Ils sont doux, ses cheveux. Je me demande quel genre de shampoing
sa mère achète...

Un cri. Des hurlements.

Je fronce les sourcils et mon partenaire m'imite instantanément. Qu'est-ce qui se passe tout à
coup ? On s'approche de la fenêtre de notre chambre et— Je ne suis même pas sûre de savoir
comment décrire ce qui se déroule sous mes yeux. Je me tourne vers Kaiden qui reste muet
comme une tombe. Il se rappelle soudain que j'existe et il me demande de prendre mes affaires.
Il fait de même. Nous sortons de notre logis et nous arpentons les couloirs en silence. Kaiden
semble... affreusement concentré et tout aussi stressé. Je comprends son angoisse, pour être
honnête.

Nous passons environ une trentaine de minutes, peut-être plus, à essayer de sortir de cet
immeuble. Kaiden évite au maximum de prendre les couloirs où des personnes se piétinent en
tentant d'échapper à— à ces choses. Je n'arrive pas à comprendre comment ni pourquoi ces
horreurs se produisent ? Tout va si vite. Et si lentement aussi. C'est paradoxal mais c'est ainsi
que je le ressens. Je ne pense pas être en capacité de réaliser que tout ceci est bien réel. On
court. On court. On court encore... Des gens déboulent dans notre couloir. Un homme se fait
attaquer par— par ces créatures. Elles s'amassent autour de lui et elles... Heu... Non. Je refuse
de décrire ça. Je n'ai pas envie de vous dire ce que les monstres sont en train de faire.

"Poussez-vous !"

Quelqu'un est passé entre Kaiden et moi. Cette personne, cet homme, détale comme un lapin et
on dirait que— Oui. Il nous a bousculés. Il m'a bousculé. Je suis en train de tomber dans l'amas
de bestioles qui sont agglutinés sur leur victime. Je vais... Je vais mourir ? Je ne veux pas mourir.
Je ne veux pas mourir !

"Roxan !"

J'ai tout de suite compris que quelque chose ne tournait pas rond quand nous avons vu les
passants se faire attaquer par des semblants d'humains. Nous avions fait nos affaires. On se
tenait la main. J'évitais soigneusement les zones bondées d'idiots effrayés. Nous avions été en
mesure d'éviter la moindre rencontre. Et il a fallu que cet abruti se pointe avec ses imbéciles de
potes. Il est hors de question que je laisse Roxan se faire dévorer par ces trucs sans cervelle.

Je me rue dans la masse de bestioles pour essayer d'attraper la main de Roxan, son pull ou même
ses cheveux... Du moment que je peux le sortir de ce merdier, le reste n'est qu'accessoire. Je
m'excuserai plus tard si je viens à lui faire mal. Je tends le bras. Je vois une main griffue se
diriger dans ma direction. Je recule. Je sens une chaleur désagréable au niveau de ma joue.
Instinctivement, je passe une main sur la blessure que la chose m'a laissée. La situation est bien
assez stressante comme ça. Et surtout— ça commence à véritablement à me taper sur le
système ; je ne compte pas pleurer la mort de Roxan. Je retourne dans la masse et j'assène des
coups de pieds aux créatures. Je les pousse, je les frappe... Je les bouscule avec véhémence.
J'arrive à atteindre Roxan. Je l'arrache de la masse et je la tire vers moi. Il saigne. Une blessure
au cou. C'est grave, on dirait. Son pull est déchiré et il a quelques marques de griffures ici et là.

Je ne perds pas de temps à poser des questions à Roxan. Elle n'est, de toute manière, pas en état
de me répondre. J'appuie ma main sur la plaie au niveau de sa gorge. Je sais que je dois vite
trouver une solution. Est-ce qu'ils ont seulement de quoi soigner les morsures de bouffeurs de
chair dans ce bâtiment ? Ce n'est pas comme si j'avais un large éventail d'options fiables. Je dois
me dépêcher. Tiens bon, Roxan. Tiens bon. Je vais te sauver. Je vais te soigner.

J'arpente les couloirs, cherchant la pièce où se trouvent les trousses de secours du bâtiment. Ce
n'est pas évident de se déplacer en tenant une personne sous le bras. C'est extrêmement
compliqué de tenir Roxan tout en exerçant une pression sur la morsure ensanglantée située au
niveau de son cou. Je jette un coup d'œil à mon compagnon ; ses cheveux châtains sont
recouverts d'hémoglobine. Ses yeux bruns montrent une immense fatigue. Je dois accélérer le
pas.
Finalement, je parviens à trouver une trousse de secours. Je ne suis pas certain que cela suffise
mais— qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Je m'applique dans les soins que j'apporte à mon
compagnon. Ce n'est pas facile. Heureusement que j'ai eu une passion dévorante pour la
médecine étant plus jeune. L'autisme a ses avantages. Même si ça ne fait pas de moi un
prodige... Concentre-toi, Kaiden ! Je dois rester concentré. Roxan compte sur moi. Roxan
compte sur moi et je ne veux pas la voir mourir. Tiens bon, Roxan. Tiens bon.

"Tiens bon, Roxan. Je suis avec toi."

Chapitre 10 : Stigmates

Roxan et Kaiden, une fois la séance de danse menée à son terme, quittent la maison dans
laquelle ils ont passé environ une demi-journée. Les pitreries de la tignasse blanche ont
beaucoup amusé notre ami hybride. Seulement— une fois la fête terminée, un air sombre et
distant s'est réinstallé sur le visage de Kaiden. La binoclarde serre doucement sa main dans
celle, gantée de noir, du jeune homme. Si seulement il était possible d'effacer ce qui s'est passé
ce soir-là.

«Dis, Roxan... Ça te fait toujours mal ?

–Que... Quoi ? le visage de la tête rousse se durcit dans son interrogation.

–Ça.» se contente de répondre Kaiden en pointant du bout de son nez la trace de morsure
camouflée par la chevelure rousse de la jeune adulte.

Un silence considérablement déplaisant s'invite dans la conversation. Plus personne ne


prononce un seul mot. Roxan pose une main sur la blessure située sur le côté gauche de son
cou... Il arrive parfois que la douleur revienne. Il arrive parfois que ça le démange et qu'une
sensation de picotement vienne l'enquiquiner. Bien sûr, ça fait maintenant un an qu'il se
trimballe avec ça— on ne peut que s'y habituer. Plus ou moins. Non. Non... Ce que Roxan ne
comprend pas, c'est pourquoi Kaiden a voulu en parler, comme ça, sans raison particulière ?

Est-ce que Kaiden est en train de repenser à ce jour-là ? Est-ce qu'il s'en veut encore de ne pas
avoir été capable de la protéger ? Ce n'était pas du tout sa faute ! Pourquoi culpabilise-t-il
autant ? On ne peut pas tout prévoir. Seul un devin aurait pu voir venir ces hommes effrayés
débouler dans ce couloir avant que cela ne se produise. L'adulescent souhaiterait pouvoir
convaincre son compagnon que rien n'est de sa faute et que, de toute façon, il ne doit pas être
celui qui doit porter l'entièreté de ce bagage— Mais Roxan est parfaitement conscient que cela
ne servirait à rien. Kaiden ne l'écouterait pas ; jamais il ne lui donnera raison sur ce point-là.

Durant ce qui semble être des heures, aucun des deux jeunes gens ne prend la parole. Roxan
palpe discrètement sa morsure et Kaiden s'assure que sa griffure à la joue est bien cachée
derrière une mèche de ses cheveux. Mine de rien, le début de la "Nouvelle Ère" se révèle être
un événement particulièrement marquant pour ces deux-là. Il faut croire que le traumatisme ne
s'est pas estompé avec le temps qui passe. Ce serait trop facile si tel était le cas. Il est toutefois
nécessaire d'en parler ; mentionner le début de la Nouvelle Ère, c'est accepter que c'est une
chose réelle. Une chose qui s'est vraiment produite. C'est également accepter qu'ils n'ont pas pu
revoir leurs proches depuis maintenant environ un an et qu'ils ne savent pas comment ils vont.
Ou s'ils sont encore en vie.

Il faut admettre que la situation est passablement gênante : ne plus savoir quoi dire, ne même
plus être en mesure de former ne serait-ce qu'un seul mot... Bien entendu, c'est quelque chose
qui se comprend quand on finit par penser en boucle à quelque chose d'horrible. Les deux jeunes
adultes se souviennent encore très bien de ce qui s'était passé ce jour-là. La panique. La
précipitation. De nombreuses personnes qui se bousculent et qui se piétinent. Des morts.
Partout. Jonchant le sol. Certains qui se relèvent. Qui attaquent. Tellement d'images que l'on ne
peut effacer en claquant des doigts. J'ai beau être narrateur et donc, je ne l'ai pas vécu— mais
je les plains. Ça ne doit pas être simple d'être en paix avec soi-même avec un bagage pareil.

Roxan se tourne vers Kaiden. Ce dernier joue avec la mèche de cheveux qui cache la griffure
inscrite sur sa joue. Un peu comme si le jeune homme s'agaçait dans un questionnement
perpétuel... Notre amie à la crinière rousse hésite un instant ; est-ce bien sage de prendre la
parole quand aucun des deux adultes n'est en état de s'exprimer correctement ? Oui. Roxan peut
essayer en tout cas.

«Kaiden. On ne la voit pas.

–Bien sûr que si... Bien sûr que si ! Elle se voit ! Elle se voit ! s'énerve la tignasse blanche.

–Kaiden ! Calme-toi ! Je ne la vois pas ! D'accord ? Je ne la vois pas, insiste Roxan qui sent
que son compagnon est particulièrement dépassé par la charge de stress qui a l'air de l'écraser,
Je ne la vois pas. Calme-toi.

–Tu... Tu ne mens pas, hein ?

–Je ne mens pas. Respire. Doucement. Tout va bien. Personne ne la voit.» persiste la jeune
personne en posant une main sur l'épaule de Kaiden.

Dire que le jeune homme s'apaise rapidement serait un sacré gros mensonge. Il éprouve des
difficultés significatives à se calmer, mais heureusement, il prête une oreille attentive à ce que
peut lui dire Roxan. Il prend une grande inspiration... et il expire doucement. Il joue encore
quelques minutes avec sa mèche de cheveux. Cependant, ses doigts cessent progressivement de
torturer la touffe blanche sur sa joue. Roxan tente une approche en passant sa main dans les
cheveux de Kaiden. Kaiden parvient à laisser tranquille ses cheveux. Roxan lui adresse un
sourire qui encourage l'apaisement. Si seulement ils savaient... Hm ? Quoi ? Non. Rien. Relisez
quelques chapitres si vous avez un trou de mémoire.

Chapitre 11 : Unguéals

De : ■■■■
À : ■■■■

Bonsoir,

Je vous envoie le rapport que vous m'avez demandé. Il a été vérifié et révisé comme convenu.
Puis-je savoir pourquoi vous vouliez ce rapport ?

[Rapport - Unguéals]

***

Nom de l'objet : Unguéal

Statut de l'objet : décédé

L'Unguéal est l'espèce dominante parmi les trois catégories d'infectés connues à ce jour. L'objet
est un Homo sapiens dont les activités cérébrales sont limitées voire presque inexistantes.
Aucune expérience n'a été en mesure de prouver que les Unguéals sont capables d'émotions ou
de comportements civilisés. Il a été démontré que cette catégorie d'infectés ne peut être
considérée comme vivante : le cœur ne bat qu'une fois toutes les heures. Fragilité osseuse et
musculaire anormale. Dégradation des tissus de la peau semblable à celle d'un corps en
décomposition.

Le nom "Unguéal" a été attribué à cette catégorie d'infectés en raison de leurs griffes rétractiles.
L'objet s'en sert pour attaquer ou attraper ses proies. La taille de ces ongles pointus peut
atteindre environ quatre mètres de long. Certains individus infectés gardent les griffes
déployées : aucune explication rationnelle trouvée à ce jour.

Il a été démontré que les Unguéals n'attaquent pas les personnes en situation de handicap
physique, neurologique et/ou psychique. Un individu handicapé ne peut être attaqué par cette
catégorie d'infectés que si l'objet est en phase active : si un Unguéal est en train d'attaquer une
personne valide et qu'un individu handicapé est poussé dans la direction de l'objet ou qu'il
s'interpose, il sera attaqué.

Le professeur ■■■■ effectue actuellement des tests dans le but de comprendre l'origine de
l'infection. Si les tests s'avèrent concluants, nous pourrons approfondir nos recherches sur la
cause du virus et sur les moyens de le contrer.

Addendum : Les tests ne sont pas concluants. Expériences à reconduire sur les deux autres
catégories d'infectés.

***
De : ■■■■

À : ■■■■

Bonsoir,

Je vous remercie. Je ne peux malheureusement pas partager les informations concernant la


nécessité de ces documents avec vous.

Je vous prie de m'excuser,

Pr. ■■■■

Molly est véritablement inquiète... Je dirais même qu'elle est très anxieuse : Konrad ainsi que
les autres membres du groupe n'ont ménagé aucun effort. Ils ont enquêté jour et nuit, dans le
seul et unique but de trouver l'identité du meurtrier de Mallory. Selon la trentenaire, c'est
carrément en train de tourner à l'obsession malsaine. Hélas, elle ne parvient pas à raisonner
Konrad ; quand elle essaie de discuter avec lui, de lui faire comprendre que son comportement
n'est pas— rationnel, ce dernier se laisse emporter par une rage violente. La conversation se
transforme alors en une dispute virulente. Molly ne sait plus quoi faire pour calmer les tensions
au sein du groupe. Et les choses ne vont pas s'arranger. Un soir, un militaire s'est arrêté au
campement. L'homme a expliqué qu'il cherchait deux jeunes gens. Très dangereux. Il a montré
la photo d'un jeune homme à la tignasse blanche et d'une personne à la crinière ambrée. Kaiden
Carter. Roxan Idris. Ça n'a évidemment pas échappé au colosse que la rouquine avait la tête
d'un hybride. Et comme deux plus deux font quatre, il en déduisit que c'était le meurtrier qu'ils
recherchaient.

Depuis ce soir-là, la jeune femme est terrifiée de savoir que son groupe a maintenant des noms
et des visages— un nom et un visage. Mais que peut-elle faire contre Konrad et les autres ? Elle
est seule contre tous. Personne n'accepte de l'écouter. Le colosse a menti à l'homme qui lui a
fourni ces informations ; il a promis de le contacter si jamais il trouvait les deux jeunes adultes...
mais Molly sait que ce n'est pas son intention. La vengeance est son dessein. Remettre Kaiden
et Roxan au gouvernement, ce serait accepter que la mort de Mallory n'était qu'un malheureux
incident. Konrad veut Roxan. Il est persuadé que Roxan est le meurtrier. Roxan est un hybride.
C'est évident que c'est cette personne qui a tué Mallory.

«Konrad... S'il te plaît. Ce ne sont que des gamins ! le visage de la trentenaire montre une
douleur et une crainte toutes deux immenses.

–Molly. Je vais retrouver cette saloperie d'hybride. Que tu sois avec moi ou pas, je m'en fiche.

–S'il te plaît ! Réfléchis un peu ! Notre but, c'est de survivre ! Pas de tuer les autres sans raison !
–Tuer sans raison ? Oh ! Mais je compte pas buter ce machin pseudo-humain, Molly. Je vais le
faire douiller. Longtemps. Aussi longtemps que possible.» une lueur dangereuse brille dans les
yeux du colosse. La femme comprend enfin que rien ne l'arrêtera.

Néanmoins, ça ne veut pas dire qu'elle accepte cette chasse aux sorcières. Elle est peut-être la
seule à trouver que c'est de la folie de désirer autant la souffrance de quelqu'un d'autre alors que
les créatures (les Unguéals comme vous l'avez lu un peu plus tôt) se délectent de la chair
humaine... mais pourquoi cet acharnement ? Elle n'est pas sûre de comprendre. Est-ce qu'ils
sont tous en train de perdre la tête ? Sont-ils mieux que les bestioles qui errent ici et là ? Sont-
ils mieux que ceux qui ont transcendé leur humanité ? Molly commence à en douter. Très
sérieusement.

Molly compte bien essayer de ralentir les membres de son groupe. Elle va tenter de les empêcher
de retrouver ces deux jeunes gens. Mais est-elle vraiment en mesure de faire la différence ?
Seule contre autant de monde ? Le destin se montrera-t-il clément ou bien le hasard mènera-t-
il ces âmes vengeresses jusqu'aux deux adulescents ? En tant que narrateur, je crains le pire. S'il
arrive quoi que ce soit, je vous autorise à crier sur l'auteur.

Chapitre 12 : Sept jours

Ça va bientôt faire une semaine que nos deux amis arpentent des routes désertes de—
d'humains. Tant mieux, se disent-ils. Ils n'ont pas très bonne réputation auprès des vivants. Les
Unguéals sont de bien meilleure compagnie, malgré les gémissements rauques et les bruits que
font ces bestioles qui tombent en morceaux. Le duo s'est arrêté de temps en temps, mais ils n'ont
jamais pris le risque de rester à un endroit trop longtemps. Ce soir, ils comptent se reposer en
pleine nature. Je vous l'accorde, c'est potentiellement risqué mais est-ce vraiment aussi
dangereux que de camper dans un environnement confiné ?

Étant donné qu'ils ont eu beaucoup de chance durant cette semaine, Roxan et Kaiden ont
légèrement baissé leur garde... Ça ne veut pas dire qu'ils ne restent pas vigilants ! Mais ça
soulage un peu de ne pas être obligé de regarder derrière son épaule à chaque seconde qui passe.
Pas de rencontres humaines. Pas de survivants qui les pourchassent. C'est agréable. Toutefois,
les deux adultes ont la tête ailleurs : Kaiden semble préoccupé par quelque chose. Il ne dit rien.
Roxan, quant à lui, se demande si elle devrait avouer à son compagnon que, peut-être, ils ont
tué quelqu'un qui ne leur voulait aucun mal. Après environ sept jours, comment Kaiden
prendrait cette information ? Probablement mal. Enfin... S'amuser avec les Unguéals aide à
changer les idées. Même si le bien-être n'est que temporaire.

Le jeune homme se questionne : comment cela se fait-il que personne n'ait croisé leur route ?
Pas de blouses blanches. Pas de treillis. Même pas ne serait-ce qu'un survivant paumé ? Ou pire
encore, un membre de ces groupes de survivants hybrides qui se révèlent être paradoxalement
eugénistes ? Roxan et lui ont une si mauvaise réputation au sein du "Nouveau Monde" que ça
n'a pas de sens. Comment est-ce possible de ne rencontrer aucune âme humaine ou
prétendument humaine pendant environ sept jours ? Le bonnet noir se demande si quelque chose
ne se tramerait pas dans les coulisses et cette réflexion commence insidieusement à provoquer
une montée de stress plutôt dangereuse.
«Kaiden ? Tout va bien ?

–Hein ? Quoi ? le jeune homme dévisage son compagnon après avoir sursauté au son de sa
voix, Ouais ! Ouais... Je vais bien. Je... réfléchis juste.

–Et tu réfléchis à ? s'enquiert Roxan qui arque un sourcil qui trahit sa curiosité et surtout son
inquiétude.

–Rien de spécial. Juste des bêtises. Tu me connais.

–Hm... Oui... Quel genre de bêtises ?

–Rien de super grave ! Juste moi qui me tracasse pour rien ! Laisse tomber !» s'obstine Kaiden
qui a l'air déterminé à ne pas lâcher le morceau.

Peut-être que Roxan ne passe pas son temps à scruter le moindre de ses faits et gestes, mais ce
n'est pas nécessaire. Les habitudes de Kaiden sont assez évidentes même pour quelqu'un qui ne
le connaîtrait pas ; lorsqu'il est stressé, Kaiden a la fâcheuse tendance à jouer avec la peau de
ses lèvres. Il craque aussi un peu plus régulièrement ses poignets et ses doigts. Et le plus notable,
c'est évidemment sa tête qui part parfois brusquement sur le côté. Ce ne sont pas les seuls indices
qui prouvent que le jeune homme est stressé, mais ça suffit amplement à deviner son mal-être.
Oui. Il est très facile de savoir quand Kaiden ne se sent pas bien. Ou qu'il s'ennuie.

Bien entendu, Roxan est conscient qu'il ne peut pas se baser uniquement sur ce genre de
comportement : Kaiden pourrait très bien faire ces choses parce qu'il s'ennuie ou par simple
habitude... Mais après les quelques mots qu'ils se sont échangés, la jeune personne est persuadée
que ce n'est pas anodin et que son compagnon refoule quelque chose. Mais est-ce que Roxan
peut vraiment se permettre d'insister ? Elle n'a pas envie de brusquer Kaiden et que cela fasse
éclater une dispute entre eux. Il finira bien par lui en parler... du moins, Roxan l'espère.

Ils arrivent finalement dans un coin plutôt calme qui n'est pas très loin d'un ruisseau. Cet endroit
a l'air d'être correct. Pour y passer la nuit. Les deux adultes installent leur campement de fortune.
Ils préparent tranquillement la nourriture pour le repas de ce soir. Tout va bien. Tout se passe
bien. Le soleil se couche. Les arbres les observent. Le silence est celui de Dame Nature.

«Tu veux bien me dire ce qui ne va pas ? demande Roxan qui se bat avec une boîte de conserve.

–Tu... Tu ne trouves pas ça bizarre qu'on n'ait croisé personne ?

–Non ? Pourquoi ?

–D'habitude, on doit faire gaffe H24. Et là, personne ? Absolument personne ? C'est pas
normal.» explique Kaiden qui commence enfin à s'ouvrir et à confier ses angoisses.
L'adulescente doit bien avouer que les inquiétudes de son compagnon sont légitimes. Après—
de là à penser que quelque chose se manigance à leur insu... Roxan aime penser que, pour une
fois, la chance est de leur côté. Et que tant que c'est le cas, ils devraient en profiter au maximum,
sans oublier de rester aux aguets. Évidemment. Ce qui est sûr, c'est que Roxan a décidé de ne
jamais aborder le sujet de ce qui s'est passé avec cet homme à la batte de baseball. Kaiden est à
cran. Ça n'en vaut pas la peine.

Ce soir, c'est Kaiden qui se chargera de monter la garde. Il a grandement insisté pour que ce soit
lui qui fasse le guet... au grand dam de Roxan qui comprend que cela lui tient à cœur. Ce qui ne
rassure pas le rouquin, c'est l'état de stress dans lequel se trouve actuellement son compagnon.
Le repas s'est fait dans un silence pour le moins désagréable et la tignasse blanche a passé son
temps à tendre l'oreille, à l'affût de la moindre brindille qui pourrait craquer dans les parages.
Le bon côté des choses, c'est que Kaiden ne risque pas de piquer du nez cette nuit. Mais tout de
même— Roxan a un mauvais pressentiment.

Chapitre 13 : Embuscade

Enfin... Je vous ai trouvés. Je t'ai trouvé. Roxan Idris. Cette saloperie d'hybride qui a buté
Mallory. Toi, tu peux me croire... Je vais pas te louper. Mes hommes— et mes femmes se
tiennent prêts. Nous nous mettons en position pour encercler ces deux-là. Je veux être certain
que cette chose qui se prétend humaine ne pourra pas s'échapper. Quant à l'autre guignol qui lui
tient compagnie, nous n'aurons qu'à le sonner. Pas besoin de nous coltiner un handicapé mental :
c'est un faiblard qui se tuera dans son anxiété. On n'a qu'à le laisser crever tout seul.

J'attends le bon moment. Le meilleur moment pour frapper. Je dois dire que ça n'a pas été simple
de rester discret, mais on l'a fait. Il fait assez sombre pour que le bouffon, avec son syndrome
de Marie-Antoinette, ne puisse pas nous voir venir. Si on reste silencieux. Je fais signe à l'une
de mes équipes. Elle se dirige à pas de cambrioleur dans le dos de Kaiden Carter. Il faut vraiment
faire gaffe parce que ce stressé de service, là, il a vraiment l'air d'être attentif au moindre petit
bruit autour de lui. Timbré, ce gosse.

Sacha et Camille sont maintenant assez près de Carter. Je vois Camille lever sa matraque. Et
bam ! Dans la tête. Ça devrait suffire ; pas besoin de le fracasser. Je fais signe à une autre équipe
de s'approcher de notre cible. Idris est encerclé et elle est seule. Il ne pourra pas s'échapper. Elle
est foutue. Progressivement, on arrive à se rassembler autour de la cyanosée. Mon pauvre
monstre... Tu as pas idée de ce qui t'attend. Elle ouvre les yeux. Un silence. T'es confus, hein ?
Et c'est que le début, hybride de malheur.

Cette chose immonde essaye de s'enfuir, mais elle sait, tout comme nous, que c'est peine perdue.
Le monstre ne s'échappera pas. Camille lui assène un coup de matraque dans le ventre. Sacha
se propose ensuite de porter l'erreur de la nature jusqu'à notre campement. Je m'assure que cette
immondice soit sonnée. Je lui donne une bonne droite. Maintenant... Nous allons pouvoir
rentrer. Nous fêterons notre victoire et ensuite— le monstre paiera pour ses crimes. Roxan Idris.
Je te promets de longues heures de torture pour avoir buté Mallory. Et j'espère pouvoir entendre
ta gueule d'hybride gueuler à l'agonie. Pour pouvoir te la fermer aussi sec.

"Allons-y."

Aïe... Ça fait mal. J'ouvre péniblement les yeux. Je me redresse maladroitement. Sur mes
genoux, je regarde le monde danser autour de moi, se déformer autour de moi. Il fait sombre.
Ça veut dire que je ne suis pas resté inconscient trop trop longtemps. Ce que je veux dire par
là, c'est que le jour n'a pas pointé le bout de son nez. Je passe une main à l'arrière de mon crâne.
Mon gant a, semble-t-il, l'air de s'imbiber de quelque chose de chaud. Ah... Oui. C'est vrai. On
m'a frappé. Ça explique la douleur. Je fronce les sourcils en réalisant quelque chose : où est
Roxan ? Je me relève un peu trop vite, dans un mouvement brusque. Je retombe sur mes genoux.
Roxan n'est pas là. Roxan n'est plus là. Ce n'est pas normal. Ce n'est absolument pas normal !
Il devrait être près de moi ! Elle devrait être ici ! Que s'est-il passé ?

"Roxan ? Roxan !"

Je regarde ma main gantée. Je devine que ce que j'ai touché, c'est mon sang. Ceux qui sont
venus ici, ils ne sont pas venus pour moi. Ils sont venus pour Roxan ; si j'avais été la cible de
cette embuscade, je serais soit mort, soit captif. Ce sont donc des survivants... des survivants
humains à 100%. Il n'y a que ces triples abrutis pour vouloir s'en prendre à un être hybride.
Avec des armes. Les survivants hybrides n'ont pas besoin d'armes— pour la plupart, en tout cas.
Je dois retrouver Roxan. Maintenant. Qui sait ce que ces salopards pourraient lui faire subir ?

Vous pourriez croire que je fais preuve d'un sang-froid extraordinaire. Malheureusement, je
peux vous assurer que ce n'est pas du tout le cas. Je ne suis pas sûr de savoir comment expliquer
ce qui se trame à l'intérieur de ma tête, mais vu de l'extérieur, je— je suis pitoyable. Je n'arrive
pas à bouger. Je me sens trembler. Quand j'essaye de faire un mouvement, il est maladroit.
Malhabile. Quand je tente de me relever, je tombe ou je trébuche. Le monde danse autour de
moi. Le monde se déforme. Les arbres deviennent des monstres qui se moquent de ma faiblesse.
Ils rient tous de moi. Le plus... étrange, c'est que deux chansons tournent dans mon esprit : celle
de la panique totale, de l'angoisse pure. Et une autre, calme et réfléchie qui cherche des solutions
à mes problèmes. J'ai toujours fonctionné ainsi, mais je dois admettre que le verbaliser est
assez— bizarre.

Allez... Bouge ! Kaiden ! Bouge ! Pourquoi j'éprouve une difficulté pareille à bouger ? Ce n'est
pas le moment de rester figé. Ce n'est pourtant pas difficile ! Pose ton pied droit sur le sol, élève
ensuite le gauche pour te redresser et stabiliser ta posture. Pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi
mon corps tremble-t-il autant ? Pourquoi mon putain de corps refuse de m'obéir ?! J'ai tué des
gens pour protéger Roxan ! Pourquoi je continue de ressentir des émotions et ce genre de
sensations ? Dans un moment pareil, qui plus est ! Bouge ! Bouge, bordel de chiotte !

"C'est quoi ça ?"

Je remarque quelque chose dans ma vision périphérique. Étant donné que je suis dans
l'incapacité de me mouvoir, je ne peux pas m'en approcher de suite. Je grince les dents,
particulièrement agacé par cette situation désagréable. C'est alors que la voix de la raison, celle
que je surnomme le "moi-pensant", se fait entendre. Dans ma tête. Elle me conseille de prendre
le temps de me calmer. De prendre le temps d'inspirer et d'expirer. Je n'ai pas vraiment envie de
suivre ce conseil : ça va me faire perdre du temps. Mais le moi-pensant insiste grandement. Je
ferme donc les yeux, le visage crispé par le stress et je m'oblige à respirer doucement. Ça dure
une quinzaine de minutes. Je parviens à bouger. Ce n'est pas encore ça, mais je peux enfin me
déplacer jusqu'à ce qui a attiré mon regard. Du sang. Probablement le mien. La personne qui
m'a frappé n'a pas nettoyé son arme. Des empreintes de pas. Elles se dirigent dans une direction
précise... Ces gars-là sont de véritables amateurs et des imbéciles. Mais tant mieux. Je dois
récupérer mon sac et suivre les traces.

Chapitre 14 : Nothiques

De : ■■■■

À : ■■■■

Bonjour,

Voici les rapports concernant la deuxième catégorie d'infectés. Pouvez-vous me rappeler


pourquoi ça a le même nom qu'une créature de Donjons & Dragons ?

[Rapport - Nothiques]

***

Nom de l'objet : Nothique

Statut de l'objet : vivant

Le Nothique est l'espèce la plus répertoriée après l'Unguéal. L'objet englobe, en grande
majorité, des Homo sapiens. Cependant, il existe des cas de Nothiques appartenant à d'autres
espèces animales : aucune explication rationnelle trouvée à ce jour. (Aucun Unguéal animal n'a
jamais été répertorié. Des expériences et des recherches sont en cours pour en déterminer la
raison.)

Les activités cérébrales des Nothiques sont dans la norme : ils sont capables d'émotions et de
comportements civilisés. Toutefois, cette catégorie d'infectés reste dangereuse et instable.
Certains individus se laissent guider par des pulsions primaires. Des expériences ont démontré
que plus l'objet exploite ses capacités anormales, plus il devient impulsif et moins il a de
contrôle sur ses actes.

Cette catégorie d'infectés peut être considérée comme vivante. Les constantes de l'objet sont
stables : le cœur bat un peu plus lentement que celui d'un être humain normal. Des épisodes
d'accélération du rythme cardiaque sont à noter lors de la phase active de l'objet. L'objet est
reconnaissable à sa peau cyanosée, à ses yeux clairs et à ses pupilles blanches. Les blessures du
Nothique oscillent entre régénération et dégradation (exemple : une plaie qui cicatrice
rapidement peut se rouvrir tout aussi vite).

Certains individus appartenant à cette catégorie ont témoigné de la décoloration de leurs


cheveux. Certaines personnes, auparavant brunes, ont aujourd'hui des cheveux qui oscillent
entre le roux et le blond. Ce n'est pas systématique : nous avons répertorié des Nothiques aux
cheveux foncés. L'objet possède la même capacité à déployer des griffes rétractiles. Celles-ci
se révèlent être un peu plus courtes que celles des Unguéals. L'objet est particulièrement
résistant physiquement et il est capable d'une force inhumaine.

Addendum : De nombreux Nothiques se sont échappés de nos structures.

***

De : ■■■■

À : ■■■■

Ne questionnez pas les décisions de vos supérieurs, Dr. ■■■■. Ceci est un avertissement. Ne
recommencez pas.

Pr. ■■■■

Konrad a dépassé les bornes ! Dès qu'il a su que Kaiden Carter et que Roxan Idris n'étaient pas
très loin de notre campement, il s'est empressé de partir. Et le voilà qui revient, fier d'avoir
blessé deux gosses. En tout cas, il m'a assuré que Carter n'avait pas été tué lors de l'embuscade.
Pourquoi n'a-t-il pas tenté de communiquer avec ces deux-là au lieu de leur faire du mal
inutilement ? Il y avait moyen de la jouer pacifiste. De discuter. De comprendre. Mais
noooooon... Non ! Konrad a toujours besoin d'affirmer sa puissance et de montrer à quel point
il est fort ! Si seulement Mallory était encore en vie... Il aurait été capable de remettre ce crétin
à sa place. C'est quoi l'expression, déjà ? La plume est plus forte que l'épée ? Un truc du genre.
Je passe une main dans mes cheveux que beaucoup disent "crépus". Je déteste ce mot. Ça sonne
péjoratif. Je préfère encore qu'on dise qu'ils sont bouclés, drus... Mais pas— Enfin, vous voyez.

Le problème c'est que personne ne m'écoute et que peu importe ce que je pourrais dire, personne
ne m'écouterait : ils sont tous obnubilés par cet abruti musclé de Konrad. Ils l'idolâtrent. M'fin...
Selon moi, à partir du moment où tu portes le même nom de famille que ce type qui porte des
lunettes de soleil sorti tout droit d'une série de jeux vidéos avec des virus, des monstres mutants
et des armes biologiques— Les gens sont des vrais moutons. Je ne les comprends vraiment pas.
J'imagine que l'égo surdimensionné de Konrad reste une chance : il va fêter sa "victoire" avec
les autres membres du groupe. Pendant qu'il sera occupé à se gonfler les chevilles, je pourrais
parler un peu avec notre otage... Heu... Non. C'est pas mon otage. C'est celui du crétin qui sert
de chef à notre groupe. Recentre-toi, Molly !
Je suis patiente. Et invisible depuis la mort de Mallory. Le colosse quitte le camping-car avec
ses sous-fifres. Je m'assure qu'il ne revient pas et je ferme la porte. Je regarde cette pauvre
enfant ; son visage trahit la violence dont sait faire preuve Konrad. C'est un vilain bleu... Je
m'installe aux côtés d'Idris et je l'observe un long moment. Sans rien dire. J'ai envisagé de le
libérer mais— je ne suis pas certaine qu'elle puisse s'échapper. Les personnes qui sont ici ne lui
veulent pas du bien et avec sa peau cyanosée, Idris n'est pas vraiment discret. Sans compter les
guetteurs qui entourent les environs du campement. Je ne peux pas prendre le risque de mettre
cette personne en danger en voulant bien faire. Idris ouvre les yeux. Son visage se crispe
légèrement. Ses yeux pâles se tournent dans ma direction. Je lui adresse un timide signe de la
main et je souris pour lui signifier que je ne suis pas une ennemie.

«Où suis-je ? demande-t-il. Je vois dans ses yeux qu'elle ne me fait pas réellement confiance.

–En enfer. Et le diable, c'est Konrad.

–Un grand costaud qui frappe fort ?

–Oui. C'est bien lui, acquiescé-je en laissant échapper un rire terriblement nerveux,
Malheureusement. C'est bien lui...

–Où est Kaiden ?

–Je... Je ne sais pas. Konrad m'a dit qu'il est toujours en vie. Mais il n'est pas ici, expliqué-je en
scrutant attentivement les expressions de mon interlocuteur ; l'inquiétude se lit sur son visage.

–Il doit... Il doit être terrifié...» marmonne l'adulescente qui baisse les yeux.

Je n'ai pas besoin de plus pour comprendre que les sentiments que cette pauvre Idris a pour
Carter sont incroyablement forts : je le sais parce que, tout comme lui, je m'inquiétais à chaque
fois que Mallory ne revenait pas pendant plusieurs jours. Ou qu'il disparaissait... Cette angoisse.
Cette inquiétude. Les questions qui fusent. Je pose ma main gauche, celle qui est prothétique,
sur son épaule. Idris a l'air de remarquer ma prothèse d'avant-bras. Je la vois arquer un sourcil
et je souris. Je lui explique que j'adore le jaune. Je le vois m'imiter dans son esquisse.

"Ça te va bien. Le jaune."

Je la remercie sincèrement. Je serre doucement son épaule. Hors de question que je l'interroge
sur la mort de Mallory ! Ce n'est absolument pas le bon moment pour ça. Pas du tout. Idris a
besoin de quelqu'un pour la rassurer, pour le soutenir. Pour être là. Et je compte bien être cette
personne. Ce n'est pas juste que quelqu'un soit jugé coupable à cause de qui il est. En plus—
rien ne dit que ce pauvre gosse a vraiment tué mon petit-ami. Je dois aider cette personne autant
que possible. Sans la mettre en danger.

Chapitre 15 : Effet boomerang


Je prête une attention toute particulière aux empreintes de pas sur le sol. Je devine aisément les
traces du sang qui s'est écoulé de la matraque que j'ai reçue en pleine tête. Mon havresac est sur
mon dos. J'observe les environs avec prudence : la probabilité que des guetteurs traînent dans
les parages est très forte. En règle générale, ceux qui portent le rôle de sentinelles sont des
personnes en situation de handicap. C'est— plutôt logique. Je veux dire par là que dans ce
"nouveau monde", les humains qui n'ont absolument vraiment rien à craindre sont tous
handicapés. Que ce soit physique, neurologique ou autre... La décision de les envoyer surveiller
les alentours, c'est logique. Ils ne risquent pas de se faire bouffer par un machin en
décomposition. Contrairement aux personnes valides à 100%.

J'ai terriblement mal aux pieds. Je déteste ça. C'est une sensation que je trouve désagréable au
possible. Néanmoins, je prends sur moi. Vous savez pourquoi, n'est-ce pas ? Bingo... Roxan.
Roxan est en danger. Roxan n'est pas en sécurité. Et tant qu'il ne sera pas à mes côtés, en lieu
sûr, je ne peux pas me permettre de geindre sur des détails ; mon petit confort de même que
mes caprices passeront au second plan. Peut-être même au dixième plan, si c'est possible... Hm ?
Je crois apercevoir de la lumière au loin. Je me fais beaucoup plus petit et beaucoup plus
vigilant. Je m'approche tout doucement. Je prends soin de ne pas faire craquer une seule
misérable brindille. Je dois rester discret. Pour Roxan.

‹Du calme, Kaiden. Tu es beaucoup trop tendu.

–Et toi, tu me déconcentres. Tais-toi ! m'agacé-je en entendant la voix de mon moi-pensant


retentir à l'intérieur de ma tête.

–Je ne cherche qu'à t'aider, Kaiden.

–Et je n'ai pas besoin d'aide. Oust !› grogné-je mentalement. Je n'ai pas besoin de son aide. Pas
maintenant, en tout cas.

J'arrive enfin à proximité de la source de cette lumière. Je me glisse derrière un arbre entouré
d'arbustes et de buissons. J'observe en silence la scène qui se déroule sous mes yeux : des gens
s'amassent à un point précis au sein de ce campement rempli de tentes et de caravanes. Je suis
certain qu'aucun véhicule ne contient du carburant. Peu importe... Les survivants de ce groupe
arborent une mine satisfaite. Un grand baraqué, qui semble véritablement de bonne humeur,
lève son verre et il annonce qu'ils vont enfin pouvoir juger le meurtrier d'un certain Mallory.
Mon expression se durcit. Mallory ? Est-ce que ce serait le nom de l'homme que j'ai tué une
semaine plus tôt ? Si tel est le cas, ça veut dire qu'ils se sont persuadés que Roxan était la
personne qui avait achevé ce type. Fort possible qu'ils soient pas copains avec les hybrides pour
penser ça sans essayer de creuser un peu plus loin.

Ils ont l'air d'être déjà bien arrosés. Et la fête promet de durer un bon moment. C'est à cet instant
précis que le colosse ordonne à deux gars d'aller chercher "le monstre hybride". Je serre les
poings. Je grince des dents. Je ronge mon frein. J'entends la voix de mon moi-pensant qui tente
de me calmer en faisant comme il peut. Les deux hommes obéissent. Ils se dirigent vers un
camping-car. Ils ressortent avec Roxan. Il est ligoté. Lourdement ligoté. Une femme noire les
suit et c'est évident qu'elle n'est pas d'accord avec les actions des membres de son groupe. La
seule personne intelligente, j'ai envie de dire. Comment s'est-elle retrouvée avec des abrutis
pareils ? Le grand baraqué esquisse un sourire carnassier, un rictus mauvais et mesquin : Konrad
(l'inconnue qui est du côté de mon compagnon a prononcé son nom) attrape brutalement Roxan
par les cheveux et il la jette au milieu de la table où cette bande de ploucs festoyait joyeusement.
Les crétins applaudissent. La femme est horrifiée et moi ? Moi, je fulmine intérieurement. Je
vais crever ce sale fils de chien. Sale raclure de chiotte...

‹Kaiden ! J'entends tes pensées, j'te rappelle ! Calme-toi ! Tout de suite !

–Tu ne vois pas ce qu'ils lui font subir ?!

–Bien sûr que si, mais la colère ne donne jamais rien de bon et tu le sais !› répond la voix qui
résonne dans mon esprit. Je peux sentir son inquiétude.

Konrad a l'air de prendre un malin plaisir à faire du mal à mon compagnon... Il l'attrape et il
l'envoie sur une table ou contre une caravane ; comme si Roxan n'était qu'une vulgaire poupée
de chiffon. Et— Non. Je n'ai pas envie d'en dire plus. Par contre, je serai particulièrement précis
dans ma description lorsque je m'occuperai très personnellement de ce connard. Le pire, selon
moi, c'est l'inaction de ces putain de crétins qui suivent le mouvement de cette brute. Des
moutons, voilà ce qu'ils sont. Seule cette femme que je ne peux, pour le moment, pas nommer,
essaye de faire quelque chose... En vain. Elle n'intervient pas physiquement parlant, mais elle
tente de faire entendre raison à certains de ses camarades. Rien n'y fait. Ils sont sourds à ses
paroles. J'te plains, ma pauvre. En ce qui concerne les autres, je pense qu'ils seront bien mieux
morts que vivants. Je peux entendre mon moi-pensant me dire que c'est mal de raisonner ainsi...
Je ne suis pourtant pas celui qui a commencé : je ne suis pas celui qui torture une personne
innocente pour le plaisir de la faire souffrir. Je ne ris pas du malheur de quelqu'un. Je ne suis
pas un salopard de sadique. Ma colère est de plus en plus difficile à contenir. Elle me semble à
la fois brûlante et glaciale. C'est étrange... Mais je n'ai pas le temps de faire preuve
d'introspection. Je dois trouver une solution pour renverser cette situation ; ils sont bien trop
nombreux pour que je puisse les attaquer sur un coup de tête. Je ne peux rien faire seul— mais
avec un peu de logique et d'imagination, j'ai de quoi faire. Vous vous rappelez les bestioles ? Je
ne risque rien. Je peux même danser avec ces trucs. Un plan se construit dans ma tête. Je dois
trouver quelque chose pour attirer les machins ici.

Chapitre 16 : Thanatiques

Je suis au courant que les handicapés sont les gens qui risquent le moins de se faire bouffer,
hein ! Mais quand même ! Je déteste être obligé de me balader autour du camp, dans le noir
presque total pendant que les autres se remplissent la panse et s'amusent tranquillement au
campement. Ils peuvent même dormir la nuit ! Putain ! Que je déteste mon job ! J'en viendrais
presque à maudire mon handicap qui me sauve de la mort par mastication. Fait chier ! J'ai envie
de me poser, moi aussi. Danser, manger chaud et dormir dans un lit ou un sac de couchage ! Je
peux même pas dormir la nuit ! Bordel de cul ! En plus, ce boulot de merde est chiant au
possible : tu vois un Griffeur, tu le choppes à coup de couteau ou de silencieux. C'est tout. C'est
juste ça ! Ça ! Putain ! Les valides peuvent s'en charger eux aussi, hein ! Pourquoi c'est à nous
de se taper le sale boulot ? Parce que les Griffeurs se jettent pas sur nous ? La bonne blague !
La putain de bonne blague ! Je rigole pas du tout. Ça me fait chier... Les handicapés ont pas de
vie, en fait. On est juste là pour protéger ces abrutis pour qu'ils puissent en avoir une, de vie. Si
Konrad était pas le chef, j'suis persuadé qu'on aurait le droit de se poser un peu, de temps en
temps.

En plus... En plus ! Cette nuit, là, il n'y a vraiment pas un chat ! Genre— zéro Griffeur ! Rien !
Nada ! Sans compter qu'apparemment, ils ont chopé le meurtrier de Mallory. J'aimerais bien
fêter ça, moi aussi. Après... J'sais pas, franchement. C'est encore un gosse et il aurait buté
Mallory ? Ce bon vieux Mallory ? J'sais que c'était pas Musclor, mais quand même ! Un gosse ?!
Ça me semble tiré par les cheveux. C'est surtout que c'est un hybride, oui. Konrad, c'est bien le
genre de gars à discriminer tout ce qui bouge. Étant donné que cet abruti n'a aucune raison de
cracher sur les humains, il se focus à fond sur les hybrides. Et la plupart des hybrides, c'est
quand même des handicapés qui se sont fait mordre ou griffer, hein ! Mais à qui je cause, moi ?
Putain... Ça va pas bien là-dedans.

Ouais... Non. J'suis persuadé que ce ou cette Roxan n'a rien fait. C'est juste Konrad qui est parti
dans un délire pas possible. Hm ? C'était quoi ce bruit ? Je fronce les sourcils ; je suis certain
d'avoir entendu quelque chose. C'est probablement un Griffeur. Je sors mon couteau. C'est
suffisant contre ces bestioles. Je me demande si c'est bel et bien un machin sans cervelle... Et si
c'était un hybride ? Ils sont dangereux, quand même ! Je sens ma main qui tremble. La seconde
qui suit— je ne sens plus du tout ma main. Attends... Quoi ? Non. Non. Ça fait super mal en
fait. L'information monte rapidement au cerveau : on m'a coupé la main ! Je pousse une
gueulante. Heu... Finalement, non. Je gueule pas. J'ai senti un coup de poing contre ma gorge.
Ça m'a calmé sec. Je m'écroule par terre. Je lève les yeux. Je tiens mon poignet et— ouais. J'ai
plus de main droite. Putain ! Ça dégouline à mort ! C'est quoi ce bordel ?!

J'essaie d'attraper quelque chose pour bander mon poignet. Pour stopper le saignement, en gros.
Putain ! Le cinglé qui m'a fait ça vient de m'attraper l'épaule avec une violence pas permise ! Je
devine qu'il se baisse à ma hauteur. Il me donne ma lampe de poche. C'est vrai que dans mon
agitation, j'ai pas fait gaffe et je l'ai fait tomber. Je crois que c'est cassé. De toute façon, j'ai pas
du tout envie de voir à quoi il ressemble ! Il m'a coupé la main, nom de Dieu ! Sans compter
que je peux sentir son regard fixe me dévisager dans un silence que je trouve vraiment pesant.

«T'es... T'es qui ? demandé-je d'une voix rauque. Ma gorge me fait mal ; j'ai beaucoup de mal
à parler.

–Celui que vous auriez dû capturer.

–Co... Comment ça ?

–Vous avez chopé le mauvais hybride. Mais je compte bien réparer cette erreur, explique
l'inconnu d'une voix froide et bizarrement placide.

–Que... Quoi ? les mots me manquent. Le souffle également.

–Je vais avoir besoin de votre contribution. Je suis vraiment désolé.»


Je sais qu'il se relève : sa prise sur mon épaule s'affaiblit. Je comprends assez vite ce qu'il veut
me dire. Presque immédiatement, en fait. Je capte de suite. Que ce soit bien clair... J'ai pas envie
de mourir ! Je peux pas juste mourir comme ça ! Non ! Non ! Juste— Non ! Je veux pas mourir !
Je décide d'allumer cette fichue lampe avec ma... seule main disponible. Mais c'est... C'est pas
le copain de l'hybride ? De Roxan ? Et putain, c'est quoi ce regard ?! Il lève sa hache. Oh bordel !
Non ! Je tente de le convaincre de me laisser en vie. Je le supplie autant que possible alors que
je peine à respirer et que chaque mot me défonce la gorge. Il m'a pas loupé tout à l'heure. J'ai
envie de lui dire que je me doute bien que son copain n'y est pour rien mais j'arrive à peine à
produire des mots cohérents, alors— former une phrase complète ? Mission impossible. La
dernière chose que je vois c'est cette lame sauvage et froide s'abattre sur moi.

De : ■■■■

À : ■■■■

Bonjour,

Je vous transmets le rapport sur cette catégorie d'infectés que je ne suis pas sûre de comprendre.
Pourquoi l'étudions-nous ? Qu'ont-ils de si spécial ?

[Rapport - Thanatiques]

***

Nom de l'objet : Thanatique

Statut de l'objet : vivant

Le Thanatique est l'espèce la plus difficile à répertorier. Il suffit de la comparer aux deux autres
catégories d'infectés pour le constater. Cela s'explique par une apparence plus humaine, plus
indistincte que celle d'un Unguéal ou d'un Nothique. À titre de comparaison, un Thanatique ne
possède pas des yeux clairs aux pupilles blanches : caractéristique propre aux Nothiques et à
certains Unguéals. Ils sont toutefois reconnaissables par des cheveux clairs, parfois presque
blancs et une peau un peu plus pâle que la moyenne. Grisonnante dans le cas d'individus à la
peau foncée. Pas de cyanose apparente.

Le Thanatique existe à cause d'une infection semble-t-il ralentie par l'organisme. La cause est
très possiblement une maladie auto-immune ou quelque chose de similaire qui affecte le corps
de l'individu infecté. Pour une raison que nous ne pouvons pas expliquer concrètement, les
personnes touchées par le virus ne deviennent pas des Nothiques. Notre seule piste est, pour le
moment, celle d'un organisme défaillant qui entraîne des difficultés pour l'agent infectieux de
proliférer correctement. Ce serait donc ce qui différencie les individus en situation de handicap
qui sont touchées par le virus. Une personne handicapée avec un organisme défaillant
deviendrait un Thanatique et celle qui n'a pas d'organisme défaillant deviendrait un Nothique.
Plus de recherches permettront de confirmer cette théorie. De plus amples études doivent être
menées pour comprendre pourquoi un organisme défaillant cause un ralentissement de
l'infection.

Les activités cérébrales des Thanatiques sont dans la norme : ils sont capables d'émotions et de
comportements civilisés. Cette catégorie d'infectés n'est pas dangereuse au premier abord.
Néanmoins, après des expériences sur des sujets que nous avons été en mesure de récupérer, il
a été démontré qu'un stress intense provoque chez l'objet une tendance à être doué de capacités
physiques accentuées. L'objet adopte également un comportement un peu plus dangereux pour
tout être vivant à proximité. Pour résumer : l'objet devient un prédateur, un chasseur. Il devient
un tueur. Heureusement, contrairement aux Nothiques, cela ne semble pas avoir d'effets sur le
long terme. En théorie, un Thanatique en état de stress continue a moins de chance qu'un
Nothique qui abuse de ses capacités anormales de céder à un comportement dit sauvage.

Cette catégorie d'infectés peut être considérée comme vivante. Les constantes sont stables et ne
deviennent anormales que lorsque l'objet se retrouve dans un état de stress intense. Une chute
de la température est à noter lors de la phase active de l'objet. Pas d'explications trouvées à ce
jour. Les Thanatiques ne possèdent pas de griffes rétractiles. Ils sont cependant physiquement
plus résistants que les êtres humains. Cette résistance est un peu moins importante que celle des
Nothiques. Il est probable que ce soit à cause de la différence de l'évolution du virus lors de
l'infection du sujet. Des expériences sont à mener pour déterminer si c'est bel et bien le cas.

Addendum : Après quelques expériences sur les rares sujets que nous avons en notre possession,
il a été confirmé que tout individu possédant un organisme affaibli (organe défaillant, maladie
auto-immune, etc...) peut devenir un Thanatique. Lors de la recherche d'individus infectés
appartenant à cette catégorie, veuillez vous renseigner sur leur état de santé. Diabète,
hypothyroïdie/hyperthyroïdie, VIH, sclérose en plaque, malformations cardiaques... Tout
problème de santé affaiblissant l'organisme est indicateur d'un Thanatique en devenir ou déjà
existant.

***

De : ■■■■

À : ■■■■

Vous n'êtes pas sérieuse, Dr. ■■■■ ? Relisez le rapport. L'avez-vous même lu, pour
commencer ?

Pr. ■■■■

Chapitre 17 : Molly
Qu'est-ce que j'ai mal... Mon corps tout entier est endolori. Ce n'est pas vraiment étonnant, j'ai
envie de vous dire ; Konrad a passé— une trentaine de minutes à me frapper et à me balancer
dans toutes les directions possibles. Tout compte fait... Je dis que cela a duré environ trente
minutes, mais ça m'a paru comme étant d'interminables heures. Plus j'y pense, moins je trouve
cela pertinent. Je suis maintenant totalement sûre de moi en affirmant que la torture que j'ai
subie a eu le malheur d'être beaucoup beaucoup beaucoup plus longue. Et cette maudite
résistance surhumaine ne change rien à la douleur qui taquine mon corps tout entier. Je peux
vous l'assurer... Ça fait un mal de chien. Putain !

Heureusement, j'ai un peu de lumière dans les ténèbres : Molly Werner. C'est le seul membre
de ce groupe de timbrés qui a l'air d'être raisonnable et douce. Elle est vraiment gentille, vous
savez ? Ça fait de la compagnie et quelle compagnie agréable ! Elle ne me traite pas comme un
monstre— le monstre que je suis devenu après une saloperie de morsure... Je n'ai jamais
demandé à devenir... à devenir ce que je suis devenue. Mais Molly ? Oh... Quelle douceur et
quelle compréhension ! Elle discute avec moi comme si nous étions de vieux amis et elle me
réconforte lorsque les larmes me montent aux yeux. Qui plus est, elle me rappelle étrangement
Kaiden. Dans un sens. Je ne saurais pas expliquer pourquoi mais c'est peut-être son côté bavard
lorsque l'on aborde un sujet qui la fascine ? Cette lueur dans son regard qui s'illumine à la
mention de celui qui a inspiré sa tenue haute en couleur. C'est original. Et ça lui va bien. Gilet
noir, T-shirt bleu... à moins que ce soit turquoise ? Ruban rouge autour du cou. Chaussettes
dépareillées. Je suis presque sûr que ce n'est pas un hasard si sa prothèse est jaune. Trop de
coïncidences tue la coïncidence !

«Rhys ? demandé-je en esquissant un léger sourire. Je suis certain qu'elle va répondre très vite.

–Quoi ? Hein ? Non ! J'ai pas... Comment tu as deviné ? elle a l'air prise au dépourvu. Je ne
peux empêcher un rire de s'échapper de mes lèvres.

–Ton style vestimentaire. Ta prothèse. C'est juste un heureux hasard ?

–Ok... Bon. Oui. Tu m'as eue, admet-elle en levant les bras et en arborant une mine vaincue.

–Ça te va à merveille.»

La femme en face de moi semble toute chose. Je panique en la voyant se trémousser


nerveusement et j'insiste sur le fait que le compliment que je viens de lui faire est sincère.
J'admire véritablement sa beauté : ses cheveux me rappellent un peu un nuage fougueux et— il
est clair qu'elle a réussi à les dompter en les attachant. Son nez lui donne également du caractère
et, je trouve, qu'il lui harmonise le visage. Ce que certains appellent un "bec d'aigle" s'appelle
normalement un nez aquilin. Et c'est très joli. Je suis persuadé que derrière sa timidité et son
anxiété, Molly est une battante. Elle manque juste de confiance en elle... Ça me rappelle
quelqu'un ça. Quoi ? Non ! Non !! Je ne parle absolument pas de moi ! C'est faux ! C'est faux.
Enfin— Non. Ouais. Si. Je manque d'assurance. D'accord. C'est vrai.

Je sais que je devrais me soucier un peu plus de mon sort : la situation actuelle requiert toute
mon attention, après tout. Oui ! Je sais ! Je devrais réfléchir sérieusement à comment
m'échapper de cet enfer ! Je sais ! Ne vous en faites pas... Je me creuse les méninges.
Malheureusement, mon cerveau a une furieuse tendance à se soucier des autres. En priorité. Si
vous voyez ce que je veux dire. Je ne peux pas oublier Kaiden. Il est tout seul. Il est perdu. Il
ne sait pas où je suis. Et je ne sais pas où il peut bien être ! Et s'il était en pleine crise de panique
ou d'angoisse ? Je sais ! Je sais que je devrais m'inquiéter de mon bien-être actuel ! J'en suis
consciente ! Mais je... Kaiden est quelqu'un de spécial à mes yeux. D'accord ! Konrad a dit qu'il
était en vie— mais et s'il était... Vous savez ? Si c'était un mensonge ? Je ne pourrais pas vivre
avec ça dans un monde pareil.

Aouch ! Dans ma pseudo-rêverie, je ne me suis pas rendu compte que Molly avait décidé de
s'occuper de mon visage. Elle essore une serviette humide et elle s'applique à s'occuper de mes
blessures avec un soin méticuleux. Elle nettoie, elle désinfecte... Elle est particulièrement
investie dans sa tâche. Maintenant que j'y pense, je n'ai aucune idée de la tête que je dois me
trimballer à cause des mauvais traitements que j'ai subis un peu plus tôt... J'espère que ce n'est
pas trop grave. Quoi ? Pourquoi mon cerveau pense à une chose pareille ? L'homme que Kaiden
a tué... serait-ce quelqu'un d'important pour Molly ? Si tel est le cas, pourquoi ne nous déteste-
t-elle pas ? Pourquoi se montre-t-elle aussi gentille ? Je ne comprends pas... Ce que nous avons
fait, c'est mal ! C'est inhumain ! Alors, pourquoi ?

«Molly... Es-tu veuve ? ma question est tremblante d'hésitation. Je n'ai pas envie de connaître
la réponse.

–Oui ?

–Est-ce... qu'il te manque ?

–Bien sûr, elle semble devenir légèrement soupçonneuse.

–Je... Je suis vraiment désolée.

–Ce n'est pas ta faute. Tu n'as pas le profil d'un tueur, Roxan, me répond-elle de but en blanc.

–Qu'est-ce que ça veut dire ? demandé-je en fronçant les sourcils. Qu'insinue-t-elle ? Est-ce
qu'elle aurait compris ?

–Je sais que c'est Kaiden Carter, le responsable. Mais... Je sais aussi que la mort de Mallory
était accidentelle.

–Comment ? je suis estomaqué. Comment en est-elle venue à cette conclusion ?

–C'est évident.» me répond-elle sans développer un quelconque raisonnement pour que je


comprenne comment elle a été capable d'une telle prouesse.

Je n'ose pas poser de plus amples questions ; je devine à l'expression faciale de la femme en
face de moi qu'elle n'a pas envie d'élaborer. Qu'elle n'est pas d'humeur à en parler librement. Et
je peux comprendre... Ce que je n'assimile pas, par contre, c'est qu'elle n'a vraiment pas l'air de
nous en vouloir. Roxan ! Ne laisse pas ta curiosité s'exprimer ! Molly a besoin de tranquillité !
Quoi qu'il en soit, elle continue de s'occuper de mes blessures comme si la conversation n'avait
jamais eu lieu. Dans le silence total. Le plus total. Je l'observe, sans aucun mot dire. J'aimerais
comprendre comment elle fonctionne... Oh ! Me voilà à parler comme Kaiden ! Kaiden... Il
saurait analyser Molly. Pas que j'en sois incapable ! Mais il a une façon de faire qui diffère de
la mienne. Cette observation propre à lui. Une observation qui semble froide et détachée. Un
poil désagréable, mais qui a toujours une pointe de vérité.

"Tiens... C'est quoi cette odeur ?"

Chapitre 18 : Retour de bâton

Sacha et Camille discutent tranquillement autour d'une immonde piquette. L'alcool n'est pas
folichon, c'est même atroce à boire... Mais ça reste une boisson qu'ils peuvent s'enfiler sans se
soucier du danger alentour : les guets sont là pour ça, non ? Pour éviter aux Griffeurs de se
pointer au campement. Sécurité totale ! Du moins, le pensent-ils.

Au tout début, ils ne s'inquiètent pas. Après tout, quelques branches qui se cassent sous la patte
d'un animal gambadant dans les bois— c'est normal ! Les feuilles qui virevoltent ? Idem ! Un
peu de vent ou des bestioles et fiou ! Ça se balade ! Non... Non. Là où ils ont commencé à se
poser de sérieuses questions c'est au moment précis où les pattes écrasant le sol sont devenues
de plus en plus nombreuses. Le pas qui piétine l'herbe, il n'est pas unique. Il y en a plusieurs.
Ils sont... chaotiques, mais réguliers. Et ils approchent dangereusement du campement.

«T'entends ça, toi aussi ? demande Sacha d'un air inquiet. Pas assez inquiet, à mon humble avis.

–Ouais. Tu crois que ce sont des hybrides ?

–J'sais pas... Mais c'est pas bon signe.»

Sacha se lève d'un pas chancelant, la faute à l'alcool que son ami et lui gobaient un peu plus tôt.
Il plisse légèrement les paupières, pensant peut-être qu'il gagnerait en visibilité dans pareille
obscurité. Ces deux guignols ne sont pas les couteaux les plus affûtés du tiroir ; voilà ce qui
arrive quand on compte un peu trop sur les membres du groupe qui ne risquent rien avec les
Unguéals. Sacha grogne et il demande à son compagnon de beuverie de se bouger un peu.
Camille se redresse. Au moment précis où il est enfin debout, une fusée traverse son crâne.
L'homme a beau être torché, la vision d'horreur qui s'offre à lui a, semble-t-il, évacué tout
l'alcool qui brouille son esprit. Il est probable qu'autre chose se soit évacué autre part. Une tente
prend feu. La fusée qui a troué la caboche de Camille a fini sa course dans une tente à proximité.

"Camille ! Putain !! C'est quoi ce bordel ?!"

Sacha est encore sous le choc. Tout s'est passé si vite : Camille était encore en vie, il y a à peine
quelques secondes. Et maintenant ? Il gît par terre, la tête— Est-ce que vous avez vraiment
besoin des détails ? Je peux vous les donner, bien entendu, mais... Non. Juste non. C'est pas
beau à voir. Du tout. Bref ! Sacha tourne son regard en direction de l'origine de cette fusée
éclairante. Ses yeux s'écarquillent d'effroi en apercevant une armée de créatures s'approcher
dangereusement du campement. Elles sont l'air d'être guidées par quelqu'un, en arrière, qui...
qui lance des morceaux de... de corps humains ? Sacha recule. Il manque de trébucher. Il dégaine
son arme à feu. Bras tendus. Un flingue pointé qui ne sait quelle cible choisir. Son arme tremble
dans ses épaisses paluches. La seconde suivante, elle ne tremble plus. Ses mains non plus. Elles
tombent toutes trois sur le sol herbeux de ce bois sinistre. Sacha s'apprête à hurler, mais quelque
chose d'assez "radical" l'en empêche ; l'homme s'effondre sur le sol et son corps inerte se noie
dans une mare de sang grandissante.

La silhouette qui vient de voler le dernier souffle de Sacha emprunte mollement un morceau de
tissu à l'une des bestioles faussement humaines. Ça essuie la lame de sa hache, maculée
d'hémoglobine, avec un certain soin. Ça contemple son œuvre et ça se concentre promptement
sur la tente qui est en train de prendre feu. Ça s'approche du cadavre au crâne troué et brûlé. Ça
s'agenouille pour être en mesure de fouiller celui-ci. Le tueur trouve une boîte d'allumettes ainsi
qu'un briquet. Le corps possède également une arme à feu et une petite lame moyennement
tranchante. Le visage du meurtrier est inexpressif. Cependant, les commissures de ses lèvres
s'orientent vers le haut. Ça se relève et ça s'étire tranquillement. Le pouvoir de la destruction
entre ses doigts gantés. Ça fait signe aux monstres de suivre ses pas. Ça craque une allumette.
Ça la laisse tomber sur une autre tente. Le feu doit prendre. Il doit prendre de l'ampleur.

Les choses suivent le meurtrier. Le meurtrier qui se déplace avec tout autant de placidité que
les monstres qui lui obéissent. Ça traîne paresseusement sa hache qui racle le sol. Ça réfléchit :
comment causer plus de dégâts ? Comment faire passer le message ? Ça remarque un petit
groupe de personnes. Toutes plutôt éméchées. Quelle aubaine. Les gens dépendent de l'alcool
pour trouver un semblant de réconfort. Pour se donner l'illusion du bonheur. Et quel service
rendu cela peut-être pour le tueur ! Ça penche légèrement la tête sur le côté... Hache ou bien
pistolet de détresse ? Ça semble hésiter pendant un temps. Une fraction de secondes. Ça
recharge son arme. Ça vise. Ça tire. La fusée s'élance pour frapper un grand coup. Des
hurlements s'élèvent dans la nuit qui— promet d'être affreusement longue. Le meurtrier lance
un organe. Les monstres sont soudain pris d'une vivacité sauvage. S'il y avait des survivants...
Ça ne sourcille pas le moins du monde. Les bestioles se régalent.

Ces tentes sont les moins proches du centre du campement. Vous l'avez probablement deviné,
mais ce n'est que le début. Ça s'est donné pour objectif de réduire cet endroit en cendres. L'armée
marche en direction de la zone la plus densément peuplée. Le meurtrier a rangé sa lame pour
privilégier le pistolet de détresse. Ça tire. Ça frappe caravanes et tentes. Quand c'est assez
proche de sa cible, ça utilise les allumettes. Ça désire des murs de feu. Une arène infernale.
Personne ne pourra s'en échapper. Les flammes seront ses alliées. Elles seront aussi les alliées
des Unguéals.

Chapitre 19 : Un pour tous, tous pour un

Amara et Clay discutent tous les deux. La nuit est paisible. Ils sont dans un coin tranquille du
camp. Loin de l'agitation. C'est en tout cas ce qu'ils pensaient avant qu'une odeur de brûlé ne
leur monte aux narines. Les cris assourdissants qui tranchent le silence du monde nocturne
confirment leurs craintes : quelque chose ne va pas. Mais comment est-ce possible ? Et surtout,
comment une armée entière de Griffeurs a pu passer les guetteurs ? Les deux jeunes gens ne
peuvent pas en croire leurs yeux... Ils n'ont jamais vu autant de bestioles réunies en un même
endroit. Ils n'ont jamais vu ces créatures stupides être aussi— coordonnées. Ce n'est pas normal.
La jeune femme est la première à réagir ; elle attrape le poignet de son copain et elle le tire dans
sa direction. Elle court aussi vite que possible. Il faut dire que traîner une personne paralysée
par la peur ralentit grandement la cadence. Vous ne pouvez pas non plus blâmer Clay d'être
devenu blanc comme un linge après avoir été témoin d'une pareille vision d'horreur. Auriez-
vous réagi différemment ? J'en doute fort. Il n'a jamais eu l'occasion de partir en expédition, ce
qui explique la terreur qu'il a ressentie un peu plus tôt. Une terreur qu'il ressent toujours en ce
moment même. Amara trouve un endroit où s'abriter. De cette manière, elle peut réfléchir un
peu plus calmement. Il faut trouver un moyen de s'échapper sans se faire attraper. S'ils y
parviennent, ils pourront avertir les autres. Mais comment faire ?

Ce n'est pas le moment de se focaliser sur comment s'en sortir ! Le jeune homme est toujours
en état de choc. Amara opte très aisément pour la manière forte : elle catapulte la paume de sa
main contre la joue de Clay. Un vif soubresaut. Ses yeux papillonnent. Il dévisage sa compagne,
abasourdi. Il fronce les sourcils et il s'apprête à lui demander pourquoi elle vient de le gifler.
Avec autant de violence, qui plus est ! Seulement, il en est bien incapable ; la jeune femme a
plaqué sa main sur sa bouche pour l'empêcher de parler. Elle pose ensuite son index sur ses
lèvres. "Ne fais pas un seul bruit", dit-elle muettement avec son expression sérieuse. Clay
s'abstient de déglutir. Les créatures n'ont pas un odorat spécialement développé. Tant que vous
ne saignez pas, vous ne risquez pas grand-chose. Vous risquez encore moins de vous faire
repérer lors d'un incendie : les flammes occupent leurs narines putrides. Toutefois ! L'ouïe et la
vue sont très aiguisées. Un mouvement. Un seul. Un seul et unique mouvement peut vous
condamner.

Ce que nos deux héros du jour n'ont pas anticipé, c'est la présence de ce qui guide les Griffeurs.
De ce qui ne recherche que vengeance. Ça se tient derrière Amara. Clay écarquille les yeux. Il
vient de voir la silhouette du meurtrier. Il n'a pas le temps d'avertir sa compagne. Elle n'a pas le
temps de se retourner. Un coup. Un unique coup. Sec et rapide. Tranchant et mortel. Amara
n'est plus. Elle n'est plus entière. Elle n'est plus de ceux qui vivent. Le jeune homme recule. Ses
pupilles rétractées par la terreur et par la confusion la plus totale. Il ne réalise pas encore que sa
bien-aimée vient de mourir devant lui. Il réalise encore moins que son heure vient elle aussi à
grands pas. La main gantée du tueur l'attrape agressivement et le tire dans sa direction. Le jeune
homme se sent jeté contre le sol. Il entend les grognements des créatures. Et c'est la dernière
chose qu'il entendra. Le feu et les Griffeurs sont la dernière chose qu'il voit avant— de
disparaître.

Je pense que c'est plutôt évident, mais ce que je sens là n'est absolument pas normal. Vous ne
parviendrez pas à me convaincre que cette odeur nauséabonde qui titille mes narines est l'œuvre
de Konrad Wesker et de ses pigeons. Ça fait vraiment bizarre de dire son nom de famille à celui-
là... Non ! Mais sérieux ? "Wesker" ? Il existe vraiment des gens qui sont affublés d'un tel nom
dans un monde pareil ? C'est plutôt— ironique ? Ou alors c'est une très mauvaise blague. Mais
je m'égare. Ce que je veux vous faire comprendre, c'est que les chances pour que ce soit ces
tortionnaires qui aient décidé de faire un feu de joie n'est pas... heu... élevée. Du tout.
L'expression que je lis sur le visage de Molly confirme mes soupçons. Cette dernière secoue
légèrement la tête et elle me demande d'attendre quelques secondes. Elle quitte le camping-car.
Elle revient une minute plus tard. Elle m'explique que la plupart des membres du groupe sont
soit en train de comater, soit en train de vomir ; sans compter ceux qui désirent plus que tout
remplir leur organisme d'alcool. Aucun des ivrognes n'a l'air d'avoir remarqué les nuages de
fumée qui s'élèvent dans un ciel étoilé parfaitement dégagé. Qui devrait être parfaitement
dégagé. Normalement... Il y a donc un incendie. En plein milieu des bois. J'aimerais croire que
ce n'est rien de grave, mais je sens ma gorge qui se serre : nous sommes en danger.

La femme en face de moi semble soudain prise d'un élan d'audace. Ce qui me surprend. Elle
m'a quand même expliqué, un peu plus tôt dans la soirée, qu'elle ne prendrait pas le risque de
me libérer. De peur que je ne me fasse à nouveau capturer et qu'en conséquence de ma tentative
d'évasion, je souffre encore plus de la violence de Konrad. Pourtant, la voilà en train de me
détacher. Elle me tend calmement sa main en insistant sur le fait qu'elle connaît aussi bien cette
forêt, si ce n'est pas mieux, que le chef de son groupe. Je peux lui faire confiance : c'est la seule
survivante qui n'a jamais rien tenté contre moi. Elle m'a même protégée autant que possible
contre les autres.

Nous sortons de la caravane aussi furtivement que possible. Molly m'a expliqué que c'est plus
prudent : des survivants totalement éméchés pourraient très bien me remarquer. Elle ajoute que
parfois, une personne en état d'ébriété est une menace plus importante qu'un individu sobre de
toutes substances. Sa façon de faire et son calme presque militaire me rappellent indirectement
mon père. Pas que ce soit un homme au sang-froid légendaire mais— Serait-il possible que
Molly fut policière avant le début de la "Nouvelle Ère" ? Je n'ose pas lui poser cette question.
Je passe une main sur ma gorge. Je sens la trace de la morsure sur le côté gauche. Mes doigts
se sont enfoncés à l'intérieur de la blessure. Je grimace. Elle s'est rouverte. Bon sang... Je hais
ma condition d'hybride. Quelque chose me sort de ma rumination : un bruit typiquement
identifiable. Je me tourne vers sa source. Vive lumière rouge. Une fusée éclairante. Elle s'écrase
contre une tente où se trouve un groupe de survivants. La tente s'enflamme. Je... Qu'est-ce qui
se passe ? Et que font toutes ces bestioles ? Comment est-ce possible d'en avoir autant au même
endroit ?

«Merde... Un Thanatique.

–Un... Un quoi ? je fronce les sourcils. Qu'est-ce que Molly appelle un "Thanatique" au juste ?

–Pas le temps d'expliquer. Il faut bouger, s'écrie la trentenaire en me tirant dans une certaine
direction.

–Non ! Non ! Et si c'était Kaiden ?

–Ouais, bah... Si c'est Kaiden, mieux vaut l'éviter. Il va nous buter si c'est lui le Thanatique
enragé.» me rétorque-t-elle en continuant de tirer sur mon bras.

Je n'ai pas envie de la suivre. De un, je ne sais pas du tout ce que c'est, un "Thanatique". De
deux, même si Kaiden a parfois des comportements irrationnels et erratiques après une montée
de stress super conséquente... Ne pas pouvoir me reconnaître ? Non. Impossible. Il ne
m'attaquerait jamais ! Je suis certaine que c'est lui ! J'en suis persuadé ! Mais est-ce bien sage
d'utiliser mes capacités d'hybride contre la personne qui m'a sortie de ce merdier ? Et si je lui
arrachais le bras sans le vouloir ? Non... Je dois rester sage. Nous nous cachons dans la
broussaille qui avoisine le campement. Molly me fait signe de rester muet comme une carpe et
de regarder. Elle tremble. Elle tremble terriblement. Qu'est-ce que je vais voir pour qu'elle soit
dans un état pareil ?

Chapitre 20 : Le cœur a ses raisons

La raison pour laquelle Molly tient plus que tout à ce que Roxan soit témoin de ce massacre,
c'est pour lui montrer que les individus infectés comme Kaiden sont des créatures dangereuses
en phase active. Comment notre très chère amie est-elle courant de ce genre de choses ? Je sais
que je suis le narrateur, mais je ne pense pas que l'auteur soit d'accord pour que je vous le dise.
Soyez créatifs et amusez-vous à faire d'adorables petites théories, d'accord ? Parfait ! Revenons
à nos— Unguéals. Molly Werner peut sentir la totalité de son corps trembler. Son cœur
s'emballe au rythme de la panique. Elle sait de quoi les Thanatiques sont capables ; elle en a
déjà vu un en phase active par le passé. Et très visiblement, Kaiden fait partie de ceux qui ne
plaisantent pas. Elle prie pour cela ne déclenche pas quelque chose chez les rares infectés qui
vivent ici dans le secret.

Il y a autre chose que Molly espère plus que tout au monde ; que Roxan ne soit pas répugnée
par son compagnon. Les chances pour que cela se produise sont minces... ce n'est, en revanche,
pas impossible. Quoi qu'il arrive, les intentions de Molly ne sont pas malfaisantes. Un
Thanatique est un hybride qui peut représenter une menace, autant pour les humains que pour
l'autre catégorie d'infectés. C'est de la prévention. Rien de plus, rien de moins.

Kaiden sort finalement de l'ombre... ou peut-être devrais-je dire qu'il s'écarte de la masse de
corps pourrissants qui lui obéit sans broncher ? Les deux phrases sont vraies. Le jeune homme
plisse doucement les yeux et il semble évident qu'il s'assure que son attaque surprise a eu la
chance d'être parfaitement létale. Ceux qui n'ont pas été touchés et ceux qui ont échappé à la
mort tentent, malgré un état d'ébriété ahurissant, de dégainer leurs armes. Manque de chance !
Ils sont lents. Ils sont maladroits. Le tueur sourit. Il ouvre son sac à dos et il en sort sa petite
hache, l'air pleinement serein. Première cible ? En pleine tête. La suivante ? Dans l'abdomen.
Celui qui essaie d'intervenir ? Un croche-patte. Un coup de pied. Ça le piétine. Les Unguéals
s'occupent du reste. Une victime appuyée contre la surface d'un camping-car ? La main gantée
du monstre s'écrase sur sa gorge et celle qui tient le manche de sa lame s'acharne sur sa cible.
Une arme fait feu. Un survivant fait office de bouclier humain pour le meurtrier. Roxan est
estomaqué. Terrorisée. Sous le choc.

«Il faut arrêter ce massacre ! s'alarme la jeune personne qui se tourne vers la trentenaire.

–Nous ne pouvons rien faire.

–Bien sûr que si ! Je peux aller lui parler !

–Pour qu'il te bute ? Pas question ! objecte la survivante alors que ses traits se durcissent, Tu
veux crever ou comment ça se passe ?!

–C'est Kaiden. Kaiden. Il ne me fera rien.


–Fais comme tu veux...» bougonne la jeune femme qui décide de se mettre un peu plus à l'écart.

Notre ami l'hybride se redresse. Elle sort de sa cachette en prenant soin de n'alerter personne...
que ce soit humain ou pas. Il est conscient que Kaiden ne le voit pas : sa folie meurtrière a l'air
de l'avoir rendu aveugle. C'est tout du moins ce qu'elle pense avoir compris en l'observant. Il
est occupé à blesser. Il est occupé à tuer. Roxan ne peut s'empêcher de grigner face à un pareil
spectacle. Des murs de flammes. Le sol qui brûle. Les gens qui courent. Les gens qui hurlent.
Du sang qui gicle. L'adulescente inspire profondément et il avance. Les choses l'ignorent. Elles
ignorent également Kaiden. Quelques infectés qui sont toujours "dans le placard" semblent, eux
aussi, en sécurité. Molly devrait également pouvoir s'en sortir grâce à son handicap.

"Kaiden. Je suis là. C'est moi. Roxan."

La chose qui porte le visage de Kaiden est prise d'un très violent sursaut. Le monstre sans
aucune once de pitié ou d'empathie semble avoir retrouvé quelques couleurs. Il se tourne pour
faire face à un visage familier. Il fronce les sourcils, comme surpris de revoir Roxan. Est-ce
seulement son compagnon ? Le meurtrier dévisage la personne qui tente un timide sourire. Sans
aucun mot dire, il recule à l'instant précis où Roxan avance d'un pas. Ses yeux ont l'air vides et
pourtant— l'hybride sait que son compagnon est soulagé de la revoir. Il devine aussi la
culpabilité de celui-ci.

Ce n'a pas du tout été une mince affaire, mais la jeune personne est parvenue à s'approcher de
son compagnon. Il dépose délicatement ses doigts cyanosés sur la peau, drôlement gelée, de
son "ami". Avec tout autant de tendresse, elle laisse son front se coller à celui de Kaiden. Il
murmure quelques mots. Le meurtrier sanguinaire laisse tomber sa lame tranchante. Les doigts
longs et fins de la jeune adulte caressent affectueusement les joues et les tempes de l'adulescent
qui, on dirait, semble avoir retrouvé un état plus ou moins stable.

Naturellement, que Konrad soit présent ou qu'il soit absent, ses... étranges idéaux restent gravés
dans l'âme de certains. Un homme vient de voir ses compagnons se faire massacrer. Il voit
Kaiden. Le responsable. Il voit Roxan qui enlace ce dernier. Deux monstres. Deux monstres
célèbrent une victoire injuste. Il ramasse sa machette. Il s'approche. Menaçant. Kaiden fronce
les sourcils et il chuchote quelque chose. Roxan ne semble pas l'écouter, car elle se retourne
et... et... C'est comme un réflexe. Non mais— Vous voulez vraiment lire ça maintenant ? On
peut toujours voir ça dans le prochain chapitre ! Non ? Mais pourquoi ? Bon... Ok. D'accord. Si
vous insistez. Revenons donc au moment précis où ça va faire mal : les griffes se déploient.
Moins longues que celles d'un Unguéal. Elles se plantent dans la gorge de l'homme à la
machette. La douleur est insoutenable. Il lâche son arme. Ne me demandez pas comment c'est
possible, mais— Roxan lui arrache la langue par... heu... la gorge.

Chapitre 21 : Que la raison ignore

Je crois que j'ai entendu quelque chose se glisser hors des lèvres de Kaiden. Mais je ne pourrais
pas vous dire si j'ai compris les mots qu'il a prononcés. Que tente-t-il de me dire ? Je me
retourne. Qu'est-ce que c'est que... ça ? Je vois un visage envahi par la rage. Un bras qui se lève.
Une machette, prête à me tomber dessus. En temps normal, je me serais soit figé sur place, soit
j'aurais essayé de fuir ce danger immédiat. À la place de cela, mon corps réagit d'une tout autre
manière : je sens des griffes se déployer. Là où se situent mes ongles. C'est désagréable.
Douloureux. Mais rapide. Je ne suis pas sûre de comprendre pourquoi, ni comment une telle
chose est faisable, mais mon corps agit de son propre chef. Je ne contrôle strictement rien. C'est
à ce moment précis que je devine le geste de ma main gauche ; elle s'élance contre la gorge de
mon agresseur. Est-ce qu'il a eu le temps de hurler ? Je— Je ne suis pas certaine de pouvoir
vous le dire. Mon cœur, mes poumons... Tout semble sens dessus dessous. Je sens quelque chose
de vraiment... de vraiment... indescriptible ? C'est littéralement à cet instant que je réalise une
chose ; mes griffes se sont enfoncées dans son cou. La seconde suivante ? Je sens quelque chose
entre mes doigts. Quelque chose dans la paume de ma main. C'est quoi cette horreur ?! Une
langue ? À qui appartient-elle ?

Qu'est-ce que ça fait là ?! Pourquoi j'ai une langue, qui je l'espère de tout mon cœur, n'est pas
humaine, dans ma main ? Je regarde en face de moi. Personne. J'hésite. Longtemps. Pendant
bien— une ou deux minutes. Je baisse les yeux. Il s'étouffe. Il se noie dans son propre sang. Un
gargouillement insoutenable. Il se tient la gorge. Il ne peut pas s'exprimer. C'est ma faute... C'est
ma faute ! C'est ma faute ! Je suis un monstre ! Je me débarrasse de l'organe de la gustation. Je
suis écœuré. Une envie de vomir grimpe à l'intérieur de ma gorge. Mes yeux écarquillés sentent
des paupières papillonner anxieusement. Les doigts de mes deux mains tremblent avec une
panique évidente. Je ravale péniblement ma salive. Je me tourne. Je fais face à Kaiden. Il est
probablement tombé en arrière lors de l'attaque. Il ne dit rien. Le silence est roi. Il me regarde
et— il applaudit timidement. Je fronce les sourcils, sidéré. Ce n'est pas quelque chose que l'on
peut encourager ! Je viens de tuer un homme !

Toujours est-il que Kaiden se trouve actuellement dans un état de vague confusion... Je ne peux
pas affirmer que c'est la raison pour laquelle il vient d'agir comme si j'avais fait quelque chose
d'extraordinaire, mais ça reste une possibilité : il n'est pas en pleine possession de ses moyens—
du moins, je le crois. Je le connais suffisamment pour savoir qu'il serait capable de réagir de
cette façon tout en étant parfaitement lucide. Histoire d'être solidaire. Ce qui reste hyper
déplacé. Néanmoins, en temps normal, il tenterait de me convaincre que ce n'est pas si grave ;
je n'ai fait que me défendre. Il dirait que c'est super hyper giga cool. Toujours déplacé... Mais
je ne vais pas le changer. Et voilà ! Je me rappelle que j'ai arraché la langue de quelqu'un ! C'est
inhumain, bordel ! Ça me dégoûte ! Je me dégoûte ! Je suis un monstre ! Un putain de monstre !

«C'était dégueulasse ! Molly s'approche de nous et surtout du cadavre, les yeux rivés sur celui
qui ne parlera plus jamais.

–Je sais. Pas besoin de me le dire. Tu ne m'apprends rien, m'énervé-je alors que j'évite le plus
possible de croiser son regard.

–Un Nothique et un Thanatique... Ensemble. C'est rare. Je plaisante pas, tu sais ?

–Et... c'est quoi un Nothique ? Et un Thanatique ? Non ! Parce que le premier, c'est une créature
de Donjons & Dragons !

–Ce sont les deux types d'hybrides qui existent en ce monde post-apocalyptique.» elle hausse
les épaules comme si c'était l'évidence même. Comme si c'était quelque chose que tout le monde
devrait savoir.
J'aimerais bien comprendre comment une simple survivante peut en savoir autant sur les
infectés qui sont devenus des hybrides. Quoi qu'il en soit, elle est véritablement instruite... Je
me demande comment elle a obtenu des informations aussi— peu connues. Je recule. Quelques
pas en arrière. Je ne dois pas approcher Molly : je risque de la blesser si je ne m'écarte pas.
Pourquoi ? Je ne suis pas sûre de pouvoir l'expliquer, mais je sens quelque chose, au fond de
moi. Cette chose possède un désir de violence. Une soif monstrueuse de sang. Une envie que je
ne cautionne pas, que je n'accepte pas comme étant la mienne. C'est— un peu comme s'il y avait
un parasite dans mon corps. Une ombre qui m'enlace et qui me murmure des atrocités. Qui
souhaite que je fasse du mal aux autres. C'est une sensation tout bonnement effrayante.

La femme en face de moi... Elle a l'air de comprendre ce que je suis en train de ressentir. En ce
moment même. Enfin— Non. Je ne suis pas certain qu'elle en soit capable, mais elle sait
assurément ce qui se passe ; elle reste donc à bonne distance de ma personne. Je peux sentir
mon corps trembler. Mes yeux également. Ma vision se trouble quelques secondes. Elle se
stabilise ensuite. Et puis ça recommence. Encore. Et encore. C'est insupportable... Je me déteste.
Je me déteste vraiment. Pourquoi le monde se déforme autour de moi ? Pourquoi j'ai autant
envie de vomir ? Après ce qui m'a paru des heures (à cause de mon état actuel), Molly prend la
parole : elle m'explique que nous devons partir au plus vite. Pour l'instant, Konrad et quelques
autres survivants de la tuerie de masse sont encore dans le coaltar. Le problème, c'est que ça ne
va pas durer et que si nous sommes toujours dans les parages quand ils réaliseront ce qui s'est
passé... C'est la mort que nous risquons. Je ne vois pas comment ces gars-là pourraient survivre,
mais en voyant les bestioles s'éparpiller et se disperser, je comprends un peu mieux ce que
Molly voulait me faire comprendre. Nous quittons donc le campement.

Chapitre 22 : Trois jours

«Pourquoi les "Thanatiques" cachent ce qu'ils sont ? demande la jeune adulte à Molly qui émet
un petit rire fébrile.

–Konrad déteste les hybrides. Imagine un peu s'il venait à apprendre qu'il existe des "monstres"
indétectables à l'œil nu ?»

L'expression faciale de Roxan se durcit légèrement et elle détourne le regard. Il se plonge dans
ses pensées et elle se rappelle alors de la violence qu'il a subie de la part de Konrad. Un vrai
monstre. Et pourtant, c'est notre ami hybride qui fut traité comme si elle en était un. Ce qui n'est
pas totalement faux... Mais ce n'est pas la même chose. En tout cas, Roxan ne peut qu'imaginer
quelle serait la réaction de cet homme s'il apprenait l'existence des "Thanatiques", en plus de se
rendre compte qu'il y en a dans son troupeau de moutons. Pour ce tyran, tout ce qui est infecté
n'est pas humain et ce qui n'est pas humain doit être chassé ou tué. Comment peut-on se montrer
aussi intolérant quand des gens comme elle existent ? Des gens comme Kaiden ? Des personnes
qui veulent seulement avoir de la compagnie et des vivres dans ce monde de brutes ?
«Mais... Je ne comprends pas. Pourquoi il fait ça ? Pourquoi les gens le suivent ? Roxan n'arrive
tout simplement pas à appréhender que les êtres humains puissent continuer d'être stupides alors
que les temps sont rudes.

–Les discriminations ne vont pas disparaître parce que le monde s'est fait HS, Roxan.

–Désolé...

–Pourquoi est-ce que tu t'excuses ? La trentenaire arque un sourcil. Elle dévisage la jeune
personne d'un air interrogateur.

–Je ne sais pas... Pardon.» marmonne l'adulescente en baissant les yeux. Il passe une main dans
ses cheveux et elle joue avec une mèche enroulée autour de son doigt.

Ce n'est pas parce que Molly ne connaît pas très bien Roxan qu'elle est complètement à côté de
la plaque : la jeune femme voit bien que l'hybride se tracasse et qu'il se bride. Le problème, c'est
que la trentenaire n'est pas assez proche de l'adulescente pour se permettre de poser des
questions jugées— "indiscrètes". C'est alors que Kaiden glisse doucement sa main dans celle
de son compagnon. C'est un geste timide, un peu hésitant, mais sincère... affectueux. Très
affectueux. Le jeune homme serre nerveusement la menotte cyanosée de Roxan, ce qui décoche
un sourire attendri sur les lèvres de Molly qui les regarde exprimer un amour chaste.

Ce n'est pas tous les jours que nous pouvons voir deux individus infectés, qui n'appartiennent
pas à la même catégorie, s'entendre aussi bien et être aussi proches. Molly lève doucement ses
iris en direction du ciel et elle repense aux camarades qu'elle a été obligée de laisser derrière
elle : il y a quelques Thanatiques qui ont refusé de quitter le groupe de Konrad. Pas par envie,
mais par nécessité. Par désir de rester en contact avec des gens qui peuvent les faire se sentir
humains... tant qu'ils ne sont au courant de rien. D'autres, au contraire, ont accepté de partir.
Sans pour autant suivre la jeune femme. Ils ne comprennent pas pourquoi Molly accepte de
pardonner aux deux personnes qui lui ont pris son homme. C'est justement pour cette raison
que la trentenaire reste avec Roxan et Kaiden ; ils l'intriguent et elle veut mieux les comprendre.
Elle a besoin de les cerner davantage. C'est pour cette raison qu'elle a quitté le campement, il y
a maintenant deux, presque trois jours de cela.

Une petite heure se perd dans le temps. Un temps durant lequel aucun mot ne fut prononcé.
Roxan a préféré attendre un peu. Histoire de sentir cette terrible culpabilité personnelle, issue
de sa peur du rejet, se tasser ; une crainte qui pourrit très facilement une vie, si vous voulez mon
avis. Le jeune adulte jette un coup d'œil à Kaiden, dans le seul et unique dessein de voir
comment ce dernier peut se porter. Il lui semble que le jeune homme soit encore dans un état
plutôt moyen... Mais il est aussi fort probable que son compagnon puisse juste être un tantinet
mal à l'aise à cause de la présence d'une personne qu'il ne connaît pas. Les deux possibilités
peuvent coexister. Le binoclard caresse doucement la main gantée de son ami et elle lui sourit.
Il se penche ensuite pour déposer un discret baiser sur la joue de la tignasse blanche. Tignasse
blanche qui regarde les yeux pâles de notre amie au pull violet améthyste. Roxan sourit un peu
plus. Kaiden l'imite.

Trois jours environ se sont écoulés depuis l'incident qui a coûté la vie à de nombreux survivants
qui appartenaient au groupe de Konrad Wesker... C'est vrai que c'est bizarre comme nom de
famille ! Ça donne des frissons. Brrrr ! Bref ! C'est sans importance ; c'est juste un mec mastoc
qui sert d'antagoniste dans cette histoire. Revenons à notre Nothique ! Roxan aimerait accorder
son entière confiance à sa nouvelle amie. Malheureusement, l'adulescent est au courant du deuil
de celle-ci. Et à qui la faute ? À notre ami au bonnet noir, bien sûr. Il est donc tout-à-fait naturel
de se montrer méfiant envers une personne qui a souffert de vos erreurs et de vos crimes.
Toutefois, la jeune adulte se déteste : pourquoi se méfie-t-il de Molly ? Si elle leur voulait
vraiment du mal, elle n'aurait jamais essayé de les aider. La personne à la chevelure blonde et
rousse ne devrait pas s'en vouloir : si vous vous étiez fait battre par un sale type comme si vous
étiez la pire des ordures, vous auriez bien du mal à accorder votre confiance au premier venu.
N'ai-je pas raison ?

«Où allons-nous, Molly ? demande le jeune Nothique qui peine à cacher son anxiété dans le
son de sa voix.

–Là où Konrad ne vous retrouvera pas.

–C'est-à-dire ?

–En sécurité, se contente de répondre la trentenaire dans un haussement d'épaules.

–Ça ne me dit pas où nous allons...» bougonne la blonde-rousse.

Comment cette survivante veut-elle inspirer la confiance si elle ne communique aucune


information ? Roxan a une sorte de— pressentiment. Quelque chose qui lui crie que cette alliée
n'en est peut-être pas une. Molly sait des choses qu'elle ne devrait pas savoir et ça, c'est déjà
particulièrement suspect. Le fait qu'elle reste très secrète est un autre indice probant. Ou alors...
C'est simplement dans la tête de Roxan. Le traumatisme lié à Konrad ainsi que son anxiété
poussent peut-être à des raisonnements qui ont l'air d'être rationnels, sans qu'ils ne le soient
pour autant. Qui sait ? La jeune adulte sursaute ; Molly attrape son bras, puis celui de Kaiden
et elle les tire derrière un véhicule recouvert de mousse verte et de rouille. Qu'a-t-elle vu ?

Chapitre 23 : Bouffeurs de chair

Je vous mentirais si je vous disais que Molly ne m'a pas fait peur en m'attrapant par le bras sans
prévenir. Elle nous a tiré tous les deux, Kaiden et moi, pour que l'on se cache derrière un vieux
tas de ferraille recouvert d'un vert absolument désagréable au toucher. Kaiden ne m'a pas l'air
d'avoir vraiment réagi ; toujours dans la lune. Je dirais même sur Pluton, de visu. Je n'exagère
pas. Je ne sais pas ce que notre nouvelle amie a vu. J'imagine cependant que si elle s'est
empressée de nous mettre à l'abri, c'est que ce n'est pas très safe. J'aimerais beaucoup lui poser
quelques questions mais— est-ce que je ne risque pas d'attirer l'attention de ce qui nous
menace ? Sans compter que Molly pourrait très bien ne pas me répondre. On dirait le genre de
personne à éluder sans arrêt pour X raisons.

Je regarde Kaiden. Je regarde ensuite Molly. Il n'y a pas— grand-chose à voir. Ce que je veux
dire par là, c'est que du côté de mon compagnon, c'est toujours une personne coincée dans sa
tête que je zieute. Quelqu'un qui est sincèrement sur les rotules. Concernant notre camarade à
la chevelure frisée, elle ne cache pas le moins du monde cette étrange lueur qui brille dans ses
yeux. Je ne sais pas ce qu'elle voit, mais c'est quelque chose de fascinant ; en tout cas, on dirait
que ça l'est pour elle. J'ai envie de savoir ce qui se passe ! Pourquoi elle ne communique pas ?
D'ailleurs... Elle a la trentaine. Ok. Mais elle a quel âge précisément, au juste ? Pourquoi je me
pose cette question dans un moment pareil ? On est peut-être en danger, là, tout de suite !
J'affaisse les épaules et je tente de soupirer le plus discrètement possible. Mon aînée se tourne
vers moi et elle fronce les sourcils. Elle me dévisage, l'air questionneur. Elle est sérieuse ?! C'est
moi qui devrais m'interroger sur ce qu'elle fait ! Pas le contraire !

Elle me fixe un long moment. Ça m'a paru une éternité. Elle pose une main sur mon épaule et
elle la tapote doucement pour me faire comprendre que si je veux ma réponse, je dois me
rapprocher d'elle. Pour rappel : sa main droite est celle qui n'est pas une prothèse d'avant-bras !
Pourquoi je souligne ce détail, moi ? Ah oui ! Pour dire que ce qui remplace son bras, c'est
électronique ou quelque chose du genre. Et ça fonctionne toujours ! C'est pour ça que je voulais
vous en parler ! Bref... Je m'égare un peu, là. Je m'exécute. Je peux enfin voir ce que Molly est
en train d'observer depuis tout à l'heure. Je sens les traits de mon visage qui se durcissent alors
que la confusion grandit dans mon esprit ; c'est un petit groupe d'individus à la peau cyanosée,
comme moi. Ils ont l'air de chasser des animaux. Pour se nourrir, j'imagine ? Je sursaute en
voyant l'un d'eux sortir ses griffes et— Ew. Beurk. Non. Je ne veux pas en parler. Pauvre bête...
Elle a sûrement souffert... N'ont-ils aucune empathie ? Aucune compassion ? On dirait des bêtes
sauvages ! Pourquoi semblent-ils si différents de moi ?

Le pire, selon moi, c'est qu'ils rigolent de la souffrance qu'ils causent à cette pauvre petite chose
qu'ils viennent de— Est-ce que je suis vraiment obligée de décrire ce que je regarde ? Je sais
que vous êtes des lecteurs et que vous avez besoin du narrateur pour vous aider à savoir ce qui
se passe mais... Non ! Non ! Je ne peux pas. Si c'était Kaiden, il l'aurait fait sans broncher. Il est
comme ça. Mais moi, je ne peux pas. Je ne m'en sens tout simplement pas capable. Je ne peux
pas. D'accord ? C'est trop difficile. Vous pouvez le comprendre, non ? Qui plus est... Je... Je
n'aime pas ce que je ressens. Mais cette chose en moi, elle rigole. Elle s'amuse, elle aussi, de ce
que je regarde. Ça me dégoûte. Je me dégoûte. Je ne suis pas comme ces monstres ! Je ne suis
pas comme eux ! Je dois rester calme. Reste calme, Roxan. Ils finissent par quitter les lieux.
Enfin ! Notre aînée, à Kaiden et à moi, se relève et nous fait signe que la zone est à présent sans
danger.

«C'était pas jojo, hein ? J'aurais préféré que tu ne vois rien.

–Moi aussi, j'aurais préféré...

–Tu comprends un peu mieux pourquoi les gens craignent les hybrides, j'imagine ? me demande
Molly qui plaque ses deux mains sur ses hanches.

–Oui. Je... Pourquoi sont-ils comme ça ? je peux sentir mes lèvres trembler alors que je pose
cette question.

–Le côté "bouffeur de chair"... Primitif ? Personne ne le sait vraiment.» répond-elle ; on dirait
qu'elle esquive la question.
Je suis prêt à lui poser de plus amples questions. C'était avant que je ne remarque, du coin de
l'œil, Kaiden qui se plie de douleur. Comment cela se fait-il que je ne l'ai pas remarqué plus
tôt ? Il ne se relève pas. Il reste près du sol. Il tient son ventre comme si quelqu'un lui avait
tranché le bide... Je reconnais de suite les symptômes ! Je me baisse à sa hauteur. Je lui demande,
sur une échelle de un à dix, combien il mettrait pour décrire la souffrance qui l'immobilise. Il
ne me répond pas. Il couine, tremblant assez violemment. Il lève la tête pour me regarder et je
vois ses yeux remplis de larmes. Des larmes qui roulent sur son visage crispé de douleur. Molly
arque un sourcil ; elle n'a pas l'air de comprendre ce qui se passe. Pas tout de suite, en tout cas.
Est-ce que je vais devoir lui expliquer ? Elle s'approche et elle me demande ce qui ne va pas
avec mon compagnon. Elle a l'air inquiète.

«Ce sont les SCP, dis-je simplement. Je serre doucement les mains de Kaiden et je lui demande
de respirer aussi calmement que possible.

–Les... Quoi ? Molly fronce les sourcils, ayant l'air d'être un peu perdue.

–Saignements et Crampes Périodiques. Kaiden n'aime pas appeler ça les... heu... Tu vois ?

–Oh. Oh... D'accord, lâche-t-elle alors que ses traits se détendent, Qu'est-ce qui pourrait l'aider ?

–Des antidouleurs, de la chaleur et des étirements. Un coin tranquille aussi.

–Est-ce que les antidouleurs marchent au moins ? Molly a l'air plutôt perplexe, elle ajoute tout
de suite après : Ça ressemble pas mal à de l'endométriose, Roxan.

–Je sais.» c'est ma seule réponse à cette remarque.

Ensemble, nous essayons de maintenir Kaiden en position debout ; je peux vous garantir que
vous ne regretterez pas la quinzaine, voire vingtaine de minutes qui se sont écoulées avant que
Molly et moi n'arrivions à le redresser. Ça a été particulièrement difficile de l'aider à se lever.
Je pense que sauter ce passage de l'histoire ne vous manquera pas. Nous marchons. Et je
l'entends geindre de douleur. Je pince mes lèvres. Je plisse les yeux. Je fronce les sourcils... Ça
me fait de la peine de le voir dans cet état. Moi aussi, j'ai mal lorsque ça me tombe dessus, une
fois par mois, mais— je ne crois pas avoir aussi mal que lui. Je dis ça, mais nous ne pouvons
pas vraiment comparer. J'ai déjà eu des moments assez rudes... Mais lui ? Il m'a déjà expliqué
qu'il prend deux antidouleurs différents sans que cela ne marche vraiment. Il doit faire tellement
de choses pour gérer ça. Sinon, il est incapable de faire quoi que ce soit.

Nous marchons pendant... une bonne heure, je dirais ? Un peu plus, peut-être. Nous traînons
mon compagnon. Molly est silencieuse. Je peux la voir, dans ma vision périphérique, vérifier si
Kaiden a de la fièvre ou s'il a besoin d'eau. Elle est sincèrement soucieuse de son bien-être ; ça
me rappelle l'attention toute particulière qu'elle m'a porté quand j'étais la prisonnière de Konrad.
Comment est-ce possible pour quelqu'un qui a perdu l'amour de sa vie de vouloir autant prendre
soin de ceux qui sont responsables de cette séparation tragique ? J'aimerais vraiment
comprendre, mais je n'y parviens pas. Elle devrait, à minima, vouloir nous donner une droite.
Nous insulter ! Sauf qu'il n'y a rien de tout cela ! Oh... Une maison. Enfin. Il y a peut-être de
quoi aider Kaiden. Et s'il n'y a pas de bouillotte— on sait quoi faire. Ça risque de piquer. J'espère
qu'il y en a. Vraiment.
Chapitre 24 : Saignements

Molly et Roxan entrent avec prudence à l'intérieur de la maison ; alors qu'ils peinent un peu
plus chaque seconde à porter Kaiden, ils se rendent dans le salon. C'est une pièce—
poussiéreuse. Il est plus que possible que de la moisissure ait pris ses aises dans le coin. Mais
ça fera l'affaire. Ils ont simplement besoin de médicaments et d'une bouillotte... ou de quelque
chose qui apportera de la chaleur. Si bouillotte, il n'y a pas.

Les deux jeunes adultes parviennent, avec une coordination douteuse, à installer la tignasse
blanche sur le canapé. Un canapé qui a perdu de sa splendeur et surtout de sa couleur. Non,
mais sérieusement ! Est-ce que vous avez déjà vu un canapé rouge vif passer à une sorte de vert
grisonnant peu inspirant ? Moi non plus ! Je n'ose même pas imaginer comment cela a pu
changer de couleur ! Hm ? Oh ! Non ! Ne vous en faites pas, mes chers amis lecteurs... Notre
duo du moment a pris des précautions : ils ont étendu une petite couverture afin que Kaiden ne
soit pas en contact direct avec— cette chose que l'on appelle un canapé. Honnêtement,
j'appellerais ce truc un champignon géant.

Molly pose une main rassurante sur l'épaule de Roxan. Elle frotte doucement celle-ci d'un geste
que beaucoup relierait à la paternité et non à la maternité. Vous savez... Ce geste bien solide où
vous frottez l'épaule comme un bonhomme ? Pourquoi je suis narrateur, rappelez-moi ? Bref !
Peu importe ! Chut ! La trentenaire propose à l'hybride de rester aux côtés de l'homme aux
cheveux blancs. Elle voit bien que sa cadette est une personne anxieuse et qu'il a besoin de
s'assurer de la sécurité de son "ami". Molly s'occupe d'aller chercher les médicaments. Elle
revient. Si jamais elle n'a pas trouvé de bouillotte, Roxan n'aurait alors qu'à échanger sa place
avec elle. Quatre yeux valent mieux que deux. Vous ne pensez pas ?

Notre amie hybride accepte ce plan. C'est une idée simple, mais ingénieuse. Molly sourit et elle
tapote doucement l'épaule de son cadet. Ses yeux noisette pétillent d'une bonté
incommensurable. La femme aux boucles serrées s'écarte de la jeune adulte à la peau cyanosée.
Ainsi s'éloigne la trentenaire qui part explorer cette vieille baraque qui a certainement connu
des jours meilleurs. Roxan s'inquiète pour cette personne qu'il veut considérer comme une amie.
Pourquoi le veut-il sans y parvenir ? Pour la simple et bonne raison que Molly inspire une aura
de parent protecteur. Et ce n'est pas parce que l'adulescent au pull violet se répète que Molly
n'est pas assez âgée pour lui rappeler pareille figure, que cela fonctionne. En tout cas, Roxan
s'inquiète autant pour la sécurité de Kaiden que pour celle de Molly. Elle s'attache à cette femme
qui ne les juge pas. Qui ne cherche pas à les nuire.

Une vingtaine, peut-être une trentaine de minutes s'écoulent. Roxan n'a pas bougé d'un iota.
Toujours au chevet de son compagnon, il compte les secondes et il en perd rapidement le fil ;
la faute à son attention versatile. Kaiden se mord la main pour provoquer une douleur qui
pourrait le distraire de celle qui le couche dans ce canapé. Et ce, depuis tout à l'heure. L'adulte
aux cheveux blond cuivré aimerait le convaincre de lâcher sa main gauche, exposée à sa
dentition imparfaite. Seulement, aux yeux de l'homme au hoodie bleu, s'acharner sur sa pauvre
menotte est une solution qui contribue à apaiser un peu sa souffrance. Qu'est-ce que fiche
Molly ? Roxan s'inquiète : et si quelque chose de grave s'était produit ? Si elle était blessée ?
En danger de mort ? Les pensées de la Nothique fusent à foison. Elles se nourrissent et
grossissent pour créer un méli-mélo insensé qui ne peut qu'engendrer une panique monstrueuse.

«Roxan... Calme...

–Kaiden ? Tu as enfin lâché ta main... Ça va aller ? l'adulescent tente, tant bien que mal, de
cacher l'anxiété qui grossit dans son cœur et dans son esprit.

–Calme... Calme-toi...

–Quoi ? Non ! Je ne... Qu'est-ce que tu veux dire ?

–Ça se voit comme... comme le nez au milieu de la figure, marmonne le jeune homme qui
dévisage sa compagne avec ses grands yeux bruns.

–Molly n'est toujours pas revenue, Deden...

–La maison est grande, Rox...» lui fait-il remarquer en secouant doucement la tête.

Roxan se mordille nerveusement les lèvres tandis que son ami déplace, d'un geste fébrile, sa
main gauche dans sa direction ; les traces de morsure sont palpables. Il s'apprête à donner une
petite tape sur le nez de l'hybride avec son index... La douleur l'en empêche. Il souffre tellement
que l'entièreté de son corps tremble. Et pas qu'un peu. Notre amie hybride fronce les sourcils et
sa moue se fait plus grande. Tout ce qu'elle souhaite, c'est que Molly revienne avec des
médicaments. Que Molly revienne, ce serait déjà bien. Avec ou sans antidouleurs. Le jeune
adulte passe une main sur sa gorge, évitant soigneusement la zone où se situe la trace de son
malheur. Elle la serre compulsivement, persuadé que cela peut calmer cette sensation
d'étranglement qui l'étouffe.

Il se passe environ dix minutes avant que Molly ne revienne avec un sac rempli de boîtes. Après
avoir signalé sa présence, la trentenaire remarque dans quel état se trouve l'hybride. Un sursaut
en réaction à son arrivée soudaine... Roxan s'est laissé absorber par une angoisse plutôt
envahissante. Heureusement que la jeune femme a l'habitude de ce genre de choses. Elle prend
le temps de rassurer son cadet. Elle s'installe tranquillement à ses côtés et elle lui sourit. Elle lui
explique ensuite qu'elle a perdu beaucoup de temps à cause des bouillottes : il n'y en a aucune
dans cette ruine poussiéreuse. Roxan a l'air d'être encore sonné par la charge de stress et il se
contente d'écouter son aînée sans un mot. La femme aux boucles serrées sort quelques boîtes
de son sac et elle les tend à Roxan.

«J'ai pas trouvé mieux. J'espère que ça sera suffisant, dit-elle en maintenant son sourire pour
que Roxan ne panique pas de nouveau.

–Kaiden prend toujours deux cachets de mille milligrammes...

–QUOI ?! Molly écarquille les yeux, surprise et quelque peu inquiète, C'est hyper dangereux !
Pourquoi faire une chose pareille ?!
–Parce que ça fait mal, Kaiden ne dit rien de plus et il dévisage la trentenaire.

–C'est inconsidéré ! tonne-t-elle d'un air désapprobateur.

–Je considère pas mal avant de prendre deux cachetons... Et vous n'êtes pas ma mère.» grogne
le jeune homme en prenant une boîte de médicaments.

Molly est estomaquée, sans voix tant elle ne sait pas comment réagir face à pareille désinvolture.
En le voyant aussi calme et introverti, elle ne le croyait pas capable d'être d'une insupportable
insolence. La trentenaire essaie de lui reprendre la boîte. Le jeune homme s'empresse de sortir
une gélule. Il l'enfourne dans sa bouche. Avaler à sec est une tâche ardue. En réaction à cette
réaction, Molly ne réfléchit pas et elle tape l'arrière de son crâne. L'idée ? Le pousser à recracher
le cachet qu'il vient de gober. Kaiden garde la bouche bien fermée et il dévisage celle qui vient
de lui donner une claque. Roxan n'a aucune idée de la conduite à suivre pour désamorcer cette
situation grotesque. Qu'est-ce qui se passe, au juste ? Il est vrai que Kaiden n'a jamais parlé
avec Molly auparavant... Mais c'est quoi cette première interaction ? L'hybride plisse lentement
les paupières, cherchant à comprendre ce qui se déroule sous ses yeux clairs.

Chapitre 25 : Imbécile

Une quarantaine de minutes vient de passer. Roxan n'en est pas certain, mais il lui semble que
la guéguerre qui grondait entre Molly et Kaiden a cessé. L'adulescente à la chevelure blond
cuivré pousse un soupir de soulagement ; il s'est absenté pour partir à la recherche d'une
bouillotte... ou quelque chose qui peut remplir une fonction similaire. Laisser son compagnon
et sa nouvelle amie en plein milieu d'une dispute l'inquiétait donc un peu, vous vous en doutez
bien. Ça fait du bien quand ça s'arrête, en tout cas. Elle n'en pouvait plus des noms d'oiseaux
qui volaient à tout va. Et ce, uniquement parce que les deux adultes n'étaient pas d'accord sur
le dosage des antidouleurs. De vrais gamins... Cette pensée lui arrache un sourire. Ils vont bien
s'entendre. Roxan en est persuadé.

Aucune bouillotte en vue. Une quête malheureusement très peu fructueuse. Roxan a beau
retourner toute la baraque... Rien. Absolument rien ! Nada ! Il n'y a pas un gant de toilette en
bon état, ni même un petit récipient qui pourrait contenir de l'eau bouillante ! C'est alors que
l'hybride, s'en retournant au salon, remarque une casserole abandonnée sur une plaque de
cuisson. Il fronce les sourcils ; ils avaient en effet convenu d'une solution de secours de ce genre,
mais— l'idée ne l'emballe pas plus que ça. Roxan jette un coup d'œil dans l'entrebâillement de
la porte. Molly garde précieusement les médicaments à bonne distance de Kaiden qui la
foudroie du regard. Il a encore mal, ça se voit. Le blond cuivré pousse un long soupir, résignée
à ce qui va suivre. Roxan entre à l'intérieur de la cuisine et prépare l'eau dans la casserole.

Une petite demi-heure s'écoule tranquillement. Pendant cette trentaine de minutes, deux adultes
n'ont pas cessé de se lancer des regards noirs. La raison ? Molly refuse catégoriquement de
laisser ne serait-ce qu'une miette de médicament à disposition de son imprudent cadet. Ce même
cadet qui s'agace et qui s'impatiente ; la faute à l'attitude protectrice de son aînée. Kaiden
ronchonne et il étire ses jambes de façon à provoquer une sensation de fourmillement. La
trentenaire arque un sourcil. Elle penche légèrement la tête sur le côté et elle ne dit rien. Qu'est-
ce qu'il essaie de faire ? Un coup il case ses jambes contre les hanches, un coup il les croise à
la manière d'une grenouille— quand il ne les écrase pas carrément sous ses fesses. C'est quoi
ce cirque ?

«Tu fais quoi, là, au juste ? lui demande la femme aux boucles serrées.

–Pas vos oignons.

–T'es pas du genre poli... On ne t'a jamais appris les bonnes manières ?

–Je vous vouvoie. C'est déjà bien, grogne le jeune homme qui gigote comme un asticot sur le
canapé.

–Pourquoi fais-tu ces étirements ?

–Parce que j'ai mal. C'est évident, non ?

–Tu ne sais pas être agréable ? s'énerve la trentenaire qui fronce les sourcils.

–Pas quand j'ai mal.» répond Kaiden qui serre les dents pour ne pas couiner de douleur.

Molly s'apprête à répondre à cet insolent garçon quand l'hybride à la chevelure blond cuivré
pose le pied sur le sol du salon. Les deux adultes tournent la tête et le regard pour constater que
Roxan tient dans ses mains une casserole contenant de l'eau bouillante. Kaiden a l'air de
comprendre immédiatement ce que cela veut dire. Roxan grimace légèrement. Elle détourne le
regard. Mal à l'aise. Molly, qui n'est au courant de rien, s'interroge d'abord : pourquoi est-ce que
l'adulescente ramène ça ? Elle ne met néanmoins pas longtemps avant de comprendre l'idée
derrière cette casserole remplie d'une eau dangereusement chaude. Elle regarde Roxan, puis
Kaiden. Tour à tour. Les traits de son visage se durcissent dans sa surprise, dans son choc. Elle
demande à ses deux cadets à quel moment cela a pu leur sembler être une bonne solution de
secours. La jeune adulte creuse sa tête entre ses épaules et son compagnon alité hausse
simplement les siennes, d'épaules. C'est quoi ces réactions ?

Cela peut vous sembler évident, mais la trentenaire s'oppose à une solution aussi dingue et
dangereuse. Avec insistance. C'est barbare. C'est une douleur garantie. Thanatique ou pas, c'est
totalement stupide d'en venir à une extrémité pareille ! Notre amie Nothique est très visiblement
mal à l'aise. L'idée même de faire ce qu'il va devoir faire le dégoûte au plus haut point. Toutefois,
elle s'approche de Kaiden. Molly les dévisage, consternée. Elle se place entre Roxan et le bonnet
noir et elle demande si c'est quelque chose qu'ils ont déjà fait. Celui qui est allongé sur le canapé
explique qu'ils n'ont jamais eu besoin d'en venir à une telle action ; ils arrivaient habituellement
à trouver des bouillottes ou de quoi les remplacer. Roxan se mordille nerveusement les lèvres.

«Tu es le roi des idées débiles, ma parole ! C'est pas possible de penser à ce genre de choses !

–J'ai mal. Créer une autre douleur, c'est pas si débile que ça, explique le jeune homme qui
commence à en avoir marre des réprimandes de la part de la trentenaire.
–C'est non, gronde la tête bouclée en lançant son regard le plus dur et le plus sévère.

–Je ne demande pas votre avis. Rox. Vas-y.

–T'es sûr de toi ?» demande l'hybride d'une toute petite voix.

Kaiden hoche doucement la tête. Cette interaction fait sortir Molly de ses gonds. C'est
inacceptable de demander à son conjoint de faire une chose pareille ! Les mains de Roxan
tremblent. Tout, absolument tout, dans le langage corporel du jeune adulte trahit sa réticence et
ses craintes. La trentenaire prend alors une décision : elle se tourne vers la tête rousse et lui
demande la casserole. Roxan hésite un peu, remarquant à quel point les traits du visage de Molly
sont durcis par l'agacement et l'indignation. Il finit néanmoins par accepter et elle tend le
récipient à la femme aux boucles serrées. Cette dernière se tourne alors de nouveau vers la
tignasse blanche qui fronce les sourcils. Elle appuie de toutes ses forces la casserole bouillante
contre le bas du ventre du jeune homme qui hurle de douleur. Des gouttes d'eau brûlantes
tombant sur sa peau. C'est extrême... Mais c'est lui qui l'a cherché.

Chapitre 26 : Pas un monstre

Une, presque deux heures se sont écoulées depuis le petit incident de la casserole. Notre très
cher trio a refait son stock de nourritures et de bouteilles d'eau. Les traces de brûlure au niveau
de l'hypogastre ont déjà commencé à cicatriser, à se régénérer. Ce n'est pas aussi rapide que la
restauration des tissus chez un Nothique— mais cela fait l'affaire. Ce n'est pas pour autant que
Kaiden pardonne l'acte de violence de son aînée. Il est persuadé que c'était gratuit et que Molly
a pris son pied à lui enfoncer du Téflon contre sa peau. Ce qui n'est absolument pas le cas...
Mais ! La trentenaire tenait vraiment à lui donner une bonne leçon. Selon cette dernière, les
idées et les solutions que Kaiden a trouvé entrent dans la catégorie de l'automutilation.

Roxan, à un moment où la trentenaire ne regardait pas, a donné un deuxième antidouleur à son


compagnon. Ce dernier le gobe sans autre forme de procès : aucune envie que Madame "Police
de la Santé" ne vienne lui faire recracher la pilule que l'hybride vient de lui offrir. Bien sûr, le
jeune adulte essaie de faire la morale à son ami— son petit ami ; elle insiste sur le fait que la
prise abusive de médicaments peut être néfaste. D'une voix douce, Roxan explique qu'il serait
dommage de souffrir en abusant de substances qui sont censées apaiser la douleur. Kaiden se
triture pensivement la peau des lèvres avec sa main droite nue de son gant noir. C'est
probablement parce que c'est Roxan, mais Kaiden ne semble pas avoir mal pris cette remarque.
Il faut dire qu'ils se connaissent depuis longtemps et qu'ils sont particulièrement proches.

Molly est de retour dans la salle de séjour ; elle zieute les deux jeunes gens, se demandant si
Roxan a fait quelque chose pendant son absence. Kaiden tourne le dos à la trentenaire, sa
rancune toujours présente. La femme aux boucles serrées n'est pas stupide : elle se doute bien
que l'hybride a probablement agi dans l'intérêt de son compagnon afin d'apaiser ses tourments.
Elle applaudit mentalement la bonté de la blonde cuivré, mais elle arbore une mine sévère et
désapprobatrice. L'imprudence ne doit jamais, au grand jamais, être félicitée. La trentenaire
laisse échapper un petit soupir et elle passe l'éponge pour cette fois... Ils ont de la route à faire.
Et des vérifications à faire. C'est en s'assurant que tout est en ordre que Molly remarque les
soucis de vérification obsessive de Kaiden. Elle n'intervient pas, constatant que Roxan sait
assurément quoi faire lorsque la tignasse blanche commence à bloquer sur quelque chose.
L'hybride passe une main dans les cheveux désordonnés de l'adulescent. Roxan sourit et
explique calmement à l'anxieux de service que ses yeux ne le trompent pas, qu'il a déjà vérifié
que tout était à sa place. Il le lui prouve même en pointant du doigt les différents objets.

Une fois les sacs (et tout autres objets pouvant servir de contenants) vérifiés et bien fermés, les
trois adultes quittent le nid douillet dans lequel ils se sont abrités... Enfin... Un "nid douillet",
tu parles ! N'importe qui pourrait choper de l'asthme en restant un peu trop longtemps à
l'intérieur de cet aimant à moisissure et à poussière ! Il y a un canapé qui est devenu vert ! Vert !
Vous imaginez un peu, ce qu'il faut pour que du rouge devienne vert ?! Heu... Où est-ce que j'en
étais, déjà ? Ah oui. Ils sortent de la maison de la mort qui tue, le plein de vivres fait. Kaiden
n'a pas cessé une seule seconde d'éviter le regard de Molly qui s'en amuse plus qu'autre chose.
C'est tellement ridicule et immature ! En particulier lorsque c'est un adulte de 25 ans qui se
comporte ainsi. Roxan, quant à lui, demande à la trentenaire où se trouve la prochaine
destination. L'hybride ne sait toujours pas où sa nouvelle amie veut les emmener et ça l'agace
un tantinet d'être dans le flou le plus total. La tête brune hausse nonchalamment les épaules et
elle réplique que la véritable question, c'est de savoir comment ils vont avancer. Ce qui— ne
répond absolument pas à la question de notre amie hybride.

J'aimerais bien savoir pourquoi Molly refuse de me répondre honnêtement. Concrètement. Mes
questions ne sont pas si compliquées, si ? Étant donné que nous sommes amis, elle a toutes les
raisons de m'accorder sa confiance... pour que je puisse donner la mienne en retour. Non ? Ce
n'est pas comme ça que ça marche ? Je suis vraiment confuse : pourquoi éluder autant ?
Pourquoi refuser d'être franche, d'être claire ? Kaiden et moi ne sommes pas de mauvaises
personnes ! Quoique je peux comprendre si jamais Molly avait du mal avec mon compagnon ;
leurs premières interactions étaient— particulières. Et pas particulièrement positives. Mais
moi ? Je n'ai rien fait pour ne pas mériter sa confiance... Est-ce parce que je suis un monstre
immonde ? Un monstre qui a arraché la langue de cet homme, il y a quelques jours de cela ?
Parce que je suis dangereux ? Une immondice ? Une erreur de la nature ? Elle me déteste. Elle
me déteste, c'est certain ! C'est parce que je suis un Nothique. Parce que je suis une bouffeuse
de chair. Elle me déteste ! Elle ne veut juste pas me le dire ! Elle me voit comme une créature
tout droit sortie des enfers !

«Rox. Arrête.

–De... De quoi ? bondis-je en entendant la voix de Kaiden qui empeste l'irritation.

–Tu penses si fort que je peux t'entendre. Et je parie que Molly le peut, elle aussi.

–Je confirme, confesse la trentenaire qui passe une main derrière sa nuque. Elle détourne même
le regard.

–Je... Je... Quoi ? glapis-je en sentant ma tête se secouer sous l'effet du stress.
–Tu te rabaisses. C'est un immense non. Et j'ai les SCP, donc... J'ai pas du tout la patience pour
ça. Tu arrêtes. Quoi que tu penses, c'est archi-faux.» Kaiden grogne en accélérant le pas, nous
devançant, Molly et moi.

Je sens une boule grossir au niveau de ma gorge. Au sens figuré... C'est une sensation
désagréable, un peu comme si quelque chose m'étouffait. Un peu comme si on m'étranglait. Je
peine à respirer. Le souffle me manque. Kaiden est en colère. Il est en colère contre moi ! C'est
encore ma faute. C'est encore ma faute ! Je suis un véritable boulet ! Un boulet doublé d'un
monstre mangeur d'Hommes ! Je sais que mes doigts bougent nerveusement au rythme de la
chanson qu'est mon angoisse. Une angoisse qui grandit encore et encore et encore... Toujours
plus... Qu'est-ce que je me déteste. Je ne peux pas m'empêcher de dire n'importe quoi ! De faire
n'importe quoi ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ! Pourquoi suis-je aussi nul ?! Je
sens les larmes monter et je sursaute en sentant la main prothétique de mon aînée sur la partie
non emmêlée de mes cheveux.

«Tu n'es pas un monstre, Roxan.

–Mais je... J'ai...

–Je ne connais pas très bien ton copain, mais je ne pense pas qu'il te voie comme un monstre,
explique Molly en caressant doucement mes cheveux.

–Mais j'ai arraché...

–Et lui, il a massacré plusieurs personnes innocentes, me coupe-t-elle, Ce n'est pas comparable,
je sais. Mais tu regrettes ton acte. Un monstre ne le ferait pas.

–Tu... Tu le penses vraiment ? demandé-je d'une toute petite voix ; j'ai peine à croire ces paroles.

–Oui. Je le pense vraiment.»

Je ne suis pas certain d'être en mesure de me rentrer ce qu'elle vient de me dire à l'intérieur de
mon crâne... C'est bien beau de regretter son acte, mais cela ne change rien au fait que j'ai tué
quelqu'un— Kaiden a encore plus de sang sur les mains. Je ne le réalise, étrangement, que
maintenant. Je fronce les sourcils. Je sens mes traits se durcir ; est-ce que Molly a elle aussi sa
liste de choses inavouables ? Je jette un coup d'œil à la femme qui est mon aînée. Je ne parviens
pas à décrypter quoi que ce soit. Impossible d'obtenir un quelconque indice sur ce visage qui
m'adresse la plus douce des esquisses. Elle entoure mon cou de son bras prothétique et elle ne
s'arrête pas, continuant d'avancer tout en m'offrant cette étreinte amicale. Je sens mes iris se
concentrer sur Kaiden, qui marche devant nous. Je ne peux pas voir son visage. Je ne peux pas
deviner ce qu'il pense... et ça me tracasse. Est-ce qu'il repense à ce qui s'est passé là-bas ? S'en
souvient-il clairement ? Je ne lui ai jamais demandé comment il se sentait vis-à-vis de cet
incident. J'aimerais le rejoindre pour lui poser la question, seulement ce serait déplacé de ma
part d'entamer pareille conversation sans prévenir. Je reste donc aux côtés de Molly, silencieuse
et anxieux. J'aimerais savoir... J'aimerais vraiment savoir.
Chapitre 27 : Kaiden & Molly

Pendant deux journées entières, Kaiden s'est entêté à faire la tête. La trentenaire n'a pas cherché
à interagir avec la tignasse blanche, considérant qu'elle n'a rien fait d'impardonnable. Le groupe
s'est arrêté pour casser la croûte, bien entendu, mais ça n'a jamais duré plus de dix minutes. La
marche est silencieuse. Silencieuse et pesante. La tête aux boucles serrées lève les yeux au ciel
pour la... peut-être trentième fois aujourd'hui : Kaiden l'agace et l'énerve à un point tel qu'elle
se trahit dans ses expressions faciales et son langage corporel. Cette ambiance n'est pas du tout
plaisante et Roxan déteste cette situation. Cela dit, elle n'ose pas lancer la conversation, de peur
d'être ignoré ou que cela ne dégénère. Notre ami rouquin admire ses pieds en silence, priant
pour que l'une des deux têtes de mule accepte de discuter. Paisiblement. De préférence.

Soudain, la femme aux cheveux bruns accélère la cadence. Elle s'éloigne de Roxan, les poings
serrés et l'expression furieuse. Elle s'approche dangereusement du boudeur professionnel, qui
marche seul devant l'hybride et elle. Une fois à la hauteur du jeune homme, elle lui donne une
tape derrière la tête avec sa merveilleuse main artificielle. Kaiden sursaute et sa tête part en
avant sur le coup. Il la redresse pour dévisager celle qui vient de le taper et il la fusille du regard.
Molly n'est pas impressionnée, pas le moins du monde, et elle maintient le contact visuel. Ce
n'est pas du tout ce que Roxan espérait quand elle imaginait une interaction sociale entre ces
deux-là. Qu'est-ce qui lui prend, à Molly ? La chevelure blond cuivré n'ose même pas penser à
ce qui pourrait se passer si la situation venait à s'envenimer. La jeune personne passe une main
fébrile dans ses cheveux en secouant anxieusement sa tête.

«Tu as pris ma tête pour une balle ou quoi ?! fulmine le jeune homme dont le visage est coloré
par la vive émotion qui l'anime.

–Peut-être. Qui sait ? répond la trentenaire avec un sarcasme cinglant, Il faut dire que tu nous
fuis comme une balle.

–Je n'ai juste pas envie de vous parler, Madame Werner.

–Tu m'as tutoyée alors laisse tomber les "vous", mon grand, se contente d'asséner Molly qui est
prête à donner une autre claque.

–Et quoi ? Ça change quoi ? J'ai pas envie de te parler, "Maman" ! grogne Kaiden qui détourne
le regard.

–Tu cherches vraiment les claques derrière la tête. C'est pas possible d'être aussi casse-pied !

–Merci. Je prends le compliment, réplique la tignasse blanche qui sent l'arrière de son crâne
picoter à nouveau sous l'effet d'une nouvelle gifle, Mais putain ! Arrête !!

–Non. Pas tant que tu me répondras sur ce ton. Thanatique ou pas, tu restes mon cadet, Kaiden.»
Molly insiste bien sur chaque mot qu'elle prononce alors qu'elle offre une nouvelle claque au
jeune homme.
Roxan est abasourdi par l'absurdité de la situation qui se joue devant ses yeux clairs : elle hésite
à définir la scène en face de lui comme étant une mère grondant son enfant ou, pire, comme
étant deux gamins qui se chamaillent pour des broutilles. En cet instant bien précis, l'hybride a
le sentiment d'être le plus mature du groupe. Elle regarde ces deux adultes qui sont censés être
plus âgés que lui, tous les deux en train de se disputer et de se bagarrer comme des enfants âgés
de cinq ans... peut-être même plus jeune. Qu'est-ce qu'il est censé faire ? Les séparer et les
réprimander comme le ferait un adulte responsable ? Ce n'est pas son rôle, si ?

Elle ne sait pas si elle doit intervenir et, petite faute inavouable— il est curieux. Une certaine
curiosité, grandissante, a envahi son cerveau. C'est quelque chose qui le pousse à se contenter
d'observer ces deux spécimens qui n'ont pas l'air prêts à cesser les festivités. Pour être
parfaitement honnête, je pense que Roxan n'arrive tout simplement pas à comprendre pourquoi
Molly et Kaiden se battent. L'hybride affaisse les épaules dans un soupir ; il va attendre un peu
avant de les arrêter. Ce qui laisse libre cours à une situation des plus grotesques.

«Arrête de me taper !

–Pas tant que tu restes un casse-pied, rétorque la trentenaire.

–J'ai le droit de ne pas vouloir te parler.

–Tu fais la tronche.

–J'ai le droit aussi, jusqu'à preuve du contraire ! s'agace le bonnet noir qui accélère la cadence.

–Ce qui veut dire que j'ai le droit de te claquer.» répond Molly qui le rattrape pour lui offrir un
autre contact avec la paume de sa main.

Ce cirque perdure. Il dure pendant une trentaine de minutes, peut-être même un peu plus
longtemps ; l'hybride à la crinière rousse n'a pas vraiment compté les secondes. Il se décide
enfin à réagir et elle s'empresse de rejoindre les deux adultes, d'un pas rapide, pour s'interposer.
De sa main droite, Roxan pousse doucement Molly et de sa main gauche, Kaiden est écarté lui
aussi. La femme aux boucles serrées et le jeune homme à la tignasse blanche avaient
littéralement oublié la présence de l'hybride à cause de leur petite querelle... Ils sont, en
conséquence, extrêmement surpris de la voir les séparer. L'intervention de Roxan provoque un
sentiment de honte chez les deux adultes qui, pour l'un, détourne le regard en gonflant les joues
et pour l'autre, passe une main contre sa nuque en fronçant les sourcils. Réalisant qu'elle vient
de provoquer un certain malaise, Roxan ressent le poids d'une culpabilité insupportable : ce
n'était pas son intention de les mettre mal à l'aise ! Il voulait simplement qu'ils arrêtent de se
disputer !

La trentenaire humidifie ses lèvres. Elle pose ensuite sa main artificielle sur la tête de l'hybride
et elle le félicite pour avoir fait preuve d'une maturité bien plus grande que Kaiden et elle réunis :
c'est Roxan qui a été la plus responsable dans ce groupe et c'est quelque chose dont la chevelure
blond cuivré doit être fière. Ces paroles ont pour effet d'apaiser les angoisses de l'adulescent...
Il avait vraiment l'impression d'avoir fauté en intervenant. Heureusement que Molly l'assure du
contraire. Kaiden, quant à lui, évite le plus furtif des contacts visuels, admirant le paysage autour
de lui. Il marmonne quelque chose— cela ressemble à un "merci" et à un "pardon". La femme
brune et l'hybride devinent des joues toujours aussi gonflées ; même si Kaiden cache son visage,
elles peuvent deviner des joues arrondies par une mine boudeuse.

Cependant, ce n'est pas parce que Roxan a calmé le jeu que la jeune femme cherche à discuter
avec Kaiden ; de toute évidence, le bonhomme n'a aucune envie d'interagir avec elle, alors
pourquoi Molly forcerait-elle la conversation ? Elle se montre conciliante : il a sans doute
besoin de temps pour s'habituer à la présence de quelqu'un qui n'est pas son compagnon aux
cheveux d'or et de feu. Elle peut comprendre cela. Même si ça l'embête un tantinet d'être perçue
comme une intruse aux yeux de cette tête de mule. Elle soupire. Il viendra vers elle quand il
s'en sentira capable. Et elle espère que ça ne prendra pas une semaine. La route est bien plus
paisible. Plus tranquille. Roxan parle de choses et d'autres, dans une vaine tentative de
rabibocher ses deux compagnons de marche. Il est conscient que ce n'est pas le plan de l'année,
mais elle n'aime pas voir des gens se faire la tête. Elle aime Molly et il aime Kaiden. Tout ce
que la jeune personne souhaite, c'est qu'ils puissent s'entendre. C'est alors que notre trio
remarque quelque chose au loin. Ce n'est pas une maison. Ce n'est pas une échoppe... Non !
C'est une enseigne de fast-food. Une pizzeria. Abandonnée. Et si la nourriture n'est pas ce qui
les attire, nos trois amis remarquent toutefois une pancarte. Elle explique que des trottinettes
électriques sont mises à disposition des clients, toutes disposées dans une salle prévue pour
assurer la sécurité et la recharge des véhicules à batterie. Ça, c'est pratique.

Chapitre 28 : Salsa de tomate

L'intérieur est particulièrement déroutant ; pas que cela soit très surprenant, mais ça fait toujours
de l'effet quand vous pénétrez à l'intérieur d'un bâtiment laissé à l'abandon. Sans compter que
les plafonniers néon clignotent furieusement quand ils ne sont pas carrément hors-service. Le
sol ? Recouvert de moisissure et de... fromage ? En tout cas, ça schlingue. Mais nos trois
compagnons ne comptent pas rester camper sur place : ils trouvent la salle où sont stockées les
trottinettes et ils sortent aussi vite qu'ils sont entrés. Ça, c'est en théorie. Selon le plan de Molly,
cela devrait être un jeu d'enfants.

Le trio arpente les couloirs, le plus silencieusement possible, à l'affût du moindre petit bruit un
chouïa suspect. Qui sait ? Il n'est pas à exclure qu'un groupe de survivants ait choisi d'élire
domicile en ces lieux. Ce ne serait pas un cas à part : des rumeurs courent comme quoi des
survivants auraient décidé de vivre dans un parc d'attractions. Alors, pourquoi pas une pizzeria ?
Revenons à nos zom-zoms ! Le silence est assourdissant, insupportablement lourd et gênant. Si
on oublie, bien sûr, la petite musique particulièrement casse-pied des néons situés au-dessus de
la tête de nos protagonistes. Oui. Il y a également ce bruit gluant de fromage qui colle sous la
semelle. Certes. Vous avez bien fait de pointer ce détail du doigt— Mais je suis le narrateur,
donc j'apprécierais que vous ne me piquiez pas mon job ! Merci. Bref... Kaiden n'est pas rassuré,
pas le moins du monde, étant donné qu'il a sorti sa hache de son havresac. Il serre nerveusement
ses doigts gantés autour du manche en bois de sa lame. Molly n'aime pas beaucoup l'idée de
voir le Thanatique du groupe armé et, surtout, en état de stress constant. Elle se rassure comme
elle peut, se persuadant que si brandir sa hache le rassure alors il est sage de le laisser faire. Ça
ne fonctionne pas.

Au bout d'un moment, la trentenaire craque et elle propose aux deux hybrides de se séparer.
Elle souligne que ce n'est effectivement pas l'idée la plus brillante du vingt-et-unième siècle,
mais elle est persuadée que s'ils se répartissent les zones, ils seront plus à même de retrouver
ces maudites trottinettes. Plus vite ils mettent la main sur les véhicules électriques, plus vite ils
quittent cette porcherie— pardon. Cette pizzeria. Qui est une porcherie. Roxan est sceptique.
Kaiden est carrément perplexe. La femme aux boucles serrées n'est pas certaine de son plan...
Malheureusement, l'air vicié de ce bâtiment et l'ambiance qui règne ici ne lui donne absolument
pas envie de rester plus longtemps que nécessaire. Molly sait que ses compagnons partagent ce
sentiment et que la seule chose qu'ils désirent tous, c'est de retrouver le ciel nuageux du monde
extérieur. Elle regarde autour d'elle et elle constate qu'ils se trouvent dans la pièce centrale du
bâtiment : c'est ici qu'il faudra se rendre si jamais il y a un pépin. Le plan n'est pas sans faille,
mais personne ne veut perdre une seconde de plus dans cette poubelle abandonnée.

Les trois survivants, chacun handicapé à sa manière, se séparent donc dans le but de ratisser le
terrain avec une efficacité potentiellement triplée : Molly Werner est assignée à la zone réservée
aux employées... Costumes de mascotte, boîte à outils, caméras de surveillance
dysfonctionnelles... Si ces fichus écrans étaient opérationnels, elle aurait eu vite fait de localiser
la salle de stockage des trottinettes. Elle affaisse les épaules, mais elle ne baisse pas les bras.
Elle continue de creuser. Du côté de Roxan Idris, cette dernière est convaincue qu'il ne trouvera
rien. Il s'est retrouvé avec les cuisines. Il y a 0% de chance de trouver des véhicules électriques
dans un endroit pareil— Et grands dieux, que c'est sale et mal entretenu ! Toutefois ! L'hybride
s'approche d'un tiroir et elle l'ouvre. Il s'empare immédiatement d'un couteau de cuisine ; la
chevelure blond cuivré ne se sent pas du tout en sécurité.

Je commence à en avoir par-dessus la tête de ce sol gluant et dégueulasse au possible. J'ai


l'impression de piétiner des organes tellement ça suinte et que ça colle à la semelle de mes
chaussures. Ce n'est pas pour cette raison que je vais faire marche arrière. Ma hache en main,
je progresse à pas de loup (si on peut appeler cela ainsi, vu le bruit que ce fromage de pacotille
provoque à chaque fois que je décolle la plante de mes pieds du sol). Je suis attentif à ce qui
m'entoure. Ou plutôt, j'essaie de l'être. Le vacarme de cet insupportable fromage parasite mes
oreilles. Je vais devenir fou si ça continue comme ça. Je baisse les yeux et je constate que pour
accompagner ce tas de moisissure comestible se prélasse une substance étrange qui oscille entre
le rouge et le marron. Du sang ou autre chose ? Non... Improbable. Pourquoi des créatures
iraient casser la croûte à l'intérieur d'une pizzeria déserte ? Les machins sont trop stupides pour
faire ça dans l'intimité.

‹C'est du sang. C'est évident, Kaiden.

–Et ? La seule chose que cela indique, c'est que c'est du sang.

–Non. Regarde attentivement. C'est encore frais. Il y a du sang frais, insiste la petite voix dans
ma tête. Je pourrais presque visualiser son doigt pointant le sol.

–Tu penses que nous ne sommes pas seuls, c'est ça ? demandé-je alors que je sens l'anxiété
grandir en moi.

–Oui. Sois prudent.› ordonne le moi-pensant d'une voix inquiète.


Je hoche doucement la tête pour que cette partie un petit peu trop expressive de mon cerveau
sache que j'ai compris le message et que je compte agir en conséquence. Mon attention se fait
plus accrue, au même rythme que le stress qui augmente joyeusement. Respire, Kaiden. Respire.
Je dois rester calme. Autant que possible... ce qui n'est pas spécialement facile une fois que tu
es conscient que des personnes malintentionnées se terrent dans cette pizzeria pourrie et en
ruines. Où se cachent ces trouillards ? Si je les trouve avant, ils ne pourront rien faire. Je presse
le pas, je fais des enjambées plus grandes alors que je pénètre dans la salle d'arcade.

Je n'ai aucune idée concrète de ce que je pourrais rencontrer en ces lieux sinistres, mais ce que
je sais, c'est que je veux retrouver ces fichues trottinettes électriques et qu'il y a peu de chance
de se dégoter ça dans une salle d'arcade toute pourrie et pas— On dirait que cette pizzeria sort
tout droit d'un film d'horreur... ou d'un jeu d'horreur. J'aime pas cette ambiance. Mais restons
concentré. En fin de compte, qu'est-ce qui est le plus important ? Trouver un moyen de transport
branlant ou mettre le grappin sur ceux qui nous observent en ce moment même ? Empêcher une
catastrophe est la meilleure solution qui se propose à moi. J'espère, par contre, que Molly et
Roxan s'en sortent de leurs côtés et qu'ils vont bien. Que personne n'a tenté quoi que ce soit
contre elles. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce que c'était que ça ?

Chapitre 29 : Buon appetito

De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 30 Mars 2023 à 22:07

Bonsoir,

Concernant l'incident qui date maintenant d'environ cinq mois, avez-vous de nouvelles données
qui pourraient nous permettre de savoir qui serait le/la responsable de la brèche de confinement
qui a mené à la perte des infectés appartenant à la catégorie "Nothique" ?

***

De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 30 Mars 2023 à 22:20

Bonsoir à vous aussi, Mme ■■■■,


Malheureusement, le/la responsable de cette brèche de confinement avait l'air de bien connaître
nos structures. Les caméras de vidéo-surveillance ont été, toutes sans exception, mises hors
service, ce jour-là. Nous n'avons aucun visage. Aucune empreinte vocale... Rien. Le criminel
est soit un traître, soit un proche de l'un de nos employés. C'est un individu particulièrement
intelligent. Il/elle était très bien préparé·e. C'est indéniable.

***

De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 30 Mars 2023 à 22:45

Ne vantez pas les mérites d'un criminel. Cet individu quel qu'il soit est une personne dangereuse
qui semble n'avoir qu'un seul objectif : compromettre nos recherches et nos expériences.
Retrouvez-moi cet individu au plus vite. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser
quelqu'un tel que notre ami rebelle en liberté. Personne ne doit savoir. Me suis-je bien fait
comprendre ?

L'hybride à la chevelure blond cuivré ne pensait pas entendre la voix de son amie trentenaire et
pourtant— Roxan reconnaît immédiatement Molly. La femme a vraisemblablement accès aux
caméras de surveillance de la pizzeria et par conséquent, elle est en mesure de communiquer
avec ses camarades. Ne faites pas fausse route : Roxan a eu la peur de sa vie. Une voix brisant
le silence au sein d'un lieu aussi lugubre ne va pas vous ravir de suite. Surtout si la personne
qui ouvre la bouche vous avertit d'un danger imminent. La jeune personne resserre son emprise
sur le manche de sa lame. Elle se retourne. Un inconnu. Une poêle à la main. La menace se rue
sur l'adulescent qui trébuche, ce qui lui permet d'éviter de justesse un coup en plein visage. Le
sauvage a l'air... humain. L'homme s'apprête à écraser une nouvelle fois son arme sur l'hybride
qui roule sur le sol ; elle esquive la violence du choc. In extremis. Encore une fois. Le bruit que
causent ces impacts sont effrayants. Ils fracassent le silence. La voix de la trentenaire, brouillée
par la mauvaise qualité des haut-parleurs, rappelle au Nothique qu'elle a lui aussi une arme.
Roxan se redresse maladroitement, se jette vers la gauche, laissant son adversaire perdre
l'équilibre pour finir contre le comptoir de préparation réfrigéré. Notre ami hybride n'a aucune
envie d'utiliser son couteau de cuisine. Cela dit, l'homme se relève et se précipite vers elle. Un
long silence. La poêle tombe sur le carrelage. Le sauvage a une sensation de sang dans la gorge
qui n'est... pas vraiment une sensation. Roxan ne dit rien. Il est horrifié. Ses pupilles blanches
dilatées par la terreur et par la vision du liquide rouge qui s'écoule des lèvres de sa victime.

C'est la voix hachurée de Molly qui sort Roxan de cet état de stupeur dans lequel il s'était
retrouvé piégé. L'hybride s'est toujours refusé de recourir à la violence ; c'est quelque chose
qu'elle méprise et qui l'effraie. La crinière rousse plisse rapidement les paupières avant de
diriger ses iris en direction du plafond. Des haut-parleurs. Des caméras. Heureusement que
c'était là, sinon qui sait ce qui serait advenu de notre amie la Nothique ? Question ! Oui ! Je
m'adresse à vous, qui êtes en train de lire ce livre : si un homme traînait dans ce vieux machin
qui fut un jour une pizzeria... qui dit que d'autres énergumènes ne seraient pas dans le coin ?
Donc ! S'il y a d'autres imbéciles ici— ne pensez-vous pas que tout ce vacarme aurait pu attirer
leur attention ? Bingo ! J'applaudis la vivacité de votre esprit ! Ou alors, vous avez l'habitude
de ce genre de scénarios... Dans tous les cas, bravo si vous avez eu la bonne réponse ! Mais
passons. Roxan s'interroge : a-t-elle été attaquée parce qu'il est un hybride ou y aurait-il une
autre raison à tout ceci ? Est-ce vraiment le moment de se poser pareille question ?

«Tout va bien, Roxan ?

–Il... Il est mort... susurre-t-il, ne se rendant pas compte que ses jambes manquent de force et
qu'elles tremblent violemment.

–Je peine à t'entendre, mais ce qui importe, c'est que tu sois en vie. Compris ? la trentenaire
articule soigneusement chaque mot pour secouer un peu sa camarade qui se trouve en cuisine.

–Il... Il est mort, Molly !

–Bien fait pour lui ! Ce qui compte, c'est que toi, tu ne le sois pas. Rejoins-moi dans la salle des
caméras. Maintenant.» ordonne l'aînée du trio avant de couper la communication.

La jeune adulte éprouve encore bien des difficultés à bouger ne serait-ce que le plus petit de ses
orteils. Les yeux écarquillés, son regard reste fixé sur le corps inerte qui redécore le carrelage
crasseux de la cuisine de son sang. Qui aurait pu croire que le fromage pourri et l'hémoglobine
pouvaient faire aussi bon ménage ? Déplacé ? Désolé. Mon rôle de narrateur est assez barbant...
et mon humour— fidèle à l'individu que je suis. Revenons à nos zom-zoms ! Si la tignasse
blanche ou la boucle brune étaient auprès de Roxan, ils lui conseilleraient de reprendre le
couteau de cuisine. Malheureusement, ce n'est pas faisable pour notre amie hybride : il ne peut
pas se résoudre à retirer la lame... à entendre le bruit que cela ferait lorsqu'elle— Vous savez ?
La chair qui chante au rythme des pas de danse de sa tranchante amante ? Toujours aussi
déplacé ? Roh ! Vous m'agacez ! En tous les cas, Nothique ou pas, l'adulescent s'équipera d'une
arme vierge de mort ! Ne me jugez pas. Stop. Reprenons : ce n'est pas parce qu'il est un hybride
que Roxan souhaite se battre à mains nues.

La jeune adulte scrute chaque recoin de la pièce. Aucun mot ne sort de sa bouche. Sa respiration
toujours légèrement saccadée par le stress de la lutte qui a eu lieu un peu plus tôt. Une arme. Il
lui faut une arme. Mais de quel type ? Blanche ? Non... Il n'a aucunement envie de planter
quelqu'un d'autre. Elle regarde la poêle qui se trempe du sang de l'homme qu'il a tué. Pas
question de ramasser ce machin. Un balai ? Serait-ce assez solide ? C'est moins létal qu'un
couteau... et comparé à une casserole ou un rouleau à pâtisserie, il y a une portée un peu plus
longue. C'est pile à ce moment précis que Roxan remarque la pelle à pizza ; un très bon
compromis selon lui. Elle s'approche de l'objet, évitant soigneusement la flaque de rouge et il
s'empare de sa nouvelle arme.
Chapitre 30 : Loro sono separati

C'est quelque chose que Molly n'a pas réalisé à l'instant T, mais avoir donné sa position exacte
à Roxan n'était peut-être pas une bonne idée : si l'homme qui s'en est pris à l'hybride n'est pas
le seul occupant de cette poubelle— de cette pizzeria abandonnée, alors elle vient de se mettre
à dos les autres cinglés qui vivent en ces lieux. La trentenaire jette un coup d'œil à chaque écran
encore en état de marche. Son visage se durcit et elle se tourne vers la porte qui mène à la salle
où elle se trouve actuellement. La femme aux boucles serrées croit entendre des bruits de pas...
Étant donné le nombre, ce n'est pas l'un de ses compagnons. Elle regarde autour d'elle et elle
s'accapare un pistolet à impulsion électrique ainsi qu'un fusil à pompe. Elle passe la sangle au
niveau de son épaule et elle vérifie le nombre de cartouches à l'intérieur du chargeur. Elle
s'empresse d'allumer le micro pour prévenir Roxan et Kaiden du danger et elle se glisse dans
un conduit d'aération qui se révèle être sa seule porte de sortie. C'est... très serré. Inconfortable.
Mais elle n'avait pas vraiment d'autres options viables pour s'en sortir.

Du côté de notre amie à la crinière rousse, c'est la panique à bord : la mauvaise nouvelle qui a
résonné dans l'entièreté de la pizzeria est de loin, et je pèse mes mots, l'une des pires qu'il ait pu
entendre. Toujours armée de sa pelle à pizza, Roxan s'interroge à présent sur où il devrait se
rendre... La trentenaire n'a donné aucune autre information utile à la survie de l'hybride en
dehors de celle concernant la menace qui rôde en ces lieux délabrés. La jeune personne
progresse, sur la pointe des pieds et il reste prudent. Où pourrait-il se cacher ? Elle ne peut tout
simplement pas s'enfuir ! Ce serait laisser tomber Molly et Kaiden ! Et il refuse d'être quelqu'un
de lâche. Heureusement que notre ami n'est pas un Thanatique, n'est-ce pas ? Ce serait terrible
de la voir se déchaîner sans distinguer ses alliés de ses ennemis— Mais je m'égare ! Le binoclard
n'est pas en capacité de se détendre... Il a tué quelqu'un. Par accident. Certes. Mais elle a tué un
homme ! Kaiden et Molly ne sont pas là pour le protéger et... et... Et s'il n'y a personne pour
veiller sur elle, alors il risque de devoir se salir les mains encore et encore jusqu'à retrouver l'un
de ses deux compagnons. Il faut vraiment trouver un coin où se cacher. C'est primordial.

La trentenaire se sent un peu à l'étroit pour le moment. Toujours est-il que sa décision fût la plus
sage et la plus raisonnable : rester dans la salle des caméras aurait probablement conduit à sa
mort. Et morte, elle n'est pas très utile, vous en conviendrez. Elle est d'accord avec votre ami le
narrateur... En parlant de conduits, elle rampe, sentant le métal grincer contre son corps. Sans
compter le choc entre sa prothèse et le sol qui n'est pas vraiment confortable. Pas du tout, même.
Ça grince et ça frotte. C'est désagréable. Elle cherche une sortie qui lui semble un tantinet
sécure ; elle ne tient pas plus que ça à se faire attaquer, à peine sortie des conduits. Un fusil et
un taser ne font pas tout. Ne tentez pas de me prouver le contraire : vous n'êtes pas acteurs de
ce qui se passe en cet instant précis. Chut ! Chut ! Stop ! Molly prie, peu importe quel être
suprême, pour que ses deux petits camarades ne soient pas blessés— ou pire. Finalement, au
bout d'une... trentaine de minutes ? Roh, et puis zut ! Au bout d'un moment, la femme aux
cheveux bruns se glisse hors de son conduit pour se retrouver dans les... dans les toilettes. Il n'y
a personne. Quelle chance ! D'habitude, c'est dans les chiottes que se passent les pires— Quoi
encore ?! Moi ? Trop vulgaire ! Je suis le narrateur ! Peu importe. Notre amie se redresse et elle
dégaine son pistolet à impulsion électrique, juste au cas où. Elle scrute la zone, s'assurant
qu'aucun danger ne soit dans le secteur. Bon... Maintenant. Elle va devoir retrouver Kaiden et
Roxan.

Quand on parle du loup... Comment cela se passe-t-il du côté de Kaiden ? Pour commencer, il
se trouve toujours dans la salle d'arcade. Sa hache est maculée de rouge. Quelqu'un s'est jeté sur
lui, un peu plus tôt, armé d'une machette ou de quelque chose de similaire. L'intention était
plutôt claire, ne croyez-vous pas ? Cette situation impromptue a déclenché un stress si violent
que l'agresseur en est devenu l'agressé— quoique dans ce cas-ci, ce serait plutôt le meurtrier
devenu victime. Hm... Peu importe. Le jeune Thanatique est en état de vigilance et de
concentration semblable à celui dans lequel il a pu se trouver lorsqu'il massacrait les petits pions
de Konrad. Il scrute l'environnement qui l'encercle de son odeur putride et de son obscurité un
poil envahissante. Il cherche de nouvelles cibles. Il y a forcément d'autres imbéciles, pareils à
celui qui goûte à son propre sang en ce moment même... Oh. Oui. Il en est certain : il y en a
d'autres. Il frappe un dernier coup et il s'éloigne, l'air placide et le pas nonchalant.

Retournons voir la petite Nothique à lunettes. Comment s'en sort-il ? Elle cherche toujours un
endroit où il pourrait se mettre à l'abri. Le pas prudent et le souffle saccadé par l'angoisse. Il y
a des bruits qui taquinent notre pauvre hybride : à gauche, à droite, en haut, en bas... Un peu
partout en fait. L'adulescente n'arrive pas à déterminer d'où ils pourraient provenir précisément
et cela provoque chez elle une panique monstrueuse. Tout ce qu'il souhaite, c'est trouver refuge
quelque part et attendre que soit Molly, soit Kaiden viennent la chercher ; il ne veut pas
rencontrer d'autres personnes comme l'homme qui a attenté à sa vie quand elle était encore dans
les cuisines de la pizzeria. Elle ne veut pas tuer. Il en est hors de question. Il déteste ça. Mais
est-ce que Roxan parviendra à trouver une cachette ? Je pose cette question parce que l'auteur
a l'air d'aimer faire souffrir cette pauvre et innocente jeune personne... Je croise les doigts, très
personnellement. Et vous ? Hm ? Vous avez entendu ? Pourquoi demandé-je ça ? Vous êtes
lecteurs. Pas acteurs de cette histoire. Pour vous expliquer en six mots : il y a eu un bruit.

Chapitre 31 : Hasta la vista, baby

Cela fait environ cinq ou dix minutes depuis que la trentenaire a quitté les toilettes. Elle avance
à pas de loup, analysant et observant attentivement ce qui l'entoure. Elle n'est pas certaine de
pouvoir retrouver Roxan ou Kaiden sans rencontrer l'une de ces personnes qui arpentent les
couloirs de la pizzeria. Sans considérer que les deux hybrides ne sont probablement plus, dans
les cuisines pour l'un, et dans la salle d'arcade pour l'autre. Comment va-t-elle les retrouver ?
Qu'est-ce que Molly ne donnerait pas pour avoir encore accès aux caméras de surveillance !
Les traits de son visage se durcissent : un bruit. À sa gauche. Elle s'apprête à dégainer le fusil
avant d'opter pour le taser. Elle se tourne en direction du bruit et elle appuie sur la gâchette de
son pistolet à impulsion électrique. Sa cible se tord de douleur et elle pousse des cris entrecoupés
de gémissements avant d'enfin s'effondrer sur le sol. La jeune femme s'approche, prudente, du
corps de la personne inconsciente et elle fouille rapidement ses poches... Couteau suisse, un
portefeuille rempli de photos— macabres et des os. Oui. Des os. Molly fronce les sourcils, elle
se permet de prendre l'arme multifonction avec elle et elle ne perd pas une seule seconde pour
s'éloigner de cette personne tant que celle-ci est encore sous le choc. Choc... Électrochoc...
Parce que Molly a utilisé un— Non. Laissez tomber. C'est pas une blague super poilante.

Mais laissons donc notre amie fan de Rhys pour retourner auprès de la petite tignasse blanche.
Kaiden arpente les couloirs. Silencieux. Lorsqu'il croise la route d'un visage inconnu— Disons
simplement que ça ne se termine pas très bien pour la malheureuse personne qui a eu, soyons
bien d'accord, une guigne pas possible. Le jeune homme cherche des cibles. Des proies.
Toujours plongé dans cet état d'hypervigilance propre à la catégorie d'infectés à laquelle il
appartient. Cela dit, toute chose à une fin : quelqu'un assène un coup au Thanatique. Une attaque
lâche puisque Kaiden a été frappé par derrière. Ça sonne l'homme au hoodie bleu cobalt juste
assez pour qu'il sorte de sa torpeur assassine. Il esquive in extremis une nouvelle offensive de
son adversaire et il s'étale par terre pour tenter de faire tomber celui-ci en frappant ses jambes.
Il roule sur la droite pour ne pas se faire écraser le crâne par l'objet contondant que tient son
agresseur et il retente sa chance. L'ennemi trébuche et Kaiden recule, ses fesses raclant le sol
tandis qu'il serre fermement sa hache entre ses doigts gantés. Il doit se relever et enfoncer sa
lame dans la tronche de ce sale type ! Maintenant ! Malheureusement, il est tétanisé. Sans en
comprendre la raison.

Le jeune homme essaie tant bien que mal de se redresser, de faire quelque chose. D'exécuter un
mouvement qui ne soit pas celui de ses doigts écrasant le manche de son arme... mais rien n'y
fait. Il est tout bonnement incapable de passer à l'action. Kaiden n'est pas certain de savoir ce
qu'il ressent, mais rien ne semble vouloir lui obéir. Son opposant, lui, se tient le sommet du
crâne ; il s'est blessé en tombant par terre. Sa main à la peau rêche entoure son espèce de pseudo-
gourdin et, non sans quelques lacunes, il se relève in fine. Il est de mauvaise humeur, c'est assez
visible à l'expression de son visage— à moins que ce ne soit à cause de la douleur qu'il grimace
ainsi ? On s'en fiche. Là, tout de suite, l'agresseur du bonnet noir est debout et notre ami ne l'est
pas. Il s'approche, le pas lourd et chancelant. Il se déplace plutôt lentement. Il peine à lever son
arme mais pile au moment où il y parvient... Comment décrire cette scène tout en restant
"family-friendly" ? Heu... Ouais. Je ne crois pas que ce soit possible de faire ça en mode
mignon : son crâne s'est fait exploser par un fusil à pompe. Le corps s'écroule, étant donné qu'il
n'y a plus rien pour commander tout cela. Je n'ai pas besoin de vous dire qui a tiré cette balle,
n'est-ce pas ?

«Molly ? le jeune homme se tourne pour montrer l'expression la plus confuse du monde à la
trentenaire.

–Magne-toi au lieu de m'admirer, enjoint-elle à son cadet ; elle attrape le bras de ce dernier pour
l'aider à se lever.

–Où est Roxan ?

–Je ne sais pas. Mais on va la trouver.» Molly fronce les sourcils en jetant un coup d'œil en face
d'elle.

Le coup de feu a, vraisemblablement, attiré l'attention des autres "occupants" de la décharge—


de la pizzeria. Ce que voit notre amie aux boucles serrées, c'est un sacré paquet de jolis
bonshommes hideux et déséquilibrés. Des vilains pas beaux qui s'approchent dangereusement
de la position de nos deux compagnons. La trentenaire tire un tout petit peu plus fort sur le bras
de son cadet... C'est faux. Elle a rangé son arme et elle utilise sa seconde main pour forcer la
tignasse blanche à se relever plus vite. Sans se soucier de si elle lui fait mal. C'est
compréhensible. Moi aussi, je paniquerais dans une situation pareille. Et Kaiden également
parce que, à peine remarque-t-il ce qui arrive, qu'il lâche un magnifique et poétique "Oh
putain !". Il trébuche en se redressant, s'accrochant solidement au gilet de son aînée. Ils
commencent la fuite en marche arrière avant de se retourner pour... taper le meilleur sprint de
leur vie.

"Oh bordel... Oh bordel ! Oh bordel !"


Notre duo du moment court à vive allure ; aussi vite que puissent leur permettre les gambettes
rattachées à leur corps. Ce dégoûtant couloir leur semble infini tant ils n'en voient pas la sortie.
Peut-être est-ce simplement le stress qui pousse les deux adultes à percevoir la chose ainsi... La
semelle colle contre— le machin-chose qui macère depuis dieu seul sait quand par terre. Cela
a pour effet de ralentir la course de nos deux amis qui ne s'apprécient guère. Molly tient
fermement le bras de son cadet, le tirant en avant alors que ce dernier prend grand soin de ne
pas lâcher sa lame qu'il n'a pas eu le temps de ranger dans son havresac. Le jeune homme
remarque une porte sur le côté. Il la signale à la trentenaire qui réplique que celle-là ne mène
nulle part autre que dans un débarras rempli de costumes et de bricoles diverses. Ils continuent
leur chemin et c'est après quelques interminables minutes qu'ils parviennent à l'aire de jeux pour
les tout-petits et les un petit peu plus grands.

Chapitre 32 : 02/04/23

Nous sommes aujourd'hui le 2 avril 2023. Si je ne me trompe pas... Le temps est une chose
amusante quand on ne vit plus comme au temps de l'Ancienne Ère. De nos jours, l'avenir c'est
l'hybridisme. Notre chef pense que si nous consommons assez de chair humaine, alors nous
pourrons passer à l'étape suivante de l'évolution de notre espèce. Nous pourrons transcender
notre humanité. Beaucoup ont malheureusement péri, mais nous restons debout : il nous faut
continuer ce voyage périlleux pour en ressortir plus grand et plus fort. Depuis quelques
semaines notre leader, Dallán, a théorisé que manger de la viande hybride nous permettraient
de devenir bien plus que ceux qui existent déjà en notre monde. Et ça tient la route ! Seulement,
les hybrides ne sont pas trop du genre à se balader dans le coin... Quiconque lit ceci, sachez
que la chance nous a souri ! En effet, une drôle de troupe a posé le pied sur notre territoire
aujourd'hui ; un·e hybride parfait·e, un autre qui a loupé le coche et une humaine. Une offrande
sacrificielle de choix. Si je parviens à attraper l'un d'entre eux, peut-être que Maître Dallán
m'accordera le passage à l'étape suivante ! Je veux devenir le futur de la Nouvelle Ère ! Tout
le monde le veut ! Que la fête commence.

Les deux adultes ne perdent pas une seule seconde ; une fois à l'intérieur du palais des couleurs
aveuglantes et vives comme la dégaine d'un clown, ils se mettent en lieu sûr, au sein du
labyrinthe arc-en-ciel. Ils reprennent leur souffle et ils profitent de ce moment de répit, tant qu'il
en est encore possible. Kaiden pousse un soupir de soulagement alors qu'il range sa hache dont
la lame est vêtue de sa housse de protection. La trentenaire le regarde, sans aucun mot dire...
Elle réfléchit. Elle réfléchit à un moyen de s'échapper du vomi de licorne dans lequel ils se sont
réfugiés. Et qui dit sortir de cette pièce, dit trouver une solution pour ne pas se faire attraper par
les cinglés qui sont à la recherche de nos deux camarades. Ce n'est pas parce qu'ils sont, pour
la plupart, bêtes comme leurs pieds, que tous n'ont pas remarqué que les deux "amis" avaient
disparu de leur champ de vision.

La tignasse blanche ferme les yeux. Il affaisse les épaules et il accorde de suite son attention
tout entière à Molly. Son regard interrogateur pose la question sans qu'aucun son ne sorte de sa
bouche : comment vont-ils s'échapper de ce sale pétrin ? La brune aux boucles serrées secoue
mollement la tête pour signifier à son cadet que ce n'est pas du tout le moment de la déranger...
Elle est justement en train de réfléchir. Comment s'extirper de l'étron de licorne dans lequel ils
baignent en cet instant bien précis ? Une question qui demande une réponse plus développée
que l'on ne pourrait le croire au premier abord. Notre ami au bonnet noir est inquiet, angoissé ;
Roxan est toute seule, seul sans personne pour le défendre. Et Kaiden sait à quel point son amie
refuse d'avoir recours à la violence. Face à des imbéciles de cannibales prêts à tout pour les
croquer, être passif, ce n'est vraiment pas une bonne chose. Le jeune homme croise les doigts,
priant quiconque pourrait l'entendre, pour que l'hybride soit en bonne santé et surtout en un seul
morceau. Il aimerait le retrouver entier.

"C'était quoi ça ?"

Le plastique que l'on frotte et que l'on percute à coups de coudes et de genoux. La corde qui
grince sous le poids d'un corps qui se déplace sans se soucier de ses cris de douleur... Un très
bon indicateur de la présence d'une personne, ou de plusieurs, à l'intérieur de ce gigantesque
labyrinthe bariolé. Et qui dit présence, dit une flopée de vilains pas beaux qui se balade entre
les câbles et les tuyaux. Ça ne sent pas bon ! Imaginez un peu vous battre dans un environnement
aussi étroit et étouffant qu'un "Je-veux-que-mon-gosse-se-fasse-bouffer-par-l'aire-de-jeux" !
Mission impossible ! C'est un coup à se blesser dans le processus. L'unique option qui s'offre
aux deux adultes, c'est la fuite. Ils ont tout intérêt à se dépêcher s'ils ne veulent pas se retrouver
bloqués à l'intérieur du pipi de Leprechaun. Je vous vois juger la façon que j'ai de décrire cette
aire de jeux innocente... Arrêtez. Maintenant. Revenons aux deux gourdes de service : s'ils ne
se pressent pas plus que cela, il y a de grandes chances qu'ils se retrouvent pris au piège à
l'intérieur du labyrinthe en plastoc. Ils ne savent pas sur qui ils peuvent tomber. Trop de bruit.
Trop d'écho. Un pari risqué, mais le seul qu'ils sont en mesure de faire.

Le duo s'applique à faire le moins de bruit possible et ils se déplacent dans les tunnels colorés,
avec l'espoir qu'ils puissent rejoindre la sortie. Kaiden se souvient encore de la sensation que
nous pouvons avoir lorsque l'on s'aventure dans pareille aire de jeux. C'est plutôt pratique pour
s'aiguiller et pour s'orienter... les souvenirs d'enfance et d'adolescence ; le jeune homme est
encore un gamin dans l'âme. Pas dans le bon sens du terme aux yeux de Molly, mais— là, c'est
franchement utile. Toutefois, elle ne digère pas très bien l'idée que son cadet puisse imaginer
qu'elle n'ait jamais eu d'enfance ou, tout du moins, penser qu'elle n'a jamais eu l'occasion de se
glisser dans un jeu de ce genre. C'est vexant. Blessant. Très blessant. Après réflexion, la
trentenaire se demande si cet imbécile ne tenterait pas de lui prouver qu'il n'en est pas un. Pas
le temps de développer cette possible hypothèse : un individu se présente en face d'eux et la
tignasse blanche réagit au quart de tour, pris d'une violente panique. Il change de position et il
assène le plus gros et le plus violent coup de pied de sa vie. L'inconnu tombe en arrière,
malheureusement il tient bon. Le vingtenaire continue d'envoyer ses jambes contre le visage de
son "interlocuteur", sous l'expression mi-troublée mi-amusée de Molly qui admire le spectacle.

Chapitre 33 : Je suis ton Obi-Wan, Kaiden

Passée la petite bagarre contre Monsieur "Je-me-ramasse-des-lattes-en-pleine-tronche" (qui a


probablement reçu une bonne centaine de coups de pied), Molly et Kaiden continuent leur petit
bonhomme de chemin en direction de la sortie du labyrinthe bariolé. Vous ne regretterez pas le
petit saut dans le temps : ils ont, presque toujours, réussi à éviter la plupart des menaces qui
rôdaient entre les cordes et les tunnels. Ça n'a pas été de tout repos. Je tiens à le souligner, en
tant que narrateur. Personnellement, j'ai savouré mon popcorn en les regardant glisser dans les
tuyaux et s'arracher les cheveux sur les câbles. Mais ça ne serait intéressant qu'en version live-
action ou en version animation, pas raconté... Je peux entendre l'auteur me passer une charge
alors revenons à notre duo du moment ! Obi— Heu... Molly et Kaiden. Ils sont enfin dehors.
Une fois à l'extérieur de "Unicorn Poop Land", ils se précipitent hors de la salle de jeux,
retournant dans les crasseux couloirs de la pizzeria. Nouvelle quête ? Retrouver Roxan. Au plus
vite.

Kaiden se pince nerveusement les lèvres, étant donné que le goût de ses gants ne l'emballe pas
plus que cela et il scrute les environs, à l'affût du moindre mouvement un chouïa suspect. Il
dégaine sa lame, retirant la housse de protection sous le regard dubitatif de la trentenaire. Elle
peut sentir les muscles de sa mâchoire se contracter, imperceptiblement à tout œil un tant soit
peu inattentif. Sa main artificielle se dépose sur l'épaule habillée de bleu de son jeune ami et
elle resserre doucement les doigts sur celle-ci. Elle secoue la tête, l'air sérieux, pour signifier à
l'homme au bonnet noir que ce n'est pas une bonne idée : il est beaucoup trop agité pour que ça
puisse bien se finir. Ce à quoi Kaiden rétorque qu'il reste bien moins imprévisible avec une
arme appartenant à cette catégorie. Un pistolet ou quelque chose d'approchant demande une
dextérité qu'il ne maîtrise pas. Pas du tout. Vous vous rappelez du mec qui s'est mangé une fusée
de détresse en pleine gueu— Bref ! La femme aux boucles serrées passe sa main libre sur son
front et elle procède à un massage des tempes. Oh ! Que ce garçon l'énerve ! Elle donne une
discrète et petite tape sur l'épaule de la tignasse blanche et elle s'arme de son pistolet à impulsion
électrique. Ils progressent très lentement pour ne pas avoir de mauvaises surprises dans les
couloirs de la pizzoubelle. Ils s'arrêtent de temps en temps pour lire les panneaux signalétiques,
de façon à ce qu'ils ne se perdent pas et surtout, pour ne pas perdre une minute (ou plus) à
tourner en rond. Cet établissement est plutôt grand. Affreusement et bizarrement grand quand
on cherche quelqu'un. Salle d'arcade ? Non. Cuisines ? Non. La salle des caméras ? Mauvaise
idée... Des gens gardent l'entrée. Placards ?

«Bon sang... Mais où est-il passé ? Rox... Hmph !

–Non ! la femme vient de plaquer sa main droite contre la bouche de son cadet, Tu veux ameuter
les cannibales ou quoi ? chuchote-t-elle.

–Hm, hmph, hm !

–Nous allons retrouver Roxan. Calme-toi. Fais confiance à ton Obi-Wan, suggère la trentenaire
qui libère les lèvres de Kaiden ; ce dernier la dévisage en fronçant les sourcils.

–Pourquoi je serais Anakin, au juste ?

–Regarde-toi dans un miroir, Kaiden. Vraiment.»

Le jeune homme arque un sourcil et il grimace : il a probablement pris cette réponse de travers.
Il a l'air d'être presque— offensé ? Pas que ce soit forcément une mauvaise chose d'avoir des
points communs avec ce personnage de science-fiction, mais... la façon dont Molly a balancé
sa réplique ne laissait pas vraiment entendre que c'était positif. Blessé, Kaiden ne cesse de
bassiner son aînée avec cette histoire de comparaison. Et ce même si le plus important est de
retrouver Roxan. Cela dit, rien n'empêche de discuter tout en recherchant l'hybride à la crinière
de feu et de soleil. La tignasse blanche essaie de prouver par A + B que de un, il ne serait pas
Anakin dans ce duo et que, de deux, Molly correspondrait bien mieux audit Skywalker. La
trentenaire lève les yeux au ciel ; elle réfute calmement les arguments donnés par son jeune
camarade. Elle s'offusque lorsque son cadet insiste en expliquant qu'elle a une prothèse, tout
comme Anakin. La petite guéguerre des geeks... Ils restent discrets, bien entendu, mais— de
vous à moi : ils sont casse-pieds, hein ? Vous pouvez me le dire, ils ne l'entendront pas !

Notre très fine équipe n'abandonne pas les investigations ; ils s'y vouent corps et âme. Je ne
peux pas dire que c'est évident étant donné que ces deux abrutis de fans de science-fiction n'ont
pas suspendu les hostilités. Oui... Ils se disputent encore. Pour des choses futiles. Néanmoins,
ils ont le mérite de pouvoir se vanter de leur discrétion : ils s'en sortent pas trop mal. Alors—
certes ! La Force... Je veux dire "la chance" (ils me font perdre la tête !) n'est pas constamment
avec eux, mais ils se débrouillent. C'est déjà ça. De temps à autre, des cinglés pointent le bout
de leur nez et pouf ! Molly et Kaiden les déglinguent. Tout en continuant d'être en désaccord.
Encore. Même les cannibales en auraient marre s'ils pouvaient être à ma place.

"Je ne suis pas Anakin ! Bordel !"

Ils sont encore là-dessus ? Que Kaiden admette sa ressemblance avec ce personnage fictif avant
que je ne me permette d'intervenir ! Je suis narrateur, oui, je sais ! Merci de me le rappeler !
Mais ces deux pseudo-adultes me fatiguent ! Bref... Je vais respirer un coup. Un... deux... trois...
J'inspire et j'expire. Ça va un peu mieux. Continuons. Ils se chamaillent. Des imbéciles de
carnivores sectarisés les remarquent. Ils ne sont pas nombreux. Un ou deux dingos et bam ! Ou
alors, heu... Ziiiip ! Vous voyez le genre ? Quoi ? Ma description ne vous convient pas ?
D'accord, d'accord ! Kaiden est très rarement celui qui attaque. Molly ne veut aucune mort sur
la conscience ; la trentenaire se charge donc d'assommer les fanatiques. Ça vous va,
maintenant ? Ne perdons pas de temps en détails inutiles. Le gamin vingtenaire n'a saigné
personne et on cherche Roxan, pour rappel. Vous voulez sérieusement rester sur deux adultes
qui ne s'entendent pas sur un sujet frivole ?! Moi non. Passons. Taisez-vous. Merci.

"Hein ? Qu'est-ce que... c'est que ça ?"

Au bout d'un moment, Kaiden croit reconnaître un son qu'il a eu l'occasion d'entendre de trop
nombreuses fois depuis le début de la Nouvelle Ère. Son expression se durcit dans son
interrogation : un Unguéal s'est perdu dans cette pizzeria ? Ça lui semble tout-à-fait improbable.
Ses lèvres se pincent avant de se distordre dans une grimace qui trahit sa nervosité. Ce n'est pas
normal. Les humains ne font pas ce genre de bruit... Il en est certain. C'est cru et brut. Sauvage.
La satisfaction d'une créature affamée. Impossible qu'une bestiole se soit retrouvée dans un coin
pareil ! Ce serait envisageable ? Le bonnet noir ignore royalement sa camarade plus âgée et il
suit les bruits de mastication jusqu'à la pièce centrale de la pizzoubelle. Il ouvre la porte.

Chapitre 34 : Qui es-tu ?

Qu'est-ce que... ? Non. Non ! Mes yeux doivent me jouer des tours. Ce n'est pas possible
autrement. Ce n'est que mon imagination ! Mais pourquoi diable imaginerais-je un scénario
aussi... Improbable ? Impossible ? Tant de mots pour définir ce dont je suis témoin. Ce n'est pas
réel ! Ça ne peut pas l'être ! C'est dingue ! Totalement dingue ! Dément ! Insensé ! Et pourtant
les yeux écarquillés de Molly, qui vient de me rejoindre sur le seuil de l'immense pièce qui nous
fait face, me prouvent le contraire. Je ne l'hallucine pas ? Cette vision d'horreur ? Ce délire qui
ne devrait pas avoir lieu d'être ? J'ai lâché ma lame. Je ne m'en suis rendu compte que lorsque
je l'ai vu orienter sa tête vers moi. Pile dans la direction du bruit que mon arme a provoqué. Ses
pupilles blanches, dilatées à un point tel que je peine à distinguer la couleur claire de ses iris.
Le sang. Le rouge qui décore ses longues griffes déployées. Dégoulinant également du bord de
ses lèvres. Et cette expression sur son visage... Est-ce vraiment le Roxan que je connais ? Non...
Non ! Ça ne peut pas être elle ? Elle ne ferait— Jamais, au grand jamais, il attaquerait
quelqu'un ! Volontairement, je veux dire ! Roxan ? Le pacifiste de service ? La douceur
incarnée ? En train de torturer et de bouffer des gens ? D'arracher des morceaux ici et là ? Sans
une once de... Non. Non ! Je ne suis pas sûr de savoir si j'ai cligné des yeux. Je suis tétanisé.
Qu'est-ce qui a bien pu se passer ?! C'est quoi ça ?

Je distingue très clairement sa respiration sifflante, noyée dans le liquide épais et rougeâtre qui
fut un temps celui de personnes aujourd'hui étendues sur le sol dégueulasse de cette poubelle à
pizza. Je ne peux qu'entendre cela ; elle a sauvagement massacré ces gars, là, ici même...
D'accord, ce sont nos ennemis. Mais la personne qui a— qui a commis cette atrocité, c'est
Roxan. Roxan ! Mon Roxan. Celle qui pleure lorsque l'on croise la route d'un cadavre de gosse.
Celui qui déteste ce que cette foutue morsure a fait d'elle. Roxan qui est doux, gentille et
empathique. Une tête de linotte, tout comme moi. C'est pas lui, ça. C'est impossible ! C'est... Ça
tient fermement un vieux mec dégoulinant et agonisant. Par son col. Je crois ? Je crois que c'est
son col... Le grognement qui sort de sa bouche sanguinolente, c'est... Je ne sais pas. Je ne sais
pas. Je ne sais pas ! C'est pas lui ! Ce truc, c'est pas Roxan ! Pourtant, ça lui ressemble ! Les
mêmes cheveux ! Le même visage rond ! Pourquoi je ne— je n'y arrive pas ? Je ne réalise que
maintenant que je tremble. Depuis tout à l'heure. À moins que ce ne soit qu'une impression ? Je
n'en suis pas sûr. Est-ce que je respire ? J'ai l'impression d'avoir oublié de le faire depuis que je
suis entré dans cette pièce. Le souffle me manque. Ma gorge me brûle. Me serre. Un peu comme
si on m'étranglait. Avec des mains de feu. J'ai besoin de... de faire quelque chose. Mes jambes
bougent d'elles-mêmes. Elles savent ce que je désire. La main de Molly essaie de me ramener
vers elle. J'entends le son de sa voix, mais je n'écoute pas ; je n'en suis plus capable. La seule
chose que je ressens, c'est le spectacle qui me fait face. Ce spectacle que je dois stopper. Tac.
Un pas en avant. Tac. Un autre pied qui se pose sur le sol. Tac. Tac. Tac, tac, tac. La cadence
qui accélère. Je suis piégé dans le brouillard de la panique la plus totale. Dans la tempête de
l'incrédulité. Je dois rejoindre ce bal sanglant. Je dois l'interrompre. Il est impératif que je fasse
quelque chose !

‹Kaiden ! Qu'est-ce que tu fais ?

–Roxan. Il a besoin de moi, lui réponds-je sans donner plus d'explications.

–Et donc, tu fonces vers elle ? Alors qu'il est clairement un red flag sur pattes ? me demande le
moi-pensant sur un ton qui trahit son entière sidération.

–Oui. Je fonce vers lui. Je dois l'aider.

–En te faisant bouffer ?› raille la petite voix dans ma tête avant de se taire pour de bon dans un
long soupir exaspéré.
Peu importe ses réflexions blessantes, mais logiques : j'avance. Ce n'est pas comme si mon
corps allait obéir à un simple mot composé de quatre lettres. Roxan, à ma place, ferait
exactement la même chose si nos rôles étaient inversés. Ce n'est pas une phrase bateau. Ce n'est
pas non plus de la spéculation. C'est un fait. Rappelez-vous, quelques chapitres en arrière. Il l'a
fait. Plusieurs fois. Je ne peux pas l'abandonner. Je ne peux pas la laisser... la laisser... Pourquoi
est-ce que je bloque comme ça ? Je n'ai jamais éprouvé autant de difficultés à décrire ce que je
vois— C'est parce que c'est Roxan. Mes jambes avancent. C'est automatique. Elles sont libres
de mon contrôle. Vous savez quoi ? Je n'en ai rien à foutre de ce qui pourrait mal tourner. Qu'est-
ce que je risque, de toute manière ? L'infection ? Déjà fait. Je m'approche. Toujours plus près.
Mon cœur tambourine contre la cage thoracique. Tu empestes le sang, Roxan. Encore un ou
deux mètres. Quelques centimètres... Diantre de fiente ! Bordel... Cette expression pleine de
rage. Ce regard pareil à une bête sauvage. Pourquoi est-ce que tu grognes comme ça ? C'est
moi ! Kaiden ! Attendez... Il tremble. Roxan tremble. Est-ce que tu— es plus ou moins
consciente ? Tes yeux. Ils brillent. Ils sont humides. Des larmes menacent de couler. Me vois-
tu, Roxan ? Le peux-tu ? À quel point es-tu piégé à l'intérieur de ton propre corps ? Je me pince
les lèvres et je me jette sur elle. Je l'encercle de mes bras. Je l'invite dans une solide étreinte. Sa
première réaction est agressive : il se débat. Elle me pousse. Purée... Cette force... Je ne lâche
pas l'affaire. Tu as besoin de quelqu'un près de toi. Pour te répéter que tu n'es pas un monstre.
Les griffures. Ça fait mal. Cependant, ce n'est rien comparé à ce qui a suivi. Roxan a planté ses
crocs dans mon épaule. Ça transperce la peau. Ça provoque comme une charge quasi-électrique
qui active un tsunami de douleur au sein même de ma chair. Je saigne de la bouche ; je ne
voulais pas crier. Je n'ai pas envie de faire peur à mon compagnon. Elle n'a pas besoin que je
gueule dans ses oreilles. La voix de Molly, aussi indistincte soit-elle, me supplie de lâcher ma
très chère amie. Son hoquet de terreur, je le devine alors que je resserre mon emprise sur le
corps agité et remuant de Roxan qui enfonce un peu plus ses dents contre ma peau... Putain que
ça fait mal ! Ça fait mal !

"Rox... Je sais que tu as peur. Mais je suis là."

Mon bon ami,

Si tu savais ! Aujourd'hui est un jour que je n'oublierai jamais. J'ai eu le malheur de perdre
nombre de fidèles ; des frères, des sœurs et des adelphes ont péri. Ils ont transcendé leur
humanité d'une manière fort regrettable. Et très triste, je dois bien l'admettre. Cela dit, ces vies
sacrifiées ne sont pas une perte vaine ! La découverte du jour vaut bien un milliard d'existences.
Humaines comme non-humaines. Ta lettre datant d'il y a trois jours donnait des détails si précis
que j'ai reconnu presque immédiatement les visages de ceux contre qui tu pestais, mon bien
cher ami. Je les observe, en cet instant même. J'écris ces lignes pour que tu puisses savoir à
quel point je suis aux anges face au spectacle dont je suis le témoin ! L'idée que nous avions,
mes fidèles et moi, c'était de nous repaître de la chair bénite. Oui, oui... Je sais ce que tu penses
de ces créatures et je suis conscient que l'une d'elles a mis ton campement à feu et à sang !
Seulement... La beauté de cette absence d'humanité me plonge dans une extase que tu refuses
de frôler, ne serait-ce qu'un peu. Quelle aubaine que les écrans de la salle des caméras soient
encore un minimum fonctionnels : je n'ai jamais vu un hybride raté se donner à la perfection
incarnée ! Quelle poésie ! Une étreinte, avec des bras et des crocs ! Par ailleurs, je crois avoir
reconnu ton amie, Molly Werner. On ne dirait pas qu'elle soit l'otage de ces deux étranges
choses qui s'enlacent aussi fougueusement... Ne serait-ce pas une forme de trahison ? Et toi qui
la croyais morte, tuée par l'erreur et la réussite. Tu dois être surpris en lisant ces lignes, n'est-
ce pas ? Ne sois pas si furieux, mon gros nounours... J'ai retrouvé ton pot de miel.
Malheureusement, le temps que tu reçoives ce courrier, ils seront déjà partis. Souris un peu,
mon brave ! Ils sont passés par chez moi !

Signé,

Ton ami de longue date : Dallán Kendrick.

Chapitre 35 : Se saigner aux quatre veines

Le jeune homme s'est replié sur lui-même, le corps appuyé contre celui de la chevelure blond
cuivré. Le supplice de la lancinante déchirure qui grandit dans son épaule est, pour lui, un
véritable calvaire. Une autre morsure, infligée par Kaiden lui-même, sur ses lèvres abîmées,
éveille le désir d'évasion de l'essence qui coule dans ses veines. Comme s'il ne perdait pas
suffisamment de sang... La douleur afflige le frêle bonhomme qui se colle toujours un peu plus
sur la chose féroce qu'est devenue sa compagne de toujours. L'esprit fermé au reste du monde,
le bonnet noir s'entête à raisonner son petit ami. Il continue de chuchoter dans son oreille, entre
un ou deux ou même trois couinements qui témoignent de sa souffrance. Roxan reste là,
vraisemblablement impassible— ou devrais-je dire "inaccessible" ? Le goût de l'hémoglobine
déborde ; ça se répand au fin fond de sa gorge, ça s'échappe sur le bleu de la veste à capuche de
la tignasse blanche. Du rouge. Du rouge partout. Absolument partout. La dentition de la jeune
adulte repeinte de cette teinte, enfoncée, vissée dans la chair de celui qu'il affectionne
normalement.

La femme aux boucles serrées aimerait intervenir sans pour autant être apte à réagir : les
individus infectés au même niveau que Roxan sont des bêtes sauvages avides de sang et de
violence lorsqu'ils se retrouvent dans cet état. Comment diable le jeune adulte en est arrivé à
entrer dans cet accès de rage ? Molly se pose la question, les sourcils froncés et le visage
déformé par une grimace qui dépeint sa crainte et son anxiété toutes deux entières et
indomptables. Elle crie le nom de Kaiden. Au début, elle ne voulait pas attirer l'attention... mais
son camarade étant imperméable à ses appels, elle a progressivement élevé le ton de sa voix.
Toujours rien. Pas de réaction. La trentenaire, enfin capable de se mouvoir, libérée de sa tétanie,
s'approche en tapinois. Ce qu'elle souhaite, c'est que la jeune Nothique déchaînée ne la remarque
pas ; qui sait quelle réaction Roxan pourrait avoir ? Qui sait quels risques encourt Kaiden ?
Soudain, une main pâlichonne lui fait signe de s'arrêter... C'est le bras tendu et tremblant de
Kaiden. Le sang qui a dégouliné sur son épaule a maculé la manche de son habit ainsi que sa
menotte au teint décoloré. Pourquoi fait-il cela ? C'est de la folie suicidaire ! C'est ce que pense
notre pauvre amie à la peau brune. Son cerveau turbine sans trouver d'explications qui
pourraient lui sembler raisonnables.

«Kaiden ! Qu'est-ce que...


–Laisse-moi faire... S'il... S'il te plaît...» glapit le jeune homme au hoodie bleu trempé de son
propre sang.

C'est en entendant ces paroles et en gardant ses yeux braqués sur sa personne que Molly réalise
que la main de Kaiden n'est vêtue d'aucun gant noir ; si elle peut voir le beige de sa peau alors
c'est qu'il a retiré ce qui habillait sa menotte. La trentenaire se demande à ce moment-là si son
cadet possède de vagues souvenirs en lien avec sa propre phase active, révoquée par
l'intervention de Roxan. Elle s'en rappelle comme si c'était hier : la petite Nothique avait pu
ramener son compagnon d'un simple contact. Un véritable contact. Une main sur une joue. Par
exemple. Le problème étant que la femme aux boucles brunes est dubitative... Est-ce qu'un acte
aussi— simple et candide peut changer la donne ? Réveiller l'humanité du blond cuivré, enterrée
par l'influence du virus ?

"C'est moi, Roxan... C'est moi... Je suis là. Je ne pars pas..."

C'est une main fébrile qui effleure la tempe droite de la jeune adulte. Kaiden souffre. Il ne sait
pas si c'est pire que les crampes périodiques ou non. Dans tous les cas, il perd du sang. Beaucoup
de sang. Ça fait un mal de chien... Ses doigts tremblants descendent le long du visage de la
créature sauvage qui n'a pas l'air de vouloir libérer son omoplate ; ça reste inséré dans sa chair
et ses os. Et les grognements ! Dignes d'un animal. Étouffés par la viande et le liquide rouge
qui noie sa voix dans une suite de gargouillis répugnants. À première vue, l'idée de l'homme au
bonnet noir ne semble pas fonctionner le moins du monde. Roxan ignore son message. Il ne
réagit pas à son contact. Le creux de la main de la tignasse blanche effleure la joue cyanosée de
celle dont les traits du visage s'adoucissent. C'est presque imperceptible. Kaiden l'a pourtant
remarqué... Il l'a senti. Un faible, très faible frémissement. La prise sur son épaule lui paraît
moins accablante ; la pression se fait moins forte. Il a toute la peine du monde à mouvoir ne
serait-ce que le petit doigt. Le moindre geste engendre une décharge effroyable le long de son
bras. De son épaule jusqu'au bout des doigts et inversement. Malgré tout, Kaiden n'abandonne
pas. Le geste est doux, délicat. Sans forcer, il passe sa main, endolorie et ensanglantée, dans les
cheveux de cuivre de son bien-aimé. Son front se dépose avec bienveillance sur celui de Roxan
et il plonge ses prunelles dans celles aux pupilles anormalement larges de la Nothique.

«Rox... Tu m'entends ? marmotte la crinière blanche.

–Tuer... Sang... Partout...

–Tu ne risques plus rien. Je suis là, Rox.

–Sang... Sang... Vie... Mort..., ce sont les seules paroles, un peu brouillonnes, que Kaiden
parvient à comprendre.

–Rox. Calme-toi. Ce n'est pas toi qui es responsable de ce massacre. Promis.

–Tu... saignes...

–Ouais. Ils m'ont bien eu, hein ? plaisante nerveusement l'homme au bonnet noir.
–Ma... Ma faute... Goût... métal... bouche..., Roxan se recroqueville sur elle-même ; ses yeux
débordent de larmes.

–Ils t'ont fait du mal. C'est pour cette raison que tu as du sang dans la bouche. Respire.
Doucement. Tout va bien. Ils ne peuvent plus te blesser.» Kaiden appuie un peu plus le haut de
son visage contre celui de l'hybride en larmes.

La trentenaire ne bouge pas d'un iota. Silencieuse, muette, elle observe la scène sans être
certaine de la tournure que pourrait prendre la suite des évènements. Quelle serait la décision
la plus sage à prendre ? La plus logique ? Molly est consciente que son cadet souhaite se charger
de cette "mission" tout seul... Seulement, ce n'est pas vraiment évident de rester là, les bras
ballants, alors que Roxan a grignoté une partie conséquente de l'épaule du jeune homme. La
mâchoire serrée et les mains crispées à un point tel que les veines sont bellement apparentes ;
la femme aux boucles brunes se retient pour ne pas tenter une approche moins pacifique. Si ça
tournait au vinaigre, elle entrerait en action. Les câlins, ça va bien deux minutes, mais si cela
ne marche pas alors une bonne décharge fera l'affaire. Pour l'instant, elle contemple. Tout
comme celui qui les regarde depuis la salle des caméras de surveillance. Le spectacle lui est
extrêmement plaisant, ce qui lui décoche un sourire extatique. Il est galvanisé par ce qu'il voit.
Il adore ce qu'il regarde. Tap ! Tap ! Tap ! Ses doigts tapotent le bureau sur lequel son bras
repose. Il médite tranquillement, le regard pétillant de ravissement. Si l'échec réussit son coup
avec la perfection... Peut-être. Peut-être.

Chapitre 36 : Coucou, ma chère Molly

"Bravo ! Bravo ! Quel merveilleux dénouement ! J'en suis tout bouleversé !"

Les trois compadres ont chacun un vif soubresaut. Une réaction assez naturelle face à
l'introduction d'une personne inconnue au bataillon... Pour deux des membres de notre trio
préféré, cela va sans dire. La qualité médiocre des haut-parleurs, massacrée par les parasites qui
déforment le son de temps à autre— Ah ! Quelle horreur ! Une violation agressive des tympans
et une torture pour les oreilles ! La voix de cet homme est douce et pourtant emplie de malice.
Depuis quand les observe-t-il depuis son piédestal ? Roxan, qui n'est pas encore tout-à-fait des
nôtres (mais qui revient de loin), lève ses yeux ronds pleins de fatigue en direction du plafond.
Il cherche la source de cette voix enjouée et faussement bienveillante ; sa tête est comme une
pastèque sur le point d'exploser et elle a l'impression d'entendre des tambours se cogner contre
la moindre petite riquiqui parcelle de sa boîte crânienne. Et les yeux ! Les yeux ! La sensation
d'une barre invisible lui écrasant les globes ainsi que le tour de la tête est insupportable. Le
jeune adulte plisse les paupières, insistant bien à chaque fois qu'elle les ferme.

La trentenaire, quant à elle, se braque en reconnaissant ce timbre de voix affreusement familier :


c'est un ancien membre du groupe de Konrad Wesker. Elle oublie presque de respirer. Cela ne
dure que quelques secondes, n'ayez crainte ! Le temps de digérer l'information. Elle se ressaisit
rapidement, elle ravale sa salive et elle serre ses phalanges contre la paume de sa main. Les
poings fermés et l'expression sérieuse, elle montre son visage à l'une des caméras en coin de
pièce. Dallán Kendrick... Molly ne devrait même pas s'étonner que ce type soit devenu un chef
de secte priant le sacro-saint virus qui transforme les humains en tout autre chose. Il n'a jamais
été quelqu'un de particulièrement sain d'esprit. Elle ne l'a jamais trouvé bien net, en tout cas.
Kaiden renforce son étreinte sur sa compagne, se faisant mal sans le faire exprès, à cause de la
force qu'il a exercée pour effectuer ce geste. Une sorte d'instinct lui criant de protéger Roxan
qui lui a causé involontairement du tort.

«Kendrick. Pourquoi ne suis-je pas surprise ?

–Ça fait si longtemps que je n'ai pas vu un visage familier ! Comment se porte Mallory, ma
chère ? Molly jurerait pouvoir entendre le sourire mesquin dans la voix de l'homme.

–Hé ! Ho ! T'es qui, toi ? braille le bonnet noir qui étouffe un gémissement ; il ne veut pas se
montrer faible face à cet inconnu, Ça fait longtemps que tu nous regardes ?

–Molly, Molly, Molly... Je t'ai posé une question, très chère. Comment se porte Mallory ?

–Réponds à la question du gosse, Kendrick.

–Pourquoi ne nous présentes-tu pas, hm ? réplique Dallán de cette mélodie mi-délicate, mi-
perfide. Kaiden dévisage la trentenaire sans rien trahir de sa pensée.

–Kendrick. Que veux-tu ? demande finalement la femme aux boucles serrées ; elle peut sentir
les innombrables questions de ses deux cadets.

–Je veux vous aider, bien sûr ! Ces deux créatures que tu accompagnes m'ont offert le plus beau
des spectacles ! s'enflamme le cannibale, Je ne peux que les applaudir et témoigner ma
reconnaissance en vous donnant un petit coup de pouce !

–Un... coup de pouce... ?» s'inquiète Roxan qui se blottit contre son compagnon, la tête toujours
prise par le tournis.

L'homme ne souhaite aucun malentendu ; il développe ce qu'il veut dire par là et il explique
alors le fond de sa pensée. Le maître des lieux met une chose au clair... Si Kaiden avait échoué
dans sa tentative de raisonner Roxan, alors tous seraient morts à l'heure qu'il est. Ça, c'est dit.
C'est fait. L'esquisse de l'adulescente se plie d'horreur en zieutant anxieusement l'épaule de son
ami aux tifs de neige. La culpabilité est— écrasante. Et Kaiden qui a menti pour le préserver
psychologiquement parlant... Roxan ne sait pas si elle lui en veut ou non. Bref. Passons. Aux
yeux de Dallán, ce que Kaiden a réussi à accomplir relève de l'exploit : essayez de calmer un
Nothique. C'est comme essayer de désarmer un tueur de masse. Un tueur de masse qui
posséderait la force nécessaire pour vous arracher la tête d'une misérable et faible pichenette.
Ce succès vaut, pour le cannibale fanatique, toutes les vies sacrifiées : elles ne peuvent être
vaines si un tel résultat en est la conséquence. Ne cherchez pas à comprendre son raisonnement.
Ce qui compte, c'est qu'il accepte de les laisser quitter la pizzeria. Avec des trottinettes
électriques. Les indications pour rejoindre la pièce où sont stockés les engins sont claires.
Comme de l'eau de roche. Ou du cristal. La trentenaire, méfiante, lui demande pourquoi faire
preuve de "bonté" (si on peut appeler ça comme ça) quand il est évident que le chef de culte
entretient toujours une correspondance avec Konrad. La voix de l'homme aux penchants
sanglants se fait un peu plus froide. Sa réponse est la suivante : "Ce n'est pas parce que Konrad
est mon soleil préféré que je n'ai pas le droit d'orbiter autour des astres qui m'intriguent !".
Quelle étrange... façon de dire les choses.

«T'as un crush sur ce gorille ? s'esclaffe l'homme au hoodie bleu.

–C'est que Marie-Antoinette est très perspicace, ironise le cannibale ; sa bouche est pleine de
poison, Autre chose, petit échec ?

–Ouais. Une chose. Vous allez bien ensemble.

–Merci. Maintenant... Déguerpissez avant que je ne change d'avis.» Kaiden a visiblement


énervé Dallán.

Pourquoi le jeune homme s'est-il amusé à provoquer leur hôte ? Excellente question ! Je vais y
répondre sans plus tarder : Kaiden a estimé que ce n'était qu'un juste retour des choses. Dallán
tourmente la trentenaire... Kaiden s'en prend alors à un sujet qui le touche d'un point de vue
personnel. La tignasse blanche a remarqué le corps tendu de Molly, la maladresse de la plupart
de ses mouvements et... ses lèvres tremblantes. Elle y tenait à ce Mallory. Le vingtenaire, en
réalisant le possible lien que ces deux-là possédaient, a ressenti une vague de culpabilité ; il a
tué quelqu'un que la femme aimait. Pour se protéger. Certes ! Mais il a versé le sang de
quelqu'un. Pas étonnant que son aînée ne puisse pas le voir en peinture.

Il affaisse les épaules dans un faible souffle (qui s'est transformé en un tout petit hoquet, à cause
de sa plaie béante) et il adresse un timide mouvement de la tête à la personne qu'il a décidé de
défendre. Il tente un clin d'œil. Il regrette immédiatement cette action. Il regarde ailleurs,
laissant la trentenaire le juger dans la plus totale des interrogations. Confuse, Molly balaie d'un
revers de la main ce qui vient de se passer, mettant cela sur le compte de la bizarrerie de Kaiden.
Ce qui la préoccupe, c'est la blessure de ce dernier et l'état psychologique de Roxan. La
trentenaire marche, le pas plein de prudence, dans la direction du duo— ou devrait-on dire
"couple" ? Est-ce vraiment si important ? Avant toute chose, il faut faire un truc ; ils ne vont pas
laisser Kaiden se vider de son sang. Ensuite, ils iront récupérer les trottinettes pour s'échapper
de cette poubelle remplie de merdes. Et je ne parle pas de pizzas périmées.

Chapitre 37 : Tu me manques, Mallory

«Molly ? Tout va bien ?

–Hm ? Hein ? Heu... Oui. Pourquoi ? la trentenaire croise les yeux d'or de l'homme assis à côté
d'elle.

–Toujours dans la lune, hein ? s'amuse Mallory en ajustant sa position assise. Il admire le ciel
d'un bleu pur et impeccable, Tu peux tout me dire, tu sais ?

–C'est... C'est rien. Vraiment. Juste...


–Ça ne me plaît pas non plus, tu sais ? De mentir.

–Je... Ce n'est pas vraiment un mensonge, maugrée la femme aux boucles serrées, On est
proches.

–Mais pas dans le sens "on s'envoie en l'air toutes les nuits" et tu le sais, réplique le
quarantenaire, On le fait croire aux autres uniquement pour être en sécurité. Au cas où.

–Pourquoi cette mascarade... Je veux dire... Le "Grand" Konrad Wesker est hyper proche de
Kendrick !

–Ils ne le montrent pas ouvertement.

–Je sais... Désolé...» Molly s'affale dans l'herbe et elle ferme les yeux. Un long soupir s'échappe
de ses lèvres.

La trentenaire n'affectionne pas plus que cela l'idée de devoir cacher qui elle est vraiment ; elle
a le sentiment de faire un bond en arrière, à une sombre époque où les femmes qui étaient
considérées comme anormales, maudites, comme des hérétiques... étaient traquées pour être
mises au bûcher, pendues à une corde ou noyées dans un lac. Cette pensée toute bête d'être
l'équivalent d'une "sorcière" rebute la tête aux boucles brunes. Une légère grimace. Les yeux
rivés sur le ciel voilé de délicats nuages, Molly masse sa pomme d'Adam, moins proéminente
que celle de Mallory. Imaginant ce que ces innocentes ont pu subir, un haut-le-cœur la prend
par surprise. Elle se redresse, brutale et désorientée et elle tourne le dos à son "mec" pour vomir
son déjeuner.

Mallory, un peu plus âgé que la jeune femme, n'ose tout d'abord pas lui demander ce qui lui
arrive. Pris d'un élan d'audace, il dépose finalement les cinq doigts de sa main sur l'épaule fébrile
de la boucle brune. Un sursaut. Elle essuie rapidement ses lèvres tachées de salive et de
dégueulis et elle adresse un regard trahissant son amertume— Bon sang ! Le goût aigre et
acariâtre refuse de quitter sa bouche. Si c'était visible, le quarantenaire pourrait voir les joues
de sa "partenaire" rougir de honte. Cela dit, il n'a pas besoin de le voir pour le savoir : il ressent
quelque chose de similaire. Quel plaisir ce serait de pouvoir être soi-même au lieu d'être une
illusion ! Les deux adultes en sont conscients... mais cela ne rend pas la chose plus facile à
digérer. Les hybrides sont les cibles privilégiées. Cependant, ceux qui détestent les gens comme
Molly ou Mallory ne vont pas changer d'avis sous le seul prétexte que la haine vise une catégorie
d'individus à moitié humains. Ce n'est pas pour rien si Konrad et Dallán ne sont pas
particulièrement démonstratifs l'un envers l'autre.

Mallory esquisse un sourire maladroit, propre à son incroyable crédulité (pour un homme de
son âge) et à sa personnalité humaine... un tantinet stupide. Ce n'est que mon avis en tant que
narrateur. Je me demande ce qu'en pense l'auteur— Mais n'allons pas le déranger et revenons-
en à nos deux amis du placard ! Le quarantenaire tapote d'abord le haut du dos de la femme à
la peau la plus chaleureuse et charmante du campement. C'est un fait. Si Molly était un homme,
Mallory serait tombé sous le charme de son apparence, de sa personne tout entière. Manque de
chance : c'est une femme. Tout comme Mallory est un homme... Si seulement... Passons. Sa
main descend doucement jusqu'au centre du dos de la trentenaire pour frotter, sans être trop
brusque, celui-ci. Il lui demande, passées quelques minutes si ça va un peu mieux.
Ce à quoi Molly lui répond que sa gorge est un véritable volcan tant c'est irrité ; la faute à ce
qui est sorti en prenant ce couloir. Un rire nerveux. Mallory passe une main sur sa propre nuque
et lui pose cette question : "À quoi as-tu pensé, cette fois ?". Il ne la connaît que trop bien et
cela arrache une grimace qui déride le visage de la femme. Elle se racle la gorge pour stopper
un terrible désastre... Elle qui se fend la poire. Ayant encore quelques nausées, il serait sage de
ne pas tenter le diable qui loge dans son organisme. La jeune femme rassure son "conjoint" en
haussant les épaules, l'air faussement nonchalant. Du bout de son index et d'un frémissement
de la tête, elle demande à obtenir la bouteille qui repose aux pieds de Mallory. L'homme la
lorgne du coin de l'œil, la tête se laissant tomber sur le côté. Il écarte la boisson en expliquant
que c'est une mauvaise idée. Molly insiste. Elle ne va pas vider le contenu ; elle aimerait juste
se rincer la bouche. Il refuse. Elle s'agace. Elle se penche sur lui pour s'emparer de son rince-
bouche (qui n'en est pas un du tout) et malgré les remontrances et les avertissements de son
"compagnon", elle avale deux bonnes gorgées. Bleurgh ! C'est sorti aussi vite que c'est rentré.
Et pas de la façon qu'elle l'avait espéré. Mallory se pince la racine du nez. Ce n'est pas faute
d'avoir prévenu la trentenaire.

«Molly... Sérieusement ? Je sais que mes vêtements ne sentent pas la rose, mais pourquoi sur
moi ? plaisante à moitié le quarantenaire qui fait la moue et admire ses mains souillées.

–Pas fait exprès... Puis, le style "Vomito" te va comme un gant.

–Molly. Tu m'as gerbé dessus ! l'homme hausse le ton, sans vraiment être fâché ; il colle ses
doigts dégoulinants de vomissure contre le visage de son amie.

–Mallory ! Gros dégueulasse ! hurle la trentenaire avant de lui rendre la pareille en l'arrosant
avec l'alcool qui reste dans la bouteille, Je vais te laver fissa ! Tu vas voir !

–Ah ! Je suis touché ! Quelle ennemie redoutable !» s'égosille l'homme avant de rire aux éclats.

La répugnante bagarre qui gronde entre nos deux amis est stoppée net par l'intervention
impromptue de Sacha et de Camille ; les deux imbéciles de lascars, d'humeur taquine, décident
de se moquer (sans aucune intention malveillante) du petit "couple". Toujours est-il que l'odeur
nauséabonde freine d'un seul jet les deux copains qui sentent leur visage se rider de dégoût.
C'est à se demander comment les "z'amoureux" ont été capables de se battre, entourés par l'aura
asphyxiante de la pourriture incarnée. Réflexion simple, rapide et efficace : "Prenez une
douche ! Gros cochons, va !". Un petit ajout est fait à cette phrase pleine de poésie et c'est
quelque chose de simple... Camille est celui qui s'en charge en expliquant que si Mallory et
Molly doivent passer la journée entière à se friper la peau dans un ruisseau, qu'il en soit ainsi !
Personne ne veut sentir cette odeur insoutenable. C'est un coup à faire dégueuler tout le
campement. Sacha renchérit, le sourire asymétrique, en plaisantant à coup de sous-entendus
salaces ; selon lui, ce serait l'occasion parfaite pour s'adonner à des affaires pas très catholiques.
La boucle brune et les yeux d'or feignent être amusés par les bêtises des deux neurones sur
pattes. Ils se redressent, jouent le rôle du petit couple le plus épanoui de l'univers (voire du
multivers si cela existe) et fuient les regards de personnes qui ne les comprennent pas.

Chapitre 38 : They see me rollin'


La trentenaire s'applique à ne pas faire de gestes brusques ; ce serait dommage de se rater
pendant une opération aussi délicate. Les fesses posées sur le carrelage poisseux de la salle de
repos des employés, Kaiden évite le contact visuel avec Roxan et il esquive la vision d'horreur
qui s'offrirait à lui s'il laissait la curiosité le gagner. Le jeune homme se rend bien compte qu'il
a menti pour protéger Roxan. Pourtant, il a un mauvais pressentiment. Il en est presque
persuadé, il y a 90% de chance que le Nothique lui en veuille. Et il n'arrive pas à en comprendre
la raison... si c'est bel et bien le cas. Alors qu'il admirait une chaise gribouillée de sigils (en tout
cas, ça y ressemble), la tignasse blanche sent son corps se raidir tandis qu'une explosion de
douleur provoque un gémissement qu'il aurait préféré pouvoir retenir. Molly a dérapé et
l'aiguille a éraflé la chair encore bien à vif de son patient. Patient qui s'emporte et ses mots ne
laissent place à aucune mauvaise interprétation : "Si tu veux me charcuter, dis-le et arrête de
faire genre que tu me soignes !". La femme aux boucles serrées ne dit rien et elle reprend le
travail en silence ; c'est parce qu'il a mal qu'il sort des pépites de conneries. Ignore-le, Molly.
Roxan, de son côté, se dirige vers un vieux robinet à l'aspect "Silent Hill-esque" pour boire
d'énormes gorgées d'eau : le goût métallique refuse de s'estomper. Et ça, c'est parce que Kaiden
n'est pas venu le secourir. Parce que Kaiden est resté Kaiden. Parce que cet homme est un gamin
irresponsable en conflit avec l'image paternelle et maternelle. Il doit probablement voir Molly
comme une mère de substitution. Un bébé qui ne s'investit jamais vraiment... Mais pourquoi
des pensées aussi violentes l'assaillent ? Elle n'a jamais perçu son petit ami de cette manière
auparavant, si ? Est-ce qu'il l'aime ? Roxan n'en dira absolument rien. Ce n'est pas le moment.
Ce n'est jamais le moment.

Recoudre une épaule, ce n'est pas une partie de plaisir. C'est de loin l'activité la moins attrayante
du monde ; un adulescent qui se plaint que c'est douloureux ne contribue pas à rendre l'opération
de rafistolage plus— ludique ? Écoutez. Je suis narrateur, pas auteur. Allez vous plaindre auprès
de lui ! Brefouille ! Une petite heure s'envole tranquillement... Hop ! Épaule en meilleur état.
Avec les moyens du bord : la secte des bouffeurs d'humains n'est pas très axée sur les soins
chirurgicaux. La tignasse blanche se redresse, il jette un coup d'œil à sa compagne qui détourne
le regard. Il fronce les sourcils et interroge l'aînée avec ses prunelles cernées par la fatigue. La
femme aux boucles brunes lève les épaules, la lèvre inférieure pincée par ses dents du bonheur.
Molly sait quelque chose. Kaiden le sent. Mais on dirait que personne ne veut lui dire quoi que
ce soit. Il retire son bonnet noir et l'enfonce dans la poche ventrale de son hoodie. Il remonte la
fermeture éclair de sa veste habituellement ouverte, il ramasse son sac à dos, passe devant le
miroir qui surplombe le robinet recouvert de crasse et de rouille et il s'arrête. Pendant de longues
minutes, il dévisage cette copie parfaite de sa personne. Quelqu'un qu'il n'a jamais reconnu.
Derrière lui, des bancs (à moins que ce ne soient des fauteuils) en très piteux état. Des affiches
pour attirer le public. Des murs souillés. Et ce visage. Ces yeux qui cherchent à comprendre.
Le masque de celui qui ne comprend pas.

C'est une pièce gigantesque... et assez peu meublée. Une armée de trottinettes qui se tiennent
superbement droites, prêtes à l'emploi. Mais quel lieu vide et délicatement recouvert d'un fin
filet de poussière— Ah ! Non. Il y a une chaise côté droit, dans le coin de la dust room à trotti'.
Elle n'a pas l'air confortable. Il y a des tabourets pour maintenir les véhicules à deux roues
debout ; elles paraissent moins fières et belles, les tro-trottes, après observation. Pas grand-
chose, pas grand-chose... Oh ! Si. Il y a une étagère. Vide. Non ! Non, je me suis trompé !
Kaiden s'approche, les paupières plissées et un sourcil arqué : c'est quoi ce truc ? Le jeune
homme avance son visage près de la pseudo bibliothèque (qui abrite très potentiellement une
centaine de familles d'acariens). Et... Et c'est un bras. Un bras positionné pour séparer des livres
entre eux. Bon dieu que c'est dégueulasse ! La tignasse blanche s'écarte de la décoration signée
Ed Gein, une moue explicitant son dégoût le plus profond.

«C'est... original, j'imagine ?

–Kaiden. Ce n'est pas le moment d'admirer l'œuvre des fans d'Hannibal Lecter, persifle la
trentenaire ; elle secoue la tête, une main plaquée dans ses cheveux bouclés.

–Den. Arrête de faire l'idiot. S'il te plaît.» renchérit Roxan alors qu'elle se frotte la tempe gauche.
Le son du tambour le fait atrocement souffrir.

Le vingtenaire tourne le dos à la main qui lui fait face, toute rigide et prête à en taper cinq.
Admettez que je suis un narrateur hilarant. Non ? Mouais. Aucun goût pour l'art de narrer le
sanglant. Kaiden se mordille nerveusement un bout de peau qui dépasse de la bordure inférieure
du vermillon. Une nouvelle crevasse à ajouter sur les lèvres charcutées de l'anxieux de service.
C'est que ça turbine dur dans la caboche de Marie-Antoinette ! Il sent que quelque chose ne va
pas et que son compagnon n'est point désireux de lui faire part des déboires qui la tourmentent.
Devrait-il lui demander si tout va bien ? On dirait que Roxan a une vilaine migraine...
Seulement— si jamais la binoclarde n'est pas d'humeur bavarde, l'interroger ne mènera à rien.
Un coup d'œil. La crinière d'or et de cuivre se pince le nez, se frotte les yeux, ensuite le front et
elle ignore les prunelles inquiètes et emplies de questions qui se sont posées sur lui.

Le trio s'accapare de quoi partir de cet enfer pizza-sectaire. Une trottinette chacun. Ils marchent
tranquillement pour rejoindre un merveilleux ciel gris, rempli d'humidité et d'air frais qui se
respire sans avoir envie de vomir ses organes toutes les deux minutes. Une fois dans ce ô divin
monde extérieur, Molly pose un pied sur son nouveau destrier crasseux ; elle est très vite imitée
par la jeune hybride. Le bonnet noir, quant à lui, reste parfaitement immobile. Il regarde
l'appareil roulant, l'expression de son visage parlant pour lui. La trentenaire esquisse un léger
rictus une fois son attention portée sur son cadet, qui ne laisse échapper aucun mot sans pour
autant cacher sa méconnaissance.

«Ne me dis pas que tu n'as jamais fait de trotti !

–Hein ? Pardon ? Kaiden serre les dix doigts de ses deux mains sur le guidon de son engin
roulant, J'ai déjà fait de la "trotti", comme tu dis. Juste... c'était pas électrique. Du tout.

–Tu ne sais pas tenir dessus, je me trompe ? la trentenaire ressent une puissante envie de rire.
Elle marche vers la tignasse blanche, une large esquisse sur son visage.

–JE SAIS... Tu sais quoi ? Laisse tomber.

–Laisse-moi te montrer comment démarrer la bestiole, va !»

Molly s'apprêtait à rejoindre son jeune camarade, dans l'intention de lui expliquer comment
faire chauffer le moteur du véhicule à deux roues, quand Kaiden a décidé de faire une
démonstration de son formidable esprit de contradiction. Il se débrouille pour faire partir la
trottinette... Vitesse maximum. Il se tient debout. Correctement. Il slalome, sans trop de casse ;
il est habile. Pour l'instant. Il oublie l'existence des freins, l'engin se dirigeant en direction d'un
arbre. Il tourne le guidon, il pose un pied sur le sol— ce qui le fait glisser. Son autre jambe,
d'instinct, tente de ralentir la cadence et de faire retrouver une forme d'équilibre à son corps,
qui tombe en arrière. Fesses s'écrasant sur le sol boueux et le reste qui suit le véhicule : le jeune
homme finit dans le décor.

"Oh purée ! On en fait plus des comme ça !"

La trentenaire en a mal au ventre et les larmes aux yeux ; elle est pliée de rire, reprenant avec
difficulté son souffle. Le spectacle dont elle a été témoin est de loin le meilleur auquel elle n'a
jamais assisté ! Minus les bons moments avant et pendant la Nouvelle Ère. Elle était proche
d'un petit paquet de monde au campement de Konrad. Un peu moins proche aujourd'hui. En
effet. Notre amie hybride, quant à lui, reste figée dans une profonde stupeur... Je pense
sincèrement qu'il ne sait pas comment réagir à la stupidité de notre bonnet noir préféré. Kaiden
a fait l'imbécile. Comme d'habitude. Cette tendance à agir en gamin immature commence à
vraiment lui taper sur le système. Pourquoi refuse-t-il de se confronter à la réalité de la situation
dans laquelle ils se trouvent, hein ? Pourquoi fuit-il le concret ? La crinière d'or et de cuivre
fronce les sourcils : encore ces pensées négatives— intrusives. Insistantes. Mais qu'est-ce qui
lui arrive en ce moment ?

Chapitre 39 : ■■■■■■■■■■■■

«C'est bon ? T'as fini ? grommelle Kaiden, ses fesses toujours dans la gadoue.

–Att... Attends ! Je... Je peux plus... respirer ! la jeune femme peine encore à tenir debout,
appuyée contre l'arbre que Kaiden a bien failli percuter, J'en peux plus... Oh purée ! Ha, ha !

–C'est PAS drôle !» hurle l'homme recouvert de bouillasse ; ça provoque une nouvelle crise de
fou rire chez Molly.

Chancelant, la tignasse blanche peine à se redresser. Il se relève et il titube, un brin penchant


sur la gauche, un brin tombant sur la droite. Kaiden a encore du mal à se rendre compte que la
trottinette l'a envoyé valdinguer, l'invitant avec toute la tendresse du monde, à faire partie du
décor. Ses jambes ont récolté de nouveaux bleus... La collection du parfait casse-cou. Et que
dire de la gluante terre mouillée qui lui colle jusque dans des lieux qui ne considèrent pas cette
présence comme confortable ! Ni même comme étant la bienvenue ! La trentenaire voulait
l'aider à se remettre debout, mais— chose regrettable : elle a commencé à rire. Et au moindre
pas la rapprochant de son cadet, les zygomatiques de la femme aux boucles serrées se
musclaient au rythme d'une mélodie folle et espiègle. Et comme vous le savez, elle n'arrive pas
à s'arrêter. Une main sur ses lèvres charnues qui tremblent avec autant de vivacité que la totalité
de son corps... La situation qui en résulte est parfaitement grotesque. Un grotesque comique.
Roxan, le pas encore bien lourd et éreinté, marche sans prendre le moindre parti. Elle tend sa
main et il ne laisse transparaître aucun sourire du bout de sa petite commissure. Le jeune homme
attrape sa menotte, non sans la rater à cause de la confusion. Un loupé. Deux loupés... Trois.
L'hybride s'en agace rapidement et entoure le gant noir de son compagnon. Elle lui demande
ensuite, d'une voix toute faiblarde s'il n'y a rien de cassé et surtout, si tout va bien.

Kaiden se contente de hocher la tête, répondant muettement à la question de sa partenaire au


sourire absent. Il y a quelque chose qui ne tourne pas bien rond entre ces deux-là. C'est évident
comme deux et deux font quatre. Il y a un pépin dans le pain perdu dans un épicéa rempli de
pommes de pin. C'est l'épicerie qui se fiche des pisseurs— Quoi encore ? Je trouvais que ça
sonnait bien... Ah. Bah. Même l'auteur m'engueule maintenant. Tout ça pour dire que la relation
entre les deux hybrides est bizarre. Elle est, comment dire, tendue ? Ce qui est certain c'est que
cela met la trentenaire mal à l'aise à un point tel où son fou rire s'est tu ; une pareille proximité
devenue distance, c'est un bon coup dans les cojones du moral itself. Le calme retombe.
Sournois comme toujours. Roxan, avec sa force de Nothique, n'éprouve aucune difficulté à
redresser son ami Thanatique. Le silence est roi, installé maintenant comme un vieux boudin
sur son trône au confort approximatif. Le ciel est gris. L'ambiance est morose. Le vent souffle
mélodieusement... quoiqu'un peu fort. Molly et Roxan montrent à celui qui ne sait pas comment
utiliser une trottinette électrique. Et cela sous les iris vairs verts (c'est très drôle, oui !) d'un
observateur fort amusé par tout ce tohu-bohu causé par le trio. Il a décidé de les laisser quitter
son antre pour une raison bien précise... que je ne vous donnerais pas. Dallán sourit et il observe
les trois compagnons jusqu'à que ceux-ci soient trop loin pour être perçus par un œil humain.

De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 16 Avril 2023 à 01:47

Votre attention à toutes et à tous,

Si vous recevez ce mail, c'est parce que vous faites partie de ceux que nos supérieurs jugent
comme étant de confiance. Veuillez ne révéler aucune information issue de ce message aux
employés qui ne sont pas notifiés en tant que destinataires. Nous vous remercions pour votre
compréhension.

Nous sommes parvenus à identifier l'individu qui a attenté à nos structures en libérant de
précieux sujets d'expérimentation. Il est important de souligner que cette personne est une
menace pour l'intégrité de nos travaux et de nos services. C'est également quelqu'un de
dangereux de par son entraînement militaire et de par son passif au sein de ■■■■■■■■■. Sans
nul doute que vous la reconnaîtrez sans trop de difficulté.

[video.surveillance_30717407180353847345370]

***
De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 16 Avril 2023 à 02:03

Ne serait-ce pas Molly Werner ? La fille du capitaine Andréa Werner ? Je la pensais en mission
pour ■■■■■■■■■.

***

De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 16 Avril 2023 à 02:26

C'est justement le problème. Jusqu'à très récemment, nous recevions encore des rapports signés
Mlle. Werner. Passé l'incident du campement Wesker, plus aucune nouvelle. C'est grâce aux
efforts acharnés d'un concierge ambitieux que nous avons pu récupérer les images de vidéo-
surveillance qui manquaient à l'appel. Ce fut plutôt difficile. Vous connaissez tous très bien les
qualités de Mlle. Werner dans de nombreux domaines.

***

De : ■■■■

À : ■■■■

Date : 16 Avril 2023 à 02:32

Est-ce qu'elle est vraiment en train de faire un doigt à la caméra ? Elle s'est crue dans un film ?
Dans tous les cas, cela signifie qu'elle a effacé les preuves de ses actions criminelles et qu'elle
a feint de travailler pour nous jusqu'à qu'une opportunité se présente pour cesser ses fonctions.
Il est impératif de la retrouver au plus vite et de faire en sorte que sa démission soit définitive.

***

De : ■■■■

À : ■■■■
Date : 16 Avril 2023 à 03:00

Elle serait accompagnée des deux hybrides que nous recherchons. Si nous la localisons, nous
localisons Idris et Carter. Ne les éliminez pas. Compris ? Nous avons besoin de ces spécimens
en vie.

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