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" La principale raison est politique..."


© Crédit : ALAIN JOCARD

Billet

"Capes de Maths niveau QCM de


collège : les raisons du sinistre"
Par Jean-Yves Chevalier

Publié le 23/05/2022 à 14:00

Jean-Yves Chevalier, professeur de


mathématiques en classe préparatoire au lycée
Henri-IV à Paris, explique que la baisse du
niveau en mathématiques a conduit à la baisse du
niveau des candidats au Capes. Or la qualité du
recrutement des professeurs est la clé de voûte de
toute politique éducative.

Panique à bord. En mars dernier, trente patrons


de grandes entreprises françaises ont signé
dans Challenges un appel à « sauver les maths ».
Ils affirmaient : « Nous appuyons la volonté du
président de la République de réintroduire les
mathématiques dans le tronc commun ». Curieux
appui, quand même, et curieux programme d’un
candidat qui propose de revenir sur une réforme
d’un gouvernement qu’il a nommé en tant que
président lors de son premier mandat. On songe
à ce passage d’Astérix chez les Helvètes, quand les
Helvètes tabassent les Romains puis les soignent
et que le Romain s’exclame : « Vous… vous me
tapez dessus et me soignez ensuite ? ».

« Pour être prof de maths, il suffit de voir


de la lumière et d’entrer. »
Les choses ne s’arrangent pas depuis. On a appris
début mai qu’au concours de recrutement du
Capes de mathématiques, le nombre de candidats
admissibles (816) était inférieur au nombre de
postes mis au concours (1035). Le ministère de
l’Éducation nationale, fidèle à sa devise (« Pour
vivre heureux, vivons cachés ») n’a
communiqué ni sur le nombre d’inscrits ni sur le
nombre de présents. Tout porte à craindre que le
nombre de présents fût en réalité proche du
nombre d’admissibles et lui aussi inférieur au
nombre de postes : pour être prof de maths, il
suffit de voir de la lumière et d’entrer.

BAISSE DU NIVEAU
Cela fait vingt ans (au moins) que les (désormais
vieux) professeurs de mathématiques alertent,
dans l’indifférence générale, sur la baisse du
niveau en mathématiques des élèves, des
candidats aux concours de recrutement et donc,
finalement, des professeurs. Les évaluations
internationales, les unes après les autres,
jalonnent une descente aux enfers à chaque fois
brièvement commentée avant qu’on ne passe à
autre chose. Un pays, qui compte avec les États-
Unis le plus grand nombre de Médailles Fields,
est ainsi devenu avant-dernier des pays de
l’OCDE – et dernier en Europe – dans l’enquête
Timms 2019 (qui porte spécifiquement sur les
compétences en mathématiques et en sciences et
concernait les élèves de CM1 et de 4e). On met
en général en avant, dans les commentaires,
l’aspect inégalitaire de notre système éducatif,
sans relever que l’effondrement est général, d’un
bout à l’autre de la chaîne : 15 % des élèves des
classes de terminale scientifiques, en 1995,
atteignaient le niveau « avancé » (Timms
encore), alors qu’ils n’étaient plus que… 1 % en
2015.

Bien des facteurs, internes et externes à


l’Éducation nationale, ont conduit à ce naufrage.
Il faut s’interroger sur ce qui a pu le rendre, en
apparence, acceptable. La principale raison est
politique : un pays qui renonçait à une industrie
performante pensait avoir moins besoin
d’ingénieurs et de scientifiques. Les courbes de la
désindustrialisation (la part de l’industrie dans le
PIB est passée de 25 % en 1980 à 10 % en 2019)
et du niveau en mathématiques ont suivi la
même pente négative. Des décideurs formés à
Sciences Po (donc sans culture scientifique) ont
pensé que l’affaire n’était pas si grave dans une
économie reconvertie dans le tertiaire. Le réveil
promettait d’être douloureux, il l’est.

LE RÉVEIL EN QUESTION…
Une formation mathématique est un processus
cumulatif. Quand on a manqué une étape, il est
difficile d’en reprendre le cours. Une année
perdue à cause d’un professeur absent ou
incompétent est difficilement rattrapable pour
ceux qui n’ont pas, hors du système scolaire, une
aide efficace. C’est pourquoi la qualité du
recrutement des professeurs est essentielle. Un
bon professeur – c’est-à-dire d’abord un ancien
bon élève dont la découverte de la discipline a
changé la vie – a toutes les chances, quels que
soient le programme, le ministre et les élèves,
de faire comprendre. L’enseignement des
mathématiques ne consiste pas à faire exécuter
plus ou moins maladroitement deux ou trois
calculs (même si la maîtrise du calcul est noble et
nécessaire) ou à faire apprendre des formules
dépourvues de sens. Il consiste à former des
esprits critiques, à permettre l’élaboration, la
rédaction d’énoncés progressivement plus
complexes s’appuyant sur la raison commune.
Croit-on, vraiment, qu’une telle ambition
peut être réalisée avec un recrutement aussi
dégradé ?

« Une année perdue à cause


d’un professeur absent ou incompétent
est difficilement rattrapable pour ceux
qui n’ont pas, hors du système scolaire,
une aide efficace. »
Un responsable du ministère assure qu’il n’est pas
inquiet (rien ne semble inquiéter un responsable
du ministère de l’Éducation nationale, on doit les
recruter sur ce critère) et poursuit en disant que
l’affaire a été anticipée (on semble tout pouvoir
anticiper dans ce ministère) : le déficit de
candidats cette année est en partie dû à une
modification des conditions du recrutement. Le
titre requis n’est plus le Master 1 mais le Master
2. Ainsi une partie des étudiants titulaires d’un
Master 2 ont pu passer le concours l’an dernier
avec un Master 1et font défaut cette année. Soit.
Mais cela fait si longtemps que les difficultés de
recrutement sont présentes ! Le concours de
cette année est simplement un peu plus
caricatural. On rappelle à ceux qui n’ont pas une
connaissance précise des pratiques de l’Éducation
nationale qu’on peut passer le CAPES de
mathématiques avec n’importe quel master, ce
qui est quand même problématique quand tout le
monde, ou presque, est admissible.

LE CAPES DE MATHS
Venons-en aux faits. Le Capes de mathématiques
comporte deux épreuves écrites. Une épreuve
disciplinaire, et une épreuve « disciplinaire
appliqué ». Autrement dit une épreuve de maths
et une épreuve de didactique. Auparavant il y
avait deux épreuves de maths, mais on connaît le
principe des vases communicants : moins il y a de
maîtrise d’une discipline plus il y a besoin de
combler le manque par un discours pédagogique.
Le sujet des deux épreuves, et particulièrement
de la première est particulièrement révélateur.
L’épreuve disciplinaire commence par un QCM
dont les questions ont fait frémir les
mathématiciens qui l’ont découvert, mais à l’aide
duquel chacun pourra comprendre l’ampleur du
désastre. Loin de moi l’idée de blâmer les
concepteurs de l’épreuve : un sujet difficile aurait
masqué les problèmes. En posant des questions
du niveau des élèves et non du niveau
minimum que devrait maîtriser un professeur, ils
ont fait œuvre de responsabilité : sachant
combien le recrutement est difficile, autant
s’assurer que le minimum est, au moins, au
rendez-vous.

Le problème est qu’il n’est pas sûr qu’il le soit.


Prenons les trois premières questions du QCM :

1. Tout entier relatif non nul possède un inverse


dans Z

2. La somme de deux nombres décimaux est un


nombre décimal

3. 1/3 est un nombre décimal

Des précisions ? Z est l’ensemble des entiers,


positifs ou négatifs. On demande donc si
1/2 (l’inverse de 2), 1/3 ou 1/4 sont des entiers.
Un nombre décimal est un nombre dont
l’écriture comporte un nombre fini de chiffres
après la virgule. C’est perdu pour 1/3 (on laisse le
lecteur répondre tout seul à l’angoissante
question 2). Tout élève de collège devrait savoir
répondre, ce n’est sans doute pas le cas mais il se
trouve que ce n’est pas le cas non plus de bon
nombre de candidats au professorat. On peut
être admissible en répondant de façon erronée à
des questions de ce type. Est-ce assez clairement
indiquer le fond du problème ?

Jetons un œil sur la deuxième épreuve :

« Analyse d’erreurs »

« Indiquer l’annotation que l’on pourrait inscrire


sur sa copie pour l’aider à prendre conscience de
son erreur »

Peut-on proposer une annotation ? « Rends-toi


plus souvent à un goûter d’anniversaire » ? On
précise que l’élève est censé fréquenter le cycle 4,
c’est-à-dire le « cycle des approfondissements »,
5e, 4e, 3e ?

MALAISE
Il y a bien sûr d’autres questions dans ces
épreuves mais on mesure la profondeur du
malaise quand on sait que les professeurs ainsi
recrutés pourront enseigner jusqu’en
terminale. Comment en est-on arrivé là ? La
première réponse est économique. Une étude
nous a appris qu’un professeur débutait, en 1980,
avec un salaire égal à 2,3 fois le Smic. En 2022, le
rapport est de 1,2. Quand on sait qu’en plus le
jeune professeur doit parfois déménager, trouver
et payer un logement, se retrouver dans des
établissements réputés difficiles, on comprend
que les foules ne se pressent pas à l’entrée du
métier.

Mais il y a plus : l’école est devenue un lieu de vie


plus qu’un lieu de transmission. Ceux qui restent
attachés à une discipline qu’ils maîtrisent et dont
ils veulent faire partager la beauté ou l’efficacité
savent que l’apprentissage requiert des efforts
peu compatibles avec ce qu’est devenue
l’ambiance dans les établissements scolaires.
Pourquoi s’engager dans ces conditions ?

À LIRE AUSSI : "Nous avons perdu 1 élève


sur 3" : les profs de maths s’inquiètent de la
réforme du lycée de Blanquer

Les mathématiques sont de plus en plus


présentes dans tous les domaines de la vie
économique et sociale. La révolution numérique
porte bien son nom, la science des données (le
fameux « Big Data ») et les probabilités sont
omniprésentes. Pourquoi dans ces conditions, la
réforme du lycée a-t-elle conduit en 2019 à
supprimer les mathématiques du tronc commun
des enseignements du lycée dans les classes de
première et terminale ? On ne comprend rien à
l’apparente absurdité de la décision si on ne se
rend pas compte qu’elle a été dictée par
l’insuffisance du vivier de professeurs de
mathématiques et les difficultés de recrutement.
L’idée était de concentrer les (faibles) moyens sur
les élèves se destinant particulièrement à des
études scientifiques (ce n’est bien sûr pas
l’argument qui a été donné).

PAR OÙ COMMENCER ?
L’échec a été total : les publics non informés ont
interprété le message comme une dispense de
s’astreindre à cette discipline ; on a perdu 18 %
des heures de mathématiques enseignées au
lycée, le nombre de filles faisant des
mathématiques a presque été divisé par deux. Les
programmes, un peu plus exigeants, ont paru
trop difficiles à ceux qui avaient conservé la
matière mais arrivaient avec un bagage
insuffisant (et le Covid n’a rien arrangé).
Remettre une heure trente de mathématiques en
première pour répondre aux inquiétudes des
parents, de la presse et des
patrons conformément à la promesse électorale
du Président de la République est certainement
une bonne chose, car elle permettra de replacer
les mathématiques dans la culture générale de
tout lycéen. Mais il ne faut pas rêver, cela ne
suffira pas à résoudre les problèmes auxquels
l’enseignement des mathématiques est confronté.

À LIRE AUSSI : David Bessis : "On ne naît pas


bon en maths, on le devient"

La qualité du recrutement des professeurs est la


clé de voûte de toute politique éducative. Un
Capes qui attire des candidats n’ayant pas
forcément fait d’études mathématiques, dont un
certain nombre ne sait pas répondre à des
questions du niveau du collège et qui est dans
l’impossibilité d’effectuer une sélection
significative n’augure pas de lendemains qui
chantent. Pense-t-on vraiment qu’on va
redresser l’industrie de ce pays, résoudre les
problèmes liés à la transition énergétique, au défi
climatique avec des élèves formés dans une
discipline majeure par des professeurs ainsi
recrutés ?

Par Jean-Yves Chevalier

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