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Sauvagerie

Diplomatique
L'assassinat de Jamal Khashoggi
raconté par les journalistes
qui ont révélé le crime
des Saoudiens au monde entier
«Connaissez-vous un autre cas où
un escadron de la mort composé de
15 membres s'est rendu dans un
autre pays à bord d'un jet privé
enregistré auprès d'une compagnie
aérienne détenue par le
gouvernement –avec leurs véritables
papiers d'identité, rien que ça!– et
qui est rentré au bercail après avoir
tué et démembré une personne en
moins de deux heures?
Avez-vous entendu parler d'un
consulat devenu une scène de
crime?»
Ferhat Ünlü
Abdourrahman Şimşek
Nazif Karaman

Sauvagerie
Diplomatique
l'assassinat de Jamal Khashoggi raconté
par les journalistes qui ont révélé le crime
des Saoudiens au monde entier
Traduction Élisabeth Thomas

Le jardin des Livres


Paris
Retrouvez tous les livres et vidéos youtube sur
www.lejardindeslivres.fr
1700 pages en ligne

Le jardin des Livres © 2020 pour la traduction française

Éditions Le jardin des Livres ®


14 Rue de Naples — Paris 75008
Diplomatik Vahset © 2020 Turkuvaz Kitap, Istanbul

Toute reproduction, même partielle par quelque procédé que ce soit, est
interdite sans autorisation préalable. Une copie par Xérographie,
photographie, support magnétique, électronique ou autre constitue une
contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 et du 3
juillet 1995, sur la protection des droits d'auteur.
On entend Mohammed al-Otaibi, le
consul d'Arabie Saoudite, dire aux
assassins:

- Ne faites pas ça ici, autrement


j'aurai des ennuis...

Réponse:
- Ferme-la, si tu veux vivre à ton
retour en Arabie Saoudite.

Les 15 membres de l'escadron de la


mort saoudien ont rempli leur
mission funeste et sont retournés dans
leur pays.
Cependant, avant de quitter la
Turquie, ils ont laissé leurs
empreintes digitales un peu partout à
Istanbul – si bien que les services de
renseignements du MIT et les forces
de l'ordre turcs auraient dit, sur le
ton de la plaisanterie, que les
Saoudiens «auraient tout aussi bien
pu laisser leurs cartes de visite».
À la mémoire
de Jamal Khashoggi
Jamal Khashoggi,
qui a déclaré au monde
que Mohammed ben Salmane
avait privé la société saoudienne
d'oxygène, a perdu la vie dans le
consulat de ce pays avec un
sac en plastique sur la tête.

Après sa mort, les meurtriers


ont drainé son sang et
l'ont coupé en petits morceaux.
Table of Contents
Préface
Partie 1
1-Jamal Khashoggi les dernières 24 heures
2-Coup de foudre main dans la main au bureau des mariages
3- Les lourds secrets derrière le meurtre
4-Des mystérieux assassinats par les services secrets
PARTIE 2
5-L'enregistrement Audio
6-Ou se trouve le corps de Kashoggi
7-La diplomatie juridique de la Turquie
PARTIE 3
9-Les opérations secrètes de la Tigre Team
10-Le dilemme de Trump
PARTIE 4
11-La doublure
12-A la résidence consulaire, cinq sacs se volatilisent
13-Les liens secrets du chef de station
14-Preuves génétiques
15-La politique de la Turquie vis à vis du Prince Ben Salmane
16-Les cellules dormantes de la Tiger Team
17-Assassinats planifiés par des agences de renseignement en Turquie
18-La déconstruction d'une scène de crime
19-Les trois composantes du meurtre de Khashoggi
PARTIE 5
20-Le projet secret de Jamal Khashoggi
21-La carrière de Jamal Khashoggi
22- Les plaques d'identification de l'escadron de la mort
23-Qui est Mohammed Ben Salmane
Postface
~ Préface ~

Ce livre comporte 6 chapitres reposant sur la règle d'or du journalisme –


le principe QQOQCCP. Le premier, qui se focalise sur le "quoi", retrace le
déroulement du meurtre de Khashoggi tout en évoquant certains détails qui
n'étaient pas disponibles auparavant. Le second, qui porte sur le "où",
examine la nature sans précédent du crime - le fait qu'il ait été commis dans
une mission diplomatique - afin d'en analyser les causes et les conséquences
sur le plan diplomatique. Ce chapitre renferme des informations sur les
enregistrements audio, que le monde entier a recherchés.

Ensuite nous présentons une chronologie des événements et répondons à


la question "quand" pour déterminer si l'assassinat de Jamal Khashoggi, qui
a eu lieu à un moment où l'équilibre stratégique du pouvoir basculait et où
divers pays se livraient à des conflits asymétriques et formaient des
alliances asymétriques, revêt une signification particulière.

Quant aux chapitres suivants, ils se focalisent sur le "pourquoi" et le


"qui". De toute évidence, même la réponse la plus élaborée à la question du
"pourquoi" - qui est la partie la plus importante de cette méthode, et par
conséquent, la question à laquelle de nombreux journalistes tentent encore
de répondre - ne rend pas compte du ciblage, du meurtre et de la disparition
d'un journaliste dans des conditions aussi barbares.

Bien entendu, nous nous sommes efforcés d'expliquer pourquoi les


assassins ont décidé de tuer Khashoggi en Turquie sur la base des
informations et des conclusions dont nous disposions. Nous nous sommes
appuyés sur les informations et les contenus exclusifs que nous avons pu
obtenir de sources gouvernementales fiables et de documents librement
consultables pour répondre à cette question du mieux que nous le pouvons.

En plus des médias turcs, les sources ouvertes que nous avons
répertoriées comprenaient les principaux journaux et chaînes de télévision
américains, dont le Washington Post, pour lequel Khashoggi était
chroniqueur, le New York Times, CNN et ABC, des organismes
britanniques tels que The Guardian, The Times et la BBC, la chaîne de
télévision qatarienne Al Jazeera et d'autres médias internationaux. Au fil de
nos recherches pour ce livre, nous avons répertorié 899 articles et des
articles d'opinion du Washington Post, 567 articles et essais d'opinion du
New York Times, 212 articles et essais du Guardian, 237 articles et opinions
du Wall Street Journal, 213 articles et opinions de USA Today, 101 articles
et essais d'opinion du New York Daily News, 78 articles et essais de The
Independent et 90 articles de la BBC. Nous avons intégré dans les notes de
bas de page les quelques 1000+ sources que nous avons analysées.

Le "qui", dernière partie du principe QQOQCCP, est ce qui a rendu le


meurtre de Jamal Khashoggi « populaire » et intéressant. Les antécédents
personnels de la victime, y compris sa carrière de journaliste expérimenté et
réputé, et les origines de sa famille - les Khashoggis sont une famille
saoudienne éminente originaire de Kayseri, en Turquie - ont accru l'intérêt
de l'histoire pour les médias. Par ailleurs, le meurtre de Khashoggi ne se
résume pas à une simple histoire criminelle, mais constitue un véritable
incident dont les implications sur la diplomatie et le renseignement sont
complexes - ce qui nourrit encore plus fortement l'attention des médias.

Le fait que l'on ignore toujours où se trouve le corps de la victime - ce


qui veut dire que les éléments criminels de ce qui s'est passé n'ont pas
encore été complètement découverts - explique son importance persistante
aux yeux des forces de l'ordre. Le fait que le meurtre ait eu lieu à l'intérieur
d'un consulat et que cet incident puisse affecter les relations entre les États-
Unis, la Turquie et l'Arabie Saoudite donne une idée des répercussions
diplomatiques de la mort de Khashoggi - qui ne cesse de devenir de plus en
plus complexe.

Dans la mesure où l'incident s'est produit dans une mission


diplomatique, il ne peut qu'avoir des conséquences diplomatiques au niveau
mondial - ce dont nous avons été témoins au cours des deux derniers mois.
D'où notre décision, lorsqu'il a fallu donner un titre à ce livre, d'opter pour
l'oxymore « sauvagerie diplomatique ». Il va de soi que les mots
"diplomatie" et "sauvagerie/violence" ne peuvent aller de pair en raison de
leur nature même. Comme l'a si bien écrit Henry Kissinger dans son livre
éponyme, La diplomatie est un art né des expériences et des efforts qui
reflètent l'équilibre des pouvoirs entre les puissances de la guerre et celles
de la paix au XXe siècle.

Dans son livre, Kissinger parle de la diplomatie en se référant à des


incidents spécifiques qui se sont produits après la Première et la Deuxième
Guerre mondiale. La diplomatie est l'art de se battre sans faire la guerre. En
d'autres termes, c'est l'art d'obtenir des résultats sans recourir à la violence.
En ce sens, la violence et la sauvagerie sont intrinsèquement opposées à la
diplomatie. Pourtant, les Saoudiens ont écrit une histoire, dont on n'a jamais
entendu de semblable, qui nous a donné de nombreuses raisons de combiner
les mots "diplomatie" et "sauvagerie". C'est pourquoi nous avons choisi ce
titre pour notre livre.

Enfin, le fait que l'Escadron de la mort, comportait des fonctionnaires


dotés de compétences spéciales, et que le meurtre a été commis dans le
cadre d'une opération secrète est un indice de son lien avec le
renseignement. L'affaire Khashoggi est une histoire d'espions
extraordinaire, dans laquelle sont impliqués d'une façon ou d'une autre le
MIT turc, les services de renseignement intérieurs et extérieurs saoudiens,
la CIA, le British Secret Intelligence Service, le service canadien du
renseignement de sécurité, le service russe du renseignement extérieur, le
BND allemand, la DGSE française et même le Mossad.

Ces services de renseignement se sont parfois concurrencés pour lever le


mystère du meurtre de Khashoggi et, à différents moments, ont uni leurs
forces sous l'égide de la Turquie. Les développements nous ont obligés, en
tant que membres de la section "renseignements spéciaux" du journal
Sabah, à approfondir le sujet et finalement à écrire ce livre. Il apporte des
réponses aux 10 questions suivantes :

1- Qui a ordonné le coup sur Jamal Khashoggi? Pourquoi a-t-il été tué?
2- Comment le meurtre a-t-il été planifié? Que s'est-il passé au consulat
saoudien dans les 7 minutes et 30 secondes où Khashoggi a perdu la vie?
3- Qui a mené l'opération sur le terrain?
4- De quelle manière le corps de Khashoggi a-t-il été démembré et a
disparu?
5- Quels outils ont été utilisés pour commettre le crime et démembrer le
corps? Quelles étaient les « armes de cryptage » utilisées pour
l'assassinat?
6- Que contiennent les enregistrements audio qui prouvent que c'est
l'escadron de la mort saoudien qui a commis le meurtre? De quoi ont
discuté les directeurs des services secrets au siège de l'Organisation
nationale du renseignement?
7- Comment les agents des services de renseignement saoudiens ont-ils
détruit les traces du meurtre?
8- Quelles sont les compétences professionnelles des 15 membres du
commando saoudien?
9- Qui sont les trois inconnus, qui ont joué un rôle dans cet assassinat, et
quelles sont leurs spécialités?
10- Où pourrait se trouver la dépouille de Khashoggi?

Nous tenons à remercier Damla Kaya, Serkan Bayraktar et Sema Dalgıç


du journal Sabah, qui ont travaillé sur les étapes préparatoires, ainsi que nos
jeunes collègues Mustafa Batuhan Gür et Beyza Kartal, deux étudiants
brillants de l'Université de Koç qui ont contribué à l'indexation des sources
étrangères.

Dans cet article du 6 août 2020, le Daily Mail, sous la plume d'Ariel
Zilber, révèle que 15 jours après l'assassinat à Istanbul du journaliste du
Washington Post, le prince régnant saoudien avait également envoyé une
équipe de tueurs professionnels pour assassiner l'ancien directeur général
des services de renseignements d'Arabie Saoudite Saad Aljabri !

Saad Aljabri avait quitté son pays en 2017 à la suite de la prise du


pouvoir par le prince Ben Salmane et vivait en toute légalité à Toronto,
ayant de bons contacts avec le Canada et surtout la CIA. Coup de chance
pour lui, les services canadiens avaient repéré les espions saoudiens dès leur
arrivée, et ont réussi, en effectuant des recoupements avec d'autres arrivées
de Saoudiens à l'aéroport, à empêcher le plan voulu par le prince Ben
Salmane de se dérouler.
Pour se venger, le prince Ben Salmane a demandé à ce que le frère de
Saad Aljabri soit arrêté à Riyadh et jeté en prison, alors qu'il avait déjà ses
deux enfants (majeurs) en otage dont on n'a aucune nouvelle encore
aujourd'hui.

Le Globe and Mail d'Ottawa du 6 juillet 2020 a été le premier à


rapporter l'incident via Robert Fife et Steven Chase:
www.theglobeandmail.com/politics/article-saudis-press-canada-to-end-
refuge-for-ex-intelligence-officer/ -

Lire le Daily Mail: www.dailymail.co.uk/news/article-8601593/Saudi-


Crown-Prince-sent-hit-men-Canada-assassinate-spy-arrested-children.html
~ Partie I ~
Quis - Qui

"Au revoir" dit l'homme mourant


au miroir qu'ils tiennent devant lui.
"On ne se verra plus l'un l'autre"
Paul Valéry
~1~
Jamal Khashoggi
les dernières 24 heures

Le voyage éternel de la victime

La voix vibrante de l'Imam Ali Tos, qui dirigeait une prière funèbre in
absentia, peut-être pour la première fois de sa vie, résonnait autour de la
mosquée Diyanet Center of America dans l'État du Maryland aux États-
Unis:

- Accordez-vous votre bénédiction au défunt?


- Nous l'accordons !
- Accordez-vous votre bénédiction au défunt?
- Nous l'accordons !
- Accordez-vous votre bénédiction au défunt?
- Nous l'accordons !

La réponse de la congrégation à la question, que l'imam a posée trois fois


selon le rituel, allait être entendue non seulement dans le Maryland mais
aussi à Istanbul, La Mecque, Londres, Paris, Islamabad et en bien d'autres
endroits. La prière funèbre, pendant laquelle les musulmans ne s'inclinent ni
ne se prosternent et qui se clôt par le qiyam et le takbeer, est un rituel
destiné à dire adieu à ceux qui sont entrés dans l'au-delà – un acte
d'adoration avant leur dernier voyage.

L'homme, pour lequel la congrégation a tenu un service funèbre en


l'absence de corps est Jamal Khashoggi, le chroniqueur du Washington Post
qui a été tué à l'intérieur du consulat général d'Arabie Saoudite le 2 octobre
2018, et ce, en violation flagrante de la foi islamique, des principes des
religions abrahamiques et de toutes les valeurs humaines. Des milliers de
personnes, qui récitaient la prière funèbre des absents, auraient salué les
Anges en entendant le quatrième takbeer et porté sur leurs épaules le
cercueil renfermant même une infime partie de la dépouille jusqu'au lieu de
l'enterrement si on avait retrouvé ne serait-ce qu'une partie.

Dans ce cas particulier, cependant, il n'y avait pas de cercueil sur l'autel.
Il n'y avait donc pas non plus de lieu de sépulture. photo DR

Le vendredi 16 novembre, une autre prière funèbre pour les absents a eu


lieu à la mosquée Fatih d'Istanbul, lieu de décès de Khashoggi. Parmi les
participants figuraient Yasin Aktay, ami proche du défunt, le conseiller du
président du Parti de la justice et du développement, Ahmet Hamdi Çamlı,
le parlementaire Cahit Altunay maire de Sultanbeyli et le président de
l'Association turco-arabe des médias Turan Kışlakçı, ainsi que des amis de
Jamal Khashoggi et d'autres personnes qui ne le connaissent pas et ne
connaissaient probablement pas son nom avant sa disparition. Ceux qui ne
connaissaient pas Khashoggi lui ont accordé leur bénédiction – encore une
fois, dans le respect du rituel.
Jamal Ahmed Hamza Khashoggi, décédé 11 jours avant son 60e
anniversaire, était un homme du signe de la Balance né le 13 octobre
1958[1]. De toute évidence, il ignorait qu'il allait mourir le mois même de sa
naissance. Pourtant, il souhaitait être enterré à la Mecque, sa ville natale.
Compte tenu des circonstances atroces de son meurtre, il est bien peu
probable que son souhait puisse un jour se réaliser. Pourtant, tous, à
commencer par ses amis et ses proches qui ont assisté à ses funérailles,
conviennent que le souhait de Khashoggi en tant que personne et en tant
musulman doit à tout le moins être réalisé.

À L'AÉROPORT DE ATATÜRK LE JOUR DE SON DÉCÈS

Avant de partir pour son voyage éternel, le journaliste saoudien Jamal


Khashoggi a effectué son dernier déplacement de Londres à Istanbul. C'était
un beau matin d'octobre à Istanbul. En descendant de son avion qui avait
quitté Londres pour atterrir à l'aéroport de Atatürk à 3h50 du matin,
Khashoggi s'est dirigé vers le comptoir de contrôle des passeports réservé
aux ressortissants étrangers. Il était fiancé à Hatice Cengiz, une citoyenne
turque née le 18 juillet 1982 et domiciliée à Davutkadı près du comté de
Yıldırım, à Bursa (sud d'Istambul, sur la rive asiatique). Dans la mesure où
ils n'étaient pas encore officiellement mariés, Khashoggi n'avait pas encore
de passeport turc.

Khashoggi a franchi le contrôle des passeports à 4h06 précises.

Deux minutes plus tard, il s'est dirigé vers le contrôle douanier avec un
seul bagage. À 4h09 du matin, il a quitté le hall d'arrivée. Deux minutes
plus tard, il a pris un taxi jaune jusqu'à son appartement dans le quartier de
Topkapı[2]. Khashoggi l'avait acheté le 25 septembre, soit tout juste une
semaine avant son assassinat. Situé à l'intérieur du Kale, un lotissement
sécurisé à l'intérieur de l'Avrupa Konutları (Europe Résidences) cet
appartement était le foyer qu'il espérait partager avec Hatice Cengiz après
leur mariage.

Pourtant, ce projet ne devait jamais se concrétiser. L'appartement qu'ils


envisageaient d'occuper en tant que couple marié après avoir obtenu une
preuve officielle de son état civil du consulat saoudien d'Istanbul
deviendrait le lieu de travail d'une équipe policière d'enquête après le
meurtre[3]. Khashoggi était arrivé chez lui à 4h40 du matin.
À 4h56, sa fiancée Hatice Cengiz l'a rejoint munie d'un sac de
provisions[4]. Dans l'appartement, ils ont conversé pendant un moment puis
ont passé en revue les démarches pour leur mariage et ont naturellement
évoqué leurs rêves.

L'ÉQUIPE MYSTÈRE DE L'AVIATION GÉNÉRALE

Vers la même heure, 23 minutes seulement après le départ de Khashoggi


de l'aéroport de Atatürk, il se fit un mouvement dans le terminal de
l'aviation générale. Une équipe de 9 personnes a pénétré dans le hall des
Arrivées après avoir débarqué d'un jet privé, immatriculé HZ-SK2, et qui
avait quitté Riyad environ 3h30 auparavant. L'avion était enregistré au nom
de Sky Prime Aviation, une société détenue par le gouvernement saoudien.
Les agents saoudiens ignoraient alors que les services de renseignement et
de police turcs les soumettraient à une forme de surveillance électronique
rétroactive[5].

Cette surveillance, cependant, n'a pas eu lieu en temps réel – ce qui,


selon le jargon policier, ne permet pas de surprendre les criminels en
flagrant délit. La raison pour laquelle ils se sont rendus à Istanbul et ce
qu'ils y ont fait ne devint clair qu'après l'incident. Le Millî İstihbarat
Teşkilatı (Organisation Nationale du Renseignement, plus connue comme
MIT) et la police turque ont rembobiné la bande après les faits, et décodé ce
qui s'est passé – à l'exception de l'endroit où se trouvait le corps.

Les membres les plus éminents de l'escadron de la mort qui a été envoyé
en Turquie ce matin-là étaient Maher Abdulaziz Mutreb et Salah
Muhammed al-Tubaigny. Ce dernier, al-Tubaigny, âgé de 47 ans, était à
la tête de l'Institut médico-légal d'Arabie Saoudite. Sa mission
consistait à faire disparaître le corps et détruire toutes les preuves du
consulat saoudien.

Mutreb, également âgé de 47 ans, était connu pour avoir accompagné le


prince héritier Mohammed Ben Salmane, dit MBS, lors de ses voyages
internationaux. Général ayant autrefois travaillé à l'ambassade saoudienne
au Royaume-Uni, il a été le membre principal de l'équipe. Lorsque Mutreb
est arrivé à Istanbul avec son équipe, il avait une réservation jusqu'au 5
octobre dans un hôtel situé à quelques centaines de mètres du consulat
saoudien dans le quartier de Levent. Il a pourtant quitté cet hôtel le jour
même.

Maher Abdulaziz Mutreb, garde du corps en chef et principal confident du prince Mohammed Ben Salmane. Il est le
premier à arriver avec le médecin légiste. © MSNBC Screen Capture
Salah Muhammed al-Tubaigny, médecin légiste du ministère de l'intérieur saoudien, se présentant comme l'as du
découpage et président de l'institut Médico-Légal. DR
Ci-dessous, le Gulfstream G-450 KZSK2 de la compagnie SkyPrime qui a servi a amener une partie des tueurs
saoudiens.
Image: www.skyprimeav.com

Les images de vidéosurveillance ont révélé que tous les membres de


l'équipe se trouvaient dans différents quartiers d'Istanbul le 2 octobre. Nous
pensons qu'avant de quitter Riyad à bord d'un jet privé, l'équipe d'espions
saoudiens connaissait le jour du départ de Jamal Khashoggi de Londres
pour Istanbul, mais nous ne disposons d'aucune séquence vidéo ni d'une
quelconque preuve pour étayer cette affirmation. Les Saoudiens savaient
que Khashoggi figurait parmi les conférenciers dans le cadre de l'événement
Oslo At 25 - A Legacy of Broken Promises[6] qui se tenait à Londres en
présence d'anciens ministres, ambassadeurs et parlementaires. Ils savaient
également qu'il avait condamné le traitement de la question palestinienne
par l'Arabie Saoudite. Les services de renseignements saoudiens avaient
planifié à l'avance ce qui se passerait en temps et en heure, et ce dans les
moindres détails.

Pourtant, un détail crucial leur a échappé: la police et les services secrets


turcs allaient remonter leurs pas dans le temps et découvrir les raisons
exactes de leur venue à Istanbul – et ce qu'ils y avaient fait exactement.

UN THRILLER SAOUDIEN

L'équipe saoudienne a élaboré un plan mûrement réfléchi, qui a tourné


au scandale le 28 septembre, du fait de la vigilance de la Turquie. Les
événements qui ont précédé l'assassinat de Jamal Khashoggi le 2 octobre
ont commencé par une visite inopinée du journaliste au consulat saoudien à
Istanbul après avoir quitté, le 28 septembre, l'officier d'état civil à Fatih, en
tenant sa fiancée par la main: lors de sa première visite au consulat,
Khashoggi avait fait la demande d'un document officiel indiquant qu'il
pourrait célébrer son mariage en Turquie.

Le consulat lui a demandé de revenir le 2 octobre. Khashoggi a passé les


quatre jours suivants à Londres. Les hommes, qui étaient arrivés plus tôt le
même jour au terminal de l'aviation générale de l'aéroport de Atatürk,
appartenaient à un escadron de la mort qui assassinerait Khashoggi de sang-
froid. Alors que l'escadron de la mort saoudien foulait le sol turc,
Khashoggi, lui, se trouvait toujours à l'aéroport de Atatürk. En d'autres
termes, il était au même endroit au même moment que ses bourreaux – les
membres de l'équipe qui l'a exécuté au sein du consulat d'Arabie Saoudite à
peine neuf heures plus tard.
L'équipe avait prévu à l'avance la manière exacte dont ils allaient
l'exécuter et se débarrasser de son corps. Ils étaient bien décidés à respecter
ce plan. Des caméras de vidéosurveillance à l'aéroport ont filmé leurs
regards impassibles, comme s'ils étaient des robots se préparant à exécuter
des instructions, comme s'ils étaient guidés par une télécommande. Ils
étaient comme des soldats de l'enfer, des tueurs à gages transformés en
mutants par un virus mortel jusqu'alors inconnu du monde. S'ils n'avaient
pas été dans cet état, ils n'auraient pas pu commettre l'un des meurtres les
plus horribles de l'histoire.

Les journalistes aiment utiliser une expression pour expliquer comment


ils déterminent la "valeur" d'un reportage: "C'est une info quand un homme
mord un chien, pas l'inverse." Cette phrase résume bien pourquoi le meurtre
de Jamal Khashoggi, dont tout le monde parle depuis des mois, a retenu
l'attention du public. L'assassinat de Khashoggi symbolise cet homme qui
mord le chien en termes de diplomatie, d'intelligence et du respect de la loi.
Après tout, aucun incident de ce genre n'avait jamais été enregistré dans
l'histoire de la diplomatie, du renseignement ou du maintien de l'ordre
jusqu'à ce jour.

Connaissez-vous un autre cas où un escadron de la mort composé de 15


membres s'est rendu dans un autre pays à bord d'un jet privé enregistré
auprès d'une compagnie aérienne détenue par le gouvernement – avec leurs
véritables papiers d'identité, rien que ça ! – et est rentré au bercail après
avoir tué et démembré une personne en moins de deux heures? Avez-vous
entendu parler d'un consulat devenu une scène de crime? Le meurtre de
Khashoggi est un événement inédit depuis l'invention de la littérature
mystérieuse par Edgar Allan Poe, et nous ne connaissons rien de tel, ni dans
les œuvres de John Le Carré, Frederick Forsyth et autres grands maîtres du
thriller espion ni dans Diplomacy, de Henry Kissinger qui retrace l'histoire
diplomatique du XXe siècle.

Le meurtre de Khashoggi représente une sorte de brutalité


idiosyncrasique inégalée par les romans policiers. Le seul lien connu entre
la fiction policière et le crime réel est sans doute Meurtre sur l'Orient
Express, que l'écrivain britannique Agatha Christie, une légende du roman
mystère, a écrit à l'hôtel Pera Palace à Istanbul en 1933. Beaucoup pensent
que le véritable meurtrier, source d'inspiration du livre, n'a jamais été
arrêté[7].

Si Khashoggi n'avait pas été victime d'un crime si atroce, même selon les
critères des livres policiers, et conduit vivant dans un autre lieu, les
Saoudiens auraient cédé aux fortes pressions internationales et l'auraient
rapatrié en secret – même s'ils l'avaient emmené à Riyad. D'ailleurs, ils
auraient aussi pu le ramener brutalement. Après tout, l'information que
notre journal Sabah a diffusée et que plusieurs médias internationaux, dont
le New York Times et le Washington Post, ont relayé, révèle que tous les
membres de l'escadron de la mort saoudien ont été identifiés publiquement.

Aucun autre meurtre dans l'histoire n'a été aussi remarquable en matière
criminelle, aussi dédaigneux des règles des services de renseignement et
aussi dépourvu d'éthique diplomatique.

À ce titre, l'affaire Khashoggi a été un piètre thriller criminel saoudien.


1-Selon son passeport, la date de naissance officielle de Jamal Khashoggi est le 22 janvier
1958. Sa fiancée a toutefois indiqué aux auteurs de ce livre que Khashoggi est en fait né le
13 octobre 1958. >>>

2- Les auteurs ont fourni un compte rendu détaillé des mouvements de Khashoggi à
l'aéroport sur la base des images de vidéosurveillance qu'ils ont obtenues. >>>

3- La police a pénétré dans l'appartement grâce à l'aide d'un serrurier et a cherché des
preuves pendant trois heures. Ils ont trouvé l'ADN de Khashoggi. Celui-ci avait laissé des
traces sur certains objets de l'appartement, où il était arrivé quelques heures avant son
assassinat. >>>

4-D'après les images de vidéosurveillance. >>>

5-Le processus est décrit par les auteurs comme «surveillance électronique». >>>

6- Oslo 25: un héritage de promesses non tenues. >>>

7-125 Unknown Facts About Agatha Christie, CNN Türk Online, 21 octobre 2015. >>>
~2~
Coup de foudre
Main dans la main
au bureau des mariages

Jamal Khashoggi s'est rendu au consulat saoudien situé au 6, rue Camlik,


à Istanbul dans le quartier du 4 Levent, le 28 septembre – quatre jours avant
sa mort le 2 octobre. Plus tôt dans la journée, il s'était rendu chez l'officier
de l'état civil du quartier de Fatih en tenant la main de sa fiancée, mais on
lui avait signifié qu'il lui fallait un document attestant de son statut de
célibataire. En d'autres termes, Khashoggi a dû se rendre sur le lieu de sa
mort pour obtenir une "preuve de célibat". Conscients de ses besoins, les
Saoudiens lui ont demandé de revenir le 2 octobre à 13h.

C'est au cours de ces quatre jours de battement qu'ils ont organisé le


meurtre de Khashoggi. Nous verrons plus loin où se trouvaient les 18
membres de l'équipe, impliqués directement ou indirectement dans le
meurtre, et comment ils se sont entraînés pour leur mission. Intéressons-
nous d'abord à l'emplacement de Khashoggi et à ce qu'il faisait.

Les jours qui se sont écoulés entre la première visite de Khashoggi au


consulat et son assassinat sont cruciaux[1]. Nous devons cependant remonter
jusqu'aux prémices du coup de foudre qui a conduit Khashoggi à se rendre
au consulat pour obtenir des documents de mariage – le jour où il a
rencontré Hatice Cengiz, sa fiancée et une diplômée du lycée Imam Hatip, à
Bursa. Elle se présente comme une érudite des États du Golfe souhaitant se
familiariser avec cette partie du monde. À cette fin, elle a assisté, du 4 au 6
mai 2018, à une conférence dans laquelle Khashoggi a pris la parole. Le 26
octobre, Cengiz a raconté les circonstances de sa rencontre lors d'une
interview avec la chaîne de télévision turque Habertürk:
Je suivais M. Jamal de très près. Bien que la région du Golfe
n'attire pas beaucoup d'attention, je pensais qu'il était
primordial de connaître cette partie du monde. Mon travail
m'amène à assister à de nombreuses conférences – en
particulier sur la région du Golfe. C'est ainsi que j'ai rencontré
M. Jamal. Je voulais le rencontrer. Beaucoup de questions me
trottaient dans l'esprit au sujet de l'Arabie Saoudite. Notre
conversation a évolué à partir de là. M. Jamal était bien connu
en Europe et ailleurs dans le monde, mais pas en [Turquie].

Après notre première rencontre, je lui ai annoncé que je


souhaitais publier mon entretien avec lui et que j'espérais
l'approfondir. Il a proposé que l'on se rencontre la prochaine
fois qu'il serait à Istanbul. Il est ensuite venu en Turquie et nous
nous sommes vus. C'était une réunion rapide, car nos emplois
du temps étaient très chargés ce jour-là. C'est à ce moment-là
que notre relation a commencé. La plupart des questions, peut-
être 70 % d'entre elles, étaient personnelles. Le suivi a montré
qu'il s'agissait effectivement d'une réunion privée. De retour aux
États-Unis, il m'a dit qu'il désirait me voir. C'est ainsi que notre
relation est née[2].

LE JOURNALISTE QUI A DEMANDÉ


LA BÉNÉDICTION À LA FAMILLE.

C'est Turan Kışlakçı, l'un des amis les plus proches de Khashoggi et le
président de l'Association des journalistes turco-arabes, qui a demandé au
père de Hatice Cengiz sa bénédiction pour le mariage de sa fille avec Jamal
Khashoggi. Quand Khashoggi a croisé les jambes lors de la rencontre avec
la famille de Hatice, c'est Kışlakçı qui l'a admonesté en arabe pour qu'il
décroise les jambes. Originaire de la province d'Erzurum, dans l'est de la
Turquie, la famille Cengiz habitait à Fatih dans la capitale Istanbul.

Le père de Hatice tenait un café dans le quartier de Fatih. Lors d'une


interview avec les auteurs de ce livre, Kışlakçı a décrit la présentation de
Khashoggi à Hatice Cengiz comme suit:
Après leur rencontre à la conférence de mai, Hatice Cengiz a
accompagné Khashoggi à un événement musical auquel il avait pour
habitude d'assister les vendredis. C'est ainsi qu'ils se sont rapprochés en
premier lieu. L'événement consistait en des concerts de musique
religieuse. Je crois que c'était le 3 août.
Khashoggi m'a appelé fin août ou début septembre.
- Turan, je veux te confier quelque chose, il a dit.
- Je vais épouser une Turque.

Je lui ai fait part de ma surprise et lui ai demandé qui c'était.


- Tu la connais déjà. Tu te souviens de Hatice, que j'ai amené à
l'événement musical ce soir-là? C'est elle.
Je lui ai demandé comment c'était arrivé.
- Je te raconterai tout une fois sur place, mais j'ai une faveur à te
demander: pourrais-tu demander la bénédiction de son père en mon
nom?
Je lui ai répondu que je serais heureux de rendre visite au père de
Hatice si elle était d'accord. Il s'est réjoui:
- Vas-y, Turan!
J'ai dit à Hatice Cengiz que je souhaitais parler à son père. Elle m'a
donné son numéro de téléphone, mais elle m'a averti que son père était
"un Anatolien, alors parle-lui en connaissance de cause."
Son père m'a demandé mon avis. Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter de la
différence d'âge:
- Je suis contre ce genre de choses. Si une femme et un homme
s'aiment, les parents n'ont pas le droit d'intervenir. La seule chose à
prendre en compte, c'est ce que vous pouvez faire pour la protéger. Votre
fille est une personne raisonnable et cet homme est assez mûr.
Il m'a répondu qu'il ne demandait rien pour lui-même, mais qu'il
voulait le meilleur pour sa fille. Je ne veux pas entrer dans les détails.
Ces choses se sont produites à la mi-septembre – environ une semaine
avant sa première visite au consulat, le 28 septembre.
Finalement, j'ai dit au père de Hatice que je souhaitais me retirer et lui
ai recommandé de laisser sa fille et Jamal s'occuper du reste. "Ne nous
mêlons pas de leurs affaires," dis-je. Jamal a ensuite acheté
l'appartement aux Résidences Europe à Topkapi.
Kışlakçı nous a ajouté qu'il a communiqué avec Jamal Khashoggi par
téléphone une seule fois entre le 28 septembre et le 2 octobre:

Il était à Londres pour assister à une conférence. J'étais très occupé et


nous ne pouvions pas discuter plus en détail. Nous avons parlé au
téléphone une fois pendant son séjour à Londres. Je l'ai appelé et lui ai
demandé où il se trouvait. Il m'a dit qu'il était avec des amis turcs au
Sharq Forum et m'a invité à les rejoindre. Je lui ai dit que je ne pouvais
pas venir. Je ne savais pas qu'il avait voyagé deux fois à Londres.

DE L'OFFICIER DE L'ETAT CIVIL AU CONSULAT

Le 28 septembre, Khashoggi était arrivé à Istanbul de Londres tôt le


matin, comme il l'avait fait le jour de son assassinat. Son image a été
capturée à 4h07 du matin par une caméra de vidéosurveillance au comptoir
de contrôle des passeports. Il portait un pull jaune.

Le fait qu'il ait passé le contrôle des passeports à peu près à la même
heure que le 2 octobre indique qu'il a pris deux fois le même vol au départ
de Londres. Le 28 septembre, Khashoggi a pris un taxi jaune de l'aéroport
de Atatürk vers son appartement de Topkapi. Il a rencontré sa fiancée,
Hatice Cengiz, le matin et ils se sont rendus à la mairie du quartier de Fatih
pour les formalités de mariage. D'après les images vidéo obtenues par les
auteurs, Khashoggi et Cengiz sont entrés dans l'immeuble, main dans la
main, à 9h20.

Le couple s'est assis en face d'un fonctionnaire de l'officier de l'état civil.


Dans les 5 minutes qui ont suivi, ils ont obtenu des renseignements et reçu
une liste de pièces officielles à fournir pour finaliser leur dossier de
candidature. Hatice Cengiz a récupéré le dossier et s'est levée de sa chaise.
Khashoggi et sa fiancée ont parcouru le document qu'ils avaient reçu du
fonctionnaire.
Cengiz a sorti un autre papier de son portefeuille et l'a montré à l'agent
municipal. Ils ont ensuite discuté. À 9h28, le couple a quitté le
fonctionnaire et s'est brièvement entretenu à l'extérieur. Ils ont décidé de se
rendre directement au consulat saoudien, où Khashoggi devait obtenir une
attestation de sa situation maritale. Le couple a pris un taxi à 9h32 de Fatih
pour se rendre au consulat d'Arabie Saoudite situé dans le district du 4
Levent. photo DR

La circulation était fluide et ils sont arrivés à leur destination en une


demi-heure. Jamal Khashoggi a confié ses téléphones portables à Hatice
Cengiz, comme au jour de son assassinat, et a pénétré dans l'immeuble.
Selon sa fiancée, le journaliste était quelque peu préoccupé à l'époque.
Pourtant, il a quitté le consulat le sourire aux lèvres une heure et demie plus
tard. À son retour, il a raconté à Hatice Cengiz que le personnel consulaire
avait été curieusement amical et il a ajouté:
- Ils m'ont dit que le document sera prêt dans quelques jours et qu'ils
m'appelleront".

Les raisons de son inquiétude avant sa visite au consulat le 28 septembre


seront analysées plus en détail dans les sections pertinentes de ce livre.
Voici la version courte: Khashoggi était éditorialiste au Washington Post,
dans lequel il avait dirigé des critiques contre le gouvernement de l'Arabie
Saoudite. Il ne visait pas le roi Salman lui-même, mais le prince héritier
Muhammed Ben Salmane, qui se présentait comme un réformiste mais avait
recours, pour réprimer la dissidence, à des méthodes totalitaires, y compris
le meurtre. Lors d'événements publics, Khashoggi a également critiqué
l'administration saoudienne. Bien qu'il ne soit pas lui-même un dissident,
Khashoggi, journaliste autrefois proche de l'establishment saoudien, a
utilisé un langage incontestablement critique dans ses déclarations sur
l'Arabie Saoudite. Bien qu'elles lui ont signifié avoir besoin de quelques
jours pour préparer les documents officiels, les autorités saoudiennes
planifiaient en fait son assassinat, conformément aux ordres de Riyad.
Khashoggi passera les quatre jours suivants à Londres, où il assistera à une
conférence. Son vol pour Londres était prévu trois heures plus tard. Il a
donc pris un autre taxi pour se rendre à l'aéroport de Atatürk, accompagné
de sa fiancée, Hatice Cengiz.

LE DERNIER PETIT-DÉJEUNER

Quatre jours plus tard, à son retour de Londres, Jamal Khashoggi et sa


fiancée se sont vus tôt le matin dans leur appartement de Topkapi. Ils sont
sortis pour prendre le petit déjeuner et ont choisi un café proche. Au petit
déjeuner, Hatice Cengiz a dit à son fiancé qu'elle entendait l'accompagner
au consulat saoudien. Khashoggi a alors appelé le consulat pour vérifier que
ses papiers étaient bien prêts. Un fonctionnaire consulaire lui a demandé
d'attendre leur appel. Dès réception de l'appel de Khashoggi, les Saoudiens
ont probablement vérifié – plutôt que l'état d'avancement du dossier du
chroniqueur du Washington Post – si l'escadron de la mort était prêt à partir.
Après s'être assurés que les tueurs avaient terminé leurs préparatifs,
l'officier a appelé Khashoggi pour lui dire que ses papiers seraient
disponibles à 13h. Selon les images filmées, le couple est retourné dans leur
appartement aux Résidences Europe à 12h27 et en est ressorti 15 minutes
plus tard. La police a reçu ces images de la part de l'administration de
l'immeuble lorsque l'équipe chargée de l'enquête s'est rendue à
l'appartement pour recueillir des éléments de preuve. À 12h43, Khashoggi
et Cengiz ont quitté leur appartement pour la dernière fois.

À 13h, ils avaient parcouru la distance de 11 kilomètres qui sépare la


résidence privée du consulat saoudien. Khashoggi a confié ses deux iPhones
à Hatice Cengiz. Ils ont parlé brièvement près de la barricade de police qui
entourait le consulat saoudien. Pour la dernière fois, Khashoggi a regardé sa
fiancée dans les yeux et lui a demandé de l'attendre. Ce serait la dernière
chose qu'il lui dirait. Dans une interview accordée à la rubrique Unité de
Renseignement Spécial du journal Sabah, elle a décrit les contacts de
Khashoggi avec les autorités saoudiennes en ces termes:

Le 28 septembre, M. Jamal et moi nous sommes retrouvés chez


l'officier de l'état civil à Fatih. Nous avons appris qu'il nous fallait nous
rendre au consulat pour nous procurer les documents nécessaires. Jamal
était inquiet. Il se demandait si un problème allait survenir.
Bien au contraire, le personnel consulaire était en apparence
hospitalier et sympathique. D'ailleurs, certains fonctionnaires l'ont
abordé pour lui demander s'il allait bien. [Jamal] fut agréablement
surpris. Quand il m'a raconté son expérience, il était très heureux. Ainsi,
il n'avait aucun soupçon lorsqu'il s'est présenté à son deuxième rendez-
vous, le 2 octobre. Si j'avais su qu'il était inquiet, je l'aurais absolument
empêché d'y aller.
Le matin du 2 octobre, M. Jamal et moi avons déjeuné. Il voulait se
rendre au consulat et récupérer les documents qu'il avait préalablement
sollicités. Lorsque nous sommes allés au consulat, M. Jamal m'a remis
ses portables, comme il l'avait fait la première fois, et il est entré
immédiatement. Sur le chemin du consulat, nous avons parlé de nos
plans après le retrait de ses papiers. Nous allions faire un tour dans les
magasins pour acheter quelques objets pour notre appartement. Plus
tard dans la journée, nous allions rencontrer nos amis et nos proches
pour le dîner afin d'annoncer la date prévue pour notre cérémonie de
mariage.
Je l'ai attendu patiemment et avec optimisme jusqu'à 16 heures. En
fait, je me suis rendue dans un supermarché près du consulat, j'ai acheté
un journal et l'ai lu. J'ai acheté du chocolat et de l'eau afin de les offrir à
Jamal quand il sortirait. Comme il n'est plus ressorti du consulat, j'ai
appelé mon ami le plus proche et lui ai demandé de me rejoindre
immédiatement. J'ai appelé Yasin Aktay, un vieil ami de Jamal, et Turan
Kışlakçı. Finalement, j'ai appelé quelques-uns des amis arabes de Jamal
que je savais proches de lui.
À 16 h, mon attente étrange a cédé la place à une grande inquiétude
puis à la peur. Je me suis dirigée vers le consulat. D'abord, j'ai essayé
d'obtenir des informations des gardes de sécurité. Lorsque j'ai échoué,
j'ai appelé le consulat et j'ai avisé le fonctionnaire que M. Jamal était
entré dans l'immeuble et n'en était pas sorti. L'agent a raccroché le
téléphone, est venu me voir pour me dire qu'il n'y avait plus personne à
l'intérieur du bâtiment. Tout le monde était parti, m'a-t-il dit. À ce
moment-là, j'ai senti mon univers s'assombrir. Ma tête s'est mise à
tourner à tel point que je pouvais à peine rester debout.
Cela fait 11 jours que M. Jamal a disparu. Le [13 octobre] était son
anniversaire. Il est peu de choses pires que de devoir faire des
déclarations publiques sur la dernière fois que j'ai vu l'homme dont
j'avais organisé l'anniversaire. La tristesse, la déception, la colère,
l'incertitude et la peur m'ont tuée mille fois ces 11 derniers jours. Au
début, j'y suis retournée, pensant qu'ils avaient soumis Jamal à un
interrogatoire de routine et pouvaient le relâcher à tout moment. J'ai
attendu devant le consulat jusqu'au bout de la nuit. Puis le sentiment que
des événements dissimulés se déroulaient devenait de plus en plus
pressant.
Il est inadmissible pour moi et pour le gouvernement de mon pays que
cet incident ait pu se produire chez nous et que certains aient essayé
d'envoyer un message en notre nom. Dans le cadre d'une enquête
officielle, le bureau du procureur a examiné tous les éléments de preuve
et tous les détails susceptibles d'éclairer ce qui s'est passé. Notre pays
n'a pas fait de déclaration officielle parce que l'enquête est toujours en
cours. Lorsque je dis que j'ai attendu patiemment, la réalité, c'est que j'ai
vieilli de dix ans au cours des deux dernières semaines. Même s'il ne me
reste qu'une infime lueur d'espoir, j'attends toujours avec impatience le
retour de Jamal[3].

Lors d'une interview accordée le 26 octobre à Mehmet Akif Ersoy de


Habertürk, Hatice Cengiz a dévoilé des détails significatifs sur les
événements survenus entre le 28 septembre et le 2 octobre:

Nous voulions répartir notre temps entre les États-Unis et Istanbul. Il


disait que les commencements étaient importants, alors il avait acheté un
appartement à Istanbul. Il se rendait souvent en Turquie et adorait y
séjourner. Il était un ami proche du président. Il a participé à trois
événements, même s'il était initialement venu [en Turquie] pour le
mariage. Mon père nous a aussi demandé de vivre à Istanbul.
Nous avons commencé à préparer le mariage entre le 10 septembre et
le 2 octobre. Il avait d'autres projets en parallèle. Dès que ma famille
nous a donné sa bénédiction, nous avons entamé les préparatifs. La
procédure officielle a tendance à traîner un peu en longueur. Il a donc
acheté un appartement et nous avons commandé des meubles. On s'est
dit que l'on pourrait faire quelques avancées avant d'organiser la fête de
mariage. C'est ce que nous avons fait jusqu'au 2 octobre. Nous sommes
allés à la mairie pour demander officiellement un permis de mariage.
La raison de notre visite au consulat était que [Jamal] avait besoin
d'un document officiel indiquant qu'il n'était pas actuellement marié, afin
de pouvoir épouser une citoyenne turque. M. Jamal et moi sommes allés
à l'hôtel de ville de Fatih pour nous renseigner sur la façon de nous
procurer ce document.
J'avais dit à [Jamal] qu'il devait se rendre au consulat pour obtenir
ses papiers de mariage. Il craignait de rencontrer un problème au
consulat, mais il a décidé de se renseigner une fois arrivé [en Turquie].
Selon certaines rumeurs, il s'est rendu au consulat saoudien aux États-
Unis pour réclamer ce document, mais il a été refoulé et redirigé vers
[le consulat en] Turquie. Si tel était le cas, il me l'aurait dit.

L'INQUIÉTUDE INÉVITABLE LORS


DU PREMIER RENDEZ-VOUS

Plus tard dans la même interview, Hatice explique que Jamal Khashoggi
craignait de se rendre au consulat pour obtenir une "preuve de célibat".
- Il ne voulait pas que ses écrits provoquent des tensions au consulat. Il
redoutait d'être débouté, ajoute-t-elle, Il espérait de pas être obligé de
retourner [en Arabie Saoudite] ou soumis à un interrogatoire.

Il faut rappeler que Khashoggi était visiblement anxieux avant son


premier rendez-vous au consulat saoudien du 28 septembre. Elle poursuit:

[Jamal] croyait que la Turquie était un pays sûr et que [les autorités]
feraient la lumière sur l'incident relativement facilement si quelque chose
devait lui arriver. Il estimait que la Turquie était un acteur puissant sur la
scène internationale et que l'Arabie Saoudite ne prendrait pas le risque
d'attiser les tensions avec la Turquie.
Lorsque nous avons réalisé, chez l'officier de l'état civil, que nous ne
pouvions rien faire, nous nous sommes demandés s'il fallait tenter le
coup [auprès du consulat]. Je lui ai dit que je pouvais l'accompagner,
car nous étions ensemble et que nous faisions tout à deux pendant tout le
temps de la préparation du mariage. Son vol était à 14 heures ce jour-là.
Nous avons pris un taxi dans les parages et nous avons pris la direction
du consulat.
Une heure s'est écoulée après son entrée, et je me suis dit que s'il
venait à s'attarder encore 10 ou 15 minutes, il me faudrait aller le
chercher [au consulat], car il allait manquer son vol. Jamal est sorti à ce
moment-là. Il m'avait laissé ses téléphones portables. À ma
connaissance, il était censé les laisser [à l'entrée] du consulat, mais il
pensait peut-être qu'il était plus prudent de me les confier. Il était ravi.
Cela m'a rendu très heureuse. Il avait foulé le sol de son pays natal pour
la première fois depuis 18 mois.
Il m'a dit que les employés du consulat étaient très attentionnés, qu'ils
étaient venus l'accueillir et l'avaient très bien traité. Le personnel lui a
dit que le document serait prêt dans quelques jours. [Jamal] leur a
répondu qu'il avait un avion à prendre et souhaitait repartir. J'ai cru
comprendre qu'ils lui avaient demandé quand il serait de retour. Il leur a
dit qu'il reviendrait mardi. Ils ont répondu que le papier serait prêt d'ici
là. Nous avons quitté le consulat de bonne humeur et il s'est envolé pour
Londres. photo DR
Hatice Cengiz se souvient que le 2 octobre, au contraire, a été une
journée très éprouvante car son fiancé est entré au consulat saoudien et n'en
est jamais ressorti. Elle précise que l'accueil chaleureux du personnel
consulaire le 28 septembre a ravivé leur confiance et qu'ils ne s'attendaient
pas à ce que les choses tournent mal lors du deuxième rendez-vous:

Le 2 octobre a été une journée très, très éprouvante. Je ne comprends


toujours pas ce qui s'est passé et je ne peux pas non plus l'expliquer.
Quand je repense à cette journée, je me demande si quelque chose ne
nous a pas échappé ou si j'ai mal interprété certains détails. Il est revenu
de Londres. Nous avons fait des projets pour le reste de la journée. Je ne
savais pas qu'il comptait visiter le consulat saoudien dès son arrivée
mardi. Je devais aller en cours, mais je lui ai quand même demandé s'il
fallait que je l'accompagne au consulat. Il m'a dit qu'il irait avec un ami.
À ce moment-là, j'ai senti que je devais aller avec lui – que je ne
devais pas le laisser seul. Il a immédiatement appelé le personnel
consulaire et je crois que le fonctionnaire [saoudien] lui a dit qu'ils le
recontacteraient le plus tôt possible. Ils ont téléphoné un peu plus tard
pour lui annoncer qu'il pouvait venir à 13h. Nous avons pris un taxi pour
nous rendre au consulat. Son langage corporel ne laissait entrevoir
aucune inquiétude quant à cette deuxième visite.
Sachant que nous devions convenir d'une date pour notre mariage,
nous avons prévu de dîner ensemble. J'ai demandé à entrer avec lui au
consulat, mais [les Saoudiens] ont refusé. Nous connaissions la
procédure d'inscription depuis le premier rendez-vous, alors [Jamal] m'a
donné ses téléphones portables. Une longue attente s'en est suivie.
Lors d'un événement, M. Jamal avait attrapé la grippe et était tombé
malade. Il m'avait invitée à cet événement, et nous avons passé beaucoup
de temps à l'hôpital ce jour-là. Après notre sortie de l'hôpital, je lui ai
demandé ce que je devais faire si quelque chose venait à lui arriver [en
Turquie] où il n'avait ni famille ni amis. Je me demandais s'il pouvait me
recommander une personne à contacter dans ce cas. Cela s'est produit
quelques jours avant l'incident au consulat. Il m'a dit que je pouvais
appeler Yasin [Aktay], qu'il considérait comme un vieil ami: "C'est la
Turquie et tout ce qui se passe ici concerne les Turcs, donc Yasin est la
meilleure personne à contacter."
Que les choses soient biens claires, Jamal ne m'a pas dit d'appeler
Yasin Aktay si les choses tournaient mal au consulat. S'il m'avait
demandé de prendre des mesures précises, cela supposerait qu'il était
inquiet et que j'ai trop tardé à passer l'appel – que j'ai fait preuve
d'extrême négligence. Il n'a pas rechigné [à l'idée d'entrer dans le
consulat].
J'ai supposé que Jamal s'entretenait avec [le personnel consulaire]
qui se demandait probablement ce qu'il avait fait après avoir quitté son
pays natal. Je me suis dit qu'il y régnait une atmosphère amicale. Son
attitude m'a portée à le croire. Si j'avais pressenti que le consulat
saoudien complotait contre [Jamal], je me serais précipitée dans le
bâtiment. J'ai attendu longtemps. J'ai pensé: "Qu'ils discutent aussi
longtemps qu'ils le désirent, pourvu qu'ils lui donnent ses papiers." Je
n'ai pas pensé une seule seconde qu'il y avait un problème[4].

Jamal Khashoggi, dont la fiancée n'était pas inquiète et attendait son


retour avec impatience, ne reviendrait jamais. Car il avait été victime d'un
crime sans précédent. Un escadron de la mort, dont la plupart des membres
s'étaient rendus en Turquie à bord d'un jet privé, était responsable de ce
meurtre.
1- Le principal point de référence pour la reconstitution par les auteurs de cette période de
4 jours entre le 28 septembre et le 2 octobre est l'information que la fiancée de Khashoggi,
Hatice Cengiz, a partagée avec les auteurs et divers organismes de presse; en outre, les
informations selon lesquelles l'ami de Khashoggi et président de l'Association des médias
turco-arabes, Turan Kışlakçı, a été un élément essentiel pour notre compréhension de cette
période. Après tout, Kışlakçı était l'un des plus proches amis de Khashoggi. >>>

2-Transcription de l'entretien du 26 octobre 2018 avec Hatice Cengiz sur Habertürk. >>>

3- Damla Kaya,'Cemal Kaşıkçı'nın nişanlısı nişanlısı Hatice Cengiz: Birilerininin zalim


planlarına kurban oldum' [Hatice Cengiz, fiancée de Khashoggi: Je suis devenue la victime
des plans cruels de quelques individus], Sabah, 14 octobre 2018. >>>

4-Transcription de l'entretien du 26 octobre 2018 avec Hatice Cengiz sur Habertürk. >>>
~3~
Les lourds secrets
derrière le meurtre
Assassins à bord de jets privés

Le 8 octobre, soit 6 jours après le meurtre, il ne faisait aucun doute que


les assassins avaient déjà démembré le corps de Jamal Khashoggi et fait
évacuer sa dépouille dans un fourgon aux fenêtres teintées[1]. Toutefois, le 10
octobre, notre journal Sabah a annoncé que des représentants du
gouvernement saoudien étaient responsables de la mort de Khashoggi.
L'article présentait des informations importantes sur l'arrivée des 15
membres de l'escadron de la mort qui ont tué le chroniqueur du Washington
Post. Voici l'histoire décrite à ce moment là par les auteurs de ce livre:

Sabah révèle le moment et l'avion à bord duquel les mystérieux


individus, dont les autorités soupçonnent l'implication dans la disparition
et la mort de Jamal le mardi 2 octobre, sont arrivés au consulat d'Arabie
Saoudite à Istanbul.
Le 2 octobre, deux jets d'affaires Gulfstream IV ont décollé de la
capitale saoudienne Riyad et se sont posés à l'aéroport Atatürk – l'un
avant et l'autre après que Khashoggi est entré dans le consulat général.
Les autorités ont établi que les deux avions appartenaient à Sky Prime
Aviation, une compagnie basée à Riyad et collaborant depuis de
nombreuses années avec le gouvernement saoudien. Selon le manifeste de
vol obtenu par Sabah, le premier jet transportait 9 passagers et le second 6
passagers. Au total, 7 membres d'équipage ont servi à bord de ces vols.

D'après les informations recueillies par l'unité spéciale de renseignement


de Sabah auprès de sources dignes de confiance, l'avion portant
l'immatriculation HZ SK2 a atterri à l'aéroport de Atatürk à 3h15 du matin,
quelques heures avant que Khashoggi ne se présente au consulat et se rende
en taxi au terminal de l'aviation générale. (ci-dessous le HZ
SK1). photo DR

UN AVION S'EST ENVOLÉ POUR LE CAIRE, L'AUTRE POUR


DUBAÏ

Un autre jet immatriculé HZ SK1 (ci-dessus) est arrivé à l'aéroport de


Atatürk à 17h 15 et a été transporté au terminal de l'aviation générale. Ce vol
a décollé à 18h 30 et s'est rendu au Caire en Égypte. Compte tenu des
relations étroites entre l'administration égyptienne de l'auteur du coup d'État
[Abdel Fattah] al-Sisi et le gouvernement de Mohammed Ben Salmane, la
destination de l'avion a de quoi surprendre.
Le jet privé immatriculé HZ SK2, qui était le premier à arriver, a quitté
l'aéroport de Atatürk à 22h 45 pour atterrir à Dubaï [International] à 2h 48
du matin[2]. Il s'est ensuite dirigé vers Riyad. Le fait que l'avion se soit
envolé pour Dubaï, d'où l'associé de Salmane, Mohammed Dahlan,
commandite les opérations anti-Turquie, suscite aussi des interrogations.
Selon certaines sources, l'avion s'est envolé de Dubaï pour Riyad. Selon
l'équipe spéciale qui supervise l'enquête [turque], ces détails prouvent que
les 15 membres de l'escadron de la mort avaient l'intention de tuer
Khashoggi au départ.

Les autorités ont établi que les agents à bord du premier jet avec le
numéro d'immatriculation HZ SK2 sont descendus dans un hôtel près du
consulat général d'Arabie Saoudite le 2 octobre et se sont rendus au consulat
après y avoir déposé leurs bagages. Bien que leurs chambres aient été
réservées jusqu'au 5 octobre, ils ont récupéré leurs bagages et sont partis à
bord de ce jet le jour même. Les autres agents, qui sont arrivés [à Atatürk]
sur des vols commerciaux, se sont rendus au consulat [saoudien] le matin et
sont retournés à l'aéroport après le meurtre.

L'équipe (turque) chargée de l'enquête spéciale sur l'affaire Khashoggi a


visionné des images de vidéosurveillance à proximité de l'hôtel et a
également inspecté les véhicules qui sont entrés ou sortis du consulat après
la disparition de Khashoggi. Des images enregistrées par les caméras ont
révélé que, le jour de l'incident, certains de ces véhicules dotés de plaques
diplomatiques sont entrés puis ressortis de la résidence du consul général
Mohammed al-Otaiba, située à quelque 300 mètres. Enfin, les autorités ont
établi que le personnel turc de la résidence consulaire a été brusquement
sommé de prendre un congé le 2 octobre.

Nous avons également appris que les deux jets ont bénéficié de services
au sol, comme le stationnement, le nettoyage, le transport des passagers, le
carburant et les services de restauration, de la part de B Aviation Limited.
Selon certaines sources, la brigade d'enquête spéciale formée par la Turquie
pour enquêter sur l'affaire Khashoggi poursuit son investigation sur ces deux
mystérieux avions et est en train de passer en revue les vidéos de
surveillance de l'aéroport. En plus des manifestes des passagers des deux
vols, l'équipe serait en train d'examiner en détail des images vidéo du
comptoir de contrôle des passeports et d'autres sites également[3].

LES PLAQUES D'IDENTITÉ MILITAIRES


DE L'ESCADRON DE LA MORT

Le lendemain, Sabah a publié un nouveau reportage sur l'escadron de la


mort comprenant les noms et les photographies des 15 agents saoudiens.
Rédigé par l'Unité spéciale du renseignement, cet article a fait la lumière sur
le meurtre et a été largement cité par divers organismes de presse
internationaux: Sabah révèle l'identité d'une mystérieuse équipe composée
de 15 membres des services secrets ayant participé à l'enlèvement du
journaliste saoudien Jamal Khashoggi, porté disparu depuis son entrée au
consulat général de l'Arabie Saoudite à Istanbul le 2 octobre. Les derniers
éléments d'information sur l'escadron de la mort, dont les membres ont été
identifiés dans l'histoire sus-mentionnée, sont les suivants:
1– Mashal Saad al-Bostani (né en 1987) a franchi la frontière à 1h45 du
matin et a séjourné au W.G. Hotel. Il a quitté la Turquie à bord du jet privé
numéro HZ SK2 appartenant à Sky Prime Aviation, à 22h45 après avoir
passé le contrôle des passeports à 21h46.

2– Salah Mohammed al-Tubaigny (né en 1971) est arrivé à l'aéroport de


Atatürk à 3h15 le 2 octobre à bord du jet privé portant le numéro HZ SK2,
a passé le contrôle à la frontière à 3h38 du matin et est resté au Mövenpick
Hotel. Son passeport a été estampillé à 20h29 et il est reparti à bord du
HZ SK2 à 22h45.

3– Naif Hassan S. Alarifi (né en 1986) a pris un vol commercial de Riyad


à Istanbul le 1er octobre, la veille du meurtre de Khashoggi, et a passé le
contrôle des passeports à 16h12. Il est resté à l'hôtel W.G., a effectué les
formalités du contrôle des passeports à 21h45 le 2 octobre et est parti à
bord du HZ SK2 à 22h45.

4– Mohammed Saad al-Zahrani (né en 1988) est arrivé à l'aéroport de


Atatürk à bord d'un vol commercial en provenance de Riyad le 1er
octobre et a séjourné à l'hôtel W.G. Il a passé le contrôle des passeports à
22h44 et est reparti à bord du HZ SK2 à 22h45.

5– Mansour Othman Aba Hussein (né en 1972) est arrivé à l'aéroport de


Atatürk par un vol commercial depuis Riyad le 1er octobre et a séjourné
au W.G. Hotel. Son passeport a été estampillé à 21h45. Il est ensuite
reparti à bord du HZ SK2 à 22h45.

6– Khaled Aiz Al-Tabi (né en 1988) a pris un vol commercial du Caire à


Istanbul le 1er octobre et atterri après minuit à l'aéroport de Atatürk. Il a
passé le contrôle aux frontières à 1h44 le 2 octobre, est resté au W.G.
Hotel et est reparti à bord du jet privé numéro HZ SK2.

7– Abdelaziz Mohammed al-Hussawi (né en 1987) est arrivé en Turquie


le 2 octobre à 1h43 du matin à bord d'un vol commercial en provenance
d'Egypte. Il a séjourné au W.G. Hotel et a passé le controle des passeports
à 20h28 pour quitter la Turquie à bord du HZ SK2 à 22h45.
8– Walid Abdullah al-Shahry (né en 1980) est arrivé à l'aéroport de
Atatürk à bord du jet privé numéro HZ SK2 le 2 octobre à 3h41 du matin.
Il a séjourné au Mövenpick Hotel et a effectué son voyage de retour à bord
du HZ SK1. Il a passé le contrôle des passeports à 17h44 et son avion a
décollé à 18h30.

9– Turki Musharrif al-Shahry (né en 1982) a pris le HZ SK2 pour Istanbul


et a franchi la frontière turque à 3h39 du matin. Il a séjourné au
Mövenpick Hotel. Son passeport a été contrôlé à 17h44 avant son départ à
18h30 à bord du HZ SK1.

10– Sair Ghalib al-Harbi (né en 1979) est arrivé à l'aéroport de Atatürk à
bord du HZ SK2 et est entré en Turquie à 3h41. Il a séjourné au
Mövenpick Hotel et son passeport a été tamponné à 17h44 avant son
départ à 18h30.

11– Maher Abdulaziz Mutreb (né en 1971) est arrivé à Atatürk


International à bord du HZ SK2 et est entré dans le pays à 3h38. Mutreb
est resté au Mövenpick Hotel et a passé le contrôle des passeports à 17h49
pour prendre le jet privé HZ SK1 qui a décollé à 18h30.

12– Fahd Shabib al-Balawi (né en 1985) a pris le HZ SK2 à Istanbul et a


passé le contrôle à la frontière le 2 octobre à 3h41 du matin. Son passeport
a été estampillé à 17h46 et il a embarqué sur le HZ SK1 pour quitter
Istanbul à 18h30.

13– Badr Lafi al-Otaiba (né en 1973) est arrivé à Ataturk International à
bord du HZ SK2 et est entré en Turquie à 3h41 du matin. Il faisait partie
des agents qui ont séjourné au Mövenpick Hotel. Il a validé le contrôle des
passeports à 17h44 pour embarquer sur le HZ SK1.

14– Mustapha Mohammed al-Madani (né en 1961) est arrivé à Istanbul


par le HZ SK2 à Istanbul et a passé la frontière à 3h41 du matin. Il a
séjourné au Mövenpick Hotel. Son passeport a été estampiller à 12h18
puis. Il est ensuite embarqué sur le vol TK144 de la Turkish Airlines le 3
octobre à 1h25.
15– Saif Saad al-Qahtani (né en 1973) est arrivé à l'aéroport de Atatürk à
bord du HZ SK2 et a passé le contrôle à la frontière à 3h41. Après son
séjour au Mövenpick Hotel, il est retourné à Riyad sur le vol TK144 de la
Turkish Airlines à 1h25. Son passport a été tamponné à 12h20.

CHRONIQUE
DE L'ASSASSINAT DE KHASHOGGI

Nous avons pu reconstituer les pièces manquantes de notre histoire


exclusive, publiée 8 jours après la mort de Jamal Khashoggi, grâce à des
recherches supplémentaires que nous avons menées pour ce livre. Selon les
informations et les documents que nous avons obtenus de la part de sources
gouvernementales fiables, voilà ce qui s'est passé avant, pendant et après le
meurtre:
D'après les enregistrements des caméras de vidéosurveillance, Jamal
Khashoggi est entré au consulat saoudien à 13h14[4]. Sa fiancée, Hatice
Cengiz, a attendu trois heures à l'extérieur du bâtiment pendant que
Khashoggi tombait victime d'une tache sombre de l'Histoire dont nous
dévoilerons les détails au chapitre II. N'ayant pas vu le journaliste saoudien
sortir du consulat, Cengiz a déclaré aux autorités turques à 17h50 que son
fiancé y avait été détenu de force ou avait eu des ennuis.

Mashal Saad al-Bostani est arrivé à 1h45 du matin et a séjourné au W.G. Hotel. Il a quitté la Turquie à bord du jet
HZSK2 à 22h45 après avoir passé le contrôle à 21h46. Lieutenant de l'armée de l'air saoudienne et officier de la
Garde Royale. Il a été curieusement retrouvé mort dans un accident de voiture dès son retour à Ryad !
Salah Mohammed al-Tubaigny est arrivé à Atatürk à 3h15 le 2 octobre à bord du jet HZSK2, a passé le contrôle à la
frontière à 3h38 du matin et est resté au Mövenpick Hotel. Son passeport a été estampillé à 20h29 et il est reparti à
bord du HZSK2 à 22h45. C'est le médecin légiste diplômé de l'Université de Glasgow avec 3 mois de stage à la
médecine légale du Victorian Institue d'Australie. Il a obtenu le grade de Lt Colonel dans les Forces Intérieures
saoudiennes. C'est lui qui a actionné la scie électrique pour découper le corps de Khashoggi.

Naif Hassan S. Alarifi a pris un vol commercial de Riyad à Istanbul le 1er octobre, la veille du meurtre et a été contrôlé
à 16h12. Il est resté à l'hôtel W.G., il est reparti à 21h45 le 2 octobre à bord du HZSK2 à 22h45. Membre des Forces
spéciales saoudiennes et secrétaire attaché au cabinet du prince Ben Salmane.

Mohammed Saad al-Zahrani est arrivé à Atatürk en provenance de Riyad le 1er octobre et a séjourné à l'hôtel W.G. Il a
passé le contrôle des passeports à 22h44 et est reparti à bord du HZSK2 à 22h45. Officier de la Garde Royale
Saoudienne
Mansour Othman Aba Hussein est arrivé par un vol commercial de Riyad le 1er octobre et a séjourné au W.G. Hotel.
Son passeport a été estampillé à 21h45. Il est reparti avec le HZSK2 à 22h45. Membre des services saoudiens,
colonel de la Défense Civile.

Khaled Aiz Al-Tabi a pris un vol commercial du Caire à Istanbul le 1er octobre et atterri après minuit à l'aéroport de
Atatürk. Il a passé le contrôle aux frontières à 1h44 le 2 octobre, est resté au W.G. Hotel et est reparti à bord du jet
privé numéro HZSK2. Garde du corps du prince Ben Salmane.

Abdelaziz Mohammed al-Hussawi est arrivé en Turquie le 2 octobre à 1h43 du matin à bord d'un vol commercial en
provenance d'Egypte. Il a séjourné au W.G. Hotel et a passé le controle des passeports à 20h28 pour quitter la Turquie
à bord du HZSK2 à 22h45. Les services occidentaux pensent que c'est un des gardes du corps de l'équipe
chargée de la protection du prince Ben Salmane.

Thaar Ghaleb Alharbi, officier (lieutenant) de la Garde Royale Saoudienne, décoré pour avoir sauvé le prince
Ben Salmane lors d'une tentative d'assassinat à Djeddah.
Maher Abdulaziz Mutreb est arrivé à Atatürk International à bord du HZ SK2 et est entré dans le pays à 3h38. Mutreb
est resté au Mövenpick Hotel et a passé le contrôle des passeports à 17h49 pour prendre le jet privé HZSK1 qui a
décollé à 18h30. Collaborateur du prince Ben Salmane, c'est un ancien espion-diplomate en poste à Londres en
tant que premier secrétaire. Il est le garde du corps principal et favori du prince. A le rang de colonel dans le
service de renseignement saoudien.

Fahd Shabib al-Balawi a pris le HZSK2 à Istanbul et a passé le contrôle à la frontière le 2 octobre à 3h41 du matin.
Son passeport a été estampillé à 17h46 et il a embarqué sur le HZSK1 pour quitter Istanbul à 18h30. Membre de la
Garde Royale.

Badr Lafi al-Otaiba ou al-Taibi ou al-otaibi est arrivé à Ataturk International à bord du HZ SK2 et est entré en Turquie à
3h41 du matin. Il faisait partie des agents qui ont séjourné au Mövenpick Hotel. Il a validé le contrôle des passeports à
17h44 pour embarquer sur le HZ SK1. Grade de Major des services saoudiens.

Turki Muserref Alsehri. Aucune information hormis ses heures d'arrivée et de départ. Il est reparti à bourd du jet
HZSK1.
Mustapha Mohammed al-Madani est arrivé à Istanbul par le HZSK2 à Istanbul et a passé la frontière à 3h41 du matin.
Il a séjourné au Mövenpick Hotel. Son passeport a été estampillé à 12h18. Il a ensuite embarqué sur le vol TK144 de la
Turkish Airlines le 3 octobre à 1h25. C'est lui qui a pris les lunettes ET les habits de Khashoggi pour faire croire
que ce dernier est bien ressorti de l'ambassade. La seule chose qu'il n'a pas pu changer, ce sont ses
chaussures. Membres des services saoudiens

Saif Saad al-Qahtani est arrivé à l'aéroport de Atatürk à bord du HZ SK2 et a passé le contrôle à la frontière à 3h41.
Après son séjour au Mövenpick Hotel, il est retourné à Riyad sur le vol TK144 de la Turkish Airlines à 1h25. Son
passport a été tamponné à 12h20. Garde du corps du prince Ben Salmane.

Abdulaziz Mohammed Alhawsawi, garde du corps de la famille royale saoudienne, et proche du prince Ben
Salmane.
Le jet privé numéro HZSK2 qui a atteri le 2 octobre 2018 à l'aéroport d'Istanbul photo DR

Arrivée de l'équipe de tueurs au consulat saoudien le 2 octobre 2018 a 9h55 photo DR

L'examen par la police des enregistrements vidéo des caméras de


surveillance, placées aux diverses entrées et sorties du consulat saoudien et
couvrant la période entre le 2 octobre à 13h14 et le 5 octobre à 23h59, a
révélé que Khashoggi n'avait pas quitté l'enceinte à pied.
Informé de l'incident à 17h30, le bureau de terrain de l'agence des
renseignements turcs, situé à Istanbul, a entrepris d'examiner tous les
véhicules qui sortaient du consulat saoudien. Le 2 octobre entre 13h14 et
18h, ils ont constaté que 6 véhicules en tout avaient quitté le bâtiment.

Une camionnette Mercedes-Benz Vito, portant la plaque diplomatique


numéro 34 CC 1865 a quitté le consulat à 15h05 et est entré dans la
résidence consulaire située à seulement 300 mètres. Le véhicule s'est garé
dans le parking intérieur de la résidence et y est resté 3 jours avant de
retourner au consulat le 5 octobre à 9h40. Sa destination suivante sera le
lave-auto.

Un autre véhicule de la marque Mercedes-Benz, immatriculé 34 CC 2248,


s'est rendu au Mövenpick Hotel à 15h05[5] et a regagné le consulat une heure
plus tard.

Un troisième véhicule, immatriculé 34 CC 2342, est arrivé au consulat à


10h05 et s'est rendu à l'aéroport de Atatürk à 20h26.

Un autre véhicule immatriculé 34 CC 2464 a quitté le consulat à 15h05,


s'est arrêté à la résidence consulaire 3 minutes plus tard avant de se diriger
vers l'aéroport de Atatürk à 16h53.

Enfin, un véhicule diplomatique, immatriculé 34 CC 3071, a rejoint la


résidence consulaire à 11h06 et est parti l'aéroport à 20h11.

Selon la police et les services de renseignements turcs, la Mercedes Vito


immatriculée 34 CC 1865 a éveillé de sérieux soupçons. C'est ce véhicule
que les agents saoudiens ont utilisé pour transporter les parties du corps de
Jamal Khashoggi depuis le consulat saoudien jusqu'à la résidence du consul
général située plus loin le long de la même route.

Selon les rapports officiels que nous avons obtenus en exclusivité, 3


membres de l'escadron de la mort saoudien – Mohammed Saad al-Zahrani,
Mansour Othman Aba Hussein et Naif Hassan Alarifi – avaient atterri le 1er
octobre à 16 heures à Atatürk à bord du vol saoudien SV263. Ce sont les
premiers agents saoudiens à arriver en Turquie. Ils sont entrés au consulat à
Istanbul à 19h14 avant de se rendre, au volant du véhicule 34 CC 3071, dans
un bar à kebab de luxe du quartier Etiler à 22h57 puis à leur hôtel, le WG du
quartier Levent, à 23h52.

Le deuxième groupe d'agents, composé de Mashal Saad al-Bostani,


Khaled Aiz al-Tabi et Abdulaziz Mohammed M. Al-Hussawi, est arrivé à
l'aéroport de Atatürk par le vol turc TK695 le 2 octobre à 1h40 et est
descendu au WG Hotel vers 2h20 du matin.

L'équipe principale, qui a atterri à Istanbul le matin du 2 octobre à 3h15


avec le jet privé HZ SK2 et s'est enregistrée au Mövenpick dans le quartier
Levent à 5h20 du matin, comptait les agents suivants:

Maher Abdulaziz M. Mutreb,


Sai Ghaleb Al-Harbi,
Salah Mohammed Al-Tubaigny,
Mustapha Mohammed M. Al-Madani,
Fahd Shabib Al-Balawi,
Turki Musharraf M. Al-Shahry,
Badr Lafi Al-Otaiba,
Walid Abdullah M. Al-Shahry et
Sayf Saad Al-Qahtani. photo DR

Le jour du meurtre, à 9h49, Mutreb, Al-Harby et Al-Otaiba ont effectué


le trajet séparant le Mövenpick Hotel du consulat dans un véhicule portant le
numéro d'immatriculation 34 NL 1806.

À 9h52, Al-Zahrani a quitté le W.G. Hotel et s'est rendu au consulat


saoudien à pied.

Trois minutes plus tard, Turki Musharrad Al-Shahry, Walid Abdullah M.


Al-Shahry et Fahd Shabib al-Balawi ont quitté le Mövenpick Hotel dans le
véhicule diplomatique immatriculé 34 CC 3071 et sont arrivés au consulat à
10h05 du matin.

Al-Hossawi, Al-Tabi, Al-Arifi et Al-Bostani ont rejoint la résidence


consulaire à 11h06 au volant du véhicule immatriculé CC 3071 en
provenance du W.G. Hotel. Un autre membre de l'escadron de la mort,
Mansour Othman Aba Hussein, s'est rendu à la résidence séparément. Il y est
arrivé à 12h38 en marchant depuis le W.G. Hotel.

Les membres restants de l'équipe – le médecin légiste Al-Tubaigny, la


doublure corps Al-Madani et Al-Qahtani, ont quitté le Mövenpick Hotel à
10h48 et sont arrivés au consulat 9 minutes plus tard au volant du véhicule
immatriculé 34 TR 8985.

A 15h05, Mutreb, Al-Tubaigny et Al-Harbi sont montés dans le véhicule


immatriculé 34 CC 1865 dans le tunnel d'accès au consulat et se sont dirigés
vers la résidence. Ces trois hommes étaient les membres les plus haut gradés
de l'escadron de la mort saoudien. Ils étaient directement impliqués dans la
mort de Jamal Khashoggi, son démembrement et l'élimination de son corps.

Al-Madani et Al-Qahtani étaient les deux premiers agents saoudiens à


quitter le consulat après le meurtre. Ils sont sortis du bâtiment à 14h53[6]. Les
premiers à se rendre à l'aéroport étaient Turki Al-Shahry, Fahr Al-Balawi,
Walid Al-Shahry et Badr Al-Otaiba, qui ont pris le véhicule diplomatique
immatriculé 34 CC 2248 à 15h11 du consulat au Mövenpick Hotel, où ils ont
récupéré leurs affaires avant de prendre la route de l'aéroport Atatürk à
16h05.

A 16h53, Mutreb et Al-Harbi ont quitté la résidence consulaire avec le


véhicule diplomatique immatriculé 34 CC 2464 et se sont dirigés vers
l'aéroport Atatürk. Ces 6 membres de l'escadron de la mort saoudien – Turki
Al-Shahry, Al-Balawi, Walid Al-Shahry, Al-Otaiba, Mutreb et Al-Harbi –
ont quitté Istanbul à bord du jet HZ SK1 à 18h30.

À 19h37, Hussein, Al-Arifi et Al-Bostani se sont rendus de la résidence


consulaire à l'hôtel W.G. avec le véhicule diplomatique immatriculé 34 CC
3071, pour se diriger ensuite vers l'aéroport à 19h42.

Al-Zahrani a quitté le consulat saoudien par une sortie arrière à 15h42. Il


a pris un taxi pour le Mövenpick Hotel. Al-Zahrani était l'un des 5
membres de l'équipe principale qui a étranglé Jamal Khashoggi à mort.
Contrairement aux autres, il semble avoir agi seul tout au long de la mission.
Portant des lunettes de soleil et un sac à dos, Al-Zahrani s'était déguisé en
touriste ordinaire. Il s'est dirigé vers l'aéroport de Atatürk à 20h56.

A 19h46, la Mercedes Vito immatriculée 34 CC 2342 et transportant Al-


Hussawi, Al-Tabi et Al-Tubaigny a quitté la résidence consulaire en
direction de l'aéroport de Atatürk et 7 membres de l'escadron de la mort –
Hussein, Al-Arifi, Al-Bostani, Al-Zahrani, Al-Hussawi, Al-Tabi et Al-
Tubaigny – ont quitté Istanbul à bord du jet privé HZ SK2.

Quant au autres, Al-Madani et Al-Qahtani, ils ont pris le vol turc TK144
à destination de Riyad. À 22h26, ce groupe d'agents a pris un taxi jusqu'à
l'aéroport de Atatürk, a passé le contrôle des passeports à 12h18 et a quitté le
territoire à 1h25 le 3 octobre.

Les 15 membres de l'escadron de la mort saoudien ont rempli leur


mission funeste que nous avons décrite ci-dessus, et sont retournés dans leur
pays.

Cependant, avant de quitter la Turquie, ils ont laissé leurs empreintes


digitales un peu partout à Istanbul – si bien que les services de
renseignements et les forces de l'ordre turcs auraient dit sur le ton de la
plaisanterie que les Saoudiens «auraient tout aussi bien pu laisser leurs
cartes de visite».
LA RECHERCHE DE MORCEAUX
DE CORPS DANS LES BAGAGES

Le jour de l'assassinat, des fonctionnaires du bureau d'Istanbul du MIT


ainsi que la police d'Istanbul ont fouillé le jet d'affaires saoudien numéro
HZ SK2 pendant qu'il était garé derrière le Terminal de l'Aviation Générale
à l'aéroport Atatürk. En apprenant la disparition de Khashoggi, les agents de
sécurité ont alors inspecté l'avion dans ses moindres recoins. Ils n'ont trouvé
aucun indice de meurtre à bord ni dans les bagages des passagers avant leur
départ.

Des "armes crypto" ont été retrouvées dans les bagages enregistrés et les
bagages cabine des agents saoudiens ayant quitté la Turquie à bord du HZ
SK1, lequel avait fait une escale de 75 minutes à l'aéroport de Atatürk et
n'avait pas été fouillé avant son décollage à 18h30, mais aucune preuve du
meurtre. Les autorités ont décelé ces pièces lors de l'inspection rétroactive
des images radiographiques. Un rapport de police déposé par les autorités
turques après la perquisition de l'avion d'affaires saoudien indique que les
autorités ont pu voir si les effets personnels des agents avaient été scannés à
l'entrée du terminal de l'aviation générale:

Lorsqu'on a demandé à l'opérateur de l'appareil à rayons X si l'appareil


pouvait repérer des morceaux de corps hachés s'ils se trouvaient à
l'intérieur de ces sacs, il a répondu qu'il est possible d'identifier des traces
de morceaux de corps au moyen des dispositifs de contrôle et qu'il n'y avait
rien de bizarre dans les bagages de l'équipe saoudienne. [Les autorités] ont
utilisé le système de vidéosurveillance pour surveiller en temps réel le jet
privé, qui a décollé à 22 heures, identifier l'endroit exact où l'avion était
garé et en enregistrer des images sous tous les angles possibles.

Le 2 octobre, le jour du meurtre donc, des agents du MIT


et les forces de l'ordre ont perquisitionné le jet privé portant le
numéro HZ SK2 et examiné tous les enregistrements vidéo. À
l'issue de leur inspection, les autorités ont «confirmé la possibilité
que Jamal Khashoggi ait été enlevé, ce qui avait été évoqué par
des agents de renseignement». Elles ont immédiatement instruit le
contrôleur du passage E de recueillir les informations sur les
passagers et l'équipage, ont visuellement examiné 7 passagers
attendant dans le hall avant de conclure que la personne en cause
ne se trouvait pas parmi eux. Ne constatant rien d'anormal, ils ont
autorisé l'avion à décoller[7]. Sedat Ergin, chroniqueur au quotidien
Hürriyet, a fait référence à l'article du 10 octobre du Sabah Special
Intelligence Unit dans sa rubrique publiée une semaine plus tard et
a communiqué au public des informations complémentaires:

«Le fait qu'une délégation saoudienne de 15 hommes, dont beaucoup


étaient issus du milieu militaire, se soit rendue à Istanbul juste avant la
disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et soit partie à la
hâte le jour même est l'une des preuves les plus solides de l'implication du
régime de Riyad dans cette crise.
Si on réunit les informations de sources ouvertes sur l'arrivée de la
délégation, ses déplacements à Istanbul durant cette période de moins de
24 heures et son départ en groupes, on en vient à un curieux tableau,
lequel laisse entrevoir un scénario minutieusement préparé. Ma référence
sur l'arrivée et le départ des [agents] saoudiens est un article publié par
Abdurrahman Simsek et Nazif Karaman le 10 octobre. Ce récit fournit
des éléments concrets sur les registres des entrées et sorties de l'aéroport.
Une deuxième équipe, composée de neuf personnes, est arrivée à
l'aéroport de Atatürk à bord d'un jet privé Gulfstream immatriculé HZ
SK2 à 3h15 le 2 octobre. L'avion était stationné dans le terminal E,
également appelé Aviation générale. La saisie de ces personnes dans le
système de contrôle des passeports s'est achevée entre 3h38 et 3h41. Il
semblerait que les deux équipes étaient censées séjourner dans des hôtels
différents. Aussi, le deuxième groupe arrivé par jet privé s'est enregistré
au Mövenpick Hôtel.»

Précisons dans ce contexte qu'un deuxième jet Gulfstream portant


le numéro d'immatriculation HZ SK1 en provenance de Riyad a
atterri à l'aéroport Atatürk à 17h15, sans aucun passager à bord.
Soulignons ici un point crucial: la délégation saoudienne, venue à
Istanbul en 3 groupes, a quitté la ville le même jour en 3 groupes.
C'est ainsi qu'ils ont planifié leur voyage de retour:
1 – Six des neuf personnes arrivées par jet privé tôt le matin
sont montées à bord d'un deuxième jet privé ayant atterri la veille
au soir et a immédiatement quitté Istanbul. Cet avion a décollé à
18h30. Il semblerait que les stratèges saoudiens avaient l'intention
d'évacuer la plupart de ces agents de Turquie sans tarder.
Ce jet s'est envolé pour Le Caire, où il a stationné 25 heures avant
de poursuivre sa route vers Riyad.
2 – Le premier jet privé, qui est arrivé [à Atatürk] le matin du 2
octobre, a décollé un peu plus tard – à 22h45. Les 6 agents, venus
à Istanbul avec un vol commercial, ont embarqué dans cet
appareil. De plus, l'un des 9 agents s'étant rendus à Istanbul à bord
de ce jet – Mohammed al-Tubaigny – est aussi retourné par cet
avion. Les passeports de ces personnes ont été examinés entre
20h28 et 21h45. Les 7 hommes à bord de cet appareil se sont
dirigés directement vers Dubaï. Après avoir pris du retard sur
Nallıhan, il a atterri à Dubaï à 2h30 et s'est envolé pour Riyad dans
la matinée.
3 – Qu'est-il arrivé à 2 des 9 agents qui ont pris le premier jet
privé [pour Istanbul]? Ils ont quitté Istanbul sur un vol commercial.
Leurs passeports ont été traités à 12h18 et à 12h20 le 3 octobre. À
en juger par leurs mouvements, il est clair que rien ne s'est produit
par hasard, que [les agents ont] tout fait se-lon un plan – que tout, y
compris quel agent prendrait quel vol au départ et à destination de
la Turquie, le lieu de leur séjour et leurs déplacements, était
rigoureusement subordonné à un plan sérieux.[8]

LA STRATÉGIE CRIMINELLE DE LA TURQUIE

Comme l'a souligné Sedat Ergin, la Turquie savait que les Saoudiens
avaient perpétré l'assassinat de Khashoggi selon un plan établi. En
conséquence, les autorités turques souhaitaient adopter une stratégie en
amont afin de recueillir des preuves criminelles. La demande turque de
procéder à l'inspection du consulat saoudien au moyen de luminol,
substance qui permet de détecter les traces de
sang, démontre l'existence de cette stratégie.
Les enquêteurs turcs ont utilisé du luminol et de la lumière infra-rouge
pour tenter de trouver les échantillons d'ADN de Khashoggi sur les lieux du
crime.
Pourtant, aucun résultat concret n'en est ressorti. À peu près à la même
période, un responsable turc a déclaré au site web d'actualité Middle East
Eye que la Turquie savait "quand et dans quelle pièce Khashoggi a été tué",
et "où son corps a été démembré". Selon la même source anonyme, le
consulat saoudien lui avait fixé rendez-vous à 13h le 2 octobre. Le
personnel turc du consulat, ont-ils dit, a été prié de quitter les lieux en
raison d'une réunion diplomatique de haut niveau[9]. Les agents saoudiens
avaient planifié le meurtre dans les moindres détails. En fait, les
enquêteurs turcs ont découvert que la camionnette, utilisée par les
assassins de Khashoggi pour conduire son corps démembré à la
résidence consulaire située en bas de la route, avait effectué le même
voyage à la résidence à l'occasion de ce qui ressemblait à une répétition.
Les forces de sécurité sont parvenues à cette conclusion après avoir
examiné de près les images de vidéosurveillance qui montraient les
manœuvres du véhicule. photo Mercedes-Benz

Les Saoudiens voulaient vérifier s'il y avait suffisamment de place pour


manœuvrer avec la Mercedes Vito aux vitres fumées dans le parking inté-
rieur de la résidence consulaire. Le 2 octobre à 1h38 du matin, quelques
heures avant le meurtre, un chauffeur du consulat saoudien, S. K., a pris le
volant pour la répétition générale: il a garé la camionnette devant la
résidence consulaire à 2h du matin. On l'a ensuite instruit de prendre
quelques jours de congé. La découverte de la fourgonnette, que les Saou-
diens ont utilisée pour transporter le corps de Khashoggi à la résidence, a
établi que les agents secrets avaient à maintes reprises passé leur plan en
revue.

Rappelons que le même fourgon est resté à la résidence consulaire 3


jours après le meurtre[10] pendant lesquels le consul général d'Arabie
Saoudite, Al-Otaiba, n'a pas quitté sa résidence.

SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE
DE L'ESCADRON DE LA MORT

Peu après la publication par Sabah de photographies des tueurs de


Khashoggi, dont Maher Abdulaziz Mutreb, le New York Times, a dévoilé
des images de Mutreb et du Prince héritier Mohammed Ben Salman[11] .
D'après les images de vidéosurveillance, M. Mutreb est entré au consulat
saoudien à Istanbul le 2 octobre à 9h55 du matin. À 16h53, il a été repé-ré à
l'extérieur de la résidence consulaire. À 17h15, Mutreb a quitté son hôtel du
Levent avec ses hommes. En clair, Mutreb et ses complices avaient réservé
des chambres d'hôtel pour 4 nuits. Après le meurtre, ils ont annulé le reste
de leur séjour et ont libéré leurs chambres. À 18h30, ces 6 membres de
l'escadron saoudien de la mort se sont envolés pour Le Caire à bord du jet
privé portant le numéro HZ SK1, arrivé à l'aéroport de Atatürk à peine 75
minutes plus tôt. Le 19 octobre, Sabah a publié de nouvelles photographies
des tueurs suivants:
Al-Bostani,
Al-Tubaigny,
Al-Arifi,
Al-Zahrani,
Al-Tabi,
Al-Hussawi,
Walid Al-Shahry,
Turki Al-Shahry et
Al-Madani.
Les images des caméras de sécurité montrent les agents saoudiens
quittant l'aéroport et se tenant près du guichet de contrôle des passeports.
D'après les images de vidéosurveillance, l'escadron de la mort a été con-
trôlé par le guichet des passeports au terminal de l'Aviation Générale. Les
autorités turques ont également établi que certains de ces assassins s'étaient
rendus en Turquie auparavant[12] . L'erreur qui coûtera cher à l'escadron
saoudien a été de crypter secrètement les disques durs connectés aux
caméras de vidéosurveillance au poste de contrôle de police le 6 octobre
dans l'espoir de dissimuler le meurtre de Khashoggi. Or, ils ignoraient
que la police turque avait obtenu ces images la veille.
Le 2 octobre, des agents consulaires saoudiens ont désinstallé le
magnétoscope du système de sécurité du bâtiment et ont tenté de mani-puler
les caméras de sécurité au poste de contrôle dans le but de détruire toute
preuve de la présence de Khashoggi et des agents saoudiens au sein du
complexe.

Le 6 octobre à 1h du matin, des responsables saoudiens ont réussi à


avoir accès à l'ordinateur du poste de contrôle, en faisant semblant de
visionner les images, et ce faisant, à crypter les fichiers. Ils ne savaient
pas que les forces de l'ordre turques avaient obtenu une copie de
l'enregistrement vidéo à 19 heures le 5 octobre, soit 6 heures plus tôt.

Ainsi, lorsque la police turque est revenue pour obtenir une seconde
copie du fichier, les Saoudiens avaient déjà chiffré le magnétoscope numé-
rique. Néanmoins, les autorités turques ont été en mesure de déchiffrer le
code et de visionner d'autres séquences vidéo. Le but des agents saoudiens
était de camoufler les preuves de l'entrée de Jamal Khashoggi dans le
bâtiment[13] . D'où leur déclaration initiale que les caméras de sécurité du
consulat ne fonctionnaient pas correctement au moment de l'assassinat de
Khashoggi[14] .

DES ARMES CRYPTOGRAPHIQUES AUX RAYONS X

Les assassins saoudiens avaient emporté avec eux les instruments avec
lesquels ils allaient tuer Jamal Khashoggi sur le vol en partance de Riyad.
Certains de ces instruments se trouvaient dans des sacoches trans-portées
dans le premier jet privé, qui a ramené les agents en Arabie Saou-dite à
18h30. Sous immunité diplomatique, l'escadron de la mort a rap-porté ces
outils à Riyad. La police turque a inspecté non seulement des images de
vidéosurveillance, mais aussi des images de la machine à rayons X. Celles-
ci ont révélé que certains outils, qualifiés par la police de «armes
cryptographiques», avaient été embarqués dans l'avion privé qui a décollé à
18h30 avec à son bord les assassins de Khashoggi.
La police et le MIT ont confié aux auteurs de ce livre qu'ils avaient
soumis deux rapports au sujet de ces armes crypto. Selon ces rapports, les
agents saoudiens transportaient des outils et des instruments qui
comprenaient certains dispositifs que les services de renseignement
utilisaient à des fins de sur-veillance physique ainsi que des outils propres à
la profession d'assassins. Le matériel et les outils de l'escadron de la mort,
soumis aux rayons X, comptaient notamment les éléments suivants: 10
téléphones mobiles, 5 combinés radio et interphones compatibles, 2
seringues servant à injecter des produits chimiques, 2 dispositifs
d'électrochocs, un dispositif de blo-cage des signaux pour empêcher la
surveillance, 3 poinçonneuses et une sorte de scalpel.

Les agents du MIT ont indiqué dans leurs rapports officiels que ces
pièces et équipements étaient régulièrement utilisés dans des opérations
internationales d'espionnage. Ils ont émis l'hypothèse que les téléphones
mobiles et l'équipement radio étaient utilisés à des fins de surveillance,
alors que les électrochocs et les seringues auraient été utilisés pour endor-
mir et tuer la victime. Les agrafeuses, selon le rapport, auraient été utili-sées
pour éviter les fuites de liquide des sacs en plastique après le démem-
brement de Khashoggi.
Une inspection rétroactive des images de l'appa-reil à rayons X de
l'aéroport de Atatürk n'a révélé aucune trace des parties du corps de Jamal
Khashoggi. Le deuxième jet privé (qui a décollé d'Is-tanbul après que les
autorités turques eurent appris la disparition de Khashoggi) a été inspecté
par des agents du MIT avant son départ à 22h45. Cependant, les autorités
turques n'ont pas pu fouiller le premier avion, puisqu'il avait redecollé à 18
h 30, 40 minutes seulement après le signalement de la disparition de
Khashoggi par Hatice Cengiz. Avant ce meurtre de Khashoggi, les
Saoudiens avaient pour habitude de toujours se débarrasser des corps de
leurs victimes. Si leurs antécédents sont sans équivoque, aucun des
assassinats perpétrés par le passé n'a égalé l'atrocité de l'assassinat de
Khashoggi. Ce meurtre était une opération saoudienne unique en son genre.
Nous avons étudié l'histoire des opérations secrètes en Arabie Saoudite et
sommes arrivés à cette conclusion. Nous avons éga-lement passé en revue
des opérations de renseignement notables de l'His-toire et nous n'avons
trouvé aucun cas qui soit comparable à ce qui s'est passé au consulat
saoudien d'Istanbul.
Le SVR russe et le Mossad israélien comptent parmi les services les plus
illustres pour ce genre d'opé-rations. Les méthodes de l'escadron saoudien
étaient, certes, bien moins raffinées, pourtant il semble que leurs actions
aient été directement inspi-rées des opérations du Mossad[15] .
1- Nazif Karaman, Emir Somer et Kenan Kıran,'Sır perdesini camı film kaplı siyah minibüs
aralayacak' (La camionnette noire aux vitres teintées dévoilera le mystère), Sabah, 8
octobre 2018. >>>

2-L'autre jet privé portant le numéro d'immatriculation HZ SK1 a quitté Riyad le 2 octobre à
1h23 et est arrivé à Istanbul Atatürk à 17h15, heure locale. Après son départ à 18h30, il a
atterri au Caire à 23h31 avant de regagner Riyad. >>>

3- Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman,'İşte sır seyahat'[The Secret Trip], Sabah, 9


octobre 2018. >>>

4-Le réglage de l'heure de la caméra de vidéosurveillance au poste de contrôle de police


situé à l'extérieur du consulat saoudien à Istanbul avait une avance de 6 minutes. Les
images de cette zone ont été horodatées à 13h14 –ce que les médias ont rapporté tel quel,
mais Khashoggi est effectivement entré dans le bâtiment à 13h08. >>>

5-Le réglage de l'heure de la caméra de vidéosurveillance au poste de contrôle de police


situé à l'extérieur de la résidence consulaire était décalé de deux minutes. Les véhicules
ont donc effectivement pénétré dans le bâtiment à 15h03. >>>

6-Pour plus de détails, voir la section intitulée "La fausse barbe", au chapitre IV. >>>

7-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman,'İşte 15 kişilik suikast timi' [Voici l'équipe des 15
assassins], Sabah, le 10 octobre 2018. >>>

8- Sedat Ergin,'Suudi infaz ekibinin İstanbul planı böyle işledi' (Voici comment s'est déroulé
le plan de l'équipe saoudienne d'exécuteurs à Istanbul), Hürriyet, le 17 octobre 2018. >>>

9-Nazif Karaman, Suudi makamları neyi saklıyor (Que dissimulent les autorités
saoudiennes?), Sabah, le12 octobre 2018. >>>

10-Nazif Karaman, Konsoloslukta Kaşıkçı provası (Une répétition générale pour Khashoggi
au consulat), Sabah, le 15 octobre 2018. >>>

11-David Kirkpatrick, Malachy Browne, Ben Hubbard et David Botti. The Jamal Khashoggi
Case: Suspects Had Ties to Saudi Crown Prince (L'affaire Jamal Khashoggi: les suspects
avaient des liens avec le prince héritier saoudien), The New York Times, le 16 octobre
2018. >>>

12-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, İşte infaz ekibinin yeni görüntüleri[Nouvelles


images de l'équipe d'exécution], Sabah, le 19 octobre 2018. >>>

13-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, Polis noktasındaki görüntüleri şifrelediler [Ils


ont crypté des images du poste de contrôle de police], Sabah, le 6 novembre 2018. >>>

14-Toygun Atilla, Kayıp gazeteci olayında kameralı kameralı ipucu [La caméra offre un
indice dans l'affaire du journaliste disparu], Hürriyet, le 8 octobre 2018. >>>
15-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, İnfaz timininin X-Ray'e takılan cinayet aletleri:
Telsiz, telefon, şırınga, şok cihazı cihazı [Les outils de meurtre de l'équipe d'exécution ont
été détectés aux rayons X: Radio, téléphones, seringues, appareils à électrochocs], Sabah,
le 13 novembre 2018. >>>
~4~
Des mystérieux assassinats
par les services secrets
Le Mossad: une source d'inspiration pour les
Saoudiens

Les services de renseignement mesurent la réussite de leurs actions en


fonction de leurs réalisations et de leur capacité à ne laisser aucune trace
derrière eux. Bien que les agents saoudiens aient exécuté une opération
imprudente et infructueuse à Istanbul, leur modèle n'était autre que celui du
Mossad ! En d'autres termes, il semble que Riyad suit les pas de Tel-Aviv
dans ce type de configuration[1].

Dans un essai publié dans le Telegraph of London, l'ancien ministre


britannique des Affaires étrangères Boris Johnson a affirmé que l'assassinat
de Jamal Khashoggi par l'Arabie Saoudite était probablement instigué par la
Russie[2]. Cette affirmation n'a étonné personne. Après tout, le Royaume-
Uni a accusé Moscou d'avoir utilisé un agent neurotoxique pour tenter de se
débarrasser de Sergey Skripal, un ancien officier du renseignement militaire
russe, et de sa fille à Salisbury. Le 14 mars, le premier ministre britannique
Theresa May avait déclaré que la Russie était responsable de
l'empoisonnement et a annoncé que 23 diplomates russes devaient quitter le
pays dans un délai de 7 jours. La raison ? Dix jours avant cette annonce,
Skripal et sa fille ont été retrouvés inconscients dans un centre commercial
du quartier de Salisbury de Londres. L'examen de la scène de crime par la
police britannique a révélé que les deux victimes avaient été
empoisonnéesau moyen du Novichok, un agent neurotoxique fabriqué en
Russie et utilisé dans diverses opérations militaires[3] . Le Kremlin a
évidemment démenti cette accusation.
À l'époque, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait exhor-té
certains gouvernements occidentaux, qui avaient décidé d'expulser des
diplomates russes à la demande de Londres, à s'assurer de la fiabilité des
preuves avancées par le Royaume-Uni.

Les experts du centre de recherche britannique de Porton Down n'ont pas


été en mesure de déterminer si le produit utilisé pour empoison-ner Skripal
et sa fille avait été fabriqué en Russie. L'ambassadeur russe à Londres,
Alexander Yakovenko, a réagi en demandant si le gouvernement
britannique avait stocké du Novichok à Porton Down, le plus grand site
militaire secret d'Angleterre. La station de recherche, a-t-il ajouté, se trouve
à seulement 12 kilomètres de Salisbury. Vassily Nebenzia, l'ambas-sadeur
de Russie auprès des Nations Unies, a déclaré au Conseil de sécuri-té de
l'ONU: «Vous jouez avec le feu et vous allez le regretter.» Il a signalé, en
outre, que Londres «empoisonnait» les relations de Moscou avec les pays
tiers.

Selon les médias, Skripal, 66 ans, était un agent double travaillant pour
les renseignements britanniques en Europe. Le gouvernement russe a
allégué que le MI6 avait payé 100.000 dollars en échange d'informations
divulguées aux services de renseignement britanniques, et cela depuis les
années 1990. En 2006, un tribunal russe a condamné Skripal à treize ans de
prison, mais 4 ans plus tard, celui-ci a été remis en liberté dans le con-texte
d'un échange d'espions entre Moscou et Londres, où il s'est installé.

Cependant, ce n'était pas la première fois au cours de la période de


l'après «Guerre Froide» que des tensions éclataient entre le Royaume-Uni et
la Russie au sujet des espions. En 2006, Alexander Litvinenko, un ancien
espion russe réfugié au Royaume-Uni a été empoisonné au moyen d'un
agent radioactif à Londres. M. Litvinenko, qui avait été arrêté en 1999 et
2000 pour abus de pouvoir, avait fait une demande d'asile au Royaume-Uni
en 2000. Après avoir déménagé à Londres, l'ancien agent russe est devenu
un opposant du gouvernement de Vladimir Poutine et a publié deux
ouvrages sur ses expériences dans les services secrets russes. Le 1er
novembre 2006, Litvinenko a été hospitalisé et a reçu un diagnostic
d'empoisonnement radioactif au Polonium 210.
Il est décédé le 23 novembre.
À l'époque, les autorités britanniques ont accusé la Russie (et en particu-
lier le président Vladimir Poutine) d'avoir tué Litvinenko. Le Kremlin, à son
tour, a nié à plusieurs reprises sa participation à l'assassinat.

TUÉ PAR UN PARAPLUIE

Que les services de renseignements russes aient perpétré une série


d'assassinats pendant la Guerre Froide est le secret le plus mal gardé au
monde. Toutefois, un cas très intéressant est celui d'une opération menée en
1978 à Londres par le KGB, ancêtre du SVR.

En comparaison de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi par


l'Arabie Saoudite, mais aussi des opérations secrètes plus
«professionnelles», les services secrets russes ont démontré à l'époque qu'ils
étaient à un tout autre niveau. Pour apprécier la distance qui sépare ces
opérations, il nous faut examiner en détail ce qui s'est passé en 1978.

Le 7 octobre 1978, par un matin pluvieux et sombre de Londres,


l'écrivain dissident bulgare Georgi Markov a garé sa voiture au pied sud du
pont Waterloo, monté les escaliers et s'est dirigé vers un arrêt de bus voisin
pour attraper l'un des célèbres bus à impériale de Londres. Il avait
l'intention de se rendre au siège de la BBC, où il travaillait comme pré-
sentateur d'un journal bulgare. Tandis qu'il attendait, il sentit comme une
piqûre dans son mollet droit. Il s'est retourné. Un homme d'une qua-rantaine
d'années, vêtu d'un manteau foncé, ramassait son parapluie sur le trottoir. Il
s'est excusé, a appelé un taxi et est parti. Markov a présumé que ce qui
venait de se passer n'était rien de plus qu'une erreur commise de bonne foi.
Le parapluie de l'homme, pensait-il, avait heurté sa jambe. Pourtant, rien
n'aurait pu être plus éloigné de la vérité.

Markov a été hospitalisé peu de temps après. Le médecin a trouvé une


minuscule granule remplie de ricine. Dans un crime où le parapluie de
l'étranger servait d'arme à feu, cette pastille ressemblait à une balle
provenant de l'arme du crime.
Georgi Markov est décédé 4 jours plus tard. Derrière ce curieux
assassinat perpétré par les services du temps de la Guerre Froide se cache
l'agence de renseignement bulgare Durzhavna Sigurnost. Pourtant, à l'abri
du rideau de fer, le KGB tirait les ficelles de l'organisation. Markov était un
critique féroce de Todor Zhirkov, le dirigeant communiste bul-gare de
l'époque. Ce n'était donc pas un hasard si le dissident bulgare a été tué le 7
octobre, jour de l'anniversaire de Jirkov.

Des années plus tard, certaines sources ont affirmé que Francesco
Gullani, un des agents italiens de la SD, n'était autre que l'homme au
manteau noir. Un autre écrivain dissident bulgare, Vladimir Kostov, a senti
le même type de piqûre dans son dos et a remarqué une éruption cutanée
peu après l'assassinat de Markov. Une granule, semblable à ce que les
médecins avaient découvert dans le mollet de Markov, a été retirée du dos
de Kostov qui a finalement survécu à la tentative d'assassinat[4] .

UN ISRAÉLIEN SÉDUIT PAR UNE «HIRONDELLE»

L'assassinat inédit de Georgi Markov montre que les services de


renseignements bulgares et leur commanditaire, le KGB, menaient à cette
époque les opérations de cette envergure. Pourtant, le style de l'escadron de
la mort saoudien ressemblait davantage aux méthodes utilisées par l'agence
de renseignement israélienne, le Mossad. En effet, l'une des opé-rations les
plus importantes de l'histoire de ce dernier a peut-être inspiré les efforts
récents de l'Arabie Saoudite pour kidnapper des membres de la famille
royale et chasser des citoyens saoudiens. Le 30 septembre 1986, Mordechai
Vanunu, né en 1956 dans une famille juive marocaine, se rend à Rome avec
Cindy son amie américaine. À peine arrivé, il a été arrêté et mis sous
sédatifs. Il a repris connaissance à Tel-Aviv où il avait été emme-né en
yacht. Cindy, la petite amie, était en fait un agent du Mossad qui lui avait
tendu un guet-apens.

Au cœur de ce mystérieux thriller d'espionnage se déroulait un dé-bat sur


les secrets nucléaires d'Israël. En fait, divers services de renseigne-ment,
dont la Central Intelligence Agency, savaient déjà depuis les années 60
qu'Israël fabriquait des armes nucléaires. Pourtant, le gouvernement
israélien avait alors nié ces allégations. Le 5 octobre 1986, le Sunday Times
a publié un article qui a mis fin aux démentis de Tel Aviv. Interrogé par le
journal avant son enlèvement le 30 septembre, Vanunu avait divulgué à la
presse des informations sur les armes nucléaires d'Israël.

Mordechai Vanunu avait émigré en Israël avec sa famille en 1963. Après


son service militaire, il a travaillé comme technicien nucléaire à la centrale
nucléaire de Dimona. Durant son séjour, il a vécu une expérience
«mystique» et a décidé de dévoiler les secrets nucléaires d'Israël. Vanunu a
quitté Dimona en 1985 au bout de neuf ans et s'est lancé dans un «voyage
exotique» grâce à sa prime de départ. Il a visité le Népal, la Birmanie, la
Thaïlande et l'Australie où il s'est converti au christianisme, plus
précisément à l'anglicanisme.

Puis il est devenu un activiste et a prononcé plusieurs déclarations


antinucléaires.

Ses révélations sur son séjour à Dimona ont retenu l'attention d'un
journaliste local. Lorsque la presse australienne s'est montrée indifférente
aux divulgations de Vanunu, l'ancien technicien nucléaire a contacté le
Sunday Times avec l'aide du journaliste australien. Il s'est envolé pour le
Royaume-Uni et a diffusé les secrets nucléaires d'Israël au cours d'un
entretien. Après être tombé victime de l'hirondelle, Vanunu a comparu
devant un tribunal israélien qui l'a condamné à 18 ans de prison. Il a été
libéré en 2004, mais on lui a interdit de quitter Tel Aviv. Il a été emprisonné
de nouveau en 2004, 2007 et 2010. Aujourd'hui, Vanunu est toujours dans
une «prison en plein air» dans la capitale israélienne.

Enfin, la Turquie a mené l'une des opérations de renseignement les plus


mémorables de l'histoire récente dans la ville syrienne de Lattaquié
contrôlée par le régime Assad, où une guerre civile fait rage depuis 2011.
Le 12 septembre 2018, les services de renseignement turcs ont rapatrié
Yusuf Nazik, un terroriste présumé responsable de l'attentat à la bombe en
mai 2013 à Reyhanli, Hatay, dans le cadre de l'opération Dagger et qui a
coûté la vie à 50 personnes innocentes.
Dans une zone de guerre, il est bien plus difficile de rapatrier une cible
que de l'assassiner. Dans pareils cas, les agents de terrain doivent s'infiltrer
en terrain hostile, appréhender leur cible sans attirer l'attention et revenir en
un seul morceau. En tant que telles, les missions de rapatriement
comportent un risque plus élevé que les tentatives d'assassinat. Le service
de renseignement du régime Assad, le Mukhabarat, n'a pas pu découvrir les
noms ni trouver de photographies des agents turcs qui ont mené l'opération
Dagger. Il n'y a eu aucune fuite sur l'identité des espions turcs qui ont
rapatrié le terroriste Reyhanli. D'où notre argument de départ: le succès
d'une opération secrète se mesure par la capacité d'accomplir sa mission
sans laisser de traces. De ce point de vue, l'assassinat de Jamal Khashoggi a
probablement été l'une des opérations secrètes les moins réussies de
l'histoire de l'espionnage !

TROIS MEMBRES INCONNUS


DE L'ESCADRON DE LA MORT SAOUDIEN

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé au public que


l'escadron de la mort saoudien comptait 15 membres, plus 3 autres. Le
journal Sabah a révélé l'identité et publié les photographies de l'un des trois
derniers agents, peu après cette annonce présidentielle. L'un d'eux était
Ahmad Abdullah al-Muzaini, chef de station de l'agence saoudienne de
renseignement à Istanbull[5].
Le chef de station d'Istanbul, le Saoudien Al-Muzani. Il s'est rendu à Riyad
le 29 septembre 2018 où il a reçu tous les ordres du directeur du renseignement
Ahmed Al-Asiri et il est revenu à Istanbul le 1er octobre 2018. Al-Asiri
a été démis de ses fonctions le 15 octobre par le prince Ben Salmane.
Daily Sabah.

Il devait exécuter les ordres de Riyad et mener le plan à bien. Pour la


première fois, ce livre révélera l'identité des deux derniers membres de
l'escadron de la mort saoudien: Saad Muid Al-Qarni, un agent de rensei-
gnement et chef de la sécurité du consulat saoudien, et Muflis Shaya al-
Muslih qui était un agent secret du renseignement sous le couvert d'un agent
de sécurité. Comme Al-Muzaini, ces hommes détenaient des passe-ports
diplomatiques.

Leurs voix n'ont pas pu être entendues sur l'enregistrement audio, qui
dure 7 minutes 30, de l'assassinat de Jamal Khashoggi. La raison en est
qu'ils ont supervisé les missions de reconnaissance plutôt que l'exécu-tion
elle-même. Selon les profileurs des services turcs, l'enregistrement audio
comportait un échange en arabe entre le chef d'équipe, Mutreb, et Al-
Tubaigny, le médecin légiste qui a démembré le corps de Khashoggi. Cette
conversation, qui a captivé aussi bien les Turcs que le reste du monde, s'est
déroulée sur la scène du crime – le consulat général d'Arabie Saoudite à
Istanbul.

Jamal Khashoggi, expliquant sur la télévision américaine qu'il ne voulait pas devenir un
dissident en Arabie Saoudite à cause de l'arrivée au pouvoir de MBS.
1-Au chapitre III, nous examinons en détail les opérations secrètes du régime saoudien
avant l'assassinat de Jamal Khashoggi. En outre, le chapitre II pose la question de savoir si
l'Arabie Saoudite a été soutenue par un ou plusieurs services de renseignement étrangers
dans le contexte de l'assassinat de Khashoggi. Le chapitre VI, quant à lui, donne un aperçu
du point de vue de la Central Intelligence Agency sur l'affaire Khashoggi. >>>

2- Boris Johnson: Suudi Arabistan Kaşıkçı cinayetinde Rusya'yı örnek almış olabilir [Boris
Johnson: Saudi Arabia May Have Been Inspired By Russia In The Khashoggi Murder], BBC
Turkish, le 22 octobre 2018. >>>

3-Novichok signifie "nouveau venu" en russe. >>>

4-Pour plus de détails sur l'opération Dagger, voir: Ferhat Ünlü, Lazkiye'deki Hançer
Operasyonu'nun Şifreleri[Les codes de l'opération Dagger en Latakie], Sabah, 16
septembre 2018. >>>

5-Le rôle crucial d'Al Muzaini dans l'assassinat de Khashoggi est examiné plus en détail au
chapitre IV. >>>
~ Partie II ~
Quid - Quoi
L'un des articles de Khashoggi publié dans le Washington Post dans lequel
il a écrit par exemple "L'Arabie Saoudite n'a pas toujours été aussi répressive.
Mais maintenant c'est insupportable". C'est le genre de critique légère
que le prince MBS ne supportait plus !
~5~
L'enregistrement audio
Les coulisses de la diplomatie
des services de renseignements

Hakan Fidan, le puissant chef espion turc, s'est lentement tourné vers son
dernier homologue étranger qu'il a accueilli au siège du MIT dans le quartier
Yenimahalle de la capitale:

- Vous pouvez écouter la bande maintenant. Je l'ai déjà écou-tée, et je n'ai


pas besoin de répéter un meurtre atroce en boucle. Mes collègues me
préviendront lorsque vous aurez terminé. Nous en reparle-rons plus tard.

De toute évidence, Fidan ne s'était pas lassé d'entendre le meurtre de


Khashoggi. Il essayait simplement de faire comprendre à son invité et à ses
collègues la gravité du contenu de l'enregistrement - de la sauvagerie
diplomatique.

Un groupe de fonctionnaires de la Central Intelligence Agency, sous la


direction de sa nouvelle directrice Gina Haspel, a été la première délé-gation
étrangère à écouter la célèbre bande magnétique. Après avoir ren-contré les
Américains, les services turcs ont mis l'enregistrement audio à la disposition
des chefs des renseignements saoudiens, britanniques, français, canadiens et
allemands. À l'exception de la délégation anglaise du MI6, qui a écouté
l'enregistrement dans les bureaux du MIT à Istanbul, tous les espions ont dû
faire le déplacement jusqu'à la capitale turque pour la séance d'écoute.

Le meilleur espion turc a accueilli personnellement chaque déléga-tion


étrangère et lui a fait écouter la bande, conformément à la stratégie du
président Recep Tayyip Erdogan en matière de «diplomatie du rensei-
gnement».
Pour faire simple, Les Turcs estimaient que la mise à la disposition des
services secrets étrangers de l'enregistrement audio était le moyen le plus
efficace de tirer au clair les circonstances du meurtre du journaliste, dont le
lieu et la méthode sont sans précédent parmi les crimes violents qu'ils
avaient rencontrés jusqu'ici. En d'autres termes, une grande partie de la
réponse à la question - où? - demeure incertaine.

Il convient en effet de noter que le crime a eu lieu à l'intérieur du consulat


général d'Arabie Saoudite. Les assassins de Jamal Khashoggi ne l'ont
poursuivi ni aux États-Unis, ni à Londres, mais ont préféré lui ôter la vie en
Turquie, ce qui nous mène à la deuxième question clé au sujet de ce
mystérieux incident: où ?

ARISTOTE
INVENTEUR DE LA MÉTHODE QQOQCCP

La règle des QQOQCCP remonte au philosophe Aristote. Elle s'applique


non seulement au journalisme, mais également aux enquêtes policières et
même au travail des services de renseignement. D'ailleurs, certains
organismes de renseignement enseignent la règle des QQOQCCP au sein de
leurs institutions académiques. La méthode en soi est assez simple. Elle nous
aide à comprendre ce qui s'est produit, où et quand cela s'est produit,
comment cela s'est produit, pourquoi et, finalement, qui y a participé.

Thomas d'Aquin, un éminent philosophe du Moyen Âge, a déclaré que la


règle des QQOQCCP était l'invention d'Aristote. Après tout, ces questions se
trouvent dans l'Éthique à Nicomaque. Certains prétendent que Hermagore de
Temnos, un ancien maître grec de la rhétorique ayant vécu au IIe siècle avant
J.-C., a utilisé la même règle. En latin, les six mêmes questions sont connues
sous les termes:

quis (qui), quid (quoi), quando (quand), ubi (où), cur (pour-quoi) et quem
ad modum (comment).

Ce fut pourtant William Cleaver Wilkinson, un professeur de théo-logie


américain, qui a popularisé les QQOQCCP.
L'INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ
DE L'IMPUNITÉ

Le choix du lieu du crime par la brigade de la mort - leur consulat en


Turquie - un pays dont l'influence au Proche-Orient et dans le monde connaît
une croissance rapide, n'est absolument pas le fruit du hasard. Avant d'entrer
dans un examen plus détaillé de la signification du meurtre de Khashoggi,
commençons par décrire son cadre juridique.

Compte tenu du fait que l'assassinat du chroniqueur du Washington Post a


eu lieu à l'intérieur du consulat et que l'incident était sans précé-dent, les
autorités turques ont pris toutes les mesures juridiques oppor-tunes avec une
vigilance extrême. L'article 31 de la Convention de Vienne sur les relations
consulaires stipule que les locaux consulaires sont intou-chables:

1. Les locaux consulaires sont inviolables dans la limite prévue au présent


article.
2. Les autorités de l'État de résidence ne peuvent pénétrer dans la partie
des locaux consulaires utilisée exclusivement aux fins de l'activité du poste
consulaire qu'avec le consentement du chef du poste consulaire ou de son
représentant ou du chef de la mission diplomatique de l'État qui les envoie.
Le consentement du chef du poste consulaire peut toutefois être présumé
donné en cas d'incendie ou de toute autre catastrophe néces-sitant des
mesures de protection rapides.
3. Sous réserve des dispositions prévues au paragraphe 2 du présent
article, l'État de résidence a l'obligation spéciale de prendre toutes les
mesures jugées nécessaires pour protéger les locaux consulaires contre toute
intrusion ou dommage et pour empêcher toute atteinte à la paix ou à la
dignité du poste consulaire.
4. Les locaux consulaires, leur ameublement, les biens du poste
consulaire et ses moyens de transport sont exempts de toute forme de
réquisition pour les besoins de la défense nationale ou de l'utilité publique.
Si l'ex-propriation est nécessaire à ces fins, toutes les mesures possibles
doivent être prises pour éviter d'entraver l'exercice des fonctions consulaires
et une indemnisation rapide, suffisante et effective doit être versée à l'État
expé-diteur.
En outre, l'article 41 de la Convention impose des restrictions signi-
ficatives en ce qui concerne la violation personnelle des fonctionnaires
consulaires:

1. Les fonctionnaires consulaires ne sont pas passibles d'arrestation ou de


détention avant le procès, sauf dans le cas d'une infraction grave et
conformément à une décision de l'autorité judiciaire compétente.
2. Hormis dans le cas prévu au paragraphe 1 du présent article, les
fonctionnaires consulaires ne peuvent être incarcérés ni soumis à aucune
autre forme de restriction de leur liberté personnelle, sauf en exécution d'une
décision judiciaire définitive.
3. Si des poursuites pénales sont engagées contre un fonctionnaire
consulaire, celui-ci doit comparaître devant les autorités compétentes.
Toutefois, la procédure se déroule dans le respect qui lui est dû en raison de
sa situation officielle et, sauf dans le cas prévu au paragraphe 1 du présent
article, d'une manière qui entrave le moins possible l'exercice des fonctions
consulaires. Lorsque, dans les circonstances citées au paragraphe 1 du
présent article, il devient nécessaire de placer un fonctionnaire consu-laire en
détention, les poursuites contre ce dernier sont engagées dans les plus brefs
délais.
Conformément au paragraphe 2 de l'article 31, les enquêteurs turcs se
sont rendus au consulat général d'Arabie Saoudite à Istanbul avec
l'autorisation de Riyad et ont procédé à une perquisition minutieuse des
locaux. Des responsables turcs ont également inspecté la résidence offi-cielle
du consul général Mohammed Al-Otaiba, qui s'est empressé de retourner
dans la capitale saoudienne le 16 octobre, avec le consentement des autorités
saoudiennes et sous la supervision de ces dernières

UNE NOTE SECRÈTE À LA CIA

L'affirmation turque selon laquelle Jamal Khashoggi aurait été victime


d'un meurtre horrible que les Saoudiens avaient planifié à Riyad et commis à
Istanbul reposait fermement sur des renseignements crédibles. La preuve la
plus probante était un enregistrement audio des derniers instants de sa vie.
L'offensive diplomatique menée par la Turquie à la suite de l'assassinat de
Khashoggi était fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait. Cette
stratégie a vu le jour à l'intérieur du palais pré-sidentiel turc sous les
instructions d'Erdogan. Conformément aux ordres du dirigeant turc, le
directeur du MIT, Hakan Fidan, a eu des entretiens avec le Royaume et des
pays tiers, dont les États-Unis.

Lorsque les Turcs ont eu vent de la visite du secrétaire d'État améri-cain


Mike Pompeo à Riyad le 16 octobre, le président Erdogan a convo-qué son
chef du renseignement. À l'époque, les efforts déployés par la Turquie pour
forcer l'Arabie Saoudite à reconnaître sa culpabilité n'avaient pas encore
abouti. Pompeo allait rencontrer le roi Salmane dans l'espoir d'en savoir plus
sur ce qui s'est passé à Istanbul. Lors d'un appel téléphonique à peu
près au même moment, Erdogan et le président amé-ricain Donald Trump
ont débattu des preuves accablantes que les Turcs possédaient contre les
assassins de Khashoggi. Le premier contact direct entre les deux dirigeants
après la mort du chroniqueur du Washington Post a eu lieu le 22 octobre.
Selon une annonce turque, Erdogan et Trump ont non seulement parlé de la
lutte contre le terrorisme et de la situation en Syrie, mais aussi du meurtre de
Khashoggi.

Avant la visite de Mike Pompeo au Royaume, le président turc avait


instruit le chef du MIT de briefer le bureau de la CIA à son siège d'Ankara le
15 octobre. Quant à l'Américain, il avait reçu l'ordre de transmettre une note
au secrétaire d'État américain avant de se rendre en Arabie Saoudite. C'est
ainsi que l'Agence a obtenu une liste contenant les noms des 15 agents
saoudiens qui ont tué Jamal Khashoggi ainsi que des informations sur leur
arrivée à l'aéroport international Atatürk.

À Ankara, les Turcs ont également partagé avec l'homme de la CIA des
détails sur le rôle que chaque membre de l'escadron de la mort a joué dans le
complot meurtrier. Enfin, la note secrète de la Turquie indi-quait les services
pour lesquels les assassins de Khashoggi ont travaillé: la direction des
renseignements généraux, les forces armées saoudiennes, le ministère des
affaires étrangères et le ministère de l'intérieur. Les Turcs ont ajouté que
certains membres de l'équipe de sécurité du Prince héritier Mohammed ben
Salmane faisaient également partie des bourreaux du journaliste.
UN MESSAGE CRYPTÉ À LANGLEY

Les espions turcs n'ont pas joint au message à la CIA une transcrip-tion
officielle du tristement célèbre enregistrement audio, qui documentait les
derniers instants de Jamal Khashoggi. Pourtant, les auteurs ont expli-
citement déclaré que tout ce qu'ils ont inclus dans la note était étayé par des
renseignements crédibles.

Si la Turquie transmettait la note secrète au chef de la station de la CIA, il


était clair pour toutes les parties impliquées, y compris Mike Pompeo, que la
nouvelle directrice de la CIA allait être au courant. Le secrétaire d'État
américain, pour sa part, avait été directeur de la CIA entre janvier 2017 et
avril 2018, et savait donc que le protocole officiel exigeait que le MIT
partage l'information avec la liaison de la CIA à Is-tanbul, qui crypterait le
message et le ferait parvenir à Langley. Enfin, l'Agence partagerait la note
avec le ministère.
Au cours de son mandat de directeur de la CIA, le secrétaire Pompeo
avait à plusieurs reprises rencontré Fidan, le chef espion de la Turquie. Ils se
connaissaient depuis suffisamment longtemps pour s'appe-ler par leurs
prénoms. Pourtant, le département d'État n'était pas au cou-rant du meurtre à
l'intérieur du consulat saoudien jusqu'à ce qu'il reçoive le message turc par
l'entremise de Langley. Pour la Turquie, l'important était de faire en sorte
que Pompeo sache tout avant de mettre les pieds en Arabie Saoudite. C'est
pourquoi il s'est envolé pour Ankara le 17 octobre après une escale rapide à
Riyad.
La décision des services de renseignements turcs d'exclure de leur
message initial aux États-Unis les informations sur le contenu de l'enregis-
trement du meurtre était motivée par la volonté d'Ankara de dévoiler sa main
en temps voulu – tel un bon joueur de poker.

Pour être clair, cette manœuvre était conforme à leur plan d'action initial.
De plus, il était logique que les espions turcs veuillent cacher leur jeu: dans
leur monde, l'information est le pouvoir. Par courtoisie, la Tur-quie a voulu
offrir aux Saoudiens l'occasion de dire la vérité avant de par-tager les
preuves avec la communauté internationale. C'est pourquoi Ha-kan Fidan a
dit à son homologue saoudien, Abdulaziz bin Mohammed Al-Hawairini, de
«trancher le bras gangrené» de l'appareil d'État du Royaume. En d'autres
termes, Ankara a donné à Riyad du temps pour réfléchir. Lorsqu'il est
devenu évident que les Saoudiens ne comptaient pas passer à l'acte, la
Turquie a décidé de jouer cartes sur table.

L'ENREGISTREMENT AUDIO
DU MEURTRE DE KHASHOGGI

Une fausse idée répandue au sujet de l'enregistrement audio des ultimes


instants de Jamal Khashoggi est qu'il ne couvre que les 7 minutes 30, le
temps qu'il a fallu aux assassins saoudiens pour le tuer. En vérité, il contient
beaucoup plus de détails. L'un des segments les plus intéressants est une
conversation entre les assassins avant que le citoyen saoudien de 59 ans ne
pénètre dans le consulat. Les propos de Maher Abdulaziz Mutreb, général
des services de renseignements saoudiens, l'expert médi-co-légal Al-
Tubaigny et l'officier de renseignement Al-Harby ont été enregistrés. Le 3
novembre 2018, l'unité spéciale des renseignements du journal Sabah a
révélé que ces trois hommes faisaient partie de l'équipe de base qui a tué et
démembré Khashoggi[1]. Selon leur conversation, qui a eu lieu moins d'une
heure avant que le chroniqueur du Washington Post n'entre dans le bâtiment,
le plan de Riyad était de tuer le dissident saoudien et de démembrer son
corps sur place. Cette information a convaincu Gina Haspel que les
Saoudiens avaient le sang de Khashoggi sur les mains et que le meurtre était
prémédité.

Haspel est arrivée à Ankara, la capitale administrative, le 23 oc-tobre, en


compagnie d'un grand groupe de fonctionnaires de la CIA. Grâce à l'habileté
de la Turquie depuis la disparition du journaliste, elle savait déjà que le MIT
avait des preuves à sa disposition[2] . La directrice de la CIA était impatiente
d'écouter l'enregistrement du meurtre dont tout le monde parlait, mais seule
une poignée de personnes, dont le président Erdogan et le chef de son
puissant service de renseignements l'avaient entendu. Il était clair qu'elle
n'aurait pas aimé prendre l'avion en vain jusqu'à l'autre bout du monde,
d'autant qu'elle devait informer le prési-dent Donald Trump par
l'intermédiaire du directeur du renseignement national.
LA CIA IMPRESSIONNÉE
PAR LE DÉBAT QUI A PRÉCÉDÉ L'ASSASSINAT

Haspel et ses collègues ont pris un jet privé pour Ankara et Hakan Fidan
et ses collaborateurs ont accueilli la délégation américaine au siège du MIT.
Ce jour-là, les espions turcs ont partagé pour la première fois
l'enregistrement audio du meurtre avec un service secret étranger et ont
raconté à leurs invités ce qui s'était passé avant et après le meurtre. À ce
moment, même les services de renseignements saoudiens ne savaient pas
exactement ce que la bande contenait.

Tout d'abord, Haspel a entendu les conversations entre les assassins


saoudiens entre midi et l'arrivée de Jamal Khashoggi à 13h14, heure lo-cale.
L'interprète arabe de la CIA s'est mis à traduire l'audio: «Nous allons d'abord
lui dire que nous l'emmenons à Riyad. S'il n'obéit pas, nous le tuerons ici et
nous nous débarrasserons de son corps.»

À l'époque, seuls les responsables du MIT savaient que l'homme qui avait
prononcé ces mots était Maher Abdulaziz Mutreb, le chef de l'escadron de la
mort. Les Turcs ont immédiatement partagé avec la délégation de la CIA la
conclusion à laquelle ils avaient abouti après un examen appro-fondi par les
experts du service «audio» du MIT. Les Américains ont alors appris quel
agent a dit quoi avant le meurtre de Khashoggi. Les mots de M. Mutreb ont
été adressés à Salah Muhammad Al-Tubaigny, qui était à la tête de l'institut
médico-légal d'Arabie Saoudite. Tubaigny était un membre clé de la bande
d'assassins parce que ceux-ci avaient besoin de lui pour découper le
chroniqueur du Washington Post en petits morceaux. Se-lon la bande,
l'expert en autopsie s'est tourné vers ses complices avant qu'ils ne tuent
Jamal Khashoggi et a dit:

- Je travaille toujours sur des cadavres.


- Je sais très bien les découper.
- Je n'ai jamais travaillé sur un corps chaud auparavant, mais je vais
m'en occuper facilement.
- Quand je coupe les cadavres, je mets habituellement mes écou-teurs et
j'écoute de la musique.
- En même temps, je bois du café et je fume.
Al-Tubaigny a ajouté:

- Jamal est assez grand - 1m80 environ.


- Il est facile de démonter les articulations de l'offrande [sic], mais il
faudra du temps pour la couper en morceaux.
- Habituellement, on suspend l'animal à un crochet après l'avoir abattu
pour le découper en morceaux.
- Je n'ai jamais fait ça sur le terrain.
- Quand j'aurai fini de hacher, tu emballeras les morceaux dans des sacs
en plastique, tu les placeras dans des valises et tu les sorti-ras.

Le fait que l'expert en autopsie ait qualifié la victime «d'offrande» était


important parce qu'il a dévoilé à quel point le meurtre était vrai-ment
horrible.

Ce dont les assassins ont discuté à l'intérieur et autour du bureau du


consul général Mohammed Al-Otaiba a révélé que le meurtre de Khashoggi
était planifié dans la capitale saoudienne et que les agents étaient déterminés
à exécuter le journaliste du Washington Post s'il venait à résister, un scénario
monstrueux. D'ailleurs, plusieurs membres de l'esca-dron de la mort ont
emmené le journaliste depuis la Section des Visas jusqu'au bureau d'Al-
Otaiba situé à l'étage, à 13h15, une minute seule-ment après qu'il eut franchi
la porte du consulat.
Lorsque les Saoudiens l'ont attrapé pour le conduire à l'étage, Jamal
Khashoggi leur a demandé ce qu'ils comptaient faire et leur a demandé de lui
lâcher le bras, ce que ses ravisseurs ont refusé.

Quand Khashoggi est arrivé dans la pièce, Mutreb lui a demandé de


s'asseoir et l'a informé qu'il serait emmené en Arabie Saoudite. La ré-ponse
de la victime a été brève et claire: «Je n'irai pas à Riyad.» Les Saou-diens
ont alors demandé au chroniqueur d'envoyer un SMS à son fils, Sa-lah, qui
était, de facto, en captivité à Riyad. Défiant ses ravisseurs, Khas-hoggi a
demandé: «Allez-vous me tuer? Allez-vous m'étrangler?»

Pour tenter de dissimuler ses véritables intentions jusqu'au dernier


moment, Mutreb lui a dit que tout lui serait pardonné s'il acceptait de
coopérer !

LE COMBAT ULTIME DE KHASHOGGI

Selon l'enregistrement, Jamal Khashoggi est resté digne et détermi-né


lorsqu'il a affronté ses assassins. C'était un journaliste chevronné avec
suffisamment d'expérience pour savoir, sans l'ombre d'un doute, ce que ces
hommes de main du régime saoudien étaient venus faire en Turquie.
Pourtant, il n'a manifesté aucune crainte à ses assassins et n'a pas semblé
réticent en leur présence. Khashoggi se tenait debout, même en rendant son
dernier souffle - même au prix de sa vie.

Les Saoudiens voulaient que Khashoggi envoie à son fils Salah le


message suivant:
Mon fils, je suis à Istanbul. Ne t'inquiète pas si tu n'arrives pas à me
joindre pendant un moment.
Le fait que le journaliste ait refusé d'envoyer un SMS à son fils a pris ses
assassins par surprise. À ce moment précis, il se fit un silence, bref, mais
assourdissant dans la pièce. La bande a continué à tourner, docu-mentant
tout, y compris le silence. Pendant toute l'opération, aucun agent saoudien ne
s'est exprimé ouvertement.

Les tueurs n'avaient pas l'intention de supplier Khashoggi. Ils n'ont pas
non plus répondu à ses protestations. Sur ordre de Mutreb, les hommes ont
alors commencé à sortir leurs outils et à les placer sur le grand bureau. La
victime est restée assise. La vue des armes du crime ne semblait pas
l'intimider. Bien qu'étant sur le point de mourir, le chroni-queur du
Washington Post ne s'est pas incliné devant le régime saoudien. Il n'a pas
non plus tenté de quitter la pièce, alors même que les sbires al-laient le tuer.
Dans ces circonstances, peu de gens auraient montré autant de courage, de
calme et de dignité.

Tout à coup, cinq agents saoudiens ont alors tenté d'étrangler Ja-mal
Khashoggi - une fois de plus sur les ordres de Mutreb. L'un d'eux, peut-être
Al-Harby, a tenté de le bâillonner, mais le journaliste a réussi à s'échapper.
Quatre hommes l'ont attaqué, ensemble. L'un d'eux (ont con-clu les analystes
avec une certitude absolue) n'était autre que Al-Zahrani.

Le chroniqueur du Washington Post, qui allait mourir là, dans cette pièce,
à peine 7 minutes et 30 secondes plus tard, a résisté à ses ravisseurs avec une
volonté de vivre apparemment infinie. Mais les hommes de main étaient
physiquement plus forts que Khashoggi et formés à cet art mortel: plutôt que
de serrer les bras et les jambes, il n'a pas cessé d'essayer de se libérer de
l'emprise impitoyable de ses agresseurs.

SES DERNIERS MOTS

Finalement, les Saoudiens ont réussi à le bâillonner: «Ne me fermez pas


la bouche» supplia-t-il, «Lâchez ma bouche. J'ai de l'asthme. Arrêtez, vous
m'étouffez!»

Ce furent les derniers mots du journaliste saoudien. Ses bourreaux ont


placé un sac en plastique sur sa tête, ce qui finira par avoir raison de lui.
Pendant les 5 minutes qui ont suivi, la victime a opposé une résis-tance
acharnée. L'enregistrement de ces moments était si explicite et in-humain
que même les agents du renseignement, dont la tolérance à ce genre
d'horreurs est supérieure à celle de la moyenne de gens, en raison de leurs
antécédents professionnels, ont été troublés par ce qu'ils ont entendu.

D'ailleurs, la directrice de la CIA Gina Haspel, que les détracteurs ont


accusée à plusieurs reprises d'avoir torturé des prisonniers, a été visi-blement
émue par l'enregistrement du meurtre. L'audio a fait couler des larmes dans
les yeux de l'interprète arabe et c'est la voix cassée qu'il a continué à traduire
les paroles des tueurs. Il a fallu plusieurs minutes à la délégation de la CIA
pour se remettre de l'horreur. On aurait pu entendre une mouche voler dans
la grande salle du quartier général du renseigne-ment turc. Les Américains
se regardaient dans les yeux.

La dernière chose que l'on pouvait entendre sur l'enregistrement était la


respiration sifflante d'un homme sur le point de quitter ce monde. À ce
moment-là, Khashoggi n'avait plus la force de se défendre et il n'y avait plus
assez d'air dans le sac plastique qui recouvrait sa tête, pour le maintenir en
vie. Jamal Khashoggi est décédé le 2 octobre à 13h24,

LA TRONÇONNEUSE

Maintenant que leur victime était morte par étouffement, il était temps
pour les Saoudiens de découper son corps. Mais ils ont d'abord ôté les
vêtements du journaliste afin qu'un «double» puisse les porter. Deux agents,
Al-Madani et Al-Qahtani, ont pris ses vêtements. Puisque Khas-hoggi était
mort d'asphyxie, il n'y avait pas de sang sur ses effets person-nels. Al-
Madani a alors enfilé ses habits encore chauds.

Tubaigny, l'expert médico-légal qui a observé le meurtre de l'autre côté de


la pièce, était en charge du morcellement du corps. Le journaliste saoudien a
été découpé sur les lieux mêmes de sa mort, dans le bureau du consul
général saoudien. En quelques minutes, le directeur de l'Institut de médecine
légale d'Arabie Saoudite a transformé la salle en laboratoire d'autopsie.
Pendant la demi-heure qui a suivi, il a découpé le corps avec l'aide d'Al-
Harby et d'Al-Zahrani.

Une mutilation répand du sang partout.

De toute évidence, Tubaigny était au courant de ce problème. Il a donc


drainé le sang du corps nu de Khashoggi à l'aide d'outils médicaux et a jeté
le liquide à l'égout[3] . L'enregistrement audio a prouvé que les Saoudiens ont
utilisé une sorte de couperet pour briser les os du journa-liste. De temps en
temps, l'expert médico-légal mettait en marche une scie électrique spéciale
«autopsie». Tubaigny a utilisé l'appareil manuel de type «mixeur» pour
déchiqueter impitoyablement le corps en l'espace de quelques minutes. Il
était peut-être aussi excité que les anciens Egyptiens qui ont inventé la scie
chirurgicale et aussi calme et concentré que les praticiens modernes. Les
analystes turcs avaient conclu, après avoir enten-du le bruit d'un moteur en
marche, que les tueurs avaient utilisé une tron-çonneuse pour le démembrer.
Les experts médico-légaux étaient du même avis.

Au cours du processus de découpage, on a pu entendre Tubaigny


vociférer des instructions et crier après les voyous:
- Qu'est-ce que vous attendez?
Alors que les agents saoudiens offraient un spectacle, dont la sau-vagerie
n'a été égalée que par Hannibal Lecter du film le Silence des Agneaux,
certains diplomates du consulat saoudien d'Istanbul sont tombés malades.

Pour être clair, Tubaigny n'était pas bien placé pour dire à ses com-
pagnons assassins «d'écouter de la musique» - comme certains organes de
presse ont pu le rapporter. Il s'est pleinement concentré sur la tâche inouïe
qui l'attendait. Pourtant, sa déclaration, avant le meurtre, qu'il écoutait
habituellement de la musique au travail avait été enregistrée. Or, sa tâche
macabre n'avait rien à voir avec le découpage des cadavres. En effet, Tu-
baigny n'écoutait pas de musique au «travail» ce jour-là. À un moment
donné, les médias américains se sont mis à décrire les assassins de Jamal
Khashoggi comme des tueurs voyous. Ce terme a été attribué à des fonc-
tionnaires turcs[4] .

GINA HASPEL:
UNE PREMIÈRE DANS L'HISTOIRE DE L'ESPIONNAGE

La directrice de la CIA a été visiblement émue par ce qu'elle avait


entendu. Elle savait que le bavardage entre les agents saoudiens avant
l'arrivée de Khashoggi au consulat constituait une preuve de prémédita-tion.
Une minute de silence a suivi la séance d'écoute. Gina Haspel s'est tournée
vers son homologue turc Hakan Fidan, et lui a dit que l'accès à ces preuves
était l'une des réalisations les plus remarquables de l'histoire du métier. Elle
l'a ensuite félicité. Bien que les fonctionnaires du MIT ait conservé le fichier,
ils ont partagé une copie officielle de la transcription avec la CIA.

Le matin de son retour aux États-Unis, le 23 octobre, la patronne de la


CIA a fait part de ses conclusions au président Trump lors de la séance
d'information quotidienne[5] . Le secrétaire d'État Mike Pompeo était éga-
lement présent. Trois jours plus tard, la porte-parole de la Maison-Blanche,
Sarah Sanders, a confirmé que Donald Trump avait été mis au courant de la
bande sonore par Haspel. Elle a ajouté que l'administration américaine
n'avait pas encore décidé de la marche à suivre[6] .
Citant des sources anonymes, le Washington Post a rapporté trois
semaines après la visite de Haspel au siège du MIT la conclusion de la CIA
selon laquelle le prince héritier Mohammed ben Salmane aurait ordonné le
meurtre de Jamal Khashoggi. Un autre responsable américain a déclaré à
l'Associated Press que la communauté du renseignement était persuadée de
la culpabilité de MBS. L'article du Washington Post soulignait que l'appré-
ciation de la CIA était crédible et risquait de miner les efforts de l'admi-
nistration Trump pour maintenir une relation solide avec Mohammed ben
Salmane. Selon le journal, les analystes de la CIA ont pris en considéra-tion
un appel téléphonique entre Jamal Khashoggi et Khaled ben Sal-mane,
l'ambassadeur saoudien aux États-Unis et le frère de Mohammed, que les
renseignements américains avaient intercepté.

Des sources anonymes ont déclaré au Washington Post qu'au cours de cet
échange, le prince Khaled avait avisé le journaliste de récupérer ses papiers
officiels au consulat saoudien à Istanbul et l'avait rassuré sur sa sécurité lors
de sa visite à la mission diplomatique. Fatimah Baeshen, porte-parole de
l'ambassade saoudienne à Washington, a rapidement nié l'affirmation selon
laquelle Khaled ben Salmane se serait entretenu avec Jamal Khashoggi et
déclaré que la CIA avait tort.

Le même journal a également rapporté que le gouvernement américain


savait à l'avance que le chroniqueur pourrait être en difficulté, mais qu'il
n'était pas au courant de la menace toute particulière avant sa disparition le 2
octobre. En d'autres termes, la CIA, comme son homologue turc, n'effectuait
pas de surveillance en temps réel au moment de l'assassinat de Khashoggi.
Ce n'est que rétroactivement qu'ils ont découvert la vérité.
«COUPEZ LE BRAS GANGRENÉ»

Hakan Fidan - que les Saoudiens appellent «docteur» - n'a pas évo-qué
les preuves dont dispose la Turquie lors de sa première rencontre avec le
chef des renseignements saoudiens Abdulaziz bin Mohammed Al-
Howeirani, après l'assassinat de Khashoggi. Pourtant, il a clairement fait
savoir à son homologue qu'Ankara avait des informations solides.
- Vous l'avez fait. Vous souffrez de gangrène. Vous devez couper le bras
gan-grené a déclaré le chef espion de la Turquie avant d'ajouter:
- Vous décidez quand et où vous allez couper. Mais si vous intervenez trop
tard, la maladie se propagera à toutes les parties du corps.

Rétrospectivement, Fidan avait raison. Avec l'Arabie Saoudite qui a tout


nié en bloc, le problème a pris de l'ampleur. En fin de compte, Riyad a dû
payer un lourd tribut pour survivre à la crise. Le fait que les assassins de
Jamal Khashoggi comptaient des membres des services de renseigne-ments
saoudiens, de l'armée, du corps diplomatique, du ministère de l'Intérieur et
de l'Institut de médecine légale a fait retomber l'énorme res-ponsabilité
politique des actes sur Mohammed ben Salmane.

À l'insu du prince héritier, il aurait été impossible pour tant de


fonctionnaires saoudiens d'horizons professionnels aussi divers de travailler
ensemble sur une même mission. Même le chef du MIT n'a pas le pouvoir
politique de prendre une telle initiative. D'une façon ou d'une autre, il doit y
avoir un décideur politique. Le marionnettiste n'était autre que Mohammed
ben Salmane, alias MBS.

Soyons clairs, les Turcs connaissaient la vérité dès le début. Pour-tant, ils
voulaient que leurs homologues occidentaux, y compris les Amé-ricains,
comprennent la gravité de la situation et l'acceptent. La raison pour laquelle
l'Arabie Saoudite a envoyé 4 agents de renseignement en Turquie peu après
l'assassinat de Khashoggi consistait à déterminer si les Turcs étaient au
courant de l'implication de Mohammed ben Salmane, et ce que Ankara
pouvait réellement prouver. C'est pourquoi l'un des repré-sentants saoudiens
est resté dans la capitale turque pendant un certain temps et a suivi l'enquête
criminelle en cours.

Ce n'est que plus tard que l'Arabie Saoudite a appris l'existence de


l'enregistrement audio dont disposait la Turquie. S'ils l'avaient su avant,
pendant, ou même après le meurtre de Khashoggi, Riyad aurait certai-
nement été plus prudent. Sachant que les services turcs détenaient des
preuves de ce qui s'était produit précisément, Riyad a alors pris un soin
particulier à les enterrer toutes.

Après avoir reçu une demande officielle des enquêteurs turcs de fouiller
le consulat, ainsi que la résidence consulaire (conformément à la Convention
de Vienne) les Saoudiens ont nettoyé les lieux du crime. Leurs actions
constituent - c'est le moins que l'on puisse dire - un grave abus du droit
international. Après que le ministère public d'Istanbul eut déposé sa
demande de perquisition le 10 octobre, l'Arabie Saoudite l'a reportée de... 10
jours. Les Turcs avaient demandé à chercher des preuves criminelles à l'aide
de luminol.

Les Saoudiens ont donc fait tout ce qui était en leur pouvoir pour retarder
la perquisition. Tout d'abord, ils ont exigé que les enquêteurs turcs scannent
les lieux visuellement et sans utiliser de luminol. Les auto-rités saoudiennes
ont soulevé cette question lors d'une réunion avec le procureur et les officiers
de police au quartier général de la police natio-nale à Istanbul. La Turquie a
réagi négativement. Les autorités saou-diennes ont ensuite demandé
d'indiquer à l'avance qui ferait partie de l'équipe de perquisition...

Et pour quels motifs !

Lors de la deuxième réunion, les Turcs ont accédé à cette demande


conformément à la Convention de Vienne. En sollicitant les autorités pour
plus d'informations sur les enquêteurs, et l'utilisation du luminol, l'Arabie
Saoudite a fait plus que gagner du temps: elle a également déterminé ce
qu'elle devait faire pour empêcher la police turque de trouver les traces du
meurtre. Tout au long de ce processus, le droit international a sérieuse-ment
entravé les efforts de la police pour découvrir des preuves incrimi-nantes
contre les meurtriers. Contrairement à Riyad, les Turcs se sont strictement
conformés à la Convention de Vienne - que les Saoudiens ont utilisée
comme excuse pour occulter les preuves matérielles.

COMMENT CONTAMINER UNE SCÈNE DE CRIME


EN QUATRE ÉTAPES SIMPLES

Les autorités saoudiennes ont dissimulé les preuves du meurtre de Jamal


Khashoggi en quatre étapes. Immédiatement après le meurtre, les 15
membres de l'équipe de tueurs ont nettoyé la scène du crime tant bien que
mal. Quelques heures plus tard, dans l'après-midi du 2 octobre, le personnel
diplomatique du consulat saoudien a balayé la scène une deu-xième fois.
Pourtant, deux Saoudiens (que Riyad a envoyés en Turquie prétendument
pour coopérer à l'enquête turque) ont été chargés de la destruction de toutes
les preuves criminelles. Appelée «gommes à effacer» dans le jargon du
renseignement, cette équipe spécialisée, composée d'un toxicologue et d'un
chimiste, s'est rendue à Istanbul 9 jours après le meurtre de Khashoggi pour
tout dissimuler.

Une partie de l'équipe de chimistes nettoyeurs saoudiens


venus exprès pour enlever toute trace du crime. DR.

Parmi les 11 fonctionnaires saoudiens à s'être rendus en Turquie le 11


octobre, on comptait le chimiste Khaled Yahya Al-Zahrani et le toxico-logue
Ahmad Abdulaziz Al-Janubi. Leur mission consistait à masquer les preuves
du crime - en prétextant d'aider les enquêteurs turcs. Les deux hommes se
sont enregistrés sous des faux noms à l'hôtel de luxe S, situé sur la rive ouest
du Bosphore, et se sont rendus chaque jour pendant une semaine entière au
consulat saoudien. Al-Zahrani et Al-Janubi ont effec-tué le quatrième et
dernier «balayage» du consulat saoudien et de la rési-dence officielle du
consul. Après avoir visité le bâtiment à plusieurs re-prises jusqu'au 17
octobre, en compagnie de 9 autres fonctionnaires en mission de recherche
simulée, le chimiste et le toxicologiste ont quitté la Turquie le 21 octobre.

L'Arabie Saoudite n'a pas permis aux enquêteurs turcs de fouiller l'un ou
l'autre bâtiment avant que les deux agents n'aient terminé leur mission «faire
disparaître les preuves». Le 16 octobre, juste avant le début des recherches
dans la résidence, Riyad a rappelé son consul général, Mo-hammed Al-
Otaiba, de Turquie.

CINQ HOMMES
AU CŒUR DU COMPLOT

La police turque a donc finalement perquisitionné le consulat de l'Arabie


Saoudite d'Istanbul les 15 et 16 octobre. La résidence, elle, a été fouillée le
17 octobre. Selon des responsables turcs, le chimiste et le toxico-logue ont
continué à nettoyer les deux bâtiments jusqu'à ces dates[7] . Il s'agissait
probablement du travail de nettoyage le plus diligent de l'his-toire de la
chimie, depuis la naissance de l'alchimie et depuis la décou-verte des
toxines.
Les espions du MIT ont fait savoir sans ambages aux autorités
saoudiennes, lors de réunions ultérieures, que les efforts de Riyad pour
dissimuler les preuves n'avaient échappé à personne. La réponse saou-dienne
a également été simple:
- Nous savons que vous avez besoin de preuves criminelles. Nous ne
faisons que prendre des précautions.
La conversation tristement célèbre entre les principaux suspects - Mutreb,
Tubaigny et Al-Harby - a été enregistrée vers midi le 2 octobre, et d'après les
images de vidéosurveillance obtenues par la police, le méde-cin légiste est
entré au consulat saoudien à 10h43 du matin. L'enregis-trement audio révèle
que le consul saoudien n'a pas dit aux tueurs de «faire cela ailleurs».
Les autorités turques estiment que les suspects, y compris le double du
corps, Al-Madani, se trouvent dans un endroit reculé en Arabie Saou-dite,
mais pas derrière les barreaux. Dans une déclaration écrite, le procu-reur
général saoudien a annoncé que l'accusation demandait la peine de mort pour
5 suspects. La Turquie estime que ces personnes sont maintenues en
isolement dans le but de les maîtriser.
Si la culpabilité officielle a été limitée à seulement 5 agents, ce fut
uniquement pour sauver ceux qui n'ont pas été directement impliqués dans
l'assassinat de Khashoggi. Ainsi, l'Arabie Saoudite a refusé d'identifier les
meurtriers, qui risquent la peine de mort, mais nous savons qu'il s'agit
probablement de Mutreb, Tubaigny, Al-Harby, Al-Madani et Al-Zahrani.
Les chimistes saoudiens nettoyeurs venus exprès pour enlever
toute trace du crime aussi bien au Consulat
qu'à la résidence du Consul. DR.
La transcription donnée par
le HCDH mi-2019 à la
presse internationale a été allégée
par rapport à ce que vous avez
pu lire dans ce livre.

Juste avant que Khashoggi n'arrive, vers 13h02, l'équipe discutait sur la
manière dont le corps serait emporté
Mutreb - Est-ce qu'il serait possible de mettre le tronc et la hanche dans
une valise
Al Tubaigny - Non, trop lourd, les joints [du corps] seront séparés. Ce
n'est pas un problème. Son corps est lourd. C'est la première fois que je
découpe au sol. Si on prend des sacs plastique et qu'on découpe le corps en
morceaux, ce sera terminé. On les enveloppera individuellement et... dans
des sacs en cuir. Vous les sortirez du bâtiment.
X - ( Inaudible ) ...lui découper la peau.
Al Tubaigny - Mon patron direct n'est pas au courant de ce que je fais. Il
n'y a personne pour me protéger.
(ils attendent l'arrivée de Khashoggi )
Mutreb - Est-ce que l'animal sacrificiel est arrivé ?
- Il est arrivé (13h13)
Khashoggi est amené par un membre de l'équipe au 2e étage du consulat
et Khashoghi reconnaît Mutreb )
Khashoggi - Que faites vous là ?
Mutreb - Il faut qu'on te ramène, on a des ordres d'Interpol, on a un
mandat d'Interpol. On est là pour te ramener.
Khashoggi - Il n'y aucune affaire contre moi, vous ne pouvez pas faire
ça, des gens m'attendent dehors, un chauffeur m'attendent.
Bruits de l'équipe qui se jette sur lui cette partie de l'audio n'a pas été
révélée par les Turcs car ils l'ont passé à tabac pour savoir qui l'attendait
dehors )
Khashoggi - Il n'y a pas de chauffeur qui m'attend, il n'y a que ma
fiancée
Mutreb - Tu as combien de téléphones?
Khashoggi - Deux...
Mutreb - Quelles marques?
Khashoggi - Apple...
Mutreb - Envoie un SMS à ton fils...
Khashoggi - Quel fils? Et je lui dis quoi ?
( Silence )
Mutreb - Tu vas écrire, on va répéter, montre-nous...
Khashoggi - Je dis quoi? à bientôt ? Je peux pas lui dire que je suis
kidnappé...
Mutreb - C'est bon, enlève ta veste...
Khashoggi - Comment ça peut se passer dans une ambassade? Je
n'écrirai rien. Est-ce que je suis kidnappé?
Mutreb - C'est bon...
Khashoggi - Je n'écrirai rien.
Mutreb - Écris monsieur Jamal, dépêche toi... Aide-nous parce qu'à la
fin on va te ramener en Arabie Saoudite et si tu ne nous aides pas, tu sais ce
qui va se passer à la fin. Que cette situation se termine bien.
À 13h33 Khashoggi remarque une serviette de posée au sol )
Khashoggi - Il y a une serviette là... Vous allez me droguer?
X - Oui on va t'anesthésier...
(Bruits de bagarre, frottements, cris, souffles)
Khashoggi - Je ne peux pas respirer, je ne peux pas respirer, j'ai de
l'asthme... Vous allez m'étouffer!
A priori ils enfoncent une piqûre dans le cou de Khashoggi )
(Cris et bruits de suffocation )
X - Est-ce qu'il est endormi ?
Y - Lève sa tête... Continue à pousser... Pousse ici, n'enlève pas ta main,
pousse-le...
( Bruit bizarres de découpage, souffles lourds, on entend des bruits de
sacs plastique manipulés. Le MIT pense que Khashoggi a d'abord été
endormi avant de l'étouffer avec un sac plastique. L'équipe de tueurs parle
également d'une corde )
X - Laisse le découper... laisse le découper.
( Bruits de scie électrique à 13h39 )
X - C'est fini.... c'est fini.
X - Enlève-le... c'est un chien.
X - Emballe, emballe.
(Bruits de scie électrique )
Al Tubaigny - Si tu n'aimes pas le bruit, mets tes écouteurs et écoute de
la musique, comme moi, quand je découpe des cadavres... parfois j'ai une
tasse de café et un cigare à portée de main...
( Bruits divers )
( Mutreb passe trois appels téléphoniques à des officiels à la cour du
prince Ben Salmane )
Mutreb - Dites à votre patron que c'est fait!
( Plus tard )
Z - Ca ne craint pas un peu de porter les vêtements de quelqu'un qui vient
tout juste d'être tué?
( Vers 15h, les caméras dans la rue ont vu la camionnette Mercedes du
Consulat quitter le garage et arriver ensuite à la résidence privée du
Consul à 15h02. Trois hommes pénètrent dans la résidence avec trois
grands sacs poubelle et une grande valise à roulettes... À 15h53 les
caméras de la rue ont enregistré Almadani flanqué de Algathani -avec un
sac blanc- sortir par la porte arrière du Consulat. Almadani porte les
habits de Jamal Khashoggi! Après avoir fait un tour dans les lieux
touristiques d'Istanbul pour faire croire que c'est Khashoggi qui se promène
dans la ville, les deux hommes sont vus par les caméras de retour à leur
hôtel le Mövenpick, à 18h09)[8]
Ci-dessous le médecin légiste dans l'un de ses bureaux en Arabie Saoudite DR
La caméra de surveillance turque installée dans la rue a bien enregistré l'un
des membres de l'équipe emportant deux sacs + une valise à roulettes sortis
de la camionnette Mercedes, transportant d'un côté les bras et jambes et
de l'autre la tête; la valise était remplie du tronc comme l'avait demandé
le médecin légiste saoudien Tubagny. DR
Le Consul Al-Otaibi a expliqué en direct devant les caméras
du monde entier qu'il ne savait pas où se trouvait le "citoyen Jamal"
alors qu'il a supplié l'équipe de tueurs en leur demandant:
"Ne faites pas ça ici, autrement j'aurai des ennuis".
Réponse de l'un des assassins:
"Ferme-la, si tu veux vivre à ton retour en Arabie Saoudite". DR

L'équipe de tueurs saoudiens a étudié l'emplacement de tous les hôtels


d'Istanbul et a soigneusement choisi les hôtels de luxe les plus proches du
Consulat et de la résidence pour mener à bien leur mission. DR
Le passeport saoudien de Jamal Khashoggi
1-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "İşte cesedi yok eden cellatlar"[Voici les
bourreaux qui ont détruit le corps], Sabah, 3 novembre 2018. >>>

2-Le 17 octobre, les autorités turques avaient confirmé oralement au secrétaire d'État
américain Mike Pompeo qu'elles étaient en possession de ces enregistrements audio. >>>

3-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "Cemal Kaşıkçı cinayetinde dehşet detaylar"


[Horrible Details Of The Jamal Khashoggi Murder], Sabah, 23 novembre 2018. >>>

4- Ertuğrul Özkök, "Kadavra uzmanlığından kemik testereli cinayete" [De la spécialisation


des cadavres à un meurtre à la tronçonneuse], Hürriyet, 18 octobre 2018. >>>

5-Serdar Turgut, CIA Başkanı Gina Haspel'in Türkiye dönüşünden sonraki ilk başkanlık
brifinginin konusu Türkiye'ydi[La Turquie était le sujet du premier Pdb après le retour de
Gina Haspel de Turquie], Habertürk, 26 octobre 2018. >>>

6-Beyaz Saray'dan Cemal Kaşıkçı açıklaması [White House Statement On Jamal Khas-
hoggi], Timeturk, 29 October 2018. >>>

7-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "Delilleri silici ekip kararttı"[L'équipe Gomme a


enfoui les preuves], Sabah, 5 novembre 2018. >>>

8-
www..ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session41/Documents/A_HRC_41_C
RP.1.docx >>>
~6~
Où se trouve le corps
de Khashoggi ?
«Ce n'est pas une république bananière»

L'une des questions encore en suspens qui entourent le meurtre de Khas-


hoggi concerne l'emplacement de sa dépouille. En vertu de la loi isla-mique,
le corps (ou des parties du corps) doit être enterré et une sépulture doit être
prévue afin que les proches du défunt puissent s'y recueillir et réciter des
prières. Si l'Arabie Saoudite a reconnu le meurtre, elle n'a pas aidé les Turcs
à retrouver le corps. Au contraire, les autorités saoudiennes ont activement
bloqué les efforts visant à le localiser.

Le MIT et la police nationale turque poursuivent les recherches, sans que


leurs efforts n'apportent de réponses claires. Il existe des réponses plausibles,
mais aucune d'entre elles n'est concluante. La plus vraisem-blable est que les
restes de Khashoggi se trouvent au fond du puits de la résidence consulaire.
Les autorités estiment, avec certes moins de certitude, que les parties du
corps sont répartie ailleurs, autour de la résidence. Parce que les agents du
MIT et les forces de l'ordre ne laissent rien au hasard, ils ont également
cherché ailleurs. C'est ainsi que le 26 novembre dernier, ils ont
perquisitionné une villa de luxe dans la municipalité de Yalova, mais n'ont
trouvé aucune trace du journaliste assassiné. Avant ce raid, les fonc-
tionnaires nous avaient d'ailleurs fait part de leur pessimisme.

Les autorités turques continuent de croire que les parties du corps se


trouvent au fond du puits. En effet, les analystes et les agents des forces de
l'ordre ont pu retracer l'itinéraire du corps depuis le consulat saoudien jusqu'à
la résidence officielle du consul, mais pas plus loin. Ils n'ont pas pu fouiller
le puits du consul général, car Riyad leur a interdit la perqui-sition. Le
même fonctionnaire saoudien qui bloque la recherche du corps a retardé le
nettoyage initial. En réponse à la demande officielle d'inspecter la scène du
crime au moyen d'équipements médico-légaux, les Saoudiens ont déclaré
que la police turque était la bienvenue, mais uniquement pour une inspection
visuelle des lieux. Outré par cette réponse, un officier supé-rieur de la police
s'est énervé:

- Ce n'est pas une république bananière. Nous ne viendrons pas dans vos
locaux siroter du thé et déguster des pâtisseries. Une recherche visuelle
est hors de question. La seule façon d'effectuer la fouille est d'utiliser du
matériel médico-légal.

Les Saoudiens ont alors demandé à la police de leur décrire l'équipe


chargée de la collecte des preuves ainsi que la manière exacte dont ils
comptaient mener leurs recherches, tout en ajoutant que leur requête né-
cessitait l'approbation de Riyad. En réalité, les autorités saoudiennes
n'avaient pas besoin de ces informations, mais bien de plus de temps. Quoi
qu'il en soit, les deux parties n'ont pu réaliser aucun progrès. Il a fallu un
appel téléphonique entre le président Erdogan et le roi d'Arabie Saoudite le
15 octobre pour obtenir le feu vert.

Lorsque les recherches ont commencé, la police n'avait aucune con-


naissance préalable de l'agencement du consulat saoudien, ni de la rési-dence
consulaire. Citant la Convention de Vienne, les gardes saoudiens ont suivi
les traces de l'équipe de recherches. Un morceau de marbre, invi-sible au
premier regard, se trouvait dans une longue allée près de la salle des
machines de la piscine. Un ancien employé du consulat, qui avait partagé des
informations avec la police, en a fait part aux autorités.
Avant la perquisition, la police a consulté les fiches de sécurité so-ciale
de tous les employés, y compris les anciens, et a procédé à leur inter-
rogatoire. Ce puits a été porté à l'attention des forces de l'ordre par un ancien
salarié, qui y avait travaillé pendant deux ans. Grâce au témoi-gnage de cet
informateur confidentiel, le 17 octobre, les policiers ont ra-pidement repéré
le puits et ont demandé aux Saoudiens d'autoriser l'accès aux pompiers et
d'en vidanger l'eau pour une inspection. À nouveau, les Saoudiens ont refusé
de coopérer:
- Vous avez la permission de fouiller le bâtiment. Riyad doit ap-prouver
votre demande d'inspection du puits séparément.

Bien que les autorités saoudiennes aient assuré la police, disant qu'elles
avaient demandé la permission de Riyad, les Turcs demeurent sans nouvelle.
Le puits, que les Saoudiens semblaient vouloir garder à l'abri des regards
indiscrets, était profond de 21 mètres. La profondeur de l'eau était estimée à
9 mètres. Il ressemblait d'ailleurs aux fameux puits des films d'horreur
hollywoodiens, mais il s'agissait en fait d'un des quelque 200 puits creusés
par les habitants d'Istanbul, dans le quartier du Levent, pendant la disette du
début des années 1990.

LE SECRET DU PUITS

L'enquêteur turc a donc prélevé un échantillon d'eau dans le puits, sans


qu'il n'y trouve d'ADN. L'Institut médico-légal turc n'a pas non plus détecté
d'acide dans le puits. Ces conclusions ne sont toutefois pas suffi-santes. Les
tueurs ont pu jeter le corps dans un conteneur étanche. En d'autres termes, il
est fort probable que le corps de Khashoggi soit au fond du puits. L'enquête
sur la localisation de sa dépouille a conduit les enquê-teurs et la police à la
résidence située bien en dessous de celle du consulat saoudien. C'était là une
piste décisive. Le tout premier article sur le puits est paru dans Sabah:

Le 17 octobre, au lendemain du retour du consul général Mo-hammed


al-Otaiba à Riyad, les enquêteurs ont entamé leurs re-cherches à la
résidence consulaire. Etant déjà informée de l'existence du puits, la police
a facilement trouvé son emplacement.

Conscientes que les employés qui travaillent actuellement à la


résidence pourraient se montrer réticents à divulguer des informations de
peur d'être licenciés, les autorités turques ont aussi questionné les ex-
employés.Le Service des Enquêtes Criminelles s'est basé sur les ren-
seignements fournis par un ancien employé pour créer une illustration
tridimensionnelle de ce puits. Quand les autorités saoudiennes ont re-jeté
la demande d'inspecter le puits, la police turque en a informé le bureau
du procureur général à Istanbul.
L'accusation a présenté un rapport faisant état de l'impossibilité pour
la police de fouiller le puits. Le bureau du Procureur général a ensuite
déposé une requête auprès du gouvernement saoudien par l'intermédiaire
du Ministère de la justice en vain; les Saoudiens ne veulent pas autoriser
cette intervention[1] .

Le scénario le plus probable est que le corps se trouve dans le puits de la


résidence. Mais fouiller cette zone illégalement ou secrètement constitue-rait
une violation de la Convention de Vienne. Le débat public sur la lo-
calisation du corps de Khashoggi a repris après la perquisition par la po-lice
d'une villa à Yalova le 26 novembre[2] . Les recherches ont captivé le public,
comme la découverte préalable d'une Mercedes Benz immatriculée sous le
nom du Consulat saoudien dans un parking de Sultangazi.

Le 26 novembre, le bureau du Procureur en chef à Istanbul a publié une


déposition au sujet des recherches à Yalova selon laquelle un membre de
l'escadron de la mort, Mansour Othman Aba Hussein, aurait contacté
Mohammed Ahmed A. Al-Fowzan (nom de code Ghozan) le 1er octobre
2018[3] . Les autorités ont mené les recherches sur la base de cet appel, ce qui
les a amenées à penser que le corps de Khashoggi avait peut-être été conduit
à Yalova. La déclaration de l'accusation faisait référence à des dépositions
antérieures. L'une d'entre elles, datée du 31 octobre, a livré au public le coeur
de l'argumentation de l'accusation:

Dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat du journaliste Jamal


Khashoggi au consulat du Royaume d'Arabie Saoudite à Istanbul le 2
octobre 2018, tel que mentionné en détail dans les déclarations à la
presse datées du 7 octobre, du 18 octobre et du 31 octobre 2018,
Jamal Khashoggi a été tué à l'intérieur du consulat du Royaume
d'Arabie Saoudite à Istanbul, par étouffement et mutilation, selon un plan
élaboré à l'avance par le ou les suspect(s).
Dans le cadre de l'enquête multidimensionnelle du procureur ré-
publicain,
Il a été constaté que Mansour Othman M. Aba Hussein, qui fi-gurait
parmi les suspects qui sont arrivés en Turquie les 1er et le 2 octobre 2018
dans le but d'exécuter Jamal Khashoggi, a contacté, la veille de l'incident
- le 1er octobre - Mohammed Ahmed Ahmed A. Al-Fowzan (nom de code
Ghozan), citoyen saoudien résidant dans le village de Samanli à Yalova.
Nous pensons que cet appel téléphonique était lié à la dispari-
tion/dissimulation du corps du journaliste après sa mutilation.
Par conséquent, la police d'Istanbul mène des recherches, sous la
direction du Bureau du Procureur général de la République, confor-
mément à la décision n° 2018/5664 du 7e Tribunal pénal d'Istanbul. Des
mises à jour paraîtront ultérieurement[4] .

L'accusation aurait certainement partagé les mises à jour avec le public si


les enquêteurs avaient trouvé des parties du corps à Yalova. Pourtant, aucune
déclaration de ce genre n'a été formulée. Les recherches n'ont pas été
concluantes, car – comme nous l'avons déjà mentionné dans cette section -
les restes de Khashoggi se trouvent très probablement dans le puits situé
sous la résidence du consulat saoudien.

LE PARADOXE DU RENSEIGNEMENT EN TEMPS RÉEL

L'un des aspects les plus controversés de l'assassinat de Khashoggi est de


savoir si l'enregistrement audio du meurtre a été obtenu en temps réel - en
termes techniques, si les renseignements s'appuyaient sur HU-MINT, ou
l'intelligence humaine, en plus de l'ELINT, ou l'intelligence électronique.
Quelle que soit l'autorité qui a espionné le consulat saou-dien, il est certain
qu'aucun fonctionnaire n'écoutait l'enregistrement avec des écouteurs via
l'appareil de contrôle. Ces enregistrements sont effectués automatiquement.
L'étape HUMINT a commencé après 18h le 2 octobre, lorsque la disparition
de Khashoggi ne faisait plus de doute et que l'enre-gistrement a été
rembobiné pour l'enquête. Il n'y a donc aucune raison de croire que l'audio a
été obtenu en temps réel - peu importe qui écoutait et comment.

Voilà pourquoi cette information est capitale: la Turquie a obtenu


l'enregistrement audio complet par une méthode confidentielle et a analy-sé
la bande pour obtenir tous les éléments du meurtre, ses prémisses et ses
suites. En d'autres termes, il n'existait aucun système qui permettait d'écouter
le consulat en temps réel et de partager simultanément ces in-formations
avec les autorités. De toute évidence, tout service secret qui utiliserait un tel
équipement interviendrait instantanément pour empê-cher le meurtre. Les
auteurs de ce livre, cependant, ont pu recueillir, au-près des sources
principales, des informations sur l'enregistrement qui sont de nature à mettre
fin à toute spéculation. Parmi elles se trouvent les ré-ponses à certaines
questions critiques que Özkök Özkök, chroniqueur pour Hürriyet, pose dans
une chronique du 24 octobre:

Le monde attend avec curiosité cet enregistrement audio qui dure 7


minutes. Trois allégations ont été formulées.
1) Il a été enregistré avec une Apple Watch. Il s'est plus tard avéré qu'il
s'agissait là d'une impossibilité technique.
2) Les services secrets turcs avaient, depuis longtemps, mis ce lieu sur
écoute.
3) Les services secrets turcs avaient un informateur très fiable à
l'intérieur.

À en juger par la couverture médiatique internationale, s'il y a un


enregistrement audio [à la disposition de la Turquie], il est probable qu'elle
devra répondre aux questions suivantes dans les prochains jours:

- S'il y a un enregistrement audio, est-ce que [la Turquie] a capté la


conversation en temps réel ou après le meurtre?

- Khashoggi a reçu l'ordre de revenir 4 jours après [sa première visite au


consulat]. Pendant cette période, n'y avait-il aucune information au sujet d'un
complot visant à commettre un crime de l'intérieur?

- Si [la Turquie] exerçait une surveillance en temps réel, pourquoi les 15


individus ont-ils été autorisés à quitter le territoire? Pourquoi leurs sacs
n'ont-ils jamais été fouillés? Pourquoi [la Turquie] n'a-t-elle pas commen-cé
immédiatement à surveiller la sortie du consulat?

Nous avons déjà répondu à la troisième question. Mais répétons-le en-


core une fois: l'enregistrement n'était pas du renseignement en temps réel. Il
n'y a aucune raison de croire que ce type de surveillance ne peut pas être
effectué par des informateurs. Les Saoudiens ont écarté la possibilité que la
Turquie puisse avoir accès, dès le départ, à l'enregistrement audio, dont nous
avons ici partagé le contenu. Ils n'ont donc eu aucun problème à discuter des
moyens de faire disparaître les preuves après le meurtre.

Le 26 octobre, Özkök a publié une autre chronique contenant de fausses


informations: la visite en Turquie de la directrice de la CIA, Gina Haspel, a
été l'événement le plus significatif des dernières 48 heures. Per-mettez-nous
de partager quelques détails confidentiels au sujet de cette visite:

Question 1: La directrice de la CIA a-t-elle écouté l'enregistrement au-dio


à Istanbul ou à Ankara? Ni les médias américains ni les médias turcs n'ont
rapporté cet élément avec certitude. D'après mes recherches, elle l'a écouté à
Istanbul.
Question 2: Qui lui a fait écouter cet enregistrement? Selon mes infor-
mations, c'est le directeur général du MIT, Hakan Fidan. C'est ce que le
ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a également laissé
entendre en demandant aux journalistes d'interroger Fidan à ce sujet.

Question 3: La Turquie a-t-elle donné l'enregistrement à la directrice de la


CIA ou bien, a-t-elle juste écouté? Selon les médias turcs et américains,
l'enregistrement n'a pas été partagé, mais uniquement écouté.

Question 4: La directrice de la CIA a-t-elle entendu la totalité de


l'enregistrement ou seulement une partie? Les médias turcs ont rapporté que
la bande a été lue. Pourtant, le New York Times a publié un article déroutant,
alléguant que les Américains seraient en mesure d'authentifier la bande si
l'enregistrement complet leur était remis.

L'authenticité de l'enregistrement audio ne fait aucun doute. De plus, je ne


comprenais pas pourquoi le New York Times aurait publié cette phrase, si le
Washington Post, qui suit l'incident de très près, n'a aucun doute sur
l'authenticité de la bande. La directrice de la CIA, Gina Has-pel, est réputée
pour être une femme capable d'utiliser toutes les cellules de son cerveau. Son
nom est apparu pour la première fois dans les médias américains en 2002,
lorsqu'elle a dirigé l'équipe qui a interrogé les agents d'Al-Qaïda Abu
Zubaydah et Abd al-Rahim al-Nashiri. photo DR
Les médias ont rapporté que les prisonniers avaient été soumis au water-
boarding[5] . Zubaydah aurait été «noyé» 83 fois en un mois, sa tête a été
cognée contre un mur et il a perdu son œil gauche. Autant dire qu'elle fait
penser à Carrie Mathison, agent de la CIA et interrogatrice de la série TV
Homeland. Je me suis donc demandé à quoi ressemblait l'expression de son
visage et quel genre de commentaires elle fit pendant qu'elle écoutait
l'enregistrement. De par son parcours professionnel, elle compte parmi les
mieux placées pour l'analyser. Une autre question me taraudait: était-elle
venue accompagnée d'un locuteur arabophone ayant travaillé avec elle lors
des inter-rogatoires précédents?[6]

Commençons par répondre à cette dernière question. Il est peu pro-bable


qu'un interprète arabophone se soit trouvé avec Haspel dans les salles
d'interrogatoire.

Quant à la troisième question, les reportages des médias étaient exacts:


Haspel a entendu l'enregistrement audio mais n'en a pas obtenu de copie. Les
autorités turques ont partagé avec elle la transcription que nous avons citée
plus haut. Nous nous permettons donc de reprendre les propos d'Özkök, qui
affirme que les Turcs ont fait écouter la bande sonore du meurtre à Haspel à
Istanbul.
C'est à Ankara que la directrice de la CIA et ses collègues ont écouté
l'enregistrement. Les seuls services secrets à l'avoir entendu à Is-tanbul
étaient les services secrets britanniques.

La réponse à la deuxième question est correcte. La bande a été lue par


une délégation du MIT, dirigée par Hakan Fidan.

Enfin, pour répondre à la quatrième question, nous dirons que la


directrice de la CIA n'a pas entendu la totalité de l'enregistrement, mais
une séquence de 7,5 minutes se rapportant au meurtre et aux discussions
préalables entre les agents saoudiens.

LE MIT ÉCLAIRCIT L'AFFAIRE EN 2 HEURES

Hatice Cengiz, la fiancée de Jamal Khashoggi, a signalé l'incident à la


police à 17h50. C'est alors que les services de renseignements turcs ont eu
connaissance de la disparition. Dix minutes plus tard, Yasin Aktay a appelé
Hakan Fidan, le directeur du MIT, qui a notifié le bureau régio-nal
d'Istanbul. À peu près au même moment, des analystes audio et des
spécialistes de la langue arabe ont écouté l'enregistrement, y compris les
derniers instants de vie de Khashoggi et les discussions entre les agents
saoudiens précédant l'assassinat, et ont remis leur rapport initial.

À 20h, soit 2 heures après que le MIT eut obtenu la bande son, Fi-dan a
appris que Khashoggi avait été tué dans le consulat saoudien. Il a partagé
tout ce qu'il savait avec le président Erdogan. C'était le tout pre-mier rapport
du MIT à la présidence. Dans les jours qui ont suivi, Fidan a avisé Erdogan
que ses services étaient en possession d'un enregistrement audio de ce qui
s'était passé avant, pendant et après l'assassinant. Le di-recteur de
l'espionnage est arrivé à la réunion avec une clé USB contenant
l'enregistrement. Erdogan l'a écoutée en compagnie de Fidan et a obtenu une
copie de la transcription.

Après cette réunion, le président a formé une équipe spéciale – composée


de Fidan, de son directeur de communications Fahrettin Altun et de son
assistant principal Ibrahim Kalin – pour enquêter sur tous les aspects du
meurtre. La rencontre d'Erdogan avec les trois hommes a don-né le coup
d'envoi de l'offensive de diplomatie publique de la Turquie.

KHASHOGGI LE SIONISTE

Désormais convaincu qu'Ankara connaissait les tueurs de Khashoggi et


que le MIT était en mesure de le prouver, le chef des services de rensei-
gnements saoudiens a avancé l'excuse suivante:

- Jamal Khashoggi était Sioniste. Il travaillait pour eux. Hatice Cengiz est
un agent du Qatar. Ils essayaient de saper les relations de l'Arabie
Saoudite avec sa sœur la Turquie. (sic)

Les Turcs ont répondu qu'il n'existait aucune preuve pour étayer cette
affirmation, et que même dans cette hypothèse, cela ne justifiait pas que
Riyad missionne 15 agents pour tuer le journaliste. Pour information, les
services turcs ont pu mettre à l'épreuve l'allégation par les Saoudiens que
Hatice Cengiz entretenait des liens avec les services qataris. En fait, ils ont
enquêté sur les relations éventuelles entre la fiancée du journaliste décédé et
les bureaux de renseignement.

L'enquête turque a révélé que Cengiz avait pris contact avec des diplo-
mates d'un pays du Moyen-Orient dont le nom n'a pas été révélé et pour
lequel elle a travaillé en tant que traductrice. Pourtant, rien ne laissait
supposer qu'elle était un agent ou un informateur. Autrement dit, aucun
contact n'a été établi entre la fiancée de Khashoggi et un espion étranger
actif. Les Turcs en ont donc conclu que Cengiz n'était pas un espion pro-
fessionnel.

Les autorités n'ont pas précisé la mission diplomatique du pays en


question qui était en contact avec Hatice Cengiz, mais il s'agissait certai-
nement d'un pays du Moyen-Orient. Au vu de ces informations, il serait
absurde de penser que la fiancée de Khashoggi travaillait pour les Égyp-tiens
(du simple fait de ses études dans ce pays) ou les Saoudiens (du seul fait
qu'elle parle l'arabe).
Quoi qu'il en soit, la thèse des Saoudiens au sujet de Khashoggi et sa
fiancée a déclenché deux signaux d'alarme: en qualifiant le journaliste
assassiné de sioniste à huis clos, Riyad essayait de se rapprocher d'Israël. En
même temps, les Saoudiens ont dépeint Hatice Cengiz comme une espionne
qatarie dans le but de la discréditer et d'alimenter les tensions entre la
Turquie et un proche allié, qui était en mauvais termes avec le royaume. En
fin de compte, le MIT n'a pas pu confirmer l'allégation rela-tive à Cengiz.

QUI A MIS LE CONSULAT


SAOUDIEN SUR ÉCOUTE ?

La révélation que la Turquie possédait un enregistrement audio du


meurtre a contraint les Saoudiens à prendre une série de mesures de contre-
espionnage. Riyad a dépêché un groupe de spécialistes à Istanbul qui ont
inspecté le consulat à la recherche de dispositifs d'écoute dissimu-lés. Ils ont
découvert une dizaine de micros dans différentes parties du complexe. Après
avoir localisé les micros, les autorités saoudiennes ont exhorté la police
turque à les mentionner dans leurs rapports officiels. Un agent des forces de
l'ordre, qui se trouvait à proximité du consulat saou-dien à l'époque, a rejeté
cette demande, conformément aux instructions. Après tout, ils n'ont pas
voulu assumer la responsabilité des dispositifs d'écoute qu'un inconnu avait
mis en place:

- Nous ne savons rien sur ces appareils, donc nous ne signerons rien. Vous
ne nous avez pas laissé fouiller le bâtiment pendant un mois entier.
Comment peut-on savoir que vous n'avez pas installé les micros vous-
mêmes?

Les services de renseignement du monde entier partagent le même souci


de la sécurité des missions diplomatiques de leur pays à l'étranger. Pourtant,
ce type particulier de surveillance n'avait jamais fait la une des journaux
avant le meurtre de Khashoggi - dont le seul témoignage était un
enregistrement audio.

Cette bande a été qualifiée de preuve par la communauté du ren-


seignement. La Turquie a utilisé cette découverte pour faire la lumière sur
l'assassinat du journaliste dans le cadre d'un plan diplomatique magistral. La
diplomatie entre services de renseignement a été cruciale tout au long de
l'histoire et ne cessera jamais de l'être. Pourtant, il convient de noter que les
relations entre services secrets rivaux sont aujourd'hui plus que jamais
essentielles. Grâce aux compétences politiques, à la vaste expé-rience et à la
volonté de fer de Recep Tayyip Erdogan, la Turquie demeure l'un des acteurs
les plus efficaces dans le domaine de la diplomatie du renseignement. Des
observateurs indépendants reconnaissent qu'Erdogan s'est avéré très efficace
dans ce domaine depuis le début de la lutte de la Turquie contre le FETÖ[7] ,
une menace unique et sans précédent pour la sécurité nationale, en 2012.
Cette réalisation renforce la main du pays face à des défis extraordinaires
tels que l'assassinat de Khashoggi.

De toute évidence, l'offensive diplomatique turque n'est pas demeu-rée


sans suite à l'étranger. Pourtant, les critiques n'ont pas réussi à couler les
plans de la Turquie. Par exemple, peu après la publication par le quo-tidien
Sabah des noms et des photographies des assassins de Jamal Khas-hoggi,
certains think-tanks basés aux États-Unis ont reproché au gouver-nement
turc d'avoir politisé l'incident. Accusations, cependant, qui sont tombées
dans l'oreille d'un sourd.

Ce que les contre-espions saoudiens ont découvert dans leur consulat


étaient des dispositifs d'écoute de pointe. Il est possible de surveiller n'im-
porte quel endroit à l'aide de ce qu'on appelle les équipements passifs –
pouvant coûter jusqu'à 2 millions de dollars par appareil. Une fois instal-lé,
cet outil facilite la surveillance audio à distance via des stations de base
GSM.

Les auteurs de ce livre n'ont pas entendu l'enregistrement du meurtre. Ils


ont néanmoins obtenu beaucoup d'informations de sources gouverne-
mentales fiables qu'ils ont intégrées dans le présent ouvrage. Voici ce que
nous pouvons dire à propos de l'enregistrement audio: jusqu'à présent, tous
les organes de presse, y compris les médias turcs, ont relayé des in-
formations de seconde main sur cet enregistrement qui, au fil du temps, est
devenu une légende urbaine. En revanche, nos sources ont personnel-lement
écouté cet enregistrement et, à ce titre, nous ne doutons pas de leur
crédibilité.
Si des médias internationaux souhaitent rapporter les résultats men-
tionnés dans ce livre et confirmer la véracité de nos affirmations, ils n'ont
qu'à contacter leurs propres sources dans les agences gouvernementales
compétentes - qui savent tout de cette bande sonore et sont donc en me-sure
de confirmer ou nier les détails rendus publics ici.

Néanmoins, que les autorités aient utilisé des éléments de preuve fondés
sur le renseignement pour élucider l'affaire, il est tout à fait légitime d'at-
tribuer cette réussite au renseignement turc. Toutes les preuves disponibles
montrent que les espions du MIT n'ont reçu aucune aide des services de
renseignement étrangers, y compris de la CIA et du Mossad.

Les Saoudiens ont planifié et perpétré l'assassinat de Khashoggi. Il est


possible que des membres de l'État saoudien, anticipant les retombées de la
mort du journaliste, aient convaincu le prince Ben Salmane d'ordonner le
meurtre. Pourtant, aucune preuve ne vient étayer cette af-firmation et nous
n'avons pas l'intention d'envisager une possibilité loin-taine qui ne serait pas
corroborée par les faits[8]

PARTI AVEC SES SECRETS

En revanche, un fait nouveau s'est produit après l'assassinat de


Khashoggi, qualifié de fake news[9] par de nombreux observateurs:

Mashaal Saad Al-Bostani, membre de l'équipe des 15 qui ont as-sassiné


le journaliste Jamal Khashoggi au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul,
est décédé dans un mystérieux accident à Riyad. Al-Bostani, lieutenant de
la Royal Air Force, a ainsi emporté ses secrets dans la tombe[10].

Il était parfaitement logique qu'après avoir réalisé la solidité des preuves


dont disposait la Turquie, les Saoudiens aient tenté de récupérer les
téléphones portables de Khashoggi, que celui-ci avait remis à Hatice Cengiz
avant de se présenter au consulat. En fait, avant même que le bureau du
procureur général saoudien ne demande aux Turcs de lui re-mettre les deux
téléphones portables, le MIT a reçu la même demande du chef des
renseignements saoudiens.
Lors de cette rencontre, le directeur du MIT a déclaré à Al-Howairani que
les services de renseignements turcs ne détenaient pas les téléphones de
Khashoggi - et que même si c'était le cas, il ne pouvait remettre au royaume
les preuves criminelles. À notre connaissance, les deux téléphones portables
sont encore sous la garde de la police nationale turque et leurs mots de passe
demeurent inconnus.

À l'instar du directeur du MIT, Irfan Fidan, le procureur général d'Is-


tanbul, a dû rejeter la demande de l'Arabie Saoudite.

Au lieu de coopérer à l'enquête turque, les espions et les juristes du


royaume ont alors tenté, sous les ordres du prince héritier, de découvrir les
autres éléments connus de la Turquie afin de dissimuler le meurtre. Le fait
que la Turquie ait partagé des informations avec les services d'espionnage
occidentaux, dont la CIA, a encore plus alarmé les Saoudiens. Si les Turcs
ont conservé l'enregistrement audio, ils en ont fourni la transcription aux
services secrets britanniques, canadiens, français et allemands.

LE PRINCE BEN SALMANE


TENTE DE RENCONTRER HAKAN FIDAN

La Turquie en savait long sur l'assassinat de Khashoggi et était en mesure


de changer la conversation à volonté. Par conséquent, Mohammed ben
Salmane a demandé une audience avec Hakan Fidan à Riyad. À la demande
d'Erdogan, Fidan a rejeté l'offre saoudienne. En tant qu'agent du
renseignement, il pouvait habituellement se permettre une plus grande
souplesse lorsqu'il s'agissait de convenir à des réunions. Pourtant, rencon-trer
le prince régnant dans ces circonstances aurait pu véhiculer aux Saoudiens le
message inopportun, comme «la Turquie était ouverte à la négociation».
C'est la même préoccupation qui a motivé la décision du procureur turc de
décliner une invitation peu conventionnelle de son ho-mologue saoudien à
visiter Riyad.

Jusqu'à l'assassinat de Khashoggi, Mohammed ben Salmane, qui avait


tenté sans succès de rencontrer Fidan, était un dirigeant du bloc anti-Turquie
qui comprend l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Quelque chose
de semblable à la ligne de résistance chiite qui s'étend de l'Iran au Liban en
passant par l'Irak et la Syrie a émergé dans les pays arabes dominés par
l'Occident. En tant que membre de ce groupe, le royaume saoudien s'est livré
à des activités anti-Turquie. Cette alliance réunit des alliés improbables: les
évangéliques américains, Israël, l'Égypte, Mohammed ben Salmane et le
prince héritier Mohammed ben Zayed des Émirats Arabes Anis.

Hakan Fidan (à gauche, à côté du Ministre de la Défense turc pris en otage lors du Coup d'Etat) le directeur des
services d'espionnage turcs, le MIT. DR

Les Turcs sont pleinement conscients que cet axe émergent, dont l'ob-
jectif premier était de saper l'influence régionale de l'Iran, a également
travaillé contre les intérêts turcs. Pour mémoire, les États-Unis se sont
ouvertement rangés du côté de ces pays - tout comme la Turquie a pris des
précautions transfrontalières contre la menace à la sécurité nationale que
représente le PYD/YPG, l'organisation terroriste syrienne affiliée au PKK[11]
.

Avant l'assassinat de Khashoggi, le gouvernement turc savait que le


royaume utilisait ses vastes ressources financières pour répandre le sen-
timent anti-turc au Moyen-Orient, et a enjoint Riyad de cesser ces at-taques.
Destituer MBS de son poste, cependant, était quelque chose que les Turcs ne
voulaient pas et ne pouvaient pas faire. Néanmoins, ce n'est un secret pour
personne, la Turquie a orchestré une campagne médiatique aux États-Unis
pour faire pression sur l'Arabie Saoudite.

Aujourd'hui, le président américain Donald Trump sait, d'après ce que le


MIT a communiqué à la Central Intelligence Agency, que MBS était le
responsable politique saoudien le plus haut-placé à avoir sanc-tionné le
meurtre et qui continue de chercher des moyens de désamorcer la crise. Si
le bloc anti-iranien/anti-turc devenait trop exigeant aux yeux de Was-
hington, l'administration Trump pourrait les laisser tomber pour se tirer
d'affaire.

La façon dont les Turcs ont géré les conséquences de l'assassinat de


Khashoggi a fait de Mohammed ben Salmane le maillon faible du bloc. Son
destin dépend donc de la décision de Trump.

Selon les analystes du renseignement, c'est bien Mohammed ben Sal-


mane qui a ordonné l'assassinat de Jamal Khashoggi. En effet, les chro-
niques du journaliste assassiné étaient truffées de propos désagréables à
l'égard du prince héritier. L'un de ces essais critiques a été publié dans le
Washington Post, où le prince est d'ailleurs mentionné dans un éditorial du 4
octobre. Khashoggi y accuse Mohammed ben Salmane d'imposer des
restrictions à la liberté de conscience en Arabie Saoudite:

MBS a le plein contrôle de la diffusion et du contenu numérique


produit dans le royaume.
S'il est encore possible d'accéder à Google, Facebook, Twitter et
d'autres sites, la campagne hautement orchestrée dans le but de rallier
tout le monde dans son sillage et sa vision pour 2030 a pompé l'oxy-gène
de la place publique autrefois limitée mais bien présente.
Vous pouvez lire, bien sûr, mais réfléchissez deux fois avant de par-
tager ou d'aimer ce qui n'est pas tout à fait conforme à la pensée de
groupe officielle du gouvernement[12] .

En fin de compte, Jamal Khashoggi, qui a déclaré au monde que


Mohammed ben Salmane avait privé la société saoudienne d'oxygène, a
perdu la vie dans le consulat de ce pays avec un sac en plastique sur la
tête. Après sa mort, les meurtriers ont drainé son sang et l'ont coupé en
petits morceaux.

Hakan Fidan, le directeur des services d'espionnage turcs qui a impressionné la


communauté du renseignement avec les micros posés dans les murs du
Consulat saoudien sans que les services de Ryad ne s'en rendent compte... DR
1-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "Kuyudaki sır" (Le secret au puits), Sabah, 25
novembre 2018. >>>

2-Yalova'da lüks villada Kaşıkçı'nın cesedi için arama yapılıyor[Recherche en cours pour
retrouver le corps de Khashoggi dans une villa de luxe à Yalova], Milliyet, 26 novembre
2018. >>>

3-On ne sait pas très bien pourquoi cet individu avait un nom de code. >>>

4-Déclaration du Bureau du Procureur général à Istanbul, en date du 26 novembre 2018.


>>>

5-Torture via simulation de noyade comme sur la photo. >>>

6-Ertuğrul Özkök, "CIA Başkanı'na o kaydı kim ve nerede dinletti?" [Qui a fait écouté
l'enregistrement à la directrice de la CIA, et où?], Hürriyet, 26 octobre 2018. >>>

7-Organisation ou plutôt confrérie présidée par l'imam Fethullah Gülen exilé aux Etats-Unis
et qui avait déclenché le Coup d'État de 2016 qui s'est terminé par une centaine de morts.
>>>

8-Note éditeur: depuis la publication de ce livre, on sait que le prince a ordonné lui-même le
meurtre, excédé par les critiques de son gouvernement rédigées par Khashoggi et publiées
dans le Washington Post. >>>

9-Nouvelles mensongères >>>

10-Burak Doğan, "Riyad birini susturdu"[Riyad a fait taire l'un d'eux], Yeni Safak, 18 octobre
2018. >>>

11-Note éditeur: Le PKK, Partiya Karkerên Kurdistan, parti kurde, a été historiquement
soutenu par l'URSS. Sous le mandat de Bill Clinton, la CIA et le MIT avaient travaillé
ensemble en 1999 pour en arrêter le dirigeant Abdullah Öcalan qui croupit toujours
aujourd'hui dans une prison turque. >>>

12-www.washingtonpost.com/news/global-opinions/wp/2018/02/07/saudi-arabias-crown-
prince- already- controlled-the-nations-media-now-hes-squeezing-it-even-further/ >>>
~7~
La diplomatie juridique
de la Turquie
«Une invitation déclinée»

En complément d'une diplomatie habile du renseignement, la Turquie, au


lendemain de l'assassinat de Khashoggi, a mené une «diplomatie juridique»
pour obtenir des résultats. Le système judiciaire turc a travaillé jour et nuit
pour délivrer des mandats d'arrêt contre les assassins du journaliste - tout
comme il l'a fait pour appréhender les agents israéliens qui avait pris le
Mavi Marmara[1] d'assaut voici des années de cela.

Le prince héritier Mohammed ben Salmane a eu l'idée d'envoyer en


Turquie le procureur général saoudien, qui était censé enquêter sur le
meurtre du journaliste. En effet, lors d'un appel téléphonique avec le pré-
sident Erdogan, le prince régnant a proposé d'envoyer Saud Al-Mujeb à
Istanbul. Erdogan a accepté ce qui lui semblait être une véritable offre de
coopération. Le 28 octobre, Mujeb est donc arrivé au terminal VIP de
l'aéroport international Ataturk en compagnie de 8 dignitaires saoudiens. Il
s'est rendu à deux reprises, les 29 et 30 octobre, chez le procureur géné-ral
Fidan au palais de justice principal d'Istanbul. Les réunions ont eu lieu dans
son bureau du premier étage.

La première rencontre entre procureurs turcs et saoudiens n'était guère


plus qu'une introduction. Accompagné d'un général des rensei-gnements
saoudiens, Abdellah Al-Qahtani, Mujeb était visiblement stres-sé et
préoccupé. En revanche, la deuxième réunion a été le théâtre d'un débat
particulièrement houleux en raison de l'attitude de la délégation saoudienne.
Outre Fidan, la délégation turque comprenait le procureur général adjoint
Hasan Yilmaz, l'enquêteur Ismet Bozkurt, le chef de la police antiterroriste
Kayhan Ay et l'ambassadeur Murat Tamer qui représentait le Ministère des
Affaires étrangères. Lors de la première réunion, les deux parties ont
exprimé leurs revendications. La fois suivante, lorsqu'ils se sont rencontrés
pour satisfaire ces demandes, les Saoudiens ont refusé les exi-gences de la
Turquie. Et, comme si cela ne suffisait pas, les délégués du royaume ont
réclamé à plusieurs reprises les téléphones portables de Jamal Khashoggi.
Lorsqu'ils ont demandé une copie du dossier, les Turcs ont partagé certains
documents avec leurs homologues.

Le procureur général saoudien a également exhorté les autorités turques


à ne pas faire de déclarations devant la presse pendant le dérou-lement de
l'enquête. Pourtant, le procureur général a immédiatement rejeté cette
demande. Au lieu d'écouter les Saoudiens, il a émis plusieurs déclarations
dans le dessein de tenir le public informé de l'enquête.

Un autre souhait de Mujeb consistait à obtenir une copie des dépo-sitions


des employés du consulat saoudien auprès de la police turque. Les
procureurs ont également débouté cette demande, car le procureur général
saoudien ne semblait pas vouloir coopérer à l'enquête turque.

Jusque-là, le royaume n'avait pas répondu à la demande de la Tur-quie


d'extrader 18 suspects en lien avec la disparition de Khashoggi. La seule
chose que les Saoudiens partageaient avec la Turquie était une liste de 18
noms, qu'ils avaient reçue de la Turquie en premier lieu, et une notification
que 5 suspects se trouvaient en état d'arrestation.

Pendant la perquisition du consulat saoudien et de la résidence


consulaire, un total de 30 agents, dont 10 fonctionnaires de haut rang,
étaient répartis en 5 équipes à la recherche de preuves. Ils étaient accom-
pagnés du procureur général adjoint Hasan Yilmaz, de l'enquêteur Ismet
Bozkurt et des agents de liaison de la police - le chef de police adjoint Ali
Tuna Coskun, le chef de police adjoint Kayhan Ay et Burak Bal, respon-
sable des enquêtes sur les lieux du crime.

Lorsque les responsables turcs ont pénétré dans le consulat qui compte 5
étages, chaque enquêteur était accompagné en permanence de 3 Saoudiens.
La recherche s'est donc déroulée dans une atmosphère tendue. Les
Saoudiens ont permis aux enquêteurs turcs d'examiner certaines par-ties du
bâtiment mais d'autres endroits, dont le puits, ont été déclarés zones
interdites.

Le procureur général saoudien a passé 3 jours à Istanbul et n'a ab-


solument rien dit aux autorités turques sur l'endroit où se trouvait la dé-
pouille de Jamal Khashoggi. Le but du voyage consistait à faire la lu-mière
sur ce que les Turcs savaient précisément, et non de leur fournir de
nouvelles preuves ou de coopérer à l'enquête. Le bureau du procureur gé-
néral a publié une déclaration après le départ de Mujeb afin de clarifier ce
point.

UNE DÉCLARATION SEMBLABLE


À UN ACTE D'ACCUSATION

Le 31 octobre, le ministère public a publié sa déclaration la plus explicite


sur l'affaire Khashoggi. L'accusation y a annoncé pour la pre-mière fois que
le journaliste avait été étouffé à mort par des agents saou-diens qui l'avaient
démembré au sein du consulat. Le texte se présentait comme un acte
d'accusation officiel. La déclaration écrite d'Irfan Fidan, que le procureur a
personnellement rédigée, est digne de figurer dans un manuel d'histoire. De
plus, ce jour-là, le parquet turc a annoncé que les Saoudiens avaient nié
avoir mentionné un collaborateur local qu'ils au-raient chargé de faire
disparaître le corps de Khashoggi. Dans le même temps, la Turquie a
clairement indiqué qu'elle ne laisserait pas Riyad manipuler l'opinion
publique. Voici le texte intégral de la déclaration de Fidan:

Le 29 octobre 2018, le procureur saoudien Saud Al-Mujab et un


groupe de fonctionnaires saoudiens ont effectué une visite de travail au
bureau du procureur général à Istanbul.

Lors de cette réunion, la partie turque a déclaré que les tribunaux


turcs avaient compétence pour connaître l'affaire con-formément au droit
turc et aux principes du droit international, dès lors que Jamal
Khashoggi a été tué en Turquie. Les respon-sables turcs ont également
réitéré leur demande d'extradition des suspects qui auraient été arrêtés
en Arabie Saoudite.

En outre, les responsables turcs ont demandé, oralement et par écrit,


(a) où se trouvait le corps de Jamal Khashoggi, (b) si l'enquête
saoudienne avait trouvé des éléments sur la planification du meurtre, et
(c) l'identité dudit «coopérateur local».

Les mêmes questions ont été posées, le lendemain, lors de la


deuxième visite de la délégation saoudienne, lorsque les représen-tants
turcs leur ont clairement fait savoir qu'ils attendaient des réponses. Le
procureur saoudien a annoncé qu'il répondrait à ces questions dans la
journée.

Le 31 octobre 2018, le bureau du procureur saoudien a envoyé une


réponse écrite au bureau du procureur en chef à Istan-bul pour inviter le
procureur turc et sa délégation en Arabie Saoudite avec les indices qu'ils
ont réunis, ajoutant que ce qui était arrivé au corps de Khashoggi et la
question de savoir si le meurtre avait été prémédité ne pouvait être
élucidée qu'à la suite d'un interrogatoire conjoint avec l'Arabie Saoudite.
Le procureur saoudien a également noté qu'aucune déclaration n'avait
été for-mulée par les autorités saoudiennes sur l'éventuelle présence d'un
«coopérateur local».

Malgré nos efforts sincères pour faire éclater la vérité, au-cun


résultat concret n'est ressorti de ces réunions.

À cet égard;

Le Bureau du Procureur général est tenu de communiquer les détails


suivants relatifs à la gravité de l'incident sur la foi des preuves
découvertes dans le cadre de son enquête.

1- Conformément aux plans établis à l'avance, la victime, Jamal


Khashoggi, a été étouffé à mort immédiatement après son entrée au
consulat général d'Arabie Saoudite à Istanbul le 2 oc-tobre 2018 pour y
effectuer des formalités de mariage.
2- Le corps de la victime a été démembré et détruit après sa mort par
asphyxie - une fois de plus, selon ce qui avait été pré-vu.

En conclusion;

L'enquête, que le Bureau du Procureur général a lancée


immédiatement après qu'un parent de la victime, Jamal Khas-hoggi, eut
informé les autorités de son incapacité à quitter le con-sulat général
d'Arabie Saoudite, se poursuit dans toutes ses di-mensions et en
profondeur.
La pierre angulaire de la diplomatie juridique de la Turquie, comme de
sa diplomatie du renseignement, était l'enregistrement audio du meurtre -
bien que non recevable devant un tribunal.

C'est Recep Tayyip Erdogan qui a annoncé le 10 novembre que des


représentants de plusieurs services de renseignement étrangers avaient
entendu la bande son. Il convient de noter qu'Erdogan a prononcé cette
déclaration avant de se rendre en France pour le centenaire de
l'Armistice. Après tout, la Première Guerre mondiale a commencé peu
après l'assassi-nat de l'archiduc François-Ferdinand et sa femme par un
nationaliste serbe à Sarajevo le 28 juin 1914. Ce fut cet assassinat qui a
déclenché cette guerre dévastatrice. Même si de nombreuses raisons
structurelles présidaient à son origine, lesquelles n'entrent pas dans le
champ de cet ouvrage, l'ironie n'a échappé à personne.

Heureusement, l'assassinat de Khashoggi n'a pas engendré de guerre


conventionnelle dans le Golfe, au Moyen Orient ou ailleurs. Pourtant,
les parallèles entre cet événement et l'assassinat de François-Ferdinand
ne sont pas moins nombreux depuis le 2 octobre 2018.

Erdogan a déployé beaucoup d'efforts pour empêcher que l'assassinat


de Khashoggi, qui ressemblait fortement à celui qui a changé le monde il
y a 104 ans, ne se transforme en guerre. La mise à disposition de
l'enregis-trement audio, que nous avons décrit en détail, aux services de
rensei-gnement étrangers faisait partie de cet effort diplomatique
judicieusement manigancé.
Khashoggi en direct sur France 24 explique que l'Arabie Saoudite est totalement cor-
rompue

capture image France 24


1- Le 31 mai 2010 ce navire, affreté par une ONG pour défendre les Palestiniens de la
bande de Gaza, a été attaqué et arraisonné par des commandos de Tsahal ont arraisonné
dans les eaux internationales. Dans la bagarre 9 militants turcs ont été assassinés par les
militaires israeliens. >>>
~ Partie III ~
Quando - Quand
"La direction de la Sécurité d’État m'a téléphoné et ils ont une mission...
Ils ont besoin d'une personne de votre protocole pour
une mission très spéciale et top secret"
écran Al Jazeera
~8~
«Calendrier de l'assassinat de Khashoggi»

ERDOGAN:
« NOUS LEUR AVONS REMIS LES BANDES SONORES»

Le 10 novembre, le président Erdogan, premier chef d'Etat du pays élu


par le peuple, devait assister à la cérémonie commémorative du 80e
anniversaire de la mort de Mustafa Kemal Atatürk, le président fondateur de
la Turquie, avant de se rendre en France pour commémorer le centième
anniversaire de l'Armistice. En effet, Atatürk, fondateur du pays, avait servi
pendant la Première Guerre mondiale comme lieutenant ottoman sur
plusieurs fronts. Le conflit dévastateur prit fin 20 ans avant sa mort le 10
novembre 1938.

Lors d'une conférence de presse à l'aéroport international d'Esenboga, à


Ankara, Erdogan a prononcé sans doute la déclaration-clé sur l'assassi-nat
de Jamal Khashoggi:

«Nous avons donné les enregistrements relatifs à cet incident aux Etats-
Unis, à l'Allemagne, à l'Angleterre et à l'Arabie Saoudite[1] Les as-
sassins font certainement partie des 15 [agents saoudiens] et il ne sert à
rien de les chercher ailleurs. Ils savent qui sont le ou les auteurs du
crime et le gouvernement saoudien peut le révéler en faisant parler les
15 [hommes]."[2]

Peu après, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le


Drian a prononcé une étrange déclaration sur Khashoggi:

«La France n'a pas les enregistrements audio du meurtre du journa-liste


Jamal Khashoggi..»[3]
Il y a là une nuance subtile, que le ministre français a choisi d'igno-rer
pour tenter de déformer les propos d'Erdogan. Le mot turc pour «bande»
fait référence à une transcription d'un enregistrement audio. En disant que la
Turquie a donné «les bandes» aux pays susmentionnés, Erdo-gan entendait
la transcription et non l'enregistrement audio.

Comme nous l'avons expliqué ailleurs, la Turquie a permis aux


représentants de plusieurs services de renseignement étrangers d'écouter cet
enregistrement, mais ne leur en a pas remis de copie. Au lieu de cela, les
services turcs ont partagé une transcription de l'enregistrement avec leurs
homologues.

Pour être clair, il aurait été inutile que les Turcs fournissent une copie du
fichier audio, si les chefs espions des États-Unis, de l'Arabie Saoudite, du
Royaume-Uni, de la France, du Canada et de l'Allemagne ont déjà écouté
cet enregistrement.

Ayant déjà mis les preuves à la disposition de la DGSE, la Turquie a


réagi durement aux commentaires du ministre français des Affaires
étrangères. Mevlut Cavusoglu, homologue de Le Drian, a déclaré que le
diplomate français était «dérangé» et «doit apprendre comment s'adresser à
un président.» Fahrettin Altun, directeur de la communication d'Erdogan, a
publié une déclaration écrite pour affirmer que les accusations de Le Drian
étaient inadmissibles.

LA STRATÉGIE DE COMMUNICATION
DE LA PRÉSIDENCE TURQUE

Pour mémoire, c'est Altun qui a mis en œuvre la stratégie de com-


munication de la présidence turque et rationalisé la circulation de l'infor-
mation, tout comme le MIT a mené une diplomatie efficace dans le cadre du
dossier Khashoggi, en suivant les instructions d'Erdogan.

Comment donc les agents anonymes de la police et du renseignement


auraient-ils pu partager l'information avec les médias in-ternationaux?
Après tout, il est pratiquement impossible pour un bureau-crate de faire des
choses à l'insu de ses supérieurs et de cacher son identité aux autorités. Un
système connu comme le HTS permet aux autorités de repérer qui a
rencontré qui, quand et où, sur la base d'une série d'informa-tions, y compris
les registres des stations de base GSM.

Aujourd'hui, le 1984 de l'écrivain britannique George Orwell n'est plus


considéré comme une œuvre de fiction dystopique. Le Big Brother est un
fait incontestable. En tant que tel, Fahrettin Altun - et, par extension, la
présidence turque - était parfaitement au courant des déclarations que les
hauts fonctionnaires de police et du renseignement avaient adressées aux
reporters. Sans l'habile stratégie de la Turquie, l'assassinat de Khas-hoggi
aurait été occulté en un rien de temps et l'escadron de la mort et ses chefs se
seraient littéralement tirés d'affaire. C'est la raison pour laquelle Altun a
inclus la phrase suivante dans sa réponse à Le Drian:

«N'oublions pas que cette affaire aurait déjà été enterrée, sans les ef-
forts déterminés de la Turquie.»

La déclaration écrite d'Altun se poursuit ainsi:

«Un représentant des services de renseignements français a écouté


l'enregistrement audio le 24 octobre 2018 et a reçu des in-formations
détaillées, dont une copie de la transcription. S'il y a un défaut de
communication entre les différentes parties de l'Etat français, c'est aux
autorités françaises, et non à la République de Turquie, qu'il incombe de
résoudre ce problème.»[4]

Du point de vue du renseignement, la dernière phrase de la décla-ration


d'Altun signifie que la Turquie ne peut être tenue responsable par les
politiques français si leur réseau de renseignement leur cache des in-
formations ou leur transmet des informations erronées.

Faisant suite à la réponse de la Turquie, le ministère français des Affaires


étrangères a procédé à une deuxième déclaration, en soulignant que les
remarques de Le Drian sur l'affaire Khashoggi avaient été mal comprises[5] .
Peu de temps après, le premier ministre canadien Justin Tru-deau a déclaré
aux journalistes que les services de renseignements de son pays avaient
écouté l'enregistrement audio dont disposait la Turquie et a réfuté la
déclaration de Le Drian[6] . Trudeau a remercié le président turc pour la
façon dont il avait géré l'affaire Khashoggi. De son côté, Steffen Seibert,
porte-parole du gouvernement allemand, a également confirmé que les
services allemands du BND avaient été informés par leurs homologues
turcs[7] .

LE LANGAGE CRYPTÉ
DE LA COMMUNAUTÉ DU RENSEIGNEMENT
«ASSASSINAT»

En vérité, ni la France ni l'Allemagne - aucun autre pays, d'ailleurs -


n'aurait pu prévoir une opération secrète de cette envergure. Pour rappel, les
Turcs ont eux aussi été pris par surprise. Pourtant, une analyse minutieuse
des images de vidéosurveillance et des enregistrements audio a permis aux
autorités turques de résoudre l'affaire presque immédiatement.

Pour bien saisir la nature de l'opération secrète qui a coûté la vie à Jamal
Khashoggi, il importe de connaître le langage secret et crypté des services
de renseignement. Les espions ont mené d'innombrables missions secrètes
tout au long de l'histoire, en particulier pendant la Guerre froide. Les
meurtres et même les actes de terrorisme peuvent servir de messages codés
entre services de renseignement rivaux.

Certains services de renseignement ont tendance à envoyer des mes-


sages à d'autres réseaux d'espionnage par le biais d'assassinats et d'attaques
terroristes. En d'autres termes, les actes de terrorisme représentent un
moyen de communication entre des services de renseignement concur-rents.
Plus précisément, certains services adoptent ces méthodes et les met-tent en
œuvre.

C'est le cas de la série d'attaques perpétrées par DAESH, le PKK et le


FETÖ contre la Turquie entre 2013 et 2016. Les autorités turques, endurcies
par les amères expériences du passé, ont assez facilement résolu ces
affaires. Selon eux, les attaques de DAESH et du PKK entre 2014 et 2016
s'inscrivaient dans le contexte d'une tentative visant à provoquer une guerre
civile en Turquie en encourageant les deux organisations à se battre sur le
sol turc. Les autorités turques ont interprété ce message cor-rectement et y
ont riposté comme il se devait.

OPÉRATION DAGGER:
AU CŒUR DU PARADIS DES ESPIONS

La stratégie de renseignement de la Turquie s'appuie totalement sur la


lutte contre le terrorisme. Encore récemment, les Turcs prenaient des
mesures de renseignement et militaires pour se protéger des terroristes au
sein de leurs frontières. Pourtant, une nouvelle approche a permis de saper
le terrorisme à sa racine. L'opération Dagger, une opération secrète menée
par le MIT à Lattaquié, en Syrie, pour capturer le terroriste Yusuf Nazik,
reflète ce changement. D'une certaine façon, l'opération était un message
adressé aux réseaux de renseignement rivaux qui ne manqueraient pas de
l'interpréter.

Les opérations des services secrets ne ressemblent en rien aux films


hollywoodiens. Dans le réel, il n'y a pas de fantômes surhumains, comme
Ethan Hunt de Mission Impossible. Au lieu de cela, les agents risquent leur
vie et puisent dans leur expérience professionnelle pour surmonter les diffi-
cultés sur le terrain. Depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011,
deux endroits - Antakya en Turquie et Latakia en Syrie - ont servi de dé-
cors aux plus rudes combats entre espions. À l'instar d'Istanbul, qui était une
capitale de l'espionnage pendant la Guerre froide, ces villes sont ac-
tuellement bondées d'espions.

Ce fut un accomplissement de taille pour le MIT de Hakan Fidan que de


convaincre Talal Silo, ancien porte-parole des Forces Démocra-tiques
Syriennes dominées par le gouvernement yéménite, de trahir[8] en obtenant
sa défection. De même, la capture et le rapatriement de Yusuf Nazik a été
une opération réussie. Au lendemain de cette mission, le régime syrien n'a
pu révéler l'identité et les photographies des agents impli-qués,
contrairement à ce qu'a fait la Turquie avec les assassins de Jamal
Khashoggi.

Les 15 membres de la brigade de la mort ont été démasqués aussitôt


après avoir quitté le territoire turc. De plus, les autorités ont pu établir ce
que chaque homme a fait exactement, et quand. Selon l'enquête, les 9

Mutreb est réapparu à 16h53 devant la résidence consulaire en bas de la


route. À 17h15, Mutreb et ses hommes ont quitté leur hôtel à Le-vent avec
une grande valise. À 17h58, les hommes ont passé le contrôle aux frontières
au terminal de l'Aviation Générale de l'aéroport Atatürk et ont quitté la
Turquie quelques instants plus tard. Après avoir achevé «le travail», les
agents saoudiens ont quitté le pays à bord de deux jets privés et d'un vol
commercial. Certains d'entre eux sont partis à 18h30 à bord du jet privé HZ
SK1, qui était arrivé à Ataturk International à 17h15, tandis que d'autres ont
quitté Ataturk International à 22h45.

La majeure partie de ce livre prend appui sur des informations que les
auteurs ont obtenues de la part de sources gouvernementales fiables. Ici,
cependant, nous citerons directement un document officiel se rapportant à
l'escadron de la mort saoudien:

Activités attenantes à l'affaire:

1) [En ce qui concerne] les personnes qui sont parties à bord des jets
privés portant les numéros HZ SK1 et HZ SK2, appartenant à une
compagnie aérienne saoudienne, il a été établi que l'avion portant le
numéro HZ SK1 a quitté le pays à 18h30 le 2 octobre 2018, avant que les
autorités n'aient été informées de cet inci-dent. L'examen des séquences
vidéo et des images radiographiques a permis de conclure que la
personne disparue n'était pas présente. Quant aux individus qui ont
décollé le 2 octobre 2018 à 22h50 à bord de l'avion immatriculé HZ SK2,
ils ont été contrôlés un à un par les agents, ainsi que leurs passeports, et
leurs effets person-nels ont été scannés aux rayons X, car les autorités
avaient, à ce moment-là, appris la disparation de Khashoggi et
soupçonnaient un enlèvement. Or, aucun signe du disparu n'a été trouvé.

2) Un examen des vidéos provenant du voisinage du consulat gé-néral


[saoudien] a révélé que certains documents, qui ne peuvent être
identifiés pour le moment, et un sac de transport ont été brûlés dans un
baril dans la cour du bâtiment le 4 octobre 2018 à 16h38.
3) Les autorités estiment qu'Ahmad Abdellah al-Muzaini, atta-ché de
renseignement au consulat général, s'est aventuré dans la forêt de
Belgrade le 1er octobre 2018 à des fins de reconnaissance avec le
véhicule diplomatique portant la plaque 34 CC 2404. Les [autorités]
continuent le contrôle par caméra et les recherches dans la zone.

4) Il a été constaté que S.K., un citoyen turc employé par le consu-lat


général, a effectué un exercice à 1h38 le 2 octobre 2018 pour vérifier si
la [Mercedes-Benz] Vito (van) immatriculée 34 CC 1865 pouvait
pénétrer dans le tunnel, [habituellement] réservé au véhicule officiel du
consul général, en marche arrière. Il s'est ensuite garé devant le poste de
surveillance de la police à 2h du matin avant de repartir à pied. Le
véhicule a été conduit au lieu de l'exercice à 12h par une autre personne
et a quitté ce lieu à 15h pour regagner le garage intérieur de la résidence
consulaire.

5) Le personnel consulaire a été informé que la délégation, qui est


arrivée sur différents vols les 1er et 2 octobre 2018, se trouvait [en
Turquie] à des fins d'audit et s'était réunie dans une pièce à l'intérieur du
bâtiment. Il a été constaté que les employés ont re-pris leurs fonctions
normales dès le départ desdits véhicules.

6) [Les autorités] ont appris que le personnel de la résidence con-


sulaire, y compris un cuisinier et un nettoyeur, a reçu l'ordre de «ne pas
se présenter au travail jusqu'à nouvel ordre» le 1er oc-tobre 2018, citant
l'arrivée d'inspecteurs pour un audit.

7) Une inspection des caméras à proximité du consulat a révélé que


Moustapha Mohammed al-Madani, qui est entré dans le consulat par la
grande porte à 10h57, a quitté le bâtiment par la porte arrière avec une
veste, un pantalon et une chemise - qui, d'après nos informations,
appartenaient à Jamal Khashoggi - ainsi que des lunettes et une fausse
barbe.
Il était accompagné de Saif Saad al-Qahtani qui, arbo-rant une
capuche - inhabituelle pour la saison - et se couvrant le visage, avait à la
main un sac en plastique. On a découvert que les suspects se sont rendus
à la mosquée bleue, où Moustapha Mo-hammed al-Madani s'est rhabillé,
puis au Mövenpick Hotel. Ils ont quitté le pays le 3 octobre 2018 à 0h20,
indépendamment de l'équipe [membres] avec laquelle ils étaient arrivés.

8) Dans le cadre de l'enquête judiciaire sur l'incident et l'instruc-tion du


procureur de la République, des équipes de spécialistes ont effectué une
perquisition du consulat, qui a débuté le 15 octobre 2018 à 20h et s'est
poursuivie pendant 8 heures et demie, mais également de la résidence
consulaire, inspection qui a commencé à 17h le 17 octobre 2018 et a
duré 12 heures, dans le but de trouver des indices ainsi que des traces
criminalistiques. Les do-cuments que [les enquêteurs] considéraient
comme de potentiels éléments de preuve ont été remis à l'Institut médico-
légal afin qu'ils y soient étudiés en profondeur.

9) Un entretien avec un ancien employé, qui a travaillé deux ans au


consulat général, a révélé aux [autorités] que la salle des ma-chines de
la piscine était située à l'étage inférieur de la résidence et qu'un morceau
de marbre recouvrait un puits «dont ils ne pou-vaient voir le fond malgré
l'utilisation répétée d'une lampe de poche». Au cours des recherches, un
puits de 21 mètres de profon-deur a été découvert dont l'eau pouvait
atteindre jusqu'à 9 mètres de hauteur. Un échantillon y a été prélevé pour
inspection, mais le puits n'a pu être fouillé en raison des objections des
autorités saou-diennes.

10) Dans le cadre de l'enquête, 23 personnes ont été interrogées.

Ces informations ont été recueillies au lendemain de l'assassinat de


Khashoggi - tout comme la découverte sur les agents saoudiens qui étaient
membres de la soi-disant Équipe du Tigre que Riyad avait chargée de
neutraliser les dissidents ou de les contraindre à retourner au royaume.
Middle East Eye rappelle que le prince a toujours affirmé qu'il couperait les doigts de
tout écrivain qui le critiquerait, et cela bien avant l'affaire du Consulat d'Istanbul.
Le quotidien anglais Sun et le site MEE ont affirmé que les doigts de Khashoggi ont
bien été coupés et envoyés à MBS dans la foulée pour prouver que
la mission a été accomplie conformément à sa demande.

www.middleeasteye.net/news/revealed-saudi-death-squad-mbs-uses-silence-dissent
www.mirror.co.uk/news/world-news/jamal-khashoggi-murdered-journalists-severed-13462845
1-Kaşıkçı tapelerini verdik"[Nous avons remis les bandes de Khashoggi], Sabah, 11
novembre 2018. >>>

2-Cumhurbaşkanı Erdoğan: Kaşıkçı'nın katilleri gelen 15 kişinin içindedir"[Président


Erdogan: Khashoggi's killers were among the 15 individuals that arrived in Turkey], NTV, 10
novembre 2018. >>>

3-"Fransa: Cemal Kaşıkçı'nın öldürülmesine ilişkin ses kayıtları kayıtları elimizde değil"
[France: Nous ne disposons pas d'enregistrements audio relatifs au meurtre de Jamal
Khashoggi], Al Sharq al Awsat Turkish, 13 novembre 2018. >>>

4-Altun: Eğer Fransa devletinin muhtelif kurumları arasında arasında iletişim iletişim
kopukluğu varsa bu sorunu..."[Altun: If there is a lack of communication among the various
institutions of the French state...], Habertürk, 12 novembre 2018. >>>

5-"Fransa Dışişleri: Kaşıkçı tapeleriyle ilgili açıklamamız yanlış yanlış anlaşıldı" [Ministère
français des Affaires étrangères: Notre déclaration sur les enregistrements de Khashoggi a
été mal comprise], Sputnik, 13 novembre 2018. >>>

6-"Kanada Başbakanı Trudeau: İstihbaratımız İstihbaratımız Kaşıkçı cinayetininin ses


kayıtlarını dinledi"[Premier ministre canadien Trudeau: Nos services de renseignements ont
entendu les enregistrements audio du meurtre de Khashoggi], Euronews, 12 novembre
2018. >>>

7-Alman Hükümet Sözcüsü Seibert: Kaşıkçı olayında olayında Türkiye ile Almanya arasında
bilgi alışverişi oldu"[porte-parole du gouvernement allemand Seibert: Il y a eu échange
d'informations entre la Turquie et l'Allemagne dans l'affaire Khashoggi], Spoutnik, 12
novembre 2018. >>>

8-SDG Sözcüsü Sözcüsü ÖSO'ya teslim oldu"[Le porte-parole du SDF se rend à FSA],
Sabah, 16 novembre 2017. >>>
~9~
Les opérations secrètes
de la «Tigre Team»

Les agents saoudiens, appréhendés en flagrant délit par la police et les


services turcs après l'assassinat de Jamal Khashoggi, mènent depuis
longtemps des opérations secrètes sans couvrir leurs traces. À ce jour, le
Royaume a procédé à un grand nombre d'assassinats et d'enlèvements
«irréfléchis». Il est impliqué dans ce type particulier d'opérations secrètes
depuis le début des années 2000. Notons que le nombre de dissidents cibles
d'enlèvements et de tentatives d'assassinat a augmenté depuis que le prince
héritier Mohammed ben Salmane a perpétré un coup d'État dans le palais
pour se hisser au pouvoir en février 2018.

Commençons par l'enlèvement du Prince Sultan ben Turki, prototype


d'une nouvelle génération d'opérations clandestines saoudiennes. Le prince
Sultan a été enlevé deux fois, en 2003 et 2016, par des Saoudiens en Europe
dans le cadre d'opérations secrètes qui ressemblent à ce que le grand public
a l'habitude de voir dans les films d'espionnage. En 2003, alors que le roi
Fahd ben Abdelaziz était encore au pouvoir, le prince Sultan parlait
ouvertement de la corruption de la famille royale saoudienne et réclamait
des réformes à l'Europe. Un jour, le sultan ben Turki a reçu une invitation
du prince Abdelaziz, son cousin et le fils du roi, à un petit déjeuner dans un
hôtel de luxe à Genève, en Suisse. Là, il a obtenu l'assurance que les
autorités saoudiennes ne lui feraient pas de mal s'il décidait de rentrer à
Riyad. Pour des raisons évidentes, le Prince Sultan n'a pas cru Abdelaziz et
lui a exprimé sa préférence de rester en Europe.

Lorsque son cousin a quitté la pièce pour répondre à un appel


téléphonique, un groupe d'agents saoudiens a assailli le sultan ben Turki –
exactement comme Khashoggi au consulat d'Istanbul. Prenant d'assaut la
chambre d'hôtel, des hommes masqués ont passé le prince à tabac, l'ont
menotté et lui ont injecté un sédatif, puis l'ont embarqué sur un jet privé qui
les attendait à l'aéroport international de Genève. Quand le prince Sultan a
ouvert les yeux, il était déjà à Riyad.

Enlevé en plein jour dans une capitale européenne, le sultan ben Turki a
été assigné à résidence pendant les 6 années qui ont suivi. En 2010, lorsque
le gouvernement l'a autorisé à quitter le pays pour recevoir des soins
médicaux, le prince est revenu en Europe. Six ans plus tard, il a pris l'avion
à Paris pour rendre visite à son père au Caire, avant de retourner en Arabie
Saoudite. Il a depuis disparu.

Un sort similaire a été réservé au prince Turki ben Bandar, membre


éminent des forces de l'ordre saoudiennes, au courant de nombreux secrets
de la famille royale saoudienne du fait de son travail. Il a été arrêté à la suite
d'un différend successoral et s'est installé à Paris après sa sortie de prison en
2012. C'est là qu'il a commencé à créer des vidéos sur la corruption de la
famille royale saoudienne et à les diffuser sur YouTube. L'ancien agent des
forces de l'ordre est ainsi devenu une cible du gouvernement saoudien.

En 2015, Turki ben Bandar a reçu un appel téléphonique du vice-


ministre de l'Intérieur saoudien l'informant qu'il pouvait rentrer chez lui en
toute sécurité. «Tout le monde vous attend les bras grand ouverts,» a-t-il
ajouté. Le prince répondit: «Ils m'attendent à bras ouverts? Et qu'en est-il
des fonctionnaires qui m'envoyaient des lettres menaçant de me rapatrier?»
Le sous-ministre a répondu en assurant Turki ben Bandar qu'il serait
intouchable: «Je suis ton frère.»[1]

Le prince n'était pas convaincu. Il a répondu que les menaces venaient


directement du ministère de l'Intérieur et a procédé à la diffusion de l'appel
téléphonique sur YouTube. Après un voyage d'affaires au Maroc, le prince
Turki a été arrêté avant de prendre son vol pour Paris, puis extradé vers
l'Arabie Saoudite. Comme pour le prince sultan ben Turki, on ignore
l'endroit où se trouve Turki ben Bandar.

Ces deux hommes n'étaient pas les seuls. On connaît le cas du prince
Saoud ben Saif al-Nasr, épris de luxe et du jeu. Il ne se souciait pas de
l'argent et a publié, depuis son domicile en Italie, des Tweets qui
reprochaient à la famille royale saoudienne de soutenir le meneur du coup
d'Etat égyptien Abdel Fattah el-Sisi.

En septembre 2015, le prince Saoud a publiquement endossé deux lettres


anonymes appelant au renversement du roi Abdelaziz, devenant ainsi une
cible prioritaire pour Riyad. Peu après, une société privée avec des
partenaires italiens et russes a contacté le prince fugueur et lui a demandé
une audience à Rome. Ils prétendaient vouloir faire des affaires dans le
Golfe et avoir, pour cela, besoin de l'aide d'un membre de leur famille. En
vertu de l'accord, le prince Saoud recevrait une commission de 3%. La
compagnie envoya un jet privé à Paris pour le chercher - c'est du moins ce
que le prince pensait. L'avion a atterri à Riyad au lieu de Rome. Le reste
demeure trouble. Comme les autres princes, Saaud a été arrêté par le
royaume et probablement exécuté.

Une opération plus récente impliquait Saad Hariri, le Premier ministre


libanais qui a été détenu à Riyad et contraint de démissionner de son poste
sous assignation à résidence. Quand Hariri est arrivé dans la capitale
saoudienne le 3 novembre 2017, il a été accueilli non par une délégation
diplomatique, mais par les forces de l'ordre. Ces derniers ont confisqué les
téléphones du Premier ministre et de ses agents de sécurité. Hariri a été
emmené dans un lieu tenu secret, depuis lequel il a récité une lettre de
démission, dont il n'était manifestement pas l'auteur.

Un autre meurtre lié à l'Arabie Saoudite a eu lieu à New York en octobre


2018, coïncidant avec celui Jamal Khashoggi à Istanbul. Les autorités ont
découvert les corps de Tala et Rotana Farea, deux citoyennes saoudiennes,
dans le fleuve Hudson. Leur mère a déclaré qu'elles avaient reçu un appel
téléphonique de l'ambassade saoudienne à Washington, les sommant de
quitter les États-Unis immédiatement. Après l'appel menaçant, les deux
jeunes filles ont demandé l'asile politique aux Etats-Unis. Accompagnées de
leur frère, un étudiant, les sœurs Farea ont quitté leur maison en Virginie le
24 septembre. Elles ont déposé une demande d'asile politique auprès des
autorités américaines et se sont volatilisées peu de temps après. Leurs corps
ont été découverts un mois plus tard, le 24 octobre, dans le fleuve Hudson.
Elles étaient attachées l'une à l'autre[2].
Comme dans le cas du meurtre du journaliste, les agents saoudiens ont
agi avec imprudence dans cette affaire. De toute évidence, la plus grande
erreur des escadrons de la mort dans l'affaire Khashoggi a été d'ignorer la
possibilité de l'existence de preuves de leurs conversations au consulat. Il va
sans dire que toutes les missions diplomatiques dans le monde sont
exposées au risque d'être surveillées par des services de rensei-gnement
étrangers. D'où la construction de chambres fortes dans les mis-sions
diplomatiques américaines à l'étranger.

LES COMBATS DE SUCCESSION


ET LES MEURTRES DANS L'HISTOIRE

L'historien Murat Bardakçı affirme dans sa chronique du 22 octobre pour


Habertürk que les Saoudiens ont commis ce type de meurtre pour mettre fin
aux combats de succession, citant un exemple récent:

«Permettez-moi de vous parler d'un meurtre perpétré dans le passé


par des princes saoudiens - l'exécution en 1979 de la princesse Mishaal
bint Fahd ben Mohammed al-Saoud.

Mishaal était la fille de Fahd, l'un des fils de Mohammed - le fils aîné
du roi Abdelaziz, fondateur de l'Arabie Saoudite. Bien que son grand-
père, le prince Mohammed fût l'un des fils survivants les plus âgés du roi
Abdelaziz, le conseil de famille s'est opposé à son cou-ronnement en
invoquant son amour de l'alcool et de la vie, jugé incom-patible avec la
couronne. Khaled, le frère cadet de Mohamed, qui ré-gna à sa place.

Quand Mishaal (née en 1958) a dit à sa famille qu'elle vou-lait


recevoir une bonne éducation, elle a été envoyée à Beyrouth, où elle s'est
inscrite à l'Université américaine et a loué une petite villa au bord de la
mer. L'ambassadeur saoudien au Liban a veillé sur la jeune princesse. Il
l'invitait fréquemment à l'ambassade, s'enquerrait de ses besoins, lui
proposait de rester dîner et demandait à son chauffeur de la ramener à la
maison.
L'un des cousins de l'ambassadeur saoudien, Khaled, vivait à
Beyrouth. Au fil du temps, Mishaal et Khaled ont développé des sen-
timents amoureux l'un pour l'autre. Un jour, Mishaal a reçu un appel
téléphonique de son grand-père, le prince Mohammed, à Riyad, qui lui a
demandé de rentrer immédiatement.

De retour à Riyad, Mishaal a appris qu'elle était sur le point


d'épouser un vieux riche saoudien. Elle a fait preuve d'un courage in-
habituel pour une Saoudienne de l'époque en s'opposant à l'arrange-
ment. Elle a annoncé à sa famille qu'elle aimait un autre homme et est
partie en trombe. Khaled se trouvait à Riyad au même moment.
Cette nuit-là, ils se sont enfuis ensemble à Djeddah et se sont rendus chez
un cheikh, que Mishaal suivait depuis des années. Le suppliant, elle a fini
par le convaincre de célébrer leur mariage.

Mishaal et Khaled étaient maintenant mari et femme, mais l'ombre du


grand-père de Mishaal planait au-dessus de leurs têtes. Avant même de
consommer leur mariage, le couple a concocté un plan d'évasion.
Mishaal s'est coupée les cheveux et déguisée en homme. Ils sont
descendus dans un hôtel à Djeddah comme deux étrangers. Ils ont passé
un accord avec deux membres de l'équipage arméniens, qui ont promis
de les conduire à l'aéroport. Le couple allait s'envoler vers sa li-berté
avec de faux papiers d'identité.

Une fois sortis de l'hôtel le lendemain matin, ils sont tombés sur les
hommes armés du Prince Mohammed. Les membres de l'équipage ont été
tués sur place, mais Mishaal et Khaled sont arrivés à l'aéroport et ont
réussi à prendre leur vol. Des hommes armés ont pris l'avion d'assaut
juste avant le décollage et ont traîné le couple, qui hurlait, hors du vol
sous le regard des passagers choqués.

Mishaal et Khaled ont comparu devant un juge loyal au Prince


Mohammed. Le grand-père de Mishaal était présent, mais n'a pas
regardé sa petite-fille dans les yeux. Il a seulement dit que le couple
s'était livré à l'adultère et que, selon la loi islamique, il devait être
exécuté. Pour la toute première fois, le juge s'y est opposé. «Ils se sont
mariés,» dit-il. «Ils n'ont pas commis d'adultère. En tant que tels, ils ne
sont pas coupables.»

Pourtant, le grand-père était déterminé à faire tuer Mishaal et


Khaled. Le prince Mohammed n'a pas été couronné roi, mais il était le
prince le plus âgé et le chef de sa famille. Il n'a même pas cligné des yeux
en ordonnant leur exécution.

Bien que le mariage de deux adultes ne fût illégal dans aucun système
juridique - y compris sans le consentement parental -, l'ordre du Prince
Mohammed devait être exécuté!

La sentence arbitraire prononcée par le Prince Mohammed a été


exécutée à Djeddah le 15 juillet 1977. Avant l'exécution, il y a eu un
différend au sein de la famille sur la façon dont ils allaient tuer le couple.
Ils ne pouvaient pas lapider Mishaal à mort, car elle n'était pas coupable
selon la loi islamique. Un bourreau de l'État ne pouvait pas non plus
exécuter l'ordre, puisque la princesse n'avait pas été con-damnée par un
tribunal saoudien.

Ils ont décidé de les abattre. Mishaal et Khaled ont été emme-nés dans
un parking, et un homme armé a tiré une seule balle dans la nuque de
Mishaal. Khaled, qui venait de voir les tueurs exécuter sa femme et
n'était plus lui-même, n'a pas senti le coup d'épée que le bourreau lui
assénait à l'arrière du cou.

Trois ans plus tard, le journaliste britannique Anthony Tho-mas a


produit un documentaire sur le meurtre, qui a été diffusé le 9 décembre
1980. Les Saoudiens ont provoqué un véritable scandale et le roi Khaled
a déclaré l'ambassadeur britannique à Riyad persona non grata.

La situation s'est aggravée lorsque la nouvelle que le roi saou-dien


avait offert un pot-de-vin de 11 millions de dollars aux produc-teurs pour
ne pas diffuser le documentaire a été rendue publique.

Le royaume a procédé au boycott des marchandises britan-niques, à


l'annulation des accords commerciaux et à la suspension des appels
d'offres publics. En outre, la société américaine qui a coproduit le
documentaire a dû présenter ses excuses. Le géant pétrolier Mobil,
fortement implanté en Arabie Saoudite, a acheté une page entière de
publicité dans le New York Times pour alerter sur le fait que le docu-
mentaire risquait de nuire aux relations de Washington avec le royaume.

Il a fallu des mois au premier ministre britannique Margaret Thatcher


pour résoudre la crise. Sous la pression des grandes entre-prises, la
dame de fer s'est couvert la tête et s'est rendue à Djeddah pour présenter
ses excuses au roi saoudien et sauver les investissements de son pays.

Ainsi s'acheva la triste vie de la princesse Mishaal.

Ne nous étonnons donc pas que les Saoudiens aient osé com-mettre
un crime aussi abominable au sein de leur consulat!

Que ne feraient pas aux autres ceux qui sont capables de tuer leur
petite-fille?[3]

D'après le récit de Murat Bardakçı, les Saoudiens procédaient déjà à des


exécutions et à des assassinats dans les années 1970. Pourtant, le lieu du
meurtre de Khashoggi le distingue de tous les autres crimes. En effet, il était
unique de par sa méthodologie, son but et ses conséquences.

Certains commentateurs ont faussement soutenu que les autorités turques


n'auraient pas découvert la mort de Khashoggi si ce n'était de la plainte de
sa fiancée. Prenons un moment pour contredire ces affirma-tions. S'il est
vrai que les autorités ont établi a posteriori que Jamal Khas-hoggi a été tué à
l'intérieur du consulat saoudien, le crime n'aurait pas pu être gardé secret
pendant des jours, voire des heures, même si Hatice Cen-giz n'avait pas
téléphoné pour signaler la disparition.

Dans tous les cas, la Turquie aurait découvert que Khashoggi était mort -
et même la manière et le moment de son exécution. Pour faire toute la
lumière sur cet horrible meurtre, les autorités n'auraient eu qu'à examiner
les images de vidéosurveillance des environs du consulat pour se rendre
compte que Khashoggi n'est jamais ressorti du bâtiment. Or, sans les
enregistrements audio à la disposition de la Turquie, il aurait été im-
possible de résoudre le meurtre en lui-même.

Ne sachant pas que l'assassinat de Khashoggi a été enregistré, les


autorités saoudiennes ont adopté une stratégie de communication que le
ministre nazi de la propagande Joseph Goebbels décrit ainsi: «Plus le men-
songe est gros, mieux il passe.» Malgré leurs démentis incessants, les Saou-
diens ont fini par avouer le crime et ont renvoyé 5 officiers supérieurs du
renseignement - Ahmad al-Assiri, Mohammed ben Saleh al-Rumaih,
Abdellah bin Khalifa al-Shaya, Saoud al-Qahtani et Rashed ben Hamad al-
Mohammedi.

Immédiatement après l'assassinat de Khashoggi, l'Arabie Saoudite a eu


recours à un gros mensonge. Lorsqu'il est devenu évident que Khas-hoggi
avait disparu à Istanbul, le consulat saoudien a publié une déclara-tion écrite
dans laquelle il prétend que le journaliste «avait disparu après avoir quitté le
bâtiment» et qu'il collaborait étroitement avec les autorités turques pour
découvrir la vérité. Le consul saoudien a utilisé les médias sociaux pour
propager son mensonge au monde entier:

Le consulat du Royaume d'Arabie Saoudite à Istanbul a an-noncé qu'il


surveillait les informations diffusées par les médias au sujet de la
disparition du citoyen saoudien Jamal Khashoggi après son dé-part du
consulat et qu'il poursuivait et coordonnait [ses actions] avec les
autorités turques locales afin de lever le voile sur les circonstances de
cette disparition[4] .

Le ministère turc des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur


saoudien le 4 octobre pour demander de plus amples informations sur cet
incident. Les Turcs ont dit à Walid ben Abdelkarim Al-Khuraiji que Riyad
doit élucider ce qui venait de se passer sans tarder. L'ambassadeur saoudien
a répondu que l'Arabie Saoudite ne savait rien et continuait à rechercher des
informations.

Le jour suivant la déclaration du consulat selon laquelle Khashoggi était


sorti du bâtiment, Turan Kışlakçı, ami du journaliste assassiné et président
de l'Association des médias turco-arabes, a déclaré à la chaîne A Haber que
Jamal Khashoggi était mort:

Nous pensions qu'il avait été retenu à l'intérieur du consulat et emmené


plus tard.
Pourtant, nous avons pu confirmer avec plusieurs sources que Khashoggi
a été tué.
Mes condoléances à tous.
Nous préparons un service funèbre in absentia.
Ce sera l'Arabie Saoudite contre la conscience du monde dès à présent[5]
.

Le même jour, Mohammed Al-Otaiba, le consul général saoudien, a


invité une équipe de journalistes de Reuters à visiter le complexe diploma-
tique. Au cours de cette mise en scène, il a ouvert les placards et a préten-du
à tort que les caméras de sécurité du consulat n'enregistraient pas les images
et que les Saoudiens ne pouvaient donc pas prouver que Khas-hoggi avait
quitté le bâtiment.

La première référence à l'assassinat se trouve dans un article publié deux


jours avant l'interview télévisée de Kışlakçı. L'agence de presse bri-
tannique Reuters a annoncé le 6 octobre que les autorités turques étaient
convaincues que Jamal Khashoggi avait été tué dans le consulat:

«Selon l'évaluation initiale de la police turque, M. Khashoggi a été tué


au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul. Nous pensons que le meurtre a
été prémédité et que le corps a ensuite été déplacé hors du consulat », a
déclaré l'un des deux responsables turcs à Reuters[6] .

Le 7 octobre, le président Erdogan a déclaré aux journalistes qu'il «


suivait le processus de près» et s'est engagé à « partager les conclusions
avec le monde entier »[7] . Le lendemain, il a sommé l'Arabie Saoudite de
prouver que le journaliste disparu avait bien quitté le consulat d'Istanbul[8] .
De toute évidence, il savait d'ores et déjà que Riyad n'était pas en mesure
d'apporter une quelconque preuve. Erdogan avait été informé du sort de
Khashoggi, mais il voulait contraindre les Saoudiens à reconnaître leur
culpabilité.
Ce qui est arrivé à Khashoggi n'était plus un mystère pour les Turcs,
mais le monde entier posait encore des questions. Aussitôt, les dirigeants
américains ont commencé à recevoir des questions au sujet du chroni-queur
du Washington Post. Le 7 octobre, le secrétaire d'État américain Mike
Pompeo a appelé son homologue saoudien pour lui demander de toute
urgence des informations sur ce qui s'était passé. Le lendemain, le dépar-
tement d'État a annoncé qu'il suivait attentivement la situation[9] . Fred
Hiatt, rédacteur en chef du Washington Post, a déclaré que, si Khashoggi
avait en effet été tué, il s'agirait là d'une chose horrible et inexplicable.

Le 6 octobre, le parquet général d'Istanbul a annoncé l'ouverture d'une


enquête officielle sur le meurtre: «Une enquête a été lancée immédiate-ment
le jour de l'incident et [nous] continuons d'approfondir tous les aspects [de
ce qui s'est passé].»[10]

LA CHRONOLOGIE

Voici un résumé de ce qui s'est passé chaque jour après la mort de Jamal
Khashoggi:

Mardi 2 octobre: Khashoggi disparaît après son en-trée au Consulat


général d'Arabie Saoudite à Istanbul. Le procureur général a ouvert une
enquête sur ce qui avait tout l'air d'une détention du chroniqueur par les
autorités saoudiennes.

Mercredi 3 octobre: un groupe de militants s'est ré-uni devant le


Consulat pour demander la libération de Jamal Khashoggi qui, selon eux,
avait été détenu dans l'enceinte du bâtiment. Ibrahim Kalin, porte-parole
de la présidence turque, a déclaré aux journalistes: «À notre
connaissance, le ressortissant saoudien se trouve encore au consulat
saoudien à Istanbul».

Jeudi 4 octobre: le gouvernement saoudien a an-noncé qu'il suivait


l'actualité de la disparition de Khas-hoggi et collaborait avec les autorités
turques pour le re-trouver. Celles-ci ont affirmé que le journaliste se
trouvait toujours à l'intérieur du bâtiment en précisant qu'une in-vitation
officielle de l'Arabie Saoudite était nécessaire pour perquisitionner le
consulat.

Vendredi 5 octobre: dans une interview accordée à l'Agence


Bloomberg, le prince héritier Mohammed ben Sal-mane a déclaré que les
autorités turques étaient invitées à inspecter le consulat général de son
pays à Istanbul. Il n'a pas indiqué si Khashoggi avait été accusé d'un
crime en Arabie Saoudite et a fait savoir aux interviewers que si
Khashoggi était dans le royaume, il le saurait.

Samedi 6 octobre: la police turque annonce que 15 ressortissants


saoudiens, arrivés en Turquie par un jet privé et deux vols commerciaux,
se trouvaient à l'intérieur du consulat en même temps que Jamal
Khashoggi, et étaient retournés au royaume.

Dimanche 7 octobre: le président Recep Tayyip Er-dogan a dit aux


journalistes qu'il était «toujours optimiste que nous n'aurons pas à faire
face à une situation indésirable».

Lundi 8 octobre: lors d'une conférence de presse en Hongrie, Erdogan


a déclaré «qu'il était pour nous très impor-tant que cet incident ait eu lieu
dans notre pays et surtout au con-sulat de l'Arabie Saoudite à Istanbul»,
ajoutant qu'il était de «son devoir politique et humanitaire en tant que
Président de su-perviser ce processus».

Le ministère turc des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur


saoudien pour la deuxième fois et a soumis la demande officielle de la
Turquie de chercher Khashoggi au consulat d'Istanbul. Les Turcs ont
également exhorté les autorités saoudiennes à coopérer pleinement à l'en-
quête.

Les Nations Unies, l'Union Européenne, l'Alle-magne, la France et le


Royaume-Uni ont reconnu la gravi-té de l'accusation portée contre
l'Arabie Saoudite et ont exprimé leur préoccupation.

Mardi 9 octobre: Hami Aksoy, porte-parole du mi-nistère turc des


Affaires étrangères, a déclaré aux journa-listes que le pouvoir judiciaire,
la police et les services de renseignement suivaient la situation de près et
que l'Ara-bie Saoudite avait accepté la perquisition de son consulat à
Istanbul: «les autorités saoudiennes ont exprimé leur volonté de coopérer
et ont accepté une perquisition au sein de leur bâtiment consulaire.»

Les Nations Unies ont fait part de leur préoccupa-tion quant à la


disparition de Khashoggi. Le ministre bri-tannique des Affaires
étrangères Jeremy Hunt aurait ex-horté son homologue saoudien à
coopérer pleinement à l'enquête turque.

Mercredi 10 octobre: Sabah a publié les noms et les photos des 15


membres de l'escadron de la mort. Selon l'article, le 2 octobre à 3h28 du
matin, neuf assassins étaient arrivés à l'aéroport Atatürk d'Istanbul. Turan
Kışlakçı ne s'est jamais trompé sur l'affaire Khashoggi. Nous avons
mentionné plus haut qu'il a été le premier à annoncer le décès du
chroniqueur du Washington Post:
«Voilà la seule chose que nous n'avons pas pu confirmer: les 15
personnes qui sont venues ici ont endormi et immédiatement démembré
Mr. Jamal et, tels des chiens, ont emporté un morceau de son corps avec
eux. Je ne veux pas entrer dans les détails. J'espère qu'il ne s'est rien
passé de tel.» [11]

Kışlakçı a fait cette déclaration le 7 octobre. Trois jours plus tard, l'Unité
spéciale des renseignements de Sabah a publié les noms et les pho-
tographies des agents saoudiens qu'il avait mentionnés. Le même jour, le 10
octobre, une source a affirmé que les services de renseignement améri-cains
avaient intercepté une conversation dans laquelle le prince héritier
Mohammed ben Salmane avait intimé l'ordre à ses hommes de convaincre
Khashoggi de retourner en Arabie Saoudite afin qu'il y soit arrêté dès son
retour[12] .

UN AVEU QUI VIENT 18 JOURS TROP TARD

Après l'assassinat de Khashoggi, l'Arabie Saoudite a refusé de recon-


naître que les 15 agents des services de renseignement l'avaient tué au
consulat d'Istanbul. La Turquie a donné à Riyad un peu de temps pour
réfléchir en divulguant des informations à des organes internationaux par
l'intermédiaire de fonctionnaires anonymes, mais sans succès. L'aveu de
culpabilité est intervenu 18 jours après la mort de Khashoggi, mais la
reconnaissance était bancale et peu sincère.

Le 20 octobre, le gouvernement saoudien a été contraint d'admettre à son


agence de presse SPA que des agents saoudiens étaient responsables de ce
meurtre. Pourtant, les autorités saoudiennes ont affirmé que la mort de
Khashoggi était le résultat d'une bagarre. Une série d'événements im-
portants se sont produits au cours des 10 jours qui ont précédé les aveux des
saoudiens. En d'autres termes, ce qui s'est passé entre le 10 et le 20 octobre
a ouvert la voie à la reconnaissance de la culpabilité de l'Arabie Saoudite.

Jeudi 11 octobre: le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt


Cavusoglu a annoncé que le ministère public avait lancé une «enquête
intensive et approfondie » sur l'affaire. Ibrahim Kalin, porte-parole de la
présidence turque, a ajouté que la Turquie et l'Arabie Saoudite avaient
convenu de la création d'un groupe de travail conjoint à la demande de cette
dernière.

Vendredi 12 octobre: le Washington Post a affirmé que les autorités


turques avaient recueilli des preuves du meurtre au consulat saoudien et les
avaient communiquées aux États-Unis.

Samedi 13 octobre: le Secrétaire général de l'ONU, An-tonio Guterres, a


exigé la vérité sur la mort de Jamal Khas-hoggi: «Nous devons savoir
exactement ce qui s'est passé, qui est res-ponsable et, bien sûr, quand nous
voyons la prolifération de ce genre de situation, je pense qu'il nous faut
aussi trouver des moyens de demander des comptes.»

Dimanche 14 octobre: le président Erdogan s'est entre-tenu par


téléphone avec le roi Salmane ben Abdulaziz d'Arabie Saoudite et a
souligné l'importance de former un groupe de travail conjoint pour faciliter
l'enquête sur le meurtre. Les mi-nistres des Affaires étrangères de la France,
de l'Allemagne et du Royaume-Uni ont publié une déclaration commune
invi-tant toutes les parties à faire la lumière sur cet incident. De son côté,
Hatice Cengiz, la fiancée, a rédigé un éditorial pour le New York Times:

«Si nous avons perdu Jamal, la condamnation ne suffit pas. Ceux qui
nous l'ont enlevé, quelles que soient leurs posi-tions politiques, doivent
être tenues responsables et punis dans toute la mesure de la loi.»

Lundi 15 octobre: les membres turcs et saoudiens du groupe de travail


commun se sont entretenus avec la police an-titerroriste au bureau de la
police nationale d'Istanbul. La réu-nion a été suivie d'une inspection du
Consulat. Les États-Unis ont annoncé que le secrétaire d'État Mike Pompeo
se rendrait en Arabie Saoudite et en Turquie.

Mardi 16 octobre: les spécialistes du groupe de travail ont fouillé le


consulat saoudien jusqu'au matin. Les procureurs, les chefs de police et les
enquêteurs sur les lieux du crime ont quitté le complexe après 9h. Le roi
Salmane a reçu le secrétaire d'État américain Mike Pompeo à Riyad. Des
sources diploma-tiques turques ont déclaré aux journalistes que les
enquêteurs turcs allaient chercher des indices à la résidence du consul gé-
néral saoudien. Mohammed Al-Otaiba, le consul général de Riyad à
Istanbul, a quitté le pays sur un vol commercial à 17h.

Mercredi 17 octobre: le secrétaire d'État américain Mike Pompeo s'est


envolé pour Ankara, la capitale administrative de la Turquie, pour
s'entretenir de l'affaire Khashoggi. Il a été reçu par le président turc avant de
rencontrer le ministre des Affaires étrangères Cavusoglu et le directeur du
MIT Hakan Fidan.

Jeudi 18 octobre: le New York Times rapporte que les ser-vices de


renseignement américains sont convaincus que le prince héritier
Mohammed ben Salmane est le commanditaire de l'assassinat de
Khashoggi. Le parquet général d'Istanbul a publié une autre déclaration:
«L'enquête se poursuit avec diligence et sur tous les aspects de l'incident,
conformément au droit international, aux coutumes, aux traités et aux
conventions. Le bureau du procureur fera des déclarations supplémentaires
si nécessaire pour informer le pu-blic de l'avancée de l'enquête.»
Vendredi 19 octobre: le président américain Donald Trump a reconnu la
mort de Jamal Khashoggi, citant des sources du renseignement.

Samedi 20 octobre: le gouvernement saoudien a préten-du que


Khashoggi avait été tué lors d'une bagarre dans le con-sulat d'Istanbul.
L'agence de presse saoudienne SPA a rapporté qu'il s'était disputé avec
d'autres ressortissants saoudiens qui se trouvaient au Consulat à son arrivée
et avait perdu la vie lors-que cette altercation a pris la tournure d'un combat.

La déclaration saoudienne était totalement dénuée de contenu. En fait,


Riyad a dû rejeter sa version des événements par la suite. Même le renvoi
d'Ahmad Al-Assiri et d'autres hauts responsables quelques heures plus tard
signifiait que le communiqué n'était pas fidèle à la réalité. Par-mi les
fonctionnaires des services à avoir perdu leur poste figurait Saoud Al-
Qahtani, un conseiller du prince héritier saoudien. Qahtani était res-
ponsable des efforts de propagande de Mohammed ben Salmane sur les
médias sociaux. Après que le prince Mansour ben Muqrin, l'une des cibles
les plus en vue du coup d'État non officiel du prince héritier, eut trouvé la
mort dans un accident d'hélicoptère (dans lequel, selon certains, l'avion
aurait été frappé par des missiles) avec 7 de ses conseillers le 8 novembre
2017, Qahtani a déployé l'armée des trolls saoudiens pour diffuser la dé-
sinformation. Les «abeilles» de Jamal Khashoggi étaient destinées à con-
trebalancer les «mouches» du régime[13] .

LE PROCUREUR GÉNÉRAL SAOUDIEN


EST VENU POUR COMPRENDRE
CE QUE TRAMAIENT LES TURCS

Ce qui s'est passé entre le 20 et le 30 octobre a obligé le royaume à


dépêcher Saoud Al-Mujib, le procureur général saoudien, en Turquie.

Dimanche 21 octobre: Erdogan a déclaré qu'il allait prononcer un


discour importante sur le meurtre de Khashoggi lors de la séance
parlementaire mardi:
«Nous sommes déterminés à faire la lumière sur ce qui s'est pas-sé. Si
Dieu le veut, je ferai une déclaration à ce sujet au caucus [du Parti AK]
mardi. Après tout, nous cherchons la justice ici.
La vérité sera révélée dans toute sa nudité - pas seulement les
quelques étapes de routine. Si 15 personnes sont venues ici, pourquoi
[l'Arabie Saoudite] en a-t-elle arrêté 18? Ces questions doivent être
clarifiées en détail.»

Le même jour, le ministre saoudien des Affaires étrangères est apparu


sur la chaîne américaine Fox News pour nier le fait que le prince héritier
Mohammed ben Salmane ait été au courant du meurtre de Khashoggi ou
avait une quelconque responsabilité dans cette affaire.

Lundi 22 octobre: M. Erdogan s'est entretenu par télé-phone avec le


président américain Donald Trump. Les deux dirigeants ont procédé à un
échange de points de vue sur des questions bilatérales ainsi que sur
l'assassinat de Khashoggi et la situation en Syrie. Le roi Salman ben
Abdulaziz et le prince héritier Mohammed ben Salmane auraient appelé
le fils de Jamal Khashoggi, Salah, pour lui présenter leurs condo-léances.
CNN International a diffusé des images de vidéosurveil-lance d'Al-
Madani, un membre de l'escadron de la mort qui a servi de doublure au
corps de Khashoggi.

Mardi 23 octobre: dans son discours hebdomadaire devant le


Parlement turc, Erdogan a partagé des informations sur les différents
développements qui ont eu lieu depuis la malheu-reuse visite de
Khashoggi au consulat d'Istanbul. Dans le même discours, retransmis en
direct par de nombreux médias internationaux, le président turc a affirmé
que les personnes soupçonnées du meurtre devaient être extradées vers la
Tur-quie: «Le crime a été commis à Istanbul. Je propose donc que les 18
détenus soient traduits en justice à Istanbul. C'est à [l'Arabie Saou-dite]
de décider, mais ce sont là ma proposition et mon souhait person-nels.
C'est important parce que le crime a eu lieu ici.»

Rappelant que certains médias ont tenté de discréditer la Turquie et


détourner l'attention de cet assassinat, Erdogan s'est engagé à découvrir la
vérité: «De telles tentatives d'assassinat qui entachent la réputation de notre
pays n'ont jamais entravé, ni n'entraveront, notre recherche de la vérité.»
Erdogan a appelé la famille Khashoggi pour présenter ses condoléances. Le
ministre britannique des Affaires étrangères, Jeremy Hunt, a déclaré que
son pays était préoccupé par la caractérisation de la disparition de
Khashoggi de «meurtre prémédité» par Erdogan.

Mercredi 24 octobre: le Premier ministre britannique Theresa May a


annoncé que le Royaume-Uni allait révoquer les visas détenus par les
suspects du meurtre de Jamal Khas-hoggi.

Jeudi 25 octobre: le rejet par le royaume de la demande turque de


fouiller le puits situé à l'intérieur de la résidence con-sulaire saoudienne
est devenu manifeste. Les Saoudiens ont concédé, à la lumière des
informations que la Turquie avait communiquées à Riyad, que le meurtre
de Khashoggi était en effet prémédité.

Vendredi 26 octobre: Recep Tayyip Erdogan a demandé au royaume


d'identifier l'endroit où se trouve la dépouille de Jamal Khashoggi: «Il a
été établi hors de tout doute que [Khashog-gi] a été assassiné. Vous
devez nous indiquer où se trouve le corps. Vous nous avez dit qu'il avait
quitté [le consulat] et nous vous avons de-mandé de le prouver.
Finalement, [l'Arabie Saoudite] a admis que 18 personnes étaient en état
d'arrestation. C'est le Serviteur des Saintes Mosquées qui me l'a appris
personnellement.
Ces 18 individus doivent savoir qui a tué Jamal Khashoggi. Il n'y a
pas d'autre explication. Après tout, le tueur se trouve parmi eux. Dans le
cas contraire, vous devez identifier le collaborateur local. L'Arabie
Saoudite ne peut espérer apaiser les tensions tant qu'elle n'aura pas
accepté de fournir cette explication.»

Samedi 27 octobre: le ministre des Affaires étrangères Adel Al-Jubeir


a déclaré que l'assassin de Jamal Khashoggi comparaîtrait devant un
tribunal saoudien.

À l'occasion d'une conférence de presse conjointe avec le président russe


Vladimir Poutine, la chancelière allemande Angela Merkel et le président
français Emmanuel Macron, M. Erdogan a déclaré que les diri-geants
avaient «discuté de la question lors de réunions bilatérales» et qu'il avait
«partagé les informations nécessaires» avec ses homologues. «Nos agences
de renseignement avaient été informées plus tôt», a ajouté le président turc.
«Nous avons approfondi les détails lors des réunions bilatérales
d'aujourd'hui.»

Dimanche 28 octobre: les autorités turques ont établi que les véhicules
diplomatiques immatriculés au nom du con-sulat saoudien à Istanbul ont
été nettoyés après le meurtre de Khashoggi.

Lundi 29 octobre: le procureur général saoudien est ar-rivé au palais


de justice principal d'Istanbul pour rencontrer le procureur général Irfan
Fidan. La réunion a duré 75 minutes.

Mardi 30 octobre: Saoud Al-Mujib a visité le consulat d'Istanbul dans


le cadre de l'enquête sur le meurtre. Trois jours plus tard, il a quitté la
Turquie, sans partager aucune informa-tion précieuse avec ses
homologues turcs, et en ramenant 5 boîtes de noix au royaume...

Mercredi 31 octobre: le procureur général d'Istanbul a publié sa


déclaration la plus catégorique à ce jour et annoncé que le corps de
Khashoggi avait été «démembré et détruit» par les assassins. La limpidité
de cette déclaration de l'accusation a retenu l'attention des médias du
monde entier.

LA COUVERTURE MÉDIATIQUE MONDIALE

Les médias américains

Le Washington Post a cité les propos de l'accusation turque qui con-


firment bien que la mort par asphyxie de Khashoggi et son démembre-
ment, ajoutant que l'endroit où se trouvait le corps demeure inconnu et
que, selon un haut responsable turc, la Turquie envisageait la possibilité
que le corps de Khashoggi ait été dissout dans de l'acide autour de la
résidence consulaire.
Le New York Times a rapporté que le procureur turc avait accusé les
assassins saoudiens d'avoir étouffé Khashoggi à mort, avertissant que ce
meurtre très médiatisé avait mis à rude épreuve les relations bilatérales de
la Turquie avec le royaume.

Le Wall Street Journal a déclaré que les enquêteurs turcs avaient re-
proché à l'Arabie Saoudite de ne pas avoir clarifié le sort qu'a subi le
corps de Jamal Khashoggi.

CNN, l'une des principales chaînes d'information américaines, a


souligné que le meurtre de Khashoggi était prémédité selon l'accusation.

Enfin, l'Associated Press a immédiatement diffusé la déclaration de


l'accusation et a noté que la Turquie faisait pression sur le royaume afin
qu'il communique volontairement des informations supplémentaires sur
le lieu où se trouve la dépouille.

Médias européens

La chaîne britannique publique BBC a rapporté que la Turquie avait


officiellement révélé de nouveaux détails sur la mort du journaliste, citant
la déclaration par l'accusation que le meurtre était prémédité et que les
assassins avaient étouffé leur victime immédiatement après son entrée au
consulat.

Le Guardian a souligné que la déclaration de l'accusation turque


était la première reconnaissance publique de la façon dont Jamal Khas-
hoggi a perdu la vie au consulat saoudien à Istanbul.

The Independent a noté que les autorités turques n'étaient pas satis-
faites de la visite du procureur général saoudien et a rappelé que la Tur-
quie continuait de poser des questions clés: qui a ordonné le meurtre de
Jamal Khashoggi? Qu'est-il arrivé au corps de la victime? Selon le jour-
nal, les Turcs n'ont toujours pas reçu de réponse satisfaisante de la part de
Riyad.
Le Financial Times a rapporté que les autorités turques ont accusé
leurs homologues saoudiens de ne pas coopérer à l'enquête sur le meurtre
d'Istanbul.

Les journaux français Le Figaro et Le Monde ont partagé avec leurs


lecteurs la première déclaration officielle de la Turquie sur l'assassinat de
Khashoggi et ont rappelé que l'accusation avait conclu que Khashoggi
avait été étouffé puis démembré.

Dans un article sur l'assassinat de Khashoggi, le journal allemand


Frankfurter Allgemeine Zeitung a rappelé que le prince héritier saoudien
était soupçonné d'avoir orchestré l'assassinat de Khashoggi et a évoqué
des liens directs avec les assassins potentiels du journaliste tué.

El Mundo, un journal espagnol, a annoncé que l'accusation turque


avait finalement publié une déclaration officielle sur le meurtre avec pré-
méditation de Jamal Khashoggi par 15 suspects saoudiens après des se-
maines de fuite dans la presse. La déclaration du procureur a confirmé
l'allégation selon laquelle le corps de Khashoggi aurait été démembré et a
réitéré le refus des autorités saoudiennes de coopérer à l'enquête.

Un autre journal espagnol, El País, a rapporté que la Turquie avait


demandé au procureur général saoudien de partager les déclarations des
18 suspects du meurtre, de révéler où se trouvait le corps de Khashoggi et
d'identifier le collaborateur local. Elle a ajouté que Saoud al-Mujib refu-
sait de répondre à ces questions et prétendait que les autorités
saoudiennes n'avaient jamais mentionné un collaborateur local.

Le Blick, l'unique journal national suisse, a écrit que la Turquie avait


demandé à l'Arabie Saoudite d'extrader les suspects, mais que Riyad
avait refusé d'obtempérer. Enfin, la chaîne d'information néerlandaise
NOS a annoncé que Jamal Khashoggi a été étouffé à mort peu après son
arrivée au consulat saoudien d'Istanbul et a insisté sur le fait que la Tur-
quie avait diffusé sa première déclaration officielle sur les derniers
instants du journaliste.

Médias du Moyen-Orient
La déclaration du procureur turc a provoqué une onde de choc au
Moyen-Orient, quoique de diverses manières. Les médias en Irak, au Li-
ban et dans les pays du Golfe, à l'exception notable du Qatar, n'a pas
commenté cette déclaration. Les médias dans d'autres coins de la région
ont inclus dans leurs reportages des extraits de la déclaration écrite de
l'accusation.

Al-Shorouk, un quotidien égyptien pro-gouvernemental qui aspire à


une ligne éditoriale plus indépendante, et Al-Masry Al-Youm, qui s'op-
pose aux dirigeants égyptiens, ont diffusé cette déclaration en une. Al-
Shorouk a rapporté que la visite du procureur général saoudien à Istanbul
était achevée et que l'enquêteur turc avait publié une déclaration recon-
naissant que Khashoggi avait été étouffé à mort et démembré. Al-Masry
Al-Youm a ajouté que les réunions du procureur saoudien n'ont pas dé-
bouché sur des résultats concrets.

Le site web d'Al Jazeera, situé au Qatar, affirme que des agents de
renseignement turcs ont fait écouter à Saoud Al-Mujib l'enregistrement
audio des derniers instants du procès de Jamal Khashoggi[14] . Les
agences de presse officielles et semi-officielles de l'Iran, dont l'IRNA, la
FHA, Mehr et Tasnim, ont immédiatement communiqué la déclaration de
l'ac-cusation à leurs abonnés et aux adeptes des médias sociaux[15] .
1-Reda El Mawy, "Saudi Arabia's Missing Princes", BBC News, 15 août 2017. >>>

2-Victoria Bekiempis, "New York police investigate deaths of Saudi sisters found bound
together", The Guardian, 31 octobre 2018. >>>

3-Murat Bardakçı, "Kaşıkçı cinayetinden hayretteyiz, ama torunu olan 19 yaşındaki kızı bile
öldürtenlerle karşı karşıyayız"! Nous sommes choqués par l'assassinat de Khashoggi, mais
nous sommes confrontés à des gens qui ont tué leur propre petite-fille de 19 ans],
Habertürk, 22 octobre 2018 >>>

4-Suudi Arabistan Başkonsolosluğu'ndan son dakika Cemal Kaşıkçı açıklaması"


(Déclaration de dernière minute du consulat général d'Arabie Saoudite sur Jamal
Khashoggi), Sabah, 7 octobre 2018. >>>

5- Nazif Karaman, Emir Somer et Kenan Kıran, "Sır perdesini camı film kaplı siyah minibüs
aralayacak"[La camionnette noire aux vitres teintées ouvre le rideau du mystère], Sabah, 8
octobre 2018. >>>

6-reuters.com/article/us-saudi-politics-dissident/exclusive-turk¬ish-police-believe-saudi-
journalist-khashoggi-was-killed-in-consulate-sources-idUSKCN¬1MG0HU >>>

7-Cumhurbaşkanı Erdoğan: Bu işin takibindeyim"[Président Erdogan: je surveille cet


incident], Milliyet, 7 octobre 2018. >>>

8-Erdoğan: Suudi Arabistan, Cemal Kaşıkçı'nın konsolosluktan çıktığını çıktığını


ispatlamalı" Erdogan: L'Arabie Saoudite doit prouver que Jamal Khashoggi a quitté le
consulat], BBC Turkish, 8 octobre 2018. >>>

9-Court-Circuit: Cemal Kaşıkçı'nın akıbeti akıbeti hakkında hakkında endişeliyim" [Trump:


Je suis inquiet du sort de Jamal Khashoggi], Sabah, 9 octobre 2018. >>>

10-Nazif Karaman, "Suudi gazeteteci Cemal Kaşıkçı'nın kaybolması ile ilgili soruşturma"
[L'enquête sur la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi), Sabah, 7 octobre
2018. >>>

11-"Turan Kışlakçı: Bize ulaşan bilgi öldürüldüğü bilgi öldürüldüğü yönünde" [Turan Kışlakçı:
Les informations que nous avons reçues portent à croire qu'il a été tué], Hürriyet, 7 octobre
2018. >>>

12-Veliaht Prens, Kaşıkçı'nın Suudi Arabistan'a çekilip tutuklanmasını mı mı emretti?" Le


prince héritier a-t-il ordonné le rapatriement et l'arrestation de Khashoggi?], Habertürk, 11
octobre 2018. >>>

13-www.middleeasteye.net/news/saudi-prince-mansour-killed-helicop¬ter-crash-near-
yemen-border >>>

14-Cette information était inexacte. La Turquie a diffusé l'enregistrement audio pour


Qahtani, le général du renseignement, à Ankara (pas à Istanbul) avec le chef du
renseignement national saoudien Howayrani. >>>
15-Başsavcılığın Başsavcılığın açıklaması dünya basınında" (déclaration du procureur
général dans les médias mondiaux), Sabah, 2 novembre 2018. >>>
~ 10 ~
Le dilemme de Trump
«Roi - Nous te protégeons!»

«J'aime le roi Salmane, mais je lui ai dit: "Roi, nous te protégeons! Tu


ne tiendrais probablement pas deux semaines sans nous. Tu dois débourser
pour ton armée''.» Moins de 24 heures après l'assassinat de Khashoggi, le
président américain Donald Trump, dont l'administration a réduit la
stratégie de sécurité nationale de Washington à l'argent, à l'image d'un PDG
uniquement préoccupé par la situation financière de son entreprise, a
prononcé ces mots lors d'une campagne à Southaven, dans le Mississippi.

Selon les déclarations officielles, Trump, comme le reste du monde,


ignorait encore que le chroniqueur du Washington Post n'était plus en vie.
Néanmoins, il a tenté de faire pression sur le royaume par ces mots dans
l'espoir d'ouvrir la voie à de nouveaux accords de ventes massives d'armes -
semblables à ceux conclus entre Washington et Riyad en 2018 autour du
fameux globe lumineux[1]. En clair, l'Arabie Saoudite n'était pas étrangère à
l'idée d'acheter la loyauté d'autrui en échange de la sécurité nationale - ou,
pour être plus précis, d'assurer la survie politique de la famille royale
saoudienne. C'est la raison pour laquelle le royaume a récemment signé
avec les États-Unis un accord de 350 millions de dollars sur les armes[2].

Le 20 septembre, quelques jours avant son voyage au Mississippi,


Trump a adressé une menace voilée contre le régime saoudien. Le président
américain s'est plaint que les États du Golfe, y compris le royaume,
refusaient de baisser le prix du pétrole alors même que «nous protégeons les
pays du Moyen-Orient [et que] sans nous, ils ne seraient pas en sécurité
plus longtemps.»[3]
Trump a tenu un certain nombre de propos contradictoires lorsque
ladisparition de Jamal Khashoggi est devenue un fait indéniable. L'alliance
asymétrique qu'il a formée avec Mohammed ben Salmane par l'intermé-
diaire de son gendre Jared Kushner, et les accords d'armement lucratifs de
son cabinet avec le roi Salmane ont laissé le président américain entre deux
eaux. En définitive, Trump a clairement dit qu'il envisageait la si-tuation en
termes financiers. Le 17 octobre, Nedret Ersanel, chroniqueur chevronné en
politique étrangère pour le quotidien turc Yeni Safak, a af-firmé que le
gendre de Trump peut être considéré complice du meurtre du Khashoggi
instigué par le prince héritier d'Arabie Saoudite:

Si les négociations aboutissent, la malencontreuse et tristement


célèbre «orb coalition» s'effondrera, ou sera paralysée. C'est pourquoi
j'ai dit et écrit que la Turquie tenait Riyad par la gorge, et surtout: La
[Turquie] tient aussi les États-Unis. Il nous faut donc comprendre la
position de la Maison-Blanche ...

S'il s'avère que l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis étaient
directement ou indirectement impliqués dans l'assassinat de Khashoggi -
ce qui devrait être le cas -, vous pouvez être sûrs que le gendre du
président Trump, Jared Kushner, devra au moins répondre d'un jugement
politique, ce qui représenterait un risque énorme pour la Maison
Blanche lors des élections de novembre. C'est le facteur «Was-hington
Post»!

Après tout, il était curieux que le président américain ait évo-qué des
«éléments scélérats» visant à protéger tous les suspects[4].

LES DÉCLARATIONS CONTRADICTOIRES


DU PRÉSIDENT AMÉRICAIN

La déclaration de Trump du 15 octobre, citée par Ersanel, n'était rien


moins qu'extraordinaire. À peine cinq jours plus tôt, le président améri-cain
faisait part aux journalistes de la profonde préoccupation de la Mai-son-
Blanche par la disparition de Khashoggi, et de sa détermination à faire toute
la lumière sur ce qui lui est arrivé. M. Trump a précisé qu'il avait discuté de
l'affaire Khashoggi avec un haut responsable saoudien et a renchéri: «Nous
ne pouvons laisser cela se produire, ni aux journalistes ni à quiconque.»[5]

Pourtant, le président américain n'a pas tenu sa promesse et a fait volte-


face à plusieurs reprises. Telle était sa déclaration initiale:

«Cela m'inquiète. Je n'aime pas en entendre parler.


J'espère que ça s'arrangera tout seul.
Pour l'instant, personne n'en sait rien, mais il y a de terribles rumeurs
qui circulent. Je n'aime pas ça.»[6]

Plus tard dans la journée, le vice-président Mike Pence a exhorté le


gouvernement saoudien à coopérer à l'enquête et à être transparent dans ses
conclusions. Mais le lendemain, les États-Unis ont fait une offre non
conventionnelle de soutien. Pence, un leader du mouvement évangélique, a
déclaré aux journalistes que Washington était prêt à envoyer une équipe du
FBI en Turquie si les Saoudiens venaient à demander de l'aide[7].

La déclaration du vice-président américain était dénuée de sens.


Pourquoi Washington enverrait-il des agents du FBI en Turquie si le
royaume avait besoin d'aide ?

Évidemment, une demande officielle des Turcs serait nécessaire pour


permettre aux forces de l'ordre américaines de se rendre sur place et
d'apporter leur aide dans cette affaire. En effet, Ankara n’avait besoin
d'aucune d'aide de la part des États-Unis - ni en matière de renseignement,
ni dans le cadre de l'enquête criminelle. Bien au contraire, c'est le
gouvernement turc qui a partagé des renseignements crédibles sur la mort
de Jamal Khashoggi avec les services de renseignement aux États-Unis et
ailleurs.

Le 11 octobre, le président américain a déclaré à Fox News que les


États-Unis avaient «des enquêteurs sur place et que nous travaillons avec la
Turquie [puisque] nous voulons savoir ce qui s'est passé»[8]. Pour les Turcs,
la déclaration de Trump était pour le moins cryptique. Au contraire, la seule
requête des États-Unis se rapportant à l'assassinat de Khashoggi était de ne
pas s'immiscer dans l'enquête criminelle.
Quelques heures plus tard, Trump a répondu aux détracteurs de son
gouvernement, qui ont appelé la Maison-Blanche à suspendre l'aide
militaire au royaume, que «nous n'aimons pas cela, mais s'il faut arrêter
110 milliards de dollars dans ce pays - en sachant que l'Arabie Saoudite a
quatre ou cinq alternatives - cela ne me paraît pas acceptable.»[9]
Le 12 octobre, le président américain s'est contredit une fois de plus en
déclarant aux journalistes que l'Arabie Saoudite avait créé des emplois aux
États-Unis par l'achat pour 110 milliards de dollars de matériel mili-taire et
que punir le royaume reviendrait à «nous punir nous-mêmes»[10] .
Le lendemain, Trump s'est entretenu par téléphone avec le roi Sal-mane au
sujet de la mort de Khashoggi et a annoncé que le secrétaire d'État Mike
Pompeo allait se rendre à Riyad le 15 octobre pour rencontrer les dirigeants
saoudiens. Il a ajouté que Washington éprouverait de la frustration si le
chroniqueur du Washington Post avait succombé aux mains de responsables
saoudiens, et a promis une réponse dans les plus brefs délais.

Le 14 octobre, lors de son invitation à l'émission 60 Minutes, Trump a


déclaré que les Saoudiens avaient nié toute participation au meurtre de
Khashoggi «de toutes les façons imaginables» et a ajouté: «Est-il possible
que ce soit eux? Oui.» Il a également déclaré qu'il espérait connaître la
réponse «dans un avenir proche» et découvrir ce qui s'est passé dans le
consulat saoudien à Istanbul. Si l'Arabie Saoudite est à l'origine de la
disparition de Khashoggi, «il y aura une punition sévère»[11] , a affirmé M.
Trump. Lors-qu'on lui a demandé si son administration suspendrait un
accord sur les armes avec Riyad à la suite du décès du chroniqueur, le
président améri-cain a néanmoins insisté: «Je ne veux pas porter préjudice
aux emplois. Je ne veux pas perdre une telle commande. Il y a d'autres
façons de punir, pour utiliser un mot dur.»

Après avoir annoncé, le 11 octobre, qu'il ne souhaitait pas annuler


l'accord de 110 milliards de dollars conclu entre l'Arabie Saoudite et les
États-Unis à cause de la mort de Khashoggi, M. Trump affirmait désor-
mais qu'il pouvait infliger un «châtiment sévère»[12] au royaume. Pour mé-
moire, ce n'était pas la première fois que le président américain revenait sur
ses propos au sujet de l'Arabie Saoudite.
Avec le recul, on peut facilement supposer que Trump a été forcé de
formuler certaines de ces déclarations. Après tout, les entrepreneurs
américains de l'armement n'ont pas tardé à soutenir la Maison-Blanche
lorsque Trump s'est prononcé contre la remise en cause des accords
existants de ventes d'armes en raison de l'affaire Khashoggi[13].

Le gouvernement saoudien a réagi à ces propos diffusés dans 60 minutes


par une déclaration écrite à l'agence de presse gouvernementale SPA,
expliquant que Riyad ne céderait pas aux menaces ni ne riposterait contre
toute mesure négative que Washington pourrait prendre[14]. La danse
cérémonielle du sabre que Trump et le roi Salmane avaient réalisée lors de
la première visite au royaume, devenait réalité[15].

Interrogé sur le meurtre de Khashoggi le 17 octobre, M. Trump a déclaré


à la presse de la Maison-Blanche que les États-Unis avaient demandé à la
Turquie un enregistrement audio ou vidéo en rapport avec le meurtre. Le
président américain a également ajouté qu'il ne serait pas étonné si les
enregistrements audio et vidéo existaient réellement: «Je veux savoir ce qui
s'est passé, qui est responsable, et nous le saurons probablement avant la
fin de cette semaine. Mike Pompeo est sur le chemin du retour; nous allons
avoir une longue discussion.»

M. Trump a annoncé 4 jours plus tard qu'il allait évoquer l'assassinat


avec les dirigeants du Congrès, tout en rappelant qu'il collaborait
étroitement avec la Turquie et l'Arabie Saoudite, et s'est engagé à apporter
toutes les réponses[16]. S'adressant aux journalistes à la Maison-Blanche le
23 octobre, le président américain a qualifié cet événement du «pire
opération de dissimulation de l'histoire». Les Saoudiens avaient un «très
mauvais plan de départ», dit-il. «Ceux qui l'ont conçu sont dans un gros
pétrin.»[17] Interrogé sur ce que son administration prévoyait de faire à ce
sujet, M. Trump s'est adressé au Congrès et a réclamé une recommandation
bipartisane sur les sanctions: «Pour ce qui est de notre démarche finale, je
vais laisser au Congrès le soin d'en décider, de concert avec moi"[18]

Le 24 octobre, le Washington Post a rapporté que la directrice de la CIA,


Gina Haspel, avait écouté un enregistrement audio des derniers instants de
vie du chroniqueur. Ce rapport contredisait sa déclaration antérieure qui
laissait planer un doute sur l'existence dudit enregistre-ment. S'adressant au
Post, Bruce Riedel, ancien membre de la CIA et chercheur à la Brookings
Institution, a déclaré:

«Voilà qui place la balle fermement dans le camp de Washington. Non


seulement les médias exerceront davantage de pression, mais le Congrès
dira: ''Gina, nous aimerions beaucoup que vous veniez nous rendre vi-site et
nous dire exactement ce que vous avez entendu''[20] . Si le Congrès venait à
convoquer la directrice de la CIA, ses commentaires ne tarderaient pas à
fuiter.»

LA POSTURE DES GRANDS


MÉDIAS AMÉRICAINS

Tout comme le Washington Post, CNN, principal organe d'information


américain, a adopté, dans sa couverture de la mort de Jamal Khashoggi, une
position anti-Trump. Dans un éditorial publié le 29 octobre, Nic Robertson,
rédacteur diplomatique international du média, a averti que «Trump
pourrait payer un prix politique élevé pour sa proximité avec [Moham-
med] ben Salmane.»

Rappelant que le président américain était déjà sous pression à cause de


ses relations étroites avec le président russe Vladimir Poutine et le diri-
geant nord-coréen Kim Jong-Un, il a spéculé que la gestion de l'affaire
Khashoggi par l'administration «ouvrirait à un examen encore plus
approfondi les singeries aimables de [Trump] envers ces autocrates».
Robertson a également parlé de sa brève rencontre avec le ministre turc des
Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, qui a déclaré que la Turquie allait
manipuler les preuves «étape par étape"[21].

Le New York Times figure aussi parmi les critiques les plus virulents de
l'administration Trump. Le 19 novembre, le journal libéral a publié un
article dans lequel Mark Landler accuse le président américain de se tenir
du côté du royaume malgré la conduite criminelle de ce dernier et sou-ligne
que Trump avait fait abstraction, avant même sa publication, d'un rapport de
la CIA qui reliait MBS à cet incident[22] . Un simple déni au téléphone par le
prince Mohammed suffisait pour la Maison-Blanche, selon le Times, qui a
aussi déploré le refus du président d'écouter l'enregistrement audio en raison
de son contenu explicite. Landler a ajouté:

Les propos du président ont illustré de façon frappante combien M.


Trump a investi dans cet héritier de 33 ans, qui est devenu le pi-vot de la
stratégie de l'administration au Moyen-Orient - de l'Iran au processus de
paix israélo-palestinien - ainsi qu'un acheteur prolifique d'armes
militaires américaines, même si la plupart de ces contrats n'ont pas
encore porté fruit .

Soulignant que l'administration Trump était ''prête à tout'', Riedel a


averti que le président américain n'aurait d'autre choix que d'admettre la
complicité du prince héritier saoudien dans l'assassinat de Khashoggi:
''Ils se rendent compte à présent qu'ils ne pourront nier la culpabilité de
Mohammed ben Salmane''[23] .

LA DÉFENSE DE RIYAD EST DIFFICILE


MÊME POUR TRUMP

Trump déclarait le 26 octobre que ceux qui avaient prémédité l'assas-


sinat de Khashoggi et ont réagi de la sorte au contrecoup, doivent se trouver
en difficulté. S'adressant aux journalistes de la Maison-Blanche, il a fait
référence à la visite de la directrice de la CIA en Turquie et a dit espérer en
savoir plus sur cet incident bientôt. Bercan Tutar, un chroni-queur de
politique étrangère de Sabah, a écrit le 21 octobre que le meurtre de
Khashoggi n’était que la matérialisation des désaccords de longue date entre
Washington et le royaume:

Nous avons enfin pu glisser un regard derrière le voile du secret avant


l'assassinat de Khashoggi. Lorsque Riyad a rompu son silence après 18
jours pour affirmer que Khashoggi avait été tué dans une bagarre au
consulat saoudien d'Istanbul, tous les yeux se sont tournés vers les États-
Unis.

La première réaction du président américain Donald Trump, qui


attendait les aveux des Saoudiens, était axée sur les affaires. Dans
l'espoir de profiter du désarroi de l'Arabie Saoudite, Trump a annoncé
que son administration maintiendra les ventes d'armes existantes et
prendra d'autres types de mesures punitives contre Riyad. Ainsi, de
nombreux experts estiment que l'affaire Khashoggi, qui a éclaté le 2
octobre, a marqué un tournant dans les relations américano-
saoudiennes. La route de Washington à Riyad ne sera pas couverte de
pétales de roses et il y aura plus d'épines le long du chemin.

Après tout, l'assassinat de Khashoggi a bouleversé tous les pro-jets


chaotiques mis en œuvre par les États-Unis et Israël par l'intermé-diaire
de MBS. Non seulement le Moyen-Orient, mais aussi l'alliance
américano-saoudienne vieille de 73 ans et fondée sur la politique des
pétrodollars, a subi un changement majeur.

En plus des opérations secrètes de la CIA, les États-Unis veu-lent que


l'Arabie Saoudite prenne le contrôle des guerres de Washing-ton en
Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Libye et au Yémen. Princi-palement,
l'administration de Trump a porté son attention sur le capi-tal de 2
trillions de dollars d'Aramco. En ce sens, les États-Unis veu-lent
transformer le scandale de Khashoggi en une somme d'argent his-
torique.

Il semblerait que Riyad ne souhaite pas signer un nouveau con-trat


d'esclavage avec les États-Unis et Israël sans recevoir certaines ga-
ranties concrètes en retour. Les Saoudiens ont tiré la leçon du bascule-
ment de l'administration Obama vers l'Iran, et ils sont très prudents cette
fois-ci.

Tentant de mettre fin à leur dépendance envers les États-Unis en


matière de politique étrangère et de technologie militaire, les Saou-diens
ont signé un accord de 130 milliards de dollars pour la construc-tion
d'usines d'armes et de drones. Dans le même temps, ils ont rompu avec la
tradition en achetant des missiles S-400 à la Russie. Naturel-lement, les
États-Unis sont frustrés par l'ouverture de la nouvelle poli-tique
étrangère de Riyad, surnommée l'option eurasienne.
En ce sens, nous devons considérer l'assassinat de Khashoggi comme
l'expression du désaccord entre les États-Unis et l'Arabie Saou-dite.
Sinon, la CIA, qui était au courant de l'exécution à l'avance, au-rait
empêché les Saoudiens de se livrer à une si méprisable conspiration.
Pourtant, Trump attendait en effet que les Saoudiens creusent leur propre
tombe.

Riyad a fini par lancer une contre-offensive et, pour la première fois
en 45 ans, a menacé d'utiliser le pétrole comme atout politique et de
privilégier le yuan chinois au dollar américain. Roger Diwan, un ob-
servateur de l'OPEP, affirme qu'en brandissant cette menace, les Saou-
diens ont «brisé un tabou essentiel du marché».

Il n'y a aucune raison de croire que les États-Unis vont du jour au


lendemain abandonner leur stratégie vieille de 73 ans fondée sur le
despotisme saoudien.

Le président américain n'a pas insulté le roi Salmane devant une


audience internationale, en déclarant que Riyad ne tiendrait pas deux
semaines sans le soutien de Washington, sans raison apparente.
Aujourd'hui, Trump menace l'Arabie Saoudite de sanctions écono-miques
en invoquant le meurtre de Khashoggi.

Il est important de comprendre comment la Russie et la Chine ont aidé


les Saoudiens sur le plan géopolitique depuis le début de l'af-faire.

Après tout, le problème est bien plus grave que la mort d'un
journaliste saoudien ou une tentative de ternir la réputation du prince
héritier saoudien. Après avoir compris le jeu, la Turquie a décidé de
prendre les commandes et a asséné un dur coup à la dépendance de
Washington à vis-à-vis du despotisme saoudien, renforçant, de ce fait, sa
position simultanément contre Riyad, les États-Unis et Israël[24] .

Les critiques les plus virulentes à l'encontre des déclarations contra-


dictoires de Trump au sujet de l'assassinat de M. Khashoggi proviennent de
Max Boot, auteur d'un article d'opinion publié le 17 octobre dans le
Washington Post qui accuse le président américain de retarder le débat
public et de détourner l'attention de cet incident en parlant des tueurs
voyous. «Il est à deux doigts de déclarer que Khashoggi a été tué par un
mollasson de 200 kilos qui s'est aventuré dans le consulat cuirassé»[25] ,
ajoutant que c'est le moment idéal pour être un dictateur, étant donné que
les États-Unis sem-blent soutenir les dictateurs.

Le 19 octobre, Anton Troianovski, chef du bureau de Moscou du


Washington Post, et Emily Rauhala, rédactrice pour le département des
affaires étrangères, ont publié une analyse critique des remarques contra-
dictoires de Trump. Les auteurs rappellent que le monde entier a vu le
président américain minimiser l'importance de l'assassinat de Khashoggi
pendant plusieurs semaines et que ses déclarations incohérentes soule-
vaient des questions qui touchent à la crédibilité du gouvernement améri-
cain. «Les États-Unis se fixent une nouvelle norme», ont-ils déclaré, en
citant Vali Nasr, «[la réaction des États-Unis au meurtre de Khashoggi]
signale une politique étrangère très différente qui ne tient pas les
gouvernements responsables de ce qui sort des paramètres juridiques ou
éthiques normaux.»[26]

Les démocrates, pour leur part, se sont plaints de la politique des deux
poids, deux mesures de Washington. Le 10 novembre, plusieurs organes de
presse ont rapporté que le représentant Brad Sherman prévoyait de présenter
un projet de loi pour empêcher la conclusion d'un accord nucléaire entre les
États-Unis et le royaume[27]. Dans une entrevue accordée à Fox News le
dimanche 18 novembre, Trump a accusé réception de l'enregistrement audio
du meurtre de Khashoggi. «Je ne veux pas écouter la bande», a-t-il ajouté,
parce qu'elle est «très violente, très brutale et terrible»[28].

Permettez-nous ici de rectifier quelque peu le récit de Trump. Dans cette


interview, le président américain parlait probablement de la transcription de
l'enregistrement audio plutôt que de la bande elle-même. Après tout, les
services de renseignements turcs n'ont pas fourni une copie de
l'enregistrement à la Central Intelligence Agency. Deux jours plus tard,
Trump se contredisait de nouveau en affirmant que la conclusion de la CIA
n'était pas certaine à 100%. Quelques heures plus tard, il expliquait aux
journalistes que la communauté américaine du renseignement était encore
en train d'examiner les preuves: «Nos services de renseignement continuent
d'évaluer toute l'information, mais il se pourrait très bien que le prince
héritier ait eu connaissance de cet événement tragique - peut-être était-il au
courant de ce qui s'était passé, ou peut-être pas!»[29]

Par ces commentaires, le président des États-Unis s'est attiré les foudres
des médias. Le 21 novembre, Fred Ryan, éditeur et directeur général du
Washington Post, et Karen Attiah, rédactrice en chef du journal Global
Opinions, ont vigoureusement dénoncé les propos tenus par Donald Trump
au sujet du meurtre de Khashoggi.

Les médias américains ont considéré la déclaration de Trump comme


une réitération de l'appui de Washington à l'Arabie Saoudite. Le Washington
Post a accusé le président américain de placer «ses relations personnelles
au-dessus des relations stratégiques des États-Unis»[30].
Le lendemain, Trump a une fois de plus pesé de tout son poids pour soutenir
le royaume: «Israël aurait de gros problèmes sans l'Arabie Saoudite. Est-ce
à dire qu'Israël doit partir? Vous voulez qu'Israël parte? L'Arabie Saoudite
est un très fort allié.»[31] Il a ainsi admis implicitement que la position de
Mo-hammed ben Salmane était alignée sur celle de Tel Aviv. Enfin, le
prési-dent américain a réaffirmé son soutien au prince héritier, en annonçant
qu'il n'y avait pas assez de preuves pour imputer la responsabilité de la mort
de Khashoggi à Mohammed ben Salmane et que c'est «peut-être le monde»
qui devrait être tenu responsable[32].

LIGNE ROUGE DE LA TURQUIE

L'administration du président Erdogan a géré la crise avec prudence et s'est


efforcée de protéger les droits de Jamal Khashoggi, que le diri-geant turc
connaissait personnellement et auquel il a accordé une inter-view après la
tentative de coup d’état de juillet 2016 en Turquie.
Exhortant à plusieurs reprises les Saoudiens à indiquer le lieu où se trouve
la dépouille de Khashoggi, et, soulignant les dimensions humaines et
religieuses du meurtre, Erdogan a clairement signifié qu'il ne comptait pas
exploiter cette tragédie dans les négociations diplomatiques, comme le
faisaient l'Amérique de Donald Trump et l'Arabie Saoudite de Moham-med
ben Salmane. Selon lui, la Turquie n'avait d'autre choix que de par-ler au
nom de l'homme qui a été brutalement assassiné et détruit avant de
disparaître. C'était, pour la Turquie, la ligne rouge à ne pas franchir.
L'Arabie Saoudite, quant à elle, a tracé sa propre ligne rouge autour de la
survie politique du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui était
politiquement responsable du meurtre de Khashoggi. Ils ne se sont pas non
plus donné beaucoup de mal pour cacher ce fait.

Dans une interview accordée le 22 novembre à la BBC, le ministre saoudien


des Affaires étrangères Adel Al-Jubeir a déclaré que les efforts visant à
tenir le prince héritier saoudien responsable du meurtre de Jamal Khashoggi
constitueraient une «ligne rouge» pour le royaume. Il a ensuite exhorté les
Turcs à cesser de divulguer des informations à la presse -ce qui voulait dire
que le plan de la Turquie était en train de fonctionner[33] .
La déclaration la plus importante d'Erdogan sur l'assassinat de Khashoggi
est survenue après une visite officielle en France. Le président turc a
partagé de précieuses informations avec les journalistes qui cou-vraient son
voyage. Voici ce qu'Erdal Safak, rédacteur en chef de Sabah, a écrit le 13
novembre:

Lorsque nous avons parlé de l'assassinat de Khashoggi au cours du


dîner, nous avons aussi inclus [la chancelière allemande Angela] Merkel
et [le président français Emmanuel] Macron. Il est clair que le meurtre a
été prémédité et que l'ordre est venu des plus hauts échelons du
gouvernement saoudien. Comme je l'ai mentionné dans mon article
d'opinion pour le Washington Post, il m'est impossible de penser de telles
choses du Serviteur des saintes mosquées, que je respecte beaucoup.

Pourtant, nous voulons savoir qui a dicté les ordres. Ils doivent nous
dire qui a donné l'ordre et ce que les suspects ont ré-vélé [dans leurs
déclarations à l'accusation]. J'ai aussi dit au pré-sident Trump qu'il
n'était pas nécessaire de chercher les tueurs partout. Ceux-ci se trouvent
parmi des 18 [détenus]. Les [agents saoudiens] arrivés avant vendredi
sont-ils venus pour effectuer les préparatifs? Après tout, Khashoggi
s'était rendu au consulat ven-dredi où il avait été reçu chaleureusement
et invité à revenir le mardi. Une équipe est arrivée mardi au petit matin.
Eux aussi se sont préparés pour le lendemain.
Immédiatement après le meurtre, les autorités [saou-diennes] ont
affirmé que Khashoggi avait quitté le consulat. Une telle chose est-elle
possible? Après tout, sa fiancée attendait à l'ex-térieur. Comment
Khashoggi a-t-il pu utiliser cette porte ou une autre pour sortir sans
emmener sa fiancée avec lui? Il est évident qu'il se passe quelque chose
de louche.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel Al-Jubeir aurait fait


référence à un collaborateur local. [Les Saou-diens] ont ensuite affirmé
que Jubeir n'avait rien dit de tel. Nous avons fait écouter les
enregistrements audio à tous ceux qui nous l'ont demandé: l'Arabie
Saoudite, les États-Unis, la France, le Canada, l'Allemagne et le
Royaume-Uni. Nos services secrets n'ont rien caché.

L'enregistrement est vraiment terrible. En fait, l'agent des


renseignements saoudiens a été tellement bouleversé en écoutant la
bande qu'il s'est exclamé: «Cette personne a dû prendre de l'héroïne.
Seul quelqu'un sous l'influence de l'héroïne se-rait capable d'une telle
chose.» Oui, il a été choqué quand il l'a entendu.

La vérité a éclaté au grand jour. Néanmoins, certaines personnes


tentent encore de déformer les faits.

Quand le prince héritier m'a appelé, il m'a demandé s'il pouvait


envoyer son procureur général [en Turquie]. J'ai répondu qu'il était le
bienvenu. Il est ainsi venu s'entretenir avec le procu-reur général à
Istanbul. Lorsqu'il m'a demandé une audience, le procureur général a dit
[au procureur général saoudien] que lui seul pouvait le voir car il était
son homologue.

Malheureusement, le procureur général avait tendance à faire traîner


les choses. Toutes ces événements se sont produits et toutes ces
informations sont disponibles. L'indécision du procureur [saoudien] est
inacceptable. Le prince héritier dit qu'il fera la lumière sur l'incident et
fera le nécessaire. C'est ce qu'il a fait comprendre à mes représentants
spéciaux. Nous attendons avec pa-tience.
Un journaliste a été assassiné. Nous devons faire la lu-mière sur ce
qui s'est passé et identifier les agresseurs. Dix-huit personnes sont en état
d'arrestation en Arabie Saoudite. Les tueurs se trouvent certainement
parmi ces 18 détenus. Qui d'autre était là? Qui a donné l'ordre? Nous
devons identifier celui qui leur a donné l'ordre de tuer. Qu'est-il arrivé au
corps de Khas-hoggi? S'il a été enterré, où se trouve-il? A-t-il été
démembré et volatilisé? Nous assurerons également le suivi de cet
incident sur le plan international. Ce meurtre a eu lieu à Istanbul. Le
par-quet d'Istanbul a déjà demandé aux autorités saoudiennes de te-nir
les suspects responsables de leurs actes en Turquie.

UN AVERTISSEMENT CLAIR
À L'ÉQUIPE DU TIGRE

Dans un éditorial du Washington Post, le président turc a ensuite dé-claré


qu'il ne pensait pas que le roi Salmane avait ordonné le meurtre de Jamal
Khashoggi:

Jamal Khashoggi, journaliste saoudien et père de famille, est entré au


consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul le 2 octobre pour des formalités de
mariage. Personne - pas même sa fiancée, qui attendait à l'extérieur du
bâtiment - ne l'a plus jamais revu.
Le mois dernier, la Turquie a remué ciel et la terre pour faire la
lumière sur tous les aspects de cette affaire. Grâce à nos efforts, le
monde a appris que Khashoggi a été tué de sang froid par un escadron
de la mort, et il a été établi que son meurtre avait été prémédité.

Pourtant, il y a d'autres questions, non moins importantes, dont les


réponses nous aideront à mieux comprendre cet acte déplorable. Où se
trouve le corps de Khashoggi ? Qui est le «collaborateur local» à qui les
autorités saoudiennes prétendent avoir remis la dépouille de Khashoggi?
Qui a donné l'ordre de tuer cette belle âme? Malheureusement, les autori-tés
saoudiennes ont refusé de répondre à ces questions.
Nous savons que les auteurs sont parmi les 18 suspects détenus en Arabie
Saoudite. Nous savons aussi qu'ils étaient venus pour exécuter les ordres:
Tuez Khashoggi et partez. Enfin, nous savons que cet ordre avait été décrété
par les plus hautes instances du gouvernement saoudien.
Certains semblent espérer que ce «problème» finira par disparaître avec
le temps. Mais nous continuerons à poser ces questions, qui sont cruciales
pour l'enquête criminelle en Turquie, mais aussi pour la famille et les
proches de Khashoggi. Un mois après sa mort, nous ne savons toujours pas
où est son corps. À tout le moins, il mérite un enterrement digne et
conforme aux coutumes islamiques. Nous devons à sa famille et à ses amis,
y compris ses anciens collègues du Post, de leur donner l'occasion de faire
leurs adieux et de rendre hommage à cet homme honorable. Afin que le
monde continue de se poser les mêmes questions, nous avons par-tagé les
informations avec nos amis et alliés, dont les États-Unis.

Je tiens à souligner que, tandis que nous continuons à chercher des


réponses, la Turquie et l'Arabie Saoudite entretiennent des relations ami-
cales. Je ne crois pas une seule seconde que le roi Salmane, le gardien des
mosquées saintes, ait pu ordonner le meurtre de Khashoggi. Je n'ai donc
aucune raison de croire que son assassinat reflète la politique officielle de
l'Arabie Saoudite. En ce sens, il serait erroné de considérer le meurtre de
Khashoggi comme un «problème» entre nos deux pays. Néanmoins, je dois
ajouter que notre amitié avec Riyad, qui remonte à très loin, ne signifie pas
que nous fermerons les yeux sur le meurtre prémédité qui s'est produit
devant nos yeux. Le meurtre de Khashoggi est inexplicable. Si cette atro-
cité avait eu lieu aux États-Unis, au Canada ou ailleurs, les autorités de ces
pays seraient allées au fond des choses. Il est hors de question que nous
puissions agir autrement.

Personne ne doit oser commettre de tels actes sur le sol d'un allié de
l'OTAN. Si quelqu'un choisit d'ignorer cet avertissement, il devra en
subir les lourdes conséquences[34] . Dans le monde de la diplomatie du
renseignement, les deux phrases citées plus haut si-gnifient une chose:
«Vous ne pourrez plus faire de telles choses ici à l'avenir». Si les Turcs
n'avaient pas résolu l'affaire Khashoggi et révélé la vérité, les autorités
saoudiennes n'auraient pas été en mesure de le faire.
L'équipe ''Tiger'' d'Arabie Saoudite aurait pu mener d'autres attaques
contre des dissidents à Istanbul. Le succès de la Turquie dans le domaine
du contre-espionnage a déjoué ses com-plots, du moins pour l'instant.
Vous trouverez des informations supplémentaires, jusqu'alors inconnues,
sur l'équipe ''Tiger'' et ses projets dans la section correspondante.
Voici un indice: le régime saoudien a créé 10 cellules en Turquie pour
mener des attaques qui s'apparentent aux agressions iraniennes des
dissidents dans les années 1980 et aux assassinats des dissidents
tchétchènes par les Russes en 2008-2015. Les ser-vices secrets turcs
surveillaient les cellules saoudiennes 24h/24. Les autorités turques
connaissaient le lieu de résidence des clan-destins et les dissidents qu'ils
surveillaient, et attendaient qu'ils agissent pour les arrêter, comme ce fut
le cas lorsque les Saoudiens ont tué Jamal Khashoggi sur «leur» sol et
tenté de faire porter le chapeau à la Turquie en faisant marcher une
doublure à Istan-bul.

La valise qui a servi ensuite à transporter le tronc du journaliste


DR
1-Trump, Sisi ve Kral Selman dünya küresine ellerini koydu" [Trump, Sisi et le roi Salmane
posent leurs mains sur le globe], Hürriyet, 22 mai 2018. >>>

2-Suudi Kral’dan Donald Trump’a 4 milyar dolar” [Le roi saoudien accorde 4 milliards de
dollars à Donald Trump], Sabah, 19 mars 2018. >>>

3-Taha Dağlı, "Kral Selman'ın sert hamlesininin ardından tehdide başladı"[Trump publie des
menaces après le coup dur du roi Salman], Haber7, 4 octobre 2018. >>>

4-Nedret Ersanel, "Kaşıkçı cinayetinde Kushner bağlantısı" [ Le rapport de Kushner avec le


meurtre de Khashoggi], Yeni Şafak, 17 octobre 2018. >>>

5-"Beyaz Saray'dan Cemal Kaşıkçı açıklaması" [Déclaration de la Maison Blanche sur


Jamal Khashoggi], Sabah, 10 octobre 2018. >>>

6-www.washingtonpost.com/politics/president-says-he-is-concerned-about-missing-saudi-
jour nalist/ 2018/10/08/28a1a8c2-cb1a - 11e8-a360-85875bac0b1f_story.html >>>

7-thehill.com/homenews/administration/410716-pence-open-to-sending-fbi-team-to-turkey-
to- investigate-missing >>>

8-www.theguardian.com/world/2018/oct/11/jamal-khashoggi-saudi-arabia-under-pressure-
fro m -trump-administration >>>

9- www.defensenews.com/congress/2018/10/11/trump-doubles-down-hes-not-stopping-
saudi-arms-sales/ >>>

10-www.theguardian.com/us-news/video/2018/oct/12/trump-khashoggi-case-will-not-stop-
110b n-us-saudi-arms-trade-video >>>

11-Trump'tan Suudi Arabistan'a Cemal Kaşıkçı tehdidi"[Trump menace l'Arabie Saoudite


avec Jamal Khashoggi], TRT Haber, 13 octobre 2018. >>>

12-www.usatoday.com/story/news/world/2018/10/13/jamal-khashoggi-trump-saudi-arms-
deal/16306 93002/ >>>

13-Trump, Selman ile Cemal Kaşıkçı’yı görüşecek" [Trump will talk to Salman about Jamal
Khashoggi], Posta, 13 October 2018. >>>

14-Suudi Arabistan'dan Trump'a Cemal Kaşıkçı resti!" [L'Arabie Saoudite double la mise sur
Jamal Khashoggi], Sabah, 14 octobre 2018. >>>

15-www.theguardian.com/us-news/video/2017/may/21/trump-joins-ceremonial-sword-
dance-in-saudi-arabia-video >>>

16-www.theguardian.com/world/2018/oct/17/jamal-khashoggi-pompeo-to-meet-erdogan-as-
gory-reports-of-killing-emerge >>>
17-Kaşıkçı'nın'nın katledilişinin 40. günü" 40e jour depuis le meurtre de Khashoggi], Agence
Anadolu, 10 novembre 2018. >>>

18-www.bbc.com/news/world-us-canada-45960865 >>>

19-www.bloomberg.com/news/articles/2018-10-23/trump-leaves-u-s-response-to-
khashoggi-killing-up-to-congress >>>

20-www.washingtonpost.com/world/national-security/cia-director-listens-to-audio-of-
journalists-alleged-murder/2018/10/24/b07af451-7422-4fea-b0cd-
ae9ad70df3e2_story.html >>>

21-edition.cnn.com/2018/10/29/opinions/trump-khashoggi-standoff-opinion-intl/index.html
>>>

22-ww.nytimes.com/2018/11/20/world/middleeast/trump-saudi-khashoggi.html >>>

23-www.nytimes.com/2018/11/18/us/politics/trump-khashoggi-saudis.html >>>

24-Bercan Tutar, "ABD'nin Suudi despotizminde kırılma noktası" (Un point de bascule dans
le despotisme saoudien des États-Unis), Sabah, 21 octobre 2018. >>>

25-www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/trump-has-given-every-despot-on-
the-planet-a-license-to-kill/2018/10/17/cf3d6ea2-d 2 11-11e8-8c22-
fa2ef74bd6d6_story.html >>>

26-www.washingtonpost.com/world/2018/10/19/world-has-question-white-house-when-do-
murders-
matter/ >>>

27-www.vox.com/2018/11/9/18072660/saudi-arabia-nuclear-deal-congress-123-agreement-
sherman >>>

28-www.theguardian.com/world/2018/nov/18/jamal-khashoggi-killers-may-have-taken-body-
parts-out-
of-turkey-in-luggage >>>

29-www.telegraph.co.uk/news/2018/11/20/trump-says-crown-prince-may-have-known-
khashoggi-killin
g-says/ >>>

30-www.washingtonpost.com/opinions/trumps-dangerous-message-to-tyrants-flash-money-
and-get-away-with-murder/2018/11/21/4202e69e-edc2-11e8-8679-
934a2b33be52_story.html >>>

31-www.timesofisrael.com/trump-israel-would-be-in-big-trouble-without-saudi-arabia/ >>>

32-www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/trump-khashoggi-murder-
blame-vicious-world-saudi-journalist-a8647701.html >>>
33-www.middleeasteye.net/news/MBS-red-line-khashoggi-murder-probe-saudi-foreign-
minister-says-2 0 45123307 >>>

34-www.washingtonpost.com/news/global-opinions/wp/2018/11/02/recep-tayyip-erdogan-
saudi-arabia-still-has-many-questions-to-answer-a bout-jamal-khashoggis-killing/ >>>
~ Partie IV ~
Ubi - Où
La fameuse doublure qui a refusé ou n'a pas pu mettre les chaussures
de Khashoggi afin de lui "ressembler" de pied en cap.
DR
~11~
La doublure

LA FAUSSE BARBE

Un homme barbu et corpulent, qui faisait environ 1,80m de taille et


pesait environ 100kg, est entré dans les toilettes publiques derrière la
Mosquée Bleue à 16h50 le 2 octobre. Cinq minutes plus tard, il est sorti,
sans barbe et avec un sourire agaçant sur le visage. Il portait des vête-ments
neufs. Il n'avait plus sa veste noire, sa chemise grise et son jean foncé. Ce
curieux personnage était arrivé dans un taxi jaune dans le quar-tier
touristique d'Istanbul en provenance de Levent. Tout juste 90 minutes avant
de quitter le consulat saoudien, il avait revêtu les vêtements de Ja-mal
Khashoggi, qui avait été tué et déshabillé dans le même bâtiment. L'homme
d'âge moyen n'avait qu'une seule mission, celle de se promener dans la ville,
arborant la tenue de l'homme décédé afin de laisser une fausse piste à la
sortie arrière du consulat et d'être repéré par le système CCTV d'Istanbul.

Il était accompagné de Saif Saad Al-Qahtani, un autre membre de


l'escadron de la mort saoudien. Ensemble, ils ont quitté le consulat à 14h53.
À en juger par les photos prises à Atatürk International à 3h29 et près du
consulat à 10h57 plus tôt dans la journée, l'homme ayant servi de doublure
était rasé de près. Par conséquent, la police turque n'a pas tardé à le signaler
à sa sortie du bâtiment avec une fausse barbe. Il portait éga-lement des
lunettes pour essayer de ressembler à Khashoggi.

Après être sortis du consulat par la porte de derrière et avoir marché


quelques minutes dans la rue, les deux agents ont hélé un taxi à 15h15. À
16h07, le taxi les a déposés près de la Mosquée Bleue. Les hommes ont
visité la mosquée entre 16h13 et 16h29. Après que la doublure de Khas-
hoggi eut remis ses propres vêtements aux toilettes publiques du quartier, ils
ont pris un autre taxi pour rejoindre leur hôtel à 17h24, et à 18h04, ils
étaient de retour à Levent. La doublure a jeté un sac en plastique conte-nant
les vêtements de Khashoggi dans une poubelle près de l'hôtel M à 18h05.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes sont entrés dans leur hôtel.
Comme Mutreb, le chef de l'escadron de la mort, et ses complices, la
doublure a quitté le consulat saoudien par la porte de derrière. Il était arrivé
en Turquie par le jet privé immatriculé HZ SK2, qui appartenait à la
compagnie aérienne saoudienne Sky Prime. En d'autres termes, cet homme
mystérieux était l'un des 9 agents qui composaient la première brigade de
l'équipe du Tigre, forte de 15 hommes, que Riyad avait en-voyée à Istanbul.

Après s'être promené dans la ville déguisé en Khashoggi, l'homme a


quitté le pays sur un vol commercial le 3 octobre[1] . Il n'était pas seul: Saif
Saad Al-Qahtani, son collègue, était tout le temps à ses côtés. Les deux
suspects sont arrivés à Atatürk International et sont retournés à Riyad après
avoir passé le contrôle des passeports à 12h18.

SOLDAT PAR SA PROFESSION,


DOUBLURE PAR SON DESTIN

Le nom complet de la doublure de Khashoggi était Mustafa Mo-hammed


Al-Madani. Né en 1962, il a servi comme général de brigade dans l'armée
saoudienne. Bien que certains médias l'aient faussement décrit Al-Madani
comme un agent de sécurité, des sources gouvernemen-tales fiables
confirment qu'il était bien un soldat.

L'escadron de la mort comprenait deux généraux de brigade (dont


Mutreb), un lieutenant-colonel qui se trouvait également être un expert en
autopsie, trois agents de renseignement (dont un spécialiste de la sécu-rité
aéroportuaire), un colonel des services de renseignement saoudiens, un
lieutenant de l'armée de l'air, un membre de la Garde Royale et un agent de
renseignement supplémentaire possédant une connaissance approfon-die de
la stratégie, de la planification et du combat. Bien que les autorités turques
n'aient pas pu déterminer les professions que les deux assassins restants
faisaient pour gagner leur vie, il était clair qu'il s'agissait égale-ment de
hauts fonctionnaires saoudiens.
Le rôle d'Al-Madani était clair comme de l'eau de roche: il n'avait qu'à
porter les vêtements de Jamal Khashoggi, sortir du consulat saou-dien et
faire le tour de la ville - pour faire croire que le journaliste assassi-né avait
quitté le bâtiment en un seul morceau. En d'autres termes, Al-Madani était
la seule doublure. C'était tout à fait logique: Al-Madani avait à peu près le
même âge que Khashoggi. On aurait pu prendre les deux hommes pour des
frères jumeaux.

Le seul but de ce spectacle était d'induire le monde en erreur en fai-sant


croire que le chroniqueur du Washington Post avait quitté le complexe et
avait disparu dans les rues d'Istanbul. Susciter le questionnement sur la
culpabilité de la Turquie aurait été un avantage supplémentaire.

De toute évidence, Al-Madani savait depuis le début que Khashoggi


allait mourir ce jour-là dans le consulat. Néanmoins, il n'existe aucune
preuve le rattachant à la décision de tuer le journaliste ni à la planifica-tion
et à l'exécution du meurtre. Pour une raison ou une autre, Al-Madani a été
le premier membre de l'escadron de la mort à réagir sur Twitter lors-que
Sabah a publié des photos de ses membres sur l'escadron de la mort
saoudien.

À l'époque, Al-Madani prétendait que sa photo en première page de


Sabah avait été prise lors d'un précédent voyage à Istanbul. Par l'intermé-
diaire des réseaux sociaux, il s'est indirectement incriminé. L'agent saou-
dien suivait de près les reportages des médias et se demandait ce que les
autorités turques pouvait bien avoir sur l'équipe du Tigre. Il a ainsi révélé sa
faiblesse aux Turcs. Le compte Twitter d'Al-Madani, dans lequel il
s'identifie comme l'ingénieur Mustafa Madani, n'est pas riche en contenu et
ne renferme aucune information personnelle supplémentaire[2].

" UN AMI VOUS REGARDE DANS LES YEUX "


" UN ADVERSAIRE REGARDE VOS PIEDS "

La doublure et ses complices ont tout pris en compte; ils ont travaillé
avec diligence sur tous les autres aspects du meurtre de Khashoggi, mais ils
ont oublié quelque chose: les chaussures de la doublure n'étaient pas celles
de Jamal Khashoggi! La police turque a découvert ce détail au cours d'une
inspection minutieuse des images de vidéosurveillance qui l'ont aidée à
identifier Al-Madani. L'homme responsable de cette décou-verte était
Mustafa Çalışkan, le chef de la police d'Istanbul qui a supervisé quelque
750 agents de la force publique travaillant sur cette affaire.
Çalışkan a chargé Ilker Küçükhidir, qui dirige le service de rensei-
gnement, de recruter 500 agents pour l'équipe d'enquête. En outre, 250
agents des forces de l'ordre de l'unité antiterroriste se sont joints à l'équipe.
Les spécialistes du renseignement ont joué un rôle déterminant dans
l'identification des suspects en regardant à plusieurs reprises des images de
vidéosurveillance des environs de Atatürk International et de diverses autres
parties de la ville.

Les policiers qui ont visionné l'enregistrement vidéo ont trouvé sus-pect
que la doublure ait quitté le consulat par la porte de derrière. Ils ont donc
procédé à un travail plus rigoureux sur les images. À la suite de cette
inspection minutieuse, la police turque a conclu qu'Al-Madani por-tait bien
les vêtements de Jamal Khashoggi.

La tenue vestimentaire de cette doublure était presque identique à celle


du journaliste saoudien. La seule différence était que Khashoggi por-tait des
chaussures en cuir lorsqu'il est entré au consulat, alors qu'Al-Madani avait
quitté l'enceinte avec des baskets. En d'autres termes, l'agent saoudien et le
chroniqueur du Washington Post avaient des poin-tures différentes.
Khashoggi chaussait du 42, mais les experts visuels ont estimé que les
chaussures d'Al-Madani faisaient du 45 ou du 46. Les pieds de la doublure
étaient trop grands pour rentrer dans les chaussures du journaliste assassiné.

L'attention au détail qui caractérise Mustafa Çalışkan a abouti à cette


découverte après des heures passées à regarder les images de vidéo-
surveillance avec son personnel. Khashoggi portait des chaussures de ville,
tandis qu'Al-Madani était en baskets blanches. Cette révélation furtive a
permis de conclure que Khashoggi n'avait pas quitté le consulat.
L’identification de la doublure était une des étapes majeures ayant servi à
déjouer une attaque imminente contre la Turquie.
À la lumière de cette découverte, la police turque a tenté de trouver la
trace des vêtements de Khashoggi, qu'Al-Madani a utilisés pour brouil-ler
les pistes le jour de l'attentat. La localisation de ces éléments, qui por-tent
habituellement des traces de sueur et de cheveux, aurait pu mener à la
découverte de preuves génétiques nécessaires pour confirmer l'identité de la
doublure et de la victime. C'est pourquoi les forces de l'ordre ont travaillé
dur afin de retrouver les vêtements de Khashoggi.

CE SONT LES VÊTEMENTS DE KHASHOGGI,


ET NON SON CORPS, QUI ONT ÉTÉ ENTERRÉS

L'unité de renseignement dirigée par Ilker Küçükhidir est parvenue aux


conclusions suivantes:

La doublure avait pris un taxi jaune de Sultanahmet à Levent après


avoir revêtu les vêtements de Khashoggi et marché dans la ville comme
un acteur. Il a ôté les vêtements de Khashoggi dans les toilettes publiques
de Sultanahmet et les a jetés dans un conteneur à ordures près de la
station de métro la plus proche du Movenpick Hotel.

Les éboueurs ont ramassé les ordures à 18h ce jour-là et ont tout
transporté dans un centre de recyclage à Kemerburgaz. Au centre de
recyclage, qui emploie une cinquantaine de femmes chargées de trier les
articles réutilisables des déchets, les vêtements de Khashoggi ont peut-
être été identifiés comme recyclables. Pour-tant, les enquêteurs n'ont pas
pu les retrouver dans l'entrepôt d'ar-ticles réutilisables. Tout le reste a été
acheminé vers un site d'en-fouissement près de Şile, dans la banlieue de
la ville, où il a été enfoui sous terre. Il était impossible d'y trouver les
effets personnels de Khashoggi.

Le meurtre a eu lieu le 2 octobre, mais le centre de recy-clage n'a été


inspecté que trois jours plus tard, lorsque la police a découvert les
images de vidéosurveillance d'Al-Madani en train de jeter les vêtements
de Khashoggi à la poubelle. Si on considère que le centre de recyclage a
trié les déchets dans un délai de 12h et que tous les déchets avaient été
enfouis en l’espace de 24h, il était pratiquement impossible d'avoir accès
à la poubelle après une journée.
Néanmoins, un groupe d'une centaine de fonctionnaires des services de
renseignements et de police turcs ont fouillé la décharge à la recherche
d'indices. Les autorités ont également fait appel aux services de collecteurs
de papier de la région pour accroître leurs chances de succès. En vain; les
vêtements de Khashoggi n'ont pu être retrouvés.

L'extérieur du Consulat saoudien à Istanbul dont l'aspect vacancier et aimable


est un contraste absolu avec le drame qui s'y est déroulé.
DR
1-Certains membres de l'équipe Tiger ont pris des jets privés à destination de la Turquie,
mais sont repartis à bord de vols commerciaux. Leur but était d'induire en erreur la police et
les services de renseignements turcs. >>>

2-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "Cemal Kaşıkçı'nın dublörü böyle kaçtı" (C'est
ainsi que le corps de Jamal Khashoggi s'est doublement échappé), Sabah, 24 octobre
2018. >>>
~12~
A la résidence consulaire,
cinq sacs se volatilisent
3.500 heures de vidéosurveillance

Immédiatement après l'assassinat de Khashoggi, la Turquie a mis en


place un centre de commandement de crise et formé une équipe spéciale
d'enquête, qui a réuni des agents du MIT à Istanbul ainsi que des membres
de la police pour faire toute la lumière sur ce qui venait de se produire.
Comme indiqué au chapitre II, les autorités turques savaient déjà que le
journaliste saoudien avait été victime d'un meurtre prémédité. L'objectif de
l'équipe nouvellement créée était toutefois de trouver des preuves
recevables.

Pour élucider le mystère, la police d'Istanbul a visionné les images de 78


caméras de sécurité installées dans la zone du consulat et de la rési-dence
consulaire ainsi que le long du trajet emprunté par les suspects à Istanbul
entre la première visite de Khashoggi le 28 septembre et le 11 octobre. Au
fil de cette enquête, les policiers ont visionné 3.500 heures de séquences
enregistrées sur une période totale de 147 jours.

Simultanément, le Bureau du Terrorisme et du crime organisé du parquet


général d'Istanbul, qui a supervisé l'enquête judiciaire, a interro-gé 38
employés du consulat saoudien, dont des chauffeurs, des techni-ciens, des
comptables et des standardistes. Le personnel consulaire n'a pas fourni de
renseignements utiles aux autorités. Les enquêteurs ont identifié 3 véhicules
ayant quitté le consulat saoudien vers 15h le jour du meurtre de Khashoggi.
Deux de ces véhicules se sont dirigés vers l'avenue Büyükdere, tandis que le
troisième véhicule s'est rendu à la résidence con-sulaire. Les Saoudiens
avaient l'intention d'utiliser les deux voitures pour faire diversion. C'est le
véhicule diplomatique immatriculé 34 CC 1865 qui a transporté 5 sacs
contenant les partie du corps de Jamal Khashoggi jusqu'à la résidence de
Mohammed Al-Otaiba.

Tout comme Khashoggi lui-même avait disparu dans le consulat


saoudien ce jour-là, les 5 valises contenant les morceaux de son corps se
sont volatilisées après avoir été exfiltrées du consulat à 15h08 et emme-nées
dans la résidence consulaire 2 minutes plus tard. Les autorités turques ont
pu voir des agents saoudiens transporter les morceaux de corps au domicile
du consul, mais il n'y a aucune vidéo de ces sacs quit-tant les lieux.

Trois membres de l'escadron de la mort ont quitté le consulat saou-dien à


15h05 et ont conduit un véhicule diplomatique jusqu'à la rési-dence. Après
l'inspection des images de vidéosurveillance de la région, il est apparu que
leurs bagages étaient restés à l'intérieur de la résidence consulaire. Les
agents saoudiens ont utilisé le véhicule diplomatique im-matriculé 34 CC
1865, qui était garé dans le parking intérieur du consu-lat pour acheminer
les valises à la résidence. En fait, 6 véhicules au total ont quitté le consulat
saoudien le jour du meurtre. Pourtant, l'enquête turque a conclu que les
tueurs n'ont utilisé qu'un seul de ces véhicules.
Il ne fait aucun doute que le véhicule transportait les parties du corps de
Jamal Khashoggi. À 15h09, il a été filmé à l'extérieur de la résidence
consulaire de la rue Meseli. Les images de vidéosurveillance montrent aussi
clairement que les Saoudiens ont déposé 5 bagages dans le bâtiment. Le fait
que ces valises n'aient jamais quitté les lieux confirme que le corps de
Khashoggi se trouve dans le puits sous la résidence consu-laire[1] .

LE VÉHICULE DIPLOMATIQUE
AU LAVAGE AUTOMATIQUE

L'équipe dirigée par Maher Abdulaziz Mutreb, général des rensei-


gnements saoudiens et bras droit de Mohammed ben Salmane, a apporté 5
valises à la résidence consulaire. D'après les images, Mutreb a transporté les
morceaux du corps de Khashoggi avec Tubaigny et Al-Harby. Le véhi-cule
diplomatique, qui transportait les bagages, est demeuré à la rési-dence
pendant trois jours entiers. Les Saoudiens l'ont ensuite emmené au lave-
auto. En inspectant la camionnette, les Turcs ont trouvé des traces à deux
endroits. Pourtant, le test au luminol n'a pas révélé de preuves bio-logiques
correspondant à l'ADN de Khashoggi. Il était clair que le chi-miste et le
toxicologue saoudiens avait consacré un certain temps à ce véhicule à son
retour du lavage automatique.
Si les Saoudiens ont mis en œuvre un plan de 4 étapes pour dissimu-ler
les preuves du meurtre, les enquêteurs n'ont pu trouver aucune preuve dans
le consulat ou la résidence. Les Turcs ont fouillé le consulat le 17 octobre,
au lendemain du départ soudain du consul général saoudien Mohammed Al-
Otaiba[2] . Si le chimiste et le toxicologue ont pris des pré-cautions pour
parer au test au luminol, les Saoudiens ont utilisé des mé-thodes moins
raffinées pour détruire les valises. Les autorités turques es-timent que le sac
contenant les parties du corps de Khashoggi a été dé-chiqueté au moyen de
machines lourdes.

DES DOCUMENTS SECRETS SUR LES TÉLÉPHONES


DES MEMBRES DE L'ESCADRON DE LA MORT

Juste avant la parution de ce livre, les services de renseignements turcs


ont communiqué aux forces de l'ordre une information cruciale sur
l'emplacement possible du corps de Jamal Khashoggi. En outre, le MIT a eu
accès aux données des téléphones portables de certains agents saou-diens, y
compris la correspondance et les photographies cruciales qui lient ces
individus au meurtre de Khashoggi. En d'autres termes, les autorités turques
étaient en mesure d'accéder à certains éléments de preuve clés stockés sur
ces téléphones mobiles en utilisant une méthode non divul-guée.

Si cette information, qui indique que le corps de Khashoggi a été


démembré par les agents saoudiens, permet d'identifier la dépouille du
journaliste assassiné, la Turquie mènera une enquête. Pourtant, les don-nées
auxquelles les autorités turques ont pu avoir accès jusqu'à présent ne les ont
pas aidées à localiser le corps.

Dans le même temps, les analystes du renseignement ont travaillé sur


des heures d'enregistrements audio provenant du consulat saoudien - y
compris l'arrivée des tueurs et la première visite de Khashoggi le 28 sep-
tembre. Selon des sources, il y a eu un trafic inhabituel entre Riyad et le
consulat saoudien à Istanbul entre le 28 septembre et le 2 octobre. L'em-
ployé consulaire à avoir passé ces appels téléphoniques était Ahmed Ab-
dullah Al-Muzaini, chef de la base des renseignements saoudiens à Istan-
bul. Après avoir passé plusieurs appels vers Riyad, Al-Muzaini s'est envolé
pour son pays natal.
Ces appels téléphoniques révèlent que les Saoudiens avait commencé à
planifier le meurtre de Khashoggi dès le 28 septembre.

UN SERPENT QUI SE MORD LA QUEUE

Les informations dont disposent les autorité turques sur l'assassinat de


Khashoggi présentent un décalage de trois heures, correspondant au temps
que les agents saoudiens ont passé dans la résidence consulaire avec les
cinq valises. Ce qui est arrivé aux restes de Khashoggi s'est décidé à ce
moment-là. Les Saoudiens ont probablement jeté les morceaux de corps
dans le puits voisin. Il est moins probable qu'ils aient sorti le corps de la
résidence et qu'ils s'en soient débarrassés ailleurs. Il est un fait certain que
les agents saoudiens ont démembré le corps du chroniqueur. Même le
procureur général saoudien l'a admis, le 15 novembre, dans une déclara-tion
de son porte-parole, Shalan Al-Shalan. Selon les autorités saou-diennes, le
corps de Khashoggi a été démembré et déplacé hors du consu-lat à Istanbul.
Les tueurs, disent-ils, ont d'abord tenté de convaincre la victime de
retourner dans le Royaume.

Lorsque Khashoggi a refusé d'accéder à la demande saoudienne, une


bagarre a éclaté entre le journaliste et ses assassins. Les agents lui ont in-
jecté une dose mortelle de produits chimiques. Riyad a déclaré que Khas-
hoggi a été tué et démembré quand ses assassins n'ont pas pu le con-vaincre
de retourner au royaume, et n'a pas réagi à l'allégation selon la-quelle le
corps aurait été dissous dans de l'acide. Enfin, les Saoudiens ont affirmé
qu'un collaborateur local s'était débarrassé du corps sans toutefois fournir de
preuves concrètes. Après avoir donné l'ordre de tuer Jamal Khashoggi, les
Saoudiens ont continué à gagner du temps et à dissimuler le crime en
invoquant les recherches en cours pour retrouver la dépouille du journaliste.
Selon le bureau du procureur général, les agents saoudiens qui ont sorti le
corps de Khashoggi du consulat l'ont remis à un collabo-rateur local. Riyad
n'a communiqué aucune information sur cet individu, qui était chargé
d'éliminer ou d'enterrer le corps, mais s'est engagé à par-tager une photo de
son portrait-robot avec les autorités turques[3] .

Voici comment nous savons que les Saoudiens mentaient comme ils
respiraient: si ce collaborateur local existait, il était tout à fait inutile de
produire un portrait-robot. Maher Abdulaziz Mutreb, le général des ren-
seignements à la tête de l'escadron de la mort, serait en position de savoir à
qui son équipe a remis les restes de la victime. Il serait déraisonnable de
penser qu'un groupe d'assassins chevronnés ait pu confier des morceaux de
corps à un passant au hasard. On ne pouvait placer sa confiance en une
personne tirée au sort pour exécuter une tâche aussi délicate. En ce sens, les
déclarations du procureur saoudien se contredisent.

QUI A FAIT QUOI?

Après avoir étudié avec soin l'assassinat de Khashoggi et examiné en


détails les images vidéo d’où ont pu être extraites les photos qui montrent
que des valises ont été déposées dans la résidence consulaire, les auteurs de
ce livre sont amenés à retenir les éléments suivants:

Le corps démembré de Jamal Khashoggi a été placé dans 5 valises, a


quitté le consulat saoudien à Istanbul et a été emmené à la résidence
consulaire voisine. Plusieurs membres de l'escadron de la mort étaient
déjà à la résidence et attendaient que leurs collègues ramènent les sacs du
consulat. À la lumière d'une analyse détaillée des séquences que nous
avons obtenues en exclusivité, voici com-ment les parties du corps ont
disparu dans la résidence consulaire le 2 octobre à 15h05: tout d'abord,
seuls quelques membres de l'esca-dron de la mort saoudien se trouvaient
à l'intérieur du consulat au moment de la mort de Khashoggi. D'autres
étaient stationnés à la résidence du consul général Mohammed Al-
Otaiba, en bas de la rue, pour se préparer à éliminer le corps. Nous en
avons conclu que les agents saoudiens suivants se trouvaient au consulat:

1- Maher Abdulaziz Mutreb


2- Salah Mohammed Al-Tubaigny
3- Sair Ghaleb Al-Harby (qui a conduit le véhicule diploma-tique
immatriculé 34 CC 1865)
4- Badr Lafi Al-Otaiba
5- Waled Abdullah Al-Shahry
6- Mustafa Mohammed Al-Madani (alias la doublure)
7- Sayf Saaf Al-Qahtani (qui a accompagné Madani à Sulta-nahmet)
8- Fahd Shabib Al-Balawi
9- Turki Musharrif Al-Shahry
10- Mohammed Saad Al-Zahrani (qui a vérifié la veille du meurtre si
la camionnette Mercedes-Benz Vito pouvait entrer dans le garage, puis
a quitté le consulat seul)

Les hommes suivants, en revanche, étaient postés à la rési-dence


consulaire pendant tout ce temps. Ils n'ont pas mis les pieds dans le
consulat:

1- Abdulaziz Mohammed Al-Hossawi


2- Khaled Aiz Al-Tabi
3- Mansour Othman Aba Hussein
4- Naif Hassan Al-Arifi (qui était avec Al-Zahrani pendant la
répétition générale)
5- Mashaal Saad Al-Bostani

LES SAOUDIENS PORTANT LES VALISES

Une analyse des images de vidéosurveillance a permis de conclure que


les agents suivants ont passé du temps au consulat et à la résidence:

Maher Abdulaziz Mutreb,


Saleh Mohammed Al-Tubaigny, et
Sair Ghalib Al-Harby.

Après tout, ces trois hommes ont transporté les 5 valises contenant les
parties du corps de Khashoggi du Consulat à la résidence, où un deu-xième
groupe d'agents les attendait. Ces hommes étaient chargés de dépo-ser les
sacs dans la résidence consulaire et de faciliter l'élimination des restes du
journaliste assassiné.
Selon des enregistrements vidéo, le véhicule diplomatique immatricu-lé
34 CC 1865 s'est garé devant la résidence du consul saoudien à 15h05. Une
fois le véhicule arrivé sur les lieux, quelques membres de l'escadron ont
quitté la résidence. Il y avait, à ce moment-là, une affluence de pié-tons à
proximité de l'édifice. Avant que le véhicule n'entre dans le par-king,
plusieurs agents ont été aperçus en train d'y marcher. Après avoir passé 3
minutes sur le siège avant du véhicule, Mutreb est descendu du fourgon à
15h09, tel un chef de la pègre ou un trafiquant de drogue, et s'est rendu au
garage.

À 15h12, le véhicule est entré au garage, avec à son bord la dé-pouille de


Khashoggi. L'un après l'autre, les agents saoudiens ont trans-porté les
valises dans la résidence consulaire, tandis que la caméra filmait des civils
marchant autour du bâtiment sans la moindre méfiance et des enfants jouant
dans la rue. Selon l'enregistrement vidéo, Khaled Aiz Al-Taby aurait traîné
la première valise sur 7 ou 8 mètres au sol avant de la porter dans la
résidence à 15h19. Les deuxième et troisième sacs ont été déposés par
Abdulaziz Mohammed Al-Hossawi à 15:19:35. Finalement, Saad Al-
Bostani a introduit les deux morceaux restants dans le bâtiment à 15:20:15.
À 15h21:26, après avoir livré les valises, Al-Bostani est re-tourné chercher
des sacs en plastique noirs contenant d'autres sacs de plas-tique
ensanglantés, sur lesquels les agents ont démembré le corps de Khashoggi.

Les agents saoudiens qui ont transporté les sacs à l'intérieur de la ré-
sidence consulaire étaient manifestement anxieux et pressés. À ce mo-ment,
ils ignoraient l'existence de la caméra de vidéosurveillance, située au poste
de contrôle de police avoisinant, qui filmait leurs déplacements, tandis
qu'ils traînaient le corps démembré d'un journaliste mondialement connu
comme s'ils partaient en vacances.

La fausse affirmation du procureur de Riyad selon laquelle son bu-reau


cherchait encore les restes de Khashoggi, alors que tout s'était dérou-lé
devant les caméras de vidéosurveillance et que les autorités saoudiennes
elles-mêmes avaient tout appris des assassins, était pour le moins pathé-
tique. En d'autres termes, l'allégation saoudienne qu'ils ignorent l'empla-
cement du corps de Jamal Khashoggi est contradictoire.
UN KEBAB AVANT LE MEURTRE

Un autre élément notable de cette affaire est que le chauffeur turc du


consulat saoudien était en congé lorsque les assassins ont apporté les 5
valises à la résidence du consulat; 28 autres employés turcs du Consulat
saoudien ont été priés de prendre un jour de congé. Après l'assassinat, le
Consul général d'Arabie Saoudite à Istanbul, Mohammed Al-Otaiba, n'a pas
quitté son domicile pendant 3 jours pleins - tout comme le véhicule
diplomatique que les assassins ont utilisé pour transporter le corps de
Khashoggi.

Le chauffeur turc, qui a récupéré les agents saoudiens à l'aéroport à leur


arrivée de Riyad, a déclaré au bureau du procureur que le véhicule lui avait
été retiré le jour du meurtre, et qu'un membre de l'escadron de la mort était
au volant le 2 octobre. Dans une interview accordée à Al Ha-ber, le
chauffeur a décrit les moments passés avec les assassins de Khas-hoggi en
ces termes:

Leur vol a atterri à 3h20 du matin... Ils étaient neuf - 3 dans chaque
véhicule. Maher Abdulaziz Mutreb a conduit ma voiture. Je l'ai emmené
dans un hôtel près du consulat à Levent.
Deux autres véhicules consulaires nous attendaient devant l'hôtel. Je suis
arrivé au consulat et les ai déposés devant les barri-cades. Ils ont ouvert
les portes et ont fait entrer mon véhicule dans le parking du consulat. Je
me suis assis près de la barrière de sé-curité et ils m'ont servi du thé.
Entre 22h et 23h, je leur ai an-noncé que je souhaitais sortir.
Tandis que nous attendions à l'extérieur, on nous a infor-més que [les
représentants] allaient sortir. Khashoggi a été infor-mé qu'il pouvait
entrer et a été fouillé avant son entrée. Sa fian-cée s'est mise à l'attendre
devant un supermarché.

Le chauffeur a dit aux autorités que les assassins, récupérés à l'aéro-port


et déposés dans l'après-midi du même jour, étaient de bonne humeur: «Ils
fumaient et buvaient de l'alcool dans la voiture». Voici ce qu'il a déclaré à
propos du laps de temps pendant lequel Khashoggi a disparu dans le
consulat:

Khashoggi est entré, mais n'est plus ressorti. En fait, voilà ce qui s'est
passé: d'autres invités saoudiens sont arrivés. Les agents de sécurité leur
ont dit qu'en raison d'une inspection en cours, ils ne pouvaient entrer et
leur ont demandé de revenir le lendemain. Environ deux heures après
l'entrée de Khashoggi, j'ai reçu un appel téléphonique.
[Les agents] m’ont dit qu'ils étaient à l'hôtel et m’ont de-mandé de venir
les chercher. On est allés à l'hôtel. Quatre indivi-dus sont apparus à la
porte qui n’étaient pas ceux que j'avais ré-cupérés à l'aéroport. « Nous
faisons partie de votre groupe. Nous voulons une voiture et un autre
véhicule pour les sacs. Nous allons prendre deux véhicules pour nous
rendre à l'aéroport», ont-ils dit. Sur le chemin de l'aéroport, ils m'ont
demandé où ils pouvaient manger, alors je les ai emmenés dans un bar à
kebab[4] .
Le conducteur a décrit comment le véhicule a quitté le consulat,
emportant à son bord cinq sacs chargés des morceaux du corps de Khas-
hoggi:

A peine une heure plus tard, trois véhicules sont sortis [du consu-lat].
Leurs plaques d'immatriculation étaient marquées CC. J'ai regardé
attentivement dans la camionnette pour voir si nos[passagers] allaient
partir. J'ai regardé longuement, mais je n'ai pas pu voir à l'intérieur du
fourgon. Les fenêtres étaient ex-trêmement sombres. Un véhicule a tourné
à gauche et les autres ont roulé tout droit. Avant cela, quelques invités
saoudiens étaient arrivés. Tout le monde est sorti en moins d'une demi-
heure. Pour-tant, la dame[Hatice Cengiz] a attiré mon attention, parce
qu'elle attendait depuis une ou deux heures .

Un témoin oculaire de cet épisode de l'histoire, Hatice Cengiz, a pré-sumé


que son fiancé avait été détenu à l'intérieur du consulat pour un
interrogatoire et elle espérait qu'il soit libéré immédiatement. C'était avant
que le monde ne soit au courant de l'assassinat de Khashoggi. Dans une
entrevue accordée à Habertürk le 26 octobre, elle a décrit ces instants ainsi:
Je n'ai pas d'enfants, mais je crois que les mères vivent ce genre
d'émotions. Des policiers sont arrivés du bureau local. Je me suis
directement rendue au poste de police pour porter plainte. Ils se sont
présentés [au consulat] où ils se sont entretenus avec les fonctionnaires,
mais je ne sais pas de quoi ils ont parlé. Ce jour-là, j'ai attendu jusqu'à
tard dans la nuit.
Dès la première heure, j'ai cru qu'ils essayaient de me faire peur. Je
n'avais pas imaginé une chose pareille. Si j'y avais pensé, je serais entrée
avec lui. J'aurais préféré qu'il ne veuille pas m'épouser, car je me
retrouve avec un fardeau émotionnel extrê-mement lourd. Je ne sais pas
comment expliquer ce qui est arrivé à quelqu'un qui voulait simplement
se marier. Il ne m'est pas ve-nu à l'esprit qu'ils pouvaient commettre un
tel acte envers un pa-triote et un nationaliste de renommée mondiale
comme Jamal Khashoggi[5] .

La poignée de main qui a dégoûté la totalité du monde musulman:


à gauche, Salah, le fils de Jamal Khashoggi et à droite le prince MBS qui ose
lui présenter ses condoléances devant la presse officielle saoudienne !

Le meurtrier convoquant le fils de sa victime devant les télévisions,


quelques jours seulement après le meurtre !

Notez que Salah a interdiction de sortir du territoire et cela depuis 2017,


l'année précise où son père a commencé à écrire des articles critiques dans
le Washington Post. À la suite de cette cynique et sinistre mascarade médiatique,
les réseaux sociaux se sont déchaînés en insultes contre le prince régnant saoudien.
1-idem >>>

2-Suudi başkonsolosu ülkesine döndü" [The Saudi consul general returned to his country],
TGRT Haber, 16 October 2018. >>>

3-Kaşıkçı cinayetinde adım adım adım inkârdan itirafa giden yol"[Le meurtre de Khashoggi:
l'itinéraire du déni à la confession], Sabah, 16 novembre 2018. >>>

4-"Cemal Kaşıkçı cinayetinde infaz timini taşıyan şoför A Haber'e konuştu" [Le conducteur
qui a emmené l'escadron de la mort parle à A Haber)], Sabah, 26 octobre 2018 >>>

5-Transcription de l'interview de Habertürk avec Hatice Cengiz, 26 octobre 2018 >>>


~13~
Les liens secrets du chef de station

LES INCONNUES DE LA HIÉRARCHIE DU MEURTRE

Selon Hatice Cengiz, le journaliste pensait que les hommes du prince


héritier Mohammed ben Salmane n'oseraient pas effectuer ce type de
mission en Turquie. Hélas, il se trompait. Cette méprise s'explique en partie
par l'accueil chaleureux qu'il a reçu au consulat lors de sa première visite, le
28 septembre. Sans aucun doute, Khashoggi ne savait pas, le jour où il a
déposé sa requête, que les chefs de ses hôtes décideraient de le tuer.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane a ordonné le coup contre
Jamal Khashoggi. Il a intimé l'ordre à Saoud Al-Qahtani, son bras droit et
gardien de ses secrets, et à Ahmad Assiri, le directeur adjoint de l'agence de
renseignement saoudienne, connu pour sa loyauté à MBS. Qahtani et Assiri
ont transmis les ordres du prince héritier à l'escadron de la mort.
Ahmed Abdullah Al-Muzainy a supervisé le processus et a communiqué
l'ordre et le plan de mission aux assassins selon la hiérarchie saoudienne[1].
En d'autres termes, c’est le chef de l'agence de renseignement d'Istanbul qui
était responsable de l'exécution de l'ordre de tuer.
D'après des informations disponibles sur le site officiel du consulat
saoudien, Al-Muzainy a commencé son service le 11 septembre 2015 en
tant qu'attaché. Pourtant, son vrai titre était celui de chef du bureau
d'Istanbul. Al-Muzainy s'est rendu à Riyad après que Khashoggi eut fixé
son rendez-vous avec le consulat le 28 septembre. Il a reçu ses ordres et le
plan de mission, et est retourné en Turquie le 1er octobre. Il est ensuite
reparti à Riyad après l'assassinat de Khashoggi sans plus jamais remettre les
pieds en Turquie[2].

Le 28 septembre, lorsque Khashoggi est arrivé au consulat pour prendre


rendez-vous, Al-Muzainy s'y trouvait. Après que le rendez-vous du
journaliste a été fixé pour le 2 octobre et que celui-ci s'envole pour Londres,
le chef du bureau a décollé de l'aéroport Sabiha Gokcen à 14h41 le 29
septembre à destination de Riyad. Il y a rencontré le chef adjoint du
renseignement Ahmad Assiri, que les Saoudiens ont démis de ses fonc-tions
après l'assassinat de Khashoggi.
Al-Muzainy reçut ses ordres et le plan de mission d'Assiri et retourna à
Istanbul le 1er octobre à 16h. Il a informé le consul général, Moham-med
Al-Otaiba, de l'ordre de tuer et de la manière dont il devait être exé-cuté.
Quelques heures après la mort de Khashoggi, à 21h35, il a pris l'avion pour
Riyad depuis l'aéroport international de Atatürk.
Selon certaines sources, Al-Muzainy aurait probablement rencontré les
15 agents saoudiens après s'être entretenu avec Assiri à Riyad. Si Al-
Muzainy est considéré comme le «cerveau de cette opération», c'est prin-
cipalement parce qu'il s'est envolé pour l'Arabie Saoudite et qu'il est reve-nu
pour éviter tout contrôle - malgré le cryptage que les agents devaient faire
de leurs communications.
Il est clair qu'aussi bien Al-Muzainy que le consul général Al-Otaiba ne
retourneront jamais en Turquie. Après tout, le chef du bureau saoudien
connaît beaucoup de secrets sur le meurtre de Khashoggi qu'il a emportés
avec lui en Arabie Saoudite. Il est hors de question que MBS l'envoie, lui
ou tout autre membre de l'escadron de la mort, et prenne le risque de les
voir partager des informations avec les autorités turques.
Le fait qu'Al-Muzainy n'ait pas pris le jet privé portant le numéro
d'immatriculation HZ SK2, qui a emmené neuf agents saoudiens en Tur-
quie, était une tentative claire d'assurer la sécurité opérationnelle. En re-
vanche, le chef de station a pris un vol commercial pour Istanbul le 1er
octobre, accompagné de trois assassins: Mansour Othman Aba Hussein,
Naif Hassan Al-Arifi et Mohammed Saad Al-Zahrani.

LE MIT REPERE UNE MISSION DE


RECONNAISSANCE DANS LA FORÊT DE BELGRADE

Les contacts d'Al-Muzainy ont suscité les soupçons de l'Organisation


nationale du renseignement et de la division du renseignement de la po-lice
d'Istanbul lorsque Jamal Khashoggi a été porté disparu. Les forces de l'ordre
n'ont pas tardé à retrouver les images d'Al-Muzainy dans les aéro-ports de
Sabiha Gokcen et de Atatürk. Le 1er octobre, le chef de station saoudien
s'est présenté à l'aéroport de Atatürk avec un grand sac à main. Les autorités
turques pensent que le sac d'Al-Muzainy contenait l'ordre de tuer
Khashoggi ainsi que les plans de mission. De toute évidence, Riyad avait
sélectionné le chef de station afin de s'assurer que le personnel di-
plomatique, y compris le consul général, ne dérogerait pas au plan.
C'est Al-Muzainy qui a été aperçu dans un véhicule diplomatique près de
la forêt de Belgrade à Istanbul. La veille du meurtre de Khashog-gi, l'espion
saoudien s'est rendu dans la forêt avec un autre agent de ren-seignement,
Abdulaziz Soulaïman al-Goumizi, pour une mission de re-connaissance. Il
était sous surveillance à son insu[3] . À ce moment-là, les services de
renseignement turcs ont estimé que les deux espions saoudiens s'étaient
rendus dans la forêt de Belgrade pour des opérations d'espion-nage. Ils ne
savaient pas que les Saoudiens complotaient pour assassiner Jamal
Khashoggi. Ce n'est qu'après la mort du journaliste que les Turcs ont appris
qu'Al-Gumizi faisait partie de la mission de reconnaissance. En ce sens, Al-
Gumizi pourrait être ajouté à la liste des 15+3 agents de ren-seignement
complices de la mort du chroniqueur.
Après l'annonce de l'unité spéciale de renseignements de Sabah[4] sur Al-
Muzainy, Sedat Ergin, chroniqueur à Hürriyet, a rédigé un article qui mérite
d'être cité:

Khashoggi a visité le consulat le vendredi 28 septembre et on lui a


alors demandé de revenir le 2 octobre. Le lendemain, Abdullah Al-
Muzainy, qui semblait être un attaché de la mission saou-dienne, s'est
envolé pour Riyad. D'après un article des journalistes de Sabah,
Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, Al-Muzainy était en fait le chef
du bureau à Istanbul. Il a quitté l'aéroport de Sabiha Gokcen à 14h31 le
29 septembre.

Il est intéressant de noter qu'il est retourné à Istanbul le 1er octobre, la


veille du meurtre de Khashoggi, et est rentré au pays depuis l'aéroport
Atatürk. Trois membres de l'escadron de la mort ont pris le même vol pour
Istanbul. Après l'assassinat de Khashoggi, Al-Muzainy a passé le contrôle
des passeports à 21h35 le 2 octobre et a quitté Atatürk en direc-tion de
Riyad, l'aéroport international, pour retourner à Riyad. Les dépla-cements
de ce seul fonctionnaire témoignent du rôle central de l'agence de
renseignement saoudienne dans l'assassinat de Khashoggi. Il semblerait que
l'Arabie Saoudite se retrouve elle-même coincée dans le puits à présent[5] .
LE CHIEN QUI A RÉAGI
À L'ODEUR DE LA GARDE-ROBE

Dans sa chronique, Ergin a fait référence au refus de Riyad de per-mettre


aux enquêteurs turcs de fouiller le puits situé sous la résidence con-sulaire.
Nous avons longuement expliqué, au chapitre II, les raisons qui nous
poussent à croire que le corps de Khashoggi se trouve peut-être au fond de
ce puits. De plus, nous avons indiqué plus haut que les cinq va-lises, qui
contenaient les parties du corps de Khashoggi, n'ont jamais quitté la
résidence - ce qui, selon les enquêteurs turcs, rend encore plus probable la
présence du corps dans le puits.
Un détail que nous avons omis dans notre compte rendu de l'enquête est
qu'un chien policier a réagi fortement à une odeur qui se dégageait d'une
garde-robe dans la résidence consulaire, indiquant aux enquêteurs que le
corps de Khashoggi, ou du moins une ou plusieurs parties de son corps.
Lors de la perquisition, la police turque a engagé les services de Melo,
un chien renifleur dressé pour localiser les cadavres. Premier de sa catégo-
rie parmi sept chiens, Melo a été transporté sur la scène du crime par avion
depuis Antalya. Malgré la forte réaction du Malinois bleu face de-vant
l'armoire, les enquêteurs n'ont trouvé aucune preuve concrète du meurtre de
Khashoggi à la résidence consulaire.

LE BOURDONNEMENT INSIGNIFIANT
DES MOUCHES «TROLLS»

Dans la mesure où la tradition islamique veut que l'hommage aux morts


soit rendu sur leur lieu de sépulture, la tentative saoudienne d'em-pêcher la
découverte du corps de Jamal Khashoggi était au mieux inhu-maine. Alors
même que la Turquie a fait usage de diverses méthodes, notamment des
tests au luminol et des chiens renifleurs, dans le cadre de sa mission de
localisation des restes du journaliste saoudien, l'Arabie Saoudite a nié à
plusieurs reprises avoir connaissance de l'endroit où se trouvait son corps,
comme pour se moquer de la communauté internatio-nale.

Aussi le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel Al-Jubair a-t-il


déclaré aux journalistes que Riyad ne savait pas comment Khashoggi était
mort ni où se trouvait sa dépouille tout en soulignant que le meurtre de
Khashoggi était une terrible erreur et que le prince héritier Moham-med ben
Salmane n'avait aucune connaissance de l'incident. Or, l'enquête saoudienne
avait établi que le journaliste avait été tué à l'intérieur du consulat saoudien
à Istanbul[6] . Au moment où Al-Jubair prononçait cette déclaration, l'armée
de trolls de Saoud Al-Qahtani était occupée à diffuser des informations sur
la Turquie sur les réseaux sociaux. Dès que la dispari-tion de Khashoggi a
été signalée, MBS a déployé ses trolls sur Twitter. En dépit de ses
nombreuses tentatives de diffuser de fausses informations, cette «armée» a
échoué de manière spectaculaire - parce que la Turquie disposait de preuves
concrètes qu'aucun troll ne pouvait supprimer.

COMMENT LES RENSEIGNEMENTS


ONT ÉVALUÉ HATICE CENGIZ

Les renseignements saoudiens ont mis la barre plus haut en affirmant


que Hatice Cengiz, la fiancée de Khashoggi, était un agent qatarien. C'était
une affirmation que les Saoudiens ont répandue pour tenter de façonner
l'opinion publique. Ces accusations ont conduit certaines parties à se
demander si Cengiz, qui est entrée soudainement dans la vie de Khashoggi,
avait «tendu un piège» au chroniqueur.
Dans le but de faire éclater la vérité, nous avons posé cette question à
des sources fiables au sein de la communauté du renseignement. Voici ce
que nous savons: que ce soit volontaire ou non, Hatice Cengiz était en
contact avec les services secrets d'un pays du Moyen-Orient, dont elle était
l'interprète. Pourtant, ce lien n'était pas de nature à faire de Mme Cengiz
une espionne ou une informatrice. De même qu'il ne signifie pas qu'elle
avait «piégé» Jamal Khashoggi. À ce stade, il est important de rappeler ce
que Hatice Cengiz a dit dans sa première interview en direct après le
meurtre de Khashoggi:

Quand nous nous sommes rencontrés, M. Jamal vivait aux États-Unis


depuis un an et demi. Il a écrit pour le Washington Post. Il n'était pas
citoyen américain, mais il avait récemment déposé une demande de
naturalisation. Il voulait [obtenir la nationalité américaine], au cas où
sa citoyenneté saoudienne lui poserait pro-blème pour l'obtention d'un
nouveau passeport. De nombreux ci-toyens saoudiens sont actuellement
derrière les barreaux. Il était accablé par un fardeau émotionnel. Il a dit
que ses amis étaient en prison et qu'ils ne pouvaient pas écrire. Il a
ressenti cette grande solitude et une responsabilité émotionnelle.
Je ne sais pas grand-chose sur sa famille en Arabie Saoudite. Il ne
voulait pas parler de son mariage, et je ne voulais pas le lui demander
parce qu'il se sentait si seul. Il était seul politiquement et
émotionnellement. Il lui était difficile d'atteindre ses objectifs par lui-
même. Il a souvent mentionné qu'il se sentait tout seul, qu'il ne pouvait
avoir de nouvelles de ses amis ni dépasser la si-tuation dans laquelle il
se trouvait.
Il s'agit là d'un homme émotionnellement seul, mûr du point de vue de
l'âge, mais loin de son pays natal. Il voulait passer le reste de sa vie
heureux. À ce moment-là, il a affronté cette vérité et a voulu se marier.
Nous nous sommes envoyés des textos et avons parlé au téléphone. Il a
visité la Turquie plusieurs fois. Nous nous sommes rencontrés à maintes
reprises. Le fait que je travaille sur le terrain a attiré son attention. Il
avait auparavant travaillé comme reporter de guerre. Son expérience lui
a permis de me gui-der dans ce domaine, et nos intérêts communs ont
contribué à l'évo-lution naturelle de notre relation[7] .

UNE ATTAQUE DIGNE DE DAESH

C'est en ces termes que Hatice Cengiz a décrit ce que Khashoggi re-
présentait pour elle et la raison pour laquelle elle avait décidé de l'épouser.
L'armée des trolls saoudiens, qui a essuyé un échec en prenant pour cible la
fiancée de Khashoggi, a lancé une nouvelle campagne de diffamation à
l'encontre du journaliste assassiné. Ces accusations ont été reprises dans le
monde arabe par des médias conventionnels anti-turcs .
Le 6 octobre, le journal libanais Al Akhbar a publié un article truffé de
mensonges. Il aurait cité une source arabe affirmant que l'Arabie Saoudite
avait informé la Turquie que Jamal Khashoggi se trouvait à Riyad. Le
journal libanais a affirmé que le chroniqueur avait été rapatrié par avion en
Arabie Saoudite le 2 octobre - et que les Turcs étaient au courant!
Loin de s'arrêter là, Al Akhbar a répandu le mensonge selon lequel les
Saoudiens, avec la complicité des autorités turques, avaient exfiltré
Khashoggi du consulat dans un véhicule blanc.
Ces tentatives de diffusion de fausses informations sont tombées à l'eau
lorsqu'il est devenu évident que Jamal Khashoggi était mort à l'inté-rieur du
consulat saoudien et que Riyad a été contraint de reconnaître sa culpabilité.

Avant que les Saoudiens ne propagent des mensonges par le biais des
réseaux sociaux destinés au médias traditionnels, Khashoggi était déjà mort.
Ayant annoncé que Khashoggi avait été tué à l'intérieur du consu-lat, Turan
Kışlakçı, un ami proche du chroniqueur et président de l'Asso-ciation des
médias turco-arabes, a comparé ce meurtre aux attaques de Daesh:

«Même Daesh n'a pas commis un tel acte. C'était en effet une opération
similaire à celles de Daesh. J'espère que la conscience du monde se
mobilisera contre cela.»[8]

Comme l'a noté Kışlakçı, Daesh a choqué le monde en brûlant des


personnes vives et en commettant d'innommables atrocités. Pourtant, même
ce groupe n'avait pas démembré une victime après l'avoir tuée.
Kışlakçı est ressorti comme l'une des sources d'information les plus
précises sur la mort de son ami Jamal Khashoggi. Son intervention consis-
tait davantage à rendre hommage à un ami proche qu'à remplir son de-voir
de journaliste. En fait, l'engagement de Kışlakçı à informer le public a
suscité une forte réaction de la part de Hatice Cengiz et d'autres per-sonnes.
Le 7 octobre, lorsque Kışlakçı a annoncé que Khashoggi était mort, Cengiz
voulait encore croire que son fiancé était vivant[9] .
Dans un essai publié cinq jours plus tard pour le Washington Post,
Hatice Cengiz a déclaré qu'elle priait Allah d'épargner Jamal Khashoggi.
Voici ce qu'elle a écrit ce jour-là:

Plus d'une semaine s'est écoulée depuis notre dernière ren-contre


devant le consulat d'Arabie Saoudite, avant que sa dispa-rition ne
devienne une nouvelle mondiale. Nous étions en train de préparer notre
mariage, des projets de vie. Après la visite du con-sulat, nous comptions
acheter des appareils électroménagers pour notre nouvelle maison et
fixer une date. Tout ce dont nous avions besoin était un bout de papier.
Nous allions emmener mes frères et sœurs et certains de nos amis
proches dîner pour partager la bonne nouvelle. Le mariage est une étape
importante et spéciale pour tous les couples. Pour nous, mais surtout
pour Jamal, il était particulièrement impor-tant. Le fait d'avoir passé
plus d'un an en exil aux États-Unis - loin de son pays, de sa famille et de
ses proches - l'avait affecté. «Mon pays me manque beaucoup. Mes amis
et ma famille me manquent beaucoup», m'a-t-il dit. «Je ressens cette
profonde douleur à chaque instant.»
Nous allions nous marier et passer du temps entre Was-hington et
Istanbul. Nous étions si inquiets. Il se sentait si seul, mais je voyais les
nuages se dissiper. Il voulait mettre à profit ses années d'expérience
professionnelle pour devenir un journaliste in-fluent à Washington, au
moment où le monde arabe préparait le terrain pour des développements
majeurs. Il était reconnaissant de pouvoir écrire pour le Washington
Post, d'être la voix de ses col-lègues qui ne pouvaient plus s'exprimer.
Lorsque je lui ai demandé pourquoi il avait décidé de vivre aux États-
Unis, il m'a répondu que l'Amérique était le pays le plus puissant du
monde, où l'on pouvait sentir les pulsa-tions politiques de la planète.
Jamal avait sollicité la nationalité américaine, et la raison de sa visite en
Turquie était notre projet de mariage. Il espérait régler toutes les
formalités administratives nécessaires avant de retourner à Washington.
Le 28 septembre, Jamal s'est rendu au consulat saoudien à Istanbul
pour la première fois, bien qu'il fût quelque peu inquiet de se retrouver
en danger. Pourtant, il a constaté qu'il n'y avait pas de mandat d'arrêt
dans son pays natal. Bien que ses opinions aient suscité la grogne de
certaines personnes, il a déclaré que les tensions avec l'Arabie Saoudite
n'étaient pas synonymes de haine, de rancune ou de menaces. Il était,
cependant, de plus en plus préoccupé par une vague d'arrestations sans
précédent dans son pays. Pourtant, Jamal ne pensait pas que les
Saoudiens pourraient le contraindre à rester au consulat en Turquie,
même s'ils voulaient l'arrêter. En d'autres termes, cela ne le dérangeait
pas d'entrer dans le consulat saou-dien à Istanbul parce qu'il ne pensait
pas qu'un problème pouvait survenir sur le sol turc. Ce serait une
violation du droit interna-tional que de maltraiter, arrêter ou de détenir
une personne dans une mission diplomatique, m'a-t-il dit en ajoutant
qu'une telle chose ne s'était jamais produite dans l'histoire de la Turquie.
Après une première rencontre favorable avec le personnel consu-laire,
qui l'a accueilli chaleureusement et l'a assuré que les docu-ments
nécessaires lui seraient remis, Jamal n'était guère inquiet à l'approche
de sa deuxième visite. Il est entré dans le consulat d'Arabie Saoudite, son
pays d'origine, sans crainte pour sa sécuri-té.
Après avoir observé à quel point il était détendu, j'ai at-tendu
patiemment et avec beaucoup d'espoir. Mais après trois heures, la peur et
l'inquiétude m'ont envahie. J'ai envoyé un SMS à quelques amis pour les
en informer, et je me suis renseignée sur Jamal au bâtiment consulaire.
La réponse a encore plus ravivé mes craintes: Jamal était déjà parti,
m'ont-ils dit, peut-être sans que je m'en aperçoive. En essayant de garder
mon calme, j'ai immédiatement appelé Yasin Aktay, un conseiller du
président turc Recep Tayyip Erdogan et l'un des plus vieux amis de
Jamal. Depuis que l'incident a été porté à l'attention de la presse et des
forces de l'ordre, j'attends avec une grande angoisse.

Il est entré dans le consulat - voilà qui est bien vrai, mais il n'y a
aucune preuve qu'il en soit ressorti. Ces derniers jours, j'ai été témoin du
travail des autorités turques qui suivent la situation de près. J'ai
confiance dans les capacités des responsables du gou-vernement turc. En
ce moment, j'implore le président Trump et la première dame Melania
Trump de nous aider à faire la lumière sur la disparition de Jamal.
J'exhorte également l'Arabie Saou-dite, en particulier le roi Salmane et
le prince héritier Moham-med ben Salmane, à faire preuve de la même
sensibilité et à dif-fuser des images de vidéosurveillance du consulat.
Même si cet in-cident est susceptible de provoquer une crise politique
entre les deux nations, ne perdons pas de vue l'aspect humain de ce qui
s'est pas-sé. Jamal est une personne de valeur, un penseur exemplaire et
un homme courageux qui a combattu pour ses principes. Je ne sais pas
comment je pourrais continuer à vivre s'il était enlevé ou tué en Turquie.
Mes espoirs s'évanouissent lentement chaque jour, mais je reste
confiante que Jamal est toujours en vie. Peut-être que j'essaie
simplement de repousser l'idée que j'ai perdu un grand homme dont
j'avais gagné l'amour. En tant que personne qui croit que la vie et la
mort sont entre les mains de Dieu, je prie Dieu seul pour que Jamal
revienne sain et sauf .

LES CODES NON ENCORE DÉCRYPTÉS


Hatice Cengiz a maintenu que Jamal Khashoggi était vivant jusqu'à ce
que l'Arabie Saoudite déclare que le chroniqueur du Washington Post était
"mort dans une bagarre". Le jour du meurtre, elle avait remis les deux
téléphones portables de Khashoggi à la police à la demande du pro-cureur.
Ces deux appareils ont fait l'objet d'un examen minutieux par l'Unité des
crimes cybernétiques au siège de la police d'Istanbul. Pourtant, au-cune
information n'a pu en être extraite, les spécialistes n'ayant pas pu cracker
leurs codes d'accès.
La police turque a rencontré le même problème lorsqu'un policier
güléniste, Mevlüt Mert Altintas, a abattu Andrei Karlov, l'ambassadeur
russe à Ankara, le 16 décembre 2016. Le téléphone de l'agresseur n'a pu être
consulté, bien que l'Institut turc de recherche scientifique et techno-logique
(TUBITAK) ait réussi à cloner le compte iCloud associé à l'appa-reil pour
tenter de contourner le code d'accès. Les experts internationaux n'ont pas pu
résoudre ce problème non plus[10] . En fin de compte, les auto-rités turques
ont pu accéder à cette information[11] .
Le contenu des téléphones portables de Khashoggi aurait pu aider la
Turquie à découvrir le motif de l'assassinat et à déterminer qui avait or-
donné le meurtre du chroniqueur. La police turque continue donc à tra-
vailler sur ces appareils. Peut-être les autorités turques finiront-elles par
avoir accès aux téléphones portables de Khashoggi, comme elles l'ont fait
avec le téléphone portable de l'assassin de l'ambassadeur russe.
1- Le 3 décembre, juste avant la parution de ce livre, le parquet général d'Istanbul a émis
un mandat d'arrêt contre Al-Muzainy. >>>

2-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "İşte Cemal Kaşıkçı'yı katleden min beyni" (Le cerveau
qui se cache derrière l'équipe qui a assassiné Jamal Khashoggi), Sabah, 23 octobre 2018. >>>

3-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "Belgrad Ormanı'ndaki keşfi infaz timininin beyni
yaptı"[Les cerveaux de la Brigade de la mort ont mené une mission de reconnaissance à la
Forêt de Belgrade], Sabah, 28 octobre 2018. >>>

4-Abdurrahman Şimşek et Nazif Karaman, "İşte Cemal Kaşıkçı'yı katleden timin beyni"[Voici
le cerveau qui se cache derrière l'équipe qui a tué Jamal Khashoggi], Sabah, 23 octobre
2018. >>>

5-Sedat Ergin, "Konsolosluk kuyusuna sıkışan Ortadoğu Ortadoğu jeopolitiği" [La


géopolitique du Moyen-Orient - coincée dans le puits du consulat], Hürriyet, 25 octobre
2018. >>>

6-Cesedin nerede olduğunu bilmiyoruz" [Nous ne savons pas où se trouve le corps], Sabah,
20 octobre 2018. >>>

7-Transcription de l'interview de Habertürk avec Hatice Cengiz, 26 octobre 2018. >>>

8- Turan Kışlakçı: Bize ulaşan bilgi öldürüldüğü yönünde" [Turan Kışlakçı: Le


Les informations que nous avons reçues laissent penser qu'il a été assassiné], Hürriyet, 7
octobre 2018 >>>

9-Turan Kışlakçı: Cemal Kaşıkçı öldürüldü" [Turan Kışlakçı: Jamal Khashoggi a été tué],
Milliyet, 7 octobre 2018. >>>

10-Kaşıkçı'nın iPhone şifresi kırılamıyor" [The Passcode Of Khashoggi's Iphone Cannot Be


Cracked], Yeni Şafak, 15 octobre 2018. >>>

11-L'acte d'accusation de l'assassinat de Karlov. >>>


~14~
Preuves génétiques

273 ÉCHANTILLONS D'ADN ANALYSÉS

Dans le cadre de son enquête sur le meurtre de Khashoggi, la divi-sion


des enquêtes sur les lieux du crime de la police d'Istanbul a cherché des
preuves dans six endroits: le consulat général d'Arabie Saoudite à Istanbul,
la résidence du consul général d'Arabie Saoudite, les chambres 515, 611,
615, 1402, 1609, 210, 610 et 903 du M Hotel, les chambres 2802, 2809,
2812, 914, 915 et 916 de l'hôtel WG, l'appartement de Jamal Khashoggi
dans[1] le quartier de Topkapi, et une villa à Yalova. Les enquêteurs ont
également inspecté des véhicules diplomatiques portant les numéros
d'immatriculation 34 CC 2342, 34 CC 2404, 34 CC 2646, 34 CC 2280, 34
CC 2464, 34 CC 1736, 34 CC 2460, 34 CC 3071, 34 CC 2254, 34 CC 1696,
34 CC 2248 et 34 CC 1865. Le laboratoire de déve-loppement des
empreintes digitales a analysé 257 échantillons provenant des six endroits et
a pu identifier 1 548 traces sur la base de ces données. Les autorités ont
soumis leurs conclusions au système automatisé d'identi-fication des
empreintes digitales, l'AFIS, sans toutefois parvenir à des ré-sultats
concrets. Les enquêteurs ont filmé 189 Go de vidéo, pris 7 633 photos,
utilisé un drone pour filmer 30 Go de séquences supplémentaires et pris 132
photos. Au total, 100 enquêteurs de scène de crime ont parti-cipé à l'effort
de la Turquie pour élucider le meurtre de Khashoggi. Ils ont trouvé 350
échantillons d'ADN au consulat saoudien, à la résidence con-sulaire, au M
Hotel, où ont séjourné certains assassins, ainsi que dans leurs véhicules.
L'ADN de Jamal Khashoggi a été retrouvé au cours d'une enquête de trois
heures dans son appartement.

L'ÉCHANTILLON D'ADN
PROVENANT DE LA NUQUE DE LA VICTIME
Les autorités ont trouvé l'ADN de Jamal Khashoggi sur son rasoir, sa
brosse à dents, ses sous-vêtements, son peigne, son coupe-ongles et ses
boîtes à pilules, ainsi que sur les cols de ses chemises et d'autres objets, tels
que des vestes et des chemises, que sa famille a remis aux autorités. Celles-
ci ont tenté de rapprocher ces échantillons d'ADN des éléments de preuve
recueillis dans le consulat saoudien, la résidence consulaire, les hôtels et les
véhicules. Les enquêteurs ont fouillé lesdites chambres d'hôtel au cas où les
tueurs y auraient emmené Khashoggi. Pour les besoins de l'enquête, les
experts turcs ont comparé 273 échantillons d'ADN différents. Cette opé-
ration a été supervisée par Yalçın Büyük, le directeur de l'Institut de mé-
dico-légal de Turquie, et réalisée par un groupe de spécialistes en géné-
tique.
Les autorités ont conclu que certains échantillons d'ADN apparte-naient
à d'anciens clients ayant séjourné dans ces chambres d'hôtel. Néanmoins, ils
n'ont pas pu trouver l'ADN de Khashoggi. Cela dit, la police turque
maintient qu'«il n'y a pas de crime parfait» et continue à rechercher des
indices.
L'Institut médico-légal a également analysé des échantillons prove-nant
du puits situé sous la résidence du consul saoudien, mais n'a pu trouver
aucune trace de l'ADN de la victime. Une recherche ultérieure d'acide a
aussi abouti à une impasse. Les autorités n'ont pas non plus trouvé de
preuves à charge dans un véhicule Mercedes-Benz, qui a été retrouvé dans
le district de Sultangazi[2] et qui a donné à de nombreux observateurs
l'impression qu'il pouvait faire la lumière sur le meurtre. Ce véhicule
appartenait au sous-secrétaire du consulat chargé de la lutte contre le trafic
de stupéfiants, qui a déposé certains de ses effets personnels dans le coffre
de sa voiture lorsqu'il a été rappelé par Riyad. Lorsque ces articles se sont
avérés trop lourds pour le transport aérien, il les a replacés dans sa voiture
et a demandé à un chauffeur de retourner le véhicule. Les autorités n'ont pas
trouvé de traces d'ADN dans la camionnette Mer-cedes-Benz, que les tueurs
ont utilisée pour transporter les parties du corps de Jamal Khashoggi à la
résidence consulaire. Les Saoudiens avaient em-mené ce véhicule à la
station de lavage et l'avaient fait analyser par un expert en chimie avant que
l'enquêteur turc ne soit autorisé à y toucher.
LA THÉORIE DE L'ACIDE
EST UNE LÉGENDE URBAINE

L'un des résultats les plus significatifs de l'Institut médico-légal est que
la croyance populaire selon laquelle les Saoudiens auraient utilisé de l'acide
pour se débarrasser du corps de Jamal Khashoggi était déplacée. En d'autres
termes, le fait que le corps du chroniqueur du Washington Post ait été
dissous dans de l'acide était une énième fausse idée répandue au sujet de ce
meurtre. Cette affirmation a fait l'objet d'un débat animé dans les médias et
parmi le public en général durant deux mois. Trois articles, parus dans les
journaux turcs ces dernières semaines, attestent de la diffu-sion de cette
fausse information. La chronique du 13 novembre de Fatih Altaylı dans
Habertürk a été l'un des commentaires les plus notoires sur le meurtre de
Khashoggi. Soulignant plusieurs cas tirés de l'histoire de la criminologie,
l'auteur a invité ses lecteurs «à décider par eux-mêmes, à la lumière de ces
informations, si le corps de Khashoggi avait été dissous ou non à l'intérieur
du consulat.»[3] Le 6 novembre, le chroniqueur de Yeni Akit, Ab-
durrahman Dilipak, a examiné cette thèse et a établi des parallèles entre le
meurtre de Khashoggi et l'assassinat du politicien congolais Patrice
Lumumba en 1961[4] . Enfin, Mustafa Ozcan, un chroniqueur du site
d'information Fikriyat, a écrit le 3 novembre que le meurtre de Jamal
Khashoggi était comparable à celui de l'homme politique marocain Meh-di
Bin Barka le 29 octobre 1965[5] .

L'INJECTION DE COAGULANT

Il y a eu beaucoup de débats sur la façon dont le commando saou-dien


s'était débarrassé du corps de Jamal Khashoggi. Selon une affirma-tion
populaire, les assaillants auraient brûlé la dépouille du journaliste tué dans
une cheminée de la résidence consulaire. Le prélèvement d'échantil-lons
dans cette cheminée par la police n'a fait qu'alimenter les spécula-tions,
mais l'enquêteur n'a pas confirmé cette hypothèse[6] .
Le 17 novembre, Hürriyet a publié un autre article destiné à satis-faire
les interrogations du public sur les éléments de preuve. Le journal turc a
affirmé que les assassins saoudiens avaient injecté à Khashoggi un produit
chimique coagulant aussitôt après sa mort afin de ne laisser au-cune trace de
son démembrement:

Bien que l'Arabie Saoudite ait déclaré que Jamal Khashoggi avait été tué
dans une bagarre et à cause d'une dose médicamen-teuse mortelle, les
responsables de la sécurité et du tribunal turcs soutiennent qu'une
substance coagulante a été injectée dans le corps de Khashoggi après sa
mort. Selon cette allégation, les tueurs ne voulaient laisser derrière eux
aucune preuve du démembrement de la victime[7] .

La manière dont les Saoudiens ont exécuté Jamal Khashoggi et traité son
corps a d'abord fait l'objet de fuites dans les médias internationaux par des
responsables turcs. CNN International a annoncé que le corps de Khashoggi
avait été démembré[8] le 16 octobre. Citant un officiel turc, la chaîne a
affirmé que le journaliste saoudien avait été tué à l'intérieur du consulat le 2
octobre et démembré . Le New York Times a avancé une thèse similaire
dans les premières phases de l'enquête et cité un fonctionnaire turc ayant
comparé le meurtre de Khashoggi à une scène du Pulp Fiction de Quentin
Tarantino[9] .

L'ABSENCE DU COLLABORATEUR LOCAL

L'acte le plus horrible de la Tiger Team a été le meurtre de Jamal


Khashoggi au sein du consulat saoudien à Istanbul. Beaucoup de ru-meurs
circulent sur les opérations secrètes du groupe. Certains observa-teurs
pensent que MBS a été inspiré par le prince héritier Mohammed ben Zayed
des Émirats arabes unis pour former l'équipe d'assassins. Dans le passé,
certains médias ont rapporté que le prince Mohammed a emboîté le pas au
prince héritier des Émirats pour créer une armée personnelle de 5 000
hommes connue sous le nom de Al-Sayf Al-Ajrab. C'est pourquoi certains
se sont demandé si l'escadron saoudien, doté de 15 membres, qui s'est rendu
en Turquie pour tuer Jamal Khashoggi, avait bien été inspiré par les Émirats
arabes unis[10] .
A un autre moment, les Saoudiens ont tenté de dissimuler le meurtre et
le démembrement de Khashoggi en prétendant que les agents avaient
enveloppé le journaliste saoudien dans un tapis pour le transporter hors du
consulat. Le 21 octobre, un officiel saoudien a déclaré à Reuters que
l'équipe de 15 membres avait été envoyée en Turquie pour ramener Jamal
Khashoggi, mais qu'elle avait assassiné le journaliste par inadvertance
lorsqu'il s'est mis à crier. Le même fonctionnaire a affirmé que le corps de
Khashoggi avait été transporté hors du bâtiment enroulé dans un tapis[11] .
Dans la même interview, ce fonctionnaire anonyme a mentionné un colla-
borateur local dont l'identité, selon les Saoudiens, avait été découverte.
Pourtant, Riyad n'a pas partagé avec les autorités turques les informations
relatives à ce prétendu collaborateur local, car cette personne n'existe pas.
La différence entre la source saoudienne et les sources anonymes turques
est que ces dernières se sont fondées sur des renseignements cré-dibles,
tandis que le fonctionnaire saoudien tentait de manipuler l'opinion publique.
Toutes les tentatives de manipulation saoudiennes, y compris celle du
présumé collaborateur en Turquie, étaient destinée à discréditer la Turquie
et à absoudre le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui était pour-tant
responsable de la mort de Khashoggi. Que l'administration Trump et le
gouvernement saoudien aient voulu protéger MBS, voilà qui était clair
comme de l'eau de roche. Pourtant, la Turquie a pris le risque de se re-
trouver isolée pour avoir abordé cette tragédie sans précédent sous un
aspect humanitaire.
Le prince Mohammed Ben Salmane, meurtrier de Jamal Khashoggi
comme l'a confirmé la CIA en 2019 à la suite des écoutes téléphoniques
remontées et analysées par la NSA.
1-Selon nos sources, Tubaigny est resté dans la chambre 515 et Mutreb dans la chambre
615 du M Hotel. >>>

2-Suudi konsolosluğuna ait araçta iki bavul bulundu" [Deux sacs trouvés dans le véhicule
du consulat saoudien], Habertürk, 23 octobre 2018. >>>

3-Fatih Altaylı, " Eritsek de mi saklasak, eritmesek de mi saklasak " [Fondre ou ne pas
fondre], Habertürk, 13 novembre 2018. >>>

4-Abdurrahman Dilipak, " Kaşıkçı'dan Lumumba'ya " [De Khashoggi à Lumumba], Yeni Akit,
6 no-vembre 2018. >>>

5-Mustafa Özcan, " İkiz cinayet " [Double homicide], Fikriyat, 3 novembre 2018. >>>

6-Cesedi bulunamayan Kaşıkçı hakkında korkunç şüphe" [Le terrible soupçon concernant
Khashoggi, dont le corps est toujours porté disparu], TGRT Haber, 29 octobre 2018. >>>

7-Toygun Atilla, "Pıhtı ilacı verip parçaladılar" [Ils l'ont démembré après lui avoir administré
un médicament coagulant], Hürriyet, 17 novembre 2018. >>>

8-CNN: Cemal Kaşıkçı öldürüldü, cesedi parçalandı" [Cnn: Jamal Khashoggi a été
assassiné et démembré], Haberler.com, 16 octobre 2018 >>>

9-Cemal Kaşıkçı ile ilgili korkunç iddia: Özel testere ile geldiler" [L'horrible revendication sur
Jamal Khashoggi: ils sont arrivés avec une scie spéciale], Posta, 11 octobre 2018. >>>

10-Ve Suudi Arabistan itiraf etti" [Et l'Arabie Saoudite se confesse], Akşam, 20 octobre
2018. >>>

11-" Suudi Dışişleri Bakanı: Kaşıkçı'nın ölümü korkunç bir hata ve trajedi" [Ministre saoudien
des Affaires étrangères: La mort de Khashoggi est une terrible erreur et une tragédie], BBC
Turkish, 21 octobre 2018 >>>
~14~
La politique de la Turquie vis à vis
du prince Ben Salmane
Un roi en devenir

Il me paraît opportun de souligner le point suivant au début de cette


section: On ne peut pas s'attendre à ce que la Turquie regarde d'un bon œil
un prince ayant entrepris des activités anti-turques dans le Golfe et au
Moyen-Orient, et qui pourrait rester au pouvoir cinq décennies suivant son
couronnement.
De plus, Ankara est déterminée à mettre au jour tous les aspects du
meurtre de Khashoggi, et ce, en dépit de tous les efforts déployés pour saper
son enquête sur ce qui s'est passé sur son territoire.
Le 24 octobre, Ertugrul Özkök, chroniqueur pour Hürriyet, a rédigé un
article dans lequel il s'interroge si la mort de Jamal Khashoggi pour-rait
mener à l'éviction de Mohammed ben Salmane en tant que prince héritier, et
a proposé la réponse suivante:

Question I: Ce meurtre sauvage et inhumain mettra-t-il fin au règne


du prince héritier saoudien?
Nous savons tous qu'il n'est pas facile de renverser des dirigeants non
élus qui contrôlent tous les médias dans les pays du Moyen-Orient. Ils
sont particulièrement immunisés contre les efforts exté-rieurs visant à les
faire tomber.

Question II: L'Arabie Saoudite va-t-elle changer sa poli-tique à


l'égard du Qatar suite à ce meurtre et mettre fin à l'isolement du
Qatar ?
Absolument pas. Bien au contraire, il pourrait adopter une poli-tique
plus ferme en présentant cet incident comme une conspiration
qatarienne.

Question III: L'Arabie Saoudite changera-t-elle sa stra-tégie envers


les Frères musulmans suite à cet assassinat?
Non, elle ne le fera pas. Gardez à l'esprit que les médias saou-diens
continuent de présenter tous les jours Jamal Khashoggi comme un
«traître». Par conséquent, l'axe saoudien, égyptien et émirati va
probablement se renforcer.

Que se passera-t-il donc?

[Le meurtre de Khashoggi] continuera à ruiner la réputation du prince,


qui a tenté de se faire passer pour un réformateur au cours de ces dernières
années. Mais n'oubliez pas que le Moyen-Orient est une région où les
despotes restent au pouvoir en dépit de leur piètre réputation[1]

LE PRINCE AU CENTRE
LE ROI À LA PÉRIPHÉRIE

Sachant comment les choses se font au Moyen-Orient, l'administra-tion


Trump a résisté aux pressions visant à déloger le prince héritier saou-dien,
qui reste la pierre angulaire de la stratégie de Washington dans le Golfe.
Alors que MBS s'est retrouvé au centre de toute l'affaire, le roi Sal-mane a
été tenu en marge. Le 18 octobre, Bercan Tutar, un chroniqueur de politique
étrangère pour Sabah, a évalué le plan de l'administration Trump visant à
régler le meurtre de Khashoggi et a affirmé que la poli-tique étrangère de
Washington focalisée sur MBS était officiellement tombée à l'eau.

L'horrible assassinat du journaliste Jamal Khashoggi a déjà amorcé


le déclenchement de nombreux séismes géopolitiques aux niveaux
régional et mondial. Après tout, ce meurtre brutal a conduit à
l'effondrement total de la politique étrangère de Donald Trump dont la
pièce maîtresse était le prince héritier saoudien Mohammed ben
Salmane. Suite à la disparition de Khashoggi, 60 ans, la main du bloc
américano-israélo-saoudien a été considé-rablement affaiblie face à ses
adversaires.
Jamal Khashoggi a gardé les plus sombres secrets du prince Turki ben
Faisal, qui a dirigé les services de renseignement saou-diens saoudiens
pendant 22 ans entre 1979 et 2001, et a soumis sa démission inopinée à
peine dix jours avant les attentats du 11 septembre. Par ce fait même, il
était au courant des affaires louches de la famille royale saoudienne avec
les États-Unis. C'est sans doute pourquoi les services de renseignements
américains avaient connaissance à l'avance du plan visant à tuer
Khashoggi, sans toutefois prendre la moindre mesure. D'ailleurs, Ned
Price, un ancien agent de la CIA, estime que l'administration améri-
caine aurait dû avertir Jamal Khashoggi.

***

Pourtant, tout ne s'est pas déroulé comme l'administration américaine


l'avait espéré. C'est notamment la stratégie média-tique diplomatique
extrêmement réussie de la Turquie qui a dé-joué ces funestes desseins. À
ce moment-là, non seulement la Tur-quie, mais aussi la Chine, la Russie,
l'Iran et le Royaume-Uni ont pris le pouvoir face aux États-Unis. La
Russie a envoyé une délégation spéciale à Riyad, alors que le
gouvernement chinois a sévèrement critiqué la politique de deux poids,
deux mesures de l'Occident.

En clair, non seulement les détracteurs de Trump mais aussi ses


partisans parmi les élites américaines sont indignés par la tournure des
événements. Les efforts de Trump pour minimiser le meurtre de
Khashoggi en le qualifiant d'acte de tueurs en série, ainsi que son refus
d'affaiblir les relations de son pays avec l'Ara-bie Saoudite ont été la
goutte d'eau qui a fait déborder le vase. La sénatrice Warren a reproché
au président des États-Unis de se comporter comme le porte-parole du
roi saoudien. Comme Khas-hoggi provoquait une rupture entre la
Maison-Blanche et le Con-grès, le sénateur Lindsey Graham est devenu
le symbole des cri-tiques qui souhaitaient la mise à l'écart du prince
héritier, qui avait ordonné le meurtre de Khashoggi.

De nombreux hommes politiques, hommes d'affaires, spor-tifs et


artistes, dont Oprah Winfrey, Bill Gates, Kobe Bryant, Michael
Bloomberg, Morgan Freeman, Henry Kissinger, George Bush et Bill
Clinton, sont furieux contre Trump. Des sociétés telles que Google,
Apple, Disney, Lockheed, Snapchat et AMC se sont jointes à un boycott
contre les Saoudiens. Même Joseph Dun-ford, le président de l'état-major
interarmées, a été contraint de concéder qu'il y aura un changement de
politique dans les rela-tions militaires de Washington avec l'Arabie
Saoudite.

***

Acculés, les États-Unis ne semblent avoir d'autre choix que d'accepter


des concessions sur les sanctions économiques contre la Turquie, la
situation à l'est de l'Euphrate, le FETÖ et le YPG.
En conséquence, l'assassinat de Jamal Khashoggi va modi-fier la
politique du bloc américano-israélo-saoudien à l'égard de l'Iran, du
Qatar, du Yémen, de la Syrie, de la Libye, de l'Egypte et de la Jordanie.
En outre, les Saoudiens ne pourront plus apporter la contribution
souhaitée à l'«accord du siècle» de Washington et de Tel-Aviv, qui vise à
saborder la Palestine. Il semble que les répercussions géopolitiques du
séisme Khashoggi tant aux États-Unis que dans notre région ne se
limiteront pas à ce qui s'est déjà produit[2] .

LE 11 SEPTEMBRE DE RIYAD

Comme l'affirme Bercan Tutar, le meurtre de Khashoggi a été suffi-


samment important pour déclencher des changements géopolitiques.
L'événement a été décrit comme le 11 septembre de Riyad pour de bonnes
raisons. Dans une chronique du 21 octobre, Saadet Oruc, un haut con-seiller
du président turc Erdogan, a qualifié le meurtre de Khashoggi comme le 11
septembre de Riyad.
Dans la mesure où Khashoggi a été tué à l'intérieur du consulat saoudien à
Istanbul, la Turquie a dû procéder avec la plus grande pru-dence sur la
scène internationale. Plusieurs options diplomatiques s'of-fraient au pays,
exposées par Burhanettin Duran, coordinateur général de la Fondation
SETA, à Sabah le 20 octobre[3] :
La redéfinition par les États-Unis de leur rôle mondial et le
changement de l'équilibre mondial des pouvoirs qui s'ensuit ne doit
permettre à aucun pays de pratiquer le terrorisme d'État. En fin de
compte, le scandale Khashoggi a une signification symbo-lique pour le
monde arabe, comparable à l'effet Wikileaks. Les différents protagonistes
doivent manifestement être conscients de cette signification. C'est
exactement la raison pour laquelle Was-hington estime que cet incident
ne peut être occulté, même s'il en souhaite ardem-ment la disparition.
C'est pourquoi le président Trump a dépêché le secrétaire d'État Pompeo
à Riyad pour lui adresser un avertis-sement et a exigé de Riyad le
lancement d'une enquête dans les 72 heures.

Trump s'est mis à évoquer de graves conséquences pour l'Arabie


Saoudite. À ce stade, il est nécessaire d'évaluer la position de la Turquie.
Après tout, il y a eu plusieurs tentatives de déformer l'approche cohérente,
déterminée, responsable et sensée de la Turquie. Laissons de côté la ques-
tion de savoir pourquoi les Saoudiens ont exécuté Khashoggi à Istanbul et
non à Washington, et intéressons-nous plutôt à la position turque.

Dès les premiers signes de l'incident, quatre options s'offraient à An-


kara. Premièrement, la Turquie aurait pu porter le chapeau pour ce qui s'est
passé, et qui restera dans l'histoire comme un crime non résolu. Il se peut
que les services de renseignements saoudiens, qui cherchaient à enle-ver ou
à éliminer Khashoggi, aient voulu ce résultat. En tant que viola-tion de la
souveraineté de notre nation, l'opération aurait fait passer la Turquie pour
un pays peu sûr où des personnes disparaissent. La commu-nauté
internationale allait s'en prendre à Ankara au motif de la sécurité et des
droits de l'homme. Cependant, la prouesse technique de l'agence de
renseignement turque a empêché la mise en cause de la Turquie dans le
scandale Khashoggi.

La deuxième possibilité était de se servir des preuves comme muni-tions


dans une offensive massive contre l'Arabie Saoudite. On a pu quali-fier
cette opération globale, qui s'est déroulée à Istanbul, comme une at-taque
contre la Turquie. Compte tenu de la concurrence régionale entre les deux
pays, il aurait été possible de cerner Riyad. Ankara ne pouvait pas
emprunter cette voie par principe et en raison des dommages poten-tiels aux
relations bilatérales.

La troisième option consistait en une poignée de main entre Ankara et


Riyad afin d'étouffer l'affaire. La Maison Blanche, qui soutient l'ambi-tieux
projet politique du prince héritier, aurait probablement été favorable à cette
démarche. Pourtant, cette alternative aurait été clairement incom-patible
avec la politique étrangère humanitaire de la Turquie. Foyer de 3,5 millions
de réfugiés syriens et actuellement premier pourvoyeur mon-dial d'aide
humanitaire, ce pays qui dénonce l'injustice du système des Nations Unies
ne peut se résoudre à accepter [le meurtre]. Il aurait été impossible que la
Turquie, qui représente la conscience de l'humanité face aux catastrophes et
aux massacres, ne puisse assumer ce lourd fardeau. Un crime, inexplicable
dans les capitales mondiales et dans la rue arabe, ne pouvait pas être ignoré.
C'est pourquoi Ankara a exclu cette possibilité d'emblée.

Le quatrième choix consistait à découvrir ce qui s'est passé au moyen


d'une enquête internationale et en collaboration avec Riyad, avec pour
objectif d'incriminer les coupables sans masquer le scandale ni lancer une
campagne anti-saoudienne. C'est exactement ce qu'a fait Ankara. Ankara
n'est pas en mesure de choisir ses favoris dans une lutte de pouvoir au sein
de la famille royale saoudienne. C'est le peuple saoudien, le roi Salmane et
la dynastie qui détermineront l'issue du scandale Khashoggi. En tant
qu'acteur responsable, la Turquie a choisi de dévoiler la vérité et de proté-
ger ses relations bilatérales avec l'Arabie Saoudite à moyen et long terme[4] .

QUEL RAPPORT ENTRE LE MEURTRE


DE KHASHOGGI ET GULEN?

Les médias internationaux ont considéré que la politique de la Tur-quie


de servir la cause de la justice sans camoufler le scandale ni lancer une
offensive anti-saoudienne constituait une pression croissante sur Riyad. Le
16 novembre, NBC a déclaré que la Turquie, sous la houlette d'Erdogan,
intensifiait la pression sur l'Arabie Saoudite.
L'administration Trump, selon la même source, s'était rangée du côté des
Saoudiens pour atténuer la pression turque. Par conséquent, l'un des atouts à
la disposition des États-Unis était l'extradition imminente de Fetullah
Gulen. Toutefois, les responsables américains ont rejeté cette demande en
affirmant que les deux processus étaient indépendants l'un de l'autre.
Estimant que la Turquie faisait pression sur les États-Unis par son
exploitation de l'affaire Khashoggi, NBC a ajouté que la Turquie était sur le
point d'obtenir ce qu'elle voulait[5] . Le 10 octobre, le Washington Post a
consacré un article à l'approche de l'administration Trump vis-à-vis de
l'assassinat de Khashoggi, postulant que la Maison Blanche subissait des
critiques pour avoir réservé un traitement particulier à certains gouverne-
ments autoritaires, comme l'Arabie Saoudite et Israël, par opposition à
d'autres, comme l'Iran, le Venezuela et Cuba[6] .

Le 27 octobre, Bethan McKernan, correspondante du Guardian à Is-


tanbul, a écrit qu'Erdogan avait renforcé la pression sur Riyad en appe-lant
les Saoudiens à identifier les assassins de Jamal Khashoggi. Le minis-tère
des affaires étrangères saoudien, dit-elle, considère le meurtre de Khashoggi
comme la crise politique la plus grave depuis les attentats terroristes du 11
septembre 2001[7] .

Selon Hall Gardner, professeur à l'Université américaine de Paris et


auteur de World War Trump, a précisé que la Turquie a bien joué ses cartes
en contraignant Riyad à réagir. S'adressant à la Deutsche Welle, l'expert en
relations internationales a rappelé que les Turcs ont démasqué les
mensonges saoudiens après chaque déclaration de Riyad, et tenté de
restaurer leurs relations tendues avec les États-Unis en captivant les mé-dias
internationaux et en enquêtant sur le meurtre. Gardner a également soutenu
que la Turquie exploitait le meurtre de Khashoggi pour obtenir l'extradition
de Fetullah Gulen, le cerveau du coup d'Etat déjoué de juil-let 2016 en
Turquie. Au cours des dernières semaines, divers médias amé-ricains ont
rapporté que l'administration Trump avait entrepris des dé-marches pour
extrader Gulen afin d'alléger la pression turque sur l'Arabie Saoudite.

David Hearst, le rédacteur en chef du Middle East Eye basé à Londres, a


déclaré que deux camps s'affrontaient aux États-Unis et que le meurtre de
Khashoggi était devenu un nouveau front dans la guerre de l'information
entre la CIA et l'administration Trump. Selon Hearst, l'af-faire Khashoggi
ne sera pas classée de sitôt. Le journaliste prédit que la CIA divulguera les
preuves dont elle dispose à l'avenir dans l'espoir de discréditer les calculs de
Trump et de réfuter ses allégations. Hearst a ajouté que les fuites et les
déclarations officielles de la Turquie, ainsi que la pression croissante à
Washington, ont forcé l'Arabie Saoudite à cons-tamment changer sa
position, et a averti qu'il n'en était pas autrement pour l'administration
Trump - au sens où sa position était aussi sujette à changement. Selon le
rédacteur en chef du MEE, la cible des dirigeants turcs est invariablement
Washington et les mesures prises par la Turquie ont indirectement influencé
les affrontements persistants entre les institu-tions américaines[8] .

LA «PRECIEUSE PLURIALITE» D'ANKARA

Dire que le public cible de la Turquie est Washington reviendrait à


manquer de perspective. Au contraire, le public cible de la Turquie était,
avant tout, les valeurs liées à la civilisation, à la morale et à la conscience
de l'humanité. A un moment critique de l'histoire, les Turcs ont défendu les
valeurs humanitaires aux Etats-Unis, en Europe, au Moyen-Orient, dans le
Golfe, en Russie et en Chine, suite à un incident qui aurait pu entraîner des
guerres. Ils ont travaillé dur pour atteindre cet objectif. En fin de compte, la
Turquie n'a pas été condamnée à une «précieuse soli-tude» - selon
l'expression consacrée.
Si la Turquie a été livrée à elle-même dans sa lutte contre les organi-
sations terroristes PKK et FETO, cela n'a pas été le cas pour le meurtre de
Khashoggi. La quatrième rubrique, en commençant par les médias améri-
cains, a soutenu le point de vue turc sur ce qui s'est passé.
Même après les aveux des Saoudiens, les médias internationaux, in-
formés par de mystérieux responsables turcs, n'ont cessé de rendre compte
de l'incident.
Par exemple, CNN International a diffusé les images de surveillance de
la doublure que les Saoudiens entendaient utiliser pour incriminer la
Turquie. La Tiger Team avait échoué de façon spectaculaire dans sa mis-
sion. Et bien que les Saoudiens aient cherché à sauver leurs agents, ils n'ont
pu dissimuler la vérité.
Quant au PKK et au FETO, la Turquie est en position de vaincre ces
organisations en mettant à contribution sa vaste expérience dans le do-
maine du contre-terrorisme. Pourtant, la coopération internationale est
essentielle pour neutraliser ces menaces plus rapidement et de façon défi-
nitive.
D'ailleurs, en parlant de terrorisme, l'assassinat de Khashoggi doit être
considéré comme un acte de terrorisme perpétré par une clique dan-gereuse
et puissante, et non comme une opération menée par les services secrets.
Des attaques de cette gravité auraient pu se produire ailleurs, si la Turquie
n'avait pas démasqué les assassins de Jamal Khashoggi.
Comment peut-on le savoir? Il y avait des cellules dormantes affiliées à
la Tiger Team, que nous avons longuement évoquée au chapitre précé-dent.
Comment ces cellules dormantes étaient-elles organisées en Turquie et
comment les autorités s'y prenaient-elles pour suivre leurs activités?

Concluons ce chapitre sur ces questions cruciales et tournons-nous à


présente sur le «pourquoi».
1-Ertuğrul Özkök, "Bu vahşet, bu kan prensi devirir mi?" [L'horreur et le sang renverseront-
ils le prince?], Hürriyet, 24 octobre 2018. >>>

2-Bercan Tutar, "ABD'de Kaşıkçı depremi büyüyor" [La fissure de Khashoggi s'approfondit
aux États-Unis], Sabah, 24 octobre 2018. >>>

3-Saadet Oruç, "Katil ve itiraflar: Riyad'ın yeni 11 Eylül'ü" [Le meurtrier et les confessions: le
nouveau 11 septembre de Riyad], Star, 21 octobre 2018. >>>

4-Burhanettin Duran, "Kaşıkçı skandalında Ankara'nın dört seçeneği" [Les quatre options
dont dispose Ankara dans le scandale Khashoggi], Sabah, 20 octobre 2018. >>>

5-Carol E. Lee, Julia Ainsley et Courtney Kube, " Pour réduire la pression turque sur les
Saoudiens au lendemain du meurtre, la Maison Blanche considère l'expulsion de l'ennemi
d'Erdogan ", NBC News, 15 novembre 2018. >>>

6-Ibid. >>>

7-Bethan McKernan, " L'Arabie Saoudite prétend être un phare dans le combat contre
l'"obscur" Iran, The Guardian, 27 octobre 2018. >>>

8-Çağrı Özdemir, " ABD'deki güç çekişmeleri ve Türkiye " [La lutte acharnée aux États-Unis
et en Turquie], Deutsche Welle Turkish, 23 novembre 2018. >>>
~ 16 ~
Les cellules dormantes
de la Tiger Team
L'équipe de reconnaissance de 30 hommes

Ahmad Abdullah Al-Muzaini, chef de poste de l'agence de


renseignement saoudienne à Istanbul, était responsable des dix cellules et
des 30 agents de la Tiger Team sur le terrain. Il était ravi d'avoir réussi à
placer son trentième agent dans une maison sécurisée. Les Saoudiens ont
loué ou acheté sept appartements, un peu partout dans la ville, qu'ils ont
rapi-dement transformés en maisons d'arrêt. Al-Muzaini lui-même vivait
dans une résidence au sein d'une communauté fermée dans le quartier de
Ma-slak.

Un groupe d'agents des services de renseignements, qui étaient en


contact avec Al-Muzaini, ont cru à tort qu'ils pourraient facilement tra-
vailler à Istanbul - c'était bien évidemment avant l'assassinat de Khas-hoggi.
La ville turque qui reliait l'Europe à l'Asie n'était pas seulement une
destination privilégiée pour les dissidents saoudiens; les cellules dor-
mantes de la Tiger Team pensaient également pouvoir mener des opéra-
tions secrètes, de la même manière que le régime iranien traquait ses dé-
tracteurs dans les années 1980.

Il était bien connu que Téhéran éliminait les dissidents, qui trou-vaient
refuge en Turquie. De même, le pays a préparé le terrain pour une série
d'assassinats de rebelles tchétchènes par la Russie entre 2008 et 2015. Ces
attaques ont cessé depuis 2015, l'organisation terroriste dirigée par Fetullah
Gülen, le FETÖ, ayant progressivement perdu le contrôle de l'appareil
d'État.
Au lendemain de la proclamation de Mohammed ben Salmane comme
prince héritier en 2017, le Royaume a lui aussi décidé d'éliminer les
dissidents saoudiens en Turquie. Ce qu'ils n'ont pas voulu admettre,
toutefois, c'est que la Turquie avait changé. Ils n'ont pas non plus tenté de
diriger ces opérations selon les règles officieuses de l'espionnage. Tôt ou
tard, les Saoudiens allaient être pris en flagrant délit - ce qui est exacte-ment
ce qui s'est passé après l'assassinat de Jamal Khashoggi.
Plus encore, tous les agents secrets de la Tiger Team en Turquie, qui ont été
démasqués avant de pouvoir agir, ont finalement dû fuir le pays.

Les Turcs ne disposaient pas d'une technologie avancée, telle que la


machine du Minority Report de Steven Spielberg. Ils ont plutôt compté sur
une surveillance physique étendue et un travail acharné pour exploiter
toutes les informations existantes. Comme nous l'avons mentionné plus
haut, les agents dormants ont quitté Istanbul dès qu'ils ont compris que les
services de renseignements turcs avaient découvert leur plan.

Des agents de l'Organisation nationale du renseignement surveil-laient


Al-Muzaini, alors qu'il se rendait en voiture dans la forêt de Bel-grade le 1er
octobre - la veille de l'assassinat de Khashoggi. En fait, le chef de la station
se trouvait là pour une soi-disant réunion de rattrapage avec une cellule de
la Tiger Team. La réunion secrète, qui a duré 15 mi-nutes, a sans doute
consisté en un échange d'instructions. C'était là la dernière réunion d'Al-
Muzaini en Turquie. Le lendemain, le chef de la station saoudienne a quitté
Istanbul pour ne plus revenir.

LES LIEUX SÛRS DES SAOUDIENS

À la suite de l'assassinat de Khashoggi, les services de renseigne-ment


turcs ont analysé les signaux des téléphones portables, les registres des
bases GSM et quelque 20.000 paquets de données, y compris le flux GPRS
et les SMS, dans le but de déterminer ce que faisaient M. Al-Muzaini et ses
cellules dormantes. Cette analyse a révélé que le réseau d'espionnage du
chef de station avait encerclé des dissidents saoudiens à Istanbul.
Les cellules dormantes de la Tiger Team réunissaient des informa-tions
sur les opposants du prince héritier Mohammed ben Salmane - des
ressortissants fortunés qui ont fui le Royaume et se sont installés en Tur-
quie. Ils participaient à une opération secrète financée avec enthousiasme
par Riyad. Al-Muzaini recueillait des informations auprès des cellules et les
rapportait au centre.

Les agents saoudiens identifiaient habituellement les quartiers où les


détracteurs de Mohammed ben Salmane louaient ou - en dernier re-cours,
achetaient - des appartements dans le même immeuble ou dans des
immeubles voisins. Une fois sur place, ils utilisaient des caméras et d'autres
équipements pour surveiller leurs cibles.

Afin d'aider les agents de reconnaissance de la Tiger Team, qui


travaillaient indépendamment des tueurs de Khashoggi, Al-Muzaini a
engagé des Arabes turcophones et même deux citoyens turcs arabophones.
Ces deux personnes étaient originaires de la ville de Mardin, dans le sud-est
de la Turquie, et leur bureau était situé au dernier étage du consulat
saoudien à Istanbul. Voilà qui explique l'effort saoudien pour brouiller les
pistes après le meurtre par la propagation de fausses informations sur les
«collaborateurs locaux». En affirmant qu'un citoyen turc était responsable
de la destruction de la dépouille du journaliste tué, Riyad a tenté de ma-
nipuler l'opinion publique.

Le consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul a payé toutes les activités de


reconnaissance dès réception des factures correspondantes. En d'autres
termes, tout semblait être une bonne affaire pour les informateurs saou-
diens. Seulement, ils n'avaient pas réalisé que les Saoudiens étaient prêts à
vendre une poignée de citoyens turcs, recrutés en échange de sommes
d'argent - comme l'a clairement montré la tentative de mettre en cause des
«collaborateurs locaux».

Le 13 novembre, le bureau du procureur général saoudien a annon-cé


qu'il avait obtenu une photographie du collaborateur local, qui a récu-péré le
corps de Khashoggi auprès des assassins, et de l'individu qui a éteint les
caméras de sécurité du consulat[1]. Pourtant, Riyad n'a pas été en mesure
d'identifier le collaborateur local devant les enquêteurs turcs jus-qu'à ce
jour. Dans cette même déclaration, les Saoudiens ont avoué le meurtre en
affirmant que le journaliste était mort après une bagarre d'une overdose de
sédatifs[2].

Pour information, les deux individus de Mardin n'ont rien à voir avec le
meurtre de Khashoggi. Ils ont pourtant aidé les cellules dormantes de la
Tiger Team à Istanbul, dont le but principal était de mener des mis-sions de
reconnaissance sur le terrain. Selon nos sources, les autorités turques ont
interrogé ces individus, mais ont conclu qu'ils n'étaient pas mêlés à
l'assassinat du chroniqueur.

LES CONFESSIONS D'UNE SOURCE ANONYME

Une source hautement confidentielle, que les auteurs de ce livre ont


interviewée, a fourni des informations cruciales sur le chef de station
saoudien Al-Muzaini, ses deux adjoints, le consul général Al-Otaiba et les
deux employés de Mardin qui ont prêté main forte aux cellules de recon-
naissance à Istanbul. Notre source, qui est du même acabit que Deep
Throat, l'informateur de Bob Woodward et Carl Bernstein du Washington
Post lors du scandale américain du Watergate, a déclaré qu'ils avaient
ressenti le besoin de se faire connaître parce qu'ils étaient troublés par le
meurtre de Khashoggi.

La source a pris contact via un intermédiaire, et, avant d'accepter une


rencontre en face à face, a demandé l'anonymat complet pour des raisons de
sécurité personnelle. Elle nous a parlé avant même de partager ses
informations avec les enquêteurs turcs. Compte tenu de l'imprudence de
l'escadron de la mort, la menace n'était pas vraiment exagérée. Selon notre
source, les cellules de reconnaissance à Istanbul n'ont rien à voir avec la
mort du journaliste. Les assassins auraient reçu leurs ordres direc-tement de
Riyad. Cependant, Al-Muzaini était chargé de commander les
cellules dormantes et de superviser les bourreaux de Khashoggi. La source
anonyme nous a dit que le chef de station a exercé un pouvoir extraordi-
naire pendant son séjour en Turquie et que le consul général Al-Otaiba ne
pouvait contourner Al-Muzaini dans bien des cas - y compris l'assassinat de
Khashoggi. Notre informateur a ajouté qu'Al-Otaiba était beaucoup plus
faible que son prédécesseur: « Le précédent consul général n'aurait peut-être
pas fermé les yeux sur la façon dont Khashoggi a été assassiné. Or, Otaiba
était assez passif, ce qu'il tentait de compenser en s'adonnant à la chasse.
Muzaini lui a instruit de se préparer, et il s'est exécuté. La famille d'Otaiba
est assez puis-sante en Arabie Saoudite. Le régime lui a peut-être accordé
l'immunité à la de-mande de sa famille et de son cheikh après son rappel
d'Istanbul.»

«MÊME LE MEDECIN LEGISTE EST EN LIBERTE»

La même source affirme que Salah Mohammed Al-Tubaigny, le


président de l'Institut médico-légal saoudien qui a démembré le corps de
Jamal Khashoggi en une demi-heure, a été rapatrié à Djeddah avec sa
famille. Le prince héritier Mohammed ben Salmane lui aurait ordonné de
faire profil bas loin de la capitale saoudienne. Toujours selon notre source,
Tubaigny habiterait une villa de luxe dotée, entre autres, d'une piscine. En
d'autres termes, l'Arabie Saoudite ne semble pas avoir pris de mesures
judiciaires concrètes contre les 5 suspects de meurtre qu'elle prétend avoir
arrêtés. Bien au contraire, il semblerait que les membres de l'escadron de la
mort soient maintenus sous surveillance dans des régions excentrées. Les
plus grands assassins, Mutreb, Tubaigny et Al-Harby, ne sont pas en dé-
tention - du moins pas dans le vrai sens du terme.

Passons maintenant aux activités de la Tiger Team sur le sol turc. Les
cellules de renseignement saoudiennes, qui surveillaient les critiques de
Mohammed ben Salmane en Turquie et les filmaient ou photogra-phiaient
autant que leurs capacités techniques le permettaient, s'intéres-saient
particulièrement aux personnes qui pouvaient influencer la poli-tique
intérieure du pays par le biais, entre autres, de leurs relations eth-niques.
Les services de renseignements saoudiens ont découvert ce que les
dissidents faisaient en Turquie et ont rapporté leurs conclusions à Riyad. Le
Royaume aurait partagé ces informations avec les Émirats Arabes Unis,
dont le prince héritier, Mohammed ben Zayed, est le meilleur ami de
Mohammed ben Salmane.

La plupart des dissidents saoudiens, surveillés par 10 cellules et 30


agents liés à la Tiger Team, ont préféré vivre à Istanbul, une métropole dont
l'influence n'échappe à personne, plutôt que dans la capitale Ankara - dont
le plus beau souvenir, selon un célèbre poète turc, est le voyage de retour à
Istanbul. Al-Muzaini et deux autres membres de l'escadron de la mort, Saad
Muid Al-Qarni et Muflis Shaya Al-Muslih, appartenaient à la même
communauté fermée à Maslak. Le chef de station et certains membres des
cellules locales ont été pris en photo ensemble lors d'une manifestation
organisée par le consulat saoudien à l'hôtel S dans le quar-tier de Besiktas
pour marquer le 88e anniversaire de l'indépendance du Royaume. Jusque là,
nous avons expliqué les raisons pour lesquelles les Saoudiens ont activé la
Tiger Team avant de la remettre en veilleuse. Le reste de ce chapitre portera
sur les motifs de l'assassinat de Jamal Khas-hoggi. Mais commençons par
passer en revue les assassinats perpétrés sur le territoire turc par divers
services de renseignement et tentons d'expli-quer pourquoi ils se sont
arrêtés brutalement. Si les autorités turques n'avaient pas élucidé le meurtre
de Khashoggi, les Saoudiens auraient activé les cellules locales de la Tiger
Team pour mener des missions de reconnaissance dans toute la ville et
lancer des attaques sur la base de ces informations. Finalement, ils ont dû
battre en retraite parce qu'ils ont été démasqués. À l'instar des cellules
dormantes de l'État islamique, que les forces de sécurité turques ont
identifiées et démantelées au cours des der-nières années, les agents locaux
de la Tiger Team n'ont eu d'autre choix que de se retirer. Si l'Organisation
nationale du renseignement turc sur-veillait ces cellules saoudiennes, elle
s'est abstenue de les réprimer faute d'activités criminelles, comme des
assassinats et des enlèvements - c'est-à-dire jusqu'au meurtre de Khashoggi.

Les services de renseignement turcs avaient les Saoudiens à l’œil au cas


où ils enfreindraient la loi - exactement comme ils ont suivi deux as-sassins
russes arrivés en Turquie en avril 2016, quelques mois après la dernière
tentative d'assassinat réussie contre un dirigeant tchétchène.
1-Kaşıkçı cinayetinde ölüm emrini veren isim açıklandı" [Le nom de l'instigateur du meurtre
de Khashoggi a été divulgué], CNN Türk, 15 novembre 2018. >>>

2-Kaşıkçı soruşturmasında flaş gelişme: 5 zanlı için idam" [Dernières nouvelles sur l'affaire
Khashoggi: la partie civile réclame la peine de mort pour cinq suspects], Sabah, 15
novembre 2018. >>>
~ 17 ~
Assassinats planifiés
par des agences de renseignement en
Turquie
Un accord de gentilshommes

Lorsque les Saoudiens ont formé la Tiger Team, ils ont suivi les traces
du Mossad - une agence de renseignement pas très puissante qui s'est fait
connaître par ses opérations d'agression. Bien entendu, le Royaume a
également analysé les opérations internationales des services secrets russes
du SVR avant de planifier des missions pour enlever ou éliminer les dissi-
dents saoudiens à l'étranger. Comme nous l'avons mentionné au début de ce
livre, les Russes ont commis une série d'assassinats à peine voilés dans
divers pays occidentaux, dont le Royaume-Uni, où ils ont ciblé l'ancien
agent du renseignement militaire Sergei Skripal.

Moscou a entrepris des opérations du même style sur le sol turc entre
2008 et 2015. Pourtant, les assassinats planifiés ont pris fin subite-ment et
définitivement en 2015. La raison principale en était l'amitié personnelle
entre Erdogan et Poutine, laquelle a ouvert la voie à une coo-pération plus
étroite sur le théâtre syrien depuis 2016 ainsi qu'à un "gen-telmen
agreement" entre les services de renseignement turcs et russes, accord ayant
été conclu après la capture et l'interrogatoire par les Turcs de deux agents
russes en 2016 - une fois que les Russes ont constaté qu'ils ne pou-vaient
plus mener de missions potentiellement embarrassantes pour la Turquie.

Un autre facteur important a été la répression par la Turquie de l'État


fantôme de Fetullah Gulen, officiellement connu sous le nom de FETÖ, qui
a été peu à peu exclu des forces de l'ordre et des services de renseignement
du pays, après que son groupe eut couvert les crimes tchét-chènes.

Le 8 avril 2016, les services de renseignement turcs ont appréhendé deux


agents russes impliqués dans le meurtre de Vahid Edelgiriev - le huitième
assassinat ciblé contre des dirigeants tchétchènes en Turquie depuis 2008.
Ils se nommaient Alexander Smirnov et Yury Anisimov. Le MIT a conclu
que les hommes sont entrés dans le pays le 1er novembre 2015 pour abattre
le dissident tchétchène Edelgiriev. Le 4 avril 2016, les suspects sont revenus
en Turquie pour éliminer leur nouvelle cible. Ils ont loué une voiture et se
sont rendus d'Istanbul à Yalova. Les Turcs surveil-laient de près leurs
activités à ce moment-là et les ont arrêtés à leur retour à Istanbul. Les deux
agents ont été capturés dans le cadre d'une opération de contre-espionnage
baptisée «kama» par les Turcs en référence à la lame japonaise.

Notons qu'une autre arme mortelle, «la dague» a servi de nom à


l'opération secrète de rapatriement depuis Lattaquié de Youssef Nazik,
auteur de l'attentat à Reyhanli. Voici pourquoi les agents turcs ont choisi
cette appellation:

Le 1er novembre 2015, lorsque l'assassin russe a essayé de tuer


Edelgiriev dans le quartier de Basaksehir à Istanbul, son arme s'est enrayée
et le leader tchétchène a seulement été blessé. Au final, ils ont dû achever
leur besogne à l'aide d'un kama. C'est pourquoi les forces de sécurité
turques ont évoqué l'arme du crime au moment d'intervenir pour
appréhender les suspects.

Cette opération n'a pas empêché le rapprochement entre la Turquie et la


Russie à l'époque. Bien au contraire, elle a été très bénéfique. On pourrait
même dire que les renseignements turcs et russes ont tracé leurs lignes
rouges à la lumière de cet incident.

LES SECRETS DE L'OPÉRATION KAMA

Dès 2012, avant l'assassinat d'Edelgiriev, les services de renseigne-ments


russes ont désinformé les médias du pays en répandant de fausses
informations. L'un de ces reportages a été diffusé le 26 février 2012 sur
Channel One Russia, le plus grand média national du pays. Il portait sur une
prétendue confession de futurs assassins, interrogés dans la ville
ukrainienne d'Odessa, qui affirmaient se préparer à attaquer le président
russe Vladimir Poutine. Si les médias turcs qui ont traduit le reportage du
russe n'ont pas mentionné le nom d'Edelgiriev, les médias russes avaient
identifié le dirigeant tchétchène comme un membre du commando ima-
ginaire. Ils prétendaient qu'Edelgiriev se trouvait en Ukraine en compa-gnie
d'un kamikaze, lorsqu'il a fait exploser son gilet pare-balles prématu-
rément.

En 2011, un site d'information russe avait affirmé que trois Tchét-chènes,


assassinés le 16 septembre 2011, étaient responsables d'un atten-tat à la
bombe à l'aéroport international Domodedovo de Moscou. Alexander
Smirnov et Yury Anisimov se sont rendus à Istanbul pour éli-miner
Edelgiriev, dont le nom était mentionné dans le faux article. Il était
indéniable qu'ils étaient deux membres des services russes. Les deux
hommes ont comparu devant un tribunal turc, qui a ordonné leur arresta-
tion. Conformément à la règle la plus élémentaire de l'espionnage, ils ont
refusé de divulguer leurs informations aux Turcs. L'un d'eux n'a pas pro-
noncé un seul mot. L'autre a parlé, mais a tenu des propos trompeurs et
contradictoires.

Conformément à une autre loi tacite de l'espionnage, le SVR a refu-sé


d'admettre que les deux détenus travaillaient pour son compte. Ils ont donc
tenté d'obtenir des informations par l'intermédiaire du bureau d'Interpol à
Moscou, puisque leurs agents détenaient des cartes de membres Interpol.
C'était une façon indirecte de revendiquer leurs hommes.

Les deux captifs étaient des employés du Sluzba Vneshney Razved-ki,


l'agence russe des renseignements extérieurs. Ils sont arrivés en Turquie
munis de faux passeports et de fausses identités Interpol. Les autorités
turques ont retrouvé sur eux des photographies de hauts fonctionnaires
russes, des clés USB, 5 téléphones portables et une importante somme en
dollars américains. Les clés USB contenaient des photos prises par les
Russes lors de la mission de reconnaissance ainsi que des informations
relatives à leur cible. D'autres documents comprenaient une cache d'images
datant d'une mission antérieure effectuée dans un autre pays européen.

Les agents russes n'ont pas pu expliquer la raison de la présence de ces


images sur leurs téléphones et leurs clés USB. Les photos étaient des
images de caméras de sécurité et de recoins assez isolés d'hôtels de luxe.
L'un des hommes a déclaré qu'il travaillait pour une organisation carita-tive.
Mais il ne pouvait pas expliquer la carte Interpol qu'il détenait au moment
de son arrestation. Selon les sources, les Russes ont fait part de leur crainte
d'être empoisonnés lorsque les Turcs leur serviraient la nourri-ture derrière
les barreaux.

Il est nécessaire d'analyser cette opération majeure de contre-espionnage


dans le contexte plus large des discussions diplomatiques et inter-agences
visant à remettre les relations turco-russes sur les rails. Si l'on tient compte
de tous les facteurs, nous pouvons affirmer que l'arrestation des deux agents
russes n'a pas nui à ces négociations. Au contraire, elle les a aidés. Voilà
pourquoi: l'opération turque a fait entendre le message que la Turquie
devenait de plus en plus indépendante de la Russie - comme elle l'était des
États-Unis. Les Turcs ont ainsi clairement indiqué qu'ils ne pouvaient
ignorer une opération secrète se déroulant à l'intérieur de leurs frontières.
Les autres pays d'Europe et du reste du monde n'ont pas réagi de la sorte
face aux opérations russes.

COMMENT LES ASSASSINATS


TCHÉTCHÈNES SE SONT TERMINÉS

Le premier assassinat planifié contre des cibles tchétchènes de pre-mier


plan en Turquie a eu lieu le 6 septembre 2008, lorsque Gazi Edilsul-tanov,
un ancien commandant militaire tchétchène, a été abattu de deux balles dans
la tête dans le quartier de Basaksehir à Istanbul. Des assail-lants ont commis
des assassinats contre des Tchétchènes dans des localités comme
Basaksehir, auxquelles ils pouvaient accéder assez facilement. Les autorités
turques ont établi qu'Edilsultanov s'est rendu à Basaksehir avec deux
femmes qui l'ont piégé. Cette méthode était assez populaire chez les agents
russes. Or, à l'époque, l'opinion répandue était que la mort de Ga-zi
Edilsultanov était liée à un conflit interne à la communauté tchétchène -
même si les Russes étaient probablement impliqués. En d'autres termes, les
renseignements russes ont profité des tensions entre les dirigeants
tchétchènes pour éliminer les adversaires du Kremlin.

Les Turcs ont estimé que les Russes avaient du mal à trouver un soutien
logistique pour les assassinats dans lesquels ils étaient directement
impliqués. Ainsi, dans le cas d'Edelgiriev, ils ont dû acheter un vieux pis-
tolet à un gang de voleurs. En revanche, ils ont renoncé à toute tentative
d'assassinat visant des Tchétchènes résidant dans des communautés fer-
mées. Pourtant, les dirigeants tchétchènes ayant ignoré les avertissements
de la police et des renseignements turcs, et se sont retrouvés à la merci des
assassins.
Poursuivons: Islam Dzhanibekov, qui a combattu dans la guerre
de Tchétchénie, a été tué de 3 balles à l'arrière de la tête au retour d'une vi-
site personnelle en compagnie de sa femme et de ses enfants le 9 décembre
2008. Il était chargé de recueillir les dons que les Tchétchènes envoyaient
au pays. Si le motif de l'attaque n'est pas clair, les autorités estiment que
Dzhanibekov a, lui aussi, été tué dans le cadre d'une lutte de pouvoir
interne. Le 27 février 2009, Ali Osaev, le chef adjoint des relations étran-
gères de l’émirat du Caucase, a été tué dans le quartier de Zeytinburnu à
Istanbul par un groupe d'hommes armés sortis d'une BMW. Medet Onlu,
consul honoraire de la République tchétchène d'Ichkeria et homme d'af-
faires qui a assisté les Tchétchènes au moment de leur arrivée en Turquie, a
perdu la vie dans une attaque armée sur son lieu de travail à Ankara le 22
mai 2013, attaque dont les services de renseignements russes étaient les
commanditaires. Pourtant, Moscou a confié le coup à des tueurs à gages
locaux ayant un casier judiciaire.

Les assassinats, perpétrés par les Russes en personne, sont connus depuis
lors en Turquie comme «les meurtres de Zeytinburnu». Le 16 sep-tembre
2011, Berg-Haj Musaev, qui a remplacé Osaev après sa mort, ainsi que
Rustam Altemirov et Zaurbek Amriev, ont été tués dans le quartier de
Zeytinburnu à Istanbul après la prière du vendredi. Les deux espions russes,
capturés par les Turcs 5 ans plus tard, étaient en contact avec les assaillants.
Les assassinats ciblés contre les dirigeants tchétchènes, tout comme les
attaques contre les dissidents iraniens dans les années 1980 et l'assassi-nat
de Khashoggi, ont donné l'apparence que la Turquie était une desti-nation
risquée pour les dissidents. L'assassinat de l'ambassadeur russe Andrei
Karlov, planifié et exécuté par l'organisation de Fetullah Gulen, visait
également à faire passer la Turquie pour un endroit périlleux et à creuser un
fossé entre Ankara et Moscou.
Khashoggi, qui a décliné l'offre du
prince, a fait des tas d'autres choses
pour «mettre en colère» Mohammed
ben Salmane.
~ 18 ~
La déconstruction
d'une scène de crime
Pourquoi avoir choisi la Turquie?

La deuxième question la plus fréquemment posée sur l'affaire Khashoggi


- la première étant la raison pour laquelle les Saoudiens ont tué Jamal
Khashoggi - porte sur le lieu du crime: pourquoi avoir exécuté le chroni-
queur en Turquie? La réponse apportée par certains est que Khashoggi allait
épouser une citoyenne turque résidant dans son pays natal et qu'il devait
donc obtenir une preuve officielle de son statut marital auprès du consulat
saoudien à Istanbul. Cette réponse entrave toutefois la vue d'en-semble.

Tout d'abord, Jamal Khashoggi n'avait pas besoin d'obtenir ce papier


auprès d'une mission diplomatique saoudienne en Turquie. Léga-lement
parlant, il aurait pu se rendre dans une ambassade ou un consulat saoudien
n'importe où dans le monde. Jusqu'au moment où les Turcs ont divulgué à la
presse les images de surveillance de Mustafa Mohammed Al-Madani,
également connu comme la doublure, la thèse qui veut que le meurtre de
Khashoggi soit un complot délibéré et soigneusement planifié pour
discréditer la Turquie laissait planer un doute raisonnable, mais n'apportait
aucune preuve concrète. Lorsque la police d'Istanbul a décou-vert qui avait
fait quoi, où, quand et comment, la réponse à la question pourquoi est
apparue au grand jour. Grâce à la doublure de Khashoggi, dont le meurtre et
le démembrement à l'intérieur du consulat saoudien à Istanbul avaient été
planifiés tout le long, les tueurs espéraient répandre des fake news sur la
prétendue disparition du Washington Post et laisser la Turquie encaisser les
coups après sa «disparition».
LE TEMOIGNAGE D'UN HAUT FONCTIONNAIRE

Nous avons demandé à un haut fonctionnaire turc pourquoi les


Saoudiens ont tué Jamal Khashoggi à Istanbul et ont laissé des traces du
crime un peu partout. Voici sa réponse:

Si vous examinez l'incident en rétrospective, une fois l'af-faire résolue,


votre question est totalement légitime. Mais si l'opé-ration avait réussi,
vous n'auriez pu la poser. Tout le monde au-rait su que le gouvernement
saoudien - plus précisément Moham-med ben Salmane - était
responsable du meurtre, mais nous n'au-rions aucune preuve, et les
dissidents saoudiens, qui étaient au courant de l'implication de MBS,
auraient eu peur.

Avez-vous seulement pensé aux conséquences que le meurtre de


Khashoggi aurait entraîné si nous n'avions pas disposé des
enregistrements audio? Laissez-moi vous dire que, quand bien même,
nous aurions réuni toutes les preuves criminelles, nous n'au-rions trouvé
aucune preuve reliant [les Saoudiens] au meurtre.

Ce crime horrible, sans précédent dans l'histoire de l'es-pionnage,


serait entré dans l'histoire comme une mission menée par des
professionnels. Après avoir accompli cette opération secrète, les
Saoudiens auraient intimidé leurs ennemis. Le meurtre aurait servi de
message aux détracteurs du régime: ''Nous vous élimine-rons au cœur
même du pays qui vous inspire le plus confiance. Vous cherchez refuge en
Turquie, mais la Turquie n'est pas sûre''.

Au lieu de cela, nous possédons une preuve tangible sous forme de


fichiers audio. Autrement dit, l'empreinte digitale [saoudienne] a été
identifiée. Ils ont été pris en flagrant délit. Le meurtre de Khashoggi était
une opération ''ratée''.

Le rapatriement de Yusuf Nazik, en revanche, a nécessité trois ans et


demi de préparation et s'est déroulé en secret. La Tur-quie s'est
intentionnellement attribué le mérite de l'opération sans révéler ses
méthodes. En d'autres termes, la Turquie a géré le pro-cessus de bout en
bout. Les Saoudiens ont perdu le dessus lorsqu'il est devenu
incontestable que les fichiers audio étaient en notre pos-session.

Voici donc la bonne réponse: ils ont sous-estimé les capacités de


renseignement de la Turquie. Leur plus grande erreur a été de nous
prendre pour un pays discret et, par conséquent, ne pas avoir adopté une
stratégie solide. Ils paient aujourd'hui le prix de cette erreur.

C'était sans doute la réponse la plus directe à la question ''pourquoi les


assassins s'en sont pris à Khashoggi sur le sol turc''. Il a fallu une ana-lyse
détaillée de tout ce qui s'est déroulé depuis l'assassinat pour arriver à cette
conclusion. Tout comme la Turquie est obligée de lutter contre le terrorisme
et, si besoin est, de neutraliser les menaces en Syrie en lançant des
opérations transfrontalières par des méthodes militaires convention-nelles,
ses services de renseignement et ses forces de l'ordre doivent, quant à eux,
accomplir leur mission avec succès dans de telles situations, ainsi que l'a
clairement montré l'affaire Khashoggi.

Nous avons dit et redit que le meurtre de Khashoggi était sans précédent
dans l'histoire pour diverses raisons. Le chroniqueur du Was-hington Post
est mort à l'intérieur du consulat de son pays natal - ce qui, nous l'espérons,
ne constituera pas un précédent. De plus, c'était la pre-mière fois qu'un
gouvernement se trouvait contraint d'admettre que ses agents avaient
commis un meurtre sur «leur» sol souverain et d'autoriser, sous la pression
juridique et diplomatique, des enquêteurs locaux à per-quisitionner leurs
locaux.

Cette enquête a révélé tous les aspects de ce que de l'affaire - à l'ex-


ception de l'emplacement du corps de Jamal Khashoggi. À tout le moins,
nous savons qui étaient les assassins et qui a ordonné son exécution. Évi-
demment, il est étrange que Khashoggi ait été tué à l'intérieur du consu-lat
saoudien et, plus globalement, sur le territoire turc. Dans un éditorial du 2
novembre pour le Washington Post, le président Erdogan a lui-même
souligné l'importance du choix du lieu par l'escadron de la mort. Quatre
jours plus tard, le chroniqueur de Hürriyet, Abdülkadir Selvi, a tenté de
répondre à la même question:
Un autre point, trop peu souligné, est que Khashoggi est mort en
Turquie. Jamal Khashoggi, journaliste résidant aux États-Unis et grand
voyageur, aurait pu être emmené n'importe où. Pourquoi [les tueurs] ont-
ils choisi Istanbul et, comme s'ils ne pouvaient être plus transparents,
commis le crime au sein même du consulat?

Je ne crois pas qu'ils choisiraient encore le consulat, s'ils pouvaient


remonter dans le temps, mais il est significatif qu'ils aient choisi la
Turquie. Après tout, les intellectuels arabes se réu-nissent en Turquie
depuis quelque temps. Le meurtre de Khas-hoggi était pour eux un
message: ''Vous faites confiance à la Tur-quie, mais la Turquie n'est pas
sans danger pour vous. Nous viendrons à Istanbul et nous vous
éliminerons.''

Tant que le prince héritier, qui a été pris en flagrant délit, restera au
pouvoir, les opposants au régime ne seront pas en sécuri-té.

Après avoir esquivé le meurtre de Khashoggi, le prince hé-ritier


continuera de commanditer de nouveaux assassinats politiques[1] .

LE BOOMERANG

Yasin Aktay, conseiller du président du Parti de la justice et du


développement et première personne à avoir entendu parler de l'assassinat
de Khashoggi après sa fiancée, a apporté une autre réponse sur les raisons
qui ont poussé les Saoudiens à tuer le chroniqueur en Turquie. Selon lui, le
but primordial du meurtre était de signifier au monde que la Turquie était un
pays dangereux. Dans une interview avec Damla Kaya du Sabah, Aktay a
développé son argument:

Ce que nous savons de l'incident indique que quelque chose de bien


plus important était en jeu. Il est clair que [le meurtre de Khashoggi] ne
se résume pas à une vengeance, mais qu'il s'agit d'un moyen d'attaquer
la Turquie.
La Turquie était la cible. S'ils ont fait disparaître Khas-hoggi sans
laisser de traces, nous aurions pu affirmer qu'il était la cible. Le fait que
sa doublure se soit rendue à la Mosquée bleue et se soit changée dans
des toilettes publiques pour laisser une fausse piste prouve que tout cela
avait été planifié à l'avance.

Les préparatifs techniques et les détails ont pris 3-4 jours, mais les
plans avaient débuté plus tôt. De toute évidence, les Saoudiens ne
voulaient pas manquer cette occasion. Mais ils ne pouvaient pas prévoir
que [leurs actions] seraient exposées au grand jour.

Pour ce qui est de l'issue, ce complot aurait pu déboucher sur une


tentative de coup d'État à dimension internationale.

Dans le cas où l'opération saoudienne avait réussi, l'Ara-bie Saoudite


nous aurait peut-être demandé des explications sur ce qui s'est passé. Les
tueurs [de Khashoggi] auraient dit aux prin-cipaux journaux du monde
qu'il était un homme respecté, qu'ils aimaient et estimaient, et nous
auraient réclamé des informations sur son sort.

Ils auraient probablement pris la décision officielle d'éva-cuer leurs


citoyens de Turquie.

Ils seraient même allés plus loin et avaient envisagé la possibilité de


voir les États-Unis imposer certaines sanctions [à la Turquie][2] .

Le choix de la Turquie était donc motivé par la volonté des Saou-diens


de diffuser de fausses informations sur le danger que courent les dissidents
en Turquie. Pour les Turcs, il est essentiel de contester cette af-firmation -
ce qu'ils ont fait en déjouant plusieurs tentatives d'assassinat contre des
dirigeants tchétchènes depuis 2015, en levant le voile sur l'assassinat de
Khashoggi et en communiquant leurs conclusions au monde entier. En
d'autres termes, la Turquie a transformé ce meurtre, considéré par les
Saoudiens comme un moyen de la discréditer, en un boomerang.

C'est exactement ce que les Turcs avait à faire. Après tout, leur pays est
un refuge pour des millions de personnes originaires de Syrie et d'ail-leurs,
qui y ont trouvé refuge parce que leurs moyens de subsistance étaient
menacés. D'où les dommages potentiels de ce meurtre sur l'image de la
Turquie. Fort heureusement, les Saoudiens n'ont pas obtenu satisfaction.

POURQUOI JAMAL KHASHOGGI?

Quand on s'interroge sur le motif du meurtre de Khashoggi, un certain


nombre de réponses intéressantes viennent immédiatement à l'es-prit. Yasin
Aktay, l'un des amis proches du journaliste assassiné, affirme que «ses
propos ont frustré certaines personnes, car les gens à l'esprit archaïque ne
peuvent supporter la moindre critique». Finalement, ces individus ont
décidé de se venger. De toute évidence, cette brève réponse est loin d'être
suffi-sante. Tournons maintenant notre attention vers un article paru le 10
octobre dans le Washington Post, l'ultime domicile professionnel de Jamal
Khashoggi.
Selon le journal, des représentants saoudiens proches du prince héritier
Mohammed ben Salmane avaient essayé de persuader Khashoggi de revenir
au Royaume et lui avaient proposé des emplois prestigieux. Pourtant, le
journaliste demeurait sceptique face à de telles propositions et maintenait
que MBS ne tiendrait pas parole:

[Le Washington Post] a affirmé, en citant les interceptions des


services de renseignements américains, que le prince héritier d'Arabie
Saoudite, Mohammed ben Salmane, a ordonné une opé-ration pour
attirer le journaliste Jamal Khashoggi en Arabie Saoudite pour l'y
détenir. Certains amis de Khashoggi ont déclaré que des responsables
saoudiens proches du prince Mohammed l'ap-pelaient depuis quatre
mois, lui offrant une protection et même des postes gouvernementaux
haut placés. Ses amis ont déclaré que Khashoggi se montrait dubitatif
face à ces offres et avait confié à l'un de ses amis que le gouvernement
saoudien ne tiendrait jamais sa promesse de ne pas lui faire de mal[3] .

Sachant que le journaliste a été conseiller du prince Turki ben Fai-sal,


qui supervisait l'agence de renseignement saoudienne, il n'est pas
impossible que MBS ait proposé un poste à la victime. Pour information,
l'ancien patron de Jamal Khashoggi a fini par déclarer « peu fiable» la
conclusion de la CIA désignant le prince héritier saoudien comme le
commanditaire du meurtre. En renvoyant au constat de 2003 de la CIA
selon lequel l'Irak disposait d'armes de destruction massive, qui a abouti à
l'invasion de ce pays par les États-Unis, le prince Turki a exhorté la justice
américaine de demander des comptes à Langley[4] .

Cette affirmation démontre que l'ancien employeur de Khashoggi faisait


ami-ami avec Mohammed ben Salmane pour survivre, quitte à encaisser en
retour le démembrement de son ex-conseiller.

Khashoggi, qui a décliné l'offre du prince, a fait des tas d'autres choses
pour «mettre en colère» Mohammed ben Salmane. Dans la mesure où il
était impliqué dans divers projets, dont l'Armée des abeilles, dont nous
parlerons plus en détail plus loin, il était clair que le régime saoudien avait
le journaliste en ligne de mire. À entendre Omar Abdelaziz, l'expert en
médias sociaux basé au Canada que Khashoggi contactait régulière-ment,
on en vient immédiatement à cette conclusion. Dans un entretien avec les
auteurs de ce livre, Abdelaziz a exposé les raisons qui lui faisaient croire
que Jamal Khashoggi avait été assassiné:

Le gouvernement saoudien était mécontent parce que nous avions initié


certains projets. Ils ne voulaient pas que Jamal tra-vaille là-dessus. Ils
étaient contrariés par ses articles dans le Was-hington Post et estimaient
que Jamal était dangereux et qu'il fal-lait le faire taire. Il y a une chose que
les Turcs, en particulier, doivent savoir.
À la fin de sa vie, Jamal affirmait que ''l'Arabie Saou-dite doit être
l'alliée de la Turquie, pas son ennemie.'' Il a appelé MBS à travailler avec
les Turcs s'il voulait résoudre les problèmes du Moyen-Orient et aider le
peuple syrien.
Jamal a ajouté: ''Nous avons l'Iran d'un côté et la Turquie de l'autre.
N'allez pas former une nouvelle alliance avec l'Égypte, le Bahreïn ou les
Émirats Arabes Unis. Ne soyez pas les ennemis de la Turquie. Cela n'aidera
pas [votre] régime.''

Telle était la solution dans l'esprit de Jamal. Elle consis-tait à coopérer


avec la Turquie. Mais ils ne l'ont pas écouté. Ils ne voulaient pas entendre
sa voix, donc ils devaient le faire taire. C'est pourquoi ils l'ont tué.
Omar Abdelaziz fait remarquer que Khashoggi désirait que la Tur-quie
et l'Arabie Saoudite améliorent leurs relations bilatérales. En effet, le
journaliste espérait qu'Ankara et Riyad puissent s'entendre et, surtout, il
considérait la Turquie comme un modèle pour l'Arabie Saoudite et le reste
du monde islamique. Ce point de vue était une des raisons pour lesquelles
les Saoudiens l'ont pris pour cible - et, peut-être, tué en Turquie. Une autre
réponse notable à cette question a été publiée dans le Washington Post. Le
16 octobre, David B. Ottaway, un chercheur du département Moyen-Orient
du Centre Wilson, a évoqué une hypothèse populaire restée sans preuve:

Je crois que la principale raison pour laquelle le prince hé-ritier


craignait autant Khashoggi se rapporte à son projet de créer une
fondation dédiée à la promotion de la démocratie dans le monde arabe,
en particulier en Arabie Saoudite.

Il m'a parlé de cette initiative à l'occasion de l'un de nos déjeuners ici


à Washington au printemps dernier. Il a dit qu'il avait déjà le
financement nécessaire. Il n'a pas révélé le nom de son ou ses soutiens
financiers, mais a laissé entendre que son siège serait situé ici.

En d'autres termes, MBS voulait se débarrasser de Khashoggi parce que


le journaliste était un obstacle à la réalisation de son programme politique.
Cette affirmation est certainement plausible, mais, comme l'auteur lui-
même l'a déclaré, il n'existe aucune preuve concrète qui vienne la
corroborer[5] . Le même journal a publié le 8 octobre un autre article qui
prétend révéler l'agenda politique caché de Mohammed ben Salmane.
Charles Lane y soutient que le prince saoudien n'a aucune intention de
promouvoir les libertés individuelles dans son pays. Au contraire, écrit-il,
MBS voulait moderniser la monarchie pour renforcer son emprise sur le
pouvoir:

Le prince héritier veut que l'économie de l'Arabie Saoudite soit moins


dépendante du pétrole, et que ses forces militaires et de renseignement
soient mieux équipées pour combattre l'Iran ... La réforme et la
répression sont deux aspects de la centralisation du pouvoir[6] .
Après avoir rappelé que l'assassinat de Khashoggi a dévoilé le véri-table
visage du régime saoudien, Lane, citant Samuel Huntington, con-clut que le
processus de pression et de réforme ne peut que déclencher une révolution
sanglante. Malgré les éventuelles tensions sous-jacentes en Arabie Saoudite,
il faut se garder de penser que le pays pourrait se retrou-ver dans une telle
situation, surtout en l'absence d'une intervention étran-gère. Après tout, il va
sans dire que les révolutions sanglantes ont ten-dance à découler d'une
ingérence internationale. Une autre réponse a été donnée par le chroniqueur
du Washington Post David Ignatius, qui a sou-tenu le 25 octobre dernier que
le mobile de Riyad était assez simple:

Khashoggi était considéré comme dangereux pour la simple raison


qu'il ne pouvait être intimidé ou contrôlé. C'était un esprit libre et sans
censure. Il n'a pas observé les "lignes rouges" du royaume. Il était un
journaliste intransigeant et défiant. ... Ceux qui veulent vraiment une
Arabie Saoudite moderne et prospère peuvent commencer par bâtir sur
l'héritage de Khashoggi[7] .

Selon Mark Perry, qui a livré un compte rendu détaillé des motifs de
l'assassinat de Jamal Khashoggi le 22 octobre au parti conservateur amé-
ricain, le journaliste a été tué parce qu'il était un farouche détracteur du
régime saoudien:

«Ben Salmane, disaient-ils, était un leader qui promettait de créer " une
société plus moderne, plus entrepreneuriale, moins coincée et plus tournée
vers la jeunesse ". Il semblerait que cette promesse soit maintenant noyée
sous les cris d'un journaliste qui a osé dire la vérité."[8]

Dans un article paru en août 2018 et cité par Perry, Khashoggi avait
affirmé que les États-Unis détestaient les Frères Musulmans et que les
problèmes que Washington avait avec ce groupe étaient à la base d'un
problème à l'échelle de la région. Éliminer les Frères Musulmans, a-t-il
averti, reviendrait à supprimer la démocratie et à maintenir les Arabes sous
le joug d'un régime autoritaire et corrompu. Khashoggi estimait que les
États-Unis étaient du mauvais côté et entretenaient les mauvaises amitiés:

Sous la présidence Obama, le gouvernement américain se méfiait des


Frères Musulmans, qui étaient arrivés au pouvoir en Égypte après les
premières élections libres jamais organisées dans le pays. Malgré son
soutien déclaré à la démocratie et au change-ment dans le monde arabe
au lendemain du printemps arabe, le président Barack Obama n'a pas
adopté de position ferme et a re-jeté le coup d'État contre le président élu
Mohamed Morsi. Comme nous le savons, ce coup d'État a entraîné le
retour au pou-voir des militaires dans le plus grand pays arabe - et avec
lui, la tyrannie, la répression, la corruption et la mauvaise gestion (...)

L'aversion des États-Unis pour les Frères musulmans, en-core plus


évidente dans l'administration Trump, est à la racine d'une difficulté
majeure dans l'ensemble du monde arabe. L'éra-dication des Frères
musulmans n'est rien de moins qu'une aboli-tion de la démocratie et une
garantie que les Arabes continueront à vivre sous des régimes
autoritaires et corrompus, ce qui signifie en retour la pérennité des
causes de la révolution, de l'extrémisme et des réfugiés qui ont affecté la
sécurité de l'Europe et du reste du monde. Le terrorisme et la crise des
réfugiés ont changé l'humeur politique en Occident et y ont fait émerger
l'extrême droite.

Il ne peut y avoir de réforme politique ni de démocratie dans aucun


pays arabe sans accepter que l'Islam politique en fasse partie.

Un nombre important de citoyens d'un pays arabe accorde-ront leurs


suffrages aux partis politiques islamiques si une cer-taine forme de
démocratie est autorisée. Il semble donc clair que la seule façon
d'empêcher l'Islam politique de jouer un rôle dans la politique arabe est
d'abolir la démocratie, ce qui prive essentiellement les ci-toyens de leur
droit fondamental de choisir leurs représentants po-litiques (...)

Il y a des efforts ici à Washington, soutenus par certains États arabes


qui ne souscrivent pas à la liberté et à la démocratie, pour persuader le
Congrès de désigner les Frères musulmans comme une organisation
terroriste.

S'ils y parviennent, cette désignation compromettra les fra-giles


avancées vers la démocratie et la réforme politique lesquelles ont déjà
été entravées dans le monde arabe. Elle fera aussi régres-ser les pays
arabes qui ont réalisé des progrès dans la création d'un environnement
tolérant et l'autorisation d'une participation politique de diverses
couches de la société, y compris les islamistes.

Les islamistes siègent aujourd'hui dans les parlements de plusieurs


pays arabes tels que le Koweït, la Jordanie, le Bahreïn, la Tunisie et le
Maroc, ce qui a abouti à la naissance d'une dé-mocratie islamique,
comme le mouvement Ennahda en Tunisie, et à la maturation de la
transformation démocratique dans les autres pays.

Le coup d'État en Égypte a fait perdre à l'Égypte et à l'ensemble du


monde arabe une occasion précieuse. Si le processus démocratique s'y
était poursuivi, les pratiques politiques des Frères musulmans auraient
pu mûrir et devenir plus inclusives, et l'ini-maginable rotation pacifique
du pouvoir aurait pu devenir une réalité et un précédent à suivre.

L'administration Trump ne cesse de dire qu'elle veut corri-ger les


erreurs d'Obama. Elle devrait ajouter à sa liste sa mau-vaise gestion de
la démocratie arabe. Obama a commis une erreur en gâchant cette
opportunité unique qui aurait pu changer l'his-toire du monde arabe, et
en cédant aux pressions de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis,
et des membres de sa propre administration. Animés par leur haine
intolérante de toute forme d'islam politique, - haine qui a anéanti le
choix arabe de la dé-mocratie et la bonne gouvernance -, ils en ont
oublié la vue d'ensemble[9] .

LA CONNEXION AVEC
LES FRÈRES MUSULMANS

Jamal Khashoggi, dont l'article cité ci-dessus constitue probable-ment


une des raisons de son assassinat éventuel, se voyait en grande partie aligné
sur la position des Frères musulmans, sans toutefois s'abstenir de critiquer
ouvertement le groupe. Turan Kışlakçı, un de ses amis qui dirige
l'Association des médias turco-arabes, affirme que bien qu'il fût considéré
par beaucoup comme un fervent partisan des Frères Musulmans, Khas-
hoggi se montrait critique à l'égard de cette organisation:
Pendant son séjour aux États-Unis, Jamal Khashoggi a assisté à
certains événements avec d'autres dissidents saoudiens et a fustigé la
guerre de l'Arabie Saoudite au Yémen, la prise de bec diplomatique avec
le Canada et l'arrestation d'activistes des droits des femmes dans sa
chronique du Washington Post. Il y a eu d'importants problèmes entre
Khashoggi et le gouvernement saou-dien - en particulier au sujet du
Yémen[10] .

Selon Kışlakçı, le journaliste avait décliné une offre d'emploi de


Mohammed ben Salmane, le principal suspect dans son enquête sur le
meurtre.[11] Les Frères Musulmans est un mouvement islamique créé en
Égypte en 1928 pour résister au colonialisme occidental[12]. Il promeut des
méthodes civiles et démocratiques plutôt que la lutte armée. Le fondateur
du mouvement, Hassan Al-Banna, a été assassiné au Caire le 12 février
1949. La montée au pouvoir en 2011 des Frères en Égypte, sa terre na-tale,
a été une source d'espoir pour les partisans du groupe à travers le monde
arabe.
Le Parti de la Liberté et de la Justice en Égypte et le Parti Ennahda en
Tunisie sont arrivés au pouvoir. Le Parti de la Justice et du Dévelop-
pement, le Front d'Action Islamique et le Mouvement Constitutionnel
Islamique se sont présentés aux élections avec succès au Maroc, en Jorda-
nie et au Koweït, respectivement.
Parallèlement, les Frères musulmans ont joué un rôle central au cœur des
mouvements sociaux en Libye, au Yémen et en Syrie. Le fait que
l'organisation soit devenue une lueur d'espoir a déstabilisé les monarchies
du Golfe, dont la famille royale saoudienne[13] .

LA VAGUE MEXICAINE
S'ARRÊTE DANS LE GOLFE

Ce mouvement sociopolitique, propulsé du Maghreb au Golfe comme


une "vague mexicaine", s'est arrêté en Égypte, son berceau aux sens propre
et figuré, suite au coup d’État du général El-Sisi en 2013 dont les
principaux commanditaires n'étaient autres que l'Arabie Saoudite et les
Émirats Arabes Unis. Il s'agissait toutefois d'une idée américano-
israélienne. C'était une combinaison du «think» de Washington et de Tel-
Aviv et du «tank» du général égyptien. Et le Golfe a payé pour le carbu-rant
de ce tank.

Une tentative similaire de coup d'État a eu lieu en Turquie, qui n'est que
trop habituée aux attaques terroristes et aux putschs, par le biais d'une
opération sous fausse bannière portant la signature des forces ar-mées
turques. Le 15 juillet 2016, un groupe d'officiers militaires, autrefois
membres non identifiés du FETÖ, l'organisation dirigée par Fetullah Gulen,
a tenté de renverser le gouvernement élu du pays et a, heureuse-ment,
échoué. Le peuple turc a anéanti le «think» de Washington et le «tank» de
Gulen.

L'opposition de la Turquie au coup d’État militaire en Égypte a été une


frustration pour l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Jamal
Khashoggi, qui avait appelé à la tolérance envers les mouvements poli-
tiques non violents, s'est rangé du côté des Turcs lors de ce débat. Il a
d'ailleurs interviewé Erdogan après la tentative de coup d'Etat du 15 juillet.
Quant aux Saoudiens et aux Émiratis, ils avaient espéré le succès de ce
putsch avorté.

L'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis étaient également


mécontents du soutien apporté par le Qatar, un État du Golfe entretenant
d'excellentes relations avec la Turquie, aux Frères Musulmans. En 2014,
Doha a essuyé des critiques après une série d'entretiens réalisés par Al
Jazeera avec les dirigeants du MB. Trois ans plus tard, le pays était con-
fronté à l'isolement, à un blocus politiquement motivé et à des menaces
militaires de la part de l'Égypte, d'Israël, de l'Arabie Saoudite et des Émi-
rats arabes unis. À ce moment, la Turquie a aidé les Qatariens à briser le
blocus en proposant une assistance militaire à Doha et en y installant une
base militaire.

MBS DÉPASSE LES BORNES

Ayant noué une relation personnelle étroite avec Jared Kushner, le


gendre du président américain Donald Trump, le prince héritier saoudien
Mohammed ben Salmane a resserré son emprise sur son pays avant de se
tourner vers la Turquie et le Qatar. Loin de se contenter de qualifier les
Frères Musulmans de «foyer du terrorisme» devant être détruit et de décrire
la Turquie, l'Iran et le Qatar comme l'axe du mal, MBS a accepté de ser-vir
de mandataire en Syrie et a entrepris de soutenir financièrement l'or-
ganisation terroriste PYD à l'est de l'Euphrate. Dans ce contexte, Jamal
Khashoggi, qui avait soutenu les Frères Musulmans depuis le coup d'État
égyptien et avait salué la Turquie comme un modèle pour le monde isla-
mique, est devenu l'ennemi du prince héritier saoudien.
À peu près à la même époque, le journaliste a reçu des appels télé-
phoniques de Saoudiens l'exhortant à retourner dans son pays natal. Par-mi
eux figuraient Khaled ben Salmane, l'ambassadeur de Riyad aux Etats-Unis
et le frère cadet de Mohammed ben Salmane. L'ambassadeur saoudien
aurait rencontré Khashoggi quatre fois en trois mois pour lui signifier qu'il
ne courait pas de risque et qu'il devait retourner à Riyad .
Travaillant en étroite collaboration avec le prince héritier des Émi-rats
arabes unis Mohammed ben Zayed, MBS a accusé le Qatar de soute-nir des
groupes liés à l'Iran au sein du gouvernorat Qatif de son pays ainsi qu'à
Bahreïn et au Yémen. Entre-temps, certains médias ont affirmé que l'émir
du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, avait déclaré dans un discours aux
cadets de l'armée qu'il n'y avait aucune raison d'être hostile à l'Iran. Il s'en
est suivi un isolement et un blocus contre le pays.
Pleinement conscient de la polarisation croissante entre les États du
Golfe, le président américain Donald Trump s'est rendu en Arabie Saou-dite
en mai 2017 et a conclu un accord d'armement de 350 millions de dollars
avec ses hôtes. À Riyad, il a préconisé la création d'une coalition militaire
de 40.000 hommes contre l'Iran - une sorte d'OTAN arabe. Soyons clairs, le
président des États-Unis se moque royalement de la sécu-rité des États du
Golfe. Il feignait l'amabilité pour faire des affaires.
Selon les médias, le prince Turki ben Faisal, ancien employeur de
Khashoggi, faisait partie des responsables saoudiens chargés d'attirer le
chroniqueur du Washington Post dans son pays natal. Il a assuré à Khas-
hoggi que sa vie n'était pas en danger et lui a demandé de se rendre au
consulat saoudien[14] .
Je ne pense pas que je pourrai rentrer
chez moi.
J'ai entendu parler de l'arrestation d'un
ami qui n'a rien fait méritant la prison...
Il avait peut-être fait un commentaire
critique lors d'un dîner.

C'est ce que nous sommes en train de


devenir en Arabie Saoudite. Nous n'avons
jamais connu [cela].
1-Abdülkadir Selvi, "Kaşıkçı cinayetinde oynanan oyunlar" [Ce qui se joue autour du
meurtre de Khashoggi], Hürriyet, 6 novembre 2018. >>>

2-Entretien avec Yasin Aktay par Damla Kaya pour cet ouvrage >>>

3-"Veliaht Prens'in Kaşıkçı'nın vaatlerle Suudi Arabistan'a çekilip tutuklanmasını [Le prince
héri-tier aurait ordonné à ses responsables d'attirer Khashoggi en Arabie Saoudite avec la
promesse de le placer en détention], Bloomberg HT, 11 octobre 2018 >>>

4-Suudi Prens: CIA'e güvenmiyoruz" [prince saoudien: nous ne faisons pas confiance à la
CIA], Deutsche Welle Turkish, 24 novembre 2018. >>>

5-www.washingtonpost.com/opinions/saudia-arabias-crown-prince-went-a-ghastly-step-too-
far/2018/10/16/50d60f76-d16a-11e8-83d6-291fcead2ab1_sto-ry.html?
utm_term=.2874a5e092da >>>

6-www.washingtonpost.com/opinions/in-saudi-arabia-you-cant-separate-reform-from-
repression/201 8/10/08/6365ddf0-cb12-11e8-a3e6-44daa3d35ede_story.html >>>

7-www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/let-jamal-khashoggi-be-a-beacon-of-
light-even-in-death/2018/10/25/94249cce-d896-11e8-aeb7-ddcad4a0a54e_story.html >>>

8-www.theamericanconservative.com/articles/why-jamal-khashoggi-was-killed/ >>>

9-www.washingtonpost.com/news/global-opinions/wp/2018/08/28/the-u-s-is-wrong-about-
the-muslim-brotherhood-and-the-arab-world-is-suffering-for-it >>>

10-Remarques de Turan Kışlakçı le 5 octobre 2018 à l'auteur Ferhat Ünlü dans son
émission de télévision. >>>

11-Ibid. >>>

12-Abdullah Muradoglu, " İhvan-ı Müslimin'in ibret verici kısa tarihi " [Une brève histoire des
Frères musulmans], Yeni Safak, 1er juillet 2012. >>>

13-Onur Erem, "Suudi gazeteci Cemal Kaşıkçı kimdir?" [Qui est Jamal Khashoggi, le
journaliste saoudien?], BBC Turkish, 23 octobre 2018. >>>

14-Ibid. >>>
~ 19 ~
Les trois composantes
du meurtre de Khashoggi
L'accès aux fichiers cachés

À la lumière de ce que nous venons de présenter, il est nécessaire de


garder trois éléments à l'esprit afin de déterminer le motif de l'assassinat de
Jamal Khashoggi: la sympathie du journaliste pour les Frères Musulmans,
sa connaissance des opérations secrètes depuis l'époque où il travaillait avec
l'ancien chef des services de renseignements saoudiens, le prince Turki ben
Faisal, et ses critiques publiques à l'égard du prince héritier saoudien Mo-
hammed ben Salmane.

Khashoggi a également fustigé le soutien tacite de Washington au blocus


du Qatar dû à l'alliance de l'administration Trump avec le prince héritier
Mohammed ben Salmane. Selon le journaliste, la relation person-nelle
étroite entre le président américain et l'héritier du trône saoudien était
somme toute dangereuse pour le Royaume.

Le 14 octobre, le Washington Post a publié un article visant à clarifier les


raisons pour lesquelles le gouvernement Trump cherchait désespéré-ment à
sauver Mohammed ben Salmane, et a conclu que le beau-fils de Trump,
Jared Kushner, avait été «dangereusement naïf de faire confiance à
Mohammed»[1] . Rappelant que le prince avait renforcé son emprise sur le
pouvoir par des actions impitoyables et manipulatrices, les journalistes
Philip Rucker, Carol Leonnig et Anne Gearan ont écrit que la commu-nauté
américaine du renseignement était préoccupée par les contacts entre
Kushner et la famille royale saoudienne. Selon le Post, les responsables de
la CIA craignaient que le beau-fils de Trump n'exploite les relations de
l'adminis-tration avec des gouvernements étrangers, notamment le
Royaume et les Émirats arabes unis, pour son propre profit financier et
politique - au détriment des intérêts américains.

Lorsqu'une prétendue rencontre entre l'émir Tamim ben Hamad Al-Thani


du Qatar et Jamal Khashoggi, qui a soutenu le Qatar contre l'Arabie
Saoudite et les Émirats Arabes Unis, a fuité dans la presse, les Saoudiens
ont présenté le journaliste comme étant l'homme des Frères Musulmans
dans le Royaume et un représentant des intérêts qatariens. Mohammed ben
Salmane a été d'autant plus irrité par les critiques des arrestations massives
en Arabie Saoudite dans les articles de Khashoggi et l'évocation de cette
question dans ses interviews. MBS a répondu aux critiques de la vague
d'arrestations de son régime en assurant que les agis-sements de Riyad
n'étaient aucunement liés à la répression d'opposants politiques ou à la
restriction de la liberté d'expression. Dans un entretien avec Bloomberg, le
prince héritier a reconnu avoir fait arrêter environ 1.500 détracteurs mais a
nié s'en prendre à ces rivaux et aux dissidents.

Le leadership totalitaire du prince héritier saoudien est fondé sur des


considérations de sécurité nationale. Il importe de noter que les diri-geants
politiques non élus dans des pays comme l'Arabie Saoudite ont tendance à
faire passer leurs intérêts personnels avant les intérêts et la sécurité de leur
pays. Pour encore plus compliquer les choses, l'Arabie Saoudite et d'autres
pays, à la différence de la Turquie, ne pensent pas à la sécurité nationale en
référence à l'État ou à ses citoyens. Ils sont mus par les inlassables efforts
de la monarchie pour conserver son trône.

LA DÉCLARATION FINALE DE LA VICTIME

L'instinct de survie du prince héritier Mohammed ben Salmane n'a pas


empêché Jamal Khashoggi de parler. Dans les semaines qui ont pré-cédé sa
mort prématurée, le journaliste avait dirigé des critiques encore plus
véhémentes contre le régime saoudien. Lors d'une interview avec la BBC,
filmée le 30 septembre, deux jours avant sa mort, Jamal Khashoggi s'en est
pris une nouvelle fois au dirigeant de facto du royaume. La BBC n'a diffusé
cette interview qu'après la confirmation de la disparition du journaliste de
60 ans à l'intérieur du consulat saoudien à Istanbul. Dans sa dernière
interview télévisée, Khashoggi a tenu bon:

BBC: Quand pensez-vous pouvoir rentrer chez vous?

Khashoggi: Je ne pense pas que je pourrai rentrer chez moi. J'ai entendu
parler de l'arrestation d'un ami qui n'a rien fait méritant la prison. ... Il
avait peut-être fait un commentaire critique lors d'un dîner. C'est ce que
nous sommes en train de de-venir en Arabie Saoudite. Nous n'avons
jamais connu [cela].

BBC: Est-ce que les gens s'espionnent là-bas?

Khashoggi: Oui. Les gens se demandent maintenant pourquoi untel a été


arrêté. Récemment, un journaliste et écono-miste, proche de la cour, a
été arrêté. Cela a effrayé beaucoup de monde, parce qu'il s'agit d'une
personne proche du gouvernement. Je ne veux pas utiliser le terme
''dissident'' - ce ne sont pas des dis-sidents. Ils ont simplement une
autonomie de pensée. Jusqu'à pré-sent, je ne m'étais [jamais] considéré
comme un [opposant]. Je dis toujours que je ne suis qu'un écrivain et
que je désire un environ-nement libre pour écrire et exprimer mon point
de vue. C'est ce que je fais dans le Washington Post. Ils m'ont donné une
tribune pour écrire librement. J'aimerais avoir une telle plateforme chez
moi.

BBC: L'Arabie Saoudite serait-elle un meilleur pays s'il y avait la liberté


d'expression?
Khashoggi: Absolument. Nous traversons une période de
transformation qui va toucher [tous les Saoudiens]. Comme l'a dit un
ancien roi d'Angleterre: ''Ce qui concerne le peuple doit être débattu par
le peuple.'' [Mais] cette transformation importante n'est pas abordée. Le
prince nous surprend toutes les deux semaines ou tous les mois avec un
énorme projet de plusieurs milliards de dollars qui n'a pas été discuté au
Parlement ni relayé dans les journaux. Les gens ne feront qu'applaudir:
''Super! On en veut plus!'' Ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent .
[2]

Une autre raison derrière le meurtre de Khashoggi est sa vive cri-tique


de la guerre par procuration dévastatrice de Mohammed ben Sal-mane au
Yémen. Trois semaines avant sa mort, il a écrit que le Royaume devait
assumer les séquelles de sa guerre et a appelé le prince héritier à mettre un
terme immédiat à la violence:

L'Arabie Saoudite doit faire face aux dommages causés par les trois
dernières années de guerre au Yémen. Le conflit a envenimé les relations
du royaume avec la communauté interna-tionale, altéré la dynamique de
la sécurité régionale et porté at-teinte à sa réputation dans le monde
islamique.
L'Arabie Saoudite est dans une position unique pour simultané-ment
maintenir l'Iran hors du Yémen et mettre fin à la guerre dans des termes
favorables si elle change son rôle de faiseur de guerre en faiseur de paix.
L'Arabie Saoudite pourrait user de son influence et de son autorité au
sein des cercles occidentaux et doter les institutions et les mécanismes
internationaux des moyens néces-saires pour résoudre le conflit.
Toutefois, la voie vers la résolution du conflit se referme rapidement.

Les pourparlers de paix de Genève, parrainés par l'ONU, qui


devaient s'ouvrir jeudi dernier, sont tombés à l'eau, en partie parce que
les rebelles houthis qui contrôlent la capitale (et la ma-jeure partie de
l'ouest du Yémen) craignaient que leur retour ne soit compromis du fait
du contrôle de l'espace aérien du Yémen par l'Arabie Saoudite.

Les Saoudiens pourraient fournir à leur ennemi et aux responsables


de l'ONU un soutien pour leurs déplacements - ou peut-être même leur
offrir un avion saoudien. Mieux encore, l'Arabie Saoudite pourrait
annoncer un cessez-le-feu et proposer des pourparlers de paix dans la
ville saoudienne de Taif, où ont eu lieu les négociations de paix
précédentes avec les Yéménites. Les interventions de l'Arabie Saoudite
au Yémen ont été motivées par des préoccupations de sécurité nationale
en raison de l'ingérence iranienne dans le pays.
Toutefois, les efforts de guerre de l'Arabie Saoudite n'ont pas fourni
une couverture supplémentaire de sécurité mais ont ac-cru la probabilité
de pertes humaines et de dégâts matériels. Les systèmes de défense
saoudiens reposent sur le système de missiles Patriot fabriqués aux
États-Unis. L'Arabie Saoudite a réussi à éviter des dommages
substantiels qui auraient pu être causés par les missiles houthis.
Cependant, l'incapacité des autorités saou-diennes à empêcher les tirs
de missiles houthis est un rappel em-barrassant que les dirigeants du
royaume sont incapables de con-tenir leur adversaire soutenu par l'Iran.

Chaque missile lancé par les houthi représente un fardeau à la fois


politique et financier pour le royaume. On ne connaît pas le coût d'un
missile iranien fourni aux Houthis, mais on peut sup-poser qu'il n'est pas
comparable à celui d'un missile Patriot vendu à 3 millions de dollars.

En raison des coûts imprévus liés au conflit au Yémen, l'Arabie


Saoudite emprunte de plus en plus de fonds sur les mar-chés
internationaux sans préciser à quoi ils sont destinés. Le royaume aurait
obtenu un prêt de 11 milliards de dollars auprès de banques
internationales (...)

L'Arabie Saoudite ne mérite pas d'être comparée à la Sy-rie, dont le


dirigeant n'a apparemment pas hésité à recourir aux armes chimiques
contre son propre peuple. Mais la poursuite de la guerre au Yémen
légitimera l'opinion que l'Arabie Saoudite fait au Yémen ce que le
président syrien Bachar al-Assad, les Russes et les Iraniens font en Syrie.
Même dans le sud du Yémen qui a été "libéré", les manifestants mènent
actuellement une campagne de désobéissance civile, scandant des
slogans contre la coalition di-rigée par les Saoudiens, considérée comme
la véritable puissance sur le terrain, en lieu et place du gouvernement
yéménite en exil.

Les pourparlers de paix seront une occasion en or pour l'Arabie


Saoudite. Riyad trouvera presque certainement des sou-tiens
internationaux s'il conclut un cessez-le-feu pendant les négo-ciations. Il
doit utiliser son influence mondiale et inclure des insti-tutions et des
alliés internationaux pour exercer une pression fi-nancière sur Téhéran
afin qu'il se retire du Yémen. Le prince hé-ritier d'Arabie Saoudite doit
également accepter que les Houthis, les Islah ( islamistes sunnites ) et les
séparatistes du Sud puissent jouer un rôle futur dans la gouvernance du
Yémen. De toute évidence, Riyad n'obtiendra pas tout ce qu'il
veut et laissera les Yéménites régler leurs différends avec leurs
compatriotes houthis à l'occasion d'un Congrès national - plutôt que sur
des champs de bataille sanglants (...)

Plus cette guerre cruelle durera au Yémen, plus les dom-mages seront
irrémédiables. Le peuple yéménite sera occupé à lut-ter contre la
pauvreté, le choléra et la disette de l'eau, et à recons-truire son pays. Le
prince héritier doit mettre fin à la violence et restaurer la dignité du
berceau de l'Islam[3] .

En novembre 2017, Khashoggi avait accusé le prince héritier Mo-


hammed d'agir comme le président russe Vladimir Poutine[4] . Le fait que le
leader russe et MBS se soient tapé dans la main lors du sommet du G20 en
Argentine, deux mois seulement après l'assassinat de Khashoggi in-dique
que celui-ci avait probablement raison depuis le début.

LES SŒURS SAOUDIENNES


SUR LES RIVES DU FLEUVE HUDSON

Dans son article du 5 novembre pour le journal anglais The Guar-dian,


Nesrine Malik a comparé le sort de Khashoggi à l'assassinat des fils de
Saddam Hussein et a affirmé que les responsables de la mort du jour-naliste
et de celle des deux sœurs saoudiennes, dont les corps ont échoué sur la
berge du fleuve Hudson à New York, étaient sans doute les mêmes.
Rappelant que des millions de personnes sont mortes au Yémen sans atti-rer
l'attention du monde parce qu'elles n'étaient pas des journalistes ou des
chercheurs occidentaux, l'auteur a fait une référence indirecte aux mots
célèbres de Joseph Staline: «Une seule mort est une tragédie. La mort d'un
million de personnes est une statistique.»[5] Le 29 octobre, le journal bri-
tannique Sunday Express a rapporté que le siège des services secrets
anglais, le GCHQ, avait été informé à l'avance du complot saoudien:
Le journaliste assassiné était sur le point de divulguer des détails sur
l'utilisation d'armes chimiques par l'Arabie Saoudite au Yémen, selon des
sources proches de lui. Ces révélations sur-viennent au moment où
d'autres sources de renseignements ont rapporté que la Grande-Bretagne
avait été mise au courant d'un complot trois semaines avant qu'il ne se
présente au consulat saou-dien à Istanbul. Fait crucial, la source très
haut placée confirme que le MI6 avait avisé ses homologues saoudiens
d'annuler la mission - bien que cette demande ait été ignorée:

«Le 1er octobre, nous avons pris connaissance du mouvement


d'un groupe, composé de membres de Ri'āsat Al-Istikhbārāt Al-
'Āmah (GID), vers Istanbul, et leur objectif était assez clair.
Par des canaux, nous les avons prévenus que ce n'était pas
une bonne idée. Les événements ultérieurs montrent que notre
avertissement a été ignoré (...)
Nous savons que les ordres proviennent d'un membre du
cercle royal mais nous n'avons pas d'informations directes
permettant de les relier au prince héritier Mohammed ben
Salmane.»[6]

Si les médias occidentaux ont été subjugués par l'assassinat de


Khashoggi, ceux du Qatar, de la Turquie et des États-Unis sont restés sur
leur lancée. Al Jazeera, entre autres, a interviewé les auteurs de ce livre à
plusieurs reprises. Dans les semaines qui ont suivi, des journalistes
américains, britanniques et allemands ont visité les bureaux de l'Unité
spéciale de renseignement du journal Sabah. Même les médias japonais ont
couvert l'histoire et se sont entretenus avec nous. Les médias chinois ont,
eux aussi, suivi de près le meurtre de Khashoggi. Après avoir réussi à
détourner l'attention du monde entier de la disparition soudaine et de
l'arrestation présumée de Meng Hongwei, l'ancien président d'Interpol, le 5
octobre, Beijing s'est empressé de reprocher à l'Occident sa politique de
deux poids, deux mesures[7] . Il va sans dire que la Chine a bénéficié d'un
avan-tage indéniable dans cette affaire. Elle est la deuxième économie
mondiale après les États-Unis - au moment où l'Arabie Saoudite, qui se
targue d'être la 19e, a perpétré un assassinat ciblé en Turquie, qui occupe la
18e place.

Le prince héritier saoudien, qui était le responsable politique de la mort


de Jamal Khashoggi, a réussi à passer le premier tour en tirant parti de ses
relations avec le président américain Donald Trump ou encore avec le
président russe Vladimir Poutine, qui lui a tapé dans la main lors du
sommet du G20. S'il parvient à rester au pouvoir, et ce en dépit d'une
pression mondiale extraordinaire, grâce à la volonté de deux superpuis-
sances de détourner leur regard, ce qui ne l'aura pas tué pourrait le rendre
plus fort.

LE MEURTRE LE PLUS COÛTEUX


JAMAIS ENREGISTRÉ

En plus de l'impact sur le renseignement, l'assassinat de Khashoggi a eu


des répercussions diplomatiques, criminelles et économiques. Le coût de sa
mort est sans doute le plus élevé de l'histoire. Quand la nouvelle de sa
disparition a été diffusée, la bourse saoudienne a clôturé à son plus bas
niveau depuis six mois. Même si le Tadawul a fini par se redresser, MBS,
qui dirige le pays comme un playboy imprudent (contrairement à Trump,
qui dirige les États-Unis comme un PDG), craint que l'économie du
Royaume en pâtisse. L'administration Trump n'a pas l'intention d'annuler le
contrat d'armement de 350 millions de dollars qu'elle a signé avec les
Saoudiens à cause du meurtre de Khashoggi. Ironie du sort, le président
américain rendrait sans doute service à MBS si, dans ces circonstances, il
venait à annuler les commandes de Riyad. Après tout, le régime saoudien
doit payer pour tout cet attirail.

La réaction mondiale à l'assassinat du journaliste, ainsi que le coût


financier des nouveaux contrats d'armement et la responsabilité géostra-
tégique de Riyad de contenir l'influence régionale de l'Iran, ont fait peser un
lourd fardeau sur les épaules de l'Arabie Saoudite. Ensuite, il y a la
polémique sur Aramco. La compagnie pétrolière saoudienne a été cofon-
dée par des Américains et des Saoudiens en 1933. C'est le roi Abdelaziz
d'Arabie Saoudite et le président américain Franklin D. Roosevelt qui ont
lancé ce projet. Évalué à 34 milliards de dollars, soit un huitième du budget
annuel du Royaume, il fera l'objet une première offre publique. Pourtant, le
projet a été reporté à plusieurs reprises, en grande partie parce que MBS
prétend que la société vaut 2 billions de dollars. Au cours des derniers
mois, Aramco a indiqué vouloir augmenter sa valeur mar-chande en lançant
des projets communs. Si elle réussit, la société encaisse-ra le chèque pour la
Vision 2030 du prince héritier Mohammed.

En 2011, le Royaume d'Arabie Saoudite - fier de son 19e rang mondial -


a dépensé un sixième de son budget annuel pour empêcher le Printemps
arabe de prendre racine à l'intérieur de ses frontières. Jamal Khashoggi a
partagé cette information dans une interview avec le maga-zine allemand
Der Spiegel. Il savait parfaitement que Riyad, dont toute la stratégie de
sécurité nationale est façonnée par l'argent (en particulier, le fait de jeter de
l'argent sur les problèmes), ne pourrait pas survivre très longtemps:

Cette méthode ne fonctionne pas. Vous ne pourriez pas rendre tout le


monde heureux en distribuant 100 billions de dol-lars au peuple.

Que se passera-t-il une fois le pétrole consommé?

Tout le monde veut se moderniser, mais sans supporter les effets


secondaires de la modernité.

Un jour, cette nation, comme toutes les autres, devra mettre en place
des réformes. Nous aussi, nous avons besoin de liberté, de transparence,
d'un État de droit, d'un premier ministre élu et d'un vrai parlement.

Que se passera-t-il si la Tunisie et l'Égypte réussissent dans leur lutte


pour la démocratie? Nous ne pouvons pas risquer l'isolement politique.

Le temps passe vite et on ne peut pas l'arrêter .[8]

Khashoggi n'a pas tort. Le temps était irréversible et imparable.


Pourtant, les États-Unis, où il s'était établi après avoir quitté le Royaume,

LA DERNIÈRE CHRONIQUE DE KHASHOGGI

Le 3 octobre, le jour suivant sa disparition, son assis-tante/traductrice a


envoyé par courriel son dernier article à la rédactrice en chef de Global
Opinions, Karen Attiah. Espérant le retour de Khashoggi, le Post n'a pas
publié l'article pendant deux semaines. Finalement, lorsque les rédacteurs
en chef ont perdu tout espoir, son dernier article est paru dans le
Washington Post le 18 octobre:

J'ai récemment regardé en ligne le rapport ''Freedom in the World''


publié en 2018 par Freedom House et je suis parvenu à une profonde
prise de conscience. Il n'y a qu'un seul pays dans le monde arabe qui a
été classé comme ''libre''.

Cette nation, c'est la Tunisie.

La Jordanie, le Maroc et le Koweït arrivent en deuxième position,


dans la catégorie ''partiellement libre''. Les autres pays du monde arabe
sont classés comme ''non libres''.

En conséquence, les Arabes vivant dans ces pays sont soit non
informés ou mal informés. Ils ne sont pas en mesure de traiter de
manière adéquate, et encore moins de débattre publiquement, des
questions qui concernent la région et leur vie quotidienne. Un discours
étatique gouverne la psyché publique, et bien que beau-coup ne le
croient pas, une grande majorité de la population est victime de ces
mensonges. Malheureusement, il est peu probable que cette situation
change.

Le monde arabe regorgeait d'espoir au printemps 2011. Les


journalistes, les universitaires et la population en général nourrissaient
des espoirs d'une société arabe brillante et libre dans leurs pays
respectifs. Ils s'attendaient à une émancipation de l'hé-gémonie de leurs
gouvernements, des interventions systématiques et de la censure de
l'information. Ces attentes ont été rapidement dé-çues; ces sociétés sont
retournées à l'ancien statu quo ou ont été con-frontées à des conditions
encore plus dures qu'auparavant.

Mon ami et éminent écrivain saoudien Saleh al-Shehi a signé l'une


des chroniques les plus célèbres jamais publiées dans la presse
saoudienne. Malheureusement, il purge actuellement une peine de prison
de 5 ans injustifiée pour des commentaires soi-disant opposés à
l'establishment saoudien.

La saisie par le gouvernement égyptien de la totalité du ti-rage d'un


journal, al-Masry al Youm, n'a suscité ni colère ni ré-action de la part de
ses collègues. Ces actes n'engendrent plus de retour de bâton de la part
de la communauté internationale. Au contraire, ils ont le pouvoir de
déclencher une condamnation suivie rapidement d'un silence.

En conséquence, les gouvernements arabes ont eu carte blanche pour


continuer à réduire les médias au silence à un rythme croissant. Il fut un
temps où les journalistes pensaient qu'Internet affranchirait
l'information de la censure et du contrôle pesant sur la presse écrite.
Mais ces gouvernements, dont l'existence même repose sur le contrôle de
l'information, ont bloqué Internet avec acharnement. Ils ont également
arrêté des reporters locaux et fait pression sur les publicitaires afin de
nuire aux revenus de quelques publications ciblées.

Quelques oasis continuent d'incarner l'esprit du Printemps arabe. Le


gouvernement du Qatar soutient toujours la couverture de l'actualité
internationale, ce qui contraste avec les efforts de ses voisins pour
conserver la mainmise sur l'information afin de soute-nir le ''vieil ordre
arabe''. Même en Tunisie et au Koweït, où la presse est considérée au
moins comme étant ''partiellement libre'', les médias se concentrent sur
les questions intérieures, mais pas sur les problèmes rencontrés par le
monde arabe dans son ensemble.

Ils hésitent à proposer une tribune aux journalistes d'Ara-bie


Saoudite, d’Égypte et du Yémen. Même le Liban, joyau du monde arabe
en matière de liberté de la presse, est victime de la polarisation et de
l'influence du Hezbollah pro-iranien.

Le monde arabe est confronté à sa propre version d'un ri-deau de fer,


imposé non pas par des acteurs extérieurs mais par des forces
intérieures qui se disputent le pouvoir.
Pendant la guerre froide, Radio Free Europe, devenue au fil des ans
une institution essentielle, a joué un rôle essentiel en favorisant et en
entretenant l'espoir de la liberté. Les Arabes ont besoin de quelque chose
de comparable. En 1967, le New York Times et le Post ont pris
conjointement en charge du journal In-ternational Herald Tribune, qui
est devenu une plateforme pour les voix du monde entier.

Ma publication, The Post, a pris l'initiative de traduire un grand


nombre de mes articles et de les publier en arabe. Pour cela, je lui en
suis reconnaissant. Les Arabes ont besoin de lire dans leur propre langue
pour pouvoir comprendre et discuter des divers aspects et complications
de la démocratie aux États-Unis et en Occident. Si un Égyptien lit un
article exposant le coût réel d'un projet de construction à Washington, il
sera alors en mesure de mieux comprendre les implications de projets
similaires dans sa communauté.

Le monde arabe a besoin d'une version moderne des an-ciens médias


transnationaux afin que les citoyens puissent être in-formés des
événements mondiaux. Mais surtout, nous devons offrir une plate-forme
aux voix arabes. Nous souffrons de pauvreté, de mauvaise gestion et
d'une mauvaise éducation. Grâce à la créa-tion d'un forum international
indépendant, indépendant de l'influence des gouvernements nationalistes
qui propagent la haine par le biais de la propagande, les gens ordinaires
du monde arabe seraient en mesure de s'attaquer aux problèmes
structurels que rencontrent leurs sociétés[9] .

CE QUE NOUS NE SAVONS TOUJOURS PAS

De toute évidence, ce qui a tué Jamal Khashoggi, ce sont ses pa-roles et


ses écrits antérieurs à l'article présenté ci-dessus. Il est néanmoins
ironique que le journaliste ait consacré sa dernière chronique aux
restrictions de la liberté de la presse et d'expression dans le monde
arabe. Lorsque Jamal Khashoggi s'est plaint de la condamnation de son
collègue saoudien à 5 ans de prison, il ne pouvait évidemment pas imagi-
ner ce que les assassins du Royaume allaient lui infliger.
Qu'est-ce qui a bien pu pousser les Saoudiens à exécuter Jamal
Khashoggi par des moyens aussi barbares? Dans ce chapitre, nous avons
examiné les raisons pour lesquelles Khashoggi, que la Tiger Team suivait
de près, a été tué. Même si plusieurs réponses ont été apportées, aucune
d'entre elles ne justifie le sort de Khashoggi et le traitement que les Saou-
diens ont réservé à sa dépouille.

Chaque question que nous posons à propos de ce meurtre nous ra-mène


à la case départ. Démarrer un projet de médias sociaux appelé l'Armée des
Abeilles, critiquer la guerre du Royaume au Yémen, sympathiser avec les
Frères Musulmans, servir comme conseiller de l'ancien chef des services de
renseignements saoudiens, se retrouver au milieu d'une lutte de pouvoir au
sein de la famille royale saoudienne, identifier la Turquie comme un
modèle pour le monde islamique, et être accusé de travailler pour le Qatar...
Ces «raisons» ne nous livrent qu'une compréhension limi-tée des raisons
qui ont entraîné la mort de Jamal Khashoggi; elles n'ex-pliquent pas la
manière dont les tueurs ont traité leur victime. Pour être parfaitement
honnête, rien ne saurait justifier ce qui s'est passé. Même une personne en
possession du plus sombre secret du monde qui menacerait de l'utiliser à
mauvais escient ne mériterait pas de subir un tel traitement.

Jusqu'à présent, le monde a été dans l'impossibilité d'exaucer le dernier


souhait de Jamal Khashoggi: être enterré dans sa ville natale de Médine.

Le journaliste disparu n'a pas non plus de sépulture, où ses proches


pourraient prier.

Qui mériterait une telle fin?


1-www.washingtonpost.com/politics/two-princes-kushner-now-faces-a-reckoning-for-trumps-
bet-on-the-saudi-heir/2018/10/14/6eaeaafc-ce46-11e8-a3e6-44daa3d35ede_story.html
>>>

2-www.bbc.co.uk/sounds/play/p06n9vww >>>

3-www.washingtonpost.com/news/global-opinions/wp/2018/09/11/saudi-arabias-crown-
prince-must-restore-dignity-to-his-country-by-ending-yemens-cruel-war/ >>>

4-www.washingtonpost.com/news/global-opinions/wp/2017/11/05/saudi-arabias-crown-
prince-is-acting-like-putin/ >>>

5-www.theguardian.com/commentisfree/2018/nov/05/jamal-khashog¬gi-coverage-victim-
saudi >>>

6-www.express.co.uk/news/world/1037378/Khashoggi-murder-news-saudi-arabia-chemical-
weapons-use >>>

7-www.globaltimes.cn/content/1123266.shtml >>>

8-Ibid. >>>

9-www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/jamal-khashoggi-what-the-arab-world-
needs-most-is-free-expression/2018/10/17/adfc8c44-d21d-11e8-8c22-
fa2ef74bd6d6_story.html >>>
~ Partie VI ~
quem ad modum
comment
La "une" de France Culture du 24 décembre 2019 rapportant
le simulacre de procès des assassins de Jamal Khashoggi

www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale/
la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-24-decembre-2019
~ 20 ~
Le projet secret
de Jamal Khashoggi
L'armée d'abeilles qui a piqué le prince héritier

Jamal Khashoggi est né il y a soixante ans à Médine, en Arabie Saoudite,


ville où le Prophète Mahomet est mort et où sa dépouille est encore pré-
sente aujourd'hui. La dernière volonté de Khashoggi était d'être enterré dans
son lieu de naissance. Tant que l'Arabie Saoudite ne se décidera pas à
coopérer avec les autorités turques, il est peu probable que son dernier
souhait se réalise un jour. Né le 13 octobre 1958, Jamal Khashoggi était un
journaliste patriote. Les circonstances l'ont cependant contraint à vivre en
exil - quoique volontairement - et, pour paraphraser Adorno, le geste
d'écrire est devenu le foyer de celui qui n'en avait plus. Les mots d'Adorno
décrivent sans doute la situation de Khashoggi mieux que quiconque.

Ayant toujours trouvé un espace pour publier ses écrits durant ses trente
ans de carrière journalistique, le dernier port d'attache de Khas-hoggi était le
prestigieux Washington Post. Les auteurs de ce livre ont lu de nombreux
récits et commentaires parus dans divers médias depuis sa mort. Voici notre
conclusion: l'une des histoires les plus marquantes sur le meurtre de
Khashoggi est parue le 17 octobre dans le Post, accompagnée de la
signature de Loveday Morris et Farid Zakaria. C'était une publica-tion
importante, car elle renfermait des informations essentielles sur le projet
secret sur lequel Khashoggi travaillait jusqu'à sa mort.

Le projet était baptisé «L'Armée des abeilles». Nous en avons appris plus
sur cette armée Twitter qui allait contrebalancer l'armée de trolls que
Saud Al-Qahtani, propagandiste du prince héritier saoudien Mohammed
ben Salmane, avait formée sous les ordres du dirigeant de facto du
Royaume, lors d'un entretien avec l'activiste canadien Omar Abdelaziz.
Nous donnerons également un aperçu de la cyberguerre entre MBS et les
critiques du régime saoudien qui sont en exil.

Mais commençons par nous intéresser à l'article qui fournit de pré-


cieuses informations sur les contacts privés de l'activiste de 27 ans, l'un des
personnages clés durant les derniers mois de la vie de Khashoggi, avec deux
messagers du prince héritier saoudien[1] . Selon le même article, les deux
hommes ont fait une offre à Abdelaziz qu'ils ont rencontré dans un café: soit
les accompagner en Arabie Saoudite, où il pourrait rejoindre sa famille, soit
risquer la prison. Les frères d'Abdelaziz étaient venus avec eux. Abdelaziz,
qui a obtenu l'asile politique au Canada, a parlé à ce qui semble être deux
agents de renseignements saoudiens de certains projets qui auraient pu
inciter MBS à le considérer comme un problème, et les a informés que
Khashoggi travaillait également sur ces projets. Il s'agissait de l'Armée des
abeilles. En échange, Khashoggi aurait transféré 5.000 dol-lars à Abdelaziz.
À en juger par l'article du Washington Post, il semblerait que l'Armée des
abeilles ait été conçue pour contrer l'armée saoudienne de trolls, créée par
Al-Qahtani pour MBS. En d'autres termes, le dissident saoudien voulait
déployer son armée d'abeilles pour combattre l'armée de trolls du prince
héritier - qu'il appelait «l'armée des mouches»[2] .

LA CYBER-GUERRE QUE CACHE LE MEURTRE

Jamal Khashoggi a été clair; le projet devait rester secret. La ques-tion


qui s'impose, bien sûr, est de savoir pour quoi et pour qui le journa-liste
assassiné voulait constituer une armée de trolls. Certes, l'article nous dit que
que ce projet est le fruit des efforts d'Abdelaziz et qu'il a été sou-tenu par
Khashoggi, mais il ne donne aucune réponse à cette question. On ne peut
dire si Khashoggi avait bien conscience que le projet, s'il aboutissait,
sortirait du cadre du journalisme et s'aventurerait dans le domaine de
l'espionnage. De plus, une autre question importante est de savoir si
Khashoggi a versé les 5.000 dollars à Abdelaziz en puisant dans ses propres
ressources financières ou s'il a reçu des fonds d'une autre source. Selon le
Post, Khashoggi a annoncé à Abdelaziz, le 21 juin, qu'il essaierait de
trouver l'argent: «Nous devons faire quelque chose. Vous savez que je suis
parfois victime victime de ces attaques». En d'autres termes, le journaliste
tué ne pouvait compter sur ses propres moyens financiers pour effectuer le
paiement et a recherché un financement.

M. Abdelaziz a confié au Washington Post que l'armée des trolls


saoudiens insultait fréquemment Jamal Khashoggi et que ce dernier a été
pris pour cible parce qu'il avait une voix importante sur la scène média-
tique occidentale. Cette information démontre que Qahtani a dirigé son
attaque contre Khashoggi sur ordre du prince saoudien. Abdelaziz a éga-
lement révélé qu'il était visé par des logiciels espions saoudiens et que les
autorités saoudiennes étaient en mesure de surveiller toutes les communi-
cations entre les deux hommes. L'article précise que M. Abdelaziz a soup-
çonné les deux hommes saoudiens d'être à la solde de Qahtani de par leur
façon de parler. Si Qahtani lui-même n'a pas travaillé pour les services de
renseignements saoudiens, il était au courant de toutes les affaires véreuses
du prince héritier, y compris les opérations secrètes et les assassinats. Chose
sans doute plus importante encore, Qahtani était le commandant en chef de
l'armée saoudienne des trolls qui, selon Khashoggi, l'a contacté avant sa
mort. Omar Abdelaziz a rencontré Jamal Khashoggi à Washing-ton pendant
l'été 2017:

«ILS M'ONT APPELÉ L'ESPION D'ERDOGAN»

Omar Abdelaziz, personnage clé au sujet duquel le Washington Post et


CNN ont fait des déclarations exclusives aux auteurs de ce livre, a ré-pondu
à nos questions avec sincérité. Nous publions ici une version non éditée de
cette interview:

Comment vous êtes-vous retrouvé en exil après avoir critiqué le


régime saoudien? Pourriez-vous nous ra-conter votre histoire et nous
parler de votre vie au Cana-da?

Je suis devenu un réfugié politique au Canada en 2014. J'avais


auparavant condamné le régime saoudien. Je sentais que ma vie était en
danger. J'ai donc demandé l'asile au Canada qui l'a accepté. J'ai ensuite
continué à dénoncer le régime, ce qui con-trariait certaines personnes.
J'ai continué à travailler sur mes pro-jets vidéo et sur mes chaînes
Twitter et YouTube. L'armée saou-dienne des trolls, qu'on appelle les
mouches saoudiennes, me trai-tait d'agent des Frères Musulmans et
d'espion d'Erdogan. Ils ont répandu la fausse rumeur que j'étais payé
par Erdogan et le Qa-tar. En vérité, tout allait bien jusqu'à l'arrivée de
MBS au pou-voir.

A ce moment-là, il s'est mis à tout contrôler. Certes, j'avais criti-qué


le roi Abdallah et l'ancien régime également, mais ils ne nous ont fait
aucun mal, ni à moi ni à ma famille.

En 2017, McKinsey a publié un rapport qu'ils ont remis à MBS. Ils


n'en ont pas parlé ouvertement, mais ils m'ont décrit comme un opposant
au [prince héritier] et au régime et comme un détracteur impitoyable. Il
n'y avait pas que moi; deux autres per-sonnes, également des critiques
véhéments, étaient mentionnées dans le même rapport. La plupart des
hashtags signalés dans le rapport étaient les miens.

Je n'étais pas au courant avant que le New York Times ne le rapporte.


En 2018, MBS m'a envoyé deux messagers. Ils sont venus à Montréal
pour me rencontrer et discuter. Ils m'ont dit que MBS voulait que je
revienne. «Retournez dans votre pays», ont-ils dit. «Vous pouvez nous
aider à changer l'Arabie Saoudite.»

Ils m'ont dit cela pour me convaincre de repartir. Je ne les ai pas


crus. Je me doutais que c'était un piège. Je sentais qu'il al-lait m'arriver
quelque chose de mal. Un de mes frères et sœurs était avec eux. J'ai tout
de même repoussé leurs propositions. Le 23 juin 2018, ils ont piraté mon
téléphone. Ils surveillaient mes appels téléphoniques et mes SMS - y
compris ceux concernant Ja-mal [Khashoggi].

Début août 2018, j'ai appris que deux de mes frères, dont celui qui
était venu avec les messagers, et un groupe de mes amis avaient été
placés en détention. C'était une manière pour l'Arabie Saoudite de me
sommer de me taire.
Je n'ai pas obtempéré. Je ne l'ai pas fait et je ne me tairai pas. J'ai le
droit de continuer à les critiquer. À l'époque, je ne sa-vais pas que mon
téléphone avait été piraté. J'ai reçu un appel de Citizen Lab qui m'ont
confirmé que mon téléphone avait été pira-té. Ils m'ont informé que les
pirates informatiques savaient tout ce qu'il y avait sur mon téléphone.

Pendant cette période, c'est-à-dire aux mois de juin, juillet et août, je


travaillais sur différents projets importants pour contrô-ler les médias
sociaux avec Jamal Khashoggi. Il s'agissait de pro-jets contre l'armée
des trolls. Le 18 août, j'ai dit à Jamal que mon téléphone avait été piraté
et qu'ils étaient au courant de ce que nous avions fait. Jamal m'a
répondu que c'était là un gros problème.
Ils savaient que nous travaillions ensemble sur une série de pro-jets.
Jamal était comme un professeur pour moi.

Comment avez-vous rencontré Jamal Khashoggi?

Je l'ai rencontré en Arabie Saoudite. Mais nous n'étions pas de bons


amis à l'époque. Nous avions certains désaccords. J'étais un petit enfant
à cette époque, tandis que Jamal était un homme public. Tout le monde le
connaissait. De plus, il était par-tisan du gouvernement à ce moment.
Notre amitié a commencé en 2017, lorsqu'il a quitté l'Arabie Saoudite.
Nous avons commencé à travailler ensemble. À la mi-septembre 2018,
Jamal m'a transféré la somme de 5.000 $. Il m'a dit de mener le projet à
terme et qu'il allait obtenir plus d'argent. Il croyait en ce projet. J'ai
accepté l'argent. Je ne veux pas mentir au monde entier sur ce sujet. Oui,
j'ai pris l'argent.

Khashoggi a-t-il fait usage de ses propres ressources financières ou


a-t-il trouvé de l'argent ailleurs?

Non, il a envoyé son propre argent. Il a dit qu'il allait en envoyer


davantage. «Je vais voir s'il y a des hommes d'affaires qui souhaitent
soutenir le projet», a-t-il dit. «J'ai beaucoup d'amis. Ils peuvent vous
aider.» Il a dit vouloir discuter avec moi de nombreux sujets et qu'il
viendrait me rencontrer au Canada. Son visa a été approuvé. Il comptait
venir ici, s'il n'avait pas été tué. Son plan initial était de se rendre au
Canada avant d'aller en Turquie. Cela est très important. Il a dit qu'il
allait récupérer son passeport dans deux semaines, mais ne pouvant
attendre aussi longtemps, il a décidé de prendre l'avion pour la Turquie
puis de revenir. Ce plan n'a pas fonctionné.

Qu'est-ce qui vous a empêché de vous rendre à l'ambassade


saoudienne après l'invitation? Etiez-vous au courant de quelque
chose?

Pour être honnête, je n'étais pas sûr à 100 %. Si j'y étais allé, ils
m'auraient soit tué, soit embrassé! Je ne peux pas vous donner une
réponse claire. Jamal était un des amis à m'avoir pré-venu de ne pas y
aller seul. Il m'a dit de toujours rencontrer les messagers de MBS dans
les endroits bondés.

Vous travailliez sur le projet de l'Armée des Abeilles avec


Khashoggi.
Quelle était l'idée principale de ce projet et son ob-jectif? Et qui en
a eu l'idée?

Nous avons lancé le projet de lutte contre l'armée de mouches


financée par le régime saoudien. En d'autres termes, nous voulions
travailler avec l'opposition en Arabie Saoudite et dans d'autres pays
musulmans pour mettre fin à la haine que [les mouches] répandent.
L'armée de trolls a ciblé, insulté et menacé Khashoggi. Pareil pour moi.
Ils ont dit qu'ils allaient me tuer. Ils m'ont dit: «Tu es l'esclave
d'Erdogan, l'esclave du Cheikh Ta-mim. Tu es l'esclave des Frères
musulmans. Nous vous connais-sons, vous êtes des menteurs.»

J'ai 27 ans et je pouvais le supporter, mais Jamal avait 60 ans. Il était


offensé que des jeunes parlent de lui de cette fa-çon. Ils lui ont dit qu'il
n'était pas Saoudien mais Turc, qu'il n'était pas l'un d'entre eux. Ils ont
dit qu'il était plus intéressé à soutenir son ethnie que son propre pays et
l'ont traité de traître.

J'ai partagé mon idée avec Jamal: «Nous devons former notre propre
armée. Mais pour cela, il nous faut de l'argent. Nous devons arrêter ces
gens. S'ils ont une armée, nous devons en avoir une aussi.» Il m'a
répondu qu'il allait me donner 5.000 $ dans un premier temps, et plus
[d'argent] plus tard, sans toutefois men-tionner un homme d'affaires en
particulier. Il m'a dit qu'on par-lerait beaucoup plus lorsqu'il viendrait
au Canada. J'ai dit «OK» et je me suis mis à attendre.

Où en était le projet au moment de sa mort?

Nous en étions aux étapes préliminaires. Nous travaillions sur le


contexte, mais nous étions certains de continuer à travailler sur le projet.
Nous allions dire aux gens ce qui se passait vraiment dans notre pays.
C'était notre devoir.

À présent, c'est mon devoir. Je vais continuer à travailler même si je


ne suis pas payé. Évidemment, nous aurons besoin d'argent, parce que je
me battrai non seulement contre les trolls saoudiens, mais aussi contre
les trolls égyptiens et émiratis. Ils œu-vrent ensemble pour voler la
liberté de notre peuple.

Ils ont dépensé des milliards de dollars pour un homme comme [le
président égyptien Abdel Fattah] Sisi. En 2013, ils lui ont donné plus de
100 milliards de dollars pour détruire la révolution et empêcher les
Frères musulmans de diriger le pays - parce qu'ils étaient alliés avec la
Turquie et le Qatar. Si Erdogan était opposé à la souveraineté de notre
nation, je lui dirais qu'il se trompe, mais Erdogan soutenait la Ligue
arabe. Tout se rapporte à la liberté. L'Égypte a presque les mêmes
ressources que la Tur-quie, mais regardez où en sont les deux pays. Ils se
trouvent dans des positions très différentes.

Voyez le taux de chômage, le taux de pauvreté et le nombre de


personnes incarcérées en Égypte. Voyez leur qualité de vie. Pourquoi?
Parce qu'ils n'ont pas de démocratie. Ils n'ont pas de bons dirigeants.
C'est la différence. Je ne dis pas qu'Erdogan et le parti AK sont parfaits.
Rien n'est parfait. Mais il y a un sys-tème démocratique en Turquie. Nous
avons vu les élections. Erdo-gan a remporté 51% des voix, pas 99%.
C'est ça la démocratie.
J'espère que la Turquie deviendra un pays meilleur à l'avenir. Mais
nous voulons aussi que notre pays soit comme la Turquie. Pourquoi ne
pouvons-nous pas construire des institutions comme la Turquie? Nous
avons les mêmes ressources, mais nous n'avons pas d'honnêtes gens.
Certains ne seront peut-être pas d'ac-cord. Nous n'avons pas
d'administrateurs éduqués et talentueux. C'est aussi simple que cela.
Regardez Sisi. Il était autrefois sol-dat. Maintenant, il détruit l'[Égypte].

En matière de développement, des pays comme l’Égypte doivent être


les égaux de la Turquie. Alors seulement, nous pour-rons défier le
monde. C'est ainsi que nous pourrons construire de meilleurs pays
musulmans. C'est ainsi que nous aurons plus d'op-portunités que les
autres. La Syrie, l'Irak, l'Égypte, le Yémen, l'Arabie Saoudite, le Qatar, la
Libye et l'Algérie - nous pouvons faire beaucoup de choses ensemble.

Nous pourrions accomplir beaucoup si nous avions des diri-geants


honnêtes et talentueux qui pensent au peuple plutôt qu'à leurs propres
poches.

Je ne suis pas un agent turc ou qatari, mais je veux que mes


compatriotes vivent aussi bien - en fait mieux - que les Turcs. Regardez le
Yémen, la Syrie et l'Égypte. Pourquoi les gens de ces pays souffrent-ils?
Que se passe-t-il vraiment là-bas? Nous avons les mêmes ressources.
L'Égypte a peut-être plus de ressources que la Turquie, mais elles sont
drainées par la corruption qui sévit dans le pays. L'Égypte est perturbée.
L'armée contrôle tout. C'est la raison pour laquelle Sisi est arrivé au
pouvoir. Ils ne veulent pas de démocratie.

Vous avez dit que vous aviez promis à Khashoggi de terminer le


projet. Quelle sera votre prochaine étape?

À l'avenir, nous continuerons à travailler avec des béné-voles. Si un


bon homme d'affaires veut nous aider, nous recevrons de l'aide de sa
part. Mais nous ne voulons pas qu'on nous dise quoi écrire et quoi ne pas
écrire. Les financiers doivent croire en notre cause. Évidemment, nous ne
savons pas si ce parrain va se manifester. Mais je vous le promets,
comme je l'ai promis à Jamal.
Les financiers potentiels ne seront-ils pas intimi-dés par le meurtre
de Khashoggi?

Je ne sais pas. Mais je peux m'exprimer en mon nom: Grâce à Dieu,


je suis plus fort que jamais. Je suis plus motivé et enthousiaste que
jamais. Je ne m'inquiète que pour ma famille. Je me préoccupe de ma
famille, de mes amis et de mon peuple. Je ne me fais pas du souci pour
ma propre vie. Je ne suis qu'un homme. Bien sûr, ils peuvent me tuer.
Mais je suis certain de n'avoir tué, triché ou menti à personne. Je suis
inquiet pour mon peuple, mais je n'ai pas peur. Je suis seulement
préoccupé par la façon dont les choses se déroulent. Allons-nous finir
comme la Syrie, Kadhafi ou Saddam? Allons-nous commettre les mêmes
erreurs à cause de MBS? Allons-nous commettre les mêmes erreurs
simplement parce que son père était roi et qu'il ne sait pas diriger un
pays? Il n'est ni intelligent, ni compétent, ni expérimenté, ni persuasif. Il
n'a jamais de bons projets. Il n'a rien. Confiez-vous votre propre pays à
un individu pareil?

Pourquoi la Turquie enquête-t-elle sur le meurtre de Khashoggi?


Parce que le sujet n'est pas l'Arabie Saoudite, mais MBS. La Turquie voit
MBS comme une menace pour la sécurité nationale. Cet homme va
essayer par tous les moyens de faire tom-ber la Turquie et le Qatar. C'est
pourquoi Erdogan a refusé son argent. Il a dit qu'il ne cesserait de parler
de l'affaire Khashoggi. MBS est un problème non seulement pour les
Saoudiens, mais aussi pour le Qatar, le Yémen, l’Égypte et la Syrie.

Il est un casse-tête pour le Moyen-Orient. En même temps, il est


mauvais pour son propre pays. Les derniers événements ont fait peur aux
investisseurs étrangers. Les [Saoudiens] ont égale-ment intimidé les
investisseurs en étant hostiles au Canada.
L'assassinat de Khashoggi a fait fuir les touristes. Les gens vont
penser: «S'ils peuvent faire ce genre de choses à Jamal Khashoggi en
dehors du pays, que risque t-il de m'arriver là-bas?» Le con-sulat est
évidemment situé sur le sol saoudien, mais ils ont utilisé des hôtels, des
restaurants et des aéroports turcs pour commettre le crime. Voilà un
grand problème.
Les gens vont se demander ce que pourrait être la situation en
[Arabie Saoudite] si toutes ces choses étaient susceptibles de se produire
à l'étranger. Tous les plans de MBS vont tomber à l'eau. Il n'a pu
conclure l'accord avec Aramco, parce que personne ne trouve réaliste
que la compagnie vaille autant d'argent. À pré-sent, il manipule les prix
du pétrole pour rester au pouvoir. Com-ment? En augmentant l'offre de
pétrole sur le marché mondial. Certains pays en profiteront. Mais MBS
est en train de ruiner l'économie. La valeur d'Aramco va diminuer. Par
conséquent, sa Vision 2030 échouera aussi.

Vous avez dit que Jamal Khashoggi avait prévu de visiter le Canada.
Était-ce votre dernière conversation? Dans ce cas, a-t-il mentionné
quelque chose en particu-lier?

À la fin de sa vie, Jamal avait désespéré de MBS. Il con-sidérait MBS


comme une menace et qu'il s'était transformé en un homme qui dévorait
tout. Il me disait que MBS arrêtait qui il voulait. «MBS est un monstre.
Un monstre assez grand pour con-sommer quiconque s'oppose à lui.» Or,
après avoir tué Jamal, MBS a déclaré qu'il respectait la Turquie et qu'il
avait d'excel-lentes relations avec Erdogan - parce qu'il a peur de la
Turquie. Et pourtant, l'armée de trolls de MBS continue à se moquer de
la Turquie et du peuple turc sur les médias sociaux. Ils insultent Er-
dogan et d'autres fonctionnaires. Ils répandent des rumeurs inju-rieuses.
Ils ne joignent pas le geste à la parole.

Peu avant sa mort, Jamal Khashoggi a tweeté à propos de l'arrivée des


abeilles. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Jamal croyait en ce projet. Il pensait que l'Armée des Abeilles


pourrait arrêter l'armée des trolls. L'Arabie Saoudite n'est pas puissante.
Elle ne dispose que de son pouvoir sur Twitter et les médias sociaux. Elle
ne peut pas tolérer les réseaux de l'op-position. Détruire l'armée de trolls
est notre seule mission. Voilà pourquoi l'Armée des Abeilles va
débarquer.
Vous avez dit qu'ils ont menacé votre famille. Pou-vez-vous
communiquer avec les membres de votre famille en Arabie Saoudite?

Non. Je n'ai pas parlé à ma mère depuis 4 mois. Mes deux frères et
mes amis sont en garde à vue. Pourquoi? Parce que je critique le
gouvernement. On reproche à Erdogan d'avoir em-prisonné ceux qui ont
participé à la tentative de coup d'État de juillet 2016. N'est-ce pas
ironique? Je ne prépare aucun plan se-cret. Je n'ai pas non plus appelé à
un changement de régime. Je l'ai seulement critiqué. Imaginez seulement
ce qui pourrait arri-ver si je réclamais un changement de régime[3] .

QUI EST CE QAHTANI?

Le commandant en chef de ce qu'Omar Abdelaziz a décrit comme


l'armée des mouches était Saoud Al-Qahtani - le dépositaire des plus
sombres secrets de Mohammed ben Salmane. Selon la BBC, Qahtani diri-
geait également la Tiger Team, dont les membres étaient responsables de la
mort de Khashoggi. Un autre membre de la famille Qahtani, le général Ali
Al-Qahtani, a été abattu par l'équipe dirigée par Saud Al Qahtani au motif...
qu'il en savait trop[4].
Saud Al-Qahtani, contre lequel les autorités turques ont émis un mandat
d'arrêt le 4 décembre, fait partie des personnes que le bureau du procureur
général saoudien tente de protéger. Le mandat d'arrêt, que le procureur turc
a demandé et qu'un tribunal a approuvé, mentionne Qah-tani au même titre
qu'Ahmad Al-Assiri, le directeur adjoint de l'agence de renseignement
saoudienne. Comme Qahtani, Assiri a été licencié par le gouvernement
saoudien pour son rôle dans le meurtre de Khashoggi.

Dans une déclaration, le procureur général de Riyad a affirmé que le rôle


de Qahtani dans le meurtre se limitait à rencontrer les assassins dans la
capitale saoudienne. Toujours selon ce communiqué, Qahtani avait
interdiction de quitter l'Arabie Saoudite et a été interrogé. Comme toujours,
les autorités saoudiennes se sont abstenues de révéler quand Qahtani a été
interrogé et les questions qui lui ont été posées. Qahtani aurait supervisé la
Tiger Team, dont les Saoudiens se servait pour éliminer les détracteurs du
régime, et se serait entretenu avec les assassins à Istan-bul via Skype le jour
de la mort de Khashoggi. Il aurait dit aux tueurs de lui «apporter la tête de
ce chien». Deux fonctionnaires saoudiens l'ont affirmé lors de leurs
déclarations aux médias britanniques. Tout le monde sait que, dans toutes
ses affaires, Qahtani suit les ordres du prince héritier saoudien
scrupuleusement[5] .

Le 4 novembre, le New York Times a publié un article intéressant au sujet


de Saoud Al-Qahtani[6] . Signé par Michael Forsythe, Mark Mazzetti, Ben
Hubbard et Walt Bogdanich, l'article alléguait que Mohammed ben Salmane
avait conclu un accord avec Booz Allen Hamilton, un cabinet de conseil
américain, lors de son séjour dans la Silicon Valley en vue de for-mer la
cyberarmée sans cesse croissante du Royaume. Dans un communi-qué,
Qahtani a déclaré que cet accord permettrait de développer les com-
pétences des experts saoudiens en matière de cybersécurité et d'élargir leurs
horizons. En voici un extrait significatif:

Si le décès de Khashoggi a incité les investisseurs du monde entier à


prendre leurs distances avec le gouvernement saoudien, Booz Allen et
ses concurrents McKinsey & Company et le Boston Consulting Group
sont demeurés proches après avoir joué un rôle essentiel dans le projet
du prince Mohammed de renforcer son pouvoir.

En plus de leur mission traditionnelle de conseil, consistant par


exemple à fournir des avis économiques et à redorer l'image du prince
Mohammed, ils ont accepté des responsabilités moins conventionnelles.
Booz Allen forme la marine saoudienne pendant qu'elle mène un blocus
dans la guerre au Yémen, une catastrophe qui a menacé des millions de
personnes de famine. McKinsey a rédigé un rapport qui a probablement
aidé M. Qahtani à répri-mer les dissidents. Le BCG, quant à lui,
conseille la fondation du Prince Mohammed.

Ce rapport, qui identifie les principaux détracteurs du royaume sur


Internet, a été largement condamné par le Times le mois dernier. Les
dissidents - dont Khalid al-Alkami, un auteur critique des politiques
saoudiennes, et Omar Abdelaziz, un Saou-dien résidant aujourd'hui au
Canada - y sont décrits en détail, et leurs photos y figurent[7] .
Dans un article publié le 20 octobre par le même journal, Maggie
Mitchell Salem, amie de Khashoggi depuis plus de 15 ans, a affirmé que le
journaliste tué était attaqué par l'armée des trolls saoudiens:

Les cyber agresseurs de Khashoggi participaient à un vaste effort


dicté par le prince héritier Mohammed ben Salmane et ses proches
conseillers pour réduire au silence les opposants aussi bien en Arabie
Saoudite qu'à l'étranger.

Des centaines de personnes travaillent dans une soi-disant ferme de trolls


à Riyad afin d'étouffer les voix des dissidents comme Khashoggi[8] .

LE BRIEFING DE LA CIA SUR KHASHOGGI


SECOUE LE SÉNAT AMÉRICAIN

Alors que l'Arabie Saoudite a tenté de répondre au contrecoups


catastrophique de l'assassinat de Khashoggi en recourant à leurs trolls sur
les médias sociaux, la Turquie partageait des informations sur l'incident
avec divers pays par les voies diplomatiques et de manière responsable. Une
séance d'information confidentielle tenue par la directrice de la CIA, Gina
Haspel, à qui les Turcs avaient remis l'enregistrement audio des derniers
instants de Jamal Khashoggi, devant les sénateurs américains, a été l'un des
événements clés de cette affaire. Le 4 décembre, une poignée de sénateurs,
ayant assisté au briefing, a déclaré aux journalistes que Mo-hammed ben
Salmane était complice du meurtre du chroniqueur du Was-hington Post. En
d'autres termes, ils ont confirmé les rapports antérieurs qui faisaient état de
preuves détenues par la CIA que MBS avait ordonné le meurtre de Jamal
Khashoggi.

Les remarques des sénateurs ont révélé que Mme Haspel avait soit
directement déclaré à son auditoire que le prince héritier était politique-
ment responsable, soit partagé avec eux des informations qui ont permis aux
sénateurs de conclure à la culpabilité de MBS. Le Washington Post a
rapporté le 4 décembre que les sénateurs en question ont interprété les liens
entre MBS et l'assassinat de Khashoggi comme suit:
Les sénateurs sont sortis d'un huis clos inhabituel avec la directrice de la
CIA mardi et ont accusé le prince héritier saoudien de complicité dans le
meurtre du journaliste. Dans certaines de leurs plus fermes décla-rations à
ce jour, les législateurs ont affirmé que les preuves présentées par l'agence
d'espionnage américaine démontraient de manière écrasante l'implication du
prince héritier Mohammed ben Salmane dans l'assassi-nat. «Il n'y a pas de
preuve irréfutable - il y a une scie fumante», a déclaré le sénateur

Lindsey O. Graham (C.S.R.), faisant référence à la scie pour os qui,


selon les enquêteurs, a été utilisée pour démembrer Khashoggi après son
exécu-tion par des agents saoudiens le 2 octobre à Istanbul.

Munis de détails confidentiels fournis par Gina Haspel, la directrice de la


CIA soigneusement sélectionnée par le président Trump, les séna-teurs ont
mis en pièces les arguments avancés par les hauts responsables de
l'administration qui avaient auparavant insisté sur le fait que les preuves du
rôle présumé de Mohammed étaient peu probantes. Le fossé qui s'est creusé
entre les législateurs républicains et le président sur la ma-nière de réagir à
l'assassinat du journaliste semble s'être élargi après la séance d'information
de mardi, alors que M. Graham, l'un des plus proches alliés de M. Trump au
Sénat, a annoncé qu'il n'était plus disposé à travailler avec le prince héritier,
que la Maison-Blanche considère comme l'un de ses plus importants alliés
au Moyen-Orient.

Ces derniers jours, le secrétaire d'État Mike Pompeo et le ministre de la


Défense Jim Mattis ont déclaré qu'aucun élément de preuve ne per-mettait
d'établir un lien irréfutable entre Mohammed et le meurtre. Mais les
sénateurs ont répondu que cela n'avait aucune importance, car les preuves
qu'ils ont entendues les ont convaincus au-delà de tout doute. «Si le prince
héritier se présentait devant un jury, il serait condamné en trente minutes»,
a déclaré le sénateur Bob Corker (R-Tenn.), président de la com-mission
sénatoriale des affaires étrangères.

Haspel, qui avait refusé de comparaître aux côtés de Mattis et de


Pompeo à l'occasion d'une séance d'information sur la politique américa-no-
saoudienne destinée à l'ensemble du Sénat la semaine dernière, a été
rejointe par le personnel de l'agence et a prononcé ce que les législateurs ont
décrit comme une présentation convaincante et décisive des preuves que la
CIA a analysées depuis l'assassinat de Khashoggi. «Nous avons en-tendu ce
matin le témoignage le plus clair à ce jour des services de renseignement»,
a déclaré M. Corker par la suite lors d'une audition de confirmation des
candidats du gouvernement Trump. «Je suis ici depuis 12 ans, et je n'ai ja-
mais, au grand jamais, entendu une présentation comme celle
d'aujourd'hui.» Graham a refusé de répéter les propos des responsables de la
CIA, mais dans une brève entrevue avec le Post, il a dit: «Vous pouvez être
sûrs que c'était exhaustif et que les preuves sont accablantes.» Graham a
critiqué Pompeo et Mattis, estimant qu'ils «suivaient la voie tracée par le
président.» Il les a appelés de «bons soldats», et a ajouté qu'il faudrait être
«volontairement aveugle pour ne pas arriver à la conclusion» que
Mohammed était «intimement impliqué dans la mort de Khashoggi.»
Graham a clairement indiqué que la culpabilité du prince héritier avait
provoqué une rupture dans les rela-tions américano-saoudiennes et que les
États-Unis devraient se jeter sur le gouvernement de Riyad comme «une
tonne de briques». Il a fait savoir qu'il ne pouvait plus soutenir les ventes
d'armes aux Saoudiens aussi longtemps que Mohammed était en charge:
«L'Arabie Saoudite est un allié stratégique et cette relation mérite d'être
sauvée - mais pas à tout prix.»

Le sénateur Richard J. Durbin (D-Ill.) a déclaré que les sénateurs avaient


demandé à Haspel de revenir plus tard et de donner le même ex-posé à tous
les membres de la chambre[9] . Un autre article, publié le jour même par le
Post, a révélé que le contenu de la séance d'information de Haspel était
«tout le contraire de la version des faits présentée par le président Trump et
son secrétaire d'État, Mike Pompeo .»[10]

LE MIT ACCUEILLE UN CURIEUX ATELIER

Une série de rencontres officieuses entre Hakan Fidan, chef du MIT et


quelques membres du Congrès américain, à peu près à la même période, a
attiré autant d'attention à Washington que le briefing de Gina Haspel. Serdar
Turgut, correspondant de Habertürk à Washington, a rap-porté cette histoire:
Des sources américaines ont révélé à [Habertürk] que le sous-
secrétaire du MIT, Hakan Fidan, était présent au Congrès américain et
qu'il avait tenu une série de réunions à huis clos, au cours desquelles il a
partagé des informations sur le meurtre de Khashoggi avec des membres
du Congrès.

Nos sources n'ont pas répondu clairement à la question de savoir si


Fidan était en visite de son propre chef ou sur invitation. Il n'a pas non
plus été possible d'établir si, dans ce dernier cas, il avait été invité par la
directrice de la CIA ou par la Commission spéciale du renseignement.

Il est de notoriété publique que la directrice de la CIA, Gina Haspel,


a pris un vol de nuit vers la Turquie et a vu les preuves, que les
responsables du MIT et les hauts dirigeants ont accepté de lui montrer. Il
est possible que la visite actuelle de Ha-kan Fidan soit une réponse à la
visite antérieure de Haspel. Les responsables américains trouvent
intéressant que le chef du MIT partage des informations avec le Sénat à
un moment où le meurtre de Khashoggi alimente les tensions entre le
Sénat et la Maison-Blanche, et où le Sénat prend position contre
Mohammed ben Salmane. Ces sources estiment que la Maison -Blanche
pourrait réagir contre cette évolution[11] .

Avant d'entrer dans les détails de cette séance d'information inhabi-


tuelle, citons un autre article portant sur la même question. L'article sui-
vant, diffusé par Reuters auprès de ses abonnés, a été publié dans le New
York Times:

Selon certaines sources, le chef des services de renseignement turcs


s'est rendu à Washington pour rencontrer des législateurs et des
responsables des renseignements américains.

Hakan Fidan, un proche confident du président turc Tayyip Erdogan,


a rencontré des sénateurs pour aborder les ques-tions relatives à l'OTAN
et devait s'entretenir avec des respon-sables du renseignement américain
dans le courant de la journée de vendredi.
Mais cette question n'était pas au centre des discussions avec les
sénateurs et la partie turque s'est abstenue d'en faire le sujet principal de
leurs réunions.
Les principaux sénateurs américains ont dit vouloir punir l'Ara-bie
Saoudite pour ce meurtre, malgré la décision du président Do-nald
Trump de se ranger du côté de son allié de longue date.

Bien que les deux pays aient collaboré à l'enquête sur l'af-faire
Khashoggi, la relation américano-turque a été entachée par des
désaccords sur un certain nombre de questions allant de la Sy-rie au
désir de la Turquie d'acheter des systèmes de défense russes.

Les relations entre Ankara et Washington ont commencé à s'améliorer


après la libération, au mois d'octobre, du pasteur amé-ricain Andrew
Brunson, qui était en procès pour des accusations liées au terrorisme en
Turquie.

Mais les alliés de l'OTAN restent divisés sur d'autres questions, y


compris la politique américaine en Syrie, l'ambition d'Ankara d'acheter des
systèmes de défense anti-missiles russes et la demande turque aux Etats-
Unis d'extrader Fethullah Gulen, un ecclésiastique accusé par Ankara
d'avoir organisé un putsch avorté en 2016. Gulen nie toute implication.il a
rencontré le représentant spécial du premier ministre Justin Trudeau et son
homologue canadien. Il s'est ensuite envolé pour Washington, où il a
participé à une table ronde avec des membres du Congrès américain. Fidan
s'est également entretenu avec le conseiller du président Trump en matière
de sécurité nationale. Après avoir vu Fidan, les Canadiens étaient de plus en
plus convaincus que Mohammed ben Salmane était respon-sable de la mort
de Khashoggi.

De toute évidence, Fidan a fait toutes ces rencontres avec l'approba-tion


du président Erdogan. La table ronde au Capitol Hill, qui n'était pas
conforme aux conventions du renseignement ou de la diplomatie, comp-tait
également pour une rencontre non officielle sous forme d'atelier. Nous
estimons que certains membres du Congrès n'étaient pas satisfaits du brie-
fing confidentiel de Gina Haspel et voulaient recevoir des informations
directement de la bouche du chef des espions turcs.
Malgré la position floue du président américain Donald Trump sur cette
réunion, nous pouvons supposer que la directrice de la CIA était au courant
de la table ronde du Congrès à l'avance et qu'elle a peut-être accueilli ce
briefing favorablement. Le fait que Fidan ait rencontré Haspel après cet
événement ne fait que confirmer ce point. On peut considérer cette réunion
comme une manifestation de la puissance politique crois-sante de la
Turquie dans l'arène diplomatique. Au début des années 2000, les
responsables de la CIA en visite en Turquie ont souvent omis de notifier le
MIT ce qui constitue une rupture avec le protocole, et de ren-contrer
directement les hauts fonctionnaires du chef d'état-major militaire. De
nombreux cas de ce genre se sont produits dans le passé. Aujourd'hui, il
serait inconcevable qu'un directeur de la CIA puisse se rendre en Tur-quie et
contourner les services de renseignement turcs pour prendre des rendez-
vous à Ankara.

Ce changement reflète la forte direction politique de la Turquie, qui a


centralisé le pouvoir entre les mains du président grâce à la détermina-tion
d'Erdogan et au nouveau système de gouvernement du pays. Au-delà de
leurs diverses issues politiques, les efforts diplomatiques fructueux
d'Ankara ont influencé la décision du Time Magazine de nommer le jour-
naliste assassiné comme son Homme de l'année 2018[12] .

LE MANDAT D'ARRÊT

La forte direction politique de la Turquie a permis au pouvoir judi-ciaire


de prendre des mesures audacieuses suite à l'assassinat de Khashog-gi.
Après avoir émis des mandats d'arrêt contre les 15 assassins et les 3
complices qui ont planifié l'assaut, le bureau du procureur général à Is-
tanbul a demandé des mandats d'arrêt contre Ahmad bin Mohammed Al-
Assiri, le directeur adjoint de l'agence saoudienne de renseignement, et
Saoud Al-Qahtani, le conseiller du prince héritier saoudien, car il soup-
çonnait les deux hommes d'être parmi ceux qui avaient planifié l'assassi-nat
de Khashoggi. En quelques heures, un tribunal turc a rendu l'ordon-nance.
Un document officiel, signé par le procureur général par intérim Hasan
Yilmaz et adressé au tribunal pénal de service, exposait les conclu-sions de
l'accusation et demandait au tribunal de délivrer un mandat d'arrêt à
l'encontre de deux autres personnes - Assiri et Qahtani. L'accusa-tion a
déclaré que les deux hommes étaient accusés de «meurtre avec prémé-
ditation, empreint d'émotions atroces ou commis sous la torture». Voici le
contenu du document:

Le bureau du procureur général a initié une enquête pour examiner


l'allégation que Jamal Khashoggi, ressortissant du Royaume d'Arabie
Saoudite, s'est rendu au consulat de son pays à Istanbul le 2 octobre
2018 pour les formalités de mariage, n'est jamais sorti et a disparu.
L'enquête étant toujours en cours, les autorités d'Arabie Saoudite ont
officiellement annoncé que Khas-hoggi avait été assassiné. Notre enquête
a permis de conclure que 15 suspects sont arrivés à Istanbul en
provenance d'Arabie Saou-dite sur des vols commerciaux et à bord de
jets privés le 1er octobre 2018, se sont rendus au consulat d'Arabie
Saoudite, au sein du-quel Khashoggi a été tué, puis à la résidence
consulaire le 2 oc-tobre 2018, et sont repartis en Arabie Saoudite le
même jour à bord de jets privés et de vols commerciaux.
Il a été établi que les quinze suspects, qui sont venus à Is-tanbul en
provenance du Royaume d'Arabie Saoudite, étaient Badr Lafi Al-Otaiba
(né en 1990, numéro de passeport S077451), Walid Abdullah Al-Shahry
(né en 1980, numéro de passeport R120404), Mustafa Mohammed Al-
Madani (né en 1961, numéro de passeport P797794), Abdelaziz Moham-
med Al-Hossawi (né en 1987, passeport numéro W188493), Khaled Aiz
Al-Taby (né en 1988, passeport numéro P39681), Mohammed Saad Al-
Zahrani (né en 1988, passeport numéro T233763), Naif Hassan Al-Arifi
(né en 1986, numéro de passeport S077455), Mashal Saad Al-Bostani
(né en 1987, numéro de passeport R339037), Fahd Shabib Al-Balawi (né
en 1985, numéro de passeport N163990), Sair Ghaleb Al-Harby (né en
1979, numéro de passeport P723557), Turki Musharraf Al-Shahry (né en
1982, numéro de passeport R910638), Salah Mohammed Al-Tubaigny
(né en 1971, pas-seport numéro S052512), Sayf Saad Al-Qahtani (né en
1972, passeport numéro U051094), Mansour Othman Aba Hussein (né
en 1972, passeport numéro D122725) et Maher Abdulazez Mutreb (né en
1971, passeport numéro D088677).
Il a également été établi que trois employés du consulat de la KSA,
Ahmad Abdullah Al-Muzaini (né en 1970, numéro de passeport
D093511), Muflis Shaya Al-Musleh (né 1987, numéro de passeport
D120719) et Saad Muid Al-Qarni (né en 1980, numéro de passeport
D121398), également suspects, sont retournés en Arabie Saoudite aux
côtés des 15 suspects susmen-tionnés.
Nous avons appris que les autorités judiciaires du Royaume d'Arabie
Saoudite enquêtent sur Ahmad bin Moham-med Al-Assiri et Saoud Al-
Qahtani, ainsi que sur les 18 sus-pects susnommés, sachant qu'Al-Assiri
et Al-Qahtani figuraient parmi les planificateurs du meurtre de Jamal
Khashoggi.
Un mandat d'arrêt contre 18 suspects, fortement soupçon-nés d'avoir
tué, avec préméditation, des émotions atroces ou sous la torture, Jamal
Khashoggi, qui s'est rendu au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul le 2
octobre 2018 pour les formalités de ma-riage.
À la lumière des informations dévoilées par l'enquête des autorités
judiciaires du Royaume d'Arabie Saoudite, nous soup-çonnons fortement
qu'Al-Assiri et Al-Qahtani étaient parmi les organisateurs du meurtre
perpétré par les 18 suspects. Ainsi, il y a de fortes suspicions qu'Al-
Assiri et Al-Qahtani, ainsi que les 15 suspects venus d'Arabie Saoudite
dans notre pays et les trois employés du consulat d'Arabie Saoudite à
Istanbul, ont assassiné, avec préméditation et des émotions monstrueuses
ou par la torture, Jamal Khashoggi, qui s'est rendu au consulat d'Arabie
soudite à Istanbul le 2 octobre 2018 pour les formalités de mariage.
L'en-quête portant sur d'autres individus, qui ont été complices du crime,
se poursuit.
Compte tenu de ce qui précède: Au nom du peuple, nous demandons
un mandat d'arrêt contre les suspects, dont les rensei-gnements
personnels sont énumérés ci-dessous, en vertu de l'article 100 du Code
pénal.
Suspect: Ahmad ben Mohammed Al-Assiri (né en 1950 - Asr, Arabie
Saoudite)
Chef d'accusation: Meurtre avec préméditation et émotions atroces
ou par la torture En vertu des articles 81 et 82/a et /b du Code pénal turc
n° 5237
Date du crime: 2 octobre 2018
Lieu du crime: Besiktas, Istanbul
Suspect: Saud Al-Qahtani (né le 7 juin 1980 - Riyad, Arabie Saoudite)
Chef d'accusation: Meurtre avec préméditation et émotions atroces
ou par la torture En vertu des articles 81 et 82/a et /b du Code pénal turc
n° 5237
Date du crime: 2 octobre 2018
Lieu du crime: Besiktas, Istanbul[13]

Avant que ce livre ne soit mis sous presse, un développement ma-jeur a


eu lieu. Alors qu'elle venait de prendre la présidence du G20 pour 2020,
l'Arabie Saoudite a rejeté la demande turque d'extradition des deux
suspects. Selon les médias, le raisonnement saoudien était le suivant:

L'Arabie Saoudite a rejeté la demande de la Turquie d'extrader les


ressortissants saoudiens visés par l'enquête sur le meurtre de Jamal
Khashoggi. En réponse à une question posée lors d'une conférence de
presse après le sommet du Conseil de coopéra-tion du Golfe dimanche,
le ministre saoudien des Affaires étran-gères Adel Al-Jubeir a déclaré:
«Nous ne pouvons pas extrader nos citoyens.»
Plus tôt cette semaine, la Turquie a émis un mandat d'ar-rêt contre
l'ancien chef adjoint des services de renseignements saou-diens, Ahmad
Al-Assiri, et l'ancien conseiller du prince héritier, Saoud Al-Qahtani.
Dans son discours, Jubeir a accusé Ankara de ne pas coopé-rer
suffisamment avec Riyad. Jubeir a déclaré que la Turquie «n'a pas a été
aussi transparente que nous le pensions (...) l'information qu'ils nous ont
communiquée était la même que celle qui a été divulguée aux journaux.»
Jubeir a également déclaré qu'ils attendaient de la Turquie des
preuves recevables devant les tribunaux:
«Nous avons demandé à nos amis turcs des preuves que nous pou-vons
utiliser devant la cour. Nous ne les avons pas reçues comme nous
l'aurions dû.»
Qualifiant le meurtre de Khashoggi de tragédie, Jubeir a affirmé que
les responsables saoudiens avaient essayé de découvrir qui avait commis
le crime et comment depuis le début.
Au lendemain de l'assassinat de Khashoggi, l'Arabie Saoudite a
affirmé que le journaliste saoudien était sorti du bâ-timent.
Le bureau du procureur général à Istanbul, qui supervise l'enquête
sur Khashoggi, a demandé un mandat d'arrêt contre Ahmad Al-Assiri,
l'ancien chef adjoint des services de renseigne-ment saoudiens, et Saoud
Al-Qahtani, un ancien conseiller du prince héritier, accusés de meurtre
avec préméditation et émotions atroces ou sous la torture.
Le tribunal pénal de service, qui a traité la demande, a délivré le
mandat d'arrêt. Ahmad Al-Assiri et Saud Al-Qahtani font partie des cinq
fonctionnaires qui ont été démis de leurs fonctions au lendemain de la
mort de Khashoggi.
L'Arabie Saoudite avait auparavant rejeté une demande turque pour
qu'une enquête internationale soit menée sur les cir-constances de cet
assassinat.
En réponse au ministre turc des Affaires étrangères Mevlut
Cavusoglu, qui a déclaré que «nous pensons maintenant qu'une enquête
internationale est nécessaire», Jubeir a affirmé que l'Arabie Saoudite
menait sa propre enquête et qu'une enquête in-ternationale n'était pas
nécessaire.
Shalan Al-Shalan, procureur général adjoint et porte-parole du
bureau du procureur général, a annoncé que 11 suspects seraient jugés
et que l'accusation demanderait la peine de mort pour 5 d'entre eux[14].

LE PILOTE PRÉFÉRÉ DE MBS

La réponse de Riyad au mandat d'arrêt turc visant Ahmad Al-Assiri,


l'ancien chef adjoint des services de renseignements saoudiens, et le
conseiller MBS, Saoud Al-Qahtani, a démontré une fois de plus que les
Saoudiens allaient faire tout ce qui était en leur pouvoir pour dissimuler le
meurtre de Khashoggi. Ahmad Al-Assiri, dont les Turcs ont demandé
l'extradition, n'est pas moins important qu'Al-Qahtani. Il serait l'un des plus
proches confidents du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.
Assiri, 66 ans, est né dans un petit village du sud-ouest du Royaume et a
gravi les échelons en rejoignant l'armée saoudienne. Il a servi dans l'armée
de l'air pendant plus de trois décennies et est devenu général de division.
Assiri a été formé dans les écoles militaires les plus prestigieuses du monde,
notamment la Royal Military Academy San-dhurst au Royaume-Uni, West
Point aux États-Unis et Saint-Cyr en France. De langue maternelle arabe,
Assiri parlait couramment l'anglais et le français. Il est devenu une figure de
proue en Arabie Saoudite après que le pays eut commencé à réprimer les
rebelles houthis dans le Yémen voisin en mars 2015. Assiri a servi de porte-
parole de la coalition interna-tionale qui a mené l'opération militaire au
Yémen et est devenu membre du cercle restreint du prince héritier saoudien.
En fait, de nombreux hauts fonctionnaires ayant participé à la campagne du
Yémen ont assumé des rôles prépondérants au sein du gouvernement
saoudien. Après tout, l'opé-ration saoudienne au Yémen constituait une
composante essentielle de la stratégie militaire de MBS.

Assiri a attiré l'attention du monde entier en réagissant avec agres-sivité


aux allégations de frappes aériennes menées par l'Arabie Saoudite au
Yémen sans faire la distinction entre les cibles militaires et civiles. Connu
pour être un homme calme, prêt à répondre à toutes sortes de questions,
Assiri a perdu son sang-froid lors d'une visite à Londres en mars 2017, où
des manifestants lui ont lancé des œufs pour protester contre la guerre du
Yémen. Les images vidéo de la manifestation mon-trent qu'Assiri, atteint
par un œuf, a bousculé la foule en guise de ré-ponse. Il a pris la tête des
services de renseignements saoudiens peu de temps après[15].

L'AUTRE GARDIEN DES SECRETS SAOUDIENS

C'est la stratégie de diplomatie juridique turque qui a obligé l'Arabie


Saoudite à envoyer son procureur général, Saud Al-Mujeb, à Istanbul afin
de découvrir quelles preuves étaient détenues par les Turcs contre les sus-
pects. Les mandats d'arrêt contre Qahtani et Assiri faisaient partie du même
stratagème. La visite du procureur général saoudien à Istanbul ne servait
qu'à confirmer que le tueur revient toujours sur les lieux de son crime.
Néanmoins, la Turquie a pu faire pression sur Riyad dans l'arène juridique -
comme elle l'avait fait dans le domaine du renseignement.

La délégation officielle qui s'est rendue en Turquie aux côtés du


procureur général comptait un général des services de renseignement
saoudiens, dont l'identité et la mission sont restées secrètes jusqu'à la pu-
blication de ce livre. Cet individu portait le même nom de famille que
Saoud Al-Qahtani, le conseiller, bras droit et confident du prince héritier.
Cet homme, Abdullah Al-Qahtani, a officiellement rejoint la délégation
saoudienne en tant que chef du bureau de crise. En d'autres termes, il était
chargé de surveiller tous les autres responsables. Arrivé la veille du
procureur général saoudien, Qahtani ne se gênait pas pour profiter de
l'effervescence de la vie nocturne d'Istanbul après une dure journée de
travail - et cela, avec une grande imprudence, malgré son passé d'espion.

Trois hommes portant le nom de famille de Qahtani, qui est assez


courant en Arabie Saoudite, étaient liés au meurtre de Khashoggi. Saud Al-
Qahtani, également appelé «le seigneur des mouches» en référence à l'ar-
mée des trolls qu'il commandait, a discrédité Jamal Khashoggi en le trai-
tant de traître. Il y a un mandat d'arrêt contre lui pour meurtre avec pré-
méditation, avec des émotions mortelles ou sous la torture. Sayf Saad Al-
Qahtani, membre de l'escadron de la mort qui a exécuté et démembré le
journaliste à Istanbul, a joué un rôle prépondérant dans la mise en œuvre du
complot. Enfin, Abdullah Al-Qahtani s'est rendu en Turquie dans le but de
camoufler l'assassinat de Khashoggi et a dû rentrer chez lui après des
réunions infructueuses avec des responsables du bureau du procureur
général à Istanbul et de l'organisation nationale du renseignement.

Ces trois personnes étaient directement responsables de la mort de Jamal


Khashoggi ou des tentatives rétrospectives de dissimuler l'incident. Sans
réponse à la question «qui est Jamal Khashoggi?», l'homme visé par les
dirigeants politiques saoudiens qui ont réuni ces hommes, il nous est im-
possible de comprendre toute l'histoire.
On a donc pu entendre le procureur
expliquer "qu'aucun indice récolté à
Istanbul ne permet de conclure qu'il y a eu
prémédita-tion du meurtre" ; il présente le
commando d'assassins comme "une
équipe de négociateurs qui n'avait pas du
tout l'intention au départ de tuer" (...) le
Washing-ton Post où David Ignatius nous
rappelle que dans l'équipe de 15 soi-disant
"négociateurs" se trouvait dès le départ un
méde-cin légiste qui avait pris soin de
venir avec sa scie à os.

France Culture
24 décembre 2019
1-Selon CNN International, ces personnes se sont présentées sous les noms de Malek et
Abdullah. Ils ont dit à Abdelaziz qu'ils étaient en visite sur ordre de Salmane et ont
contourné les circuits traditionnels pour lui proposer un emploi. >>>

2-Les dissidents appelaient ces trolls les «mouches électroniques». >>>

3-Transcription des déclarations d'Omar Abdelaziz aux auteurs le 3 décembre 2018. >>>

4-Cemal Kaşıkçı'yı Kaplan Takımı öldürdü iddiası " [L'équipe du Tigre aurait tué Jamal
Khashoggi], CNN Türk, 7 novembre 2018 >>>

5-Prensi kurtarma hamlesi" [Le geste pour sauver le prince], Yeni Şafak, 16 novembre
2018. >>>

6-Qahtani est un nom de famille répandu en Arabie Saoudite. Quatre hommes portant le
même nom sont mentionnés dans ce livre: un membre de la brigade de la mort, le
conseiller en propagande de Mohammed ben Salmane, le général des renseignements qui
aurait enquêté sur le meurtre de Khashoggi. >>>

7-www.nytimes.com/2018/11/04/world/middleeast/mckinsey-bcg-booz-allen-saudi-
khashoggi.html >>>

8-www.nytimes.com/2018/10/20/us/politics/saudi-image-campaign-twitter.html >>>

9-www.washingtonpost.com/world/national-security/cia-director-briefs-senators-on-saudi-
role-in-khashoggi-killing/2018/12/04/e6d6498c-f7d5-11e8-8d64-4e79db33382f_story.html
>>>

10-www.washingtonpost.com/politics/2018/12/04/gop-senators-come-out-say-it-trump-
administration-is-covering-up-khashoggis-killing/ >>>

11-Serdar Turgut, “MİT Başkanı Hakan Fidan ABD Kongresi’nde” [MIT President Hakan
Fidan at the U.S. Congress], Habertürk, 6 December 2018. >>>

12-Time dergisi Cemal Kaşıkçı'yı yılın kişisi seçti" [Le magazine Time nomme Jamal
Khashoggi personne de l'année], CNN Türk, 11 décembre 2018. >>>

13-Document officiel adressé à la Cour pénale de service par le Bureau du Procureur


général à Istanbul le 4 décembre 2018. >>>

14-"Suudi Arabistan, Türkiye'nin 2 şüpheliyle ilgili iade talebini reddetti" [L'Arabie Saoudite
rejette la demande turque d'extradition de deux suspects], Habertürk, 10 octobre 2018.
>>>

15-Suudi Arabistan'dan Kaşıkçı açıklaması: Bir daha asla..." [Déclaration de l'Arabie


Saoudite sur Khashoggi: plus jamais ça], Akşam, 26 octobre 2018. >>>
~ 21 ~
La carrière de
Jamal Khashoggi

La longue carrière journalistique de Jamal Khashoggi a été marquée par


des années de liens profonds, de censure, de restrictions et d'épuisement.
Des jalons ont balisé le parcours du journaliste assassiné, dont les relations
avec le fils du roi Salman ben Abdelaziz étaient, au mieux, tendues, jus-qu'à
sa mort. En rétrospective, le facteur décisif a sans doute été sa décision de
lancer l'Armée des abeilles, laquelle a probablement incité le prince
héritier saoudien à signer son arrêt de mort.

En réalité, Khashoggi a dû faire face à la censure et aux pressions à


chaque stade de sa carrière. Par exemple, le prince Mohammed ben Nayef,
qui a précédé Mohammed ben Salmane en tant que prince héritier, a fait
fermer de nombreux organismes de presse que Khashoggi gérait. Puis MBS
a ordonné le coup sur Jamal Khashoggi, faisant ainsi de Moham-med ben
Nayef le moins mauvais des candidats potentiels pour succéder au roi
Salman après sa mort. Ni Mohammed ben Nayef, ni MBS, n'étaient les
projets favoris du président américain Donald Trump, pas plus d'ailleurs que
ceux de l'état profond anglo-saxon.

Ce n'est pas un hasard si John Brennan, l'ancien directeur de la Central


Intelligence Agency, a apporté son soutien à Mohammed ben Nayef en
déclarant que le nombre d'arrestations avait diminué sous son mandat de
chef de cabinet et prince héritier, et a revu son jugement au lendemain de
l'ascension de Mohammed ben Salmane au rang de prince héritier. Ce n'est
pas non plus un hasard si le précédent prince héritier a reçu des formations
du FBI puis de Scotland Yard.
Comme Mohammed ben Nayef, Jamal Khashoggi a fait ses études aux
États-Unis. Né à Médine, en Arabie Saoudite, le 13 octobre 1958, il a
achevé ses études secondaires dans son pays natal avant de s'installer aux
États-Unis pour y poursuivre ses études supérieures. Au cours de sa
formation de premier cycle à l'Indiana State University, il a pu se
familiariser avec les mouvements islamiques[1] . Khashoggi s'est inscrit à
l'école supérieure immédiatement après l'obtention de son diplôme de
premier cycle en 1982 et y a décroché un MBA l'année suivante, à 25 ans.

Il est ensuite retourné en Arabie Saoudite où il a occupé le poste de


directeur régional des librairies Tihama en 1983-84 avant de se lancer dans
le journalisme. Entre 1985 et 1987, Khashoggi a été directeur ad-joint du
journal saoudien Okaz. Plus tard, il a été posté en Afghanistan comme
correspondant de guerre pour Arab News, une publication anglo-phone
basée à Riyad. Il s'est rendu en Afghanistan en 1988 et a pris con-tact avec
les combattants arabes arrivés dans la zone de conflit depuis, entre autres,
l'Arabie Saoudite. En mai 1988, alors qu'il travaillait pour Arab News,
Khashoggi a publié une série d'articles sur l'Afghanistan. En plus de ses
reportages pour Arab News, il a travaillé avec Al Sharq Al Awsat, un
journal de langue arabe basé à Djeddah.

Sur fond du conflit soviéto-afghan, pendant lequel les États-Unis ont


soutenu Oussama ben Laden, Khashoggi a interviewé plusieurs fois le futur
chef d'Al-Qaïda en Afghanistan et au Soudan. À cette époque, il a publié
des articles sur le jihad afghan dans le journal Al-Hayat. Fort d'une vaste
expérience sur le terrain, Jamal Khashoggi était l'un des plus grands
spécialistes mondiaux de l'Afghanistan et probablement le journa-liste le
plus compétent en matière de groupes armés dans la région.

Au cours de cette même période, Khashoggi a renforcé ses relations


personnelles avec le prince Turki ben Faisal, chef de la Direction générale
du renseignement d'Arabie Saoudite et fils du roi Faisal. De toute évi-dence,
le Royaume a participé à la guerre soviéto-afghane aux côtés des États-
Unis. La participation saoudienne au conflit s'apparentait à une guerre par
procuration. En tant qu'officier supérieur du renseignement, le prince Turki
a surtout bénéficié de l'expertise de Jamal Khashoggi sur le djihad afghan.
Selon certaines sources, le journaliste aurait participé à un effort de paix
entre Oussama ben Laden et la famille royale saoudienne au début des
années 1990.

À l'époque, le prince Turki était un agent de renseignement proche de la


CIA. Les relations étaient si étroites que le chef des espions saoudiens avait
supposément utilisé Oussama ben Laden pour gérer les opérations secrètes
de Langley en Afghanistan dès décembre 1979. L'allié de Khas-hoggi dans
les services de renseignements saoudiens a démissionné en août 2001 -
deux semaines seulement avant le 11 septembre.

Le prince Turki a dirigé les services de renseignements saoudiens


pendant 27 ans, soit plus de la moitié du mandat de J. Edgar Hoover à la
tête du FBI. Il a été nommé ambassadeur saoudien à Londres en 2003 et à
Washington deux ans plus tard, et a engagé Khashoggi comme son
conseiller. Le journaliste a travaillé avec le prince Turki jusqu'en 2007.
Turan Kışlakçı, l'un des amis les plus proches de Jamal Khashoggi, a confié
aux auteurs de ce livre que le journaliste disparu décrivait ainsi sa relation
professionnelle avec le prince Turki:

J'ai dit [à Khashoggi] qu'il était journaliste dans le domaine du


renseignement et je lui ai demandé pourquoi il conseillait Turki bin
Faisal. Il a répondu qu'«il n'y a qu'une seule aile au sein du régime
saoudien et cette aile a tendance par moments à exclure les religieux et
les conservateurs.» C'est pourquoi j'ai joué un rôle, et je suis heureux de
l'avoir fait. Après tout, c'est grâce à moi si le gouvernement [saoudien] a
soutenu les groupes palestiniens. [2]

Khashoggi a travaillé pour divers périodiques, dont Al Sharq Al Awsat,


Al Majalla et Al Muslimoon. Pour ce qui est des médias arabes, il a été
directeur de la rédaction et rédacteur en chef par intérim d'Al Madina de
1991 à 1999. Pendant cette période, il a effectué des reportages sur
l'Afghanistan, l'Algérie, le Koweït, le Soudan et le Moyen-Orient pour des
publications internationales. Les articles de Khashoggi sur l'Afghanis-tan
ont été publiés, entre autres, dans le quotidien de langue anglaise Saudi
Gazette. Lors de son passage à Al Madina, Khashoggi a suivi de près les
développements politiques en Turquie. En 1996, il s'y est rendu pour
couvrir les élections parlementaires, au cours desquelles le Parti So-cial a
remporté la majorité des voix.

De retour à Arab News, Khashoggi a travaillé de 1999 à 2003 comme


rédacteur en chef adjoint, avant d'accepter un poste de rédacteur en chef à
Al Watan, un important organisme réformiste. Il n'y a passé que 52 jours, la
direction du journal l'ayant licencié pour avoir publié un ar-ticle décriant les
structures religieuses en Arabie Saoudite. Mécontent de la sévérité des
critiques d'Al Watan, le régime saoudien a contraint Jamal Khashoggi
à s'exiler à Londres. Ce n'est qu'en avril 2007 qu'il a été rétabli dans ses
fonctions de directeur de la rédaction du journal Al Watan - où il est resté
jusqu'en mai 2010, date à laquelle il a été forcé de démis-sionner pour avoir
publié des articles critiques.

Étonnamment, ces 52 jours sont loin d'être le séjour le plus bref que
Khashoggi ait jamais effectué au sein d'un organisme de presse. Il a été
rédacteur en chef d'Al Arab, une chaîne de télévision basée à Bahreïn que
les autorités ont fermée après 11 petites heures. C'est le milliardaire saou-
dien Al-Walid ben Talal qui lui avait proposé ce poste. Khashoggi est
également intervenu en tant que commentateur sur diverses chaînes de
télévision internationales, dont MBC, BBC, Al Jazeera et Dubai TV.

Selon certaines sources, l'ancien prince héritier saoudien, Moham-med


ben Nayef, était mêlé à la décision de fermer Al Arab - c'est pourquoi
Khashoggi n'était apparemment pas en bons termes avec lui. Il va sans dire
que la relation tendue entre les deux hommes n'était pas aussi lourde de
conséquences que la relation profondément troublée et structurellement
problématique entre Khashoggi et MBS. Bien que le régime de MBS ait été
manifestement hostile au chroniqueur, Khashoggi n'a pas été jugé dans son
pays natal même sous le règne de facto du prince héritier. Il n'y avait pas de
mandat d'arrêt contre Khashoggi dans la base de données d'Interpol. Cela
n'a pas empêché le régime de MBS de le cibler et finale-ment de
l'assassiner.

Jamal Khashoggi était un journaliste pro-turc. Il pensait que la Turquie


pouvait servir de modèle pour de nombreux pays arabes, y com-pris son
pays natal, l'Arabie Saoudite. Certes, Khashoggi a parfois criti-qué le
gouvernement turc, mais il considérait la Turquie comme un exemple
positif pour le monde islamique. Khashoggi a appelé le monde à soutenir le
président Recep Tayyip Erdogan, surtout après la tentative de coup d’État
de juillet 2016 en Turquie. En même temps, le journaliste était un ardent
critique de la politique étrangère anti-turque de Moham-med ben Salmane.

En décembre 2016, le prestigieux journal britannique The Indepen-dent


a affirmé que Jamal Khashoggi n'était plus autorisé à passer à la télévision
parce qu'il avait critiqué le président américain Donald Trump. L'année
suivante, lorsque MBS est devenu le dirigeant de facto du Royaume,
Khashoggi s'est à nouveau exilé de son plein gré et s'est installé aux États-
Unis où il s'est mis à écrire une chronique pour le Washington Post[3].
Khashoggi avait le sentiment que MBS pourrait le rattraper bientôt lorsqu'il
a appris que de riches princes saoudiens, dont Al-Walid ben Talal qui avait
lancé Al Arab quelques années plus tôt, avaient été arrêtés dans le cadre
d'une prétendue campagne de lutte contre la corruption et étaient détenus
dans un hôtel de luxe. C'était la raison de son départ d'Arabie Saoudite.

Ayant déménagé à Washington en 2017, Khashoggi a rencontré Hatice


Cengiz lors d'un événement à Istanbul en mai 2018. Quelques mois plus
tard, il a décidé de l'épouser. Le reste, comme on dit, appartient à l'histoire.

LA VISION DU MONDE DE KHASHOGGI

Il est difficile de décrire la vision du monde d'une personne - même si


elle exprime ses opinions dans les journaux et les émissions de télévision.
Surtout aujourd'hui, où les circonstances exigent souvent des alliances et
des relations asymétriques, il est particulièrement ardu de formuler des
définitions aussi tranchées. Il est bien connu que Khashoggi était un «ra-
dical» dans les années 1980 et peut-être même dans les années 1990, et qu'il
pensait que le seul moyen de renverser les gouvernements corrompus dans
les pays arabes était d'infiltrer le système politique et de prendre le contrôle
- ou de les renverser par la violence politique.

Mais le temps a peu à peu changé Jamal Khashoggi, comme tout un


chacun. Dans ses dernières années, le journaliste était devenu un homme de
lettres qui n'adhérait à aucune idéologie, s'opposait au wah-habisme et au
salafisme, et pensait que son identité musulmane ne devait pas se cantonner
aux limites imposées par l'administration MBS et les anciens dirigeants du
régime saoudien. Dans certaines de ses déclarations publiques et interviews,
Khashoggi a appelé à une réforme de l'éducation religieuse en Arabie
Saoudite afin d'empêcher la propagation de fausses croyances dans le pays.
Il a estimé (et déclaré ouvertement) que les Saou-diens ne doivent pas trop
accorder de crédit aux paroles d'Ibn Taymiyyah, un érudit islamique qui a
jeté les bases du salafisme. Lorsqu'il travaillait à Al Watan, Khashoggi a dû
affronter la réaction des érudits religieux saou-diens qui publiaient des
articles et des caricatures critiques à l'égard de l'idéologie salafiste. En fait,
certains cheikhs ont même émis des fatwas stipulant que l'achat du journal
de Khashoggi constituerait un péché.

Comme de nombreux auteurs, Jamal Khashoggi s'intéressait aux livres, à


la musique et aux arts. De toute évidence, il n'était pas un libéral au sens
occidental du terme. Et pourtant, il se préoccupait de la liberté d'expression.
Dans une chronique du 7 octobre, David Ignatius du Was-hington Post a
comparé Khashoggi à George Orwell, le célèbre auteur du roman dystopien
1984:

George Orwell a intitulé une chronique régulière qu'il ré-digeait pour


un journal britannique au milieu des années 40 «As I Please», ce qui
signifie qu'il n'écrivait que ce qu'il pensait. Mon collègue saoudien Jamal
Khashoggi a toujours été animé de la même passion insistante pour dire
la vérité sur son pays, quoi qu'il arrive[4].

Khashoggi a bien accueilli l'atmosphère politique de la Turquie et a


voulu qu'il en soit de même pour l'Arabie Saoudite. Fervent partisan de la
présence militaire turque en Syrie, le journaliste a déclaré au cours d'une
émission de télévision que la Turquie représentait une énorme opportunité
pour les Syriens: «La Turquie a prouvé qu'elle était une partenaire idéale
pour le peuple syrien. L'Afrique a connu un succès spectaculaire. Ce n'était
pas seulement dû à la façon dont [les plans militaires] ont été mis en œuvre,
mais aussi au fait que cette guerre était très propre. Il n'y a pas eu la
moindre destruction.»[5] De plus, Khashoggi a dit à un média égyptien que
l'Arabie Saoudite avait cruellement besoin du même type de liberté qui
existe en Turquie. Dans la même interview, le journaliste a affirmé:

La révolution libyenne devait se produire, car deux types de régimes


se côtoient dans les pays arabes. Le premier type peut être réformé. Pas
le second. Le régime de Mouammar Kadhafi n'aurait pu être réformé.
Celui de Bachar [al-Assad] ne pouvait être réformé.

Par conséquent, une révolution était nécessaire pour facili-ter un


changement de régime. C'est ce qui s'est passé en Libye. La révolution
libyenne, qui a occasionné beaucoup de souffrances, de-vait réussir. Elle
avait toutes les ressources pour y parvenir. Une population réduite, des
richesses pétrolières et un peuple éduqué... On s'attendait à ce qu'elle
réussisse. Cependant, elle n'a pu trou-ver aucun frère arabe ou ami
européen.

Malheureusement, la vaste majorité a abandonné le peuple

libyen et s'est distanciée de lui. Une fois de plus, il est regrettable que le
peuple libyen soit confronté à sa solitude. En définitive, la révolution
libyenne a échoué et s'est retrouvée au point où elle en est aujourd'hui.

J'ai rédigé de nombreux articles sur l'administration du roi Salmane.


L'un d'eux était intitulé: «Il y a un souverain et une politique étrangère
pour chaque ère.»

Toute politique tournée vers le passé est vouée à l'échec. D'une


manière ou d'une autre, il faut la changer. C'est ce que je voulais dire à
l'État: Vous devez changer votre politique de lutte contre le printemps
arabe.

Voyons le cas de la Turquie. Vous et moi avons passé la nuit debout.


Si nous devions aller dans n'importe quelle mosquée d'Istanbul à 6
heures du matin pour la prière du matin, nous verrions des jeunes en
train de prier. J'ai pu le constater de mes propres yeux. Si vous regardez
de plus près, vous verrez qu'il n'y a aucune institution ici à Istanbul qui
frappe ceux qui ne font pas la prière. Ces jeunes gens vont à la mosquée
de leur plein gré par ce froid matinal. Voilà la beauté de la religion.

Le pays a grand besoin de liberté. Cette liberté serait d'une grande


aide pour le prince Mohammed ben Salmane. Après tout, ce n'est à ce
moment-là que les voix du peuple pourront l'atteindre (...)

Le Prophète lui-même a identifié les limites de la stratégie de l'Arabie


Saoudite. Il a dit: «Dieu, bénis notre Damas et notre Yémen.» Damas et
le Yémen marquent les limites de la Mecque. Nous devons interpréter la
menace iranienne contre La Mecque en nous référant à Damas et au
Yémen. Si l'Iran a renforcé son in-fluence ces dernières années, c'est de
la faute de l'Arabie Saoudite. Où est la solidarité saoudienne-turque? En
miettes.

Certains disent que «la Turquie est notre ennemi parce qu'elle nous
traite injustement et qu'elle va stationner des troupes sur l'île de
Sawakin». Tout d'abord, cette information est erronée. Même le Soudan a
annoncé qu'il n'y avait pas d'accord militaire sur Sawakin.

Leur but est de revitaliser ce lieu historique. Historique-ment, il est


proche de Jeddah. En effet, l'Arabie Saoudite aurait pu assumer elle-
même ce rôle. Après tout, les bâtiments de Jeddah ressemblent beaucoup
à ceux de Sawakin.

Et même s'il y a un accord militaire sur Sawakin, qu'est-ce que cela


peut faire?

Les Turcs sont-ils nos ennemis? Les Turcs ont protégé la Mer Rouge
et les Saintes Mosquées pendant plus de trois cents ans. Qui a protégé la
Sainte Mosquée contre les Portugais? Au XVIIème siècle, les Portugais
ont tenté de fouler le sol de Médine. Le sultan Sélim a formé une marine
et a construit des ports le long de la mer Rouge. Les Turcs sont des
nôtres. Ils font partie des ahl al-sunna et de la communauté [islamique].
Notre destin et le leur ne font qu'un. Alors pourquoi toute cette hostilité
contre les Turcs?
Nous rêvions du retour de la Turquie dans le giron arabe. Maintenant
que cela s'est produit, en sommes-nous tout à coup mécontents? Cela n'a
aucun sens. Erdogan a un jour déclaré que ceux qui ont renoncé à
Jérusalem ont renoncé aux saintes mos-quées. Je crois que cette
affirmation est juste. Après tout, Jérusa-lem est complémentaire des
saintes mosquées. Personne ne doit se sentir offensé par cette
affirmation. Elle est vraie. L'émir Mo-hammed doit dire que nous voyons
Jérusalem comme nous voyons les saintes mosquées, qu'il est un fils du
serviteur des saintes mos-quées et que, pour lui, Jérusalem ne peut être
séparée des saintes mosquées. Il doit dire que sa légitimité ne peut être
entière sans Jérusalem.

Depuis la mort du roi Faisal, nous imprimons une image de


Jérusalem sur le billet de 50 riyals et disons que Jérusalem est la
dernière volonté du roi Faisal. Pourquoi sommes-nous troublés par cette
déclaration maintenant? C'est une déclaration exacte ! Que valons-nous
à Damas ou à Jakarta sans Jérusalem? Com-ment pouvons-nous
considérer Jérusalem comme une entité diffé-rente? Oui, en vérité, nous
l'avons perdue militairement. Pour-tant, nous devons la protéger (...)

La Turquie a certaines responsabilités envers le Qatar. Les deux pays


sont politiquement indépendants et ont conclu des traités bilatéraux.
Pourquoi considérons-nous cela comme un acte d'hosti-lité contre
l'Arabie Saoudite?

Malgré toute la couverture négative dans les médias saou-diens, la


Turquie travaille dur pour maintenir de bonnes rela-tions avec l'Arabie
Saoudite. Nous devons soutenir les liens étroits entre l'Arabie Saoudite et
la Turquie. Nous ne devons pas laisser certains hommes saboter les
relations entre les deux derniers pays phares de la ''Oumma'' islamique.

Nous devons préserver cette relation du mieux que nous le pouvons.


Je comprends la position de la Turquie. Évidemment, on m'accuse
toujours d'être pro-Turquie. En effet, je vois ceux qui sont assis dans
leurs pièces sombres et qui ne me considèrent plus comme leur ami. Ils
m'attaquent parce que j'appelle à la solidarité.
La Turquie est un pays prospère et elle mérite le respect. La Turquie
et l'Arabie Saoudite pourraient travailler ensemble pour s'opposer à
deux ou trois choses: l'expansionnisme régional de l'Iran, le chaos qui
règne dans la région et nos difficultés à nous remettre sur pied[6] .

LES RACINES DE LA FAMILLE

Jamal Ahmad Khashoggi était le petit-fils de Mohammed Khas-hoggi


originaire de la ville de Kayseri, en Turquie, qui travaillait comme médecin
au service du fondateur de l'Arabie Saoudite, Abdelaziz ben Saoud. En
d'autres termes, Khashoggi est lié à la Turquie par son grand-père.
La famille Khashoggi s'est installée à Médine au XIXe siècle, bien avant la
dislocation de l'Empire Ottoman. La famille, arrivée de Germir-Kayseri, est
devenue la famille Khashoggi dans la péninsule arabique. Les Khashoggis,
ou fabricants de cuillères, se considéraient comme une fa-mille de Médine -
plutôt que comme une famille saoudienne. De ce fait, Jamal Khashoggi se
souciait profondément de sa ville natale et se plai-gnait souvent des
constructions non planifiées à Médine et dans le reste du pays.

Soheir Khashoggi, la fille de Mohammed Khaled Khashoggi, n'est autre


que la mère de Dodi Fayed, qui était en relation avec Diana, prin-cesse de
Galles, lors du décès du couple dans un accident de voiture à Paris. L'un des
fils de Mohammed Khashoggi, Adnan, a fait fortune comme marchand de
pétrole et d'armes. Le frère d'Adnan, soit le père de Jamal, était Ahmad
Khashoggi. Dans une chronique du 15 octobre, l'his-torien Murat Bardakci
a fourni les informations ci-dessous sur la famille Khashoggi:

Au fil des ans, de nombreux écrits ont vu le jour [en Tur-quie] sur la
famille de Jamal Khashoggi, mais la plupart d'entre eux se rapportent à
la vie personnelle d'Adnan Khashoggi, l'oncle de Jamal et l'un des
hommes les plus riches du monde. Ayant constaté l'omission de la famille
Khashoggi et d'Adnan Khashog-gi en Turquie, je voulais partager
quelques rappels.

L'histoire de la famille Khashoggi, installée à Médine, a fait l'objet


d'un débat passionné. Selon l'opinion populaire en Turquie, les
Khashoggi seraient originaires du village de Germir près de Kayseri.
Certains hommes de cette famille ont voyagé en Arabie il y a environ
trois siècles pour y accomplir le hajj et se sont établis à Médine. Avec le
temps, leur nom turc a été arabisé pour devenir Khashoggi. Au début des
années 1900, ils ont re-joint le Comité d'Union et de Progrès et ont servi
comme collecteurs d'impôts à Médine. Mohammed Khaled Khashoggi,
père d'Ad-nan Khashoggi, a étudié la médecine en Europe et est devenu
le médecin privé du roi Abdelaziz, le fondateur de l'Arabie Saou-dite.

Jamal Khashoggi, qui est entré dans le consulat saoudien à Istanbul


sans jamais en sortir, était le fils d'Ahmad Khashoggi - un autre fils de
Mohammed Khaled.
Adnan était l'oncle de Jamal et son cousin était Dodi Fayed, qui est mort
dans un acci-dent de voiture en 1997 aux côtés de la princesse Diana.
Pen-dant des années, la rumeur courait que la famille Khashoggi était
d'origine turque. En fait, quelques archives ottomanes font mention d'un
Khashoggi, qui a été percepteur d'impôts à Médine, et de quelques
membres de sa famille. Mais il n'existe aucune trace de l'histoire de la
famille.

Selon des études européennes, les Khashoggis étaient plus circassiens


que turcs. Ils venaient de Kashghan, au nord de la mer Noire, où les
musulmans vivent depuis l'époque de Gengis Khan. On raconte que la
famille a quitté ses terres natales sous la pression des tsars russes, s'est
rendue à Médine où elle s'est ins-tallée (...)

Jusqu'à la disparition de Jamal Khashoggi, Adnan Khashoggi aurait


été le premier à nous venir naturellement à l'esprit du fait de sa richesse
et à sa vie aventureuse en tant que membre éminent de la haute société. Il
fut un temps où les jour-naux et les magazines du monde entier parlaient
des milliards d'Adnan, des manoirs qu'il possédait dans le monde entier,
de son jet privé, de son yatch géant (qu'il a vendu à Donald Trump), de
ses réceptions, de ses amis et de son mode de vie fastueux.

Adnan Khashoggi, qui aurait occupé de nombreux em-plois,


notamment comme trafiquant d'armes et investisseur, est en-tré dans le
radar de la Turquie au début des années 1980 grâce à Suha Ozgermi,
une autre célébrité de l'époque. Suha Ozgermi était connu dans le pays
en tant que playboy national, car il était toujours entouré de belles
femmes. Pourtant, peu de gens savaient que ce descendant d'aristocrates
ottomans et petit-fils de Faik Bey, qui travaillait dans le bureau
personnel du sultan Abdelhamid, possédait des usines textiles et payait
un montant record d'impôts jusqu'aux années 1980 (...) Sa famille
comptait de nombreux hommes d'État éminents. Le regretté Suha, qui
était un ami cher, a vendu ses usines au début des années 1980 et sa vie,
trépidante depuis sa jeunesse, a encore gagné en couleur après son
départ du monde des affaires. Il a voyagé à travers le monde, s'est
beaucoup amusé et s'est mis à organiser des concours de beauté dans
diffé-rentes villes.

Bien qu'Adnan Khashoggi n'ait pas réussi à entrer en Turquie en tant


qu'homme d'affaires, il nous a été présenté comme une excellente figure
des tabloïds grâce à Suha Ozgermi! Lui et sa fille Nabila, en hommage à
qui il a baptisé son yatch renommé mondialement, sont devenus célèbres.
Nabila Khashoggi a été membre du jury des concours de beauté
organisés par Suha Ozgermi (...)

À l'époque, Suha Ozgermi a invité Adnan Khashoggi en Turquie à


plusieurs reprises et a déployé beaucoup d'efforts pour y faire affaire
avec lui. Bien que d'autres entrepreneurs aient en-suite consenti des
efforts similaires, cela n'a jamais fonctionné.

L'argent de Suha Ozgermi s'est épuisé quelques années plus tard et il


est décédé en 2013. Avec le temps, la chance de Khashoggi a tourné,
puisqu'il s'est même retrouvé dans une prison suisse. Sa fortune s'est
évaporée et il est mort l'année dernière dans un hôpital britannique sans
un dollar à son nom[7].

De nombreuses légendes urbaines entourent les origines de la fa-mille


Khashoggi. L'une des hypothèses les plus intéressantes (quoique infondées)
est que la famille Khashoggi avait des ennuis avec l'Empire Ottoman, parce
qu'elle était propriétaire du Diamant du fabricant de cuillères, et a dû
déménager à Medine. D'autres pensent que les Khas-hoggis étaient des
muezzins à Kayseri et, ensuite, à Médine - et qu'ils avaient même travaillé
au Masjid an-Nabawi. Avant sa mort, Jamal Khashoggi a parlé de son
parent, Adnan, à son ami, Turan Kışlakçı: «Nous sommes dans des régions
différentes. Nous n'avons aucun lien!»

Adnan Khashoggi, le seul membre célèbre de sa famille jusqu'à la mort


de Jamal, était un trafiquant d'armes dans les années 1970 et 1980. Il aurait
accumulé plus de 4 milliards de dollars grâce à ses relations étroites avec
l'administration américaine à peu près au même moment que le scandale de
Watergate aux Etats-Unis. Jamal Khashoggi a pris ses dis-tances avec ses
proches, mais il s'est tout de même occupé d'eux. Il avait 6 sœurs et 2 frères
- ainsi que 2 fils, Abdallah (34 ans) et Salah (36 ans), et deux filles, Nuha
(28 ans) et Rezan (26 ans). Mustafa Ozcan, journaliste et écrivain, a partagé
les informations suivantes sur l'histoire intéressante de l'exil volontaire de
Khashoggi d'Arabie Saoudite dans une chronique publiée sur le site Internet
de Fikriyat:

Le régime saoudien a tenté de le convaincre de retourner dans son


pays, qu'il a quitté de manière problématique et compli-quée, afin de le
garder sous son contrôle. Ils ont détenu sa femme et ne l'ont pas laissée
quitter le pays avec lui. Au contraire, ils l'ont obligé à divorcer de sa
femme et les ont séparés. En d'autres termes, ils ne l'ont pas autorisé à
emmener sa femme avec lui.
À l'époque, il était marié à la fille d'Abdallah Omar Nassif, secrétaire
général du Congrès Musulman Mondial. Au final, l'administration
saoudienne a invoqué la méthode omeyyade - qui appelle à l'annulation
du mariage pour avoir rompu sa bayah. C'est ainsi que Jamal Khashoggi
vivait comme un célibataire à Washington depuis plus d'un an.[8].

Selon une autre allégation sur la vie personnelle de Jamal Khas-hoggi, il


aurait contracté un mariage religieux avec une Égyptienne. Cin-quante jours
après l'assassinat, H. Atr a déclaré au Washington Post qu'elle s'était mariée
avec Khashoggi et a partagé avec le journal sa correspon-dance personnelle
et des photographies de leur cérémonie de mariage[9] . Cette allégation
semble s'inscrire dans une tentative de discréditer le jour-naliste aux yeux
du public.
1-www.middleeasteye.net/opinion/jamal-khashoggi-different-sort-saudi >>>

2-Déclaration de Turan Kışlakçı aux auteurs. >>>

3-Cağıl Kasapoğlu, "Cemal Kaşıkçı neden Suudi Arabistan 'ın hedefiydi?" [Why Did Saudi
Arabia Target Jamal Khashoggi?], BBC Turkish, 23 octobre 2018. >>>

4-www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/jamal-khashoggi-chose-to-tell-the-
truth-its-part-of-the-reason-hes-beloved/2018/10/07/4847f1d6-ca70-11e8-a3e6-
44daa3d35ede_story.html >>>

5-Gazeteci Cemal Kaşıkçı'nın röportajı ortaya çıktı" [Un entretien avec le journaliste Jamal
Khashoggi fait surface], Timetürk, 20 octobre 2018. >>>

6-Transcription de l'émission TV Yaz Boz. >>>

7-Murat Bardakçı, " La famille Khashoggi, ou Haşukci ", Habertürk, 15 octobre 2018. >>>

8-Mustafa Özcan, Karakutu [La Boîte Noire], Fikriyat, 11 octobre 2018. >>>

9-Kaşıkçı'nın dini nikahlı eşi ortaya çıktı" [La conjointe mariée religieusement à Khashoggi
se manifeste], Yeni Şafak, 18 novembre 2018. >>>
~ 22 ~
Les plaques d'identification
de l'escadron de la mort

Tous les membres de l'escadron de la mort, qui se sont rendus en Turquie


pour exécuter Jamal Khashoggi, étaient des professionnels employés par
divers organismes gouvernementaux saoudiens. Maher Abdelaziz Mutreb
était sans doute le doyen et le chef du groupe. Selon la police nationale
turque, Mutreb (né en 1971, numéro de passeport D088677) était un général
de brigade des services de renseignements saoudiens et faisait par-tie de la
soi-disant équipe d'intervention spéciale. Le nom Mutreb figurait sur une
liste de fonctionnaires diplomatiques publiée en 2007 par le gou-vernement
britannique. En conséquence de quoi il a occupé le poste de premier
secrétaire à l'ambassade saoudienne à Londres. Les photographies de mars
2017 montrent que Mutreb a accompagné le prince héritier saoudien
Mohammed ben Salmane lors d'au moins trois voyages à l'étranger sur une
période de plusieurs mois. L'une de ces photographies a été prise au cours
de la visite de MBS au Massachusetts Institute of Technology. Après la
parution de la photographie de Mutreb dans Sabah, CNN Inter-national, a
pu établir, en citant des sources, que l'agent saoudien était un colonel des
services de renseignements saoudiens. Il en est ressorti que Mutreb avait
gravi les échelons depuis ses jours à Londres.

LE MÉDECIN LÉGISTE

Le deuxième plus âgé des membres de l'escadron de la mort saou-dien


était Salah Mohammed Al-Tubaigny (né en 1971, passeport numéro
S052512), un expert médico-légal qui a démembré le corps de Jamal
Khashoggi. En plus de présider l'Institut médico-légal du ministère de
l'Intérieur saoudien, il était lieutenant colonel dans l'armée. Tubaigny a
achevé ses études supérieures en 2004 à l'Université de Glasgow, où il s'est
spécialisé dans les cadavres. L'année suivante, il a passé 2 mois à l'Institut
victorien de médecine légale en Australie. Le compte Twitter de M. Tu-
baigny le décrivait comme le chef de l'Institut médico-légal d'Arabie
Saoudite et affichait un lien vers le site web du ministère de l'Intérieur
saoudien. En 2014, le journal arabe Al Sharq Al Awsat, basé à Londres, a
décrit Tubaigny comme un lieutenant-colonel du département de la sécu-rité
publique du ministère de l'Intérieur - ce qui était aussi vrai.

Tubaigny a enseigné la médecine légale aux agents de sécurité et de


renseignement saoudiens. En 2014, il a lancé un laboratoire d'autopsie
mobile grâce à un investissement de 2,4 millions de dollars du gouverne-
ment. Il n'existe aucun autre laboratoire d'autopsie mobile dans le monde.
Le 18 octobre, Ertugrul Ozkok, chroniqueur au quotidien turc Hürriyet, a
partagé les informations suivantes sur Tubaigny:

[Tubaigny] est l'auteur d'un livre sur la dissection et l'au-topsie


mobile ... Il y a des détails plus intéressants. Il a donné un cours
supérieur sur les tests d'ADN effectués sur les os. Son autre domaine
d'expertise est l'utilisation du formaldéhyde pour préser-ver les
cadavres. En 2014, il a persuadé son employeur d'investir 2,5 millions de
dollars dans un camion d'autopsie mobile. Ce la-boratoire mobile a été
utilisé particulièrement pour les pèlerins. Il pourrait apparemment
dépister des maladies contagieuses en 7 minutes. En d'autres termes,
c'était un système conçu pour obtenir des résultats rapides.

C'est exactement ce dont ils avaient besoin à Istanbul, où les


assassins couraient contre la montre. Ils ont formé l'équipe par-faite
pour commettre le meurtre parfait.

Voici ma conclusion: nul ne pouvait imaginer que le prince héritier


saoudien pût ne pas être au courant du meurtre à l'avance. Et la question
qui m'est restée à l'esprit est: qu'est-il ar-rivé au corps de la victime?
Quelle procédure a été pratiquée [sur le corps] avec une scie à os par
l'expert en ADN?
LE LIEUTENANT PRÉFÉRÉ DE MBS

Sair Ghaleb Al-Harby (né en 1979) a aidé les tueurs à étrangler


Khashoggi et Tubaigny à démembrer son corps. Il était un officier de
renseignement de la division de protection de l'agence. Pendant son séjour
en Turquie, Harby était détenteur d'un passeport saoudien portant le numéro
P723557. En octobre 2017, il a été promu lieutenant pour son courage lors
de la défense du palais du prince héritier à Djeddah comme membre de la
garde royale saoudienne.

À l'époque, un assaillant armé a abattu 2 gardes royaux et en a blessé 3


autres avant d'être neutralisé.

Abdelaziz Mohammed Al-Hossawi, né en 1987, était lui aussi membre


de l'escadron de la mort saoudien. Il était titulaire du passeport numéro
W288493 lors de son voyage en Turquie. Le New York Times a rapporté,
en citant une source française anonyme, que Hossawi était membre de la
garde personnelle de Mohammed ben Salmane qui l'ac-compagne au cours
de ses voyages. En effet, l'application arabe d'identifi-cation de l'appelant
MenoM3ay le présente comme un membre de la garde royale saoudienne.

Mohammed Saad Al-Zahrani (né en 1988, passeport numéro T233763)


était agent de renseignement et faisait également partie de l'escadron de la
mort. D'après MenoM3ay, il était membre de la Garde royale saoudienne.
Selon le militant des droits de l'homme Iyad Al-Baghdadi, Zahrani a été
filmé et photographié portant un badge à son nom lors d'un événement en
2007, auquel le MBS a également assisté.

Khaled Aiz Al-Taby (né en 1988, passeport numéro P139681) était


lieutenant-colonel dans l'administration de Riyad. MenoM3ay le présente
comme un membre de la Garde royale saoudienne. Selon le Washington
Post, un homme muni du même passeport est entré aux États-Unis trois fois
- à peu près en même temps que des membres de la famille royale
saoudienne.

Naif Hassan Al-Arifi est un autre agent de renseignement qui fai-sait


partie de l'escadron de la mort. Né en 1986, il était lieutenant-colonel. Selon
le traducteur basé à Washington, Qutaibi Idlbi, il existait un compte
Facebook du même nom, où les utilisateurs pouvaient voir des photos d'Al-
Arifi portant l'uniforme des Forces spéciales saoudiennes. De plus,
MenoM3ay le répertorie comme un employé du bureau du prince héritier.

Moustafa Mohammed Al-Madani (né en 1961, passeport numéro


P797794), qui a été envoyé par avion à Istanbul pour servir de doublure,
était à peine 3 ans plus jeune que Jamal Khashoggi. Il figurait sur la liste
des généraux de brigade dans l'administration de Riyad. MenoM3ay le
décrit comme un agent de renseignement.

Saad Mashal Al-Bostani (né en 1987, passeport numéro R339037) était


un agent de renseignement spécialisé dans la sécurité aérienne. Sur
Facebook, un utilisateur portant le même nom est répertorié comme lieu-
tenant de l'armée de l'air. Mais d'après MenoM3ay, il était membre de la
Garde royale saoudienne. Al-Bostani est mort dans un accident de la route
suspect peu après le meurtre de Khashoggi.

Walid Abdallah Al-Shahry (né en 1980, passeport numéro R120404)


faisait également partie de l'équipe d'assassins. Il était officier de
renseignement au sein du Département de la protection, chargé de la
sécurité personnelle du roi. Selon les médias saoudiens, il était membre de
l'armée de l'air - et que le prince héritier a promu au rang de comman-dant
de la flotte l'année dernière.

Mansour Othman Aba Hussein (né en 1972, passeport numéro D122725)


était un major général et donc le membre le plus haut gradé de l'escadron de
la mort. Le traducteur syrien Qutaibi Idlbi affirme qu'un individu portant le
même nom a été répertorié comme agent de rensei-gnement sur MenoM3ay.
Une fois de plus, quelqu'un répondant au même nom a été présenté par un
média saoudien comme colonel au Départe-ment de la protection civile en
2014.

Fahd Shabib Al-Balawi (né en 1985, passeport numéro N163990)


apparaissait sur MenoM3ay en tant que membre de la Garde royale saou-
dienne.
Badr Lafi Al-Otaiba (né en 1973, passeport numéro U051094) était
inscrit sur la liste MenoM3ay comme colonel des services de rensei-
gnement.

Sayf Saad Al-Qahtani (né en 1973, passeport no U051094) a été vu sur


les images de surveillance aux côtés de la doublure du corps. Selon le
Washington Post, il était répertorié comme un employé du prince héritier
Mohammed ben Salmane sur MenoM3ay.

Enfin, Turki Musharraf Al-Shahry (né en 1982, passeport numéro


R910638) était un officier de renseignement spécialisé dans la stratégie, la
planification et le combat.
~ 23 ~
Qui est Mohammed Ben Salmane
L'ascension impérable du prince héritier

Il ne serait pas déplacé de décrire Mohammed ben Salmane, qui était le


décideur politique du meurtre de Khashoggi - ce que même le président
américain Donald Trump, l'un de ses plus fervents partisans, a dû ad-mettre
- comme l'homme le plus puissant du Royaume aujourd'hui.

MBS a cumulé ce pouvoir lorsque son père, le roi Salmane, a démis


l'ancien prince héritier, Mohammed ben Nayef, de ses fonctions et a dési-
gné le prince Mohammed comme héritier du trône saoudien en 2017.
Aujourd'hui, MBS est le bras droit du roi Salmane. En parallèle, il préside
les conseils royaux sur les affaires économiques et de développement ainsi
que sur les affaires politiques et de sécurité, et est membre du conseil des
ministres. L'homme le plus jeune à avoir jamais détenu ces pouvoirs, le
prince Mohammed, peut raisonnablement être considéré comme le véri-
table détenteur du trône du roi Salmane. La thèse que son père souffre de la
maladie d'Alzheimer vient appuyer cette affirmation.

Le prince héritier saoudien a été le cerveau des récents efforts visant à


limiter le pouvoir des institutions religieuses et à lever l'interdiction de
conduire imposée aux femmes. Ces réformes phares comprenaient l'admis-
sion des femmes dans les stades, la suppression de l'interdiction des chan-
teuses et l'autorisation pour les femmes de participer à la vie active. Le
projet le plus important de Mohammed ben Salmane s'appelle Vision 2030.
Il s'agit d'un effort d'investissement dans des secteurs non liés au pétrole,
tels que la technologie et le tourisme, afin de diversifier et de ren-forcer
l'économie saoudienne. La malheureuse introduction en bourse d'Aramco,
la société pétrolière et gazière du pays, s'inscrivait dans le même
programme. Pourtant, les efforts célébrés du prince Mohammed pour
faciliter la libéralisation sociale et économique de l'Arabie Saoudite n'ont
pas pu rétablir sa réputation politique entachée par des arrestations
arbitraires, des tortures et des meurtres.

Ce n'est un secret pour personne que la guerre par procuration du prince


héritier saoudien au Yémen a forcé quelque 13 millions de civils à faire face
à la famine. Pour aggraver les choses, les observateurs attribuent à MBS,
entre autres, l'escalade d'une crise diplomatique avec le Qatar, l'arrestation
massive de membres de la famille royale saoudienne en no-vembre 2017 et
le meurtre de Khashoggi.

À sa sortie de l'Université du Roi Saoud, le Prince Mohammed a


travaillé dans le secteur privé pendant plusieurs années. Il est devenu con-
sultant auprès du cabinet royal d'Arabie Saoudite. En décembre 2009, à 24
ans, le futur prince héritier a démarré sa carrière politique en tant que
gouverneur de l'État de Riyad et conseiller spécial auprès de son père. En
même temps, il a exercé de multiples fonctions: secrétaire général de
l'Autorité de la concurrence, conseiller du président du conseil exécutif du
Roi Abdelaziz Center for Research and Archives, et membre du conseil
d'administration de la Société Al Bir.

À la mort du Prince Sultan ben Abdelaziz en octobre 2011, MBS a été


nommé 2e vice-premier ministre. En janvier 2015, Salmane ben Ab-delaziz
est monté sur le trône saoudien après la mort du Roi Abdallah et a nommé
son fils au poste de Ministre de la Défense. Au même moment, le prince
Mohammed a été élu secrétaire général de la Cour royale et s'est mis à
exercer la fonction de ministre d'État.

L'ARCHITECTE DE LA GUERRE AU YÉMEN

L'escalade des tensions politiques au Yémen à partir de 2011 est devenue


un véritable problème, dans lequel le prince Mohammed, en tant que
Ministre de la Défense, s'est directement impliqué. En 2014, les re-belles
houthis ont pris le contrôle du nord du Yémen. La riposte de MBS a été de
lancer des frappes aériennes contre les Houthis début 2015. Son objectif
était de former une coalition à l'échelle du CCG à la suite d'une série
d'attentats suicides à Sanaa et d'imposer un blocus naval aux rebelles
houthis. En mars 2015, l'Arabie Saoudite est devenue le chef de file d'une
coalition internationale anti-Houthi. Les princes royaux à Riyad ont con-
venu qu'ils devaient recourir au pouvoir militaire pour arrêter les rebelles
houthis, qui ont pris le contrôle de la capitale et ont forcé le gouverne-ment
à s'exiler.

Finalement, MBS a lancé une campagne militaire sans assurer la


coordination entre les différentes parties des forces armées saoudiennes. Au
prix de lourdes pertes civiles, le prince saoudien a réussi à repousser les
rebelles houthis et à rétablir Abdrabbah Mansour Hadi à la présidence du
Yémen. Paradoxalement, ces développements n'ont fait que davantage
compliquer la situation au Yémen.

En avril 2015, le roi Salmane a signé un décret pour désigner son neveu,
Mohammed ben Nayef, comme prince héritier et son fils, le prince
Mohammed, comme prince héritier adjoint. À la fin de cette année-là, MBS
a rencontré le président Barack Obama, et a émergé comme une
personnalité plus marquante de la famille royale saoudienne. En effet, le
prince Mohammed est devenu le favori de Washington vers la même pé-
riode. Sous le gouvernement Trump, la Maison-Blanche a emboîté le pas à
Obama et a soutenu, tout comme le groupe terroriste PYD en Syrie,
Mohammed ben Salmane dans le Royaume.

µ Le 4 janvier 2016, The Economist a publié un entretien avec le prince


Mohammed, le décrivant comme l'architecte de la guerre au Yémen. Le
prince héritier a déclaré lors de cette interview que l'intervention militaire
de l'Arabie Saoudite dans la zone de conflit était basée sur un consensus
entre tous les décideurs concernés. Il a ajouté que les rebelles houthis
avaient usurpé le pouvoir politique légitime dans la capitale Sanaa avant sa
nomination au poste de Ministre de la Défense. À la demande de Was-
hington, MBS a lancé en décembre 2015 la Coalition militaire islamique
contre le terrorisme pour combattre le groupe État islamique. La première
réunion de la Coalition a eu lieu à Riyad en novembre 2017 avec la parti-
cipation de ministres de la défense et de responsables de 41 pays.
Le 21 juin 2017, Mohammed ben Salmane a pris la place de Mo-
hammed ben Nayef comme prince héritier sous les ordres de son père et est
devenu l'héritier du trône saoudien. L'agence de renseignement alle-mande
BND aurait prédit ce changement dès décembre 2015. Le prési-dent Trump,
a félicité Mohammed ben Salmane pour sa nomination au rang de prince
héritier, les deux hommes ayant convenu de renforcer leur coopération en
matière de sécurité et d'affaires économiques. En avril 2017, MBS a déclaré
au Washington Post, dont il allait faire tuer l'un des journalistes en octobre
2018, que l'Arabie Saoudite aurait ressemblé à la Corée du Nord s'il n'y
avait pas eu l'influence culturelle de Washington sur son pays. Ce faisant, il
a effectivement déclaré qu'il avait l'intention de diriger le Royaume en tant
que client des États-Unis.

Après avoir obtenu le soutien des États-Unis, Mohammed ben Sal-mane


a dirigé les efforts de Riyad pour restructurer l'économie saoudienne et, en
avril 2016, a dévoilé Vision 2030, la stratégie du pays pour les 15
prochaines années. Dans le cadre de ce plan, le Royaume a introduit des
allégements fiscaux, réduit les subventions et pris des mesures pour créer un
fonds de richesse de 2.000 milliards de dollars, dont le capital de dé-part
proviendrait de la vente des actions d'Aramco. Cependant, le prince n'a pas
réussi à atteindre cet objectif à ce jour. Vision 2030 est une tenta-tive de
diversification de l'économie saoudienne et de privatisation des entreprises
publiques afin de promouvoir le développement durable grâce à des revenus
non pétroliers. Étant donné la dépendance de l'économie saoudienne sur son
propre pétrole et la forte emprise de l'armée de Was-hington sur la Nation,
le plan de Mohammed ben Salmane a peu de chances de transformer le
royaume de manière efficace.

LES RÉFORMES PHARES DE MBS

Avant de prendre le contrôle de facto du Royaume en juin 2017, le


prince héritier saoudien avait déjà lancé un mouvement de réforme sociale
dans le pays. Il limitait le pouvoir des institutions religieuses et proposait
des idées peu originales, telles que la délivrance de cartes vertes à des
étrangers. En février 2017, MBS a nommé la toute première femme à la tête
de la Bourse d'Arabie Saoudite. Deux mois plus tard, il a dévoilé un plan
ambitieux pour construire l'une des plus grandes villes mondiales de loisirs,
sport et culture dans le sud-ouest de Riyad. En février 2018, le prince
héritier a légalisé la création d'entreprises par des femmes saou-diennes
sans autorisation des hommes. Le mois suivant, les mères saou-diennes ont
pu conserver la garde de leurs enfants après leur divorce, sans devoir
intenter une nouvelle action en justice. En avril 2018, le premier cinéma
public du pays a rouvert ses portes après une interdiction de 35 ans.

Pour Mohammed ben Salmane, l'arrestation de princes milliar-daires,


qu'il considérait comme des rivaux politiques, et leur libération en échange
de sommes faramineuses était une autre façon de financer ses projets
ambitieux. En mai 2017, il s'est engagé à punir toute personne mêlée à la
corruption, même les princes royaux et les ministres. Le 4 no-vembre 2017,
les autorités saoudiennes ont annoncé que le prince Al-Walid ben Talal était
en état d'arrestation. Plusieurs hauts fonctionnaires, dont le ministre de la
Garde nationale, Mutaib ben Abdallah, et l'amiral Abdallah ben Sultan ben
Mohammed Al-Sultan, qui était commandant de la Marine royale, ont été
soit démis de leurs fonctions soit placés en détention. Au total, environ 200
princes et hommes d'affaires ont été arrê-tés dans le cadre de ce que
beaucoup considèrent comme un coup d'État mené par MBS contre ses
rivaux politiques, et placés en résidence surveil-lée au luxueux hôtel Ritz
Carlton - pour être ensuite libérés sous caution.

LA DIPLOMATIE TWITTER DE TRUMP

Vers la même période, le président américain Donald Trump a lan-cé une


offensive de diplomatie sur Twitter et appuyé les décisions de Mo-hammed
ben Salmane: «J'ai une grande confiance dans le Roi Salmane et le Prince
héritier d'Arabie Saoudite, ils savent parfaitement ce qu'ils font...»[1] À vrai
dire, cela n'est pas surprenant. Après tout, Mohammed ben Salmane, ainsi
que Mohammed ben Zayed, son meilleur ami et prince héritier des Émirats
Arabes Unis, avaient proposé de donner de l'argent à la cam-pagne
électorale de Trump. En août 2016, le candidat a reçu un messager de MBS
et MBZ. Joel Zamel, un expert israélien des médias sociaux, l'homme
d'affaires libano-américain George Nade et Erik Prince, le fon-dateur de la
société de sécurité privée Blackwater, étaient présents à la réunion.
Le patrimoine net de Mohammed ben Salmane est estimé à 3 mil-liards
de dollars. En 2015, il a versé 500 millions de dollars au magnat de la
vodka russe Yuri Shefler pour Serene, un super yacht de fabrication
italienne immatriculé aux Bahamas. Selon le New York Times, le prince
héritier saoudien a également acheté le château Louis XIV en France pour
300 millions de dollars la même année. En décembre 2017, il aurait payé
450 millions de dollars pour le Salvator Mundi de Léonard de Vinci par la
voie d'une procuration de son ami proche, le prince Badr ben Abdallah ben
Mohammed Al-Farhan. En juin 2016, MBS a visité la Silicon Valley et a
rencontré des leaders de l'industrie technologique, dont le fondateur de
Facebook, Mark Zuckerberg. Début 2018, il faisait déjà des incursions
auprès des politiciens américains et des stars d'Hollywood. Dans le cadre de
son offensive de charme, il a rencontré Donald Trump, Bill et Hillary
Clinton, Henry Kissinger, Michael Bloomberg, George W. Bush, George
H.W. Bush, Bill Gates, Jeff Bezos, Oprah Winfrey, Rupert Murdoch,
Richard Branson, Eric Garcetti, Michael Douglas, Morgan Freeman et
Dwayne Johnson. Après le meurtre de Khashoggi, les critiques de Mo-
hammed ben Salmane l'ont appelé M. Bone Saw - un jeu de mots autour de
son sigle.

LE PARADOXE DE LA POLYGAMIE DU PRINCE

Dans cette sous-section, nous nous sommes intéressés à la vie profes-


sionnelle de Mohammed ben Salmane, qui était politiquement respon-sable
du meurtre de Khashoggi. Certaines choses que nous aurions pu mentionner
dès le départ ont été masquées au lecteur jusqu'à présent. Le prince héritier
saoudien est né à Riyad le 31 août 1985. Sa mère est Fahda bint Falan ben
Sultan ben Hathleen - la 3e épouse de Salman ben Abdelaziz, alias "le roi
polygame". La mère de Mohammed ben Salmane était également la petite-
fille de Rakan ben Hithalayn, le chef de la tribu Al-Ajman.

MBS était le premier né de sa mère. D'où son statut actuel de prince


héritier. Il a 5 frères: Le prince Turki, le prince Khaled, le prince Nayef, le
prince Bandar et le prince Rakan. Son frère, Khaled, continue de servir en
tant qu'ambassadeur du Royaume à Washington. En 2008, il a épousé la
princesse Sara bint Mashhoor et ensemble ils ont 4 enfants. On ne sait pas
encore si le prince héritier, comme les rois polygames du passé, se
remariera. La réponse à cette question est importante, car elle influencera
les futurs conflits pour le trône saoudien. MBS pourrait se garder de la
polygamie, car cela contredirait ses réformes phares visant à promouvoir les
droits des femmes dans le Royaume. En d'autres termes, il pourrait devoir
renoncer au «privilège masculin» qui a été la règle au sein de la famille
royale saoudienne.

Il est peu probable que le prince Mohammed prenne de tels risques tant
que la réaction mondiale à l'assassinat de Khashoggi, qui a ébranlé son
trône avant même qu'il ne puisse l'assumer, ne se sera pas dissipée. Il faut
dire que le prince héritier a des paradoxes bien plus importants à résoudre
que celui de la polygamie.
1-twitter.com/realdonaldtrump/status/927672843504177152 >>>
~ Postface~

Dans notre introduction à Sauvagerie diplomatique, nous avons identifié


la vocation de cet ouvrage omme étant la présentation d'un ensemble
d'informations et de documents permettant de faire la lumière sur les
sombres secrets de l'assassinat de Khashoggi et, surtout, de mettre les
nouvelles découvertes à la disposition du public. Nous espérons sincère-
ment que ce livre, qui est le fruit de 3 mois de recherche et de 20 jours de
rédaction, a atteint son objectif en révélant les secrets obscurs du meurtre de
Khashoggi - l'un des crimes les plus intéressants, sinon le plus intéres-sant,
de l'histoire.

Nous gardons l'espoir que les informations que nous avons fournies dans
cette enquête, divisée en plusieurs chapitres intitulés d'après les ques-tions
fondamentales du journalisme, aideront le public à mieux com-prendre le
meurtre de Khashoggi. Nous croyons que les chapitres sur le quoi, le où, le
comment et le pourquoi serviront plus efficacement cette fin que le reste.

Dans l'Islam, la mort représente un moment de transition vers la vie


éternelle, dans laquelle nous serons tenus responsables de nos actes dans ce
monde. Elle est incontestablement prédestinée à tous. La façon dont la mort
d'une personne se produit, même si elle est causée par un meurtre, ne saurait
être qu'un simple détail dans le tableau d'ensemble. Pourtant, la mort de
Jamal Khashoggi ne peut être considérée comme une fin ordinaire.

Notre décision d'écrire ce livre a été motivée non seulement par la nature
unique de cette histoire de diplomatie, de renseignement et de crime, mais
aussi par le traitement inhumain que la victime a subi après sa mort. Les
Saoudiens, qui ont ainsi traité un de leurs citoyens, un être humain et père
de famille, ont bafoué toutes les valeurs hu-maines et religieuses. Ils n'ont
plus qu'une seule responsabilité: obtenir les aveux des suspects et
déterminer l'emplacement de la dépouille de Khashoggi - ce qui, à notre
avis, est la question la plus importante à la-quelle il reste à répondre - afin
d'atténuer quelque peu les souffrances de la victime.

La famille et les amis de Khashoggi doivent récupérer ce qui reste de la


sauvagerie diplomatique et l'enterrer - dans une tombe où ils pour-ront prier
pour son âme. Car, dans la culture islamique, les lieux d'inhu-mation sont le
seul lien qui existe avec les êtres chers.

Si nous avons pu répondre à de nombreuses questions clés sur


Khashoggi et son meurtre en nous adressant à des sources fiables, nous ne
sommes toujours pas en mesure de résoudre la question la plus évidente,
dont la réponse devrait être facile à donner. Nous présentons nos excuses de
ne pas avoir pu établir le lieu où se trouve la dépouille de notre col-lègue,
Jamal Khashoggi, aujourd'hui. C'est la seule réponse que nous ne pouvons
apporter sans l'aide des autorités saoudiennes. D'une façon ou d'une autre,
les Saoudiens sont tenus de répondre à cette question. Le monde entier
attend une réponse - à tout le moins.

à Istanbul,
Ferhat Ünlü
Abdurrahman Şimşek
Nazif Karaman
Ferhat Ünlü est né le 5 octobre 1975 à Adana, en Turquie. Il a obtenu
son diplôme de l'École de communication de l'Université d'Istanbul en
1997. Il est l'auteur des romans The Frozen Tear (2002), The Revenge of the
Shadow (2003), The Organization for the Elimination of the Impertinent
(2006), The Bad Novel (2011) et The Sacred Crypto (2017), ainsi que de
trois ouvrages d'investigation - The Susurluk Customs (2000), Eymür's
Mirror (2001) et Sadettin Tantan (2001). Il a débuté sa carrière de
journaliste à Yeni Şafak et a travaillé pour le magazine Weekly au sein du
journal Vatan en 2005-2007 avant de rejoindre le journal Sabah en janvier
2007. En 2009, il est devenu le rédacteur en chef de l'Unité spéciale de
renseignements nouvellement créée dans le journal. Il a animé les émissions
de télévision Renseignement et Analyse des nouvelles sur TVNet en 2012-
2016 et The Red Bulletin sur TRT Haber en 2018. Actuellement, il produit
et anime The Cosmic Table sur TGRT Haber tout en continuant à travailler
pour le journal Sabah, et intervient comme commentateur sur A Haber et
Habertürk.

Abdurrahman Şimşek a commencé sa carrière de journaliste en 1993 à


ATV Haber, où il a participé à des émissions populaires telles que The
Courthouse Aisles, The Emergency Service et Police Emergency. Il a
travaillé avec le service des informations d'ATV en tant que reporter pendant
2 ans. Il a rejoint le journal Sabah comme correspondant spécial de
nouvelles en 2002 et est devenu le directeur de l'unité spéciale de
renseignements au moment de sa création en 2009. Il a reçu le prix spécial
Çetin Emeç délivré par l'Association des Journalistes Turcs en 2009 pour un
article dans lequel il mettait en évidence des failles dans la sécurité de
l'aéroport international Sabiha Gökçen d'Istanbul.

Nazif Karaman est né en 1977 à Istanbul, en Turquie. Il a obtenu son


diplôme de l'École des sciences économiques et administratives de
l'Université de Marmara en 2001. Il a commencé sa carrière de journaliste
au journal Akit en 1997 et a intégré l'Unité spéciale de renseignements de
Sabah en 2010. Dans la nuit du 15 juillet 2016, il a annoncé que les
autorités avaient lancé une enquête officielle visant les putschistes.
Karaman est devenu chef de l'Unité spéciale de renseignements en 2016.
Journaliste-lauréat, il continue de travailler avec Sabah et intervient comme
commentateur à l'émission A Haber.
VOUS AVEZ AIMÉ CE LIVRE?
VOUS ALLEZ PARTICULIÈREMENT AIMER

ET SI LA MALADIE N'ÉTAIT
PAS UN HASARD ?
du Dr Thomas-Lamote
Quelques mois après son
divorce, une femme développe un cancer du sein. ° Un cadre supérieur vit
dans la hantise permanente de ne pas répondre aux attentes de la nouvelle
direction et se retrouve avec un ulcère à l'estomac. ° Après une rupture
sentimentale, un journaliste de 28 ans fait une crise cardiaque, inexplicable
du corps médical, illustrant parfaitement l'expression «avoir le coeur brisé».
° À l'âge de quatre ans, le chanteur Ray Charles assiste impuissant à la
noyade de son petit frère de trois ans. Six mois plus tard, il devient
totalement aveugle.
Une femme est invitée à quitter son poste du jour au lendemain pour être
remplacée par plus jeune qu'elle. En deux jours, elle développe une
infection. «Un directeur de banque vit une prise d'otage. Quelques mois
plus tard, un virulent cancer se développe. «Un enseignant vit dans la
crainte d'être muté et quelques jours après la nouvelle de la mutation, il fait
une hémorragie cérébrale. ° Une fois retraité, un diplomate de carrière entre
dans une dépression chronique.
À force de s'angoisser pour la santé de son mari au chômage, sa femme
finit par vivre plusieurs malaises. ° Un attaché commercial se découvre un
psoriasis à la suite d'un conflit de territoire avec l'un de ses collègues.
Et si la maladie n'était pas un hasard? Et si elle n'était que la réponse
organisée par notre corps pour compenser nos petites et grandes déceptions
émotionnelles de la vie? Après avoir examiné des milliers de patients, le Dr
Thomas-Lamotte, neurologue français, a développé une approche différente
des symptômes de ses patients: pour lui, la plupart des maladies que nous
développons ont pour origine une émotion inavouée et le simple fait de
comprendre ce mécanisme nous permettrait déjà de les éviter. L'expression
populaire: "s'en rendre malade "trouve dans ce livre sa plus belle illustration
avec les clés pour décoder nos déceptions et comment les empêcher d'agir
sur notre corps.
Extrait du livre:
Pourquoi un pharmacien qui ne voit que des malades tout au long de sa
journée, toute la semaine et même toute l'année, n'est-il pas plus souvent
malade? Pourquoi, après avoir vu en un jour 20 personnes terrassées par la
grippe, soit 100 en une semaine, un généraliste non vacciné ne l'attrape-t-il
pas non plus? Pourquoi cette personne qui n'a jamais fumé a-t-elle un
cancer des poumons, alors que ce fumeur invétéré qui grille sa cigarette
depuis 50 ans n'a rien? Pourquoi les femmes séparées ou divorcées sont-
elles la majorité des cancers du sein? Pourquoi tous les hommes ne font-ils
pas un cancer de la prostate?
Depuis mes premières années de médecine, je me suis intéressé aux
causes de la maladie. Mais après avoir examiné et parlé avec plus de 20.000
patients au cours de ma vie professionnelle, j'en suis arrivé à la conclusion
que la maladie n'est pas toujours l'effet d'une cause extérieure mais bien
celui d'une cause intérieure. À en croire les médias, je n'ai pas tort. Dans le
cas d'un attentat ou d'une catastrophe aérienne, les autorités mettent des
psychologues à disposition des survivants et de ceux qui ont perdu un être
cher, pour les aider à ne pas se rendre malades eux-mêmes... Quant à la
littérature, elle nous conte depuis l'aube des temps des histoires d'amour
dans lesquelles l'être délaissé meurt de chagrin. Si on peut empêcher une
victime de «s'en rendre malade», on peut sans doute empêcher un père de
famille de 45 ans de se rendre malade après avoir reçu sa lettre de
licenciement. Ça aussi c'est un trauma, même si cela semble banal. Lui
aussi aurait besoin d'un psychologue pour digérer son drame.
Le dogme et le conditionnement nous imposent de relier la maladie à une
cause extérieure, un virus, une bactérie, le tabac, le soleil, etc. Les
traitements de la médecine classique se résument à attaquer la maladie avec
des molécules: la dépression se combat par un anti-dépresseur; la douleur
ou inflammation par une molécule ant-algique ou anti-inflammatoire; les
bactéries par un anti-biotique; les cellules cancéreuses par des traitements
anti-mitotiques; la faiblesse par un médicament tonique (cardio-tonique,
veino-tonique), etc.
Ces batailles «molécule contre dérèglement moléculaire» donnent
souvent de brillants succès. Mais elles ne nous expliquent pas pourquoi
autant de femmes divorcées font un cancer du sein. S'il est possible
d'étudier cent malades ayant tous une tension artérielle élevée à 17/10, une
surcharge pondérale et un diabète, il est difficile d'étudier une cohorte de
cent veuves, de cent orphelins, de cent chômeurs longue durée ou de cent
femmes divorcées. Cela n'aurait pas de sens parce qu'on ne peut mesurer
l'impact du deuil vécu sur chaque personne ainsi que son histoire
émotionnelle.

LE RETOUR AU
STANDARD OR
du Pr. Antal Fekete
(livre est en format de lingot d'or)
«Les économistes actuels sont des charlatans, des bonimenteurs qui, tout
en se délectant de leur propre gloire, sont totalement incapables de prévoir
un effondrement financier, même quand ils le regardent fixement dans les
yeux, comme l'a montré leur misérable performance de 2007. Pire encore,
ils sont même totalement incapables d'admettre leurs propres erreurs. Ils
sont une malédiction jetée sur le corps politique et des verrues sur le corps
académique. Ils conduisent le monde vers un désastre monétaire et
économique sans précédent à la minute où je vous parle»
Pour le Pr Fekete, le système reposant sur la monnaie-papier est arrivé à
son terme, exactement comme les billets de banque de John Law ont
disparu en fumée sous Louis XV. Et il explique aussi pourquoi Nicolas
Sarkozy avait vendu l'or de la France de toute urgence alors que le cours
était au plus bas. Avec ce livre, vous allez également découvrir que
l'économie est quelque chose de très simple, mais que les pseudo-
économistes l'ont volontairement rendue compliquée, afin de cacher les
mécanismes de la monumentale escroquerie du dollar. Un livre exceptionnel
qui vous donne aussi les clés pour sauver votre épargne.

BLYTHE MASTERS
la banquière à l'origine de la crise mondiale, ce
qu'elle a fait, ce qu'elle va faire
de Pierre Jovanovic
Le début du livre:
Le premier a avoir imaginé un vrai credit default swap ( permutation de l'impayé ) n'est pas
Blythe Masters, ni les alchimistes de la Bankers Trust, mais bien l'écrivain français Honoré de
Balzac. Habitué à être poursuivi par les banquiers, donc par la force des choses à les fréquenter, il a
fini par comprendre leur véritable nature. Le credit default swap est donc, dans l'esprit d'avant-garde,
français. Grâce à la «permutation de l'impayé» moderne, Blythe Masters est devenue aujourd'hui la
femme la plus puissante ayant jamais vécu sur cette terre, et cela depuis l'invention de l'écriture.
Même si on additionnait toutes les richesses de Catherine la Grande, de la Reine Victoria, de
l'Impératrice Théodora, de Hatchepsout et de Catherine de Médicis, cela ne représenterait même pas
un quart de la puissance financière dont elle dispose. En d'autres temps, elle aurait été déifiée.
Aujourd'hui, la déesse des banquiers veut simplement passer inaperçue. Vous allez comprendre
pourquoi. Le rédacteur en chef des pages économie du New York Times, Joe Nocera, a publié en
décembre 2010 son livre sur «l'histoire cachée de la crise» dont le titre percutant est All the devils
are here, en français Tous les diables sont là. Curieusement, dans son ouvrage, non seulement il est
totalement passé à côté des rôles majeurs de Blythe Masters et du banquier-théoricien le plus influent
que les Etats-Unis aient jamais connu ( et que vous découvrirez ici ), mais en plus il s'est bien gardé
d'expliquer son titre qui laisse sous-entendre qu'un exorciste est attendu à Wall Street. Ceci est
confirmé d'ailleurs par le titre d'un autre livre, Devil's Casino, de la journaliste de Vanity Fair, Vicky
Ward. Pour Nocera, les grandes banques mondiales ont en effet mis au point un piège «diabolique»
de dettes, constituées de produits financiers dérivés, sachant qu'aujourd'hui, il n'existe pas assez
d'argent sur toute la planète, ni même dans la périphérie de Pluton, pour payer toutes les dettes en
cours et à venir, et qui s'accumulent depuis 2007 avec les faillites des premières banques de prêts
immobiliers. En effet, si vous pensez vraiment que la crise est derrière nous, sachez qu'il reste encore
«4,3 millions de maisons qui sont soit en retard de plus de 90 jours soit en cours de saisie» selon
LPS Applied Analytics dans leur rapport November 2010 Mortgage Performance Data1. Multipliez
4,3 millions par environ 200.000 dollars ( une estimation basse ) et vous obtenez 860.000.000.000
minimum, soit 860 milliards de dollars, de quoi faire sauter toutes les banques de la Terre, de Mars,
Vénus, Neptune et Pluton réunies. Depuis 2007, la permutation de l'impayé de Blythe Masters a très
bien fonctionné: elle est passée des petites banques aux grandes, puis des grandes aux banques
centrales, puis des centrales sur les méga banques comme le Fonds Monétaire International puisque
le vol des clients et des contribuables n'a pas suffi. Comme l'avait si bien noté le Pr. Nouriel Roubini
fin 2010, «Personne ne viendra de la planète Mars pour sauver les derniers sur la liste», les «super-
souverains», à savoir le FMI et la Banque Centrale Européenne. La banqueroute universelle est donc
inévitable, mais entre-temps le système veut à tout prix vous faire croire qu'il fonctionne
normalement, et cela afin que vous ne retiriez pas votre argent de la banque. Pourtant, Blythe Masters
a refusé des interviews à Newsweek, au Times, au Telegraph et même aux télévisions américaines et
anglaises. Normal: sa banque veut à tout prix que son nom reste dans l'ombre, que Blythe Masters
soit oubliée, et que son nom ne devienne jamais connu car le grand public ne comprendrait alors
qu'une chose, que la JP Morgan est la grande responsable de cette crise. C'est pour cela qu'après la
faillite de la banque Lehman Brothers, la femme qui a inventé les «armes financières de destruction
massive» n'a jamais été vue à la une de Newsweek, de Fortune ou de Forbes. Même le magazine
féminin Elle est passé à côté... Hélas, un article du Guardian de Londres l'a immortalisée à jamais
comme LA FEMME qui a déclenché la crise mondiale, et cela grâce au livre de Gillian Tett, une
journaliste visionnaire du Financial Times. Songez que le prestigieux Time Magazine avait dressé le
11 février 2009 la liste des «25 personnes responsables de la crise financière» et que son nom n'y
figurait même pas ! Ni sur la liste des «25 responsables» du quotidien britannique The Guardian,
légèrement différente de celle du Times. Et Dieu seul sait si tous les journalistes de ces deux titres
avaient remué ciel et terre pour avoir les noms des principaux acteurs de la crise. Incroyable ! Dès le
début, j'avais informé Blythe Masters que j'allais écrire ce livre, mais aussitôt, elle a reçu
l'interdiction de la direction de la communication de la JP Morgan de me parler. L'ayant surnommée
dans la Revue de Presse Internationale La Catherine de Médicis des Subprimes, et ayant lu à
l'antenne le poème acide d'un lecteur tombé fou amoureux d'elle ( jovanovic.com/blythe-
masters.htm ), cela n'avait manifestement pas plu à la banque, bien que l'humour anglais de Lady
Masters aurait dû apprécier la prose à sa juste valeur ( à terme ). J'ai décidé d'écrire ce livre après
avoir découvert la portée phénoménale de ses actions et surtout son rôle majeur ( bien que son nom
n'apparaissait quasiment nulle part en 2008 ) dans le déclenchement de la plus grande crise
économique que l'histoire de l'Humanité ait connue. Je crois d'ailleurs que depuis la fameuse Eve du
jardin d'Eden mythique, jamais aucune femme n'a eu une telle influence sur la destinée des hommes.
Avec une différence capitale cependant: contrairement à Eve, Blythe Masters est bien réelle, elle boit
de temps en temps des cocktails à base de gin, elle achète des grands appartements en Floride, court
dans Central Park, participe à des concours d'équitation, a un vrai petit jardin sur le toit de son
immeuble de Tribeca, bref elle est humaine et vit parmi nous dans cet espace-temps. Seul problème,
plus personne ne peut l'approcher aujourd'hui. Pourtant, c'est elle la véritable Eve, une Eve
furieusement moderne et cela parce que jeune, elle était «tombée amoureuse» de l'arbre des fruits
dérivés, fruits qu'elle offrit généreusement à tous les banquiers: «Je suis tombée amoureuse des
crédits dérivés en tant que concept» avait-elle déclaré au (SUITE DANS LE LIVRE)

«L'OR DES FOUS»


l'histoire de l'invention des crédits dérivés modernes par la JP Morgan

de Gillian Tett journaliste du Financial Times


Au milieu des années 90, au bord d'une luxueuse plage de Floride, un petit groupe de jeunes
banquiers diplômés en économie ou en mathématiques de la JP Morgan (parmi lesquels la jeune
Anglaise Blythe Masters) se réunit pour inventer de nouveaux produits financiers basés sur les
crédits dérivés. Au cours de ce séminaire sera inventé le Credit Default Swap ( permutation de
l'impayé ), aussi «révolutionnaire» que destructeur, et qui permettra aux banques de prêter de l'argent
à l'infini pendant 15 ans sans se soucier du risque d'impayés. Dans cet ouvrage incroyablement
visionnaire, Gillian Tett, la journaliste vedette du Financial Times, raconte pas à pas l'enchaînement
des événements tels qu'ils ont été vécus en interne au sein de la JP Morgan depuis l'invention des
Credit Default Swaps en 1994 jusqu'à l'effondrement de Wall Street le 29 septembre 2008 qui se
soldera par des faillites bancaires à la chaîne. Un livre littéralement proche d'un thriller, qui nous
montre comment la cupidité des banquiers a scié la branche sur laquelle ils étaient tranquillement
assis. «L'or des fous décrit, pas à pas, comment les banquiers ont creusé leur propre tombe» La
Tribune de Genève «Gillian Tett a écrit un livre formidable qui est l'histoire des banquiers devenus
diaboliques. La traductrice a fait un travail remarquable» Radio Courtoisie, Didier Rochard «Le
livre sur la crise et la JP Morgan» L'Express «Une leçon d'histoire, de politique et d'économie. Un
must» Alternative Economiques «Un livre littéralement proche d'un thriller, qui nous montre
comment la cupidité des banquiers a scié la branche sur laquelle ils étaient tranquillement assis»
Revue de la Banque «L'Or des Fous se lit comme un thriller. Il s'agit d'une traque des moments
redoutables où la cupidité humilie l'intelligence. Car certains avaient perçu le danger, dont l'auteur,
certain savaient averti, on leur avait ri au nez. Une petite élite auto-proclamée, méprisante et
absolument ignorante du sens de la chose publique a cru trouver une formule mathématique qui
permettait aux banques de gagner à tous les coups. La formule en question avait même intégrer les
probabilités pour un être humain de décéder, ou plutôt de devenir insolvable, dans les mois qui
suivent la perte de son conjoint, d'un enfant, d'un emploi. Aucun n'avait mesuré que
l'hypercomplexité des relations humaines ne saurait se mettre en équation sauf à réduire l'humain ce
qui caractérise les pensées totalitaires. Car, ce qui frappe à la lecture du travail rigoureux de Gillian
Tett est bien que la pensée financière et bancaire est par essence totalitaire» Lettre du Crocodile

«LA CRISE FINANCIÈRE FRANÇAISE


DE 1789-1799»
Andrew Dickson White
Comment l'usage des planches à billets par les révolutionnaires a amené
l'armée au pouvoir.

La véritable histoire de la Révolution française de 1789 est avant tout une histoire financière,
celle d'une crise sans précédent lancée par un État ruiné par l'effort de guerre en Amérique et
surtout par les planches à billets ( Assignats et Mandats ) des révolutionnaires.

Andrew Dickson White, diplomate américain, a signé ici un livre extraordinaire car il raconte
comment les révolutionnaires se sont lancés dans l'usage intense de la planches à billets et
comment ils se sont heurtés au bon sens des Français qui se sont précipités sur les pièces d'or et
d'argent lorsque les Assignats ont commencé à perdre de leur valeur et que le prix du pain a
commencé à s'envoler. Ce fut un Weimar avant l'heure.

Ce livre est unique car il vous montre aussi que les révolutionnaires ont perdu tout crédit avec
l'usage abusif des planches d'Assignats puis de Mandats Nationaux. Cela a entraîné la France
vers l'abîme, sauvée in extremis par un jeune artilleur qui finira par prendre le pouvoir.

Ce n'est qu'avec la suppression des planches à billets et la restauration du standard or par


Napoléon que la France a retrouvé son équilibre économique. Furieusement contemporain, ce
livre raconte aussi notre crise financière actuelle puisque les États-Unis, l'Angleterre et le
Japon inondent le monde, en ce moment même, de leurs planches à billets sans valeur.

L'EFFONDREMENT DU DOLLAR
(ET DE L'EURO) ET
COMMENT EN PROFITER
de James Turk & John Rubino

«Une crise arrive et elle va causer l'effondrement des montagnes de dettes issues des crédits
donnés par toutes les banques centrales. Lisez ce livre et vous comprendrez comment vous protéger
tant qu'il reste un peu de temps» Robert R. Pretcher
Le dollar et l'euro ont de plus de plus de difficultés. L'euro a même failli exploser le 12 juillet
2011. La vraie dette des États-Unis est de 210.000 milliards de dollars. Celle de l'Europe n'est guère
mieux. Depuis sa création en 1917, le dollar a perdu 98% de sa valeur. Autrement dit, il ne reste que
quelques mois, au mieux quelques années avant l'effondrement final. Dans ce livre devenu culte,
deux spécialistes totalement visionnaires ont montré comment le dollar est arrivé au bord du
précipice, pourquoi il va continuer à plonger et comment vous pourrez profiter de la crise financière
qui en résultera, plutôt que d'en être les victimes. Publié bien avant la première crise de 2008, cet
ouvrage a effectivement sauvé tous ceux qui l'ont lu et qui ont suivi à la lettre les conseils qui y sont
exposés. Et plus que jamais, il est d'actualité avec la destruction constante de l'euro. Les États-Unis
sont devenus la nation la plus endettée du monde. Pour financer ses montagnes de dettes, la Réserve
Fédérale inonde le reste de la planète avec des dollars imprimés par des planches à billets devenues
hystériques: il a été imprimé plus de dollars au cours de ces 4 dernières années que depuis toute son
existence... L'Europe, elle, endette tous ses habitants sans vergogne pour sauver des banques et même
des pays entiers de la faillite comme la Grèce. En conséquence, la valeur du dollar, comme de l'euro,
continuera à baisser, diluée par des centaines de milliards de billets «Monopoly», et cela jusqu'à ce
qu'il perde intégralement sa qualité de référence mondiale. En même temps, la valeur des métaux
précieux ira en augmentant et l'or réclamera sa couronne de monnaie de référence mondiale et
historique, et cela au coeur même de la crise financière. James Turk, célèbre fondateur de la société
GoldMoney.com, et John Rubino, éditeur du site DollarCollapse.com, donnent des exemples précis
de stratégies de sortie de la monnaie papier. Le livre visionnaire qui a déjà sauvé des dizaines de
milliers de lecteurs.

LE GÉNIE DU CAPITALISME
de Howard Bloom

Ce livre franchit le fossé entre croyance et science. C'est un livre sur les miracles. Sur les miracles
séculiers. Sur les miracles matériels. Sur les miracles qui se dégagent de l'évolution, pas de dieux.
Miracles que la science doit être amenée à comprendre si elle veut être à la hauteur de sa mission,
une compréhension laïque de chaque phénomène dans cet univers. Mais est-ce que les miracles et le
capitalisme peuvent figurer ensemble dans un même livre? Oui. Absolument oui. Si vous et moi
étions nés en 1850, notre espérance de vie ne serait que de 38 lamentables années et demie. Si nous
sommes nés dans la sphère d'influence de la civilisation occidentale en l'an 2000, notre espérance de
vie passe alors à 78 ans. Deux vies pour le prix d'une. Une quarantaine d'années supplémentaires! Les
empereurs chinois avaient pour habitude de dépenser des fortunes chez des "experts" qui prétendaient
disposer de techniques pour prolonger la durée de vie. En fait certaines de leurs techniques
raccourcissaient leur vie car elles impliquaient l'usage de poisons. Mais le système occidental a
réalisé le miracle que les empereurs chinois avaient cherché. Et il ne l'a pas fait pour un seul être
humain, privilégié parmi les privilégiés, mais pour plus d'un milliard d'habitants. Et SEUL le système
capitaliste a réussi à le faire. Mais il y a plus. Chaque système de croyance qui fait appel à notre
idéalisme prétend qu'il va relever le pauvre et l'opprimé. Mais seul le système occidental a tenu cette
promesse. Comment? En 1850, si vous aviez été l'un des pauvres ouvriers les moins bien payés de
Londres, vous auriez alors été un docker d'origine irlandaise travaillant sur les quais pour 4.800
dollars par an; 4800 dollars pour nourrir votre femme et vos 5 ou 9 enfants. Mais si vous étiez le plus
pauvre des travailleurs de Londres en 2009, vous auriez été un assistant personnel et vous auriez
gagné près de 39.000 dollars par an. En d'autres termes, vous, le travailleur le moins bien payé en
2009, vous auriez gagné plus qu'un immeuble entier rempli de dockers de 1850. Le système
occidental a sorti tant de gens de la pauvreté que nous avons un nouveau nom pour désigner cette
masse des pauvres d'autrefois: on l'appelle la "classe moyenne". Aucun autre système n'a jamais pu
réussir de tels achèvements extraordinaires par sorcellerie. La civilisation chinoise ne l'a pas fait. La
civilisation islamique ne l'a pas fait. Quant au système marxiste, il a lamentablement échoué. Seul le
système occidental a réalisé ces miracles séculaires, ces miracles matériels. Des miracles qui ont
élevé l'esprit humain et qui ont considérablement élevé le QI moyen. Ce sont des miracles d'un tout
nouveau genre. Miracles que vous examinerez à travers les optiques brillantes de la science et de
l'histoire dans le Génie de la Bête. Qu'est-ce que le capitalisme a de commun avec tout cela? Il est le
métabolisme du système occidental. Un métabolisme qui fonctionne à merveille quand il est en
équilibre avec les autres éléments clés du système: le gouvernement et le mouvement de protestation.
Pourquoi notre économie s'est-elle effondrée en 2008? Pourquoi courrons-nous le danger d'avoir
d'autres effondrements aujourd'hui? Pourquoi une nouvelle période de prospérité est-elle inévitable?
Et que devons nous faire pour que notre système dépasse son grand rival chinois? Les réponses se
trouvent dans nos capacités à fabriquer des miracles. Les réponses sont dans les secrets du système
occidental. Les réponses sont dans ce livre.

ENQUÊTE SUR
LA LOI DU 3 JANVIER 1973
de Pierre-Yves Rougeyron
Enquête sur la Loi du 3 janvier est un livre choc. Il montre, point par point, comment la France a
été mise en esclavage par la dette avec juste un simple texte anodin. Il montre comment l'élite des
hautes fonctionnaires a renoncé, pas à pas, à la Nation française, à son âme et à son indépendance.
C'est l'histoire des manipulations successives, organisées et pilotées pour ne profiter qu'à une seule
entité: les banques privées. Grâce à cette loi, la France a été conquise sans bruit, sans une balle tirée
et sans aucune résistance: chaque semaine, ce sont 4 nouveaux milliards, empruntés par l'État pour
payer retraites, salaires et aussi... intérêts de la dette, qui s'ajoutent aux 1700 milliards déjà dus, alors
qu'au même moment 800 emplois industriels sont détruits chaque jour. Ce livre est le récit de la pire
trahison de l'Histoire de France. Il doit être lu par tous les Français.
«EXTREME MONEY»
La crise financière vécue et racontée de l'intérieur par
un trader de Wall Street un livre de Satyajit Das
L'avant-propos de l'auteur pour les lecteurs de la version française:

Dans la pièce En attendant Godot de Samuel Beckett, le critique littéraire irlandais Vivian
Mercier a remarqué que rien ne se passe deux fois de suite! Les personnages centraux, Vladimir et
Estragon, attendent Godot en vain.
En attente d'une reprise évasive, l'économie mondiale ressemble à l'intrigue absurde de Beckett.
La crise financière mondiale a été le résultat d'une accumulation excessive de la dette, des
déséquilibres commerciaux, des flux de capitaux et surtout de la financiarisation à outrance de
l'économie. L'ensemble a été soutenu par des structures politiques et sociales dépendantes d'une
consommation basée sur la dette et des niveaux croissants de titrisations. Depuis que ces problèmes
sont devenus évidents, les politiques ont eu du mal à stabiliser l'économie et le système financier. Le
physicien Niels Bohr a fait valoir que «Chaque grande et profonde difficulté porte en soi sa propre
solution. Elle nous oblige à changer notre façon de penser afin de la trouver». Malheureusement, les
politiciens et les décisionnaires n'ont pas été capables, ou n'ont pas voulu changer leur cadre de
référence. Les vraies solutions consistaient simplement à réduire la dette, à inverser les déséquilibres,
à diminuer la financiarisation de l'économie et à obliger les financiers à changer de comportement. À
court terme, ces mesures auraient entraîné une contraction économique importante, un niveau de vie
plus bas et des acquis sociaux réduits. À long terme, cela aurait débarrassé le système de ses dérives
insoutenables et de créer les bases pour la reprise. Mais plutôt que de résoudre les problèmes
fondamentaux, les politiques ont substitué les dépenses publiques financées par la dette d'Etat, ou par
les banques centrales, et ont amplifié l'arrivée d'argent frais par la planche à billets pour stimuler la
demande. Les politiciens et les universitaires utopistes ont espéré qu'une forte croissance et une
hausse de l'inflation permettrait de corriger les problèmes. Mais malgré un manque flagrant de
réussite, ils ont continué avec les mêmes programmes politiques. Ils avaient suivi les conseils de
Samuel Beckett à la lettre: «Jamais essayé. Jamais échoué. Peu importe. Essayer encore une fois.
Échouer à nouveau. Mais échouer "mieux"». Cinq ans plus tard dans la crise, les niveaux de dette des
principaux pays ont augmenté. Les déséquilibres mondiaux ont légèrement diminué mais à cause de
croissances économiques plus lentes. Des pays comme la Chine et l'Allemagne ont hésité à «gonfler»
leurs économies, s'éloignant ainsi de leur modèle basé sur l'exportation. Et les principaux
emprunteurs comme les Etats-Unis, ont refusé de réduire leurs dépenses et de mettre de l'ordre dans
leurs finances publiques. L'enthousiasme pour les changements fondamentaux sur le rôle des instituts
financiers s'est évanoui, en partie par crainte que la diminution de crédit amènerait avec elle une
croissance économique plus faible. Les politiciens pensent que leur cocktail de mesures peut
fonctionner, et utilisent un jargon impénétrable, des mathématiques obscures et des idéologies
fatiguées pour dissimuler leurs échecs et leurs limites. Il n'est pas du tout clair comment
l'augmentation des emprunts du gouvernement et l'usage de la planche à billets (le politiquement
correct Quantitative Easing) peuvent rétablir la santé de l'économie. L'une des propositions a été une
"chasse au trésor" où l'argent a été enterré et la population invitée à le retrouver et le dépenser.
D'autres propositions comprenaient des limites de temps mises sur l'usage de l'argent qui perdrait
toute sa valeur s'il n'était pas dépensé avant une date imposée. Il semble l'Argent Extrême soit devenu
encore plus extrême. Les gouvernements ont montré bien peu d'empressement à révéler au public
l'ampleur des problèmes économiques, le manque de solutions et le coût des éventuelles mesures
correctives. Pour paraphraser Alexander Soljenitsyne, pour les politiques «le mensonge permanent
[est devenu] la seule forme sûre d'existence». Mais les citoyens normaux, un peu partout dans le
monde, se sont rendus compte de la situation et savent maintenant que ce sera à eux de payer les
coûts de la crise financière. Et ils craignent un marché de l'emploi en baisse, des salaires de misère et
la perte de leurs économies, globalement de voir une baisse radicale de leur niveau de vie. Les plus
fragiles craignent de devenir ce que le poète Rainer Maria Rilke a appelé le peuple «à qui ni le passé,
ni l'avenir n'appartiennent». Le risque de pannes économiques, sociales, politiques et internationales
rappelant les années 1920 et 30 est réel. Un déficit de démocratie est désormais aussi grave que les
déficits budgétaires et commerciaux. De précieux capitaux politiques et économiques ont été
gaspillés. L'inadéquation des solutions politiques avec des effets secondaires toxiques sont toujours
poursuivies, ce qui diminue les chances d'une reprise. Chesterton a écrit «Ce n'est pas qu'ils ne
peuvent pas voir la solution, en fait c'est qu'ils ne peuvent voir le problème». Au début de la crise, le
choix a toujours été «la douleur maintenant» ou «une agonie prolongée plus tard». Maintenant, face
à problèmes économiques écrasants, ainsi que des questions d'environnement et de la rareté des
ressources, les politiques ne peuvent plus rien offrir hormis de petits soins palliatifs. Dans le roman
Le soleil se lève aussi de Hemingway, un personnage, à qui on a demandé comment il avait fait
faillite, répond: «De deux façons: petit à petit, puis d'un seul coup». C'est une description précise de
la trajectoire économique actuelle.

«666» de Pierre Jovanovic


Pourquoi l'apôtre Jean dit-il précisément que « 666 est le nombre d'un homme » dans son
Apocalypse? C'est parce qu'il pointe son doigt sur le seul système financier décrit dans un texte sacré
de son époque, celui parlant du roi Salomon à qui il restait, chaque fin d'année, un excédent de 666
talents d'or. Pierre Jovanovic explique dans les détails les raisons qui ont poussé Jean à insister sur ce
nombre, pourquoi il a associé le « 666 » à l'esclavage, pourquoi il a décrit une « Bête à 7 têtes »
servant le Diable, et, surtout, pourquoi ce dernier « s'est installé sur une plage » pour lancer un
système mondialisé sans lequel plus personne « ne peut ni vendre, ni acheter » sans disposer d'une «
banque ».
Avec des documents uniques, ce livre expose le plan impitoyable de mise en esclavage des
peuples au service d'une seule entité... la Finance américaine.
Dans le sillage de ses deux livres précédents «777» et «Blythe Masters», ce «666» révèle le fil
conducteur invisible, qui déclenchera INEVITABLEMENT la révolte des peuples. Si l'Argentine a
été la seule à faire faillite en 2001, bientôt toute l'Europe ainsi que le reste du monde feront faillite.
Journaliste, auteur de la Revue de Presse Internationale, Pierre Jovanovic est aussi l'auteur du
best-seller « Enquête sur l'existence des anges gardiens » traduit en 7 langues et de « Blythe Masters
». Salué de manière unanime par la presse et les lecteurs comme le meilleur livre jamais écrit
sur le sujet.
350.000 EXEMPLAIRES
LA DIVINE CONNEXION +
LE CONTACT DIVIN
du Dr M. Morse
chapitres en ligne sur www.lejardindeslivres.com
Après quinze années de recherches, le Dr Melvin Morse, médecin urgentiste et pédiatre, affirme
que 1) nous disposons tous dans notre lobe temporal droit d'un circuit biologique spécialement conçu
pour dialoguer avec Dieu et que 2) les souvenirs de notre vie ne se trouvent pas dans notre cerveau!
S'appuyant sur les dernières découvertes médicales et scientifiques, son livre explique pour la
première fois avec une logique implacable l'ensemble des phénomènes surnaturels et mystiques, tout
comme les vies passées, les sensations de déjà vu, l'intuition, les guérisons spontanées et surtout le
don de « voir » des parcelles de l'avenir. De façon simple et claire, le Dr Morse donne des cas
précis et raconte comment il est parvenu à ses conclusions après avoir travaillé sur les expériences
aux frontières de la mort infantiles. Salué par la presse anglo-saxonne comme une avancée majeure
pour le XXIe siècle, ce livre ouvre des portes insoupçonnées et donne une dimension, nouvelle,
phénoménale à la spiritualité. Des pilotes de chasse aux épileptiques, des neurologues aux physiciens
et des médecins aux magnétiseurs, sa thèse prend vie et s'impose comme une évidence. Ce livre
monumental peut changer votre vie. Version mise à jour et avec une préface française du Dr Melvin
Morse ainsi que du Dr Charles Jeleff.

La découverte du «Point de Dieu» début du chapitre 1 de la «Divine Connexion» du Dr Morse:

Les neurologues de l'University of California de San Diego ont annoncé en 1997, avec beaucoup
de courage, qu'ils venaient tout juste de découvrir dans le cerveau humain une zone «qui pourrait être
spécialement conçue pour entendre la voix du Ciel». Avec des recherches spécialement élaborées
pour tester cette zone, les médecins ont établi que certaines parties du cerveau, le lobe temporal droit
pour être exact, s'harmonisent avec la notion d'Etre suprême et d'expériences mystiques... Ils ont donc
baptisé cette zone «le module de Dieu», précisant qu'elle ressemblait à un véritable «mécanisme
dédié à la religion». Si bien des scientifiques furent ravis de cette découverte, l'un d'eux, Craig
Kinsley, neurologue à l'University of Virginia de Richmond, fit cette remarque pleine de bon sens:
«Le problème est que nous ne savons pas si c'est le cerveau qui a créé Dieu ou si c'est Dieu qui a créé
le cerveau. Néanmoins, cette découverte va vraiment secouer les gens». Je comprenais parfaitement
ce qu'il voulait dire. Dans mes trois livres précédents sur les expériences aux frontières de la mort,
j'avais déjà identifié le lobe temporal droit comme l'emplacement de ce point de contact entre
l'homme et Dieu. C'est là qu'Il semble habiter en chacun de nous, dans une zone au potentiel illimité
et inexploité que j'appelle le «Point de Dieu» ou le «Point Divin» ; il permet aussi bien la guérison du
corps que le déclenchement de visions mystiques, de capacités médiumniques et d'expériences
spirituelles inoubliables. En clair, le lobe temporal droit nous permet d'interagir directement avec
l'Univers. Bien que les événements vécus au cours d'une expérience aux frontières de la mort ( EFM)
soient considérés aujourd'hui comme notre dernière communication et interaction avec la vie, il
semble que rien ne puisse être aussi inexact. L'EFM est seulement une expérience spirituelle qui se
déclenche lorsqu'on meurt. Mais en étudiant ces expériences, nous avons appris que chaque être
humain possède ce potentiel biologique pour interagir avec l'univers et ce à n'importe quel moment
de sa vie.

Pour cela, nous devons simplement apprendre à activer notre lobe temporal droit, là où habite
Dieu. En tant que pédiatre, j'ai vu ce qui se passait lorsque cette zone était activée chez les enfants
passés «de l'autre côté». J'ai aussi remarqué combien ils étaient marqués à vie par leur expérience: ils
devenaient plus équilibrés non seulement au niveau mental et physique, mais aussi au niveau
spirituel ! Ils mangeaient une nourriture plus saine, obtenaient de meilleurs résultats scolaires et
possédaient plus de maturité que leur camarades. Ils sont conscients de lien avec l'Univers alors que
la plupart de leurs camarades ignorent jusqu'à son existence. Ces enfants ont même le sentiment
absolu d'avoir une tâche à accomplir sur terre. Ils ne craignent plus la mort. Mieux, ils suivent en
permanence leurs intuitions et savent qu'ils peuvent retrouver cette présence divine aperçue dans leur
EFM à tout moment, sans être obligés de mourir à nouveau. «Une fois que vous avez vu la lumière
de l'autre côté, si vous essayez, vous pouvez la revoir» m'a dit l'un de mes jeunes patients. «Elle est
toujours là pour vous» .

Où se trouve le Point de Dieu ? Ne le cherchez pas dans un livre d'anatomie, la science médicale
contemporaine ne le reconnaît pas, pas plus qu'un autre d'ailleurs, comme étant celui de Dieu. En fait,
les livres classiques de neurologie décrivent le lobe temporal droit simplement comme étant le
«décodeur», l'interprète de nos souvenirs et de nos émotions. Dans ce livre, nous allons montrer que
le lobe temporal droit fonctionne plutôt comme une zone «surnaturelle» procurant des capacités
d'auto-guérison, de télépathie et surtout de communication avec le divin. Comme ces capacités sont
«paranormales», elles sont donc controversées ( suite dans le livre )
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SAS Le jardin des Livres
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Dépôt Légal: septembre 2020
e-ISBN : 9782369990024
N° d'édition SDK2020031001
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www.lejardindeslivres.fr/videos.htm

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