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art
des femmes
berbères

Paul Vandenbroeck

Ludion Gand : Amsterdam |Flammarion


Société des Expositions
du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles
Borderline

Cette publication voit le jour à l’occasion de l'exposition Borderline, qui présente


pour la première fois des textiles berbères en tant qu'œuvres d'art uniques, possé-
dant une valeur inestimable pour l'histoire de l'art. Ce projet est né de la fascination
esthétique et scientifique exercée sur Paul Vandenbroeck par les motifs berbères
qu'il découvrit en décembre 1990 au marché d'El-Hamma en Tunisie méridionale.
Les recherches entreprises sur le terrain en Afrique du Nord et l'étude multidis-
ciplinaire ont démontré que la tradition du tissage dans les communautés berbères
a produit un art exceptionnel et, pour diverses raisons, d'une grande actualité. Les
textiles berbères méritent une place de premier plan dans l’histoire de l’art abstrait.
Si cette place ne leur a pas été reconnue jusqu'à présent, c'est parce qu'ils ont vu le
jour dans un contexte à la fois féminin, rural et non européen — trois facteurs à
coloration idéologique qui ont entraîné un effet discriminatoire. (Un quatrième
facteur réside sans conteste dans la technique : pendant des siècles, l’art occidental
a accordé plus de valeur à la peinture qu’à d’autres techniques. Ce n'était certaine-
ment pas le cas hors d'Europe. Les cultures préhispaniques, par exemple celles des
Andes, attachaient une très grande importance à l’art textile. En 2001, le Palais des
Beaux-Arts consacrera une exposition à l'influence exercée par l’art de l'hémi-
sphère Sud sur l’art moderne et contemporain du Nord.) Borderline présente expli-
citement l’art textile comme un art autonome — comme l’est par exemple la pein-
ture abstraite européenne ou américaine —, et nullement comme un art appliqué
ou ethnographique: formes artistiques qui, à l’intérieur du canon traditionnel
d’une histoire de l’art eurocentrique, se sont vues reléguées au second plan.
Depuis les avant-gardes historiques du début du XX° siècle (constructivisme
russe, Bauhaus, dadaïsme, etc.), on est devenu de plus en plus conscient de la dis-
crimination subie par l’art textile. Cependant, il a fallu attendre les dernières
décennies pour voir la pratique contemporaine d'artistes femmes (Louise Bour-
geois, Cecilia Vicuña.…) susciter une reconnaissance définitive, et ce par le rejet de
la primauté de n'importe quelle technique ou langue visuelle. La constatation que,
pour les raisons qui viennent d’être indiquées, une pratique féminine séculaire
— dans laquelle, outre l’art textile, les installations jouaient un rôle important — n'a
pas reçu en Europe l'appréciation qu’elle méritait a incité le Palais des Beaux-Arts à
organiser en 1994 l'exposition Le jardin clos de l'âme: l'imaginaire des religieuses dans les
Pays-Bas du Sud depuis le XIIT' siècle. Borderline en est un des prolongements possibles.
Cette fois, nous tentons de démontrer que des artistes femmes ont prêté forme, au
sein de cultures différentes, à des contenus apparentés.
Les textiles berbères manifestent avec force des vues féminines qu’on retrouve
également dans la pratique et la théorie artistiques actuelles. C’est pourquoi nous
avons fait appel, pour la «contre-partie» de Borderline, à Bracha Lichtenberg Et-
tinger. Cette artiste et psychanalyste contemporaine a développé dans ses écrits
théoriques une esthétique radicalement nouvelle, où la notion de «matrixialité »
occupe une place centrale. Elle nous fournit un arsenal de concepts qui permet
d'aborder au niveau du discours langagier des œuvres, tels les textiles berbères,
difficilement accessibles — car nées dans des communautés archaïques isolées.
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Parallèlement, sa peinture offre un cadre de référence visuel contemporain à l'art
textile pratiqué par des femmes berbères anonymes et fortement enraciné dans la
tradition, C'est pourquoi l'exposition Borderline a inclus dans son parcours un
ample aperçu des peintures de Lichtenberg: spatialement, celles-ci assureront le
«passage » d'une aile du Palais des Beaux-Arts à l'autre.
En raison de cette double approche, le terme borderline revêt plusieurs signi-
fications. Les idées de Lichtenberg trouvent leur point de départ dans certaines
dimensions de l'état prénatal, la grossesse en constituant l’image centrale. Tandis
que les modèles psychanalytiques existants posent tantôt une séparation, tantôt
une totale assimilation du Sujet et de l'Autre, Bracha Lichtenberg Ettinger attire
l'attention sur un processus qui voit des sujets partiels asymétriques (sur le modèle
de la grossesse: le non-encore-enfant et la non-encore-mère), se connaissant et ne
se connaissant pas, engagés dans une relation d'échange réciproque. L’acceptation
de la nature propre de l'autre est essentielle ;le non-moi n’est ni assimilé, ni rejeté.
Ainsi naît une éthique de l'échange, de l'acceptation et de la solidarité. À partir du
«contact frontalier» ainsi que de l'intuition et de l'ajustement continuels de la
nature propre et de la diversité, la capacité de créer une signifiance se développe, le
long de «lignes de démarcation» toujours changeantes — borderlines —, entre les
sujets (partiels). Ce regard sur la genèse de la signifiance — et de l’art s'est construit
à partir d'un point de vue féminin. Une série de peintures de Lichtenberg porte
d'ailleurs de façon appropriée le titre de «Matrix-Borderline ».
Le terme borderline s'applique par ailleurs parfaitement aux textiles berbères, et
a priori à chaque forme d'art textile, puisque le tissage part toujours et inévitable-
ment de la marge et non d'un concept prédéterminé et se déployant à partir du
centre, Aussi l'art textile, pratiqué par des femmes dans diverses cultures du
monde entier, est-il par excellence le véhicule permettant de prêter une base, au
niveau de l'histoire de l'art, à ces conceptions féministes.
Borderline présente des œuvres d'art considérées au mieux, dans la plupart des
institutions européennes, comme matériau ethnographique. Parce que nous les
traitons d'une façon radicalement différente et soulignons leur valeur d'actualité,
nous avons fait appel pour l'architecture d'exposition à Zaha Hadid, une architecte
de renommée internationale. Sa vision et ses réalisations dans le domaine de l’ar-
chitecture contemporaine et des installations d'expositions se rapprochent des
modes de signifiance que nous découvrons dans les textiles berbères et dans
l'œuvre de Bracha Lichtenberg Ettinger. Seule une architecture telle celle de Hadid,
où le concept de mouvement joue un rôle important, nous semble convenir à la
présentation d'œuvres d'art qui mettent en question nos conceptions esthétiques
courantes.
L'apport de Zaha Hadid, architecte d'origine iraquienne établie à Londres, et de
Bracha Lichtenberg Ettinger, artiste et psychanalyste travaillant à Paris et à Tel-
Aviv, accentue le caractère cosmopolite de Borderline.

Piet Cocssens

0
Table des matières

Avant-propos : Borderline V1

Introduction

Les Berbères 19

Des millénaires d'art textile AI

Un tissu de sens 83

Métamorphoses de l'œil 109

Idéogramme et code 173

L'œil de la matrix 257)

Bibliographie 276
s'«

si

“1
Tapis aux points noués, Mhafd, Rehamna (Maroc), XIX® siècle (270 x 170 cm).
4 En
Introduction

Pour l'amateur d'art contemporain, les textiles berbères appartiennent à l’art


«ethnographique ». Pourquoi dès lors ces œuvres se retrouvent-elles au Palais des
Beaux-Arts, institution prestigieuse qui, depuis 1928, consacre son activité artis-
tique à l’art moderne occidental ?Serait-ce parce que les tapis berbères font penser
à plus d’un égard à l’art occidental du XX° siècle?
Le concept «beaux-arts», tel qu'il s’est manifesté dans les collections ou dans
l’activité d’un grand nombre d'institutions culturelles du XX! siècle, trouve son
origine dans l'esthétique bourgeoise du XIX siècle. Fondamentalement ethnocen-
trique et élitiste, celle-ci répondait aux aspirations des classes supérieures de la
société européenne. Seules la production artistique historique qui était destinée à
l'élite européenne et la continuation moderne de cette production étaient considé-
rées comme dignes de figurer dans un musée. Le reste était de l'art populaire» ou
«ethnographique». Cette vision procédait d’une foi inébranlable dans la supério-
rité de l’Europe et plus précisément de la culture dominante en Europe.
L'Europe du XIX° siècle était assurément supérieure dans les domaines mili-
taire et technologique, comme le prouvèrent la colonisation et la domination du
reste du monde. Cependant, il est apparu entre temps que la foi dans la prédomi-
nance artistique de l’Europe n'était qu'une chimère. Chaque société, chaque cul-
ture possède ses propres formes d'expression plastique et il n'existe aucun argu-
ment permettant de considérer a priori l'une comme supérieure ou inférieure à
telle autre.
Nous rangeons dans la catégorie «beaux-arts» toute expression plastique
propre à une culture et stylisée selon une esthétique déterminée. Cela ne signifie
pas que nous considérions toutes ces expressions comme équivalentes. De même,
la différence de nature de l’art élitiste par rapport à l’art populaire ou de l’art euro-
péen par rapport à l’art non européen reste une question pertinente, mais il
convient de reconsidérer l’idée d'une hiérarchie qualitative qui reste implicite dans
ce genre de distinctions.
La force expressive de l'œuvre d'art n’est pas simplement fonction du raf-
finement technique ni de l'«authenticité primitive» de son créateur. Nombreux
sont les paramètres dont dépend la qualité d’une création artistique. Dans la pers-
pective qui nous intéresse, il s'ensuit que nous ne pouvons pas affirmer a priori
qu'une peinture européenne possède une valeur artistique supérieure à celle d’un
textile berbère, ni affirmer l'inverse.
Faut-il dès lors déterminer par de minutieuses comparaisons le surplus de qua-
lité que posséderait telle ou telle œuvre? Certainement pas, mais on ne peut pas
prôner par ailleurs une forme d'apartheid. On ne peut pas interdire la comparaison
des œuvres. Toutes les créations artistiques, quelle que soit leur origine, ont le
«droit » de se mesurer entre elles. Nous ne voulons pas affirmer par là que l'origine
et la fonction ne sont pas pertinentes et peuvent être oubliées. Bien au contraire.
Comme ces arts sont toujours conservés dans des institutions différentes et que les
chercheurs qui s'en occupent ne pratiquent pas d'échanges mutuels, le système des
_«castes » se maintient. Une étude approfondie des traits caractéristiques de ces arts
n’a pas lieu. Pourtant, seule une confrontation peut faire ressortir les différences et
les correspondances de forme et de contenu.
À notre époque, qui voit s'ouvrir les portes du monde entier l'homme acquiert
le privilège autrefois inconcevable de la découverte des réalisations artistiques et
culturelles de nombreuses autres cultures. Le temps du nombrilisme culturel est
révolu. Nous ne voulons pas plaider ici pour le développement d’une mentalité de
supermarché artistique, qui verrait l'amateur s'approprier les créations d’autres
cultures en effectuant un choix sauvage parmi la profusion des marchandises
offertes. Cela équivaudrait à une nouvelle colonisation, cette fois mentale. Non,
nous prônons une exploration de ce qui est «autre » et un auto-ajustement continu
à partir de ce contact qui devrait de façon idéale se produire dans toutes les direc-
tions. Nous ne plaidons pas davantage pour un pot-pourri culturel à l'échelle
mondiale. La culture du terroir est encore toujours un concept mythique, glorifié
surtout par des forces politiques conservatrices guidées par l'angoisse, concept
dont personne ne parvient à donner une définition. Grâce à une exploration de
l’autre, un début de véritable connaissance culturelle de soi devient possible
— quelle que soit la direction choisie.
Ce processus de reconnaissance, d'exploration, est déjà entamé. Les vingt der-
nières années, un glissement s'est produit dans les rapports de l'Occident avec
l’art. Auparavant, l’art de ce continent était extrêmement eurocentrique. L’atten-
tion portée à l’art non européen se concentrait sur les «grandes » cultures, les cul-
tures « primitives » occupant un niveau différent. Sous la pression d’un commerce
de l’art tendant à une expansion continue et, par ailleurs, à titre d’effet différé de
l’exotisme et du primitivisme des sous-cultures occidentales des années soixante,
on a vu naître récemment un intérêt énorme pour l’art du tiers monde. Ce phéno-
mène a eu des conséquences indéniablement positives. On a répertorié un patri-
moine artistique et culturel jusqu'alors négligé. Par le passé, l'étude de l’art euro-
péen absorbait la majeure partie de l'attention et de l'énergie.
Tant d’autres sociétés possèdent une richesse culturelle que vient cependant
menacer l’occidentalisation rapide des structures socio-économiques. C'est le cas
du Maghreb. Niles «élites » locales, ni la recherche européenne ne se préoccupent de
ce problème. Grâce à l'intérêt manifesté par les nouveaux amateurs, des œuvres
d’art vouées à la disparition ont pu être achetées et sauvées. Toutefois, ces amateurs
ne s'intéressent qu'à la valeur financière et/ou esthétique des pièces. Ils n’ont aucune
attention pour l'étude iconographique, qui est difficile et prend du temps. Ils ne sont
pas enclins à exécuter dans des conditions ingrates des recherches sur le terrain.
La responsabilité du petit monde scientifique est également engagée. Les
anthropologues ont prêté très peu d'attention à l’art des sociétés qu'ils étudient. Ils
possèdent pourtant une formation qui leur permet d’avoir accès aux aspects re-
latifs au contenu des œuvres. Quant à la collaboration entre amateurs d'art et
scientifiques, elle est rare.
Tapis ras haml, Tunisie du Sud,
Si les nouveaux intéressés (et groupements d'intérêt) ont sauvé récemment de
XIX°—-début XX siècle. nombreuses œuvres fragiles, il reste qu'une quantité importante d'informations
relatives à ces œuvres s’est perdue. C'est d'autant plus navrant qu'on ne peut plus
retrouver ces données par le biais par exemple de sources écrites: elles restent
[O «cimentées » dans la vie concrète des personnes et des groupes à qui ces œuvres
étaient destinées.
Dans la perspective qui est la nôtre, le problème est double. D'une part, nous
sommes confrontés aux questions portant sur l'utilité, la nécessité et les dangers
des rapports avec l’art non européen, rapports grevés par des siècles de supériorité
politico-militaire. D'autre part, fait important, l'art du textile, qui nous intéresse
ici, a été un art féminin. Réveillés par les aspirations justifiées du féminisme, nous
savons aujourd’hui à quel point le regard masculin, masqué en vision universelle, a
dominé durant des siècles l'intérêt pour l’art (et pour d'autres expressions cultu-
relles). Pendant ces deux dernières décennies, les champion(ne)s de la women’s his-
tory ont tenté de réhabiliter un grand nombre d'artistes femmes. Celles-ci avaient
été consciemment ou inconsciemment contrecarrées, puis oubliées par l'effet des
lois et des taches aveugles d’une culture misogyne. Il valait la peine d'arracher ces
artistes à un oubli injuste. Malheureusement, il semble bien que ces découvertes
n’ont corrigé que très partiellement le cheminement de l’histoire de l’art en Occi-
dent. Les lignes de force restent intactes. C’est là que le bât blesse. Toutes les tenta-
tives de réhabilitation de tant d'artistes femmes du passé n'ont pas pu empêcher
que le canon artistique dominant — et donc masculin — ne soit à aucun moment
mis en question. On cherchait des artistes femmes qui étaient bonnes «égale-
ment », ou «aussi» bonnes. On cherchait des individus. L'intérêt artistique basé sur
le personnalisme s’est donc trouvé prolongé et transféré au domaine des artistes \
femmes. Mais de quelles artistes ? Car comment, pourquoi et par l'intermédiaire de
qui sont nées les disciplines artistiques dominantes ?Sculpture, peinture, arts des
métaux: dans quelle mesure sont-ils spécifiques d'un sexe? Ces disciplines
n'étaient-elles pas «masculines»? Ne furent-elles pas développées et pratiquées
par des hommes ? La spécificité sexuelle des formes artistiques est liée d’une part à
une préférence esthétique et technique, d’autre part à la possibilité d'intégrer ces
formes dans un rapport de forces économiques :qu'est-ce qui est rentable, qu'’est-
ce qui ne l’est pas?
» ,Les artistes réhabilitées par l’historiographie féminine récente sont des femmes
qui parvinrent à s'imposer avec plus ou moins de succès dans une discipline artistique
dont les normes étaient établies par des hommes. Dans une certaine mesure, elles
étaient obligées, ce faisant, d'accepter et d'appliquer ces normes. Cette «accultura-
tion», cette soumission aux normes masculines les obligeait peut-être à se trahir elles-
mêmes, à faire abstraction de leur propre sensibilité. Quel degré de «masculinité »
devaient-elles atteindre comme artistes afin de pouvoir s'affirmer dans ce circuit ?
Le principal bastion de l’art féminin, et le dernier à tomber, fut l’art du textile.
Les hommes ne se sont approprié ce domaine que par paliers successifs. Songeons
à la tapisserie et aux autres arts du textile qui furent annexés par les hommes dans
la mesure où ils pouvaient être insérés dans le circuit commercial et devenaient
donc économiquement rentables. Cependant, le textile à usage domestique resta
un art féminin, jusqu'au moment où la mécanisation et l’industrialisation
(XVIIT et XIX! siècles) rendirent également possible la fabrication rentable de pro-
duits destinés à l'usage quotidien. Le même phénomène s’observe dans quelques
sociétés non européennes grâce à l'existence de centres urbains importants ou de
(a) Oulmès, détail.
cours aux moyens financiers considérables, par exemple en Perse et dans l'Empire (b-d) Terre cuite, Susa |, Iran du Sud,
ottoman. Des spécialistes masculins y monopolisèrent certaines branches de l’art âge du bronze.

du textile, pour autant que celles-ci fussent rentables.


Dans l'Europe des XIX° et XX' siècles, presque tout le secteur textile se retrouva
entre des mains masculines. Ce ne fut pas le cas au Maghreb. Dans le domaine éco-
nomique, cette région resta en marge de la grande évolution méditerranéenne.
Jusqu'au XX“ siècle, de grandes parties de la population connurent une économie de
_ subsistance archaïque (paysans et bergers). Une forme très ancienne d'art du textile,
h :
presque entièrement entre les mains de femmes, continua à prospérer. Ce travail se
situait essentiellement hors de l'économie monétaire et du cadre de vie masculin.
L'historiographie culturelle, tant officielle que féministe, est restée trop ethno-
centrique dans sa quête d’un «art féminin». On s’est concentré sur son propre
milieu :Europe et États-Unis. C’est à juste titre que des féministes du tiers-monde
ont à plusieurs reprises blâmé l'ethnocentrisme du féminisme occidental. Ce
reproche concerne aussi la manière de considérer l’histoire de la culture: la quête
visait des artistes femmes (a) importantes, (b) occidentales et (c) professionnelles.
Comme leurs confrères masculins, les théoriciennes féministes occidentales
étaient également des «intellectuelles » et donc presque toujours inconsciemment
tributaires des conceptions culturelles occidentales propres à ces milieux. Sans
doute ont-elles apprécié le travail pratique et défendu les droits de leurs sœurs
pauvres et illettrées, appartenant au «peuple», mais elles n’ont pas connu leur art
ou ne l'ont pas évalué à sa juste valeur.
De quel art s'agit-il? Dans de nombreuses sociétés rurales traditionnelles, l’art
principal est le tissage. Celui-ci était généralement entre les mains de femmes ano-
nymes. Ces cultures n’investissaient pas leurs maigres surplus économiques dans
la fabrication d'objets inutiles mais employaient leur sens de la beauté et de l’ex-
pression plastique à la création d'objets d'usage courant. C’est cet aspect utilitaire
qui explique que l'Occident ait refusé de voir de l'art» dans ces œuvres.
En général, l’art féminin traditionnel ne se limite pas à l’art du textile. Les évolu-
tions récentes nous ont familiarisé avec l’art des installations, le body-art, l’art pro-
cessuel, l’art conceptuel, etc. Fait nouveau: ces formes, comme leurs noms l'indi-
quent, sont aujourd’hui élevées au statut d'art. Mais elles existaient en fait depuis
longtemps: seule l'étiquette artistique est neuve. Ce sont souvent des femmes qui se
sont consacrées précisément à de telles formes, mais ce serait faire preuve d’une
approche trop anachronique et ethnocentrique que d'employer ces expressions
artistiques récentes comme critère dans l'appréciation de l’art féminin traditionnel.
Par contre, il est certain que les témoignages contemporains en la matière nous ont
ouvert les yeux sur des créations parallèles dans les cultures traditionnelles.
Nous proposons d'approcher à l'échelle mondiale l’art féminin selon une
distinction qui s’enracine dans l'expérience journalière :entre le «travail » avec le
corps et l'environnement, et la création d'objets qui peuvent mener une vie propre.
Pourquoi le travail avec le corps ou body-art? Toutes les sociétés traditionnelles,
qualifiées par l’orgueil occidental de «primitives», partent de la conviction que
l'homme naturel est inachevé: le corps brut, sauvage, doit être poli, parachevé,
esthétisé. Il existe un nombre infini de techniques permettant de faire répondre le
corps humain aux normes de beauté (partout différentes). L'éventail s'étend des
opérations effaçables, temporaires (peinture, maquillage, habillement), aux inter-
ventions douloureuses, définitives et même mutilantes (déformation du crâne,
joyaux implantés dans la peau ou forgés autour des chevilles ou des poignets, cica-
Bakhnougq, Chenini (Tunisie du Sud),
XIX=—XX siècle. trices décoratives, scarifications, tatouages…). Notre société actuelle connaît éga-
Détail: motifs latéraux. lement ces interventions: chirurgie esthétique, liftings, teinture des cheveux, len-_
tilles colorées, bronzage, régimes. Une artiste telle qu'Orlan fait de cette recherche
de la «femme parfaite» l'œuvre de sa vie: elle se soumet coup sur coup à des inter-
12 ventions chirurgicales et documente à l’aide de photographies la douleur qu’elles
représentent.
Le corps est en effet la première et principale matière de l'art; son auto:
représentation dans les relations sociales est extrêmement importante. Les artiste
femmes pratiquant aujourd'hui la «performance» s'en rendent parfaitement
compte. Dans la plupart des cultures, les femmes font preuve d'une activité consi-
dérable en tant qu'xartistes corporelles ». Ce body-art traditionnel revêt de nom-
breuses significations symboliques dont la plupart ne sont pas déchiffrées à
l'heure actuelle. Dans la culture berbère traditionnelle, le tatouage, la peinture
temporaire du visage, des mains et des pieds, l'usage surabondant de bijoux et l’ha-
billement jouent un rôle très important dans la transformation du corps féminin
en une silhouette généralement hiératique, porteuse d'une image de soi variée
mais implicite. La frivolité, la légèreté et la coquetterie sont rarement de la partie. Il
s’agit plutôt d'une gravité solennelle, ou même d'une sévérité. À plus d’une reprise,
les observateurs occidentaux de la fin du XIX° et du début du XX° siècle, à une
époque où l'aspect traditionnel n’était pas encore corrodé par la «modernisation»,
ont comparé les femmes berbères aux «matrones» de l'Antiquité méditerra-
néenne. Cette modification du corps féminin est très riche de sens. Elle révèle une
image de soi, de même que les exigences socioculturelles posées aux femmes ou la
contrainte qu’elles subissaient. Cependant, dans la culture berbère, les femmes
elles-mêmes — ou mieux, les traditions féminines — déterminaient la nature de leur
parure. L'arrière-plan de ces traditions très complexes de joyaux, tatouages, habits,
etc., prêterait une dimension supplémentaire à ce que l’art du textile nous apprend
au sujet de cette civilisation.
À côté de l'art corporel», il convient de citer le «travail » se rapportant à l'envi-
ronnement. Dans pratiquement toutes les cultures, les femmes sont associées à
l’intérieur » et les hommes à l’«extérieur». L'habitation, le «foyer», le lieu abrité et
protégé a toujours été principalement un domaine «féminin », où la relation entre
les sexes trouve de nombreuses façons son expression symbolique. L'habitation
est une entité exigeant une contribution double: architecture et décoration. La
construction est généralement une tâche masculine (sauf chez les nomades, où le
tissage de la tente appartient également à la sphère féminine). L'aménagement de
l'intérieur est toujours une tâche féminine.
La femme au foyer prête une forme symbolique à sa vision de l'habitation, de la
vie quotidienne et des structures de la vie familiale. Un tissu, la disposition des élé-
ments, la création d'une ambiance: qu'il soit simple ou prétentieux, l'ensemble de
l'aménagement de l’intérieur représente un univers de significations qui insèrent la
vie quotidienne des habitants dans un cadre unifiant. Les femmes ont toujours été
de grandes «installatrices », ce qui s'explique évidemment par le rôle social qu'elles
jouent depuis des milliers d'années (de leur propre gré et/ou sous la contrainte):
elles sont celles qui unissent. L'espace quotidien est rendu viable en fonction des
contacts sociaux à la simple échelle domestique. Il s’agit de la matérialisation d'un
art de vivre. Dans le tissage lui-même, c'est d’ailleurs l'acte d’unir qui est primordial.
Entrelacement de la chaîne et de la trame, nouage: tisser, c'est unir. Ainsi, l’activité
textile offre un analogon du tressage continuel de relations entre les personnes.
Le tissage et la création d’un tissu social à échelle réduite étaient deux expres- Adrar, Ida ou Nadif, Anti-Atlas (Maroc),
sions analogues d’une seule préoccupation. Précisons que le tissage n’est pas qu'un XIX°=-XX® siècle.

art formel: il est aussi le véhicule d'innombrables messages. Les motifs des tissus,
abstraits ou figuratifs, étaient, plus que décoratifs, porteurs d’un contenu. À cet
égard, les textiles offrant un répertoire de motifs abstraits sont particulièrement
difficiles à déchiffrer.
Cet art se retrouve à la charnière de deux époques. La mondialisation du capi-
talisme et la modernisation soumettent toutes les sociétés traditionnelles à des
transformations radicales. Ainsi disparaissent également les conditions de la via-
bilité du tissage, art transmis de génération en génération depuis des siècles: l'ico-
nographie traditionnelle se perd ou est intégrée de façon absurde dans un art pour
touristes. Souvent, la génération la plus ancienne est la seule capable de déchiffrer
encore ce «langage». Le tissage possède pourtant une position clé: dans la zone
euro-méditerranéenne, il est le seul art descendant en droite ligne de l’art néoli-
thique (dont il ne subsiste que des céramiques). Une meilleure compréhension de
cet art pourrait imprimer une nouvelle direction à notre connaissance de la pré-
histoire culturelle de cette région, et donc également de l'Europe.
Mais le temps presse. Celui qui séjourne pour un temps dans le tiers-monde sait
quel niveau dramatique la destruction culturelle atteint dans les régions où la
«modernisation» progresse. Nous n'affirmons pas que cette modernisation ne
pourrait pas avoir lieu, mais il est clair qu'elle va toujours de pair avec une instru-
mentalisation de la vision du monde et une désarticulation de la culture et de l'art
féminins traditionnels. De nouvelles formes artistiques naïîtront sans doute après
cette phase chaotique, mais il importe entre-temps de sauver les vestiges d’unetra-
dition, à la fois comme témoignage de ce qui fut, comme source d'information, et
comme source de beauté.
Cela dit, comment devons-nous «lire» et comprendre cette information? Lart
des tisseuses berbères, comme celui de leurs consœurs dans tant d’autres cultures,
était presque exclusivement abstrait. Il ne tend pas à limitation de la nature ou à la
représentation d'êtres ou de formes reconnaissables. Si nous sommes en quête de
structures universelles dans les expressions artistiques, nous verrons probable-
ment se dessiner, à l'échelle mondiale, une dichotomie: l’art féminin tend à l'abs-
traction, l’art masculin à la figuration (ce qui accroît l'importance de la question de
savoir pourquoi l’art masculin occidental découvre l’abstraction tout au début du
XX siècle). Une différence liée au sexe est responsable de cette distinction. Les
femmes n'éprouvaient pas le besoin d’imiter la nature dans leurs créations: elles
possèdent déjà le monopole biologique de la reproduction. (Est-ce un hasard siles
hommes, qui ne peuvent pas mettre d'enfants au monde, ont recherché, par un
mimétisme enfantin, une figuration fidèle à la nature? Dans le domaine religieux,
cette tendance s’est stylisée par la conception de démiurges masculins et connaît
aujourd'hui, à travers la tentative d’autocréation entreprise par l’humanisme
contemporain, un nouveau sommet avec la fixation masculine sur les robots, l’in-
telligence artificielle et la recherche obstinée du code de la vie dans l'ADN.)
L'art des femmes berbères présente deux styles d’abstraction: l’un d'aspect
spontané qui donne naissance à une énorme variété de formes et de compositions,
l'autre strictement réglementé et produisant des motifs rigoureusement géomé-.
triques. Quelles significations cet art revêt-il? Que nous apprend-il sur les expé-
riences, les valeurs, les conceptions spécifiques de ces artistes et de leur société et
que nous ne retrouvons pas dans l’art «masculin»? Le style «spontané», surtout,
Adrar, Ida ou Nadif, Anti-Atlas (Maroc), fait souvent penser à des œuvres produites par l’art occidental du XX° siècle. Si des
XIX=-XXE siècle. designers, des architectes et des collectionneurs ont apprécié ces œuvres textiles J

dant, cette attitude reste ethnocentrique, car elle se fonde sur des normes o 1-
14 tales : on apprécie une œuvre parce qu'elle semble « si moderne». Or, le style textile
des femmes du Maghreb est bien plus ancien que celui des avant-gardes occiden
tales. Il n’est pas question d'influence. On a cru en Occident que les avant-ga
uniquement du côté masculin. Il y a longtemps de cela, des femmes vivant en
ségrégation et dans des sociétés archaïques ont créé un art abstrait. L'artiste tradi-
tionnelle produisait un «art domestique »: liée à un code de comportement rigou-
reux, à sa famille et à sa maison, il n'était pas question pour elle de trouver l’ins-
piration dans l'excès. Elle n'était guidée que par des stimuli minimes et un
nomadisme intérieur. Là où l’artiste moderne explore les limites dans son com-
portement concret, l'artiste traditionnelle cherchait uniquement le dépassement
de frontières intérieures et artistiques.
À quelles sources puisait cet art?Quels processus mentaux conduisaient à son
actualisation? Dans leurs recherches innovatrices des années soixante-dix, les
principales théoriciennes françaises se situant à l'intersection du féminisme et de
la psychanalyse, entre autres Luce Irigaray, Hélène Cixous et Julia Kristeva, ont
attiré l’attention sur l'impossibilité pour les femmes (non au sens abstrait, mais en
parlant de la culture occidentale) de s'exprimer de façon adéquate par le biais de la
parole et de l’image. Cette impossibilité est déterminée historiquement et culturel-
lement. L'univers symbolique dominant, tel qu'il s'est formé durant des siècles
(ou millénaires?), est une structure «masculine ». Ce sont les hommes qui contrô-
laient les «médias »: les appareils idéologiques (enseignement, religion, science,
littérature) et l’usage officiel de la langue. Il s'ensuivait que les femmes qui sou-
haïtaient se servir de la parole ou de l’image (par exemple dans une intention
d’auto-expression) devaient se rabattre sur un matériau «étranger», sur des
formes, des concepts et des expressions forgés par d’autres. Cette situation ne
pouvait que déboucher sur l'aliénation des femmes et renforcer leur retrait des
domaines de la langue et de l’image.
Aussi Irigaray affirme-t-elle non sans raison que seule la mystique a subsisté
comme terrain «féminin » dans l'Europe du dernier millénaire. En effet, l'essence
de l'expérience mystique ne consiste pas en «visions» et en phénomènes
«étranges », comme le veut une croyance moderne très répandue, mais dans le
dépassement de la parole et de l’image. Le franchissement de cette frontière ouvre
des possibilités, d'un ordre différent et paradoxal, d'accomplissement à travers
l'auto-anéantissement.

Le Palais des Beaux-Arts organisa en 1994 une exposition intitulée Le jardin clos de
l'âme et consacrée à l'art féminin provenant des couvents et béguinages de Bel-
gique. L'objectif était non seulement d'enrichir la connaissance historique d'un
patrimoine artistique négligé, mais surtout de comprendre ce qui touchait et ins-
pirait des femmes (non pas individuellement mais en communauté) au plan intel-
lectuel, artistique, affectif et existentiel. Les communautés religieuses offraient à
cet égard un point de départ idéal: elles avaient l'occasion de développer leur
propre modèle culturel, et ce bien plus que les femmes vivant «dans le monde », qui
se trouvaient constamment sous contrôle masculin. En outre, ces communautés
étaient économiquement indépendantes. Elles possédaient les moyens de prêter Foulard, Jebel Gharyan (Libye-Tunisie),
une forme artistique à ce qui était important pour elles. XIX°-XX' siècle.

Dans le cadre de la deuxième étape d'un projet pluriannuel, Azetta. L'art des
femmes berbères se propose de fournir une contribution à l'étude d'un art féminin
présent autrefois dans le monde entier mais pratiquement effacé aujourd'hui par la
modernisation, et qui, même s’il n'obéit pas aux normes d'un art masculin profes-
sionnel, élitiste et lié à la spécialisation, n'est nullement de qualité inférieure. Nous
avons choisi de nous intéresser au Maghreb. Dans ces pays du bassin méditerra-
néen, les femmes ont conservé jusqu'en ce siècle une riche tradition artistique.
Celle-ci est essentiellement berbère et rurale, et centrée sur le textile. Jusqu’il y a
peu, la société traditionnelle de ces contrées se caractérisait par la ségrégation des
sexes : femmes et hommes vivaient dans leur propre environnement. Grâce à cette
séparation, les femmes disposaient d’un «espace libre» où elles pouvaient expri-
mer sur le mode artistique ce qui importait à leurs yeux. En Europe, par contre, la
disparition progressive de cette ségrégation permit au contrôle masculin de
s'étendre pendant des siècles à l'ensemble d'une société unifiée.
Le modèle général est donc, par-delà les frontières des cultures, le même que
celui étudié dans Le jardin clos de l'âme: il s'agit de formes artistiques authentiques et
de l'expérience qui s'y rapporte au sein de communautés féminines. L'«art touris-
tique » actuel ou l’imitation rurale de l'art textile urbain ne sont donc pas pris en
considération.

Seules les artistes elles-mêmes et leurs consœurs pouvaient comprendre les


formes d’un art qui, à l'intérieur comme à l'extérieur de leur cercle, ne faisait jamais
l’objet d’un commentaire discursif. Il s'agit de créations indéchiffrables à l’aide des
méthodes de l’histoire de l’art. Elles sont fondées principalement sur des processus
non métaphoriques, non symboliques. Pourtant, les représentations — qui, en fait,
ne re-présentent rien — possédaient pour ces femmes une signification profonde.
Mais à quoi réfèrent dès lors les signes de cet art, pour autant qu'ils possèdent une
référence ?Comment faut-il comprendre cette iconographie an-iconique et a-sym-
bolique, et d’où vient-elle?
D'un point de vue historique, l’art textile des femmes maghrébines est plus
ancien que n'importe quelle forme artistique du bassin méditerranéen (ou d’Eu-
rope). Il remonte, comme on le verra, à la fin de la préhistoire et plus particulière-
ment au néolithique. N'est-ce pas là une affirmation par trop audacieuse?Il y a dix
ans, une équipe interdisciplinaire (James Mellaart, Belkis Balpinar, Udo Hirsch)
essaya de démontrer la continuité du néolithique anatolien (Çatal Hüyük) et du tis-
sage rural anatolien. La communauté scientifique eut à cet égard, et pour diverses
raisons, une réaction de net rejet. À notre avis, pourtant, ces chercheurs avaient
raison. Le même problème se pose dans le cas de l’art textile nord-africain. Celui-
ci doit être placé maintenant dans une perspective historique, et il est possible de
répondre à la question de la continuité d’un art féminin —en ce qui concerne le bas-
sin méditerranéen, c'est-à-dire au point de rencontre de trois continents — à l’aide
d'un nouveau paradigme. La fameuse «longue durée» de Braudel se révèle bien
trop courte dans ce contexte. Derrière l’art textile berbère se cache une histoire de
plusieurs millénaires.
D'un point de vue ontologique, cet art ne découle pas d’un processus de symbo-
lisation, tel que nous le connaissons dans l’art antérieur à l’abstraction, où il est à
chaque fois question de la représentation d'un être matériel ou de la per-
Adrar, Ida ou Nadif, Anti-Atlas (Maroc), sonnification d’un concept immatériel. Un tel processus, qui implique sans excep-
XIX—XXS siècle. tion un remplacement àl’aide de symboles, de métaphores et de métonymies, est
dit «phallique » dans la terminologie psychanalytique. L'idiome de l’art textile ber-*
bère relève en partie de ce processus, mais également d'un autre système sémio-
tique. Ce n'est que très récemment, grâce aux contributions théoriques de Bracha
Lichtenberg Ettinger, artiste et psychanalyste, qu'une certaine lumière a été projetée
sur une dimension du développement du sujet et un principe créateur qui peuvent
être dits «matrixiels». Même si cette théorie se situe encore partiellement à un
niveau hypothétique, elle réalise une percée fondamentale vers un paradigme de
«signifiance féminine » en général et de création artistique en particulier. On soup-
çonnait jusqu’à présent l’existence de cet outillage psychique, mais sans disposer
des catégories mentales et des concepts linguistiques permettant de le théoriser.
Il s'ensuit qu’une quantité de créations artistiques féminines, surtout dans le
domaine du textile et de l'assemblage, n’ont pas été reconnues comme telles. Cette
terra incognita tombait en dehors du discours artistique disponible — masculin et
analytique — et restait donc inaccessible. Le discours artistique en vigueur ne pou-
vait que rejeter, « démontrer » qu’il ne s'agissait pas d’art. Pour accéder au monde du
textile berbère (et d’autres formes d'art féminin, textiles ou non), ilimporte de s'af-
franchir du discours artistique masculin et des conceptions «phalliques» de la
signification. Le cadre conceptuel et linguistique dans lequel nous abordons l'art et
la capacité créatrice doit être mis en discussion et complété par un autre modèle,
celui de la matrix. Celle-ci est modelée sur certaines dimensions de l’état prénatal,
qui ont été refoulées par la culture masculine dominante. Ainsi, nous pouvons
commencer à faire droit à une dimension féminine de la signification et de l’ordre
symbolique, peut-être plus fondamentale que le système phallique pour le déve-
loppement du sujet et pour toute éthique.
Le modèle matrixiel se fonde sur l’image de la gestation, c’est-à-dire d’un pro-
cessus où les sujets asymétriques (le non-encore-enfant et la non-encore-mère),
qui se connaissent et ne se connaissent pas, vivent une relation d'échanges réci-
proques. Le non-moi n'est ni rejeté ni assimilé: l'acceptation de l'être propre de
l'autre est essentielle. Ainsi naît une éthique de l'échange, de l'acceptation, de
l'adaptation et de la solidarité. Par-delà les lignes frontières toujours fluctuantes
des sujets partiels se développe un processus de signification fondé sur l'intuition
continuellement ajustée de l’être propre et de la différence.
En soi, cette vision s'impose comme une évidence :comment peut-on devenir
un être humain sans la croissance prénatale? La culture «masculiniste» a tenté
pendant plusieurs millénaires de refouler cette vérité. L'art textile berbère remonte
à une phase plus ancienne. Il constitue notre point de contact avec un monde qui a
été évincé par des évolutions sociales «récentes » — datant de ces deux à quatre der-
niers millénaires —, et cela parce qu'il relativise la revendication masculine à la
puissance créatrice et la réduit à des dimensions réalistes.
L'art textile berbère émane de femmes vivant en ségrégation. Pour elles, la mise
au monde d’un enfant était un acte créateur sans égal, non pas un processus dénué
d'âme, simplement enraciné dans l'ordre naturel. Leur art se développa à l'unisson
de cette expérience: le tissage était une création parallèle. Les formes de cet art
impliquent une connaissance et une éthique prélinguistiques, dessinant les lignes
de force d’une capacité féminine: corporelle, intellectuelle, artistique. Tel est le
sujet premier de l’art des femmes du Maghreb.

D:
Tapis aux points noués, Alfreja (Maroc), XIX® siècle (365 x 180 cm).
Les Berbères

Les Berbères:un groupe culturel

On soutient généralement que les Berbères sont la population primitive de


l'Afrique du Nord. On entend par là la population qui habitait la région s'étendant
de la Libye au Maroc avant l'invasion des Arabes au VII siècle. Mais depuis quand
les Berbères étaient-ils là?Et d'où venaient-ils?
Il est difficile d'apporter une réponse à ces questions. Même l'origine du mot
berber est obscure. Pendant longtemps, on a supposé que le mot était dérivé du latin
barbarus, terme par lequel les Romains désignaient les peuples «non civilisés»,
c'est-à-dire les non-Romains. Après la colonisation romaine, le nom serait de-
meuré en usage chez les habitants «civilisés» des villes puniques, romaines et
byzantines, pour être ensuite repris par l'occupant arabe à partir du VII ou du
VIII siècle’. Mais le mot berber n’est employé nulle part dans les sources latines
pour désigner tout spécialement les Nord-Africains.
Dans les sources de la Méditerranée européenne, le Maghreb est appelé «Bar-
barie » dès le XIV' siècle. Et le nom «Berber » était largement usité chez les écrivains
arabes du Moyen Âge’. Les Berbères eux-mêmes n'utilisaient pas cette dénomina-
tion. En l’absence d’une nation et d’une langue uniques, les Berbères se désignaient
par plusieurs noms dont le plus connu est amazigh, tamazight au féminin, imazighen
au pluriel. Cette expression est très courante chez les Berbères du Moyen Atlas
marocain. Dans le Nord (Rif) et le Sud (Sous), le mot est connu également, mais il
fait surtout référence à la langue. Les Touaregs d'Algérie, du Mali et du Niger
employaient des variantes phonétiques : amahegh dans le Hoggar et l’Ajjer, amajegh
au Niger et au Mali, amashegh dans les Ifoghas?. Le terme est en outre usité dans
quelques oasis berbérophones en Tunisie, dans le Djebel Nefousa situé à l’ouest de
la Libye et au sud de la Tunisie, dans le Sud-Oranais algérien, à Tidikelt et Gourara.
Le terme n’a pas cours dans les importantes régions berbères que sont la Kabylie,
le Mzab et l’Aurès (Algérie).
Il ne fait aucun doute que le mot amazigh remonte à un passé lointain. Les Égyp-
tiens connaissaient le peuple qui était appelé ainsi sous le nom de Meshwesh. L'histo-
rien grec Hérodote (VI siècle avant notre ère) appelait les tribus libyennes les
Maxyes. D'autres auteurs de l'Antiquité parlent des Mazyes, Mazaces, Mazices, etc.
Les différences découlent de la transcription phonétique de sons inconnus en grec
et en latin (gh, sh). Les auteurs classiques situent ces tribus dans diverses régions du
Maghreb. Bien que les Berbères aient entrepris d'innombrables migrations au cours
des deux derniers millénaires, cette localisation coïncide avec la situation actuelle.

1. Désiré-Vuillemin, Le monde libyco-berbère dans l'Antiquité (Documents pédagogiques africains, 7), 1964 ; Jean-
Marie Lasserre, Ubique Populus. Peuplements et mouvements de population dans l'Afrique romaine de la chute de
Carthage à la finde la dynastie des Sévères (146 A.C.-235 P.C.), Paris, CNRS, 1977, spéc. pp. 293-468: histoire
des populations : Marguerite Rachet, Rome et les Berbères, Bruxelles, Latomus, 1970. 19
2. H.T. Norris, The Berbers in Arabic literature, Londres, 1982.
3. Lamara Bougchiche, Langues et littératures berbères des origines à nos jours. Bibliographie internationale (Sources
berbères anciennes et modernes, 1), Paris, Ibis /Awal, 1997, pour une bibliographie exhaustive.
4. Stefan Gsell, Hérodote: textes relatifs à l'histoire de l'Afrique du Nord, Paris, Leroux, 1916.
L'étymologie d’amazigh est encore imprécise?. Dans certains groupes touaregs,
le mot désigne «un homme libre», par opposition à «serf». Des dizaines d'auteurs
modernes ont repris cette explication. Pourtant, avec cette version, les Touaregs ne
font que réinterpréter leur nom ethnique afin de se distinguer de la caste des
esclaves. La linguistique actuelle nous apprend qu'amazigh est un dérivé de la
racine z-gh, un lexème qui a disparu des langues berbères actuelles et dont le
contenu demeure pour l'instant un mystère. Dans le cadre de leur prise de
conscience politico-culturelle face au nationalisme «arabe» des États du Maghreb
d'aujourd'hui, les Berbères tentent de généraliser l'usage du terme amazigh en lieu
et place de berber°, qui évoque pour beaucoup d’entre eux le souvenir de la coloni-
sation et de la «définition » européenne des entités locales.
Il faut se garder de considérer le mot «Berbères » comme un terme ethnique,
voire racial. La population berbérophone est d'apparence physique très variable:
elle se compose tout autant de personnes à la peau claire et à la chevelure blonde
que de types négroïdes. Au XIX° et au début du XX siècle, les auteurs européens
ont fait montre d’un intérêt excessif pour les Berbères «blonds ». Plusieurs théories
plus où moins abracadabrantes ont vu le jour sur la parenté des Berbères «blancs »
avec les Européens. Les hypothèses les plus invraisemblables ont été échafaudées à
propos de leur parenté avec les Egéens, les Celtes, les Basques, les Caucasiens et
même avec les cultures précolombiennes. L'ensemble de ce débat s’inscrivait dans
le cadre de l'anthropologie physique » qui fit parler d’elle de 1850 environ à 1950 (et
dont le racisme nazi a été la variante la plus extrême et la plus inhumaine). Des
caractéristiques physiques (fixées selon les normes obsessionnelles de la cranio-
métrie) servaient de critères pour déterminer la «race ».
Certes, les « Berbères » peuvent en partie être caractérisés sur le plan physique et
génétique, mais ils sont avant tout un groupe défini par une culture. Ce groupe se
compose d’un mélange de sous-groupes aux origines les plus diverses : vestiges de
groupes préhistoriques «autochtones» du type Cro-Magnon (Mechta el Arabi),
proto-Berbères (?)qui seraient arrivés sur le continent africain depuis le Proche-
Orient (où exactement ?) en deux (?)vagues migratoires, groupes négroïdes de dif-
férentes souches”, vestiges de communautés phéniciennes, romaines et juives
ainsi que des tribus barbares (Vandales, Goths) qui envahirent l'Afrique du Nord
au IV° et au V' siècle depuis l'Espagne, et enfin quelques tribus de la péninsule Ara-
bique et d'Égypte, qui s’installèrent au Maghreb entre le VIII et le XIII' siècle, mais
s'y «berbérisèrent». Tous ces segments multi-ethniques — et d’autres encore, que
Photographie coloniale:
nous oublions ici — ont fait de la «culture berbère » ce qu’elle est aujourd’hui. Entre
(a) Fileuse au travail près d’une tente une période encore indéterminée de l'Antiquité et le haut Moyen Âge, ces ethnies
dans une oasis algérienne. Photo A.DI.A, ont adopté une langue berbère.
vers 1930.
(b) Le tissage d’une ghrara dans une tribu
Le territoire des Berbères s'étend sur près de 5000 kilomètres : depuis l’oasis de
nomade en Tunisie du Sud. Photo Lehnert & Siwa dans l'ouest de l'Égypte jusqu'aux îles Canaries. Aujourd'hui encore, on parle
Landrock, Tunis, vers 1900.
(c) Métier à tisser vertical et femmes
en train de filer. Photo Neurdein, Tunis, 5. Salim Chaker, « Amazigh», in Encyclopédie berbère, 4. Alger—Amzwar, Aix-en-Provence, 1987, pp. 562-568.
vers 1900. Voir, par exemple, Jornadas de la cultura tamazight, Melilla, abril 1992 (Aldaba, 19), Melilla, UNED, 1993;
Chaker 1987 (voir note précédente). “
7... Mesurer la différence. L'anthropologie physique: le savant et le Berbère, éd. G. Boetsch et al., Paris, EPHE |
Sorbonne, 1993. }
20 8. A. Militarev & V. Shnirelman, «The problem of Proto-Afrasian home and culture», in Actes du XII à
Congrès International des Sciences anthropologique et ethnologiques, Zagreb, 24-31 juillet 1988, Moscou, Nauka,
1988, pp-1-9 ;Nordafrika und Vorderasien, éd. H.G. Mensching
& E.Wirth, Francfort-sur-le-Main, 1989.
9. Werner Vycichl, «Les Berbères des îles Canaries: éléments historiques et linguistiques», in Étudeset
documents berbères, 2, 1987, pp.42-62.
un dialecte berbère à Siwa, tandis qu'à l'Ouest, les colonisateurs espagnols ont mis
fin à la culture de la population canarienne autochtone dès le XV° siècle. Cette der-
nière formait au demeurant le seul groupe berbère qui n'avait pas été islamisé et
pratiquait encore le «paganisme » —une «réserve » archaïque exceptionnelle qui fut
malheureusement exterminée ou christianisée au XV° et au XVI' siècle”.
Ce que l’on rassemble sous le dénominateur commun de Berbères, c’est un
total de plusieurs centaines de tribus. (Et c’est la tribu qui, jusqu'au XX° siècle, a
défini l'individu.) Ces tribus comptaient des milliers de fractions et de «clans ». La
culture berbère est enracinée depuis toujours dans une société tribale'°. Une cer-
taine structure fut apportée par l'instauration de confédérations. Depuis des
siècles, la population berbère est divisée en deux classes: les Botr' et les Baranis””. Le
premier nom est sans doute une déformation du mot arabe abtar, «sans lignée »; le
second est le pluriel de burnous et signifie donc «ceux qui portent de longs vête-
ments » (comme les Touaregs). Par Botr, on entendait habituellement les nomades,
par Baranis les sédentaires. Peut-être cette dénomination remonte-t-elle à une ten-
tative de caractérisation des différents modes de vie des Berbères entreprise parles
envahisseurs arabes entre le VII et le XI° siècle; la distinction entre nomades et
sédentaires existe aussi depuis des millénaires chez les Berbères, mais cela n’a pas
empêché de nombreuses tribus de changer de mode de vie au fil des siècles”.
D'après certains chercheurs, les Baranis seraient une couche de population ber-
bère ancienne qui descendrait des Mauri, Numidae et Getulae de l'Antiquité'*. Les
Botr auraient constitué un nouveau groupe berbère qui ne serait arrivé au Magh-
reb que plus tard et qui aurait été arabisé plus vite et plus facilement”. Pour l'ins-
tant, on peut seulement affirmer que la distinction entre Botr et Baranis ne repose
ni sur une différence génétique, ni sur une différence historique identifiable. Peut-
être la dénomination remonte-t-elle aux conflits qui opposèrent sédentaires et
nomades aux X°, XI° et XIT' siècles ou aux luttes entre certaines fédérations qui ont
cessé d'exister depuis longtemps".
Outre la subdivision en grande partie fictive entre Botr et Baranis, les Berbères
connaissaient une série de grandes ethnies et de confédérations de tribus dont les
rapports étaient variables: les Sanhadja, Zenata, Lawata, Masmouda.… L'histoire
de ces groupes est agitée et obscure. La trace de certaines tribus ou confédérations
remonte jusqu'à l'Antiquité, comme nous l’apprennent les sources les plus
diverses”. Les premières recherches systématiques à ce sujet ont été entreprises

10. Laroussi Amri, La tribu au Maghreb médiéval. Pour une sociologie de ruptures (Série sociologie, 6), Tunis, Faculté
des sciences humaines et sociales, 1907.
u. Lucien Golvin, «Botr», in Encyclopédie berbère, 10, 1991, pp.1564-1565 ;Aleya Bouzid, Catalogue des tribus
berbères «Butr »au Maghreb d'après les sources arabes médiévales, Tunis, Université, DEA, 1992 (une attention
particulière est accordée à huit tribus: Zenata, Nefzawa, Nafusa, Lawata, Beni Samka, Bani Warsatif,
Darisa, Beni Fatim). (d) Teinture d’un tissu ras, El Djem
12. Gabriel Camps, «Branes », in Encyclopédie berbère, 11, 1992, pp.1609-1610. (Tunisie). Photo A. Muzi, Sfax, vers 1910.
13. La dispersion de tribus homonymes à travers le Maghreb est l'indice de migrations turbulentes, même e)
( Kilims algériens à Bou Sa‘ada, vers 1910.
des groupes aujourd’hui sédentaires. Voir note 18. Photo R. Prouho, vers 1930.
14. Jean Desanges, «L'Afrique romaine et libyco-berbère», in Rome et la conquête du monde méditerranéen, 2,
Paris, PUF, 1993, pp. 627-656.
15. R.W. Bulliet,« Botret Beranès : hypothèses sur l'histoire des Berbères », in Annales. Économies, sociétés, civi-
| lisations, 36, 1981, pp. 104-116. 21
_ 16. Jacques Berque, L'intérieur du Maghreb, XV-XIX" siècle, Paris, 1978.
17. J.-M. Lasserre, Ubique populus. Peuplement et mouvements de population dans l'Afrique romaine, Paris, CNRS,
1977 : Jehan Desanges, Catalogue des tribus africaines de l'antiquité classique à l'ouest du Nil (Faculté des Lettres de
À Dakar, Publications de la Section d'Histoire, n° 4), Dakar, 1962.
ph
par l'administration française à l'époque de la colonisation de l'Algérie et du pro-
tectorat en Tunisie"? et au Maroc*°. Pour la période antérieure, il faut s’en remettre
à quelques rares ouvrages d'érudits occidentaux” ou aux documents administra-
tifs de potentats locaux comme le bey à Tunis”?, documents qui fournissent même
des renseignements détaillés sur la période avant le XVIII siècle. En ce qui
concerne la période médiévale, on dispose surtout de descriptions littéraires et
géographiques”. L'administration romaine nous a fourni sans le vouloir des ren-
seignements très précis. Dans sa tentative de garder le contrôle sur la zone située
entre la Libye et le nord du Maroc, elle a décrit tous les peuplements, camps provi-
soires (mappalia) et migrations des groupes ou tribus de cette région’*. À ces don-
nées s'ajoutent les nombreuses inscriptions monumentales de la période romaine
qui mentionnent une tribu ou un groupe”.
Avant et pendant la période romaine, on trouve d’abondantes informations sur
les Berbères dont la plupart n'ont du reste pas encore été étudiées. Mais l’histoire
des Berbères peut être retracée plus loin dans le temps, notamment grâce à des
sources écrites provenant des Berbères eux-mêmes. Il existait en effet une écriture
libyco-berbère que les Berbères désignent du nom de tifinagh et dont on connaît
plusieurs variantes. Des textes épigraphiques ont été découverts sur un immense
territoire : depuis le désert libyque jusqu'aux îles Canaries, et depuis les côtes méri-
dionales de la Méditerranée jusqu'au Niger et au Mali. Les inscriptions les plus
anciennes remontent sans doute au VI° (urne du cimetière de Rashgoun) et au
VIF siècle avant notre ère (gravures rupestres de Yagour dans le Haut Atlas)”. Cer-
taines inscriptions sont peut-être antérieures, mais les recherches n'en ont pas
encore apporté la preuve. Bien que les différents dialectes berbères aient été assez
soigneusement étudiés, plusieurs de ces inscriptions demeurent indéchiffrables.
Peut-être d’autres langues locales, vestiges de cultures plus anciennes, ont-elles
également été écrites en tifinagh.
D'autres sources démontrent que les Libyco-Berbères habitaient déjà l'Afrique
du Nord bien plus tôt. Les écrivains grecs, par exemple, ont consigné plusieurs don-
nées à propos des Libyens et de leur culture. Les passages qu'Hérodote a consacrés

18. E. Carette, Recherches sur les origines et les migrations des principales tribus de l'Afrique septentrionale et particuliè-
rement de l'Algérie (Exploration scientifique de l'Algérie, IN), Paris, Libraire Barbier, 1853.
19. Nomenclature et répartition des tribus de la Tunisie, Chalon-sur-Saône, Secrétariat général du Gouvernement
tunisien, 1900.
20. Répertoire alphabétique des confédérations de tribus, des tribus, des fractions de tribus et des agglomérations de la
Zone Française de l’Empire Chérifien au 1” novembre 1939, Protectorat de la République Française au Maroc, Secréta-
riat Général du Protectorat, Service du Travail et des Questions Sociales, Casablanca, 1939 (mentionne 74 confé-
dérations, 619 tribus, 3143 fractions et 24193 cantonnements). Voir également la série Villes et tribus au
Maroc. Documents et Renseignements publiés sous les auspices de la Résidence Générale par la Mission Scientifique
du Maroc, Paris, 1918 sqq.
21. Pour le Maroc, voir par exemple M. Quedenfeldt, Division et répartition de la population berbère au Maroc,
Alger, 1904.
22. Lucie Valensi, Fellahs tunisiens. L'économie rurale et la vie des campagnes aux XVII et XIX° siècles, Paris—
La Haye, 1977.
23. Hicham Djait, «Les sources écrites antérieures au XV' siècle», in Histoire générale de l'Afrique. 1. Méthodo-
logie et préhistoire africaine, éd. J. Ki-Zerbo, s.I. Jeune Afrique /Stock |Unesco|1980, pp.113-136, propose
un aperçu des sources écrites de l'Antiquité (gréco-romaine) et du Moyen Âge (arabe). «
24. Charles Le Cœur, «Les mappalia numides et leur survivance au Sahara », in Hesperis, 24, 1937, pp.29-49;
et in Gens du roc et du sable: les Toubou. Hommage à Charles et Marguerite Le Cœur, Paris, CNRS, 1988, pp. 209-
2 225; G. Marcy, «Remarques sur l'habitation berbère dans l'antiquité. À propos des mappalia », in Hespe-
ris, 29, 1942, pp. 23-40 ; Jean Martinie, « À propos de mappalia », in Hesperis, 36, 1949, pp.446-447; et Ray-
mond Thouvenot, «Réponse», in Ibidem, pp.448-450.
25. Bougchiche 1997 (bibliographie 1), pp. 297-306.
26. A.Jodin, « Yagour», in Bulletin d'archéologie marocaine, 5, 1964, pp. 47-116.
à la Libye” sont très importants, non seulement parce que l'historien cite des noms
de tribus, mais aussi parce qu’il nous fournit des renseignements sur leur culture”.28
Remontons davantage encore dans le temps. Les sources de l'Égypte pharao-
nique mentionnent à plusieurs reprises les Libyens” et leurs lieux de résidence*°.
Déjà sous le pharaon Snéfrou (vers 2620 avant notre ère), il est question d’une cam-
pagne militaire contre les tribus libyennes. Quatre siècles plus tard, ces tribus
menaçaient les routes commerciales menant aux oasis occidentales. De plus, les
noms qui sont mentionnés dans ces sources appartiennent à l'idiome libyco-ber-
bère*’. Les «Libyens» font clairement parler d'eux sous le pharaon Mineptah, en
1227 avant notre ère. Sous le commandement de Meryey, ils envahissent le delta du
Nil. Des sources écrites et iconographiques nous fournissent des renseignements
assez précis sur ces «barbares» nomades, leurs noms et leur apparence exté-
rieure”. Ils sont d’ailleurs représentés sur des carreaux émaillés datés vers 1170
avant notre ère et provenant du temple des morts de Ramsès III à Médinet-Habou:
nous y voyons un Libyen à la longue chevelure, avec des tatouages sur les bras et les
jambes, un pagne à losanges et un manteau richement décoré”. Tous ces éléments
nous permettent de conclure que les «proto-Berbères» et les Berbères habitent
l'Afrique du Nord depuis au moins quarante-cinq siècles.
Le berbère n’est pas une langue uniforme; il se compose d'une série de langues 4ê

ou groupes dialectaux. Le berbère est souvent appelé tamazight (féminin d'amazigh).


Ce terme désigne depuis au moins vingt-cinq siècles l’ensemble des Berbères qui
constitue un groupe difficile à délimiter. Les différentes formes de «berbère» por-
tent leur propre nom: tashelhait (sud du Maroc), tamazight (Moyen Atlas), tarifit

=>
(Rif), tashawit (Aurès, Algérie), tagbaylit (Kabylie), tashenwit (Chenoua, Algérie),
tamahaq (Hoggar, Algérie), tamzabit (Mzab), awjili (Awgila, Libye), nefusi (Djebel
Nefousa, Libye et Tunisie), parmi d’autres. D'un point de vue linguistique, le ber-
bère appartient au groupe chamito-sémitique. Cependant, les linguistes ne s’en-

&
me=
Le

27. Gabriel Camps, «Pour une lecture naïve d'Hérodote. Les récits libyens (IV, 168-199) », in Histoire de l'his- Pas
toriographie, 7,1985, pp.38-59.
?
ae
28. S.Ribinchi, «Athena libica e le Partenoi del lago Tritonis (Herodote IV, 180)», in Studi storico-religiosi, 2, VAN AANA VA
1978, pp.36-60.
29. Wilhelm Holscher, Libyer und Aegypter: Beiträge zur Etnologie und Geschichte libyscher Vôlkerschaften nach den
altägyptischen Quellen, (Agyptologische Forschungen, 4), Glückstadt, Augustin, 1955; T. Gostynski, « La Lybie
antique et ses relations avec l'Égypte», in Bulletin de l'Institut français d'Afrique noire. Série B. Sciences
humaines, 37, 1975, pp.473-588 ;F. Colin, Les Libyens en Égypte (XV' siècle a.C.—IT siècle p.C.): onomastique et
histoire, diss. Université Libre de Bruxelles.
30. Karola Zibelius, Afrikanische Orts- und Vülkernamen in hieroglyphischen und hieratischen Texten, Wiesbaden,
Reichert, 1972.
31. G. Mercier, La langue libyenne et la toponymie antique de l'Afrique du Nord, Paris, 1924; Evelyne Ben Jaafar,
Les noms de lieux de Tunisie: racines vivantes de l'identité nationale (Cahiers du CERES, Série géographique, 67),
Tunis, CERES, 1985.
32. Les sources les mentionnent parfois sous le nom de Rebu (radical r— b—w, avec métathèse 1/r); L. Stern,
«Die XII. manethonische Dynastie », in Zeitschrift für die ägyptische Sprache und Altertumskunde (Berlin), 21,
1883, pp.15-26: K. Kitckens, The third intermediate period in Egypt: r100-650 b.c., Warminster, Aris & Phil-
lips, 1986; F. Gomaa, Die Libyschen Fürstentümer des Deltas: vom Tod Osorkons II bis zur Wiedervereinigung Kilim, steppe de Kairouan (Tunisie),
Àgyptens durch Psammetik I, Wiesbaden, Reichert, 1974. vers 1920-1940.
33. Jean Leclant, «La “famille libyenne” au temple haut de Pépi 1°», in Livre du centenaire 1880-1980, Le Caire,
Institut français d'Archéologie orientale, 1980, pp. 227-237. Les sources iconographiques égyptiennes
montrent quelques traits stéréotypés des Libyens à l'époque du Moyen Empire et plus tard: une
énorme mèche de cheveux latérale ; étuis péniens ; queue d'animal fixée à la ceinture ; peintures corpo- 23
relles ou tatouages ; une ou deux plumes (d'autruche ?) dans les cheveux ; parfois un long vêtement, fait
de peaux ou tissé et orné d'éléments décoratifs. L'art rupestre du Sahara et d'Afrique du Nord repré-
sente des figures vêtues de manière analogue jusqu'en Algérie (Laghouat) et au Maroc (Figuig) (Mac-
burney 1975, pp. 498-499).
tendent pas sur le lien précis que le berbère entretient avec les langues chamitiques
et sémitiques, bien que l'on ait relevé certaines concordances avec une série de
langues africaines}* et proche-orientales”, tant vivantes que mortes (et même avec
le basque”, qui n’est pourtant pas une langue chamito-sémitique). De plus, on ne
sait pas exactement depuis quand il est question de «berbère». Comme nous
l'avons vu, le libyco-berbère de l'Antiquité nous a été transmis de manière frag-
mentaire par des sources égyptiennes et grecques, et par les inscriptions rupestres
en tifinagh. Ceci ne permet toutefois pas de se faire une idée globale de l’idiome ber-
bère à l'époque”. Tout ce que l’on peut dire dans l’état actuel des recherches, c'est
que le proto-libyco-berbère (?) remonte au III ou au IV° millénaire avant notre
ère et que cette langue était apparentée à d’autres groupes de langues nord-est-
africaines, proche-orientales et méditerranéennes”. Ces analogies pourraient être
étudiées parallèlement avec les concordances que l'on retrouve dans la production
artistique de ces groupes et celles, par exemple, de la Sardaigne”, de l’Anatolie*' ou
de l’Iran*’.… Seule une étude comparative d'une telle ampleur pourrait faire toute
la lumière sur la préhistoire des Berbères. La seule chose que nous soyons en
mesure d'affirmer pour l'instant, c'est que les Berbères peuvent se prévaloir d’une
très longue histoire. Il en va de même de leur art, comme nous le verrons plus tard.

Berbères et Arabes

Le fait que les Berbères soient considérés comme la population primitive de


l'Afrique du Nord indique que cette population a subi un changement. Celui-ci fut
la conséquence de quelques vagues migratoires survenues entre le VII et le
XHI' siècle, depuis la péninsule Arabique et l'Égypte. Les conquérants de l’époque
convertirent les Berbères à l'islam. Ce processus dura plusieurs siècles. L'arabe est
aujourd’hui la langue officielle des États du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) et de
la Libye, ainsi que des foyers du pouvoir culturel et religieux.
En Libye et dans tout le Maghreb, les Berbères sont aujourd’hui une population
rurale. Dans les grandes villes, on relève une forte immigration de Berbères
ruraux, mais ceux-ci adoptent un koine arabe, une langue usuelle qui n’a pas grand-
chose à voir avec la langue du Qur'an (Coran). Dans tous les médias, dans la poli-
tique et dans le monde religieux, l'arabe est une obligation.

34. Koushitique, ancien égyptien /copte, tchadien, nilo-chamitique.


35. Akkadien, phénicien, hébreu, arabe.
36. Voiren particulier les études du linguiste H. Mukarovsky.
37. Lionel Galand, « Du berbère au libyque, une remontée difficile », in Lalies (Paris), 16, 1996, pp. 77-08.
38. Bibliographie exhaustive jusqu'en 1996: L. Bougchiche, Langues et littératures berbères des origines à nos jours.
Bibliographie internationale et systématique (Sources berbères anciennes et modernes, 1), Paris, Awal /Ibis, 1997.
Tapis aux points noués, Mrabtine/Mhazil 39. O. Durand, « À propos du substrat méditerranéen et les langues chamito-sémitiques », in Rivista degli
(Maroc), vers 1940 (460 x 180 cm). studi orientali (Roma), 67, 1993, pp. 27-38; J. Hubschmid, Mediterrane Substrate, Berne, Francke, 1960; Id.
Coll. Hersberger, Bâle. Thesaurus praeromanicus, 2 vol., Berne, 1963-1965 ; Salem Chaker, « Apparentement de la langue berbère»,
in Encyclopédie berbère, 6, 1989, pp. 812-820. ’«
40. J. Hubschmid, Sardische Studien: das mediterrane Substrat des Sardischen, seine Bezichungen zum Berberischen
und Baskischen sowie zum eurafrikanischen und hispano-kaukasischen Substrat der romanischen Sprachen, Berne,
24 Francke, 1953.
41. C. Ozgünel, Carian geometric pottery, Ankara, 1979 : d'un point de vue linguistique: J. Friedrich, «Karer in
Numidien ?», in Orientalia (Rome), n.5. 21, 1952, PP: 231-233.
42. Voir infra, pour les correspondances avec les poteries du néolithique et du chalcolithique, et avec le
tissage gabbeh.
L'arabisation s'est faite de manière inégale dans les différents États nord-afri-
cains. En Tunisie, l'arabe est aujourd’hui la langue de presque toute la population.
Seuls quelques villages sont encore berbérophones: six villages sur l’île de Djerba,
auxquels il faut ajouter: Chenini et Douiret au sud de Tataouine, Tamezret, Zraoua
et Taoujout près de Matmata, Sened et Tamagourt près de Gafsa. À peine 1% de la
population tunisienne parle un dialecte berbère. En Libye, ils sont quelque 20%.
Les régions berbérophones se situent surtout dans l'ouest du pays: Barka, Djebel
Ghouriyan, Ifren, Nefousa, Awjila, Sogna, Timissa, Zwara.…. En Algérie, la majo-
rité de la population parle arabe. Elle est d’ailleurs encouragée à le faire par l'«ara-
bisme » manifeste du gouvernement, qui, depuis l'indépendance, voit dans chaque
étincelle de «berbérisme » une atteinte à l'unité du nouvel État. Pourtant, la Kabylie
dans le nord et le massifde l’Aurès dans l’est comptent une nette majorité de Ber-
bères. Celle-ci revendique ses droits politico-culturels avec un succès variable.
Dans le Mzab également, et dans diverses autres régions, la proportion de Berbères
est relativement importante. À cela, il faut ajouter les oasis de l'Oued Righ, Ouar-
gha, Neousa, les qsour de Gourara, Touat, Tidikelt.… Quelque 30% de la population
algérienne parle sans doute un dialecte berbère. Le Maroc compte incontestable-
ment le plus gros pourcentage de berbérophones du Maghreb: à peu près 45%. Il
s’agit de la population rurale du Rif dans le Nord, du Haut et de l’Anti-Atlas dans le
Sud, de la plaine du Sous, des oasis le long du Dra‘a et du Dadès, de Figuig et
Tafilalet, ainsi que de nombreuses régions du Moyen Atlas#.
Les tribus maghrébines portent soit un nom berbère soit un nom arabe. Mais
celui-ci ne permet pas toujours de distinguer les « Arabes » des «Berbères ». Les tri-
bus de Bédouins ou de nomades arabes qui envahirent le Maghreb en plusieurs
vagues pratiquaient une politique d’assujettissement. Les Berbères sédentaires qui
étaient soumis par elles devaient se placer sous leur «protection » dans un système
de clientélisme. En échange de leur soumission, ils «pouvaient » adopter le nom de
la tribu dominante. (De telles pratiques existaient déjà antérieurement chez les
Berbères entre eux, plus précisément entre nomades conquérants et paysans assu-
jettis.) Par conséquent, une tribu maghrébine qui porte aujourd’hui un nom arabe
n’est pas nécessairement d'origine arabe“.
Les généalogies locales ont uniquement une valeur mythographique et identi-
taire. La distinction entre Berbères et Arabes n’a pas grand-chose à voir avec l’eth-
nie. Au cours des treize derniers siècles, définir qui est berbère et qui est arabe est
devenu une question idéologique : autant dire que peu d'arguments objectifs inter-
viennent ici‘. La minorisation des Berbères est le résultat d'un processus qui dura
plusieurs siècles. Quinze ans à peine après la mort du Prophète, les troupes arabo-
musulmanes pénétrèrent au Maghreb. Il ne s'agissait pas à proprement parler

43. R. Basset, «Berbères», in Encyclopédie de l'Islam, 1, Leyde—Paris, 1960: Gabriel Camps, Les Berbères.
Mémoire et identité, Paris, Errance, 1987; Id., «Espaces berbères», in Revue du monde musulman et de la Médi-
terranée, n° 48-49, 1988, pp.38-60.
44. Gabriel Camps, «Djaziya des Beni Hilal», in Encyclopédie berbère, 16, p.2397; Salem Chaker, «Arabisa- Bakhrougq, Zlass (Tunisie), XVIII-XIX® siècle
tion», in Encyclopédie berbère, 6, 1989, pp. 834-843. (205 x 117 em).
45. Ce que vient également confirmer l'anthropologie physique. Attention, il ne s’agit plus ici de la cranio-
métrie obsessive de l'anthropologie du XIX° siècle, qui est demeurée la norme dans certains milieux
jusque vers 1950. La génétique a depuis lors développé un nombre beaucoup plus considérable de pa-
ramètres permettant d'étudier des groupes de population. Les recherches récentes montrent, par 25
exemple, qu'en Algérie, les Kabyles «purement berbères» sont génétiquement plus proches des
«Arabes » de la plaine et du tell que leurs «frères de sang» les Chaouïas de l'Aurès ou les Mozabites;
Marie-Claude Chamla, Les Algériens et les populations arabo-berbères du nord de l'Afrique. Étude anthropologique
(Mémoires du CRAPE, 24), Alger, 1977: Id., «Anthropologie », in Encyclopédie berbère, 5, 1988, pp.713-775.
d'une occupation organisée, mais plutôt d'un enchaînement de raids effectués
avec plus ou moins de succès. Le chef arabe Oqba Ibn Nafia mena une nouvelle
invasion vers 670. Il fonda Kairouan dans la steppe de Tunisie. Elle allait devenir la
quatrième ville sainte de tout l'Islam. Oqba trouva la mort au cours d’une de ses
expéditions au sud du massif algérien de l’'Aurès. Pendant quelques décennies, tout
le Maghreb fut le théâtre d'une lutte chaotique entre Berbères et envahisseurs
arabes. En 711, les armées arabo-berbères (désormais unies) conduites par Tariq
entreprirent la traversée vers l'Espagne: ce fut le début de huit siècles d'islam en
péninsule Ibérique.
Une deuxième arabisation eut lieu au XI° siècle. Un gros contingent de tribus
nomades arabo-égyptiennes (des «Bédouins») marcha en 1051 sur l'Ifrigiya et y
dévasta la contrée — l’historiographe arabo-tunisien du XIV° siècle Ibn Khaldoun
compara leur attaque à celle d’une «nuée de sauterelles ». Pour les tribus bédouines
arabes, une vie nomade et guerrière était la seule forme d’existence honorable. Ces
tribus, qui comptaient tout au plus quelques dizaines de milliers de membres, dis-
loquèrent de nombreuses communautés sédentaires et renforcèrent un principe
anarchique qui régissait depuis longtemps de nombreuses tribus nomades ber-
bères. Il faut dire que les migrations incessantes de tribus indigènes, les alliances
ou inimitiés en perpétuelle évolution et l’aversion des Berbères pour toute forme
d'autorité centrale avaient déjà causé bien du souci aux Romains. Ceux-ci ne
réussirent jamais à soumettre la population locale ni administrativement, ni mili-
tairement, ni juridiquement. Comme dans d’autres parties de l’Empire romain, les
territoires plus ou moins pacifiés furent délimités par une frontière fortifiée ou
limes®. Celle-ci ne résista pas. À la fin de l'Antiquité, la pax romana commença à
s’effriter et des tribus berbères nomades, comparables aux chameliers touaregs,
réussirent alors régulièrement à passer la frontière.
Cette anarchie se répéta à partir du VII siècle, époque des premiers raids
arabes. Les immigrés arabes étaient trop peu nombreux pour arabiser complète-
ment la population locale. D'autres moyens durent être mis en œuvre pour y arri-
ver. L'islam se servait de l'arabe: la langue du Prophète et du Qur'an (Coran). Ce
prestige religieux favorisa la diffusion de la langue arabe“.
Dès lors, une influence arabisante émana aussi bien des centres urbains que des
groupes nomades. Les villes devinrent les foyers de la culture arabe. Un art diffé-
rent s’y épanouit. Celui-ci n’adhérait plus à l'esthétique berbère mais s'inspirait en
particulier de la culture arabe des cours du Proche-Orient. À partir du IX° et du
X° siècle, cet art élitiste fut imité en plusieurs endroits au Maghreb. C'était un art
«internationaliste » qui faisait peu de cas des traditions locales. Il était lié aux villes,
mais aussi aux cours où certaines dynasties berbères s'étaient approprié une
bonne part du pouvoir*?. Ce fut le cas des États musulmans en péninsule Ibérique,
mais aussi d’une série de seigneuries au Maghreb proprement dit. C'est ainsi que
se groupèrent les Almoravides (AÏ Mourabityin, les «alliés [de Dieu] »)*°, issus des
Flij ou bande de tente, tissu ras, détail,
région de Figuig (Maroc), XIX° siècle. 46. Marcel Benabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, Maspero, 1975. J.A. Ilerbare, Carthage, Rome
and the Berbers, Ibadan, 1980 ; Salem Chaker, « La situation linguistique dans le Maghreb antique: le ber-
bère face aux idiomes extérieurs », in Libyca, 28-29, 1980-1981, PP-135-152.
47. Pol Trousset, Recherches sur le Limes Tripolitanus du Chott El Djerid à la frontière tuniso-libyenne, Paris, CNRS,
1974; DJ. Mattingly, «Libyans and the Limes: culture and society in Roman Tripolitania », in Antiquités
africaines, 23, 1987, PP:71-94.
48. Pour une analyse de ces mécanismes au niveau local, voir Mondher Kilani, La construction de la mémoire.
Le lignage et la sainteté dans l'oasis d'El Ksar, (Religions en perspective, s), [Genève], Labor et Fides, [1992].
49. Al Andalus. The art of Islamic Spain, cat. exp., New York, Metropolitan Museum, 1992.
nomades Lamtouna qui vivaient entre le sud du Maroc et le Niger. Se fondant sur
une interprétation rigoureuse de l'islam, les Almoravides soumirent, entre 1060 et
1085 environ, tout le Maroc et les royaumes musulmans d'Espagne. Vers 1070, ils
fondèrent Marrakech. En 1147, ils furent écrasés à leur tour par des coreligionnaires
berbères issus cette fois de la tribu Masmouda du Haut Atlas. Ceux-ci se faisaient
appeler les Almohades (Al Mouwahhidyin, «ceux qui témoignent de l'unité absolue
[de Dieu] >). Eux aussi soumirent le Maroc tout entier, les États musulmans ibé-
riques et des parties de l'Algérie et de la Tunisie. Vers 1270, leur domination prit fin
et leur royaume se morcela”.
Nombreux furent les royaumes et les dynasties qui se succédèrent ensuite en
Afrique du Nord. Les Berbères ne purent jamais renoncer à leur attachement tribal
pour se consacrer à la formation d’un État national. Or, c’est là que résidait la force
structurelle et politique de l'islam: la promesse de l’unité. Pour participer au pou-
voir —- même de façon purement symbolique — ou en raison du prestige de l'islam,
beaucoup de Berbères renièrent leurs origines et se convertirent à l’arabisme”?.
Aujourd’hui, la distinction entre Berbères et Arabes est une affaire essentielle-
ment politique et culturelle: abstraction faite de quelques intellectuels et artistes
qui veulent retourner à leurs racines, ce sont principalement des paysans et, dans
une moindre mesure, des nomades qui se considèrent aujourd’hui encore comme
des « Berbères ». La population des villes, quelle que soit son origine, ainsi que les
populations rurales du bled el maghzen”* (les territoires qui relèvent depuis des
siècles d’une forme d'autorité centrale) se considèrent comme des Arabes5*.
Il n’y a pas nécessairement de lien entre la pratique de la langue berbère et le
maintien des traditions artistiques. Ces dernières font parfois complètement
défaut dans des régions fondamentalement berbères comme le Rif nord-maro-
cain, où une intéressante tradition de poterie s'est épanouie, mais aucun art du tis-
sage. Les Touaregs berbères ne connaissent pas non plus d'art du tissage. Cela s’ex-
plique par le climat de leur habitat: les moutons ne peuvent survivre dans les
régions désertiques. Même le bastion de la culture berbère en Algérie, la Kabylie

50. Le terme avait sans doute au départ un sens plus littéral:«ceux qui s'attachaient les uns aux autres ». I]
existait en effet une ancienne tradition — avec des ramifications jusqu’au XX° siècle, dans la lutte anti-
coloniale — en vertu de laquelle, pour des combats particulièrement nobles, les guerriers s'attachaient
les uns aux autres, de sorte que, en cas de défaite, ils étaient tous tués. Peut-être les combattants
berbéro-maghrébins de l'Islam ont-ils repris cette coutume. Voir «Genou: faire genou », in Encyclopédie
berbère, 20, pp.3039-3042.
si. Itinéraire culturel des Almoravides et des Almohades. Maghreb et Péninsule Ibérique, [Granada], Fundacién
El legado andalusf, 1990.
52. Pour les légendes sur l’origine arabe des Zénètes berbères, voir Giovanni Canova, «Hilaliani e Zenata.
Considerazioni sulla Sirat Bani Hilal », in Quaderni di studi arabi (Venise), 7, 1989, pp. 163-178 ; Maya Shatz-
miller, «Le mythe d'origine berbère. Aspects historiographiques et sociaux», in Revue de l'Occident
musulman et de la Méditerranée, 35, 1984, pp.145-156 (sur le mythe médiéval de l’origine arabe des
Berbères).
53. R.Montagne, Les Berbères et le Maghzen dans le Sud du Maroc, Paris, Alcan, 1930.
54. Pendant plus d’un siècle, l'anthropologie a tenu à établir un parallèle entre «race», langue et culture.
Trois paramètres (génétique, linguistique, culturel) étaient associés dans l'exploration du passé et des Tapis aux points noués, Alfreja (Maroc),
origines d'un peuple. Ce n'est que récemment que l'on s'est rendu compte que les trois paramètres XIX® siècle (285 x 140 cm).
pouvaient fonctionner de manière relativement autonome. Il n'y a pas nécessairement de lien entre
eux. Si l'on applique le raisonnement aux Berbères, ceci signifie que: (1) les groupes se considérant
comme berbères ne doivent pas nécessairement avoir une origine génétique commune ;(2) leur langue
commune (ou plutôt, les variantes de celle-ci) n'est pas nécessairement la preuve de leur parenté eth-
nique; (3) la culture berbère peut justement s'être développée à travers un mélange ethnique ou à tra-
vers la coexistence ethnique. Voir: C. Mac Burney, « The archaeological context of the Hamitic lan-
guages in Northern Africa», in Hamito-Semitica, éd. James & Theodora Bynon, La Haye Paris, Mouton,
1975, p.505.
— le nom est dérivé de l'arabe qaba-il, «tribus » —, n’a pas véritablement développé
un art du tapis”. L'art textile kabyle est surtout consacré au vêtement.
Les régions rurales, où la population a été arabisée au fil des siècles, ont parfois
conservé leurs traditions textiles. L'exemple le plus éloquent nous est fourni parles
vastes steppes à l’ouest et au nord de Marrakech. C'est là que, jusqu'il y a quelques
décennies, s'épanouissait une des plus riches traditions de tissage du Maghreb.
L'art textile berbère au Maghreb s’est donc perpétué non seulement chez les ber-
bérophones, mais aussi dans des tribus ou groupes arabisés.
L'histoire politique, militaire et religieuse très agitée du Maghreb était une
affaire d'hommes. Les femmes vivaient à huis clos entre elles et transmettaient leur
culture de mère en fille, qu’elles vivent sous l'occupation ou en liberté. C'est ainsi
que l’art textile berbère est arrivé jusqu’à nous.

L'art du textile au Maghreb

L'art du textile au Maghreb est caractérisé par quatre types de produits. Nos
exemples sont tunisiens.
En premier lieu, il y a la production destinée à l'usage personnel des nomades et
des villageois. Cette activité était totalement décentralisée puisque l'on trouvait
des tisseuses dans presque chaque tente ou maison. La répartition du travail ne se
faisait pas par profession ou par spécialisation, mais entre femmes et hommes*.
Les hommes effectuaient une série de tâches liées à l'élevage et à l'agriculture, tan-
dis que les femmes assumaient des charges beaucoup plus lourdes: grossesse, édu-
cation des enfants, préparation des repas et tissage. Ce partage des tâches se
reflétait aussi dans l’organisation de l’espace: le «côté des hommes » était consacré
à l'accueil et aux palabres ; le «côté des femmes » était réservé à la cuisine et au tis-
sage ainsi qu'au commerce des femmes entre elles”. Le tissage permettait de
répondre aux besoins élémentaires du ménage (vêtements, draps et couvertures,
sacs et coussins, tentes) tout en satisfaisant les aspirations artistiques. Les tisseuses
ne subdivisaient pas ou pratiquement pas leur travail. Cardage, filage, teinture, tis-
sage et même montage du métier à tisser:tout était effectué par une seule et même
personne. Il n'y avait pas davantage de subdivision du travail en fonction des types
de textile: toute tisseuse était à même d'aborder n'importe quel type de tissage.
Tous les produits étaient destinés à un usage domestique. Ce n’est qu’en temps
d'adversité que l’on procédait parfois à la vente d’un tapis ou d’un autre textile. En
période faste également, quand il y avait beaucoup de laine disponible, il arrivait
que l’on destinât un tissu à la vente*. Mais on préférait en général vendre le surplus
de laine ou de toisons non traitées plutôt que de s’en servir pour fabriquer des pro-
duits destinés à des tiers.
Le deuxième type de production se rencontre dans les oasis méridionales. Ici,
on observe déjà des spécialisations par centre : Gafsa’° (c'est-à-dire les tisseuses des
villages avoisinants) était connue pour sa ferrashiya ou longue couverture, Tozeurt

28 55. Les Kabyles: éléments pour la compréhension de l'identité Berbère en Algérie, éd. Tassadit Yacine, Paris, 1992.
56. Sur le travail des femmes, voir bibliographie 3a: Abrous 1980 : Balfet 1982 : Ferchiou 1981.
57. Sur l’espace féminin, voir Ainad-Tabet 1980 : Bekkar 1901: Cherif1985 (bibliographie 3a).
58. Martel 1955 (bibliographie 3e).
59. Surles textiles de Gafsa: Ginestous 1948 & 1953 : Poinssot & Revault III (bibliographie 3e).

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Tapis aux points noués, Mrabtine (Maroc), vers 1920.


et El Oudiane pour leurs burnous, Nefta pour ses étoffes de laine et de soie, Oudref
pour ses tissus mergoum, Gabès pour sa soie. Les tisseuses étaient les épouses,
mères et sœurs des petits paysans. Dès le XI° siècle, des écrivains évoquent ces spé-
cialités textiles locales. À Kairouan, Mahdia ou Tunis, les potentats locaux préle-
vaient des tissus en guise d'impôt pour pourvoir à l’entretien de leur cour et de leur
armée. C’est ainsi qu'au XVIIF siècle, les régions du Dijerid (Tozeur), Gafsa, Mat-
mata et Djerba fournissaient des tissus à la cour du bey à Tunis°°. La production
était également écoulée dans les villes de Sfax, Sousse et Tunis: les commerçants
des villes, organisés, achetaient à bas prix la production des campagnes et la reven-
daient en faisant un maximum de profit.
Le troisième type de production est celui que l’on trouve dans une série de villes
comme Tunis, Kairouan, Sousse et Gabès ainsi que dans quelques régions côtières:
Djerba, le Sahel et Cap Bon. Ici, nous avons affaire à des tisserands qui se sont
regroupés au sein d’une corporation. La production est aux mains de la municipa-
lité proprement dite ou de toute une série de manufactures qui, comme à Djerba,
sont concentrées sur un petit territoire”. La rupture avec les deux précédents types
de production est nette. La production entièrement standardisée — faite d’étoffes
de soie, de tissus de laine et de coton et de tapis noués — est cette fois appréciée en
fonction de son raffinement et de sa qualité technique.
La quatrième forme de production est constituée par les tapis noués des reggam.
Ces créateurs masculins spécialisés ne vivaient pas dans les villes, mais parcou-
raient les steppes du centre de la Tunisie habitées parles Zlass, Hamama, Mahadba,
Drid, Fréchiche et autres tribus. Ils proposaient leur savoir-faire aux notables des
groupes nomades. Ils étaient spécialisés dans les grands tapis à points noués (qtifa,
pl. qtaïf) présentant une composition symétrique lourde et rigoureuse”. Le sujet
n'était pas dessiné sur un patron, car il était «gravé» dans l'esprit des créateurs.
Assis devant le métier à tisser, ils indiquaient par des nœuds les principaux points
de la composition. Celle-ci, de conception très répétitive, était souvent délimitée
par un bord. Le losange sous toutes ses formes constituait l'élément principal de la
composition. Les femmes nouaient ensuite le tapis en suivant les instructions du
«maître ». Elles n'étaient rien d'autre que des machines vivantes effectuant le tra-
vail. Leur situation était comparable à celle des ouvrières d'aujourd'hui qui tra-
vaillent dans la production de tapis noués à la main. Plus encore qu’en Tunisie, les
reggam étaient très actifs en Algérie”. Leurs compositions caractérisaient aussi
souvent les tapis de l’est du Maroc, entre autres des Ait Bou Yahi. Du point de vue
du style, l’art des reggam se situait entre la production rurale et la production
urbaine. Le propre de l’art textile des villes et des cours était la séparation entre
conception et exécution. Les tisseuses /tisseurs exécutaient le modèle en grand
format, le plus précisément possible. Aucune créativité ne leur était demandée,
bien au contraire. Seules comptaient leurs qualités techniques.
Ce mode de production existait depuis longtemps. En Perse, le tapis à points
noués avait été commercialisé au plus tard dès le XIV ou le XV' siècle. La produc-
tion y était dirigée par des spécialistes masculins qui dessinaient le modèle sur un
patron. Ce patron était ensuite exécuté à plus grande échelle par les tisseuses /tiss
seurs. Les dessins, reflets de l'idéologie masculine de la cour ou de la ville, diffé-
30
60. Valensi 1977 (voir note 22), p.215.
61. Ibid. pp.209-212.
62. Poinssot & Revault II (bibliographie 3e).
63. Golvin 1953 (bibliographie 3e), passim.

RS
raient de ceux de l’art textile plus ancien et subalterne. Le tapis devait désormais
être bordé de tous les côtés et présenter une composition centrale avec des axes de
symétrie. Le bord, le «centralisme » et la symétrie rigoureuse ne se retrouvaient pas
dans l’art textile rural.
Comment les différences de style entre tissage des campagnes et tissage des
villes ou des cours s'expliquent-elles ? L'organisation de l'espace à la ville et à la
cour était fondamentalement différente de l’organisation de l'espace à la cam-
pagne. Pour les paysans et les nomades, l'espace dans lequel se déroulait leur vie se
fondait dans un ensemble plus vaste: la nature, sans murs ni limites artificielles. I]
se déployait à l'infini. À la cour et à la ville, par contre, on vivait séparé de l'envi-
ronnement par des murs et des remparts. Le mode d'administration de la noblesse
et des villes, le monothéisme strict et le régime patriarcal devaient inévitablement
mener à une esthétique basée sur un modèle centralisateur. La recherche du
contrôle se manifestait ainsi dans la symétrie de deux moitiés se renvoyant
mutuellement leur image.
Le raffinement du dessin, la précision des nœuds, la perfection technique et la
richesse du coloris accroissaient la valeur marchande du tapis. L'accent n'était pas
mis sur l’unicité de l’œuvre: l’utilisation d’un patron ouvrait la voie à la production
de plusieurs exemplaires d’un même ouvrage (avec éventuellement une différence
dans les dimensions ou le nombre d'exemplaires). La reproduction mécanique
était dès lors l'issue inévitable d'un processus où le tissage et le nouage d’un tapis
n'étaient plus désormais une activité créative mais un simple travail d'exécution.
La dissociation entre créateur et exécutante s'était déjà opérée depuis des siècles
— voire des millénaires dans certains cas. Elle est peut-être beaucoup plus ancienne
que ce que les documents et les tissus encore existants ne laissent supposer. Le plus
vieux tapis de l'Antiquité que nous ayons conservé, le Pazyryk (vers 500 avant notre
ère), présente déjà une composition centrale délimitée par un bord, ce qui est carac-
téristique pour un textile conçu au préalable. Son style est en outre figuratif. Ce fait
est très révélateur et indique que l’art du tapis a servi le pouvoir masculin depuis
vingt-cinq siècles déjà. Quant aux motifs — des cavaliers et des animaux sauvages -,
ils s'inscrivent eux aussi dans l’iconographie seigneuriale propre tant à l'ancien
Proche-Orient qu'aux tribus nomades jusqu’en Asie centrale.
Peut-être de tels tapis existaient-ils déjà avant, mais nous manquons pour l’ins-
tant de preuves à ce sujet. Nous ne savons pas exactement quand l’art du tissage a
commencé à se développer dans les cours et dans les villes d'Afrique du Nord.
À Tunis, Kairouan, Tlemcen, Fès et dans quelques autres lieux, on a vu apparaître
au Moyen Âge un art du textile qui différait complètement de la production rurale.
Des documents d'archives nous en informent, sans toutefois nous donner une
image précise de cette production°*.
Au Maghreb, les traditions textiles urbaines ont recours à des mythes étiolo-
giques pour expliquer l’origine de cet art. Des tapis turcs, arrivés en Afrique du
Nord par prodige ou par magie, jouent un rôle dans ces mythes. Ceux-ci auraient
été admirés et on se serait empressé de les imiter. La plupart des auteurs accordent
foi à ces mythes en renvoyant à la présence séculaire des Turcs, qui occupèrent la
Libye, la Tunisie et l'Algérie à partir du XVI‘ siècle et y auraient importé leurs tissus.
Les légendes prouvent que, depuis très longtemps, on a conscience de l'existence
d’une analogie entre tapis turcs et tapis maghrébins des villes, et d’une différence

64. Housego 1986 et 1986 (bibliographie 3e).

Ï
k
entre ces deux types de tapis et l’art textile berbère rural. Certains motifs des tradi-
tions urbaines correspondent effectivement à des motifs turcs. Mais on peut en
dire autant des traditions nomades caucasiennes, perses ou turkmènes. Ces analo-
gies sont loin d’être sporadiques. Mais peuvent-elles s'expliquer par l’imitation de
tissages importés ? Il semble qu’elles reposent plutôt sur d’autres fondements.
Au Proche-Orient et en Asie centrale, l'art du tissage est beaucoup plus ancien
qu'en Afrique du Nord. Les tout premiers textiles que nous connaissons furent
découverts dans une grotte à Nahal Hemar, au sud de Jéricho. Ils datent des envi-
rons de 7200 avant notre ère. Quelques-uns de ces textiles présentent des traces de
colorant bleu, d’autres portent des coquillages cauris cousus sur le tissu. De très
nombreux fragments ont aussi été trouvés dans le Çatal Hüyük anatolien (vers
6600)". Ils résultent de l'emploi de différentes techniques, ce qui laisse supposer
qu'ils sont le fruit d'une longue tradition. L'un des grands fragments les plus
anciens, qui présente un dessin clairement identifiable, fut découvert à Gordion
(Anatolie). Il date des environs de 700 avant notre ère.
L'art du tissage s’est développé dans l’ancien Proche-Orient en même temps
que la néolithisation et a donc huit ou neuf mille ans d'histoire derrière lui. La
domestication et l'élevage du bétail (moutons, chèvres.) étaient les conditions
indispensables pour disposer de laine et de poils en quantité suffisante pour pou-
voir filer et tisser. Au cours de cette longue histoire, et par les interventions des
centres du pouvoir dominés par des hommes et ayant chacun leur propre esthé-
tique, un art textile «élitiste» vit le jour au Proche-Orient il y a bien longtemps déjà,
tandis que dans les campagnes, on assistait à une stylisation progressive des créa-
tions. En raison de sa tradition longue de plusieurs millénaires, l’art textile tribal
du Proche-Orient et de l'Asie centrale a supplanté un «style spontané» plus origi-
nal dont nous reparlerons.
Les trois pôles entre lesquels l’art textile féminin subalterne oscillait sont: (1) les
motifs soumis à des règles de composition, mais au contenu variable, dans lesquels
la tisseuse «intellectualise » sa vision de l'existence; (2) les tissus entièrement sou-
mis à des règles, où la composition et le répertoire de motifs s'appuient sur un
canon collectif tacite; (3) le style entièrement libre et spontané, rebelle aux sché-
mas et aux Compositions imposés, où la tisseuse se laisse guider par son inspira-
tion et crée une œuvre d’art autonome. Le deuxième pôle était le plus important
dans tout le Maghreb. Ces types de textiles respectaient un schéma qui n'avait pas
été fixé à l’aide d’un patron mais mentalement. C'est ainsi que la décoration du
mendil où du ta'jira de Tamezret (sud de la Tunisie) se composait d’une série de triq
(«voies»), des bandes parallèles agrémentées de motifs stéréotypés. Il en allait de
même des châles des Zaër (Maroc), dont les douze bandes de motifs sont appelées

65. James Mellaart, Belkis Balpinar & Udo Hirsch, The Goddess ofAnatolia, 4 vol., Milan, Eskenazi, 1980. Voir
vol.2, pp.4 et 10; vol.3, pp. 55 et 63. Aucune trouvaille du genre n'a été faite au Maghreb. Les sites pré-et
protohistoriques ont souvent été dérangés à des époques ultérieures, ou fouillés maladroitement au
XIX° et au début du XX' siècle, de sorte que beaucoup de choses ont sans doute été perdues. Dans un
des tumuli peut-être protohistoriques, mais non encore datés avec précision, de Foum-el-Rjam (vallée
du Dra'a, sud du Maroc), on a découvert des fragments de tissus jaunes et rouges. Voir D. Jacques-Meus
nié, «La nécropole de Foum-le-Rjam — Tumuli du Maroc présaharien », in Hesperis, 45, 1958, p.105, où
l'on trouve l'analyse suivante: «Fragments de tissu grossier beige, chaîne et trame en laine, torsion
32 droite (Z). Chaîne à 6 fils au centimètre. Trame 22 à 24 duites doubles au centimètre. Lisières formées
par un faisceau de 3 ou 4 fils de chaîne. — Diamètre des brins: chaîne, rarement en dessous de 30 B,
observés 30, 39, 45, 60, 751, donc laine grossière, souvent avec canal médullaire (dans les grosses
fibres);trame, diamètre entre 15 (rare) et 37 pa; la trame est donc sensiblement plus fine que la chaîne
(11 =0,001mm).»
les «douze mois ». En pareil cas, l'apport de la tisseuse se limitait à la précision et au
savoir-faire techniques. D'autres tissus, qui étaient destinés à la vente, devaient être
reconnaissables et suivaient également un concept traditionnel, quoique moins
strictement défini. Au départ d’un schéma de base, des variantes étaient possibles.
Le troisième pôle était celui des textiles à usage domestique personnel. Ici, la
tisseuse bénéficiait d’une liberté totale. Il s'agit de kilims (surtout en Tunisie) et de
tapis à points noués (surtout au Maroc) qui suivent leurs propres lois internes,
exactement à la manière des œuvres d’art autonomes de la tradition occidentale
moderne. Ils ne sont soumis à aucun modèle préexistant imposé par la tradition.
Ces œuvres sont dans le meilleur des cas de vraies pièces uniques - au même titre
que, par exemple, les tableaux de Goya pour la Quinta del Sordo.
Ce phénomène est au fond inexplicable. Dans la tradition artistique occiden-
tale, on peut observer, au fil du temps, un affranchissement progressif par rapport
aux normes artistiques collectives. Ce processus d'émancipation a duré des siècles
et reflète le cheminement de l'artiste occidental masculin, en quête d'une autono-
mie toujours plus grande. On a beaucoup écrit à ce sujet. Au-delà de leurs diver-
gences, tous les auteurs ont toujours été d'accord sur un point: cette évolution, qui
s’est faite parallèlement à une individualisation et une prise de conscience de soi
«typiquement occidentales » ainsi qu’à une objectivation au sein de et par la tech-
nologie et la science occidentales, serait unique. Mais l'Occident revendique à tort
le caractère unique de son évolution artistique.
Au Maghreb et ailleurs, notamment dans l’ouest de l'Iran et le nord de l’Inde
(pour ne citer que ces deux régions), des femmes illettrées anonymes vivant dans
une société nomade ou rurale se sont approprié un espace de liberté où elles réus-
sirent à développer une créativité analogue. Ce phénomène est beaucoup plus sur-
prenant que l’évolution artistique occidentale. Cette dernière était portée par un
projet social plus large, qui émanait de groupes élitaires et qui s'engagea délibéré-
ment dans la voie de l’individualisation. Elle impliquait aussi la reconnaissance et
la défense croissantes de l’auto-expression, tendance qui conduisit — selon la for-
mule des « Tachtigers » (les poètes de la génération de 1880) aux Pays-Bas — à «l'ex-
pression suprêmement individuelle de l'émotion suprêmement individuelle ».
Rien de tout ceci en plein cœur du Maghreb, régi jusqu'il y a peu par une structure
sociale tribale. Cependant, une partie de cette société tribale fut disloquée en AI-
gérie dans les décennies qui suivirent l'occupation française d’Alger en 1830.
À l'époque, le «regroupement » et la sédentarisation forcée marquèrent la fin de
nombreuses traditions culturelles.
L'occupation de la Tunisie à partir de 188r et celle du Maroc en 1912 ne provoque-
rent pas, assez paradoxalement, le même déracinement, en dépit de la modernisa-
tion des moyens réalisée entre-temps. (Ce qui explique en partie pourquoi l'inté-
grisme religieux, ou plutôt pseudo-religieux, a fait recette en Algérie et pas dans les
pays voisins.) Cette société tribale a toujours rejeté l'individualisme tel qu'il s'est
développé dans l'Occident «moderne». Pour la tribu, qu’elle fût nomade ou séden- Bakhnoua, Zlass (Tunisie centrale),
taire, c'était le «bien commun » qui primait. Il ne faut pas oublier que les campagnes XIX' siècle.
du Maghreb ont connu jusqu'au XX° siècle une économie de subsistance, où il n'y
avait pas place pour l’individualisme. Seule la survie de la collectivité comptait. D'un
point de vue social, l'expression artistique de l'individu était totalement dénuée 3
d'importance, éventuellement même dangereuse. Elle absorbait des moyens et une
énergie qui auraient pu être utilisés à des fins plus vitales. Mais plus encore, elle créait
un sentiment d'exception qui pouvait se heurter à l'esprit de groupe.
La société occidentale actuelle a porté l liberté mdividuelle à son paroxysme
au départ d'une abondance extrême. On oublie ici que toute société traditionnelle
et archaïque avait des codes sociaux très sinicts: les rapports humains —entre
époux. avec les parents, amis, voisins ou étrangers — n'étaient pas libres etne pot
vaient pas l'être. Langage, sujets de discussion, gestes et attitudes, regards: tout
était codifié. La honte (hashouma) frappait ceux qui enfreigmaient ce code Léte
quette bourgeoise européenne du XIX° siècle n'était pas moins compliquée quels
liste infinie des règles et des tabous dans un village de Kabylie. par exemple Les
désirs et la volonté d'expression de l'individu devaient céder le pas aux normes de
LBcollectivité. L'auto-expression se faisait par le biais d'un répertoire de conven-
tions consacrées par la tradition. Parallèlement. il y avait le style «réglementé»
dans l'art du tissage. Rien d'étonnant à cela. puisque le vêtement était 1 peass
sociale
de individu.

ne peuvent être attribuées à des causes naturelles ou climatologiques. On faitsou


vent référence à la rigueur du climat du Moyen Atlas marocain pour expliquer.
l'existence d'un type detapis noué dehaute laine. Mais le Haut Atlas connaît des,
hivers encore plus rigoureux et pourtant, la population n'2 pas jugé nécessaire de”
se protéger du froid de cette manière. Elle a opté pour des tapis ä poils courtsoutis…
sés. La Tunisie rurale avait elle aussi une prédilection pour lestapis tissésetlesfins.

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matériau. Ladistinction entre nomades etpaysans ne permet pas non plus d'expli…
querlesdifférences danslestraditions detissage.Nomades comme paysans On
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étaient fidèles à l'une ou l'autre forme précoce d'autorité centrale — parexempleà


proximité de villes comme Marrakech, Fès, Rabat — et d'autres, attachées ä leur.

de ceRo
En cequi concerne l'art textile urbain“, on a souvent prétendu qu'il avait été for
tement influencé par les traditions anatoliennes etautres. Nombreux sont en effe

ER RER à tre,

66. Pour les textiles urbains: Gallo s9r7: Laloe 1950 : Nicolosé 5995 : Pickering & Yohe 1989:
Revaule 1: Kè1955: Ricard 1973 et1973: Tescagniere 1948 bibliographie 3ei
elles aussi, fortement «orientalisées ». La notion d'influence, à laquelle l’histoire de
l'art recourt de manière obsessionnelle, ne contribue pas à expliquer le style des tra-
ditions textiles urbaines. Car pourquoi le style des tapis du Proche-Orient est-il tel
qu'il est? Pourquoi les motifs sont-ils de forme plus régulière que ceux de tant de
textiles maghrébins ? Ce contraste n'est réel qu'en partie. En Iran aussi, il existait une
tradition de tissage qui était très proche du «style spontané» du Maghreb. Il s'agit du
gabbeh des Lori, Bakhtiari, Boyer Ahmad, Nur Abad, Qashqai, Afshari et autres tri-
bus”. Dans le nord-ouest de l'Inde (Ellore), on trouvait également une tradition
similaire avec des tapis noués de style spontané parfois très complexes.
À côté de cela, il y avait un style «ordonné». D'autre part, il est indéniable que
l'Orient, entre l'Anatolie et l’Asie centrale, semblait attacher plus d'importance au
style «rigoureux». La majeure partie de la production correspondait à ce style.
Seuls le sud du Maroc et le sud-ouest de la Perse s'écartaient de ce schéma.
Nos recherches nous ont permis de constater qu'il n'y avait pas de véritable
fossé entre style «spontané» et style «ordonné». Les motifs typiques des diffé-
rentes traditions « ordonnées » régionales sont des stylisations de formes du «style
spontané». Nous avons étudié ce lien pour quelques formes spécifiques comme le
médaillon, si crucial pour l’art du tapis, et le médaillon avec protubérances.
Nous constatons que le style expérimental a moins cours au Proche-Orient.
Pourquoi?La zone comprise entre l’Anatolie et la vallée de l'Indus est l’un des plus
anciens berceaux de civilisation du monde. Très tôt, on y rencontre, depuis l'Ana-
tolie (Çatal Hüyük, Haçilar, Çan Hasan, Mersin) jusqu’à l'Indus (Harappa), des civi-
lisations néolithiques extrêmement développées. Très tôt —il y a au moins quelque
huit mille ans —, on y a domestiqué le mouton et la chèvre, et les femmes ont com-
mencé à pratiquer le tissage. Cette évolution ne s'est faite que plus tard en Afrique
du Nord. En d’autres termes, les cultures proche-orientales peuvent s'appuyer sur
unétradition textile plus ancienne que les cultures nord-africaines. Des royaumes
plus grands, centralisateurs et patriarcaux, virent le jour il y a de cela quatre millé-
naires au Proche-Orient. L'Afrique du Nord, en revanche, resta très morcelée sur le
plan politique. Il fallut attendre l’unification romaine et les royaumes islamiques
médiévaux pour qu’une certaine unité y apparaisse provisoirement et pour qu'une
culture patriarcale tendant à l’unité s’y développe — élément qui nous intéresse
tout particulièrement ici. Tout ceci donna naissance à une esthétique spécifique.
très éloignée de celle des cultures tribales.
Les textiles qui seront évoqués ci-après sont d’origine rurale et nomade: des
ouvrages que des femmes ont créés pour elles-mêmes et pour leur usage person-
nel, et dans une moindre mesure des tissus plus stéréotypés du deuxième type,
destinés au troc et à la vente. L'accent sera mis sur les tissus personnels, tapis ou
vêtements. Ceux-ci ne proviennent pas dans une égale mesure de tout le Maghreb,
mais en particulier du sud de la Tunisie et du sud du Maroc. Ces provinces sont
celles qui ont réussi à conserver le plus longtemps leurs traditions culturelles. Le
fait s'explique en partie par l’histoire de la colonisation. La France a occupé l'Algé-
rie à partir de 1830, tandis que la Tunisie et le Maroc ne sont passés sous contrôle
français qu'en 188r et en 1912. L'impact de l’occidentalisation s'est fait sentir beau-
coup plus tard dans ces pays.
"21‘1

67. Voir, par exemple, Helmut Reinisch, Gabbeh. The George D. Bornet Collection, 3 vol.. Londres-Graz.
1986 sqq.
68. Elizabeth Barber,
Thefirst 20,000 years. Women, cloth and society in early times, New York — Londres, Norton,
1994.
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Tapis aux points noués, Chiadma (Sebt Korimat),


Maroc, XIX° siècle (360 x 160 cm).
Brève historiographie de l’art textile berbère
La découverte scientifique de l’art du tapis au Proche-Orient remonte à un peu plus
d’un siècle. Des conservateurs de musées allemands comme Wilhelm von Bode,
conscients que cet art remontait à une tradition séculaire, publièrent les premières
monographies monumentales sur le sujet. L'organisation parfaite de cet art — le
sens de la symétrie, du détail et la finesse technique — suscitèrent l'admiration du
spectateur occidental.
À ce moment-là, l’art textile nord-africain était encore totalement méconnu en
Europe, à l'exception peut-être de la production des ateliers urbains de tissage de la
soie ou des tapis raffinés de Kairouan. Certes, il arrivait de temps en temps qu'un
artiste peignît un tissu maghrébin dans un tableau orientaliste ou qu'un voyageur
occidental consacrât quelques lignes à l’art local du tissage dans un de ses écrits. Mais
il allait falloir attendre l'occupation française du Maghreb pour que les choses chan-
gent vraiment. Certains officiers cultivés firent alors montre de beaucoup d'intérêt
pour les aspects archéologiques et ethnographiques des contrées dans lesquelles ils
servaient. Le textile «féminin» attira moins leur attention. Les autorités françaises en
Algérie, en Tunisie et au Maroc créèrent pourtant des centres de «promotion des arts
indigènes ». Leurs mobiles étaient au demeurant assez équivoques, car en même
temps, la colonisation, qui n'épargnait rien ni personne, démantela complètement
les structures sociales et culturelles locales. Dans l'Algérie du XIX° siècle surtout,
mais aussi au Maroc, les tribus attachées depuis toujours à leur indépendance furent
«pacifées » par les armes. Les nomades furent obligés de se sédentariser, des tribus
entières furent déplacées sous la contrainte. On essaya, dans la mesure du possible,
d'adapter la population aux nécessités de l'économie coloniale.
» L'art, qui était le fruit d’une ossature sociale traditionnelle, ne put que se dés-
intégrer rapidement dans ces circonstances. À partir des années 1860-1880, les
usines chimiques européennes vendirent leurs teintures synthétiques dans le
monde entier. Ces produits bon marché et de mauvaise qualité se décoloraient
rapidement ou ternissaient à chaque lavage, mais cela n'empêcha pas les tisseuses
de préférer les nouveaux colorants prêts à l'emploi aux laborieuses opérations de
teinture de la laine avec des pigments naturels. L'importation de laine et de coton
traités à la machine eut des effets tout aussi néfastes. On chercha donc à enrayer le
déclin provoqué par le système colonial et la modernisation en créant des centres
chargés de contrôler la « qualité » de l’art du tissage (et d’autres métiers artisanaux).
Par qualité, on entendait: de bons matériaux, une finition raffinée et solide, une
composition soignée. Cette initiative, aussi louable füt-elle, passait en fait à côté du
cœur du problème: l’art textile traditionnel si réputé était enraciné dans une
société bien précise où les femmes avaient un mode de vie qui leur était propre
(«ségrégation »). Toute atteinte à ce mode de vie ne pouvait que modifier l’art quien
était issu*®. L'art, lié par essence à la vie domestique des femmes, ne fut plus désor-
mais qu'un artisanat pratiqué dans des ateliers contrôlés et devant répondre à une
série de normes imposées de l'extérieur”.
69. Nous touchons ici au cœur du paradoxe qui est propre à la culture occidentale officielle depuis des
siècles: suivant une trame phallique de fusion /rejet elle a toujours exigé des «autres » qu'ils renoncent
à leur mode de vie pour opter pour le modèle proposé (c'est-à-dire imposé). Une fois la chose accom-
plie, elle déplorait le fait que les «autres » aient perdu leur authenticité et cherchait à y remédier.
7o. Pour ces «tentatives d'amélioration», voir Baldoui 1945; Besbes 1940: Coustillac 1954: Dorinet 1935:
Granges 1952, 1954 ;Monge 1923 ; Nivolet 1949, 1950 :Revault 1948, 1955 ;Ricard 1954. 1935, 1946 (biblio-
graphie 3e).
Les initiateurs de ces centres furent les premiers à publier des ouvrages sur l’art
textile berbère. Le premier de ces livres parut dans le pays qui fut le dernier (1912) à
être occupé par la France, le Maroc. Prosper Ricard publia un Corpus des tapis maro-
cains en quatre volumes. Le premier (1923) était consacré à Rabat, le deuxième
(1926) au Moyen Atlas, le troisième (1927) au Haut Atlas et aux plaines autour de
Marrakech. Le quatrième tome (1934) complétait les trois autres. Toutes les tradi-
tions marocaines du tapis n'étaient pas abordées, loin s’en faut, mais l'ouvrage de
Ricard révélait néanmoins l'existence de traditions textiles auxquelles personnene
s'était intéressé jusque-là. Le même Ricard avait du reste d'abord publié en Algérie
une volumineuse étude sur le traitement de la laine à Tlemcen (1913), ainsi que
quatre monographies sur la broderie et la dentelle algériennes et marocaines (1918,
s.d., 1919 et 1928).
C'est plus d’un demi-siècle après l'occupation de la Tunisie que sortit l'ouvrage
de Louis Poinssot et Jacques Revault intitulé Tapis tunisiens :les quatre tomes extrê-
mement détaillés de l'étude étaient consacrés à Kairouan (1937), aux tapis nomades
de haute laine (1950), à Gafsa (1953) et aux tissus ras de Kairouan, du Sahel et du Sud
(1957). Les auteurs ne se contentaient pas d'aborder des aspects techniques, mais
fournissaient aussi de nombreuses informations — superficielles il est vrai —sur les
noms des motifs tissés. Cependant, certains textiles, comme les bakhnoug et les
haïk, dont la tradition était pourtant importante, étaient complètement oubliés.
Citons enfin les six tomes de Lucien Golvin sur Les arts populaires en Algérie,
parus plus d’un siècle après la colonisation française et au seuil de l'indépendance.
Le premier volume était consacré aux techniques de tissage (1950); était ensuite
abordé l’art textile dans certaines régions algériennes. Une importance démesurée
était accordée aux tapis tissés par un petit groupe de créateurs masculins. D'autres
traditions textiles, pourtant extrêmement intéressantes, étaient par contre com-
plètement passées sous silence (notamment celles de la Kabylie).
Dans le sillage de Ricard, Poinssot, Revault et Golvin, d’autres auteurs consa-
crèrent des contributions plus modestes à l’art textile berbère. Le vêtement’, la
broderie’* et la dentelle”? furent également étudiés plus avant, ainsi que certains
aspects techniques du traitement de la laine’*, de la teinture” et du tissage”. Sur

71. Adam 1952; Albarracin 1954 & 1964; Baklouti & Pariseau 1976; Belkaïd 1908 ;Benami 1980 ;Beneitez
1948 ;Benfoughal 1983; Ben Tanfous 1071; Bernez 1974; Besancenot 1942, 1949, 1951, 1990 ;Ceintures
1980; Chabrolles 1953; Chantreaux 1946; Cherif 1988; Gabriel-Rousseau 1938; L. Ginestous 1954 &
1959 ; P. Ginestous 1954 ; Harzallah 1992 ; Henninger 1973; Jouin 1948; Justin 1991; Kammerer-Grothaus
1995 ;Lisse 1954; Marçais 1932; Ougouag-Kezzal 1968; Rackow 1943, 1953, 1985: Sethom 1068, 1969,
1976 ; Skhiri 1971 ; Sugier 1968 : Touceda 1958 ; Vial 1995; Vicaire 1930 ; Vogel 1912-13 ; Yacine 1980 ; Zawa- ù
dowski 1944. Aperçus généraux: Besancenot 1942 & 1990 ; Les costumes 1988 ; Rousseau 1938 ; Sefrioui
1982 (bibliographie 3e).
72. Alaoui 1969; Baudin & Ossipov 1955; Bernez 1974;Broderie 1992 ; Brunot-David 1943 ; Catalogue 1935; ;.
De soie 1996; Florilège 1993 ;Gayot & Minault 1955 ;Gayot 1956 & 1959; Goichon 1939; Guerard 1967; 2
Jouin 1932 & 1935; Kammerer-Grothaus 1995; Larrea 1954; Lisse 1054; Marçais 1937: May 1943;
Ougouag-Kezzal 1969; Revault 1960; Ricard 1918, 1919; Spezzafumo 1931; Wace 1935 (bibliogra-
phie 3e). Eu
73. La dentelle 1947; Lisse 1954 ; Navicet 1917; Ricard s.d.; Ricard 1928 ; Spezzafumo 1931 (bibliographie 3e)
74. Chantreaux 1941-1942, 1946 ; Combes 1945 & 1946 ; Combes 1946; Cornet 1958; Couput 1889; Delheure
1947/1979 ; Djedou 1959; Lapanne-Joinville 1940 ;Maccreary 1975; Ricard 1928: Sicot 1946: Van Gen-
38 nep 1911 ; Vicaire 1936, 1937, 1939 (bibliographie 3e).
75. Bonete 1959; Born 1938; Combet 1896; Coustillac 1951-1952, 1958, 1959; Gallotti 1937, 1939, 1949 ;Gati-
neau 1959; Godon 1942; Groussin 1959 ; Kouadri & Ricard 1925 ; Lacroix 1959 ; Scannavino 1954; To
chon 1959 (bibliographie 3e).
76. Chantreaux 1941, 1942 ; Combes 1946 ; Delaporte 1981 ; Delpy 1954;Gallotti 1937, 1939 (bibliographie
le plan du contenu, quelques auteurs s'intéressèrent aux rites relatifs au tissage” et
à la terminologie du tissage’*. Après l'indépendance des États du Maghreb, ces
études plus limitées ne furent poursuivies que par quelques autres —-saufen ce qui
concerne l’art du tissage des tentes et les tissus typiques des nomades”, qui tom-
bèrent dans l'oubli total.
Bien que limitée, la contribution des femmes à la recherche menée entre 1920 et
1970 a donné lieu à quelques essais d'ethnographie descriptive sérieuse et appro-
fondie*°. Il est cependant frappant de constater que pas une de ces femmes, qui
pouvaient pourtant avoir facilement accès au milieu exclusivement féminin des
tisseuses, n’a consacré d'étude à la signification des motifs et des représentations.
La recherche scientifique réalisée au cours de ce dernier quart de siècle se réduit
malheureusement à peu de chose. Par comparaison avec la littérature de la période
coloniale, aucun progrès méthodique n’a été enregistré. Les catalogues d'exposi-
tion” et les études de détail® de parution récente sont peu nombreux. Quelques
livres sur l’art textile marocain ont toutefois été publiés au cours des dix dernières
années, à l'initiative de la Direction de l'Artisanat au Maroc (Le nouveau Corpus, 1989-
1990), du projet allemand COOPART, ainsi que de quelques collectionneurs pri-
vés. Tandis que les musées — au Maghreb comme en Europe restaient indifférents
et inactifs, quelques collectionneurs, surtout en Suisse, en Autriche et aux États-
Unis, se sont constitué de remarquables collections de textiles marocains. Plu-
sieurs d’entre eux ont tenté d'améliorer et de détailler l’ancienne classification de
Ricard. Un travail de terrain — d'orientation plus commerciale qu'ethnologique —a
été mené dans ce but et a mis en lumière quelques nouvelles données“. Mais tout
bien considéré, l’art textile berbère n'a révélé qu'une part de ses secrets. Nous
ne savons encore pratiquement rien sur un grand nombre de régions. Et la
signification de cet art reste un mystère.

77. Basset 1922; Combes 1946; Delheure 1947/1979; Genevois 1967; Golvin & Louis 1949: Golvin 1949:
Pauline-Marie 1949-1951 ; Ricard 1928 ; Sayad 1979 ; Sugier 1971 (bibliographie 3e).
78. Bynon 1963; Combes 1946 ; Drouin 1969 ;Galand 1970 ; Golvin 1949;Lefebure 1978 (bibliographie 3e).
79. Bonete1955; Borg 1955;Casajus 1981; Claver 1953 ;Delpy 1955 ;Golvin 1960;Laoust 1930 : Martel 1955 :
Massabie 1955; Nachtigal 1966; Rackow 1938; Scannavino 1955; Touchon 1955 (bibliographie 3e).
La seule publication récente est Maurieres et al., Au fil du désert 1996, où les textiles des nomades du
Maghreb sont étudiés avec les textiles analogues du Machrek.
80. Bel 1939, 1944; Bonnet 1929 ; Bovet 1938; Bridier 1953; Brunot-David 1943; Chantreaux 1941-1942, 1945,
1946; Claver 1953; Combes 1945, 1946; Drouin 1969; Genevois 1967; Ginestous 1954, 1959; Goichon
È 1939 ; Guerard 1967, 1968, 1969, 1975, 1978 ; Jouin 1932, 1935 ; Sœur Pauline-Marie 1949-1951 ; Sugier 1968,
1971 (bibliographie 3e).
8. À ladécouverte 1988 ; Berber. 1996 ; Bird et al. 1987 ; From the Far West 1980 ; Tales 1906 ; Tapices 1987 ; Windows
1992. Sur la broderie et la soie : Broderie d'Alger 1992 ; Ceintures 1980 ; De soie 1996 ; Florilège 1993 ; Harzallah
1992 ; Kammerer-Grothaus 1995 ; Vial 1995. Deux catalogues sur les vêtements de la femme tunisienne
sont dignes d'intérêt: Les voiles et après 1992 (publié par le CREDIF, Tunis) et Noces tissées 1995 (dans le
cadre de la «Saison tunisienne en France»), ainsi qu'un catalogue sur la broderie du Maghreb dans son
ensemble:De soie et d'or 1996 (Institut du Monde arabe, Paris) (bibliographie 3e).
Il faut mentionner les recherches de Frieda Sorber et de Lucien Viola sur les vêtements féminins blancs
du Haut et de l'Anti-Atlas. Voir Sorber 1998 et Viola 1999 (bibliographie 3e).
à Stanzer 1991; Pickering 1995; Berber 1996; Korolnik 1997. Seuls Ramirez & Rolot 1995 fournissent des
« tentatives d'interprétation intéressantes (bibliographie 3e).
40

Tissu ras haml, détail, Tunisie du Sud, vers 1900-1930 (300 x 195 cm).
Des millénaires d’art textile

La photographie coloniale, vers 1880-1940


Durant la seconde moitié du XIX® siècle, comme tant d'artistes avant eux, des pho-
tographes prirent la route du Levant et de l'Afrique du Nord pour y réaliser des
images exotiques, propres à frapper l’imagination. Langoureuses beautés orien-
tales, scènes de harem, cavaliers «arabes», hommes oisifs, paysages vibrant sous
le soleil:tels étaient les sujets qui hantaient la peinture orientaliste. Le choix de
ces sujets était déterminé par les obsessions européennes: plus le «contrôle de
soi» (pruderie victorienne et idéologie du mariage monogame), l'cefficacité »
(la conduite de la guerre moderne) et le «travail» s'affirmaient comme les slogans
de l'Occident en proie à la modernisation, plus l'art offrait l'occasion de se livrer
sans arrière-pensée — et par procuration — au comportement opposé. Ces mêmes
thèmes rencontrèrent également les faveurs des photographes du XIX° et du début
du XX' siècle. Dans le sillage de la colonisation, ils visitèrent les territoires fraîche-
ment « pacifiés ». La France occupa l'Algérie en 1830. (La soumission totale ne fut un
fait qu’un demi-siècle plus tard.) La France mit également la main sur la Tunisie en
188r et occupa une grande partie du Maroc à partir de ror1, y installant un «protec-
torat»!. Ainsi, la période 1890-1920 fut celle de la floraison de la photographie
orientaliste au Maghreb” et d’ailleurs également au Levant’.
“En Algérie, la photographie démarre avec Félix Moulin. Celui-ci parcourut le
pays pendant dix-huit mois, en 1856-1857. Il prit des photos de villes et de paysages,
ainsi que de notables locaux. En 1860, il publia un album extrêmement intéressant,
L'Algérie photographiée. Pour la Tunisie, on citera surtout l’activité d'Albert Kahn
(1860-1940), Adolf Lehnert* (1878-1948) et Albert Samama-Chikli (1872-1933), ainsi
que de Soler, Neurdein, les frères Levy et d’autres’. À partir des dernières décennies

1. Jürgen Rosenbaum, Frankreich in Tunesien. Die Etablierung des Protektorates 1881-1886, Stuttgart, Steiner,
1972; H.L. Wesseling, Verdeel en heers. De deling van Afrika 1880-1914, Amsterdam, Bert Bakker, 1991,
pp.34-49 (Tunisie) et pp.413-444 (Maroc).
2. Voir par exemple C. Liauzu & E. Garrigues, «La collection Brunel», in Ethnographie et photographie, 87,
1991, pp. 191-198 (surtout sur la région autour de Gafsa, en Tunisie) ; Franz Waller, «Jakob August Lorent.
2. His travels in Algeria and Egypt 1858-1860 », in The photographic collector, 5, 1984-1986, pp.186-106.
3. Petra Bopp, Franzôsische Bildexpeditionen in den Orient 1865-1893, s1., Jonas PRO, 1993; Gesine Asmus,
«Aus der Ferne-Aus der Nähe. Bilder vom Mittelmeerraum vor und nach der Erfindung der Fotografie »,
in Ansichten der Ferne. Reisephotographie r850-heute, éd. Klaus Pohl, 1983, pp.7-57; Paul Faber et al., Beelden
van de Oriént. Images ofthe Orient. Fotografie en toerisme 1860-1900, Amsterdam, 1986 ; Franz Waller, «Jakob
August Lorent. À forgotten German travelling photographer», in The photographic collector, 3, 1982,
pp.21-39: Bertram Turner, «Der Orient im Objektiv. Von der Genrefotografie zum ethnograñschen
Blick », in Der geraubte Schatten. Die Photographie als ethnographisches Dokument, éd. Thomas Theye, Munich,
Haus der Kulturen der Welt, 1989, pp.204-243.
4. Philippe Cardinal, L'Orient d'un photographe: Lehnert & Landrock, Lausanne, 1987; Ernst Kühnel, Nord-
afrika: Tripolis, Tunis, Algier, Marokko. Baukunst, Landschaft, Volksleben. Aufnahmen von Lehnert und Landrock,
(Orbis terrarum), Berlin, 1924.
5. Abdelkrim Gabous, La Tunisie des photographes. 1875-1910. De l'invention de la photo à l'avènement de la couleur,
[Tunis], Cérès, [1994]; Guy Mandérie, «Photographie et cartes postales à Tunis 1881-1914», in L'image
dans le monde arabe, éd. G. Beaugé & J.-F. Clément (Collection Études de l'Annuaire de l'Afrique du Nord),
Paris, CNRS, 1995, pp. 291-297.
du XIX' siècle, ces prises de vues servirent à la production massive de cartes pos-
tales employées par l'administration coloniale et un nombre croissant de touristes
pour garder le contact avec leur famille et leurs connaissances.
Indirectement, la photographie coloniale s’est révélée une source intéressante
pour l’art du tissage — comme pour bien d’autres aspects de la vie à cette époque. Le
genre possède ses limitations :les photographes n'étaient pas actifs dans toutes les
régions. La plupart préféraient rester dans les zones «calmes», qui se trouvaient
entièrement sous le contrôle des autorités françaises®. Ainsi, on ne trouve pas de
photographies du Maroc méridional, où l’art textile berbère atteignit des sommets.
Les observateurs européens étaient surtout fascinés par la vie des nomades.
Nous disposons de nombreuses photos, non mises en scène, de groupes et de
familles nomades, surtout d'Algérie et de Tunisie. Certaines d’entre elles montrent
les phases du travail de la laine. Une photo anonyme prise vers 1930 représente une
jeune fileuse au travail près d’une tente dans une oasis algérienne. À gauche de la
fileuse se tient une jeune fille vêtue en partie d’un tissu imprimé de fabrication
industrielle, tandis que des membres plus âgés de la famille sont encore habillés
entièrement d’étoffes unies qu'ils ont tissées eux-mêmes’. D’autres photos mon-
trent le tissage même. Les nomades se servaient surtout du métier horizontal. Il
était installé en plein air et permettait à la tisseuse de monter de très longues pièces”.
On tissait ainsi des toiles de tente, mais également la pièce maîtresse très complexe
de l’art textile des nomades, le hamel. Nous rencontrons une seule fois, dans une
oasis de la Tunisie méridionale, le petit métier vertical installé dans une tente; le
tissu déjà produit est enroulé en dessous. Sur la tente on aperçoit un long coussin,
qui sert aussi au rangement, et un kilim ou textile double face. Par leur style, ces
tissus rappellent ceux des nomades de la steppe tunisienne (les Hamama, par

6. Voir par exemple François Pouillon, «Du savoir malgré tout: la connaissance coloniale de l'extrême-
sud tunisien», in Connaissances du Maghreb, Paris, CNRS, pp. 80-93; Philippe Lucas, «Le savoir à l'insu.
Réalité de l’ethnologie coloniale. Le cas de l’ethnologie algérienne», in Pluriel, 11, 1979, pp.63-74: Phi-
lippe Lucas & Jean-Claude Vatin, L'Algérie des anthropologues, Paris, Maspero, 1975 ; François Leimdorfer,
Discours académique et colonisation : thèmes de recherches sur l'Algérie pendant la période coloniale (corpus des thèses
de droit et lettres, 1880-1962), Paris, Publisud, 1992. |
7. Une photo, distribuée par les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, montre une vieille
femme cardant la laine en compagnie d'une missionnaire et de trois fillettes à Bab Darb (près de Biskra).
Photo sans nom d’auteur ni numéro ; une photo de Maurice Maure (Biskra) (n° 175 : avant 1907) montre
une tente à Biskra ; une jeune femme file de la laine.
8. D’autres photos montrant le tissage des nomades sur un métier horizontal: Maurice Maure, Biskra,
n°79 (vers 1900) ; R. Prouho, Hussein Dey, n° 124 (vers 1920).
9. Alger:r. Atelier Delfau avec des enfants posant près de tapis de la tradition urbaine et de la tradition reg-
gam. Photographe PS. (Collection Idéale, n° 319). Au revers : «Manufacture de tapis algériens. École Del-
Photographie coloniale: fau. 84, boulevard Valée. Alger»: 2. Atelier Delfau avec trois jeunes tisseuses. Photographe inconnu;
(a) Bassours dans la caravane du Caïd Ben 3. Atelier anonyme avec des enfants tissant d'après un patron. Photographe inconnu (Édition Alger-
Ganah (Algérie). Photo Neurdein, Tunis, Luxe, 24). Il s'agit probablement de l'atelier Delfau (les colonnes sont identiques à celles de la prise de
vers 1900. vue 1, mentionnée ci-dessus) ; 4. Six fillettes dans un atelier anonyme à Alger (sans doute Delfau, même
(b) Bassour àBou-Sa ‘ada (Algérie). Photo raison). Photo: Frères Levy, Tunis, vers 1900 ou avant. Diffusé par: L. Relin, Alger.
J- Geiser, Alger, vers 1900. 10. Tunis: 1. Tisseuse travaillant à un métier en métal dans un atelier. Photo: Soler, Tunis («Scènes
(c) Dromadaire avec tapis de selle d’Oudref. d'Orient», n°180); 2. 17 enfants et jeunes filles dans l'atelier Maison Lavigerie, dirigé par une Sœur
Photo F. Soler, Tunis, vers 1900. blanche. Photographe inconnu. Édité par les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, Saint
Charles Birmandreis, Alger; 3. Une vingtaine de fillettes et de femmes dans un atelier inconnu. Photo:
À. Samama Chikli, in: La Tunisie des photographes (voir note 5), pp. 104-105.
1. Au Maroc: 1. Deux tisseuses dans un atelier urbain. Photo: Lévy Fils & Cie, Paris («Scènes et types, |
42 1003), Édition spéciale des Magasins Modernes.
En Algérie: 1. «Ouvroir indigène» à Biskra, dirigé par les Sœurs missionnaires de Notre-Dame
d'Afrique, Saint Charles Birmandreis (Alger). Photographe inconnu ; impression: A. Thiriat, Toulouse.
Voir Georges Goyau, De la Méditerranée au désert: les œuvres des Sœurs Blanches du Cardinal Lavigerie, Lyon,
Arlau, 1930.
exemple). La photo a peut-être été prise dans une des oasis entourant Gafsa; on y
fabriquait des tissus de ce genre. On ne trouve d’autres photos du tissage sur métier
vertical que dans un contexte urbain: à Alver°, à Tunis’, et dans d’autres villes”. Il
s’agit d'ateliers modernes où des ouvrières nouent des tapis d'après un modèle. Elles
suivent des patrons urbains, conçus par des spécialistes masculins. Au XIX' siècle (et
avant), le même procédé servit à la production de tapis persans et turcs.
Ces photographies ne disent donc rien de l'art textile rural des Berbères. Elles ne
concernent qu’une production urbaine visant la consommation locale et étrangère.
Les témoignages photographiques de l’activité textile rurale sont extrêmement
réduits. On connaît deux photos du tissage d’un haïk (vêtement féminin envelop-
pant)”. Par ailleurs, Muzi, un photographe peu connu de Sfax, nous a laissé une
image de la teinture d’une moushtiya confectionnée sur place à El Jem, en Tunisie.
Si le processus de production est pauvrement documenté, il existe à l'opposé
des dizaines de photographies de l'usage même des tissus achevés, dans le contexte
rural aussi bien qu’urbain. Les dromadaires chargés d’un bassour formaient un spec-
tacle «exotique » particulièrement prisé. Un bassour” est un énorme trône à balda-
quin, clos par une profusion de tissus et de tapis. Les filles nubiles y prenaient place
durant les déplacements des nomades, étant séparées de la sorte du monde exté-
rieur et protégées également de l'épuisement et des dangers de la vie nomade. Les
bassours étaient de véritables éventaires des tapis possédés par telle ou telle famille.
Sur une photo de Neurdein, on reconnaît deux ousada de Tunisie méridionale (à
côté de la main droite de l’homme situé à droite’ *;sur une photo de Geiser, un tapis
du Djebel Amour”). D'autres photos montrent un mélange bigarré de tissus du Tell
algérien. L'usage de textiles dans la vie quotidienne est également documenté:
vêtements, kilims”, mergoums, tapis noués” et nattes en osier". Ces images sont
des instantanés «réalistes ». Cependant, un grand nombre de photographies ont
été mises en scène, surtout celles comportant des femmes comme figurantes. Les
seules femmes qui se prêtaient à toutes sortes de poses étaient les prostituées des
villes. Elles étaient vêtues (ou dévêtues) selon les désirs du photographe, afin de
satisfaire à ses fantasmes et à ceux de sa clientèle. Innombrables sont les «femmes

12. Lehnert & Landrock, vers 1904-1910. Ill.: La Tunisie des photographes. (voir note 5), p.21; Frères Levy,
avant 1906 («Scènes et types », n° 24).
13. D'autres photos de bassours: Ghardaïa (Mzab, Algérie): photo R. Prouho, Hussein Dey, vers 1925.
Réédité par Photo Combier, Mâcon, vers 1930. («Collection du Bazar Oriental », n°388.) Une autre prise
de vue de la même scène: A.D.L.A., Nice («Scènes et types du Sud», n° 8076) ;Biskra (Algérie) :photo
Maure, Biskra, vers 1900 ;Sud Oranais: photo J. Geiser, Alger, vers 1910. Voir Serge Dubuisson & Jean-
Charles Humbert, «Jean Geiser, photographe-éditeur d'Alger 1848-1923. Chronique d’une famille », in
L'image dans le monde arabe, éd. G. Beaugé &J.-F. Clément (Collection Études de l'Annuaire de l'Afrique du
Nord), Paris, CNRS, 1995, pp.275-289; lieu inconnu: photo Neurdein, Tunis, vers 1900 (n° 281; lieu
inconnu: photographe inconnu («Collection idéale » P.S.) ; Bou Sa‘ada, Algérie: photo R. Prouho, Hus-
sein Dey, vers 1925; lieu inconnu (désert): photo Frères Levy, Tunis, vers 1900 («Scènes et types»,
n° 6010); lieu inconnu (oasis): photo Lehnert & Landrock, Tunis, vers 1910 (n°179); lieu inconnu: (d) Tapis mergoum dans une mosquée,
photo PS. («Collection idéale », n° 46). vers 1900. Photo A.D.I.A.
14. Une autre prise de vue de la même caravane: Neurdein n°73 (avant 1903).
15. Une autre prise de vue du même dromadaire: Geiser n° 20 (avant 1912).
16. «Caravaneen route», photo: Frères Levy, Tunis («Scènes et types », n° 6190). Il faut noter le capuchon de
l'enfant au milieu au premier plan.
17. Kilim comme tapis de selle: photo Maurice Maure, Biskra («Scènes et types», n° 1173); kilim sur tente:
photo Neurdein, Tunis (n° 39); kilim sur dromadaire dans une caravane à El Qantara, Algérie: photo 43
Neurdein, Tunis (n° 71).
Grands tapis noués: lors d'un spectacle de travestis, accompagnés d'un orchestre d'instruments à vent
et de tambours: photo Neurdein, Tunis, n° 311A ; devant une tente: photo Neurdein, Tunis, n°152A.
Nattes : dans une école de village: photo Neurdein, Tunis, n° 500A.
de harem»”°, représentées comme figures paradoxales de la sauvagerie et de la
séduction. Certains modèles étaient si prisés que de nombreuses photos en furent
faites par des photographes différents. Leur habillement révèle qu'elles n'apparte-
naient ni aux classes urbaines respectées, ni aux groupes tribaux authentiques.
Elles portent un méli-mélo de tissus occidentaux (généralement de la mousseline
transparente ou des cotonnades d'impression industrielle) et de pièces locales de
provenance urbaine et parfois rurale. Ces photos, précisément, montrent souvent
des tissus intéressants : sans doute répondaient-ils à la somptueuse tradition d’ate-
lier du XIX° siècle et intensifiaient-ils la couleur locale. Une photo de Neurdein
représente une femme «mauresque ». Elle porte la coiffe pointue des citadines d’Al-
ger, une robe transparente de mousseline, un corsage brodé et une jupe indigène.
Elle est étendue sur un kilim algérien; derrière elle est tendue une natte d’osier à
motifs berbères”. Les deux pièces conviennent à une ambiance rurale. Une photo-
graphie de A. Benzaquen (Tanger) combine trois sortes de tissus : un tapis noué de
la tradition arabe urbaine (Rabat), un simple tissu qui est probablement un hanbel
des Zemmour, et une pièce vestimentaire très fine dans le style de la tahandirt des
Zemmour. Les deux derniers textiles proviennent également d'un milieu nomade.
On remarque également des textiles de la campagne sur les représentations des
«Ouled Naïl»”, nom donné aux femmes de la tribu de même nom qui avaient
abouti comme prostituées dans les villes et les garnisons. Elles sont généralement
photographiées dans leur nouvel environnement urbain. À titre exceptionnel, on
trouve des photos d’elles dans un cadre rural. Une photo très intéressante de 1910,
représentant une fête dansante à Bou Sa‘ada, montre, étalés sur le sol devant les
musiciens et les danseuses, différents tissus. À gauche on note un kilim avec des

20. Voir aussi: Naziha Hamouda, «Two portraits of Auresian women», in Anthropology and photography
1860-1920, éd. E. Edwards, New Haven—Londres, 1992, pp.206-210; Shanta Rao & Sophie Caratini,
Mauresques, Paris, 1993; Malek Alloula, Le harem colonial: images d'un sous-érotisme, Paris— Genève,
Garance /Slatkine, 1981; Gilles Boetsch & Jean-Noël Ferrie, «La fin du Maure et la réinvention de la
Mauresque: les ethnies imaginées, du sens scientifique au sens commun », in Rives nord méditerranéennes
(Aix-en-Provence, Publication de l’unité mixte de recherche Temps, Espaces, Langages, Europe méri- \
dionale-Méditerranée), n° 10, 1995, pp. 66-74. Cette étude montre comment les noms des groupes tri-
baux algériens ont évolué au cours de la colonisation. Le terme de «Maures » désignait les citadins, celui
de «Berbères » les habitants de la campagne. Après 1930, cette classification disparaîtra, car on avait
compris qu'elle était insoutenable. Les «Maures» fictifs, et en particulier les «Mauresques », ne conti-
nuèrent d'exister que sur les cartes postales jusque dans les années cinquante. Voir également: François
Pouillo, «Exotisme, modernisme, identité. La société algérienne en peinture», in Le Maghreb, l'Europe et
la France, éd. Kassem Basfao et al., Paris, CNRS, 1992, pp. 209-224; Gilles Boetsch & Jean-Noël Ferrié,
«La Mauresque aux seins nus: l'imaginaire érotique colonial dans la carte postale », in Images et colonies,
éd. P. Blanchard & A. Chatelier, Paris, Syros, 1993, pp. 93-06.
Quelques exemples de photos de harem: Lehnert & Landrock, Tunis, n° 254: «Harem »: Lehnert & Land-
rock, Tunis, n°275: «Femmes arabes au harem»; Lehnert & Landrock, Tunis, n°557: «Femmes de
harem»; Éditions A.F, n°83: «Cour mauresque un jour de réception ».
21. D'autres photos ont été prises de ce modèle, toutes par Neurdein: n° 5A : «Chanteuse mauresque s'ac-
compagnant de la derbouka». À l'arrière-plan : kilim + natte; n°60: «Intérieur mauresque». Par terre:
kilim + natte; n° 133A : «Femme mauresque dansant au son de la derbouka». Arrière-plan: deux nattes
en osier;n° 221A :«Femme kabyle se couvrant de son haick». Arrière-plan:idem.
22. Photo C.A.P, n°1034. «Quled Naïl chez elle», assise sur un tapis du djebel Amour; photo J. Geiser,
Alger, n° 514: «Femmes des Ouled Naïl », buvant le thé sur un long tapis. +
23. Photos d'intérieurs urbains montrant des tapis noués algériens: «Biskra. Un Salon mauresque R. |
photo: Neurdein, Tunis. «Danse du ventre»; photo: PS. («Collection idéale », n° 120).«Mauresque d'Al
44 ger (Costume d'intérieur) »; photo:]J. Brun & Cie, Carpentras, n° 808 (réédition avant 1902 d’une photo
d’un photographe inconnu, numérotée «100 »). «Scène d'intérieur»; photo:J. Brun & Cie, Carpentras,
n°805 (idem, sans numéro). «Belle Fatma»; photo: PS. («Collection idéale», n° 144). «Fathma chez
elle»: photo: Arnold Vollenweider, Alger, n°86. Photo montrant un kilim algérien: «Mauresque ver-
sant son Kaoua»; photo: PS. («Collection idéale », n° 131). |
motifs irréguliers, exemple de style rural plein d'anomalies qui, jusqu'il y a peu,
passait pour inférieur aux yeux des «connaisseurs ». Il n'était pas rare que des tissus
de la campagne se retrouvent dans les intérieurs citadins. C'est ce que prouvent des
prises de vues de Lehnert (Tunis)** ou de Geiser (Alger), où l'on voit des kilims de
Gafsa (Tunis), ou des photos de palais, de mosquées et de chefs locaux*.
La photographie coloniale ne nous offre pas de témoignages de campagnardes
sédentaires au moment du tissage ou faisant usage de leurs propres textiles. Nous
n'avons pas connaissance non plus d'images de la vie à l’intérieur d'une tente de
nomades et de l’usage « domestique » des textiles. Pour un étranger, et certainement
pour un homme, pénétrer dans ce domaine était chose impossible. La photogra-
phie ne nous informe pas davantage sur certaines formes importantes de l’art tex-
tile, par exemple le bakhnoug tunisien, l’akhellal algérien ou la tahandirt marocaine,
qui sont des vêtements féminins d’une grande richesse iconographique. De même,
les traces photographiques de l’art textile rural, autonome — ce que nous appelons
ici le style «spontané » — sont pratiquement absentes”.

La peinture orientaliste, vers 1830-1930

Tout comme la photographie, la peinture orientaliste se révèle parfois, et involon-


tairement, une source intéressante d’information sur l'histoire de l’art textile.
Nous distinguerons quatre groupes de représentations: tisseuses au travail,
femmes, caravanes avec bassour, sujets divers.
Le travail qui est la base de l’art textile, le filage, a été représenté à plusieurs
reprises. Les mouvements du filage, très simples mais requérant une grande préci-
sion, fascinaient les observateurs européens. Certains, comme Rudolf Ernst (1854-
1932) ou Louis-Auguste Girardot (1856-1933), choisirent leurs modèles dans un
milieu urbain marocain”. D'autres, tel Lucien Lhevy-Dhurmer (1856-1953), recher-
chèrent à la campagne l'authenticité « primitive » de techniques vieilles de plusieurs
millénaires”.
Le tissage même était une technique qui, en Europe, ne fut jamais considérée
comme distinguée et resta donc délaissée par les peintres. Par contre, l’aura «orien-
tale » de la culture nord-africaine rejaillissait sur l’art textile local. Celui-ci inspira
des œuvres telles que Les Tisseuses à Bou Sa‘ada (Algérie) de Gustave Guillaumet
(1840-1887), Tisseuse à Biskra*° (1889) de Paul Leroy (1860-1942) et les tableaux, peints
en des lieux non identifiés d'Afrique du Nord, de Charles Manciet (1874-?)7,

24. «Récolte des dattes»; photo: Lehnert, Tunis, vers 1940 (n°118).
25. Photo Neurdein, Tunis, n° 405A :«Grands chefs arabes, chez le Bach Agha Ben Ganah». Construction
ornée de palmiers et de textiles. On reconnaît un battaniya de Gafsa (à l’extrême gauche), un kilim du
sud-ouest de la Tunisie ou d'Algérie orientale (au premier plan, à gauche), et sur le sol de grands qtaif;
photo ES. Édition Eureka, n° 2002 (vers 1900): « Arabe dans son intérieur». Sur le sol, un gtifa.
26. Les rares prises de vues chez des marchands de tapis montrent surtout des tapis urbains: photo Neur-
dein, Tunis, avant 1908, n° 90: « Souk el Leffa ». Prise de vue du «Bazar Barbouchi», avec des tapis: un
tapis urbain à gauche, et deux mergoums (le second est un trabelsi) au mur à droite; photo C.A.P. avant
1929 ; n°90 :« Souk el Attarine » à Tunis.
Lynn Thornton, La femme dans la peinture orientaliste, Courbevoie, ACR Édition, 1991, PP-142 et 144. 45
Ibid., p.146.
Paris, Musée d'Orsay, n° RF 2829 (toile, 95 x 129 cm) et n° 20406 (copies plus petites, 55 x 75 cm).
Paris, Musée d'Orsay, n° RF1977-225 (toile, 55 x 65 cm).
Nous remercions Christie's New York pour l'information.
Charles Theriat (1860-1937) et Jacques Alsina (vers 1900)”. Si les trois dernières
œuvres sont de qualité artistique modeste, elles présentent une valeur ethnogra-
phique non négligeable.
En 1906, Marie-Aimée Lucas-Robiquet peignit Tisseuses à Gabès (Tunisie). En
tant que femme, elle pouvait pénétrer dans ce monde strictement féminin. La
scène est probablement d’une observation authentique. Les deux tisseuses, assises
dos au mur, ont une avant-cour devant elles, ce qui correspond à la situation histo-
rique. Les femmes portent les habits bleu foncé et rouges si caractéristiques autre-
fois de la région. Le tissu que l'on voit sur leur métier est un kilim. Une compagne
avec deux enfants parle avec les tisseuses”?.
En 1945, à Sidi Ouhichet (Tunisie), le peintre russo-franco-tunisien Alexandre
Roubtzoff (1884-1949) dessina des femmes berbères occupées à tisser sur un métier
vertical dans une tente. Elles sont entourées d’enfants et d’autres femmes vaquant à
des tâches ménagères. Auparavant, Roubtzoff avait peint à Tunis Jamila et Fatima,
deux jeunes tisseuses travaillant côte à côte sur un petit métier vertical”. À en juger
d’après les tatouages ornant leurs bras et leurs mains, il s'agissait de campagnardes
qui avaient abouti dans la capitale. Leur habillement est citadin, tout comme la
composition du tapis qu’elles tissent. Roubtzoffdocumenteici l'acculturation subie
par tant de nomades et de paysans qui entament une seconde existence en ville.
Leurs filles, nées dans ce nouveau milieu, ne porteraient plus de tatouages.
Certains artistes accordaient une attention particulière aux tatouages. Roubt-
zoff exécuta de nombreux croquis de femmes du peuple avec leurs bijoux et
tatouages. Il dessinait des femmes dans leur entourage rural ou dans la capitale où
elles avaient émigré. D'autres artistes ne peignirent qu’occasionnellement des
portraits de berbères marocaines avec leurs tatouages”. Etienne Dinet (1861-1929)
nous a laissé un nombre particulièrement important de croquis et de tableaux de
femmes de la campagne algérienne. Chaque été, il résidait en Algérie, à partir de
1904 surtout à Bou Sa‘ada. Il eut donc des contacts prolongés avec la population
locale, contacts encore favorisés par sa conversion à l'islam en 1913 et qui font de lui
un observateur fidèle, abstraction faite de l'ambiance érotisée dans laquelle il pla-
çait ses «baigneuses » et autres jeunes modèles. Ses représentations de tatouages
et de bijoux possèdent une valeur documentaire.

32. Mathaf Gallery, Londres.


33. Thornton 1991 (voir note 27), p.145.
34. Alya Hamza, Alexandre Roubtzoff, peintre tunisien, Tunis, Alif/Les Éditions de la Méditerranée, 1994,
Pp-104-105. Une peinture de 1924, Femmes près du métier à tisser, est conservée au Petit Palais (Paris). Par-
fois Roubtzoff dessinait des tissus; voir par exemple p.128 (kilim de Gafsa).
35. Thornton 1991 (voir note 27), P-147.
36. Hamza 1994 (voir note 34), p.94, «Aïcha», Sidi Ouhichet (Siliana), 1942: p.08, «Hafsia», Sidi Ouhichet,
1944; p.106, «Zohra», Tunis, 1942; p.110, «Hani», Tunis, 194; p.113, «Hania & Alya», Tunis, 1917; p.116,
Gustave Guillaumet, Les Tisseuses «Aïda», Tunis, 1921; p.117, « Alya», Tunis, 1923; p.128, «Messaouda», Tunis, 1939 ;p.128, « Aïda», Tunis,
à Bou Sa‘ada. Paris, Musée d'Orsay. 1921; p.128, «Alya», Tunis, 1935 ; p.129, «Hania», Tunis, 1928 ; p.129, «Zina», Rdeyef, 1944: p.129, «Deb-
bicha», Rdeyef, 1944. Voir également Thornton 1991 (voir note 27), p.178 («Mbarka », Tunis, 1914), p.180
Paul Leroy, Tisseuse à Biskra, 1880. («Alia», Tunis, 1937).
Paris, Musée d'Orsay 37. Thornton 1991 (voir note 27), p.104: Théodore Leblanc, Mariée marocaine, 1837: p.209: Marie Caire-
Tonoir, Femme de Biskra, vers 1905. Paris, Musée des Arts africain et océanien, p.208: Lucien Lévy-Dhure.
mer, Femmes berbères marocaines, vers 1905; p.34: J. Dutey, vers 1930. Paris, Musée des Arts africain n. |
océanien.
46 38. D.Brahimi &K. Benchikou, La vie et l'œuvre d'Étienne Dinet (L'orientalisme, 2), Courbevoie, ACR, 1991, p.52,
n°223-1; p.53, n°85; p.54, n°203; p.55, n°195; p.61, n°205; p.65, n°261; p.68, n°276; p.81, n°286; à
p.85, n°279; p.88, n°177; p.89, n°192; p.90, n°174-1; p.91, n°185; p.92, n°214; p.93, n°183; p.95,
n°217; p.101, n°188 ; p.107, n°15; p.113, n° 222 ; p.130, n°417; p-131,n° 89; p.149, n° 250. Et les esquisses
suivantes: p.295, n°151; p.207, n° 204; p.280, n° 518; p.281, n° 521; p.281, n° 522; P-291, n° 174-1 (1906).
Nous devons à la peinture orientaliste d'innombrables «portraits» et autres re-
présentations de femmes maghrébines. Ces œuvres trompent souvent le spectateur
par l'impression d’exotisme qu'elles dégagent. Il s'agit pour la plupart de mises en
scène théâtrales réalisées dans l'atelier de l'artiste. Celui-ci faisait souvent appel à des
modèles citadins — généralement des prostituées. Il les habillait en fonction du
thème traité. La ségrégation des sexes dans la société traditionnelle du Maghreb ren-
dait impossible à un artiste occidental masculin de faire poser librement une femme.
La peinture et la photographie partageaient la même approche: elles utilisaient
l'habillement et les textiles de façon plus ou moins arbitraire comme éléments de la
composition. Nous ne voyons pratiquement jamais d’habits berbères authentiques,
provenant d’un milieu rural. L'habillement est généralement un amalgame d'élé-
ments de fabrication citadine et même occidentale. Datant de 1837, une toile d'Ho-
race Vernet (1789-1863) fait exception à cette règle”. Elle représente l'histoire
biblique d'Abraham chassant Hagar. Hagar porte un haïk kabyle avec un motif sévère
en rouge et blanc. Vernet exécuta cette toile à partir d’impressions de voyage de 1833.
Après la pacification de la Kabylie, cette région devint pour nombre d'artistes
une source pittoresque d'inspiration. Emile Vernet-Lecomte (1821-1900) peignit en
1870 un portrait «kabyle» parmi les plus impressionnants. Il représente une
femme portant ses habits traditionnels — une robe à rayures blanches et un haïk
rouge à lignes blanches*° — et ses bijoux. Elle tient à la main une cruche kabyle
typique ornée de motifs berbères. De Gustave Boulanger (1824-1888), on connaît
une Femme kabyle près de la source (1888). Ici encore, la coiffe, les bijoux et la cruche
sont assez correctement rendus, mais le léger tissu de soie (?) rayé de la robe n'a
rien de rural“.
Dans presque toutes les représentations orientalistes, les femmes nord-afri-
caines portent des vêtements confectionnés dans des tissus de provenance cita-
dinelocale ou, le plus souvent, des imprimés occidentaux. La raison en est double.
D'une part, beaucoup d'artistes composaient dans leur atelier des scènes pseudo-
authentiques, pour lesquelles ils choisissaient des modèles rémunérés qu'ils
habillaient à leur gré. La même pratique s’observe d’ailleurs dans la photographie
orientaliste locale entre 1880 et 1940 environ. D'autre part, les tissus occidentaux
de fabrication industrielle commençaient à conquérir en masse les marchés non
européens. Ce processus était déjà pleinement engagé au XIX° siècle, comme le
prouvent d'innombrables photos sans mise en scène prises vers 1900: elles repré-
sentent de petits groupes de femmes de la campagne ou nomades dont certaines
portent déjà de tels tissus.
Une observation relativement fidèle caractérise un troisième groupe théma-
tique dans la peinture orientaliste (comme dans la photographie): les caravanes
avec les bassour. Les jeunes mariées ou les filles nubiles accomplissaient le trajet
vers leur nouvelle demeure sur des chameaux portant un énorme baldaquin. Les
bassours peuvent être considérés comme des expositions textiles mobiles, le balda-
quin étant orné d'une grande quantité de tapis et de tissus, qui possédaient tous Horace Vernet, Hagar, 1837.
une signification symbolique et affective au sein de la culture du groupe. Nantes, Musée des Beaux-Arts.

Une des représentations les plus intéressantes est l’Arrivée des mariées d'un
peintre relativement inconnu, Gustavo Simoni (1846-1920). Deux chameaux por-
47
_ 39. Nantes, Musée des Beaux-Arts, n°1213. Toile, 81 x 65 cm.
_ 40. Thornton 1991 (voir note 27), p.203.
1. Nous remercions Christie's New York pour l'information.
tant un bassour font halte. Vêtues de leurs plus beaux atours, les mariées sont
assises sous les baldaquins mi-ouverts. Une vingtaine de musiciens et de membres
de la tribu accompagnent le cortège. Leur aspect misérable contraste avec l'éclat
des mariées. Cette scène fut peinte en Tunisie**, mais c'est en Algérie que la plupart
des orientalistes de l'école française trouvèrent leur inspiration quant à ce thème:
Eugène Girardet (1879)*, Gustave Guillaumet (1880)**, Victor Huguet*, Philippe
Pavy (1889)*°, Paul Lazerges (1892)* et d’autres. La première œuvre orientaliste
représentant un bassour est de la main d'Horace Vernet et date de 1845*°. On y voit
très nettement un tapis noué. La scène a lieu en Algérie, mais le tapis, qui offre un
coloris étrange de gris-bleu, rouge, blanc et noir, ne peut pas être attribué à une tra-
dition textile déterminée.
Enfin, bon nombre d’orientalistes ont inséré dans leurs œuvres des textiles pri-
vés de lien existentiel avec la composition. Un tapis de la tradition urbaine de Rabat
est représenté dans une composition de l’orientaliste espagnol Virgilio Mattoni de
la Fuente (1889) : un hanbel de Salé dans une Scène de marché à Rabat (1880) d'Edwin
Weeks”. D'autres, comme Alfred Delobbe dans Nfissa d'Alger (1872), rassem-
blent dans une mise en scène bigarrée des textiles appartenant à différentes tradi-
tions, tels des kilims de Gafsa (Tunisie) et des tapis confectionnés par des tisserands
masculins (reggam) d'Algérie. Danse de noces de Gaston Saintpierre (1833-1916)°° pro-
pose une représentation très nette et entière d’un tapis noué par un reggam en Algé-
rie occidentale. Les mêmes textiles apparaissent sur les photos orientalistes d’en-
viron 1880-1940.
Les nattes d’osier, dans la confection desquelles la laine entre rarement et qui ne
peuvent donc pas revendiquer le statut d'art textile, figurent également à l’arrière-
plan d'un certain nombre d'œuvres orientalistes. W. Picknell, un orientaliste
anglais, peignit un « Arabe » devant une natte de la région de Bou-Taleb en Algérie
(1881); Alexandre Roubtzoff représenta à quelques reprises une natte de Tunisie
septentrionale*; L. Moulignon peignit une odalisque étendue devant une longue
natte exécutée avec soin” ; et Pierre-Marie Beyle (1838-1902) nous montre la Parure
de la mariée (vers 1877) qui se tient sur une natte, nommée agrtil”°.
La peinture orientaliste n'offre certainement pas un aperçu représentatif de
l’art textile du Maghreb, domaine qui n'intéressait pas les artistes. Pour ceux-ci, les
tapis et autres textiles n'étaient qu'un «décor». En outre, ils n'avaient pas accès à
tous les milieux: l'habillement féminin authentique et les tissus destinés à l'usage
domestique à la campagne leur restaient généralement inconnus.

42. Philippe Julian, The Orientalists, Oxford, Phaidon, 1977, p.130.


43. 19th-century Continental Pictures. Christie's London, 14 June 1996, p.99, n° 103.
44. Thornton 1991 (voir note 27), p.168. Une œuvre analogue, peinte à Laghouat, fut exposée à Paris au
Salon de 1880.
45. Ibid. p.168.
46. Anciennement à Londres, Mathaf Gallery. Toile, 76 x 114 em. Peinte à Biskra.
47. Nantes, Musée des Beaux-Arts, n°1056. Toile, 81 x ro1 cm.
48. Thornton 1991 (voir note 27), p.182.
49. Important 19th-century European paintings, drawings and watercolours, Sotheby's London, 24 June 1998, n°109. »
50. 19th-century European paintings, drawinges and sculpture. Sotheby's New York, 24 October 1996, n° 77. |
51. Dijon, Musée des Beaux-Arts, n° 206.
48 52. Thornton 1991 (voir note 27), p.97.
53. Christie's New York. Vente n° 8404 (Reiset), n° 257.
54. Hama 1994 (voir note 34), pp.112-113.
55. Paris, Louvre, n° 1437.
56. Thornton 1991 (voir note 27), p.102.
La peinture des Pays-Bas, XV°-XVI® siècle

La plupart des textiles ruraux du Maghreb datent du XIX° et du XX! siècle. Selon
toute probabilité, quelques pièces sont plus anciennes, mais aucun examen tech-
nologique n’a été effectué en ce domaine jusqu'à présent. Parmi les textiles urbains
et les textiles de cour, quelques exemplaires plus anciens ont certainement été
conservés. On les avait déjà jugés précédemment à leur juste valeur parce qu'ils se
rapprochaient davantage de ce que les amateurs d'art occidentaux considéraient
comme précieux. Pour la culture hispano-arabo-berbère («Al Andalus)), on a
conservé des textiles de toute la période médiévale. Pour l'Afrique du Nord, on
connaît des tissus de soie qui remontent au XVI° et même au XV" siècle.
L'art flamand des XV° et XVI siècles est renommé pour sa précision documen-
taire. À juste titre, semble-t-il, car on relève même — ce qui n'a cependant pas été
remarqué jusqu’à présent —, dans des chefs-d'œuvre qui remontent à la période
1530-1560, la représentation de quelques tissus maghrébins: tantôt soies pré-
cieuses provenant de milieux urbains, tantôt textiles ornés de motifs caractéris-
tiques de l’art rural berbère. Cette présence ne s'explique que par les connexions
internationales des artistes des anciens Pays-Bas.
Comment les artistes pouvaient-ils connaître ces textiles? Nous savons qu'il
existait des relations commerciales entre le nord-ouest de l'Europe et l'Afrique du
Nord”, éventuellement via Gênes ou d’autres ports italiens. Une autre explication
est la conquête de Tunis par les armées de Charles Quint en 1535°°, fait d'armes
qui passait pour un des plus glorieux de l'empereur. L'intention de ce dernier
était d'éliminer Khayr-Al-Din (Barberousse), le pirate qui était également amiral de
la flotte turque (Kapudan Pacha) et que Charles Quint considérait comme un adver-
saire extrêmement redoutable en raison de sa témérité et de son discernement tac-
tique. Charles avait constitué une flotte capable de transporter environ trente mille
soldats bien exercés et venant d'Espagne, d'Italie et d'Allemagne. L'expédition eut
lieu du 14 juin (appareillage à Cagliari) au 19 août 1535, quand l'empereur repartit de
Tunis. Cette entreprise guerrière était légitimée également par une supplique de
Moulay Hassan, roi de Tunis, qui avait été destitué par Khayr-Al-Din. Le roi était
officiellement vassal de Charles Quint et pouvait donc faire appel à son souverain

57. Robert Bautier, «Les relations commerciales entre l'Europe et l'Afrique du Nord et l'équilibre écono-
mique méditerranéen (XIH—-XIVE s.)», in Id., Commerce méditerranéen et banquiers italiens au Moyen-Âge,
(Collected Studies Series, 362), Aldershot, 1992 ; Charles-Emmanuel Dufourcg, L'Espagne catalane et le Magh-
rib aux r3° et r4° siècles, Paris, 1965.
58. On trouvera la bibliographie concernant la conquête de Tunis dans: Hendrik Horn, Jan Cornelisz Ver-
meyen, painter of Charles V and his conquest of Tunis, 2 vol., Doornspijk, Davaco, 1980. Il existe plusieurs
ouvrages du XVI siècle sur cette conquête. Voir Vicente De Cadenas y Vicent, Bibliografia del Emperador
Carlos V, Madrid, Hidalguia /Instituto Salazar C.S.I.C., 1986, sub: Armerii, Bilintano, Calveti, Collagia-
como, Callarius (sic pour Cellarius), Durand de Villegagnon, Etrobio, Gallarati, Villagagnon (voir:
Durand), Villagagnonus. Ces publications ont paru entre 1535 et 1555. À côté du reportage en images de
Vermeyen, il y a des comptes rendus de témoins de la conquête. Ils concernent avant tout les faits mili- Jan Vermeyen, détails des cartons de
taires, et s'intéressent moins aux détails ethnographiques. Voir: Charles Bracquehaye, «La prise et le La Conquête de Tunis en 1535. Vienne,
pillage de la ville de Tunis les 20 et 2r juillet 1535 racontés par un témoin oculaire », in Revue tunisienne, 11, Kunsthistorisches Museum.
1904, pp.180-186; Auguste Castan, La conquête de Tunis en 1535 racontée par deux écrivains francs-comtois,
Besançon, 1899 ; Gonzalo De Illescas, «Jornada de Carlos V a Tunez», in Biblioteca de autores españoles, 21,
1,Madrid, 1852, pp.451-458. Outre les cartons de Vermeyen, il existe d'autres reportages en images de ce
fait d'armes. Les huit peintures murales (1539-1546) de Julio Aquiles et Alejandro Mayner dans le « Toca- 49
dor de la Reina » à l'Alhambra de Grenade ne manquent pas d'intérêt. Elles sont importantes pour la
topographie et l'histoire de l'architecture de Tunis et de ses environs, mais pas pour les détails ethno-
graphiques. Voir Leopoldo Torres Balbas, « Paseos por la Alhambra: La Torre del Peinador de la Reina o
de la estufa », in Archivo español de arte y arqueologia, 7, 1931, pp.193-212.
pour être rétabli dans ses droits. Toutefois, ces «droits » avaient été obtenus par plu-
sieurs fratricides. Charles Quint redonna le trône à ce prince, qui allait être renversé
sept ans plus tard par son propre fils Moulay Ahmed, lequel lui creva les yeux.
La conquête de Tunis fut une entreprise cynique, cruelle et inutile. Khayr-Al-
Din n'eut aucune peine à s'échapper et parvint quelques années plus tard à s’impo-
ser à nouveau comme chef incontesté des pirates. (Une seconde «croisade » orga-
nisée par Charles Quint contre Barberousse, et plus précisément contre Alger, la
nouvelle base de Moulay Ahmed, connut une issue catastrophique en 1541.) En
1535, les habitants de Tunis n'offrirent aucune résistance à l'empereur. Ils lui remi-
rent spontanément les clés de la ville afin d'éviter toute effusion de sang. Cela
n'empêcha pas Charles, au mépris de toutes les règles du droit militaire, d’autori-
ser ses troupes à piller la ville (et à tuer) pendant trois jours.
Ces deux expéditions possédaient pour Charles Quint une importante valeur
de propagande, car elles lui permettaient de se profiler comme le successeur des
héros des anciennes croisades”. C'est pourquoi il chargea l'artiste flamand Jan Ver-
meyen (vers 1500-1559) de suivre toute la campagne et d'en témoigner en réalisant
une série de douze gigantesques peintures — en fait des cartons destinés à autant de
tapisseries. Les nombreux croquis et dessins exécutés sur place sont perdus ; quant
aux cartons, ils ne furent exécutés qu'entre 1546 et 1550. Le célèbre tapissier bruxel-
lois Willem de Pannemaecker tissa les tapis entre 1550 et 1553. Trois exemplaires
d'une série ultérieure, datant de 1566, décorent aujourd’hui l'hôtel de ville de
Malines ; la série originale est la propriété du Patrimonio Nacional (Espagne).
Vermeyen a procédé très minutieusement dans son travail d'observation pré-
paratoire. Il rend avec exactitude de nombreux objets appartenant à la culture
matérielle, surtout les habits et les textiles. Pour les détails, par exemple les motifs
sur les textiles, on est bien obligé de se baser sur les énormes cartons de Vienne. Ils
sont, malgré leur format, d'une exécution singulièrement minutieuse. La même
précision du détail ne se retrouve pas dans les tapisseries confectionnées à partir
de ces cartons. La série comprend les pièces suivantes:
1. Carte de la partie occidentale de la mer Méditerranée
2. La Revue des troupes à Barcelone
3. Le Débarquement de la flotte à Carthage
4. Escarmouches au cap de Carthage (385 x 822 cm)
5. Le Siège de La Goulette
6. La Quête de vivres (385 x 832 cm)
7. La Chute de La Goulette (385 x 884 cm)
8. La Lutte pour les sources
9. La Victoire
10. Le Rassemblement du butin hors de Tunis /Le Pillage (385 x 715 cm)
11. L'Expédition à Rada (385 x 887 cm)
12. L'Embarquement et l'appareillage.
Jan Vermeyen, détails des cartons de
La Conquête de Tunis en 1535. Vienne, Toutes ces scènes sont représentées avec une fidélité étonnante. Vermeyen ne
Kunsthistorisches Museum. gomme pas les atrocités, Le dixième carton, Le Pillage, montre des soldats empor-
tant le butin et obligeant des Tunisiennes à les accompagner. À l'intérieur et autout*
de la ville, ils abattent des habitants de Tunis. Le onzième carton, L'Expédition à
50

59. Fernand Braudel, Les Espagnols et l'Afrique du Nord, 1492-1537, Alger, 1928 ;Eduardo Garcia Ontiveros y
Herrera, La politica norte-africana de Carlos I, Madrid, 1950; Giancarlo Sorgia, La politica nord-africana di
Carlo V, Padoue, 1963. 6 |
Rada, montre au premier plan le train des équipages qui se compose du butin, de
bêtes de somme et de femmes maures. Le douzième carton, L'Embarquement à
La Goulette, est consacré au transbordement du butin.
L'artiste a dessiné son autoportrait sur le carton Le Pillage. Un grand carnet de
croquis dans la main, il se tient sur une colline avec un compagnon. Il regarde
celui-ci d’un air dramatique et ouvre les bras dans un geste qui exprime peut-être
le désespoir devant ce qu'il a vu. Était-ce pour Vermeyen une manière d'exprimer
une attitude critique face aux événements dont il avait à rendre compte de par sa
fonction officielle ? Toutefois, cette remarquable franchise n’est nullement l'indice
de l'existence d’un esprit critique dans les milieux impériaux. En effet, le droit mili-
taire n'était pas d'application dans la lutte contre les infidèles !Quoi qu'il en soit,
Jan Vermeyen s’est acquitté de sa tâche de façon si minutieuse que ses œuvres
gigantesques forment une source extrêmement importante, et pourtant peu utili-
sée, pour l’histoire militaire (habillement et équipement des troupes maures) mais
aussi pour l’histoire architecturale de Tunis et des environs ainsi que pour le cos-
tume de la population locale.
En ce dernier domaine, les quatrième, sixième, septième, dixième et onzième
cartons nous offrent des informations précieuses. Le sixième carton, La Quête de
vivres, montre une porteuse d’eau dont la robe rayée présente des motifs berbères.
La rangée de «croix» alternativement renversées sur des «collines » est un motif
non pas chrétien mais autochtone. La robe de la femme se tenant à côté d’elle est
ornée de fleurs stylisées et témoigne clairement d’une esthétique «arabe» ur-
baine®°. Sur le septième carton, La Chute de La Goulette, une femme assise à droite au
premier plan s'arrache désespérément les cheveux®”". Sa robe est ornée de plusieurs
rubans divisés en losanges séparés entre autres par des «bâtons». Sur cette robe,
elle porte un vêtement blanc dont la bordure est ornée de triangles noirs. Sur le
dixième carton, Le Pillage de Tunis, l'artiste a représenté au centre du premier plan

lLITT
les contradictions de la guerre. Un soldat offre à boire à une femme; la cape de
celle-ci présente des rubans d’où pendent de longs fils (comme la tahendirt maro-
caine), en alternance avec des bandes à motifs ovales. À ses pieds est assise une
femme avec un enfant. Sa robe est parée de rubans transversaux à motifs en I°°.
À droite de ce petit groupe figure une femme grande et élégante, tenant un enfant
à la main. Un ruban à petites croix court sur l’ourlet de son manteau‘. À l'extrême
droite, des Maures, hommes et femmes, sont embarqués de force. Dans la barque
est assise une vieille femme avec un enfant emmailloté. Elle est tatouée sur le men-
ton, le bras et l'avant-bras.

#
Le harnachement des chevaux des guerriers maures ou les vêtements de ceux-
ci sont également décorés parfois de motifs berbères°*. Sur le sixième carton, un
cavalier porte une tenue exécutée partiellement en style berbère, et partiellement
en style arabe (arabesques). Sur le septième carton, un Maure barbu porte un man-
teau ou un ample châle orné d’un des motifs les plus fréquents”. Un guerrier du
Jan Vermeyen, détails repris aux cartons
dixième carton, qui se signale par une remarquable combinaison de traits vesti- de La Conquête de Tunis en 1535. Vienne,
mentaires européens et tunisiens, offre à boire dans son casque à une Mauresque. Kunsthistorisches Museum.

60. Horn 1989 (voir note 58), pl.B5o.


61. Ibid. pl.B62. SI
62. Ibid. pl.B84.
63. Ibid. pl.B84.
64. Ibid. pl.Bso.
_ 65. Ibid. pl.B62.

D -
Il a rejeté sur ses épaules un châle tunisien pris comme butin et entièrement orné
de motifs à ses extrémités? . Les courroies dont sont équipées les bêtes de somme
présentent un très grand intérêt. Les bœufs au premier plan du onzième carton
sont ceints de courroies à motifs berbères tissés”. À droite, un chameau porte sa
charge au moyen d’une courroie analogue, ornée d’un tissage très fin.
Ces cartons furent conçus pour Charles Quint par un artiste masculin, et les
tapisseries exécutées dans des ateliers hautement spécialisés. Il s’agit d'œuvres qui
reflètent parfaitement les objectifs de la dynastie habsbourgeoise et le centralisme
européen, tant au niveau politique qu'’artistique. En d’autres termes, elles s’oppo-
sent diamétralement à l’art textile berbère, qui est périphérique, rural et féminin.
Dans une perspective européenne, le Maghreb faisait partie d’une zone frontière
inconnue, «vide » et «dangereuse », qui incarnait une altérité fondamentale. À l’in-
térieur de ce contexte, la culture maghrébine, celle de la cour et des villes, adopta
elle-même une position centralisatrice et élitiste, face aussi bien à la culture rurale
locale qu’à la culture féminine. L'art textile berbère émanait donc d’une culture tri-
plement exclue par un pouvoir central dont Charles Quint peut être considéré
comme l’incarnation et pour lequel les esquisses de Vermeyen virent le jour.
Vermeyen était manifestement fasciné à tel point par le monde qu'il avait
découvert à Tunis qu'il représenta des motifs locaux dans d’autres œuvres. On
connaît de lui un autoportrait** devant un paysage nord-africain avec une koubba à
côté d’un palmier”. À l'arrière-plan de son Triptyque des Micault (1548), il a repré-
senté les ruines antiques de Carthage, des palmiers, une mosquée et d’autres
édifices locaux”°. Il alla même jusqu’à peindre au revers des volets des motifs dé-
coratifs urbains arabes (non pas berbères). Vermeyen représenta également une
fantasia maghrébine (Lowick, Drayton House)". Une de ses gravures s'intitule
Un repas avec Moulay Hassan et sa suite. Il fit par ailleurs le portrait de Moulay Ahmed,
le fils du souverain tunisien, cette fois devant les ruines de Carthage. Cette gravure
date de 1535. Autour du blason fictif court un texte en arabe altéré, dans lequel on
reconnaît la profession de foi: La ilaha illa Allah wa Mohammed rasoul Allah. Sur le
torse, le potentat porte une bande à motifs berbères’*.
Vermeyen”* ne fut pas durant cette période le seul artiste qui peignit la cam-

66. Ibid. pl.B84.


67. Ibid. pl.B9o.
68. Ibid. pl. Ai.
69. Une koubba (littéralement «coupole») est, dans l'islam maghrébin, un sanctuaire dédié à une personne
sainte, qui est soit historique, soit la personnification d’un ancien genius loci animiste.
70. Horn 1989 (voir note 58), pl. Aro3 et 105.
71. Ibid. pl.en couleurs V.
72. Ibid. pl. A46.
73. Jean-Pierre Vittu, «Jan Cornelisz Vermeyen, peintre de Tunis en 1535 », in IBLA (Tunis), 40, 1977, pp. 261,
Bernard van Orley et Marcus Gheeraerts, 165, soulignait déjà l'intérêt ethnographique particulier des cartons de Vermeyen.
Triptyque de la Crucifixion, vers 1535-1541 74. Il faut mentionner les œuvres sur métal suivantes: Paris, Louvre, inv. n° MRIII
341 et 351. Meester PR,
et 1561. Bruges, Onze-Lieve-Vrouwekerk. Anvers, 1558/50. Zilver uit de Gouden Eeuw van Antwerpen, cat. exp. Anvers, Maison Rockox, 1988-1989,
Détails: textiles. p.93, n°40, avec bibliographie; Oudenaarde, Stedelijk Museum, cat. n°147. Bronze, @ 61 cm. Inscrip-
Photo: H.Maertens, Bruges. tion : Expeditio et victoria africana Caroli V Caesaris Augusti 1535. Photo: IRPA 185 5o1 B. Ce plat est une copie
de celui conservé au Louvre; Rome, Palazzo Venezia: deux plaquettes ovales en bronze par Giovanni
Bernardi (1496-1553), «La conquista di Tunisi » et «La presa de La Goletta ». Ensuite, il y a la grande toile
de Joos van Noevele (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts, n°1509. Toile, 139 x 211 cm. Photo: IRPA
182 863B) et une esquisse de Rubens (Berlin, Staatliche Museen, inv. n° 798 G. Voir Elizabeth Macorath,
Rubens. Subjects from history, Corpus Rubenianum 2, Londres, Harvey Miller, 1907, pp.323-330, n°58).
C'est aussi à cette époque que furent peints les portraits de guerriers ou sultans ottomans. Voir, par
exemple, Important old master pictures. Christie's, London 3 December 1997, n° 63: école florentine vers 1550,
«Portrait de Kheireddin avec trident » et «Portrait de Suliman [‘».
pagne de Tunis* ou les artefacts maghrébins. Jusqu'à présent, nous avons pu
inventorier les œuvres suivantes :
— Bernard van Orley & Marcus Gheeraerts, Triptyque de la Crucifixion (vers 1535-1541
et 1561), Bruges, église Notre-Dame
— Maître anonyme, Marie Madeleine, vers 1535, Utrecht, Catharijneconvent,
n° ABMS 331
— Jan van Scorel, Marie Madeleine, vers 1530-1535, Amsterdam, Rijksmuseum
— Jan van Scorel (?), Déploration, vers 1540, Cologne, Wallraf-Richartz-Museum
— Maarten van Heemskerck, Saint Luc peignant la Vierge, 1532, Haarlem, Frans Hals-
Museum
— Maarten van Heemskerck, Ecce Homo, 1559-1560, Haarlem, Frans Hals-Museum
— Maarten van Heemskerck, Nativité (partie de l’autel de Laurent à Haarlem, 1538-
1542), Linkôping (Suède), Domkyrka
— Lambert Lombard, Le Miracle de la multiplication des pains et des poissons, vers 1530-
1540, Anvers, Rockoxhuis
— Willem Key, Mars et Vénus, vers 1550, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum
— Suiveur de Maarten van Heemskerck, La Dernière Cène, 1573, Haarlem, Frans
Hals-Museum, n° I-247.
Le fait que des textiles maghrébins sont représentés à plusieurs reprises dans
l’art flamand entre environ 1535 et 1560 ne saurait être attribué au hasard. Des tissus
provenant de Tunis circulaient manifestement aux Pays-Bas, ou bien les artistes
prirent appui sur des copies des esquisses de Jan Vermeyen. Vers 1530, et certaine-
ment après la campagne de 1535, quelques tissus tunisiens rapportés par des cour-
tisans et des nobles durent aboutir aux Pays-Bas”. Nous constatons en tout cas que
des peintres de cour (Bernard van Orley) ou des artistes travaillant régulièrement
pour la cour ont représenté très fidèlement ces textiles, dont certains sont même
nettément attribuables à un centre de production déterminé.
L'énorme retable du maître-autel de l'église Notre-Dame à Bruges” est remar-
quable à cet égard. Commandé en 1535 par les exécuteurs testamentaires de Mar-
guerite d'Autriche, régente des Pays-Bas, il était destiné à l’église de celle-ci à
Bourg-en-Bresse. Toutefois, il n’était pas encore achevé à la mort de l'artiste. De
nombreuses années plus tard, les héritiers du maître le vendirent à la ville de
Bruges. Il fut achevé en 1561 par l'artiste brugeois Marcus Geeraerts.
Pour l’habillement de certains personnages, Van Orley a peint un tissu fin pro-
venant d'ateliers urbains sophistiqués. Ces personnages sont l’homme situé à l’ex-
trême gauche dans Le Portement de croix, le joueur de trompe dans la même œuvre,
Marie Madeleine entourant la croix de ses bras dans La Crucifixion et embrassant les
pieds du Christ dans La Déploration, et l'homme barbu, à gauche dans cette même (a-b) Bernard van Orley et Marcus
Gheeraerts, Triptyque de la Crucifixion,
œuvre. Dans les deuxième, troisième et quatrième cas, les tissus, très riches, sont vers 1535-1541 et 1561. Bruges, Onze-Lieve-
vert or et portent des arabesques et des textes arabes’”. En outre, Van Orley peignit Vrouwekerk. Détails: textiles.
Photo: H. Maertens, Bruges.
également des textiles qui n'avaient pas encore renié leur origine berbère. Le tissu
(c) Jan van Scorel, Marie Madeleine,
vers 1530-1535. Amsterdam, Rijksmuseum.
75. Ilest certain qu'un butin fut ramené de Tunis. Voir à ce sujet en particulier l'«Inventario de varios obje- Détail : textile.
tos que pertenecieron al Rey de Tünez », in Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 3° période, 5, 1875. Cer-
tains objets sont encore conservés, entre autres des vêtements (Vienne, Kunstkammer, n° 220 et 222);
un lavabo de Naples, provenant du butin de Khaireddin, daté 1534 (Amsterdam, Rijksmuseum,
inv. n° 658, pris à Tunis par Maximiliaan van Buren).
76. Van Orley et les artistes de la cour de Marguerite d'Autriche. Exposition organisée par la ville de Bourg-en-Bresse,
Brou, Musée de l'Ain, 1981, p.13.
77. Destextiles comparables se trouvent à Bruxelles, Musées royaux d'Art et d'Histoire, n° T475 (XV' siècle)
et n° Errera 77 (XV' siècle). Reproduction IRPA 5049A et 226 767B.
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époque offre une représentation similaire. Ici égale-
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vêtement dont l'étoffe semble provenir de Tunisie”, Cest
P ‘ 1 ‘ F- 4
nte dans le style
] de Scorel”
skerck nous avons 2 citer plusieurs œuvres. Dans la Nati-
vité de l'énorme triptyque de Laurent 4 Alkmaar (vers 1538-1542), le maître a peint,
au centre, une étoffe qui peut provenir d'Afrique du Nord”. Son Saint Luc peignant
Marie est extrémement intéressant. Cette œuvre date de 1532 et vit donc le jour
unis. Luc comme son modéle sont vétus de tissus maghrébins. Le
eau de Marie est confectionné dans un tissu blanc-rouge-vert-noir presque
certainement originaire d'Algérie:
41 À
V
il rappelle nettement les textiles du Mzab et
d'Algérie orientale”*. Le tissu orange et rouge du vêtement de Luc est difficile à
situer mais cs en tout cas trois motifs de base de l’art berbère. Dans une troi-
sième œuvre de Van Heemskerck, le Triptyque avec l'Ecce Homo (59). le Romain
Ponce Pilate porte une tunique d’un aspect vraiment très «berbère»”
Des textiles analogues sont représentés très minutieusement sur un panneau
de Lambert Lombard, La Multiplication des pains et des poissons. La scène se situe dans
un paysage imaginaire, De nombreux personnages portent divers types d’habits
«orientaux », les uns inventés, d’autres trés réalistes (turbans, burnous...). En bas à
gauche, une femme est assise sur un tissu bleu, noir et or; des rayures et des bandes
plus larges alternent avec des bandes à motifs: croix et losanges en paliers, ainsi
que d’autres motifs qui se retrouvent dans les tissus de Gafsa et d'Algérie orien-
78 Voir Golvin 1949 (bib OGTAPNiE 3€)
79. Voir POLE 104,

80. Amsterdam, Rifksmuseum, Panneau, 76,5


x 67 cm,
Maarten van Heemskerk, Sa u 81 Utrecht, Cathariÿneconvent, inv.n° ABM S331. Paneel,130 x 116 cm,
qnant la Vierge et l'Enfant, 1532 82. Cologne, Wallraf-Richartz-Museum.
Haarlem, Frans Hals-Museum 83. Nous n'avions 2notre disposition qu'une reproduction de mauvaise qualité, qui ne nous permet pas de
68 x 235 cm). Détails: textiles nous prononcer, Voir Rairter Grosshans, Macrten van Heemskerck, Berlin, 1976, n° 29, pp. 133 sq, et ill. 41
Au XVI siécle, l'œuvre 4 atterri aprés d'étonnantes pérégrinationsà la «Domkyrka» de Linképings
(Suede), On n'a pas répondu 4 notre requéte d'une méilleure illustration.
84. Haarlem, Frans Hals-Museum, Panneau, 168 x 235 cm, Grosshans 1976 (voir note 83), n°18, PP.109 sqq.
54 Karel van Mander avait déja remarqué le textile exotique; dans son Schilder-boeck (1604), il le qualifie
d'indien (« Indisch »), ce qui n'est pas le cas,
85. Haarlem, Frans Hals-Muscum, Panneau, 218x 149 cm, Grosshans 1976 (voir note 83), n° 89, PP. 221 5q4.
86. Anvers, Rockoxhuis, inv. n°7735. Panneau, 104 x 115 cm, (Nous remercions Mme Van der Velde pour
l'aide qu'elle nous à gentiment apportée au cours de nos séances de photographie.)
tale*?, Un des apôtres au centre du tableau est vêtu d’un manteau précieux confec-
tionné dans un tissu semblable, cette fois en jaune, noir et mauve.
Ce sont probablement des tissus nord-africains qui apparaissent dans Mars et
Vénus (vers 1529-1568) de Willem Key” et dans une Dernière Cène de 1573 due à un sui-
veur de Maarten van Heemskerck*?. Mentionnons enfin que le peintre Maarten de
Vos (1532-1603) peignit par deux fois”? des nattes de roseau importées d'Afrique du
Nord. Ces agrtil”° apparaissent déjà en Italie au XV! siècle. L'inventaire de la collec-
tion Médicis mentionne des stuoie moresche (nattes de roseau maures)”'. Vers 1500, le
peintre portugais Jorge Afonso représenta également une telle natte”*. Chez Maar-
ten de Vos, nous découvrons les nattes dans un riche intérieur bourgeois. À en
juger d’après leur style, elles proviennent d'Algérie du Nord. Apparemment, elles
étaient exportées même jusqu'à Anvers.
Telles sont, pour les textiles maghrébins, les sources visuelles du XVI siècle.
Cependant, la peinture flamande nous permet de remonter jusqu'au XV° siècle
grâce à trois œuvres importantes de Hans Memling, conservées au Musée royal des
Beaux-Arts à Anvers. Elles faisaient originellement partie du retable du maître-
autel de Santa Maria la Real à Näjera (Castille) et représentent le Christ et des anges
musiciens°?.
Le retable de Näjera était une œuvre gigantesque d'environ douze mètres de
haut. Les panneaux se superposaient en plusieurs «étages » (comme il était d'usage
pour les retables ibériques aux XV° et XVI siècles). L'œuvre fut-elle peinte sur place
vers 1490 par Memling et/ou ses élèves, ce qui était probablement moins onéreux
que le transport d'une douzaine d'énormes panneaux depuis la Flandre? L'icono-
graphie était de toute façon adaptée à l’église où le retable fut installé, ce qui, en
même temps que la cohésion thématique, permet de comprendre qu'il dut faire
l'objet d'une commande. Peut-être s’agissait-il d'une donation, par exemple des
Näjera, famille noble qui entretenait des relations avec Bruges. (On n'a trouvé
aucun texte relatifau retable dans le becerro ou registre de l’église.)
Plusieurs détails indiquent que cette commande provenait de la région même.
Le blason de Castille figure sur l'épaule gauche de l'ange situé à droite de Dieu et sur
le manipule de l'ange à l'extrême gauche (à l'extrême droite pour le spectateur).
L'épaule gauche de l'ange à gauche de Dieu porte le blason de Leôn. Un autre ange
est pourvu d’un blason inconnu: un lis d'or sur un champ de gueules. Les instru-
ments des anges sont hispano-mauresques: fabriqués par des moriscos, artisans
«maures » originaires d'Afrique du Nord qui, en raison de leur grande compétence
professionnelle, travaillaient souvent pour des commanditaires chrétiens. Cepen-
dant, un autre aspect est plus décisif encore. On n'avait pas remarqué jusqu'à pré- (a-b-c) Lambert Lombard,
Miracle de la multiplication des pains
sent que les habits liturgiques portés par les anges présentent sur leurs bords une
et des poissons, vers 1530-1540.
vingtaine de motifs abstraits. Ceux-ci sont empruntés au répertoire typique de l’art Anvers, Rockoxhuis.
Détails :textiles.
87. Grosshans 1976 (voir note 83), pl.75. (d) Maarten de Vos, Saint Luc peignant
88. Haarlem, Frans Hals-Museum, inv. n° L.247. la Vierge et l'Enfant. Anvers, Koninklijk
89. Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, n°88 (Saint Luc peignant la Vierge et l'Enfant, 1602) et Museum voor Schone Kunsten, n° 88.
Cambridge (MA), Fogg Art Museum. Détail: natte nord-africaine.
90. C'est le terme utilisé dans divers dialectes berbères.
o1. E. Reznicek, «Enkele gegevens uit de vijftiende eeuw over de Vlaamse schilderkunst in Florence», in
MiscellaneaJozef Duverger, 1, Gand, 1968, pp. 89-07.
92. Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga, inv. n° 12709. Feitorias, cat. exp., Anvers, Koninklijk Museum V1 PA]

voor Schone Kunsten, 1991, n° 62, pp. 147-148.


93. Dirk De Vos, Memling, Anvers, Fonds Mercator, 1994, pp. 289-293. Sur l'église de Näjera, voir Enrique
Flores, España sagrada. Teatro geogrdfico-histérico de las iglesias de España. 33. Las antigüedades civiles, eclesidsti-
cas de Calahorra y las memorias concernientes a los obispados de Nägera y Alaba, Madrid, 1907.
textile berbère. Memling a dû voir de tels tissus de ses propres yeux. Leur face exté-
rieure répondait à ce qu'on attendait de riches habits liturgiques dans l'Europe du
XV! siècle. Les «détails » sur les bords et sur les manipules ne jouaient aucun rôle
dans la perspective iconographique des panneaux. Le peintre les a rendus fidèle-
ment : le goût du détail n'était pas pour rien une des caractéristiques majeures de la
peinture flamande. Tous comme les instruments de musique, ces vêtements litur-
giques ont dû être fabriqués en Espagne, par des moriscas, femmes mauresques
d'origine berbère. Celles-ci ont exécuté leur travail, en ce qui concerne les parties
attirant immédiatement l’attention, conformément à la commande chrétienne,
mais elles ont décoré les bords de motifs symboliques qui leur étaient familiers.
Sans le savoir, Memling nous offre ici la plus ancienne représentation picturale
précise de symboles berbères que nous connaissions.
Nos connaissances des textiles berbères médiévaux en Espagne sont très
réduites. Seules quelques pièces destinées à un usage «officiel » ont été conservées,
dont les «tapis d’amiral»°#, exécutés dans un style internationalisant, le style cour-
tois islamique. Les bordures, cependant, donnent à voir les «signes» des moriscas
qui confectionnaient ces tapis sur commande. C'est littéralement dans la marge
qu’elles trouvaient une place pour leurs propres motifs, nés dans un milieu rural
ou nomade et transmis de génération en génération. Le procédé est le même que
celui que nous rencontrons sur les vêtements peints par Memling: l'emploi de la
marge en vue de la sauvegarde de l'identité culturelle propre.
La peinture des Pays-Bas nous fournit donc un certain nombre de sources
visuelles extrêmement intéressantes pour l'histoire de l’art textile du Maghreb. Les
artistes concernés vivaient dans une culture urbaine et entretenaient parfois des
liens avec une cour princière. Ils étaient surtout attirés par des textiles «riches ».
À leurs yeux, les tissus de soie de Tunisie et d'Algérie ainsi que le brocart de la tra-
dition hispano-arabo-berbère étaient dignes de figurer dans leurs compositions à
titre de «décor». En dépit de transformations stylistiques subies dans les cours
princières et en milieu urbain, certains de ces tissus présentent encore les motifs
berbères originaux. Par ailleurs, on ne connaît qu’une seule représentation d'un
«textile » purement rural: les nattes «mauresques » de Maarten de Vos. L'art textile
rural authentique était soit inconnu des artistes, soit jugé indigne d’être représenté.

Sources textuelles médiévales

Depuis plus d’un siècle, l’histoire de l’art étudie les tapis persans et turcs. Les pièces
les plus anciennes remontent à six siècles pour la Perse, à huit pour la Turquie.
Dans le courant du XX° siècle, on a découvert des dizaines de tapis, appartenant
Hans Memling, Le Christ bénissant entouré
généralement à des mosquées, qui ont permis de reconstituer l’histoire stylistique
d’anges musiciens, vers 1490. Anvers,
Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, de cette forme d'art. Les examens de laboratoire ont confirmé leur ancienneté. Ainsi
n® 778-780. Détails: motifs berbères. s’est dessinée une évolution historique comparable, par exemple, à celle de la pein-
ture européenne. Une autre correspondance entre ces deux arts réside dans leur:

56 94. Voir par exemple: New York, Metropolitan Museum, Cloisters Coll. inv. n° 1953.79 : tapis de laine, Alca-
raz ?, vers 1400-1450. Bordures kilim: motifs berbères: Berlin, Museum für Islamische Kunst, inv.
n° [.27: tapis noué, Espagne, XIV‘ siècle, 385 x 95 em. Dans les bordures: triangles avec motifs berbères.
Un tapis analogue a été peint par Rodrigo de Osuna II dans une Annonciation, anciennement dans une
collection particulière à Valence. Voir Post, A history ofSpanish painting in the 1sth century, Va, p. 24, ill. 93.
insertion sociale :de même que les arts européens présentaient un lien étroit avec
des groupes ou des individus appartenant à l'Église, à la noblesse et à la bourgeoisie,
les tapis persans et turcs appréciés en Europe trouvèrent une possibilité d'essor
dans les cours et les milieux urbains. Les tapis qui, à partir de la fin du XIX® siècle,
éveillèrent l'intérêt de spécialistes européens n'étaient pas l'œuvre de paysans ou de
nomades mais de professionnels travaillant au service d'une cour ou de citadins.
Ce genre de centres élitaires d'art textile existaient également au Maghreb. Ils
sont mentionnés à plusieurs reprises dans les sources textuelles anciennes. Le
grand historiographe tunisien Ibn Khaldoun (1332-1404)° écrit: «Il y a peu d'art au
Maghreb, et encore, il est très imparfait. Font exception l’art textile, la broderie et le
travail du cuir. Ces arts ont atteint un haut degré de perfection parce qu'ils étaient
indispensables et parce que la laine et le cuir sont disponibles en abondance dans les
contrées des nomades”. » Ibn Khaldoun voyait que l’art textile avait ses racines à la
campagne. Il avait d’ailleurs une vision étonnamment moderne des structures et
des processus sociaux, vision qui lui valut à une époque récente le titre honorifique
de « père de la sociologie »”. Ibn Khaldoun et d’autres faisaient régulièrement état du
raffinement de l’art textile du Maghreb, mais ils ne disaient mot de l’art vraiment
rural et nomade : aux yeux d’un citadin «civilisé », celui-ci était tout au plus utilitaire.
Nous sommes surtout informés sur lfriqiya, la Tunisie actuelle, et essentielle-
ment sur Kairouan et Tunis. Dans la succession des villes importantes de l'Islam,
Kairouan occupe la quatrième place après La Mecque, Médine et El Qods (Jérusa-
lem). D’après la tradition, la ville fut fondée en l'an 50 de l’hégire, après la première
vague d’envahisseurs arabes, par leur chef‘Okba Ibn Naf. Kairouan était déjà une
ville importante sous les Aghlabides (184-298 H) et les Ubaydites. C’est sans doute
ici que furent fondés les premiers ateliers tiraz*”, car il y avait un Bab al Tiraz (porte
desateliers de broderie) sur la route conduisant au palais de Ragqada””°.
Aux XIX° et XX siècles, Kairouan est célèbre pour ses tapis raffinés de style
«urbain »°°, mais de telles pièces y étaient certainement déjà produites depuis des
siècles. Jusqu'à présent, toutefois, on n’a pas étudié l’histoire de cette tradition. La
même remarque vaut pour Tunis, ville qui devint progressivement plus impor-
tante à partir du VIII siècle. Une association de marchands de soie, établie au fon-
doug al haraïriya, y existait probablement dès la fin du X° siècle. Selon l'écrivain
Umari, les produits de Tunis pouvaient rivaliser avec ceux de Bagdad'”". Aujour-
d’hui, ce sont surtout les soies de Tunis, dont certains exemplaires remontent au
XVII siècle, qui jouissent d’une grande renommée”.
La troisième ville connue pour sa tradition textile est Sousse, sur la côte du Sahel.
El Bakri écrivait au XI° siècle :« Beaucoup travaillent à Sousse comme tisserands. » Un

95. Yves Lacoste, Ibn Khaldoun: naissance de l'histoire, passé du tiers-monde (Fondations), Paris, La Découverte,
1981; Aziz Al Azmeh, Ibn Khaldoun in modern scholarship: a study in orientalism, Londres, Third World
Communications, 1981.
96. Ibn Khaldoun. Prolégomènes historiques, éd. M. de Slane, 2, Paris, 1868, pp. 362 et 365 ; E. Quatremère, «Pro-
légomènes d’Ebn Khaldoun», in Notes et extraits de la Bibliothèque Nationale, 16-18, Paris, 1858, vol.2,
PP. 310 sqq et 314.
97. Charles Issawi, An Arab philosophy of history: selections from the Prolegomena of Ibn Khaldun of Tunis (1332-
1406), Londres, Murray, 1969.
98. R.B.Serjeant, Islamic textiles. Material for a history up to the Mongol conquest, Beyrouth [1972], pp.180-182.
99. Surlesite du palais des Aghlabides à Raqqada, légèrement au sud de Kairouan, se trouve actuellement
le musée d'Art islamique.
100. Poinssot & Revault, vol.r.
101. Serjeant 1972 (voir note 98), p.184.
_ 102. Riggisberg, Abegg-Stiftung.
géographe anonyme notait:«[La ville] est connue pour l'abondance de ses excellents
et fins tissus [.…], et pour les produits précieux de ses tiraz [.…]. Les textiles de Sousse
sont renommés, sans égaux, d'un éclat blanc enchanteur introuvable ailleurs. »
Cette opinion est confirmée par d’autres auteurs: Idrisi, Ya‘qout, Ibn Sa‘ad et Tijani.
Des textiles susi étaient conservés dans le trésor des Fatimides en Égypte 103
En outre, il est régulièrement fait mention de l’art textile dans l’île de Djerba
— restée jusqu'à nos jours un centre d’art textile exercé par les hommes — ainsi que
dans une série de villes: Gabès, Sfax, Gafsa, Tozeur et Nefta. Ici encore ne sont
signalées que les fines laines, cotons et tissus de soie, entre autres par Ibn Hawqal,
El Idrissi et Ya‘qout. Il en va de même pour la région de Bilad el Jerid, autour du lac
salé Chott el Jerid. Les tissus de laine et les vêtements toraki de la région de Tozeur
étaient exportés jusqu’en Égypte (comme les vêtements blancs de Sousse)"°+.
Seules les archives commerciales et autres nous renseignent sur les tapis noués.
Ainsi, nous savons que les princes aghlabides d’Ifriqiya devaient au calife Mamoun
(813-833) à Bagdad un tribut comprenant entre autres 120 grands tapis”. On ignore
où ces tapis étaient confectionnés. Étant donné le goût très exigeant de la cour
abbasside à Bagdad, on peut affirmer que ces tapis devaient appartenir à ce que
l’art textile du monde islamique produisait de meilleur à cette époque. Ibn Hawqal
notait déjà durant la seconde moitié du X° siècle que des tapis d’Ifriqiya étaient
exportés vers l'Orient 106 ”°.
Par ailleurs, les inventaires de succession des palais de princes européens nous
renseignent sur les tapis tunisiens. La dot d'Isabelle d'Aragon, en 1313, contenait
«deux épais tapis de Tunis » 107 .En 1365, un traité conclu entre Venise et Ahmed Ibn
Mekki, seigneur de Djerba, stipulait que les tapis pouvaient s’exporter libre-
ment
108
. Vers 1400, des tapis tunisiens furent exportés vers l’Europe"®”?. Vers 1480,
le roi René d'Anjou acheta des tapis de Tunis, Bejaia et Annaba'°. À la fin du
XV° siècle, en 1494-1495, Hieronymus Münzer note durant son voyage dans la
péninsule Ibérique que les Portugais étaient en relation commerciale avec la « Gui-
née» (c'est-à-dire l'Afrique occidentale). Il cite notamment «des tissus de diffé-
rentes couleurs comme les tapis que l’on fait à Tunis». Dans De inventione Gene, il
écrit que les «tapis commandés par [le roi Joäo II] à Tunis et à Fez étaient imités en
grandes quantités dans un village portugais dont le nom m'échappe »".
À la même époque, en 1504, l'inventaire des œuvres d'art d'Isabelle la Catho-
lique mentionne à l’Alcazar de Ségovie: un autre tapis de Tunis, blanc et rouge,
environ 170 x 113 Cm; un autre tapis de Tunis, du même format, avec huit mé-
daillons en couleurs, ancien; un autre tapis de Tunis, avec de nombreuses cou-

103. Serjeant 1972 (voir note 98), pp. 183-184.


104. Maurice Lombard, Les textiles dans le monde musulman du VIF au XIF siècle (Civilisations et sociétés, 61),
Paris—La Haye, Mouton, 1978, pp. 33-35. Pour le lin: pp.50-51, pour le coton: pp.71-75, pour la soie:
PP-94-95.
105. Selon le «Jirab ed-dawla »; Ibn Khaldun. Prolégomènes historiques, éd. M. de Slane, 1, Paris, 1862, p.364.
106. «Ibn Hawqal. Description de l'Afrique », éd. M. de Slane, in Journal asiatique, 1842. Housego 1986 (biblio-
graphie 3e), p.103.
107. Robert Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, des origines à lafin du XV siècle (Publications des
«
l'Institut d'Études Orientales d'Alger, 9), Paris, Maisonneuve, 1947.
108. Ibid.
58 109. À. Sayous, Le commerce des Européens à Tunis depuis le XIT' siècle jusqu'à lafin du XVF', Paris, 1920.
110. Michael Rogers, «Carpets in the Mediterranean countries 1450-1550. Some historical observations »,
in Carpets of the Mediterranean countries 1400-1600, éd. Robert Pinner & Walter Denny (Oriental Carpet &
Textile Studies, 2), Londres, Hali, 1986, p.14.
III. Viaje por España y Portugal 1494-1495, Madrid, Almenara, 1951.

D(he
leurs, ancien, long d'environ 212 cm; un autre tapis comme le précédent, avec un
champ jaune orné de motifs blancs, verts et rouges, environ 212 x 106 cm; un autre
tapis de Tunis, avec trois médaillons sur champ blanc, long d'environ 212 em; un
autre tapis de Tunis, avec de nombreuses couleurs, long d'environ 191 cm"? Les
médaillons (ruedas dans le texte espagnol, c'est-à-dire: roues) identifient ces tapis
comme des pièces stylisées, urbaines. Ils ne proviennent pas nécessairement de la
ville de Tunis même, car les sources européennes donnent également le nom de
Tunis au reste du pays.
Les autres contrées du Maghreb connurent un art textile tout aussi ancien. Ibn
Ya‘qout, un auteur du XII siècle, note que la région de Tebessa (Algérie orientale)
était connue pour ses «tapis somptueux et solides». Des auteurs arabes tels que
Yahia Ibn Khaldoun mentionnent au XIV siècle les riches tapis de la cour de Tlem-
cen, mais sans en indiquer la provenance’"#, Dès le XI° siècle, Kala‘a Beni Hammad
fut également un centre d'art textile des plus raffinés'®. Au Maroc, Fez surtout était
célèbre pour son art textile. Vers 1200, la ville comptait 3094 ateliers de broderie
(tiraz) et 116 ateliers où l'on teignait les tissus". Sont mentionnées en outre et à plu-
sieurs reprises Oujda, Ceuta, Salé, Marrakech et des localités aujourd’hui insi-
gnifiantes (Sijilmassa, Aghmat, Tadla) ou disparues (Basra)”.L'adresse au tissage
des femmes, plus précisément celles du Sous (Maroc méridional), n’est célébrée
qu’à titre exceptionnel".
Ce sont surtout des sources européennes qui nous renseignent sur les tapis. Il
est établi que vers 1300 des tapis noués étaient déjà embarqués à destination de
l'Europe. Les sources ne précisent pas quel était leur aspect. Certains de ces tapis
présentaient des compositions à médaillons. Les auteurs décrivent parfois la
gamme chromatique. Nous savons avec certitude qu’on exportait des tapis depuis
la Tunisie. Dans d’autres cas, les noms mentionnés sont «Maroc»? ou «Barba-
rie »2°, Ce dernier terme pouvait désigner toute l'Afrique du Nord.

12. Dans l'Inventario de bienes de la Reina Catôlica que se hallaban en los Alcazares de Segovia, el cual hizo por su man-
dado Gaspar de Gricio, folio 59 :«B2. Otra alhonbrilla tonoci blanca e colorada que tiene de largo dos varas
e de ancho vara e tercia. B3. Otra alhonbrilla tonoci del mismo largo e ancho de la susodicha de unas
ocho ruedas de colores vieja, rota. B4. Otra alhonbra tonoci de muchas colores vieja que tiene de largo
dos varas e medio. Bs. Otra alhonbrilla como la susodicha que tiene el campo amarillo de unas lavores
blancas e coloradas e verdes que tiene de largo dos varas e media e de ancho vara e quarta. B6. Otra
alhonbra tonoci que tiene de largo dos varas e tercia con tres ruedas en campos blancos. B7. Otra
alhonbra tonoci de dos varas e quarta en largo de muchas colores ». Voir Robert Pinner, «Non-Spanish
carpets from the Mediterranean countries in Spanish documents of the 1sth to 17th centuries » in Car-
pets ofthe Mediterranean countries 1400-1600, éd. Robert Pinner & Walter Denny (Oriental Carpet & Textile
Studies, 2), Londres, Hali, 1986, p.152.
3. Golvin 1953 (bibliographie 3e), p.53.
114. Histoires des Beni el Wad, rois de Tlemcen, par Abou Zakaria Yahia Ibn Khaldun, éd. A. Bel, 1913, passim.
Housego 1986 (bibliographie 3e).
115. Serjeant 1972 (voir note 98), pp.185-186.
16. Ibid. p.187. Textile en soie hispano-mauresque ou
7. Ibid. pp.187-189. tunisien, XIII° siècle. Bruxelles, Musées
18. Ibid. p.189. royaux d'Art et d'Histoire, n° Errera 18.
19. À la fin du XV° et au XVI siècle, des archives portugaises mentionnent des tapis alcativa du Maroc.
Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol.I, p.14.
120. En 1410, l'inventaire du roi d'Aragon comprend «quatre tapis de Barbarie de plusieurs couleurs, bleu,
vert pâle et blanc» (Pinner 1986 [voir note 112], p.152). En 1622, le duc de Lerma laisse à ses héritiers, 59
d'après son inventaire de succession: «Un tapis de Barbarie, avec un médaillon octogonal sur un
champ rouge et vert. Environ 635 x 280 cm. Couleurs: vert, bleu pâle, or et carmin ;un autre tapis de
Barbarie avec un médaillon au centre. Couleurs: blanc, bleu, vert, or. Environ 660 x 180 cm» (Ibid.
p.154). Le premier tapis est sans doute une version maghrébine des tapis dits «mamelouks ».
«
-
Il ressort de toutes les données présentées ci-dessus qu’il a existé au Maghreb
une tradition millénaire d'art textile:d’une part une tradition rurale féminine, au
sujet de laquelle nous sommes le moins bien informés, et une tradition de cour et
citadine, dominée par des hommes. Comme les sources textuelles et visuelles dont
nous disposons sont le fait d’une classe aisée ou élitiste, nous sommes renseignés
surtout, au plan historique, sur la seconde tradition.

Un art et ses racines historiques


Les sources visuelles nous donnent une image fragmentaire de l’art textile nord-
africain entre le XV et le XX° siècle. Les textes datant de la période comprise entre
le X° et le XV° siècle prouvent qu’à cette époque également, les arts textiles étaient
florissants au Maghreb. Mais comment savoir jusqu'où cet art remonte dans le
temps ? Pour ce faire, nous devons nous tourner vers d’autres sources : par exemple
la poterie de l'Antiquité, à la fois celle du Maghreb proprement dit et celle d’autres
régions autour de la Méditerranée. En outre, d’autres vestiges archéologiques pré-
sentant des analogies frappantes avec l’iconographie des textiles berbères peuvent
nous aider dans notre recherche.
Les mosaïques antiques nous apportent un témoignage indirect de l’art du tis-
sage. Sur de nombreux sites romains d'Afrique du Nord, on a découvert des pave-
ments de mosaïque"*' qui semblent imiter des tapis. Ce sont des compositions abs-
traites, à la structure régulière et généralement entourées d’un bord. Le décor
géométrique reprend des formes que nous connaissons par l’art du tissage : tantôt
elles sont copiées fidèlement (dans des compositions faites de losanges et de car-
rés’), tantôt elles ont été adaptées et transformées en motifs aux lignes courbes'#.
Les mosaïques étaient l'œuvre d'artisans masculins. Ceux-ci suivaient leur propre
esthétique et celle de leurs commanditaires. Les mosaïques décoratives et figura-
tives comportent souvent des représentations qui devaient protéger du mauvais
œil. Ici aussi, les mosaïques correspondent à de nombreux tissus qui étaient ornés
dans le même but de tout un répertoire de motifs abstraits (et parfois figuratifs:
main, poisson, œil...).
De très nombreux schémas de composition issus de l’art textile ont été repris
dans la mosaïque nord-africaine de l'Antiquité: le damier, le zigzag parallèle, le
réseau de losanges avec un motif, le quinconce, les méandres, la croix (dont les
extrémités se terminent éventuellement par des flèches), les étoiles à huit pointes,
les étoiles composées de losanges ainsi que d’autres structures plus complexes”.
Il est évident que certaines mosaïques faisaient office de tapis fixes. Elles ne
reprennent toutefois jamais les motifs ou les compositions typiquement berbères ;
seules les compositions les plus simples, avec des motifs se répétant à l'infini, ont
Fragments de textiles protohistoriques
trouvés dans un tumulus de Foum-el-Rajam »
été copiées. On retrouve aussi ces motifs dans l’art textile (et dans les mosaïques
vallée du Dra‘a, Maroc du Sud. antiques) d’autres régions de la Méditerranée ou de régions plus lointaines'®.
:
121. Prosper Ricard, « Note au sujet de mosaïques à décor géométrique de l'Antiquité», in Hesperis, 34, 1947,
pp.267-279.
60 122. Suzanne Germain, Les mosaïques de Timgad. Étude descriptive et analytique, Paris (CNRS), 1973; pl.XXV et
XC, n°59; XLI, n°126; LVII, n°171 (carrés-losanges); p.105, n°152 (motifs pareils à ceux des textiles
d'Ouargla et d'Algérie du Sud).
123. Ibid. pl. LIX, n°178 (pelta apotropaïque) ; pl. LXIX, n°198 ; pl. XXXVII, n° 103-104; pl. XXXVI, n° 102. |
124. Ibid. pp.152-153.
Les mosaïques antiques du Maghreb nous fournissent des indices révélateurs,
mais pas des témoignages fidèles de l’art textile de l'époque. Tout au plus nous ren-
seignent-elles sur certains types de tissus répétitifs. L'art de la mosaïque ne s'est au
demeurant développé que dans les villes, où les riches bourgeois de la bonne
société estimaient n'avoir rien en commun avec les nomades ou les paysans de
l’arrière-pays.
P D
Les autres sources directes datant de l'Antiquité sont extrêmement rares. Il y a
bien quelques porte-amulettes en bois, trouvés en Algérie dans des tombes des
environs de 300 avant J.-C. et décorés de motifs libyco-berbères"*. Des poteries de
la même période ont également été découvertes dans des tombes. En dehors de
A A
l’art textile, le répertoire de motifs du style berbère apparaît en effet dans d’autres ÿ v
médias : poteries, peintures pariétales, tatouages. Ces moyens d'expression étaient
tous aux mains des femmes. Certes, la culture berbère connaissait et connaît tou-
jours des poteries fabriquées par des hommes, mais celles-ci étaient façonnées au
tour et n'étaient presque pas décorées. Elles étaient l’œuvre de potiers profession-
nels?.La poterie féminine, par contre, était produite par des non-professionnelles
et selon des techniques qui remontent à l’âge du bronze ou au néolithique". Si
nous arrivions à déterminer depuis quand ces poteries peintes sont fabriquées,
nous aurions une idée de l'ancienneté du «style berbère ».
Cette production céramique se subdivise en deux groupes. Un premier groupe
est localisé dans une longue et étroite bande de territoire au bord de la Méditerra-
née, depuis le Rif marocain jusqu’au nord de la Tunisie: cette zone comprend le
Rif, les Traras (région d'Oran), Sejnane et d’autres lieux en Tunisie, ainsi que la
Kabylie, le berceau de la production céramique la plus créative et la plus raffinée
des Berbères. La poterie y est couverte d’un engobe blanc sur lequel des motifs
rouges, bruns et noirs sont ensuite apposés. Le deuxième groupe est localisé plus
au Sud et englobe principalement le sud et le centre de la Tunisie (Negrine, Jarjar)
et l’'Aurès en Algérie. Les groupes «arabes » du Ouarsenis (au sud-ouest d'Alger) et
du Hodna produisent également des poteries du second type, plus rudimentaire
que le premier.
On considérait généralement autrefois que la poterie berbère caractéristique
n'était produite que dans ces deux zones, qui constituent un territoire correspon-
dant à peu près aux contrées autrefois occupées par l’Empire romain. On trouve
pourtant sporadiquement cette céramique jusque dans le sud du Maroc (Foum
Zguid, Aqqa…). La zone de diffusion de la poterie berbère ne s'explique pas par la
colonisation romaine, mais par la présence d'argile appropriée.
À quand remonte cette tradition céramique? Peu de sites historiques ont été
fouillés au Maghreb. Ce sont surtout les colonies de peuplement pré- et protohis-
toriques qui ont retenu quelque attention des archéologues, principalement entre
1860 et 1960". Les monuments et sites carthago-puniques, romains et paléochré- (a) Motifs sur une amulette lybico-berbère,
vers 300 avant notre ère (d’après la Revue
tiens ont certes été étudiés, mais on y a presque exclusivement cherché des vestiges
africaine, 82, 1938, ill. 45).
(b) Motif sur un fragment d'œuf d’autruche,
125. C.Viegas, F. Abraços & M. Macedo, Dicionario de motivos geométricos no mosaico romano, Conimbriga, 1993 ; Djoua (Tunisie) (d’après Camps 1961; voir
Le décor géométrique de la mosaïque romaine, éd. Catherine Balmelle et al., Paris, 1985. note 129).
126. Pierre Roffo, «Sépultures indigènes anté-islamiques en pierres sèches. Étude sur trois nécropoles de
l'Algérie centrale», in Revue africaine, 82, 1938, pp. 197-242, ill. 45.
127. Rüdiger Vossen & Wilhelm Ebert, Marokkanische Tüpferei. Tépferorte und -zentren. Eine Landesaufnahme 6I
(1980), Bonn, Habelt, 1986, pp.133-519.
128. Ibid. pp.17-132;Bernd Hakenjos et al., Marokkanische Keramik, Stuttgart, H. Mayer, 1988, pp.195-220.
129. Pourun aperçu, voir Gabriel Camps, Aux origines de la Berbérie. Monuments et rites funéraires protohistoriques,
+‘ Paris, 1961.
des cultures élitistes urbaines. La céramique berbère est le fait de sociétés rurales et
jusqu'à présent l'archéologie n’a pas fait grand cas de ces sites.
La céramique nord-africaine la plus ancienne est la poterie impressa"°: des
lignes et des points étaient imprimés ou gravés dans l'argile encore tendre avant la
cuisson. C’est en général la première céramique du néolithique. De cette période,
nous connaissons des poteries provenant de l’actuelle région du Sahara et de la
région côtière. Dans une zone intermédiaire à hauteur du Tell algérien, les trou-
vailles dans le domaine de la céramique sont très rares. Les poteries du Sahara sont
faites d’une masse d'argile soigneusement travaillée, elles sont pour la plupart de
forme sphérique et couvertes d’un décor sur toute la surface. La «céramique des
cavernes » de la zone côtière présente une composition plus grossière, avec un
fond souvent conique, et n’est que partiellement décorée. On la rattache à la tradi-
tion «soudanaise » (Khartoum, Shaheinab), que l’on trouve jusque dans l’est de
l'Afrique. La décoration se compose de lignes pointillées, de lignes ondulées ou
ZE
brisées, de lignes qui se croisent pour former des losanges, de zigzags, etc. Ces
Te

motifs caractérisent également le même genre de poterie dans d’autres régions, ils
sont antérieurs à la céramique peinte du néolithique. Cette tradition céramique
remonte probablement au V° et au VI‘ millénaire’ avant notre ère, lorsque le Sa-
hara actuel était une région fertile où l’on pratiquait l'élevage et la culture, et elle ne
présente aucune similitude avec le style berbère.
Les poteries peintes les plus anciennes — provisoirement — qui se rapprochent
du style berbère moderne ont été découvertes dans des tombes protohistoriques
du type mégalithique (dolmen, tumulus, bazina, haouanet). Le mobilier funéraire de
ces tombes était très pauvre par rapport à celui de sépultures similaires en Europe.
Au total, seuls quelque mille objets en céramique ont été exhumés. Quelques-
uns seulement étaient peints”. C’est sur le site de Tiddis (près de Constantine, en
Éd Algérie) que l’on a fait les trouvailles les plus nombreuses et les plus intéressantes".
a ne PL On re Po PP To a Te Re RTE
Mais plusieurs traditions culturelles coexistaient à cette époque. La poterie de Gas-
tel (à la frontière algéro-tunisienne) était surtout décorée de motifs aux lignes
courbes et beaucoup d'objets en céramique étaient encore ornés de motifs obtenus
par impression ou incision. On peut parler ici d’un «néolithique tardif», même jus-
qu’à la période romaine”*. La poterie de Tiddis et de quelques autres sites’Ÿest celle
qui correspond le plus au «style berbère ». Mais la poterie berbère fait figure d’ex-
ception par rapport aux autres traditions méditerranéennes des deux derniers mil-
lénaires. Ce style ne se retrouve nulle part ailleurs. Ceci pourrait laisser supposer
que le style berbère est unique. Mais n'oublions pas que la technique avec laquelle
la poterie féminine berbère a été produite était également un cas à part: cette pote-
rie était modelée à la main et peinte avec des moyens extrêmement primitifs. Ici, ni
(a) Motif sur un fragment de poterie de la
« Grotte des pigeons » près de Constantine 130. Comparable en Europe est la céramique rubanée, dont la décoration géométrique a été étudiée par P.L.
(Algérie), néolithique ou If siècle avant Van Berg, Le poinçon, le peigne et le code. Essai sur la structure du décor céramique dans le Rubané récent du Nord-
notre ère. Ouest, Thèse de doctorat, Université de Liège, 1988; Id., Grammaire des styles céramiques du Rubané d'Alsace,
(b-c-d) Motifs sur céramique de Tiddis Zimmerheim, Cahier de l'Association pour la Promotion de la Recherche archéologique en Alsace,
(Algérie), vers 300 avant notre ère. supplément n° 2, 1994; Id. «Du Néolithique ancien au Néolithique récent en Europe occidentale : chan-
gement de géométrie », in La Bourgogne entre bassins rhénan, rhodanien et parisien : carrefour ou frontière ? Actes à
du 18° colloque interrégional sur le Néolithique. Dijon 25-27/10/1991, éd. P. Duhamel, Dijon, Revue archéolo-
gique de l'Est (supplément n° 14), 1996, pp. 55-78.
62 131. James Mellaart, The Neolithic ofthe Near East, Londres, Thames & Hudson, 1975, passim.
132. 1 sur 24 à Bou Nouara, 2 sur 175 à Sila, 1 sur 56 à Beni Messous, 21 sur 49 à Tiddis. Camps 1961 (voir note
129), p.226.
133. Ibid. pp.215 sqq.; Grüner 1973 (bibliographie 3d), pp. 137-139.
134. Grüner 1973 (bibliographie 3d), pp. 128-136.
tour de potier, ni four professionnel. Les Européens «éclairés » qui ont voulu facili-
ter le pénible travail des femmes en introduisant le tour du potier ont vu leurs ten-
tatives échouer: l'emploi du tour était tabou pour les femmes". Cet interdit tacite 130

existait également dans d’autres régions méditerranéennes.


Si la technique est anachronique, peut-on en dire autant de la peinture ? La ligne
de parenté que l’on peut retracer remonte en tout cas fort loin. Les archéologues
qui découvrirent la céramique berbère vers 1900 furent tout de suite frappés par
les parallèles qu’elle présentait avec la poterie pré- et protohistorique. Tant la tech-
nique archaïque de modelage que le procédé et le style de peinture sont extrême-
ment proches de la production du Proche-Orient antique. Des parallèles ont pu
être établis avec des cultures de l’âge du bronze en mer Égée, en Cappadoce, à
Chypre et en Thrace”. On a découvert des analogies de formes à Chypre, dans
l'Égypte pré-dynastique et en Europe méridionale, surtout en Sicile. On a ainsi
relevé des convergences absolument inouïes avec la poterie de la culture de Castel-
luccio. Il s’agit d’une civilisation sicilienne de l’âge du bronze — du II° millénaire
avant notre ère plus précisément — qui était répandue sur toute l’île aux environs de
1500. Ce style fait songer à la poterie hellène et égéenne. La céramique de Castel-
luccio est décorée de motifs bruns ou noirs sur un fond jaune ou rouge. Le réper-
toire de motifs est abstrait et rectilinéaire et très proche du style berbère",
Outre le type de Castelluccio, la poterie de la fin de l’âge du bronze de Thapsus,
Pantalica et Cassibile présente aussi des analogies intéressantes. Des concordances
existent également avec la poterie protohistorique du sud de l'Italie. Pensons
à la céramique du dernier millénaire avant notre ère provenant de Salento””, Lu-
canie occidentale*, Bradano'*', Lucanie septentrionale# (le style dit de Ruvo-
Satriano), Bari (le style «géométrique peucétien » et les styles «en forme de peigne
et de croix gammée» I et Il) #, Ordona et le style sous-géométrique sud-dau-
nique'##. Ces styles se situent grosso modo entre le VIII et le V' siècle et sont donc
postérieurs aux styles de Castelluccio. Nous y retrouvons plusieurs structures de
base du style berbère.

135. Grüner 1973 (bibliographie 3d), pp.138-140; A. Berthier, «Les bazinas de Tiddis», in Libyca, 4, 1956,
pP.147-153 ; Gabriel Camps, «La céramique des sépultures berbères de Tiddis », in Libyca, 4, 1956, pp.155-
203 ; Camps 1961 (voir note 129), pp. 215 sqq. ; Grüner 1973 (bibliographie 3d), pp.137-130.
136. A. Van Gennep, Études d'ethnographie algérienne, Paris, E. Leroux, 1911, pp. 29-33.
137. Ibid. pp.58-65, avec une partie de la littérature plus ancienne. Il y a un siècle, on a déjà cherché à établir
des analogies entre l'art berbère et les produits d’autres civilisations. Presque toutes les cultures médi-
terranéennes et levantines ont servi de matériel de comparaison. À juste titre sans doute, mais la façon
amateuriste dont ces recherches ont été menées a incité les générations suivantes à rétrécir le champ
d'investigation et ce, à mesure que les découvertes archéologiques et la connaissance de l’histoire des
civilisations du monde méditerranéen et oriental s'étoffaient et que l'étude de la proto- et de la préhis- Motifs similaires sur céramique:
toire s'approfondissait. Ceci a conduit à des résultats fiables tant qu'il s'agissait de questions ayant une (a) Castelluccio (Sicile).
portée locale ou tant que le champ de la recherche était limité à une partie d’une discipline scientifique. (b) Tepe Giyan, vers 5200-5000.
Mais quand on dépasse ces limites, il faut élargir le champ de vision — tout en courant le risque d'hypo- (c) «Grotte des pigeons», Algérie.
thèses provisoirement invérifiables. (d) Cova de l’Or (Valence).
138. L. Bernabo Brea, «La Sicilia prehistérica y sus relaciones con el Oriente y con la Peninsula Ibérica », (e) Tatouages tunisiens: de gauche à droite,
in Ampurias, 15-16, 1953-54, PP.137-235. Mornag, Hamama, Shamtour (d’après
139. Douwe Yntema, The matt-painted pottery ofSouthern Italy. A general survey ofthe matt-painted pottery styles of Gobert 1924; voir bibliographie 3c).
Southern Italy during the final Bronze Age and the Iron Age (Università di Lecce. Dipartimento di Scienze dell’ Anti-
chità. Settore storico-archeologico. Collana del Dipartimento, 4), Lecce, Congedo, 1990, pp.45-108.
140. Ibid. pp.112-143.
141. Ibid. pp.144-185.
142. Ibid. pp.186-196.
143. Ibid. pp.199-218.
las Ibid., pp. 249-271. Voir également: Alberto Cazzela & M. Moscoloni, Neolitico ed eneolitico (Popoli e civiltà
H : dell Italia antica, 11), Bologne, 1992.
La parenté entre les cultures pré- et protohistoriques du Maghreb et celles de la
rive nord de la Méditerranée transparaît en outre dans les monuments mégali-
thiques. Les dolmens'# du nord du Maroc sont très proches des dolmens ibéri-
ques, ceux d'Algérie et de Tunisie des monuments de Sardaigne, de Corse, du midi
de la France et d'Italie. La Sardaigne surtout a été un lieu d'échanges culturels. Dès
l'Antiquité, on percevait les liens préhistoriques de l’île avec l'Afrique du Nord: des
historiographes comme Diodore, Sicule et Pausanias pensaient que les Sardes des-
cendaient des Libyens'*. Sur le plan génétique également, il semble y avoir eu des
points communs entre les populations protohistoriques de part et d'autre de la
mer Méditerranée*. Au IF millénaire avant notre ère — et même plus tôt -, des
échanges avaient lieu entre les pays des deux rives de la Méditerranée"*; l'influence
ne s'exerçait pas toujours du Nord vers le Sud'*°.
La poterie berbère n'est pas seulement proche de la poterie sicilo-italique de
l’âge du bronze et du début de l'âge du fer, mais aussi de la céramique de la même
époque — et plus ancienne — que l'on trouvait dans la partie orientale du monde
méditerranéen et au Proche-Orient. Les premiers chercheurs qui se sont intéressés
à la céramique kabyle° n'ont pas manqué de le constater. On a relevé des simili-
tudes avec la poterie de l'âge du bronze à Chypre, en Palestine, en Grèce, en Crète
(Gournia, Palaiokastro, Vasiliki), dans les Cyclades®’.…. Des concordances frap-
pantes s'observent également avec la poterie chalcolithique du sud de l'Iran: les
styles de Musyan et Suse l*. Etnous pouvons remonter encore plus loin, jusqu’à la
poterie néolithique des cultures suivantes: Namazga II (vers 4000)", Iblis I (vers
4200)°%*, Bakun III (vers 4500), Ubaid (vers 4500)"° , Tepe Giyan V (vers 4600-
4000)", Anaul (vers 5000) et Tepe Siyalk II-III (vers 5000-4000). Les conver-
af
LT

D

145. Gabriel Camps, «Dolmens», in Encyclopédie berbère, 16, pp. 2490-2509 : U. Veit, « Von Mykene bis Mada-
TA gaskar. Europäische Megalithik und ethnographische Vergleiche », in Ethnographisch-archäologische Zeit-
ŸN >Ÿ
schrift, 35, 1994, pp. 353-381.
146. Veit 1994 (voir note précédente), p.2508 ; Christian Zervos, La civilisation de la Sardaigne du débutdel'énéo-
lithique à la fin de la période nouragique: Il millénaire-V” siècle avant notre ère, Paris, Cahiers d'art, 1954.
147. Camps 1961 (voir note 1929). Voir également: Albert Ammerman & L.L. Cavalli-Sforza, The Neolithic

BY
l'A A1 5 transition and the genetics ofpopulations in Europe, Princeton, 1984. Plus particulièrement sur les Berbères:
Jean-Noël Ferrie & Gilles Boetsch, « Du Berbère aux yeux clairs à la race eurafricaine:la Méditerranée
des anthropologues physiques», in Le Maghreb, l'Europe et la France, éd. J.R. Henry & K. Basfao (Études de
l'Annuaire de l'Afrique du nord), Paris, CNRS & IREMAM, 1992, pp. 191-207; Jean-Noël Ferrie, « La naissance
de l'aire culturelle méditerranéenne dans l'anthropologie physique de l'Afrique du Nord», in Cahiers
d'études africaines (Mesurer la différence:l'anthropologie physique), 33, 1993, pp.139-151: Gilles Boetsch, « Égypte
noire et Berbérie blanche. La rencontre manquée de la biologie et de la culture», Ibid., pp.73-98: Id.
«L'impossible objet de la raciologie. Prologue à une anthropologie physique du Nord de l'Afrique»,
Ibid., pp. 5-18.
Motifs similaires sur céramique 148. Jean Guilaine, La mer partagée. La Méditerranée avant l'écriture, 7000-2000 av. J.-Chr., Paris, 1994 ;Chronolo-
et tatouages: gie et synchronisme dans la préhistoire circum-méditerranéenne. Union internationale des sciences préhistoriques et
(a) Tepe Sialk; (b) Tepe Sialk Ill; protohistoriques. IX° congrès Nice 13-18 septembre 1976, éd. Gabriel Camps, Paris, 1976 : Jean-Jacques Prado,
(c) Bendebal ; (d) Bendebal; (e) Musyan; L'invasion de la Méditerranée par les peuples de l'océan, XIIF siècle avant J.-C. Une réécriture de l'histoire antique,
(F) Mateur (Tunisie), tatouage de la main; Paris, s.d.
(g) Tepe Giyan V; (h) Tepe Giyan V; 149. P.W. Haider, Griechenland — Nordafrika. Ihre Beziehungen zwischen 1500 und 600 v.C. (Impulse der Forschung,
(i) Mzamza (Maroc), tatouage du bras; 53), Darmstadt, WB, 1988.
(j) lblis 1; (k) Roknia (Maroc). 150. J.Myres, « Notes on the history of the Kabyle pottery», in Journal ofthe Anthropological Institute (Londres),
>
32, 1902, pp. 248-262. é
151. À. Van Gennep, Études d'ethnographie algérienne, Paris, E. Leroux, 1911, pp.13-67: Les poteries kabyles,
spéc. pp. 57-64: également: Bertholon & Chantre 1913. Récent: C.M. Adelman, Cypro-geometric pottery.
64 Refinements in classification, Gôteborg, 1976.
152. Willi Stucki, Unterlagen zur Keramik des Alten Vorderen Orients von ihren Anfängen bis zum Ende dervordynasti-
schen Zeit, 1, Zurich, EA-Verlag, s.d.; L. Van den Berghe, « De beschilderde ceramiek in Voor-Azié van de
oudste tijden tot +2000 voor onze jaartelling», in Gentsche Bijdragen tot de Kunstgeschiedenis, 15, 1954,
PP-5-76.
gences les plus anciennes — moins systématiques, plus sporadiques — se rencon-
trent dans les cultures néolithiques d'Anatolie, Çatal Hüyük (vers 6000)°°et Haci-
lar (vers 5600)", et d'Europe orientale: Sesklo (vers 6000)", Karanovo I (vers
6000-5500)", Domica (vers 5000)
"%*,Karanovo V (vers 5000-4500)'%. La culture
de Tavoliere, dans le sud de l'Italie (vers 6500-5000), a également produit des pote-
ries présentant les structures géométriques qui nous sont familières, mais sous
une forme encore extrêmement simple".
Jusqu'il y a peu, certains chercheurs voyaient dans les similitudes entre les
décors des poteries berbères et la céramique géométrique de l'Orient une preuve
de l'influence exercée par les civilisations orientales sur l'Occident”. Ceci est uni-
quement vrai au sens où un type de société basé sur l’agriculture et l'élevage, et
caractérisé par une culture matriarcale, s'est développé plus tôt au Proche-Orient
et dans la partie orientale du bassin méditerranéen qu'en Occident. Ce n’est qu’au
cours des dernières décennies que l’on s’est rendu compte qu’une telle culture exis-
tait également en Europe orientale avant les invasions des proto-Indo-Européens
(du VI‘ au IV°/II millénaire). La céramique géométrique est une expression de
cette culture qui s’est épanouie à l’époque néolithique (nouvel âge de la pierre) et
chalcolithique (âge du bronze /de la pierre), donc grosso modo entre 6500 et 1500
avant notre ère!'°° . Dans certaines régions du Sahara actuel, on trouve des traces
d’une culture néolithique à partir du VI° millénaire. Les régions côtières étaient
encore plus archaïques. Cette période nous a livré très peu d’artefacts. Les analo-
gies avec l’art berbère sont sporadiques. Ce n’est que tout à la fin de la période pro-
tohistorique qu’apparaît la poterie proto-berbère de Tiddis — à moins que de
futures fouilles ne nous dévoilent l'existence d’autres objets.
Pour l'instant, nous trouvons des traces de la céramique proto-berbère jus-
qu'au I” millénaire avant notre ère. Les comparaisons avec d’autres civilisations
méditerranéennes et levantines laissent supposer que le système de décoration
«berbère» remonte encore beaucoup plus loin dans le temps. Puisqu'il semble
étroitement lié à un certain type de société reposant sur une agriculture bien orga-

153. Mellaart 1975 (voir note 131), pp.222, 223, 224.


154. Voir note 152.
155. Voir note 152.
156. Mellaart 1975 (voir note 131), p.177.
157. Ibid. p.181.
158. Voir note 152.
159. Mellaart 1975 (voir note 131), pp. 191-193.
160. Ibid. p.121.
161. Ibid. p.118 ; James Mellaart, Belkis Balpinar & Udo Hirsch, The Goddess ofAnatolia, Milan, Eskenazi, 1989,
vol. Il, pl. XIV, n° 219-221 («motifde la naissance » in Haçilar D), et vol. I, pl. XIX, n°°3-4-5-6 vers 5600).
162. Gimbutas 1991 (voir note 168), ill. 2-10.
163. Ibid. ill. 2-24. (a) Tatouage, Maroc.
164. Ibid. ill. 2-38. (b) Terre cuite, Bakun II.
165. Ibid. ill. 3-54. (c) Terre cuite, Seh Gabi.
166. Ibid. ill. 5-6, rangée 3. (d) Terre cuite, Bakun III.
167. Camps 1961 (voir note 129), pp. 403 $qq. raisonne trop à partir du concept d'xinfluence ». Ce qui s'oppose (e) Terre cuite, Musyan.
à ce qui est dit à la p.337: « La loi des convergences fait admettre que le décor géométrique rectilinéaire (F) Terre cuite, Bendebal.
naît spontanément dans des régions très éloignées lorsque des civilisations différentes arrivent au
même degré d'évolution. Par conséquent il est impossible de tirer d'analogies accidentelles entre les
poteries anciennes d'Orient et celles d'Afrique du Nord la certitude d’une filiation.»
168. On doit à l'archéologue Marija Gimbutas une vision novatrice et globale sur ce sujet à l'étude duquel
elle se consacra toute sa vie. Voir : The gods and goddesses ofOld Europe. 6500-3500 BC. Myths and cult images,
Londres, Thames & Hudson, 1990 (ci-après: Gimbutas 1990); The civilization of the goddess, San Fran-
cisco, Harper, 1991 (Gimbutas 1991) ; The language ofthe goddess, Londres, Thames & Hudson, 1989 (Gim-
butas 1989).

D
nisée, cette phase ne peut avoir fait son apparition en Afrique du Nord que tardi-
vement : au II° ou au I millénaire. Ce constat coïncide-t-il avec nos connaissances
au sujet de la population proto-berbère’°”??
L'histoire ancienne de l'Afrique du Nord est étroitement liée aux importants
changements climatiques qui s'y produisirent au cours des dix derniers millé-
naires”®, À l'endroit où s'étend aujourd’hui le Sahara, il y avait à l'époque préhisto-
rique une région humide couverte d’une végétation luxuriante et regorgeant de gros
gibier. Un changement de climat s'opéra ensuite en plusieurs phases pour aboutir à
la situation actuelle. La population s’adapta à la sécheresse et, il y a 3000 ans environ,
elle introduisit le dromadaire, qui provenait de régions situées plus à l’est. C'est sans
doute à cette époque que se constituèrent les tribus nomades dont les Touaregs ber-
bérophones”" sont les derniers représentants. L'évolution vers l'élevage et l’agricul-
ture eut lieu dans ce qui est aujourd’hui le Sahara plutôt que dans la zone côtière”?
La néolithisation de l'Afrique du Nord”, c'est-à-dire le passage à une chaîne alimen-
taire dirigée par l'homme, ne put avoir lieu que sous un climat humide et fertile.
Ces cultures disparues ne vivaient pas dans un complet isolement. Elles entrete-
naient des contacts avec des civilisations à propos desquelles nous sommes mieux
informés. Les archéologues ont toujours tablé sur la prédominance de la culture
égyptienne. Certains ont cherché les traces et l'influence de celle-ci dans les cultures
sahariennes et africaines. Les recherches récentes laissent pourtant supposer que
c'est l'inverse qui s’est passé: les cultures méditerranéennes «évoluées » de l'Antiquité
pourraient bien avoir été profondément influencées par les cultures sahariennes, qui
ont disparu ultérieurement sous l'effet de la désertification"*. Il faut donc très proba-
blement inverser la question et se demander en quoi les cultures sahariennes ont

169. Jean Desanges, «The Protoberbers», in General history of Afrivers 2. Ancient civilisations of Africa,
éd. G.Mokhtar, Londres, 1981, pp.423-440 ; Gabriel Camps, «Beginnings of pastoralism and cultivation
in North-West Africa and the Sahara: origins of the Berbers», in Cambridge history of Africa, éd. J.D.
Clark, 1, Cambridge, 1982, pp. 548-623 ; Gabriel Camps, «L'origine des Berbères », in Islam, société et com-
munauté. Anthropologie du Magreb (Les Cahiers du CRESM, 12), Paris, CNRS, 1981, pp. 9-33; Mohamed Til-
matine, «Theorien über den Ursprung der Berber», in Afrikanistische Arbeitspapiere, 18, 1989, pp. 83-89.
170. K.W. Butzer, Studien zum vor- und frühgeschichtlichen Landschaftswandels der Sahara, 3 vol., Mayence, 1968-
1969.
171. Johannes & Ida Nicolaisen, The pastoral Touareg. Ecology, culture and society, 2 vol., Copenhague, 1907.
172. Lionel Balout, «Préhistoire de l'Afrique du Nord», in Histoire générale de l'Afrique. 1. Méthodologie et préhis-
toire africaine, éd.J. Ki-Zerbo, s.I., Jeune Afrique /Stock /Unesco, 1980, pp. 601-618 ; Colloque Franco-Italien
sur la Préhistoire Saharienne (La Nouvelle Revue anthropologique, 7-16), Reims, Centre de documentation
interculturelle, Département d’Anthropologie, 1981; Ginette Aumassip, Gabriel Camps et al., Le Bas-
Sahara dans la préhistoire (Études d'antiquités africaines), Paris, CNRS, 1986 ; Weitere Beitrage zur Urgeschichte der
Sahara, éd. Lutz Fiedler et al. (Kleine Schriften aus dem vorgeschichtlichen Seminar Marbure, 31), Marbourg,
1990 ;Fred Wendorf & Romuald Schild, Prehistory ofthe eastern Sahara (Studies in archaeology), New York,
1980 ; Ginette Aumassip, Le Bas-Sahara dans la préhistoire, Paris, CNRS, 1986.
173. Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale. Colloque international du CNRS, Montpellier, 26-29
avril 1983, éd. Jean Guilaine, Paris, 1987; Joan Bernabeu, Al este del Eden. Las primeras sociedades agricolas en
Motifs sur terre cuite: la Europa mediterrdnea, Madrid, Sintesis, 1993.
(a) Susa 25. 174. Voir par exemple Hans Kolmer, «Les vaches pleurantes», in L'arte e l'ambiente del Sahara preistorico:dati e
(b) Chiga Pahan. interpretazioni, éd. Giulio Calegari, Milan, 1993, pp.303-307.
(c) Amiyah Il. 175. Maria Casini, «La valle del Nilo e il Sahara: ambiente, cultura materiale e rappresentazione», in L'arte e
(d) Can Hasan. l'ambiente.…, pp.153, 155.
176. James Demed, «The origins and diffusion of patrism in Saharasia, c.4000 BCE. Evidence for a world»,
wide, climate-linked geographical pattern in human behavior», in World futures, 30, 191, pp.247-271;
Jean Guilaine, Premiers bergers et paysans de l'occident méditerranéen, Paris —La Haye, 1976 ; Nomades et Séden-
66 taires
:perspectives ethno-archéologiques, éd. D. Aurenche (Mémoires du Centre Jean Palerme, 40), Paris, 1984.
177. Un exemple tiré de la religion: l’État-cité prédynastique Sais vénérait une déesse de la guerre, Neit(h),
qui remonte à une croyance libyco-berbère. Sous la I dynastie plusieurs souveraines portaient son
nom (Neithotep, Merneit…). Voir: U. Verhoeven & P. Derchain, Le voyage de la déesse lybique (Rites égyp-
tiens, 5), Louvain, Peeters, 1985.
contribué à l'avènement de la civilisation égyptienne”. L'interprétation de nom-
breuses analogies doit par conséquent elle aussi se faire en sens inverse.
De nombreuses régions du Sahara actuel furent abandonnées et les cultures
basées sur l'élevage du bétail 170 ne purent continuer à fonctionner dans un habitat
toujours plus sec. Un mouvement de migration vers la vallée du Nil se produisit pro-
bablement. Dans le delta occidental du Nil, il y avait une forte influence libyque”7.
Le néolithique «saharien » débuta au VI‘ millénaire — à la même époque qu’en
Égypte. De nombreuses peintures rupestres témoignent de l'existence de cultures
pré- et protohistoriques successives”. Cet art rupestre a certes été étudié de plus
près ces dernières décennies, mais beaucoup d'anciens sites de peuplement ont été
rayés de la carte par la désertification. Il reste difficile de rattacher les trouvailles
archéologiques à l’art rupestre. Celui-ci présente différents styles et différentes
phases qui attestent l’évolution agitée des cultures"”?.
La coexistence vieille de plusieurs milliers d'années entre Blancs et Négroïdes
est encore perceptible aujourd’hui dans les oasis sahariennes: les agriculteurs qui
y vivent sont les Harratine, appelés les Izzagaren ou «les Rouges» en Tamahaq (la
langue berbère des Touaregs). Dans certains cas, ils sont issus d'une population
très ancienne ; parfois, ils sont les descendants d'esclaves noirs introduits ultérieu-
rement. Ces Harratine ont été berbérisés du point de vue linguistique.
Le début d’une économie néolithique dans le Sahara actuel peut être situé vers
6000 (?) avant notre ère sur la base de datations au carbone 14 (Tadrart Akakous,
Libye)". La fabrication d'objets en céramique a commencé vers la même époque.
Dans l’art rupestre, cette culture trouve son expression dans le style dit bovidien*’.

178. Gabriel Camps et al, « Chronologie absolue et succession des civilisations préhistoriques dans le Nord
de l'Afrique», in Libyca anthropologica, 16, 1968, pp. 9-28; Gabriel Camps, Les civilisations préhistoriques de
l'Afrique du Nord et du Sahara, Paris, Doin, 1974; Henriette Camps-Fabrer, Atlas préhistorique du Midi Médi-
terranéen, Paris, 1980 ; D.H. Trump, The prehistory ofthe Mediterranean, New Haven, Yale U.P. 1980 ; Rudolf
Nehren, Zur Prähistorie der Maghreb-Länder, Mayence, Zabern, 1992.
179. Ginette Aumassip, « Chronologies proposées pour l’art rupestre nord-africain et saharien » in L'Homme
méditerranéen. Mélanges offerts à Gabriel Camps, Aix-en-Provence, 1995, pp. 143-156. La littérature concer-
nant les peintures et gravures rupestres pré- et protohistoriques est très abondante. L'iconographie de
cet art est surtout figurative et ne correspond que rarement à un motifde l’art textile berbère. Dans l'art
rupestre saharien, les femmes jouent toutefois un rôle important, caractéristique des cultures néoli-
thiques. Quelques ouvrages de référence: (1) Maroc: J. Malhomme, Corpus des gravures rupestres du Grand
Atlas, 2 vol., Rabat, Publications du Service des Antiquités du Maroc, 1959-1961; Catalogue des sites
rupestres du Sud marocain, Rabat, Ministère des Affaires culturelles, 1977: Susan Searight & Daniélle
Hourbette, Maroc, gravures rupestres du Haut-Atlas, Casablanca
— Aix-en-Provence, Belvisi—Edisud, 1992.
(2) Algérie: G. & L. Lefebvre, Corpus des gravures et des peintures rupestres de la région de Constantine (Mémoires
du CRAPE, 7), Alger, 1967; R.P. Poyto & M. Musso, Corpus des peintures et gravures rupestres de Grande-Kaby-
lie (Mémoires du CRAPE, n1), Alger, 1969; Henri Lhote, Les gravures rupestres du Sud Oranais (Mémoires du
CRAPE, 16), Alger, 1970 ; Ulrich Hallier et al., Felsbilder der Zentral-Sahara. Untersuchungen auf Grund neuerer
Felsbildfunde in der Süd-Sahara, Stuttgart, 1992 ; Die Felsbilder des Zentralen Ahaggar, éd. Franz Trost, Graz,
ADEVA, 198; Henri Lhote, À la découverte des fresques du Tassili (Signes des temps, 3), Paris, 1958. (3) Libye:
Hans Rhotert, Libysche Felsbilder. Ergebnisse der XI. und XII. Deutschen Inner-Afrikanischen Forschungs-Expedi-
tion (DIAFE) 1933-1934-1935, Darmstadt, 1952 ;Hans Rhotert, Francis Van Noten et al., Rock art of the Jebel
Uweinat (Libyan Sahara), Graz, ADEVA, 1978 : Hans Rhotert & Rudolph Kuper, Felsbilder
ausWadi Ertanund Cratère géométrique,
Wadi Tarhoscht (Südwest-Fezzan, Libyen), Graz, ADEVA, 198. (4) Mali, Niger: Henri Lhote, Les gravures du vers 550 avant notre ère, Bari,
pourtour occidental et du centre de l'Air, Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1987; Christian Museo Archeologico, n° 2927.
Dupuy, Les gravures rupestres de l'Adrar des Iforas (Mali) dans le contexte de l'art saharien. Une contribution à l'his-
toire du peuplement pastoral en Afrique septentrionale du néolithique à nos jours, diss. Univ. Aix-Marseille I, 1991.
(5) Ouvrage général : Karl-Heinz Striedter, Felsbilder Nordafrikas und der Sahara, Stuttgart, 1983 ; Id. Felsbil-
der der Sahara, Munich, 1984 ; Ulrich Hallier, Die Entwicklung der Felsbildkunst Nordafrikas, Stuttgart, 1990. 67
180. Francesco Mori, Tadrart Acacus. Arte rupestre e culture del Sahara preistorico, Turin, Einaudi, 1965.
181. Cette phase a été précédée par des cultures de chasseurs et de cueilleurs. Ces derniers sont probable-
ment les auteurs des célèbres peintures dites des Têtes rondes, qui datent d'une période comprise entre
le IX° et le VII‘ (?) millénaire. On a entre-temps découvert bon nombre de peintures de ce genre. Elles
On a retrouvé — vestiges de ces cultures — des outils en pierre, des palettes de
peintre et d'autres objets. L'art de cette époque représente des scènes «champêtres »
d'agriculture et d'élevage. La culture matérielle comprenait divers types de couvre-
chefs, des peaux de bêtes en guise de vêtements, mais aussi des pièces d’habille-
ment tissées. La vannerie et le tissage faisaient partie des acquis".
Divers groupes ethniques partageaient manifestement cette culture: des Noirs
et des Blancs, ces derniers aux cheveux foncés ou même blonds. La tenue vestimen-
taire était variable, allant du pagne aux habits longs. On relève tantôt une certaine
ressemblance avec la coiffure et le costume de peuples d'Afrique occidentale (Peuls
Foulbès)”, tantôt avec ceux de peuples d'Afrique orientale (peuplades nilotiques).
L'atmosphère qui se dégage de cet art est beaucoup plus calme et pacifique que
dans la phase précédente, caractérisée par des créatures angoissantes et mysté-
rieuses. La symbolique n'est présente qu’indirectement. Les scènes de la vie quoti-
dienne semblent ne servir aucune fin religieuse ou rituelle: l'élevage du bétail, le
travail de la terre, la chasse, des gens dans une hutte, une femme avec un enfant
ronchonnant, des gens qui discutent ou qui dansent. C’est un monde le plus sou-
vent paisible qui fait songer aux civilisations néolithiques de la même époque dans
les Balkans et en Europe orientale+.
Ces civilisations néolithiques sahariennes n’ont apparemment rien ou pas
grand-chose à voir avec les cultures ibéro-maurusiennes ou capsiennes que l’on
rencontrait à la même époque sur les rives de la Méditerranée ou dans des régions
plus septentrionales du Maghreb. L'existence de cultures épipaléolithiques est
attestée en Afrique du Nord avant et pendant l'époque néolithique. Ces cultures
datent de la période comprise entre le IV® et le XIII millénaire. L'une est dite cap-
sienne — du nom du principal site archéologique découvert, celui de Gafsa, en
Tunisie, la Capsa de l'Antiquité. Cette culture s'étendait depuis Tiaret jusqu’à la
région de Gafsa, sans jamais atteindre le littoral. Les peuplements s’étalaient d’est
en ouest. Les Capsiens, dont l'origine demeure obscure, étaient encore des
cueilleurs et des chasseurs$.

forment un chaïnon historique entre la peinture rupestre paléolithique en France et en Espagne, d'une
part. et la peinture murale égyptienne, d'autre part. La figure humaine joue un grand rôle dans cet art.
Les personnages ou les dieux (?) représentés ont des têtes rondes — d'où la dénomination du style — qui
semblent souvent masquées. Les animaux qui sont également importants dans ces représentations
évoquent probablement des mythes ou des rites. Une étude des peintures de la région de Tassili — où
des milliers de peintures ont été conservées — a permis d'établir une chronologie relative. Celle-ci est
basée sur l'analyse des surpeints: souvent, des scènes exécutées dans un «nouveau» style ont simple-
ment été peintes sur une couche plus ancienne. Cinq styles ont ainsi pu être distingués en fonction de
l'emploi des couleurs et de la forme de la silhouette humaine. Le célèbre « dieu suprême de Sefar», une
figure effrayante de six mètres de haut, se rattache au « quatrième style ». Le «cinquième style» a donné
des œuvres telles les figures masquées de Sefar, Tanzoumaitak, Awanghat et Matalan-Amazar, les
«juges » de Jabbaren, les « danseurs » de Tin-Tazarift, la «course » et la «déesse cornue » d'Awanghat. La
teneur mythico-religieuse de certaines peintures est manifeste. Les divinités ou personnifications de
forces supérieures sont toujours associées à des animaux: buffles, antilopes, félins, bovidés. Des figures
aux bras levés dans une attitude d'orant sont représentées en adoration ou dans un contexte rituel.
Voir :M. Tauveron, Les peintures rupestres des Têtes Rondes au Tassili n'Ajjer (Sahara central). Approche globale de …
la question, diss. Université de Paris I, 1992. À
182. Voir D. Stordeur, « Vannerie et tissage au Proche-Orient néolithique :IX-V° millénaire », in Tissage, cor- à
derie, vannerie. Approches archéologique, ethnologique, technologique. IX° rencontres internationales d'archéologieet
d'histoire d'Antibes, octobre 1988, APCDA, 1989, pp.19-39.
68 183. À. Hampaté Ba & Germaine Dieterlen, « Les fresques d'époque bovidienne du Tassili-n-Ajjer et les tra-
ditions des Peuls », in Journal de la Société des Africanistes, 36, 1966, pp.141-157.
184. Sahara, cat. exp., Cologne, Rautenstrauch-Joest-Museum, 1978; Archives des sables. L'art du Sahara, cat.
exp. Grenoble, Muséum d'Histoire naturelle, 1996.
185. D. Grebenart, « Capsien », in Encyclopédie berbère, 12, pp.1760-1770.
La culture de Capsa nous a laissé des sculptures extrêmement grossières en
pierre, ainsi que des œufs d’autruche gravés décorés de chevrons, de triangles et de
rectangles. On relève parfois une certaine ressemblance avec le style berbère ulté-
rieur dans les poteries, les tatouages et les textiles. Les Capsiens ne sont pas les pré-
curseurs directs des Berbères, mais ils constituent sans doute un de ces groupes qui
se sont fondus dans la culture proto-berbère. C'est probablement un peuple
«libyco-berbère», habitant en Libye et en Égypte et menant une vie de nomades
depuis environ 3000 avant notre ère, qui s'est lentement déplacé vers l’ouest en
plusieurs vagues migratoires et qui a «berbérisé» les tribus qu'il y rencontra. La
seule chose que nous sachions avec certitude à leur sujet, c'est qu'au III et au
If millénaire, l'essentiel de leur territoire était la Libye. Les sources égyptiennes
nous renseignent sur les contacts qu'ils entretenaient avec leurs voisins. Leur
langue appartenait au groupe chamito-sémitique"*. Plus tard, peut-être au II° mil-
lénaire avant notre ère, ils se dispersèrent vers l’ouest. Leur culture n'était pas uni-
forme. Tandis que des sources iconographiques égyptiennes nous les montrent
élégants et soignés, des auteurs grecs parlent de leur nature «sauvage » (des peaux
de bêtes au lieu de vêtements...).
C'est sans doute seulement au cours du dernier millénaire avant notre ère que
le style typiquement «berbère» s’est développé dans la poterie et le textile au
Maghreb. Cette apparition tardive s'explique probablement par la lenteur de l'évo-
lution vers une économie agricole, avec laquelle coexistèrent au demeurant tou- MENÉS
A NEA à“ [NE
RE
jours des nomades vivant de l'élevage. Le «style berbère » n’était rien d'autre qu'une
des manifestations d’un style néolithique qui, au Proche-Orient, remonte au
VI millénaire.
Les questions suivantes s'imposent à présent: (1) Pourquoi ce style est-il tel qu’il
est; en d’autres termes, quel est le «contenu » exprimé par ce style? (2) Que nous
apprend l’histoire de ce style à propos de l’art du tissage?
Les plus anciens produits du style berbère que l’on ait découverts sont des
objets en céramique. Pour l'archéologie, la céramique était jusqu'ici un produit
matériel d’une civilisation donnée: forme, technique, couleur et décoration
étaient analysées en fonction de leur spécificité dans le cadre de l’histoire des civi-
lisations. Récemment, on s’est toutefois mis à étudier les civilisations pré- et pro-
tohistoriques d’un point de vue holistique:que nous apprennent ces découvertes
matérielles sur la mentalité, la religiosité et l’organisation sociale? Dans quelle
mesure pouvons-nous reconstituer un système psycho-culturel ?
Pour approfondir notre vision de la culture berbère et de ses racines, il nous faut
faire un détour par le Levant et par l'Europe. Certaines recherches ont en effet jeté
une lumière nouvelle sur la culture spirituelle de l'Europe entre le VII millénaire et
les «grandes » civilisations classiques ainsi que sur celle de l'Anatolie du VIF-VI mil-
lénaire. Tel a été le mérite des archéologues Marija Gimbutas et James Mellaart.
Les recherches de Gimbutas montrent comment des tribus nomades indo-euro- (a-b) Décoration d’un œufd’autruche,
culture Villaricos, Espagne, vers 300 avant
péennes ont envahi l'Europe en plusieurs vagues (vers 4400-4300, vers 3500, vers notre ère.
3000) depuis le sud de la Russie. On appelle ces envahisseurs les peuples Kurgan, (c) Poterie kabyle, Algérie, XIX°-XX' siècle.
d'après le nom russe et turc qui désigne les tertres funéraires (tumuli) qu’ils ont laissés
derrière eux. Leur origine est mal connue. Au V° millénaire, leur territoire se situait
au-dessus de la mer Caspienne; il se déplaça ensuite progressivement vers l’ouest. 69
C'était des tribus semi-nomades, vivant de l'élevage, avec des bribes d'agriculture.

186. Bibliographie exhaustive sur les problèmes linguistiques du berbère: Bougchiche 1997 (bibliographie 1).
Les peuples Kurgan se composaient surtout de guerriers à l'idéologie belliqueuse,
patriarcale et hiérarchique. Ils avaient domestiqué le cheval et l’utilisaient comme
monture et bête de combat, ce qui les rendait plus mobiles que les autres peuples.
Leurs invasions modifièrent à jamais les cultures européennes. Dans la période
comprise entre 7000 et 4000, un néolithique indigène s'était en effet développé
dans les Balkans, en Grèce et dans le sud-est de l’Europe, parallèlement aux pre-
mières cultures agricoles de Mésopotamie et d'Anatolie. Cette ancienne civilisa-
tion européenne était, à en juger par les sites archéologiques, fondamentalement
différente de la culture Kurgan. C'était une culture de paysans, pacifique, matrilo-
cale et matrilinéaire, et endogame. Cela signifie que c'était la femme qui détermi-
nait le lieu de résidence et que la lignée se faisait à travers elle. On épousait un par-
tenaire de son propre clan ou groupe. La place centrale occupée par la femme se
manifestait dans la religion. La principale divinité était féminine :une Déesse du
mystère sans cesse répété de la mise au monde et de la mort, du cycle de l'existence.
Cette Déesse s'autogénérait et était la source de toute vie. Son énergie se manifes-
tait dans le monde. Pas d'arrêt ou d'immobilité, mais un changement énergétique
évoqué dans l’art par des ondulations, des spirales et des tourbillons. Une transfor-
mation incessante s'opérait entre les créatures vivantes et des formes d’être abs-
traites. La mort aussi était présente, mais comme une qualité capable de recréer
une nouvelle vie et même nécessaire à celle-ci: de la même manière que le grain
mis en terre «meurt» pour se reproduire et se démultiplier dans l’épi. La semence
ou le grain qui demeure intact est stérile ; il doit se «sacrifier » pour engendrer la vie.
I n'y a donc pas de contradiction entre la vie et la mort. Ce ne sont pas des mondes
séparés, mais deux manifestations d’une même réalité.
La civilisation du sud-est de l'Europe, des Balkans et de la Grèce était pacifique.
Elle n'ignorait pas la réflexion sur la mort, mais ne la dramatisait pas non plus. Le
culte de la DéesseŸ impliquait une vision cyclique de la vie: comme la lune,
comme les saisons de l’année, comme tous les organismes vivants. La Déesse
n'était pas une déesse de l'amour, de la fécondité ; elle n'était même pas ce que l'on
a appelé plus tard la «déesse mère». La Déesse régissait tout: la vie et la mort, la
croissance et le dépérissement, les forces qui se cachent derrière ces phénomènes.
Sa manifestation est multiple et changeante, comme la nature. Tantôt elle est
pareille à une femme, tantôt pareille à un animal, tantôt elle est une force suggérée
par des signes abstraits.
La force générative féminine est évoquée à travers une série d'animaux. Les
principaux sont le poisson, le crapaud, la tortue, le hérisson et la tête de taureau. La
Déesse se manifestait aussi dans certains animaux: oiseaux, poissons, reptiles,
insectes, amphibies'**, mammifères. Quand elle était oiseau, elle était un oiseau

187. Vincent Vycinas, The Great Goddess and the Aistian mythical world, New York—Berne, Lang, 1990;
L. Munaro, La signora del gioco, Milan, 1976 ; Tikva Frymer-Kensky, In the wake ofthe goddesses :women, cul-
ture, and the biblical transformation of pagan myth, New York—Toronto, 1992; Jacqueline Karageorghis,
La grande déesse de Chypre et son culte à travers l'iconographie de l'époque néolithique au VI siècle a.C. (Collection de
la Maison de l'Orient méditerranéen antique. s° série. Archéologie, 4), Lyon, 1977 ; M. Srivastava, Mother Goddess
in Indian art, archeology and literature, Delhi, Agam Kala Prakashan, 1970. Pour le land art de la déesse: Peg .
Steep, Sanctuaries ofthe Goddess. The sacred landscapes and objects, Boston, 1994. |
188. Le poisson (houta), la corne (qarn), la tortue (fakroun) sont aussi des motifs fondamentaux dans l'art tex-
70 tile berbère. Les deux premiers sont avant tout destinés à repousser le mal. Les tortues étaient en de
nombreux endroits vénérées par les femmes. Le hérisson — en fait, une «chose » à piquants — est un des
motifs principaux de l’art textile berbère dont nous reparlerons plus loin. Le crapaud et la grenouille
sont très importants dans la «mythologie féminine » et la magie nord-africaines en tant que manipu-
lateurs de la fécondité ou de la stérilité. À propos de la tortue, voir: A. Delphy, «Poteries rustiques
4 Rae.
pax de
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Tapis aux points noués, Ouled Dlim (Maroc), vers 1920-1940 (360 x 160 cm).
Tapis aux points noués, Mhazil (Maroc), vers 1950-1960 (255 x 155 cm).
189 190
aquatique (cygne ”, grue, cigogne"””, oie”'); oiseau de proie, elle était une cor-
neille, un vautour'”? ou un hibou. Cette dernière manifestation était celle du
«regard » et s'est mêlée plus tard au personnage de la déesse Athéna et de la Gor-
gone. Le «hibou » incarnait les forces sinistres et l'aspect menaçant de la Déesse.
Reptile, elle était un lézard et surtout un serpent. Dans les cultures patriarcales, le
serpent allait devenir une image de danger, de tentation, de venimosité ; mais aupa-
ravant, le serpent symbolisait la force vitale souterraine qui se renouvelle chaque
année (la mue). Dans l’art textile berbère, le serpent — nous en reparlerons —est un
des motifs principaux, porteur du même éventail de significations. Le lézard aussi
était un symbole positif important dans la culture des femmes maghrébines.
Quand elle est insecte, la Déesse (et son adoratrice) est une abeille: un animal
coopératif, serviable, pur.
La Déesse possédait en outre un répertoire de signes abstraits qui suggéraient
ses pouvoirs :le M, le V'%#, le zigzag””, la triple ligne 196 , la spirale ou circonvolu-
198 ]
tion”, la séparation et l'union”, le flux” et le méandre”®”, l'inversion et le reflet*”".
Sans oublier :le triangle*”, le losange”, 203 le filet*°*, le damier””,
205
seuls ou combinés.
De plus, chaque creux” 206
et chaque protubérance”” 207
étaient attribués à la Déesse.

modelées par les femmes du nord marocain», in Cahiers des arts et techniques de l'Afrique du Nord, n°7, 1974,
p.36. Dès le paléolithique, le poisson a été associé symboliquement aux motifs du filet, du zigzag, de la
spirale, de la vulve et de l'utérus (Gimbutas 1989 [voir note 168], p. 259). Plus tard, au néolithique et dans
l’art préclassique, le poisson est un symbole de l'utérus de la Déesse. Celle-ci apparaît sur le vase béo-
tien (vers 700 av. J.-C.) en tant que Maîtresse des Animaux ; la tête d’un poisson disposé verticalement
se tient à hauteur de son sexe (Ibid. ill. 405. Voir également ill. 410).
189. Plus tard, dans le folklore européen : H. Holmstrôm, Studier üver Svanjungfru Motivete (Études sur le motif
de la Damoiselle cygne), Lund, 1919; I. Grange, «Métamorphoses des femmes-cygnes. Du folklore à
l'hagiographie», in Ethnologie française, 13, 1983, pp.139-150.
190, Encore aujourd’hui dans l'«apporteur d'enfants » du folklore européen.
191. Voirles contes de Mère l'Oie, comme gardienne de la sagesse (féminine).
192. The goddess ofAnatolia, passim.
193. Gimbutas 1989 (voir note 168), pp. 19-23.
194. Ibid., pp. 3-17.
195. Ibid., pp.19-23, 43 5qq.
196. Ibid. pp.89-07.
197. Ibid. pp.279-284. La spirale aux nombreuses circonvolutions est présente dans l’art berbère du bijou.
On trouve notamment des pendentifs avec ce genre de spirale dans le Haut Atlas et l'Anti-Atlas. Bert
Flint, Formes et symboles dans les arts du Maroc. 1, Bijoux, amulettes, s.1., 1973, n° 10.
198. Ibid., pp. 161-173.
199. Ibid., pp.43-49.
200. Ibid., pp.25-20. Cf. A. Marshack, «The meander as a system. Analysis and recognition of iconographic
units in Upper Palaeolithic compositions», in Form in indigenous art, Canberra, Australian Institute of
Aboriginal Studies, 1978, pp. 286-317.
2o1. Relevons dans ces peintures comme dans les tissus anatoliens plus récents la combinaison d’une image
«positive» et d'une image «négative». L'observateur moderne voit au départ une série de figures ou
d'éléments reconnaissables. À y regarder de plus près, il constate que leurs contours ont été conçus de
manière telle que l’espace autour d'eux représente d'autres éléments. Il n'y a pas de perspective, mais un
assemblage de deux «histoires » qui s'interpénètrent de sorte que l'une est l’espace autour de l’autre et
inversement. Ce procédé extrêmement calculé existait déjà au VII* millénaire (Goddess ofAnatolia [voir
note 161], II, p.28) et est toujours un principe de base des kilims ruraux d'Anatolie. Autre figure de style
importante: l'effet de miroir. Un élément donné est dédoublé par son reflet le long d’un seul axe ou
multiplié par quatre le long d'axes croisés (Ibid. II, pp. 29-30, 47). Ce sont parfois des silhouettes recon-
naissables qui sont réfléchies de cette manière, mais parfois aussi de pures abstractions qui, tel un test
de Rorschach, évoquent une forme aux yeux du spectateur, bien qu'elles n'imitent pas la nature.
202. Gimbutas 1989 (voir note 168), pp. 237-239.
203. Voir chapitre «Idéogramme et code ».
204. Gimbutas 1989 (voir note 168), pp. 81-87.
205. Ibid., pp.114, 115, 119;219, 221, 223, 226; 125-128, 130.
206. Ibid., pp.158-159.
207. Ibid. p.149.
Ces motifs, à l'exception des formes spiralées, constituent les éléments fondamen-
taux de l’iconographie des tissus berbères. La colonne ou flux de vie*”* 208 et le regard/
l'œil*°? sont également très importants aussi bien dans l’art néolithique que dans le
textile berbère.
Jusqu'à présent, nous savons très peu de choses sur cet art et son arrière-plan
spirituel. Des dizaines de milliers de trouvailles archéologiques attendent un
regard neuf qui tente de les situer et de reconstituer leur histoire. Notre vision de
l’histoire est en effet complètement imprégnée de plusieurs millénaires de culture
patriarcale. Celle-ci a filtré l'histoire et ses vestiges et les a adaptés à ses propres
besoins et obsessions. Pourtant, l'héritage spirituel matriarcal a subsisté. D'une
part sous une forme «déguisée » dans les nouvelles religions, d'autre part dans la
tradition des femmes vivant en ségrégation: dans les contes et les récits, dans la
magie et les rites des femmes, dans leur art qui n’a jamais été reconnu en tant qu’art
par le canon masculin. Ces fragments épars, qui ont cherché en catimini leur
propre voie entre les courants dominants, se rattachent à tous les domaines de la
vie ;on les trouve dans les techniques (cuisine, tissage, soins aux personnes), dans
l’art (vêtement et parure, tatouage, textile), dans les rites, dans la littérature orale,
bref dans tous les schémas culturels qui étaient propres aux femmes. Dans le
temps, ils s'étalent sur quelque huit millénaires.
La science actuelle, avec son hyperspécialisation à outrance, ne s'intéresse pas
à de tels sujets. Les scientifiques ayant entrepris des recherches à ce propos sont
rares. Marija Gimbutas a essayé de reconstituer l’ancienne religion européenne du
néolithique et James Mellaart (avec Belkis Balpinar et Udo Hirsch) a tenté d'expli-
quer l’art textile anatolien à partir de son passé pré- et protohistorique.
Dans les années cinquante, Mellaart a fouillé les sites du début du néolithique
de Can Hasan, Beycesultan, Hacilar et Çatal Hüyük?"°. Ses découvertes et leur inter-
prétation ont modifié l’image dominante que l’on se faisait du néolithique. Cer-
taines civilisations anciennes connaissaient un niveau de développement supé-
rieur à ce que l’on avait cru possible jusque-là. Les systèmes culturels et religieux
s'avéraient en outre reposer principalement sur une « Déesse X », sur des principes
tournant autour de la créativité féminine. Les nombreuses peintures pariétales de
Çatal Hüyük étaient particulièrement éloquentes à ce sujet. La Déesse y jouait un
rôle central. Ces peintures n'étaient pas des figurations «spontanées» mais des
compositions rigoureuses et réfléchies comprenant une grande proportion de
motifs abstraits. Deux décennies plus tard, Mellaart et ses collègues reconnais-
saient ces compositions dans les textiles ras des paysannes anatoliennes’"!, Pou-
vait-il s'agir d’une simple coïncidence?
Les sites archéologiques de la civilisation anatolienne du néolithique, Çatal
Hüyük et Hacilar, abritent des vestiges datés entre 7000 et 5500 avant notre ère. Cer-
tains kilims anatoliens qui ont été conservés remontent au XII—-XIV® siècle?” et
quelques fragments au IX° siècle”. Le vide à combler est donc de plus de six millé-

208. Ibid. pp.43-49.


209. Ibid., pp. 51-61.
210. James Mellaart, The Neolithic ofthe Near East, Londres, Thames & Hudson, 1975, avec bibliographie.
211. Ces recherches donnèrent lieu à la publication de The Goddess ofAnatolia (voir note 161).
74 212. Anatolian kilims and radiocarbon dating, éd. Jürg Rageth, Bâle, 1990.
213. Jürg Rageth, «Elibelinde’s great-grandmother», in Hali (Londres), n°102, 1999, p.65. Le fragment fut
d'abord publié dans : Tissus d'Égypte, témoins du monde arabe. VIII-XV* siècle. Collection Bouvier, Thonon-les-
Bains, Éditions de l'Albaron {Paris Institut du Monde arabe /Genève, Musée d'Art et d'Histoire, 1993,
pp. 80-82, n° 29.
naires. Les pionniers de ces recherches, Mellaart, Balpinar et Hirsch, étaient parfai-
tement conscients de l'existence de ce fossé et ont expliqué pourquoi ils croyaient
quand même à une continuité. En faisant appel à d'autres formes d'art, ils ont essayé
de rendre les choses plus intelligibles. Ils se sont aussi intéressés à la survivance de
l'héritage spirituel néolithique dans les périodes ultérieures. Mais la problématique
était tellement vaste et tellement fondamentale du point de vue de l'histoire des civi-
lisations que les trois chercheurs, dans les limites de leur recherche, ne purent que
récolter des bribes d'informations. Leurs critiques n’en tinrent aucun compte, insis-
tèrent sur la nécessité de la continuité des sources et rejetèrent les thèses de Mellaart
et collègues. L'importance d’une ligne ininterrompue de sources historiques avait
pourtant été soulignée par les chercheurs eux-mêmes. En outre, ceux-ci ne consi-
déraient pas leur travail comme le point définitif sur la question de l'héritage cultu-
rel néolithique et de la religion de la Déesse, mais comme un jalon susceptible de
susciter de nouvelles hypothèses et de nouvelles recherches.
Les critiques soulignaient l’origine centrasiatique des tribus turques qui s'éta-
blirent en plusieurs phases sur le territoire de la Turquie actuelle entre le XI° et le
XII siècle. L'origine de l’iconographie textile anatolienne devait donc être cher-
chée dans les régions turkmènes d’Asie centrale”*. (De nombreuses analogies sont
effectivement avérées.) Ils partaient de l'hypothèse implicite que le style anatolien
du néolithique et le style turkmène des environs de l’an mille devaient être com-
plètement différents — de même que le contenu de ce style. Par conséquent: com-
ment le culte anatolien de la Déesse peut-il correspondre à la vision du monde des
tribus turques à peine ou non encore islamisées?
Il y a en effet, sur le plan culturel, une différence entre l’ancienne population
autochtone d’Anatolie et les «nouveaux venus » turkmènes et centrasiatiques. La
première était composée d’un mélange de peuples dont les origines se perdent
dans un passé lointain. L'Anatolie connut une première et longue période de pros-
périté au VI' et au V° millénaire*®. Cette culture néolithique jeta les bases écono-
miques pour de nombreuses générations ultérieures: l’agriculture et l'élevage
avec, comme corollaire, la possibilité de surproduction et d’accumulation. Les
moyens étaient ainsi en place pour le développement de nouvelles formes de civi-
lisation: la formation de l’État’".
La religion de l’époque était un culte matriarcal de la Déesse, qui régissait la vie
et la mort. Cette religion était et resta étroitement liée à une culture de paysans, aux
aspirations de qui elle donnait forme. La Déesse demeura essentielle en tant que
modèle signifiant sous-jacent, depuis la Cybèle et l'Artémis d'Éphèse”"” jusqu’à la
Mère de Dieu chrétienne. Mais avant que les tribus turkmènes ne se convertissent
à l'islam, elles pratiquaient un animisme chamaniste. De nombreux peuples de
Sibérie et d'Asie centrale vénéraient une variante «nordique » et plus archaïque de
la Déesse néolithique: la déesse-cerf”". L'arrière-plan culturel des Anatoliens et

214. Josephine Powell, « An argument for the origins of Anatolian kilim designs », in Oriental carpet and textile Plats d’Eridu, If millénaire
studies IL. 2, éd. Robert Pinner & Walter Denny, Londres, Sotheby's [1991], pp. 51-60. (d’après Mellaart 1975; voir note 210).
215. Jak Yakar, Prehistoric Anatolia. The neolithic transformation and the early chalcolithic period (Monograph Series of
the Institute ofArchaeology ofTel Aviv University, 9), Jérusalem, 1907.
216. Charles Maisels, The emergence ofcivilization :from hunting and gathering to agriculture, cities, and the state in the
Near East, New York, Routledge, 1990.
217. R. Fleischer, Artemis von Ephesos und verwandte Kultstatuen aus Anatolien und Syrien (Études préliminaires aux
religions orientales dans l'empire romain, 35), Leyde, Brill, 1973.
218. Esther Jacobson, The deer goddess ofancient Siberia. A study in the ecology ofbelief (Studies in the history ofreli-
gions, 55), Leyde—New York, Brill, 1993.
des Turkmènes présentait donc quelques schémas parallèles, sans pour autant être
identique. De plus, les tribus turques s’adaptèrent culturellement et surtout esthé-
tiquement à leur nouvel environnement. Il est ainsi frappant de constater combien
l’art textile anatolien du dernier millénaire est éloigné de celui des autres tribus
turkmènes qui n'ont pas quitté l'Asie centrale. Cela pourrait vouloir dire que ces
dernières ont complètement transformé leur art au cours des siècles passés. C’est
toutefois improbable, car il est très proche de l’art textile des peuples voisins.
La seconde possibilité est que les Turcs immigrés en Anatolie se soient appro-
prié les anciennes traditions artistiques de leur nouveau pays — non sans y ajouter
bien sûr leur apport personnel. Souvent, les tribus immigrées se sont adaptées aux
traditions culturelles de leur nouveau pays (de la même manière que les tribus ger-
maniques des Francs s’approprièrent l'idiome roman en Gaule). L'adaptation
turque à l'ancienne culture locale ne fut pas générale. Ceux qui s’installèrent dans
les campagnes y imposèrent leur langue, mais ils furent eux-mêmes absorbés par
une culture rurale stable déjà vieille de plusieurs millénaires à l'époque. Les Turcs
qui faisaient partie des centres du pouvoir développèrent un style qui leur était
propre, lequel était aussi éloigné de leur ancienne esthétique turkmène que de celle
de la population paysanne.
Revenons à l’art anatolien de Çatal Hüyük. Sur le plan figuratif, ce sont surtout
les «récits » suivants qui sont représentés : des femmes rencontrant des jeunes gens
au bord d’un cours d’eau ou dans les prés ; des femmes enceintes ; la naissance et la
maternité; la Maîtresse des fauves; des scènes mythologiques qu'il est souvent
difficile d'interpréter et qui se déroulent dans des grottes et des montagnes; la
mort et le cycle aboutissant à une nouvelle naissance”. Tout le système était cen-
tré sur la préservation de la fécondité et sur la re-naissance’”. (Les rites et l'éthique
de cette époque ont sans doute été perpétués dans les cultes des mystères de l’An-
tiquité””. Vu l'absence de textes de l'époque, aucune information directe n’est dis-
ponible.) Dans cet art, le rôle des femmes — tel que défini par la culture de
l’époque — est central et se reflète dans la mythologie.
La Déesse apparaît essentiellement sous trois formes: les bras levés et les
jambes écartées, dans une attitude qui, dans l’art de l’'Ancienne Anatolie, corres-
pond à l'accouchement; en elibelinde’??, les mains sur les hanches: et sous une
forme abstraite — une étoile, un losange, un hexagone avec des crochets ou une
figure plus complexe”. Le premier type cité connaît plusieurs variantes. Dans une

219. The Goddess ofAnatolia (voir note 161), I, p.53.


220. L'importance de la fécondité dans l'existence réelle et dans son traitement symbolique n’est pas «uni-
versellement humaine »et ne joue pas le même rôle dans toutes les cultures. Les cultures de chasseurs
et de cueilleurs essayaient de conserver la même population, non pas de la faire croître: elles vivaient
en effet de la déprédation de la nature, sans régulariser la production naturelle de nourriture (comme
dans l'agriculture). Elles vivaient dans un équilibre précaire avec leur habitat, qu'elles devaient parfois
quitter pour un autre lorsque l'approvisionnement en nourriture était temporairement menacé. Leur
économie n'était pas productive, comme celle des cultures néolithiques et postérieures. Voir: Archaco-
logy and fertility cult in the ancient Mediterranean. Papers presented at the First International Conference on
« Archaeology of the Ancient Mediterranean»: The University of Malta, 2-5 September, 1985, éd. Anthony
Bonand, Amsterdam, Grüner, 1987.
221. Surles Mystères d'Eleusis, voir: Giulia Sfameni Gasparro, Misteri e culti mistici di Demetra (Storia delle reli- 7?
gioni, 4), Rome, L'Erma di Bretschneider, 1986.
76 222. Gods and Goddesses, éd. Belma Kulaçoglu, Ankara, Museum of Anatolian civilizations, 1992. Les mains
sur les hanches: n° 36 (Çatal Hüyük), 80, 96, 97, 98, 99. Les mains sur ou sous la poitrine: n°°3,4, 21,24,
26,38, 43,45, 47,48, 50, 52, 53,54, 56, 63,70, 102, 120, 131, 132.
223. The Goddess ofAnatolia (voir note 161), vol. 2, p.51; vol.4, pp. 43-48 (sur les kilims anatoliens).
224. Op. cit. vol.1, pl. XVI, 5, au milieu.
première variante, qui tend fortement à l’abstraction, des mains, des courants
d’eau et des spirales doubles jouent un rôle symbolique essentiel”?+, Une deuxième
variante accentue nettement les parties génitales de la Déesse. Elle a une «antenne »
sur la tête. Autour d’elle, on aperçoit des léopards et des plans d’eau. Un flux en zig-
zag s'écoule parfois de son bas-ventre*”. Il existe aussi une troisième variante, avec
des cercles concentriques sur le ventre. Vautours, flux croisés et hexagones sont les
signes utilisés ici.
Dans certaines peintures pariétales, la Déesse apparaît sous une forme dédou-
blée*”. Son émanation inférieure est représentée pendant l'accouchement: la tête
de l'enfant est déjà visible. Sa manifestation supérieure porte une ruche sur la tête
et est entourée d’un essaim d’abeilles. Très souvent apparaît un signe qui symbolise
le fœtus ou l’enfant: une forme de sablier (qui s'appelle aussi «origine» dans l'art
textile berbère), une croix, deux triangles qui sont à la fois séparés et liés, etc. La
Déesse est fréquemment représentée les jambes écartées. L'espace entre les jambes
protège l'enfant et équivaut symboliquement à la grotte ou la montagne creuse de
la Déesse”. (Dans l’art textile abstrait, cet espace est devenu la niche, dans l’art
chrétien la « Vierge au manteau protecteur» qui abrite ses «enfants» sous les pans
déployés de son manteau.)
La deuxième forme fondamentale sous laquelle la Déesse apparaît est l'elibe-
linde, le type aux «mains sur les hanches ». Il s’agit toujours d'un motif central de
l’art textile anatolien. Cette forme ressemble à une figure se tenant les jambes écar-
tées et les mains sur ou près des hanches. En Anatolie, on l'appelle également elibô-
gründe («les mains en dessous de la poitrine») ou simplement kiz («la jeune fille »),
mais aussi aman kiz («la jeune fille qui recherche la grâce ou la faveur»), gelin
(«la jeune mariée») ou cocuklu kiz («jeune fille avec enfant»). Les tisseuses mention-
nent parfois explicitement la symbolique de la fécondité”. Les deux manifesta-
tions (les mains près des hanches ou près de la poitrine) remontent au néolithique.
Les villages anatoliens où l’on tisse ce type de kilim sont des yerli: leurs habi-
tants sont autochtones. Ils constituent une couche de population beaucoup plus
ancienne que les groupes d’origine turque (turkmène) qui envahirent l'Anatolie
entre le X° et le XIII° siècle**°. Un certain type de kilim présente des elibelindes ou des
niches superposées ou insérées les unes dans les autres”. 231
L'existence de nombreux
précurseurs de ce type, qui fut produit par la population yerli #7, est avérée. Il rap-
pelle beaucoup les babouchkas traditionnelles russes, ces «petites grand-mères » qui
s'emboîtent les unes dans les autres, de la plus petite à la plus grande. Elles repré-
sentent la déesse mère (souvent appelée Baba par les peuples slaves), la mère de
générations qui se succèdent en s'interpénétrant. Ici aussi, les figurines sont des
personnifications du concept de succession, de descendance et de dépendance
intergénérationnelle.
L'elibelinde apparaît sous d’autres formes stylisées dans diverses cultures, entre
autres sous la forme de palmettes et de lignes courbes". Dans l’art textile d’Ana-

225. Op. cit, vol.1, pl. XVI, 5, à gauche.


226. Op. cit. vol.r, pl. XVII, 5, à droite.
227. Op. cit. vol.1, pl. XVII, 5, à droite.
228. Op. cit. vol. 2, pp.34, 53.
229. Op. cit. vol.1, p.46.
230. Op. cit. vol. 1, p.47.
231. Op. cit. vol. 1, ill. 38a-42b.
232. Op. cit. vol.1, pp.39-40.
233. Op. ait. vol. 1, ill. 49, 54b, 55a, 60a-b.
tolie, on en dénombre trois types principaux: l'elibelinde ayant l'allure d'une femme
vêtue d’une longue robe, l'elibelinde maîtresse des animaux (généralement accom-
pagnée de deux vautours) et l’elibelinde dans une niche ou «grotte». Ce sont là trois
formes du culte de la Déesse néolithique. Celle-ci tient chaque fois les mains sur ou
près des hanches. Ce geste a-t-il une signification particulière?Il semble que, telle la
jehva, ce soit un geste sans explication ni commentaire. Il apparaît d'innombrables
fois, sous une autre forme, tout aussi «pure», dans les danses populaires.
Un chaînon intermédiaire entre les kilims anatoliens (qui peuvent être datés à
partir du XIII siècle environ) et l’art textile de l'Antiquité a récemment été mis au
jour. Sur un fragment d’un kilim égyptien (?), on a relevé la présence du motif de
l'elibelinde. Le tissu représente incontestablement une femme dans cette position.
Sur la base d’une analyse effectuée en laboratoire, la pièce a pu être datée vers le
IX siècle. Elle proviendrait de la Haute-Égypte. Elle n’a pas nécessairement subi
l'influence d’un textile anatolien. Il est possible qu'il ait existé un style textile rural
répandu dans le monde méditerranéen et/ou dans tout le Proche-Orient, style
dont les premiers fragments sont seulement découverts aujourd'hui”.
La troisième manifestation de la Déesse à Çatal Hüyük (et sur tant d’autres sites)
s’exprimait par des signes abstraits inspirés du losange et de l'hexagone et de cro-
chets ou protubérances. Ce sont là les formes fondamentales de tout style textile
néolithique, où que ce soit dans le monde”. 236
Les autres peintures de Çatal Hüyük
font aussi appel à un répertoire restreint de motifs abstraits: triangles, losanges,
filets, hexagones, degrés, zigzags et méandres, damiers, spirales, flèches et cro-
chets, dans des formes s’interpénétrant et se répétant, des croix et des barres, et
une combinaison de tous ces éléments. Nous retrouvons déjà ici quelques motifs
élémentaires de l’art textile berbère: le losange ou l'association de losanges, le
losange à remplissage irrégulier, le losange muni de «piquants» orientés vers l’in-
térieur ou vers l'extérieur, des formes concentriques irrégulières, des «courants
d'eau» ou des zigzags, des champs de petits triangles, une forme avec des petits
losanges à l’intérieur, un losange ou un hexagone comprenant un motif, des V aux
pointes tournées les unes vers les autres et même des formes complexes très
spécifiques que l’on appelle dar grouna au Maroc*?.

234. Op. cit, vol. 1, pp.44-45.


235. Voir note 213. Pour les minuscules fragments préhistoriques, voir: Harold Burnham, «Çatal Hüyük.
The textiles and twined fabrics », in Anatolian studies, 15, 1965, pp.169-194; Michael Ryder, « Report of
textiles from Çatal Hüyük », in idem, pp. 175-176 ; Gillian Vogelsang-Eastwood, « A re-examination ofthe
fibres from the Çatal Hüyük textiles », in Oriental carpet and textile studies, IL. 1, Londres, 1987, pp.15-19.
236. Dans les couches inférieures de Çatal Hüyük, figuration et abstraction allaient de pair, par exemple des
personnages et un fond géométrique. Figuration et abstraction coexistaient et aucun indice ne permet
de dire laquelle des deux est apparue en premier lieu. La question qui se pose est bien sûr de savoir si ce
sont des hommes ou des femmes qui ont peint les parois de Çatal Hüyük. Le lien avec les œuvres tex-
tiles est en tout cas indéniable. Est-ce que ce sont des hommes qui ont «imité» ces dernières, ou ont
adapté leurs modèles dans un sens figuratif? Ou leurs peintures ont-elles été les exemples suivis dans
l'art du textile? Cette éventualité est peu probable: l'iconographie des peintures se rapproche plus de
l'art textile féminin de cultures très diverses que de l’art masculin. Ou bien l'art textile féminin était-il
au départ aussi bien figuratif qu’abstrait? On peut imaginer un scénario dans lequel les hommes de
l'âge du bronze et du fer se seraient approprié le monopole artistique de la représentation figurative, ne :
laissant aux femmes que l'abstraction. Mais la figuration était déjà le propre de la peinture «masculine»
du paléolithique (type Lascaux). L'hypothèse la plus vraisemblable nous semble être celle-ci: ce sont
78 des hommes qui ont réalisé les peintures pariétales de Çatal Hüyük et ils se sont inspirés pour ce faire
du textile (féminin). Puisque, dans cette phase, seule la Déesse était vénérée, les hommes partageaient
ce culte et avaient donc toutes les raisons de représenter de tels motifs.
237. The Goddess ofAnatolia (voir note 161), pl. XV, 4: les motifs à gauche et à droite du centre. Comparer à
Ricard (bibliographie 3e), vol. 1, pl.IV, 10.
Les signes évoquant la Déesse et l'enfant à naître, tels que nous les rencontrons
à Çatal Hüyük, ne sont pas liés uniquement à la culture locale. Ils sont également
propres à l’art textile berbère et à bien d'autres traditions textiles",
Ce système symbolique des cultures néolithiques était à l'époque le seul sys-
tème «officiel». Il se constitua en un ensemble cohérent à partir de et à travers la
naissance d’une société basée sur l’agriculture (tout en reprenant bien sûr certains
aspects de religions plus anciennes). Avec l'avènement des grands royaumes
patriarcaux à l’âge du bronze, cette religion rurale devint l'affaire du peuple de la
périphérie. La ville et la cour développèrent des religions centrées sur leurs propres
intérêts. Au cours de plus de cinq millénaires, les élites des centres du pouvoir
réussirent à faire adopter leurs convictions par tous: leur culture était la culture
«supérieure», la culture la plus «représentable». Au troisième millénaire avant
notre ère, des tribus indo-européennes (Hittites, Luviens, Pala) immigrèrent dans
la région anatolienne. Ils y introduisirent leur panthéon dominé par des dieux
masculins. Ces dieux légitimaient un système patriarcal axé sur le pouvoir: un
dieu créateur masculin (comme Zeus ou Jupiter), des dieux secondaires guerriers
(et des déesses de l’amour et du foyer). À partir de ce moment-là, seules les cam-
pagnes restèrent fidèles à la Déesse primitive. Celle-ci fut dotée de nouveaux noms
sous les Hittites (vers 1750-1175), les Hourrites, les Arzawa, les Perses, les Grecs et
les Romains: depuis Arinna et Wurunsemu (la «Terre mère») jusqu'à l'Artémis
d'Éphèse et la Mère de Dieu chrétienne”. Ce n'est qu'avec l'islam que toute
croyance en un principe féminin puissant prit fin.
Le culte néolithique de la Déesse existait aussi en Afrique du Nord. Des pein-
tures rupestres d’une femme trônant rappellent des images analogues dans les cul-
tures d'Anatolie, de la mer Égée et de l’Europe primitive. La Déesse porte souvent
une parure de tête avec des cornes — l'équivalent de la tête de bovidé cornue que
l'on trouve dans les représentations anatoliennes**° 240 ou de la déesse-vache Hathor
en Égypte. Cette phase se situe, d'après des peintures rupestres et des gravures
difficilement datables, au VI‘, V°, IV° et III‘ millénaire (?). À partir de 3000 environ,
nous disposons de sources égyptiennes et grecques attestant l'existence d’une
croyance libyco-berbère en la déesse Neith. Plus à l’ouest, sur le territoire tunisien,
on donnait à la déesse le nom de Tanit. À l'époque romaine, on vénérait Caeles-
tis’*. Ici aussi, ce fut l'islam qui mit définitivement fin aux cultes qui avaient suc-
cédé à celui de la Déesse.
Le système religieux des campagnes, vieux de plusieurs millénaires, avait ainsi
officiellement cessé d'exister. Ceci ne veut pas dire qu'il avait disparu du cœur et de
l'esprit de la population. Simplement, il ne pouvait plus être évoqué dans les lieux
de culte et dans le discours. Il n'était pas l'invention d'érudits ; il était ancré dans la
vie quotidienne, dans le maintien de la fécondité et des conditions nécessaires à la

238. Dorothy Cameron, Symbols of birth and death in the neolithic era, Londres, Kenyon Deane, 1981; Jean-
Daniel Forest, «Çatal Hüyük et son décor: pour le déchiffrement d'un code symbolique», in Anatolia
Antiqua. Eski Anadolu, 2, Travaux et recherches de l'Institut Français d'Études Anatoliennes, éd. Jacques Des
Courtils & Aksel Tibet (Bibliothèque de IFEA d'Istanbul, 38), Paris, 1993, pp. 1-42.
239. Sur la survie du culte de la Déesse dans les systèmes patriarchaux, voir: The concept of the goddess, éd.
Sandra Billington & Miranda Green, Londres, Routledge, 1996.
240. Vil Mirimanov, «Sujets mythologiques dans l'art rupestre du Sahara. Sur la genèse de la composition 79
en deux figures opposées », in L'arte e l'ambiente del Sahara preistorico:dati e interpretazioni, éd. Giulio Cale-
gari, Milan, 1993, pp.375-380.

|:
241. E. Lipinski, Tanit und Ba‘al Hammon, Mayence, 1972: M. Le Gay, «Caelestis», in Encyclopédie berbère, 11,
PP-1696-1698.
vie. Il était mêlé à de nombreux rites, aux techniques et aux obligations courantes,
à un mode de vie. En dépit de la disparition de son extériorisation religieuse, ce sys-
tème subsista, surtout parmi les femmes, puisque ces tâches leur étaient confiées.
C'est ainsi que ces pratiques et leur fond symbolique se perpétuèrent ;voilà pour-
quoi nous observons toujours, dans les campagnes nord-africaines (et dans tant
d’autres lieux) de ce XX° siècle, des rites et des coutumes — tels que le tissage — qui
ont vu le jour il y a des milliers d'années. L'art textile berbère (tout comme celui
d'Anatolie ou du Laos, pour ne citer que ces deux exemples) plonge ses racines
dans une culture de paysans et de bergers qui remonte au néolithique.
Peut-on parler de continuité sur une période aussi longue sans verser dans des
affirmations vagues et incontrôlables ? La question de la continuité culturelle à
long terme a été étudiée par les historiens français de l’école des Annales.
Ils sont partis du constat que l’historiographie moderne veut par trop expliquer
le passé à partir de recherches menées sur de courtes périodes. Dans chaque civili-
sation, il y a plusieurs «vitesses ». L'agriculture est dépendante du climat, du sol et
du cycle annuel. Ceux-ci ne changent que très lentement. Tant que cette culture
rurale suit son rythme en toute autonomie, elle se développe très lentement. Les
normes qui la régissent ne sont pas celles de la culture occidentale moderne, qui
est caractérisée par l'accélération technologique. Une modification de la technique
disponible permet de changer le cours «naturel» des choses. La «longue durée » de
la ruralité archaïque ne tient pas compte des années‘. Sa notion d’histoire, pour
autant qu’elle existe déjà, n’a pas de durée mesurable. C’est ainsi que s'expliquent
les concordances parfois inouïes entre, par exemple, un motif sur un objet vieux de
six mille ans exhumé lors de fouilles et un motif similaire sur un tissu récent qui a
vu le jour dans une société archaïque.
Si donc le style berbère est une version parmi d’autres d’un système néolithique
à idéogrammes largement répandu, l'interprétation de ce style ne doit pas unique-
ment être cherchée dans la culture berbère. Seules ses propriétés spécifiques
requièrent une explication locale. Son interprétation doit donc se baser à la fois sur
des informations locales et sur des données provenant d’autres lieux et d’autres
temps — à condition qu’elles émanent d’une culture «parallèle». Dans l'étude de
civilisations rurales évoluant très lentement, nous jugeons légitime de confronter
(mentalement et esthétiquement) des représentations actuelles ou récentes avec
des données du passé, même du passé lointain. Les analogies ne peuvent pas être
confirmées ou exclues a priori.
L'art textile anatolien devient en partie compréhensible lorsqu'il est confronté
avec d’autres sources du passé culturel local et d’autres cultures apparentées. Par
«apparentées», nous entendons: présentant le même mode de vie sociétal et la
même économie. La remarque est également valable pour l'art textile berbère.
C'est ainsi que les compositions des peintures pariétales de Çatal Hüyük, qui
reproduisent manifestement des kilims, ne sont pas pareilles à celles de l’art textile
berbère. Elles représentent un choix esthétique parallèle, un choix qui est le fruit de
circonstances similaires. De la même manière, les mécanismes de la composition
des kilims anatoliens ne sont pas les mêmes que ceux de l’art textile berbère. Seuls
quelques-uns d’entre eux coïncident’#. Les différences observées dans les compo-
80
242. Rites et rythmes agraires, éd. M.-C. Cauvin (Travaux de la Maison de l'Orient, 20), Lyon, 1991.
243. The Goddess ofAnatolia (voir note 161), vol.r. Textile avec rangée d'hexagones: pl. VII, 8: IX, 1-2; XIII, 13-14-
15; textile avec «barre» et «barres perpendiculaires »: pl. XV, 12 ; textile avec bandes à motifs: pl. VII, 5; XV,
4-5; textile avec rangée de losanges: pl. VIE, 8; IX, 12; XIII, 19 ; textile avec réseau de losanges: pl. VII, r.
sitions résultent de schémas mentaux différents. Par contre, nous retrouvons pra-
tiquement tous les motifs élémentaires abstraits dans l’art textile berbère. Les
motifs de Çatal Hüyük que nous rencontrons dans l’art berbère sont les suivants:
losange***; losange avec <=>*#; losanges concentriques’* ;le «motif de la nais-
sance» <<; forme («corps») avec des losanges à l'intérieur’**; hexagone**;
hexagone fendu*°; hexagone avec motif de la naissance”'; hexagone concen-
trique avec quelque chose à l’intérieur”; cercles concentriques”” ; main*%*; <|>*;
>|<%°; <=>*; flèches”; forme ronde «frémissante»””; forme ronde «frémis-
sante » avec forme en amande à l'intérieur”*° ; forme irrégulière « frémissante », fen-
due”; losanges irréguliers concentriques «frémissants »*? 262 ; V «frémissants », avec
pointes tournées les unes vers les autres”; zigzag”%: losange avec remplissage
irrégulier”; losange avec piquants tournés vers l'intérieur”; losange avec
piquants tournés vers l'extérieur” ;hexagone avec «bras» («tortue»), avec motif
de la naissance?" ; mains? =><=,
Les ressemblances avec la céramique de la région méditerranéenne et levantine
entre 6000 et 1000 avant notre ère et avec les peintures pariétales de Çatal Hüyük,
par exemple, permettent d'affirmer que l’art textile et la céramique berbères sont
le fruit d’une très longue tradition.

244. Op. cit. I, pl. XVII, 1.


245. Op. cit. pl. XIV, 1.
246. Op. cit. pl. XII, 12; XII, 7.
247. Op. cit. pl.IX, 12; XV, 4.
248. Op. cit. pl. XVII 3.
249. Op. cit. pl. XVI, 7.
250. Op. cit. pl. XVII, 12.
251. Op. cit. pl. XV, 5.
252. Op. cit. pl. XVII, 7.
253. Op. cit. pl. XVI, 7.
254. Op. cit. pl. XIV, 1; XVII, 5 ; XVII, 3-4.
255. Op. cit. pl. VII, 5et 8.
256. Op. cit. pl. XV, 5.
257. Op. cit. pl. XIV, 1.
258. Op. cit., pl. XII, 7; XVIL,1. Motifs des peintures pariétales de Çatal
259. Op. cit. pl. VII, 5 et 8. Hüyük (Anatolie), VI-VIÉ millénaire avant
260. Op. cit. pl. VIE1. notre ère (d’après The Goddess of Anatolia;
261. Op. cit. pl. VIT, 1; XVII, 1. voir note 161).
262. Op. cit. pl. XVII, 12.
263. Op. cit. pl. XVII, 7.
264. Op. cit. pl. XV, 5 ; XVII, 12 ; XVII, 2.
265. Op. cit. pl. XV, 2; VII, set 8. 81
266. Op. cit. pl. VII, 5 et 8; XVII, 7.
267. Op. cit. pl. XII, 19; IX, 12; IX, 2; VI,3.
268. Op. cit. pl. XV, 4.
269. Op. cit. pl. XI, 1.
Lo
ppt

82

Tapis aux points noués, Chiadma (Maroc), vers 1920-1940 (280 x 175 cm).
Un tissu de sens

Dès l’époque néolithique et protohistorique, de nombreuses cultures se sont épa-


nouies dans le bassin méditerranéen. Quelques générations de chercheurs ont ras-
semblé un énorme corpus d'informations sur les mythes, la religion et la civilisa-
tion de ces sociétés. Récemment, sous l'influence des études historiographiques
consacrées à l'appartenance sociosexuelle (gender), on a commencé à s'intéresser à
la dimension féminine de ces cultures, et à la contribution des femmes à la mytho-
logie et à la religion. Dans quelle mesure y a-t-il eu apparition etexistence de cultes,
de rites et de mythes qui répondaient aux besoins des femmes et donnaient corps
à ceux-ci? Peut-on parler d’une culture spécifiquement féminine ?Après le néoli-
thique, ces sociétés furent dominées par les hommes, tant sur le plan politique que
religieux. La violence était l'apanage des hommes (le spectre masculin du contraire
s’exprimait dans le mythe des Amazones). L'imagerie religieuse était officielle-
ment aux mains des hommes, tout comme dans les systèmes monothéistes.
La culture nord-africaine, qu’elle soit rurale ou urbaine, respecte le principe
social de la séparation des sexes’. Cela veut dire que femmes et hommes demeurent
généralement en compagnie de personnes de leur sexe. La règle s'applique en pre-
mier lieu au travail : depuis toujours, les tâches nécessaires à la survie du groupe se
répartissent en fonction des sexes”. Les femmes sont chargées des enfants, de l’ali-
mentation et de l'habillement. Elles exécutent aussi d’autres travaux, variables
selon la région et la saison’. Ces activités sont menées autant que possible collecti-
vement, avec et au sein de l'entourage propre. C’est aux femmes qu’il incombe d’as-
surer un maximum de «confort » d'existence et de subsistance. Elles assument éga-
lement des tâches qui ne sont jamais ouvertement définies sur le plan social: veiller
à la cohésion interne de la famille, établir — sur le mode informel — des contacts
sociaux en vue de futurs mariages ou d’autres alliances, entretenir des rapports
d’un autre ordre avec un monde surnaturel afin de favoriser, par la magie, les entre-
prises humaines visant à régir correctement le réseau social. Ces tâches manquent
de prestige aux yeux des hommes, mais sont fondamentales pour la survie et le
bon fonctionnement du noyau social qu'est la famille.
La préoccupation pour toutes ces tâches — parmi d’autres -, impossibles ou
difficiles à définir, se traduit symboliquement dans un réseau féminin de mythes,
d'images, de rituels — et dans l’art. Les deux sexes acceptaient chacun la sous-cul-
ture de l’autre — pas nécessairement avec respect, mais avec une sorte de résigna-
tion. Toutes les cultures traditionnelles partageaient la conviction que femmes et

1. M.Belghiti, «La ségrégation des garçons et des filles à la campagne», in Bulletin économique et social du
Maroc, n°° 120-121, 1972, pp. 81-144.
2. Women and development: the sexual division oflabor in rural societies, éd. Lourdes Beneria, New York, Praeger,
1982 ;June Nash et al., Women, men, and the international division oflabor, Albany NY, State University of NY, 83
1983;R. Pahl, Divisions of labour, Oxford, Blackwell, 1984 ;M. Burton, « Sexual division of labor in agri-
culture », in American Anthropologist, 86, 1984, pp. 568-583.
3. Helène Genevois, La femme kabyle, les travaux de tous les jours (Fiches de documentation berbère, 103), Fort
National, 1969.
hommes étaient des créatures différentes, et que cette différence reflétait une di-
chotomie fondamentale, voire cosmique.
En soi, cette ségrégation n'a rien d’exceptionnel: de très nombreuses cultures
archaïques ou traditionnelles étaient régies par un tel système. Il n’est pas à pro-
prement parler «berbère». Mais chez les Berbères, la ségrégation semble s'être
accompagnée plus tôt d’une assez grande liberté et d’une position juridique plus
forte pour les femmes. En l’absence de sources écrites plus anciennes, il est difficile
de se prononcer à ce propos. Le sujet a passionné bon nombre d’observateurs
européens à partir du XIX° siècle. Certains ont dénoncé la position juridique
«misérable » des femmes berbères, d’autres ont affirmé exactement le contraire.
Dans ce débat, deux aspects ne peuvent être négligés. La colonisation du
XIX" siècle provoqua un véritable séisme socioculturel chez les Berbères algériens
(sur qui les recherches étaient alors centrées)’. De plus, la situation des Berbères,
disséminés sur un vaste territoire, n'évolua pas de la même manière partout. Les
femmes avaient parfois acquis une position juridique plus ou moins confortable
dans certains groupes, tandis que dans d’autres elles n'avaient pratiquement aucun
droit. Quoi qu'il en soit, certaines tribus berbères avaient une organisation matri-
linéaire et accordaient des libertés aux femmes. C'était le cas chez les Touaregs, les
descendants culturels et peut-être génétiques des tribus de chameliers nomades
déjà mentionnées par les Grecs, les Romains, les Byzantins, etc.° La matrilinéarité
(la filiation se fait par la mère) et la matrilocalité (le couple s’installe au lieu de rési-
dence de l'épouse) pourraient être les vestiges d'un matriarcat néolithique anté-
rieur au développement des systèmes patriarcaux dans le monde sémitique”.
Les femmes vivant dans la ségrégation développaient leur propre culture’, qui
vivait et s'exprimait simultanément dans leur travail, leurs pensées et leurs senti-

4... M.Bugeja, «Régime coutumier de la femme kabyle», in Bulletin de la Société de Géographie d'Algeretde l'Afrique
du Nord, 1924; R. Vigier, La femme kabyle. Sa succession légitime, Paris, Vega, 1932 ; M. Capitant, «Contribution
à l'étude de la situation juridique de la femme berbère», in Afrique française, 46, 1936, pp. 33-39.
s. Pierre Bourdieu & A. Sayad, «Paysans déracinés, bouleversements morphologiques et changements
culturels en Algérie », in Études rurales, n° 2, 1964, PP. 56-116.
6. Marceau Gast, «L'ancêtre féminine, clé de l'organisation sociale des Touaregs ?», in Lefils et le neveu. Jeux
et enjeux de la parenté touarègue, éd. S. Bernus et al., Paris, Maison des Sciences de l'Homme, 1986, pp. 159-
189. Voir Jacques Cauvin, «La question du matriarcat préhistorique et le rôle de la femme dans la pré-
histoire », in La femme dans le monde méditerranéen, 1, Antiquité, éd. A.M. Verilhac (Travaux de la Maison de
l'Orient, 10), Lyon, 1985, pp.7-18. Voir également le chapitre consacré aux déesses mères dans le monde
méditerranéen, dans: Antonino Buttitta & Silvana Miceli, Percorsi simbolici, Palerme, S. Flacovio, 1989:
G. Francovich, La Grande Madre. Santuari e tombe rupestri dell’ antica Frigia e un’ indagine sulle tombe della Licia
(Mediaevalia, 3), Roma, L'Erma, 1990 ; Edgar Bowden, Cybele the axe-goddess. Alliterative verse, Linear B rela-
tionships and cult ritual of the Phaistos disc, Amsterdam, 1992 ; G. Sfameni Gasparro, Misteri e culti mistici di
Demetra (Storia delle religioni, 3), Roma, L'Erma, 1986 : L. Farnell, The cults ofthe Greek states. 3. Ge, Demeter-
Kore, Hades, Plouton, the cults ofthe Mother ofthe Gods, Rhea, Cybele, s.1.n.d.
7. L'étude suivante est confuse et tendancieuse, mais la démarche suivie est intéressante : W. Dulière, De la
Dyade à l'unité par la triade. Préhistoire de la religion biblique, Paris, Maisonneuve, 1965: l'auteur s'intéresse à
l'art protohistorique en tant que témoignage de ces bouleversements.
8. Certaines études anciennes présentaient ce domaine par région: Mathéa Gaudry, La femme chaouia de
Tapis aux points noués, Arhouatim (Maroc), l'Aurès. Étude de sociologie berbère, Paris, Geuthner, 1929; Anne-Marie Goichon, La vie féminine au Mzab.
vers 1920-1940 (350 x 140 cm). Étude de sociologie musulmane; Paris, Geuthner, 1927 :Geneviève Laoust-Chantreaux, Kabylie côté femmes.
La vie féminine à Ait Hichem 1937-1939, éd. Camille Lacoste-Dujardin, Aix-en-Provence, Édisud, 1990;
Mathéa Gaudry, La société féminine au Djebel Amour et au Ksel. Étude de sociologie rurale nord-africaine, Alger,
Société algérienne d’impressions diverses, 1961; Marc Garanger & Leila Sebbar, Femmes des Hauts-Pla-
84 teaux. Algérie 1960, Paris, La Boîte à Documents, s.d.; F. Corrèze, Femmes des mechtas. Témoignage sur l'Est
algérien, Paris, E.FR., 1976. Voir aussi: Fatima Mernisse, Le Maroc raconté par ses femmes, Rabat, S.M.ER,,
1984;Susan Davis, Patience and power. Women's lives in a Moroccan village, Cambridge, Schenkman, 1985.
Pour un reportage photographique passionnant: Margaret Courtney-Clarke, Imazighen, New York,
Clarkson Potter, 1996.
ments. C'était la femme âgée (tamghart), la grand-mère, qui, telle la dépositaire d'un
trésor, transmettait cette culture aux jeunes générations : à travers des contes et des
récits”, des techniques (tissage, poterie, cuisine, tatouage.….), à travers la magie, la
médecine et l’obstétrique"®. Mais il serait inexact de réduire cette culture à l'énu-
mération qui précède. Elle n’était pas simplement une question d'informations
narratives ou techniques. Sa formidable capacité de survie — sur une durée de plu-
sieurs millénaires — résidait dans son caractère signifiant et unifiant. Unifiant, mais
pas au sens d’un système savant qui prétend à la connaissance et à la parole univer-
selle, comme les métaphysiques et les philosophies masculines qui abordent le
monde à partir d’élucubrations abstraites.
Dans les cultures traditionnelles également, il existe un discours «officiel »
masculin et un discours «officieux », tacitement partagé par les femmes. La partici-
pation à ces systèmes est toutefois asymétrique. Les hommes fonctionnent uni-
quement dans leur réseau culturel, les femmes dans les deux. Sous l'effet de l'hégé-
monie masculine, les femmes sont, par la force des choses, en partie soumises à
l'idéologie dominante, mais compte tenu de la séparation sociale des sexes («ségré-
gation»), elles peuvent conserver leur propre système. Les femmes se meuvent
donc dans deux «langages » distincts".
La principale forme d'expression du «langage des femmes » est sans doute l'art du
tissage. C’est valable pour toutes les cultures rurales où existe un art du textile à usage
domestique. On peut constater que l'urbanisation, la modernisation et l'adaptation
à l'économie capitaliste corrodent, voire détruisent ce médium féminin. Ce proces-
sus s'accomplit à un rythme de plus en plus rapide dans le tiers monde.
Tandis que le système signifiant officiel — en l'occurrence masculin, islamique —
agit par le biais de la représentation langagière, l’art du tissage, lui, comme d’autres
médias subalternes, opère à travers l’analogie extralangagière”. L'attribution d’une
signification et d’un sens passe par le constat de la différence et de la concordance.
Dans les années cinquante et soixante, l'anthropologie structuraliste a tenté d’ex-
pliquer les constructions culturelles (mythes, rites, …) par des modèles dualistes
binaires. Cette approche est restée engluée dans une réflexion phallique antithé-
tique. Or, toute culture commence par développer son système conceptuel à par-
tir de l’analogie : des dimensions intuitives, sensorielles et intellectuelles sous-ten-
dent la perception d’analogies entre les phénomènes ou les choses. L'un n'est pas
l’autre, mais est comme l’autre. Ce lien n’est pas logique, mais ana-logique”, et

9. Marie Virolle-Souibes, «Intellectuelles de l'oralité: la culture féminine au quotidien», in Présence de


femmes (Alger), 1987. Pour l'enchevêtrement de la littérature et du rite, voir Marie Virolle-Souibes, « Lit-
térature orale féminine autour des événements mortuaires », in Kalim (Alger), 2-3, 1981, pp.30-39 ; Ead.,
« Trois séquences divinatoires », in Littérature orale arabo-berbère, 13, 1982, pp. 147-170 ; 15, 1984, pp. 119-166 ;
Ead., «Une forme de poésie féminine issue d’un rituel divinatoire», in Actes de la Table ronde de littérature
orale, juin 1979, Alger, CRAPE, 1982, pp. 114-121.
10. Jean Mathieu & Roger Maneville, Les accoucheuses musulmanes traditionnelles de Casablanca (Publications de
l'Institut des Hautes Études marocaines, 53), Paris, Imprimerie Administrative Centrale [1952] ; Émile Mau-
champ, La sorcellerie au Maroc, Paris, Dorbon [1910 ?]; Aline Lens, Pratiques des harems marocaines (sorcel- Tapis aux points noués, Mrabtine (Maroc),
lerie, médecine, beauté), Paris, Geuthner, 1925. Pour les traditions marocaines: «Le monde d'où viennent vers 1950-1960 (452x 185 cm).
les enfants», éd. Marianne Mesnil (Ethnologies d'Europe et d'ailleurs, 2), (Civilisations, XXXVII, 1987, 2),
(Bruxelles, 1988) ; Jocelyne Bonnet, La terre des femmes et ses magies (Les hommes et l'histoire), Paris, Laffont,
1988.
nu. Brinkley Messick, «Subordinate discourse: women, weaving, and gender relations in North Africa», 85
in American Ethnologist, 14, 1987, pp. 210-225.
12. K.March,« Weaving, writing and gender», in Man, 18, 1983, pp.729-744.
13. Raimo Antilla, Analogy: a basic bibliography, Amsterdam, 1977 ; Analogica : proceedings ofthe first workshop on
analogical reasoning, éd. Arman Prieditis, Londres, 1988.
dépend de la perspective adoptée. L'analogie associe, «identifie » des rapports dans
la multitude des phénomènes. Elle crée ainsi un sentiment de reconnaissance, de
certitude et de cohérence. Ce mécanisme est également à la base de nombreuses
notions abstraites dans le langage. Ajoutons que la culture et ses différents
domaines sont aussi — mais pas totalement — organisés de manière analogique.
(Ceci ne veut pas dire qu’une même société ne puisse pas connaître des tendances
opposées, qui posent des exigences paradoxales ou contradictoires'*) Les
membres d’une culture donnée n'ont pas conscience du déroulement précis de
cette analogie. Ils perçoivent par contre l'unité de leur système culturel.
Ces analogies sont «cachées »: non parce qu’elles sont tenues secrètes, mais
parce qu'elles se produisent entre des phénomènes tout à fait différents. Le
«code »” s'applique à des domaines qui font appel à des modes de perception diffé-
rents : le langage, les cinq sens, le corps", l'esthétique. Le code qui doit être «déchif-
fré » dans chaque culture nécessite donc une lecture correcte des phénomènes les
plus divers. Il est nécessaire d’en appréhender la synesthésie.
Nous savons que, chez les Berbères, les différentes disciplines artistiques (tis-
sage, poterie, tatouage) ont une base stylistique commune. Mais l'aspect visuel
n'est pas seul à intervenir: il suit un cours analogue aux modes d'expression phy-
sique, cinétique et musicale, ainsi qu'aux processus psychiques. Jusqu'à présent,
on n'a pas réussi à développer de critères permettant de parler des analogies (et des
divergences) entre tous ces domaines. La vision analogique du monde crée une
cohérence qui n’est pas purement intellectuelle mais qui touche l'homme par la
voie sensorielle, par la voie intuitive et par d’autres voies encore, lesquelles demeu-
rent provisoirement sans nom”. Chaque action, chaque technique ou pratique
acquiert un sens à travers son ancrage symbolique. Celui-ci ne vient pas s'ajouter.
I ne forme pas un discours organisé. Et pourtant, il est bel et bien présent. (Aujour-
d’hui encore, on perçoit dans certains endroits du Maghreb — même si cette percep-
tion est considérée par la science occidentale comme une illusion ou une projec-
tion — dans quelle mesure un système signifiant holistique s'est maintenu ou s’est
désagrégé.) L'ancrage symbolique n'est pas un système de représentation mais
d'«analogie mystique». À strictement parler, il n'y a pas de frontière entre l’action
et sa signification: l'observateur moderne scinde cette unité pour pouvoir l’appré-
hender— car la perception sensorielle en dehors de la pratique est impossible. C’est
la distance qui impose cette scission.
Au Maghreb, l'approche holistique est, aujourd'hui, surtout partagée par les
hommes qui exercent des métiers «inférieurs »: paysans, ouvriers agricoles et tra-
vailleurs des oasis (khammes), tanneurs et artisans qui transforment des produits de
base", donc ceux qui ont affaire à la fertilité, à la tension entre putréfaction et

14. C'est le double bind de Gregory Bateson.


15. Cross-cultural perspectives in non-verbal communication, éd. Fernando Poyatos, Toronto, Hogrefe, 1988:
Kilim, Gafsa (Tunisie), vers 1950 Advances in non-verbal communication: sociocultural, clinical, esthetic and literary perspectives, éd. Fernando
(315 x 167 cm). Poyatos, Amsterdam, Benjamin, 1992.
16. Marie Virolles-Souibes, «Gestes acquis, gestes conquis», in Présence de femmes (Alger), 1986: Ead.
«Gestes emblématiques masculins et mixtes à Alger et en Kabylie», in Geste-image, 4, 1985, pp. 69-107.
Voir également: Walter Cannon, The wisdom ofthe body, New York, 1963°.
86 17. Jean Louis Nebki, «Sémiologie des odeurs rituelles, rites et rythmes olfactifs dans le Sud tunisien», in
Cahiers de sociologie économique et culturelle, n° 4, 1985, pp.117-136:; Id., «Les odeurs rituelles dans le Sud
tunisien. Significations et symboles de majmuâ », in Cahiers de sociologie économique et culturelle, n° 6, 1986,
pp. 81-105.
18. Danielle Jemma, Les tanneurs de Marrakech (Cahiers du C.R.A.PE.), Alger, 1971.
Kilim, Gafsa (Tunisie), vers 1950 (340 x 190 cm).
renouveau, déclin et création. Mais ce sont les femmes qui, depuis toujours, ont
développé ce type de signifiance.
Vers quels domaines cette (méta)physique était-elle orientée? Lier, créer et soi-
gner /protéger: voilà quel était le rôle social des femmes. (La préoccupation mas-
culine correspondante se situait sur un autre plan: rattacher l'homme au concept
divin ou relier les hommes entre eux à travers l'établissement de généalogies, de
dépendances tribales et juridiques ; le culte du dieu créateur [masculin] ; la protec-
tion des personnes hiérarchiquement inférieures [clientélisme].) Les femmes
entretenaient les menus liens à travers l’incessante pratique quotidienne et lais-
saient la convivialité vivre son paroxysme social, esthétique et sentimental lors des
noces”, Dans cette société, les activités féminines étaient fondamentales au sens
littéral du terme: les femmes s'occupaient des fondements du tissu sociétal. Du
corps et du bien-être physique, de la santé, de la beauté. C'est à travers le corps que
l'on tentait d'atteindre l’équilibre psychique: dans les rites de la transe thérapeu-
tique. Et le corps était multiplié symboliquement: par les tatouages qui donnaient
au corps une première identité sociale ; par la poterie, avec ses fonctions pratiques
et/ou rituelles, qui reprenait le corps-en-tant-que-récipient ;par l’art du tissage,
qui était la «reprise » la plus complète et la plus artistique du soi. Les activités pra-
tiques et rituelles des femmes étaient centrées sur le bien-être des autres. C'était en
partie le résultat d’une contrainte et d’une obligation collective, en partie le fait de
leur propre volonté.
Cette culture possédait très peu de moyens matériels et, en dehors a villes, ne
connaissait pratiquement aucune diversification socio-économique (division en
métiers et en classes). C'était, à quelques exceptions près, une culture de la subsis-
tance, voire de la pénurie. C’est là un élément important si l’on veut bien la com-
prendre. Les sociétés riches caractérisées par une affluence de moyens, et plus
particulièrement les segments sociaux supérieurs de ces sociétés, pouvaient
«dépasser» leurs préoccupations physiques et matérielles puisque leurs besoins
primaires étaient satisfaits sans grandes difficultés. C'est la raison pour laquelle, en
Europe, la noblesse, la bourgeoisie et l’Église ont pu se constituer un patrimoine
culturel et artistique aussi vaste. Au Maghreb, ce privilège était réservé à quelques
cours (Fès, Meknès) et riches villes portuaires (Tunis, Alger, Rabat). À ces endroits,
l'impulsion artistique et culturelle a pu se déplacer vers des sphères autres que
celles des besoins immédiats. Mais pour la toute grande majorité de la population
des campagnes (paysans et nomades), c'était chose impossible. Là, la culture passait
avant tout par le corps, lefondement de la condition humaine. Il n'empêche que toute une
éthique et toute une esthétique se sont développées «à travers » le corps jusqu'au-
delà du corps, comme nous allons le voir ci-après.
(a) «Jeune mariée» sur poterie Bakun Il.
(b) «Jeune mariée» sur poterie de Roknia, Avant tout, il fallait préserver le bien-être physique®° par l'alimentation. Ce
Maroc. niveau le plus «primitif» était déjà intégré dans une signification holistique. Tout
(c) Motif sur poterie de Samarra.
aliment, tout type de repas était chargé d'une métadimension qui renvoyait aux
(d) Kilim, Gafsa (Tunisie), XVH®-XVII siècle
(227 x 237 cm). Riggisberg, Abegg-Stiftung, rapports de force (qui, vu leur injustice, apportaient peu de «sens»), à la nature
n° 1997. sexuelle et physique, et à son ancrage cosmique’. En principe, toute la nourriture

19. Voir la bibliographie sur les noces à la fin du présent ouvrage. Ce n’est pas par hasard que Bruegel et
88 d'autres artistes du XVI siècle ont peint tant de «noces paysannes». La bourgeoisie, qui se montra
curieuse de découvrir la vie des campagnes lorsqu'elle prit conscience d'être une «classe à part », perce-
vait inconsciemment l'importance des noces en tant que quintessence de la culture rurale.
20. Sophie Ferchiou, « Place de la production domestique féminine dans l'économie familiale du Sud Tuni-
sien», in Tiers-monde, 76, 1978, pp. 831-844.
était préparée pour les hommes: les restes étaient pour les femmes, qui man-
geaient à part. Les hommes prenaient en outre plus de repas que les femmes.
La distinction qualitative était une marque de supériorité: les aliments les
meilleurs et les plus frais* pour les hommes (viande, lait, céréales de bonne qua-
lité, belles dattes), le reste pour les femmes: céréales de moindre qualité, herbes,
épices, dattes blettes, etc. L'alimentation des hommes nécessitait une longue pré-
paration, tandis que pour elles-mêmes, les femmes se faisaient plutôt des repas
«instantanés ». Les plats destinés aux hommes étaient faits d'éléments distincts
clairement identifiables, ceux destinés aux femmes d'un mélange d'ingrédients
écrasés, mélangés, transformés, d'aspect informe et non identifiable#. Ces der-
niers étaient relevés d'herbes et d'épices, qui jouaient aussi un grand rôle dans le
domaine très étendu de la magie. (La nourriture masculine, en revanche, était por-
teuse de baraka et axée sur la force et même sur le gaspillage — aussi misérables les
conditions de vie soient-elles.)
Un autre domaine qui passe «à travers» le corps est la magie. Dans tout le
Maghreb (et pas seulement là d’ailleurs), la magie est le domaine des femmes. C'est
de la magie sympathique (au sens propre), qui «agit» selon le principe analogique
— et/ou sur la base d’une force transmissible propre à certaines substances ou cer-
tains objets. Cette magie est méprisée mais également crainte par les hommes
— bien que, de l'avis général, les hommes soient porteurs de la connaissance (‘ilm)et
de la foi. Aux yeux des femmes, la connaissance masculine (en dehors de la foi) est
faite de théories belles, mais gratuites**. La magie, en revanche, agit et est utile. Elle
transforme et modifie les rapports humains, la maladie /santé et la stérilité /ferti-
lité. En soi, la magie est neutre :employée à bon escient, elle est «bonne», mais l’in-
verse est également vrai. Elle résulte d’une compréhension et d’une maîtrise des
propriétés et forces cachées du monde, qui sont en relation les unes avec les autres:
plantes, animaux et artefacts, matières premières et parties du corps. Ce sont les
femmes qui possèdent cette compréhension /intuition et sont capables de trans-
formation. La magie est la science de la métamorphose — en bien ou en mal.
Un troisième emploi du corps est axé sur la guérison de l’âme. Il s’agit d’un phé-
nomène physique mais transcorporel qui a une fin psychique et permet à l'individu
de dépasser ses limites pour entrer en contact avec un autre monde. Il se déroule
à travers un rituel de danse nocturne sous la direction de spécialistes (presque
toujours des Noirs dans toute l'Afrique du Nord): une voyante et un musicien-
psychiatre accompagné de son groupe. Les participants sont, à l'exception des

21. Sophie Ferchiou, «Différenciation sexuelle de l'alimentation au Djerid (Sud Tunisien) », in L'homme, 8,
1968, pp. 64-86 ; Jeanne Jouin, « Valeur symbolique des aliments et rites alimentaires à Rabat », in Hespe-
ris, 44, 1957, pp. 299-327 ; Marie Virolle-Souibes, « Pétrir la pâte, malaxer du sens. Exemples kabyles », in
Techniques et cultures, 13, 1989, pp.73-101; Dorra Mahfoudh, «Rites culinaires, rites matrimoniaux », in
IBLA, n°170, 1992, pp.211-224.
22. Hélène Balfet, «Des goûts et des nourritures. La vraie recette du couscous », in De la voûte céleste au terroir,
du jardin au foyer. Mosaïque sociographique. Textes offerts à Lucien Bernot, Paris, 1987, pp.405-412.
23. Comme exemple typique d'alimentation féminine, citons celle du Djerid (Sud tunisien). Dans cette Motifs symboliques dans le plâtrage
région pauvre depuis toujours en dépit de ses nombreuses oasis, la nourriture «riche», très rare, était des ghorfa, Tunisie du Sud.
destinée aux hommes; les femmes mangeaient principalement des ‘abboud (des «noirs»). C'était des
sortes de saucisses faites d'une pâte de dattes inutilisables mélangée à des céréales et des herbes aroma-
tiques (orge, sorgho, fenugrec, thym, romarin, tabac, sabine, coriandre, carvi, encens). Les ‘abboud
s'avalaient sans se mâcher, ce qui nécessitait plusieurs années d'apprentissage. Seules les femmes 89
mariées s’en nourrissaient. D'après certains chants, on était conscient de leur symbolique phallique
(et anale ?) — tandis que les dattes entières, mangées par les hommes, étaient surtout porteuses d’asso-
ciations féminines.
24. Ferchiou 1968 (voir note 21).
90

Kilim, Gafsa (Tunisie), vers 1950 (190 x 142 cm).


ministres du rite, presque exclusivement des femmes ayant un problème psy-
chique: angoisses, crises, abattement, dépressions, etc. — bref, tout l'éventail des
phénomènes que l’on qualifie de troubles psychopathologiques en Occident. Ces
troubles sont attribués à des esprits (jinn, pluriel jnoun, de la racine j-n-n, «être
caché »). La croyance en ces esprits est très ancienne. Dans le fond, elle est animiste:
le monde est animé par un grand nombre de forces que l’on se représente comme
des créatures. L'épigraphie romaine en Afrique du Nord témoigne de cet ani-
misme”, l'Islam l’a repris —- même si la vie religieuse officielle l’ignore. Pour avoir
une meilleure vision d'ensemble, on classait les jnoun en sept groupes, par analogie
avec les sept jours de la semaine, les sept planètes, etc. Ces esprits jouent un rôle de
premier plan dans la psychothérapie traditionnelle de l'Afrique du Nord. Ils sont
censés être responsables de toute une gamme de troubles psychiques. Des formes
de comportement obsessionnel, d’abattement, de folie furieuse, d'hystérie, etc.
sont attribuées à l’état de possession provoqué par un jinn. Le rituel nocturne des
musico-psychothérapeutes, sous la direction d’un maître (ma‘allem) et d'une
voyante (‘arifa), consiste à faire danser les patientes jusqu’à ce qu'elles tombent dans
une transe d’inconscience qui accomplit leur guérison temporaire. Les patientes
sont en outre vêtues de la couleur de «leur » esprit, c’est-à-dire de la puissance supé-
rieure qui a pris possession d'elles. Les sept groupes sont caractérisés chacun par
une couleur: le blanc, le jaune, le vert, le bleu, le rouge, le noir ou le multicolore.
D'après les lois tacites de la perception synesthésique, chaque dysfonctionnement
est associé à une couleur ou à une combinaison de couleurs, mais aussi à une suite
en principe infinie de sensations (ton, timbre ; odeur, goût ; mouvement, rythme) et
aux éléments constitutifs de l’univers (étoiles, jours, animaux, plantes). Au cours de
la danse, qui dure de longues heures, la danseuse /patiente voyage à travers toutes
les vicissitudes de la création. Le rite entremêle”?, différemment pour chaque parti-
cipante, une série d’aspects signifants issus de domaines distincts de la réalité sen-
sorielle et non sensorielle :un ton, un timbre, un rythme, une couleur, une odeur,
une étoile ou une constellation, un saint, un objet usuel, un comportement psy-
chique, une façon de faire, un mouvement de danse, une phase de la genèse
mythique de l'univers, et bien sûr un esprit qui est jugé responsable de la psychopa-
thologie à traiter et qui incarne celle-ci. L'assimilation psychique de ce tissu d’as-
pects signifiants se développant dans le corps en train de danser déclenche la transe:
l'immersion curative dans une expérience indescriptible de la totalité, qui est vécue
par les participantes comme une «renaissance » ou comme une «mort».
L'art du textile plonge ses racines dans une culture archaïque qui ne connaissait
ni l'écrit ni aucune forme de classification moderne. Cette culture remonte à un
passé très lointain. Elle établit un pont avec un passé complètement révolu pour
l’homme «moderne ». Dès le début, le tissage fut un art de la Déesse. Les instruments
du filage et du tissage étaient ses attributs. Ses symboles apparaissent sur d'innom-
brables poids de métiers à tisser” dès le néolithique ancien. Par la suite, beaucoup de
déesses et de figures mythiques furent tisseuses ou fileuses : Athéna, Minerve, l'An-

25. Entre autres par les innombrables inscriptions en l'honneur de l’un ou l’autre génie de la tribu ou
du lieu.
26. On trouvera une bibliographie détaillée dans notre étude Vols d'âmes. Traditions de transe afro-européennes,
cat. exp., Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, 1997. Également :Amina Shabou, «Mala- 91
dies et pratiques thérapeutiques des femmes dans le Sud Tunisien», in History and Anthropology, 2, 1985,
pp. 95-123 ; Sophie Ferchiou, « La possession, forme de marginalité féminine », in Annuaire de l'Afrique du
Nord, 30, 1991, pp. 191-200.
27. Marija Gimbutas, The language ofthe goddess, Londres, Thames & Hudson, 1989, p.68.
s
dra Mari basque, la Neith libyco-égyptienne.…% Le filage’” et le tissage de la Déesse
n'étaient pas seulement une projection du travail des femmes sur leur protectrice,
mais aussi un signe de son pouvoir sur la vie: depuis la nuit des temps, le filage était
l'image du cours de la vie”. Citons comme exemple les figures mythiques des
Parques ou Moires, les déesses de la destinée qui filent et coupent le fil de la vie des
hommes. Le pouvoir de la Déesse sur nos destinées fut plus tard personnifié par la
déesse Anankè et ses trois manifestations: Lachésis, Clotho et Atropos. Dans
La République, Platon compare la quenouille d’Anankè à l'axe du monde: le cosmos
est son rouet sur lequel elle fabrique le fil de l'Existence. La quenouille /axe du
monde tourne sur ses genoux. Puisque le cours de la vie était considéré comme un
fib, il n’est pas étonnant que l'univers ait été comparé à un réseau et à un tissu. La
philosophie indienne a développé cette vision il y a très longtemps déjà.
La vie elle-même est un tissu de dimensions cosmiques (maya). Donner la vie et
tisser sont des activités analogues : «Qui a tissé le souffle en lui?» (Atharva Veda, X,
2, 13). Tout comme le tissu est le produit de l'inspiration (latin in-spirare, in-suffler),
chaque être vit par le souffle qui lui est donné, lequel passe pour être la force spiri-
tuelle ou l'âme (anima /animus, spiritus en latin, nafs en arabe). Dans la culture ber-
bère — comme dans tant d'autres cultures — toutes les opérations en rapport avec
la laine et le tissage étaient fort chargées de sens”. Les auteurs occidentaux se sont
uniquement intéressés aux aspects techniques et ont séparé ces actions de leur
signification (beaucoup moins étudiée). Cette approche témoigne à elle seule d’un
point de vue masculin et occidental. Pour les tisseuses berbères, ces actes étaient
uns et indivisibles : pas d'acte dénué de signification, pas de signification indépen-
damment de la pratique. Signalons que le réseau de significations échappait aussi
bien aux participantes qu'aux observateurs: il était «ancré» dans le cours des
actions, ne s'exprimait pas par des mots et appartenait à la signifiance (incons-
ciente) de la vie elle-même. Voilà pourquoi on ne peut pas se contenter d’interro-
ger les participantes: à la plupart des questions, elles ne peuvent pas apporter de
réponse langagière, et ce parce que leur médium se situe en dehors du langage.
Le filage à l’aide d'une quenouille (tarouka) et d’un fuseau (tizdit) s'effectuait avec
des mouvements en spirale. Le fil proprement dit était formé par une rotation (que
l'on désigne par Z ou S en fonction de sa direction). À travers ce mouvement spi-
roïdal, le filage prenait part à la spirale de l’énergie qui donne forme à l'univers. Le
fil filé était analogue à la vie, qui est produite par l’action de cette énergie. Le fil filé
possédait, comme tout être humain mis au monde, une âme. Celle-ci était censée
être apparentée à l'âme de sa créatrice. (Tout comme dans la croyance occidentale
qui veut que les traits de pinceau d’un peintre révèlent l'âme de celui-ci.) Dès lors,
les fils ne pouvaient être utilisés dans un textile que dans leur maison natale. S'ils
étaient emmenés ailleurs, une partie de l’âme de la maison s’en allait elle aussi.
C'est la raison pour laquelle, en Kabylie, la laine filée à la maison n'était pas vendue.
Tombe formée de rectangles concentriques
avec le «témoin » en forme de four/ventre. 28. U. Verhoeven & P. Derchain, Le voyage de la déesse lybique (Rites égyptiens, 5), Louvain, Peeters, 1985.
Photo Levy, Tunis, vers 1900. 20. Hugo Horwitz, Drehbewegung und Spinnen (Ciba-Rundschau, 49), Bâle, 1941; Helene Camps-Fabrer,
«Filage », in Encyclopédie berbère, 19, pp. 2839-2845.
30. J. Wilbert, «The thread oflife», in Studies in Pre-Columbian art and archeology (Washington DC), r2, 1974.
31. Véronique Pardo, «Ordres, langages et relations dans les rituels et la matière à Douiret (Sud Tunisien)
»,
92 in Mourasalat /Correspondances (Bulletin d'information scientifique de l'Institut de Recherches sur le
Maghreb Contemporain), n° 56, 1999, pp-10-17, spéc. p.13. Voir également: B. Westman, «The
hand
behind the mirror: some reflections on the unity in the rural art ofwomen inthe Maghreb », in Folk, 29,
1987, pp.165-179.
32. Makilam 1996 (bibliographie 3a), p.102.
Le croisement des fils de chaîne et de trame s'appelle errouh, l'«âme ». Le croise-
ment des fils amorce la création. C'est un travail délicat car il est aussi spirituel et
dangereux. L'installation des fils de chaîne sur le métier à tisser vertical est comme
le premier sillon tracé dans un champ et comme un lien entre ici-bas (la terre) et là-
haut (le ciel). Le labour prépare les semailles et est par conséquent analogue à la
défloration qui précède la fécondation. La pose de la chaîne précède la création de
l'âme «croisée», la «gestation ». Car le tissage est analogue à cette dernière: étape
après étape, nœud après nœud, un nouvel être se forme et grandit. La symbolique
associée au tissage est analogue à celle du travail de la terre et des noces; les rites
qui accompagnent l'achèvement du tissu rappellent ceux de la naissance et de la
mort. Le sectionnement des extrémités des fils de chaîne pour libérer le textile fait
penser au sectionnement du cordon ombilical.
Le tissu en devenir est la demeure des anges, c’est-à-dire des forces créatrices
positives. Voilà pourquoi la tisseuse ne peut avoir commis de faute ou de péché
(moral), car les anges s’éloigneraient et l'ouvrage échouerait ou deviendrait
néfaste®. La perfection et la beauté de l'œuvre dépendent du sens moral de l'artiste.
Ainsi exprimait-on les arcanes de la créativité, de même que le rapport, nécessaire
dans une perspective matrixielle (voir dernier chapitre), entre éthique et esthétique.
Lier et nouer sont les actes fondamentaux de l’art du tissage et du nouage: l’en-
chevêtrement de la chaîne et de la trame, la pose du nœud dans le tissu de base. Le
tissage s’'accompagnait de magie et d'innombrables tabous, et ce pour une double
raison. D'une part, le tressage et le nouage étaient, depuis la préhistoire, chargés
d’une forte aura magique’*, d'autre part, l'aspect créatif de l’art du textile était attri-
bué à des forces extérieures (esprits ou anges). Une création qui était entièrement
faite de fils entremêlés et de nœuds possédait un degré élevé de « force » rien que par
sa structure. Dans ce sens, le tissu est comparable aux sculptures africaines qui,
par des reliques ou des actes magiques, portent en elles des «forces ».
D’innombrables rites tournaient autour du nœud” et, par extension, autour de
la ceinture, ce grand nœud qui enserre le corps. Dans la pensée magico-sympa-
thique, il existe en effet un lien entre ce qui est «dénouté » et la fécondité, et inverse-
ment entre le nœud et le «blocage » de la fécondité. Certains rites autour du nœud
rendaient un homme impuissant, d’autres rendaient une femme stérile ou empé-
chaient la conclusion d'un mariage. Dans son acception « dangereuse », le nœud ne
lie pas, mais il empêche un passage, un déroulement. À l'inverse, des rites de déliement
accompagnaient traditionnellement la conclusion d’un mariage, pas seulement au
Maghreb mais aussi dans la culture populaire ancienne de l’Europe. Les premiers
jours suivant les noces, la jeune épousée laissait pendre librement ses cheveux et
elle ne portait ni ceinture ni objet «liant » le corps. Cette attitude devait favoriser la
fécondation. En revanche, une femme qui ne voulait pas être enceinte recourait à
des rituels de ligature. Voici un exemple de Nedroma (Aurès, Algérie). On y prend
le sommet d’un pain de sucre conique, on l’évide, on y verse du sang menstruel” et
Tapis aux points noués, Souihla (Maroc),
on ferme le tout avec de la pâte. On roule ensuite le petit cône dans quelques éche- vers 1930 (350 x 160 cm). Coll. Hersberger,
veaux de laine ensanglantée provenant de la ceinture d’une veuve. On y fait sept Bâle.

33. Chantreaux 1941 (bibliographie 3e), p.4.


34. Mircea Éliade, «Le dieu lieur et le symbolisme des nœuds » in Revue d'histoire des religions, 67, 1948, p.26. 93
35. Devulder 1957; Plantade 1988 (bibliographie 3a).
36. Plantade 1988 (bibliographie 3a), pp.78-70.
37. Voir Blood magic: the anthropology of menstruation, éd. Thomas Buckley, Berkeley, 1988; E. Puschel,
Die Menstruation und ihre Tabus: Ethnologie und kulturelle Bedeutung, Stuttgart, Schattauer, 1988.
nœuds et on dit: «Je me protège de la grossesse comme j'ai noué cette laine.» Le
symbole de la croissance, le triangle ou le cône, est ainsi «privé de sa force » par le
«dangereux» sang menstruel, les nœuds et la ceinture de la veuve. Les jeunes filles
qui doivent être préservées de toute relation sexuelle et de toute grossesse subis-
sent également un rite de ligature près d'un métier à tisser. Le jour où un tapis va
être prêt, la tisseuse prend la jeune fille par la main gauche, la fait ramper sept fois
sous le métier et lui donne à chaque passage un coup de balai sur les cuisses en
disant: «Je t'ai“ nouée” par le métier à tisser, seul le métier à tisser peut te dénouer. »
Plus tard, juste avant les noces, la jeune fille doit se dévêtir. On dispose une partie
du métier sur le sol; la jeune fille s'assied dessus. On enfonce une aiguille dans le
balai entre ses cuisses et on lui verse sept fois de l'eau tiède sur le corps. Lorsqu'elle
se rhabille, elle détache ses cheveux et ne remet pas sa ceinture. La future mariée
est désormais dé-nouée,
En Tunisie, il existe un rite similaire, également autour du métier à tisser: le
tasfih. Ce rite prive la jeune fille de ses capacités sexuelles avant la puberté. Le corps
est «noué», «fermé». À cette occasion, elle prononce les mots suivants: «Je suis le
mur, le fils des hommes est le fil.» Elle exprime par là son pouvoir inviolable sur
elle-même. Lors de l'inversion du rite, la formule à prononcer est la suivante: «Je
suis le fil, le fils des hommes (=le futur époux) est le mur.» La défloration toute
proche est évoquée à travers quelques actes symboliques. Un talisman fabriqué
lors du tasfih avec du fil de chaîne est alors brülé. Le fil de la chaîne du tissu est
l’image de la force et du parcours «rectiligne » des choses.
Dans tout le Maghreb, le tissage était empreint d'une aura sacrée et s'accompa-
gnait de rites. Au sud du Maroc, la tisseuse travaille pied nu, comme pour la prière.
Lorsqu'elle installe le métier à tisser, elle distribue du pain aux enfants comme au
cimetière lors du sadaga, le don aux esprits des défunts. Lorsque l'ouvrage est
terminé, les fils de chaîne sont coupés et noués. Cette opération est considérée
comme la toilette funèbre d’un défunt (dans une autre optique, l'accouchement).
La tisseuse dispose alors dans un tamis de l'orge, de la laine, des dattes et les clous
du métier à tisser, qui symbolisent l'âme» du métier. Puis elle organise un repas
comme pour un défunt. Ceci ne veut pas dire que le tissu est «mort », mais qu'il voit
le jour grâce à l'inspiration fécondante de forces telles que les «âmes».
Le tissage lui-même est analogue à l’engendrement d’un être vivant. Les fils de
chaîne verticaux sont la pluie; ils sont appelés sadya, le sang et l'eau de l'accouche-
ment. Le tissage proprement dit consiste, à chaque croisement de la chaîne et de la
trame, à «capturer des âmes». Le croisement des deux sortes de fil est pareil au
labour: par exemple, le champ sacré autour du jujubier de Tamesloht est tour à
tour labouré dans une direction, puis dans la direction perpendiculaire à la pre-
mière. La capture des âmes dans le tissage n’est rien d'autre que l'«anima-tion»,
l'inspiration. La tisseuse imite l'archange Gabriel, qui, lors du Premier Grand
Sacrifice, fit tomber la première âme dans le sitar, le voile tissé qui était descendu du
Ta‘jira, Taoujout (Tunisie), vers 1900-1940 cielsur l'arbre cosmique”. Dans toute l'Afrique du Nord, il existe un parallèle entre
(103 x 83 cm). tissage et agriculture. Tendre les fils de chaîne sur le métier équivaut à labourer. Ces
fils sont comme la pluie qui tombe, par le biais de laquelle se fait la fécondation.
La sémiologie du tissage part de la similitude entre le métier à tisser, la terre et
94 l'utérus: dans les trois cas, tracer des lignes et entrecroiser différents principes

38. Mourad Yelles-Chaouche, Le hawfi. Poésie féminine et traduction orale au Maghreb, Alger, O.P.U., 1990,
PP.116-117.
39. Viviana Pâques, La religion des esclaves, Bergame, Moretti & Vitali, 1992, p.122.
donne naissance à quelque chose de nouveau. L'analogie entre le tissage /le pro-
cessus artistique, d'une part, et la fécondation (agriculture, mariage), d'autre part,
était étayée même sur le plan cosmique. Telle la magique toile blanche dans la pein-
ture occidentale, la chaîne du tissu était, en Afrique du Nord, chargée de forces
difficilement contrôlables.
Le travail qui préparait le tissage était une introduction rituelle à la vie nouvelle.
Il devait se dérouler à la lune montante. Tout comme la laine «pousse » (même après
la tonte), le tissu devait croître — pas seulement au sens concret du terme, mais aussi
en tant qu'œuvre d’art*. Tout acte créateur était perçu comme analogue à un
moment de la genèse de l'être humain. Si la matière est analogue à la dimension
physique de l'être humain, la signifiance artistique correspond aux semences de la
genèse psychique de l'être humain, à la formation du sujet à travers la grossesse.
L'écrivain kabyle Makilam décrit les impressions qu'elle a ressenties en assis-
tant à la peinture d’une cruche : «En suivant des yeux les mouvements des doigts de
l'artiste, nous étions entraînées dans un monde où le mental n'intervient plus.
Nous étions guidées par le seul mouvement d’une force intérieure mystérieuse qui
faisait bouger les doigts de la potière-magicienne. Nous suivions fixement son
écriture colorée et étions projetées nous-mêmes hors du temps. Toutes les préoc-
cupations actuelles et quotidiennes de notre vie étaient occultées et nous nous
entretenions des problèmes essentiels de notre vie intérieure. Il faut aussi préciser
que toute potière compose en fonction de la personne à laquelle est destiné l'objet.
En le marquant des trois coloris de base qui symbolisent l'existence de la nature
créée, les pensées magiques de l'artiste sont concentrées autour de la personne qui
en sera propriétaire. Ainsi, dans ce cas précis, Malha me parla de ma vie secrète et
marquait de ci, de là, un point supplémentaire sur l’objet comme si elle traduisait
sur la terre fraîche la vie qui m'animait. L'objet apparaît alors comme un support à
l'image des cartes de voyance sur lequel s'écrit la vie intérieure et invisible. Mais
bien plus, l'ensemble des motifs peints a une puissance projetée dans le futur. À
partir des données du moment, la potière fixe dans les dessins des idéogrammes
dans une nouvelle ordonnance selon son instinct. Sur le dernier plat, Malha des-
sina sur toute sa surface une des plus belles broches. Celle-ci devait résumer ma vie
etterminer son travail. Elle commentait au fur et à mesure son dessin et s’adressait
à cette broche, qui visiblement me représentait, comme à un être humain. Elle ne
commença ni par le haut ni par le bas, mais par le centre qui représentait un nid
d'abeilles et qui est la base de toute représentation humaine. Dans l'imaginaire
comme dans la réalité des femmes kabyles, le miel est synonyme de douceur et de
fécondité provenant du ventre maternel*’. »
Si la poterie a été réalisée dans la disposition d'esprit qui convient, elle exercera
une influence convenable sur sa propriétaire. Une poterie n’est pas simplement un
objet usuel. Elle est faite de terre «animée », qui est travaillée et épurée. Cette terre
est animée par les générations précédentes qui y ont été enterrées et par d'autres
forces. Le travail de la terre appropriée est réservé aux initiées qui connaissent ses Bosht ou tapis de selle, région de Gabès
secrets*’. Comme le labour de la terre et les semailles, comme la conclusion du (Tunisie), vers 1940 (115 x 68 cm).

mariage, la fabrication de poteries est liée à certaines phases du cycle annuel. On


ne cherche pas d'argile au mois de mai, tout comme on ne monte pas un métier à
tisser, on ne commence pas à construire une maison et on ne se marie pas au Cours

40. Chantreaux 1941 (bibliographie 3e), p.09.


41. Makilam 1906 (bibliographie 3a), pp. 47-48.
42. Ibid. pp.345qq.
PF
de cette période — un interdit qui était aussi de mise dans la culture populaire euro-
péenne. Mai est le mois de la croissance, d'un processus de vie qui a déjà com-
mencé et que l'on ne peut pas entamer «en retard». De même, on ne cuira pas la
poterie que l’on a façonnée avant le quarantième jour après la récolte. Si un décès
survient, toute l'argile non encore utilisée doit être jetée. Les produits inachevés
également. L'argile est une matière vivante qui, d’après les anciennes croyances des
Kabyles, peut attirer l'âme dangereuse du défunt“.
Une femme enceinte ne peut pas faire de la poterie: travailler la terre, c'est
manipuler la vie encore à naître, ce qui pourrait avoir une influence néfaste sur
l'enfant en gestation ou sur la fécondité de la femme. La matière souterraine est
analogue à la matière devenant vie dans l'utérus «pétrissant » et modelant. Tisser,
c'est aussi donner la vie: le tissage est donc à mettre en parallèle avec la maturation
de l'enfant avant la naissance. Voilà pourquoi, dans tout le Maghreb, de nombreux
rites protecteurs pour les jeunes filles célibataires étaient en vigueur: celles-ci
devaient certes apprendre à manier le métier à tisser, mais en prenant les précau-
tions nécessaires.
Symboliquement, le tissage est analogue aux noces et au travail de la terre: les
trois processus libèrent des forces qui, en l'absence d'une attitude correcte, peu-
vent s'avérer catastrophiques. La tisseuse doit avoir une éthique irréprochable,
sinon elle attire des forces indésirables qui chargent son œuvre d’une influence
néfaste.

Le parallèle entre tissage, mariage et travail de la terre est parfaitementillustré dans


les kilims de Gafsa (steppe tunisienne)**. L'art textile de Gafsa, particulièrement
célèbre pour ses kilims, constitue un cas unique en Afrique du Nord. D'une part, il
fait montre d’une prédilection pour la figuration: la forme humaine, la faune (en
particulier le chameau, le poisson et l'oiseau) et la flore (surtout le palmier) y occu-
pent une place centrale. D'autre part, les tisseuses de Gafsa ont développé un lan-
gage idéogrammatique particulier: des motifs totalement abstraits dans un enca-
drement carré#. Le tissu comprenait souvent 24 (4 x 6), 25 (5 x 5) ou 48 (8 x 6)
carrés. Ces nombres correspondent à des codes tacites évoquant les aspects
mythiques du mariage, du sacrifice et de la société locale. L'art textile de Gafsa est
étroitement lié aux variantes locales d'une cosmogonie très ancienne qui était en
vigueur dans toute l'Afrique septentrionale et occidentale.
Les carrés des textiles caractéristiques de Gafsa sont considérés comme ana-
logues aux parcelles de terre agricole, tandis qu’agriculture et mariage sont égale-
ment analogues: tous deux visent à la fécondité. Il n’est donc pas étonnant que,
dans la région, ces tissus aient été utilisés pour couvrir le lit nuptial#. On s’en ser-
vait également lors de la circoncision: celle-ci ouvre la voie à la fécondité et à la
(a) Déesse en attitude de jelwa. Statuette pureté. Lors de la circoncision, on disposait un tissu rayé sur le sol. Sur celui-ci se
en terre cuite du Sanctuaire des Bipennes,
dressait une petite table couverte d’un kilim à carreaux (buyout). La circoncision est
Cnossos, Crète, époque minoenne.
(b-c) Vase femme-enceinte, Kabylie analogue au mariage: le saignement inaugure, tel un sacrifice, une nouvelle
(Algérie). Coll. Makilam, Brême. période et appelle la fécondité. La mère du garçon circoncis est considérée comme

43. Ibid. p.51.


96 44. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. HI.
45. Ces idéogrammes se retrouvent sous une forme étrangement semblable dans les tokapu de l'art textile
inca. Thomas Barthel, « Viracochas Prunkgewand », in Tribus (Stuttgart), n° 20, 1971, pp. 63-124; Carol
Gallaway & Susan Bergh, «Form & rhythm. Ancient Andean textiles at Dumbarton Oaks», in Hali,
n°89, 1996, pp. 84-01, ill. 2; Hali, n° 60, 1900, p.us8.
la «mariée» dans différents rites”. À l'occasion des noces, ces mêmes tissus se
trouvent sous le palanquin juché sur le dos du chameau qui transporte la jeune
mariée, ainsi que dans la chambre nuptiale. Le lit est couvert d'un kilim à carreaux,
une image de la terre cultivée. En général, le tissu est fait de vingt-quatre carrés ou
«maisons » (beit).
Au Maghreb, les noces étaient l'apogée de la vie des femmes. Nous ne parlons
pas ici de l’accomplissement docile de ce que l'on attendait d'elles: une union
conjugale et des descendants. (La responsabilité d'un mariage sans enfants incom-
bait tout «naturellement » à la femme.) Nous parlons de la forme esthétique et
signifiante que revêtent les noces en tant que quintessence d’une «culture de la
pénurie ». C'était le moment du bonheur, de la beauté, de l'abondance, de la fécon-
dité: la tension frémissante qui précède la «création » — en l'occurrence la concep-
tion de la vie. Cette attitude n’était pas propre aux Berbères : toute culture paysanne
ou nomade orchestrait les noces comme un «spectacle» lourd de signification,
destiné à la communauté. Une pléthore de rites et d'objets symboliques accompa-
gnait l'événement. Ceux-ci étaient si nombreux et si variables d'une région à l’autre
qu'il est impossible de passer en revue ici toutes les coutumes berbères liées au
mariage.
Deux aspects sont néanmoins partout au cœur du rite: l'enveloppement et
l'exposition. L'enveloppement a notamment lieu quand la mariée est emmenée
dans sa nouvelle maison. Traditionnellement, la «dissimulation » est d’une grande
importance symbolique. La mariée est «emballée » quand d’autres pourraient la
voir à des moments inconvenants. Lorsqu'elle est transportée dans la demeure de
son nouvel époux, elle prend place dans la jahfa, le palanquin fermé sur le dos d’un
chameau. Dans la jahfa, la mariée est accompagnée de deux jeunes filles, le marié de
deux jeunes gens. Les deux groupes symbolisent la triade «d’en bas» et celle «d'en
haut», elle-même symbole de l'arbre cosmique. Celui-ci s'étend du monde infé-
rieur au monde supérieur et est représenté sous sa forme la plus simple par un tri-
dent ou par un trident et son reflet.
Un type particulier de kilim de Gafsa est consacré au cortège nuptial: des cha-
meaux avec sur le dos le bassour ou la jahfa transportent de jeunes mariées*. Celles-

46. V. Pâques, L'arbre cosmique, Paris, L'Harmattan, 1995, p.430. La combinaison d'un tissu rayé et d’un tapis
avec un réseau (de losanges en l'occurrence) est également typique des noces dans le Tidikelt (Algérie)
(Ibid., p.127). Le type du kilim à damier est associé à l’escalier de 17 marches qui descend vers l'un des
deux grands bassins de Gafsa, la source d'eau chaude Termil près de la Kasbah et de la mosquée Sidi
Salah. Ces sources sont l'image des eaux fécondantes dans l'oasis de Gafsa (Ibid., pp.314-315). Dix-sept
est aussi le nombre des branches de l'olivier, qui correspondent aux 17 métaux qui font la richesse de la
terre. Tamesloht, le lieu saint à une vingtaine de kilomètres au sud de Marrakech, produit une huile
d'olive bénéfique dans ses 17 pressoirs. Les meules de la région d'Ourika sont également censées porter
ces métaux en elles (Pâques 1992 [voir note 39], p.63). C'est en l'honneur des 17 branches de l'olivier et
des 17 moulins que les Gnaoua découpent l'animal sacrifié en 17 morceaux (Ibid., p.64). L'arbre cos-
mique a 17 branches lui aussi. Celles-ci sont matérialisées à différents endroits: à Gafsa dans les 17
marches menant à la source Termil, à Kairouan dans les 17 protubérances du petit bassin aghlabidique,
à Douz dans les 17 carrés chaulés près du mausolée de Sidi Ahmed el Rot. Dix-sept générations Kilim, Gafsa (Tunisie), vers 1900
mythiques qui furent jetées sur terre à la suite du dernier Grand Sacrifice assuraient la liaison entre le (90 x 150 cm).
monde inférieur et Dieu (Pâques 1995, pp. 67 et 95). Ainsi, par le biais du nombre 17, les réalités les plus
diverses ont été réunies au sein d’une signification unifiante.
47. Pâques 1995 (voir note précédente), pp.420-421.
48. Le cortège nuptial, ou plus précisément la jeune mariée à dos de chameau transportée dans ce cortège, 97
est une image cruciale, une icône, dans la culture maghrébine, même en dehors du rituel du mariage.
Prenons un exemple de Gafsa. La population de la ville se composait, d'un point de vue traditionnel, de
vingt-huit tribus qui s'étaient partiellement établies à cet endroit. Ceci faisait de Gafsa une mosaïque
tribale. La nouvelle cohésion et la fidélité à l'autorité centrale du qa‘id étaient fétées chaque année à
ci sont représentées de face dans un style hiératique. En dessous de chaque cha-
meau se trouve une femme aux bras levés rappelant le rituel de la jelwa. Les cha-
meaux sont précédés d’un askar ou «soldat »*. Le tir à l'occasion des noces faisait
partie des rituels masculins tant en Afrique du Nord qu'en Europe. Mais le «soldat »
est aussi une allusion déguisée au jinn, l'«esprit» ou la force supra-humaine sus-
ceptible d'exercer une influence dangereuse sur la jeune mariée (folie, stérilité). Ses
bras, l'un tourné vers le bas et l'autre vers le haut, renvoient à sa force, dont il peut
user pour faire le mal ou le bien. Le chameau de tête porte une rangée de losanges
sur la gueule. Il s’agit d'une stylisation d'un objet de laine réel. La ressemblance
avec un motif qui revient si souvent dans l’art textile berbère est évidente: des
losanges successifs, précédés ou terminés par un demi-losange ou losange ou-
vert. Dans le style «spontané», ces losanges qui se ferment ou s’évasent prennent
des formes irrégulières et «spasmodiques» pareilles à des contractions ou des
échanges d'énergie. Le motif porte des noms comme «ouvre et ferme». Dans son
mouvement, il est aussi complémentaire que les figures se tenant debout et tête en
bas au-dessus et entre les chameaux. Celles-ci sont l'expression des deux principes
opposés qui interviennent dans l'échange et agissent ainsi de manière créatrice. Le
mariage est la manifestation humaine et visible de cette opération.
Le ventre des jeunes mariées sur les chameaux est marqué d'un triangle avec, à
l'intérieur de celui-ci, trois triangles renversés. Dans l’art textile de Gafsa, ce motif,
surmonté d'un triangle plus petit, porte lui-même le nom de jahfa, «palanquin
(dans lequel la jeune mariée est transportée) »”°. Il existe une analogie entre le tri-
angle, le ventre de la femme enceinte, la bosse du chameau et le palanquin en
forme de pyramide parfois tronquée. Tous ces éléments renvoient de manière ana-
logique à une ex-croissance. Dans la cosmogonie populaire d'Afrique du Nord, le
dromadaire, communément appelé «chameau», est l'incarnation vivante de la
montagne primordiale”. La future mariée placée sous la jahfa sur le dos du cha-
meau est l'image mythique de la Femme-de-la-montagne, que l’on rencontre dans
divers mythes matriarcaux en Orient comme en Occident”. Dans le bas du tissu,
on aperçoit deux rangées de triangles (foul), micro-signes de croissance dans l’art
textile berbère. Entre elles, une rangée de poissons /oiseaux (hout /tyour), qui est
répétée dans le haut. Le poisson et l'oiseau, symboles anciens et largement répan-
dus du style épithalamique, s'utilisent pour chanter ou représenter les noces®. Des
oiseaux volent entre les chameaux. Ils se dédoublent symboliquement pour for-
mer un V et un arbre (chajjara) de triangles, un arbre qui s'appelle également tyour’+.
L'arbre-et-l'oiseau est une image tout aussi ancienne et universelle du jardin des
délices ou du paradis, en usage tant dans l'art islamique (entre autres iranien) que
dans l’art européen. Dans le haut, enfin, des silhouettes féminines alternent avec
une barre verticale agrémentée de traverses. Il s’agit de l’idéogramme de la force.

l'automne, à l'occasion d'une fête sacrificielle (aujourd'hui: 20-28 septembre). Chaque tribu parait une
jeune fille et lui faisait prendre place dans un palanquin (bassour) sur le dos d’un chameau. Ces «jeunes
mariées » présidaient la fête. Elles symbolisaient les alliances réciproques d'où la communauté tirait
sa force et sa cohésion. Notons encore que le bassour est appelé mahmal en Égypte, mot dont le sens
premier est «utérus »; ceci en dit suffisamment sur sa symbolique.
49. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. II, pl. XIV, 1 & 4.
50. Ibid. pl. LIX, ro.
98 si. Pâques 1992 (voir note 39), p. 67.
52. Rappelons entre autres les mythes populaires d'Europe consacrés à Dame Holle et au mont de Vénus,
ou les mythes de la Pachamama dans les cultures andines.
53. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. I, pl. XVI, 3.
54. Ibid. pl. XLIX, 4.
Dans l’art textile de Gafsa, c’est l’axe central du bityasmina («maison de Yasmina |
du jasmin») ou du bit chajjara («maison de l'arbre»). C’est la force féminine de
l'épouse qui est le pilier de la maison (famille).
Il existe un lien étroit entre le tissage et le mariage (en tant que prototype de
l'établissement de relations humaines), entre de nombreux textiles et les noces
proprement dites. Le trousseau de chaque femme était composé d'un choix de
tapis, de vêtements et d’autres textiles fabriqués par elle-même et par les femmes
de sa famille. La mère du futur époux apportait aussi souvent sa contribution au
patrimoine textile /artistique du nouveau couple. La nature et la composition de la
dot variaient en fonction de la région et de la tribu. Ajoutons que des textiles
étaient utilisés lors des différentes phases des cérémonies du mariage. Cette di-
mension rituelle variait également d'une région à l’autre. La côte sahélienne tuni-
sienne, par exemple, était connue pour sa robe de mariée brodée de symboles fai-
sant référence à la cérémonie. Le thème du mariage sous tous ses aspects se
retrouve également dans le répertoire de motifs du textile maghrébin, indépen-
damment de la destination de celui-ci. Les rites nuptiaux sont évoqués à maintes
reprises dans le tissage en tant qu’acte et dans l’iconographie des tissus. Enfin, il
existe — au niveau le plus fondamental — un rapport entre le mariage et l'acte créa-
teur proprement dit: l'enfant créé par des myriades de processus et l'œuvre d'art
tissée par d’aussi innombrables manipulations de la laine. Tous deux sont le résul-
tat d’un effort physique et psychique débouchant sur une création unique. De
même que l'enfant demeure d’abord caché dans le ventre enveloppant de sa mère
pour être ensuite admiré dans toute sa beauté lorsqu'il entame son existence auto-
nome, la future mariée subit d’abord un enveloppement avant d’être exposée dans
toute sa splendeur telle une œuvre d'art humaine. C’est la révélation, qui est sou-
ventaussi une élévation. Une élévation au sens littéral du terme: la jeune mariée se
place sur une hauteur. Dans la région de Gafsa, elle montait sur le coffre nuptial
(sandoug), que l’on appelait à cette occasion minbar, qui est aussi le nom de la chaire
de vérité, dans la mosquée, d’où l’imam s'adresse aux fidèles.
Dans le rituel gafsien, la mère de la mariée file. Le filage s'effectue à l’aide de
mouvements spiroïidaux”®. La mariée descend du minbar aidée de deux servantes
noires ou de deux hommes. Ce rite exprime la descente sur terre de la première
femme mythique, un mouvement en forme de spirale qui est propre aux processus
de création de l'univers d’après les anciennes cosmogonies d'Afrique du Nord et de
l'Ouest”. Dans tout le Maghreb, le moment théâtral de l'exposition de la mariée est
appelé jelwa. La jelwa est aussi l'attitude dans laquelle la déesse punico-berbère
Tanit* était représentée. Dans l'Antiquité, celle-ci a été assimilée à Athéna et à la

55. Ibid. pl. XII, 1-2 & pl. XI, 2.


56. Dans de nombreuses cultures africaines, la spirale symbolise la dynamique de la vie, son apparition et
son évolution. La spirale exprime aussi le caractère cyclique de l'existence et du voyage des âmes
(Pâques 1992 [voir note 39]). Chez les Dogons, le soleil, entouré d’une triple spirale, symbolisait l'acte
créateur. La spirale représente la vibration qui «soutient» l'univers, qui ne fait rien elle-même mais sans Tapis aux points noués, Beni Ya ‘koub
laquelle rien n'existe. Chez les Bambaras, le principe fécondateur était suggéré par une spirale. Au (Alfreja), Maroc, début XX siècle
Dahomey, la spirale est le serpent éternel qui se mord la queue (l’ouroboros grec) ; qui est en même temps (210 x 165 cm).
l’arc-en-ciel (les couleurs de tous les germes fécondants de l'univers) ; qui est en même temps l'être pre-
mier hermaphrodite. La spirale est un mouvement fluide — et, dans les religions archaïques, mouve-
ment et flux sont au centre de la «genèse». Voir Makilam 1996 (bibliographie 3a), pp. 143-146; J. Purce,
La spirale mystique, Paris, Chêne, 1974. 99
57. Pour la spirale, la «forme» qui est attribuée au tourbillon, comme «signe » d'Aphrodite et de la force
générative, voir Gianfranco Salvatore, Isole sonanti. Scenari archetipici delle musica del Mediterraneo. I. Labi-
into, conchiglia, trance (Roma), ISMEZ (1987), pp. 166-168:«cercles et spirales de son».
58. Edouard Lipinsky, Tanit et Ba‘al Hammon, Mayence, Zabern, 1992; Id., Dieux et déesses de l'univers phénicien
déesse égyptienne Neith. Elle était la déesse de la fécondité, de la récolte, de la gros-
sesse. On lui offrait des lis, des grenades, des amandes, des figues. Ses symboles
sont le palmier, le poisson, l'oiseau, la grenade, le croissant de lune, la corne
d'abondance. Elle est appelée «mère » dans certaines inscriptions. Elle trône, telle
une déesse mère, telle une manifestation de l’ancienne Déesse. Elle est de la terre,
mais aussi du ciel. À l’époque romaine, elle fut rebaptisée Caelestis, la Céleste. Elle
était vénérée depuis l'Égypte jusqu'en Algérie et jusque très loin dans le désert.
C'est ainsi que le signe de Tanit ornait de nombreuses façades à Ouargla (Algérie).
Il en existait plusieurs variantes, accompagnées ou non d’une sorte de grappe de
raisin qui rappelait la «bouteille à nodosités » carthaginoise, signe de Tanit. Cette
décoration était apposée à l'occasion des mariages®?.
Plusieurs déesses préclassiques dont nous ignorons le nom étaient elles aussi
souvent représentées dans l'attitude de la jelwa. La «déesse des abeilles » crétoise,
par exemple, dont l'effigie apparaît sur des gemmes (vers 1500 avant notre ère). Des
figures semblables se rencontrent dans l’art minoen, dans l’art mycénien et dans
l'art grec géométrique et archaïque. Dans l'art minoen, la déesse est représentée les
bras levés avec la «bipenne » ou le motif du «papillon», en tant qu’épiphanie de la
déesse sous son aspect de renaissance®?. Comme exemple remarquable de la jelwa,
citons une grande terre cuite crétoise de la Déesse (Gazi, vers 1350 avant notre ère).
Celle-ci sort d’un récipient cylindrique, les yeux baissés, les mains levées avec les
paumes vers l'avant. Elle est représentée en jeune mariée, avec une coiffure
conique et des boutons de fleurs (pavots ?) glissés sous un bandeau. (Une telle
couronne de fleurs, de fruits et/ou d'oiseaux apparaît également dans d’autres
représentations néolithiques de la Déesse ; en Europe, les jeunes mariées des cam-
pagnes en portaient encore une au XIX° siècle.)
Sur les gravures et peintures rupestres préhistoriques du Maghreb, on trouve
fréquemment des figures dans l'attitude de la jelwa°?, et pas seulement en Tunisie,
où la jelwa est un motif important dans l'art de la broderie et du tissage. Les
concordances ne s'arrêtent pas là. L'attitude de la jelwa est — par exemple — celle des
orants antiques ou paléochrétiens**, mais aussi —et ici, nous remontons beaucoup
plus loin dans le temps — celle de la Grande Déesse néolithique. Les exemples foi-
sonnent. Des poteries du VI' millénaire avant notre ère provenant des cultures de
Proto-Sesklo et de Starcevo nous montrent la Déesse dans cette attitude. Des
représentations analogues, mais exécutées avec moins de raffinement et dans un

et punique (Orientalia lovaniensia analecta, 64), Louvain, 1995. Pour les représentations ou signes de Tanit:
Mhamed Fantar, «Pavimenta punica et signe dit de Tanit dans les habitations de Kerkouane », in Studi
magrebini, 1, 1966, pp. 57-65 ; Colette Picard, « Genèse et évolution des signes de la bouteille et de Tanit à
Carthage », in Studi magrebini, 2, 1968, pp.77-87: M. Hours-Miédan, «Les représentations figurées sur les
stèles de Carthage», in Les cahiers de Byrsa, 1, 1950 (1951), pp.15-160, spéc. pp. 31-34.
59. Pallary, «Notes sur quelques coutumes carthaginoïses et sur la survivance du symbole de Tanit», in
Revue tunisienne, 18, 1911, pp.127-137, spéc. pp.136-137. Le signe de Tanit resta en usage dans l’art des
bijoux. Voir Jacques & Marie-Rose Rabaté, Bijoux du Maroc, Aix-en-Provence, Édisud, 1906, p.69 (Ida ou
Nadif, Ida ou Kensous), 73 (Tagmout), 74 (Feija), 75-77-78 (Anti-Atlas), 72-78-79 (Imi-n-Tatelt), 106-107
(Ait Ouaouzguit).
60. Marija Gimbutas, The gods and goddesses of Old Europe. 6500-3500 BC. Myths and cult images, Londres,
Thames & Hudson, 1990, p.187.
61. Gimbutas 1989 (voir note 27), p.150.
62. W. Antoniewicz, «Le motif de l’orant dans l'art rupestre de l'Afrique du nord et du Sahara central», in
100 La préhistoire :problèmes et tendances, éd. D. de Sonneville-Bordes, Paris, CNRS, 1968, pp.1-10 ; Weisrock,
in Encyclopédie berbère, 10, pp. 1493-1494.
63. La jehwa figure aussi sur un fragment de tapis, daté du IX° siècle au moyen de techniques de laboratoire.
On n'a pu jusqu'à présent retracer son lieu d'origine. Hali, n° 76, 1994, p.47, ill. 5.
64. Heinz Demisch, Erhobene Hände. Geschichte einer Gebärde in der bildenden Kunst, Zurich, Urachhaus, s.d.
format plus petit, apparaissent dans pratiquement toutes les cultures néolithiques
d'Europe centrale et orientale (Vinca, Bükk, Anza, Sarvas, Borsod, Kolesovice,
etc.). Comme exemple plus connu, citons les sculptures-reliquaires et les peintures
pariétales de Çatal Hüyük en Anatolie, mises au jour par James Mellaart.
Le ventre de la Déesse était marqué de cercles concentriques peints en rouge,
avec un triangle au centre”. Ailleurs, là où la Déesse est rouge, le motifen question
est noir°° ou gris avec une tache rouge au milieu”. Ici, des flux d’eau bleue s’écou-
lent du ventre gonflé. L'emplacement du motifne laisse aucun doute: il renvoie au
pouvoir reproducteur féminin. Sur ces peintures, la Déesse est représentée dans
l'attitude de la jelwa, une preuve de plus qu'il s’agit de la déesse en tant qu'épouse
féconde. Le motif concentrique a donc été en usage pendant huit à neuf mille ans
dans les cultures matriarcales. Sur les côtés longitudinaux de la représentation à
Çatal Hüyük, des rangées de figures se donnent la main. Leurs mains unies tien-
nent des poissons (?), tandis que des hexagones jaunes et noirs sont disposés entre
leurs jambes écartées. Cet enchaînement forme un rayon de miel, image de la
«douceur» bien organisée de la gestation**.
Au nord de la Méditerranée, nous trouvons également des représentations de la
jelwa, notamment dans des broderies provenant de toutes les régions d'Europe”.
Dans l'Antiquité, il y a la céramique préclassique de l'Italie méridionale, entre
autres dans le style sous-géométrique de Bradano (VII siècle avant notre ère) ou
dans le style géométrique de Bari (VIIS-VI siècle avant notre ère). La figure est alors
sugoérée par un «sablier», un triangle ou un losange. Les lignes en forme de cro-
chets créent une impression de devenir, de mouvement, de cohésion.
Parfois, on fabriquait des figures en terre cuite dans l'attitude de la jelwa, comme
à Ordona (V° siècle avant notre ère)”. Le torse ou le ventre est alors décoré d’un
losange divisé en quatre losanges plus petits et flanqué de zigzags. Le losange-avec-
motif est une image de la femme féconde qui porte ou portera la vie en elle. Dans
les broderies d'El Diem, la jelwa est suggérée par un losange avec une tache jaune ou
rouge à l’intérieur de celui-ci et des bras levés”. Le losange, l'hexagone ou le tri-
angle avec un point à l’intérieur est une ancienne image de la gestation, déjà bien
connue grâce aux fresques de Çatal Hüyük. Dans l’art textile de Djebel Nador
(Algérie), le motif est placé sur un dromadaire: l’image de la jeune mariée qui est
promenée dans un bassour ou palanquin’*.
Mais d’où vient le geste de la jelwa/? C’est avant tout une attitude de prière, où

65. James Mellaart, Belkis Balpinar & Udo Hirsch, The Goddess of Anatolia, 4 vol., Milan, Eskenazi, 1989;
vol.I, pl.
X, 1.
66. Ibid. vol.I, pl. XVII, 3 & p.87.
67. Ibid. vol.I, pl. XVI, 7 & p.83.
68. Voir au chapitre « Métamorphoses de l'œil »: le «damier».
69. Helmut Bossert, Folk art of Europe (Tübingen), Wasmuth, 1990, pl.s n°3 (broderie, Norvège), pl.11, n°3
(dentelle, Espagne), pl. 21, n° 10 (kilim, Balkan).
70. Douwe Yntema, The matt-painted pottery ofSouthern Italy. A general survey of the matt-painted pottery styles of
Southern Italy during the final Bronze Age and the Iron Age (Università di Lecce. Dipartimento di Scienze dell Anti-
chitä. Settore storico-archeologico. Collana del Dipartimento, 4), Lecce, Congedo, 1990, pp.45-108: voir spéc. Tapis ras mergoum, Oudref (Tunisie),
pp.172, 203 (Bari), 307 (Ordona). XIXS siècle (150 x 110 cm).
71. Noces tissées 1995 (bibliographie 3e), p.39, ill. 17.
72. Georges Hirtz, L'Algérie nomade et ksourienne 1830-1954 (Marseille), P. Tacussel, (1989), p.73.
73. Sur le plan idéogrammatique, il existe un rapport entre la déesse levant les bras et la figure de la gre-
nouille et de la tortue. La grenouille et la tortue étaient des manifestations de la Déesse. Un exemple élo- IOI
quent nous est donné par la statue en terre cuite des environs de 11000 avant notre ère provenant de
Maissau (Autriche) : une grande grenouille avec une tête humaine, des seins et une vulve proéminente.
Cette grenouille et d’autres ont également les bras levés. La figure dans l'attitude de la jelwa ressemble
aussi au boukranion, la stylisation de la tête de bovidé qui, depuis la période néolithique, était l'image des
l'orant se fait réceptif et s’abandonne aux puissances supérieures*. En même
temps, c'est une attitude protectrice, comme en témoignent les statuettes de
déesses protectrices sur les canopes de l'Égypte ancienne. Peut-être les mains
levées expriment-elles également la croyance, mise en pratique lors de l’accouche-
ment, selon laquelle ce geste favorisait la mise au monde. Dans la littérature anato-
mique européenne des XV° et XVI" siècles, les parturientes sont encore représen-
tées dans cette attitude «de prière »*.
Dans tous les rituels de mariage, qui diffèrent d'une région à l’autre, on retrouve
ce moment crucial: l'exposition de la jeune mariée devant les invités. Celle-ci est
parfois debout, parfois assise et — en fonction de la date et du lieu — elle esquisse un
geste particulier:elle lève les mains vers le ciel ou les tient à plat sous la poitrine.
Mais au-delà de ces variations, il y a toujours un point commun: la jeune mariée
apparaît comme une icône hiératique. Les yeux généralement baissés, immobile,
le visage fortement maquillé et enveloppée dans une profusion de textiles. Parfois,
son visage est complètement caché (Tétouan, Meknès, Fès), de sorte que l’on pré-
sente une superbe construction dans laquelle on ne distingue même plus l’être
humain. Souvent, la ressemblance avec les représentations romanes et byzan-
tines de la Vierge, ainsi qu'avec les Madones au vêtement conique de l’époque
baroque, est surprenante. La jeune mariée apparaît — sans plus. Le rite est une épi-
phanie, une révélation visuelle du sublime, à laquelle le nom de jelwa est donné. Jelwa est
dérivé de la racine j-l-a, dont le sens premier est: «se montrer dans toute sa splen-
deur», «apparaître de manière éblouissante», ce qui s'applique tout particulière-
ment à la jeune mariée. Ou aussi: «rendre éblouissant » (au sens littéral du terme,
par exemple à propos d’un métal ou d'un miroir). Jelwa, c'est la «splendeur»,
l'éclat», la «clarté», en particulier de la lune qui apparaît la nuit derrière les
nuages. La jeune mariée est la pleine lune (qamra), vue comme quintessence de la
beauté féminine. La lune est aussi le motif principal des somptueuses broderies de
fils d’or et d'argent sur les vêtements de noce du Sahel tunisien. La lune et son cycle
sont l’image de la femme et de son cycle”.
La jelwa n'est pas une action qui se déroule : elle se résume à montrer ce qui, dans
cette culture, passe pour la quintessence de la féminité. Sur le plan symbolique, la
femme est la horma, le sacré et l’intouchable, mais aussi le noir et le caché. À l’inté-
rieur de la maison, elle est analogue à la cuisine couverte de suie noire. C'est là
qu'ont lieu les métamorphoses de la nourriture, de manière analogue aux trans-
formations que le fœtus subit pendant sa «cuisson », c'est-à-dire la grossesse. (Voilà
pourquoi, dans la culture traditionnelle, ce sont les femmes qui sont responsables
de la préparation des repas. Au demeurant, la femme est elle-même la nourriture
Pendants en attitude de
jelwa » au sein du mariage: l'époux mange, elle est mangée. L'inégalité et l’'asymétrie des
âge du bronze.
(a) Saint-Germain-en-Laye, Musée.
(b) Innsbruck, Museum. organes reproducteurs féminins et donc de la fécondité. Depuis la nuit des temps, le mariage était placé
(c) Hochbüchl. sous le signe de la fécondité. La mise au monde de descendants était la tâche sacralisée de l'épouse. Sa
(d) San Briccio di Lavagna vie devait être placée sous ce signe. Voir Gimbutas 1990 (voir note 60), pp.177-178.
(d’après Bertholon 1904; 74... Voir Antonio Beltran, «Orantes, fertilidad y antepasados en el arte prehistérico. Disgresiones sobre un
voir bibliographie 3c). tema universal», in Revista Cüllaira (Cullera), 1, 1990.
75. À. Barb, «Diva matrix», in Journal ofthe Warburg and Courtauld Institute, 1953, note 137.
76. Jeanna Jouin, «Iconographie de la mariée citadine dans l'Islam nord-africain», in Revue des études
islamiques, 5, 1931, pp.312-340; Christiane Ougouag-Kezzal, «Le costume et la parure de la mariée à
102 Tlemcen», in Libyca, 18, 1970, pp.253-267: Ead., «Le sadaq et le mariage suivant le ‘urf (rite) de Sidi
Ma‘ammar », in Libyca, 19, 1971, pp. 235-241.
77. M. Grafde la Salle, « Contribution à l'étude du folklore tunisien. Croyances et coutumes féminines rela-
tives à la lune», in Mélanges William Marçais, Paris, Maisonneuve, 1950, pp.161-183. Voir aussi Marta
Weigle, Spiders and spinsters. Women and mythology, Albuquerque, Univ. of New Mexico, 1992.
relations dans le couple s'expriment symboliquement. Dans différentes régions du
Maghreb, la jeune mariée est hissée sur une petite table et «montrée » pendant les
noces. Elle est la mida (ma‘ida), la table de l'abondance’*)
Dans la plupart des cultures, l'alternance entre dissimulation et exposition est
le propre du sacré — que l’on songe aux reliques ou à l'eucharistie dans le christia-
nisme — ou de ce qui est tabou. Dans les cultures maghrébines, la «féminité»
occupe une telle place: lourdement chargés de tensions émotionnelles, les rap-
ports des hommes avec la « féminité » ne vont pas de soi. Cet état de fait découle de
la ségrégation: la séparation systématique et l’impossibilité «phallique » de com-
muniquer avec l’autre dans sa différence excluent toute relation spontanée. Ce
modèle a des répercussions sur la perception que la plupart des femmes ont
d’elles-mêmes au Maghreb. D'une part, elles partagent l'idée «officielle », constam-
ment renforcée par le discours langagier, de leur infériorité. D'autre part, mais tout
à fait en dehors du langage cette fois, elles sont intimement convaincues d'avoir un
potentiel immense sur le plan magique, physique et/ou créatif. Cette conviction
étant in-communicable, ces femmes l’expriment dans le splendide isolement
visuel de la jelwa — par exemple — ou, plus couramment, dans le maquillage, ainsi
que dans la puissance inexplicable du tissage.
L'art textile berbère existe sur un territoire compris entre la côte atlantique du
Maroc et le désert Libyque, depuis le littoral méditerranéen jusqu'aux oasis saha-
riennes. Cet art textile est polymorphe: tentes, sacs, coussins et autres objets
usuels élémentaires, mais aussi vêtements, tissus ras comme les kilims”° et les
ahmal”° 180 réalisés dans diverses techniques, et tapis à points noués. Les techniques
vont d’une grande simplicité à un raffinement extrême. La description de tous les
types de textiles suffirait à remplir un volumineux ouvrage. De plus, il existe (exis-
tait) une diversité de styles, en partie propres aux régions, en partie déterminés par
la nature du tissu. Une des caractéristiques de l’art textile berbère est son vaste
répertoire de motifs et de compositions.
78. Pâques 1992 (voir note 39), pp. 142 et 157.
79. Le kilim est un tissu ras (donc sans nœuds) à double face: les fils de chaîne sont entièrement cachés par
la trame. Celle-ci est interrompue si des motifs sont intégrés à l'ouvrage. Cette technique est très
ancienne, tout comme son nom d’ailleurs. Nous retrouvons les éléments k/g/kh-l-m en araméen (gelimi),
en hébreu (gelom), en perse ancien (kalim), en turc (kilim) et en grec (chlamys), c.-à-d. dans des langues de
différentes familles linguistiques. Cette racine est donc très ancienne.
80. Le hamlestun tissu de nomades fabriqué sur un étroit métier horizontal non seulement avec de la laine,
mais aussi avec du poil de chèvre et de chameau. Souvent dans des couleurs de terre et richement
décoré de motifs; le coloris et les combinaisons de motifs varient d’une tribu à l’autre. Généralement
composé de quatre bandes de 40 à 60 cm de large sur 3 à 6 m de long, cousues l'une à l'autre après le tis-
sage. Ces bandes s'appellent aflij (pl. iflijen). D'autres objets sont en outre fabriqués selon la même tech-
nique, notamment l'ousada. Il s'agit d'un long sac qui, une fois rempli, est utilisé comme coussin. Non
seulement la technique, mais aussi les schémas décoratifs sont semblables. C'est d'après la même tech-
nique de base, mais sans les dessins, que l'on tisse la ghrara:un grand et large sac destiné au transport
des céréales ou d'autres produits alimentaires. La composition est généralement simple, avec des lignes (a-b) «Les hôtes pétrifiés»:mégalithes
et des rayures sans véritable motif décoratif. La ghrara est un tissu extrêmement solide et lourd. La triga préhistoriques à Hammam Meskoutine
fait également partie de cette famille de textiles : une étroite bande, tissée comme un aflij, qui renforce le (Tunisie). Photo Neurdein, Tunis, vers 1900.
tissu de la tente à certains endroits: largeur, environ 25 à 30 cm: longueur, 7 à 12 m. Son nom est la ver- (c) Peintures rupestres préhistoriques
sion populaire de tariga, qui signifie «chemin ». La triga repose sur les poteaux de la tente et est muni à de Takarkori, Lybie.
ses extrémités d'éléments en bois ressemblant à des jougs par lesquels on tendait la bande de tissu. Le
hamel était propre aux nomades d'Algérie (pas du Maroc), de Tunisie, de Libye, d'Égypte, du Sinaï, de
Jordanie, de Syrie et même d'Ouzbékistan. La technique était partout la même, mais les dessins et la
composition variaient d'une tribu à l'autre ou d'une région à l'autre (voir Au fil du désert [bibliogra- 103
phie 3e). Le hamel ou melgout (comme il s'appelait en Algérie) était utilisé par les nomades comme tapis
de sol ou comme paroi de séparation. En fonction du résultat recherché, la chaîne était composée de
bandes de différentes couleurs (blanc, brun, rouge, orange, vert, bleu, noir). Signalons que haml veut
k dire «fœtus» ou «grossesse» (de la racine ha-ma-la, «porter »).

U
Seules quelques rares chercheuses ont eu, dans les premières décennies de ce
siècle, l'intuition correcte de la nature de l’art textile maghrébin. C’est ainsi que
Jeanne Jouin, résidant au Maroc depuis 1912, écrivit: «Limitation de la nature est
complètement absente de ses manifestations artistiques et lorsqu'on y rencontre
des représentations figurées même très stylisées, l'on peut même, a priori, parler
d'influences étrangères”. »
Cet art textile berbère abstrait oscille entre deux pôles. On pourrait les appeler
le pôle «ordonné» et le pôle «spontané». Le style «ordonné» tend à la précision
technique et au raffinement: laine de premier choix solidement filée, technique de
tissage et de nouage extrêmement soignée. La composition recherche un équilibre
entre symétrie et asymétrie :elle suit souvent un axe central dans le sens de la lon-
gueur ou de la largeur, mais évite la morne symétrie de l’art textile des cours et des
villes. Le style «ordonné » fait appel à un vaste répertoire de motifs. Ceux-ci ne sont
presque jamais figuratifs. Il s’agit de motifs anguleux et abstraits, qui se combinent
à l'infini. Des «constructions » très compliquées peuvent ainsi être élaborées à par-
tir d'éléments simples, exactement comme dans le tatouage, la céramique et les
peintures pariétales. Ce qui frappe avant tout, c’est le caractère dur, hérissé, «brisé »
de ce style. La ligne courbe est absente. Les motifs et la composition ne sont jamais
«jolis», ils ne correspondent pas du tout à ce qu'une vision européenne sexiste
qualifie d'esthétique féminine: pas de petites fleurs, pas de motifs doux, bien
ordonnés et paisibles…
Le style «spontané »est régi par des principes tout différents. La régularité et la
perfection technique sont ici reléguées au second plan. Sur le plan technique, ces
tissus sont souvent grossiers, chaotiques et pleins d'anomalies. C’est comme si les
tisseuses n'accordaient de l'importance qu’au message et ne s’intéressaient pas à sa
présentation. Ce «message» se distille manifestement en cours de réalisation: le
tissu est un «ouvrage en cours » qui, entre son commencement et son achèvement,
connaît des points de rupture et divers aléas qu'il ne cherche pas à dissimuler. Sou-
vent, il ne suit pas une composition ordonnée préétablie. Un certain ordonnance-
ment est bel et bien présent, mais il voit le jour au cours du travail créatif. Le style
«spontané» n'est chaotique qu’en apparence. Des compositions, irrégulières
d’après les normes occidentales, semblent avoir vu le jour de manière imprévisible
pendant le processus de tissage. Pourtant, on retrouve parfois les mêmes principes
de composition et les mêmes éléments iconographiques dans d’autres tissus, pro-
duits par d’autres individus ou d’autres tribus. Dans ce cas, la structure et l’icono-
graphie ont été modifiées en fonction des exigences de cet autre individu ou de
cette autre culture tribale. Mais la reprise de certains principes de composition et
éléments iconographiques atteste l'existence d’un modèle commun. Celui-ci était
partagé par plusieurs tisseuses d'une même tribu ou de tribus différentes.
Ilexistait en outre des rapports à beaucoup plus grande échelle. C'est ainsi que
la plupart des principes de composition du style «spontané» se retrouvent dans les
Tapis aux points noués, Bouja‘d (Maroc), anciens tapis gabbeh iraniens. Beaucoup de gabbeh ressemblent d'une manière
vers 1930-1950 (210 x 120 cm). stupéfante aux textiles maghrébins qui ont vu le jour à des milliers de kilomètres
de distance. Ces analogies révèlent des sensibilités communes, une esthétique
commune, des processus psychiques communs. Les deux formes d'art se sont
104 développées à partir d'un même substrat: la culture des femmes dans des commu-
nautés tribales archaïques de bergers et de paysans. Cette culture était «holis-

81. Jouin 1932 (bibliographie 3e), p.20.


tique», son art partait d'un même vécu. Une ligne, une couleur”, une forme et
leurs myriades de combinaisons ne racontaient pas une histoire en images, mais
renvoyaient par synesthésie, c'est-à-dire par une perception «co-sensitive », à des
expériences intérieures".
Dans l’art textile berbère, nous trouvons par exemple un motif composé d'un
nombre (variable) de rectangles concentriques. Il existe aussi dans l'art du bijou:
un certain type de bague est décoré d'une pyramide à degrés pareille au mastaba de
l'Égypte ancienne. Cette bague est appelée tissak tan boutout, «la bague du nombril
protubérant». Les porte-amulettes (tirawt) et les tombes ont parfois une forme
semblable, quoique plus aplatieŸ{, ainsi que les stèles antiques de Tanit®. Chez les
Touaregs, cette forme désigne le ehen ou l'habitation» (tente, hutte ou maison) au
sens large:l'aménagement intérieur en tant qu'expression symbolique du mode et
du train de vie, les personnes qui y vivent et la lignée de l'individu S0, L'habitation,
surtout la maison natale, la maison de la mère, est comme un condensé de ce qui
est familier, par opposition au vaste monde extérieur. Ehen, c'est aussi: l'épouse et
les parents utérins. (Chez les Touaregs, la parenté est matrilinéaire et matrilocale:
la filiation se fait par la mère et est liée à la maison maternelle.) Puisque chaque
génération émane de la précédente, la société et l'histoire de la communauté sont
perçues comme un emboîtement infini de ehen, comme ihanan-n-maw, comme les
«maisons des mères». C’est ainsi qu’un seul signe doté d’un contenu relie entre
eux différents domaines et crée une chaîne de sens.
Voici un autre exemple. Dans le style «spontané», on rencontre souvent des
formes plus ou moins coniques avec une tache dans le bas. Ces formes sont appe-
lées «corbeille à pain», «four», «ruche», mais elles font tout autant référence à la
tombe et à l'utérus. La gestation d’un enfant dans le ventre de sa mère, la cuisson de
la pâte dans le four, l'attente d'une nouvelle vie pour le corps enterré, l’cattente »
d’être consommé pour le pain dans la corbeille: ce sont là les manifestations des

82. Le coloris des textiles berbères varie d'une région à l'autre ainsi qu'en fonction du type de textile. Au
Maroc, on peut ainsi distinguer différents groupes. Dans le nord-est et l'est, on aimait les harmonies
chromatiques sombres et «lourdes » (par ex. Ait Bou Yahi, Ait Haddidou, Ait Bou Irshaouen), le blanc
(par ex. Ait Warain), du moins en ce qui concerne les tapis à points noués. Au centre du Maroc, ces der-
niers étaient pour la plupart réalisés dans des tons rouges; des ocres, des bruns et des bleus chez les
Zaïan et les Zemmour ou des couleurs vives audacieusement «disharmonieuses» (Boujad, Chiadma,
Thahen). Les tribus du Haouz de Marrakech (Rehamna, Ahmar…) aimaient les jaunes et les rouges écla-
tants, intenses et chauds. Ils tissaient beaucoup de tapis monochromes, avec une composition basée
uniquement sur les variations d'intensité de la couleur. Dans le sud-ouest (Chiadma, Ihahen) et dans
l'est du Maroc (Ait Bou Irshaouen, Ait Haddidou), on nourrissait une prédilection pour le violet. Par-
| tout, le vert et le bleu n'étaient utilisés que très rarement comme ton dominant. La préférence allait
manifestement au rouge.
_ 83. Les tapis entièrement rouges du Haouz sont proches de la peinture monochrome occidentale à partir
des années cinquante. La neuropsychologie s'est intéressée à ce qui se passe lorsque l'expérience sen-
Ù n JR : Fer , :
|| sorielle est exposée à un stimulus ininterrompu comme une tache d'une seule couleur, un son unique
ou une image invariable. Cette expérience entraîne une diminution ou une disparition du contact avec (a) Peinture rupestre à Ait Ouazik (Maroc),
à l'environnement matériel. Ce phénomène est perceptible à l'électroencéphalogramme en tant que vers 6000 avant notre ère
«rythme alpha». Méditer sur une seule et même entité a un effet similaire. (b) Doubles losanges et «peigne»
Wassyla Tamzali, Abzim. Parures et bijoux des femmes d'Algérie (Alger), Entreprise Algérienne de Presse, sur tête de bœuf utérine, Çatal Hüyük,
(1984), pp. 101-103 et 93. VI millénaire.
C.G. Picard, Catalogue du Musée Alaoui. Nouvelle série. Collections puniques, 1, Tunis, s.d., pl. XX, XXII, XXV,
XXVI, XXXVIII, XXXIX, XL, XLI, XLII-VIT.
Susan Rasmussen, «The tent as cultural symbol and field site: social and symbolic space, topos and
authority in Tuareg community», in Anthropological Quarterly, 69, 1996, pp. 14-126. 105
_ Hélène Claudot-Hawad, in Encyclopédie berbère, 17, pp. 2591-2593.
Les rectangles concentriques constituent également le motif de base de nombreux djülshir et textiles
_ analogues d'Asie centrale. Voir John Wertime, «Back to basics. Primitive pile rugs of West & Central
, in Hali, n°100, 1998, pp. 86-07.

,°.
multiples facettes d'une même réalité. L'expérience quotidienne entretenait l'idée
de l’interpénétration de la vie et de la mort: dans cette société sans médecine
moderne, la grossesse signifiait une confrontation incessante avec la menace de
mort. (Le taux de mortalité des femmes enceintes et en couches était effroyable-
ment élevé d'après les normes actuelles ;la moitié des enfants mouraient en bas
âge.) Les multiples analogies que l’on observait entre les processus physiques de
conception et le travail manuel donnaient à ce dernier un sens plus profond en tant
que contribution à la création de la vie.
«Le trousseau était composé essentiellement de tissages ;ces ouvrages fabri-
qués dans le village par la fiancée elle-même ou des femmes de sa famille portent
les signes, les motifs de toute sa tradition. Ceux-ci sont son héritage en lignée uté-
rine ininterrompue. Les motifs margoum, de type géométrique et respectant une
symétrie axiale (ou parfois centrale) transportent avec eux un paysage de sens et de

89. Dès la préhistoire, la tombe est un analogon de l'utérus. Tout comme le fœtus «attend » le moment de
la naissance dans le giron maternel, le défunt attend une vie nouvelle dans la tombe. Cette analogie était
symbolisée de différentes manières: par exemple, le corps était enterré en position fœtale; de l'ocre
rouge était utilisée comme symbole du sang; des objets symboliques faisaient allusion à la re-nais-
sance réincarnation et la forme même de la tombe évoquait souvent la façon dont on se représentait
l'utérus. Pour les tombes «en forme de ventre», coniques ou rondes, voir Gimbutas 1989 (voir note 27),
pp. 149 sqq. Îl en va de même des fours de cuisson. La «cuisson » était analogue à la gestation de l'enfant
dans l'utérus, la tombe était l'attente de la renaissance. Ce n'est pas par hasard que, depuis le paléoli-
thique, on enterrait les morts en position fœtale, et les enfants dans un «four-tombe» (ibid., p.151,
ill. 233). Aujourd’hui encore, beaucoup de koubba d'Afrique du Nord ont un toit en forme de demi-
sphère surmontée d’un nœud: le ventre avec l'omphalos, le nombril dans lequel réside la force vitale à
travers la liaison avec la mère. (Pour le rapport entre les silos à grain traditionnels en terre glaise, la
tombe, la grossesse, voir: L. Lefebvre, «Signification des rites et coutumes relatifs aux céréales au Douar *-
Ighram (Petite Kabylie) », in Libyca Anthropologica, 11, 1963, pp. 178-188 ;Claude Lefebvre, «Le vif enterré.
Réserves céréalières et société au Maroc», in Littérature orale arabo-berbère, 13, 1982, PP.79-93.) À la moitié
106 du ramadan, chaque famille échange des repas avec une autre famille du quartier. On offre un plat de
nourriture pour chaque (grand-)parent décédé. Ce sont les morts qui nourrissent les vivants. Cette
croyance, qui se manifeste dans de très nombreux rites au Maghreb, n’est pas «mythique»: elle
témoigne d'une profonde conscience de ce que les générations en vie doivent aux générations qui les
ont précédées.
forces censés accompagner la future épouse et la future mère dans son foyer, sa vie
durant. Ils sont la transmission ininterrompue de foyers de mères en filles alors
même que la résidence devient virilocale à partir du mariage. Par les noces, tout
change pour les jeunes femmes (leur statut, leurs responsabilités, leurs liens affectifs,
leur foyer) sauf ces signes°°. »
La transe et le signe iconographique sont l'inversion l’un de l’autre: ils se trou-
vent de part et d'autre d’un même point, ou oscillent de l’un à l’autre. La transe
est une association intemporelle d'éléments (en partie exprimés par le rite syn-
esthésique qui les entoure) qui se rencontrent avant de se dissoudre dans une
inconscience an-iconique. Le signe, en revanche, est, à travers la forme, la couleur
et le rythme”, à la base d’une chaîne de références et d'associations. Voilà la
signifiance visuelle.

90. Pardo 1999 (voir note 31).


91. Undes paramètres communs est le rythme. Geste et mouvement, langue parlée, poésie, musique, actes
plastiques sont portés par des rythmes. La base physique du rythme est assimilée et traitée différem-
ment dans chaque culture, tout comme le corps est traité et montré d’une manière particulière et dans
un style particulier. Le rythme est un fondement de toute esthétique, mais il est aussi une modalité des
processus psychiques. Des différences s'observent entre les régions du Maghreb. Les principaux rituels
de danse /chant du Moyen Atlas, du Haut Atlas et de l'Anti-Atlas sont l’ahidous et lahwash. Le premier,
typique du Moyen Atlas et du Haut Atlas oriental, fonctionne sur un rythme de cinq temps et des mélo-
dies chromatiques, c.-à-d. avec des intervalles minimes de moins d'un demi-ton. L'ahwash, par contre,
qui est caractéristique de l'Anti-Atlas et du Haut Atlas occidental, est basé sur un rythme binaire (2 ou
4) et opère avec une pentatonie anhémitonique d'une octave et demie, c.-à-d. avec un système à cinq
tons sans demi-tons. Le chant fait de nombreux «bonds» comprenant des intervalles en decrescendo
(jusqu’à une sixte ou une septième). Cette différence de systèmes rythmiques et tonals se retrouve dans
l'art du textile. L'ahwash de l'Anti-Atlas a une prédilection pour les transitions de couleur impercep-
_tibles: un chromatisme qui laisse beaucoup de place à l'improvisation et soumet le dessin à la tonalité.
Le chromatisme va même tellement loin qu'on voit parfois apparaître des tapis sans motif, mais avec 107
une infinité de nuances de couleur. L'art textile de la seconde région, plus méridionale, privilégie quant
à lui une composition claire et une distinction plus nette des couleurs. Les tisseuses veillent à ce que
celles-ci n'«envahissent» pas la composition. L'art textile du Haut Atlas préfère une succession (coor-
. dination) ou une structure (subordination) plus claire.
108

Tapis aux points noués, Mzinida (Youssoufa),


Maroc, XIX° siècle (?) (280 x 152 cm).
Métamorphoses de l’œil

Dans la troisième partie de son Corpus de tapis marocains (1927), Prosper Ricard
publiait des reproductions de quelques tapis qui l'avaient déconcerté, lui et
d’autres amateurs européens, tout en les captivant au plus haut point. Il s'agissait
d'œuvres provenant des plaines entourant Marrakech. Les marchands de tapis de
cette ville les attribuaient à la tribu Ouled Besseba (ou Bou Seb'‘a), qui vivait sur un
territoire situé à environ soixante kilomètres au sud-ouest de Marrakech. Ces tapis
noués semblaient ne répondre à aucun concept. Ils présentaient, sur un fond
rouge, des motifs mystérieux, apparemment sans lien les uns avec les autres. Sou-
vent même, tout point central faisait défaut. On ne relevait donc ni composition
centrale, ni symétrie, ni bordures. Le dessin était «étrange et brut, parfois même
sauvage » (p. 14). Dès les années vingt, écrit Ricard, on imitait parfois ces tapis dans
des ateliers coopératifs et urbains, et cela à l'initiative d'Européens et dans des
intentions commerciales. Après la découverte de Ricard, il ne fut plus question
pendant un demi-siècle de ces «étranges » tapis noués. Jusqu'à l'exposition consa-
crée en 1980 par le Textile Museum de Washington à l’art textile marocain, ils ne
furent mentionnés dans aucune publication. L'exposition attribua une dizaine de
textiles aux Ouled Bou Seb'a, mais également aux tribus Chiadma et Rehamna.
À cette époque, seuls quelques collectionneurs, surtout suisses et américains, s’in-
téressèrent à ces œuvres d'art. Les ethnologues ou historiens d'art les considé-
raient comme dénuées du moindre intérêt.
Il est apparu entre-temps que les Ouled Besseba n'étaient pas les seuls à
connaître le style «spontané »: la plupart des tribus qui tissaient ou nouaient des
tapis étaient dans ce cas. En Tunisie, le style libre se rencontre davantage dans la
production de kilims que dans celle des tapis noués. On ne dispose pas encore de
données pour l'Algérie, pays rendu inaccessible pendant les années quatre-vingt-
dix en raison de conflits internes.
Le style «spontané » défie toutes les normes utilisées par les cultures tant orien-
tales qu'occidentales dans l'appréciation de la création de tapis. Ici, le raffinement
technique et la précision ne sont généralement pas de mise. La tisseuse n’attache
pas d'importance à des critères tels que l'équilibre de la composition, la symétrie
ou l'harmonie du coloris. Elle emploie les couleurs qui sont à sa disposition ou qui
lui plaisent, et les matériaux qu'elle trouve à portée de sa main, même s’il s’agit de
restes de tissus déchirés. L'aspect technique de la plupart des pièces indique
qu'elles n’ont jamais été confectionnées pour la vente. Dans un seul et même tapis,
les fils de chaîne peuvent consister en matériaux tout à fait divergents: laine de
diverses couleurs, restants de coton industriel, poils de chèvre. La composition Tapis aux points noués, Ait Sgougou
naît durant le processus du tissage: il n'y a pas de schéma préétabli, pas de patron. (Maroc), vers 1940 (230 x 165 cm).

À plus d’une reprise, on constate que la tisseuse abandonne soudain un motif ou


une structure qu’elle laisse se transformer en d’autres ou se désintégrer.
D'un point de vue formel, on relève de nombreuses correspondances avec la 109

peinture des avant-gardes occidentales (constructivisme, suprématisme, expres-


sionnisme abstrait) et avec des artistes tels que Klee, De Staël, Rothko.… C'est sur-
tout cette «reconnaissance » qui explique le succès récent de cet art textile en Occi-
dent, succès basé sur une approche ethnocentrique, nourrie par un critère propre-
ment occidental, à savoir l'admiration pour certains artistes du XX° siècle. Les
publications récentes utilisent consciemment cette «parenté» comme critère. Dès
les années vingt, quelques créateurs modernistes avaient d’ailleurs commencé à
apprécier les tapis berbères pour les mêmes raisons (au moment de la publication
du livre de Ricard, ou peu après, et surtout en Suisse, par exemple Le Corbusier).
Une telle appréciation est certainement fondée. Formellement, beaucoup de
ces textiles possèdent une force expressive et une modernité étonnantes. On les
croirait créés par un artiste d'avant-garde, et non dans un milieu tribal et rural. Il
n'empêche: ils proviennent bel et bien d’un tel milieu. Mieux encore: ils étaient
toujours destinés à la propre tente ou habitation. C’est en partie ignorer leur origi-
nalité que de louer leur «modernisme ». Ces œuvres d’art étaient produites par des
femmes analphabètes pour qui l'attention portée aux enfants et aux proches, à la
nourriture et à l'habillement, constituait la seule préoccupation quotidienne.
Que dévoile dès lors cet art? À partir de quels concepts est-il compréhensible ?
Sur quelle motivation était-il fondé? À la vue de ces tapis, la première réaction de
l'Occidental — mais également de presque toute la population masculine des pays
où cet art est né — est un mouvement de négation: ce n’est pas symétrique, pas
ordonné, pas clair, pas raffiné. Seule une succession de négations, semble-t-il, per-
met de qualifier ces textiles. Cela indique qu'on ne dispose pas des catégories
SAR AS nécessaires à leur description. La comparaison positive avec le modernisme occi-
VYVYTV
ELSE

dental va exactement dans le même sens: elle implique que ces œuvres n’ont rien à
voir avec des paysannes ou nomades berbères.
Le même problème se pose quant à l’art féminin du passé européen. Nous ne
faisons pas allusion aux femmes artistes qui ont tenté de s'approprier un système
artistique masculin, mais bien au travail de tisseuses, dentellières et assemblières
anonymes. Leur production n'était pas considérée comme «de l'art» parce qu’elle
échappait à l'emprise du discours artistique dominant. Que pouvait faire ce dis-
cours d’une dentelle présentant des réseaux et des vides qui s'enchaînent à l'infini
comme un rhizome, où l’on ne peut reconnaître aucun élément de la réalité? Le
plus simple était de voir dans de telles œuvres une «activité artisanale»: ce n'était
que du travail manuel.
Par son énorme diversité, le style spontané de l’art textile berbère nous laisse
encore plus perplexes. Par la structure chaotique de leurs entrelacements, certains
tapis sont proches des principes de la dentelle. Ils offrent par exemple de grandes
formes inexplicables, tantôt non géométriques, pratiquement imprévisibles, tan-
tôt géométriques mais tout aussi «illisibles ». L'éventail des principes de composi-
tion varie d’une rigueur extrême à la plus débridée des sauvageries. Cependant,
(a) Pierre gravée de la tombe n° 5
de Dowth, Boyne Valley, Irlande, certains motifs ou formes se répètent selon des modes d'apparition très variés, et
vers 3200 avant notre ère. cela parfois sur toute l'étendue du Maghreb. Un élément central du style spontané
(b) Vasque ou autel de cérémonie du mau-
est un motif qui surgit en d'innombrables variantes et qui fut repris dans le style
solée de Knowth, Boyne Valley, Irlande,
vers 3500-3200 avant notre ère (d’après «strict», mieux : qui en devint le motif de base. Dans le style strict, il s’agit alors d'un
Gimbutas 1989; voir note 20). losange, d’un hexagone ou d'un octogone avec des protubérances en forme de cro-
chet, cette figure géométrique servant de centre à la composition.
Par ailleurs, on relève des principes de composition, notamment une espèce de
I10 transition continue ou de flux, qui peut conduire à des motifs extrêmement com-
plexes, jamais uniformes. Nous analyserons successivement le «motif anonyme »
et le principe du «flux ».
:D É no —à

III

Tapis
P aux P points noués, Mtaguil
8 (Maroc), XVIII siècle (?) (300 x 170 em).
Le motif sans nom

Un des motifs les plus importants dans l’iconographie du style «spontané » de l’art
textile berbère est une forme ovale, ronde ou irrégulière, souvent pourvue de pro-
tubérances qui se développent en forme de points, de saillies ou de nodosités. Les
contours se répètent souvent en plusieurs halos concentriques. Au milieu de la
forme est souvent logé un motif plus petit: point, tache, losange ou figure irrégu-
lière, plus ou moins en forme d'amande, souvent rouge ou noire, parfois scindée.
Dans bien des tapis, l'ensemble du motif est central; dans d’autres cas, il se
dédouble, ou se répète en versions souvent très différentes les unes des autres pour
former une sorte de chapelet, ou s’insérer dans un contexte.
Quelle est la signification de ce motif? Il apparaît si souvent et occupe une place
si essentielle dans nombre de textiles qu’il dut forcément être d’une extrême
importance’. De telles formes se rencontrent déjà dans les peintures rupestres pré-
historiques du Maghreb. Les explications avancées en ce domaine restent incer-
taines. Quelques archéologues parlent de «méduses »°. Il s’agit de bandes concen-
triques, plus ou moins circulaires, de largeur variable. Elles possèdent tantôt des
saillies en forme de fils, tantôt des «pattes », tantôt une «tête » (peinture rupestre de
Tan Zoumaïtak). Dans quelques peintures, des «méduses » semblent remplacer les
têtes d’un certain nombre de personnages.
Les peintures rupestres du Levant espagnol présentent également de telles
formes, toujours malaisément définissables. Leur schéma de base est plus ou
moins circulaire, avec des saillies. Elles sont noires ou rouges. Il s’agit souvent
d'êtres indéfinis, monstrueux, mais qui peuvent offrir quelque chose de reconnais-
sable — un «aspect» animal ou humain“. Les formes ici commentées s’écartent de
ce modèle. Leur apparition reste toujours mystérieuse, angoissante. Parfois,
comme à Nuestra Senora del Castillo, il s’agit d’une espèce de pieuvre à griffes.
Ailleurs, la forme évoque une araignée ou un insecte. Des êtres plus petits, nette-
ment identifiables comme insectes, volent tout autour, y entrent ou en sortent. Les
archéologues y voient des «ruches», ce qui n’explique pas les saillies. En d’autres
endroits encore, par exemple la Cueva Remigia, il s'agit de bandes plus ou moins
concentriques. Des formes similaires sont parfois représentées avec des jambes,
comme à Hornacina de la Pareja.
À Tirlist (djebel Ghat, Haut Atlas, Maroc méridional), des gravures rupestres de
l’âge du bronze représentent une «clôture» plus ou moins ronde, composée partiel-
lement d'épines et remplie d’un motif en damier’. À Tissoukal (dans le Tassili n'‘Ajjer,
en Algérie), une peinture rupestre préhistorique offre déjà un motif de formes
Peintures rupestres préhistoriques
concentriques avec des saillies triangulaires et une «maisonnette» rectangulaire®.
au Sahara et en Espagne:
(a) Sahara. Quel rapport existe-t-il avec les motifs décidément très semblables qui ne
(b)) Nuestra Señora del Castillo. seront tissés que des millénaires plus tard ? Le même problème se pose en Anatolie
c) Cueva
(c) Remigia.
(d) Sahara (d’après Muzzolini; voir note 2).
e) Hornacina
(e) de la Pareja, Espagne 1. Exemples dans From the Far West, 1980 (bibliographie 3e) : p.164, n° 80 («Oulad Bou Seba'a » du Musée
d’après Dams; voir note 4).
( »
Oudaya à Rabat, inv. n°1968-7-60) ; p.158, n° 73 (idem, Flint Collection).
2. Alfred Muzzolini, L'art rupestre préhistorique des massifs centraux sahariens, (Cambridge monographs in African «
archeology, 16. BAR International Series, 318), s.1., 1986, p.138.
3. Ibid. p.140.
I12 4. Lya Dams, Les peintures rupestres du Levant espagnol, Paris, Picard, s.d., p.222.
5. André Simoneau, «Protohistoire religieuse du Jebel Rhat (Haut Atlas)», in Valcamonica Symposium ‘72.
Actes du Symposium international sur les religions de la préhistoire, Capo di Ponte, Edizioni del Centro, 1975,
pp-335-341, ill. 168.
6. Jean-Dominique Lajoux, Merveilles du Tassili n'Ajjer, Paris, Éditions du Chêne, [1962], p.186.
entre l’art textile et les peintures rupestres du néolithique : une distance de six mil-
lénaires n'empêche pas une invraisemblable correspondance. Nous avons abordé
cette question dans le deuxième chapitre (pp. 41-81).
Dans l’art rural, les motifs cités ci-dessus ne portent pas de nom. Cependant,
beaucoup d’entre eux continuèrent à exister dans l’art marocain urbain. Fait
remarquable : leur signification est souvent restée mieux conservée dans les appel-
lations urbaines que dans celles du monde rural. Il est possible de la sorte de
recueillir des informations complémentaires sur la signification du motif épineux.
Dans les tapis de Rabat, il s'agit d’une forme en médaillon, décrite comme
«grande empreinte au milieu d’un gâteau épineux» ou comme «balle au milieu
d’un gâteau épineux»’. Cette appellation semble incohérente mais n’est pourtant
pas dénuée de sens. Le centre est une croix dans un octogone ou une fleur à huit
feuilles. Le milieu est un point dans un carré; perpendiculairement aux côtés de
celui-ci se développent quatre lignes en forme de croix*. L'«empreinte » et la «balle |
sphère » sont contenues dans un «gâteau » à plusieurs lobes et à «épines». Tous ces
concepts ont leur signification. L'empreinte (hamza) dans un matériau malléable
est un acte de formation: il s’agit d’une métaphore ancienne pour le développe-
ment de la vie à naître. Le motif de la balle (kourra) évoque un jeu de ballon qui se
jouait autrefois de la Libye au Maroc (kourra en arabe, takourt en berbère). Ce jeu fai-
sait partie des rites du printemps et était également organisé aux époques de séche-
resse. Au Maroc septentrional, les femmes formaient une équipe, les hommes
l’autre. Par contre, dans un territoire qui s’étendait du Rif marocain jusqu’en Kaby-
lie, seules les femmes jouaient. Ce jeu fait penser à un rite ancien déjà décrit par
Hérodote (V° siècle avant J.-C.) : en l'honneur d’une déesse, qui peut être assimilée
à Athéna, deux groupes de jeunes femmes s’adonnaient avec des pierres et des
bâtons à une lutte rituelle, qui se révélait parfois mortelle. La déesse était «fille de
l’eau» et avait conclu un mariage sacré avec le dieu Amon. Les jeunes femmes, dit
Hérodote (IV, 189), portaient un vêtement de cuir de chèvre rouge, l’aegis’, pourvu
de franges, le hawf"°. La signification de la balle /sphère s'éclairera ci-dessous.
Considérons maintenant le «gâteau ». Dans l’art textile berbère, le magrouth est
un motif de prédilection :un losange divisé de façon déterminée et souvent bordé
de saillies ou de crochets”. Magrouth signifie en fait «grignotage » et est le nom d'un
gâteau au miel en forme de losange. Le même motif, un losange aux côtés en dents

7. Ricard 1923, vol. I, pl. XI, n°” 27-28:Koura, et vol. IV, p.18, ill. 25 : kourra menezzelafihalwa mechouka («balle
au milieu d’un gâteau épineux), et ill. 24: hamza kebirafihalwa mechouka («grande empreinte au milieu
d'un gâteau épineux »).
8. Dansles textiles de Rabat, ce motif est devenu le motif dar grouna, qui a plus d’une signification. Grouna
est dérivé du radical qa-ra-na, «unir». Le substantifqarn (pluriel qouroun) signifie «corne», «protubé-
rances», mais aussi «génération». Le motif se compose d'un octogone comprenant un losange. Les
deux figures sont munies de crochets. Le losange est divisé en quatre (quatre losanges plus petits avec
un point au milieu, ou quatre triangles identiques) ou comprend quatre éléments plus petits. Dans la (a) Kilim avec fragments noués, Rehamna
variante de la «maison » (dar grouna), un «tronc» sort de l'octogone, flanqué de deux branches plus (Maroc), début XX° siècle (280 x 135 cm).
petites qui se terminent par un losange (Ricard, vol.I, pl.IV, n°10). Dar grouna signifie littéralement (b) Tapis aux points noués, Mhazil (Maroc),
«maison à ramifications », au sens figuré «maison dont sortent des générations ». Le dar est aussi une vers 1900-1930 (110 x 110 cm).
«tête». Au milieu du dar se trouve un losange avec quatre crochets rentrés (le motif de la naissance), Coll. Hersberger, Bâle.
imbriqués verticalement et horizontalement. Ces crochets s'appellent sernina, du nom des bijoux que
l'on attache aux tresses des jeunes filles à hauteur des tempes. Dar grouna est une stylisation du motif
«spontané » de la «sphère à crochets » (motifde la Gorgone). Il évoque d’une part des aspects utérins,
d'autre part c'est une tête-à-excroissances (tresses avec bijoux), à cornes. 113
9. Léonce/Joleaud, «Gravures rupestres et rites de l’eau en Afrique du Nord, in Journal de la Société des Afri-
canistes, 2, 1933, Pp.197-282, SpÉC. PP. 241-243.
10. Voirci-dessous le chapitre sur le «vertige », pp. 160 sqq.
u. Surtout dans les textiles de Kairouan.
de scie, est connu dans l’art textile anatolien sous le nom de baklava. Une autre
appellation anatolienne du motif est kôrebenin dogru yolu, «la façon dont une femme
aveugle devrait tisser »"?. C'est-à-dire : la façon dont une femme, en dehors de la dimen-
sion visuelle, de l'intérieur, prêterait forme à «quelque chose», quelque chose qui n'est
pas visible (car la tisseuse est «aveugle »). Cela concorde avec la supposition que le
losange est une «apparition» de la matrice et que ses différentes formes corres-
pondent à différentes manifestations ou perceptions de la puissance reproduc-
trice. Le losange dentelé est un motif universel de l’art textile. Il occupe une place
centrale dans de nombreux textiles des Balkans, d'Asie Mineure, du Caucase,
d'Iran. Ilse perpétue même jusqu'aux XV°et XVI siècles dans les tapis espagnols
d'Alcaraz” et dans l’art décoratifde l'Europe.
Comme le montrent certains tapis iraniens, la «sphère à crochets » devient par-
fois un visage. Une pièce de Feraghan, datant du XIX° siècle, présente au centre de
la composition une rose entourée d’un réseau de rameaux, celui-ci étant ceint à
son tour d’un cercle de protubérances noires. Celles-ci forment des crochets vers
l'intérieur, des triangles vers l'extérieur. Des deux côtés apparaît une tête de
femme. Autour de sa chevelure percent les protubérances caractéristiques. De sa
bouche sort une «langue » qui se scinde, comme les crochets dédoublés du «motif
de la naissance » (voir chapitre suivant). Les têtes et la forme centrale sont ceintes de
la même façon par les formes en piquant ; elles se redoublent symboliquement"*.
Dans d’autres textiles (entre autres de Sarab, dans le nord-ouest de l'Iran), la
«sphère à crochets» apparaît comme une espèce d’insecte possédant des pattes
multiples et un visage angoissant®. Une variante plus spectaculaire du même idéo-
gramme est sans doute le sunburst medallion des tapis Chelaberd et Kazak, de même
que des formes apparentées dans les yastik d'Anatolie’"?. Une version de ce motif,
formalisée à l'extrême, occupe une place essentielle dans l’art textile d'Asie cen-
trale. Ici, l'iconographie était organisée autour d'un motif abstrait, nommé gül
(cétang, lac») ou gül («rose»). Il consiste en un carré, un hexagone ou une forme
plus complexe contenant des motifs abstraits, en partie liés à la tribu”.
Dans le meilleur des cas, la littérature mentionne les identifications tribales des
différents types de gül, mais ne propose aucune analyse des contenus. (Ces textiles
étaient confectionnés par des femmes. Ce qui finit par devenir une identification
tribale était à l'origine une expression, liée au groupe, de la psycho-corporalité des
femmes — de la même façon que les hommes appartenant à de nombreuses cul-
tures non européennes empruntent aujourd’hui, sous la pression de la modernité,
l'habillement occidental, tandis que leurs femmes observent [sont obligées d’ob-
server] strictement les anciennes traditions. L'«être propre» des femmes et son
(a) «Motif-sans-nom » dans un tapis apparence sont les dernières garanties contre la perte d'identité.)
d’Alcaraz (Espagne), XVI° siècle.
(b) «Motif-sans-nom » sur un Afshar Khorjin.
En tant qu'obijet, la sphère à excroissances occupe une place dans la culture
(c) Sphère à piquants comme ex-voto populaire européenne. Dans de nombreuses églises rurales on offrait de telles
utérin, Allemagne, XIX° siècle. sphères, qui symbolisaient l’utérus, comme ex-voto® en remerciement d'une
(d) Hérisson comme ex-voto utérin,
Roumanie, culture Karanovo, vers 4500
grâce obtenue — guérison de l’utérus, résolution d'un problème relatif à la gros-
avant notre ère. sesse ou à l'accouchement. Les ex-voto représentaient donc la partie du corps gué-
QE :

12. ]. Mellaart, B. Balpinar & U. Hirsch, The Goddess ofAnatolia, Milan, Eskenazi, 1989, vol. 4, p.54.
I14 13. Hali, n°60, 1990, p.154, Alcaraz, NY, (Sotheby's, 24.09.91, 147 x 76 cm).
14. Hali, n°103, 1999, p.37.
15. Hali, n°78, 1994-1995, p.106.
16. Hali, n°75, 1994, p.57.
17. V. Moschkova, Die Teppiche der Vülker Mittelasiens, Hambourg, [1974].
rie et étaient offerts à tel ou tel saint que l’on invoquait en cas de tel ou tel mal. La
«Sphère» pouvait être ovoiforme ou oblongue. Elle possédait parfois un prolonge-
ment en forme de tige. Les piquants sur la sphère ou l'objet rond étaient plus ou
moins longs. Cet objet, souvent peint en rouge, ne servait pas toujours d’ex-voto: on
le plaçait également dans les tombes. Par son aspect général, il fait penser à un héris-
son. En allemand, on appelle «hérisson» l'utérus d'une vache qui reste enflé après
qu’elle a mis bas et qui est couvert d’excroissances. Comme le crapaud, le hérisson
était une émanation ancienne, même préhistorique, de la Grande Déesse. Des héris-
sons stylisés en terre cuite remontant aux VI‘ et V® millénaires sont parvenus jusqu'à
nous; ils ont souvent un visage humain et proviennent des cultures Gumelnitsa,
Karanovo, Vinca et Cucuteni”. Le «hérisson» est toujours une sphère, éventuelle-
ment aplatie, ou un museau ceint d’épines plus ou moins pointues. Beaucoup plus
tard, des représentations de hérissons furent consacrées à la déesse Artémis, «des-
cendante » grecque de la «maîtresse des bêtes sauvages » (potnia theroon).
L'origine de la symbolique du hérisson remonte au néolithique. Parmi les pein-
tures rupestres de Font-de-Gaume et de La Pileta (près de Gibraltar), nous rencon-
trons des «êtres » en forme d’utérus avec des piquants”®.20 La ressemblance avec le
hérisson «utérin » est frappante*'; si elle était prouvée, ce qui n’est pas le cas jusqu'à
présent, le motif remonterait à au moins 10 000 environ avant notre ère.
Dans les tombes préhistoriques, on trouve des hérissons de mer (échino-
dermes) comme dons funéraires**. Ils remplissaient la même fonction, en tant que
symboles de l’utérus, que les ex-voto en forme de sphères à piquants dans les
églises d'Europe centrale. On les mettait dans les tombes pour implorer une
renaissance. Les cultures populaires d'Europe centrale donnaient aux hérissons de
mer fossiles le nom de «pierre de l’âme». Dans les cultures les plus divergentes, on
considérait manifestement la sphère à piquants comme une image ou un partici-
patif de l’âme. Les aborigènes d'Australie y voyaient l’incarnation des ancêtres. La
sphère à piquants évoque donc l'utérus, parfois également les ancêtres ou l'âme.
Ces concepts étaient liés.
Dans l’art textile berbère, des médaillons pourvus de crochets ou de piquants,
stylisations de la sphère à piquants «brute» et informe, portent les noms «araignée
de mer» (rotala), «mère crabe » (hanna qoris) et «sphère » (kourra)”. Dans l’art textile
kabyle, une variante du motif de la naissance s'appelle tiferagast, le «crabe »**. Les
pieuvres forment un autre groupe de «sphères à appendices ». En Kabylie, les ser-
pents et les pieuvres sont des motifs de prédilection des peintures murales exécu-

18. Karl Weinhold, « Votiv-Gebärmütter», in Zeitschrift des Vereins für Volkskunde, 10, 1900 ;Wilhelm Hein,
«Die Opfer-Bärmutter als Stachelkugel», in idem, 10, 1900, pp.420-426 ; Rudolf Kriss, Das Gebärmutter-
votiv:Ein Beitrag zur Volkskunde nebst einer Einleitung über Arten und Bedeutung der deutschen Opfergebräuche der
Gegenwart, Augsburg, Filser, 1929 ;Erwin Richter, «Einwirkung medico-astrologischen Volksdenkens
auf Entstehung und Formung des Bärmutterkrôtenopfers der Männer im geistlichen Heilbrauch», in
Volksmedizin: Probleme und Forschungsgeschichte, éd. Elfriede Grabner, Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1967, pp. 372-398 (crapaud comme ex-voto offert par les hommes en cas de crampes
d'intestins, par analogie avec les ex-voto des femmes symbolisant l'utérus). Tapis aux points noués, Sidi Bou Zid
19. Marija Gimbutas, The civilization of the goddess, San Francisco, Harper, 1991, pp. 179-181. (Tunisie), vers 1920-1930 (156 x 128 cm).
20. Id. The language of the goddess, Londres, Thames & Hudson, 1989, p.256.
21. Dans un récit sud-africain contemporain, Kikuyu d'Étienne van Heerden (Amsterdam, Meulenhoff,
1998), on lit: «Dans son bas-ventre… battait le petit hérisson [het stekelvarkentje] de ses entrailles mater-
nelles.» I15
22. O. Abel, « Vorzeitliche Seeigel in Mythus, Brauchtum und Volksglauben », in Nachrichten von der Gesell-
schaft der Wissenschaft zu Gôttingen. Fachgruppe Religionswissenschaft, I, 3. 1939, p. 67.
23. RicardI (bibliographie 3e), p.31, ill. 66 ; p.21, ill. 31.
24. Servier 1985 (bibliographie 1), planches entre les pp. 334 et 335.
tées par les femmes à l’intérieur des maisons”. Le serpent symbolise la fécondité
«souterraine»; la pieuvre (aqounidh), les organes féminins de la reproduction”.
Cette représentation remonte très loin dans le temps. Les amulettes byzantines et
antiques portent le motif utérin de la pieuvre et du hérisson de mer”, motif qui a
son origine dans un passé lointain ; le type de la pieuvre est déjà présent du XVI'au
XII siècle avant notre ère sur les vases peints mycéniens”*. Les pieuvres sont repré-
sentées sans le moindre réalisme. Au-dessus ou en dessous des deux énormes
yeux, on remarque un motif sphérique entouré parfois de plusieurs cernes,
comme sur les tapis maghrébins. Tout autour, les tentacules se déroulent dans
toutes les directions. Un souci de reproduction réaliste ne se manifeste pas davan-
tage dans les pieuvres ornant les poteries cycladiques. L'essentiel, ce sont les yeux,
le regard, les tentacules, la «scission» au milieu de la forme. Les poteries des
Cyclades offrent encore d’autres variations du motifdebase, par exemple un «œil»
entouré de plusieurs bandes concentriques et d’une couronne de piquants”?. La
pieuvre devient parfois un réseau géant où sont pris des oiseaux, hérissons,
chèvres, hérissons de mer, crabes et scorpions. Le corps de la pieuvre est relié à un
cratère, un vase immense — image de l'eau de vie. La plupart des animaux cités peu-
vent également symboliser l'utérus. La duplication où multiplication symbolique
compte d’ailleurs parmi les figures de style archaïques.
Un autre mode d'apparition de la «sphère à excroissances » était, toujours dans
l'ancien monde méditerranéen, la Gorgone ou Méduse. Cette figure mythique est
surtout connue par l’art grec des VI et V° siècles avant notre ère, mais elle existait
en de nombreuses variantes dans une zone allant de l'Espagne à la Scythie*. Les
Gorgones, trois sœurs monstrueuses, vivaient dans un pays lointain. Deux d’entre
elles étaient immortelles. La troisième s'appelait Méduse. Son regard pétrifait tout
un chacun. Le héros Persée reçut de la déesse Athéna un bouclier réfléchissant, qu'il
présenta à Méduse. Celle-ci fut pétrifiée par le reflet de son propre regard, ce qui
permit à Persée de la tuer. Il s'empara de sa tête et l'employa comme arme ultime
contre ses ennemis. Dans l’art grec, Méduse fut souvent représentée en tant que
figure autonome, indépendamment du mythe, ce qui est exceptionnel et prouve à
quel point ce monstre était important dans le monde méditerranéen. Méduse
apparaît comme une femme ailée, parfois comme oiseau, avec une tête humaine à
la grimace grotesque. Les éléments accentués sont les yeux exorbités, les dents et la
langue sortie, les serpents dans la chevelure. La déesse Athéna est souvent repré-
sentée avec son bouclier, l'aegis, décoré de la Gorgone. Quelle est la signification de
toutes ces données et quel rapport ont-elles avec l’art textile berbère?
L'histoire la plus ancienne de la Gorgone dévoile certains aspects de son être.
On retrouve son effigie sur de la poterie d'environ 1500 avant notre ère. Elle appa-
raît sur un vase de la culture Phylakopi III (Mélos, mer Égée) sous la forme d’une
(a) Moule d’un sceau minoen avec symboles
utérins: dauphin, pieuvre, oursin. Mochlos 25. Mohand Abouda, Axxam, [Paris ?], 1985.
(Crète). 26. Servier 1985 (bibliographie 1), p.73. Au sujet d'amulettes néolithiques (?) en pierre ou en os en forme de
(b-f) Motifs de la pieuvre sur poterie pieuvre (stylisée), voir l'étude fantaisiste, mais fournissant du matériel intéressant, de Louis Siret,
mycénienne. «Les Cassitérides et l'empire colonial des Phéniciens », in L'anthropologie, 20, 1909, pp. 283 sqq.
27. A.A. Barb, «Diva Matrix: A faked Gnostic Intaglio in the Possession of P.P. Rubens and the Iconology of
a symbol», in Journal ofthe Courtauld and Warburg Institutes, 16, (1953), n° 55.
28. The Mycenean world. Five centuries of early Greek culture, 1600-1100 BC, Athènes, 1988, n°*102, 122; Arne
116 Furumark, Mycenaean pottery. I. Analysis and classification, (Acta Instituti Atheniensis Regni Sueciae, Series in
4°, XX, 1), Stockholm, 1972, pl. 21.
29. The prehistoric Cyclades. Contributions to a workshop on Cycladic chronology, éd. J. Macgillivray & R. Barber,
Édimbourg, University |Dept. of Classical Archeology, 1984, pp. 213, 168.
30. Nelson Glueck, Deities and dolphins. The story ofthe Nabatacans, New York, Farrar, 1965, passim.
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Tapis aux points noués, Tataouine (Tunisie), vers 1950 (330 x 170 cm).
PATES

Tapis aux points noués, Bouja ‘d (Maroc), vers 1940 (327 x 138 cm).
Coll. Hersberger, Bâle.
tête énorme aux yeux qui fixent et aux dents se découvrant dans une grimace. Le
corps de la Gorgone est une boucle pourvue de pattes à griffes et d’une aile trian-
gulaire. Dans d’autres représentations, elle possède des ailes d'abeille ou d’autres
insectes”. Plus éloquente encore est la décoration peinte d’un vase du bas minoen
trouvé à Cnossos. Ici, la Gorgone est une sphère tachetée entourée de piquants, les
mêmes yeux au regard fixe, une bouche grossière surmontée d'une excroissance.
Dans l’art préclassique, la Gorgone apparaît comme une sphère épineuse ou che-
velue. Sur les céramiques, la Gorgone était parfois flanquée d’une espèce de forme
ovoïde stratifiée, avec une «chevelure », et d’une forme ressemblant à un huit. Ce
sont ces formes archétypales de la Gorgone que nous retrouvons, fortement
diversifiées, dans l’art textile berbère.
Dans la Gorgone, les aspects suivants sont importants”: (1) originellement
«sphère à saillies velues » et «informe »; (2) boucles de cheveux régulières, parfois
dressées, qui ressemblent à des volutes ou des crochets bouclés, souvent complé-
tées par une barbe épineuse; (3) deux ou plusieurs serpents entrelacés qui indi-
quent sa nature chtonienne (curative et fécondatrice) ;(4) la langue sortie de la
bouche; (s) l'œil furieux, qui fixe; le regard mortel; (6) la gueule dentée, grande
ouverte, grimaçante ;(7) l’engloutissement (g-r-2).
Selon toute vraisemblance, la Gorgone ne fut pas conçue à l'origine comme une
figure anthropomorphe. C’est un fantasme angoissant, plutôt informe, auquel une
forme humaine, acceptable dans un système polythéiste et anthropomorphe
«masculin», ne fut attribuée qu’à une époque plus «moderne». La Gorgone nous
apparaît comme une image fantasmatique des aspects sombres et angoissants de la
puissance reproductrice /sexualité /«matricialité » de la femme”. Les formes arché-
typales de la Gorgone, «noires » et issues du monde onirique, toujours changeantes,
ne cessant de déplacer ou de franchir leurs frontières, se retrouvent dans la céra-
mique archaïque grecque et dans l’art textile berbère — pour ne nommer que deux
expressions culturelles du monde méditerranéen — mais aussi dans bien d’autres
cultures. Apparition relevant originellement du cauchemar et dépourvue d'une
forme propre, la Gorgone fut «codifiée» ultérieurement en une femme mons-
trueuse ayant des serpents comme cheveux (les excroissances), de grands yeux et
une langue sortie de la bouche. Son regard perçant, «dénudant», menaçant et pro-
prement mortel devint essentiel en tant qu’incarnation du mauvais œil*, Celui-ci
joue un rôle extrêmement important dans la culture maghrébine (et d’ailleurs dans
toutes les autres civilisations méditerranéennes” de la Haute Antiquité).

31. Gimbutas 1989 (voir note 20), p.208.


32. A.D. Napier, Masks, transformation, and paradox, Berkeley—Londres, University of California Press,
[1986], pp. 93-06, 103, 110, 116. (a) Dessins rupestres, La Pileta (Gibraltar),
33. Beatrice Marbeau-Cleirens, Les mères imaginées. Horreur et vénération), Confluents psychanalytiques), Paris, vers 10 000 avant notre ère.
1988, pp. 121-123 ; Denise Paulme, La mère dévorante, Paris, 1976. (b-c) Gorgones sur céramique mycénienne,
34. Lalittérature plus ancienne: Fredrick Elworthy, The evil eye, Londres, 1895 (réimpr. Secaucus NJ, Citadel Cnossos (Crète), vers 1450 avant notre ère.
Press, 1982) ; R. Salillas, La fascinaciôn en España, Madrid, 1905 ; Siegfried Seligmann, Der bôse Blickund Ver- (d) «Sphère à piquants » sur un œuf
wandtes, 2 vol., Berlin, 1910; Id., Die Zauberkraft des Auges und das Berufen, Hambourg, 1922; Id., Die magi- d’autruche (fragment) (d’après Camps,
schen Heil- und Schutzmittel … gegen den bôsen Blick, Stuttgart, 1927; C. Maloney, The evil eye, New York, Aux origines de la Berbérie.…., 1961).
Columbia U.P, 1976 ; Thomas Hauschild, Der bôse Blick. Ideengeschichtliche und sozial-psychologische Unter-
suchungen, (Beiträge zur Ethnomedizin, 7), Hambourg, 1979 ; The evil eye. Àfolklore casebook, éd. Alan Dundes,
New York, 1986 ; Will Van der Ven, De geloofsvoorstelling van het boze oog, Nimègue, K.U.N., 1983 ; The evil
eye: a casebook, éd. Alan Dundes, Londres, 1992. I19
35. Pour le mauvais œil dans l'art italien «élevé», voir S. Callisen, The evil eye in Italian art, in Art Bulletin, 19,
1937, pp.450-462. Un des premiers chercheurs à avoir examiné systématiquement le matériel iconogra-
phique populaire fut Giuseppe Bellucci, dans son ouvrage Amuleti italiani contemporanei, Pérouse, 1898 :
Gli amuleti, Pérouse, 1908 ; Collection d'amulettes italiennes envoyée à l'Exposition universelle de Paris, Pérouse,
Difficile à interpréter, la croyance dans le mauvais œil, répandue au Moyen-
Orient et dans le bassin méditerranéen, a déjà donné lieu dans la littérature
scientifique à bien des théories prolixes et superflues*°. L'élément essentiel est la
conviction que le regard humain peut être «mauvais » — qu'il peut témoigner d’une
attitude négative — et exercer des effets dangereux. On attribuait à un individu pos-
sédant le «mauvais œil» une envie inassouvissable qui se décharge par le biais du
regard et entraîne des conséquences concrètes: maladie, folie, appauvrissement,
stérilité, mort. Le mauvais œil pouvait entrer en action de façon involontaire et
imprévisible. Dans ce cas, son «titulaire» était moralement innocent. On admet-
tait donc que l'envie pouvait également être inconsciente”.
La psychanalyse a désigné le mécanisme de la projection comme cause de la
croyance dans le mauvais œil. L'homme archaïque n'aurait pas connu l’autocri-
tique. Inconsciemment, il aurait rejeté ses propres pulsions négatives pour les pro-
jeter sur un Autre imaginaire ou réel”°. De celui-ci émane une menace aussi long-
temps que l’on continue à porter en soi-même les désirs négatifs refoulés. Il
importe de se protéger contre cette menace par voie magique. C’est ce qui explique
la naissance d’une espèce de «mentalité du bunker», qui incite à se protéger des
dangers extérieurs et à traiter l’autre avec méfiance et suspicion. Cette attitude ne
fait qu’attiser l’obsession de l’autodéfense. Une constatation aura sans doute égale-
ment joué son rôle: on peut, sous le regard de personnes dénuées de mauvaises
intentions, se sentir néanmoins anxieux et mal à l'aise.
Les mesures suivantes pouvaient être adoptées contre le mauvais œil: couvrir,
par exemple avec un voile; distraire, par exemple par recours à des couleurs,
formes et objets qui détournent l'attention ; combattre à l’aide de certains motifs,
signes, gestes ou objets.
La croyance dans le mauvais œil était déjà une obsession collective en Afrique
du Nord durant l'Antiquité, ainsi qu’en témoignent les nombreuses mosaïques
bien conservées” de la culture berbéro-punico-romaine de la Libye jusqu’au
Maroc. Les œuvres d'art antiques créées contre le mauvais œil s’inspirent des deux
dernières mesures citées*?. De très nombreux motifs et des scènes entières possè-

1889. Voir également Thomas Hauschild, « Abwehrmagie und Geschlechtssymboliek im mittelmeeri-


schen Volksglauben », in Baessler-Archiv, 28, 1980, pp.73-104, et in Curare, 7, 1984, pp.205-222; Id., Der bôse
Blick. Ideengeschichtliche und sozialpsychologische Untersuchungen, Berlin, 1982.
(a) Mosaïque romaine, III* siècle, Moknine 36. Gimbutas 1989 (voir note 20), p.208 ; Napier 1986 (voir note 32), pp. 92-93.
(Tunisie): œil-vulve, poisson, serpents. 37. Anthony Galt, «The evil eye as synthetic image and its meanings on the Island of Pantelleria », in Ame-
Sousse, Musée archéologique, inv. n° 97.o11. rican Ethnologist, 9, 1982, pp.164-18r.
(b) Motif vagina dentata, détail d’une 38. M. Caroll, «On the psychological origins of the evil eye: a kleinian view», in Journal ofpsychoanalytic
mosaïque romaine aux motifs abstraits. anthropology, 7, 1984, pp.171-187.
Timgad (Algérie), Musée archéologique, 39. Pour les mosaïques antiques en Tunisie, voir: Margaret Alexander, Corpus des mosaïques de Tunisie.
n°45. 1. Région de Ghar el Melh, Tunis, 1976 ; Catherine Balmelle et al., Recherches franco-tunisiennes sur la mosaïque
(c) Motif préhistorique de l’œil sur un œuf de l'Afrique antique, r. Xenia, Rome, 1990; François Baratte, Les mosaïques trouvées sous la Basilique I, (Collec-
d’autruche, Tunisie (d’après Camps, tion de l'École française de Rome, XVII, 1), Rome, 1974; Cécile Dulière, Utique:les mosaïques in situ en dehors des
Aux origines de la Berbérie.…., 1961). insulae I-I1-III, (Corpus des mosaïques de Tunisie, I, 2), Tunis, 1974 ; Paul Gauckler, Afrique proconsulaire, (Inven-
(d) Motif protohistorique de l’œil sur un taire des mosaïques, 2), Paris, 1910 ; Suzanne Gozlan et al., La Maison du Triomphe de Neptune à Acholla. 1. Les
œuf d’autruche, Bir el Adal, néolithique mosaïques, Rome, 1992; Roger Hanoun, Recherches archéologiques franco-tunisiennes à Bulla Regia. 4. Les
saharien (d’après Camps 1961). mosaïques, Rome, 1980 ; Klaus Schmelzeisen, Rômische Mosaiken aus Africa Proconsularis. Studien zu Orna-
menten, Datierungen und Werkstätten, Francfort-sur-le-Main |Berne, 1992. .
40. W.Hildburgh, Apotropaism in Greek vase-paintings, Folklore, 57, 1946, pp.154-178 et 58, 1947, pp. 208-225, sur
les motifs suivants: yeux, mammifères (lion, cerf, chèvre, bélier, sanglier), oiseaux, monstres compo-
120 sites, et sur les motifs de la chasse (chasse au lièvre, au renard) et de la lutte; Peter Eschweiler, Bildzauber
im alten Agypten. Die Verwendung von Bildern und Gegenständen in magischen Handlungen nach den Texten des
Mittleren und Neuen Reiches, (Orbis Biblicus et Orientalis, 137), Gôttingen, 1995 ; Nancy Skon-Jedele, Aigyp-
tiaka. A catalogue ofEgyptian and Eeyptianizing objects excavated from Greek archaeological sites c.1000-525 B.C.
diss. Univ. of Pennsylvania, 1994.
dent un caractère apotropaïque, c'est-à-dire de conjuration de forces maléfiques.
Même des scènes telles que les jeux du cirque, les factions des artistes de cirque et
les quatre saisons ont pour but de régénérer la nature et d'assurer la fécondité.
Outre les emblèmes à puissance apotropaïque, des symboles de bien-être paradi-
siaque évoquent également la visée d’un bonheur“.
Les mosaïques antiques possédant une fonction de détournement du mal
appartiennent certes à la culture méditerranéenne, mais pas entièrement à la cul-
ture berbère. Leur décorum diffère en ce qui concerne l'exprimable. D'une part,
précisément, les signes apotropaïques sont rendus méconnaissables par leur trai-
tement naturaliste :au lieu de points et de piquants, on représente par exemple de
façon réaliste des feuilles d’acanthe et de lierre*’. On tente de la sorte de tromper le
possesseur du mauvais œil qui s'approche; en effet, en raison de la nouvelle «tra-
duction » réaliste des signes apotropaïques, il ne les reconnaîtra pas, les regardera
spontanément et sera ainsi rendu inoffensif.
Pourquoi la Méduse et ses congénères tenaient-ils le mal à distance ? Pourquoi la
dangereuse apparition externe de la sexualité féminine prêétait-elle à rire?L'expli-
cation n’est pas simple. I] n'était pas rare dans les sociétés archaïques de rire devant
des êtres dangereux, et ce dans une tentative d'évacuer sa propre angoisse, On sait
par exemple qu'au Moyen Âge la culture populaire européenne réduisait la figure
si redoutée du diable à un personnage de farce. Mais ici, la situation est différente.
La simple vue de la partie du corps concernée suscite le rire. Ce rire est-il de la
honte refoulée, ou ressentie à la place de l’autre dans un contexte d'exhibition-
nisme manifeste?
Certaines Gorgones «primitives » sont assises les jambes largement écartées,
comme les sheela-na-gigs celtiques ou les grotesques médiévales". Cette attitude
renvoie explicitement à un aspect fondamental de la Gorgone. La grimace de la
Gorgone est une duplication de son sexe « dangereux »**. En effet, la Gorgone offre
une forme plurielle de la permutation de la cause et de l'effet. Selon le mythe de
Baubo et certains mythes similaires, l’exhibition de la vulve détourne le mal et fait
réapparaître le rire. La Gorgone rassemble tous ces aspects: son regard mortel est
le mauvais œil, sa bouche est l’engloutissement menaçant par la vagina dentata.
(En effet, ces Gorgones figuratives furent dessinées par des hommes; ceux-ci gref-
fèrent leurs fantasmes sur un idéogramme préalablement conçu par des femmes.)
Cette image, que nous connaissons par des mythes européens et autres, fut parfois
représentée littéralement sur des mosaïques d'Afrique du Nord à l'époque
romaine, notamment à Timgad®. Une fascination (littéralement: «le fait de lier»)
émanait également d’elle, «captivant » le regard. (Ainsi s'explique que les organes
sexuels, signes extérieurs de la reproduction humaine, passaient pour unfascinum
contre les forces maléfiques :même l'œil le plus malveillant devait regarder, étant

41. Poinssot 1934 (bibliographie 2c), pp. 145-151.


42. Suzanne Germain, Les mosaïques de Timgad, (Études d'antiquités africaines), Paris, CNRS, 1973, ill. 39, 40, 44,
56, 57,139. Tapis aux points noués, Guentour
43. Jorgen Andersen, The witch on the wall. Medieval erotic sculpture in the British Isles, Copenhague, Rosenkilde (Maroc), XIX' siècle (300 x 150 cm).
& Bagger, (1977); Patrizia Castelli, 1] doppio significato. L'ostensione della vulva nel Medioevo», in
Ilgesto nel rito e nel cerimoniale dal mondo antico ad oggi, éd. Sergio Bertelli & Monica Centanni, (Laboratorio
di storia, 9), (Quaderni del Castello di Gargonza), Florence, Ponte alle Grazie, 1995, pp.199 sqq. Pour une
Gorgone dans cette attitude, voir le char de Castel San Mariano, Pérouse, vers 500 avant notre ère. 121
Napier 1986 (voir note 32), p.96.
44. Pour l’analogie entre bouche et vulve, voir Giulia Sissa, Le corps virginal. La virginité féminine en Grèce
ancienne, Paris, Vrin, 1987.
45. Suzanne Germain, Les mosaïques de Timgad, (Études d'antiquités africaines), Paris, CNRS, 1973, pl.Il et pp.11-12.
ainsi détourné d’une victime éventuelle.) involontairement, le spectateur—et donc
également le mauvais œil qui regardait — devait rire, ce qui rompait l’envoûtement
par le mal.
Cet effet se répète dans le mythe méditerranéen de Baubo“’, qui connaît
d’ailleurs des parallèles dans les cultures les plus diverses. Inconsolable depuis l'en-
lèvement de sa fille Perséphone aux Enfers, la déesse de la fécondité terrestre
retrouva le rire grâce à Baubo, une vieille femme qui se dénuda dans une danse gro-
tesque et rétablit ainsi — indirectement — la fécondité et le bonheur terrestre.
Cependant, Baubo était d'une laideur extrême, et son nom désigne aussi, dans de
nombreuses cultures et variantes, un être cauchemardesque qui peut prendre de
nombreuses formes. En Sardaigne, Babau était un esprit sortant de la terre et qui
provoquait le phénomène de la possession ; on l’associait à l’araignée et à l’âme des
morts.
On retrouve ici la nature foncièrement double de la Gorgone**, personni-
fication de la matrice avec ses pouvoirs insondables. Quelle était la relation entre
«être informe cauchemardesque », «regard dangereux |mauvais œil», «engloutis-
sement /mordre» et utérus? Pourquoi la vulve possédait-elle dans les sociétés
archaïques une fonction de détournement du mal et de neutralisation du mauvais
œil? Deux raisons paradoxales peuvent être avancées: elle participe d’une force
génératrice mystérieuse et elle possède, ce qui peut avoir pour nous une résonance
étrange et sexiste, le pouvoir de dérider. Dans la société occidentale actuelle, la
sexualité est devenue divertissement et jouissance obsessionnelle. Par contre, dans
les sociétés archaïques, la sexualité n’était jamais séparée de la possibilité de pro-
création, dont les femmes possédaient le secret. Celles-ci et la sexualité elle-même
étaient la manifestation tangible et humaine de la force créatrice de la nature et
éventuellement de l’univers. En raison de cette participation au mystère de la créa-
tion, l'homme archaïque avait une attitude de crainte à l’égard de la sexualité. Sa
réserve n'avait rien à voir avec le sentiment (chrétien) du péché mais avec l’intui-
tion d’un potentiel mystérieux. La capacité de donner la vie était ressentie comme
«bonne »; la force positive possédait le pouvoir de tenir le mal à distance.
Durant l'Antiquité, la Gorgone ornait souvent — par exemple chez les Étrusques
et les Romains — les tombes et les sarcophages: d’une part, peut-être en vue de la
protection de l’âme du défunt, d'autre part et certainement comme symbole de
renaissance. Il en va de même pour d’autres symboles dans un contexte analogue:
amphores; vase matriciel, vase-ombilic ou omphalos; bouclier d’'amazone, boukra-
nion, fleurs. Tous ces symboles utérins*? se rapportent dans l’art funéraire à la
renaissance à venir””.
Nous avons déjà mentionné ci-dessus l’analogie entre la gorge (g-r-9) et les
organes sexuels féminins. Il s’agit dans les deux cas du passage d’un état à un autre.
La vie nouvelle doit se frayer une voie à travers un détroit plein de dangers. En

Kilim, Sidi Bou Zid (Tunisie), 46. George Devereux, Baubo, Paris, 1974. Pour les amulettes apotropaïques de Baubo, voir Ars amatoria.
vers 1950-1960 (240 x 180 cm). The Haddad Family Collection ofancient erotic and amulet art. Christie's New York, 17 December 1998, n° 99, 102-
108.
47. Clara Gallini, La danse de l'argia. Fête et guérison en Sardaigne, Lagrasse, Verdier, 1988.
48. I. Six, De Gorgone, Amsterdam, 1885 ; Barb, art. cit. (voir note 27), p.200, fit remarquer que les idées de Six
122 furent rejetées à tort par les archéologues ultérieurs.
49. Barb 1953 (voir note 27), pp.193-238, spéc. p.210. Au Proche-Orient, on invoquait anciennement les
esprits gorgonesques comme intercesseurs pour une bonne naissance. D'une manière apotropaïque,
ils étaient censés éloigner les dangers liés à l'accouchement. Napier 1986 (voir note 32), p.80.
50. Gimbutas 1989 (voir note 20), p.208 ;Napier 1986 (voir note 32), pp. 92-93.
outre, d'un point de vue fantasmatique masculin, il existe un rapport d’analogie
entre la vulve et la bouche dentée - l’image de la vagina dentata, l'organe castrateur.
Pour la femme, la gorge — et pour l'homme, la bouche — est un camouflage de ce
passage dangereux. (Celui-ci, dans certains rites thérapeutiques, est re-vécu, entre
maladie [mort] et guérison [re-naissance], en faisant ramper le patient à travers un
passage étroit: l'oppressante renaissance.)
Passage et changement sont inhérents à ce complexe de motifs. La Gorgone
apparaît originellement comme une déesse-de-la-vie-et-de-la-mort. Dans l’art
grec, elle est représentée plus d’une fois comme Maîtresse des bêtes sauvages. En ce
sens, elle est apparentée à la «sombre » Artémis (Érynis) ou à Hécate. Érynis /Hécate
est la déesse de la lune, et comme celle-ci, changeante et biface : jeune et vieille, créa-
trice et maléfique. Les adeptes de l’orphisme voyaient la lune, symbole de la pério-
dicité féminine, comme une Gorgone riante. Toutes ces apparitions analogues
— Maîtresse des fauves, Hécate /Érynis, lune et Gorgone — possédaient en commun,
tout comme d’ailleurs la Grande Déesse néolithique, une insoluble dualité.
Si, à l'origine, la Gorgone était étroitement associée à la fécondité et à la nature
utérine, pourquoi était-ce précisément Athéna qui portait le gorgoneion ou bouclier
décoré de la tête de Méduse ? La déesse virginale de la lutte et de la sagesse se proté-
geait précisément par recours à l’image des forces insondables et dangereuses de la
sexualité (et fécondité) féminine. Athéna portait elle-même le surnom glaukopis:
elle était la déesse «aux grands yeux » ou «aux yeux qui brillent ». Ce nom se référait
à la chouette, attribut de la déesse. Celle-ci est probablement une dérivation clas-
sique d’une déesse-chouette néolithique, une émanation de la Grande Déesse. La
couleur gris-vert-bleu (glauque) était lourde d'horreur, car c'était celle des yeux de
la chouette et du regard terrifiant d'Athéna”'. Ce regard, que chaque agresseur
devait affronter, était le signe de l’inviolabilité de la vierge. Il était concrétisé par la
Méduse /Gorgone sur le bouclier d’Athéna, lequel était revêtu d'une peau de
chèvre, l’aegis ou égide, mot dérivé d’aix, «chèvre». Dans des langues indo-euro-
péennes telles que le grec ou les langues germaniques, le radical du mot est le
même que dans tous les dialectes berbères: g-voyelle-d/s. Quant au nom et à la
figure de la déesse Athéna, ils apparaissent aussi bien au nord qu’au sud de la Médi-
terranée. Hérodote et d’autres auteurs grecs ont fait allusion à l’origine libyenne
d'Athéna: la déesse libyco-berbère Neith. Dans ce nom, l’ordre de succession des
éléments aurait été renversé par métathèse.
Une des lignes du réseau d'associations originelles de la déesse s’énonce: vierge
— force — peau de bouc ou de chèvre — regard. D'après le mythe, la déesse fut chan-
gée en chèvre ou en bouc pour échapper à la haine ou au désir d’inceste de son
père, ainsi que le rapporte le conte kabyle Tafunast igujilen, «La vache des orphe-
lins »”. L'essence d'Athéna /Neith est la vierge inviolable, dont le regard effraie tout
agresseur.
Dans la culture grecque, la chèvre était également consacrée à l’austère et virgi-
nale Artémis, et cela manifestement dès les temps protohistoriques. Divers rites en Kilim, Matmata (Tunisie), vers 1930
témoignent. Une chèvre était sacrifiée à la déesse”, en remplacement d’une vierge (300 x 185 cm).

si. Robert Triomphe, Le lion, la vierge et le miel, (Vérité des mythes), Paris, Les belles lettres, (1989), p.253;
Georges Poisson, « L'origine préhistorique du mythe de Méduse et du culte d'Athène », in Revue anthro-
pologique, 26, 1916, pp.389-398 ; Edmund Leach, « A Trobriand Medusa », in Man, 54, 1954, pp.103-105.
52. Gabriel Camps & Salem Chaker, «Égide», in Encyclopédie berbère, 17. Douiret-Eropaei, Aix-en-Provence,
1996, pp.2588-2589.
53. Robert Triomphe, Le lion, la vierge et le miel, (Vérité des mythes), Paris, Les belles lettres, 1989, p.284.
ou en commémoration d’une vierge qui s'était pendue pour échapper à un viol*,
La chèvre était également appelée chimaera, ce qui situe cet animal dans le prolon-
gement de la Gorgone en tant qu'apparition effrayante. La chèvre était donc à la
fois symbole de virginité et spectre. Paradoxalement, la peau était également signe
de fécondité. Dès 1500 environ avant notre ère, la chèvre était souvent représentée
près de l'arbre de vie »”. D'après la mythologie grecque, le petit Zeus fut maintenu
en vie par la chèvre Amalthée. (Concession inconsciente : un principe féminin pré-
cède le dieu suprême masculin.) Il existait dans la Rome antique — et non seule-
ment là — un rite illustrant la «fécondité» de la peau de chèvre. À l’occasion des
fêtes lupercales, les luperques ou prêtres du dieu Lupercus frappaient les femmes
avec des courroies de peau de chèvre afin de les rendre fécondes. Pourquoi la
chèvre? Dans le bétail que l’on élevait depuis le néolithique, la chèvre était la seule
à pouvoir survivre dans des conditions intenables pour les bovins et les moutons.
C'est sans doute cette remarquable vitalité qui a fait de la chèvre le symbole de cer-
tains aspects de l'utérus. Mais cette endurance avait également quelque chose de
surhumain, permettant de faire de la chèvre une apparition effrayante, ce qui s'ex-
plique sans doute également par le regard jaune et lugubre de l'animal”.
Toutefois, de même que la plupart des forces peuvent, dans la conception
archaïque, travailler dans le sens du bien ou celui du mal, on attribue par ailleurs à
la chèvre ou à la peau de chèvre un pouvoir protecteur. La peau de chèvre servait
également à la confection d'objets d’une grande richesse symbolique, tels que tam-
bours et récipients. La guedra en est un exemple frappant. Au sens premier, la guedra
n'est rien d'autre qu’une cruche à eau recouverte d’une peau de chèvre. Une danse
féminine du Maroc méridional lui doit son nom. Cette danse s'exécute sur des
rythmes produits avec la guedra faisant office de tambour. La danseuse agenouillée
joue des mains sur une guedra imaginaire. Les mouvements ne sont exécutés
qu'avec le buste et les bras. La partie inférieure du corps, qui est pourtant le «sujet»
de la danse, est remplacée symboliquement. Les mains sont le principal moyen
d'expression. D'abord maîtrisé et lent, le rythme s'accélère progressivement. Les
mouvements de la danseuse suivent, de plus en plus syncopés, pour finir en
spasmes.
La guedra est analogue ici à la gourba, mieux: elle en est un triplement symbo-
lique. Outre la peau de chèvre interviennent également la cruche en terre cuite et le
son. Dans la tradition mythique africaine, le tambour est un être «créateur du
monde»: sa sonorité possède une force créatrice. La danse de la guedra a trait au
pouvoir procréateur du tambour-peau de chèvre-matrice et à ses aspects sombres
et angoissants (les cheveux-serpents).
Les tapis berbères ont à maintes reprises pour thème principal le sac à eau en
cuir de chèvre. C’est du moins ce qui ressort de l'appellation première, super-
ficielle. Certains tapis du Haouz* ont pour motif essentiel, sur la surface rouge
pratiquement vide, un losange composé de petits triangles et entouré de quelques
Kilim, Beni Zid (Tunisie), vers 1950 formes en crochet. Selon des informations locales, il s'agit d'une gourba, un sac à
(240 x 174 cm).

54. Ibid. p.288, note 10.


55. Gimbutas 1989 (voir note 20), PP: 233-235.
124 56. Pour le jaune comme «couleur féminine», voir Elizabeth Barber, « The peplos of Athena », in Goddess and
Polis. The Panathenaic festival in ancient Athens, éd. J. Niels, Princeton, 1992, pp. 116-117.
57. Viviana Pâques, La religion des esclaves, Bergame, Moretti & Vitali, 1992.
58. Collection Korolnik, Zurich. Voir également Ricard 1927, pl. XLII et XXXV, et Alfo Nicolosi, Tappeti rossi
della valle del Tensift, Rome, Casi di Nepi, 1998, p.41.
125

Tapis aux points noués, Smala, Boujad (Maroc), vers 1940 (280 x 150 cm).
Coll. Hersberger, Bâle.
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126

Mergoum, Oudref (Tunisie), XVIII siècle.


eau en cuir de chèvre. Abiya' signifie en berbère du Rifnord-marocain «sac à eau en
peau de chèvre » mais également «ventre (d'une femme enceinte) »°. Le «sac à eau»
représenté sur le tapis n’est pas l’objet inanimé même. Le décorum interdit d’appe-
ler les réalités existentielles par leur nom. Tout un éventail de métaphores sont dis-
ponibles à cet égard. À la lumière de ce que nous savons de l'aegis, il est clair que la
gourba signifie le pouvoir générateur de l'utérus.
Il existe une distinction entre la peau de chèvre à l'état brut et la peau traitée. La
première est l’aegis, qui sera pourvue de la Gorgone apotropaïque. C'est le symbole
de la virginité inviolable, l'hymen qui châtie tout agresseur à l’aide d’un regard
effrayant (Athena glaukopis, la déesse aux yeux de chouette). Un rituel du tasfih
connu dans tout le Maghreb dit: «Je suis le mur. Le fils des hommes est un fil.»
Ainsi, de même qu’un fil ne peut rien contre un mur, il est impossible à un homme
de violer l'honneur d’une jeune femme résolue*°. 60
La peau traitée du sac à eau est la
face protectrice de l’hymen qui fait place à la matrix et à son pouvoir créateur. Dans
la mythologie populaire, la peau de chèvre est en effet associée à l'utérus. À Marra-
kech, la peau de chèvre est tannée, c'est-à-dire «engrossée» dans l’iferd, de l'eau
croupie, image des Enfers fécondés par les âmes des ancêtres. Par ce traitement, la
peau est « légitimée », habilitée à faire office de sac à eau, d'image de la création de la
vie”. Dans divers rituels, la peau joue un rôle renvoyant à cette signification. En
temps de sécheresse, on tenait autrefois dans tout le Maghreb une procession avec
la « fiancée de la pluie »°*, une poupée formée d'une grande cuiller en bois (ghonja) et
portant des vêtements de femme. Elle était très souvent couverte d'une peau de
chèvre «afin d'apporter la pluie et la vie ».
Comme l’aegis de la Grèce ancienne, la gourba du tapis, avec son pourtour d'ex-
croissances, est « pleine de nœuds ou de houppes » (Iliade, XXI, 400). Lorsque cette
aegis portait le visage de la Gorgone, l'ensemble consistait en une accumulation de
symboles utérins et du motifdu regard dans toutes ses dimensions. Ainsi, la repré-
sentation grecque de l’aegis est parallèle au motif-avec-excroissances anonyme de
l'art textile berbère.

59. Kamal Naït-Zerrad, Dictionnaire des racines berbères (formes attestées). 1. A-Bc ZL, (Centre de Recherches Berbère
— INALCO. MS-11 Ussun amazigh), Paris Louvain, Peeters, 1998, p.147. Voir aussi p. 146 : abayogh, «sac
à eau en cuir de chèvre », tabayogh, «sorte de vessie qui est expulsée». On trouve d'autres termes, tels
que: tagchoult (sac en peau de chèvre, dont les poils ont été rasés) et tigiwit (sac en cuir de chèvre pour le
beurre). Voir Les chants de la Tassaout. Poèmes et chants berbères de Mririda N'Aït Attik traduits du dialecte tachel-
haït, éd. René Euloge (Casablanca, Belvisi, 1992°), pp. 142 et 139. Sur l'usage des peaux de chèvre comme
sacs en Tunisie, voir André Louis, « Greniers fortifiés et maisons troglodytes: Ksar Djouama », in IBLA,
1965, pp.390-391: 1. Le mezwed: sac de peau de mouton ou de chèvre, avec les poils. Pour vêtements
légers, bijoux, articles de beauté ; 2. Le shekwa: idem, sans poils. Pour baratter le lait ; 3. L'okka: traité pen-
dant plusieurs semaines avec du jus de dattes cuites, contre la pourriture. Pour le beurre; 4. Le guerba
(comme au Maroc); 5. Le smat: pour les voyageurs. Sac «renversé» avec l'ouverture en bas, et non au
cou de l'animal. (a) Tapis aux points noués, Guentour
60. Fathia Skhiri, «Le mariage au Sahel, le rite du tasfih», in Cahiers et arts et traditions populaires (Tunis), 6, (Maroc), vers 1900 (180 x 136 cm).
1977, pp. 51-73 ; Mohamed Khaznaji, «Rites magico-sexuels:le rbat et le tasfh », in Idem, pp.76-8r. (b) Tapis aux points noués, Guentour
61. Danielle Jemma, Les tanneurs de Marrakech, (Mémoire du CRAPE, 19), Alger, 1971, p.59; Marceau Gast, (Maroc), vers 1920 (230 x 135 em).
« Cuirs et peaux», in Encyclopédie berbère, 14, pp. 2144-2153.
62. Servier 1985 (bibliographie 1), pp.258, 260, 266, 271-282, 296-300, 454, 466; A.M. Goichon, «La vie
féminine au Mzab. Notes complémentaires», in Revue des études islamiques, 4, 1930, pp.249-250;
Ch. Monchicourt, « Les rogations pour la pluie», in Revue tunisienne, 22, 1915, pp. 65-81, spéc. pp.75-80; 127
également: J.H. Probst-Biraben, «Les rites d'obtention de la pluie dans la province de Constantine », in
Journal de la Société des Africanistes, 2, 1932, pp.95-102, spéc. pp. 96-99: Id. « Pour la pluie de printemps en
Algérie», in En terre d'Islam, 22, 1927, pp. 264-272, spéc. p.267 ;Edward Westermarck, Ritual and beliefin
Morocco, 2, Londres, 1962, pp. 265-270.
Dans la culture populaire maghrébine, la peau joue un rôle important. C'est
ainsi que, durant la fête de l'Achoura, le bou-jeloud et l’effrayante forme mythique de
la ghoul(a) se montrent dans un déguisement fait de peaux”. Parfois deux hommes,
dos à dos dans une seule peau, incarnent cet être** qui (comme dans la symbolique
qui le concerne) prend toujours des directions opposées. À Mghar el Tahtani, des
gravures rupestres protoberbères semblent représenter une momie enveloppée
d'une peau%. Cette figure pourrait évoquer la renaissance à partir d’une peau.
L'hiéroglyphe égyptien mes-«enfanter », «engendrer »— consiste en une compo-
sition de trois peaux. Certains textes des pyramides parlent de «peaux-berceaux » et
de «peaux-villes», images qui étaient déjà très anciennes et difficilement compré-
hensibles à l’époque de l'Ancien Empire®: «Il a traversé la peau /berceau»; «Je suis
celui qui vient de la peau»; «Je me suis couché dans la peau Kanemt»; «Exécutez ces
rites dans la vache». Le seshed, un des objets rituels de la fête de Sed, était probable-
ment une peau utérus devant assurer la renaissance du souverain. L'association
«peau /(re)naissance » remonte donc au moins à une période protohistorique®.
Le point central de la peau de l'aegis était le regard de la Méduse. En Afrique du
Nord, nous retrouvons la Méduse sur des mosaïques antiques. Une maison de
Timgad contenait une mosaïque montrant un vertigineux champ d’«ardoises »
alternativement blanches et noires, avec au centre la Gorgone*?. Des mosaïques
similaires existent en Libye et en Tunisie”°. La fonction de protection était assurée
également par des représentations analogues, par exemple celle du cyclope dans
les thermes romains de Dougga (Tunisie septentrionale) ou celle de l'Océan. Celui-
ci avait la même signification symbolique que l'utérus. Nous lisons dans l’Iliade:
«Oceanus [.…..], l’origine des dieux [...] (XIV, 201), [.…] qui a été l’origine de tout et
de tous [...] (XIV, 246).» La mer en tant que symbole utérin est présente dans les
cultures les plus différentes, et pas seulement en Méditerranée.
Sur une mosaïque de l’époque romaine à Bir Chana (Zaghouan, Tunisie sep-
tentrionale), la tête terrifiante d'Oceanus constitue l'élément central de la compo-
sition. Cette tête est ceinte de pinces de crabes et de homards. Tout autour figurent
d'autres motifs apotropaïques, dont le paon qui déploie sa queue parsemée
d'«yeux»". Une mosaïque similaire a été trouvée à Sousse”. Il est évidemment
question ici de protection contre le mauvais œil. Mais la tête d'Oceanus avec les
cheveux hérissés et les pinces est pratiquement le pendant de la Méduse. Oceanus
est l’image de «la profondeur des eaux ». Les êtres marins des mosaïques sont prin-
cipalement des pieuvres, anguilles, crabes et homards, hérissons de mer.

63. E.Laoust, «Noms et cérémonies des feux de joie chez les Berbères du Haut et de l'Anti-Atlas », in Hespe-
ris, I921, Pp.70-72.
64. G.Germain, «Le culte du bélier en Afrique du Nord», in Hesperis, 35, 1948, p.115.
65. Ibid. pp.116-117.
66. Ibid. p.118.
67. Voir Susanne Bickel, La cosmogonie égyptienne avant le Nouvel Empire, (Orbis biblicus et orientalis, 134), Fri-
Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc), bourg, 1994.
vers 1920-1940 (465 x 200 cm). 68. Henry Maguire, «Magic and geometry in early Christian floor mosaics and textiles», in Id., Rhetoric,
nature and magic in Byzantine art, (Variorum Collected Studies, 603), Londres, Ashgate, 1998. |
69. Suzanne Germain, Les mosaïques de Timgad, (Études d'antiquités africaines), Paris, CNRS, 1973, pp.89-90,
n°119 et pl. XXXIX.
128 70. Voir par exemple la «Maison de la Méduse » à Dougga (Tunisie du Nord).
71. Germain 1948 (voir note 64), p.us ; Louis Foucher, Inventaire des mosaïques. Feuille n° 57 de l'Atlas Archéolo-
gique de Sousse, Tunis, 1960, p.136.
72. Foucher 1960 (voir note précédente), pl. VIIIa et pp.17-18 (Sousse, Musée archéologique, n° 10.446);
Germain 1948, pp.116-117.
Dès l'Antiquité, il existe un lien entre la pieuvre et la Gorgone. Toutes deux sont
des manifestations de la matrix, à l'instar de la «sphère à excroissances » (crabe,
pieuvre et hérisson de mer). C'était le cas également dans l'ancien Proche-Orient”*.
Les mosaïques, œuvres d'artistes masculins, sont des représentations incons-
cientes d’aspects utérins, et ce sous forme figurative, comme il était d'usage dans
l’art produit par les hommes’*.
La Méduse n’a pas échappé à l'attention des premiers psychanalystes. Freud et
Ferenczi” ont souligné l'assimilation symbolique de la tête féminine effrayante et
de la puissance génitale”®. Cette tête évoquait chez les spectateurs masculins l'hor-
reur de la «dangereuse » et «dévorante» force qui serait propre à la femme. Depuis
les études consacrées il y a un siècle environ par Franz Boas aux mythes Tsimchian,
les spécialistes (masculins) désignent ce complexe par le terme vagina dentata’”. Rap-
pelons que, phonétiquement, le nom de Gorgone indique déjà l'ouverture engloutis-
sante de la gorge’. Pour Freud, la Gorgone est l'image de la mère dangereuse, sé-
ductrice, phallique. La terreur exercée par la Méduse est celle de la castration”.
L'intuition de Freud, qui est juste en partie, accentuait trop nettement l'aspect
sexuel-génital perçu dans une perspective masculine. La Gorgone évoque tout
d'abord les aspects négatifs, c'est-à-dire sombres et menaçants, de la matrice*°. C'est
pourquoi elle-même et ses congénères ont pour caractéristiques essentielles une
forme malaisée à décrire mais effrayante, ainsi qu’un regard fixe et destructeur.
Le premier aspect est représenté au Maghreb par la figure de ghoul(a)”, monstre
mythique pouvant adopter des formes multiples. Le nom est dérivé de la racine gh-
w-l, «arracher », «agresser », «assassiner », «ruiner ». Ghoul(a) signifie «malheur qui se
produit soudain ». En berbère, cet être s'appelle taghioult ou tagrout si on se le repré-
sente comme féminin, awarzeniou s'il est masculin®’. Cette ambivalence est d’ailleurs

73. Joleaud 1933 (voir note 0), pp. 117-118 ; Campbell Bonner, Studies in magical amulets, chiefly Graeco-Egyptian,
(University ofMichigan Studies. Humanistic Series, 49), Ann Arbor, 1950, pp. 84-85 et 90 ; Aboubekr Abdes-
lam, «Notes sur les amulettes chez les indigènes algériens», in Revue africaine, 81, 1937, pp.309-318;
J. Desparmet, « Ethnographie traditionelle de la Mettidja. 6 », in Bulletin de la SociétédeGéographie d'Algeret
de l'Afrique du Nord, 1924, n° 100; 1925, n°103, pp. 237-282;1926, n°105, pp.1-37.
74. La tête d'Oceanus des mosaïques nord-africaines se retrouve également sur l’autre rive de la Méditer-
ranée. En particulier dans une mosaïque de l'Isère, où la tête hérissée est entourée de poissons, de
homards et de dauphins — également un symbole utérin — conduits par des putti ailés. Janine Lancha,
Mosaïques géométriques. Les ateliers de Vienne (Isère). Leurs modèles et leur originalité dans l'Empire romain, Rome,
L'Erma, 1977, ill. 105.
75. Sandor Ferenczi, in Internationale Zeitschrift
fürPsychoanalyse, 9, 1923, pp. 69 et 25, 1940.
76. Dans l’art occidental, le thème de la décollation de saint Jean-Baptiste par Salomé exprime, à certaines
périodes, l'angoisse masculine de castration ou d’impuissance. Julia Kristeva, Visions capitales, Paris,
Réunion des Musées nationaux, 1998, passim.
77. Lecauriallait devenir le symbole universel de ce fantasme, voir E. Gobert, «Le pudendum magique et le
problème des cauris », in Revue africaine, 95, 1951, pp. 5-52.
78. Dans la mythologie populaire européenne, il y avait beaucoup de géants voraces à la Gargantua. Voir
Claude Gaignebet, A plus hault sens. L'ésotérisme spirituel et charnel de Rabelais, Paris, Maisonneuve, 1986.
79. Sigmund Freud, «La tête de Méduse», in Id., Résultats, idées, problèmes. 2. 1921-1938, Paris, 1992.
80. Barb 1953 (voir note 27), p.200.
81. Nabil Fares, L'ogresse dans la littérature orale berbère, Paris, Karthala, 1994; Camille Lacoste-Dujardin,
Le conte Kabyle. Étude ethnologique, Paris, La Découverte, (1981), pp. 50-107 et passim ; Contes populaires sur les Kilim, Ghoumrassen (Tunisie), vers 1950-
ogres, recueillis à Blida, éd. Joseph Desparmet, (Collection de contes et chansons populaires, 35), 2 vol., Paris, 1960 (183 x 107 cm).
Leroux, 1909-1910.
82. Les noms spécifiques donnés à la ghoula sont: tamza (aussi le nom d'un animal sauvage) ;takoukkout,
peut-être une onomatopée comme l'ukuku ou «sauvage» des Andes; taghouzant, «sorcière»; boukho
(de bou-akho), féminin tabekhout, près du Ait Izdeg, «épouvantail, fantôme »; tergo, signifie aussi «reve-
nant», «fantôme»; agrou, féminin tagrout. Généralement, on s'imaginait la ghoula comme une vieille
femme très laide, à la chevelure hirsute, au visage noir, avec des dents énormes; elle a «mal aux yeux»,
voit mal ou est aveugle. L'aspect du regard troublé est important. Voir E. Laoust, «Des noms berbères
de l’ogre et de l’ogresse », in Hesperis, 34, 1947, pp. 253-265.
propre également à la Méduse ou Gorgone grecque, laquelle possède des caractères
masculins, tant extérieurs (barbe) qu'intérieurs (menaçante, puissante). Le plus
souvent, la figure de ghoul(a) apparaît comme un être humain monstrueux: velu,
laid, angoissant, vorace et très vigoureux, au sens tant corporel que magique. Géné-
ralement amoral, il arrive qu’il soit bon. De nombreuses histoires mythiques lui
sont consacrées. Elles traitent immanquablement d’un aspect insondablement
effrayant et engloutissant. Le «Testament de Salomon» (basse Antiquité) parle
d’Abyzouth. Il s’agit d’une personnification de l’abîme originel, pourvue d’une tête
de femme avec une chevelure embroussaillée et d’un corps invisible «semblable aux
ténèbres ». Salomon pendit le démon par les cheveux au temple — comme les gorgo-
neia dans le monde grec. Dans la littérature incantatoire de l'Antiquité, Abyzouth
s'appelait également Gullo, la ghoul(a) de la culture islamique. Là où les astronomes
grecs voyaient le Caput Gorgonis dans la constellation de Persée, leurs collègues
arabes y distinguaient le Ghoul (mentionné comme Caput Aleol dans les traductions
latines médiévales)”, ce qui prouve la correspondance entre gorgo et ghoul(a).
La ghoul(a) porte en elle une terreur abyssale. Elle engloutit et anéantit. On se la
représente comme grotesque, extravagante, laide, avec un visage plat et rond, de
grandes dents et une langue pendant d’une bouche énorme“*. Au Maghreb, la
croyance populaire créa de la ghoul /gorgone une version centrée spécifiquement
sur les enfants: Oum-es-Sobyan ou «Mère des enfants (mâles) »Ÿ. Dans la tribu de
Chiadma dans le sud-ouest du Maroc, des récits présentent Oum-es-Sobyan comme
une vieille femme aux cheveux emmêlés, aux yeux bleus (couleur du mauvais œil),
aux sourcils qui se rejoignent et à la bouche qui crache le feu. « Elle labourait la terre
de ses ongles. » «Elle scindait les arbres de sa voix. » Elle pouvait adopter n'importe
quelle forme. «Je noue les matrices des femmes, je fais mourir les enfants sans
qu’on me reconnaisse. Je rends stériles les entrailles des femmes, je verrouille leur
matrice, je provoque des fausses couches, je noue les pans de la robe de la
mariée”®.» (Le nœud entrave ici le «passage » de la fécondité.) En tant que négation
de l'utérus, Oum-es-Sobyan est l'artisan de l’arrêt. On la voit généralement comme
une chouette qui hante la nuit. Comme dans la tradition populaire européenne, la
chouette passait en Afrique du Nord pour un oiseau de mauvais augure,
maléfique. Oum-es-Sobyan est une dérivation de l’ego de la mère: elle personnife
les pulsions négatives à l'égard des petits enfants. Simultanément, elle incarne la
crainte des dangers qui les guettent. La taghioult est une figure mythique
d'identification féminine” importante dans la culture berbère. Comme telle, elle
réunit en elle tous les pouvoirs féminins.

83. Barb 1953 (voir note 27), p.24.


84. T.Zannad-Bouchrara, Symboliques corporelles et espaces musulmans, (Horizon maghrébin), Tunis, 1984, p.100.
85. Madeleine Graf de la Salle, « Umm essobyan, la chouette », in Compte-rendu et communication du 70e Congrès
de l'A.F.A.S., Tunis, 9-16 mai 1951, 3, Tunis, Bascone & Muscat, 1952, pp.79-82 ; Paul Perdrizet, Negotium per-
ambulans in tenebris. Etudes de démonologie gréco-orientale, (Publications de la Faculté des Lettres de l'Université de
Strasbourg, 6), Strasbourg —Paris, 1922. Voir également I. Aboubekr, «La Tebi‘a ou mauvais génie ravis-
seur des enfants en bas-âge », in Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran, 25, 1905, pp. 295-
298 ; M.L. Greyghton, «La Taba'a : une représentation mentale», in Cahiers des Arts et Traditions populaires
(Tunis), 6, 1977, pp. 141-151, Spéc. p.150 : associations avec « vieille femme», «noir», «cauchemar», «cou-
teau », «danger», «ceinture ». |
86. Abdelkader Mana, Les Regraga. La fiancée de l'eau et les gens de la caverne, Casablanca, Eddif, 1988, pp. 137-138.
130 87. Camille Lacoste-Dujardin, «Ogresse berbère et ogresse corse : images de la femme méditerranéenne ? »,
in Gli interscambi culturali e socio-economici fra l'Africa settentrionale e l'Europa mediterranea. Atti del congresso
internazionale di Amalf 1983, Naples, 1986, pp.379-389 ; Farida Boualit, « L'ogresse farésienne :de l'oral du
conte à l’oralité du texte dans la dés-écriture réécriture de l'histoire», in Mythes et réalités d'Algérie et
d'ailleurs, in Langues et Littératures (Institut des Langues étrangères de Bouzaréah, Algérie), 6, 1995.
Dès le début de ce siècle, quelques savants « fantaisistes » ont reconnu intuitive-
ment le rapport existant entre certaines sculptures de la chouette et du regard, et
de déesses comme Athéna, Tanit et la Méduse. Le redécouvreur de Troie, Heinrich
Schliemann, y trouva des urnes présentant un modelé insistant en particulier sur
les yeux et les seins. Aux yeux de l’archéologue allemand, il s'agissait de représen-
tations protohistoriques d’Athéna, la déesse à la chouette. Cette vision fut contes-
tée par ses collègues. D'autres ont fait état, et ce dès le XIX' siècle, de sculptures et
de poteries provenant des quatre coins de l’Europe et qui représenteraient la même
figure mythique. D'après eux, ces œuvres rattachaient le concept du regard inson-
dable, inviolable, à un principe féminin, ou mieux, virginal. Ce regard s'incarnait
surtout dans la chouette — depuis longtemps l’image de l'inconnu et du terrifiant.
Certains savants du XIX° siècle pensaient qu'Athéna et la Gorgone étaient à
l’origine un seul et même être. Ils pressentirent également le lien avec la pieuvre,
fût-ce, de façon assez bizarre, pour de fausses raisons”. Leurs hypothèses intui-
tives ont été confirmées par les vues de l’histoire des religions, vues fondées sur
l'archéologie récente de la préhistoire européenne. À partir du huitième millénaire
avant notre ère, la déesse à la chouette apparaît constamment dans les cultures
néolithiques et de l’âge du bronze en Europe et dans le bassin méditerranéen.
Reconnaissables sont les yeux et le bec /nez, les ailes saillantes et quelques caracté-
ristiques féminines (seins, vulve). Dans les cultures mycénienne et chypriote, on
trouve son effigie dans divers matériaux, de l'or à l'argile. Elle est la déesse liée à la
mort”, devancière d'Athéna.
Il est très plausible qu'Athéna et la Gorgone soient deux dérivations ou scis-
sions d’une seule et même figure. Dans toute culture «élitaire » apparaît la tendance
à éliminer de son fonds idéologique les formes chaotiques et caractérisées par des
contradictions internes. Cette tendance est proprement phallique : on commence,
parallèlement à la naissance de la logique et de la science, à évoluer vers l'Unité
— vers l’uniformité qui peut surgir à partir d’une ordonnance, d'une scission ou
dérivation claire des choses. Les cultures «primitives», par contre, savaient depuis
des temps immémoriaux que la réalité de la vie est inévitablement double et com-
porte les dimensions les plus «contradictoires ». Leurs croyances reflétaient une
réalité considérée comme éternelle et immuable, une réalité qui ne pouvait être
que ce qu'elle était.
En même temps que la diversification des anciennes civilisations tribales uni-
formes, dotées d’une économie de survie, naquit la conscience — pour minime
qu'elle fût à l’origine — que quelque chose pouvait être changé: la vision même de
la vie. La vie devait suivre des principes nouveaux, plus clairs, plus compréhen-
sibles. La mythologie fut adaptée: les êtres surnaturels correspondirent désormais
à des « domaines » plus nettement délimités. Ce fut le cas également de la figure pro-
tohistorique de la déesse à la chouette. Avant la pression patriarcale de la scission, (a) Tapis aux points noués, Sidi Bou Zid
(Tunisie), vers 1930-1940 (140 x 110 cm).
elle était une déesse universelle. Elle était la chouette de la nuit, de la mort, du mal-
(b) Tapis ras mergoum, Ouled Chraïtia,
heur, de la sagacité, de l'intelligence. Elle était la déesse de la mer, Tritogeneia, des- Zlass (Tunisie), vers 1940-1950
cendante de Métis, la Ruse née de l'Océan. Elle était la déesse sauvage des Libyens, (250 x 130 cm).
avec la peau de chèvre comme défense, et la protectrice sévère de la virginité. Elle
était la déesse du combat et du regard pétrifiant : glaukopis mais également gorgopis,

88. Poisson 1916 (voir note 51).


89. Gimbutas 1989 (voir note 20), pp.190-195.
«au regard de Méduse », la pieuvre des profondeurs de la mer, avec les excroissances
pointues (cheveux, tentacules, piquants) ceignant sa tête redoutable”.
L'art textile berbère reflète encore le stade an-iconique, a-représentatif, qui pré-
céda par exemple la figuration grecque de la Méduse. Le motif de base des excrois-
sances (cheveux, tentacules, piquants) apparaît dans diverses expressions de la cul-
ture berbère. C'est ainsi que la chevelure hérissée et agitée par le vent (comme celle
de la gorgo) forme dans toute l'Afrique du Nord le motif principal de plusieurs
danses dont le type est très archaïque. On en connaît des formes en Libye, Tunisie
méridionale, Algérie et au Maroc méridional. Seules les vierges, éventuellement
les jeunes veuves ou les femmes divorcées, pouvaient y participer. Avant la danse,
les cheveux étaient enduits d'un mélange durcissant pour obtenir des touffes
raides. La danse même était d'une simplicité grandiose. Les danseuses, debout ou
agenouillées, se disposaient sur une ligne ou en demi-cercle. Par des mouvements
de la tête, d'abord presque imperceptibles puis de plus en plus saccadés, elles
secouaient leur chevelure, se tenant à une pierre ou à un bâton pour garder l’équi-
libre. La partie inférieure du corps restait immobile. Cette «danse des cheveux », à
laquelle un signal mettait toujours brusquement fin et qui pouvait mener à une
transe, n'était pas narrative et s'apparente à la guedra, dont il a été question ci-des-
sus. Elle s'exécutait surtout à l’occasion de noces. Sa signification reste obscure.
Elle doit se comprendre comme une expression éphémère du conglomérat de la
«sphère à piquants ».
Un autre exemple est la zarraf, que les femmes touareg de la noblesse dansent
lors de fêtes de mariage, de nuit et de préférence après l'apparition de la lune. Un
certain nombre de femmes forme spontanément un cercle, à l'écart des festivités.
Elles soulèvent leur robe, ce qui transforme ce cercle en une espèce de tente. Elles
dansent sans accompagnement musical, au seul rythme de sons gutturaux: elles
secouent leur chevelure et leurs épaules, et fixent le sol. Cette danse, qui ne dure
jamais longtemps, est considérée comme érotique et comme une «danse des
esprits », bien qu’il ne soit pas question de transe”.
Les «excroissances » des joyaux maghrébins offrent une autre expression du
même complexe culturel. Les femmes berbères étaient très attachées à leurs
bijoux, et ce en dehors de toute considération pécuniaire: les matériaux interve-
nant dans leur fabrication étaient sans valeur, ou il s'agissait d’argent de faible

90. Toutes ces fonctions de la déesse furent ressenties pendant l'Antiquité classique comme inconciliables,
du moins par les hommes qui s'étaient approprié le rôle d'idéologues. Les aspects divergents et qui
semblaient s'exclure l’un l’autre furent séparés. Il en alla de même dans les autres cultures. Dans la
mythologie populaire européenne entre 1000 et 1900, la figure de Dame Holle /Abonde était double:
angoissante et secourable, menaçant la vie et la protégeant, répugnante et belle. La scission de son être
indéfinissable mena, dans les Alpes, aux «belles » et «laides» Perchtes, qui la représentaient dans les
rituels de l'hiver. Autre exemple: au XIV—XV" siècle, l'image mythique de l’ancienne déesse mère se
dédouble : on trouve, d'une part, l'image positive de la sainte femme (sainte Anne), d'autre part, l’image
négative de la mauvaise vieille femme (la sorcière). (Sur les Perchtes, voir Victor Waschnitius, Percht,
Holda und verwandte Gestalten, Vienne, 1913 ; sur sainte Anne et la sorcière: Ton Brandenbarg, Heilig fami-
Adrar, Ida ou Nadif, Anti-Atlas (Maroc). lieleven. Verspreiding en waardering van de Historie van Sint-Anna in de stedelijke cultuur in de Nederlanden en het
Rijnland aan het begin van de moderne tijd (15de/16de eeuw), Nimègue, SUN, 1990. %
o1. Encyclopédie berbère, 14, pp. 2218-19. Sur la «chevelure» d’un point de vue psychanalytique et ethnogra-
phique: Charles Berg, The unconscious significance ofhair, Londres, Allen & Urwin, 1951; Edmund Leach,
132 «Magical hair», in Journal ofthe Royal Anthropological Institute, 88, 1958, pp.147-168 ;Gananath Obeyese-
kere, Medusa's hair: an essay on personal symbols and religious experience, Chicago, University of Chicago,
1984. On trouvera une description de la «danse des cheveux» des Akkara près de Zarzis dans: Bertho-
lon, «Exploration anthropologique de l’île de Gerba», in L'anthropologie, 8, 1897, pp. 571-572. Voir égale-
ment: J. Ferry, «La danse des cheveux (contribution à l'ethnographie du Sous) », in Travaux de l'Institut de À
8
teneur. (On ne rencontrait des bijoux en or — de moindre qualité — que dans
quelques villes.) L'attachement aux bijoux s'explique par la possibilité d'auto-
expression qu'ils offraient. Pratiquement aucune recherche n'a été effectuée en ce
domaine, mais il semble établi que les bijoux expriment de façon analogue divers
aspects de l’image de soi. La broche, tabzimt, joue à cet égard un rôle central.
Les formes concentriques plus ou moins rondes, ovales ou elliptiques avec
excroissances constituent également le «corps» de nombreux bzaïm du Maroc
méridional (vallées de la Dra‘a, Dades, Todrha) 92 et d’autres régions du Maghreb”.
Ces types de bijoux existent probablement depuis des millénaires. Des bijoux
punico-tunisiens possédant un effet protecteur étaient composés de motifs ana-
logues. Le centre du bijou était souvent constitué d'une espèce de récipient couvert
de nodosités. Cette «sphère noduleuse » est flanquée de deux serpents et surplom-
bée de deux autres symboles : une sorte de disque et un insecte”*. Sur l'axe central,
la sphère, le disque et l’insecte dédoublent le même concept, qui préfigure, avec les
serpents, la composition de nombreux tapis du style «spontané»: un symbole
matriciel (référant éventuellement différentes intuitions) entre deux emblèmes de
l'énergie changeante, dangereuse et indomptable”.
Le motif complexe dont il est ici question ne resta pas limité à la culture gréco-
romaine. Des images en naquirent également ailleurs, mais façonnées en accord
avec les traditions locales. Par exemple, le pendant égyptien de la Gorgone/
Méduse était le dieu Bès, avec son répondant féminin Béset”°. Bès est un dieu nain
trapu, au visage monstrueux. Ses caractéristiques les plus frappantes sont les
sillons profonds de la peau (comme chez Kubaba et Humbaba, «congénères » qe

d'Asie Antérieure de la Gorgone), les excroissances ceignant la tête (sous forme de


plumes mais souvent aussi de têtes d'oiseaux et d’autres animaux, comme les ser-

JC
RSSSERRE s

pents de la Méduse), la barbe hirsute avec ses piquants ou boucles, les dents dans la
bouche grimaçante”). Bès s'apparente également aux déesses d'Asie antérieure-
ment décrites comme «maîtresses des bêtes sauvages ». Il présente, comme le fait
souvent la Gorgone, des traits du lion*. Bès est le protecteur des femmes enceintes
et des jeunes mères. Son effigie est restée conservée en milliers d'exemplaires de
petit format: objets apotropaiques qui, comme la Gorgone, protégeaient la vie à
naître et la vie nouvelle. En dépit de son apparence souvent masculine (que l’on

recherches sahariennes, 6, 1950, pp. 101-142. G. Saint-Paul, Souvenirs de Tunisie et d'Algérie, Tunis, 1909, pp.113-
114 (sur les Mrazig de Sabria) ;E. Rackow, «Das Beduinenzelt », in Baessler-Archiv, 25, 1943, pp. 29-31 (sur
la Tripolitaine) ; Cap. Maquart, « Étude sur la tribu des Haouaia (Territoire de Medenine) », in Revue tuni-
sienne, 1937, p.270 ; Gilbert Boris, Documents linguistiques et ethnographiques, pp. 139-141 (sur les Mrazig de
Douz) ; Susan Rasmussen, «Zarraf, a Tuareg women's wedding dance», in Ethnology, 34, 1995, pp. 1-16;
Id., «The Head Dance: contested self, and art as a balancing act in Tuareg spirit possession», in Africa,
64, 1994, pp. 74-98.
92. M.-R.Rabate, Bijoux du Maroc, Aix-en-Provence, 1996, p. 115 (Ait Ouaouzguit), pp. 135, 137, 139 (Ait Atta), (a) «Bouteille à nodosités» de Tanit sur
p.141 (Dra'a). une amulette punique, Carthage (Tunisie),
93. Wassyla Tamzali, Abzim. Parures et bijoux des femmes d'Algérie, Alger, EAP, 1984. vers 700-500 avant notre ère.

94. Brigitte Quillard, Bijoux carthaginoïs. 1. Les colliers, Louvain-la-Neuve, 1970, pl. X, XI, XI!, XIV, XXII, XXII, (b) «Fruit à piquants ». Stèle dédiée à Tanit,
XXIV et pp.75 sqq. Carthage (Tunisie), CIS 2017.
95. Ce schéma de composition appartenait aussi à d’autres cultures. On le retrouve entre autres sur une
tunique Nazca (Pérou, vers 200-400) à plumes, ornée de ce qui est probablement un emblème mascu-
lin. Hali (Londres), n° 84, 1996, p.144.
96. M. Malaise, «Bès et Béset: Métamorphoses d'un démon et naissance d'une démone dans l'Égypte 133
| ancienne », in Anges et démons, (Homo religiosus, 14), Louvain-la-Neuve, 1984.
_ 97. Jan Quaegebeur, La naine et le bouquetin. Ou l'énigme de la barque en albâtre de Toutankhamon, éd. Nadine
E Cherpion, Louvain, Peeters, 1999.
8. A.D. Napier, Masks, transformation, and paradox, Berkeley Londres, Univ. of California, 1986, passim.
retrouve chez la Gorgone, souvent barbue et dénuée de féminité), Bès était le dieu
de l'utérus. Il fut à plus d’une reprise représenté sans tête. De sa nuque s’élève alors
le nouveau-né Harpocrate qui, en tant que porteur du secret utérin, garde le doigt
sur la bouche. La version céphalique égyptienne de l’image utérine était la tête de
Hathor. Corps sans tête ou tête sans corps: c'est une autre expression du mythe
grec de Méduse.
Hathor est reconnaissable à sa coiffure en forme d'oméga, symbole de l'«utérus
divin», qui est également le signe de la déesse mésopotamienne Nintu, la « Dame de
la naissance». Le même signe est l'idéogramme hittite pour la «vie»°”°. Le motif
connut un traitement plastique sur les bornes sumériennes (l'utérus comme zone
frontière par excellence)". Dans l’art étrusque, la coiffure en forme d’oméga de la
100

déesse égyptienne Hathor orne la tête de la Gorgone, ce qui démontre une fois
encore l'identité des deux têtes”. Dans l’iconographie de l’art textile, le signe 00
exprime l’oméga matriciel.
L'art de Luristan connaît également un équivalent de la Gorgone. Beaucoup de
fibules pour vêtements féminins portent une plaque ronde ornée en son milieu
d'une tête de femme, tout comme la Gorgone orne le centre de l’aegis grecque. Elle
est entourée de chèvres (l'aegis!), de serpents et/ou de lions, que l’on rencontre éga-
lement dans l’iconographie de la Gorgone. Des fleurs et des coquilles stylisées,
ainsi que des poissons et des grenades, symbolisent la fécondité. La coiffure de la
Gorgone est semblable à celle de la déesse Hathor, son pendant égyptien. Sur cer-
taines fibules de Luristan, elle a la tête ceinte d’une couronne de piquants. Ses yeux
sont fixes et grands ouverts".
Même l'art chinois connaissait une figure analogue à la Gorgone: t'ao t'ieh, un
masque angoissant. Le terme peut se traduire par «vorace »: il s’agit d’un pendant
direct de la Gorgone. L'être lui-même est décrit comme «monstre sans corps», ce
qui veut dire que la tête-masque opérait de façon indépendante"”.Ce motif connut
une existence très longue — bien plus longue que celle de la Gorgone grecque
— dans l'art chinois Shang et Chou. Le t'ao t'ieh a différents points communs avec la
Gorgone: l'aspect terrifiant, le pouvoir engloutissant, la tête-masque indépen-
dante. Il est frappant par ailleurs que les sources anciennes ne renseignent pas sur
l'être » même: son existence ne reçoit pas de fondement mythologique, mais est
considérée comme un fait.
On trouve également des parallèles dans le Nouveau Monde. Une sculpture en
céramique de la civilisation Nazca (Pérou, environ 100-700) représente une femme
obèse assise. Une tête noire offrant toutes les caractéristiques de la Gorgone est
peinte sur son bas-ventre et son abdomen°*.La langue pendante est la vulve (une
incision dans la céramique est explicite à cet égard). La tête est entourée de diffé-
rentes auréoles d’excroissances concentriques. L'ensemble associe la représenta-
tion figurative de la Gorgone à l’iconographie abstraite de l’art textile.

Masques t’ao t'ieh, peintures rupestres


du néolithique, Chine, vers 3000 avant
notre ère (d’après Chen Zhao Fu). 99. Barb 1953 (voir note 27), p. 199.
100. Voir le concept de borderline de Bracha Lichtenberg Ettinger.
101. Barb 1953 (voir note 27), note 70.
102. Roman Ghirshman, Perse — Proto — lranéens, Médes, Achéménides, (L'univers des formes), Paris, Gallimard, s.d.,
134 pp.48-51.
103. Frank Russell, «A note on the animal content and meaning in late Chou masks», in Ornaments of late
Chou bronzes, éd. George Weber, New Brunswick (NJ), Rutgers U.P. 1979.
104. Inca — Pérou. 3000 ans d'histoire, cat. exp., Bruxelles, Musées royaux d'Art et d'Histoire, 1990, p.122, n°150
et ill. p.121. Voir aussi n°151.
On retrouve le motif dans l’art textile précolombien, sous la forme de l'être
inconnu que les chercheurs appellent «être oculaire» (oculate being): une tête à
excroissances, sans corps. Les yeux sont accentués. Parmi les exemples connus, un
des plus précoces nous est offert par un textile cérémoniel d'environ 100 avant
notre ère. La tête figure ici dans une version rectangulaire du «motif de la nais-
sance», version qui se retrouve également dans d'innombrables tissus d'Asie cen-
trale. L'«être oculaire» aux excroissances rayonnantes est très fréquent dans les
Andes méridionales, depuis la dernière phase du «Premier Horizon» jusqu’à la
première phase de la «Première Période intermédiaire », c'est-à-dire entre environ
300 avant et 300 après le début de notre ère. Dans cette région fleurissaient des cul-
tures rurales possédant une autre mythologie que celle des systèmes «masculins »
(tel celui de la future domination inca)"®.
Le même être apparaît également dans l’art Paracas. Un masque en céramique
(vers 300-100 avant notre ère) représente l'être comme une tête ronde aux yeux
fixés dans le vague, une bouche grimaçante et une couronne de serpents en guise
d’excroissances"”®. D'après les spécialistes, une poterie Chavin de Cupisnique
(Pérou, vers 100-200 avant notre ère) représente un spondyle. L'objet possède de
très nombreuses excroissances et a reçu un visage : deux yeux sous la forme de cau-
ris. Il offre ainsi un parallèle avec les représentations de hérissons et d'oursins pro-
duites dans l’ancienne Europe et l’ancienne zone méditerranéenne comme image
de l’«épineux» utérus"”. L'«être oculaire » fait également partie de l’iconographie
de la culture Ocucaje (Pérou, vers 700-500 avant notre ère). Il apparaît ici comme
un être onirique pourvu d’yeux gigantesques et d’une large bouche. Des serpents
lui jaillissent souvent de la tête. Le corps contient fréquemment un et parfois deux
êtres analogues mais plus petits".
On trouve dans la culture Ocucaje une représentation de l’«être oculaire » cou-
sue sur l'emballage d’une momie. Cet être possédait donc une fonction apotro-
païque. En comparaison avec d’autres textiles, de telles représentations étaient
souvent exécutées grossièrement, sans soin. Dans des textiles plus récents, l'être
oculaire » constitue souvent l'élément essentiel de la composition — tout comme le
motif-sans-nom dans l’art textile berbère"°”°.
Le complexe de la Gorgone n’est pas absent en Asie. Les représentations de la
déesse Kali dans la culture indienne en offrent peut-être l’homologue symbolique
le plus riche. Une des images les plus fréquentes est celle de la déesse Kalika. (Nous
la trouvons également, sous une autre forme et en dehors du monde indo-euro-
péen, sur le site néolithique de Çatal Hüyük.) La déesse au troisième œil sur le front
est assise en tailleur, simplement «vêtue d'espace ». Elle est bigle, a des défenses en
guise de dents, une langue pendante, de longs cheveux défaits et des serpents
autour de la tête. Dans une de ses mains droites, elle brandit une épée. Ses deux (a) «Etre oculaire » de la culture Ocucaje,
mains gauches font le signe «qui fait s'évanouir la peur » (abhaya, qui correspond à Pérou, vers 700-200 avant notre ère.
(b) « Motif sans nom» sur un manteau
proto-Nazca, Pérou, Sihuas, vers 200
105. Ce type remonte peut-être encore plus loin. Un relief sur le Nouveau Temple de Chavin de Huäntar avant-vers 100 de notre ère (119 x 147 cm),
(vers 900-300 av.].-C.) représente une divinité gorgonesque avec des strombes et des spondyles et avec New York, Gail Martin Gallery, 1996.
une chevelure de serpents. Voir John Rowe, «Form and meaning in Chavin art», in Peruvian archaeology,
Selected readings, 1978, p.103.
106. New York, Brooklyn Museum, Babbott & Ramsey Fund, n° 64.94. II1.: Anne Paul, «Paracas necropolis
textiles :symbolic visions of coastal Peru », in The ancient Americas. Art from sacred landscapes, Chicago, Art
Institute, 1992, p.282.
107. Lima, Museo Nacional de Antropologia y Arqueologia, n° C54029, 1/2023.
108. Ferdinand Anton, Altindianische Textilkunst aus Peru, Leipzig, List, 1986, p.48.
9. New York, Brooklyn Museum, inv. n° 38.121. Voir Hali, n° 85, 1996, p.75.
la khamsa méditerranéenne, la main tendue aux doigts joints), et qui indique l’ac-
complissement de tous les désirs (vara). De son autre main droite, elle tient une tête
décapitée. Autour d'elle, des vautours et des chacals se repaissent de cadavres. La
déesse est assise, en union sexuelle, sur le dieu Shiva. Celui-ci, toutefois, est repré-
senté sous une forme double, en tant que Shava, le dieu mort: en dessous oît son
émanation, Niskala, indivisible dans une indicible uniformité; au-dessus figure
Mahakala, le Néant dans lequel l'univers se trouve entre deux cycles. Un autre type
connu est celui de Kali-sur-le-lotus. Un couple, sexuellement uni, est étendu surun
lotus à huit feuilles. La Déesse se tient sur eux. Elle porte des serpents autour du
cou et un collier de têtes de morts. Elle vient de se décapiter elle-même. Sa tête tran-
chée boit le flux de sang jaillissant de son cou. Deux autres jets sont recueillis par
deux figures féminines, Dakini et Varnini, issues de Kali elle-même (comme les
trois Gorgones). Les deux types représentent la viparita, «inversion», c’est-à-dire
l'union avec le Néant indifférencié, «mort», et l’auto-nutrition avec le sang de
l'auto-décapitation. C'est le triomphe de la maya féminine active, le déploiement de
l'éclatante polymorphie de la vie régnant sur l’Absolu indivis, immobile, insaisis-
sable, qui était conçu comme masculin. Selon la doctrine philosophique de Sam-
khya, la déesse Prakrti est la nature dans toute sa multiplicité, continuant à se déve-
lopper pour devenir Purusa (l’'Absolu «masculin», uniforme) qui voit et conçoit
— sur quoi Prakrti disparaît 110 ®. Dans l’art tantrique, nous la voyons, sous les appa-
rences de Kali, dominer — y compris sexuellement — celui qui la regarde. Elle est
assise au-dessus, ce qui démontre son pouvoir. Dans un second type pictural, Kali
est Chinnamasta, qui laisse couler l'énergie vitale autour de son corps divisé en
deux. Ici, elle offre une expression féminine du sacrifice /auto-sacrifice. Or, le
sacrifice exprime, dans les cultures les plus diverses, la structure (souhaitée) du
cosmos, de la société, de l'homme, et toutes les interactions et analogies entre ces
niveaux".
Les points de ressemblance entre Kali et la figure grecque de Méduse sont clairs.
Kali est triple, et effrayante par son apparence. Elle est associée à une force de déve-
loppement multiple et indomptable. Elle constitue le point central d’une dialec-
tique des aspects dangereux et curatifs du «voir » et de l’«être vu», de la «mort don-
née» et de la «mort subie». Tout comme le regard mortel de la Méduse protège
contre le mauvais œil, la terrifiante Kali accomplit le geste qui symbolise la dispa-
rition de la peur. De même, la plupart des autres aspects de Kai trouvent un paral-
lèle dans le complexe méditerranéen de la Gorgone. La Gorgone-utérus et ses
congénères représentent le principe féminin toujours changeant, éternellement
producteur. Dans la vision indienne, ce principe s’unit à son rigide pendant mas-
culin (en le dominant). Le flux sanguin de l'utérus /Gorgone est le fleuve de vie, qui
assure la continuité du processus créateur. Ce flux se libère par sa propre interven-
tion (Kali, la matrice textile abstraite) ou, dans des versions ultérieures, par l’inter-
vention du principe masculin (Persée).
Tapis aux points noués, Bouja ‘d (Maroc),
XIX siècle (290 x 120 cm). Cet idéogramme vécut même dans l’art occidental, mais comme cet art était
Coll. Hersberger, Bâle. entièrement figuratif, il dut répondre à des normes figuratives. À notre avis, la vera
icon remplit ce rôle entre le XIII et le XVII siècle. La vera icon était l'empreinte lais-
sée par la face ensanglantée du Christ sur le linge avec lequel une femme l'essuya
136
110. Charles Malamoud, «Indian speculations about the sex of the sacrifice», in Fragments for a history of
the human body. 1, éd. Michel Fecher, Ramona Naddaff & Nadia Tazi, (Zone, 3), New York, Zone, 1989,
PP.75-103.
ut. Autour de la déesse hindoue, éd. M. Biardeau, (Purusartha, 5), Paris, EHESS, 1981.
durant son calvaire. Cette femme devint une sainte mythique, Véronique. Une éty-
mologie populaire veut que son nom soit dérivé de vera icon, «reproduction véri-
table »: elle est la sainte de la Vraie Face"”. Très tôt, la dévotion populaire l'identifia
régulièrement à la femme qui souffrait depuis douze ans d'hémorragies (Haemor-
rhoïssa) et qui fut guérie par l'attouchement du Christ. Aux yeux du peuple, Véro-
nique devint également une «sainte de l'amour». En France, on la représentait sou-
vent comme une sorte de sirène dans une baignoire. Une légende en fit la
compagne de saint Amator («le saint amant»). Elle était la patronne des coutu-
rières et des laveuses, et on l’invoquait contre les hémorragies. Dans les Mystères
du XV° et du XVI siècle, elle apparaît comme une marchande de toile". À l'instar
de Longinus, le soldat romain qui perça de sa lance le flanc du Christ, elle était
aveugle. Et tout comme Longinus retrouva la vue grâce à une goutte du sang du
Christ, Véronique put jouir à nouveau de l'usage de ses yeux en les couvrant du
linge portant l'empreinte de la Vraie Face. Ici également, on relève une remar-
quable tension entre le voir et le non-voir. Véronique est mise en rapport avec la
menstruation; une femme ayant ses règles étaient censée troubler l'image du
miroir. Les yeux de la Face souffrante regardent le spectateur sans détour; celui-ci
est invité à répondre à ce regard avec la même intensité. «Mire-toi en Moi» — pour
être « déformé » de façon à pouvoir embrasser l’idéal christologique —, ce qui était,
dans un sens analogue, la visée des icônes orthodoxes. Le regard de la Vraie Face
élimine les influences maléfiques et invite à regarder en retour. Dans la culture
populaire, la vera icon possédait un pouvoir apotropaïque, comme la Gorgone
antique. On portait une petite vera icon sur soi pour se protéger du mauvais œil
et d’autres influences dangereuses. Véronique était révérée surtout par des reli-
gieuses, mais également dans les milieux laïques. Son culte connut une forte
impulsion grâce au nouveau mouvement religieux (féminin) du XII siècle"#.
La vera icon est une empreinte de la souffrance, d'une effusion de sang doulou-
reuse. Le support de l'empreinte est un linge blanc. Pour les femmes d'Europe, ce
linge était, dans le contexte souverain de l’iconographie chrétienne, la seule sug-
gestion disponible d’une sublimation des malaises et des souffrances entraînés
par l’enfantement, la menstruation et les saignements redoutables de certaines
maladies. Le regard insondable, le sang, la couronne d’épines, de cheveux et de
traits de lumière en guise d’excroissances firent de la vera icon le pendant de la Gor-
gone protectrice de l'Antiquité ou de la sphère à excroissances dans l’art textile
d'Afrique du Nord. Comme la Gorgone, la vera icon était fondamentalement
duelle. De nombreux textes médiévaux commentent la laideur et la beauté de
la Vraie Face.
Par ailleurs, la vera icon était souvent noire. Elle exprimait de la sorte la douleur
et l'indignité de Celui qui souffre, mais aussi la vile nature humaine du spectateur
— que le regard de la vera icon «transformait », lui permettant d'accéder à un plan (a) Tapis aux points noués, Ouled Rahmane,
Fitoute (Maroc), vers 1940 (332 x 170 cm).
plus élevé —, et incarnait le «miroir énigmatique » (speculum in aenigmate, saint Paul)
Coll. Hersberger, Bâle.
qui deviendrait par la suite un regard de visage à visage. La vera icon est l'image de (b) Tapis aux points noués, Rehamna
(Maroc), vers 1920-1930 (340 x 185 cm).
u2. G.Didi-Huberman, «Un sang d'images », in Nouvelle revue de psychanalyse, 32, 1985, pp. 123-153.
u3. Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de
faire: la laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1970,
basée sur une recherche anthropologique dans le village de Minot. La laveuse, chargée d'assister aux
accouchements et de laver les morts; la couturière, pour l'éducation sexuelle, et la cuisinière, pour les
mille conseils pour réussir un mariage heureux.
114. Le jardin clos de l'âme, cat. exp., Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1994, pp.58-59. Voir également Jeffrey
Hamburger, The visual and the visionary. Art and female spirituality in late medieval Germany, New York, Zone,
1998, pp. 317-381: Vision and the Veronica, spéc. p.366.
la transformation, de la renaissance de l’homme souffrant et sujet au péché. Ce
symbole utérin de la souffrance et de la (re)naissance possède, outre une dimen-
sion de menace, de souffrance et de mort, un aspect de protection, de force
bénéfique et de vie.
Pourquoi la tête tranchée était-elle si souvent représentée séparément? La
décollation de Méduse est probablement un développement mythologique ulté-
rieur, L'élément primaire du mythe était la tête terrifiante, elle-même déjà concep-
tualisation prétant forme à une mise en image sans nom d’une intuition sans nom.
Une fois cette image «cataloguée » en tant que «tête », il fallait prêter une réponse à
la question de savoir pourquoi la «tête » était séparée. La formation d’un tel mythe
s'accomplit de façon inconsciente.
On peut distinguer les stades suivants : (1) une intuition des aspects insondables
de l’utérus, soit comme organe, soit comme synthèse du pouvoir de procréation,
soit comme image de la féminité ;(2) formes et taches servant à «formuler» cette
intuition par synesthésie; (3) êtres (par exemple crapaud, hérisson de mer) reliés
par connotation à (2); (4) une formule iconographique libre, spontanée, convertie
progressivement en une forme «stricte ». Jusqu'ici, il s’agit de processus mentaux
accomplis par des femmes. Peut-être les stades suivants sont-ils le fait de «mytho-
graphes» masculins: (5) transposition des points précédents en une tête et un
regard terrifiants ; (6) mythe de la décapitation de la Gorgone par Persée ou mythes
similaires dans d’autres cultures'®.

Nous avons exploré un complexe de motifs dans l’art textile (féminin) et dans
d’autres disciplines artistiques (masculines). Ce complexe couvre un territoire
allant du Maroc à l'Iran, et dans le temps, une période de quelques millénaires.
Nous avons également trouvé des parallèles dans d’autres cultures (amérindiennes
et asiatiques). Ces digressions sont très schématiques: elles ne visent pas à un
aperçu détaillé, mais se limitent à quelques exemples suggérant la diffusion mon-
diale du complexe.
Si nous renversons la marche de la recherche, nous voyons que l’origine du
complexe peut être décrite comme une gamme de sensations psycho-corporelles
touchant à la «matricialité ». Les femmes éprouvaient le besoin d'exprimer ces sen-
sations dans l’art qui leur était propre: l’art textile. Peu à peu les formes utilisées à
cette fin se figèrent en modèles stéréotypés. (Cette codification fut à la base de l’ico-
nographie du «tapis d'Orient». À partir du XV° siècle, ou plus tôt, elle fut mise en
œuvre par des «créateurs » masculins dans une perspective «décorative » qui la pri-
vait de sa signification originaire. Cependant, quelques zones du Maghreb restè-
rent épargnées de la forte influence de la culture urbaine. Ainsi, jusqu'au troisième
(a) Tapis aux points noués, Ouled Dlim
quart du XX! siècle, la civilisation autochtone, rurale ou nomade, put garder son
(Maroc), vers 1920-1940 (330 x 175 cm). originalité culturelle, et la tradition textile ontologiquement la plus ancienne, qui
Coll. Hersberger, Bâle. remontait en droite ligne au néolithique, resta intacte.
(b) Tapis aux points noués, Rehamna
(Maroc), vers 1920-1930 (360 x 180 cm).
Les formes «utérines » sont très changeantes dans cet art: elles semblent rétré-
Coll. Hersberger, Bâle. cir ou se dilater, s'ouvrir, monter ou descendre. Dans l’art textile authentique, elles
sont rarement statiques, ce qui correspond à la croyance populaire universelle en
l'utérus perçu comme un être plus ou moins autonome. Celui-ci se déplaçait dans
le corps selon son propre gré et animé par des forces mystérieuses, ne tenant guère
compte des autres organes".

us. E.S. Hartland, The legend ofPerseus, 3 vol., Londres, 1894-1806.


Les amulettes byzantines s'adressaient souvent au sombre utérus (hustera), « qui
ondoie et siffle comme un serpent» et «rugit comme un lion». Des gemmes-
amulettes et des textes incantatoires antiques se rapportent également à la metra
qui doit retourner «à sa place ». Ce sont là des témoignages de la croyance dans l’au-
tonomie et la mauvaise volonté de l'utérus qui errait comme un animal indomp-
table, provoquant souffrances et suffocation (globus hystericus)"®. Cette suffocation
peut être assimilée à la panique hystérique. On parlait aussi de la «morsure » et de
la «piqûre » de l'utérus. Celui-ci pouvait, à l’aide d'une pointe poussée vers l'avant,
«piquer » jusque dans la gorge"”. Il était également coutumier d'une «torsion» qui
explique que, dans le monde entier, les coquilles spiralées étaient des objets «uté-
rins ». Les formes ceintes de plusieurs halos épineux évoquent par aileurs des mou-
vements de contraction, rétrécissement /distension et des spasmes. Ce complexe
de sensations fondamentalement féminin nous semble se situer pour une part à la
base de cette iconographie abstraite"?”.
Qu'en est-il alors, dans l’art textile, du motif sans excroissances, fréquent lui
aussi? Des motifs analogues apparaissent dès les peintures rupestres préhisto-
riques:la vulve stylisée y est un signe de la Déesse ou du pouvoir de procréation
féminin. De tels signes dans le site aurignacien Abri Blanchard (Dordogne) remon-
tent à environ 30000 ans, mais nous ignorons s'ils furent exécutés par des
hommes ou des femmes. Nous sommes d'avis que de tels motifs ont été interpré-
tés à tort comme des signes «sexuels » (vulvae) dans l’art textile berbère.
Certains sanctuaires néolithiques de Çatal Hüyük (Anatolie) étaient placés
sous le signe de la naissance. Leurs peintures étaient exécutées en rouge, beige,
orange, jaune, blanc et noir —gamme chromatique qui est également celle des tapis
maghrébins en «style spontané». On relève des cercles frappants: jaune-blanc,
entourés de rouge et contenant une tache rouge. Une ligne beige horizontale, bor-
dée de rouge, était peinte sous ces cercles. Des lignes blanches ondulées traver-
saient les deux motifs. Ces formes ne peuvent en tout cas pas passer pour la simple
représentation d’une partie du corps. Les motifs dits de la vulve, comparables aux
kundalini sakti indiens, sont une espèce d’idéogramme d'énergie psycho-corporelle
latente, axe sur lequel se fonde l'organisme humain. Une statuette anatolienne de la
déesse des serpents (vers 6000-5500 avant notre ère) en offre la version la plus
claire. Les circuits de lignes parallèles déployées en éventail entourent le dia-
phragme et l'axe central vertical du corps.

6. Voici deux anciennes formules incantatoires européennes :«Mère des couches, mère matricielle, /tu
veux lécher le sang, repousser le cœur, /étendre les membres, /étirer ta maison.» Et: «Petite mère ché-
rie, /ne monte pas, /ne descends pas, /n'enfle pas en largeur, /ne t'étire pas en longueur.» Voir Kriss
1929 (voir note 18), p.31. Pour la «propre vie» de l'utérus, voir Giulio Bonfante, «Sull' animismo delle
parti del corpo in indoeuropeo», in Ricerche linguistiche, 4, 1958, pp.19-28; F. Pradel, «Zur Vorstellung
von der Hystera», in Archiv für Religionswissenschaft, 12, 1909, p.151.
17. Barb 1953 (voir note 27).
118. Ibid, note 23. Ces hypothèses sont confirmées par une autre source: les amulettes antiques. Celles-ci
ont généralement été négligées par les chercheurs modernes à cause de leur qualité artistique souvent Déesse-serpent, Anatolie, VI® millénaire
douteuse et de leur caractère abstrus, «bizarre» et enchevêtré. Pourtant, il s'agit là d’une source très (d’après Gimbutas 1991; voir note 19).
importante qui permet d'accéder à l'univers de la «magie quotidienne » de l'Antiquité. Elles renvoient à
une vision du monde extrêmement complexe, qui, aux yeux d'un être rationnel, semble chaotique, obs-
cure et irrationnelle (Ibid., p.195). Un grand nombre de ces amulettes étaient portées par les femmes
pourse protéger des dangers de la grossesse. Ainsi, certaines étaient faites en hématite rouge, la «pierre 139
sanguine», contre les hémorragies. Les représentations sur les amulettes évoquent souvent les organes
génitaux. On trouve divers symboles de l'utérus, qui est appelé à plusieurs reprises la «matrice divine ».
119. Kriss 1929 (voir note 18), p.43.
10. Gimbutas 1989 (voir note 20), pp.99, 108 et 127, ill. 203.
140

Tapis aux points noués, Ait Bou Irshaouen (Maroc),


vers 1900-1920 (505 X 210 CM).
Pour l'instant, nous ne connaissons pas de textiles berbères plus anciens que de
quelques générations. Un passage d'Ion, tragédie d'Euripide (480-406), prouve que
le «complexe de la Gorgone» fut dès l'Antiquité un thème de l’art textile féminin.
L'auteur parle d’un tissu offrant en son centre une Gorgone à la chevelure de ser-
pents, tout comme l’aegis d'Athéna. Lorsque Créüse, l'héroïne, voit le tissu, elle
s'écrie: «Ô Vierge de la préhistoire, 6 fruit de mon métier. » L'analyse d’autres
motifs, qui remontent également loin dans le temps, indique semblablement que
l'iconographie de l’art textile berbère est plus ancienne que l'Antiquité classique et
doit même se situer au néolithique".
Comment dès lors identifier ce motif, qui est œil, regard, losange, contraction,
roulis, sphère à piquants, menace ou protection. sice n'est comme idéogramme
des pouvoirs utérins? L'idéographie de la matrix traite d'un monde inconnu mais
familier :le monde des forces qui participent du fondement mystérieux de l'exis-
tence. Ce n’est pas sans raison que l'utérus a été «vu» comme une miniature du
cosmos, ou celui-ci comme un organisme qui créait la vie selon des processus
analogues.
La déesse libyenne Neith, homologue d'Athéna-à-la-peau-de-chèvre et devan-
cière de la déesse Tanit, se targuait, comme l'écrit Plutarque, de son essence uni-
verselle:«Je suis tout ce qui fut ou sera jamais, et jamais aucun mortel ne pourra
lever le voile qui me cache.» À l'origine des temps, Neith prit la navette, tendit le
ciel sur son métier comme des fils de chaîne et tissa le monde. La déesse-tisseuse
était en même temps une déesse créatrice, «utérine ». L'Ancien Testament dit —en
hébreu — au verset 13 du psaume 139: « Oui, tu m'as tissé (sh-k-k) au ventre de ma
mère. » Et au verset 15 : «Je fus fait, brodé (r-q-m), dans le secret. »"**

121. Les représentations antiques abordées dans ce chapitre sont des peintures sur vase, des gemmes, des
sceaux, des sculptures, etc. Ces œuvres d'art étaient exécutées par les hommes. Cet univers «matriciel »
méditerranéen répondait par conséquent aux normes de la figuration régissant l'art masculin et la pen-
sée religieuse. Cela ne signifie pas que les hommes ont imaginé cette iconographie: ils ont fait usage,
selon leurs propres principes, des concepts que leur apportaient les femmes. (Une situation analogue
aura lieu plus tard dans l’art chrétien en Europe: les impulsions de dévotion, émanant de la base fémi-
nine, furent «traduites » en images et en paroles par les ministres locaux de l'Église.) Ce que les artistes
et les artisans de l'Antiquité exprimaient de manière figurative avait sa source ailleurs: du côté des
femmes. Leur manière à elles de donner forme à ce qu'elles ressentaient et croyaient se retrouve dans
leur production textile. Pour les amulettes dans l'Islam, voir Rudolf Kriss & Hubert Kriss-Heinrich,
Volksglaube im Bereich des Islam. 122. Amulette, Zauberformeln und Beschwôrungen, 1962 ; Aboubekr Abdes-
lam, «Notes sur les amulettes chez les indigènes algériens», in Revue africaine, 81, 1937, pp.309-318;
J. Desparmet, «Ethnographie traditionnelle de la Mettidja. 6 », in Bulletin de la Société de Géographie d'Alger IAI
et de l'Afrique du Nord, 1924, n° 100, et 1925, n° 103, pp. 237-282, et 1926, n° 105, pp.1-37; Giuseppe Bellucci,
«Amuleti ed ornamenti con simboli magici della Libia », in Lares, 4, 1915.
122. Ou «esquissé», ruggamti, apparenté à l'arabe ra-qa-ma, «esquisser», «dessiner», «broder», exécuter un
: patron, de là les termes ragma, mergoum, reggam dans le langage courant tunisien et algérien.
4 à
Métamorphoses, ramifications, fourmillements

Parmi les œuvres à la fois les plus caractéristiques et les plus énigmatiques du style
«spontané» figurent un certain nombre de tapis sans motif central et sans compo-
sition claire. Le champ est rempli de formes non identifiables qui se fondent les
unes dans les autres, de «canaux » qui s'élargissent et rétrécissent, d'«éclairs » fulgu-
rant fébrilement, de « veines » qui changent de couleur, d’obstructions et de dilata-
tions à partir desquelles semble se former un «quelque chose» qui, à y voir de plus
près, résiste néanmoins à toute tentative d'identification et poursuit son propre
chemin. Il n’est pas question ici de re-présentation. Ces compositions ne portaient
d’ailleurs pas de nom.
Dans le cas de certains tapis du Moyen Atlas et du Maroc méridional, la com-
position consiste simplement en “éclairs » qui zigzaguent capricieusement dans le
champ. Dans d’autres cas, les zigzags offrent une certaine régularité. La totalité du
champ d’un kilim tissé dans la steppe entourant Sidi Bou Zid'” est occupée par un
sauvage zigzag de couleurs changeantes. On en trouve apparemment une pré-
figuration dans une mosaïque berbéro-romaine du II ou II° siècle"** présentant
un champ de losanges concentriques qui forment des zigzags irréguliers. Dans
d’autres textiles, les zigzags filent en décharges électriques n’obéissant à aucun
schéma perceptible. Ces textiles « fulgurants » trouvent leur pendant dans la créa-
tion des bijoux. Certaines fibules sont ornées de zigzags, mouchetures de «pluie»,
trous et triangles — autant de symboles de fécondité fécondation’. C’est une
décoration analogue (zigzags, mouchetures, «trous», lignes sinueuses) que les
potières kabyles appliquaient sur les énormes pots à provisions (ikoufan), représen-
tés comme des « femmes », mais sans qu'il füt question de la moindre ressemblance
avec une silhouette humaine. Le corps de la « femme à provisions » porte les mêmes
signes que les fibules qui viennent d’être mentionnées'*.
Plusieurs de ces types de textiles se retrouvent littéralement dans les mosaïques
de la période romaine. Le schéma d’un champ de losanges concentriques formés
de petits blocs et causant une impression de «fourmillement »'” est présent tant
sur les kilims tunisiens que sur une mosaïque d’Utique 28 Au même endroit, ainsi
que dans les tapis de la région d'Oulmes (Maroc), on rencontre une composition
rigoureuse de rectangles dans un ordre régulier. Par ailleurs, il faut citer également
les compositions très répétitives qui ont pour effet de déconcerter le regard et
étaient employées dès lors comme arme contre le «mauvais œil». Parfois des
petites pierres blanches sont introduites à des intervalles réguliers sur un fond
sombre” - comme dans certains tapis noués du Moyen Atlas —, parfois il s’agit de
plans clairs absolument chaotiques sur un champ foncé”.
Dans la zone méditerranéenne on affectionnait les matériaux ou objets à des-
sin inextricable — un champ de taches, des formes non identifiables ou des lignes
(2) Tapis aux points noués, Bouja‘d (Maroc), au déroulement complexe — en tant qu'apotropaique"". La croyance dans leur pou-
vers 1940 (237 x 144 cm).
(b) Tapis aux points noués, Figuig (Maroc),
vers 1940 (230 x 155 cm). 123. Un kilim caucasien très ressemblant du XIX° siècle présente le même schéma, mais exécuté ici avec une
plus grande régularité (Hali, n° 69, 1993, pp. 60-61, et Hali, n°70, 1993, p.132).
124. Tunis, Musée Bardo, salle XXII, s.n°.
125. Bert Flint, Formes et symboles dans les arts maghrébins 1, Bijoux, amulettes, s.]., 1973, n° 21, Ait Seghrouchen.
142 126. Roubet 1965 (bibliographie 2c), ill.
8.
127. Cécile Dulière et al., Utique. Les mosaïques in situ en dehors des insulae I-H-INI, Tunis, 1974, pl. XXX.
128. Ibid. pl. XL (n° 218) et XLV (n° 238).
129. Ibid. pl. XLI et XLIHII (n° 227).
130. Ibid. pl. XLI (n° 225).
voir protecteur explique pour une part la prédilection pour les motifs décorative-
ment enchevêtrés, entrelacés. Cela vaut pour tous les matériaux tissés, tricotés,
noués, travaillés au crochet, mais aussi pour les plantes, arbres ou charmilles qu'on
laissait pousser pour former des ensembles inextricables'”.
L'effet vertigineux de la ligne dans bon nombre de textiles berbères est sembla-
blement un moyen de défense contre l'influence du mauvais œil. Une structure
labyrinthique"”, un schéma de lignes déconcertantes, des formes pointues, angu-
leuses* ou une représentation indéterminée ® possédaient le même effet favo-
rable. Celui-ci pouvait s’obtenir également par la structure réticulaire de nom-
breux textiles. Depuis l'Antiquité, les réseaux équivoques, dédaléens, inintelli-
gibles étaient considérés comme fortement apotropaïques"". Les rituels et danses
troia, connus dans toute l'Europe et ailleurs”, dont Virgile par exemple parle lon-
guement (Énéide, V, 545 sqq.), poursuivaient le même but. Cependant, la protection
contre le mauvais œil, pour autant qu'il fût visé par la tisseuse, n'était pas l'objectif
premier de ces textiles aux formes chaotiques. C'est ce que donnent à supposer les
rares indications fournies à ce sujet.
Si les tissus du style «spontané» paraissent souvent chaotiques, voire vertigi-
neux, et même si la cause peut en être, dans certains cas, une incapacité composi-
tionnelle, il est manifeste dans d’autres cas qu’une volonté délibérée est à l'œuvre.
C'est à tort qu'on considère comme claire et immuable l’image du monde propre
aux sociétés rurales archaïques. Tout y est au contraire mouvement et métamor-
phose. Le panta rhei («tout s'écoule») du philosophe grec n’est rien d'autre qu'un
résumé succinct d’une cosmologie très ancienne. Les images du monde érudites et
masculines ont toujours tenté d'élaborer une ordonnance et une classification
capables d'éclairer de façon claire et ordonnée l'agencement des choses. Dans cet
agencement, il n’y avait pas de place pour l'aspect corporel et matériel de la nutri-
tion, de l’excrétion et de la sexualité. Or, le corps réel n’est jamais statique: il croît,
se fortifie, s’affaiblit, tombe malade, est le théâtre d’une activité interne constante.
Le système populaire ne perdit pas le contact avec la réalité prosaïque de tous les
jours, voyant d’ailleurs le monde comme un organisme vivant", En effet, à l'image
du corps, le corps social est communication mutuelle des membres d’une com-
munauté et agencement d’un habitat. La conception du fonctionnement de l'orga-
nisme était même appliquée — inconsciemment — en agriculture aux systèmes
d'irrigation. Un réseau d'irrigation semble un système parfaitement rationnel,
poursuivant un but parfaitement pratique. Pourtant, sa mise en œuvre et les
«récits » qui l’accompagnent offrent un exemple d'expérience intériorisée. Cette
expérience est double: il s’agit d'une part de la manière dont les acteurs de la vie
sociale la ressentent; d'autre part, de leur façon de considérer un système pratique

31. W.Hildburgh, «Indeterminability and confusion as apotropaic elements in Italy and Spain», in Folklore (a) Pot, Çatal Hüyük, Anatolie, V° millénaire
(Londres), 55, 1944, pp.133-149, spéc. pp. 139 sqq. et 143. (d'après Mellaart, The Neolitic of the Near
132. C. Leland, Etruscan-Roman remains in popular tradition, Londres, 1892, pp. 168 sqq. East, 1975).
133. W. Matthews, Mazes and labyrinths, Londres, 1922. (b) Fonts baptismaux, Timgad (Algérie),
134. À côté des groupes de points et de piquants, un matériau plein de creux était également susceptible de II siècle.
protéger du mauvais œil. En Italie, par exemple, des plaques de travertin étaient utilisées à cet égard
(Hildburgh 1944 [voir note 131], p.139).
135. W. Hildburgh, «The place of confusion and indeterminability in mazes and maze-dances », in Folklore
(Londres), 56, 1946, pp.188-192.
136. Le réseau représentait la membrane amniotique.
137. W. Knight, «Maze symbolism and the Trojan game », in Antiquity, 6, 1932, pp.445-458.
138. Hélène Genevois, La terre pour les Kabyles: ses bienfaits, ses mystères, (Fichier de documentation berbère, n° 113),
_Larbaa N'ath Iraten (ex. Fort-National), 1972.
comme un organisme vivant. Deux mots, rabta et mafsal, occupent une place cen-
trale dans le vocabulaire lié aux réseaux d'irrigation. Rabta est dérivé de la racine
r-b-t, «(re)lier », «renforcer», et signifie «lien ». Le mot contient des associations avec
«nœud» et «entrave ». Mafsal est dérivé de la racine f-s-l, «scinder, séparer, sevrer,
abandonner»: deuxième radical «diviser en morceaux»; troisième radical
«dénouer, défaire ». Fasl signifie «séparation, section» et «articulation, saison »; fay-
sal, «jugement, décision». La connotation de base de f-s-l est donc la scission, le
dénouement, au sens propre et figuré, ainsi que le lien entre les éléments que l'on
retrouve dans le corps en tant qu'earticulation » (mafsil)*?. À partir de là, on peut
comprendre la signification de tafsil et moufasal: «récit», «explication détaillée», et
mifsal, «langue». Rabta et mafsal se rapportent tous deux à une articulation, scis-
sion /liaison; ils évoquent une charnière, qui à la fois ouvre et ferme. Les deux
termes visent la réunion par la séparation, une limite qui sépare deux éléments
mais les relie par sa propre existence et situation. Dans un réseau d'irrigation, une
rabta est une digue provisoire de boue dans un petit canal que l’on ouvre à des inter-
valles fixes afin de permettre l'écoulement de l’eau. La rabta «rassemble» l'eau cou-
rante, la fait «enfler» et bouillonner en en canalisant l'énergie. Ainsi, elle crée le
rouh, le fait naître en tant qu’organisme. Ce n’est pas l'eau courante qui possède le
rouh, mais l’eau détournée dans un nouveau circuit. Le rouh naît par un entre-deux:
par une eau qui n'est ni courante, ni immobile. Quelque chose «naît», qui n'existait
pas auparavant, Comme une oasis, le corps est un ensemble d’articulations (mfasil)
et de circuits de liquides qui s'ouvrent /se ferment.
Partager et réunir étaient étroitement joints pour la culture berbère tradition-
nelle (comme dans moulli, dont on reparlera ici). C'est ce qui ressort également de
la langue. Le radical b-l-g ou b-l-j se rapporte à «diviser en deux», «scinder en mor-
ceaux », mais également à «posséder en commun», «s'unir», «former une associa-
tion» (comme dans l'arabe w-l-a, d'où moulli), et à «devenir impétueux, s'en-
flammer»*°. En berbère, la racine b-d se rapporte à un passage étroit, un fossé
(d'irrigation), une perforation (de là ebed, «déflorer » et «creuser un fossé») et un
trou. Les verbes formés sur cette racine se rapportent au «partage» dans les deux
sens: diviser et distribuer, faire participer à, mais aussi irriguer'*. Des substantifs
présentant ce radical réfèrent au «dessous », à la racine, à l'anus, au tronc, à l'ombi-
lic (ou cordon ombilical), à la tumescence. L'éventail sémantique de b-d en berbère
est à peu près le même que celui de r-b-t en arabe.
Après la mort, le corps est «ouvert» ou «défait» (mahloul). La ceinture est un
symbole central à cet égard: elle «maintient ensemble le rouh», en d'autres termes:
elle rassemble les énergies du corps. Ce corps n’est pas un ensemble statique, ni
une machine (comme l’a représenté la culture moderne). Il subit une transforma-
tion et un mouvement intérieur incessants, pour lesquels on emploie le terme
moulli, formé sur le radical w-l-a. Ce radical a pour signification «être proche» (et
«être l'ami de»; de là wali, «saint»: celui qui est proche de Dieu, ami de Dieu). La
deuxième forme, walla'a, réfère à la réalité opposée: «se détourner de, tourner,
fuir» : la troisième forme (waala‘a), à «avancer » et «conclure une alliance » ; et la qua-
trième (awla‘), à «approcher». Les connotations de w-l-a se situent dans le champ

144 139. Stefania Pandolfo, «Detours oflife: space and bodies in a Moroccan village », in American Ethnologist, 16,
1989, pp. 3-23.
140. Kamal Naït-Zerrad, Dictionnaire des racines berbères (formes attestées). I. A-BcZL, Paris—Louvain, Peeters,
1998, p.59.
141. Ibid. pp.25-20.
145

Tapis
P aux P points noués, Rehamna (Maroc), XIX° siècle (320 x 150 cm).
L
N"

Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc), vers 1920 (390 x 160 cm).
Coll. Hersberger, Bâle.
LA
d'être proche», mais également du contraire: «s'éloigner. se détourner, tourner».
Paraïilleurs, la racine moulli possède la signification d'« être maître de, administrer ».
Moulli se rapporte donc aux situations opposées de « proximité» et d'«éloigne-
ment» (de même que rabta et mafsal renvoient à la fonction contradictoire de l'arti-
culation). Moulli réfère au va-et-vient, à l'approche et au départ, dans ce cas selon
les articulations du réseau d'irrigation ou de la communauté. C'est un mouvement
qui mobilise le potentiel d’un organisme, son rouh ou force vitale pour que celle-ci
accomplisse son action et soit de la sorte à nouveau démantelée. Ce processus suit
les nœuds intérieurs qui sont à la fois des barrages et des lieux de transmission.
Dans l'organisation « chaotique» de l’ancienne société maghrébine, le pouvoir se
situait aux points d’intersection des différents groupes ou segments sociaux“-.
Les cultures orientales présentent une conception analogue avec la doctrine
des points énergétiques du corps humain: les chakra ou nœuds qui bloquent ou
laissent s'écouler. Dans le domaine sociopolitique maghrébin, on relève un phé-
nomène similaire avec la harka'* du prince: celui-ci parcourait son territoire avec
sa suite, résidant tantôt ici, tantôt là. Ce mouvement était comme un déploiement
de la baraka (charisme possédant pouvoir de bénédiction) du prince en faveur de
son pays“*.
Dans le cas du moulli, il n’est pas question de chaos. Le corps et le corps social
connaissent une ordonnance interne s'exprimant dans une bi- et une quadriparti-
tion: Ici, le principe des «quatre quarts» est important, encore qu'il le soit davan-
tage du point de vue masculin. Le corps se scinde selon un axe vertical (gauche
droite) et un axe horizontal (dessous /dessus), vision très ancienne et qui ne se
limite pas à la culture nord-africaine. Dans ce système, le moulli apparaît comme
un travail de déplacement et de détour dans les deux fois deux moitiés qui agissent
les unes sur les autres#.Ainsi se réalise une interpénétration qui est d'une néces-
sité vitale.
Dans le domaine social, le Maghreb était divisé en groupes opposés. dits Leffou
soff. Ceux-ci rassemblaient des tribus en un «parti», ou opéraient une section à
travers le tissu tribal. Les différentes organisations ne mobilisaient pas les mèmes
membres, si bien que leurs délimitations se recoupaient. Cela favorisait les
contacts entre les individus qui, sinon. se seraient ressentis trop nettement comme
des adversaires. L'ensemble du corps social s'en trouvait vivifié et maintenu en
mouvement.
La même situation s'observe en ce qui concerne les groupes « blancs » et «noirs »
d'Afrique du Nord. Ils reflètent généralement une bipartition —jamais explicite : les
«Blancs» occupent le plus souvent une position plus élevée sur l'échelle sociale que
- les« Noirs», qui sont souvent des descendants d'esclaves et travaillent dans les oasis

142. Ernest Gellner, The role and organisation of a Berber zawina, diss. Londres. 1961. Voir également Larouss
Arnri, Latribu au Maghreb médiéval. Pour une sociologie des ruptures. Tunis, Université de Tunis L 1007
14. Abderrahman El Moudden. « État etsociété rurale à travers La harkz au Maroc du XIX° siècle ». m Mark
reb Review.8.1983.
pp.141-145.
“144. Jocelyn Dakhlia, « Dans la mouvance du prince: la symbolique du pouvoir itinérant au Maghreb ». in
Annales. Économies
sociétés civilisations, 1988, pp.735-760. Au Moven Âge en Europe. la foncuon
souverain allant d'une ville à l'autre n'était pas différente.
“145. Françoise Héritier, « Fécondité etstérilité: latraduction de ces notions du champ idéologique au stade
préscientifique
»,inLefaitféminin, Paris, Fayard. 198.
“146. Voir}. Huguet, «Les “sofs” chez les Abadhites »,in L'anthropologie (Paris). 21.1010. pp.151-169 et 315-520:
— H. Bruno et G--H. Bousquet, « Contribution à l'étude des pactes de protection et d'allance chez les Ber-
bères du Maroc central »,in Hesperis, 33.1046, pp.350-371 Ilexistait une autre disincüon entre les tribus
‘ «ordinaires», guerrières (ewich) etlestribus « religieuses », non guerrières (mrsbtinL
comme harratin, ouvriers agricoles, Mais «noir», dans la culture nord-africaine,
n'est pas considéré essentiellement d'un point de vue «raciste». Le «noir» est la
couleur de la terre et de la fécondité; sont «noirs», ou doivent l'être, ceux qui en
connaissent les secrets, car le paysan qui peut mettre en œuvre la fécondité de la
terre participe au secret de la création. Il se situe du côté «chtonien», souterrain,
qui est d'une importance première, mais en même temps mystérieux et même
angoissant.
Au Maroc, les contacts quotidiens entre Blancs et Noirs obéissent à certains
principes tacites. Par exemple: à la veille de certaines fêtes religieuses ou le jeudi
soir, quelques Noirs parcourent les rues de Marrakech pour purifier les habitants à
l'aide de la fumée du jawi (encens) et leur offrir la baraka. Ils sont accueillis cordiale-
ment, y compris par les Blancs appartenant aux groupes les plus aisés: ils possè-
dent en effet un rayonnement positif en raison de différents facteurs (caractère,
couleur de la peau, famille, religiosité…). Le noir «déteint » sur le blanc.
En dehors des fêtes, des règles non écrites régissent également les contacts
mutuels#$, Au Maroc, les confréries des ‘Aissaoua et des Gnawa connaissent égale-
ment cette bipartition blanc-noir. Les premiers sont «clairs», à l'instar des chorfa de
l'Est:les seconds, «foncés», comme Bilal, le premier muezzin de l'islam. Les pre-
miers incarnent un principe «pur», «élevé»; les seconds sont des «esclaves», qui
veillent aux affaires «d'en bas». Dans la tradition nord-africaine, les esclaves tra-
vaillent la terre et connaissent les secrets de la fécondité et de la procréation. La
sexualité est leur domaine, ce qui se traduit symboliquement dans leur vêtement et
leurs attributs (cauris, crécelle…). Ce qui «s'élève » est leur spécialité: ils font en effet
«s'élever» et se manifester les esprits et les forces qui tiennent l'homme en leur pou-
voir, et ce afin de mieux pouvoir les maîtriser—par analogie avec les forces de la terre
féconde, qui sont maîtrisées par le khammes (ouvrier agricole, «quintanier ») *?.
À côté du «blanc» et du «noir» figure le «rouge », associé de temps immémorial
au sang. Pour la culture maghrébine traditionnelle (comme dans bien d'autres
contrées), le «sang» détermine l'identité. Les membres d’un groupe sont «congé-
nères » par le même sang: ‘irg wahid, littéralement «une seule veine » ou «une seule
racine », les relie (du verbe ‘araga, «traverser goutte à goutte», et dans la quatrième
forme : «s'enraciner profondément »).
Les appellations du clan, de la descendance, de la faction restent vagues et se
confondent (‘arsh, frga, ikhs). L'unité du groupe s'estompe dans l'exposé de son his-
toire". L'instabilité et les alternances sont évoquées par des mythes de migration,
la mobilité sociale étant décrite par la métaphore du déplacement. Ainsi, d'innom-
brables clans et groupes font remonter leur existence à un ancêtre qui aurait été
originaire de la région de Seguia el Hamra‘ (Rio de Oro, Maroc méridional). L'origine
de ces groupes était donc le «fleuve rouge » qui se ramifie dans les générations suc-
cessives — seguia renvoie aux canaux ramifiés d’une oasis.

147. Viviana Pâques, L'arbre cosmique dans la pensée populaire et dans la vie quotidienne du nord-ouest africain, Paris,
L'Harmattan, 1990, passim.
148. Pandolfo 1989 (voir note 139). ’«
149. Viviana Pâques, La religion des esclaves. Recherches sur la confrérie marocaine des Gnawa, Bergame, Moretti e
Vitali, 1992. Cet ouvrage, illisible au premier abord, est l'exposé le plus fascinant, mais aussi le plus
148 «ignoré» de la vision du monde archaïque et holistique de l'Afrique du Nord.
150. Jocelyn Dakhlia, L'oubli de la cité. La mémoire collective à l'épreuve du lignage dans le Jérid tunisien, Paris,
La Découverte, 1980, pp. 125 sqq. L'élaboration et l'entretien de contacts sociaux dans la vie quotidienne
sont un «travail de femme »; en Tunisie, on désigne ce processus par le terme ta‘ashara («devenir étroi-
tement liés»). Ceux qu'on attache à soi sont appelés met'ashrin.

NU
Dans leur approche de la généalogie, les hommes se limitent généralement à la
version «officielle » de l'unité et de l'assimilation;les femmes s'intéressent davan-
tage aux péripéties inattendues du déroulement historique: scission, diversité",
Pour les hommes, l’image idéale du passé d’une faction est une coordination nette
et immobile des lignes de descendance qui se déroulent toutes de façon autar-
cique””. Or, cette image historique est contredite par la réalité. Elle est atténuée ou
estompée par l’entrelacement «blanc-noir» qui caractérise les contacts sociaux
dans tout le Maghreb. La bipartition peut être en rapport, mais pas nécessaire-
ment, avec la couleur de la peau.
Proposons un exemple qui se situe dans la région des Kroumirs (Tunisie du
nord-ouest)”?, et plus précisément à Mhamdia. Les descendants d’un certain
Mhammed, qui selon la légende fonda le village vers 1880, sont répartis en soud et
bid, «Noirs » et «Blancs». Une attitude de rivalité ou de vague inimitié les oppose.
On constate que la bipartition remonte aux deux femmes du fondateur: la pre-
mière était riche et «noire», la seconde pauvre et «blanche». Jusque dans les années
soixante, le camp «noir» fournit surtout des agriculteurs et des éleveurs. Leurs des-
cendants s’établirent de part et d'autre de la rivière; seules leurs femmes se ren-
contraient près de la source située plus haut, à la limite des deux territoires. Bien-
tôt, on commença à échanger des terrains: des «Noirs» allèrent habiter en
territoire « blanc » et inversement, ce qui s’expliquait par une meilleure entente: des
voisins immédiats ne peuvent pas se permettre de vivre dans un état d’hostilité
permanente. L'interpénétration devait assurer des contacts aisés et la fluidité
sociale. Au Maroc, un rôle important est joué par la symbolique de groupes oppo-
sés formant une bipartition mais qui, simultanément, «renversent» leurs fron-
tières et réalisent de la sorte une quadripartition.
Citons aussi un exemple provenant du milieu des «confréries». Les Gnawa
comprennent les «Noirs » de Sidi Bilal et les «Blancs » de Lalla Mimouna ou Lalla
Karima, ces derniers étant également appelés parfois ganga. Ils forment ensemble
le salab, la croix horizontalement blanche et verticalement noire; ils constituent
pourtant une seule et même confrérie, l’un sous l'aspect blanc, l’autre sous l'aspect
noir. Simultanément, ils sont également bipartites en eux-mêmes: Mimouna
«vient de l’est », de la lumière blanche des chorfa ou descendants du Prophète, mais
elle est associée à l’ouest (noir) et est elle-même une sahrawiya (saharienne) à la peau
foncée. Elle «est » également l’huile (d'argan ou d'olive), qui est noire et s'élève des
profondeurs"”*. En effet, même la nourriture est également soumise à ces «lois ».
Un autre modèle de circulation est le marché aux denrées alimentaires (soug).
Celui-ci comptait traditionnellement un marché aux grains (rahba) et un abattoir
(gourna). Le premier est «blanc», mais le khabbar, l'esclave qui vend le grain, est
«noir». L'abattoir est «noir» également, tout comme l’«esclave» qui y travaille”.
L'opposition est relative: blanc /noir d'une part, noir de l’autre. À l’intérieur du
marché, les deux s'interpénètrent. Cet entremêlement est le ferment de la société.
L'activité même du marché, la vente et l'achat, est semblablement une interaction:
la femme «vend», l'homme «achète». Cette circulation /interaction est une méta-

151. Ibid. p.132.


152. Ibid. p.300. 149
153. D.Jongmans, «Le phénomène de bipartition tel qu'il se présente à Mhamdiah », in Cahiers des Arts et Tra-
ditions populaires, 2, 1968, pp. 99-113.
154. Pâques 1992 (voir note 149), pp. 62-64.
F2 Ibid., pp. 34-35.
phore des relations sexuelles®®. C'est pourquoi, dans la culture traditionnelle de
l'Afrique du Nord, les femmes n'allaient pas au marché, sauf s’il s'agissait d'un mar-
ché qui leur était exclusivement réservé.
Les groupes dans lesquels, de temps immémorial, la société berbère est divisée
ne s'opposent pas tels des blocs immobiles: ils entretiennent une relation
d'échange et de pénétration réciproques, ce qui empêche la sclérose et l'aliénation.
Il en va ainsi au niveau social, mais également à des niveaux à la fois plus réduits et
plus complexes.
Les nuances infinies entre forme et absence de forme dans l’art textile berbère
trouvent par ailleurs une analogie dans la vision que l'on se fait de la formation de
l'enfant dans le ventre de la mère. Le Coran (sourate 22,5) dit: «Nous (Allah)
sommes celui qui vous a créés à partir de la poussière, puis d’une goutte, puis d'une
masse de sang, puis d’une masse de chair, en partie formée et en partie non for-
mée.» La grossesse est perçue comme analogue à la fabrication du fromage, à la
cuisson du pain et à des processus de fermentation, de réchauffement, de transfor-
mation incessante”, Le mythe populaire juif du golem s'inspire d’une intuition
analogue (golem signifie «fruit informe » ou «pot inachevé »).
Pour imaginer ce qui se produit durant la grossesse®”, les Marocaines ont
recours à la métaphore de l'eau. L'eau des canaux d'irrigation est pure, mais par
elle-même elle ne produit rien. Il en est de même du sable: il est «blanc» et pur,
mais «sec» et stérile en lui-même. Pour créer la vie, l’eau doit être détournée,
contenue et dirigée vers un champ. L'eau stagnante se mélange à la boue et aux
feuilles, et fermente. Après quelque temps, elle contient des êtres qui n'existaient
pas auparavant dans l’eau courante”.
La fermentation dans une eau «noire » crée donc la vie!°° . C'est ce qui se produit
lors de la grossesse. L'«eau» «blanche», «pure» de l’homme est recueillie et salie:
c'est seulement ainsi qu’elle peut créer une vie nouvelle. Elle s’agglutine en un tout
informe. Durant les premiers mois de la grossesse, la femme possède une odeur,
son visage s'obscurcit. Elle évite souvent les autres, dort dans des coins obscurs, de
préférence sur un tissage en poils de chèvre. Dans son ventre, dit-on alors, il y a
«quelque chose qui fermente » (kh-m-r). La racine kha-ma-ra se rapporte à l'acte de
couvrir, envelopper, taire, rougir, faire fermenter. Le quatrième radical se rapporte
également à l'acte de se représenter quelque chose, au fantasme, à la réflexion
incessante, à l’action d’entrer. Khamar est ce qui se soustrait au regard, khimar est le
voile, khoumra le levain ou l'odeur dont on est imprégné.
Le fait de se couvrir la tête a donc un rapport avec l’enveloppement du pouvoir
féminin de la procréation, et plus précisément avec son aspect le plus obscur. L'uté-
rus ou le ventre de la femme enceinte est vu comme un fût au contenu informe qui
fermente. Il est question de «putréfaction», ce qui correspond aux désirs imprévi-
sibles de la femme enceinte et à son envie de matières souvent non comestibles. Les

156. Ce qui apparaît dans les scènes de marché peintes en Europe au XVI‘ et au XVI siècle.
157. M. Stol, Zwangerschap en geboorte bij de Babylonièrs en in de Bijbel, Leyde, Ex Oriente Lux, 1983, p.7. Pour la
tradition européenne, voir Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L'univers d'un meunier du XVF siècle, Paris,
Flammarion, 1980.
158. Henri Jahier & Noureddine Abdelkader, Le livre de la génération du fœtus et le traitement des femmes enceintes
150 et de nouveau-nés, Alger, 1956.
159. Voir J. Rudhart, Le thème de l'eau primordiale dans la mythologie grecque, Berne, 1971; R. Muth, Träger der
Lebenskraft : Ausscheidungen des Organismus im Volksglauben der Antike, Vienne, 1954.
160. R. Kruk, «A frothy bubble: spontaneous generation in the medieval Islamic tradition », in Journal of k
Semitic studies, 35, 1990. L
Tapis aux points noués, Bouja ‘d (Maroc), vers 1940 (236 x 160 cm).
RARE
TE

15 Lo

Tapis aux points noués, Mtaguil (Maroc), XIX® siècle (300 x 175 cm).
processus informes se déroulant dans son corps sont «sales » et évoquent la mort
(analogie avec la putréfaction), mais cet aspect létal porte en soi la vie nouvelle.
Dans la société traditionnelle, la grossesse est pour la femme le temps de la
puissance, le temps où elle peut tout exiger, même si cette exigence va à l'encontre
de la distribution — normalement inviolable — des rôles entre homme et femme.
Les premiers mois de la grossesse sont le temps du touhim, le «désir». Le corps de la
femme actualise alors l'impossible. La forme naît du chaos de la «putréfaction»,
comme le beurre naît du lait. Cette comparaison paraîtra irrespectueuse au lecteur
occidental, mais l’analogie entre d’une part la création et la grossesse et d'autre
part une pâte en fermentation ou du lait qui se caille est essentielle dans l'ancienne
conception rurale du monde et de l’homme.
La «putréfaction» informe n'est pas ici un processus linéaire menant à la
déchéance finale, mais une progression vers la forme. Une distinction commence
à se former. Quelque chose commence à se dessiner (fasl), à rétrécir, à se contracter
(jm). Azraël, l'ange de la mort, répand dans l’utérus un peu de terre de la tombe de
la personne-en-devenir. Cette terre déclenche la formation-issue-de-l'informe,
processus symbolisé par les menottes du fœtus (dans l’art textile berbère, la main
est un important motifdeprotection, mais aussi de gestation). À partir de la phase
de l'articulation définitive du fœtus, la femme enceinte entre dans un cycle
«blanc», qui n’est évidemment pas «blanc» de façon absolue, car il reste en lutte
avec le «noir». On se gardera de toute vision trop simpliste de cette mythologie
«blanc-noir». «Blanc » n’est pas assimilable à la «vie», ni «noir » à la «mort» comme
le veut couramment la tradition occidentale. Les deux modes d'être ne cessent de
s'interpénétrer. Le «blanc » est habité par le «noir», et inversement. C'est dans les
innombrables «coutures » fluides de l’un et de l’autre que la vie naît et s'étend.
Le «blanc» tend à la sécheresse et à la stérilité”, et par conséquent à une forme
de mort. Le «noir » tend à l'humidité et à la fécondité, et donc à la vie. Blanc et noir
sont deux modalités bien déterminées d’in-formation. Le processus de la forma-
tion d'une vie nouvelle dans l’utérus se déroule dans le sens noir-blanc, selon une
articulation plus claire. Mais ce blanc ne peut être que relatif, car dans sa forme
pure le blanc signifie la fin de la vie par dessèchement et passage à l’infécondité. Le
noir correspond à la mort par dé-formation et fermentation, ce qui met le blanc en
danger; le blanc correspond à la mort par dessiccation, ce qui met le noir en dan-
ger. Tous deux mènent à des formes propres de vie et de mort".
Le noir est la condition fondamentale du devenir, mais il a besoin du blanc pour
canaliser clairement ce devenir. En tant que mystère du devenir, le noir se soustrait
à notre entendement. Le fait que la seconde moitié de la grossesse est conçue
comme «blanche» indique un processus de formation définitive. L'un comme
l'autre, blanc et noir, ne peuvent exister, et même se concevoir, que dans leur inter-
dépendance. La vie se crée à la frontière de leur rencontre. Tous deux sont néces-
sairement «maculés » par l’autre. Tous deux sont à la fois condition de vie néces-
saire et fin de l’autre.
Les contacts infinis, toujours changeants, jamais définitivement saisissables
entre les deux ne sont pas réductibles à une dialectique rigide de deux pôles oppo-
sés, comme c’est le cas par exemple dans la science structuraliste classique. Ici,
Al V9

161. Voir Françoise Héritier, «Stérilité, aridité, sécheresse: quelques invariants de la pensée symbolique », in
Le sens du mal: anthropologie, sociologie, histoire de la maladie, Paris, EAC, 1984.
162. Pandolfo 1989 (voir note 139), p.13.
d
l'interaction se situe continuellement à la limite de l’altérité et du rapprochement.
Cette interaction est une continuation de ce qui s'est produit lors de la création.
À cet égard, il convient de considérer que la mythologie de la création qui vit au
sein du peuple maghrébin diffère de celle de l'islam. La confrérie des Gnawa a éla-
boré cette cosmologie en une doctrine riche et variée de la renaissance psychique,
celle-ci étant provoquée par la participation à la création du monde. Cette création
est vue comme un processus de circulation de germes et de forces à travers les dif-
férentes dimensions d'un moment originel indivisible en soi, mais fractionnée en
dix phases pour une meilleure compréhension humaine. Ces dix dimensions sont
sillonnées par le flux de trois principes vitaux évoqués par trois liquides — eau, lait
et sang — ou par trois couleurs — noir, blanc et rouge. La circulation est également
la voie du devenir ou de la renaissance des âmes. Elle est analogue à la Voie lactée,
le flux céleste qui, depuis un passé très lointain, fut considéré comme le trajet que
devaient accomplir les âmes.
Les trois principes de vie circulent également dans le corps humain: le sang
(dem), l'âme (rouh) et l'âme animale (nefs). Après la mort, le corps est décomposé par
les vers, à l'exception de la dernière vertèbre du coccyx, ladam qui porte en soi le
germe de la renaissance. Celle-ci s'appelle louz, «amande ». (D'où la représentation,
dans l’art méditerranéo-chrétien, du Christ ressuscité dans une forme en amande
illuminée, la mandorle.) Cette amande dans son enveloppe est comme la khoukha,
une petite porte dans une grande porte, un passage de l'âme".
Le znin — une abstraction du sperme — est logé dans la moelle épinière, mais
habite après la mort dans l'«amande», pour disparaître dans le «grand fleuve du
sud» et animer par la suite, lors d'une nouvelle naissance, un être humain. (La
moelle épinière de l’homme ressemble à la Voie lactée dans l'Univers. Le znin
s'écoule de l''amande » comme les Pléiades [Thoutiya] sont issues de la Voie lactée.)
À la mort d’un être humain, la rouh et la nefs quittent le corps. La rouh disparaît
par la bouche, tarissant ainsi la «source» sous la langue. Elle part dans l’eau pour
arriver dans le khla, «région désolée» ou troisième partie du monde, qui est
cachée", Elle s'élève ensuite vers le gotb ou pôle nord, descend vers le sud, l'akhira
ou «autre monde», dans les eaux souterraines, puis remonte pour se loger dans un
nouveau-né. La nefs quitte le corps par au-dessus et par en dessous. La partie qui
disparaît par en dessous est perdue et ne revient plus. La partie qui s'échappe par la
bouche («rendre le dernier soupir») trouve son chemin dans le feu et de là, par le
biais de parfums brülés (encens, etc.), remonte au soleil. Un champ de blé où le
vent fait onduler les épis montre ce qu'est la nefs. C’est le souffle chaud qui s'élève »
des végétations au printemps et les «anime »"%,
Les danses nocturnes thérapeutiques des Gnawa (lila) représentent les tribula-
tions et la (trans)formation de l'âme sur le mode mythique, en dix phases (en théo-
rie du moins) et sept couleurs, en se basant sur la correspondance entre l'homme
et l'univers", Pour guérir, l'être humain malade, déséquilibré, doit renaître. À cette
fin, il doit participer à la représentation du mystère de la création du monde. Celle-

163. Pâques 1992 (voir note 149), p.140. 4


164. Viviana Pâques, «Le tiers caché du monde dans la conception des Gnawa du Maroc», in Journal de la
Société des Africanistes, 45, 1975, Pp.7-17.
154 165. Pâques 1992 (voir note 149), p.178.
166. C'est ainsi que la gnose égypto-hellénique développa une cosmogonie utérine: l'univers était comme
une matrice et s'autoprocréait. Les eaux de l’abime étaient le liquide amniotique porteur de vie. Des écri-
vains chrétiens tels Irénée de Lyon (f 202) et Hippolyte de Rome s'en prirent à la vision gnostique qui
remontait, selon eux, à des sources plus anciennes (Barb 1953 [voir note 27], p.197). En effet, les gnos-
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Tapis aux points noués, Ait Ouaouzguite (Maroc), vers 1930-1950 (355 x 150 cm).
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Tapis aux points noués, El ‘Ararcha (Maroc), vers 1920-1940 (320 x 170 cm).
ci a eu lieu non pas par une décision abstraite et verbale de la volonté divine mais
par un processus de formation. Il s'agissait dans son essence d’un moment indivi-
sible, l'explosion de la première étoile, le sacrifice primordial dont découlèrent les
trois principes de vie.
Cette genèse est trop complexe pour être expliquée ici. Toute explication ver-
bale serait d’ailleurs une falsification occidentale. La cosmogonie des Gnawa,
comme d’ailleurs toute doctrine analogue émanant d'une société traditionnelle, ne
se transmet pas par la parole mais par l'expérience du rituel et de la danse. Bor-
nons-nous à signaler que cette cosmogonie fut amorcée par l’auto-sacrifice de
Dieu — officiellement Allah, mais la divinité de cette doctrine n'est certainement
pas un dieu purement abstrait. La première chose à s'écouler de ce Dieu qui s'im-
mola lui-même fut l'océan primordial, amer et stérile (encore qu'il puisse s'agir
également de l’eau d'un accouchement antérieur au sujet duquel on ne peut rien
apprendre)7.Cet océan est le khla, le vide noir de la première terre, rouge en tant
que préfiguration du sang sacrificiel, blanc comme la semence. Les trois couleurs
noir-blanc-rouge sont fondamentales dès les origines.
Dieu se mire dans cet océan — le monde-d’en-haut est une inversion parfaite du
monde-d’en-bas. Le souffle de vie — rouh et nefs — s'écoule du sacrifice originel,
mélangé à du sang. Alors commence une circulation extrêmement variée des
principes qui donnent la vie; elle ressemble en même temps à une respiration qui
monte et descend, s’enfle et se vide. Le souffle cosmique n’est pas un mouvement
linéaire, mais une spirale ou un tourbillonnement qui se manifeste en différentes
dimensions. Le concept du sacrifice est fondamental au fil des dix ahwal (situation,
état, dimension). Au sein de la tradition populaire maghrébine, comme d’ailleurs
dans d’autres cultures, le sacrifice" est «inaugural»: il féconde et fait vivre (par la
mise à mort d’un être vivant). D'après cette cosmogonie, trois sacrifices ont eu lieu,
chacun d’eux entraînant un épanchement de principes vitaux. Ceux-ci ruissellent
le long de la montagne primordiale et, tel un torrent sauvage, ils entraînent avec
eux les éléments de Sept Mines (ou sources, selon la perspective). (Il s'agit des sept
esprits [moulouks] qui font de l’homme ce qu'il est. Chacun d’eux a sa propre cou-
leur, qui correspond à une propriété spirituelle et caractérielle: blanc, vert, bleu,
noir, bariolé, rouge et jaune. Ces couleurs structurent la lila.) Les sacrifices «de
l’est » et « du sud » ont «suscité » l'eau et le lait. Il existe deux formes d’eau. L'eau ter-
restre d'en bas est masculine et s’identifie à la «soie», l'eau céleste d’en haut est
féminine et s'identifie à la «laine ». (Les deux sont associées dans les célèbres tissus
fins de Bzou, dont les tisseuses livrent chaque année à la Cour la sitar, une image an-
iconique du ciel, laquelle mesure quarante aunes.) Les deux eaux sont doubles:
blanches et rouges. En bas, il y a l'eau blanche de la neige de la montagne et l’eau
rouge de l'accouchement. En haut, il y a l'eau pure, claire, qui devient rouge quand
le monde «s'élève ». Lorsqu'on creuse un puits, l’eau rougeâtre sourd d’abord; elle
est rapportée à la menstruation. Après seulement surgit l'eau pure. La circulation

tiques s’inspiraient des mythes du monde africain, qui circulaient en Égypte bien avant l'ère des dynas-
ties, et qui gardèrent leur influence en Europe occidentale et en Afrique du Nord jusqu'au XX° siècle.
Voir L. Racine, «Du modèle analogique dans l'analyse des représentations magico-religieuses », in
L'homme, 109, 1989, pp.5-25. Pour un exemple, issu du monde médical, de l'éloignement historique à
l'égard de la pensée analogique, voir: B. Vickers, « Analogy versus identity: the rejection of occult sym-
bolism 1580-1680 », in Occult and scientific mentalities in the Renaissance, Cambridge, U.P, 1984, pp. 95-164.
167. Pâques 1992 (voir note 149), p.90.
168. Voir Hassan Rachik, Sacré et sacrifice dans le Haut Atlas marocain, [Casablanca], Afrique-Orient, 1990; Id.
; . Lesultan des autres. Rituel et politique dans le Haut Atlas, [Casablanca], Afrique-Orient, (1992).
de ces eaux entre ciel et terre est celle des âmes qui renaissent, dans un mouvement
presque éternel, «colorié » encore par une autre eau. Celle-ci est comparable aux
eaux diluviennes consécutives à un orage: elles emportent tout dans leur flux;
c’est la hamla des sept couleurs qui fend la terre. Finalement, cette eau devient claire
également: tel est l'objectif de la lila et de sa transe qui purifie l’âme. Les eaux dilu-
viennes deviennent alors une pure hamla d’eau, de feu et de lait"°”.
Nous ne proposons ici qu'un résumé superficiel de la doctrine de la
purification. L'alchimie de la derdeba ou lila est trop complexe pour pouvoir être
évoquée en de pauvres mots. Dans les pages qui précèdent, nous n’avons donc
voulu esquisser rien de plus qu’une image sommaire des dimensions infinies d’une
vision du monde basée sur un «flux » qui doit rester «ouvert »”°.
Le moulli n’est pas un phénomène unique. D’autres civilisations ont développé
des visions parallèles de la vie humaine. Le tonalli de la population mexicaine
autochtone n'était pas fondamentalement différent”": un principe de vie qui se
fraie une voie à travers les aspects opposés de la réalité. Celle-ci s'organise au
niveau du mythe selon deux axes perpendiculaires. Il y a l’axe In Topan («le haut ») et
In Mictlan («le bas»), subdivisé en Neuf Au-delàs. Sur cet axe se jouent les princi-
pales transformations entre vie et mort, sommeil et veille, sensibilité et insensibi-
lité, conscience et inconscience, imagination et expérience. C’est la voie de toutes
choses, la montée et le déclin des influences surnaturelles, le feu de l'existence, le
cycle du temps. Perpendiculairement à cet axe se dessine l'axe de l’horizon(talité),
avec la Terre des Dieux, le désert, les extrêmes, l'océan, les lointains où le tonalli se
perd, les Sept Grottes d’où les humains étaient issus mais qui signifient métapho-
riquement le corps interne. Ce corps «horizon(tal) » est traversé par le feu de tout
ce qui se déroule sur l'axe «vertical ». Ce qui se produit de la sorte se reflète dans les
quatre angles du grenier à blé, de la natte sur laquelle on dort, de l’espace intérieur
de notre corps. Le point d’intersection inexistant des deux axes est le feu, com-
parable au moulli qui naît et s'exprime par la circulation.
De même que, selon les conceptions ésotériques du Maghreb, le lait, l’eau et le
sang passaient pour les trois principes créateurs de vie, les Mexicains autochtones
situaient les trois forces vitales dans la tête, le cœur et le foie. Tout glissement de
l'équilibre pouvait provoquer la gêne, la maladie et la mort.
L'univers entier est le théâtre d’une transformation infinie qui transcende
toutes les frontières et toutes les catégories —la métamorphose éternelle, si angois-
sante et embarrassante pour la pensée occidentale classique. La vie naît de l'in-
forme, mais seulement à travers la confrontation de l’informe avec un principe for-
mateur. Si les tissus berbères paraissent souvent chaotiques à un œil occidental,
c'est parce que les «jeux du devenir», changeants et insaisissables, se manifestent

169. Pâques 1992, pp.80-126.


170. De nombreux tapis présentent le motifde la «théière ». On l'explique par la cérémonie du thé et la règle
de l'hospitalité. Cependant, nous ne voyons pas comment situer cette idée dans l'ensemble de l'icono-
Kilim, El Regeyeb (Tunisie), vers 1930 graphie de ces tapis. Le vase était déjà un symbole important dans les mosaïques de l'Antiquité (Poins-
(260 x 187 cm). sot 1934 [bibliographie 2c], pp.138-139). Comme dans l'art grec et levantin, le «cratère» représente
l'abondance: l'écoulement est ici au centre de la signification. On trouve également sur de nombreux
tapis de Rabat des «théières » (berrad). Elles sont rendues avec réalisme, mais leur panse a subi une méta-
morphose remarquable. Elle est souvent entourée de crochets ou de piquants et elle renferme une
158 forme scindée en quatre, une ramification ou une excroissance (Ricard vol.1 [bibliographie 3e],
pl.XXII, n°122-124). La forme de ces «cruches » rappelle beaucoup la boteh, motifde base d'innom-
brables textiles d'Iran jusqu'au Cachemire.
171. Serge Gruzinski, La colonisation de l'imaginaire. Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol,
XVIe-XVIIle siècle, (Bibliothèque des Histoires), Paris, Gallimard, 1988.
Kilim, El Regeyeb (Tunisie), vers 1930 (285 x 200 cm).
par analogie dans le processus de leur création: la création artistique est elle aussi
une interaction entre un matériau informe — et la laine passait dans tout le Magh-
reb comme une matière vivante — et une puissance qui imprime une forme. L'im-
pulsion artistique repose sur les mêmes principes que ceux du monde ou de la
grossesse.

Vertige, tremblement, spasme

Il a été question ci-dessus de l'effet vertigineux de certains textiles du Maghreb et


de la fonction apotropaïque de cet effet. Il existe par ailleurs dans les cultures médi-
terranéennes traditionnelles une association entre «femme », «tisser », «araignée »,
«suspension » et «vertige » 7”.
L'analogie femme-araignée paraît évidente: toutes deux filent. Suspendue très
haut à son fil, l'araignée doit être sujette au vertige. Mais l'association a des causes
plus profondes, remontant aux modes d’intuition d'un passé très lointain et qu’il
n’est pas possible de déterminer pour l'instant.
Dans diverses expressions culturelles, tous les concepts précités ne sont pas
nécessairement associés les uns aux autres. L'araignée ne joue pas un rôle mar-
quant dans la symbolique berbère. Linguistiquement, les appellations de l'araignée
s'appliquent également à certains autres animaux ou sont apparentées aux noms
de ces animaux. Tabghaynust (féminin) se dit aussi bien d’un crabe que d’une arai-
gnée ou d'un grand insecte"; abelhekkoush se dit des grenouilles, des lézards, des
reptiles et des grandes larves”#. Les noms dérivés de la racine berbère b-kh pos-
sèdent un spectre sémantique allant dans ce sens: abakhkhou, «insecte »; tabakh-
khou, «araignée»; bekhkhou, «monstre»; boukhboukh, «limace»; et enfin ibkhakh,
«chèvres». Il existe donc indéniablement un lien avec la représentation d’arai-
gnées, insectes, hérissons et céphalopodes d’une part, et de reptiles (lézards, etc.),
amphibies (grenouilles, crapauds) et mollusques d’autre part. Ces groupes ne sont
d’ailleurs pas strictement délimités. Le premier est évoqué principalement par le
motif-à-excroissances qui figure si souvent au centre des tapis — et cela non seule-
ment dans l’art textile du Maghreb"”*.
L'«araignée » est indirectement associée à une série de représentations mentales
de l'utérus ou de la sexualité féminine". L'araignée-matrice évoque l’écheveau de
l'expérience psycho-corporelle propre aux facultés féminines et — au sens concret
comme au sens figuré — des points névralgiques qui y sont associés. Il est compré-
hensible dès lors qu'un certain nombre de rites féminins très importants aient été
associés dès l'Antiquité à l’image de l’araignée.

«Motif sans nom/insecte » sur poterie 172. Certaines de ces connotations ont été étudiées dans Vols d'âmes. Traditions de transe afro-européennes, Gand,
néolithique et chalcolithique du Proche Snoeck-Ducaju, 1997.
Orient (Skaw, Bendebal, Gap, Yahya VIB, 173. Naït-Zerrad 1998 (voir note 140), p.85.
Iblis 1, Amug E, Bakun |V). 174. Ibid. p.61. Te
175. Ibid. p.140. *
176. Des «insectes » en forme de losange avec huit longues protubérances /pattes constituent souvent le
motif principal des gabbehs iraniens. (Gabbeh. The Georges D. Bornet Collection, Graz— Londres, 1986, pl. 61,
160 62, 63).
177. L'araignée et sa toile possédaient également dans d'autres cultures une signification s'inscrivant dans le
champ sémantique commenté ici. Pour les Tukano de Colombie, la tarentule symbolisait la menace
sous-jacente du sexe féminin. La toile est comparée au placenta. Gerardo Reichel-Dolmatoff, Desana.
Simbolismo de los Indios Tukano des Vaupés, Bogota, Procultura, 1986, p.130.
Pendant des siècles, l'Espagne et l'Italie ont connu une forme de danse théra-
peutique, appelée tarantel(l)a —argia en Sardaigne. Le nom est dérivé de celui d’une
araignée dont la morsure passait pour provoquer une maladie bizarre, dange-
reuse, très difficile à décrire. L'araignée » n'était que le nom d'un être imaginé de
façons très diverses, qui était également «vu» comme «épouvantail » (babau), âme
damnée, variété de lézard ou scorpion.
La maladie provoquée par l'«animal» consistait en troubles psychosomatiques
désignés de nos jours par les termes de dépression, neurasthénie, psychose d'an-
goisse, etc. Comme la catégorie de l'affection psychique autonome était inconce-
vable dans la culture prémoderne, il fallait bien que la cause en fût extériorisée. La
maladie se guérissait temporairement grâce à une danse qui s'exécutait sur le
rythme et le timbre «propres» à la taranta. Cette danse connaissait d’ailleurs de
nombreuses variantes, tout comme la problématique psychique connaît de nom-
breuses manifestations différentes. La danse de la taranta entraînait une transe qui
préludait à la guérison.
L'indescriptible araignée n'était rien d'autre qu'une incarnation d'une instance
inquiétante qui avait prise sur l'âme et le corps d’un individu — généralement une
femme. Les patientes étaient souvent des personnes qui ne pouvaient remplir ou
accepter leur rôle social, rôle strictement défini dans la société traditionnelle,
ou qui ne s'adaptaient pas à l’image reçue de la féminité. L'être X et l'être-femme
s'interpénétraient. Sans doute l’araignée était-elle, comme la pieuvre et le crabe,
une image inconsciente de la matrix — dans la mesure où celle-ci était «négative » et
problématique. Depuis l'Antiquité classique, et peut-être bien plus tôt, l'utérus (hus-
teron) était considéré comme la cause de troubles psychiques («hystérie ») : on le per-
cevait comme un être indépendant qui « habitait » le corps féminin et y dictait sa loi.
La thérapie de la tarentelle, avec sa répétition presque infinie de mouvements
. de va-et-vient, fut comparée dès l'Antiquité grecque avec le bercement et balance-
ment apaisants de petits enfants agités. Et de tout temps on associa le tissage lui-
même à l’araignée. Un mythe grec raconte l’histoire d’Arachné, une tisseuse extré-
mement douée qui vivait en Lydie (Anatolie). Même les nymphes l'admiraient pour
son art, qu’elle-même considérait comme son mérite propre: elle alla jusqu’à pré-
tendre qu’elle tissait mieux que la déesse Athéna (le mythe postule donc un art
divin et un art humain du tissage) et la défia en un concours. Une vieille femme, qui
se révéla être Athéna en personne, essaya —en vain — d'inciter Arachné à plus d'hu-
milité. Lors du concours, Athéna tissa une image de l’Olympe, avec dans les coins
quatre scènes représentant l’orgueil humain et sa punition. Le tissage d'Arachné
égala celui de la déesse. Elle fut néanmoins châtiée pour son manque d'humilité et
de respect. Frappée par la navette d'Athéna, Arachné devint folle. Elle voulut se pri-
ver de la vie par pendaison, mais la déesse la changea en araignée. Ainsi, elle dut
continuer à filer éternellement, se souvenant des mots: «Vis, mais reste suspen-
«Motif sans nom/araignée/essaim
due !» Ce n'est pas un hasard si la suspension et le balancement de l’araignée étaient
d'insectes», peintures rupestres
le «modèle » de certains rites féminins”. préhistoriques en Espagne
Le balancement était également un rituel important dans la culture féminine (Cueva Remigia et Mola Remigia).

traditionnelle d'Afrique du Nord. On se balançait souvent lors de la ziara, pèle-


rinage collectif ou rencontre auprès de la tombe ou du lieu de culte d’un saint (réel
. ou mythique). Les femmes avaient alors l’occasion d'être ensemble, et se voyaient IOI

178. Jean Hani, «La fête athénienne de l'aiora», in Revue des études grecques, 1978, pp.107sqq. Des modèles
minoens de femmes se balançant ont été trouvés à Haghia Triada en Crète. Voir Christian Zervos, L'art
de la Crète néolithique et minoenne, Paris, Éditions Cahiers d'Art, s.I, ill. 578.
souvent accorder une liberté inhabituelle, qui se justifait religieusement par une
décision (réelle ou supposée) du saint.
Le jeu de l'escarpolette, connu sous de nombreuses dénominations"”?, était exé-
cuté en diverses occasions: ziara”°, fêtes fixes du calendrier annuel (équinoxes,
moisson), rites de passage. Il visait toujours un but positif: fécondité, prospérité,
guérison. Le vent que l’on sentait en se balançant était le rouh fécondateur; le ver-
tige, essentiel dans toute une série de rites d’extase (derviches, etc.), constituait le
point critique 8! où l'individu se transforme par le contact avec des pouvoirs supé-
rieurs. La magie avait également recours très souvent à des amulettes suspendues
à des branches d'arbres et qui se balançaient au vent; celui-ci était censé transpor-
ter leur effet jusqu’à la personne que l’on voulait atteindre. Le vent «frappait » la
personne en question et pénétrait en elle (par analogie avec le rhume, la toux, etc.
qui sont introduits dans le corps «par le vent») ®?.
Pendant le balancement rituel, on chantait des vers qui suivaient le rythme du
lent va-et-vient. Ce chant s'appelait hawf ou tahwif, genre poétique réservé aux
jeunes filles et aux femmes. Le mot hawf désignait une sorte de pagne de cuir
découpé en bandes et porté par les jeunes filles avant la puberté (et parfois par les
garçons), ainsi que durant la menstruation"®. Le hawf était également une ceinture
en cuir rouge, découpée en franges et décorée de coquillages que les filles portent
au-dessus de leurs vêtements. En troisième lieu, enfin, le mot peut désigner un sac
en cuir — ce qui l’apparente à l’aegis et à ses équivalents berbères.
Comme vêtement, le hawf possède des origines très anciennes. Il y a vingt-cinq
siècles, l'historien grec Hérodote notait déjà (IV, 189) que les femmes «libyennes »
(berbères) exécutaient un jeu rituel en l'honneur d’une déesse qui peut être assimi-
lée à Athéna. Elles portaient à cette occasion un vêtement de cuir de chèvre rouge
muni de franges**: le précurseur du hawf. Bien plus tôt, dans la civilisation sumé-
rienne, une jupe consistant simplement en une large ceinture d’où pendaient des
bandelettes (de tissu, de cuir?) était en usage lors des rites de la hiérogamie'®.
L'archéologie nous permet de remonter encore plus loin dans le temps. Le plus
ancien artefact qui nous intéresse ici est la « Vénus » de Lespugue, qui appartient à
la culture gravettienne d'il y a environ 20 000 ans. La femme représentée par cette
statuette porte à hauteur des cuisses une espèce de minijupe tressée. D’autres
sculptures préhistoriques datant de 20 000 à 3000 avant notre ère montrent des
tressages analogues pour le bas-ventre, sous les fesses ou autour du corps. Une
«jupe » analogue — remontant cette fois au XIV siècle avant notre ère — a été trou-
vée sur le corps d'une jeune femme à Egtved, une autre à Glby, deux localités
danoises ; les extrémités étaient alourdies par des gaines de bronze dans le second
cas, par des nœuds dans le premier.
(a-b) Emblèmes égyptiens de féminité Un tel vêtement ne protégeait pas du froid ni des regards indiscrets. Sans doute
(d’après Mémoires de l’Institut d'Égypte, la jupe tressée indique-t-elle - comme le pense Elizabeth Barber dans son étude de
vol. 53).
l’art textile préhistorique — la fécondité et/ou la disponibilité. L'Iliade décrit la cein-
(c) Tablier/pagne à franges, Albanie,
XIX siècle (d’après Barber 1994; ture d'Héra comme un «réseau de centaines de houppes » (XIV, 182).
voir note 186).
179. Mourad Yelles-Chaouche, Le hawfi. Poésie féminine et traduction orale au Maghreb, Alger, Office des Publica®
tions universitaires, 1990, p.117.
180. Voir Fatima Mernissi, « Women, saints and sanctuaries », in Signs, 3, 1977, Pp. 101-112.
162 181. Yelles-Chaouche 1990 (voir note 179), pp.118-122.
182. Nejma Plantade, La guerre des femmes. Magie et amour en Algérie, Paris, 1988, p.66.
183. Yelles-Chaouche 1990 (voir note 179), p.115.
184. Naït-Zerrad 1998 (voir note 140), p.63: racine binks, «(pourvu de) franges ».
185. Margarete Riemschneider, Augengott und heilige Hochzeit, Leipzig, Koehler et Amelang, 1953, pp. 149 sqg.
Cette jupe tressée a survécu dans la culture populaire d'Europe orientale jus-
qu’au XX° siècle, mais portée au-dessus de la robe. Elle consistait simplement en
une large ceinture à franges noires et/ou rouges et servait de signe distinctif pour la
femme mariée ou mariable. Les franges étaient en laine peignée avant le tissage et
si serrées qu'elles formaient de lourdes cordes. Barber décrit l'expérience qu'elle a
vécue en portant un vêtement macédonien de ce type : «Ce fut ma plus grande sur-
prise: la vie propre de mon enveloppe. Je dansais [...], captivée par le mouvement
des lourdes franges de ce vêtement tout à fait différent de tous ceux que j'avais déjà
portés. Je me sentais pleine de joie, pleine de force. Je voulais les faire sauter de
droite à gauche et de bas en haut. [.…] Des jours plus tard, je sentais encore la force
inattendue de cette expérience. Un sentiment de vigueur? Est-ce que cela fait par-
tie de la symbolique de cette jupe?Le pouvoir de créer une vie nouvelle doit certai-
nement être ressenti comme une forme de puissance ultime. La joie de porter
le vêtement ? Etait-ce une autre raison de la persistance de la jupe pendant plus
de 20 000 ans ? »'*°
Dans le monde sémitique, le hawfn'est qu’une des manifestations d'unetradition
très répandue et très ancienne. Le mot hawf est dérivé de hafa (de la racine ha-wa-fa),
qui signifie «placer au bord», «n’humidifier que les extrémités», «découper aux
bords ». Le mot se rapporte donc à la perception des «extrémités ». Dérivé de hawf,
l'adjectif hawf signifie «qui appartient au hawf». Le genre littéraire hawf rappelle
l’ancien zajal ou, ultérieurement, les coplas de la tradition andalouse. Il s’agit de
chants alternés d’une fantaisie léoère, aérienne, parfois très sibyllins. Leur nom est
dérivé de haw(w)afa, deuxième radical de ha-wa-fa, « (faire) tomber». Ils expriment la
poésie du bercement et du balancement, du vertige et de la chute. On disait que la
fée Douwakhkha, la « Vertigineuse », avait appris à une princesse le jeu de l'escarpo-
lette et le style poétique correspondant” . L'un et l’autre ne sont d’ailleurs pas exclu-
sivement berbères ou maghrébins"”. 188
Dans les peintures sur vase grecques, le thème
est de nature dionisyaque“”, et il ressurgit encore dans la peinture galante du
XVII siècle (Watteau, Fragonard, Goya). Dans les anciennes traditions popu-
laires’°,
190
le bercement et le balancement se situent au carrefour émotif du désespoir
et de la consolation. Le mouvement de va-et-vient est analogue au «mouvement»
psychique causé par l'angoisse et le désespoir; ses effets sont apaisants. Ce n’est pas
par hasard que de nombreuses pratiques thérapeutiques de la transe étaient basées,
dans le monde méditerranéen (et ailleurs), sur une danse aux mouvements
infiniment répétés. Les danseuses de la tarentelle imitaient inconsciemment une
araignée en dansant suspendues à une corde attachée à une poutre.
L'araignée se balançant à son fil n’était rien de moins, à l’intérieur de l'horizon
mythico-rituel"?' de la femme, qu'une image paradoxale d'elle-même, image à la

186. Elizabeth Barber, Women's work. The first 20000 years. Women, cloth, and society in early times, New York—
Londres, W.W. Norton, (1994), pp.44, 54, 56,58, 50, 61-65.
187. Mustafa Lacheraf, Chansons des jeunes filles arabes, Paris, 1953, pp.9-10:Jeanne Jouin, «Chansons de l'es-
carpolette à Fès et Rabat-Salé », in Hesperis, 41, 1954, pp.341-363 ; Saadeddine Bencheneb, « Chansons de Ceinture, Anti-Atlas (Maroc), XIX® siècle
l'escarpolette», in Revue Africaine, 1945, pp. 91-102. (environ 500 x 30 cm).
188. Pour l'Asie, voir entre autres Jeanine Auboyer, «De quelques jeux anciens en Asie Orientale », in France-
Asie, 87, 1953, pp. 658-664.
189. Par exemple: Berlin, Staatliche Museen, n° F2580.
190. Le rite du balancement se retrouve aussi dans le mayo, la fête de printemps des saisonniers (khammes) 1063
dans les oasis du Jérid tunisien (G. Payre, «Une fête du printemps au Jérid », in Revue tunisienne, 1942,
pp.171-177). Le mayo est la fête de ceux qui connaissent les secrets de la terre, l'irrigation et la féconda-
tion.
1. Ernesto De Martino, La terre du remords, Paris, 1966.
fois de désespoir et d’espoir. Cette sorte de charge affective du symbole est tout à
fait contradictoire aux yeux de l'homme «moderne» et explique en partie pour-
quoi les non-initiés ressentent la culture féminine populaire comme confuse et
inintelligible. Or, le contraire est vrai: cette culture vivait, façonnait et assimilait les
paradoxes émotionnels de l'existence. L'un de ceux-ci est la constatation que l'on
doit souvent passer par une régression — un retour à un stade depuis longtemps
révolu, tel le bercement d’un enfant — pour pouvoir traverser un moment critique
et poursuivre son chemin existentiel. Tant le balancement que le rituel d’une transe
conduisent à ce retour, qui suscite une euphorie, un estompage des limitations
contraignantes de lego. De même, la tradition mystique féminine (au sein du
christianisme comme de l'islam) voyait la réalisation la plus élevée dans une subli-
mation du retour au stade précédant la naissance des frontières du moi ou à ce
stade même. Il s’agissait en même temps d’une participation anticipée à l'abolition
des frontières connues du moi par la mort. En d’autres termes: d’une sublimation
du contact matrixiel du moi et du non-moi, sublimation qui permet une liquéfac-
tion de leurs frontières et une imprégnation réparatrice.
Dans la culture berbère, de la Libye à la Maurétanie, le rituel de la «danse des
cheveux» tourne également autour du vertige du mouvement de va-et-vient. On
exécute encore parfois cette danse à l’occasion de rituels importants. Le moussem
annuel de Moulay Brahim, une quarantaine de kilomètres au sud de Marrakech,
nous en offre un exemple. Des tayar — femmes qui exécutent cette danse — se pro-
duisent à Tamesloht, une localité voisine. Tout comme le sacrifice du chameau doit
apporter la vie et la prospérité, la danse des cheveux est un appel à la vie. L'acte de
dénouer les cheveux possède la même signification. Il a lieu à l'occasion du
mariage et lorsqu'on demande aux morts de dénouer la fécondité et de l’offrir aux
vivants. La danse vise par ailleurs la transe thérapeutique et libératrice, qui voit la
danseuse perdre conscience” (encore que les «danses des cheveux» n'aient pas
toutes pour objectif de provoquer une transe).
Le vertige — non pas comme sensation corporelle mais comme catégorie men-
tale — constitue également un moment significatif de l’ahwash, le grand rituel de
danse rural du Haut Atlas et de l’Anti-Atlas'#. D'après les participants, la joie de
l’ahwash s'exprime par la montée, alay, et par le vertige de la rotation, timlillay. Ces
mouvements sont associés à des vers vides, composés des phonèmes 4, li, lay. À la
montée succède la chute dans le tamassoust.
Le «vertige » s'obtient également par la provocation réciproque des chants cho-
raux ou alternés et, à un degré plus corporel, par le souffle des chœurs. Ces «vents »
(laryah) s'entrechoquent et créent le tamjoujt ou toukkin, le tourbillon qui monte en
spirale. Dans la pensée populaire d'Afrique du Nord, ce mouvement est un proces-
sus créateur, lequel peut servir de modèle à la cosmogonie: l'univers est créé et se
meut selon un mouvement hélicoïdal inexprimable, possédant de nombreuses
dimensions.
Tapis aux points noués, El ‘Ababsa (Maroc),
Le tremblement et la contraction, si nettement présents dans le style «spon-
vers 1960 (285 x 155 cm). tané» de l'art textile, forment des mouvements tout aussi importants dans les
danses rituelles de l'Atlas : ahidous et ahwash. De même, le tremblement du corps est
essentiel dans l'ouksh, l'ahidous des Zaian"”*. Chez les Ait Haddidou, ce tremblement
se manifeste surtout dans la première phase de l’ahidous. Dans le cas de l’ahwash, les

192. Danièle Jemma-Gouzon, « À Marrakech: célébration de deux moments du cycle annuel religieux:
l’ashura et le mulud », in Lybica, 24, 1976, p.264.
193. M. Peyron, «Danse», in Encyclopédie berbère, 14, p.2209.
danseuses font trembler leurs épaules, ce qui communique également un effet de
rapide trémolo à leur chant. Cet usage est très répandu dans le Sous, surtout pen-
dant la phase « douce » du tamassoust («celle qui secoue »), phase qui s'appelle ighari-
win («les épaules ») et au cours de laquelle tous les participants produisent une véri-
table explosion sonore: cris d'encouragement, détonations de fusils et vigoureux
chants tizerrarin des spectateurs”. C’est la transition vers la phase tazerrart («celle
qui accomplit le don /celle qui fait advenir»). L'explosion sonore du tamassoust se
prolonge: les chœurs féminins se succèdent, les solistes et chœurs masculins éga-
lement, les battements de tambour sont assourdissants.
La chorégraphie de l’ahwash possède plusieurs strates de signification. L'une
d'elles est celle de l’arbre-couvert-de-fruits. Le tamassoust renvoie également à la
cueillette des fruits”*: le secouement de l'arbre et la chute des fruits sont associés
au tazerrart. Cette phase est toujours suivie de l’amarg, comparé à l'écrasement de la
noix ou au ramassage du fruit. À un autre niveau, le tamassoust se rapporte à la
«chute » des femmes elles-mêmes. La racine gh-r, dont est dérivé le berbère ighir,
«épaule », fait référence sous une autre forme, gheh-r, à l'apaisement, à l'évanouis-
sement, lequel est associé à son tour à la transe. L'ahwash n’est certainement pas
une danse visant spécifiquement la transe, mais il en est malgré tout une stylisa-
tion. La récolte du fruit est analogue à la mise au monde de l'enfant. Le tremble-
ment, la chute, l’«évanouissement», l'accouchement sont réunis en une chaîne
associative. La contraction forme un autre mouvement essentiel de ces danses.
Dans le cas de l'ahwash, la danseuse laisse pendre les bras le long du corps; elle
fléchit légèrement les genoux, pousse le bassin en avant et penche la tête vers la
poitrine. Durant la deuxième phase, elle redresse le corps et la tête. Puis le mouve-
ment reprend. Cette phase suscite une puissante émotion chez les danseuses et
dans l'assistance. C’est un moment plein, une concentration de références à des
expériences cruciales.
Les racines profondes de la culture berbère dans le passé méditerranéen et
saharien ont nécessairement dû laisser leurs traces dans l’iconographie du tissage.
Un certain nombre de représentations — terme à entendre dans un sens non figura-
tif — font écho à des motifs appartenant à l’art protohistorique. Sans doute ne
devons-nous pas faire état ici de vestiges de croyances, mais de «psychogrammes
parallèles ». Passons en revue quelques exemples.

É
Un tapis du Haouz'” au Musée de Rabat présente une structure centrale d’allure
hiératique, entourée de motifs secondaires plus petits. On en trouve un parallèle
stupéfiant dans des terres cuites minoennes de Gournia. Ces cbjets se trouvaient
dans un écrin” et possédaient donc une fonction cultuelle. Il s’agit de «tuyaux »
creux avec trois ou quatre paires d’«oreilles » superposées; ces «oreilles » sont en
fait des serpents qui s’entortillent des deux côtés de l’objet. Dans un cas, on

Kilim, Gafsa/El Regeyeb (Tunisie), vers 1960.


194. À. Chottin, «La musique berbère», in Maroc, Paris, Éditions de l'Empire français, 1948, p.546; Miriam
Olsen, Chants et danses de l'Atlas, s.1., Cité de la Musique /Actes Sud, 1997, p.8s.
195. Olsen 1997 (voir note précédente), pp.105-106.
196. Ibid. p.107. 165
197. Rabat, Musée. Ricard I, pl. XLII.
198. Martin Nilsson, The Minoan-Mycenaean religion and its survival in Greek religion, Lund, 1950, p.80. D'après:
Marija Gimbutas, The gods and goddesses of Old Europe. 6500-3500 BC. Myths and cult images, Londres,
Thames & Hudson, 1990, p.74, ill. 27.
remarque entre les deux une double guirlande avec un boukranion ou tête de tau-
reau stylisée. Au sommet, on reconnaît les cornes; la tête ressemble plutôt à un
lobe étiré contenant un creux allongé. Au néolithique, le boukranion était un
emblème de la Déesse. La ressemblance de la forme en faisait un analogon de l’uté-
rus'” — auquel fait allusion, dans le cas de la céramique de Gournia, la forme de la
tête de taureau. Quelques anneaux, dont la fonction reste obscure, figurent égale-
ment au-dessus de la tête. Quant aux cornes, elles constituent un analogon de la
lune, emblème féminin par excellence, qui régit le cycle menstruel. Le serpent qui,
de part et d'autre, monte en s’enroulant apparaît comme un analogon des eaux
fécondantes et des ténèbres «souterraines » qui donnent la vie. L'ensemble est une
quadruplication symbolique de la puissance procréatrice de la femme: creux,
lune, boukranion, serpent. Cette répétition symbolique est monnaie courante dans
toutes les formes d'expression traditionnelles — songeons par exemple aux répéti-
tions-en-d’autres-termes propres à la poésie ancienne ; elle-même est ici un analo-
gon de la reproduction humaine.
Le tapis exprime une idée apparentée (la forme verticale en niche ou «tuyau»,
les serpents, les anneaux qui sont ici des lignes parallèles). Le boukranion est rem-
placé symboliquement par le losange «vibrant» contenant une forme, signes uté-
rins de la grossesse dans l’art textile maghrébin. Les deux losanges sont suivis d’un
troisième losange, à moitié achevé, couvert» — structure qui évoque l'ouverture et
la continuation.
On retrouve une figuration presque identique dans l’art textile de l'Asie du Sud-
Est, par exemple dans la kosa sin, une tenture cérémonielle ou funéraire de la peu-
plade T'ai Lue au Laos”. La figuration apparaît sur le dos d’un animal mythique
qui a dans son ventre deux animaux plus petits. La tête de l'animal est très proche
des motifs de la Gorgone ou de la «sphère à crochets »: une surface irrégulière
composée de petits triangles, avec à l'intérieur une petite structure difficile à
définir, le tout étant entouré de crochets et de pointes. Cette «tête » revient dans le
tapis du Haouz sous la forme d'un losange matriciel composé de petits triangles,
«au bas» de la figuration. Cette configuration totale revient également, par
exemple, dans les tapis afghans des Timouri”?".
Pour éviter tout malentendu: nous ne prétendons pas que le «modèle » de ce
tapis, ou plutôt de son précurseur dans le passé, a été un objet de culte analogue,
mais bien que les femmes qui ont façonné la terre cuite minoenne et les tisseuses
de ce type de tapis ont suivi le même modèle mental.

I.
Un tapis de la tribu Mtaguil”®* (Rehamna, Maroc méridional) présente en sa partie
inférieure une forme qui rappelle un pot tajine ou un panier à pain en osier avecun
couvercle conique, tels ceux qu'on confectionne sur place. À gauche de cette
forme : deux petites taches blanches. Dans le champ central apparaissent trois «sil-
Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc),
houettes » composées de formes non géométriques qui vont en s’élargissant et en
XIX° siècle. Rabat, Musée des Oudaias. se rétrécissant, et qui contiennent des «creux ». La « figure » de droite est surmontée.

199. Dorothy Cameron, Symbols of birth and death in the neolithic era, Londres, 1981; Gimbutas 1989 (voir i
166 note 20), pp.265-275.
200. Hali, n°73, 1994, p.147.
201. Hali, n°73, 1994, p.78.
202. Les Mtaguil font partie des Rehamna. Voir Edmond Doutté, Marrakech, Paris, 1905, pp.309-403; Paul
Pascon, Le Haouz de Marrakech, Rabat, 1977. É
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Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc), vers 1900-1920 (390 x 185 cm).
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Tapis aux points noués, Ait Bou Irshaouen (Maroc), vers 1930 (330 x 180 cm).
d’une étoile hexagonale. Les deux pointes inférieures semblent se fondre pour for-
mer un bloc ressemblant à un socle. Des «fils » pendent aux trois «silhouettes ».
Les bétyles sémitiques, pierres par lesquelles était commémorée la présence
d’une divinité, se caractérisent également par trois formes dressées et creuses. Leur
nom est dérivé du sémitique beit-el(lah), «maison de dieu ». On les trouve dans toute
la culture mégalithique méditerranéenne, notamment en Sardaigne et en Tunisie.
Les creux ont la forme d’un cône aplati ou présentent un pourtour irrégulier. L'un
des trois éléments est souvent défini comme «astral», parce qu'il est surmonté d’un
corps céleste (étoile, soleil, lune)*#. C’est ce qui s'observe également sur ce tapis.
L'évolution des religions sémitiques vers le monothéisme permet de constater que
durant les temps protohistoriques un couple de dieux (féminin /masculin) a été
éclipsé progressivement par un troisième dieu, masculin et plus élevé (« Yahvé »)”°#.
Mais déjà de nombreuses formes de religiosité matriarcale offrent une émanation
ou irradiation triadique d’un principe divin féminin. C’est ainsi que l'on rencontre
trois Gorgones dans l’ancienne mythologie grecque: Sthéno, Euryale et Gorgo: la
Puissante, Celle qui saute loin, la Gorge. Elles étaient l’'émanation d’un principe
unique. Les deux premières, contrairement à la troisième, étaient censées être
immortelles. Cette triade est un motif très ancien. « Trois» était le nombre de la
Déesse. Le chiffre réfère à une substance vitale triadique — comme l’eau, le lait et le
sang dans diverses conceptions africaines de la vie. On vénérait déjà la déesse tria-
dique durant la période magdalénienne, ainsi qu’en témoignent les trois gigan-
tesques silhouettes féminines de l'Abri du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l'Anglin
(Vienne, France). De l’époque classique datent les trois Moirai, les trois Parques
(déesses du destin) et les Matres /Matronae romaines”. Les Nornes germaniques, la
figure triple de Brighid et les trois Fées médiévales sont des versions ultérieures”°?.
La triade figure également sur les monnaies chypriotes*®”. Ici, les «silhouettes » ont
une forme indéfinissable, qui tantôt évoque un arbre, tantôt se compose d'élé-
ments qui vont en s'élargissant et en se rétrécissant.
Est-il exagéré de supposer un lien avec le bétyle? Dans certains endroits du
Maroc méridional, la population rurale vénère encore toujours Lalla Beitallah,
«Madame Maison-de-Dieu ». Beitallah est le bétyle au sens littéral, sanctuaire qui
constitue une étape du pèlerinage annuel des Regraga dans la région située à l’est
et au nord-est d’Essaouira. Il comprend un «temple» de douze colonnes sur une
colline. L'édifice est couronné d’une coupole en forme de sein”. Dans tout le
Maghreb, l'imagination populaire voit d’ailleurs les menbhirs irréguliers comme
des personnes — et surtout des nouvelles mariées — pétrifiées*°°.

203. W. Dulière, De la dyade à l'unité par la triade. Préhistoire de la religion biblique, Paris, Maisonneuve, 1965,
pp.184-188 et ill. 93-00. Stèles dédiées à Tanit, Carthage (Tunisie),
204. Cette évolution fait l'objet d'une étude approfondie dans l'ouvrage de Dulière cité ci-dessus. CIS 2522 et CIS 1576.
205. Gimbutas 1989 (voir note 20), p.97. Voir également: E. Petersen, Die dreigestaltige Hekate, 2 vol., s.I., 1880-
1881.
206. Gimbutas 1989 (voir note 20), pp.109-111.
207. Dulière 1965 (voir note 203), pp.203-204. 169
208. Abdelkader Mana, Les Regraga. La fiancée de l'eau et les gens de la caverne, Casablanca, Eddif, 1988, p.192.

D
209. Ailleurs dans la région, au sommet du Djebel Hadid, se dresse un mégalithe de forme irrégulière datant
de la période préhistorique, que l'on désigne du nom de el ‘aroussa makchoufa, «la mariée dévêtue ». On
Jui attribue un pouvoir fécondateur. Mana 1988 (voir note précédente), pp. 158-161.
La «triade» semble se retrouver également, quant à la forme, dans les stèles
funéraires en bois d'Afrique du Nord. On les appelle shaouahed, «témoins »".
En fait, on ne sait encore rien de la signification de leur forme et ilimporte de ne pas
perdre de vue qu'elles sont l'œuvre d'hommes. Cependant, la correspondance est
frappante, encore que les «témoins » offrent un aspect plus régulier. Le bétyle tria-
dique est d’ailleurs présent dans l'architecture rurale du Maghreb en tant que
«décoration», entre autres à Ghadamès””.
La triade du tapis Mtaguil n’est certainement pas une représentation
consciente d'un tel bétyle. Comme les «témoins funéraires », les «silhouettes » évo-
quent peut-être différentes formes d'expériences psycho-corporelles que la tis-
seuse a de sa propre personne et sont dès lors des autoportraits psychiques pre-
nant la forme de l’ancienne triade mythique. En outre, l’ancienne image mythique

F
«intuitive » de la procréation est triadique”"*.
D'un point de vue esthétique, le tapis dont il est question ici se révèle unique.
Toutefois, la triade apparaît dans d’autres textiles, et notamment dans une œuvre
des Aït Bou Irshaouen (ill. p.168) et des Mhafid (ill. p.111).

IL.
Le troisième textile provient d’un endroit inconnu des plaines entourant Marra-
kech. C'est un exemple éloquent d'arte povera, au sens littéral et figuré. Les fils de
chaîne sont en laine fine, filée à la main; les nœuds sont limités en nombre, afin
d'épargner de la laine. Les colorants employés sont des produits chimiques bon
marché et de mauvaise qualité: au fil des ans, le rouge et le violet se sont presque

1
entièrement affaiblis en un ton rose. Il ne subsiste que le blanc et le brun, les cou-
leurs naturelles de la laine.
L'œuvre a vu le jour vers 1900-1930, lorsque de médiocres colorants à l’aniline
trouvèrent des acheteurs jusque dans les régions les plus isolées. Esthétiquement,
toutefois, ce textile s'impose par sa composition à la fois imprévisible et rigoureu-
sement maîtrisée. Même les conventions tacites du style spontané de l’art berbère
sont transcendées. La grille dans la partie supérieure est le motif dit tirgiwin, dont le
nom est dérivé de raga, qui signifie «grimper pas à pas », mais également: «envoü-
ter quelqu'un » et «préserver quelqu'un de l’envoûtement ». Le cinquième radical de
raga signifie «progresser». Une raquiya est une femme possédant des pouvoirs
magiques. Une grille de rectangles analogue constitue sous le même nom un motif
de tatouage appliqué sur le mollet ou l’avant-bras et qui protège des influences
magiques externes. Les tirgiwin s’insèrent ici dans un autre contexte. Le textile dit le
dialogue de la perturbation et de la montée graduelle. La tisseuse pensait-elle à son
art, ou simplement à sa propre vie?

Stèles funéraires en bois de Sidi Ghiat 210. J.P. Savary, «Cimetières à stèles en bois taillé du Douar Sahel», in Lybica, 15, 1967, pp.307-342; M. Janon,
et Cherchell (Algérie). Stèles funéraires en bois sculpté de Cherchel, ibidem, pp. 343-355. Également :Gabriel Camps, «Remarques sur
les stèles funéraires anthropomorphes en bois de l'Afrique du Nord», in Lybica, 12, 1964, pp. 315-322
Russo & Jean Herber, «Stèles funéraires Gneznava», in L'anthropologie, 41, 1931, pp. 289-304 ; F.E. Roubet,
«Étude sur la stylisation des stèles anthropomorphes de l'Ouarsenis », in Bulletin de la Société de Géogra-
170 phie et d'Archéologie d'Oran, 69, 1947, pp. 83-95; P. Roffo, «Stèles funéraires anthropomorphes du cime-
tière musulman de Sidi Youcef (Algérie) », in Revue anthropologique, 46, 1936, pp.374-388.
au. Salah & Mohamed-Salah Bettaieb, Ghadames, la porte du désert, Tunis, Alif, 1997, pp. 45, 54, 56, 57, 82.
212. Gutierre Tibon, La triade prenatal: cordôn, placenta, amnios. Supervivencia de la magia paleolitica, Mexico,
Fondo de Cultura Econômica, 1987. À
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Tapis aux points noués et kilim, Haouz de Marrakech (Maroc), vers 1900-1930
(260 x 165 cm).
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Tapis aux points noués, Figuig (Maroc), vers 1900 (398 x 189 cm).
Idéogram me et code

Le tissage berbère se distingue en majeure partie par un style anguleux, strict,


hérissé, qui se manifeste notamment, sous une forme apparentée mais non simi-
laire, dans les textiles caucasiens, anatoliens et turkmènes. Le tissage n'est pas un
phénomène isolé dans la culture berbère; des variantes de ce style se retrouvent
dans différents médias: la poterie peinte, les tatouages et les peintures murales
dans les habitations.
Nous avons déjà évoqué la poterie comme source historique permettant de
déterminer l'ancienneté du style berbère. Les tatouages témoignent d’une esthé-
tique analogue. Sont-ils pour autant aussi anciens que la céramique peinte, dont
les motifs sont très voisins?
Parmi les sources iconographiques occidentales, seuls les cartons de Jan Ver- RTE
meyen pour La Conquête de Tunis (1535) recèlent certaines informations. Au dixième
carton, Vermeyen a dessiné une femme avec des tatouages sur le menton, le bras et
le poignet. Mais les deux premiers ne sont pas berbères : ou bien Vermeyen a péché
par défaut d'attention (bien qu’il fût généralement très observateur), ou bien il y a
eu, jusqu’au XVI siècle, voire au-delà, un style de tatouage «urbain». Cette suppo-
sition n’a rien d’invraisemblable. En effet, les citadins originaires des campagnes se
signalaient par des tatouages de style berbère, inacceptables dans la culture
urbaine. Avant sa disparition définitive (au XVII‘ ou au XVIII siècle ?), la tradition
du tatouage peut donc avoir été adaptée au milieu urbain.
Un demi-siècle avant Vermeyen, Anselme Adorne, membre de la célèbre lignée
italo-brugeoise, entreprit un pèlerinage en Terre sainte. À cette occasion, il visita la
Tunisie. Dans le compte rendu de son voyage, il fut sans doute le premier Européen
à mentionner les tatouages si caractéristiques des Tunisiennes'. De même, au
VI siècle, l'écrivain Corippe, décrivant les signes qui marquent le visage des autoch-
tones tunisiens, évoque vraisemblablement les tatouages. Et, au V° siècle, Cassius
Felix fait allusion aux stigmata characteres faciaux des «femmes maures»*. Le terme
«stigmate» est manifestement inspiré par l’inaltérabilité de ces marques, celui de
«caractère » par le fait qu’elles sont «gravées » dans la peau, soit par leur aspect carac-
téristique. Mais de la nature de ces tatouages, nous ignorons tout. Les sources ico-
nographiques de l'Égypte ancienne’ nous renseignent également sur l'allure des
Tamahou ou Libyens, qui portaient aussi des tatouages. Ceux-ci consistent essentiel-
lement en petits traits, points, zigzags, croix et losanges, auxquels s'ajoute le signe
de la déesse Neith (un réseau enserré dans un rectangle avec des «antennes ») ainsi
Tatouages de guerriers lybiens sur des
qu'un «arbre». Ce dernier motif se retrouve également dans les tatouages berbères. représentations égyptiennes (d’après
Signalons à ce propos que les sources égyptiennes ne représentent que des Libyens Mémoires de l’Institut d'Égypte, 53).
mâles, de sorte qu'elles ne révèlent rien des ornements féminins.

1. Robert Brunschvig, Deux récits de voyages inédits en Afrique du Nord au XV° siècle: Aldelbasit ben Halil et
Adorne, Paris, Larose, 1936; Id., «Un voyageur flamand en Tunisie au XV° siècle», in Revue africaine, 76,
1935.
2. Flavi Cresconii Corippi Johannidos seu de bellis libycis libri VIII, éd. J. Giggle & F. Goodyear, Cambridge, U.P.
1970 ; M. Riedmüller, Die Johannis des Corippus als Quelle libyscher Ethnologie, Augsbourg, Himmer, 1919.
Chez les Berbères, les hommes n'arboraient traditionnellement que peu de
tatouages, contrairement aux femmes. De plus, il faut distinguer les tatouages
«féminins » des «masculins», les premiers se signalant par leur complexité et leur
diversité. Autre différence : les tatouages «masculins » se trouvaient sur des parties

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visibles du corps“.
Ces types de tatouages portaient parfois d’autres noms’.
Il y a plus d’un siècle, certains ethnographes amateurs particulièrement perspi-

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caces soupçonnaient déjà que les tatouages nord-africains (ou du moins certains
de leurs éléments) pouvaient remonter très loin dans le passé®. (Comme souvent à
l'époque, ces chercheurs étaient des médecins militaires de la force d'occupation
française. Nombre d'officiers, sortis de l’enseignement classique, possédaient une

# & À vaste culture, qui leur permettait d'établir un parallélisme entre la culture nord-
africaine et l'Antiquité.) D'entrée de jeu, le docteur Vercoutre constata une analo-
gie entre certains tatouages — en l'occurrence, des formes évoquant une figure aux

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bras levés —et la déesse antique Tanit’. Nous étudierons ci-après cette position, qui
fait partie intégrante du rituel matrimonial nord-africain. D'autres auteurs® se ral-
lièrent à cette opinion. Ainsi Bertholon, dont les théories, considérées comme

3. Louis Keimer, Remarques sur le tatouage dans l'Égypte ancienne (Mémoires présentés à l'Institut d'Égypte, 53),
Le Caire, Imprimerie de l’Institut français d'archéologie orientale, 1948, pp. 8-15, 18-40, 45-47, 105-107 et
pl.XXVI, XXVII, XXVII, XXIX. Sources iconographiques: r. le tombeau de ‘N-n (Thèbes, tombeau
n°120), frère de la reine Tiy; 2. le tombeau de Parennefer, Tell el Amarna ;3. le tombeau de SétiI®; 4. un
dessin de Wilkinson:; 5. des reliefs en terre cuite provenant de Medinat Habou; 6. un ostracon de Deir
el Medina; 7. le temple de Medinet Habou. Les statuettes en céramique prédynastiques de la culture
Badar (vers 4000 av.]J.-C.) semblent présenter des tatouages périgénitaux. Il en est de même pour les
statuettes en ivoire de la culture Naggada (vers 3600-3200 av.]J.-C.). Certaines sculptures féminines à
glaçure bleue des tombeaux de Deir el Bahari (vers 2050 av. J.-C.) portent des tatouages sur la poitrine,
le ventre et les cuisses. Les motifs sont des losanges et des triangles constitués de points. Ces tatouages
remontent incontestablement aux temps préhistoriques. Dans toute la région entre la Libye et
Motifde base du style berbère: le Maroc, on a retrouvé de nombreuses peintures rupestres, qui s’'échelonnent entre 4000 avant J.-C. et
triangle à excroissances. le début de notre ère. Dans un certain nombre d’entre elles figurent des silhouettes humaines avec
Exemples de diffusion: des ornements sur la peau. Mais s'agit-il de peintures, de scarifications ou de tatouages? Ce n’est pas
(a) Culture La Polada (Italie, âge du bronze). toujours évident.
(b) Tepe Giyan (Iran, âge du bronze). 4. Carton1909-1910 (bibliographie 3c), p.18.
(c) Kabylie, céramique moderne. 5. Chez les Chaouia de l'Aurès algérien, on distinguait les tatouages lousham des tatouages ahajam. Alors
(d) San Miguel de Liria (Espagne, vers 200 que les premiers étaient toujours réalisés par des femmes au moyen d'une aiguille, les seconds l’étaient
avant notre ère). habituellement par des hommes, à l’aide d'un couteau — de préférence une lame qui avait déjà fait cou-
(e) Villaricos (Espagne, vers 300 avant ler le sang. Les lousham (altération de el washm) marquent le visage et les membres des femmes, tandis
notre ère). que les hommes n’en ont que sur les bras et les mains. Au contraire des femmes, qui «portent» des com-
(f) Villaricos (Espagne, vers 300 avant positions homogènes, les hommes exhibent des motifs isolés, d'ailleurs conçus dans un style différent:
notre ère). plus aéré, plus direct, sans les multiples «barbelures » des tatouages féminins. Quant aux ahajam, ce sont
(g) Kabylie, Ouadhias, céramique moderne. des tatouages porte-bonheur, qui protègent contre les maladies et les souffrances. La croix et le cercle
(h) Gouraya (Algérie, III° siècle avant sont les plus fréquents, mais ils voisinent avec d'autres motifs, qui nous sont connus par le tissage ou les
notre ère). tatouages ordinaires (Rivière & Faublée 1942 [bibliographie 3c]).
(i) Ouled Sidi Abid (Tunisie, moderne). 6. Les peintures rupestres sahariennes présentent à plusieurs reprises des figures humaines dont le visage
(j) San Miguel de Liria (Espagne, vers 200 et/ou le corps sont ornés de tatouages, de scarifications ou de motifs peints. C'est notamment le cas
avant notre ère). dans la région d’Iherit, dans les grottes de Khane. À Jabbaren, le corps d'une femme porte des rangées
(k) Soummam (Algérie, moderne). verticales de points noirs, système qui s'apparente aux tatouages de l’ancienne Égypte. À Tin Teferiest,
(1) Carthage (Tunisie, IV® siècle avant une femme a des séries de cercles sur les épaules et la poitrine et des mouchetures sur le ventre.
notre ère; d’après Camps, Aux origines Les mêmes motifs reviennent dans les peintures rupestres préhistoriques qui représentent les
de la Berbérie.…., 1961). membres d'un groupe ethnique noir (Sefar, Inaouanrhat). Le tatouage au pointillé existait aussi dans
l'Égypte ancienne, comme le prouvent non seulement les peintures murales, mais aussi la momie de la
prêtresse thébaine ‘Imnt et des danseuses de la même ville (voir Jean-Dominique Lajoux & Frank Elgar,
174 Merveilles du Tassili n‘Ajjer, Paris, Éditions du Chêne, 1962, pP.52-53, 55, 76-77). Certaines statuettes de
femmes portent également des tatouages (Keimer 1948 [voir note 3]), mais leurs motifs ne correspon-
dent pas à ceux de la culture berbère.
a Vercoutre 1892 (bibliographie 30).
8. Berger 1894 (bibliographie 3c). j
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Kilim, El Guettar (Tunisie), vers 1930 (255 x 196 cm).


176

Tapis aux points noués, région de Sfax (Tunisie),


vers 1930-1950 (335 X 200 Cm).
fantaisistes, ont suscité les railleries du monde scientifique, a-t-il été jusqu'à cher-
cher l’origine des tatouages berbères dans la culture mycénienne et le néolithique
méditerranéen en général. Selon lui, les rapports avec les peintures corporelles ou
les tatouages des statuettes néolithiques ne faisaient aucun doute”. Et, à cet égard,
c'étaient les objets trouvés dans les sites néolithiques de la vallée du Danube et des
Balkans (Tordos, Jablanica, Cucuteni) qu'il jugeait les plus intéressants. Il mention-
nait également des sites grecs préclassiques (Amorgos, Sparte, Chypre, Mycènes,
Cyclades), maltais (Hagiar Kim) et égyptiens (Nagada, Ballas). Enfin, Bertholon
citait les comparaisons entre les céramiques ukrainiennes du néolithique et celles
de la population autochtone (Guanches) des îles Canaries, telles qu'elles avaient été
présentées au Congrès international d'anthropologie préhistorique de 1900".
Plus récemment, les archéologues, renonçant à fureter au hasard dans des cul-
tures divergentes, ont préféré se consacrer à des études approfondies de sites bien
délimités. Pourtant, les intuitions des amateurs de la fin du XIX° siècle étaient fon-
dées. Ils avaient perçu les analogies entre les produits de diverses cultures qui,
comme nous nous efforcerons de le démontrer ici, plongent toutes leurs racines
dans le néolithique”.
Nous avons déjà souligné les similitudes entre l'agencement des motifs des
tatouages et une série de pictogrammes préhistoriques, découverts dans des sites
du sud-est de l'Espagne (La Pileta)*. La problématique est la même que pour les
décors de la poterie berbère. Nous pouvons donc raisonnablement affirmer que
les tatouages, tels qu'ils ont été pratiqués jusqu'au XX° siècle, remontent à la fin du
néolithique et à l’âge du bronze en Afrique du Nord, c'est-à-dire au premier millé-
naire avant notre ère, du moins si nous établissons une analogie entre les tatouages
et les poteries.
Jusqu'’il y a quelque cinquante ans, les jeunes filles berbères étaient tatouées
— opération qui avait lieu juste avant ou pendant la puberté. Qui réalisait ces
tatouages ? Dans la littérature du tournant du siècle, il est question de tatoueurs iti-
nérants, qui puisaient dans un vaste éventail de motifs et travaillaient sur com-
mande. Mais il est impensable que, dans la société maghrébine traditionnelle, une
jeune fille pubère ait pu être tatouée par un homme, étranger de surcroît”. C'est
dire l’importance fondamentale de la contribution des femmes dans ce domaine.
Les tatouages berbères se transmettaient d’une génération de femmes à la sui-
vante. (Nombre d’autres techniques, comme le tissage, la céramique et la vannerie,
étaient d’ailleurs aussi des spécialités féminines.) Parfois, des femmes âgées exer-
çaient les fonctions de tatoueuses dans une région déterminée*. Leur art était
«consacré » par un pèlerinage à un sanctuaire local”.

9. Les tatouages ne sont certainement pas propres aux Berbères. Cette pratique était également observée
par les populations, tant nomades que rurales, d'Égypte et de l'Orient en général. Et, partout, elle était
chargée de signification: inscrire dans la peau des signes ineffaçables constitue une intervention radi-
cale, qui donne à un être humain, dans la vie sociale, une apparence irréversible. La peau est signifiée,
revêtue de sens. En Occident, le tatouage n'a été utilisé, au cours des derniers siècles, que par des Tatouages du mollet, Tamezret (Tunisie)
groupes marginaux, criminels et instables, vivant à l'écart de la société. Ces tatouages, essentiellement (dessin: Aziza Mrabet).
figuratifs, n'étaient pas liés à une tradition. Ceux des nomades et des paysans, par contre, consistaient
en une grande diversité de formes abstraites et géométriques — et ce tant au Maroc, en Algérie, en Tuni-
sie ou en Libye qu’en Égypte, en Jordanie, en Syrie ou en Iraq, au Laos ou en Birmanie. Voir Karl Grô-
ning, Decorated skin. A world survey ofbody art, Londres, Thames & Hudson, 19097.
10. Bertholon 1904 (bibliographie 3c), p.771.
1. Bertholon 1908-1909-1910 (bibliographie 2a) et Bertholon 1904, Carton 1909/1910, Lacassagne 1912,
Maitrot & Probst-Biraben 1929, Marcy 1930 (bibliographie 3c).
12. Gobert 1956; H. Breuil et al., La Pileta à Benaojan (Malaga), Monaco, 1915.
On ne sait pas grand-chose de la signification des motifs des tatouages. Ils
ornaient le visage, les bras et les mains, la poitrine, les cuisses, les chevilles et les
pieds, le bas-ventre. Certains motifs étaient toujours exécutés au même endroit,
tandis que d’autres étaient interchangeables.
Il existe à ce sujet des études relativement récentes, mais inédites : les thèses de
Susan Searight (1984) et d'Aziza Mrabet (1981). Susan Searight a compilé les publi-
cations anciennes relatives aux tatouages marocains, en y ajoutant les résultats de
ses propres recherches. De 1973 à 1976, elle travailla dans un hôpital de Casablanca,
où elle releva les tatouages d’un millier de femmes. Son objectif était de com-
prendre en quoi consistaient habituellement les tatouages et pourquoi les femmes
se faisaient tatouer. Mais elle ne put interroger les femmes que de façon super-
ficielle, et celles-ci se montrèrent très réservées dans leurs réponses. Elle obtint de
ses interlocutrices les noms d’un certain nombre de motifs, mais sans réussir à en
pénétrer la signification profonde.
Pour sa part, Aziza Mrabet a axé ses recherches sur les tatouages d’un village du
sud de la Tunisie, très réputé pour ses tisseuses : Tamezret. Elle en examina minu-
tieusement tous les motifs, dans le but d'en déterminer les principes de composi-
tion. Dans cette région, les tatouages étaient souvent complexes et détaillés.
Comme Susan Searight, toutefois, Aziza Mrabet dut se contenter de noter les
noms des différents éléments, sans pouvoir accéder à leur sens caché.
Les peintures murales sont un troisième genre artistique caractérisé par la
même rigueur de style. Cet art a surtout été pratiqué en Kabylie (dans le nord de
l'Algérie), à Ghadamès (dans l’ouest de la Libye) et dans certaines régions du sud du
Maroc. Ses manifestations les plus connues sont les peintures kabyles"?.
À cet égard, l'étude de Maurice Devulder sur les peintures décoratives de la
tribu des Ouadhi, dans le Jurjura algérien, a été déterminante. Les Ait Ouadhi, lit-
téralement «le peuple de la plaine », étaient des Berbères kabyles. Dans leur région,

13. Les tatoueurs masculins pouvaient être: (r) des «professionnels » ambulants qui utilisaient une série de
poncifs ou de modèles en guise d'aide-mémoire (Tunisie) ou qui travaillaient «de tête». Leur clientèle se
composait d'hommes et de jeunes garçons ; (2) des gens du cru qui réalisaient, à l’aide d'un couteau, des
tatouages porte-bonheur ou prophylactiques. Dans les deux cas, il s'agissait de motifs traditionnels
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berbères, mais parfois infléchis, au propre comme au figuré. Un tatouage présentant des lignes courbes
est révélateur d’une urbanisation (Rivière & Faublée 1942, p.70). Cette règle s'applique d’ailleurs à tous
les systèmes de motifs d'Afrique du Nord. L. Carton fut le premier à réaliser une étude globale des
: Ny 17 À
PAEAANA ER
tatouages maghrébins. Vers 1900, ce médecin militaire avait examiné quelque 15 000 Tunisiens mâles
et constitué un fichier de «quelques centaines » de dessins de tatouages, sur lequel il basa son ouvrage.
CLLRRELRRNIREENNE
SE RNNRRT Il en ressort que: (1) les citadins ne se faisaient pas tatouer, contrairement aux populations rurales;
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(2) les hommes aussi étaient tatoués, mais seulement en minorité (selon les statistiques mentionnées
par l'auteur, 1 sur 20 à peine). À l'heure actuelle, les hommes d'Afrique du Nord ne sont jamais tatoués;
(3) il faut distinguer deux sortes de tatouages: les «décoratifs » et les «médicaux» (Carton 1909-1910,
pp-31-43), utilisés en guise de thérapie contre l’une ou l’autre affection ; (4) chez les hommes, la plupart
des tatouages étaient exécutés vers l'âge de neufou dix ans.
On peut donc supposer qu’une petite minorité de garçons étaient tatoués, peut-être à l'initiative des
femmes de la famille. Avant la puberté, en effet, les garçons n'étaient pas arrachés à la sphère
Tatouages: khodhba, Tamezret (Tunisie) d'influence des femmes. Ces tatouages sont d’ailleurs les mêmes que ceux des femmes, même si l'auteur
(dessin: Aziza Mrabet). souligne (p.15) qu'ils sont nettement plus nombreux chez les femmes, surtout au visage (Bazin 1890
[bibliographie 3c], p.573). Les tatouages périgénitaux excluent l'intervention de tatoueurs masculirfs
(voir e.a. E. Laoust, Mots et choses berbères, Paris, Challamel, 1920, pp.138-142 [dans la tribu des Ntifa];
E. Michaux-Bellaire & G. Salmon, Les tribus arabes de la vallée du Lekkous, (Archives marocaines, 4), Paris,
178 Legroux, 1905, pp. 92 sqq. ; Herber 1922 [bibliographie 3c]).
14. Herber 1948 (bibliographie 3c).
15. Herber 1948, p.200.
16. Quelques dizaines d’entre elles ont été réunies pour la première fois dans le livre de Mohand Abouda,
Axxam, SI. [1985], aujourd'hui pratiquement introuvable.
la peinture murale, qui se déclinait en toute une série de traditions locales, était un
domaine réservé aux femmes, ce qui explique qu’elle était essentiellement destinée
au regard des membres de la famille et des visiteurs admis dans l'intimité du foyer.
Sur le mur blanchi, le dessin était exécuté en bandes verticales successives, sans
souci de symétrie. Le coloris était limité: du noir et du rouge sur un fond blanc. Le
dessin était toujours anguleux, sans aucune ligne courbe. Interrogées sur la raison
d’être de ces peintures, les femmes ont répondu: i-oushebeh, «pour la beauté».
Mais, en règle générale, elles se sont dérobées aux questions sur la signification des
motifs utilisés. Les seules explications que le chercheur ait réussi à obtenir concer-
naient d’«innocentes » activités quotidiennes. Les motifs étaient cependant censés
exercer une action curative. Avant de commencer le travail, on sacrifiait un pigeon
en prononçant la formule: « Voici la santé, voici le remède", suivie de: «Que le
mal disparaisse, que l'être humain connaisse le bien-être "”.»
D'après cette interprétation, les peintures murales kabyles constituent, pour
l'épouse, une sorte de manuel: comment procéder à des envoûtements et exploiter
les forces de la magie ; quels rituels pratiquer avec quels objets. Les buts recherchés
étant l'amour de l'époux et l'équilibre familial.
Au premier degré, les peintures murales doivent embellir la maison. Mais, au
deuxième degré, elles représentent des moments et des rituels importants. Les
peintures étudiées par Devulder schématisent successivement: (1) le racinal en
frêne de la maison, symbole de la maîtresse de maison, soutien de la maison(née) ;
(2) les symboles de la beauté de la mariée (voir le Cantique des Cantiques et les épi-
thalames) ; (3) l'épouse voilée, escortée jusqu’à sa demeure au milieu de symboles
protecteurs ; (4) le frêne et la ruche, c’est-à-dire l'épouse et l’utérus; (5) la nécessité
de la réserve et du secret ;(6) la femme arabe, diamétralement opposée à l'épouse
(kabyle) qui se respecte; (7) la maison et les rites postérieurs aux noces: la jeune
mariée et son coffre contenant du savon au miel (symbole d'elle-même, de sa dou-
ceur et de sa fécondité) ; son habitation avec les tigoujda ou colonnes en bois sup-
portant le toit, et les tigshalin ou poutres maîtresses — les unes et les autres symbo-
lisant la collaboration de l’homme et de la femme au sein du foyer;(8) la magie du
frêne, image de l'épouse; (9) la ou les tables de la maison et l'abondance; (10) la
maison et les rites d’après les noces ; (11) (idem 6) ; (12) (idem 3); (13) la maison avec
la naissance et la protection de l'enfant. Au troisième degré, les motifs évoquent les
rites qui peuvent être dirigés contre la jeune épouse et contre lesquels elle doit s’ar-
mer, ainsi que ceux auxquels elle-même peut recourir pour s'assurer l'amour et la
fidélité de son époux”.
Selon cette conception, les peintures murales constituent une schématisation
de figures et d'objets, ainsi que des relations existant entre eux. Racontant l'histoire
du mariage sur le mode abstrait, elles évoquent une série de rites et leurs compo-
santes. Ces références, incompréhensibles sans explications, ne sont accessibles
(a) Kilim, Matmata (Tunisie), vers 1920
qu'aux «initiées ». Les schémas consistent en une série d'éléments variables, juxta-
(305 x180 cm).
posés. Faute d’avoir grandi au sein du groupe, il est impossible d'apprendre la (b) Tapis aux points noués, Ait Youssi,
signification des éléments et l'agencement des structures. Pour souligner la com- vers 1920 (248 x 200 cm).
plexité de cet éventail de significations, nous en esquissons quelques aspects.

179
17. Devulder 1951 (bibliographie 2b), pp..65, 8r.
18. Devulder 1951 (bibliographie 2b), p.60.
19. Devulder 1951 (bibliographie 2b).
_ 20. Devulder 1957; Plantade 1988 ;Makilam 1906 (bibliographie 3a).
La première bande verticale est la «poutre de frêne», c’est-à-dire la poutre maï-
tresse, fabriquée dans un frêne fourchu, sur laquelle reposait le toit de la maison
kabyle. Cette première bande renferme une double signification. Le frêne était un
arbre magique, auquel étaient suspendus les iheshkoulen, objets dont on escomptait
un effet surnaturel. Dans la tradition populaire européenne aussi, d’ailleurs, le
frêne passait pour un arbre magique. Le racinal vertical est l’image de la maîtresse
de maison, soutien de la famille et garante du bonheur domestique. Ce n’est pas
par hasard que cette peinture murale débute par la poutre de frêne: la maîtresse de
maison est le pilier de la maisonnée et la dépositaire du potentiel magique. (Au
Maghreb — et pas seulement là —, la magie était une pratique féminine. En raison
d'un dessein divin inexplicable, les femmes possédaient le «don». Les hommes
étaient rarement magiciens.)
Dans la peinture murale analysée ici, on remarque, dans le losange supérieur de
l'érable, une sorte de W. C'est le signe du crapaud, l'animal magique par excellence,
symbole des forces utérines «obscures ». Dans la langue des Berbères kabyles, le cra-
paud est appelé amgerqour, mais, parce que ce nom doit être évité — comme l’animal
lui-même, d’ailleurs —, il est remplacé par le mot itsou, «oubli». Le crapaud est utilisé
pour séparer l'homme de sa femme — par exemple quand il a plus d'une épouse et
que sa première femme veut éliminer la deuxième. En pareil cas, un fqih ou savant
(de niveau inférieur) compose, avec du sang de crapaud, une amulette qui est
. : ensuite accrochée dans un frêne ou un autre arbre sous lequel l'époux en question a
PA RAA x} l'habitude de passer. En agitant l'amulette, le vent en transfère l’action à l'homme:
PEUVETTU"

iouout-it oubehari, «il a été touché par le vent». On peut aussi enterrer le crapaud sur
le chemin suivi par l'homme. La «sorcière» prononce alors l’invocation suivante:
«Ô oubli (crapaud), l'homme aux deux femmes a perdu la tête et son bon sens l’a
quitté. Ô symbole de la malédiction, je te mets ici en lieu et place de cette femme, il
la répudiera”"», ce qui montre l'équivalence du crapaud et de la femme.
La deuxième bande verticale, plus étroite, représente le fruit du cactus. La figue
de Barbarie ou udderg est rattachée au secret. La racine d-r-g fait allusion à ce qui est
caché: dreg veut dire «cacher», «dissimuler »; edreg est «l'inconnu», le mystérieux;
sedreg signifie «soustraire quelque chose à la lumière »**. En outre, ce fruit est une
«sphère à piquants » utérine. Dans la peinture murale, l’udderg souligne la nécessité
de garder les secrets, et le fait que ce qui est caché ne doit jamais être divulgué. Ces
faits-dérobés-au-regard sont analogues aux secrets féminins.
La troisième bande évoque la jeune épouse en route vers sa nouvelle maison:
tislit tesberber f-ouserdoun, «la mariée est transportée sur un âne». Les deux losanges
supérieurs «sont » l'épouse: celui du haut la tête, celui du bas le corps. Celui-ci est
représenté comme un «gâteau au miel», avec des losanges blancs, rouges et noirs
(magrouth) :la « douceur» de l'épouse, qui est également l’image de la matrice. Une
ligne horizontale dentelée, l'achouari ou panier, sépare la femme des deux losanges
inférieurs, qui figurent l’âne et les demoiselles d'honneur, les éléments serviles®.
Peintures murales de Kabylie
Dans toute l'Afrique du Nord, le schéma des quatre losanges désigne aussi l'«arbre
(d’après Devulder 1951).
21. Devulder 1957, p.75. L'auteur obtint cette information, entre 1942 et 1944, d'une «sorcière » de la région
des Ouadhi. Mais, compte tenu des tendances personnelles de son informatrice, il semble excessif de
prétendre que ces peintures se réfèrent essentiellement à des rites magiques. La description de ces rites
180 figure dans Devulder 1957. Plantade 1988 et Makilam 1996 reprennent et commentent cette matière.
Voir aussi Bauer 1946 ; Genevois 1968 ; Mauchamp 1910 (bibliographie 3).
22. Kamal Naït-Zerrad, Dictionnaire des racines berbères (formes attestées), Paris—Louvain, Peeters, 1998, vol.2,
pp.384-385.
23. Devulder 1951 (bibliographie 2b), p.86.
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Tapis ras mergoum, Beni Zid (Tunisie), vers 1900 (255 x 192 cm).
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Tissu ras haml, Tunisie du Sud, XIX® siècle (255 x 205 cm).
de l’univers », qui comporte deux moitiés: l'arbre «d'en haut» et celui «d'en bas».
Cette organisation est applicable à des phénomènes très variés. Parce qu'elle
incarne la force reproductrice, l'épouse est une manifestation de l'arbre de vie.
L'«épouse /arbre» est accompagnée de différentes créatures qui jouent un rôle
dans la magie.
Tout en haut, on distingue deux formes reptiliennes, composées d'un «cra-
paud», d'un «serpent» et d’un «crabe». Deux «crapauds» sont accrochés au «pa-
nier». À l'intérieur de l'«âne», on remarque dans le haut un «crabe» et dans le bas
une«jarre ». À gauche et à droite, on aperçoit une «lampe». Nous avons déjà parlé du
crapaud, animal utérin, tout comme le crabe, qu'on se «représente » généralement
dans une jarre ou une source: tifiragest di taouint. Le crabe est un être bienfaisant, qui
écarte les influences néfastes. On le capture en prononçant l'invocation suivante:
«Salut, animal aquatique. Défais l'œuvre (= l'ensorcellement) dans la maison» ou
«dans le ventre ». De la chair de crabe en poudre sert à attiser l'amour de l'époux**. Le
crabe est une visualisation du motif «anonyme » de la «sphère à piquants », gramma
des forces utérines. Le serpent est agar-aoual, «le serpent du mot», ce qui signifie:
_ celui qui sème la discorde par la ruse — on pense au serpent de l’histoire biblique de
la création. Le reptile a été utilisé pour susciter la brouille par le biais de la magie”.
Le crabe peut rétablir l'accord entre les époux et ranimer l'amour du mari.
La quatrième bande représente à nouveau un frêne supportant un essaim
d’abeilles : tehboult n-tizoua. En haut, on remarque un grand losange divisé en petits
losanges. La ruche (tadart) est le symbole de la vie (tadurt) et de la puissance créa-
trice et ordonnatrice de l'utérus.
Si la série de peintures murales étudiée par Devulder regroupe les principaux
rites favorisant un mariage heureux, qu’en est-il des autres types? Dans la seule
Kabylie, il existait divers schémas de composition. Ensemble, ces variantes consti-
tuent un vaste répertoire de schémas et de motifs, qui n’a pas encore été étudié.
S'agit-il de variations sur la même histoire”?
En soi, la contradiction entre la pluralité des motifs (signifants) et le nombre
relativement réduit des rites (signifiés) n’est pas inexplicable. L'art européen
connaît un phénomène similaire, tout comme la symbolique des rêves. Dans la
société traditionnelle, les besoins humains, tant matériels que spirituels ou
sociaux, étaient faciles à circonscrire: on était encore loin de la multiplication
infinie des besoins propre à la société de consommation moderne. Cette hypo-
thèse s'accorde avec le caractère non figuratif de cet art. Le rite est évoqué comme
un schéma. Presque toutes les formes graphiques, dans le tatouage, la poterie, la
peinture murale et le tissage, portent des noms. Des noms que des chercheurs
étrangers — pour la plupart des dilettantes — ont appris des femmes elles-mêmes.
Tous les auteurs qui ont voulu expliquer certains motifs du répertoire textile se
sont efforcés de leur trouver des «ressemblances » avec des objets, des animaux ou
des personnes. Cette démarche semblait d’ailleurs justifiée par les noms mêmes de
ces motifs, qui renvoient toujours à des objets perceptibles, tangibles. Pourtant, la
figuration est exceptionnelle dans l’art berbère.

24. Devulder 1951 (bibliographie 2b), p.88.


25. Devulder 1951, p. 87. 183
26. Salah & Mohamed-Salah Bettaieb, Ghadames, la porte du désert, Tunis, Alif, 1997, pp. 52, 54-59, 82. Les
peintures murales, reproduites dans Sous les toits de terre. Haut Atlas. Éléments d'architecture traditionnelle et
décoration picturale dans l'habitat berbère des hautes vallées, éd. Karin Huet & Titouan Lamazou, (Casablanca),
Édition Belvisi, (1988), sont des copies berbères de modèles «arabes», voire européens.
Les représentations de personnes et d'animaux (chameaux, oiseaux, poissons,
etc.) appartiennent à quelques traditions locales, en particulier à celle de Gafsa
(steppe tunisienne). Elles apparaissent sporadiquement chez les tribus des plaines
entourant Marrakech, dans quelques régions du Moyen Atlas, dans l’Aurès algé-
rien et le Sahel tunisien, ainsi que dans les territoires où le style de Gafsa a fait des
émules. Si aucune tradition berbère en matière de tissage n’ignorait vraisemblable-
ment la notion de «figuration», celle-ci n’était appliquée que par exception. Les
thèmes récurrents (la figure humaine, le chameau, l'oiseau, le poisson, la théière,
etc.) sont très faciles à reconnaître. La frontière entre le figuratif et le non-figuratif
est nette. C'est pourquoi l'opinion si souvent exprimée selon laquelle les motifs
non figuratifs représenteraient des êtres humains, des animaux et des objets sim-
plifiés et déformés est sujette à caution.
Les énigmes entourant la signification des motifs textiles ne sont pas propres à la
culture berbère. La chercheuse turque Belkis Balpinar a fait la même constatation
lors de son travail sur le terrain, en Anatolie. Aux femmes de science — car, vis-à-vis
des hommes, elles respectaient en outre la réserve de mise à l'égard de l’autre sexe —,
les tisseuses ont toujours donné la même réponse: «Comment le saurais-je? C'est
notre tradition. C'est notre style. Nous l'avons appris de nos mères et de nos grand-
mères.» Bien qu'ayant l'habitude de donner des noms à tous ces motifs, elles
affirmaient ne pas en connaître la signification. Ou bien les noms ne coïncidaient pas
avec le sens, ou bien les intéressées se refusaient à donner des détails aux profanes.
Ces deux possibilités dévoilent chacune une facette de la réalité.
La plupart des noms sont des «dénominations de commodité», qui sont
empruntées à des objets quotidiens ou se rattachent à une attitude ou à un aspect
de l'être humain. Bien des chercheurs se sont interrogés sur la signification de
termes comme «cuiller», «chaussure», «branche épineuse», «mains sur les
hanches», «ventre fendu » et bien d’autres, encore plus fantaisistes. D'autre part,
certaines femmes ont laissé entendre que les noms des motifs sont «seulement des
noms», et que lesdits motifs ne sont pas censés reproduire ce que le mot signifie”.

27. Pour la nomenclature des motifs textiles d'Anatolie, voir Hilmi Dulkadir, «The Sarekecçili tribe and their
flatweaves », in Oriental carpet and textile studies. III. 2, éd. Robert Pinner & Walter Denny, Londres, Sothe-
by's, [1901], pp.188-198: bitirak: angle vif; gelin çatlalan: gâteau de noces ;çubuk:rameau ;heykel: image;
kivrimli: plié; sindi gulpa: ciseaux; turus: orange amère; boncuklu: emperlé; tazi kuyrugu: queue du
lévrier; sizgiç: étourneau ; egrice: légèrement courbé ; koca yanis: grand motif; sigir sidigi : urine de bétail ;
kôpen yanisi: chiot; akli yanis: motif de l'esprit ; keklik ayagi: patte de perdrix ;aslan agzi: gueule de lion;
parmak: doigt; farda:gorge vide;segmen: adolescent en armes ;armutlu: poire; saksagan: pie; morgulak:
oreille violette ; egerkasi: sourcils recourbés; yildiz: étoile ; sandik: coffre.
Voir aussi: Peter Andrews, «From Khurasan to Anatolia», in Oriental carpet and textile studies III. 2,
éd. Robert Pinner & Walter Denny, Londres, Sotheby's, [1991], pp.40-50 : akker, oie blanche ; ala boncuk,
perles de couleur; boynuz, corne; çinar, platane ; çomçala, avec des cuillers ;gül yaydi, fleur épanouie ; sar-
ciyan, scorpion jaune ; tirana, esturgeon. Le même problème se présente chez d'autres peuples au mode
de vie similaire. Ainsi les motifs textiles de Lakaï, en Asie centrale, portaient-ils également des noms
«réalistes », qui pouvaient différer d'une tribu à l'autre. La recherche a montré que la terminologie ne
révélait pas grand-chose sur le «contenu » d'un motif. (Belkis Karmysheva, Uzbekei — Lokaitsy yazhnogo
Tadzhikistana [Académie des Sciences de la République soviétique du Tadjikistan, Institut d'Histoire,
d'Archéologie et d'Ethnographie, 28], Stalinabad, 1954, d'après Kate Gibbon & Andy Hale, «Lakai», in
Hali, vol.75, 1994, p.76.) De nombreux exemples comparables peuvent être trouvés dans d'autres tradi-t
tions du tissage. Dans le nord de la Grèce, par exemple, les motifs des textiles portent des noms simi-
laires:kangelou (zigzag), mana (main), petes (diamant), skinou (épine), frangoulou (piquant), mana kon miale
184 (main avec pommes), pondikion (souris) (Hali, n° 63, 1992, p.95). Quant aux textiles industriels actuels, |
ils reçoivent aussi, dans le langage populaire (maghrébin), des dénominations basées sur une associa-
tion avec un motif marquant: chlarem chadli, «la moustache de Chadli»; aynik ya aynik, «tes yeux, 6, tes
yeux »; loubia, «haricots »; akhou el banat, «le frère des jeunes filles »; tala netsaouar, «je vais me faire pho-
tographier » (Malika Mokeddem, Des rêves et des assassins, Paris, Grasset, 1995, pp.186-190). ; :
Tapis ras haml, Tunisie du Sud, vers 1920-1940 (360 x 180 cm).
186

Tapis ras haml, Tunisie du Sud, vers 1940 (320 x 190 cm).
Par ailleurs, les noms «littéraux » donnés aux motifs peuvent être bientôt rempla-
cés par d’autres. Un même motif peut s'appeler aujourd'hui «serpent » et demain
«collier ». Le motifM ou W est dénommé papillon, oiseau, burnous.… De plus, il
peut exister des différences régionales :un zigzag peut être désigné ici par «ser-
pent » et là par «scie», «eau», «mille-pattes »…
Le plus souvent, ces noms sont une sorte de «portemanteau», auquel est accro-
ché un contenu (apparemment difficile à exprimer). Le motif n'est pas la stylisa-
tion ou abstraction d’un élément perçu. Un seul et même motif peut porter diffé-
rents noms, sans rapports directs entre eux. Cette situation peut être attribuée au
hasard, ou à des renseignements erronés. Il se peut également que différents noms
renvoient à une seule idée exprimée dans le motif: un signifié, plusieurs signifiants.
À première vue, les répertoires de motifs du tissage, de la poterie, de la peinture
murale et des tatouages semblent identiques. De fait, la plupart des motifs et leurs
éléments se rencontrent dans ces quatre médias. Toutefois, les compositions diffè-
rent du tout au tout et ce, en grande partie, à cause de la différence du «support»:
une vaste surface plate, un objet rond ou la multiplicité du corps humain contrai-
gnent la créatrice à rechercher d’autres solutions formelles. Mais, si elle est obligée
de modifier son style, c'est surtout en fonction du rôle de l’objet.
Comme bien d’autres cultures traditionnelles, la culture berbère était soumise
à un sens aigu du décorum. D'’innombrables règles, qui variaient selon l'endroit et
l'époque, déterminaient l'expression autorisée dans les diverses sphères de la
société. Se dérober aux exigences de la bienséance, c'était s’exposer à la honte (‘ar,
hashouma). Ce problème transparaît déjà dans la maîtrise de la langue. Tant chez les
Berbères autochtones que chez les nouveaux venus arabes, beaucoup de mots et
d'expressions étaient «à éviter » dans la vie sociale”. Et chacun devait observer ces

28. Clariñons cette affirmation par une digression sur l’art européen. Durant une période donnée, par
exemple le XVII siècle, l'Europe a connu une unité de style à laquelle on a (ultérieurement) donné un
nom — en l'occurrence: le baroque. Cette unité relative se retrouve dans de nombreux pays européens,
et dans d'innombrables œuvres d'art. Un profane pourrait conclure de cette constatation que le sys-
tème sémantique du baroque était uniforme, et que ses constituants (une figure, un animal, un objet ou
un élément déterminés) possédaient une signification généralement répandue. Mais une ressemblance
visuelle ne mène pas automatiquement à cette conclusion. Au cours d’une période donnée et dans une
région déterminée, en effet, différents systèmes artistiques ont coexisté, partageant plus ou moins la
même forme esthétique, mais s'adressant à des groupes cibles différents, qui n'avaient pas forcément le
même univers symbolique. À cet égard, l’art religieux, l’art «de genre» bourgeois — dont la dimension
allégorique et emblématique s'adressait aux connaisseurs —, l'art des sociétés sectaires — comme les
alchimistes — et des circuits connexes, et les représentations populaires partaient de prémisses diffé-
rentes. Un élément symbolique devait être interprété d’une autre manière selon la couche culturelle à
laquelle il était destiné. Avant de se risquer à interpréter une œuvre d'art, il faut donc en connaître l'in-
sertion sociale et le groupe cible. Pour le tissage berbère, cette question est de peu d'importance, car il
était conçu en priorité pour un groupe social relativement cohérent. Il existait cependant une distinc-
tion entre les nomades et les paysans, qui ne partageaient pas toujours le même modèle de valeurs et de
normes. Par contre, une autre question s'impose: l'œuvre d'art était-elle élaborée pour le grand public,
pour un groupe restreint, pour l'intimité du foyer?À chaque niveau de publicité correspond un autre
degré d'ouverture dans l'expression. Chaque société développe son propre code de bienséance, afin de Tatouages de la poitrine et de la main,
préciser ce qui est acceptable dans chaque «sphère ». Tamezret (Tunisie)
29. E.Destaing, «Interdiction de vocabulaire en berbère », in Mélanges René Basset, 2, Paris, 1928, pp.177-277: (dessin: Aziza Mrabet).
Jean Herber, «Le mensonge et la feinte prophylactique au Maroc», in Revue de l'histoire des religions, 1933,
pp-229-245; William Marçais, «L'euphémisme et l’antiphrase dans les parlers arabes d'Algérie», in
Orientalische Studien Theodor Noldeke zum siebzigsten Geburtstag gewidmet, Giessen, 1906, vol.1, pp.425-438 ;
Id., «Nouvelles observations sur l'euphémisme dans les parlers arabes maghrébins », in Mélanges Isidore
Lévy, (Annuaire de l'Institut de Philologie et d'Histoire orientale et slave, XIII, 1953), Bruxelles, 1955, pp.331-398;
Ch. de Monchicourt, «Mœurs indigènes ;répugnance ou respect relatifs à certaines paroles ou à cer-
tains animaux», in Revue tunisienne, 15, 1908, pp. 5-21, 80; P. Poivre, «Mœurs indigènes ;répugnance ou
respect relatifs à certaines paroles ou à certains animaux », in Revue tunisienne, 1908, pp.269-274.
règles avec une rigueur toute particulière à l'égard de ses propres parents ou
enfants. En outre, il convenait d’atténuer un grand nombre de notions. Ainsi ajou-
tait-on autrefois, dans l'usage courant, des tics de langage à tout concept désobli-
geant. En Tunisie, c'était le cas de hashak («sauf votre respect). Et cette précaution
pouvait être poussée relativement loin, du moins selon les critères modernes. Tout
ce qui était rugueux et piquant, en particulier, était ressenti comme impoli et gros-
sier. La rudesse des fils de chaîne, le bois brut, les poils de chèvre ou de chameau, les
rameaux, les épines, les broches, les peignes, les quenouilles. n'étaient jamais
nommés sans qu'il s’y ajoute une formule de politesse, qui servait également à neu-
traliser la menace propre aux objets de ce genre”.
Paradoxalement, le «style strict» du tissage berbère est particulièrement
hérissé et anguleux. Il n’est donc pas étonnant à ce qu'il ait été ressenti comme très
chargé. La littérature occidentale a souvent interprété le caractère hérissé de l’art
berbère comme un moyen de protection contre le mauvais œil. Bien que partielle-
ment correcte, cette affirmation s'appuie sans doute sur une explication a poste-
riori”. Le décorum de la culture berbère exigeait des différents secteurs artistiques
qu'ils ménagent différentes sensibilités. Un tissu destiné à la vente (comme le mer-
goum tunisien) ne pouvait transmettre qu'un message stéréotypé, non offensif et
universellement acceptable. C'est pourquoi ces tissus, très équilibrés du point de
vue esthétique, ne sont jamais audacieux ni excessifs. Loin d’être marqués par une
éloquence personnelle, ils sont standardisés, afin de répondre aux attentes d’un
groupe (parfois assez vaste). Ce qui ne signifie pas que la tisseuse ou son entourage
ne pouvaient utiliser des tissus de ce genre pour leur propre usage.
Une distinction, tant de style que de signification, peut être établie, d’une part,
entre le tissage, la poterie peinte, la peinture murale et les tatouages et, d'autre part,
entre les différents types de textiles. L'art berbère est d’une telle diversité qu’il est
difficile d'admettre qu'il est né d'un groupe relativement uniforme du point de vue
socio-économique.
Le style dit «spontané» ne se rencontre que dans le tissage, et seulement dans
les tapis noués et les kilims (tapis double face). Les tissus utilisés pour l'habillement
étaient toujours réalisés dans le style dit «strict » — bien que, là encore, la composi-
tion révèle la recherche d'effets saisissants.
En différentes variantes, le style «strict» se retrouve dans les quatre médias déjà
cités, lesquels étaient tous conçus pour le grand public et la vie sociale. En outre, il
s'agissait soit de la peau elle-même (tatouages), soit de transpositions de l'être phy-
sique: les vêtements et la maison étaient comme une seconde peau” ; la poterie était
ressentie comme une variante de l'être comme récipient. Pour être socialement
acceptables, ces différentes versions du «moi-peau » devaient être fortement stylisées.
I ne faut pas en conclure pour autant que les motifs du style strict étaient pure-
ment décoratifs: en règle générale, ils servaient de supports à des idées, mais
celles-ci n'avaient pas de caractère subjectif. On peut y voir une phraséologie:
Tatouages du bras et du mollet,
Tamezret (Tunisie)
(dessin: Aziza Mrabet). 30. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. Il, 1953, p.19.
31. À cet égard, le parallélisme avec les mosaïques romaines d'Afrique du Nord est frappant. Bien que
celles-ci soient de style résolument naturaliste, la même inquiétude s'exprime dans la surabondance de
feuilles épineuses, subulées :acanthe, lierre, etc. (Poinssot 1934 [bibliographie 2c]). Jusqu'au XX siècle,
188 des bottes de ces plantes, ou encore de houx et de genévrier, étaient accrochées dans les maisons ita-
liennes et espagnoles, en guise de défense contre le mauvais œil (W. Hildburgh, «Indeterminability and h
confusion as apotropaic elements in Italy and Spain», in Folklore [Londres], 55, 1944, pp.135-136, 141). Les
innombrables épines et pointes de leur feuillage étaient censées assurer une protection efficace.
32. Maertens 1978 (bibliographie 3c) ; Didier Anzieu, Le moi-peau, Paris, Dunod, 1985.
un ensemble variable d'aphorismes et de lieux communs qui sont partagés par un
groupe (par opposition à un autre) ou qui sont considérés, au sein d’un groupe,
comme convenant à une occasion particulière ou à un média déterminé.
Sur le plan du contenu, les accents sont différents selon les médias. Ainsi, la
jeune fille tatouée est protégée contre les influences extérieures indésirables par
une longue série de signes, qui luttent contre toutes les formes du «mauvais œil».
Mais le plus important est son insertion sociale, choisie non par elle-même, mais
par les anciennes du groupe. La deuxième peau, la maison, est protégée par les
peintures murales. Certains signes doivent protéger des influences néfastes du
dehors, et quelques ensembles évoquent des rites magiques, destinés à préserver le
bonheur et la prospérité de la famille.
Les tissus de style «spontané», conçus pour l'intimité du foyer, n'étaient que
peu ou pas soumis au décorum public, de sorte qu'ils étaient beaucoup moins éloi-
gnés de l’intériorité de leurs créatrices. Ce qui les aligne sur de nombreuses créa-
tions de l’art moderne.
_ Confrontés au répertoire abstrait du style berbère, les observateurs masculins,
tant autochtones qu’allochtones, sont irrésistiblement tentés d’«expliquer». Selon
l'opinion dominante, c’est l'incapacité» des femmes à représenter le monde de
façon «réaliste » qui se trouve à la base de cette abstraction. Ainsi parle-t-on d'«une
loi (.…) fondamentale du style berbère, à savoir la schématisation triangulaire: les
êtres vivants sont ramenés à un jeu de lignes triangulaire, rempli de motifs géomé-
triques. Remplissage qui est peut-être plus archaïque que la réduction triangulaire
elle-même. Ce cloisonnement se retrouve déjà dans les gravures rupestres néoli-
thiques, ainsi que dans des représentations plus récentes. » D'après le même auteur,
ce procédé s'applique également à la peinture murale et au textile. Il s’agit d'un
concept esthétique inséparable de la culture berbère rurale ». «Il est difficile de pré-
ciser quand la population nord-africaine a développé ces concepts, car l’art popu-
laire est toujours simple et archaïque. Ces concepts sont incontestablement très
anciens, bien qu'ultérieurs à la période du grand art naturaliste du néolithique”. »
L'art berbère serait donc post-néolithique. Mais ce raisonnement est boiteux: l’au-
teur compare les représentations visuelles et les styles sans se préoccuper de savoir
s'ils ont été développés par des hommes ou par des femmes. Selon toute appa-
rence, les gravures rupestres préhistoriques figuratives et les graffitis récents sont
dus à des hommes, tandis que la céramique et le textile berbères sont l'œuvre de
femmes. Il convient donc de poser ici la question du rapport entre les diverses
formes d'art et l'appartenance sexuelle des artistes. En outre, il est tacitement
admis qu’un style géométrique doit dériver d’un style figuratif, et que le style ber-
bère ne connaît qu’un seul principe formel.

33. Camps 1963, pp.377, 380, 381 (bibliographie 3d).


34. Nousrenvoyonsici, en guise de parallèle, à la diversification stylistique de la poterie protohistorique du
Sud de l'Italie. Durant la période 150-800, cette production était relativement uniforme dans l’en- Haïk, Chenini (Tunisie),
semble de l'Italie méridionale. Ensuite, de 800 à 500 environ, différents styles régionaux et locaux XIX° siècle ou plus ancien
virent le jour. Après quoi, en raison du rayonnement politique et culturel de la Grèce dans sa colonie (338 x 120 cm).
italienne, le style grec prit le dessus. Mais ce sont les deux premières périodes qui retiennent plus parti-
culièrement notre attention. La poterie s'orne surtout de motifs géométriques, dont les principaux
sont le triangle (avec diverses décorations rectilignes), le zigzag, le chevron et le méandre. Ce style pro-
togéométrique présente de nombreuses similitudes avec la céramique peinte à engobe de Thessalie, de
Macédoine, d'Albanie et de Mycènes. À ce stade, il n'existe pas encore de relations complexes entre les
motifs. La phase suivante, du «premier style géométrique », se situe au IX‘ siècle. Sans doute le style ber-
bère s'est-il également développé à cette époque, pour se diversifier au cours du premier millénaire de
notre ère.
Pour cerner les principes formels du «style strict», nous nous attarderons à
divers motifs de l’art berbère du tissage”.

L'énergie vitale (foul)

Le motif fondamental du tissage berbère est le triangle. Il est désigné comme «hari-
cot » (foul), «amulette » (harz), «triangle » (nafa)”.
Dans l’ensemble du Maghreb, le foyer, lorsque la maison en possédait un, était
fait de trois grosses pierres peintes en rouge et disposées en triangle. Comme dans
bien des cultures, il était le centre de la maison et de la famille” — un centre qui pre-
nait la forme d’un triangle. Très souvent, ce triangle était appelé foul(a), «haricot ».
Non qu'il soit considéré comme une représentation de ce légume: c’est la connota-
tion du haricot qui importe ici. Le haricot est l’image de la croissance, et aussi de
l’âme ou du principe vital. La raison de ce rapport remonte aux caractéristiques de
un
= cette plante. Outre qu’elle gonfle très fort dans l’eau, sa forme rappelle celle de l’'em-
bryon. En outre, depuis la «révolution agraire » du néolithique, les légumineuses
(lentilles, pois, haricots) constituaient une part importante de l'alimentation de la
population rurale: comme les paysans mangeaient peu de viande, c'étaient les
légumineuses, riches en protéines, qui leur apportaient l'énergie nécessaire. Et les
flatulences qu’elles provoquaient étaient considérées par l’homme archaïque
comme la «preuve » de leur affinité avec les âmes et leur transmigration. L'abstrac-
tion de l’âme était assimilée à un «vent » immatériel. Dans le domaine des mythes
et des rites, le haricot a joué un rôle capital dans les cultures archaïques de
l'Afrique, du bassin méditerranéen et de l’Europe — sans parler du reste du monde.
Mais la science moderne ne s’y est guère intéressée, peut-être parce que la médio-
crité du sujet répugnait aux chercheurs et qu'ils avaient honte de s'y arrêter.

35. Les Touaregs ne sont que peu ou pas évoqués ici. Ces derniers grands nomades du Sahara, qui ont
séduit l'imagination des Européens au XX‘ siècle, sont aussi des Berbères. Depuis le deuxième millé-
naire de notre ère, l'art rupestre saharien représente des guerriers équipés comme les Touaregs. Dans
l'Antiquité, il est souvent fait allusion à des nomades belliqueux, qui menaçaient la pax romana: ils
étaient appelés Garamantes, d’après la ville de Garama dans le Fezzan libyen, et Gétules dans la steppe
maghrébine. Plus d’une fois, ces nomades joueront un rôle déterminant dans l'histoire du Maghreb. Les
Touaregs (comme leurs ancêtres, sans doute) ne pratiquaient pas le tissage: le climat de leurs régions
n’autorisait pas la tonte des moutons. Mais les objets en cuir qu'ils fabriquaient sont ornés d'une vaste
gamme de motifs. Chez les Touaregs, les objets en cuir sont la spécialité du clan endogame des Énades.
Et ce sont surtout les femmes qui tannent, coupent et ornent les bourses, sacs, porte-amulettes, etc.
Cependant, la décoration ne suit pas toujours le même principe esthétique que le textile, la poterie ou
le tatouage des Berbères. À côté du style rectiligne, il existe aussi un style à base de lignes courbes, dont
les motifs ressemblent plutôt à ceux des portes sculptées des entrepôts collectifs (ighrem, agadir) de l'At-
las ou des coffres kabyles. Comme le travail du bois était réservé aux hommes, les motifs figurant sur
les objets en cuir des Touaregs dérivent en partie d'une autre tradition, qui ne nous concerne pas direc-
tement ici. Les meilleurs aperçus des motifs se trouvent dans Poinssot & Revault, vol.I-IV; Ricard,
vol.1; et aussi Chantreaux 1941/1942; Golvin 1949 (El Djem); Ricard 1925 («Nattes»). Ces ouvrages
Femme vêtue d’un bakhnouq, El Ayaisha, (bibliographie 3e) n’abordent toutefois pas la signification des noms.
Gafsa (Tunisie), vers 1930. 36. Poinssot & Revault, vol.IV: pl.V, 16: hrouz, amulettes ; pl.V, 17, shrita el nefat; pl. XV, 38-39: triangle
constitué de six triangles, nwiriya bi-el nafat msarah ; nwiriya bi-el nafat mahrouj; pl. XLVIIE triangles, fulat;
pl. LIT, 36-38: ahajba mjounah, amulette ailée; pl. LIT, 42: foul; pl. LUI, 43-44: ahajba mjounah; 45: foul.
Autres noms: khrarab, «caroube-haricot», debibna, «petite mouche». Voir Poinssot & Revault, vol. IV,
190 p.54 et pl. XLVII, 19; pl. XLVIT, 21; pl. LIT, 42, 45 (bibliographie 3e).
37. C. Agabi, «Foyer», in Encyclopédie berbère, 19, pp. 2928-2930. Les pierres du foyer étaient appelées inian,
innayer (qui est aussi le nom du mois de janvier) ou inkan. L'ensemble du foyer portait les noms de takat
(en Kabylie et chez les Chleuh du Sud marocain), timessi (Moyen Atlas, Rif, Ouargla, djebel Nefousa),
tafkount (Nord-Est marocain et Nord-Ouest algérien) ou tigargart (Rif, Chenoua). 4
I9OI

Haïk, Matmata (Tunisie), XX° siècle (475 x 130 cm).


192

Bakhnoug, Douiret (?) (Tunisie), XIX® siècle (185 x 116 cm).


Dans les cosmogonies d'Afrique du Nord et de l'Est, notamment celle de la
confrérie «noire » des Gnaoua, le haricot était un symbole crucial”. Les traditions
populaires européennes partageaient la même conception”. Ici aussi, la forme
conique ou pyramidale évoquait la croissance et la puissance du principe vital.
Dès le néolithique, le triangle symbolise la force vitale. Dans la culture de
Lepenski-Vir, en Europe de l'Est, on enterrait les morts en un triangle“, dont le
nombril constituait le centre. À Çatal Hüyük (Anatolie), les sanctuaires en l'hon-
neur des forces régénératrices étaient ornés d’une décoration murale faite de tri-
angles, la plupart présentant un point en leur centre*'. Nous renvoyons aussi à la
symbolique méditerranéenne du cyprès* et des tas de pierres disposées en cônes“.
Dans de nombreux tissus de style «spontané», nous remarquons des formes qui
rappellent les stalagmites et les stalactites. Dès la préhistoire, ces formes étaient
associées à la fécondité, à la naissance et à la Déesse. Bien des grottes de la région
méditerranéenne ont été aménagées en lieux de culte néolithiques, consacrés à une
déesse. On y trouve des stalagmites et/ou des stalactites, avec des artefacts qui
témoignent de la dévotion à la déesse. C’est le cas de la Grotta Scaloria (Gargano,
Apulie), ainsi que de la grotte d'Éileithya, déesse de l'enfantement, à Héraklion, et
d’autres grottes crétoises*#. Par ailleurs, dans tout le Maghreb, d'innombrables
cultes féminins locaux s’articulaient autour de grottes. Depuis longtemps, la grotte
humide et sombre, où «croissent» les stalagmites, est une image de l'utérus.

L'origine (taneslit)

Dans le tissage abstrait, le double triangle en forme de sablier, dont les deux parties
sont parfois séparées par une ligne passant par leur point de contact, est un motif
important. Le triangle «réfléchissant», qui évoque la «division cellulaire», est
notamment la base de l’iconographie des kilims anatoliens, où il donne lieu à des
combinaisons diverses et complexes. Le motif des deux triangles en miroir, reliés
par une barre, est vieux de 8000 ou 9000 ans. Il apparaît déjà dans les peintures
murales de Çatal Hüyük, où il remplit un losange entre les jambes de figures fémi-
nines*?, Celles-ci sont conçues en miroir, leurs jambes formant de grands losanges,
dans lesquels s'inscrit le motif de la naissance*. Les triangles reliés semblent être

38. Viviana Pâques, La religion des esclaves, Bergame, Moretti & Vitali, 1992, passim. Nombre d'usages et de
rites révèlent la même symbolique. En Kabylie, par exemple, le jour où on commençait à travailler à un
tissu, on préparait un couscous aux haricots, «afin que la famille s'accroisse » (Genevois 1967 [biblio-
graphie 3e], pp. 56-57).
39. Voir la symbolique de la fève à la fin des Douze Nuits (6 janvier).
40. Marija Gimbutas, The language of the goddess, Londres, Thames & Hudson, 1989, p.158.
41. Ibid. p.188.
42. EF. Lajard, Le culte du cyprès pyramidal, Paris, 1854.
43. Edmond Doutte, «Les tas de pierres sacrés et quelques pratiques connexes dans le Sud du Maroc», in
Documents sur le Nord-Ouest Africain, Alger, 1903, repris dans Id., Marrakech, Paris, 1905, pp.57-108. Voir Bakhnoug, Tataouine (Tunisie),
aussi Josef Hanika, «Kegel- und Piramidenform als brauchtiümliche Symbole des Wachtums », in Baye- XIX° siècle (?).
risches Jahrbuch für Volkskunde, 1956.
44. Alexiou 1969 ; Gimbutas 1989 (voir note 40), p.79.
45. Henri Daumas, «The reciprocating triangle. À fundamental symbol in the pattern of many Anatolian
kilims », in Oriental carpet and textile studies IIL.2, éd. Robert Pinner & Walter Denny, Londres, Sotheby's,
(1991), pp.84-90.
46. James Mellaart, Belkis Balpinar & Udo Hirsch, The Goddess of Anatolia, 4 vol., Milan, Eskenazi, 1989;
vol.1, pl.IX, 12 et p.45.
47. Ibid. pl.IX, o etp.43; pl. XVIII, 5et p.94.
un diagramme du «devenir» ou de la «formation » (du fœtus). Ils constituent aussi
le centre du «losange-à-crochets» ou du «motif de la naissance» de nombreux
kilims anatoliens*®.
Le motif tafenzart (tête de bœuf), également appelé tiseghnas (fibules), est consti-
tué de deux triangles, disposés tête-à-tête, comme dans un sablier. Le nom identifie
le motif comme étant un boukranion ou tête de bœuf, qui était, depuis la protohis-
toire méditerranéenne, un symbole de fécondité et de protection. Il ne faut pas le
confondre avec la tête de taureau de la mythologie indo-européenne, qui était un
emblème viril. Dans le Sud tunisien, le motif est appelé ka‘ba*°, mot qui évoque une
clôture impénétrable. Pas étonnant que ce motif soit également baptisé taneslit,
«principe, origine »°. Sur le plan du contenu, il existe une correspondance entre
les différentes dénominations”.
En tant que symbole, la tête de taureau ou de bœuf remonte à la préhistoire. Dès
le néolithique ancien, la tête de bœuf (boukrania) ou de taureau était un symbole
courant de la fécondité (Tepe Guran, Iran, VIII millénaire ; Çatal Hüyük, Anatolie,
VII‘ millénaire, et bien d’autres), sans doute à cause de l’analogie formelle entre la
tête de bœuf et l'utérus avec les trompes. Celles-ci sont tournées vers le bas lorsque
la femme se tient debout et vers le haut quand elle est couchée. Comment l'homme
préhistorique pouvait-il être informé de cette analogie? Vraisemblablement par le
biais de l’excarnation: après la mort, le squelette était débarrassé de tous les élé-
ments périssables avant d'être déposé dans sa sépulture définitive. Ce procédé doit
avoir favorisé une certaine connaissance de l'anatomie — connaissance qui dispa-
rutultérieurement lorsqu'on commença à enterrer ou à brûler les défunts. Ailleurs
aussi, cette conception s'est manifestée dans l’iconographie protohistorique.
Ainsi, le hiéroglyphe égyptien pour l'utérus est également une «tête de bœuf» avec
deux excroissances”. Les têtes de bœufs se retrouvent fréquemment dans les
sépultures et les sanctuaires néolithiques. Souvent, elles sont agrémentées de sym-
boles abstraits de l'énergie et de la gestation (spirales, zigzags, œufs, triangles et
losanges). Parce que l'utérus contenait du liquide amniotique, la tête de bœuf était
associée à l’eau. Il en va de même pour la lune: le cycle de la fécondité est étroite-
ment lié au cycle lunaire et les cornes du bœuf ressemblent au croissant de lune.
Par l'intermédiaire de la tête de bœuf, une autre symbolique se rattache à la
fécondité. Dès la préhistoire, on avait constaté que les essaims d’abeilles sauvages
nichaient et, de l'avis général, «naissaient » dans les carcasses et les crânes d’ani-
maux morts. On retrouve des échos de cette croyance chez certains écrivains de
l'Antiquité, tels Ovide, Virgile et Porphyre. Dans sa Grotte des Nymphes, celui-ci
écrit : «Chez les Anciens, la lune, qui a le pouvoir de favoriser la reproduction, était
aussi appelée Melissa, “abeille”. La raison en était que la lune est un taureau. (...)
Les abeilles naissent des taureaux, et les âmes incarnées aussi.» C'était donc de
la lune /taureau que naissaient les âmes, qui étaient représentées sous l'aspect
d’abeilles ou de papillons.
Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc),
vers 1920-1930 (350 x 170 cm). 48. Ibid. pl. XVIII, 8; p.95 et pl. XVIII, 3 et p.93; pl. XVII, 9 et p.89; pl.XIV, ret p.71.
49. Delpy1954 (bibliographie 3e), pp.44-45. =
50. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. IV, 1953, pl. LXI, n° 86-88; pl. LIX, n° 75-77; pl. LV, n° 58-61.
Le «sablier» a été à plusieurs reprises le motif principal de la «ferrashiya » d'El Hamma (Poinssot &
194 Revault [bibliographie 3e], vol.Il, pl. L).
51. Chantreaux 1941 (bibliographie 3e), p. 221.
52. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.266; A.A. Barb, « Diva Matrix: A faked Gnostic Intaglio in the Posses-
sion of P.P. Rubens and the Iconology ofasymbol», in Journal of the Courtauld and Warburg Institutes, 16,
(1953).
Le lien entre la tête de bœuf et le sablier existait déjà dans la culture Cucuteni
(vers 3500 avant notre ère). Sur une imitation en os d’une tête de bœuf, la Déesse est
présentée sous la forme d’un sablier, avec les bras levés dans le haut (comme dans
la position jelwa) et le triangle concentrique dans le bas”.
Comme image de l'âme, l'abeille » pouvait être remplacée par un «papillon».
De temps immémorial, celui-ci était également représenté sous la forme du
sablier, qui était cette fois la stylisation d’un phénomène naturel. Le papillon offrait
un spectacle incompréhensible: d'une chenille indolente naissait un être ailé,
d’une légèreté aérienne. La notion de «métamorphose » ou de transformation s'im-
posait d'elle-même. Et il n’y avait donc rien d'étonnant à ce que la force qui était à
l’origine de ces métamorphoses, la Déesse, soit elle-même représentée par une
abeille ou un papillon. Les arts crétois et minoens en proposent de nombreux
exemples”.
Les triangles ne formaient pas seulement un papillon, mais aussi la silhouette
de la Déesse. Sur la poterie néolithique, à partir de 6500 avant notre ère, nous trou-
vons son image, le «sablier anthropomorphisé», inscrite dans des mandorles, au
milieu de symboles aquatiques, avec trois points, des chevrons, des V ou des spi-
rales, des X, des triangles, des serpents et des réseaux*”, bref, parmi des symboles
de reproduction.
Le sablier est aussi le modèle de l'univers, tel qu'il apparaissait dans les très
anciennes cosmogonies populaires d'Afrique du Nord et de l'Ouest. L'univers est
double, tel le reflet d’un point indivisible. Il est né d’un double mouvement ascen-
dant et descendant, qui a abouti à la formation d’un cône ou pyramide à sept strates
(les sept mondes) et d’un cône des sept cieux. Pour se représenter l’ensemble, füt-ce
de façon simpliste, pensons à deux cônes superposés, pointe contre pointe. Une
spirale est le «signe » de l'énergie qui déferle à travers le sablier cosmique”.

Le flux vital (siyala)

Dans certains tapis, le choix du motif se distingue par sa simplicité : quelques séries
de losanges enfilés comme des perles. Dans les tatouages berbères, nous retrou-
vons aussi ces séries de losanges, notamment au milieu du front” et du dos de la
main”. Ces rangées de losanges figuraient déjà parmi les tatouages de l'Égypte
ancienne. Des momies de danseuses, découvertes à Deir el-Bahari (Thèbes), dans
des tombes datant de la XI° Dynastie (vers 2000 avant notre ère), en portaient sur
le ventre°°.
Ce motif s'appelle siyala. Alors que les systèmes de tatouage des Berbères
variaient d’une tribu à l’autre, le siyala était un motif utilisé partout. Ce motif verti-
cal, qui allait de la lèvre inférieure au menton, pouvait consister en une ligne ou en
un dessin vertical. Dans le langage quotidien, le siyala, qui était le tatouage par
Déesse aux serpents avec «axe de vie»,
Koumasa (Crète), époque minoenne.
53. Gimbutas 1989 (voir note 40), pp. 270-271, ill. 420 et p.274, ill. 420.
54. Ibid. pp.274-275.
55. Ibid. pp.2735sqq.
56. Ibid. pp.239-243; Marija Gimbutas, The civilization ofthe goddess, San Francisco, Harper, 1991, p.302.
57. Viviana Pâques, La religion des esclaves, Bergame, Moretti & Vitali, 1992, pp. 128 sqq.
58. Herber 1929 (bibliographie 30), pl. IH, 20.
59. Herber 1949 (bibliographie 30), pl.VIII, 5.
# . Keimer 1948 (voir note 3), pl. XI.
excellence, équivalait au mot «femme »°". Les motifs siyala occupent également une
place importante dans le tissage.
Siyala, qui dérive de la racine sa-ya-la, signifie «cours», «flux», en rapport avec
l’eau qui coule. Ici, les notions de «maniabilité, souplesse, adaptation» et «conti-
nuité» sont étroitement liées. Elles évoquent un aspect essentiel de l'attitude des
femmes devant la vie. Il y a aussi la «verticalité», associée à la force: souvent, le
siyala était une ligne à multiples traits transversaux. Ce motif, qui a également une
grande importance dans le tissage, apparaît déjà, en Tunisie, sur les temples
antiques de Douga ou les murs médiévaux de Sfax. La ligne-à-croisillons ou traits
transversaux est le diagramme de la force”.
Dans l’art néolithique, le double serpent vertical — zigzag, succession de
losanges, champ losangé allongé ou méandre — constitue souvent l'axe vertical de
la Déesse, sur le sternum ou plus bas sur le ventre. On en trouve des exemples dès
les sixième et cinquième millénaires (culture Tisza en Hongrie), et jusque dans la
céramique béotienne préclassique”. Et les mêmes motifs apparaissent — par
exemple — sur l'axe vertical de la tête de taureau mycénienne: lignes parallèles ou
zigzags, succession de losanges, «échelle »°*. Il s’agit d’un signe universel sur l'axe
médian du torse, qui figure notamment parmi les scarifications africaines et qui
représente le flux énergétique parcourant le corps.
Certains bijoux berbères, notamment ceux de la Dra'a (Sud marocain), respec-
tent toujours la forme de ces conceptualisations de la féminité. Là aussi, l'axe verti-
cal est constitué par un zigzag ou un motif similaire®®.

Le losange

Le losange est un des motifs standard du tissage berbère. Souvent, il contient un


losange plus petit, un point ou un autre élément, ou bien il est divisé en quatre
losanges semblables. Cet ensemble possède aussi une signification fondamentale
dans le tissage d’autres cultures.
Dès les temps préhistoriques, le losange-avec-quelque-chose-à-l'intérieur était
un idéogramme de la Déesse enceinte, de la fécondité de la terre. Il y a d’abord eu
les déesses de la fécondité du paléolithique, célèbre pour ses statuettes de « Vénus ».
Mais la nouvelle culture agricole du néolithique a donné à cette déesse une
signification différente : sa fécondité était désormais assimilée à celle de la semence
germant dans la terre.
L'idéogramme du losange se retrouve dès le septième millénaire avant notre ère
(a) Figure féminine, Cuina Turcului à Çatal Hüyük, puis dans l’Europe néolithique et chalcolithique”. Souvent, il est
(Roumanie), vers 8000 avant notre ère.
(b-c) Déesse avec «fleuve de vie», culture
gravé sur le ventre de statuettes enceintes de l'époque". Il apparaît également sur
Tisza (Hongrie), vers 5000 avant notre ère
(d’après Gimbutas 1989; voir note 40). 61. Herber 1946 (bibliographie 3c), p.346.
(d) Motifs en losange sur céramique 62. Ce motif est répété sur les murs d'enceinte de Sfax (en Tunisie) à une échelle gigantesque. Il apparaît
néolithique et chalcolithique (Tepe Giyan V, d’ailleurs déjà sur les murs de la ville romaine de Dougga (dans le nord de la Tunisie).
Musyan, Dalma, Ur). 63. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.28.
64. Ibid. ill. 418. ’«
65. Tassadit Yacine, «L'eau dans la littérature kabyle », in Bulletin du CRAPE (Alger), 3, 1981, pp. 141-152 ; Marie
Virolle-Souibes, «Eaux de la terre, eaux du ciel. De quelques rituels et représentations hydriques au
Maghreb », in Présence de femmes (Alger), 3, 1985, pp. 80-133.
66. Bert Flint, Formes et symboles dans les arts maghrébins, 2. «Bijoux, amulettes », Tanger, EMI, s.d., ill. 2.
67. Marija Gimbutas, The gods and goddesses of Old Europe. 6500-3500 BC. Myths and cult images, Londres,
Thames & Hudson, 1990, pp.204-205.
68. Ibid. pp.158-160 ; ill.157, 203, 204, 206. i
les murs de temples ou de sanctuaires en l'honneur de la Déesse, ainsi que sur des
poteries et des sceaux, par exemple dans les cultures d'Europe orientale (Kara-
novo), d'Anatolie (Hacilar, Çatal Hüyük, Can Hasan) et de Grèce (Sesklo)°°.
Le losange occupe également une place importante dans le tissage féminin de
nombreux autres pays. Depuis des millénaires, il est un des psychogrammes fémi-
nins les plus fondamentaux.
Depuis le II siècle jusqu'après la chute de l’Empire romain, le losange était un
des motifs les plus fréquemment utilisés dans les mosaïques romaines d'Afrique
du Nord. À l’origine, le motifen losange était exécuté en noir et blanc, mais la cou-
leur apparut progressivement, tandis que l'agencement devenait plus complexe,
que les dimensions augmentaient et que la tache centrale se développait en une
fleur stylisée”®. Les motifs berbères caractéristiques s'épanouirent à la fin de l'Anti-
quité, après la disparition de l'influence romaine. Le losange était désormais divisé
en petits losanges ou en triangles renfermant des triangles plus petits. Vers 600,
cette «berbérisation » était complète. (Au cours de l'époque chaotique qui suivit,
l’art de la mosaïque cessa toutefois d'exister.)
Tant en Europe que dans la région méditerranéenne, l’art populaire remplaçait
parfois le losange par l’'amande. Celle-ci est utilisée lors des rites de passage:
mariage, fiançailles, baptême, funérailles, confirmation’". Parmi ces rites de pas-
sage, une cérémonie universellement répandue est la renaissance rituelle par la
reptation à travers une étroite ouverture (image de la naissance). Ce moment peut
aussi être évoqué par l’un ou l’autre symbole comme l'amande. Le christianisme l’a
reprise inconsciemment :le Christ ressuscité, rené, apparaît dans une gloire ovale
en forme d'amande, la mandorle (de l'italien mandorla, «amande »).
Dans les rites grecs, c’est l’'amande sucrée qui évoque cette renaissance, ce pas-
sage à une autre étape de la vie. Il n’est donc pas étonnant qu'un des motifs en
losange du tissage berbère s'appelle magrouth — nom d’une pâtisserie au miel de
même forme, et de même symbolique’*.
Le losange est un motif central dans les cultures les plus diverses. Nous y
reviendrons.

69. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.145.


70. M.Fendri, «Évolution chronologique et stylistique d’un ensemble de mosaïques dans une station ther-
male à Djebel Oust (Tunisie), » in La mosaïque gréco-romaine. Paris, 29 août—3 septembre 1963, Paris, CNRS,
1963, pp.157-173 ; Noël Duval, La mosaïque funéraire dans l'art paléochrétien, Ravenne, Largo, s.d., pp.114, 35.
Le losange divisé en quatre se retrouve fréquemment dans les mosaïques de l'Antiquité, généralement
en combinaison avec d'autres motifs servant à détourner les influences maléfiques (Poinssot 1934
[bibliographie 1c], pl.IX, 2). Sur le rôle apotropaïque du losange dans le Proche-Orient antique, voir
Wagner, « Phallus, Horn und Fisch. Lebendige und verschüttete Vorstellungen im Mittelmeerraum », in
Donum natalicium Carolo Jaberg, Zurich, 1937, p.112.
71. Thornton Edwards, «The sugared almond in modern Greek rites of passage », in Folklore (Londres), 107,
1996, pp.49-56. Sur les amulettes en forme d'amande, voir Wagner 1937 (voir note précédente), p.85.
72. Poinssot & Revault, vol. IV, 1953. Dans le monde entier, le losange est le motif principal du tissage fémi-
nin. Il est souvent associé au «soleil » ou à l'œil», ou bien aux deux ensemble. Pour l'interprétation du Tapis ras mergoum, Oudref (Tunisie),
«soleil » dans les cultures andines: Gail Silverman-Proust, « Cuatro motivos inti de Q'ero », in Boletin de XIX° siècle ou plus ancien (207 x 100 cm).
Lima, 43, 1986, pp. 61-76; Ead., «Motivos textiles en Q'ero», in Q'ero, el ultimo ayllu Inca, éd. Jorge Flores
Ochoa, Cuzco, ECAL, 1983, pp. 87-105 ; Ead., «Iskaymanta /Kinsamanta: la técnica de tejer y el libro de
la sabiduria elaborado en el Departamento del Cuzco», in Boletin de Lima, 74, 1991, pp.49-66. Pour
l'«œil»: Waldemar Deonna, Le symbolisme de l'œil, Berne, 1965. Pour l'«œil solaire»: Wilhelm Spiegel- 197
berg, Der ägyptische Mythus vom Sonnenauge, réédition Hildesheim, Olms, 1994 (sur le retour de la déesse
Tefnout). À cause de leurs «rayons», le soleil et l'œil étaient considérés comme analogues. Voir aussi
AK. Ambroz, «On the symbolism of Russian peasant embroidery of archaic type», in Soviet Anthropo-
logy and Archaeology, 6, 1967, 2, pp. 22-36.
Le miroir /l’araignée

Un des motifs fondamentaux du répertoire porte plusieurs noms: timrit (miroir),


ta‘ulelit (tarentule)*, foum el kircha, «bouche du ventre». Ces noms sont-ils arbi-
traires ?Pourquoi un même motif est-il appelé indifféremment «miroir» et «arai-
gnée », désignant ainsi des choses qui n'ont rien en commun ?
Dans certaines formes de la culture féminine méditerranéenne, l'«araignée » et
le «miroir» occupaient une place symbolique essentielle. Par exemple dans les
rituels thérapeutiques de danse et de transe généralement désignés sous le nom de
tarantella. L'araignée (tarantula) était en l'occurrence un symbole-clé particulière-
ment obscur, chargé de nombreuses significations, et le miroir un objet essentiel
pour écarter le malheur.
Le motif étudié ici ne représente certainement ni une araignée ni un miroir. Il
doit son nom à son efficacité contre les influences néfastes, laquelle s'explique par
sa forme en losange, majorée par le quadruple croisement (des côtés du losange).

Le réseau

Dans le tissage berbère, comme d’ailleurs dans tous les styles textiles du monde
remontant au néolithique, le réseau est un motif fondamental. La composition du
tissu est souvent structurée par des champs losangés.
Le réseau losangé est très ancien. Il apparaît déjà sur des objets du paléoli-
thique, notamment du magdalénien (Dordogne, vers 10 000 avant notre ère), en
combinaison avec des zigzags, des «serpents» et des formes elliptiques qui se
contractent et se dilatent en alternance, et qui présentent elles-mêmes un cloison-
nement interne en forme de réseau. Au début du néolithique, cette iconographie
est systématisée, le réseau étant rattaché d'une part à des symboles «hydriques »
— zigzags, lignes parallèles, M, chevrons — et d’autre part à des symboles de «gesta-
tion » — œuf, vulve, utérus, poisson, «vessie »°.
Beaucoup de statuettes de déesses néolithiques (VI' et V® millénaires) sont cou-
vertes de motifs quadrillés : parfois seulement sur la partie inférieure, et parfois sur
l'ensemble du corps”. Un losange «quadrillé» accompagné d'un poisson à
losanges orne (en guise de tatouage ?) le torse d'une «déesse » des débuts du néoli-
thique, découverte à Trente’*. De même, la célèbre «déesse » béotienne du Louvre
porte sur le ventre, comme symbole fondamental, un champ losangé.
La valeur symbolique du réseau est attestée par son omniprésence sur les pote-
ries, les bijoux et les amulettes depuis le début du néolithique. Un réseau encadré
figure parmi les principaux symboles de la poterie néolithique. Il peut affecter la
forme d’un losange, d'un poisson, d'une vessie, d’une bande ou d’une sphère”.

73. Searight 1984, pp.299, 304: Herber 1948 (bibliographie 3c), pp. 52-53; Ricard (bibliographie 30), vol.I,
p.24 et pl.V, 14. 4
74. Delpy 1954 (bibliographie 3c) (Zemmour). Également: Searight 1984 (bibliographie 3c), p.304: dessin
(Ait Ouribel).
198 75. Searight 1984, p.304 (Aounate).
76. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.81.
77. Ibid. ill. 128-120.
78. Ibid. ill. 139.
79. Ibid. ill. 134, 132, 133, 137, 133.

ie.
Dans ce dernier cas, le réseau rond peut présenter des «polypes » rayonnants, éven-
tuellement hérissés de protubérances®°. C'est notamment le cas sur les vases hella-
diques tardifs, où le motif rappelle les précurseurs de la gorgone, qui avait à l’ori-
gine — comme nous l'avons souligné précédemment — une signification utérine*!.
Sur une amphore béotienne, nous remarquons un poisson «à réseau » devant la
partie inférieure du corps de la Déesse”. En tant que «maîtresse des animaux»,
Artémis était associée aux réseaux”. Il existe apparemment un rapport entre le
réseau, le poisson (écailleux), l'utérus et le liquide amniotique ou l'amnios**. Pri-
mitivement, le réseau renvoie à l’eau de vie — et en première instance au liquide
dans lequel baigne l'enfant à naître.
Dès le début du néolithique, le tissage, la céramique et le symbole du réseau
se développent simultanément. Ce dernier se retrouve fréquemment sur les sta-
tuettes de la Déesse. Le réseau «repose» sur son corps, ou plus précisément sur la
partie inférieure de son corps, son ventre ou sa poitrine. Ce «réseau-vêtement »
habillait aussi les femmes de l'Égypte ancienne”.
Souvent rattaché aux motifs de l'œuf, de la vessie natatoire, de la sphère et du
losange, le réseau symbolise la création par l’eau, la source de vie. Déjà, les
hommes du paléolithique ornaient des os de losanges cloisonnés en réseau, ou
bien de longues concaténations de losanges semblables. Des réseaux gravés ont été
découverts dans de nombreux abris-sous-roche. Dans les tombes néolithiques de
Sardaigne, le réseau est accompagné des motifs de la croix et du sablier. Quant à la
décoration des poteries au moyen de losanges «à réseau», souvent à côté ou à
proximité de motifs de damiers, elle remonte à 8000 ans environ*°.
Dans la symbolique populaire européenne, entre autres, le réseau était le sym-
bole de la membrane amniotique. Les enfants «nés coiffés » étaient souvent consi-
dérés comme possédant le don de «double vue », c'est-à-dire capables de distinguer
«par l'esprit» des choses inaccessibles au commun des mortels. Ils possédaient
aussi la faculté de séparer leur âme de leur corps. Les voyants et les guérisseurs se
reconnaissaient au filet dont ils se couvraient la tête”.
Dès l'Antiquité, le réseau était symboliquement lié à l'utérus ou, plus générale-
ment, à la puissance reproductrice, ou encore, de façon plus spécifique, à la
«coiffe », siège des forces magiques et spirituelles de la «double vue ».

Le rayon (de miel)

Le motif du damier renvoie à la «ruche ». Il s’agit d'un rectangle ou d’un losange divisé
en rectangles ou en losanges de dimensions plus réduites. La forme en losange (voir
aussi plus haut) est appelée magrouth, d'après un gâteau au miel de la même forme,
(a) Poids de métier à tisser: robe à réseau,
culture Starcevo (Bulgarie), vers 5800-
80. Ibid. ill. 133. 5600.
81. Voir chapitre précédent. (b) Statuette en terre cuite: robe à résea U,

82. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.86. culture Starcevo (Serbie), VI millénaire.
83. Ibid. p.87.
84. Gimbutas 1991 (voir note 56), p.246.
85. Afrivers. The art ofa continent, cat. exp., Londres, Royal Academy of Arts, 1995, p.100, n° 1.66.
86. Gimbutas 1989 (voir note 40), ill. 132-134 et ill. 135-136. Voir aussi: Isidor Scheftelowitz, Das Schlingen- 199
und Netzmotiv im Glauben und Brauch der Vülker, (Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, XII, 2),
Giessen, 1912.
87. Nous renvoyons à un article que nous préparons à ce sujet dans le cadre d’une étude sur la conception
s .… del’âme dans la culture populaire européenne.
que les Berbères désignaient sous le nom d'aghrum t-tezizwa, «rayon de miel #8, de
thamment, tajdert-n-thamment*, «gâteau au miel», ou de takhnift, «gâteau de cire».
Dans le langage des Berbères, la notion de «vie» (d-r) est apparentée au mot
signifiant «ruche » : edder, «vie », taddart, «ruche », habitation », et taddurt, «la vie». La
même racine a produit idir, «base », «dessous », «racine », «fondement » — d’où dérive
d'ailleurs le nom d’un célèbre groupe musical berbère, en provenance d’Algérie?°.
Un terme de base berbère pour «métier à tisser», azetta, est également appliqué par
métaphore au rayon de miel, à la toile d’araignée et au nid de guêpes”.
Le rayon ou la ruche, avec les alvéoles où les larves se développent et qui ser-
vent au stockage du miel, a été de tout temps une image de l'utérus. La Déesse
apparaît à d'innombrables reprises sous l'aspect d’une abeille”, ses prêtresses por-
tant le même nom. Dans sa Grotte des Nymphes, qui constitue un véritable trésor
d'informations sur la cosmogonie populaire de l'Antiquité, l'écrivain romain Por-
phyre précise: «Les Anciens donnaient aux prêtresses de Déméter, qui étaient les
initiées de la Terre Mère, le nom de melissae («abeilles »), et à Coré elle-même celui de
melitodes. De même, la lune, qui veillait sur les accouchements, était appelée
«abeille», car, comme elle est un taureau et son ascendant également, les abeilles
naissent des taureaux. Et les âmes qui descendent sur terre sont également «nées
des taureaux »%. (Avant que le taureau ne devienne, dans les religions ultérieures,
un symbole purement viril, cet animal, et plus précisément sa tête, était un sym-
bole de l'utérus. Si les raisons de cette association étaient multiples, elle s’expli-
quait sans doute en partie par la ressemblance entre la forme d’une tête de taureau
et celle des organes reproducteurs féminins [utérus et trompes], ainsi qu'entre la
forme des cornes et le croissant de lune.)
Des motifs en damier, réalisés en noir et blanc, décoraient déjà l’hypogée mal-
tais de Hal Saflieni, gigantesque cimetière souterrain de l’âge du bronze”*. En Crète
aussi, à la fin de la civilisation minoenne (vers 1300-800 avant notre ère), nous
retrouvons le damier, couvrant comme une «jupe» la partie inférieure du corps de
la «déesse aux serpents»®. Ces motifs, qui rehaussaient des sarcophages et des
urnes, étaient aussi des symboles de la «colonne de vie »°°. Un des exemples les plus
anciens est le damier qui orne le corps de la Déesse, au-dessous du motif typique
en M, sur une jarre de Vinça, datant de 5000 avant notre ère”. Ce motif s’est per-
pétué jusqu'à nos jours, avec la même signification.
L'enceinte circulaire de la tombe de Lalla Mimouna, à Tamgrout (dans le sud du
Maroc), est également agrémentée d’un damier peint en noir et blanc®. Ce mur est
comme la Voie lactée. Il renferme toutes les âmes et tous les germes de l’univers,
bourdonnant comme une ruche. La déesse sumérienne de la naissance était déjà

88. Chantreaux 1941 (bibliographie 3e).


89. Naït-Zerrad 1998 (voir note 22), vol.Il, pp.368-370.
90. Ibid. vol. Il, p.377.
91. Bynon 1963 (bibliographie 3e), p.56.
92. Gimbutas 1990 (voir note 67), p.184; Gimbutas 1989 (voir note 40), p.272.
93. H.Ransome, The sacred bee in ancient times and folklore, New York, Houghton Mifflin, 1937, p.107.
94. M. Ridley, The megalithic art ofthe Maltese Islands, Poole, Dolphin Press, 1976, p.78. in"

95. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.227.


96. Dans l’art néolithique, nous trouvons souvent une composition censée concrétiser la notion de
200 «colonne de vie » ou de «flux vital» — notion notamment exprimée par le serpent, l'œuf, l'eau et le corps
de la Déesse. Ce dernier pouvait être représenté en tant que tel, sous la forme d’un récipient ou d’une
sculpture, ou bien métaphoriquement, comme tombe, hypogée ou mégalithe.
07. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.21, ill. 33.
98. Viviana Pâques, La religion des esclaves, Bergame, Moretti & Vitali, 1992, p.64.
201

Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc), XIX° siècle.


appelée «la dame qui possède une connaissance approfondie du rayon de miel »?°.
L'alternance incessante de blanc et de noir révèle la non moins incessante pénétra-
tion réciproque des principes qui sont à l’origine de tout ce qui vit.

Le motifde la naissance

Ce motif est le seul qui ait fait l'objet de recherches. Dans différentes cultures eur-
asiatiques, ainsi que dans certaines régions de l'ouest du Pacifique, dans les Bal-
kans, en Turquie, dans le Caucase, en Iran, en Afghanistan, en Asie centrale (Ouz-
békistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Turkménistan), en Asie du Sud-Est (Thaïlande,
Birmanie, Vietnam) et dans les îles de Sumatra, Flores, Timor, Célèbes, Mindanao,
aux Philippines, à Bornéo et en Nouvelle-Guinée, ce motif figure sur des textiles
ainsi que sur d’autres supports.
Certaines évocations proches de la figuration fournissent la preuve que ce
motif est effectivement rattaché à la naissance. Une jupe de cérémonie de Sumba,
destinée à une femme, est ornée d'un personnage debout dans la position orante
ou jelwa. Du nombril sort un cordon lié au motifde la naissance, motif qui repré-
sente ici un nouveau-né", À gauche et à droite du personnage, la tisseuse a intro-
duit une variante du motif de la naissance. Par ailleurs, le motif de la naissance
«réaliste » se retrouve aussi, entre autres, sur les tnalak ou «linge de naissance» de
Mindanao (Philippines). La même configuration est parfois combinée avec des
images de crapauds, dont le corps consiste en un losange enserrant une poutre ver-
ticale. Le crapaud lui-même est un symbole universel de l'utérus et de la fécondité.
Le tissage berbère comprend, dans le style «spontané», d'innombrables variantes
du losange-avec-poutre. Parmi les motifs rehaussant les tnalak, la tache-dans-le-
losange, auréolée de protubérances rectilignes, revêt une importance toute parti-
culière. C’est du reste aussi un des motifs de base du tissage berbère”.
À l’origine, le gül ou gül, motif de base des tapis turkmènes, qui varie selon les
tribus, constituait la même «apparition ». Il en existait de multiples variantes, sou-
vent liées à la tribu. Gül/gül signifiait «lac » ou «rose ». Il s'agissait de stylisations du
motif-anonyme-à-protubérances et du motif de la naissance. Contrairement à
l'opinion généralement répandue, le gül n'était pas spécifique à la culture turk-
mène. Des güls identiques ponctuent déjà les tissus précolombiens dits de l'Hori-
zon Moyen (vers 500-1000), la combinaison avec des crapauds renforçant encore
l'idée de la fécondité.
Le motif de la naissance est un des plus répandus dans le tissage anatolien"”. En
Anatolie (Hacilar)”,comme d’ailleurs aussi dans l’Europe néolithique"”, il existait
dès le sixième millénaire. Et, en dépit des idées reçues, nous le retrouvons éga-
(a) Motif sur vase de Lengyel (Moravie), lement en Afrique et dans les civilisations amérindiennes. Il semble donc que
vers 5000 avant notre ère.
(b) Motifde la naissance sur jupe
cérémonielle, Lan Hada, Sumba (Indonésie), 99. M.Stol, Zwangerschap en geboorte bij de Babyloniërs en in de Bijbel, Leyde, Ex Oriente Lux, 1983, p.35. Sur le
XIX® siècle. Galerie Kantu, Linz. rôle de l'abeille et du miel dans la mythologie de l'Antiquité: Goddess of Anatolia (voir note 46), vol.Il,
pp-24-25; et surtout: Robert Triomphe, Le lion, la vierge et le miel, (Vérité des mythes), Paris, Les Belles. |
Lettres, 1980.
100. Hali, n°63, 1992, p.95.
202 1o1. Max Allen, The birth symbol in traditional women's art from Eurasia and the western Pacific, cat. exp., Toronto,
Museum for Textiles, 1981, p.77.
102. The Goddess ofAnatolia (voir note 46), vol. IV, pp. 41-43.
103. Ibid. vol.I, pl. VI, 9 et 11.
104. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.309.


Haïk, Tamezret (Tunisie), XIX® siècle.
le motifde la naissance soit vraiment universel et qu'il intervienne dans la plupart
des arts développés par les femmes".
Il apparaît aussi à d'innombrables reprises dans l’art populaire européen, où il
s’est perpétué jusqu'aux XVIII et XIX° siècles sous forme de pain. À l’occasion de
certaines fêtes placées sous le signe de la fécondité, on donnait cette forme à des
pains ou des gâteaux, qu'on décorait de losanges et de spirales. Bien des artistes
européens ont témoigné de ces usages. La cuisson de ces pains devait être prati-
quée dès le néolithique, car les fouilles archéologiques en ont mis au jour des
modèles en argile (ex-voto ?)'°°.
Pour certains, le motif de la naissance est une stylisation de la femme enceinte
ou en train d’accoucher: le losange est le corps /le ventre, les quatre crochets les
bras et les jambes. Cette opinion est confirmée par toute une série de textiles, pro-
venant surtout de l’est du continent asiatique (Philippines, Malaisie), où des
femmes enceintes ou en couches sont stylisées de cette manière 97, Mais ces ver-
sions n'apportent qu'un complément d'explication à la signification du motif.
Dans leur immense majorité, les exemples sont purement abstraits, comme
d’ailleurs le reste du textile «néolithique ». Selon nous, le losange-à-crochets n’est
pas la stylisation d’un corps enceint: il dépeint une expérience collective, com-
mune à toutes les femmes en couches — la sensation de s'ouvrir en se recourbant
vers l'extérieur ou de s'épanouir.
Le motif de la naissance a souvent adopté l'aspect d’un animal, lequel n’était pas
choisi arbitrairement, mais en fonction de la place qu'il occupait déjà dans l’analo-
gie utérine. C'était le cas du crapaud ou de la grenouille, symboles utérins univer-
sels dont l’histoire remonte très loin dans le temps" .Dans l'Europe préhistorique,
ces animaux étaient une émanation de la Déesse en tant que source de vie”.
Nombre de petites sculptures de ce type ont été exhumées récemment dans des
sites néolithiques d'Europe orientale. Cette croyance est attestée par les civilisa-
tions protohistoriques de Sesklo (septième millénaire avant notre ère), Starcevo
(septième et sixième millénaires), Vinça (vers 5000 avant notre ère), Karanovo
(sixième et cinquième millénaires) et Gumelnitsa (cinquième millénaire).
Souvent, la déesse-crapaud était représentée à la verticale, avec les bras (ou les
pattes avant) levés". Des statuettes de ce genre, appartenant au néolithique anato-
lien, ont été mises au jour à Çatal Hüyük et Hacilar. Leur attitude évoque souvent
celle de la femme enceinte, et leurs bras levés annoncent la jelwa maghrébine ulté-
rieure. L'assimilation symbolique de la Déesse au crapaud se manifeste également
dans les stèles antiques de Carthage, qui étaient dédiées à Tanit et où le signe de la
déesse est répété dans le crapaud aux pattes avant «levées »".
(a) Motif
de la naissance: pain de Nouvel
An. Peeter Snijers, Le mois de janvier, détail.
Anvers, Koninklijk Museum voor Schone
Kunsten. 105. À. Ambros, «Ein Kultsymbol der frühen Ackerbauern: Rombus mit Haken», in Turkmenenforschung
(b) Motif de la naissance, avec Gorgone (Hambourg), 7, 1986, pp. 83-106.
au centre. Temple d’Apollon, Cyrène 106. Gimbutas 1989 (voir note 40), p.147.
(Lybie). 107. Allen 1981 (voir note 101).
108. Asta Ekenvall, Batrachians as symbols of life, death, and woman, (Kvinnhistorisk arkiv, 14), Gôteborg, Univ. #
Press, 1978.
109. A. Gulder, «Die urnenfelderzeitliche “Frauenkrôte” von Maissau in Niederôsterreich und ihr geistes-
204 geschichtlicher Hintergrund», in Mitteilungen der prähistorischen Kommission der Osterreichischen Akademie
der Wissenschaften, 10, 1960, pp.1-157.
110. Gimbutas 1990 (voir note 67), pl.169-170, 177-179 et ill. 128.
1. M.Hours-Miedan, «Les représentations figurées sur les stèles de Carthage », in Les cahiers de Byrsa, 1, 1950
(1951), pp.15-160, pl. XXIVb. ;
Bakhnouq, El Hamma (Tunisie), XIX° siècle (190 x 100 cm).
206

Bakhnoug, Douiret (Tunisie), XVIII siècle (160 x 115 cm).


La civilisation de Nagada I (Égypte, quatrième millénaire) nous a laissé des
poteries représentant un navire en forme de grenouille ou de crapaud, au fond
duquel est couché un être humain dans la position du fœtus"”. 112
Là encore, ces ani-
maux étaient des emblèmes utérins. Dans l'Égypte ancienne, on imaginait Hagit,
déesse de la naissance et de la renaissance, sous l'aspect d'une grenouille. C'est
ainsi qu’elle apparaît sur des sarcophages, de même que dans des scènes évoquant
l'au-delà. Il existe des milliers d'exemplaires d'amulettes et de lampes égyptiennes
imitant des grenouilles'®. Par ailleurs, l'Ogdoade d'Hermopolis était constituée
par des dieux autogènes à tête de grenouille, nés du magma initial", Dans la
mythologie grecque, les amphibiens étaient consacrés à Apollon en sa qualité de
dieu des saisons (de la cyclicité), mais aussi, et surtout, aux déesses favorables à la
fécondité et à la naissance: Léto, Héra et Hécate frunitis, «des grenouilles »'5.
Pourquoi le crapaud ou la grenouille étaient-ils des émanations de la Déesse
source de vie et de l'utérus? En raison de leur mode de vie, ces animaux étaient
associés au sol, à la boue, aux eaux dormantes, et donc à la fécondité et au déve-
loppement d’une vie nouvelle. Sans doute la ressemblance avec l'embryon humain
a-t-elle été remarquée il y a des milliers d'années, car partout dans le monde la gre-
nouille et le crapaud sont l’image de l’être-humain-en-devenir, du fœtus et de la
fécondité de la femme".
Pline a décrit la croyance égyptienne selon laquelle les grenouilles vivent six
mois, puis se transforment en boue (l’hibernation), avant de renaître au prin-
temps”. Ces amphibiens représentent donc la renaissance, la chaîne de la vie sans

12. Leyde, Rijksmuseum voor Oudheden, inv. n° F1962/12.1; ill.: Ulrich Luft, «Een andere wereld. Reli-
gieuze voorstellingen », in Égypte, éd. R. Schulz & M. Seidel, (Cologne), Konemann, (1997), p.418.
113. Waldemar Deonna, «L'ex-voto de Cypélos à Delphes: le symbolisme du palmier et des grenouilles », in
Revue d'histoire des religions, 70, 1951, pp.32-33 et 71, 1952, pp.5-58.
114. J. Leclant, «La grenouille d’éternité des pays du Nil au monde méditerranéen », in Hommage à Maarten
Vermaseren, (EPRO, 68), Leyde, 1978 ; Ph. Derchain, «Miettes », in Revue d'Égyptologie, 30, 1978.
115. Deonna 1951 (voir note 113), pp. 22-23.
116. Dans la tradition populaire européenne, les crapauds votifs portaient parfois sur le dos un motif révé-
lateur de leur «nature »: une forme en amande ou trois lignes parallèles (Rudolf Kriss, Das Gebärmutter-
votiv: Ein Beitrag zur Volkskunde nebst einer Einleitung über Arten und Bedeutung der deutschen Opfergebräuche der
Gegenwart, Augsboure, Filser, 1929, resp. ill.3,4, 5, 18, 1. Le crapaud votif apparaît également dans l’art
chrétien. La tradition chrétienne plaçait les accouchements à risque sous la protection de saint Léo-
nard, à qui les femmes offraient des crapauds en guise d’ex-voto. Lesaint lui-même avait une chaîne
pour attribut. Les crapauds votifs renvoyaient à l’utérus et la chaîne à la «délivrance», c'est-à-dire la
naissance. Ces deux signes sont «identiques » aux formes arrondies, éventuellement hérissées, et aux
«chaînes » du tissage du Haouz. Parmi les autres saints implorés pour un accouchement facile, citons
notamment sainte Omtkommer (voir le néerlandais ont-komen, échapper), alias sainte Liberata (la libé-
rée), alias sainte Wilgefortis (virgo fortis), dont les sanctuaires s'ornent aussi de crapauds votifs (Kriss
1929, p.36). On trouve en outre des traces de ce phénomène dans l’art officiel européen. Quelques
exemples: (1) La statue de l'impératrice Béatrix sous le porche du dôme de Freising est rehaussée d'un
crapaud grimpant, animal votif et symbole de la naissance. Le couple impérial, resté longtemps sans
enfant, eut un fils à l'époque de la construction de la cathédrale, qu'il avait soutenue financièrement
(Hugo Deischl, «Die Krôte am Domportal zu Freising», in Frigisinga. Beilage zum Freisinger Tagblatt, 1927).
(2) De nombreuses scènes infernales du Moyen Âge montrent des femmes avec un crapaud sur les par-
ties génitales ou le ventre (per quae peccat quis, per haec et torquetur), par exemple sur le volet droit du Jardin
des Délices de Jérôme Bosch (Museo del Prado, Madrid). Le premier exemple témoigne encore de l'an-
tique «force » positive du crapaud, alors que le second en traduit la démonisation masculine. Ultérieu-
rement, c'est la double connotation du crapaud /grenouille qui sera démonisée. Dès lors, ces bêtes ne
seront plus rattachées qu'aux ténèbres, à la magie, à la mort et au mystère (Gimbutas 1900, p.178). Les
liens du crapaud avec la sorcellerie — d'ailleurs attestés par son nom dans bien des langues euro- HD D
péennes — sont universellement connus (Gimbutas 1990, p.256). Voir aussi: Waldemar Deonna,
| « La femme et la grenouille», in Gazette des Beaux-Arts, 6° série, 40, 1952, pp.229-240.
_ 7. Historia naturalis, IX, 74: «Mirumque, semestri vita resolvuntur in limum nullo cernente, et rursus ver-
; _ nisaquis renascuntur, quae fuere, naturae perinde occulta ratione, quum omnibus annis eveniat. »
cesse renouvelée. Par sa naissance (apparente) hors de la fange informe et par son
caractère amphibie (à l'air ou dans l’eau), l'animal présentait une analogie avec le
fœtus, dont la vie commence dans le liquide amniotique et se développe dans la
masse bouillonnante de l'utérus, mais qui entame ensuite une nouvelle existence
sur la terre ferme.
Cela ne signifie pas que le crapaud" était exempt de forces négatives. Ainsi, le
nom et l'apparition des grenouilles et des crapauds, que les Kabyles nommaient
amgerqour, suscitaient répugnance et angoisse. Le crapaud surtout était appelé itsou,
«l'oubli», parce qu’on ne pensait qu'à oublier cet animal si redouté. Les éléments
du crapaud étaient surtout exploités dans la magie de l'amour. Dans les peintures
murales kabyles, comme dans la pratique magique elle-même, le «crapaud » avait
une importance capitale'"®. Les objets les plus puissants de la magie féminine
étaient d’ailleurs, en règle générale, des symboles utérins qui — et c’est plutôt para-
doxal pour l'observateur actuel — se caractérisaient également par une «charge»
grotesque, hilarante. Ainsi, la vieille femme qui, selon la mythologie grecque, fit
rire l’inconsolable Déméter en lui montrant ses organes génitaux portait le nom de
Baubo, c’est-à-dire «crapaud »"°., Mais Baubo était aussi le surnom d’Hécate””. Et,
en Sardaigne, babau, bobo, boborotti était le nom d’un être mythique issu de la terre,
assimilé tant à une grosse araignée qu’à l’âme d’un défunt”. Dans la tradition 122

populaire européenne, le crapaud était une «bête des âmes ». Il apparaissait après le
décès, au cours des Douze Nuits, ou encore le Jour des Morts, et il provoquait des
cauchemars. De ce fait, il était comparable à un elfe, à l'esprit d’un défunt” ou au
principe vital qui, même après la mort, reste plus ou moins intact.
L'image du crapaud-grenouille et le motif de la naissance sont probablement
des universaux, communs à toutes les manifestations de l’art féminin à travers le
monde. On peut notamment souligner leur rôle dans le tissage domestique des
Andes, tant moderne que précolombien. Parfois, les crapauds sont représentés
pattes écartées, avec le motif de la naissance sur leur ventre proéminent. Il arrive
aussi qu'ils prennent, dans la même position, la forme d’un monstre mythique, le
dos hérissé de piquants. En pareil cas, ils ont dans le ventre quatre formes ovales,
ou bien leur corps contient un poisson, qui renferme lui-même un losange, avec
un point à l’intérieur"*#,comme dans les tapis urbains Rabati'® 125 où ils se confon-
dent avec le motif de la naissance.
Les animaux auxquels les femmes témoignaient un intérêt idéologique étaient
petits et repoussants'”. Ils étaient choisis parmi les insectes (abeille, araignée,
mouche), les amphibiens (crapaud, grenouille) et les reptiles (serpent, lézard, sala-
mandre). La raison de cet intérêt s’expliquait par des analogies avec les processus
utérins, pré- et postnatals: gestation et naissance dans la boue et l'ordure, passage

18. Lionel Galand, « Grenouille et crapaud en berbère», in GLECS, 5, 1960-63, pp. 21-25.
u9. Devulder 1957; Plantade 1988 (bibliographie 3a).
120. Georges Devereux, Baubo, Paris, 1974.
Tapis aux points noués, Mrabtine (Maroc), 121. Hécate était une «accompagnatrice des âmes», comme Dame Holle dans la mythologie populaire
vers 1930 (355 x 145 cm). européenne. Les manifestations de ce personnage mythique sont souvent aussi terrifiantes que les
«âmes mortes » elles-mêmes. «
122. Clara Gallini, La danse de l'argia, s.]., Verdier, 1988.
123. Liselotte Hansmann & Lenz Kriss-Rettenbeck, Amulett und Talisman. Erscheinungsform und Geschichte,
208 Munich, (1966), pp. 81 sqq.
124. Vanessa Moraga, «Feeding the earth and the ancestors. Ch'uspa rituals and the coca cult in the pre-
colombian Andes», in Hali, n° 100, 1998, pp.108-115, ill. 14, p.113 (nord du Chili, XII—-XV® siècle); ill.13,
p.113 (Arica, XII‘-XV! siècle).
125. Ricard (bibliographie 3e), vol. I, pp.18-10, ill. 7 et 34.
de l’humide (liquide amniotique) au sec (naissance), mue ou hibernation et renais-
sance, génitalité et survie opiniâtre. Une correspondance mystérieuse entre ces
animaux et l’utérus était ressentie.

Bouj(a) /bou ‘arrouij

Le terme bouj(a) désigne un motif en V inversé, avec des crochets ou protubé-


rances. En divers endroits du Maghreb, il était tatoué sur le front, entre les sourcils.
Il pouvait également figurer sur la main. Vieux de six ou sept millénaires au moins,
il se retrouve au néolithique, dans d'innombrables œuvres d'art” et objets
usuels”.128
Le deuxième mot, bou‘arrouj, «le boiteux », renvoie à un zigzag, ou à deux
zigzags face à face”.
Comme bien d’autres termes appartenant au répertoire des motifs, ces deux
notions n’ont jamais été décrites avec précision. Toutefois, elles présentent mani-
festement une certaine ambiguïté et une tonalité sexuelle. Le nom bouj dérive du
radical ba-wa-ja, «surprendre», qui se dit d’un malheur survenu à quelqu'un. Bouj
signifie «être pris de court par quelque chose» (sur quoi on n’a soi-même aucune

126. Le dauphin, animal bénéfique, qui apparaît sur un grand nombre de mosaïques antiques d'Afrique du
Nord, faisait exception à cette règle. Dans le monde sémitique, ce mammifère marin était le symbole
d’une déesse analogue à Aphrodite /Vénus. Atargatis, qui était, chez les Nabatéens, la déesse du blé et
de la fécondité, était souvent représentée avec ou par un dauphin (Welson Glueck, Deities and dolphins.
The story ofthe Nabataeans, New York, 1965, pp. 315-394). Le dauphin était également un des attributs de
Tanit, adorée par les Phéniciens. À Carthage (Tunisie), il ornait d’ailleurs nombre de stèles consacrées à
cette déesse (M. Hours-Miedan, « Les représentations figurées sur les stèles de Carthage», in Les cahiers de
Byrsa, 1, 1950 (1951), pp.15-160 ; Louis Poinssot & Raymond Lantier, « Un sanctuaire de Tanit à Carthage»,
in Revue d'histoire des religions, vol. 87, 44, 1923, pp. 32-68). Le dauphin était un symbole utérin, et ce pour
différentes raisons. Bien que ressemblant à un poisson, cet être marin était, tout comme l'être humain,
un mammifère. De plus, sa forme évoquait une des représentations usuelles de la matrice. En grec, son
nom et le mot désignant l'utérus étaient pratiquement homophones (delfus /delfis). La forme de sa ves-
sie natatoire est un motif textile de base, tant dans le tissage du Cachemire que dans celui du Proche-
Orient. Le boteh iranien est bien connu. À l'origine, il avait la même signification que le dauphin ou
d'autres motifs utérins du Maghreb, comme le prouve la façon dont le motif est rempli dans les gabbehs
iraniens :au moyen d'une moucheture centrale, de différentes «couches» concentriques, de bandes
irrégulières ou de petits motifs utérins. Il en est de même pour les motifs plus irréguliers en provenance
du Maghreb. Le motif boteh des tapis caucasiens est rehaussé de diverses manières : des zigzags réguliers
ou tout à fait irréguliers ;des rayures ; un réseau de losanges ; un gâteau de cire ;un motif en pince; un
losange ;des formes remplies de croix; cinq bandes de couleur verticales symétriques, généralement
dans une combinaison de blanc-rouge-noir (Ralph Kaffel, « Marasali prayer rugs », in Hali, n° 103, 1990,
pp-82-91). Tous ces systèmes sont également caractéristiques du textile maghrébin. Le corps incurvé
du dauphin était apparemment assimilé à l'utérus se tordant dans les douleurs de l’enfantement, de
même que le poisson «ressemblait » à des douleurs «irradiantes ». Le motif du dauphin apparaît aussi
sur certains kilims tunisiens. D'autres civilisations ont opté pour des «animaux utérins» issus de la (a) Motif bouja sur céramique, cultures
faune locale. En Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud, par exemple, c'était la langouste qui exerçait Vinca et Tisza, V° millénaire.
cette fonction symbolique. Le corps est alors formé d'un losange dentelé avec un motif à l'intérieur et (b) Motif bouja sur poids de métier à tisser,
de longues protubérances en guise de pinces. (Voir par exemple Indonesische Textilien. Wege zu Güttern und culture Tisza (sud-ouest de la Roumanie),
Ahnen, éd. Brigitte Khan Majlis, Krefeld, Deutsches Textilmuseum, 1984, p.271, n°407.) Dans d’autres VI millénaire.
exemples, les pinces et les antennes dessinent un losange, posé sur le losange du corps (Ibid., n° 404), ou (c) Langouste comme animal utérin. Textile
bien un autre ensemble (Ibid., n°410, 416, 417, 423). Dans la civilisation précolombienne Nazca /Huari Nazca-Huari, Pérou, VIIS—VIII siècle.
(Pérou, vers 600-700), la langouste est représentée au centre d’une croix «grecque » ou d’un losange à
degrés. L'image de l'animal se situe ici entre les représentations indonésiennes et la Méduse classique
(Ferdinand Anton, Altindianische Textilkunst aus Peru, Leipzig, List, 1986”).
127. Pour le motif bouja, voir Herber 1946, n° 22 a-b, pp.50-51; Herber 1929 ; Herber 1951, pl. I, II, IV, IVbis,
V, VI.
Gimbutas 1989 (voir note 40), planche couleur 2 (civilisation Vinça, vers 4500 avant notre ère).
9. Dans le Mzab (Algérie), ce motif est appelé taguersha, le zigzag simple étant désigné sous le nom de frar,
«serpent» (Marcel Mercier, La civilisation urbaine au Mzab. Ghardaia la mystérieuse, Alger, 1932, p.353).
prise et qui peut avoir de graves conséquences). L'appellation bou ‘arrouj vient du
radical ‘-r-j, dont le sens est «monter» et «boiter». Les connotations sont «oblique »,
«pas droit», «monter /descendre », «aller et venir», «circonvolutions et cavités » et
«tendre vers quelque chose»"°. Bou ‘arrouj veut dire «celui qui tend vers quelque
chose», «celui qui ne marche pas droit ». Dans la pensée maghrébine, les connota-
tions «aller de bas en haut» et «tendre vers» possèdent une dimension érotique
incontestable. Le zigzag, essentiel au bou ‘arrouj, était souvent tatoué dans la zone
périgénitale. Les sheikhat, ces chanteuses libertines qui se produisaient lors des fes-
tivités, y faisaient fréquemment allusion dans leur répertoire.
Deux zigzags aux pointes tournées l’une vers l’autre pouvaient également être
bou ‘arrouj ; dans ce cas, le motif porte aussi le nom d’amrgul, «serrure», «qui ouvre
et ferme »"", Le même mot peut en outre désigner deux zigzags entrecroisés, motif
semblablement désigné par «ouvre et ferme», ou bien par «bouche du ventre»,
foum el kircha”.
La combinaison des deux motifs peut être interprétée comme «le fait d’être sur-
pris par une aspiration à quelque chose (qui n’est pas “droit ”) ». Quand on sait que
ces motifs figuraient souvent dans la zone périgénitale, on comprend le mélange
d'embarras, d’ironie et de bonne humeur avec lequel sont accueillies les questions
les concernant. En milieu urbain, on dit d’une femme bien maquillée qu’elle pos-
sède bouj et bou ‘arrouj, autrement dit un puissant attrait sexuel'#.

Urine de chameau

Dans nombre de textiles tunisiens apparaît un motif composé de mouchetures


bien nettes, alignées ou non. Il est appelé boul jamal, «urine de chameau »"*. La fré-
quence du motif de l'urine de chameau ou de bétail dans le tissage berbère — et
aussi, par exemple, dans le tissage anatolien'® — ne signifie pas que les tisseuses
étaient obsédées par l’urine. Ce motif renvoie plutôt à ce qu'évoque la notion
d’«urine». Ainsi, boul ne veut pas seulement dire «urine», mais aussi «mariage»,
«grand nombre » et «descendance». Il ne faut pas oublier qu’en raison de sa bosse,
le chameau évoque la montagne primordiale de la cosmogonie ésotérique popu-
136
laire, c’est-à-dire le ventre de la femme enceinte". L'«urine » renvoie à la puissance
reproductrice, c'est-à-dire au sperme. La bienséance interdit en effet d'appeler la
semence de l’homme par son nom”. L'association fondamentale liée au nom et au

130. Dans la terminologie algérienne du tatouage, le terme ‘arouj signifiait aussi «salut », surtout dans le Sud,
où le motif consistait en un court zigzag, accompagné ou traversé d’une croix (Maitrot 1927, p.287 &
ill. 57-58). Voir aussi Herber 1948 (bibliographie 3c), pp. 47 sqq.
131. Searight 1984, p.304: Beni Malek; Meknès; Ouled Bahr es Srhar; Searight 1984, p.303: Khlott; Sea-
right 1984, p.299: Ahmar, Chaouia, Ouled Nseir, Sghrarna. Voir aussi Herber 1948 (bibliographie 3c),
p.49.
132. Herber 1948 (bibliographie 3c), p.53.
Mouchtiya beldia, Jebeniana (Tunisie), 133. Ibid. pp.47-49.
XIX siècle (155 x 140 cm). 134. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. IV, pl. CXVI, 73; p. 8r.
135. The Goddess ofAnatolia (voir note 46), vol. IV, p.7.
136. Viviana Pâques, La religion des esclaves, Bergame, Moretti & Vitali, 1992.
137. William Marçais, « Nouvelles observations sur l'euphémisme », in Annales de l'Institut de Philologie et d'His-
210 toire orientale et slave (Bruxelles), 13, 1953, pp. 331-398, spéc. pp. 371-372. Voir aussi: F. Bonjean, L'âme maro-
caine vue à travers les croyances et la politesse, Rabat, Office Marocain du Tourisme, 1948 ; Louis Brunot, «La
politesse et les convenances chez les Marocains», in Bulletin de l'enseignement public du Maroc, 1926, mars,
pp-3-31; P. Dornier, «La politesse bédouine dans les campagnes du nord de la Tunisie», in IBLA (Tunis),
16,n°1,1953, Pp.47-69; 17, n°1, 1954, PP.99-109; 18, n°1, 1955, PP. 93-126.
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Tapis ras mergoum, Beni Zid (Tunisie), vers 1900 (315 x 169 cm).
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Bakhnougq, Zraoua (Tunisie), XVIII‘-XIX' siècle.


motif est «répandre quelque chose au loin et le laisser derrière soi», ce «quelque
chose » étant une multitude de descendants.

La liste

Un des motifs les plus représentés est la «liste » ou «mèche sur le front ». Un certain
type de bakhnoug de la région de Matmata (sud de la Tunisie) est appelé bel gos, «à la
liste »$ . Dans le tissage de Rabat, un motif asymétrique a été baptisé mash'atata,
« fille à la liste »*”?. Et un bijou porté sur le front était dénommé gossa, «liste »#°. La
photographie révèle que, jusqu'aux premières décennies du XX° siècle, les femmes
de la campagne coupaient leurs cheveux en frange sur le front, contrairement
au reste de leur chevelure, qu’elles voulaient garder aussi longue que possible.
Cette mèche était considérée comme une «protection». Les peintures rupestres
d'Afrique du Nord datant de 5000 environ avant notre ère montrent des êtres
humains avec une énorme mèche sur le front (par exemple les gravures des alen-
tours de Figuig, dans le Sud-Est du Maroc). Après sept millénaires, l'origine de cet
usage est impossible à retracer*.

Belle et salée

C'est l'intitulé d’un réseau de losanges dont chacun présente un point blanc en son
centre. Le nom «belle et salée »*? (zina ou moumalliha) ne s'explique que pour qui
connaît l'importance du sel dans l’art culinaire et sait que, dans la culture berbère
— et dans presque toutes les civilisations traditionnelles —, la cuisine est un des
paramètres qui permettent d'estimer la nature de la femme. La quantité de sel dans
les mets passe pour refléter le caractère et la mentalité de la femme qui les prépare.
Si sa cuisine est relativement insipide, elle est « fade », « faible », mesurée. Dans le cas
contraire, elle est agitée, passionnée, instable; loin de viser la «juste mesure», elle
perturbe l'équilibre familial et social. Elle est «chaude » et ne refrène ni ses instincts
ni ses désirs — notamment sur le plan sexuel. Lorsqu'elle abuse du sel, la femme est
donc «dangereuse ». Elle est «virulente», «fait sécher», «abat» par un excès de sel.
De cette manière, elle révèle sa volonté de régenter l'homme — surtout bien sûr du
point de vue masculin.
Le «sel», c'est aussi la «beauté », mais pas la beauté naturelle que décrivent des
métaphores comme la lune, le soleil et la lampe. Le «sel», c’est la joie et le charme.
Les mots «salés» sont piquants et plaisants. Le manque de sel, par contre, est un
signe de soumission et de mollesse. Les plats préparés par une femme qui présente
_ces caractéristiques sont fades et insipides, comme le sont d’ailleurs, de l'avis géné-
ral, ceux d’une femme au moment de la menstruation (conception qu'on retrouve
(a) Motif gossa sur un bakhnoug bi-el gos
_ aussi en Europe). Dans cette optique, l'absence de saveur est associée à l’asexualité, de Toujane (Tunisie).
_ car, durant ses règles, une femme n’était pas censée avoir de rapports sexuels. (b) Motif «belle et salée ».

. 138. Fathia Skhiri, « Les châles des Matmata », in Cahiers des arts et traditions populaires (Tunis), 4, 1971, pp.49-53.
_ 139. Ricard, vol. IV, p.4: mesh‘atata, «la fille avec la mèche sur le front».
_ 140. Samita Gargouri-Sethom, Le bijou traditionnel en Tunisie. Femmes parées, femmes enchaînées, Aix-en-Pro- 213
vence, Édisud, 1986, pp. 151 et 52 (Selsela el gossa).
. C.Burney, «The archaeological context ofthe Hamitic languages in Northern Africa», in Hamito-Semi-
tica, éd. James & Theodore Bynon, La Haye — Paris, Mouton, 1975, pp. 502, 499.
142. Marcel Mercier, La civilisation urbaine au Mzab. Ghardaia la mystérieuse, Alger, 1932, p.361.
En résumé, dans la culture berbère traditionnelle, une femme «salée » apparaît
aux hommes comme chargée d'ambiguïté. Sa sensualité avouée fait d’elle un objet
de séduction, mais aussi une menace, de même d’ailleurs que sa nature passionnée
et révoltée. Pour les femmes, cette menace n'existe pas ou ne joue qu’un rôle réduit
(dans le cas de la séduction de l'époux par une autre, par exemple)#. Du point de
vue des femmes, le «sel» est donc «bon». C’est un puissant moyen de défense
contre les esprits et les forces qui doivent être tenues à distance. Dans la magie, qui
constitue au sein de la civilisation berbère un domaine typiquement féminin, le sel
neutralise les jenoun et le mauvais œil'#*.

La belle Zazia

Un motif qui revient fréquemment dans le tissage du sud de la Tunisie est


dénommé gad zazia, «la belle Zazia». Il se présente sous la forme d’un losange,
divisé horizontalement en deux et entouré de triangles, et il doit son nom à des
récits populaires de la région. Le premier est raconté dans le Jérid. Il était une fois
un cheik appelé Brahim, connu pour être impitoyable. Le jour de l’A'id el kebir, la
Grande Fête du Sacrifice, il se permit d’aller percevoir l'impôt chez un homme.
L'homme refusa et Brahim le tua. Des années plus tard, le cheik demanda en
mariage la sœur de l'homme assassiné, la très belle Zazia. Bien que tout le monde
cherchât à la détourner de cette union, la jeune femme accepta, sans expliquer ses
raisons. Mais, au bout de quelques années de mariage, elle réussit à se venger.
Ayant donné successivement rendez-vous à ses six beaux-frères, elle prétendit à
son mari qu'ils cherchaient à la séduire. Fou de rage, Brahim les fit tous passer de
vie à trépas le jour de la fête Ad el kebir, arrachant à Zazia un premier cri de
triomphe (zaghrita, you-you). Brahim mourut quelques années plus tard. Zazia
expédia alors secrètement son or au cheik des Ouled el Hadif de Tozeur, qui vint la
délivrer. Mais Zazia était alors enceinte.
Ayant accouché de deux fils, elle reconnut l’un comme son «propre sang» et
renvoya l’autre à la famille de son défunt mari. Elle avait ainsi vengé son frère, tout
en sauvegardant son «propre sang » en la personne de son fils'#.
Parallèlement à cette histoire, on peut citer celle d’une autre Zazia, qui corres-
pond à un épisode de l'épopée des Beni Hilal, les envahisseurs arabes du XI siècle,
épopée qui se perpétua même sous les Berbères'#.
La belle Zazia représente toutes les femmes qui, malgré des difficultés de
longue durée, sont capables de se défendre et de l'emporter sur l’adversité.

Le pilier

(a) Motif gad zazia. Le motif en provenance de Gafsa, qui est représenté ici, s'appelle bit bel ‘arais ou bit
(b) Motifdu pilier. es-sha'r bel ‘arais — littéralement «la maison des nouvelles mariées », «maison de poil
Li
a

143. Plantade 1984 (bibliographie 3a), pp.34-30.


144. Par conséquent, le sel est exclu des rites qui supposent la fréquentation des esprits. Voir par exemple
214 Hassan Rachik, Le sultan des autres. Rituel et politique dans le Haut Atlas, (Casablanca), Afrique-Orient,
(1992), pp. 46, 116.
145. Joceline Dakhlia, L'oubli de la cité. La mémoire collective à l'épreuve du lignage dans le Jérid tunisien, Paris,
La Découverte, 1990, pp.135-137.
146. Ibid. pp.153-181; Abderrahman Ayoub & M. Galley, Images de Djazya, Paris, CNRS, 1977.

aie
1

Bakhnougq, région de Sfax (Tunisie), XX° siècle.


Détails.

2106

Bakhnouaq, région de Sfax (Tunisie), XX siècle.


(= tente) aux mariées », ou «la maison (ou maison de poil) aux poteaux /piliers ». Le
mot arousa, «nouvelle mariée », désigne aussi le mât de tente principal* parce que
la maîtresse de maison est considérée comme le soutien de la famille.
Le motif carré a la particularité d’être en miroir. Les tisseuses expliquaient cette
double perspective par le fait qu'une tente a plusieurs côtés. (La perception
«cubiste» du début du XX‘ siècle n’a donc rien inventé.) La signification du motif
est le rôle que la maîtresse de maison joue dans le maintien et la protection de la
famille :elle est le pilier qui étaie toute la maisonnée.

Le pôle

Qotba, qui désigne un motif figurant sur les bakhnoug gotba du sud de la Tunisie'#”,
est aussi le nom d’un bijou. Le motif représente-t-il le bijou qui était effectivement
porté? Il est probable que, par le biais du nom, tant le bijou que le motif renvoient
plutôt à une idée — en l'occurrence, un «point de rencontre ». Gotba est la forme dia-
lectale de gotba, «couture d'assemblage», de la racine g-t-b, qui fait référence à la
«concentration en un point », le remplissage, la réunion, mais aussi le contraire: la
division et le découpage, le mélange et le délayage. Qotb est l'étoile polaire, le pôle,
axe ou élément directeur. Qataba signifie aussi «suturer», «recoudre une plaie».
Le motif renvoie à la guérison, qui restaure l'intégrité du corps. Sur le plan cos-
mique, cette intégrité et cette pureté sont projetées sur l'étoile polaire. La gotba est
donc un centre de gravité qui régule union et division, contraction et ouverture.

Les motifs textiles commentés ici appartiennent à l’iconographie fondamentale du


textile berbère. Ils sont encore loin d’avoir été décrits de façon concluante. Sur
l'utilisation de chaque motif — ou, mieux encore, du concept sous-jacent — dans la
civilisation nord-africaine (et ailleurs), on pourrait écrire un volume entier.
Par ailleurs, il existe des dizaines de motifs secondaires, lesquels peuvent
appartenir, comme les motifs de base, à un répertoire exploité dans de nombreux
pays. Ils sont parfois répandus dans tout le Maghreb et parfois régionaux, à moins
que seule leur dénomination ne soit d'usage local. Nous insistons sur le fait que la
sémantique de ce répertoire de motifs constitue un domaine gigantesque, dont
nous n'avons décrit qu’un fragment infime. Si incroyable que cela puisse paraître
aux profanes, sa complexité équivaut à celle de l’art grec classique, par exemple.
Le style berbère élabore souvent à petite échelle des structures sophistiquées,
qui combinent et coordonnent une multitude de motifs imbriqués comme les
pièces d’un puzzle, créant ainsi un nouveau réseau de significations.

Textiles à décor fixe

Certains textiles respectent toujours le même modèle de décoration. Prenons Motif gotba.

comme exemple le kilim de Tamezret, un village du massif de Matmata, dans le sud


de la Tunisie, connu pour le raffinement de son tissage. Le kilim est rehaussé de
ND ne
147. P.Ginestous, «Inventaire de l'équipement usuel des Bédouins Hamama de la région de Gafsa », in Cahiers
des artsettechniques d'Afrique du Nord, 4, 1955, p.75. Voir aussi Ch. Scannavino, « La tente chez les nomades
des Nemencha (Département de Constantine»), in Idem, pp.42, 44.
148. Skhiri 1971 (bibliographie 3e).

k
onze motifs, dont chacun traverse le tissu en une bande, et porte dès lors le nom de
«chemin» (trig): 1. pigeon (hamama); 2. demi-maison (nosf khousa) ; 3. boiter, jouer à
Ja marelle (taklil); 4. maison (khousa);5. ventre avec épines (gargoub bi shouk);6. aile
de mouche (jnah dibana); 7. ventre avec amulettes (gargoub bi hjab); 8. poissons (suc-
cessifs) (hout); 9. noyaux avec épines (ka‘ab bi shouk); 10. poissons (opposés) (hout);
11. noyau avec épines (ka‘ba bi shouk).
Cinq des onze triq (1, 5, 7, 9, 11) ont comme base le losange, hérissé de piquants
et/ou de triangles. Le premier est le «pigeon», ainsi nommé à cause des deux
longues protubérances qui ressemblent vaguement à des ailes. Il s’agit d’une styli-
sation d’un geste de la jelwa:; le point culminant des festivités du mariage est l’appa-
rition — sans plus — de la jeune mariée en grande toilette, dans une attitude solen-
TEE nelle et hiératique. C'est un moment de splendeur et d’immobilité, l’expression
SLR IS SH , 1 AU
LD
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d’un potentiel indescriptible. | | | |
EE RE Les bandes de la «demi-maison » et de la «maison », qui représentent respective-
ment l’imperfection et la perfection, sont séparées parletaklil. Ce nom est dérivé de
la racine kalla, plus précisément de son deuxième radical, qui signifie «être faible »
et «faire des efforts», «devancer les autres» et «reculer». Visuellement, la tension
entre ces deux mouvements est évoquée par un zigzag aux lentes ondulations,
bordé de piquants et flanqué alternativement du sablier taneslit, l'origine», et du
«peigne » (moushta).
À la «maison » succède le «ventre avec épines », garqoub. Dans un losange hérissé
intérieurement de piquants flotte un losange plus petit. Vers l'extérieur, le «ventre »
est protégé par des triangles contenant un point central, symbole de l'énergie
vitale. Selon une signification détournée, mais acceptée dans tout le Maghreb, qar-
qab désigne aussi les castagnettes souvent utilisées (et principalement par les musi-
ciens noirs) pour donner le rythme lors des festivités populaires. Elles sont consti-
tuées de deux pièces de fer creusées, réunies par une plaquette. Le musicien en tient
deux dans chaque main et les frappe rythmiquement l’une contre l’autre.
La symbolique des qarqab est d'une grande complexité. À l’origine, elles étaient
fabriquées, selon la tradition, dans du bois d'amandier. L'amande symbolise la
renaissance de l'être humain — comme la mandorle de l’art chrétien, où le Christ
ressuscité apparaît dans toute sa gloire. C’est un signe utérin, comme le losange
l'est de la manière la plus abstraite. Un deuxième aspect est le dédoublement, la
gémellité. Autrefois, on taillait les qarqab dans une branche, la «fille » de l'amandier.
Une fois cette branche fendue en deux, on en utilisait une moitié et on brülait
l’autre. L'arbre était ainsi dédoublé—-une moitié vivante, une moitié morte, comme
lors de la naissance: l'enfant vit, le placenta est «mort».
Le septième motif est le «ventre avec amulettes ». Cette fois, le losange est beau-
coup plus complexe, puisqu'il se présente sous la forme de quatre losanges
concentriques emboîtés. Celui du milieu est rempli de triangles libres, disposés
côte à côte comme si quelque chose était en train de se former à partir de ce mor-
cellement. Les losanges sont entourés de deux auréoles d'«épines», l'ensemble
Motifs sur un kilim de Tamezret (Tunisie). étant circonscrit par deux autres halos de triangles, qui s'appellent «amulettes » et
qui exercent une fonction protectrice. Dans le vocabulaire des tisseuses de Tamez- 4
ret, le mot pour amulette est hjab, de la racine ha-ja-ba: «cacher», «soustraire au
218 regard », «se placer entre un être humain et autre chose », «séparer une chose d’une
autre dans un but de protection ». Le huitième radical du verbe, ihtajaba, se rapporte
au début du neuvième mois de la grossesse.
Ces motifs sont flanqués d’un X, avec dans chaque angle un point, et d’une file de j
poissons. L'un et l’autre sont des signes conçus pour écarter le mal. Dans le Magh-
reb, la croix possède une signification similaire, sans qu'il existe pour autant un rap-
port avec le christianisme. L'idée est de « défaire, annuler»: tracer une ligne, puis l’ef-
facer au moyen d’une ligne transversale. C'est pourquoi on signait le pain, ou bien
une poterie: afin d'éliminer une force néfaste éventuelle*. Dans le tatouage, la
COIx0 avec les petits points est appelée jedwel, «talisman », ou mqass, «ciseaux».
Le huitième motif, le poisson, symbolise, depuis les temps préhistoriques, la
protection contre les forces mauvaises. Ce motif, qui est issu d'un fonds culturel
méditerranéen très ancien, est omniprésent, surtout dans le tissage tunisien".
Le neuvième motif est aussi le plus complexe: formé par les «noyaux avec
épines », il comprend trois «phases de croissance ». Le motif «adulte» consiste en
deux sabliers, constitués d'amulettes, qui enserrent un noyau losangé, lui-même
entouré de chevrons sur quatre côtés. Un noyau en forme de losange se développe
aussi au centre du «sablier», là où les pointes des triangles se touchent. Ce motif est
appelé ka‘ab. La racine ka‘ba désigne quelque chose qui se forme et se remplit (dans
la première signification, les seins d’une jeune fille). Le substantif ka‘b est le poids,
le nœud, le dé: l'endroit où quelque chose converge ou se concentre. Dans le cha-
pitre précédent, nous avons expliqué que ces notions sont au centre de la culture
populaire nord-africaine, en tant qu'image mentale de la création de la vie. Celle-ci
s'effectue au point de friction, dans l'intervalle indivisible (ka‘ab) entre deux prin-
cipes contradictoires.
Les poissons dans la dixième bande sont disposés de la même manière. Locale-
ment, ce motif est appelé tahouthayat, nom féminin berbère qui signifie «poisson de
vie» (en arabe: houta el hayya).
La dernière rangée est Le kaab simplifié, flanqué de files de poissons qui peuvent
également être interprétés comme des amulettes. Dans l’art textile du sud de la
Tunisie, le poisson se fond fréquemment avec d’autres motifs comme la main
(khamsa en arabe, tahousay en berbère), ou des motifs tout à fait abstraits”*.
152

Textiles au décor unique et personnalisé

Une des principales branches du tissage berbère «strict » est l'habillement féminin.
Traditionnellement, les vêtements étaient ajustés par enroulement et enveloppe-
ment, donc sans montage ni coutures. Les couleurs étaient toujours discrètes:
blanc”, rouge“, bleu foncé, brun foncé, noir. Le blanc pouvait être combiné

149. Jean Herber, « Technique des potiers Beni-Mtir et Beni Mguild», in Mémorial Henri Basset, 1, Paris, 1928,
p.320; E. Doutte, Magie et religion en Afrique du Nord, Alger, 1908, pp. 151-152.
150. La croix ou le croisement de deux éléments peuvent aussi avoir le sens de «fermeture », comme l'illustre
le mythe antique d'Alcmène (Ovide, Métamorphoses, IX, 9). Alemène est dans l'impossibilité d'accou-
cher, parce que Lucine, la déesse de la naissance, lui maintient les bras et les jambes croisés sur l’ordre
de Junon. Cette magie est annulée par un mensonge.
151. Le poisson et la main sont pratiquement les seuls motifs du tissage berbère à avoir retenu l'attention de
différents auteurs.
152. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. IV, p.72.
153. Paulette Galand-Pernet, «Blanc, lumière, mouvement: à propos de l'origine des termes de couleur en
berbère », in LOAB, 16-17, 1985-1986, pp.3-20. 219
154. Voir Gôsta Sandberg, Purpur, Koschenil, Krapp. En bok om rüda textilier, Stockholm, Tidens fôrlag, (1994), p.100.
155. Gôsta Sandberg, Indigo textiles. Technique and history, Londres — Ashville (NC), A. & C. Black & Lark Books,
1989;Claire Polakoff, Into indigo: African textiles and dyeing techniques, Garden City (NJ), Anchor Books,
12.2
1980 ;Jenny Balfour-Paul, Indigo and the Arab world, Londres, Curzon Press, 1997.
2e
»
avec une, voire deux des autres couleurs (par exemple le rouge et le noir). Le bleu et
le brun servaient uniquement de couleurs de base, que ce soit pour le haïk, robe
drapée tunisienne, ou pour le bakhnoug, voile qui couvrait la tête et les épaules.
L'Algérie avait sa propre esthétique, plus «réservée » que celle des pays voisins.
Pour le vêtement féminin, conçu à partir de leurs textiles les plus typiques et les
plus raffinés, les Berbères kabyles donnaient la préférence à une gamme de blanc,
rouge et noir d’une grande austérité. Des régions comme le Mzab, le Touat et le
Gourara avaient une prédilection pour des compositions monumentales, «bruta-
listes », mais néanmoins dépouillées et équilibrées.
Le Maroc privilégiait les vêtements blancs. Dans l’Anti-Atlas et le Haut Atlas,
ainsi que dans certaines tribus du Moyen Atlas, les femmes s’habillaient de blanc,
suivant une conception qui rappelait celle du haïk ou du bakhnoug tunisien.
En Afrique du Nord, le rôle symbolique de ces textiles était multiple. Un
exemple: le décor du baldaquin traditionnellement destiné à abriter la jeune
mariée, lorsqu'elle se dirigeait à dos de chameau vers son nouveau foyer (maison
ou tente). Dans le sud de la Tunisie, on étalait sur la selle un tissu rayé (= eau), sur
lequel on jetait un autre tissu, orné d’une composition en carrés (= champs ou
terres arables). L'un et l’autre symbolisaient la fécondation de la terre, analogue à
celle de l'épouse. Le baldaquin était garni d’un hawli noir, long manteau de femme
fait d’une seule pièce d'étoffe rectangulaire, auquel étaient épinglés deux châles
rouges. Le tout était surmonté du turban blanc de l'époux.
À Ghat, en Libye, les femmes portaient un vêtement rouge, un blanc et un noir,
mais les servantes, les esclaves et les ouvrières ne pouvaient porter que du noir. La
jeune mariée s’habillait en blanc et rouge; le noir ne pouvait s’y ajouter qu’à partir
du septième jour. C'était le signe de son passage définitif au statut de femme
mariée, par analogie avec le travail et la fécondation de la terre"° . Cette analogie
évoque les mystères de la cosmogonie et de son reflet, en réduction, le mariage.
Cette triade de couleurs s’est perpétuée dans l’alchimie inspirée de la tradition afri-
caine. Elle joue un rôle essentiel dans le tissage berbère, tout particulièrement dans
le vêtement féminin traditionnel.
Le bakhnoug tunisien est un rectangle de laine utilisé pour couvrir la tête et le
haut du corps. Toujours réalisé dans un style très rigoureux et des couleurs très
sobres, il diffère fondamentalement de beaucoup d’autres textiles de ce genre.
Dans le sud de la Tunisie, chaque village développait son propre style de bakhnoug.
Dans chaque région, la composition du tissu était fixée une fois pour toutes et
constituait une «obligation ». Le bakhnougq, dont le format tournait autour de 200 x
100 cm, était le chef-d'œuvre des tisseuses tunisiennes. Elles n’y exprimaient pas
seulement leurs aptitudes techniques, mais aussi, par le biais des motifs symbo-
liques, leur vision de l'existence. Le bakhnoug était comme un livre dans lequel la tis-

156. Viviana Pâques, L'arbre cosmique dans la pensée populaire et dans la vie quotidienne du nord-ouest africain, Paris,
L'Harmattan, 1995, pp.38-39. Sur la symbolique blanc-rouge-noir : H. Berkusky, « Zur Symbolik der Far-
ben», in Zeitschrift des Vereins für Volkskunde (Berlin), 1913; Anita Jacobson-Widding, Red-white-black as a
mode ofthought. A study oftriadic classification by colours and cognitive thought ofthe peoples ofthe Lower Congo,
(Uppsala studies in cultural anthropology, 1), Stockholm, Almqvist, 1979; P. Bartle, «The universe has three#
souls. Notes on translating Akan culture», in Journal of religion in Africa, (Leyde), r4, 1983, pp.85-114;
B. Milicic, «A group model of Ndembu color symbolism», in Semiotica, 73, 1989, pp.121-132. Sur la
220 spécificité de la culture berbère: Camille Lacoste-Dujardin, « Du génie rouge à la femme blanche. et
noire: les couleurs dans le conte et dans deux autres formes littéraires en Kabyle», in Littérature orale
arabo-berbère, 16-17, 1985-1986, pp. 135-155 ; Dictions du prisme. Les couleurs: désignations et valeurs, (Littérature
orale arabo-berbère, 16-17), Paris, 1986. Voir pp.101-134: Marie Virolle-Souibes, «Les couleurs de l'amour
ou l’art de cultiver les poncifs». a
seuse consignait tout ce qui avait de l'importance à ses yeux. Elle choisissait les
motifs les plus susceptibles de traduire ses attentes et sa conception de la vie.
Ensuite, selon ses capacités et sa persévérance, elle optait pour une méthode de tra-
vail superficielle ou s’acharnait sur les détails. Évalué en fonction des normes
actuelles, le tissage d’un bakhnouq exigeait une incroyable somme de travail: il pou-
vait durer des années. Il fallait d'abord procéder au filage, qui devait produire un fil
à la fois très fin et d’une résistance à toute épreuve. Les motifs étaient intégrés au
tissu de laine au moyen de fil de coton. La tisseuse travaillait en blanc sur blanc, de
sorte qu'aucune différence de couleur ne pouvait la guider (sans compter qu'elle ne
voyait pas le devant de son ouvrage). Les motifs pouvaient être réalisés à tout petits
points, qui parfois ne mesuraient pas plus d’un demi-millimètre. Lorsqu'il était
achevé — cela prenait parfois deux à trois ans, voire davantage — le bakhnoug était
laissé blanc (pour une toute jeune fille), ou bien teint en rouge, bleu foncé, violet,
brun ou noir. Comme la laine seule absorbait la teinture, les motifs en coton se
détachaient nettement sur le fond de couleur.
Les autres pays du Maghreb possédaient des textiles similaires. L'akhellal de
Kabylie (Algérie), par exemple, qui devait respecter un schéma de couleurs très
strict (des motifs rouges sur un fond blanc), présentait une structure similaire à
celle du bakhnoug: les motifs, exécutés en plus grand, ornaient les côtés longitudi-
naux du tissu”.
Prenons comme exemple un bakhnoug de la région de Gabès (Tunisie). Les côtés
longitudinaux sont rehaussés de motifs brodés de part et d'autre. Le premier motif
est le ragma el ahzam, «signe de la ceinture »°° . Le nom ne signifie pas nécessaire-
ment que le motif a été emprunté aux ceintures. Dans la culture traditionnelle, la
ceinture, qui sépare les deux moitiés — inférieure et supérieure — du corps, est un
objet porteur d'une forte charge émotionnelle. La ceinture hzam symbolise le
«ventre », c'est-à-dire les descendants. Une force mauvaise comme la taba‘a menace
la ceinture, la vole ou en fait disparaître un «morceau »°? — autrement dit, elle anni-
hile la fécondité ou met fin à la vie d’un ou de plusieurs enfants.
Le deuxième motif, qui est un des plus importants dans le tissage berbère, est lafa,
le serpent, qui consiste en un réseau de losanges, dont chacun contient quelques
taches sombres. En Afrique du Nord, le serpent était considéré comme l’esprit pro-
tecteur de l'endroit ou de la maison où il avait été trouvé (moul el bled, moul el dar), le
genius loci. Cette conviction était d’ailleurs commune à toutes les civilisations médi-
terranéennes : les Romains la partageaient. La preuve en est que, sur les monuments
antiques, le serpent accompagne déjà le genius loci, quand il n’en est pas lui-même l'in-
carnation"®°, Ici, la tisseuse a manifestement représenté une peau de serpent.

157. Le concept des bakhnougs du sud de la Tunisie se retrouve dans les cultures les plus variées. Les mantas
des Indiens Pueblos, par exemple, présentent une remarquable cohérence entre la composition, la
structure des motifs et le coloris. À l'instar du bakhnoug, le manta était utilisé comme cape. Voir Hali
(Londres), 61, 1992, p.171.
158. Voir aussi Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. IV, p.56. Femmes vêtues d’un bakhnoug, El Ayaicha,
159. M. Greyghton, «La Taba‘a : une représentation mentale », in Cahiers des Arts et Traditions populaires (Tunis), Gafsa (Tunisie), vers 1930.
6, 1977, PP. 143-144, 147-148.
160. M. Sicart, «Survivances en Tunisie du culte du serpent», in Revue tunisienne, 1935 ;Giovanni Canova,
«Serpenti e scorpione nelle tradizione arabo-islamiche», in Quaderni di studi arabi, 8, 1990, pp.191-207
(sources savantes) et 9, 1991, pp. 219-244 (culture populaire); L. Joleaud, « Animaux-totems nord-afri- nn ND

cains », in Revue africaine, 76, 1937, pp. 337-338; H. Probst-Biraben, « Le serpent, persistance de son culte
dans l'Afrique du Nord», in Journal de la Société des Africanistes, 3, 1933, pp. 289-295 ; A. Cour, Le culte du ser-
pent dans les traditions populaires du nord-ouest algérien, Bulletin d'Oran, 1911, pp. 57-75; J.P. Savary, « Anneaux
de cheville d'Algérie », in Libyca, 14, 1966, pp.381-414, spéc. pp.403-410.
.
-
L'ancien vêtement kabyle appelé akhellal était rehaussé à l'arrière du motif du
«dos de serpent». Le serpent est le symbole de l'énergie vitale, à l'instar de la
colonne vertébrale. Un serpent mythique vit dans le pilier central sur lequel repose
la maison kabyle traditionnelle. Ce pilier, qui est «féminin » (voir plus haut), traduit
la perception inconsciente du rôle des femmes, qui assuraient l'équilibre et la cohé-
sion de la famille. En l'occurrence, ni le serpent ni le pilier ne sont des symboles
phalliques.
Le dos de serpent possède une autre valeur symbolique: celle du tissage lui-
même. Un mythe kabyle raconte comment Titem Tahittoust, l'épouse d’un forge-
ron, découvrit sur un tas de fumier une peau de serpent (ou, selon une autre ver-
sion, un curieux tapis qui faisait penser à la peau d’un serpent). Pour s'approprier
ce motif ou cet art, elle lécha à trois reprises la peau (amère) d’un triton et pro-
nonça une formule destinée à imprimer le dessin dans son esprit". (Dans toute
l'Afrique du Nord, ainsi qu’en Afrique occidentale, le forgeron est le «héros civili-
sateur» — comparable au Prométhée du mythe grec — et la tisseuse son pendant
féminin.)
Le troisième motif est garn za‘ab. Qarn, qui signifie «corne», extrémité», mais
aussi «âge», «génération», est dérivé de la racine qa-ra-na, «relier deux choses».
Dans la région de Gabès, ce mot désigne un motif triangulaire ou en zigzag.
Za-‘-ba a le sens de «charger», «remplir» (d'un liquide, spécifiquement la semence
dans l'utérus), «se heurter» (à propos des vagues de la mer), «répartir». Ce motif
renvoie à la fécondation, au fait-de-se-frôler, à la répartition ou au réajustement.
Le quatrième motif est ragma margoum, le motif du margoum. Ce mot, qui
désigne un tissu ras ayant un avers et un revers (donc pas double face comme le
kilim), souvent orné d’un décor surabondant et d'une grande complexité, provient
de l'arabe ra-qa-ma, «écrire», «broder». Ragm est un écrit, mais aussi un chiffre,
ragma un motif, margoum quelque chose de rayé, brodé ou manuscrit. Ici, le ragma
margoum est l'emblème de l’art féminin, de la création de motifs, de signes, de
«chiffres ». Ailleurs dans le Sud, on l'appelle aussi ragma mergoum qsais madhfourin,
«à franges tressées »"?.
Le kilim-mergoum d'Oudref (qui commençait par la bab el nasija ou «porte du
tissage », constituée de raies multicolores et suivie de la bab el sakakin ou «porte des
couteaux », à rectangles bariolés) avait pour motif principal les «franges tressées »
ou qsaïs madfurin. Ce motif ne rappelle en rien de véritables franges: il s’agit en fait
de la stylisation d’une «sensation liminale». Dans la culture des femmes berbères,
il existait un rapport implicite entre la frange et une sensibilité matricielle «rayon-
nante », liée au frémissement, au vertige et à la joie inhérents à la spécificité de leur
nature féminine.
Le cinquième motif rappelle le premier, mais, cette fois, chaque losange enserre
quatre points (qui s’y inscrivent en creux, le tissu de base n'étant pas recouvert par
le fil de coton). Le losange ou la forme à quatre taches est un motif très ancien, qui
Bo Cab (Turteisy se retrouve dans bien d’autres modes de tissage traditionnels et qui est en corréla-
début XX° siècle. Détail des motifs latéraux. tion avec la grossesse. |
Le sixième motif est ousqilba moushallikha, « force fendue ». La racine sh-l-kh, qui |
est à l’origine du deuxième mot, signifie «fendre »; le nom shalkh désigne l'«ori-
ND D ND gine», la «vulve», la «semence». Ce motif reprend la même structure que le signe

161. Makilam 1996 (bibliographie 3a), p.130.


162. Poinssot & Revault (bibliographie 3e), vol. IV, pl. CXIT, 52.
uen
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MODIOE
Des
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Haïk, Chenini (Tunisie), XIX® siècle (300 x 110 cm).


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Tapis aux points noués, Oulmès (Maroc), vers 1950 (268 x 140 cm).
de la ceinture, mais le losange central est relevé de quatre taches et hérissé de
piquants. Deux de ces motifs sont divisés par une large bande. Ousqilba moushalli-
kha possède une double signification : positive (maîtrise de la force) et négative
(paralysie intérieure).
Le septième motif est shouka, l'épine. Douze triangles sont disposés en miroir
(3-2-1-1-2-3). L'épine est une des constantes du style berbère. Plutôt qu'un symbole,
c'est une manifestation de force à l'égard du monde extérieur, une expression
d’acuité, de discernement et de perspicacité. Ce motif servait à éloigner les forces
mauvaises, comme le prouve aussi son autre nom: qsari hbog, «pot de basilic »"?,
Dans le tissage berbère, l’épine shouka est un des signes les plus fréquents, voire
omniprésents. Des textiles comme le bakhnouq semblent littéralement semés
d'«épines », lesquelles ne véhiculent pas seulement les connotations mentionnées
ci-dessus, mais aussi les concepts de «blessure», «douleur» et «danger». Souve-
nons-nous que, dans l’univers féminin, la «flèche » est depuis toujours associée à la
«souffrance », à la «piqüre », aux «contractions » — surtout celles qui précèdent l'ac-
couchement. Comme on le lit dans l’'Iliade (XI, 269-271): «Elles [les peines] sont
semblables au trait lancinant, cruel, qui frappe une femme en travail, le trait déco-
ché par les Ilithyes, les filles d'Héra, qui rendent le travail si amer. » Ces élance-
ments pouvaient être considérés comme autant de flèches tirées par les Ilithyes, les
déesses des enfantements douloureux. Des flèches comparables à celle qui frappait
d'épouvante toute jeune fille pensant au mariage et à l'accouchement. Cette
«flèche» concrétisait un sentiment aussi fondamental que compréhensible. Tout
d'abord parce que, dans toutes les civilisations traditionnelles, le mariage et l’en-
fantement constituaient la mission, à la fois sociale et métaphysique, de la femme.
Le mariage comportait une dimension dépassant la petitesse humaine si bien
qu'on ne pouvait l’'approcher qu'avec crainte et effroi. Et cette destinée pesait lourd
sur la femme qui se devait de l'accomplir. Par ailleurs, le danger auquel elle s'expo-
sait était bien réel. Dans le mariage, elle était livrée au pouvoir de son époux, de sa
belle-mère et de leur clan. Selon les normes occidentales actuelles, elle était privée
de tout droit. Sa vie, c'étaient les autres qui en disposaient ;sa liberté, elle ne pou-
vait la conquérir qu’au terme d’une migration intérieure. À cela s’ajoutait le risque
de la grossesse et de l'accouchement, dont les complications mortelles n'étaient
pas rares. Être enceinte, c'était affronter la perspective de la mort. Et cette ombre
s'étendait évidemment aussi sur le mariage. Ce qui explique l’impalpable triomphe
de la vierge — le regard d’Athéna. D'autre part, la flèche ou le piquant intervenaient
dans la lutte contre le mauvais œil, la concrétisation de l'alter ego d'Athéna et du
danger représenté par les autres.
Les saignements féminins — menstruation, défloration, accouchement — se
chargeaient symboliquement dans cette optique. Dès l'Antiquité, les douleurs
et les hémorragies de la femme étaient mises en parallèle avec le sacrifice et les
blessures reçues au combat. Cette comparaison, qui figure en toutes lettres dans
Déesse. Çatal Hüyük (Anatolie),
le traité d'Hippocrate De la nature de l'enfant (XVIII, 4), constitue également, VI millénaire (d’après Mellaart,
en Afrique du Nord, la base informulée d'un gigantesque réseau de mythes et The Neolithic of the Near East, 1975).

de rites.
Le huitième motif est qarn moushallah, le «signe du déshabillage ». Mais nous
n'avons pu obtenir aucune précision à ce sujet. LE

ne Ibid. pl. LIV, 50.


Un autre bakhnoug de la région de Gabès est orné transversalement de la corne
(qarn) et du poisson (houta) bénéfiques. Sur les côtés, les motifs se succèdent
comme suit: (1) Le couteau (harba) comme symbole du cours de la vie. Le concept
haraba désigne une disposition d'esprit violente (être harcelé, furieux, lutter). Le
quatrième radical du verbe signifie «montrer le chemin à quelqu'un pour qu'il aille
attaquer l'ennemi». Harba est le cours de la vie considéré comme une épreuve, un
effort incessant qui exige beaucoup de courage et de conviction; (2) Nous n'avons
pas pu trouver le nom du deuxième motif; (3) Le développement du motif (ragma
mabsouta) attire l'attention sur l'évolution de la connaissance de l’art: ragma. Ra-qa-
ma, c'est écrire, broder, placer des signes diacritiques afin de faciliter la compré-
hension d’un texte. Mais, dans la terminologie des tisseuses, ragma est utilisé dans
une autre acception que l’homonyme arabe. Il s’agit plutôt d’une forme féminine
de ragm, «écrit», «chiffre», avec des connotations empruntées à ragima, «sage»,
«raisonnable» (exclusivement appliqué aux femmes). Mabsouta signifie «ouvert»
(dans ce sens, il s'applique aussi aux mains pendant la prière), «simple», «facile à
comprendre». Il dérive du radical ba-sa-ta, «étendre », «déployer», «ouvrir», cexpli-
quer clairement». Selon une troisième acception, il signifie «être au repos, à l'aise»,
«s'exprimer en toute franchise», «recevoir quelqu'un d’un air ouvert». Le même
radical est à l'origine du mot bisat (pluriel bousout), autrefois utilisé pour «tapis».
Ce signe traduit l'épanouissement progressif du sentiment de la ragma ou esthé-
tique, qui est associé à l'écriture et au calcul, à l'intelligence, à la sincérité; (4) La
méthode du tatouage (washim) constitue le quatrième motif. La racine wa-sha-ma
renvoie au tatouage lui-même, mais aussi à la germination, à l’éclosion, à la matu-
ration, par analogie avec l’âge auquel on tatouait les jeunes filles: juste avant ou
pendant la puberté. Le tatouage et le tissage étaient considérés comme apparentés.
Le tatouage confère à la jeune fille une identité sociale et esthétique, tout en pré-
servant son intégrité. Le tissage, par contre, est une forme d’auto-expression, qui
oscille entre des révélations très personnelles et des lieux communs (lesquels
répondent aux attentes de la communauté et apparaissent notamment dans les tis-
sus conçus pour la vente ou à l'intention d’autres personnes). Les deux processus
d'acquisition sont ici juxtaposés ;(s) Le nœud (shakl) et l'extrémité du nœud. À pre-
mière vue, l’un et l’autre constituent seulement un des éléments de base du textile:
pas de tapis à points noués sans nouage. Ce motif apparaît donc comme la célé-
bration par l'artiste de sa propre créativité. Mais, sur le plan métaphorique, le
nœud est une «difficulté». (Pensons au fameux «nœud gordien», qu'Alexandre le
Grand trancha d'un coup d'épée, parce qu'il estimait que, pour résoudre un pro-
blème, la fin justifie les moyens.) Le nœud dans le tissu a été défini comme «le
problème» (moushkila), et l'extrémité comme «le spectateur», «le profane». La
signification est claire:pour résoudre un problème, il faut prendre de la distance.
Mais, dans le tissage, cette opinion n'est «représentable » que par métaphore. Et
cette métaphore n’est pas employée à dessein: sa signification n'est formulée que
par le biais de la maïeutique. Autrement dit, la pensée s’est formée en dehors du
langage ou aux confins de la capacité linguistique. Moushkila dérive de la racine
sh-k-1, «lier», «fixer», et aussi «s’obscurcir, devenir incompréhensible ». Shikl,
shoukla, shakil(a) ont le sens de «ressemblance ». Le nœud notionnel shakl, moushkila
226 et shikl renvoie au problématique, à l’enchevêtré, mais aussi à la «ressemblance»
(comme dans une parabole), qui est à la fois obscure et éclairante. (6) Ce motif,
appelé hazzaz, veut dire «décrocher», «perforer», «blesser» (y compris dans le sens
psychique). (Le tahziz, qui se rapporte à la structure même du motif, signifie «faire
n
des encoches », «créneler».)Hazzaz est un homme qui s'exprime toujours sur un
ton péremptoire, ou bien une forte sensation de douleur ou de colère. Hazziz est
une surface inégale. Le motif exprime le sentiment d'être blessé par un comporte-
ment grossier, brutal, mutilant, surtout de la part des hommes. En outre, sous le
nom de «partage en quatre parts égales », il insiste sur la nécessité de s'apprécier
mutuellement (par analogie avec les quatre épouses du droit matrimonial tradi-
tionnel) et de respecter la dignité de l’autre ; (7) L'angle dans lequel on peut trouver
quelque chose, en provenance de deux directions (khaleila). Ce diminutif évoque le
nom de l’épingle (khalal) qui servait à ajuster le vêtement féminin traditionnel.
Cette épingle était essentiellement constituée d’un anneau et d’une aiguille. Le
verbe khalla se réfère aussi à la «fixation de l’épingle», mais plus encore au fait
d’«être soi-même », de « faire quelque chose de spécial », de «pénétrer dans », aspects
relatifs à «entrer pour trouver quelque chose » ou à une dimension intérieure. Kha-
lal ou khilal est l’interstice, l'intervalle, de même que l'intérieur de la maison et,
comme nous l'avons dit, l’épingle (qui s'enfonce pour attacher deux vêtements l’un
à l’autre, le non-espace reliant). Le concept, qui est associé àla rabta et au moulli, ren-
voie à une intériorité, une pénétration, et à un hiatus unifiant. C'est dans ce non-
espace qu'il y a «quelque chose à trouver», et ce, paradoxalement, en provenance
de directions opposées. Khleila est en même temps la «maîtresse » ; (8) «Comme les
vagues (mouja) et le secret » (sirr). Les zigzags parallèles sont les vagues. Le motif de
la navigation-sur-des-vagues-successives est également célébré dans une berceuse
du Sud tunisien, à propos d’une jeune fille «qui avance en ligne droite comme une
barque portée par les flots. Ainsi, ma fille, grandis en beauté, sur un superbe trône
tendu de tapis, sur un chameau en rut"°+. ….» La vie future de l'enfant est envisagée
comme le franchissement de vagues successives. L'image du bateau qui roule et qui
tangue se prolonge dans le pas balancé du chameau. C'est ainsi que la chanteuse en
arrive aux noces : la jeune mariée est transportée à dos de chameau, sous un palan-
quin de fête. La chanson précise que le capitaine du navire «baragouine des mots
inintelligibles, comme un homme pris de folie». Le commandant de bord étant
incompréhensible, il est impossible de tenir le cap: l’avenir est imprévisible. Une
explication similaire nous a été donnée en 1991 à Tamezret (dans le sud de la Tuni-
sie) : comme la mer dont les vagues se brisent l’une après l’autre sur la plage, la vie
nous confronte sans cesse à de nouvelles surprises, que nous devons surmonter.
Ce motif est donc une invitation à se préparer aux assauts de l'inconnu.
Ces vêtements sont d’une grande diversité. Au fil de la longue histoire de la cul-
ture rurale du Sud tunisien, chaque petite région, voire chaque village, a développé
son propre style: Douiret, Chenini, Guermessa, Ghoumrassen, Beni Kheddache,
Médenine, Metamer, Toujane, Techine, Matmata, Tamezret, Taoujout, Zraoua
— pour ne citer que quelques sites du Djebel Ksour. Et, au sein d’un même village, il
existe de grandes différences sur le plan de la technique, du sens artistique et du
contenu, différences qui reflètent le caractère des tisseuses. Si certains bakhnougs au
sobre décor sont d’une grande expressivité, l'inverse est également vrai.
Gardons-nous de considérer cette iconographie comme «descriptive». Les
formes constituent rarement un symbole de substitution dans le sens phallique
(voir chapitre suivant) ou linguistique classique: le «signifiant» réfère au «signifié».
Il est préférable de voir dans ces formes iconographiques l'évocation d’une intério- 1 nn

164. André Louis, Nomades d'hier et d'aujourd'hui dans le Sud tunisien, (Collections Mondes Méditerranéens), Aix-en-
Provence, Édisud, 1979, p.294.
rité non dénommée, d’une perception, d'une expérience psycho-corporelle. Elles
émanent souvent d’un «mouvement» mental, semblable à celui qui est à la base
d’une racine linguistique (berbère ou arabe). Ces «mouvements » sont de différentes
sortes. Ils peuvent révéler des processus contradictoires, un mouvement pouvant se
produire dans l’une ou l’autre direction. Mais ils traduisent aussi des significations
analogues. Cette analogie se situe souvent sur un plan purement abstrait, lequel relie
de façon synesthésique des perceptions de nature différente, dont il faut rechercher
l'élément commun. Illustrons cette affirmation à l’aide d’un exemple tiré du ber-
bère. La racine b-n-y désigne un objet rond, un mouvement enroulant ou envelop-
pant, et un son cascadant"®. Les mots qui en dérivent font référence à «une boule de
laine », à de la laine «à enrouler autour de la main», au verbe rouler, au mot «châle»
(qui enveloppe la tête) et à l'émission d’un son clair et argentin.
Notons également les diverses significations de la racine berbère d-s. Adis /tadist
signifie «ventre», «grossesse », «fœtus», «entrailles », «bouche à nourrir». Adus est
la cire d'abeille claire (considérée sous son aspect informe, par analogie avec le
liquide amniotique au début de la grossesse). Idis est l’endroit où tous les convives
se servent dans le plat commun, ainsi que la pièce de tissu de chacune des tisseuses
qui travaillent à un tissage collectif; idis est aussi le bord, le côté, le point de vue per-
sonnel", D-s renvoie donc aux apports personnels, qu’ils soient physiques ou
mentaux.
Un autre exemple nous est fourni par la racine berbère b-z"7 , qui a donné naïis-
sance à une série de concepts exprimant le passage d’une entité à l’autre: bbez,
«plonger», «planter quelque part», «transpercer», «enfoncer une pointe dans
quelque chose ». D'où bezbez, «avoir des rapports sexuels », abazza, «pénis ». Et: abez,
«attraper», zezzibez, «faire attraper», abezabez, «passer incessamment de l’un à
l'autre»: bizzo, «pousser», bbizezz, «tomber goutte à goutte»"®. Tous ces concepts
ont en commun un mouvement qui part d’un pôle vers une destination.
Quatrième et dernier exemple: b-t. Ebet est «faire sauter», tabutut, «nombril»,
ebutu, «nombril fortement proéminent », abota, «grosse poitrine», tasbat, «queue ».
Il y a aussi ebet, «arracher quelque chose et s'enfuir avec », settebet, «exciser », esbet,
«circoncire »"*?, La signification commune étant «saillir de telle sorte qu’il puisse
ou doive être détaché ».
Donnons enfin quelques exemples tirés de l’idiome arabe, qui est devenu, au fil
des siècles, celui de millions de Berbères et qui est utilisé presque systématique-
ment, par exemple en Tunisie, dans la terminologie du tissage. Le verbe mala, de la
racine m-l-w, signifie: «marcher d’un pas ferme et rapide et commencer à courir»

165. Naït-Zerrad (voir note 22), vol.I, pp.80-81: thanit, tbuneyt: «petite boule de laine»; ssbuney, «laine à
enrouler autour de la main»; bnunny, «rouler, progresser en tournant autour de son axe», tasbniyt,
«châle» (qui s'enroule autour de la tête) ; benini, « émettre un son clair, argentin »; abnini, «petit ornement
en forme de boule métallique creuse». Une signification similaire se rattache aux sons li/lay, etc. Dans
la danse rituelle ahwash, on chante des vers blancs avec les sons a, li, lay, etc. D'après les participants,
ceux-ci produisent une “élévation”, ainsi qu'un «vertige», timlillay. Ces vers font «tourner» (comme
l'arabe h-I-l et comme le cri d'allégresse appelé zagharit, qui était autrefois poussé dans tous les pays
méditerranéens, mais qui n'est plus en usage qu'en Afrique du Nord; C. Pellat, « À propos des youyoi
de la femme musulmane», in Semitica (Paris), 4, 1951-52, pp.73-77; J. Cantineau, «À propos d'un pré-
tendu emprunt de l'arabe dialectal au berbère», in Orbis (Louvain), 3, 1954, pp. 524-525).
228 166. Naït-Zerrad 1998 (voir note 22), vol. 2, pp.401-403.
167. Le z est en fait un z emphatique ou pharyngalisé, qui n'est pas reproductible dans l'alphabet latin. Naït=
Zerrad 1998 (voir note 22), vol. 1, pp.154-155.
168. Ibid. pp.133-134.
169. Ibid. pp. 134-135.
NT CM
DarSte soon à

ND HD

2
Tapis aux points noués, région d'Oulmès (Maroc),
VêTS 1920-1940 (245 X 150 CM).
Ta ‘ira, Tizi Ouzou, Kabylie (Algérie), XX° siècle.
(premier radical), «accorder quelque chose pour un temps considérable et faire
jouir de quelque chose pendant un bon moment» (deuxième radical), «tolérer trop
longtemps les erreurs de quelqu'un » (quatrième radical), «demander à quelqu'un
de faire preuve d'indulgence » (dixième radical). Ces significations apparemment
fort éloignées ont ceci en commun : déclencher un mouvement qui se prolonge, un
processus qui va durer. De là, mala signifie «temps» et «désert (qui s'étend très
loin)»; malawa «un long laps de temps».
Ces références à des racines linguistiques n'ont pas pour but de démontrer que
les motifs textiles en sont autant d'illustrations. Nous nous représentons plutôt ce
processus sous la forme de deux voies parallèles: la voie linguistique et la voie
esthétique visuelle. L'une et l’autre émanent d’un non-espace signifiant, où le tour-
noiement de dimensions sensorielles, intuitives et protorationnelles crée une si-
gnification — si minimale soit-elle — qui se situe avant le langage"”°. La question de
savoir si la signification est générée par le langage est une préoccupation vaine et
injustifiée, inspirée par une foi «essentialiste » dans des notions comme la langue et
la signification. Avant que celles-ci se présentent à notre raison, leurs germes ont
déjà parcouru une longue route dans les cavernes psycho-physiques auxquelles la
raison n’a que peu ou pas accès". La répétition infinie et l'accumulation de per-
ceptions minimes, inconscientes, précèdent les premières particules d’une syn-
taxe non linguistique, dans laquelle des perceptions de toutes sortes fusionnent ou
se rencontrent et renferment donc un «sens »”?.
Les expériences fondamentales de l'individu, celles qui contribuent à la forma-
tion de sa psyché, sont antérieures au langage :elles se situent au stade de la sensa-
tion et du mouvement”, qui commence avant la naissance. L'enfant, né ou à
naître, est (in)formé d'impressions sensorielles, perçues dans une dimension spa-
tiotemporelle. Les fragments de perceptions ne sont pas insérés dans un cadre
conceptuel — les concepts n'interviennent que dans une phase ultérieure — mais
dans un contexte affectif”*. Cependant, il doit exister quelque chose comme une
syntaxe extralinguistique: des expériences microscopiques sont reliées dans le
temps et/ou l’espace, ce qui produit une forme de connaissance intuitive. Connais-
sance qui est continuellement affinée et complétée, mais sans être jamais aban-
donnée ni supprimée, que ce soit par la raison, la logique ou la science. Bien au
contraire, elle est la condition sine qua non de leur existence. Cette strate psy-
chique peut s'exprimer dans des constructions extralinguistiques, qui peuvent
être, le cas échéant, partiellement converties en langage”.
Dans les langues tant indo-européennes que sémitiques, beaucoup de notions
abstraites reposent sur une analogie synesthésique avec des actes perceptibles par
les sens et se déroulant dans l’espace /le temps. Pour plus de clarté, ayons recours à
un exemple: la notion d'«intelligent », qui apparaît sous une forme similaire dans
différentes langues européennes. Le mot dérive du latin intelligere, «comprendre»,

170. C. Blakemore &S. Greenfeld, Mindwaves, Oxford, 1987.


171. Mental representations. The interface between language and reality, éd. R. Kempson, Cambridge, 1988.
172. M. Bernard, L'expressivité du corps: recherche sur lefondement de la réalité, Paris, J.-P. Delarge, 1976 ; H. Hecaen
& J. De Ajuriaguerra, Méconnaissances et hallucinations corporelles, intégration et désintégration de la somato-
gnosie, Paris, Masson, 1952.
173. Sylvie Cady et al., Le corps, la parole, le mouvement :contribution à la psychosomatique de l'enfant, s.]., Centurion,
1992 ; Michel Ledoux, Corps et création, Paris, Les Belles Lettres, 1992.
174. E. Tauber & M. Green, Prelogical experience, New York, Basic Books, 1959.
175. Jean-Paul Bronckart, Psycholinguistique de l'enfant. Recherches sur l'acquisition du langage, Genève, Delachaux
_ & Nestlé, 1983.
littéralement: «lire entre (les lignes) ». Et legere avait comme première signification:
«ramasser (des choses disséminées, comme des épis ou des fleurs) », «rassembler».
L'être «intelligent » est donc celui qui «lit entre» les fragments d’information, «voit»
les intervalles et les inclut dans le traitement mental, de sorte qu'il s’y crée une
cohérence et une connaissance du non-espace. En arabe, on utilise le mot agqil, qui
dérive de la racine agala, «relier», «attacher», ce qui donne ‘ougla, «bouton»,
«bande». Une personne intelligente doit être capable de «relier». Cette pratique lin-
guistique est fondée sur un niveau prélinguistique: on se figure un événement non
perceptible par les sens comme analogue à un événement ancré dans la matérialité
de l’espace /du temps"*. Ces mouvements peuvent bénéficier d’une systématisa-
tion visuelle, laquelle peut différer d’une culture à l’autre”.
Ce procédé est à la base de la structure et de la signification de nombreux motifs
du tissage berbère, et plus particulièrement du tissage «intellectualiste» des vête-
ments féminins comme le bakhnoug. Les tisseuses y recouraient pour exprimer
leurs comportements et leurs principes éthiques. Leurs vêtements étaient comme
un livre ouvert pour les autres femmes qui partageaient leur quête spirituelle, et
comme une parure sans signification, ou bien un code secret, pour les autres/”*.
Code particulièrement difficile à déchiffrer, en raison de l’utilisation de différents
modes d'expression. En plus du procédé métalinguistique, il faut tenir compte des
signes (parfois immémoriaux) auxquels les femmes attribuent leur propre inter-
prétation, des emblèmes figuratifs empruntés à l'antique symbolique méditerra-
néenne (poisson, oiseau, chameau, main).
Nous ne prétendrons pas que les bakhnoug et autres vêtements féminins du
même genre ne traduisent que des pensées abstraites. Dans la société archaïque,
les activités mentales ne sont pas scindées en disciplines académiques. Les motifs
expriment des principes éthiques, certains aspects d’une science du comporte-
ment, des aspirations et des angoisses. Ils reflètent les inquiétudes de leur créatrice:
qu’attend-elle de la vie, qu'est-ce qui a de l'importance à ses yeux???
«Les motifs: une structure cohérente, caractérisée par l'enchevêtrement de la
base et de ses dérivations ultérieures. Ce sont l'orientation et la couleur qui leur
donnent une forme et les rendent reconnaissables. Il est possible de suivre un fil
«disparu», de retrouver une direction « perdue». Un processus hautement intellec-
tuel. Disparition et réapparition. Abstraction et combinaison"®°. »
Ce processus intellectuel propre au tissage est double. D'une part, une mémoire
mathématique et une faculté d’abstraction sont nécessaires à la tisseuse, car celle-ci
fait face à l'arrière du tissu en devenir. Dans les tissus non réversibles (comme le
bakhnoug ou le mergoum), la tisseuse ne distingue donc qu’une masse confuse de fils.
Pour réussir les motifs, elle doit posséder une mémoire sans faille, soutenue par

176. Chr. Habel et al., Raumkonzepte in Verstehensprozessen, Tübingen, 1989 ; Pierre Kaufmann, L'expérience émo-
tionnelle de l'espace, Paris, Vrin, 1977; Monique Pinol-Douvriez, La construction de l'espace, Genève, Dela-
chaux & Nestlé, 1976.
177. Spécifiquement pour le Maghreb : Hélène Genevois, Le corps humain, les mots, les expressions (Contribution
à l'étude des langues du Maghreb), (Fichier de documentation berbère, 79), Fort-National, s.d.; Georges Rioux,
Dessin et structures mentales. Contribution à la compréhension de la mentalité traditionnelle nord-africaine, Paris;
Les Belles Lettres, 1951.
178. Embodiment and experience. The existential ground ofculture and self, éd. Thomas Csordas, (Cambridge studies in
du medical anthropology, 2), Cambridge, 1994.
179. F. Flahault, L'extrême existence. Essai sur les représentations mythiques de l'intériorité, (Textes à l'appui), Paris,
Maspéro, 1972.
180. Hans Gerhard Evers, «Sehnsucht nach Âgypten », in Aachener Kunstblätter, n° 41, 1971, p.11.
181. Golvin 1949 (bibliographie 3e).
d’interminables «poèmes » qui accompagnent les opérations nécessaires”. D'autre
part, le processus intellectuel possède une dimension d’auto-abstraction. La thé-
matique de la plupart des tisseuses est en effet «autobiographique » — non qu’elles
veuillent raconter leur propre vie, comme dans les autobiographies occidentales,
mais elles réfléchissent à leur propre existence, par le biais de motifs artistiques qui
peuvent être la visualisation de mécanismes intellectuels plutôt abstraits.
Ce paradoxe est saisissant :des êtres humains dont la vie est consacrée à des
tâches répétitives, particulièrement «abrutissantes » — du moins du point de vue
masculin —, parviennent à un niveau d’introspection qu’on pourrait croire réservé
à des individus sans obligations, bénéficiant d’une liberté existentielle totale (c'est-
à-dire correspondant au modèle occidental ou, plus généralement, masculin). Ici,
c'est le contraire qui est vrai. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un cas unique. Le même
phénomène s’est produit en Europe, chez les seules femmes qui vivaient à l'écart
du monde: les religieuses. Dès le XII siècle, elles se sont analysées elles-mêmes
avec une pénétration qu'on attribuera bien plus tard à la psychanalyse. Au
XVII siècle, voire plus tôt, les circonstances historiques menèrent cette culture
claustrale à la stagnation. En outre, les réalisations de ces femmes étaient conçues
pour leur usage personnel et non pour le grand public, ce qui contribua à les plon-
ger dans l'oubli. Leur autoanalyse était le fruit d’une discipline religieuse, élaborée
sur fond de mystique. Dans certains cas, les étapes et les résultats de ce processus
mental furent notés, soit par nécessité personnelle, soit pour servir de leçon à
d’autres. Certaines œuvres d'art (surtout des assemblages, comme les Jardins clos)
reflétaient également cette pratique.
La différence avec la tradition maghrébine est évidente. Tout d’abord en ce qui
concerne l’extériorisation: d’une part des textiles abstraits, d'autre part un art
plastique figuratif. (Les religieuses de la tradition européenne ont également pro-
duit des œuvres textiles, mais très peu d’entre elles ont été conservées.) Par ailleurs,
la culture féminine nord-africaine, contrairement à l'européenne, ne connaissait
pas l'écriture. Il est d'autant plus étonnant que des femmes rurales, vivant au sein
de communautés archaïques, aient pu développer de telles abstractions. La civili-
sation tribale — celle des nomades comme celle des paysans — n'était-elle pas carac-
térisée par l'importance de valeurs pré-éthiques, comme l'honneur et l’infamie
(hashouma, ‘ar), qui étaient déterminées de façon collective et vivaient informulées
au sein du groupe?D’après les conceptions modernes, ces valeurs vont souvent à
l'encontre de toute justification éthique. La principale responsabilité était dévolue
aux femmes: c'est de leur comportement que dépendaient l'honneur ou la honte
de la famille, du clan ou du groupe. Les libertés et les droits individuels étaient
ignorés®*. Quant à remettre ces valeurs en question, c'était tout simplement
inconcevable. Il ne fait d’ailleurs aucun doute qu’à quelques exceptions près
(d'ailleurs purement marginales), les femmes des communautés traditionnelles du
Maghreb partageaient et perpétuaient ces valeurs — bon gré mal gré, évidemment,
car la pression sociale était impitoyable.
D'un autre côté, ces mêmes femmes développaient une science du comporte-
ment d'apparence beaucoup plus moderne. L'« Autre » était ici au centre des préoc-
cupations. La responsabilité de l'individu commençait avec la grossesse et les pro-
cessus mentaux qui l'accompagnaient, au départ de la matrix (symbolique), qui a [El VDes]

182. À cet égard, l'histoire de Rima est révélatrice (Jean Duvignaud, Chebika. Suivi de: retour à Chebika 1990,
Paris, Plon, 1991).
été si souvent thématisée par le style «spontané » de ce tissage et à laquelle le style
«ordonné » accédait d'une manière plus théorisée'*.
Il serait absurde de vouloir consigner la signification de chaque motif, comme
dans un catalogue. L'iconographie, ou théorie des représentations figurées, suit un
principe phallique. Et ce qui précède cette théorie — la production de ces images
par le jeu de l'absence et de la substitution — est également phallique. L'iconologie
des arts officiels est une doctrine où la fixation du sens a atteint un stade très
avancé. (Ce qui ne veut pas dire que cette fixation est incontournable: il y a tou-
jours des éléments qui échappent à la mainmise de la conscience, et des aspects
inconscients, éventuellement non phalliques, qui réussissent à s'imposer.)
Dans bien des cas, les principes formels du tissage berbère n'ont rien de phal-
lique, et il est rare que cet art exploite des significations univoques. Habituelle-
ment, le nom des motifs utilisés n’est pas une description, mais plutôt l'évocation
d'une sensation. Comment définir la sensation produite par «un petit noyau à
épines » (ka‘ba bi shouk)? En outre, ces expressions de perceptions ne constituent
pas toujours un tout bien circonscrit. Souvent, elles n’ont pas de limites fixes, elles
sont en contact avec d’autres manifestations, elles se fondent les unes dans les
autres. Elles peuvent être répétitives, mais rarement sous une forme identique.
C'est un jeu de continuité et de rupture, de changements insaisissables et de répéti-
tions temporaires.
Le style «spontané » a développé des formes et des motifs que des liens synes-
thésiques rattachent à des sensations psychophysiques, parfois de nature diffé-
rente. Avant tout, il ya l'intuition des processus, actions et mouvements à l'œuvre
dans l'organisme. Les principaux, qui échappent évidemment aux hommes et
qu'ils ne peuvent se représenter qu’en théorie, sont le cycle féminin et la gros-
sesse. L'un et l’autre sont «chargés » d'une diversité presque infinie de perceptions.
La conscience pousse l’être humain à prendre ses distances. L'individu subit, tout
en y participant, un événement qui se produit dans sa propre structure psycho-
physique, mais il est en même temps tenu de représenter ce qui est en train de se
passer. Représentation qui peut faire appel au visuel, mais qui émane de toute la
gamme des sens, notamment l’odorat et le goût. Car au commencement n'était
pas le Verbe. Le corps et la sensation étaient les premiers — l'image n’est venue que
plus tard.
Les images dont nous parlons ici ne sont pas des représentations visuelles mais
des psychogrammes: les traductions visuelles de perceptions psycho-corporelles.
En soi, les psychogrammes spatiaux sont banals: les innombrables mouvements
«bizarres» des enfants, les gestes inutiles qui accompagnent les discours ou les
rituels des adultes appartiennent à cette catégorie, bien qu'ils constituent une
expression beaucoup plus primitive que les achèvements artistiques". Les analo-
gies spatiales et cinétiques contribuent à l'expression des «mouvements » mentaux
inconscients: l’obsession de l’auto-expression est omniprésente’ 185 ®. Et c'est généra-
Ta ‘ira, Matmata (Tunisie), XIX® siècle lement, mais pas toujours, par la conscience qu’elle est alimentée.
(116 x 105 cm).

234
183. Voir Hassan Jouad, Le calcul inconscient de l'improvisation. Poésie berbère:rythme, nombre et sens, (Langues et lit-
tératures orales), Louvain, Peeters, 1995 (analyse de la métrique).
184. Marcel Jousse, Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs, Paris, Beauchesne, 1925 : Id.
L'anthropologie du geste, 3 vol., Paris, 1974, 1975, 1978.
Les schémas rythmiques et les mouvements de la danse se situent à un niveau
de stylisation corporelle. Ici, l'esthétique est déjà à l’ordre du jour. C’est un pro-
cessus crucial, non seulement pour la communication entre les êtres, mais aussi
pour le sentiment de l'identité culturelle. Avec la stylisation rythmique et choreu-
tique, organisée de manière très stricte dans les civilisations traditionnelles, nous
pénétrons dans un domaine analogue au style visuel ordonné. Les notions et les
pensées, produits des «mouvements» mentaux, sont représentées, ou plutôt évo-
quées, sur un plan bidimensionnel. Ce résultat peut être obtenu par une analogie
entre une activité mentale et le mouvement du corps dans une réalité spatiale.
Autrement dit : la conception de notions relatives à des réalités immatérielles ou à
des actes incorporels passe par la désignation de choses ou d'événements maté-
riels, corporels, situables dans l’espace. Formellement, le style «ordonné» repose
souvent sur sa variante «spontanée». Les motifs qui y flottent en d'infinies
variantes subissent une stylisation géométrique, qui n'est cependant pas absolu-
ment contraignante :ici aussi, il existe de nombreuses versions d’un même motif.
Toutefois, la géométrisation est une discipline spirituelle en soi.
Cette abstraction, qui possède une dimension éthique indiscutable”, est essen-
tiellement axée sur l'Autre et, comme il ressort de nos considérations sur le tissage
«spontané », elle attache une grande importance au regard. Son orientation vers
l'Autre découle d’une expérience matricielle — mais aussi de la dimension symbo-
lique de la matrix.

185. Jeanne Drouin, «Perceptions sensorielles et synesthésie. Essai sur des données touarègues », in Littéra-
ture orale arabo-berbère, 21, 1990 (1993), pp. 61-92. Souvent, les langages mimiques recourent inconsciem-
ment à des analogies spatiocinétiques. Voir A. Kendon, Sign Languages of Aboriginal Australia. Cultural,
semiotic and communicative perspectives, Cambridge, 1988.
186. André Paris, « Haouach à Telouet », in Hesperis, 1921, pp. 209-216 ; Miriam Olsen, Chants et danses de l'Atlas,
s.l., Cité de la Musique /Actes Sud, (1997), pp. 67-109 ; V. Lièvre, Danses du Maghreb d'une rive à l'autre, Paris,
Karthala, 1984.
187. En Occident, le terme «abstrait» évoque irrésistiblement le courant artistique qui commença avec
Cézanne, Picasso, Braque et Gris: comment les réalités perçues dans le monde matériel furent pro-
gressivement «abstraites », ramenées à des lignes et des formes qui passaient pour exprimer l'essence
même de la perception. D'où le mot «abstraction», du latin abs-trahere, «retirer», supprimer les détails
pour se concentrer sur l'essentiel. Comme toute la tradition occidentale à laquelle il s'opposait, cet art
provenait donc de la perception visuelle. Il n'en va pas de même pour le trésor formel du tissage ber-
bère. S'il se rattache à l'extériorité, c'est seulement indirectement et par hasard. Et, s'il s'apparente à l'art
occidental, c'est plutôt à l'œuvre de Malevitch, de Tatlin ou de Kandinsky, ainsi qu'à l'abstraction
d’après 1945 (Pollock, Rothko, Stael, Newman, Judd, Buren). Autant d'artistes qui sont partis incons-
ciemment d'un concept mental, auquel ils ont prêté forme et couleur. Spontanément, l'art contempo-
rain a cherché à renouer avec des expériences primaires et indicibles, à établir une correspondance ins-
tantanée, libérée des images et des approches développées au fil des siècles. La conviction de l'Occident,
persuadé d'avoir «inventé» l'art abstrait, est totalement injustifiée. L'abstraction en tant que
simplification de la réalité matérielle existe depuis des millénaires dans une multitude de peuples. Les 235
cubistes ne se sont-ils pas inspirés de la sculpture africaine, de même que les artistes abstraits améri-
cains entre 1920 et 1970 de la statuaire précolombienne? Quant à l'abstraction comme expression
d'une réalité psychique abstraite, indescriptible ou inconsciente, elle était, dans de nombreuses civili-
sations, le propre du tissage féminin.
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236

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Tapis i : Telouet (?) (Maroc), vers 1900 (355 x 165 cm)
noués,
L’œil de la matrix

À travers toute sa diversité géographique et formelle, l'art textile berbère est nette-
ment identifiable par son style. Celui-ci s'apparente au style de nombreuses tradi-
tions textiles qui, dans le monde entier, se sont développées là où existaient des
sociétés analogues de nomades |bergers et de paysans. Quelle qu'ait été leur diffu-
sion, les expressions de cet art textile féminin offrent donc une ressemblance sty-
listique interne, par laquelle elles se distinguent des productions artistiques «mas-
culines» des mêmes sociétés. Cette ressemblance n'est pas déterminée par
l'identité sociale, mais par le sexe (au sens de gender) des artistes. Comment dès lors
expliquer cette nature propre? Pourquoi la différence par rapport à l’art «mascu-
lin »? Comment aborder cette esthétique spécifique?
Ce n’est pas la thématique qui est ici en jeu. En effet, il est souvent question de
sujets féminins : le style «spontané » est en partie consacré aux processus de la créa-
tion et du devenir; le style «ordonné » propose une stylisation géométrique de la
vie féminine dans une communauté traditionnelle et de l'éthique que cette vie
implique. Mais cela ne signifie pas nécessairement que les processus artistiques en
jeu dans ce cas soient proprement féminins.
L'art textile berbère ne saurait s'expliquer à partir de l’iconologie qui permet
d'approcher par exemple l’art figuratif européen, égyptien, aztèque ou japonais.
L'abstraction de l’art textile berbère est ou bien sans nom (et réfère donc peut-être
à quelque chose d’innommable), ou bien réfère à un être avec lequel le motif pré-
sente une ressemblance vague et interprétable par chacun de façon différente, ou
encore réfère par le biais d’une analogie synesthésique à un mouvement mental.
En outre, de nombreux motifs et formes sont, au sens littéral, indéfinissables : leurs
frontières changent constamment, non seulement d’une œuvre à l’autre, mais Ééga-
lement à l’intérieur de la même œuvre. Il arrive qu'un motif subisse, dans un seul et
même textile, une chaîne de «mutations ».
Dans le système iconographique de cet art, le «motif sans nom» revêt une
importance capitale (voir pp. 112 sqq). Il se manifeste sous une variété infinie de
formes. Il est comme une vacuole indescriptible, qui peut recevoir bien des noms.
En outre, de nombreuses formes évoquent le spasme, la contraction, la dilatation ;
le tremblement et la transmission; la scission et la conjonction.
Il arrive par ailleurs que le champ entier d’une composition soit en mouve-
ment, ou subisse une transformation graduelle. On remarquera aussi que, contrai-
rement à ce qui s'observe dans le cas des tapis d'Orient — art officiel, régi par des
créateurs masculins —, il est rarement question ici de véritables bordures. Tantôt
les bordures sont fragmentaires, tantôt elles font entièrement défaut, tantôt la
frontière matérielle du tapis assure une interpénétration incessante du contenu de
la composition et de ce qui se trouve au-delà de cette frontière, hors image. Enfin,
le facteur le plus important est peut-être la tendance à l’asymétrie. Le plus souvent,
la composition oscille entre asymétrie et symétrie, tout comme elle se meut entre HD) Vi

continuité et rupture. Cependant, certaines œuvres tendent à une forme extrême


d'asymétrie dont l'art européen ne donne d'exemple que dans la peinture des
années quatre-vingt (trans-avant-garde, nouvelle figuration, etc..).
238

Tapis aux points noués, Ait Tamassine (Maroc),


vers 1900 ou plus ancien (345 x 168 cm).
Contrairement à l’art européen dans sa presque totalité, l'art textile berbère n'est
pratiquement jamais l'illustration d’une histoire. L'art européen suivait la voie «des-
criptive», était généralement de nature religieuse, et souvent allégorico-symbo-
lique. Il faisait usage d’un vaste ensemble de symboles — images qu'il fallait pouvoir
«lire », ce qui supposait presque toujours une connaissance préalable, «a» signifiant
«b». L'initié pouvait saisir le message. Cela dit, cet art comportait également une
dimension inconsciente. Certains éléments se soustrayaient à la perception et à la
capacité d'analyse des personnes concernées, par exemple la raison pour laquelle
un certain sujet était populaire à une époque donnée ou dans un groupe social
donné, ou la signification inconsciente d'une image ou d'un symbole.
Les aspects suivants sont d’une importance essentielle dans l'art berbère:
(1) l’abstraction (plus ou moins complexe), sans référence à un objet tangible;
(2) l’asymétrie; (3) la vacuole (creux, œil, regard, matrice) ;(4) spasme, tremble-
ment; saut/jaillissement ; (5) adaptation, harmonisation et changement cons-
tants ;(6) non-identifiabilité ;désagrégation et redevenir. Les cinq derniers points
se manifestent le plus nettement dans le style «spontané».
Au Maghreb (et ailleurs), le public masculin a toujours rejeté le style «spon-
tané » comme chaotique, confus, inorganisé. On était aveugle aux formes d’orga-
nisation spécifiques de cet art, tant primait le désir d'«ordre», de symétrie et de
clarté — selon les normes masculines. En dehors du domaine artistique, on attri-
buait aux femmes un éventail similaire de traits négatifs: elles étaient illogiques,
incohérentes, avaient l’esprit tortueux — nous connaissons tous ces reproches, for-
mulés en mille variations. Une telle critique provenait d’une incompréhension des
formes d'expression «féminines », dont la nature propre n'était pas discernée par
les hommes, et qui fut d’ailleurs niée par la plupart des théoriciennes du fémi-
nisme durant la période 1960-1980. Celles-ci se fondaient sur la croyance dans
l'uniformité de l'esprit humain: toute distinction serait d'origine culturelle.
Peut-on parler de conceptions et de processus artistiques /intellectuels «mas-
culins » et «féminins »? Telle est ici la question. Durant les années soixante-dix, les
féministes ont développé l’idée de l’aliénation de la femme (occidentale) par suite
de la monopolisation masculine de la langue et des autres codes symboliques.
Chaque emploi de ceux-ci aurait encore aggravé et continuerait à aggraver cette
aliénation’. Irigaray, Kristeva et Cixous surtout ont consacré des recherches
importantes à cette thèse. L'histoire du mysticisme européen semble corroborer
leur thèse: depuis environ 1200, ce sont des femmes qui ont effectué les pas déci-
sifs dans le refus du recours au mot et à l’image dans l'analyse et l'accomplissement
de soi. (Encore que ce dernier terme, que nous n'employons que pour nous faire
comprendre de l’homme d'aujourd'hui, ne convienne nullement: il s'agissait en
fait d’une annihilation du soi, ou plutôt de son passage au Néant.)
Pour la psychanalyse dans sa tradition «masculine», qui court de Freud à Lacan,
cette aliénation de la femme n'avait rien de problématique. Elle était même une
nécessité : toute création culturelle et même (pour Lacan) toute création signifiante
ne peut se produire que par le biais d'un modèle phallique de substitution. La psy-
chanalyse a adopté en ce domaine un point de vue misogyne (et l'a défendu
comme «neutre et scientifique»). Elle a été fortement influencée à cet égard,
inconsciemment et consciemment, par les modèles de la linguistique structurale.

1. Juliet Maccannell, The other perspective in gender and culture: rewriting women and the symbolic, New York,
Columbia U.P, 1990.
Le «structuralisme» — comme son nom l'indique — recherchait les structures
inconscientes qui détermineraient l’activité psychique de l’homme. Ces structures
seraient intemporelles, pour une part invariables, et essentiellement binaires.
Cette polarité s'exprime dans toute une série de couples de concepts: négatif}
positif, absent /présent, masculin /féminin, etc. Dans la science du langage, le
couple de concepts opposés le plus célèbre est, depuis Ferdinand de Saussure
(857-1913), celui de «signifiant /signifié », dont les deux éléments forment le signe
linguistique. Une telle pensée a joué un rôle essentiel dans le développement de
l'informatique: l'ordinateur repose sur l'application de la logique binaire. Cette
forme d'intelligence a été considérée par la science du XX° siècle comme la com-
posante fondamentale de toute activité intellectuelle. La psychanalyse, telle qu'elle
a été reformulée surtout par Jacques Lacan entre 1955 et 1975, partage cette vision
de l'esprit humain et de la genèse du sujet. Par genèse du sujet, nous entendons le
pas décisif menant à la conquête du moi et la conscience d’être un individu (du
latin individuum, «indivis ») séparé des autres. Ce pas ne s'accomplirait que par la
séparation primaire subie par l'enfant, par la notion inconsciente d’une perte à
jamais irréparable. Cette «castration symbolique » libère l'accès au réseau symbo-
lique, appelé phallus’.
Nous avons affaire ici à une théorie culturelle fondée sur la thèse que la
signification ne naît que par remplacement: quelque chose d'absent est rendu
symboliquement présent. C'est seulement de cette façon qu'on dispose d'un cadre
de référence grâce auquel on peut, entre autres, se percevoir comme sujet. À cette
symbolisation* échappent toutefois un certain nombre d'expériences et de réalités
originelles qui seront ressenties à tout jamais comme manque et perte, sans toute-
fois être dénommables. On parle dans ce cas en psychanalyse lacanienne de l’ob-
jet a, abréviation d'objet autre. Il s'agit d'une référence à la mère archaïque, à l’«autre »
(=non-moi) qui, depuis le commencement de notre existence en tant qu'’ego, est à
jamais perdu(e) et inaccessible. L'objet a renvoie également à des objets partiels per-
dus. Ceux-ci se situaient à cheval sur les frontières des zones physiques et senso-
rielles de la perception. La genèse de l'individu comme sujet, comme personne dis-
tincte, va de pair avec la perte de certaines dimensions ou fragments de l'unité
relative que le non-encore-sujet ressentait avec l’autre, la mère. On situe générale-
ment cette rupture partielle au «stade du miroir » (vers 6-18 mois), lorsque l’enfant*

2. «Lacan affirme que le phallus contient toutes les relations entre le sujet humain et les signifiants, et qu'il
est le seul passage possible à la dimension symbolique. Cette thèse est un axiome basé sur une idéolo-
gie masculine sous-jacente et sur une tache aveugle phallocentrique. On peut y voir entre autres la
conséquence de la réduction de tous les mécanismes inconscients à la métaphore et à la métonymie. »
D'après Lacan, les lois de l’Inconscient («déplacement » et «condensation ») correspondent aux lois lin-
guistiques de la métaphore et de la métonymie. Lacan a souvent répété que «l'inconscient est structuré
comme un langage ». À l'intérieur d'une langue, les concepts possèdent un ordre de réalité original et
spécifique. Ils ne proviennent pas d'une expérience personnelle, humaine. La conviction, partagée par
plusieurs courants psychanalytiques, que la langue suit une espèce de principe phallique qui peut ser-
vir de modèle à la construction du Symbolique n'est rien d'autre qu'une fiction. Les principaux élé-
ments d'une langue sont de pures abstractions, qui ne transposent aucune réalité. Des mots tels que
«et», «Où», «peut-être », étc., sont des modalités essentielles mais entièrement inventées. Bracha Lich-
tenberg Ettinger (ci-après B.L.E), «Matrix and metramorphosis», in Differences (Indiana U.P.), 4, 1992. ‘«
3. «Le symbolique est un niveau spécifiquement humain, où le sujet se reconnaît dans l'Autre, et non dans
d’autres personnes. Si l'accès au symbolique est fermé, l'homme est prisonnier dans un univers aliéné.
240 Si des métaphores ou des signifiants importants font défaut, la personne concernée sera psychotique.
Un élément absent au niveau des métaphores fondamentales, un manque de signifiants essentiels, bref
tout grand creux dans le champ symbolique peut troubler l'ensemble de la sphère symbolique. Ce pro-
blème a trait à la psychose et à l'hallucination. » B.L.E. 1992 (voir note précédente), d'après Lacan, Sémi-
naïre, II, 100. ;
se «mire» dans l’autre, qui n’est plus ressenti comme non distinct du soi. Cette
expérience spéculaire représente un pas décisif dans la genèse du sujet.
Lacan voyait l'objet a comme «extime » et le situait dans un espace «extime » du
Réel: un creux ou une «coquille», inaccessible à la signifiance. L'objet a se situe,
autant qu'il est possible, car il s'agit d'un phénomène psychique, à la frontière
du physique. Il est créé par une disparition dans un «néant» psychique d'événements liés
au corps. Des objets partiels du Soi et de l’autre /Mère archaïque sont refoulés par
la suite par «castration», c'est-à-dire par coupure, devenant ainsi des fragments
perdus — un objet a. Celui-ci prend la place des objets partiels perdus. L'objet a est un
manque, la cause d’un désir qui jamais ne pourra être satisfait ; il indique l'absence
de contact avec un « Objet » psychique fondamental.
Dès que la capacité de signifiance — d'attribution de significations — se déve-
loppe avec l'usage du langage, les expériences archaïques sont en partie rempla-
cées, en partie clôturées: ou bien il y a séparation ou forclusion, ou bien subsis-
tance d’un ersatz. Désormais, l'individu oscille entre deux pôles: entre le désir de
signifiance — et donc de recouvrement et d'attribution — et le désir de revivre l'ex-
périence archaïque — la quête du paradis perdu. D'après la psychanalyse laca-
nienne, qui prête ici une nouvelle formulation à une tradition patriarcale séculaire,
l'ensemble du champ symbolique à l’intérieur duquel l'objet a est logé en tant que
vide ou non-espace répond à un principe «phallique ». Toute création de sens serait
basée sur un mécanisme de présence /absence — to be or not to be — et impliquerait
donc une séparation et un remplacement.
Pourquoi le mécanisme de remplacement qui serait à l’origine de toutes les
formes de signification doit-il être appelé « phallique »? La réponse à cette question
reste incertaine. Pour une part, cette appellation possède des raisons «histo-
riques », c'est-à-dire liées à l’évolution de la théorie psychanalytique. Le principe se
situe dans une large mesure à la base de notre culture officielle, déterminée essen-
tiellement par les hommes. Pourtant, nous nous demandons s’il ne s’agit pas ici
d'un principe intellectuel universel, mais qui, en raison de différents facteurs,
convient davantage au sexe masculin.
S'il existe, dit Lacan, un autre système — féminin celui-là — de création signi-
fiante, il est impossible de le décrire: ce qui ne répond pas à des principes «phal-
liques » ne peut pas être reconnu — et tout ce qui est reconnu par le biais du système
symbolique est déjà phallique. Pendant des décennies, ce raisonnement circulaire
a fait office d’axiome, mais il n’est plus possible aujourd’hui de le prendre au
sérieux. Cependant, il ne suffit pas, si l'on veut tourner le dos au «principe phal-
lique » de la signifiance, de remplacer le concept de « phallus » par un autre concept.
Le nom ne change rien à l'affaire: la psychanalyse a maintenu ce fétiche pendant
des décennies en raison de l’obsession masculine portant sur l'organe sexuel mâle.
Il ne suffit pas d'avancer une autre dénomination pour postuler l'existence dans
l'inconscient d'un principe complémentaire. Il importe de chercher d’autres
mécanismes et fonctions, et une autre espèce d'inscription» d'expériences qui
créent une signification”.
René Zazzo, Reflets de miroir et autres doubles, (Croissance de l'enfant, genèse de l'homme, 22), Paris, P.U.F, 1993.
5. «Dans la théorie de Lacan, le concept masculin du phallus recouvre la totalité du Symbolique. De façon
paradoxale, le “féminin”, me semble-t-il, s'en est trouvé libéré, et une nouvelle espèce de recherche est
devenue possible. En effet, si cette conception a créé un monde impossible pour les femmes, elle a par
ailleurs fourni un important paradigme inconscient de notre culture. Ce paradigme doit être analysé si
l'on veut explorer une autre féminité, un autre mode d’être en dehors du Phallus.» B.L.E. 1992 (voir
_ note 2).

nn
Bracha Lichtenberg Ettinger, artiste et psychanalyste, développe dans son
œuvre une voie permettant de sortir de cette impasse, laquelle rendait idéologi-
quement impossible la formulation d'une spécificité féminine en dehors de la folie
ou de la mystique*. Son alternative se caractérise par sa simplicité et son évidence:
Bracha Lichtenberg Ettinger part du fondement de la genèse de l'être humain:
l'utérus et le séjour de l'enfant dans l'utérus. Il convient de signaler à cet égard que,
dans le flot énorme des considérations consacrées depuis tant de siècles au devenir
de l'être humain. ce fondement a pratiquement été passé sous silence. L'argumen-
tation que les philosophes, écrivains et scientifiques masculins ont développée
autour de la genèse et de la nature propre du sujet ignore le processus «mysté-
rieux » et ineftable du devenir concret de l'être humain. Mais cette genèse n'est-elle
envisageable qu'au sens physique? Le nouveau-né ne possède-t-il qu’une figure
humaine dénuée de toute forme de psyché ? Si ce n’est pas le cas, d’où proviennent
ces rudiments? Comment apparaissent-ils ?Et comment la mère-en-devenir est-
elle intégrée à ce processus ?
Par ailleurs, la spécificité de la femme n'a été considérée dans le cours de l'his-
toire (occidentale) par les producteurs masculins de mythologie et d’art, de théo-
logie et de science, que sous l'aspect de la négation ou du mystère. Ou bien on fai-
sait abstraction de la spécificité féminine, ou bien on s’en tenait à de vagues
banalités autour du prétendu mystère de l'«éternel féminin », ou bien on projetait,
dans une perspective «scientifique », une série de fantasmes (masculins) sur une
féminité insaisissable, ce qui vaut également au XX° siècle pour la psychanalyse:
Les théoriciens qui ont pu imposer et diffuser leurs conceptions étaient, de Freud à
Lacan, des hommes. En dépit de leur volonté de développer des conceptions
scientifiques et universelles, ils ont promu au rang de théorie la perplexité tradi-
tionnelle quant à la « féminité». Nous ne nous étendrons pas sur ce point, mais ren-
voyons à la critique féministe de cet aspect pseudo-scientifique.
Que peut-on dès lors placer face au « paradigme phallique »? Lichtenberg Ettin-
ger propose «de supprimer l'équation Symbole=Phallus. Le Symbolique com-.
prend plus que le Phallus»". «Nous devons introduire, à côté du domaine phal-
lique, des domaines symboliques non phalliques. Lamatrix est unde ces domaines.
La matrix conceptualise lanon-unité, les expériences prénatales du Moi ca
Moi qui co-existent sans s'absorber ou sans se rejeter. D'après moi, le Symbolique
se compose des éléments suivants (et peut-être d’autres éléments inconnus):
(1) Phallus (comme structure inconsciente) + métaphores et métonymies (comme
processus inconscients) ;ces éléments impliquent unité, totalité, assimilation, et
une castration symbolique œdipienne ;(2) Matrix etmétramorphose
:ces éléments
impliquent multiplicité, fragmentarité, distinction, extranéité, relations avec
l’“autre” inconnu, percées prénatales vers le symbolique, processus du Moi et du
non-Moi qui co-émergent en syntonie, processus de changement situés sur leurs
marges, frontières et seuils en eux et autour d'eux.»
La matrix est un espace symbolique prénatal°. La diversité est antérieure à
l'unité. À partir du moment où nous pouvons parler du sujet, nous pourrions aussi
bien parler d’une subjectivité étendue. Une rencontre a lieu dans la matrix entre un
Moi et un non-Moi inconnu qui co-surgissent. Ces parties ne s’assimilent ni ne se
rejettent mutuellement. Leur énergie ne conduit pas à la fusion ou au rejet, mais à
une adaptation continue de la distance, une négociation constante entre sépara-
tion et éloignement d’une part, et réunion ou proximité d'autre part. La matrix est
une zone de rencontre entre le plus intime et l’inconnu le plus éloigné. Sa part la
plus intérieure est une frontière externe, sa part la plus extérieure est une frontière
interne. Ses frontières elles-mêmes sont souples et changeantes, ce sont des seuils
potentiels ou virtuels. «J'ai pris la rencontre matrixielle comme modèle de situa-
tions et de processus humains où le non-Moi n’est pas un intrus, mais un parte-
naire-dans-la-diversité’°.»
Dans les traditions monothéistes — et aussi en dehors d'elles — le rôle de l'utérus
est nié ou sous-estimé à l'extrême, particulièrement sous l'angle de la philosophie
et de la psychanalyse. Pour cette tradition, l'utérus est un vide, indispensable sans
doute au développement du corps humain mais dénué d'importance pour la for-
mation psychique de l'individu. D'un point de vue « phallique », la matrix doit rester
exclue”: d’après la psychanalyse classique, l’entrée en contact avec elle entraînerait
une régression vers la psychose”, une rechute dans le chaos de la perte de contact
avec la réalité.
Un des sens du terme matrix] matrice est «moule», «forme originelle». «J'ai
voulu insister sur des sens nouveaux que je désirais associer à l’ancien sens fémi-
nin maternel, celui du latin matrix, «utérus», «sein maternel». Mon emploi du
terme matrix est dicté aussi par le désir de me référer au fantasme freudien de l’exis-
tence intra-utérine et du sein maternel, et à la nature propre du corps féminin dans
le Réel (l'utérus comme dehors et comme dedans). Simultanément je voulais écar-
ter la signification de «moule ». J'ai tenté de modifier l'image habituelle de l'utérus
comme un espace originel passif, un «dedans » imaginaire, pour la transformer en
l'espace frontière dynamique d'un co-surgissement duel, actif et passif, à l'inté-
rieur et à l'extérieur de l’autre, de l'inconnu. La matrix n’est pas le symbole d’un vase
originel passif, invisible, incompréhensible, où des processus primaires ont inscrit
leurs traces. Il s’agit d’un concept rendant compte d’une zone frontière de la trans-

8. B.L-E. Ibid. Le concept de «métramorphose» est un néologisme qui combine «métamorphose» et


metra, le mot grec pour «utérus ».
9. M. Pinol-Douvriez, « Affect et processus de symbolisation: les interactions précoces», in Penser —
apprendre, éd. P. Mazet & S. Lebovici, Paris, Eshel, 1988 ; A. Gibeault, « Symbolisme primitif et formation
des symboles. De l'apport des post-kleiniens à la théorie de la symbolisation », in Nouvelle revue de psy-
chanalyse, 26, 1982, pp. 293-321.
10. B.LE. « Woman-Other-Thing: a matrixial touch» in Matrix-Borderline, cat. exp., Oxford, Museum of
Modern Art, 1993.
nu. N'est-ce pas le refoulement puissant de la matrix en Occident — où le modèle masculin était le seul
modèle culturel concevable — qui a suscité bon gré mal gré la percée de l'abstraction d'avant-garde en
art et celle du féminisme?
12. «Je suis d'avis que les manifestations et explosions de contacts féminins antérieurs à la naissance et
l'émergence de l'“inscription ”’utérine de sensations ne sont pas psychotiques. Elles ne tendent à la psy-
chose que lorsqu'elles n'ont pas d'accès symbolique à une culture qui les considère comme in-sensées.» B.L.E.,
« Wit(h)nessing trauma and the gaze», in The fascinating faces ofFlanders, cat. exp., Lisbonne, Centro Cul-
tural de Belém, 1998.


formation où les deux éléments qui surgissent de concert, le Moi et le non-Moi
— qui n'est ni rejeté, ni assimilé —, se rencontrent. La matrix ainsi conçue a une inci-
dence sur le niveau ontogénétique invisible de même que surune zone symbolique
plus large où se déroulent des processus sous-symboliques de combinaison réciproque”. »
Le centre de gravité de la matrix ne se compose pas essentiellement d'éléments
séparés mais de combinaisons de particules psychiques, de petits grains de Moi et
de non-Moi. Le fondement de la signifiance réside dans la «transitivité » des corps.
Des processus-non-encore-symboliques de combinaison réciproque sont chargés
de sens: non pas grâce à une intervention de nature plus «élevée» (symbolique),
mais à partir de la base, de l’intérieur. « La reconnaissance de la distinction féminine
est primaire. La matrix peut, en tant que symbole, en expliquer certains aspects. Des
perceptions précoces du schéma corporel peuvent être enregistrées intérieurement
et devenir par la suite des faits psychiques et symboliques lorsque des expériences
ultérieures évoquent les premières. La matrix peut être considérée comme l’“ins-
cription ” des différentes traces du Réel du fœtus et du féminin (...). La matrix se rap-
porte à la sexualité féminine réprimée et à des expériences prénatales non encore
symbolisées du Moi et du non-Moi. Ces expériences prénatales sont importantes
pour les deux sexes. Tous deux ont ressenti l'utérus comme un espace vital"*. »
«La matrix ne se rapporte pas à la femme, mais à une dimension féminine de
pluralité et de distinction-des-entités-différentes au sein d’une subjectivité parta-
gée. Cette dimension se manifeste par le biais de la métramorphose. La matrix res-
sent parfaitement le manque et la perte de l'objet a ou des fragments psychiques
archaïques. Elle voit leur relation et le désir qui est braqué sur eux. Le surgissement
du Moi phallique implique une perte. C'est également le cas de l'apparition du Moi
et du non-Moi matrixiels. Cependant, la métramorphose se rapporte à la présence
insistante de ces formes de manque d’une autre manière que ne le font les méta-
phores et les métonymies dans le système phallique. À l’intérieur du système
matrixiel, ce qui est perdu pour l’un peut laisser des traces dans l’autre; la métra-
morphose peut transmettre ces traces du non-Moi au Moi ou inversement, ce qui
se produit dans le contexte d’une subjectivisation élargie. La métramorphose peut
également assurer une représentation liminaire précaire (de ces traces). L'un et
l’autre font partie de la même strate (de subjectivisation), partagent les mêmes
frontières. Pour cette raison, des traces appartenant au Moi ou au non-Moi et des
traces situées dans leur espace commun peuvent être redistribuées. Ainsi, les
lignes de démarcation entre ce que l’on a et ce que l’on a perdu, et entre l'Autre et
l'Objet, peuvent devenir des seuils situés aux frontières de la subjectivité”. »
L'hypothèse de Lichtenberg Ettinger est que l'enfant non encore né, à partir de
sa propre expérience (prénatale) et grâce aux passages frontaliers ouvrant sur le
monde psychique de la mère en devenir, possède une notion minimale de la dis-
tinction avec l’autre. Cela n’est sans doute possible que durant la phase postmature
(les derniers mois de la grossesse). Il s’agit des émotions souvent ressenties corpo-
rellement et certainement «transmises » au fœtus, de la propre dimension corpo-
relle en tant que psychosomatique (en tant qu’expression d’un processus psy-
chique), peut-être également de contacts et échanges mentaux provisoirement
insaisissables. Toutes ces notions se situent sur la voie de la genèse du sujet. L'en-
244 fant postmature non encore né est un sujet partiel relié lui-même à cet autre sujet
13. B.L.E., The matrixial gaze, Leeds, University, Department of Fine Art, 1995.
14. B.L.E. 1992 (voir note 2).
15. B.L.E. 1993 (voir note 10).
partiel, la mère-en-devenir”°. « [Par la grossesse] les femmes possèdent la capacité
émotionnelle de “négocier” sans psychose avec l'Autre inconnu qui loge en avec
elles ;une part du Symbolique (qui comprend plus que le seul Symbolique phal-
lique) leur permet d'accéder à cet espace liminaire dans la strate matrixielle, encore
qu'il faille encore découvrir comment la signifiance naît de cette façon. Cette sous-
connaissance, complémentaire de l’ordre phallique, crée des traces de sublimation
matrixielle. Elle est produite par l'enchevétrement matrixiel qui généralement ne
se perd pas entièrement pour la femme, mais dont les hommes adultes sont ha-
bituellement coupés de façon plus radicale. Cette dimension “féminine” ” est
archaïque, remonte à un passé lointain, mais elle est par ailleurs tournée potentiel-
lement et activement vers le présent et le futur. Pour les femmes, le “pays perdu”
n’est que “ presque-perdu ””.»
« Les femmes disposent d'un double accès au domaine matrixiel dans le Réel» [c'est-à-dire
dans la réalité corporelle avant ou en dehors de l'apparition de la signifiance]
«parce qu’elles ressentent l'utérus comme un dehors archaïque et un lieu “ passé”
en dehors du temps “normal” et comme “ce qui précède”. Cela est possible égale-
ment pour les hommes » [car eux aussi ont connu une existence intra-utérine].«En
outre, les femmes ressentent l'utérus comme un dedans et un lieu futur, mainte-
nant ou plus tard (.….), qu’elles soient mères ou non (...). Les hommes sont séparés
de façon plus radicale de cet espace archaïque de possibilités parce que leur contact
avec lui dans le Réel est situé pour toujours dans le (...) dehors et à un stade trop
précoce pour y avoir accès (par la suite). Les femmes ont un accès privilégié au
temps paradoxal où le futur rencontre de façon traumatique le passé, et à un
espace paradoxal où le dedans rencontre le dehors.»
L'utérus et la matrix symbolique sont des lieux d'échange :un être humain-en-
devenir et une mère-en-devenir entretiennent d’inévitables et incessants contacts
corporels et psychiques dans leur espace frontière mutuel. L'espace frontière est
crucial : ce n’est pas une frontière fermée mais une zone de contact affectif et infor-
matif réciproque. Dans le monde entier, excepté dans la culture savante où cette
réalité passe pour superstition ou fable, les femmes ont connaissance des nom-
breuses «antennes », tantôt manifestes, tantôt presque imperceptibles qui relient,
dans les deux sens, l'enfant non encore né et la future mère (ou, par le truchement
de celle-ci, le monde extérieur). Cette interrelation se situe très certainement dans
la dimension corporelle, mais les derniers événements intra-utérins et la nature
corporelle spécifique et invisible de la femme laissent des traces sous-symboliques
humaines. « Celles-ci sont perceptibles. Elles peuvent être employées dans des pro-
cessus d'échange et de transformation entre les individus. Elles s’infiltrent dans les
phases de formation ultérieures". »
Il n'existe pas de frontière absolue entre le physique et le psychique. «Des fan-
tasmes intra-utérins”® chez l'adulte ou l'enfant indiquent la conscience très pré-
coce d’un monde en dehors du Moi. Celui-ci consiste dans le dedans d’un autre

16. B.L.E, «The feminine /prenatal weaving in matrixial subjectivity-as-encounter», in Psychoanalytic dia-
logues, 7, 1997, p.379.
17. Ibid. pp.387-388.
_ 18. B.L.E.1998 (voir noter2).
19. B.LE, «The becoming threshold of matrixial borderlines », in Traveller's tales. Narratives of home and dis- LE V1

placement, éd. George Robertson et al., (Futures: new perspectives for cultural analysis), Londres— New York,
Routledge, 1994.
Voir]. Laplanche &]J.B. Pontalis, Fantasme originaire — Fantasme des origines — Origines du fantasme, (Collection
Textes du XX' siècle), Paris, Hachette, 1985.
(l'utérus, la matrix). Il s’agit là de traces de “notations” partagées d'expériences se
rapportant à la nature corporelle spécifique, invisible, de la femme et à des cir-
constances prénatales tardives. Elles proviennent d’un contact corporel partagé”
et d’un espace frontière psychique partagé. Je suppose qu'une certaine conscience
d'un espace frontière, partagé avec un être étranger intime, et d’une co-émer-
gence-dans-la-distinction est une dimension féminine de la subjectivité. Une telle
conscience alterne avec la conscience d’être-un, soit séparé de l’autre, soit en
fusion avec lui. La conscience matrixielle nous accompagne depuis l'aube de notre
existence. Elle est inscrite dans la psyché par une organisation primordiale en
termes d'expériences sensorielles “adaptées” et “réaccordées”. Des moments spa-
tio-temporels et corporels chargés d’affectivité mènent à des événements et des
traces psychiques à un niveau archaïque”. »
Peut-être la dégradation moderne de la vision holistique du monde et de
l’homme a-t-elle nui à la sensibilité matrixielle. La «modernité» tend à la subdivi-
sion de tous les champs possibles d'expérience afin de mieux assurer sa prise sur
ceux-ci au niveau de la science et du discours. Cette tendance a été souveraine
durant ces derniers siècles et a permis de développer de nombreuses conceptions
nouvelles. Le revers de la médaille réside dans une perte du sens de la cohérence
contextuelle et dans la difficulté croissante à prêter un sens à l'existence. Simulta-
nément, la masculinisation de la conception de l’être humain a entraîné une mini-
malisation du rôle de la maternité. À un autre niveau, on a assisté à la persistance
de l’ancienne négation masculine de l'importance de l’état prénatal.
Dans les sociétés archaïques, telles celles des Berbères (ou des zones rurales de
l'ancienne Europe), la grossesse occupait une position centrale dans la culture des
femmes. Un champ immense de richesse rituelle, médicale, mythique, pratique,
narrative et artistique se rapportait à la grossesse et à la lente création d’une vie
nouvelle. Dans les sociétés où le tissage était important pour les femmes, un art
varié se développa autour de la genèse du corps et de son insaisissable noyau psy-
chique. Cet art naquit, comme d’autres arts, d'un manque et de la sublimation de
celui-ci, d'un sentiment paradoxal de vide irrémédiable et de plénitude qui
contraint à la création. Il s’agit d’un art se rapportant pour une part à la matricia-
lité et à la grossesse. L'élaboration artistique part ici de la base biologique, mais
prête forme par voie d’analogie à une éthique du co-devenir, de la proximité (et
non de la fusion), de l'engagement, de l'impossibilité du non-partage — ainsi que du
trauma et de la souffrance, et cela sous d'innombrables aspects perceptifs. Cet art
n’ignore pas les dimensions angoissantes et unheimlich de la matrix réelle et imagi-
naire (à preuve la Gorgone). Les points de perte (objets a) sont perdus selon le prin-
cipe phallique mais peut-être «effleurables » dans la matrix*.

21. De façon incompréhensible, la peau ne constitue pas — avec l’attouchement — un des objets a de la psy-
chanalyse et ne joue pas de rôle théorique significatif. Pourtant, l'enveloppe du Moi est un des consti-
tuants principaux de l’image de soi. La peau est par excellence frontière et contact, séparation et attou-
chement, enveloppe et passage. Le développement tactile est une sensation constante de l'enfant non
encore né. Nombreux sont les pictogrammes de fragments de cette sensation. Citons l'aspect du vase
ou récipient, repris par la suite de façon fantasmatique dans de multiples formes: dans l'image ou la
sensation d’un contenant possédant un contenu, d’un «objet » qui délimite quelque chose, qui cache ou
246 enveloppe quelque chose, dont la surface peut revêtir d'innombrables aspects tactiles. Citons égale-
ment l'aspect de la pénétration ou la «porte» (tous les orifices du corps, une blessure, une douleur, un
contact [dés]agréable). Dans chaque culture, la stylisation de l'enveloppe (tatouage, peinture, coiffure,
déformation) et sa duplication symbolique (vêtement) prêtent une forme essentielle au Moi.
22. B.L.E. 1994 (voir note19).
« L'objet a du regard est caché derrière l'écran du fantasme et exerce un terrifiant
pouvoir de fascination lorsqu'il menace de jaillir dans le Réel présent telle une hal-
lucination, ou lorsqu'il est sur le point de parvenir à la conscience en faisant sur-
face ou en surgissant de l'extérieur par le biais de l’art’*.» L'objet a est exclu de
l’image en raison de son caractère irreprésentable. Mais il reste présent de façon
souterraine, mieux, il joue sans doute souvent un rôle décisif dans la création artis-
tique. Même s’il n'entre pas dans le champ visuel, s’il ne peut jamais laisser un reflet
immédiat dans l’image, il peut surgir dans le «coin de l'œil», au bord de l'image.
Peut-être laisse-t-il des traces en tant que dérivations morcelées, archaïques, non
symbolisées du corps®. Toute tentative de le saisir le détruit — tout comme le
regard d'Orphée fait disparaître à tout jamais Eurydice.
Dans l’art figuratif, ces traces se trouvent «sous » l’image qui constitue le sujet
officiel de l'œuvre. Une couleur, une forme ou une relation qui ne sont pas dictées
par le sujet mais surgissent de l'inconscient de l'artiste. Dans l’art européen par
exemple, ces traces sont cachées par l'«histoire»: le spectateur doit connaître
toutes les finesses du sujet avant de pouvoir explorer la voie menant aux manifes-
tations de l’objet a. Mais qu’en est-il de l’art abstrait ?
L'objet a possède une dimension visuelle de nature différente : le regard que nous
désirons rencontrer, voir et sentir. Il s’agit pour une part d’un fantasme du regard
maternel, pour une autre d’un fantasme relatif à une autre perte. Ce regard est
comme une partie perdue du propre Soi. Le désir se dirige sur lui comme sur un
fantasme de consolation situé dans le champ visuel — bien qu'il soit impossible de
dire en quel endroit. Ce fantasme n’est pas relatif à ce que nous voyons, à une réa-
lité représentée, ni davantage au fait d’être vu. Il est à califourchon sur le fossé entre
voir et être vu. Il se trouve en quelque sorte derrière l’image. (Cette image est celle de
la Méduse dans le «motif sans nom.) «Le pouvoir hypnotique exercé par le sco-
pique objet a sur les antennes érotisées de la psyché doit être distingué d’un pouvoir
secondaire, moins archaïque, de l'œil, pouvoir qui fait son apparition lorsque le
schisme de l'œil (en tant qu’organe corporel primaire ou objet partiel) a déjà eu lieu
— après l’œdipe. Comme les autres organes, l'œil subit une castration symbolique,
après quoi il peut assumer une fonction post-œdipienne d'organisation phallique.
La castration œdipienne oriente le regard et transforme le “voir” en une fonction
NT:
ordonnatrice, sélective, distinctive ou unificatrice. Se focalisant, l’“ œil armé” peut
maintenant “viser l'objectif” et revendiquer une connaissance omnisciente et
toute-puissante. Le regard est donc “civilisé” au moyen de la “résolution” du com-

23. B.L.E.1998 (voirnoter2):«Il s'agit d'un événement libidinal, lié à une Chose sans nom, qui a eu lieu dans
un no man's land, en un endroit et à un moment qui, dans le domaine de la subjectivité, sont toujours
des “trous noirs”. L'événement libidinal est un événement situé en dehors du temps historique, à tout
jamais absent, toujours trop précoce, et scindé de la plénitude du sujet par un refoulement originaire
(Urverdrängung). La Chose est un stade préliminaire de la conscience, elle est inaccessible aux structures
de représentation et de connaissance inconsciente de l'espace et du temps. L'objet a est une trace men-
tale, surgie au cours d’une “schize” originaire, une scission de la pulsion scopique et de son objet - ou
de l'Autre, ce qui explique que le sujet surgisse lui-même comme originairement clivé. Pour un tel
objet a, la perte libidinale correspond à la “castration”. Aux yeux de Lacan, l'inconscient est lié à cette
schize /castration. Le sujet symbolique est le revers de l'objet a, et la Chose qui a subi le refoulement ori-
ginaire est à tout jamais indisponible pour le sujet. L'objet a est un produit du Réel archaïque, un sans-
sens, trace de la scission de l’autre en tant que Mère/Corps: il transforme en sens la perte du passage, 247
passage qui à son tour manifeste le sujet comme clivé. L'objet a n'a pas accès au sujet Symbolique: c'est
un trou dans le Symbolique, et il n'a pas sa représentation dans l’Imaginaire. »
24. Ibid.
25. Griselda Pollock, «The work of Bracha Lichtenberg Ettinger», in Third text (Londres), 1994, n° 4.
plexe d'Œdipe. Il est un instrument de pouvoir culturel, conscient et aliénant, au
service de l'ego”°.»
À l'intérieur du champ phallique, Bracha Lichtenberg Ettinger distingue le
regard post-œdipien «actif» (qui émane d'yeux «armés » et est en rapport avec l’ap-
partenance sexuelle) et le regard pré-œdipien «passif» en tant qu'objet a recherché,
lié à des objets partiels archaïques perdus. «L'objet matrixiel /objet a par contre est
un objet sans point focal. Il suscite des réactions toujours changeantes (mais non
pas sans bornes) et diffuses. Il échappe à la dichotomie de l'être et du non-être, du
stimulus bien net de la présence /absence, et à la violente réaction entraînée par ce
dernier en termes d'affects d'amour ou de haine. À l'instar des modifications et des
écoulements des attouchements et contacts utérins, l'objet matrixiel /objet a n'est
jamais soumis entièrement à l'alternative présent /absent. Une raison en est sa
“divisibilité”: il appartient à plusieurs sujets partiels co-surgissant. Le contact
intra-utérin fait que l'objet du contact est également un objet partiel psychique. Cet
objet de contact primordial n'est pas lié aux orifices du corps et n’a pas de centre”. »
Le manque inconscient possède donc une dimension visuelle. Celle-ci est bila-
térale: il y a la contrainte scopique et il y a le désir de la rencontre du regard. Quel
regard ? D'un point de vue psychanalytique, Lichtenberg Ettinger distingue ici trois
variantes : (1) le regard post-œdipien phallique, actif, qui émane de l'œil «armé » qui
tente, par voie imaginaire, de reconquérir l’objet perdu par la maîtrise et le
contrôle ;(2) le regard pré-œdipien passifen tant qu'objet a, lié à des objets partiels
archaïques perdus; (3) le regard matrixiel.
Le regard, le désir de voir, cherche également l’objet a perdu dans le champ
visuel. Cette quête n'est jamais achevée : jamais le voir ne comble le désir de voir. Ce
qui est considéré comme la perception artistique la plus élevée, la plus gratifiante,
n'assouvit ce désir que temporairement. Ensuite, le manque reprend ses droits et la
quête visuelle recommence, sans accomplissement final. Car ce qu'on veut voir n’a
ni forme ni apparence. Dans l'œuvre d'art se situe une rencontre, par-delà ce qui
apparaît, avec l’objet perdu, de l’autre côté de la représentation”®. Cependant, ces
fantasmes ne se rapportent pas seulement à ce que nous pourrions voir, donc à ce
qui est percevable. Ils ne se rapportent pas davantage de façon directe à l’être-vu.
Ils enjambent en quelque sorte le fossé entre le voir et l’être-vu”?. D'un côté se situe
le regard au sens quotidien: le fonctionnement de l'œil. Le regard est le centre du
discours relatif à l’art. Le regard, l'usage de l'œil, est un acte «habituel» du corps
— jusque-là rien de particulier. Mais aucun regard n'est «pur» et neutre, comme
l'objectif d'une caméra. Pour l'être humain, tout regard est un acte psychique — le
regard n’enregistre pas seulement une image, mais traite et adapte inconsciem-
ment la perception. La façon de ressentir l’image dépend d’un grand nombre de
facteurs inconscients. Ceux-ci sont déterminés en grande partie par l’apparte-
nance sexuelle. Les femmes éprouvent généralement le regard des hommes
comme un regard qui contraint, analyse, s'approprie, «déshabille ». Nombreuses
Kilim, Matmata (Tunisie), vers 1950 sont les œuvres d'art qui témoignent de ce regard : non seulement par la façon dont
(250 x 95 cm).
*.

26. B.L.E. 1905 (voir note 13).


27. Ibid.
248 28. B.L.E. «Borderlink and matrixial borderspace», in Rethinking borders, éd. John Welchman, Londres,
Macmillan, 1996, p.143.
29. Griselda Pollock, «Abandoned at the mouth of hell or a second look that does not kill: the uncanny
coming to matrixial memory », in Doctor and patient : Memory and amnesia, éd. Marketta Seppälä, cat. exp.,
Pori (Finlande), Taidemuseo, 1997, p.131.

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Tapis aux points noués, Mhazil (Maroc), XVIIIS-XIX siècle (350 x 170 cm).
250

Tapis aux points noués, Mrabtine (Maroc), vers 1950 (370 x 180 cm).
Le] V1

Tapis aux points noués, Azilal (Maroc), ver S


l'artiste «voit» la figure féminine, mais également par d’autres voies telles que la
perspective et la recherche d’une représentation fidèle à la réalité. Dans la tradition
occidentale, le voir et le regard furent naturellement considérés comme percep-
tion de la réalité matérielle. (Pour certains courants mystiques, le regard n'était pas
dirigé sur la réalité terrestre, mais sur une réalité d’une autre espèce, sans images.)
I] fallait à cette fin que le regard «se focalise ».
Pour la psychanalyse, la «castration œdipienne » est la cause de la focalisation
du regard: le regard devient une activité ordonnatrice, sélective, distinctive ou
unifiante. L'«œil armé» vise son but et revendique puissance, connaissance et
vision d'ensemble. Ce regard est un instrument de pouvoir aliénant au service du
Moi. L'exemple le plus clair en est peut-être le développement dans l’art occidental
de la perspective. Celle-ci tente, à partir d’un point de vue unique — d’une seule len-
tille —, de créer avec une précision scientifique la fiction d’une vision parfaite de la
réalité matérielle. Il s’agit bien d'une fiction, car en réalité l'homme regarde avec
deux yeux, ce qui produit une autre image que le regard d’un œil unique. Le terme
perspective ne signifie rien d’autre que «vue-à-travers». Tel un faisceau radiogra-
phique, le regard pénètre la profondeur jusqu’au point de disparition à l'horizon.
L'espace doit être saisissable et maîtrisable. Ce regard est «phallique », il appartient
à la vision masculine du monde. C'est le regard dominant, celui dont la littérature
témoigne jusqu’au XX° siècle, plus précisément par le mythe du sujet omniscient
qu'est le narrateur.
La vue en perspective est absente de toutes les formes d’art féminines, en
Europe et ailleurs, entre autres de l’art textile féminin traditionnel. Depuis des
siècles, l'Europe — du moins ses cultures dominantes — est en proie au désir de voir
selon ce mode. Le développement progressif de la vue en perspective et de l’art réa-
liste eut lieu parallèlement à celui du désir de pénétrer (et de maîtriser) les méca-
nismes du monde. L'essor étonnant des arts plastiques dans l’Europe des sept à
huit derniers siècles témoigne de cette pulsion scopique vers l'extérieur. Dans le
domaine religieux, on voit se manifester à partir de 1200 environ le desiderium
videndi, le désir de contempler l’invisible sous la forme de la surface blanche de
l'hostie. Ce désir vise l'«œil » d'un disque blanc : un écran sans l'image que l'on pré-
tend vouloir voir, et devant l'image qu’inconsciemment on voulait voir. (Dans l'his-
toire de la pulsion scopique propre à la culture européenne, nulle part la dualité du
regard n’est aussi manifeste que dans le culte de l’eucharistie.)
D'autre part, il y a le désir, non pas du voir, mais du «regard » — d'un regard qui
se pose sur nous comme une enveloppe protectrice, que nous sentons plutôt que
nous ne le voyons: le regard maternel, l’étalement d’une protection. Nous sommes
en partie coupés de ce regard lors de la phase œdipienne. Le regard phallique est
pour une part un fantasme du regard maternel, celui-ci étant en quelque sorte une
partie perdue du Moi intime et essentiel. Parce qu'il est perdu, il devient un lieu de
désir. Ici se forment des fantasmes inconscients mais vagues et non orientés de
bien-être et de consolation. Si nous pouvions trouver ce regard, l'expérience serait
pourtant bouleversanite et pénible. Ce regard, qui fut un jour d’une fondamentale
familiarité et relève par ailleurs partiellement du fantasme, est devenu unheimliéh
(étrange, angoissant). Le unheimlich est devenu heimlich, familier. La sensation
252 archaïque est refoulée et enveloppée désormais d'angoisse. Lorsqu'elle menace de
surgir des profondeurs du refoulement devant l'œil intérieur de la personne
concernée, celle-ci se sent mal à l'aise.
«L'angoisse face au unheimlich est liée à l'expérience esthétique et à l'objet E
regard. Cette angoisse peut prendre la forme du “mauvais œil” lorsque la pensée
toute-puissante est projetée sur un “autre” jaloux, dont le “regard” trahit l'envie et
les intentions maléfiques… Le fantasme du “mauvais œil” cherche des images, la
libido se retire des objets extérieurs pour investir les objets intérieurs du Moi. Dans
le champ de l'imaginaire, ce retrait est un mouvement de régression vers le stade
du miroir.» «Les objets intérieurs sont déguisés en représentations menaçantes
parce que le double imaginaire, le compagnon du Moi dans le réseau imaginaire,
n’est jamais devenu manifeste et n'a jamais été vu. C'est pourquoi il peut surgir par-
tout dans l'imagination, se déguisant en n'importe qui ou n'importe quoi.»
[La ghoul(a) en est l’incarnation dans la culture arabo-berbère.] «Il est devant et
derrière moi, il me regarde et me contrôle, il m'épie de partout, il me rend transpa-
rent. Plus loin en aval se trouve le psychotique qui se plaint, dans des hallucinations
de regard et de contrôle, que toutes ses pensées soient connues, que tous ses actes
soient tenus à l’œil et contrôlés. D'après Freud, nous avons tous en nous un agent
secret qui surveille nos intentions. À partir du double originel du narcissisme pri-
maire se forme lentement une instance particulière (...) qui perçoit et critique le
soi. Dans le cas pathologique où l’on imagine être observé, cette instance tombe
dans l'isolement (.…). Le fait (...) que l'être humain est capable d'auto-observation
permet de revêtir la notion ancienne du “ double” d’une signification nouvelle et de
lui attribuer un certain nombre de choses. Le “double” est un phénomène imagi-
naire qui est devenu “un objet de terreur”. De mauvaises intentions, qui passent
par le regard, lui sont imputées. [Cela équivaut à] une personnification qui pour-
suit le /la psychotique dans ses hallucinations. Une telle matérialisation de l’objet
du regard manifeste une série de propriétés phalliques de l’objet partiel, même
avant que ne se produise la castration symbolique. Le “mauvais œil” imaginaire,
une manifestation de l’objet a du regard, se trouve à la frontière du manifestable. La
manifestation ou “apparition ” est un écran qui cache le regard. Les pouvoirs mys-
térieux de l’art ne se mesurent pas à cet écran, mais à ce qui se trouve derrière lui*°. »
Bien que l’art textile berbère ne soit pas figuratif et ne connaisse pas la
contrainte de la reproduction de la réalité, le concept de «regard » y est essentiel. Il
s’agit d’un regard non dirigé sur la saisie et la trans-vision (perspective) de la réalité
matérielle. Il n’essaie pas davantage de sonder la réalité spirituelle par le biais d’un
regard sur l’homme — comme dans l’art byzantin ou dans d’autres iconographies
religieuses. En soi, le caractère abstrait de cet art est déjà une protection contre le
regard phallique, regard qui évalue, rejette ou prend possession. Mais cela ne
signifie pas la suppression de l'angoisse que ce regard inspire. La peur du «mauvais
œil» reste omniprésente. Pénétrer par le regard, c’est en effet pénétrer dans l’inté-
grité physique et personnelle de l’autre.
Dans les cultures méditerranéennes, le respect et la pudeur sont associés
depuis des millénaires au regard. Baisser les yeux, c’est faire preuve de déférence et
de réserve. En «refusant» de voir, on respecte le seuil mental de l’autre. L'aspect
perspectif du regard dans la tradition occidentale, sa force transsubjective joue dès
lors dans les rapports entre personnes. Le regard peut avoir un effet destructeur,
paralysant, angoissant'; l'individu peut être «tué » par un regard, celui du «mauvais
œil»: regard qui diffuse le malheur, qui veut ruiner l’autre. Cependant, doué de
vision, l’autre » est précisément le contrôle de soi, le regard — projeté sur l'eautre »— LE] PA V9

de l’autocritique négligée, le regard éternellement dirigé sur le soi, la scission

30. B.L.E. 1995 (voir note 13).


Ë
mentale qui est le propre de l’homme. Ce regard est intolérable à partir du désir
d’autoréalisation effrénée, rebelle aux normes sociales intériorisées. Cette culture
était [est extrêmement sensible à la profondeur et au fonctionnement du regard
«masculin», regard possessif, dominant, pénétrant, ainsi qu'en témoignent
nombre d’us et de coutumes. Jeter un tel regard sur les femmes d’une certaine
famille est un attentat à sa horma. Le mot est dérivé de la racine h-r-m, «dépouiller
de», «enlever». La horma est une réalité sacrée, que l’on représente par une clôture
ou par la tension entre le regard inviolable et le rejet du regard «impudent» se
manifestant du dehors. Dans l'Antiquité grecque, le complexe de Méduse, dans le
cas de la déesse Athéna, proposait une image de ce que l’on appelait et appelle
horma de l’autre côté de la Méditerranée.
Le regard est également la dimension cachée du «motif sans nom», si impor-
tant dans l’art textile berbère. Dans notre recherche relative au «motif à excrois-
sances », nous avons rencontré le bouclier d'Athéna, la Gorgone /Méduse, le sac en
peau de chèvre, le regard pétrifiant, les serpents, la pieuvre, le dieu Bes, Humbaba,
Océanus et d’autres êtres et apparitions qui étaient familiers de longue date, fût-ce
dans un sens différent, aux connaisseurs de l’art antique. Les liens unissant tous ces
êtres et apparitions remontent à une expérience pré-esthétique, et très difficile à
décrire, vécue par le moi matrixiel des femmes. Ces flashes et fragments se situent
dans un champ psycho-corporel à la frontière de l’inconscient. Un aspect de
malaise a toujours été lié à ce motif sans nom. Lorsque celui-ci évolue progressive-
ment vers une forme figurative, il adopte la silhouette d’un être effrayant, d'un
gouffre dévorant, d'une angoisse paralysante: la Gorgone et ses congénères
d’autres cultures. Dans sa dimension négative, le motif est en quelque sorte une
vacuole innommable, qui échappe à toute tentative de détermination plus précise.
Il est associé à l'utérus par une série de noms tels que «crapaud », «sac à eau en cuir
de chèvre», «sphère dans un gâteau épineux »…
«Silencieusement, sortant en quelque sorte de nulle part, une charge secrète et
unheimlich surgit derrière l'étrange expérience esthétique. Elle torture et lénifie,
déchire et suture les plaies en certains endroits nomadiques, ouvrant en ceux-ci un
rythme pour l'exil, suspendue comme une vague marine dans sa rotation entre
anéantissement et renaissance. L'évanouissement pénible de la vague est déjà le
rapide retour-dans-sa-transformation d’une chose-rencontre archaïque “femme”-
mère |Autre, chose qui vit avec nous, vit en nous, s’accoutume à nous, à laquelle
nous nous accoutumons. (.…) [Cette] co /habit(u)ation est intuitive, non visible.
Elle pousse le visible de son équilibre par la transgression de l’affect que le trauma-
tisme invisible fait surgir?.»
«Une part d’obscure organisation se manifestant à partir d'une diversité
errante, dénuée d’un point focal fixe, surgit en art par le processus de la métra-
morphose en tant que regard partagé, mélangé, multiplié. Celui-ci, plutôt que d’en
être scindé, a gardé un lien avec un creux multiplié et avec l'œil flottant et érotisé de
ce creux, tandis que l’effroi du manque surgit à travers le regard phallique et l'œil
fixe /fixateur de celui-ci.»
Depuis les temps préhistoriques, la Déesse elle-même «était » également l'Œil.
De nombreuses statuettes pré- et protohistoriques de la Déesse accentuent forte-
254
31. B.L.E, «Traumatic wit(h)ness-thing and matrixial co /in-habit{u)ating», in Parallax (Leeds), 5, 1999,
PP-93-94.
32. B.L.E., «Trans-subjective transferential borderspace», in Doctor and patient: Memory and amnesia,
éd. Marketta Seppälä, cat. exp., Pori (Finlande), Taidemuseo, 1907.
ment les yeux. Athéna «aux yeux de chouette » est sa continuatrice en Grèce, Neith
en Libye. Durant la préhistoire, l'œil fut associé au rayonnement — et partant avec
le soleil —, et avec l'écoulement — et donc avec l’eau (lacrymale). L'homologie vulve |
œil remontait à la correspondance de la forme et de la fonction. Le liquide de ces
organes était un flux fécondateur. On rencontre dès le paléolithique des statuettes
de la Déesse avec des «rivières » s'écoulant de ses yeux”. Un autre orifice humide
associé aux précédents était la bouche. Et dans l’art préhistorique, il existait un lien
entre l'œil et le serpent, les deux étant des éléments fécondants. Ces associations
(bouche /serpent /œil /matrix) sont à la base de la forme visuelle et des représenta-
tions (artistiques) de la Gorgone.
Dans ce que nous appellerons le complexe de la Gorgone, avec toutes ses
dimensions paradoxales et même franchement contradictoires, le regard est cru-
cial : comme regard de la Méduse, comme œil, comme tache, comme creux. D'une
part intervient la peur de ce regard dangereux et même mortel (autour duquel se
développait souvent, dans les cultures archaïques, une obsession presque para-
noïde), d'autre part le désir de ce regard parce qu'il est salutaire et protecteur — fût-
ce, dans les mythes masculins et figuratifs, uniquement après décapitation |mise à
mort (Persée décapite la Méduse, Kali se décapite elle-même), c'est-à-dire après une
séparation qui annihile les forces vitales. Ce regard féminin — qui est en même temps
la matrix — est insondable et destructeur: Athéna aux yeux de chouette, le regard
virginal invincible. Ce n’est qu'après le massacre des congénères menaçantes
d'Athéna que ce regard peut être conquis en tant qu’arme apotropaïque (le gorgo-
neion). L'effusion de sang de la décapitation est analogue au sacrifice, à l’auto-
immolation féminine (Kali) ou à la défloration. Dans l’ordre traditionnel, seule la
défloration faisait de la femme un être soumis. Nous estimons que cette formation
de mythes centrés sur des personnifications est une élaboration masculine d’une
image insupportablement complexe aux yeux des hommes. Dans le style «spon-
tané » de l’art textile berbère, ce complexe est encore présent dans sa plénitude.
Dans le style «strict», destiné davantage à l'usage public, le complexe se scinde en
plusieurs types de losanges qui évoquent ses divers aspects en des formes stylisées,
sûres et prévisibles.
Le regard fondamentalement multiple du «motif sans nom» ou de la Méduse
contient aussi bien le regard désiré, rassurant, pleinement satisfaisant, que le
regard maternel devenu «étrange » (unheimlich). Dans une autre dimension, il est le
regard de la femme «vierge», «pure», et son rayonnement inviolable, voire des-
tructeur. Il peut également refléter le regard phallique, agressif, pathogène, angois-
sant de l’autre et son image homéopathique à partir d’une symbolisation du Soi.
Dans une quatrième dimension, le regard «est» l'utérus: la metra errante, agitée, qui
«pique » et qui «perce», et son espace symbolique, créateur de sens. Dans une cin-
quième dimension, c’est le regard matrixiel errant, transgressif, facteur de
signifiance, rendu visible dans un pictogramme (qui fut élaboré par la suite en fan-
tasme dans la forme de la Méduse).
La matrix œuvre grâce à la fusion du regard et de la tactilité:œil tactile ou tacti-
lité douée de vision. On reconnaît sans doute là une raison importante de la ten-
dance manifestée par les femmes dans les cultures les plus différentes à centrer
leurs pulsions artistiques sur l'activité textile. Le souvenir d'une signifiance surgie 255
par le biais de la tactilité durant la période prénatale se manifeste ici, comme dans

33. Marija Gimbutas, The language ofthe goddess, Londres, Thames & Hudson, 1989, p.51.
la langue:nous disons que quelque chose nous «touche» (quand ce quelque chose
a sur nous un effet émotionnel).
Adonné à l'exploration interne, l'œil de l’arttextile cherche le regard commeun
creux, une coquille provenant de la Chose, l'insaisissabilité innée de notre corps en
devenir dans laquelle s’est fait sentir une pulsion sans nom qui, dans le souvenir
inconscient, survit et nous excite. Cette invisibilité, en même temps que beaucoup
d’autres invisibilités ultérieures, est évoquée dans l'œuvre d'art. L'œuvre d'art
opère une descente vers l'impossible rencontre avec le creux sans image d’un
regard manqué, dont elle finit par surgir.
Si nous qualifions cet art de «matrixiel», ce n’est pas parce qu’il accorde une
place si essentielle à des sensations et des «formes » utérines: celles-ci pourraient
également être rendues sur le mode phallique, identificateur et définitoire. En eux-
mêmes, les thèmes, pour utérins qu’ils soient, ne sont pas matrixiels. Nous appe-
lons cet art matrixiel parce qu'il naît pour une part importante par le biais d’autres
processus mentaux. Le processus matrixiel remonte plus loin dans le fonctionne-
ment de l'inconscient et du sous-symbolique. Au niveau de la langue, on pourrait le
considérer comme analogue à la poésie, dans la mesure où celle-ci n’est ninarrative,
ni descriptive, comme c’est le cas de formes expérimentales de lyrisme phonétique.
Le poème «gratuit» ne recourt pas à la langue descriptive: il apparaît comme non-
sens à celui qui l'analyse selon les critères de la langue «significative», reproductrice
de la réalité. Il recourt à une propriété évocatrice d’un langage «impropre»: ici, la
langue, qui est déjà «impropre » en soi et se situe à un métaniveau par rapport au réel
—et rend donc possibles plusieurs méta-analyses, même de la métalangue -, adopte
encore une «autre» métafonction. Un langage disloqué évoque des sensations en
fait innommables par recours à des moyens langagiers, sensations qui provoquent
un stimulus esthétique par voie expérimentale, non rationnelle.
Cette comparaison n'est rien de plus qu’une analogie: la langue appartient elle-
même à un autre ordre d'expression. La source qui nous intéresse ici s'écoule dans
la zone frontière entre corps et psyché. Ce processus psychique originaire, qui se
déroule déjà entre sujets partiels, engendre des pictogrammes. On entend par pic-
togramme la représentation d'un (fragment ou d’une dimension de |’) espace psy-
chique premier au sein du Réel, c'est-à-dire au sein de l’activité psychique la plus
proche de l'expérience corporelle. Les pictogrammes prêtent forme de façon
inconsciente à des fractions d'expériences, en constituent en quelque sorte le
«métabolisme ». Un pictogramme est une première représentation au service de la
création de sens*. Ces «germes » flottant au bord de l’image et leur première in-for-
mation se prolongent dans les processus qui transforment les fantasmes en idées.
Cela implique que la signifiance ou création de sens trouve son origine bien avant qu'il ne soit
question dans l’activité psychique de symboles et de mécanismes de remplacement.
Le fondement de la signifiance réside dans un processus de liaison que la psy-
chologie cognitive appelle «connectivité »®. Chaque création signifiante fragmen-
Tapis aux points noués, Mhazil (Maroc),
taire est précédée d’interminables processus de sensation /perception et d’agence-
vers 1940 (270 X 155 cm). ment. Cet agencement n'est pas (nécessairement) logique, car il se fonde, quel que
soit leur degré d'imperceptibilité, sur des myriades de sensations.

34. Piera Aulagnier, La violence de l'interprétation. Du pictogramme à l'énoncé, (Collection Le fil rouge), Paris, PUF,
1981.
35. Humberto Maturana & Francisco Varela, Autopoïesis and cognition: the realization ofthe living, (Boston stu-
dies in the philosophy ofscience, 42), Boston, D. Riedel, 1980 ; Varela, Autonomie et connaissance, Paris, Seuil,
1989.
Ces pictogrammes acquièrent dans l’art textile un mode d'apparition visuelle.
Les notions de «symbole» ou de «reproduction » ne sont applicables qu'à une partie
réduite de l’iconographie berbère. Il existe en effet un certain nombre de motifs des-
criptifs univoques, surtout dans l’art tunisien (main, oiseau, poisson, chameau, etc...
Cependant, la plupart des motifs sont abstraits sans être fixés: ils varient sans fin.
Les formes /mouvements du style «libre » correspondent en partie à des événe-
ments psychiques archaïques que l’on a appelés «signifiants formels». Il s'agit
d'images «tangibles » de «quelque chose qui a lieu», et non d'images fantasma-
tiques «visibles ». Si l’on devait les exprimer par le moyen de la langue, elles ne
requerraient qu’un verbe ou un sujet et verbe. Ce sujet n’est pas une personne mais
une forme ou un fragment de corps ou un espace. Il n'ya pas d’histoire, rien qu’une
transformation d’une apparition ou d’une propriété, transformation qui a lieu à
l'intérieur ou à l'extérieur du propre corps. Il s’agit de contraction, ondulation, res-
piration, tourbillonnement, chute, vidange, arrachement, percement, explosion,
morcellement, déchirement, placement de deux éléments l’un dans ou sur l’autre,
découpement, duplication, changement de direction, production de traces, ouver-
ture /fermeture, coïncidence, écartement.
La transformation symétrique et la transformation-par-réciprocité sont parti-
culièrement importantes. Un changement de direction et une liaison frontalière
en tant que métramorphose ont lieu à partir de minimes oscillations chargées d'af-
fects — oscillations se rapportant à l’attouchement et au mouvement, au bruit et à
la lumière /obscurité. Il s’agit là d’impressions sensorielles floues et partagées qui
font surgir et décroître des relations objectales (partielles) et impliquent matrixiel-
lement des particules insaisissables dans la formation du sujet.
Les signifiants formels” peuvent être rapportés aux catégories suivantes:
(1) Un événement spatial irréversible :une zone frontière commune est franchie,
une peau commune est déchirée ;un axe s’inverse (changement de direction) ; un
appui disparaît ;une surface se ride, ondule ou bouge; il se forme une «bulle de
savon »; une enveloppe se vide. (2) Un état matériel change : un liquide s'écoule ou
bouge, quelque chose pénètre dans autre chose, quelque chose s’évapore.
(3) Une transformation réversible: quelque chose s'ouvre et se ferme, quelque
chose disparaît et apparaît, quelque chose se remplit et se vide. (4) Une localisa-
tion :une frontière naît, quelque chose se pose sur autre chose, plusieurs points de
vue se manifestent. (5) Symétrie ou asymétrie de l'événement: mon double me
regarde ou me quitte; mon «ombre» m'accompagne ou j'accompagne mon
ombre ;mon dedans est dehors ;un élément du dehors est en dedans. (6) Passage
de signifiants féminins au fantasme: quelque chose qui s'approche me poursuit,
quelque chose qui s'éloigne me quitte.
Nous nous situons ici à un niveau originel de la psyché, celui où surgissent les
pictogrammes”. Ceux-ci sont à la base du fonctionnement de toute psyché, mais

36. Didier Anzieu, «Les signifiants formels et le moi-peau», in Les enveloppes psychiques, (Collection Inconscient
et Culture), Paris, Dunod, 1987, pp.1-22.
37. Le langage et les bruits (et l'attitude, les mouvements, les attouchements) de la mère par rapport à l’en-
fant non encore né ou du nourrisson constituent une forme de communication universelle qui pro-
longe les contacts métramorphiques et anticipe substantiellement le développement des capacités
de l'enfant. Cette «langue» possède certaines propriétés: un large éventail de hauteurs tonales,
d'inflexions de la voix, de lignes mélodiques; des accentuations plus nettes; un rythme ralenti; des
répétitions ; une charge affective très forte. Voir B. Cramer & L.. Kreisler, «Fonctionnement mental pré-
coce et interaction mère-enfant », in Topique, n° 35-36, 1983, pp.151-172 ;M. Deichmann, «L'interaction
précoce à l'origine du langage », in Naissance et communication, n° 101, 1985 ; Albert Ciconne etal., Naissance
à la vie psychique :modalités du lien précoce à l'objet au regard de la psychanalyse, (Psychismes), Paris, Dunod, 1991.
dans le cas de certaines pathologies, par exemple l'autisme, ils continuent à se
manifester et à dominer le champ. C’est la psychanalyste Piera Aulagnier qui a
donné à ces phénomènes le nom de pictogramme: il s’agit de la «représentation»
spatio-sensorielle d'une sensation réelle ou fantasmatique. Un des traits caracté-
ristiques du pictogramme est que la zone corporelle qui perçoit l'excitation et la
«chose qui excite » (pour autant qu'elle existe) sont «vues » comme une unité indis-
sociable. Le pictogramme est une image d’une «chose physique» ou d’une zone de
rencontre, une image primaire grâce à laquelle la psyché intègre ses rencontres avec
l’autre. Une telle image possède une base corporelle: elle est le fondement que tout
individu doit construire pour accéder à la représentation. Elle constitue également
un événement organique dont nous pouvons difficilement percevoir et analyser
l'incidence-créatrice-d'une-(amorce-de)-signification, sauf àde rares moments de
passage immédiat de ce niveau à celui de la conscience.
Le pictogramme est un schéma relationnel du sujet (ou du sujet-en-devenir
d'avant la naissance) et du non-Moi. C’est également la première «re-présentation »
d'une activité psychique qui thématise un événement dans une zone frontière. Le
non-Moi et le Moi s'explorent mutuellement et s'interpénètrent. La sensation et le
pictogramme appartiennent à ce qu'on appelle le «niveau originel» (de l’activité
psychique), tandis que le fantasme, plus élaboré et séquentiel, appartient au
niveau primaire, et l’idée au niveau secondaire. Ces trois stades ne se succèdent pas
au fur et à mesure que le sujet se développe: tous trois restent actifs, étant entendu
toutefois que les deux premiers sont refoulés autant que possible par le sujet
adulte. Ceux-ci constituent la partie invisible de l’iceberg de la raison. On pourrait
parler, dans le cas des représentations en question, d'un diagramme ou schéma éner-
gétique. Le diagramme (ou trans-scription) reproduit le déroulement d’un proces-
sus ou d’un mécanisme, le schéma peut se décrire comme un dessin rendant les
aspects essentiels d’une figure, d’un objet, d'un processus ou d’une évolution dans
leurs éléments, réalité et fonctionnement.
Nous employons l'adjectif «énergétique». Cependant, bon nombre de dia-
grammes ou de schémas, ou de combinaisons des deux, semblent évoquer plutôt
un état (physique et/ou mental) qui se manifeste dans le Moi sous une forme et
avec une intensité variables. Un pictogramme — ou peut-être mieux, un psycho-
gramme — n’est possible que parce que l’homme a besoin d’un espace pour faire
surgir de la signifiance, et cela par la voie des processus synesthésiques de la psy-
ché. Le premier aspect s’éclaire si nous reportons notre attention sur la langue. De
nombreux concepts traduisent originellement une action ou une relation qui se
situent dans un espace matériel — c'est un procédé souvent appliqué dans le style
«ordonné» de l’art textile berbère. Le «regard» est tourné vers l'intérieur; il est
longé par un sentier, un espace libre par lequel les opérations mentales pré-langa-
gières s'écoulent au-dehors et sont converties en formes et en couleurs. La plupart
des opérations mentales ne sont pas censurées et filtrées phalliquement; elles
Tapis aux points noués, Marrakech trouvent leur issue et expression en concordance avec un modèle culturel — dans
(Maroc), vers 1950-1960 (285 x 105 cm). ce cas avec une variante locale de la culture berbère.
L'esthétique (et l'éthique) matrixielle s'est traduite dans l’art textile, mais égalé-
ment dans d'autre formes d'expression telles que la danse et le rite. Dans certaines
258 danses solennelles, les Touaregs s'expriment en tant que groupe, en tant que partie

38. Pierre Leconte et al., Chronopsychologie: rythmes et activités humaines, (Psychologie cognitive), Lille, Presses
Universitaires, 1988.
Tapis aux points noués, Bouja ‘d (Maroc), vers 1940-1960 (155 x 110 cm).
Coll. Hersberger, Bâle.
de l'univers dont ce groupe partage les lois. Ici, les mouvements de la danse sont
entièrement ritualisés, comme c'est également le cas pour les ahidous et ahwash des
Berbères de l’Atlas marocain. Pour les Touaregs, les lois cosmiques impliquent le
mouvement. Lors de leurs déplacements, les nomades imitent la marche du
monde en passant par quelques points fixes, l'abri et la source. La fin d’un voyage|
mouvement est le début d’un autre, dans une spirale ascendante qui mène finale-
ment à la fusion, au vide ou au Néant. Le terme qui désigne la cosmogonie ou deve-
nir du monde est tallamata, formé sur le radical ellemi, «se répandre», avec l’idée
d'une ef-fusion et d’un mouvement continuels, d’un flux. L'univers consiste en un
certain nombre de mondes qui s'emboîtent sans fin, dans un infini absolu. L’uni-
vers est foncièrement dynamique avec ses mondes jumeaux et opposés (à compa-
rer à la matière et à l’antimatière dans la cosmologie occidentale). Cette opposition
est le moteur de la course du monde et de l'univers dans sa totalité?”
La danse gumaten, qui induit la transe, vise à l'inta, le moment de l’espace har-
monieux où les deux mondes se croisent et où toutes les contradictions s’effacent.
Cette visée s'appuie sur deux types de danse: esawel, «faire descendre», avec des
mouvements de tremblement qui symbolisent le parcours d'étapes ; et ewelanken, le
balancement vers l'avant et l'arrière qui évoque le déplacement. La danse féminine
weliwel possède également une forte charge symbolique. Le terme désigne «la
répartition du poids, la réharmonisation» — pratique matrixielle par excellence,
qui résume à merveille le style de vie féminin. Cette danse fait tourner les femmes,
chacune comme un monde en soi. Elles interrompent parfois leur rythme tour-
noyant pour heurter du derrière une compagne-danseuse (d’où le nom de «danse
des cuisses »). Ce faisant, elles miment la multiplicité des mondes dans leur spirale
propre, qui ne cesse de toucher l’autre (monde) et de le propulser par cette trans-
mission d'énergie.
Les danses rituelles du Haut et de l’Anti-Atlas offrent la même référence au lien
frontière, à l’entrecroisement, à la réadaptation réciproque constante, à la succes-
sion et au remplacement créateur mutuels. L'ahwash des Ida ou Zeddout comprend
cinq phases: irizi («la rupture»), amkhellif («l’entrecroisement »), tamassoust («celle
qui secoue »), tazerrart («celle qui fait advenir ») et amarg («l'acte de briser »). Le dérou-
lement est le suivant: (1) les danseuses, en costume d’apparat, forment une seule
rangée. Le rythme 3+ 2 +3, qui n’est joué que dans cette phase, évoque la rupture.
On chante quelques refrains fixes. Les femmes se disposent en deux demi-cercles
qui se font face. Jrizi signifie également la préparation de la terre au labour, l'«éven-
tration»; (2) dans l’amarg, un chantre entame d’une voix très aiguë un chant qui
peut être satirique ou critique, mais également élogieux. La suite de la cérémonie
dépend de l'option prise: si le ton est négatif, on poursuit par l'amkhellif; sinon, par
le tamassoust ;(3) l'amkhellif est chanté sur un ton grave, sérieux ;le tempo est régu-
lier et ne se précipite pas. Les paroles d’un refrain appellent celles du suivant. Le
changement des expressions traduit l’idée centrale de l’amkhellif: la répartition
constante d’un poids, une correction continue. La gravité «croise » le ton négatif de
l’amarg. La même idée se manifeste aussi dans le croisement des pieds des dan-
seuses, dans le léger balancement du corps et dans l’entrecroisement et l'alternance
des coups de tambour, d’ailleurs toujours basés sur le bénéfique nombre 5. L’entre-
260 croisement et l'alternance résident aussi dans les répons des deux chœurs. Ainsi, le
chant «tourne» en rond. Le rituel développe les notions de solennité, entrecroise-

39. Encyclopédie berbère, 14, 1994, pp. 2137-2138.


ment créateur (pollinisation croisée) et remplacement, adaptation et redistribu-
tion, devenir permanent. Amkhellif signifie également «bourgeonnement», «bou-
tons, bourgeons (d’une plante au printemps)», l'éclosion d'une vie nouvelle.
Si l’amarg a donné lieu aux éloges du chantre suit alors, avec des paroles douces,
le tamassoust, « celle qui secoue ». Parfois le chant se limite à un seul vers longuement
répété selon une légère variation mélodique. Le style est «léger». La danse peut se
dérouler au gré de différentes figures stylistiques. La plus importante est le «trem-
blement », qui voit les danseuses secouer très rapidement leurs épaules. Dans le
Sous, il s’agit là du moment crucial de l'ahwash. Le tremblement imprime un tré-
molo aux voix des danseuses, de sorte que leurs refrains se morcellent en fractions
de syllabes. Le «tremblement » va de pair avec un intense volume sonore de cris, de
zagharit (youyou), de coups de feu, de chants de l'assistance et d'extatiques rythmes
de tambour. C'est ici qu’on secoue les fruits de l'arbre — car l'ahwash désigne égale-
ment par connotation les différentes phases de la cueillette des fruits: secouer
l'arbre, provoquer le détachement ou le don, ouvrir /briser. Le fruit récolté est éga-
lement l'impact émotionnel intense que cette phase a sur les participants et les
spectateurs. Simultanément, mais d'une autre façon, l'ahwash est une stylisation de
la transe, c'est-à-dire de la voie menant à l'abandon, et — encore à un autre niveau —
de l’accouchement de soi-même, de sa propre renaissance.
La renaissance est semblablement le but d’une autre pratique culturelle au
Maghreb, qui fait également usage d’une forme abrégée d'accès à /sortie de l’In-
conscient, voie qui ignore le détour du remplacement symbolique: la transe*°.

kil
Nous ne faisons pas allusion ici à l’une des nombreuses formes d'«état modifié de
conscience» qui peuvent être suscitées par des drogues, la souffrance, des
épreuves, linsomnie, etc. Nous parlons de la catalepsie qui frappe instantanément,
de l’inconscience totale provoquée par le truchement de rituels déterminés. Cette
2h.
transe est une re-plongée en soi, une annulation de la distance que tout être

8j|
humain ressent par rapport à lui-même. Il s’agit d'un mouvement qui supprime le {
qe,
ne

dédoublement, l’aliénation en tant que conséquence indissociable de l’accès à l'hu-


manité. Le résultat est une expérience temporaire de ce que certains désignent par
le mot «unité», appellation qui nous paraît peu heureuse parce qu'elle crée une
impression de réduction «phallique». Il vaudrait mieux parler de «plénitude»,
d'«accomplissement »: d'une expérience qui flotte entre un vide libérateur et une
bienfaisante solidarité. La langue n’est évidemment pas à même de rendre pleine-
ment compte de telles sensations. La langue exprime, ordonne, scinde; la transe
im-prime, guérit, annule les lois et règles des rapports sociaux. La transe a pour but
une guérison de l'esprit; selon les conceptions holistiques traditionnelles, cette
guérison requiert une mobilisation totale de l'individu. La transe n’est possible
qu’en vertu d’un paradoxe: il faut à la fois «s’abandonner» et rassembler l'énergie
psycho-corporelle, ce qui provoque une percée fulgurante vers l'inconscient — ou
vers une autre forme de conscience. La culture occidentale a toujours eu peur de
cette percée, c'est-à-dire de la perte du contrôle ou de ce qui était considéré comme Tapis aux points noués, Oukaimeden
contrôle. La transe des femmes du Maghreb est un moment d’auto-guérison et (Maroc), vers 1960 (137 x 102 cm).
d'auto-recréation. Le symbolisme de la renaissance autour du rituel de la transe
témoigne clairement de la conscience implicite de la matrixialité du processus.
Il est propre aux cultures scripturales élitaires, surtout au sein de la tradition 261

occidentale, d'expliquer cette réalité par recours à des mots, qui créent nécessaire-

40. Voir notre étude Vols d'âmes. Danse et transe dans les traditions afro-européennes, Gand, Snoeck-Ducaju, 1997.
ment une distance. Les communautés archaïques ne partagent pas ce principe:
elles n’expliquent pas le monde en passant par la langue. Pour elle, la réalité n’est ni
visible, ni fixée. Elle est ressentie par le biais d'actions et de sensations possédant
une forte charge transsubjective: l'individu n'en est pas l'explication ou le moteur,
mais seulement le véhicule. Il est impossible de saisir dans un exposé verbal et
linéaire les processus concernés — qui ne sont acquis qu'en partie.
Au cœur de la transe se situe le paradoxe de l’auto-abandon et de l'union.
L'union qui offre l'accomplissement et la guérison est le «nœud» de différents
champs de représentation et de désir, et du «fondement » psycho-corporel. Lacan y
faisait peut-être allusion en parlant des trois champs intra-psychiques qu'il voyait
impliqués comme des anneaux dans un nœud borroméen, espèce de tissu tri-
dimensionnel formé par le Réel“, l'Imaginaire et le Symbolique. Seule la femme,
dit Lacan, parvient à unir les trois. «Et tel est son don: de montrer ce qu'est vrai-
ment un nœud*?.» Ou encore: de montrer comment le corps et la psyché peuvent
se raccorder l’un à l’autre.
L'art textile n'est-il pas la transplantation esthétique de ce tissu, comme il l'est
du tressage et du tissage du réseau social? Et la métramorphose n'est-elle pas le
processus de l’imbrication et de l'échange entre différentes psychés, basé sur le
tissu corporel du Réel dont s'écoule une connaissance qui ne dépend pas d’un
signifiant?C'est le raccordement fulgurant d’un objet a au Réel en tant que chaînon
manquant dans le sujet que la transe réalise.
L'abandon, la capacité de «laisser aller », appartient semblablement à la dimen-
sion matrixielle. C'est l'acceptation du non-contrôle, de la vie-après-moi, du lais-
ser être/devenir. C'est une transposition symbolique de l’enfantement, le
«lâchage» le plus fondamental de la nouvelle vie, reflété dans l'achèvement de
l'œuvre d'art. (On renvoie ici aux innombrables rites, pratiqués dans tout le Ma-
ghreb, qui consistent à détacher, à couper le textile après son achèvement, comme
s'il s'agissait d’un cordon ombilical#. Le travail est terminé, une vie peut commen-
cer.) Ce laisser-être /devenir est fondamentalement dirigé vers l’autre, et non vers le
soi. C'est un don gratuit, comme l’œuvre d'art. Nous touchons ici à une éthique
matrixielle fondamentale pour la culture féminine traditionnelle ;elle est ancrée
dans l’art féminin et préfigurée dans la grossesse. La gestation comme devenir,
l'utérus comme la possibilité-du-laisser-devenir, la matrix comme espace symbo-
lique des processus du devenir de la signifiance et de la conscience. (La pensée
«masculine » est centrée sur l’être [ou le non-être], sur l'essence ou la négation.)
Cette expérience relie les générations par-delà leurs propres limites.
Lichtenberg Ettinger insiste sur ce fait: la grossesse et l'utérus ne forment pas le
fondement d’une «psychologie de la féminité» dans un contexte de réduction-
nisme biologique: «La base de la subjectivité-comme-rencontre dans le lien qui
s'installe entre le non-encore-sujet et la mère/Autre-en-devenir, dans et avec son
site nomadique originel, ne peut pas nous induire en erreur en nous incitant à
chercher dans la biologie la rencontre matrixielle presque manquée, pas plus

*
41. Le «Réel» dans la psychanalyse lacanienne est le champ psychique le plus proche de la sensation cor-
porelle: perceptions sensorielles, instincts, pulsions et affects. C'est là qu'a lieu le premier passage
262 d'une entité biologique à une entité psychique.
42. B.L.E, «Matrixial gaze and screen: other than phallic and the late Lacan», in Bodies ofresistance. Cultural
phenomenologies of political embodiment and social enactment, éd. Laura Doyle, Northwestern University
Press, 1999.
43. Voir le chapitre «Des millénaires d'art textile», pp.41sqq.
qu’on n'entend par structure phallique et “ processus de castration ” que la relation
père-fils menace réellement l'organe sexuel mâle**. »
La métramorphose est un passage par lequel des affects, événements, matières
et modes d’être utérins pénètrent par infiltration et se diversifient en direction des
frontières du Symbolique. Toutefois, le concept de «réductionnisme biologique »
nous semble en quelque sorte superflu: la capacité féminine de procréation n'est
pas une limitation mais ouvre précisément pour le sujet l’inconcevable voie vers
l'éthique — la préoccupation de l’autre. L'art textile dont il est ici question naît à la
croisée de l’inéluctabilité corporelle et de la création éthique /esthétique. Ce qui
passe d’un corps-psyché à un autre crée du sens: c’est la proverbiale étincelle qui
jaillit en tant que moment énergétique. Le nœud du tapis provient du croisement
ou de la rencontre de deux fils. C’est sur des oscillations d'attouchement et de pres-
sion, oscillations chargées d’affects — et semblables à celles d’une balance dont les
plateaux montent et descendent alternativement — que se fondent la nomadisation
et le contact dans la marge, des processus de «dépliement », des métramorphoses
ou transformations utérines, d'innombrables échanges de sons et de silences, de
lumière et d’obscurité, de mouvement et d'immobilité, de micro-expériences sen-
sorielles de relations toujours changeantes. Les processus métramorphotiques
prennent inconsciemment forme dans l’art textile berbère. On y reconnaît la peur
du «mauvais œil» qui gèle tout ce qu'il fixe, qui se sert de sa perception comme
d’un moyen de pouvoir opérant à partir d’un point central. Le regard dans le tapis
est centrifuge. Le regard du spectateur est constamment chassé vers un ailleurs,
vers des formes qui (dans le style spontané) ne se laissent jamais fixer, dont l'éner-
gie ne cesse de s’essaimer en une transformation continue. La «conscience de la
marge » fonctionne entre des champs qui sont en situation d'échange réciproque
— y compris en dehors de l’œuvre d'art.
Le regard dont il est ici question est une accumulation de «vues » différentes. Le
regard se repliant sur lui-même de la tisseuse élimine la contrainte de l'ordonnance
consciente :la contrainte de la symétrie, de l’uniformité, de la répétition, du «per-
fectionnement» technique. L'asymétrie caractérise l’art textile berbère, comme
d’ailleurs bien d’autres traditions d’art textile féminin. Le phénomène est si
répandu et si fondamental dans cet art qu’il ne saurait dépendre du hasard. Ce n’est
pas que la symétrie soit ignorée :de nombreuses compositions «jouent » de la ten-
sion entre la présence déguisée d’un axe ou point central et sa suppression ou son
ébranlement. Ce processus s'explique par l’activité d’un regard non exclusivement
phallique et par l'intuition de relations asymétriques à travers les processus utérins
en formation (métramorphose)*.
Dans son iconographie «embryonnaire», l'art textile berbère accorde une
grande attention à l'interaction entre la «femme enceinte» et le «fœtus» — pour
autant que ces concepts puissent être employés ici. Nous faisons allusion aux
motifs, si fréquents dans le style «libre», que nous désignons comme un espace-
avec-contenu. Tant cet espace que son «contenu » ne connaissent pas de frontières
strictes: ils s'élargissent ou rétrécissent, sont «stables » ou «tremblent » et «bou-
gent, présentent des délimitations nettes ou se fondent l’un dans l’autre. Ils sont
engagés dans une interaction continuelle, que seul l’art urbain, courtois et mascu-
lin codifiera en différents motifs ne présentant plus qu'une disposition purement 263

_ 44. B.LE, «Supplementary jouissance», in Almanac ofPsychoanalysis (Tel Aviv), 1, 1998, p.167.
45. B.L.E. 1994 (voir note 19), p.44.
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264

Tapis aux points noués, Telouet (Maroc), XIX' siècle (360 x 160 cm).
décorative. Dans l'art autochtone, il s'agit d’entités — un autre concept ne nous
vient pas à l'esprit — qui ajustent à l'infini leur position réciproque, l'adaptent, la
simplifient ou la compliquent: le Moi et le non-Moi engagés ensemble dans un
devenir perpétuel, explorant et transformant sans cesse leurs frontières mutuelles,
adoptant une nouvelle position l’un par rapport à l’autre. La façon dont ces mou-
vements sont mis en forme et en couleur rappelle souvent les représentations
embryologiques. Même la psychanalyse moderne a eu recours à des métaphores
embryologiques pour parler des processus primaires. Lacan voyait l'objet a comme
un creux «extime ». Donnant suite à la représentation d'un creux se scindant, Lich-
tenberg Ettinger voit les possibilités suivantes: (1) la scission de l’objet a en deux (et
par la suite en plusieurs) entités ; (2) le partage d’un objet a par deux (ou en principe
plusieurs) sujets ; (3) la composition de l'objet en plusieurs éléments incompa-
tibles ; (4) la ramification des germes de l’état subjectal entre différents individus*?.
Cette saisie en termes embryologiques de l’'Objet perdu ne se manifeste-t-elle
pas dans l’art textile — par exemple dans les multiples apparitions du motif sans
nom en tant que pré-Méduse — ou encore dans la dentelle européenne? «Il peut
adopter une série de formes, étant entendu qu'il est lui-même sans forme. Il
ne peut être pensé que comme orifice. L'œil et l'oreille sont des orifices ; quelle ré-
percussion cela a-t-il sur le fait que la vue et l’ouïe connaissent des perceptions
“sphériques”#?»
Quand le corps entre en ligne de compte dans cet art, ce n’est pas le corps visible
mais le corps vu par les yeux de l'inconscient. Les pulsions créent une «carte » par-
ticulière du corps, laquelle n'est pas informée par quelque processus de perception
consciente de ce corps. «Lorsque nous parlons du corps, ce n’est jamais le corps qui
parle. Notre discours est enraciné dans une culture et une histoire données, qui
produisent un reflet du corps. D'autres civilisations “modèlent” le corps selon
leurs besoins. Le modèle corporel exprime des points de vue politiques et sociaux,
des rapports de force, des conceptions scientifiques, des idées philosophiques et
psychologiques, de même que des convictions artistiques. Du corps nous décou-
vrons ce que notre culture, à l'intérieur de nos champs épistémologiques, nous
laisse découvrir". » Le corps, dans cet art, est un corps psychogrammatique.
«Dans le champ artistique et esthétique, je sais, étant donné que le Moi
matrixiel porte en lui des traces d'expériences du non-Moi matrixiel, je sais où
— dans l’autre et par mes réactions affectives —, et les autres savent où — dans mon
œuvre — des traces ont été transformées et inscrites. Lorsque apparaissent des
trans-scriptions traumatiques, elles sont connues par le biais de mouvements de
déférence, compassion, effroi, étonnement, désir, et ce même si ce qui est
“raconté” n’est pas un récit et si ce qui est “vu” n'illustre rien“”.»
«Ainsi, des fantasmes, des affects et des sensations sont scindés à l’intérieur
d'une co-subjectivité entre différents membres de différentes générations (...).
Nous sommes en même temps un et plusieurs, nous sommes en contact, dans le
passé et par rapport à ce qui doit se produire, avec des traces d'expériences et de
relations de l’autre (...). Le tissu matrixiel fantasmatique du Moi et du non-Moi
contient les vestiges de leurs impétueux affects et les traces des relations

46. B.L.E. 1997 (voir note 16), p.386. 265


47. B.L.E. 1995 (voir note 13), p.23.
_ 48. B.LE, « Woman as objet a between phantasy and art», in Complexity. Journal ofphilosophy and the visual
arts, n° 6, 1995, p.57.
. B.L.E. 1999 (voir note 31).
archaïques avec l'Autre et les autres, traces de ceux qui ont été”°.»
50
Ces liens fronta-
liers symboliques (borderlinks) se manifestent dans l’art berbère. On y trouve sou-
vent des textiles qui semblent en relation artistique mutuelle, comme si l’un com-
mentait, assimilait, anticipait, corrigeait l’autre. C’est également le cas dans l’art
occidental, mais le contexte y est différent. Depuis le Moyen Âge, les artistes occi-
dentaux ont tenté de voir le plus grand nombre possible d’autres œuvres, afin de
les assimiler et d'y puiser de l'inspiration. À cette fin, ils entreprenaient des
voyages, et à partir du XV° siècle ils s’appuyèrent sur la diffusion de modèles sous
forme de gravures. Rien de tout cela au Maghreb. Les jeunes filles apprenaient à tis-
ser dans la tente ou demeure familiale, milieu qu’elles ne quitteraient pas avant leur
mariage. Elles ne pouvaient admirer, le cas échéant, que les tapis des femmes de
leur entourage. Toutefois, des points de contact artistiques, des similitudes de
solutions, des correspondances poussées peuvent s’observer entre œuvres ayant
vu le jour à une grande distance les unes des autres. Il existait manifestement un
code partagé par de nombreuses générations successives sur un territoire très
étendu.
L'art textile berbère possède une nette dimension éthique. Sans doute ne com-
munique-t-il aucune règle morale: l'exposé langagier lui est étranger. Cependant,
une connaissance «non pensée » se forme dans les zones frontières matrixielles’’.
La dimension éthique accompagne la forme infiniment changeante. Elle était
accessible aux femmes qui partageaient cette culture et peut-être encore à tous
ceux qui, aujourd’hui, ne se sont pas coupés de la réceptivité matrixielle. Cette der-
nière forme — contemporaine — d'accessibilité ne peut cependant pas être une
copie de l’accessibilité originale: nous possédons fatalement une autre capacité
d’entendement.
La dimension éthique donnée-dans-la-forme, qui peut être «lue» par le biais
d'un décodage pré-langagier, ne forme-t-elle pas une contradiction pour l'homme
moderne? Comment une idée peut-elle jaillir et se transmettre intuitivement, en
dehors du langage, en dehors de la conceptualisation langagière? Nous croyons
non seulement que cela est possible, mais qu’il s’agit d’une condition fondamen-
tale à la naissance de signifiance et de compréhension. Il est rare que nous nous
surprenions à ressentir une telle activité dans la transition instantanée à la
réflexion et à l'assimilation langagière de cette activité. Les «signifiants formels »
sont porteurs de telles «visions». Au niveau esthétique, l'œuvre d'art comporte
parfois une promesse de révélation de ce qui était encore une non-connaissance.
L'art et la réflexion intellectuelle sont des pratiques différentes qui sollicitent
d’autres sources, mais elles peuvent transmettre des contenus analogues. La distinc-
tion entre sentiment et intuition d’une part, connaissance ou discours langagier
d'autre part, ne saurait être niée, mais elle a pris un caractère inutilement absolu
dans la pensée occidentale. Toute nouvelle connaissance fondamentale, y compris
scientifique, naît grâce à un changement intuitif de modèle psychique : une preuve
est fournie après coup pour uneintuitionirrationnelle. La conceptualisation intel-
lectuelle se situe à la fin d’un trajet, après l'attente d'une formulation presque
impossible. L
On se demandera en plus sur quels fondements repose le rapprochement
266 d'œuvres dues à des femmes maghrébines analphabètes et d’une théorie occiden-
50. B.L.E.1997 (voir note
16), p.403.
51. C.Bollas, «The transformational object», in The shadow ofthe object. Psychoanalysis ofthe unthought known,
Londres, Free Association Books, 1987, pp. 13-06.

fier
tale d'avant-garde. En outre, ce rapprochement exige une comparaison entre des
médias différents: art textile, pratique psychanalytique et écriture scientifique.
Des preuves «mathématiques » font défaut.
La matrix nous mène à l'énigme de la transmission de traces d'expériences aux-
quelles nous n’avons pas pris part, dont nous n'étions pas témoins, dont nous ne
gardons aucun souvenir personnel. Freud (1933) s'interrogeait déjà sur la transmis-
sion d’un «patrimoine archaïque », sur la reproduction d'expériences ancestrales et
leur surgissement dans l'imagination. Il voit ce phénomène comme une mémoire
«phylogénétique». La perspective matrixielle offre une solution à cet égard”. La
zone frontière matrixielle est un milieu psychique de rencontres ou de points de
contact (non pas au sens de «correspondance ») entre le Moi et le non-Moi, où des
traces et des ondes sont échangées et ressenties par des sujets partiels dans un pro-
cessus se réalisant par-delà les frontières du sujet. Ainsi s'effectue une «transcrip-
tion » qui est à la base des contacts signifiants entre le sujet et les autres /le monde.
Cette «transcription » créatrice, qui se déroule dans les deux sens, est un modèle du
mystère de l'empreinte laissée par la réalité du non-Moi sur l'artiste et de sa révi-
sion créatrice par celui-ci. On pourrait parler d’un métabolisme psychique qui trans-
gresse les frontières des sujets. Ce métabolisme est évoqué dans le style «spon-
tané » de l’art textile berbère.
Quel est dès lors le rapport entre la connaissance et l’éthique de la culture
«archaïque » des femmes berbères d'une part et celles des théoriciennes et femmes
artistes contemporaines d’autre part? La distinction se situe à la frontière de l’im-
plicite et de l’explicite. Dans la culture féminine traditionnelle, cette connaissance
et cette éthique étaient présentes implicitement, c'est-à-dire réellement mais sans
inclusion dans un discours qui pouvait être présenté à d’autres. L'explicitation, la
distance et la métacritique par l'écriture comptent parmi les acquis modernes.
On se gardera de se représenter les deux traces, phallique et matrixielle, de créa-
tion signifiante et de création artistique comme des contraires. L'une et l’autre pos-
sèdent de nombreuses gradations et changements d'intensité. En outre, il n’est pas
vrai que le système «phallique» soit le propre de l'homme et que le système
«matrixiel » soit réservé aux femmes. Les deux sexes ont accès aux deux principes,
encore que ce soit dans une mesure différente”. Il existe une différence de déve-

52. «Les traces d’affects utérins et de menaces non conscientes hantent une zone transsubjective et diffu-
sent des aspects distincts d'événements traumatiques entre le moi et le non-moi. Ainsi, des événements
qui me touchent de très près mais que je n'ai pas entièrement en main disparaissent par transformation
tandis que mon non-moi en devient également le témoin. Il peut donc se faire, en raison de ma subjec-
tivité précoce ou de la teneur très traumatique des événements, que je ne puisse nullement assimiler
“mes” rencontres en moi-même. Dans la sphère psychique matrixielle, “mes "impressions seront transcrites dans
l'autre, et tout d'abord dans la mère /Autre. Ainsi, mes autres assimileront pour moi mes événements traumatiques,
tout comme ma mère |Autre a assimilé des événements archaïques pour ma subjectivité précoce et vulnérable. Donc,
la spécificité corporelle féminine est le lieu physique, imaginaire et symbolique où surgit une différence
féminine par laquelle la “femme” est tissée non pas comme une figure limitée au seul corps, mais
comme un entrelacement hybride de relations entre diverses personnes accédant, grâce à la formation Tapis aux points noués, Alfreja (Maroc),
de ce réseau, à un régime d'échanges réciproques. La métramorphose, en tant que support d’une telle XIXS siècle (265 x 165 cm).
différence originelle et de sa possibilité transformatrice, crée des stades de co-émergence et de co-dis-
parition comme signifiance et “transcription ”, comme mémoire de l'oubli. Un domaine esthétique très
spécifique apparaît dans l’espace-frontière matrixiel, avec la métramorphose en tant que processus
poético-artistique à implications éthiques. » B.L.E. 1998 (voir note 12). 267
53. Mentionnons ici La Création de l'homme de Michel-Ange à la chapelle Sixtine, et plus particulièrement le
détail du «presque-contact» de l'index divin et de la main d'Adam. Un presque-contact, une presque-
anthropogenèse, une énergie qui se communique : moment matrixiel par excellence. Est-ce la raison de
la célébrité de cette représentation de la création ?
loppement psychique (peut-être co-déterminée par la spécificité biologique) qui
fait pencher les hommes davantage du côté phallique, les femmes davantage du
côté matrixiel. Apparemment, les femmes accèdent plus facilement aux deux.
(La constatation universelle d’une tendance plus nette chez la femme à la migra-
tion intérieure et à la «com-passion » semble liée à cette différence. Les principes
éthico-religieux de compassion et de responsabilité, suscités par le regard de
l’autre, témoignent de cette éthique matrixielle.) Les deux systèmes de signifiance
sont présents dans l’art. Même l’art le plus officiel et le plus «masculin » se nourrit,
même s’il le fait de façon tacite et indirecte, à la source matrixielle.
L'art textile pratiqué par et pour des femmes procède à d’autres accentuations.
«Sinous pouvons retrouver dans l’art des traces de la matrix, celles-ci témoignent
de la résistance féminine à tomber dans la psychose ou le mysticisme.…..%*» Étant
donné que les systèmes culturels unifiés et dominants au sein des religions mono-
théistes étaient patriarcaux /phalliques et comme les femmes, de façon générale,
évaluaient tacitement cette situation culturelle à sa juste valeur, les issues tolérées
pour les femmes qui ne voulaient pas s’aligner entièrement sur ces systèmes
étaient rares: la folie ou la mystique. Cette dernière possibilité visait à la suppres-
sion de toute expression visuelle et langagière, afin d'ouvrir l'accès au Néant, c’est-
à-dire à l’abîme de Dieu, ou de l'Indicible du fondement de l'existence, ou de la pro-
fondeur ineffable de l'inconscient.
Sous les religions monothéistes, la contrainte de la culture masculine et le sys-
tème symbolique annexe étaient si totalitaires qu'il n'y avait pas d'espace à l’inté-
rieur du Symbolique permettant d'exprimer une irréductible spécificité féminine.
Un témoignage récent de cette situation est, dans le monde de la psychanalyse
occidentale, la thèse lacanienne de l'impossibilité de manifester une spécificité
féminine au niveau symbolico-culturel. Or, l'art textile berbère est une expression
d'une culture féminine matrixielle. En raison de circonstances historiques, les
conditions sociales de la vie tribale — et particulièrement la ségrégation des sexes —
ont continué à exister en Afrique du Nord jusqu'au XX° siècle. Bien qu’elle nous
rappelle l'apartheid et des cloisonnements basés sur des critères doubles, cette
ségrégation créait un espace symbolique libre à l’intérieur duquel les femmes pou-
vaient, malgré la dominance et la répression masculines, préserver et vivre leur
créativité. La société traditionnelle se basait sur le principe que les femmes et les
hommes étaient différents. Le déséquilibre des forces était total, pourtant aucun
homme n'aurait songé à combattre et à remplacer la culture «autre » des femmes.
Certes, la vie de ces femmes se limitait principalement aux enfants et aux soins,
mais pas entièrement: autour de leur matrixialité créatrice de signifiance, elles
développaient une culture riche, impliquant de façon fondamentale une éthique
centrée sur l'autre. Dans leur art textile, cette culture se manifeste par le style
«matrixiel» et les signifiants formels, psychogrammes qui mettent en image — en
image abstraite — et par recours à la synesthésie une intuition extra-langagière.
Tapis aux points noués, Chichaoua Il n’est pas surprenant qu'une symbolique «autre » ait joué à cet égard un rôle
(Maroc), vers 1910 (278 x 185 cm). central ou du moins très important. Elle était la voie par excellence du maintien
d’une réflexion — symbolique — portant sur le Moi féminin”. La «féminité», dans la
mythologie informulée des femmes berbères, semble s'apparenter à la shakti du
268
54. B.L.E. 1996 (voir note 28), p.136.
55. Ce Moi n'est évidemment pas une essence intemporelle. Toute réflexion intuitive et intellectuelle à ce
sujet est liée à d'innombrables expériences liées au temps vécu. Cependant, en comparaison avec la
modernité, le cadre d'expérience d'une société rurale traditionnelle restait extrêmement stable.
tantrisme indien: tandis que le dieu Shiva est un être passif, sa shakti ou Déesse est
le symbole de la force cosmique continuellement créatrice. Dans le monde maté-
riel elle est floue, difficilement décelable. D'après les Tantratattva, «c'est par elle que
les mondes se manifestent ;c’est elle qui les maintient dans le flux de l'existence et
finit par les absorber à nouveau ». À une échelle réduite, la Déesse se manifeste dans
le serpent Kundalini. Celui-ci grimpe le long d’un axe psychique vertical (susumna-
nadi), parallèle à la colonne vertébrale, traversant différents stades. Shakti est le
mouvement initial, la confirmation de la vie, la source de toute distinction, mais égale-
ment la pulsion vers la conscience. Shakti est essentiellement matrixielle. Le principe
féminin est parallèle au principe masculin, mais le dépasse. L'adepte du tantrisme
a recours à des représentations visuelles dont les plus avancées sont abstraites: les
yantra et les mandala. Yantra signifie : «moyen de maîtrise»; les forces et pulsions
mentales, conscientes ou inconscientes, doivent y être reflétées ou projetées.
Ainsi, le yantra favorise la connaissance intérieure. Le mandala est plus complexe
que le yantra et vise à l'intuition de processus mentaux correspondants, psycho-
grammes aussi bien que cosmogrammes, et qui sont nettement liés à la personne.
Leur diversité s'explique par le caractère relativement unique de l'expérience exis-
tentielle de l'individu. Les vantra les plus «élevés » sont géométriques et abstraits. Ils
ne sont pas basés sur la matérialité : ce sont des emblèmes de modèles énergétiques
dans le microcosme et le macrocosme*°.
L'art textile berbère prête également une expression à ces diagrammes énergé-
tiques. Leur façonnage artistique dévoile les processus de la matrix, lesquels com-
mencent seulement aujourd’hui à trouver une interprétation dans le discours lan-
gagier, mais qui étaient présents depuis des millénaires en tant que connaissance
implicite.
L'opinion générale reste que le tissage traditionnel n’est pas un «art». On sou-
ligne que les tisseuses étaient des femmes continuellement chargées de l'exécution
de lourdes taches domestiques. Cela correspond indéniablement à la vérité, et ces
femmes ne pouvaient donc tisser qu’à leurs moments de liberté. «Étant donné ce
style de vie, il n’est pas étonnant que la plupart des tisseuses manquaient d’inspira-

56. Ajit Mookerjee & Madhu Khanna, The tantric way. Art, science, ritual, Boston, Graphic Society, 1977, p.16.
Voir également: Le tantrisme dans l'art et la pensée, cat. exp., Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1974. L'ob-
servateur occidental considérera comme non scientifiques et indémontrables de telles mises en rap-
port de l’art textile berbère avec d’autres traditions culturelles. I1ne s’agit cependant pas d'«influences ».
Il serait absurde, par exemple, de faire état d’une influence du tantrisme sur les femmes maghrébines.
Les cultures rurales ou nomades traditionnelles les plus diverses, qui possédaient une vision holistique
du monde et de l'homme, ont développé des modèles d’intuition et de pensée apparentés. Cette pro-
duction avait lieu à partir de la base, à partir du limon de la réalité quotidienne, des «obscurs » proces-
sus utérins. Leur vision s'exprimait et se transmettait par le truchement d’une langue mythico-
po(i)étique, de rituels, de danses, de poésie, d'expériences mythiques et mystiques, d'un énorme
arsenal d'images et de formes. L'intuition a précédé le discours. Au XIX' siècle, plusieurs auteurs publiè-
rent des études comparant les cultures, et particulièrement les mythologies, qui ne reculaient pas
devant un panorama mondial. La série monumentale de James Frazer, Le rameau d'or, constitue un som-
met à cet égard. Par la suite, les informations superficielles, les demi-vérités et les grands manques de Tapis aux points noués, Benni Zemmour
cette approche furent soumis à de violentes critiques. Les scientifiques attachés à des méthodes stricte- (Maroc), vers 1960 (136 x 79 cm).
ment empiriques ne juraient que par des recherches approfondies consacrées à un domaine réduit et
clairement délimité. Seuls des amateurs persistèrent jusqu’à aujourd’hui à pratiquer une approche
ample à l’ancienne. C'est très certainement à juste titre qu'on a épinglé les dangers d’une telle approche.
Mais l'étude du folklore, l'anthropologie et les sciences culturelles comparatives en étaient encore à
leurs premiers balbutiements lorsqu'on publia ce genre d'études généralisatrices. Entre-temps, ces dis-
ciplines ont fourni une masse confuse de données. Les savants ont choisi «leur» territoire, le fraction-
nement n'a pas cessé de se poursuivre. Ce processus, entamé au nom de l'esprit scientifique, menace de
se ramifier à tel point que disparaît la possibilité de saisie d’un ensemble plus large.
tion et d'énergie pour créer de nouvelles compositions: elles en connaissaient déjà
quelques-unes, et l’on n'attendait rien d'autre que la répétition de la tradition”. »
Les communautés rurales n’appréciaient guère les explosions de créativité ou la
rébellion face à la tradition. On exigeait la maîtrise technique du tissage et la fidélité
au répertoire de motifs transmis de génération en génération. Les tisseuses répon-
dirent à cette exigence mais elles firent également ce que l’on n'attendait pas
d’elles: créer un art inutile, autonome, qui n'était pas commercialisable et ne
répondait pas plus aux attentes artistiques courantes que ne le firent les petites
toiles de Van Gogh durant les années 1880 ou les «peintures noires » de Goya dans
les années 1810. Les textiles exécutés dans le style «libre » ne furent en effet jamais
destinés à la vente.
Il semble exister une contradiction insoluble entre d’une part la liberté et l'au-
dace de cet art, et d’autre part la soumission des femmes dans la culture maghré-
bine. En effet, les tisseuses vivaient dans un état de servitude difficilement conce-
vable selon les normes (occidentales) actuelles. En outre, elles ne disposaient que
d'un outillage très archaïque. Leurs poteries étaient fabriquées à l’aide de tech-
niques très anciennes, sans tours et sans fours. Jusqu'au siècle précédent, leur vête-
ment pouvait se comparer au costume méditerranéen tel que le connaissait par
exemple l'Antiquité grecque. Elles possédaient des outils rudimentaires, dont
l'usage exigeait une lourde dépense physique. Les tâches journalières (surtout la
préparation de la nourriture et les soins des enfants) prenaient énormément de
temps.
En elle-même, la technique du tissage requiert une maîtrise particulière de la
créativité. Le dessin et la peinture permettent d'exécuter en quelques instants des
lignes et des formes complexes: l'impulsion momentanée peut être convertie
immédiatement en image. Le tissage, par contre, se déroule dans une dimension
temporelle différente: une fois la chaîne installée, il s'agit d'insérer péniblement,
l’un après l’autre, les fils de trame, et éventuellement les rangées de nœuds; et la
mise en place du fil ou des nœuds à l'aide du peigne de fer est une corvée ardue sur
des métiers non encore modernisés. Pour se matérialiser dans un travail de plu-
sieurs semaines ou mois, l'impulsion créatrice momentanée doit être «retenue », ce
qui suppose une grande maîtrise de sa propre inspiration. (Cette maîtrise peut
d’ailleurs mener à la monotonie, dans les cas où l'inspiration se perd durant la
période d'exécution.)
L'art textile berbère témoigne d'une possibilité que l’on attribue volontiers en
Occident à l'artiste individualiste moderne: celle de prêter forme à une expérience
vécue dans le repli sur soi et grâce au regard intérieur que cela implique. Les cul-
tures tribales ou rurales traditionnelles se caractérisent par la similitude des
convictions, y compris dans le domaine esthétique. L'art tribal et l’art rural connaî-
traient des normes esthétiques où prévalent les modèles fixes et la répétition.
Même indépendamment du fait que nous avons peut-être perdu la «clé» d'accès à
Tapis aux points noués, Oulmès (Maroc), ces normes, nous pouvons constater que le style dit «spontané » de l'art textile ber-
vers 1930 (190 x 125 cm). bère laissait parfaitement place à un individualisme extrême. Ce que nous appe-
lons un «repli» dans la profondeur du soi allait plus loin que ce qui s'observe dans?
la plupart des arts masculins. Sans doute l'abstraction contemporaine est-elle dans
certains cas comparable sur ce point.
L'art textile berbère nous fournit encore uneillustration d’une autre réalité fon-

57. James Mellaart, Belkis Balpinar & Udo Hirsch, The Goddess ofAnatolia, Milan, Eskenazi, 1980, vol.4,p.09.
damentale. Les créations artistiques les plus élevées pouvaient voir le jour dans le
contexte d’existences strictement contrôlées. En effet, les activités des femmes,
dans les communautés maghrébines traditionnelles, était soumises jusque dans
les moindres détails à un code de comportement extrêmement sévère. Cependant,
la combinaison d’une répression patriarcale et d’un espace libre symbolique‘ per-
mettait à un art féminin de s'épanouir. Nous croyons aujourd’hui que la liberté est
nécessaire pour libérer la créativité individuelle. L'artiste tente de réaliser cette
liberté de façon maximale dans sa propre vie, comme si elle offrait une analogie de
sa liberté artistique. L'artiste maghrébine procède autrement. Elle ne libère pas sa
créativité grâce à mais malgré son assujettissement. Ce n'est pas une liberté phy-
sique mais une migration intérieure qui accompagne sa pulsion créatrice.
Ce livre ne fait que rassembler les premiers fragments d'une mosaïque gigan-
tesque qui, à travers des manifestations multiples, a prêté une forme vacillante à
une vision du monde féminine et matrixielle. Ces formes changeantes nous sem-
blent étranges : il en est beaucoup que nous ne reconnaissons même pas. Pourquoi
pas? L'histoire est en partie aveugle: elle conserve sans distinction de nombreux
artefacts ou fragments d’information. Comme les médias et les instruments idéo-
logiques furent essentiellement entre des mains masculines durant les derniers
millénaires, nous sommes en présence aujourd’hui d'une profusion de produits
culturels et de conceptions «phalliques », dont une bonne part est conservée avec
grand soin. Néanmoins, d'innombrables fragments de l’autre culture ont continué
à exister: mythes, contes, rites, patrimoine religieux, vestiges juridiques, œuvres
d'art. Tous ces fragments sont isolés et apparaissent à l'improviste entre les struc-
tures de la culture masculine. Ils ne s’intègrent qu’à grand-peine, ou pas du tout,
dans ce canevas. Ils ne peuvent pas être conceptualisés dans la pensée culturelle
ancienne ou moderne. Leur signification n’est pas identifiable — du moins à partir
de l'approche dominante. Cependant, plus nous remontons dans l’histoire vers le
néolithique, plus nous nous heurtons à ce paradoxe: tandis que les sources per-
dent leur cadre langagier en raison de l'absence d'écriture, les fragments gagnent
en nombre et en cohésion intérieure.
En outre, nous n'avons éclairé qu'une infime partie de l’ensemble de l'iconogra-
phie de l’art textile berbère. De nombreux motifs de base attendent encore d’être

58. Paradoxalement, cet espace libre existait beaucoup moins dans la «libre» Europe. Les structures tri-
bales immuables furent démolies dès le haut Moyen Âge; l'économie de survie connut durant des
siècles une évolution continue vers la prospérité capitaliste; la notion de «liberté » se développa pour
devenir un fondement idéologique et social. Pourtant, c’est précisément dans la culture occidentale
unifiée que l'espace libre symbolique de la femme fut pratiquement anéanti. Certaines communautés
religieuses, du XIII au XVII siècle, et les femmes du peuple dans certaines régions rurales européennes
furent seules à former encore des enclaves de survie de l'ancienne culture féminine. Cette unification
«phallique » visait aussi à l'élimination d'«autres » cultures au sein de la société. Depuis l'indo-européa-
nisation de l'Europe et la patriarcalisation des cultures sémitico-méditerranéennes, des hommes ont
développé des modèles phallocentriques afin d'analyser et de comprendre le monde. Le dieu-créateur
masculin monothéiste est évidemment la figure la plus connue à cet égard. Quant aux religions néoli-
thiques d'Europe et du Moyen Orient, elles vénéraient la Déesse, qui portait en elle les secrets de la vie
et de la mort. La force créatrice du monde et de l'humanité était ressentie par le truchement d'un
\
il modèle utérin. Dans une sorte de mouvement de rattrapage, les hommes ont fait tourner à leur avan-
tage la lutte pour le pouvoir social et accordé la priorité au concept d’un dieu créateur abstrait. Cette
{
révolution culturelle qui s'est déroulée sur des millénaires permet de comprendre à quel point le col-
lectif masculin souffrait de l'envie de l'utérus; l'envie obsessionnelle du pénis est elle-même, dans la
psychanalyse à ses débuts, un exemple type de projection. L'importance de l'existence utérine devait
s'exprimer en dehors du discours officiel: dans des formes artistiques qui suivaient un code différent,
incompréhensible pour les profanes et peut-être même inconscient pour les initiés.
analysés, de même que les motifs composés, souvent très complexes, que l’on
retrouve dans les tatouages, objets en terre cuite et peintures pariétales, ou dans les
vêtements féminins de la Tunisie méridionale (bakhnoug, haïk)”°. Nous sommes
confrontés par ailleurs au problème de la composition des textiles. Pour un certain
nombre de vêtements, et cela dans tout le Maghreb, la structure générale était fixée
d'avance, car liée — selon la région — à la tradition: il n’était pas possible de la
modifier à son gré. Par ailleurs, du moins dans certains cas, le choix du motif était
également une donnée fixe, encore que la composition des tapis aux points noués
et des kilims exécutés dans le style «libre » est souvent unique ou se fonde sur un
schéma de base très souple. Les processus qui sous-tendent ces compositions doi-
vent encore être découverts.

Pour autant que l’on sache, seule une autre tradition d’art textile approche la liberté
et l'autonomie de l’art berbère: celle des tapis gabbeh de l'Iran du sud-ouest.
Dans son agencement spécifique, le style «strict » est «berbère», mais les motifs
individuels remontent à une strate culturelle appartenant à un passé lointain. Cette
strate n'est pas typiquement berbère, même pas typiquement méditerranéenne
ou eurasiatique, mais mondiale. Nous avons indiqué à plusieurs reprises des cor-
respondances avec d’autres œuvres ou types artistiques®?. Ceux-ci remontent, à
l'échelle de la planète, au néolithique et au chalcolithique, c’est-à-dire approxima-
tivement à une période située entre le sixième et le premier millénaire avant notre
ère. Des concordances peuvent être établies jusque dans les détails avec l’arttextile
domestique de nomades et de paysans de tous les continents. Il en va de même
pour les tatouages. Les formes arborescentes caractéristiques des tatouages de
Tunisie méridionale se retrouvent dans les textiles de Rabat (ce qui n’a rien d’éton-
nant puisque cette tradition urbaine a ses racines dans la culture berbère)’ et de
Sardaigne” (ce qui est déjà moins évident), mais également dans un certain

59. Nous préparons une étude à ce sujet.


60. On sera tenté de faire référence à l'exemple de l’art décoratif, qui fait également usage de formes abs- .
traites. Cette comparaison n’est valable qu’en partie. Le répertoire des motifs de l’art décoratif — dans
l'Ancienne Égypte, dans la culture gréco-romaine ou ailleurs — est basé pour une part sur la figuration.
Il s'agissait alors d'objets, d'animaux, de plantes ou de figures qui étaient considérés comme suffisam-
ment importants pour être représentés à divers endroits, et ce en raison de leur signification et de l'ef-
fet qui émanait de leur représentation. Pour la facilité, ils étaient stylisés et transformés par sim-
plification en clichés formels. Progressivement, ils échangèrent leur signification religieuse ou
idéologique avec une fonction esthétique. D'autre part, un système décoratif pouvait également naître
d'une impulsion non liée à l’imitation de la nature : certains modèles et formes étaient dérivés de motifs
réellement abstraits, comme dans l’art textile. (Dans la sculpture et la peinture décoratives, arts déve-
loppés par des hommes, le contraire est également démontrable: des motifs étaient repris à un univers
«féminin » et recevaient, en quelque sorte dans une intention d'éclaircissement, une stylisation réaliste.
Le motif de la Gorgone ou de la Méduse constitue à cet égard un exemple frappant.)
61. Ils y portent le nom de rash, «réseau ». Ils se composent d'un triangle central (gaz), de «bâtons » et d’un
losange avec mouchetures que l’on appelle mezdama, «surface pustuleuse» (Ricard [bibliographie 3e],
vol.1, p.25, ill. 52-53). Ce dernier motif semble correspondre symboliquement à la «bouteille à nodosi-
tés » de la déesse Tanit, telle qu'on la reconnaît sur des stèles funéraires et des statuettes votives de la cul-
ture punico-berbère, et à laforme noduleuse de hérissons utérins votifs en terre cuite, datant de l’Anti-
quité classique ou antérieurs. :”
62. Paolo Lodio, Arte tessile in Sardegna. Simboli e ornati, Sassari, Carlo Delfino Editore, (1987).
63. C'est ainsi que les tatouages tunisiens offrent dans leur structure de remarquables correspondances
27 avec les textiles tampan, tatibin et palepai de Sumatra. Leur motif principal était un navire. Aucune expli-
cation valable n’a pu être avancée jusqu'à présent en ce domaine. Comme ce genre de textiles n’a plus
été confectionné depuis environ 1920, les recherches sur le terrain ne pouvaient aboutir à aucun résul-
tat. Les interprétations politiques et religieuses ne tiennent que jusqu’à un certain point. Les navires
représentés sont extrêmement stylisés et parfois même non identifiables. Le navire est souvent relié à
nombre de traditions textiles d'Asie du Sud-Est” qui remontent à la phase proto-
historique, habituellement désignée comme culture de Dong Son, d'après le site des
découvertes. Cette phase se situe au premier millénaire avant notre ère°*. C'est éga-
lement durant cette période que l’art berbère a dû atteindre sa pleine maturité. De
tels exemples peuvent être complétés à discrétion, par référence également aux
textiles domestiques de l’ancienne Europe. Nous pouvons affirmer que cette
concordance fondamentale provient d’un traitement esthétique parallèle, remon-
tant loin dans le temps°°, portant sur des expériences psycho-corporelles ana-
logues, et du partage par les femmes d’une image de soi similaire®”.
Nous ne nous sommes nullement proposé, dans les pages qui précèdent, d'of-
frir un regard essentialiste sur le «véritable »** art féminin. Nous ne souhaitons pas
marcher dans les traces de générations d’idéologues masculins qui s'approprièrent
le droit de décrire ce qui était et devait être «féminin». Nous avons tenté de com-
prendre une forme d’art pratiquée par des femmes vivant dans des cultures
nomades et rurales. Dans la mesure du possible, ces femmes organisaient leur vie
«entre elles », dans un contexte de ségrégation à l’intérieur de laquelle leur art nais-
sait librement. Leur rôle social, par contre, ne leur laissait pas l'espace d’une
liberté: elles devaient mettre au monde, élever et soigner des enfants (des fils de
préférence), et satisfaire les besoins matériels de la famille sans oublier les besoins
sexuels de leur époux. Dans une telle vie, la fécondité et la création d’une vie nou-
velle occupaient une place centrale — ce qui explique l'importance de la réalité uté-
rine et de ses dérivés analogiques dans leur art. (Cet aspect est la conséquence de
leur style de vie spécifique, en partie conquis de haute lutte, qui est très éloigné de
celui des Européennes d'aujourd'hui. Thématiquement, l’art féminin d’aujour-
d’hui se meut également dans des directions très différentes, tout simplement
parce que le champ d'activité des femmes s’est fortement élargi.)
Parallèlement au mode de vie, et en partie indépendamment de lui, s’affirment
le style, l'esthétique et l'éthique matrixielles de l’art berbère. La matrix symbolique
était peut-être activée par le mode de vie de ces femmes — bien qu’il n'existe pas de

l'arbre de vie. Des formes analogues, telles qu’on en trouve sur les textiles indonésiens, présentent le
kayu ara, une structure de bambou possédant des «bras » faisant saillie, décorée de nattes, de paniers et
de textiles Le kayu ara était installé à l'occasion d'un mariage. On trouve des motifs apparentés dans les
textiles cérémoniels de Bali et de Lombok, et en Thaïlande. Voir Indonesische Textilien. Wege zu Gôttern und
Ahnen, éd. Brigitte Kahn Majlis, Krefeld, Deutsches Textilmuseum, 1984, pp.206-210, et spéc. p.210,
n°165; p.206, n°152 ; p.207, n°156 (pour le kayu ara), et pp. 47-52 (pour les textiles de Bali, Lombok, Thaï-
lande).
64. Patricia Cheesman, Lao textiles. Ancient symbols, living art, Bangkok, White Lotus co., 1988. Voir égale-
ment : Michael Howard, Textiles ofSoutheast Asia: an annotated and illustrated bibliography, Bangkok, White
Lotus, (1994). Pour une autre tradition asiatique :Diana Myers, «The Kushung & Shingkha of Bhutan»,
in Hali, n°78, 1994-1995, pp.73-81. Voir également ill. 5, 12 et 14.
65. Renate Jacques, Deutsche Textilkunst, Krefeld, Scherpe, s.d., ill. 34, 35, 37, 83, 88 a/b, 101; Mary Kelly, God-
dess embroideries ofEastern Europe, Winona (MI), 1980.
66. Bohumil Soudsky, «Interprétation historique de l’ornement linéaire », in Pamdtky archeologické, 58, 1966,
pp. 91-125 ; A. Marshack, «Ukrainian Upper Palaeolithic symbol systems. À cognitive and comparative
analysis of complex ritual marking », in Current anthropology, 1979 ; D. Gluck, «La croix et les astres. Essai
d'interprétation du répertoire géométrique dans la société traditionnelle», in Autrement, «Médecine et
religion populaire », 1977.
67. Comparer par exemple avec: Axel Ivar Berglund, Zulu thought-patterns and symbolism, Cape Town, 1976;
Andreas Lommel, Motiv und Variation in der Kunst des zirkumpazifischen Raumes. Entwicklung, Verbreitung,
Ableitung und Abstraktion, Munich, 1962 ; Carl Schuster & Edmund Carpenter, Patterns that connect. Social [LE PS]

symbolism in ancient and tribal art, New York, Harry N. Abrams, 1990.
68. Pourune réflexion critique sur les rapports de l'Occident avec l’art du tissage oriental et l'obsession de
l'«authenticité», voir Pennina Barnett, « Rugs & Us (And Them). The oriental carpet as sign and text», in
de
Third text (Londres), n°30, 1995, pp.13-27.
È à
rapport automatique entre la «matricialité» en tant que modèle d'attente sociale
d'une part et la matrix symbolique d'autre part. En d’autres termes: ce n’est pas
parce que leur art attache tant d'importance à la fécondité qu'il est matrixiel.
Matrixiel est le mode suivant lequel des processus psychiques (éventuellement
intra-utérins) se traduisent dans une esthétique et une éthique. L'art textile berbère
ne se propose pas de transformer la réalité au niveau esthétique®°. Là où il n’y a pas
de représentation, il n'y a pas de stylisation de la matérialité observée?°. Les
femmes berbères suivaient la voie de l'exploration interne, des points de contact
du Moi avec l’autre. Ces artistes tisseuses ne faisaient pas intervenir la réalité ter-
restre visible dans leurs créations. Leur attitude oscillait entre l'acceptation de leur
servitude et le courage — le courage de recommencer à l'infini, comme pour ache-
ver les milliers de nœuds d’un tapis.
Ici réside la profonde différence avec les arts masculins figuratif et abstrait.
L'abstraction masculine part de l'observation du monde qu’elle veut «abstraire » de
son apparence contingente; l’abstraction dans l’art des femmes berbères n'a pas
besoin de ce détour.

69. Étant donné leur aliénation, les hommes avaient besoin d’un détour par l'extérieur pour parvenir à la
connaissance de soi: la découverte aristotélicienne du monde comme voie menant à cette connais-
sance. L'auto-distance en tant que moyen de connaissance a toujours été le propre des femmes en rai-
son de leur matrixialité. La dissociation /liaison intérieure ouvre la voie de la «découverte du monde»,
ce qui se manifeste également dans les cosmogonies des cultures «primitives». L'introspection et la res-
ponsabilité éthique furent probablement des inventions féminines, surgies non pas à partir d'une alié-
nation désespérée, mais d'une pluralité ontologique matrixielle.
70. César Paternosto, The stone and the thread. Andean roots of abstract art, Austin, University of Texas Press
(1996), met également en question l'idée de l'art abstrait comme invention occidentale. On peut distin-
guer dans l'art précolombien des Andes différentes tendances d’après leur relation à l'abstraction:
(1) une sculpture et une tectonique (croisement architecture /sculpture) monumentale basée sur la
figuration mais tendant à l'abstraction ; (2) idem pour l'art textile; (3) formes sculpturales-tectoniques
en pierre purement abstraites, ne pouvant pas être réduites à une forme figurative ;(4) idem pour l’art
textile. L'auteur n'établit pas de distinction selon le «gender» des artistes et selon la nature de l'abstrac-
tion. Seules les deux derniers styles artistiques sont vraiment abstraits, c'est-à-dire qu'ils ne se basent
pas sur la réalité matérielle mais sur une représentation psychique. Que l’art textile ait suivi deux voies
différentes n'est guère surprenant dans le contexte social : parmi les superbes textiles figuratifs qui sont
parvenus jusqu'à nous, beaucoup étaient destinés à des hommes en vue (guerriers, princes, prêtres) et
conservés dans leur tombe. L'iconographie de ces textiles devait être adaptée à la vision «masculine» der
leur propriétaire, Des sources textuelles du XVI siècle nous apprennent que des femmes étaient réqui-
sitionnées par l'administration inca pour servir comme «esclaves-tisseuses ». C’est probablement de
74 cette façon que naquirent la plupart des textiles précolombiens si admirés de nos jours. Pratiquement
rien n'a subsisté de la masse de textiles destinés à l'usage domestique: le mortel ordinaire n'était pas
momifié comme les personnages de marque, ni inhumé avec le même soin; ses vêtements n'ont pas
survécu. Ce style de tissage ne s'est perpétué jusqu'à aujourd'hui que dans la tradition vivace des tex-
tiles domestiques. ;
Tapis aux points noués, Rehamna (Maroc), XX° siècle.
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Cet ouvrage paraît à l'occasion de l'exposition Remerciements REMERCIEMENTS DE L'AUTEUR
Borderline, organisée au Palais des Beaux-Arts Sandrine Alouf, Isabel Ceballos,
de Bruxelles du 25 février au 21 mai 2000. Philippe Cieters, Jef Cornelis, Deux personnes qui me sont très proches
Bernard Degroote, Ingrid De Ketelaere, ont joué un rôle fondamental dans ce projet.
Carl De Keyzer, Annick de Ville, Piet Coessens, directeur général de la Société
EXPOSITION Paul Dujardin, Paul Huvenne, des Expositions du Palais des Beaux-Arts de
Jacques-Yves Le Docte, Guido Minne, Bruxelles, s'est engagé sans restrictions dans
Organisation Tony Van der Eecken, Mieke Van Nulandt, le projet, malgré des conditions structurelles
Société des Expositions Judith Perneel difficiles : le sens critique, l'humanité et
du Palais des Beaux-Arts l'intuition qui le caractérisent ont constam-
rue Royale 10 - B-1000 Bruxelles ment exercé une influence bienfaisante.
Tél. +32 (02) 507 84 66 Borderline porte le titre d''Ambassadeur Els Van de Gehuchte, attachée au Koninklijk
Fax +32 (02) 511 05 89 culturel 1999» de la Communauté flamande Museum voor Schone Kunsten d'Anvers,
e-mail : expopba@netpoint.be et a été réalisé en collaboration avec Bruxelles a dès le tout début soutenu le projet avec
ville européenne de la culture de l’an 2000 passion. Son amour du Maghreb,
Conseil d'administration sa connaissance de l'avant-garde et son sens
op.
Bruno van Lierde (Président), Jean-Pierre de l’esthétique m'ont ouvert les portes
de Bandt, Luc Bertrand, Marc-Yves Blanpain, brussellaxnuq
1
d’une terra incognita.
Bernard Boon Falleur, Lena Dubois, avec l'appui de la Loterie Nationale, la Région Je leur témoigne ici à tous deux ma profonde
Jean Godeaux, Luc Hanssens, Frie Leysen, de Bruxelles-Capitale, het Ministerie van de joie et gratitude.
Baudouin Michiels Vlaamse Gemeenschap, le Ministère de la
Communauté française, het Koninklijk Je tiens également à remercier très
Équipe Museum voor Schone Kunsten Antwerpen, sincèrement le Dr Soukeina Bouraoui,
Piet Coessens (Directeur), Axelle Ancion, the British Council. directrice du CRÉDIF à Tunis, Fathia
Babs Boey, Liliane Brouwers, Nicole Harzallah, directrice du Musée Dar Ben

Le
Buggenhout, Marie-Thérèse Champesme, The ns Abdallah à Tunis, Latifa Mokaddem,
Pierre De Clerck, Robert Demeersman, British [S) Ministère de la Culture, Tunis,
Council y
Ann Flas, Marc Ghesquière, Ben Raemaekers, le Dr. H.J. Stroomer, Universiteit Leiden,
Catherine Robberechts, Bruno Roelants, Sponsors médias : La Libre Belgique, RTBf- et le Dr. Paul Huvenne, directeur général
Henri Van den Thoren, Roger Van der Meulen la Première du Koninklijk Museum voor Schone Kunsten
d'Anvers, qui m'a manifesté son intérêt et son
Commissaire Paul Vandenbroeck (Koninklijk soutien pour ce projet peu conventionnel.
Museum voor Schone Kunsten, Anvers) PUBLICATION
Assistance Roos Pauwels Je remercie en outre:
Communication et promotion Ine Pisters Coordination Roos Pauwels Krista Vyvey, Ruiselede; Liban Pollet,
Mise en espace Zaha M. Hadid avec Traduction Marie-Françoise Dispa, St-Denijs-Westrem ; Viviana Pâques,
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Yoash Oster, Paola Cattarin Suivi rédactionnel Cécile Krings Soleto (Galatina) ; Bracha Lichtenberg
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Prêteurs © 2000 Ludion, Gand-Amsterdam et leurs conseils nous furent précieux,
Diane Broeckx, De Proft-De Vriendt, © 2000 Société des Expositions du Palais ainsi que leur profonde connaissance de l’art
Christel Embrechts, Glénisson G., des Beaux-Arts de Bruxelles du textile qu'ils partagèrent avec générosité.
Richard Hersberger, Pia Jamar - Kasterlee, © 2000 Profoto, Turnhout Je m'en voudrais d'oublier les vieilles
Janssen - Turnhout, JVM - Turnhout, Leys, © 2000 Collection Hersberger, Max Mathys, tisseuses d'Oudref, Gabès, Tamezret et
Monique Potters, Geert & Ireen Stul-Loots, Muttenz (Suisse) d’ailleurs, qui nous permirent d’entrevoir
Peeters, Pollet Liban et 28 collectionneurs leur univers, et qui, par nos questions,
privés désirant garder l'anonymat. Nous nous sommes efforcés d'appliquer les entreprirent le passage étrange de l'acte
prescriptions légales concernant le copyright, créateur à la distanciation verbale.
Prospection et sélection Els Van de Gehuchte mais n'avons pu retracer l'origine de tous les
et Paul Vandenbroeck documents. Quiconque se considère autorisé
à faire valoir des droits est prié de s'adresser
à l'éditeur.

ISBN 90-5544-282-8
D/2000/6328/03

Cet ouvrage ne peut être reproduit, même


partiellement, par quelque moyen que ce soit
— impression, photocopie, microfilm, etc. -
sans l'autorisation écrite de l'éditeur.
Gédarases participaient àà peine àkavie
publique;elles vivaient dans un espace qui er RACE
était propre. Malgré ces restrictions sociales,
elles se sont manifestées, dans leur art textile,
en tant qu’artistes indépendantes et
audacieuses. Elles ont développé un art qui
rayonne de vigueur et de sensibilité, et qui
révèle une grande imagination. Les tisseuses
improvisent des structures, des patrons et des
motifs puisés dans un répertoire vaste et varié.
Le résultat est d’une beauté étonnante.
C'est de la poésie pure, du pur art abstrait
à.abstrait, mais chargé d’un sens profond.

Poursuivant son projet précédent, Le jardin


clos de l’âme. L’imaginaire des religieuses dans
les Pays-Bas du Sud depuis le XIIF siècle,
Paul Vandenbroeck, attaché au Musée royal
des Beaux-Arts d'Anvers, porte un regard
novateur sur une communauté traditionnelle
de femmes au Maghreb, mais aussi sur l’art
abstrait et l’art « féminin ». Quelles sont les
conceptions de l’existence incorporées à
cet art ? D'où surgit cette esthétique ? En quoi
diffère-t-elle de l'esthétique occidentale ? L'art
abstrait occidental est-il aussi original que
nous le pensons généralement ?

*Azetta signifie pour tous les Berbères, de Lybie


jusqu’au Maroc, « métier à tisser » ; au sens figuré, ce mot
renvoie au rayon de miel ou à la ruche, symboles du processus
de création.
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