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Hyvernaud, La Peau et les os, 1949.

Les discours belliqueux de Péguy ne pèsent pas davantage. Il voyait venir la guerre. Il la
guettait comme un autobus au coin de la rue. Pourvu que je ne rate pas ça – cette occasion de
grandeur, d'héroïsme, d'Histoire. Avait-il assez peur de ne pas la prendre, son inscription historique
comme il disait. Il l'a eue, il n'a pas à se plaindre, et quelques millions de pauvres types avec lui qui
n'en demandaient pas tant. Il y a laissé sa peau. Des littérateurs qui avaient su préserver la leur l'en
ont loué en beau style. Je ne sais rien de la mort de Péguy. Personne ne sait rien de la mort de
personne. Il avait écrit : « Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre... » Des alexandrins
que j'ai appris par cœur, dans le temps. Tout le monde les a appris par cœur. Depuis, j'ai vu pas mal
de ces cadavres heureux. Des vrais, et qui pourrissent sans poésie, écrasés au fond d'un fossé. C'est
un spectacle qui invite à parler froidement de ces choses. Les morts ne sont ni heureux ni
malheureux: ils sont morts. On leur a volé leurs montres et leurs bottes, et ils pourrissent au fond
d'un fossé. Cette réalité de la guerre et de la mort a de quoi guérir d'un certain lyrisme martial. Mais
Péguy voyait la guerre comme dans les livres que les professeurs commentent en classe. Comme
dans Hugo. Comme dans l'Iliade. Comme dans Corneille.

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