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Moranvillé Henri. Mémoire sur Tamerlan et sa cour par un dominicain, en 1403.. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1894,
tome 55. pp. 433-464;
doi : https://doi.org/10.3406/bec.1894.447782
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1894_num_55_1_447782
SUR
TAMERLAN ET SA COUR
a dit quelques mots de cette ambassade, dont il signale, lui aussi, le but.
D'après Henri de Sonde, il raconte que Tamerlan envoya un évêque d'Orient à
Charles VI et un archevêque des mêmes régions aux Vénitiens, aux Génois et
au duc de Milan.
1. Chronique du Religieux de Saint-Denys, éd. Bellaguet, t. III, p. 134.
2. Chronographia regum Francorum, t. Ill, ad annum 1403.
3. Ambroise Contareni, qui, quatre-vingts ans plus tard, passa à Sultanieh,
y remarqua trois portes de cuivre travaillées à Damas; il ajoute que le froid
était tellement vif à Sultanieh qu'en hiver les habitants abandonnaient cette
ville.
MÉMOIRE SUR TAMEELAN ET SA COUR. 435
particularités de la vie de Tamerlan, et même il en forma un
opuscule écrit en français qu'il distribua autour de lui. Le
chroniqueur ajoute qu'il va le traduire en latin et en donne le
texte presque intégral 1 .
Ainsi, ce mémoire sur Tamerlan était l'œuvre d'un
contemporain, bien plus, d'une sorte d'ambassadeur du conquérant tartare,
que, par conséquent, il connaissait personnellement. L'intérêt en
était donc considérable, et il n'était pas sans utilité d'en
rechercher le texte original, qui, d'après le chroniqueur, était écrit en
français.
J'ai trouvé à la Bibliothèque nationale deux manuscrits qui
fournissent cette vie de Tamerlan2; l'un d'entre eux semble
faire de ce mémoire un appendice à la Fleur des histoires
d'Orient de l'Arménien Hetoum, prince de Gorigos et neveu
d'Hetoum Ier, roi de la petite Arménie; mais P. Paris n'a pas eu
de peine à démontrer3 l'impossibilité d'une semblable attribution
puisque Hetoum mourut au commencement du xive siècle et que
la vie de Tamerlan raconte la bataille d'Ancyre, livrée au début
du XVe siècle.
Ce ne sont pas seulement des manuscrits qui ont conservé la
biographie de Tamerlan; peu après l'invention de l'imprimerie,
on avait édité la Fleur des histoires d'Orient d'Hetoum4 et, sans
examiner l'impossibilité qu'il y avait à attribuer la vie de
Tamerlan à l'auteur arménien, on l'avait imprimée sous son nom à la
suite de son œuvre5.
Cette édition était, même en ne tenant pas compte de cette
erreur fondamentale, une œuvre bien médiocre : non seulement
elle contenait des additions d'une valeur contestable6, mais on
blant de tirer celle part, il interrogent si en ladicte cité avoit beaucoup d'or
et d'argent. Et, se il sçavoit qu'il y en eust beaucoup, il envoyoit des mar-
chans devant portans fines peaulx et pennes et aultres précieuses
marchandises qu'on ne peult musser en terre qu'il leur livroit et leur disoit qu'ilz en
fissent très bon marché. Car il pensoit que, quant il auroit l'or et l'argent qu'on
pouvoit musser en terre, il recouvreroit facillement ces peaulx en prenant la
ville. Et aussi advenoit. Car, quant les marchans avoient vendu ses
marchandises qu'il leur avoit baillées et qu'ilz luy avoyent baillé tout l'or et l'argent
qu'on leurs avoit baillé pour lesdictes marchandises, il alloit subittement
assail ir ladicte cité et la prenoit et pilloit. Et ainsi il avoit tout l'or et l'argent, si
avoit toutes ces aultres marchandises. Les principaulx adversaires que Tam-
burlan avoit en Orient... » (fol. lxviii v°, 1" col,).
1. Collection de l'École des langues orientales vivantes ; Bibliotheca Sinica,
t. IL Cf., dans le Recueil des Mémoires de la Société de géographie, t. IV,
p. 399, la Notice sur les anciens voyages de Таг tarie, en général, et sur celui
de Jean du Plan de Carpin en particulier, par M. d'Avezac, laquelle contient
une bibliographie très complète. M. d'Avezac cite bien l'œuvre d'un archevêque
de Sultanieh, mais c'est au livre écrit par Jean de Cora, à la requête de
Jean XXII, qu'il fait allusion.
2. Historia del gran Tamerlan, Bibliothèque nationale, départ, des
imprimés, O2q 36. — Cheref-Eddin mentionne clairement, sans la nommer,
l'ambassade du roi de Castille auprès de Tamerlan en 1404 et les présents,
particulièrement les tapisseries, qu'elle lui apporta (trad. Petis de la Croix, t. IV,
p. 178).
3. Reisen dès Johannes Schiltperger aus Miinchen in Europa, Asia und
Afrika von 1394 bis 1427, herausgegeben von Karl Friedrich Neumann.
Miinchen, 1859 (Bibl. nat., départ, des imprimés, G
MEMOIRE SUR TÀMERLAN ET SA COUR. 437
les détails qu'il donne, notamment sur la campagne de Tamer-
lan contre Bajazet, sont intéressants.
Mais ces deux auteurs n'ont rien transmis d'analogue à
l'opuscule de l'archevêque de Sultanieh; celui-ci laisse à plusieurs
reprises percer son désir de faire une sorte de livret utile à ceux
qui voudraient préparer une caravane commerciale auprès de
Tamerlan; car l'intérêt mercantile est certainement l'un des
principaux aux yeux du prélat ; d'abord il était la raison de sa
mission, et puis il y voyait sans doute un moyen pour les
missionnaires de pénétrer plus aisément dans ces régions peu
connues de l'Occident. Ceci me ramène à son ambassade et à ce qui
concerne sa personne.
Silvestře de Sacy a longuement et rigoureusement discuté
toutes les questions que soulève l'identité de Jean, archevêque
de Sultanieh1; il est arrivé à cette conclusion que ce
personnage avait réellement existé dans cette dignité et que c'était bien
lui que Tamerlan avait envoyé en Europe pour nouer des
relations commerciales avec Venise, Gênes et la France, et le fait a
été démontré par lui de façon qu'il n'y a plus à y revenir. Qu'il
appartînt à l'ordre des Frères Prêcheurs, c'est ce qui est établi
par le témoignage concordant des chroniques et des textes
ecclésiastiques ; mais Silvestře de Sacy n'avait pu déterminer à quelle
nation il appartenait : la chronique qui nous fournit le plus de
renseignements sur son compte, et dont j'ai reproduit plus haut la
relation, le dit Italien.
Rien n'est plus vraisemblable : le premier archevêque
catholique de Sultanieh fut un certain Francus de Perusino, et ce
nom indique assez son origine italienne ; j'ajouterai que le siège
de Sultanieh paraît avoir été réservé aux religieux de l'ordre de
Saint-Dominique .
Quant à la mission de l'archevêque Jean, Silvestře de Sacy,
après l'étude diplomatique de la lettre de Tamerlan, document
dont il admet sans hésitation l'authenticité, a relevé ce fait
que le conquérant tartare avait une assez faible idée du roi de
France; puis il a montré que la traduction faite en 1403 de la
lettre du Mongol, traduction présentée à Charles VI sans doute
IX. Des provinces et des terres dont Ternir Bey est seigneur.
para lors du partage qu'il fit du harem de son beau-frère Hussein en 1379
(Cheref-Eddin, Histoire de Timur Bec, trad. Petis de la Croix, t. 1, p. 193).
Elle fut la mère de Scharok, l'un des fils de Tamerlan.
1. La prise de Dehli par Tamerlan est du 4 janvier 1399.
2. Cheminer, dans le ms. franc. 5624.
3. X mois, dans le ms. franc. 5624.
4. Dehli était en effet une ville immense.
5. Simnan, dans la direction du Masen-Deran.
448 MÉMOIRE SUR TAMERLÁN ET SA СОПБ.
Malastan1, province, et est le païs où croissent les balaiz.
Ferinus2, province où l'en treuve marguerites précieuses et dont
viennent les espices de Inde ; et par le fleuve de Syon ilz descendent
aux autres contrées.
Organun, province qui s'appelle en Perse Gorasmo3.
Gin, Machin, qui sont provinces4 où croist reubarbes, et illecques
on treuve les belles escueilles que on apporte à Gennes, et se garde
la terre de quoy on les fait xl ans, si comme l'en dit.
Bochara, province où croist l'or très convenable5.
Gorosan6, province où a xxx citez.
Media7, très grant province.
Spahan8, province.
Ciras9, province.
Chilan10, cité et province, pres de la mer Gaspenne ou de Bachin.
Aran14, très grant province.
Porte Ferrée12, très grant province, et est la cité où Alixandre mina
Baku. La Porte-de-Fer mentionnée par Marco Polo est appelée par les Arabes
Bab-al-Abuab et par les Turcs Demir Capou. On l'appelle communément Pas
de Derbent. Cette muraille, que, suivant Bruce, les indigènes croient avoir été
bâtie par Alexandre pour protéger la Perse contre les attaques des Scythes,
fut détruite par Tamerlan. Les ruines de ce mur s'appellent Kizil-Alan. Armi-
nius Vambery .raconte qu'on trouve encore dans le voisinage de Gumusch-Tepe
un certain nombre de belles briques carrées qui, suivant lui, proviennent des
fortifications élevées par Alexandre.
1. C'est là un souvenir de la Bible qui ici ne répond à rien. D'après Marco
Polo, Gogo et Magogo seraient en Chine, et Sacy a pensé que le rempart de
Gog était la muraille de la Chine. Mais notre auteur, avec les Arabes et les
Persans, désigne sous ces noms les habitants des régions montagneuses situées
au nord-ouest de la mer Caspienne.
2. Le mont Ararat, au sommet duquel, suivant Marco Polo, les habitants du
pays croyaient distinguer au milieu des neiges les restes de l'arche de Noé.
3. Kurdistan.
4. Ou Assyrie.
5. C'est la partie de la Turquie d'Asie qui borde les détroits.
6. A cette enumeration, la version latine de la Chronographia regum Fran-
corum ajoute : « Mesopotamia..., Turquia quippe provincia est que olim Capa-
docia dicta est, et non solum Capadocia sed et Ysauria, Asia Minor et Bithinia
et plures alie provincie modo in ejus nomen transierunt et Turquia vulgariter
moderno lempore dicte sunt. » Je suis porté à croire que tout ceci est une
interpolation de l'auteur de la Chronographia.
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450 MÉMOIRE SUE TAMERLAN ET SA COUR.
prins moult de citez et de chasteaulx sans nombre et si a captivé et
a prins infinis peuples et destruit villes, cités, chasteaulx ; et si a eu
victoire de moult de batailles, et encores de present il a prins le
Grant Turc et Turquie et la tient; et a avecques soy plusieurs roys
et enfans de princes et de grans seigneurs.
die schuffe er vornen an den Strit. Die schlugen sich zu dem Temerlin » {Ibid.,
p. 73).
1. 28 juillet 1402. La bataille commença vers dix heures du matin; Bajazet
fut pris dans la nuit par le sultan Mahmoud Khan.
2. Le Mirza Mehemmed Sultan fut envoyé par Tamerlan pour s'emparer de
Brousse; mais, malgré toute la diligence qu'il fit, Musulman Chelebi, fils de
Bajazet, avait déjà enlevé une partie du trésor de son père. Mehemmed Sultan
s'empara du reste et en même temps de la fille de Ahmed Gelaïr, le vaincu de
Bagdad.
3. En effet, Musulman Chelebi s'embarqua à Nicée.
460 MÉMOIRE SUR TAMERLAN ET SA GOUE.
par tout son païs et en especial aux Frans et Grestiens. Et en moult
de lieux où souloient courir gabelles et maletoutes, il les a toutes
destruites et quassées et a fait son ordonnance qu'elle ne soient paiées
senon es grans citez ; et a ordonné la seurté des marchans par plus
grant cautelle : car, se aucun marchant estoit desrobé par tout son
païs, tous ceulx du païs où le marchant seroit desrobé si lui ren-
droient au double et l'amenderoient à Ternir Bey de v foiz plus que
le marchant n'auroit perdu.
Gestui cy a officiers en tous lieux et tient la justice estroitement*
et n'a point de miséricorde de nul qui facent offance, et pour néant
il occist aussitost le plus grant comme le mendre de ses officiers ;
quant ilz accusent aucun, ilz sont condempnez à très grant somme
d'argent; et, quant ses officiers sont bien riches et engressiz, il les
fait paier très grant finance, et de cest argent il fait chascun an une
congregacion, la charge de bien с mullez2. De toutes les autres villes
et terres il prent toujours le xe, et le quart de toutes les rentes et,
pour ceste cause, il a avec soy les gens de pié et les archiers.
Or cestui cy en especial ne fait à nul injure, et, se aucun de ses
gens le faisoit, il le pugnit très aigrement, combien que en son
absence l'en face moult de inconveniens. Les citez et les terres il les
a laissiez à ses fîlz, à ses nepveux et à ses barons ; ne il n'a pas la
manière de paier ses gens en monnoie3, maiz leur donne terres et
offices. Maiz toutesfoiz veult il que ses commandemens soient tout
partout gardez, et si est plus doubté des siens que des estrangiers.
1 . C'est Ahmed Gelaïr dont il a été question plus haut, et qui effectivement,
peu avant la bataille d'Ancyre, quitta Bajazet, auprès duquel il s'était réfugié,
« et alla du côté de Chaldée, que l'on nomme Irac-Arabi » (Cheref-Eddin, Vie
de Timur Bec, trad. Petis de la Croix, t. III, p. 387).
2. Le sultan Farrudge, fils de Barcouc.
3. C'est Idecou, empereur de Capchac. Voir quatre pages plus haut.
4. Le ms. franc. 5624 écrit ainsi ce nom : Heldin. Il est probable que ce
nom désigne Tocatmich Aglen, descendant de Tchinguiz-Khan, à qui Tamerlan
donna à plusieurs reprises les troupes nécessaires à la conquête du Capchac,
mais qui depuis se révolta contre son autorité, puis s'y soumit de nouveau
quand il eut été détrôné par Idecou.
462 MÉMOIRE SUR TAMERLAN ET SA COUR.
esjoissoit avec lui. Il maine ces seigneurs avec lui pour monstrer sa
magnificence.
Des choses que Ternir Bey aime moult sus toutes autres.
Premièrement, draps fins et déliez et especialment de couleur de
fine graine et cramoysis ; item couleur de rosée ; item fin blanc et fin
vert; item teles déliées comme elles sont à Rains-, item branches de
courail ; item l'arbre de coral ; item couppes de cristal et autres vais-