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Emmanuel Sulzer
L
es jeunes, le travail et l’emploi : voilà un thème qui depuis plus de
trente ans mobilise intensément tant l’agenda politique que le
milieu des chercheurs en sciences sociales. Car depuis que les
chocs pétroliers ont donné un coup d’arrêt à l’idée du « plein emploi », le
chômage est devenu, en France, l’un des principaux acteurs de la scène
politique et sociale, et en premier lieu le chômage des jeunes. Cela, a
priori, pour deux raisons majeures : d’une part les jeunes sont plus tou-
chés par le chômage que l’ensemble de la population active et forment
de ce fait une cible prioritaire des politiques d’emploi ; d’autre part il est
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1. Il s’agit en effet du taux de chômage des actifs de 15 à 24 ans, classe d’âge dans laquelle la
majorité des individus ne sont pas encore entrés sur le marché du travail (et ne figurent donc
ni au numérateur ni au dénominateur du calcul de ce taux). Le taux de chômage des jeunes
débutants oscille pour sa part autour de 12 % après trois ans de vie active.
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2. Données pour l’enquête Génération 1998. Celles concernant la Génération 2004 ne sont pas
encore disponibles.
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Les jeunes ruraux pour leur part, et plus particulièrement les filles, subis-
sent un plus faible rendement du diplôme s’ils souhaitent demeurer dans
leur territoire d’origine (Arrighi, 2004) ; et si certains bassins d’emploi
ruraux peuvent encore offrir des opportunités aux non-qualifiés, le déli-
tement de l’activité industrielle laisse souvent les jeunes ouvriers ruraux
dans le désarroi (Renahy, 2005).
Jeunes diplômés urbains d’un côté, jeunes sans qualification vivant en
zone rurale ou en périphérie urbaine de l’autre dessinent ainsi deux pôles
contrastés au sein de « la jeunesse », dont les destinées dans le monde
du travail ont peu de chances de se ressembler. Cécile Van de Velde (2010)
parle à ce sujet d’un « clivage émergent entre des jeunesses mobiles et
cosmopolites qui se déplacent aisément pour étudier ou travailler et des
jeunesses immobiles, enclavées dans des endroits offrant peu de pers-
pectives professionnelles ». À l’instar du système éducatif, le territoire et
la relation entretenue avec celui-ci vont jouer un rôle clivant dans les
chances ultérieures que rencontreront les individus dans leur trajectoire
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Se stabiliser en emploi
Ainsi, il est intéressant de mettre en regard les données d’enquête avec
les discours médiatiques qui voudraient que les jeunes salariés posent
problème à leurs employeurs de par leur caractère nomade, instable ou
volatil4. Très majoritairement, lorsque l’on questionne les jeunes sur leurs
priorités, ils déclarent comme essentiel pour eux de « trouver ou conser-
ver un emploi stable », et la prégnance de cette réponse s’accroît nette-
ment à mesure que le niveau de diplôme baisse. Les jeunes, y compris
les non-diplômés, font ainsi preuve d’un remarquable réalisme en pre-
nant en compte le fait qu’une faible qualifica-
tion rendra difficile l’obtention d’une stabilité
professionnelle à laquelle ils aspirent pourtant
Le souci de concilier vie familiale
fortement. Loin de se désintéresser de leur
et vie professionnelle concerne toujours
intégration au corps social et au monde des
prioritairement les jeunes les plus
adultes, ils se lancent dans la vie active en
diplômés, ceux dépourvus de diplôme
ayant conscience que le travail demeure ce
se focalisant, on l’a dit, sur la question
« grand intégrateur » qui va conditionner les
de la stabilité de l’emploi.
autres dimensions de la vie sociale. En corol-
laire de cette attente de stabilité, les jeunes,
bien que souvent recrutés par des PME en
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4. Discours commun, dont on relève rarement le caractère contradictoire vis-à-vis des reven-
dications patronales de flexibilité du marché du travail, celle-ci, on l’a dit, concernant au pre-
mier chef les jeunes.
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toujours plus nombreuses que les jeunes hommes à afficher cette préoc-
cupation.
CONCLUSION
Comme le relèvent avec pertinence Chantal Nicole-Drancourt et Lau-
rence Roulleau-Berger (2006), la notion d’insertion professionnelle des
jeunes, forgée et affinée par les chercheurs tout au long des années 1980
et 1990, peut sembler perdre aujourd’hui de son intérêt face à l’émer-
gence de notions telles que la formation (et l’orientation) tout au long de
la vie qui, sur le papier, retireraient sa spécificité à la question « jeunes ».
Pourtant, à l’heure actuelle, l’analyse des cheminements des cohortes
de débutants et de leurs premiers pas dans la vie active, telle qu’elle
vient d’être exposée, conserve un caractère structurant pour divers
champs d’analyse. Dans le champ des politiques publiques de la jeu-
nesse, et plus largement celui de la manière dont les individus trouvent
ou non leur place au sein d’une société salariale en fonction d’autres
caractéristiques que celle de l’âge, l’étude de cohortes permet notam-
ment de mieux mettre en évidence le rôle clé que joue le système édu-
catif dans l’allocation des positions. Plus en aval, l’analyse des modes
d’entrée dans la vie active, les formes spécifiques prises par la relation
d’emploi nouée par les débutants (instabilité parfois durable, modération
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■ L’AUTEUR
Emmanuel Sulzer sulzer@cereq.fr
Sociologue, chargé d’études au CEREQ.
Thèmes de recherche : rapport au travail des jeunes ; analyse du travail ; métiers des
arts plastiques.
A notamment publié
ECKERT H., SULZER E., « Le défi de la féminisation des chaînes automobiles », in ECKERT H.,
FAURE S. (dir.), Les jeunes et l’agencement des sexes, La Dispute, Paris, 2007.
EPIPHANE D., SULZER E., « Les jeunes et le travail : des attentes fortes dans des modèles
sociétaux différents », in STELLINGER A. (dir.), Les jeunesses face à leur avenir, Fondation
pour l’innovation politique, Paris, 2008, pp. 55-78.
SULZER E., « L’usine comme espoir, l’usine comme repoussoir », in LORCERIE F. (dir.),
Pratiquer les frontières. Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-
maghrébin, CNRS éditions, Paris, 2010, pp. 81-93.
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