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Nathanaël Makaya-Busukila

Chez Le Ouagalais

Il eut fallu que vous sussiez ce bouffonesque


chapitre de ma vie, pour qu’en ouvrant vos
dents, vous rissiez aux éclats à vous tordre les
estomacs ; et que vous m’accompagnassiez
un jour de samanche « Chez le Ouagalais ».
1

Je viens de me réveiller. Je sens une pesante


sensation, un fardeau d’esclaves ; comme un
enfer sur mes épaules. Il n’eut pas fallu
qu’aujourd’hui fût le premier jour d’un
samedime. C’est un maudit jour. Je le sais,
inscrit sur l’un de mes quatre visages de
murs. Il se perche sur un calendrier, vétuste
par l’usage, qui trône comme une dégradée
peinture. Celui-ci m’est comme un rappel
incessant de la nature implacable du temps
qui passe. Ou même comme un oracle de
malheur qui égrène les jours. Ou plus encore,
comme une relique du passé qui témoigne du
passage des saisons et des années. Il est, ce
calendrier, plein de poussière et d’humidité.
Je le sens moribond. Quand je lui fixe mes
yeux, je questionne le reste de ses années de
vie. Il porte des vêtements de rides, ses pages
sont d’un pourrie jaune. Des lustres furent
déjà en désuétude, mais lui demeure. Il me
semble se vêtir de stigmates d’une révolue
époque. Cet objet me donne à penser qu’il
traversa plusieurs épreuves du temps. A me
prendre au mot sur cela, j’aimerais que vous
doutassiez. C’est une dinguerie de prendre de
l’âge. J’eus cru naguère que je ne vieillirais
pas. J’aurais préféré que fût aujourd’hui, un
lundi, un jeudi ou même un vendredi ; mais
certainement un premier jour de samanche.
On l’associe à la débauche, du moins dans la
ville dans laquelle je suis. Il annonce la
vacancelle et trimballe une sulfureuse
réputation. Dans le ventre de celui-ci, ici les
gens s’abandonnent à tous les excès ; le
prostituent. La luxure est au cœur du laisser-
aller, c’est entre guindaille et myriades de
fleuves d’immoralités. Des tasses de joints
aux mouvements de va-et-vient, c’est un
festival de non interdit. Aujourd’hui, le
relâchement est le mot d’ordre. C’est le
théâtre de tous les excès, de toutes les orgies.
Cette journée distribue à qui veut, une
invitation à se perdre dans les méandres du
tout, du mauvais et du n’importe quoi. C’est
fou. Hier encore, je sablais mes quelques
puériles années de petite vie. J’avoue que
sont très mystérieux, les pas desquels fuit,
vole, file et passe le temps. Tout à coup, tout
me semble exister comme par enchantement.
Cependant, là, je suis ivre ni de vin ni de
bière ; mais inexorablement de l’écoulement
du temps. Entre vingt-huit et trente années
d’âge, je semble prendre une teinte de
mélancolie. Les plantations sur l’ovale champ
de ma tête, de plus en plus fanent. Toutes
rabougrissent en dépit des kilomètres d’eau
qui s’y versent sans jamais s’arrêter.
Capturent mes oreilles, les murmures de
l'entropie. Elles laissent entendre que les
événements oublient le temps, mais que le
temps, lui, efface les empreintes des
événements. C'est inéluctable. Je naquis il eut
eu quelques années, mais dorénavant je n’ai
plus de jeunesse. La mienne a le cafard,
s’ennuie. Elle papote à la morgue, tarde à se
faire une place dans un caveau. Cela
m’inquiète. J’aurais aimé qu’elle fût déjà
dans un champ de navet ou au cœur d’un
cimetière des allongés, pour que peut-être un
jour si je l’exhumasse, j’aurais le cœur de me
rabibocher avec mes joies et peines d’antan.
Hélas, ce n’est pas un leurre. Elle m’est
réellement dans l’oubli du temps, éternue
dans un abîme de poussière, pèse, contient
trop de désolations, ruines, rebondissements ;
trop de trépidations. Bien que ce soit
oppressant de vivre un premier jour de
samanche, jusque-là la matinée se déploie
avec une certaine grâce. Là-haut dans le bleu
mystère, se perchent des milliers d’étoiles.
Toutes percent le peu dégagé ciel de la vile,
Ouagadougou. Etrangement, je me sens en
paix. Ici, depuis le temps on m’appelle
Ouagalais.1J’en suis fort aise. Je porte ce nom
sans orgueil. Heureusement que les gens ne
me formulent pas la prétention d’être un
Burkinabè. Ce nouveau matin loin des miens,
me semble être un répit des particularités de
mon Mboka2. Même si certaines personnes le
qualifient de "pays de merde," je ne lui
éprouve aucune nostalgie. Il ne faut pas leur
jeter le courroux. Je comprends cette
démarche, le mal y est profond. D’autres
personnes affirment que c’est un pays de
joies éphémères. Chaque pays a ses réalités,
mais celles de mon Mboka demeurent
uniques. J’eus eu le cœur de le quitter pour
des raisons d’études. Là-bas, il y a trop de
brouillards de fumée dans les discours de vils

1
Adjectif. Néologisme. Qualifie les habitants de la
ville de Ouagadougou.
2
Pays. Tiré du lingala
politicards, de vastes ribambelles de
cauchemars dans les avenirs d’illusions ; une
bouffonesque symphonie de Mozart qui
lézarde le cafard d’un quotidien de chômage.
Dans cette Afrique, on sert des laïus ; ce sont
des livres d’avalanches, des vallées de
meurtrissures qui suffoquent. Ce pays et moi,
fûmes en froid ; même en pluie. Il ne
rencontrait plus mon assentiment. Je crois
qu’il m’eut aussi eu en horreur. Ce fut une
évidence. Nous nous quittâmes d’un commun
accord ; mais je fus plus d’accord que lui.
Nos adieux furent dépourvus de larmes,
d'accolades, de poignées de mains ; pas
d'échange de mots, seulement un tacite
accord. Aucun vent de regrets. Dans le ventre
de Mboka, j’obtins en droit, un diplôme de
licence. Ce fut dans la pire de toutes les
universitaire facultés. Les souvenirs de cette
période résonnent comme un proche écho de
mon académique aventure. J’en reste marqué.
Fut cette période, chargée de diverses
expériences. Comme le scandale « Porta
Porty », ce fut fétide à supporter ; une
nauséabonde épreuve à endurer. Là-bas, au
lieu d'une universitaire faculté, ce fut plutôt
une publique décharge, saturée d'excréments
intellectuels. Des années en lampadaires ou
lampes témoins, furent à l’oculaire de mes
sacrifiées estudiantines années. A force de
m’en remémorer, j’ai dans la gorge un cafard
que je peine à avaler. M’eut cette période,
noyé dans une abyssale mère de misères, un
gigantesque fleuve de détresse. Au départ de
ce pays, je me fus rendu au Ghana. Là-bas, ce
ne fut pas exotique. Entre centre de langue,
tourisme et burlesque quotidien, j’y restai
furtivement. Puisque fugace fut mon passage,
je me fus retrouvé à arpenter les trottoirs de
Félix Houphouët-Boigny. Mon aventure là-
bas, fut encore moins longue que la
précédente. J’eus côtoyé l’impolitesse, la
vulgarité des apprentis3 ; l’inconfort des
Gbakas4. Au final, pleine d’urgence, lourds
furent les valises que je posasse chez les
intègres hommes. C’est le pays de Thomas
Sankara. Les férus d’histoire racontent que
c’est un homme d’Etat anti-impérialiste, un
révolutionnaire, socialiste, panafricaniste et

3
Employé de Gbaka, receveur de fonds.
4
Cote d’Ivoire. Vétuste moyen de transport en
commun au mode hétérogène de chargement.
un tiers-mondiste. Fut très long, et même
abusivement éprouvant le trajet jusqu’à
Ouagadougou. Furent les passagers, à bord
d’un urbain moyen de transport. Le confort
n’y fut pas. Ce fut l’enfer. Il n’eut pas eu à
l’intérieur des sanitaires. Il leur fut
impossible de satisfaire leurs besoins les plus
immédiats : urines, excréments, crachats,
vomissures. Les astuces des bourgs furent
promptement nécessaires. Ce fut à ciel ouvert
qu’il fallut se satisfaire, au cœur de vides
espaces bourrés d’herbes, de serpents, de
nuisibles insectes etc. J’eus eu sur les lèvres,
des tasses de goguenardise à voir comment
les passagers brusquaient leurs mouvements.
L’obscurité dans ces espaces, leur
dangerosité et le glacial temps, étaient des
facteurs à considérer. Hommes, femmes et
enfants adoptaient de drôles de positions.
Pendant que les nantis, ceux aux portefeuilles
garnis de billets de banque batifolaient avec
les nuages, à bord de ce terrestre véhicule les
passagers aux modiques finances vivaient un
éternel cauchemar. Il leur fallut un mental
d’acier. Les interminables contrôles du
véhicule et des passagers, s’ajoutèrent à
l'agonie du voyage. Mâchouillant ce chapitre
dans ma mémoire, seul comme un débile, je
rigole dans mon local. Je viens d’avoir
souvenir d’un inoubliable détail. J’ai
l’estomac plein de fous rires. J’en meurs
comme un fumeur de joints, à petit feu. Ce
fut à un poste de contrôle. Je fis partie de tous
les étrangers passagers jetés dans la
tourmente : tchadiens, sénégalais et maliens.
Il en eut eu peut-être d’autres, peut-être pas.
Le véhicule à l’arrêt, ce fut l’occasion d’une
tentative de racket. Les passeports furent
retenus. Longues furent les minutes au cours
desquelles les agents de contrôle, avec
minutie, voulurent de nous faire les poches.
Je me fus même dit qu’on eût voulu nous
faire une serpillère. Les miennes furent
trouées. Les autres passagers dans le
véhicule, il m’eut semblé qu’ils ne fussent
pas pressés de nous revoir. Je pus au loin,
voir certains, porter des cieux de sourires sur
les parallèles murs de leurs lèvres. J’eus cru
que nous y passerions des siècles. Les
souvenirs de ce voyage m’empreignent d'une
étrange combinaison de difficultés et de
comiques moments. Deux jours de trajet
après, j’arrivai à Ouaga ; comme appellent les
locaux, la capitale du pays des Hommes
intègres. A Ouaga, fut vespéral le temps qui
m’eut accueilli. Ce rocambolesque trajet eut
sur ma peau, marqué une palpable fatigue.
Furent marquées sur ma montre, dix-huit
heures. Le cerveau en miettes et les os
rassasiés de fractures, j’eus méchamment
entendu dans mon estomac, bourdonner. La
soif d’une désertique traversée me
démangeait la gorge. Palpable, fut l’agitation
parmi les passagers errant çà et là. Ce fut au
cœur d’une routière gare en plein air. Elle fut
pleine de monde, bondée d’autres urbains
moyens de transport. On pouvait facilement
s’y perdre, entre voyageurs, commerçants et
passants. Tels des vautours, charognards
autour d’une carcasse de lion, les gens, là-
bas, saturaient même les petits espaces. J’y
fus comme en apnée. J’avais le cafard à me
frayer une allée de chemin à travers la foule ;
même le vent était emprisonné. Les pieds de
l’urbain moyen de transport, déjà, foulèrent le
sol depuis de longues minutes ; signe du
déchargement imminent des bagages. On
commença un peu plus tard, à le décharger.
Aux aguets, furent tous les passagers. La
prudence et la méfiance furent au rendez-
vous. On jetait plus de mille regards çà et là.
Il eut mieux fallu anticiper toutes situations
de vol, de perte, de disparition de bagages. À
mesure qu’on vidait le véhicule, je pus un
instant, plein de dextérité, dans le ciel de la
capitale, voler de gargantuesques bouffées
d’air. Ça m’était nécessaire d’en faire des
provisions ; on ne put connaitre la tournure
des événements à venir. Tandis qu’elles s’y
baladèrent, je me délectai à les respirer.
Cependant, à mesure que les minutes
s'écoulaient, une croissante inquiétude
m'envahissait. Pris dans l'étreinte de leurs
bagages, certains passagers fusionnaient avec
eux. Les miens, j’eus pensé qu’ils
larmoyassent dans de geôles de Guantánamo.
À certains moments, je me perdais dans ce
nouveau décor ; cette routière gare. Les gens
y avaient de drôles de visages, de drôles
d’habillement ; surtout un drôle d’accent.
J’étais comme tétanisé par ce que mes
oreilles épousaient. J’en étais abusivement
pris d’intrigue. J’avais les regards éparpillés ;
je jetais çà et là, mes yeux. Tout à coup,
j’entendis me crier au secours. Eurent semblé
les voies qui me parvinrent, avoir les têtes
sous des montagnes d’eaux. C’étaient celles
de mes lourds bagages. Prompts à sortir de ce
crématoire four, ils gouttaient au parfum de la
liberté. Déchargés du véhicule, ils eurent eu
d’endiablés visages, marqués d’une pluie de
sueur. Ils me sourirent, et me firent des
câlins. Dans leurs cœurs, j’eus entendu des
souffles, des vallées d’étouffement. Ce qui
eut suivi après, fut une dinguerie. Ce fut
incroyable. Je me souviens toujours de cela.
Chaque fois que se sature le disque mental de
ma mémoire, je prends le temps de tempérer ;
d’avoir souvenir de cela. En boucle, pour y
créer de l’espace, je me repasse cela ; encore
et encore. Dorénavant que je récupérai mes
bagages, il n’eut pas fallu longtemps pour
que promptement vînt, de je ne susse où, un
Ouagalais ; et qu’avec la force de Samson, il
me les arrachât. Un sentiment de choc et de
panique me saisit, alors que ce pays
m'accueillait de manière particulière. Un
assez long moment perturbé, je restai là,
sclérosé face à l’audace dont il eut fait
montre. Quel spectacle décourageant ! J’eus
dit à mon alter-ego. Cela me fut
inimaginable. Je pense même qu’à un
moment, j’arrêtai de gamberger. Il épousait la
corpulence de Goliath. Elle était imposante,
contrastait avec ma perplexité. Extrêmement
dégingandé, ce monsieur marchait avec un
ciel d’assurance dans le torse. Incroyable,
mais ce fut vrai. Cela me fut une question
d’honneur. Je me mis à lui courir après. Lui,
imperturbable, m’envoyait comme valser.
Des secondes de trop effacées, ce fut devenu
une course poursuite. Fut celle-ci, surréaliste.
Je fus comme un chasseur, agacé par une
remuante proie. Il eut semblé que ce grand
Ouagalais voulût me filer entre les yeux. A
l’oral, je commençais à lui manifester ma
mauvaise. J’avais le sang chaud, et le cœur
plein de tourmente. Alors que continuait la
poursuite sur plusieurs mètres de distance,
j’eus comme eu une absence qui ralentit ma
progression. J’étais désormais dans un
brouillard. J’étais confus, entre regarder et
voir. J’avais au loin des flashes d’images. Ils
m’indiquaient que ce Goliath fût en train de
se décharger de mes bagages. Revenu à moi,
j’avançais, à pas d’escargot la pensée saturée
de funestes idées. Celui-ci se tenait debout, il
m’attendait. Il ne montrait aucun signe de
peur. Il festoyait une indescriptible sérénité et
un calme de l’esprit. Ce fut évident que je ne
lui inspirasse aucune crainte. Impossible lui
fut de battre la chamade. Je le jouxtais
désormais dans un face à face. J’eus eu un
coffre de méchanceté à lui manifester ; mais
un regard m’eut suffi à mettre de l’eau dans
mon ardent feu. Trônait à côté de ce
monsieur, un urbain moyen de transport dont
fut ouvert, le coffre. Celui-ci, abritait mes
bagages. Un regard vers lui, et il me sourit. Je
faillis fuir, mais je me ressaisis. Il m'offrait
un festin de mots en Moré 5 ; une langue dont
j’ignorais le sens. Secoué par le choc du
récent événement, je ne comprenais pas ce
qu’il me déclarait. Je n’avais pas encore
digéré la situation. Néanmoins, je lui tenais
un discours de sourds. Je lui faisais des
mimes. Je ne sus même pas, comment à ce
Ouagalais, j’eus jovialement esquissé
d’ecclésiastiques sourires. Quelque temps
plus tard, je crus avoir terminé avec ce
Ouagalais. Hélas, ce fut un récipient de
5
Langue parlée au Burkina Faso
poudre de perlimpinpin. Je m’efforçai à
l’oublier ; mais il allongea subitement son
discours. Là, il commençait vraiment à me
taper sur les nerfs. Je ne pus résister à mettre
des mots sur mes lèvres. Pendant ce temps,
apparut un tiers. Il me vint comme un Moise6.
Rapidement il prit la mesure de la situation. Il
était originaire de la terre d’accueil. Celui-ci
me tint en explication que ce Goliath me sût
être un étranger, et qu’il voulût me servir un
plat d’affabilité des gens d’ici. Néanmoins,
drôle fut ce plat. Alors que je remerciai ce
tiers pour sa lampe, eut comme par
enchantement disparu le bon samaritain. Il ne
me fallut pas longtemps pour apercevoir sa
silhouette au loin. Je me mis à sa poursuite. A
force de crier derrière son dos, il s'arrêta. Là,
j’eus eu dans le cœur, même dans le tibia,
l’envie de lui asseoir ma gratitude. Pour ce
faire, je lui tendis le plus valeureux des billets
de banque vivant dans cet Ouest Africain
pays. Il était encore frais, sentait l’odeur des
bancaires fourneaux. Resta mon bras, dans
l’air de cette gare, tendu ; jusqu’à ce qu’il se
fut éreinté. Ce Ouagalais, sur moi, fixait un
6
Biblique Personnage
regard de désintéressement. Poliment, il me
mima des gestes de remerciement, sans
prendre ce billet. Il me prit congé après
m’avoir dit : Barka7. Perplexe, je restai là,
absorbé par la scène. Cette fois, je ne pus
suivre le rythme de ses pas. Je restai là, un
moment. J'eus la pensée effacée. Puis
soudainement, j'eus en mémoire le dernier
mot qu'il m’eût prononcé avant comme de
carapater, Barka. Je fus resté là, à la fois dans
une interminable gamberge à la fois sans
bouger ; sclérosé comme une pluie de béton,
en train de mâcher le mot Barka. Plus tard,
j'eus compris que "Barka" eût signifié merci.
Toujours là, j’eus eu la pensée suspendue.
J’eus le réel et sincère sentiment d’être au
pays des hommes intègres. Mon sentiment de
dépaysement fut tempéré par la gentillesse de
cet inconnu. Ce fut à ce précis moment, la
plus belle image que je gardasse en mémoire.
Jusqu’ici, cette scène m’est peut-être la plus
belle. J’arpentai dorénavant vers le coffre qui
abritait mes bagages. J’y fus quand tout à
coup, venue de je ne sus où, me tint, puis
m’attrapa l’épaule gauche, une dure pomme
7
Merci
de main. J’en eus ressenti des glaces de
pierres. J’en soubresautai. Je me tordais de
lancinante douleur, je ressentais le poids de
ses durs doigts d’esclave, formés en béton de
mauvaise qualité. Mers de troubles dans le
cœur, je me retournai. Mon juvénile visage se
trouva face à celui saturé de rides d’un vieil
Ouagalais. Sur le coup, je fus pris entre
admiration et interrogation, confronté à un
mélange d'émotions contradictoires. Ce
Ouagalais à la très prononcée vieillesse me
jeta dans l’abattement. Entre fuir et crier, je
fus à ce précis moment, comme à la croisée
de mes chemins de réflexion. Il avait comme
bien d’autres locaux dans cette gare, une
tenue singulière qui suscita en moi une
confusion mêlée d'amusement. Jusque-là, je
n’avais jamais vu quelqu’un se vêtir de la
sorte. Je ne sus pas si ou pas il fallut en rire
ou pleurer. Ce qui fut sûr, fut que ce
monsieur ne fût pas un ver de terre. Cet
homme, plus tard fut révélé comme le
propriétaire et chauffeur de l’urbain moyen
de transport ; où ouvertes bouches, ronflaient
et sommeillaient mes bagages. La discussion
ne tarda pas, que ce fut devenu évident qu’il
me conduirait à destination. A ce moment,
sans qu’il ne sût, il vint de m’ouvrir un
deuxième chapitre d’intégrité. Il aurait pu
s’effacer avec mes bagages. Je lui en offris
des cieux de remerciements. Nos pas
piétinèrent quelques centimètres de sol, avant
qu’entrèrent nos corps dans le véhicule. Un
laps de temps avant, mes yeux m’avaient pris
en alerte concernant l’état de ce véhicule.
J’avais hésité à monter à bord. Ces quatre
roues m’avaient offert un champagne de
doute. Fut pratiquement, la carrosserie
détachée. La couleur de ces quatre roues, fut
à la laideur d'un coronas virus. Quelques
minutes facilement effacées dans l’espace de
cette routière gare, le moteur dudit véhicule
eut vrombi. Lui-même vétuste, raisonnait
comme un atteint de tuberculose. C’était
désagréable à l’oreille. Je m’y sentais en
insécurité. Hélas, j’y fus déjà acculé à faire
un long trajet. A l’intérieur, je me demandais
si les policiers routiers ne nous arrêteraient
pas pour effectuer des contrôles. Le trajet se
fut transformé en interrogatoire. Il m’agaçait,
me posait trop de questions. Mais puisqu’il
me fallait faire preuve de courtoisie, de
modestie, je lui servais de catholiques
réponses ; lui esquissais de majestueux
sourires. Le trajet, je ne le sus pas long ; il le
fut. Le chauffeur et moi lui et moi, finîmes
par épouser de mirobolants, intéressants et
fructueux échanges. Avant que je n’arrivasse
à destination, il voulait de manière
péremptoire, m’asseoir un repas de
patriotisme. Il eut fortement insisté à me
parler du patriotique symbole de mon pays
d’accueil ; le cujus Thomas Sankara. Le vieil
homme au sujet de celui-ci, me chanta des
kilomètres des cieux d’arcs-en-ciel, parcelles
de dithyrambiques mélodies. Il déploya des
kilomètres de passionnés discours, chantant
ce providentiel leader. Il me disait que c’était
la première des choses à savoir en tant
qu’étranger ; que c’était essentiel de faire
corps avec l’histoire de ce symbole. J’en fus
suffisamment intrigué pour l’entendre,
l’écouter avec passion, un gigantesque monde
d’intérêts et une hors-pair concentration. Le
trajet s’épuisant aux sons de nos voix et aux
rythmes de nos échanges, nous continuâmes
dans cette lancée. Au cours du trajet je me
plongeai aussi dans l’inédit paysage de mon
pays d’accueil. Dire que ce fût exceptionnel
serait un mensonge. J’eus eu le sentiment
d’être dans le ventre d’un bourg. Peut-être
que le chauffeur n’empruntait pas les
meilleures voies. Il y avait çà et là des
maisons en de cuites briques, même dans le
centre de la ville ; des âmes et chevaux sur
les voies, de vides espaces. Le plus tape aux
yeux me fut les engins à deux roues. Elles
asphyxiaient les voies. Cela m’était beau,
intriguant et même un peu magique de voir
cet incessant défilé. Cela m’était élégant de
surtout voir la gent féminine manipuler ces
engins. Cela m’était spectaculaire. Captif de
ce Ouagalais paysage, certains arguments de
mon compagnon de trajet allaient dans les
nuages. Revenu à moi-même, je pus sauver
les derniers mots posés sur ses vieilles lèvres.
En mémoire, j’eus gardé la providence que
fût cet homme. Dire que les gens de ce pays
sont intègres, c’est à répondre par
hypothèses. Ils sont à la lisière des deux
extrêmes. Néanmoins, avec tous les bienfaits
dont ils me servent depuis que j’élis domicile
ici, c’est gratifiant. Je leur en donne
énormément de crédit. J’avoue qu’ils me sont
jusqu’ici affables ; et même sporadiquement
abusifs. Des fois, c'est énervant. J’aime qu’on
m’appelle Ouagalais, bien qu’elle raisonne
différemment que congolais.

Je suis encore dans l’ivresse de matinales


profondeurs. Ce jour de vacancelle m’est
lourd à l’extrême. Je m’étale toujours sur ma
couche, comme une épuisée grasse vache.
Toute la nuit je ne pus fermer l’œil. Fut mon
rendez-vous avec le marchand de sable,
perturbé. Il eut eu trop de rebondissements.
Ce fut très sportif à quelques endroits. Toute
la myriade de vespérales heures fut gâchée,
désagréablement tuée. Ce matin, j’en paie les
conséquences. Morphée m’a une dette. J’ai
les yeux bourrés de sommeil. J’en suis dans
l’ivresse ; heureusement que ce n’est pas
d’alcool. Les gens du pays duquel je suis
originaire, traînent la mauvaise réputation
d’être des éternels fêtards ; buveurs de Ngok.8
Certains vrais Ouagalais, m’écrivent la
contradiction et le paradoxe de ne pas être un
natif de là-bas. Ils ne s’expliquent pas que je
ne sois un consommateur d’alcool. Plus
encore, je ne fréquente ni les bars, les
terrasses ni les boîtes de nuit. Je ne fume pas,
pire encore ou grave seulement, je ne rythme
pas mes reins aux mélodies de la Rumba9 et
du Ndombolo10. C’est aussi dans mon
entourage des gens d’ici, un sujet à
polémiques. Il faut croire que ma nationalité
a le potentiel d’exceller dans de vils
domaines. Mon lit est défait. Comme les
costumes des fonctionnaires de mon pays, le
drap et la couverture sont épuisés. C’est
triste, mais vrai. Ceux-ci, souffrent le cafard à
un point de non-retour. J’ai là l’image des
ouvertes bouches de leurs désuètes
8
Bière brassée au Congo-Brazzaville.
9
Genre musical issu de la rumba cubaine apparu au
Congo-Kinshasa et au Congo-Brazzaville.
10
Danse d’animation originaire du Congo-Kinshasa,
imitant la démarche d’un boiteux ou d’un animal.
chaussures ; elles ont l’âge de la retraite. Il ne
faut pas croire que c’est seulement une
image, c’est plus qu’une évidence. Le drap et
la couverture sont détachés du matelas. J’eus
certainement, excessivement gesticulé dans la
nuit. Je me tords de douleurs, tellement mon
corps se déchire de courbatures. On dirait que
je fusse comme un morceau de bois passé
sous les roues d’un camion à billes. C'est
bizarre que j’aie autant mal. Même au temps
jadis dans les champs de coton, je ne pense
pas que les frères nègres travaillèrent jusqu’à
ressentir cette méditerranée de douleurs. Je
fais quelques étirements. J’entends
violemment mes os vagir et s’écraser. Dans
l’espace de mon local, plane de mes vocales
cordes, une mélodie qui crie les effets de ces
étirements. Velléitaire un moment, d'un tout à
coup soubresaut je chasse avec la dernière
énergie, mon apathie. Bam ! Et me voilà sur
mes deux pieds. Je tiens à peine debout. J’ai
comme le vertige. Mes pieds et jambes
manquent de force. J’avance comme en
titubant. Trônent sur mes fenêtres de
transparentes vitres. À travers, chaque matin
je vois la faciale expression du paysage
auquel j’ai accès. Là, je vois discuter les
pigeons d’une des avoisinantes maisons. Ils le
font à coups de becs. Ce sont ceux d’Isaac
Kaboré ; un petit Ouagalais, à la taille d’une
bouteille de gaz. Beau ou pas, je m’abstiens
de dire ce que je pense. Ce qui est sûr, il est
comme il est ; il ressemble à ce qu’il
ressemble. Après tout, il y a des gens qui ne
ressemblent à rien, qui ne sont ni beaux ni
laids. C’est comme le vide et le vent, on ne
sait pas comment apprécier leur beauté et leur
laideur. Ce petit Ouagalais abhorre les études.
C’est non seulement un fait, mais il le
déclare ; même à personne qui veut le savoir.
Il est à lui seul, un énorme livre de laisser-
aller : Alcool, cigarettes, débauche et j’en
passe. Il a le teint d’un Burkinabè, noir ; peut-
être pas charbon, mais cela se rapproche. Ce
n’est pas une insulte. Je suis simplement à
l’oculaire de ce constat. Les pigeons de celui-
ci, souvent, pénètrent dans mon local à
l’ouverture de mes fenêtres ; quasiment à
toutes les périodes des journées. C’est un
Rubix-cube11 de les y chasser. Ils battent les
11
Casse-tête composé de vingt et six cubes de couleur,
chaque face comportant neuf cubes, fixés à un axe
ailes partout, y éparpillent leurs plumes,
déposent leurs excréments. Cela m’est
frustrant, et m’assoit une corvée de
nettoyage. Depuis quelques semaines, Isaac
Kaboré et moi en avons un compromis. Je ne
chasse plus ses pigeons, je les capture. Lui,
les sale, pimente, cuise ; et on s’en fait un
culinaire festin de pharaons. Quand se
présente l’occasion, en plus du repas, c’est le
partage de cieux de conneries ; jusqu’à en rire
à se bloquer les estomacs. Un Burkinabè,
Ouagalais, heureux de manger ses pigeons
pris en capture par un étranger, c'est une
dinguerie. J’aime la façon dont ce jeune
homme, dédommage mon préjudice. Le plus
dingue dans ce pays, c’est que tout le monde
se vêt des mêmes noms : Sawagogo, Kaboré
ou Traoré. Franchement, j’adore ce pays. Il
est plein de cuvettes de rires. Intrigué, je
m’intéresse à la conversation des pigeons. Je
ne cesse de les contempler à travers mes
vitres de fenêtre. Je les ouvre. À l'instant, ils
laissent derrière eux des valises d'excréments
et des forêts de plumes. Ces maudits pigeons

central qui permet leur déplacement, afin de les


disposer par couleur sur chaque face du cube.
viennent de prendre leur envol. Frustré, je
jure que je finirai par tous les consommer. Je
reste là, les coudes posés sur le dos de cette
fenêtre. Le temps est lourd ou légèrement
glacial, je divague peut-être. Dans le bleu
mystère, là-haut, entre les diamants d’étoiles,
battent les ailes et piaillent les oiseaux. L’or
du jour brille, mais ne brûle pas encore. C’est
rarissime à ce moment de la journée. Je
trouve cela dommage. J’aime quand d’un
satané et ardent feu de chaleur, oppresse le
soleil de la capitale, les chauves et lisses têtes
de quelques passants. Cela m’est rigolo ;
surtout quand je les compare à celles des
soldats de mon Mboka. Ils ont des boules de
billard, pleines de trous et de ravins ; de
géométriques figures jamais étudiées à
l’école conventionnelle. Je fais une pause
pour en rire. Ce léger temps de glace me fait
tourner le cerveau, me taraude. Il marche de
pressants pas sur ma peau, et irrite mes
corporels poils. À cette allure, il m’est
impossible de vivre dans un neigeux pays.
J’ai le regard et les yeux fixés sur l’or du
jour. Il enivre l’espace, la propriété des
gardiens du temps. Un formidable et
lumineux éclat s'y dégage. Un léger vent
s’invite sur mon corps, cet arbre à l’épais
feuillage. Il m’arpente avec audace, fait plus
de mille pas. Heureusement, il peine à
soulever la poussière. Celle-ci est maladroite,
elle a peu de respect, de politesse en elle. Elle
laisse dans les yeux des bidons de larmes qui
ruissellent sur les joues et salent les langues.
C’est bien que ce léger vent qui me berce ne
peigne des croquis d’agacement sur des
kilomètres de visage. Comme à l’accoutumée
de chaque matin, je décide avant de carapater
la forêt de ma solitude, de faire du
rangement. C’est pénible, c’est agaçant ; mais
fort nécessaire. Je m’en accule depuis que je
foule le visage du Ouagalais sol. Je me revêts
de plusieurs casquettes. Où j’élis domicile,
mon voisin le plus immédiat, n'en perd aucun
cheveu. Entre petites amies, demoiselles de
passage et femmes de ménage, il ne
s'emmerde pas. Je me demande si lui-même
ne se fait pas nettoyer. À bien phosphorer,
peut-être que je vais faire comme lui. Ça,
c’est un leurre. Je me berce d’illusions, d’un
interdit rêve. Je ne peux pas tenir tête à mon
voisin. Chez mes parents, autrefois, je
pouvais m’en abstenir. Cela m’est désormais
une époque impossible à exhumer. Est
simple, le programme de ce premier jour de
vacancelle. Je dois à l’excès, me détendre,
aérer le saturé disque dur de mon esprit. Je
prévois dans quelques minutes, fêter la
journée chez le Ouagalais. Dans mon local, il
n’y a pas d’allées de couloirs, de cuisine,
salles de bain, et tout ce qui va avec. Le mien
est un quatre murs. Ce n’est pas du luxe, c’est
une sorte d’immobilière friperie ; ce n’est pas
non plus la misère. C’est simplement mon
local. Quelques fois il donne à penser à un
trou à rats, mais bon ! De toutes les manières,
je n’ai pas le choix. Je ne peux pas faire la
fine bouche. J’ai des sanitaires : douche et
toilette ; un espace de repos et un autre de
rangement. C’est vraiment intéressant. J’y
conserve mon intimité. C’est à l’abri de
toutes les formes d’indiscrétions. La serrure
de la porte de mon local est capricieuse,
difficile de la prendre en séduction. Je
l’énerve, la tripatouille un moment. Elle
m’écrit des larmes de sueur. Je devrais faire
appel à un menuisier ou à un serrurier ; mais
je dois faire des économies. L’étranger, ce
n’est pas la ville d’à côté ; on se découvre
d’insoupçonnées aptitudes, compétences et
qualités. Il faut faire des choix, même les plus
banals ont leur degré d’importance. J’use de
patience, et enfin la serrure m’esquisse son
plus beau sourire. J’espère que demain matin,
ou à mon retour de chez le Ouagalais elle sera
moins agaçante. Un assez bref moment je me
perds dans une inopinée réflexion, avant
d’alimenter le poussiéreux et vétuste brasseur
qui trône au cœur du plafond. Dans cette
ville, la poussière s’incruste partout, à tout
moment. C’est frustrant de répéter les mêmes
gestes. Même nettoyé, ne brasse ce brasseur
que d’interminables quantités de chaleur.
Fenêtre et porte ouvertes, brasseur alimenté,
néanmoins je transpire à grosses gouttes. Je
vais finir par me baigner dans un Nil de
sueur.
Comme pour chasser l’apathie d’un repos en
demi-teinte, je pars en musique. Je mets cela
en réduis volume pour ne pas déranger les
tiers. Les premières notes m’intriguent, me
poussent à m’essayer en dance. Le corps en
mouvements, je suis dans les ouvertures de
Mboka. C’est la Rumba. Je la joue en boucle.
Je peux dorénavant débuter avec le
rangement. Je blanchis, plie et range mes
propres vêtements. Les sales, s’entassent dans
un seau plein d’eau. Je l’assois sur le
carrelage de la douche. Défait, le lit, je le
refais. J’en change le drap et la couverture.
Mon matelas n’est pas du luxe. C’est un
entassement d'éponges bon marché. La
friperie en est meilleure. Un poste téléviseur
et un réfrigérateur, me donneraient de
l’estime auprès de quelques visiteurs. Ce
serait rêveur de jouer au jeune homme ;
apporter de la couleur à mon local. Hélas. Et
puis, si c’est pour augmenter le coût de
l’électricité, c’est risqué. Je passe mon tour.
Je laisse ce luxe à ceux dont des portefeuilles
et poches, suinte, coule, ruisselle une
méditerranée de billets de banque. Mes
couverts sont pêlemêles ; je les rassemble et
nettoie. J’ignore pourquoi j’en possède
autant. Je ne sais pas cuisiner. En vain,
naguère j’eus essayé. C’est certain, savoir
cuisiner ce n'est pas mon destin. Je me
nourris de mets préparés d’avance ; au pire
des cas de mes très rares culinaires essais :
Chauffée eau pour une tasse de café, de thé
ou de lait. Ceux-ci, frôlent l’alimentaire
intoxication. Je ne dirais pas non à une
culinaire recette dont a le secret de la cuisson,
ma mère. Fastidieux, m’est le travail de
vaisselle. J’en maugrée, m'en agace
excessivement. Si m’eût-elle ma mère, vu
plonger dans ce cauchemar, elle en rirait de
satisfaction. Au temps jadis, je lui disais que
fût cette tâche, réservée à la gent féminine ;
tout comme la cuisine et le ménage. Sourire
aux lèvres, elle me tenait toujours à l’alarme
de ne pas me retrouver hors de Mboka. Après
tout, c’est formateur. Ça permet d’évoluer
dans le cycle de la vie. Je pense que ma mère
pourrait me récompenser en augmentant mes
prochaines mensuelle finances. J’évite de
trop m’y attarder. Promptement, je la termine
et passe à une autre tâche. J’astique avec
minutie quelques poussiéreux meubles, non
façonnés avec préciosité en durables
matériaux ; peut-être en recyclés ; même là,
je doute. J’ai plutôt le sentiment qu’ils sont
de piètre qualité. On dit que le faux a toujours
un reluisant aspect. C’est un fauteuil de
fortune et une forme d’armoire où sommeille
un marché de célibataire : une demi-bouteille
d’huile, une famélique quantité de sel, beurre,
sucre et de lait. En plus de cela, quelques
graines de riz et un paquet de macaronis. Ce
marché, c’est au cas où l’une de mes voisines
voudrait me préparer un caprice. Trône dans
un coin de mon espace de vie, une mal
fabriquée tablette. Cela doit être du mauvais
matériel de récupération. Celui qui en fut le
menuisier, j’eus pensé, fut ivre. Après tout,
c’est un don. Je ne sais même pas pourquoi
j’en fais la fine bouche. J’y range mes
documents d’université. Je viens d’éteindre,
de tuer ma sixième année d’universitaires
études en droit. Je suis dans l’une des plus
grandes universités du pays. Ici, c’est le
paradis, lorsque je compare à celle où je fus
orains. Néanmoins, celle-ci a aussi des
vipères dans ses chambres. Il faut toujours y
avoir un bâton, du feu, et même une marmite.
Les gens ne chantent que son glamour ; mais
même une prostituée n’est pas une
abominable créature. Que ce soit vrai ou
faux, je sais ce qu’elle vaut et ce qu’elle ne
vaut pas. Depuis quelques mois, on m’y
dispense de magistraux cours. Néanmoins, je
ne vis pas un sabbatique moment, je rédige
mon mémoire. C’est pénible. Entre raser les
bibliothèques dans d’intensives recherches,
s’abstenir de rythmer la vie et caprices de
mon directeur de mémoire, l’estudiantine vie
à l’étranger peut facilement tourner au
perpétuel cauchemar. J’ambitionne pour la
suite, d’écrire sur mon torse en années de
thèse ; comme mes géniteurs. Ce sont de
sacrés esprits, cerveaux penseurs. L’un a un
Doctorat en droit, l’autre en Economie. Sans
prétention, j’ai le plus excellent des
intellectuels héritages. C’est le plus modeste
des héritages pour lequel je m’enfle
d’orgueil. Même à qui ne voudrait pas le
savoir, c’est dorénavant le cas. Le droit, c’est
quelque chose ; c’est le domaine des plus
grands esprits. D’aucuns pourraient me
prétendre des cieux de vantardise, mais bon !
Il faut bien que je nourrisse les charognards.
Tout compte fait, je suis peut-être un docte en
devenir. Mes documents d’université se
reposent sur ce mélange de planches et
contreplaqués. Ils jouxtent d’autres
bouquins ; notamment mon premier roman :
L’avenir sacrifié de l’étudiant Kayilou. Ces
bouts de phrases résument audacieusement et
de manière vérace la moribonde santé des
publiques universités ; les désengagements
des Africains gouvernements dans les
politiques de Nationale Education. Quand je
sais le burlesque quotidien de nombreux
Africains étudiants, ce n’est pas seulement à
Mboka ; mais aussi ici et ailleurs où le mal
est très profond. Je dis noir à cœur ouvert que
vêtir le statut d’écrivain en Afrique, est un
intellectuel chômage. La vie d’un écrivain est
une épine, un peu comme celle d’un
fonctionnaire à la retraite sans pension. C’est
ardu de se remplir les poches. Il faut affaisser
les murs de Jéricho.
Je remportai il eut quelque temps, le premier
littéraire prix du concours de nouvelles
organisé par l’institut français de
Ouagadougou ; dans le cadre de la semaine
de la langue française et de la francophonie.
Je me rappelle que l’intitulé de ce concours
me mit des cieux dans les yeux. Je me fus
imaginé de vastes champs de rêves si je
l’eusse remporté. Rien que pour ça, j’eus eu à
cœur de trouver le Saint Graal. Il eut semblé
que … ce n’est pas nécessaire de mettre des
mots dessus. Je garde encore en souvenir le
jour au cours duquel on m’eut décerné ce
prix. Je ne peux pas l’oublier ce moment. Il
me hante encore. Quelques jours plus tôt
j’avais reçu un mail. Ma nouvelle, Pluie de
larmes avait, comme plusieurs autres textes,
avait épousé l’assentiment du comité de
lecture. J’étais enchanté de ce mail. Ce fut
dans les locaux de l’institut français de
Ouagadougou. Les vespérales heures de la
veille, me furent parsemées d’une terre de
sentiments de stress, pensées, rêves. J’en
avais le sommeil comme émietté. Cette nuit,
j’eus phosphoré encore et encore. Au jour
fatidique, je m’y rendis sur ma carrosserie ;
ma moto. L’histoire de cet engin à deux
roues, je la raconterai plus tard. J’arrivai au
lieu de rendez-vous. J’y fus assidu. La ville
fut encore sous l’emprise de barrières
mesures liées à la Covid-19. Il fut
péremptoire de masquer la bouche et le nez.
Après la traversée du perron, je fus comme en
musardise dans l’espace de la bibliothèque
pour adultes. Je faisais comme je pouvais :
sillonnais les allées de livres, questionnais les
réflexions de quelques auteurs. Je finis par
m’en lasser et prendre place. Là, je m’eus en
gargantuesque cérémonie, imaginé la remise
des prix. J’eus pensé à un auditoire à
contrepoids et à un tout un tas de choses. Je
commençai à méchamment déchanter. Il me
devenait évident à cette allure que je collerais
des barres de baffes à certains adolescents qui
comme des cafards, ne cessaient d’y errer.
Commencèrent d’autres lauréats, à saturer les
lieux. Plusieurs furent sous familiale et
amicale escorte. Moi, je n’eus eu que ma tête
d’étranger. On évitait de se serrer les mains,
de s’embrasser. On s’imposait bouches
couvertes, la rigueur d’une distante
communication. Nous fûmes une quinzaine
de personnes. On formait comme une
communauté d’anonymes alcooliques.
Moment de convivialité fugace, fut le
directeur dudit institut apparut. Ce fut un
blanc homme. Lui aussi, eut une escorte.
Aucune discrimation, fut celle-ci mixte. Le
stress à ce moment, me courtisait ; peut-être
aussi, les cœurs de tous les autres lauréats.
M’eut l’attente, paru interminable. Les mots
d’ouverture du directeur m’eurent semblé
comme un laïus d’Africains politicards. Fut
arrivé, enfin, le fatidique moment : l’annonce
par ordre de mérite des lauréats. Chaque fois
que l’appelant posait des mots sur ses lèvres,
je lisais des vallées de frissons sur les corps
des lauréats et de certains parmi leurs
accompagnateurs. Les récompenses qui se
remettaient, me coupaient la gorge. J’avais du
mal comprendre ; mais finalement je me
disais qu’elles seraient plus valeureuses à
l’avancée du mérite. Ce fut après de vagues
minutes facilement oubliées, le moment de
désigner de l’ultime lauréat. Le peu de
suspens qui put encore errer dans cette
bibliothèque, ne nourrit plus d’intrigues. Cela
devint une évidence, fut écrit sur mon visage.
Tous les autres lauréats furent déjà appelés
qu’on m’appelât. Il m’écrivit un champagne
de voyelles et consonnes ; ce qui sur le coup,
me donna l’espérance d’une phénoménale
récompense. Me dirigeant vers lui, le
jouxtant, je vis dans son regard un sentiment
de surprise ; comme s’il se fût dit en lui-
même que je ne pusse remporter le premier
prix. Ses yeux voyageaient sur les allées de
ma tête ; où serpentaient des tresses. Cela,
peut-être, eut nourri son esprit de
quelconques sentiments. Ce littéraire
concours, grand et exceptionnel je l’avais
pensé. Je m’en étais fait toute une télévisée
série américaine de mille épisodes, au cours
du défilé des lauréats. Je m’étais dit que je
rentrerais dans mon local de misère, le cœur
plein de fierté et les poches pleines de cash.
C’était quand-même la francophonie. Choqué
ou dépité, je ne sus pas ce que je fus en
recevant quatre livres et un annuel ticket
d’accès à la bibliothèque ; en récompense. Je
n’eus même pas eu de quoi mettre un jet de
salive de carburant dans la bouche de mes
deux roues. J’en eus le cafard. La haine fut
dans le regard que je lançasse à ce directeur
au moment d’immortaliser l’événement.
Cette récompense sommeille sur la tablette.
Quelques fois j’en ai des envies de vente ;
mais avec le recul je tempère. Présentement,
je suis parmi les membres du jury du prix
international YOU’VE pour le compte du
Burkina Faso. Là aussi, c’est la merde. C’est
une perte de temps à lire, analyser et à noter
des méditerranées de textes, sans
récompense. Les rares moments au cours
desquels c’est magique d’être un écrivain,
c’est lorsque je donne des formations en
rédactions de littéraires œuvres dans certaines
écoles et universités d’ici. Cela me gratifie de
voir dans les regards des apprenants, la valeur
qu’ils me donnent ; l’admiration qu’ils me
cuisinent quand je m’amuse avec Molière.
Yeux ici et là dans mon espace de vie, je me
heurte à la bouteille de gaz. Elle me fixe son
regard de troubles yeux. Je la fixe à mon tour.
Depuis que je suis dans la ville, elle est
toujours pleine. Elle ne me sert pratiquement
à rien ; surtout à la décoration. Sur le perron
de ma porte, trônent un seau et un balai de
serpillère. Je dois nettoyer le carrelage.
Heureusement que ce n’est pas pénible. C’est
une tâche à mettre exclusivement aux
compétences des femmes. Si eût-elle pu une
bonne samaritaine m’épargner cette satanée
corvée, elle serait ma muse ; je lui achèterais
le monde. Ma mère m’y acculait tout le
temps. Elle m’en étouffait le cœur. J’eus dû
l’apprendre par contrainte. De toute manière,
je n’en ai plus le choix. Le carrelage nettoyé,
quelques sales vêtements se font passer le
savon. J’enfile après une bonne douche, un
pantalon et une chemise bien blanchis. Je me
baigne dans l’ivresse d’un parfum
d’inférieure qualité. Je n’acquiers que ce que
ma modique et mensuelle bourse me permet.
Vivre à l’étranger a sa part de vices cachés.
Ça fait rire et pleurer, c’est vraiment du
pleurer-rire. J’empoche mon passeport, on ne
sait jamais ce qui pourrait m’arriver. En plus,
la carte crise et les clés de ma moto. Ah oui,
cette une moto ! C’est une vieille carrosserie,
une seconde main ; mais elle fait l’affaire.
Elle est sacrément résistante. C’est un ancien
modèle ; les usines n’en fabriquent plus. Ce
fut à prix dérisoire que je l’acquisse. Elle et
moi, eûmes connu la belle et la bête. Elle
m’est fidèle. Chaque fois que je la balade, les
regards des passants me glacent. Le moteur
vrombit comme une rauque, cassée et rouillée
voix d’un drogué musicien de rock’n’roll. Cet
engin me coûte la peau des fesses, me suce de
l’argent ; pas que quelques vagues tours chez
les mécaniciens pour une révision ou des
mineures réparations. Les phares ne
fonctionnent pas, le klaxon c’est la merde ; le
frein est un cabri mort. Ma moto, je l’aime
comme ça, j’en suis fier. Enfin, ça c’est à
prendre avec pincettes. La routière police,
régulièrement me contrôle. C’est chiant
d’être son préféré consommateur des
publiques voies. Avant, je ne comprenais pas,
dorénavant j’assimile. L’engin n’inspire pas
confiance, même pas la plus faible qui puisse
exister. Mes accointances d’ici me chambrent
chaque fois qu’ils me voient rouler dessus. Je
n’y accorde pas valeur infinie, le plus
important c’est rouler. Je n’ai pas de casque,
de toute manière il n’est pas obligatoire. Dans
ce sahélien pays, la moto est une religion, un
culte. Personne n’y échappe, tous les âges
roulent. C’est un affront d’en manquer, un
péché, de ne pas savoir rouler dessus. Ici, à
chaque bout de mètre de chemin, on prêche
l’évangile de la moto. Fut mon apprentissage
immensément douloureux. D’ailleurs, j’en
garde amers souvenirs. J’épousais sur mes
allées de corps, des myriades d’accidents. Je
tatouais ma peau d’écorchures de blessures.
J’assois autour de mon droit poignet, une
montre. Ce n’est même pas une montre en
réalité, c’est une horloge. Le plus important,
c’est d’avoir l’heure dans la peau. Puis, dans
l’un des creux de mon pantalon, je jette mon
smartphone. Il a le visage plein de fissures.
C’est soudain, vient mon ventre de
bourdonner. C’est inquiétant, ça peut être tout
et n’importe quoi. J’ai le ventre vide. À
l’urgence, je chauffe de l’eau ; pas de
roomservice.12 Il faut être un jack of all
trades13. Au menu, il n’y a aucun culinaire
caprice. Je me prépare un bol de gari, cette
semoule de manioc. C’est comme le couac
de Guyane et à la cassave. Peuvent seuls les
initiés, comprendre l’importance du gari. Peu
de temps après, je tue la musique et le
brasseur. Je prends le seau de nettoyés
vêtements ; vérifie que tout est en ordre avant
d’aller me poser chez le Ouagalais. Comme
pour l’ouvrir, difficilement je ferme à mille
tours de clé, la porte du local. La serrure
m’emmerde, mais je l’emmerde encore plus.
C’est un épineux problème que faute
d’argent, je peine à résoudre. À force de la
tripatouiller, je sais qu’un jour elle perdra la
vie. Devant le perron, je tombe sur Ousmane.
Comme lui et moi, plusieurs autres personnes
sont en location dans l’immeuble. C’est
étudiant d’origine tchadienne. Ici, à
Ouagadougou, les tchadiens ont une très
12
Service de chambre.
13
Homme à tout faire.
mauvaise réputation. La majorité de ceux que
je fréquente, n’y échappent pas. Est
déplorable leur train de vie. Ils sont dans la
démesure de l’alcool, du sexe, de stupéfiants.
Ousmane, est de ces rares tchadiens que
j’apprécie énormément. Nos locaux se
regardent à longueur de temps, se jettent des
hostilités et des amabilités. La première heure
vient de s’affoler, je sens Ousmane pris
d’empressement. Il s’essouffle, c’est bizarre.
Il n’est pas un féru de matinal sport. Il
m’intrigue, je ne comprends pas ce qui lui
arrive. Il transpire à grosses gouttes. Une
salée pluie de sueur traumatise son noir
visage, coule comme le déluge. Il vient
d’arpenter à vitesse nucléaire ce couloir qui
donne accès aux locaux de tous les locataires.
À présent qu’il me jouxte, il reprend son
souffle. Je le tiens en discussion. Debout,
cette conversation grimpe le mont Everest.
C’est l’entame d’une danse de plaisants mots.
Cet échange se peint de joviaux sourires, de
railleries mordantes et même gentiment
insultantes. Entre les creux de ses doigts,
trône comme un pharaon, deux lots
d’alcoolisées bouteilles. A le jouxter,
Ousmane ne pue pas l’alcool. Je comprends
qu’il y a quelque-chose qui cloche. Entre ses
quelques autres doigts, il y a des cartons de
cigarettes et de préservatifs. Entre lots
d’alcoolisées bouteilles, cartons de cigarettes
et de préservatifs, c’est une sacrée partition
de musique, symphonie qui s’apprête à se
jouer en concert. Je pense que ni Mozart ni
Beethoven, ne pourrait en jouer de
meilleures. Les lèvres d’Ousmane, comme
son sa peau, sont d’un inquiétant noir
charbon. Quand je pense que dans l’obscurité
je ne le vois pas, c’est à me tuer de rire.
Chaque fois que je le chambre, je lui sors
cette blague de très bon goût. Pendant que
notre discussion devient une grasse vache,
tout à coup je me souviens d’un truc. J’eus
cru avoir entendu des gémissements toute la
nuit. J’eus cru qu’ils sortissent de son local.
Gravement, ils tarabustèrent mon vespéral
repos. Pour en avoir le cœur apaisé, je lui
pose la question. Il me regarde, s’allume une
cigarette et me chambre un moment.
S’apprêtant à me répondre, j’entends gronder
la porte de son local. Pris d’intrigues, je reste
attentif. Y sort une demoiselle à moitié nue.
Toutes les parties de son corps dégagent une
insolence de sensualité à lui verser tous mes
loyers. Elle me nourrit de vallées de
déhanchés. Alors que mes yeux demeurent
perchés sur ses généreuses formes, celle-ci
demande à Ousmane de se dépêcher. Je ne
peux pas m’empêcher de la voir, de bien la
voir, de la reluquer d’un impoli et très abusif
regard. J’en ai le cœur touché, pratiquement
éteint. Elle prend les achats d’Ousmane, et ce
corps à moitié nu laisse de provoquants
mouvements crier dans le couloir. Je me
contrains une fois de plus, à minutieusement
la contempler. Repartant dans le local
d’Ousmane, la demoiselle, sans retenue me
fait un volant bisou ; les lèvres sensuellement
mouillées d’une fraiche salive. Je reste là,
debout, impuissant, sans savoir quoi penser
de ce geste. Peut-être qu’elle veut simplement
gâcher ma journée ou m’inviter chez
Ousmane. Là, je veux demander à Ousmane
de m’inviter chez lui. Comme si celui-ci me
sent venir, il me lâche. Il carapate entre ses
murs. Je me retrouve seul, comme un con
dans ce couloir ; avec mon seau plein
d’habits. Je prends quelques secondes pour
tempérer, pour me remettre de ce que mes
yeux viennent de déguster.
3

Mon local se situe au premier étage d’un


grand et mal construit immeuble ; situé au
cœur d’une commune cour. Ce bâtiment n’a
pas d’attraits. Certes, je n’ai pas le
portefeuille d’un nanti, mais je me sens
légitime d’apprécier cette construction. J’y
élis domicile, parce que c’est à vil prix.
Aucun locataire ne peut se taper la poitrine
d’y demeurer. Tout le monde se contente
d’avoir un toit au-dessus de sa tête. C’est le
plus important. Dans cet immeuble, c’est un
défilé d’allers et venues. Les locataires vont
et viennent. J’eus depuis que m’y installasse,
assisté à d’interminables emménagements et
déménagements. En ce qui me concerne,
jusqu’ici je n’ai aucune raison de me mettre
les voiles. Les actuels occupants sont un
mélange d’étudiants et de travailleurs. Tous,
forment une communauté de différentes
nationalités. Je suis riche de cette culturelle
diversité. Eux de moi, je l’ignore. La cour qui
abrite l’immeuble est riche d’insalubrité. La
saleté prend refuge depuis des siècles. C’est
pire qu’une demeure de porcs. Certains
locataires s’abstiennent des financières
quotes-parts pour garantir le service de
ramassage d’ordures. Le plus drôle ou même
le plus con, c’est de voir ce service se
pavaner dans les avoisinantes maisons. Pire
encore, il n’y a plus de poubelle dans la cour.
Ce fut au cours d’une matinée enfouie dans
un ordinaire jour. Les autres locataires et moi,
nous réveillâmes orphelins de poubelle.
Eurent comme par enchantement, le contenu
et le contenant, disparu. Les insectes
mangeurs de sang et ceux qui pullulent autour
des excréments, sommeillent dans la cour. Il
eut eu de précédentes semaines au cours
desquelles je souffrisse de la dengue14. La
dengue, c’est la folie, Ninwende.15 Il faut
s’emprisonner entre les clôtures de ce pays
pour comprendre. C’est mille fois mieux de
mourir que d’en souffrir. Quelque temps
avant, à tour de rôle les locataires nettoyaient
la cour. Les jets d’ordures se faisaient dans
une publique décharge, à quelques vagues
mètres de l’immeuble. Si fut toujours cette
14
Virale infection transmise des moustiques.
15
Je jure. (Tiré du Moré, langue parlée au Burkina
Faso par les Mossi)
routine, cette corvée serait ce matin mienne.
Désormais, chaque locataire conserve son lot
de déchets dans son local et les jette au gré de
sa bonne ou mauvaise humeur. L’accès aux
locaux de l’immeuble nécessite en prélude
une courte séance d’endurance. Un peu de
sport, c’est bien pour la santé ; pour travailler
le cardiaque rythme. Il faut monter les
marches d’un assez long et imprudent
escalier. Tout autour il n’y a pas de barres de
protection. C’est risqué, surtout aux heures
du soir. Trône au sommet un petit balcon.
C’est étriqué, mais c’est un assez reposant
endroit. Là, on reçoit les rafales d’un paisible
vent. Néanmoins, c’est exagéré de prétendre
à une vue panoramique. De ce balcon, voit à
peine les rasées têtes de quelques
constructions, mitoyens murs ; les errants
chats et chiens qui confirment la laideur du
quartier. C’est impossible de pleinement
espionner l’intimité des avoisinants ménages.
Ce balcon se situe en face d’un long et étroit
couloir. C’est où je me trouve actuellement.
Dans chaque parallèle mur de celui-ci,
s’incrustent une tripartite répartition des
locaux de tous les locataires. Le mien, en y
entrant, se situe au fond à droite. C’est la
troisième porte. Les six locaux disposent d’un
unique compteur d’eau et un unique
d’électricité. A l’arrivée des factures d’eau,
c’est le Kilimandjaro pour les payer. Ce sont
de froides sueurs en période d’extrême
chaleur. C’est pire qu’un pèlerinage. Il faut
jongler avec la bonne et mauvaise foi des uns
et des autres ; avec leurs financiers trains de
vie. Aux bancales finances des uns, sourient
celles des autres et inversement. C’est un
continent de prétextes entre mauvais payeurs
interminables altercations. Je suis depuis un
long moment, le plus ancien parmi les actuels
occupants. J’ai l’estime et à la confiance du
bailleur ; ce qui me légitimise à asseoir une
modeste autorité sur les autres. Depuis un
moment, j’impose quelques règles de bonne
cohabitation. Malgré cela, le paiement des
factures d’eau est toujours une épineuse
affaire à connaitre le sexe des anges. Cela fait
des siècles que l’immeuble a une dette en eau
qui avoisine le million de francs Ouest
Africain. À tout moment, on risque d’épouser
la visite des agents de nationale société d’eau.
Les factures, comme des prostituées de bas
étages, trainent dans la cour, s’accumulent.
Personne n’a le cœur de les payer ; mais tout
le monde à la soif de consommer l’eau à
satiété. Dans ce pays, le coût de l’eau est
dérisoire. C’est du donner. Les financières
contributions des ménages sont extrêmement
faméliques. Le propriétaire de l’immeuble est
prompt à recevoir les loyers, à en
verbalement menacer les locataires ; mais très
apathique à dépenser pour les locatives.
Depuis très longtemps, toute la tuyauterie de
l’immeuble est moribonde ; vétuste, jonchée
de gros trous, de caniveaux. L’eau, comme
des insolentes rivières, ne cesse de couler
dans les murs du bâtiment ; déborde dans les
sanitaires des occupants. Cela fragilise la
construction. C’est une préoccupation qui
date de l’époque avant ma location dans cet
immeuble. Les précédents locataires en furent
à l’oculaire, contractèrent des dettes pour
non-paiement de factures d’eau etc. Les
actuels occupants en sont comme des boucs-
émissaires. Les murs de mon local se noient
dans l’eau. Cela donne à mon estomac, la
peur qu’un jour ce bâtiment s’écroule ; et les
locataires avec elle. Ces fuites d’eau, mariées
à la consommation en eau des locataires et
aux dettes des précédents occupants, c’est un
algorithme qui me dépasse. Les mensuels
montants des factures sont gargantuesques.
Elles me donnent des maux d’yeux ; peuvent
donner des maux de tête à un paracétamol.
L’eau ne traverse pas seulement les murs du
bâtiment. Elle se répand aussi dans la cour.
Là-bas, c’est l’usée eau des douches et
toilettes qui remontent à la surface. La fosse
septique rejette le surplus de litres d’eau et
d’excréments. C’est d’une fétide odeur à
contracter une triple dose de dengue et de
coronas virus. L’eau déborde, se fraie même
un chemin hors de la propriété. Certains
voisins menacent d’en référer à la nationale
société d’eau. Ils s’en plaignent de plus en
plus de l’odeur et du gaspillage d’eau. Du
matin au soir, on en respire. Certains
locataires cuisinent, font l’amour dans cette
ambiance. Clairement, l’immeuble est à la
lisière d’une longue coupure d’eau, d’une
salée amende de pénalités et d’exorbitants
montants d’impayées factures. Il me faut
peut-être me préparer à faire mes valises. Il
faut que j’en discute noir à cœur ouvert avec
le propriétaire de l’immeuble. Et pourtant, les
contributions en eau sont inclues dans les
loyers. Eh wende !16, c’est à lui de gérer cette
situation. Ninwende17, aucun locataire ne peut
s’aligner sur ces montants de factures. C’est
évident que le propriétaire ne verse pas les
financières contributions des locataires dans
les caisses de la nationale société d’eau. Il
manque d’intégrité. Cette affaire d’intégrité
n’est peut-être qu’un vil et vulgaire slogan ;
un feu de paille. Je finis de tempérer. A pas
d’escargot, je dégingande. Je mets des siècles
à terminer le couloir, sans réussir à achever la
traversée. Là en mouvements, j’entends à
tour de rôle, crier les serrures des quelques
autres locaux. Je me heurte à plusieurs autres
locataires. Certains ont de particulières mines
ce matin, peut-être pas comme celles des
fauchés fonctionnaires de Mboka ; mais... Ils
doivent certainement vivre un monstrueux
joug de problèmes. Et moi qui souhaite sortir
de ce couloir, je m’y accule encore pour un
16
Seigneur ! (Tiré du Moré, langue parlée au Burkina
Faso par les Mossi)
17
Je le jure. (Tiré du Moré, langue parlée au Burkina
Faso par les Mossi)
moment. C’est extrêmement rare que je
prenne le temps de discuter avec les autres
locataires ; à moins que ce soit pour régler
une commune situation. Avec les tiers, mes
échanges se limitent souvent à de vagues
salutations d’usage et à de fugaces prises de
nouvelles. J’aime mieux qu’ils soient en
dents de scie, et rester entre mes murs.
Chacun dans cet immeuble, dans le fond,
reste pour l’autre, un étranger. Il semble que
soit ce matin, particulier. Ousmane vient
d’ouvrir la voie. Il semble que je doive
discuter avec tous les autres. Je prie pour ne
pas vieillir entre ces parallèles murs.
D’jénéba Ouattara. C’est une ivoirienne. Elle
vient d’arracher le baccalauréat. D’jény,
comme rare fois j’aime à l’appeler. Comme
toute bonne ivoirienne elle est impolie. C’est
sa nature. D’ailleurs, elle la revendique. Elle
et moi, ne sommes pas les doigts d’un point
serré. Néanmoins, comme avec les autres
locataires, j’ai une très bonne relation de
voisinage avec elle. Elle est devant son local.
Nos yeux s’accouplent et nos lèvres finissent
déjeuner autour d’une table de voyelles et
consonnes. La conversation ruisselle entre
nos langues. Au même moment, j’ai comme
un black-out. Prennent mes yeux, repos sur sa
soyeuse peau. C’est un régal, un culinaire
délice qui donnerait des envies à saliver, à ne
plus aller à la Mosquée. Elle est de
confession musulmane. La porte de son local
à moitié fermée, laissent pénétrer mes allées
de regards. J’y vois tout nu, danser le luxe.
D’jény nage dans un hallucinant matériel
confort. Ça, si ne n’est pas le bonheur, il est
n’existe donc pas. Des billets de banque n’y
jouent pas à cache-cache. Ils sommeillent
dans toute la pièce. Cela ne m’étonne pas.
C’est tout à fait normal. Elle mène un
bouleversant train de vie ; et ses parents sont
nantis. Les jeunes frimeurs, play-boys et
friqués hommes de tous les âges, jours et
nuits rythment sa vie ; saturent l’immeuble.
Le perron de son local, surtout aux vespérales
heures, ressemble à un guichet de banque. Il
y a des bousculades, embouteillages, ce sont
de longues files d’attente. Ces allers et
venues mettent de la couleur dans
l’immeuble. C’est une assez particulière
ambiance. Tous cette vague de protagonistes
de la gent masculine, vient dans l’immeuble
avec de grands airs. Il eut eu au cours d’un
soir de précédentes semaines, dans les bras de
D’jény, un irresponsable père de famille. Elle
lui caressait la barbe et lui, lui souriait
comme un petit con. On entendit dans son
local, intensément gémir. Cette demoiselle
jouit des fruits et produits de sa jeunesse.
Jeune, je le suis aussi ; mais aucune
demoiselle ne s’accroche à mes bras. C’est
peut-être une évidence que je sois laid. Outre
le bonheur que semble aux festins des
pharaons festoyer ma voisine d’immeuble,
comme les autres locataires, plus d’une fois,
je fus à l’oculaire de ses airs de détresse.
Certains amants se croisèrent dans le poumon
de son local, ce qui à chaque fois eut
engendré un festin d’altercations, un grabuge
de paroles. Quelques fois, l’audace de la
violence voulut s’inviter sur la peau de
D’jény. Il eut fallu qu’elle comptât sur les
interventions des autres locataires. On lui au
moins dû cela. Quelques fois, elle servit une
terre de culinaire affabilité à tous les
occupants de l’immeuble. Je discute avec
elle, encore et encore. Cette fois-ci mes yeux
se baladent sur sa salivante poitrine. Là,
élisent domicile de bien noirs et pointus
tétons sous son transparent vêtement.
Façonnées avec préciosité, ces volumineuses
rondelles, en ce moment, me confirment que
le ciel est bleu. J’y vois se dessiner un arc-en-
ciel. Elle gesticule en parlant, dandine ;
pratiquement se trémousse. Ça, de plus en
plus, ressemble à une performance de strip-
teaseuse. Elle peaufine son déhanché,
s’amuse avec ses cuisses et ses jambes. Je les
remarque ; et elles sont comme huilées. Je
regarde ma montre, et c’est encore la
première heure. J’évite de me poser trop de
questions. En moi-même, dans mon for
intérieur je crie comme une alarme Eh
wende18. Elle me parle, mais sur le moment,
ni je ne l’écoute ni je ne l’entends. C’est
étonnant qu’elle se soit levée si tôt. C’est
inhabituel. J’aime mieux tuer la discussion ;
ivres sont déjà mes yeux. Promptement, je lui
prends congé. J’avance dans le couloir,
jusqu’à croiser un autre locataire. C’est une
autre demoiselle. J’ai le sentiment de faire le
tour du propriétaire ce matin. Elle est
18
Mon Dieu. Tiré du Moré, langue parlée au Burkina
Faso par les Mossi.
originaire d’ici. J’ai toute la misère du monde
à prononcer son patronyme. Je me rends la
tâche facile. Je l’appelle voisine.
Majestueusement sensuelle, se peint, son
volumineux corps, en noir charbon.
Pulpeuses lèvres en rouge cramoisi, je vis une
matinée de rêve. Je me tourmente par ce dont
se nourrit mon esprit. Elle me voit, me
taquine et me fait des blagues. Elle
m’approche et serre mon visage entre ses
gigantesques montagnes de seins. Je me
laisse séduire, je ne résiste pas. Je semble être
un facile jeune homme. Je bats la chamade,
de l’aile ; mon esprit est dans l’abattement.
C’est fou. Je lâche le seau de vêtements. Au
dedans de moi, je dis : Eh wende, ya boin
mané ?19 J’ai l’impression qu’elle se plait
dans cette position. Si c’est le cas, elle n’est
pas la seule. J’avoue que c’est une bonne
thérapie. Là, je n’ai ni le cœur ni l’envie de
lui dire Fo manda boin ?20 Sur le coup, mon

19
Mon Dieu, qu’est-ce qui se passe ? (Tiré du Moré,
langue parlée au Burkina Faso par les Mossi.
20
Que fais-tu ? Tiré du Moré, langue parlée au
Burkina Faso par les Mossi.
corps réagit à sa manière. Je suis un très
sensible humain. La voisine à fond dans son
délire, me laisse des marques de rouge à
lèvres sur les joues et dans le cou. Elle me
câline et me… ça devient un très brutal jeu.
Heureusement, ça s’arrête. Ce matin, elle
épouse un habillement de coquetterie. Il
dépasse toutes les inimaginables formes de
vulgarité. Je suis habitué à la voir dans des
tenues de séduction, mais celle de ce matin
bat tous les records. Sans lui faire offense,
elle a l’allure d’une prostituée. Ses
irrespectueux attraits physiques, dans cette
tenue, se présentent dans un décor qui blâme
la morale. Je me demande où elle se rend à
cette heure-ci ; à moins que ce soit son
pyjama. Avec elle, plusieurs sujets de
conversation prennent vie sur nos lèvres.
Avant de se quitter, elle insiste à assouvir une
envie. Elle me baise, puis s’enfuit comme un
rat poursuivit par un chat dans son local. Je
reste dans le couloir. J’essaie de me repasser
le film de cette rencontre. J’ai le regret de ne
pas l’avoir baisée en retour. Le bout du
couloir n’est plus loin. Il me tend les bras.
Quelques longs et pressants me suffissent à
atteindre le balcon Je passe devant le local
d’Akbo Akwhe ; un locataire originaire du
Togo. La porte est fermée, certainement à
quadruple tours. C’est un fêtard. Je pense
qu’il est présentement ivre. Toutes ses
économies se noient dans l’alcool. J’entends
sortir de son local, un culte de ronflements.
Ceux-ci se disputent dans une guerre
d’insultes. Dégage entre les pores de son
local, une forte odeur d’alcool. Elle parfume
cette partie du couloir. Hier, jusque tard dans
la nuit, je ne me fus pas souvenu, ni de
l’avoir vu ni aperçu. Je pense qu’il eut épousé
son lit aux environs de trois heures du matin.
Il se meurt d’un lourd sommeil. La vie de
mes voisins ne m’intéresse pas ; mais elle fait
trop de dégâts dans l’immeuble. Ce locataire
aime les prostitués. Le plus souvent les fonds
de sa scolarité traversent les vallées de ces
légères cuisses. Il traine cette réputation
jusque dans le quartier. L’immeuble lui est
comme une close maison. J’y vois défiler les
prostitués de tous les genres, de toutes les
nationalités. Le dernier locataire est chétif,
maigre comme une tige d’un traditionnel
balai ; peut-être gringalet. C’est un malien. Il
est grand de taille, comme une descente
d’urine depuis le sommet du mont
Kilimandjaro. Un souffle d’un impétueux
vent, peut le soulever. On peut le voir en
compagnie des oiseaux qui piaillent et battent
des ailes là-haut, dans le bleu mystère. Lui,
c’est Warra. Il doit peser vingt et un
grammes. Il est abusivement léger. Je sais
qu’il a une petite amie. Quelques fois, je me
demande comment il s’arme de courage pour
se dévêtir devant elle. Je n’ose même pas
imaginer le scénario. Ça doit être rigolo. Si
fussé-je cette dernière, je le couvrirais d’un
ciel de goguenardises. Warra est en
compagnie d’Ibrahim Sawadogo, le
propriétaire de l’immeuble. Ils discutent sur
le balcon. Ça m’étonne que celui-ci soit là.
C’est un tout petit monsieur. Je veux dire, de
petite taille ; comme ma bouteille de gaz.
Trônent sur sa tête, comme sur celle d’un
maquisard, beaucoup de crépus cheveux qui
forment la demeure de certains insectes. Il
aurait des sacs de concubines. Il ne fait pas
dans la demi-mesure. Il se vêtirait d’une
blanche et de plusieurs noires. Comme on
aime à dire à Mboka, il est avec certaines
dans le ya yaka to fanda.21 Je me demande
comment il arrive à les gérer. Il est si
minuscule, comme un Kirikou. Comme quoi,
avoir l’argent compense tout. On raconte à
son sujet qu’il fut naguère, fauché comme des
rats de religieux lieux. Ce fut un artiste en
herbe, un joueur de Djembé dans les bars et
sur les terrasses de la capitale. Outre son
savoir-faire, le vestimentaire style qu’il
arborait, et sa coupe de cheveux, lui valaient
les cœurs de plusieurs admiratrices. D’après
les déliements de langues, sa blanche
concubine fut de celles-ci ; une russe. Ici, les
gens affirment que ce fut elle qui eut financé
la construction de l’immeuble où j’élis
domicile. L’amour peut vraiment remuer ciel
et terre. Pour cette énormissime prérogative,
ce digne fils de Sankara lui donna
certainement plus qu’une mélodie de Djembé.
Cet errant des bars et terrasses est désormais
un petit patron. Il roule dans de grosses et
luxueuses voitures, enchaine voyage sur
voyage. On sujet de ces répétitifs voyages, on
raconte qu’il est comme tous ces africains à
21
Concubinage. (Tiré du Lingala. Langue parlée au
Congo-Brazzaville).
l’étranger en quête de Lampedusa. A le
côtoyer, certes il prend de grands airs ; mais
je ne pense pas que là-bas, il travaille dans un
bureau. Je pense plutôt qu’il y fait un cumul
de petits boulots : la plonge, la serpillère,
peut-être le nettoyage des latrines. Après tout,
il n’y a aucune honte à faire cela. Il n’a ni la
tête ni le cerveau pour prétendre aux emplois
auxquels je pense. Ce n’est pas une insulte,
ce n’est ma pensée. Peut-être que je trompe.
Et puis, l’argent n’a pas de couleur, n’a pas
d’odeur. Il en a, contrairement à moi. C’est
suffisant pour qu’on l’appelle fortuné. Le voir
ce matin, m’intrigue. D’ailleurs, je me
demande pourquoi il est là, et pourquoi il est
aussi matinal. Je le crus je n’eus su où. Ah
oui, c’est le début du mois. Il est peut-être là
pour réclamer ses loyers. Et même, cela ne
lui ressemble pas. Par usage, les locataires les
lui versent dans son électronique portefeuille.
C’est vrai, il y a une première à toute chose.
Ce qui est certain, entre lui et moi il n’y a pas
de l’eau dans le gaz. Il n’y a pas le cafard.
Plus j’avance mes pas pour sortir du couloir
plus je m’approche d’eux. Plus je m’approche
d’eux je me heurte à leur conversation. Là, je
comprends. C’est chaud, ça part dans tous les
sens. Le bailleur lui réclame une forêt
d’impayés loyers ; de plus de six-mois. C’est
énorme. Si fussé-je Ibrahim Sawadogo, je lui
creuserais une tombe. Il ne cesse de prendre
de grands airs devant Warra, lui hausse le
ton. Cela ne ressemble pas à une
conversation, c’est pire qu’un blâme. Il lui
tient de durs propos ; comme les cuirasses
des romains soldats. Il y a beaucoup de
nervosité et de violence en lui. Il menace
Warra physiquement, de saisir ses affaires, le
mettre à la porte, de lui intenter une action en
justice. C’est vraiment inquiétant. Ce matin,
je sens qu’il y aura du tapage, du grabuge
dans le bâtiment. Dans mon for intérieur, je
me dis que le bailleur doit, en ce moment,
certainement vivre au plus bas niveau de sa
financière émancipation. Ça ne lui ressemble
pas de réclamer les fruits de son immeuble à
un locataire de cette manière. C’est un très
fort signe. L’argent est vraiment la racine de
tous les maux. J’avoue que ce locataire abuse,
déjà que lui et Akbo Akwhe ont une
mauvaise presse dans le bâtiment. Ce sont de
très mauvais payeurs. Ils accusent toujours
des retards dans la réception des fonds,
avancent toujours des raisons. Il faut croire
qu’avec le temps l’argument finit par prendre
de l’âge. Warra en sait désormais quelque-
chose. Akbo Akwhe ronflant dans la forêt de
sa solitude, pour le moment, échappe au
courroux du propriétaire de l’immeuble.
Toutefois, je ne pense pas que ça dure
longtemps. Ce qui est certain, c’est qu’à
l’allure où fuit ce blâme, il y aura peut-être
du sport ; les corps transpireront. J’arrive sur
le balcon et je salue les deux hommes. Le
bailleur ouvre une parenthèse et demande à
Warra de me prendre en exemple. Je paie
régulièrement et dans les temps mes loyers.
L’ouverture de cette parenthèse me donne le
cœur de soulever ce qui ne va pas dans la
cour. Je me demande ce court monsieur est
aveugle. Il voit bien l’état de la cour. Je lui en
parle, tout en exagérant. Je ne lui donne
aucune échappatoire. Je n’oublie pas les
fuites d’eau dans le corps du bâtiment. Le
bailleur prend l’initiative de réunir tous les
locataires. Très vite, tout le monde est sur le
balcon. Akbo Akwhe, est dans un second
état. Je ne pense pas qu’il comprenne l’enjeu
de cette réunion. Je revois mes deux bombes
de voisines. Elles sont toujours aussi
pénétrantes. Tout le monde se suspend aux
lèvres du bailleur. Il ne fait pas un laïus. Il
annonce que tout le monde doit libérer son
bâtiment. C’est une dinguerie. Il souhaite
faire des rénovations dans de brefs délais.
J’entends de manière évasive les plaintes des
autres locataires. J’ai hâte que ce cirque
s’arrête ; même Akbo Akwhe comprend
désormais. Le propriétaire de l’immeuble lui
passe un savon. Les cautions des locations
entrent rapidement dans les échanges. C’est
la guerre. C’est typique de ce pays. Les
propriétaires de locaux en location sont de
dégueulasses. Je n’ai pas peur de l’affirmer.
Je vis cela. Ils ne remettent jamais les
cautions des locataires, surtout lorsque ce
sont des étrangers ; ne réparent pas les
locatives, mais exigent les loyers. Ils créent
des prétextent, mènent la guerre aux
locataires jusqu’à ce qu’ils cèdent. Quand je
pense que depuis des mois, j’élis domicile
dans un bâtiment à risque, Ibrahim Sawadogo
me tape sur les nerfs. A l’instant j’aurais
voulu lui avoir des dettes. Si fût-il le cas, je
ne les aurais pas payées. Très vite, cette
discussion de groupe tourne au vinaigre, un
bras de fer vient de s’installer. Chacun se
disperse sauf Akbo Akwhe et le malien. Ils
restent en discussion avec le bailleur. Je les
laisse et je descends les marches de l’escalier.
J’essaie de me pas piétiner les excréments et
les ordures qui trainent ; il faut avoir la
dextérité d’un funambule. Je vêts la corde à
linge de mes vêtements. Là, dans cette cour,
dort mon matériel de musculation. Ce sont
des bricoles faites de soudés fers, de ciment,
cailloux et d’eau ; mais, elles font très mal au
corps. Je chasse l’envie de faire quelques
exercices. J’ouvre l’un des portails et je sors
mon engin à deux roues. J’essaie de la
démarrer. Je le fais en vain. Je sais qu’elle a
un très développé caprice. Je m’abstiens de
m’irriter. J’essaie encore, encore et encore.
Ce matin, elle exagère. Je perds abusivement
patience. Je m’en agace progressivement. Je
vérifie le carburateur. Il est vide. Il y a de
quoi demander la monnaie à mes voisines.
Elles ne peuvent pas en manquer. Je me
décide de remonter l’escalier. Là, à ma
rencontre, sort le mangeur de pigeons. Il
m’appelle par Koro22. Je lui tiens le souci en
explication. Le voilà prompt à pousser ma
moto. Il part de sa poche, m’acheter quelques
litres de carburant. En l’attendant, je suis
debout devant le portail. En face, comme
c’est l’usage chaque matin, il y a une dame
qui vend des gâteaux à la farine. Elle me
regarde et je la regarde. Habituellement je ne
manque pas de lui en acheter. Je feinte de
fouiller mes poches ; hélas. Je n’ai ni Pissy23
ni Piiga24. Elle doit m’en excuser. Si elle s’en
offusque, c’est son problème. Je lui esquisse
un sourire qu’elle me renvoie avec une
touche de Moré. Je n’en connais que
quelques mots, mais je ne pense pas qu’elle
m’ait insulté. D’autres habitués clients se
ruent vers son fonds de commerce. Elle
m’oublie facilement. Pendant que j’attends
mes quatre rues, je sens une pierre se poser
sur moi. Elle a une odeur à vomir. Elle me
22
Grand frère. Jargon des gens du Burkina Faso.
23
Pièce de 100 francs cfa (Banque centrale des
Etats de l’Afrique de l’Ouest) Tiré du Moré,
langue parlée au Burkina Faso par les Mossi.
24
Pièce de 50 francs cfa (Banque centrale des Etats
de l’Afrique de l’Ouest) Tiré du Moré, langue
parlée au Burkina Faso par les Mossi.
prend en soubresaut, vient de m’offrir un
déjeuner de frayeurs, d’inhabituels
battements de cœur. J’ai l’entier corps en
situation de trouble. Ce n’est pas une pierre,
c’est une paume de main. C’est celle d’un
Ouagalais au visage plein de secousses, aux
pourris dents et au sourire provoquant des
mers de vagissements. Cela eut fait très
longtemps que je n’eusse pas vu ce visage.
Purée ! Je suis dans un éveillé rêve. C’est la
paume de main d’Hakishh ; un démarcheur
de maisons, à la réputation d’escroc. Il est
peu fiable. Dans le quartier, on lui colle une
mauvaise étiquette. Ce fut lui qui jadis m’eut
trouvé le local dans lequel je repose mon
corps. Ici, trouver un local d’habitation est un
enfer, c’est comme chercher de l’or sous la
glace. Les démarcheurs sont chiants, et de
très mauvaise foi. Les étrangers vivent leur
misère. Chaque visite de local leur est
rémunérée ; cela leur donne le cœur de
construire une chaîne de locaux ne
correspondant pas aux attentes des potentiels
clients, à visiter. C’est certain, je déteste les
démarcheurs de ce pays. Ils manquent
cruellement d’intégrité. Quand un client
parvient à trouver un local, les démarcheurs
perçoivent les frais de démarchage. Ils
correspondent à un mois de loyer. Outre les
démarcheurs, il y a les propriétaires des
locaux ; communément appelés bailleurs. Ils
sont très désagréables. Ils exigent plusieurs
mois de caution et plusieurs autres de mois
d’avance. Ce n’est pas cela qui font d’eux des
désagréables. C’est le fait qu’ils ne
remboursent jamais les ces cautions des
locataires ; surtout étrangers. Ils leur font des
mers de misères, des amers fleuves. Je me
souviens d’un ancien local que j’eus occupé.
Je ne pense pas que le bailleur de celui-ci
m’oublie. Je lui, rudement menai un combat
de philistins qu’il, même s’il l’eût voulu, ne
pût remporter. Je récupérerai violement ma
caution. Ici, dans la ville, les contrats de bail
n’existent pas, sauf dans les locations de luxe.
Ceux-ci, prennent vie à compter de
l’établissement du premier reçu de paiement.
C’est l’usage. Je crache petitement du verbe
avec Hakishh ; puis il se volatilise. Il saturait
l’air que je respirasse. Au loin, je vois venir
ma moto. J’en remercie le mangeur de
pigeons, puis il s’efface. Enfin, elle démarre,
m’éloigne l’immeuble ; où sur le balcon, je
un lot de problèmes. J’entends et j’écoute les
dernières plaintes du bailleur. Il tient toujours
les deux locataires en blâme. Dorénavant que
je m’échappe du quartier, je le fais comme un
voleur de nuit. Kalgodin, c’est le quartier où
dort l’immeuble qui abrite mon local. C’est
vraiment un drôle de nom. La première fois
que j’en entendis parler, je ne fus pas
emballé. J’eus eu tort d’avoir raison.
Kalgodin est un ghetto. C’est un perdu coin à
l’abandon. Un perdu morceau de terre situé
quelque part dans la capitale. Les gens de ce
secteur de vie, l’appellent la poubelle. Ça
veut tout dire. C’est un dépotoir d’ordures,
une publique décharge. A tout bout de mètre
de chemin, tous les jours pullulent des vallées
de déchets, d’insectes, de nauséabondes,
fétides odeurs. La plupart des habitations sont
de sommaires constructions qui datent d’une
époque avant ma naissance. Ce sont des cases
de bourg. Les habitants de Kalgodin les
appellent non-lotis25. Ici, c’est un brassage de
couches sociales ; un melting-pot entre
25
Désigne les constructions faites de cuite terre, sans
commodités.
démunis et mieux aisés. Le quartier abrite
fréquemment des faits et événements qui me
jettent dans l’abattement. On fait de l’élevage
en plein air. Les éleveurs, tous les jours, se
promènent çà et là avec leurs bétails : sur les
publiques voies etc. Ce n’est pas seulement à
Kalgodin. C’est la routine sur l’ensemble du
ce national territoire. Ces animaux déposent
des valises d’excréments partout. C’est
fréquent que les pas des passants les
absorbent. Ils enivrent l’atmosphère de
troubles odeurs. Aux tombées des nuits,
plusieurs animaux errent, dorment dans les
propriétés des gens, y laissent toute sorte de
saleté. Kalgodin, c’est vraiment un grand
n’importe quoi. Pour y élire domicile, il faut
avoir un mental. Aux cérémoniaux jours, il
faut fuir le quartier. Au cas contraire, il vaut
mieux vaut s’enterrer dans son local. Les
vieux et les jeunes se sapent comme jamais.
Je ne sais pas quoi penser de leur
vestimentaire style. C’est sûr, il est atypique.
Les familles s’activent, préparent de
monstrueuses quantités de mets. A voir
comment la hâte courtise les pas des invités,
les marmites de nourriture, je suis sûr, ne
peinent à trouver refuge dans leurs affamés
estomacs. On teinte ces cérémoniaux
événements, d’un plus festif aspect. C’est un
genre de bonus de gaieté. Les deux roues se
mêlent et s’entremêlent. C’est un spectacle
d’acrobatiques figures, de folles
accélérations, de brusques freinages,
d’interminables klaxons. La poussière assoit
des masques sur les visages. L’air se pollue
de poussière, devient irrespirable. C’est le
délire. Les foules admirent, exultent de
bonheur, font pleurer des valses
d’applaudissements ; font couler des déluges
d’acclamations. C’est un spectacle à
comparer aux sorties en cortèges du président
de la République. Quand j’en assiste, je suis à
l’oculaire de l’incroyable, de la dangerosité et
du risque. Mon cœur fuit dans mon estomac.
Les cascadeurs souvent sous influences :
stupéfiants, se fracturent. Ce type de
dérapage, pousse la juvénile connerie à
l’aigu. On raconte aussi que fut autrefois,
Kalgodin, un quartier à risques. Entre vols,
tueries de masse, braquages à mains armées
et plus encore, ce fut jadis flippant. Depuis
que j’y suis, c’est plutôt calme. Je ne vis
aucune réelle situation de troubles. Outre
quelques vagues conneries de quelques
jeunes en perte de repères, ça va.
4

Dans la bouche de Kalgodin, il y a des


milliers de grins26 ; ce sont d’informels coins
de détente où l’usage c’est tuer le temps.
Quand pour la première fois j’eus connu ce
mot, je restai perplexe. Jusqu’ici, je n’en
comprends toujours pas le sens. C’est peut-
être une connerie que même les habitués ne
maitrisent pas. Ce qui est sûr, c’est qu’à
chaque déclin de journée, ces grins se
surabondent de monde. Là-bas, naissent des
formes de groupuscules de jeunes et vieux
Ouagalais. Ils s’y regroupent par centaines et
par milliers ; comme des insectes. Tout le
monde peut s’y rendre ; aucun protocole à
respecter. On y accède, et on en devient
adepte sans formalités. Qu’on n’ait ou pas la
tête d’un Ouagalais, cela ne compte pas.
L’ouverture des grins se fait à l’alarme de
vespérales heures ; dès l’arrivée du premier
habitué. Les grins ne sont pas de construits
bâtiments ; plutôt de vides espaces pris
d’assauts par des vautours. Cela peut être la
26
Informels lieux de discussions.
devanture d’une propriété ou une partie d’un
six-mètres27. Là-bas, tout se dit et se raconte
n’importe : un univers de conneries. Ce serait
connaitre le sexe des anges que de
perspicaces réflexions y sortissent. Les grins
existent pour papoter, pas pour s’instruire ;
mieux encore pour s’abrutir. Un jour dans un
grin, je vis se jouer des jeux de scrabble et de
dames. J’en fus bouleversé. Là-bas, les
insectes battent leur plein ; laissent des
morsures, creusent les peaux. Les usagers
sont d’éternels consommateurs de thé et de
café. Les paris sportifs y sont à la mode. On
écoute la musique. De fumée, on remplit les
poumons. Non loin de l’immeuble, il y a un
grin. Là-bas, se retrouvent quelques de mes
accointances de la poubelle. Ce sont tous des
natifs. Quelques fois en passant devant, je
m’arrête par courtoisie ; mais toujours j’y
quitte avec des cieux de regrets, plein
d’inepties dans le disque dur de ma mémoire.
Je n’y apprends que de prosaïques
expressions en Moré. J’avoue qu’y règne une
bonne ambiance. C’est déstressant. Rien ne
m’oblige à m’y rendre, mais en tant
27
Ruelle. Typique appellation des Burkinabè.
qu’étranger, c’est bien de s’intégrer dans la
culture du pays qui m’accueille. Là-bas, je
connais tout le monde ; Sadama
particulièrement. Il demeure en face de
l’immeuble, non loin de la vendeuse de
gâteaux. Je l’y croise chaque fois que je fais
un tour. Lorsqu’il trimballe son petit corps
dans les ouvertures du quartier, ça me tue de
rires. Je l’admire. Il n’est pas de la
conventionnelle école ; mais de celle de la
vie. Comme un esclave, il cumule plusieurs
métiers : Électricien, mécanicien etc. Il a tout
mon respect et toute mon approbation. À bien
phosphorer, je dois lui demander de jeter
mille coups d’œil sur mes deux roues. Je me
persuade que je vais le rencontrer avant le
déclin de cette journée. Le plus fascinant des
usagers du grin, c’est Issouf Konaté. Il est
petit de taille, mince comme un grain de sable
de bord de mer, mais moins sombre que mon
voisin Ousmane. Lui, je peux le voir dans
l’obscurité. C’est un sympathique et
intelligent jeune Ouagalais. Il a aussi de
déviants penchants. Il aime la chair, les
parenthèses, les papayes, les juteuses
oranges. Au grin, il est souvent entre des bras
et d’huilées cuisses. Ce sont ceux d’une
minette à la bombée poitrine. Il se plait à
jalouser ses congénères ; à leur servir des thés
de goguenardises. Les usagers du grin et moi,
formons une équipe de footeux ; Méninos.
Sporadiquement l’équipe participe à des
maracanas28. Il faut en avoir un moral à tout
épreuve ; surtout bien manger. Les footeux
sont des bruts. D’ailleurs, je dois en jouer un
ce matin ; mais hélas, je dois vraiment me
rendre à destination. Je vais trouver une
excuse. Je suis le magicien du rond ballon de
Méninos. Je garde en mémoire une de mes
nombreuses et précédentes performances.
J’eus eu soulevé et médusé les foules de
supporters et spectateurs. Entre techniques
gestes et prestance, ce fut comme on dit au
Cameroun, la magie. Sur les airs de jeu, soit
extrêmement dur est le sol soit sommeillent
des camions de graviers. C’est dangereux,
mais on joue dans comme ça. En cas de
blessures, chacun se prend en charge.
Quelques fois, les maracanas se jouent au
cours d’entières nuits. Les lampadaires
28
Footballistiques compétitions entre informelles
équipes de quartiers.
éclairent les airs de jeu, et le rond cuir circule
de pied en pied, de but en but. C’est magique
de vivre cela. Le vrombissant son du moteur
pousse quelques passants à jeter de très
étonnants regards. Je les vois, mais je ne peux
rien faire. Tous, dans leurs faciales
expressions écrivent de mordantes railleries.
Ce n’est peut-être contre mes deux roues. Si
c’est le cas, ça ne m’étonne pas. Je dépasse
quelques jeunes gens qui se déchirent les
pieds et les mains dans une activité de
divertissement. Là, à l’unisson, comme un
chœur de chorale d’une protestante église, ils
me chantent. Brusquement, je pose les orteils
de mon pied droit sur le frein de l’engin.
L’engin me balance dans tous les sens et
ralentit. Je me souviens des paroles de leur
chant : Le pape, le chacal. Ce sont de ces
manières que les gens du quartier
m’appellent. Je fouille dans les creux de ma
mémoire, mais je n’ai plus souvenir des
circonstances dans lesquelles ces
pseudonymes me furent attribués ; ou peut-
être que je ne souhaite pas m’expliquer.
J’apprécie bien ces jeunes gens. Chaque fois
que je peux, je leur sers toujours des dîners
de pièces de monnaie. Hélas, là, je n’ai rien à
leur offrir, je suis une période de maigres
vaches. Je me contente de leur servir des
boissons de salutations. Les roues de l’engin
laissent ces jeunes à plusieurs mètres de
distance. Je jouxte dorénavant le fonds de
commerce d’un des nombreux boutiquiers du
quartier. Il s’établit non loin de l’immeuble.
Lui aussi, comme les jeunes, me voit. Je n’ai
pas le choix, sans même qu’il ouvre la
bouche je m’oblige à m’arrêter. Je ne le fais
pas par courtoisie ou par amour ; c’est par
obligation. Je lui dois de l’argent depuis un
certain moment. Je suis en face de mon
créancier. Je le salue, et rapidement on se met
d’accord. Il vient de m’accorder un
supplémentaire temps de remboursement. J’ai
bien envie de lui baiser les joues. De peur
qu’il me formule des prétentions
d’homosexualité, je m’en abstiens. Cela fait
belle lurette que je prends à crédit, des
produits chez-lui. Il me sait être un fidèle et
bon payeur. Je redémarre l’engin. Là encore,
il me fait chier. Le boutiquier m’observe et
secoue la tête. Il comprend que mon actuel
train de vie n’est pas rose. Il doit comprendre
que mon actuel chapitre de vie est en dents de
scie. L’engin démarre finalement, et je mets
un bon coup d’accélérateur. Un peu plus tard
sur mon chemin, au loin, je vois une dame.
Elle attire mon attention en me faisant de
grands gestes de singes. Je ne suis pourtant
pas un macaque. J’ai envie de tourner cela au
racisme, mais elle et moi sommes noirs. Elle
m’esquisse en plus, de larges sourires. Depuis
que je suis à Kalgodin, jamais une dame ne
m’avait esquissé de tels sourires. En fait,
aucune ne m’avais simplement souri. Celle-
là, laisse voir ses dents remplis de couleurs et
de trous. C’est un peu effrayant, mais je reste
calme. Je commence à me poser des
questions. J’avance, et je la vois mieux. Rêve
ou cauchemar, c’est la vendeuse le Benga.29
Elle est grosse comme une grasse vache. Ce
n’est pas une insulte, loin de moi l’envie de
l’offenser. Elle est réellement grosse. Souffre
et crie le sol, sous ses lourds, démoniaques et
monstrueux pas. Ils lui laissent des ratures et
des cicatrices sur le visage. Je suis stupéfait
de la voir marcher, c’est rigolo. Je crois que
son ventre est plein de Benga. Elle a le visage
29
Local plat du Burkina Faso.
à la couleur de la nuit ; même sous l’or du
jour, elle est difficile à contempler. Dans ce
pays, le Benga est un symbole de pauvreté ;
personne ne peut contester cela. C’est un
traditionnel plat. Le Benga est une vie, c’est
une culinaire identité. Beaucoup parmi les
gens de ce pays en raffolent ; par envie ou par
nécessité, je ne sais pas. En manger, c’est
pour certains, subir une pluie de moqueries.
Pour moi, l’intégration c’est aussi vivre dans
la culinaire culture de mon pays d’adoption.
Ce plat est un mélange de graines d’haricots,
de riz, de sel, de piment, de morceaux de
viande ou portions de poissons ; le tout dans
une rivière d’huile. On peut aussi en manger
avec des tiges de spaghettis. Que ce soit bon
ou pas, ce qui importe, c’est se remplir le
ventre. Le Benga d’ici, est moins bon qu’un
plat de spaghetti-viande de chez solo béton.30
A Kalgodin, il y a une pléthore de
Bengadromes.31 Ce ne sont des restaurants de
fortune, spécialisés dans la vente de Benga.
Ils sont plein de paradoxes. Bien qu’ils ne
soient pas d’établissements d’excellence, ils
30
Restaurant de fortune situé au Congo-Brazzaville.
31
Lieux de vente de Benga.
fidélisent un incroyable nombre de clients. Ce
sont des espaces entourés de piquets, enfouis
dans le sol : usées planches et bambous de
récupération. De rouillées tôles servent de
toitures. Dans ces espaces, se disposent en
formes de bancs des morceaux de briques, de
vieilles cuvettes etc. J’eus déjà à plusieurs
reprises, mis les pieds dans un Bengadrome.
Cela néanmoins, fait une éternité que je n’y
vais plus. Je ne compte même pas les jours.
Je pense que j’en eus assez mangé. J’en ai ma
forte dose. Il n’y a aucune fierté à en acheter,
à en publiquement faire le fier. Au temps où
j’en achetais, c’étaient toujours aux heures du
soir. Était toujours perché sur mon dos, un
sac ; et était toujours mon corps couvert, d’un
vêtement à capuches qui vampirisait mon
visage. À chaque dix-huitième heure des
journées, c’était l’ouverture des
Bengadromes. Celui où s’installait mon
habitude, était celui de la vendeuse de Benga.
Il battait toujours son plein, comme une salle
de concert d’un réputé musicien. Les
consommateurs étaient une fourmilière, des
vautours autour d’une carcasse de gazelle.
Tous les sexes et tous les âges étaient au
rendez-vous. Plusieurs parmi eux naquirent
dans le Benga et plusieurs autres y
moururent. Il y avait aussi dans le ventre de
cette clientèle, certaines demoiselles du
quartier qui se prennent pour des grosses
pointures, des nanties. Elles pompent l’air
dans des allures, comportements et des
impressions de riches. Elles se trémoussent,
se donnent d’importants grands airs dans des
parades et traumatisants déhanchés. A croire
qu’elles vivent la misère, elles étaient
toujours assidues. La faim dans les ventres,
elles se faisaient à chaque dix-huitième heure,
la guerre pour des petits sachets de Benga.
Elles mettaient l’urgence à la vendeuse pour
des plats de Pissy32. Je comprends mieux
pourquoi elles ont d’insolents derrières. C’est
la magie du Benga qui opère. Les moments
passés entre les piquets de ce Bengadrome ne
me furent pas gais ; mais en période de
maigres vaches on ne fait pas la fine bouche.
J’y rencontrais quelques footeux de Méninos
et quelques de mes autres accointances du

32
Pièce de 100 francs cfa (Banque centrale des Etats
de l’Afrique de l’Ouest)
quartier. Tous, fûmes des Bengatistes33 ; une
communauté d’affamés. Cela ne leur fut pas,
comme moi, une contrainte. Eux, n’eurent
pas eu le choix. En plus, ce n’était pas cher.
En suffisaient quelques pièces de Pissy34 et
Piiga35. Toutefois, quelque chose m’y irritait.
Cela m’était un usage. Ça ressemblait à du
racisme anti-étranger. Du moins, je le prenais
et le sentais comme ça. La vendeuse, celle
qui vient de me faire comme des singeries, je
l’avais en horreur. Entre elle et moi, ce n’était
pas la joie. Je lui dans mon cœur, jetais mon
courroux. En plus, son plat de Benga n’était
pas exceptionnel. Au Bengadrome, le
principe était de servir les clients selon leur
assiduité. J’aimais m’y pointer tôt, soit pour
ne pas rencontrer mes accointances soit pour
ne pas être dans une interminable file
d’attente. Je m’y rendais tellement en avance,
que trop de fois je trouvasse la vendeuse en
train de faire du rangement : Nettoyer sa

33
Mangeurs de Benga. Néologisme.
34
Pièce de 100 francs cfa (Banque centrale des Etats
de l’Afrique de l’Ouest).
35
Pièce de 50 francs cfa (Banque centrale des Etats
de l’Afrique de l’Ouest).
table, placer les couverts etc. Souvent, elle,
audacieusement, sollicitait que l’aidasse à
soulever ses énormes marmites de Benga.
Rien ne m’y obligeait ; mais je faisais montre
de l’humilité de l’étranger. En dépit de cela,
j’y errais comme un politicien de la tendue
main. J’avais vraiment le sentiment
d’attendre l’aumône, de demander la charité.
Elle n’avait rien à foutre de moi. Ça faisait
chier. Elle me servait au déclic de ses
humeurs et envies. Pendant que je crevais de
faim comme un con, je ne pouvais que me
taire. Il m’était impossible de jouer au
rebelle, seulement à l’esclave. Là-bas, il y
avait toujours de grands et petits cons qui se
foutaient de moi. Ils arrivaient après moi et à
l’immédiat, repartaient avec des sachets
pleins de Benga. Il leur suffisait de dire à la
vendeuse Ni zabré36, puis de continuer sur
cette lancée. Mon « Bonjour Madame » et
moi, s’envoyaient valser. Mon accent
courtisait la moquerie, des commentaires en
Moré. Sans comprendre la langue, leurs
36
Bonsoir. (Tiré du Moré, langue parlée au
Burkina Faso par les Mossi)
expressions de corps me donnais des
indications. Ça me mettait une énorme gifle
au moral. Là, je comprenais que l’intégrité
que ce pays promût, fût en partie une
publique décharge de conneries. Là, je me
sentais vraiment étranger. On me rappelait
indirectement que je fusse et resterais un
étranger. Faute de savoir communiquer en
Moré, je pestais et restais là à attendre. Des
kilomètres de minutes d’attente après, la
vendeuse se décidait à me servir. Je l’avoue,
cette vendeuse de Benga est vraiment… Je
m’abstiens de lui écrire un choquant
qualificatif. Je crois que je n’en achèterai plus
chez elle. Au cours de mon dernier passage
dans ce Bengadrome, j'y eus croisé
Souleymane Draoh et Idriss Ndien. Le
premier, est d’une musculature à effrayer
quelques oiseux et petits délinquants du
quartier. Il a un visage de vieux, c’est normal,
il l’est. Je l’apprécie, mais il est quelques fois
chiant. Le second est un enfant de cœur. Petit
de taille, il a un visage d’enfant et un
mielleux sourire qui peine à se détacher des
bordures de ses lèvres. Ils font partie de mes
préférés Ouagalais. Ce fut au cours d’un soir.
Il fut dans les couloirs de ma montre dix-huit
heures. Comme il m’en fut l’usage, je fus
assidu au Bengadrome. Ce fut le même
scénario. Sous mes yeux, défilaient les
commandes. Je respirais l’air, et
continuellement je changeais de positions
d’attente. J’étais très irrité, mais incapable de
jouer au dur. C’étaient mes dernières pièces
de monnaie du mois. Si eussé-je eu assez
d’argent, j’opterais pour un plat d’atiéké.
Souleymane Draoh et Idriss Ndien plaidèrent
ma cause auprès de la vendeuse. À l’instant,
elle servit à chacun d’impressionnantes
quantités de Benga. Ce fut la première fois
que j’en repartisse chez moi avec une aussi
incroyable quantité. Les mains pleines,
Souleymane Draoh, Idriss Ndien et moi,
sourirent à la vie. Au cœur des échanges qui
animèrent les mètres de chemin que nos pas
consommèrent, nous eûmes eu, sur nos
kilomètres de lèvres, d’interminables sourires
de Bengatistes. Cette dame n’arrête pas de
me sourire. Je repense à nos précédents. Je
n’ai aucune envie de lui être gentil, mais je
lui souris néanmoins. J’aurais voulu esquisser
ce chapitre de sourire à une charmante
demoiselle de la capitale, mais la vieille
mère, comme on dit au pays de Félix
Houphouët-Boigny, vient de le ravir. J’oublie
de prendre un virage, celui à ma droite. Je
freine à l’urgence pour ne pas changer
d’itinéraire. Dans cette brutale manœuvre,
mes deux roues me lâchent. L’engin s’éteint.
Je ne comprends pas ce qui se passe. Depuis
mon départ de l’immeuble, je vis trop de
situations de retard. Elles m’empêchent
d’arriver à destination. Je descends de la
moto. Je suis pratiquement au milieu d’un
six-mètres. Il a plein de défauts : les usées
eaux de vaisselles, lessives, latrines font des
cent pas ; tout comme des graviers. Ne
cessent les passants, de me garder à
l’oculaire. Je reste là pendant longtemps à
observer ma moto. Je me demande en vain ce
qui se passe. Je vérifie le réservoir ; le
carburant nage dans un absolu bonheur. C’est
soudain, mais je me souviens qu’un
mécanicien de quartier tient un atelier de
réparation tout près. C’est à quelques mètres,
à l’angle, au bout dudit six-mètres. J’avance à
pas d’escargot, pousse mon engin. Puisque je
suis orphelin de pièces de monnaie et billets
de banque, je dois, au mécanicien, sortir un
baratin qui tienne la route. J’accélère. J’ai
comme par enchantement, souvenir que me
doit ce mécanicien, un service. Lourd, mais
comme un esclave qui tire le chariot de son
maitre, j’applique ma dernière énergie à
pousser l’engin. Je sécrète de salés litres
d’eau qui ruissellent sur mon visage. J’arrive
enfin chez le mécanicien. L’assiduité n’est
pas son fort point ; mais tout indique que
c’est aujourd’hui le cas. Ses outils de travail
sont là, c’est évident qu’il va se mettre au
travail. J’y vois plus d’une vingtaine de
désassemblées motos. Cela m’est une très
mauvaise indication. Cela signifie qu’il a du
pain sur la planche, que je doive certainement
attendre pendant de longues heures. Y
longuement rester, ne m’intéresse pas ; mais
je n’en ai pas le choix. Je ne vois pas le
mécanicien, tout comme les propriétaires des
autres engins. Je pose mes fessiers muscles
sur un morceau de brique qui erre de tristesse
quelque part là. Je l’attends. Jouxte cet
atelier, un restaurant de quartier. J’y eus déjà,
une seule fois, pris mes quartiers pour un
repas. Comme ses travailleurs, l’endroit
manque d’hygiène. La bouffe qu’on y sert est
dégueulasse et à vil prix. C’est comme dans
un Bengadrome, seuls les petits budgets, les
modiques finances s’y rendent. Les plus
vendues marchandises, sont le thé, le lait et le
café. Les gens du coin aiment en consommer.
De mon morceau de brique, j’y vois du
monde. Certains agitent leurs tasses, d’autres
dans les poumons, s’envoient des parcelles de
bâtons de cigarettes. Je jette mon courroux
sur mon alter ego. Je me lève pour prendre
ma moto. Là, j’entends Fo rab da yè ?37, venu
d’une rouillée voix. Je jette un regard, c’est
Sadio le mécanicien ; court, noir et… Il
m’esquisse un sourire à faire exhumer des
cadavres. Il avance avec entre les doigts, une
tasse de café et quelques cigarettes. Il sort de
ce restaurant. Il me salue et on s’échange
quelques bêtises ; c’est courant entre nous. Il
voit ma moto et rigole. A force d’en rigoler, il
manque d’avaler de travers sa tasse de café et
d’étouffer ses poumons avec des tonneaux de
fumée. Il me demande ce qui se passe avec
mes deux roues. Je lui tiens le souci en
37
Où vas-tu ? (Tiré du Moré, langue parlée au Burkina
Faso par les Mossi)
explication et il me tend la paume de sa droite
main tout en bougeant ses doigts. A cet
instant, je ne comprends pas. Sadio veut me
taxer, me faire payer le prix de la réparation.
Je lui rappelle qu’il me doit un service. Sadio
répare mes deux roues. Je lui donne une
salutation en remerciement, puis on se
souhaite à plus tard. L’engin semble remis à
neuf. Je roule et j’ai de bonnes sensations.
Les roues avalent les excréments des
moutons et des bœufs. Je vois des chevaux et
des ânes attachés à des formes de chariots. Ils
poussent d’énormes kilos de sable, de fers, de
pierres etc. Je n’en reviens pas. Je sens qu’ils
sont à l’agonie. Je peux voir la souffrance
dans leurs yeux. Ça, c’est de l’animale
maltraitance. Je m’apprête à traverser un
pont. Celui-ci a une histoire. C’est impossible
de vivre à Kalgodin sans la connaitre. On
raconte qu’il fut autrefois dangereux ;
uniquement aux heures du soir. On raconte
aussi que sa renommée, depuis un moment
refait surface. Aux reculées heures, il faut
s’abstenir d’y passer. On y agresse, braque
les gens ; échange les vies contre des
matériaux : engins, portefeuilles, téléphones
etc. C’est assez inquiétant. Depuis toujours, à
toutes les heures des journées je traverse ce
pont ; soit avec mes deux roues soit à pied.
Jusque-là, personne ne m’agresse. C’est peut-
être la veine ou parce que me connait, le
quartier ; ou parce que je roule sur une moto
de merde. C’est suffisant pour tuer la
motivation des agresseurs et voleurs ; je
pense. Ils n’ont peut-être pas envie de perdre
leur temps et leur énergie. Je traverse le pont.
Au bout de celui-ci, à l’angle, il y a une
vendeuse de cacahouètes, de maïs et de
divers à l’étalage. Manger du maïs et des
arachides devient à la mode. C’est dorénavant
un culinaire plat qu’on sert à la table des
jeunes de Kalgodin ; à la mienne y compris.
C’est dingue de se nourrir de graines. Un
jour, chez le Ouagalais, avec mon sachet
d’arachides et ma tige de maïs, quelqu’un me
traita de Bissa38.

38
Burkinabè ethnie.
5

Un peu plus tard sur mon chemin, les roues


demeurent en perpétuels mouvements. Je
jouxte un parking. C’est celui de l’université
dans laquelle j’étudie. Là-bas, plus de mille
véhicules à deux roues trouvent leur havre de
repos. A l’oculaire, je ne me lasse pas de
l’admirer. Alors que mes roues, promptement
à souhait de fuir ce parking, ma droite main,
mes droit et gauche pieds luttent avec le frein,
les vitesses et l’accélérateur. Tranquillement
assis, ces plus de mille engins se font des
câlins, se disent des blagues, discutent.
Certains se tapent des barres de rires, d’autres
se bronzent. Je n’ose même pas comparer
l’une d’elles à mon mort cabri. Autant de
motos, nécessite un gargantuesque financier
investissement. Et lorsqu’ici et là on affirme
que ce pays est pauvre pays, j’ai du mal avec
cela. Ça pousse ma réflexion à la révolte. Ici,
les gens jettent des astronomiques sommes
d’argent dans ces engins. Si on en compte le
nombre, ces mirobolantes sommes d’argent
peuvent subvenir aux plus immédiats besoins
des démunis ; peuvent financer la réélection
de l’actuel président de la République. Aux
dépôts des engins, les étudiants reçoivent des
tickets de parking. C’est le travail des
parkers39, comme on les appelle ici. Ils
rangent les engins, les surveillent et les
nettoient. Ce sont de drôles d’individus
remplis d’indéchiffrables comportements. Ils
sont très amers, humainement. Je me dis à
tort ou à raison, que la dureté de leur routine
de vie a raison de leur exécrable caractère. Le
parking de l’université est gratuit ; mais les
parkers, au gré de leurs humeurs font en
douce, les poches aux nouveaux étudiants.
J’en fus, à une époque, victimaire. Ils, peut-
être, sont mécontents de leurs faméliques et
mensuels salaires. Je pense qu’ils vivent
réellement la misère. Les parkers, je ne les
aime pas ; j’espère que c’est réciproque.
Après réception des tickets de parking, pour
accéder à l’université, les étudiants doivent
pratiquer les barrières mesures. La Covid-19
est toujours d’actualité. Je l’eus contracté il
eut eu quelques temps. Cela me fut troublant
de penser que je pourrais passer du côté
39
Néologisme. Surveillants de parkings motos.
sombre de la vie. Avec la funeste
médiatisation des dégâts causés par cette
pandémie, chaque jour me fut un éternel
cauchemar. Je ne sortais plus de mon local.
Mes voisins me furent solidaires : achats de
médicaments et de nourriture. J’avance, et je
vois à l’entrée de l’université, les étudiants en
indiennes files. Il y a des lave-mains. Ce n’est
pas du luxe, ça me choque. On se limite, pour
une si prestigieuse université, à du savon bon
marché et à de l’eau de robinet. Avec ça, je
pense que les étudiants se distribuent des
passes de contamination. C’est un affront aux
barrières mesures. L’exigence est l’utilisation
des gels hydro alcooliques ; mais hélas. Cette
université a les financiers moyens pour
subventionner et exiger de quotidiens
examens de dépistage au profit des étudiants
et du personnel. Je n’invente rien en
affirmant, que la majorité des gens d’ici, sont
avares dans les dépenses les plus essentiels ;
mais aiment capitaliser. Les étudiants en plus
de nettoyer leurs mains, doivent porter des
cache-nez. Ici, ce sont des masques ; mais
bon ! Cache-nez ou masques, on fait avec. Le
marché du cache-nez rapporte énormément
d’argent. Les parkers s’en mettent plein les
poches. Il faut croire que la Covid-19 a aussi
des avantages. Toutes ces formalités
effectuées, les étudiants doivent traverser une
muraille de portiers. Ici, on les appelle
vigiles. Ils n’ont ni les têtes ni les physiques
de l’emploi. Ils sont bizarres, particuliers. Là
aussi, je pense que cette université fait des
économies sur leurs emplois. Ce n’est pas
pour être méchant, mais elle fait un aveugle
recrutement. Les portiers vérifient que
chaque étudiant soit muni de sa estudiantine
carte d’accès et porte la réglementaire et
universitaire tenue. Je vois plusieurs
administratifs responsables se joindre au
travail des portiers. La tenue est un ensemble
de tissus peints dans un mélange de couleurs
blanche et bleue. La gent masculine opte pour
une blanche chemise soit à manches longues
soit à manches courtes, un pantalon et une
veste de couleur bleue. Les demoiselles quant
à elles, se vêtent soit d’une bleue robe soit
d’un bleu pantalon, et de blanches chemises ;
soit à longues soit à courtes manches. Les
étudiantes sont très appétissantes, dans leur
majorité. Dommage ou heureusement,
jusqu’ici je ne goûte à aucune d’elles. Elles
ont de fascinantes corporelles courbes,
d’insolentes poitrines et beaucoup d’autres
choses qu’elles transportent et transbahutent
quelques fois. Quant aux garçons,
sincèrement ça craint. Ce qui est sûr, ils sont
comme ils sont. L’université est une assez
belle construction. Certains racontent que
c’est la meilleure du pays, d’autres affirment
qu’elle fait partie des meilleures. Vrai ou
faux, je ne pense pas que ces propos soient
considérés comme paroles d’imams. J’en ai
de mitigés sentiments ; de l’administration au
corps enseignant, des centaines de choses y
jettent dans le trouble. A passer devant, je me
rappelle que dans quelques mois, je dois à
l’oral, écrire mon mémoire. Je dois soutenir et
défendre une juridique position. J’en redoute
un peu : entre parentale et personnelle
attentes, regards des gens, critiques du jury,
ça promet d’être spectaculaire. Nombreux
sont les gens qui me formulent de sagaces
prétentions. À voir comment plusieurs
étudiants s’en pissent dessus, ça doit être plus
torride que l’enfer de Dante. Je dépasse cet
universitaire bâtiment. L’engin et moi,
traversons une allée de goudron. Les roues de
l’engin, à l’extrême se fatiguent, le moteur
s’épuise de plus en plus. Il peine à respirer. Je
le crois asthmatique, sens dans ses poumons,
des cailloux de sang. Ils sont à l’alarme des
bouffées de Ventoline40. La circulation est
comme à l’accoutumée, très pressante. C’est
la guerre entre engins à deux et à quatre
roues. C’est un bras de fer qui s’installe. Il
faut être prudent. Il y a trop d’apprentis
conducteurs sur les voies, ils roulent comme
des fous ; un accident peut facilement arriver.
Le monstre soleil de ce sahélien pays semble
vouloir apparaitre par-dessus les têtes. Pas
plus longtemps, je m’arrête devant un fonds
de commerce. C’est l’un des plus branchés
endroits de la capitale. Il se connait de tous
les grands et petits Ouagalais ; qu’ils soient
ou pas nantis. Devant, je stationne mes deux
roues. Je suis aux mille deux-cent logements,
un quartier de la ville. Ici c’est huppé,
contrairement à la poubelle. Ici, se reposent la
civilisation et l’urbanisation ; aucune
prosaïque mentalité. Les constructions ne
sont pas sommaires, il n’y a pas de grins, et
40
Médicament contre l’asthme.
ce sont d’agréables odeurs qui parfument
l’air. Aux mille deux-cent logements, même
les gens sont plus beaux. J’erre et j’enterre
des respirations de minutes devant cet
endroit. Debout je suis, un peu dans l’ivresse
de sporadiques gamberges. La devanture de
ce fonds de commerce ne m’émerveille pas ;
elle n’a rien d’impressionnant. Elle est faite
de murs dans lesquels s’incrustent de
transparentes vitres. Au milieu de celles-ci,
prend vie une ouverture où les clients passent
leurs commandes. À ma façon, j’ai un intérêt
pour la peinture qui saigne les murs de cette
devanture. Elle a beaucoup de nuances, du
charme à revendre. Elle contient le beau et
l’agréable. Le nom commercial se lit en
gargantuesques caractères. Il m’indique que
je suis à destination : chez le Ouagalais. Il
n’est pas des structures de renom. C’est un
populaire espace où change et décontracte, la
bonne ambiance, l’humeur et l’esprit. Il
donne légèrement à penser à un grin cinq
étoiles. Ici, viennent de partout les clients. À
toutes les heures des journées, y musardent
les grands et petits Ouagalais ; et les
étrangers. Chacun s’y rend pour une myriade
de raisons. Là-bas, on courtise les
demoiselles, reluque leurs énormes marmites
cachées au fond de leurs transparents
vêtements. On salive devant leurs
volumineuses paires de seins, qu’elles
exposent comme des produits à l’étalage. On
admire leurs déhanchés quand elles se
trémoussent, paradent avec coquetterie. C’est
la routine de certains joueurs de Méninos. On
y joue, écoute la musique, s’enivre d’alcool ;
on se contamine de diabète dans la
consommation de sucreries. On y fume des
cartons de cigarette, de dopants produits etc.
Là-bas, c’est tout et n’importe quoi ; c’est
l’excès de l’interdit, la prostitution des
inconsciences. On s’y bourre les ventres de
paninis41, on s’y abonne gratuitement aux
footballistiques programmes. On y va pour
passer d’amicaux moments. Très vite, je me
lasse de la devanture. Ce populaire coin
courtise un rond-point ; lequel épouse
différentes trajectoires d’une goudronnée
voie qui serpente, mène à différentes
destinations. De là où je suis, j’y observe un
incessant défilé de véhicules à quatre et deux
41
Néologisme. Sandwich.
roues. J’entends et j’écoute les assourdissants
bruits de leurs vrombissants moteurs, quand
ils piétinent, déchirent et blâment le
macadam. Ils lui distribuent des tonnes de
bourrades. Ce n’est pas mon combat, je
m’abstiens de m’en mêler. Pendant que
j’éparpille plus de cent milles regards sur
cette goudronnée voie, j’en promènent trois
cent mille ailleurs. Chez le Ouagalais, outre
la mienne, il n’y a aucune autre ombre d’un
habitué client qui traine sur son sol. C’est
inhabituel à cette heure-ci ; même un client
de circonstance. Je ne veux pas penser que la
clientèle prend un sabbatique moment de cet
endroit. Définitivement, j’enterre cette
devanture au champ de navet de ma vue ;
dans mon cimetière des allongés. Désormais,
je fixe mon regard sur la terrasse ; oui, il y a
une terrasse chez le Ouagalais. Y marche et
dort un séduisant carrelage. Il frappe d’éclat
les yeux et les regards. Sur lui, les
ouagalaises au troublant train de vie peuvent
se mirer, se faire des retouches de coiffures,
se peindre les lèvres etc. De là où je suis, je
vois tout ce qui s’y trouve ; j’en connais la
disposition. Il y a de petites barrières en fer
qui servent comme de remparts. Elles se
couvrent d’une neuve et tamisée couleur de
peinture. J’en sens l’odeur, elle irrite mes
narines et affame mon estomac. J’en ressens
de nasaux picotements. Plus j’inhale cette
odeur plus j’ai le ventre qui se creuse.
Comme la manne qui fut descendue du ciel,
descendent jusqu’à caresser ces barrières en
fer, de beaux et longs rideaux. Ils protègent
contre la poussière que soulèvent les pneus
des consommateurs de la circulation ; mettent
les clients à l’abri de baladeurs regards de
curieux passants. La terrasse est orpheline de
clients, il ne semble pas, il est encore tôt.
Aucun client : fêtard, play-boy, glandeur,
étudiant etc. Là, danse le vent danse, il fait
plus de mille pas. Il a une démarche pleine de
brusques mouvements de va-et-vient.
Quelques minutes facilement effacées dans
l’air de la capitale, j’y vois une dame aux
intéressantes corporelles parties. Elle
m’affame de désirs ni catholiques ni
protestantes. Je m’accule à lui servir un plat
de matinales salutations. Elle me salue en
retour. C’est la femme de ménage. Elle est en
train de terminer son service. Prête à me
caresser les pieds, la terrasse me fait des
appels de phares. Je m’y précipite, et elle
m’embrasse. Je m’enivre de ses pulpeuses
lèvres. Elles sont d’un délice de mille crans
au-dessus de celles d’une vierge demoiselle.
Là-bas, il y a des réunions de plastiques
chaises autour de plastiques tablettes. Elles
sont propres et bien rangées ; la poussière
peine encore à les courtiser. Pour l’instant, ne
s’y posent pas encore d’alcoolisées
bouteilles, paninis, cartons de cigarettes etc.
Il y a aussi quelques petits fauteuils. Ce n’est
pas du luxe. Tous discutent dans une
silencieuse et plaisante atmosphère. A tour de
rôle, chacun prend la parole. Ils discutent de
passionnants sujets, c’est intrigant. Je
souhaite donner mon avis, mais ils ne m’en
donnent pas l’occasion. De toute manière,
discuter avec des chaises, fauteuils et
tablettes, c’est être moins lucide qu’un
dérangé mental. C’est être à la lisière de la
folie. Eux, se lamentent aussi des pesants et
oppressants jougs que leur infligent certaines
clientes aux lourds corps : apoutchous42. Je
dois en parler au propriétaire. Finalement, je
42
Néologisme. Physiques personnes en surpoids.
passe à autre chose. Sur cette terrasse,
j’éparpille mes regards, les jette dans tous les
sens ; même à contre sens. Ça craint ici. Il
n’y a aucune animation. C’est pire qu’une
atmosphère de cimetière. Je me persuade que
c’est normal, qu’il est encore tôt pour voir le
coin s’ambiancer. Le propriétaire de coin,
tout le monde le nomme Black ; pseudonyme
ou patronyme, cela ne m’empêche pas de
dormir. Il est d’un imposant gabarit, c’est un
genre de Goliath43. On lui prétend la force
d’un lion ; personne n’ose lui tenir tête. Un
très prononcé noir de couleur se promène sur
sa peau. Si fût-il originaire de Mboka, on
l’appellerait Moyindo44. Tout le monde lui
sait et connait une extraordinaire sympathie.
Il est d’un très apaisant tempérament ; et
taciturne. On lui sait les poches pleines de
cash, mais il n’est pas de ces friqués à
s’écrire dans le torse la vantardise de l’argent.
Trône sur sa tête, une forêt de maquisards. Y
marchent et serpentent des dreadlocks à la
jamaïcaine. Cette coiffure court sur les

43
Biblique personnage, fort et très imposant.
44
Personne à la peau extrêmement foncée. (Tiré du
lingala, langue parlée au Congo-Brazzaville)
chemins de son dos, donne à son noir visage
son un hors-pair charme. Quand il marche, il
se dégingande ; c’est amusant de voir ses
mouvements de cassure. Je pense qu’il vit ses
quelques heureuses années de moyenne vie.
Il n’est ni vieux ni jeune. Je lui donne trente
années d’âge. Il établit sa fortune dans
plusieurs quartiers de la capitale et dans
plusieurs villes du pays. C’est un accompli
businessman. Sa réussite, depuis quelques
temps suscite des réactions. Les gens
questionnent son origine etc. Je trouve cela
choquant. Je relis Thomas Hobbes, et je
confirme que l’Homme est un loup pour
l’Homme. Qu’il soit ou non de ce pays, cela
ne m’importe pas. Sa réussite, m’est
admirable. Etrangères ou pas, on doit
considérer originaires de ce pays, toutes les
personnes qui y demeurent. Quelques rares
fois, j’eus avec lui, échangé des verres de
mots. Nous nous tapâmes même des barres de
rires ; ça par contre, c’est un mensonge. Il
épouse un vestimentaire style plein de
paradoxes. Rien de ce dont il se vêt à une
surdimensionnée valeur. C’est toujours dans
le standing train de vie des moyens habitants.
Il est d’une intrigante simplicité pour un
lourd portefeuille. Il est absent ce matin. Il
aime se montrer aux heures du soir. A côté de
la terrasse, il y a une salle de détente. Là-bas,
naît, grandit et meurt le vice. Les jours et les
nuits n’y sont pas à l’abri. Comme à travers
un brouillard de vent, par centaines et par
milliers, on y constate des mouvements,
attouchements. Ce n’est pas loin d’être une
close maison à ouvert ciel. Les clients
protagonistes de ces obscènes scènes sont
surtout ceux de l’université. Ils y font
guindaille dans des postures de corps à
donner des frissons de luxure. Leurs corps,
comme des lacets de chaussures
s’entremêlent, se mélangent, se touchent et
s’étouffent dans des cris pleins d’intrigues.
Les seins des demoiselles, en rondelles
façonnées avec préciosité donnent à leurs
juteuses poitrines des formes à baver de
jouissance. Leurs gros et noirs tétons
s’exposent, suintent entre leurs vêtements de
prostitution. Ils se versent sur les regards de
certains observateurs. Leurs fessiers muscles,
dans des rebondissements peu protestants, ne
chantent pas des louanges. Assurément, ces
sensuels êtres offrent un spectacle aussi bien
décourageant que fortifiant. Dans cette salle,
l’alcool, confortablement prend place. Les
bouteilles se regardent et se font ingurgiter,
bien avaler à tour de rôle. Ce sont de dures
batailles, mais au final c’est l’ivresse et la
perte de faculté de conscience qui provoquent
des grabuges et tapages. Outre l’alcool, entre
bâtons de cigarette se fumant en industrielle
quantité, c’est la fumée qui s’y invite. Ces
consommateurs se les partagent comme des
footballers dans une impressionnante tactique
de jeu de passes. C’est du grand art. Je me
demande si les joints et le chanvre ne s’y
sniffent pas aux menus. Ce n’est pas un secret
de polichinelle que cet espace cautionne la
corruption des esprits. Dans cette salle, les
futurs cadres sont de vrais play-boys, fêtards
et Djandwu.45 Chaque fois que je leur suis à
l’oculaire, je questionne leur avenir. Ils ne
prennent pas autant plaisir à étudier, j’en sais
des mondes. C’est un deuil d’être témoin de
leurs tristes exploits en période d’évaluations.
Et dire que leurs déplorables performances
concourent à faire la notoriété de l’université,
45
Coureurs de jupons. (Burkinabè Néologisme).
je me demande comment celle-ci se classe
parmi les meilleures du pays. Comme
plusieurs autres étudiants en fin de deuxième
cycle, depuis un moment, l’université
m’embauche au poste de surveillant pendant
les périodes d’évaluations. Consiste le travail
des surveillants, à apprêter les salles,
étiqueter les tables, distribuer les feuilles de
brouillon et d’évaluation ; installer les
étudiants, porter à leur connaissance les
consignes à respecter, leur tenir notifications
de sanctions en cas de fraudes etc. Dans ce
rôle et cette fonction, je m’habitue à leur
ineptie, leur souci d’échec ; leur priorité de
loisirs. Ce n’est pas le cafard, ils vivent le
supplice des épreuves. Crânes ou tonneaux
vides, ils multiplient les tentatives de
fraudes ; ils ont les langues à soudoyer les
surveillants, des visages de cimetières. Je
peux sentir le poids de l’échec envahir leurs
esprits. Ils versent des valises de larmes. Les
demoiselles en particulier, font montre d’une
audace à marquer dans les livres d’histoire.
Elles cachent : téléphones, cahiers dans les
couloirs de leurs cuisses et vallées de seins ;
qu’elles exposent à souhait à tout désireux
client. Je traîne la réputation d’être un strict
surveillant. Je ne veux pas me compromettre.
Plusieurs étudiants m’ont en horreur, me
promettent même la misère. Au cours d’une
surveillance, je me souviens, c’était comme à
l’accoutumée. Je m’appliquais à la tâche. Je
me plaisais à noyer ces têtes, crânes et
tonneaux vides. Je faisais comme plusieurs
autres surveillants dans la salle, des slaloms
entre les tables et les bancs. Je fus
soudainement, par une demoiselle qui eut eu
tout pour me plaire, interpellé. Sur l’instant,
elle m’eut donné la soif de la boire et
l’appétit la manger voracement. Elle me tint
en séduction pour que je lui permisse de
frauder. Dans son approche, elle me pencha
subrepticement sa feuille de brouillon où fut
écrit ses téléphoniques coordonnées. En
légende, fut écrit « je suis tout à vous ». Je ne
fus pas contre le fait qu’elle pourrait être tout
à moi. Bien que tenté par son offre, sans lui
écrire un mot de réponse à l’oral, je continuai
mes slaloms. Certains parmi mes congénères,
au cours de cette séance, n’eurent pas eu la
fournaise dans les yeux à bondir sur le
caractère volage de certaines demoiselles. Je
fais cent-mille pas jusqu’au perron de cette
salle. Hormis l’ambiance des fêtards, un autre
type d’ambiance y prend refuge. C’est aussi
un créatif espace de sport. Les passionnés de
ballon rond s’y donnent souvent rendez-vous.
Du fond de ma mémoire, j’en revis encore
quelques souvenirs. Le plus immédiat qui
courtise ma mémoire, c’est celui de Moussa.
Je peine là, devant le perron, à me contenir ;
j’explore tout de fous rires pendant de très
longues minutes ; avant d’en mourir. Dans le
ventre de ce souvenir, Moussa, cet éternel
consommateur de football a un froissé visage.
Je l’aime bien ; bien que je ne sois pas
homosexuel. C’est un Burkinabè. Il a la taille
d’un poteau de lampadaire, est comme une
tige de spaghetti ; chétif. Son histoire ne se
marque pas d’une blanche pierre, ne se grave
pas n’en plus dans le marbre. Il fait partie de
ces originaires gens d’ici dont les repères de
vie sont ailleurs. Il ne sait ni s’exprimer en
Moré ni conduire une moto. Je le revois dans
l’abattement, avec des fleuves de larmes dans
les creux de ses yeux. Plusieurs autres
personnes et moi, lui servons des tasses de
railleries mordantes. L’équipe qu’il porte
vient de prendre une gifle. Comme un petit
con, toujours devant le perron, je rigole
encore et encore. Pendant les jours de match,
la salle surabonde de monde. Elle donne à
penser aux footballistiques parties des
étalons46. Je m’abstiens de tout commentaire
concernant les étalons. Je suis trop jeune pour
me faire lyncher. Je laisse cela à qui de droit.
Les matchs s’y suivent avec des bidons de
sucreries et des casiers de bière dans les
gorges. D’autres préfèrent s’éteindre les
poumons à petit feu. Malgré cela, personne
ne peut avoir le luxe de se priver du panini.
C’est ce qui fait la renommée de cet endroit.
Outre cela, les corps se mélangent,
transpirent et mouettent. Il faut avoir le cœur
d’avaler les puanteurs de corps, souvent non
nettoyés. Elles montent, enivrent la pièce.
Certains trouvent plaisir à lancer des javelots
de pets. Parmi les amoureux du ballon rond,
il y a des insatiables parieurs. Jeunesse ou pas
bazardée, elle s’y plait. Ça parle de stratégies
de paris etc. Les nerfs se tendent, les visages
perdent de la couleur quand la perte d’argent
46
Qui qualifie l’équipe nationale de football (Burkina
Faso)
s’installe. Les plaintes, les débats, l’euphorie,
l’agacement, les écarts de comportement ;
tout est au rendez-vous. Outre Moussa, j’ai à
force de courtiser cette salle, une pensée pour
Sam Boukadji. Crâne rasé comme une boule
de billard, il est âgé, peut-être à l’extrême.
J’ignore les années de vie qu’il cumule sur sa
grosse et lisse tête ; mais c’est à penser qu’il
puisse être mon père, même mon grand-père.
Sans gamberger, je lui donne plus de soixante
années. Ballonné ventre, il n’est pas d’ici ;
assurément d’ailleurs. Cet ailleurs, c’est
quelque part sur l’Africain continent. Ce
monsieur traîne une peu reluisante réputation
chez le Ouagalais. C’est une grande gueule.
Quand il s’exprime, il ne met pas de gants ;
ne met pas de l’eau dans son vin. Il connait
tout et tout le monde ne connait rien. C’est
lui, le dépositaire de toute forme de sagesse et
de perspicacité. Il n’est pas humble, comme
les gens de son Afrique. C’est dans sa nature.
Beaucoup de gens ne l’apprécient pas ; il a
intensément l’orgueil d’un camerounais. Il
aime se vêtir proprement ; et se promène avec
dans sa grosse tête, des surdimensionnés
rêves de richesse. Ce qui lui importe, c’est
l’achat de luxueuses et énormes voitures. Il
aime parader, faire le fier ; aime les femmes.
C’est un passionné du ballon rond ; il en a
l’art. J’aime lui en tenir myriade
conversations. C’est un monsieur plein de
contradictions. Les gens racontent beaucoup
de choses à son sujet ; soient-elles vraies ou
fausses, mes oreilles n’entendent que ce
qu’elles entendent. Quand il s’installa dans le
pays, ce fut avec plus que des allures de
fêtard et de salonard ; il menait et rythmait
joyeuse vie. Ça, ce fut il eut eu un temps.
Désormais, il transbahute l’Everest. Tous les
jours, on le voit chez le Ouagalais ; y passe
ses entières journées, comme un vagabond. Il
erre dans les grands et petits espaces de cet
endroit. Il mène comme une vie de bohème.
Chez le Ouagalais, l’usage eut fini par lui
accorder des privilèges. Des employés au
propriétaire, tout le monde l’adopte. On lui
gratuitement, à toutes les périodes des
journées, remplit le ventre, mouille la gorge.
Il me semble ne vivre que de dons. Quelques
petits lascars de la place, lui font des petits
gestes : un panini, une bouteille de sucrerie ;
un billet de banque ou des pièces de monnaie.
Quand la charité ne vient pas à lui, il va
audacieusement à sa rencontre. Je faillis en
faire l’amère expérience. Comme disent les
ivoiriens, il n’a pas peur de Dieu47. Sam
Boukadji, à une époque, voulut s’installer
dans mon local. Il me tentait des approches,
comme des appels de phare qu’on ferait pour
charmer une demoiselle. Il m’eut raconté une
histoire à dormir debout. J’eus eu dans la
poitrine, des mondes de méfiance. Je l’eus à
cette époque, à peine connu et c’est d’ailleurs
toujours le cas. Alors que je restai taciturne, il
ne cessait de me prendre en insistance. Cela
me devint pire qu’une contrainte ; mais mon
silence eut raison du ruissellement de ce
chapitre. Celui qui vécut son audace, fut un
tiers ; un ancien locataire dans l’immeuble où
je suis. Ce fut un jeune burkinabè étudiant ;
maigre ou gringalet, on pouvait lui formuler
la prétention de porter le rachitisme. Il menait
paisible vie ; ne vivait pas dans le luxe.
J’avais chaque fois le trouble de voir
comment lui fut extrêmement difficile, la vie.
Il se nourrissait de secs aliments. Comme
beaucoup de gens, à ses creuses heures, il
47
Expression qui traduit un exagéré courage.
errait chez le Ouagalais. Sam Boukadji et lui
avait une relation de proximité. Lui eut, Sam
Boukadji, un jour, improvisé une inattendue
et vespérale visite. Le locataire en aise dans
son local, en fut surpris. Ses quatre murs
n’abritaient qu’un vétuste et petit fauteuil qui
lui servait de lit, de vagues ustensiles de
cuisine et ses valises de vêtements. Sur ce
fauteuil, même son corps ne suffisait pas. Il
lui fallait se courber, faire des gymnastiques.
Le moins qu’on put dire, il n’y fut pas en
confort. Il ouvrit sa porte quand le visiteur lui
donna des mers de bourrades. Celui-ci lui tint
en discussion une situation qui accula le
jeune homme à le loger pour la nuit.
Néanmoins, ce jeune homme notifia à son
visiteur qu’il n’eût eu comme lit, que son
vétuste fauteuil ; et qu’il ne pourrait le lui
céder. Sam Boukadji à l’urgence, insista pour
prendre repos sur le plancher. Tout ce qui lui
eut importé, fut de dormir ; peu importe les
conditions. Après cette mise au point, fit chez
le Ouagalais, le locataire un tour. Il laissa
entre ses murs, le visiteur. A son retour
quelques temps après, il se surprit de voir
Sam Boukadji allongé et ronflé sur son
fauteuil. Les vêtements de celui-ci furent
éparpillés dans la pièce. Il se permit même
d’avaler quelques maigres et alimentaires
provisions de son hôte. Celui-ci, se fut mis à
son aise. Entre colère et autres sentiments,
dormit le propriétaire du local, cette nuit, sur
le plancher ; dans son propre local. Je suis
toujours devant le perron de cette salle,
j’efface avec minutie les souvenirs qui
saturent le disque dur de ma mémoire.
Longuement je garde cette pièce en
observation. Elle est plus ou moins grande,
mais surtout étroite comme une allée, un
couloir de la mort. Ce matin, elle respire la
propriété ; pas de déchets, pas d’odeurs.
Peuvent s’y entasser une cinquantaine de
personnes. Il n’y a pas comme sur la terrasse,
un joli carrelage. Là, c’est du lisse et battu
ciment. La peinture qui saigne de beauté les
murs, est un mélange de vert, bleu, rouge et
violet. Sur l’un des murs, trône un
gigantesque poste téléviseur. Il y a des
fauteuils qui rasent, horizontalement
arpentent le long des murs. Je jette quelques
pas, et tente de m’enfoncer dans le décor de
cette salle. Soudainement, je me heurte à
quelques employés. Ils sont tous de ce pays.
Ce sont pour la plupart, des jeunes dont le
train de vie est en dents de scie. Voir leurs
visages et leurs vêtements suffisent à savoir ;
mieux encore, je les côtoie. Ils s’activent :
font du rangement, vérifient les stocks de
marchandises ; sont à la cuisson des paninis
ou pains anglais. Jusqu’ici, cette appellation
m’intrigue. Je pense que ce n’est que dans ce
pays qu’on peut qualifier un sandwich de
panini. C’est d’ailleurs ce qui fait la
renommée de cet endroit. On compte dans la
capitale, des tonnes d’endroits où se vendent
les paninis ; mais ceux vendus chez le
Ouagalais ont une énigme de saveurs. Les
consommateurs y font la queue jusqu’aux
reculées heures. Il y en a pour tous les prix et
tous les goûts ; selon les ingrédients. Parmi
les composantes du panini, ii y a les œufs,
l’achée viande, le ketchup, la mayonnaise, les
lamelles de saucissons ; le tout dans un pain
chauffé et griffé par une machine. Cette
procédure de chauffe, lui donne une
excellente texture. Dans la capitale, les
consommateurs des paninis sont des graines
de sable de bordures de mers. Depuis que je
fréquente ce coin, les employés m’adoptent
de plus en plus. J’ai désormais avec eux, de
fraternels échanges ; ce qui me donne des
prérogatives : accès à la cuisine etc. C’est
d’ailleurs ce que je fais. On se salue. Les
moins âgés m’appellent Koro, d’autres, le
Congolais. Ce que j’apprécie entre autres
dans ce pays, sont les rares fois aux cours
desquelles on ne me fait pas sentir étranger.
Quand c’est le cas, c’est mieux qu’à Mboka ;
où de manière sempiternelle le natif est
étranger. Chez le Ouagalais, je me sens
burkinabè ; bien que je ne sache pas
m’exprimer en Moré. J’ai quelques mots en
mémoire, à force de sporadiquement côtoyer
le grin. Là-bas, m’apprennent Issouf Konaté
et quelques autres, quelques vernaculaires
expressions. Quelques fois, j’ai la fierté de
communiquer, certes de manière
extrêmement bancale, dans la nationale
langue de mon pays d’adoption. Tout ce que
j’apprends au grin, n’est pas à prononcer en
public ; plusieurs fois j’en eus des fleuves de
misère. Désormais, je ne me fie plus aux gens
du grin. Je les envoie valser. La cuisine est
exiguë ; mais s’y par jour, se préparent plus
de mille paninis. C’est impressionnant. Cette
cuisine est sale, elle appelle à un sanitaire
contrôle d’urgence. Y sont pêlemêles trop de
choses : usés cartons, cuvettes de pains,
ustensiles de cuisine, vieux vêtements etc.
C’est l’embouteillage. C’est impossible de se
frayer un chemin sans donner une gifle ou un
coup de pied au passage. La poussière erre
sur les meubles, les toiles d’araignées dans
les aisselles des murs. Les murs suent de
chaleur, d’l’huile, de blanc et jaune d’œufs.
Je m’enfonce dans la cuisine. Il y a un autre
compartiment encore en travaux. C’est un
dépôt de boissons. Je jette un prompt coup
d’œil ; s’y établit des appareils de
congélation. Comme c’est d’usage, il fait
extrêmement chaud dans cette cuisine. Au
cœur du plafond, vainement, tournent à plein
régime des poussiéreux brasseurs. Ils brassent
plus de chaleur que de vent. Les œufs,
lamelles de saucissons, les ingrédients et les
pains, pleurent de douleur dans des poêles et
formes de fours ; chauffés à forte
température. J’y suis comme dans un
crématoire four. Plus j’y reste plus je me
torture de saveurs. J’ai, à l’instant, envie de
me taper le luxe d’avaler le plus coûteux des
paninis. Je fais semblant d’enfouir mes mains
dans mes vides poches. Les employés
transpirent, versent des gouttes de corporelle
pluie. Certains ne portent pas de tabliers,
s’essuient les mains sur leurs vêtements ;
d’autres en portent de très sales. Ça manque
d’hygiène. Il y a de quoi crier à un scandale,
à une alimentaire intoxication. Je reste calme
et serein. J’observe. Plus je le fais, je perds
l’appétit. Je constate autre chose. Il y a des
invendus paninis qui font la sieste dans une
énorme cuvette. Ils datent d’hier. Leurs
ingrédients ne sentent pas la rose ; les pains
sont pleins d’humidité. Plus j’observe les
employés, ça me choque qu’ils utilisent ces
pains, les réchauffent, puis mettent de
nouveaux ingrédients. Dans certains, on
garde les mêmes, les réchauffent et se joue le
tour. Ça me glace le cœur. J’en ai l’estomac
aux vomissures. Clairement, c’est quelques
fois mieux d’ignorer ce qui se cache derrière
les choses qu’on apprécie ; mais j’ai peur de
ne pas oublier ce que je vois, ce que je sais
dorénavant. Cet établissement, suite à un
contrôle d’hygiène, mérite de fermer, de
payer des taxes ; ses employés méritent la
prison. Les cuisiniers s’emploient à la tâche ;
sans remords. Ils apprêtent les stocks de
paninis. Ils savent que dans quelque temps,
les clients vont défiler. Je transpire
énormément dans cette cuisine. Il m’est
temps d’en sortir. On se prend un sabbatique
moment. C’est soudain que sous pas, faiblisse
le sol. Lourd de fatigue, je m’étale sur la
terrasse ; dans le creux d’un fauteuil. Je peux
me payer le luxe de m’assoupir un peu.
Quelle audace ! Alors que je ne suis même
pas chez-moi. J’y avale des tasses d’air, tue le
temps. Il est pâle et envahissant ; vrai ou
faux, pour être honnête, je ne sais pas. J’ai la
tête ici et là, partout et ailleurs. C’est encore
timide chez le Ouagalais. Jusque-là, se font
toujours attendre les premières expressions
des clients : Les habitués et ceux de
circonstance. Je commence à m’enivrer,
d’esprit ou de ce que je vois, peu m’importe.
Les minutes, à pas d'escargot s’égrènent.
C’est hallucinant la vitesse à laquelle fuit le
temps. Comme moi, il doit certainement se
prélasser, ou se bronzer au bord d’une
jamaïcaine plage. Je m’en inquiète. Je
souhaite qu’il marche à pas de géants. Il y a
des yeux qui passent et me regardent. Leurs
regards me parlent, me disent être un sans-
abri. Ça m’en a tout l’air. Je pousse un ouf de
soulagement quand la terrasse, timidement
épouse quelques visages. Les clients
s’alternent. Ça crée des mouvements. La
majorité des visages qui y sont, sont ceux de
l’université. Ils en portent l’uniforme. Ce
n’est pas encore l’heure de la pause, mais
pour ceux-ci, les magistraux cours sont déjà
en désuétude ; peuvent aller valser, danser sur
du rap américain. Ils s’installent, prennent
leurs quartiers. Ils prennent possession de
l’endroit. Ils ne vont pas de mortes mains. Ils
n’y sont pas des figurants. Ils ont leurs
habitudes, les employés du coin le savent. Pas
besoin d’user de la parole, quelques
claquements de doigts leur suffisent à passer
leurs commandes. Ils jettent çà et là leurs sacs
à dos. A les y voir en uniformes, je me dis
que cet endroit doit fermer. Il pousse ses
jeunes du côté sombre de la vie. Certains
changent complètement de vêtements. Cela
signifie que ce soir de samanche leur sera
torride.
6

Çà est. Je me fascine à voir l’insolent rythme


avec lequel des myriades d’alcoolisées
bouteilles et des seaux de joints s’installent
dans leurs gorges et poumons. Ils ont des
postures, des allures de friquées personnes.
Ce n'est pas de la fanfaronnade, ils ont du
cash à dépenser. C’est incroyable de voir la
banque qu’ils tiennent entre les doigts. A
Mboka, même les fonctionnaires ne
dépensent pas autant. Je les jalouse avec
abus, mais c’est la vie. Les pantalons des
garçons rasent leurs dures fesses. Quant aux
demoiselles, elles me sont plus intéressantes à
admirer. Qu’elles soient belles ou pas, leurs
affolantes corporelles courbes parlent pour
elles. Avec cela, on leur pardonne le reste.
Leurs fessiers muscles sont en évidence. Ils
bougent dans de démoniaques déchirements
de corps. C’est difficile d’en rester
indifférent. Ce spectacle, décourageant ou
intéressant, m’est intense. Je m’en captive. Il
y a de la culture à aller chercher. L’ambiance
sur cette terrasse est encore à son prélude.
Heureusement, cela ne dure pas longtemps.
Le coin commence à pulluler d’autres clients.
Cette ambiance prend des allures de
guindaille. Les gens boivent sans mesure, à
manger à satiété etc. On s’y partage des
hectares de discussions et de moqueries. Je
m’en nourris. Tout cela, me frappe au
cerveau. J’ai l’impression que tous ces
visages me dévisagent, qu’ils me
goguenardent. J’ai les nerfs tendus et la
rancœur dans le ventre. Peut-être que je leur
suis plein d’aigreur, ou peut-être pas. C’est
un peu honteux de croiser leurs regards. En
fait, cela l’est à l’extrême. Pour me donner un
air suffisant et confiant, continuellement je
change de positions. Je bouge un peu,
m’étire, prends un ciel d’assurance. Je fais
des grimaces, semblant de fouiller mes
longues et vides poches de pièces de
monnaie, de billets de banque. Dans mon for
intérieur, je sais que ce cirque ne me sera pas
sempiternel. Bizarrement, je manque de
confort. Plus encore, j’enfonce mon dos dans
le creux de ce fauteuil. L’éponge est une
merveille, elle est d’une douceur à
m’assoiffer de sains plaisirs. Je croise les
jambes dans une attitude d’homme au
financier et garni portefeuille de mirobolantes
sommes d’argent. Là, à cet instant, je vois ma
vie qui défile. Elle manque de couleur. Des
coins de mes yeux, je vois ma laide
carrosserie. Elle se meurt tous les jours ;
tellement je peine à la nourrir en carburant.
J’ai l’intime conviction qu’elle ne voudra pas
démarrer quand j’aurai des envies de départ.
Elle a même des difficultés à s’accointer avec
les autres engins qui la jouxtent. Elle, c’est
une city48; il lui est impossible de batifoler
avec une Rato49. Quelle vie de merde !
J’attends, non, j’espère que dans quelques
minutes je pourrai parler de football avec
Sam Boukadji. Je sais qu’ici, c’est son
48
Marque de motos.
49
Marque de motos.
domicile. Ça m’étonne qu’il ne soit là.
Quelques fois, je me demande s’il ne cherche
pas du travail. Il semble être oiseux. Pendant
que Sam Boukadji traîne, peine à montrer son
vieux visage, les premiers clients assis sur la
terrasse s’obstinent à me regarder. Là, avec
moi-même, je me dis qu’il faut que je fasse
quelque-chose. Je dois taire ces insistants
regards en faisant commande d’un panini. Je
me persuade qu’ils me prétendent ou
m’affirment miséreux. Si c’est le cas, en
tenant compte de ma posture, ils ont torts
d’avoir raison. Quand je sais que les quelques
trous d’abris de mes vêtements ne
transportent aucune somme d’argent, je
phosphore pendant de légères minutes. Je me
décide enfin. C’est soudain. Je fais un
soubresaut pour me diriger vers la cuisine. Là
encore, je me remplis d’hésitations. A voir
comment travaillent les employés du coin, à
connaitre l’insalubre état dans lequel se
trouve cette cuisine, à savoir comment se
préparent les paninis, je fais du surplace. Je
veux me rassoir, mais je risque de passer pour
un rigolo. À l’instant même, je sens le poids
d’une démoniaque main marcher sur les
kilomètres de ma droite épaule. Je bats la
chamade. Chaud, mon cœur n’a pas le temps
de mourir dans mon estomac. Je me retourne
timidement. C’est le Koro Sam Boukadji. Il
vient de me servir un plat de frayeurs. Ça
mérite une insulte. Faute à l’instant de me
souvenir d’une bonne en Moré, il vient d’en
faire une belle échappée. Lui et moi
échangeons quelques voyelles et consonnes.
Elles se nourrissent de salutations, de prises
de nouvelles et de quelques bêtises. Dans cet
oral élan, le Koro m’offre des paninis et non
alcoolisées boissons. Il me vient comme un
bon samaritain. Il s’en offre aussi. C’est
surprenant, c’est la première fois qu’il me
serve cette action de donner. Je me dis qu’il
vient de gagner un ticket de loterie. Ce geste
m’est à fêter jusqu’à l’aube. Ça ne lui
ressemble pas. Il me dit que c’est par
gentillesse, pure bonté d’âme. Je ne le crois
pas. Ça doit être, en pesants souvenirs de
toutes mes actions de donner à son égard. Le
temps, désormais fille et file encore. Le Koro
vient de s’effacer de la terrasse, de supprimer
don visage de ma vue. Il doit être quelque
part Chez le Ouagalais, en train d’errer ou de
courtiser une demoiselle. Plein ventre, je
pense que quelque chose va bientôt prendre
vie ici. Peut-être ou pas, je me fais
certainement un mauvais burkinabè film.
Quelque chose retient mon attention. C’est
bizarre d’avoir loupé cela. C’est nouveau. Je
remarque cela parce que je vois des gens là-
bas. C’est un cafédrome.50 Il se marie à la
devanture, jouxte l’accès fait de vitres : où les
clients passent leurs commandes. C’est un
ensemble de murets entre lesquels on vend du
café et du thé. On peut y ajouter des tranches
de citron et des graines de tamarin. Le
vendeur, j’ignore comment le qualifier ; peut-
être vendeur de café. Comme tous les gens
d’ici, il a la foncé peau. Surprenant encore,
c’est le marchand de pop-corn. Je le vois qui
s’installe proche des barrières en fer qui
limitent la terrasse. C’est un jeune homme, en
fait il est très jeune. Il m’intrigue à
suffisance. Il devrait être sur un banc d’école.
Un moment, ça me fait gamberger. L’odeur
de sa marchandise me donne le cœur à
l’achat ; mais comme on dit à Mboka

50
Néologisme. Lieu de vente de café et de thé.
« Mpiaka ».51 Je le vois qui s’applique à la
tâche. Il sucre trop son produit. Ce n’est pas
bon pour la santé. Jusqu’ici, globalement,
l’ambiance qui règne chez le Ouagalais me
déçoit fortement. Elle n’est pas à son zénith.
Trop de minutes, d’heures passent à vide.
Sans m’en rendre compte, j’ai déjà jeté aux
oubliettes la seconde moitié de la mi-journée.
C’est la fin des magistraux cours à
l’université. Comme des insectes qui
pullulent, des esclaves en liberté, en quelques
secondes les étudiants prennent l’endroit
d’assaut. C’est désormais la folie. On n’y
contrôle plus rien. Les estudiantins fêtards y
sont pour évacuer le stress. Au fur, les
rejoignent d’autres clients : les habitués et
ceux de passage. Chez le Ouagalais, il n’y a
plus de places ; pas même des centimètres
d’espace. Heureusement, mon corps baigne
toujours dans ce fauteuil. Les employés ont le
tournis, ne cessent de parcourir des
kilomètres d’allers-retours. Les clients
pressent leurs commandes. L’ambiance prend
une folle tournure. Entre cris, musiques,
51
Manque d’argent (Tiré du lingala, langue parlée au
Congo-Brazzaville)
danses et discussions, je peine à supporter
l’enfer de chaleur qui s’y dégage. Cela
m’empêche de respirer. Je n’en peux plus.
Me jouxtent, un jardin de grosses paires de
seins et de fesses. Elles me frottent de
brutaux mouvements. Cela m’éveille certains
sens, oui ceux de l’esprit. L’atmosphère
m’est trop pesante, donc je me lève du
fauteuil. J’essaie de me frayer un chemin
entre tous ces corps. Alors que j’en suis à
l’essai, un mélange d’attraits physiques me
fait des appels de phares et prend repos sur le
fauteuil. Il tente de m’enivrer de charme, me
demande de lui tenir compagnie. Il y a un
monde de sensualité en lui. Je veux faire un
signe de croix, comme pour me libérer d’un
démon. Un moment, je n’arrive pas à avancer
dans cet embouteillage de corps ; avant de
finalement carapater loin de Sodome et
Gomorrhe. Loin de cet épais tohu-bohu, je
me mets devant le marchand de pop-corn. Là,
on peut adosser aux barrières en fer, des
chaises ; et faire et avoir les yeux fixés sur le
rond-point. C’est ce que je fais. Là, c’est
mieux ; l’air est frais. Il y a beaucoup de gens
tout autour. L’ambiance est moins
oppressante. J’invite mes oreilles à
s’immiscer dans certaines conversations. Ça
parle d’alarme, de politiques situations. Ce
sont des hectares de plaintes sur les déliées
langues des quelques rares personnes non
ivres. Ils tournent autour de coups d’état. Je
les eus vécus. Ce fut difficile d’en connaitre
les vraies raisons ; trop de gens allaient de
leurs arguments. Ces événements,
contrairement à ce que relayèrent les
étrangers médias, ne mirent ni le pays en feu
ni en ébullition. Il eut eu de vagues
populaires agitations. Furent, quelques
interdits mis en œuvre : Couvre-feu etc. Le
premier coup d’Etat dans ce Ouest Africain
pays, fut très frappant. Il eut sonné comme le
prélude d’un populaire ras-le-bol. Le
présidentiel palais, se situait sous les
réverbères de la capitale. Il n’y avait pas de
rassemblements de manifestants devant le
palais. On n’avait pas brandi des pancartes,
crié des slogans pour appeler à la démission
du président de la République. Constituant
l’un des forts symboles du pouvoir, ne fut pas
le présidentiel palais, au cours d’un ordinaire
jour, à l’oculaire et à l’écoute de la bascule
du pouvoir. Ce ne fut même pas le propre du
bouche à oreille. Il n’eut pas eu besoin de
nourrir, d’enfler les rumeurs. Toute l’étendue
du national territoire fut en alerte. Elle se fut
un matin, réveillé à l’oculaire d’un officiel
communiqué de quelques protagonistes de la
force publique. Ceux-ci, annoncèrent la
destitution du président de la République. Les
raisons ou les causes, étaient à prendre selon
les dires. On racontait à la suite de cette
déclaration dans les couloirs du national
territoire, que fussent mécontents, les
militaires, de la gestion du pays. On affirmait
aussi qu’ils remissent en cause la capacité du
chef de l’Etat, à éteindre les situations
d’urgence qui déchirassent le social tissu.
Vivait à cette époque le pays,
perpétuellement, le drame des tueries de
masses, les nationaux deuils, la misère des
populations etc. Ce n'était pas suffisant d’en
savoir les causes ou les raisons, c’était aussi
important d’en connaitre le déroulement. A
ce sujet, on donnait aussi myriades
d’explications. On affirmait sur quasiment
toutes les lèvres que ce fût dans la nuit qui
précédât la déclaration des membres de la
publique force. La capitale n’avait pas, en
cette vespérale période, résonné le bruit des
bottes des militaires. Les chiens, chats,
oiseaux dans le ciel, tout comme le pays,
n’avaient aucune urgence. Le président de la
République fut la victime d’un coup de
maitre. Il n’avait pas su que se préparât à son
insu un militaire putsch. L’assaut, lui fut
soudain. Quelques fugaces échanges de tirs
avaient en amont alimenté les débats
d’autorité entre sa rapprochée garde et les
putschistes. Dans le jargon des gens de
Mboka, on dirait que ce fût un vite-fait.
Toutes ces révélations, envahissaient
l’étonnement des gens ici et prenaient
d’assaut leurs échanges. Chacun allait de son
commentaire. Les médias s’emparèrent de
l’affaire et l’affaire suivit son cours. Fut un
militaire, l’établi leader à la tête du pays.
Quelques vagues mois lui suffirent pour être
contesté. Il eut succombé aux morsures des
vipères qui sommeillaient dans les chambres
du pouvoir. Il se fut promptement déguisé en
homme de médias. Il sillonnait désormais les
pays du monde, partageait les festins aux
tables des grandes nations ; avait aux
oubliettes, jeté le moribond état de la nation.
Après ces vagues mois, fut un autre militaire
putsch orchestré. Les initiateurs du premier
putsch renversèrent le régime qu’ils
installassent. Cela se fut fait, pratiquement
dans les mêmes conditions. Je ne sus quoi en
dire, quoi en penser. Ce fut comme sur une
théâtrale scène ; navigant entre le drame et
l’absurde. Chez le Ouagalais, le temps
devient de plus en plus foncé ; mais je décide
de prolonger ce premier chapitre de
samanche. Je suis aux heures aux cours
desquelles cet endroit abrite la juvénile
homosexualité. Ici, elle est comme chez elle.
Elle prend ses aises, ses quartiers, sans
contraintes. C’est impossible de lui interdire
l’accès. Elle vient d’arriver. Elle traverse mes
yeux et souhaite me faire du charme. Je veux
mettre la colère sur mes mots et actes. Cela
m’est sale, répugnant et très révoltant. C’est
une vaste communauté de jeunes filles et
garçons. Je lui donne moins de vingt-cinq
années d’âge. Plusieurs étudiants de
l’université en font partie. Ces jeunes
viennent de s’installer, ils s’amusent ; c’est la
folie. Je ne m’empêche pas de leur attacher
de persistants regards. Ils se touchent partout,
se mangent les corps ; cet endroit commence
à ressembler à une close maison. Les corps de
certaines demoiselles portent la masculinité.
Ils sont durs. Elles ont de masculines
démarches, de rauques voies, des attitudes de
play-boys. Elles n’attirent pas, ne donnent
pas des envies à assouvir ; je parle pour moi.
Mais étonnement, elles attirent d’autres
demoiselles. Elles ont de plates fesses en
béton, des poitrines en ciment. C’est dingue.
Quant aux garçons, c’est une autre paire ; un
autre degré de conneries. Je pense que c’est le
plus bas niveau de leur émancipation. Ça me
fume52 de les voir aussi bas : efféminés, rouge
à lèvres etc. Certains sont même plus
flexibles que les demoiselles. J’ingurgite des
valises de salive, je respire des cieux de
bouffées d’airs, j’étire quelques muscles, et je
leur détourne mes yeux un instant. Chez le
Ouagalais, beaucoup d’observateurs leur
servent de sombres et étonnants regards.
Leurs lèvres murmurent, décortiquent la vie
qu’ils mènent. Certains leurs promettent la
haine, la misère. Cette communauté vit des
52
Jargon. Irriter.
pluies d’immoralités, sans vivre des fleuves
de luxe. C’est absurde. Elle a quelques gros
billets de banque à dépenser, mais rien de
démesuré. D’après la poudre qui se répand,
ces jeunes seraient les partenaires de
politicards, d’hommes d’influence, d’artistes
de ce pays ; assoiffé par l’anal etc. Ces jeunes
sont une communauté de libres esprits. Ils se
libèrent des chaînes de la conformité ; ce qui
leur permet d'explorer l’authenticité de leur
identité. Je me dis, même si je désapprouve,
qu’ils ont l’avantage de se montrer sans gêne
dans une société qui ne les tolère pas. C’est
dur d’être homosexuel. Je pense et je n’ose
pas imaginer leur manière de vivre, de
supporter les jugements et la désapprobation.
Pourtant, je les vois qui se pavanent. C’est
une façon de ne pas plier devant la sociale
pression. Là, je me souviens d’un fait
d’autan. Ce fut pendant une période de
surveillance d’examens ; à l’université. Alors
qu’un jour je fus entre mes quatre murs, me
fit un étudiant, une téléphonique approche. Je
reçus des pages de messages. Ce dernier ne
fût pas allé de mortes mains. A cette période,
je pratiquais encore la musculation. Dans son
approche, il eut jeté des fleurs à ma méthode
de surveillance, à la cuirasse de mon
physique et plus encore. Cela, sur le coup, ne
m’eut pas donné le cafard. Par contre, la suite
m’envoya dans un enfer de nervosité. On ne
put faire plus clair qu’une eau de roche dans
ses écrits. Il me voulait en mouvements de
va-et-vient, en parties de jambes plus qu’en
l’air. Il voulait parader avec moi.
L'atmosphère de ces vespérales heures vibre
de plus en plus. La présence de cette
homosexualité a ouvert ciel ajoute une
particulière ambiance chez le Ouagalais.
Certains clients prennent cela avec
philosophie, ensemble ils se tapent des barres
de rires et se plaisent à faire guindaille. Dans
le cœur de cet endroit les liens qui se nouent
pèsent plus lourds que les conventions
sociales. Ils naviguent avec courage à travers
les eaux parfois tumultueuses de l'acceptation
de soi. Il faut que je rejoigne mes quatre
murs. L’ambiance ici, est à son zénith ; mais
je commence à fatiguer. Je jouxte à nouveau
la devanture du coin. Il y a une foule de gens.
Là, pêlemêle, il y a une mosquée d’engins à
deux roues. C’est comme ça tous les jours de
week-end. J’ai le cœur de faire des courses.
Ces roues forment un rempart, bloquent le
passage. Je vois entre elles, les miennes qui
suffoquent. Avec peine je parviens à les y
dégager, pied sur la pédale de démarrage, je
me heurte à un familier quartier de visages. Je
lui distribue des invitations de salutations. Au
final, je décide de lever le pied de la pédale.
Cet engin peut publiquement me jouer un
amer tour. Je le pousse sur plusieurs mètres.
Derrière moi soufflent de familières voix ;
elles m’appellent. Je perçois dans de leurs
gorges, des valises de railleries mordantes et
insultantes qui ne demandent qu’à sortir. Je
me convaincs qu’elles souhaitent m’asseoir
une outrée moquerie. Elles savent mes deux
roues moribondes. Je ne m’arrête pas, les
gueules de ces loups sont énormes. Ces voix
insistent, mais je les envoie valser sur une
musique de silence. De longs mètres de
distance plus tard, le coin s’efface de mes
yeux. Je remets le pied sur la pédale. Mon
engin prend vie à la première tentative. C’est
incroyable. À l’instant, je me dis qu’il aurait
peut-être fallu que je le démarrasse chez le
Ouagalais ; mais bon ! Promptement, j’arrive
devant l’université et son parking. La voie est
pleine de lumière. De là, je roule jusqu’au
pont. Là par contre, c’est noir ; c’est obscur.
Je ralentis. J’hésite un moment. Tout autour,
je vois comme d’étranges choses. Un autre
engin arrive derrière, me dépasse et traverse
le pont. Impossible d’éclairer la voie.
Aveugle mon engin, comme lui à l’aveugle,
je traverse le pont. Rien ne se passe, et c’est
tant mieux. A la descente du pont, l’engin
m’écrit une lettre. Il a une très mauvaise
écriture. Il m’exprime son mécontentement
d’avoir la gorge sèche. Le carburateur est
vide. C’est dingue, je dois la pousser à
nouveau ; mais cette fois-ci, jusque dans
l’immeuble. Je me mets à la tâche. Il y a des
mares d’eau et des excréments d’animaux qui
traînent sur la face du sol. Mes pieds s’y
baignent. Je m’en agace en vain. Pas après
pas, mitigés sentiments au cours du trajet, j’ai
le mental, les pieds et les mollets d’un
athlète. Je repasse devant le grin, les habitués
sont là. Je m’y arrête un instant. Je leur tiens
des moments de conversations. Ils profitent
pour me prendre en moquerie ; n’épargnent
pas ma moto. Ils me chambrent avec le
Benga. Finalement, je poursuis mon chemin.
J’arrive enfin devant l’immeuble. Il y a mes
voisins qui papotent. Un moment, je papote
avec eux, puis je m’éclipse dans la forêt de
ma solitude. En montant les marches de
l’escalier, j’y vois comme un allongé corps.
J’avance et c’est un errant chien. Il est plein
de courage. Il se croit chez lui, bouge sa
queue ; il se croit en train de boire du
champagne. Il mouette, je crois même qu’il
porte la contagion d’une dangereuse maladie.
Je lui sers un festin de douleurs avec mes
orteils. Le voilà prompt à carapater en
chantant des mélodies de désespoir. Mes
voisins s’en choquent, mais se gardent de me
dire leurs pensées. Il est dix-neuf heures à ma
montre, je viens de rentrer chez-moi. Le
samedi prochain, si tout va bien, à nouveau,
j’irai « Chez le Ouagalais »

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