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BILLET DE BLOG 24 MARS 2024

Formation des enseignants : un projet de réforme hors sol et inquiétant


Ces derniers jours a circulé un document de travail du gouvernement, présentant dans les grandes lignes un projet de réforme de la formation des enseignants, du
primaire et secondaire. Ce qui nous en est parvenu apparait extrêmement problématique, sur le fond et sur la forme. Nous, enseignants et enseignants-chercheurs,
ressentons aujourd’hui malaise et inquiétude.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Ces derniers jours a circulé un document de travail du gouvernement, présentant dans les grandes lignes un projet de réforme de la formation des enseignants, du primaire et
secondaire (collège et lycée). Souhaitée par G. Attal, construite à la va-vite et sans réel travail de consultation avec les acteurs de terrain ni les spécialistes, cette réforme devrait
être mise en place à partir de la rentrée prochaine.

Nous, enseignants et enseignants-chercheurs intervenant dans la formation des futurs enseignants, ressentons aujourd’hui malaise et inquiétude. Alors que le nombre de
candidats aux concours de l’enseignement ne cesse de diminuer, cette réforme fragilise un système déjà mal en point. En effet, ce qui nous en est parvenu apparait
extrêmement problématique, sur le fond et sur la forme.

Sur le fond, le projet annoncé conduirait à diminuer à nouveau l’apport de connaissances fondamentales, au profit d’enseignement dits « didactique et de pédagogie », déjà
largement présents dans les formations. S’il est primordial de maîtriser des techniques d’enseignement et de gestion de classe, il est aussi nécessaire de maîtriser les savoirs à
transmettre aux élèves.

On ne peut que rapprocher cet affaiblissement programmé du niveau des enseignants d’autres réformes mises en œuvre (manuel labellisé, etc.), visant à appauvrir la capacité de
réflexion et la liberté pédagogique des enseignants, pour en faire de simples exécutants.

Sur la forme, la réforme témoigne une fois de plus du mépris et de la violence de ce gouvernement vis-à-vis du personnel de la fonction publique en général, et de
l’enseignement en particulier.
Les informations circulent au compte-goutte, par des canaux plus ou moins officiels, provoquant une difficile incertitude. Selon le calendrier proposé, la réforme devrait être
mise en place à partir de septembre 2024, soit dans moins de 6 mois. Pourtant, à l’heure actuelle seules les grandes lignes en ont été esquissées et les détails - dont le budget - ne
sont pas stabilisés. Ceci signifie que sur le terrain les formateurs seront sommés d’agir dans l’urgence, avec le stress que cela implique.

Plus généralement, pour qui connaît un tant soit peu le système actuel de formation, le projet comporte une multitude de zone d’ombres et soulève autant de questions.

Un simple exemple suffit à l’illustrer : aujourd’hui, les étudiants rentrent à l’INSPE en M1, et passent à la fin du M2 le concours leur permettant de devenir enseignant et
d’accéder à la fonction publique. Le projet prévoit de situer ce concours à la fin de la licence. Se pose d’abord la question de savoir qui assumera la préparation à ce nouveau
concours : les INSPE ? Les universités ? Avec quels moyens financiers et humains ? Alors que le budget consacré à l'enseignement supérieur et à la recherche vient d'être
gravement amputé, la question est loin d'être triviale.

Par ailleurs, alors que les inscriptions en M1 pour l’année prochaine sur la plateforme MonMaster se terminent ce 24 mars, nul ne sait vraiment quel concours sera proposé à ces
nouveaux étudiants.

Face au déclin du nombre de candidats aux concours d’enseignement, les gouvernements successifs n’ont proposé depuis une dizaine d’année qu’une série de réformes, toutes
plus rapides et inabouties les unes que les autres. En l’espace de 10 ans, les IUFM sont devenus ESPE puis INSPE et seront désormais les ENSP ; le concours a été placé pour partie
en M1 et M2, puis uniquement en M1, puis uniquement en M2, et sera désormais en L3. Systématiquement, et notamment lors de la dernière réforme, les formateurs ont alerté
le ministère sur les incohérences des dispositions mises en œuvre. Ils n'ont pas été écoutés. Ces réformes successives ont à chaque fois nécessité des moyens financiers et
surtout un important investissement important des équipes de formateurs, psychologiquement coûteux. Avec quels résultats ?

Les causes de la désaffection du métier d’enseignant sont connues : conditions de travail dégradées, établissements vétustes, classes surchargées, successions de réformes
délétères imposées sans aucun dialogue, mépris répétés des ministres, gestion problématique des mobilités géographiques et enfin perte régulière du pouvoir d’achat. En dépit
des annonces gouvernementales, les enseignants français restent parmi les moins bien payés des pays de l’OCDE, et particulièrement en milieu de carrière.

Afin de rendre la profession plus attractive, la solution la plus évidente est d'en revaloriser les conditions de travail et d'emploi, en particulier le salaire. Au lieu de cela, Attal
choisit de baisser les exigences de formation disciplinaire, et de mettre devant les élèves des enseignants moins compétents sur les contenus à transmettre, donc plus
susceptibles de se retrouver en grande difficulté dans leurs classes et d'éprouver du mal-être au travail.

Les signataires

Marianne Blanchard, MCF en sociologie, INSPE Toulouse Occitanie Pyrénées


Philippe Germain, MCF en sciences physiques, formateur à l'INSPE de l'académie de Créteil
Cécile de Hosson, PU en didactique de la physique, UPCité
Hugo Harari-Kermadec, PU INSPE Orléans-Tours
Nicolas Hervé, professeur en sciences de l'éducation et de la formation, ENSFEA
Micheline Marie-Sainte, MCF en économie de l'éducation, ENSFEA
Valentin Maron, MCF en didactique de la physique, INSPE Toulouse Occitanie Pyrénées
Christian Martinez Perez, MCF en sociologie, URCA
Sylvie Maurel, MCF en études anglophones, Université Jean Jaurès
Nelly Navarro, PRAG physique chimie, INSPE Toulouse Occitanie Pyrénées
Pierre Verschueren, MCF en histoire, Université de Franche-Comté
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