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UNIVERSITE DE POITIERS
SCIENCES HUMAINES ET ARTS
Master 2 de Philosophie
Gérard GRIG

Rapport de stage du Master 2 de Philosophie (2020-2021)

L’enquête « Bonheur et travail » (1996-1999), en partenariat avec


l’INSEE :

compte rendu de Travailler pour être heureux ? de Christian Baudelot


et Michel Gollac (Fayard, 2003)
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Plan du rapport de stage

INTRODUCTION

PARTIE I : Les résultats de l’enquête statistique et sociologique « Bonheur et travail » (1996-
1999)

1) La place du travail en devenir dans le bonheur

A) Les dimensions de l’avoir et de l’être

B) Les ambivalences et les contradictions du rapport au travail

C) Les facteurs de la trajectoire sociale et du sexe

2) Le rapport à l’autre comme source de bonheur au travail

A) La transmission de son travail à sa descendance

B) Le contact avec les autres comme source principale du plaisir au travail

C) La réflexion globale pour le travail souhaité à ses enfants, modélisée par l’analyse
factorielle

3) Les souffrances individuelles liées à la transformation du travail

A) La souffrance individuelle et le sentiment d’injustice, malgré l’agrément du travail

B) Le bonheur conditionné par l’affiliation à un groupe social, davantage que par la


rémunération

C) L’impact modéré des 35 heures sur le bonheur des catégories sociales

PARTIE II : Les problèmes méthodologiques de l’enquête

1) La méthodologie statistique

2) Les biais du questionnaire

CONCLUSION

ANNEXE (Questionnaire de l’enquête « Bonheur et travail »)


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INTRODUCTION

L’enquête « Bonheur et travail » a été élaborée, conduite et exploitée entre 1996 et 1999, par
le Laboratoire de sociologie de l’ENS et l’INSEE, sous la direction de Christian Baudelot.
Elle a été menée sur le terrain en 1997, auprès d’un échantillon d’individus actifs – salariés et
indépendants – ou inactifs. Elle repose sur l’étude des interactions entre trois facteurs : le
bien-être des personnes, la pression du travail et l’intégration professionnelle. Cette enquête
distingue également deux formes rivales du bonheur au travail : d’une part, le bonheur de
l’investissement dans un collectif, sur le mode coopératif de l’organisation artisanale-
domestique des professions indépendantes ; d’autre part, le bonheur de l’investissement de
soi-même, sur le mode compétitif de l’organisation industrielle-bureaucratique des salariés
des secteurs privé et public.

Le bonheur est un état intime, difficile à quantifier et à qualifier. Étymologiquement, il est lié
à la chance, et donc aux circonstances : il est l’heur qui est bon. Quant au travail, sa notion est
plus large que celle de l’emploi, car le travail peut être indépendant, tandis que l’emploi
désigne l’occupation par un individu d’un emploi offert par un employeur. L’enquête
s’efforce de définir le rapport subjectif de bonheur et de malheur au travail, ainsi que ses
conditions objectives.

Un débat sur le travail existe depuis toujours, selon qu’il est vu comme une souffrance
inévitable, ou bien exalté comme une source d’épanouissement. Ce débat sera l’occasion
d’une dispute entre Diderot et Helvétius. Cependant, c’est au XVIII e siècle qu’apparaît
clairement le lien du travail avec la vie humaine, en tant qu’elle recherche le bonheur. Ce lien
est confirmé par le développement du capitalisme industriel au XIX e siècle, qui a fait l’objet
d’une double critique, sociale et humaniste1. Or, le dernier quart du XXe siècle est celui de la
société post-industrielle, qui subit la pression du marché. Cette société se caractérise par la
précarité ou le chômage, par la flexibilité et l’intensification du travail, ainsi que par

1 La critique sociale est celle du second Marx, qui analyse l’exploitation, les inégalités et la
misère dans le Capital. La critique humaniste, qui défend une idée morale de l’homme
victime des souffrances du travail industriel, est une critique « artiste », car elle s’enracine
dans la dimension de la réalisation de soi, qu’Aristote appelait poièsis. Cette critique a été
notamment développée par Simone Weil, Hannah Arendt et Georges Friedmann.
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l’individualisation du rapport à l'emploi, qui entraîne la désaffiliation à un groupe social.


D’autres facteurs sont à prendre en compte, comme la féminisation du travail, ou la hausse
des niveaux de formation des nouvelles générations, qui suscite des aspirations et des
déceptions dans une trajectoire sociale.

Ainsi, l’analyse des résultats de l’enquête par les statisticiens met en évidence des
contradictions, des paradoxes et des non-dits, dans la perception synthétique des bonheurs et
des malheurs au travail, à laquelle il importe de découvrir une cohérence. Pour la satisfaction
que procure le travail, entre Diderot et Helvétius, qui avait raison ?

C’est ce que nous étudierons dans la section I.1. Nous verrons que la place du travail en
devenir, dans le bonheur, est structurée par les dimensions de l’avoir et de l’être. Cela
provoque des ambivalences et des contradictions dans notre rapport au travail. Cependant, la
trajectoire sociale et le sexe des individus expliquent également pourquoi il importe de
travailler pour être heureux.

Ensuite, la section I.2 mettra en évidence le rapport à l’autre comme source du bonheur au
travail. En effet, certains individus souhaiteraient que leur descendance fasse le même métier
qu’eux. Cela implique de trouver de l’agrément à son travail pour lui-même, et d’analyser les
sources de ce plaisir dont la dominante semble être le contact avec les autres. Les enquêteurs
peuvent alors modéliser, par une analyse factorielle, l’ensemble des variables dont ils
disposent, afin de reconstituer l’analyse globale plus ou moins consciente qui motive le
souhait de prolonger son bonheur au travail par celui de ses enfants.

Enfin, la section I.3 prendra en compte les souffrances individuelles liées à la transformation
du travail. Bien que révélées par le questionnaire, ces souffrances partagées restent non-dites
habituellement, car elles ne s’objectivent pas dans des résistances collectives, en dépit du
sentiment d’injustice qu’elles provoquent. Au surplus, le pouvoir intégrateur du travail, qui
tend à se déliter, conditionne le bonheur davantage que la rémunération. De même, la loi des
35 heures, postérieure à la passation du questionnaire, a eu un impact modéré sur le bonheur
des catégories sociales.

Or, dans les réponses obtenues, il était nécessaire de faire la part des stéréotypes sociaux – ces
représentations collectives liées à une position sociale – et des avis personnels. C’est pourquoi
nous montrerons dans une seconde partie comment les statisticiens ont adapté leur
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méthodologie. Ils ont combiné le questionnaire, comportant quelques questions ouvertes, avec
des entretiens individuels leur permettant de compléter leur interprétation des écarts
statistiques entre les catégories socioprofessionnelles. En outre, les enquêteurs se sont
interrogés sur la place des biais qui pourraient intervenir dans les questions de l’enquête, et
qui seraient susceptibles d’influencer les réponses des personnes enquêtées.

En annexe, nous avons détaillé le contenu du questionnaire de « Bonheur et travail » pour les
actifs.
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PARTIE I : Les résultats de l’enquête statistique et sociologique « Bonheur et travail »


(1996-1999)

L’enquête «  Bonheur et travail » appartient au volet « Travail et mode de vie » de l’enquête


permanente « Conditions de Vie des ménages ». Cette enquête a été réalisée par l’INSEE en
Janvier 1997, auprès d’un échantillon représentatif de la population française d’environ 6 000
personnes actives – salariés sous contrat à durée indéterminée et indépendants – ou inactives.
La préparation et le dépouillement de l’enquête s’étalent entre 1996 et 1999. Elle est donc
antérieure à la loi sur les 35 heures, et à l’épidémie de la vache folle qui a eu des
conséquences pour le monde agricole.

L’enquête s’appuie sur les modalités de différentes variables, qui concernent principalement
les catégories socioprofessionnelles, le statut de l’emploi (salarié/indépendant) et la forme de
l’emploi (stable/temporaire). Les statisticiens ont donc cherché à connaître la place que le
travail occupe, et n’occupe pas, dans le bonheur de ces catégories de population, et à mieux
discerner chez elles la distribution des facteurs susceptibles de favoriser un rapport heureux
ou malheureux à leur travail.

L’enquête «  Bonheur et travail » est articulée par quatre questions principales :

a) « Qu'est-ce qui est pour vous le plus important pour être heureux ? »

Résultat : plus de 1/4 des personnes interrogées invoquent le « travail » ou le


« boulot », avec de fortes variations selon la position sociale.

b) « Seriez-vous ou auriez-vous été heureux que l’un(e) de vos enfants s’engage dans
la même activité que vous ? » – « Pourquoi ? »

Résultat : 2/3 des réponses sont négatives.

c) « Au travail, avez-vous l’occasion de faire des choses qui vous plaisent et que vous
ne pourriez pas faire ailleurs ? » – « Si oui, lesquelles ? »

Résultat : près de 2/3 des réponses sont négatives.


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d) « Finalement dans votre travail qu’est-ce qui l’emporte ? – 1. Les motifs de


satisfaction – 2. Les motifs d’insatisfaction – 3. Les uns et les autres s’équilibrent à
peu près ? »

Résultat : 2/3 des individus déclarent un bilan globalement positif.

La première question correspond à notre première sous-partie traitant de la place du travail en


devenir dans le bonheur.
Les deux questions suivantes concernent notre deuxième sous-partie portant sur le rapport à
l’autre comme source du bonheur au travail, quand nous trouvons au travail un agrément pour
lui-même.
Enfin, la dernière question nécessite de prendre en compte dans une nouvelle sous-partie, et
malgré le pourcentage de plus de 50 % de personnes satisfaites de leur travail, les souffrances
individuelles non-objectivées par des résistances collectives, et auxquelles la loi des 35 heures
a tenté de remédier.

1) La place du travail en devenir dans le bonheur

Les enquêteurs n’ont pas dévoilé d’emblée le thème de leur enquête aux personnes
interrogées, afin de ne pas orienter leurs réponses. Leur première question était donc ouverte :
« Qu'est-ce qui est pour vous le plus important pour être heureux ? » Or, un quart des
réponses a invoqué le travail, directement ou sous la forme de synonymes.

Chez plus de 50 % des personnes, les motifs de satisfaction l’emportent sur les motifs
d’insatisfaction, avec des variations au sein des catégories socioprofessionnelles. Nous
constatons que le bonheur se rencontre dans toutes ces catégories, même si les enquêteurs
admettent que la question comporte un biais difficile à évaluer, parce que la formulation du
libellé de la question incite les personnes interrogées à favoriser des réponses positives.
Néanmoins, cette proportion varie fortement selon la position sociale.

Dans le rapport subjectif au travail, les statisticiens ont pris en compte les dimensions de
l’avoir et de l’être, puis les ambivalences et les contradictions du rapport au travail, avant de
relever l’importance des facteurs de la trajectoire sociale et du sexe.
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A) Les dimensions de l’avoir et de l’être

L’enquête « Bonheur et travail » définit un individu par sa profession, son niveau


d’instruction, son salaire, sa vie hors-travail, afin d’évaluer sa satisfaction et son insatisfaction
au travail. Une question finale porte sur la satisfaction globale de l’individu, ce qui laisse le
temps aux enquêtés d’élaborer un avis personnel, hors des stéréotypes sociaux.
Or, bien que plus d’une moitié d’individus se déclarent globalement satisfaits, la part de ceux
qui font un bilan positif varie fortement selon leur statut dans l’échelle sociale. En effet, les
motifs de satisfaction l’emportent pour près de 70 % des cadres, et seulement 30 % des
ouvriers non-qualifiés. Dans l’intervalle entre le haut et le bas de l’échelle, les professions
intellectuelles d’encadrement sont toujours plus satisfaites que les personnels d’exécution et
les travailleurs manuels. Cet écart existe aussi entre ouvriers qualifiés et ouvriers non-
qualifiés, tandis que les indépendants (agriculteurs, artisans, commerçants) sont divisés à ce
sujet.
De plus, la satisfaction croît avec le niveau du diplôme et du salaire, ce qui confirme qu’en
principe le bonheur est principalement éprouvé en haut de la hiérarchie sociale. Inversement,
le sentiment d’être exploité et l’impression de vivre une galère, ou d’être un rouage
interchangeable, s’accroît à mesure que nous descendons l’échelle sociale.

L’enquête met donc en évidence des bonheurs de classe. En réalité, il existe deux
philosophies du bonheur, qui sont respectivement en bas et en haut de l’échelle sociale : celle
de l’avoir et celle de l’être. Elles recoupent la distinction entre le « boulot » et le « métier ».
C’est pourquoi les individus des catégories les moins qualifiées ont du travail, alors que ceux
des catégories intellectuelles ont un travail.
Les catégories les moins qualifiées éprouvent le bonheur de l’avoir, en associant le plus
fréquemment le travail au bonheur comme une condition essentielle de celui-ci. Or, leurs
tâches sont les plus pénibles et les moins bien rémunérées, outre que ces catégories sont les
plus exposées aux risques de chômage. Les statisticiens en concluent que le travail représente
d’autant plus le bonheur qu’il fait défaut. En effet, la rareté du travail pour les jeunes, et
l’absence du travail pour les chômeurs, en font d’autant mieux mesurer la valeur, et cela
d’autant plus que cette rareté et cette absence sont subies.
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Au contraire, pour les catégories les plus qualifiées, le travail n’est qu’une composante du
bonheur. Elles recherchent un épanouissement total de l’individu, dans la dimension de l’être.
Cet être est atteint par un investissement personnel, qui rejoint la construction du bonheur par
l’activité du faire, de la poièsis d’Aristote. Ce dernier avait mis au jour la double jouissance
d’une puissance, à savoir la jouissance de son actualisation (faire) et la jouissance de son
résultat (être). Pour le travailleur, il s’agit de faire et, en faisant, se faire2.
Néanmoins, les mêmes individus ont tendance à cumuler les diverses formes de bonheur au
travail qui sont envisageables. Cela mène à estimer sa situation professionnelle meilleure que
celle de leurs parents. De leur côté, les formes de souffrance, de malaise et de malheur au
travail tendent aussi à se cumuler.

En distinguant l’être du faire, tout en marquant leur voisinage, et en faisant de même avec
l’avoir et le « profiter », les statisticiens ont procédé à une analyse factorielle, qui synthétise
les variables de la conception du bonheur et de la position sociale. Cette synthèse est une
analyse de correspondances multiples (a.c.m.).
L’analyse factorielle, qui résume de manière stylisée ces relations entre conception du
bonheur et position sociale, a deux axes, qui délimitent quatre quadrants : nord-ouest, sud-
ouest, nord-est, sud-est.

Le premier axe factoriel – horizontal – va, d’est en ouest, du faible niveau d’instruction au
niveau d’instruction le plus élevé. Le second axe factoriel – vertical – n’est pas significatif. Il
est remplacé par deux diagonales allant du sud-est au nord-ouest, et qui traduisent
respectivement le niveau de ressources, du plus faible au plus élevé, et le niveau social, du
plus bas au plus haut.

a) Au nord-ouest, la conception du bonheur est celle de l’ÊTRE. Elle est partagée par
les professions libérales, les contremaîtres, les techniciens, les cadres supérieurs, les
instituteurs.
Le registre lexical du bonheur contient les termes suivants : ACTIVITÉ, financiers,
revenus, FAMILIALE, HARMONIE, [ÊTRE BIEN DANS SA] PEAU, LIBERTÉ,
TRANQUILLITÉ, RÉUSSITE, TEMPS LIBRE, ENVIE, AMITIÉ, POUVOIR,
FAMILLE, ÉQUILIBRES.

2 Cf. Aristote, L’éthique à Nicomaque, trad. Tricot, Paris, Vrin 1990.


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b) Au sud-ouest, la conception du bonheur est celle du FAIRE. Elle est partagée par
les travailleurs sociaux, les professeurs, les chômeurs.
Le registre lexical du bonheur contient les termes suivants : SÉCURITÉ, UNIE,
AMOUR, AIMER, MÉTIER, LOGEMENT, SENTIR, LOISIRS, AMIS, AIME, SOI,
ENFANT, EMPLOI, TRAVAILLER, Chômeurs, STABLE, FOYER.

c) Au nord-est, la conception du bonheur est celle du PROFITER. Elle est partagée par
les retraités, les agriculteurs, les patrons (sans le grand patronat3), les artisans, les
employés de commerce, les ouvriers qualifiés.
Le registre lexical du bonheur contient les termes suivants : COUPLE, MÉNAGE,
SANTÉ, TOIT, MARI, ENFANTS, FAMILLE.

d) Au sud-est, la conception du bonheur est celle de l’AVOIR. Elle est partagée par les
ouvriers non-qualifiés.
Le registre lexical du bonheur contient les termes suivants : MALADE, LOGEMENT,
LOISIRS, argent, LE TRAVAIL, DU TRAVAIL, salaire, MAISON, BOULOT.

Dans la vie professionnelle, il semble donc préférable d’être bien payé, diplômé et cadre,
plutôt qu’ouvrier non-qualifié. Pourtant, il n’existe pas de relation mécanique entre une
condition de travail et un degré de satisfaction au travail. Il existe même des ambivalences et
des contradictions du rapport au travail.

B) Les ambivalences et les contradictions du rapport au travail

Toutes les catégories sociales éprouvent un rapport heureux ou un rapport malheureux au


travail, qui peuvent se mélanger chez une même personne. Les statisticiens découvrent cela en
confrontant les réponses des questions d’ensemble avec les réponses des questions en batterie,
portant sur des situations plus locales, ou avec les entretiens complétant l’enquête. La relation
au travail est toujours ambivalente, contradictoire, qu’elle soit globalement heureuse ou
malheureuse. Il n’existe donc pas d’indicateur unique et général pour le bonheur et le malheur
au travail.

3 Pour le grand patronat, cf. Michel Pinçon et Monique Poinçon-Charlot, Voyage en grande
bourgeoisie : Journal d’enquête [1997], Paris, PUF, 2015.
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En effet, toutes les situations de travail ont des avantages et des inconvénients. Dans une vie,
le travail d’un individu change, et celui-ci peut changer de travail. Interrogé à un moment
donné de sa vie, il doit donc prendre en compte tous ces facteurs dans ses réponses.
D’ailleurs, nous verrons que les statisticiens tiennent compte du fait qu’une réponse positive
constitue une norme pour les enquêtés, car elle semble légitime, et que cette réponse peut
contenir en creux un jugement différent, qui sera formulé dans une réponse plus personnelle à
une autre question.
Ainsi, dans les réponses à leur enquête, les statisticiens relèvent des contradictions.
En effet, les catégories les moins qualifiées n’appréhendent pas de prendre leur retraite, alors
que pour elles le travail compte parmi les sources essentielles du bonheur. La retraite
deviendra à son tour un bonheur mérité, avec un niveau de ressources minimales, et le plus tôt
sera le mieux.
Au contraire, les cadres et les professions libérales souhaitent prolonger leur activité, alors
que pour eux le travail n’est que l’une des composantes du bonheur. Les statisticiens
expliquent cela par le fait que, pour ces catégories privilégiées, le travail n’est pas la condition
fondamentale du bonheur, et d’autant plus qu’il fait défaut, à l’inverse du cas des ouvriers,
employés et chômeurs, qui attendent d’être débarrassés au plus vite de cette nécessité.
Il existe d’autres contradictions. Ainsi, parmi ceux qui vivent le travail comme une aventure,
certains ne trouvent pas leurs horaires incommodes.
D’autres définissent leur situation professionnelle comme une passion, bien qu’ils décrivent
leur milieu professionnel comme une jungle ou une galère, ou bien encore qu’ils se mettent en
retrait, ou bien qu’ils éprouvent un manque de reconnaissance, qu’ils soient mal payés,
exploités, déqualifiés et globalement à moitié satisfaits.
Enfin, nous verrons que certains éprouvent de nombreux motifs d’insatisfaction, comme les
agriculteurs principalement, parmi d’autres travailleurs indépendants, mais qu’ils souhaitent
que leurs enfants s’engagent dans la même activité qu’eux.
Les statisticiens estiment que ces contradictions ne s’expliquent pas, de façon superficielle,
par un manque de sincérité des enquêtés, parce que la réalité sociale du travail est
ambivalente.
Ainsi, des travailleurs indépendants ont choisi délibérément, avec leur métier, la qualité de vie
qu’offrent la liberté et l’autonomie, malgré la contrepartie des revenus faibles et de l’auto-
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exploitation engendrée par la discipline très dure qu’ils s’imposent, sans compter leur
enfermement et leur solitude croissante.
En réalité, si un même travail peut être source de bonheur pour les uns, et source de malheur
pour les autres, un individu peut être à la fois heureux et malheureux au travail. Dans les
professions de santé, le travail est vécu de façon indissociable dans la joie et dans la peine. Il
en va de même pour les artisans qui veulent perpétuer la tradition de « la belle ouvrage », en
dépit de leurs frustrations.
Les individus font une hiérarchie des différentes sources de satisfactions et d’insatisfactions,
ce qui rend possible l’ambivalence de leur rapport au travail. D’ailleurs, d’autres facteurs
interviennent dans ce rapport.

C) Les facteurs de la trajectoire sociale et du sexe

Le rapport au travail dans la vie quotidienne est ambivalent. Outre les conditions objectives
du travail, d'autres facteurs, comme la trajectoire sociale – avec ses aspirations et ses
ajustements à la réalité professionnelle – ou bien le sexe des individus, interviennent de façon
décisive dans l’appréciation du bonheur au travail.

L’étude de la trajectoire sociale met en évidence la difficulté du bonheur pour l’individu


transclasse, qu’il s’élève ou qu’il soit déclassé, et qui s’efforce d’être enfin à sa place. Il doit
rompre avec son milieu d’origine et sa famille, et l’intégration dans son nouveau milieu n’est
ni immédiate, ni assurée.

Si la trajectoire sociale entraîne des décalages et des ajustements entre les aspirations de
l’individu et la réalité professionnelle, cela prouve que les schèmes de perception d’un
individu évoluent, et qu’il n’existe pas non plus de relation mécanique entre position sociale
et situation sociale. Le transclasse a une classe mentale, qui n’est pas sa classe réelle. La
trajectoire sociale conduit parfois à des désillusions dramatiques, comme quand une situation
vécue comme transitoire en vient à être durable, ou bien quand une situation espérée, et dans
les faits vécue comme durable, n’aura été que transitoire.

En ce qui concerne l’incidence de la variable du genre, les femmes trouvent en majorité,


comme les hommes, des sources de bonheur dans leur travail, et comme eux elles expriment
des souffrances individuelles, de manière locale dans le questionnaire par leurs réponses à
certaines questions, ou dans des entretiens.
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Cependant, il n’est pas simple de savoir si les femmes sont moins heureuses que les hommes
au travail. En effet, les statisticiens repèrent une convergence entre hommes et femmes dans
des appréciations égales portant sur des situations inégales, avec des conditions objectives
d’emploi et de travail très contrastées. Cela incite les statisticiens à conclure que cette
convergence masque une discrimination acceptée par les femmes.

Il reste que, de prime abord, le genre ne paraisse jouer qu’un rôle limité dans le rapport au
travail. Les hommes semblent être un peu plus favorisés que les femmes, au prix d’une
pression beaucoup plus grande, car l’investissement dans le travail est plutôt masculin.

Hommes et femmes portent globalement les mêmes jugements sur leur travail, en les fondant
sur le critère du prestige et du statut des différentes professions, bien que les stéréotypes des
compétences féminines et masculines spécifiques subsistent dans leurs représentations de soi.
Pourtant, en profondeur, hommes et femmes partagent encore une division classique de leurs
rôles, ne serait-ce que par l’accent fort que les femmes mettent sur l’aspect relationnel de leur
travail. Toutefois, la division sexuelle du travail est atténuée en fonction de l’élévation du
niveau économique, social et culturel des travailleurs.

Si les femmes acceptent les disparités salariales en leur défaveur, cela est dû à des inégalités
objectives dans la répartition des charges domestiques, et à l’intériorisation de leur position
sociale différente. Néanmoins, cette acceptation s’accompagne de tensions et de résistances,
qui sont favorisées par les trajectoires de la mobilité sociale. En outre, la banalisation du
travail des femmes est étroitement liée pour elles à leur émancipation, qu’elles mesurent à la
condition de leur mères vouées soit au travail domestique, soit aux tâches non reconnues du
commerce et de l’agriculture. Pour les femmes, le travail est avant tout le moyen d’échapper à
la sujétion domestique4. C’est pourquoi 5 % seulement des femmes au foyer se réfèrent au
travail dans leur définition du bonheur.

La variable de la trajectoire sociale implique une dynamique, dans le rapport au travail. Les
générations comparent leur sort à celui des générations précédentes. De plus, quand les
personnes ont un rapport subjectivement heureux à leur travail, elles souhaitent que leur
descendance fasse le même travail qu’elles. Cela implique chez elles une analyse globale, plus

4 Cf. Margaret Maruani et Chantal Nicole, Au labeur des dames : métiers masculins,
emplois féminins, Paris, Syros, 1989.
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ou moins consciente, du bonheur et du malheur de tous au travail. Le rapport au travail est


aussi un rapport à l’autre, c’est-à-dire à sa descendance et aux autres travailleurs.

2) Le rapport à l’autre comme source du bonheur au travail

La question portant sur la continuité d’un métier par sa descendance, et celle qu’elle implique,
portant sur l’agrément de l’activité professionnelle, visent, de façon directe ou indirecte, à
cerner la nature du plaisir que procure le travail qui rend heureux pour lui-même, dans toutes
les catégories socioprofessionnelles. Or, quelle est exactement la place du travail qui rend
heureux pour lui-même, dans toutes les catégories socioprofessionnelles ? Vouloir prolonger
son bonheur dans celui de sa descendance suppose de faire une analyse globale des bonheurs
et des malheurs au travail. Chez les statisticiens, cette analyse globale est résumée et stylisée
par une analyse factorielle de correspondances multiples (a.c.m.) entre les variables de
l’enquête.

A) La transmission de son travail à sa descendance

Quand le travail rend heureux pour lui-même, nous souhaitons le voir faire par nos enfants,
mais pas toujours, car le souci du respect du libre-arbitre de chacun peut intervenir, comme
dans les catégories les plus favorisées. De plus, les agriculteurs ou les indépendants souhaitent
que leurs enfants fassent le même métier qu’eux, parce que leur travail donne la capacité du
faire, alors qu’ils estiment ce métier pénible et mal rémunéré. En réalité, le travail qui rend
heureux les uns, rend malheureux les autres.

Quand une catégorie répond majoritairement « oui » à la question de la transmission de son


travail, les raisons du « non » dans cette catégorie diffèrent profondément de celles du « non »
massif des chauffeurs, employés de commerce, ouvriers qualifiés et non-qualifiés, personnels
de services aux particuliers.

En répondant « oui », l’enquêté juge indirectement son travail à travers une trajectoire
familiale. Or, plus des 2/3 des personnes répondent « non », car elles souhaitent mieux pour
l'avenir social de leurs enfants. La question a aussi été posée aux personnes sans enfant.

Dans la réponse à la question, les statisticiens ont observé des écarts importants entre les
catégories socioprofessionnelles. Comme dans le cas de la satisfaction globale éprouvée au
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travail, les réponses positives sont celles des catégories de travailleurs intellectuels et de chefs
d'entreprises, à cause de la rémunération, de la sécurité et de l'autonomie de leur métier.

Les catégories ayant donné une réponse négative sont : les travailleurs manuels (ouvriers,
chauffeurs), les personnels d'exécution du secteur tertiaire, les employés et les services aux
particuliers. Dans ces réponses, outre la profession et le statut, d'autres facteurs interviennent :
l'appartenance au secteur public ou privé, la stabilité de l'emploi, les croyances et pratiques
religieuses. Toutes ces variables ne sont pas indépendantes les unes des autres.

Néanmoins, il semble que le facteur déterminant, qui motive la réponse des enquêtés à cette
question, soit la profession exercée. Cela est évident pour : les indépendants (agriculteurs,
commerçants et artisans), les chefs d'entreprise, les cadres et les professions intermédiaires.
La probabilité du « oui » décroît chez : les employés, les ouvriers qualifiés et non qualifiés.
Dans les réponses positives, l'effet du capital culturel est faible, ce qui paraît surprenant. Cela
s’explique par le fait que les catégories les plus intellectuelles souhaitent laisser leurs enfants
libres de leur choix.
Quand le salaire mensuel est inférieur à 6 000 F (= 1 232 €), la réponse positive est rare 5. Au-
dessus de ce niveau, le salaire a un effet quasi-nul.

Les personnes enquêtées appartenant à la fonction publique souhaitent que leurs enfants
fassent le même travail qu'elles, ce qui contribue à réduire l'importance du salaire. Toutefois,
la sécurité de l'emploi ne semble pas avoir d'effet important sur les réponses, de même que les
responsabilités hiérarchiques, la durée et l'intensité du travail. Or, contrairement au stéréotype
tenace de la « planque », qui leur est encore associé, les salariés de la fonction publique ne
sont pas à l’abri de la pression, mais ils le sont ni plus ni moins que les autres.
Les jeunes, et les personnes ayant une pratique religieuse conservatrice, sont favorables à la
prolongation de leur état à travers leurs enfants. Les travailleurs d’origine étrangère ne le sont
pas.
Les statisticiens concluent de ce qui précède, que la réponse positive à la question de la
transmission de son travail est explicable par les facteurs suivants : le statut et la profession,

5 Pour la conversion, le franc est celui de 1997, et l’euro celui de 2020. La conversion
s’appuie sur des données statistiques, donc incertaines, mais les dates ne sont pas très
éloignées. À cause de l’érosion monétaire due à l’inflation, le pouvoir d’achat est resté le
même.
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l'origine nationale, l'âge, la religion. Le salaire et le niveau de formation interviennent dans


une moindre mesure.
Dans l'ensemble, un rapport heureux au travail entraîne le souhait qu'il se prolonge chez ses
enfants. Pourtant, bien que les agriculteurs éprouvent leur travail comme une source
d'insatisfactions, ils souhaitent transmettre leur patrimoine à leurs enfants, en obéissant à une
logique économique, avec 45% de « oui ». Les artisans répondent « oui » à 41 %. Nous
pouvons donc être heureux et mal payés.
En réalité, toutes les catégories sociales ont des ambivalences, dans leur réponse à cette
question. Le « oui » de leur réponse est motivé principalement par l'importance du contact
humain, en étant intégré dans un ensemble collectif au sein de la société. De plus, leur activité
professionnelle peut présenter pour eux, plus largement, un intérêt en soi, qu'ils décrivent
comme une passion.
Il y aurait même une « esthétique de l'excitation », qui fait de son travail une drogue6.

Au contraire, les mauvaises conditions de travail empêchent 2/3 des ouvriers qualifiés et 3/4
des ouvriers non-qualifiés de trouver un intérêt en soi à leur travail, ce qui motive leur souhait
que leurs enfants feront mieux qu'eux.
D'ailleurs, les personnes des catégories les plus défavorisées, qui voudraient que leurs enfants
leur succèdent, estiment qu'un emploi, quel qu'il soit, est préférable au chômage ou à rien du
tout.
Dans l’ensemble, quand le travail a un intérêt en soi, sa source de plaisir réside dans les
contacts humains.

B) Le contact avec les autres comme source principale du plaisir du travail

Près de 2/3 des actifs estiment que leur travail ne leur apporte aucun plaisir qu’ils ne
pourraient se procurer ailleurs.

Pour le 1/3 restant, les quatre sources du plaisir au travail se répartissent en quatre régions :
« voyager », « faire », « s’occuper de », « contacts ». Ces plaisirs se combinent, en gravissant
les échelons de la hiérarchie sociale. Au demeurant, dans les réponses des enquêtés, la région
des « contacts » l’emporte largement sur celles du « faire », de « s’occuper de » et de
« voyager ».

6 Cf. Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme [1999], Paris,
Gallimard, 2011.
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En effet, sur la question des aspects du travail qui sont susceptibles de favoriser un rapport
heureux à l'activité professionnelle, l’enquête fait apparaître la place secondaire de la
dimension du « faire », qui développe la puissance de pensée et d’action des individus dans le
travail, au contraire des effets de la domination fordiste aliénante.

Les personnes enquêtées accordent donc la place principale au plaisir des contacts humains
dans le travail, qui les intègrent et les socialisent. C’est pourquoi, si un surcroît d'autonomie
est synonyme de bonheur chez les cadres, il ne l'est pas nécessairement chez les ouvriers, qui
valorisent plutôt les relations humaines. Le bonheur des uns n’est pas identique au bonheur
des autres.

À cause des contacts humains qu’offre le travail, les individus jouent le jeu de ce travail,
malgré ses inégalités. Les contacts humains se vivent notamment dans le hors-travail des
pauses. Le fait de rechercher l’« ambiance », le vol d’un instant de liberté avec les
« copains », signifient la résistance à l’exploitation du travail et à sa souffrance. D’ailleurs,
l’absence des contacts humains explique la souffrance de ceux qui sont en chômage de longue
durée, et pour qui le chômage fait perdre plus que son travail. Dans un classique de la
sociologie, Paul Lazarsfeld a montré comment, dans les années 1930 à Marienthal en
Autriche, la fermeture d’une mine a presque anéanti l’activité de la ville qui y trouvait des
emplois, en supprimant jusqu’aux liens sociaux qui étaient sans rapport apparent avec le
travail, comme les activités culturelles et sportives.7.

Dans l’enquête « Bonheur et travail », si le plaisir de faire est supplanté par le plaisir des
contacts humains, cela s’explique par notre économie post-industrielle, orientée vers les
activités de services aux personnes. La culture du métier, propre au faire, n’est donc plus une
ressource dominante.

À cet égard, une enquête de l’INSEE de 1978 montre que, dès cette époque, seulement 1/3 des
ouvriers effectuent des tâches de fabrication à l’usine. Les autres se consacrent à des tâches
infra-productives, comme la manutention et la livraison, ou à des tâches proches de la
conception, comme la participation aux réglages et aux études. Le faire devient un
« conduire » : l’ouvrier conduit des machines, ou des véhicules pour des livraisons. Le faire

7 Cf. Paul Lazarsfeld, Les Chômeurs de Marienthal [1933], Paris, Les Éditions de Minuit,
1981, avec une préface de Pierre Bourdieu.
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de l’ouvrier est également devenu ludique, en manipulant des appareils informatiques. Le


travail ouvrier a donc perdu le caractère démiurgique que Marx attribuait à celui du prolétariat
au XIXe siècle8.

Le fait que nous souhaitions à nos enfants de faire le métier qui est le nôtre, parce qu’il
présente un intérêt en soi, résulte d’une analyse globale des rapports subjectifs au travail, avec
des motifs de satisfaction et d’insatisfaction.

C) La réflexion globale pour le travail souhaité à ses enfants, modélisée par


l’analyse factorielle

L’analyse factorielle des correspondances multiples (a.c.m.) résume, en les stylisant, les
variables du rapport subjectif au travail. Elle modélise une analyse globale, plus ou moins
consciente, faite par la personne qui souhaite prolonger son activité professionnelle et sociale
à travers ses enfants.
Ainsi, pour certains individus, le travail est un moyen de s'épanouir et de se réaliser, par un
fort investissement et l’acceptation de contraintes, tandis que pour d’autres l’attrait du
bonheur simple incite à se contenter de l’équité entre bonheur et travail.
D’autres individus encore entretiennent des rapports malheureux au travail en raison de
facteurs qui sont liés, notamment, à la pression du marché : - précarité, flexibilité,
intensification du travail, individualisation du rapport à l'emploi. Cependant, une attitude de
retrait, quand elle est possible, évite ce rapport malheureux au travail, bien qu’elle ne procure
pas de bonheur.
L’analyse factorielle, qui synthétise ces rapports subjectifs au travail, a deux axes, qui
délimitent quatre quadrants : nord-ouest, sud-ouest, nord-est, sud-est.

Le premier axe factoriel – horizontal – traduit le degré de bonheur au travail, croissant d'est en
ouest. Le second axe factoriel –vertical – exprime le degré de pression au travail, croissant du
sud au nord ; c’est la pression du marché, qui provoque la violence psychologique subie et le
sentiment d’iniquité.
À l’ouest de cet axe de la pression, dans la région globale du bonheur, près des 2/3 des
personnes déclarent que « dans leur travail, les motifs de satisfaction l'emportent », et moins
de 1 %, que ce sont les motifs d'insatisfaction.

8 Cf. Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat
[1995], Paris, Fayard, réédition Folio-Gallimard, 2000.
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À l’est de l’axe de la pression, se trouve le « carré des souffrances », ainsi que la zone du
retrait et de la routine, car l’inverse du bonheur n’est pas toujours le malheur.

a) Au nord-ouest, le bonheur est partagé par : les petits indépendants (commerçants,


artisans, agriculteurs), les professions libérales et artistiques, et par les chefs
d’entreprise (sans le grand patronat). Ce bonheur nécessite un investissement
personnel, mais il procure de fortes gratifications matérielles ou symboliques.
Le registre lexical du bonheur contient les termes suivants : capital économique,
capital culturel, position hiérarchique, aventure, investissement volontaire, passion.

b) Au sud-ouest, le bonheur provient du sentiment d'en avoir pour son travail,


davantage que de l'ampleur des bénéfices retirés. Ce sentiment subjectif de bonheur
équitable est celui : des professions intermédiaires (administration des entreprises,
santé, service public), des enseignants, des contremaîtres, techniciens et ingénieurs,
ainsi que du clergé et des cadres du public.
Le registre lexical du bonheur contient les termes suivants : statut, sentiment d’équité.

c) Au nord-est, la pression excessive du marché accumule diverses formes de


souffrances chez les individus, qui éprouvent un sentiment d'injustice. C’est le « carré
des souffrances », qui regroupe massivement : les emplois des services aux
particuliers, les ouvriers agricoles, les chauffeurs, les ouvriers non-qualifiés dans
l’artisanat.
Dans cette zone de malheur, 19 % des individus expriment leur insatisfaction, tandis
que le taux de satisfaction ne s’élève qu’à 16 %.
Le registre lexical du malheur contient les termes suivants : oppression (et dépression),
jungle, sentiment d’exploitation, investissement forcé, galère, individu vulnérable.

d) Au sud-est, la dévalorisation sociale et l’absence de bonheur au travail engendrent


l'impression subjective que « ce qu’on fait, n'importe qui pourrait le faire ».
Cependant, dans cette zone, l’individu singulier profite du niveau modéré de la
pression du marché, pour tenir son travail à distance ou se mettre en retrait. Ce
quadrant, ou « carré ouvrier », regroupe : les ouvriers qualifiés (artisanat, transports,
industrie), les employés (public, commerce, administration des entreprises), les
policiers.
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Dans la zone du retrait du sud-est, l’idée dominante est que « les motifs de satisfaction
et les motifs d'insatisfaction s'équilibrent à peu près ». 1/4 seulement des individus
sont satisfaits, mais pas plus de 5 % insatisfaits.
Le registre lexical de l’absence de bonheur contient les termes suivants : routine,
résistance collective, retrait.

Les situations de retrait sont très caractéristiques des catégories populaires au sud-est, tandis
que les cadres, les professions intermédiaires et les petits patrons ne forment que 16 % des
individus de ce quadrant sud-est.
Or, dans le « carré ouvrier » du sud-est, la mise à distance de leur travail par les employés de
la restauration rapide s’explique par leurs diplômes, car ce sont des étudiants qui font des
petits boulots temporaires pour payer leurs études. Néanmoins, leur prise de distance n’est pas
un retrait, car ils adhèrent à l’impératif de performance et de productivité dans leur travail. En
ce sens, la précarisation de l’emploi peut rendre paradoxalement plus supportables des
conditions de travail difficiles.
De même, d’autres précaires s’impliquent fortement dans leur travail, mais en espérant
pérenniser leur emploi. Les enquêteurs ajoutent que, dans la restauration rapide, les mauvaises
conditions de travail sont une constatation, non seulement de droit, mais encore de fait.

Au nord-est, le malheur touche surtout les catégories populaires, mais plus du tiers des
individus appartiennent aux catégories supérieures et à la petite bourgeoisie. À cet égard, le
fait que le malheur touche tous les groupes sociaux semble inexplicable. C’est pourquoi ce
fait est généralement nié et minimisé par l’opinion, qui l’attribue à des causes psychologiques
individuelles.

Dans le quadrant du nord-ouest, le travail est une passion, qui se traduit soit par un
investissement individuel dans l’organisation industrielle-bureaucratique, soit par un
investissement collectif dans l’organisation artisanale-domestique.
Les statisticiens s’appuient alors sur le concept d’illusio de Pierre Bourdieu, qui définit le
travail en tant que passion individuelle, facilitée par un capital culturel, et traduisant un
investissement qui survient dans un champ où interagissent les individus9.

9 Cf. Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil,1994.


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Quant au quadrant du sud-ouest, il renvoie notamment au bonheur de la fonction publique. En


effet, les conditions de travail et les salaires des personnels les moins qualifiés de la fonction
publique sont bien meilleurs que ceux des personnels du secteur privé qui sont aussi peu
qualifiés. De plus, selon l’INSEE, les cadres du public sont, en moyenne, mieux payés que
ceux du privé. Enfin, nous verrons qu’à tous les niveaux hiérarchiques de la fonction
publique, la loi des 35 heures a été appliquée sous la forme de jours de congés
supplémentaires, ce qui est la forme la plus avantageuse de la RTT pour les salariés.

Nous voyons que l’a.c.m. met au jour le fait que les souffrances individuelles sont partagées
par toutes les catégories sociales. Cela s’explique par la transformation du travail.

3) Les souffrances individuelles liées à la transformation du travail

La satisfaction que procure le statut social au travail ne met donc plus personne à l’abri des
souffrances individuelles. Certes, nous constatons que le bonheur se rencontre dans toutes les
catégories, même si les enquêteurs admettent que la question portant sur la satisfaction
globale comporte un biais difficile à évaluer, parce que la formulation du libellé de la question
incite les personnes interrogées à favoriser des réponses positives. Toutefois, si plus de 50 %
des personnes se déclarent satisfaites de leur travail, la souffrance individuelle, sous diverses
formes, affecte toutes les catégories socioprofessionnelles.

Bien que le négatif du bonheur ne soit pas toujours le malheur, celui-ci prend la forme de
l’injustice et de l’exploitation pour tous. Les réponses des enquêtés à la question du bien-être
global ont donc été l’occasion de commencer à objectiver leurs souffrances individuelles ; ce
commencement d’objectivation pourrait conduire à des résistances collectives. De plus, la loi
sur les 35 heures a tenté de modifier les conditions de travail, dans le sens d’un rapport
heureux à celui-ci.

A) La souffrance individuelle et le sentiment d’injustice, malgré l’agrément du


travail

Les souffrances individuelles n’épargnent aucune catégorie socioprofessionnelle et aucun


statut social. Ces souffrances restent non-dites, tant qu’elles ne s’objectivent pas dans des
résistances collectives. De même, dans le contexte de la mondialisation économique, le
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sentiment d’exploitation ne définit plus seulement la condition ouvrière, car il appartient à un


vécu collectif de la société.

Dans l’entreprise, il existe une culture de la joie au travail, que le management s’efforce de
procurer aux travailleurs. Elle met en valeur l’initiative, la volonté, la plasticité, la finalité, et
la responsabilité, à tous les niveaux hiérarchiques, dans le but de promouvoir
l’épanouissement comme investissement de soi. Dans la pratique, cela aboutit à la
généralisation de la précarité et des petits boulots de la sous-traitance, ainsi qu’à la flexibilité
des horaires, à l’intensification du travail et au renforcement des contrôles. Au surplus, le
perfectionnement des méthodes d’évaluation des salariés est un des moyens de
l’intensification du travail, car il permet d’obtenir un effort accru des salariés, qui sont
pourtant devenus plus autonomes. Tout cela nous autorise à parler d’une véritable
déconstruction du monde du travail10.

La transformation des conditions et de l’organisation de l’emploi explique les souffrances au


travail. Les fusions-acquisitions d’entreprises par de grands groupes transversaux, cotés en
bourse, entraînent des restructurations et des délocalisations assorties de licenciements, tandis
que le service public est en voie de fragilisation ou de précarisation. Nous entrons dans le
travail de plus en plus tard, et nous en sortons de plus en plus tôt. De plus, la condition
ouvrière a changé. Dans une économie post-industrielle, ayant une majorité d’emplois
informatisés de services, et des tâches de production de plus en plus externalisées et
automatisées, le sentiment d’appartenance à une classe ouvrière, qui permettait des
résistances collectives et des avancées sociales, tend à disparaître. L’individualisation de la
condition ouvrière crée de nouvelles formes de souffrances.

Toutefois, le sentiment d’être exploité n’est plus partagé que par un ouvrier sur deux, alors
qu’il est éprouvé par un petit patron – commerçant ou artisan – sur quatre, et par un cadre
supérieur sur trois. Quant aux employés et aux agriculteurs, 2/5 d’entre eux disent éprouver ce
sentiment.

Autrefois, la rémunération par le patronat des cadres et des ingénieurs obéissait à la logique
économique du don et du contre-don, échappant au calcul et à la mesure. Le modèle à suivre
était celui de l’ingénieur comme bras droit du patron, qui lui assurait un standing, et auquel il

10 Cf. Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit.
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vouait une loyauté sans faille. Or, la rémunération du cadre est devenu un échange marchand,
calqué sur le salaire ouvrier. Cela s’explique par l’augmentation rapide du nombre de cadres
dans les entreprises. En effet, le travail des entreprises s’est axé sur des activités de
conception, de décision et de commercialisation, ce qui a doublé la main-d’œuvre des cadres
en vingt ans. À présent, le cadre se trouve en concurrence avec des cadres, placé sous la
responsabilité d’autres cadres et encadrant des cadres lui-même. De plus, le management des
cadres a été aligné sur celui des USA, qui applique à la profession d’encadrant le salaire à la
pièce, sur le modèle du salaire ouvrier, complété par des primes de productivité et des stock-
options.

Ainsi apparaît dans l’encadrement le sentiment d’être exploité, par son chef ou par ses
collègues, ce qui est la cause de souffrances individuelles au travail. La passion de
l’investissement individuel dans le travail requiert une forme d’« exercice spirituel », pour se
forcer à y croire, à mesure que s’accroît la pression du marché qui devient de moins en moins
tolérable. D’ailleurs, la rémunération ne suffit plus pour compenser la souffrance au travail.
L’investissement devient un surinvestissement, qui cause une déception.

Pourtant, les enquêteurs constatent que, dans les entreprises, le salaire est lié aux
responsabilités. Cela correspond à la proposition d'Adam Smith, selon laquelle les salaires du
travail peuvent varier suivant la plus ou moins grande confiance qu'il faut accorder à
l'ouvrier11. Une prime d’incitation ne coïncide donc pas toujours avec un statut social ou
hiérarchique.

Chez les moins favorisés, le salaire ne compense pas les mauvaises conditions de travail et les
souffrances individuelles, ce qui va à l'encontre d’une autre proposition de la théorie d'Adam
Smith, qui stipule que, dans l’état parfait du marché, des travaux plus pénibles que d’autres
doivent être mieux rémunérés. Cela entre dans les revendications traditionnelles des classes
populaires. Dans ces catégories sociales, les hommes acceptent les différences salariales, mais
réclament une compensation pour les pénibilités des tâches et les cas d'erreur ayant des
conséquences graves. Au contraire, les femmes semblent attendre moins de compensation
pour les pénibilités, mais s'étonner de la disparité des salaires.

11 Cf. Adam Smith, La Richesse des nations [1776], Paris, GF-Flammarion, 1991.
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Quant au sentiment d’être exploité des professions indépendantes, il s’inscrit dans la tradition
des plaintes des boutiquiers, bien que ce sentiment soit devenu plus complexe à définir, tant le
sujet abstrait de leur exploitation est devenu difficile à identifier pour eux.

En moyenne, dans la définition de l’injustice des personnes interrogées, le sentiment d'être


exploité, lié à l’intensité du travail, l’emporte sur l'absence de reconnaissance et l'impression
d'être mal payé. Toutefois, ces trois facteurs, qui sont l'intensité du travail, le manque de
reconnaissance et l’insuffisance du salaire, interviennent différemment dans les quadrants du
graphique de l'espace des rapports subjectifs au travail.

a) Au nord-ouest, dans le carré de l'investissement maximum dans le travail, malgré le


revenu mensuel élevé de 9 850 F (= 2 024 €), le revenu et la reconnaissance ne
compensent plus le degré d'implication, ce qui se traduit par un sentiment d’injustice
causé par l'exploitation due à l’intensification du travail.

b) Au sud-ouest, le carré se caractérise par un haut niveau de satisfaction, accompagné


d'un faible degré de pression consentie ou subi. Le.sentiment d'injustice est le plus
faible, avec un revenu mensuel de 8 100 F (= 1 664 €).

c) Au nord-est, dans le carré des souffrances individuelles, la part de l'insatisfaction


liée au salaire est la plus forte, alors que le revenu mensuel est de 7000 F (= 1 438 €).
L'écart salarial avec le sud-est (7 000 - 6 200 = 800 F, soit 164 €) n'explique donc pas
la force de ce sentiment d’injustice.

d) Au sud-est, dans le carré ouvrier du retrait, du faible niveau de satisfaction et de


l'implication minimale, le niveau moyen mensuel est le plus bas : 6 200 F (= 1 273 €).
L’insatisfaction liée au salaire est forte, mais limitée par le fait que le retrait rétablit
une équité, par rapport aux souffrances du temps et du rythme du travail.

Nous voyons que l’insuffisance de la rémunération ne constitue pas, dans l’ensemble, la cause
principale de la souffrance au travail. Celle-ci est à chercher ailleurs.
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B) Le bonheur conditionné par l’affiliation à un groupe social, davantage que par


la rémunération

Dans le rapport au travail, l’importance des dimensions individuelles et collectives est


déterminante, car le travail heureux intègre et socialise.

En réalité, toutes les catégories sociales sont exploitées, car la rémunération ne compense plus
le manque de reconnaissance sociale, qui est corrélé à l’intensification du travail. En effet, la
souffrance exprime un conflit entre les impératifs gestionnaires de l’entreprise et la
conception professionnelle du travail bien fait. C’est pourquoi les statisticiens ont utilisé les
analyses de la psychodynamique du travail, qui distingue deux composantes de la
reconnaissance du travail : le jugement d’utilité du travail, porté de l’extérieur du groupe
professionnel, et le jugement de beauté du travail, porté de l’intérieur de celui-ci. Or, ces
jugements entrent en dissonance12.

Les statisticiens ont également utilisé les travaux de la sociologie du travail 13. En effet, dans
chaque catégorie socioprofessionnelle, les formes d’intégration sont diverses. Elles mettent en
jeu les dimensions individuelles et collectives du travail. L’envers de l’intégration, ou
affiliation à un groupe social, est la précarité.

L’analyse factorielle, qui résume l’intégration professionnelle quelle que soit l’appartenance à
une catégorie sociale, a elle aussi deux axes, qui délimitent quatre quadrants : nord-ouest, sud-
ouest, nord-est, sud-est.

Le premier axe factoriel – horizontal – va, d’est en ouest, de la satisfaction dans le travail
faible ou nulle, à la satisfaction dans le travail élevée. Le second axe factoriel –vertical –
traduit le degré de stabilité du travail, décroissant du sud au nord, d’élevé à faible.

a) Au nord-ouest, dans toutes les catégories l’intégration est incertaine, malgré la


bonne organisation, les très bonnes relations avec ses supérieurs, les très bonnes
perspectives de carrière et l’ambiance de travail agréable.

12 Cf. Christophe Dejours, Travail : usure mentale, de la psychopathologie à la


psychodynamique du travail, Paris, Bayard,1993.
13 Cf. Serge Paugam, La disqualification sociale [1991], Paris, PUF, 2013.
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b) Au sud-ouest, dans toutes les catégories l’intégration professionnelle est assurée.


Les individus n’ont aucun risque de licenciement, et ils bénéficient de bonnes
conditions de travail.

c) Au nord-est, dans toutes les catégories l’intégration est disqualifiante, du fait du


risque élevé de licenciement, de l’insuffisance des avantages sociaux et du déclin de
l’entreprise. Le travail est peu satisfaisant, et l’emploi est menacé. Cette intégration
disqualifiante touche principalement les femmes.

d) Au sud-est, dans toutes les catégories l’intégration est laborieuse, à cause de


l’absence de liberté d’initiative. L’emploi est stable, mais le travail est insatisfaisant,
ce qui entraîne une possibilité de retrait.

La loi des 35 heures, qui est postérieure à l’enquête, a accentué, pour certaines catégories
sociales, la menace de désaffiliation du groupe social, malgré un effet positif sur le bien-être
au travail.

C) L’impact modéré des 35 heures sur le bonheur des catégories sociales

Bien que l’enquête soit antérieure à la loi des 35 heures, l’ouvrage de Christian Baudelot
aborde le passage controversé aux 35 heures, ainsi que l’impossibilité d’un retour en arrière
par l’abrogation de cette loi censée permettre le partage du travail et le loisir du hors-travail.
En effet, cette abrogation exclurait la baisse de l’intensité et de la flexibilité du travail.

En réalité, les 35 heures sont un bonheur pour les uns et une souffrance pour les autres. Pour
le démontrer, Christian Baudelot s’est appuyé sur les travaux et les enquêtes de Dominique
Méda14.

En effet, la réduction du temps de travail, ou RTT, a bénéficié aux salariés les plus qualifiés,
tandis que les non-qualifiés sont divisés quant à son effet positif, en raison de la dégradation
de leurs conditions de travail qu’elle a entraînée. D’ailleurs, le fait que la RTT ne change rien
aux conditions de travail des couches populaires est déjà, pour elles, une déception quand
elles sont exposées à des tâches pénibles.

14 Cf. Dominique Méda, 35 heures : le temps du bilan, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.
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La RTT a donc creusé les inégalités sociales, ainsi que les inégalités entre hommes et femmes.
Les cadres ont eu des jours de congé supplémentaires, et des week-ends prolongés, qui
favorisent la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, en même temps qu’ils
ont conservé leurs horaires stables. Les salariés les moins favorisés ont eu la réduction
hebdomadaire du temps de travail, bien moins avantageuse, avec modulation de leurs horaires
qui étaient déjà irréguliers.

La souffrance des moins qualifiés s'explique alors par un cumul de malheurs : horaires
irréguliers et imprévisibles, intensification du travail, perte de revenu par l'annualisation des
heures supplémentaires. L’enquête « Bonheur et travail » aide à mettre en évidence, dans le
rapport au travail des salariés d’exécution – ouvriers et qualifiés – bénéficiant de la RTT, le
fait que la baisse de la pression exercée par la durée du travail n’a pas équilibré la hausse de
l’intensité du travail. Au surplus, la RTT a des effets négatifs sur la vie familiale des moins
qualifiés, à l'inverse des effets sur le hors-travail des cadres.

Cependant, à l’intérieur de chaque catégorie socioprofessionnelle, les diverses formes


d’intégration influent sur les modalités et les conséquences de la RTT.

a) Au nord-ouest, dans l’intégration incertaine, pour toutes les catégories les 35 heures
accroissent l’incertitude sur l’emploi, malgré les bonnes conditions de travail.

b) Au sud-ouest, l’intégration assurée pour toutes les catégories, due à la stabilité de


l'emploi et aux bonnes conditions de travail, favorise un regard favorable sur les 35
heures.

c) Au nord-est, dans l’intégration disqualifiante pour toutes les catégories, à cause du


travail peu satisfaisant et de la menace sur l’emploi, les 35 heures sont perçues
défavorablement, car elles accentuent la flexibilité des horaires, la réorganisation du
travail et le manque de reconnaissance.

d) Au sud-est, il en va de même pour l’intégration laborieuse de toutes les catégories,


avec un travail insatisfaisant malgré un emploi stable, et bien qu’elle comporte une
possibilité de retrait.
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La RTT a donc aggravé les souffrances de certains salariés au travail, bien qu’elle ait aussi
amélioré la situation de beaucoup de salariés, tout en accroissant l’efficacité économique des
entreprises. D’ailleurs, la loi peut être appliquée avec de nombreuses dérogations.

De plus, la loi des 35 heures coïncide avec une période de relance de la croissance, de sorte
qu’il est difficile d’évaluer l’effet propre de cette loi.
En réalité, à cause du caractère décentralisé des négociations, tout dépend de la manière dont
les entreprises ont appliqué la loi : soit en avantageant la réorganisation et la productivité de
l’entreprise, soit en améliorant le bien-être des salariés selon leur catégorie. Cela a dépendu
du rapport des forces en présence. Or, l’entreprise a souvent visé l’intensification du travail,
en réduisant le temps sans réduire la charge de travail, et sans embauches en nombre suffisant.
Cela a accru la souffrance des moins qualifiés, parce qu’ils n’ont pas assez de temps pour
récupérer.
De plus, les femmes non-qualifiées bénéficient moins que les hommes non-qualifiés de
formes avantageuses de RTT. Cette dernière n’a pas eu d’incidence notoire sur le partage des
tâches domestiques dans la vie familiale.

Néanmoins, il semble que la loi des 35 heures – qui s’inscrit dans une tendance de long terme
à l’abaissement de la durée du travail – n’ait pas été directement la cause de l'intensification
du travail, mais qu'elle ait été l'occasion pour les entreprises de mener à son terme un
processus d'accélération et de concentration dans le temps de l'intensité du travail, en
s’abritant derrière les nécessités abstraites du marché.
Il semble aussi que les salariés ressentent davantage l’intensification comme étant la cause de
la dégradation de leur travail, plutôt que l’instabilité des horaires due à leur flexibilité.
D’ailleurs, il n’y a pas de lien mécanique entre variabilité des horaires et intensification. En
outre, pour les salariés les moins qualifiés, la perte de salaire leur cause une insatisfaction
moindre que la souffrance due aux cadences de travail.
Les salariés les moins qualifiés restent lucides quant aux possibilités que leur offrirait la RTT.
Avoir des jours de congés supplémentaires, comme les cadres, impliquerait pour ces salariés
d’obtenir de prendre ces congés en même temps que leur conjoint. Pendant leurs congés, les
cadres accroissent leur capital culturel, ce que n’ont pas les moins qualifiés. Au surplus, les
activités de loisirs de l'encadrement nécessitent un investissement économique inaccessible
aux salariés qui sont moins bien situés dans l’échelle sociale, et qui ne bénéficient plus des
heures supplémentaires.
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CONCLUSION de la PARTIE I
Le travail représente d’autant plus le bonheur qu’il fait défaut.
En effet, le travail dur, mal payé ou absent, a plus d’importance pour certains, que pour
d’autres qui bénéficient d’un statut social avantageux et qui s’y épanouissent. En réalité, les
uns ont un « boulot », alors que les autres exercent un « métier ». Le « boulot » est la
condition du bonheur, un « métier » n’en est qu’une composante. Cela recoupe la distinction
entre philosophie de l’avoir, et philosophie de l’être.
Le bonheur semble être un bonheur de classe. Il serait plutôt en haut de la hiérarchie sociale,
tandis que le malheur serait en bas. De plus, les bonheurs se cumulent, comme les malheurs
de leur côté. Il existe aussi des formes inverses du bonheur au travail, comme la prise de
distance ou le retrait, qui ne sont pas des malheurs.
Pourtant, plus de la moitié des personnes interrogées sont globalement satisfaites de leur
travail. Près de l’autre moitié estime que bonheurs et malheurs s’équilibrent au travail.
Néanmoins, les statisticiens observent de grandes variations entre les classes sociales. De
plus, les réponses locales aux questions en batterie, ou bien les entretiens, révèlent un rapport
ambivalent et contradictoire au travail, dans toutes les catégories sociales. Cela s’explique
notamment en prenant en compte les variables de la trajectoire sociale – avec ses aspirations
et ses adaptations à la réalité professionnelle – et du sexe.
Il existe un rapport heureux au travail en lui-même, qui est partagé par les professions
indépendantes, par les professions artistiques et libérales, par les professions intermédiaires et
enseignantes. Ce rapport heureux s’épanouit dans une relation d’échange et de don à l’autre,
qu’il semble souhaitable de transmettre à sa descendance. D’autres catégories sociales se
contentent de l’équité d’un statut, associé à une pression faible du marché.
En réalité, il existe deux formes rivales de bonheur. D’une part, le bonheur dans l’organisation
industrielle-bureaucratique repose sur l’investissement individuel et la compétition. D’autre
part, le bonheur dans l’organisation artisanale-domestique se fonde sur l’investissement
collectif et la coopération, ce qui explique que nous puissions être heureux et mal payés.
Cependant, l’analyse factorielle globale du bonheur et du malheur au travail met au jour des
souffrances individuelles, liées à l’injustice de l’exploitation, et qu’il convient d’analyser,
pour les aider à s’objectiver par des résistances collectives.
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Les souffrances individuelles au travail, bien que dispersées, concernent toutes les catégories
socioprofessionnelles. Ces souffrances – qui sont formulées dans les entretiens suivant le
questionnaire, ou qui apparaissent en creux dans celui-ci – s’expliquent par les
transformations de l’économie et de l’organisation du travail.
Les souffrances traduisent le sentiment d’une injustice, due à l’exploitation par
l’intensification du travail. Elles commencent à s’objectiver par des résistances collectives,
mais elles aboutissent souvent à la désaffiliation d’un groupe social, ou bien à une affiliation
incertaine à celui-ci.
De plus, l’intervention des pouvoirs publics dans le bonheur au travail, par la loi des 35
heures, a eu un effet global modéré sur le bonheur des salariés au travail. Bien que cette loi
semble avoir permis la création de nombreux emplois, ainsi que l’amélioration de la vie
quotidienne des personnes ayant de jeunes enfants à charge, elle a accentué les inégalités,
divisé davantage les couches populaires et profité surtout à l’encadrement.

Afin de pondérer leurs analyses des résultats de l’enquête, les statisticiens ont mis en question
leur méthodologie de recherche. C’est ce que nous allons étudier dans une deuxième partie.
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PARTIE II : Les problèmes méthodologiques de l’enquête

L’enquête est une investigation empirique sur un échantillon représentatif de la population


active ou inactive. Les attitudes que les enquêteurs ont saisi relèvent de tendances lourdes et
relativement durables. Les enquêteurs ont confiance dans la mesure statistique des écarts entre
catégories socioprofessionnelles, qui renvoient à des relations subjectives au travail inscrites
dans le moyen ou le long terme. Toutefois, ils ont tenté d’évaluer l’importance des biais, qui
sont inévitables dans les questions d’une enquête, afin de les contrôler.

1) La méthodologie statistique

Les méthodes statistiques utilisées pour l’enquête sont classiques. Pour assurer
l’équiprobabilité de leur échantillonnage, les statisticiens ont sélectionné au hasard un
individu « Kish » parmi les individus éligibles, à savoir les salariés sous contrat à durée
indéterminée, les indépendants et les inactifs. De même, les statisticiens ont pondéré leurs
résultats suivant la méthode habituelle aux années 1990, et donc sans l’harmonisation
européenne intervenue plus tard.

Le protocole de l’enquête repose sur l’interrogation en face-à-face, mais des personnes


pouvaient être présentes lors de l’interview, ce qui était mentionné dans le questionnaire.

L’enquête a montré les limites de la méthode du questionnaire pour recueillir une conception
intime du bonheur, ce que cherchait à obtenir la question ouverte « Qu’est-ce qui est pour
vous le plus important pour être heureux ? » Les réponses recueillies expriment des
représentations des relations entre le bonheur et le travail, mais elles sont collectives et
propres à différents groupes sociaux, Pour avoir des réponses personnelles, il a donc fallu
multiplier les entretiens approfondis et successifs avec un même individu, menés par des
sociologues expérimentés.

Le choix du thème de l’enquête s’écartait de la tradition des enquêtes obligatoires de l’INSEE,


qui ne fait pas d’enquêtes d’opinion, hormis les enquêtes mensuelles de la conjoncture
économique, ce qui a provoqué des tensions. En effet, le questionnaire comporte des
questions d’opinion, qui pourraient détourner de l’observation des situations réelles des
enquêtés. À la suite de Pierre Bourdieu, les statisticiens sont restés critiques vis-à-vis de
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l’opinion publique15. En effet, il convenait pour eux de ne pas adhérer à la fiction de la


statistique, selon laquelle toutes les opinions se valent.

En ce sens, les entretiens ont permis d’évaluer le réel degré de conviction et de mobilisation
des enquêtés. Il ne s’agissait pas, pour les statisticiens, d’avoir la réponse de l’opinion
publique à la question de la fin du travail, bien que, comme nous allons le voir, cette question
ait fortement influé sur la conception de l’enquête. Les statisticiens ont donc accepté l’idée
que les chiffres ne sont pas des faits sociaux, mais qu’ils entrent dans la construction de ces
faits, ce qui nécessite une réflexion sur la façon dont ces chiffres sont produits.

En outre, beaucoup de personnes interrogées sont loin de disposer des moyens leur permettant
d’exprimer leurs préoccupations personnelles en termes assez généraux, afin de les
communiquer à un enquêteur non seulement inconnu, mais encore délégué par une
administration. Peu de personnes ont déjà élaboré une construction cohérente du bonheur
susceptible d’une formulation rapide. Néanmoins, le taux de non-réponse très faible (moins de
2 %) donne à penser que la question ne semble pas être insolite pour les enquêtés.

Pour les questions ouvertes du questionnaire, ainsi que pour les entretiens individuels qui ont
complété ce questionnaire, l’analyse de données textuelles a été réalisée à partir du logiciel
SPAD. Les méthodes de statistique textuelle servent aussi à tester certaines hypothèses, à
prouver la réalité de traits structuraux, et à procéder à des prévisions. Les possibilités actuelles
de calcul et de gestion de l’analyse textuelle aident à décrire, à assimiler et à critiquer
l'information de type textuel16.

Les statisticiens ont également produit des graphiques, après avoir synthétisé les variables de
l’enquête par une analyse factorielle, qui est une analyse des correspondances multiples
(a.c.m.). Elle constitue un outil puissant pour une analyse globale du bonheur au travail. Cet
outil permet de dynamiser des données recueillies, pour reconstituer ou anticiper un parcours
de vie professionnelle. Toutefois, l’a.c.m. ne porte que sur les actifs ayant un emploi, stable
ou non, salarié ou indépendant, soit 2 987 individus sur les 6 000 interrogés. Les individus
« Kish » tirés au sort pour l’enquête semblent avoir été en majorité des chômeurs et des
retraités.

15 Cf. Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980.
16 Cf. Ludovic Lebart et André Salem, Statistique textuelle, Paris, Dunod, 1994.
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L'analyse factorielle est un résumé optimal de toutes les formes de rapports au travail.
Cependant, elle dépend du choix et de la pertinence des variables de l'enquête et de l'analyse,
et donc du choix d’un modèle. Les variables qui semblaient actives lors de la conception du
questionnaire étaient celles qui relevaient du rapport subjectif au travail, de préférence à celles
des conditions objectives. Or, la frontière entre ces variables est difficile à établir dans la
réalité.

Il reste que cette analyse factorielle ne correspond pas exactement à l’analyse d’un champ,
telle que la propose la sociologie de Pierre Bourdieu. En effet, bien que les individus enquêtés
soient en concurrence pour l’obtention des choses qui contribuent au bonheur, ils ne sont pas
en concurrence entre eux pour le bonheur. De plus, les individus ne cherchent pas non plus
précisément à imposer leur philosophie du bonheur. Pour l’analyse des résultats de l’enquête,
il importe donc d’envisager les formes de bonheur et de malheur, dans le rapport au travail,
comme la trace de phénomènes survenant dans différents espaces sociaux.

Après les avoir exploités, les statisticiens sont parvenus à rendre les résultats de l’enquête
scientifique accessibles à un large public.

Néanmoins, pour conduire et exploiter leur enquête, les statisticiens ont dû prendre en compte
des difficultés causées par des biais, liés à leurs choix méthodologiques, afin d’en mesurer
l’importance.

2) Les biais du questionnaire

L’hypothèse qui explique l’origine de ces biais repose sur l’habitude ancrée chez les
universitaires de vivre leur profession comme une vocation à dimension créatrice. En effet, au
sommet de l’épanouissement par le travail se trouve le travail de l’artiste, qui se décline dans
celui de l’artisan. Or, comme les chercheurs bénéficient eux aussi d’une grande liberté dans
l’organisation et l'orientation intellectuelle de leurs travaux, ils ont tendance à surévaluer la
place du plaisir ou du bonheur, dans le travail de toutes les professions. Il faut dire à leur
décharge que même les métiers ouvriers ont été intellectualisés, par l’utilisation progressive
de la robotique et de l’informatique, ce qui peut être trompeur.

Si ces biais sont contournés par les personnes interrogées, qui ne répondent pas massivement
dans le sens de ces biais, ceux-ci interviennent néanmoins dans leurs réponses, avec une
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importance qui n’est pas déterminée. Cette importance a été considérée, par les enquêteurs,
comme ayant peu d’impact, dans le cas de la question de la satisfaction globale au travail.

Cependant, à l’époque de l’enquête, les statisticiens avaient une attitude polémique vis-à-vis
de la thèse de la fin du travail17, et ils reconnaissent qu'ils ont formulé plusieurs questions dans
l'intention d'avoir des résultats allant dans leur sens.

En effet, dans les années 1990, le thème de la fin du travail est perçu comme un problème de
société. L'idée apparaît également que l'énergie humaine libérée par le chômage pourrait
s’investir dans la citoyenneté. En tout cas, les chômeurs commencent à bénéficier d'un
semblant d’insertion sociale. C’est contre tout cela que les statisticiens s’élèvent, ce qui a
biaisé certaines de leurs questions.

Toutefois, quand les scores obtenus dans les réponses étaient trop élevés, ils ont éveillé la
prudence des statisticiens dans leurs analyses. Les questions incitant à l’optimisme ont été
aisément repérées après coup, car elle donnait plus de chances aux personnes interrogées
d'exprimer un rapport heureux au travail que malheureux. Les enquêteurs savaient aussi, par
expérience que les questionnaires surestiment considérablement les niveaux de satisfaction,
quand ils portent sur des valeurs légitimes comme le bonheur, la joie ou la satisfaction, et
quelle que soit la conjoncture économique.

Les statisticiens ont repéré le renforcement de ce biais dans la succession de questions


formulées en batterie, entre les questions ouvertes. En effet, bien que cette batterie de
questions fasse gagner du temps, elle incite les personnes interrogées à rechercher une
cohérence artificielle par l'enchaînement de réponses, positives ou négatives. C’est un effet de
halo, qui provoque l’inattention. Or, cela nuisait à l'intérêt du questionnaire, qui était de
mettre en évidence les ambivalences envers le travail, en faisant apparaître des contradictions
sincères entre les réponses aux questions de niveau global et les réponses aux questions de
niveau local.

D’ailleurs, les statisticiens constatent également que leur formation de sociologues du travail a
orienté le questionnaire vers la souffrance taylorienne de l'univers industriel-bureaucratique.
Ce questionnaire ne permettait donc pas de rendre compte exactement de la souffrance du
travail artisanal et domestique, quand il est peu qualifié.

17 Cf. Jeremy Rifkin, La Fin du travail, Paris, La Découverte, 2000.


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De sorte que les questions posées aux travailleurs isolés ne semblaient pas être faites pour
eux, tant ils y répondaient avec impertinence : à les en croire, cela ne les gêne pas de ne pas
avoir de pouvoir, de ne pas être écoutés, et de ne pas travailler dans une équipe qui s'entend
bien. Pourtant, la rédaction du questionnaire était issue d’une pré-enquête par entretiens, pour
définir la thématique et affiner les formulations des questions, et assortie de tests de passation
en région.

Néanmoins, les statisticiens ont pris conscience que, s’ils ont négligé cet aspect de la
souffrance des indépendants, c’est parce que ses causes ne sont pas objectivées dans le monde
artisanal. Plus généralement, le questionnaire est en décalage par rapport au vécu des
personnels de service, des ouvriers artisanaux non-qualifiés – comprenant les femmes de
ménage travaillant en entreprise – des ouvriers agricoles et des chauffeurs.
De même, en ce qui concerne les petits indépendants (artisans, petits commerçants,
agriculteurs), les questions manquent de précision, à propos de la transmission de leur capital,
ou sur la passion et la fierté du travail bien fait, qui se rapprochent de la vocation des classes
supérieures dans leur implication au travail.

En outre, il pourrait exister un biais dans les réponses des enquêtés les plus démunis
culturellement, dans la mesure où la fréquence élevée du mot "travail" dans leurs réponses
pourrait avoir pour seule fin, chez eux, de ne pas perdre la face, en satisfaisant les attentes
supposées de l’enquêteur chargé de faire remplir un questionnaire intitulé « Travail et mode
de vie », dit « Bonheur et travail ». Toutefois, cette hypothèse est contredite par la très faible
occurrence du mot « travail » dans les réponses des agriculteurs et, à un moindre degré, dans
les réponses des femmes issues d’un milieu populaire, toutes choses égales par ailleurs.

Quant aux chômeurs affirmant rechercher activement un emploi, il existerait un désir de


légitimité dans leurs réponses, quand elles invoquent le travail comme une composante
essentielle du bonheur, bien que l’importance de la recherche d’une contenance légitime de
l’enquêté, face à un enquêteur perçu comme un agent de l’administration, ne soit pas encore
estimée.

D’ailleurs, cette recherche de légitimité n’est pas propre à la situation d’enquête, car elle joue
pour les chômeurs dans beaucoup d’interactions de la vie quotidienne, que la situation
d’enquête ne fait que reproduire. Leur préoccupation affirmée concernant le travail en tant
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qu’il est lié au bonheur, et recueillie dans le questionnaire, a donc un sens et des effets hors de
la situation du questionnaire.

Cette norme de la légitimité de la satisfaction au travail agit aussi sur les actifs, car le fait de
se déclarer insatisfait constituerait pour eux un défaut de sociabilité. Afin d’éviter d’étaler
publiquement leurs souffrances, par politesse les individus ont plutôt tendance à exagérer leur
degré d’implication, d’intérêt et de fierté pour leur travail, ou d’utilité pour les autres.

En réalité, la méthodologie des enquêteurs relativise avec raison l’importance sociale des
stéréotypes, que les personnes interrogées énoncent spontanément, mais qui ne sont qu’un
cadre pour leurs opinions intimes qu’il importe de mettre au jour.

En effet, ces stéréotypes correspondent à des variations personnelles dans les conditions de
travail et d’existence, à des moments du cycle de vie, et à des différences de genre. Ces
variations, qui ont une grande diversité dans leurs composantes, révèlent les normes qui
permettent à chacun d’orienter sa conduite en lui donnant un sens, dans une trajectoire
personnelle. Si les individus les plus démunis mettent l’accent sur la valeur du travail, c’est
parce qu’ils sont les mieux placés pour en mesurer intimement le prix. De leur côté, les
enquêteurs en tirent la confirmation que le travail conditionne réellement le bonheur des
catégories les plus exposées aux situations d’emploi et de rémunération les plus difficiles.

Il reste que, bien qu’il soit impossible d'éliminer les bais que contiennent les questions d’une
enquête, il convient de les identifier de façon objective, afin de les contrôler dans l'analyse des
résultats. Cela permet de distinguer le travail, comme passion authentique, de la manifestation
conformiste d'une adhésion au bonheur professionnel, qui exprime une culture d’entreprise.

Au demeurant, le biais du bonheur normal et légitime a comme effet positif de faire ressortir
la sincérité de l'expression des formes du malheur, de la souffrance et du retrait.
À l'inverse de la satisfaction, l’insatisfaction traduit toujours un malaise réel. C'est pourquoi
les traitements statistiques peuvent le mieux mettre en évidence les écarts relatifs, et les
niveaux absolus, entre les réponses des différentes catégories socioprofessionnelles.

En ce qui concerne le principe de cohérence, que les enquêteurs imposent aux personnes
interrogées, de manière plus ou moins consciente, en orientant la formulation de leurs
questions, l’avis des statisticiens reste mesuré.
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En effet, cette cohérence qui pousse les enquêtés à se conformer à un modèle dominant fait
mieux ressortir, dans les entretiens qualitatifs hors-questionnaire, la mobilité contradictoire de
l'inscription des individus à l'intérieur du cadre des stéréotypes sociaux.
Pour saisir et faire comprendre toute la complexité du rapport subjectif au travail, les
enquêteurs rendent compte de leur dépouillement de l'enquête pas-à-pas.
Leur journal de navigation dans les résultats de l’enquête fait état de leurs certitudes
argumentées, mais aussi de leurs surprises et de leurs remords.

En effet, de façon surprenante, et par deux fois, les personnes enquêtées ont donné de leur
choix (« Oui » ou « Non ») une justification à laquelle les enquêteurs ne s’attendaient pas,
pour l’option « L’impression que ce que vous faites, n'importe qui pourrait le faire », dans la
Question 40, à savoir :
« Vous arrive-t-il au contraire d’éprouver dans votre travail [OUI/NON] : – 1. Le sentiment
d'être exploité – 2. L’ennui – 3. L’impression que ce que vous faites, n'importe qui pourrait le
faire ».
Les statisticiens font l’hypothèse que, dans la majorité des cas, l’option 3 avait été bien
comprise, bien que cela ait été rarement vérifié. La signification de « ce que vous faites,
n’importe qui pourrait le faire » semblait aller de soi.
Or, deux femmes de ménage ont donné des justifications étonnantes à leur réponse. Pour
l’une, qui répond « non », son travail ne pourrait pas être fait par n’importe qui, parce qu’il est
dégradant, et non parce qu’il demanderait une qualification particulière. Pour l’autre, qui
répond « oui » et qui a connu pire, n’importe qui pourrait faire son travail, parce qu’il est
décent, et non parce qu’il ne requiert pas de qualification particulière.

Cette question, à propos du travail vécu sur le mode de l’interchangeabilité d’un rouage, avait
été suggérée aux statisticiens par des sociologues qui avaient fait une enquête auprès des
agents de la RATP. Dans l’ensemble, ceux-ci se plaignaient, sans équivoque, de la faible
qualification de leur travail, qui leur donnait l’impression dévalorisante d’être des pions
interchangeables, pour effectuer un travail que tout le monde pourrait faire.

En ce qui concerne les remords des statisticiens, il faudrait signaler l'exclusion de l'analyse –
et donc leur traitement en variables supplémentaires – des questions qui avaient été formulées
de façon différentes aux titulaires d'un emploi stable et aux travailleurs précaires.
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De même, des questions, trop générales et à revoir, sur les aspects importants du travail ont
été traitées en variables supplémentaires, car les statisticiens ne savaient pas si les enquêtés
parlaient de leur travail, dans leurs réponses à ces questions, ou du travail en général.

Les variables supplémentaires permettent de nuancer le rapport subjectif au travail, au moyen


de déterminants mieux objectivés. Cependant, cela aboutit à des paradoxes, qu’il convient de
résoudre par des techniques de régression pour le lissage des données. En réalité, l’utilisation
des variables supplémentaires introduit des effets de structure, difficiles à distinguer des effets
propres des variables.
Ainsi, le retrait des précaires au travail pourrait aussi bien être un effet de structure de la
précarité, qu’un effet propre de la faible qualification des précaires. Le problème est identique
pour les effets d’âge, qui sont difficiles à distinguer des effets de génération, chez les
individus.
Or, les techniques de régression offrent la possibilité de lisser ces effets conjugués.
Ainsi, la régression permet de prédire une variable à partir d’une ou de plusieurs autres
variables. Une régression linéaire trace une droite, qui passe au plus près des observations
d’un nuage de points, et qui sert à faire des prévisions. Dans l’a.c.m. des différentes
composantes du bonheur et du malheur au travail, le nuage des modalités traduisant des
sentiments de plaisir, de satisfaction, de bien-être, de bonheur, est délimité par un cône obtenu
au moyen de la régression linéaire.

Enfin, les questions portant sur le sujet de conversation relatif au travail, avec ses proches lors
de la semaine précédant l’enquête, ont été retirées de la liste des variables actives, car elles
semblaient artificielles après-coup.
Quant aux non-réponses, elles ont donné lieu à des analyses spécifiques.

CONCLUSION de la PARTIE II
Bien que l’enquête « Bonheur et travail » comporte des questions ouvertes, elle n’est pas une
enquête d’opinion sur la fin du travail. En effet, l’INSEE n’est pas un institut de sondages,
comme l’IFOP, TNS Sofres ou BVA.
Les enquêteurs de « Bonheur et travail » ont donc été des sociologues-statisticiens, selon qui
la statistique n’est qu’un outil parmi d’autres pour construire des faits sociaux.
Ainsi, les statisticiens ont modélisé les résultats de l’enquête « Bonheur et travail », au moyen
d’analyses factorielles de correspondances multiples (a.c.m.). Pour cela, ils ont retenu un
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certain nombre de variables. À côté des variables actives, les variables qui n’ont pas été
rendues inactives ont été déclassées en variables supplémentaires.

De plus, les statisticiens ont tenu compte des biais inévitables que cachent certaines questions,
et dont il convenait d’évaluer l’importance, après les avoir identifiés et en avoir découvert
l’origine. L’alternance des questions ouvertes et des batteries de questions, ainsi que
l’alternance du questionnaire et de l’entretien, leur ont permis de faire la part des stéréotypes
sociaux et des avis personnels.
D’ailleurs, dans les réponses positives, dont l’unanimité est suspecte, des difficultés et des
souffrances apparaissent parfois en creux, dans les blancs des non-dits, ou dans certains
indices qui les trahissent. Quand les questions portent sur le malheur, plutôt que sur le
bonheur, les réponses des personnes enquêtées sont plus franches et directes.

Enfin, les statisticiens ont déploré après-coup le manque de pertinences de certaines


questions, qui sont à revoir parce que, mises à l’épreuve sur le terrain, elles ne semblaient pas
concerner certaines catégories socioprofessionnelles. Cela pose le problème délicat de
l’attribution publique des échecs, dans une équipe de chercheurs. Pour faire bonne mesure,
ces échecs sont considérés comme des demi-échecs, qui serviront à améliorer la qualité des
questionnaires futurs.
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CONCLUSION

Le rapport entre bonheur et travail est complexe, ambivalent et contradictoire. Il est varié et
contrasté, entre les catégories socioprofessionnelles, mais sans que le bonheur soit toujours
mécaniquement en haut, et le malheur en bas. Inversement, le fait que plus de la moitié des
personnes interrogées s’estiment satisfaites, et que presque autant de personnes affirment que
joies et peines s’équilibrent, incite les statisticiens à la prudence dans leurs analyses.
D’ailleurs, à la fin, les statisticiens donnent raison au pessimiste Diderot plus qu’à l’optimiste
Helvétius, dans le débat sur les relations entre bonheur et travail, tout en tenant compte du fait
que le débat est formulé d'une façon différente dans la société actuelle.

L’outil d’analyse factorielle des correspondances multiples (a.c.m.) permet de rendre compte,
de manière synthétique, du rapport contrasté que les hommes et les femmes entretiennent avec
le travail, qui est à la fois source de bonheur et source de malheur. Depuis les années 1970, les
transformations de l'économie et de l’organisation des entreprises ont nécessité un
aménagement du travail vers plus d'autonomie, d’engagement et de responsabilité. Cela aurait
pu constituer des motifs de satisfaction pour les travailleurs, malgré l'intensification de leur
travail.

En réalité, le rapport subjectif au travail dépend de facteurs comme les caractéristiques


sociales, et les indicateurs d'intensité et d'autonomie du travail. En principe, l'autonomie
apporte un bonheur qui permet l'acceptation de la pression liée à une augmentation du rythme
de travail. Néanmoins, cette intensification du travail réduit les effets positifs de l'autonomie,
et engendre un sentiment d'injustice, malgré la rémunération matérielle et symbolique du
travail. L'amélioration globale de la situation du travailleur, par le management comme par les
pouvoirs publics, est donc modérée.

De plus, l'intérêt de l'analyse factorielle des correspondances multiples (a.c.m.) est


d'envisager, dans la dynamique d’une trajectoire sociale, les différentes situations de départ,
pour chacun de ses quatre quadrants. Si le travailleur, confronté à des changements dans son
travail, est dans la zone du bonheur, il peut y rester. En pratiquant une attitude de retrait, il
risque de basculer dans la zone du malheur, quand, d’un point de vue qualitatif, la souffrance
l'emporte sur la satisfaction quantitative de l'investissement.
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En outre, l’effet des caractéristiques du travail sur le bonheur dépend de chaque métier. Un
accroissement d'autonomie n'est pas ce qu'attend l'ouvrier non-qualifié, qui demande plutôt
des améliorations en matière de salaire, d’horaires ou d'heures supplémentaires. C’est
pourquoi cet accroissement d’autonomie a un effet quasi-nul sur son degré de bonheur.

En réalité, nous constatons de grandes variations dans le rapport entre intensification du


travail et rapport subjectif au travail, suivant le groupe social des individus.
Ainsi, l'augmentation du temps et du rythme de travail ne semble pas avoir d'effet, en général,
sur le degré de bonheur des cadres et des professions intermédiaires. Par contre, cet
accroissement diminue le bonheur des employés, et impacte fortement celui des ouvriers
qualifiés, tandis qu'il provoque de la souffrance chez les ouvriers non-qualifiés.

Quand le malheur est exprimé, il traduit une position sociale individuelle qui perd son lien
avec une situation d'affiliation à un groupe social. Cela explique que l'individu en situation
d'échec nie les causes sociales de sa souffrance psychologique, parce qu'il continue d'adhérer
aux valeurs de l'ordre établi.
D’ailleurs, la précarité du travail et de l'emploi est encore une autre source de misère ou de
déception pour les enquêtés.
Au demeurant, si l'investissement dans le travail est une vocation pour l'encadrement, celui-ci
est de moins en moins à l'abri d'une crise de vocation, due à la précarité et à l'intensification
du travail, ainsi qu'à la variation rapide des projets dans lesquels il est impliqué.
Il reste que si l'investissement de soi que nécessite l'intensification du travail n'accroît pas le
bonheur lié au pouvoir, à l'esprit d'équipe ou au plaisir de faire quelque chose qui reste, chez
les travailleurs qui ont déjà toutes ces satisfactions, par contre l'intensification du travail
accroît la souffrance de ne pas avoir ces satisfactions, pour les travailleurs qui n’en disposent
pas.

Dans les tendances lourdes de l’enquête, le statut social avec ses différences est déterminant.
Selon leur statut social, les enquêtés n'accordent pas la même place au travail dans le bonheur,
et ils n’atteignent pas au même degré de bonheur dans le travail.
Les catégories sociales disposant d'un capital économique et culturel élevé font du travail une
composante parmi d'autres du bonheur, en recherchant un équilibre entre vie familiale et vie
professionnelle, alors que ces catégories trouvent leur épanouissement dans l'exercice du
travail en soi. Seul le respect du libre-arbitre de leurs enfants les empêche de souhaiter
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prolonger leur bonheur à travers eux. À l'inverse, les plus défavorisés considèrent le travail
comme la condition économique nécessaire de l'accès au bonheur, alors que le travail en soi
ne leur procure pas de satisfaction, et qu’ils n’appréhendent pas le départ à la retraite.

Toutefois, le statut n'explique pas toutes les formes de bonheur et de souffrance au travail.
En effet, dans l'analyse factorielle des correspondances multiples (a.c.m.), les personnes
interrogées, sans être particulièrement privilégiées, peuvent être situées dans le quadrant sud-
ouest des satisfactions liées à l'équité et à l'intégration assurée. Ces personnes bénéficient d'un
emploi stable, d'un salaire équitable et d'une pression modérée du marché ; tout cela favorise
la prévoyance chez eux.
De même, si le bonheur de l'équité est encore partagé par toutes les catégories sociales,
l'ensemble de ces dernières est également affecté par la forme aiguë de la souffrance, à cause
de l'intensification et de la précarité du travail.
Ainsi, l'analyse factorielle des correspondances multiples (a.c.m.) comporte un carré nord-est
des souffrances, qui rassemble des personnes très différentes par leur situation et leur
trajectoire sociale. Dans la dynamique du graphique factoriel, les ouvriers au sud-est, qui
avaient imposé par des résistances collectives leur attitude de retrait vis-à-vis du temps et du
rythme du travail, sont menacés de basculer dans le carré des souffrances au nord-est. Il est
vrai que la frontière est difficile à dessiner, entre quadrant sud-est et quadrant nord-est.
Quant aux professions intermédiaires, situées au nord-ouest, elles prennent conscience que
leur investissement dans le travail n'est plus compensé par une reconnaissance sociale et une
rémunération suffisante. Pour cette catégorie, la distance s’amenuise entre le bonheur du
nord-ouest et le retrait du sud-est, De son côté, le sommet de la hiérarchie sociale n'est plus à
l'abri d'une intégration incertaine, à cause des abus de la réorganisation du travail et de
l'insécurité de l'emploi.

Ainsi, toutes les catégories sociales expriment leur insatisfaction par le sentiment d'être
exploitées, ce qui autrefois était une caractérisation réservée à la condition ouvrière.
Néanmoins, les souffrances au travail sont ponctuelles et dispersées. Elles restent
individuelles, car les personnes interrogées ne disposent pas encore de catégories pour les
penser comme sociales, c’est-à-dire de la même manière que les inégalités sociales. De plus,
les grandes organisations politiques ne prennent plus en charge le malheur social.
Toutefois, il n'est pas exclu que ces critiques individuelles aboutissent à la construction de
nouveaux mouvements collectifs. La féminisation du travail a sapé le culte de la virilité au
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travail, qui acceptait et revendiquait avec fierté les mauvaises conditions de travail du
fordisme et du taylorisme dans le « dirty work », ainsi que le monopole du patronat sur
l'organisation du travail.
D’ailleurs, à l’époque de l’enquête « Bonheur et travail », Pierre Bourdieu a théorisé la notion
nouvelle de peuple intellectuel18.
En effet, l'élévation du niveau de formation et d'études, qui rend possible une qualification
intellectuelle du travail ouvrier, amène les travailleurs à prendre une conscience plus aiguë de
la réalité de leur travail et de ses conditions. L’enquête met en évidence la visibilité nouvelle
du travail aux yeux des travailleurs, qui ont accru leurs capacités intellectuelles, permettant
d'intervenir sur leur travail. À la fin XXe siècle, les travailleurs réactivent la critique
humaniste du travail, de préférence à la critique sociale des mécanismes de l'exploitation. La
critique humaniste, ou critique « artiste » qui repose sur la valorisation de l'épanouissement
par le faire, dénonce la souffrance de l'esprit et du corps des individus au travail. Ainsi, le
désir qualitatif de reconnaissance des travailleurs diffère de la revendication liée à la justice
de la distribution, bien qu'ils puissent se rencontrer. Il semble même nécessaire que la critique
sociale étaye la critique humaniste, car la nouvelle culture managériale tente de récupérer
l'épanouissement au travail, tout en le contraignant par un accroissement de l'intensité et des
contrôles du travail.

18 Cf. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997.


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ANNEXE

Questionnaire de l’enquête

1. La personne Kish est-elle présente pour répondre au questionnaire ? – 1. Oui – 2. Non

–> Si OUI, continuer question suivante

–> Si NON, l’enquêteur prendra rendez-vous avec la personne Kish pour pouvoir
l’interroger lors d’une seconde visite.

2. Qu'est-ce qui pour vous, est le plus important pour être heureux ?
3. Voici une liste de qualités :
Pouvez-vous en citer 4 au maximum (sans ordre d'importance) qui vous paraissent les
plus souhaitables dans la vie en général : – 01. Sérieux – 02. Sens de l'effort – 03.
Honnêteté – 04. Dynamisme – 05. Culture – 06. Humour – 07. Joie de vivre – 08.
Ouverture d'esprit – 09. Intelligence –10. Compétence

Questionnaire actifs (Salariés sous contrat à durée indéterminée ou indépendants)

On parle de votre emploi actuel (principal).

1. Voici une série d'expressions.


Pouvez-vous me dire pour chacune si elle décrit bien votre situation professionnelle
actuelle [OUI/NON] ? – une équipe – une galère – une jungle – une passion – une
course d'obstacles – une impasse – une routine – une aventure
2. Si vous aviez le choix, quelle profession aimeriez-vous exercer ?
3. Les aspects suivants du travail en général, vous semblent-ils importants [OUI/NON] ?
– 1. Sortir de chez soi – 2. Rencontrer des gens – 3. Avoir un revenu – 4. Se sentir
utile – 5. Avoir des horaires qui laissent du temps pour soi et pour sa famille – 6.
Avoir une grande liberté dans son travail
4. Quelle était la profession principale exercée par chacun de vos parents, leur statut et
leur position professionnelle lorsqu'ils avaient votre âge [Père/Mère] ?
• Si l’un de vos parents était retraité, au chômage, ou décédé, donnez sa dernière
profession
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– Profession – Statut professionnel – Grade – Position professionnelle de l'emploi


5. En quelle année avez-vous commencé à travailler dans l'entreprise ou la société où
vous travaillez actuellement ?
6. Quel nombre d'heures de travail effectuez- vous habituellement ?
7. Vos horaires de travail sont-ils : – 1. Les mêmes tous les jours – 2. Alternant (en 2 x 8,
3 x 8, équipes, brigades) – 3. Variables d'un jour à l'autre, déterminés par l'entreprise,
vos responsables – 4. Variables d'un jour à l'autre, déterminés par vous-même
8. Vous arrive t-il de travailler :
a) La nuit : – 1. Oui, plus de 50 nuits par an (1 nuit par semaine ou plus) – 2. Oui, 50
nuits par an ou moins – 3. Non
b) Le dimanche : – 1. Oui, plus de 12 dimanches par an (1 sur 4 ou plus) – 2. Oui, 12
dimanches par an ou moins – 3. Non
c) Le samedi : 1. Oui, plus de 12 samedis par an (1 sur 4 ou plus) – 2. Oui, 12 samedis
par an ou moins – 3. Non
9. Vos horaires sont ils pratiques ? – 1. Oui – 2. Non
10. Combien de temps par jour, mettez-vous pour aller et revenir de votre travail ? (y
compris le temps d'attente des transports, ou les trajets pour accompagner les enfants
à l'école ou sur leur lieu de garde)
11. Combien de semaines de congé avez-vous par an ?
12. Pouvez-vous interrompre votre travail comme vous voulez, pour vous détendre ? (par
exemple pour boire un café, donner un coup de fil, discuter avec des collègues) – 0.
Jamais – 1. Très rarement – 2. À certains moments de la journée – 3. À n'importe quel
moment
13. Devez-vous travailler à un rythme élevé ? – 1. Tout le temps – 2. Plus de la moitié du
temps – 3. Environ la moitié du temps – 4. Moins de la moitié du temps – 5. Jamais
14. Pouvez vous choisir [OUI/NON] : – l'ordre de vos tâches – votre rythme de travail
15. Une erreur de votre part pourrait-elle avoir des conséquences graves [OUI/NON] : 1.
Sur la qualité du produit ou du service – 2. Sur les coûts financiers – 3. Sur la sécurité.
16. Votre travail est-il évalué [OUI/NON/SANS OBJET (indépendant)] : – 1. Par des
entretiens d'évaluation – 2. Par une notation –3. Sur des critères mesurables (chiffres
d'affaires, quantité de pièces produites, ...) – 4. Autres formes d'évaluation
17. Avez-vous sous des personnes sous votre responsabilité hiérarchique ? – 1. Oui – 2.
Non
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18. Est-ce que votre travail vous expose [OUI/NON] ? – 1. À une tension nerveuse
importante – 2. À être trop « les uns sur les autres » – 3. À des bruits qui vous
empêchent d'entendre normalement les autres personnes qui vous parlent à deux ou
trois mètres de distance – 4. Au froid, à la chaleur (en intérieur ou à l'extérieur), ou
aux intempéries – 5. À la saleté – 6. À respirer ou être en contact avec des poussières,
des fumées, des substances dangereuses ou à des radiations – 7. À des postures ou des
mouvements pénibles ou fatigants à la longue – 8. À des risques d'accidents graves
19. Avez-vous le sentiment que ce travail [OUI/NON] : – vous vieillit prématurément –
vous permet de rester dans le coup
20. Utilisez vous personnellement l'ordinateur dans votre travail ? – 1. Oui – 2. Non
21. Par rapport à il y a 5 ans, votre travail s’est-il : – 1. Dégradé – 2. Resté identique – 3.
Amélioré – 4. Vous n'avez pas assez d'ancienneté pour juger
22. Avez-vous connu une ou des périodes de chômage depuis la fin de vos études ? – 1.
Oui – 2. Non, jamais
23. Si oui, quelle a été la durée de votre plus longue période de chômage ?
24. Quelle a été la durée totale de la période de chômage ?
25. Au cours d'une période de chômage [OUI/NON] : – 1. Avez-vous consacré plus de
temps à vos proches (famille, enfants, amis) ? – 2. Avez-vous amélioré votre
formation ? – 3. Avez-vous entrepris des activités que vous aviez envie de faire ?
26. Pour vous, au cours de l'année qui vient :
Le risques de perdre votre emploi (ou de devoir fermer votre entreprise) est-il ? – À
peu près inexistant – Faible – Élevé – Très élevé
La possibilité d'avoir une promotion au sein de votre entreprise (ou d'agrandir votre
entreprise) est-elle ? – À peu près inexistante – Faible – Élevée – Très élevée
27. Si vous perdiez votre emploi actuel, retrouver un emploi au moins équivalent serait-il
pour vous : – 1. Très facile – 2. Plutôt facile – 3. Plutôt difficile – 4. Impossible
28. Quel est le revenu net provenant de votre activité professionnelle ? (primes comprises)
• au mois, ou à l’année, notez l'unité choisie
29. Compte tenu du travail que vous fournissez, diriez-vous que vous êtes : – 1. Très bien
payé – 2. Plutôt bien payé –3. Normalement payé – 4. Plutôt mal payé – 5. Très mal
payé
30. Vous impliquez-vous dans votre travail professionnel ? – 1. Peu – 2. Juste ce qu'il faut
– 3. Beaucoup
31. Pourquoi [OUI/NON] ?
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Si « peu » : – 1. Par manque d'intérêt – 2. Parce que vous privilégiez votre vie privée
Si « beaucoup » : – 3. Pour gagner plus d'argent – 4. Parce que ça vous intéresse –5.
Parce que vous ne pouvez pas faire autrement
32. Seriez-vous ou auriez-vous été heureux que l'un(e) de vos enfants s'engage dans
la même activité que vous ? – 1. Oui – 2. Non
33. Pourquoi ?
• Question ouverte dont la réponse doit être recueillie littéralement
34. Vous arrive-t-il de vous sentir dépassé, de ne pas avoir les compétences pour
accomplir votre travail ? – 1. Souvent – 2. Parfois – 3. Rarement – 4. Jamais
35. Au cours des 6 derniers mois, avez-vous suivi une formation permanente ou des stages
? – 1. Oui – 2. Non
36. Avez-vous, au cours des 6 derniers mois, travaillé à la maison pour votre activité
professionnelle [Non jamais/Rarement/Oui parfois/Oui souvent] : – 1. Le soir – 2. Les
jours de repos, le week-end – 3. Pendant les vacances
37. Si un travail en cours réclame de rester plus longtemps sur votre lieu de travail : – 1.
Vous refusez – 2. Vous le faites parce que vous êtes obligé – 3. Vous le faites parce
que vous allez récupérer ou serez payé en heures supplémentaires – 4. Vous le faites
de plein gré
38. Selon vous, la profession que vous exercez est-elle, en dehors de votre milieu
professionnel : – 1. Généralement bien vue – 2. Appréciée par les uns, critiquée par les
autres – 3. Plutôt mal vue – 4. Pas connue
39. Vous arrive-t-il d'éprouver dans votre travail [OUI/NON] : – 1. La fierté du travail
bien fait – 2. L’impression d'être reconnu à votre juste valeur. 3. L’impression de faire
quelque chose d'utile aux autres
40. Vous arrive-t-il au contraire d’éprouver dans votre travail [OUI/NON] : – 1. Le
sentiment d'être exploité – 2. L’ennui – 3. L’impression que ce que vous faites,
n'importe qui pourrait le faire
41. Je vais vous citer un certain nombre de situations, et vous allez me dire si vous les
rencontrez dans votre travail [OUI (et vous l'appréciez – vous pourriez vous en
passer)/NON (et vous le regrettez – et ça ne vous gêne pas)] : – 1. Travailler dans une
équipe qui s’entend bien –2. Avoir du pouvoir – 3. Faire des choses qui restent – 4.
Être écouté – 5. Travailler à l'extérieur en contact avec la nature
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42. Vous arrive-t-il d'avoir des relations difficiles avec certains de [OUI/NON] : – 1. Vos
chefs – 2. Vos subordonnés – 3. Vos autres collègues – 4. Le public, les clients et en
général les personnes extérieures à l'entreprise
43. Parmi vos amis, y a-t-il des collègues ou des anciens collègues de travail ? – 1. Oui –
2. Non – 0. Sans objet, pas de collègues
44. Vous retrouvez-vous parfois, avec des collègues en dehors de votre travail ? – 1. Oui,
dans le cadre professionnel (comité d'entreprise, association, ...) – 2. Oui, en dehors
de tout cadre professionnel – 3. Non – 0. Sans objet, pas de collègues
–> Si l’enquêté a un emploi à temps partiel : poser la question 45, sinon aller à la
question 48
45. Avez vous des emplois complémentaires ? – 1. Oui, et vous travaillez au moins 39
heures par semaine – 2. Oui, mais moins de 39 heures par semaine – 3. Non
46. Actuellement, souhaitez-vous travailler davantage ? – 1. Oui à temps plein – 2. Oui
sans aller jusqu'au temps plein – 3. Non
47. Pourquoi préférez-vous un temps partiel à un temps plein ? – 1. Pour vous occuper
davantage de votre famille et de vos enfants – 2. Pour des raisons de santé – 3. Pour
vous livrer à d'autres activités
48. Au cours des 6 derniers mois, des tensions ont-elles été provoquées avec votre famille
ou votre entourage, parce que vous vous consacriez trop à votre travail ? – 1. Oui – 2.
Non
49. La semaine dernière, avez-vous parlé avec vos proches de votre travail ? – 1. Oui, un
peu – 2. Oui, beaucoup – 3. Non, pas du tout
50. Si oui, de quel aspect [OUI/NON] ? – De la fatigue du travail – De l'avenir de votre
emploi – Du salaire – Des rapports avec vos collègues – Du contenu de votre travail
(intérêt, difficultés, résultats)
51. Le premier jour de la semaine : – 1. Vous n'avez pas le moral – 2. Vous êtes plutôt
content – 3. C’est un jour comme les autres – 4. C'est le jour le plus dur
52. Parmi vos activités extra-professionnelles régulières, quelles sont celles qui vous
apportent le plus de satisfaction ? [Nom de l'activité] Combien de temps passez-vous à
cette activité ? en : jours ou heures/minutes par J=jour, S=semaine, M=mois,
A=année | Vous exercez cette activité ? – 1. Dans une association – 2. Hors
association, mais en groupe – 3. Seul
53. Faites-vous partie d'une association [– 1. Oui [Quel est votre degré de participation : –
1. Simple adhérent – 2. Participant actif – 3. Vous avez une responsabilité] – 2. Non] :
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– 1. Association ou d'un club sportif ? – 2. Groupement syndical ou professionnel


(association des anciens d'une entreprise, anciens élèves, …) ? – 3. Association
culturelle ou musicale ? – 4. Association de parents d'élèves ? – 5. Association à but
humanitaire, groupe religieux, groupement ou club politique ? – 6. Association de
locataires, de propriétaires, ou syndicat de copropriétaires ? 7. Autres catégories
d’association ?
54. Quelle est votre situation actuelle vis-à-vis de la religion ?
Vous avez : – 1. Ni sentiment d'appartenance ni pratique – 2. Un sentiment
d'appartenance sans pratique – 3. À la fois sentiment d'appartenance et pratique – 9.
Ne sait pas ou ne veut pas répondre
55. Y a-t-il des activités que vous aimeriez faire ou faire davantage, mais que vous ne
pouvez pas faire à cause de votre travail ? – 1. Oui – 2. Non
56. Si oui, lesquelles ?
57. Au travail, avez-vous l'occasion de faire des choses qui vous plaisent et que vous
ne pourriez pas faire ailleurs ? – 1. Oui – 2. Non
58. Si oui, lesquelles ?
59. Quand vous pensez à votre retraite, les propositions suivantes expriment-elles votre
point de vue [OUI/NON] ? – 1. Un repos bien mérité – 2. Une période où l'on risque
de s'ennuyer – 3. L’occasion de commencer de nouvelles activités ou de faire ce qu'on
n'avait pas eu le temps de faire – 4. Une période où l'on risque de souffrir de solitude –
5. Une période où l'on se sent inutile
60. Finalement dans votre travail qu'est-ce qui l’importe ? – 1. Les motifs de
satisfaction – 2. Les motifs d'insatisfaction – 3. Les uns et les autres s'équilibrent
à peu près
61. Et globalement, pensez vous que votre situation professionnelle est : – 1. Meilleure
que celle de votre père/mère lorsqu'il/elle avait votre âge – 2. Équivalente – 3. Moins
bonne – 4. Je n'arrive pas à comparer – 0. Sans objet (père/mère pas connus)
62. Pourquoi ?

Question enquêteur :
Quelles étaient les personnes présentes lors de l'interview [OUI/NON] ? –1. Conjoint – 2.
Enfants – 3. Père/mère – 4. Collègues – 5. Autres

Fin du questionnaire

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