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Géographie

de l’environnement
SOUS LA DIRECTION DE
SIMON DUFOUR ET LAURENT LESPEZ

Géographie
de l’environnement
La nature au temps de l’Anthropocène
Illustration de couverture : Landscape with Cost at Connemara in Ireland,
© grafxart – Shutterstock.

Mise en pages : Nord Compo

© Armand Colin, 2020


Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-200-62701-0
Les auteurs
La contribution de chaque auteur de l’ouvrage est précisée dans la table des
matières.
Pascal BARTOUT, Maître de conférences HDR en Géographie, à l’université
d’Orléans et à l’unité de recherche CEDETE (1210).
François BÉTARD, Maître de conférences HDR à l’université de Paris et au
laboratoire Prodig, UMR 8586 du CNRS.
Clélia BILODEAU, Maître de conférences, université de Paris et au laboratoire
Ladyss, UMR 7533 du CNRS.
Xavier BODIN, Chargé de recherches au CNRS au laboratoire EDYTEM,
UMR 5204 du CNRS et de l’université Savoie Mont Blanc.
Valérie BONNARDOT, Maître de conférences en Géographie à l’université
Rennes 2 et au laboratoire Littoral environnement, télédétection et géoma-
tique (LETG), UMR 6554 du CNRS.
Sébastien CAILLAULT, Maître de conférences en Géographie, Paysage à
l’Institut Agro et au laboratoire ESO-Angers, UMR 6590 du CNRS.
Nathalie CARCAUD, Professeure de Géographie, Paysage à l’Institut Agro et
au laboratoire ESO-Angers, UMR 6590 du CNRS.
Philip DELINE, Maître de conférences à l’université de Savoie Mont Blanc et
au laboratoire EDYTEM, UMR 5204 du CNRS.
Vincent DUBREUIL, Professeur à l’université Rennes 2 et au laboratoire
Littoral environnement, télédétection et géomatique, UMR 6554 du CNRS.
Simon DUFOUR, Maître de conférences HDR en Géographie à l’université
Rennes 2 et au laboratoire Littoral environnement, télédétection et géoma-
tique, UMR 6554 du CNRS.
Pierre-Allain DUVILLARD, Chercheur post-doctorant au laboratoire
EDYTEM, UMR 5204 du CNRS et de l’université Savoie Mont Blanc.
Frédéric GOB, Maître de conférences en Géographie à l’université Panthéon-
Sorbonne Paris 1 et au Laboratoire de géographie physique (LGP), UMR
8591 du CNRS.
Nicolas JACOB-ROUSSEAU, Maître de conférences en Géographie à l’univer-
sité Lumière Lyon 2 et au Laboratoire archéorient, UMR 5133 du CNRS.
6 ! Géographie de l’environnement

Laurent LESPEZ, Professeur à l’université de Paris-Est Créteil et au Laboratoire


de géographie physique (LGP), UMR 8591 du CNRS.
Candide LISSAK, Maître de conférences en Géographie à l’université de Caen
Normandie et au laboratoire Littoral environnement, télédétection et géo-
matique (LETG-Caen), UMR 6554 du CNRS.
Malika MADELIN, Maître de conférences en Géographie à l’université de
Paris et au laboratoire PRODIG, UMR 8586 du CNRS.
Florence MAGNIN, Chargée de recherches CNRS au laboratoire EDYTEM,
UMR 5204 du CNRS et de l’université de Savoie Mont Blanc.
Véronique MALEVAL, Maître de conférences HDR en Géographie à l’univer-
sité de Limoges au laboratoire GEOLAB, UMR 6042 du CNRS.
Thibaut PREUX, Ingénieur de recherche contractuel au laboratoire Littoral
environnement, télédétection et géomatique, UMR 6554 du CNRS, de l’uni-
versité Rennes 2.
Hervé QUENOL, Directeur de recherches au CNRS au laboratoire Littoral
environnement, télédétection et géomatique, UMR 6554 du CNRS et de
l’université Rennes 2.
Ludovic RAVANEL, Chargé de recherches CNRS, au laboratoire EDYTEM
UMR 5204 du CNRS et de l’université Savoie Mont Blanc.
Romain REULIER, Maître de conférences en Géographie à l’université de
Caen Normandie et au laboratoire Littoral environnement, télédétection et
géomatique (LETG-Caen), UMR 6554 du CNRS.
Anne-Julia ROLLET, Maître de conférences à l’université Rennes 2 et au labora-
toire Littoral environnement, télédétection et géomatique, UMR 6554 du CNRS.
Fabien ROUSSEL, Maître de conférences en géographie à l’université d’Artois
et dans l’Unité de recherche discontinuités (2468).
Pierre STÉPHAN, Chargé de recherches CNRS au laboratoire Littoral environ-
nement, télédétection et géomatique, UMR 6554 du CNRS et de l’université
de Bretagne Occidentale.
Serge SUANEZ, Professeur à l’université de Bretagne Occidentale et au labora-
toire Littoral environnement, télédétection et géomatique, UMR 6554 du CNRS.
Vincent TAMISIER, Doctorant à l’université Paris Panthéon-Sorbonne et au
Laboratoire de géographie physique (LGP), UMR 8591 du CNRS.
Nathalie THOMMERET, Maître de conférences à l’ESGT-CNAM et au
Laboratoire géomatique et foncier.
Laurent TOUCHART, Professeur à l’université d’Orléans et dans l’Unité de
recherche CEDETE (1210).
Vincent VIEL, Maître de conférences en Géographie à l’université de Paris et
au laboratoire PRODIG, UMR 8586 du CNRS.
Introduction

LORS DU SOMMET MONDIAL du développement durable à Johannesburg en


2002, le président gabonais Omar Bongo annonce la création d’un réseau de
treize parcs nationaux permettant ainsi au Gabon de suivre les recommanda-
tions de la Convention sur la diversité biologique en matière de pourcentage
d’espaces protégés1 en vue d’une protection efficace de la biodiversité. En
mars 2011, un séisme de magnitude 9, dont l’épicentre est situé à une centaine
de kilomètres de la côte orientale du Japon, provoque une séquence d’événe-
ments comprenant un tsunami qui va inonder plus de 500 km² de terres et
l’explosion de plusieurs réacteurs à la centrale nucléaire de Fukushima. Voilà
deux situations très différentes en apparence, et nous pourrions multiplier les
exemples divers de faits environnementaux contemporains en rapport avec
le changement climatique, la gestion des risques climatiques, géophysiques
et biologiques, la transformation massive de l’usage des sols, la modification
des cycles géochimiques et hydrologiques, les politiques de conservation des
écosystèmes, etc. Mais toutes ces situations présentent également des carac-
téristiques communes.
Premièrement, les faits environnementaux font intervenir conjointement
des dimensions physico-chimiques (séisme, tsunami), des dimensions biolo-
giques (diversité biologique, forêt tropicale) et des dimensions sociales (une
société informée dans un pays économiquement développé et des milliers de
morts et de déplacés au Japon ; des populations locales, un système politique
autoritaire et des ONG internationales actives au Gabon). Non seulement
ces dimensions sont présentes, mais elles s’articulent, s’enchevêtrent les unes
avec les autres. Deuxièmement, ces faits modifient les sociétés et la face de
la Terre. Ils transforment la matérialité des territoires (reconfiguration des
côtes et végétation arrachée par le tsunami), affectent les relations sociales
(personnes déplacées, services interrompus) et influencent les différentes
relations qui s’établissent entre les sociétés et la nature (interdiction de

1. https://www.cbd.int/convention/
8 ! Géographie de l’environnement

certaines pratiques de chasse ou de cueillette, délimitation d’espaces légale-


ment inhabitables). Enfin, troisièmement, comme le rappelle Michel Lussault
[2007] à propos du tsunami indonésien de 2004, ces faits impliquent des
relations spatiales qui peuvent intervenir entre différents niveaux d’échelles
(rôle d’ONG internationales dans la mise en place nationale et locale d’es-
paces protégés) et qui peuvent se traduire par une différenciation de l’espace
(zones plus ou moins contaminées par les radiations) qui en retour contri-
bue à la constitution des sociétés. Ces caractéristiques communes expliquent
l’ampleur et la diversité des approches scientifiques cherchant à décrire, à
expliquer et à prévoir l’évolution des faits environnementaux.

Environnement : enjeux sociaux et scientifiques


L’environnement, un concept ambigu, mais acceptable
La Terre est constituée de plusieurs composantes biophysiques, principale-
ment l’atmosphère, la lithosphère, l’hydrosphère et la biosphère qui forment
une partie du cadre de vie des sociétés. Chacune de ces composantes ouvre
un champ d’analyse spécifique en géographie biophysique qui a donné lieu
à la publication de nombreux manuels de climatologie, de géomorpholo-
gie, d’hydrologie et de biogéographie, y compris dans cette collection. Ces
composantes possèdent une organisation spatiale et un fonctionnement qui
affectent le développement et le fonctionnement des sociétés, par exemple
en matière d’exposition aux aléas, de ressources disponibles, de productivité
biologique, de potentiel hydrologique, etc., et, conjointement les activités
humaines affectent ces composantes.
L’ensemble des conditions physiques, chimiques, biologiques et sociale
dans lesquelles un individu ou un groupe d’individus se développent consti-
tuent donc son environnement [MÉTAILLÉ et DA LAGE, 2005]. Il s’agit
d’éléments extérieurs aux sociétés humaines qui ont une influence sur elles
et qu’elles sont susceptibles de percevoir, de modifier, de s’approprier, etc.
[VEYRET, 2007]. C’est une approche anthropocentrée de la nature et, de
ce point de vue, certains soulignent la proximité avec le concept de milieu
tel qu’il a été développé en géographie et qu’il a tendance à remplacer.
Mais, ces éléments ne sont pas uniquement extérieurs puisque, d’une
part, les conditions sociales caractérisent également l’environnement et
que, d’autre part, ces éléments sont définis par un rapport dynamique,
incessant, entre l’individu, la société et son environnement [BERQUE,
1990]. Ainsi, l’environnement, en tant qu’objet d’analyse, est également
une forme de problématisation du rapport d’une société à la nature qui
l’entoure [RODARY, 2003]. Le terme est clairement polysémique puisqu’il
recouvre aussi des éléments et des questions généralement moins associés
Introduction ! 9

à des éléments biophysiques comme les déchets ou les emballages, dans le


domaine des politiques publiques notamment [ARNOULD et SIMON, 2018].
En résumé, l’environnement est un concept ambigu, avec des acceptations
restreintes ou larges, mais acceptable, car il délimite in fine un champ de
recherche et d’action d’une appréhension intuitive et largement acceptée
aujourd’hui.

L’Anthropocène, un héritage et une condition


Si la définition de l’Anthropocène comme ère, période ou époque géologique
n’est pas encore tranchée et si les débats demeurent vifs pour déterminer
son origine1, le monde scientifique s’accorde aujourd’hui sur le fait que
nous sommes bien rentrés dans une nouvelle ère caractérisée par l’influence
majeure de l’espèce humaine sur le système Terre. Les estimations réali-
sées en début de XXIe siècle sont éloquentes : 80 % de la surface terrestre
est directement impactée par les activités humaines, 50 % de la surface des
zones humides a disparu en France entre 1960 et 1990, la concentration de
CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 31 % depuis 1750 (un rythme sans
précédent depuis 20 000 ans), la température moyenne de surface de la Terre
a augmenté 0,6 °C au cours du XXe siècle, 6 tonnes de sol et roches par habi-
tant sont annuellement déplacées directement par les activités humaines
dans le monde (soit 10 fois plus par habitant que dans l’Antiquité, avec une
population 100 fois plus nombreuse), l’estimation du rythme d’extinction
actuel des espèces est au moins 100 fois supérieure à celle du rythme naturel
alertant sur la crainte d’une 6e phase d’extinction à l’échelle géologique. En
réaction, 13 % de la surface des continents relève aujourd’hui d’un espace de
protection de la nature (chiffre qui a progressé d’environ 50 % en 30 ans) et
la restauration écologique des systèmes dégradés est une industrie qui pèse
25 milliards de dollars aux États-Unis. Topographie, biodiversité, cycle de
l’eau, cycle du phosphore, occupation des sols, etc. sont autant de proprié-
tés de la Terre significativement modifiées par les activités humaines, et ce
avec une ampleur plus forte depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que
dans toute l’histoire de l’humanité [MILLENIUM ECOSYSTEMS ASSESSMENT,
2005]. Progressivement exploitée et transformée afin de satisfaire des
demandes multiples, la face de la Terre en ce début de XXIe siècle est marquée
par l’empreinte humaine.
Ainsi, au-delà des débats sur les modalités de sa définition et de la séman-
tique lexicale la plus appropriée, le concept d’Anthropocène est utile pour

1. Du début de l’Holocène marqué par l’invention de l’agriculture à 1964 correspondant à l’enre-


gistrement des explosions nucléaires dans la teneur en carbone 14 atmosphérique [LEWIS et MASLIN,
2015 ; MAGNY, 2019].
10 ! Géographie de l’environnement

exprimer la nouvelle condition de l’humanité. Il s’agit, en effet, d’une façon de


s’interroger sur le rôle des humains au sein du système Terre en soulignant le
haut niveau d’interdépendance et en posant la question de la responsabilité
de l’espèce humaine face au reste du vivant, responsabilité différenciée selon
les groupes sociaux et les contextes spatio-temporels considérés [BONNEUIL
et FRESSOZ, 2013]. Il invite également à repenser la notion de nature. Cette
notion polysémique, dont la définition varie selon les champs disciplinaires
et les perspectives scientifiques dans laquelle elle est employée, a besoin
d’être mieux définie dans le cadre d’une géographie de l’environnement. Elle
est à la fois autonome et socialement construite, à la fois matérielle et idéelle
(cf. chapitres 1, 2 et 6). L’Anthropocène signifie qu’elle ne peut plus être envi-
sagée sans les conséquences directes ou indirectes de l’action de l’humanité
sur notre planète même si subsistent bien sûr des processus spontanés initiés
par d’autres que nous [LARRÈRE et LARRÈRE, 1997 ; MARIS, 2018].

De quelle science a-t-on besoin ?


Comprendre et agir sur l’environnement à l’ère de l’Anthropocène nécessite
une analyse fine de chaque processus physique, biologique et social qui fait
l’environnement, mais aussi une capacité à relier ces processus interagis-
sant au sein de systèmes complexes. L’analyse des faits environnementaux
demande également une bonne compréhension des articulations entre phé-
nomènes généraux et traductions particulières, locales et donc territoriales
des phénomènes. La conséquence dans le monde scientifique et académique
de ces exigences est la mobilisation, soit de façon isolée, soit dans le cadre
d’approches interdisciplinaires (cf. chapitre 6), de nombreuses disciplines
scientifiques, traditionnellement regroupées en deux grands domaines, les
sciences naturelles et les sciences humaines et sociales. Cette dichotomie est
une construction intellectuelle et académique héritée de l’avènement de la
science occidentale à l’époque moderne et d’une vision positiviste des sciences.
Cependant, la formalisation et la multiplication des approches systémiques
après la Seconde Guerre mondiale sont venues proposer des cadres épistémo-
logiques pour étudier les interactions. L’analyse de l’environnement repose
aujourd’hui sur des méthodes et des dispositifs d’observation qui associent de
plus en plus souvent sciences naturelles et sciences humaines et sociales.

Quelle géographie de l’environnement ?


Dans ce grand bain des recherches sur l’environnement, la géographie témoigne
d’une position ambiguë, enviable et fragile. Enviable, car elle possède une longue
tradition de recherche sur l’environnement, elle couvre aussi bien les dimensions
matérielles qu’idéelles, les dimensions biophysiques que sociales et elle dispose
Introduction ! 11

d’un corpus de concepts et de pratiques à même de comprendre l’Anthropocène


[TRICART et KILIAN, 1979 ; BERTRAND et BERTRAND, 2002 ; VEYRET, 2007].
Fragile, car, d’une part, c’est une discipline relativement modeste en effectifs au
regard de son champ d’action et de son ambition et, d’autre part, elle a été, et
est encore, parcourue des débats internes mêlant difficultés épistémologiques
à clarifier son programme de recherche et conflits institutionnels, politiques et
générationnels [GUISTI et al., 2015 ; ANDRÉ, 2017].

Approches naturalistes et constructivistes


Dans la mesure où l’environnement possède au moins deux dimensions
– une matérielle et une idéelle –, les questions liées à l’environnement et ses
différentes significations traversent la géographie où elles forment un champ
de recherche diversifié en matière d’approches, depuis un pôle biophysique
jusqu’à un pôle social, et concernent des enjeux aussi bien conceptuels
qu’opérationnels. Le pôle biophysique s’inscrit dans une longue tradition de
pratiques de recherche de type naturalistes, désignées historiquement par
le terme « géographie physique » [DERRUAU, 1996], auquel nous préférons
celui de « géographie biophysique ». Nous entendons par approches natura-
listes, les activités de recherche qui se basent sur des approches empiriques
où le terrain occupe une large place et qui combinent souvent observations,
mesures, analyses de laboratoire et modélisations de processus qui possèdent
une forte dimension physico-chimique et/ou biologique.
Le pôle social renvoie à des approches principalement constructivistes
qui, en s’appuyant sur l’idée que le réel existe avant tout dans l’esprit qui
l’organise, se sont développées en opposition à une forme de réduction-
nisme naturaliste. Ce développement correspond à l’appropriation par la
discipline des enjeux sociaux associés aux dynamiques environnementales
dans les années 1970-1980 et a donné naissance aux termes de géographie de
l’environnement [TISSIER, 1992 ; CASTREE, 2005 ; VEYRET, 2007] ou des envi-
ronnements pour souligner la diversité des thèmes et des relations [ARNOULD
et SIMON, 2018]. Plus récemment, Denis Chartier et Étienne Rodary [2016]
invitent à parler de géographie environnementale afin de sortir d’une posture
objectivante et de pratiquer une géographie prenant acte de l’importance
des questions environnementales, dialoguant avec les sciences sociales et les
sociétés tout en étant réflexive sur l’entrée des sciences en politique.
Cette double vision, qui s’exprime souvent dans une dichotomie de
dénomination (géographie biophysique versus géographie de l’environne-
ment), masque en réalité la diversité des pratiques et un certain continuum
de la recherche [ANDRÉ, 2017]. En effet, les deux pôles constituent plutôt
des centres de gravité autour desquels et entre lesquels se positionne une
large gamme de pratiques. Par exemple, certains géographes revendiquent
12 ! Géographie de l’environnement

des approches biophysiques tout en intégrant le caractère situé du savoir


scientifique [GIUSTI, 2012] ou développent des réflexions aux résonances
explicitement politiques. C’est en nous appuyant sur ce constat et afin de ne
pas multiplier les dénominations que nous avons choisi de conserver l’ex-
pression de « géographie de l’environnement ». Celle-ci regroupe ainsi toutes
les approches précédemment citées. Sa lisibilité pour les étudiants et à l’exté-
rieur de la discipline est convenable. Elle nous semble donc adéquate pour
représenter une enveloppe élémentaire au sein de la géographie permettant
de proposer un cadre de discussion commun tout en assumant et en expo-
sant les pratiques diverses en son sein.

Objectif de l’ouvrage
L’objectif de cet ouvrage est de présenter la contribution des approches
naturalistes à la géographie de l’environnement et, au-delà, aux questions
environnementales en général. Il s’agit en particulier de mettre en lumière
les concepts et les pratiques actuels, ainsi que la dimension réflexive des tra-
vaux conduits en géographie biophysique. Ce manuel souhaite montrer que
l’acquisition de données sur les processus biophysiques repose sur l’analyse
de toutes les dimensions des milieux géographiques et donc qu’elle nourrit la
compréhension des grands enjeux environnementaux contemporains d’une
part, et des logiques spatiales et territoriales d’autre part. En effet, même
si les approches naturalistes se concentrent d’abord sur la dimension bio-
physique de l’environnement, elles ne sont pas sourdes aux enjeux que ces
travaux possèdent dans la sphère sociale (aide à la gestion, instrumentalisa-
tion des indicateurs et des résultats produits, rôle politique de l’expertise).
Cette dimension socio-politique, trop souvent non explicitée, est clairement
présente aussi bien dans des situations d’expertise que dans l’analyse des
dynamiques socio-écologiques. Il s’agit également de montrer que rejeter
hors de la géographie l’étude des processus biophysiques renforcerait la sépa-
ration sciences naturelles/sciences humaines et sociales alors même que les
appels pour les rapprocher se multiplient.

La dimension biophysique au temps de l’Anthropocène


Exposer une géographie de l’environnement est un projet ambitieux qui
nécessiterait un volume encyclopédique pour en couvrir tous les aspects. Ne
pouvant viser l’exhaustivité, cet ouvrage ne propose pas l’approfondissement
des connaissances dans toutes les sous-branches de la géographie biophy-
sique, ni pour tous les types de milieux et tous les contextes bioclimatiques.
Il est ainsi une proposition complémentaire aux manuels de géographie
de l’environnement optant pour une entrée plus sociale ou thématique
Introduction ! 13

[ex. ARNOULD et SIMON, 2007 ; DE BÉLIZAL et al., 2017] et aux manuels déve-
loppant les branches de la géographie physique [ex. ALEXANDRE et GÉNIN,
2011 pour la végétation ; FORT et al., 2015 pour la géomorphologie, etc.].
Il complète également les ouvrages développant une approche globale à base
régionale ou zonale [ex. DELANNOY et al., 2016].
Ce manuel souhaite à la fois faire un état des lieux, ouvrir un espace de
réflexion et être force de proposition. Il présente des approches natura-
listes en géographie ayant intégré les dimensions sociales qui interagissent
en permanence avec les composantes biophysiques de l’environnement,
mais en restant fidèle aux fondamentaux disciplinaires et sous-disciplinaires
[TRICART et KILIAN, 1979 ; GUNNELL, 2009]. Pour cela, il offre un panorama
de pratiques qui prennent en charge l’étude de la dimension spatiale de struc-
tures et de processus biophysiques hybridés avec des processus sociaux, qui
renouvellent les méthodes de recherche et qui se soucient de l’analyse des
grands enjeux environnementaux contemporains dans le cadre d’une pos-
ture réflexive. Dans ce domaine non plus, il ne prétend pas à l’exhaustivité,
mais il s’agit de proposer aux étudiants avancés en géographie un manuel
qui reflète le large éventail des réflexions et des pratiques contemporaines
des géographes qui étudient l’environnement par une entrée à dominante
biophysique.
L’ouvrage est une proposition collective. Au-delà des éditeurs, il a été
construit à partir de plusieurs réunions regroupant la plupart des contributeurs.
Organisé en cinq parties, il résulte de la collaboration de 30 contributeurs.
La première expose les positionnements conceptuels ; elle fait une large part
aux réflexions épistémologiques sur la nature des milieux contemporains
(chapitre 1) et sur la nature de la dimension biophysique de l’environnement
(chapitre 2), ainsi qu’aux conséquences à en tirer pour les pratiques de la
recherche en matière de réflexivité et d’engagement (chapitre 3). Elle contient
également une réflexion sur l’importance de la façon de nommer et de repré-
senter les objets et les processus biophysiques (chapitre 4).
La deuxième partie aborde les pratiques méthodologiques mises en œuvre
dans la production de données biophysiques qu’elle soit le fait de scienti-
fiques (chapitres 5 et 6) ou d’autres acteurs (chapitre 7).
Les deux parties suivantes s’appuient sur une série d’exemples afin de
montrer comment les géographes biophysiciens analysent les trajectoires
des géosystèmes, anthroposystèmes ou socio-écosystèmes (troisième par-
tie) et des objets et thèmes environnementaux (quatrième partie). L’enjeu
de la prise en compte des dynamiques temporelles et de leurs implica-
tions en termes de gestion, est exposé en s’appuyant sur les démarches
géoarchéologiques (chapitre 8) et géohistoriques (chapitre 9) alors que
les transformations actuelles de l’environnement et de ses conceptions
renouvellent également les pratiques des géographes biophysiciens.
14 ! Géographie de l’environnement

Ainsi, elle fait une large place à l’étude du changement climatique et


de ces effets sur l’environnement des milieux agricoles et urbains (cha-
pitre 11) et aborde les enjeux de la conservation qui se pose aujourd’hui
y compris pour la nature abiotique (chapitre 10). La quatrième partie
présente des exemples afin d’illustrer comment les actions et les représen-
tations sociales contribuent à transformer les structures et les processus
étudiés par la géographie biophysique, qu’il s’agisse des bassins-versants
(chapitre 12), de la végétation (chapitre 13), de plans d’eau (chapitre 14)
ou du permafrost de montagne (chapitre 15).
Enfin, la dernière partie est consacrée à la manière dont le métier de
géographe biophysicien peut être exercé aujourd’hui, au-delà de la sphère
scientifique, en soulignant en particulier la dimension réflexive nécessaire à
la pratique de l’expertise, en prenant les exemples des milieux littoraux (cha-
pitre 16) ou fluviaux (chapitre 17), et à la définition des projets pédagogiques
(chapitre 18).
PREMIÈRE PARTIE

Positions et concepts
Chapitre 1

La nature
de l’Anthropocène :
nature anthropisée,
nature hybridée

LE SPECTRE DE LA e EXTINCTION et le changement climatique sont-ils les


seules transformations en cours ou d’autres bouleversements affectent-ils
la définition même de la nature contemporaine ? Michel Serres le pense, et
dans Le Contrat naturel [1990, p. 35], il énonce « L’histoire globale entre
dans la nature ; la nature globale entre dans l’histoire, voilà de l’inédit en phi-
losophie ». Alors que les réflexions sur sa gestion ou sa restauration restent
encore largement marquées par le dualisme des modernes qui distingue tou-
jours la nature d’un côté et la culture de l’autre, il faut se demander si l’inédit
évoqué par Michel Serres ne touche pas la géographie. En géographie bio-
physique, de nombreuses recherches se sont développées sur l’impact des
actions humaines sur les composantes physiques et biologiques de l’envi-
ronnement et sur les différentes modalités qu’a pu prendre l’anthropisation
de la nature à la fois dans le temps et dans l’espace. Ces connaissances per-
mettent de discuter de la manière dont la nature contemporaine peut être
décrite et comprise.

L’anthropisation de la nature
La question du rôle des activités humaines dans le façonnement de leur envi-
ronnement est consubstantielle à la géographie dès lors qu’elle s’interroge sur
la nature de la face de la Terre [PINCHEMEL et PINCHEMEL, 1994]. Elle accom-
pagne les questionnements classiques de la discipline autour des notions de
paysage, de ressource, de contrainte et de risque qui sont toujours d’actualité.
18 ! Géographie de l’environnement

En géographie biophysique, cette question s’est développée, en particulier,


autour du concept d’anthropisation. Pour le définir, il faut aborder son ori-
gine et la manière dont il s’est imposé dans ce champ intradisciplinaire.
L’exemple de l’érosion d’origine anthropique nous servira de guide.

L’érosion anthropique et le détritisme alluvial


Même si vu de l’extérieur, la géomorphologie a semblé longtemps rétive à
la question de la place des hommes dans la formation des reliefs et des pro-
cessus à l’origine de leur érosion, les recherches géomorphologiques se sont
depuis longtemps préoccupées du rôle des sociétés dans l’érosion exacerbée
observée dans certaines régions de la planète. Comme l’écrit René Neboit
[2010], l’émergence puis le développement de la domestication des plantes
et des animaux, à partir du Néolithique, a pour conséquence la modifica-
tion de la couverture végétale entraînant de fait « l’immixtion de l’homme
dans la marche naturelle de la morphogenèse ».
Développée par les agronomes américains confrontés aux crises érosives
des sols agricoles des Grandes Plaines, l’étude des pertes en sol a conduit
à développer le concept d’érosion accélérée afin de souligner l’importance
de processus qui dépassent les modalités normales ou géologiques de l’éro-
sion. Étudiée précocement dans certains espaces fragiles comme les milieux
méditerranéens et les Grandes Plaines américaines, l’érosion des sols cultivés
est aujourd’hui un processus très bien connu sur l’ensemble de la surface
du globe. Se relaient les effets de l’impact des gouttes de pluie (splash), du
ruissellement diffus (rill wash) et en nappe (sheet wash), puis de l’écou-
lement concentré, d’abord en rigoles puis sous forme d’incisions plus
affirmées. À cela s’ajoutent les effets du déplacement de matière des hori-
zons pédologiques par les manipulations mécaniques liées au travail agricole.
L’enchaînement de ces processus définit une érosion aréolaire responsable
de la perte en matière des profils pédologiques depuis leur mise en culture.
Corrélativement, cette érosion entraîne l’accumulation de colluvions piégées
au pied des parcelles cultivées puis des alluvions dans les fonds de vallée.
L’étude comparée de systèmes fluviaux d’Europe occidentale, du monde
méditerranéen et de l’Afrique soudano-sahélienne permet ainsi de révéler les
temps forts de l’anthropisation des milieux biophysiques et leurs liens avec la
thématique de l’érosion (tableau 1.1).
La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 19

Tableau 1.1 Les temps de l’anthropisation des bassins-versants


de l’Europe occidentale à l’Afrique soudano-sahélienne
Période Temps de la nature Transition, Métamorphoses
env. préparation et crises post-0 EC
10 700-3 500 AEC1 env. 3 500-0 AEC
Climat Conditions climatiques Passage progressif vers Aridification
Hydrologie plus humides et plus des conditions plus dans le monde
chaudes dès le début fraîches dans le monde méditerranéen
de l’Holocène. tempéré et plus arides et soudano-sahélien.
Remontée des nappes dans les espaces Dans les systèmes
phréatiques. subtropicaux énergiques et irréguliers
Régulation des débits. et tropicaux. de Méditerranée
Ennoiement des fonds Fluctuations et de l’Afrique
de vallées qui sont hydrologiques soudano-sahélienne,
souvent marécageux. séculaires : rôle crucial les rythmes des flux
dans les systèmes sédimentaires restent
montagnards, sous l’influence
subtropicaux des fluctuations
et tropicaux. climatiques.
Couvert végétal Développement Rétraction progressive Rétraction progressive
d’une végétation des espaces forestiers. des espaces
arborée plus dense. Extension des espaces forestiers qui
Le couvert forestier agropastoraux s’interrompt au XXe s.
domine le monde et transformation dans le monde
tempéré et subtropical, des pratiques agraires tempéré.
la savane dense (instruments aratoires, Mise en place
ou la forêt domine animaux de trait, des grands équilibres
le monde soudano- parcellaire…). actuels d’utilisation
sahélien. du sol : cultures,
Défrichements localisés friches et forêts.
par les sociétés
du Néolithique.
Production Diminution globale Dilatation des espaces Dilatation des espaces
sédimentaire de la charge alluviale anthropisés. anthropisés et
détritique. Extension exacerbation
Augmentation relative et exacerbation croissante de l’érosion
de la charge dissoute de l’érosion des sols des sols cultivés au
et de la sédimentation cultivés. sein des bassins-
organique. versants, aggravées
Pratiques à la fin de la période
agropastorales par le développement
favorisant localement de la mécanisation,
l’érosion des sols des successions
en fonction culturales,
des rythmes de l’utilisation
de la néolithisation. des intrants.

1. AEC : Avant l’ère commune ; EC : Ère commune. Elle utilise comme référence le début du calen-
drier grégorien utilisé à l’échelle internationale.
20 ! Géographie de l’environnement

Période Temps de la nature Transition, Métamorphoses


env. préparation et crises post-0 EC
10 700-3 500 AEC env. 3 500-0 AEC
Cascade Conséquences Connectivités plus Connectivités
sédimentaire du développement efficaces du fait efficaces.
de l’agriculture des changements L’accroissement
surtout locales car d’utilisation des sols. de la production
le couvert végétal Transformation entre sédimentaire
limite les connexions la fin du Néolithique et des connectivités
hydrologiques. et l’Antiquité selon fait franchir un seuil
Dissipation des débits les régions. net et généralisé
solides : la charge Libération à la cascade
sédimentaire sédimentaire sédimentaire.
excédentaire est engendrant une L’excès de charge
stockée le long longue crise favorise
du continuum fluvial de transition la sédimentation
et les excès de charge de plusieurs dans les fonds
insuffisants pour millénaires. de vallées qui
franchir des seuils s’exhaussent
durables. 2 à 10 fois plus vite
que lors de la période
précédente
(figure 1.1).
Source : d’après LESPEZ, 2012.

Les lentes transformations intervenues dans les bassins-versants sont


à l’origine d’une longue crise partagée par l’ensemble de l’Europe, les rives
de la Méditerranée et l’Afrique soudano-sahélienne. Elle possède des temps
forts différenciés par les modalités de l’anthropisation et par l’importance
relative des oscillations et des événements hydroclimatiques. Du fait des
durées concernées, les mutations des systèmes morphogéniques n’ont pas
été perçues par les populations. La métamorphose des systèmes fluviaux a
longtemps été silencieuse.
Outre-Atlantique comme en Australie, la mise en valeur agricole intensive
par les colons européens entraîne également une accélération spectaculaire
de l’érosion des sols et l’atterrissement corrélatif des fonds de vallées par
les limons de débordement. La longue transition issue du développement
des activités agricoles par les Amérindiens en Amérique du Nord a été
sans commune mesure avec les conséquences de l’arrivée des Européens et
du déploiement de leurs pratiques agraires. En effet, les évolutions appa-
raissent proches dans leurs mécanismes mais les phases de préparation et
le temps des métamorphoses durent au maximum deux siècles [TRIMBLE,
2009 ; BRIERLEY et FRYIRS, 2013]. La substitution et la diffusion des pro-
cessus érosifs sont extrêmement rapides entraînant une crise de rupture
[NEBOIT, 2010], dès lors plus facilement perçue par les populations qui ont
pu nommer la crise.
La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 21

Figure 1.1 L’évolution de la contribution de l’érosion d’origine anthropique


dans la sédimentation alluviale, modèle conceptuel

Source : LESPEZ, 2012.

Dans tous les cas, au XIXe siècle, l’anthropisation des systèmes morphogé-
niques est effective et le développement des grands deltas mondiaux, qui a en
grande partie été stimulé par l’accélération de l’érosion du fait des activités
humaines [ANTHONY et al., 2014 ; BRAVARD, 2019], nous rappelle que les
sociétés humaines ont transformé la géomorphologie de la Terre à un rythme
et des échelles croissantes dans de nombreuses régions du globe de manière
directe par les entreprises de terrassement ou de manière indirecte par
la mise en valeur agricole des sols. Si, dans le monde occidental tempéré, la
rétractation de certains espaces agricoles et le développement des pratiques
antiérosives explique que les taux d’érosion ont généralement diminué, il
n’en est pas de même ailleurs, comme au Brésil ou en Asie du Sud-Est, où
les dynamiques stimulent une crise érosive contemporaine. Comprendre
les causes et les conséquences de ces transformations stimule la définition
de cadres empiriques et théoriques qui intègrent les forces biophysiques et
socioculturelles.

La nature de l’anthropisation
Le terme d’anthropisation vient du grec anthrôpos qui signifie homme ou
être humain et du suffixe -isation indiquant un processus qui induit un chan-
gement. La définition la plus couramment acceptée désigne un processus de
22 ! Géographie de l’environnement

modification de l’espace terrestre ou des milieux géographiques par l’effet


de l’action des hommes. Ce terme s’est imposé dans la recherche biophy-
sique française depuis les années 1970 à la fois par les recherches sur l’érosion
qualifiée d’anthropique et par celles sur les géosystèmes envisagés comme
anthropisés. Ce que décrit l’anthropisation des géographes biophysiciens
c’est le passage d’un monde dans lequel la marque des humains est au
moins partiellement réversible à un monde dans lequel les milieux ont été
complètement transformés par les activités humaines. Elle conduit à étudier
des systèmes qui ne sont plus ni totalement naturels, ni totalement sociaux.
Pour Augustin Berque [2000], l’anthropisation ne peut être appréhendée
qu’en relation avec deux autres termes : l’hominisation et l’humanisation.
L’hominisation renvoie à la paléoanthropologie et à l’étude de l’humain en
tant qu’espèce alors que l’humanisation est étudiée par les sciences humaines
et prend en compte le point de vue phénoménologique, et donc la valeur et
le sens de l’environnement pour l’être humain. Ces distinctions posent ques-
tion car elles conduisent à réaffirmer une différence entre une anthropisation
réduite aux « processus de modification des réalités biophysiques par l’action
humaine » telle que le propose in fine le dictionnaire dans lequel s’insère la
définition d’Augustin Berque [LÉVY et LUSSAULT, 2013] et une humanisation
qui intégrerait la part proprement humaine de la relation entre la nature et
l’être humain. Mais pour Augustin Berque lui-même, les choses sont plus
complexes puisque l’anthropisation procède d’un sujet humain qui définit
son action (aménagement) en fonction de la représentation qu’il a de son
environnement. Les deux faces du processus sont donc bien indissociables
et coengendrées. Ainsi, cette distinction a pour limite de réintroduire une
césure là où la nécessité est de proposer une position qui permette de penser
la coévolution des systèmes biophysiques et sociaux et d’intégrer l’idée de
nature au cœur des sciences sociales.
Quelle que soit l’acception donnée (étroite ou large) au terme d’anthropi-
sation, le mouvement d’ensemble décrit la transformation durable, irréversible
à l’échelle de nos civilisations contemporaines, de la Terre par les sociétés
humaines. Selon le Millenium Ecosystem Assesment [2005], 83 % de la surface
terrestre sont impactés par les activités humaines et les cartes des biomes de
nos manuels sont devenues obsolètes puisque plus de 75 % des terres émer-
gées correspondent aujourd’hui à des biomes anthropogéniques ou anthromes
(figure 1.2), [ELLIS et RAMANKUTTY, 2008]. Autrement dit, les espaces ter-
restres correspondent aujourd’hui essentiellement à des espaces construits,
urbains ou villageois (10 %), des espaces cultivés (20 %), des espaces pastoraux
(30 %) et des espaces forestiers cultivés et exploités (25 %), le reste correspon-
dant principalement aux déserts tropicaux et aux hautes latitudes où l’on sait
que l’impact de l’anthropisation est considérable également : exploitation des
aquifères, des hydrocarbures, poids du réchauffement climatique, etc.
La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 23

Figure 1.2 Les anthromes contemporains

Étendue globale des anthromes et des terres sauvages en 2000 et diagramme conceptuel
illustrant les relations générales entre les anthromes, la densité de population, l’utilisa-
tion des terres, les habitats et les proportions relatives des espèces indigènes, exotiques et
domestiques dans les communautés biotiques.
Source : d’après ELLIS, 2013.
24 ! Géographie de l’environnement

Du géosystème au socio-écosystème
La connaissance du poids des sociétés dans le façonnement de la face de
la Terre a depuis longtemps stimulé la question des interactions entre
la nature et les sociétés. Elle est ainsi à l’origine du concept de « milieu
géographique », proposé par Maximilien Sorre avant la Seconde Guerre
mondiale, et de nombreuses réflexions au sein de la géographie bio-
physique pour essayer d’articuler dynamiques naturelles et actions des
sociétés. C’est à la suite de ces travaux que les approches intégrées déve-
loppées au sein de la géographie biophysique ont produit des cadres de
réflexion qui ont permis de renouveler cette articulation [ex. TRICART et
KILIAN, 1979].
Ainsi, George Bertrand [1968] n’a cessé de promouvoir une approche
systémique des environnements anthropisés à travers la notion de géo-
système (figure 1.3). Celle-ci les envisage comme des systèmes dans
lesquels interagissent des phénomènes ou des objets d’origine anthro-
pique et biophysique. Ce concept se distingue nettement de l’écosystème
en intégrant dès l’origine la société au cœur du système producteur de
l’environnement et ne lui réservant pas le rôle d’un perturbateur exté-
rieur. Ce cadre a favorisé l’intégration des enjeux sociaux, au-delà du seul
impact d’un groupe humain sur son environnement, à travers le concept
de géosystème-territoire-paysage (GTP) qui articule les approches maté-
rielles, représentationnelles, phénoménologiques et socio-politiques.
La diffusion de ces concepts au-delà de la discipline a stimulé l’émer-
gence de concepts voisins. Ainsi, le concept d’anthroposystème marque
le poids prépondérant du social dans l’agencement des milieux biophy-
siques contemporains [LÉVÊQUE et al., 2003]. Pour ces promoteurs,
« l’anthroposystème, peut être défini comme une entité structurelle et
fonctionnelle prenant en compte les interactions sociétés-milieux, et
intégrant sur un même espace un ou des sous-systèmes naturels et un ou
des sous-systèmes sociaux, l’ensemble coévoluant dans la longue durée ».
La coévolution des systèmes naturels et sociaux est déjà présente chez
Jean Tricart et Georges Bertrand. Ce dernier la qualifie de « combinaison
socio-écologique ». Cette coévolution met au cœur de l’étude de l’envi-
ronnement les interactions entre des processus sociaux et des processus
biophysiques, le plus souvent qualifiés de naturels.
Après avoir été critiquée pour son manque d’approche temporelle et
spatiale, l’écologie a également profondément modifié ses approches au
cours des 40 dernières années. Abandonnant l’idée d’équilibre naturel pour
promouvoir une conception selon laquelle la nature est en changement
constant, où les perturbations, même chaotiques, sont normales, l’écologie
a vu les recherches sur les trajectoires se développer.
La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 25

Figure 1.3 Modèles schématiques proposés pour les notions d’écosystème,


de géosystème et d’anthroposystème

Sources : ODUM, 1971 ; BERTRAND, 1968 ; LÉVÊQUE et al., 2003.

Tenant compte de l’anthropisation du monde, elle a également inclus


l’activité humaine dans le façonnement des écosystèmes et de leurs trajec-
toires. L’essor du concept de socio-écosystème exprime cette refondation.
« Nous utilisons le terme de système socio-écologique pour désigner le
concept de l’intégration de l’humain dans la nature » [BERKES et al., 2003].
Le développement du concept de socio-écosystème est allé de pair avec
l’essor de nombreuses études portant sur leur résilience, leur adaptation
et leur durabilité et les services qu’ils rendent. Même si sa dimension éco-
logique initiale donne une place centrale aux dimensions écosystémiques,
cette approche est en réalité très proche des concepts de géosystème et
26 ! Géographie de l’environnement

d’anthroposystème dans le sens où elle repose toujours sur la notion d’inte-


ractions entre les sociétés et les dimensions naturelles des écosystèmes. Elle
produit néanmoins des réflexions qui interrogent la dimension ontologique
de la nature contemporaine.
Pour certains écologues, la prise en compte de l’anthropisation impose de
changer de paradigme et ils proposent les concepts d’écosystèmes hybrides
et de nouveaux écosystèmes. L’idée étant que : « selon l’ampleur du chan-
gement, les systèmes peuvent être classés en trois grandes catégories : ceux
qui conservent leur configuration historique, ceux qui développent des
qualités hybrides mélangeant des composants nouveaux et anciens, et ceux
qui forment des systèmes entièrement nouveaux » [HOBBS et al., 2009]1.
Il y a clairement ici l’idée d’une succession par laquelle on passerait de l’éco-
système historique, à l’hybride et puis au nouvel écosystème. Cette analyse
se situe dans le cadre de l’écologie de la restauration et le passage d’un type
à un autre est défini par la réversibilité des changements ayant affecté ses
composantes abiotiques et biotiques. En effet, un écosystème historique
peut-être conservé ou restauré au sens strict du terme alors qu’un écosys-
tème hybride ne peut plus être restauré à un état ou un fonctionnement
antérieur, il est seulement envisageable de restaurer ou de réhabiliter ses
fonctions et ses structures essentielles. Enfin, un nouvel écosystème, modi-
fié de manière trop profonde, nécessite de définir une nouvelle trajectoire
sans attache au passé.
Ainsi, dans toutes ces conceptions systémiques, les systèmes contem-
porains sont des hybrides produits par des interactions entre les domaines
biophysique et social. Cependant, toutes ces réflexions conceptuelles restent
enracinées dans la perspective dualiste des philosophes et des scientifiques de
la modernité qui fait interagir des faits ou processus socio-culturels d’un côté
et des faits ou processus naturels de l’autre. La notion d’hybride devient une
manière commode de décrire notre réalité en géographie biophysique, mais
les hybrides restent impensés en tant qu’entité.

Nature hybridée
Les hybrides
La question de l’hybridité a été promue par les travaux de philosophie de
Michel Serres [1990] et d’anthropologie de Bruno Latour [1991]. Ils refusent
le dualisme des Modernes qui oppose le monde réel des objets dont la science
serait capable de comprendre le fonctionnement, et le monde de la société,

1. Toutes les traductions présentes dans l’ouvrage ont été réalisées par les auteurs.
La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 27

de la culture, qui serait indépendant. Bruno Latour dénonce ce « Grand par-


tage » entre nature et société et le « processus de purification » des Modernes
considéré comme un effort intellectuel permanent pour continuer à penser
la culture et la nature comme deux entités indépendantes l’une de l’autre.
Sa thèse est que « la modernité n’a jamais commencé. Il n’y a jamais eu de
monde moderne » et que « les modernes sont victimes de leurs succès » du fait
de « la prolifération des hybrides ». Pour préciser sa pensée, il explique que
l’avènement de la science a engendré la multiplication de nouvelles entités
« Êtres hybrides, mi-objets, mi-sujets que nous appelons machines et faits ».
Il reprend ainsi Michel Serres et ses quasi-objets et promeut la nécessité de
rendre les « hybrides explicites » pour comprendre le monde contemporain.
Si, les réflexions de Bruno Latour ou de Michel Serres s’appuient principa-
lement sur des objets-monde comme le trou d’ozone ou le réchauffement
climatique global afin d’engager un projet épistémologique et politique, elles
contribuent à stimuler les recherches sur l’environnement en géographie.
Par exemple, le travail d’Erik Swyngedouw [2007] reprend le concept
d’hybrides et propose une compréhension du monde contemporain dans
lequel les hybrides et le métabolisme jouent un rôle central. D’une part, il
affirme que « Les “Choses” sont des hybrides ou des quasi-objets (sujets et
objets, matériels et symboliques, naturels et sociaux) depuis le début. Je veux
dire par là que le “monde” est un processus de métabolisme perpétuel dans
lequel les processus sociaux et naturels se combinent dans la production
historico-géographique d’un processus de socionature, dont le résultat
(la nature historique) incarne des processus chimiques, physiques, sociaux et
économiques » ; d’autre part, il définit la socio-nature comme un processus
qui « incarne les processus matériels ainsi que les représentations prolifé-
rantes, incohérentes et symboliques de la nature ». On peut retenir de ces
travaux trois éléments fondamentaux :
– Tout d’abord cette approche est réaliste et prend en charge la maté-
rialité du monde. Elle en fait un objet d’étude situé dans une perspective de
production historique. Les hybrides sont des enjeux de la recherche.
– Ensuite, elle affirme que les processus métaboliques qui mêlent sans
cesse dimensions naturelles et sociales nécessitent de dépasser l’analyse clas-
sique. Elle ajoute de la matérialité, de l’espace et du temps de manière plus
explicite à la proposition latourienne.
– Mais, à sa différence, elle définit des entités hybrides qui ne résultent pas
de la relation entre des entités indépendantes, ontologiquement distinctes,
qui s’hybrident, mais des entités qui sont intrinsèquement produites par des
relations qui les constituent. Il s’agit d’abord de fragments de socio-nature où
faits sociaux et naturels sont inséparables.
Cependant, on peut se demander si l’affirmation que la nature est partout
ne cache pas surtout l’idée que la nature est partout socialisée et qu’ainsi,
28 ! Géographie de l’environnement

pour la comprendre, il faut d’abord et avant tout étudier la société. Ainsi,


dans la géographie d’Erik Swyngedouw, il n’y a pas d’analyses holistiques
des objets hybrides et le projet est d’abord celui de la political ecology cen-
trée sur la compréhension des rapports des forces qui sont en jeu dans les
questions environnementales [CHARTIER et RODARY, 2016]. La question
qui se pose est donc : que signifie en géographie de l’environnement que les
objets, les faits, les processus, les systèmes soient des hybrides ? Cela nous
aide-t-il à mieux décrire et comprendre l’environnement contemporain ?

Faut-il considérer le géosystème


et ses composants comme des hybrides ?
Reprenons l’exemple de début de chapitre, celui des systèmes fluviaux de
l’Europe occidentale. L’enquête sur la longue durée révèle l’ampleur des trans-
formations des paysages des rivières [LESPEZ et al., 2015]. La néolithisation
et ses effets différés entraînent une première métamorphose par l’afflux des
sédiments limoneux qui fossilisent les zones humides préexistantes alors
que le chenal unique devient la figure dominante des cours d’eau de plaine
et des plateaux. Du haut Moyen Âge à la Révolution française, un dispositif
de pouvoir performant a créé puis entretenu les rivières aménagées [LESPEZ
et al., 2016]. Les sociétés ont réorganisé les flux d’eau et de sédiments créant
une nouvelle matérialité à laquelle participent de nouveaux objets (seuils,
barrages, biefs, moulins, drains, haies bocagères…) proposant de nouveaux
habitats pour la faune et la flore. Ainsi, les rivières avec leurs lits méandri-
formes longés d’un rideau d’arbres et d’arbustes, légèrement encaissés dans
leurs plaines alluviales recouvertes d’herbages enclos de haies bocagères, sou-
vent incomplètes, et qui longent parfois encore de petits fossés sont-elles les
héritages d’une activité humaine plurimillénaire (figure 1.4).

Figure 1.4 Schéma montrant l’hybridation progressive


des rivières de faible énergie d’Europe de l’Ouest par les pratiques
humaines sur la base des recherches menées dans le bassin-versant
de la Seulles (Calvados)

Source : d’après LESPEZ et al., 2015.


La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 29

De fait, ces rivières sont des organismes hybrides animés par des flux
qui obéissent à des lois physiques ou biologiques, mais dont la matérialité,
l’agencement et les conditions de fonctionnement sont déterminés depuis
plusieurs millénaires par les sociétés et leurs activités.
Ils correspondent à une matérialité hétérogène constituée d’objets
qui possèdent des trajectoires spécifiques, résultats directs ou indirects
d’interactions entre des activités humaines et des processus biophy-
siques intervenus à différents moments et selon différentes durées, si nous
conservons la lecture dualiste des Modernes. Autrement dit, les cours
d’eau contemporains sont un palimpseste de fragments de socio-nature,
c’est-dire que comme tous les objets d’étude de la géographie, ils sont des
fragments d’espaces-temps anthropisés. La première utilité du concept
d’hybride, c’est donc qu’il rappelle que matériellement il n’est plus possible
de distinguer des dynamiques sur la base d’une opposition entre naturel et
anthropique et que c’est irréversible. Les forces physiques, la spontanéité
et les processus biologiques continuent de s’exercer, mais dans un espace,
dans des systèmes anciennement et progressivement reconfigurés par les
pratiques humaines. La limite n’est plus dans le matériel, elle est mainte-
nant d’abord dans nos esprits où le dualisme perdure.
Mais nous pouvons être plus précis sur l’hybridation et les hybrides.
Contrairement à ce qui domine dans la littérature scientifique contem-
poraine, ce ne sont pas seulement les organismes complexes comme les
géosystèmes, les paysages, les écosystèmes qui sont hybridés, mais bien les
briques élémentaires qui constituent la matérialité de ces systèmes pour
les géographes. Revenons sur l’exemple des cours d’eau et considérons
leurs plaines alluviales en Europe tempérée. Celles-ci sont encore souvent
dominées par un paysage de prairies permanentes où paissent des bovins
à moins que l’agriculteur ne les fauche. Évidemment, ce paysage végétal
est le produit de l’activité agricole (intégrant les pratiques de l’agriculteur,
le fonctionnement physiologique des plantes, etc.) et constitue par défi-
nition un hybride, mais il en est de même pour le substrat sur lequel il
s’est développé. Les limons de débordement accumulés au cours des deux
à trois derniers millénaires sont les grains de quartz issus de l’érosion des
limons éoliens recouvrant les plateaux qui ont subi l’érosion hydrique
puis qui ont été transportés le long de drains élémentaires, de rus, de ruis-
seaux jusqu’à être déposés lors d’une crue par le débordement du cours
d’eau. L’exhaussement de ces plaines alluviales a permis de les exonder une
grande partie de l’année et d’y faire pousser les graminées. Celles-ci ont, en
retour, avec le concours des agriculteurs qui ont drainé le fond de vallée,
permis le développement d’un sol brun alluvial qui favorise le maintien de
cette végétation artificielle. Ainsi, le grain de quartz de la taille des limons
dans son voyage terrestre a-t-il parfois été directement soumis à l’action de
30 ! Géographie de l’environnement

l’homme (érosion liée aux pratiques agraires) ou indirectement du fait des


transformations de l’utilisation des sols (splash et ruissellement diffus dans
un champ cultivé) ou de l’hydrologie et de l’hydrographie des bassins-ver-
sants anthropisés. À chaque fois, le processus est également déterminé par
le jeu de forces émanant de lois générales comme la gravité et les forces de
cohésion qui s’y opposent.
La géographie étudie donc des processus qui sont des hybrides de
pratiques et de forces qui interagissent avec des fragments de socio-
nature. Autrement dit, aucun élément (du grain de sable à la graminée)
n’est à sa place naturellement et l’activité humaine contrôle leur cycle
de vie. Que l’agriculteur s’en aille et que la friche s’installe, que les seuils
et les barrages soient démantelés, les limons hérités resteront en partie
le produit de l’activité humaine et les formations végétales se situeront
dans une succession qui s’organisera à partir d’un stade initial qu’elle a
défini. Bien sûr dans ce monde, la gravité, le cycle biologique, la sélec-
tion darwinienne jouent un rôle, la nature-processus demeure [LARRÈRE
et LARRÈRE, 1997 ; MARIS, 2018], mais elle travaille dans le carcan d’un
agencement matériel et de flux reconfigurés par les sociétés humaines et
leurs activités. Nous avons élaboré un monde matériel qui constitue le
cadre du vivant, autre que nous, et son comportement est conditionné par
nos actions ordinaires qui gèrent directement ou indirectement l’envi-
ronnement pour nos propres fins.

Conclusion
La géographie biophysique reconnaît depuis longtemps la nature hybride
des systèmes qu’elle étudie (géosystèmes, paysages). Mais les objets et les
processus élémentaires qui font système sont également hybrides. Ils sont
hybrides par construction, comme un cultivar ou une forêt plantée, ou par
métabolisme, parce que l’ensemble de leur fonctionnement (cycles bio-
géochimiques, comme celui du carbone ; chaînes trophiques, etc.) repose
sur l’interaction de fragments de socio-nature, c’est-à-dire de processus
artificiels ou d’origine naturelle modifiée ou coconstruits par l’anthro-
pisation. La spontanéité, le sauvage, l’autonomie pour les non-humains
sont, en tous lieux et en permanence contraints, dirigés, transformés par
les effets de nos pratiques présentes et passées. C’est cela qu’ajoute la
géographie depuis plus d’un siècle. Il y a bien des entités vivantes ou non
vivantes mais nous avons coconstruit la planète que nous habitons et bien
plus intimement que les premiers géographes ne le pensaient. L’hybridité
La nature de l’Anthropocène : nature anthropisée, nature hybridée ! 31

rappelle qu’à toutes les échelles pratiquées par l’approche géographique,


de celle de nos perceptions ordinaires à celle du globe, l’espace et la
matière sont constitués de la juxtaposition, la superposition, l’entremê-
lement d’objets qui sont des hybrides et que les catégories du naturel et
de l’anthropique doivent être questionnées. Cela n’est vraisemblablement
pas sans conséquence sur la manière dont nous devons formuler nos ques-
tions, exposer nos connaissances et penser le rôle du pôle biophysique,
et symétriquement celui du pôle constructiviste, dans la géographie de
l’environnement. C’est en partie cela qui est à l’œuvre et dont ce manuel
souhaite se faire le relais.
Chapitre 2

La place des données


biophysiques dans
l’analyse géographique
de l’environnement

L’ENVIRONNEMENT étant un hybride socio-naturel, il est assez logique que


des disciplines scientifiques tentent de l’appréhender dans sa globalité au
moyen de concepts analytiques tels que le géosystème, l’anthroposystème ou
le socio-écosystème et donc via des informations sur les dimensions sociales
et biophysiques. Comprendre la place qu’occupent les données biophysiques
dans l’analyse géographique de l’environnement implique de présenter ce que
les géographes considèrent comme des données biophysiques et comment la
géographie les incorpore.
Il ne s’agit pas de développer ici une approche d’épistémologie norma-
tive qui viserait à définir ce que devrait être la géographie biophysique,
mais plutôt, dans une logique descriptive, de présenter l’état des pratiques
actuelles. En préambule, il convient de faire preuve de modestie sur la
portée de ces propos. En effet, même si l’argument d’absence de réflexion
épistémologique, qui a été notamment utilisé dans les années 1970 en
France au cours du débat interne à la géographie, semble aujourd’hui moins
percutant compte tenu des travaux réalisés depuis [ex. GIUSTI, 2012],
les analyses épistémologiques restent malheureusement encore en grande
partie à développer pour couvrir tout le spectre des pratiques qui relèvent
de la géographie biophysique.
34 ! Géographie de l’environnement

Des données biophysiques : pour faire quoi ?


Une place variable au sein d’une géographie multifacette
L’objet d’étude de la géographie est un sujet de débat. De fait, la géogra-
phie comprend plusieurs programmes de recherche (au sens de Lakatos)
qui se sont succédés dans le temps et qui coexistent encore (relation socié-
tés/milieux avec une approche biophysique ou sociale, organisation de
l’espace, relation sociétés/espace, etc.). Le rôle des données biophysiques
au sein de la géographie peut donc s’examiner de deux façons complé-
mentaires.
– Premièrement, il est possible d’analyser la place de la géographie bio-
physique au sein de la discipline et ses relations avec les autres programmes
de recherche. Ce point a été largement discuté par ailleurs sans qu’il n’ait
vraiment été tranché. Si la géographie ambitionne d’appréhender toutes les
composantes sociales (dont la nature) par le prisme de l’espace, il ne peut
s’agir, dans le modèle actuellement dominant de l’activité scientifique, que
d’un projet collectif, car des spécialisations dans l’analyse de la dimension
socio-spatiale des transports, de la culture, du genre, du relief, etc. sont
probablement inévitables. Il faut des géographes qui étudient la nature
dans ses deux dimensions, idéelle et matérielle, et les relations entre ces
dimensions et avec les autres composantes de l’espace social. Mais pour
que cela fonctionne, il faut bien accepter l’idée de concourir à un même
projet. Cela implique, de la part des géographes qui analysent les objets de
nature, de se concentrer en particulier sur leurs propriétés spatiales et sur
les relations que ces objets entretiennent avec les sociétés.
– Deuxièmement, il est possible d’observer comment les différents pro-
grammes de recherche font appel aux données biophysiques. Elles peuvent
être centrales comme en géographie physique ou secondes par exemple en
géographie environnementale, voire marginales comme dans les théories
de l’espace (tableau 2.1). Elles peuvent être étudiées pour ce qu’elles disent
du monde réel qui nous entoure. Mais elles peuvent aussi n’être prises en
considération que pour le sens qu’elles prennent pour un individu ou pour
la société, et dans ce cas, elles sont intégrées dans l’étude de l’environnement
via des concepts comme ceux de ressource, de contrainte, d’aléa, etc. Elles
peuvent enfin servir de support à des analyses de relations sociales (appro-
priation, domination, etc.).
La place des données biophysiques ! 35

Tableau 2.1 Présentation schématique non exhaustive de la place


des données biophysiques dans des programmes de recherches
développés en géographie au cours du XXe siècle

Programme Cadre scientifique Importance et place


des structures
et des processus biophysiques
Géographie physique Fonctionnement des milieux Objet d’étude principal, voire
biophysiques incluant unique.
les activités humaines. Spécialisation par branche.
Étudiés en soi, comme
des faits.
Reliés au social en amont
ou en aval via les notions
de risque, de contrainte,
de ressource, etc.
Géographie physique Relation milieux/sociétés Objet d’étude principal.
systémique à partir d’une approche Composante d’une nature
intégrée. anciennement anthropisée,
les éléments biophysiques sont
historicisés.
Géographie Relation sociétés/milieux Objet d’étude second.
de l’environnement avec une approche sociale. Intermédiés par le prisme
ou environnementale du social et du politique via les
notions de justice, d’inégalité,
de pouvoir, etc.
La biophysique est
un des éléments qui alimente
les relations socio-spatiales
(usages, rapports de force, etc.).
Science des territoires Organisation de l’espace. Objet d’étude secondaire.
Intermédiés par le prisme
de l’aménagement,
des risques, etc.
Éléments constitutifs
des territoires.
Théories de l’espace Relation sociétés/espace. Ils ne sont pas un objet
d’étude, ou alors il est
marginal (c.-à-d. rugosité).
Progressivement réintégrés
via l’habiter.

Une nécessité pour comprendre l’environnement


D’un point de vue pragmatique, qu’apporte la prise en compte des données
biophysiques dans l’étude de l’environnement ? Schématiquement, cela per-
met de répondre à au moins 4 questions.
1. Ces données servent à décrire et expliquer les variations spatiales d’un
état ou d’un fonctionnement biophysique : type de processus d’érosion selon
36 ! Géographie de l’environnement

des environnements bioclimatiques ou anthropiques variés, évolution de la


diversité végétale en fonction de la taille des îlots boisés dans un paysage
d’openfield, etc.
2. Les données biophysiques permettent de caractériser les conditions
environnementales d’un territoire. Il peut s’agir de quantifier la fourniture
et la répartition d’une ressource, d’un bien ou d’un service (ex. force du vent,
types de sol, biomasse végétale), d’évaluer le degré d’une contrainte (ex. ari-
dité, faible portance d’un sol), d’anticiper un aléa (ex. érosion, inondation) ou
de proposer des indicateurs de suivi des milieux et des pratiques de gestion
environnementale. Ces usages sont typiques de la géographie biophysique,
mais se retrouvent aussi dans certains travaux d’analyse territoriale. Dans les
approches centrées sur l’individu, via les notions d’habiter, d’espace vécu, de
santé ou de sollicitude (le care), les données biophysiques, bien que secon-
daires, fournissent également des informations utiles pour comprendre sa
relation à l’espace.
3. Il est possible de mesurer la transformation des territoires au moyen de
données biophysiques et d’évaluer l’effet biophysique d’un phénomène social,
culturel, économique ou politique : l’effet d’un front de déforestation sur les
conditions climatiques et sur la biodiversité, l’effet de l’étalement urbain et
des infrastructures de communication sur la mobilité des animaux, l’effet de
la transformation des pratiques agricoles sur l’érosion des sols et la qualité
des cours d’eau, l’effet de la mise en protection d’un territoire sur les popula-
tions animales et végétales, etc. Ces questions peuvent être illustrées par les
travaux de géographie systémique où les données biophysiques témoignent
de l’anthropisation de la nature.
4. En géographie de l’environnement, l’analyse de données biophysiques
peut être utilisée pour révéler des relations, des logiques sociales, des choix
politiques, des différences culturelles, etc. Par exemple, la structure et la
composition d’une forêt ou l’état d’une zone humide peuvent renseigner
sur les formes d’appropriation et les relations sociales associées alors que
la distribution spatiale d’un aléa peut révéler la relation entre la répartition
d’un risque et les inégalités sociales, par exemple dans le cas des inondations.

Une dialectique état/dynamique


Les données biophysiques permettent de caractériser l’état et la dynamique
de l’environnement. L’état renvoie aux notions de forme et de structure, de
position, d’agencement et de patron spatial (ex. réseau, mosaïque), de gran-
deur physique (ex. volume, hauteur, température), etc. Il s’agit des propriétés
des objets élémentaires et de leur agencement dans l’espace à un instant
donné. Temporellement, la fenêtre d’observation est suffisamment courte
pour considérer que l’état est stable au sein de celle-ci. En revanche, l’étude
La place des données biophysiques ! 37

de la dynamique d’un système renvoie aux notions de processus, de dyna-


mique, d’échanges, de flux, de transition, etc. Schématiquement, il s’agit soit
d’une trajectoire historique (succession d’états), soit d’un fonctionnement
à plus court terme comme les fluctuations autour d’un état moyen ou les
flux d’énergie, de matière ou d’information entre des entités biophysiques
distinctes. Évidemment, fonctionnement et état sont liés. Les analyses rétros-
pectives des états par photographies aériennes, par dendrochronologie ou
par carottage de dépôts sédimentaires sont des exemples de démarches où
une succession d’états (structure paysagère, largeur des cernes, taille des
sédiments) permet de reconstituer un processus en faisant l’hypothèse d’un
enchaînement causal. Tel processus produit tel état.

La nature des données : des catégories


construites, mais efficaces
Étudier l’environnement par une approche géographique revient à analy-
ser des hybrides. Mais, d’un point de vue méthodologique, les géographes
distinguent depuis longtemps des processus qui présentent des caractères suf-
fisamment distinctifs pour que leur différenciation demeure efficace encore
aujourd’hui. Classiquement, le fonctionnement d’un système environnemen-
tal est envisagé comme le résultat de l’interaction de 3 grandes catégories de
processus : physico-chimiques, biologiques et sociaux [TRICART et KILIAN,
1979]. Ces catégories relèvent de régimes apparus historiquement, dans cet
ordre, par l’émergence de propriétés nouvelles venant se combiner aux pro-
priétés anciennes. Par exemple, un système érosif est animé par des processus
physiques comme la gravité. Les organismes biologiques sont également
susceptibles de modifier l’érosion, mais ils sont soumis, en plus des forces
physiques, à des mécanismes évolutifs et sélectifs faisant intervenir des pro-
cessus tels que l’auto-organisation et la réplication. Enfin, les sociétés sont
composées d’individus soumis à certaines forces physiques et biologiques
mais elles sont caractérisées par des processus sociaux qui redéfinissent les
règles de sélection et d’interaction entre les individus (tableau 2.2). Discuter la
réalité et la nature de ces émergences dépasse le projet de cet ouvrage, car cela
nécessiterait de développer des perspectives également anthropologiques,
philosophiques, neurobiologiques, etc. Il convient néanmoins de rappeler
que ces catégories ne vont pas d’elles-mêmes et qu’elles ont été construites
sur la base d’un héritage scientifique positiviste de découpage du monde en
éléments unitaires faisant chacun l’objet d’analyses sectorielles dont la collec-
tion assure une reconstitution du monde par assemblage de savoirs [INKPEN,
2005]. Or, ce découpage est imparfait, car :
– il existe d’autres façons d’organiser des catégories pour analyser et
expliquer le monde ;
38 ! Géographie de l’environnement

– il y a des interactions emboîtées et rétroactives entre catégories.


Emboîtées, car le social est composé de biologique et physico-chimique, le
biologique est composé de physico-chimique et, rétroactives, car le social
modifie le physique, comme le montre les expériences nucléaires, et le bio-
logique, comme l’ont fait les pratiques de sélection des espèces végétales
cultivées depuis des millénaires. Le biologique modifie également le physique
comme le montrent les études sur l’effet de serre par exemple ;
– les discontinuités entre catégories sont floues et progressives comme
en témoigne, d’une part, l’existence de branches scientifiques en position
de contact comme la chimie organique, l’éthologie, l’anthropologie ou la
neurobiologie, et, d’autre part, l’importance contemporaine de questions
aussi complexes que l’émergence du vivant ou, autrement dit, le passage du
physico-chimique au biologique.

Tableau 2.2 Grandes catégories des données mobilisées dans l’analyse


géographique de l’environnement

Catégorie Objet Exemples de Exemple de disciplines


(exemples) forces/processus dédiées
considérés comme
caractéristiques
Physico- Matière non-vivante Gravité, interaction Chimie : étude
chimique (grain sable, électromagnétique. de la constitution
rocher). des corps physiques
élémentaires
et des combinaisons
de ces corps, au niveau
atomique et moléculaire.
Physique : étude
des propriétés
de la matière et des lois
régissant les phénomènes
observables.
Biologique Vivant non humain Évolution et sélection Biologie : étude de la vie
(arbre, grenouille). darwinienne liées aux et des organismes vivants.
processus d’auto- Physiologie : étude des
organisation, de fonctions et des propriétés
reproduction, etc. des organes et des tissus.
Sociale Humain, social Affect, droit, Sociologie : étude
(individu, famille, morale. des faits sociaux humains,
gouvernement). des groupes sociaux en
tant que réalité distincte
de la somme des individus
qui les composent.
Économie : étude
de la production
et de la répartition
des richesses d’une société.
La place des données biophysiques ! 39

Malgré son caractère imparfait, pour de nombreux scientifiques, cette


distinction reste opératoire sur le plan méthodologique. En effet, elle ren-
voie à des dispositifs nécessairement différents car visant à analyser des
objets et processus différents et pour lesquels le poids relatif de forces qui
les influencent est variable. Ainsi, en suivant Hacking [2008], les catégories
physico-chimique et biologique correspondent à des objets indifférents alors
que la catégorie sociale renvoie à des objets interactifs, la distinction reposant
sur le fait que les premiers ne réagissent pas à l’identification et à la classifi-
cation mise en œuvre par les scientifiques qui les étudient, ce qui n’est pas
le cas des derniers. Le fait d’appeler un arbre « arbre » ne modifie pas son
fonctionnement physiologique, mais le fait d’attribuer à une personne une
caractéristique (chômeur, écolo, etc.) génère une interaction qu’il est néces-
saire de prendre en compte dans une analyse scientifique. Ainsi les données
biophysiques correspondent-elles à une information caractérisant des objets
ou des processus indifférents, suffisamment soumis à des forces physico-
chimiques et/ou biologiques pour que l’utilisation des méthodes des sciences
naturelles soit nécessaire (sans être suffisante) à leur compréhension.
En géographie, cette grande distinction entre objet indifférent et interactif
n’est pas totalement satisfaisante. En effet, contrairement à de nombreuses
disciplines de sciences naturelles, la géographie analyse des objets nécessai-
rement inscrits dans un territoire ou dans un réseau d’interactions sociales.
Un arbre est théoriquement un objet indifférent. Le fait de l’identifier comme
arbre, comme chêne, comme espèce emblématique ou rare ne modifie pas
son métabolisme. En revanche, le fait d’attribuer ces caractéristiques à un
groupe donné d’arbres, implantés dans un lieu spécifique, est susceptible de
modifier son mode de gestion et donc sa forme ou sa dynamique et les géo-
graphes en charge de ces questions en sont conscients à tel point qu’ils en
font l’objet d’études spécifiques (cf. chapitre 13).

Une approche essentiellement empirique


La production et l’analyse de données ne représentent pas des objectifs scien-
tifiques, ce sont des moyens pour alimenter une réflexion, un raisonnement.
Or, il y a plusieurs façons de faire de la science, plusieurs façons d’articuler
un cadre théorique et des données. Les sciences sociales et naturelles sont
considérées comme des sciences empiriques, par opposition aux sciences
formelles ou exactes, car elles sont basées sur une expérience sensible du
monde. Elles sont donc, par nature, moins hypothético-déductives et moins
mathématisées que les sciences formelles. La véracité des énoncés est essen-
tiellement évaluée par leur cohérence factuelle ou matérielle et non par leur
cohérence formelle comme en mathématiques. Cependant, la caractérisa-
tion des disciplines empiriques est difficile, car la pensée épistémologique
40 ! Géographie de l’environnement

est dominée par les études sur la physique, parfois considérée comme
l’archétype des sciences empiriques. Or, il n’y a pas de structure et de fonc-
tionnement épistémologique unique valable pour toutes les disciplines
et le cas de la physique est mal adapté pour décrire celui de la géographie
biophysique.
Par définition, les sciences empiriques se caractérisent par la place cen-
trale de l’expérience sensible dans le dispositif scientifique sous deux formes :
l’observation et l’expérimentation. L’observation est majoritaire en géogra-
phie biophysique, mais l’expérimentation est tout de même présente via, par
exemple, les sites expérimentaux, la modélisation spatiale et les modèles phy-
siques (cf. chapitre 12). Schématiquement, l’observation permet une approche
globale ou holistique de la matérialité alors que l’expérimentation fait le choix
d’une approche réductionniste afin de comprendre avec précision l’enchaî-
nement des processus dans des conditions contrôlées. Une des spécificités
de la production géographique sur les questions d’environnement est proba-
blement la capacité à produire des réflexions holistiques et réductionnistes,
en mobilisant plusieurs styles de pensées (ex. classificatoire, évolutionnaire,
probabiliste, etc.) ou plusieurs modes d’articulation entre théorie et données
(cf. encadré). Cette combinaison est imposée par la nature systémique, et
donc la diversité des interactions, des objets étudiés. Par exemple, l’évolution
d’une forêt sous l’effet du changement climatique peut s’étudier en mesurant
expérimentalement et in situ l’effet des variations de différents paramètres
(température, précipitations, CO2 atmosphérique, etc.) sur la régénération
et la croissance des différentes espèces qui la composent, puis en combinant,
a posteriori, ces informations pour établir des projections par une approche
réductionniste à partir de modèles numériques. Mais, la qualité de ces pro-
jections sera améliorée si d’autres données, comme l’évolution des usages,
des politiques publiques et des populations d’herbivores, sont associées aux
résultats expérimentaux dans un modèle systémique. La géographie possède
d’ailleurs des outils performants pour dépasser ce clivage, des outils comme
les modèles spatialement explicites capables de coupler expérimentation et
démarche systémique.

Causes, effets et lois en géographie biophysique


Il existe plusieurs modes d’articulation entre théorie et données qui renvoient à
différentes façons d’établir un lien entre une cause et un effet au moyen de lois
[figure 2.1, pour plus de détail voir INKPEN, 2005]. Classiquement, trois relations
sont distinguées.
1. La déduction : en connaissant la cause et la loi, il est possible de déduire l’effet.
Par exemple, la loi de conservation de la masse permet de déduire la quantité de
matière en suspension en transit dans un système fluvial en connaissant la quan-
tité d’entrée, dans la mesure où elle se conserve.
La place des données biophysiques ! 41

2. L’induction : la cause et l’effet sont connus, si une cause produit toujours – ou


de manière statistiquement significative – le même effet, il est possible d’induire
une loi qui relie les deux. Par exemple, l’étude de l’écologie des îles a montré
qu’elles maintiennent souvent des systèmes écologiques simplifiés contenant des
espèces uniques, des populations généralement de petite taille et des défenses
contre des prédateurs faibles par rapport à leurs homologues du continent. Ce
constat, avec d’autres, a permis de formaliser la théorie de la biogéographie insu-
laire élaborée dans les années 1960 par MacArthur et Wilson. Dans ce cadre,
une loi a été établie qui prédit que la taille d’une île et sa distance du continent
modulent sa richesse spécifique.
3. L’abduction : un effet est observé et si, parmi les lois qui pourraient expliquer la
manifestation de cet effet, une loi est plus plausible que les autres, il est possible
d’en conclure la cause initiale. Ce type de raisonnement est fréquemment utilisé
dans les reconstructions environnementales où, par exemple, un changement de
composition pollinique est interprété comme le résultat d’une mise en culture ou
d’un changement climatique compte tenu des exigences écologiques connues des
taxons concernés.
Trois remarques s’imposent immédiatement. Premièrement, ces approches ne
sont pas exclusives les unes des autres. Par exemple, une démarche déductive peut
venir renforcer la compréhension d’un phénomène après qu’une démarche induc-
tive basée sur des observations multiples ait permis d’établir des hypothèses de
travail. Deuxièmement, la nature des objets et des phénomènes étudiés en géogra-
phie biophysique se traduit presque toujours par des relations complexes, avec des
rétroactions entre les causes et les effets. Par exemple, la végétation limite l’éro-
sion et favorise en retour son maintien dans une boucle de rétroaction positive.
On constate également le plus souvent que les causes et les effets sont multiples,
plusieurs causes pouvant produire un effet, une même cause pouvant avoir plu-
sieurs effets et la relation étant relayée par des causes intermédiaires, pas toujours
connues (figure 2.1). Ainsi, la crise érosive observée en Afrique sahélienne dans
les décennies 1970 et 1980 résulte-t-elle d’une oscillation aride du climat inter-
venant dans un contexte de fort développement des pratiques agropastorales qui
concourent toutes les deux à la fragilisation de la végétation arbustive et steppique
et au développement des sols nus. Ceux-ci sont dès lors soumis aux effets du splash
favorisant l’apparition de croûtes de battance qui facilitent le ruissellement et sont
à l’origine d’un développement généralisé des ravinements malgré la sécheresse.
Troisièmement, il existe un flou important concernant ce que recouvre le terme de
« loi ». Lier une cause à un effet via une loi est une construction issue de la physique
qui cherche à établir des relations avec un haut niveau de généralisation reposant
sur des mécanismes causaux universels comme la loi de la gravitation. Or, en géo-
graphie, les relations analysées sont plus souvent multicausales, comportent des
rétroactions et sont soumises à des contingences spatio-temporelles fortes, les lois
sont alors plutôt des régularités statistiques ou des modèles dont les exceptions
sont d’ailleurs nombreuses et très signifiantes comme pour la loi élaborée dans le
cadre de la biogéographie insulaire.
42 ! Géographie de l’environnement

Figure 2.1 Différentes relations possibles pour relier cause (C), loi (L)
et effet (E), souvent le lien passe par des causes intermédiaires (I)
Déduction Induction Abduction Causes/effets
multiples
C C CCC C1 C2 C3

I1 I3
L L L
I4
I2

E E E E1 E2
Ces logiques se différencient en fonction des éléments connus (en noir) et de ce qui est
déterminé à partir de ces éléments connus (en gris). NB : les interactions complexes de
type rétroactions ne sont pas représentées.
Source : modifié d’après INKPEN, 2005.

Entre études de cas et généralisations


La géographie biophysique, et plus largement l’ensemble de la géographie,
produit-elle des savoirs universels ou des savoirs dont la validité est limi-
tée à l’espace où ils ont été formalisés ? Cette opposition entre approches
idiographiques et nomothétiques est un débat ancien, aussi vieux que la géo-
graphie scientifique moderne. Il distingue, d’une part, la description des lieux
et la mise en évidence de l’unicité et de la spécificité du lieu avec l’approche
idiographique et, d’autre part, la recherche de tendances et de généralisation
avec l’approche nomothétique. Pour toutes les sciences naturelles, une mon-
tée en puissance des approches nomothétiques est indiscutable à l’échelle
du XXe siècle, mais, pour la géographie biophysique, l’existence d’un nombre
très limité de lois, au sens où elles sont définies en physique, donne un carac-
tère un peu tronqué à ces approches nomologiques. Ainsi, l’explication des
phénomènes se fait-elle moins souvent via des déductions nomothétiques,
c’est-à-dire en lien avec des lois universelles, que via des explications pro-
babilistes, c’est-à-dire des inductions statistiques, comme la relation entre
la richesse biologique d’une île, sa taille et sa distance du continent. De fait,
la géographie biophysique est davantage une science fondée sur l’étude de
cas, dont la valeur nomothétique est évaluée par des observations répétées
et des approches statistiques, qu’une science de lois physiques, même si elle
les mobilise dans ses raisonnements et ses argumentations. Par exemple,
l’augmentation de la température atmosphérique favorise le réchauffement
du sol et des roches conduisant à la fonte du permafrost mais, si tous ces
La place des données biophysiques ! 43

phénomènes peuvent être décrits par la physique, la complexité des situa-


tions géographiques fait que la prédiction de la fonte du permafrost dans un
massif montagnard ne peut s’appuyer sur une modélisation physique seule et
nécessite de développer de multiples observations pour établir des relations
entre le réchauffement climatique, la fonte du permafrost et des situations
données (cf. chapitre 15). L’utilisation de plusieurs modes de relation entre
causes et effets et la combinaison des approches idiographiques et nomo-
thétiques sont fondamentales, car l’existence de lois, même statistiques, et
l’écart à ces lois sont deux sources d’information précieuses. Par exemple,
des mesures répétées de la géométrie des cours d’eau d’une région donnée
permettent d’en définir un modèle régional et la comparaison des propriétés
spécifiques d’un tronçon de rivière donné avec ce modèle constitue une base
de réflexion pour le scientifique et le spécialiste en charge de sa gestion envi-
ronnementale (cf. chapitre 17).

Conclusion
Les enjeux environnementaux contemporains associent des processus phy-
siques, biologiques et sociaux. Faire une géographie de l’environnement
implique donc d’embrasser cette diversité de processus qui, s’ils résultent
d’une catégorisation construite, présentent des caractéristiques différentes
qui impliquent le recours à approches méthodologiques variées. La géogra-
phie biophysique est globalement empirique, mais cet empirisme combine
études de cas et généralisations par la mobilisation conjointe de démarches
déductives, inductives et abductives au sein d’un modèle épistémologique
original.
Chapitre 3

Les approches critiques


et réflexives

LES GÉOGRAPHES NATURALISTES contribuent à l’analyse des enjeux environ-


nementaux en produisant des connaissances sur les processus biophysiques
et sur leur articulation avec les processus sociaux. Progressivement, ces
géographes ont développé des pratiques en phase avec les disciplines des
sciences naturelles connexes (géologie, écologie, etc.) et à même d’affirmer
leur scientificité, leur efficacité et leur légitimité. Cette évolution s’est pro-
duite en parallèle avec un ancrage plus affirmé de la géographie dans le champ
des sciences sociales. Le maintien d’approches biophysiques au sein de la
géographie en tant que discipline institutionnalisée provoque des tensions,
mais il est aussi source d’une plus-value potentielle du fait de la proximité
que cela crée avec les approches sociales de l’environnement et les cadres
réflexifs, voire critiques, développés par les sciences sociales et humaines. Ce
chapitre présente les démarches qui, notamment au sein de la géographie
anglophone, visent à nommer et à développer des approches de l’environne-
ment associant explicitement géographie biophysique et approche radicale
sous le nom de géographie physique critique (Critical Physical Geography).
Ces démarches proposent à la fois de renouveler le positionnement des géo-
graphes biophysiciens en tant qu’enseignant et chercheur et de développer
une approche plus politique de l’étude des processus biophysiques qui struc-
turent l’environnement.
La géographie physique critique recouvre des travaux qui analysent les
interactions entre, d’une part, des structures et des relations sociales et,
d’autre part, des processus et des structures biophysiques, que ce soit direc-
tement ou par le biais de la production de savoirs. Il s’agit, d’une part, de
conserver un discours sur la matérialité du monde avec une maîtrise des
outils de mesure des processus biophysiques et, d’autre part, d’aller au-delà
de la simple prise en compte des sociétés comme des boîtes noires dans
les questions environnementales. Concernant ce second point, cela passe
46 ! Géographie de l’environnement

par une démarche réflexive, notamment sur la dimension construite des


pratiques scientifiques, et par une volonté de mettre à jour et de dénoncer
les relations de pouvoirs associées aux questions environnementales. Ainsi,
cette proposition comprend un volet épistémologique et un volet politique
qui ne s’excluent pas nécessairement, mais qui ne sont pas non plus indis-
sociables.

Développer une approche réflexive :


exemples au sein de la géographie anglophone
Être critique en faisant de la géographie biophysique
Épistémologiquement, l’étude conjointe de processus physiques, bio-
logiques et sociaux implique le rejet de positions comme le positivisme
logique ou le relativisme fort, qui ne permettent pas l’appréhension adé-
quate de certains de ces processus, et l’adoption de positions telles que le
réalisme critique ou le réalisme pragmatique qui permettent de développer
une connaissance factuelle du monde biophysique tout en reconnaissant
que cette connaissance est socialement construite [TADAKI et al., 2015a]
Dans cette perspective, les concepts (ex. écosystème, zonalité) ou les indi-
cateurs (ex. tel taxon) mobilisés par les sciences naturelles sont une façon
de voir parmi d’autres et une façon de voir située, c’est-à-dire qui ne peut
être découplée du contexte sociopolitique et du lieu de son émergence.
Ainsi, il s’agit d’être critique et de développer une attitude réflexive sur
la portée sociopolitique des pratiques de recherche et d’enseignement en
géographie biophysique, notamment en reconnaissant que les processus
de recherche et d’enseignement sont des pratiques situées et que la posi-
tion institutionnelle ou dans un courant de pensée politique, éthique ou
scientifique des chercheurs peut significativement influencer ce qu’ils étu-
dient. Cette réflexivité ne se limite pas à porter un regard critique sur les
faits et des données que nous produisons, elle nécessite le développement
d’une compréhension du poids et du rôle des pratiques et des institutions
scientifiques. Ce positionnement relève de l’attitude et de la pratique pro-
fessionnelle (tableau 3.1) et s’inscrit dans un mouvement plus large de
recomposition des relations entre sciences et société qui prend des formes
diverses (transdisciplinarité, ralentissement des sciences, reconnaissance
des savoirs traditionnels, etc.). Cependant, il n’implique pas nécessaire-
ment un engagement politique des scientifiques pour défendre le point de
vue de certains acteurs (plus pauvres, plus faibles, plus opprimés) contre
d’autres (plus riches, plus forts, plus dominants), mais il propose un reca-
drage critique des présupposés qui sous-tendent les actions de recherche.
Les approches critiques et réflexives ! 47

Tableau 3.1 Exemples de quatre façons d’être critique

Pratique Définition et action


Disposition Reconnaissance d’une partialité située qui assume une pluralité
de vues dans l’appréhension des milieux biophysiques et dans leur
mesure, ainsi qu’une pluralité des approches d’analyse des paysages,
des écosystèmes, etc. Cette attitude est attentive à la manière dont
les sciences de l’environnement sont mobilisées pour inspirer cer-
taines formes d’action.
Recadrage Exploration active des différentes façons de comprendre l’environ-
nement (« le problème ») et des cadres scientifiques sous-jacents aux
actions mises en œuvre (« les solutions »). La mise en évidence les
liens entre les valeurs et les pratiques scientifiques permet de déli-
bérer plus ouvertement sur les moyens et les objectifs sociaux des
actions.
Mobilisation Mobilisation des problèmes environnementaux, des rationalités,
des outils et des solutions dans de nouveaux espaces ou forums,
reconfigurant au passage les relations locales. Cela incite à se
demander comment et par qui les récits environnementaux circulent
et progressent.
Recomposition Construction de projets cohérents (rassemblant des concepts, des
cadres scientifiques, des collègues, des méthodes, des investisse-
ments et des récits institutionnels) afin de permettre de nouvelles
voies d’action. Ces projets sont susceptibles de prendre des formes
et des trajectoires très différentes selon les contextes et les circons-
tances. Une telle pratique favorise et engendre la reconfiguration
institutionnelle et l’adaptation réflexive des participants.
Source : traduit d’après TADAKI et al., 2015a.

L’exemple de la définition des services écosystémiques liés


à l’eau dans le district de Tasman (Nouvelle-Zélande)
Tasman est une région de l’île du sud de Nouvelle-Zélande où, dans les
années 2010, les autorités régionales ont lancé une réflexion visant à éta-
blir des objectifs et des priorités de gestion de la ressource en eau dans
un contexte de développement économique et d’intensification de l’uti-
lisation des terres. Pour cela, il a été décidé de créer une liste des usages
et des valeurs associées à l’eau dans la région selon deux méthodes : une
méthode descendante basée sur la définition d’indicateurs de services éco-
systémiques sélectionnés par des experts, principalement scientifiques,
et une méthode ascendante basée sur une série d’ateliers associant une
large diversité d’acteurs du territoire concerné. La comparaison des deux
approches révèle des différences notables dans la façon d’identifier et
caractériser les différents usages. Par exemple, le système expert attribue
une valeur plus importante à la pratique de la pêche lorsqu’elle est prati-
quée par des personnes ne résidant pas dans la région que lorsqu’elle est
48 ! Géographie de l’environnement

le fait de la population locale, une différence qui n’a pas été faite lors des
ateliers et qui est même contestée par certains acteurs. De même, un petit
cours aux eaux turbides est négativement évalué par le système expert qui
le considère comme de mauvaise qualité alors que, pour les autres acteurs,
cette situation est considérée comme naturelle. Les géographes impli-
qués dans ce processus en tirent deux conclusions [TADAKI et al., 2015b].
Premièrement, l’évaluation environnementale au moyen d’un concept
scientifique comme les services écosystémiques ne consiste pas seulement
à révéler des processus biophysiques objectifs, ils imposent aussi une ratio-
nalité particulière dans le processus de prise de décision. Deuxièmement,
ils concluent à l’importance, en tant que scientifiques acteurs du proces-
sus, d’avoir conscience du fait que leurs pratiques scientifiques impliquent
des jugements discutables sur la façon dont les structures et les processus
biophysiques sont liés les uns aux autres ainsi que sur la valeur sociale de
ces structures et de ces processus.

Développer une approche politique :


exemples au sein de la géographie anglophone
Être critique en s’engageant
La géographie physique critique est une approche intellectuelle qui certes
repose sur la compréhension fine des processus, mais qui, pour certains de
ces promoteurs, doit aussi proposer une analyse critique de la dimension
sociale associée à ces processus et à cette compréhension [LAVE et al., 2018].
Dans ce sens, le terme « critique » renvoie explicitement aux positionne-
ments multiples de la géographie radicale, sociale ou engagée qui se sont
affirmés depuis les années 1960 et implique une forme d’engagement de la
recherche. Un engagement qui se traduit par une responsabilité à dénoncer
et à déconstruire des rapports de domination établis sous couvert de pro-
blèmes environnementaux et les effets de transformation de ces rapports
sur les milieux. Cette approche se réclame de travaux menés en histoire
environnementale, en political ecology et dans les sources d’inspirations de
ces deux champs scientifiques. Par certains aspects, le développement de
la géographie physique critique apparaît comme une réaction d’une partie
du monde académique anglophone à l’évolution de la political ecology dans
les années 1990 qui, en se développant, se serait éloignée progressivement
d’une analyse matérielle du monde pour se concentrer sur l’analyse des dis-
cours sur l’environnement.
Les approches critiques et réflexives ! 49

L’exemple de la dépolitisation des incendies


dans l’ouest des États-Unis
L’analyse des rapports entre développement des territoires et feux dans l’ouest
des États-Unis menée par Simon [2016] illustre ce volet de la géographie phy-
sique critique. En effet, ce dernier démontre que le discours dominant sur les
feux dans cette région des États-Unis donne, parmi les causes susceptibles
d’expliquer les dégâts qu’ils occasionnent, une place majeure au changement cli-
matique qui rendrait le territoire plus inflammable. Or, l’analyse du processus,
notamment la répartition spatiale des feux, amène l’auteur à souligner le rôle
premier des processus économiques et sociaux qui transforment le territoire,
notamment dans les zones périurbaines. Or, ces transformations paysagères
et urbanistiques, qui sont systématiquement sous-estimées, voire ignorées,
sont elles-mêmes le résultat d’un système économique fondé sur la recherche
d’un profit : les paysages les plus inflammables sont aussi les paysages lucratifs.
Ainsi, depuis une centaine d’années, certains acteurs tirent-ils des profits (issus
du développement résidentiel et de la protection de ces espaces contre les feux)
d’un processus qui accroît les risques d’incendies qui sont presque toujours
présentés comme le produit inévitable du changement climatique.

L’exemple de l’effet du mode de financement


de la restauration sur la forme des cours d’eau
Les actions de restauration entreprises dans certains pays visent à amélio-
rer la qualité des écosystèmes modifiés par des décennies, voire des siècles,
d’aménagement. Aux États-Unis, Doyle et ses collègues [2015] ont analysé
l’effet des actions de restauration menées en Caroline du Nord sur la forme
des cours d’eau. Ils n’ont pas seulement comparé les formes fluviales des tron-
çons restaurés à celles des tronçons non restaurés ; ils ont également, au sein
de ces premiers, comparé deux situations en fonction du type de financement
des actions de restauration. En effet, aux États-Unis, une part importante des
actions est menée dans le cadre de banques de compensation. Il s’agit d’une
forme de gestion environnementale basée sur le marché dans laquelle les
banques de compensation récupèrent des financements auprès d’opérateurs
qui ont développé des programmes d’aménagement ayant un impact néga-
tif sur l’environnement qu’ils doivent compenser ailleurs en investissant un
montant déterminé. La banque mobilise ensuite ces fonds dans des actions
de restauration. La mesure in situ de la morphologie montre que les tron-
çons restaurés n’ont pas la même forme que les tronçons témoins (c.-à-d.
non restaurés) mais aussi que les tronçons restaurés via ce système basé sur
le marché n’ont pas la même forme que ceux restaurés via des programmes
non commerciaux (ils sont par exemple plus sinueux).
50 ! Géographie de l’environnement

Cette différence s’explique par le fait que les acteurs de la restaura-


tion dans les deux systèmes sont différents, ils n’ont donc ni les mêmes
pratiques, ni les mêmes bagages scientifiques, ni les mêmes contraintes
financières, etc. Autrement dit, le financement des actions de restau-
ration par des systèmes de marché implique des systèmes d’acteurs
différents des autres systèmes et façonne ainsi des cours d’eau et pay-
sages différents.

La géographie biophysique critique


vue depuis la sphère francophone
Si l’usage du label « géographie physique critique » reste limité à la sphère
académique anglophone, cela ne signifie pas pour autant que l’adoption
d’approches réflexives et critiques est inexistante ailleurs dans le monde.
En effet, à l’image de la political ecology, le label ne fait pas la pratique, et la
sphère académique francophone accueille également des réflexions origi-
nales sur les relations entre processus biophysiques, pratiques scientifiques
et enjeux socio-culturels (dont les relations de pouvoir). Malheureusement,
il existe encore peu d’analyses synthétiques du positionnement épisté-
mologique des approches naturalistes au sein de la géographie francophone
pour en attester.
Concernant le volet réflexif et épistémologique, considérer les milieux
sous le triple angle donné/construit/vécu n’est peut-être pas le plus cou-
rant à l’échelle des géographes biophysiciens en tant qu’individus, mais
cela est pratiqué depuis plusieurs décennies et selon plusieurs entrées
(voir par exemple les travaux de G. Bertrand, A. Dauphiné, Y. Chatelin
et G. Riou, J.-P. Marchand, J.-P. Bravard, M. Cohen, J.-P. Métaillé,
C. Giusti, etc.). Et si le positionnement historique de la géographie phy-
sique est celui d’un réalisme ontologique et scientifique relativement naïf,
la position actuelle semble moins nette. En effet, la reconnaissance de la
dimension construite des notions et des concepts mobilisés est parfois
explicitement reconnue [GIUSTI, 2012], même si une diffusion plus large
de cette prise en compte reste en grande partie à faire et impliquerait
l’élargissement du dispositif épistémologique mis en œuvre par la géo-
graphie biophysique.
Concernant le volet radical et explicitement politisé des questions
environnementales, celui-ci ne semble historiquement pas très pré-
sent dans la communauté des géographes biophysiciens francophones.
Pourtant, des débats anciens comme celui des causes anthropiques de
l’érosion furent l’expression de cette dimension critique, parfois explici-
tement politique, de l’activité scientifique des géographes biophysiciens.
Les approches critiques et réflexives ! 51

Jean Tricart propose en 1956 un article intitulé « La géomorphologie et


la pensée marxiste », dont la dimension manichéenne fut en son temps
critiquée, mais qui posait les termes d’un débat où l’érosion anthropique
devait autant être analysée comme le produit de pratiques, en particu-
lier agropastorales, que du point de vue des « techniques de culture, [de]
l’orientation économique de ses activités, c’est-à-dire en un mot, son
type d’organisation sociale, qui commandent son attitude vis-à-vis de la
nature ». René Neboit [2010] rappelle également que la crise morpho-
génique de grande ampleur qui caractérise l’Afrique du Nord dans la
seconde moitié du XXe siècle a été l’enjeu de discussions vigoureuses
entre deux conceptions opposées des origines de la crise. Ainsi, pour
Jean Pouquet, dans l’explication de la crise érosive qui touche les reliefs
de l’Oranie, l’occupation humaine n’est qu’un épiphénomène dans un
contexte géomorphologique et bioclimatique très sensible. En revanche,
pour Maurice Benchetrit, la crise morphogénique est la conséquence de
la crise économique liée à la colonisation qui a entraîné le déplacement
de population dans les montagnes, et explique leur surexploitation et le
déclenchement d’une érosion accélérée.
Les questions sont d’importance et ne sont bien évidemment pas sans
résonance politique. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, et la géogra-
phie biophysique francophone assuma en son sein et en discussion avec les
disciplines voisines le caractère politique de certaines questions environne-
mentales ; mais les bases de l’organisation conceptuelle de cette pratique de
la controverse scientifique et politique ne furent pas véritablement posées
à l’époque. On peut aussi constater que ces débats se sont faits ensuite plus
rares dans une pratique scientifique pourtant de plus en plus appliquée et en
relation avec les enjeux socio-politiques contemporains.
Au cours des dix dernières années, l’émergence des débats autour des
causes et des conséquences du changement climatique ou de l’érosion de la
biodiversité ont fait renaître des controverses dans lesquelles se sont enga-
gées des géographes biophysiciens comme le montre la parution de l’ouvrage
dirigé par Jean-Robert Pitte et Sylvie Brunel en 2010 Le Ciel ne va pas nous
tomber sur la tête et les réponses dans un Manifeste pour une géographie
environnementale : Géographie, écologie, politique édité sous la direction
de Denis Chartier et Étienne Rodary en 2016 et Pour une géographie de la
conservation édité sous la direction de Laurent Godet et Raphaël Mathevet
en 2015. Au-delà de ces trois publications, des questions comme celle de la
restauration écologique des cours d’eau ou la gestion du littoral ont égale-
ment stimulé les questionnements critiques et les discussions sur les états
et fonctionnements de référence à viser pour des milieux biophysiques de
meilleure qualité dans la durée [ex. LESPEZ et al., 2015 ; DUFOUR et al., 2017]
(cf. chapitres. 16 et 17).
52 ! Géographie de l’environnement

Conclusion
Dans la sphère francophone, l’analyse détaillée des pratiques et des position-
nements contemporains fait encore défaut pour caractériser avec précision la
pratique réflexive et critique dans la géographie biophysique contemporaine
et le renouveau des débats sur le rôle et le positionnement des géographes
biophysiciens n’a pas encore donné lieu à l’expression d’un cadre concep-
tuel formalisé, contrairement à ce qui a émergé dans le monde anglophone.
Au-delà de l’effet « label », dont les dimensions institutionnelles ne sont bien
sûr pas neutres, la géographie physique critique a le mérite de proposer un
cadre formalisé, notamment épistémologique, pour pratiquer une géogra-
phie de l’environnement à base naturaliste, réflexive et critique. Plutôt que de
promouvoir un nouveau label, l’effort réflexif anglophone est probablement
l’occasion de construire une véritable revue de ces pratiques (individuelles
et collectives) dans le monde francophone et de promouvoir des arènes où
l’effort réflexif et critique puisse s’exprimer.
Chapitre 4

Nommer et représenter
les processus biophysiques :
enjeux scientifiques
et sociopolitiques

IL EST IMPORTANT de poser la question des mots utilisés pour désigner les
objets ou les processus étudiés. Cela vaut pour les sciences sociales, où cela
a été depuis longtemps l’objet de recherches spécifiques, mais également en
géographie biophysique, comme pour les sciences naturelles en général, où
certains héritages positivistes tendent parfois à faire oublier que nous discu-
tons toujours des faits par le biais de représentations [CHATELIN et RIOU,
1986 ; BALLOUCHE, 2016]. En effet, pour accéder aux faits et aux réalités, il y
a besoin de médias (mots, termes, instruments d’observation). Le choix des
termes, des concepts et des catégories d’analyses pour désigner un phénomène
influence les manières de l’appréhender tout comme l’entrée dans une ques-
tion à partir d’un champ sémantique révèle également un positionnement face
au problème posé. Le travail de dénomination des phénomènes biophysiques
est donc utile pour se positionner, notamment lorsque les questions environ-
nementales abordées sont conflictuelles.

Des mots aux méthodes :


l’exemple des feux et de la végétation
Feux de brousses, feux de savanes,
des milieux différents ?
La façon dont le choix d’une terminologie peut orienter l’étude d’un processus
biophysique est bien illustrée par l’exemple des feux et de la végétation qu’ils
54 ! Géographie de l’environnement

consument dans les espaces tropicaux. Ces feux, dans la littérature francophone,
sont généralement adossés à un des deux termes suivants : savane, brousse.
La comparaison des définitions proposées par différents dictionnaires
met en évidence les éléments communs qui s’expriment souvent à un niveau
général (la végétation), les éléments distinctifs à un niveau plus fin de des-
cription (types de végétations, lieux/espaces, relations aux sociétés) et enfin
des connotations (négatives pour la brousse notamment) (tableau 4.1). Ainsi,
parler de feux de savane, oriente davantage l’étude vers la compréhension des
effets des feux sur les végétations du monde tropical (dégradation, change-
ments de la composition floristique par exemple). Parler de feux de brousse
propose davantage d’aborder les feux en lien avec les campagnes des pays
tropicaux et les processus d’anthropisation associés. De fait, le recours à cer-
tains termes plutôt qu’à d’autres inscrit l’analyse dans une discipline ou dans
une approche plutôt que dans une autre et renvoie à des finalités et à des
méthodes différentes. Cela n’est donc pas qu’un constat lexical et de divi-
sions disciplinaires, car les disciplines construisent des définitions normées
qui guident les recherches alors que les termes participent également à l’ins-
cription des travaux dans des groupes ayant des méthodes propres.

Tableau 4.1 Exemples de définitions des termes savanes et brousses extraits


de dictionnaires généralistes ou de géographie
Savane Brousse Source
Formation végétale propre Formation végétale constituée Larousse1
aux régions chaudes ayant d’arbrisseaux, d’arbustes
une longue saison sèche, telles que ou de petits arbres, dans les pays
les régions tropicales au sens tropicaux. Étendue couverte
strict du terme, et caractérisée d’épaisses broussailles. Contrée
par la dominance des hautes sauvage, à l’écart de tout centre
herbes. civilisé. Populaire et péjoratif.
Campagne isolée.
Prairie de hautes herbes, plus [En Afrique tropicale] CNRTL2
ou moins parsemée d’arbres, Pays couvert d’arbrisseaux épars
et riche en animaux, caractéristique et de broussailles.
des régions tropicales à longue
saison sèche.
Mosaïque de formations végétales Formation arbustive xérophile Géographie3
herbacées, hautes et fermées dont des régions tropicales.
le cycle biologique est étroitement
adapté au climat tropical
à deux saisons. La strate supérieure
d’au moins 80 cm de haut influence
une strate inférieure, elle aussi
essentiellement formée de graminées
à rhizomes dont l’appareil superficiel
(tige, feuilles) disparaît pendant
la saison sèche pour se reconstituer
pendant la saison humide.
Nommer et représenter les processus biophysiques ! 55

Savane Brousse Source


Formation végétale de la zone 1. Formation buissonnante, Biogéographie
intertropicale associant spontanée et dense (ex : brousse végétale4
généralement à une couverture littorale). 2. Végétation d’Afrique
herbeuse continue, et souvent intertropicale pouvant présenter
pluristrate, un peuplement des aspects de savane arborée
de ligneux arbustifs ou arbustive, de fourré à épineux,
ou arborescents. voire de mosaïque de ces diverses
formations végétales.
3. Dans le langage populaire,
notamment en Afrique, espace
peu anthropisé, par opposition
aux villages et aux champs.
1. https://www.larousse.fr/ ; 2. CENTRE NATIONAL DE RESSOURCES TEXTUELLES ET LEXICALES : https://www.cnrtl.fr/ ;
3. GEORGES et VERGER, 2006, Dictionnaire de la géographie, PUF ; 4. MÉTAILIÉ et DA LAGE, 2005, Dictionnaire
de biogéographie végétale, Eyrolles.

Des approches différentes ?


Les feux, comme d’autres phénomènes biophysiques, s’inscrivent dans un
agenda et dans une organisation des communautés scientifiques qui, pour
appréhender la complexité du monde, se sont appuyées sur une structu-
ration disciplinaire. Cela a eu pour effet de progresser sur de nombreuses
questions, mais cela s’est aussi parfois fait au détriment de la compréhen-
sion de processus et de questions à l’intersection de différentes disciplines.
La figure 4.1 schématise les coupures et les tensions entre les termes, les dis-
ciplines et les conceptions de l’espace associées à l’étude du feu en région
tropicale. Pour la géographie, dans laquelle les méthodes de prise en compte
de l’espace sont importantes, l’usage du terme savane a souvent été l’apa-
nage des études globales qui cherchent à établir des relations causales entre
feux et végétation et analysent donc l’impact du feu sur les milieux biophy-
siques stricto sensu. En revanche, le terme brousse est moins précis sur le
fonctionnement des végétations. Métailié et Da Lage [2005] indiquent ainsi
que « de nombreux auteurs estiment que ce terme vernaculaire, d’usage cou-
rant, a une signification trop imprécise pour le faire figurer tel quel dans les
nomenclatures biogéographiques ». De fait, il est souvent plus utilisé pour
l’analyse des causes anthropiques du feu à travers la description des lieux,
de l’histoire et des pratiques. Ainsi, le processus « feu » a des implications/
significations différentes qu’il soit associé à la brousse ou à la savane. Cela est
à mettre en relation avec des recherches qui mobilisent des méthodes dans
lesquelles la prise en compte de l’espace et du temps diffère. Aujourd’hui,
lorsque le feu est étudié dans les paysages de brousse, les études utilisent des
enquêtes intégrant la dimension historique et territoriale et cherchent à pro-
poser des schémas de différenciation de la mosaïque paysagère. À l’inverse,
lorsque le feu est intégré dans des études sur ces impacts et rôles dans la
56 ! Géographie de l’environnement

savane, la dimension territoriale et historique est généralement plus faible.


Nombreuses sont alors des études proposant des expérimentations à l’échelle
de parcelles avec des scénarios contrastés de végétation, de types de sols et
de mise à feux. Ce sont également des études mobilisant la télédétection,
où l’échelle de référence est souvent celle du biome. Les observations s’ins-
crivent alors dans une analyse de l’espace privilégiant la dimension verticale.
En ce cas, les recherches de corrélation établies sur la base des informations
contenues dans des pixels superposent des grilles d’informations différentes,
feux, sols, climats, et les effets de contextes locaux ne peuvent souvent pas
être traités et sont donc négligés.

Figure 4.1 L’étude des feux entre brousse et savane :


des termes aux démarches méthodologiques

À gauche, un pôle orienté sur le terme brousse avec des filiations en SHS autour des
notions de territoires notamment ; à droite, une orientation autour de la savane, plutôt
naturaliste avec un espace essentiellement pensé par les localisations.
Nommer et représenter les processus biophysiques ! 57

Chaque approche possède ses biais et ses limites. La discussion sur les
choix sémantiques ne doit donc pas clore la réflexion en définissant des
incompatibilités ou des incompréhensions, mais doit être plutôt envisagée
comme un point d’étape qui guide la réflexion sur le terme à employer et sa
justification en amont de la recherche qui va être déployée.

L’étude des processus biophysiques


du registre descriptif au registre prescriptif
Dès que l’on aborde les questions telles que les submersions marines, les
coulées de boues, les changements climatiques ou l’érosion des sols, la seule
analyse des phénomènes biophysiques est rare, il est généralement question
de leurs relations aux sociétés, aux usages, aux pratiques. Il est alors néces-
saire de contextualiser la construction des savoirs qui vont être confrontés.
Comme le dit Paul Robbins [2011] : « La différence entre [l’]approche
contextuelle et la façon plus traditionnelle d’envisager des problèmes […] est
la différence entre l’écologie politique et l’écologie apolitique. C’est la diffé-
rence […] entre considérer les systèmes écologiques comme étant chargés
de pouvoir plutôt que politiquement inertes ; et entre adopter une approche
explicitement normative plutôt qu’une approche qui revendique l’objectivité
du désintérêt. » Cette citation met en avant une tension entre le registre des-
criptif de la recherche, à savoir sa dimension fondamentale qui est d’alimenter
nos connaissances du monde, et le régime normatif qui contribue à élaborer
des normes politiques et de gestion, par exemple, à partir des connaissances
acquises. À travers deux exemples (l’érosion et la friche), nous tentons de
montrer comment ces deux registres sont difficilement séparables et qu’il est
essentiel de penser leur articulation.

L’érosion pour interroger la neutralité


du registre descriptif
Lorsque l’on aborde des systèmes biophysiques, les bornes de ces systèmes sont
souvent liées à l’organisation scientifique passée et présente. Ainsi, en ciblant
certains processus au sein de ces systèmes, l’analyse scientifique peut limiter
la prise en compte des enjeux locaux qui peuvent pourtant affecter ces sys-
tèmes. Par exemple, lorsque l’on étudie l’érosion des sols, il est aisé de trouver
la définition et le schéma général qui organise le fonctionnement du processus
d’érosion : identification des forces à l’origine de l’érosion (vent, eau), nature du
contexte climatique, type de sédiment affecté, etc. Mais la question de l’inscrip-
tion des analyses en fonction des contextes géographiques (utilisation du sol,
pratiques agro-pastorales) interpelle sur le recours simpliste à ces explications
58 ! Géographie de l’environnement

globalisées. Bien souvent, le recours à la notion de forçage, climatique versus


anthropique, et au rôle relatif prêté à l’un ou à l’autre est un des moyens pour
prendre en compte les variabilités locales dans ce fonctionnement général.
Ainsi, la variabilité bioclimatique a été beaucoup plus finement travaillée que
le rôle des structures agraires a été analysé par exemple.
La difficulté d’intégrer les enjeux dans lesquels les processus biophysiques
sont généralement imbriqués s’exprime à plusieurs niveaux. À un premier
niveau, cela peut se traduire par la difficulté à interpréter les processus, par
exemple en restreignant l’étude de l’érosion des plateaux agricoles à une ana-
lyse biophysique qui ne prendrait pas en compte les modalités des pratiques
et du système de production agricole, ou que par certains aspects aux consé-
quences immédiates comme la mise à nu des sols, la mécanisation agricole
et la production de croûte de battance. À un second niveau, la restriction de
la question à des processus biophysiques neutres peut engendrer des erreurs
d’interprétation. Par exemple, si le concept d’érosion ne porte, a priori, pas
de valeur en lui, il est souvent spontanément envisagé comme une perte qu’il
faut étudier pour l’éviter. Autrement dit, le registre descriptif du système est,
consciemment ou inconsciemment, enchâssé dans un registre prescriptif.
Pourtant, si l’érosion et la perte des terres peuvent être des problèmes pour
certains acteurs pour lesquels elles impliquent la perte irréversible de la res-
source en sol à l’échelle de la vie humaine, elles ont en revanche pu favoriser
les populations installées à l’aval qui ont pu valoriser les produits de cette
érosion venus se sédimenter dans les plaines alluviales ou les deltas. Ainsi,
alors que les régions montagneuses de la Méditerranée devaient maintenir,
à force de terrasse de culture, leurs sols, les populations littorales ont ouvert
des fronts de colonisation agricole en développant drainage et irrigation pour
mettre en valeur ces nouvelles terres. Autrement dit, la neutralité apparente
d’un processus (l’érosion à l’amont et la sédimentation corrélative à l’aval) peut
en fonction des contextes géographiques devenir un élément de controverses
scientifiques et même un enjeu sociopolitique si les régions d’érosion et de
sédimentation sont éloignées les unes des autres et comprises dans des entités
politiques différentes. Si le concept oriente une certaine analyse du processus,
cela peut alors se répercuter sur une inégalité d’accès à une ressource et la
condamnation de certaines pratiques vis-à-vis d’autres [ROSSI, 2002].

La friche, un terme et ses implications


dans un registre normatif
Si la description scientifique d’un processus peut avoir des répercussions sur
la sphère de l’action, il faut aussi évoquer le cas des approches scientifiques
appliquées qui se font dans le cadre de programmes ou d’étude sur des thèmes
et enjeux prédéfinis. La friche est un de ces exemples. Signe d’abandon des
Nommer et représenter les processus biophysiques ! 59

terres et de déprise agricole, la friche soulève en effet une charge émotionnelle


globalement négative, liée aux représentations d’une société occidentale peu
encline à accepter l’évolution spontanée de la nature (cf. encadré). Le voca-
bulaire employé pour décrire le boisement spontané, dans les publications
scientifiques comme dans les discours médiatiques des années 1960 à 1990,
fait tantôt référence à l’agression militaire (« menace », « agression », néces-
sité de « tenir l’espace »), tantôt au registre de la santé (« lèpre », « cancer »,
« dévitalisation »). Mais pour certains, comme Gilles Clément, elle incarne
plutôt une spontanéité et une biodiversité retrouvées, dans un monde où la
maîtrise de l’utilisation du sol est la garantie de la production organisée, aussi
bien dans les espaces ruraux qu’urbains. Ainsi, le positionnement de diffé-
rents acteurs sur l’enfrichement est révélateur de représentations différentes
d’un même processus.
• D’un point de vue écologique, la friche est un stade résultant d’un pro-
cessus de succession végétale sur des parcelles anciennement utilisées.
Mais ce processus peut être chargé d’une valeur normative : le boisement
spontané est considéré par certains scientifiques et naturalistes comme
une perturbation de l’équilibre écologique des milieux associé à un risque
de banalisation des paysages et de perte de la biodiversité, par rapport à
des milieux maintenus ouverts par l’activité agricole. Pour d’autres, c’est au
contraire un espace de spontanéité, de libre évolution qui doit être posi-
tivement considéré dans les politiques de conservation de la biodiversité
[SCHNITZLER et GÉNOT, 2013].
• Les acteurs en charge de l’aménagement de l’espace rural oscillent entre la
mise en œuvre de projets visant à « reconquérir » des milieux enfrichés ou
à limiter leur extension spatiale, dans la perspective d’une gestion produc-
tive de l’espace agricole, de l’autre, les friches deviennent support de nou-
veaux usages récréatifs (usages cynégétiques, randonnée, observations
naturalistes…) ou environnementaux (réservoirs de biodiversité, puits de
carbone), qu’il conviendrait de soutenir par des acquisitions foncières ou
des aménagements spécifiques.
• Les agriculteurs, qui contribuent par leurs activités à la production des
formes paysagères, abordent l’enfrichement de manière très différente selon
l’orientation de leur système de production, l’organisation de leur travail ou
leurs représentations professionnelles. Ainsi, si certains agriculteurs asso-
cient toujours aux friches le symbole négatif des espaces incultes et de la
déprise agricole (cf. encadré), d’autres y voient au contraire un moyen d’ins-
crire leur activité dans une forme de naturalité des espaces ruraux, tout en
pérennisant leur activité. Ainsi, délaissées par l’agriculture productiviste, les
parcelles enfrichées peuvent retrouver un intérêt pour des projets agricoles
en marge du modèle dominant (autoconsommation, agriculture de loisirs,
systèmes herbagers pâturés…). La friche est alors l’occasion de rediscuter
60 ! Géographie de l’environnement

de l’orientation des systèmes agricoles locaux, en même temps qu’un levier


d’action concret pour soutenir certains projets agricoles.
Dans le contexte d’une activité de conseil scientifique auprès d’un
organisme public, le diagnostic sur la dynamique d’enfrichement doit
classiquement définir les objets et les enjeux associés aux territoires
politico-administratifs (communes, régions) concernés. Or, les différences
de positionnement des acteurs montrent que ces enjeux ne sont pas unique-
ment biophysiques quand bien même le sujet de l’étude l’est. Ainsi, l’étude de
la friche se place-t-elle inévitablement dans un registre normatif et, dans le
cas où l’expertise débouche sur de la concertation, le premier débat est sou-
vent le moment où les mots prennent tout leur sens, surprenant parfois les
promoteurs de l’étude et les experts en charge de la mettre en œuvre.

Exemple de représentations sociales de la friche


au début des années 1990, d’après Pierre Dérioz1
« [La friche est] la lèpre des paysages ruraux, la broussaille qui gagne en altère
insidieusement la physionomie, lorsqu’elle ne les rend pas impénétrables ; dans les
Midis comme dans l’Ouest armoricain, elle favorise le déclenchement des incen-
dies ; crève-cœur pour l’agriculteur qui y voit une perte de potentiel agricole et
une dévalorisation du patrimoine, l’enfrichement entraîne l’amenuisement des
recettes fiscales liées au foncier pour nombre de communes rurales, dont les élus
déplorent en outre l’effet néfaste que produisent les ronces sur les touristes. »

L’enfrichement et l’érosion sont autant de processus biophysiques qu’il


faut sans cesse recontextualiser. D’une part, il est important de les décrire
finement avec des termes choisis en tentant d’adapter les définitions glo-
bales aux enjeux locaux potentiels puisqu’un phénomène donné est toujours
interprété en fonction d’un point de vue et en fonction des groupes sociaux
concernés. D’autre part, il est aussi essentiel de comprendre les cadres pré-
définis des études quand elles résultent d’une commande dans lesquels les
catégories mobilisées (biophysique, spatial et social) orientent l’analyse du
processus biophysique sur certains secteurs et certains acteurs.

Cartographier et représenter le biophysique :


des enjeux spécifiques ?
La carte est souvent définie comme une représentation d’une portion de la
surface terrestre. Dans les cas des actions publiques, la carte peut documen-
ter des périmètres de protection, de risques ou encore d’aléas. Nous nous

1. Extrait de DERIOZ P., 1991, « Les conséquences spatiales de la déprise agricole en Haut-Languedoc
occidental : l’éphémère victoire de la friche », Revue de géographie de Lyon, vol. 66, n°1, pp. 47-54.
Nommer et représenter les processus biophysiques ! 61

intéresserons ici aux choix qui sont opérés pour représenter ou non, certains
traits des phénomènes biophysiques plutôt que d’autres. Les questions clas-
siques du commentaire de cartes sont alors à mobiliser et à questionner : qui
produit la carte ? à quelle date ? dans quel contexte ? pourquoi ? avec quelles
sources ? avec quelle organisation de la légende ?

Articuler cartographie biophysique et administrative ?


Une des difficultés pour la cartographie des phénomènes biophysiques tient
notamment à la coupure historique entre les cartes dites administratives et
politiques et les cartes plus thématiques comme celles des espaces biophy-
siques, des périmètres d’inondations, des zonages de risques… Très souvent,
les représentations cartographiques séparent les deux champs, celui du
pouvoir et du thématique ou du scientifique. Pourtant, l’avènement des
cartes modernes, dans la deuxième partie du XIXe siècle, démontre les rela-
tions entre pouvoirs politiques, militaires et questions scientifiques. Ainsi,
pour les cartes d’état-major, les attentions portées aux dimensions topo-
graphique et géologique par le service géographique de l’armée rappellent
les fortes relations entre défense nationale, prospection et exploitation des
ressources.
La cartographie des processus biophysiques a une certaine singularité par
rapports aux cartes majoritairement mobilisées pour représenter des terri-
toires dans lesquels les contours sont plus souvent définis dès le départ. En
effet, les représentations de phénomènes biophysiques, comme l’enfriche-
ment ou l’érosion, obligent à définir des limites et des unités dans lesquelles
vont être cartographiés les processus. Cela interroge le passage du continu
au discret et appelle plus largement à opérer des choix non triviaux sur le
cadre de la carte et des entités à représenter. Ainsi en fonction des unités
spatiales choisies, les données biophysiques seront agrégées différemment
influençant alors les résultats et les interprétations, ce problème de l’agré-
gation spatiale est souvent connu sous le terme de MAUP1 [MADELIN et al.,
2009]. Par exemple, la représentation cartographique d’une rivière amène à
positionner les enjeux associés. Dans le cas de zonage sous forme de zone
tampon, la rivière est vue comme un continuum linéaire possédant une cer-
taine épaisseur et constitue alors un corridor fluvial. Elle comporte un lit
mineur et un lit majeur et le traitement de questions sur la mobilité latérale
des thalwegs, sur la migration d’espèces piscicoles ou sur les inondations
peut être discuté. Si, en revanche, la carte se contente d’une ligne que l’on
localise par rapport à une limite communale ou un ensemble bâti, la rivière
peut rester un objet central, mais les choix opérés orientent alors l’analyse

1. Modifiable areal unit problem.


62 ! Géographie de l’environnement

sur des questions potentiellement différentes. Les questions sont alors celle
de la gestion politique, de la riveraineté mais la cartographie fera oublier
les enjeux comme ceux des crues et des inondations pourtant au cœur de
problématiques d’aménagement du territoire. Il est ainsi à parier que si nous
avions pris l’habitude de cartographier le lit mineur et le lit majeur de tous
nos cours d’eau, la pédagogie du risque d’inondation y aurait certainement
gagné.

Les choix cartographiques et de légende


Lorsque les processus biophysiques sont au cœur d’enjeux locaux, les
éléments qui habillent la carte sont également à mobiliser de manière
réfléchie. La carte ne peut pas faire abstraction des conflits et des contesta-
tions de zonage par exemple. Elle doit aussi tenir compte de la fonction de
la carte et du (des) public(s) auquel(s) elle s’adresse, car comme toutes les
autres formes d’expression, elle peut être un moyen d’élargir la réflexion
ou bien au contraire de l’enfermer dans le champ étroit de l’expertise. La
fonction retenue oriente le travail cartographique et la définition des unités
d’analyse et des typologies choisies alors que la construction de la légende
définit l’accessibilité du travail produit. En fonction des destinataires et
du choix de l’auteur, on peut proposer des cartes très différentes pour une
même réalité. Par exemple, pour une carte pédologique, si l’objectif est
de proposer une carte comme support d’échanges pour comprendre les
contraintes et les difficultés de certaines pratiques agricoles, la représen-
tation figurée choisie et la construction de la légende doit permettre de
discuter avec des acteurs locaux [BLANC-PAMARD, 1986]. Le recours à
un vocabulaire très technique, difficile à appréhender par les populations
locales est alors à éviter (figure 4.2.A) [LEACH et FAIRHEAD, 2002]. Un
choix peut être de construire une carte à partir des savoirs locaux pour
connaître les pratiques et le territoire, sans le détacher de sa composante
biophysique (figure 4.2.B). La construction de la légende mentionnera
alors les catégories de descriptions locales des terres en ayant recours le
plus souvent à leur couleur, à leur âge (temps de culture) ou à leur toucher
(terres légères, séchantes, rouges). En revanche, si l’objectif est de carto-
graphier les sols de ce même espace pour cibler des recherches sur des
processus pédologiques clés, on comprendra que le choix de la légende
cherchera davantage à intégrer des catégories normées de description des
sols qui servent de supports à des échanges avec d’autres scientifiques
comme le Référentiel pédologique des sols en France1. Mais une carte ne
pourra pas être échangée avec l’autre.

1. https://www.afes.fr/referentiel-pedologique/
Nommer et représenter les processus biophysiques ! 63

Figure 4.2 Deux catégorisations des types de sols sur un même espace

Que ce soit dans le processus d’élaboration de la carte ou dans son analyse, la représen-
tation graphique traduit ainsi des connaissances mais aussi des intentions et des valeurs.
En géographie biophysique, après un intense travail de terrain ou des analyses poussées
en laboratoire, la carte est parfois trop peu discutée pourtant elle constitue souvent une
entrée majeure pour positionner les processus biophysiques dans des débats scientifiques
et dans des enjeux de société.

Conclusion
L’étude des phénomènes biophysiques est un champ couvert par de nom-
breuses disciplines pour lesquelles les concepts et méthodes mobilisés sont
souvent cloisonnés. Nommer, catégoriser et représenter les processus bio-
physiques apparaissent comme des démarches essentielles pour repenser la
place du biophysique dans nos milieux contemporains et au sein de la disci-
pline. Ainsi, commencer par analyser les mots et les valeurs spontanément
associées aux processus décrits permet de sortir de l’illusion de la neutralité
scientifique et d’affirmer la nécessité de la réflexion sémantique pour étu-
dier les dynamiques environnementales même quand on les aborde par les
dimensions biophysiques, car elles sont toujours en relation avec des enjeux
sociopolitiques.
DEUXIÈME PARTIE

Méthodes
Chapitre 5

Produire et analyser
des données biophysiques
en géographie

COMPRENDRE L’ENVIRONNEMENT passe par une analyse des formes et des


processus hybrides qui le composent. Les deux premiers chapitres de cette
partie aborderont successivement les méthodes que mobilise actuellement la
géographie afin de caractériser la dimension biophysique de l’environnement
et la manière dont celles-ci sont combinées au sein de la discipline ou dans le
cadre d’une démarche interdisciplinaire pour appréhender les faits, objets et
processus contemporains. Compte tenu des thèmes couverts par la géogra-
phie biophysique, la diversité des données biophysiques acquises et des modes
d’acquisition est évidemment très importante. Il n’est pas possible d’en pro-
duire ici une liste exhaustive, chaque branche méritant son propre manuel.
Méthodologiquement parlant, la géographie biophysique s’insère depuis
l’origine dans le vaste ensemble des sciences naturelles (des géosciences à la
biologie), mais elle mobilise également des méthodes particulières qui per-
mettent souvent de la distinguer des approches développées par les autres
spécialistes de l’environnement.

Des méthodes majoritairement empiriques


Les lieux de production des données
Traditionnellement, l’acquisition des données in situ, c’est-à-dire sur
le terrain, est présentée comme une étape importante, voire fonda-
trice, de la recherche en géographie biophysique. Elle vise à apporter
des éléments de connaissance sur des structures comme l’ampleur d’une
68 ! Géographie de l’environnement

forme, l’étendue d’une unité de végétation ou l’intensité de processus en


cours, comme une crue ou la colonisation de nouveaux environnements
par des plantes invasives. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un suivi ou de
mesures diachroniques. Cette caractérisation peut être purement des-
criptive, mais, plus souvent, il s’agit de mesures directes (topographie,
relevé d’espèces, taille des sédiments, limite d’unité), de l’installation de
dispositifs de mesure (station hydrologique ou météorologique, caméra)
ou bien encore d’un prélèvement rapporté en laboratoire (sédiments,
d’eau, d’éléments végétaux comme dans le cas d’un prélèvement den-
drologique).
Compte tenu des contraintes liées à l’acquisition de données in situ (coût
élevé pour couvrir de vastes espaces, terrains difficilement accessibles), ces
dernières sont très souvent mobilisées en complément de données acquises
à distance, c’est-à-dire par télédétection. Ces techniques sont largement
mobilisées pour la compréhension et la modélisation des processus envi-
ronnementaux affectant les composantes du système Terre comme l’érosion
des sols, la fonte du permafrost, l’évolution du couvert végétal, l’évaluation
des ressources en eau, le suivi des mouvements de terrain, l’identification des
îlots de chaleur urbains… L’acquisition de données par télédétection peut se
faire depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle globale et permet, grâce à une
diversité de capteurs et de vecteurs, de contribuer à l’analyse de nombreuses
problématiques environnementales comme l’évaluation de l’état des masses
d’eau et des masses d’air, de la nature de l’occupation du sol et du substrat,
du volume des objets d’études (végétal, relief via des modèles numériques de
terrain ou MNT), de l’état pédologique et physiologique, etc. Il s’agit d’une
gamme de méthodes qui connaît des évolutions rapides notamment du fait
de la multiplication des données et des interfaces de traitement de plus en
plus performantes (parfois disponibles gratuitement en ligne) et de l’aug-
mentation de la capacité de traitement par le développement de méthodes
basées sur l’intelligence artificielle.
La production de données par les géographes eux-mêmes nécessite
un investissement parfois conséquent qu’il soit matériel (dGPS, aDCP,
carottier motorisé, stations de mesure et de stockage de données, etc.) ou
temporel du fait de l’ampleur de la zone à couvrir sur le terrain ou de la
répétition nécessaire des observations comme pour l’établissement d’une
courbe de tarage pour faire la relation entre un niveau d’eau et un débit
dans une section de chenal donné ou le suivi d’un transfert sédimentaire via
des transpondeurs. En revanche, cela permet la maîtrise d’un plan d’obser-
vation adapté à la question : implantation de station météorologique le long
d’un versant pour appréhender la micro-climatologie, transect de carot-
tages pour définir l’architecture sédimentaire, positionnement d’une station
de jaugeage pour évaluer les débits à l’aval d’un bassin non équipé, etc.
Produire et analyser des données biophysiques en géographie ! 69

Il peut également s’agir d’un traitement de données produites par d’autres


acteurs ou institutions : MNT produit par l’Institut géographique national,
données climatiques de Météo-France, stations hydrologiques des barrages
EDF, etc. L’obtention de ces données peut nécessiter la consultation d’ar-
chives et un travail d’enquête.
L’expérimentation et la modélisation sont également mobilisées même
si elles n’apparaissent pas comme des pratiques majoritaires et qu’elles sont
même parfois suspectées, de manière péjorative, de réductionnisme en ce
qu’elles proposeraient une compréhension trop réduite du monde réel.
L’expérimentation correspond à des observations en conditions contrôlées
qui peuvent se faire en laboratoire, dans le cadre de stations expérimentales
ou par des simulations numériques. Elle permet de répondre à des questions
précises, comme l’effet de l’intensité des précipitations sur le taux d’abla-
tion d’un sol, du gel/dégel des formations superficielles dans le processus de
solifluxion ou de la suppression d’un massif forestier dans la mobilité d’une
espèce animale. Elle nécessite une confrontation à d’autres sources d’in-
formation afin d’observer si la relation mise en évidence reste signifiante
lorsque d’autres processus sont à l’œuvre au sein d’un territoire donné. Le
recours à la quantification dans le cadre d’une approche multisites permet
également de mimer la démarche expérimentale en s’appuyant sur une
approche empirique de terrain. Une fois identifié le facteur à analyser, il est
possible de choisir ou de comparer des sites dont on fait l’hypothèse qu’ils
réagiront différemment face à ce facteur. La multiplication d’observations
sur différents sites permet alors de comparer les modalités de réponse et de
les tester statistiquement pour valider ou infirmer l’hypothèse.
La modélisation est une pratique plus répandue, notamment dans le
cadre des pratiques s’inscrivant dans les approches d’analyse spatiale.
Il s’agit d’une démarche amenant à une représentation simplifiée de la
réalité permettant de reproduire un phénomène, de l’analyser, de l’expli-
quer et d’en prédire certains aspects au moyen de modèles conceptuels
ou de modèles basés sur des lois qu’elles soient physiques, statistiques
ou probabilistes. Il existe donc plusieurs types de modèles, descriptifs ou
prédictifs, qui sont représentés sous forme d’équations mathématiques
ou de graphiques. Ceux-ci sont plus ou moins élaborés et prennent en
compte des dimensions différentes, ils sont ainsi dits 1D, 2D, 3D ou car-
tographique. L’ensemble des sciences naturelles dispose de nombreux
modèles sur les processus biophysiques, par exemple des modèles d’écou-
lements ou de mouvements de terrain respectivement développés par les
hydrologues et les géotechniciens. En géographie, l’originalité réside dans
le développement de modélisation de la spatialité des phénomènes et
leurs différenciations géographiques comme le déplacement des espèces
au sein de réseaux de corridors de forme et de densité variables ou la
70 ! Géographie de l’environnement

circulation de l’eau et des sédiments au sein d’une matrice paysagère


d’agencements variés.

Combiner des méthodes, l’exemple du transport de sédiment


dans les cours d’eau
Les différentes méthodes d’observation apportent chacune un regard particulier sur
l’objet ou le phénomène étudié et, dans de nombreux cas, l’analyse géographique
repose sur plusieurs méthodes. L’analyse du transport des sédiments grossiers dans
les cours d’eau illustre bien cette complémentarité des approches. La quantifica-
tion est fondamentale pour la compréhension du fonctionnement des cours d’eau,
mais il s’agit d’une opération relativement complexe. Il existe différentes méthodes
pour y parvenir : la mesure in situ en utilisant des préleveurs (ex. Helley-Smith) ou
des enregistreurs comme les géophones, l’imagerie (MNT) ou encore la modélisa-
tion. Si ces méthodes peuvent être utilisées séparément, leur couplage présente de
nombreux avantages. En effet, il est complexe de couvrir de grandes surfaces ou
de travailler dans des gammes de débit de grandes amplitudes par des mesures
in situ, mais celles-ci permettent une quantification des processus en cours à un
instant donné. L’approche par imagerie permet une caractérisation moins précise
de certains paramètres du transport sédimentaire, comme la taille des sédiments
transportés ou la vitesse de transport, mais elle permet une quantification volu-
métrique moyenne sur des périodes et des secteurs d’études plus importants, de
l’évènement à plusieurs décennies. Enfin, la modélisation permet de proposer des
scénarios prospectifs et/ou rétrospectifs, mais nécessite une phase de validation à
partir d’observations in situ sans laquelle il est difficile d’établir les marges d’erreur,
et donc de calibrer les paramètres et les domaines de validité des modèles. Il est
ainsi pertinent de réaliser des allers-retours entre ces approches afin d’appréhender
la complexité temporelle et spatiale d’un tel processus.
Source : ROLLET, 2007.

Données quantitatives et qualitatives


Issues d’une tradition mêlant quête de scientificité et mise en récit, les
approches naturalistes de l’environnement en géographie ont longtemps
été dominées par la description qualitative des objets et des processus
(cf. encadré ci-après). Il s’agissait d’observations visuelles de formes, d’états
et d’agencement souvent appuyées sur des modalités non mesurées et/ou
des typologies plus ou moins détaillées comme pour les formes reliefs, les
types de deltas, l’humidité du sol, la physionomie végétale ou les types de
climats. Cela ne signifie pas pour autant que la mesure était absente de ces
travaux comme en atteste la caractérisation des régimes fluviaux fondée
sur la mesure des débits, la description des formations végétales basée sur
les fréquences des formes biologiques ou l’étude des conditions climatiques
Produire et analyser des données biophysiques en géographie ! 71

qui s’appuie sur des relevés de température et de précipitation. Mais un


fort développement de la quantification s’observe progressivement après la
Seconde Guerre mondiale avec une dynamique hétérogène selon les pays et
les branches de la géographie. Entre la fin des années 1970 et le début des
années 2000, la généralisation du recours à la quantification est un des faits
marquants de la discipline. Les mesures d’états, de volumes, de densités, de
vitesses, etc., fleurissent. De plus, la mesure de données initiales comme la
position d’un objet ou l’occurrence d’un événement permet, par traitement,
d’obtenir des données dérivées comme la distance, la direction, l’extension,
la densité, la durée, la récurrence, la fréquence, l’accélération, etc.
Le fait que les approches qualitatives et quantitatives soient aujourd’hui
systématiquement couplées est d’abord lié au développement de la métro-
logie, et donc à la disponibilité accrue des données en nature et en quantité.
La facilité de production et l’accroissement de la disponibilité du stockage
des données alimentent la tendance à la production massive de données.
Mais elle résulte aussi de la spécialisation des approches qui se traduit par
la nécessité d’analyses de plus en plus détaillées des phénomènes. Plus fon-
damentalement, la quantification est mise en avant comme une forme
d’objectivation du discours scientifique. Premièrement, il s’agit de limi-
ter le biais des opérateurs par des protocoles explicites et reproductibles.
Deuxièmement, il s’agit de révéler des différences spatiales et des change-
ments temporels d’états, de relier des facteurs de contrôle et des réponses et
de hiérarchiser des facteurs de contrôle. La multiplication des mesures quan-
titatives est ainsi étroitement liée à l’utilisation de statistiques pour décrire,
mais aussi pour évaluer la significativité des différences spatio-temporelles
mises en évidence (cf. encadré) [PIÉGAY, 2017]. Troisièmement, c’est aussi
un élément important pour la gestion des ressources et de l’environnement
comme la quantification du déficit sédimentaire d’une zone littorale ou de
la fréquence des sécheresses d’origine climatique. C’est enfin une norme de
légitimation qui permet de soutenir le discours scientifique et le gestionnaire
en situation de controverse ou de tension. La capacité à articuler description
et quantification est un enjeu méthodologique majeur pour naviguer entre
réductionnisme et holisme, donc pour combiner une compréhension systé-
mique des processus et une analyse fonctionnelle des liens de causalité entre
processus et structures biophysiques.

Extraits de deux articles traitant de la végétation


illustrant le passage vers les approches quantitatives
« Il y a évidemment bien des nuances dans les groupements spontanés de bois
ou maquis. Quand on s’élève le long de la muraille rocheuse où s’adosse ce pre-
mier étage, vers 200 mètres, la physionomie de la végétation s’altère. Le maquis
se dégrade, les espèces deviennent moins nombreuses, les individus s’espacent
72 ! Géographie de l’environnement

dans les rocailles. Les genévriers (Juniperus macrocarpa, plus rarement J. Oxycedrus)
dominent d’une manière presque exclusive. Ce type de végétation s’insinue par
toutes les coupures de la muraille montagneuse. »
SORRE, 1930, « Les aspects de la végétation et des sols en Yougoslavie »,
Annales de géographie, no 219, pp. 311-316.

« La richesse floristique, Rf, sur les parcelles varie de 14 à 86 espèces. La richesse


floristique et le nombre d’espèces protégées varient en fonction du type de culture
(test de Mann-Whitney, p = 0,001). En moyenne, les oliveraies et les parcelles
abandonnées présentent une richesse floristique et un nombre d’espèces protégées
considérablement plus élevés que les vignobles et les parcelles brûlées (respective-
ment 51 et 7 espèces, 29 et 4 espèces). La richesse floristique varie également en
fonction de l’intensité des pratiques et, de manière très significative, de la percep-
tion de l’activité par les agriculteurs (test de Kruskal-Wallis, p = 0,039 et < 0,0001,
respectivement). Les parcelles peu perturbées et celles appartenant à des particu-
liers poursuivant des objectifs patrimoniaux présentent un nombre moyen d’espèces
plus élevé que les parcelles fortement perturbées et les parcelles exploitées par des
agriculteurs professionnels (55 et 54 espèces, 32 et 31 espèces, respectivement). »
COHEN et al., 2015, « What is the plant biodiversity in a cultural landscape?
A comparative, multi-scale and interdisciplinary study in olive groves and vineyards
(Mediterranean France) », Agriculture, Ecosystems & Environment, 212: 175-186.

Intégrer la dimension spatiale


dans la stratégie d’observation
Que l’on soit producteur de données primaires ou utilisateur de données
secondaires, l’analyse de la dimension spatiale d’un phénomène requiert
qu’une attention particulière soit portée à la stratégie d’observation, et
ce pour au moins trois raisons. Premièrement, une stratégie non adaptée
peut se traduire par un sous-échantillonnage de certaines conditions et
donc par un manque de représentativité des résultats. Deuxièmement,
l’analyse d’un phénomène nécessite des échelles spatiales d’observa-
tion différentes et cela se traduit souvent par des méthodes différentes
d’observation. Troisièmement, cela permet de définir le domaine de vali-
dité des résultats dans l’espace et dans le temps.

Prendre en compte la distribution


du phénomène étudié
La robustesse d’une conclusion repose en grande partie sur un niveau de
précision suffisant pour attester de l’ampleur d’un phénomène. En géogra-
phie, la représentativité spatiale d’un résultat est un gage de robustesse.
Le choix des sites étudiés revêt donc une importance capitale : cherche-t-on
Produire et analyser des données biophysiques en géographie ! 73

à étudier un phénomène original, propre à un contexte particulier, ou sou-


haite-t-on renseigner un fonctionnement représentatif d’un contexte plus
large, d’une région ou d’un type étendu ? L’établissement de cette repré-
sentativité repose sur une stratégie d’observation qui intègre un certain
niveau de différenciation spatiale, du moins d’une différenciation attendue
a priori. Lorsque le critère de différenciation spatiale est exprimé par des
surfaces, cela se traduit par exemple par la définition d’unités homogènes
déterminées préalablement : unités d’occupation du sol au sein desquelles
des stations météorologiques sont implantées, des individus comptés ou
des espèces identifiées, unités morphologiques pour lesquelles des mesures
granulométriques sont effectuées, etc. La stratification, c’est-à-dire une
logique de répartition des observations qui assure que chaque type d’unité
soit bien représenté, permet de s’assurer que l’ensemble de la gamme des
contextes est a priori couvert par l’analyse et ainsi d’optimiser l’effort d’ob-
servation en ne sur-échantillonnant pas les contextes les plus représentés
(figure 5.1). La différenciation spatiale des phénomènes ne s’exprime pas
nécessairement en surface, cela peut être en volume, comme pour les hori-
zons pédologiques, les strates végétales, la concentration en matières en
suspension (MES) dans une lame d’eau, les conditions atmosphériques, ou
en réseau, comme pour les flux au sein d’un réseau hydrographique ou d’un
réseau de corridors écologiques.

Figure 5.1 Représentation schématique de la prise en compte


de l’organisation spatiale d’un phénomène dans la stratégie
d’observation (en bas) comparée à une répartition homogène
des observations (en haut)

A. Organisation en mosaïque d’unités avec un nombre équivalent d’observations par type ;


B. Organisation en gradient avec une distance entre les observations qui intègre l’intensité du
gradient ; C. Organisation en réseau avec une distribution qui permet d’observer la diffusion
d’un phénomène dans le réseau ou de comparer différentes branches du réseau.
74 ! Géographie de l’environnement

Prendre en compte les échelles d’observation


Le choix de produire des analyses à plusieurs échelles est basé sur deux
arguments épistémologiques. Premièrement, il permet d’articuler le par-
ticulier et le général par une remise en perspective à une échelle spatiale
supérieure d’observations locales. Cette façon de gérer la tension parti-
culier/général est un enjeu majeur des sciences empiriques, notamment
en géographie. Elle consiste souvent à multiplier les observations locales
afin de distinguer les structures et les comportements communs à toutes
les observations de ceux qui sont spécifiques à un ou à un nombre limité
de lieux. Deuxièmement, ce choix repose sur le principe que l’étude d’un
même objet ou d’une même question à plusieurs niveaux scalaires permet
de révéler différentes dimensions de cet objet ou de cette question. Ce
principe est fondé sur le fait que les systèmes environnementaux fonc-
tionnent de façon hiérarchisée avec des facteurs de contrôles dominants
variables selon les échelles d’espace (et de temps). Ainsi, un phénomène
observé à une échelle donnée dépend de facteurs de contrôle s’exprimant
à cette échelle, mais également à des échelles différentes, généralement
supérieures (cf. encadré).

L’observation dans son contexte,


le rôle des échelles spatiales supérieures
L’emboîtement des structures et processus biophysiques au sein de structures
et de processus s’exprimant à des échelles plus larges est une caractéristique
reconnue de longue date en géographie biophysique. Les études in situ et expé-
rimentales menées sur la thématique de la fragmentation des paysages illustrent
bien ce fonctionnement. Par exemple, le nombre d’espèces vivantes présentes au
sein d’une fenêtre d’observation augmente avec la taille de cette fenêtre, c’est ce
que l’on appelle la relation aire/espèces. Mais, pour une taille de fenêtre donnée,
le nombre d’espèces est également dépendant de la façon dont le site observé
est intégré dans une matrice paysagère d’échelle supérieure. Les tests réalisés par
Gilbert et ses collègues [1998] sur les communautés de mousses dans le Derbyshire
(Grande-Bretagne) montrent ainsi que la diversité observée au sein d’une fenêtre
d’observation décroît lorsque ces fenêtres ne sont pas connectées à d’autres sites
par des corridors ou par une matrice (figure 5.2). Sous une autre forme, la théorie
de la biogéographie insulaire développée dans les années 1970 intègre également
ce fonctionnement.
Produire et analyser des données biophysiques en géographie ! 75

Figure 5.2 Effet du contexte sur la diversité spécifique


de placettes de taille identique

Source : modifié d’après GILBERT et al., 1998.

Le lien entre échelle et méthode d’observation


Traditionnellement, il est d’usage d’opposer d’une part, analyse à large
échelle, faible résolution spatiale des informations, approches de télé-
détection et, d’autre part, analyse à échelle fine, description précise des
structures et des processus, mesures in situ. Mais ce schéma est aujourd’hui
largement bousculé par la constitution de base de données in situ sur de
vastes espaces, comme les réseaux de placettes de végétation, de sols, de
stations de surveillance de la qualité des cours d’eau ou de l’air, et par
les développements de méthodes et des outils géomatiques. Ainsi, il est
par exemple possible de mobiliser des drones pour la description topo-
graphique et le suivi de la végétalisation d’un site, des images satellites
à très haute résolution spatiale ou des données LiDAR (Light Detection
and Ranging) sur de vastes territoires et des réseaux d’observation in situ
denses à large échelle. Il s’agit d’un enjeu important, car il permet de disso-
cier les deux composantes de l’échelle, à savoir l’étendue et le grain. Ainsi,
le couplage entre outils géomatiques et réseaux d’observation permet-il de
surmonter un problème méthodologique qui a longtemps limité la capa-
cité de compréhension des processus en limitant l’étude à large échelle à la
caractérisation grossière des structures et des processus.
76 ! Géographie de l’environnement

Les méthodes de traitement des données


Nous ne développerons pas l’ensemble des méthodes de la géographie
biophysique, car elles sont trop nombreuses, notamment du fait du déve-
loppement et de la généralisation des approches quantitatives [DROESBEKE
et al., 2006 ; FEUILLET et al., 2019]. Ainsi, elles recouvrent la description et
l’exploration des données, la validation des inférences et la prédiction, elles
puisent aussi bien dans les sciences naturelles que dans les sciences humaines
et sociales et elles s’inscrivent dans des approches spatialement explicites
(ex. l’analyse spatiale exploratoire des données) ou non. Mais nous pouvons
illustrer certaines de ces méthodes, notamment les méthodes qui soulignent
les différentes dimensions spatiales des processus biophysiques.

Réduire la complexité du monde


par des typologies spatialisées
Une typologie est un système de classification des individus en groupes
relativement homogènes par rapport à un ensemble de caractéristiques.
L’objectif d’une typologie réside dans la tentative d’ordonnancement d’un
vaste ensemble d’objets par regroupement des individus selon des carac-
téristiques communes. Ainsi, les individus (sites, tronçons, placettes, etc.)
appartenant à un même type présentent des caractéristiques proches (on
dit que ce groupe présente une faible variabilité intra-type) et sont en
même temps dissemblables des individus appartenant aux autres types
(on parle alors d’une forte hétérogénéité inter-type). La géographie bio-
physique mobilise régulièrement une forme spatialisée de typologie, celle
de la régionalisation. En effet, la régionalisation est un type de classifica-
tion spatialisée particulière dans laquelle la notion d’espace est centrale.
Autrement dit, régionaliser c’est attribuer un cadre spatial à une classi-
fication. La logique sous-jacente de la régionalisation est ancienne en
géographie puisqu’elle se retrouve dans la détermination par exemple
des grands ensembles zonaux comme les climats ou les biomes. Avec la
généralisation des méthodes quantitatives et la multiplication des sources
de données, ces approches se déclinent aujourd’hui à plusieurs niveaux
d’échelle spatiale.
Il s’agit d’un moyen de questionner l’organisation spatiale d’un phénomène
et de permettre l’analyse des facteurs de causalités entre des caractéristiques
biophysiques et des fonctionnements ou encore d’attribuer des caractéris-
tiques quantitatives ou qualitatives aux régions définies. Les approches par
régionalisation ont également des usages en matière de gestion des milieux,
car elles peuvent aider les gestionnaires à adopter des mesures de gestion
particulières et cohérentes en fonction des régions homogènes identifiées.
Produire et analyser des données biophysiques en géographie ! 77

Par exemple, Kearney et ses collègues [2019] ont développé une méthode de
classification multivariée, sur la base de données climatiques, édaphiques,
d’occupation du sol et de densité des infrastructures routières, permettant
de cartographier ce qu’ils appellent les écoanthromes dans la province de
l’Alberta au Canada. Cette approche est utilisée en gestion environnemen-
tale afin de surveiller et planifier la restauration de population d’espèces
menacées, notamment en identifiant des contextes favorables à une espèce
aussi bien en matière de conditions biophysiques que de contraintes de
déplacement.
Il s’agit enfin d’une façon pour la géographie d’articuler des observations
locales avec des fonctionnements plus généraux soit par agrégation soit par
désagrégation. La régionalisation par agrégation permet de gommer cer-
taines micro-variabilités qui génèrent du bruit dans l’expression spatiale des
phénomènes. La création des régions permet ainsi de se passer des détails qui
n’ont pas d’influence sur un grand ensemble spatial. À l’inverse, la régionali-
sation par désagrégation permet une descente dans les niveaux scalaires qui
intègre les conditions spécifiques à une échelle inférieure.

Révéler la distribution spatiale


d’un phénomène biophysique
Révéler et comprendre les composantes spatiales d’une structure ou d’un
processus biophysique nécessite le recours à une large gamme de méthodes,
notamment statistiques. Elles portent sur la localisation, la répartition et
l’agencement de ceux-ci et se traduisent par l’utilisation d’outils de pondéra-
tion, de lissage, de calcul de l’autocorrélation spatiale, etc.
La figure 5.3 illustre l’utilisation de l’autocorrélation afin de décrire l’orga-
nisation spatiale d’objets biophysiques. Ainsi, la distribution spatiale du pic à
tête rouge en Amérique du Nord montre que les individus de cette espèce ne
sont pas distribués de façon homogène, mais par agrégats (figure 5.3.A). Leur
densité diminue progressivement lorsque l’on s’éloigne du centre de leur aire
de distribution. De plus, l’allure de courbe de la semi-variance non asymp-
totique, avec une diminution au-delà de 150 km témoigne de l’existence de
zones de forte densité à la périphérie de cette aire de distribution, distantes
de 300 à 400 km du centre de l’aire. De même, l’évaluation de l’autocorréla-
tion effectuée sur l’altitude relative du semis de point décrivant le fond du lit
d’une rivière permet de comparer la distribution longitudinale des formes
du lit de plusieurs contextes (figure 5.3.B). La comparaison des courbes des
deux sites étudiés montre bien les différences concernant la structure spa-
tiale qui existent entre les stations sans (pointillé) et avec bois mort (plein). Le
tracé périodique et les sorties de l’intervalle de confiance de la fonction pour
ces dernières témoignent de l’existence de faciès bien matérialisés (mouilles,
78 ! Géographie de l’environnement

bancs), alors que la station témoin présente des formes du lit moins mar-
quées sans structure spatiale particulière (amortissement de la fonction dans
l’intervalle de confiance).

Figure 5.3 Exemple d’utilisation de l’autocorrélation spatiale


Semivariance

Distance entre les points d’observation (km) c de Geary

Appliquée à la distribution du pic à tête rouge en Amérique du Nord en utilisant la semi-


variance (A) et à la topographie du lit d’une rivière du Massif central (le Doulon) en utili-
sant le C de Geary (B). Pour B, les traits fins représentent l’intervalle de confiance à 95 %,
le trait plein épais les valeurs de la station avec du bois mort dans le chenal de la rivière et
le trait en pointillé les valeurs de la station sans bois mort.
Sources : VILLARD et MAURER, 1996 ; DUFOUR et al., 2005.

Comprendre les flux et les transferts


Étant donné leur nature, certains phénomènes biophysiques doivent être
analysés d’un point de vue dynamique (transferts d’eau, de sédiments, dépla-
cements d’espèces animales, etc.). Le géographe est alors amené à s’interroger
sur des questions de flux et de mobilité. Il mobilise pour cela des outils et
concepts souvent issus de l’analyse spatiale, permettant de formaliser ces
dynamiques sous la forme de graphiques décrivant des flux se déplaçant au
sein d’un réseau. Deux aspects de l’organisation des réseaux sont générale-
ment mis en avant :
• Leur structure : l’objectif est de comprendre en quoi l’organisation spatiale
du réseau est efficacement agencée ou non pour assurer le transfert des
flux d’un point à un autre de l’espace (connexité).
• Leur aspect fonctionnel qui s’interroge davantage sur l’intensité des liens
(des flux) et à l’efficacité des relais de processus dans le temps et dans
l’espace.
Plusieurs approches et outils sont aujourd’hui développés pour analyser
ces dynamiques complexes comme la théorie des graphes [ex. FOLTÊTE
et al., 2012], les systèmes multi-agents (SMA), les automates cellulaires
(cf. chapitre 12), les modélisations en stocks et flux, etc.
Produire et analyser des données biophysiques en géographie ! 79

Le patron spatio-temporel d’un phénomène


pour en déterminer l’origine
Compte tenu de la multiplicité des facteurs susceptibles d’influencer le fonc-
tionnement d’un milieu donné, il est souvent complexe d’établir des liens
de causalité entre les modifications environnementales et les réponses des
socio-écosystèmes. Cette reconstruction est pourtant nécessaire notamment
pour la définition d’actions de gestion ou de restauration pertinentes. Par
exemple, sur la basse vallée de l’Ain, un des principaux affluents du Rhône, la
modification du paysage fluvial observée depuis plusieurs décennies (végé-
talisation de la bande active, simplification des chenaux, perte de mobilité
latérale et incision) posait question. Plusieurs facteurs étaient susceptibles
de participer à cette transformation comme la construction de barrages
en amont, des travaux de rectification ou des modifications des pratiques
agricoles locales. Il était complexe d’identifier les causes principales des
ajustements et notamment parmi elles l’influence réelle des ouvrages hydro-
électriques présents en amont. Une façon de procéder a consisté alors en une
analyse des patrons spatio-temporels de chaque paramètre d’ajustement du
cours d’eau c’est-à-dire sa chronologie et sa géographie (figure 5.4). Ainsi,
dans le cas de modifications intervenant en amont des secteurs étudiés,
comme le reboisement du bassin-versant ou la construction de barrages, ce
sont principalement les variables dites de contrôle interne (débit liquide et
débit solide) qui sont susceptibles d’être modifiées.
Ces modifications se traduisent par des patrons différents s’il s’agit d’une
modification hydrologique ou des entrées sédimentaires. Dans le premier cas,
les réponses morphologiques seront rapides et synchrones sur l’ensemble du
linéaire alors que dans le second, la réponse est progressive d’amont en aval
et sa vitesse de propagation est grossièrement celle des vitesses de migra-
tion de la charge de fond. Dans le cas de modifications locales, comme des
interventions sur les géométries de cours d’eau, la réponse morphologique
est souvent rapide et directement consécutive à la réalisation des opéra-
tions, mais elle aussi localisée avec, parfois, des propagations progressives
ou régressives de faible amplitude spatiale. Dans le cas de l’Ain, l’analyse
spatio-temporelle du patron d’ajustement du cours d’eau a démontré le rôle
secondaire des barrages dans l’évolution paysagère, contribuant ainsi à orien-
ter les actions de gestion et à modifier les relations entre les gestionnaires du
cours d’eau et les gestionnaires des barrages [ROLLET, 2007]. Il est toutefois
important de noter que cette démarche ne peut s’appliquer que sur des cours
d’eau bénéficiant d’une énergie suffisante pour que les ajustements soient
d’amplitude suffisante pour être clairement interprétés et sur des tronçons
où la pression anthropique est assez faible pour laisser les patrons d’ajus-
tement s’exprimer. Ainsi sur les cours d’eau de l’Ouest français, comme en
80 ! Géographie de l’environnement

Normandie et en Bretagne, le rapport entre aménagements et processus


hydro-morphologiques ne permet pas l’expression des ajustements mor-
phologiques. L’analyse spatiale et temporelle de ces derniers est alors plus
difficile à mettre en œuvre.

Figure 5.4 Patron spatio-temporel de l’ajustement morphologique


d’un cours en fonction du facteur explicatif dominant
Chapitre 6

Analyser la nature hybridée :


renforcer le dialogue intra-
et interdisciplinaire

LA GÉNÉRALISATION DES HYBRIDES interroge les démarches actuelles de


recherche. Cela impose de poursuivre l’effort de création d’espaces multidis-
ciplinaires dédiés à la compréhension des géosystèmes, des anthroposystèmes,
des socio-écosystèmes, entamé dans la seconde moitié du XXe siècle afin de
dépasser la confrontation des savoirs issus de domaines (sous-)disciplinaires
différents. En pratique, l’enjeu est l’amélioration de l’articulation entre les
approches de type naturaliste et les approches de type constructiviste, en par-
ticulier au sein de la géographie. Cet enjeu est abordé à partir des exemples de
l’Amazonie et des rivières urbaines. Le premier illustrera comment les recons-
titutions interdisciplinaires de trajectoires auxquelles participe la géographie
biophysique peuvent renouveler notre connaissance des milieux longtemps
considérés comme naturels. La seconde sera l’occasion de réfléchir au renouvel-
lement de l’inter- et de l’intradisciplinarité à partir de l’analyse contemporaine
d’un des environnements les plus transformés par les sociétés contemporaines.

Comment articuler les approches disciplinaires ?


La géographie contemporaine, comme toutes les autres disciplines académiques, est
le résultat d’un long processus de mise en ordre de concepts, d’objets et de méthodes
de recherche par la science occidentale issue de la Modernité. L’essor des techniques
et la multiplication des domaines du savoir sont responsables d’une hyperspécialisa-
tion qui est à l’origine, en réaction, du développement de pratiques de recherche qui
ont pour objectif de confronter ou de mixer les savoirs disciplinaires. On distingue
plusieurs types d’approches aux contours parfois flous [LÉTOURNEAU, 2008] :
• Pluri- ou multidisciplinarité : il s’agit de croiser des approches et des savoirs
disciplinaires autour d’une question commune. La réflexion épistémologique
82 ! Géographie de l’environnement

autour de cette rencontre est peu développée et on reproche parfois à ces


démarches d’être simplement la juxtaposition ou la confrontation de résul-
tats de recherche. Néanmoins, le produit de la rencontre peut être fertile si la
question permet le croisement des approches : ainsi, beaucoup de recherches
paléoenvironnementales sont pluridisciplinaires.
• Interdisciplinarité : l’intégration des différents savoirs disciplinaires fait l’objet
d’une véritable collaboration qui a des implications sur la définition des
concepts et des méthodes de recherche et qui s’inscrit dans un cadre concep-
tuel commun. En général, l’interdisciplinarité se développe à l’intersection de
domaines disciplinaires quand un seul ne permet plus d’aborder toutes les
dimensions de la question posée. La géoarchéologie qui conjugue différents
types de savoirs autour des relations entre les sociétés du passé et leur environ-
nement est un exemple de démarche interdisciplinaire.
• Transdisciplinarité : définit une démarche de recherche qui souhaite traverser les
disciplines et intégrer les autres formes de savoirs comme les savoirs vernacu-
laires. Elle reconnaît que la réalité ne peut être réduite à un seul niveau d’analyse.
Promue en réaction à la rigidité du découpage disciplinaire, il s’agit d’une perspec-
tive impliquant de quitter le cadre disciplinaire d’origine pour traverser d’autres
disciplines. C’est donc une posture qui a des implications épistémologiques, sou-
vent le fruit d’un positionnement individuel ou d’un petit groupe de chercheurs.
Les recherches qui mêlent géomorphologie et art sont transdisciplinaires.
• Intradisciplinarité : certaines disciplines possèdent une diversité de démarches
allant des approches empiriques et expérimentales caractéristiques des
sciences naturelles et à celles des sciences sociales. C’est le cas par exemple de
la géographie ou de l’anthropologie.

La forêt amazonienne
La forêt amazonienne constitue le tiers des forêts tropicales humides de la
planète. Elle s’étend dans neuf pays d’Amérique du Sud sur 6,7 millions de
km2 dont une grande partie de forêts denses. Selon une synthèse récente
[CARDOSO DA SILVA et al., 2005], on y recense au moins 40 000 espèces de
plantes, 427 de mammifères, 1 294 d’oiseaux, 378 de reptiles, 427 d’amphi-
biens et environ 3 000 espèces de poissons. Elle constitue ainsi le plus riche
des écosystèmes terrestres avec 10 % des espèces connues sur Terre. Souvent
considérée comme le poumon vert et un trésor écologique planétaire, chaque
atteinte à son intégrité est considérée comme une menace globale comme en
atteste la crise internationale issue des incendies de l’été 2019.
Cette luxuriance du vivant a décontenancé les Européens dès leur arrivée.
Issus d’un monde tempéré transformé par les pratiques agropastorales, les
explorateurs ont été profondément surpris par le climat équatorial hyper-
humide, la profusion végétale et animale ainsi que les paysages amphibies
Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue intra- et interdisciplinaire ! 83

des corridors fluviaux qui furent les principales voies de cette découverte.
De là sont nés plusieurs mythes, de l’Eldorado jusqu’à celui de la forêt vierge.
L’ouverture aux explorations scientifiques n’a pas dissipé cette méprise et
l’Amazonie fut encore largement considérée comme une nature vierge tout
au long du XXe siècle. Ce point de vue reste populaire malgré les preuves
de plus en plus nombreuses de l’importance et de l’ancienneté de l’action
des hommes. En effet, depuis une trentaine d’années, les recherches archéo-
logiques, éthnobotaniques, paléoenvironnementales, géoarchéologiques et
géographiques sont à l’origine d’une écologie historique qui redéfinit l’impact
des sociétés précolombiennes sur la forêt équatoriale et met en évidence trois
types de transformations précoces comme l’explique Stephen Rostain [2018].

L’Amazonie, centre de domestication


Les recherches archéobotaniques et paléoenvironnementales montrent avec
des arguments de plus en plus convaincants que l’Amazonie fut un des centres
mondiaux de la domestication des plantes bien avant l’arrivée des Européens
[CLEMENT et al., 2015]. Dans cet environnement tropical, les stratégies de
subsistance se sont, depuis longtemps, appuyées sur un continuum entre les
pratiques de cueillette, de gestion des plantes, incluant 3 000 à 5 000 espèces
non domestiquées mais exploitées régulièrement, et la domestication de cer-
taines d’entre elles. Depuis la fin du Pléistocène, plus de 85 espèces y ont ainsi
été domestiquées (figure 6.1) : le manioc, la patate douce, les piments, il y a
plus de 8 000 ans, puis l’ananas, le palmier pêche, la noix du Brésil, le cacao,
le tabac, la cacahuète et de nombreux arbres fruitiers.
Pour les arbres, la domestication résulte d’abord de la sélection des meil-
leures variétés et des individus comportant le plus de traits morphologiques
souhaitables, comme la taille des fruits par exemple. Cette sélection se tra-
duit par une dispersion au fur et à mesure des déplacements des populations
ou de l’extension des terrains exploités. Afin de mesurer les effets de ces
pratiques plurimillénaires, Levis et ses collègues [2017] ont développé une
analyse statistique d’une base de données comportant 1 170 parcelles fores-
tières réparties dans le bassin amazonien. L’analyse de la distribution et de
l’abondance de 85 espèces ligneuses domestiquées par les Précolombiens
en fonction de leur environnement régional (caractéristiques pédologiques,
climatiques, topographiques) et de la distance aux cours d’eau et aux sites
archéologiques connus met en évidence que l’abondance et la richesse rela-
tives des espèces domestiquées augmentent dans les forêts situées dans les
espaces anciennement peuplés. Ainsi, malgré une forte diversité régionale,
la composition contemporaine de la forêt amazonienne est en partie struc-
turée par une longue histoire de domestication des plantes par les peuples
précolombiens.
Figure 6.1 Gestion et domestication des plantes en Amazonie
84 ! Géographie de l’environnement

Les noms des espèces identifient les origines connues ou suspectées (avec « ? ») de la domestication de 20 espèces de plantes cultivées par les
indigènes d’Amazonie. Les centres de diversité génétique des plantes cultivées contiennent des concentrations importantes de ressources génétiques
des plantes cultivées.
Source : d’après CLEMENT et al., 2015.
Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue intra- et interdisciplinaire ! 85

L’Amazonie anthropisée
Cette domestication a permis le développement de pratiques agricoles
complexes. Les recherches interdisciplinaires montrent que l’apparition de
systèmes d’agriculture élaborés remonte à 6 000 ans environ, en particulier
dans certains espaces, les terra preta (terres noires), principalement localisés
le long des grands cours d’eau. En effet, les sols des plaines alluviales, riches
en nutriments, ont constitué des espaces de peuplement anciens. Formant
environ 10 % du territoire amazonien [CLEMENT et al., 2015], les analyses
paléopédologiques et micromorphologiques montrent que ces terres noires
sont aussi le résultat des pratiques de brûlage, de paillage et de compostage
dans les jardins et les parcelles cultivées et de la gestion des déchets autour des
villages comme celle des excréments. Ces sols fortement anthropisés, anthro-
sols, se sont surtout développés depuis 2 500 ans accompagnant l’expansion
des sociétés sédentaires.
Une autre grande découverte de ces dernières années est l’importance
des structures construites par les sociétés en Amazonie [CLEMENT et al.,
2015 ; ROSTAIN, 2016]. Les archéologues ont en effet découvert des ter-
rassements divers dans nombreuses parties de la forêt : pistes, tertres
d’habitat, fossés, recoupements de méandres, étangs artificiels, construc-
tions à but cérémoniel, monuments funéraires, champs cultivés, etc. Le
paysage anthropique le plus étudié par les recherches interdisciplinaires
est celui des buttes de culture séparées de zones déprimées qui forment
des champs surélevés identifiés dans de nombreuses régions amazoniennes
comme Llanos de l’Orénoque, l’Amapa au nord-est du Brésil et les côtes
guyanaises. L’analyse des photographies aériennes et des images satellites
complète le nouveau visage de la forêt amazonienne qui se peuple de ces
géoglyphes. Ils peuvent former localement des réseaux qui articulent mon-
ticules, places, fossés, murs et pistes en dessinant la trame d’un paysage
anthropique. Dans la région de Sangay en Équateur, ou dans la partie infé-
rieure de l’Amazonie, les premiers complexes ont été occupés il y a plus
de 5 000 ans alors que d’importants travaux réalisés dans les deux millé-
naires de notre ère ont été identifiés le long de la plaine d’inondation de
l’Amazone et dans les zones frontalières du nord et du sud de l’Amazonie.
Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, ces structures n’indiquent
pas une déforestation complète, elles sont le plus souvent disposées au sein
d’un environnement anthropisé mais qui est resté souvent forestier et leur
rémanence dans de nombreuses régions amazoniennes atteste de l’ampleur
de l’empreinte laissée par les pratiques agricoles dans les paysages contem-
porains. La mainmise de l’espèce humaine sur l’Amazonie est donc bien
plus ancienne et profonde que ce à quoi les explorateurs, scientifiques ou
non, nous avaient préparés.
86 ! Géographie de l’environnement

L’Amazonie hybridée
Les recherches sur l’Amazonie révèlent aussi la rémanence des actions
humaines et leur hybridation avec les dynamiques spontanées du vivant.
De fait, les champs surélevés de Guyane, abandonnés il y a plusieurs siècles
sont toujours parfaitement visibles dans le paysage, ce qui ne laisse pas de
surprendre dans un environnement où à la fois les abats d’eau sont impres-
sionnants (3-4 m de précipitations annuelles) et la flore et la faune sont si
dynamiques. Les travaux de Doyle McKey et ses collègues ont montré
« qu’après leur abandon, des organismes ingénieurs du sol tels que les four-
mis, les termites, les vers de terre et des plantes ont réorganisé les champs
surélevés. Les matières organiques et minérales que tous ces organismes
apportent aux monticules compensent les pertes liées à l’érosion » [ROSTAIN,
2018]. Les espèces ingénieurs entretiennent donc un hybride, un héritage
anthropique, qu’elles se sont approprié (figure 6.2).
Stimulés par ces découvertes, les paléoécologues ont poursuivi leurs tra-
vaux sur de nombreux géoglyphes identifiés par la télédétection mais mal
connus, comme les paysages à bosses fréquents en Amazonie [ROSTAIN,
2018]. Certains monticules se sont révélés être des nids édifiés par des four-
mis dans des milieux anthropisés alors que d’autres, comme les surales,
monticules de terre de 1 à 2 mètres de diamètre, couvrant certaines savanes
inondables du bassin de l’Orénoque, sont construites par l’accumulation
d’excreta de vers de terre sans que les sociétés précolombiennes soient res-
ponsables directement ou indirectement de leur élaboration. Dans la forêt
amazonienne se côtoient donc des formes construites par l’Homme, des
rémanences de constructions humaines entretenues par des écosystèmes de
substitution et des constructions spontanées issues de la faune et de la flore
natives de ces régions.

Les enjeux contemporains


Les recherches interdisciplinaires conduites en Amazonie permettent deux
conclusions sur les enjeux contemporains, une sur leur dimension politique
et écologique et l’autre sur leur dimension méthodologique.
• Stimulées par les découvertes archéologiques et mobilisant des commu-
nautés disciplinaires différentes utilisant chacune ses méthodes et ses
outils, les recherches interdisciplinaires ont démontré que, de l’échelle du
continent à celle du m2, les géosystèmes amazoniens sont en grande partie
hybridés eux aussi.
Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue intra- et interdisciplinaire ! 87

Figure 6.2 Paysages mixtes naturels et culturels des tropiques

En haut, savane inondable des Llanos de Mojos, Bolivie. En bas, savane inondable près
d’Oyo, République du Congo.
Sources : © D. Renard avec un drone Pixy ; © Image Google Earth ; interprétation D. McKey.
Figure tirée de ROSTAIN, 2018.
88 ! Géographie de l’environnement

Comme tous les géosystèmes de la planète, leur étude ne peut donc se


satisfaire d’une approche étroitement centrée sur les dynamiques contem-
poraines, au risque de mécomprendre le rôle des héritages, ni d’une
approche centrée sur des processus biophysiques, hydrologiques, dyna-
miques fluviales, sur les successions écologiques, etc., au risque de méses-
timer la place et le poids des actions humaines, directes ou indirectes,
dans les dynamiques contemporaines.
• Plus fondamentalement, ces recherches montrent que les sociétés pré-
colombiennes ont transformé, progressivement et depuis longtemps,
l’Amazonie autour des villages et des sites de campement, dans les champs
en jachère ainsi que par des interactions, plus ou moins intentionnelles,
le long des sentiers par exemple. Mais comme le dit Stéphen Rostain [2018] :
« Les Précolombiens ont tiré des bénéfices de la nature sans trop l’endom-
mager, en tirant parti des processus écologiques pour créer une “nature”
qui leur était plus favorable .» On est bien loin des processus en cours dont
les méthodes de la télédétection, confortées par les observations de terrain,
donnent la mesure. Des estimations récentes font ainsi état d’une perte
d’environ 770 000 km2 de forêt entre 1970 et 2016, soit près de 20 % du cou-
vert forestier d’origine1. La déforestation s’accentue du fait de l’exploitation
du bois, des activités agropastorales et de la fréquence accrue des incen-
dies de forêt à grande échelle. Cette destruction et la fragmentation des
écosystèmes forestiers qui en résultent affectent fortement la biodiversité
amazonienne et questionnent ce que nous appelons Anthropocène.

Les rivières urbaines


À l’inverse, les rivières urbaines offrent l’image de géosystèmes où le rôle de
l’anthropisation s’impose d’emblée comme un élément central de l’analyse.
Les qualifier d’hybrides semble aller de soi.

Écosystèmes hybrides ou nouveaux écosystèmes ?


Les transformations spectaculaires de leur fonctionnement liées à l’étale-
ment urbain sont à l’origine de la définition du syndrome des cours d’eau
urbains [WALSH et al., 2016]. En effet, l’urbanisation est responsable de l’aug-
mentation des zones imperméables (bâtiments, routes, parkings), engendre
le développement des systèmes de drainage artificiels et a favorisé la rectifica-
tion des cours d’eau pour limiter les risques d’inondations. Cela implique des
conséquences en cascade sur plusieurs composantes de l’hydrosystème par-
faitement mises en évidence par les recherches de géographie biophysique.

1. https://rainforests.mongabay.com/amazon/deforestation_calculations.html [BUTLER, 2017].


Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue intra- et interdisciplinaire ! 89

Les vastes zones imperméables réduisent l’infiltration, diminuent l’évapo-


transpiration et la recharge des nappes phréatiques ; ce qui entraîne une
augmentation de la fréquence et de l’ampleur des crues. Il en résulte un
développement de l’érosion et une modification de la géométrie des chenaux
(incision et élargissement). L’ensemble aboutit à une diminution de la qua-
lité physico-chimique de l’eau et des habitats disponibles pour le vivant qui
finissent par profondément modifier la structure et la composition de la bio-
cénose. Parallèlement, la végétation des berges intégrée au monde urbain se
transforme du fait des pratiques des riverains ou des gestionnaires.
S’appuyant sur ces constats, certains auteurs pensent que les rivières
urbaines constituent même de nouveaux écosystèmes [FRANCIS, 2014]. C’est-
à-dire qu’elles ont dépassé le stade de l’hybridité. Elles ont franchi des seuils
irréversibles qui définissent un cadre entièrement nouveau pour leur fonction-
nement. Même si la notion de nouvel écosystème est discutée, et qu’il suffit
sans doute d’en rester à la définition des systèmes hybrides, cela montre à quel
point, elles constituent l’archétype de système que l’anthropisation a reconfi-
guré. Dans cette perspective, Robert Francis [2014] considère ces écosystèmes
comme « les moins restaurables ». Pourtant, face aux enjeux écologiques
et du fait de l’importance de la question de la nature en ville, on observe la
multiplication des projets de restauration écologique. Paradoxalement, ces
hydrosystèmes sont aussi les plus appropriés pour relier le projet écologique
aux populations riveraines. En effet, ces projets en milieu urbain sont en géné-
ral multidimensionnels, incluant des objectifs sociaux tels que les circulations
douces et la valorisation du potentiel récréatif et esthétique du paysage. Ils sont
ainsi un terrain par excellence pour l’analyse interdisciplinaire.

Les limites de l’approche inter- et intradisciplinaire


Cette approche interdisciplinaire souhaitée par les gestionnaires et les scienti-
fiques s’avère souvent, en pratique, difficile à mettre en œuvre (figure 6.3). En
géographie biophysique, l’étude des rivières urbaines se préoccupe principale-
ment des effets hydromorphologiques de l’étalement urbain ou des effets de la
rectification, du busage, de la couverture des cours d’eau et de la construction
des seuils et des barrages sur les transferts hydrosédimentaires et les habitats
aquatiques. Les pratiques humaines sont principalement envisagées comme les
déclencheurs et les agents d’une succession de processus qui est au centre de
l’attention des chercheurs. De ce point de vue, la recherche est efficace et montre
par exemple que l’incision et l’élargissement du cours d’eau posent la question de
l’équilibre de ce système fluvial [SCHMITT et al., 2016] et que cela n’est pas sans
conséquence pour les projets de restauration des rivières concernées.
Du côté de la géographie environnementale et de la political ecology, le
principal objectif est la compréhension de la relation entre les représentations
90 ! Géographie de l’environnement

développées par tout ou partie des populations locales et des gestionnaires,


les politiques environnementales et les dynamiques hydrologiques envi-
sagées principalement sous l’angle du risque d’inondation. Ces recherches
mettent ainsi le plus souvent au centre de l’étude les rapports de savoir et de
pouvoir entre des individus et des groupes, appuyés sur des différences de
capital spatial, économique, politique ou socio-culturel. C’est souvent plus
la relation entre les pratiques et les représentations qui est interrogée que
la relation entre les pratiques (ou les représentations) et la construction de
la matérialité. La conflictualité avérée ou potentielle est souvent au centre
de l’étude. Ainsi, par exemple, on sait comment la patrimonialisation de la
rivière aménagée s’oppose aujourd’hui au projet écologique qui l’envisage
d’abord comme une infrastructure naturelle [BARRAUD et GERMAINE, 2017]
et l’on comprend mieux les distorsions entre les points de vue de l’État, des
élus et des riverains sur les inondations. Ces analyses fécondes contribuent
aujourd’hui à définir par exemple des politiques d’information, de sensibi-
lisation voire d’éducation ou à remettre en cause certains fondements ou
procédés utilisés par les politiques ayant des dimensions environnementales.

Figure 6.3 L’approche socio-environnementale des petits cours


d’eau urbains

Chaque approche a ses objets favoris. Par conséquent, l’approche socio-écologique inter-
disciplinaire souffre souvent d’une base étroite où chaque objet du système est en fait
souvent étudié par l’une ou l’autre des approches disciplinaires. Par exemple, en général,
les sciences sociales n’étudient pas le chenal sauf pour de grandes rivières où la question
de la baignade est redevenue d’actualité.

L’approche socio-environnementale résulte souvent ensuite de la mise


en commun de ces savoirs. Mais en général, le constat est, qu’au-delà des
difficultés d’intercompréhension liées à la sémantique employée par chaque
champ de recherche (cf. chapitre 4), les objets de recherche ne sont pas les
mêmes. L’intersection des savoirs est en fait étroite. Ainsi, dans le cas des
cours d’eau urbains, les géographes biophysiciens mettent au centre le chenal
Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue intra- et interdisciplinaire ! 91

et ses processus, y compris l’inondation envisagée sous l’angle du débor-


dement alors que la géographie de l’environnement s’intéresse à la plaine
alluviale, à ses résidents, aux risques qu’ils encourent, aux aménités dont ils
pourraient profiter ou que l’agglomération urbaine dans son ensemble pour-
rait s’approprier. Par conséquent, l’approche interdisciplinaire est souvent la
confrontation de savoirs qui se comprennent mal même si leur analyse est
pertinente. In fine, elle se transforme souvent en une réflexion sur la manière
de combiner les savoirs existants. L’essor de l’approche par les services éco-
systémiques qui continuent de découper la réalité biophysique et sociale
selon une approche duale de la nature et qui se confronte à la question des
valeurs en est l’exemple le plus actuel [MARIS, 2014 ; LESPEZ et al., 2016].
L’interdisciplinarité a fait ses preuves. Elle a révélé les géosystèmes,
les anthroposystèmes, les socio-écosystèmes, fait entrer du social (qu’il
soit culturel, ou politique) dans du naturel et légitimé l’approche par les
sciences sociales des questions environnementales et des structures comme
les observatoires hommes/milieux du CNRS jouent un rôle dans l’émer-
gence de cultures interdisciplinaires. Cependant, l’hybridation des savoirs
s’y développe lentement, soumise aux contraintes du fonctionnement du
monde scientifique contemporain où la recherche est une démarche ins-
titutionnelle autant qu’un exercice intellectuel et où elle reste cantonnée
à des espaces géographiques restreints. Comme la nature et la culture ont
fusionné, que les hybrides se sont multipliés et que les disciplines scienti-
fiques continuent de se spécialiser, il est sans doute l’heure de proposer de
nouvelles perspectives.

Pour une géographie hybridée


La connaissance des rivières urbaines demeure éclatée et incomplète rendant
difficile la mise en œuvre de politiques au-delà de l’échelle locale. On étu-
die peu la trajectoire de cette matérialité, la part des héritages biophysiques
qu’elle comporte ; de telle sorte que l’on peut se méprendre sur leur naturalité.
On étudie aussi peu encore la manière dont elle continue d’être construite
au quotidien par les riverains ou les politiques publiques. Par exemple, les
actions des propriétaires riverains des petits cours d’eau non domaniaux sont
bien mal connues. Pourtant, s’ils sont propriétaires d’un pavillon et du jardin
attenant au bord d’une rivière non domaniale, ils ont en charge la gestion des
berges. Ils rejettent dans le cours d’eau, volontairement ou non, une partie
des eaux ruisselant sur leur propriété, ils aménagent (ou non) des accès à
la rivière, redessinent ou renforcent leurs berges, plantent ou laissent pous-
ser une végétation spontanée favorisant (ou non) les plantes introduites ou
invasives, etc. Ils contribuent également à dessiner une connectivité sociale
au cours d’eau qui demeure peu enquêtée [KONDOLF et PINTO, 2017]. Plus
92 ! Géographie de l’environnement

généralement, on étudie peu les formes et les fonctionnements produits par


les nouveaux modèles de gestion à l’œuvre. Si, les effets de la gestion hydrau-
licienne de la période précédente sont aujourd’hui bien connus, les effets
matériels des nouvelles politiques de gestion du risque d’inondation ou de la
restauration écologique demeurent peu étudiés. Pourtant comme le dit Peter
Ashmore [2015] : « On a souvent dit que la restauration des rivières est un
processus socio-politique et culturel autant que scientifique. Mais dire cela
ne nous permet pas de montrer comment la morphologie des rivières en est
affectée, comment ce processus fonctionne réellement, ni d’expliquer pour-
quoi les rivières ressemblent à ce qu’elles sont à l’issue de ce processus .»
Pour aller plus loin et renforcer l’approche interdisciplinaire, il semble
nécessaire de multiplier les espaces multidisciplinaires, accueillant des
pratiques diverses, afin de construire une nouvelle approche dédiée à la
compréhension des géosystèmes hybridés. Alors que nous sommes encore
trop souvent happés par les enjeux sous-disciplinaires, continuer à unique-
ment juxtaposer approches naturalistes et sciences sociales, c’est confronter
des savoirs sur des catégories qui n’existent plus et qui, pour cette raison,
risquent de rater la compréhension de notre monde et de lancer les dis-
cussions dans un cadre obsolète. Bien sûr, la rigueur scientifique exige que
l’observation, la description, la mesure se place dans un cadre disciplinaire
ou sous-disciplinaire qui a affûté les méthodes et en fait en permanence la
critique. Dans cette perspective, chaque approche spécialisée, et ses résul-
tats, demeure fondamentale, mais il faut faire plus. Ainsi, par exemple, la
compréhension de la dynamique de la végétation rivulaire des petits cours
d’eau urbains doit s’appuyer sur la connaissance des habitats disponibles
dans la plaine d’inondation (sols, dynamique de la nappe phréatique, des
écoulements, etc.), des pratiques de gestion ou d’introduction des plantes par
les riverains ou les institutions en charge de la gestion des espaces publics,
des dynamiques écologiques de la végétation, de la demande de nature des
riverains et des populations plus éloignées, etc. Aucun des objets/processus
n’étant indépendant des autres, il est nécessaire que soit construite progres-
sivement une culture générale des rivières urbaines.
Pour cela, il est souhaitable que chacun s’intéresse plus aux savoirs des
autres pour mieux interagir avec eux. Il est sans doute nécessaire également
de passer plus de temps encore ensemble pour traiter conjointement du
même objet ou processus hybride. Il est donc essentiel que chaque approche
en fasse plus que dans une perspective interdisciplinaire, c’est-à-dire qu’elle
accepte de s’intéresser à des objets et des processus qui ne sont pas au cœur
de son projet afin que pour chaque objet ou question de recherche, toutes
les compétences scientifiques puissent dialoguer ensemble. Souscrivant
aux réflexions qui ont mené au développement des démarches transdis-
ciplinaires, il s’agit de proposer une interdisciplinarité plus aboutie et une
Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue intra- et interdisciplinaire ! 93

transdisciplinarité plus organisée et plus collective car définissant des objets


communs, support d’une approche pragmatique. Il s’agit de comprendre
l’agencement, l’organisation, le fonctionnement d’objets et de processus
hybridés. Pour cela, sans doute, faudrait-il privilégier l’approche empirique
collective, conjointe plutôt que les approches successives et parallèles qui
dominent encore bon nombre de travaux dits interdisciplinaires. À cette fin,
il convient probablement de définir des cadres spatio-temporels communs
et relativement bien circonscrits. Comme l’ont montré les expériences des
OHM, proposer de tels cadres est une des contributions de la géographie qui
mobilise des concepts (territoire, paysage, espace) orthogonaux aux proces-
sus biologiques, physiques ou sociaux. Il est sans doute temps de promouvoir
un état d’esprit pour développer des approches pragmatistes collectives par-
tout plutôt que de multiplier les fenêtres d’expérience.

Conclusion
Les leçons de l’Amazonie et des rivières urbaines nous conduisent à la même
conclusion : il nous semble opportun d’ouvrir un espace dans lequel la for-
mule de Claude et Georges Bertrand [2002] prenne tout son sens : « Savoirs
hybridés, savoirs débridés ». L’expérience géographique [CASTREE, 2005] est
un bel endroit pour approfondir ces démarches de recherche autour d’une
intradisciplinarité renouvelée, même si ce n’est sans aucun doute pas le seul.
Il s’agit donc bien d’une proposition de renouvellement scientifique que les
hybrides nous suggèrent, pour les comprendre eux-mêmes, mais aussi pour
étudier le métabolisme et la matérialité du monde à venir.
Chapitre 7

La géographie biophysique
participative

DANS QUELLE MESURE le public peut-il participer à la connaissance, à la


production des savoirs scientifiques sur le réchauffement climatique ou la
biodiversité ? La science est-elle bien trop importante pour la laisser aux
seules mains des scientifiques pour paraphraser Imran Khan, directeur
général de la British science association ? Ce chapitre propose d’explorer
les enjeux scientifiques et politiques autour des sciences participatives et
des sciences citoyennes, qui désignent la production de savoirs scientifiques
par des volontaires en collaboration avec des scientifiques. Initiées depuis
longtemps par des naturalistes, elles dépassent actuellement la simple col-
lecte de données par des non-scientifiques et visent à sensibiliser le public
aux questions environnementales et à promouvoir une démocratisation de
la science. Le développement du numérique spatial (instruments, données,
applications) et l’essor récent de l’électronique miniaturisée offrent de nou-
velles perspectives pour la compréhension des phénomènes à des échelles
spatiotemporelles fines et pour la captation citoyenne qui suppose une
appropriation du dispositif de production des savoirs. Au-delà des questions
de qualité de l’information produite, cette géographie biophysique participa-
tive explore l’engagement des citoyens dans une démarche scientifique, voire
politique.

Sciences et recherches participatives,


sciences citoyennes, sciences collaboratives ?
Il existe de nombreuses dénominations (cf. encadré) pour qualifier les
recherches impliquant volontairement des non-scientifiques. Ces démarches,
qualifiées de « citoyennes », « participatives », « collaboratives » ou encore
« communautaires », désignent soit une « science », au sens de somme des
96 ! Géographie de l’environnement

connaissances, soit une « recherche », c’est-à-dire le processus de production


de ces savoirs. Elles renvoient à une pluralité de pratiques : de la collecte des
données par des non-scientifiques à une revendication d’ouverture démo-
cratique des orientations de la science en lien avec la demande sociale sur le
nucléaire, les OGM, le changement climatique, par exemple, qui conduit à
repenser la gouvernance de la science. Beaucoup reprennent la définition du
rapport sur Les Sciences participatives en France [HOULLIER, 2016] : « formes
de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non
scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, parti-
cipent de façon active et délibérée ».

Diversité sémantique des sciences et recherches participatives


Il existe une multitude de termes en anglais : citizen science (terme globalement fédé-
rateur), participatory science, backyard science, community-based science, crowdsourcing,
street science, participatory sensing, civic science… L’expression citizen science, apparue
en 1995 à l’initiative d’Alan Irwin, est souvent reprise en français, où sont égale-
ment utilisés fréquemment les termes « sciences citoyennes » ou « recherches ou
sciences participatives ». La diversité sémantique est liée à la variété des disciplines
scientifiques, des positionnements de recherche et/ou des points de vue sur la
place des scientifiques et des non-scientifiques. Ces derniers seront appelés des
« observateurs », « amateurs », « contributeurs », « participants », « volontaires »,
« citoyens capteurs », « citoyens scientifiques »… Le terme choisi témoigne alors
souvent de l’action demandée (observation, captation, interprétation), des héri-
tages disciplinaires (amateurs en botanique) ou encore de la volonté d’implication
affichée.

D’un ancrage naturaliste ancien à un essor récent


Depuis plusieurs siècles, à l’image de l’histoire par exemple, les savoirs pro-
duits par les sciences naturalistes (botanique, entomologie, ornithologie…) se
sont largement appuyés sur les observations des « amateurs », souvent orga-
nisés autour de sociétés savantes, en particulier au XIXe siècle [CHARVOLIN
et al., 2007]. Puis la spécialisation de la recherche ainsi que sa profession-
nalisation ont progressivement éloigné scientifiques et citoyens. Depuis les
années 1970, l’intérêt croissant pour les problématiques environnementales,
puis l’apparition de la société de l’information, des mouvements des hackers
et de l’open source ou encore la montée de la démocratie participative ont
bouleversé les rapports entre scientifiques et non-scientifiques. Ces évo-
lutions ont favorisé le développement des recherches participatives et une
implication croissante du public dans la production des savoirs, surtout
depuis une quinzaine d’années [HOULLIER, 2016].
La géographie biophysique participative ! 97

Le tout premier programme, très souvent cité, est le Christmas Bird


Count (recensement annuel des oiseaux migratoires lors de la période de
Noël), lancé aux États-Unis en 1900, à l’origine pour détourner les citoyens
américains de la chasse. En France, des projets naturalistes ont été dévelop-
pés principalement par le Muséum national d’histoire naturelle : du Suivi
temporel des oiseaux communs (STOC) initié en 1989 aux vingt observa-
toires regroupés actuellement sous le label Vigie-nature1, s’adressant à des
publics scolaires ou plus expérimentés, voire professionnels en agriculture.
Si l’héritage des naturalistes amateurs sur la faune et la flore domine le pay-
sage des recherches participatives, d’autres thématiques environnementales
émergent, par exemple sur la phénologie (cf. encadré), les pollutions de l’eau2
ou encore sur l’érosion côtière3.

Étude phénologique des pommiers du Val de Rance


Ce projet4 associe des acteurs scientifiques et associatifs (figure 7.1).
Le territoire concerné
– futur parc naturel régional de la Vallée de la Rance – Côte d’Émeraude (nord de
la Bretagne) ;
– 2/3 agricole, notamment en bocage, avec une forte diversité des productions ;
– identité régionale forte de certaines productions, comme les pommiers en Val
de Rance ;
– attentes des exploitants sur aléas météo/climatiques et sur l’adaptation au
changement climatique.
Quelques résultats
– relations importantes entre le climat et les dates de floraison ;
– quels indicateurs climatiques pertinents pour expliquer l’apparition du stade
phénologique de la floraison ? Les cumuls des degrés-jours (somme des tem-
pératures au-dessus d’une température de base) des températures moyennes
supérieures à 5 °C et des températures maximales supérieures à 10 °C ;
– quelles variations depuis 25 ans ? Forte variation interannuelle de l’étendue
temporelle des dates de floraison (entre espèces), en fonction des conditions cli-
matiques (ex. d’une période très resserrée après un mois de mars frais et un début
de printemps chaud et pluvieux (2004)).

1. www.vigienature.fr
2. www.ourradioactiveocean.org
3. coastal.er.usgs.gov/icoast/ ou #NTshiftingshores par The National Trust.
4. Programme agro-écologie EcoAgri (Fondation de France, 2018-2020) sur les paysages ali-
mentaires en vallée de la Rance et de la Côte d’Émeraude et réunissant plusieurs acteurs : Cœur
Émeraude, UMR LETG, Agrocampus Ouest, CIDREC, Les Mordus de la Pomme, Pôle Fruiter de
Bretagne.
98 ! Géographie de l’environnement

Figure 7.1 Association des acteurs scientifiques


et non scientifiques dans un projet d’étude de la phénologie
des pommiers du Val de Rance

Source : d’après DUBREUIL et al., 2019.

Dans ces processus, l’engagement des participants dans la production


des connaissances relève principalement du recueil d’informations ou de la
collecte de données et l’on parle d’observations et de captations citoyennes,
moins souvent de leurs savoirs expérientiels1 ou encore de l’analyse des don-
nées2. Ils peuvent parfois soulever de nouvelles questions et réorienter des
questionnements scientifiques. De la diversité des projets en recherche parti-
cipative découlent différents profils des participants et des attentes diverses.
Dans les projets touchant à la géographie biophysique, la conscientisation
environnementale est souvent forte et le participant est rarement ignorant
ou neutre. À travers le dispositif, il devient peu à peu expert, a minima de la
tâche réalisée, monte souvent en compétences dans le domaine de recherche
et prend conscience de ses capacités à agir sur son environnement, voire ren-
force ses relations sociales.

1. Pour les savoirs expérientiels, citons l’exemple des patients-experts en santé.


2. L’exemple très souvent cité est celui de la plateforme FoldIt proposant un jeu sur le replie-
ment des protéines, qui permet aux chercheurs d’améliorer leurs algorithmes et de comprendre les
structures tridimensionnelles des protéines.
La géographie biophysique participative ! 99

Typologies des sciences et des recherches participatives


Face à la profusion des termes utilisés et à la diversité des pratiques, plusieurs
auteurs ont proposé des typologies des sciences et recherches participa-
tives, en fonction du degré de symétrie de la relation entre scientifiques et
non-scientifiques, des initiateurs et de leurs motivations, des publics visés
ou encore des finalités attendues. La typologie la plus reprise, proposée
par Muki Haklay, géographe à University College London, repose princi-
palement sur le niveau d’implication des non-scientifiques (figure 7.2) et
distingue quatre niveaux allant du crowdsourcing (collecte de données) à
l’extreme science (collaboration sur l’ensemble du projet). En pratique, les
distinctions sont parfois floues et un projet peut évoluer. Mais globalement,
la très grande majorité des projets en recherche participative relève du pre-
mier niveau voire du second (intelligence partagée), impliquant une relation
asymétrique entre scientifiques et participants parfois réunis dans une asso-
ciation, une ONG, etc. De manière caricaturale, les scientifiques proposent
un programme de recherche participative, libre aux citoyens d’y participer,
en respectant un protocole scientifique plus ou moins défini avec ou par les
non-scientifiques. Plus rares sont les cas où les questionnements formulés
par ces derniers viennent interroger, interpeller des scientifiques comme sur
les questions des OGM ou de la radioactivité.

Figure 7.2 Typologie des sciences et recherches participatives


selon le degré de participation des citoyens
Niveau d’engagement des non-scien!fiques

Niveau 1 • Crowdsourcing, collecte d’informa!ons


Citoyens-capteurs, recueil d’observa!ons/mesures/localisa!ons
Citoyens donnant accès à leur ordinateur (volunteered compu!ng)

Niveau 2 • Intelligence collec!ve, partagée


Citoyens par!cipant à l’interpréta!on basique des données

Niveau 3 • Recherche par!cipa!ve


Citoyens par!cipant à la concep!on de la probléma!que

Niveau 4 • Recherche conjointe, « extrême »


Citoyens par!cipant à l’analyse/interpréta!on, voire à la valida!on
et à la diffusion des résultats

Source : proposée par HAKLAY, 2013.


100 ! Géographie de l’environnement

À partir d’une analyse des publications scientifiques recensées sur Web of


Science (1975-2015), les auteurs du rapport Houllier [2016] distinguent trois
groupes : les sciences citoyennes définies par le fait que ce sont des citoyens
qui réalisent la collecte de données (crowdsourcing) ; la community-based
research réunissant des groupes d’individus visant à améliorer leurs condi-
tions d’existence ou celles de leurs concitoyens (surtout en santé publique,
en éducation), à produire des connaissances actionnables, à encourager l’en-
capacitation, c’est-à-dire l’autonomie des individus ou groupes d’individus
et leur capacité à agir ; et enfin les recherches participatives reposant sur la
collaboration entre chercheurs et groupes d’individus et/ou professionnels,
dans une perspective d’innovation et de transformation sociale (agriculture,
gestion des ressources, questions urbaines…).

Les non-scientifiques comme producteurs


de savoirs scientifiques
Les scientifiques vont souvent associer les citoyens au processus de collecte
de la donnée. Pour faciliter le traitement des données récoltées, les scienti-
fiques proposent alors des protocoles simplifiés d’observation ou de mesure
s’appuyant sur des outils collaboratifs et/ou des capteurs miniaturisés, ainsi
que sur des animateurs et relais locaux.

Les outils numériques de la participation


Si la participation du public aux connaissances scientifiques n’est pas nou-
velle, le développement récent d’outils numériques a considérablement
facilité le processus de contribution : numérisation de l’information, données
localisées via des GPS, capteurs portatifs ou encore plateformes de calcul
distribuées et partage d’information sur des plateformes collaboratives ou
les réseaux sociaux. Par exemple, le projet Quake Catcher Network vise à
constituer un réseau sismique planétaire à bas coût notamment à partir des
accéléromètres internes de téléphones portables et de certains disques durs
portables. Cette participation s’appuie également sur l’ergonomie des sites
web dédiés car le retour sur la production scientifique collective (en parti-
culier via des cartes) est essentiel pour motiver les participants à collecter
des données, à les renseigner, à y passer du temps. Pour cela, les équipes de
recherche ont parfois recours à la ludification : par exemple, un fort contri-
buteur deviendra capitaine d’un navire du XIXe siècle dans le projet Old
Weather1 qui vise à reconstituer des conditions météorologiques passées.

1. https://www.oldweather.org/
La géographie biophysique participative ! 101

En géographie, le développement du numérique spatial et en particulier de la


localisation à partir d’objets miniaturisés (capteur GPS, smartphone), ainsi que
la contribution à des services géolocalisés et au géoweb 2.0, via le crowdsourcing
géographique ou encore l’information géographique volontaire (VGI Volunteered
Geographic Information), ont considérablement enrichi l’information géo-
graphique, qu’elle soit naturaliste ou non, et ont fait éclore les « citizens as sensors »
[GOODCHILD, 2007 ; HAKLAY, 2013]. On assiste parallèlement à un accès facilité
à la connaissance et à la fabrication de capteurs miniaturisés, notamment au sein
de laboratoires de fabrication numérique. L’émergence de ces FabLab, rassem-
blant une communauté de bricoleurs numériques, des moyens modernes de
fabrication et de prototypage rapide (imprimantes 3D, découpeuse laser, micro-
contrôleurs de type Arduino ou Raspberry Pi, graveuse de circuits imprimés),
ainsi que la disponibilité de capteurs à faible coût, facilitent la quantification de
l’environnement et la captation citoyenne.

Le suivi d’un protocole


La reproductibilité de la science repose en grande partie sur l’utilisation d’un
protocole expérimental, de mesure ou d’observation, comme l’illustrent par
exemple le positionnement des capteurs météorologiques (hauteur, ombre…)
ou la méthode des points-quadrats en biogéographie. En recherche participa-
tive avec collecte de données, il est illusoire d’imaginer qu’on peut reproduire
les conditions de mesure et d’observation réunies par des scientifiques et qu’il
est possible d’appliquer un protocole précis, commun à tous les participants.
Ces limites sont liées principalement au nombre de participants, au rapport
entre motivation et temps disponible, mais aussi à leur bagage scientifique.
L’enjeu est de trouver un équilibre entre engagement et rigueur scientifique,
entre difficulté et ennui, entre compétences personnelles et tâche deman-
dée et de s’accorder sur quelques éléments, souvent simples à reproduire : des
tâches qu’on peut réaliser simplement, avec des outils simples comme compter,
prendre une photo, mesurer un paramètre (avec des conseils de mesure), identi-
fier une espèce facile à repérer (avec des guides d’identification), etc. Le respect
des règles permettra d’utiliser les données récoltées, sans trop de pertes ou sans
trop de traitements de données. Enfin, cette rigueur méthodologique est souvent
demandée par les participants, qui souhaitent contribuer du mieux possible à
la science. Les différentes étapes de la participation sont souvent décrites sous
forme de dessins numérotés (figure 7.3) et l’application du protocole facilitée par
le développement d’outils informatiques et collaboratifs (applications sur smart-
phone, site web). Les données récoltées, acquises de manière opportuniste ou
selon un protocole précis, sont ensuite traitées par des procédures de contrôle et
de validation. Elles peuvent alors permettre d’accéder à une connaissance avec
une résolution spatiale et temporelle potentiellement très fine.
102 ! Géographie de l’environnement

Figure 7.3 Exemple d’un descriptif de participation

Projet Spipoll.org du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) sur le suivi photogra-
phique des insectes pollinisateurs.
Source : d’après https://www.spipoll.org/.

L’engage ment sur la durée


Au-delà de leur intérêt pour la production de données par des non-
scientifiques, les chercheurs impliqués dans des projets de recherche
participative doivent s’intéresser aux attentes/motivations des participants
et au retour à leur donner, afin de favoriser leur engagement sur la durée et la
qualité de l’information produite. Si les forums, listes de diffusion et réseaux
sociaux sont des outils fréquemment mobilisés pour fidéliser la participation
citoyenne, les échanges humains restent essentiels dans l’apprentissage des
outils numériques. Ils permettent en effet de faciliter la compréhension de
l’utilisation et la diffusion des données collectées et, plus largement, de favo-
riser l’appropriation du dispositif scientifique, conditionnant le sentiment de
responsabilité et la motivation des participants. Enfin, la réussite d’un projet
en recherche participative repose souvent sur l’animation du groupe, réali-
sée par des associations ou par des relais entre chercheurs et participants, à
une échelle locale comme le montre le rôle des artisans-relais dans le projet
« Respirons mieux dans le XXe » (cf. encadré). Ce volet animation, essentiel,
demande des ressources humaines importantes et se fait souvent de manière
bénévole.
La géographie biophysique participative ! 103

Recherche participative, l’exemple de l’expérimentation


« Respirons mieux dans le XXe »
104 ! Géographie de l’environnement

Les enjeux scientifiques,


sociétaux et politiques
Les recherches participatives permettent d’acquérir des observations et des
données de terrain que les scientifiques n’ont pas ou n’ont plus les moyens
d’obtenir. Au-delà de la collecte de données souvent massives, ces projets
sont aussi des vecteurs de sensibilisation des citoyens aux questions environ-
nementales, de l’augmentation de leur pouvoir d’action sur l’environnement
et du rapprochement science/société.

Autour des données produites :


qualité, propriété et partage
En recherche participative, la production de données est souvent très impor-
tante, c’est d’ailleurs un des objectifs. Étant donné le mode de collecte des
données par des non-scientifiques, la question de leur qualité ressort plus
fortement que dans la production « traditionnelle » de données scientifiques :
comment savoir si la contribution d’un participant est réalisée correctement ?
quel est son degré de scientificité ? Assurément, le protocole et l’ergonomie
de l’interface utilisateur ou des capteurs utilisés jouent beaucoup sur la qua-
lité des données produites.
En amont, il existe un premier filtre au niveau des participants, rarement
sans bagage thématique et sans motivation, ils participent s’ils pensent pouvoir
apporter une contribution. Des questionnaires (quiz) ou des coévaluations
peuvent entraîner les participants, améliorer leurs connaissances, voire
les catégoriser pour permettre ensuite des pondérations de leurs collectes
comme le montre par exemple le projet « Evolution MegaLab » sur l’évolu-
tion du climat et de la biodiversité à partir de l’observation des escargots.
Enfin, en aval, des méthodes statistiques sont utilisées pour filtrer et corriger
les données, la fiabilité de l’information produite reposant alors sur le facteur
quantitatif, la massivité des données produites. À terme, l’enjeu est d’articu-
ler ces données contributives avec des données de référence ou des modèles
existants, conceptuels ou numériques (cf. encadré).
Une fois les données produites et nettoyées, à qui appartiennent-elles ?
sont-elles un « commun », partagé et mis à disposition de tous ? quel est le
statut des contributeurs ? Mettre en place un dispositif de collecte participa-
tive implique de se poser ces questions. Comme en général dans le monde
scientifique actuel, sensibilisé à la question de la mise à disposition des résul-
tats des recherches, l’ouverture et le partage sont plutôt plébiscités, ce qui
peut parfois poser problème comme dans le cas de la localisation précise
d’orchidées rares, à protéger, par exemple. Des méthodes d’anonymisation
La géographie biophysique participative ! 105

ou d’agrégation spatiale sont alors souvent utilisées pour garantir une cer-
taine protection et il est important de garantir aux participants le respect du
règlement général sur la protection des données (RGPD). Enfin, la relation de
confiance repose aussi sur une restitution régulière des résultats et sur une
information claire quant à l’utilisation concrète des données.

Vers un rapprochement science et société


Les recherches participatives visent-elles l’amélioration de la science ou
ne sont-elles qu’une forme de médiation, de vulgarisation scientifique ? La
limite n’est pas toujours claire, sans doute en raison de la relative nouveauté
de cette approche et des transformations des pratiques de recherche. Il
serait réducteur d’imaginer que les scientifiques engagés dans un projet en
recherche participative le sont pour la seule acquisition des données, certes
souvent massives et riches. Les informations recueillies et les échanges avec
les participants, qu’ils soient directs ou conduits avec l’aide des animateurs,
renouvellent les objets d’étude comme le montrent l’accent récent mis sur
la biodiversité ordinaire, mais aussi les approches et méthodologies, tout
comme ils peuvent générer de nouvelles questions. Ce type de recherche,
sans doute plus exploratoire et heuristique, éloigne les scientifiques de leurs
habitudes, de leurs modes de fonctionnement et de leurs cadres de pensée.
Cette recherche « impliquée », qui conduit à un élargissement de la pratique
scientifique, s’inscrit pleinement dans le mouvement de la science ouverte
voulue par les instances institutionnelles. Elle crée les conditions d’un
nouveau mode de transmission du savoir scientifique, amène une démocra-
tisation de la science et, inversement, redéfinit la place des citoyens dans la
recherche. Par exemple, dans l’expérimentation « Respirons mieux dans le
XXe » (cf. encadré), les participants acquièrent une expérience d’observation
et de mesure quelquefois plus importante que les scientifiques impliqués
dans le projet.
De l’autre côté, les citoyens sont motivés par une curiosité scientifique,
par l’envie de participer aux débats scientifiques, de transmettre observations
et connaissances, et de comprendre leur environnement, voire par l’ambition
d’agir sur lui, de protéger ce bien commun. En effet, la participation peut
être une des formes de l’activisme environnemental, au-delà de la partici-
pation plus classique aux débats et manifestations. Reposant sur l’idée de la
fabrication d’une culture naturaliste, elle renforce l’encapacitation environ-
nementale des personnes engagées.
À l’exception de quelques programmes nationaux, tels Vigie-nature, les
recherches participatives s’inscrivent généralement dans l’environnement
du quotidien, à l’échelon local, et s’articulent souvent autour d’un groupe
d’individus sur un territoire. L’attachement à un lieu est un des facteurs
106 ! Géographie de l’environnement

d’engagement de leurs actions environnementales [SCANNELL et GIFFORT,


2013], de leur participation au projet. Les observations et mesures sur le ter-
rain sont alors valorisées et tendent à mettre en avant l’expérience individuelle
comme dans le cas de la mesure de l’exposition individuelle à la pollution de
l’air, même si l’intention est ensuite collective et partagée. Le niveau local
est aussi celui de l’animation, du dialogue entre différents acteurs (habitants,
scientifiques, gestionnaires, ONG, élus) et il peut faire émerger des projets
territoriaux comme pour le projet « Respirons mieux dans le XXe ». Certains
collectifs vont jusqu’à constituer des réseaux de sentinelles ou de citoyens-
capteurs, parfois orientés vers des dispositifs d’alerte (ex. : prévention des
inondations dans le bassin-versant de Brévenne-Turdine), vers des formes
de contre-expertise comme au Japon où les mesures de la radioactivité avec
Safecast se sont développées en réponse à la métrologie officielle japonaise,
en s’autonomisant des savoirs avec des scientifiques voire en souhaitant
constituer des alternatives.

Conclusion
La géographie biophysique est touchée par les transformations récentes de
la production des savoirs scientifiques par des non-scientifiques pourtant
ancienne. Les initiatives se multiplient et même si leur visibilité reste encore
réduite, elles sont de plus proposées voire suggérées par les appels d’offres
auxquels doivent répondre les géographes. Ces approches renforcent les
échanges entre acteurs sur un territoire, entre disciplines scientifiques et
modifient les pratiques, les méthodes, voire les orientations de la recherche.
Au-delà de la collecte massive de données, les recherches participatives sont
associées à une démocratisation de la science et à une volonté de sensibilisa-
tion à la culture scientifique et de production de savoirs actionnables. Cette
forme de participation citoyenne renforce l’esprit critique et la citoyenneté
environnementale. Si un équilibre entre les différentes parties est globale-
ment respecté, elle peut renforcer les liens entre science et société et amener
une recherche dont l’objectif est aussi de faire vivre la démocratie.
TROISIÈME PARTIE

Trajectoires
Chapitre 8

La géoarchéologie, la nature
des sociétés du passé

LA GÉOARCHÉOLOGIE est une démarche de recherche interdisciplinaire qui


intègre des résultats produits par la géographie biophysique, les sciences
des paléoenvironnements, l’histoire et l’archéologie autour des questions
des relations entre les sociétés du passé et leur environnement [LESPEZ et
FOUACHE, 2013 ; ARNAUD-FASSETTA et CARCAUD, 2014]. La convocation
de facteurs biophysiques dans la compréhension des changements sociétaux
majeurs a très tôt favorisé des réflexions transversales sur des sujets tels que
l’apparition de l’agriculture et les effondrements de sociétés comme celui de
l’île de Pâques ou du peuplement d’origine viking du Groenland par exemple.
Néanmoins, ces questionnements ne se sont généralisés et organisés que
récemment, alors que le terme de géoarchéologie lui-même ne s’est vraiment
imposé qu’après les travaux de Karl Butzer [1977].

Démarche et thématiques
La géoarchéologie s’est d’abord fixée pour objectif de comprendre l’environ-
nement des habitats (site catchment analysis) et de définir l’évolution d’un site
archéologique en tant qu’objet géomorphologique et les processus ayant pu
l’affecter depuis son abandon (site formation process). Ainsi, les investigations
géomorphologiques conduites par les géoarchéologues permettent de mettre
au jour des sites anciens enfouis sous des sédiments déposés plus récemment
dans les plaines alluviales ou littorales. Cette fossilisation met en évidence
l’importance des processus taphonomiques1. Ils expliquent que la connais-
sance archéologique repose sur une base incomplète, une partie des archives

1. La taphonomie du grec τάφος, « enfouissement », et νόµος, « loi » est l’étude de la formation


des gisements fossiles et des processus qui interviennent depuis la mort de l’organisme jusqu’à sa
fossilisation dans les sédiments.
110 ! Géographie de l’environnement

archéologiques étant aujourd’hui hors de portée des prospections pédestres,


soit parce que les sites ont été détruits par l’érosion soit parce qu’ils sont
enfouis sous des constructions, des alluvions ou des colluvions plus récents.
La contribution principale de la géoarchéologie reste la connaissance des
environnements des sites archéologiques. Croisant investigations géomor-
phologiques et paléoenvironnementales réalisées hors site [CUBIZOLLE, 2009],
l’approche paléogéographique contribue à la définition des ressources dispo-
nibles et des risques auxquels les sociétés du passé étaient confrontées. Dans les
domaines littoraux, il s’agit par exemple de déterminer la position du trait de
côte et la nature des environnements côtiers afin de définir la capacité d’une ville
à aménager un espace portuaire et d’apprécier sa vulnérabilité face aux tempêtes
ou aux tsunamis [MARRINER et al., 2014 ; GHILARDI, 2016 ; SALOMON et al.,
2018 ; DEVILLERS et al., 2019]. Le long des vallées fluviales ou au bord des marais,
l’enjeu est de déterminer les paysages fluviaux afin d’en déduire la nature des res-
sources disponibles dans le cours d’eau et sa plaine d’inondation (chasse, pêche,
cueillette), la vulnérabilité associée au régime de crue de l’époque étudiée, les
possibilités de navigation, ou de mettre en évidence les aménagements hydrau-
liques (fossés de drainage ou d’irrigation) et leurs effets sur le fonctionnement
des milieux biophysiques et les espaces agropastoraux.
Parallèlement et plus généralement, les approches géoarchéologiques
contribuent à renouveler la connaissance des interactions entre les sociétés
et leurs environnements. Ainsi, à partir de plusieurs exemples, nous mon-
trerons comment elles participent à la compréhension de trois questions
générales d’actualité :
1. le Paléo-anthropocène et l’ancienneté de l’empreinte de l’action humaine
sur les milieux biophysiques ;
2. la question des prédispositions naturelles et du déterminisme en particu-
lier climatique ;
3. la contribution de la prise en compte du temps long à la gestion contem-
poraine des milieux.

Les objets et les méthodes de la géoarchéologie


Les recherches pratiquées par les géographes biophysiciens spécialistes des paléoen-
vironnements interrogent les archives sédimentaires afin d’y rechercher les traces
de l’action des hommes (figure 8.1). Ces archives correspondent aux sédiments
accumulés au cours des derniers siècles ou millénaires. Les couches de sédiments
déposées par le ruissellement au pied des versants et par les cours d’eau dans le fond
des vallées constituent alors les chroniques d’une histoire à décrypter.
Dans cette perspective, les recherches ont d’abord pour objectif de localiser les
archives naturelles (géomorphologie) puis de prélever les sédiments à étudier. Les
tranchées à la pelle mécanique, les sondages et les carottages réalisés à l’aide de
La géoarchéologie, la nature des sociétés du passé ! 111

moyens motorisés, permettent d’observer des colonnes de sédiments de plusieurs


mètres et de les analyser en laboratoire. Ainsi, on croise les informations de nom-
breuses méthodes naturalistes qui étudient les restes d’organismes vivants : les
grains de pollen pour le palynologue, les coquilles de mollusques pour le malaco-
logue, les charbons de bois pour l’anthracologue, les graines et les fruits pour le
carpologue, les microfossiles pour le spécialiste des microfaunes, les tests siliceux
de plantes pour le spécialiste des phytolithes, les os d’animaux pour l’archéo-
zoologue, etc.

Figure 8.1 La démarche géoarchéologique

Source : modifié d’après LESPEZ, 2012.

Le plus souvent, les géographes biophysiciens combinent expertise géomorpholo-


gique et une ou plusieurs compétences analytiques dans les domaines de l’étude
des pédosédiments (sédimentologie, micromorphologie) ou des bioindicateurs
(pollen, microrestes non polliniques, phytolithes, etc.). Ces disciplines reposent
toutes sur deux postulats :
1. Les pédosédiments caractérisent des environnements de dépôt alors que les
espèces ou groupements d’espèces ont des exigences écologiques qui caracté-
risent leurs milieux de vie.
2. Le principe d’actualisme énonce qu’il est possible de déduire les milieux
anciens par comparaison entre les pédosédiments, les flores et les faunes actuels
et les résultats des observations faites à partir des archives sédimentaires.
112 ! Géographie de l’environnement

Il en résulte que les milieux de vie des animaux ou des végétaux anciens identifiés
participent à la reconstitution des paysages anciens.
La confrontation avec les données obtenues sur les sites archéologiques et dans
les archives historiques fait émerger l’environnement au moment de l’occupation
du site ou de la formation des archives sédimentaires. L’analyse des résultats
obtenus sur plusieurs périodes permet ensuite de mesurer l’impact de l’homme
sur son environnement au cours du temps (défrichements, mises en culture, en
pâture, etc.) et de reconstruire les paysages qui ont été le cadre de vie des popula-
tions au cours des derniers millénaires [GERMAIN et LESPEZ, 2016].

Le Paléo-anthropocène
Les recherches géoarchéologiques contribuent à poser les bases d’une his-
toire de l’anthropisation dont les grands rythmes se retrouvent partout
à la surface du globe même si le tempo et les modalités sont propres à
chaque espace. Ces travaux ont contribué à faire émerger le concept d’un
« Paléo-anthropocène », c’est-à-dire l’idée qu’à l’échelle des territoires mis
en valeur par les activités agropastorales depuis le Néolithique, la marque de
l’homme sur la nature est bien plus ancienne que celle sur son atmosphère
qui date de la Révolution industrielle [MAGNY, 2019]. La connaissance de
l’évolution des environnements méditerranéens a par exemple beaucoup
progressé au cours de ces vingt dernières années du fait de la multipli-
cation des recherches géoarchéologiques et paléoenvironnementales et
l’exemple de la plaine de Philippes1 en Grèce du Nord va nous permettre
d’illustrer la profondeur temporelle de ces transformations [LESPEZ, 2008 ;
GLAIS et al., 2017].

Du temps de la nature à la production


des paysages agraires
À la fin de la dernière grande période froide, il y a 11 700 ans environ, le
réchauffement climatique s’affirme en Grèce et la région enregistre pro-
gressivement le développement d’un environnement forestier. Les analyses
polliniques révèlent que sur les pentes les plus élevées, une forêt de coni-
fères (pins et sapins) se met en place alors que sur les pentes dominant la
plaine s’est développée une forêt de feuillus dominés par le chêne à feuilles
caduques et différentes espèces de charme puis le hêtre. Plus bas, les pay-
sages des piémonts et des vastes cônes de déjection étaient dominés par une

1. La ville antique de Philippes est localisée dans le département de Kavala mais géographique-
ment dans la plaine de Drama du nom de la plus grande ville contemporaine de cette plaine située
à son extrémité septentrionale.
La géoarchéologie, la nature des sociétés du passé ! 113

chênaie mixte caractérisée par le chêne caduc, le charme et secondairement


le tilleul et l’orme. Au centre de la plaine, un grand marais était bordé par une
végétation rivulaire caractérisée par les aulnes et les saules alternant avec des
espaces plus ouverts caractérisés par les graminées. Le peuplement par les
derniers chasseurs-cueilleurs mésolithiques de ces forêts demeure malheu-
reusement inconnu.
Ce sont donc des paysages essentiellement forestiers qu’ont trouvés les
premières populations du Néolithique dont on sait maintenant qu’elles se
sont établies, au moins sur le site de Dikili Tash, entre 6 500 et 6 000 avant
l’ère commune. L’augmentation du nombre de sites sur les piémonts et
les marges du marais au cours du Néolithique récent (5 500-3 800 AEC)
est ensuite remarquable et témoigne d’une densité de peuplement sans
précédent. Les analyses des graines et des fruits attestent la pratique de la
céréaliculture, l’importance des légumineuses (lentilles, ers et gesses) et la
culture des plantes textiles (lin). Du côté de l’élevage, la faune domestique,
marquée par la prépondérance des porcs et des bovins sur les moutons
et les chèvres, est analogue à celles qui sont connues en Macédoine et
dans le sud des Balkans à la même époque. Parallèlement, les analyses
carpologiques réalisées à Dikili Tash montrent le maintien d’une exploi-
tation raisonnée des plantes sauvages (fruits, noix) correspondant à
une forme d’arboriculture. Localement, cette période marque le début
de l’ouverture des paysages, caractérisés par une exploitation d’espaces
ouverts situés autour des habitats et des espaces de pastoralisme extensif
sur les bords du marais et les basses pentes, marqués par une végétation
précocement transformée. Il faut néanmoins attendre le Bronze récent
(1 500-1 000 AEC) pour observer les répercussions de l’anthropisation
sur les systèmes morphogéniques. La progression des activités agro-
pastorales et des défrichements dans les montagnes s’ajoute à la longue
anthropisation des piémonts et explique sans doute les premières traces
de sédimentation alluviale résultant d’une érosion des sols mis en valeur
par les pratiques agropastorales.
Au cours de la première moitié du dernier millénaire avant notre ère, les
données paléoenvironnementales s’accumulent pour attester l’impact envi-
ronnemental des populations thraces. Les données polliniques montrent une
ouverture sans précédent des milieux. Les piémonts montagneux furent en
grande partie cultivés ou parcourus par les troupeaux alors que l’abondance
des microcharbons enregistrés dans les archives sédimentaires indique une
pratique accrue des feux aux dépens des basses pentes des montagnes en rela-
tion avec le développement des activités minières et/ou la généralisation d’un
pastoralisme extensif. C’est donc un paysage déjà en grande partie agraire
qu’ont trouvé les populations grecques et macédoniennes à leur arrivée dans
la plaine de Philippes (figure 8.2).
114 ! Géographie de l’environnement

Figure 8.2 Représentation schématique des dynamiques paysagères


de la plaine de Philippes du début de l’Holocène à l’Antiquité romaine

Source : modifié d’après LESPEZ, 2008.

La production de paysages culturels


La connaissance des paysages de l’Antiquité repose sur les recherches
conduites par les archéologues, les géoarchéologues et les historiens. Pendant
longtemps, les écrits de Théophraste (cf. encadré) et les témoignages épi-
graphiques, comme les décrets d’Alexandre, ont été interprétés comme la
preuve d’une mise en valeur d’une plaine agricole encore en grande par-
tie marécageuse. Cependant, les données géoarchéologiques et le récit de la
bataille de Philippes par Appien suggèrent plutôt la mise en valeur agricole
du centre de la plaine le long de la voie royale reliant Amphipolis à Philippes.
Par la suite, cet espace a connu deux autres phases d’appropriation des
terres, à la suite des guerres civiles romaines. L’installation de colons étran-
gers dans la région a entraîné la mise en place de cadastres afin de délimiter
les terres distribuées aux nouveaux arrivants dans la colonie romaine. Les
céréales constituaient, comme dans tout l’empire, la culture vivrière de base.
Les textes et les inscriptions attestent également de la production viticole
alors que les réputations transmises par les historiens suggèrent que l’éle-
vage des bovidés était une des caractéristiques de l’agriculture des plaines
de Macédoine aux côtés du petit bétail (ovin, caprin). Au cours des périodes
hellénistique et romaine, la production agricole de Macédoine orientale fut
donc dominée par deux des trois éléments de la trilogie méditerranéenne. La
mise en valeur des milieux montagnards demeure moins bien connue, mais
La géoarchéologie, la nature des sociétés du passé ! 115

les données polliniques attestent d’une emprise croissante sur les milieux
forestiers pour laquelle le développement des célèbres mines de Macédoine
a dû jouer un rôle important. Ainsi, l’ensemble des connaissances dispo-
nibles permettent de brosser le portrait d’un espace totalement organisé
et maîtrisé par les sociétés antiques. Ils montrent l’émergence de paysages
culturels, c’est-à-dire de paysages où s’inscrivent les modes de production,
d’organisation sociale et les représentations des populations qui les ont pro-
duits et qui permettent de les distinguer d’autres paysages construits selon
les mêmes principes mais par des modalités différentes. De ce point de vue,
le façonnement des paysages par les sociétés dans la région de Philippes date
de bien avant la Révolution industrielle. Comme dans l’ensemble du monde
Méditerranéen, les milieux biophysiques grecs expérimentent un Paléo-
anthropocène depuis l’Antiquité au moins.

Témoignage de Théophraste, traité de botanique


De Causis Plantarum
« À Philippes autrefois l’air était lourd ; il l’est beaucoup moins depuis que le ter-
roir a été asséché et est devenu tout entier cultivable. L’air est plus léger pour deux
raisons conjointes : l’assèchement et la mise en culture. En effet, la friche est plus
froide et l’air y est plus lourd à cause de la végétation qui empêche la lumière du
soleil de passer et l’air de circuler et parce qu’elle est pleine d’eau qui suinte et
stagne. C’est ainsi autour de Krénidès quand les Thraces l’occupaient ; toute la
plaine était couverte d’étangs et d’arbres1. »
Théophraste a été un disciple de Platon puis d’Aristote, puis son successeur à la
direction du Lycée qu’il gouverna durant environ 35 ans. Philosophe et naturaliste,
il est généralement admis qu’il a dû entreprendre les investigations botaniques en
Macédoine, entre 343 et 335 AEC, alors qu’il avait suivi Aristote lorsque celui-ci a
pris en charge l’éducation du jeune Alexandre. La relation qu’il établit entre chan-
gement de l’utilisation du sol et colonisation grecque doit être examinée de manière
critique du fait de sa relation avec le pouvoir macédonien, comme le montrent les
résultats des études géoarchéologiques les plus récentes dans la région qui attestent
l’importance des défrichements par les Thraces. En revanche, le témoignage sur la
relation entre la colonisation agraire, la déforestation et le changement climatique
trouve un écho dans les enjeux contemporains qui touchent en particulier les régions
tropicales et montrent l’ancienneté de cette problématique.
À l’image du célèbre texte de Platon dans le Critias décrivant l’érosion d’ori-
gine anthropique dans la Grèce antique [NEBOIT, 2010], ces témoignages sont
là pour nous rappeler l’ancienneté de la compréhension des problèmes liés à
l’anthropisation des milieux naturels.

1. Paragraphe XIV du Livre V de son traité de botanique intitulé De Causis Plantarum. Fin du IVe siècle
AEC. Traduction de Claude Vatin [1984].
116 ! Géographie de l’environnement

Le déterminisme et la question
de l’effondrement des sociétés anciennes
La géoarchéologie contribue également à la réflexion sur les causes naturelles
susceptibles d’expliquer l’état des sociétés et leurs mutations. Cette réflexion
renvoie à la question du déterminisme qui est une préoccupation sans cesse
renouvelée de la science occidentale et de la géographie en particulier.

La critique du déterminisme géographique


L’exemple le plus connu et le plus cité du déterminisme classique est celui
contenu dans la théorie des climats. Développée dès l’Antiquité par des phi-
losophes comme Aristote, elle a été formalisée par certains philosophes de la
modernité, dont Montesquieu qui, dans L’Esprit des lois (1748), en propose,
une des formulations les plus abouties. Dans le chapitre X du Livre XIV, il
l’exprime de la manière suivante : « Ce sont les différents besoins dans les
différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces dif-
férentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. » Ainsi, est
proposée une explication causale de certains faits sociaux qui fait jouer à la
nature un rôle primordial. Si cette théorie ne survit pas sous cette forme à la
fin de la modernité, elle illustre néanmoins que l’effort de rationalisation du
monde et de la nature au cours du siècle des Lumières s’est accompagné de
la prise en compte de causes physiques pour expliquer des faits humains et
sociaux.
En géographie, le déterminisme a souvent été assimilé à un déterminisme
mécaniste de traits d’organisation de l’espace par des facteurs naturels.
Cependant, dans l’ensemble de son œuvre, Paul Vidal de La Blache subs-
titue, à un déterminisme naturel étroit, l’idée que les milieux biophysiques
ne déterminent pas les genres de vie mais ouvrent des possibilités. Cette
perspective qualifiée a posteriori de possibilisme exprime le fait que les
sociétés se développent indépendamment des milieux naturels, mais qu’elles
tiennent compte dans leur développement des possibilités offertes par ces
milieux. Appuyée sur les notions d’atouts et de contraintes, elle n’a jamais
été une théorie scientifique mais plutôt une posture dialectique afin d’éviter
un déterminisme strict dont les géographes percevaient les dangers. Cette
attitude a cependant été largement critiquée, à la fois par les tenants de la
nouvelle géographie parce qu’elle favorisait in fine la description des réa-
lités géographiques plutôt que la promotion de modèles explicatifs et par
les géographes physiciens qui lui reprochaient de n’être « pas autre chose
que la forme “scientifique” du laxisme » comme le résume Georges Bertrand
[1975]. Si la géographie humaine s’est dès lors largement désintéressée de
la question du rôle des milieux physiques dans les dynamiques sociales,
La géoarchéologie, la nature des sociétés du passé ! 117

Georges Bertrand a promu l’idée « d’un déterminisme “relativé” par les seuils
agrotechniques ». Cela signifie un renversement théorique car les caractéris-
tiques biophysiques n’ont plus qu’un poids relatif conditionné par le rôle
déterminant des capacités techniques des sociétés.
Dans cette logique, les études géoarchéologiques ont longtemps recher-
ché les causes des schémas de peuplement pour les époques protohistoriques
ou historiques. Mais ces arguments ont souvent été convoqués de manière
contradictoire et tiennent rarement face aux études précises des conditions
biophysiques des habitats mis en évidence par la recherche archéologique. Par
exemple, dans la plaine de Philippes, il possible d’identifier quatre groupes de
sites pour le Néolithique récent qui, bien que contemporains, ont été implan-
tés dans des conditions très différentes quant à la nature des sols, la pente des
terrains environnants et la proximité des zones humides. Cette observation
permet de relativiser le rôle des prédispositions naturelles supposées, comme
l’attrait pour la complémentarité des terroirs ou l’accès aux sols légers plus
facile à travailler, et suggère la persistance de choix opportunistes ou aléa-
toires plus qu’une application systématique de principes de localisation. La
question des prédispositions environnementales doit donc être remplacée
par une interrogation plus pragmatique et localisée sur les interactions entre
nature et société.

Le renouveau du déterminisme climatique


et sa critique
Au cours des vingt dernières années, les recherches paléoenvironnemen-
tales ont démontré l’existence d’une instabilité climatique significative tout
au long de l’Holocène avec des périodes de changement climatique rapide
(RCC) qui se sont déployées dans un délai d’une décennie ou deux au plus
et ont duré le plus souvent de 150 à 400 ans. La plus célèbre d’entre elles
est le Petit Âge de Glace. Ces changements climatiques sont considérés
par certains scientifiques comme l’un des principaux facteurs environ-
nementaux responsables de changements culturels, de migrations voire
d’effondrements de civilisation [DIAMOND, 2006]. Ces modèles explica-
tifs renouvellent le déterminisme climatique ; les sociétés n’arrivant pas à
s’adapter aux transformations environnementales issues d’un RCC, elles
s’effondreraient. Cependant, un nombre croissant d’études rappellent que
la co-occurrence, c’est-à-dire la présence simultanée de deux phénomènes,
n’est pas suffisante pour établir un lien de causalité et suggèrent que la
relation entre changements environnementaux et culturels est complexe
et encore mal étudiée. Elles préfèrent faire appel à un éventail d’explica-
tions non déterministes sollicitant davantage la complexité des interactions
entre nature et société et les crises sociales et politiques internes.
118 ! Géographie de l’environnement

Prenons un exemple qui concerne les sociétés protohistoriques du sud des


Balkans [LESPEZ et al., 2016]. À la fin du Néolithique final, la période com-
prise entre 4 000 et 3 000 AEC se caractérise par un déclin spectaculaire du
nombre de sites archéologiques et une rupture culturelle avant que les civi-
lisations du Bronze ancien ne se développent. Ces observations ont stimulé
la recherche sur le lien éventuel entre le RCC du IVe millénaire avant notre
ère et le millénaire « perdu » par l’archéologie. Les données paléoenvironne-
mentales à haute résolution obtenues dans le nord de la Grèce permettent de
caractériser les changements environnementaux. Ainsi, les milieux se sont
transformés et, par exemple, dans la basse plaine du Strymon, le dévelop-
pement durable d’un environnement fluvio-lacustre s’est accompagné d’une
instabilité climatique caractérisée par des pulsations plus sèches. Par compa-
raison avec les données régionales disponibles, il apparaît que cette dernière
correspond en partie à l’incursion de masses d’air froid d’origine septen-
trionale en Méditerranée orientale. Pourtant, localement, le IVe millénaire
continue d’être caractérisé par la présence continue de taxons polliniques
et de restes non-polliniques anthropogènes et d’indices de feux indiquant
la persistance des activités humaines et en particulier du pastoralisme. Cela
suggère que les populations qui ont abandonné leurs habitats ne se sont
vraisemblablement déplacées que localement pour faire face aux change-
ments environnementaux. Comme dans d’autres régions de la Méditerranée
orientale, la succession abrupte de périodes humides et sèches a dû affec-
ter la population du nord de la Grèce mais les données obtenues suggèrent
une capacité d’adaptation des sociétés protohistoriques pendant les périodes
de stress climatique d’autant plus que l’éventail des configurations géogra-
phiques proposées par les milieux méditerranéens est vaste.
Ainsi, les recherches géoarchéologiques suggèrent de renouveler les
études archéologiques à l’échelle micro-régionale pour mieux comprendre et
ne pas surinterpréter le rôle des changements climatiques dans la transfor-
mation des modes de peuplement au cours du millénaire perdu.

Le temps long et les enjeux de la gestion


contemporaine des écosystèmes
Alors que les discussions se multiplient sur la nature des écosystèmes à
restaurer pour faire face à l’érosion de la biodiversité, les recherches géoar-
chéologiques produisent des connaissances pour réfléchir aux états et aux
fonctionnements de référence des projets de restauration.
Les recherches géoarchéologiques conduites dans les marais de la
Dives (figure 8.3) permettent ainsi de mettre en perspective les choix de
gestion et de restauration contemporains.
La géoarchéologie, la nature des sociétés du passé ! 119

Figure 8.3 Représentation schématique des dynamiques paysagères


des marais de la Dives

Au cours de la fin de l’Âge du Fer alors que la basse vallée connaît une ré-estuarisation
notable qui permet le développement de l’exploitation du sel (en haut), autour de l’An Mil
alors que les premiers aménagements se font jour (chaussées transversales) mais que le
marais reste principalement un lieu de prélèvement de ressources minérales et végétales et
de parcours pour les communautés riveraines (au milieu) puis après les grands aménage-
ments et le drainage entrepris au cours de l’époque moderne (en bas).
Source : CADOR et LESPEZ in LESPEZ, 2012.
120 ! Géographie de l’environnement

Elles soulignent tout d’abord l’instabilité des paysages des zones humides
[LESPEZ, 2012]. À plusieurs reprises, comme au début de l’époque gallo-
romaine (IIe s. AEC-Ier s. EC), ces zones constituèrent un vaste estuaire. En
revanche, pendant de longues périodes comme au cours d’une grande par-
tie du Moyen Âge, elles formèrent de vastes marais continentaux tourbeux,
plus ou moins arborés. Du point de vue de l’impact des sociétés humaines,
elles ont connu la succession d’au moins quatre grandes périodes environne-
mentales au cours des derniers millénaires (figure 8.3). Elles furent d’abord
un espace marginal pour les sociétés du Mésolithique et du Néolithique,
avant d’être fréquentées et utilisées au cours de l’Âge du Bronze, de l’Âge du
Fer et de l’Antiquité gallo-romaine puis, progressivement transformées au
cours d’un long Moyen Âge et enfin, profondément aménagées et asséchées
au cours des époques moderne et contemporaine. Si pendant les deux pre-
mières périodes, elles furent principalement contrôlées par des dynamiques
et des forçages d’origine naturelle (climat, remontée du niveau marin, suc-
cessions écologiques, etc.), elles ont depuis été profondément travaillées par
les sociétés. Les travaux d’endiguement des marais littoraux ou des cours
d’eau de la fin du Moyen Âge à la période moderne ont accompagné la mise
en valeur agricole. La dernière période qui court du XVIe au XVIIIe siècle est
celle des empiétements progressifs des puissants de l’époque (seigneur ou
grand bourgeois) qui, avec la complicité de l’État, vont progressivement chas-
ser les pratiques collectives qui se développaient dans ces espaces encore en
grande partie considérés comme des communaux au début de la période.
Du XVIIIe au XIXe siècles, l’investissement foncier légitimé par les théories
économiques (physiocratie) puis sanitaires (hygiénisme) et l’émergence des
savoirs techniques des ingénieurs des ponts et chaussées (cf. chapitre 9) vont
finalement avoir raison des zones humides amphibies pour leur substituer un
paysage d’herbages permanents parcourus de drains, de canaux et de rivières
endiguées comme dans la plupart des marais atlantiques.
Aujourd’hui, malgré la résistance de l’élevage bovin et le développement
d’un élevage spécialisé (équin), les signes du déclin de la vocation agricole se
multiplient, comme le montrent le développement des friches, le mauvais
entretien du réseau de drainage et la multiplication des peupleraies, alors
même que de nouvelles activités cynégétiques (chasse au gibier d’eau) et
piscicoles façonnent de plus en plus les paysages et que l’essor des considéra-
tions écologiques pose la question de la vocation de ces espaces.
Alors que la question de la préservation de ces zones humides est
aujourd’hui posée, l’approche sur le temps long invite à pondérer les volon-
tés de conservation à tout prix des paysages contemporains de prairies et de
canaux. Elles nous rappellent :
1. leur précarité face à l’élévation du niveau marin induite par le change-
ment climatique en cours ;
La géoarchéologie, la nature des sociétés du passé ! 121

2. que l’assèchement et le drainage systématique des marais à partir du


XVIIe siècle sont à l’origine d’une érosion notable de la biodiversité ;
3. que ces paysages sont le produit de l’appropriation par les puissants
d’espaces longtemps dominés par les usages communaux.
En revanche, les milieux du début de l’époque médiévale, encore amphi-
bies mais exploités pour leurs ressources variées, pourraient offrir une
alternative dans la réflexion sur le devenir de ces espaces.

Conclusion
La géoarchéologie est une démarche pluridisciplinaire qui est devenue une
approche d’interface centrale dans la compréhension de la relation qu’ont
nouée les sociétés du passé avec leur environnement. Déplaçant la question
dans le temps, elle favorise, comme l’ethnographie par exemple, le décentre-
ment du regard et met en évidence d’autres modes de relation au milieu que
ceux que nous a légués la modernité occidentale. Elle contribue ainsi à une
meilleure compréhension des enjeux contemporains de la relation entre la
nature et les sociétés humaines.
Chapitre 9

La géohistoire :
la trajectoire incertaine
des systèmes fluviaux

LES COURS D’EAU et leurs plaines alluviales sont depuis longtemps un objet
de recherche en géographie physique, mais ils y ont acquis une place cen-
trale au cours des trois dernières décennies. À partir des années 1990, on
passe d’une géomorphologie dynamique qui abordait surtout la définition
des formes ou la fréquence et la magnitude des processus morphogéniques à
des approches pluridisciplinaires qui formalisent la notion d’hydrosystème.
Le cours d’eau apparaît désormais constitué de flux d’eau, de sédiments natu-
rels ou anthropogéniques et d’organismes dont les interactions dominent la
genèse de formes et de biocénoses en évolution permanente [BRAVARD et
PETIT, 1997]. Parallèlement, les études géoarchéologiques ou paléoenviron-
nementales pour lesquelles les alluvions sont un matériau essentiel de l’étude
du passé (cf. chapitre 8) ont accentué la focalisation sur les fleuves. Elles les
révèlent comme des intégrateurs des forçages climatiques et des contrôles
anthropiques qui s’exercent à des échelles spatiotemporelles variées sur
l’environnement. Les effets de rétroaction, d’héritages, les phénomènes de
résilience voire d’hystérésis s’y expriment de façon complexe [FRYIRS et
BRIERLEY, 2013]. Dans le même temps, les géographes ont été de plus en plus
souvent saisis en tant qu’experts sur des questions relatives à l’aménagement
du territoire. Le contexte hydrologique, comme la recrudescence d’événe-
ments hydrologiques extrêmes dans le sud de la France, ou réglementaire à
différents échelons territoriaux (Directive cadre sur l’eau, DCE ; Loi sur l’eau
et ses déclinaisons réglementaires ; Plans de prévention des risques d’inonda-
tion, PPRI ; études d’impacts, projets de paysage) a contribué à multiplier les
études comme les mises en contact avec d’autres spécialistes mais aussi avec
des acteurs extra-académiques : gestionnaires, associations et ayants droit.
L’éventail des expériences a été élargi : évaluation et gestion des risques,
124 ! Géographie de l’environnement

impacts des prélèvements de ressources et de matériaux, biodiversité et ser-


vices écosystémiques, restauration écologique ou paysagère. La recherche
d’une meilleure compréhension des phénomènes, ou de références permet-
tant de mieux cerner les dynamiques actuelles ou de définir les objectifs des
projets a conduit la plupart des chercheurs à travailler à partir d’archives sur
des périodes allant de quelques décennies à deux ou trois siècles. Combinée
à l’observation naturaliste ou à divers protocoles de mesure des processus
biophysiques, l’approche diachronique, souvent appelée géohistoire envi-
ronnementale, a constitué un apport essentiel en révélant la mobilité des
paysages fluviaux et la singularité des trajectoires, même sur des pas de temps
courts [JACOB-ROUSSEAU, 2009 ;VALETTE et CAROZZA, 2019].

De l’expertise technique du XIXe siècle


à la géohistoire des fleuves et des rivières
Dès le début des temps modernes, la pratique de la mesure biophysique et
la construction d’un savoir technique sur les cours d’eau sont étroitement
associées aux travaux que les ingénieurs hydrauliciens conduisent pour
l’aménagement des voies d’eau, la défense des places fortes, la bonification
des zones humides. Le XIXe siècle, marqué par de grands progrès scientifiques
et une multiplication des mesures, livre un matériau documentaire et un
ensemble de pratiques invitant à examiner la mesure scientifique des rivières
sous l’angle de son contexte, de ses objectifs et de ses apports.

Un siècle et demi de mesures et d’observations


biophysiques des chenaux torrentiels et fluviatiles
En France, comme dans les pays voisins, la gestion planifiée des cours d’eau
débute dans les premières décennies du XIXe siècle. Elle prend place dans le
contexte de la Révolution industrielle, d’une vision hygiéniste de la rivière
et aussi d’un discours sur la dégradation des montagnes. Si la torrentia-
lité a déjà préoccupé les élites politiques de divers États d’Europe dans les
siècles précédents, c’est en revanche la première fois qu’une véritable poli-
tique est engagée pour lutter contre l’érosion et régulariser le régime des
eaux. Des corps d’experts comme les ingénieurs des ponts et chaussées et
des eaux et forêts en France ont pour mission de mesurer les phénomènes,
rectifier les cours d’eau et restaurer les versants en proie à l’érosion tor-
rentielle. Ces ingénieurs ont constitué au cours du XIXe siècle le premier
corpus d’observations et de mesures biophysiques. Mais l’intervention-
nisme de l’État a répondu aussi à des intérêts économiques grandissants
dans les plaines alluviales (navigation, voies de circulation, investissements
La géohistoire : la trajectoire incertaine des systèmes fluviaux ! 125

agricoles et industriels…) ; ainsi, liées à l’aménagement du territoire, les


données produites ne sont pas seulement un savoir scientifique. Les pro-
tocoles développés sont nombreux, parfois pionniers : morphométrie
des chenaux, mesures de MES, calculs des débits liquides, suivi photo-
graphique des travaux forestiers, recours fréquent aux monographies de
bassins ou d’événements afin de cerner les seuils de déclenchements des
processus, et même recherches historiques sur les grandes inondations,
soit un ensemble de pratiques qui préfigure les bassins-versants instru-
mentés, mesurés en continu, comme les approches rétrospectives les plus
actuelles.

Des archives aux trajectoires


La masse d’archives léguée par cette activité a joué un rôle fondamental dans
la mise en évidence de la métamorphose fluviale. On possède en effet, sous
forme de cartes, de plans, de profils ou de tableaux de relevés, des mesures bio-
physiques ou des observations naturalistes maintenant très anciennes : plus
de 220 ans de météorologie, environ 130 ans d’hydrométrie dans certaines
stations, ainsi que divers états statistiques souvent centenaires (prélèvements
d’eau, usages énergétiques…). Logiquement, la nature et la disponibilité des
sources ont d’abord orienté la recherche géohistorique vers les grands cours
d’eau ou les rivières de piémont qui étaient précisément les secteurs à enjeux
dans le passé, donc les mieux décrits. Mais pour les rivières où l’expertise
technicienne du XIXe siècle fut plus rare, d’autres approches historiques ont
été développées : analyses de cadastres anciens, de statistiques agricoles ou
industrielles, photo-interprétation, exploitation d’archives du for privé, de
recueils d’usages locaux ou même de la production picturale. Combinés à
des mesures biophysiques actuelles, ces documents permettent de retra-
cer les états passés et la dynamique d’un cours d’eau, d’évaluer des niveaux
de pressions qui s’exercent sur les milieux depuis plus de deux siècles, de
caractériser l’évolution de l’aléa ou d’identifier le franchissement de seuils.
La géohistoire a fait passer d’une conception stationnaire à une conception
dynamique du milieu anthropisé, qui débouche sur la mise en évidence de
trajectoires particulières.

La mesure pour questionner la mesure et l’action


La géohistoire permet aussi un éclairage épistémologique sur les pratiques
de la mesure biophysique actuelle et sur le contexte dans lequel elle se
développe. À travers les mesures ou les textes anciens, le chercheur perçoit
d’autres visions ou perceptions des cours d’eau, qui révèlent la place qu’on
leur assignait jadis. Sur ce plan, la géographie biophysique a apporté lors des
126 ! Géographie de l’environnement

trois dernières décennies une contribution fondamentale à l’histoire envi-


ronnementale des fleuves et des zones humides. L’observation et la mesure
sont aussi au cœur de la « controverse alpine », qui confronta au début du
XXe siècle quelques géographes aux forestiers [BRAVARD, 2019]. Les pre-
miers s’opposèrent à la thèse des seconds, pour lesquels le déboisement
des Alpes était récent et la torrentialité en pleine aggravation. Il s’agit sans
doute du premier débat savant sur les formes et les conséquences de l’an-
thropisation dans des bassins-versants. Il révèle aussi, à travers une critique
de la nature et de la signification spatiotemporelle des mesures effectuées,
un questionnement sur la norme qui fonde l’action, ici la restauration des
terrains en montagne (RTM) ; en somme une première discussion sur la
notion d’état de référence. Bien que partiellement dépassé, il peut trouver
de nos jours un écho dans les controverses qui émergent autour des projets
de restauration écologique. Par ailleurs, il a orienté de nombreux travaux
sur l’érosion anthropique dans les Alpes comme sur d’autres terrains,
recherches qui, à partir des années 1980, précisèrent peu à peu l’histoire
détritique de la montagne en faisant notamment intervenir, aux côtés des
sociétés humaines, les fluctuations climatiques comme celle du Petit Âge
de Glace (PAG).

Cours d’eau de montagne et de piémont :


la construction de l’aléa et de l’incertitude
Pourvoyeuses d’énergie, mais susceptibles de crues dévastatrices, les
rivières drainant des massifs montagneux ou s’écoulant sur les piémonts
sont parmi les plus intensément aménagées depuis deux siècles. Après
plusieurs siècles d’abondance alluviale, elles connaissent une situation de
pénurie sédimentaire aux conséquences multiples : incision déchaussant
les ouvrages d’art et abaissant le toit de la nappe alluviale, contraction
des lits, changements écologiques dans la rivière comme sur ses marges.
Alors que les petites inondations se sont raréfiées, des événements
extrêmes, rares et destructeurs (crues du Guil en 2000, de la Garonne
en 2013) endommagent des secteurs considérés comme sûrs et réactivent
temporairement le charriage sédimentaire et les dégâts qu’il occasionne,
dans des proportions que l’on croyait révolues. Une série de questions
en découle : dynamique d’épuisement des stocks alluviaux hérités, pers-
pectives de recharge sédimentaire par réactivation de l’érosion ou encore
sécurité des riverains. Dans ce contexte, des recherches visant à mieux
connaître l’aléa ou le transport solide, en confrontant des données bio-
physiques et des sources historiques, conduisent à renouveler la vision
que l’on a des phénomènes.
La géohistoire : la trajectoire incertaine des systèmes fluviaux ! 127

L’aléa torrentiel, un hybride à décrypter


Dans le bassin de l’Ardèche, l’étude des transferts sédimentaires montre
que plusieurs recrudescences torrentielles injectèrent des volumes caillou-
teux dans les fonds de vallée entre la mi-XVIIIe siècle et la mi-XIXe siècle.
En faisant varier l’altitude du fond des chenaux par rapport à la plaine
alluviale environnante, ces masses en déplacement contrôlèrent la fré-
quence et la hauteur des débordements (figure 9.1). La datation des dépôts
récents révèle que, dans le drain principal, la charge de fond se déplace à
une vitesse moyenne de 250 m/an et que la pénurie sédimentaire intervient
dès les années 1870-1880 en amont. Les archives montrent corrélative-
ment que la sensibilité des riverains à l’inondation a fluctué : en amont,
les crues des années 1850-1860 sont logiquement les plus durement res-
senties, tandis qu’en aval les dommages les plus grands se produisent dans
les années 1890-1900. Deux histoires asynchrones du risque se déroulent
donc d’une extrémité à l’autre de la vallée. L’abondance sédimentaire liée
à la torrentialité historique joue, ici comme dans d’autres bassins, un rôle
de premier plan, ce qui montre que l’aléa ne dépend pas seulement des
caractéristiques spatiales et météorologiques ou de la fréquence de l’événe-
ment pluviogène, mais de processus géomorphologiques induits par l’état
de surface du bassin ; il recèle donc une composante anthropique. Dans la
vallée de la Guisane, les travaux de Philippe Lahousse [1997] pointent éga-
lement, à partir d’une enquête historique, l’inégale distribution spatiale de
l’aléa torrentiel. Entre les XIVe et XIXe siècles, la majorité des phénomènes
concerne les adrets, alors que les ubacs sont presque épargnés. Si l’on ne
peut exclure un effet de loupe déformante car les adrets, sites habités, pro-
duisent l’essentiel des témoignages archivés, le rôle de l’occupation du sol
est indéniable. Sur les ubacs restés forestiers, le seuil de déclenchement
des phénomènes torrentiels a été moins souvent atteint. Plus généralement,
l’anthropisation a modifié la réponse hydrologique et géomorphologique
des bassins-versants alpins depuis le début de notre ère environ. Ils pré-
sentent encore, malgré la reconquête forestière, une sensibilité supérieure
à la situation antérieure. Cela signifie que le signal climatique que l’on
cherche à inférer de l’activité détritique ou des archives est inévitablement
brouillé depuis cette époque. À cet égard, l’approche biophysique sur la
longue durée apparaît comme incontournable car elle donne des clés de la
valeur de l’information historique, qui d’une certaine façon est elle aussi
un hybride socio-naturel, en la resituant dans l’espace d’où elle provient.
L’apport est essentiel dans la mesure où l’enquête historique s’est imposée
depuis deux décennies comme une méthode clé de l’évaluation du risque.
Figure 9.1 Le risque d’inondation dans le bassin de l’Ardèche, XVIIIe-XIXe siècles
128 ! Géographie de l’environnement

A : dynamiques détritiques et fluctuations des planchers alluviaux ; B : évolution du risque à Lalevade, vallée de l’Ardèche, de 1827 à nos jours.
Source : Jacob-Rousseau, 2019.
La géohistoire : la trajectoire incertaine des systèmes fluviaux ! 129

La mesure de l’aléa, du champ d’inondation


au champ social et politique
La géohistoire renouvelle aussi l’analyse du risque d’inondation dans les
plaines méditerranéennes comme celle du Tech où l’aiguat d’octobre 1940
reste l’événement de référence. Ici, le risque est élevé car le fleuve s’est
exhaussé sur ses alluvions au cours du temps (plusieurs mètres depuis le
Moyen Âge). À partir de la fin du XIIIe siècle, la fixation du lit sur son tracé
actuel a renforcé ce phénomène, car lors des débordements, l’alluvionne-
ment opère surtout à proximité du chenal ; le risque de défluviation par
rupture de berge s’est alors accru. Les archives montrent que les syndi-
cats d’irrigants exercent un contrôle décisif sur ces dynamiques. Sur la
rive droite, mal défendue, les brèches sont fréquentes et les paléochenaux
régulièrement rajeunis. Là encore, l’aléa, dans ses dimensions spatiotem-
porelles, a une composante sociale. De surcroît, l’analyse des événements
historiques montre que l’alluvionnement fait rapidement évoluer la topo-
graphie de la plaine donc les conditions d’écoulement des crues ultérieures.
Après celle de 1940, le niveau du terrain se situait ainsi à une altitude abso-
lue supérieure à la cote atteinte par des crues plus anciennes, pourtant
majeures. Alors que les limites du champ d’inondation sont précisément
balisées dès le XIXe siècle, les phénomènes qui s’y produisent sont par-
tie prenante d’une trajectoire et échappent à toute reproductibilité. Ici,
l’alluvionnement et l’urbanisation accélérée entraînent une péremption
de l’information historique, en particulier les niveaux de crues dûment
enregistrés dans des archives ou sur des repères fixes. Les approches géo-
historiques, que l’on met en œuvre pour produire une information ayant
valeur de référence, notamment pour mieux définir l’aléa et établir les
documents réglementaires, remettent en cause, en retour, toute idée de
stationnarité de l’aléa et révèlent même des situations pleines d’incerti-
tudes. Cela, in fine, incite à questionner la notion de mémoire du risque
et ouvre un champ d’interrogation partagé avec les sciences sociales sur
la vulnérabilité de la société, les choix politiques d’aménagement des sec-
teurs submersibles et les comportements individuels.

Emprises, déprises et controverses


sur la rivière ordinaire
Les rivières ordinaires sont demeurées peu explorées avant les deux der-
nières décennies. Il s’agit la plupart du temps d’organismes de faible énergie
caractérisés par une mobilité latérale modérée et une charge alluviale
majoritairement limoneuse. Néanmoins, on peut aussi rattacher à ce type
certains cours d’eau de moyenne ou petite montagne plus dynamiques et à
130 ! Géographie de l’environnement

charge partiellement caillouteuse. En effet par leur mode d’exploitation ou


d’aménagement, par les héritages juridiques des droits d’eau, comme par
la quasi-absence d’aménagement intégré datant du XIXe siècle, ils forment
un ensemble où les trajectoires historiques et les enjeux actuels sont assez
convergents.

Une anthropisation longue et discrète


Ces rivières sont presque toutes caractérisées par une exploitation
hydraulique individuelle et dispersée [LESPEZ, 2012]. L’utilisation agri-
cole ou énergétique de l’eau a entraîné un aménagement des lits par
des ouvrages de petite taille destinés à dériver et parfois réserver l’eau
nécessaire aux activités. Les sites de moulins sont géographiquement
très stables et parfois très anciens : certains datent du haut Moyen Âge.
L’interaction entre la rivière et les ouvrages hydrauliques s’étend alors
sur un millénaire. Selon les bassins, la densité des sites culmine entre la
fin du XVIIIe siècle et la moitié du XIXe siècle, quand l’industrialisation se
développe en utilisant encore l’énergie hydraulique plus que le charbon.
Les moulins sont distants, en moyenne, de 1,5 à 2 km, et leurs chaussées
ont contrôlé la dynamique des fonds de vallée sur la longue durée, de plu-
sieurs façons. En créant une rupture dans le profil en long, elles ont accru
à leur amont immédiat la fréquence des submersions et par conséquent
l’alluvionnement. Ce colmatage a opéré dans des bassins où les terres
labourées ont fourni, pendant des siècles, une charge limoneuse abon-
dante et il a oblitéré des styles fluviaux antérieurs parfois très différents
(anabranches). La présence des chaussées a conduit alors à la formation
de plaines alluviales au profil longitudinal en gradins. En outre, le seuil de
dérivation a contrôlé aussi l’altitude de l’aquifère de fond de vallée donc,
indirectement, les conditions écologiques du milieu (hydromorphie des
sols, végétation mésophile à hygrophile). Par ailleurs, le mode de gestion
des ouvrages hydrauliques et des chenaux (curage, calibrage ou déplace-
ment des lits sur les limites de propriétés) a orienté discrètement, mais
efficacement, les dynamiques de transport et de dépôt, en favorisant les
lits uniques et en contrecarrant la mobilité latérale.

Mesurer le réajustement, questionner


le rétablissement des continuités amont-aval
La plupart des études récentes ont été menées dans un contexte régle-
mentaire qui conduit à promouvoir le rétablissement des continuités
écologiques et la restauration des milieux. D’une part, cela soulève la ques-
tion du choix de l’état de référence. D’autre part, une des modalités étant
La géohistoire : la trajectoire incertaine des systèmes fluviaux ! 131

le désaménagement des rivières (arasement des chaussées, réactivation des


dynamiques latérales), les projets se heurtent à une vive opposition de la
part des propriétaires de moulins ou d’anciennes fabriques comme de ceux
qui accordent une attention au patrimoine bâti et technique ou simplement
aux paysages de vallées.
Les approches biophysiques ont révélé des situations complexes
[BEAUCHAMP et al., 2017]. En premier lieu, le caractère hybride et hérité
du milieu apparaît à travers sa forte dépendance vis-à-vis des ouvrages
hydrauliques, le seuil du moulin étant la clé de voûte des formes fluviales.
Ces fonds de vallées sont en outre marqués depuis un siècle environ par une
déprise rurale qui prend des orientations très variées : l’abandon agricole,
les reconversions ou fermetures industrielles, combinés ou non, amorcent
de nouvelles trajectoires. On observe ainsi des cas de désaménagement
spontané, les ouvrages disparaissant peu à peu, faute d’entretien, et ce dès la
première moitié du XXe siècle. On remarque aussi qu’à côté de tronçons où
les dérivations d’eau se sont maintenues ou accrues (production industrielle
ou énergétique), de nombreuses rivières ne comportent actuellement plus
aucun prélèvement d’eau alors que la pression sur la ressource, maximale à
la fin du XIXe siècle, induisait de nombreuses discontinuités de l’écoulement
[JACOB-ROUSSEAU, 2015]. Dans d’autres cas, c’est la pénurie sédimentaire
qui fait à présent saillir les chaussées dans les chenaux et les transforme
en obstacles physiques, en produisant en quelque sorte un impact à
retardement. Au gré des évolutions économiques et paysagères de leurs
bassins-versants, certains cours d’eau sont à présent en plein réajustement,
et non pas vers un retour à des conditions naturelles primitives, mais vers un
nouvel état, sans que l’on puisse encore précisément savoir à quelle vitesse
ni pour combien de temps. Par ailleurs, de grandes incertitudes subsistent
encore sur les conséquences ou les risques des opérations de désaménage-
ment (reprise de l’incision longitudinale, libération de contaminants jadis
piégés en amont des seuils dans les vallées industrielles, abaissement du toit
de l’aquifère libre…).
Ces éléments pointent ainsi le caractère encore incomplet de la
connaissance scientifique sur ces petits systèmes, alors qu’une norme
réglementaire assez uniforme tend à s’y appliquer et engendre des conflits
territoriaux, ainsi qu’une pratique de la contre-expertise. La mesure bio-
physique participe ici à la controverse environnementale. Elle est même
au premier plan de la discussion sur la norme, sur les modèles de réfé-
rence, sur les archétypes paysagers ou naturalistes qui, consciemment ou
non, guident certaines politiques environnementales [LESPEZ et al., 2016].
Elle alimente ainsi des questionnements qui appartiennent au champ des
sciences sociales. Elle suggère aussi des changements de niveau d’ana-
lyse et d’expertise sur les facteurs de la dégradation de ces cours d’eau
132 ! Géographie de l’environnement

en pointant le rôle des mutations qui opèrent dans les bassins-versants


depuis un demi-siècle (pratiques agricoles, évolution des états de surface,
couverts végétaux).

Paléo-impacts et nouvelles naturalités


Certains cours d’eau ont été intensément exploités et aménagés afin de
permettre le flottage du bois, activité à présent déchue, mais qui a pro-
duit des impacts encore insoupçonnés. Dans le massif du Morvan, entre
le XVIIIe et le début du XXe siècles, l’Yonne et ses principaux affluents ont
ainsi évolué, soit par aménagement direct des lits (dérivations, recali-
brages) soit par l’effet de lâchers d’eau effectués à partir d’étangs, destinés
à faciliter la descente du bois vers l’aval. En amont, les lits des ruisseaux
recevant ces éclusées se sont profondément incisés tandis que plus en
aval, leurs apports sédimentaires ont induit une aggradation accélérée
des petites plaines alluviales (figure 9.2). Un siècle après la déprise totale
de l’activité, le réajustement des formes fluviales n’est que très marginal.
L’héritage persiste en effet car la plupart des aménagements, calibrés pour
les conditions hydrauliques artificielles de l’époque du flottage, excèdent
la compétence des écoulements ordinaires des rivières. Par ailleurs, dans
les têtes de bassin, l’incision des drains est irréversible. Les dynamiques
végétales produisent en revanche un réensauvagement spontané : coloni-
sation et colmatage des anciens sites d’étangs, constitution d’une ripisylve
sur les anciens enrochements latéraux, accumulation de bois mort dans
les ravins. La reconquête récente du réseau hydrographique par les castors
et les loutres signale la bonne, voire très bonne qualité de ces milieux qui
semblent exempts de perturbations anthropiques. Le paradoxe est qu’ils
sont très largement artificiels et sans équivalent connu dans ce petit mas-
sif au cours des quatre derniers millénaires. Alors que le PNR du Morvan
fonde une partie de sa communication sur une certaine naturalité des
paysages, la mise en lumière de cette trajectoire environnementale suscite
l’étonnement des gestionnaires. Le problème apparaît encore plus dérou-
tant si l’on considère que l’identification récente de cet héritage de formes
hybrides éveille l’intérêt des spécialistes du patrimoine culturel, le flot-
tage ayant été mis en valeur jusqu’à présent surtout comme un patrimoine
mémoriel et immatériel. La question de la gestion peut alors se poser en
des termes très originaux : laisser dériver lentement la rivière vers un autre
état ou conserver, voire valoriser les formes dans lesquelles s’inscrit la
mémoire d’un territoire ?
La géohistoire : la trajectoire incertaine des systèmes fluviaux ! 133

Figure 9.2 L’héritage morphodynamique du flottage du bois


dans le haut bassin de l’Yonne (Morvan)

Source : JACOB-ROUSSEAU, 2019.

Conclusion
Les approches géohistoriques révèlent les trajectoires environnementales
des cours d’eau et décryptent le rôle central des contrôles anthropiques à
des échelles spatio-temporelles fines. Elles ouvrent ainsi plusieurs champs de
réflexion. En montrant que le passé peut être la clé du présent, ces recherches
déstabilisent les postulats de la démarche actualiste et rendent incontour-
nable une approche biophysique consciente qu’elle travaille en conditions
influencées. Elles soulignent aussi la nécessité de porter un regard critique
sur les modèles de référence comme sur les pratiques qui guident actuelle-
ment les opérations de restauration ou de désaménagement. En pointant des
incertitudes qu’accroissent encore les évolutions climatiques globales, l’étude
des trajectoires invite à questionner les évolutions à venir. Dans ces condi-
tions, mesurer les processus qui agissent dans un cours d’eau, c’est avant tout
chercher à comprendre, peut-être à anticiper, l’ajustement inédit de formes
hybrides à de nouvelles pressions, à de nouveaux usages, mais aussi à des
déprises, afin de fournir un éclairage indispensable à toute action publique
d’aménagement ou de gestion des hydrosystèmes.
134 ! Géographie de l’environnement

À cet égard, les géographes sont sans conteste parmi les mieux armés,
par leur positionnement disciplinaire. La pratique de l’interdisciplinarité, du
dialogue entre sciences naturalistes et sciences humaines, de la connexion
entre les temps courts et les temps longs, permet notamment, en multipliant
les sources informatives, de déjouer le risque d’une conception fixiste des
environnements du passé, ou d’éviter d’ériger en archétypes les paysages et
les milieux que nous présente l’abondante et très accessible iconographie du
XIXe siècle.
Chapitre 10

La géodiversité, une nature


abiotique au prisme
de la société

JUSQU’À RÉCEMMENT, la conception sociale de la nature a été souvent


restreinte aux seuls éléments vivants (faune et flore) et à leurs habitats
naturels, aussi bien dans les politiques publiques environnementales que
dans les perceptions et les représentations culturelles. Pendant longtemps,
la notion de patrimoine naturel a elle-même été exclusivement associée à
celle de patrimoine biologique (ou biopatrimoine) et à son corollaire, la
diversité biologique (ou biodiversité). Construit sur le modèle de biodiver-
sité, le néologisme « géodiversité », apparu il y a une vingtaine d’années,
offre un cadre théorique pertinent pour désigner la variabilité du monde
abiotique dans son ensemble. Aujourd’hui largement usité et approprié
par la communauté scientifique internationale, le concept de géodiversité
émerge comme un nouveau paradigme pour élaborer les politiques de
conservation et de valorisation appliquées à la composante non vivante
du paysage.
L’objectif de ce chapitre est triple :
1. définir le concept de géodiversité, en insistant sur les processus anthro-
piques qui participent, avec les processus naturels, à façonner la diversité
du monde abiotique ;
2. aborder la question des valeurs de la géodiversité pour évaluer les besoins
de conservation d’une nature abiotique menacée, en insistant sur le poids
des valeurs sociétales et en adoptant un regard critique ;
3. souligner le rôle des inventaires géopatrimoniaux à base naturaliste pour
élaborer les politiques de conservation et de valorisation de la géodiversité
des territoires.
136 ! Géographie de l’environnement

Définir la géodiversité : par-delà la nature,


une face anthropogénique cachée
Forgé sur le modèle de biodiversité, le concept de géodiversité est
aujourd’hui admis et reconnu au niveau international dans les domaines
des géosciences et de la géographie environnementale. Initialement
développé dans un but utilitaire, ce concept a été inventé au début des
années 1990 pour servir de base théorique à la conservation des objets
géologiques et géomorphologiques, peu de temps après l’adoption de la
Convention sur la diversité biologique signée lors du sommet de la Terre
de Rio en 1992. Cette notion a ensuite été précisée et formalisée par le
géographe britannique Murray Gray [2013] qui l’utilise pour désigner
la variabilité naturelle du monde abiotique, incluant la pédosphère et
l’hydrosphère.
Alors que de nombreuses définitions du concept de géodiversité existent
dans une littérature désormais abondante [pour une revue, voir BÉTARD
2017, p. 24-25], aucune à l’heure actuelle ne saurait convenir entièrement,
soit qu’elles n’intègrent pas l’ensemble des composantes physiques du
monde abiotique, soit que la dimension scalaire (à travers ses différents
niveaux d’organisation emboîtés) est absente, soit que la vision est trop
restrictive en excluant les processus anthropiques ou les relations d’ordre
culturel entre les sociétés et la géosphère. Dans ces conditions, une vision
holistique du concept de géodiversité semble plus à même d’intégrer
l’ensemble des paramètres qui font la géodiversité de la Terre, y compris
l’action des sociétés et les aspects socio-culturels. La géodiversité semble
en effet indissociable des sociétés locales qui, par leurs représentations et
leurs pratiques, tantôt la fragilisent ou la dégradent, tantôt au contraire
l’entretiennent voire la favorisent de telle sorte qu’il existe une part impor-
tante de la géodiversité directement due à des paramètres d’ordre culturel
et à des processus anthropiques (figure 10.1). Ainsi la géodiversité, dans
une approche géographique de l’environnement, désigne la variabilité du
monde abiotique, dans ses composantes géologique (roches, minéraux,
fossiles), géomorphologique (formes du relief), pédologique (sols) et hydro-
logique (eaux de surface et souterraines), ainsi que l’ensemble des processus
naturels (internes et externes) et anthropiques qui en sont à l’origine ; cela
comprend la variabilité des atomes, molécules et particules élémentaires
à l’échelle inframicroscopique (diversité élémentaire), celle des espèces
minérales ou fossiles et des autres taxons à l’échelle de l’affleurement ou
du site (diversité géospécifique) ainsi que celle des systèmes et assemblages
plus ou moins complexes de structures géologiques, reliefs, sols et eaux qui
constituent les paysages à large échelle (diversité géosystémique), y compris
les paysages culturels.
La géodiversité, une nature abiotique au prisme de la société ! 137

Figure 10.1 Géodiversité dans l’intérieur semi-aride du Nordeste brésilien


(région de Quixadá, État du Ceará)

La grande géodiversité de ce secteur est due à la complexité pétrographique et minéra-


logique du massif granitique intrusif (faciès variés : monzogranites, leucogranites…), à la
grande variabilité des formes de relief à différentes échelles (vaste surface d’aplanissement
à l’échelle des mégaformes ; inselbergs et bornhardts à l’échelle des mésoformes ; can-
nelures et taffonis à l’échelle des microformes), à la diversité des sols (lixisols, luvisols,
cambisols, leptosols…) et à la variété des attributs hydrologiques (rivières à régime inter-
mittent, lacs permanents et mares temporaires, nappes phréatiques de l’arène granitique
et des alluvions). La multitude de lacs artificiels ou retenues collinaires appelés localement
« açudes », aménagés depuis près de deux siècles par les sociétés paysannes, fait partie
des paysages culturels du Sertão brésilien et participe ainsi directement à sa géodiversité
actuelle.
Photo : © F. Bétard.

De nombreux sites anthropiques participent directement à la géodiversité


actuelle des territoires. Les carrières et les mines – en activité ou ancien-
nement exploitées – apparaissent comme de parfaits exemples des liens
existant entre géosphère et anthroposphère. Alors que les carrières et
mines en activité sont souvent perçues négativement (nuisances et atteintes
à l’environnement) et comme une menace directe pour la géodiversité
[GRAY, 2013], de nombreux sites d’extraction encore en exploitation, aban-
donnés ou réhabilités, ont souvent permis de révéler un géopatrimoine
de grande valeur scientifique et pédagogique parfois invisible autrement
(figure 10.2.A). Un autre exemple est celui des zones humides et des marais
dont certains sont aménagés et gérés depuis des siècles, en lien avec une
histoire technique qui commença avec les travaux d’aménagement, d’as-
sèchement et d’endiguement réalisés par les communautés monastiques
dès le Moyen Âge (figure 10.2.B). Un dernier exemple est fourni par les
sites historiques associés aux champs de bataille, comme ceux de la
Grande Guerre dans le nord et le nord-est de la France. Les perturbations
anthropogéniques liées aux combats ont laissé des traces importantes sur
138 ! Géographie de l’environnement

les composants abiotiques du paysage, encore parfaitement visibles sur


certains sites emblématiques des batailles de la Somme ou de Verdun, par
exemple (figure 10.2.C). Les traces géomorphologiques, en particulier, sont
nombreuses : trous d’obus, cratères de mine, réseau de tranchées et de
boyaux, abris et sapes, etc. [DE MATOS-MACHADO et al., 2019]. Il s’avère
que de nombreuses formes de relief anthropogéniques, ou polémoformes
(du grec polemos : la guerre), assurent aujourd’hui des fonctions écolo-
giques essentielles qui contribuent à la géodiversité et à la biodiversité des
territoires en question.

Figure 10.2 La face anthropogénique de la géodiversité :


quelques exemples

A. L’ancienne carrière de Vigny (Val-d’Oise) révèle une géodiversité remarquable (notam-


ment une paléobiodiversité riche de plusieurs centaines d’espèces fossiles) et un géopa-
trimoine d’intérêt international (costratotype historique du Danien, nombreux héritages
géomorphologiques visibles dans les fronts de taille). B. Paysage culturel typique du Marais
poitevin (« marais mouillé »), avec son labyrinthe de canaux artificiels, lesquels participent,
avec les anciennes îles calcaires, à la géodiversité et à la valeur paysagère du territoire. C.
Un site emblématique de la forêt domaniale de Verdun (Meuse) : l’abri 320. Au premier
plan, les cicatrices géomorphologiques laissées par les bombardements sur le champ de
bataille (cratères et trous d’obus), incluant la présence de cratères en eau, habitat électif
pour plusieurs espèces d’amphibiens d’intérêt communautaire.
Photos : © F. Bétard.
La géodiversité, une nature abiotique au prisme de la société ! 139

Évaluer la géodiversité :
le poids des valeurs sociétales
Dans la première édition de son ouvrage Geodiversity paru en 2004, Murray
Gray discute des « valeurs » (values) que l’on peut attribuer à la géodi-
versité, en distinguant des valeurs intrinsèques, culturelles, esthétiques,
économiques, fonctionnelles et éducatives, ceci dans l’objectif d’évaluer les
besoins de conservation d’une nature abiotique de plus en plus menacée par
les activités humaines : Valeurs de la géodiversité x Menaces = Besoin de
conservation.
Les valeurs intrinsèques relèvent principalement d’une vision éthique
selon laquelle tout élément dans la nature aurait une valeur pour ce qu’il
est et non pour l’usage que l’on en fait. La valeur culturelle de la géodiver-
sité résulte déjà d’une certaine représentation de la société : elle comprend
des éléments du folklore (mythes et légendes indigènes), de l’histoire et de
l’archéologie (grottes ornées, peintures rupestres…), des valeurs spirituelles
(lieux sacrés : exemple du Mont Uluru en Australie) ou encore de l’attache-
ment au lieu des habitants (le sense of place des Anglo-Saxons). Les valeurs
esthétiques intègrent la dimension pittoresque des sites, notamment de cer-
taines formes de relief, comme les chaos gréseux du massif de Fontainebleau,
qui peuvent être source d’inspiration artistique. Les valeurs fonctionnelles
sont essentiellement liées aux valeurs écologiques et aux fonctions écosys-
témiques de la géodiversité. Quant aux valeurs économiques et éducatives,
elles relèvent directement de « valeurs d’usage » [sensu REYNARD et al., 2016],
les premières ayant une valeur marchande (exploitation économique des
ressources du sous-sol, vente de minéraux et fossiles, géotourisme, etc.), les
secondes ayant une vocation pédagogique ou scientifique (valorisation didac-
tique des géosites, contribution à la connaissance de l’histoire de la Terre,
apport pour l’histoire des sciences).
Ce système de valeurs se retrouve dans les méthodes d’évaluation des
géosites développées depuis bientôt une vingtaine d’années par la commu-
nauté scientifique, en particulier par les géographes-géomorphologues qui
ont largement contribué à leur mise au point. Chaque méthode d’évalua-
tion propose son propre système de valeurs, qui accorde tantôt une grande
importance aux valeurs scientifiques appréciées selon des critères de rareté,
d’intégrité ou encore d’exemplarité, tantôt plus de place aux valeurs socié-
tales projetées sur les sites et les objets en fonction de leur perception et de
leur usage. Cela pose la question des valeurs qui sous-tendent les processus
de patrimonialisation de la nature abiotique : faut-il privilégier les critères
scientifiques, les mêmes qui servent généralement de critères officiels pour
élaborer les politiques d’inventaire et de protection, ou accorder plus d’im-
portance aux valeurs dites de société, celles qui sont à la base du processus
140 ! Géographie de l’environnement

d’appropriation patrimoniale par les communautés locales ? Cette question


reste ouverte et dépend des cercles académiques et des contextes socio-
culturels, d’autant plus que les valeurs scientifiques et sociétales évoluent
généralement au cours du temps, de façon plus ou moins indépendante.
Dans un souci d’équilibre et de synthèse, E. Reynard et ses collègues [2016]
ont proposé de distinguer des « valeurs intrinsèques » (scindées en valeur
centrale – scientifique – et en valeurs « additionnelles » : culturelle, esthé-
tique, écologique) et des « valeurs d’usage » (protection, éducation, tourisme)
pour évaluer les géo(morpho)sites dans toutes leurs facettes patrimoniales
(figure 10.3).

Figure 10.3 Système de valeurs attribuées aux géomorphosites

Valeurs intrinsèques Valeurs d’usage

Valeur centrale Conservation


scientifique moyens de protection
pratiques conservatoires

Valeurs additionnelles
culturelle Valorisation
esthétique pédagogique
écologique touristique

Source : modifié et adapté d’après REYNARD et al., 2016.

Une autre approche des valeurs de la géodiversité est en train d’émerger


depuis quelques années, dans une vision très utilitariste de la nature. Dans
la seconde édition de son ouvrage Geodiversity, Murray Gray [2013] a ainsi
complètement revu et actualisé le chapitre consacré aux « valeurs » de la
géodiversité. Imprégné des idées et des conclusions du Millenium Ecosystem
Assessment [2005] publié un an après la première édition de son ouvrage,
il transpose à la géodiversité le concept de « services écosystémiques »
initialement appliqué à une évaluation monétaire ou économique de la
biodiversité. Parce que les services écosystémiques sont devenus une nou-
velle norme dans le monde de la conservation [MARIS, 2014], Murray Gray
montre comment cette notion peut désormais s’appliquer à l’évaluation de
la géodiversité, en supplantant tout le système de valeurs qu’il avait précé-
demment échafaudé dans son premier ouvrage, à l’exclusion des valeurs
La géodiversité, une nature abiotique au prisme de la société ! 141

intrinsèques qui ne peuvent entrer dans la catégorie des services – ces der-
niers étant définis comme « les bénéfices que les êtres humains tirent des
écosystèmes » [MILLENIUM ECOSYSTEM ASSESSMENT, 2005]. Ces « ser-
vices géosystémiques » ou « services écosystémiques abiotiques », partie du
capital naturel de la Terre dont la géodiversité serait l’assise non vivante,
sont classiquement rangés en quatre catégories : les services d’approvision-
nement, les services de régulation, les services culturels et les services de
support (figure 10.4).

Figure 10.4 Les services écosystémiques abiotiques liés à la géodiversité

Services de régulation
1. Processus océaniques et atmosphériques (e.g., régulation du climat et de la qualité de l’air, cycle hydrologique)
2. Processus continentaux (e.g., cycles biogéochimiques, séquestration du carbone et régulation climatique)
3. Régulation des inondations marines et fluviales (e.g., infiltration et réserve hydrique du sol, barrières littorales)
4. Régulation de la qualité des eaux (e.g., sols et roches comme filtres naturels)

Services de support Services culturels


5. Processus pédogénétiques et sols 16. Qualité environnementale
comme support pour la croissance (e.g., qualité paysagère,
des végétaux et la biodiversité source de bien-être)
6. Formes de relief et sols comme 17. Géotourisme et loisirs (e.g., sites
habitats naturels pour les espèces géotouristiques et musées de paléon-
floristiques, fongiques et faunistiques tologie, escalade, sports aquatiques)
7. Sols et eaux comme supports pour 18. Valeur culturelle et historique
les activités humaines (e.g., agriculture, (folklore, lieux sacrés, sense of place)
aménagement et urbanisme) 19. Inspiration artistique
8. Enfouissement et stockage SERVICES (e.g., sculpture, littérature, peinture)
(e.g., stockage des déchets, stockage ÉCOSYSTÉMIQUES 20. Développement social
de l’eau dans réservoirs naturels) (e.g., associations et sociétés savantes,
ABIOTIQUES
excursions et voyages)

Services d’approvisionnement 21. Histoire de la Terre (e.g., origine


9. Alimentation (e.g., eau, sel) et évolution du vivant, origine
10. Nutriments et minéraux pour des reliefs et évolution des paysages,
la croissance et la santé humaine paléogéographie)
11. Ressources énergétiques (e.g., 22. Histoire des sciences
charbon, pétrôle, uranium, énergies (e.g., histoire des explorations et
géothermale et hydroélectrique) GÉODIVERSITÉ des découvertes, stratotypes)
12. Matériaux de construction 23. Monitoring environnemental
(e.g., pierres à bâtir, ciment, plâtre) et géophysique (e.g., suivi de la qualité
13. Minéraux à usage agricole de l’air, des aléas naturels,
ou industriel (e.g., fertilisants, produits de l’évolution du traît de côte)
pharmaceutiques) 24. Géosciences médico-légales
14. Produits à vocation ornementale 25. Éducation et emploi (e.g., sites
(e.g., gemmes, métaux précieux) géologiques à usage pédagogique,
15. Fossiles emplois dans les Géoparcs)

Notons l’existence de services en partie influencés par des paramètres biotiques comme la
séquestration du carbone dans les sols. Au sein des services culturels, la partie inférieure de
l’encadré correspond aux services qui contribuent à la connaissance et à la science.
Source : modifié et adapté d’après GRAY, 2013.
142 ! Géographie de l’environnement

Sans entrer ici dans une analyse critique et philosophique du concept de


services écosystémiques ou dans chacune des catégories [voir, par exemple,
MARIS, 2014], on relève que dans cette tentative de classification, les services
d’approvisionnement s’apparentent davantage à des biens qu’à des services, et
qu’il peut paraître réducteur d’appréhender les valeurs culturelles de la géo-
diversité comme de simples services. Cette vision strictement instrumentale
et anthropocentrique de la géodiversité pose question car elle ne permet pas
de rendre compte de la diversité des relations que les sociétés entretiennent
avec la nature abiotique. Au contraire, elle entérinerait l’idée selon laquelle la
valeur de la géodiversité ne relèverait que de son utilité, directe ou indirecte,
pour les sociétés humaines.
Il convient donc de rester prudent, face à la montée en puissance du
concept de services écosystémiques, afin d’éviter toute dérive qui condui-
rait à considérer la géodiversité comme un simple pourvoyeur de biens
et de services, participant ainsi à une dynamique de marchandisation de
la nature. Les chercheurs qui travaillent aujourd’hui dans le champ de la
géodiversité et de sa conservation doivent tirer les leçons des expériences
menées au cours des 15 dernières années en matière d’évaluation moné-
taire de la biodiversité, qui a conduit à concevoir de nouveaux mécanismes
de conservation basés sur des incitations et facilitations économiques
(mesures compensatoires). Ce type de démarche est aussi une façon de
délaisser les évaluations qualitatives, à base naturaliste, pour entrer dans
des estimations quantitatives qui relèvent davantage de l’évaluation éco-
nomique que des sciences de l’environnement. Fort heureusement, les
perspectives d’évaluation de la géodiversité sont loin de se limiter à un
potentiel d’évaluation monétaire : en témoigne la multiplication récente
des inventaires géopatrimoniaux à base naturaliste, qui servent aujourd’hui
d’instruments d’action publique et politique pour conserver et valoriser la
géodiversité des territoires.

Cartographier et quantifier la géodiversité :


pour une approche géographique et une évaluation objective
de la géodiversité des territoires
La cartographie et la quantification de la géodiversité constituent un des prin-
cipaux enjeux méthodologiques pour améliorer la connaissance et la prise en
compte de la nature abiotique dans les politiques de gestion territoriale. Dans ce
domaine, l’apport des géographes est fondamental.
Dans le cadre d’une méthodologie innovante visant à cartographier des points
chauds de géodiversité (geodiversity hotspots) à une échelle régionale, une nou-
velle méthode permettant une prise en compte équilibrée des composantes
de la géodiversité a été proposée, dont l’indice quantifié (geodiversity index)
est ensuite croisé avec un indice de menace (threat index) [BÉTARD et PEULVAST,
La géodiversité, une nature abiotique au prisme de la société ! 143

2019]. Basée sur une procédure d’analyse spatiale sous SIG, la méthodologie
comprend trois étapes :
1. calculer un indice de géodiversité, sur la base d’une évaluation quantitative
(géostatistique) des différentes composantes de la géodiversité (c.-à-d. diversités
géologique, géomorphologique, pédologique et hydrologique) ;
2. calculer un indice de menace, lui-même basé sur l’intégration de trois sous-
indices : niveau de protection environnementale, degré de dégradation des terres
et type d’occupation du sol ;
3. croiser l’indice de géodiversité et l’indice de menace, de façon à identifier et carto-
graphier les secteurs de forte géodiversité caractérisés par un degré de menace élevé.
Inspirée des méthodes de « priorisation » définies dans le domaine de la biologie
de la conservation, cette proposition méthodologique offre un cadre cohérent
et un outil opérationnel destiné à identifier des zones prioritaires de conser-
vation de la géodiversité, applicable à une échelle régionale ou nationale. Elle
est complémentaire des stratégies de création d’aires protégées élaborées par
échantillonnage territorial (sélection des géosites) sur la base des inventaires géo-
patrimoniaux.

Protéger et valoriser la géodiversité :


le rôle des inventaires à base naturaliste
Institué par la loi du 27 février 2002 dite de « démocratie de proximité »,
l’Inventaire national du patrimoine géologique (INPG) a été lancé de
manière officielle en France par le ministère en charge de l’environnement
en avril 2007 sous la responsabilité scientifique du Muséum national d’his-
toire naturelle [DE WEVER et al., 2014]. Transcrite dans l’article L.411-5-1
du Code de l’environnement, la loi prévoit en effet l’inventaire des richesses
« géologiques, minéralogiques et paléontologiques », en complément des
richesses « écologiques, faunistiques, floristiques » déjà prises en compte dans
le cadre de l’inventaire ZNIEFF. Le choix des trois adjectifs – géologiques,
minéralogiques, paléontologiques – traduit mal la diversité des sites et objets
appartenant au géopatrimoine car c’est bien l’ensemble des éléments remar-
quables de la géodiversité française qui est concerné par l’INPG, incluant
les objets géomorphologiques, pédologiques et hydrologiques, de surface ou
souterrains.
Tout comme son homologue « faune et flore » qu’est l’inventaire ZNIEFF1,
l’INPG procède d’un processus ascendant : les données sont collectées sur
le terrain selon une approche naturaliste (observations géomorphologiques,
levés de coupes stratigraphiques, etc.), par des professionnels ou des amateurs

1. Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique.


144 ! Géographie de l’environnement

éclairés, et sont validées scientifiquement dans chaque région par un groupe


d’experts (Commission régionale du patrimoine géologique) auquel par-
ticipent notamment des géographes-géomorphologues, des pédologues et
des hydrologues. Ce groupe d’experts est une émanation directe du Conseil
scientifique régional du patrimoine naturel (CRSPN), lequel doit pronon-
cer un avis délibératif sur les données finales de l’inventaire régional. Une
fois validée par le CSRPN, la base de données régionale est alors envoyée au
Muséum national d’histoire naturelle en charge de la validation nationale de
l’inventaire. Les données validées sont finalement publiées grâce à un trans-
fert numérique dans la base nationale de l’INPN1.
Comme pour l’inventaire ZNIEFF, la diffusion des données s’inscrit dans
le régime obligatoire de la divulgation des informations scientifiques et a donc
uniquement une vocation informative. L’INPG n’instaure pas de contraintes
juridiques particulières en matière de protection, mais peut utilement ser-
vir à connaître les zones à enjeux géopatrimoniaux dans le cadre d’études
d’impact environnemental. Outre l’amélioration des connaissances sur le ter-
ritoire national, l’INPG intervient surtout comme outil d’aide à la décision
pour la mise en place de politiques de protection de la géodiversité : il contri-
bue ainsi directement à la stratégie nationale de création d’aires protégées sur
le territoire métropolitain (SCAP). Il revêt aussi une forte dimension éduca-
tive, dans un effort de sensibilisation aux disciplines naturalistes (incluant la
géomorphologie, l’hydrologie et la pédologie) et à la nécessité de préserver la
géodiversité du territoire national.
Du point de vue opérationnel, les résultats de l’INPG peuvent aussi être
directement utilisés dans le cadre de projets territoriaux de valorisation
pédagogique ou touristique du patrimoine géologique et géomorpholo-
gique, notamment dans les projets de Géoparcs, un label officiellement
reconnu par l’UNESCO depuis 2015. Ce label patrimonial de portée inter-
nationale, qui concerne en 2019 un réseau de 147 espaces protégés répartis
dans 41 pays (figure 10.5), permet de distinguer des territoires reconnus
pour leur géopatrimoine exceptionnel, avec l’objectif de le conserver et de
le valoriser dans une perspective de développement territorial durable. Si
un Géoparc mondial UNESCO doit démontrer l’importance internatio-
nale de son géopatrimoine, son but est aussi d’explorer, de développer et
de valoriser l’ensemble des liens unissant ce géopatrimoine avec tous les
autres aspects des patrimoines naturels, culturels et immatériels de son
territoire.

1. Inventaire national du patrimoine naturel : https://inpn.mnhn.fr/.


La géodiversité, une nature abiotique au prisme de la société ! 145

Figure 10.5 Répartition des Géoparcs mondiaux UNESCO dans le monde

Source : données UNESCO ; cartographie F. Bétard.

Un exemple de Géoparc français récemment labellisé (2017), dont


l’assise scientifique repose sur un inventaire géopatrimonial à base natu-
raliste (INPG), est celui du Parc naturel régional des Causses du Quercy.
L’importance internationale du géopatrimoine quercynois se trouve dans
l’existence d’un paléokarst à phosphorites (les célèbres « phosphatières »
du Quercy) et dans le caractère exceptionnel des gisements fossilifères qui
lui sont associés. Les sites karstiques (gouffres, dolines, lapiaz, poljé, pertes
et résurgences, etc.), inventoriés par les naturalistes, karstologues et géo-
morphologues depuis plus d’un siècle (depuis les premières découvertes
et explorations spéléologiques effectuées par Édouard-Alfred Martel au
XIXe siècle), ont aussi une grande importance et comptent plusieurs localités
célèbres comme le Gouffre de Padirac, mais aussi des sites plus « confiden-
tiels », tous inventoriés dans le cadre de l’INPG. Mais c’est sans doute la
dimension multipatrimoniale de la plupart des géosites qui caractérise le
mieux le territoire de ce Géoparc, en raison des nombreux éléments patri-
moniaux archéologiques (grottes ornées, dolmens), historiques (châteaux
des Anglais, villages fortifiés comme celui de Rocamadour) et biologiques
(sites Natura 2000, Réserve de biosphère du bassin de la Dordogne) situés à
proximité et/ou associés aux géosites. Ce dernier exemple illustre ainsi l’im-
brication étroite qui existe entre géodiversité et société, vue ici au prisme
des territoires protégés et labellisés, contribuant aujourd’hui à la reconnais-
sance institutionnelle et sociétale d’une nature abiotique longtemps oubliée
ou négligée.
146 ! Géographie de l’environnement

Conclusion
Les recherches sur la géodiversité, particulièrement dynamiques au niveau
international depuis une dizaine d’années, sont en train de renouveler la
façon de concevoir la nature, trop souvent limitée à sa seule portion vivante
(biodiversité), notamment dans les politiques publiques environnementales.
Le renouveau épistémique apporté par ce concept d’apparition récente au
sein de la géographie environnementale contribue à changer et à élargir
les regards sur la nature, sans omettre la prise en compte des paramètres
d’ordre culturel qui agissent autant sur la biodiversité que sur la géodiversité
des territoires. Enrichi d’une dimension multiscalaire (du global au local) et
de valeurs sociétales, le concept de géodiversité émerge comme un nouveau
paradigme géographique pouvant servir de cadre de référence pour élaborer
les politiques de conservation et de valorisation appliquées à la composante
abiotique du paysage. Cela passe par la réalisation d’inventaires géopatrimo-
niaux à base naturaliste, conçus pour refléter la géodiversité dans ce qu’elle a
de plus remarquable (sélection des géosites), mais aussi par le développement
de nouvelles méthodes de quantification et de spatialisation de la géodiversité
pour lesquelles les géographes ont une expertise à faire valoir et à partager au
sein d’une communauté scientifique élargie.
Chapitre 11

Le changement
climatique

SI L’ON CONSIDÈRE le découpage classique de la géographie en branches,


la climatologie figure parmi les principales composantes de la géographie
physique aux côtés de la géomorphologie, l’hydrologie et la biogéographie.
Ses thématiques de recherche ainsi que les types de données, outils et
méthodes qu’elle utilise évoluent. Ainsi, la question du changement cli-
matique contemporain est un sujet de recherches qui s’est naturellement
imposé comme matière d’enseignement accompagnant l’accroissement de
sa perception par la société et la nécessité de s’y adapter. Il s’agit alors de
définir la variabilité et les tendances climatiques à différentes échelles de
temps à travers l’analyse d’observations réalisées sur de longues séries et
la description des impacts que celles-ci génèrent sur les géosystèmes. La
démarche rétrospective est complétée par une démarche prospective car
les géographes-climatologues multiplient dorénavant l’utilisation des don-
nées climatiques projetées issues de modèles climatiques pour étudier les
conséquences du changement climatique à différentes échelles spatiales et
à plusieurs horizons temporels. Les résultats des recherches constituent
des supports scientifiques nécessaires aux différentes réflexions menées
par les acteurs du monde socio-économique et les décideurs politiques, à
la fois pour réfléchir aux mesures d’atténuation et aux stratégies d’adap-
tation qui se mettent en place progressivement aux différentes échelles
des territoires. Ce chapitre a pour but de montrer le positionnement du
géographe face à cette problématique et propose une illustration de cette
approche originale à travers l’analyse de deux géosystèmes, l’un urbain et
l’autre agricole.
148 ! Géographie de l’environnement

Approche géographique
du changement climatique
et des questions environnementales
L’appropriation progressive de la thématique
du changement climatique par les géographes
L’étude du changement climatique ne se limite pas à la recherche fonda-
mentale menée à l’échelle globale par la communauté des physiciens de
l’atmosphère, spécialistes de la dynamique atmosphérique générale et déve-
loppeurs des modèles du système Terre-atmosphère dont sont issues les
projections du changement climatique. En effet, le changement climatique
est aussi une thématique de recherche des géographes spécialisés dans le
domaine de l’environnement s’intéressant au climat aux échelles régionales
et locales. Le traitement de cette question aux échelles fines a confronté les
géographes à deux problèmes majeurs.
Tout d’abord, un grand nombre de géographes furent, jusque dans les
années 1990, réticents à utiliser des données issues de modèles climatiques
en raison des biais importants constatés par rapport aux observations, et
a fortiori les projections à l’horizon 2100 issues des modèles globaux. La
résolution spatiale n’était alors pas adaptée aux enjeux sociétaux d’échelles
inférieures. Mais cette réticence s’est estompée avec l’évolution techno-
logique et la production de données modélisées avec des résolutions plus
fines issues de modèles régionaux. Au départ, constitués uniquement d’une
composante atmosphérique, ce sont dorénavant des modèles couplés du
système Terre-atmosphère qui ont, pour certains, la capacité d’avoir une
résolution horizontale augmentée (maille de 50 km environ) permettant
des études régionales. Ensuite, le développement de méthodes de désa-
grégation des simulations de basse résolution a permis la production de
données régionalisées encore plus adaptées aux études géographiques. Les
simulations issues de modèles atmosphériques régionaux disponibles à
des résolutions spatiales inférieures à 5 km, voire de l’ordre de la centaine
de mètres, prenant en compte la dynamique générale ainsi que la dyna-
mique locale générée par les facteurs géographiques locaux (topographie,
proximité de l’océan, occupation du sol) au moyen de grilles imbriquées
sont largement utilisées par la communauté des géographes car elles sont
plus adaptées aux problématiques territoriales et peuvent être validées par
les mesures et observations sur le terrain. Deux exemples d’utilisation de
ces modèles régionaux pour traiter des thématiques environnementales
peuvent être cités : la modélisation de la brise de mer et de ses impacts cli-
matiques sur des vignobles côtiers comme outil d’aide à la délimitation de
Le changement climatique ! 149

terroirs viticoles ou encore la spatialisation de la pollution atmosphérique


et sa modélisation en fonction des circulations atmosphériques comme
outil de prévision de la qualité de l’air en milieu urbain. Enfin, par rapport à
la question du changement climatique, la mise à disposition de projections
régionalisées provenant de différents modèles et incluant différents scé-
narios de changement climatique permet également d’analyser les marges
d’incertitudes.
Le deuxième frein est celui de l’acceptation tardive du phénomène du
changement climatique et celui de son impact à l’échelle régionale par une
large part de la société et, de surcroît, par les acteurs socio-économiques,
probablement du fait d’un manque de vulgarisation de la recherche. En
effet, certaines tendances et des impacts à l’échelle régionale du change-
ment climatique étaient disponibles dès la fin des années 1990 mais ces
résultats ont longtemps été accueillis avec circonspection par les acteurs
du territoire, comme les tendances observées à l’augmentation des séche-
resses en Bretagne ou les impacts du réchauffement sur la viticulture en
Bourgogne. C’est la persistance d’observation de tendances climatiques
significatives ainsi que la mise en évidence des conséquences dans des
secteurs variés d’activité qui vont finalement multiplier les interrogations
à l’échelle régionale à travers le monde. Depuis le début des années 2000,
la cause du réchauffement global par les activités humaines du fait en
particulier de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et des
changements d’utilisation des sols est largement diffusée par la commu-
nauté scientifique [IPCC, 2007, 2013]1. Elle est ensuite progressivement
admise par les citoyens et on assiste à la fin de la décennie 2010, avec
des faits alarmants (vagues de chaleur, incendies de forêts…), à un état
d’urgence climatique médiatisé où la prise de conscience est réelle et
généralisée. Cela a stimulé les demandes d’études d’impact du change-
ment climatique à une échelle fine favorisée par les changements de la
réglementation. Ainsi, à partir de 2012, la nécessité de mettre en place
un plan climat pour les collectivités de plus de 50 000 habitants a amené
certaines métropoles à réaliser un état des lieux de leur îlot de chaleur
urbain. Elles sont aujourd’hui demandeuses d’analyses prospectives pour
soutenir les réflexions concernant les projets d’aménagement. De même,
les acteurs du secteur agricole sont concernés par la durabilité des diffé-
rentes filières de productions et s’interrogent sur les moyens d’adapter
leurs pratiques.

1. https://www.ipcc.ch/
150 ! Géographie de l’environnement

Positionnement de l’approche géographique


du changement climatique
Le positionnement des géographes à l’interface entre nature et société, le
caractère intégré de leurs recherches et leur intérêt particulier pour les imbri-
cations d’échelles (spatiales et temporelles) adaptées aux différents enjeux
sociétaux permettent une approche originale de la question du changement
climatique [BELTRANDO, 2011]. Cette originalité tient en premier lieu au
positionnement des géographes au sein d’un réseau d’échanges rassemblant
acteurs économiques, organismes professionnels, élus et chercheurs relevant
d’autres disciplines avec qui ils collaborent sur des enjeux territoriaux précis.
C’est ainsi par exemple que la collaboration avec les physiciens de l’atmos-
phère permet aux géographes d’acquérir les connaissances nécessaires à la
compréhension et l’interprétation des sorties de modèles et celle avec les
agronomes de cibler les objectifs en fonction de la problématique : choix de la
période à étudier, des indices à calculer en fonction des stades phénologiques
de la plante observée, etc. Mais le rôle du géographe n’est pas uniquement en
aval d’un producteur de données qu’il récupère pour les analyser et les inter-
préter, il a également besoin de produire ses propres données sur le terrain
pour valider ses expériences. À ce titre, il met souvent en place des réseaux de
mesure et/ou d’observation adaptés à la problématique, comme des mesures
climatiques de l’échelle d’une région à celle d’une parcelle agricole, d’une
agglomération à celle d’une rue, à partir de mesures ponctuelles ou itiné-
rantes. Il mène également des enquêtes auprès des acteurs sur les différents
terrains d’étude.
L’évolution technologique au cours de ces vingt dernières années a per-
mis une évolution des outils et méthodes utilisés en géographie. Parmi les
techniques utilisées, les images satellitales ont très tôt révélé leur poten-
tiel sur le plan spatial comme sur le plan temporel. Sur le plan spatial, la
télédétection permet de couvrir l’ensemble du système Terre-atmosphère,
notamment dans les espaces où les réseaux d’observation conventionnels
sont peu denses comme les hautes latitudes, les océans et les forêts tropi-
cales. L’amélioration constante de la résolution spatiale des capteurs permet
aujourd’hui l’intégration de ces données dans les approches aux échelles
fines pour le suivi des états de surface : stress hydrique, température de
surface, etc. C’est en effet à ces échelles que ces informations peuvent être
mobilisées pour répondre de façon concrète aux enjeux du changement
climatique autour de questions comme celle de l’îlot de chaleur urbain,
l’avancée des stades phénologiques de la végétation ou la gestion des inon-
dations. Sur le plan temporel, les longues séries d’observations accumulées
depuis la fin de la décennie 1970, permettent de suivre la dynamique des
paramètres fondamentaux du climat : couverture nuageuse, précipitations,
Le changement climatique ! 151

interactions climat-végétation comme la désertification et déforestation


tropicale, extension des glaces marines et continentales et du perma-
frost. Les géographes-climatologues bénéficient également des progrès
considérables réalisés en matière de spatialisation. L’essor et l’utilisation
des systèmes d’information géographique et de la géostatistique facilitent
dorénavant la spatialisation des indicateurs du changement climatique à
l’échelle régionale. Plusieurs méthodes de modélisation climatique (dyna-
mique et géostatique) peuvent être combinées pour analyser le changement
climatique à l’échelle régionale. En aval, les systèmes multi-agents sont éga-
lement utiles pour intégrer les activités humaines dans la modélisation et
simuler des scénarios d’adaptation.

Changement climatique
et îlot de chaleur urbain (ICU)
Les modifications du climat par les activités humaines ne se limitent pas
aux conséquences globales de l’effet de serre [DUBREUIL, 2018] ou conti-
nentales des changements d’utilisation des sols comme la déforestation
tropicale. À l’échelle plus locale des agglomérations, les changements des
états de surface liés à l’urbanisation ont des effets climatiques majeurs. En
effet, l’artificialisation des surfaces, inhérente au processus d’urbanisation,
se traduit notamment par leur imperméabilisation, l’extension des volumes
bâtis, la réduction du couvert végétal et l’accroissement des flux de trans-
ports d’hommes et de marchandises. Toutes ces transformations entraînent
une altération du bilan radiatif local ainsi qu’une modification profonde des
conditions d’écoulement de l’air et de l’eau. La présence d’espaces urbanisés
va donc modifier le climat.
Ce phénomène a été décrit en Angleterre dès le XIXe siècle, mais n’est
étudié de manière scientifique qu’à partir des années 1960. Ces recherches
se sont d’abord développées aux États-Unis et en Europe du Nord, là où
le phénomène de métropolisation a posé très tôt des problèmes de pollu-
tion et d’amplification des vagues de chaleur liés à la croissance urbaine. En
Asie, ainsi que dans certains pays émergents comme le Brésil, où l’urbani-
sation a explosé dans le dernier tiers du XXe siècle, l’engouement pour ces
recherches a également été précoce alors que ces études se sont développées
plus tardivement en France. Partout, la généralisation de stations et de cap-
teurs météorologiques à bas coût, a permis la mise en place de campagnes de
mesures de températures ponctuelles (réseaux d’observations pérennes) ou
itinérantes (méthodes des transects). Ainsi, à Rennes, par exemple, un réseau
d’une vingtaine de stations automatiques (mesurant, entre autres, la tempé-
rature) a été implanté à partir de 2004. Cela résulte d’une demande sociale
forte du fait de la gestion délicate d’espèces aviaires invasives ainsi que d’une
152 ! Géographie de l’environnement

volonté politique de mettre en place des actions visant à limiter le réchauf-


fement climatique à la fois par des mesures d’atténuation des émissions de
gaz à effet de serre, mais aussi en contribuant localement à promouvoir des
solutions pour réduire le phénomène d’îlot de chaleur urbain1. Les mesures
réalisées à Rennes permettent de mettre en évidence et caractériser le phé-
nomène principal résultant de la modification du climat par les villes : l’îlot
de chaleur urbain (figure 11.1). Celui-ci correspond à la différence de tem-
pérature observée entre le centre urbain et la campagne environnante. On
en mesure généralement l’intensité du réchauffement en comparant deux
stations de référence, une située au plus près du centre urbain dense, l’autre
localisée à quelques kilomètres au-delà de la tache urbaine. Cette différence
de température s’observe essentiellement de nuit, lorsque les bâtiments res-
tituent la chaleur emmagasinée au cours de la journée. Pendant la journée,
en effet, les surfaces artificialisées vont s’échauffer et accumuler de l’éner-
gie, tandis que les surfaces végétales vont essentiellement utiliser l’énergie
disponible pour l’évapotranspiration des plantes (chaleur latente). La dif-
férence de température modeste, voire inexistante, pendant la journée, est
également réduite par une turbulence diurne plus forte. En revanche, pen-
dant la nuit, le bilan radiatif devient rapidement très déficitaire en campagne
tandis que la ville continue de bénéficier d’un rayonnement infrarouge émis
par les bâtiments. Cet effet est d’autant plus marqué que les conditions
atmosphériques sont dites radiatives, c’est-à-dire lorsque le vent est faible,
ce qui limite le brassage de l’air et l’homogénéisation entre les surfaces, et
le ciel dégagé, permettant une dissipation plus rapide de l’énergie qu’en
zone rurale.
L’intensité de l’îlot de chaleur urbain dépend de plusieurs phénomènes :
les conditions météorologiques, c’est-à-dire la situation synoptique du jour
et, pour l’humidité des sols, de la période précédente ; les effets de sites,
c’est-à-dire la topographie, la présence de la mer, de lacs, de rivières, la
structure de la végétation, etc. ; et les caractéristiques morphologiques de
la ville : la densité et la hauteur des bâtiments, le type de matériaux utilisés
pour les revêtements comme pour les constructions, l’organisation de la
voirie. La végétation, qu’elle soit linéaire ou regroupée, permet par exemple
de réduire l’intensité de l’îlot de chaleur urbain via les phénomènes éva-
poratoires qui consomment une partie de l’énergie disponible. C’est ainsi
que les parcs urbains apparaissent souvent comme des îlots de fraîcheur.
L’ensemble des facteurs territoriaux influant sur l’îlot de chaleur urbain

1. À la suite des différents épisodes de canicules, puis de la mise en place des premiers plans climat
et la généralisation des PCAET à partir de la décennie 2010, de nombreuses métropoles se sont
lancées dans la mise en place de réseaux d’observation, généralement dans le cadre de partena-
riats avec des laboratoires de recherches mobilisant fortement les géographes (Dijon, Paris, Lyon,
Toulouse).
Le changement climatique ! 153

explique le caractère pluridisciplinaire des programmes de recherche qui


lui sont consacrés alors que sa spatialisation a fait des progrès considérables
au cours de ces vingt dernières années avec l’essor des SIG et de la géo-
statistique [FOISSARD et al., 2019].

Figure 11.1 Variation spatio-temporelle de l’îlot de chaleur à Rennes


du 19 au 21 juin 2019

En haut : écarts des minimales avec la station rurale de référence le 19 (à gauche) et


le 21 (à droite) juin 2019. En bas : les courbes en trait plein : relevés horaires des tempé-
ratures des 42 stations (correspondant aux points noirs sur les cartes). Courbe noire en
tirets : intensité maximale de l’îlot de chaleur en degrés. Courbe grise en pointillé : vitesse
maximale horaire du vent en m/s. Barres : rayonnement incident en 1/100e W/m². La
diminution de la vitesse du vent et l’augmentation du rayonnement incident permettent à
l’îlot de chaleur de se renforcer entre le 19 (intensité de 2,8 °C) et le 21 où son intensité
maximum atteint 5,4 °C. Le léger flux de nord observé lors de cette journée explique son
décalage vers le sud de l’agglomération. Les températures en ordonnées sont indiquées
en °C.

Changement climatique et viticulture


Le changement climatique mondial a des implications pour la viticul-
ture dans le monde entier. La figure 11.2 montre l’évolution d’un indice
bioclimatique qui décrit l’augmentation du potentiel thermique pour la
viticulture en Val de Loire sur les 60 dernières années, passant d’un climat
154 ! Géographie de l’environnement

viticole frais à un climat viticole tempéré. Différents travaux ont abordé la


question de l’impact du changement climatique sur la viticulture dans la
plupart des régions viticoles du monde. Basés sur l’adaptabilité de la vigne
à différents scénarios de changement climatique, ils montrent qu’on peut
s’attendre à d’importants bouleversements dans la plupart des régions viti-
coles à horizon 2100. Les résultats de ces études fondées sur la simulation
climatique proposent des méthodes d’adaptation au changement clima-
tique relativement brutales comme le déplacement de régions viticoles ou
le changement de cépages. De plus, ces scénarios contiennent une grande
part d’incertitude liée aux biais des sorties de modèles. En revanche, peu
d’études sont encore consacrées à l’observation et à la simulation du cli-
mat et du changement climatique à l’échelle locale. Or, les variations de
croissance de la vigne ainsi que des différences dans la qualité du raisin et
donc du vin sont souvent observées sur de courtes distances car elles sont
dépendantes de caractéristiques locales comme la pente, le sol, le climat
saisonnier. En effet, la variabilité spatiale du climat engendrée par des fac-
teurs locaux est souvent du même ordre, voire supérieure à l’augmentation
de température simulée par les différents scénarios du GIEC et le vigneron
s’adapte à cette variabilité spatiale du climat notamment par ses pratiques
culturales [QUÉNOL, 2014].

Figure 11.2 Évolution de l’indice bioclimatique d’Huglin (H)


en Val de Loire entre 1960 et 2017

Source : Météo France.

La connaissance de la variabilité spatiale du climat aux échelles fines


est donc un atout pour définir des possibilités d’adaptation à l’évolu-
tion du climat à plus ou moins long terme. Les travaux menés par les
géographes-climatologues ont eu pour objectif de combiner la modéli-
sation de la variabilité spatiale des températures à l’échelle locale avec
celle de l’évolution du climat en intégrant les sorties régionalisées
Le changement climatique ! 155

du changement climatique issues des modèles climatiques régionaux


[LE ROUX et al., 2017]. Ces études sont basées sur « une démarche
d’échelles spatiales imbriquées, en étudiant les effets locaux (ex. : alti-
tude, inclinaison ou orientation de la pente, distance à la rivière, etc.) sur
des variations climatiques à l’échelle des vignobles en mettant en place
une méthodologie reposant sur des observations climatiques et agrono-
miques (stress hydrique, phénologie, taux de sucre, taux d’alcool, etc.) in
situ afin de mettre en évidence le lien entre les caractéristiques d’un vin et
le climat local » [QUÉNOL, 2017]. Les données agroclimatiques obtenues
ponctuellement sont spatialisées suivant des modèles statistiques permet-
tant d’établir les relations entre les facteurs locaux et la répartition des
températures.
Le programme européen LIFE-ADVICLIM1 offre un exemple des
méthodes et des enjeux de ce type de recherche. La variabilité spatiale du
climat à l’échelle locale a été intégrée dans les sorties de modèles régiona-
lisés du changement climatique. La modélisation agroclimatique à échelle
fine, combinée avec les stratégies de production des viticulteurs a été
implantée dans un système multi-agents. La figure 11.3 montre la structure
du modèle multi-agent baptisé SEVE2. Il permet de réaliser des simula-
tions couplant les différents scénarios du changement climatique avec
les pratiques des viticulteurs en fonction du type de viticulture (conven-
tionnelle, raisonnée, bio…), la variabilité climatique locale, la croissance
de la vigne, les caractéristiques des raisins et les maladies potentielles de
la vigne [TISSOT et al., 2017]. L’objectif final du projet est d’informer les
viticulteurs sur les impacts du changement climatique, sur les scénarios
d’adaptation rationnels et sur les émissions de gaz à effet de serre liées à
leurs pratiques. Cette approche implique fortement la profession viticole
en amont du projet, pas uniquement du fait des autorisations nécessaires
pour déployer des réseaux de mesure climatiques et d’observations agro-
nomiques sur leurs parcelles mais aussi pour répondre à des questionnaires
afin d’élaborer des scénarios d’adaptation au changement climatique basés
sur leurs pratiques. De nombreux ateliers participatifs ont été réalisés avec
la profession viticole via les différents organismes (caves coopératives,
comités interprofessionnels de chaque région viticole, etc.) pour l’élabo-
ration des scénarios envisagés mais aussi pour la validation des résultats.
Cette forte implication des viticulteurs a permis de mettre en place des
stratégies d’adaptation raisonnées en adéquation avec les pratiques des
viticulteurs à l’échelle de leur exploitation.

1. Adaptation of Viticulture to Climate Change: High Resolution Observations of Adaptation Scenario for
Viticulture.
2. Simulating Environmental Impacts on Viticultural Ecosystems.
Figure 11.3 Structure du modèle multi-agent SEVE
(Simulating Environmental Impacts on Viticultural Ecosystems)
156 ! Géographie de l’environnement

Source : TISSOT et al., 2017.


Le changement climatique ! 157

Conclusion
La question du changement climatique et de ses impacts sur les sociétés,
tout comme celle des activités humaines sur l’évolution du climat sont large-
ment traitées en géographie, comme dans de nombreuses autres disciplines.
Comme le dit Vincent Dubreuil [2018], le « thème des changements clima-
tiques est éminemment géographique, tant par les processus mis en œuvre qui
relèvent des interactions “société-nature” que par la diversité des échelles et
rétroactions mises en cause ». Il met en évidence la capacité des géographes-
climatologues à s’insérer dans des réseaux de recherche interdisciplinaire
pour participer à (voire piloter) des recherches sur ces questions complexes.
Celles-ci sont exemplaires de notre monde contemporain où l’état de l’atmo-
sphère et les modes d’utilisation du sol mis en place pour assurer nos activités
productives bien que de manière différente sont largement le résultat de pro-
cessus socio-économiques et de décisions (ou non) politiques pour assurer
nos activités.
QUATRIÈME PARTIE

Objets
Chapitre 12

Le fonctionnement
des bassins-versants
anthropisés

L’ÉCHELLE DU BASSIN-VERSANT est généralement considérée comme le


référentiel spatial approprié pour l’étude et la mise en place des politiques
environnementales liées à l’eau et aux transferts de matières associés et pour
appréhender les conséquences des changements globaux actuels (muta-
tions agricoles, changement climatique, etc.). L’objectif de ce chapitre est
de montrer comment les approches hydro-morphologiques associées aux
bassins-versants ont été amenées à évoluer ces dernières années, considé-
rant ce dernier non plus comme une entité uniquement topographique, mais
comme un hydrosystème complexe anthropisé pour lequel le géographe
apporte des éléments de compréhension utiles à la gestion des écoulements
et des transferts hydro-sédimentaires.

Des approches renouvelées


pour un objet classique
Souvent décrit au travers de ses caractéristiques physiques (géologie, pédo-
logie, topographie, etc.), le bassin-versant est un objet historique de la
géographie biophysique et peut sembler fonctionner d’une manière immuable.
Les processus biophysiques qui l’animent sont pourtant aujourd’hui lar-
gement hybridés avec des processus sociaux qui font du bassin-versant un
objet en perpétuelle évolution. Il peut être affecté par une diversité de trajec-
toires (périurbanisation, intensification des systèmes de production agricole,
déprise agricole, développements touristiques, etc.) qui se traduisent par
une évolution de l’occupation du sol, de la structure paysagère, des pra-
tiques de gestion, des aménagements, etc., à l’origine de modifications du
162 ! Géographie de l’environnement

fonctionnement du système. Il constitue donc un objet changeant dans le


temps et dans l’espace, ce qui amène le géographe à redéfinir continuelle-
ment l’appréhension de son fonctionnement, et parfois même à dépasser le
cadre fixe d’une seule délimitation physique.
Dans le même temps, des avancées d’ordre méthodologique permettent
des approches renouvelées de l’analyse des bassins-versants. Le développe-
ment de nombreux capteurs ainsi que l’expansion des réseaux de capteurs in
situ rendent possible une amélioration sans précédent des résolutions spa-
tiales et temporelles des mesures. De même, le recours accru aux outils de
simulation et de modélisation (Systèmes multi-agents ou SMA, Automates
cellulaires, modélisations en stock et flux, modélisations hydrauliques, etc.)
permet à la fois de simuler les dynamiques observées dans le cadre d’une
approche empirique classique et de mieux comprendre la manière dont
émerge la dynamique globale de fonctionnement d’un bassin-versant, car
cette dynamique est difficile à appréhender par une unique démarche de
terrain. Enfin, le développement des outils issus de la télédétection, de la
photogrammétrie ou encore l’expansion des couvertures LiDAR (Light
detection and ranging) permet une prise en compte améliorée de la topo-
graphie, de l’occupation du sol et des différents stades de croissance de la
végétation. La précision des diagnostics en est alors grandement améliorée.
Ces avancées font émerger de nouveaux enjeux scientifiques comme
la compréhension de la complexité spatiale et temporelle des flux d’eau,
de matières ou de sédiments dans les bassins-versants. Dans des envi-
ronnements complexes et changeants, la compréhension des processus
aux échelles intermédiaires constitue un enjeu majeur de recherche en
particulier dans le cadre d’une gestion intégrée des bassins-versants. Les
géographes biophysiciens cherchent ainsi à dépasser les approches menées
couramment jusqu’au début des années 2000 sous la forme de bilans
(hydrologiques, sédimentaires, etc.) basés sur des mesures réalisées à l’exu-
toire [FORT et al., 2013]. Ils tentent pour cela d’ouvrir les boîtes noires et
d’étudier la manière dont se construit la réponse biophysique des bassins-
versants [VIEL, 2012]. Ils mobilisent de plus en plus souvent des concepts
issus de l’analyse spatiale (couplages, connectivité, connexité, etc.) pour
comprendre la manière dont la structure et la fonctionnalité des flux qui
animent les bassins-versants influencent l’efficience des transferts dans
l’ensemble du système.
Le fonctionnement des bassins-versants anthropisés ! 163

Définir le bassin-versant et ses écoulements


La délimitation des bassins-versants
fortement anthropisés
La délimitation d’un bassin-versant constitue le point de départ de l’étude d’un
système fluvial. Elle revêt un intérêt scientifique et opérationnel évident, car les
surfaces drainées constituent le support des dynamiques à l’origine des apports
d’eau et de sédiments dans le chenal. Cette première étape, souvent considérée
comme banale, peut s’avérer délicate lorsque l’anthropisation vient modifier
les limites topographiques des bassins-versants. C’est le cas de nombreux bas-
sins montagnards dont l’eau est prélevée pour alimenter les grands barrages
hydroélectriques ou des bassins-versants périurbains pour lesquels le réseau
pluvial urbain peut drainer des surfaces topographiquement déconnectées.
Ainsi, les projets de transferts d’eau interbassins viennent-ils bousculer l’idée
intuitive qui consiste à faire du bassin-versant l’unité naturelle de gestion des
ressources en eau [GRAEFE, 2013]. Pour souligner cette aire d’influence hydro-
logique et hydraulique, le terme de « bassin-déversant » est parfois utilisé.
Le bassin-versant de la Mérantaise illustre bien ce décalage. Situé au sud
de l’agglomération parisienne, ce petit affluent de rive gauche de l’Yvette
(Essonne) présente un interfluve amont topographiquement peu contrasté
et fortement urbanisé. L’urbanisation du plateau a nécessité la mise en place
d’un réseau pluvial urbain qui augmente de 10 % les surfaces connectées au
chenal [JUGIE, 2018]. La connexion artificielle de ces surfaces bâties favorise
l’introduction dans le système fluvial d’un volume accru d’eau peu chargée
en sédiments dont les conséquences ne peuvent être appréhendées à l’échelle
du bassin-versant topographique. La connexion de ces surfaces artificielle-
ment connectées augmente l’intensité, la durée et la fréquence des crues.
Des réajustements hydromorphologiques du chenal peuvent également être
observés : l’urbanisation massive du plateau ces 50 dernières années, réalisée
au détriment de surfaces cultivées, enherbées ou boisées, favorise l’apparition
d’un déficit sédimentaire et donc un processus d’incision, souvent probléma-
tiques pour la gestion des ouvrages situés à proximité du chenal. La réalisation
d’un diagnostic basé sur l’échelle du bassin-versant doit donc nécessairement
prendre en compte la question parfois complexe de sa délimitation.

La définition des cours d’eau dans les bassins-versants


La définition de l’objet « cours d’eau » pose également question. Il est défini
d’un point de vue légal comme « les tronçons présentant un lit naturel, alimenté
par une source, et présentant un débit suffisant une majeure partie de l’année.
L’écoulement pouvant ne pas être permanent compte tenu des conditions
164 ! Géographie de l’environnement

hydrologiques et géologiques locales » (article L215-7-1 du Code de l’environ-


nement). Sur cette base a été établie, entre 2016 et 2019, une cartographie de
la France métropolitaine, à l’échelle départementale, des linéaires concernés
par l’application des réglementations s’appliquant aux cours d’eau. L’enjeu de
ces cartes est fort, car elles identifient les linéaires soumis à des réglementations
qui, par exemple, imposent aux exploitants agricoles le maintien en herbe d’une
bande de 5 m de part et d’autre du cours d’eau et des conditions d’épandage.
Or, si la définition paraît claire et évidente pour les grands systèmes fluviaux,
elle pose davantage de questions plus en amont, dans les zones d’initiation des
réseaux hydrographiques. Généralement affectés par des écoulements intermit-
tents, ces linéaires sont souvent artificialisés, rectifiés, prenant le plus souvent
l’aspect de fossés agricoles. Difficile dans ces conditions d’observer une rupture
claire entre fossés et lit naturel du cours d’eau, si tant est qu’un lit naturel puisse
être retrouvé aujourd’hui. Les cartes produites relèvent ainsi tout autant d’un
processus socio-politique que d’une caractérisation physique factuelle. Ainsi, en
France, le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a
demandé au préfet d’établir, dans chaque département, une cartographie des
cours d’eau par l’intermédiaire d’une procédure de concertation. Ce proces-
sus implique plusieurs acteurs (police de l’eau, profession agricole, associations
environnementales, organisation de bassin, etc.) ayant des objectifs différents.
Certains acteurs, en particulier issus du monde agricole, ont argumenté pour
une vision restrictive des linéaires identifiés comme des cours d’eau, c’est-à-dire
qu’ils ont demandé le déclassement de cours d’eau en fossé de drainage. L’objectif
est ainsi d’échapper aux réglementations qui concernent les cours d’eau comme
celle des « bonnes conditions agricoles et environnementales1 » qui détermine par
exemple l’implantation des bandes enherbées. D’un point de vue géomorpholo-
gique, les linéaires drainant les têtes de bassins-versants représentent pourtant
une longueur considérable à l’échelle française, notamment sur les substrats peu
perméables. Ils présentent des enjeux majeurs en matière de gestion de l’eau
(qualité et quantité) puisque c’est depuis ces ordres élémentaires que se construit
la réponse globale du bassin-versant en termes de transferts d’eau et de matières.

L’organisation des transferts


sédimentaires sur les versants
et leurs relations avec le cours d’eau
La structure paysagère d’un bassin-versant joue un rôle important sur les
dynamiques observées à l’exutoire. Dans un contexte de gestion intégrée des res-
sources environnementales, le géographe biophysicien est aujourd’hui amené à

1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000030556761&dateTexte=
20180930.
Le fonctionnement des bassins-versants anthropisés ! 165

réfléchir sur les relations entre paysage et processus. Il cherche à comprendre


comment l’organisation des flux sur les versants influence l’efficacité ou non des
transferts vers le cours d’eau. Il mobilise pour cela des concepts issus de l’ana-
lyse spatiale et s’interroge sur des questions de couplage et de connectivité qui
permettent d’évaluer la capacité des écoulements de surface à rejoindre le cours
d’eau. Cette relation paysage/processus peut être illustrée à partir de l’exemple
des transferts sédimentaires dans des bassins-versants bocagers dont la trame
paysagère complexe souligne l’intérêt de ce genre d’approche.

Complexité des dynamiques sédimentaires


sur les versants
Les paysages de bocage permettent de discuter de l’influence de la structure
paysagère sur la connectivité sédimentaire (figure 12.1). Historiquement liés
à l’élevage, ils sont traditionnellement associés à de petites parcelles agricoles,
majoritairement enherbées et encloses de haies disposées sur des talus. Ces
espaces sont généralement considérés comme garants d’une protection effi-
cace contre l’érosion des sols et les transferts sédimentaires, car l’érosion des
sols y est limitée par la forte proportion de surfaces en herbe et les piégeages
sédimentaires intermédiaires facilités par la présence de haies, de prairies ou de
mares, etc. La structure paysagère se caractérise aussi par un réseau de routes
et de fossés qui constituent de véritables collecteurs du ruissellement produit
dans les parcelles agricoles. Ces derniers peuvent conduire à des configura-
tions spatiales très efficaces permettant la connexion au cours d’eau de surfaces
parfois éloignées de ce dernier. L’ensemble forme alors un réseau de drainage
artificiel complexe qui modifie profondément la dynamique purement topo-
graphique des écoulements. Comprendre le signal géomorphologique issu des
versants revient dès lors à s’interroger sur l’efficacité des interactions existant
entre des paramètres physiques (par exemple, la topographie), des infrastruc-
tures anthropiques (par exemple, des haies et des fossés) et l’utilisation des sols.
Pour comprendre les dynamiques sédimentaires de ces bassins-versants,
la réflexion doit être menée à différentes échelles emboîtées. À l’échelle
locale, il est nécessaire d’évaluer la production sédimentaire et de voir dans
quelle mesure la localisation et les caractéristiques des structures linéaires
collectrices (fossés, routes, chemins, etc.) ou inhibitrices (talus, haies, etc.)
vis-à-vis des parcelles agricoles peuvent influer le transfert ou non du ruis-
sellement vers l’aval. À l’échelle du bassin-versant, l’objectif est d’identifier
la manière dont s’agence l’ensemble des liens permettant aux parcelles agri-
coles de contribuer ou non aux flux sédimentaires à l’exutoire. Si la réflexion
à l’échelle locale peut faire l’objet d’une approche empirique classique en géo-
morphologie, des outils numériques dédiés à la formalisation d’interactions
complexes sont nécessaires à l’échelle du bassin-versant pour comprendre la
166 ! Géographie de l’environnement

connectivité générale issue de l’assemblage de ruisseaux, de fossés, de haies


et de routes sur la cascade sédimentaire.

Figure 12.1 Complexité des dynamiques de ruissellement


en domaine bocager

Source : VIEL, 2012.

Apports de la simulation par SMA


Devant la complexité induite par la relation entre les processus physiques
d’écoulement/structure paysagère et la nécessaire prise en compte des effets
d’échelles, le recours à la simulation multi-agents revêt un intérêt non négli-
geable. Du fait de leur capacité à reproduire des dynamiques de fonctionnement
complexes, ils sont aujourd’hui utilisés dans de nombreuses recherches en géo-
graphie. Par exemple, le modèle LASCAR (Landscape structure and runoff),
développé sous la plateforme de simulation multi-agents NetLogo, permet de
reproduire la dynamique spatiale des écoulements de surface en s’appuyant
sur la capacité d’agents à se déplacer dans un environnement avec lequel
ils sont capables d’interagir. En appliquant des règles régissant le déplace-
ment d’agents « goutte d’eau » (sens de la pente, impact de l’occupation du
sol et des linéaires de la structure paysagère), il reproduit la dynamique spa-
tiale des flux d’eau à la surface d’un bassin-versant [REULIER et al., 2017].
Le fonctionnement des bassins-versants anthropisés ! 167

Les résultats issus de ce modèle pour le bassin-versant du Lingèvres (Calvados),


présentés en figure 12.2, montrent bien l’intérêt de ce type de simulation. Il
permet d’identifier les surfaces connectées au cours d’eau au fur et à mesure
de la prise en compte des différents éléments de la structure paysagère. Après
une simulation de la simple dynamique topographique, sont ainsi incrémentés
successivement les haies, les routes et fossés et enfin l’occupation du sol.
Sans surprise, lors de la première simulation, l’ensemble de la surface du
bassin-versant est structurellement connectée à l’exutoire (figure 12.2.1).
Lorsque l’on intègre le rôle des haies, les surfaces potentiellement contributives
tombent à 46,5 % (figure 12.2.2). Si la connectivité est indéniablement plus faible
que dans les paysages agricoles ouverts, la surface potentiellement connec-
tée à la rivière reste importante malgré une densité de haies élevée (62 m/ha).
Les zones connectées se situent principalement le long du cours d’eau et ne
s’étendent généralement pas en haut de versants. Lorsque l’on introduit le rôle
des routes et des fossés, la surface connectée à la rivière s’accroît pour atteindre
85 % de la surface du bassin-versant (figure 12.2.3). Les surfaces connectées
concernent alors les surfaces situées le long du cours d’eau, ce qui souligne le
rôle important joué par la densité de drainage qui multiplie les zones d’interface
entre les parcelles agricoles et le chenal. Elles sont cependant également situées
plus en amont sur les versants du fait du rôle joué par les réseaux de routes et
de fossés associés aux entrées de champs sur la structure spatiale de la cascade
sédimentaire. Cette organisation limite fortement l’impact bénéfique des haies
et augmente parallèlement les zones potentiellement connectées. La distance
entre les zones de production du ruissellement et le cours d’eau est alors for-
tement raccourcie, tout comme les seuils fonctionnels requis pour connecter
le ruissellement à la rivière. La densité de haies n’est donc pas un indicateur
pertinent pour évaluer le rôle hydrologique et géomorphologique de la struc-
ture paysagère. L’intégration de l’occupation du sol (figure 12.2.4) renforce ces
conclusions. En effet, les surfaces cultivées et connectées au cours d’eau sont
situées en tête de bassin-versant dans les zones d’initiation du réseau hydro-
graphique. Ces surfaces ne représentent qu’une petite partie de la surface du
bassin-versant, mais apparaissent comme potentiellement très efficientes du
fait de leur proximité avec le réseau hydrographique. Le rôle des prairies situées
dans les principaux fonds de vallées est quant à lui à nuancer, car il est réguliè-
rement court-circuité par les réseaux de fossés et de routes.
Cet exemple de la définition de la connectivité structurelle d’un bassin-
versant montre bien l’importance de prendre en compte le bassin-versant
comme un objet hybride à l’interface entre dynamiques physiques et construc-
tions anthropiques. Il souligne également tout l’intérêt d’une approche
combinant observations empiriques à échelle fine et simulations à l’aide
d’outils de modélisation. Les résultats démontrent le poids des structures
anthropiques dans le fonctionnement actuel des bassins-versants ruraux.
168 ! Géographie de l’environnement

Figure 12.2 Cartographie de la connectivité structurelle,


bassin-versant de Lingèvre (14)
Le fonctionnement des bassins-versants anthropisés ! 169

Aménagement hydraulique des cours


d’eau et continuité longitudinale
L’anthropisation des systèmes fluviaux influence également les flux sédimen-
taires observés dans les cours d’eau ainsi que la morphologie des fonds de
vallées. À titre d’exemple, le défrichement consécutif à la mise en valeur des
versants a modifié parfois fortement et définitivement les formes fluviales
plus en aval. Ainsi, en Normandie, la mise en culture des plateaux a favorisé
la mise en place de processus de ruissellement sur les versants et a augmenté
d’un facteur 20 les taux de sédimentation dans le fond de vallée de la Seulles à
partir de la fin de l’Âge du Bronze. Cet apport massif en sédiments limoneux
a provoqué la fossilisation du matériel grossier gravelo-sableux hérité de la
dernière période froide qui constituait le fond des chenaux et a favorisé la sim-
plification du style fluvial par l’abandon progressif des chenaux multiples qui
drainaient auparavant le fond de vallée. L’image des cours d’eau à méandres
s’écoulant au sein d’une plaine alluviale limoneuse, caractéristique des pay-
sages de fonds de vallées du nord et de l’ouest de la France constitue donc un
héritage des changements d’occupation du sol sur les versants au cours du
dernier millénaire et rend difficile la définition d’un état de référence dans le
cadre des diverses opérations de restauration écologiques menées depuis le
début des années 2000 [LESPEZ et al., 2015]. De plus, la maîtrise hydraulique,
stimulée par le développement des activités artisanales puis industrielles, a
modifié la géométrie hydraulique du chenal et les dynamiques sédimentaires
des systèmes fluviaux. Le nombre important d’aménagements créés tout au
long des cours d’eau depuis le Moyen Âge modèle de manière très prégnante
les morphologies fluviales contemporaines et multiplie les obstacles aux
transferts sédimentaires vers l’aval [BEAUCHAMP et al., 2017].
Cependant, la question de l’influence des seuils en rivière (hauteurs entre
20 cm et 5 m) et des barrages (hauteur > 5 m) sur la continuité sédimen-
taire est très complexe. Cette influence dépend en effet d’une multitude de
facteurs tels que la capacité de production sédimentaire du bassin, l’éner-
gie et les capacités de transport des cours d’eau, la taille et la gestion des
ouvrages, etc. Théoriquement, il faut distinguer l’influence des ouvrages
hydrauliques en amont et en aval de ceux-ci. En amont, seuils et barrages
présentent un frein à l’écoulement et génèrent une retenue d’eau au sein
de laquelle les vitesses sont ralenties. Les secteurs de radiers (propices à la
reproduction piscicole notamment) sont alors ennoyés et les transferts sédi-
mentaires sont modifiés. La charge de fond est stockée en queue de retenues
et une partie des matières en suspension (MES) se déposent par décantation
et comblent partiellement ces plans d’eau. En aval des ouvrages, si les débits
morphogènes sont peu modifiés (retenues de petite taille, arrêts d’exploi-
tation hydroélectrique en crue, etc.), le cours d’eau enregistre un déficit en
170 ! Géographie de l’environnement

sédiments grossiers (figure 12.3.A). Cela se traduit par un excès d’énergie


qui engendre à son tour un déséquilibre morphologique avec, potentielle-
ment, une activation forte des processus d’érosion (incision et élargissement
du chenal, érosion de berges, etc.) et des transferts sédimentaires (pavage du
fond du lit). Ces déséquilibres peuvent, dans le cas de déficits sédimentaires
sévères en contexte de forte énergie avoir des conséquences importantes
tant sur le plan écologique (disparition de la charge de fond et donc des
habitats associés) qu’économique (affouillement des piles de pont consé-
cutif aux incisions, endommagement de canalisation, perte de terrain par
érosion). Ces ajustements morphologiques se propagent progressivement
vers l’aval (nous parlons alors d’incision progressive et de pavage progres-
sif) jusqu’à ce que de nouvelles entrées de sédiments grossiers (issus des
affluents) soient suffisamment importantes pour compenser le déficit en
amont. Afin de limiter les conséquences morphologiques et écologiques des
déficits sédimentaires, différentes mesures favorisant la recharge sédimen-
taire en aval des ouvrages peuvent être mises en œuvre comme l’apport par
camion de sédiments prélevés mécaniquement dans le lit majeur ou des car-
rières proches ou encore la réactivation volontaire et maîtrisée des érosions
de berges pour remobiliser les anciens dépôts du lit majeur. Cette dernière
technique n’est envisageable qu’après une étude détaillée de la composition
des stocks sédimentaires du lit majeur afin de s’assurer qu’il s’agira bien de
remobiliser des stocks grossiers et non limoneux.
Bien entendu, l’intensité du piégeage sédimentaire et des ajustements
associés est dépendante de l’importance du transport solide dans le cours
d’eau, de l’énergie du cours d’eau, de la taille des ouvrages et de l’existence
ou non de rampes sédimentaires ou d’opérations de vidanges et d’ouvertures
de vannes par les opérateurs des ouvrages. Ainsi, dans le quart sud-est de la
France, l’impact de gros barrages a pu être mis en évidence sur de nombreux
cours d’eau de piedmont (ex. Isère, Ain, Rhône, etc.) alors que l’incidence des
seuils est moins évidente, notamment car ces derniers peuvent être parfois
comblés et ne plus représenter alors de barrière physique réelle. De même,
dans des régions de plus faibles pentes, et donc plus faible énergie (ex. côte
est des États-Unis, nord-ouest de l’Europe), la faible intensité des proces-
sus de transport de la charge de fond, l’anthropisation ancienne des cours
d’eau, les faibles capacités d’ajustement morphologique et la présence de
contrôles structuraux rendent difficile l’identification des relations directes
entre la présence de seuils voire de gros barrages et des dysfonctionnements
morphologiques des tronçons fluviaux. Par exemple, dans le nord-est des
États-Unis, dans la grande majorité des cas, Katherine Skalak et ses collègues
[2009] n’observent pas de différences entre les morphologies des tronçons
situés en amont et en aval d’ouvrages mesurant entre 1 et 60 m de haut
(figure 12.3.B).
Figure 12.3 Conséquences géomorphologiques des ouvrages en travers

A. Interruption du transfert sédimentaire et ajustements morphologiques en amont et aval des barrages ; B. Comparaison de la largeur des tron-
çons fluviaux en amont et en aval d’ouvrages (pour supprimer l’effet taille, la largeur est pondérée par la taille du bassin-versant), la droite y = x
Le fonctionnement des bassins-versants anthropisés

indique une égalité des largeurs entre l’amont et l’aval des ouvrages, mesure effectuée sur 15 sites du Maryland et de la Pennsylvanie.
!

Source : modifié d’après SKALAK et al., 2009.


171
172 ! Géographie de l’environnement

Cette complexité des transferts sédimentaires des rivières héritée de la


transformation par les activités agricoles des bassins-versants et par l’aména-
gement hydraulique du chenal démontre la nécessité de reconnaître la nature
hybride des rivières, de prendre en compte la diversité des contextes géogra-
phiques et, par conséquent, d’identifier des états de référence incluant à la
fois les processus biophysiques, les activités humaines qui y ont cours et les
héritages multiples.

Conclusion
Que ce soit par de grands aménagements ou par une évolution paysagère,
l’intervention humaine contribue aujourd’hui à modeler les dynamiques
hydrologique, écologique, sédimentaire des bassins-versants, en en faisant
un objet hybride à l’interface entre nature et société, parfois au-delà de leurs
limites physiques. Si les aspects physiques, en particulier par l’intermédiaire
de la gravité, constituent bien le support de l’ensemble des processus, les
sociétés définissent désormais pleinement les dynamiques qui y ont cours.
Les activités humaines doivent dès lors être considérées non pas comme
un simple forçage parmi d’autres, mais davantage comme une composante
cruciale de l’hydrosystème complexe que constitue le bassin-versant. Ainsi,
le géographe biophysicien, de par son attachement à l’analyse des relations
nature/société, sa capacité à comprendre les phénomènes spatiaux à diffé-
rentes échelles spatiales et temporelles et sa capacité à mobiliser des outils de
mesure permettant de quantifier et d’analyser finement les processus internes
aux bassins-versants, constitue un interlocuteur central à la fois pour les ques-
tions de fonctionnement, mais également de gestion des bassins-versants.
Chapitre 13

La végétation,
entre dynamiques
écologiques et territoriales

L’INTÉRÊT DES BIOLOGISTES et des écologues pour les espaces agricoles et


urbanisés s’est accru depuis les années 1990. Cela a conduit à mieux connaître
la diversité du vivant et à mettre en place de nouvelles approches dans le champ
de la préservation, comme la gestion différenciée des espaces verts par exemple,
et de l’aménagement des milieux, en particulier la question de la connectivité
écologique. Institutions environnementales et écologues collectent les don-
nées floristiques en nombre toujours plus important et les rendent facilement
disponibles. Pour l’Île-de-France, le Conservatoire botanique national du
bassin parisien (CBNBP) a par exemple lancé entre 2006 et 2015 une vaste
opération de cartographie des groupements végétaux avec pour objectif de
livrer aux pouvoirs publics un outil de spatialisation de la diversité végétale à
des fins de conservation botanique. Pourquoi les géographes devraient-ils dès
lors continuer à en faire de même et par leurs propres moyens ?
L’analyse de données naturalistes originales en géographie vise un autre
objectif : celui d’en interroger les logiques spatiales, sociales et territoriales,
sans lesquelles il est impossible de comprendre les politiques publiques
actuelles. La biogéographie possède un cadre bien établi de concepts et de
méthodes pour penser ces enjeux [ALEXANDRE et GÉNIN, 2011]. L’étude des
espaces végétalisés des pourtours de l’agglomération parisienne (espaces boi-
sés, zones agricoles, friches, zones humides, etc.) illustre bien la pertinence
de ce cadre. Un temps concerné par un projet de « ceinture verte » jamais
concrétisé, ils sont au cœur des préoccupations environnementales urbaines
contemporaines : préservation de la biodiversité, accès à des services éco-
systémiques, recherche d’un cadre de vie agréable, etc. L’étude de la flore
spontanée, selon des méthodes biogéographiques, permet de montrer les spé-
cificités anthropiques de la végétation, caractéristique de la nature au temps
de l’Anthropocène. Elle donne surtout à voir divers niveaux d’appropriation
174 ! Géographie de l’environnement

et de gestion de la végétation selon des logiques écologiques, mais aussi et


surtout territoriales. L’analyse géographique de données botaniques permet
ainsi de mettre en regard milieux, discours et territoires.

La flore des environs de Paris,


reflet des usages urbains
Le cas de la ceinture verte d’Île-de-France
Aménager et gérer les espaces végétalisés,
une longue histoire et des enjeux mouvants
L’intérêt pour la nature végétale en ville et autour des villes émerge à partir de
l’époque néoclassique, à la fin du XVIIIe siècle. Il s’agit d’embellir la ville dans
une perspective morale et sanitaire portée par les élites nobles ou bourgeoises
d’alors et visant la prospérité. Le romantisme fait de la végétation le symbole
de la nature au XIXe siècle : les citadins aisés s’éloignent alors vers la campagne
et les forêts comme l’illustre le mouvement des peintres de Barbizon en forêt
de Fontainebleau. Le courant hygiéniste investit quant à lui la végétation de
fonctions sanitaires mais aussi sociales, dont l’expression la plus aboutie est la
cité jardin pensée par l’urbaniste britannique Ebenezer Howard (1850-1928).
Les ceintures vertes s’inscrivent dans ce courant tout en cherchant à limiter
l’étalement urbain. C’est ainsi qu’en 1880, les acteurs de l’aménagement pro-
posent – sans résultats – une ceinture verte pour Paris sur l’ancien secteur des
fortifications, et sa zone non ædificandi de 250 m, alors gagnée par l’habitat
précaire. Ce sont des raisons plus esthétiques et patrimoniales qui poussent
l’agglomération londonienne à s’équiper plus durablement d’une ceinture verte
à partir de 1945. À Paris, il faut attendre le début des années 1980 pour que
le Conseil régional d’Île-de-France relance l’idée d’une ceinture verte autour
de l’agglomération. Pour ce faire, l’institution s’appuie sur les espaces ouverts
– c’est-à-dire non-bâtis – situés entre le cœur urbain et la couronne rurale.
Le projet vise à limiter l’étalement urbain mais l’objectif est plus largement de
valoriser, sur le plan environnemental et du cadre de vie, les territoires situés
entre la ville et la campagne. Si ce projet ne s’est jamais matérialisé, faute d’une
assise réglementaire et à cause d’une délimitation floue (figure 13.1), l’argument
écologique s’est concrétisé au sein d’outils de planification environnemen-
tale d’échelle régionale comme le Schéma régional de cohérence écologique
(SRCE) qui valorise les connectivités écologiques, ou le Plan vert de la région
Île-de-France de 2017 qui met en avant les services écologiques. Les enjeux
écologiques ont désormais tendance à masquer le rôle toujours prépondérant
des enjeux liés au cadre de vie, ainsi que les dynamiques sociales et territoriales
associées, dans l’aménagement des espaces végétalisés.
La végétation, entre dynamiques écologiques et territoriales ! 175

Le paysage végétal, reflet de l’hybridation de la nature


et de la culture
Le milieu, le paysage et le territoire sont trois concepts classiques en géographie
à l’importance renouvelée par la montée des questions environnementales dans
les sociétés contemporaines [BERTRAND et BERTRAND 2002]. Ce sont des outils pour
penser l’hybridation de la nature et de la culture que reflète la végétation. Le milieu
tout d’abord désigne l’espace biophysique : la flore en est considérée comme l’ex-
pression, voir le reflet, et son étude permet une analyse écologique. Chaque plante
dépend, de manière plus ou moins stricte, de conditions pédologiques, hydrolo-
giques, climatiques particulières pour croître.
Le territoire est l’espace de vie des sociétés où s’expriment des pratiques, des usages,
des modes d’habiter et d’aménagement. Mais comment lier la flore au territoire ?
comment inférer de l’étude des milieux une analyse territoriale ? Pour y parvenir,
il convient de s’appuyer sur le paysage. La position d’interface du paysage lui
donne une importance particulière s’affirmant comme une « construction sociale à
double dimension, matérielle, qui renvoie au support biophysique, et immatérielle
qui, elle, fait référence aux représentations et aux perceptions » [BERLAND-DARQUÉ
et al., 2007]. Dans une perspective géographique, il convient donc de comprendre
l’organisation matérielle du paysage et la place qu’y occupe la végétation.
L’écologie du paysage offre une grille de lecture pour y parvenir. Son vocabulaire
s’articule autour des éléments du paysage déclinés en tâches, corridors et matrices.
Cette façon de lire le paysage offre une grande souplesse de mise en œuvre dans
différents contextes avec des applications urbaines [CLERGEAU, 2007]. Les termes
employés soulèvent de manière implicite la question de l’échelle du paysage : où
s’arrête et où commence un paysage ? À la suite des propositions de l’écologue
Michel Godron, trois niveaux scalaires permettent de faire le lien entre dynamiques
écologiques et territoriales : l’échelle supra-paysagère, soit un espace aux dimen-
sions régionales (un secteur agricole, une grande vallée fluviale, etc.) ; l’échelle du
paysage lui-même, combinaison de facteurs anthropiques et biophysiques (une
forêt domaniale, les bords d’un cours d’eau, une zone d’openfield parsemée d’îlots
boisés, etc.) ; l’échelle infra-paysagère enfin, composée des éléments du paysage
– tâches, corridors, matrices – où se lisent les dynamiques écologiques et les choix
de gestion des milieux (une haie bocagère, une ripisylve, une prairie de fauche, etc.).

Un entre-deux ville/campagne au paysage fragmenté


et socialement hétérogène
Géographes et écologues se sont appuyés sur la notion de gradient
d’urbanisation ou de gradient de verdure pour étudier la végétation des
périphéries des agglomérations. Or, la situation d’entre-deux qui est celle
de la ceinture verte nous invite à élaborer une autre méthodologie davan-
tage centrée sur la structure du paysage à plusieurs échelles de manière à
faire le lien entre dynamiques écologiques et territoriales (cf. encadré ci-
dessus). À l’échelle supra-paysagère, une typologie peut mettre en évidence
176 ! Géographie de l’environnement

la diversité des contextes rencontrés. En croisant les modes d’occupation du


sol, la topographique à l’aide d’un modèle numérique de terrain ainsi que des
critères socio-économiques comme le revenu médian par habitant à l’échelle
communale, trois terrains d’études ont été retenus, jugés représentatifs de
la diversité des configurations spatiales et des politiques d’aménagement
(figure 13.1). Un premier terrain prend position en Plaine de France : dominé
par l’agriculture, il subit les dynamiques de mitage urbain dans un contexte
plutôt défavorisé. Un second terrain se situe en Vallée de Chevreuse, sur
un secteur de vallée, dans un contexte socio-économique valorisé occupé
par un Parc naturel régional. Le dernier représente des espaces plus frag-
mentés et hétérogènes sur le plan paysager ; il inclut la Vallée de l’Oise, la
forêt domaniale de Montmorency ainsi que la vaste plaine abandonnée de
Pierrelaye. Des entités paysagères ont été définies à l’échelle de ces trois
terrains et une campagne de relevés botaniques, selon un échantillonnage
stratifié (cf. encadré suivant), a eu lieu, prenant appui sur les éléments végé-
talisés les plus spontanés qui composent les paysages étudiés (à l’exclusion
des jardins pavillonnaires, des parcs urbains et des cultures, ouvertement
aménagés) (figure 13.3).

Figure 13.1 Carte d’occupation des sols en ceinture verte d’Île-de-France


et terrains d’étude retenus

Source : ROUSSEL, d’après l’IGN 2011.


La végétation, entre dynamiques écologiques et territoriales ! 177

Une part prépondérante d’espèces


anthropophiles autochtones
Parmi les 517 espèces végétales identifiées dans la ceinture verte d’Île-
de-France, les plus fréquentes (tiers des relevés) dessinent le portrait d’une flore
fortement marquée par l’anthropisation. Ces espèces ont ainsi pour point com-
mun leur plasticité écologique : c’est en particulier le cas des herbacées que sont
le dactyle aggloméré (Dactylis glomerata), le lierre terrestre (Glechoma hedera-
cea), ou la benoîte commune (Geum urbanum). Elles sont aussi caractérisées
par leur capacité à pousser dans des milieux perturbés (on les qualifie alors de
rudérales) : les espèces ligneuses ou sous-ligneuses que sont le frêne (Fraxinus
excelsior), la ronce bleuâtre (Rubus cæsius), l’érable sycomore (Acer pseudopla-
tanus), le lierre (Hedera helix), ou encore l’aubépine (Cratægus monogyna) et
le sureau noir (Sambucus nigra). D’autres mêlent les deux caractéristiques avec
une tendance à la prolifération dans les milieux à forte présence de nitrates,
ainsi l’ortie dioïque (Urtica dioica) et le gaillet gratteron (Galium aparine).
Toutes sont des espèces autochtones mais ont souvent mauvaise réputation
auprès des citadins. Ce sont des plantes urticantes (ortie), piquantes (ronces,
aubépine), ou accrochantes (gaillet gratteron). Elles peuvent avoir un caractère
foisonnant voire envahissant – c’est particulièrement vrai pour le lierre, la ronce
commune (Rubus fruticosus) et l’ortie. S’esquisse ainsi le portrait d’une flore à
laquelle colle l’étiquette de la banalité, bien adaptée aux conditions climatiques
et édaphiques locales néanmoins, ne faisant que peu écho aux critères esthé-
tiques et sensoriels des citadins en quête de nature. Très répandues, ces espèces
(ronces, orties, lierre) ne retiennent pas non plus l’attention des politiques en
faveur de la biodiversité et de l’harmonie des paysages. Synonymes d’abandon
et d’absence d’entretien, elles correspondent à des situations de marges, tant
du point de vue paysager que des contextes socio-économiques.

Une géographie des usages plus que des milieux


L’analyse factorielle des correspondances (AFC) constitue une approche sta-
tistique exploratoire des facteurs qui gouvernent à la répartition spatiale de
la flore (cf. encadré).

L’analyse statistique de données botaniques,


outil précieux de l’approche biogéographique
Étudier la flore d’un espace suppose de procéder à un échantillonnage, c’est-à-dire
à une sélection de lieux où prélever les données. Michel Godron et Philippe Daget
[1982] notent que : « […] l’échantillonnage est apparu comme une procédure dont
l’objectif est de poser des questions précises à la Nature. » Toute méthode est guidée
par des objectifs définis en fonction d’enjeux géographiques et sociaux spécifiques.
178 ! Géographie de l’environnement

Dans le cas présent, il s’agit de comprendre les dynamiques socio-environnementales


dans les espaces végétalisés des pourtours de l’agglomération parisienne. Le prin-
cipe de l’emboîtement des échelles du paysage rend possible la mise en place d’un
échantillonnage qualifié de stratifié, qui consiste à retenir pour l’analyse un nombre
d’objets représentatif au sein de chacune des échelles paysagères.
Les relevés botaniques prennent place à une échelle infra-paysagère. La mise en
place de l’échantillonnage stratifié assure ainsi que les données botaniques col-
lectées sont représentatives à la fois du paysage étudié et des caractéristiques
régionales. Tous les types biologiques sont pris en compte dans le relevé : plantes
ligneuses (phanérophytes, chaméphytes) herbacées vivaces (hémicryptophytes
ou géophytes) ou annuelles (thérophytes). La méthode dite de l’aire minimale,
empruntée à la phytosociologie est ici retenue.
Les données floristiques issues des relevés botaniques sont ensuite disposées au sein
d’un tableau de données indiquant la présence ou l’absence de chaque espèce dans
les lieux de relevés. L’objectif est de mettre en évidence, à l’aide d’analyses statistiques
multivariées, les espèces présentes ensemble en un même lieu et inversement les lieux
qui accueillent les mêmes espèces [KENT, 2011]. Dans un contexte d’occupation du
sol hétérogène où les espaces végétalisés sont fragmentés, elles facilitent l’identi-
fication à la fois de facteurs organisateurs – ce que permet l’analyse factorielle des
correspondances (AFC) – et de groupements ou typologies – que l’on peut obtenir
par classification ascendante hiérarchique (CAH). Dans une AFC, les relevés consti-
tuent les individus, donc la population statistique, les espèces étant quant à elles
les variables qualitatives. L’interprétation des résultats de l’AFC se fonde sur divers
indicateurs, certains d’ordre arithmétique (inertie globale, valeur propre et pourcen-
tage d’inertie de chaque axe factoriel), d’autres d’ordre géométrique (projection sous
forme d’un nuage de points – cf. figure 13.2). La CAH livre à l’analyse une série de
regroupements de relevés les plus ressemblants et de moins en moins nombreux, sous
la forme d’un dendrogramme. L’analyse de la distance entre deux groupements dans
le dendrogramme sert de critère pour définir le nombre adéquat de groupes retenus.
Ces groupes peuvent être apparentés à des communautés végétales.

L’étude des indicateurs arithmétiques et géométriques indique ici le rôle


déterminant des aménagements humains comme principal facteur d’organisa-
tion de la flore aux abords de l’agglomération parisienne, et très peu celui des
conditions biophysiques du milieu. Il faut cependant noter le faible poids des
axes factoriels (l’axe F1 n’est responsable que de 6,5 % de l’inertie de la matrice
de données, figure 13.2). Les plantes sont donc globalement mélangées. L’AFC
met cependant en évidence le poids du facteur paysager : au-delà de l’opposi-
tion un peu triviale entre des communautés herbacées en contexte agricole et
des communautés forestières mise en évidence par l’axe F1, l’analyse statistique
permet surtout ici de discuter de l’état du paysage, de sa qualité et des territoires
dont il est le reflet. En effet, la CAH (cf. encadré ci-dessus), permet d’envisager
une typologie des communautés végétales. Six groupes ont été ici considérés
comme pertinents. Le positionnement de ces groupes sur le graphique de l’AFC
La végétation, entre dynamiques écologiques et territoriales ! 179

(figure 13.2), permet d’identifier des communautés essentiellement définies par


le degré d’aménagement des espaces végétalisés. Seules les prairies et friches
hygrophiles font ressortir un facteur biophysique, en l’occurrence l’humidité
des sols. Une cartographie de ces groupes, associée aux entités paysagères
identifiées, confirme l’influence du paysage environnant dans leur répartition
comme en témoigne le cas de la Vallée de Chevreuse (figure 13.3) :
• les bois de châtaigniers sont liés au contexte topographique et à la sylvi-
culture ;
• les bois rudéraux à lierre et frêne s’insèrent isolément dans le tissu urbain
ou agricole ;
• les friches herbacées à brome stérile sont dépendantes du contexte agri-
cole ambiant ;
• les prairies et friches à dactyle aggloméré sont liées à un entretien paysa-
ger par fauche ou élevage ;
• les prairies et friches hygrophiles relèvent quant à elles de fonds de vallée
soit préservés soit délaissés ;
• les friches à ortie et benoîte parmi les communautés les plus ensauvagées,
sont quasi absentes de ces paysages très fabriqués.

Figure 13.2 Analyse factorielle des correspondances


des espèces identifiées sur les 3 terrains d’étude

Positions des relevés (n = 252) sur les deux premiers axes factoriels de l’AFC selon les groupes
obtenus par CAH.
Source : ROUSSEL, 2017.
180 ! Géographie de l’environnement

Figure 13.3 Relevés botaniques réalisés dans le secteur


de la Vallée de Chevreuse

Communautés végétales et occupation du sol, d’après des photographies aériennes de l’IGN


datée de 2013.
Source : ROUSSEL, 2017.

Des enjeux écologiques et sociaux mêlés


Pour comprendre la géographie de la végétation sur les pourtours de
l’agglomération parisienne, il faut donc passer par une contextualisation
territoriale qui lie les caractéristiques floristiques des milieux étudiés aux
projets d’aménagement locaux, aux discours portés sur les espaces végétali-
sés et plus généralement aux contextes socio-économiques. Deux études de
cas illustrent les logiques à l’œuvre et comment celles-ci se reflètent dans la
végétation.

La biodiversité au secours de la réintégration


des espaces marginaux : le cas du parc
de la Patte d’oie à Gonesse
Il existe dans la ceinture verte des portions d’espace qui ont fait l’objet d’une
revégétalisation dans des contextes où continuent de s’étendre les activités
non désirées par la ville. Les multiples buttes d’enfouissement des déchets
La végétation, entre dynamiques écologiques et territoriales ! 181

de la Plaine de France en sont un exemple parlant. Le parc de la Patte d’oie,


inauguré en juin 2017 à Gonesse (Val-d’Oise) sur les bords du Crould, répond
ainsi à des enjeux environnementaux désormais classiques en pareil contexte.
Le site Internet de la ville de Gonesse annonce : « Le parc est préservé pour
favoriser la biodiversité […]. Seules entorses à la nature “sauvage”, des sen-
tiers en terre, un parcours sportif, des bancs et des tables de pique-nique qui
assureront le confort des promeneurs […]. Ce nouveau “poumon vert” de
Gonesse permettra également la mise en place d’actions de sensibilisation à
la biodiversité […]. » Biodiversité, nature « sauvage » ou « poumon vert » sont
convoqués pour définitivement tourner la page de la période d’enfouisse-
ment des déchets. Nous sommes bien ici en présence d’aménagements pour
lesquels la végétation participe d’une revalorisation sociale d’un territoire
déprécié. Que nous disent les données floristiques collectées ?
Seules quelques prairies humides à roseau (Phragmites australis) et
quelques boisements de saule cendré (Salix cincerea) ou saule blanc (Salix
alba) correspondent au contexte édaphique hygrophile, et se rapprochent
de ce fait le plus de l’effet de nature « sauvage » souhaitée. Les boisements,
très ouverts, sont installés sur les pentes des buttes d’enfouissement. Difficile
au premier abord de faire le tri. Les relevés botaniques réalisés sur ce secteur
appartiennent aux groupes des friches herbacées à brome stérile, des friches
à ortie dioïque et benoîte commune et des prairies fauchées à dactyle agglo-
méré, soit des milieux à la flore très anthropophile. En certains endroits,
se signalent ainsi des espèces qualifiées d’invasives comme les robiniers
faux-acacias (Robinia pseudoacacia), les renouées du Japon (Reynoutria
japonica) et les buddleias (Buddleia daividii), autant d’indices du caractère
perturbé des sols en place. À côté de ces dynamiques spontanées, les relevés
indiquent assez sûrement la main paysagère des humains, par exemple avec
de larges et longues bandes buissonnantes de cornouillers soyeux (Cornus
sericea), plante originaire d’Amérique du Nord. Ailleurs, ce sont des érables
argentés (Acer saccharinum) qui émergent çà et là, espèce elle aussi origi-
naire d’Amérique du Nord. Ailleurs encore, des pins noirs sont plantés. Des
échappées de jardin parsèment enfin la zone, tels les cotonéasters laiteux
(Cotoneaster lacteus) et à feuille de saule (Cotoneaster salsifolius) ou les
viornes à feuilles ridées (Viburnum rhytidophyllum), tous trois présents en
un même relevé, témoignant de la proximité des parcs et jardins dont ils
sont issus. Cette diversité spécifique très métissée fait écho aux pratiques
passées – des remblais sur un site d’enfouissement des déchets – mais aussi
actuelles – un lieu de promenades et de loisirs – et enfin futures – redyna-
miser un territoire défavorisé, la commune de Gonesse possédant un revenu
médian parmi les plus bas de l’Île-de-France. Discours et communication
témoignent d’une écologisation mais la végétation et les espèces donnent à
voir le caractère très anthropique de la zone.
182 ! Géographie de l’environnement

Certes, des initiatives ont mis en évidence l’importance et le rôle bio-


logique d’une flore ordinaire mais cette valorisation fut une manière de
décliner la notion de biodiversité à une échelle locale et dans des contextes
déjà très anthropisés, voire urbanisés. De fait, les projets de nature en ville
comportent tous une dimension de marketing territorial, liée au rayonne-
ment des métropoles. La biodiversité y est un argument patrimonial qui vise
à l’amélioration du cadre de vie, en témoigne cette intervention du conseiller
municipal de Gonesse en charge des espaces verts dans la revue municipale :
« La biodiversité fait partie du patrimoine de la ville et l’ouverture du parc
de la Patte d’oie est un pas de plus dans l’amélioration du cadre de vie des
Gonessiens. Au total, la ville va désormais compter 200 hectares d’espaces
verts » (Revue Le Gonessien n° 231 de juin 2017). Nous sommes bien ici en
présence d’aménagements urbains pour lesquels la végétation participe d’un
projet social.

La nature, idéal de cadre de vie :


le cas de la Vallée de Chevreuse
La vallée de l’Yvette est incluse pour partie dans le périmètre du PNR de la
Haute Vallée de Chevreuse. Le secteur est habité par des populations avec un
haut niveau de revenu (deux fois plus important sur la commune de Gif-sur-
Yvette par rapport à celle de Gonesse) qui sont à l’origine de la labellisation en
PNR en 1985. Le secteur possède en outre des installations tertiaires de haut
niveau : pôles universitaires (École polytechnique, INRA, Faculté d’Orsay) ou
de recherche. L’attention dont font l’objet les paysages ruraux ou forestiers
des PNR franciliens produit des aménagements ou décisions qui vont en fait
dans le sens d’une appropriation habitante. Le bassin de Coupières illustre le
soin apporté à la préservation des zones humides (figure 13.4). Conçu dans le
cadre d’une gestion écologique des crues de l’Yvette par le Syndicat intercom-
munal pour l’aménagement hydraulique de la vallée de l’Yvette (SIAHVY), le
bassin de Coupières a aussi retenu l’attention du PNR dans le cadre de sa charte
2011-2023. Il y est notamment question de préserver le paysage et l’écologie, la
zone du bassin étant désignée comme « zone d’intérêt écologique à conforter ».
De fait, la prairie humide, identifiée comme tel dans notre analyse statistique,
est composée d’espèces hygrophiles peu communes en Île-de-France mais très
couvrantes telles que la laîche à ampoules (Carex rostrata), ou plus éparses,
tel que le lychnide fleurs de coucou (Silene flos-cuculi). Comme le montre la
figure 13.4, les pourtours du bassin n’en sont pas moins aménagés, en témoigne
la présence des peupliers sur la droite ou la promenade sur la berge que l’on
distingue au loin, à proximité des maisons. En arrière-plan, la végétation arbo-
rée mêle en réalité jardins et boisements qui, entrecoupés par la voie ferroviaire
du RER B, se prolongent sur les hauteurs avec le bois d’Aigrefoin.
La végétation, entre dynamiques écologiques et territoriales ! 183

Figure 13.4 Le bassin de Coupières à Gif-sur-Yvette

Source : ROUSSEL, juillet 2015.

La Mérantaise, toujours sur la commune de Gif-sur-Yvette, a récemment


fait l’objet de travaux similaires. Le site Internet du SIAHVY les présente
ainsi : « La restauration de la zone humide de la Mérantaise a été réalisée dans
le cadre du projet ambitieux du rétablissement de la continuité écologique de
la Mérantaise. Les travaux ont consisté à rouvrir par de l’abatage de frênes, le
fond de bassin. Cette action a permis d’augmenter la capacité de stockage du
bassin de la Mérantaise en période de crue et également à favoriser divers habi-
tats propices à la flore et la faune des zones humides (amphibiens, odonates,
végétaux…). » Une véritable ingénierie est ainsi convoquée pour développer
la multifonctionnalité des espaces végétalisés au profit du fonctionnement
urbain, des pratiques habitantes et de leur cadre de vie, argument qui n’est
pas mis en avant dans la citation. Au vu des paysages produits et des aména-
gements périphériques que connaissent les bassins, le doute n’est pas permis.
Non loin, la préservation des prairies est due à la pratique de l’équitation. La
campagne ainsi conservée l’est en fait pour des pratiques récréatives à desti-
nation là encore des citadins. La flore nous montre l’effet du surpâturage des
chevaux sur les prairies : l’omniprésence de la renoncule âcre (Ranunculus
acris) dans le paysage végétal témoigne de cette pression sur la flore herba-
cée. Cette plante communément appelée bouton d’or est en effet délaissée
par les animaux – elle porte la raison de ce dédain dans son nom mais aussi
dans son caractère vénéneux, y compris pour les humains. Il en va de même
184 ! Géographie de l’environnement

pour les patiences à feuilles obtuses (Rumex obtusifolius) qui parsèment çà et


là les prairies rases. La flore nous renseigne sur les véritables dynamiques bio-
physiques, c’est-à-dire spontanées ; les milieux les plus rares écologiquement
sont préservés dans le cadre d’une ingénierie écologique qui s’appuie sur une
certaine idée du cadre de vie, à l’attention de populations aisées et d’activités
au rayonnement national voire international.

Conclusion
À l’heure de l’Anthropocène, la biogéographie offre ainsi un cadre théorique,
méthodologique et des outils pour lier enjeux écologiques et territoriaux.
Chaque espèce rencontrée nous dit quelque chose du rapport des acteurs de
l’aménagement des espaces végétalisés, habitants, institutions, élus, à un lieu,
à un environnement. Par-delà les discours sur la nature, l’étude géographique
de la végétation donne ainsi à voir les dynamiques sociales, les choix poli-
tiques et l’intrication des fonctions attribuées aux espaces végétalisés.
Chapitre 14

Les limnosystèmes :
les retenues d’eau
en arrière des barrages
artificiels

LES PLANS D’EAU sont un objet de recherche géographique grâce à la création


de la géographie limnologique, en particulier en France [BROC, 2010]. Cette
discipline place lacs et étangs au cœur du fonctionnement hydrographique.
Pour ne pas négliger l’importance des interventions anthropiques dans le
fonctionnement de ces milieux, elle étudie à la fois les bassins-versants et les
bassins de vie [TOUCHART et al., 2014]. Ce chapitre est consacré plus spéci-
fiquement aux plans d’eau artificiels, extrêmement nombreux et continuant
à croître, hormis en Occident. Les lacs artificiels de la planète représentent
un volume de 6 370 km3 soit un volume à peu près équivalent au volume
des lacs naturels et encore, les géants naturels que sont la Caspienne et le
Baïkal contiennent-ils à eux seuls la moitié du total. Le nombre total de
lacs montre encore plus nettement l’importance des plans d’eau artificiels.
Si l’on ne considère que les grands barrages – ceux qui dépassent 15 m de
hauteur –, ils sont environ 60 000 dans le monde, alors que les lacs natu-
rels (entendus comme des plans d’eau de plus de 100 ha de superficie), sont
127 000 [POURRIOT et MEYBECK, 1995]. En ce sens, près de la moitié des
lacs mondiaux seraient artificiels. Ces plans d’eau révèlent parfaitement le
mélange entre les dynamiques biophysiques, les pratiques et les représenta-
tions sociales.
186 ! Géographie de l’environnement

Le limnosystème résultat d’une coévolution


entre la société et la nature
Les plans d’eau artificiels, objets hybrides
La bibliographie internationale s’entend généralement sur le fait que les
lacs se distinguent des étangs par une superficie supérieure à cent hectares,
une profondeur de plus de six mètres et un volume de plus d’un million de
mètres cube. Les étangs sont considérés par certains comme étant exclusi-
vement artificiels, ce critère étant pour eux définitoire comme le sont leur
caractère vidangeable et leur vocation piscicole. Cependant, même pour
ceux qui regardent les étangs comme des plans d’eau de taille intermédiaire
entre la mare et le lac, quelle que soit leur origine [TOUCHART, 2007], il est
bien entendu que la plupart des étangs ont une origine anthropique et une
fonction avant tout piscicole, quoique souvent élargie à d’autres usages. De
nombreux étangs sont anciens et datent de l’époque médiévale. Dans cer-
taines régions comme la Brenne ou la Dombes, les étangs sont régulièrement
vidangés et leur caractère artificiel est entretenu, mais, dans d’autres régions,
comme le Limousin ou le massif Armoricain, nombre d’entre eux, pourtant
d’origine artificielle, évoluent presque comme des plans d’eau naturels, non
vidangés pendant plusieurs décennies, largement comblés de sédiments, évo-
luant vers l’eutrophisation, la marécagisation, et alimentant leur émissaire
par surverse. Il y a là déjà une ambiguïté sur le statut de ces objets, d’origine
artificielle. Peuvent-ils être envisagés comme des infrastructures naturelles ?
Bien qu’il ait existé des lacs artificiels dès l’Antiquité, en Chine, en Inde,
au Japon ou encore en Égypte, force est de reconnaître que le grand siècle
de leur construction a été le XXe siècle. Le nombre de grands barrages dans
le monde est ainsi passé de 5 000 à 45 000 des années 1950 aux années 1990,
et les constructions se poursuivent. La grande majorité des lacs de barrage
est donc très récente, leurs rivages sont peu évolués, n’ont pas fini de se
régulariser, la sédimentation dans les plus grandes profondeurs est encore
peu épaisse, d’autant plus qu’ils sont généralement vidangés régulièrement.
Dans un pays comme la France, pourtant très riche en lacs de barrage et l’une
des grandes puissances hydroélectriques mondiales, le nombre d’étangs est
d’environ mille fois supérieur à celui des lacs. En effet, Électricité de France
(EDF) recense aujourd’hui environ 450 lacs de barrage, dont 220 produisant
de l’hydroélectricité, alors que Pascal Bartout et Laurent Touchart [2013]
ont recensé 554 566 plans d’eau de plus d’un are, dont 251 289 étangs au
sens strict.
Ce qui définit ces objets par rapport aux autres composantes de l’hydrosys-
tème, c’est la stagnation des eaux de surface. Mais il faut bien avoir à l’esprit
que cette stagnation est en fait plutôt une augmentation de la résidence en
Les limnosystèmes : les retenues d’eau en arrière des barrages artificiels ! 187

un lieu des eaux superficielles dont la durée peut-être très variable. Ainsi, en
moyenne, malgré des exceptions, le temps de séjour des eaux dans les plans
d’eau retenus derrière un barrage artificiel est plus court que celui des plans
d’eau naturels. En effet, les digues ou les chaussées barrent un bassin hydro-
graphique qui possédait un réseau fluvial hiérarchisé, alors que nombre de
plans d’eau naturels (lacs volcaniques de caldeira, de cratère, de maar, lacs de
culot de glace morte de type kettle, etc.) ne sont alimentés que par un bassin-
versant élémentaire ou de petite taille. Ainsi la moyenne du temps de séjour
de l’eau dans les 14 289 étangs limousins est de 28 heures et une moyenne
pondérée par leur superficie donne 9 jours. Ces valeurs sont évidemment
variables d’un étang à l’autre (tableau 14.1).

Tableau 14.1 Comparaison du temps de séjour des eaux d’étangs limousins


Temps de séjour
Superficie (m2) Volume (m3) (jours)
De Cieux 346 300 572 427 43
Du Theil 21 870 23 285 4,2
Des Garennes 15 490 12 007 1,6
De la Ramade 620 000 700 000 19,6
Du Château 4 300 9 720 7

Le limnosystème : un anthroposystème
Même dans le cas des lacs naturels, donc a fortiori dans celui des plans d’eau
d’origine artificielle, Laurent Touchart et Pascal Bartout [2018] militent pour
reconnaître dans tout plan d’eau un limnosystème considéré comme un
anthroposystème limnique (figure 14.1). Cela signifie que le plan d’eau doit
être envisagé comme un système interactif entre l’écosystème et le sociosys-
tème, fondé sur leur coévolution fonctionnelle [LÉVÊQUE et al., 2003]. Cela
conduit les scientifiques à étudier les processus physiques à l’œuvre au sein du
plan d’eau et les activités humaines, les uns et les autres étant en interaction
permanente, mais l’image que les sociétés riveraines ont du plan d’eau est éga-
lement transformée par cette approche. Se distinguant de l’hydrosystème, trop
souvent fluvio-centré, le limnosystème assume d’être centré sur le plan d’eau,
trop souvent présenté comme un accident dans l’hydrosystème, donc un per-
turbateur, même quand il est d’origine naturelle. Il constitue à la fois un aval
collecteur et un amont moteur des processus biophysiques, rend des services
écosystémiques, crée de la valeur économique, contribue au lien social et par-
ticipe à l’identité territoriale, et construit de véritables « territoires limniques »
[BARTOUT et TOUCHART, 2017]. Ces réflexions conceptuelles peuvent s’appli-
quer concrètement et se décliner à de multiples échelles, comme la limnorégion,
le territoire limnique ou encore la personnalité géographique de chaque lac.
188 ! Géographie de l’environnement

Figure 14.1 Le limnosystème, un concept de géographie limnologique


adapté à l’étude des plans d’eau comme objets hybrides
LIMNOLOGIE
GÉOGRAPHIE
(forelienne)
Centrage sur l’écosystème lentique Importance des échelles
spatio-temporelles

GÉOGRAPHIE LIMNOLOGIQUE

ÉCOSYSTÈME

Interrelations BIOGÉOCENOSE
biocénose
biotope Système
ouvert
ANCI spatialisé
EN
Relat LIMNOSY
ions
bassi STÈME
MICROCOSME n - la
c
Système
LIMNOSYSTÈME
fermé - centré sur le plan d’eau
- opérationnel pour le plan d’eau
Échelles
- coévolution homme - nature spatio-temporelles GÉOSYSTÈME
en plan d’eau naturel ou artificiel structure,
- liens multiscalaires : fonctionnement,
entre système internes comportement
fermé et ouvert au plan d’eau
SOCIO- Valorisation Géolimnosystème Limnogéosystème
SYSTÈME des actions
sociales
SYSTÈME Caractérisation
HYDRO-SOCIAL
lac - étang - mare 4 dimensions

Coévolution
nature - société HYDROSYSTÈME

ANTHROPOSYSTÈME

ÉCOSYSTÈME Concept Système Partie de concept empruntée


existant LIMNOSYSTÈME
fermé pour le limnosystème

Discipline Caractéristique disciplinaire Concept nouvellement


GÉOGRAPHIE scientifique Centrage mobilisée pour le limnosystème redéfini

Source : TOUCHART et BARTOUT, 2018.


Les limnosystèmes : les retenues d’eau en arrière des barrages artificiels ! 189

Un élément clé du limnosystème : la température


La température de l’eau conditionne d’abord directement un certain
nombre de phénomènes physiques ou de réactions chimiques. En parti-
culier, sa diminution augmente la solubilité d’un certain nombre de gaz,
comme l’oxygène, nécessaire à tous les animaux aquatiques et à la décom-
position bactérienne, et l’azote, que les cyanobactéries ont la capacité de
fixer. Elle a également pour conséquence de provoquer des différences de
densité des masses d’eau, qui tendent à se superposer les unes aux autres.
Cela stabilise la tranche d’eau et rend difficiles ou impossibles les échanges
verticaux et les mélanges. Les gaz de surface, comme l’oxygène, ne peuvent
se répartir en profondeur, les calories demeurent au sommet de la colonne
d’eau, les substances nutritives relâchées par les vases du fond ne peuvent
remonter vers la surface et être consommées. À l’inverse, quand la strati-
fication est détruite, l’homothermie favorise les échanges. Dans les étangs,
plus encore que dans les lacs où la course du vent, plus longue, permet un
brassage forcé plus important, c’est la température qui est le grand moteur
du mouvement ou de l’absence de mouvement vertical de l’eau. C’est elle
qui conditionne le fonctionnement trophique de l’ensemble du plan d’eau,
sa bonne santé ou non.
Ainsi, elle détermine les conditions de vie au sein de la masse d’eau. La
plupart des organismes peuplant les étangs sont pœcilothermes : la tempé-
rature de leur corps dépend de celle de l’eau et leur activité aussi. Leur vie
n’est possible que dans un intervalle de tolérance borné par deux tempéra-
tures dont le dépassement provoque leur mort. À l’intérieur de cet intervalle
se trouve un espace de normalité thermique, au sein duquel les principales
fonctions de l’organisme s’accomplissent correctement, en particulier la
croissance. La taille atteinte lors des stades de développement successifs et le
poids des organismes sont également liés à la température. Quant au temps
qui sépare chaque stade, il se réduit chez la plupart des êtres vivants avec
l’augmentation de la température, parfois même le nombre de stades, comme
chez certaines larves de libellules.
Concernant les liens entre l’écosystème et le sociosystème, la tempéra-
ture de l’eau se place à une articulation décisive mais problématique. Les
pisciculteurs préfèrent habituellement une eau chaude, laquelle augmente
la productivité. L’indice de consommation croît en effet avec la chaleur de
l’eau, ainsi que la digestibilité des protéines. Il est vrai que cette évolution
s’accompagne d’une diminution de l’oxygène, mais une oxygénation artifi-
cielle permet d’y remédier. Les pêcheurs en étang, souvent dans le cadre de
loisirs familiaux, sont généralement favorables, jusqu’à un certain point, à
une température élevée, qui accroît la biomasse totale, alors que les pêcheurs
en cours d’eau penchent plutôt pour une température basse, en particulier
dans les régions concernées par les salmonidés.
190 ! Géographie de l’environnement

La société et ses lacs : tirer bénéfice


de leur existence, lutter contre leurs effets
et ceux de leurs tributaires
À partir de deux études de cas, nous allons aborder les enjeux qui pèsent
aujourd’hui sur le devenir des étangs et des lacs liés à la construction de
barrages. Les lacs étudiés, de Saint-Germain-de-Confolens en Charente et
l’ancien lac de Vezins dans la Manche, ont des similitudes comme la ruralité
de leur bassin-versant et des problèmes environnementaux liés à la sédimen-
tation et à la qualité de leurs eaux.

Saint-Germain-de-Confolens :
un lac de petite taille et son bassin-versant
Le lac de Saint-Germain-de-Confolens a été mis en eau en 1972, sur l’Issoire
(bassin de la Loire), pour alimenter en eau potable le Confolentais, un territoire
d’environ 14 000 habitants (figure 14.2). Cette fonction exclusive représente un
enjeu considérable pour la population et le syndicat d’eau, structure qui gère la
retenue et la distribution de l’eau, dans le sens où, depuis toujours, la qualité de
l’eau pose un problème. En effet, dès la création du lac, la présence dans l’eau
brute de métaux, de pesticides, d’algues toxiques ou encore de matières orga-
niques, dont les teneurs atteignent la limite de potabilisation, dégrade sa qualité
et multiplie les traitements coûteux, parfois inefficaces, avant distribution.
L’objectif du syndicat était donc de connaître les paramètres environnemen-
taux responsables de cette situation pour, in fine, conserver la distribution
d’une eau répondant aux normes de potabilité. Le protocole d’étude a été arti-
culé autour des volets sédimentologiques et physico-chimiques.
Pour le lac, l’ensemble des techniques mises en œuvre a pour objectif le
diagnostic physique de l’état du lac : observations et mesures directes, instru-
mentation in situ (sondes thermiques et sédimentomètres), échantillonnage
d’eau et de sédiments pour analyses puis traitements informatiques des don-
nées recueillies (figure 14.3).
Afin d’expliquer l’origine des problèmes de qualité de l’eau lacustre, l’étude
s’est intéressée à l’évolution de l’occupation du sol dans le bassin-versant depuis
la création du lac. Pour cela, un travail de photo-interprétation à partir des images
aériennes de 1972 et 2011, des données topographiques, cadastrales et agricoles,
a permis de connaître les changements d’affectation du sol et du linéaire des
haies. De plus, pour identifier l’origine des perturbations et connaître le rôle
du bassin-versant sur la qualité de l’eau, dix sites de prélèvement dans l’Issoire
et quelques-uns de ses affluents ont fait l’objet de trois campagnes d’échantil-
lonnage d’eau pour analyses (les mêmes paramètres que pour l’eau lacustre).
Les limnosystèmes : les retenues d’eau en arrière des barrages artificiels ! 191

Figure 14.2 Les caractéristiques du bassin-versant


et du lac de Saint-Germain-de-Confolens

Sources : TMCarto et MALEVAL, 2017 ; MNT IGN, 2012-2015.

Figure 14.3 La méthodologie mise en œuvre sur le lac

1 sonde thermique et prélèvements


aval d’eau hebdomadaires.
5 sondes thermiques
sous l’influence
du déstratificateur.
Déstratificateur : appareil à injection
d’air installé au fond du lac
pour lutter contre les effets
de l’eutrophisation.

Sedim. 2 Profils topographiques :


mesures du modelé 1 sonde thermique
des falaises à un intervalle. et prélèvements
Sedimentomètre 3
amont d’eau
hebdomadaires.
l’Is
Sedimentomètre 1. Profils bathymétriques : relevés so
ire
Relevé saisonnier tous les 2,5 m à proximité du trait
pendant une année de côte et tous les 5 m pleine
Profils verticaux eau.
de températures :
5 sondes thermiques,
hors de l’influence
du détratificateur, placées
Profils verticaux de qualité d’eau : prélèvements saisonniers N
à 50 cm sous la surface, 1 m,
à 50 cm sous la surface pour le point amont, et à 50 cm
2 m, 3 m et au fond. 0 0,2 km
sous la surface et 50 cm au-dessus du fond pour les points
médian et aval.

Source : MALEVAL, 2017.


192 ! Géographie de l’environnement

Ils ont été définis en fonction de leurs particularités : présence en amont de


labours, de vergers, d’étangs, de villages de vacances, etc.).
Les résultats montrent qu’une des origines des problèmes de qualité d’eau
est interne, à savoir la faiblesse de l’oxygénation de la masse d’eau, pourtant
aérée depuis 1996 à partir du printemps par un déstratificateur. Mais ils révèlent
surtout que les problèmes de gestion actuelle sont le résultat du fonctionne-
ment du bassin-versant. Le bilan sédimentaire du lac montre la prédominance
des apports du bassin-versant (88 %) sur les apports biogènes (12 %) et litto-
raux (0,2 %) [MALEVAL et al., 2017]. En effet, via l’Issoire, le bassin-versant,
dont l’occupation est majoritairement agricole (59 % de prairies et 17 % de
labours), amène au lac des flux significatifs de matières (sédiments et nutri-
ments en particulier), sources de sédimentation lacustre (taux de comblement
moyen de 11 cm/an). Ces flux engendrent aussi une dégradation de la qua-
lité de l’eau par eutrophisation, processus amorcé par l’anoxie, c’est-à-dire
l’absence d’oxygène dans les eaux profondes favorisant les relargages de nutri-
ments (fer, phosphore et ammoniaque) à partir des sédiments. Les affluents
localisés dans la partie la plus proche du lac, celle qui concentre la plus forte
pression agricole, la plus forte concentration de population, ainsi que les plus
fortes pentes (jusqu’à 11 °) et où de nombreuses haies ont été arrachées (par
exemple, 27 % à Esse), apportent 28 % au total des flux de différents éléments
(métaux, composés azotés et phosphorés issus de la fertilisation) utilisés par
la flore lacustre, phytoplancton, cyanobactéries potentiellement toxiques et
vases provenant des innombrables étangs présents dans le bassin-versant
alors qu’ils ne représentent que 16 % de la superficie du bassin.
Ainsi, l’envasement de la cuvette et la rapide dégradation de la qualité de
l’eau du lac résultent majoritairement des modifications de l’usage des sols
du bassin-versant et des activités agricoles (produits chimiques, arrachage
de haies, arasement de talus, etc.). Cette approche qui souligne l’imbrication
des processus biophysiques et des forçages anthropiques dans l’évolution
d’un limnosystème, révèle les conflits d’usages existant lorsque le bassin d’un
lac destiné à l’alimentation en eau potable est agricole et que ces aspects
économiques et agricoles sont privilégiés aux dépens des aspects environne-
mentaux. Comme le montre cette étude, la géographie biophysique permet
de passer d’un thème apparemment purement technique à une probléma-
tique d’organisation du territoire.

Les barrages de Vezins et La Roche-qui-Boit :


la nature au prisme de la société
En 2019, l’arasement du barrage hydroélectrique de Vezins sur la Sélune,
petit fleuve côtier normand se jetant dans la baie du Mont-Saint-Michel,
est le fruit d’un long et chaotique projet de restauration écologique en
Les limnosystèmes : les retenues d’eau en arrière des barrages artificiels ! 193

particulier pour la restauration des populations de poissons migrateurs.


Mis en service en 1932, d’une hauteur de 36 m et générant un lac de
20 km de long, le projet d’arasement a été l’occasion du développement
d’un conflit environnemental important à l’échelle locale. Sa suppression
aboutit de fait à une reconfiguration importante des milieux et des pay-
sages [GERMAINE et al., 2019]. Les paysages sont le produit de la rencontre
du milieu naturel et des activités humaines, mais ils ne prennent sens et
n’existent qu’au travers des regards des observateurs. L’émotion suscitée
par le projet d’arasement a révélé l’attachement aux paysages des lacs par
les riverains et les usagers. Si pour les promoteurs de la restauration éco-
logique, et en particulier de la libre circulation des salmonidés, le retour
des écoulements libres est envisagé comme un retour de la nature et de
processus plus naturels, le projet d’arasement a bouleversé la manière
d’appréhender les lieux en conférant aux barrages et aux lacs un statut
de paysage quasiment patrimonial pour d’autres. Perçu par de nombreux
habitants comme un abandon, plus que la renaissance louée par le pro-
jet écologique, il révèle une peur de la friche et de l’absence de projets
de reconversion garantissant une dynamique pour le territoire au-delà du
retour du saumon. La volonté d’un retour à une rivière plus naturelle s’op-
pose à une demande de nature maîtrisée, entretenue et valorisée. Ainsi,
les riverains voient dans les lacs de barrages et les eaux stagnantes une
nature qu’ils apprécient avec ses poissons adaptés, notamment certains
cyprinidés comme la carpe, ses oiseaux d’eaux, ses forêts riveraines. D’une
certaine manière, ils ont assimilé l’hybridité des lacs et la naturalisation de
nos artifices (cf. chapitre 1). Au contraire, les partisans de la restauration
écologique ne veulent pas de cette nature ordinaire, réputée appauvrie en
biodiversité, et qui ne permet pas à la rivière d’exprimer toute sa capa-
cité écologique. Ainsi, la sortie du débat est compliquée car les projets
d’arasement des seuils et des barrages sont les révélateurs de nos désac-
cords sur ce qu’est la nature dans notre monde contemporain bien plus
qu’une opposition entre l’artificiel et le naturel comme cela est parfois
énoncé. La restauration écologique est sans aucun doute une opportunité
pour réconcilier les populations avec leur environnement mais à condition
que le projet commence par écouter ce qu’ont à dire les populations pour
comprendre ce qui est en jeux pour elles. Il faut assumer qu’ils parlent
aussi de paysage et de nature mais qu’ils ont construit cette nature par des
savoirs et dans des registres différents des scientifiques qui promeuvent ou
accompagnent le processus de restauration. Dans le monde des hybrides
et des artifices naturalisés, les anciennes catégories ne peuvent suffire à
résoudre le débat et entreprendre des projets partagés pour prendre en
charge à juste titre les enjeux de la sixième extinction.
194 ! Géographie de l’environnement

Conclusion
À l’inverse des milieux lotiques que sont les cours d’eau, les plans d’eau, les
milieux lentiques utilisés par l’homme et parfois construits par eux, sont
représentatifs de l’imbrication du social et du biophysique. Ils sont par
définition des milieux biophysiques anthropisés ou des milieux artificiels,
autrement dit des objets hybrides. Certains voudraient les voir disparaître
malgré les multiples services qu’ils rendent à la société (loisirs, pisciculture,
irrigation, climatisation…) et de leur participation potentielle à la transition
énergétique par la production d’une électricité verte. Mais d’autres les consi-
dèrent comme des monuments naturels à conserver, tant ils peuvent avoir
un rôle important à jouer en ce XXIe siècle. À l’heure de la privatisation des
barrages, l’étude biophysique des étangs et des lacs montre que leur gestion
est définitivement un problème qui possède des dimensions spatiales et poli-
tiques multiples.
Chapitre 15

Le permafrost
de montagne face
au changement
climatique

LE PERMAFROST occupe une place prépondérante au sein des environ-


nements de haute latitude et de haute altitude. Correspondant à tous les
terrains gelés de manière permanente, il occupe environ 20 % des surfaces
émergées du globe. D’abord reconnu et étudié au Canada, aux États-Unis et
en Russie, en raison des problèmes géotechniques que posent ses variations
saisonnières, le permafrost fait également l’objet d’une attention particulière
dans les régions de montagne depuis une quinzaine d’années. En effet, bien
qu’invisible, le permafrost est un fait marquant de la haute montagne et son
réchauffement s’accompagne d’une multitude de processus géomorpholo-
giques dont certains peuvent menacer les personnes et les infrastructures.
Ces processus, qui se produisent souvent en cascade, peuvent conduire à des
changements paysagers notables. Face à ces problématiques, des travaux de
recherche ont été commencés dès les années 1970 avec un fort développe-
ment depuis le milieu des années 2000.

Aux côtés des glaciers, le permafrost


Le permafrost, ou pergélisol, est un état thermique : il caractérise tout
matériau lithosphérique dont la température reste négative pendant au
moins deux années consécutives. Contrairement aux glaciers, il n’est pas
directement observable dans le paysage, car la glace qu’il contient est
généralement invisible et en quantité très variable. Elle est faible dans les
parois rocheuses (< 5 %) et plus présente (> 50 %) dans les glaciers rocheux
196 ! Géographie de l’environnement

(figure 15.1.a). Seuls ces derniers, qui constituent des masses de débris
rocheux mélangés à de la glace, peuvent attester de la présence de perma-
frost sur les versants. Dans les parois, cette présence n’est révélée que par
les écroulements rocheux dont la niche d’arrachement est souvent nappée
de glace (figure 15.1.b).
Le permafrost de montagne occupe une superficie plus vaste que celle
des glaciers. Si le rapport entre ces deux composantes de la cryosphère n’est
que de 1 à 3 dans les Alpes (7 124 et 2 092 km², respectivement), la dispro-
portion est considérablement plus élevée lorsque l’on considère l’ensemble
des montagnes du monde : le permafrost y occupe en effet 3,72 M de km²
alors que les glaciers n’y couvrent que 0,25 M de km². La partie superfi-
cielle des terrains à permafrost, soumise au dégel pendant l’été, est appelée
couche active (figure 15.2). Elle peut atteindre plusieurs mètres d’épaisseur
et est fonction des conditions climatiques de l’année, de l’exposition et du
type de terrain. Ainsi, dans les parois de l’Aiguille du Midi (3 842 m, massif
du Mont Blanc), pendant la période 2010-2013, l’épaisseur de la couche
active a varié de 1,8 à 5,9 m selon l’année et l’exposition [MAGNIN et al.,
2015]. En revanche, dans le glacier rocheux de Bellecombe (2 750 m, massif
des Écrins), la couche active atteint 2,5 m de profondeur et varie très peu
d’une année sur l’autre.
Le permafrost de montagne s’explique par le climat mais ses évolu-
tions et son épaisseur, parfois de plusieurs centaines de mètres, suggèrent
qu’il est avant tout un héritage des périodes froides qui ont ponctué le
Quaternaire. Dans les parois rocheuses non englacées ou dans les forma-
tions superficielles, le permafrost est donc bien souvent en déséquilibre
vis-à-vis du climat de la période interglaciaire actuelle et ce déséquilibre
s’accentue avec l’accélération du réchauffement climatique. Une synthèse
récente des mesures de température du permafrost à l’échelle globale a
mis en évidence un réchauffement de 0,19 ± 0,05 °C entre 2007 et 2016,
plus rapide que celui de l’air pour ces massifs, estimé à 0,1 ± 0,5 °C pour la
même période. Conséquence du réchauffement, la dégradation du perma-
frost se traduit par son amincissement et une réduction de sa superficie,
phénomènes qui s’accompagnent généralement de la diminution de sa
teneur en glace (laquelle, lorsqu’elle fond, maintient le milieu à 0 °C et
ralentit la propagation de la chaleur).
Le permafrost de montagne face au changement climatique ! 197

Figure 15.1 Planche photographique des paysages du permafrost


de montagne et des risques associés

a. glacier rocheux actif du Marinet avec, au fond, l’Aiguille de Chambeyron (3 412 m, Haute-
Ubaye) ; un glacier rocheux est dit « actif » s’il se déplace, « inactif » s’il possède encore de la
glace mais sans déplacement, ou « fossile » si sa glace a totalement fondu ; b. glace massive
présente dans la cicatrice d’un écroulement rocheux de 44 000 m3 survenu dans la face
nord de l’Aiguille du Midi (3 842 m) en septembre 2017 ; le secteur présenté de la cica-
trice, photographié par drone, est large d’environ 30 m ; c. un pylône du télésiège du col
de Vés (Tignes) dont la base a été modifiée pour adapter l’ouvrage au fluage/affaissement
du terrain ; d. vue aérienne de la zone du village de Bondo, en Suisse, impactée par la lave
torrentielle déclenchée suite à l’écroulement survenu dans la face nord du Piz Cengalo au
cours de l’été 2017 ; e. secteur de transit et de dépôt de l’écroulement (40 000 m3) de 2007
de la Cima Una (Dolomites, Italie) ; f. vue aérienne du secteur impacté par la lave torren-
tielle d’août 2015 du torrent de l’Arcelle (Maurienne, Savoie). Sur la moitié inférieure de la
photo, on distingue le glacier rocheux déstabilisé du col du Lou qui se termine par un front
raide dans lequel une niche d’arrachement est clairement visible ; en contrebas le village de
Lanslevillard, où ont été déposés les matériaux emportés par la lave.
Sources : a. © X. Bodin ; b. © L. Ravanel ; c. © P.-A. Duvillard ; d. © A. Badrutt ;
e. © C. Squarzoni ; f. © M. Marcer.
198 ! Géographie de l’environnement

Figure 15.2 La structure thermique du permafrost

a. profil vertical typique du permafrost ; la couche active (en gris foncé) dégèle en été et
regèle chaque hiver, tandis que la température du permafrost sensu stricto (en gris clair)
demeure inférieure à 0 °C ; MAGST = température moyenne annuelle à la surface du sol ;
b. températures modélisées au sein d’un massif rocheux idéalisé montrant l’influence de
l’exposition au rayonnement solaire.
Sources : a. L. Ravanel modifiée d’après http://www.unifr.ch/geoscience/geographie/ssg-
mfiches/pergelisol/3101.php ; b. d’après NOETZLI et al., 2007.

Le permafrost de montagne,
objet d’étude invisible
Le permafrost de montagne n’a fait l’objet d’études approfondies que
récemment, avec les premiers travaux dans les années 1970 sur les glaciers
rocheux, dans les Alpes, les Rocheuses et les Andes. Il est par essence invi-
sible et son étude requiert des méthodes spécifiques pour déterminer sa
distribution et son évolution. Dans le cas des parois rocheuses, la présence
de glaciers suspendus indique directement celle du permafrost, mais leur
absence ne signifie pas pour autant que le permafrost est absent. Dans
les formations superficielles, les formes de fluage du permafrost riche en
glace, comme les glaciers rocheux, sont communément utilisées comme
des indices de la présence de permafrost, mais avec une incertitude sur
son contenu en glace. Son étude nécessite donc de combiner plusieurs
approches méthodologiques pour déterminer sa distribution et sur son
évolution : mesures de température in situ à la surface ou en profondeur
du terrain, modélisation statistique, modélisation à base physique, télé-
détection ou sondages géophysiques.
Le permafrost de montagne face au changement climatique ! 199

Distribution du permafrost :
approche statistique et cartographique
La distribution du permafrost résulte principalement de la température de
l’air et du rayonnement incident direct, deux facteurs largement dépen-
dants de la topographie : altitude, orientation et pente. La distribution du
permafrost en profondeur dépend alors principalement de ces facteurs
topo-climatiques qui contrôlent les flux de chaleur dans le sol, lesquels
peuvent être modulés par l’enneigement. Ce dernier est modérément
important pour le régime thermique des parois, mais crucial pour celui des
formations superficielles (éboulis, glaciers rocheux) situées sur des terrains
moins raides. Les hivers peu et/ou tardivement enneigés facilitent le refroi-
dissement du sol, et vice-versa dans le cas d’un manteau neigeux tardif
et/ou peu épais. Aussi, évaluer la distribution du permafrost de montagne à
partir de sa température de surface reste délicat, des approches de modéli-
sation ou des indices de sa présence comme les glaciers rocheux sont alors
généralement utilisés.
L’estimation de la distribution du permafrost de paroi utilise généra-
lement des températures de surface de la roche (températures moyennes
annuelles mesurées à quelques centimètres sous la surface) pour relier sta-
tistiquement ces dernières avec le rayonnement solaire et la température
annuelle moyenne de l’air. En effet, la différence entre la température à la
surface des parois et la température de l’air augmente de façon linéaire avec
le rayonnement solaire direct. Dans les Alpes, un tel modèle a été formulé
à partir d’une cinquantaine de points de mesure répartis dans la chaîne et a
servi ensuite à cartographier le permafrost de paroi. Cette cartographie uti-
lise la température annuelle moyenne de l’air pour une période climatique
de référence (1961-1990) afin de tenir compte de l’effet de long terme du
climat. La température modélisée peut ensuite être convertie en probabi-
lité de présence du permafrost, permettant de mieux apprécier la présence
de permafrost selon les conditions locales comme le dépôt de neige par
exemple.
La distribution spatiale du permafrost dans les formations super-
ficielles s’apprécie en général également par des modélisations statistiques
(figure 15.3) utilisant des observations ou des mesures (directes ou indi-
rectes) pour attester de sa présence ou son absence. Les formes contenant
de la glace indiquant la présence de permafrost, les glaciers rocheux,
sont fréquemment utilisés comme moyen de validation des modèles. En
complément, des mesures ou observations peuvent également être utilisées :
mesure de la température sous le manteau neigeux, relevés géophysiques,
forages ou observations de glace par exemple. Pour les Alpes françaises, la
disponibilité d’un inventaire complet des glaciers rocheux (3 281 dont 46 %
200 ! Géographie de l’environnement

contiennent de la glace et couvrent 83 km2) a permis de produire une modé-


lisation robuste de sa présence dans les formations superficielles, incluant
également tous les terrains sans évidence de permafrost « mobile ». Ce
modèle se base sur le modèle numérique de terrain BD Alti (25 m de réso-
lution) de l’IGN – duquel est dérivée une carte de rayonnement solaire –,
ainsi que sur des cartes de température et de précipitation moyennes sur
la période 1975-2005. Au total, 770 km² de terrains sont potentiellement
affectés par la présence de permafrost, à comparer aux 230 km² de glaciers
présents en 2015.

Figure 15.3 Méthodologie de la modélisation spatiale du permafrost


en formations superficielles à partir de l’inventaire des glaciers rocheux

Source : thèse MARCER, 2018, Université Grenoble Alpes.

Régime thermique du permafrost de paroi :


approche géophysique et modélisation
Tout comme sa distribution, l’évolution du permafrost de paroi est prin-
cipalement guidée par les températures de l’air et le rayonnement solaire.
Cela permet, à l’échelle pluriannuelle à séculaire, d’établir des projections de
son évolution future. La modélisation de l’évolution du permafrost de paroi
dans le massif du Mont Blanc a montré que seuls quelques secteurs froids
subsisteront au cœur des montagnes en dessous de 3 300 m d’altitude à la fin
du XXIe siècle et qu’il pourrait disparaître au moins jusqu’à 4 300 m dans les
faces exposées au sud. Les approches géophysiques répétées permettent de
déterminer son évolution de manière semi-quantitative. Les méthodes par
tomographie ont l’avantage de donner une image du terrain sur plusieurs
dizaines de mètres sous la surface, à la différence des forages qui donnent
une information à l’échelle du point seulement. Très utilisée, la résistivité
électrique permet par des mesures répétées de distinguer les secteurs gelés,
non gelés ou proches du point de fusion (permafrost de type « chaud ») et
une interprétation semi-quantitative de l’évolution des températures du
permafrost.
Le permafrost de montagne face au changement climatique ! 201

Dynamique récente des glaciers rocheux,


approche géomorphologique
Sur l’ensemble des glaciers rocheux inventoriés dans les Alpes françaises, la
majorité a connu une accélération des vitesses d’écoulement au cours des
6 dernières décennies, passant, en moyenne de 0,3 à 1,1 m/an. À l’instar
d’autres chaînes de montagnes du globe, cette évolution s’est accompa-
gnée, pour certains glaciers, de changements morphologiques importants,
notamment l’apparition de signes de déstabilisation, tels que des crevasses,
fractures ou niches d’arrachement [MARCER et al., 2019]. Des phénomènes
géomorphologiques plus intenses ont aussi affecté certains glaciers rocheux
des Alpes françaises, avec deux cas majeurs : l’effondrement du glacier
rocheux du Bérard en 2006 [BODIN et al., 2015] et la lave torrentielle issue
du front du glacier rocheux du Lou en 2015. Les causes probables de ces
événements sont l’augmentation continue, sur plusieurs décennies, des
températures du permafrost, les précipitations abondantes dans les jours
précédant les événements et une topographie favorable (ruptures de pente
convexes).

Infrastructures et risques
liés à la dégradation du permafrost
de montagne
Des paysages impactés
Les premières recherches sur le permafrost des parois rocheuses ont été
orientées sur les problèmes de stabilité des infrastructures du fait des consé-
quences du changement climatique. Dans les Alpes, le réchauffement mesuré
est ainsi deux fois supérieur à celui enregistré à l’échelle mondiale (+ 2 °C
dans les Alpes françaises entre 1900 et 2017 contre + 1,1 °C pour l’ensemble
du globe). Avec la dégradation du permafrost, les paysages de haute mon-
tagne se modifient et des phénomènes géomorphologiques comme les
écroulements surprennent par leur rapidité et les modifications profondes
qu’ils impriment aux versants, depuis la cicatrice d’arrachement jusqu’au
dépôt, en passant par le secteur de propagation (figure 15.1.e). Le paysage
peut être fortement affecté par la disparition ou la modification d’éperons, de
piliers, d’arêtes voire de sommets tout entiers. La déstabilisation des glaciers
rocheux est également une manifestation très visible de la dégradation du
permafrost de montagne et est à l’origine de phénomènes à risques.
L’étude de la face ouest des Drus et du versant nord des Aiguilles de
Chamonix [RAVANEL et DELINE, 2011] dans le massif du Mont Blanc offre
202 ! Géographie de l’environnement

un bel exemple de la recrudescence du risque et des causes complexes des


écroulements. Elle révèle une très bonne corrélation entre les déstabilisa-
tions rocheuses et les périodes les plus chaudes. Ce travail a été réalisé sur
la base de comparaisons de nombreuses photographies et de témoignages,
afin de déterminer les périodes d’occurrence des écroulements, et de topo-
métrie laser, de cartes topographiques et de MNT, afin d’estimer les volumes
écroulés. À côté de cela, un réseau d’observateurs des écroulements (guides,
gardiens de refuge, alpinistes) a été mis en place et a permis de recenser plus
de 1 000 écroulements depuis 2007. Les données montrent que la quasi-
totalité des écroulements a affecté des parois à permafrost, essentiellement
en lien avec l’approfondissement de la couche active. Les plus volumineux
seraient quant à eux liés au réchauffement du permafrost en profondeur, per-
mis par plusieurs décennies de radoucissement et/ou par un dégel accéléré le
long des fractures de la roche du fait de la convection de chaleur. Finalement,
plusieurs dizaines d’écroulements de 500 à 292 000 m3 ont été documentés
depuis 1862. La très bonne corrélation entre les écroulements et les périodes
les plus chaudes suggère qu’avec le réchauffement climatique à venir de plus
en plus d’écroulements devront être gérés par les sociétés tandis que leurs
volumes seront de plus en plus importants, avec les risques de processus en
cascade que cela suppose.

Exploitation de la haute montagne et risques liés


à la présence ou à la dégradation du permafrost
De nombreuses infrastructures sont construites sur du permafrost en haute
montagne. Dans le contexte de réchauffement climatique, leur maintenance
représente un défi technique du fait des modifications de la stabilité des ter-
rain-supports, normalement gelés en permanence. En effet, les fondations
peuvent être malmenées par les changements de la teneur en eau et par le
dégel de la glace interstitielle, selon des niveaux d’endommagement et de
défaillance variables. Ainsi, de légers mouvements au niveau des fondations
d’une gare ou d’un pylône de remontée mécanique peuvent être amplifiés à
leur sommet. Cela perturbe par exemple l’alignement et la tension des câbles,
ce qui peut conduire à des problèmes mécaniques et de sécurité. Au cours
des 30 dernières années, plus d’une quinzaine d’infrastructures ont connu
des dommages (affaissements, basculements, détérioration des fondations ou
ancrages) dans les Alpes françaises (figure 15.1.c).
L’étude du funitel de Thorens (Savoie), en partie construit sur un glacier
rocheux, permet d’illustrer les études conduites pour comprendre les risques.
Au cours de l’été 2016, les fondations du pylône n° 2 ont été affectées par un
déplacement horizontal et un affaissement à l’origine d’un décalage métrique
de la tête de pylône par rapport au câble, empêchant toute exploitation.
Le permafrost de montagne face au changement climatique ! 203

Une analyse multiméthode a été conduite : analyse stratigraphique de données


de forages, analyse de la distribution du permafrost dans le terrain porteur
fondée sur des profils géophysiques de résistivité électrique, et reconstitution
des modifications géomorphologiques de surface par comparaison de modèles
numériques de terrain avant et après terrassement [DUVILLARD et al., 2019].
La rétro-analyse de la déstabilisation de l’été 2016 a permis d’identifier diffé-
rents facteurs préparatoires : tout d’abord, un choix risqué d’implantation sur
un glacier rocheux sans suivi sur le long terme, avec un terrassement de 2 à
6 m de la surface naturelle du glacier rocheux ; et une concentration des écou-
lements d’eau vers le pylône, favorisant l’infiltration des eaux et le lessivage
des matériaux sous les fondations. Ce mécanisme constituerait ainsi le facteur
principal de déclenchement de l’instabilité, l’eau ayant probablement eu un
rôle dans l’accélération de la dégradation du permafrost, très proche du point
de fusion et affecté par des intenses précipitations du mois de juin.

Figure 15.4 Évolution conjointe de l’emprise de l’activité minière


du secteur Andina/Los Bronces, dans les Andes de Santiago (Chili)
et des glaciers rocheux

Source : modifié, rapport de stage EDYTEM, CAPUS, 2016.

Les risques peuvent être également liés au développement d’activités nou-


velles dans ces espaces de haute altitude. En effet, l’exploitation des ressources
minières, en particulier lorsqu’elle se réalise à ciel ouvert, peut affecter de
façon drastique certains glaciers rocheux et les déstabiliser avec les risques
204 ! Géographie de l’environnement

que cela implique (figure 15.4). Il a ainsi été calculé que, pour la seule portion
des Andes chiliennes comprises entre 27 et 34 ° de latitude sud, les travaux
miniers avaient affecté 4,5 km² de glaciers rocheux, équivalents à un volume
en eau de l’ordre de 24 M m³. Les impacts se manifestent diversement : exca-
vations du terrain, dépôts de matériaux rocheux, infrastructures, notamment
les routes et pistes d’exploration. Selon les conditions socio-économiques et
politiques des pays concernés, la pression des activités minières peut évoluer
mais montre une accélération notable au cours des deux dernières décen-
nies. Afin de réguler les impacts sociaux et environnementaux de l’industrie
minière sur la haute montagne andine, le Chili et l’Argentine ont élaboré
des inventaires complets (environ 4 000 km de chaîne montagneuse) de la
cryosphère. Le gouvernement argentin a traduit cette nécessité d’évaluer et
de protéger les glaciers et les milieux périglaciaires dans sa législation1, une
première au niveau mondial.

Processus en cascade et risques pour les vallées


Les processus géomorphologiques associés à la dégradation du permafrost
alpin peuvent également affecter les vallées à travers des chaînes de processus
ou processus en cascade. Un écroulement rocheux peut par exemple entraî-
ner une avalanche de neige et/ou de roche puis une coulée de débris mixte
comme dans le cas de l’écroulement de l’éperon de la Brenva dans le mas-
sif du Mont Blanc en 1997. Ce sont parfois des laves torrentielles qui sont
déclenchées, pouvant parcourir plusieurs kilomètres comme dans le cas de la
lave torrentielle de Lanslevillard (Haute Maurienne) en 2015 (figure 15.1.f).
La catastrophe de Bondo (Suisse) en août 2017 illustre l’ampleur et la rapi-
dité de ces évènements (figure 15.1.d). Une avalanche rocheuse de 3,1 Mm3
a raboté 0,6 Mm3 du glacier sous-jacent, produisant une énorme lave torren-
tielle qui a parcouru 7 km, atteignant le village de Bondo. Cette cascade de
processus a tué huit randonneurs et endommagé 100 infrastructures : mai-
sons, routes, ponts.
En raison du déclin des glaciers alpins, les accumulations détritiques
(moraines, marges pro-glaciaires, éboulis), les parois rocheuses et les lacs
formés dans les surcreusements des lits glaciaires vont être amenés à occuper
une place prépondérante dans les paysages. De nouveaux aléas risquent donc
d’émerger, notamment autour des futurs lacs entourés, voire maintenus,
par les terrains instables constitués de permafrost et/ou de formations non
consolidées. Comme l’ont démontré certaines catastrophes dans les Andes
ou l’Himalaya, il convient de surveiller les lacs se formant au pied de parois

1. Ley de protección de los glaciares y del ambiente periglacial, voir http://servicios.infoleg.gob.


ar/infolegInternet/anexos/170000-174999/174117/norma.htm.
Le permafrost de montagne face au changement climatique ! 205

rocheuses à permafrost et d’étudier les phénomènes en cascade qui peuvent


se produire. En effet, l’impact d’un écroulement dans un lac peut engendrer
des vagues de plusieurs dizaines de mètres et des écoulements charriant
de la boue et des blocs qui peuvent se propager jusque dans les fonds de
vallée. Dans les Alpes françaises, les études autour des futurs lacs viennent
juste de débuter et ont d’abord été conduites dans le massif du Mont Blanc.
L’estimation de ces futurs lacs, en modélisant les surcreusements des lits gla-
ciaires, a mis en évidence les secteurs du massif qui seront particulièrement
sujets à ces risques. C’est le cas du glacier d’Argentière où de nombreux et
larges lacs devraient se former au pied de versants raides, constitués de parois
à permafrost ou soumis à la décompression postglaciaire.

Conclusion
Le permafrost de montagne a été profondément transformé au cours des
dernières décennies, avec des conséquences importantes sur la morphodyna-
mique des versants dont l’évolution à venir reste difficile à prévoir. En raison
des larges surfaces et de la mise en valeur souvent croissante des milieux
concernés et de l’évolution actuelle du permafrost, les risques associés à sa
dégradation sont importants. De nombreuses avancées scientifiques ont
été réalisées au cours de ces deux dernières décennies, en particulier depuis
l’été caniculaire 2003, déclencheur d’une prise de conscience en Europe sur
les effets du réchauffement climatique. L’étude du permafrost de montagne
illustre ainsi l’hybridité de nos géosystèmes contemporains. En grande par-
tie héritée des périodes froides du Quaternaire, soumis au réchauffement de
notre période interglaciaire, accéléré par le réchauffement d’origine anthro-
pique, sa dynamique récente fragilise des espaces de haute montagne de
plus en plus peuplés et aménagés pour assumer des activités productives ou
récréatives au poids économique grandissant. Alors que les études géotech-
niques ont longtemps parié sur la stabilité des conditions environnementales,
à l’heure de l’Anthropocène, les recherches géomorphologiques nous rap-
pellent que tout change aujourd’hui sous l’effet d’une pression anthropique
grandissante et de la transformation anthropogène de notre atmosphère.
Suivre et comprendre l’évolution des processus géomorphologiques dans un
espace hétérogène devient crucial pour anticiper les nouvelles vulnérabilités
et nourrir des politiques environnementales adaptées.
CINQUIÈME PARTIE

Expertiser et enseigner
Chapitre 16

L’expertise
géomorphologique
au service de la gestion
du littoral

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE d’origine anthropique fait peser de


lourdes menaces sur l’avenir des zones côtières les plus habitées et amé-
nagées, notamment en raison de l’élévation du niveau de la mer à l’échelle
globale. Les observations marégraphiques font état d’une hausse moyenne
de l’ordre de 20 cm depuis un siècle. Cette élévation s’est toutefois accé-
lérée depuis les années 1990, passant de 1,2 mm/an à 3,3 mm/an, comme
en témoignent les mesures satellitaires. Le dérèglement climatique global
pose aussi la question du renforcement du régime des houles, notam-
ment les houles de tempête. À l’échelle des côtes atlantiques européennes,
l’analyse des longues séries de données instrumentales révèle en effet des
tendances à l’augmentation de la hauteur moyenne des vagues. Plus dif-
ficiles à définir du fait d’une forte variabilité interannuelle, les tempêtes
pourraient être plus nombreuses et surtout plus intenses dans les décen-
nies à venir. L’action de ces forçages hydrodynamiques doit également être
replacée dans le contexte actuel d’épuisement des stocks sédimentaires
côtiers. Cette crise sédimentaire d’origine naturelle est souvent aggravée
par une surexploitation des stocks présents (extraction de sables marins)
et/ou par l’impact négatif des aménagements réalisés le long des fleuves et
du littoral. La combinaison de ces différents facteurs est responsable d’une
érosion des côtes qui se traduit le plus souvent par un recul de la ligne de
rivage et la submersion épisodique des zones basses. Ces aléas menacent
aujourd’hui les populations littorales de plus en plus nombreuses, et les
activités associées renforçant ainsi la vulnérabilité des espaces côtiers
[VINEY, 2010].
210 ! Géographie de l’environnement

Dans les pays développés, on assiste de façon assez générale à une prise de
conscience progressive de ces problématiques environnementales et socié-
tales, que ce soit par la société civile ou par les responsables politiques en
charge de la gestion des espaces côtiers. En France, l’épisode catastrophique
de la tempête Xynthia en mars 2010 a vivement relancé les débats sur la
nécessité de mieux se prémunir contre le risque de submersion marine. De
la même façon, l’érosion causée par les tempêtes de l’hiver 2014 a mis en
évidence la forte vulnérabilité de larges portions du littoral français à ce type
d’aléa. Malgré cette prise de conscience, la frange littorale reste un espace
très convoité et les solutions d’adaptation (relocalisation des biens et des
personnes, solutions douces ou basées sur la nature) se heurtent souvent à
la question de l’acceptabilité socio-économique et/ou politique. En posant
des diagnostics et en préconisant les mesures de gestion les plus adaptées
pour répondre à ces enjeux, l’expertise géomorphologique s’inscrit dans une
double démarche, scientifique (compréhension des dynamiques naturelles)
et sociétale (aide à la gestion, à la décision). Impliquée dans des processus de
concertation, elle se retrouve parfois confrontée à une pluralité d’acteurs aux
intérêts multiples. Elle donne lieu à des préconisations qui font parfois l’objet
de controverses. Elle exige enfin de la part des scientifiques, un engagement
pour se faire entendre des décideurs et un effort de pédagogie et de commu-
nication pour être comprise du grand public.
Ce chapitre a pour objectif de questionner la place de l’expertise géo-
morphologique dans la gestion de l’érosion/submersion côtière en France
au travers de quelques exemples issus de nos propres recherches menées
en Bretagne. Il s’agit de présenter de façon réflexive notre démarche d’ex-
pertise, les types de savoirs mobilisés, les discours et les controverses qui
l’accompagnent, notamment la façon dont ils sont compris et utilisés par les
parties prenantes.

Le diagnostic géomorphologique
Une aide aux politiques de gestion du littoral
Conséquence de l’urbanisation croissante du littoral français durant la
période 1970-1990, les élus locaux ont progressivement été confron-
tés à des problématiques de risques côtiers, liés notamment à l’érosion,
auxquelles ils ont généralement répondu dans l’urgence en recourant à
des ouvrages de défense en durs (épis, digues, brise-lames). L’expertise
scientifique a rarement été sollicitée dans le cadre de ces opérations, le
champ de la recherche académique étant resté le plus souvent cantonné
à des aspects fondamentaux. Toutefois, à partir des années 1980, avec la
création du Conservatoire du littoral en 1975, la promulgation de la loi
L’expertise géomorphologique au service de la gestion du littoral ! 211

« littoral » en 1986, et l’instauration des plans de prévention des risques


littoraux en 1995, les critiques émanant du monde de la recherche ou de
la société civile se sont faites plus fortes à l’encontre de cette stratégie de
défense du littoral, trop lourde, trop coûteuse, et peu efficace. De même, si
l’avancée des connaissances scientifiques durant ces dernières décennies a
permis une meilleure compréhension des processus naturels et physiques,
les recommandations formulées par les experts ont été peu suivies car les
enjeux socio-économiques ont très souvent primé sur le discours scienti-
fique. À partir des années 1990-2000, l’expertise géomorphologique est de
plus en plus sollicitée car la réglementation impose que toute intervention
sur la frange littorale puisse reposer sur de bonnes connaissances scienti-
fiques. Elle est aussi facilitée par la mise à disposition d’outils de mesure
plus précis qui ont permis de mettre en place des suivis topo-morpholo-
giques réguliers.

Des outils et des méthodes d’analyse


de plus en plus performants
À partir des années 2000, l’arrêt du système de brouillage GPS (Global
positioning system) par l’administration américaine s’est accompagné d’un
développement et d’une démocratisation des outils de mesure topogra-
phiques géolocalisées vers le domaine civil. De nombreux constructeurs ont
alors mis sur le marché des systèmes de mesures DGPS (Differential global
positioning system) de plus en plus sophistiqués permettant notamment de
capter les satellites de navigation russe GLONASS (Globalnaïa navigatsion-
naïa spoutnikovaïa sistéma). Cette évolution technologique a également
concerné les systèmes LiDAR (Light detection and ranging) aéroporté et
terrestre de type TLS (Terrestrial laser scanning). Plus récemment enfin, la
mesure topo-morphologique par drone a fait son apparition permettant de
réduire considérablement le temps et les coûts du travail de terrain, tout en
couvrant des surfaces très importantes. À toutes ces évolutions techniques
en matière d’équipements s’ajoutent également les développements réalisés
dans le traitement informatique des données. Cela s’est traduit par la mise
à disposition de logiciels « conviviaux » de plus en plus performants, et/ou
par les progrès considérables effectués dans la modélisation numérique des
processus physiques.
L’expertise géomorphologique, dispensée notamment par les scienti-
fiques, repose sur l’utilisation de ces outils et techniques numériques dont
les coûts et les temps de traitement ont été considérablement réduits.
L’approche méthodologique généralement mobilisée repose sur la mise
en place de suivis topo-morphologiques et hydrodynamiques à hautes
fréquences de manière à quantifier et analyser l’impact des forçages
212 ! Géographie de l’environnement

(lors d’évènements tempétueux par exemple) sur les changements mor-


phologiques observés (érosion du trait de côte par exemple). Pour l’étude
des processus morphodynamiques sur des périodes plus anciennes, l’ex-
pert utilise le plus souvent les données historiques que constituent par
exemple les photographies aériennes de l’IGN (Institut national de géo-
graphie) ou les vieilles cartes, notamment bathymétriques, réalisées par
les ingénieurs de la marine du SHOM (Service hydrographique et océano-
graphique de la marine). Ainsi, l’évolution diachronique des changements
morphodynamiques côtiers peut être restituée en remontant plusieurs
siècles en arrière. C’est à partir de ces connaissances à long terme qu’il est
possible de bien comprendre les dynamiques actuelles, et de proposer des
stratégies adaptées pour le futur en matière de gestion et d’aménagement
de ces milieux littoraux.
À titre d’exemple, l’ensemble de ces approches est mobilisé dans le cadre
du suivi topo-morphologique et hydrodynamique réalisé sur le sillon de
Talbert dans les Côtes-d’Armor à la demande du Conservatoire du littoral1.
Il repose sur un levé topo-morphologique annuel de l’ensemble de la flèche
de galets effectué au DGPS et/ou au drone (figure 16.1), auquel s’ajoutent des
mesures bihebdomadaires à mensuelles de profils de plage et des conditions
hydrodynamiques [STEPHAN et al., 2018]. Le travail réalisé dans le cadre de
ce suivi s’inscrit dans les actions scientifiques de la Réserve naturelle régio-
nale du Sillon de Talbert, et oriente les politiques de gestion du trait de côte
mises en œuvre depuis une quinzaine d’années.

Figure 16.1 Exemple d’outils de mesures topo-morphologiques déployés


dans le cadre du suivi du Sillon de Talbert

a) drone de type hexacoptère ; b) DGPS de type Topcon HyperV®.


Source : STEPHAN et al., 2018.

1. Ce travail d’expertise a débuté en 2006 dans le cadre d’une convention de partenariat entre
l’université de Bretagne occidentale, via le laboratoire LETG-UMR 6554 du CNRS, et la commune
de Pleubian.
L’expertise géomorphologique au service de la gestion du littoral ! 213

Institutionnalisation des observatoires


du trait de côte
La question des observatoires du domaine côtier est aujourd’hui un
enjeu que certaines régions littorales françaises ont priorisé de manière
à accompagner leurs politiques de gestion du trait de côte. C’est le cas de
l’Observatoire de la côte Aquitaine créé en 1996, et porté par le BRGM
(Bureau de recherches géologiques et minières) et l’ONF (Office national
des forêts), en étroite collaboration avec les chercheurs des universités de
Bordeaux, de Pau et des Pays de l’Adour, du Centre de la mer de Biarritz, et
du Groupement d’intérêt public littoral Aquitain. On pourrait également
citer le Réseau d’observation du littoral de Normandie et des Hauts-de-
France (ROL) créé en 2011, ou l’Observatoire régional des risques côtiers
(OR2C) en Pays de Loire. À l’échelle nationale, ces observatoires s’ins-
crivent dans la stratégie nationale de gestion du trait de côte lancée par
l’État en 2012 (réglementation mise en place par le MEDDE après l’épisode
dramatique de la tempête Xynthia du 1er mars 2010), en tenant compte
des dynamiques territoriales côtières au niveau régional. Un service
d’observation national du trait de côte (SNO DYNALIT) a été créé à cet
effet ; il regroupe 10 observatoires des sciences de l’univers, 22 universi-
tés et 20 laboratoires, couvrant les façades maritimes de la métropole et
des DOM.
L’objectif de ce dispositif est double. D’un point de vue scientifique, il
s’agit de comprendre les processus physiques en tenant compte du change-
ment global et des préconisations du GIEC concernant la modification du
régime des tempêtes. D’un point de vue sociétal, il s’agit d’accompagner les
politiques de gestion du littoral, notamment autour des risques d’érosion
et de submersion. Aux orientations définies par la stratégie nationale de
gestion du trait de côte, s’ajoutent les lois de décentralisation (n° 2014-58
du 27 janvier 2014 et n° 2015-991 du 7 août 2015), au travers desquelles
l’État vient récemment de confier aux communes (ou communautés de
communes) la gestion du trait de côte suivant des documents de planifica-
tion spatiale en matière de prévention des risques et d’aménagements du
littoral (PPRL). Ces préconisations s’exercent au travers des compétences
relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inonda-
tions (GEMAPI).
Ainsi, la mise en réseau des experts au niveau national favorise actuelle-
ment l’émergence d’une véritable communauté apte à répondre à la fois aux
enjeux sociétaux et scientifiques. Parallèlement, les responsabilités nouvelles
confiées aux collectivités locales en matière de gestion de l’érosion côtière et
de la submersion accordent une place plus importante à l’expertise géomor-
phologique dans les choix de gestion.
214 ! Géographie de l’environnement

En s’appuyant désormais sur des données quantitatives exhaustives et des


métriques fiables, l’expertise scientifique peut proposer un cadre rationnel
pour poser les bons diagnostics et définir les solutions de gestion appropriées,
rétablissant aussi le rapport de force avec les décideurs.

L’expertise géomorphologique
au sein de la controverse
Quand l’expertise convainc
L’exemple de la plage du Vougot, située sur la commune de Guissény dans
le Finistère Nord, constitue un bel exemple de concertation réussie entre les
experts et les décideurs. La partie orientale de cette plage souffre d’une éro-
sion chronique depuis la construction en 1974 d’un ouvrage (jetée du Curnic)
qui a déstabilisé le fonctionnement hydrosédimentaire de l’ensemble du sec-
teur. Le recul de la côte est alors devenu un sujet préoccupant notamment
lorsqu’une tempête particulièrement morphogène survenait. Ainsi, après
l’hiver tempétueux de 1989-1990, la réponse gestionnaire face à l’érosion
s’est soldée par la mise en place d’un enrochement sur une section de 150 m.
Toutefois, l’inefficacité de cet ouvrage a de nouveau posé la question de la
protection du rivage au début des années 2000 lorsque le site du marais du
Curnic et la plage du Vougot ont été classés Natura 2000. Une des options
alors envisagées par la collectivité était de prolonger cet enrochement sur
une distance linéaire de 400 à 600 m. Cette « durcification » du trait de côte
devait également rassurer les riverains habitant directement derrière la dune
sachant que si cette dernière venait à disparaître, ils étaient directement
menacés par un risque de submersion marine [CARIOLET et al., 2012].
Avant de recourir à un choix pouvant s’avérer coûteux et inefficace, une
expertise scientifique a été lancée en juin 2004 à la demande de la commune
afin d’apporter des éléments de réflexion nécessaires à la politique de gestion
la plus cohérente à mettre en place. Ce travail a porté d’une part sur la mise en
place d’un suivi hydrodynamique et topomorphologique à haute fréquence
du système plage/dune afin de quantifier et d’analyser les modalités de recul
du trait de côte [SUANEZ et al., 2015]. Ainsi, les vitesses de recul maximum
mesurées à l’échelle des dernières décennies (0,7 m/an) ont montré que l’aléa
lié à l’érosion restait faible au regard d’autres secteurs français marqués par
des reculs supérieurs à plusieurs mètres par an, voire plus de 10 m/an. Cette
expertise a d’autre part porté sur l’évaluation du risque de submersion marine
en tenant compte des aspects dynamiques commandés par le recul du trait
de côte et l’élévation du niveau marin pour la fin du siècle. Ce travail a égale-
ment montré que le risque lié à l’aléa de submersion marine restait faible au
L’expertise géomorphologique au service de la gestion du littoral ! 215

regard des temps de retour de disparition de la dune et de montée du niveau


de la mer, estimés entre 70 et 80 ans [CARIOLET et al., 2012].
Ces résultats ont été régulièrement présentés aux élus, aux représentants
des collectivités et de l’État (figure 16.2). Ils ont également été plus largement
exposés à la population locale dans le cadre de plusieurs réunions publiques.
Ainsi, depuis 15 ans, ce travail d’expertise et de communication a permis,
d’une part, d’orienter les politiques de gestion du trait de côte mises en œuvre
par la commune, d’autre part, d’apaiser les craintes autour des aléas érosion/
submersion, notamment auprès des populations riveraines. Pour autant, la
question du risque côtier revient régulièrement après chaque épisode tempé-
tueux particulièrement dommageable. Ce fut le cas en 2008 après la tempête
Johanna du 10 mars 2008 qui a entraîné un recul maximum de 6 m du trait
de côte. Ce fut également le cas après l’hiver 2013-2014 durant lequel se sont
succédé une dizaine de tempêtes morphogènes ayant entraîné un recul maxi-
mum de 14 m [SUANEZ et al., 2015] (figure 16.2). Toutefois, là encore, le suivi
topo-morphologique a montré que les phases de régénération du système
plage/dune après chaque épisode tempétueux permettaient de pondérer les
taux de recul spectaculaires enregistrés lors de ces évènements.

Figure 16.2 Évolution du trait de côte (recul/progradation) du littoral


oriental de la plage du Vougot accompagnée d’une frise chronologique
des interventions en matière d’information et d’actions d’ingénierie

Réalisation : © S. Suanez.
216 ! Géographie de l’environnement

Cette expertise a également débouché sur des interventions de conforte-


ment et/ou de restauration du cordon dunaire de manière à renforcer son rôle
protecteur contre l’érosion/submersion. Entre 2008 et 2011, quatre dépres-
sions dunaires très proches du trait de côte ont été comblées à partir de sables
prélevés dans des secteurs de plage en accrétion pour un volume d’environ
3 000 m3. De même, un escalier amovible enjambant la dune a été installé
pour permettre aux usagers du camping municipal du Curnic situé à l’arrière
du cordon dunaire d’accéder à la plage sans dégrader ce dernier (figure 16.2).
Ces opérations ont été réalisées après que les services de l’État aient validé
leur faisabilité au regard des éléments scientifiques obtenus. Le coût de cette
expertise s’élève à l’heure actuelle à 48 520 euros. Il peut être mis en regard du
budget global que représenterait la pose d’un enrochement sur 400 à 600 m
de section dunaire à protéger, soit 1 000 000 à 1 800 000 euros (pour un coût
estimé entre 2 500 et 3 000 euros le mètre linéaire).
Finalement, ce travail a permis une économie d’argent considérable pour
la commune tout en préservant le cadre naturel de la plage du Vougot. De
même, la pédagogie mise en œuvre tout au long de ces 15 années a permis de
réconcilier les véritables enjeux entre « nature et société ».

Quand l’expertise est remise en cause


L’exemple de la plage de la Grève Rose illustre la complexité d’une situa-
tion où l’expertise scientifique n’a pas été prise en compte dans le choix de
gestion qui a été fait. Cette plage se trouve dans le département des Côtes-
d’Armor, sur la commune très touristique de Trégastel. Il s’agit d’une petite
plage de 200 m de long, fermée par un complexe dunaire culminant à une
dizaine de mètres NGF. Elle fait directement face aux houles d’ouest, mais
reste cependant protégée par de nombreux îlots et/ou d’écueils qui par-
sèment la zone intertidale située en avant. L’urbanisation de ce secteur a
été lancée dans les années 1930 avec la création d’un plan de lotissement
validé par arrêté préfectoral du 13 janvier 1936. Les premières maisons ont
été construites entre les années 1950 et 1960, notamment en front de dune
(figure 16.3).
À la suite de deux violentes tempêtes survenues durant l’hiver 1962, un
muret de protection culminant à la côte 6 m NGF (entre 1 et 1,5 m au-dessus
du haut de plage) a été construit en 1963 (figure 16.4). Cet ouvrage a certaine-
ment encouragé l’urbanisation du front de mer car, au début des années 1980
et en complément des trois maisons déjà existantes, quatre nouvelles maisons
(pour la plupart secondaires) ont été construites directement sur la « dune
bordière », tandis qu’un ensemble d’habitations et de voiries s’est développé
immédiatement en arrière de cette première bande.
L’expertise géomorphologique au service de la gestion du littoral ! 217

Figure 16.3 Évolution du bâti et des aménagements côtiers de la plage


de la Grève Rose entre 1966 et 2017

a) 02 mai 1966 – mission IGN C0714-0161_1966_F0714-0814_0005 ; b) 06 juillet 1982 –


mission IGN CIPLI-0071_1982_IPLI7_0052 ; c) 10 juin 2008 – mission IGN CP08000142_
FD22_fx027_1586 ; d) 23 septembre 2017 – image satellitaire de Google Earth.
218 ! Géographie de l’environnement

Figure 16.4 Muret de protection situé en avant de la dune bordière


de la plage de la Grève Rose

Source : inconnue, photo fournie par la mairie de Trégastel. Cliché pris entre 1966 et 1972.

Lors de la tempête Johanna du 10 mars 2008, le muret de protection a


été partiellement détruit par les fortes houles qui ont également érodé une
partie de la dune. Les propriétaires des maisons situées en front de dune
se sont donc retournés vers la mairie pour qu’un nouvel ouvrage de pro-
tection soit construit. Cette demande n’a pas abouti car le site bénéficiait
depuis 1993 d’un statut d’espace remarquable au titre de l’article L146-6 du
Code de l’urbanisme (traduit en zone NL au PLU de la commune). Il fait
également partie intégrante du site Natura 2000 « Côte de Granit Rose-Sept-
Îles » – zone spéciale de conservation, ce qui nécessite de prendre en compte
la présence d’éventuels habitats naturels et espèces d’intérêt européen lors de
travaux d’aménagement. Au printemps 2009, le choix d’enlever le muret dans
sa globalité a donc été fait par la mairie. En contrepartie, la dune bordière a
fait l’objet d’un rechargement/reprofilage à partir du sable prélevé directe-
ment sur le tombolo sableux situé au nord de la plage. Un volume d’environ
3 200 m3 a été apporté et un suivi topo-morphologique a été lancé de manière
à quantifier et analyser l’évolution morphosédimentaire du site.
Un conflit entre les riverains et la mairie s’est engagé dès l’automne 2009
après que deux coups de mer combinés à des marées de vives eaux aient
L’expertise géomorphologique au service de la gestion du littoral ! 219

érodé plus de 2 700 m3 de sable à la dune bordière et au haut de plage. Cette


évolution était toutefois prévisible car les effets pas encore compensés de la
tempête Johanna et les prélèvements réalisés sur le haut de plage pour le
rechargement de la dune avaient abaissé le profil de la dune, la rendant plus
vulnérable à la submersion marine. Le 31 mars 2010, une nouvelle tempête
combinée à une marée de vive-eau (coefficient 112) a de nouveau emporté
1 700 m3, relançant ainsi de vifs débats entre les riverains directement concer-
nés, les élus, les services de l’état et les scientifiques en charge de l’expertise
morphologique. Ces derniers ont dans un premier temps pointé les aberra-
tions d’une urbanisation sur un milieu aussi mobile qu’une dune bordière. Ils
ont proposé de recourir à une procédure de préemption par l’État et d’une
relocalisation des habitations en arrière du rivage comme cela s’est fait à la
Faute-sur-Mer après la tempête Xynthia de 2010. Cette solution a été rejetée
par les riverains soucieux de défendre leur bien immobilier ; elle a également
été écartée par les élus et les services de l’État devant la complexité de la pro-
cédure et le coût que cela représenterait.
Une expertise scientifique plus approfondie sur l’érosion de la dune et
sur le risque de submersion marine a donc été réalisée à la demande de la
commune et des services de l’État ; ces données ont été présentées en réu-
nion le 21 avril 2011 devant l’ensemble des parties prenantes. Les résultats
sur le recul de la dune ont montré des vitesses de recul extrêmement faibles,
de l’ordre de – 3 m au cours des 60 dernières années. De même, si le mur
de protection historique atténuait les effets érosifs des petites tempêtes
associées à des petites marées, il était en revanche inefficace lors des fortes
tempêtes associées à des marées de vives-eaux comme ce fut le cas durant
l’hiver 1989-1990 ou lors du 10 mars 2008. Le travail réalisé sur l’évaluation
du risque de submersion en reprenant la méthodologie préconisée par les
services de l’État appliquée à la tempête du 10 mars 2008 a, là encore, montré
une très faible vulnérabilité de l’ensemble du secteur loti.
Pour autant, ces conclusions n’ont pas été prises en compte et plusieurs
interventions ont été réalisées par les riverains, sur des financements propres
pour certaines et pour d’autres en toute illégalité au regard de la réglementa-
tion et du droit d’occupation du DPM. Parmi celles-ci, une « pseudo » digue
frontale formée de big bags a été construite en pied de dune en octobre 2010.
Entre 2011 et 2012, des protections en géotextiles ont également été posées
sur le versant externe de la dune et une nouvelle digue frontale en big bags a
été posée en pied de dune.
Devant l’inefficacité de ces ouvrages et la pression exercée par les rive-
rains, une consultation pour une étude communale assistée par la DDTM22
et le CEREMA a été lancée à l’été 2013 dans l’objectif de compléter l’expertise
scientifique réalisée et de formuler des propositions de gestion de l’érosion.
Ce travail a été confié à un bureau d’étude privé qui a rendu son rapport
220 ! Géographie de l’environnement

définitif en mai 2014. Le processus s’est accéléré après la série de tempêtes


de l’hiver 2013-2014 et a débouché en 2016 sur la réalisation d’une étude
d’impact et l’élaboration des dossiers d’autorisations administratives. En
février 2016, une enquête d’utilité publique a été organisée et le commissaire
enquêteur a finalement émis un avis favorable pour la mise en place d’un
enrochement de protection contre l’érosion complété d’un rechargement
de plage (figure 16.4). Pour rendre son avis, il s’est notamment appuyé sur
l’article L146-8 du Code de l’urbanisme qui prévoit que, pour des raisons
de sécurité civile, ce type d’aménagement peut être envisagé. Il faut noter
que cet argument a, dès l’origine, été avancé par les riverains en pointant le
fait qu’il ne s’agissait pas de défendre 7 maisons individuelles, mais bien une
zone de lotissement validée par arrêté préfectoral. Les travaux ont donc été
réalisés en 2017 pour un coût global de 700 000 € ; les riverains ont contribué
à hauteur de 150 000 €, l’État a apporté 240 000 € (DETR), Lannion-Trégor
communauté à hauteur de 70 000 € et la commune 240 000 €. La seconde
phase du projet prévoyait un rechargement de plage d’un volume de
22 000 m3. Celui-ci n’a pour l’instant pas été mis en œuvre.
En définitive, malgré les expertises scientifiques montrant des vitesses de
recul extrêmement faibles, malgré la proposition de repli stratégique – non
retenue –, la forte pression locale générée par les riverains et une partie de
la population a orienté la solution finale vers une protection en dur de type
« enrochement ». Cet exemple concret met en évidence l’importance des jeux
d’acteurs dans les processus de décision liés à la gestion du trait de côte et à
la protection du littoral.

Conclusion
Comme jamais auparavant, l’expertise géomorphologique bénéficie
aujourd’hui de nombreux outils de mesure et d’analyse permettant de poser
rapidement et de façon pertinente des diagnostics appropriés face aux problé-
matiques locales d’érosion côtière. Ce faisant, elle est en mesure de proposer
des options en matière de gestion de l’érosion s’appuyant sur des jeux de
données de plus en plus importants, fiables et précis, difficilement contes-
tables. Les préconisations s’orientent le plus souvent vers des actions peu
coûteuses et bénéfiques à long terme. Toutefois, la mise en œuvre d’une poli-
tique de gestion raisonnée du trait de côte s’avère souvent incompatible avec
les fortes pressions foncières qui s’exercent sur la frange littorale. L’exemple
de la plage de la Grève Rose à Trégastel illustre ainsi la difficulté d’amorcer
une politique de relocalisation des habitats dans un secteur très prisé. Ce cas
d’étude souligne également l’importance des jeux de pouvoir entre riverains,
élus, experts et services de l’État dans les solutions finalement adoptées face
à l’érosion du rivage.
L’expertise géomorphologique au service de la gestion du littoral ! 221

Dans de telles situations, l’expertise géomorphologique peut faire l’objet de


multiples controverses et le bien-fondé des recommandations être remis en
question par les parties prenantes. En revanche, lorsque les enjeux fonciers sont
faibles, le processus de concertation entre experts scientifiques, gestionnaires, élus
locaux et riverains se solde généralement par un consensus en faveur de mesures
de gestion raisonnées, comme en témoignent les cas de la plage du Vougot.
Chapitre 17

La difficile production
des normes et de modèles
de référence : comment
définir des cours d’eau
de qualité

LA QUALITÉ D’UN COURS D’EAU, comme celle de tous les milieux naturels,
est une notion difficile à définir et à mesurer du fait de sa variabilité. Pour
certains, une rivière de qualité permet la baignade ou la navigation de loi-
sir, pour d’autres la production d’électricité ou l’irrigation, pour d’autres
encore il s’agit d’une rivière qui abrite une faune, une flore aquatique et une
ripisylve abondantes et diversifiées. Jusqu’à la fin du siècle dernier, étaient
perçues comme rivières de qualité celles qui pouvaient être maîtrisées, qui
ne débordaient pas ou qui pouvaient être facilement aménagées pour la
navigation ou les usages industriels. Depuis quelques années, la prise de
conscience environnementale collective a considérablement renforcé la
composante écologique dans cette notion de qualité. Aujourd’hui, le main-
tien et l’amélioration de la qualité écologique des rivières sont au moins
aussi importants que la protection contre les inondations et ont de plus
en plus de poids face à l’exploitation de la ressource et au développement
industriel.
Cette évolution sociale a été accompagnée par une transformation
des institutions gestionnaires de l’environnement et un cadre législatif
nouveau (Loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA), Gestion des
milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI)) qui s’est
progressivement mis en place notamment sous l’impulsion de la Directive
cadre européenne sur l’eau (DCE) promulguée en 2000. Ces nouvelles
224 ! Géographie de l’environnement

politiques ont imposé une évaluation et un suivi de la qualité écologique


des cours d’eau et favorisé la restauration des milieux écologiquement
dégradés pour atteindre un « bon état ». Ce nouveau cadre réglementaire
a conduit les gestionnaires à se tourner vers la communauté scientifique
pour le caractériser et développer des méthodes et des outils pour éva-
luer plus généralement la qualité des milieux fluviaux et son évolution.
La majorité d’entre eux reposent sur la définition de références et la
construction d’indices et de normes. Leur utilisation est assez ancienne,
mais concernait principalement la qualité physico-chimique de l’eau et
la composition des biocénoses aquatiques. La qualité physique ou, autre-
ment dit le fonctionnement hydro-sédimentaire, des cours d’eau n’avait
que très peu été abordée. Les quelques propositions de normes et d’ou-
tils de gestion associés qui ont émergé dans les années 1990, comme le
Natural channel design développé aux États-Unis, Qualphy développé en
France par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et d’autres typologies hydro-
morphologiques n’ont été que peu utilisés. Pour certaines, elles ont même
suscité de réelles oppositions de la communauté scientifique [LAVE,
2012]. En Europe, ce n’est que depuis une quinzaine d’années que des
outils d’aide à la décision sont développés et que des référentiels sur les
cours d’eau sont proposés. L’objectif de ce chapitre est de mettre en évi-
dence les mécanismes qui sous-tendent la construction de ces différents
outils et de discuter leurs limites à la fois théoriques et relatives à leurs
domaines d’application.

Des politiques publiques nationales


au diagnostic local
Vers une mesure de l’écart au bon état :
normes, indices et indicateurs
L’esprit de la DCE repose sur la définition de références biologiques
puisqu’elle définit le bon état comme un écart léger à une situation de réfé-
rence, correspondant à des milieux non ou très faiblement impactés par
l’homme. Eaufrance1, portail d’information sur l’eau du ministère de l’Envi-
ronnement, définit l’état écologique d’un système fluvial comme le résultat
de la structure et du fonctionnement des écosystèmes associés. Il précise que
cet état est déterminé à partir d’éléments de qualité (physico-chimique, bio-
logique et hydromorphologique) et évalué grâce à des indicateurs. Pour les
gestionnaires, le premier enjeu réside ainsi dans la définition de cet état de

1. https://www.eaufrance.fr/
La difficile production des normes et de modèles de référence ! 225

référence ; le second dans la construction d’une mesure fiable et reproduc-


tible permettant d’estimer l’écart à ce bon état.
Dans le cadre de l’évaluation de la qualité physico-chimique des rivières,
l’état de référence est défini par une norme, c’est-à-dire une valeur chif-
frée, établie par un réseau d’expert et susceptible d’évoluer dans le temps
selon l’avancée des connaissances scientifiques. Cette valeur intervient dans
le contexte d’un cadre juridique strict, correspondant à un seuil au-dessus
duquel la substance concernée est considérée comme dangereuse pour
l’environnement et/ou la santé. Il s’agit des Normes de qualité environne-
mentale (NQE) des eaux de surfaces fixées par la directive 2008/105/CE.
Leur définition a évolué au cours de ces cinquante dernières années. Ainsi, la
première métrique mise en place pour évaluer l’ampleur des pollutions était
l’équivalent habitant (EH) qui ne reposait au départ que sur la consomma-
tion d’oxygène par la matière organique (Demande biologique en oxygène,
DBO) rapidement complétée par la demande chimique en oxygène (DCO)
et le taux de matières en suspension (MES) [BOULEAU et al., 2017]. Sa valeur
seuil fut fixée par décret et servit à dresser plusieurs états des lieux de la
pollution des rivières françaises à partir de 1971. Dans les années 1990, l’EH
fut progressivement remplacé par un système d’évaluation beaucoup plus
complet prenant mieux en compte les rejets toxiques industriels et les pol-
lutions agricoles et introduisant la notion de référence et d’altération : le
système d’évaluation de la qualité des eaux (SEQ-eau) prolongé et complété
ensuite, lors de la mise en œuvre de la DCE au début des années 2000. La liste
actualisée en 2013 fait état de 33 substances considérées et, si les normes dif-
fèrent d’un État à l’autre, elles sont déterminées suivant une méthodologie
élaborée au niveau européen.
Plus utilisés dans le cas d’une évaluation biologique, c’est-à-dire inté-
grant des données sur la faune et la flore, les termes indice et indicateur
désignent une valeur chiffrée dont la mesure est reproductible dans le temps
et l’espace. L’indice ou l’indicateur doit remplir certains critères : il doit
répondre rapidement à une perturbation du milieu, conserver la trace d’une
perturbation passée et son suivi doit être reproductible, simple d’utilisation
et peu coûteux. La bioindication se fonde sur la présence ou les caracté-
ristiques de certains organismes vivants pour identifier des problèmes ou
des changements au sein d’un écosystème. La présence et les propriétés
de certaines espèces de poissons, de macroinvertébrés ou de diatomées
présentes dans le système sont ainsi comparées à une situation référence
d’un système équivalent dépourvu de perturbations anthropiques. Si les
premières méthodes de bioindication reposant sur la notion de présences
d’espèces indicatrices datent du XIXe siècle, il faut attendre les années 1960
et 1970 pour que des indices plus évolués soient utilisés en Allemagne, en
Angleterre puis en France.
226 ! Géographie de l’environnement

L’indice biotique a été mis en place en France à la suite de la loi sur l’eau
de 1964, venant compléter l’EH pour repérer les pollutions accidentelles. Il
reposait sur l’abondance et la diversité de macroinvertébrés benthiques. Ils
ont été choisis car ils sont relativement sédentaires et inféodés à certains
types de substrat. Grâce à un inventaire réalisé à l’échelle nationale par le
Conseil supérieur de la pêche (devenu Agence française pour la biodiversité),
l’indice a pu être calibré : les stations révélant une valeur élevée de l’indice
étaient considérées comme de bonne qualité. L’indice a ensuite évolué dans
les années 1990 puis au début des années 2000 en un indice biologique glo-
bal normalisé (IBGN) puis un indice invertébré multi-métrique (I2M2) pour
permettre une évaluation plus complète de la qualité du cours d’eau (prise
en compte des caractéristiques hydromorphologiques) et pour répondre aux
exigences de la DCE.

Références spatiales et références fonctionnelles


L’évaluation des composantes chimiques et biologiques du système fluvial
est donc facilitée par l’existence de normes calibrées, de bioindicateurs mul-
timétriques et des bases de données nationales regroupant des décennies
de relevés de l’évolution de l’écologie des cours d’eau. Jusqu’il y a peu, et à
l’exception de rares bases de données concernant principalement les habi-
tats, comme le River habitat survey en Angleterre1, il n’existait pas d’outils
normatifs et de bases de données de ce type pour le volet hydromorpho-
logique. L’évaluation géomorphologique était généralement réservée à des
experts provenant du monde universitaire ou de la pêche. Les géomorpho-
logues fluviaux ont en effet produit, depuis des décennies, des données
très précieuses sur les processus fluviaux et le rôle des activités humaines
dans l’évolution des hydrosystèmes, mais les efforts pour produire des
outils d’évaluation simples et utilisables en routine n’ont été entrepris que
récemment. Ils reposent sur une grande diversité d’approches, d’échelles
d’analyse et d’objectifs. Certains d’entre eux se concentrent sur une seule
composante du fonctionnement hydromorphologique (habitats, végéta-
tion riveraine, morphologie, hydrologie, continuité) alors que d’autres
ont une approche intégrée et fondée sur les processus (identification d’un
déséquilibre) et que d’autres se concentrent sur l’identification des pres-
sions humaines potentielles au niveau du bassin-versant. En France, la
composante hydromorphologique est considérée à travers quatre grandes
méthodes complémentaires dont les approches sont détaillées dans le
tableau 17.1 et la figure 17.1.

1. http://www.riverhabitatsurvey.org/
La difficile production des normes et de modèles de référence ! 227

Tableau 17.1 Méthodes et outils hydromorphologiques développés


pour la DCE en France1

Échelle
Nom Descriptif
d’analyse
Syrah Système multi-échelles d’audit Croisement des pressions Tronçon
de l’hydromorphologie à l’échelle du bassin
des eaux courantes. avec les caractéristiques
naturelles des rivières pour
en déduire les risques
d’altération.
RHT Réseau hydrographique Réseau fournissant Tronçon
théorique. une description hydrologique
des tronçons issus
des modèles Estimkart.
ICE Information sur la continuité Protocole permettant Station
écologique. d’évaluer la continuité
écologique.
Carhyce Caractérisation Protocole de terrain et BD Station
hydromorphologique pour la caractérisation
des rivières. de l’hydromorphologie
des tronçons de rivières.

Figure 17.1 Boîte à outils multi-scalaire des méthodes


et outils hydromorphologiques développés
pour la mise en œuvre de la DCE

Source : les auteurs.

1. Pour plus de détails : https://professionnels.afbiodiversite.fr/fr/node/160


228 ! Géographie de l’environnement

Comme pour la qualité de l’eau et des biocénoses, l’un des enjeux aux-
quels sont confrontés les acteurs de la restauration hydrogéomorphologique
est la question des conditions de référence. La DCE définit en effet le bon
état écologique mais concernant l’hydromorphologie, la communauté scien-
tifique a convenu que ces conditions de référence étaient soit inappropriées,
soit impossibles à atteindre. Dans nos régions, les conditions naturelles sont
en effet difficiles voire impossibles à trouver. Et si l’on se tourne vers le passé
pour identifier des références, les conditions changeantes ne permettent pas
d’espérer pouvoir revenir à cet état historique suite par exemple aux évo-
lutions climatiques séculaires ou à l’anthropisation progressive des bassins
(cf. chapitres 1, 8 et 9). Au lieu de conditions de référence correspondant à un
état naturel antérieur et idéalisé, des travaux récents suggèrent plutôt que la
restauration fluviale définisse un état géomorphologique correspondant aux
objectifs de la société et respectant le fonctionnement potentiel du système
hydromorphologique et écologique [DUFOUR et PIEGAY, 2009]. L’étude des
conditions passées devrait plutôt permettre de replacer les corridors fluviaux
considérés le long d’une trajectoire et ainsi mieux comprendre les processus
et les facteurs clés qui ont conduit à son évolution et, à terme, déterminer la
plage de variabilité historique de la rivière (Historical range of variability),
[BRIERLEY et FRYIS, 2013] afin de déterminer les options de restauration.
Cette discussion sur les conditions de référence résulte également d’un
débat plus large qui a opposé deux approches différentes des pratiques de
restauration des cours d’eau : celle reposant sur les formes et l’autre sur les
processus. La première concerne généralement les petits cours d’eau consi-
dérés à l’échelle du tronçon. Elle s’intéresse principalement à la géométrie du
lit et vise à restaurer les formes fluviales (séquences seuil-mouille, formes en
plan et substrat alluvial). La seconde approche englobe un éventail plus large
de types de cours d’eau et envisage une échelle plus large (du sous-bassin au
bassin-versant). Elle priorise les fonctions et les processus fluviaux comme
les connectivités latérales et longitudinales et les flux d’eau et de sédiments.
Si la première approche a été largement utilisée lors des premières restau-
rations fluviales, elle a également fait l’objet de nombreuses critiques. C’est
aujourd’hui la deuxième approche qui est plutôt préconisée par la commu-
nauté scientifique et de plus en plus prise en compte dans les opérations de
restauration. Cela étant dit, si ce positionnement scientifique est largement
accepté, il reste conceptuel et difficile à mettre en œuvre. Ainsi, les projets de
restauration sont souvent conçus et calibrés sur base d’une simple analyse de
documents historiques et d’évaluations partielles du fonctionnement hydro-
géomorphologique du cours d’eau. Cette opposition entre les pratiques de
terrain et le positionnement scientifique n’est pas nouvelle et est bien illus-
trée par ce que Lave [2012] a appelé les « guerres de Rosgen » qui ont affecté la
communauté de la restauration fluviale américaine ces 20 dernières années.
La difficile production des normes et de modèles de référence ! 229

Elles ont été provoquées par la généralisation de l’approche du Natural chan-


nel design développée par Dave Rosgen, un hydrogéomorphologue américain,
malgré les critiques considérables faites par la communauté scientifique. Lors
de la planification d’un projet de restauration, les gestionnaires de cours d’eau
sont confrontés à un ensemble de contraintes (techniques, économiques,
sociales, etc.) et de pratiques qui les empêchent trop souvent de concevoir
des projets de restauration complets et efficaces. Sans nier les bases concep-
tuelles bien acceptées sur lesquelles repose aujourd’hui la restauration des
cours d’eau, cette opposition entre les pratiques et les développements théo-
riques a souligné la nécessité pour les chercheurs de développer des outils
qui répondent aux besoins des praticiens et tiennent compte des contraintes
externes auxquelles ils sont confrontés.

La production des indicateurs


hydromorphologiques :
l’exemple de Carhyce
C’est dans ce contexte juridique et scientifique que s’inscrit Carhyce, un des
outils déployés par l’Agence française pour la biodiversité (AFB)1 et ses par-
tenaires. Carhyce a été construit dès le départ comme un projet ambitieux,
notamment par l’ampleur des données collectées et les moyens techniques et
financiers mis en œuvre. Il constitue aujourd’hui un outil national d’aide à la
gestion des hydrosystèmes associant un catalogue de données sur l’hydromor-
phologie des cours d’eau français et un outil de diagnostic hydromorphologique.

La construction d’une référence spatiale :


du protocole d’acquisition à la base de données
Le catalogue de données Carhyce s’appuie sur un protocole de terrain unique
permettant de disposer de données hydromorphologiques standardisées à
l’échelle nationale. Ce protocole de mesure est déployé sur l’ensemble du terri-
toire (métropole et outremer) par les agents de l’AFB depuis 2009, permettant
de couvrir les différents types de cours d’eau et contextes géographiques fran-
çais. Il a été appliqué sur plus de 2 000 stations du Réseau de contrôle et de
surveillance (RCS), auxquels s’ajoutent environ 60 tronçons de suivis de res-
tauration. Pour un suivi sur le long terme, il est prévu que ces stations soient
revisitées tous les 6 ans. Il est inspiré des mesures classiquement réalisées en
hydromorphologie et basées sur les paramètres de géométrie hydraulique.

1. Cette agence a été regroupée le 1er janvier 2020 avec l’Office national de la chasse et de la faune
sauvage pour devenir l’Office français de la biodiversité (OFB).
Figure 17.2 Protocole d’acquisition des données Carhyce
230 ! Géographie de l’environnement

a. Position des transects (Yevre, 18) ; b. Position des points de mesure ; c. Stations Carhyce du territoire métropolitain ; d. Hydro-éco-régions de
niveau 1 ; e. Modèle de référence de l’HER Massif Central Sud.
La difficile production des normes et de modèles de référence ! 231

Comme le montre la figure 17.2, la géométrie du lit est caractérisée à par-


tir de 15 transects espacés d’une largeur à plein bord, permettant d’assurer
la significativité statistique des variables calculées. Sur le terrain, les mesures
sont effectuées en basses eaux et la station est positionnée sur un tronçon
homogène du cours d’eau. Le niveau à plein bord, sur lequel se basent les
mesures, est déterminé selon la position du sommet de la berge. Une pre-
mière largeur à plein bord est estimée à partir de trois mesures pour pouvoir
positionner les 15 transects : le premier transect sur le premier radier aval
de la station, puis les 14 autres sont espacés d’une largeur en remontant
vers l’amont. La longueur de la station est donc égale à 14 fois cette largeur
estimée, permettant en théorie de décrire au moins deux séquences seuil-
mouille-plat courant. De la même manière, la largeur mouillée est estimée
afin de placer les points d’acquisition : la distance interpoint sur les transects
est égale à 1/7 de la largeur mouillée, permettant d’obtenir au moins 7 points
dans l’eau.
Les données collectées sur le terrain sont reportées dans l’application de
saisie puis traitées. Les coordonnées relatives de chaque point d’acquisition
dans un espace à trois dimensions sont calculées et la topographie du lit des
cours d’eau reconstituée. Pour chacune des stations, il est ainsi possible d’ob-
tenir les paramètres de géométrie au jour d’acquisition et à plein bord ainsi
que les paramètres relatifs à la dynamique du cours d’eau, comme le rapport
largeur/profondeur, à la diversité des formes du lit profondeur des mouilles,
aux caractéristiques des sédiments, comme la taille médiane et de la ripisylve,
comme sa nature, sa structure et son recouvrement. Au total, la base de don-
nées regroupe une centaine de paramètres décrivant l’hydromorphologie de
la station pour une date donnée1.

La mesure de l’écart à la référence :


la construction d’un indicateur
Les données Carhyce constituent un socle pour la construction d’un
ensemble de référentiels hydromorphologiques pour l’évaluation des
masses d’eau. Pour cela, elles sont intégrées dans une approche spatiale
et dynamique qui considère des références spatiales plutôt qu’historiques
et permet d’approcher la notion d’état de référence à l’équilibre à partir
de modèles hydromorphologiques régionaux. On ne cherche donc pas à
retrouver un état figé de la rivière, mais à favoriser la mise en place d’une
situation d’équilibre des cours d’eau entre une variable hydrologique de
contrôle à l’échelle du bassin-versant (pouvant elles-mêmes évoluer avec le
climat) et l’ajustement des variables de réponse hydromorphologiques du

1. Consultable sur une interface d’exploitation (IED carhyce) : http/lgp.cnrs.fr\carhyce


232 ! Géographie de l’environnement

lit (telle que la largeur ou la hauteur à plein bord). Pour cela, on utilise les
relations de géométrie hydraulique définies pour des régions homogènes,
les hydro-éco-régions [WASSON et al., 2002] (figures 17.2.c et 17.3.c). Les
modèles sont construits à partir d’un ensemble d’environ 500 stations, dites
de référence, considérées comme peu impactées par les activités et amé-
nagements anthropiques des dernières décennies. La majorité des rivières
françaises ayant été influencée, de façon plus ou moins importante, il s’agit
de tronçons qui présentent un degré d’altération le plus faible possible, ce
degré étant estimé sur la base d’une connaissance experte de terrain appor-
tée par des enquêtes réalisées auprès des agents de l’AFB. Ainsi les tronçons
retenus n’ont pas connu de recalibrage, ni de rectification de leur tracé, ni
d’extraction massive de sédiments et leurs débits liquides et solides ne sont
que faiblement modifiés.
L’écart d’une station donnée aux situations de références régionales
peut être quantifié et synthétisé par un indicateur, l’indicateur morpholo-
gique global (IMG). Il rend compte des écarts pour différentes composantes
de la morphologie des lits. Ainsi, il constitue une base pour l’interpréta-
tion de la réponse du cours d’eau à différentes variables (modification des
débits liquides ou solides…) et pressions directes (recalibrage, extraction
de granulat) ou indirectes (changement d’occupation du sol…) pouvant
mettre en évidence un déséquilibre du système fluvial (figure 17.3). Cet
indicateur fournit une vision globale des écarts aux références pour diffé-
rents paramètres de géométrie du lit mais il prend également en compte
la variabilité régionale. En effet, la valeur de l’IMG correspond à la somme
des résidus standardisés (en valeur absolue) à partir des valeurs du jeu
de références pour les différents modèles. Cette valeur est représenta-
tive du diagramme associé et doit nécessairement s’accompagner de cette
représentation pour être correctement interprétée dans le cadre d’un
diagnostic hydromorphologique. On voit, par exemple, pour le Tanyari
à Palau-del-Vidre, relevé en 2012, une station qui s’écarte fortement des
références pour la profondeur à plein bord et la surface mouillée. Cela
peut notamment s’expliquer par l’occupation du sol du bassin avec une
part importante de terres agricoles et zones urbanisées en amont de la
station.
L’IMG constitue un instrument utile pour : identifier les stations poten-
tiellement altérées, travailler sur l’impact des altérations sur les biocénoses,
proposer un cadre et évaluer l’efficacité des opérations de restauration et
être, en complément d’autres outils, utilisé comme outil d’analyse pour le
rapportage dans le cadre de la DCE. Il prendra d’autant plus de sens qu’il sera
analysé en regard d’autres graphiques ou paramètres tels que le recouvre-
ment de la ripisylve ou la diversité de la granulométrie ou encore étudié dans
sa variabilité temporelle.
La difficile production des normes et de modèles de référence ! 233

Figure 17.3 Analyse du Tanyari à Palau-del-Vidre

a. Occupation du sol ; b. IMG ; c. Modèle de profondeur plein bord.


Source : les auteurs.

Les limites des indicateurs : mise en garde


et conditions de bonne utilisation
Nous décrivons ici les trois écueils principaux qui doivent être évités
concernant l’utilisation des indicateurs biophysiques en géographie de l’envi-
ronnement : considérer les indices, indicateurs et normes comme des valeurs
neutres et sans biais ; chercher à tout prix à calibrer un objet, un milieu, selon
les valeurs données par les indices et indicateurs ; et utiliser les indicateurs à
des échelles de temps et d’espace qui n’entrent pas dans le cadre pour lequel
ils ont été pensés.
• Si l’objectif du développement des indices et indicateurs de l’environne-
ment est de fournir une mesure d’une situation par des critères neutres
et homogènes dans le temps et l’espace, il peut sembler paradoxal de
constater qu’ils sont en fait le fruit du contexte historique, politique,
et environnemental dans lequel ils ont été développés. Les indices bio-
logiques, tout comme les normes physico-chimiques, ont été critiqués
en ce sens, et ces mises en garde restent pertinentes pour ce qui est des
indices hydromorphologiques. Gabrielle Bouleau [2012] rappelle que
234 ! Géographie de l’environnement

« les indicateurs sont à la fois un assemblage de connaissances contraint


par le réseau de données et des outils d’évaluation chargés d’une inten-
tion politique ». Elle préconise de remplacer une vision positiviste dans
laquelle l’indicateur est censé décrire la réalité de manière objective,
par une vision plus constructiviste dans laquelle c’est l’interprétation de
l’indicateur qui lui donne un sens. L’indicateur a en effet été développé
dans un contexte particulier et répond donc aux « attentes d’une société
particulière à un moment donné » : il est donc primordial de faire inter-
venir divers acteurs du territoire dans la construction des indicateurs,
pour faire entrer en résonance les connaissances et les intérêts de cha-
cun. Pour aller plus loin, il serait souhaitable de pratiquer une vision
constructiviste modérée où « le thermomètre serait neutre, seule la
consigne serait politique. La mesure devrait être experte et l’évaluation
sociétale » [BOULEAU, 2012]. Une parfaite connaissance de l’histoire du
développement d’un indicateur est donc indispensable à sa bonne uti-
lisation. De plus, il peut être intéressant d’utiliser plusieurs indicateurs
pour compenser le biais de chacun.
• Une autre idée sur les indicateurs qu’il est important d’écarter est qu’ils
indiqueraient un idéal, une valeur à atteindre à tout prix pour calibrer
une restauration par exemple. Les indicateurs ne sont pas des abaques.
Ils sont avant tout construits pour lancer des alertes sur l’état d’un
milieu, et approfondir ensuite les analyses par des outils plus fins. Par
exemple, il est indispensable de maintenir la variabilité longitudinale à
l’échelle d’une station de rivière qui ne peut être réduite à des métriques
idéales. Cela a d’ailleurs été pris en compte dans le développement de
l’IMG. L’uniformisation et la standardisation des lits et des milieux à
la suite d’une utilisation trop rigide d’indicateurs par les gestionnaires
et les bureaux d’études est un réel danger pour la diversité de notre
environnement.
• Enfin, il faut rappeler que chaque indicateur ne peut être utilisé que dans
un cadre strict défini au moment de son élaboration. Si la bonne qualité
de la mesure de l’indicateur dépend du respect du protocole défini, il faut
également avoir pleinement conscience qu’un indicateur ne peut pas être
utilisé à une autre échelle de temps et d’espace que celle pour laquelle il a
été construit. En hydromorphologie, on pourra ainsi utiliser les données
Carhyce, et notamment l’IMG, si on travaille à l’échelle de la station. Mais
ces données ne sont pas généralisables a priori à l’échelle du tronçon.
On pourra en revanche analyser ce résultat au regard des données Syrah
définies, elles, à l’échelle du tronçon. Ceci rappelle l’importance de déve-
lopper des indicateurs, à différentes échelles de temps et d’espace, ainsi
que leur complémentarité.
La difficile production des normes et de modèles de référence ! 235

Conclusion
La mise en place de la DCE et des lois françaises qui en découlent a stimulé
en France la diffusion des recherches et de l’expertise sur les systèmes flu-
viaux en même temps qu’elle a imposé le terme d’hydromorphologie. L’IMG
et plus largement la base de données Carhyce, est l’un des dispositifs d’aide
à la décision mis en place dans ce cadre. Il ne répond évidemment pas à
toutes les questions, mais fait partie d’une boîte à outils aujourd’hui riche
de nombreuses méthodes à déployer en fonction des objectifs, de l’échelle
de travail et des moyens alloués. La majorité de ces méthodes se complètent
pour répondre aux questions posées par la nouvelle gestion des milieux flu-
viaux : depuis le rapportage à large échelle demandé par l’Union européenne,
en passant par le suivi de réseau de surveillance et l’étude fine des proces-
sus physiques responsables d’un déséquilibre constaté à l’échelle du tronçon.
Même si la tentation d’apporter des réponses simples à des problèmes com-
plexes demeure, la mise en œuvre de la DCE a contraint les administrations,
les gestionnaires et les consultants à faire un effort massif de formation. Cela
se traduit aujourd’hui par une meilleure compréhension générale du fonc-
tionnement des cours d’eau. Cette amélioration générale des connaissances
et la meilleure intégration de l’hydromorphologie dans la gestion des rivières
doivent être considérées comme l’un des succès de cette évolution à laquelle
les géographes ont largement participé même s’il convient de rester vigilant
sur les dérives potentielles des approches par indicateurs.
Chapitre 18

Enseigner les processus


biophysiques en géographie
aujourd’hui

LA TRANSFORMATION de l’analyse des processus biophysiques en géo-


graphie, et de leur articulation avec les enjeux sociaux associés, implique
une approche adaptée de l’enseignement de ces processus. Sur des sujets
médiatisés (ex. changement climatique, biodiversité) comme sur des thèmes
plus spécifiques (ex. projets d’aménagement controversés), la compréhen-
sion de ces processus est un élément important. Préparer les étudiants à la
complexité des socio-écosystèmes, leur apprendre à voir au-delà de caté-
gories simplistes, représente en effet un enjeu majeur, notamment pour les
thèmes les plus médiatisés. La géographie peut ainsi former des citoyens
capables d’interagir dans un débat et des géographes capables d’être cri-
tiques en remontant aux phénomènes en jeu, de dialoguer avec les autres
disciplines scientifiques et les acteurs d’un territoire et de proposer un
regard expert sur un thème précis. Dans ce chapitre, nous présentons des
éléments de compréhension et d’organisation des enseignements univer-
sitaires afin de mettre en œuvre une pédagogie préparant les étudiants
géographes à l’analyse des milieux au temps de l’Anthropocène, mais nous
ne présenterons pas comment la géographie ou les processus biophysiques
sont enseignés dans les cursus ante-universitaires [cf. HUGONIE, 2008 ;
ROBIC et ROSEMBERG, 2016].
238 ! Géographie de l’environnement

Un défi pédagogique : articuler des


connaissances de plus en plus pointues
Un contexte mouvant
Qu’il cherche à transmettre des connaissances ou des compétences
(cf. encadré), l’enseignement universitaire est intimement lié à l’évolution
des disciplines scientifiques. En effet, le développement ou l’abandon de
concepts, de thèmes ou de champs d’investigations dans le domaine de
la recherche se traduit inévitablement par une modification du contenu
des cours dispensés. Ainsi, certains pans de la géographie sont-ils pro-
gressivement évacués de certains programmes, comme la géomorphologie
structurale ou la pédologie, et des thèmes comme le fonctionnement
biophysique de l’environnement urbain ou la restauration des systèmes
écologiques dégradés sont-ils aujourd’hui largement intégrés dans les
programmes de géographie alors qu’ils en étaient absents il y a quelques
décennies. Cela s’explique en partie par la production de supports sus-
ceptibles d’alimenter un contenu pédagogique (articles, rapports, figures,
données, etc.) et, dans le système universitaire de la plupart des pays, par
la nature d’un corps enseignant composé en grande partie d’enseignants-
chercheurs.
Or la géographie, à l’image des autres disciplines scientifiques, est
caractérisée par une évolution forte depuis sa formalisation en institution
académique qui voit l’accroissement général du nombre de géographes, une
réorientation des thèmes dominants sous l’effet de rapports de force internes
et la spécialisation progressive des savoirs et des méthodes [GIUSTI et al.,
2015]. Certaines questions de recherches disparaissent progressivement
et d’autres deviennent souvent plus pointues ce qui implique que chaque
génération d’étudiants fait face à un volume de connaissances disponibles
et à une diversité et une technicité des méthodes d’analyse et d’observation
plus importants que la génération précédente. Caricaturalement, on ne se
contente plus de classer les formes de relief, les types de climats, les forma-
tions végétales et les régimes des cours d’eau, on mesure les vitesses d’ablation
et de dépôt au sein de chaque type de formes par suivi LiDAR, on détermine
l’effet de la modification de l’occupation du sol sur la fréquence des étiages
en couplant le suivi par télédétection, les mesures in situ et la modélisation
hydrologique, on étudie les impacts du réchauffement global aux échelles
régionales et locales en utilisant les projections du changement climatique,
en combinant des méthodes de désagrégation et en développant des réseaux
de mesure et d’observation locale, etc.
Enseigner les processus biophysiques en géographie aujourd’hui ! 239

Le développement des approches par compétences


dans l’enseignement supérieur
L’enseignement supérieur est traditionnellement ancré dans une transmission
de savoirs et de connaissances. Une connaissance est un contenu, une somme
d’informations que l’on peut transmettre, apprendre, stocker. Il est par exemple
possible d’apprendre les caractéristiques des principaux types de sols ou de
régimes fluviaux dans le monde. Une fois cette connaissance acquise, elle peut
être mobilisée dans un contexte particulier ou pour répondre à une question don-
née. Depuis la fin du XXe siècle, les approches par compétences se développent
dans l’enseignement général, après avoir essentiellement concerné la formation
professionnelle. Une compétence est une capacité à mettre en œuvre des activités
(diagnostiquer, élaborer, mobiliser, etc.), des ressources (connaissances, tech-
niques, données, méthodes, etc.) dans un contexte et pour un objectif donnés.
Ces compétences peuvent être transversales (ex. savoir communiquer un résul-
tat scientifique) ou spécifiques (ex. réaliser un diagnostic des risques sur une
commune). Les compétences comprennent aussi une dimension comportemen-
tale (ex. animer un groupe).
Cette évolution est un mouvement mondial, profond et encouragé institutionnel-
lement, par exemple par l’OCDE ou le processus de Bologne. Elle est diversement
considérée par la communauté enseignante et par les sciences de l’éducation.
Pour certains, il s’agit d’un affaiblissement, voire d’un abandon, des savoirs,
de la culture et du développement des individus au détriment d’une approche
utilitariste mettant l’accent sur le rendement et l’efficacité des individus au sein
du marché du travail. Pour d’autres, il s’agit de renouveler les pratiques péda-
gogiques et notamment d’améliorer l’articulation entre savoirs fondamentaux et
mise en situation. Pour Crahay [2006], « l’approche par compétences s’attaque
à un vrai problème – celui de la mobilisation des connaissances en situation de
problème – mais propose une solution bancale ».

Évidemment d’autres éléments font également évoluer les ensei-


gnements. Par exemple, l’encouragement à développer des filières dites
professionnalisantes (licences professionnelles, formation continue, etc.)
se traduit par la multiplication de formations orientées vers un métier ou
un objet comme la gestion de l’environnement, la gestion intégrée du lit-
toral, et non définies par une discipline (ex. géographie, biologie). De plus,
la montée en puissance des outils numériques est un élément qui modi-
fie le rapport à la connaissance et aux modes d’apprentissage. Enfin, la
construction des offres de formation répond également à un ajustement
aux forces vives présentes dans chaque équipe pédagogique et donc à la
taille et à l’histoire de ces équipes (historiques de recrutements, logique de
spécialisation et d’appel d’offres de type « programme d’investissements
d’avenir », etc.).
240 ! Géographie de l’environnement

Exemples de supports pédagogiques disponibles en ligne


L’essor du numérique dans l’enseignement prend diverses formes en modifiant
aussi bien les dispositifs pédagogiques que l’accès aux connaissances. Concernant
ce dernier, de nombreuses sources sont dorénavant accessibles en ligne. Pour la
géographie de l’environnement, cela inclut :
• des sites dédiés à la géographie comme les sites Géoconfluences (http://
geoconfluences.ens-lyon.fr) ou Hypergéo pour le vocabulaire (http://www.
hypergeo.eu) ;
• des manuels en lignes (http://www.physicalgeography.net/) ;
• des revues disciplinaires qui ont fait de l’enseignement et de la pédagogie
leur objectif comme les Feuilles de géographie (https://feuilles-de-geographie.
parisnanterre.fr) ;
• des sites dédiés à la pédagogie des sciences naturelles comme les sites de l’ENS
(https://planet-terre.ens-lyon.fr) ou du Muséum national d’histoire naturelle
(http://edu.mnhn.fr/course/view.php?id=47).

Quel bagage biophysique donner ?


Enseigner la géographie de l’environnement, c’est donc se retrouver
confronté à la difficulté d’enseigner une gamme potentiellement très large
de savoirs et de compétences. En effet, par définition, les questions envi-
ronnementales sont des phénomènes hybrides et les étudiants doivent
mobiliser conjointement des connaissances sur les processus biophysiques
et sur les processus sociaux, que ces connaissances soient des productions
scientifiques ou issues d’autres sources (cf. chapitre 7 sur les approches par-
ticipatives). La traduction pédagogique de cet état de fait est la coexistence
dans les cursus universitaires d’enseignements concernant ces différents
processus. Le phénomène de spécialisation scientifique mentionné précé-
demment soulève trois questions.
1. Certains géographes soulèvent le risque d’une appréhension des enjeux
environnementaux uniquement par les approches sociales et donc d’un
abandon de la compréhension des processus biophysiques associés, alors
même que les enjeux environnementaux, au cœur de nombreux débats
de société comme le changement climatique ou l’érosion de la biodiver-
sité, nécessitent un minimum de compréhension des mécanismes sous-
jacents1. Ainsi, la spécialisation au sein de la géographie pose-t-elle la
question de l’organisation de chaque enseignement de spécialité : quel
est le niveau de détail avec lequel chaque spécialité doit être enseignée ?

1. Le risque inverse d’une intégration maladroite des dimensions sociales par des étudiants en
sciences naturelles existant évidemment.
Enseigner les processus biophysiques en géographie aujourd’hui ! 241

Comment aborder les processus biophysiques d’une façon rigoureuse et


accessible dans une formation accueillant des étudiants qui n’ont pas les
mêmes bases de connaissance initiales et qui ne se destinent pas nécessai-
rement à des métiers de l’environnement ?
2. Le développement de spécialités ou de branches cloisonnées peut appa-
raître comme une tendance naturelle d’évolution des sciences, mais,
d’une part, cela n’est pas représentatif de toutes les pratiques comme en
atteste l’existence depuis longtemps d’approches intégrées ou systémiques
(hydroclimatologie, hydrogéomorphologie, biogéomorphologie, etc.)
et, d’autre part, cela va à l’encontre d’une forme de programme géogra-
phique visant à aborder l’espace dans toutes ses composantes matérielles
et idéelles. Ainsi, d’un point de vue pédagogique, cette question relève de
la construction des parcours de formation et de l’articulation, au sein de
ces parcours, entre l’ensemble des enseignements portant sur l’environne-
ment dont sur les processus biophysiques.
3. La diversité de milieux géographiques étudiés est également un enjeu afin
d’éviter les effets de spécialisation régionale excessive, les Bretons étudiant
le climat océanique et les littoraux, les Nancéiens les climats continentaux
et les plateaux sédimentaires.

Construire des parcours de formation


Commencer par faire ses gammes ?
Faisons une analogie avec la musique et imaginons qu’être capable d’analy-
ser un enjeu environnemental complexe revient à être capable de maîtriser
un instrument de musique pour jouer des morceaux élaborés. Dans ce cas,
une des organisations possibles des enseignements reviendrait à commencer
par apprendre le solfège, c’est-à-dire commencer par apprendre l’ensemble
des processus élémentaires à l’œuvre dans chaque branche (ex. les proces-
sus du cycle de l’eau comme la précipitation, l’évaporation, l’infiltration, etc.
ou les processus d’adaptation et de diversification du vivant). Cet apprentis-
sage permet ensuite de jouer des morceaux élaborés, c’est-à-dire d’intégrer
les processus biophysiques dans des enjeux environnementaux comme en
analysant l’effet du changement climatique sur les risques associés aux glis-
sements de terrain ou le poids relatif des forêts tropicales dans l’enjeu de
conservation de la biodiversité. Schématiquement, cette approche permet
de poser les briques fondamentales de connaissances avant de les mobili-
ser au service d’une analyse contextualisée et intégrée d’un système et/ou
d’un territoire. En ce qui concerne les branches classiques de la géographie
biophysique, cette approche génère parfois une forme d’appréhension, voire
242 ! Géographie de l’environnement

de rejet, de la part des étudiants qui, pour certains, la trouve rébarbative ou


éloignée de leurs attentes.

Commencer par jouer des morceaux ?


En conservant notre analogie, il est également possible de construire un cur-
sus en commençant par faire jouer des morceaux, c’est-à-dire par aborder une
question connue, emblématique et relativement simple à traiter, du moins en
première approche, comme l’érosion de la biodiversité, le changement clima-
tique ou les risques. En étudiant des morceaux de plus en plus compliqués,
il convient d’apprendre de nouvelles notes, de nouvelles techniques de jeu.
De même, étudier des enjeux de plus en plus compliqués ou rentrer de plus
en plus dans la complexité des questions environnementales oblige à mieux
connaître les processus sous-jacents. Schématiquement, cette approche per-
met d’acquérir des connaissances, c’est-à-dire d’apprendre à trouver, à trier
et à hiérarchiser des informations, au service d’une problématique et donc de
mieux situer le sens d’une connaissance spécifique au sein d’un projet de for-
mation globale (le fameux « à quoi ça sert ? »). Ce type d’approche est parfois
accusé de diluer les connaissances fondamentales et de ne pas proposer une
structuration rigoureuse de ces connaissances, et donc in fine d’appauvrir
l’étude de chaque spécialité.

Un va-et-vient permanent ?
Évidemment, ces deux approches représentent deux pôles théoriques oppo-
sés et la réalité des formations est souvent bien plus complexe. Dans les
faits, l’examen des maquettes du niveau licence dans plusieurs universités
françaises montre la diversité des situations. Ainsi, certains cursus font une
place relativement faible aux processus biophysiques (moins d’un cours
par semestre) et, dans ce cas, se positionnent sur une entrée « environne-
ment ». (Exemples d’intitulés de cours : L’homme dans son environnement,
Les milieux naturels et leurs aménagements, Géo-environnement). D’autres
présentent une structure de licence globalement bâtie sur les branches his-
toriques de la géographie biophysique avec 1 à 2 cours dédiés par semestres :
géomorphologie, climatologie, hydrologie, biogéographie, pédologie, etc.
Dans certains cas, en parallèle, des formations enseignent l’intégration de ces
branches dans les problématiques environnementales tout au long du cur-
sus via des cours plus transversaux comme l’approche intégrée de milieux,
les études d’impact, ou les changements environnementaux. Enfin, certaines
formations affichent une entrée par objets (ex. l’eau), par concepts (ex. géo-
système, paysage) ou par enjeux (ex. changement climatique et forêt) et non
par les branches.
Enseigner les processus biophysiques en géographie aujourd’hui ! 243

Enseigner des champs spécialisés :


l’exemple de la géographie de la végétation
La place des processus écologiques
L’articulation entre connaissances fondamentales des processus biophy-
siques et enjeux associés est également un élément qui concerne l’échelle
d’un cours donné. La géographie du vivant, et notamment de la végétation
(la question animale étant globalement moins présente dans l’enseignement
géographique), offre un bel exemple de l’évolution des contenus et approches
pédagogiques (tableau 18.1). Ainsi, les connaissances sur le vivant en matière
de processus physiologiques et biologiques (croissance, évolution, modes
de reproduction, etc.) et de facteurs écologiques (rôle de la lumière, rôle du
sol, types de sols, etc.) ne sont plus nécessairement abordées dans le détail
(ouvrage 3) comme un préalable à l’étude du vivant (ouvrages 1 et 2). Ces
éléments interviennent au fur et à mesure de celle-ci et occupent évidem-
ment une place bien moindre que dans les ouvrages ancrés en biologie où ils
constituent la quasi-totalité du contenu (ouvrage 4).

Tableau 18.1 Sommaires de quatre manuels consacrés


à la géographie du vivant

Principes généraux de la biogéographie


• Classification et évolution
Tome 3, Biogéographie, 7e éd., Armand Colin, 1955.
CHEVALIER et GUÉNOT, Traité de géographie physique,

• Extension des espèces, moyens de dissémination


• Les milieux et la vie sociale
Les facteurs climatiques et topographiques dans
leurs rapports avec la vie des plantes
Les sols dans leurs rapports avec la végétation
• Propriétés des sols
• Classification des sols
• Rapports des plantes avec certains genres de sols
Ouvrage 1

• Plantes indépendantes du sol


Les associations végétales
• Principes généraux
• Les associations végétales aquatiques
• Les associations végétales terrestres
Actions de l’homme sur la végétation et associations
végétales dues à son intervention
• Conditions de l’action de l’homme sur la végétation
• Les systèmes de culture dans leur rapport
avec la végétation
• Associations dues à l’action de l’homme
244 ! Géographie de l’environnement

Les régions botaniques continentales


• Notions générales
• Région holarctique
• Région méditerranéenne
• Région désertique tropicale
• Régions intertropicales
• Régions australes
• Exemple de la flore insulaire
Milieux biologiques et associations animales, l’habitat
aquatique
• La mer
• Eaux saumâtres et sursalées
• L’eau douce
L’habitat terrestre
• Conditions de l’habitat terrestre
• Types variés d’habitat terrestre
• L’habitat souterrain
• Le domaine de l’influence humaine

Traits essentiels de la biologie des végétaux


• Constitution et nutrition des tissus des végétaux
vasculaires
• Quelques types particuliers d’organisation biologique
BIROT, Géographie des paysages végétaux, S.E.D.E.S.,

• Le cycle végétatif : développement et croissance


Le rôle biologique des principaux facteurs physiques
• Le sol et les plantes
• L’eau et les plantes
• Les facteurs photo-thermiques
• Le rôle du vent et du feu
Les zones tempérées et froides
• Généralités
Ouvrage 2

1965.

• La taïga
• La toundra
• Les formations forestières de la zone tempérée
• Les formations forestières de la zone subtropicales
• Les prairies de l’hémisphère boréal
• L’étagement de la végétation en altitude dans la zone
tempérée
• Les formations végétales des zones tempérées et froides
dans l’hémisphère sud
• La végétation littorale des zones tempérées et froides
La zone chaude non aride
• La forêt sempervirente
• Les mosaïques à grand format forêt-savane
• Les marges semi-arides de la mosaïque forêt-savane
• L’étagement de la végétation dans la zone intertropicale
Enseigner les processus biophysiques en géographie aujourd’hui ! 245

Les régions arides


• Les demi-déserts à végétation diffuse
• Les déserts absolus

Modèles spatiaux hérites : découpages, limites


et discontinuités dans la biosphère
• L’univers végétal
• À petite échelle, le modèle zonal
ALEXANDRE et GÉNIN, Géographie de la végétation

• Le modèle de l’étagement de la végétation en montagne


• À grande échelle, le modèle de la mosaïque
• Le modèle spatio-temporel du climax : la fin
terrestre, Armand Colin, 2012.

d’un paradigme ?
• Modèles alternatifs : continuum, gradient analyses
La végétation dans la géographie de l’environnement
Ouvrage 3

et du développement durable
• Le couvert végétal, marqueur de l’anthropisation
de la biosphère
• Le monde végétal, ressource pour les sociétés humaines
• Les forêts, entre idéal de nature et déforestation
• Vers une géographie prospective de la végétation ?
• La végétation et l’espace urbain
Analyse de la végétation : méthode et techniques
• Les données botaniques spatialisées : échelles,
échantillonnage, collecte
• Analyse spatiale d’un ensemble de données floristiques ;
exemple d’un transect phytoclimatique à travers
l’escarpe cévenole
• Paysage, écologie, environnement

Introduction
Les cheminements de la connaissance en biologie végétale
LABERCHE, Biologie végétale, 3e éd.,

Savoir décrire un végétal


Comment s’appelle cette plante ?
Quelle est sa parenté ?
Dunod, 2010.

Quelle est son histoire ?


Ouvrage 4

L’organisation cellulaire
L’organisation tissulaire de la plante
La reproduction
La nutrition de la plante
La plante dans son milieu environnant
L’homme et les plantes
246 ! Géographie de l’environnement

Déclin de certains pans de connaissances


et nouvelles approches
La place des connaissances évolue, mais les volumes dédiés à chaque
thème sont également variables, ce que reflètent les manuels universitaires.
Dans l’exemple de la géographie de la végétation, l’ouvrage le plus récent
(ouvrage 3) donne ainsi une moindre place à la description de sols, à l’ap-
proche zonale et à la classification des formations végétales au profit des
relations végétation-société et des méthodes qui font l’objet de parties à
part entière avec un exposé d’exemples variés. De plus, certains modèles
d’organisation spatiale, notamment celui la distribution zonale des biomes,
constituant le cœur des ouvrages plus anciens (ouvrages 1 et 2) y sont traités
sous un angle plus critique.

La diversité des formes de pédagogie


Il est impossible de présenter ici en détail toutes les pratiques pédago-
giques qui permettent aux étudiants d’acquérir une bonne compréhension
des processus biophysiques au service d’une question environnementale.
En effet, en parallèle des formes instituées telles que les cours magis-
traux, les travaux dirigés et les sorties de terrain, de nombreuses formes
pédagogiques sont disponibles, comme l’apprentissage par le jeu ou par
le projet.
Ainsi, la pédagogie sur projet est présente dans la majorité des for-
mations sous la forme de projets individuels, comme la réalisation de
mémoires, ou des projets collectifs, parfois dans le cadre d’une commande
d’un organisme comme le projet de paysage qui correspond à une action
d’aménagement, de gestion ou de protection d’un espace dans le but
d’améliorer le cadre de vie des populations. Quelle que soit la nature de
la commande, la démarche de ce type de projet reste la même et com-
mence par un diagnostic mené à plusieurs échelles spatio-temporelles de
façon à comprendre les étapes et processus de transformation du paysage.
Pour mener à bien son travail interdisciplinaire, l’étudiant doit disposer de
connaissances et de compétences en sciences naturelles et de l’ingénieur,
en sciences humaines et sociales, en analyse de données et en représen-
tation graphique. Classiquement, les phases de travail sont les suivantes :
commande, diagnostic, synthèse des enjeux, intentions de projet et
orientations préconisations. Toutes ces étapes sont formalisées par des
productions graphiques variées (carte, schéma, bloc diagramme, coupe…).
Les données et processus biophysiques sont intégrés au diagnostic puis
pris en compte dans les phases ultérieures. La nature des données mobi-
lisées varie en fonction de l’espace étudié et des questions abordées. Elles
Enseigner les processus biophysiques en géographie aujourd’hui ! 247

peuvent recouvrir tous les champs de la géographie biophysique : dyna-


mique du trait de côte, nature du substrat, organisation de la mosaïque
des écosystèmes, etc. Le diagnostic est construit à partir d’observations de
terrain (croquis, caractérisation des sols, etc.) et de synthèses de données
existantes (MNT, données climatiques, etc.).
De même, plusieurs formes de jeux peuvent être mobilisées dans un
cadre pédagogique : jeux sérieux ou serious games, jeux de rôles, jeux de
plateau, etc. Les étudiants doivent prendre des décisions dans un proces-
sus d’aménagement ou des positions dans un débat. Pour cela, il s’agit de
mobiliser des connaissances, mais surtout de les mobiliser à bon escient,
il faut donc les avoir assimilées. Les situations sont diverses, il peut s’agir
de concevoir des projets d’aménagement en limitant les impacts environ-
nementaux, de négocier autour d’une controverse environnementale ou
de la gestion d’un paysage, etc. Par exemple, dans un cours sur la protec-
tion des milieux d’intérêt écologique (cf. encadré), les étudiants doivent
endosser un rôle dans un projet fictif de développement d’infrastruc-
tures nécessaires au déroulement d’activités sportives sur un plan d’eau
présentant des enjeux écologiques forts (espèces protégées, etc.). Ils
doivent ensuite débattre des choix à réaliser en matière de localisation
et temporalité des activités en fonction de la perspective de leur acteur.
Pour alimenter le débat, des données biophysiques sont disponibles. Par
exemple, les étudiants disposent de listes faunistiques et floristiques. Ils
doivent consulter ces listes, identifier les statuts des espèces, comprendre
les exigences écologiques des espèces sensibles (ex. habitats fréquen-
tés, date de nidification, sensibilité à la qualité de l’eau, etc.) et évaluer
comment le projet d’aménagement est susceptible de modifier les condi-
tions biophysiques du site et donc d’affecter négativement les espèces,
notamment celles qui sont protégées.

Exemple d’une séquence pédagogique autour de la protection


des milieux d’intérêt écologique1
Objectifs : acquérir des connaissances sur les raisons, les outils, les modes de pro-
tection des socio-écosystèmes et développer une approche critique de la gestion
de l’environnement.
Prérequis : connaissance du vocabulaire associé à la géographie de l’environne-
ment, connaissance de base en biogéographie.
Organisation : 6 séances de 2 heures de cours magistraux et 12 séances de
2 heures de travaux dirigés.

1. Séquence de cours conçue par Johan Oszwald et Simon Dufour pour la licence 3 de Géographie
et d’Aménagement de l’université Rennes 2, années 2017-2020.
248 ! Géographie de l’environnement

Séquences de cours magistraux :


Pourquoi protéger la nature ? (1 séance)
Objectif : comprendre les raisons écologiques, éthiques et socio-économiques de
la protection.
Comment protéger la nature ? (3 séances)
Objectif : connaître l’historique, les modes, les acteurs et la variabilité géogra-
phique des formes de protection.
Effets socio-écologiques de la protection (2 séances)
Objectif : savoir évaluer les effets des actions de protection sur les espèces ani-
males et végétales, les effets sur les paysages et sur les populations locales.
Séquences de travaux dirigés :
Mise en place du jeu de rôle (1 séance)
Objectif : présentation du principe, distribution de documents, attribution des
rôles, élaboration de programme de travail.
Les habitats et les espèces protégés (1 séance)
Objectif : être capable d’identifier les habitats et les espèces protégés, ainsi que
leurs exigences écologiques.
Étude de cas en France et hors France (2 séances)
Objectif : illustrer les notions et les outils étudiés dans des contextes variés.
Jeu de rôle (2 séances)
Objectif : mettre les étudiants en situation (séance 1) et évaluer avec les résultats
ainsi que leur participation au jeu (séance 2).
Modalité d’évaluation :
• un contrôle de connaissance individuel sur table à mi-parcours ;
• un exposé en groupes de 2 ou 3 étudiants de 15 minutes présentant un espace
protégé (localisation et contexte socio-écologique, statut, habitats et espèces
remarquables, modes de gestion, difficultés rencontrées) ;
• une note sur la participation au jeu rôle (activité pendant le jeu et restitu-
tion du positionnement de l’acteur joué par fiche après le déroulement du
jeu).
Enseigner les processus biophysiques en géographie aujourd’hui ! 249

Conclusion
Les débats autour du changement climatique et des réponses sociales qu’il
implique illustrent l’enjeu d’assurer une formation solide des citoyens et
des acteurs publiques, une formation qui permette de comprendre les pro-
cessus biophysiques et les dimensions sociales en jeu derrière les grandes
questions environnementales. Cela passe notamment par le maintien d’un
enseignement de la dimension biophysique dans les formations à domi-
nantes de sciences humaines et sociales et par une réflexion plus avancée
sur la formation continue. En parallèle des contenus, la transformation
numérique de la société questionne nécessairement les modes d’appren-
tissages, par exemple en matière d’articulation entre l’enseignement
présentiel et les supports en ligne. À ce titre, on peut noter la relative fai-
blesse des supports disponibles dans le supérieur par rapport aux efforts
faits dans le secondaire, et notamment des supports dédiés à la géographie
biophysique.
Conclusion

CE MANUEL PROPOSE de rendre compte des transformations progressives de


la géographie biophysique. Certes, comme nous l’avons montré, la géographie
biophysique contemporaine continue de s’appuyer sur les connaissances et
les concepts forgés au cours du siècle passé par les géographes et les disci-
plines voisines en particulier les sciences de la Terre, les sciences de la vie et les
sciences humaines et sociales, de l’archéologie à la sociologie. Mais, en paral-
lèle, elle ne cesse de se renouveler à la fois dans ses objets, ses méthodes et ses
pratiques. Ces transformations sont doubles. Premièrement, elles s’inscrivent
dans une trajectoire sous-disciplinaire de diversification en microspécialités,
dont rend compte la multiplication de manuels de plus en plus épais, ou de
plus en plus pointus, consacrés à des champs thématiques ou méthodologiques
de plus en plus étroits. Deuxièmement, elle n’a eu de cesse de contribuer et
d’entretenir des approches systémiques pour traiter d’enjeux plus généraux
comme ceux liés à l’écologie ou aux risques. Le manuel décrit principalement
ce deuxième type d’approche même si celui-ci n’est pas sans incidence sur
le premier comme le montrent les chapitres de l’ouvrage consacré au chan-
gement climatique et à ses conséquences (chapitres 11 et 15) ou à la gestion
contemporaine des cours d’eau (chapitre 17).

Approfondissement et renouvellement
Que ce soit un enjeu de la recherche ou non, la géographie biophysique a
assimilé que « La nature en tant que grand Autre, voici ce qui en effet est
fini » comme l’écrit John Baird Callicott [1992]. Autrement dit, il n’est
plus aujourd’hui envisageable d’étudier les processus biophysiques comme
extérieurs aux pratiques humaines et à leurs conséquences cumulées dans
un temps long (figure 19.1). Le plus souvent, même si la dynamique éco-
logique, hydro-sédimentaire ou gravitaire, par exemple, demeure au
centre de l’étude, les recherches intègrent préalablement l’anthro-
pisation et les actions humaines. Soit parce que ces actions ont produit les
objets – aussi bien les infrastructures comme les digues (chapitre 9), les lacs
252 ! Géographie de l’environnement

de barrage (chapitre 14), les pylônes de remontée mécanique (chapitre 15),


que les espaces verts franciliens (chapitre 13) – ou les processus – les crues
urbaines (chapitre 6), les mouvements gravitaires liés au changement cli-
matique (chapitre 15), l’érosion littorale due en partie à la remontée du
niveau marin (chapitre 16) – qui sont au cœur de l’étude, soit par ce qu’elles
conditionnent le cadre géographique de l’étude (limite du bassin-versant et
définition du réseau hydrographique, chapitre 12, etc.), soit parce qu’elles
sont conscientes des tris, des choix, qui sont faits dans la biodiversité ou dans
les dynamiques biophysiques en fonction de critères qui expriment in fine des
choix d’ordre politique (géodiversité, chapitre 10 ; biodiversité, chapitre 13 ;
indicateur de qualité d’un milieu, chapitre 17, etc.). L’alternative entre for-
çages d’origine naturelle et anthropique reste encore souvent de mise, mais,
une lecture attentive des recherches montre en général que cette manière de
dire cache en fait une réflexion qui oppose le plus souvent les actions directes
des sociétés contemporaines sur le phénomène étudié aux autres processus
(abats d’eau exceptionnels, sécheresse, séisme, dynamiques écologiques,
auto-ajustement des systèmes, etc.) qui sont eux-mêmes une combinaison
complexe de processus biophysiques spontanés et d’héritages coproduits par
les activités humaines (changements climatiques, agencement du biotique et
de l’abiotique dans des milieux hérités, etc.). Même si les progrès de la séman-
tique restent encore en retrait et ne rendent pas justice au cadre conceptuel
dans lesquelles les géographes biophysiciens travaillent aujourd’hui, il faut
bien constater qu’ils ont bien assimilé que la nature contemporaine est un
hybride. Preuve que les choses changent, on observe également un regain
d’intérêt pour les réflexions épistémologiques et ontologiques [voir par
exemple GUNNELL, 2009 ; GIUSTI, 2012 ; GIUSTI et al., 2015 ; BALLOUCHE,
2016 ; GAUTIER et PECH, 2016 ; DUFOUR et LESPEZ, 2019 ; LESPEZ et DUFOUR,
2020] auquel l’ouvrage espère participer.
La deuxième évolution dont rend compte ce manuel est l’affirmation
d’une géographie biophysique située qui s’inscrit dans un monde rugueux
pour reprendre les propos de Denis Chartier et Étienne Rodary [2016]. Après
une longue période de désintéressement relatif pour les approches réflexives
et politiques, justifié ou non par la volonté de développer des démarches qua-
lifiées illusoirement d’objectives [LASLAZ, 2017], la géographie biophysique
n’est plus indifférente à la critique comme le montre le chapitre 3. D’une
manière générale, le géographe biophysicien sait bien qu’il étudie des objets
ou des processus qui sont le résultat de rapports de domination qui articulent
plusieurs formes de capital (naturel, culturel, socio-économique et spatial).
Les travaux conduits sur les trajectoires historiques (chapitres 8 et 9), la res-
tauration écologique (chapitre 13), les modalités d’aménagement des littoraux
(chapitre 16) ou la lutte contre les risques [DAUPHINÉ et PROVITOLO, 2013]
démontrent le poids des rapports de force qui s’exercent.
Conclusion ! 253

Figure 19.1 Créer un environnement naturel ?

Burton Mail Centenary Woodland (Staffordshire, Royaume-Uni) : « Creating a natural envi-


ronment ». Panneau d’information situé sur un chemin d’entrée dans un parc périurbain
dans la plaine alluviale de la Trent. Cette photographie illustre à la fois l’hybridité et le
paradoxe de la nature contemporaine et le fait que la reconquête de la nature est un projet
socio-politique appuyé sur des connaissances scientifiques.
Photo : © L. Lespez.

Mais il est vrai aussi, que dans la géographie française, plus nombreux ont
été ceux à ne pas participer au débat plutôt que ceux qui s’y sont impliqués
directement [CHARTIER et RODARY, 2016]. Depuis une quinzaine d’années,
le développement de pratiques réflexives assumées [GUNNELL, 2009 ; GIUSTI,
2012] (chapitres 16 et 17) change petit à petit les choses. Les recherches prati-
quées sur la restauration écologique par les géographes biophysiciens en sont
un bon exemple. Partis de démarches empiriques de terrain visant à définir
des fonctionnements biophysiques optimaux en fonction des critères domi-
nant à l’époque de la recherche, elles se sont ainsi progressivement emparées
des questions des objectifs de la restauration et de leur dimension ontologique
[DUFOUR et PIÉGAY, 2009 ; LESPEZ et al., 2013 ; LESPEZ et GERMAINE, 2016]
(figure 19.2), de la question de la domination disciplinaire au sein des sciences
ou des connaissances impliquées dans les processus de restauration et de la
configuration des relations entre pouvoir et expertise [LESPEZ et al., 2013,
2016 ; LESPEZ et GERMAINE, 2016 ; DUFOUR et al., 2017]. Cependant , peu nom-
breux sont encore les chercheurs en activité à s’inscrire dans le débat au-delà
de la sphère de l’expertise et donc à s’emparer du politique sur ces questions.
254 ! Géographie de l’environnement

Parallèlement à cette évolution, le développement des pratiques participatives


stimule le travail réflexif. L’engagement dans le processus de collecte d’infor-
mation et de production de connaissance de personnes extérieures au monde
académique a en effet favorisé l’interrogation sur la pratique scientifique et la
manière dont elle pouvait être qualifiée et située (chapitre 7).

Figure 19.2 Des rivières au temps de l’Anthropocène

A. Conococheague creek (Pennsylvanie, États-Unis, PA). Reconfiguration de la rivière et de la


plaine alluviale après arasement d’un barrage : création de 32 seuils artificiels en pierres
et troncs immergés en V, plantations en aval et amont de l’ouvrage supprimé sous forme
d’une ripisylve et d’une opération de boisement du fond de vallée. B. Darby creek, quartier
périurbain de l’agglomération de Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis). La rivière a fait
l’objet d’un projet de restauration combinant les enjeux de la lutte contre les inonda-
tions et d’amélioration de la qualité écologique des milieux aquatiques redéfinissant sa
matérialité : accentuation de la sinuosité du tracé, berges profilées et stabilisées (enroche-
ments et dépôt de troncs dans les rives concaves), plantations d’arbres et arbustes dans la
plaine alluviale, aménagement de pelouses dans le lit majeur). C. Rivière Avon (Hampshire,
Royaume-Uni) est un des hauts-lieux de la pêche à la mouche dans le sud de l’Angle-
terre qui a fait l’objet de nombreuses opérations de restauration et de présentations in situ
des qualités écologiques de la rivière par l’intermédiaire de panneaux d’information et de
points de vue aménagés proposant une mise en scène de la nature. D. La Biberonne (Seine-
et-Marne, France). Petit cours d’eau périurbain traversant la plaine de France non loin de
Roissy marqué par des processus d’incision et d’envasement en relation avec la mise en
valeur agricole intensive et l’étalement urbain qui caractérise le bassin-versant.
Photos : © L. Lespez.
Conclusion ! 255

Ainsi, la discipline se renouvelle. La collecte d’informations sur le fonc-


tionnement des milieux hybridés à partir de démarche de type naturaliste
se fait de plus en plus en ayant assimilé qu’« à l’artificialisation de la nature
correspond la naturalisation de nos artifices » [LARRÈRE et LARRÈRE, 1997]
et de moins en moins sans questionnement sur la position du chercheur.

Une opportunité pour la discipline


Cette évolution ne devrait pas être sans conséquence sur le dialogue intra-
disciplinaire. Il faut constater que longtemps la nécessité de s’affirmer
scientifiquement, l’essor des recherches pluridisciplinaires et les crispations
intradisciplinaires n’ont pas favorisé la généralisation des approches intradis-
ciplinaires pour les questions environnementales. Bien souvent les approches
de type constructivistes se sont appuyées sur les spécialistes des sciences de
l’environnement, comme l’écologie dans le cadre du programme de la poli-
tical ecology [LASLAZ, 2017], alors que les géographes biophysiciens ont plus
facilement collaboré avec des chercheurs issus d’autres sciences sociales, les
historiens, les archéologues, les ethnologues et les sociologues en particulier.
Ce manuel s’inscrit donc dans une trajectoire d’invitation intradisciplinaire à
la suite de certaines propositions qui ont déjà initié ce processus [CHARTIER
et RODARY, 2016 ; LASLAZ, 2017]. La géographie a la chance d’héberger en
son sein des spécialistes qui, bien qu’ayant des pratiques et des références
historiographiques et épistémologiques différentes, ont eu une formation
couvrant en général une très forte diversité intradisciplinaire. Au moment
où certains promeuvent les approches par des champs thématiques, la géo-
graphie rappelle qu’elle est capable d’organiser en son sein des réflexions
intradisciplinaires qui peuvent avoir la richesse de discussions interdiscipli-
naires avec, sans aucun doute, une intercompréhension initiale de meilleure
qualité du fait du parcours de formation des discutants. La géographie bio-
physique au temps de l’Anthropocène, que présente ce manuel, est donc
un appel à un dialogue intradisciplinaire renouvelé plus qu’une tentative de
refondation institutionnelle d’un sous-champ disciplinaire appuyée sur de
nouvelles approches normalisées.
La réussite de ce dialogue autour de la question environnementale repose
sur l’émergence de scènes favorisant ces échanges entre les approches de
types constructivistes et les approches de types naturalistes mais elle implique
également une meilleure interconnaissance de l’environnement dont il est
question et en particulier de sa dimension matérielle. L’exemple des rivières
urbaines (chapitre 6) souligne la nécessité de comprendre les processus et les
objets qualifiés de biophysiques conjointement aux pratiques individuelles
et collectives et aux représentations ou au rapport de pouvoir qui les sous-
tendent. Éviter les discours parallèles ou les accords de surface demande sans
256 ! Géographie de l’environnement

doute de se réapproprier collectivement la matérialité et ses modes de pro-


duction, autrement dit de partager les connaissances sur les mêmes objets,
les mêmes processus hybridés. Cette intercompréhension localisée dans un
espace-temps explicite et située est un des moyens de prendre en charge la
rugosité du monde [CHARTIER et RODARY, 2016 ; GUILLE-ESCURET, 2018].
Elle implique que les chercheurs qui s’attachent à la question environnemen-
tale en fassent plus ; que les approches naturalistes s’intéressent de fait aux
pratiques et à leur ressort mais aussi, et symétriquement, que les approches
constructivistes s’emparent de la matérialité et des processus hybrides qui la
construisent. La recherche environnementale pourrait ainsi s’appuyer sur un
programme enrichi de la connaissance de l’espace dans lequel se déploie la
question environnementale depuis l’intérieur de la discipline. Cet enrichisse-
ment prend acte de l’hybridation du monde, c’est-à-dire de la transformation
de sa matérialité par nos pratiques, nos actions dans la durée et de sa combi-
naison avec une spontanéité, elle aussi hybridée et contingente. Cependant,
la fin des approches dualistes et la promotion des approches non-dualistes
ne sont pas une fin en soi [LESPEZ et DUFOUR, 2020]. L’enjeu est aujourd’hui
de mieux comprendre les interactions entre nous-mêmes, les hybrides qui
peuplent notre monde, et la spontanéité qui demeure dans la production de
la matérialité contemporaine.
Ce programme pour la géographie de l’environnement nous semble
pouvoir être développé en collaboration aussi bien avec les tenants d’une
géographie environnementale engagée [CHARTIER et RODARY, 2016] que
d’une géographie politique de l’environnement dégagée [LASLAZ, 2017]. Il
n’a pas pour ambition de résoudre les questions éthiques, quand bien même
elles sont bien sûr cruciales.

Enseigner la complexité
Pratiquer la géographie biophysique est exigeant, non seulement parce que
le programme scientifique change de plus en plus fréquemment et que les
nécessaires intradisciplinarité et interdisciplinarité demandent d’en faire
plus mais également parce que la connaissance scientifique est soumise au
doute par une part de plus en plus grande de nos citoyens.
Ce manuel rappelle la complexité des processus en jeu et leur difficile
réductibilité. Les recherches et le programme général exposé démontrent
l’inconséquence de la tentation réductionniste qui s’empare de nos sociétés
hypermédiatisées et à laquelle ne résistent pas certains éléments du monde
académique contemporain. La remise en cause de la crédibilité de la science
oblige l’enseignant-chercheur à faire l’apologie de la complexité dans la for-
mation qu’il dispense. En ce sens, les dynamiques médiatiques, en particulier
les réseaux sociaux, et des modes de production de la science, en particulier
Conclusion ! 257

les sciences participatives, offrent des opportunités pour faire sortir les
approches scientifiques du monde académique. Il s’agit alors de trouver la
distance entre la restitution de la complexité de notre monde contempo-
rain et la compréhension par le plus grand nombre, à commencer par les
étudiants, des phénomènes et des enjeux qu’étudie la géographie de l’envi-
ronnement au temps de l’Anthropocène.
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Index

A B
abiotique 14, 26, 135-136, 138-139, bassin-versant 14, 19-20, 28, 30, 79,
141-142, 145-146, 252 106, 125-127, 131-132, 161-168, 172,
agencement 24, 29-30, 36, 70, 77, 93, 190, 254
252 biodiversité 7, 9, 36, 51, 59, 88, 95,
agriculture 9, 14, 18, 20-21, 29, 36, 104-105, 118, 121, 124, 135-136, 138,
58-60, 62, 79, 85, 97, 100, 109, 114, 140, 142, 146, 173, 177, 180-182,
120, 125, 130-132, 147, 149-150, 161, 193, 226, 229, 237, 240-242, 252
164-165, 167, 172-173, 175-176, 178- biogéographie 8, 41, 55, 74, 101, 147,
179, 190, 192, 225, 232, 254 173, 184, 242-243, 247
agropastoral 19, 41, 51, 82, 88, 112- biotique 23, 26, 141, 226, 252
113
aléa 8, 34, 36, 60, 97, 125-127, 129,
204, 209-210, 214-215 C
aménagement 17, 19, 21-22, 35, 49, cadre de vie 8, 112, 173-174, 182-
59, 62, 80, 110, 119, 123-125, 129-130, 183, 246
132-133, 137, 149, 161, 169, 172-176,
capteur 68, 96, 100-101, 104, 106,
178, 180-184, 209, 212-213, 217-218,
150-151, 162
220, 232, 237, 242, 246-247, 252, 254
cartographie 61-62, 77, 142-143, 145,
analyse spatiale 69, 76, 78, 80, 143,
162, 165 164, 173, 179, 198-199
anthropisation 17-22, 24-26, 29-30, cause/causalité/causale 21, 40-43, 49-
35-36, 50, 54-55, 58, 79, 85-86, 88- 51, 55, 71, 76, 79, 90, 115-117, 129,
89, 112-113, 115, 123, 125-127, 130, 149, 174, 201-202, 216, 256
132-133, 135-137, 161, 163, 165, 167, chronologie 79
169-170, 173, 175, 177, 181-182, citoyen 95-102, 104-106, 149, 237,
185-186, 192, 194, 205, 209, 225, 249, 256
228, 232, 245, 251 climat/changement climatique 7, 14,
anthroposystème 13, 24-26, 33, 81, 17, 22, 27, 40-41, 43, 49, 51, 54, 57,
91, 187 82, 95-97, 104, 110, 112, 115, 117-
archéologie 83, 86, 109-110, 112, 118, 120, 127, 147-155, 161, 195-196,
117-118, 139, 145, 251 199, 201-202, 205, 209, 231, 237-238,
artificiel 29-30, 68, 85, 88, 132, 137-138, 240-242, 249, 251-252
163, 165, 185-187, 189, 193-194, 254 climatologie 68, 147, 151, 154, 242
272 ! Géographie de l’environnement

construction 10, 30, 41, 57, 62, 79, 192, 223-224, 226-228, 238, 243,
89-90, 124, 126, 175, 186, 190, 214, 245, 247-248, 251-252, 254-255
224-225, 229, 231, 234, 239, 241 empirisme/empirique 11, 21, 39-40,
constructiviste 11, 31, 81, 234, 255 43, 67, 69, 74, 82, 93, 162, 165, 167,
contrainte 17, 34-36, 50, 62, 68, 77, 253
91, 116, 144, 229 engagé/engagement 13, 46, 48, 95,
critique 45-52, 92, 106, 115-117, 126, 98, 101-102, 105-106, 210, 218, 254
133, 135, 142, 211, 228, 237, 246- érosion 18-22, 29, 35-37, 41, 50-51,
247, 252 57-58, 60-61, 68, 86, 89, 97, 110, 113,
115, 118, 121, 124, 126, 165, 170,
D 209-210, 212-216, 219, 240, 242, 252
espèce 9-10, 22-23, 38-41, 61, 68-69,
dégradation 54, 124, 131, 143, 192, 71-74, 77-78, 82-86, 97, 101, 111-
196, 201-205 112, 136, 138, 151, 177-179, 181-182,
distribution 36, 72-73, 77-78, 83, 127, 184, 218, 225, 243, 247-248
190, 198-200, 203, 246, 248 étang 187, 189
diversité 7, 11, 36, 40, 43, 47, 67-68, expérimentation 40, 56, 69, 103, 105
74-75, 82-84, 96-99, 135-137, 142- expert/expertise 12, 14, 47, 60, 62,
143, 161, 172-173, 176, 181, 226, 98, 106, 111, 123-125, 131, 144, 146,
231-232, 234, 238, 241-242, 246, 255
209-216, 219-221, 225-226, 232, 234-
données 12-13, 33-40, 43, 46, 61,
235, 237, 253
67-68, 71-72, 75-77, 83, 95-96, 98-
102, 104-106, 112-114, 118, 125-126,
143-145, 147-148, 150, 154-155, 173, F
177-178, 181, 190, 202-203, 209,
faune/faunistique 28, 86, 97, 113,
211-212, 214, 219, 225-226, 229-231,
135, 143, 183, 223, 225, 229, 247
233-235, 238-239, 245-247
feux 49, 53-56, 60, 82, 88, 113, 118,
149, 244
E flore/floristique 28, 54, 72, 86, 97,
eau 9, 28-29, 36, 43, 47, 49, 51, 57, 135, 143, 173-175, 177-178, 180-183,
62, 68, 70, 73, 75, 78-79, 83, 85-86, 192, 223, 225, 244-245, 247
88-92, 97, 110, 115, 120, 123-126, flux 19, 28-30, 37, 73, 78, 123, 151,
129-133, 138, 151, 161-167, 169-170, 153, 162, 165-166, 169, 192, 199, 228
175, 185-190, 192, 194, 202-204, forçage 58, 172
219, 223-226, 228-229, 231-232, 235, force 13, 21, 28-30, 35-39, 57-58,
238, 241-242, 244, 247, 251-252, 254 186, 214, 238-239, 252
échantillonnage 72, 143, 176-178, forme 8, 11, 18, 36, 39-40, 46-49, 59,
190, 245 61-62, 67-71, 74, 76-78, 82, 86, 92,
échelle 8-9, 19, 21-22, 31, 42, 50, 56, 96, 98, 101, 105-106, 113, 116, 123,
58, 68, 72, 74-77, 86, 88, 91, 95, 102, 125-126, 131-133, 136-139, 162, 165,
112, 118, 123, 133, 136-137, 142- 169, 178, 198-199, 228, 231, 238,
143, 147-151, 154-155, 161-167, 172, 240-241, 246-248, 254
174-175, 178, 182, 187, 193, 196,
200-201, 209, 213-214, 226-229, 231, G
233-235, 238, 243, 245-246
écologie 9, 24, 26, 41, 45, 51, 57, géodiversité 135-146, 252
59, 73, 82-83, 86, 88-90, 92, 97, 111, géologie 9, 18, 45, 61, 136, 143-144,
120, 124, 126, 130, 138-140, 143, 161, 164, 213
169-170, 172-175, 177, 180, 182-184, géomatique 75
Index ! 273

géomorphologie 13, 18, 21, 51, 82, M


109-111, 123, 127, 136, 138-139,
143-145, 147, 164-165, 167, 171, 195, mesure 11, 20, 40, 43, 45, 47, 49, 68,
201, 203-205, 209-211, 213-214, 221, 70-71, 73, 75-76, 83, 88, 92, 95, 100-
226, 228, 238, 242 101, 105-106, 124-125, 127, 129, 131,
géoscience 67, 136 142, 147-148, 150-151, 155, 162, 165,
géosystème 13, 22, 24-25, 28-30, 33, 167, 170-172, 190, 196, 198-200,
209-212, 221, 224-225, 229-231, 233-
81, 86, 88, 91-92, 147, 205, 242
234, 238, 243
gestion 7, 12-13, 17, 36, 39, 43, 47,
méthode 10, 13, 37, 39, 43, 47, 53-
49, 51, 57, 59, 62, 71, 76, 79, 83, 85, 56, 63, 67-68, 70-72, 75-77, 81-82,
91-92, 100, 110, 118, 123-124, 130, 86, 88, 92, 101, 104-106, 110-111,
132-133, 142, 150-151, 161-164, 169, 127, 139, 142-143, 146-148, 150-151,
172-175, 182, 192, 194, 209-210, 154-155, 162, 173, 175, 177-178,
212-216, 219-221, 224, 229, 235, 239, 184, 191, 198, 200, 211, 219, 224-
246-248, 251 227, 235, 238-239, 245-246, 251
milieu 8, 12-14, 18, 22, 24, 34-36,
H 47-48, 50-51, 53, 55, 59, 63, 76, 79,
81, 86, 89, 91, 110-111, 113-116, 118,
histoire/historique 9, 17, 26-27, 37, 121, 125, 130-132, 134, 149, 173-175,
48, 50, 55, 61, 83, 96-97, 102, 109- 177-178, 180-181, 184-185, 193-196,
110, 112, 114, 117, 125-127, 129- 204-205, 212-213, 219, 223-225, 233-
130, 137-139, 143-145, 161, 174, 212, 235, 237, 241-243, 245, 247, 252,
219, 228, 231, 233, 239-240, 242, 254-255
245, 248, 252, 255 mobilité 36, 61, 69, 78-79, 124, 129-
hybride 26-30, 33, 37, 67, 81, 86, 130
88-89, 91-93, 127, 131-133, 167, 172, modèle/modélisation 11, 21, 34, 40-
186, 188, 193-194, 240, 252, 256 41, 43, 59, 68-70, 78, 92, 104, 116-
hydrologie 7, 19-20, 30, 68-69, 79, 117, 131, 133, 135-136, 147-148,
88, 90, 123, 127, 136-137, 143-144, 150-151, 154-156, 162, 166-167, 169,
162-164, 167, 172, 175, 226-227, 231, 176, 198-200, 203, 211, 223, 227,
231-232, 238, 245-246
238, 242
montagne 14, 19, 43, 51, 72, 113-
114, 124, 126, 129, 163, 195-202,
I 204-205, 245
indicateur 12, 36, 46-47, 97, 151,
167, 178, 224-225, 229, 231-235, 252 N
inter/intradisciplinarité 10, 18, 67, naturaliste 11-13, 45, 50, 52, 56, 59,
81-82, 85-86, 89-93, 109, 134, 246, 70, 81, 92, 95-97, 101, 105, 111, 115,
255-256 124-125, 131, 134-135, 142-146, 173,
255
L nature/naturelle 7-10, 13-14, 17-22,
24, 26-27, 29-30, 34-37, 39-42, 45-46,
lac 118, 137, 152, 185-187, 189-194, 48, 51, 53, 57, 59, 67-69, 71, 76, 78,
204, 251 81-83, 87-92, 97, 102, 105, 109-110,
littoral 14, 51, 110, 120, 192, 209- 112, 115-118, 120-121, 123, 125-126,
210, 212-213, 215, 220, 239, 241, 252 131, 135-136, 139-140, 142-146, 150,
loi 29-30, 38, 40-42, 69, 109, 116, 163, 172-177, 181-182, 184-187, 192-
143, 210, 213, 226, 235 194, 203, 209-212, 216, 218, 223,
274 ! Géographie de l’environnement

227-228, 231, 238, 240-242, 245-246, processus 10-14, 18, 20-22, 24, 26-
248, 251-255 30, 35, 37-40, 43, 45-46, 48-50, 53-
norme/normatif 33, 54, 57-60, 62, 71, 55, 57-63, 67-71, 74-75, 77-78, 80-81,
126, 131, 140, 190, 223-226, 233 88-89, 91-92, 96, 98, 100, 109, 123,
numérique 40, 68-69, 95, 100-102, 125, 127, 133, 135-136, 139, 143,
104, 144, 165, 176, 200, 203, 211, 151, 161-165, 169-170, 172, 187,
239-240, 249 192-193, 195, 202, 204-205, 210-213,
220-221, 226, 228, 235, 237, 239-243,
O 246-247, 249, 251-252, 254-256

observation 10-11, 36, 40-42, 53, Q


56, 59, 68-70, 72-75, 77, 88, 92, 96,
98, 100-101, 104-106, 111, 117-118, qualitative 70-71, 76, 142, 178
124-126, 143, 147-152, 154-155, quantitative 70-71, 76, 104, 142-143,
167, 190, 193, 199, 202, 209, 213, 200, 214
238, 247
occupation du sol 68, 73, 77, 127, R
143, 148, 161-162, 166-167, 169,
176, 178, 180, 190, 232, 238 réalisme 27, 46, 50
outil 40, 45, 47, 75, 77-78, 86, 100- réductionnisme 11, 40, 69, 71, 256
102, 143-144, 147-148, 150, 162, référence 19, 51, 56, 59, 104, 118, 124,
165, 167, 172-175, 177, 184, 211- 126, 129-131, 133, 146, 152-153, 169,
212, 224, 226-227, 229, 232, 234- 172, 175, 199, 223-226, 228-232, 255
235, 239, 247-248 réflexif 11-14, 45-47, 50, 52, 210, 252
régionalisation 76-77, 148, 154
P relief 18, 34, 51, 68, 70, 136-139, 238
répartition 36, 38, 49, 73, 77, 155,
participation 95-106, 155, 194, 240, 177, 179, 189
248, 254, 257 représentation 14, 22, 27, 53, 59-63,
patrimoine 60, 131-132, 135, 137- 69, 89, 115, 135-136, 139, 175, 185,
138, 143-145, 182 232, 246, 255
paysage 17, 24, 28-30, 36, 47, 49-50, réseau 7, 36, 39, 69, 73, 75, 78, 85,
55, 59-60, 74, 79, 82, 85-86, 89, 93, 100, 102, 106, 120, 132, 138, 144,
97, 110, 112-114, 120-121, 123, 131- 150-152, 155, 162-165, 167, 187,
132, 134-138, 146, 165, 167, 169, 202, 213, 225, 234-235, 238, 252, 256
175, 177-179, 182-183, 193, 195, ressources 8, 55, 61, 68, 71, 84, 100,
197, 201, 204, 242, 244, 246-248 102, 110, 119, 121, 124, 139, 163-
perception 31, 72, 125, 135, 139, 164, 203, 239
147, 175 restauration 9, 17, 26, 49, 51, 77, 79,
permafrost 14, 42, 68, 151, 195-205 89, 92, 118, 124, 126, 130, 133, 169,
political ecology 28, 48, 50, 89, 255 183, 192, 216, 224, 228-229, 232,
positivisme/positiviste 10, 37, 46, 53, 234, 238, 252, 254
234 risque 7, 17, 35-36, 49, 59-62, 88, 90-
pratique 8, 11-14, 19-21, 28-30, 33, 92, 110, 123, 127-129, 131, 134, 197,
36, 38, 41, 45-47, 50-52, 55, 57-58, 201-205, 210, 213-215, 219, 227,
62, 69, 72, 79, 81-83, 85, 89-90, 92, 239-242, 251-252
96, 99, 105-106, 113, 120, 124-125, rivière 28-29, 43, 61, 77-78, 81, 88-
131, 133, 136, 149, 154-155, 161, 93, 120, 124-126, 129-132, 137, 152,
175, 181, 183, 185, 228, 239, 241, 155, 167, 169, 172, 193, 223, 225,
246, 251, 253, 255 227-228, 231, 234-235, 254-255
Index ! 275

S température 9, 36, 40, 42, 71, 97,


150-151, 153-154, 189, 195-196, 198-
savoir 12, 57, 75, 81-82, 90, 104-105, 201
124-125, 131, 192, 239, 248 terrain 11, 63, 67-69, 83, 88-89, 104,
science 10-11, 22, 26, 39-40, 42, 45- 106, 117, 126, 129, 143, 148, 150,
47, 53, 67, 69, 74, 76, 81-82, 90-92, 162, 170, 176, 179, 195-200, 202-
95-96, 99-101, 104-106, 109, 116, 204, 211, 227-229, 231-232, 241, 246-
129, 131, 134, 139, 141-142, 213, 247, 253
237, 239-241, 246, 249, 251, 253, territoire 7, 24, 35-36, 39, 47, 49, 56,
255-256 60-62, 69, 75, 85, 93, 97, 105-106,
services écosystémiques 47-48, 91, 112, 123, 125, 132, 135, 137-138,
124, 140-142, 173, 187 142, 144-147, 149, 174-175, 178, 181,
SIG 143, 151, 153 187, 190, 192-193, 229-230, 234,
simulation 69, 148, 154-155, 162, 237, 241
166-167 thermie 153, 189-190, 195, 198-200,
socio-écologie/socio-écologique 12, 244
24-25, 90, 248 topographie 61, 68, 75, 78, 83, 123,
socio-écosystème 13, 24-25, 33, 79, 129, 148, 152, 161-163, 165, 167,
81, 91, 237, 247 176, 179, 190, 199, 201-202, 211,
socio-nature 27, 29-30, 33, 127 231, 243
sol 9, 18-21, 29, 36, 41-42, 56-59, trajectoire 13, 24, 26, 29, 37, 47, 81,
62-63, 68-70, 72, 75, 85-86, 92, 113, 91, 124-125, 129-133, 161, 228, 251-
115, 117, 130, 136-137, 139, 141, 252, 255
typologie 62, 70, 76, 99, 175, 178, 224
149, 151-152, 154, 165, 167, 176,
179, 181, 190, 198-199, 232-233, 239,
243-244, 246-247 U
spatial/spatialisation 8, 13, 24, 34- urbain 14, 22, 36, 59, 68, 81, 88-93,
36, 40, 49, 59-61, 70-79, 90, 95, 101, 100, 147, 149-152, 163, 173-176,
105, 127, 146-148, 150, 153-155, 179, 182-183, 238, 245, 252, 254-255
161-162, 165-167, 172-173, 176-177, usage/usage de sols 7, 35-36, 40, 47,
194, 199-200, 213, 226, 229, 231, 50, 55, 57, 59, 75-76, 121, 125, 133,
245-246, 252 139, 174-175, 177, 186, 192, 223
statistiques 41-42, 69, 71, 77, 104,
125, 155, 178, 199
système 7, 9-10, 18-22, 24-26, 28-30,
V
35, 37, 40-41, 47, 49, 57-59, 68, 74, végétation 7, 13-14, 18-20, 29, 36, 38,
76, 78, 85, 88-90, 113, 123, 131, 136, 41, 53-55, 59, 68, 70-73, 75, 82, 89,
139-140, 148, 150, 155, 161-164, 91-92, 112-113, 115, 119, 130, 132,
169, 187, 211, 214-215, 224-226, 228, 150-152, 162, 173-175, 177-178, 180-
232, 235, 238, 241, 243, 252 184, 226, 238, 243-246, 248
versant 68, 110, 124, 161-169, 171-
T 172, 185, 187, 190-192, 196, 201,
205, 219, 226, 228, 231, 252
télédétection 56, 68, 75, 86, 88, 150, ville 89, 110, 112, 152, 174-175, 180,
162, 198, 238 182
Table des figures

Figure 1.1 L’évolution de la contribution de l’érosion d’origine anthropique


dans la sédimentation alluviale, modèle conceptuel 21
Figure 1.2 Les anthromes contemporains 23
Figure 1.3 Modèle schématique proposé pour les notions d’écosystème,
de géosystème et d’anthroposystème 25
Figure 1.4 Schéma montrant l’hybridation progressive des rivières de faible
énergie d’Europe de l’Ouest par les pratiques humaines
sur la base des recherches menées dans le bassin-versant
de la Seulles (Calvados) 28
Figure 2.1 Différentes relations possibles pour relier cause (C),
loi (L) et effet (E), souvent le lien passe par des causes
intermédiaires (I) 42
Figure 4.1 L’étude des feux entre brousse et savane : des termes
aux démarches méthodologiques 56
Figure 4.2 Deux catégorisations des types de sols sur un même espace 63
Figure 5.1 Représentation schématique de la prise en compte
de l’organisation spatiale d’un phénomène dans la stratégie
d’observation (en haut) comparée à une répartition homogène
des observations 73
Figure 5.2 Effet de contexte sur la diversité spécifique de placettes
de taille identique 75
Figure 5.3 Exemple de description de l’autocorrélation spatiale 78
Figure 5.4 Patron spatio-temporel de l’ajustement morphologique
d’un cours en fonction du facteur explicatif dominant 80
Figure 6.1 Gestion et domestication des plantes en Amazonie 84
Figure 6.2 Paysages mixtes naturels et culturels des tropiques 87
Figure 6.3 L’approche socio-environnementale des petits cours
d’eau urbains 90
278 ! Géographie de l’environnement

Figure 7.1 Associations des acteurs scientifiques et non scientifiques


dans un projet d’étude de la phénologie des pommiers
du Val de Rance 98
Figure 7.2 Typologie des sciences et recherches participatives
selon le degré de participation des citoyens 99
Figure 7.3 Exemple d’un descriptif de participation 102
Figure 8.1 La démarche géoarchéologique 111
Figure 8.2 Représentation schématique des dynamiques paysagères
de la plaine de Philippes du début de l’Holocène
à l’Antiquité romaine 114
Figure 8.3 Représentation schématique des dynamiques paysagères
des marais de la Dives 119
Figure 9.1 Le risque d’inondation dans le bassin de l’Ardèche,
XVIIIe-XIXe siècles 128
Figure 9.2 L’héritage morphodynamique du flottage du bois
dans le haut bassin de l’Yonne (Morvan) 133
Figure 10.1 Géodiversité dans l’intérieur semi-aride du Nordeste brésilien
(région de Quixadá, État du Ceará) 137
Figure 10.2 La face anthropogénique de la géodiversité : quelques exemples 138
Figure 10.3 Système de valeurs attribuées aux géomorphosites 140
Figure 10.4 Les services écosystémiques abiotiques liés à la géodiversité 141
Figure 10.5 Répartition des Géoparcs mondiaux UNESCO dans le monde 145
Figure 11.1 Variation spatiotemporelle de l’îlot de chaleur à Rennes
du 19 au 21 juin 2019 153
Figure 11.2 Évolution de l’indice bioclimatique d’Huglin (H)
en Val de Loire entre 1960 et 2017 154
Figure 11.3 Structure du modèle multi-agent SEVE (Simulating
Environmental impacts on Viticultural Ecosystems) 156
Figure 12.1 Complexité des dynamiques de ruissellement
en domaine bocager 166
Figure 12.2 Cartographie de la connectivité structurelle,
bassin-versant de Lingèvre (14) 168
Figure 12.3 Conséquences géomorphologiques des ouvrages en travers 171
Figure 13.1 Carte d’occupation des sols en ceinture verte d’Île-de-France
et terrains d’étude retenus 176
Figure 13.2 Analyse factorielle des correspondances
des espèces identifiées sur les 3 terrains d’étude 179
Figure 13.3 Relevés botaniques réalisés dans le secteur de la Vallée
de Chevreuse 180
Table des figures ! 279

Figure 13.4 Le bassin de Coupières à Gif-sur-Yvette 183


Figure 14.1 Le limnosystème, un concept de géographie limnologique
adapté à l’étude des plans d’eau comme objets hybrides 188
Figure 14.2 Les caractéristiques du bassin-versant et du lac
de Saint-Germain-de-Confolens 191
Figure 14.3 La méthodologie mise en œuvre sur le lac 191
Figure 15.1 Planche photographique des paysages du permafrost
de montagne et des risques associés 197
Figure 15.2 La structure thermique du permafrost 198
Figure 15.3 Méthodologie de la modélisation spatiale du permafrost
en formations superficielles à partir de l’inventaire
des glaciers rocheux 200
Figure 15.4 Évolution conjointe de l’emprise de l’activité minière
du secteur Andina/Los Bronces, dans les Andes
de Santiago (Chili) et des glaciers rocheux 203
Figure 16.1 Exemple d’outils de mesures topo-morphologiques déployés
dans le cadre du suivi du Sillon de Talbert 212
Figure 16.2 Évolution du trait de côte (recul/progradation) du littoral
oriental de la plage du Vougot accompagnée d’une frise
chronologique des interventions en matière d’information
et d’actions d’ingénierie 215
Figure 16.3 Évolution du bâti et des aménagements côtiers de la plage
de la Grève Rose entre 1966 et 2017 217
Figure 16.4 Muret de protection situé en avant de la dune bordière
de la plage de la Grève Rose 218
Figure 17.1 Boîte à outils multi-scalaire des méthodes et outils
hydromorphologiques développés pour la mise en œuvre
de la DCE 227
Figure 17.2 Protocole d’acquisition des données Carhyce 230
Figure 17.3 Analyse du Tanyari à Palau-del-Vidre 233
Figure 19.1 Créer un environnement naturel ? 253
Figure 19.2 Des rivières au temps de l’Anthropocène 254
Table des matières

Les auteurs 5

Introduction 7
Simon Dufour & Laurent Lespez
Environnement : enjeux sociaux et scientifiques 8
L’environnement, un concept ambigu, mais acceptable 8
L’Anthropocène, un héritage et une condition 9
De quelle science a-t-on besoin ? 10
Quelle géographie de l’environnement ? 10
Approches naturalistes et constructivistes 11
Objectif de l’ouvrage 12
La dimension biophysique au temps de l’Anthropocène 12

PREMIÈRE PARTIE
POSITION ET CONCEPTS
Chapitre 1 La nature de l’Anthropocène :
nature anthropisée, nature hybridée 17
Laurent Lespez & Simon Dufour
L’anthropisation de la nature 17
L’érosion anthropique et le détritisme alluvial 18
La nature de l’anthropisation 21
Du géosystème au socio-écosystème 24
Nature hybridée 26
Les hybrides 26
Faut-il considérer le géosystème et ses composants
comme des hybrides ? 28
Conclusion 30

Chapitre 2 La place des données biophysiques dans l’analyse


géographique de l’environnement 33
Simon Dufour & Laurent Lespez
Des données biophysiques : pour faire quoi ? 34
Une place variable au sein d’une géographie multifacette 34
282 ! Géographie de l’environnement

Une nécessité pour comprendre l’environnement 35


Une dialectique état/dynamique 36
La nature des données : des catégories construites,
mais efficaces 37
Une approche essentiellement empirique 39
Entre études de cas et généralisations 42
Conclusion 43

Chapitre 3 Les approches critiques et réflexives 45


Simon Dufour & Laurent Lespez
Développer une approche réflexive :
l’exemple de la géographie biophysique anglophone 46
Être critique en faisant de la géographie biophysique 46
L’exemple de la définition des services écosystémiques
liés à l’eau dans le district de Tasman (Nouvelle-Zélande) 47
Développer une approche critique :
l’exemple de la géographie biophysique anglophone 48
Être critique en s’engageant 48
L’exemple de la dépolitisation des incendies dans l’ouest
des États-Unis 49
L’exemple de l’effet du mode de financement de la restauration
sur la forme des cours d’eau 49
La géographie biophysique critique
vue depuis la sphère francophone 50
Conclusion 52

Chapitre 4 Nommer et représenter les processus biophysiques :


enjeux scientifiques et sociopolitiques 53
Sébastien Caillault, Simon Dufour, Laurent Lespez, Thibaut Preux
Des mots aux méthodes : l’exemple des feux
et de la végétation 53
Feux de brousses, feux de savanes, des milieux différents ? 53
Des approches différentes ? 55
L’étude des processus biophysiques du registre descriptif
au registre prescriptif 57
L’érosion pour interroger la neutralité du registre descriptif 57
La friche, un terme et ses implications dans un registre
normatif 58
Cartographier et représenter le biophysique :
des enjeux spécifiques ? 60
Articuler cartographie biophysique et administrative ? 61
Les choix cartographiques et de légende 62
Conclusion 63
Table des matières ! 283

DEUXIÈME PARTIE
MÉTHODES
Chapitre 5 Produire et analyser des données biophysiques
en géographie 67
Simon Dufour, Sébastien Caillault, Vincent Viel, Malika Madelin,
Candide Lissak, Romain Reulier, Laurent Lespez
Des méthodes majoritairement empiriques 67
Les lieux de production des données 67
Données quantitatives et qualitatives 70
Intégrer la dimension spatiale dans la stratégie d’observation 72
Prendre en compte la distribution du phénomène étudié 72
Prendre en compte les échelles d’observation 74
Le lien entre échelle et méthode d’observation 75
Les méthodes de traitement des données 76
Réduire la complexité du monde par des typologies
spatialisées 76
Révéler la distribution spatiale d’un phénomène
biophysique 77
Comprendre les flux et les transferts 78
Le patron spatio-temporel d’un phénomène
pour en déterminer l’origine 79

Chapitre 6 Analyser la nature hybridée : renforcer le dialogue


intra- et interdisciplinaire 81
Laurent Lespez
La forêt amazonienne 82
L’Amazonie, centre de domestication 83
L’Amazonie anthropisée 85
L’Amazonie hybridée 86
Les enjeux contemporains 86
Les rivières urbaines 88
Écosystèmes hybrides ou nouveaux écosystèmes ? 88
Les limites de l’approche inter- et intradisciplinaire 89
Pour une géographie hybridée 91
Conclusion 93

Chapitre 7 La géographie biophysique participative 95


Malika Madelin
Sciences et recherches participatives, sciences citoyennes,
sciences collaboratives ? 95
D’un ancrage naturaliste ancien à un essor récent 96
Typologies des sciences et des recherches participatives 99
Les non-scientifiques comme producteurs de savoirs
scientifiques 100
Les outils numériques de la participation 100
284 ! Géographie de l’environnement

Le suivi d’un protocole 101


L’engagement sur la durée 102
Les enjeux scientifiques, sociétaux et politiques 104
Autour des données produites : qualité, propriété et partage 104
Vers un rapprochement science et société 105
Conclusion 106

TROISIÈME PARTIE
TRAJECTOIRES
Chapitre 8 La géoarchéologie, la nature des sociétés
du passé 109
Laurent Lespez
Démarche et thématiques 109
Le Paléo-anthropocène 112
Du temps de la nature à la production des paysages agraires 112
La production de paysages culturels 114
Le déterminisme et la question de l’effondrement
des sociétés anciennes 116
La critique du déterminisme géographique 116
Le renouveau du déterminisme climatique et sa critique 117
Le temps long et les enjeux de la gestion contemporaine
des écosystèmes 118
Conclusion 121

Chapitre 9 La géohistoire : la trajectoire incertaine


des systèmes fluviaux 123
Nicolas Jacob-Rousseau
De l’expertise technique du XIXe siècle à la géohistoire
des fleuves et des rivières 124
Un siècle et demi de mesures et d’observations biophysiques
des chenaux torrentiels et fluviatiles 124
Des archives aux trajectoires 125
La mesure pour questionner la mesure et l’action 125
Cours d’eau de montagne et de piémont :
la construction de l’aléa et de l’incertitude 126
L’aléa torrentiel, un hybride à décrypter 127
La mesure de l’aléa, du champ d’inondation au champ social
et politique 129
Emprises, déprises et controverses sur la rivière ordinaire 129
Une anthropisation longue et discrète 130
Mesurer le réajustement, questionner le rétablissement
des continuités amont-aval 130
Paléo-impacts et nouvelles naturalités 132
Conclusion 133
Table des matières ! 285

Chapitre 10 La géodiversité, une nature abiotique


au prisme de la société 135
François Bétard
Définir la géodiversité : par-delà la nature,
une face anthropogénique cachée 136
Évaluer la géodiversité : le poids des valeurs sociétales 139
Protéger et valoriser la géodiversité :
le rôle des inventaires à base naturaliste 143
Conclusion 146

Chapitre 11 Le changement climatique 147


Valérie Bonnardot, Hervé Quénol, Vincent Dubreuil
Approche géographique du changement climatique
et des questions environnementales 148
L’appropriation progressive de la thématique du changement
climatique par les géographes 148
Positionnement de l’approche géographique du changement
climatique 150
Changement climatique et îlot de chaleur urbain (ICU) 151
Changement climatique et viticulture 153
Conclusion 157

QUATRIÈME PARTIE
OBJETS
Chapitre 12 Le fonctionnement des bassins-versants
anthropisés 161
Vincent Viel, Romain Reulier, Anne-Julia Rollet, Candide Lissak,
Laurent Lespez
Des approches renouvelées pour un objet classique 161
Définir le bassin-versant et ses écoulements 163
La délimitation des bassins-versants fortement anthropisés 163
La définition des cours d’eau dans les bassins-versants 163
L’organisation des transferts sédimentaires sur les versants
et leurs relations avec le cours d’eau 164
Complexité des dynamiques sédimentaires sur les versants 165
Apports de la simulation par SMA 166
Aménagement hydraulique des cours d’eau et continuité
longitudinale 169
Conclusion 172

Chapitre 13 La végétation, entre dynamiques écologiques


et territoriales 173
Fabien Roussel
La flore des environs de Paris, reflet des usages urbains 174
Le cas de la ceinture verte d’Île-de-France 174
286 ! Géographie de l’environnement

Une part prépondérante d’espèces anthropophiles autochtones 177


Une géographie des usages plus que des milieux 177
Des enjeux écologiques et sociaux mêlés 180
La biodiversité au secours de la réintégration des espaces
marginaux : le cas du parc de la Patte d’oie à Gonesse 180
La nature, idéal de cadre de vie :
le cas de la Vallée de Chevreuse 182
Conclusion 184

Chapitre 14 Les limnosystèmes : les retenues d’eau


en arrière des barrages artificiels 185
Véronique Maleval, Laurent Touchart, Pascal Bartout,
Laurent Lespez
Le limnosystème résultat d’une coévolution
entre la société et la nature 186
Les plans d’eau artificiels, objets hybrides 186
Le limnosystème : un anthroposystème 187
Un élément clé du limnosystème : la température 189
La société et ses lacs : tirer bénéfice de leur existence,
lutter contre leurs effets et ceux de leurs tributaires 190
Saint-Germain-de-Confolens : un lac de petite taille
et son bassin-versant 190
Les barrages de Vezins et La Roche-qui-Boit : la nature
au prisme de la société 192
Conclusion 194

Chapitre 15 Le permafrost de montagne


face au changement climatique 195
Xavier Bodin, Ludovic Ravanel, Florence Magnin,
Pierre-Allain Duvillard, Philip Deline
Aux côtés des glaciers, le permafrost 195
Le permafrost de montagne, objet d’étude invisible 198
Distribution du permafrost : approche statistique
et cartographique 199
Régime thermique du permafrost de paroi :
approche géophysique et modélisation 200
Dynamique récente des glaciers rocheux,
approche géomorphologique 201
Infrastructures et risques liés à la dégradation
du permafrost de montagne 201
Des paysages impactés 201
Exploitation de la haute montagne et risques
liés à la présence ou à la dégradation du permafrost 202
Processus en cascade et risques pour les vallées 204
Conclusion 205
Table des matières ! 287

CINQUIÈME PARTIE
EXPERTISER ET ENSEIGNER
Chapitre 16 L’expertise géomorphologique
au service de la gestion du littoral 209
Pierre Stéphan & Serge Suanez
Le diagnostic géomorphologique 210
Une aide aux politiques de gestion du littoral 210
Des outils et des méthodes d’analyse de plus en plus performants 211
Institutionnalisation des observatoires du trait de côte 213
L’expertise géomorphologique au sein de la controverse 214
Quand l’expertise convainc 214
Quand l’expertise est remise en cause 216
Conclusion 220

Chapitre 17 La difficile production des normes


et de modèles de référence :
comment définir des cours d’eau de qualité 223
Frédéric Gob, Nathalie Thommeret, Clélia Bilodeau,
Vincent Tamisier
Des politiques publiques nationales au diagnostic local 224
Vers une mesure de l’écart au bon état : normes, indices et
indicateurs 224
Références spatiales et références fonctionnelles 226
La production des indicateurs hydromorphologiques :
l’exemple de Carhyce 229
La construction d’une référence spatiale :
du protocole d’acquisition à la base de données 229
La mesure de l’écart à la référence :
la construction d’un indicateur 231
Les limites des indicateurs : mise en garde et conditions
de bonne utilisation 233
Conclusion 235

Chapitre 18 Enseigner les processus biophysiques


en géographie aujourd’hui 237
Simon Dufour, Nathalie Carcaud, Malika Madelin, Anne-Julia Rollet
Un défi pédagogique : articuler des connaissances
de plus en plus pointues 238
Un contexte mouvant 238
Quel bagage biophysique donner ? 240
Construire des parcours de formation 241
Commencer par faire ses gammes ? 241
Commencer par jouer des morceaux ? 242
Un va-et-vient permanent ? 242
Enseigner des champs spécialisés :
l’exemple de la géographie de la végétation 243
La place des processus écologiques 243
Déclin de certains pans de connaissances
et nouvelles approches 246
La diversité des formes de pédagogie 246
Conclusion 249

Conclusion 251
Laurent Lespez & Simon Dufour
Approfondissement et renouvellement 251
Une opportunité pour la discipline 255
Enseigner la complexité 256

Bibliographie 259

Index 271

Table des figures 277

262701 - (I) - OSB 90 - NOC - NRI


Dépôt légal : juillet 2020
Imprimé en France par la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy

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