Vous êtes sur la page 1sur 2

Le 2 février 1886 au 6 rue Fontaine, 75 000 Paris

Cher Georges,

Je décide aujourd’hui de prendre la plume dans l’espoir de me livrer, de me confier à toi quant aux
évènements passés, et peut-être tenter d’obtenir certaines réponses à mes interrogations. Raconter
l’histoire à un des personnages peut sembler stupide, pourtant je pense que ça ne l’est pas
forcément. Alors permet moi de le faire, te relater notre relation mais avec ma vision, mon regard. Et
si l’objectif de cette lettre n’est en aucun cas de m’exposer en tant que victime, se mettre à la place
d’autrui ne peut être à mon sens, que bénéfique.

La sympathie que Charles et moi éprouvions à ton égard était sincère, et si je ne m’avancerais à parler
en son nom, je parlerais au nom du mien : je portais, lors de notre première rencontre ce soir-là, un
regard amical et affectueux envers toi, Georges, pourtant qu’un simple ancien camarade de mon
mari. Je projetais un avenir prometteur, séduite par ton charme et ton récit de ta vie passée en
Afrique. Je projetais un jeune homme plein d’ambitions, qu’il fallait simplement accompagner, et
aider. Et c’est ce que je fis, te conseiller, t’apporter mon expérience que je sais cachée aux yeux de
tous mais pourtant là. Te rappelles-tu de ta joie lors de la parution de ton premier article ? Tu étais
euphorique, et déjà plein d’assurance. C’était les prémices de ta réussite, la première fois que tu
goûtais au succès et à l’engouement que pouvaient éprouver certaines personnes influentes envers
toi. Cette même assurance t’a poussé à démissionner de ton travail, alors à peine embauché. Mais
arriva le moment de l’écriture du second volet, à laquelle tu le sais je n’ai pas participé contrairement
au premier. L’échec de l’écriture de cet article était sûrement la seule fois où tes mensonges, ton vice,
ton égocentrisme et ton ambition parfois maladive ne t’ont pas conduit à une réussite.

Cette affection et cet attachement éprouvés envers toi dont je parle tant, ont été à mon sens
confirmé par l’invitation qui t’a été portée à m’accompagner dans les derniers moments de mon mari.
Ta présence et ton soutien semblait être les seules choses dont j’avais besoin. J’y ai revu ta
détermination de me séduire, et si j’avais pu être opposé par le passé à une relation au-delà de
l’amitié à ton égard, le décès de Charles a tout changé, et notre mariage m’apparut alors comme le
meilleur choix pour chacun d’entre nous : tu connais mon cher George, l’importance que j’attache à
mon indépendance et à ma liberté, et m’appeler Mme Duroy De Cantel était mon unique moyen pour
les conserver. Nous sommes alors devenus des partenaires de vie, et j’ai même rencontré tes parents
malgré ton opposition initiale. Mais c’est alors que ta jalousie et ton obsession envers Charles
devenaient permanentes. Il ne se passait pas un jour sans qu’une remarque, une blague remplie de
sarcasme, ou une allusion à lui ne soient prononcées. Ton obsession à savoir si j’avais commis
l’adultère envers lui persistait, malgré les dizaines de fois où je maintenais et où je maintiens encore à
te dire que non, Charles n’était pas « cocu » comme tu l’aurais tant voulu. Cette étiquette te collait à
la peau, celle du second, du remplaçant de Charles Forestier, et cela t’était insupportable. N’as-tu
jamais trouvé cela étrange ? Ton obstination à décrédibiliser un homme mort, pour toujours mieux te
valoriser.

Et c’est alors que tu me dénonças Georges. Au détriment de longues années de relations d’affections
et de confiance l’un envers l’autre. Que fais-tu ce cette confiance ? Comment as-tu pu la trahir de la
sorte ? Je continue encore aujourd’hui à m’interroger, et même si je pense avoir trouvé un semblant
de réponse, je ne parviendrais jamais à la comprendre réellement. Cette quête perpétuelle d’acquérir
plus : chaque fois plus de pouvoir, plus d’argent, plus de reconnaissance avec toujours davantage de
mensonges et de manipulations, mènera à ta perte. Par la suite s’en suivirent des affaires d’argents et
d’héritages, auxquels nous sommes étonnamment parvenus à un terrain d’entente. Et c’est ici que
nos chemins se séparèrent, et que nous avons respectivement continué à vivre le reste de nos vies. Je
continue à entendre parler de toi, par le biais de bribes de conversations ou à travers certains articles.
Certains de tes choix me surprennent chaque fois un peu plus, mais je ne pourrais nier ma curiosité à
savoir jusqu’où iras-tu ? Quand vas-tu t’arrêter ? Quand cesseras-tu de gravir les échelons ? Ce ne
sont des questions auxquelles je n’ai pas encore de réponses, mais dont certaines ne sauraient
tardées.

Je te remercie de ta lecture, et j’espère de tout cœur que tu y porteras intérêt,

Madeleine

Vous aimerez peut-être aussi