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Cours de sociologie du travail

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Dr BAPES BA BAPES

PLAN DU COURS

Introduction

Chapitre I- Les concepts fondamentaux du cours

Chapitre II- l’Organisation du travail

Chapitre III- Mutations technologiques, crises de l’emploi et qualifications

Chapitre IV- Temps et temporalité au travail

Chapitre V- la communication interne dans les organisations

Bibliographie

1- Almeida N et Libaert.T (2010), La communication interne des entreprises, Paris,


Dunod
2- Bouffartigue Paul, Eckert Henry et al, (1994), Le travail à l’épreuve du salarial, Paris,
l’Harmattan
3- Ferréol gilles et Noreck Jean Pierre. (2000), Introduction à la sociologie, Paris,
Armand Colin.
4- Grant Michel et Bélanger Paul. (1997), Nouvelles formes d’organisation du travail,
Paris, l’Harmattan
5- Kamdem Emmanuel, (2002), Management et interculturalité, Paris, l’Harmattan.
6- Lallement Michel et Al (1994), Travail et emploi, le temps des métamorphoses, Paris,
l’Harmattan
7- Rabier jean Claude (1992), Introduction à la sociologie du travail, Paris, Erasme
8- Zarifian Philippe, (1993), La nouvelle productivité, Paris, l’Harmattan.

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INTRODUCTION GENERALE

D’après Ulrich Beck, dans les sociétés capitalistes actuelles, le travail sous sa forme
marchande est sans conteste le principal facteur d’intégration et de mobilité sociale. C’est à
travers lui en effet, que chaque individu construit un lien avec la société et qu’il se projette par
la même occasion dans celle-ci. C’est dire que le travail ne se limite pas à un simple rapport
de production, il est aussi un moyen d’accomplissement de soi-même.

Depuis longtemps, le travail a dépassé « la sphère de l’atelier », pour devenir un


« objet de controverse idéologique et politique », voir un enjeu de société. C’est donc un
phénomène complexe et difficilement saisissable, que la sociologie s’attèle à décrypter depuis
plus de 90 ans. En effet, sur la base d’une multitude de perspectives théoriques et
méthodologiques, la sociologie du travail a accumulé une masse critique de connaissances
qui donne du sens à l’acte productif. Par conséquent, cet enseignement comporte deux
objectifs majeurs :

- Initier l’apprenant non sociologue au raisonnement sociologique appliqué à la


question du travail
- Fournir à l’apprenant des grilles de lecture du comportement de l’homme au travail

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Chapitre I LES CONCEPTS FONDAMENTAUX DU COURS


L’objectif de ce chapitre est de cerner des concepts ou plus simplement des expressions
dont la place est centrale dans ce cours. Définir un concept c’est savoir ce que parler veut dire
selon l’expression de Michel Foucault ; aucune activité scientifique sérieuse ne peut d’ailleurs
faire l’économie d’un cadrage sémantique, pour la simple raison que les concepts transportent
une histoire et traduisent les processus sociaux que le sociologue veut expliquer.

A. LA SOCIOLOGIE DU TRAVAIL

Ainsi que le démontrent les travaux de Jean Claude Rabier, la sociologie du travail
est une dérivation de la sociologie industrielle, elle-même née aux Etats-Unis dans les années
1920 à partir des travaux d’Elton Mayo. Cette sociologie industrielle, très proche de
l’expertise psychosociologique s’intéressait essentiellement à l’effet des conditions de travail
sur le rendement ouvrier dans le secteur de l’industrie.

Le premier traité de sociologie du travail francophone a été publié en 1962 dans le


sillage des recherches de Georges Friedman et Pierre Naville. Cette œuvre majeure s’est
notamment appuyée sur une critique de la sociologie industrielle d’Elton Mayo jugée
triplement réductrice. En effet, d’abord pour Friedman, cette sociologie est très peu critique
vis-à-vis des pratiques patronales. Ensuite, elle considère l’entreprise comme un vase clos
négligeant ainsi l’influence du hors travail dans le rendement ouvrier. Enfin, elle réduit le
travail au seul secteur de l’industrie alors même que celui-ci se déploie dans d’autres secteurs
comme le primaire et le tertiaire.

Dans cette nouvelle optique, la sociologie du travail se définit comme « l’étude sous
leurs divers aspects, de toutes les collectivités humaines qui se constituent à l’occasion du
travail » (Jean Claude Rabier). Si l’on considère avec Pierre Naville ou encore Alain
Touraine, que le travail est l’action par laquelle chaque société produit son propre
développement, alors la sociologie du travail peut être envisagée comme la branche centrale
de la sociologie, ou tout au moins celle qui appréhende la production de la société sur elle-
même.

Comme toutes les formes de sociologie, la sociologie du travail se déploie selon trois
niveaux d’appréhension du social :

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- Le niveau macrosociologique qui implique l’étude des formes de régulation du


travail et de l’emploi (politiques publiques, structures sociales,….)
- Le niveau méso-sociologique qui met en lumière le fonctionnement des
organisations, les pratiques managériales, les cultures d’entreprise, etc
- Le niveau microsociologique ou sociologie du travailleur, qui s’intéresse au
rapport de sens du travailleur, à ses trajectoires professionnelles, aux stratégies
qu’il met en œuvre, etc.

Au niveau épistémologique, la sociologie du travail apparaît comme une science


transdisciplinaire qui intègre autant les apports de l’économie du travail, que ceux de la
psychologie du travail. Le travail et l’emploi sont en effet des objets multidimensionnels, qui
ne peuvent s’appréhender qu’à travers une sorte d’épistémologie des transports, pour
emprunter au philosophe Michel Serres.

B. LA DUALITE TRAVAIL / EMPLOI

À en croire Jean Claude Barbier, le couple travail/ emploi fait partie de ces concepts
polymorphes qui suscitent la controverse, tant leur utilisation est différente ou indifférenciée
selon que l’usager est scientifique ou acteur social.

C’est en 1979, au détour de l’étude d’une grève d’ouvrières que Margareth Maruani
note ce qui lui apparut alors comme un paradoxe. En effet, toutes les ouvrières interrogées
faisaient la grève pour conserver leur emploi, alors qu’en même temps elles dressaient un
portrait sombre de leur travail, qu’elles n’aimaient manifestement pas. Maruani en est alors
arrivée à la conclusion selon laquelle le travail et l’emploi renferment deux réalités distinctes,
puisque l’on peut tenir à son emploi et rejeter son travail en même temps.

En 1993, après plusieurs années de réflexions sur le sujet, Margareth Maruani et


Emmanuelle Reynaud finissent par proposer une distinction, qui semble aujourd’hui encore la
plus pertinente.

Le travail se définit selon elles comme l’activité concrète de production et l’ensemble


de ses conditions d’exercice, alors que l’emploi est la traduction du travail en termes de statut
et de rôle pour un individu ou un groupe professionnel. Autrement dit, pendant que le travail
renvoie à un acte productif, l’emploi quant à lui apparaît comme une valeur économique,

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sociale et juridique, qui donne accès au marché du travail et qui se concrétise selon Sabine
Erbes Seguin dans le contrat de travail.

L’indistinction historique entre les deux concepts a été entretenue pendant des
décennies par la monopolisation de la question de l’emploi par les économistes et à l’inverse
par celle du travail par les sociologues, d’où pour Maruani, l’urgence de l’émergence d’une
sociologie de l’emploi distincte de la sociologie du travail.

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Chapitre 2 L’ORGANISATION DU TRAVAIL

L’organisation du travail peut être entendue comme l’ensemble des principes qui président
à la rationalisation du processus de production. L’intérêt scientifique porté à l’organisation du
travail est parti des répercussions managériales et sociales de l’organisation scientifique du
travail théorisé par l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor. Du point de vue de
l’histoire de la sociologie du travail la thématique de l’OST est celle qui a inspiré les
chercheurs de la première heure tels Georges Friedmann, Alain Touraine, etc. Cette partie du
cours portera donc non seulement sur un exposé des principes du taylorisme et de ses
répercussions, mais aussi sur les formes contemporaines de l’organisation du travail.

A- La genèse de l’OST ou le passage de l’artisanat à l’industrie capitaliste

Avant le 18eme siècle qui a consacré le développement du capitalisme industriel, la


production des biens marchands s’effectuait au sein des corporations artisanales. Dans le
système artisanale, le maitre artisan était le centre de toutes les activités c'est-à-dire de la
fabrication des pièces jusqu’à leur commercialisation. Il était le détenteur de l’ensemble du
savoir-faire inhérent à la production qu’il transmettait à ses apprentis. Ceux-ci lui devait
obéissance et fidélité jusqu’à la fin de leur formation. Avec le développement massif de
l’industrie les artisans dont la capacité de production était faible ont été contraints pour la plus
part de devenir des employés dans les manufactures. Certes ils avaient perdu de leur prestige
d’antan, mais ils étaient toujours les seuls possesseurs du savoir-faire. Par conséquent ils
étaient incontournables et en profitaient pour freiner le travail lorsqu’ils étaient en désaccord
avec la direction. Selon Marglin c’est pour briser la figure de l’ancien artisan devenu ouvrier
de métier que Taylor va mettre sur pied l’OST et marquer ainsi la rupture définitive entre
l’artisanat et l’industrie capitaliste.

B- Les principes de l’OST

Selon Guy Caire l’OST comporte trois principes de gestion :

- Une division du travail qui consiste à fragmenter les taches au maximum, mais
surtout à séparer la conception et l’exécution des taches. L’objectif officiel de cette
division du travail était de rendre le travail plus fluide et mieux contrôlable, mais

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le but véritable et inavoué de l’opération était de déposséder les ouvrier de métier


de leur savoir-faire et de le transférer aux cadres ;
- Le Principe du « one best way » selon lequel il existe une manière optimale de
réaliser une tâche. À Partir de plusieurs exercices chronométrés, Taylor
sélectionne les gestes les plus pratiques et les consigne pour qu’ils soient enseignés
et qu’ils servent de référence à l’ensemble des ouvriers ;
- Un mode de rémunération fondé sur l’exécution de la tâche qui produit plus de
motivation chez l’ouvrier et rend justice à ses efforts. Par la même occasion, le
patron bénéficie de ce mode de rémunération qui minimise le coût de la
production.

C- Grandeur et décadence du taylorisme

À partir de sa mise sur pied dans les industries jusqu’à la fin des années 1960, l’OST a
connu un succès considérable auprès des dirigeants d’entreprise, qui y voyait un moyen
efficace pour contrôler la production et réaliser des gains financiers. À la suite de Taylor,
Henri Ford a transformé avec beaucoup de succès l’OST en un contrat social qui a structuré
les relations patronat/salariat pendant les trente glorieuses. Il s’agissait en gros d’octroyer des
salaires conséquents aux ouvriers impliqués dans la production en série, pour qu’ils élèvent
leur niveau de vie et deviennent à leur tour des consommateurs proches de la middle class
américaine. Cet embourgeoisement de la classe ouvrière a eu pour conséquence de rétablir
une paix provisoire dans les usines, et par la même occasion d’affaiblir la lutte des classes.
Cet arrangement tacite entre le patronat et les catégories ouvrières est aujourd’hui appelé le
compromis fordiste puisqu’il est analysé à postériori comme un véritable phénomène de
régulation politique.

Mais au-delà de l’innovation managériale que le taylorisme et ses prolongements fordistes


ou Fayolistes ont pu traduire, il n’en reste pas moins que l’OST devenait de plus en plus
obsolète au regard de l’évolution des valeurs humaines et des nouvelles exigences de
l’économie moderne. Paul Bélanger ou encore Michel Lallement distinguent trois secousses
socioéconomique qui ont ébranlé l’OST :

- Une crise du travail ouverte dès la fin des années 1960 : celle-ci est
symptomatique des problèmes humains que l’OST pose. L’OS figure caricaturale

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du taylorisme est dépossédé de tout savoir faire, il subit les cadences de travail, le
bruit et la fatigue. La division extrême du travail ou plutôt son émiettement comme
dirait Georges Friedmann, entraine une monotonie et une aliénation de l’ouvrier au
profit des bénéfices financiers. Des contestations parfois violentes et des turn over
inhérents aux méfaits de l’OST ont eu lieu dans plusieurs pays occidentaux,
conduisant ainsi à des réflexions profondes sur la qualité du travail ;
- Une reconfiguration de la consommation et de la concurrence : Le taylorisme a
prospéré à une époque où la production en masse des biens standardisés était de
mise. Avec la mondialisation, les entreprises doivent de plus en plus satisfaire des
besoins diversifiés. Dans ce contexte, il faut réorganiser le travail sur la base de la
flexibilité et de la qualification des travailleurs, pour être en avance sur la
concurrence ;
- Le développement de la technologie : l’OST est un instrument plus adapté à la
mécanisation qu’aux nouvelles technologies de l’information. L’usage de ces
nouveaux équipements fait de la coopération et de la polyvalence des qualités
nécessaires, alors que l’OST poussait à l’isolement du travailleur.

D- La réorganisation du travail ou le paradoxe du post taylorisme

La crise multidimensionnelle de l’OST a entrainé à partir des années 1970 l’apparition


d’une multitude de modèles d’organisation du travail, tous se voulant plus raffinés que les
méthodes tayloriennes. Plusieurs études empiriques ont cependant montré que les procédés de
l’OST survivent de manière insidieuse dans ce qu’il convient d’appeler avec Michel Grant et
Paul Bélanger les nouvelles formes d’organisation du travail

1- Les renouvellements contemporains de l’organisation du travail

Plusieurs modèles d’organisation du travail, les uns plus hétéroclites que les autres se
dégagent aujourd’hui de l’entreprise dite moderne. La diversité de ces modèles tient à leur
caractère énactif, c'est-à-dire à leur ancrage dans des cultures de gestion et des contextes
économiques souvent différents. Il est cependant possible de dégager deux grandes lignes de
force qui structurent ces nouvelles orientations managériales à savoir, les principes de
flexibilité et de qualité.

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Partant du fait que l’OST a pêché par sa rigidité à la fois dans la direction des hommes et
dans la gestion des processus de production, les nouvelles formes d’organisation du travail
insistent sur une nécessaire flexibilisation de l’ensemble du système productif. Cette
flexibilisation se traduit primo, par une polyvalence des travailleurs ce qui suppose leur
requalification permanente à travers la formation professionnelle continue ; Claude Dubar a
d’ailleurs montré à suffisance l’intérêt de cette pratique dans la construction d’un lien social
durable entre l’entreprise et le travailleur. En outre, le chantier de la flexibilisation passe aussi
par le contrôle de ce que Cohendet appelle la complexité en entreprise. Concrètement cela
suppose l’intégration et la maitrise des nouvelles technologies, une circulation optimale des
flux d’information, une participation active des travailleurs et enfin une maitrise de
l’environnement de l’entreprise (la sous-traitance, la concurrence, la régulation
institutionnelle, etc.). À titre d’illustration, le modèle de la firme J (firme japonaise) d’Aoki
fut le premier modèle post-taylorien à intégrer la donne de la flexibilité. Par opposition au
modèle de la firme A, ce modèle ancré dans la culture de la famille japonaise met un accent
non seulement sur la coopération entre toutes les catégories intervenantes dans l’entreprise,
celle-ci étant considérée comme un patrimoine mutuel, mais aussi sur une structure de
commandement décentralisée qui a pour objectif de fluidifier la circulation de l’information.

En outre, la démarche qualité apparait aujourd’hui comme un paradigme majeur de


l’organisation moderne du travail. Selon l’Association Française des Cercles Qualité
(AFCERQ), la démarche qualité peut se définir comme « un ensemble de principes et de
méthodes organisés en stratégie globale visant à mobiliser toutes les ressources de
l’entreprise pour obtenir une meilleure satisfaction du client au moindre cout ». Autrement
dit, la démarche qualité implique d’organiser la production autour de la figure centrale du
client, considérée dans cette perspective comme le véritable patron de l’entreprise. Cette
innovation incarnée aujourd’hui par la norme ISO, induit moult conséquences dans
l’organisation du travail, et notamment en matière de gestion des ressources humaines. En
effet, selon Pierre Hogue, pour relever le défi de la démarche qualité il faut mettre en place
une stratégie fondée sur les éléments suivant :

- Le travail d’équipe ;
- Une responsabilisation accrue des travailleurs ;
- Une politique de rémunération incitative fondée sur la reconnaissance des
compétences, mais surtout sur des salaires et des avantages au-dessus du marché ;
- Une évaluation qualitative du rendement ;

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- Une stratégie de domination de la concurrence par l’innovation ;


- Une formation intensive, etc.

In fine, dans cette démarche, la qualité du produit est liée à la qualité des hommes qui
interviennent dans la production ; c’est pourquoi la démarche qualité est avant tout une
culture d’entreprise tournée vers l’excellence.

2- Nouvelles formes d’organisation du travail et rémanences tayloristes

S’il est indéniable qu’il existe une véritable dynamique de renouvellement de


l’organisation du travail dans la monde des entreprises, il serait par contre hâtif de conclure à
la fin de l’OST. En s’appuyant sur plusieurs enquêtes empiriques en entreprise Danièle
Linhart (1994) affirme ceci : « il est apparue que dans le champ de l’organisation du travail,
une forte distorsion s’installait entre le discours et les pratiques ; le discours véhicule l’idée
d’une évolution plutôt radicale, alors que les pratiques révèlent dans la plupart des cas une
inertie quant aux principes tayloriens fondamentaux. » La survivance latente de l’OST peut
s’expliquer de deux manières. Premièrement sortir de l’OST en adoptant un nouveau modèle
implique de prendre des risques dont rien ne garantit le résultat. Il faut dire que la plupart des
modèles post tayloriens sont toujours en voie d’expérimentation de ce fait, les véritables
contours de leur applicabilité restent à définir. Deuxièmement, beaucoup de nouveaux
modèles cachent au fond des principes tayloriens latents. En effet, comment interpréter la
pratique des rémunérations incitatives dans la démarche qualité autrement que comme une
incitation à travailler plus pour gagner plus déjà présente chez Taylor. Au regard des faits, la
flexibilité ne signifie en rien la fin des cadences effrénées de travail, notamment dans le
modèle japonais où le temps concret de travail est l’un des plus élevé au monde. Au final,
l’OST apparait comme un phœnix organisationnel qui renait de ses cendres à chaque fois
qu’on le croit mort.

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Chapitre 3 DEVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE, CRISE ECONOMIQUE ET


QUALIFICATIONS AU TRAVAIL

Le thème de la qualification au travail est un des centres d’intérêt majeur de la sociologie


du travail. En effet, à partir du moment où le travail sort de la sphère domestique ou ludique
pour intégrer la sphère marchande, la qualification au travail devient un enjeu de performance
et de sélection des travailleurs. Objet de conflit entre les syndicats et le patronat, mais aussi
entre le système éducatif et les entreprises, la question de la qualification en appelle
également à un arbitrage politique surtout dans un contexte de démocratie. Mais au fond, si
l’enjeu de la qualification suscite autant de controverses dans l’espace public comme dans la
communauté scientifique, c’est parce qu’elle est au centre de l’histoire économique des
sociétés dites capitalistes. C’est pourquoi dans cette partie de notre cours, notre objectif sera
non seulement de cerner la notion de qualification au travail, mais aussi et surtout de mettre
en exergue les mutations sociales qui entrainent sa reconstruction permanente.

A- Essai de définition
1- La qualification : entre substantialisme et relativisme

Il faut rentrer dans l’histoire de la sociologie du travail en France pour retrouver les
premières tentatives de définition de la qualification. Deux conceptions divergentes de cette
notion opposent dès les années 1962 Georges Friedmann et Pierre Naville.

Dans une approche dite substantialiste, Friedmann pense que la qualification renvoie au
contenu du poste de travail. D’après cette thèse, ce sont les objectifs et les contraintes liées au
poste de travail qui déterminent les qualités nécessaires à un travailleur pour occuper le dit
poste. La qualification se mesure donc essentiellement sur la base des aptitudes techniques,
mais elle souligne aussi la nécessité d’une adéquation entre la formation initiale et l’emploi.
Néanmoins, selon Alain Touraine qui se situe dans le sillage cette approche, il est important
d’ajouter à la qualification technique une qualification sociale ; celle-ci renvoie notamment à
des traits de personnalité reconnus comme indispensables à la réalisation des tâches. La

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notion de qualification sociale de Touraine apparait à postériori comme le premier jalon du


concept de compétence qui interviendra quelques décennies plus tard.

Cependant, Pierre Naville dans une posture dite relativiste s’oppose à la conception
substantialiste qu’il juge « naïve ». D’après lui, derrière la notion de qualification se cache un
rapport de force inégal entre le patronat et le salariat. L’estimation technique de la
qualification est en fait une estimation du coût économique du poste que l’employeur tente de
minimiser, pendant que les salariés tentent au contraire de le majorer. Au fond pour Naville,
l’enjeu de la qualification c’est la définition de la valeur économique mais surtout sociale du
travail. L’approche de Naville a longtemps été mésestimée et dominée par celle de Friedman.
Cependant, depuis la fin des années 1980, elle revient au goût du jour et plusieurs travaux
tentent de la réconcilier avec la posture substantialiste.

2- La qualification comme convention sociale

Par-delà la querelle qui opposait Friedmann et Naville, plusieurs recherches économiques


et sociologiques, soulignent la complémentarité des exigences du poste de travail et du
rapport social pour définir la qualification. Selon Michel Lallement, Aujourd’hui la
qualification se conçoit comme une convention sociale. Cette convention peut être entendue
comme un arrangement pragmatique entre les partenaires sociaux afin d’établir un lien entre
les qualités requises pour un emploi (diplôme, expérience) et la valeur économique, sociale, et
symbolique accordée à cet emploi.

B- Mutations technologiques et qualification au travail

Depuis plusieurs décennies, l’impact du développement technologique sur le


fonctionnement de l’économie est l’objet de plusieurs thèses souvent contradictoires. Une
première polémique autour de l’impact de l’automatisation oppose d’un côté, la thèse
pessimiste représentée actuellement par Jerémy Rifkin, qui démontre que la technologie a
pour corollaire la fin du travail, et de l’autre côté, une thèse optimiste amenée par Alfred
Sauvy, qui soutient que le développement technologique a pour conséquence la création
massive de nouveaux emplois. Une controverse de nature similaire existe concernant l’effet
de la technologie sur la structure des qualifications.

1- Le développement technologique comme processus de déqualification

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Au départ, la sociologie du travail dominée par les travaux de G Friedmann pose un


regard pessimiste sur l’évolution technologique et ses effets sur le système de qualification
ouvrière. L’émergence des machines doublée d’une organisation du travail taylorienne
dépossède progressivement les ouvriers de tout savoir-faire. La contribution des machines
dans la production s’accroit pendant que celle des travailleurs décroit. Pour Friedmann, le
retrait de l’intelligence humaine au profit de la mécanisation consacre « la dé-
spiritualisation » du travail. Dans le même ordre d’idées, Braverman souligne que la prise de
contrôle de la machine dans l’usine est en fait une reprise du contrôle patronal sur le
processus de production. Dans cette optique, la privation de la connaissance et de la
qualification à travers la mécanisation n’est en fait qu’une suite logique de la volonté de
puissance du capital. Michel Freyssinet, autre continuateur de l’école Friedmanienne, observe
quant à lui, un double processus de déqualification/surqualification suite à l’introduction des
nouvelles technologies dans les entreprises. En effet, s’il est vrai que les progrès techniques
ont entrainé une déqualification des ouvriers, en revanche, ils ont provoqué une
surqualification du personnel d’encadrement, nouveau détenteur du savoir-faire dans
l’entreprise. La polarisation des qualifications correspond certes à une volonté de contrôle de
l’employeur, mais elle correspond surtout pour Freyssinet à une stratégie de réduction des
coûts de production.

2- Développement technologique et nouvelles formes de qualification

A l’opposé des thèses de la déqualification, Alain Touraine et Pierre Naville voient dans le
développement de la technologie le déclin du travailleur traditionnel et en parallèle
l’apparition d’une nouvelle figure ouvrière à savoir l’opérateur. Cet ouvrier se distingue par la
relation intelligente qu’il noue avec la machine. Il s’agit d’une relation fondée sur la
programmation et le contrôle des activités de la machine. Pour Naville : « Entre l’homme et
l’outillage s’intercale une fonction symbolique, une relation d’information et de
communication » en comparaison à l’OS, l’opérateur est donc forcément plus qualifié, il est
capable de décrypter une information et de réagir en fonction de la dite information. En
définitive, dans cette approche, le développement technologique est perçu de manière
positive, puisqu’il conduit progressivement à l’amélioration de la condition ouvrière.

3- La synthèse du débat : vers la remise en cause du déterminisme technologique

Les deux approches exposées plus haut sont apparemment contradictoires, mais elles ont
en commun un présupposé celui du déterminisme technologique. Autrement dit, elles

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attribuent au développement technologique la paternité de tous les changements qui traversent


l’entreprise capitaliste.

Les nouvelles approches de la qualification relativisent l’impact direct de la technologie,


elles mettent plutôt en exergue les facteurs sociaux comme déterminant majeur de la
qualification. Selon Rachel Silvera, la structure des qualifications est plus liée aujourd’hui à la
contingence politique, culturelle et économique de chaque pays. Les logiques qui président à
la qualification sont plurielles et contextuelles, elles résultent des conflits et des accords entre
partenaires sociaux. Ces accords tiennent certainement compte des exigences technologiques,
mais ils ne s’y limitent pas. Le développement technologique est certes pour beaucoup dans
l’amélioration des critères de qualification qu’on observe dans l’entreprise moderne, mais la
prise en compte de facteurs parallèles nous conduit à adopter le concept de « déterminisme
technologique doux » avec Adler, pour désigner l’impact relatif de la technologie sur la
qualification.

C- DE LA QUALIFICATION A LA COMPETENCE

Plus qu’un simple concept, la qualification est un phénomène social et en tant que tel elle
est affectée par les mutations socioéconomiques qui traversent les sociétés capitalistes. Les
différentes crises économiques qui se sont succédées depuis les chocs pétroliers de 1970 ont
conduit à une complexification de la qualification qui s’est traduite par l’apparition d’un
nouveau concept en entreprise, à savoir la compétence.

1- Le contexte historique d’émergence de la notion de compétence

L’émergence du concept de compétence en entreprise est intimement liée aux trente


glorieuses, puis à la décadence économique qui s’en est suivie. Au regard de la croissance
économique d’après-guerre, les entreprises et l’Etat absorbaient la quasi-totalité des
diplômés pour assurer une production soutenue. Dans cette perspective, l’insertion
professionnelle était pratiquement assurée à la sortie de l’école. C’est à cette époque que
le terme adéquation formation-emploi est apparu, pour témoigner du lien étroit qui existait
entre les enseignements scolaires et le système de qualification des emplois dans les
entreprises.

Cependant, dès le début des années 1970, les différentes crises qui se sont succédées en
Occident ont mis fin à trente années de boom économique. Les difficultés économiques
des entreprises ont entrainé des gels de recrutement, des licenciements massifs et une

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précarisation croissante du travail et de l’emploi. La conséquence immédiate de ce


traumatisme historico-économique, fut la complexification des critères de sélection pour
accéder à un emploi ou pour le conserver. Pour le demandeur d’emploi la compétitivité
devient le maître mot, le crédo pour se distinguer des milliers de concurrents qui frappent
également à la porte de l’entreprise. Pour le salarié, il devient urgent de développer son
employabilité pour échapper aux licenciements, ou pour trouver un autre emploi le cas
échéant. Pour l’employeur, il devient impérieux de savoir sélectionner les meilleurs
candidats face à toutes les sollicitations qui l’interpellent. Dès lors, selon Claude Dubar,
la qualification qui renvoie essentiellement au diplôme devient inopérante, les employeurs
lui substitue donc le concept de compétence qui implique : « une expérience
professionnelle en plus des qualités personnelles : autonomie, sens des responsabilités,
engagement pour l’entreprise ». In fine, au plan historique, l’émergence du concept de
compétence est l’indicateur d’une rupture sociétale entre l’école et l’emploi, puisque
désormais le diplôme n’est plus une garantie pour trouver un emploi, il est même parfois
« une voie de garage » selon Ulrich Beck.

2- La compétence comme forme de réhabilitation du travailleur

Malgré le fait que le concept de compétence soit apparu dans un contexte de


raréfaction de l’emploi, il traduit néanmoins un intérêt de l’employeur pour le travailleur
et sa valeur intrinsèque. En effet, il faut se souvenir que pendant l’âge d’or de l’OST,
c’est le poste qui définissait le travailleur ce qui donnait lieu à une vision très simpliste
voire mécaniste de ce dernier. Avec la notion de compétence (combinaison du savoir, du
savoir-faire et du savoir-être), ce sont les capacités d’initiative, d’acquisition permanente
des connaissances, d’adaptation à la culture d’entreprise qui sont mises en avant pour
sélectionner les travailleurs. Aujourd’hui, les recruteurs privilégient non plus simplement
quelqu’un qui sache exécuter des taches, mais plutôt celui qui possède une vision de son
métier et de la meilleure manière de le pratiquer.

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Chapitre III - TEMPS ET TEMPORALITÉS AU TRAVAIL

Selon Didier Demazière, le temps de travail fait aujourd’hui son retour dans les sciences
sociales. Après l’époque où la problématique du temps de travail ne s’inscrivait que dans
l’analyse de la lutte des classes, on assiste désormais à une insertion du temps dans les débats
sur la performance des organisations. Dans le management moderne, la gestion du temps
s’intègre autant dans l’organisation du travail que dans la construction d’une culture
d’entreprise. Pourtant selon les observations d’Emmanuel Kamdem, en Afrique, la question
du temps reste encore une « terra incognita » managériale, alors que manifestement le rapport
au temps dans les organisations est une source manifeste de dysfonctionnement.

A- De la philosophie du temps à la sociologie des temporalités

Si l’on s’en tient à l’histoire de la pensée, le temps a toujours constitué l’un des domaines de
prédilection de la philosophie. La première réflexion de fond sur le temps remonte à Aristote
et sa philosophie du temps cosmologique. La conception du temps comme externalité qui a
découlé de cette approche a été battue en brèche plus tard par la théorie du temps
psychologique de Saint-Augustin, puis par la théorie du temps transcendantal d’Emmanuel
Kant (sensibilité, intuition, je suis dans le temps et le temps est en moi).

Dans ce qu’il désigne comme l’aporétique de la temporalité en philosophie, Paul Ricœur


met en exergue les paradoxes de ces approches, qui divisent selon lui le temps en deux pôles
radicalement opposés, à savoir le temps comme objectivité opposé au temps comme
subjectivité. Ce n’est finalement qu’avec Martin Heidegger et sa phénoménologie heuristique
que la philosophie du temps va prendre une tournure résolument moderne. Pour ce dernier en
effet, il existe trois dimensions du temps qui vont du plus profond au plus superficiel, il
s’agit :

- Le temps existential, qui désigne le temps pendant lequel l’homme pose un regard
réflexif sur lui-même, sur ses origines, sur son avenir, et sur sa fin prochaine. C’est

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le temps où l’homme s’assume en tant que (Zum tod sein), c'est-à-dire un être pour
la mort ;
- Le temps historique : c’est le temps qui se déploie entre la naissance et la mort.
pendant cette période l’homme se construit une identité sur la base de ses relations
avec les autres hommes. C’est également une période de transmission des
héritages culturels et de répétition des névroses collectives comme dirait Green. En
d’autres termes, il s’agit bien de ce qu’on pourrait appeler le temps social ;
- Le temps vulgaire qui correspond à ce que la société comporte de plus superficiel.
c’est le temps des médias, de l’argent, le temps pendant lequel l’homme se
consacre aux mondanités et au travail marchand. C’est le temps système selon les
termes de Jean Chesnaux, c'est-à-dire, le temps de l’ordre dominant à la fois
jouissif brutal et liberticide.

Au-delà de sa dimension morale, la philosophie de Heidegger, a largement contribué à


sortir le temps de l’unilatéralisme intellectuel dans lequel les premières approches l’ont
enfermé. Le temps chez Heidegger apparait comme une pluralité, un tout complexe dans
lequel plusieurs logiques sociales s’enracinent (temps historique). L’auteur de Sein und Zeit a
donc réussi à ouvrir une brèche qui a permis aux sciences sociales et notamment à la
sociologie de passer du temps aux temporalités.

B- Temps et temporalités : essai de définition

Le temps peut se définir comme un espace infini et abstrait, matérialisé et mesuré par des
balises et conçu par les êtres humains comme ayant une influence sur leur vie. Le langage
courant regorge en effet, d’expressions qui montrent à suffisance que le temps est vécu
comme un acteur de l’existence humaine (« le temps résout tous les problèmes », « on vieillit
avec le temps »), voire comme une sorte de régulateur invisible, parfois mystique de la vie
sociale. Le temps ne peut donc pas se définir en dehors d’une dialectique avec l’esprit humain
qui lui donne tout son sens.

Cependant, ainsi que Heidegger l’a remarqué, le temps est loin d’être une réalité univoque,
il comporte plusieurs dimensions qui s’interpénètrent, il revêt une pluralité de sens et surtout
il s’enracine dans des espaces culturels variés. La notion de temporalité traduit ainsi un
ancrage du temps dans chaque société et dans les différentes formes d’activités qui lui sont
propre. Selon Claude Dubar, les temporalités « ont une origine collective, elles sont plurielles
comme le sont les groupes humains qui les produisent par leur action, et elles sont sources

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d’intelligibilité des phénomènes humains ». Les temporalités sont au final des constructions
sociales du temps rythmées par les croyances, les pratiques et les modes de production d’un
groupe social.

Pour illustrer la dépendance du temps vis-à-vis du contexte social, examinons avec


Emmanuel Kamdem quelques conceptions traditionnelles du temps dans deux groupes
sociaux camerounais. Dans la tribu Bayangam de l’ethnie Bamiléké le temps est rythmé par
les mouvements du soleil (Ndo Nzu, Thoueng Boua Nzu), mais surtout par les activités
rituelles et agricoles (Nzeu Nzeu premier jour de la semaine consacré à certaines activités
rituelles ; Ngo Soueu jour ordinaire consacré aux activités agricoles et commerciales, Tam
Nzeu jour ordinaire consacré aux manifestations publiques comme les danses et les
funérailles ; Thoueu So Guin février et jachère). Chez les Bassa le temps est un « éternel
hier » selon l’expression empruntée à Max Weber, c’est à dire une référence permanente au
passé comme le traduit l’expression « Yani », ou encore les multiples références au passé
glorieux des ancêtres dans les contes et les mythes. Ce passéisme latent observé chez les
Bassa comme chez d’autres ethnies africaines fait d’ailleurs dire à Etounga Manguelle que
l’africain vit dans un éternel recommencement qui l’empêche manifestement de planifier le
futur et de s’adapter au temps de la production industrielle.

C- Sociologie du travail et temporalités industrielles

La sociologie du travail d’après-guerre s’est abondamment nourrit de travaux dont la trame


de fond repose sur une critique du temps industriel. Avec la montée de la production de
masse, le temps de travail marchand s’est progressivement imposé comme un temps
dominant. En outre, dans une société où le travail salarial apparait comme le moteur de
l’intégration et de la mobilité sociale, le temps consacré à la production devient coercitif au
point de rythmer les temps sociaux. Comme Grossin l’a si bien remarqué, les temps hors
travail n’ont pas d’autres choix que de se loger dans les espaces inoccupés par le temps
professionnel. Une concurrence insidieuse s’est d’ailleurs progressivement installée entre le
temps industriel et les temps pour soi. Dans cette perspective, le temps réservé aux loisirs
devient un objet de lutte entre employeurs et salariés. Ce conflit pour le recul du temps de
travail et la conquête du temps des loisirs cache en réalité une opposition idéologique entre les
ultras libéraux et toutes les tendances socialistes et marxistes. Pour le patronat, la diminution
du temps de travail représente une gageure et un danger pour la production alors que pour les

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syndicats, le loisir est une manière d’échapper à la contrainte salariale pour se consacrer à soi-
même.

D - La dialectique des temporalités dans l’entreprise africaine

Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, la question du temps au travail est loin
de donner lieu à un consensus social entre employeurs et salariés. Cependant, contrairement à
l’Occident où la dialectique autour du temps de travail est essentiellement tournée vers le
durcissement ou la flexibilisation des horaires, en Afrique, la problématique du temps de
travail se situe autour de l’adhésion aux principes du temps marchand. Dans l’entreprise
africaine il est courant de constater un déphasage entre l’organisation officielle du temps
contenu dans les différents règlements intérieurs et manuels de procédure et les pratiques
quotidiennes des salariés, au point où pour Sivadon et Fernandez Zoila il s’est développé dans
cet espace une véritable psychopathologie professionnelle dont le temps constitue l’enjeu
principal. Maladies imaginaires, funérailles hebdomadaires, pauses interminables, délais
flexibles, sont autant de symptômes de ce malaise temporel au travail. Pour véritablement
comprendre ce phénomène, il convient d’interroger l’histoire de l’introduction du travail
marchand en Afrique.

L’histoire économique de l’Afrique et du Cameroun réalisée tour à tour par Cathérine


Coquery Vidrovitch et Léon Kaptué nous enseigne que la prolétarisation de l’indigène
colonisé s’est réalisée de manière pour le moins brutale. En effet, des milliers de noirs ont été
arrachés de leur terre natale et de leur mode de vie traditionnel pour travailler dans les usines
appartenant aux investisseurs occidentaux. Cette mise au travail forcé a imposé une nouvelle
temporalité industrielle centrée sur la rationalité marchande que les néo-salariés noirs
découvraient avec amertume. Ce choc entre les temporalités traditionnelle et industrielle a
donné lieu à des désertions massives qui se sont par la suite transformées en résistances au
travail.

Eu égard à ce qui précède, le rapport de l’africain au travail occidental a toujours été


marqué du sceau de la violence physique et symbolique. Pour beaucoup d’africains, le travail
capitaliste relève d’un traumatisme historique, il apparait comme une donnée externe et
contraire aux temporalités traditionnelles en Afrique. Selon Jean Mfoulou, la phrase
populaire et toujours d’actualité « le travail du blanc ne finit jamais » traduit à suffisance le
rapport problématique du camerounais à la temporalité capitaliste.

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Cependant, par-delà l’histoire coloniale de l’Afrique noire, l’affrontement des temporalités


dans l’entreprise africaine, peut aussi être envisagée comme étant l’expression latente d’un
malaise au travail. Au regard de la précarité salariale qui règne dans les entreprises les
comportements de déphasage temporel sont très souvent des pratiques de rejet de
« l’exploitation » comme diraient les travailleurs eux-mêmes. L’irrespect manifesté vis à vis
de l’ordre temporel dominant serait donc un indicateur du climat social souvent délétère qui
règne dans l’entreprise africaine.

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