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Le Monde 17/02/2023 10(09

Pap Ndiaye fait un geste sur la rémunération, mais la


défiance persiste

Sylvie Lecherbonnier

Les syndicats enseignants critiquent le « pacte » qui demande aux


volontaires de nouvelles tâches en contrepartie d’une augmentation

A
lors que le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, devait restaurer la
confiance avec des enseignants malmenés sous l’ère de son prédécesseur, Jean-
Michel Blanquer, c’est aujourd’hui la défiance qui règne sur le chantier-phare de la
revalorisation salariale des professeurs. Une nouvelle réunion de concertation,
mercredi 15 février, n’est pas parvenue à faire baisser la tension, en dépit d’un geste
en faveur des enseignants en fin de carrière, qui s’estiment lésés depuis le début des
négociations.

Depuis la réélection d’Emmanuel Macron et la nomination de M. Ndiaye, la Rue de Grenelle


travaille sur une revalorisation – soumise à concertation jusqu’à la mi-mars – en deux temps :
une partie sans contrepartie, dite « socle », et une partie pour les enseignants volontaires
prêts à accepter de nouvelles missions, dite « pacte ».

Sur le budget 2023, 635 millions d’euros sont dévolus aux augmentations inconditionnelles à
partir de septembre 2023 – soit 1,9 milliard en année pleine –, et 300 millions d’euros au pacte
pour cette année. Des sommes importantes, jugées « historiques » par Bercy et l’exécutif,
mais insuffisantes par certains syndicats comme la FSU, au regard du décrochage par rapport
aux autres pays de l’OCDE. Quant à leur ventilation, elle ne satisfait pas en l’état la
communauté enseignante.

Comment en est-on arrivés à cette crispation ? Au fil des mois, les couacs de communication
se sont enchaînés. Sur le volet inconditionnel, les 10 % d’augmentation promis par le chef de
l’Etat sont devenus « 10 % en moyenne » et, dans les premiers documents de travail transmis
aux syndicats, les pourcentages de hausse – de 3 % à 23 % selon l’ancienneté – intègrent celles
déjà amorcées depuis 2020. Des tergiversations qui attisent le scepticisme, voire la colère des
professeurs. « Les enjeux de la communication politique et médiatique ne sont pas en accord
avec le bon déroulé du dialogue social », regrette ainsi Catherine Nave-Bekhti, l’une des
responsables du SGEN-CFDT.

Incompréhension
Au gré des scénarios qui circulent, chaque enseignant tente de faire ses calculs. Un enseignant
titulaire débutera à 2 000 euros net par mois, conformément à la promesse d’Emmanuel
Macron. Après une dizaine d’années de carrière, il pourra espérer atteindre 2 300 euros net
contre environ 2 000 euros net aujourd’hui et après vingt-cinq ans, 2 700 euros net contre
environ 2 650 aujourd’hui, avec des possibilités de promotion au grade supérieur élargies.

Alors que le ministère de l’éducation nationale assume cette priorité donnée aux enseignants
débutants, les plus en décrochage par rapport aux autres pays, la revalorisation des
professeurs en milieu et fin de carrière est devenue un enjeu.

Ces enseignants chevronnés voient passer depuis 2020 et le Grenelle de l’éducation la mise
en place de primes sans en bénéficier », explique Mme Nave-Bekhti. Sans compter l’inflation,
qui rogne les avancées. « Ce qui pouvait être acceptable il y a encore deux ans ne l’est plus »,

https://journal.lemonde.fr/data/2723/reader/reader.html?t=1676623552436#!preferred/0/package/2723/pub/3806/page/10/alb/158589 Page 1 sur 2


Le Monde 17/02/2023 10(09

affirme Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-UNSA.

Pour y répondre, le ministère a consenti « un geste », mercredi, et proposé une augmentation


d’une indemnité versée à tous – de 1 200 à 2000 euros annuels –, tout en restant dans une
enveloppe globale constante. « La concertation n’est pas fictive. Nous prenons en compte les
demandes des syndicats », tient à afficher un ministère de l’éducation nationale sous pression
face à la contestation sociale liée à la réforme des retraites.

« En saupoudrant des indemnités, le ministre rate l’effet psychologique d’un grand plan
d’augmentation des salaires et du choc d’attractivité qu’il voulait produire », commente un
ancien recteur d’ordinaire plus mesuré. Pour beaucoup, une approche pluriannuelle aurait
permis à chacun de mieux se projeter.

Si cette revalorisation inconditionnelle peut décevoir les premiers concernés, le pacte, et son
« travailler plus pour gagner plus » cher à Emmanuel Macron, s’avère en l’état unanimement
rejeté. Les enseignants volontaires pourront toucher 3 650 euros brut annuel
supplémentaires en échange de nouvelles missions.

Si un ensemble de tâches sont proposées, les principales – l’intervention en sixième pour les
professeurs des écoles et le remplacement de courte durée pour les enseignants des collèges
et lycées – suscitent l’incompréhension, alors que les professeurs jugent que leur métier s’est
densifié et complexifié sous l’effet de l’école inclusive ou de l’accompagnement à l’orientation.

Des mesures guère novatrices


« Historiquement, l’idée d’un donnant-donnant peut entrer dans la culture des syndicats
réformistes, relève Laurent Frajerman, sociologue spécialiste de l’engagement enseignant.
Mais ce type de compromis n’est pas imaginable aujourd’hui face à une profession à bout. » Le
ministère de l’éducation, lui, tente l’apaisement : « Nous avons axé le pacte sur une série de
missions intéressantes pour la réussite des élèves et indispensables à la qualité de
l’enseignement, mais nous sommes ouverts à la discussion. »

De l’avis des observateurs pourtant, les mesures proposées ne sont guère novatrices et peu
opérationnelles. « On assiste à un recyclage des dispositifs existants, comme le remplacement
de courte durée », estime un ancien recteur, pour qui il aurait fallu « profiter de l’occasion
pour réfléchir en profondeur aux missions des enseignants ».

« L’amélioration de la situation financière des enseignants, nécessaire à une bonne partie


d’entre eux, doit s’accompagner de progrès sensibles dans le fonctionnement du service
public », corrobore un autre ancien recteur, Bernard Toulemonde. Pour cet inspecteur général
honoraire, les dispositions prévues « manquent de souffle » et n’abordent pas des sujets
essentiels, mais très conflictuels, comme le temps de service des enseignants ou le temps de
présence dans l’établissement.

La concertation doit s’achever à la mi-mars. Pap Ndiaye, déjà fragilisé, joue en grande partie, il
en est conscient, sa crédibilité politique. Du côté des enseignants règne l’idée qu’une fois cette
négociation terminée il n’y aura plus d’avancées avant plusieurs années.

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