Vous êtes sur la page 1sur 2

« L’amour est dans le pré », et la haine en ligne

Magali Cartigny

Eleveur de vaches laitières en Normandie, Patrice, 39 ans, n’a jamais serré une femme dans
ses bras. Dans le premier épisode de « L’amour est dans le pré » (saison 18), Karine
Le Marchand, papesse « nature peinture » des cœurs esseulés à la ferme, lui souhaite, en
voix off, de « lever le voile sur ce grand mystère qu’est l’amour ». Un mystère qui réside aussi
dans le succès jamais démenti de ce « Tournez manège ! » en milieu rural diffusé sur M6 ;
4 millions de téléspectateurs réunis lundi 13 novembre lors du premier « bilan des couples »
(soit le point sur les « prétendants » qui ont finalement fui balades en tracteur et ramassage
du purin, laissant l’agriculteur groggy face à ses brebis).

Les cyniques pourraient voir dans cette réussite l’appétence peu glorieuse à se moquer de
ces paysans et de leurs prétendantes. Le cliché du vieux garçon à l’hygiène douteuse,
incapable de cuire un œuf (vu que maman habite à côté), versus l’urbaine coquette en
stilettos, pas foutue (incapable) de nourrir un veau. Mais ça, c’était avant. Les profils des
candidats à l’amour vache se sont étoffés, du rural hipster BG (parfois homosexuel), en
passant par la « femme de caractère » proche de la nature.

Si l’on peut reconnaître à M6 le mérite d’avoir mis en lumière le célibat en milieu agricole,
on peut s’inquiéter des conséquences néfastes de la médiatisation (et de la mise en scène)
sur les candidats. Revenons à Patrice. Souffrant d’une hémiplégie (paralysie) depuis
l’enfance, qui le handicape dans ses mouvements et rend son élocution (sa façon de parler)
difficile, l’éleveur effacé, seul depuis toujours, collectionne les tracteurs miniatures (au
format de jouet) et cherche « une femme joyeuse ». Justine, « douce Alsacienne de 34 ans
», selon la voix off, débarque ainsi avec la timide Véro dans le bocage normand.

Le « ménage à trois » doit cohabiter cinq jours avant que l’agriculteur convoité (désiré) fasse
son choix. Silences gênés, regards en coin, non-dits, les séquences dans le huis clos du salon
sont des plus malaisantes (inconfortables, qui mettent mal à l’aise). Heureusement, l’étape
incontournable (obligatoire) du supermarché (ou comment les incompatibilités (différences
de fond qui rendent le rapprochement impossible) se révèlent à la lumière du rayon
charcuterie) va servir de déclencheur. La « douce » Justine, adjudante (grade militaire) de la
liste de courses, agace sérieusement sa concurrente. La discorde (la mésentente, le conflit)
entre les deux rivales éclatant sur une histoire de pommes (golden ou gala ? espèces de
pommes). Tout ça sous le regard ingénu (naïf) de Patoche (surnom de Patrice) : « Je suis
content, elles s’entendent bien. »

Mais comme l’amour lui aussi est aveugle, Patrice choisira la « colonelle » (titre militaire)
Justine, ainsi surnommée par Véro. Au grand dam des internautes (au détriment, contre) , qui
ont fait de l’Alsacienne leur bête noire (personne détestée) sur les réseaux sociaux. Justine,
qui pèse 90 kilos, a un sacré « carafon » (caractère). « Elle prend de la place », répète la voix
off. Et si la production s’est inquiétée des attaques grossophobes (contre les personnes
obèses), elle n’a pas vu venir la rumeur d’abus de faiblesse (délit qui consiste à tromper une
personne âgée, handicapée, …) . Quand Justine, deux mois après leur rencontre, a débarqué
(est arrivée) avec ses cartons (dont quinze de peluches (= animaux en peluche)) chez
l’éleveur, son autoritarisme et son attitude cavalière (inadaptée, impolie) envers les proches
du « faible » Patrice ont fini de la cataloguer reine des manipulatrices (qui agit secrètement
pour obtenir certaines choses) . Le commentaire « elle veut la baraque (maison) » est devenu
un sujet, et Justine le sujet de dizaines d’articles people peu amènes (agréables) chaque
semaine.

Le coup de grâce sera donné par Karine Le Marchand, lors du dernier bilan. Patrice avoue ne
plus supporter que sa dulcinée (fiancée) régente (gère) sa vie. Il envisage de rompre. « Je n’ai
pas forcément mesuré la vie d’agriculteur », reconnaît la jeune femme. « Tu as eu du mal à
faire quoi ?, l’admoneste (la gronde) l’animatrice. Si tu te lèves à 10 h 30, que tu fais rien de
la journée, il n’y a pas une personne qui travaille qui accepte ça. Et non seulement tu fais pas
mais en plus tu l’engueules (tu lui fais des reproches)! » La jeune femme fond en larmes et
promet de changer. L’émission se conclut sur l’image du couple, un mois plus tard, main
dans la main. Dans un pré.

Vous aimerez peut-être aussi