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ISBN : 9782810011292
Éducation
La non-mixité à l’école. Au-delà du tabou, pour une éducation innovante.
Éditions du Grenadier, 2019, avec Jean-David Ponci.
Rebâtir l’école. Plaidoyer pour la liberté scolaire. Éditions du Grenadier,
2017. Préface de Chantal Delsol, de l’Institut.
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Du même auteur
Avant-propos et remerciements
L'espace et la carte
La clef de la puissance
Correspondances géopolitiques
Le poète de l'action
De la Grèce à l'Atlantique
Frontières visibles, frontières culturelles
Frontières maritimes
L'esprit de défense
Guerre civile européenne : la stasis allemande
Lettres d'Algérie
Banlieues en feu ?
Le réveil militaire
La guerre des monnaies
Indigénisme et vaudou
Le vaudou : un culte en essor
La dissolution de l'Afrique
Face au terrorisme
Chapitre 5 - L'Indo-Pacifique : l'émergence d'une zone centrale
Nickel chrome
Le cœur de l'Indo-Pacifique
Le danger de l'État-providence
La faillite du primaire
Le chômage : la faute de la mondialisation ?
Le choix du socialisme
Pourquoi la déprime ?
Le snobisme et la masse
La mondialisation et le virus
La mondialisation, cause de l'épidémie ?
Comment relocaliser ?
La relocalisation du monde
La révolution du numérique
L'ère des robots
La transformation de la main-d'œuvre
Criminalité et terrorisme
« Ça va péter » ?
L'espace-temps du terrorisme
Primauté de la géopolitique
Bannie de l’Université au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la
géopolitique est réapparue sur la scène médiatique et intellectuelle dans les
années 1980-1990. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et plus encore
le retour des empires au tournant des années 2000, la géopolitique est
devenue omniprésente. Elle est désormais matière du baccalauréat,
discipline d’écoles de commerce et d’instituts supérieurs. Elle a sa place à
la télévision et dans l’édition. Que cette méthode d’analyse soit restaurée et
réhabilitée ne peut que nous réjouir, mais à force de devenir populaire, à
force d’être un mot sans cesse utilisé, la géopolitique finit par s’affadir et
par perdre son sens. Trop souvent, la géopolitique est confondue avec les
relations internationales, ce qui est réducteur. Trop souvent aussi sont
oubliés des éléments pourtant essentiels de la géopolitique : la géographie,
l’étude des symboles, des représentations et des mentalités, la criminalité,
l’histoire même. À force d’être considérée comme la culture générale de
notre temps et le mantra médiatique des commentaires immédiats, elle perd
ce pour quoi elle a été construite : comprendre et expliquer.
L’objectif de ce livre est donc double : d’une part, redonner tout son
sens à la géopolitique en en montrant la richesse et la complexité, d’autre
part étudier la place particulière de l’Europe d’aujourd’hui dans un monde
tout à la fois uni et fragmenté. L’Europe qui a voulu croire à la fin de
l’histoire, à la disparition de la guerre, à la paix perpétuelle, se retrouve
désormais au centre des conflits. Elle avait oublié l’existence même de
l’épée, la voilà qui doit la reprendre et la brandir. Elle pensait que les autres
désiraient, comme elle, la paix et la stabilité, elle se retrouve face à des
régimes et des organisations qui ne peuvent vivre que de la guerre. Elle
croyait le monde similaire à elle-même, elle doit redécouvrir que l’autre est
différent et donc s’interroger sur ce qui fait son essence et son identité. Elle
voulait s’effacer pour vivre ; elle doit désormais choisir entre se redresser
ou mourir. Dans l’actualité immédiate des guerres, notamment celle
d’Ukraine, seuls les penseurs de l’intemporel éclairent l’inactuel de
« l’extrême contemporain 3 ». La puissance, l’énergie, la matière, le désir de
conquête, les luttes culturelles et ethniques reviennent à l’avant-scène et
dictent désormais de façon publique et officielle la marche du monde. Ce
qui était autrefois occulté parce qu’on ne voulait pas le voir est désormais
annoncé à la face de tous : le retour de la guerre de haute intensité, le
déploiement criminel des mafias, l’émergence de l’indigénisme, le rejet de
l’Occident. Souvent, certains phénomènes semblent contradictoires alors
qu’ils marchent de concert, comme le double mouvement d’émiettement et
d’unification du monde. L’épée, réalité la plus profonde de l’homme, est de
nouveau sortie du fourreau. Là réside l’utilité de la géopolitique : permettre
de comprendre ces phénomènes en les décryptant et en les analysant.
L’espace et la carte
Une bonne réflexion se fonde toujours sur plusieurs échelles : le terroir,
la ville, la région, le pays, le continent, le monde. À chaque échelle sa
problématique et sa complexité, le plus difficile étant ensuite d’en faire la
synthèse. Il est tout à fait possible de faire une géopolitique d’un quartier,
d’une ville, d’une région historique. Ce qui est essentiel dans la réflexion
c’est l’espace, la carte et la géographie. Comment analyser les guerres
comme celles qui se sont déroulées au Sahel et en Ukraine en ne prenant
pas en compte des réalités essentielles que sont le sable et la pierre, les
marais et les cours d’eau, les montagnes et les plaines, les températures et
les saisons ? On entend trop, dans les commentaires, une analyse
géopolitique d’idées qui sont dénuées de liens avec le territoire. On oublie
qu’une guerre est certes une question de missiles et d’armements de haute
technologie, mais aussi d’eau potable, de carburants et de moral des
troupes. À ceux qui veulent apprendre à faire de la géopolitique, on ne peut
que conseiller de se munir d’une carte Michelin ou IGN et d’apprendre à
lire les paysages, à en repérer l’organisation, le développement des villes à
travers le temps, la mise en valeur des finages, le déploiement des terroirs.
Vallée de l’Ill en Alsace, causses du Périgord, transition des Maures à
l’Esterel en Provence, sont autant d’écoles de la géopolitique, celles qui
réunissent les lieux et les hommes et qui comprennent comment ces
derniers ont mis en valeur leurs terres. À la suite de Paul Vidal de La
Blache, son créateur, et d’Emmanuel de Martone, son successeur, l’école
française de géopolitique est une pensée du volontarisme et de l’adéquation
entre le paysage et l’homme. C’est l’homme qui transforme les landes en
une forêt de pins, qui aménage cette zone insalubre qu’est la Camargue
pour en faire un parc naturel, qui canalise la Seine et transforme ce fleuve
capricieux qu’est la Loire en un jardin à la française 4. Aucun paysage n’est
plus géopolitique que les vignobles. Pierres déterrées et utilisées en murets,
terrasses de terre érigées sur des versants abrupts, vignes sélectionnées et
taillées, économie du vin organisée pour vendre à la grande ville où loin
dans le monde. Le vin est l’exemple parfait de cette adéquation entre le
local et le global, le terroir et la mondialisation. Ici, le terroir ne pourrait pas
exister sans la mondialisation et cette dernière ne serait rien sans les
multiples terroirs mondiaux qui contribuent à la colorer et à lui donner son
intensité. L’étude géo-historique des paysages permet de comprendre qu’il
n’y a pas de pays favorisés ou privilégiés. Il n’y a pas de pays chanceux et
d’autres bannis, il y a des lieux, parfois très hostiles, où les hommes ont su,
par leur intelligence et leur volonté, mettre en valeur les paysages, et
d’autres où la mise en valeur est faible voire déclinante. Rien ne
prédisposait la Suisse, pays enclavé, montagneux et coincé entre de grandes
puissances prédatrices, à être le pays développé qu’elle est aujourd’hui. Le
vignoble de Lavaux, avec sa déclivité plongeante dans le lac Léman, fruit
du patient et long travail des moines bénédictins, est l’archétype de cette
volonté appliquée de puissance et de développement qui a conduit à faire de
ce terroir un beau jardin. Là réside une des clefs essentielles de la
compréhension des rapports entre géopolitique et économie. Dans la guerre
intellectuelle que subit l’Europe et qui la désarme face à ses concurrents
s’est imposée l’idée que si l’Europe est développée c’est parce qu’elle a
appauvri l’Afrique. Selon cette vision marxiste, l’économie est un jeu à
somme nulle. Si l’Europe se développe ce ne peut être qu’en prenant à son
voisin africain. Outre que la thèse selon laquelle la révolution industrielle
est le fruit de la colonisation a été abondamment démontée par l’histoire
5
économique , un minimum de connaissance historique permet de se rendre
compte que l’Europe n’a pas attendu les années 1880 et la colonisation de
l’Indochine et du bassin du Congo pour édifier ses cathédrales, développer
ses universités ou créer son droit romain. Une telle falsification de l’histoire
fonctionne pourtant, comme sentiment perpétuel de culpabilité et de honte
de soi. S’est également imposée l’idée que toute inégalité serait
nécessairement injuste. Outre que la notion de justice a disparu de la pensée
politique, alors qu’elle est l’élément cardinal de la science politique jusqu’à
l’époque contemporaine, toute inégalité n’est pas nécessairement injuste et
6
toute inégalité n’est pas nécessairement mauvaise . Qu’il existe des
inégalités à travers le monde n’est pas, par nature, une atteinte à la justice,
et ne ressort en rien d’une quelconque responsabilité de l’Europe. Beaucoup
de pays demeurent pauvres ou sont retombés dans la pauvreté à cause de
décisions politiques mauvaises dont les conséquences négatives étaient
hautement prévisibles. C’est le cas du Venezuela dont la politique
e
communiste de « bolivarisme du XXI siècle » a logiquement conduit à la
ruine du pays, tout comme les décisions d’interdire l’importation d’engrais
et de contraindre le pays à se convertir au bio à marche forcée ont provoqué
une famine au Sri Lanka. Ce qui manque le plus aux pays d’Europe c’est
une volonté de puissance, non pas faite pour dominer les autres dans un
nouvel impérialisme, mais qui doit d’abord servir à exister et à se maintenir
en vie.
La clef de la puissance
La géopolitique est au service d’une vision de la puissance. Pour bâtir la
puissance, il y a l’espace, mais aussi la démographie et la ressource. Le mot
est presque banni, voire tabou. La puissance a mauvaise presse car elle est
confondue avec l’expansionnisme et l’impérialisme. Pourtant, elle est une
condition de la liberté des peuples et des États. Plus que jamais, la
puissance demeure l’épée du monde. La puissance est à la fois la potestas,
c’est-à-dire le pouvoir imposé et l’auctoritas, c’est-à-dire l’autorité, la
puissance qui émane de la compétence. La puissance, c’est aussi la
grandeur et la volonté de jouer un rôle sur la scène mondiale ; rôle qui nous
serait donné par l’histoire, la géographie, le destin. Non pas seulement une
puissance pour soi, mais aussi pour les autres.
La puissance se décline. Elle peut être militaire, économique, culturelle,
intellectuelle.
La puissance rend libre et incontournable. Si des pays et des peuples
peuvent renoncer à la puissance, il est rare en revanche qu’ils revendiquent
ouvertement l’impuissance et qu’ils en fassent une politique officielle. Un
pays impuissant peut-il continuer à exister ? N’est-il pas condamné à
disparaître, d’une façon ou d’une autre ? Seule la puissance maintient l’être,
c’est-à-dire la vie. Être puissant, c’est être libre, indépendant, souverain et
maître de son destin. La recherche de la puissance est un mobile
fondamental des États sans quoi ils n’existent pas. Charles de Gaulle disait
7
que « La France ne peut être la France sans la grandeur ». Grande dans
ses victoires et ses succès comme dans ses défaites et ses occupations,
comme si la grandeur accompagnait toujours le tragique. Puis Valéry
Giscard d’Estaing fut le premier à parler de « grande puissance moyenne »,
s’attirant les foudres de tous ceux pour qui l’idée de déclin était odieuse.
Dans la tradition française, être puissant est une nécessité.
Corolaire de la puissance, la peur du déclin rôde. Décliner, c’est devenir
impuissant, c’est perdre sa substance et sa raison d’être. Décliner, c’est
devenir normal. Il y a des sortes de pays qui ne peuvent exister qu’en
première division, d’où la puissance. Et quand ils passent par des phases de
déclin ils se remémorent leur âge d’or, ou supposé tel, afin de conjurer le
déclin. Quand certains, comme la Chine, sont revenus des années sombres,
l’évocation du temps de l’impuissance sert à maintenir la bride de la
grandeur et à désigner la voie à suivre pour ne pas retomber dans les affres
du déclassement. La Russie joue elle aussi cette partition, afin de ne plus
connaître les troubles des années 1990-2000. Comme la France du reste, qui
reste focalisée sur la Seconde Guerre mondiale comme pour mieux rejeter
l’effondrement de la défaite de 1940 et l’occupation qui a suivi.
La peur du déclin est à la fois un moteur et un danger. Moteur, si elle
permet de l’éviter en le regardant de face et en prenant les mesures
nécessaires pour le contourner. Danger, si elle paralyse en ne voyant que les
aspects négatifs et ne pouvant plus voir ce qui fonctionne et ce qui réussit.
C’est le cas souvent de la France qui parle de désindustrialisation comme si
l’industrie d’aujourd’hui devait être la même que celle des années 1950,
comme si le monde n’avait pas changé, rendant aujourd’hui impossible une
opération militaire autrement qu’en coalition. La puissance doit penser une
vraie modernité. Pas de puissance sans modernité, donc une sage et
dynamique progression. Le temps des lampes à huile et de la marine à voile
est terminé. La puissance, pour demeurer, doit savoir passer au nucléaire et
aux nouvelles technologies.
Mais pourquoi la France doit-elle être puissante ? Est-ce
pragmatiquement pour défendre ses seuls intérêts, pour se garder les
moyens d’intervenir à sa guise dans son environnement stratégique, pour
conserver l’ordre et développer la richesse du peuple français, pour
sécuriser son commerce, pour faire face à certaines menaces existentielles
du monde contemporain ? Est-ce plus idéologiquement pour rester dans la
course au progrès universel, pour offrir aux populations mondiales un cadre
de vie à l’occidentale, ou mieux, pour « sauver la planète » ? Ou alors est-ce
l’angoisse devant les puissances lointaines qui émergent et dont on se fait
une idée terrifiante ? Finalement, faut-il simplement être puissant pour ne
pas être moins puissant que son voisin qui pourrait nous dépasser ? N’est-ce
pas qu’une question élémentaire de survie ? « Qui a la force a souvent la
raison en matière d’État, et celui qui est faible peut difficilement s’exempter
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d’avoir tort au jugement de la plus grande partie du monde » disait déjà le
cardinal de Richelieu.
Qu’est-ce que la puissance ? Un classement international, des capacités
militaires, des moyens économiques ou financiers, une influence
culturelle ? La France a de nombreux atouts. De tous les pays européens,
elle est peut-être la mieux dotée 9. Alors pourquoi cette conscience, voire
cette angoisse du déclin traverse ses élites ? La France collectionne les
bonnes cartes, mais elle ne les utilise pas. Comme un adolescent qui pense
qu’être libre consiste à disposer de toutes les possibilités et de n’en choisir
aucune, la France piétine et cherche une direction. Toute parée des attributs
de la puissance, elle se demande pourquoi elle est ainsi vêtue et même si tel
ou tel ornement ne serait pas à jeter.
Car être puissant n’est pas suffisant. S’il faut le rester pour survivre,
cela ne nous dit rien des raisons pour lesquelles nous voulons vivre, pour
lesquelles nous voulons que la France vive en tant que nation. La question
préliminaire à la puissance est bien celle de ce qu’elle se propose de
défendre. Un soldat ne se bat pas simplement pour avoir le dessus sur son
ennemi ; il combat d’abord pour défendre sa famille, sa terre, son pays,
peut-être un trésor plus grand pour lequel il est prêt à mettre sa vie en jeu.
Quel est notre trésor ? Y a-t-il un capital à protéger et à transmettre ? La
puissance est d’abord un vouloir. Nul ne peut être puissant s’il ne le veut
pas, nul ne peut être puissant s’il n’a pas quelque chose de plus grand que
lui à défendre et à protéger. Un patrimoine historique, culturel et religieux
auquel il tient et qu’il veut léguer à ses enfants. Nul n’est puissant pour lui-
même, ce serait alors folie et déraison, mais tout un chacun doit être
puissant pour les autres, c’est-à-dire pour s’inscrire dans le fil de l’histoire
et du temps, pour qu’une aventure commencée il y a plusieurs siècles ne
s’interrompe pas par notre faute. La puissance est ce qui permet de
demeurer, de surmonter le tragique de l’histoire et de ne pas disparaître dans
les défaites et les transformations politiques. La puissance est vie et c’est
parce que l’Europe a renoncé à celle-ci qu’elle est effarée de découvrir le
retour de la mort en son cœur, avec les guerres et les crises qui la frappent.
Correspondances géopolitiques
Thucydide a posé les fondements conceptuels de la géopolitique. Sa
Guerre du Péloponnèse contient toutes les réflexions et tous les concepts
qui structurent aujourd’hui la pensée géopolitique. Si sa postérité fut nulle à
l’époque médiévale et classique, il est désormais redécouvert, analysé,
critiqué et, de la mer Égée aux États-Unis, c’est une correspondance
intellectuelle qui se tisse.
De la géopolitique, Thucydide a posé tous les concepts. Le choc
terre/mer, l’opposition entre la thalassocratie (Athènes) et la puissance
continentale (Sparte), le réalisme et l’idéalisme, les alliances de revers (les
Perses), les idées magistrales qui échouent (expédition de Sicile), la lutte
entre le droit et la force (dialogue des Méliens), l’hubris impérialiste,
l’alliance de protection qui se mue en alliance de domination (ligue de
Délos), la guerre mondiale et l’engrenage des alliances, la confrontation des
cités et des empires, etc. À la fois acteur et observateur de la guerre du
Péloponnèse, Thucydide a légué à la postérité un chef-d’œuvre dont
l’immuabilité des conclusions lui donne une allure de bréviaire de la
géopolitique. Deux mille quatre cents ans plus tard, la finesse de sa pensée
est toujours aussi précieuse pour analyser les enjeux géopolitiques.
La guerre du Péloponnèse.
Le poète de l’action
Si Thucydide parle des cités, il parle aussi des hommes. Son œuvre est
une succession de portraits de grands hommes dont l’action personnelle a
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modifié le cours de l’histoire . Outre Périclès, on y retrouve Brasidas, le
général spartiate qui l’a vaincu, Thémistocle et Alcibiade, « le chasseur
pourpre ».
Alcibiade est le grand héros d’Athènes. Grand général et fin politique,
intelligent et conscient des dangers que court sa cité, il aurait pu sauver
Athènes. Mais il fut rejeté par les passions populaires. Accusé d’être à
l’origine de la mutilation des Hermès, il est jugé et condamné à mort par le
peuple alors qu’il est en train de conduire la périlleuse expédition de Sicile.
Alcibiade est obligé de fuir, comme Thucydide qui fut lui-aussi ostracisé. Il
passe à l’ennemi, chez Sparte, puis soutient les Perses. Celui qui aurait pu
sauver Athènes, victime des emportements populaires, est devenu son
contempteur. Platon tira un enseignement de cet épisode dramatique :
l’envie excite les passions et conduit les foules à éliminer les meilleurs,
ceux qui sont pourtant le plus à même de défendre les intérêts de la cité. La
démocratie sort affaiblie de cet épisode. Hormis l’expédition de Sicile
(415), les batailles se déroulent dans un espace géographique restreint qui
intensifie le drame. Puis le conflit se décale vers l’Orient, avec notamment
la bataille d’Aigos Potamos qui contribue à la victoire de Sparte. Quand
Thucydide dit que le monde entier a ressenti les effets de cette guerre, il est
bien conscient de l’étroitesse géographique du conflit. Les conséquences ne
sont pas spatiales, mais intellectuelles. Grecs et Perses, barbares et civilisés
furent concernés. Son prologue est prémonitoire tant les conflits mondiaux
sont aujourd’hui étudiés à l’aune des concepts mis en avant par Thucydide,
à tel point que la guerre froide et le conflit sino-américain d’aujourd’hui
peuvent être vus comme de nouvelles guerres du Péloponnèse.
De la Grèce à l’Atlantique
Soucieux de l’hégémonie continentale en Europe, Sir Halford
Mackinder (1861-1947) évoque dans une conférence de 1904 le « pivot
géographique de l’histoire ». La terre y est présentée comme un « océan-
monde » centré autour d’une masse continentale écrasante, un pivot fixe,
autour duquel s’articulent les grandes dynamiques géopolitiques des États
13
dominants . Cet immense territoire qu’il appelle l’« Île mondiale » a lui-
même un cœur stratégique, le Heartland, que Mackinder situe en Eurasie et
plus singulièrement en Russie « qui occupe dans l’ensemble du monde la
position stratégique centrale qu’occupe l’Allemagne en Europe ». À la
périphérie de ce Heartland, bien délimité par des barrières naturelles
(Volga, Arctique, vide sibérien, Himalaya, désert de Gobi), s’étendent les
coastlands (terres à rivages) qui forment un inner crescent (croissant
intérieur) composé de l’Europe occidentale, du Moyen-Orient, de l’Asie du
Sud et de l’Est. Au-delà des coastlands et des littoraux de « l’Île
mondiale », les deux systèmes insulaires ou offshore islands que sont les
archipels britannique et nippon bordent le Heartland, positions avancées du
troisième croissant des outlying islands (îles périphériques) qui
comprennent l’Amérique et l’Australie.
Le schéma géopolitique de Mackinder.
L’étude du droit est chose fondamentale car loin d’être une série
d’articles et de règlements de vie, le droit est d’abord l’expression d’une
vision de l’homme et d’une idée de l’anthropologie 14. Le droit exprime bien
le particularisme des peuples et des cultures. Diffuser le droit, c’est plus que
diffuser un code, c’est imposer ses valeurs, sa vision du monde, sa culture.
L’expansion du Code civil et de la common law est donc l’archétype même
de l’universalisme qui vise à faire entrer toute l’humanité dans une même
vision anthropologique. Cela a marché un temps, mais désormais ce
monopole du droit occidental, qu’il soit latin ou anglo-saxon, se fissure.
La guerre du droit remportée par Napoléon est-elle en train d’être
perdue par les Français et les Européens ? Imposant l’extra-territorialité de
leurs lois, les États-Unis diffusent leur code et leur philosophie du droit à
des pays qui, bien qu’ayant leur tradition séculaire, ne peuvent pas résister
avec suffisamment de vigueur à cette hégémonie. Les entreprises françaises
découvrent souvent cette guerre du droit à leurs dépens et quand il est trop
tard. C’est l’art de transformer Austerlitz en un nouveau Trafalgar, à moins
d’une contre-offensive vigoureuse pour maintenir la domination de
Justinien et du droit romain. Avec l’extra-territorialité, véritable arme de la
guerre économique, les États-Unis prennent le contrôle des entreprises
concurrentes et imposent leur domination sur le monde occidental, sous
couvert de respect du droit. C’est l’exemple même que le droit est toujours
porté par une puissance et l’expression d’une domination politique. Loin
d’être neutre, le droit est le résultat d’un rapport de force et témoigne de
ceux qui l’ont emporté sur ceux qui ont été vaincus. Si le droit américain
semble de plus en plus hégémonique, notamment en Occident, la Chine
développe elle aussi son extra-territorialité, instrument ultime de la
puissance et de la domination. Un troisième empire juridique s’exerce tout
au long du très grand Moyen-Orient, celui du droit musulman 15. Il s’agit
pour les États de faire valoir sa vision de l’islam, mais aussi d’étendre sa
puissance au-delà des frontières étatiques. Le droit devient ainsi un soft
power islamique pour des pays ayant peu de critères de puissance, comme
le Maroc, ou pour des États pétroliers qui veulent diversifier leurs réseaux
internationaux. Face à l’islamisme, le Maroc a utilisé ses centres malikites
de Fez et de Meknès comme des vecteurs d’influence juridique, proposant
même de former les futurs imams maliens et français. Mais la question
légale n’est pas seulement l’affaire des États, puisque certains courants de
pensée juridiques sont portés par des individus et des groupes : le salafisme,
par exemple, se passe de lien avec un État ; le Tabligh, principal
mouvement de reconversion à l’islam dans les quartiers européens islamisés
est certes d’origine indo-pakistanaise, mais le Pakistan n’en profite
nullement en termes d’influence internationale. Si la chaîne Al-Jazeera a
considérablement accompagné l’influence qatarie dans les populations
musulmanes par ses émissions sur le droit familial et conjugal, ce média est
désormais dépassé par « l’imam internet » qui est le principal vecteur de
droit auquel se réfèrent les croyants. Les innombrables sites internet sur le
droit et la pratique religieuse portent souvent la marque de l’Arabie saoudite
et du hanbalisme, mais les courants salafistes et fréristes sont eux aussi très
présents.
Frontières maritimes
Les frontières ne sont pas que terrestres. Dans l’espace, le cyber, les
fonds marins et la mer, des lignes tracent les disparités et distinguent les
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possessions et les propriétés . Les frontières maritimes définies par la
convention de Montego Bay (1985) distinguent les eaux territoriales et les
zones économiques exclusives (ZEE) qui donnent à la France un immense
empire maritime dont elle ne fait pas grand-chose. La ZEE devient frontière
chaude et objet de litige quand des ressources sont découvertes dans ses
profondeurs, comme en Méditerranée orientale avec l’attrait du gaz et la
volonté de la Turquie de sortir de son cloisonnement imposé par les îles
grecques 17. Malgré elle, une île comme Castellorizo, parce qu’elle bloque
l’accès à la mer de la Turquie, engendre une tension politique majeure entre
Athènes et Ankara.
Les zones maritimes.
1. Par « Europe », nous entendons l’Europe géographique, qui part de l’Atlantique et intègre
une partie de la Russie. L’Europe ne se limite pas à l’Union européenne, même si dans le
langage courant les deux termes sont parfois employés de façon synonyme. Par Occident, nous
entendons une aire civilisationnelle qui partage une histoire, une religion et une culture
commune. L’Occident comprend l’Europe, sauf la Russie, la Nouvelle-Zélande et l’Australie,
les États-Unis et le Canada. Dans les pays d’Amérique latine, pour les régions ou les villes où
les populations européennes sont nombreuses, nous sommes parfois autant en Occident que
dans les pays occidentaux eux-mêmes. Si l’Occident est né en Europe, c’est désormais aux
États-Unis qu’il a sa tête. Les autres membres de l’Occident sont liés et dépendants des États-
Unis. La dépendance de l’Europe à l’égard de Washington a commencé avec la Première Guerre
mondiale, s’est accentuée avec la Seconde et n’a cessé de croître depuis. Si la haine contre
l’Occident est bien souvent un anti-américanisme, elle peut aussi se manifester contre les pays
d’Europe, notamment la France et la Grande-Bretagne, perçus comme des puissances coloniales
et chrétiennes. C’est le cas du terrorisme islamiste qui frappe beaucoup plus l’Europe que les
États-Unis.
2. Arnaud Teyssier, Lyautey, Tempus, 2009.
3. Olivier Battistini, Thucydide l’Athénien. Le poème de la force, éditions Clémentine, 2013,
introduction.
4. Roger Dion, Histoire des levées de la Loire, réédition CNRS éditions, 2017. Un livre
essentiel pour comprendre comment se construit l’économie et le terroir d’un fleuve.
5. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, rééd. Albin
Michel, 2005. Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie (1930-1962),
Flammarion, 2005.
6. Jean-Philippe Delsol, Éloge de l’inégalité, Les Belles Lettres, 2019.
7. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1 : L’Appel, 1940-1942.
8. Richelieu, Testament politique, Perrin, 2017, p. 263.
o
9. Voir le n 17 « Indice Conflits de la puissance globale », avril 2018.
10. Olivier Battistini, Thucydide l’Athénien. Le poème de la force, éditions Clémentine, 2013.
11. Olivier Battistini, « Thucydide, penseur de l’impérialisme et de la puissance », Conflits
o
n 25, janvier 2020.
12. Thucydide est conscient que ce sont les hommes qui font l’histoire. Or aujourd’hui
l’analyse géopolitique a trop souvent tendance à oublier cela. On parle des États, de la Russie,
des États-Unis, de la Chine, etc. comme s’ils étaient des personnes avec puissance pensante et
agissante. C’est de l’anthropomorphisme administratif et l’on oublie les hommes qui font
l’action, prennent les décisions, décident.
13. Olivier Zajec, « La géopolitique anglo-saxonne face à l’Eurasie », Conflits.fr, 4 janvier
2020.
14. Le code civil français est lui-même l’héritier du droit romain et du droit canonique. Le droit
de l’Église a largement contribué à penser et à fabriquer le droit, notamment dans la méthode
d’enquête et le déroulement du procès. Cf. Franck ROUMY, « Les origines pénales et canoniques
de l’idée moderne d’ordre judiciaire », dans F. ROUMY – O. CONDORELLI – Y. MAUSEN –
M. SCHMOECKEL (éd.), Der Einfluss der Kanonistik auf die europäische Rechtskultur. 3 :
Strafund Strafprozessrecht (Norm und Struktur), Vol. 3 (4 Vol.), Böhlau, Köln ; Weimar ; Wien
2009, p. 313349.
o
15. Olivier Hanne, « Le droit islamique comme vecteur de puissance », Conflits, n 23,
septembre 2019.
16. François-Olivier Corman, Innovation et stratégie navale, Nuvis, 2021.
17. Yan Giron, Précis de la puissance maritime. Agir sur les océans, Bernard Giovanangeli
éditeur, 2020.
o
18. Pascal Gauchon, « Manifeste pour une géopolitique critique », Conflits, n 1, mars 2014.
19. Fabrice Balanche, « L’Afghanistan est l’archétype de la revanche de la géographie », Le
Figaro, 19 août 2021.
o
20. Jean-Baptiste Noé, « Le terrain ne ment pas ; pas toujours », Conflits, n 37, janvier 2022.
21. René Girard, Les origines de la culture, 2004.
22. L’expression est du pape François. Cf. Jean-Baptiste Noé, François le diplomate. La
diplomatie de la miséricorde, Salvator, 2019.
PARTIE 1
L’esprit de défense
Quand la guerre survient, il est trop tard pour y faire face. La paix et la
liberté ont un coût, qui s’appelle la dissuasion. Investir dans une armée
nécessite un véritable investissement financier et culturel qu’il faut réaliser
en amont des guerres, pas pendant. C’est aussi un véritable « esprit de
défense » qu’il faut créer, qui repose sur un humus culturel qui seul donne
envie à des jeunes de s’engager dans l’armée et d’y faire carrière. Cet esprit
de défense passe par la connaissance de l’histoire de France, de ses batailles
victorieuses comme de ses défaites. Il suppose de disposer de lieux de
formation, écoles et lycées, de professeurs, de lieux de mémoire où est
marquée l’histoire militaire de la France, qui est l’histoire de sa survie et de
sa construction. Pour réconcilier la France de l’Ancien Régime et celle de la
Révolution, Louis-Philippe fit édifier à Versailles un musée de l’histoire de
France et une galerie des batailles où, de Tolbiac à Napoléon, s’écrit la
formation du pays. Certains se sont demandé si en cas de guerre l’armée de
terre disposerait d’assez de munitions. C’est une question importante certes,
mais vaine. La clef de l’esprit de défense n’est pas technique, mais
culturelle. Or dans les états démocratiques, la carrière des armes est
délaissée au profit d’autres carrières, plus rémunératrices et mieux perçues
par le corps social. Un délaissement des armes que Tocqueville avait déjà
compris : « Lorsque l’esprit militaire abandonne un peuple, la carrière
militaire cesse aussitôt d’être honorée, et les hommes de guerre tombent au
8
dernier rang des fonctionnaires publics ». De tous les pays d’Europe, la
France est le seul à disposer encore d’un véritable « esprit de défense » et
conséquemment à avoir une armée digne de ce nom. Si le rejet des valeurs
militaires est inhérent aux états sociaux démocratiques par rapport aux états
aristocratiques, il nous fragilise dans la lutte que nous menons contre les
9
Empires .
La véritable question posée par la guerre en Ukraine est de savoir si
nous, en cas de guerre, nous serions prêts à faire les sacrifices nécessaires
pour repousser l’adversaire et remporter la victoire. Pour parler simplement,
sommes-nous prêts à quitter le confort de nos habitations pour l’inconfort
de la boue et du sang ? Nous admirons le courage des Ukrainiens qui
défendent leur nation ? Combien de Français seraient prêts à mourir non
pour eux, mais pour quelque chose de plus grand qu’eux qui suppose un
effort collectif ? Un pays qui s’est claquemuré dans la peur deux ans durant
est-il apte à supporter l’épreuve du feu ? Ce type de guerre ne se mène pas
avec des attestations de sortie et des masques. La guerre n’est pas que
l’affaire des militaires, la vraie guerre, celle d’un pays attaqué, suppose que
les civils y participent aussi, au prix de leur vie. On loue beaucoup l’effort
et le sacrifice dans le sport, notamment quand le XV de France remporte le
Grand Chelem. Mais ces valeurs se dissipent quand il faut les appliquer à la
vie civile. Nous n’aimons pas la guerre et le meilleur moyen de l’éviter est
de s’y préparer, non d’en nier l’existence. C’est-à-dire d’accepter d’avoir
l’épée à la main.
Ce refus du port de l’épée a conduit à l’extension de l’OTAN en
Europe. Les pays ont délégué à l’Alliance atlantique le soin d’assurer leur
sécurité, moyennant le paiement d’une cotisation annuelle. C’est un choix
tout à fait rationnel au regard de la petitesse de certains pays : quelle armée
la Lettonie, l’Autriche ou la République tchèque pourraient bâtir ? Quelle
carrière offrir aux soldats et aux officiers dans un pays en paix ? Le choix
de l’OTAN est le choix logique et pertinent de pays qui n’ont pas les
moyens matériels et humains de porter l’épée et qui s’en remettent donc à
d’autres, via un tribut et une nouvelle forme de mercenariat, pour assurer
leur sécurité.
Lettres d’Algérie
Tocqueville, toujours lui, est l’un des premiers à avoir analysé cette
guerre ethnique dans ses trois Lettres d’Algérie qu’il rédigea après avoir
21
visité la nouvelle colonie française . Si les circonstances de rédaction sont
différentes et s’échelonnent sur dix ans (1837-1847), la pensée
tocquevillienne s’est étoffée. C’est en Amérique qu’il a été confronté pour
la première fois à la pluralité ethnique d’un pays et qu’il comprit les
difficultés de faire cohabiter des peuples différents dans un même État.
Anglo-Américains, Indiens, Africains partagent certes les mêmes terres,
mais non les mêmes mœurs ni les mêmes coutumes. Tocqueville a compris
l’irréductibilité des Indiens à l’égard des Américains, qui refuseraient de se
fondre dans la nouvelle population et l’extrême danger que faisait courir
l’esclavage, funeste d’un point de vue économique et immoral d’un point de
vue chrétien 22.
Banlieues en feu ?
La crainte de l’affrontement civil est aujourd’hui portée sur les zones
urbaines ayant échappé au contrôle serein de l’État central. L’analyse
géopolitique est là aussi utile pour comprendre ce qui s’y passe et éviter les
idées toutes faites sur un phénomène complexe. À cet égard, le terme de
« banlieue », utilisé presque comme un tic verbal, se révèle trompeur. D’un
point de vue étymologique, la banlieue désigne l’espace géographique sur
lequel s’exerce le « ban », c’est-à-dire un espace qui est sous le pouvoir et
l’autorité d’un suzerain. La « banlieue » est donc, d’un strict point de vue
étymologique, le territoire de 6 km autour d’une ville sur lequel l’autorité
de la ville s’exerce. En Île-de-France, la banlieue stricto sensu désigne
uniquement les communes limitrophes de Paris, ce qui correspond peu ou
prou à l’ancien département de la Seine. Désormais, du fait du
développement des moyens de transport, c’est l’ensemble de la région qui
est intégrée dans la banlieue parisienne, et même au-delà. Avec le train, des
villes comme Lyon, Angers, Lille, Bruxelles sont intégrées à la banlieue de
Paris, d’autant qu’il est souvent plus rapide de relier les gares entre elles
que certains quartiers parisiens à des villes de banlieue proprement dite.
Aux détours des années 1970 est apparue l’expression « jeune de
banlieue », façon délicate et détournée de désigner un problème sans le
nommer directement. Les banlieues brûlent et explosent, selon les titres des
journaux et, à partir des années 1980 et des années Mitterrand / Tapie
l’argent public a coulé à flot sur ces zones géographiques. En pure perte, les
multiples « plans banlieues » n’ayant jamais résolu aucun problème.
« Banlieue » est ainsi devenu synonyme de zones violentes et de gabegie de
l’État.
La banlieue n’a pas toujours été un espace répulsif. Quand
l’aménagement urbain crée les grands ensembles dans les années 1960-
1970, ceux-ci attirent les cadres et les classes moyennes désireuses de se
loger dans des espaces plus grands, plus salubres, plus verts et plus
confortables. On peut faire usage de la voiture, faire ses courses au
supermarché, disposer de parcs et d’espaces verts et d’appartement avec eau
courante, sanitaire intégré, pièce lumineuse. Deux films avec Jean Gabin et
Alain Delon illustrent cette modernité de la banlieue : Mélodie en sous-sol
(1963) et Le Clan des Siciliens (1969). Dans le premier, Gabin sort de
prison et se rend dans son pavillon de Sarcelles, qu’il découvre entouré
d’immeubles en construction. Les grues virevoltent et font avancer une ville
qui attire la population en ascension sociale. Delon, quant à lui, vit dans un
appartement miteux du centre de Paris, sans les commodités et la modernité
des immeubles en construction. Même scène, mais inversée, dans Le Clan
des Siciliens. C’est cette fois-ci Gabin qui habite dans un garage dépravé
des bords du canal Saint-Martin, et Alain Delon qui dispose d’un
appartement avec tout le confort moderne des années 1960. La banlieue est
alors très loin d’avoir l’image négative d’aujourd’hui. C’est à partir des
années 1980 que les choses changent, avec les problèmes posés par les
débuts de l’immigration de masse.
L’image négative de la banlieue est restée, oubliant que Neuilly-sur-
Seine, Versailles, Vincennes ou Caluire-et-Cuire sont tout autant des villes
de banlieues que La Courneuve ou Bron. Mais le problème de la violence et
de la criminalité ne touche plus uniquement la banlieue : ce sont désormais
les centres-villes qui sont concernés. À Lyon, des rodéos de scooter et des
trafics se déroulent place Bellecour et place de l’Hôtel de Ville. À Paris,
c’est l’esplanade des Invalides qui voit sévir les razzias. Rennes, Nantes et
Grenoble sont des villes où la criminalité a fortement augmenté, très
présente dans les centres-villes. Le même phénomène a été observé aux
États-Unis dans les années 1970-1980, ce qui avait abouti à un abandon des
centres-villes et à un développement des villes de banlieues. Si le terme de
« banlieue » demeure, le problème de la criminalité concerne désormais de
plus en plus les centres-villes. C’est bien un problème territorial qui entre
pleinement dans le champ de l’analyse géopolitique. En dépit des craintes
agitées depuis plusieurs décennies, notamment avec les émeutes de 2005 27,
il n’y a pas d’embrasement des banlieues ni de volonté de sécession par la
violence. L’épisode de 2005 demeure une exception, comme les attentats de
2015. « L’explosion des banlieues » demeure un mythe politique qui n’a
pour l’instant aucune réalité. Pour conduire une guerre de guérillas qui
pourrait conduire à une sécession territoriale, il faut que plusieurs facteurs
soient réunis, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui 28. Notamment une
conscience politique qui développe un projet de sécession, une capacité
militaire qui entraîne et encadre les soldats volontaires, un objectif
clairement défini, épaulé par une stratégie. Tout cela n’existe pas, ce qui ne
signifie pas que cela n’existera pas un jour. La guerre urbaine est mauvaise
pour le déploiement des trafics qui s’y pratiquent et nuit donc à
l’enrichissement des trafiquants. Ceux-ci n’ont donc aucun intérêt à se
livrer à des actions de guérillas. D’une certaine façon, c’est la confirmation,
dans le champ de la criminalité, que le commerce est facteur de paix et de
stabilité. C’est une chose de s’en prendre à de jeunes filles et de voler des
smartphones, c’en est une autre d’entrer dans un processus de guérilla, avec
les morts et les sacrifices que cela suppose. Les racailles n’ont pas encore la
densité des vietminh et des fellagas du FLN. C’est davantage à un
émiettement du territoire auquel nous assistons, avec des zones qui
échappent à l’ordre commun non par le fait d’une révolte militaire ou d’une
sécession politique, mais par la loi du nombre démographique qui provoque
des séparations de fait entre les populations, chaque groupe ethnique se
regroupant séparément. D’une certaine façon, ils n’ont pas intérêt à prendre
les armes pour obtenir une quelconque indépendance puisqu’ils disposent
déjà d’une grande autonomie dans les territoires qu’ils contrôlent de fait.
C’est une épée intérieure qui est plantée dans le flanc de l’Europe, pour une
guerre qui n’a pas encore de nom, mais qui menace sa sécurité et son
intégrité. Une guerre de l’intérieur, pour l’instant de basse intensité, qui
s’ajoute aux défis extérieurs de la guerre en armes, celle de haute intensité,
qui a pris une tournure nouvelle depuis le début des années 2020. Le retour
de la guerre a démontré l’utilité des choses basiques que beaucoup avaient
négligées. L’approvisionnement en eau potable et en carburant,
l’importance des matières premières, le poids historique et politique des
symboles. Autant de défis pour l’analyse géopolitique qui permettent de
prendre la mesure de l’éclatement de l’universalisme.
Programmes mondiaux
95 pays disposent aujourd’hui d’un programme militaire opérationnel
en matière de drones. Outre les pays sus-nommés, on trouve des États
d’Amérique latine et d’Europe, ainsi que l’Algérie et l’Égypte. Mais le
drone échappe aussi au monopole de la puissance étatique : un certain
nombre de groupes terroristes ou mafieux ont fait récemment usage de
drones lors de leurs activités. C’est le cas des cartels de la drogue au
Mexique, de Boko Haram au Nigéria, du PKK en Turquie, d’Al-Qaida au
Pakistan et des talibans en Afghanistan. Les drones sont de plus en plus
utilisés dans les frappes militaires, soit à des fins d’éliminations ciblées, soit
pour des attaques de soldats ou de civils. Ce n’est donc plus une arme
anecdotique, mais un objet essentiel des stratégies militaires.
Le drone est aussi l’objet d’un combat juridique entre les États-Unis et
l’Europe 23. Ils sont à la fois le symbole d’une course technologique où
l’Europe essaie de trouver sa place et le symptôme d’une Union européenne
qui peine à changer de modèle. Comme le soulignaient Dimitri Uzunidis et
Michel Alexandre Bailly en 2005, alors que les États-Unis ont une politique
d’inspiration schumpétérienne, faisant du progrès technique un rôle central,
l’UE a une politique dite smithienne n’attribuant à la technologie qu’un rôle
important 24. Le commissaire européen Thierry Breton a beau vouloir doter
l’UE « d’outils nécessaires pour s’affirmer dans la défense de ses intérêts et
de ses valeurs 25 », l’Europe est à la traîne, tant du point de vue de
l’industrie que de celui de la stratégie. Mais elle est aussi en retard en
matière juridique, dépendant encore des États-Unis. L’extraterritorialité des
lois américaines permet d’étouffer économiquement tous les concurrents de
l’Amérique 26. Dans cet arsenal agressif, deux instruments juridiques sont
redoutables, les normes ITAR et le Cloud Act. Les normes ITAR permettent
aux États-Unis de bloquer toutes ventes d’armes faites à l’étranger dès lors
qu’elles ont été fabriquées avec des composants américains. Cette
27
contrainte à l’exportation, dont Dassault Aviation a fait les frais , n’est pas
la seule. Comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport
précédemment cité :
Par ce biais, les États-Unis imposent leurs standards et ont mis les
Européens à leur merci. Le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act –
le Cloud Act – oblige les prestataires de service et opérateurs numériques
américains à divulguer les informations personnelles de leurs utilisateurs à
la demande des autorités, sans devoir passer par les tribunaux, ni même en
informer les utilisateurs, et ce, même lorsque les données ne sont pas
stockées sur le territoire national. Le Cloud Act est une atteinte au secret des
affaires et expose les entreprises à des risques d’espionnage industriel. En
réponse à l’hégémonie américaine, le gouvernement français a lancé une
procédure « ITAR free » : C’est « une stratégie de gestion de la norme
ITAR développée par l’industrie de défense. Elle vise à réduire la
dépendance de l’armement français aux réglementations américaines 28 ».
Comme le souligne ce rapport de l’École de guerre économique, privilégier
des composants européens suppose la mise en place d’une véritable
stratégie du « made in Europe ». Cela concerne de nouveaux
investissements dans la recherche, le rachat d’entreprises stratégiques et une
concentration sur les programmes de coopération européenne. L’entrée de
MBDA dans le capital de la start-up Kalray (2018) ou la signature d’un
partenariat entre l’Agence française de l’innovation de la défense et les
groupements industriels GICAN et GICAT (juin 2020) témoignent de cette
volonté d’indépendance.
Les drones, nouvel avatar de la guerre
aérienne
La guerre du Haut-Karabagh (2020) a mis en évidence une nouveauté
majeure sur le plan de la conflictualité dans la troisième dimension. Alors
même que l’aviation et les hélicoptères y ont très peu servi, en raison de
leur vulnérabilité aux défenses anti-aériennes et de leur rapport
coût/efficacité, voire de la crainte d’une escalade avec la Turquie, le rôle
des drones s’est avéré déterminant 29.
Plutôt que de s’ajouter à l’arme aérienne, les UAV (unmanned aerial
vehicles) s’y sont substitués, jouant les rôles qui étaient jusqu’alors confiés
à celle-ci. Présentant l’avantage d’être moins détectables par les défenses
anti-aériennes que les avions et moins coûteux que ces derniers, la trentaine
de drones à la disposition de l’armée azérie a servi à effectuer des frappes
contre des véhicules peu blindés et à servir à l’appui-feu, en plus de remplir
des fonctions ISR (pour intelligence, surveillance, reconnaissance,
autrement dit des missions de renseignement militaire). En combinant
drones « senseurs », chargés de missions ISR, et drones « effecteurs »,
servant à la désignation d’objectifs et à des frappes aériennes, l’Azerbaïdjan
a fait remplir à ces systèmes d’armes la totalité des fonctions classiques
confiées aux avions, à moindres frais : la perte éventuelle de drones est bien
moins onéreuse. Il s’agit, dès lors, d’un équipement conçu comme
« consommable ».
L’un des éléments clés de la victoire azerbaïdjanaise est l’efficacité de
son « complexe de reconnaissance-frappe ». Si les forces armées françaises
devraient compter un millier de drones armés d’ici 2024, leur emploi de
MALE Reaper et d’Eurodrone reste essentiellement stratégique, quasi
exclusivement pour des opérations de haute valeur ajoutée. A contrario,
l’Azerbaïdjan a fait un usage tactique d’armes moins coûteuses,
« consommables », au profit de ses unités de première ligne.
Un tel constat implique par ailleurs de repenser la défense sol-air (DSA)
et la lutte anti-drones (LAD). De fait, dans les armées françaises, la défense
sol-air a pâti des coupes drastiques liées à la fin de la guerre froide et au
contexte de contrainte budgétaire. Les environnements des opérations
extérieures (opex) se caractérisant par une supériorité aérienne française,
ces opérations ont favorisé l’abandon des systèmes de défense sol-air à
courte et moyenne portée, au point que la spécialisation dans la DSA n’est
e
plus l’apanage que d’un seul régiment français, le 54 d’artillerie.
Auditionné à l’Assemblée nationale en octobre 2019, le chef d’état-major
des armées (CEMA), le général François Lecointre, a souligné le « choix »
fait « il y a quinze ans d’abandonner la capacité de défense sol-air
d’accompagnement », avant de reconnaître que « le phénomène drone
change la donne ». Pour ce faire, la France fait depuis 2014 l’acquisition de
moyens mobiles de lutte anti-drones (MILAD) et de fusils brouilleurs
destinés à équiper forces terrestres, aériennes et navales tant en métropole
que sur un théâtre d’opération extérieure. Toutefois, cela ne fera pas tout : il
s’agira également d’arriver à la supériorité par la saturation de l’espace
aérien. Cela pose d’emblée la question de la guerre de haute intensité 30.
Les drones posent aussi la question du retard de l’Europe, tant sur le
plan matériel que sur le plan stratégique, notamment par rapport aux
grandes puissances mondiales. C’est la preuve que la puissance est d’abord
une question de volonté et de vision. Avec la fin de l’universalisme, les
Européens sont contraints de repenser et de revoir leur vision stratégique et
leur vision du monde s’ils ne veulent pas être dépassés par leurs
concurrents.
1. Quoique… L’Occident ne se perçoit pas comme une puissance belligérante, bien qu’il ait
provoqué de nombreuses guerres depuis le début des années 2000. Mais c’est toujours avec la
bonne conscience que ces guerres doivent servir au maintien de l’ordre. Ce sont des guerres de
pacification : pour installer la démocratie ici et là, pour combattre l’État islamique, pour
éradiquer le terrorisme. De bonne guerre en sorte, des guerres pour la démocratie et les valeurs
de l’Europe et de l’Occident. Le concept de « guerre juste » n’est plus employé : il a une
connotation trop classique, trop chrétienne aussi. Donc la chose est entendue : si on fait la
guerre pour restaurer l’ordre démocratique ce n’est pas vraiment une guerre. Du maintien de
l’ordre au mieux, de la réintégration dans l’ordre international bien souvent. Ainsi, personne ne
veut dire qu’il fait la guerre. Ni les Russes, qui parlent « d’opération spéciale » en Ukraine, ni
les Occidentaux, qui oublient et effacent de leur mémoire les guerres qu’ils ont pu mener et
connaître. La guerre serait-elle le dernier sujet tabou ? La chose à faire, mais à ne pas dire ?
Surtout, ne pas voir que l’épée est sortie.
2. Un choix d’intervention particulièrement sélectif par ailleurs. Pourquoi intervenir en Libye et
pas au Yémen, un conflit qui a engendré, selon l’ONU, un drame humanitaire immense ?
Pourquoi intervenir au Sahel, mais pas en Éthiopie ou au Mozambique, où les groupes
islamistes sont eux aussi très nombreux ? Pourquoi condamner la Syrie d’Assad, mais pas le
Venezuela de Chavez et de Maduro ou le Cuba des frères Castro ? Qu’est-ce qui justifie cette
sélection émotive des conflits et le choix d’intervenir ou de laisser dans l’oubli ?
3. Révolte racontée notamment par Joseph Kessel dans La Piste fauve. Le nombre de morts
officiel est de 12 000. En comptant les civils, certaines estimations montent jusqu’à
100 000 morts.
4. La guerre menée par les Brigades rouges a culminé en 1978 avec l’enlèvement et l’assassinat
de l’ancien Président du conseil, Aldo Moro.
5. La France a conduit plus d’opérations extérieures depuis 1991 que durant la période de
guerre froide.
6. Nous ne faisons pas entrer les questions énergétiques dans la guerre économique à
proprement parler, même si cela en recoupe une partie. La guerre économique en tant que telle
est étudiée dans la troisième partie.
7. La « guerre contre le terrorisme » n’étant pas une guerre, nous ne l’étudions pas ici, mais en
troisième partie, où un chapitre spécifique lui est consacré.
8. Notamment en Belgique (qui a annoncé en janvier 2022 la sortie du nucléaire pour l’année
2025, or celui-ci fournit 40 % de son électricité), en Allemagne et même en France.
9. À la mi-mai 2022, 29 réacteurs sur 56 étaient à l’arrêt en France, soit pour des questions de
révision soit pour des problèmes de corrosion.
10. Le président Macron a fait volte-face en annonçant en janvier 2022 le retour d’un
programme nucléaire qu’il avait pourtant mis à l’arrêt entre 2017 et 2019. Le Royaume-Uni a
lui aussi annoncé la construction de 7 centrales nucléaires afin de croître en indépendance
énergétique.
11. Pour l’Allemagne, les volumes de gaz russe ne peuvent être remplacés aux mêmes
conditions. À moyen terme, il n’y a pas d’alternative au gaz russe ; conclure des contrats avec
d’autres pays ne peut se faire en quelques semaines, d’autant que les contrats russes étaient aussi
favorables à l’Europe car nous avions des contrats long terme, donc moins cher, et la Russie
réinvestissait une partie non négligeable des devises qu’elle recevait pour la livraison de ses
hydrocarbures dans l’achat d’obligations européennes : autrement dit c’est un fournisseur qui
nous permettait de vivre à crédit. Sans la Russie, il faut aller acheter du gaz sur le marché spot à
des prix moins favorables. Dans tous les cas, les Européens auront moins d’énergie et ils
devront la payer à un tarif plus élevé.
12. Il avait commencé à être mis en activité peu de temps avant le déclenchement de la guerre
en Ukraine. Celle-ci a stoppé net tous les projets et a mis un terme (provisoire ?) à Nord Stream
2.
13. En juin 2022, l’Algérie fournissait 8 % des importations de gaz européennes et le Nigéria
2 %. En 2007, avant le premier volet des sanctions, le gaz russe représentait 38 % du gaz naturel
importé dans l’UE. Toujours en 2007, la part du pétrole russe représentait elle aussi près de
40 %.
14. Raison pour laquelle l’UE a conclu un accord avec l’Azerbaïdjan afin de pouvoir
s’approvisionner auprès de Bakou. Les questions sur la guerre au Karabagh et le soutien à
l’Arménie ont été évacuées face à la nécessité de l’approvisionnement énergétique.
15. Dans notre ouvrage collectif Le défi migratoire. L’Europe ébranlée, nous avons été parmi
les premiers a montrer le rôle des mafias dans le trafic de migrants, notamment lors de la crise
migratoire de l’été 2015 et la dimension commerciale de ces trafics. Si ces faits sont désormais
acceptés par tous, tel n’était pas le cas en 2015 où beaucoup niaient cette réalité. (Édition
Bernard Giovanangeli, 2015).
16. HCR – Aperçu statistique (unhcr.org)
17. Migrants smuggling networks.
18. Raison pour laquelle les magasins Décathlon ont cessé de vendre des canots pneumatiques
dans leurs magasins localisés en bordure de la Manche.
19. Bernard Lugan, Histoire de l’Afrique, Ellipses, 2020.
20. Promesse qui est l’objet d’un contentieux historique, aucun document formel n’ayant été
signé. Les Américains expliquent que cette promesse a été faite à l’oral et qu’elle n’en est pas
vraiment une, quand les Russes estiment que les Américains ont trahi leur résolution. Voir à ce
sujet l’article qu’Alexis Feertchak a consacré à ce dossier : « L’OTAN a-t-elle promis à la
Russie de ne pas s’étendre à l’Est ? », Le Figaro, 8 mars 2022.
21. Cour des comptes, « les drones aériens : une rupture stratégique mal conduite »,
février 2020.
22. Israël a également fourni des drones à l’Azerbaïdjan.
23. Nous reprenons ici les analyses développées par Ysens de France dans « Le drone, symbole
o
d’un combat juridico-économique entre l’UE et les États-Unis », in Conflits, NS n 11,
« Comment dominer le ciel de demain », octobre 2020.
24. Dimitri Uzunidis et Michel Alexandre Bailly, « Politiques de recherche et innovation
militaire : Schumpeter versus Smith aux États-Unis et en Europe », Innovations, Cahiers
o
d’économie de l’innovation, n 21, 2005-1, p. 45.
25. Thierry Breton, Repenser notre sécurité : vers l’autonomie stratégique de l’Europe –
discours au Parlement européen, 25 juin 2020.
26. Ali Laïdi, Le droit, nouvelle arme de guerre économique, Actes Sud, 2019.
27. Le blocage par les Américains de la vente de Rafale équipés de missiles de croisière Scalp à
l’Égypte dont un composant – une puce électronique – était soumis à la norme ITAR
28. École de guerre économique, Le secteur français de l’industrie de la défense face aux
risques informationnels, dir. Christian Harbulot, p. 16.
29. Olivier Cigolotti et Marie-Arlette Carlotti, Haut-Karabagh : dix enseignements d’un conflit
o
qui nous concerne, Rapport d’information n 754, Sénat, juillet 2021.
30. Alban Wilfert, « La guerre du Haut-Karabagh : quels enseignements pour la France ? », in
o
Conflits, NS n 14, Armée de terre. Le saut vers la haute intensité, novembre 2021.
PARTIE 2
1. Phénomène typique pour la théologie de la libération en Amérique latine. Une idéologie née
dans les universités et les séminaires européens, propagée en Amérique par des prêtres et des
évêques européens ou d’origine européenne, mais s’adressant au « peuple » indigène et sud-
américain, que ces intellectuels connaissaient à peu près aussi bien que les Germanopratins les
provinces françaises.
2. Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, 1996, p. 103.
3. La défense du multiculturalisme et de la diversité est un facteur de dissolution des peuples et
des nations. Il est capital qu’un peuple soit uni. Si un peuple est désuni et se fractionne en de
multiples groupes ethniques et culturels, il devient une assemblée de peuples variés et cesse
d’exister comme groupe humain cohérent et conscient d’une appartenance collective. Nier sa
culture, c’est conduire sa société à la ruine. Un peuple se définit par sa culture et sa religion, non
par des principes politiques : république ou démocratie. Les principes politiques sont seconds et
même secondaires, ce qui est premier, c’est la culture.
La primauté de la culture est le fondement de la réflexion de Samuel Huntington. Il ne croit pas
qu’un peuple puisse se constituer autour d’un projet politique, mais autour d’un projet culturel.
Force est de constater que cela explique l’échec de l’URSS : le projet politique a été dépassé par
le projet culturel des peuples, consistant notamment au rejet de l’Empire soviétique. La force de
la Chine aujourd’hui, bien que communiste, est d’être unie autour d’un même projet culturel,
dont font les frais les autres peuples, comme les Tibétains et les Ouïghours.
4. Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, 1996, p. 17.
5. Olivier Kempf, « L’Occident, une frontière mentale », Egeablog, 23 octobre 2011.
6. La guerre du Karabagh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie est à cet égard une guerre de
civilisation, comme l’est la situation perpétuellement tendue au Kurdistan ou en Éthiopie. La
guerre d’Algérie (1954-1962) est un cas archétypal de ce qu’est une guerre de civilisation, ce
n’était pas une guerre coloniale comme le pensaient les partisans de l’Algérie française. Elle ne
pouvait prendre fin que par l’élimination de l’un des groupes humains, ce qui fut chose faite en
1962 avec l’expulsion des Européens.
7. Cela est notamment visible dans le cas du terrorisme où la question religieuse est secondaire
(cf. chapitre 9).
CHAPITRE 3
Pour Lénine, Staline, Mao et Xi, les mots ne sont pas des véhicules
de la raison et de la persuasion. Ce sont des balles. Les mots sont
des armes pour définir, isoler et détruire les adversaires. Et la tâche
de détruire les ennemis ne peut jamais prendre fin. Pour Xi, comme
pour Staline et Mao, il n’y a pas de point final dans la quête
perpétuelle d’unité et de préservation du régime. Xi utilise le même
modèle idéologique pour décrire le rôle des « travailleurs des
médias ». Et des professeurs d’école. Et des universitaires. Ils sont
tous des ingénieurs de la conformité idéologique et des rouages de
la machine révolutionnaire. Parmi les nombreuses choses que les
dirigeants modernes de la Chine ont faites, y compris superviser la
plus grande poussée de libéralisation du marché et de réduction de
la pauvreté que le monde ait jamais connue, ceux qui ont remporté
les batailles politiques internes ont conservé l’aspiration totalitaire
d’ingénierie de l’âme humaine afin de la conduire vers une
14
destination utopique toujours plus lointaine et changeante .
Le réveil militaire
Possédant l’idéologie, la vision, la volonté de projection et de
domination et la puissance de feu économique, il ne manque plus à la Chine
que la puissance militaire. C’est ce à quoi elle travaille désormais, en
développant une marine de plus en plus moderne et puissante, capable de se
projeter dans sa mer proche et d’y porter les ambitions de Pékin. La montée
en puissance de la marine chinoise est visible dans tous les domaines, sous-
marins, frégates, porte-avions, etc., et l’ensemble de ses bâtiments devrait
passer de 220 en 2010 à 425 en 2030. Entre 2005 et 2020, l’érosion de la
puissance américaine est patente. La présidence d’Obama a, à cet égard,
marqué un net reflux, qui s’est combiné avec l’arrivée de Xi au pouvoir et
sa volonté de déployer une puissance maritime. Les ambitions en mer de
Chine ne cessent de se redresser, que ce soit pour prendre le contrôle des
ports et des détroits, pour étendre son collier de perles ou pour s’assurer le
contrôle de certaines îles, plus ou moins grandes. La grande interrogation
est bien évidemment Taïwan, que Pékin ne cesse de considérer comme
chinoise et dont la prise de contrôle a été mainte fois énoncée. La Chine
osera-t-elle franchir le détroit et débarquer à Taïwan ? Si sa marine est
puissante sur le papier, c’est une chose de pouvoir aligner des vaisseaux,
c’en est une autre de les coordonner et de conduire de vraies opérations de
guerre avec eux. Un débarquement est certes possible, mais une prise de
contrôle totale de l’île l’est beaucoup moins. Adepte de la stratégie de
l’étouffement, comme avec Hong Kong, il est probable que la Chine prenne
Taïwan sans combattre, mais en rendant sa prise inévitable et inéluctable.
Le temps demeure le plus grand allié de Pékin, même si la date limite fixée
pour la prise est celle de 2049, centenaire de la proclamation de la RPC.
Les ambitions navales de la Chine.
Création d’un nouvel IMF contrôlé par la Chine, situé à Pékin et qui
a offert des parts de capital à tous ceux qui voulaient souscrire (103
membres, dont la Grande-Bretagne et l’Allemagne, mais pas le
Japon ou les États-Unis, qui ont refusé) et qui traitera de tous les
problèmes touchant à de nécessaires ajustements structurels en cas
de besoin.
Création d’un marché à terme du pétrole coté en yuan, à Shanghai,
qui permet à quiconque d’acheter du pétrole iranien ou vénézuélien
en yuan, sans avoir à passer par le dollar. Et cela pour une raison
très simple : depuis le début du siècle, la Justice américaine a décidé
d’utiliser le dollar américain comme une arme de sa diplomatie.
Depuis le début des années 2000, quiconque utilise le dollar dans
des transactions entre pays tiers est devenu susceptible d’être traduit
en justice aux États-Unis si ces transactions ne sont pas conformes à
la loi américaine, ce qu’a appris la BNP à ses dépens (amende de 9
milliards d’euros). Et donc, dans toute transaction en dollar entre
deux parties, même ayant lieu en dehors des États-Unis, trois
personnes sont au courant, les deux parties et la CIA, ce qui est
encore une fois une perte de souveraineté inacceptable.
Réintroduction en catimini de l’or dans les transactions
internationales. Si un pays se retrouve avec des excédents
importants en yuan, il ne peut pas les réinvestir en Chine puisque le
compte capital de la Chine est fermé. Qu’à cela ne tienne, ce pays
peut acheter des obligations du gouvernement chinois et si ce pays
ne veut pas des obligations, la banque centrale chinoise lui rachètera
ses yuans en or 37.
La marine militaire chinoise.
L’effacement de la Russie ?
À l’heure où ce livre est écrit, et alors que la guerre en Ukraine se
poursuit, il n’est pas possible de prévoir la place que pourra prendre
Moscou dans l’échiquier du monde. Mise au ban de l’Occident par des
mesures de sanctions et de rétorsions, la Russie, par son attaque de
l’Ukraine, a perdu en quelques heures la crédibilité et l’honorabilité qu’elle
avait patiemment tissées en vingt ans en Europe de l’Ouest. L’armée russe
s’est montrée moins puissante que ce que beaucoup pensaient.
L’impossibilité de prendre Kiev en 48 heures a quelque peu effacé le
souvenir du retrait de Kaboul par les Américains à l’été 2021. Comme quoi,
l’équilibre des forces mondiales est fragile et l’échiquier peut vite se
renverser. Mais cette guerre a surtout ravivé la guerre des monnaies et
renforcé l’indépendance stratégique de la Chine et son empire financier. En
faisant du dollar la monnaie de la mondialisation et des transactions
financières, les États-Unis ont également exporté leur droit, puisque toute
transaction en dollar pouvait faire l’objet d’un jugement au DoJ 49. Les
affaires Alstom et BNP en France, avec les amendes majeures infligées, en
ont été la démonstration. L’invasion de l’Ukraine a été l’accélératrice de
cette guerre des monnaies que se livrent les États. D’autres signes
s’inscrivent dans cette guerre des monnaies : la Chine qui achète le gaz et le
pétrole russe en yuan ; l’Inde qui a ouvert des négociations avec la Russie
pour le payer en roupie ; l’Arabie Saoudite, qui a proposé aux Chinois
d’acheter leur pétrole en yuan. Reste à voir si ces tendances iront jusqu’au
bout, mais si tel devait être le cas ce serait une redéfinition complète de la
mondialisation. Il n’y aurait plus un monopole américain, poursuivi par le
monopole du « roi dollar » et de la prééminence du droit américain via
l’extra-territorialité, mais un duopole, avec la monnaie chinoise et
désormais le droit chinois qui s’exporte lui aussi. Entre ces deux empires,
l’Europe et la Russie, à qui la seule place laissée semble être de devoir
choisir leur camp. La Chine, dépecée et partagée par les Européens au cours
du XXe siècle prend désormais sa revanche en redevenant l’Empire du
Milieu, c’est-à-dire l’Empire autour duquel tout tourne : regards, attentions,
monnaies, armée. Mais cet empire est plus fragile qu’il n’y parait et pourrait
tout aussi bien s’effondrer avant même d’avoir connu la suprématie.
1. Australien, John Garnaut fut correspondant en Chine pour The Age et The Sydney Morning
Herald (2007-2013). Il a ensuite travaillé pour le gouvernement australien auprès du Premier
ministre Malcolm Turnbull puis comme conseiller en politique chinoise. C’est notamment lui
qui a piloté la politique du gouvernement australien en réponse aux ingérences de la Chine en
Australie. Lors d’un séminaire gouvernemental tenu en août 2017, il a prononcé un discours sur
l’état de la Chine et l’idéologie du PCC, discours qu’il a rendu public après la fin de ses
fonctions au sein du cabinet. Le discours a été publié en janvier 2019 sur le site Sinocism, dirigé
par Bill Bishop. La revue Conflits a publié une traduction française de ce discours en
juillet 2021. C’est cette version française dont nous reprenons des extraits ici.
2. John Garnaut, « Les ingénieurs de l’âme : l’idéologie communiste dans la Chine de Xi
Jinping », traduction française de Conflits, 9 juillet 2021.
3. John Garnaut, op. cit.
4. Staline, Petit Cours sur l’histoire des bolcheviks. Livre de chevet de Mao, lu par tous les
cadres du PCC.
5. John Garnaut, op. cit.
6. Celui-ci s’est tenu en novembre 2012. C’est au cours de celui-ci que Xi Jinping est devenu
Secrétaire général du Parti communiste chinois, succédant à Hu Jintao (2002-2012).
7. John Garnaut, op. cit.
e
8. Xi Jinping, Discours à l’occasion du 95 anniversaire du PCC, 2015.
9. Discours prononcé par Staline chez l’écrivain Maxime Gorki en préparation du premier
congrès de l’Union des écrivains soviétiques, octobre 1932.
10. Raison pour laquelle Friedrich Hayek démontre, dans La route de la servitude, pourquoi les
régimes totalitaires rencontrent un écho favorable chez les ingénieurs et les intellectuels. Étant
habitués à manipuler des objets et des concepts, ils en viennent assez aisément à vouloir
manipuler et fabriquer les êtres. Nous verrons plus loin que la gestion de l’épidémie de
coronavirus comme la mise en place du système de crédit social correspond à cette volonté
d’être « des ingénieurs de l’âme humaine ».
11. Le même phénomène est aujourd’hui à l’œuvre dans l’idéologie de l’écologisme avec le
conditionnement orchestré sur la jeunesse sur toutes les questions qui concernent le climat et
l’écologie.
12. Xi Jinping, Discours au Forum de Pékin sur la littérature et l’art, octobre 2014.
13. Xi Jinping, op. cit.
14. John Garnaut, op. cit.
15. Xi Jinping, Conférence nationale sur le travail de propagande, 9 août 2013. Cité par John
Garnaut.
16. À l’époque dirigé par Li Zhanshu, un des bras-droit de Mao.
17. Cité par John Garnaut.
18. John Garnaut, op. cit.
19. Alice Ekman, Rouge vif. L’Idéal communiste chinois, L’Observatoire, Paris, 2020, p. 35.
20. Xi Jinping, « Notre nouvelle marche », juillet 2021.
21. Alice Ekman, op. cit., p. 13.
22. Xi Jinping, « Notre nouvelle marche », juillet 2021.
23. Alice Ekman, p. 105.
24. Un aveuglement commencé dès les années 1960 quand les jeunes intellectuels français se
rendaient en Chine et n’y voyaient ni la propagande chinoise ni l’oppression marxiste.
25. Xi Jinping, « Notre nouvelle marche », juillet 2021.
26. Xi Jinping, « Notre nouvelle marche », juillet 2021.
27. Emmanuel Dubois de Prisque, « Le système de crédit social. Comment la Chine évalue,
récompense et punit sa population », Institut Thomas More, 2019.
28. Emmanuel Dubois de Prisque, « La Chine Big Brother : surveiller et punir », Conflits,
juillet 2019.
29. John Garaut, op. cit.
30. Alice Ekman, op. cit., p. 97.
31. Valérie Niquet, La Puissance chinoise en 100 questions. Un géant fragile ?, Tallandier,
Paris, 2017, p. 68-69.
32. Alice Ekman, op. cit., p. 113.
33. Jean-Baptiste Noé, François le diplomate. La diplomatie de la miséricorde, Salvator, 2019,
« La Chine, dialogue ou fourvoiement ? », p. 173.
34. Valérie Niquet, op. cit, p. 239-241.
35. C’est notamment le cas en Afrique où l’attrait pour la Chine a quelque peu évolué au cours
des quinze dernières années, même si l’implantation de Pékin est de plus en plus importante.
36. Pepe Escobar, « Afghanistan : l’OTAN vaincu par des éleveurs de chèvres », Conflits.fr,
18 août 2021.
37. Charles Gave, « La prise de contrôle de Hong Kong par la Chine », Institut des Libertés,
28 septembre 2020.
38. Charles Gave, « L’été de toutes les surprises », Institut des Libertés, 5 septembre 2021.
39. Prix en septembre 2021.
40. Charles Gave, « L’été de toutes les surprises », Institut des Libertés, 5 septembre 2021.
41. Charles Gave, ibid.
42. Bath thaïlandais, won coréen, dollar de Taïwan, dollar de Singapour.
43. Charles Gave, « Le soleil se lève à l’Est », Institut des Libertés, 25 janvier 2021.
44. Charles Gave, ibid.
45. Tom Miller, « La perte de l’Amérique est le gain de la Chine », Gavekal,
16 décembre 2021.
46. Tom Miller, op. cit.
47. Tom Miller, op. cit.
48. Tom Miller, op. cit.
49. Department of Justice, basé à New York.
50. Les mensonges répétés lors de la crise du covid et la rétention d’information lors des débuts
de l’épidémie ont démontré le caractère mensonger du régime chinois. Le refus de celui-ci de
transmettre des informations à l’OMS et de laisser se conduire une enquête indépendante dans le
laboratoire de Wuhan témoigne de l’absence de transparence et de coopération internationale du
gouvernement chinois, ce qui, étant communiste, est dans sa nature même.
51. Notamment les terres arables. La Chine étend sa domination des terres en Ukraine et en
Europe.
CHAPITRE 4
Indigénisme et vaudou
Ailleurs dans le monde c’est l’indigénisme et le vaudou qui sont en
grand essor. Lors de l’épidémie de covid, on a ainsi vu le ministre bolivien
de la Santé se livrer à un sacrifice de lama desséché auquel il a mis le feu
afin de chasser les mauvais esprits pour demander la fin de l’épidémie. Sous
couvert de défense des peuples autochtones et des rites traditionnels, c’est
tout un arsenal de pratiques occultes qui sont remises en avant et défendues.
L’autre nouveauté est l’essor du vaudou en Afrique et en Europe, qui sort de
ses régions d’origine pour se développer dans toute l’Afrique de l’Ouest et
au sein des Africains de la diaspora.
Faux médicaments
Les trafics de médicaments contrefaits sont légion. Ils rapporteraient
200 milliards de dollars à leurs commanditaires. Des « pharmacies par
terre » des rues de Lomé et d’Abidjan aux officines plus organisées le faux
est partout. Là aussi les bandes armées et les groupes terroristes en tirent
profit. Le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière a constaté lors de ses
enquêtes que le Hezbollah, le Hamas et Al-Qaïda se sont financés avec des
trafics de médicaments. Boko Haram trouve elle aussi des sources de
revenus dans ces ventes illicites. Ces trafics se sont beaucoup développés
dans la bande sahélienne. L’opération Serval a dû se muer en force
d’interposition et de lutte contre le crime organisé, qui sont des opérations
de police plus que des opérations militaires. Les groupes cherchent à tenir
des positions qui leur servent de comptoirs pour prélever des taxes, d’où des
batailles entre ces groupes autour des carrefours et des points de passage.
Les guerres coutent cher et les trafics permettent de les financer. Ces
groupes criminels n’hésitent pas à mener des actions armées pour tenir leurs
positions et pour repousser les troupes françaises et internationales qui
cherchent à les déloger. Le golfe de Guinée fait partie de ces zones
secondaires de la géopolitique mondiale qui sont néanmoins d’un intérêt
stratégique essentiel pour la sécurité et la stabilité du continent africain et
de l’Europe.
Une convention Médicrime mais un trafic qui explose sur tous les continents.
Le « djihadisme d’atmosphère »
en Europe et au-delà
Le Sahel, le Moyen-Orient et l’Europe sont touchés par ce que Gilles
Keppel appelle « le djihadisme d’atmosphère 26 ». Il y a peu, mais c’est déjà
un autrefois, le djihadisme était structuré et organisé. Il y avait des
organisations, des chefs, des ordres et des modes opératoires. Cela
permettait l’organisation d’attentats ciblés et organisés, s’appuyant sur des
relais et des réseaux. Les frères Kouachi en sont un exemple : leur attaque
contre Charlie Hebdo nécessitait une certaine logistique en armement,
voiture de déplacement, repérages, lieux de replis, etc. Ce djihadisme
organisé est principalement le cas des attentats des années 1990-2010, mais
celui-ci a dorénavant évolué vers ce que Keppel appelle le djihadisme
d’atmosphère. Désormais, des jeunes désœuvrés agrippent des idées et des
sentiments à travers les musiques piochées sur le Net, la lecture de quelques
sites, la fréquentation de forum et de discussions en ligne. Ils se radicalisent
au contact de ces nuages djihadistes et des rencontres personnelles qu’ils
peuvent faire dans leurs cités, décidant un jour de passer à l’acte en faisant
usage d’une voiture ou d’un couteau. L’attentat est beaucoup moins
organisé et planifié, moins meurtrier aussi, mais plus facile à perpétrer. Une
voiture lancée à forte allure dans une foule, des coups de couteau frappés à
la gorge de passants. Ce djihadisme d’atmosphère a changé la façon d’agir
des terroristes et donc doit modifier aussi la façon de le contrecarrer. Pour
Gilles Kepel :
Cet assassinat [Samuel Paty] est le paradigme d’une nouvelle phase
du terrorisme islamiste, de quatrième génération, ou « 4G ». Elle est
structurellement liée à la propagation de messages de mobilisation
sur les réseaux sociaux déclenchant le passage à l’acte criminel, et
ne nécessite plus d’appartenance préalable du meurtrier à une
organisation pyramidale, de type al-Qaida, ou d’affiliation à une
structure réticulaire, comme Daesh. Elle se cristallise par la
rencontre entre une demande d’action, diffusée en ligne par des
« entrepreneurs de colère », selon la formule du Pr Bernard Rougier,
et une offre terroriste qui répond à celle-ci, sans que la connexion
27
nécessite d’être véritablement formalisée .
Face au terrorisme 28
La carte de la « zone des trois frontières » représente les actes de
violence de tous ordres ayant lieu à différents moments au Mali, Niger et
Burkina Faso. Elles fournissent des indications essentielles pour autant que
l’on comprenne bien les conditions de production. La source en est la
29
Global Terrorism Database , où la totalité des événements violents est
prise en compte. On a donc des actes terroristes et d’autres incidents
(affrontements à base ethnique, criminalité liée à divers trafics, etc.) ; ce qui
correspond bien au profil de la violence dans la région. Les périodes
retenues concernent : a) le milieu de la révolte touarègue au Niger et Mali
(1990-1996) ; b) la révolte touarègue suivante (2007-2009) et ses suites ; c)
les années immédiatement antérieure et postérieure au début de l’opération
Serval (2013) ; d) la dynamique de la conflictualité dans les années
suivantes (2019 : dernières données disponibles).
L’histogramme permet de distinguer clairement la spécificité locale des
deux premiers épisodes, et la croissance spectaculaire de la violence
(notamment terroriste) à partir de 2012. À ce moment, on perçoit clairement
l’apparition d’une dynamique djihadiste macro-régionale et globale. La
carte permet, surtout, de voir le déplacement de cette violence au cours du
temps. Pour cela on recourt au calcul des barycentres (centroïdes de
30
l’ensemble des attaques de chaque période) . Cela permet de percevoir
(sans doute pour la première fois) le déplacement du « centre de la
violence » en direction du Burkina Faso au cours des dernières années et la
tendance à la transnationalisation que le djihadisme introduit dans la zone,
dont le foyer au sud-est du Niger (lié à Boko Haram) est une autre
expression.
À côté de ce vaste continent en situation d’émiettement qui voit
proliférer les usages de l’épée émergent des zones dont l’avenir est de plus
en plus manifeste, comme l’océan Indien et l’Indo-pacifique. Là, les
dangers de l’épée sont en train de se manifester.
1. Si le terme de « religion » est régulièrement employé, il n’est que très rarement défini. La
religion devient ainsi un concept flou et sans consistance, qui ne veut rien dire, mais qui donne
l’air de dire. Une sorte de paresse intellectuelle qui empêche de distinguer les choses et les
concepts.
2. Jean-Baptiste Noé, Géopolitique du Vatican. « Le réveil du christianisme en Europe »,
p. 152.
3. Philippe Nemo, La belle mort de l’athéisme moderne, Puf, 2013.
4. Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, Le Cerf, 2021.
5. La Démocratie, tome 2, « Ce qui fait pencher l’esprit des peuples démocratiques vers le
panthéisme ».
6. Extrait.
7. Cité par Olivier Roy, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Le Seuil,
2008, p. 91.
8. Des décisions politiques absurdes, notamment l’interdiction de l’usage des engrais, ont
provoqué une destruction de la filière agricole et de là des disettes dans l’ensemble de l’île.
9. Jérôme Fourquet, La France sous nos yeux, Le Seuil, 2021.
e
10. Guillaume Soto-Mayor, « Les syndicats du crime nigérians : les criminels du XXI siècle »,
o
in Conflits n 24, octobre 2019.
o
11. Ana Pouvreau, « Les mafias nigérianes investissent l’Europe », Conflits, n 37,
janvier 2022.
12. Jean-Baptiste Noé, Géopolitique du Vatican, « Le Vatican : continuité et expansion de la
romanité », p. 119.
13. Le roman de Jean Raspail, Qui se souvient des hommes (1986) raconte les ambiguïtés et les
drames de cette politique de civilisation exercée à l’égard des Alakalufs. En dépit de
nombreuses tentatives des missionnaires protestants et catholiques, celle-ci s’est révélée un
échec.
14. Source : Le Regard protestant, « L’Église de Suède demande pardon aux Samis »,
14 janvier 2022.
15. Cas complexe qui a occupé une grande partie de l’actualité au Canada dans les années
2021-2022. Il s’agit d’internats où étaient recueillis, logés et éduqués des enfants des peuples
autochtones. Les responsables des internats sont accusés de maltraitance. Les médias ont évoqué
la présence de charniers où furent ensevelis les enfants, mais aucun corps ne fut jusqu’à présent
retrouvé car aucune fouille n’a été menée. Cf. Jacques Rouillard « Pensionnats autochtones au
Canada. Entre manipulations politiques et complexité historique », Conflits.fr, 7 juillet 2022.
er
16. Vatican News, 1 avril 2022.
17. Idem.
18. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Albin
Michel, rééd. 2005.
19. Boko Haram n’est quasiment plus actif au Nigéria, l’élimination de ses chefs en 2021 et
2022 ayant décapité l’organisation. La plupart des membres ont rejoint d’autres structures, ce
qui maintient donc le haut niveau de violence.
20. Les 3 pays les plus peuplés d’Afrique sont le Nigéria (210 M hab.), l’Éthiopie (115 M),
l’Égypte (102 M).
21. TV5 Monde, « Procès Authentic Sisters, ou le proxénétisme au féminin, du Nigéria en
France », 30 mai 2018. La pratique du vaudou y est là aussi prépondérante : les jeunes filles
intègrent le réseau de proxénétisme après une cérémonie ou un fétiche les représentant, le
« juju », est fabriqué et utilisé. Au Nigéria, les sorciers peuvent menacer les familles en cas de
dénonciation.
o
22. Ana Pouvreau, « Les mafias nigérianes investissent l’Europe », Conflits, n 37,
janvier 2022.
23. Voir à ce sujet les différents articles de Daniel Dory parus dans Conflits, notamment dans le
o
n 33, « Terrorisme. La menace sans fin », mai 2021.
24. Ce que nous appelons « le mythe du développement » est cette croyance, issue de la
mentalité coloniale, que l’Europe et la France auraient le devoir d’apporter la civilisation et le
progrès en Afrique. Fondé sur un mélange de condescendance paternaliste et de souci
humanitaire sentimental, ce mythe aboutit à la croyance que le « développement » serait
l’alignement de l’Afrique sur l’Europe, ce continent devant adopter les us et coutumes
européens pour « être développé », au mépris de sa propre culture et de sa propre histoire. Le
développement repose sur une vision keynésienne de l’interventionnisme international selon
laquelle il suffirait d’arroser d’argent public, via des banques, des associations ou des
entreprises créées de toutes pièces, pour assurer le développement matériel de l’Afrique. En
dépit des sommes colossales diffusées sur le continent depuis 1960, via des prêts jamais
remboursés, des investissements associatifs, aucune étude de réussite des politiques publiques
ne fut mise en place. Le développement semble être un train roulant à vive allure, dont personne
n’étudie les succès réels et l’efficacité effective. Ce mythe du développement offre de nombreux
postes et récompenses tant du côté européen qu’africain, entretenant un capitalisme de
connivence et une « corruption humanitaire » malsaine.
Des programmes d’aide qui sont de plus en plus contestés par les Africains eux-mêmes depuis
l’ouvrage novateur de Dambisa Moyo, L’Aide fatale, J.-C. Lattès, 2009.
25. Les entreprises françaises réalisent plus d’échanges commerciaux avec la Belgique qu’avec
le continent africain 37.2 Mds€ d’exportation vers la Belgique en 2021 contre 23.5 Mds€ pour
l’Afrique. Le commerce avec l’Afrique ne représente que 2 % du commerce français.
26. Gilles Kepel, Le prophète et la pandémie. Du Moyen-Orient au jihadisme d’atmosphère,
Gallimard, 2021.
27. Gilles Kepel, idem, p. 236.
28. Nous reprenons ici les travaux de Daniel Dory et d’Hervé Théry sur la cartographie du
terrorisme dans la zone des trois frontières. Les deux cartes ont été réalisées par eux. Le texte de
cette partie est une reprise de deux de leurs articles parus dans Conflits : « Attentat de Solhan :
quand la cartographie du terrorisme devient prédictive », Conflits.fr, 7 juin 2021 et « La
o
violence (parfois) terroriste dans la zone des trois frontières », Conflits, n 34, juillet 2021.
o
29. Voir aussi : H. Théry ; D. Dory, « Espace-temps du terrorisme », Conflits, n 33, 2021,
p. 47-50.
30. Cette technique très éclairante complète heureusement des travaux antérieurs sur le sujet,
comme : D. B. Skillicorn et al. « The Diffusion and Permeability of Political Violence in North
and West Africa », Terrorism and Political Violence, 2019 (disponible en ligne).
CHAPITRE 5
Si les regards sont tournés vers l’Afrique et l’Asie, c’est dans la zone de
l’Indo-Pacifique que se dessinent les contours de la géopolitique mondiale.
Non pas une zone terrestre, mais un espace maritime. Non pas une zone
solide, mais un espace liquide. Non pas un lieu de production, mais un lieu
de passage. Ce qui fait la richesse et l’intérêt de la zone est d’être le trait
d’union des autres grands ensembles mondiaux. À une échelle plus vaste et
plus immense, l’Indo-Pacifique joue le rôle aujourd’hui de la Valteline et
des cols alpins hier : être une zone qui relie et depuis laquelle le passage est
une obligation. Avec le départ du Royaume-Uni de l’UE, la France est
désormais le seul pays de l’alliance à être présent dans la zone indo-
pacifique. Du fait de sa présence historique lointaine, l’océan Indien est, à
sa façon, une mer française.
Le cœur de l’Indo-Pacifique
La mise en avant du concept d’Indo-Pacifique a redonné tout son intérêt
à ce territoire, le faisant passer de la périphérie du monde à son centre.
Quand la géopolitique mondiale est centrée sur l’Atlantique, les marges du
Pacifique apparaissent bien lointaines. Quand la rivalité sino-américaine
place le Pacifique au cœur de celle-ci, la Nouvelle-Calédonie se trouve au
milieu des routes et des intérêts conduisant de San Francisco à Pékin. Ce
qui était périphérique devient donc central. À cette géographie de l’espace
s’ajoute celle de la profondeur. L’immense espace maritime calédonien
s’étend aussi au fond des océans. Réserves piscicoles et halieutiques
accompagnent les ressources possibles en minerais, les fameux nodules
polymétalliques, dont on promet monts et merveilles depuis longtemps.
Mais bien que situé dans l’un des poumons du monde, l’archipel souffre
d’une déficience de la présence militaire française. Antoine de Prémonville
fait ainsi le constat que le matériel terrestre, aérien et maritime est faible et
7
vieillissant . Le dispositif aérien est centré sur la base aérienne de la
Tontouta, qui ne dispose que de quelques aéronefs anciens, très souvent
hors service pour des raisons techniques. Il en va de même pour la marine.
Le domaine maritime français dans cette zone équivaut à la moitié de la
Méditerranée, mais les marins ne disposent que d’une frégate de
surveillance et de deux patrouilleurs vétustes. En dépit des discours
politiques sur l’importance de l’océan Indien et la pensée stratégique Indo-
Pacifique, les effectifs et les moyens militaires sont très largement sous-
dimensionnés pour espérer tenir un rôle de premier plan.
Compte tenu du peu d’intérêt qu’ont suscité les trois référendums et de
l’absence presque totale de la région dans les médias, on ne peut que
constater un désintérêt profond pour cet espace dans le corps politique,
médiatique et intellectuel. Pourtant, les enjeux y sont beaucoup plus
importants qu’en Afrique, car là s’y joue la partie d’échec du monde actuel.
Nous sommes encore prisonniers des schémas mentaux du XIXe siècle quand
les partisans de la colonisation ont imposé la préférence pour l’Afrique au
détriment de l’intérêt pour l’Asie et le Pacifique. Pour la France, il y a
pourtant tout une stratégie à élaborer, allant du canal du Mozambique à
Nouméa. Dans ces eaux se baignent l’Inde, la Chine, la Russie, le Japon et
les États-Unis, soit presque les trois quarts de la population et de la richesse
mondiale. Et au milieu, des morceaux de France, qui n’attendent qu’un
véritable projet géopolitique pour être mis en valeur.
Mozambique : nouveau front islamiste
En mars 2021, la prise de la ville de Palma (50 000 habitants) par
quelques centaines de djihadistes a ouvert un nouveau front islamiste dans
le monde et a fait découvrir aux yeux de tous l’infiltration islamiste dans
l’est de l’Afrique. Cette attaque n’est pas une surprise, la menace djihadiste
étant forte dans cette région du nord du Mozambique, mais l’intensité, le
mode opératoire et la faiblesse de réaction de l’État central font craindre un
enlisement, voire une contagion, qui pourrait affaiblir l’ensemble de
l’Afrique de l’Est. Ce n’est plus seulement le Moyen-Orient qui est
concerné, ni la bande sahélo-saharienne, mais aussi l’Afrique de l’Ouest et
désormais l’Afrique de l’Est, le long de l’océan Indien. Mois après mois,
l’Afrique devient une terre privilégiée du djihadisme mondial.
La région a été islamisée très tôt, par des marins musulmans en route
vers les Indes. Indonésie, Pakistan, Comores, Mayotte et littoral africain de
l’océan Indien, comme la Tanzanie, la Somalie et l’Éthiopie, forment le
long espace géographique indo-africain de l’islam. À cela s’ajoutent la
descente historique de l’islam depuis le Maghreb et les liens commerciaux
ancestraux avec la péninsule arabique. Des liens anciens donc, où l’islam se
surimprime sur les disparités ethniques et humaines. Mais un contexte
moderne avec la naissance du djihadisme armé et le combat politique. Que
le groupe se prénomme « al-Chebab » (la jeunesse) comme le groupe du
même nom en Somalie et qu’il affirme son affiliation à l’État islamique lui
permet d’établir des réseaux de connexions mondiales et de s’inscrire dans
un djihad globalisé. Reste à voir la réalité de cette affiliation et notamment
si l’EI, qui n’a plus sa splendeur de 2015-2017, lui fournit du matériel, des
encadrants et des conseils logistiques.
Le Cabo Delgado : un espace fragile au Mozambique.
1. À dire vrai, il est de bon ton de gloser sur la ZEE et les possessions maritimes qu’elle fait
miroiter, notamment les nodules polymétalliques. Si cela est vrai, pour l’instant personne n’en
voit l’usage réel. Nous sommes ici davantage dans le domaine du rêve géopolitique que de la
réalité économique et politique.
2. De la même façon qu’il n’existe pas de « ressources naturelles ». C’est l’homme qui met en
valeur la nature et qui fait de choses inertes des choses utiles. Toute ressource est « culturelle »
au sens qu’elle existe parce que l’homme est capable de la mettre en valeur et d’en faire quelque
chose. Le pétrole ne sert à rien tant qu’il n’existe pas une industrie pétrolière capable de
l’utiliser. De même, la tourbe et la graisse de baleine ont longtemps été des « ressources »
naturelles de premier plan, avant d’être supplantées par d’autres produits, moins onéreux et à la
productivité plus forte. L’histoire a démontré que les pays qui disposent de « ressources
naturelles » ne sont pas nécessairement les plus développés. La corruption, les luttes de pouvoir,
les gaspillages provoquent souvent une maladie hollandaise qui appauvrit les pays plus qu’elle
ne les enrichit. La seule richesse véritable d’un pays réside dans ses habitants, dans la formation
de ceux-ci et leur capacité de travail.
3. La question soulevée ici est celle des représentations. Toute analyse suppose une
construction intellectuelle puisqu’il faut ordonner et organiser par la rationalité des faits épars
dont les acteurs ne se rendent pas forcément compte de la cohérence et de la logique. La
géopolitique est donc nécessairement affaire de constructions, de définitions et de délimitations.
Elle suppose forcément de donner corps et chair à des données qui n’en ont pas nécessairement,
de produire de la logique et de l’ordre là où règne parfois la brume et le désordre. Dans ces
conditions, qu’est-ce qui peut être défini comme vrai ? Comment peut-on être certain que
l’analyse portée n’est pas une pure construction intellectuelle ? En ordonnant, on donne du sens
et de la logique à des éléments qui n’en ont pas forcément et qui donc, a posteriori, entrent dans
les cases et les logiques créées pour eux. Le risque est donc que la représentation, pourtant créée
de toute pièce, finisse par devenir la réalité elle-même, à la place de la réalité.
4. Référendum du 12 décembre 2021.
5. Paul Charon, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Les opérations d’influences chinoises. Un
moment machiavélien, rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire
e
(IRSEM), Paris, ministère des Armées, 2 édition, octobre 2021.
6. Idem.
7. Antoine de Prémonville, « La Nouvelle-Calédonie, un atout stratégique méconnu dans le
Pacifique », Conflits.fr, 13 décembre 2021.
8. Sur les enjeux de la guerre urbaine voir Pierre Santoni, L’Ultime champ de bataille.
Combattre et vaincre en ville, Pierre de Taillac, 2019.
PARTIE 3
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES :
LA GUERRE ÉCONOMIQUE
EN ACTION. L’ÉPÉE ÉCONOMIQUE
Si la géoéconomie a rejoint la géopolitique au cours des années 1990,
le concept demeure mal compris et mal utilisé. D’une part parce que
beaucoup de ceux qui font de la géopolitique omettent systématiquement
les sujets économiques, bien souvent par ignorance de la chose, en réduisant
la géopolitique aux relations internationales, aux rapports de force entre
États, aux questions militaires. D’autre part parce que l’économie demeure
mal comprise et mal aimée, vue trop souvent comme une auxiliaire de
l’État, comme une sorte d’intendance qui devrait, pour fonctionner
correctement, être planifiée et administrée. Le keynésianisme, qui a
pourtant toujours échoué, demeure le logiciel de base d’un grand nombre
d’analystes. Partant avec des concepts faux il est normal que les réflexions
et les analyses soient elles-mêmes faussées. Ainsi le sujet de la guerre des
monnaies, du rôle de la fiscalité comme arme de guerre économique, de la
place du droit, des rapports entre une entreprise et les lieux sont soit mal
perçus soit oubliés. La guerre économique se réduit donc trop souvent à des
lamentations sur la « désindustrialisation », sur « l’État stratège » ou encore
sur le « protectionnisme » sans bien comprendre ce que ces concepts
impliquent. L’objectif de cette partie est de replacer la géoéconomie à sa
juste place, c’est-à-dire une place essentielle, en montrant la connexion
logique entre l’ordre économique et l’ordre géopolitique.
CHAPITRE 6
et plus loin :
L’enfer fiscal que décrit Bainville dans les années 1920 est très loin de
ce qu’il est un siècle après. Mais l’idée générale n’a pas changé : l’impôt
détruit le capital et les richesses et donc l’économie nationale puisque ce
capital rongé ne peut plus être investi. L’impôt décourage le travail et
l’investissement à long terme, notamment pour les plus petits, c’est-à-dire
ceux qui n’ont pas les moyens, par des montages financiers complexes, de
bénéficier des niches fiscales 15. Ce que comprend très bien Bainville c’est
que cette politique ruine les classes moyennes. Les plus riches parviennent
toujours à s’en sortir. Les plus pauvres sont maintenus dans la pauvreté par
un État providence qui les assiste, et les classes moyennes, qui n’ont ni
moyen de fuir ni moyen d’aides, sont appauvries. Le riche est utile à un
pays car c’est lui qui, par son capital intellectuel et matériel, le tire vers le
haut et participe au développement général :
La faillite du primaire
Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la faillite de l’école primaire et
secondaire. Rappelons que ce ne sont pas les moyens qui sont en cause, ils
n’ont cessé d’augmenter, mais les méthodes et le contenu des cours.
Évolution des dépenses intérieures d’éducation (en milliards d’euros)
1980 : 74.4
1990 : 96.6
2000 : 129.9
2010 : 140
2019 : 160.5 (soit 6.7 % du PIB)
Le choix du socialisme
Terrible mécanique. L’économie étant un éco-système, toute politique
menée sur une partie du système entraîne des répercussions sur les autres
parties.
Pourquoi la déprime ?
Finalement, la seule question fondamentale est celle posée par Jean
Fourastié tout au long de ses Trente glorieuses. Pourquoi, en dépit d’une
amélioration sans précédent des conditions de vie, les Français ne sont-ils
pas heureux ? Plusieurs causes et facteurs peuvent être avancés. L’étatisme
délirant, qui a englouti les gains de productivité obtenus par les entreprises
privées, le fiscalisme irrationnel, qui ponctionne plus de la moitié du salaire
des travailleurs, rendant, selon les mots de Richelieu, la fainéantise plus
profitable que le travail. Le syndicalisme triomphant, de la CGT autrefois,
des mouvements gauchistes aujourd’hui qui bloquent la société afin de
57
sauvegarder leurs privilèges . L’immigration subie et incontrôlée, qui a
modifié la structure de bien des villes et des quartiers et qui a contribué à
distendre les liens culturels. Tout un ensemble de facteurs donc, qui agissent
à des stades et des degrés divers et qui font planer une grande inquiétude,
effaçant, ou faisant oublier, les gains réels et importants obtenus dans
l’amélioration des conditions de vie. Or la productivité est la condition
première de la puissance. Et ce qui permet des gains de productivité, c’est
l’inventivité et l’ingéniosité, c’est-à-dire la bonne éducation et la bonne
formation. Nous voyons ici les éléments de la puissance française et
européenne mais aussi ses faiblesses si le système éducatif n’était pas
rénové et si la productivité venait à décroître. Ce qui se joue ici, c’est
également le sujet de la perception et des représentations, chose essentielle
en géopolitique.
1. Il est véritablement curieux que Jacques Bainville soit réduit à son analyse des relations
internationales alors que son œuvre économique est importante et essentielle. Les deux sont
liées. On ne peut comprendre le Bainville analyste des relations internationales en omettant le
Bainville analyste des questions monétaires et financières. Des questions qu’il connaît par
ailleurs fort bien et qu’il maîtrise avec une grande dextérité, en reprenant les théories classiques
de l’école française d’économie politique. À bien des égards, son raisonnement intellectuel est
dans la lignée de celui de Frédéric Bastiat et d’Alexis de Tocqueville, qu’il cite de temps en
temps. Eux aussi ont conjugué analyses économiques et analyses géopolitiques.
2. Voir à ce sujet : Olivier Dard, « Jacques Bainville et l’économie », in Jacques Bainville.
Profils et réceptions, Peter Lang, 2010.
3. Charles de Gaulle dont l’action économique de 1958 s’appuya sur les conseils et les
recommandations de Jacques Rueff, artisan du nouveau franc de 1960. Rueff avait déjà sauvé le
franc à deux reprises, comme conseiller au cabinet de Raymond Poincaré puis de Paul Reynaud.
Lors de sa conférence de presse du 4 février 1965, qu’il fit sans note, il s’exprima sur les
questions monétaires, la parité dollar/or et le système financier international issu de Bretton
Woods, réalisé par Keynes que Rueff combattit. C’est la pensée de Jacques Rueff qui est
exprimée dans cette conférence dont les analyses et la prescience se sont révélées exactes avec
la fin du système de Bretton Woods en 1971. Voir Samuel Gregg, « Jacques Rueff’s Monetary
Order and Us », in Law and Liberty, 2 décembre 2019. Traduction française de Conflits sur
Conflits.fr, « Jacques Rueff, le franc et l’ordre monétaire ».
4. Les citations de Jacques Bainville sont toutes issues des articles économiques regroupés dans
La Fortune de la France paru en 1937.
5. Ibid.
6. Ibid.
7. S’il ne cite pas Tocqueville, c’est une idée que l’on retrouve abondamment analysée chez
l’auteur de La Démocratie. Idée reprise et développée ensuite par Friedrich Hayek dans sa
Route de la servitude (1944), qui est pleinement inspirée de la pensée de Tocqueville.
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ibid.
11. Ibid.
12. Sur ces sujets voir Jean-Baptiste Noé, Rebâtir l’école. Plaidoyer pour la liberté scolaire,
Bernard Giovanangeli, 2017.
13. Victor Fouquet, La pensée libérale de l’impôt. Anthologie, Libréchange, 2016.
14. Ibid.
15. Richelieu ne disait pas autre chose dans son Testament politique et Vauban après lui dans
son Projet de dîme royale. Rien de nouveau sous le soleil, certes, mais ces auteurs, chef d’État
ou général, avaient compris eux-aussi qu’il n’est pas de puissance nationale et de souveraineté
sans puissance économique et que celle-ci se constitue par le travail et par l’épargne, non par la
planification et l’immixtion de l’administration dans l’économie. Il y a donc, sur ces sujets des
rapports entre puissance nationale et puissance économique, une véritable spécificité et
continuité dans l’histoire de la tradition française.
16. Ibid.
17. Ibid.
18. Le train en France a commencé à se développer dans les années 1830, fruit de compagnies
privées. La SNCF n’a été créée qu’en 1936. L’aviation est née d’initiatives privées, que ce soit
Clément Ader, Jean Mermoz, Pierre-Georges Latécoère, le fondateur de l’Aéropostale ou encore
Marcel Dassault. L’automobile elle aussi est le fruit d’entreprises privées : Dion-Bouton,
Renault, les frères Peugeot, Bugatti, Panhard, etc.
19. Un grand nombre de vignerons français font plus de la moitié de leurs ventes à l’étranger.
Peuvent-ils alors être considérés comme des entreprises françaises ?
20. À quoi s’ajoutent les grandes difficultés de l’école et de l’hôpital publics ainsi que, sur un
autre plan, l’embouteillage pour la fabrication des passeports et des cartes d’identité.
21. Alain Prate, Les batailles économiques du général de Gaulle, Plon, 1978.
o
22. Victor Fouquet, « Relocalisations : le mirage de l’interventionnisme fiscal », Conflits, n 30,
novembre 2020.
23. Ce qui souligne ici la concurrence des villes mondiales entre elles. La qualité de vie, la
sécurité, la présence de parcs et de commodités contribuent à rendre les villes attirantes et donc
les entreprises qui y ont leurs sièges. Trop souvent l’aménagement urbain est vu uniquement
sous l’angle local sans voir ce qu’une ville de renommée internationale apporte à la puissance
d’un pays.
24. Palmarès Vélite de la souveraineté économique, édition 2021. Le classement porte
uniquement sur les entreprises du CAC 40.
25. Ce qui est inquiétant compte tenu de leur secteur d’activité.
26. Les problèmes de sécurité dans les transports en commun ainsi que les violences récurrentes
dans les centres-villes des capitales régionales sont à cet égard de graves nuisances pour le
développement des entreprises et donc des atteintes au potentiel de souveraineté de la France.
27. Que l’on pense à l’image que Paris renvoie chez les ambassadeurs et les personnels
d’ambassades présents à Paris et à ce qu’ils peuvent dire de la ville dans leur pays. De même
pour les nombreux touristes qui véhiculent à leur retour l’image qu’ils ont vue de la France.
28. Même fonctionnement dans le système aérien où la mise en place d’une « écotaxe » sur les
transports devrait achever une filière française déjà en lambeaux. Le gouvernement a promis des
aides pour compenser cette fiscalité nouvelle. L’interdiction des vols aériens entre Orly et
Mérignac met en péril le tissu économique développé autour de cette ville, devenue l’un des
poumons de la région bordelaise.
29. D’où la destruction de l’industrie nucléaire.
30. L’Université a désormais deux systèmes parallèles : une voie pour le tout-venant et une voie
sélective, via des double-licences, des licences en partenariat et des masters spécialisés, qui sont
de très bonne qualité et qui forment bien leurs étudiants. Le problème, c’est que ces voies sont
connues des seuls spécialistes de l’Université car beaucoup d’établissements les pratiquent en
catimini pour ne pas attirer l’attention et subir les foudres des opposants à l’excellence
universitaire. C’est pourtant ce genre de formations qui devraient être développées pour faire de
l’Université française un lieu de formation d’excellence.
31. Confidence d’un ami professeur de droit dans l’une de ces universités : « Si la sélection
était rigoureuse, entre la L1 et la L2 on ne garderait pas grand monde. Mais si on le fait, il n’y a
plus assez d’étudiants et nos postes seront supprimés. Donc on garde les étudiants pour
conserver nos places ».
32. Les entreprises ont ainsi beaucoup de mal à recruter des ingénieurs. La baisse du niveau en
mathématiques est dangereuse pour le maintien de notre puissance industrielle. Sans compter
l’effondrement de la maîtrise de la langue française et de l’orthographe.
33. Raphaël Chauvancy, Former des cadres pour la guerre économique. Robert Papin, des
commandos à HEC entrepreneurs, VA Press, 2019.
34. Michel Hau, Félix Torrès, Le virage manqué. 1974-1984 : ces dix années où la France a
décroché, Les Belles Lettres, 2020.
35. Une voie débutée à la fin des années 1930 et poursuivie sous les gouvernements du
Maréchal Pétain, puisque c’est là que furent mises en place les prémisses de la sécurité sociale
et de la retraite par répartition. Les Français n’étaient pas sans protection sociale avant la mise
en place de la « Sécu » : il existait de nombreuses mutuelles qui assuraient la protection sociale
et sanitaire, le mouvement mutualiste étant né dans les années 1830.
36. Ce n’est que dans les années 1920 que la population française est devenue plus urbaine que
rurale.
37. La production agricole en 1950 était insuffisante pour nourrir l’ensemble de la population
française. Les travaux de Jean Fourastié ont montré l’ampleur des changements connus par la
société et l’économie française en à peine deux générations.
38. Michel Hau, Félix Torrès, ibid., p. 51.
39. Cette aversion a débuté dès les années 1930, avec la création du groupe X-Crise qui se
croyait investi de la mission de sauver l’économie française. Jacques Rueff leur a porté la
contradiction lors de sa conférence Pourquoi, malgré tout, je reste libéral, 8 mai 1934.
40. Ibid., p. 54-55.
41. Ibid., p. 55.
42. Ibid., p. 56-57.
43. Ibid., p. 93.
44. Ibid., p. 179.
45. Ce que démontrent par ailleurs tous les travaux de Jean Fourastié, notamment son célèbre
Les Trente glorieuses ou la révolution invisible (1979), toujours cité, rarement lu.
46. Le débat intellectuel français semble être resté bloqué dans les années 1980. On ergote
encore sur la mondialisation sans comprendre que de nouveaux pays ont émergé en Asie, que
les étudiants motivés et travailleurs partent en Angleterre et aux États-Unis, que les
entrepreneurs, des TPE aux multinationales, gagnent des parts de marché à l’étranger et ne
peuvent se développer que grâce à leurs clients mondiaux. Le monde tel qu’il est pensé dans les
isoloirs et débattu dans les journaux ne correspond plus au monde tel qu’il est vécu.
47. Beaucoup de ceux qui souhaitent la réouverture des usines refuseraient par ailleurs d’aller y
travailler. Le monde d’avant semble bien, mais pour les autres. Le même problème se pose avec
l’agriculture, dont la vision commune est très loin de la réalité du monde agricole d’aujourd’hui,
que ce soit sur l’usage des technologies nouvelles ou bien sur l’extrême pénibilité du travail
agricole jusque dans les années 1950, pourtant présenté de façon idyllique par certains auteurs
aux mains blanches.
48. L’Europe n’est pas en paix depuis 1945, comme cela est trop souvent asséné, et la guerre en
Ukraine ne fut pas la première guerre sur le continent européen depuis 1945. L’Europe a
continuellement été en guerre, conflits qu’elle a réussi à surmonter.
49. Jean Fourastié, Les Trente glorieuses ou la révolution invisible, 1979.
50. Angus Maddison, L’économie mondiale. Une perspective millénaire, OCDE, 2001. Chiffres
récents mis à jour.
51. Nous sommes conscient que cette réalité de la très nette amélioration des conditions de vie
est inaudible pour une large partie de la population, qui continue de penser qu’elle s’est
appauvrie depuis trente ans et que la France est plus pauvre aujourd’hui qu’à la fin des années
1990. Cela n’efface pas néanmoins le problème de la dette et de la surfiscalité. La France n’est
pas victime de la mondialisation. Cette très forte croissance de la richesse est justement permise
par la mondialisation, qui a permis des économies d’échelle, des gains de productivité et un
accroissement sans pareil de la richesse en France, phénomène visible dans les autres pays
d’Europe et hors d’Europe. Pourtant, l’opposition à la mondialisation et le mythe d’une
mondialisation destructrice de la puissance française reste tenace.
52. On mesure encore mal la transformation anthropologique que suscite l’apparition du temps
libre et des loisirs. Cela a à peine un siècle. Commencé dans les années 1920, le mouvement
s’est accéléré à partir des années 1960, donnant notamment naissance à l’industrie du tourisme.
C’est du jamais vu pour l’histoire de l’homme et cela modifie en profondeur le rapport au
temps, à la vie, à l’espace et les rapports entre les générations. Le dernier ouvrage de Jérôme
Fourquet, La France sous nos yeux (2021) apporte quelques éclairages sur les conséquences de
cette révolution du temps libre pour la population française.
53. Robert Franc, « Le désastre du téléphone », L’Express, 7 avril 1969.
54. L’expression est de Jacques Lessourne.
55. « Plus de robots, c’est moins de chômage », IREF, 22 août 2018.
56. C’est ici que s’applique le transfert d’emploi, largement étudié par Jean Fourastié.
57. Opposés à la retraite par capitalisation pour les autres, ils se gardent bien de dire qu’une
partie de leur retraite est fondée sur la capitalisation, chose sur laquelle ils ne souhaitent pas
revenir. C’est donc que ce système-là ne doit pas être aussi mauvais.
58. À quoi s’ajoutent, dans un autre registre, les films de Pierre Schoendoerffer.
59. Jean-Yves Bajon, Les années Mao. Une histoire de la Chine en affiches (1949-1979), Les
éditions du Pacifique, 2013.
60. Le groupe Wagner excelle dans ce domaine avec des films et des affiches diffusés via des
boucles Telegram. Voir Guy-Alexandre Le Roux, « Wagner, les musiciens tactiques de
o
Poutine », Conflits, n 39, mai 2022 et Florent Hivert, « La stratégie de communication russe en
Centrafrique. Communiquer pour masquer ses faiblesses », Conflits.fr, 17 avril 2020.
61. Erwan Seznec, « Mer : à quoi servent vraiment les aires marines protégées ? », Conflits,
o
n 35, septembre 2021.
CHAPITRE 7
La fixation du typique
Le tourisme a créé un décor qui a mystifié ses propres créateurs. Il a fait
croire à l’existence de la nature, sauvage et immaculée, alors que tous les
paysages, en France et en Europe, sont anthropisés. Il a sauvé des cultures
et des traditions locales qui auraient disparu sans lui, mais qui, pour attirer
et maintenir les touristes, ont été complètement transformées pour les
adapter à la demande et aux attentes des visiteurs. Beaucoup de fêtes de
villages ou de traditions régionales « éternelles et de toujours » doivent tout
au tourisme de masse comme le carnaval de Venise relancé en 1979 après
une « pause » de presque deux siècles. Bravades provençales,
commémorations villageoises traditionnelles, remises au goût du jour et
soutenues pour créer de la couleur locale et ainsi ancrer le tourisme. On
pourrait multiplier les exemples : fêtes bretonnes, percée du vin jaune,
saint-Vincent tournantes, festivals estivaux, etc. 3 Grâce au tourisme, de
nombreux villages qui étaient délabrés ont été restaurés et rénovés.
L’exemple de Cordes-sur-Ciel (Tarn) en est emblématique. Dans les années
1980, c’était un village médiéval perché sur son rocher aux façades
délabrées, aux maisons abandonnées. Une bonne municipalité, des artisans
passionnés, notamment le chocolatier et Meilleur ouvrier de France Yves
Thuriès, ont rénové et redonné vie à ce village qui a été sacré « Village
préféré des Français » dans l’émission de Stéphane Bern. Les exemples se
multiplient dans le Périgord, le Bourbonnais, le Perche. Façades rénovées,
lavoir restauré, châteaux et églises mis en valeur, enseignes des boutiques
en fer forgé décoratif, comme à Hautvillers (Champagne), etc. De
nombreux éléments historiques ont été redécouverts, restaurés et mis en
avant par des passionnés, gens du village ou non. Les trente dernières
années ont vu un grand embellissement des villages et une rénovation quasi
générale, grâce à des fonds privés, européens ou parisiens.
L’autre élément positif du tourisme est qu’il a permis le renouveau des
métiers d’artisanat oubliés ou délaissés. Pâtissiers, chocolatiers, métiers
agricoles, métiers d’art, ce sont tous les à-côtés du tourisme, un ensemble
de secteurs qui a été régénéré grâce à lui. Cet artisanat a pu connaître des
excès ; certains villages se sont transformés en sorte de Disneyland en
carton-pâte qui peut légitimement agacer. Mais sans le tourisme, bon
nombre de vignerons, de savonniers, de producteurs et de fabricants de
produits locaux n’existeraient pas. Cela contribue à façonner les paysages
agricoles et à maintenir des activités rurales.
La lecture de la carte Michelin des restaurants étoilés est à cet égard
instructive : elle indique exactement la présence des touristes parisiens et
franciliens. Hormis les régions parisienne et lyonnaise, les tables étoilées
sont toutes situées dans les régions fortement touristiques : Bretagne
côtière, Côte d’Azur, côte basque, bassin d’Arcachon, Alsace, montagnes à
ski, etc. C’est là où il y a des clients amateurs de bonnes tables et prêts à en
payer le prix que les cuisiniers peuvent développer une cuisine de haut
niveau, et donc travailler avec les producteurs locaux et les aider à
améliorer leurs produits. Cette cuisine locale, régionale, « de terroir »
n’existerait pas sans le tourisme des Franciliens et des étrangers cultivés et
fortunés qui accomplissent kilomètres et détours pour s’asseoir aux bonnes
tables.
Le snobisme et la masse
Le tourisme de masse est mu par deux forces contradictoires. D’un côté,
nous aimerions tous être des Paul Morand, descendant le Rhône en
aéroglisseur, voyageant dans les Caraïbes, visitant les grandes capitales
d’Europe. Ou bien être Marcel Proust et avoir Venise pour nous tous seul,
ou encore seul à parcourir les steppes d’Asie centrale à la façon de Nicolas
Bouvier. Le tourisme de masse, qui a sauvé un grand nombre de bâtiments
civils et religieux, que l’on songe à l’état de délabrement de Versailles dans
les années 1950, est victime du snobisme de l’élite. Il est de bon ton de
dénigrer les Bronzés qui partent avec la Fram, qui fréquentent le Club Med
et les GO, qui s’entassent à la Grande Motte et dans les charters
intercontinentaux. C’est oublier que le tourisme est une manne financière
essentielle pour un certain nombre de pays : l’Égypte, le Cambodge, la
Grèce, ou pour des villes et des villages de France. Les festivals d’été font
vivre de nombreux territoires de province, tirant vers le haut toute une
économie du local et du terroir. Le loisir, autrefois réservé aux sangs bleus,
est désormais l’apanage de tout le monde, notamment des ouvriers et des
employés.
Ce qu’a monté la faillite de Thomas Cook, c’est que l’activité
touristique est en évolution constante. Les voyages organisés à la mode
Fram ont vécu. Le Club Med n’est plus la prolongation des colonies de
vacances : ses prestations sont aujourd’hui premium. Si Air BNB se
développe, c’est parce que les hôtels ont été incapables de se renouveler et
de s’adapter aux nouveaux besoins touristiques. Plutôt que de vouloir
bloquer Air BNB, les hôteliers devraient se remettre en question et
s’adapter à la nouvelle demande 4.
On peut aujourd’hui considérer les erreurs du tourisme de masse et les
regarder avec dédain : barres hôtelières dans le Languedoc, voyages pressés
pour troupeaux, etc. Mais cela est en train de passer, en Europe du moins.
De nouveaux goûts émergent, de nouvelles demandes se font jour. Le
tourisme des années 2020 n’a plus grand-chose à voir avec celui des années
1980. Le tourisme de proximité prend une nouvelle ampleur et ceux qui
partent loin veulent désormais des guides de qualité et mieux connaître les
spécificités du pays visité 5.
La mondialisation et le virus
L’épidémie de coronavirus a donné lieu à des interprétations multiples
et divergentes, chacun y voyant la confirmation de ses propres idées. Pour
les écologistes radicaux, cette pandémie est la preuve que l’homme est un
virus pour la planète et qu’il détruit la nature. Pour d’autres, cela confirme
les idées de démondialisation. Avec deux ans de recul, il est possible d’en
faire une analyse plus fine.
Comment relocaliser ?
Ce n’est pas tant de relocalisation dont il s’agit que de reconstruire une
souveraineté et une indépendance française en matière de produits
pharmaceutiques, ce qui passe par des industries fortes et en
développement. Mettre un terme à la régulation du prix du médicament,
cause première des délocalisations, est une nécessité. Mais cela oblige à
revoir entièrement le fonctionnement de la sécurité sociale, totems élaborés
à partir de 1942 par les communistes Alexandre Parodi et René Belin. Il est
nécessaire également de favoriser le secteur R&D. L’actuel système de
crédit d’impôt recherche est imparfait, le mieux serait de baisser les charges
pesant sur les entreprises, mais il permet de diminuer un peu les
conséquences négatives de la pression fiscale. Il faut aussi revoir le discours
public : celui-ci porte uniquement sur l’attractivité alors que le véritable
problème est celui de la compétitivité. Enfin, il est nécessaire de sécuriser
les chaînes d’approvisionnement des valeurs stratégiques et de supprimer
les impôts de production qui pénalisent doublement les entreprises
françaises.
La France, qui était un grand pays producteur de médicaments, a vu sa
place reculer en Europe :
Sa production est en quasi-stagnation depuis 2010, à l’inverse de celle
de nombreux pays, notamment l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Irlande.
Ses exportations progressent peu depuis 2010, de 26 à 28 milliards €,
soit + 2 Mds €. Les exportations allemandes ont progressé de 25 Mds €, de
29 Mds € pour la Suisse, de 11 Mds € pour l’Irlande comme pour l’Italie.
La France est désormais en 6e position en Europe pour les
exportations 12.
La relocalisation du monde
Dans un monde qui est changeant, la difficulté est d’intégrer les
nouveautés dans la réflexion mentale et d’anticiper ce qui pourrait advenir
du fait des innovations et des inventions. Focalisés que nous sommes sur le
concept de mondialisation et de son corollaire non exclusif de
délocalisation, la relocalisation du monde qui est en cours est en train de
nous échapper, alors que ses conséquences seront majeures.
En schématisant les phénomènes économiques et techniques des
dernières décennies, nous avons connu, des années 1980 aux années 2010,
un phénomène marqué de délocalisations 13, ou plus exactement de
« localisations ailleurs ». Une partie de ce qui était produit en Europe de
l’Ouest a été fabriquée dans d’autres pays, en Asie notamment, au
Maghreb, en Europe de l’Est, en Afrique de l’Est. Textile, automobile,
mécanique, etc. Ce phénomène a été rendu possible grâce à plusieurs
innovations, notamment la révolution du porte-conteneurs, et la
mécanisation et la robotisation des usines. Cette période de « production
ailleurs » ou de « localisation ailleurs » est en train de s’estomper. Depuis le
début des années 2010, nous assistons à un phénomène de « localisation
ici » que l’on pourrait aussi nommer « relocalisation ». Ce terme est
toutefois impropre, car les productions ont toujours été « localisées »
quelque part. Relocalisation peut convenir dans la mesure où la production
s’effectue de plus en plus en Europe, mais il ne s’agit pas d’un retour en
arrière : nous n’allons pas rouvrir les mines de charbon, les usines Renault
de Billancourt ou celles de Simca à Poissy. C’est bien un phénomène
nouveau, non un retour en arrière. Un phénomène qui est permis non par un
quelconque « État stratège » ou une planification énarchique, mais par
l’innovation et l’invention.
Sourcing vêtements.
Certes, montre l’auteur, produire en Asie, notamment pour le textile,
permet d’avoir une main-d’œuvre moins chère, mais cela oblige à
commander un an en avance, ce qui immobilise beaucoup de capitaux,
contraint à avoir des stocks et ne permet pas beaucoup de souplesse. Les
entreprises commandent de gros volumes pour diminuer les prix, mais du
coup elles font face à de nombreux invendus, qu’il faut ensuite détruire.
Produire plus près (par exemple au Maghreb ou en Europe de l’Est), permet
de diminuer le temps de transport, d’être plus fluide dans la commande, et
donc de limiter le stock. C’est donc une source d’économie réelle. À force
de se focaliser sur le seul coût de la main-d’œuvre, beaucoup n’ont pas vu
que d’autres facteurs entrent en compte : la qualité des infrastructures, la
stabilité politique, la formation des ouvriers, le niveau de corruption, l’accès
à une énergie fiable et peu chère. Beaucoup de pays ont des coûts de main-
d’œuvre nettement moins chère que l’Éthiopie et le Maroc ; la Centrafrique
par exemple, le Nigéria, le Mali. Pour les raisons évoquées plus haut, il ne
viendrait pas à l’idée d’entrepreneurs d’y installer leurs usines. Produire
loin rend aussi plus vulnérable aux catastrophes politiques ou climatiques :
un coup d’État ou une inondation peuvent fragiliser la chaine de production.
Ce fut le cas en Thaïlande où les inondations de 2011 ont obligé à la
fermeture temporaire de 14 000 usines qui produisaient pour le marché de
l’électronique mondiale.
La révolution du numérique
Cyrille Coutansais montre que le made in ici est en train de se
développer grâce à trois innovations numériques :
1/ Le développement de l’ordinateur personnel et du téléphone portable.
2/ Le développement d’internet, qui permet le e-commerce.
3/ Le développement de la 5G, qui va permettre aux usines de produire
à la demande.
Cette phase 3 va permettre d’avoir des coûts de production similaire à
ceux des pays émergents. La 5G ne sert pas à regarder des films dans
l’ascenseur, mais à connecter les usines et les objets entre eux, les
imprimantes 3D et les robots. Elle est un outil indispensable à la
modernisation de l’industrie et à l’essor de la localisation du monde.
L’exemple des maillots de l’équipe de France de football en témoigne.
En 2018, quand la France devient championne du monde, son fournisseur
Nike ne dispose pas de maillot 2 étoiles en stock. Fin juillet, les maillots ne
sont toujours pas là. Nike les commande et annonce leur arrivée pour la mi-
août. Peine perdue, les nouveaux maillots ne furent disponibles qu’à Noël,
faisant manquer à Nike le temps estival et la rentrée des classes.
Une entreprise alsacienne dame le pion à l’équipementier américain. De
fil en aiguille, sa marque Defil parvient à faire des maillots bleus à deux
étoiles en un temps record. Ce ne sont pas les maillots officiels de l’équipe
de France, mais ce sont des maillots de football aux couleurs de la France et
avec deux étoiles. Grâce à une production locale, Defil a pu concevoir le
maillot et le produire vite, le mettant en vente dès la fin juillet. Le made in
ici l’a emporté sur le made in monde. Un autre exemple est celui du
fabricant de pulls et de marinières Saint-James, passé de 37 salariés en 1970
à plus de 320 aujourd’hui, réalisant près de 50 M€ de CA dont 35 % à
l’export. Saint-James a mécanisé sa chaine de production, développé des
collaborations avec d’autres marques et créé des personnalisations. Le
produit ici a pu rivaliser avec le produit là-bas.
La transformation de la main-d’œuvre
Comme toujours avec la mécanisation, ce sont les métiers les plus
pénibles qui sont détruits. Autrefois le porteur d’eau et l’allumeur de
réverbères, demain le nettoyeur ou l’ouvrier de chantier. Les Robots Xenex
peuvent désinfecter une chambre d’hôpital en 10 minutes quand il faut
40 minutes à un humain. Les robots nettoyeurs sont présents aussi dans les
grands espaces publics : gares, centres commerciaux, etc. D’ici quelques
années, fini les balayeurs, ce sont ces machines qui s’en occuperont. Les
repas seront livrés par des automates, terminé donc Uber Eats, les livraisons
se feront via drones (ce qui existe déjà, mais sera généralisé). La
robotisation et l’automatisation viennent égaliser les coûts de production
avec les pays du tiers-monde, rendant caduc une grande partie de l’intérêt
des délocalisations. Nous sommes entrés dans l’époque de la
personnalisation de masse, ce qui permet une économie des matières
premières, une économie de temps et un ajustement au mieux des besoins et
de la demande. La localisation de la production remodèle les rapports entre
la carte et le territoire. Les mégapoles ne seront plus nécessairement les
lieux de travail et de production. La façon d’appréhender l’espace va être
revue et remodelée, mais il demeure difficile de savoir de façon précise ce
que sera l’avenir.
La mondialisation telle que nous l’avons connue à partir des années
1990 est en train de disparaître. Elle est née grâce à des innovations
technologiques particulières et elle disparaît du fait de l’apparition de
nouvelles innovations technologiques. Dans les 10-15 ans à venir, le monde
sera de plus en plus global, mais aussi de plus en plus local. Ce n’est pas le
moindre des paradoxes de la mondialisation que d’avoir recréé des
frontières et de favoriser la réémergence des cultures locales.
L’exemple de la production de vêtements est à cet égard instructif.
Après la Chine et le Bangladesh, c’est l’Éthiopie qui est devenue le grand
pays de la production de masse. Grâce à la robotisation, le Maroc et la
Roumanie ont émergé comme ateliers de l’Europe. Si un pantalon comme le
jeans est toujours réalisé à partir de différents lieux, sa méthode de
production a changé depuis les années 1960.
Hermès est à ce titre un très bon reflet de la mondialisation et des
rapports entre le local et le global. La localisation des magasins dans le
monde est le reflet de la mondialisation économique et financière : Europe
bien sûr, États-Unis, Japon, Russie, les grandes capitales d’Amérique latine
et du monde arabe, mais rien en Afrique. Cette carte montre les pays et les
villes qui comptent dans la mondialisation. Que des villes comme Saint-
Tropez, Cannes, Courchevel ou Megève possèdent leur boutique Hermès
témoigne aussi de cette mondialisation du tourisme de luxe. Si les magasins
sont en France, les clients sont étrangers, russes ou européens. Sans cette
clientèle étrangère, de Tokyo, Almaty, Moscou, Bangkok ou Dubaï, Hermès
n’existerait pas. N’existeraient pas non plus la kyrielle d’artisans et
d’ateliers, tous localisés en France, qui du cuir à la soie travaille sur les
objets Hermès. Concentrés essentiellement dans le Limousin et le Lyonnais,
ces ateliers de terroir et de local ne trouvent leur existence que dans la
connexion au global. C’est bien une affaire de lieux qui se joue ici, qui
démontre que la mondialisation n’est pas l’ennemi, mais bien l’alliée de ces
entreprises de savoir-faire et d’excellence.
L’implantation de Hermès en France.
Hermès : implantation mondiale d’un géant français du luxe.
1. Le tourisme a aussi donné lieu à une littérature spécifique, dont les écrits de Paul Morand en
sont l’un des plus beaux exemples.
2. Ces transformations géographiques et spatiales ont donné matière à une production
scientifique nombreuse. Les chaires de géographie, les études, les monographies abondent, en
France et en Europe, qui permettent de mieux comprendre les logiques humaines et spatiales de
ce phénomène, cas unique dans l’histoire de l’humanité que l’on considère, à tort, comme
quelque chose de normal et d’acquis, alors qu’il est un véritable bouleversement.
3. La géographe Sylvie Brunel a étudié ce phénomène à l’échelle mondiale dans son ouvrage
La planète Disneylandisée. Pour un tourisme responsable, Éditions Sciences Humaines, 2012.
4. L’opposition à Air BNB de la part des hôteliers et de certaines mairies est typique d’une
défense de la rente. Si Air BNB fonctionne, c’est qu’il répond à une véritable demande de la
part des voyageurs. Beaucoup plus souple que les hôtels, apportant des services que ceux-ci ne
fournissent pas, il permet en outre de fournir des lits dans des lieux dénués d’hôtel ou bien
d’apporter des compléments dans les grandes villes. Ce type de plateforme de location
d’appartements et de chambres assure une redéfinition des espaces et un nouvel usage des villes
et des territoires ruraux.
5. Le voyage est lié à la liberté et à la conception que l’on se fait de l’homme et de ses rapports
à l’espace et à la beauté, vision philosophique typiquement européenne. Voir à ce propos
Philippe Nemo, Esthétique de la liberté, « La vie humaine comme voyage », Puf, 2014.
6. Dans le domaine ethnologique, l’œuvre immense réalisée par Jean Malaurie et sa collection
« Terre des hommes » a apporté une connaissance fondamentale aux cultures populaires
européennes et extra-européennes. D’où aussi la présence en Europe des musées qui conservent
et qui étudient les œuvres et les productions des autres cultures.
7. Analyse faite notamment par Rémi Brague dans Europe. La voie romaine, Gallimard, 1992.
8. Quand les Occidentaux veulent sanctionner un pays ils lui imposent un embargo
économique, c’est-à-dire un confinement. L’Irak, l’Iran, la Syrie ont eu notamment à souffrir de
ces mesures. Les confinements sont des auto-embargo que se sont imposés les États, avec à la
clef des drames sociaux et économiques.
9. Voir aussi Margot de Kerpoisson, « Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre
o
le nucléaire français », Conflits, n 37, janvier 2022.
10. Alliance qui a pris un coup de mou avec la guerre en Ukraine.
11. Sur ce sujet de la géopolitique de la santé voir « Géopolitique de la santé », Conflits, NS 12,
juin 2021.
12. Source : Étude du BIPE présentée par le G5 Santé, juin 2019.
13. Au sens propre, il ne peut pas y avoir de « délocalisation » puisque toute activité est
nécessairement localisée. En revanche, le lieu de cette localisation peut changer.
14. Voir à ce sujet Charles et Louis-Vincent Gave, Clash of Empires. Currencies and power in a
multipolar world, Gavekal Books, 2019.
o
15. Voir « La guerre du droit », Conflits, n 23, septembre 2019.
CHAPITRE 8
Criminalité et terrorisme
La criminalité et le terrorisme sot deux choses différentes, mais ils
peuvent avoir des liens entre eux. C’est ce qu’a notamment analysé Jean-
François Gayraud dans l’hybridation 3 de la criminalité et du terrorisme qui
conduit à un mélange des genres compliquant la tâche des policiers et des
juges : « Un lien existe entre criminalité et terrorisme : il n’est pas que
matériel, mais aussi intellectuel et spirituel. Cette porosité nouvelle
correspond à une mutation idéologique 4. »
Dès 1995, le gang de Roubaix avait financé le jihad en Bosnie par ses
actions de droit commun. Cela se limitait encore à un appui logistique.
Aujourd’hui, la criminalité est l’école du crime qui permet de former les
futurs terroristes.
Les criminels vivent dans l’insécurité, ils doivent se défendre, ils
côtoient la mort. En face d’eux, ils ont des personnes qui n’ont jamais
touché une arme ou vu un mort, qui vivent dans l’illusion de la sécurité. Or,
la délégation à l’État de la sécurité ne fonctionne plus : celui-ci n’est plus
en mesure de protéger ses citoyens, bien qu’il prélève de plus en plus
d’impôts. Il y a là une rupture entre les citoyens et l’État et un danger pour
les citoyens qui ne sont plus à l’abri des criminels. La bande fournit une
identité et un esprit de corps. Elle donne de la cohérence dans une société
qui se délite, elle réunit le quartier et l’ethnie d’origine. Ses membres n’ont
pas de famille : peu connaissent leur père, les frères viennent de parents
multiples, c’est donc la bande qui leur sert de famille. Le territoire contrôlé
devient l’identité des personnes qui n’ont plus d’identité. L’occupation
spatiale joue ici un rôle essentiel : le territoire contrôlé par les bandes
échappe au domaine national, il est leur propriété et il doit être défendu non
seulement contre l’État central, mais aussi contre les autres bandes. Un
contrôle qui a une dominante éminemment spatiale et géographique,
souvent concentré autour de petits territoires se limitant à quelques rues ou
pâtés de maisons. Cette criminalité de l’ordinaire et du quotidien relève
bien souvent de la razzia. L’autre est vu uniquement comme un butin que
l’on doit exploiter. « Les victimes sont déshumanisées aux yeux de leurs
agresseurs, vues comme de simples obstacles matériels sur le chemin du
butin ou de la revendication. Les auteurs sont animés par leur propre
capacité à détruire, sans que rien ni personne ne puisse s’y opposer 5. »
Nous retrouvons ici l’antique dichotomie de l’histoire entre le nomade et le
sédentaire. Les criminels jouent le rôle du nomade. Souvent issus des
communautés immigrées ils n’ont d’autres pays et attache que le territoire
qu’ils se construisent avec leur bande. C’est aux sédentaires qu’ils
s’attaquent : boutiques de luxe dans les centres-villes, appartements,
passants, etc. 6 Dans cette opposition entre le nomade et le sédentaire, nous
retrouvons la trace de la longue histoire et des combats fréquents et
réguliers des hommes. En dépit du développement technologique, les
invariants de l’histoire demeurent. Cette criminalité de bas étage, de survie,
de razzia et de rapine se pare des vêtements de l’idéologie pour se donner
une tournure plus noble, plus grande et plus attractive au sein du groupe et à
l’extérieur. Mieux vaut dire que l’on combat pour « Allah » ou pour le
califat que simplement pour accaparer des biens et s’enrichir par la
criminalité. L’islam est l’excuse commode qui permet ainsi de justifier
violences et attaques. « Le discours djihadiste crée “des voyous de Dieu”.
Il prend une dimension alibi, en légitimant les comportements déviants. Le
vol est accepté dès lors qu’il est commis pour le djihad et au préjudice des
mécréants, selon le précepte invoqué du al ghanima, le pillage de guerre.
Le viol n’est pas interdit puisque les victimes appartiennent à leur
bourreau. Tout ce qui auparavant était fait pour soi l’est désormais pour le
djihad 7. » Le djihad permet de sortir de la délinquance tout en y restant. La
délinquance est légitimée comme étant la voie de la rédemption et du salut.
Le but n’est pas politique, il ne s’agit nullement de restaurer un califat ou
d’établir une terre d’islam, la finalité est purement matérielle et la
criminalité est son moyen. Si cela peut être légitimité par un vernis
intellectuel et politique fourni par l’islam, c’est tant mieux pour ceux qui le
pratiquent. Apeurés par les attentats et parce qu’ils veulent donner une
dimension noble et rationnelle aux attaques et à la criminalité, beaucoup
pensent que la question de l’islam est première, alors qu’elle n’est qu’un
8
alibi pour un motif beaucoup plus primaire et vénal .
« Ça va péter » ?
Dans le même genre de raisonnement continue de prospérer l’idée que
« les banlieues vont péter ». Les émeutes de 2005 ont marqué les esprits,
mais elles ont été un cas unique et jamais répété. Cette explosion des
banlieues est l’un des fantasmes véhiculés depuis de nombreuses années,
toujours démentis. Les banlieues ne vont pas exploser parce que les bandes
qui vivent de la criminalité n’ont aucun intérêt à cela. La violence nuit au
commerce et aux affaires. Les événements de 2005 ont justement été un cas
à part et jamais reproduit. Les quartiers où il n’y a pas eu d’émeute sont
ceux qui étaient le plus gangrenés par la criminalité et les réseaux ; des gens
somme toute normaux qui n’ont pas envie que des cars de CRS soient
présents dans leur zone de chalandise, perturbant d’autant leurs trafics. Il
n’y aura pas d’explosion aussi parce qu’il n’y a pas de projet politique.
Peut-être que cela viendra un jour, notamment sous l’effet du nombre et de
la démographie, mais pour l’instant cela n’est pas le cas. La révolution et la
lutte politique sont toujours menées par des personnes installées, qui n’ont
pas de problème matériel et qui ont l’intelligence pour penser le projet
politique, pour l’établir et pour le conduire. Ce n’est nullement le cas de
ceux qui conduisent les razzias, qui sont très loin de l’élévation
intellectuelle nécessaire pour établir un projet politique de conquête du
territoire et de prise du pouvoir. S’il n’y a pas d’explosion, cela ne signifie
pas qu’il n’y aura pas érosion et délitement, certains territoires devenant de
facto autres et à l’écart des politiques publiques. La démographie a ici
effectué son travail ; nous revenons, sur le territoire métropolitain, dans la
situation connue durant l’époque coloniale.
Les textes qui suivent ont été rédigés par Daniel Dory et Hervé Théry et sont parus dans
12
Conflits. Quelques mises à jour ponctuelles ont pu être réalisées par rapport aux textes d’origine .
L’espace-temps du terrorisme 13
L’étude scientifique du fait terroriste a connu un essor spectaculaire
depuis 2001. Pourtant, bien des difficultés persistantes affectent ce domaine
de recherche, parmi lesquelles la question de la définition du terrorisme
n’est pas des moindres, posant des problèmes comparables à ceux qui
affectent d’autres termes usuels dans le vocabulaire des sciences politiques
et sociales comme : démocratie, populisme ou égalité, etc. Traiter du
terrorisme avec rigueur implique donc d’abord d’en proposer une
définition 14 ; ensuite de fournir un premier aperçu synthétique de sa
distribution spatiale à l’aide de l’instrument cartographique, afin d’en
mieux comprendre les caractéristiques et les évolutions dans le temps. Il
s’agit ici de poser quelques bases géographiques d’une approche fondée sur
l’indispensable description préliminaire des faits, dans le but d’ancrer
solidement la réflexion historique et explicative.
Actes terroristes dans le monde, 1970-2018.
L’espace-temps de la violence
en Afghanistan, 1973-2019
19
Pour comprendre les changements temporels de la violence (surtout)
politique en Afghanistan, on a utilisé les données de la Global Terrorism
Database (GTD) dont la couverture débute pour ce pays en 1973 et s’arrête
actuellement en 2019. La figure 1 permet quelques constats préliminaires
intéressants.
En distinguant les actes en fonction des cibles visées, il est possible de
départager, de façon certes préliminaire, mais cohérente, ceux qui relèvent
d’actions de guérilla (s’attaquant aux forces armées, à la police et aux
fonctionnaires gouvernementaux, porteurs d’une identité fonctionnelle), des
autres cibles (civiles en général) dont l’identité vectorielle (susceptible de
véhiculer des messages à différentes audiences) correspond au terrorisme
proprement dit.
On constate alors une fréquence extrêmement révélatrice de ces deux
catégories d’actions en fonction de périodes qui apparaissent clairement, et
dont on peut rendre compte à l’aide d’une représentation cartographique
adéquate. En tout état de cause, le passage à la forme « guérilla » à partir de
2012 est un fait qui se dégage incontestablement de ce graphique, marquant
un tournant majeur de l’insurrection. Les cartes rassemblées dans la figure 2
permettent d’approfondir substantiellement l’analyse.
Cette carte rend compte de la localisation de la totalité des incidents
violents au cours des quatre périodes qui se dégagent de l’examen de la
littérature, et des discontinuités qui apparaissent dans la figure 1. La
dernière période (carte principale) inclut, en fond d’image, une
représentation schématique de la distribution des principales ethnies :
donnée d’une énorme importance sachant, par exemple, le poids immense
des Pachtounes (et de leurs normes culturelles) dans le mouvement
taliban 20. Sur les petites cartes (partie droite de la figure), la première
période, antérieure à 2001, correspond essentiellement à la résistance à
l’occupation soviétique (1979-1989), et à la guerre civile qui suivit jusqu’à
la (première) prise de Kaboul par les talibans en 1996 avec le concours du
Pakistan. Dans la mesure où la violence antisoviétique était entretenue et
financée notamment par les États-Unis (et en partie canalisée par des relais
comme Oussama ben Laden), on comprend que dans une base de données
nord-américaine comme la GTD, peu d’actions perpétrées à cette époque
soient répertoriées comme « terroristes ». La deuxième période (2001-2005)
correspond à l’invasion de l’Afghanistan dans le cadre de la « guerre au
terrorisme », et à la restructuration des talibans (et d’Al-Qaïda) après leur
21
défaite sur le terrain . L’activité armée qui monte progressivement en
puissance est partagée entre terrorisme et guérillas, et tend à se concentrer
dans les aires de peuplement pachtoun. La dynamique insurrectionnelle qui
prend son essor en 2006 (troisième période) est perceptible tant sur
l’histogramme que sur la carte correspondante. Les zones de violence
deviennent plus étendues, et conforment une sorte d’anneau qui fait encore
une large part au terrorisme, sans doute en relation avec les difficultés
qu’éprouvent les insurgés à contrôler durablement des territoires. La
dépendance des groupes armés envers plusieurs voisins (notamment le
Pakistan, et dans une moindre mesure l’Iran et les groupes djihadistes des
ex-républiques soviétiques au nord) contribue probablement à la
localisation des zones d’activité armée à proximité de frontières
internationales.
Enfin, la dernière période (2010-2019) correspond aux effets du
désengagement graduel des États-Unis et de leurs alliés d’un bourbier
afghan de moins en moins gérable sur les plans militaire et politique. Cette
nouvelle situation se manifeste en décembre 2009, lorsque le président
Obama annonce simultanément une augmentation notable des troupes
américaines envoyées en Afghanistan pour faire face à la pression
croissante des insurgés, et le retrait, à partir de 2011, des soldats américains
(donc de l’OTAN) du pays. Les conséquences de cette bévue stratégique
majeure ne se font pas attendre. L’échéance annoncée fournit aux talibans et
à l’ensemble de la mouvance insurgée un calendrier pour réoccuper le
terrain et saper ce qui reste des institutions étatiques survivant sous
perfusion occidentale. Dès lors, la nature des incidents violents se
transforme spectaculairement, comme le montre le graphique inclus dans la
partie supérieure gauche de la figure 2. Il s’agit maintenant de conquérir du
terrain, et la prédominance de la guérilla est indéniable. Très rapidement, la
dégradation sécuritaire du pays devient telle que les Nord-Américains
finissent par entamer en 2018 des négociations avec les « terroristes »
talibans, qui aboutiront aux accords de Doha, deux ans plus tard, et à la
chute sans combat de Kaboul en 2021.
Afghanistan : 50 ans de violences et de luttes politiques.
Une analyse comme celle que nous venons d’esquisser n’épuise pas,
bien évidemment, toute la complexité du processus insurrectionnel afghan
et ne rend que partiellement compte des conditions du recours au terrorisme
par différents acteurs. Elle permet, en revanche, de fonder des réflexions et
des hypothèses sur des faits contrôlés, ce qui est à la base de la démarche
scientifique, notamment en matière d’études sur le terrorisme. Et à partir
des acquis de cette première étape de notre recherche, il est possible
d’aborder de nouvelles questions. Parmi lesquelles celle de la compétition
entre talibans et État islamique sur le terrain afghan mérite un bref
commentaire.
1. Les cartes de ce chapitre ont été réalisées par Daniel Dory et Hervé Théry.
2. Xavier Raufer, Géopolitique de la mondialisation criminelle. La face obscure de la
mondialisation, Puf, 2013. Il est à cet égard très curieux que la plupart des ouvrages dits de
géopolitique n’évoquent jamais ou bien de façon très superficielle la question de la criminalité.
Elle est pourtant omniprésente, que ce soit pour comprendre la déliquescence de l’Afrique de
l’Ouest, devenue l’un des carrefours des trafics de drogue ou pour appréhender la pression
migratoire, dont le phénomène s’inscrit dans des trafics multiples. La corruption, les
détournements d’argent public, les collusions avec les réseaux criminels ne sont que trop peu
évoqués et analysés.
3. Jean-François Gayraud, Théorie des hybrides. Terrorisme et crime organisé, CNRS éditions,
2017.
4. Julien Dufour, Bandes. Dérive criminelle et terrorisme, MA éditions, 2015, p. 112.
5. Julien Dufour, op. cit., p. 112
6. Ce phénomène de la razzia et de la confrontation entre le nomade et le sédentaire est
notamment visible à Paris où régulièrement des bandes issues de Seine-Saint-Denis empruntent
la ligne 13 du métro (qui relie Saint-Denis aux Invalides) pour descendre sur l’esplanade des
Invalides afin de commettre vols et agressions, puis de repartir. Un phénomène qui s’est
notamment déroulé le 18 juin 2021. C’est le même principe qui a conduit aux razzias du Stade
de France lors de la finale de la Ligue des Champions en mai 2022.
7. Julien Dufour, op. cit., p. 117.
8. La même question se pose pour le terrorisme comme nous le verrons plus loin.
9. Vieille croyance de gauche que de penser que la violence est le fait de la pauvreté. Et donc
que la solution à la violence serait le saupoudrage d’aides fiscales par le biais d’innombrables
« plan banlieue » qui ont tous fait la démonstration de leur inefficacité.
10. Louis du Breil, « Réalisme politique au Maroc », Conflits.fr, 28 septembre 2021.
11. Au Sahel, la cause première de la violence est l’opposition ethnique entre les Peuls et les
Touaregs. L’islamisme se greffe sur cette opposition pour lui donner une densité politique
qu’elle n’a pas. Voir Bernard Lugan, Les guerres du Sahel. Des origines à nos jours, L’Afrique
réelle, 2017.
12. Nous remercions les deux auteurs d’avoir permis la publication de leurs textes et de leurs
cartes dans cet ouvrage.
13. Cette sous-partie est une reprise de l’article de Daniel Dory et Hervé Théry, « Espace-temps
o
du terrorisme », Conflits n 33, mai 2021, p. 47-50.
14. Sur ce point, voir Daniel Dory, « Le terrorisme comme objet géographique : un état des
o
lieux », Annales de Géographie, n 728, 2019, p. 5-36.
15. Nous avons spécialement utilisé le document suivant, qui analyse les données de 2018 :
Institute for Economics and Peace, Global Terrorism Index 2019, Sidney.
16. Gary Lafree, Laura Dugan, « Introducing the Global Terrorism Database », Terrorism and
o
Political Violence, vol. 19, n 2, 2007, p. 181-204. Pour une présentation des bases de données
actuellement actives, Neil G. Bowie, « Terrorism Events Data : An Inventory of Databases and
o
Data Sets, 1968-2017 », Perspectives on Terrorism, vol. 11, n 4, 2017, p. 50-72.
17. Ce texte est une reprise de Daniel Dory et Hervé Théry, « L’espace-temps du terrorisme et
o
de l’insurrection victorieuse en Afghanistan », Conflits, n 36, novembre 2021. Le terrorisme
doit être entendu comme une technique particulière de communication violente.
18. Daniel Dory, « Le terrorisme comme objet géographique : un état des lieux », Annales de
o
Géographie n 728, 2019, p. 5-36.
19. On insiste sur le mot « surtout » car en Afghanistan (comme ailleurs) une partie de la
violence susceptible d’être répertoriée comme « terroriste » relève plutôt d’enjeux criminels ;
tels que ceux liés au trafic d’opium, activité dont participent les groupes insurrectionnels tout
autant que les autorités étatiques mises en place par l’OTAN.
20. Sur ce point : N. Sahak, « Afghanistan : the Pashtun dimension of the war on terror », in
D. Martin Jones et al. (Eds.), Handbook of Terrorism and Counterterrorism Post 9/11, Edward
Elgar, Cheltenham, 2019, 179-195.
21. Sur les perspectives de cette période, on lira l’article remarquablement prémonitoire de
o
Dorronsoro, « Afghanistan : chronique d’un échec annoncé », Critique international n 21,
2003, 17-23.
22. Souvent désigné dans les sources anglophones comme : Khorasan Chapter of the Islamic
State.
23. Pour une bonne introduction au sujet, voir : A. Baczko, G. Dorronsoro, « Logiques
transfrontalières et salafisme globalisé : l’État islamique en Afghanistan », Critique
o
internationale n 74, 2017, 137-152.
CONCLUSION
L’expédition de Xénophon.
Homme du sentiment,
non du sentimentalisme
Les pacifistes ont une grande responsabilité dans le déclenchement des
guerres du XXe siècle : leurs refus d’armer leur pays, de s’opposer aux
puissances dangereuses, leur croyance naïve dans le fait que si nous
voulons la paix, les autres la veulent aussi, ont contribué au déclenchement
des guerres. Le sentimentalisme exacerbe les conflits, lui qui fut l’un des
moteurs de l’universalisme. L’émotion compréhensible ne légitime pas pour
autant le sentimentalisme qui empêche toute analyse et qui se fait vecteur
de guerre. Ce sont bien souvent ceux qui prônent le pacifisme qui se
montrent les plus idéalistes et donc le plus intransigeant, prêt à partir en
guerre et à verser le sang ; celui des autres 5. Les rapports entre les nations,
les forces en présence, les violences, les réalités humaines sont ainsi
abordés sous l’angle du sentiment et de la pleurnicherie, après avoir
combattu et dénigré ceux qui alertaient et mettaient en garde contre les
dangers. Ce n’est plus « je pense donc je suis » mais « je ressens donc j’ai
raison ». Moquer d’abord, condamner, caricaturer puis se plaindre une fois
que les drames surviennent. Tomber alors dans la vindicte populaire, la
caricature et la division du monde entre les bons et les méchants, sans
supporter aucune complexité, doute ou esprit critique. Le sentimentalisme
n’aime pas les personnes qu’il dit défendre, il ignore les cultures qu’il dit
soutenir, il ne connaît rien au-delà de son monde autocentré. Rien à voir
avec Xénophon qui fait preuve d’une véritable compassion à l’égard des
hommes qui sont sous ses ordres, qui est capable de comprendre et de
décrire les peuples qu’il rencontre et les territoires que son expédition
traverse, mais qui n’a pour autant aucun état d’âme lorsqu’il s’agit d’agir et
de trancher. Le sentimentalisme est le contraire d’un comportement de chef
et, loin de résoudre les crises et les conflits, il les crée ou les aggrave.
La guerre du Péloponnèse.
Le schéma géopolitique de Mackinder.
Les différents systèmes juridiques en vigueur dans le monde.
Les écoles coraniques.
Les zones maritimes.
Principaux gazoducs alimentant l’Europe.
L’usage politique des migrations : l’exemple de la Biélorussie.
Tensions dans la Baltique.
La constitution historique de l’Ukraine.
Frontières et énergies en mer Noire.
Méditerranée orientale : la mer de tous les dangers.
Gisements énergétiques en Méditerranée orientale.
Djibouti : le rendez-vous des grandes puissances.
L’utilisation des drones à des fins militaires.
Les ambitions navales de la Chine.
La marine militaire chinoise.
Djihadisme et criminalité dans le golfe de Guinée.
Une convention Médicrime mais un trafic qui explose sur tous les
continents.
Le Nigeria et ses fractures.
Ethnies et affrontements au Nigeria.
Le Sahel face au djihadisme.
L’Éthiopie, un pays fracturé.
Attentats dans la zone des trois frontières.
La France dans l’océan Indien.
Distances entre les îles françaises dans l’océan Indien.
Zone maritime sud de l’océan Indien.
Le Cabo Delgado : un espace fragile au Mozambique.
La diversité des pavillons maritimes.
Sourcing vêtements.
Le monde du jeans.
L’implantation de Hermès en France.
Hermès : implantation mondiale d’un géant français du luxe.
Actes terroristes dans le monde, 1970-2018.
Actes terroristes recensés dans la GTD de 1970 à 2018.
Attentats dans le monde, 1970-2021.
Afghanistan : 50 ans de violences et de luttes politiques.
Talibans et État islamique en Afghanistan.
L’expédition de Xénophon.