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MONTESQUIEU
ET

LES " CONSIDÉRATIONS SUR l i GRANDEUR DES ROMAINS "

PAR

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H. B A R C K H A U S E N
Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Bordeaux

Correspondant de l'Institut

LEGS
Auguste B ; 0 7 À a S
1869-- 19 2 6

Extrait <le In Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l'Etranger

(N° 4. Juillet-Août 1900).

PARIS
LIBRAIRIE MARESCO AÎNÉ

A. G H E V A L I E R - M A R E S C O ET C i e , É D I T E U R S
20, RUE SOU F FLOT

1909

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MONTESQUIEU
ET

CONSIDÉRATIONS SUR LA GRANDEUR DES ROMAINS


MONTESQUIEU
ET

LES " CONSIDÉRATION Sili LA GRANDEUR DES ROMAINS

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PAR
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iSt59- 1 9 2 6

H. BARCKHAUSEN
Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Bordeaux

Correspondant de l'Institut

Extrait de la Revue d u D r o i t p u b l i c e t cle l a S c i e n c e p o l i t i q u e e n F r a n c e e t à l ' E t r a n g e r

(N° 4. Juillet-Août 1900).

PARIS
LIBRAIRIE MARESCO AI NÉ

A . C H E V A L I E R - M A R E S C Q ET Cie, É D I T E U R S

20, R U E SOUFFLOT

1900

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MONTESQUIEU
ET

LES (( CONSIDÉRATIONS SUR LA GRANDEUR DES ROMAINS )) (1)

En tête du v o l u m e réservé au x Lettres persanes, nous avons


exposé dans quelles circonstances nous f u m e s chargé, en 1893,
de publier à nouveau les deux chefs-d'œuvre littéraires de
Montesquieu. M. D o n i o l , alors directeur de l'Imprimerie natio-
nale, eut l'idée d'y faire composer, pour l'Exposition de 1900,
une édition des Lettres persanes et des Considérations sur les
Causes de la Grandeur des Romains revue et annotée d'après
les papiers que l'auteur aurait pu laisser en mourant, et qui
existeraient encore dans les archives de La Brède. La famille
de M o n t e s q u i e u se prêta gracieusement à l'exécution du pro-
jet et consentit à c o m m u n i q u e r tous les d o c u m e n t s qu'elle
avait en sa possession. M . le Garde des Sceaux Léon Bourgeois
approuva l'entreprise par une décision officielle. N o u s e û m e s
l ' h o n n e u r d'être choisi pour diriger le travail.

L'intérêt que présentent les archives de La Brède à l'égard


des Considérations sur les Causes de la Grandeur des Romains
et de leur Décadence diffère c o m p l è t e m e n t de celui qu'elles
offrent par rapport aux Lettres persanes.
Pour le premier c h e f - d ' œ u v r e de M o n t e s q u i e u , elles font

(1) Cette é l u d e est VAvant-Propos de l ' é d i t i o n des Considérations sur les Causes
de la Grandeur des Romains et de leur Décadence, que l'Imprimerie Nationale
a préparée pour l ' e x p o s i t i o n de 1900.
2 H. BARCKHAUSEN

connaître la forme définitive que l'auteur avait entendu lui


donner. Sans elles, on ignorerait encore quelles lettres il avait,
en dernier lieu, voulu c o m p r e n d r e dans le recueil, et à quel
texte de ces lettres il s'était arrêté sans retour. La mort, en
effet, l'avait e m p ê c h é de publier l u i - m ê m e l'édition ne varie-
tur qu'il avait très s o i g n e u s e m e n t préparée en 1754.
Au contraire, quant aux Considérations, dès 1748, c'est-à-
dire treize à quatorze ans après l'apparition du livre, il en fit
paraître une « nouvelle édition, revue, corrigée et augmen-
tée (1) ». Or rien de ses papiers inédits ne permet de croire
qu'il ait eu plus tard l'intention d'introduire dans l'ouvrage
des modifications plus ou m o i n s sérieuses. Les variantes que
l'on trouve dans les textes i m p r i m é s après son décès semblent
être a b s o l u m e n t arbitraires et malencontreuses le plus sou-
vent.
Loin d'avoir à proposer ici des leçons i n c o n n u e s , nous n ' a u -
rons qu'à défendre le texte de 1748 contre les corrections i n i n -
telligentes dont il a été l'objet.
On n'en trouve pas m o i n s dans les archives de La Brède
des indications d'une haute importance pour les éditeurs du
livre que M o n t e s q u i e u appelait f a m i l i è r e m e n t Mes Romains.
Ce sont, tout d'abord, des r e n s e i g n e m e n t s de détail sur la
genèse d'un grand n o m b r e des idées q u ' o n y rencontre, et
sur les c h a n g e m e n t s que le texte a subis ou faillit subir.
Mais les d o c u m e n t s que nous avons en main ont surtout le
mérite de nous édifier sur le dessein que se proposait l'auteur
en rédigeant son œuvre. L'assertion paraîtra sans don te para-
doxale. Nous oserons dire, cependant, que la plupart des
n o m b r e u x critiques de M o n t e s q u i e u , en appréciant ses Consi-
dérations, ont m é c o n n u l'objet m ê m e de ce traité classique.
C'est là un des points, et le plus curieux peut-être, que nous
espérons établir au moyen des divers manuscrits dont nous
allons maintenant donner une idée s o m m a i r e , avant d'en tirer
les notions nouvelles q u ' o n en peut induire.

(1) Considérations sur les Causes de la Grandeur des Romains et de leur Déca-
dence, nouvelle é d i t i o n , revue, c o r r i g é e et augmentée par l ' A u t e u r . . A Paris, c h e z
Guillyn..., 1748.
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS SUR LES R O M A I N S )) 3

II

P a r m i les m a n u s c r i t s q u e l ' o n conserve à La B r è d e , il en est


un seul q u i se r a p p o r t e e x c l u s i v e m e n t a u x Considérations sur
la Grandeur des Romains.
Montesquieu p o s s é d a i t une série d e registres o ù il avait
l ' h a b i t u d e de c o n s i g n e r la p l u p a r t des faits et des idées q u ' i l
p e n s a i t utiliser tôt ou tard d a n s ses écrits. S u r l ' u n d ' e u x , qui
subsiste e n c o r e , sont notés les c h a n g e m e n t s q u ' i l se p r o p o s a
de faire s u b i r à son d e u x i è m e c h e f - d ' œ u v r e , aussitôt après la
publication du livre. C'est à cette époque, du moins, que
r e m o n t e , selon n o u s , le travail de révision d o n t le texte n o u s
est h e u r e u s e m e n t p a r v e n u . On y trouve, en effet, le b r o u i l l o n
de VErrata a n n e x é au t r o i s i è m e état de l ' é d i t i o n p r i n c e p s (1).
D e p l u s , q u e l q u e s - u n e s des a d d i t i o n s q u i y s o n t i n d i q u é e s tra-
hissent, par u n e vivacité de ton très e x c e p t i o n n e l l e , la pre-
m i è r e surprise d ' u n a u t e u r qui se voit m a l c o m p r i s et mal
a p p r é c i é par la c r i t i q u e (2).

L e registre q u e n o u s m e n t i o n n o n s a 4 c e n t i m è t r e s d ' é p a i s -
s e u r sur 2 4 de h a u t e u r et 18 de largeur. 11 était à l ' o r i g i n e
(sans parler de d e u x g a r d e s a u x c o u l e u r s voyantes) composé
de deux cent t r e n t e - d e u x feuillets de papier blanc. De ces
f e u i l l e t s , il en a été c o u p é c i n q et m u t i l é trois. U n e reliure
s o l i d e , en veau f a u v e , p r o t è g e le v o l u m e . L e dos est o r n é de
d o r u r e s , m a i s n'a pas de titres.
S u r la l r e page, u n e m a i n m o d e r n e a écrit q u e l q u e s lignes
au c r a y o n . Le travail de Montesquieu ne commence qu'au
2« f e u i l l e t et s'arrête au recto d u 8 7 e . Les 3 8 5 p a g e s q u i s u i v e n t
s o n t restées en b l a n c .

E n tête de la 3 e p a g e , on lit ces huit m o t s : Diverses Correc-


tions de mes « Considérations sur les Romains ». Puis vient
i m m é d i a t e m e n t l ' i n d i c a t i o n de c h a n g e m e n t s à faire à la page 4 5
de l ' é d i t i o n princeps. Les corrections q u i se rapportent au
commencement de l ' o u v r a g e s o n t insérées p l u s l o i n . C'est au

(1) Diverses Corrections de mes a Considérations sur les Romains » pages 43


et 44.
(2) Diverses Corrections, pages 3 et 37, où l'on r e t r o u v e la même citation
d'Horace.
4 H. B A R C K H A U S E N

recto du 4 e feuillet, par exemple, q u ' o n rencontre deux remar-


ques visant, l'une, la page 21, l'autre, la page 3, et, entre les
deux, un vers et une moitié de vers d'Horace destinés à servir
d'épigraphe aux éditions ultérieures des Considérations. L'au-
teur a noté visiblement ses observations critiques à mesure
qu'elles lui venaient à l'esprit. Aussi la dernière n'a-t-elle trait
qu'à la page 128, alors que le texte du livre n'en compte pas
m o i n s de 277, et que les 149 pages de la fin ont été revues et
amendées avec autant de sollicitude que les précédentes.
T o u t le travail est écrit de la main de M o n t e s q u i e u , sauf un
l o n g morceau, un chapitre additionnel, inséré par un copiste
au 37 e feuillet et aux deux suivants.
C'est encore M o n t e s q u i e u l u i - m ê m e qui a dû rayer presque
toutes les corrections de notre registre, après les avoir utilisées
plus ou moins dans l'édition de 1748, et q u i a marqué celles
qu'il adopta, au m o i n s provisoirement, en inscrivant Mis en
marge. Ces annotations sont, d'ailleurs, quelquefois trom-
peuses. On aurait tort d'en conclure que tous les c h a n g e m e n t s
qu'elles visent aient passé effectivement dans le texte définitif
de l'œuvre.
N o u s n'insisterons pas davantage ici sur le seul manuscrit
de La Brède qui r^ait trait q u ' a u x Considérations sur la Gran-
deur des Romains, ainsi que nous l'avons dit plus haut.
Moins intéressant pour nous en est un autre dont le titre
semble nous promettre bien plus qu'il ne d o n n e . Il est f o r m é
de deux cahiers d e papier non cousus. Sur la première page,
on lit : Remarques sur dés (sic) certaines Objections que ma
faites un Homme qui m'a traduit « Mes Romains » en Angle-
terre.
A part cinq ou six lignes qui sont autographes, le manuscrit
est de la main d'un secrétaire, et d'un secrétaire des plus i g n o -
rants, auquel Montesquieu a dicté les Remarques.
Elles sont, d'ailleurs, presque toutes relatives à YEsprit des
Lois. U n e seule a pour objet l ' e x a m e n d'un passage des Con-
sidérations.
Des renseignements d'une tout autre importance nous sont
fournis par les trois registres que M o n t e s q u i e u désignait sous
le titre de Mes Pensées.
Ils nous apprennent que le Président enchâssa dans ses
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS S U R LES ROMAINS )) 5

Romains des réflexions qu'il avait faites et f o r m u l é e s bien


avant de travailler à ce l i v r e ; q u ' e n r e v a n c h e il en retrancha
des f r a g m e n t s nombreux q u ' i l y avait d e s t i n é s tout d ' a b o r d ;
et q u ' i l sacrifia m ê m e , à l ' o c c a s i o n , p l u s d ' u n m o r c e a u achevé
p o u r n'en conserver q u ' u n e ou d e u x l i g n e s , en artiste q u i sait
s u b o r d o n n e r les détails à l ' e n s e m b l e de son œ u v r e .
C'est aussi d a n s les Pensées ( m a n u s c r i t e s ) , au II e t o m e , q u ' o n
r e n c o n t r e , o u t r e u n e liste de c h a n g e m e n t s à faire a u x Consi-
dérations ( 1 ) , l ' é p i g r a p h e q u e l'auteur choisit en dernier lieu
p o u r cet o u v r a g e (2), et q u ' i l eut bien tort de ne p o i n t i m p r i -
m e r en tête du v o l u m e , d o n t elle révèle si n e t t e m e n t l ' i d é e -
m è r e , c o m m e n o u s le m o n t r e r o n s p l u s l o i n .
N o u s d e v o n s s i g n a l e r enfin les notes et les m é m o i r e s q u i se
réfèrent a u x p é r é g r i n a t i o n s de M o n t e s q u i e u hors de F r a n c e .
Ils o n t été r é c e m m e n t p u b l i é s s o u s le titre g é n é r a l de Voya-
ges (3) G r â c e à e u x , on p e u t d é c o u v r i r l ' o r i g i n e d ' u n certain
n o m b r e de r e m a r q u e s q u e l ' o n t r o u v e dans la Grandeur des
Romains, et q u e l ' o n est p r e s q u e é t o n n é d ' y voir. T e l s s o n t les
p a s s a g e s sur les d e s t i n é e s é v e n t u e l l e s de B e r n e , sur la misère
des Lazzaroni et sur les m i n e s du Hartz (4). E n les r é d i g e a n t ,
l ' a u t e u r ne faisait q u e se s o u v e n i r d ' i n c i d e n t s q u i l'avaient
f r a p p é p e n d a n t s o n s é j o u r en Italie et en A l l e m a g n e (5).

III

S'il est très p r o b a b l e q u e les Lettres persanes furent publiées


d ' a b o r d en H o l l a n d e (6), le fait ne saurait être d o u t e u x pour
les Considérations sur la Grandeur des Romains. N o u s avons à
cet é g a r d le t é m o i g n a g e e x p l i c i t e du père Castel, qui corrigea
les é p r e u v e s de l ' o u v r a g e (7J. Le c o n s e i l l e r littéraire ou p l u t ô t
t h é o l o g i q u e de M o n t e s q u i e u n o u s a p p r e n d , en outre, q u e le

(1) Pensées, t o m e II, f o l i o 2 3 5 .


(2> Pensées, t o m e II, f o l i o 230 v°.
(3) Voyages de Montesquieu, p u b l i é s par M . le b a r o n A l b e r t de Montesquieu
( B o r d e a u x , G . G o u n o u i l h o u , 1894-1895).
(4) Considérations..., c h a p i t r e s îx, xiv e t x v n .
(5) Voyages de Montesquieu, t o m e I, p a g e 187, et t o m e II, p a g e s 20 et 215, e t c .
(6) V o y e z l'Avant-Propos de notre é d i t i o n des Lettres persanes, p a g e s v, x e t x m .

(7) L'Homme moral opposé à l'Homme physique de Monsieur R... (Toulouse, 1756),
p a g e 101.
6 H. BARCKHAUSEN

comte V a n Hoey, ambassadeur des Pays-Bas en France, servit


d'intermédiaire entre l'auteur et l'imprimeur de l'édition
princeps.

Cette édition est sûrement celle dont le titre porte la m e n -


tion : « A A m s t e r d a m , chez Jaques (sic)Desbordes, 1734 ». Il
n'y en a point qui n'ait une date plus récente. Nous la connais-
sons, d'ailleurs, en trois états, dont le second et le dernier se
distinguent du premier par des variantes qui ont passé dans
le texte de toutes les autres éditions connues.
Quelques-uns de ces changements furent imposés par la
Censure. Mais beaucoup d'entre eux sont des corrections faites
librement par l'auteur, qui ne devait point s'en tenir à cette
revision-là. L'histoire des Considérations, comme celle des
Lettres persanes, montre le soin, la passion, la conscience
admirables, avec lesquels Montesquieu amendait ses œuvres.
Le tirage de l'édition princeps était à peine achevé sans
doute, lorsqu'on en remplaça six ou sept feuillets, pour faire
disparaître des fautes typographiques ou des expressions m o i n s
heureuses. Quelques exemplaires seulement ne subirent point
cette modification. Pour les reconnaître, on n'a qu'à voir, au
haut de la page 5, si l'on y trouve, dans une phrase sur Tar-
quin le Superbe, la leçon originale : « son nom a servi de topi-
que à tous les orateurs », au lieu de : « son nom n'a échappé
à aucun des orateurs ».
Mais les corrections purement grammaticales ou littéraires
laissaient subsister les passages qu'à Paris la Censure estimait
scandaleux au point de vue moral ou politique. Pour que
l'ouvrage pût entrer en France, il fallut y insérer de nouveaux
cartons. C'est alors qu'on supprima un éloge du suicide et
deux appréciations peu flatteuses pour l'Espagne, qui ne se
rencontrent plus dans le troisième état de l'édition princeps.
Une table d'errata, visant surtout des détails m i n u t i e u x , fut
du même coup ajoutée au livre.
Quand la Grandeur des Romains eut paru, les critiques de
profession en rendirent compte en France. Mais les œuvres de
Montesquieu sont des os à moelle qui résistent aux dents
impatientes ou creuses. Comment de simples g a z e t i e r s a u r a i e n t -
ils pris le temps et la peine de comprendre, avant de l'appré-
cier, l'écrit d'un auteur qui exprime ses pensées plutôt qu'il
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS SUR LES R O M A I N S )) 7

ne les e x p o s e ? L e u r affaire était de g a g n e r « q u e l q u e s pièces


de v i n g t et quatre sols (1) » . D e là, b i e n des j u g e m e n t s hâtifs,
superficiels ou ineptes.
Montesquieu s'en émut très v i v e m e n t , même plus qu'il
n ' a u r a i t d û . S u s c e p t i b l e , c o m m e tout artiste, il se p r o m i t de
mettre en tête de son o u v r a g e une é p i g r a p h e v e n g e r e s s e et
l'inscrivit sur le registre des Corrections (2). M a i s , en sage q u ' i l
était, il l'y laissa, q u a n d les é d i t i o n s n o u v e l l e s p a r u r e n t . Sa
rancune était apaisée. Le succès du livre a u p r è s du public
c o m p é t e n t l'avait, d ' a i l l e u r s , c o n s o l é des i n j u s t i c e s de la cri-
tique.
N o u s serions d i s p o s é à croire q u e ce fut à p r o p o s des Con-
sidérations q u ' i l c o n s i g n a , au t o m e II, f o l i o 1 6 , de ses Pensées
( m a n u s c r i t e s ) , la r é f l e x i o n s u i v a n t e :
« Le succès de ce livre a p l e i n e m e n t r e m p l i m o n ambition,
p u i s q u e toutes les c r i t i q u e s q u e l ' o n a faites, après u n m o i s d e
vie o u d ' e n g o u r d i s s e m e n t , s o n t ensevelies dans la n u i t éter-
n e l l e du Mercure, avec les é n i g m e s et les r e l a t i o n s des g a z e -
tiers :

« /loe miseree plebi stabat commune sepulchrum. »

M a i s l ' a u t e u r des Considérations était trop m o d e s t e p o u r se


croire i n f a i l l i b l e . T o u t en s'irritant des c e n s u r e s niaises ou
perfides, il savait écouter d o c i l e m e n t les o b j e c t i o n s sérieuses.
On sait q u e l u i - m ê m e é p l u c h a i t p a s s i o n n é m e n t ses o u v r a g e s .

Il se m i t d o n c à revoir, l i g n e par ligne, le v o l u m e qu'il


v e n a i t de p u b l i e r et nota, sur le registre q u e n o u s décrivions
tout à l ' h e u r e , les c o r r e c t i o n s q u ' i l c o m p t a i t i n t r o d u i r e dans
les r é i m p r e s s i o n s p r o c h a i n e s de la Grandeur des Romains. Ce
p r e m i e r travail lui servit p l u s tard, l o r s q u ' i l p r é p a r a l ' é d i t i o n
de 1 7 4 8 . T o u t e f o i s , u n certain n o m b r e des a m e n d e m e n t s q u il
se p r o p o s a i t de faire en 1 7 3 4 o u 1 7 3 5 ne f u r e n t pas retenus
d a n s le texte définitif d u livre.
Parmi ces changements qu'il ne réalisa point, les plus

(1) Pensées, t o m e III, f o l i o 342.


(2.) Diverses Corrections, p a g e 3. Cette é p i g r a p h e se c o m p o s a i t d ' u n vers et d un
d e m i - v e r s e m p r u n t é s à la 40<> satire du I " livre des Satires d'Horace :
Men' moveat cimex Pantilius? aut crucier quod
Vellicet absentem ?
8 H. BARCKHAUSEN

c u r i e u x s o n t relatifs à la c o u p e et au n o m b r e des c h a p i t r e s .
Ils d e v a i e n t résulter d ' u n remaniement de q u e l q u e s parties
des Considérations. Montesquieu s o n g e a , en effet, à f o n d r e
d a n s ce traité, p l u s ou m o i n s c o m p l è t e m e n t , Jes paragraphes
i, II, m , IV, VI, VII, VIII et XIII de l ' o p u s c u l e q u ' i l avait r é d i g é
naguère sur la Monarchie universelle en Europe (1). Il eût, de
la sorte, a c c e n t u é le sens p o l i t i q u e de son œ u v r e . M a i s il en
eût, en r e v a n c h e , c o m p r o m i s l ' u n i t é et le caractère si o r i g i n a l .
D u reste, p e n d a n t treize à q u a t o r z e ans, il laissa p u b l i e r des
é d i t i o n s s u c c e s s i v e s de ses Romains absolument conformes à
l ' é d i t i o n p r i n c e p s en son t r o i s i è m e état. Sa p e n s é e était ail-
leurs. Il avait entrepris et v o u l a i t t e r m i n e r Y Esprit des Lois,
o ù il c o m p t a i t présenter le tableau de ses idées p o l i t i q u e s et
sociales.
Ce ne f u t q u e lorsqu'il eut a c h e v é ce m o n u m e n t de son
g é n i e q u ' i l se r e m i t aux Considérations, p o u r en arrêter sans
retour le f o n d et la f o r m e .

L'édition de 1 7 4 8 , fruit de cette r e v i s i o n s u p r ê m e , se d i s -


t i n g u e des p r é c é d e n t e s par des c o r r e c t i o n s d e style et s u r t o u t
par des rectifications, q u i v i s e n t les idées c o m m e les faits. U n
certain n o m b r e de notes y s o n t reportées d a n s le c o r p s d u
texte, d o n t p l u s i e u r s alinéas s o n t é g a l e m e n t t r a n s p o s é s . On y
relève en q u e l q u e s e n d r o i t s des r é f é r e n c e s a d d i t i o n n e l l e s et
m ê m e des d é v e l o p p e m e n t s n o u v e a u x .
Ces divers r e m a n i e m e n t s ont eu p o u r effet d ' a l l o n g e r l ' o u -
vrage de v i n g t et u n e p a g e s , sans c o m p t e r l ' I n d e x qu'on y
a d j o i g n i t alors, p o u r la c o m m o d i t é des lecteurs.
L ' é d i t i o n ainsi « revue, c o r r i g é e et a u g m e n t é e » fut repro-
duite à p l u s i e u r s reprises, p r e s q u e lettre p o u r lettre, du v i v a n t
de M o n t e s q u i e u , n o t a m m e n t à L a u s a n n e , en 1 7 4 9 , et à É d i m -
b o u r g , en 1 7 5 1 . E l l e servit aussi de m o d è l e p o u r la r é i m p r e s -
sion q u i p a r u t avec la m e n t i o n : « A Paris, c h e z G u i l l y n . . . ,
1755 ». M a i s , à la m ê m e date et dans la même ville, fut
p u b l i é e , chez S i m é o n - P r o s p e r H a r d y , u n e autre é d i t i o n qui
diffère assez de celle de 1 7 4 8 .
N o u s ne saurions qu'approuver les c o r r e c t i o n s de fautes

(1) Deux Opuscules de Montesquieu, publiés par le baron de Montesquieu (Bor-


d e a u x , G. G o u n o u i l h o u , 1891), page 11.
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS SUR LES R O M A I N S )) 9

d ' o r t h o g r a p h e q u ' o n y a faites ; m a i s les autres changements


n o u s p a r a i s s e n t d i s c u t a b l e s et p u r e m e n t arbitraires. A quoi
bon m o d i f i e r la r é d a c t i o n de certains p a s s a g e s q u ' o n ne rend
pas m e i l l e u r s , loin de l à ? D e q u e l droit r e p r e n d - o n le texte
de l ' é d i t i o n p r i n c e p s , q u a n d l ' a u t e u r a cru d e v o i r l'amender?
P o u r q u o i a j o u t e r au chapitre xm une note e m p r u n t é e au r e g i s -
tre des Corrections (1), m a i s n o n insérée par M o n t e s q u i e u d a n s
l'édition de 1 7 4 8 ? T o u t e s ces variantes sentent f u r i e u s e m e n t
« la témérité des libraires (2; », s p é c u l a n t sur le g o û t ou sur
la c u r i o s i t é du public.
Il en est s u r t o u t ainsi p o u r l'idée de rétablir d a n s le cha-
pitre xi l ' a p o l o g i e du s u i c i d e . R i e n ne m e s e m b l e m o i n s con
f o r m e a u x i n t e n t i o n s dernières du P r é s i d e n t . N e s'était-il pas
r é c e m m e n t , en 1754, p r o n o n c é contre le m e u r t r e de s o i - m ê m e
d a n s u n e lettre nouvelle, intercalée par lui d a n s le recueil
des Lettres persanes (3) ?

IV

Il est très f â c h e u x p o u r un g r a n d n o m b r e de critiques q u ' i l s


ne s a c h e n t pas lire. A cet é g a r d , ils r e s s e m b l e n t à Voltaire.
N ' a - t - o n pas r e p r o c h é au trop spirituel écrivain d e . r e f a i r e les
livres q u ' i l devait j u g e r , et p u i s de j u g e r des livres q u ' i l avait
faits l u i - m ê m e (4) ?
Montesquieu a p u b l i é u n v o l u m e s o u s le titre de Considé-
rations sur les Causes de la Grandeur des Romains et de
leur Décadence. P r e s q u e tous les c r i t i q u e s o n t traduit : His-
toire philosophique cle Rome. E n s u i t e , ils o n t c o m p a r é cette His-
toire aux o u v r a g e s s o i - d i s a n t s e m b l a b l e s ; ils se sont é t o n n é s
de n'y trouver rien sur tel é v é n e m e n t ou sur telle institution ;
et m ê m e ils ont déclaré q u ' i l s ne saisissaient p o i n t l'ordre, la
s u c c e s s i o n des c h a p i t r e s . Ils paraissent ne s'être p o i n t doutés
q u ' i l s étaient en p r é s e n c e d ' u n e œ u v r e o r i g i n a l e par la f o r m e
comme par le f o n d , p o l i t i q u e autant q u ' h i s t o r i q u e , ne ren-
trant d a n s a u c u n g e n r e c l a s s i q u e m e n t défini, n o n p l u s (soit dit

(1) Diverses Corrections, p. 21.


(2) V o y e z Y Avant-Propos de notre é d i t i o n des Lettres persanes, page XJV.
(3) C'est la 77e Lettre persane.
(4) Lettre de M o n t e s q u i e u à l ' a b b é de G u a s c o , du 8 a o û t 1752.
10 H. BARCKHAUSEN

en passant) q u e les Lettres persanes, q u i sont autre c h o s e q u ' u n


s i m p l e r o m a n , ou q u e YEsprit des Lois, qui n'est point un
traité de j u r i s p r u d e n c e o r d i n a i r e . Q u e l q u e net et e x p l i c i t e q u e
fût le titre du livre, ils n ' o n t pas su éviter u n e assimilation
inexacte.
En r e v a n c h e , ils se s o n t c o m p l u s à dresser la liste des auteurs
a n c i e n s et m o d e r n e s , c o n n u s ou i n c o n n u s , d o n t M o n t e s q u i e u
p o u r r a i t b i e n s'être i n s p i r é . — N ' a pas q u i veut des idées p e r -
s o n n e l l e s ! — T o u t e f o i s , et b i e n q u ' i l s se s o i e n t a p p l i q u é s à cette
r e c h e r c h e a r d u e , n o u s c r o y o n s q u ' i l s n ' o n t p o i n t relevé le n o m
de F l a v i o B l o n d i . L ' o m i s s i o n est r e g r e t t a b l e . H â t o n s - n o u s d e
révéler q u e les traités de cet illustre é r u d i t du xv" siècle f i g u -
rent sur le c a t a l o g u e de la B i b l i o t h è q u e de La B r è d e (1). Or,
l ' u n d ' e u x est relatif à la g r a n d e u r , u n autre, à la d é c a d e n c e
de R o m e . A u r a i t - i l suffi, par h a s a r d , de s o u d e r ces d e u x traités
pour composer, sauf retouches, le s e c o n d chef-d'œuvre de
Montesquieu ?
M a i s , p a r m i ses i n s p i r a t e u r s p r é t e n d u s , il en est u n auquel
o n a attribué sur lui une i n f l u e n c e p l u s q u e c o n t e s t a b l e . C'est
B o s s u e t . P e u s'en faut q u e certains éditeurs de la Grandeur
des Romains ne r e p r é s e n t e n t cet o u v r a g e comme une sorte
d ' a m p l i f i c a t i o n de q u e l q u e s c h a p i t r e s d u Discours sur l'His-
toire universelle. P r e n e z les d e u x livres, et l i s e z - l e s avec s o i n !
V o u s verrez q u ' i l s ne s ' a c c o r d e n t q u e sur les p o i n t s o ù il est
i m p o s s i b l e de ne pas avoir le m ê m e avis : les vertus m i l i t a i r e s
des l é g i o n s ou la sagesse p o l i t i q u e d u S é n a t , par e x e m p l e . S u r
les questions douteuses et g r a v e s , ils se c o n t r e d i s e n t cons-
t a m m e n t et si b i e n , p a r f o i s , q u e telle p h r a s e des Considéra-
tions semble viser tel passage du Discours, p o u r le r é f u t e r .
S ' a g i t - i l de r e m o n t e r à la cause de la d é c a d e n c e de R o m e ?
B o s s u e t la voit « d a n s la j a l o u s i e p e r p é t u e l l e . . . des P l é b é i e n s

(1) D a n s le Catalogue de la B i b l i o t h è q u e de La Brède, à la p a g e 471, on l i t :


« Blondi (Flavii). De Roma trlumphante Libri decem; Romœ instauratœ Libri très;
De Origine ac Gestis Venetorum Liber ; Italia illustrata in Regiones seu Provincias
divisa xvin ; Historiarum ab inctinato Imperio Rom. Decades très. (Basileœ, Froben,
1559). — F o l . , 1 v o l , » Le d e r n i e r traité est é g a l e m e n t c i t é d a n s le r e g i s t r e que
Montesquieu appelait son Spicilegium ( f o l i o 435 v°). C'est l u i , du moins, qui
semble y être désigné ainsi : « Flavius Blondus [De la Décadence de l'Empire
romain ».
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS SUR LES ROMAINS )) 11

c o n t r e les Patriciens (1) ». A q u o i M o n t e s q u i e u r é p o n d : « O n


n ' e n t e n d parler d a n s les auteurs q u e des d i v i s i o n s qui perdi-
rent R o m e ; m a i s on ne voit pas q u e ces d i v i s i o n s y étaient
nécessaires, qu'elles y avaient t o u j o u r s été, et q u ' e l l e s y
d e v a i e n t t o u j o u r s être (2) » . L e d i s s e n t i m e n t des d e u x auteurs
n'est pas m o i n d r e l o r s q u ' i l s a p p r é c i e n t les effets de la c o n q u ê t e
r o m a i n e : l ' u n assure q u e « les R o m a i n s r e n d a i e n t m e i l l e u r s
« tous les pays q u ' i l s p r e n a i e n t (3) » ; l'autre e s t i m e q u e leur
domination f u t « fatale à l ' U n i v e r s (4) » . Ces citations q u ' i l
serait facile de multiplier, montrent dans q u e l l e m e s u r e le
P r é s i d e n t s'est i n s p i r é de l ' E v ê q u e de M e a u x .
Il serait p u é r i l de p r é t e n d r e q u e l ' a u t e u r de l'Esprit des Lois
n'ait rien a p p r i s de p e r s o n n e . Lui-même a i m a i t à citer ses
s o u r c e s de faits et d ' i d é e s . N o u s t r o u v o n s , au contraire, u n e
p r e u v e de s o n g é n i e d a n s le fruit q u ' i l tirait de ses lectures. Il
est très p o s s i b l e q u e telles l i g n e s assez i n s i g n i f i a n t e s de P l a -
ton ou de M a c h i a v e l aient fait naître dans s o n esprit certaines
de ses théories les p l u s célèbres. S e u l e m e n t , q u a n d le p h i l o -
sophe d'Athènes ou le p u b l i c i s t e de F l o r e n c e écrivaient les
passages du Traité des Lois ou des Discours sur Tite-Live aux-
q u e l s n o u s f a i s o n s a l l u s i o n , e u x - m ê m e s ne se d o u t a i e n t g u è r e
des vérités f é c o n d e s q u ' u n autre p e n s e u r saurait découvrir
d a n s des phrases b a n a l e s à leurs p r o p r e s y e u x .

C'est par sa p u i s s a n c e de g é n é r a l i s a t i o n s u r t o u t q u e M o n t e s -
q u i e u fut créateur o u , p o u r m i e u x dire, i n v e n t e u r : u n e étin-
celle du d e h o r s faisait j a i l l i r en lui u n e f l a m m e éclatante.
Nous ne s e r i o n s p o i n t surpris que quelques mots de ce
F l o r u s d o n t il g o û t a i t tant le petit livre ne f u s s e n t c o m m e le
germe des Considérations. Dans YEpitome, on trouve : « Ac
nescio an satins faerit populo romano Sicilia et Africa contento
fuisse, aut his etiam ipsis pcircere, dominanti in Italici sua,
quam eo magnitudinis crescere ut viribus suis conficeretur (5) ».
N e serait-ce pas en lisant cette o b s e r v a t i o n , si c o n f o r m e à ses
p r i n c i p e s , sur les e x t e n s i o n s des États, que Montesquieu pro-

(!) Discours sur l'Histoire universelle, III« partie, chapitre vi.


(2) Considérations, chapitre i x .
(3) Discours, IIIe partie, chapitre v i .
(4) Considérations, chapitre i " .
(5) Julii Flori Epitomœ... (Leipsick, B.-G. Teubner, 1879), p. 64.
12 H. BARCKHAUSEN

jeta de mettre en l u m i è r e la f o l i e des vastes c o n q u ê t e s , par


l ' e x e m p l e du p e u p l e c o n q u é r a n t entre tous?
D é j à Machiavel avait dit q u e les a g r a n d i s s e m e n t s de terri-
toires étaient u n e cause de r u i n e p l u t ô t q u e de g r a n d e u r p o u r
les R é p u b l i q u e s mal o r g a n i s é e s (1). M a i s il avait a j o u t é q u ' i l
en était a u t r e m e n t p o u r les Etats q u i sauraient suivre les p r i n -
cipes des R o m a i n s . E n d é m o n t r a n t le c o n t r a i r e , Montesquieu
s'attaquait d o n c à « ce g r a n d h o m m e (2) », d o n t il a d m i r a i t
p r o f o n d é m e n t le g é n i e . Q u o i q u ' i l se f û t pénétré de ses œ u v r e s ,
il c o m b a t t a i t ses d o c t r i n e s l o r s q u ' e l l e s l u i p a r a i s s a i e n t dange-
reuses. A v a n t de s'en p r e n d r e à u n e t h é o r i e p a r t i c u l i è r e des
Discours sur Tite-Live, il avait c o m p o s é une réfutation d'en-
s e m b l e , bien q u ' i n d i r e c t e , de ce livre d u Prince, où Machiavel
a idéalisé la figure de César B o r g i a (3).
A l ' é p o q u e où il se m i t à r é d i g e r les Considérations, lè p r o -
b l è m e des c o n q u ê t e s le p r é o c c u p a i t d e p u i s q u e l q u e t e m p s . Il
v e n a i t sans d o u t e d ' a c h e v e r et de faire i m p r i m e r ses Réflexions
sur la Monarchie universelle, d o n t il supprima l'édition lui-
m ê m e . Or, voici en q u e l s t e r m e s cet o p u s c u l e d é b u t e :
« C'est u n e q u e s t i o n q u ' o n p e u t faire si, d a n s l'état où est
actuellement l'Europe, il peut arriver q u ' u n peuple y ait,
c o m m e les R o m a i n s , une s u p é r i o r i t é c o n s t a n t e sur les autres. »
Réflexions et Considérations f u r e n t i n s p i r é e s par un même
s e n t i m e n t : la h a i n e des g r a n d e s e x t e n s i o n s territoriales. Il est
d o n c tout naturel q u e M o n t e s q u i e u ait eu, u n i n s t a n t , l'idée
de f o n d r e , en partie, s o n étude sur la Monarchie universelle
d a n s son traité sur la Grandeur des Romains. On relèverait,
d'ailleurs, plus d'une r e s s e m b l a n c e de détail entre les d e u x
ouvrages.
Mais il n o u s faut d é m o n t r e r ce q u e n o u s v e n o n s d ' a d m e t t r e
par avance d a n s les p a g e s p r é c é d e n t e s : q u e les Considérations
ont pour objet d'établir, par l ' h i s t o i r e r o m a i n e , c o m m e n t les
c o n q u ê t e s e x a g é r é e s ont p o u r effet de perdre les Etats q u i les
font.

(1) Discours sur les Decades de Tite-Liue, livre II, chapitre x i x .


(2) De l'Esprit des Lois, livre VI, chapitre v.
(3) On t r o u v e r a ce q u ' i l reste d e - l a r é f u t a t i o n de M o n t e s q u i e u d a n s les Pensées
et Fragments inédits de Montesquieu, p u b l i é s par M . le b a r o n G a s t o n de M o n t e s -
q u i e u ( B o r d e a u x , G . G o u n o u i l h o u , 1899), t o m e I e r , p a g e s 417 et s u i v a n t e s , .
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS S U R LES ROMAINS )) 13

Dans le t o m e II cle ses Pensées ( m a n u s c r i t e s ) (1), M o n t e s -


q u i e u l u i - m ê m e n o u s révèle son d e s s e i n . Il y d o n n e une liste
des é p i g r a p h e s qu'il avait c h o i s i e s p o u r ses œ u v r e s princi-
pales. Celle de la Décadence des Ho/nains (sic) est le c o m m e n -
c e m e n t d ' u n vers pris à u n auteur du iv e siècle. A p r è s avoir
dit, dans s o n p o è m e c o n t r e R u f i n :

Tolluntur in ait uni,

C l a u d i e n avait a j o u t é :

Ut lapÊu graviore ruant 1

Imprimés en tète des Considérations, ces q u a t r e m o t s en


r é s u m a i e n t la m o r a l e .
L a r é f l e x i o n l u g u b r e q u ' i l s e x p r i m e n t est t e l l e m e n t la p e n s é e
essentielle d u livre q u ' o n l'y trouve d é v e l o p p é e magnifique-
m e n t d a n s u n alinéa q u i est c o m m e la clé de v o û t e de l ' œ u v r e
entière. Les c r i t i q u e s avisés o n t été f r a p p é s par l ' a m p l e u r de
ce m o r c e a u (2). M o n t e s q u i e u l u i - m ê m e en a i n d i q u é l'impor-
t a n c e . « C'est ici, d i t - i l , q u ' i l faut se d o n n e r le spectacle des
c h o s e s h u m a i n e s (3) ». P u i s il c o n t i n u e : « Qu'on voie d a n s
l ' h i s t o i r e de R o m e tant de g u e r r e s entreprises, tant de s a n g
r é p a n d u , tant de p e u p l e s détruits, tant de g r a n d e s actions,
tant de t r i o m p h e s , tant de p o l i t i q u e , de sagesse, de p r u d e n c e ,
de c o n s t a n c e , de c o u r a g e ; ce p r o j e t d ' e n v a h i r tout si bien
f o r m é , si bien soutenu, si bien fini ; à q u o i a b o u t i t - i l , qu'à
a s s o u v i r le b o n h e u r de cinq o u six m o n s t r e s ? Q u o i ! ce Sénat
n ' a v a i t fait é v a n o u i r tant de rois q u e p o u r t o m b e r l u i - m ê m e
d a n s le p l u s b a s e s c l a v a g e de q u e l q u e s - u n s de ses p l u s i n d i -
g n e s c i t o y e n s , et s ' e x t e r m i n e r par ses p r o p r e s arrêts. Onn élève
donc sa puissance que pour la voir mieux renversée ? Les hom-
m e s ne travaillent à a u g m e n t e r leur p o u v o i r q u e p o u r le voir
t o m b e r c o n t r e e u x - m ê m e s d a n s de plus h e u r e u s e s m a i n s ? »
Cette e x p l o s i o n est p r é p a r é e d a n s les c h a p i t r e s antérieurs
p a r l e r e t o u r p é r i o d i q u e de la m ê m e idée, e x p r i m é e plus dis-
crètement :

(1) Pensées, tome II, f o l i o 230 v°.


(2) Villemain, Tableau de la Littérature au dix-huitième Siècle (Paris, Didier,
1855), tome I, page 346.
(3) Considérations, chapitre x v , 10a a l i n é a .
295
H. BARCKHAUSEN

« Les puissances établies par le c o m m e r c e peuvent subsister


long-temps dans leur médiocrité ; mais leur grandeur est de peu
de d u r é e « (Chapitre IV).
« Ce furent les conquêtes m ê m e s d ' ^ n n i b a l qui c o m m e n -
cèrent à chang-er la fortune de cette guerre » (Chapitre I V ) .
« L'empire des Perses et celui de Syrie ne furent j a m a i s si
forts que celui des Parthes, qui n'avait q u ' u n e partie des
provinces des deux premiers » (Chapitre V ) .
« Il y a de certaines bornes que la Nature a données aux
Etats pour mortifier l'ambition des h o m m e s » : témoin l'his-
toire des R o m a i n s , des Parthes et des Turcs (Chapitre V ) .
« Ce fut alors que P o m p é e , dans la rapidité de ses victoires,
acheva le p o m p e u x ouvrag-e de la grandeur de R o m e : . . . le
pouvoir n ' a u g m e n t a pas, et la liberté p u b l i q u e n'en fut que
plus exposée » (Chapitre V I I ; .
« Lorsque la d o m i n a t i o n de R o m e était bornée dans l'Italie,
la R é p u b l i q u e pouvait facilement subsister » (Chapitre I X ) .
« Si la grandeur de l'Empire perdit la R é p u b l i q u e , la g r a n -
deur .de la V i l l e ne la perdit pas m o i n s » (Chapitre IX).
« Ce fut u n i q u e m e n t la grandeur de la R é p u b l i q u e qui fit
le mal » (Chapitre I X ) .
A r r ê t o n s ici ces citations, qui font l'effet de glas funèbres.
Du reste, même après avoir paraphrasé l'hémistiche de
Claudien, M o n t e s q u i e u ne cesse point de rappeler les i n c o n -
vénients des c o n q u ê t e s :
« A i n s i , c o m m e la grandeur de la R é p u b l i q u e fut fatale au
g o u v e r n e m e n t républicain, la grandeur de l'Empire le fut à
la vie des Empereurs » (Chapitre X V ) .
« Ainsi, q u o i q u e l'Empire ne fût déjà que trop grand, la
division qu'on en fit le ruina » (Chapitre X V I I ) .
« Voici, en un mot, l'histoire des R o m a i n s : ils vainquirent
tous les peuples par leurs m a x i m e s ; mais, lorsqu'ils y furent
parvenus, leur R é p u b l i q u e ne put subsister : il fallut chang-er
de g-ouvernement; et des m a x i m e s contraires aux premières,
employées dans ce g-ouvernement nouveau, firent tomber leur
g r a n d e u r » (Chapitre X V I I I ) .
« Ces conquêtes qui avaient pour cause non la force de
l'Empire, mais de certaines circonstances particulières, per-
dirent tout » (Chapitre X X ) .
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS SUR LES ROMAINS )) 15

Et notre auteur redoutait les extensions violentes non


moins dans l'ordre spirituel et religieux que dans l'ordre
matériel et civil :
« Mais ce qui fit le plus de tort à l'état politique du gouver-
nement fut le projet qu'il conçut de réduire tous les h o m -
mes à une m ê m e o p i n i o n sur les matières de religion, dans
des circonstances qui rendaient son zèle entièrement indis-
cret (1). »
Puis Montesquieu nous expose que 1 intolérance de Justi-
nien affaiblit l'Empire « du côté par où, quelques règnes
après, les Arabes pénétrèrent » pour détruire le Christia-
nisme.
Lorsqu'on cherche dans les Considérations, au lieu d'une
Histoire romaine, qu'elles n'ont j a m a i s été, ni dû être, une
démonstration, par l'histoire romaine, de la vanité des gran-
des conquêtes, on saisit aisément l'ordre des chapitres, bien
que certains critiques n'aient pas su s'en rendre compte.
Prenons le c o m m e n c e m e n t , q u ' o n a censuré bien des fois.
Montesquieu y montre d'abord : que les R o m a i n s étaient
voués à « une guerre éternelle et toujours violente » pour des
raisons politiques et économiques (Chapitre I e r ); qu'ils
« mirent tout leur esprit » à perfectionner l'art de la guerre
(Chapitre II) ; et que leur état social leur permit longtemps
d'entretenir de bonnes et de nombreuses armées (Chapi-
tre III).
Dans ces conditions, ils purent vaincre les Gaulois, Pyr-
rhus, Cartilage, les villes grecques, les rois de Macédoine, de
Syrie, etc. (Chapitres I V et V ) .
La prudence du Sénat vint, d'ailleurs, p u i s s a m m e n t en
aide à la bravoure des légions (Chapitre V I ) .
U n seul prince, Mithridate, « mit en péril » la fortune de
Rome, mais ne put l'empêcher d'unir « au corps de son
empire des pays infinis » (Chapitre VII).
A v a n t la conquête de « l'Univers », les divisions perpé-
tuelles que provoquèrent les rivalités des Plébéiens, d'une
part, et des Patriciens ou des Nobles, de l'autre, n'abouti-

(1) Considérations, chapitre xx.


16 H. BARCKHAUSEN

rent, en s o m m e , q u ' à la c o r r e c t i o n des a b u s , grâce au p a t r i o -


tisme g é n é r a l des citoyens (Chapitre V I I I ) .
Ce ne f u r e n t pas elles q u i p e r d i r e n t e n s u i t e la R é p u b l i q u e ,
m a i s b i e n la g r a n d e u r de l'Etat : r e t e n u s p e n d a n t des a n n é e s
d a n s les pays l o i n t a i n s , les s o l d a t s finirent par ne r e c o n n a î t r e
q u e l'autorité de leurs c a p i t a i n e s , d o n t le p o u v o i r était c o n -
féré à des a m b i t i e u x sans s c r u p u l e s par u n e p l è b e q u i n'était
p l u s r o m a i n e q u e de n o m (Chapitre I X ) .
N e p o u r s u i v o n s pas d a v a n t a g e cette a n a l y s e .
D a n s la s e c o n d e partie du livre o n v o i t t o m b e r , u n e à u n e ,
les pierres du « p o m p e u x » édifice q u e les l é g i o n s et le S é n a t
avaient c o n s t r u i t au p r i x de tant d ' e f f o r t s et de c o n s t a n c e .
Si M o n t e s q u i e u déplorait les c o n q u ê t e s de R o m e au point
de v u e des v a i n q u e u r s , il les condamnait plus sévèrement
encore au point de v u e des v a i n c u s . E l l e s f u r e n t , à s o n avis,
( n o u s l ' a v o n s r a p p e l é p l u s haut) « fatales à l ' U n i v e r s » . D a n s
le t o m e III de ses Pensées (manuscrites) (1) se trouve un
c u r i e u x f r a g m e n t o ù il d é v e l o p p e ainsi s o n o p i n i o n :
« Du superbe Ouvrage des Romains. — Si l'on pouvait dou-
ter des m a l h e u r s qu'une grande conquête a p p o r t e après soi,
il n ' y aurait q u ' à lire l ' h i s t o i r e des R o m a i n s . Les Romains
ont tiré le M o n d e de l'état le p l u s f l o r i s s a n t où il p u t ê t r e ; ils
o n t détruit les p l u s b e a u x é t a b l i s s e m e n t s p o u r en f o r m e r u n
seul, q u i ne p o u v a i t se s o u t e n i r ; ils o n t éteint la liberté de
l ' U n i v e r s et a b u s é , ensuite, de la leur, affaibli le M o n d e en-
tier, c o m m e u s u r p a t e u r s et c o m m e d é p o u i l l é s , c o m m e tyrans
et c o m m e esclaves ».
B i e n e n t e n d u , les a p o l o g i s t e s d u r é g i m e i m p é r i a l ne s o u s -
crivent p o i n t à cette s e n t e n c e . Ils se p l a i s e n t à c é l é b r e r <r la
p a i x r o m a i n e » et à glorifier un g o u v e r n e m e n t q u i dota de
routes_, d ' a q u e d u c s , de b a s i l i q u e s , de t e m p l e s et de théâtres,
des contrées a u j o u r d ' h u i p l u s ou m o i n s désertes. M a i s n ' o u -
b l i o n s p o i n t q u e la f a m e u s e paix romaine fut c o u r t e et très
relative : m ê m e au siècle des A n t o n i n s , les B a r b a r e s p é n é -
trèrent j u s q u ' à la Piave (2), et, à partir du m0 siècle, la
guerre, étrangère o u civile, fut, en quelque sorte, perina-

(1) Pensées, t o m e III, f o l i o 55.


(2) En 167 après J . - C . , les M a r c o m a n s s a c c a g è r e n t O d e r z o .
MONTESQUIEU ET L E S « CONSIDÉRATIONS S U R LES R O M A I N S )) 17

n e n t e . Q u a n t aux c o n s t r u c t i o n s de l ' A r a b i e ou de la N u m i d i e ,
l a i s s o n s i n g é n i e u r s , architectes et a r c h é o l o g u e s , célébrer l ' a d -
ministration q u i les exécuta. S o u s elle, l'Italie (sans parler
du reste de l ' E m p i r e ) fut réduite à un état tel q u ' e l l e n'eut
plus de soldats ni de cultivateurs. Un esprit politique,
c o m m e l'était Montesquieu, ne saurait méconnaître que la
mission essentielle de l ' A u t o r i t é est de c o n s e r v e r la société
q u ' e l l e d i r i g e , et n o n pas de d é c o r e r des p a y s a g e s . Q u a n d un
g r a n d p e u p l e o u g r a n d s y s t è m e de p e u p l e s en arrive à ne p o u -
voir plus se d é f e n d r e ni se n o u r r i r , ses i n s t i t u t i o n s d'ordre
privé ou p u b l i c sont j u g é e s .

Il n o u s reste à e x p o s e r le p l a n q u e n o u s a v o n s cru devoir


suivre d a n s cette é d i t i o n de la Grandeur des Romains.
N o u s avons fidèlement reproduit le texte de l ' é d i t i o n de
1 7 4 8 , d o n t l ' a u t h e n t i c i t é est c e r t a i n e . T o u t e f o i s , d a n s le d e r -
nier c h a p i t r e , nous a v o n s m o d i f i é u n r e n v o i q u i eût été en
désaccord avec la p a g i n a t i o n de ce volume. De plus, nous
avons m o d e r n i s é l'orthographe et la p o n c t u a t i o n et corrigé
quelques fautes de g r a m m a i r e évidentes, p o u r q u e rien ne
g ê n â t et n'arrêtât le l e c t e u r .
Quant aux passages où l'on p e u t s o u p ç o n n e r des erreurs
q u i i n t é r e s s e r a i e n t le sens des p h r a s e s , n o u s ne n o u s s o m m e s
p o i n t r e c o n n u le d r o i t de les rectifier. N o u s les a v o n s s i m p l e -
ment signalés dans n o s notes. O n a trop s o u v e n t touché à
la prose de M o n t e s q u i e u parce q u ' o n ne l ' e n t e n d a i t p o i n t (1).
En songeant à l'audace malheureuse des autres, n o u s n o u s
s o m m e s i n t e r d i t toute t é m é r i t é . S a n s e x c u s e de la part d ' u n
s i m p l e légiste, elle nous eût attiré j u s t e m e n t le r e p r o c h e de
suffisance.
Entre autres p r o c é d é s q u i n o u s semblent condamnables,
c i t o n s la p r a t i q u e des é d i t e u r s q u i o n t repris certaines l e ç o n s
de l ' é d i t i o n p r i n c e p s corrigées d a n s l'édition de 1 7 4 8 , et cela
m ê m e l o r s q u ' e l l e s sont m o i n s s a t i s f a i s a n t e s q u e les n o u v e l l e s .

(1) A i n s i p r e s q u e t o u s les é d i t e u r s m o d e r n e s des Considérations ont substitué


Orient à Occident, d a n s le 14° a l i n é a d u c h a p i t r e x x m , p a r c e q u ' i l s n ' o n t pas c o m -
p r i s q u ' i l s ' a g i s s a i t de l ' O c c i d e n t de l ' E m p i r e de B y z a n c e .
299
H. BARCKHAUSEN

A i n s i , au -chapitre X I , c'est b i e n l'administration, non l'admi-


ration du peuple (1), et, au c h a p i t r e X X I I I , c'est des choses,
n o n des causes (2), q u ' i l faut lire. D a n s le p r e m i e r p a s s a g e , il
s'agit du g o u v e r n e m e n t de R o m e , d é s i g n é é g a l e m e n t par le
m o t d ' a d m i n i s t r a t i o n dans un e n d r o i t du c h a p i t r e X I X (3), et,
d a n s le s e c o n d p a s s a g e , il est p l u s correct de mettre q u e l ' E m -
pire était s o u t e n u par des choses q u e par des causes particu-
lières : car une cause ne soutient p o i n t .
On ne saurait trop se défier de la m a n i e de c o r r i g e r les
grands écrivains, en s u b s t i t u a n t des l o c u t i o n s i n e x a c t e s ou
plates à des e x p r e s s i o n s qui étonnent un peu au premier
abord.
Dans l ' A p p e n d i c e d o n t n o u s a v o n s fait suivre le texte des
Considérations, nous avons r e c u e i l l i tous les f r a g m e n t s que
n o u s ont f o u r n i s les archives de La B r è d e , et q u e l'auteur
s'était p r o p o s é de mettre d a n s s o n o u v r a g e alors q u ' i l le r é d i -
geait, ou q u a n d il le revit p l u s tard. B i e n e n t e n d u , ces m o r -
c e a u x p r é s e n t e n t un intérêt i n é g a l . Les p l u s c u r i e u x s o n t les
chapitres additionnels, où sept ou huit paragraphes de la
Monarchie universelle en Europe devaient être reproduits ou
refondus.
D ' a u t r e s extraits des m ê m e s m a n u s c r i t s o n t été insérés dans-
les Notes et Variantes de ce v o l u m e . Les u n s s o n t empruntés
au registre des Corrections, dont nous a v o n s d o n n é le texte
intégral, m a i s en rangeant les divers articles (sauf p o u r les
chapitres additionnels dont il v i e n t d'être question) dans
l'ordre des p a g e s a u x q u e l l e s les c o r r e c t i o n s se rapportent.
Les autres s o n t pris dans les trois t o m e s des Pensées : ce s o n t
des réflexions politiques ou historiques, ayant trait aux
matières d o n t il est parlé d a n s la Grandeur des Romains, et
semblant même, en partie (bien q u e r i e n n ' e n avertisse), être
u n e r é d a c t i o n p r e m i è r e de c e r t a i n s a l i n é a s de ce livre.

O n p e u t dire des notes d o n t nous venons d'indiquer l'ori-


g i n e q u e M o n t e s q u i e u s'y c o m m e n t e lui-même.
Il en est a u t r e m e n t de celles o ù n o u s n o u s s o m m e s efforcés

(1) Considérations, c h a p i t r e xi, 15 e a l i n é a .


(2) Considérations, c h a p i t r e x x m , 9e a l i n é a :
(3) Considérations, c h a p i t r e x i x , 20" alinéa : « Cette d i v i s o n d a n s l ' a d m i n i s t r a -
tion » , c ' e s t - à - d i r e de l ' E m p i r e .
MONTESQUIEU ET LES « CONSIDÉRATIONS SUR LES ROMAINS )) 19

de spécifier les faits et les p e r s o n n e s visés ou n o m m é s dans la


Grandeur des Romains. L'auteur comptait beaucoup trop sur
la s c i e n c e h i s t o r i q u e de ses lecteurs. D a n s sa m o d e s t i e , il la
s u p p o s a i t égale à la s i e n n e .
P o u r cette partie de notre travail, n o u s n o u s s o m m e s aidé
principalement de l ' é d i t i o n des Considérations, publiée, en
1 8 9 6 , par M. C a m i l l e J u l l i a n ( I ) ; de la Chronologie de l'Em-
pire romain, par M . G e o r g e s G o y a u (2) ; et de la Chronocjra-
phie byzantine, par M. E d o u a r d de Murait (3).
Q u a n t a u x v a r i a n t e s , n o u s a v o n s relevé avec le p l u s grand
s o i n celles de l ' é d i t i o n p r i n c e p s en ses trois états. N o u s don-
n o n s aussi q u e l q u e s l e ç o n s c u r i e u s e s de l ' é d i t i o n publiée à
E d i m b o u r g , - en 1751. E n f i n , nous a v o n s cru devoir signaler
les c h a n g e m e n t s p l u s ou m o i n s arbitraires, m a i s a d o p t é s par
La p l u p a r t des écliteurs m o d e r n e s , q u i d i s t i n g u e n t les é d i t i o n s
parues, en 1755, chez Hardy, et, en 1 7 5 8 , chez A r k s t é e et
M e r k u s (4).
P o u r a b r é g e r , n o u s a v o n s d é s i g n é , dans les Notes et Varian-
tes, par une lettre s p é c i a l e c h a c u n e des é d i t i o n s ou chacun
des tirages q u e n o u s a v o n s c o n f é r é s : A signifie é d i t i o n p r i n -
ceps, 1er état ; A ' , é d i t i o n p r i n c e p s , 2« état; A " , édition prin-
c e p s , 3 e état ; B , é d i t i o n de 1 7 4 8 ; C, é d i t i o n de 1 7 5 1 ; D , édi-
tion de 1 7 5 5 ; et E , é d i t i o n de 1 7 5 8 .
A v a n t la Table des Matières, on trouvera un Index nouveau,
plus complet que celui qu'on réimprime traditionnellement
d e p u i s un siècle et d e m i .
Quant à l'illustration du v o l u m e , elle ne consiste q u e dans
la r e p r o d u c t i o n d u f r o n t i s p i c e a l l é g o r i q u e d e s s i n é par E i s e n
pour l'édition de 1 7 4 8 . On y voit, au p r e m i e r p l a n , Rome
trônant d a n s sa g l o i r e , avec u n e aigle plantée fièrement der-
rière elle. Mais, au f o n d , o n l ' a p e r ç o i t au m i l i e u de ruines,

(1) Montesquieu, Considérations..., publiées par Camille Jullian (Paris,


Hachette et Gie, 1896). — Une s e c o n d e é d i t i o n a paru en 1898.
(2) Chronologie de l'Empire romain... par Georges Goyau (Paris, C. K l i n c k s i e c k ,
1891).
(3) Essai de Chronologie byzantine... de 395 à 1057, et... de 1057 à 1453, par
E d o u a r d de Murait, 2 v o l u m e s in-8°, en trois tomes (Saint-Pétersbourg, Eggers et
Cie, 1855-1871).
(4) Dans l ' é d i t i o n des Œuvres de Monsieur de Montesquieu ( A m s t e r d a m et L e i p -
sick, Arkstée et Merkus, 1758), tome III, page 349.
20 H. barckhausen

consternée à son tour et pleurant sur les débris d'une aigle


rompue.

Il manquerait quelque chose à cet Avant-Propos, si nous


n'exprimions pas notre gratitude à M. Henri D o n i o l et à la
famille de Montesquieu, qui nous ont fourni l'occasion et les
m o y e n s de faire cette édition nouvelle des Considérations.
Nous avons à remercier aussi M. Henri M o n n i e r , profes-
seur à la Faculté de Droit, et M. R a y m o n d Céleste, conserva-
teur de la Bibliothèque de la ville de B o r d e a u x , pour les
très précieux renseignements dont nous leur s o m m e s rede-
vables.
Enfin, nous n'oublierons pas de dire c o m b i e n nous som-
mes obligé à M. le baron de Montesquieu, à M. Ernest L a b a -
die et à M. R e i n h o l d Dezeimeris, de nous avoir confié leurs
plus rares éditions de la Grandeur des Romains.
Ce n'est pas tout.
A u m o m e n t de prendre c o n g é de l'Imprimerie nationale,
nous tenons à nous louer encore une fois, p u b l i q u e m e n t , du
concours si courtois que nous y avons trouvé, sous la direc-
tion de M. A r t h u r Christian, c o m m e sous celle de son prédé-
cesseur.

H. BARCKHAUSEN
P r o f e s s e u r à la F a c u l t é de d r o i t de Bordeaux,
Correspondant de l'Institut.

Laval. — I m p r i m e r i e Parisienne, L. B A R N É O U D et G'*


LA REVUE

du Droit public et de la Science politique


EN FRANGE ET A L'ÉTRANGER
Paraît tousles deux mois par fascicules grand in-8<> de 192 pages

ELLE COMPREND DANS CHAQUE NUMÉRO :


1° des articles de f o n d sur les princi- 6° des variétés : notes, observations
paux problèmes de l'organisation politi- documents, faits, rentrant dans son pro-
que et constitutionnelle, de la législation
sociale, du droit international public, du
droit administratif, de la législation colo« 7" l'indication dans un ordre méthodique
niale, de la science financière et de l'or- et l'analyse de tous les actes et docu-
ganisation judiciaire ; ments officiels d'intérêt général (Lois',
décrets,arrêtés, circulaires, rapports, etc. i
2° des chroniques spéciales : constitu-
tionnelle et parlementaire; fiscale et finan-
8° l'indication des travaux parlemen-
cière ; internationale ; pénitentiaire ; colo-
niale ; de l'enseignement; judiciaire; taires (questions, interpellations, mo-
tions, résolutions, projets et propositions
3° des chroniques politiques et lé- de lois) ;
gislatives, pour la France et les pays
étrangers ; un bulletin bibliographique complé-
i° des analyses et comptes rendus cri- tant la 4e partie de la Revue et consacré
tiques des ouvrages touchant au droit à tous les ouvrages qui méritent d'être
public et la science politique ; signalés ;

5° une revue des Périodiques, donnant 10° des notices biographiques et biblio-
un résumé très détaillé des principaux graphiques sur les auteurs qui colla-
articles parus dans les Périodiques du borent à l'œuvre de la Revue.
monde entier ;
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