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FORGIVE ME
PLAY for ME
Dès que Cole franchit le seuil du bar qu’elle tient avec son père, Sarah pressent
que sa tranquillité est menacée.
A plus forte raison quand elle apprend qu’il est musicien.
Oh non, hors de question de reproduire les erreurs du passé.
Une fois déjà, elle avait octroyé sa confiance à la mauvaise personne et s’était
retrouvée seule et abandonnée, dans une situation plus que critique.
Une fois de trop…
DU MEME AUTEUR
(Pour lire cet ouvrag e, cliquez sur la couverture du livre)
PROTECT ME
Comédienne dans une série télé, Eva Cain reçoit depuis quelques mois des
lettres particulièrement menaçantes.
Chase Keeler, agent du FBI se voit chargé de sa protection.
A cette fin, il s’installe dans la villa de la jeune femme et ne la quitte plus d’une
semelle.
La gorge étreinte par une émotion profonde, Clara contemplait la pièce qu’elle
avait cru ne jamais revoir, le refuge de son adolescence. La jeune femme
baissa un instant les paupières sur ses grands yeux verts tandis que le
grondement de l’océan, tout proche, éveillait en elle mille souvenirs. Ses longs
doigts fins se crispèrent sur la poignée de sa valise.
Elle n’avait alors guère plus de treize ans et se tenait là, sur ce même seuil,
serrant dans ses bras un cartable de cuir noir rempli de partitions. Orpheline
depuis peu, elle fixait, intimidée, ce qu’un inconnu aux cheveux bruns avait
appelé son nouveau foyer.
Un foyer ? Clara n’en avait jamais eu. Trop accaparés par leur vie mondaine et
leurs nombreux voyages, ses parents l’avaient confiée à des nourrices jusqu’à
ce qu’elle soit en âge d’entrer au pensionnat. Seules les vacances lui
permettaient de les retrouver dans leur immense duplex qui, pour la fillette,
ressemblait à un palais enchanté.
Clara ne vivait que dans l’attente de ces trop rares visites, ces jours de rêve
passés auprès de sa mère et de son père, dont le souvenir illuminait les
semaines mornes et interminables passées entre les murs gris de la pension.
Que deviendrait-elle, maintenant qu’ils n’étaient plus ?
Lorean et Kenneth Templeton avaient su conserver jusque dans la mort le
charme et le mystère qui avaient fait d’eux la coqueluche de New York. Le récit
tragique du naufrage de leur bateau avait occupé la une des journaux pendant
plusieurs jours, abondamment illustré de photos d’un couple jeune, fascinant,
amoureux de la vie. L’un de ces articles rapportait, en forme de conclusion,
que l’on avait confié la garde de leur fille unique à Reed Foster.
Reed Foster, sans conteste, l’homme le plus impressionnant que Clara ait
jamais rencontré. Effarouchée, elle l’observait à la dérobée en pressant ses
partitions sur son cœur comme un talisman magique. Quel âge pouvait-il
avoir ? Vingt-neuf ans ? Trente, peut-être. Son regard, surtout, l’intimidait, tant
il était sombre et pénétrant. Clara baissa les yeux.
-Je ne crois pas que cela lui plaise, Reed, intervint une femme grande et
mince d’une quarantaine d’années. Je t’avais pourtant dit que la chambre du
premier étage conviendrait mieux.
Elle se pencha vers Clara avec un sourire bienveillant.
Elle éclata d’un rire argentin. Son visage au teint de porcelaine délicate, ses
grands yeux d’azur étincelants de malice rappelèrent à l’adolescente ceux, si
semblables, de sa mère. Seules quelques rides profondes et ses cheveux, tirés
en chignon, différenciaient les deux sœurs.
Clara se prit immédiatement d’affection pour cette femme au sourire
réconfortant.
-Si tu n’aimes pas cette chambre, reprit sa tante, je t’en trouverai une autre.
Ce n’est pas un problème, dans cette grande maison.
-Enfin, Helen !
-Comment veux-tu qu’elle puisse te donner un avis sans même avoir franchi
le seuil ? Entre, Clara, ordonna-t-il sur un ton bourru.
-Cette pièce est beaucoup trop vaste pour une enfant, insista Helen. La
chambre du premier étage me parait plus adaptée.
-J’insiste sur ce point. Je sais que la conduite de cette maison est ton
domaine, mais je m’oppose à ce que tu installes Clara là-haut.
-Au moins ici, Clara aura sa propre salle de bains attenant à sa chambre,
reprit-il au bout d’un instant. Voyons plutôt ce qu’en pense la principale
intéressée.
-Allons, entre, insista-t-il sur un ton plus doux. Cette maison est aussi la
tienne, désormais. C’est à toi de décider si tu souhaites ou non occuper cette
chambre.
Flattée par l’intérêt que Reed Foster semblait attacher à son opinion, la fillette
se sentit portée par un élan d’affection vers cet homme qui la dominait de sa
haute taille. Elle rassembla tout son courage et leva les yeux.
-Oui, monsieur.
-Monsieur ? répéta-t-il en fronçant les sourcils.
Clara baissa la tête comme une enfant prise en faute. Aurait-elle dû l’appeler
mon oncle ?
-Voilà le résultat de sept ans passés dans un de ces maudits pensionnats pour
gosses de riches !
-Reed ! protesta Helen d’un air réprobateur. Tu pourrais modérer tes
expressions devant cette petite fille.
-Petite fille ? As-tu vu ses yeux ? Ce ne sont plus ceux d’une enfant. Mais,
sois tranquille, je surveillerai mes paroles.
-Je te le conseille.
-Je suis sûre que tu te plairas dans cette chambre, ma chérie. Elle a besoin
d’être redécorée, c’est évident.
Dans un mouvement impulsif, elle serra l’adolescente dans ses bras. Clara se
crispa, peu habituée à de telles démonstrations d’affection. Reed remarqua sa
réaction et fronça les sourcils.
Clara suivit sa tante et ce qu’elle aperçut lui coupa le souffle. Sans un regard
pour les dunes de sable blanc sculptées par les caprices du vent, ni pour les
vagues déferlant sur le rivage dans un jaillissement d’écume blanche, elle
contemplait, incrédule, l’immense instrument d’ébène brillante installé devant
la fenêtre en saillie.
-Joue.
Le cœur battant, Clara se glissa sur le banc. Bien qu’elle soit grande pour son
âge, ses pieds touchaient à peine les pédales du piano. Elle plaça ses doigts sur
les touches luisantes, puis hésita. La présence d’autres personnes autour d’elle
lorsqu’elle jouait la remplissait toujours de nervosité.
Sa voix ne trahissait aucun sentiment particulier, mais le regard qu’il posait sur
elle l’intrigua. Il semblait étudier avec attention la façon dont elle se tenait
devant le clavier, tout comme le faisait son professeur de musique. Clara se
raidit, mal à l’aise.
Il ne quittait pas des yeux le mouvement agile et précis de ses doigts fins sur
les touches blanches et noires.
-Ton professeur de musique m’a raconté que l’on devait fermer à clé le
couvercle du piano pour t’obliger à faire tes devoirs et que tu passais toutes
tes récréations à t’exercer au lieu de t’amuser avec tes camarades.
Pourquoi tant de questions ? Elle avait si peur de l’irriter par ses réponses
maladroites ! Comme toujours, elle chercha le réconfort dans la musique, dans
le son clair et lumineux de l’instrument, dans la vibration intense des notes
graves.
La voix de Reed la tira brutalement de son euphorie.
-Elle semble croire que tu possèdes un don véritable pour le piano. Qu’en
penses-tu ?
Elle bondit sur ses pieds, affolée par cet éclat. Qu’avait-elle fait ? Dire qu’elle
s’efforçait toujours de se montrer obéissante et polie. Les autres pensionnaires
se moquaient de sa timidité parce qu’elle ne montrait jamais ses sentiments.
Elle en avait, pourtant, et si forts, quelquefois, qu’ils l’effrayaient par leur
violence.
Morte de honte et d’effroi, Clara se retourna pour fuir, mais Reed Foster ne lui
en laissa pas le temps. Plus jamais, il ne l’autoriserait à jouer du piano, elle en
était sûre. En fait, il s’apprêtait certainement à la renvoyer immédiatement au
pensionnat pour la punir.
-Voilà qui est mieux, dit-il pourtant.
Eberluée, elle vit un sourire, un vrai, transformer son visage. Ses yeux
n’étaient plus effrayants. Quand il reprit la parole, sa voix résonna, douce et
profonde, étrangement musicale.
-Ton professeur ne tarit pas d’éloges sur toi, mais si tu veux vraiment
devenir une grande pianiste, il faut que tu croies en ton talent, Clara.
-Trop d’ennemis attendent, tapis dans l’ombre, prêts à fondre sur l’artiste
s’il laisse paraître la moindre faiblesse, le moindre doute. Comprends-tu ce
que j’essaie de t’expliquer ?
-Oui…Je pense que oui.
-J’aimerais vraiment t’entendre dans un de tes morceaux préférés. Veux-tu
jouer pour moi ?
-Joue pour Reed, je t’en prie, renchérit Helen avec enthousiasme. Le piano
n’a aucun secret pour lui, tu sais. Il aurait pu devenir un très grand pianiste,
autrefois.
Un très grand pianiste, cet homme rude qui méprisait tant les romantiques ?
Pour la première fois, Clara remarqua ses mains aux doigts longs et déliés.
Helen se mit à rire à la surprise manifeste de sa nièce.
Le visage d’Helen s’illumina à la vue d’un jeune homme blond d’une vingtaine
d’années, appuyé avec une nonchalance affectée au chambranle de la porte. Les
traits de Reed Foster se durcirent.
Le nouveau venu adressa à Clara un clin d’œil malicieux et s’approcha du
groupe.
-Tout va bien ?
-Très bien, grande sœur. Voici donc la petite fille de Lorean, poursuivit-il
rapidement. Il était temps que nous nous rencontrions. Je suis ton oncle
Jordan. Comment t’appelles-tu ?
-Clara. Clara Templeton, répondit-elle, conquise par son sourire
éblouissant.
-Je n’ai jamais pu résister aux yeux verts, murmura-t-il en riant. Dis-moi,
d’où tiens-tu ces joyaux ?
-De…mon père, répondit l’adolescente, embarrassée de se sentir l’objet
d’une telle attention.
-En revanche, tu as la superbe chevelure de Lorean.
Clara en était venue, au fil des ans, à regretter d’avoir des cheveux d’un blond
si pâle que tout le monde se retournait sur son passage, mais le sourire
approbateur de Jordan la fit changer d’avis.
-Quand à ce rabat-joie, ce qu’il t’a dit est vrai. Il n’est pas ton oncle du tout,
puisqu’il n’a pas la moindre goutte de sang Foster dans les veines. Ce qui
explique qu’il soit si hargneux.
-Jordan !
Helen s’efforça en vain de paraître choquée, vaincue malgré elle par la gaieté
contagieuse du jeune homme.
Un rictus étrange déforma les traits de Jordan tandis que le visage de Reed
devenait plus sombre et plus fermé que jamais. Le contraste entre les deux
hommes frappa l’adolescente.
-Mais ne te laisse pas abuser par les apparences, reprit Jordan sur un ton
faussement enjoué. Reed est de loin le plus Foster d’entre nous…
probablement parce qu’il se donne un mal fou pour y parvenir.
-Tu vas vraiment trop loin, déclara Helen. Tes plaisanteries sont parfois
moins amusantes que tu ne le crois. Allons, viens.
Elle saisit son jeune frère par le bras comme une mère soucieuse avec son fils
désobéissant.
La lueur malicieuse qui brillait dans les grands yeux bleus de Jordan venait de
contredire ses protestations d’innocence.
Sa sœur le gronda tendrement.
Pas une fois, Helen n’avait parlé, ni même souri à Reed Foster avec une telle
affection. Clara éprouva de la compassion pour cet homme au regard sombre
et aux mains d’artiste.
-Méfie-toi, lui lança Jordan par-dessus son épaule. Tu as devant toi le grand
méchant loup et le croquemitaine réunis.
La flambée de rage qui brûla soudain dans les yeux de Reed et tordit sa bouche
sévère arracha un frisson à Clara. Les paroles de son oncle étaient-elles
fondées ?
Ce fut pourtant Reed Foster qui s’occupa d’elle, ce soir-là, et qui la consola
quand un cauchemar la réveilla en sursaut. Ce fut lui qui s’installa au piano afin
de l’aider à se rendormir. Le son doux et apaisant du Nocturne de Chopin
entrait à flots par la porte ouverte pour bercer ses rêves de musique.
Et ce fut auprès de Reed, au cours des années qui suivirent, que Clara trouva le
réconfort et les conseils dont elle avait besoin. Reed, toujours Reed.
Elle en était si fière ! Pour la première fois de sa vie, elle échappait à la dure
contrainte que lui imposait son instrument et se sentait raffinée et séduisante,
avec ses doigts fuselés embellis par le vernis rouge vif. Un rire heureux
s’échappa de ses lèvres.
Reed fronça les sourcils. La lumière de la lampe accentuait les traits rudes de
son visage, l’éclat glacé de ses yeux sombres. Assis dans son fauteuil de cuir,
vêtu d’une veste noire, il ressemblait à un juge implacable.
-Ils étaient beaux tels que tu les portais ce matin encore, répondit-il en
écartant le dossier qu’il lisait. Tu avais les mains d’une artiste. A présent, ce
sont celles d’une petite écervelée.
Le sourire de Clara se figea sous le choc de ses paroles. Elle vit le regard
réprobateur de Reed se porter sur sa nouvelle coiffure. Pourtant, ses amies
l’avaient complimentée sur le résultat de trois longues heures passées dans un
salon de coiffure. Dans un effort de volonté, Clara parvint à prendre un air
insouciant.
Visiblement, Reed ne partageait pas leur enthousiasme. Les mains croisées sur
le bureau d’ébène, il se pencha pour la contempler des pieds à la tête.
-D’où vient cette tenue extravagante ? demanda-t-il sèchement.
Clara serra les poings, mortifiée par tant de mépris. Sa robe de soie rouge au
décolleté profond lui semblait le summum de l’élégance féminine.
Reed rouvrit son dossier comme pour mettre un terme à leur discussion.
Clara ne savait pas mentir. La moue réprobatrice de Reed lui prouva qu’il
n’était pas dupe. Il avait deviné qu’elle avait délibérément gardé le silence, de
crainte qu’il ne lui interdise cette sortie.
-N’oublie pas que je suis ton tuteur, et donc responsable de toi, reprit-il en
retrouvant son ton habituel, calme et glacé. Si tu n’exiges pas toi-même le
respect qui t’est dû, je m’en chargerai à ta place.
Son visage se figea lorsqu’il leva les yeux vers elle. Horrifiée, la jeune fille
s’aperçut que sa position offrait à Reed une vue particulièrement révélatrice de
son décolleté. Elle se redressa aussitôt, les joues en feu.
-Sa réputation de don Juan n’est plus à faire. Même Jordan ne lui arrive pas
à la cheville, c’est tout dire.
-Ce ne sont que des commérages, répliqua Clara, des mensonges colportés
par des personnes jalouses. Bien sûr, Lance est séduisant, drôle et fantasque,
mais il m’a toujours traitée avec…
-Toujours ? Que dois-je comprendre ?
Il se retourna comme pour signifier que l’incident était clos et regagna son
fauteuil.
Elle tremblait de colère et de peur, mais elle était fermement décidée à ne pas
céder. La surprise qui se peignit sur les traits de Reed, lui donna du courage et
un sentiment de profonde satisfaction.
Clara tourna les talons. En quelques enjambées, Reed la rejoignit et lui barra la
route.
Pas une fois au cours de ces sept années, il ne l’avait menacée. Il se tenait
devant elle, plus impressionnant que jamais. Une puissance presque
surhumaine, renforcée par la violence contenue de sa voix, émanait de sa haute
silhouette. Clara frissonna. Il parut s’apercevoir de sa frayeur et reprit la
parole sur un ton plus doux.
-Je n’ai toujours voulu que ton bonheur, Clara. Je m’y suis visiblement mal
pris, mais tu dois me croire.
Une profonde tendresse adoucissait les traits rudes de son visage. Dans ses
yeux sombres brillait une lumière nouvelle. Le cœur de Clara bondit dans sa
poitrine lorsqu’elle reconnut devant elle le Reed d’autrefois, le confident
chaleureux et compréhensif qu’elle avait tant aimé.
-Je ne vois aucun mal à ce que tu participes à des soirées barbecue ou à des
fêtes, tant que tu restes avec des garçons de ton âge.
-Lance n’a que huit ans de plus que moi.
-Pour l’état civil, peut-être, mais tu es trop …innocente pour te mesurer à
un séducteur de son espèce.
-Tu as bien trente six ans, et cela ne t’empêche pas de sortir avec des
femmes plus jeunes.
-Comment le sais-tu ?
-C’est ce que l’on raconte.
-De toute façon, ce ne sont pas des gamines de vingt ans, lui assura-t-il. Les
femmes que je fréquente sont plus jeunes que moi, mais tout aussi
expérimentées.
-D’autre part, ni elles ni moi ne nous faisons aucune illusion sur la nature
de nos relations, poursuivit-il avec indifférence. Contrairement à ton ami
Lance, je ne promets rien que je ne puisse tenir.
-Mais Lance…
-Lance n’éprouve aucun scrupule à abuser d’une jeune fille crédule, ni à la
quitter ensuite pour se lancer à la poursuite d’une nouvelle conquête.
-Pas du tout, protesta Clara en posant une main suppliante sur son bras. Ce
sont les femmes qui le harcèlent, tu sais. Ce n’est pas de sa faute s’il est
séduisant.
-Dis-moi la vérité !
-Oui.
-Voilà qui explique la demande en mariage, proféra Reed sur un ton
satisfait. Ne te berce pas d’illusions, Lance ne t’aime pas. Tu n’es qu’une
proie de plus pour son tableau de chasse.
-Une fois qu’il aura obtenu ce qu’il veut, il ne sera pas long à s’intéresser à
d’autres.
-C’est faux, s’écria-t-elle d’une voix tremblante. Lance m’aime.
-Ce n’est pas parce que tu ne m’aimes pas que personne ne le peut.
-Je ne t’aime pas, répéta-t-il, incrédule. Est-ce ce que tu crois ?
-Seul mon talent t’intéresse.
-Ton talent est indissociable du reste de ta personnalité, Clara, de ta
sensibilité, de ton…
-Lance se moque de mon talent, déclara-t-elle avec hauteur. Je lui plais en
tant que femme, pas comme pianiste.
-Je doute qu’il connaisse le sens du mot amour. Plus tard, tu comprendras
qu’il existe plusieurs façons d’aimer. Celle qu’il te propose est la plus
basse, la plus vile.
-Cesse de me traiter comme une enfant, je sais ce qu’est l’amour.
Non, ce n’était pas de lui dont elle parlait. Lance n’était pas l’homme qu’elle
avait adoré pendant ces longues années, celui dont la tendresse et le respect
comptaient pour elle plus que tout au monde.
-Depuis sept ans que je te consacre chacun de mes instants, ai-je eu un autre
but que ton bonheur ?
Les yeux remplis de larmes, Clara se dirigea vers la porte. Reed la saisit par le
bras avec rudesse.
-Regarde-moi.
Resserrant son étreinte, il l’attira plus près de lui, si près qu’elle sentit son
souffle contre sa joue.
C’était la question d’un amant jaloux, pas celle d’un tuteur. Clara secoua la tête,
désemparée.
-Je pourrais être heureuse avec lui, insista-t-elle. Il rend tout si amusant, si
excitant.
-Excitant ? Est-ce là ce que tu veux ?
Les doigts de Reed s’enfoncèrent dans la chair sensible de ses épaules nues.
-Inutile d’avoir recours à Lance, dans ce cas, dit-il avant de s’emparer de
ses lèvres.
Clara était trop stupéfaite pour se débattre. Ce contact brûlant, inattendu, lui
coupa le souffle. Elle crut défaillir, serrée contre lui par une étreinte d’acier.
De sa bouche, de ses bras, de tout son corps, il semblait vouloir effacer le
souvenir de Lance pour ne plus laisser sur elle que son empreinte farouche.
Dans un réflexe désespéré, la jeune fille tenta de s’écarter, mais il ne lui en
laissa pas le temps. Une main solide s’enfouit dans ses cheveux d’or pâle pour
la maintenir captive. Un gémissement rauque jaillit de sa gorge lorsque les
lèvres de Clara cédèrent sous l’assaut, le laissant goûter le doux nectar de sa
bouche.
Elle frémit. Des milliers de sensations inconnues s’épanouissaient en elle.
Jamais Lance ne l’avait embrassée de cette façon. Jamais elle ne s’était sentie
consumée ainsi, gagnée par la flamme de sa passion, prête à se perdre dans son
étreinte. L’exigence de ce baiser et le déchainement de ses propres sentiments
la remplirent d’effroi.
Clara posa ses mains tremblantes contre le torse musclé de son compagnon
pour le repousser. Le frisson qui le secoua à ce simple contact lui fit oublier
son intension.
Dans un soupir de bonheur, elle passa les bras autour de sa taille et
s’abandonna aux délices de cet éveil sensuel.
« Comment est-ce possible ? » se demandait-elle avec émerveillement. Quand
le désir s’était-il mêlé à l’amour qu’elle avait toujours éprouvé pour Reed ?
Depuis combien de temps dormait-il en elle, prêt à surgir à la moindre
sollicitation ?
Grisée par ce mélange de douceur et de passion, Clara se pressa contre lui
pour lui rendre son baiser avec une fougue dont elle ne se savait pas capable.
Reed la libéra enfin, et haletante, elle posa la tête au creux de son épaule.
Elle noua les bras sur sa nuque et soupira. Maintenant qu’elle l’avait trouvé,
plus rien ne pourrait l’éloigner de lui.
-Je m’aperçois que j’ai négligé cet aspect de ton éducation, reprit Reed,
mais Lance y a suppléé.
-Tu n’auras plus besoin des leçons de Lance, à présent, lui assura-t-il
sèchement en posant une main possessive sur sa poitrine ronde. Si c’est le
plaisir que tu cherches, je te le donnerai.
-J’ai déjà dit que je ne voulais pas que l’on touche à ce…Clara ! Que diable
fais-tu ici ?
Chapitre 4
Clara se mit à rire à en perdre le souffle. Les pattes avant posées sur ses
épaules, le doberman la contemplait avec adoration.
-Je ne voudrais pas qu’il salisse tes vêtements, expliqua Reed en désignant
l’ensemble qu’elle avait revêtu pour le voyage. Il vient de courir sur la
plage.
-Ce n’est qu’un peu de sable, il partira au premier coup de brosse.
Clara entoura de ses bras le cou puissant de Thunder. Elle était si heureuse de
le revoir, et d’avoir ainsi un excellent prétexte pour ne pas affronter
directement son maître. Elle poussa un cri perçant lorsqu’il entreprit de la
débarbouiller à grands coups de langue râpeuse.
-Assez, Thunder.
-Thunder !
La jeune femme s’étrangla de rire.
De sa longue main fine, elle caressa tendrement la tête noire et fauve, puis
déposa un baiser entre les deux yeux brillants d’intelligence. Une jalousie
absurde s’empara de Reed.
-Quel dommage que les humains ne soient pas comme les chiens, dit-elle en
tournant vers lui un visage radieux.
Reed secoua la tête, incrédule. Ils se retrouvaient, après quatre longues années
de drame et de rancœur, et voilà qu’ils devisaient tranquillement des mérites
respectifs du genre humain et de l’espèce animale.
-Cette fois, c’en est assez, protesta son maître. Tu fais honte à ta réputation
de chien féroce.
Rassuré, Thunder se coucha à ses pieds pour attendre la suite des évènements.
-As-tu déjà rendu visite à Helen ? s’enquit Reed sur un ton neutre.
-Non. L’infirmière m’a dit qu’elle dormait.
-Eh bien, tu pourras la voir au dîner, conclut-il en s’apprêtant à quitter la
pièce. Le repas est servi à sept heures, si tu souhaites te joindre à nous.
-De quoi souffre tante Helen ? demanda Clara avec anxiété. Rien de grave,
j’espère.
-Si seulement je le savais.
-On l’a hospitalisée voici un mois pour une opération tout à fait bénigne,
d’après les médecins. Tous m’ont assuré qu’elle était parfaitement remise.
Pourtant, elle n’a pas quitté le lit, depuis.
-Pourquoi ne m’as-tu pas appelée plus tôt ? Je serais venue immédiatement.
C’était la première fois qu’il retrouvait devant elle son ton de tuteur. Clara lui
décocha un sourire glacé.
-Je vois. Comme on fait son lit, on se couche. C’est cela ?
-C’est cela. Et avec le partenaire de son choix.
Sa voix se brisa. Les yeux rivés aux siens, Clara vit tout ce qui s’était passé, ce
soir-là, brûler dans leurs profondeurs. Elle aurait dû se détourner, rompre le
charme puissant qui l’attirait vers lui comme le papillon vers la flamme
cruelle, mais elle ne pouvait pas. Un flot de souvenirs envahissait peu à peu son
esprit et ses sens, menaçant de la submerger.
Le parfum salé de l’air marin se mêlait à l’odeur virile de Reed. Un désir
soudain et intense lui coupa le souffle.
-Je ne suis pas ici pour évoquer le passé, Reed, déclara-t-elle froidement. Je
sais combien ma présence t’est désagréable, mais je devais revenir pour
tante Helen.
Les quelques mètres qui les séparaient à présent lui permettaient d’affecter une
assurance qu’elle était bien loin d’éprouver.
-Puisque, par la force des choses, nous allons vivre sous le même toit
pendant quelques temps, je pense que nous devrions essayer de nous
entendre. Pour ma part, je ferai tout mon possible pour ne pas me trouver
sur ton chemin. Je te serais reconnaissante de bien vouloir agir de même à
mon égard.
Reed continuait à la contempler fixement, comme s’il tentait de deviner ce qui
se passait dans son esprit.
Une lueur étrange jaillit dans les yeux noirs de Reed et ses traits se
contractèrent. Si elle ne l’avait pas si bien connu, Clara aurait pu croire que sa
remarque l’avait blessé.
Elle lui sourit avec reconnaissance. Cela lui ressemblait bien de se préoccuper
de ses moindres besoins.
-De rien.
Clara se figea, piquée au vif par son ton sarcastique. Elle en vint à regretter
d’avoir tenté de se montrer aimable envers lui. En tout cas, on ne l’y
reprendrait plus. Elle se dirigea d’un pas déterminé vers la porte de sa
chambre.
-Il se fait tard. J’aimerais prendre une douche et me changer avant de rendre
visite à tante Helen.
-Quel est le morceau de musique que tu travailles en ce moment ? demanda-
t-il soudain.
Elle avait toujours joué sans peine les pièces lyriques ou romantiques, mais les
œuvres plus graves, celles qui exigeaient de l’assurance, voire même de
l’agressivité, ne lui étaient véritablement accessibles que depuis peu.
-Je ne suis plus celle qui, voici quatre ans, est partie d’ici. Il faut que tu le
comprennes. Je ne me laisserai plus traiter de la même façon. J’ai l’habitude
de prendre mes décisions moi-même et de mener ma vie comme bon me
semble.
-Je l’ai remarqué, répliqua-t-il sèchement.
-Tu devras l’accepter.
Un sourire ironique traversa le visage de Reed.
Clara écarquilla les yeux. Ce qu’elle avait pris pour des rebuffades ne visait
donc qu’à transformer sa timidité en courage et fermeté.
-Une chose est sûre, poursuivit Reed en faisant signe à Thunder de le suivre.
Tu es devenue une femme extraordinaire. Tu aurais pu être simplement
belle, mais légère et frivole. Au lieu de cela, tu es également pleine de talent
et indépendante. Je n’ai donc pas si mal réussi ma tâche.
Sur ces mots, il se retourna et quitta la pièce, la tête haute, sous le regard
abasourdi de Clara.
Chapitre 5
-Comment vas-tu ?
-Beaucoup mieux, depuis que tu es là.
Son visage blême s’illumina tandis qu’elle regardait sa nièce avec tendresse.
Elle se rendit soudain compte qu’elle n’en avait jamais eu d’autre, que c’était
encore là son seul foyer. Bouleversée, la jeune femme se retourna pour
contempler la pièce où elle avait passé tant d’heures inoubliables.
-Reed m’a dit que tu étais arrivée plus tôt que nous ne l’espérions, reprit
Helen en levant vers sa nièce des yeux remplis de gratitude. Mais pourquoi
n’as-tu pas dîné ici, avec nous ? Lorsqu’il n’est pas retenu par ses affaires à
Providence, Reed prend ses repas dans ma chambre afin de s’assurer que je
mange.
-J’avais pris un déjeuner copieux avant de quitter New York. J’en ai profité
pour défaire mes valises.
En fait, le choc de ses retrouvailles avec Reed avait été tel qu’elle ne s’était pas
sentie capable de l’affronter aussi vite.
-D’ailleurs, je préfère être seule avec toi pour que nous puissions bavarder
tranquillement, comme autrefois.
-As-tu revu Reed ? demanda Helen d’un air anxieux. Lui as-tu parlé ?
-Oui.
-Tout va bien entre vous, à présent ?
-Je le pense.
»En ymmärrä teitä oikein. Nyt teidän täytyy kertoa minulle kaikki,
pikku rouva raukka! Vähitellen… eihän teidän tarvitse sanoa kaikkea
yhtaikaa. Ainoastaan romaaneissa ihmiset voivat kertoa kaiken
samassa hengenvedossa. Se, että nyt itkette, ajatellessanne
miehellenne tekemää vääryyttä, sanoo paljon, paljon enemmän kuin
mitkään sanat.»
XXV.
»Kukapa tietää, ehkä hän kaipaa teitä, ehkä hänen suurin ilonsa
olisi saada teidät jälleen.»
»Rakastatteko häntä?»
»Vai niin.»
»Totta kyllä — minä otin hoivaani orvon tytön, joka oli kaukainen
sukulaiseni. Hänen isänsä oli serkkuni, mutta nai säätynsä
alapuolelta… mutta lapsi oli äitinsä kaltainen ja on käyttäytynyt niin,
etten tahdo hänestä mitään tietää. Enkä tiedä mikä hänestä on
tullutkaan.»
»Ei hänkään. Hän tuli minua vastaan eilen ja kysyi, enkö ollut
kuullut mitään Ballmannista, johon vastasin: 'Säästäkää minua
kuulemasta tuota vastenmielistä Ballmann-nimeä', sillä en tahdo olla
missään tekemisissä sen nimen kanssa, senjälkeen kuin tuo arvoton
olento häpäisi sen.»
»Te ette antanut minun puhua loppuun. Sitä suurempi olisi niiden
edesvastuu, jotka antoivat hukkuvan hänen rukoillessaan apua
vajota syvyyksiin. Mutta teidän kummityttärenne on, Luojan kiitos,
pelastettu.»