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lepoint.fr

« Va te faire foutre » : l’ESJ Paris,


l’école qui n’a pas envie de payer ses
profs
Bartolomé Simon

12–15 minutes

En cette matinée d'hiver 2022, la professeure fait cours en


doudoune. Elle n'a pas le choix, la chaudière est en panne et le
président de l'école de journalisme ESJ Paris ne daigne
pas payer la réparation. Guillaume Jobin vit plus au chaud, à
Rabat, au Maroc, où il passe les trois quarts de l'année pendant
qu'entre les murs de son école, rue de Tolbiac à Paris, ses
élèves s'emmitouflent dans leurs manteaux.
Ce cours est symptomatique du manque de moyens à l'ESJ, en
décalage total avec les 7 000 euros au bas mot déboursés
chaque année par plus de 150 élèves – sans compter ceux qui
suivent un enseignement à distance.

Au-delà de sa proprette baie vitrée parisienne, et de la


confusion qu'elle entretient avec la prestigieuse ESJ Lille, l'ESJ
Paris s'avère d'un tout autre standing. Voire, selon la dizaine
d'ex-professeurs, ex-cadres et anciens élèves que nous avons
interrogés, une « belle tromperie sur la marchandise ». Qui
s'ajoute à la dérive idéologique que nous avions révélée dans
un premier volet.

Le journal du soir

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Des professeurs de l'ESJ Paris non payés


pendant des mois

« Quand on voit affichées les photos des anciens élèves,


devenus des journalistes connus, ça fait doucement rêver,
reconnaît une ex-employée. Et puis, il y a la réalité. » La réalité,
c'est une lessiveuse à professeurs, non payés ou payés en
retard de plusieurs mois, voire plusieurs années. Et ce, depuis
que Guillaume Jobin a pris en 2009 la présidence de l'école
avec des oursins dans les poches. « À l'ESJ Paris, c'est facile
d'encaisser, beaucoup moins de dépenser », résume une
ancienne responsable de l'école, partie car on avait cessé de la
payer, elle aussi.

En 2020, à la suite de l'épidémie de Covid, les cas d'impayés se


multiplient. L'école n'organise plus de remise de diplômes.
Certains profs arrêtent de faire cours, ce qui écourte les
semestres. Des sessions d'enseignement à distance ne sont
plus assurées. Les étudiants s'en plaignent logiquement à leur
direction parisienne, qui se retrouve en première ligne.

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Quand on voit des gamins dont les parents s’endettent, à qui on


sort des bobards pour justifier l’absence de leur prof, ça fait mal
au cœur…

Mais les responsables n'ont pas la main sur les comptes. Par
des circonvolutions embarrassantes, ils doivent constamment
inventer des prétextes pour rassurer les mécontents. « On
arrivait à faire patienter les profs un, deux, trois mois… mais on
les avait sur le dos », se souvient l'ex-responsable. « Quand on
voit des gamins dont les parents s'endettent, à qui on sort des
bobards pour justifier l'absence de leur prof, ça fait mal au
cœur… », se souvient un ancien intervenant.

En décembre 2020, selon un mail que nous avons pu consulter,


Guillaume Jobin instaure une nouvelle règle : les professeurs ne
seront pas payés avant 60 jours. Pour certains, l'attente durera
bien plus, malgré leurs multiples relances. « On n'avait aucune
nouvelle de Jobin pendant plusieurs semaines alors qu'on
devait payer les gens, se souvient un ancien intervenant. La
direction passait par ses associés et même par ses enfants ! »

L'administration reçoit des lettres d'huissiers qui leur intiment de


payer le logiciel de scolarité ou encore le chauffage… Le
supplice de l'équipe dirigeante s'achève par trois licenciements
économiques. Virés par Guillaume Jobin, ils finiront aux
prud'hommes, comme plusieurs autres cadres avant eux. À leur
départ, selon nos informations, les ardoises des professeurs
s'élèvent à plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Éric (prénom modifié) est l'un de ces professeurs. Il a été


recruté en urgence fin 2020. « Au bout de plusieurs mois, on me
devait plus de 6 000 euros, raconte-t-il au Point. Je demandais
à être payé mais je n'avais aucun retour. » Après des
réclamations par mail, des lettres recommandées d'avocats, des

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passages par le bureau de la directrice de l'époque, il décide


d'appeler Guillaume Jobin. « Va te faire foutre connard, va te
faire enculer ! » lui aurait répondu le président dans un appel du
7 juin 2021, selon une main courante que nous avons pu
consulter. Ce discours, pourtant ciselé, ne convainc pas Éric
d'abandonner la procédure. Le prof arrête de faire cours et
bloque ses notes. Au grand dam des élèves.

Quand l'émission de Julien Courbet s'invite à


l'ESJ Paris

Le cas d'Éric provoque ainsi, en novembre 2021, la visite à


l'ESJ Paris de l'émission spécialisée dans les arnaques Ça peut
vous arriver, présentée par Julien Courbet. Dans un périlleux
numéro d'équilibriste, la directrice de l'époque, interviewée en
direct sur M6 et RTL, peine à justifier les impayés. Contactée,
elle n'a pas souhaité s'exprimer. Guillaume Jobin, lui, n'a jamais
répondu aux équipes de Julien Courbet, malgré les appels en
direct. Il retrouve tout de même son carnet de chèques
puisqu'une semaine après l'émission, l'ESJ paie
miraculeusement son dû à Éric.

Pour justifier les retards de paiement, l'ESJ Paris prétexte la


crise du Covid. Pourtant, Benoît, un ex-professeur de tournage
retrouvé par Le Point, donne un récit très similaire à celui d'Éric
dès… 2018. « Dès mon premier mois, la paie ne tombe pas. Le
président me dit que ça doit être une erreur de ma part », se
souvient Benoît. Après plusieurs mois de réclamations, le prof
reçoit une fiche de paie incomplète avec un taux d'imposition
fantaisiste (38 %). Benoît sent qu'il y a un loup. Il poursuit ses
cours mais sollicite une avocate en parallèle. En mai 2019, l'ESJ
lui doit plusieurs milliers d'euros.

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« J'ai croisé en mai 2019 le président, Guillaume Jobin, dans


l'école. Puis j'ai été convoqué dans le bureau du directeur,
raconte-t-il. Il m'a annoncé mon licenciement immédiat,
considérant ma “relation procédurière” à l'ESJ Paris. Je pensais
quand même finir ma journée de cours. Alors je sors fumer une
cigarette et je croise Jobin. Il me dit : “Si tu restes plus
longtemps, j'appelle les flics” ! »

Tant pis si les élèves de cette promotion JRI n'ont plus de


professeur de tournage, un mois et demi avant la fin de l'année
scolaire. Peu de temps après, autour de la rue de Tolbiac, des
affichettes sont placardées avec écrit : « La doyenne des écoles
de journalisme ne paie pas ses salariés. »

Du matériel obsolète et des logiciels crackés

Pour les élèves, cette valse de professeurs s'ajoute à des


conditions d'études déplaisantes. « Il n'y a pas que l'école qui a
125 ans, le matériel aussi », résume un ex-intervenant. « Quand
je suis arrivé, on tournait avec des caméras à cassette, se
souvient Ivan Cerieix, ancien prof de télé à l'ESJ Paris pendant
huit ans. Du matériel même plus utilisé dans les baptêmes et les
bar-mitsvah. Alors j'amenais mes propres caméras pour les
montrer aux élèves. L'ordinateur le plus récent avait dix ans.
J'amenais aussi mes câbles XLR. Les membres de la direction
payaient du matériel avec leurs cartes bancaires personnelles.
Et sur les ordinateurs, les logiciels sont tous crackés, l'école ne
payait même pas les licences ! »

Ces ordinateurs sont tellement anciens que les logiciels de


montage récents ne pouvaient pas y être installés. « Guillaume
Jobin a supprimé une partie de mes cours de montage du jour
au lendemain pour faire des économies, reprend Ivan Cerieix. Il
disait aux élèves : “Regardez des tutos.” Mais ils paient

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7 000 euros l'année ! Certains sont des fils à papa, mais


d'autres bossent à côté… »

Martin*, un ancien élève passé par l'école en 2015, et qui


rembourse encore son prêt étudiant à hauteur de 400 euros par
mois, confirme : « C'était honteux, on tournait avec quatre
caméras pour toute l'école. Le montage se faisait uniquement
sur des MacBook. C'était discriminant pour ceux qui n'en
avaient pas, dont moi. Alors j'observais juste sur les ordis des
autres. »

Cette économie à la petite semaine pousse l'ESJ Paris à ne pas


remplacer la chaudière lorsqu'elle tombe en panne, comme
nous l'ont confirmé plusieurs ex-intervenants et ex-élèves. « Il
arrivait souvent qu'il n'y ait aucun chauffage dans l'école, se
souvient l'un d'eux. La direction donnait des petits radiateurs
d'appoint aux profs qui venaient râler. »

Y a-t-il un capitaine à la barre de l'ESJ Paris ?

Selon une ex-intervenante engagée fin 2022, en l'absence du


président, toujours sous le soleil du Maroc, la gronde des profs
se heurte à une secrétaire dépassée. « Les notes étaient
perdues, les cours se chevauchaient, on n'avait pas de matos…
l'ESJ, c'était un bazar ambiant. J'avais certains élèves qui ne
parlaient pas français. Des Italiens, des Marocains… je refusais
de les noter, ça n'avait pas de sens. Et ils avaient leur
diplôme ! » « Il y a un capitaine à la barre mais il n'y a pas de
gouvernail », métaphore Ivan Cerieix.

Un diplôme, selon le site de l'ESJ Paris, certifié « Qualiopi » et


« RNCP ». « Ces écoles privées jouent sur l'ambiguïté de ces
labels, qui ne sont pas du tout des distinctions, mais juste de
simples inscriptions sur des registres pour réaliser de la

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formation », décrypte un connaisseur du milieu. L'ESJ affirme


que sa certification RNCP est « en cours d'obtention pour
2023 ». Et pour cause : l'ESJ n'a plus le RNCP depuis 2015,
selon le site France Compétences. Elle ne peut donc signer
aucun contrat de professionnalisation. Impossible, avec un
diplôme non reconnu, de poursuivre ses études à l'université en
prenant en compte l'année à l'ESJ. Les élèves sortent avec des
« bachelors » et des « mastères », qui ne sont pas équivalents
à des licences ou des masters.

En février 2023, Guillaume Jobin, vraisemblablement inquiet,


demande par mail aux anciens étudiants d'évoquer leur
insertion dans le monde du travail pour aider l'ESJ Paris. Las,
certains étudiants en ont au contraire profité pour dénoncer les
dysfonctionnements de leur scolarité… Un ex-élève, passé en
2019, évoque pêle-mêle la « gestion kafkaïenne du matériel »,
les trois directeurs connus en sept mois, le turn-over incessant
des professeurs…

En l'absence de diplôme reconnu par l'État ou par la profession,


l'ESJ cherche des partenariats tous azimuts. Notamment au
Moyen-Orient. « C'est beaucoup d'esbroufe », tacle un ancien
intervenant. Peu importe si ces partenariats, dont on peine à
mesurer la valeur concrète, sont noués dans des régimes
autoritaires où les journalistes sont malmenés, voire inexistants.
L'ESJ Paris est par exemple partenaire de l'Aijes, un organisme
qui se présente comme agence d'information à Paris, mais dont
le site est en réalité un organe de promotion du Yémen.

Des partenariats au Kurdistan syrien

D'autres partenariats lient l'ESJ Paris à des pays pour la plupart


très mal classés en matière de liberté de la presse par
Reporters sans frontières : l'Irak, le Tchad, l'Ouzbékistan, et

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même le Kurdistan syrien, zone contrôlée par des milices où la


France n'a pas de représentant ! De quoi rappeler les liens
troubles qu'entretient l'ESJ avec le Moyen-Orient, après avoir
embauché en 2020 une vice-présidente qui a glorifié l'attaque
du Hamas en Israël le 7 octobre. « La filière au Moyen-Orient, à
mon avis, ce n'est pas politique, c'est pour le fric, nuance un
ancien intervenant. Jobin n'est pas politisé, il est monétisé ! »

Cette cour auprès du Moyen-Orient permet en effet à l'ESJ de


vendre des enseignements à distance (EAD), jusqu'à
6 000 euros l'année. Une formation très rentable, puisqu'à
distance, il n'y a pas besoin de payer le chauffage et de fournir
des caméras correctes. « L'EAD, c'est ce qui rapporte le plus,
explique un ancien cadre. Cela ne demande aucun moyen et ça
paie bien. »

Selon nos informations, les gains de l'EAD atterrissent sur un


compte en Suisse à la CIM Banque de Genève, au nom de
Guillaume Jobin. Lequel a aussi créé l'entreprise ESJ Paris Ltd
dans un immeuble servant de boîte aux lettres à Londres, en
Angleterre. Le détail de ces comptes, dont l'accès est
exclusivement réservé à Guillaume Jobin, est toujours
resté opaque pour l'équipe dirigeante. Contactés, plusieurs
actionnaires n'ont pas réagi, visiblement à l'aise avec les
déboires idéologiques et financiers de l'ESJ. Quant à Guillaume
Jobin, il n'a pas donné suite. En quinze ans, l'ESJ a connu une
dizaine de directeurs différents. Le président, lui, reste
inamovible.

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