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Pour la sociologue, les projets de réforme des retraites et de l’assurance chômage TRIBUNE
entrepris par le gouvernement passent à côté de l’aspiration des Français à mieux
A quoi ça sert une dictée, à part à
concilier vie professionnelle et vie sociale, tout en s’adaptant à l’impératif écologique. faire des fautes ?
La chercheuse s’inscrit en faux contre l’idée d’une «épidémie de paresses» en France. 14 janv. 2023 abonnés
Le portrait du jour
Pour Dominique Méda, «ùn gouvernement sincèrement soucieux de justice sociale aurait commencé par
prendre à bras-le-corps la question des conditions de travail et de la pénibilité». (DR)
Caroline Garcia, (en)jeu décisif
par Simon Blin 13 janv. 2023 abonnés
publié le 11 janvier 2023 à 11h52
Selon le projet de réforme des retraites présenté par Elisabeth Borne, l’âge
légal de départ atteindra 64 ans 2030, au lieu de 65 ans comme l’envisageait le
gouvernement. Il faudra par ailleurs avoir cotisé 43 ans dès 2035 pour une
retraite à taux plein. Le gouvernement présente cette réforme comme un
«projet de justice sociale». Est-ce le cas selon vous ?
Non. Car ce sont celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont des
métiers pénibles – beaucoup d’ouvriers et d’employés – qui vont pâtir le plus de cette
réforme. Ce qui me frappe dans ces annonces, c’est que la question pourtant
essentielle de la dégradation des conditions de travail et de la pénibilité n’est pas
prise suffisamment au sérieux. Si tant de personnes sont contre les mesures
annoncées, c’est en effet parce que le travail est devenu pour beaucoup insupportable
: selon l’enquête «Conditions de travail» de la Dares, le travail contribue au mal-être
pour plus de la moitié des personnes interrogées, un actif sur dix déclarant même se
trouver dans une situation de travail très délétère pour son bien-être psychologique.
C’est le cas des chômeurs dont la capacité à se mobiliser est faible comme l’ont
montré les travaux du sociologue Didier Demazière et à l’encontre desquels le
«soupçon» progresse en France, selon le dernier baromètre de l’Unédic sur l’emploi :
60 % des Français estiment que si les demandeurs d’emploi rencontrent des
difficultés à trouver du travail, c’est parce qu’ils ne font pas de concession dans leur
recherche et qu’ils ne veulent pas risquer de perdre leur allocation chômage. La
France participe ainsi au processus d’alignement vers le bas des conditions sociales
des travailleurs malheureusement à l’œuvre dans l’Union européenne.
C’est un pas important mais qui ne suffit évidemment pas. Le problème fondamental
est le postulat sur lequel repose cette réforme : les chômeurs ne chercheraient pas
vraiment à travailler ou seraient trop exigeants. L’idée est qu’ils «profitent» de cette
situation. Il faudrait donc les obliger à accepter les fameux emplois «en tension» dont
personne ne veut parce que les conditions d’exercice sont trop pénibles – ou des
emplois d’un bien moindre niveau de salaire et de qualification. C’est une réforme
punitive que le gouvernement met en place. On peut y voir là une redoutable
désincitation à faire des études !
Ce type de réformes fait courir le risque d’entraîner le pays dans une spirale de
déqualification avec toutes les conséquences que cela importe : moindre innovation,
moindre capacité à augmenter le niveau de gamme de nos produits. Un nivellement
généralisé par le bas. L’Allemagne a mené ce type de réforme du marché du travail
avant nous, avec les lois Hartz – en raccourcissant fortement les durées
d’indemnisation pour obliger les chômeurs à prendre les emplois à bas salaires, et les
résultats y ont été peu concluants, en plus d’avoir décrédibilisé la social-démocratie.
Dans les deux cas, la parole des syndicats ne semble pas peser lourd dans les
négociations. Qu’est-ce que cela dit de la vision du monde social d’Emmanuel
Macron ?
Oui, tout à fait. C’est le paradigme du chômage volontaire, lui aussi porté par une
partie des économistes depuis de nombreuses années : si les bénéficiaires des
allocations ne reviennent pas spontanément dans l’emploi, c’est qu’elles sont trop
élevées et désincitatives. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Les travaux de
recherche montrent qu’il existe de multiples «freins à l’emploi» : des problèmes de
santé, de garde d’enfants, de manque de transport, d’inadéquation des
qualifications… qui ne seront pas réglés en obligeant les gens à faire quinze heures à
vingt heures d’activité.
C’est d’un véritable service public de l’insertion dont nous avons besoin ! Pour
recevoir, comprendre et orienter les personnes bénéficiant du RSA ou du chômage, et
les aider à sortir de cette situation. Que cela concerne les retraites, l’assurance
chômage ou les minima sociaux, le gouvernement s’inscrit dans une logique
banalement comptable destinée à réduire les dépenses publiques, vision qu’il assume
d’ailleurs dans son programme de stabilité 2022-2027. S’y ajoute sans doute la volonté
politique de faire un clin d’œil à la droite qui a toujours voulu réduire ces dispositifs.
Je ne parlerais pas de «démantèlement». Car notre modèle social reste encore très
redistributif avec un taux de pauvreté passant de plus de 22 % à un peu plus de 14 %
après redistribution, c’est-à-dire le versement des prestations sociales et le
prélèvement des impôts directs. Le système social français demeure très protecteur
dans son ensemble. Je dirais plutôt qu’on assiste au «détricotage» de l’Etat social.
Une tendance médiatique laisse à penser que les Français auraient perdu le
goût de l’effort. Sont-ils devenus des «flemmards» ?
Les études de la Dares ont montré qu’une grande partie des fameuses démissions
post-Covid concernent des emplois aux conditions peu attractives marquées par des
salaires très bas, des horaires imprévisibles, un manque d’autonomie, une
surveillance démesurée, une organisation taylorienne générant du stress. Il y a donc
une grande fatigue due à une succession de crises et à des conditions de travail qui se
sont dégradées.
Mais il n’y a ni paresse – le taux d’emploi y compris celui des jeunes n’a jamais été
aussi élevé – ni fin soudaine de la centralité du travail. L’aspiration à mieux concilier
vie professionnelle et vie personnelle est une tendance de fond qui progresse depuis
plus de trente ans, de même que les attentes d’autonomie, d’épanouissement et de
sens à l’égard du travail. Comme nous l’avons montré avec mes collègues dans nos
travaux, il existe depuis longtemps une forme de polycentrisme des valeurs. On
assiste en fait à une accentuation des tendances antérieures sous la pression des
crises.
Avec le climat, une nouvelle variable s’est ajoutée : le dégoût de faire un travail qui
participe à la dégradation de l’environnement. Là aussi, ce sont les plus jeunes qui
tentent de concilier l’exigence d’un travail qui leur plaît avec la conscience d’un
monde fini. Bien sûr, on continue d’entendre de vieux messieurs dire que les jeunes
sont devenus paresseux. Ils oublient que l’investissement à corps perdu des hommes
dans le travail n’a été rendu historiquement possible que par la présence des femmes
au foyer et une division du travail profondément inégalitaire. A leur époque, les
tâches domestiques étaient encore beaucoup plus qu’aujourd’hui prises en charge par
des femmes qui ne travaillaient pas ou mettaient leur carrière en veilleuse.
J’ai lu cela dans la note de la Fondation Jean-Jaurès qui s’appuyait sur l’enquête de
l’Ifop et utilisait l’expression «épidémie de flemme». Les Français seraient démotivés
et les jeunes encore plus. Je n’y crois pas… Il faut arrêter avec les discours qui sous-
entendent que les jeunes seraient particulièrement rétifs au travail.
Je regrette que nos politiques d’emploi ne soient pas mieux articulées avec la
question écologique. Nous devons reconstruire toute notre économie de façon à la
rendre compatible avec la neutralité carbone. Cela suppose un gigantesque travail
d’anticipation : repenser les métiers, les secteurs et les filières les plus émetteurs de
gaz à effet de serre, organiser les reconversions, piloter les relocalisations et les
transferts de mains-d’œuvre.
Nous devrons réduire l’emploi dans certains secteurs, le développer dans d’autres, le
bâtiment, l’agriculture, les énergies renouvelables, les infrastructures, le recyclage…
Cela doit être anticipé, cartographié, accompagné : planifié. Les études montrent que
le solde de ce vaste mouvement devrait être positif pour l’emploi, mais à condition
qu’il soit bien organisé. Ces filières à développer fourniront des emplois sans aucun
doute très utiles, plus utiles qu’un grand nombre de «bullshit jobs» aujourd’hui, et
devraient donc satisfaire les attentes des jeunes.
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