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INSTITUT DE THÉOLOGIE ORTHODOXE

SAINT-SERGE

Licence en Théologie

ÉLÉMENTS DE THÉOLOGIE LITURGIQUE

DEUXIÈME PARTIE

L'OFFICE

Professeur Constantin ANDRONIKOF

PARIS 1987
Eléments de Théologie Liturgique

Deuxième partie ~ Le Typ ikon et l'office

chapltre IX Le Typikon """"',..""" ""..""""""""""""""" " , ,., , ,...,................ 1 12

vêpres
Chapltre X Vêpres " ...,.................... 14 16

1) Ouverture - Pet ites vêpr es 16 - 26


........................
2) Psaume CIII " 26 - 28
3) Prières du lucernaire .................. 28 - 34
4) Litanies - Doxologies 34 - 46 ........

5) Cathisme - Psaumes du lucernaire - Stichères 46 - 50


..........................................

6) En tr ée " ","""""""""""""""""""""""""""" 50 - 53
7) "Lumière joyeuse" ................................................................................................ 54 - 61
8) Lectures de la Parole de Dieu ........................................................................ 61 66
9) Litanies et prières 67 - 80
10) Litie 81 - 93
11) Apostiches - Cantique de Siméon - Tropaire - Finale 93
............................ - 99
Matines

Châpitre XI Ma t in es """""""""" 100


.."........

1) Ouverture - Hexapsalme '- Prières "...................................................... 103-118


2) Cathismes - Po1yeleos - Graduels ............ 119-128

3) Evangile - Psaume L ...... 128-135

4) Canon ................................................................................................ 135-146


5) L au des.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 146-153
6) La Finale ,........................................ 153-157
Corrigendum

p.6', ligne 16, après 1838, ajouter (Constantinople).


Chap'.X : Vêpres, les' numéros des paragraphes doivent être en chiffres
arabes (et non romains).

p.66 supprimer IX en haut et bas de page.

p.67 mettre 9 en haut de page.


p.93 au lieu de X lire Il.
p.94 supprimer XI.
p.103 avant "Le début de l'office... "(4ème 1.) mettre 1.

p.104 supprimer 1.

p.128 avant le 2ème par. ("Comme il se doit... ") mettre 3.


p.135 au lieu de 3. lire 4.
p.146
" " " 4. " 5.

p.153
" " " 5. " 6.

COPYt{IGH1i
INSTITUT DE THÉOLOGIE
ORTHODOXE SAINT SERGE
-1-

ELEMENTS DE THEOLOGIE LITURGIQUE

DEUXIEME PARTIE: LE TYPIKON ET L'OFFICE

Chapitre IX: LE TYPIKON

L'ordonnance de la prière liturgique (y compris des parties


mobiles de la liturgie eucharistique) est fixée dans un livre appelé depuis

quelques siècles TYEikon Il ne nous appartient pas ici d'en retracer

l'histoire, longue et compliquée, qui s'étend pratiquement du début du Ve

siècle au milieu du XVIIe. Les éditions grecques et slaves n'en sont pas

identiques, celles-ci comprenant en plus de l' Ordo, des prescriptions

pratiques relatives surtout à la vie monastique, qui ne sont pas proprement

liturgiques. Mais leur différence essentielle tient aux rites, sans pour

autant porter atteinte au sens théologique des célébrations: le Typikon grec

s'est moins éloigné des rituels de Constantionople et du Stoudion, tandis que

le slave est fondé surtout sur celui de Jérusalem (de "Saint-Sabbas"). L'on

doit à André Lossky un exposé clair de l'évolution qui, à partir des


célébrations des deux grands centres liturgiques: Jérusalem et Byzance,

aboutit à ces deux versions, dont la grecque correspond à peu près au type du

rite cathédral et paroissial, et la slavonne, aux célébrations monastiques

(Mémoire de DEA à la Faculté de Théologie Catholique de Strasbourg, 1985, 75

p.).

Les dernières éditions du Typikon sont: pour la version grecque,

celle due à B.D.Saliveros (Athènes, sans date); pour la slave, celle de

Moscou 1904 (reprod.phot. Graz 1964).

L'étude systématique et commentée la plus complète du Typikon est


-2-
due à Michel Skaballanovitch, qui était professeur à l'Académie de Théologie

de Kiev ( Tolkovïi TïEikon eXEosé eXElicatif du TïEikon avec une

introduction historigue , fasc.I, Kiev 1910, 494 p.; fasc.II, Kiev 1913, 336

p.; facs.III, Kiev 1915, 78 p.). De nombreux travaux portent sur des

collections de manuscrits ou des textes particuliers, comme ceux de:

A. Dmi trievskii, °Eisanie ... ( DescriEtion des manuscrits li turgig,ues

conservés dans les bi bliothègues de l'Orient orthodoxe ), t.I ( TïEika ),

Kiev 1895; t.II ( Euchologia ), Kiev 1901; t.III ( Typika ), Pétrograd 1917;

reprod. Hildesheim 1965. Du même: Drevneichie ...( Les plus anciens typika

Eatriarcaux du Saint-SéEulcre de Jérusalem et de la Grande Eg,li se de

ConstantinoEle ), Kiev 1907. J.Goar, Eucholog,ion sive Rituale Graecorum

comElectens ritus et ordines...juxta usum Orientalis Ecclesiae , Venise 1730.

K.Kekelidze, Liturg,itcheskie grouzinskie pamiatniki (Monuments liturgiques

géorgiens), Tiflis 1908; du même: Ierousalimskii kanonar' (Un Ordo

hiérosolymi tain du VIle siècle) ,


Tiflis 1912; N.Krasnoseltsev, K istorii

pravoslanago bogosloujenia (Contribution à l'histoire de la 1i turgie

orthodoxe) , Kazan 1889. M. Lici tsyn, Pervonatchalnïi slaviano-rousskii

tiEikon (Le Typikon slavo-russe ini tial), Saint-Pétersbourg 1911 ;

I.Mansvetov, Tserkovnyi Oustav (tipik) ...(sa formation et sa destinée dans

les Eglises grecque et russe), Moscou 1885. Miklosich ' et Müller, Acta et

DiElomata monasteriorum et ecclesiarum Orientis t.II, Vindobonum 1887.

J.Mateos, Le TïEicon de la Grande Eg,li se , t.I-II, Rome 1962, 1963. Du

même: Quelgues anciens documents sur l'office du soir

Orient.Christ.Period. 35,1969. K.Nevostrouev et A.Gorskii, °Eisanie

... (Description des manuscrits slaves de la Bibliothèque Synodale de Moscou),

t.I-IV, Moscou 1855-1917. A.Goloubtsov, Sobornïi tchinovniki (Ri tuels

cathédraux et leurs particulari tés li turgiques) , Moscou 1907.

A.Papadopoulos-Kerameus, Analekta Hierosolïmitikès Stachyologias , t.I-II,

Saint-Pétersbourg 1899. M. Tarnichvili, Le Grand Lectionnaire de l'Eg,lise de

Jérusalem, Louvain 1959-1960.

Ajoutons-y pour mémoire des répertoires classiques: E.Renaudot,


..

-3-

Litur,giarum orientalium collectio (2 vol. ) , Paris 1716; 2e éd. Francfort


"

1847; Leo" Allatius: De libris et rebus ecclesiasticis Graecorum

dissertationes duae Paris 1646; Teodoro Toscani: Ad TYEica Graecorum ac

p,raesertim ad Typicum cryptoferatense S.Bartholomaei abbatis animadversione~

Roma 1861. V.aussi Maxi mi li en de Saxe, Praelectiones de Li tur,giis

orientalibus , Freiburg i/Brisgau, t.I 1908; t.II 1913.

On trouvera un tableau d'ensemble des "liturgies d'Orient" chez

A.King: The rites of Eastern Christendom , Roma, t.I, 1947; t.II, 1948. Pour
leur description générale, v. S. Salaville, Liturgies orientales, notions

générales, éléments principaux -' Paris 1932 (l'A. signale p.204 un ouvrage

sans doute précieux d'A.Dmitrievsky, Nauka 0 pravoslavnom bogoslujenii , qui


n'existerai t malheureusement qu'en manuscri t dactylographié en URSS) ;

I.H.Dalmais, Les liturgies d'Orient ,Paris 1959.

Plus spécialement sur les offices et les heures, v. A.Raes:

Introductio in li tur,gi am orientalem Roma 1947; I.H.Dalmais, Ori,gine et

constitution de l'office, La Maison-Dieu 21, 1950; J.M.Hanssens, Nature et

,genèse de l'office de matines Roma 1957; C.Marcora, La vi,gilia nella

li tur,gi a. Ricerche sulle ori,gini e sui p,rimi sViluE.E.i Milano 1954;

J.Froger, Les origines de prime, Roma 1946; Ev.Cassien, B.Botte et al., La

p,rière des heures Paris 1963; V.Raffa, La liturgia delle ore, Brescia

1959. On consultera avec profit l'esquisse historique de P.Salmon: La p,rière

des heures in L 'E,gli se en p,ri ère d'A. G.Martimort et coll., 3e éd.,

Paris-Tournai 1965, sect.III, ch.I et II, p.809-839. M.Arranz, Les p,rières

presbytérales de la 'Pannychis' de l'ancien Eucholo,ge byzantin et la

'Panikhida' des défunts, Orient.Christ.Period., v.XL,II, Romae 1974.

Texte des offices en françai s: les Editions de Chevetogne ont

publié en 1975 La p,rière des heures version entièrement révisée de

L'office divin du P.E.Mercenier (in t.I de La prière des Eglises de rite

byzantin Amay-sur-Meuse 1937) . On trouvera à l'Institut Saint-Serge des

traductions (hors commerce) assurées par le P.Georges Leroy et par le diacre

Daniel Baeyens. La "Fraternité orthodoxe" en dispose d'autres.


-4-

Pour ce qui est de la terminologie liturgique, nous renvoyons au très

complet Vocabulaire thématique des principaux termes liturgiques de l'Eglise


,
orthodoxe (français, grecs, slavons; 208 p.), mém~ire présenté en 1984 à
l'Institut Saint-Serge par André Lossky. V.aussi Dictionnaire russe-fran~ais .

des termes en usage dans l'Eglise russe par M.Roty, Paris 1980.

La première description détaillée des offices qui nous soit

parvenue et qui nous permette de suivre à partir de là historiquement


l'évolution des rites dans la pratique de l'Eglise est due à la fameuse

pélerine gauloise ou galicienne Ethérie, ou plutôt Egérie (fin du IVe

siècle): ltinerarium (souvent ?ppelé Peregrinatio ), Journal de vo~ ,


texte et trad. de J.Maraval, Sources Chrétiennes 296, Paris 1982. Mille ans

plus tard, nous avons un Traité des offices d'un Pseudo-Kodinos (éd.

J.Verpreux, Paris 1966) et les traités de Syméon de Thessalonique: Sur le

saint temEle et Sur la divine Erière (PC.CLV). Nous aurons à citer ces

derniers Eassim et nous puiserons constamment la plupart de nos indications

sur les origines de nos rites et sur leurs similitudes avec d'autres chez

Skaballanovi tch ( °E. ci t . ), ainsi que chez N.Ouspensky, Pravoslavnaia

vetchernia (Les vêpres orthodoxes, essai historique et Ii turgique) ,

Bog,oslovskie Troudl. v.l, Moscou 1959 (trad. angle du P.Paul Lazor in

Evening, WorshiE in the Orthodox Church St. Vladi mi r' s Seminary Press,

Crestwood 1985). Du même: Tchin vsenostchnog,o bdenia na Pravoslavnom

Vostoke i v Rousskoi Tserkvi (Le rite de la vigile dans l'Orient orthodoxe

et l'Eglise russe), ibid " v.18 et 19, 1978.

Tl,.Eikon (sous-entendu bi blion ) a pour racine tl,.Eos . On en


sait les acceptions diverses: trait, genre, modèle, norme...Par exemple, il

désignai t la loi impériale, mais S.Crégoire de Nazianze appelait ainsi le

Symbole de la Foi. L'adjectif tl,.Eikos signi fi ai t "selon le modèle",


"conforme". Le tl,.Eikon bi bli on au sens ecclésiastique, est le Ii vre

exemplaire, celui des modèles à suivre en matière de rite: le Rituel ou l'


Ordo ( ordinarium , comme le traduisait Toscani). L'on sent déjà qu'en latin
-5-

et dans les langues qui en sont dérivées, le sens se durcit et devient plus

strict. Le russe traduit par oustav ou tchinovnik , qui correspondraient

plutôt à diataxis (statut). Skaballanovi tch dit fort bien: "Ce titre

défini t admirablement non seulement le caractère du livre, mais encore celui

de la liurgie dont il traite. Pour ce qui est de celle-ci, le propos du

Typikon n'est pas tant d'en régler les moindres détails de façon à éliminer

toute liberté chez les officiants que d'en tracer l'idéal supérieur qui, par

sa beauté, les pousserait à le réaliser; ce qui n'est pas toujours possible

dans sa perfection...Il en va de même, en fait, pour toute la loi du Christ,

qu est irréalisable dans sa totali té céleste, mais qui provoque par sa

grandeur un irrésistible élan de l'humanité pour y atteindre et qui, ainsi

vivifie le monde" ( op.cit ., fasc.II, p.2).

Le premier auteur présumé par l'histoire en a été S.Sabbas le

Consacré (VIe s.). Il en avait rédigé un texte (perdu) au titre significatif:

T1l?°s kai E,aradosis kai nomos , c'est-à-dire à la fois modèle, tradition et

loi. Syméon de Thessalonique l'appellera d'ai1eurs diat1l?ôsis . Il faut

cependant attendre S.Théodore le Studite (IXe s.) pour en recevoir la forme

la plus répandue: celle de l' Hypotyposis (au sens cette fois d'esquisse, de

description sommaire). Au Xe siècle, S.Athanase l'Athonite, réformateur du

Mont-Athos, le transporte sur la Sainte-Montagne et l'élabore en tant que

Diat1l?ôsis (transformation et représentation). Il est à noter que les

Constitutions Apostoliques (IVe-Ve s.) appliquaient ce terme à

l'organisation ecclésiastique, aux consécrations et à la li turgi e

euchari s tique. L'Ordo le plus ancien sous une forme complète est sans doute

celui de la Grande Eglise (Sainte-Sophie de Constantinople) ,


dans un

manuscrit du IXe ou du Xe siècle, dont on n'a malheureusement pas la page de

titre. L'on suppose qu'il était intitulé Synaxarion , ou livre de la synaxe,

de l'assemblée (ce que le slavon rend par sobornik ou sbornik soborov ,

portant la liste des jours aux célébrations solennelles). Probablement non

moins ancien est un Kanonarion (ou recueil de règles) du Sinai.


..
-6-

Aux XIe et XIIe siècles, le mot tY..E.ikon prend parfois une valeur

explicative. Par exemple, la règle du monastère de l'Evergétis à

Constantinople s'intitu le: Synaxarion ètoi typikon ; à l'inverse, un

manuscrit de l'Uni versi té de Tu ri n porte: Typikon ètoi diataxis tès

ekklèsiastikès katastaseôs kai akolouthias (modè le ou statut de


l'insti tution et de l'office ecclésiastiques). A partir du XIIIe siècle,

tY..E.ikon sera employé le plus souvent seul. La version slavonne moderne (la
dernière édi tion
en Russie date de 1877, reproduisant en fait celle de 1695,

sous le patriarcheAdrien) explique encore le terme: " Ti.:eikon siest' Oustav"

(Typikon, à savoir: statut), tandis que la deuxième page de titre porte


l'intitulé: " siretch
Ti.:eikon izobrajenie ...(Typikon, c'est-à-dire la

représentation de la li turgie ecclésiale à Jérusalem, de la Laure de notre

saint et théophore père Sabbas. La même liturgie a aussi lieu dans d'autres

honorables monastères de Jérusalem, ainsi que dans d'autres saintes églises


de Dieu)". Le TY..E.ikon grec moderne (également du modèle sabaite,mais
selon une révision athonite du XVIe siècle) a été édité en 1B38, 1897, 1923
(Athènes).

Cet Ordo ( tserkovnyi oustav ), "comme régulateursystématique


des offices des cycles journalier, triodique et mensuel (temporal et

sanctoral), est l'un des livres liturgiques les plus tardifs. Il fut organisé

à une époque où ces trois ordres avaient déjà acquis une forme stable. Sans

rien créer de nouveau quant au contenu des offices et se fondant sur la

matière liturgique existante, le Typikon ne fait que l'ordonner et en indiquer

l'usage correct, selon les conditions de l'année ecclésiale...L'histoire du

Typikon est inséparable de l'évolution générale de la liturgie...et son

développement la reflète". Cette observation de Mansvétov ( op.cit " p.l)

définit exactement la nature de l'Ordo orthodoxe: non pas code de règles

édictées par quelque autori té extérieure à la liturgie et à la piété, mais

mise en ordre systématique des célébrations, selon les données, la réalité de

la prière de l'Eglise. L'actualité liturgique est première, la réglementation

en est fonction. La richesse et la diversité des offices, les occurrences des


r

-7-

cycles journalier et hebdomadaire avec les fêtes, le sanctoral, le cycle

mobile du Carême, de Pâques et de la Pentecôte, exigent en effet un

modèle, un "patron", voire une norme auxquels les liturges puissent se

référer pour procéder dans une harmonie rituelle et théologique (en évitant

ainsi des risques d'incohérence et d'anarchie, auxquels la complexité même

de la 1i turgie pourrai t conduire). Et cela, sans du tout viser à

l'uniformi té. L'Eglise ne s'en est guère souciée, ne confondant pas

uniformité et unité. Elle a procédé dans ce domaine, comme toujours, par voie

de tradition . Les titres successifs des règles liturgiques en témoignent:

diatypôsis, hypotypôsis, diathèkèz. t11?ikon (biblion) testament,

ins ti tution, type exemplaire...(une série de manuscrits du IXe au XIIIe

siècle contiennent des règles pour les offices et la vie des monastères

byz an ti ns fondés par des empereurs, des impératrices, des patriarches ou des

notables, règles établies par eux-mêmes ou par les higoumènes; de même, en

Russie, les ktitorskie tipikony , règlements du ktitor , fondateur)...Autre

exemple: le Typikon du patriarche Alexis (1025-1043) se réfère à S.Théodore

Studite (+826), "le champion de l'orthodoxie".

Il va néanmoins sans dire que les rites suivis par des centres

li turgiques prestigieux comme Saint-Sabbas, le Stoudion ou le Mont-Athos

exerçaient, comme il se doit, une influence prépondérante et que, sous une

forme plus ou moins combinée, ils finirent par s'imposer (d'eux-mêmes, non

par décret) à la quasi totalité de la chrétienté orthodoxe (on trouvera un

exposé remarquablement clair de cette longue évolution dans l'Introduction du

P.N.Egender à La prière des heures, Chevetogne 1975).

Au deme~rant, il est pratiquement impossi ble de suivre à la

lettre les indicati ons du Typikon. L'office des matines, par exemple,

durerai t six bonnes heures; celui de la vigile (vêpres + matines), douze ou

quatorze. Appliquer rigoureusement les règles (y compris, par exemple, le

redoublement et le triplement du chant de certains stichères) conduirait à

une 1i turgie continue. Acti vi té peut-être idéale pour les fidèles, à


~- l'instar des anges, mais les moines même
-8-

n'y parviennent

qu'occasionnellement. L'histoire témoigne là d'une situation malheureuse.

Dans l'ancien temps, des cathédrales, de grandes paroisses avaient élaboré au

fil des ans des offices "asmatiques", convenables à la vie ecclésiale non

monastique. Ainsi que Syméon de Thessalonique le rapporte de cette


akolouthia asmatikè "rien n'y était dit, sinon en chantant (ou

canti lénant), à la seule exception des prières sacerdotales et des demandes

diaconales" (li taniques) ( De la divine prière; PG CLV,624; v.description

ib .624-661). Ils tombèrent en désuétude pour différentes raisons, tant

extérieures qu'intérieures à l'Egl~se, et tant empiriques que spirituelles:

d'une part, invasions et occupations des différentes régions de la chrétienté

par les Barbares, les Perses, les Arabes, les Croisés, les Mongols, les

Turcs; d'autre part, multiplication de petites paroisses, manque de chantres

quali fiés, décadence générale de la culture ecclésiale, influence

prépondérante du mode monastique.

A l'égard de ce dernier facteur, rappelons que, dans la chrétienté

orthodoxe, surtout depus la chute de Byzance et durant les siècles de

mongolocratie et de turcocratie, le moine voit augmenter et se renforcer le

rôle qu'il tenait déjà aux époques de lutte contre schismes et hérésies,

contre les abus canoniques du pouvoir civil, comme défenseur de la vraie foi

et, en général, comme modèle de vie chrétienne. Les monastères ne sont de

toute façon pas très favorables à la mélodie: le chant risque de séduire et

de prendre le pas sur la parole (déjà S.Jean Chrysostome s'était élevé contre

les excès passionnels de la musique qui di strai t de l'essentiel). Ils

préfèrent traditionnellement la psalmodie ou la cantillation aux mélismes.

Mais là non plus, il n'y a pas d'uniformité: selon S.Jean Cassien, des

cénobi tes
égyptiens, pourtant des exemples de rigueur, chantaient les psaumes

sur un mode mélodique, " et


adjunctione guarundam modulationum " ( De
Institutis coenobiorum II; PL XLIX,78); et S.Sabbas lui-même enjoignait à
sa laure d'en faire autant. De surcroît, l'hymnographie se déve lo,ppe

tellement qu'elle tend à supplanter lectures bibliques et psaumes. L'espace


-9-

et le temps 1i turgiques ne permettaient plus de tout conserver des anciens

ad libitum. Et cela,
usages et d'y ajouter stichères, tropaires et canons

non sans un paradoxe flagrant: les grands auteurs de la plupart des nouvelles

hymnes étaient justement des moines. Il est à présumer que pour exécuter ces

sur une mélodie, ils ne se montraient pas moins


cantiques, évidemment

musiciens que les gens du siècle, tout en maintenant, comme il se doit, la


à la musique. D'ailleurs,
primauté absolue de la parole par rapport

et "belles voix" n'ont d'habitude guère de


compositeurs "professionnels"

rapport avec la prière de l'Eglise ni avec le sens cultuel et les lois de la

(comme on le constate en Occident depuis la Renaissance, avec


1i turgie

l'abandon du chant grégorien, l'introduction du choral protestant, l'usage de

de l'orchestre; et en Orient depuis le XVIIIe


l'orgue, de l'harmonium,

siècle, surtout en Russie, avec l'hégémonie musicale des écoles italienne et

allemande) .
Il se produisai t en fait une sorte de conflit, pratique bien

au sein de la tradition monastique elle-même et


plutôt qu' "idéologique",

entre celle-ci et la liturgie "séculière", pourtant nécessaire dans ce monde.

Ce fut cette dernière qui céda.

C'est ainsi que, les causes extérieures concourant avec les motifs

"l'ordo des offices chantés de l'église hiérosolymitaine de la


intérieurs,

fut ou b 1i é à par ti r
du XIe siècle; pour la même raison, les
Résurrection

célébrations asmatiques de Constantinople disparurent dès le début du XIIIe"

(les Croisés prirent la capitale et la mirent à sac en 1204 pour instaurer un

Empire Latin). "De même, elles cessèrent dans l'Eglise russe au milieu du

la Russie fut soumi se au joug tatare; elles ne se


XIIIe siè cIe, quand

maintinrent que dans la région de Novgorod, restée inaccessible aux hordes

mongoles jusqu'à la chute de cette ville en 1478; alors, le rite prit aussi
cathédrales et paroissiales se
fin. Dans tous ces cas, les égli ses
ni choeur nombreux ni
tournaient vers l'office monastique qui n'exigeait

chantre exercé". N'oublions cependant pas que la tendance à combiner les deux

ri tuels "s'était manifestée dès le Ve siècle. La part active que prenaient

les moines au combat de l'Eglise contre les hérésies les mettait en avant
-10-
comme candidats à des sièges épiscopaux et même patriarcaux. Ayant observé

de jour en jour, durant de nombreuses années, la règle de la psalmodie dans

leur monastère, ils n'y renonçaient pas après avoir été élus à un siège

pontifical et, en vertu de leur position, ils pouvaient librement introduire

des éléments de leur rite dans la liturgie" (N.Ouspensky, Pravoslavnaia

vetchernia , op.cit " p.35).

On peut dire, en résumé, qu'après les luttes iconoclastes et le

"triomphe de l'Orthodoxie" (843), les oeuvres liturgiques s'épanouissent à

Byzance, tant à Cons tanti nople même (où se développe le rite cathédral et

chanté, "asmatique") qu'au Stoudion - (ri te monastique) ; et cela, jusqu'à

l'occupation par les Latins (1204). Dès lors, c'est l'Ordo de Jérusalem, le

"Sabbaite" , relati vement plus commode à suivre, qui va prévaloir dans tout

l'Orient. Il résultai t lui-même d'une simplification des célébrations

décri tes par Egérie. D'une part, celles-ci étaient devenues impraticables

après les dévastations causées par les Perses au début du VIle siècle, puis

par l'occupation musulmane, a fortiori en raison des ravages dont souffrit

la ville sainte de la part des califes jusqu'au XIe siècle. D'autre part, la

vie litugique des communautés chrétiennes, tant monastiques que paroissiales,

évoluai t, comme nous venons de le rappeler. Dans quelle mesure les nouveaux

usages étaient-ils dus à S.Sabbas le Consacré lui-même (+532) et étaient-ils

formulés dans la règle qu'il avait établie pour sa laure près de Jérusalem et

qu'il avait confiée par écrit à son successeur Mélite (les rites mêmes

qu'aurait ensuite codifiés le patriarche Sophrone de Jérusalem, +644)? On

l'avait longtemps pensé, sur la foi de témoignages de seconde main.

Toutefois, Mansvétov, en particulier, estimait que le testament de S.Sabbas

contenait simplement "des règles générales de la vie monastique...Cet exposé

succinct d'ordre disciplinaire fut complété avec le temps par des remarques

de contenu li turgique , en reprenant des pratiques d'autres localités

ecclésiales" ( Tserkovnri Oustav °E. ci t . , p.ll5). L' archimandri te

Antonin Kapoustin était encore plus radical: "Ce qu'on appelle le rituel

sabbaite n'a jamais été une composition du monastère de Saint-Sabbas. Il a


-ll-
toujours été et il est encore aujourd'hui l' oustav de l'Eglise orthodoxe,

progressivement cons ti tué depuis les temps apostoliques, surtout en

Palestine, et répandu à partir de là jusqu'aux régions les plus éloignées. Le

patient travail de la communauté du monastère du saint théophore n'a fait que

l'extraire des horologes, octoèques, ménées, triodes etc., et l'a exposé sous

la forme d'un unique livre de référence" ( Zapiski sinaiskago bogomol'tsa

(Notes d'un pélerin du Sinai) , in Travaux de l'Académie de théolo~ie de

Kiev mars 1873, p.426-427). Ainsi que le dit Ouspensky, après avoir cité

notamment les deux auteurs précédents, auxquels il donne ai nsi rai son,

"l'heureuse découverte par le prof. A. A. Dmi trievsky" ( Description ...,1,

p.222-224) du texte de la règle de S. Sabbas, jusque là ignoré, "mi t fin à

toutes les conjectures" ( Tchin vsenostchno~o bdenia . ,


°E.. cit

Bogosl.Troudy 18, p.51).

Le fait est que l'Ordo de Jérusalem devient de plus en plus usuel

dans la chrétienté orthodoxe, toutefois selon la "synthèse byzantine"

(Schmemann) .
Ouspensky en signale un exemple caractéristique pour le monde

slave: "L'archevêque serbe Nicodème, en 1319, emprunta pour son Eglise le

texte complet du rituel hiérosolymitain nulle part ailleurs qu'à


Constantinople, sur le conseil des patriarches orientaux, 'qui se tenaient au

t1E,ik de la sainte vi11e de Jérusalem, selon le rituel de S.Sabbas

l'hermite"'. Nicodème précise en effet: "J'ai mandé (des envoyés) à la ville

impériale.. .et l'on m'a rapporté ce t1E,ik hiérosolymitail1; et je l'ai

traduit du grec en notre langue" (Ouspensky, ibid ., p.88 et note 8).

Parmi les nombreux manuscrits de ce rituel qui circulent du XIIIe

au XVIe siècle, quand il est à peu près uniformisé, mentionnons la Diataxis

tès hierodiakonias généralement attribuée au patriarche Philothée de

Constantinople, qui "fixe l'ordonnance de rites...qui prenaient des formes

diverses dans la pratique ancienne" ( ibid ., p.89).

C'est aussi de Constantinople que l'Eglise russe reçut cet oustav.


Moscou l'y répandi t à partir du XIVe siècle. "De cette époque datent les

premières copies slavonnes et les travaux du métropolite Cyprien pour rédiger


-12-

le psautier 'suivi' selon les particulari tés li turgiques de l'Ordo de

Jérusalem...Ces premiers manuscri ts sont en fait des copies de l'exemplaire

serbe de l'archev.Nicodème...L' oustav de 1401 , composé par notre

compatriote, l'archimandrite Athanase, et intitulé par lui Oko tserkovnoie

(Oculus ecclesiasticus), et qui est à la base de tous les manuscrits russes

postérieurs du rituel de Jérusalem, jusques et y compris les éditions de

Moscou, fut aussi rédigé par cet archimandrite à Constantinople" (Ouspensky,

°E.~it ., Bogosl.Troudy 19, p.3-4).

Notre Typikon actuel, dans sa version slave, reflète ces éléments,

complexes au point de sembler à l'occasion disparates (certains ne sont

d'ailleurs pas à proprement parler li turgiques), et il réussi t le plus

souvent à les conci lier, sinon à les synthétiser totalement. Il comprend

trois parties: 1) générale: a) prières et rites des petites vêpres, none,

bénédiction du repas du soir (monacal), panaghia abrégée, autres heures

canoniales, parties mobiles de la liturgie dominicale, rite de la panaghia

(chap.1-26); b) disposi tions morales des li turges (chap.27-31) ; c)

comportement des moines (chap.32-47); II) règles pour l'office selon le jour,

occurrences, etc. (chap.48-52); III) supplé~ent: indications de diverses

hymnes, bénédiction du colybe .

l'é tude du Typikon et l'exposé de son application pratique ne

relevant pas de la théologie li turgique proprement dite, ces très brèves

indications sur sa nature et son histoire suffisent ici. Notre analyse des

deux principaux offices, vêpres et matines, laissera donc de côté le détail

des rubriques (objet d'un enseignement spécial à l'Institut Saint-Serge). Et

puisque notre propos ici est de considérer le culte orthodoxe tel que

l'Eglise le vit aujourd'hui, nous n'en suivrons point pas à pas l'évolution

historique, en nous contentant de noter, le cas échéant, des témoins anciens

et quelques similitudes avec d'autres rites, pour relever les marques de son

enracinement dans la tradi tion chrétienne, diverse mais une, et nous aider

ainsi à mieux saisir le sens des offices.


- 13 -

VEPRES
-14-

Chapitre X: VEPRES

Prenons le texte de cet office dans son développement le plus

complet, c'est-à-dire celui des "grandes vêpres" à vigile (selon le Typikon

slave; v. sUEra ch. IX), les vêpres ordinai res, "de tous les jours", et les

"pe ti tes vêpres" (que l'Ordo grec ne contient pas) n'en étant qu'une

réduction. (Sur la vigile, v. l'étude historique et théologique, citée au

chapi tre précédent, de N.D.Ouspensky, professeur émérite de l'Académie de

Théologie de Léningrad: Tchin vsenostchnovogo bdenia (hè agrypnia) ...( La

célébration de la vigile dans l'Orient orthodoxe et l'Eglise russe ), in

Bogoslovskie Troudy, , N°18, ch.I-V; N°19, ch.VI; Edit.Patr.Moscou, 1978. Sur

les vêpres en particulier, v. du même: Pravoslavnaia vetchernia ( Es s ai

historico-liturgique ), ibid ., N°l, 1960).

Il convient de faire une remarque générale à propos de la vigile,

compte tenu de sa longue histoi re, au cours de laquelle elle s'est

développée, puis s'est rédui te dans la pratique slave et a disparu, sauf à

Pâques, dans d'autres Eglises. Il est d'abord évident que vêpres et matines

célébrées les unes après les autres sans interruption, selon les indications

strictes d'un Typikon, quel qu'il soit, excèdent par leur durée et la

concentration qu'elles exigent les forces de quiconque n'a pas consacré sa

vie entière à la prière. Aussi l' agrypnia ou pannychis , le vsenostchnoie

bdenie n'ont-ils plus été célébrés en tant que tels même dans la plupart des

monastères de l'Orient orthodoxe, en tout cas à partir des XVI-XVIIe siècles.

Vêpres y furent séparées de matines par un temps de repos (à Saint-Sabbas de

Palestine comme à Sainte-Catherine du Sinaï...). Depuis le milieu du XIXe

siècle, leur Typikon (celui de "la Grande Eglise du Christ", édité en 1838)

ne comporte plus du tout de vigile. Celle-ci s'est néanmoins maintenue au

Mont-Athos, selon le rituel de Jérusalem (dans la version

constantinopolitaine). Toutefois, note Ouspensky ( Tchin ... , °E.cit.


........

-15-

Bogosl. Tr. 19, p.lO!), "au-delà de la lettre, les athonites voyaient

l'esprit de l'ascétisme ancien et ils apportaient en conséquence à la

li turgie des amendements qui correspondaient au mode de vie de tel ou tel

monas tè re , à l'importance de sa communauté etc. Aussi n'utilisent-ils pas les

édi tions de l'Ordo hiérosolymitain et se servent-ils de leurs propres typika

manuscri ts" (dont Dmi trievsky, T1.Eika III, op.cit ., a publié toute une

série) . Leurs vigiles complètes (qu'ils ne célébraient, à vrai dire, que

trois fois par an) pouvaient durer de 14 à 17 heures (cf.Ouspensky, ibid.,

p.lO5, citant le témoignage d'un pélerin; v.notes 30, 40-43).

En Russie, deux tend~nces s'opposaient: conserver la vigile comme

jadis à Jérusalem ou séparer matines de vêpres comme au Stoudion. A partir

du XVIIe siècle, un compromis assez malheureux fut aménagé par Moscou: celui

d'une combinaison des deux offices abrégés, pour qu'ils ne durassent pas plus

que deux ou trois heures. La pratique en est restée telle à ce jour. '~e rite

raccourci ne jutifiait ni son appellation ni ses hymnes" (notamment celles de

matines le soir!). "A cet égard, les monastères russes qui en étaient revenus

à l'usage studi te, selon lequel vêpres et matines étaient célébrées

séparément et au moment prévu par le rituel, se montrèrent plus fidèles à

l' espri t de l'Ordo ecc lé si al " (Ouspensky, ibid ., p.58). Commentant ces

différentes pratiques au XIXe siècle (célébrations distinctes au Sinai et à

Saint-Sabbas, vigile réelle occasionnelleent à l'Athos) , l' archimandri te

Antonin (Kapoustin, qui fut en particulier chef de la Mission russe à

Jérusalem) écri vai t dans ses Notes d'un E,élerin au Sinai (in

Trav.Acad.Théol.de Kiev, 1873, III, p.381), en se servant d'une expression

éangélique (Mt.XIX,12) : "Que celui qui en a la force en soit capable! Une


chose est bonne, l'autre l'est aussi. Mais une troisième ne l'est guère:

quand celui qui n'est pas capable s'imagine qu'il l'est ou, du moins,
inconsciement le déclare. J'ai en vue cet office matinal que, dans des

monastères orthodoxes et, à leur suite, dans des églises paroissiales, l'on

célèbre le soir, durant une à trois heures, et que l'on appelle

vsenostchnoi " (de toute


la nuit). "Il serait injuste de dire d'une telle
-16-
appellation qu'elle est hypocrite et cruel de déclarer qu'elle est un

faux-semblant, mais comment ne pas penser qu'il y a là pour une part un

service tacite "de Dieu et de mammon"? Ne serait-il pas plus conforme à la

dignité de la liturgie de séparer les deux offices, et d'estimer que les deux

valent pour celui qui "est capable" et l'un des deux seulement pour celui qui

ne l'est pas?" Il est significatif que c'est par cette citation qu'Ouspensky

conclut tout son traité sur la vigile ( op.cit ., p.69).

Revenons à nos vêpres. Ce premier office du cycle diurne est

célébré en principe, selon le Ty'pikon" "peu après le coucher du soleil", à la

première heure de la nuit; donc, dans notre cas, au début de la nuit du

samedi au di manc he ou de la veille d'une fête avec vigile. En fait, on

commence vêpres dans les paroisses entre cinq et sept heures du soir, quelle

que soit la saison.

Ri tuellement ,
elles comprennent les "parties" sui vantes: I)

prières ini tiales; II) introduction et Psaume CIlI; III) prières du

lucernai re; IV) litanie; V) trois groupes de trois psaumes (cathisme), suivis

chacun d'une pe ti te li tanie; VI) entrée; VII) hymne du lucernaire; VIII)

lectures bibliques; IX) litanies et prière; X) hymnes; XI) cantique de Siméon

et finale. Quand il y a vigile, on ajoute une litie après IX. Nous

esquisserons le sens théologique de ces différentes parties (qui composent

évidemment un tout) au cours de leur analyse.

;II 4.

Vêpres sont annoncées par les cloches, en deux temps: d'abord,"

la grande cloche"; "puis, toutes" (Typikon, ch.2; cf.9). Cependant, "on aura

allumé les lampes et l'encensoir". Il n'y a sans doute pas de religion dont

les fidèles ou les prêtres ne fassent monter une flamme pour honorer la

Di vi ni té. L'Ancien Testament prescri t de le faire "perpé tuellement"

(Ex.XXVII,20-21; XXX,8; Lév.XXIV,2-4). La pratique chrétienne en est notée


-17-
par les documents les plus anciens, comme le Testament de notre Sei~neur

Jésus Christ (la version syriaque de l'original grec perdu, traduite ensuite

en copte, guèze et arabe, date du Ve siècle, mais "c'est un remaniement et

une amplification de la Tradition apostolique d'Hippolyte" (qui est du Ille

s.), constate Berthold Altaner ( Précis de Patrolo~ie adapt.Chirat,

Mulhouse, 1961, p.102); Testamentum... éd.J.E.Rahmani, Mayence 1899;

extrai ts chez J.Quasten in Florile~ium Patristicum 7, Bonn 1936). (D'après

Ouspensky, cette pratique est aussi attestée par les Consti tutions

ecclésiales é~tiennes , datant du Ille siècle; en fait, il s'agit de cette

même AE.°stolikè E.aradosis d~Hippolyte, qui se trouvait incluse dans le

Srnodos de l'Eglise d'Alexandrie; v.Altaner, p.96). Non moins traditionnel

est l'usage de l'encens, allégorie de la prière elle-même, tant par sa bonne


1
odeur que par son mouvement ascensionnel (cf.Ps.CXL/CXLI,2; Ap.VIII,3-4).

Avec ces lampes et ces cierges allumés, nous accédons d'emblée au

sens premier de l'office vespéral, lucernaire lrchnikon : la lumière

comme symbole du Christ. L'hymne centrale en sera "Lumière joyeuse". Les

flammes et les textes liturgiques eux-mêmes font de la prière de vêpres une

doxologie et une action de grâce axées sur la lumière. "Dieu est lumière" (1

Jn.I,S). Le fait que la célébration ait lieu à la tombée du jour, "dans les

ténèbres," en renforce pour ainsi dire le sens. Nous aurons à le signaler

E.assim .

Le son des cloches avait appelé les fidèles à s'assembler. Les

portes du sanctuaire sont ouvertes. Portant l'étole (ou en vêtements

complets dans les paroisses), précédé du diacre tenant un cierge, le prêtre

encense l'autel et le sanctuaire. Après la préparation sonore (appel et

harmonie acoustiques) vient comme une préparation olfactive à la prière, dans

le silence du recueillement commencé. Ajoutant à son sens symbolique, brûler

de l'encens ou des herbes odorantes représente chez tous les peuples un

sacrifice propi tiatoi re. Cet aspect "matériel" (les aromates ont aussi un

effet physique et physiologique) sera suivi des éléments intellectuels et

spi ri tuels de la li turgie. Le corps et l' espri t des fidèles sont


..,

-18-
organiquement mobili sés. Cet encensement, le premier aussi du cycle

journalier, est effectué par le prêtre; à la liturgie eucharistique, il

l'est par le diacre, car le prêtre est occupé à un "plus grand mystère".

Le diacre: "Levez-vous!" Cette injonction ne vaut littéralement

que pour les monastères, où les frères attendent assis le début de l'office.

Dans les paroisses, on peut l'interpréter comme un appel à la vigilance et à

la concentration. En général"
la station debout est l'attitude normale de

ceux que Dieu appelle (v. la parabole du fils errant). Et elle l'est

particulièrement à la li turgie (hors les génuflexions et prosternations

ri tuelles à des moments spéci fiques). A cet effet, les indications de

l'Ancien et du Nouveau Testament abondent, depuis la Genèse (XIX,1) et les

prophètes (~ Ez.II,1-2: "Tiens-toi sur tes pieds et je te parlerai")

jusqu'à l'Evangile et aux écrits apostoliques qui en montrent le sens

ré surrec ti onnel (notamment Mt.IX,9; Mc. Il , 14 ; Lc.V,28; XV,18,20; XXII,46:

"Levez-vous et priez!"; Mt . VI Il , 15 ; Mc.V,41; IX,27; Lc. VII, 14 ; Jn.V,8;

Act.IX,40; XXVI,16: "Tiens-toi droi t!" dit le Seigneur à celui qui écrira à

ses disciples d'Ephèse: "Relève-toi, toi qui dors, et lève-toi d'entre les

morts!", Eph.V,14, en faisant peut-être allusion à Isaie (XXVI,19, LX,I...)

ou citant déjà une hymne li turgiq ue). En principe, le prêtre doit alors

encenser le temple, les icônes, le peuple, le narthex (pronaos ou exèdre).

Syméon de Thessalonique y voyait le signe de ce que "du sanctuaire, la grâce

odorante du Saint Esprit se répand partout" ( Peri tou hagiou naou ,19; PG

CLV) .
Le diacre: "Mai tre , bénis'!" Tout acte liturgique est accompli

selon la bénédiction de l"'instance" spirituelle supérieure qui y préside. Et

celle-ci, à son tour, ne peut bénir qu'en invoquant Dieu ou son Règne, qu'en

se référant et en appelant au triple Nom de Celui qui est la bénédiction et

la sainteté mêmes. Il en est ainsi de toute prière, de la

prédication...Cette invocation ini tiale (et, en quelque sorte, initiatique)


,- -19-

de la puissance suprême est évidemment fondamentale et indispensable pour la

liturgie: elle atteste la Erésence du Seigneur parmi les liturges: "Là ou

sont réunis en mon nom deux ou trois, je suis au milieu d'eux" (Mt.XVIII,20).

Ainsi, après avoir de nouveau encensé les portes royales, les icônes du

Christ et de sa Mère, placées de chaque côté de celles-ci, et l'autel, le

prêtre proclame: "Gloire à la sainte et consubstantielle et vivifiante et

indi visible Trinité, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles!"

(cet encensement et cette ecphonèse sont en réalité propres au début de

matines, mais ils sont transportés ici à vigile, puisque les deux offices se

suivent sans solution de continuité).

De la sorte, "avant tout cantique, nous avons exprimé la

théolo,gie de l'Auteur et du Maître de toutes choses...en plaçant le début

des hymnes devant Celui qui est le commencement et la fin de tout" (Syméon de

Thessalonique, Peri tès theias proseuchès , 309). Il s'agit en effet d'une

doxologie dogmatique. Elle concerne l'ensemble de la liturgie. Notre "culte

(raisonnable ou latreia "


logique spirituel), lo,gikè (Rom.XII,l) ,

c'est-à-dire qui est "dans mon espri t" (Rom.I,9) et "dans l'Espri t"

(Jn.IV,24), commence par glorifier Dieu. C'est un développement des

glorifications de l'Ancien Testament et du " Gloria in excelsis " du Nouveau

(Lc. II , 14 ) . En effet, nous qualifions aussitôt Celui que nous glorifions.

Dieu que nous invoquons, dont nous parlons et que nous prions n'est pas un

Etre abstrait, une Di vi ni té an sich : Il est la Trinité révélée. Elle est:

1) "Sainte" , dans la Triade aussi bien qu'en chacune des trois Personnes; 2)

"Consubstantielle" ( homoousios ), une épithète ontologique applicable à la

Triade et, plus spécifiquement, à la Deuxième Hypostase depuis Nicée; 3)

"Vi vi fiante", qui donne (la Providence) et qui fait la vie ( zôopoios,

jivotvoriastchia )-, car elle est le Créateur; une "défini tion" de la Triade

et, plus spéci fiquement , de la Troisième Hypostase (après le IVe siècle,

surtout depuis S. Basile le Grand) ; 4) "Indivisible", et aussi indivise

(adiairetos,
nerazdel'niaia ), définition applicable elle-aussi à la Trinité

entière comme à chacune des Hypostases inséparables; 5) "maintenant et


-20-
toujours...": nous proclamons le caractère actuel , ensemble éternel et

présent, du Dieu révél~, dans le temps et selon l'eschatologie.

Le choeur: "Amen!" Le peuple de Dieu confirme que les paroles du

prêtre sont celles de la vraie foi qu'il confesse lui-même, expression de

sa théologie conforme à la piété et, inversement, de sa piété conforme à la

doctrine. En effet, "la connaissance de la vérité (est) selon la piété,

kat'eusebeian pour ( epi ) l'espérance de la vie éternelle" (Tit.I,l); et

"nous offrons le culte ( latreuontes ) selon (ou par) l'Esprit de Dieu", qui

est l'Esprit de la Vérité (Ph.III,3). "C'est là le culte logique" que nous

avons à rendre à Dieu (Rom...XII, 1 ). Au contraire, prévient l'apôtre, "si

quelqu'un ne s'attache pas à la doctrine ( didaskalia ) conforme à la

piété...c'est un ignorant, un malade en quête de controverses et de

logomachies" (1 Tim.VI,3). Nous avions déjà esquissé ce sujet

(v. Introduction) , en montrant que, dans la tradi tion de l'Eglise, lex

credendi et lex orandi allaient de pair, celle-ci étant un critère de

celle-là.

Notons en outre que toute liturgie s'ouvre et se conclut par une

doxologie trinitaire. Prenons l'exemple des petites vêpres (pratique slave).

Son premier acte consiste pour le prêtre à proclamer: "Béni est notre Dieu,

en tout temps..." (plutôt que: "Béni soit notre Dieu"; c'est non un souhait

ni une demande ni, encore bien moins, une bénédiction de Dieu par le prêtre,

qui serait absurde, mais une constatation et une affirmation dogmatiques).

L'une des premières choses que nous puissions dire sur le nom de Dieu,

imprononçable en soi, c'est qu'il est toujours béni, ainsi que souvent

s'exclame par exemple l'apôtre Paul: "Dieu et le Père du Seigneur Jésus,

celui qui est béni dans les siècles (pour l'éternité, ho ôn eulo~ètos eis

tous aiônas )" (II Cor.XI,3!); "Dieu à jamais béni. Amen!" (Rom.IX,5); et

donc, "à lui la gloire pour les siècles des siècles.Amen!"(Rom.XVI,27; cLI

Tim.I,17; Héb.XIII ,21). Cet "état" d'éternelle eulo~ie et, par conséquent,
d"'eudoxie" (qui constituent une acti vi té fondamentale et continue des
1--
1

-21-

anges), est bien une définition ontologique de Dieu. Et le choeur, au nom du

peuple de Dieu, répond: "Amen!" L'Orthodoxie, entièrement manifestée par sa

1ex orandi , est d'abord une liturgie de glorification, avant d'être demande

ou action de grâce (encore que l'on puisse considérer que la doxologie est

déjà une eucharistie ).

Profitons de cette mention des petites vêpres pour en examiner le

commencement, à la suite de l'ecphonèse initiale, car il contient des textes

qui se retrouvent dans d'autres offices; ainsi, nous n'aurons pas besoin d'y

revenir.

Après l'Amen du choeur, le lecteur: "Gloire à Toi, notre Dieu,

gloire à Toi!" Cette formule se trouve dans les prières eucharistiques, sur

le modèle des Epîtres et de l'Apocalypse (IV,1l; VII,l2; XIV,7; XIX,l,7).

Puis le lecteur récite les Erières initiales qui ouvrent toute liturgie (si

des offices les omettent, c'est qu'elles ont été prononcées à un office

précédent et immédiatement jouxte; sauf pour "Roi céleste" entre Pâques et

la Pentecôte, temps de notre attente du Saint Esprit).

1) "Roi céleste, Paraclet..." Nous avons commenté ce texte

ai lIeurs. Ce stichère de la Pentecôte n'apparaît pas ici avant le IXe

siècle. Le Typikon de la Grande Eglise ne le mentionne pas. C'est une

épiclèse, invocation dogmatique aussi par les définitions qu'elle comporte,

adressée à l'auteur véri table de tout mystère et de toute prière

(cf.Rom.VIII,26-27 et Jn.IV,23-24). D'une part, "Dieu est esprit" (Jn.IV,24)

et "ceux qui adorent, c'est en espri t et véri té qu'ils doivent adorer Il ( ib.)

D'autre part, ce n'est que par l'Esprit même de Dieu qu'ils peuvent le

faire. "Nous rendons notre culte par l'Esprit de Dieu" (Ph.III,3). C'est

l'Esprit Saint qui atteste le sacerdoce du Christ lui-même, à l'exemple de

qui nous pouvons prier le Père (Héb.X,15). Et c'est par l'Esprit Saint que

nous savons que Dieu demeure en nous, parce ce qu'il nous l'a donné (1

Jn.III,24), condition sine gua non de la prière. Aussi commençons-nous

logiquement celle-ci, 1i turgique ou pri vée , par demander à l'Esprit de la


-22-

Vérité, au Donateur de vie, de venir nous habiter et d'agir en nous.

2) "Dieu Saint, Saint Fort..."(selon la vision d'Isaie et le

chant des séraphins). Cette glorification trois fois répétée de la Sainte

Trinité est encore une affirmation plutôt qu'une invocation (il n'y a pas le

vocatif en grec: " Hagios ho Theos "). Cependant, la demande suit: c'est le

premier" eleèson " liturgique.

3) "Gloi re au Père et au Fils et au Saint Esprit, maintenant et

toujours..." La première doxologie du lecteur nommait le Dieu un, la deuxième

L'identifie par le nom des Trois Personnes. C'était la formule conclusive des

Actes des Martyrs dès le lIe 'siècle. Elle était dogmatiquement nécessaire en

particulier contre les Ariens, à la suite du le Concile oecuméniqueet de

synodes locaux, comme celui de Vaison en Gaule, au IVe siècle. Elle est

d'ailleurs fondée sur des écrits apostoliques, comme l'épître de S.Jude.

D'une part: "Au Dieu unique notre Sauveur par Jésus Christ notre Seigneur,

gloi re. . . " ; d'autre part: "Construisez-vous sur la base de votre foi très

sainte; priez dans l'Esprit Saint; maintenez-vous dans l'amour de Dieu;

placez votre attente dans la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ pour

la vie éternelle", développement trinitaire (Jude 25,20-21).

4) "Trinité toute-sainte..." La formule est ici entièrement

développée: après l'invocation de la Tri ni té en tant que telle (à noter

l'emploi de la deuxième personne du singulier), à laquelle il est demandé

derechef d'avoir pitié de nous ( eleèson ), la prière vise distinctement

chacune des Trois Hypostases:" Kyrie", la Première, si cette "énumération"

suit le principe de la "monarchie" du Père (et bien que le "titre" de

Seigneur soit d'habitude plus spécifiquement réservé au Christ, notamment par

le K~rie eleèson , ici adressé à'la Trinité), pour qu'elle soit propriation

de nos péchés (l'expression grecque, hilasthèti tais hamartiais hèmôn ,


difficile à traduire, est généralement rendue par "purifie-nous de nos

péchés". L'édi tion de Chevetogne le tourne par "agrée l'expiation de nos

péchés", ce qui réduit l'énergie divine demandée à une simple acceptation; le

slavon dit simplement "purifie nos péchés", avec une crase qui pourrait
-23-
conduire à un non-sens, puisque ce n'est pas le péché en soi, mais son

porteur qui peut être rendu pur). " Despota ", la Deuxième Hypostase, pour

qu'elle "pardonne nos iniquités, anomias, bezzakonia (la dénomination de

Maître! Vladlka est aussi liturgiquement décernée au proestos , comme

officiant principal d'une célébration, qui bénit à son tour au nom de Dieu);
" ", la Troisième
Hag,ie Hypostase, source de toute sainteté, pour qu'elle

nous " radical donne


"vi si te , episkepsai (dont le episcopos , devenu

"évêque"), demande qui correspond à celle de "Roi céleste" ("viens et habite

en nous") , et pour que l'Esprit Saint "guérisse nos infirmités" (parallèle

aussi à la purification des souillures, demandée par la prière au "Roi

céleste"). Enfin, la puissance du Nom trine est invoquée pour justifier en

quelque sorte notre supplication: " heneken tou onomatos sou ": accomplis-la

"à cause" ou "en vertu de ton nom", comme au baptême, selon l'ordre du

Seigneur lui-même (Mt. XXVIII, 19 ) . Si l'origine de cette prière reste

incertaine, elle est assez ancienne pour se trouver chez les Coptes et les

Ethiopiens.

5)
" eleèson 1"
. , trois
Klrie fois, d'origine biblique

(Is.XXXIII,2; Bar.III,1; Mt.XV,22; XX,30).

6) Une deuxième doxologie "au Père et au Fils et au Saint Esprit".

Il est à noter que cette formule est toujours conclue par un Amen.

7) "Notre Père", la prière du Klrios et enseignée par le Fils

(Mt.VI,9-13; Lc.XI,2-4).(On trouvera un commentaire de la demande relative au

"pain" dans notre chapitre sur l'Eucharistie infra ). (V. A.Hamman, Le Pater

exE.!igué E,ar les Pères Paris 1962; W.Marchel, Abba, Père!, La prière du

Christ et des chrétiens ,Romae 1963; surtout 3e partie, ch.II et conclusion

générale, pp.213-257).

Le prêtre proclame au nom de l'Eglise que "le règne, la puissance

et la gloire sont à Toi", c'est-à-dire à la Sainte Trinité, "au Père et au

Fils et au Saint Esprit"; en le scellant par la confession d'éternité:

"maintenant et toujours et dans les siècles des siècles". Cette formule est

elle-aussi scripturai re: elle suit le dernier verset de la prière dominicale


...

-24-

(Mt. VI, 13 ) dans une dizaine de manuscrits grecs, dans les versions syriaques;

elle est dans le Diatessaron et dans la Didachè , elle se trouve dans les

Evangiles grec et slave utilisés à la liturgie.

8) Le lecteur: "Amen" . Puis, douze Ky,rie eleèson et une

troisième doxologie trinitaire.

De la bénédiction ini tiale aux glori fi cations entrecoupées de

demandes justifiées par celles-ci, cette progression offre comme le schéma de

la démarche li turgique et une synthèse de son contenu (en attendant le

sacrement). A propos de l'-Amen, on sait qu'en hébreu, d'abord

adj ec ti f, puis adverbe, il signifie "ferme" et "certain". L'Ecri ture

l'applique parfois à Dieu même pour connoter sa fidélité, sa véracité. Ainsi

Isaie (LXV, 16 ) : "Quiconque se bénira...se bénira par le Dieu de l'Amen, et

quiconque prêtera serment...jurera par le Dieu de l'Amen". En effet, comment

bénir ou donner sa parole autrement que par le Nom de Celui qui est le

Fidèle, le Véri table et le Véridique et dont "la parole est

véri té"(Jn.XVII, 17)? De même dans l'Apocalypse (III,14): "Ainsi parle

l'Amen, le Témoin fidèle et véritable" (cf. l Jn.V,26). Le Christ "n'a jamais

été que 'oui'. Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur 'oui' dans sa

personne. Aussi est-ce E.ar lui que nous disons 'Amen' à Dieu pour lui

rendre gloire" (II Cor.I,19-20). Le Verbe incarné lui-même commence ses

paroles p.ar 'Amen' une cinquantaine de fois chez les synoptiques, par 'Amen

amen' une trentaine de fois chez Jean. On sait aussi qu'à la fin des phrases,

Amen signifie "qu'il en soit ainsi", de la part d'une personne ou du peuple

(d.Nb.V,22; Jér.X1,5; XXVIII,6..., par foi s redoublé: II Esdr.VI1I,6). Un

double Amen conclut les doxologies finales des Psaumes (XL/XLI,14;

LXXI/LXXII, 19 ; LXXXVIII/LXXXIX,53; CV/CVI,48).C'est pourquoi la Septante le

tradui t par ,genoito et la Vulgate par fiat . Les apôtres l'emploient

constamment pour confirmer leur bénédiction et leur glorification de Dieu,

(par exemple, Rom.I,25; Gal.I,5; Eph.III,21; Ph.IV,20...Héb.XI1I,21; l

Pi . IV, 11 ; Ap.I,6,7...). Son utilisation liturgique est attestée dès l'origine

par S.Paul (1 Cor.XIV,16; II Cor.I,20), par S.Justin ( Apologies, 1,65; in


1- -25-

Textes et Documents dir.Hemmer et Lejay, éd. et trad. L.Pautigny, Paris

1904, p.138-141) , puis par Tertullien ( De Spectacu1is ,25; PL 1,657), par

S.Ambroise ( Enarrat. in Ps XL,36; PL XIV,1084), par S.Augustin ( De

Doctrina christiana , II,11; PL XXXIV,42), par les Constitutions Apostoliques

(VIn, 13; PG 1,1108), par S.Cyrille de Jérusalem: "La prière achevée ('Notre

Père'), tu dis: 'Amen!', contresignant ( episphragizôn ) par cet 'Amen', qui

signifie ,ainsi soit-il! ' ( g,enoito ), ce que contient la prière que Dieu

nous a enseignée" ( Catéchèses mystagogiques ,V,18; SC 126, Paris 1966,

p.169). Eusèbe, d'autres encore mentionnent l'Amen, dont la place est ensuite

fixée par les ri tuels. Le peuple de Dieu atteste ainsi que ce qui est

proclamé et vrai, il en déclare la pérennité et il le projette dans les

siècles, au nom de l'être même de Dieu qui est la Vérité.

Le lecteur introdui t ensuite à la célébration de l'office. Il

commence par invi ter le peuple à s'assembler: "Venez!", deute , comme pour

l'appeler de l'extérieur à converger vers le centre liturgique. Mais dès le

deuxième verbe de l'invitation, le "vous" devient "nous", signifiant le corps


r
ecclésial de l'assemblée: "Inclinons-nous!", geste ini tia1 de la vénération

cultuelle. Le texte grec ajoute ici " prospesomen ", prosternons-nous en

adoration, alors que le slavon ne le place qu'aux deuxième et troisième

versets, lorsque la personne à laquelle va le culte aura été nommée. Encore

une fois, nous n'adorons pas la Divinité en général. Celle que nous avons

invoquée dans nos prières ini tia1es, nous l'avons "identifieé": la Très

Sainte Trini té. Nous a vi ons commencé par une demande épi clé tique: que

l'Espri t Saint vienne en nous. Forts de sa demeure, nous avons été à même

de nous adresser directement aux Trois Personnes, puis au Père céleste. Nous

spécifions maintenant l'Une des Trois, le Monog,ène (cf.deuxième antiphone

d~ la 1i turgie eucharistique): "Le Roi notre Dieu" (premier verset), Celui à.

qui a été "conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de

J~sus tout genou fléchisse" (Ph.II,10, cit.ls.XLV,23), et que nous appelons:

"Le Christ, notre Roi et notre Dieu" (deuxième verset), "le Christ lui-même,
.....

-26-

notre Roi et notre Dieu" (troisième verset). C'est derechef l'affirmation

de sa Erésence réelle dans l'assemblée, selon sa promesse: "Là ou deux ou

trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eu~ " (Mt.XVIII,20). Et

"si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai" (Jn.XIV,14;

cf. XVI, 24 etc. ). Sous cet aspect, la li turgie est effectivement

christocentrigue par son dynamisme interne, mais propulsée par l'énergie

pneumatique, selon la "dimension" trinitaire. Le Fils envoie d'auprès du Père

l'Espri t qui donne à l'Eglise la puissance de prier et qui en "garantit"

ainsi l' efficace "en vertu" des Trois. Ces versets d'introduction

provoquent le mouvement de l'assemblée par ses verbes ri tue1s: venir,

s'incliner, adorer. En même temps, ils sont comme un Erokimène (inspiré du

Ps.XC4/XCV,6, au texte modifié et complété selon le contenu chrétien): ils

précèdent la lecture ou le chant du, Psaume CIII/CIV.

Dans la pratique, cette partie initiale (après la bénédiction par

le prêtre jusqu'au dernier Amen du lecteur, le "comencement ordinaire", dit

le Typikon) est omise. Elle n'intervient qu'aux offices qui ouvrent une série

continue de trois offices quotidiens: au meson~ktikon , à tierce, à none.

Habituellement, donc, l'ouverture des petites vêpres est composée seulement


de "Béni est notre Dieu..." et aussitôt de "Venez, inclinons-nous..."

~t

Reprenons maintenant le déroulement des grandes vêpres à vigile.

C'est le prêtre qui, de l'autel, entonne l'invi tation aux fidèles de

s'assembler et de prier. Selon un usage, les trois versets ("Venez", etc.)

sont chantés crescendo, comme pour rendre ce début plus solennel que celui

des vêpres ordinaires. Puis le prêtre (ou le supérieur du monastère et,

dans les paroisses, le choeur) chante le Psaume CIII/CIV (quand celui-ci èst

lu, il doit l'être "avec séréni té et componction", indique le Typikon).

Cette pratique est attestée par un horo1ogion sinaite du VIlle siècle, par
-27-
la Hypotypôsis de Théodore le Studite (+826) et par les ri tuels

hiérosolymitains. Un règlement du patriarche Anthime de Constantinople (VIe

s.) préconisai t déjà de chanter le psaume en intercalant des répons

antiphonaires entre les versets. Il semble qu'auparavant, l"'ouverture" de

vêpres était "Heureux l'homme...", le début même du Psautier (Ps.I,I),

usage du SinaI au VIe siècle. Tous les vieux rituels indiquent pour le

Ps.CIlI un chant plus solennel ou au moins un changement de ton à partir du

28e verset (le 6e jour, la Providènce). Au Mont-Athos, les deux choeurs

alternent la psalmodie à partir de là (V.Antonin Kapoustin, Zametki

E,oklonnika Sv. Go rI (Notes d'un pélerin de la Sainte-Montagne), Kiev 1864).

Les "vieux-croyants" russes en chantent toujours certains versets.

Ce "psaume d'introduction" glorifie Dieu comme Créateur. Il

présente tout le créé (du cycle temporel, v.19, et de l'ordre naturel, v.20),

dont "le souffle de Dieu" fait l'être (v.29-30). Il s'agit du cosmos après

le déluge (9), soumis à la Providence (27,30) du "Démiurge" que l'on remercie

comme il convient à la fin du jour et à l'achèvement de l'oeuvre créatrice,

faite "avec sagesse" (24). "Qu'à j amai s soi t la gloi re du Seigneur!" (31).

"Bénis le Seigneur, Ô mon âme...". Justifiée est toute la joyeuse louange

de Dieu (v.33-35). Et s'il arrive que le Seigneur regarde parfois ses

créatures avec colère (d'où des tremblements de terre, des éruptions

volcaniques), c'est qu'elles portent le péché de l'homme; donc, "que les

pécheurs disparaissent de la terre et que les méchants (impies) ne soient

plus! "(35). En principe, chaque verset est suivi du refrain: "Tu es béni,

Seigneur" (du Ps.CXVIII/CXIX,12). On ne le fait que pour les versets 1, 24 et

31 dans la pratique slave (avec "Que tes oeuvres sont grandes, Seigneur!"

après le v.24 et "Gloire à toi, Seigneur, qui as tout créé" après le v.31).

La ré ci tation du psaume est conclue par trois "Gloire" aux Trois

Personnes, avec Amen et trois fois trois "Alleluia" avec "Gloire à toi, ô

Dieu!" Une glorification finale de la Sainte Trinité, répond à la bénédiction


-28-

ini tiale des petites vêpres, à la doxologie développée des grandes. Quant à

l'IIAlleluia" , citons simplement l'explication qu'en fournit le P.Vigouroux

(Di c ti onnai re
de la Bible, fasc.II, co1.369; Paris 1908): IIC'est un composé

de deux mots hébreux, halelû 'louez' , seconde personne plurielle de

l'impérati f du verbe hi 11 ê 1 ...et de Yâh , abréviation du nom sacré de

Jéhovah. Il se trouve dans un grand nombre de psaumes, au commencement ou à

la fin et quelquefois aux deux endroits, CIV,36; CV,45; CVI,1,48; CXI,lll,

etc., "et il a été simplement transcri t, sans être traduit, dans les

Septante et dans.m Vulgate. Il devint de bonne heure une sorte de formule de

réjouissance, et on le chanta comme un chant de joie aux jours de fêtes. Les

rues de Jérusalem nous sont représntées dans Tobie, XIII,18 (texte grec),

retentissant du cri d' alleluia Cf.III Mach.VII,13, où tout le peuple

chante a11eluia Dans l'Apocalypse, XIX,1,3,4,6, les saints rendent aussi

gloire à Dieu dans le ciel en disant: alleluia . L'Eglise, s'inspirant de

ces divers passages des Livres Saints, a fait de l' alleluia l'expression de

la joie dans sa liturgie...La Vulgate n'a pas conservé la formule hébraïque

et a traduit avec raison: Laudate Dominum ,...Ps.CXXXIV,3; CXLVI,l..., où on

1it: alleluia et laudate Dominum ...11 Un ensemble de psaumes (CXII-CXVII),

appelé ha11êl , louange, était chanté aux néoménies et à certaines fêtes.

1111 Y ~a 'une allusion à ce chant du hallêl , Sap.XVIII,9, où ai nous , laudes

"louanges", est la traduction de hallêl ... L' 'hymne'que récita Jésus


Christ avec ses Apôtres après l'institution de la Cène, Matth. XXVI, 30,
est aussi la partie du hallê1 qu'on récitait après la célébration de la

Pâque".

J-tl"' lit .

Durant la lecture ou le chant du psaume, le prêtre, en étole et


tête nue, dit les IIprières du lucernaire, euchai tou lychnikou,-
Il
sevtilnitchnia , devant les portes closes de l'iconostase. La modestie
"' ""'-

-29-
ve s ti men tai re du E,roestos de style péni tentiel, s'explique par cette

station sacerdotale devant un "sanctuaire" fermé, car l'entrée solennelle n'y


a pas encore eu lieu. Cependant, elle ne semble guère justifiée par le

contenu des priè res , dont la qualité ne diffère en rien de celle d'autres

oraisons, ré ci tées en vêtements complets. Ce sont en effet les prières

~res de l'office, le long duquel elles étaient anciennement réparties et

simplement numérotées. De vieux euchologes appelaient les trois premières

"prières du 1er, du 2e et du 3e antiphone", les autres étant simplement

indiquées à tel endroit de vêpres. Elles sont tout à fait indépendantes du

Ps.CIIl et plus anciennes que son exécution moderne. Comme la séquence de la

partie ini tiale, celle-ci est le produit de la "synthèse byzantine" .


N.Ouspensky en a exposé l'histoire pour l'essentiel, d'après les sources dont
il a pu disposer, en indiquant notamment la raison de la disparition des

antiphones ( Vêpres, op.cit ., p.12-14,18-24,26-27,33-34).


Il y a sept prières (probablement pas en vertu du symbolisme assez

tardif que l'on a attaché à ce nombre, qui serait celui des dons du Saint

Espri t et des sacrements, calcul difficile à fonder théologiquement.

Cependant, on pourrait le mettre en parallèle avec les "sept jours" de la


Genèse auquel le psaume se réfère). Leur contenu n'est pas systématique, mais

chacune vise un aspect de Dieu révélé et elles se complètent mutuellement.

Elles sont en fait composées comme une catena scripturaire (surtout des

Psaumes). Elles sont adressées à la Sainte Trinité, sauf la cinquième (au

Père). En voici les thèmes principaux:

1 ( ci tan t
0 surtout Ps.LXXXV/XXXVI,S,6,17,11,12,10,17) - que notre

prière soit entendue (introduction générale); - que Dieu se manifeste par un

signe; -la voie divine de la vérité; - la joie d'en-haut pour susciter la

vénération d'en-bas (l'allégresse du coeur comme condition de la prière; il

sera question ailleurs de la contri tion). Toutefois, nous demandons à la

Tri ni té la joie "afin de craindre" son saint nom. Ce n'est paradoxal qu'en

apparence: d'une part, la "crainte" est un terme biblique bien connu pour

exprimer justement la vénération et donc le culte rendus au m1.sterium


-30-

tremendum et pourtant révélé comme "compatissant et miséricordieux" (dès le

début de cette prière); d'autre part, le texte explique aussitôt les raisons

de cette "crainte" sui generis, tout à fait étrangère à la peur, en louant

des "qualités" qui font de Dieu un sujet d'amour et nullement de "terreur

panique": grandeur, thaumaturgie, unité (donc pas de manichéisme ni de

marcionisme) , bonté et miséricorde puissantes qui secourent, consolent et

sauvent ; - doxologie trinitaire conclusive (ce sera aussi celle de la grande

li tanie).

2° - reliée par contraste avec ce qui précède, supplication contre

la colère et le châtiment ( aspec t péni tentiel, Ps.XXXVII/XXXVIII,2;

cf.L/LI); demande de la bonté divine pour la guérison des âmes (et des

corps, mentionne le texte grec), pour la conduite droite ("vers le hâvre de

ta volonté" , où notre navigation n'est plus entravée par des vents

contraires) , pour l'illumination du coeur qui donne la connaissance de la

vé ri té (Eph.I,18; Héb.X,26); - pour que "la suite de ce jour et tout le temps

de notre vie" soient "iréniques et sans péché" (l'aspect temporel, au sens de

durée, apparaît ici pour la première fois; tout autant que notre biographie'

personnelle, "la suite de ce jour" pourrait viser le début de l'existence

autonome du créé, la genèse en étant achevée le dernier soir); - pour la

première fois aussi, l'assemblée liturgique se recommande des "prières de la

Mère de Dieu et de tous les saints", intercession qui ne cessera plus d'être

invoquée dans les offices; doxologie (même formule qu'à la deuxième

litanie de vêpres).

3° péni tentielle (avec citations de Ps.IV,4; LXXIV/LXXV,2;

CXVIII/CXIX,116; Dt.VI,5): supplication des "serviteurs inutiles" pour la

mémoire de Dieu (v. Introduction, ch. VIII); - nouvelle référence au "saint

nom" pour obtenir le salut; demande (curieusement fort rare dans la

de "nous rendre d'aimer " (sans objet direct, "l'état


li turgie) dig,nes

d'amour" étant celui du ch ré tien à l'image de Dieu) ; et aussi de "Te

craindre" (deux fonctions du coeur); enfin, de "faire Ta volonté" (ici, celle

de la Sainte Tri ni té entière, mais non sans parallèle avec la prière


-31-
gethsémanienne du Fils au Père) ; - doxologie (comme celle de la troisième

litanie de vêpres).

4° association à la 1i turgie céleste des saintes Puissances

(Ap. IV); la louange de Dieu est inspi rée par Dieu même

(Ps.LXX/LXXI,17,8,14-15), c'est lui qui nous permet de magnifier son saint

nom (Si.XXXIX,15) ; - demande de la participation et de l'héritage (Co1.I,12;

Jér.XU,25) , non sans la communauté des frères et des amis unanimes dans la

vérité (Ps.CXXI/CXXII,6,8-9); - intercession de la Théotokos et des saints; -

doxologie (comme la première).

5° au Père qui "tient l'univers" et qui est longanime (cf.Jon.IV,2

et prière de Manassé, placée avant Esdras III apocryphe dans des Bibles

anciennes) ; que nos méchancetés contristent (Dieu en est metanoôn!

kaiasia l'expression est très forte; cf.Pasca1: Jésus toujours

crucifié...) ; demande que Dieu "se rappelle" ( mnèsthètai, pomiani ) sa

propre générosi té envers nous, afin de nous visi ter par sa bonté

(Ps.CVI/CVII,4); et de nous rendre capables d'échapper aux embûches du

Malin "pendant le reste du jour" et toute notre vie par "la grâce de ton

Saint Espri t"; et par "la miséricorde et la philanthropie de ton

Fi1s...avec ton Espri t très Saine' (qualifié par des expressions de la prière

"Roi céleste") . Cette bénédiction finale est donc elle-aussi trinitaire. Le

Père agit toujours par l'indivisible Dyade du Fils et de l'Esprit. L'oeuvre

de Dieu est triadique comme l'est son être.

6° doxologie (émerveillement, incompréhensibilité, Providence)

(Dan.IX,4; Sag.XV,1) ; constatation des dons; - les biens terrestres (tant

matériels que spirituels) comme gage des célestes et conduisant au Royaume; -

ce jour ayant été vécu sans mal, demande renouvelée d'en faire autant pour le
" devant " la
reste, sainte gloire, dans la liturgie (ce qui est l'un des

buts de son opération et, en particulier, celui de vêpres); - doxologie.

7° La richesse thématique et la beauté de cette dernière prière

exigent de la citer en entier. "0 Dieu grand et sublime ( hypsitos ), Toi

seul qui as l'immortali té, qui vis dans une lumière inaccessible" (1
-32-
Tim.VI,16, lumière que l'office symbolise), "qui as formé tout le créé par la

sagesse (Ps.CIII/CIV,24), qui as divisé la lumière et les ténèbres

(Gen.I,18), qui as établi le soleil dans le domaine du jour, la lune et les


étoiles dans celui de la nuit (Ps.CXXXV/CXXXVI,7-9); qui nous as rendus

dignes, nous autres pécheurs, de nous présenter à cette heure-ci devant Ta

Face par notre confession et de T'apporter notre glorification vespérale; ô

Toi, Philanthrope, dirige notre prière commme un encens devant Toi

(Ps.CXL/CXLI,2) et reçois-la comme un parfum d'agréable odeur (Eph.V,2).

Accorde-nous ce soir et la nuit qui vient dans la paix" (qu'ils soient

"iréniques" , Ex.XXIX,18, tout moment de notre existence pouvant être un don

de Di eu) , "revêts-nous d'armes de lumière (Rom.XII,12), délivre-nous de la

peur nocturne (Ps.XC/XCI,6) et de toute chose qui vient dans la nuit"

(exorcisme des ténè bres) ; "et accorde-nous le sommeil que Tu nous as donné

pour reposer notre impuissance, éloigné de tout penser ( E,hantasias )

diabolique. Oh, Seigneur de l'univers" (omis dans le texte slavon), "donateur

de biens, que nous (puissions), touchés par la componction sur notre couche

aussi (Ps.IV,S), faire mémoire de Ton saint Nom dans la nuit, et qu'illuminés

par la méditation (ou l'enseignement) de Tes préceptes (Ps.CXVIII/CXIX,143),

nous nous levions dans la joie de l'âme pour glori fier Ta bonté, en

apportant à la miséricorde de Ton sein nos demandes et nos prières pour nos

pé c hé s et pour tout ton peuple" (nous nous adressons non à l'objectivité de

Dieu, mais à l'intime subjecti vi té de son coeur). "Visite (-nous) de ta

pitié, par les prières de la sainte Mère de Dieu; car Tu es Dieu bon et

philanthrope (en soi, hyparcheis ) et nous Te rendons gloire, au Père et au

Fils et au Saint Esprit, maintenant et toujours..."

Plusieurs expressions de cette admirable prière, très analogue à

celle de l'anaphore eucharistique (d'où elle est sans doute dérivée), se

retrouvent dans la dernière prière de complies (notamment les citations des

Psaumes CIV, CXLI et XCI). Relevons, parmi les thèmes théologiques, la

glorification constante; la confession de la lumière; la cosmologie

sophianique; les éléments hamartologiques (le mal n'est pas dans la nature,
-33-

mais le diable rôde la nuit, selon un symbolisme entièrement réaliste et

la dialectique lumière-ténèbres); la mystérieuse relation entre le conduite

de l'homme et les "sentiments" de Dieu (bien qu'il n'y ait ici aucune

allusion à l'Incarnation); d'où, comme pour compenser cette approche négative

et affligeante, la fonction li turgique de l'homme; la connaissance de

l'enseignement divin comme illumination dans la joie (initiation par une

mystagogia ); la participation à la gloire comme but de la prière...On

pourrai t y consacrer un trai té. On aperçoit à quel point tous ces textes

insistent sur l'amour de Dieu, ses largesses, sa compassion. Les éléments

péni tentiels n'y apparaissent qu'en sourdine, toujours rapportés à la claire

espérance de la miséricorde.

Dans la pratique moderne, le prêtre récite ces prières pendant la

lecture du Psaume CIII, c'est-à-dire "secrètement", et il lui faut les

terminer au moment où elle s'achève. Les fidèles sont ainsi privés de ces

magni fiques oraisons qui sont une partie constituante et essentielle de

vêpres, et qui étaient jadis, comme nous l'avons dit, échelonnées le long de

l'office. C'est l'un des graves défauts de notre usage (celui, au demeurant,

de toutes les prières "secrètes", spécialement à la liturgie eucharistique).

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