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INTRODUCTION AU DROIT

INTRODUCTION AU DROIT
Philippe Malaurie
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Patrick Morvan
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

6e édition

À jour au 15 mai 2016


DROIT CIVIL
Philippe MALAURIE • Laurent AYNÈS
Présentation de la collection
La collection de Droit civil réunit, outre Philippe Malaurie et Laurent
Aynès, des auteurs qui ont le souci de renouveler l’exposé du droit
positif et des questions qu’il suscite.
Les ouvrages s’adressent à ceux qui – étudiants, universitaires,
professionnels – ont le désir de comprendre, en suivant une méthode
vivante et rigoureuse, ce qui demeure l’armature du corps social.

Ouvrages parus
Introduction au droit
Droit des personnes – La protection des mineurs et des majeurs
Droit des biens
Droit des obligations
Droit des contrats spéciaux
Droit des sûretés
Droit de la famille
Droit des successions et des libéralités
Droit des régimes matrimoniaux
De Philippe Malaurie, avec la collaboration de Philippe Delestre
Droit civil illustré, Defrénois, 2011
De Philippe Malaurie
Dictionnaire d’un droit humaniste, Université Panthéon-Assas, Paris II,
LGDJ, 2015
Anthologie de la pensée juridique, Cujas, 2e éd., 1996
Droit et littérature, Une anthologie, Cujas, 1997
De Patrick Morvan
Le principe de droit privé, éd. Panthéon-Assas, 1999
Droit de la protection sociale, LexisNexis, 7e éd., 2015
Restructurations en droit social, LexisNexis, 3e éd., 2013
Criminologie, LexisNexis, 2e éd., 2016

ISBN
SOMMAIRE

Premières vues Qu’est-ce que le droit ?

Chapitre I. – LE DROIT EST UN PHÉNOMÈNE SOCIAL ET


NORMATIF
Chapitre II. – LES DIVERSES BRANCHES DU DROIT

LIVRE I

ÉVOLUTION DU DROIT CIVIL


Chapitre I. – LE DROIT CIVIL AVANT LE CODE CIVIL
Chapitre II. – LE CODE CIVIL
Chapitre III. – APRÈS LE CODE CIVIL

LIVRE II

RÉALISATION DU DROIT
TITRE I. – ORGANISATION DE LA JUSTICE
Chapitre I. – JURIDICTIONS
Chapitre II. – JUGEMENTS
Chapitre III. – GENS DE JUSTICE
TITRE II. – LA PREUVE

PREMIÈRES VUES SUR LA PREUVE


Chapitre I. – CHARGE DE LA PREUVE
Chapitre II. – OBJET DE LA PREUVE
Chapitre III. – RECEVABILITÉ DES MOYENS DE PREUVE
Chapitre IV. – FORCE PROBANTE

LIVRE III

SOURCES DU DROIT
TITRE I. – SOURCES ÉCRITES
Chapitre I. – LA LOI
Chapitre II. – AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DE LA LOI
TITRE II. – SOURCES NON ÉCRITES
Chapitre I. – LA COUTUME
Chapitre II. – LA JURISPRUDENCE
Chapitre III. – LA DOCTRINE

Index des adages

Index des articles du Code civil

INDEX DES PRINCIPALES DÉCISIONS JUDICIAIRES

INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES


PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

Sources du droit (Codes, Constitutions...)


ACP = Ancien Code pénal
ACPC = Ancien Code de procédure civile
BGB = Bürgerliches Gesetzbuch (Code civil allemand)
CASF = Code de l’action sociale et des familles
C. assur. = Code des assurances
C. aviation = Code de l’aviation civile et commerciale
CCH = Code de la construction et de l’habitation
C. civ. = Code civil
C. com. = Code de commerce
C. communes = Code des communes
C. consom. = Code de la consommation
Ccs = Code civil suisse
C. déb. boiss. = Code des débits de boissons
C. dom. Ét. = Code du domaine de l’État
C. dr. can. = Code de droit canonique
C. env. = Code de l’environnement
C. fam. = ancien Code de la famille et de l’aide sociale
C. for. = Code forestier
CGCT = Code général des collectivités territoriales
CGI = Code général des impôts
Circ. = circulaire
C. minier = Code minier
C. mon. fin. = Code monétaire et financier
C. Nap. = Code Napoléon (édition de 1804)
C. nat. = Code de la nationalité
C.O. = Code suisse des obligations
Const. = Constitution
C. org. jud. = Code de l’organisation judiciaire
Conv. EDH = Convention européenne des droits de l’homme
C. pén. = Code pénal
C. pr. civ. = Code de procédure civile
C. pr. pén. = Code de procédure pénale
C. propr. intell. = Code de la propriété intellectuelle
C. relations pub. adm. = Code des relations entre le public et l'administration
C. rur. = Code rural
C. santé publ. = Code de la santé publique
CSS = Code de la sécurité sociale
C. trav. = Code du travail
C. trib. adm. = Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (ancien)
C. urb. = Code de l’urbanisme
D. = décret
D.-L. = décret-loi
DDH = Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)
DUDH = Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen
L. = loi
LPF = Livre des procédures fiscales
NCPC = Nouveau Code de procédure civile
NC pén. = Nouveau Code pénal
Ord. = ordonnance
réd. L. 9 avr. 1898 = rédaction de la loi du 9 avril 1898
Rép. min. = réponse ministérielle écrite

Publications (Annales, Recueils, Répertoires, Revues, Grands arrêts...)


Administrer = Revue Administrer
AIJC = Annuaire international de justice constitutionnelle
AJDA = Actualité juridique de droit administratif
AJPI = Actualité juridique de la propriété immobilière
ALD = Actualité législative Dalloz
Ann. dr. com. = Annales du droit commercial
Annuaire fr. dr. int. = Annuaire français de droit international
Ann. propr. ind. = Annales de la propriété industrielle
Arch. phil. dr. = Archives de philosophie du droit
Arch. pol. crim. = Archives de police criminelle
ATF = Annales du Tribunal fédéral (Suisse)
BICC = Bulletin d’information de la Cour de cassation
BOCC = Bulletin officiel de la concurrence et de la consommation
BOSP = Bulletin officiel du service des prix
Bull. cass. Ass. plén. = Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (assemblée plénière)
Bull. civ. = Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)
Bull. crim. = Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambre criminelle)
Bull. Joly Sociétés = Bulletin mensuel Joly Sociétés
Cah. dr. auteur = Cahiers du droit d’auteur
Cah. dr. entr. = Cahiers de droit de l’entreprise
Cah. dr. eur. = Cahiers de droit européen
CJEG = Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz
Comm. com. électr. = Communication – Commerce électronique
Contrats, conc. consom. = Contrats, concurrence, consommation
D. = Recueil Dalloz
DA = Recueil Dalloz analytique
D. Aff. = Dalloz Affaires
Dalloz Jur. gén. = Dalloz Jurisprudence générale
DC = Recueil Dalloz critique
Defrénois = Répertoire général du notariat Defrénois
DH = Recueil Dalloz hebdomadaire
Dig. = Digeste
DMF = Droit maritime français
Doc. fr. = La documentation française
DP = Recueil Dalloz périodique
Dr. adm. = Droit administratif
Dr. et patr. = Droit et patrimoine
Dr. Famille = Droit de la famille
Droits = Revue Droits
Dr. ouvrier = Droit ouvrier
Dr. pén. = Droit pénal
Dr. prat. com. int. = Droit et pratique du commerce international
Dr. soc. = Droit social
Dr. sociétés = Droit des sociétés
EDCE = Études et documents du Conseil d’État
GAJA = Les grands arrêts de la jurisprudence administrative
GAJ civ. = Les grands arrêts de la jurisprudence civile
GACEDH = Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
GAJCJUE = Les grands arrêts de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne
GAJDIP = Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé
Gaz. Pal. = Gazette du Palais
GDCC = Les grandes décisions du Conseil constitutionnel
J.-Cl. civil = Jurisclasseur civil
J.-Cl. com. = Jurisclasseur commercial
JCP E = Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition entreprises
JCP G = Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition générale
JCP N = Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition notariale
JCP S = Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition sociale
JDI = Journal de droit international (Clunet)
JO = Journal officiel de la République française (lois et règlements)
JOAN Q/JO Sénat Q = Journal officiel de la République française (questions écrites au ministre,
Assemblée nationale, Sénat)
JO déb. = Journal officiel de la République française (débats parlementaires)
JOUE = Journal officiel de l’Union européenne
Journ. not. = Journal des notaires et des avocats
LPA = Les Petites Affiches
Lebon = Recueil des décisions du Conseil d’État
Quot. jur. = Quotidien juridique
RJDA = Revue de jurisprudence de Droit des Affaires (Francis Lefebvre)
RFD aérien = Revue française de droit aérien
RD bancaire et bourse = Revue de droit bancaire et de la bourse
RDC = Revue des contrats
RDI = Revue de droit immobilier
RDP = Revue du droit public
R. dr. can. = Revue de droit canonique
RD rur. = Revue de droit rural
RDSS = Revue de droit sanitaire et social
RD uniforme = Revue du droit uniforme
Rec. CJUE = Recueil des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne
Rec. Cons. const. = Recueil des décisions du Conseil constitutionnel
Rec. cours La Haye = Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
Rép. civ. Dalloz = Répertoire Dalloz de droit civil
Rép. com. Dalloz = Répertoire Dalloz de droit commercial
Rép. pén. Dalloz = Répertoire Dalloz de droit pénal
Rép. pr. civ. Dalloz = Répertoire Dalloz de procédure civile
Rép. sociétés Dalloz = Répertoire Dalloz du droit des sociétés
Rép. trav. Dalloz = Répertoire Dalloz de droit du travail
Rev. arb. = Revue de l’arbitrage
Rev. crit. = Revue critique de législation et de jurisprudence
Rev. crit. DIP = Revue critique de droit international privé
Rev. dr. fam. = Revue du droit de la famille
Rev. hist. fac. droit = Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique
Rev. loyers = Revue des loyers
Rev. proc. coll. = Revue des procédures collectives
Rev. sc. mor. et polit. = Revue des sciences morales et politiques
Rev. sociétés = Revue des sociétés
RFDA = Revue française de droit administratif
RFD const. = Revue française de droit constitutionnel
RGAT = Revue générale des assurances terrestres
RGD int. publ. = Revue générale de droit international public
RGDP = Revue générale des procédures
RHD = Revue historique du droit
RIDA = Revue internationale du droit d’auteur
RID comp. = Revue internationale de droit comparé
RID éco. = Revue internationale de droit économique
RID pén. = Revue internationale de droit pénal
RJ com. = Revue de jurisprudence commerciale
RJF = Revue de jurisprudence fiscale
RJPF = Revue juridique Personnes et Famille
RJS = Revue de jurisprudence sociale
RRJ = Revue de recherche juridique (Aix-en-Provence)
RSC = Revue de science criminelle et de droit pénal comparé
R. sociologie = Revue française de sociologie
RTD civ. = Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. = Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique
RTD eur. = Revue trimestrielle de droit européen
RTDH = Revue trimestrielle des droits de l’homme
S. = Recueil Sirey

Juridictions
CA = arrêt de la Court of Appeal (Grande-Bretagne)
CA = arrêt d’une cour d’appel
CAA = arrêt d’une cour administrative d’appel
Cass. Ass. plén. = arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation
Cass. ch. mixte = arrêt d’une chambre mixte de la Cour de cassation
Cass. ch. réunies = arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation
Cass. civ. = arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation
Cass. com. = arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation
Cass. crim. = arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass. soc. = arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation
CE = arrêt du Conseil d’État
CEDH = arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
CJCE = arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes
CJUE = arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
Cons. const. = décision du Conseil constitutionnel
Cons. prud’h. = Conseil des prud’hommes
JAF = décision d’un juge aux affaires familiales
J.d.t. = décision d’un juge des tutelles
KB = arrêt du King’s bench (Banc du roi) (Grande-Bretagne)
QB = arrêt du Queen’s Bench (Banc de la reine) (Grande-Bretagne)
Réf. = ordonnance d’un juge des référés
Req. = arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation
Sent. arb. = sentence arbitrale
Sol. impl. = solution implicite
TA = jugement d’un tribunal administratif
T. civ. = jugement d’un tribunal civil
T. com. = jugement d’un tribunal de commerce
T. confl. = décision du Tribunal des conflits
T. corr. = jugement d’un tribunal de grande instance, chambre correctionnelle
T.f. = arrêt du Tribunal fédéral (Suisse)
TGI = jugement d’un tribunal de grande instance
TI = jugement d’un tribunal d’instance
TPICE = Tribunal de première instance des communautés européennes

Acronymes
AFNOR = Association française de normalisation
CCI = Chambre de commerce internationale
Ccne = Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé
CEE = Communauté économique européenne
DASS = Direction de l’action sanitaire et sociale
DPU = Droit de préemption urbain
IRPI = Institut de recherche en propriété intellectuelle
OPE = offre publique d’échange de valeurs mobilières
POS = plan d’occupation des sols
PUAM = Presses universitaires de l’Université d’Aix-Marseille
PUF = Presses universitaires de France
SA = société anonyme
SARL = société à responsabilité limitée
SAS = société anonyme simplifiée
SCI = société civile immobilière
SNC = société en nom collectif
TUE = Traité sur l’Union européenne
TFUE = Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Abréviations usuelles
A. = arrêté
Adde = ajouter
Aff. = affaire
al. = alinéa
Ann. = annales
Appr. = approbative (note)
Arg. = argument
Art. = article
Art. cit. = article cité
Av. gal. = avocat général
cbné = combiné
cf. = se reporter à
chron. = chronique
col. = colonne
comp. = comparer
concl. = conclusions
cons. = consorts
Contra = solution contraire
crit. = critique (note)
DIP = Droit international public/Droit international privé
doctr. = doctrine
éd. = édition
eod. vo = eodem verbo = au même mot
Et. = Mélanges
ib. = ibid. = ibidem = au même endroit
infra = ci-dessous
IR = informations rapides
loc. cit. = loco citato = à l’endroit cité
m. n./ déc./ concl. = même note/ décision/ conclusion
n. = note
n.p.B. = non publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (inédit)
op. cit. = opere citato = dans l’ouvrage cité
passim = çà et là
préc. = précité
pub. = publié
rapp. = rapport
Sect. = section
sté = société
somm. = sommaires
supra = ci-dessus
TCF DIP = Travaux du Comité français de DIP
th. = thèse
V. = voyez
v = versus = contre
Vº = verbo = mot (Vis = verbis = mots)
*et** = décisions particulièrement importantes
Sauf indication contraire, les articles cités se réfèrent au Code civil.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Sirey,
15e éd., 2014
J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, PUF, coll. Thémis droit, 2e éd., 2016
J. CARBONNIER, Introduction, PUF, Thémis, 27e éd., 2002
P. DEUMIER, Introduction générale au droit, LGDJ, 3e éd., 2015
J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale, LGDJ,
4e éd., 1994
Ph. MALINVAUD, Introduction à l’étude du droit, LexisNexis, 15e éd., 2015
Fr. TERRÉ, Introduction générale au droit, Dalloz, 10e éd., 2015.
PREMIÈRES VUES QU’EST-CE QUE LE DROIT ?

« L’humilité est la voie qui conduit à la vérité » S AINT BERNARD DE


CLAIRVAUX, Traité sur les degrés d’humilité et d’orgueil, 1124

Bien qu’il ait été l’objet de nombreuses et incessantes analyses sur sa


définition, sa nature et ses fonctions, le droit conserve une grande part
de mystère.
Au-delà de ses multiples définitions, le droit est l’institution,
l’instrument et l’expression de la civilisation ; le pouvoir qu’il traduit
demande beaucoup d’humilité ; il est souvent pervers et même une
imposture ; il est lié au temps, à l’histoire et à la patrie ; aujourd’hui il
est en déclin.

1. Civilisation et barbarie. – 1º) C’est par le droit que toute


civilisation s’édifie chaque jour, que la justice, la liberté, la paix, la
prospérité et l’épanouissement des hommes sont assurés. La justice,
l’esprit de mesure et la paix sont pour Hésiode l’origine même du droit 1.
Il y a cependant, dans ces mots de « civilisation » et de « barbarie »,
des équivoques, des variations selon les temps, que les penseurs
contemporains se complaisent à souligner. Ainsi, au lendemain de la
Première guerre mondiale, les rapports du droit et de la paix furent
débattus. Un credo de la pensée juridique était que la paix devait être
assurée par le droit. Mais, dans les années 1920 et 1930, Alain (un
philosophe engagé politiquement qui jouissait d’une grande autorité) en
dénonça l’illusion. Le droit permet parfois la paix, mais pas toujours.
« La paix par le droit » est souvent une illusion ; cela est même parfois
un « cri de guerre » ou le « cri de la guerre », quand l’imposture s’en
mêle 2.
Témoignent aujourd’hui de cette illusion les équivoques et la fragilité de la justice internationale,
illustrées par les procès sans fin et le bilan dérisoire de la Cour pénale internationale 3. Toutefois, à
partir de 2001, des travaux de droit international ont élaboré le concept de « responsabilité de
protéger » (R2P en anglais), remplaçant celui de « droit d’ingérence humanitaire ». La responsabilité
de protéger impose d’abord à un État de protéger ses populations contre les génocides, crimes de
guerre, crimes contre l’humanité et nettoyages ethniques. En cas de manquement manifeste à cette
obligation, il incombe à la communauté internationale de mener une action collective (sanctions
économiques puis intervention militaire), comme cela fut le cas pour la première fois en Lybie et en
Côte-d’Ivoire au début de l’année 2011 4.
La paix est généralement le but du droit, mais pas toujours, car la
lutte (la guerre ou la révolution) est souvent légitime 5.
2º) Lorsque le droit n’existe pas, qu’il est méconnu ou violé, la
civilisation se délite : la décadence, le régime des voyous, la dérive
intellectuelle et morale, la misère, d’immenses souffrances et de grands
désastres. Le contraire du droit, c’est la barbarie 6.
Pour les Grecs, le barbare était celui qui ne parlait pas le grec ou le baragouinait : il était
l’« autre », l’étranger. La civilisation était donc une communauté de race, de religion, de langue et de
culture. Depuis les années 1960, même l’Occident n’a plus cet exclusivisme. Pour l’anthropologie
(notamment Claude Lévi-Strauss), toutes les cultures se valent. Plus grave, les nobles et généreux
sentiments qui inspirent la plupart des révolutions ont eu des effets pervers. La civilisation
contemporaine, si riche de belles idéologies, a produit les camps d’extermination et perpétue les
génocides au troisième millénaire. Toutefois, les formes récentes de la barbarie islamiste condamnent
un relativisme absolu. La civilisation a sans doute des visages divers mais elle comporte un « noyau
dur » : un certain degré de politesse, de justice et de raffinement ; des valeurs de paix et de tolérance.
Durant toute l’histoire du monde, des hommes ont lutté pour le droit en manifestant certaines des
plus grandes vertus humaines : la soif et le sens de la justice, l’intelligence, le courage, la ténacité et
le dépassement de soi 7.

2. Humilité. – Soumis au pouvoir des hommes, le droit leur échappe


aussi. Il demande beaucoup d’humilité, une grande ascèse pour un
homme d’action. Les hommes ne se laissent pas gouverner comme des
choses, des animaux ou des esclaves parce qu’ils sont des êtres libres 8.
La politique, la législation, le raisonnement, l’interprétation, la
persuasion, la preuve, l’exécution, le jugement – le jugement surtout –,
soit en définitive toute l’activité juridique, sont incertains et relèvent de
la probabilité, du sentiment et de l’intuition.
Les limites congénitales de la pensée humaine imposent l’humilité : les mots ne traduisent
qu’imparfaitement la pensée qui elle-même ne traduit qu’imparfaitement le réel. L’étymologie du mot
humilité en est un symptôme : humilitas dérive d’humus = la terre, qui a donné humilis = qui reste à
terre, qui ne s’élève pas 9. La règle de droit n’est pas, ne peut être et n’a jamais été une vérité
absolue, infaillible, omniprésente, universelle et perpétuelle. Toute prétention du droit ou des juristes
à l’absolu, à l’infaillibilité, l’omniprésence, l’universalisme ou la perpétuité est une arrogance qui
est vouée à l’échec.
L’humilité, en droit, n’est ni l’humilité franciscaine, ni l’oubli de soi, ni l’absence de vanité. Elle
a sans cesse évolué 10. Elle commande de n’être asservi ni par ses idées, ni par la contemplation de
son œuvre, de ne pas s’installer dans les certitudes, de se remettre fréquemment en question,
d’observer et d’écouter sans cesse, d’estimer que les autres peuvent nous être supérieurs, de ne pas
croire en l’omnipotence des hommes non plus que celle de la loi. Elle se compose de modération, de
sobriété 11 et de mesure. Elle est rarement pratiquée et encore plus rarement visible. Son contraire est
la complète confiance en soi, en soi seul, et la capacité à ignorer l’idée même d’un échec.

3. Obligation et sanction 12. – La règle de droit régit l’activité


humaine. Elle le fait généralement de manière directe : elle impose,
interdit ou permet. En ce sens elle est obligatoire, ce que ne contredit
pas l’existence de règles « facultatives » (qui permettent). Une règle est
obéie pour deux raisons. 1) D’une part, elle est rationnelle ou du moins
raisonnable (à l’image de l’obligation pour un automobiliste de céder la
priorité à droite ou l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou de
travail) 13, ce qui incite à la respecter spontanément. Au contraire, la loi
oppressive, injuste ou simplement inutile, parce qu’elle paraît
irrationnelle ou déraisonnable, est souvent désobéie 14. 2) D’autre part,
la règle est impérative, parce que l’autorité publique en impose
l’observance par la contrainte si elle n’est pas respectée spontanément.
À ce titre, elle revêt un caractère coercitif 15.
Sans imposer de contrainte, la loi exerce parfois un rôle purement pédagogique et exemplaire :
elle dit ce qui est bien et mal. Ainsi, l’article 371 du Code civil, inspiré du Décalogue biblique,
rappelle-t-il que « l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère ».

4. Le positivisme juridique. – Pour le positivisme juridique, seul le


droit effectivement posé et appliqué est un objet de science, non les
divers donnés qui fondent le droit positif (tels le droit naturel 16, la
nature, la raison, la religion 17, l’esprit, la justice ou toute autre valeur).
Deux de ses formes les plus achevées sont le positivisme légaliste, où le
droit s’identifie aux règles en vigueur, c’est-à-dire sanctionnées par
l’autorité publique, et le normativisme kelsénien (la « théorie pure du
droit » de Kelsen) 18.
Le positivisme juridique exclut toute critique de la règle de droit,
surtout lorsqu’elle s’exprime par la loi. Il donne du droit une vision
sèche et étriquée. Le droit ne devrait jamais se laisser assécher 19.
La règle de droit construit l’État de droit mais peut aboutir à l’excès
de droit. Elle produit alors des effets indirects : tantôt prophylactiques,
tantôt, à l’inverse, pervers.

5. État de droit 20. – 1º) Comme tous les pays démocratiques, la


France est un État de droit. La puissance publique – l’État,
l’administration et les juges – comme les justiciables sont soumis à
l’empire de la règle de droit, renfermés dans l’ordre juridique. L’État de
droit, c’est le gouvernement des lois, non des hommes (Imperia legum
potentiora quam hominum, écrivait Tite-Live ; Government of laws, not
men, disaient les Républicains anglais au début du XVIIe siècle,
s’appuyant sur des passages d’Aristote et de Cicéron). Au contraire, la
devise classique de l’absolutisme, qui connut un grand succès auprès
des penseurs du XVIe siècle (Machiavel, Luther, Bodin...), voulait que le
Prince fût délié du respect des lois (Princeps legibus solutus 21).
Les piliers substantiels de l’État de droit sont, depuis la Révolution,
ancrés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du
26 août 1789 : liberté et égalité en droits (par naissance), protection de
la propriété, droit à la sûreté, prohibition des arrestations et détentions
arbitraires, principe de légalité des délits et des peines, non-rétroactivité
de la loi pénale, droit à la présomption d’innocence, liberté de pensée,
d’opinion et de communication : « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n’a point de constitution » (art. 16).
Le concept de Rechtsstaat est né en Allemagne au XIXe siècle où, rompant avec la définition de
Kant qui faisait de la défense des droits de l’homme la fin de tout ordre politique, il fut entendu de
façon formelle et positiviste, indépendamment de tout jugement de valeur : l’État de droit existe
lorsqu’a été constaté un ordre de contrainte hiérarchisé ; la théorie de « l’État-puissance »
(Machtstaat) s’était imposée après l’échec de la révolution libérale de 1848-1849 ; elle tendait à
définir l’État comme un pur rapport de domination et soulignait que ce pouvoir de domination était
inhérent à sa nature ; sujet autonome doté d’une volonté propre et illimitée, l’État ne pouvait être
soumis à un ordre supérieur 22. La notion britannique de Rule of Law (règne du droit), dont John
Locke fut le théoricien 23, s’ouvrait au contraire à des garanties substantielles à valeur démocratique
(droits et libertés du citoyen ; clarté, généralité, publicité, stabilité, non-rétroactivité et égalité pour
tous de la loi, dont la certitude préserve du pouvoir arbitraire d’autrui et permet donc à la liberté
d’exister). Aux États-Unis, le Due Process of Law consacré en 1791 dans le Ve amendement puis en
1868 dans le XIVe amendement de la Constitution implique, outre des garanties procédurales
(procedural due process) 24, un certain contenu du droit applicable (substantive due process). Au
XXe siècle, après la défaite du IIIe Reich qui se targuait d’être un État de droit 25, puis avec l’extension
du contrôle de la légalité des actes administratifs et du contrôle de la constitutionnalité des lois, cette
conception l’emporta.
L’État de droit s’oppose à l’anarchie, au totalitarisme et à la justice
privée 26. Il est la condition de la justice, de la liberté, de la prospérité et
de tout ce qui donne sa valeur à l’humanité. Si imparfait et relatif soit-
il 27 – il est souvent injuste, abscons, oppressif, sclérosant, incohérent, et
détaché du réel, devenant l’habillage commode d’abus de pouvoir –, il
est par nature supérieur à l’absence d’État de droit, source constante
d’injustices, de fanatismes, d’arbitraires, d’abus de pouvoir, de misères
et de mort.
2º) De temps en temps, l’État de droit sonne creux : la notion est
vidée de son sens.
Le droit envisage lui-même le retrait de l’État de droit, à titre
temporaire, lorsqu’un grave péril menace le pays : 1) l’état de siège peut
être déclaré (par décret en Conseil des ministres) puis prorogé au-delà
de douze jours (par le Parlement) « en cas de péril imminent résultant
d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée » afin de transférer
le maintien de l’ordre et la police à l’autorité militaire (C. défense, art.
L. 2121-1 et s. ; Constit., art. 36) ; 2) en cas de circonstances
exceptionnelles, c’est-à-dire « lorsque les institutions de la République,
l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution
de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave
et immédiate », le président de la République s’attribue à lui-même les
pleins pouvoirs (Constit., art. 16) ; 3) enfin, l’état d’urgence peut être
déclaré (par décret en Conseil des ministres) puis prorogé au-delà de
douze jours (par la loi) « soit en cas de péril imminent résultant
d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant,
par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique »
(L. nº 55-385, 3 avr. 1955, modifiée par la L. 20 nov. 2015, à la suite des
attentats djihadistes perpétrés à Paris le 13 novembre 28) ; l’état
d’urgence suspend les libertés publiques afin d’autoriser les
perquisitions administratives, les arrestations et les assignations à
résidence.
L’État de droit est également vidé de son sens au quotidien, de façon
apparemment anodine, lorsque lui sont opposées d’autres « valeurs »
permettant de l’écarter dans une situation particulière. Il en fut ainsi
dans la médiatique affaire Léonarda en 2013 29.
L’État de droit s’avère, enfin, à géométrie variable. Si le droit de
l’immigration peut être appliqué de façon circonstanciée et chaotique,
d’autres règles le sont de façon rigoureuse, toujours au nom de
prétendues « valeurs ». Ainsi, afin de garantir « le bon fonctionnement et
la neutralité du service public de l’état civil », un maire ne peut
invoquer une « clause de conscience » pour refuser de célébrer un
mariage homosexuel 30.
3º) La lutte contre l’État de droit est récurrente et menée par tous les
tyrans de tous les temps et de tous les genres (politiques, économiques,
religieux, intellectuels, médicaux) qui n’ont de cesse de revendiquer la
liberté de leur pouvoir (politique, économique, religieux, intellectuel,
médical) et de dénoncer l’hypocrisie de l’État de droit. La musique peut
changer (marxisme, nazisme, fascisme, anarchisme, islamisme), c’est la
même chanson.
La négation de l’État de droit fut particulièrement l’œuvre du juriste allemand Carl Schmitt
(1888-1985) selon lequel l’ordre juridique et la souveraineté reposeraient sur une « décision » du
pouvoir politique : « pour créer le droit, il n’est nul besoin d’être dans son droit ». Schmitt
aboutissait ainsi à justifier le recours à la violence et à la guerre totale contre l’« ennemi » de l’État
(d’où un antisémitisme et un antimarxisme prononcés), l’existence de la dictature (fasciste ou nazie) :
il identifiait la loi à la volonté absolue du Führer 31. Les concepts d’État d’exception et de
« combattant illégitime » qu’il théorisa se retrouvèrent, à un bien moindre degré, au cœur de la
législation anti-terroriste américaine (Patriot Act) après les attentats islamistes du 11 septembre
2001, afin de justifier la torture (en dehors du territoire américain), la création de juridictions
d’exception militaires dépourvues d’avocats et les détentions arbitraires d’« ennemis combattants »
(au sein de la base navale de Guantánamo Bay à Cuba). L’État de droit s’affirma péniblement contre
le pouvoir exécutif en 2008 lorsque la Cour suprême des États-Unis exigea du gouvernement le
respect, en tous lieux, du Due Process of Law – respect finalement promis par le président Barack
Obama élu en 2008 mais qui ne put tenir ses engagements (en 2012, plus de 150 prisonniers
résidaient encore au camp de Guantánamo).

6. Excès de droit, potion magique et conceptions libérales du


droit. – L’usage excessif du droit à l’époque contemporaine le
déprécie 32. Le recours à la règle de droit se banalise pour régler toutes
les difficultés, tous les malheurs et tous les conflits (politique,
économique, social, moral, intellectuel) même si elle n’est pas
appropriée à leur solution. Elle devient une potion magique, illusion qui
traduit l’orgueil et la vanité du pouvoir : l’histoire du monde en révèle
pourtant l’inanité. La règle de droit devrait avoir pour seul objet de dire
ce qui est mal et de l’interdire, en s’attachant aux valeurs communément
reçues par une société à un moment donné et dans un pays déterminé.
Tacite avait dénoncé l’inflation législative au commencement de notre ère : « Plurimae leges
corruptissima respublica » 33. La société contemporaine a de plus en plus une boulimie de
législation 34. Devenue envahissante, compliquée, indifférente aux valeurs essentielles, la loi devient
dominée par des considérations d’opportunité politique et repose souvent sur un consensus artificiel.
Elle prétend tout régenter : ainsi, une répression pénale multiforme se substitue peu à peu à la
conscience morale. De cet excès de droit, le respect du droit est la première victime.
La lutte contre l’inflation de la loi tombe elle-même dans le travers qu’elle dénonce :
l’accumulation des normes « produit une accumulation de rapports sur l’accumulation des normes,
souvent suivies de déclarations ou circulaires, créant une impression de piétinement si ce n’est
d’impuissance » 35.

7. École libérale. – Friedrich Hayek, philosophe et économiste autrichien contemporain, apôtre


du libéralisme, a défendu les mérites de la liberté du marché qui ferait naître un « droit de la liberté »
et dénoncé les excès contemporains de la législation étatique, sources d’inégalités et nuisible à
l’ensemble de la société 36. Au cours du XXe siècle se sont ainsi développées des conceptions néo-
libérales du droit prônant un individualisme radical, affirmant la supériorité de la raison économique
sur la raison politique et la primauté du marché. Le droit devrait être affranchi de l’emprise de l’État,
l’État-providence étant dénoncé comme un « État-bandit », exploiteur illégitime qui s’abrite derrière
la façade de l’intérêt général. Le droit serait, par essence, le produit d’un ordre social spontané, qui
« s’auto-régule », dans le respect des libertés individuelles 37. C’est sans doute sous cette influence
que se développe la « dérégulation » contemporaine.

8. La carotte et le bâton ; analyse comportementale du droit 38. –


La règle de droit ne produit pas que des effets directs. Dans de
nombreuses hypothèses elle a aussi des effets indirects, d’ordre
psychologique, aboutissant à prémunir la société d’un mal qu’elle veut
éviter. La perspective d’un bienfait attaché à un acte socialement
souhaitable incite à l’accomplir tandis que celle d’une sanction dont est
assortie une faute dissuade de la commettre. Cette politique de la carotte
et du bâton, vieille comme le monde, est parfois désignée sous le nom
d’effet prophylactique du droit 39.
Au premier chef, le droit pénal imprime à la peine une valeur dissuasive (souvent dite
« exemplaire »). La perspective de la punition décourage un grand nombre d’individus de
s’abandonner à leurs velléités délictueuses 40. De même, le droit civil de la famille a longtemps
exercé un rôle prophylactique 41 : ainsi, le Code Napoléon avait prévu en cas de divorce des
pénalités et des déchéances à l’encontre de l’époux coupable de faute conjugale (auj. art. 266) ; de
même, pour dissuader un époux de commettre l’adultère, la loi le frappait dans sa partie sensible en
lui interdisant de reconnaître « des enfants nés d’un commerce adultérin » (anc. art. 335) ou de leur
consentir des libéralités. Si le droit de la famille a perdu de son rôle prophylactique, celui-ci se
développe dans le droit des obligations, sous les traits notamment de l’astreinte et de la clause pénale
(art. 1231-5, anc. art. 1226 et s.) qui menacent le débiteur récalcitrant. Le droit des successions
constitue un autre terrain favorable : en réputant non écrites les clauses illicites stipulées dans les
libéralités, l’article 900 du Code civil a découragé les individus de rétablir la féodalité, ce qui
constitue un exemple remarquable de prophylaxie civile réussie 42.
Une discipline, l’économie comportementale, scrute les décisions que
prennent les individus ou les agents économiques sous l’influence
d’incitations, de « coups de pouce » (en anglais, des nudges 43), de leur
intuition et de leurs émotions (ce que le psychologue et prix Nobel
d’économie Daniel Kahneman nomme le « système 1 » de la pensée,
réputé rapide, intuitif et émotionnel, par opposition au « système 2 »,
logique et rationnel 44). L’analyse comportementale appliquée au droit
étudie les raisons de l’obéissance à la règle et du consentement.
Par exemple, un patient informé des risques inhérents à une opération chirurgicale donnera plus
facilement son accord si le médecin lui expose que 90 % des sujets ont survécu à cet acte et non que
10 % sont décédés (conclusion : dans une perspective de gain, nous avons tendance à craindre les
risques et préférer les certitudes). De même, les contribuables acceptent de payer leurs impôts en
ligne ou de régulariser une situation frauduleuse si le fisc leur apprend qu’une grande majorité
d’entre eux l’a déjà fait. Différents « biais » permettent alors d’influencer un comportement (par ex.,
le biais d’inertie explique que le lecteur d’un magazine ne se désabonne pas, même s’il ne le lit plus,
dès lors que le renouvellement de l’abonnement est automatique ; ou qu’un consommateur achète une
option inutile sur un site marchand dès lors que la case est pré-cochée).
L’homo economicus est un mythe : l’être humain n’est pas un esprit
purement rationnel qui procède par voie de bilan coûts-avantages, qui
détermine la conduite à tenir en fonction d’un calcul économique
mettant en balance les coûts et profits prévisibles 45. Il doit composer
avec les limites morales, les instincts et les émotions qui parcourent le
cerveau humain.
Ainsi, verser une somme d’argent à un individu qui accomplit un acte prosocial dans le but de
développer un marché (par exemple, en rémunérant les dons de sang ou d’organes) peut s’avérer
contre-productif si l’agent est motivé non par une incitation (ici monétaire) mais par un sentiment de
générosité ou la volonté de donner une bonne image de lui-même (comme en matière de dons du
sang). La gêne ou un sentiment de répulsion peut provoquer une « défaillance du marché » (selon
l’expression des économistes) alors même que celui-ci pourrait sauver des vies (ici, le libre
commerce des organes permettrait d’augmenter le nombre de greffons mais l’opinion publique y
répugne). De même, le « marché » de la gestation pour autrui (pratique des mères porteuses) ou celui
de la prostitution sont faussés par nos sentiments éthiques (la volonté de ne pas contribuer à
l’exploitation d’êtres humains ou la peur de voir les inégalités en face nous mettent mal à l’aise) 46.

9. Effets pervers de la règle : le mal est l’ombre du bien. – Il arrive


souvent qu’une règle de droit – surtout de nature législative – produise
un effet pervers, contraire à celui que ses auteurs en attendaient : la loi a
« mal tourné » au sens étymologique du terme 47.
L’effet pervers est presque toujours mauvais et se produit après
l’entrée en vigueur de la loi, dans un délai variable. Lors de la
promulgation du texte, il est ignoré et ne se révèle que peu à peu,
lentement et en profondeur 48. Il est généralement durable et parfois
irréversible parce qu’il transforme les mentalités et que ses chemins sont
souterrains.
Des exemples d’effets pervers se trouvent dans les législations de protection lorsqu’elles sont
excessives : toute protection juridique excessive se retourne contre les intérêts de la personne
protégée. Ainsi en est-il des règles protectrices des consommateurs qui suppriment insidieusement et
lentement chez le consommateur l’esprit de curiosité, d’initiative et de risque. Il en est de même de la
législation sur les baux qui, aux lendemains des deux guerres mondiales, avait protégé les locataires
et les fermiers en place ; le résultat en fut la disparition de l’investissement locatif qui empira la crise
du logement en aggravant la condition des personnes désireuses d’acquérir un logement et de le louer.
La prohibition de l’alcool aux États-Unis en 1919 suscita un développement considérable de la
contrebande et, partant, de la criminalité ; la croissance économique et industrielle a pour sous-
produits la pollution et la lente destruction de la planète ; la liberté d’expression et d’opinion a pour
déchets presque fatals la pornographie et le racisme ; les religions, qui sont un chemin du
dépassement individuel et social, sont aussi la cause de fanatismes sanglants, etc. Les institutions de
notre société illustrent aussi cet effet pervers : les hôpitaux et les médicaments rendent malades, les
écoles abêtissent, la simplification du droit complique la vie quotidienne, etc.
Le développement de l’effet pervers est un mal moderne dont
souffrent particulièrement les lois de circonstances, fragmentaires ou
rigides. Le Code Napoléon, qui constituait un tout cohérent, longuement
mûri, a produit peu d’effets pervers et atteint les principaux objectifs des
codificateurs 49.
Les causes de l’effet pervers sont, comme toutes les causes, un peu mystérieuses. Hegel 50 avait
montré que toute action humaine se réalise contre elle-même, ce qu’il nommait la « ruse de la
raison » 51. L’effet pervers n’est pas seulement un effet contraire, c’est un effet qui n’a pas été voulu,
souterrain et par-dessus tout malfaisant. Sa cause profonde tient à l’ambivalence de la condition
humaine. « Le mal est l’ombre du bien » avait écrit Simone Weil 52 avec une vigueur toute
pascalienne ; par exemple, l’assistance à la pauvreté (qui est un bien) incite des pauvres à la paresse
(qui est un mal), etc.
La réciproque est aussi vraie mais de façon plus équivoque : le bien peut être l’ombre du mal si,
comme l’avait dit Shakespeare, « l’on prend soin de l’en extraire » 53. Il en est de même dans la
théologie chrétienne : Felix culpa (heureuse faute), dit la liturgie catholique avec une grande
ambiguïté et beaucoup de profondeur ; sans la faute, Adam (l’humanité) n’aurait pu prendre
conscience de son individualité et la rédemption n’aurait pu avoir lieu.

10. La lutte contre le droit et son imposture. – 1º) Tout au long de


l’histoire, des hommes ont lutté contre le droit, croyant que leur liberté
devait être totale et exclusive de toute règle ou contrainte 54 ou parce
qu’ils étaient agités par une quête de domination, une soif de richesse
ou une frénésie de destruction.
2º) D’autres ont aussi lutté contre le droit en prétendant lutter pour
lui 55. Le crime contre le droit, au nom du droit, est un acte éternel et
familier de l’être humain : le verbalisme du droit, les républiques
bananières, les démocraties populaires de l’ancien bloc de l’Est, les
« petits pères du peuple », les ayatollahs, les tyrans de tout temps, lieux
et milieux ont le « droit », la « légalité », la justice, la morale, les droits
de l’homme, la prospérité, la paix plein la bouche. C’est le régime du
« contre-mot » épinglé par Orwell 56 dont le législateur français n’est pas
exempt 57. À Vincennes, il n’y a pas que le « chêne de Saint-Louis »,
image légendaire et sublime de la justice humaine 58 : il y a aussi
l’assassinat du duc d’Enghien, symbole du crime par le droit 59. De tout
temps, les hommes n’ont cessé de gémir, de se révolter ou de rire contre
un droit, une loi ou un juge injuste 60.
Le droit injuste et l’imposture du droit prétendument juste sont, pour
la philosophie de l’absurde (qui a naguère régné en France), les deux
faces d’un même visage.

11. Antinomies du droit. – Entre ces deux pôles de l’humanité que


sont le juste et le criminel, gît l’immense variété des opinions diverses,
des intérêts rivaux et des vérités qui changent : l’homme en marche. De
cet antagonisme naissent une tension permanente, d’incessants conflits,
de constantes controverses, mais aussi la dialectique juridique. Si le
droit naît ainsi de la lutte des extrêmes, c’est que l’antagonisme parvient
à susciter des compromis pacifiants 61.
Toute vie sociale est un affrontement, à la source d’enrichissement complémentaire : entre le bien
et le mal, les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes, la société et les individus, les vivants et
les morts, les riches et les pauvres, les maîtres et leurs subordonnés, etc. Le rôle du droit est de
concilier les opposés, d’assurer la concordia discordantium, selon le titre même du Décret de
Gratien 62.
Le droit est un mélange d’absolu et de relatif. Fondé sur l’absolu, la
justice divine et la raison, il est aussi relatif puisqu’il varie selon les
temps et selon les pays 63. Il est un mélange de paix et de force 64 : il n’y a
pas d’ordre sans justice ni de justice sans ordre. Telle est la pathétique
contradiction du droit, l’image même de la pathétique condition des
hommes, la « possibilité infinie de leur destin », disait Malraux 65.

12. Droit et temps 66. – Le temps est l’un des maîtres du droit mais un
maître ambigu : tantôt inhibant ou érosif, lorsqu’il efface ou détruit une
prérogative légale (donnant par exemple naissance à un droit à l’oubli
via l’amnistie ou la prescription extinctive), tantôt statique, lorsqu’il
joue un rôle conservateur (ex. : la nuit, durant laquelle le travail ou les
perquisitions sont en principe interdits 67), tantôt dynamique, lorsqu’il
crée ou modifie une situation juridique. Le temps est extincteur,
protecteur (ex. : le mineur est protégé en droit civil, en droit pénal et en
droit du travail) ou créateur.
Il est un maître dont les pouvoirs et les effets dépendent de l’usage que l’homme en fait.
L’écoulement du temps n’est créateur de droit que si à sa durée s’ajoute une activité humaine, telle la
possession en matière de prescription acquisitive (art. 2258 et 2261) ou la possession d’état d’enfant
dans le droit de la filiation (art. 311-1). Au contraire, son écoulement est destructeur si à sa durée
s’associe une inactivité, comme en matière de prescription extinctive (souvent dénommée
prescription libératoire) ou de forclusion.
Ce qui est éphémère n’est pas juridique : le droit, comme la société
humaine, s’inscrivent dans le temps. La règle de droit est, par définition,
permanente 68. Le phénomène est évident pour la coutume, forgée par la
répétition d’usages 69, ainsi que, d’une autre façon, pour la
jurisprudence, de nature « sédimentaire » 70. Pour autant, la règle ne
s’accommode que difficilement de la perpétuité. Sans doute, le droit de
propriété est perpétuel, mais non les autres droits réels ; surtout, le droit
civil prohibe les engagements perpétuels (art. 1210). En droit pénal, la
réclusion criminelle à perpétuité, même déclarée « incompressible »,
n’est jamais réellement perpétuelle en raison des aménagements de peine
qui, tôt ou tard, doivent être offerts aux condamnés.
Ce qui est instantané engendre ou éteint une existence juridique (ex. :
naissance ou mort d’une personne, fait ou acte générateur d’une
obligation), même si ce processus peut être graduel (ex. : formation
progressive d’un droit, contrat à exécution successive). L’urgence
justifie qu’il soit dérogé à la règle 71. Les règles relatives à l’entrée en
vigueur ou à l’abrogation des lois 72 ainsi que les dispositions du droit
transitoire (destinées à trancher les conflits de lois dans le temps au
regard du principe de non-rétroactivité) 73 prennent le temps pour objet.

13. Droit et histoire. – L’histoire, fille du temps, est, comme lui,


maîtresse du droit. La plupart des institutions juridiques sont le produit
de l’évolution du droit au cours des siècles : l’histoire les a façonnées.
Avant d’être un phénomène moral, culturel, économique, rationnel,
social ou politique, le droit est un phénomène historique. L’histoire est
le témoin et l’auteur permanents du droit. Il suffit de citer Ihering : « Le
sentiment du droit n’est pas inné, mais acquis en fonction du milieu
historique » 74.
Mais l’histoire, la mémoire et le poids du passé peuvent être aussi une
sclérose qui freine le progrès du droit 75 : l’histoire est une suite
continue d’horreurs et de cruautés 76.
Un autre courant de pensées sacralise l’histoire : le droit irait dans le sens de l’Histoire, quasi
divinisée 77. Pour Karl Marx en particulier, l’Histoire serait depuis l’Antiquité le récit d’une lutte des
classes permanente, mettant aux prises les prolétaires (esclaves, serfs, puis ouvriers exploités) et les
bourgeois (capitalistes exploiteurs). L’« infrastructure » (le système de production et son organisation
sociale) déterminerait la « superstructure » (les idées présentes dans la conscience des hommes :
morale, religion, culture et droit 78). À la fin de l’histoire, avait prédit Marx, les bourgeois seront
réduits à une poignée, noyés par la masse croissante des appauvris. L’histoire elle-même a démontré
l’erreur de cette vision déterministe. Le communisme de Marx n’a pas tenu ses promesses (libérer
l’homme de ses servitudes, instaurer une société socialiste égalitaire) ; au contraire, il a fourni un
terreau idéologique à de terribles tyrannies (URSS de Lénine et de Staline, Chine de Mao, etc.). La
réécriture de l’histoire par la loi est la tentation des régimes totalitaires : la volonté politique
d’apaiser les blessures ou les rancœurs d’une population a pu conduire le législateur à condamner ou
reconnaître l’histoire au nom de l’État. Cette « histoire officielle » a été acceptée lorsque la réalité a
été établie unanimement de longue date et que la loi y a attaché des conséquences juridiques : ainsi
l’ordonnance du 9 août 1944 « portant rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire
continental » annula tous les actes du gouvernement de Vichy qui avait établi une discrimination
fondée sur la qualité de juif, ouvrant la voie, un demi-siècle plus tard, à une reconnaissance officielle
par la loi et par le juge de la responsabilité de l’État français 79. Le procédé devient discutable
lorsque le débat historique reste ouvert et que le droit prétend le trancher.

14. Lois mémorielles 80. – Une controverse est née des lois dites
« mémorielles ».
Selon la loi no 2001-70 du 29 janvier 2001, « la France reconnaît publiquement le génocide
arménien » (commis par l’Empire ottoman en 1915). Selon la loi no 2001-434 du 21 mai 2001, « la
République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans
l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux
Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines,
amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité » (art. 1er) 81. Enfin,
la loi no 2005-158 du 23 février 2005 prévoyait (art. 4, al. 2 anc.) que « les programmes scolaires
reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en
Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française
issus de ces territoires [c’est-à-dire les « Harkis »] la place éminente à laquelle ils ont droit ». Le
trouble suscité par ce texte incita le président de la République à saisir le Conseil constitutionnel qui
reconnut à ces dispositions un caractère réglementaire, ouvrant la voie à leur abrogation par décret,
sans plus de débats 82.
Dans cette controverse, les historiens avaient revendiqué leur liberté d’expression et de
critique tandis que les juristes avaient critiqué le dévoiement de la loi. Le Conseil constitutionnel
leur a donné satisfaction, à tous, en censurant le texte qui assortissait de sanctions pénales la négation
de tous les génocides (arménien, en particulier) reconnus par les lois précédentes : d’une part, « la
loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative », ce
qui n’est pas le cas lorsqu’elle « reconnaît » un crime de génocide ; d’autre part, en imposant une
telle qualification juridique, le législateur a porté atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de
communication 83. La Cour de cassation a confirmé qu’une loi mémorielle n’avait pas de caractère
normatif 84.
Cette censure aboutit à un résultat troublant : le droit pénal ne traite pas de façon égale tous les
génocides et n’incrimine (depuis la loi Gayssot du 13 juillet 1990) que la négation du génocide des
Juifs commis par les nazis durant la Seconde guerre mondiale (la Shoah). Cette différence de
traitement répressif a été assumée. La Cour EDH a estimé que la condamnation pénale d’un
négationniste violait la liberté d’expression (Conv. EDH, art. 10) dans la mesure où celui-ci avait
contesté le génocide arménien et non la Shoah 85. Dans la même ligne, le Conseil constitutionnel a
exclu une atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale 86. Le droit se doit de réprimer le
négationnisme lorsqu’il est l’expression d’une idéologie raciste qui menace la démocratie. Les
politiques mémorielles s’avèrent utiles dans ce contexte (comme en Allemagne où, après la guerre,
elles ont forgé un consensus démocratique sur le respect des droits de l’homme et la dignité
humaine).
Le droit peut, en sens inverse, instituer un droit à l’oubli. Ainsi, une ordonnance de 1944 a interdit
à la personne poursuivie du chef de diffamation publique de rapporter la preuve de la vérité des faits
diffamatoires (exceptio veritatis qui, en principe, peut exonérer le prévenu de sa responsabilité
pénale), dès lors que ces faits remontent à plus de dix ans, sont amnistiés ou sont prescrits 87. Mais
cette restriction, qui entendait préserver la paix sociale, a été jugée contraire à la liberté
d’expression par la Cour européenne des droits de l’homme 88.

15. Droit et patrie ; Europe ; ce qui nous unit ce sont nos


différences. – Le droit est à la fois l’expression profonde d’une identité
nationale et l’aspiration à un ordre plurinational et universel.
Au début du XIXe siècle, l’École allemande du droit historique (Historische Schule), dont le
meilleur représentant fut Savigny, définissait le droit positif comme une émanation spontanée de la
conscience commune, de l’« esprit du Peuple » (Volksgeist) 89.
La question se présente aujourd’hui sous un jour nouveau. Personne
ne croit plus aux vertus universelles du Code civil français. L’idée
dominante est que la règle de droit est soudée au sentiment national et à
l’idée de patrie 90, que la loi française 91 est l’œuvre du peuple français.
Mais, pour toutes sortes de raisons (mondialisation des rapports
humains, développement d’une société pluriculturelle, situation
démographique, participation de la France à l’Union européenne...),
l’idée de nation est en recul en France : le droit qui nous régit n’est plus
seulement le droit interne mais aussi le droit de l’Union européenne et
des conventions internationales telles que la Convention européenne des
droits de l’homme. Le cosmopolitisme est un fondement de l’Union
européenne à laquelle la France a concédé d’importantes parcelles de
souveraineté 92. Mais l’avenir montrera que les intérêts nationaux sont
essentiels 93, que le droit est, en grande partie, le produit de la culture
nationale, qu’il ne peut y avoir de construction européenne sans un
respect de la diversité et de l’identité de chacune des nations qui la
composent et que l’inflation du droit européen est contraire à l’esprit de
l’Europe 94. Dans sa nature et son histoire, l’Europe est complexe et
constitue une institution floue. Une culture commune fondée sur
plusieurs cultures deviendrait sa propre négation en se soumettant à une
réglementation économique unifiée et à un prétendu jus commune qui
n’a jamais existé. Ce qui nous unit, ce sont nos différences.
Que le droit français doive céder à des influences étrangères est une
évidence. L’étude du droit comparé incite précisément à s’inspirer
d’autres modèles. Mais l’imitation est plus souvent imposée (not. par la
primauté du droit européen) que spontanée 95. L’inquiétude se porte
aujourd’hui, en sens inverse, sur l’aptitude du droit civil à s’exporter :
l’attractivité du droit 96.
En France comme à l’étranger, la plupart des magistrats ont un réflexe
nationaliste, protectionniste, à l’instar de ceux qui, aux États-Unis,
vouent un culte à la lettre du droit national et honnissent les influences
étrangères (droit comparé, international ou européen). La doctrine de
l’« exceptionnalisme » américain répute les États-Unis uniques et
incomparables aux autres démocraties. La doctrine de l’« originalisme »
impose à l’interprète de la Constitution de se reporter en 1787 et de
rechercher l’intention des Pères fondateurs 97. Pourtant, la Cour suprême
des États-Unis avait jugé contraire au 8e Amendement l’application de la
peine de mort aux handicapés mentaux en invoquant le consensus social
existant dans ce pays et, surtout, l’opinion de la communauté mondiale
(world community) 98. Cet esprit d’ouverture semble révolu.
D'une manière générale, il existerait un double mythe du dialogue des
juges et du recours au droit comparé ; la sacralité de la Constitution et la
peur de la « contamination » l'emportent98a.

16. Conclusion : le mystère du droit. – Qu’est-ce que le droit ?


Pourquoi du droit ? Il est lié à toutes sortes de contradictions : l’absolu
et le relatif, l’éternel et le temporel, l’idéal et le réel, l’anthropologie et
la science, l’histoire et le présent, la justice et la force, la nation et
l’univers, la raison et la passion. Il y a de tout cela dans le droit. Mais il
n’y a pas que cela. Son sens, sa force et sa raison d’être conservent une
part irréductible de mystère. Il y a une Loi qui règle le monde et la vie
des hommes ; mais elle est inconnaissable.
Le droit est un phénomène social et normatif (Chapitre I) et se
subdivise en plusieurs branches (Chapitre II).

17 à 19. réservés.
CHAPITRE I
LE DROIT EST UN PHÉNOMÈNE SOCIAL ET NORMATIF

20. Droit objectif et droit subjectif. – Le mot « droit » désigne deux


notions distinctes. D’une part, le droit objectif (Section II), l’ensemble
des règles juridiques régissant la vie en société. D’autre part, les droits
subjectifs (Section III), les prérogatives reconnues par le droit objectif à
des individus pour la satisfaction de leurs intérêts. Ces expressions
traduisent une distinction capitale, celle qui oppose la règle générale et
abstraite aux prérogatives individuelles et concrètes conférées à des
sujets de droit. Quelle que soit son acception, le droit organise la vie
sociale et l’activité juridique : il est un phénomène social (Section I).

SECTION I
LE DROIT EST UN PHÉNOMÈNE SOCIAL

Le phénomène juridique suppose un groupement d’individus : pas de


droit sans société ; à l’inverse, pas de société sans droit.

21. Pas de droit (jus) sans société. – Un individu isolé, tel Robinson
Crusoë (avant d’être rejoint par Vendredi), a peut-être une morale, mais
pas de droit, faute de nouer des relations avec autrui 99. Le droit a
précisément pour objet de régir les rapports sociaux entre des personnes.
En latin, le mot jus (la norme juridique) comme le mot fas (la norme
religieuse) renvoient au partage et à la parole 100.
Il n’y a pas non plus de droit dans une collectivité inorganisée d’individus. Un tel groupement
serait une société anarchique dont les membres jouiraient d’une absolue liberté : il n’y aurait pas
davantage de rapports juridiques. Or, c’est par des relations juridiques qu’une juxtaposition
d’individus constitue une société. La société anarchique est une contradiction dans les termes. Elle
est d’ailleurs imaginaire ; la réalité n’en offre aucun exemple. Nombre de prétendus anarchistes,
attachés à l’idée de Justice, se bornent à contester l’ordre imposé par la religion, l’État (la loi
étatique) voire le contrat mais récusent l’« anomie » (absence complète de norme), tel Joseph
Proudhon 101.
De très nombreuses définitions ont été données du droit 102. Le
Digeste (compilation du droit romain établie à l’initiative de l’empereur
Justinien au VIe siècle ap. J.-C.) s’ouvre sur la plus célèbre, celle de
Celse, jurisconsulte du IIe siècle ap. J.-C. : « jus est ars boni et æqui »
(D. 1, 1, 1 : le droit est l’art du juste et du bien).
Selon Michel Villey, qui prônait un retour aux sources de la philosophie, c’est-à-dire selon lui à
Aristote, le droit (en grec to dikaïon, en latin jus, substantifs neutres renvoyant à un objet à la
différence des féminins dikaïosunê et justitia qui désignent la vertu morale de justice propre à un
sujet) est un partage des choses extérieures (non des biens spirituels qui touchent à l’être), telles que
les richesses, les droits, devoirs et charges. Ce partage, qui fait intervenir un tiers impartial
(notamment le juge, dikastes ou judex), s’effectue à l’intérieur d’un groupe social selon une juste
proportion : le droit est par essence un « juste milieu » dans les choses (to méson en grec, medium in
re en latin). En revanche, il ne désigne pas un ensemble de propositions normatives, impératives,
« déontiques ». L’évolution de la pensée moderne, sous l’influence du positivisme juridique (à partir
de Thomas Hobbes) et l’« agression des sciences », auraient dénaturé le sens originel aristotélicien
en définissant le droit sur le modèle de la morale, comme un ensemble de règles de conduite 103.
Thomas Hobbes (1588-1679) dont l’œuvre principale est Leviathan or the Matter, Form and
Power of a Commonwealth ecclesiastical and civil (1651), décrit l’État comme une personne
artificielle absorbant tous les individus qui, par convention réciproque (covenant), ont aliéné à son
profit (sorte de stipulation pour autrui) les libertés absolues (rights of nature) dont ils jouissaient
dans l’« état de nature » (état mythique où l’homme était un « loup pour l’homme » et régnait « la
guerre de tous contre tous », source d’insécurité permanente). Les individus attendent ainsi de l’État
qu’il leur redistribue ces droits naturels sous la forme de « droits civils », restreints et conditionnés,
et qu’il contraigne chacun au respect de ce contrat social. Le Léviathan est une sorte de Dieu (la
religion même lui est soumise), souverain absolu doté d’un pouvoir illimité et indivisible 104. Il n’est
d’autres lois que celles qu’il édicte. Ce droit positif ne peut être accusé d’injustice : l’État est au-
dessus de la loi et a tous les droits. Les hommes qui l’ont institué portent la responsabilité d’un
éventuel dévoiement de ses prérogatives et n’ont d’autre choix que de le subir, sauf à retourner à
l’état de nature. Hobbes est l’anti-Aristote.

22. Pas de société sans droit. – S’il est vrai que le droit n’existe qu’à
l’intérieur d’une société, la réciproque l’est également : toute société
obéit à un droit ou, selon un adage classique, ubi societas ibi jus. Seules
des sociétés purement idéales, mythiques ou prophétiques peuvent
ignorer les règles.
L’antiquité suméro-babylonienne puis les religions juive et chrétienne ont connu le mythe de l’âge
d’or ou du paradis terrestre, évoquant une époque d’innocence où chaque individu portait en lui-
même sa propre justice et ignorait toute espèce de droit 105. Ce genre de mythe n’a pas de réalité
historique. Il est l’expression sublimée d’un espoir en un avenir radieux, le refuge d’esprits inquiets
en quête d’un ordre cosmique harmonieux. En fait, toute société est soumise au droit. Les sociétés
primitives sont régies par des règles de droit très formalistes, très abondantes et très subtiles.
Certaines prophéties, religieuses ou athées, annoncent aussi des sociétés sans droit. La prophétie
chrétienne annonce les corps glorieux. La théorie marxiste prédit la destruction de l’État capitaliste
bourgeois et donc l’évanouissement du droit : dans cette société promise, les hommes entretiendront
des rapports harmonieux régis par la seule observance spontanée des règles de la vie socialiste.

23. Intensité variable du droit en société. – S’il n’existe pas de


société sans droit, en revanche l’intensité du droit varie avec chaque
société ; par exemple, elle n’est pas la même dans la communauté des
nations et dans un certain nombre de groupements privés.
1º) La communauté des nations était autrefois une société anarchique, simple juxtaposition
d’États souverains n’étant liés envers les autres par aucune règle. La société internationale s’est
organisée au XXe siècle. À l’échelle du monde, l’Organisation des Nations unies (ONU, 1945) et le
droit international public s’efforcent de la doter de règles, souvent plus incitatives (déclarations de
principes, recommandations...) qu’impératives. À l’échelle d’une région, l’Union européenne est une
forme d’ordre supra-national puisqu’elle est composée d’institutions (Conseil des ministres, Cour de
justice...), sources de règles contraignantes pour les États membres.
2º) Des groupements privés s’organisent en se dotant de règles internes de fonctionnement et de
discipline, tels que les associations (ex. : syndicats, partis politiques et fédérations sportives) ou les
ordres professionnels. Un droit propre, le droit corporatif, vient à les régir, qui entend parfois tenir à
distance le droit étatique 106. Sous une forme extrême, la Mafia sicilienne se nourrit d’une haine
viscérale de la chose publique ; Cosa Nostra 107 revêt la forme d’un État dans l’État italien (avec un
gouvernement – la « coupole » –, une hiérarchie, une armée – les « hommes d’honneur » –, une
justice privée et des impôts – pizzo ou racket —) qu’elle a infiltré et suce comme une sangsue.
Parfois l’un de ces groupements privés atteint une dimension considérable jusqu’au point de se
confondre avec la société politique, telle une société religieuse.

24. Religion 108, laïcité 109, sécularisation, Islam et droit 110. – 1º) Le
sentiment religieux constitue le tréfonds le plus intime de la
personnalité humaine : un chemin dans la profondeur du cœur et de
l’intelligence ; qui engage la totalité de l’être ; la transcendance que,
toujours et partout, recherchent les hommes, à leur manière, variable
selon les temps et les lieux.
2º) En Occident, la religion relève de la sphère privée. Le droit s’est
progressivement détaché de ses origines religieuses : les sociétés
politique et religieuse sont désormais distinctes 111 ; à la différence de
l’Ancien droit, le Code civil garde le silence sur la religion, consacrant
la laïcité (le mariage civil, le divorce) et l’égalité des personnes (dans les
successions). Ce phénomène capital, la laïcisation du droit occidental, a
été consacré en France par la loi « concernant la séparation des Églises
et de l’État » du 9 décembre 1905 affirmant que « la République assure
la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes »
(art. 1er) mais « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun
culte » (art. 2). Le mot de laïcité n’apparaîtra que plus tard, dans
l’ancienne Constitution du 27 octobre 1946 (IVe République) et celle du
4 octobre 1958 (Ve République) dont l’article 1er proclame que « La
France est une République [...] laïque ».
La laïcité signifie que la religion est une liberté fondamentale, la
liberté de conscience et de choix entre les différents cultes – ou de
n’embrasser aucune religion. Elle implique aussi la neutralité de l’État
qui se doit « d’enregistrer la présence d’une religion dès qu’il constate
qu’à l’élément subjectif de la foi se réunit l’élément objectif d’une
communauté, si petite soit-elle », et ne peut distinguer entre les
religions selon leur importance, leur ancienneté ou le contenu de leurs
dogmes 112.
Le mot laïcité recouvre des approches diverses : l’une est
intransigeante, refusant à toutes les religions toute espèce d’influence,
fût-elle indirecte ; l’autre est apaisée, admettant que la religion puisse
influencer le droit. De nos jours, la laïcité s’oppose aux extrêmismes
religieux, en particulier islamistes.
3º) Entre la laïcité et la sécularisation, il est des ressemblances et des
différences qui, d’ailleurs, furent évolutives. Longtemps, la
sécularisation désigna, dans l’Église catholique, un changement de
condition d’une personne ou d’un bien qui passe de l’état ecclésial (du
clergé régulier, vivant selon la règle d’un ordre, dans un couvent ou un
monastère, par ex.) à l’état séculier (au clergé séculier, vivant dans le
siècle, c’est-à-dire parmi les « laïcs »). Aujourd’hui, dans son acception
la plus courante, la sécularisation revêt une dimension sociologique.
Elle désigne une désacralisation du monde, une émancipation de la
société – des personnes, des biens, des valeurs, des consciences – qui la
fait échapper aux autorités religieuses, un désenchantement du monde,
une société construite en dehors de la religion, une laïcité 113.
4º) Au contraire, de nombreux pays d’Islam (ex. : Iran, Arabie
Saoudite, Soudan, etc.) ne distinguent pas le droit et la religion : la loi
religieuse (coranique) régit la vie civile (par ex., le droit de la famille qui
affirme l’infériorité civile de la femme, autorise la polygamie et la
répudiation, exclut la filiation hors mariage, etc.). En outre, ces droits
tendent à être figés puisqu’ils sont issus d’une révélation divine, alors
que les droits occidentaux ont un caractère évolutif 114. En Occident, la
laïcité elle-même est flexible et évolutive.
5º) Le droit n’est pas une religion parce qu’il ne partage pas les
mêmes fins. Cependant, entre ces deux ordres normatifs, l’influence est
réciproque, profonde et diffuse. D’une manière générale, le droit protège
la liberté de croyance de chaque individu (Conv. EDH, art. 9) ainsi que
le pluralisme religieux. Mais il refuse de consacrer le précepte religieux
en tant que norme collective opposable juridiquement.
Ainsi, l’article 1er de la Constitution (précité) interdit « à quiconque de se prévaloir de ses
croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre
collectivités publiques et particuliers » ; de même, des droits collectifs ne peuvent être reconnus « à
quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de
croyance » 115 : la laïcité combat le communautarisme.
D’autres illustrations de ce refus d’opposabilité de la norme religieuse peuvent être trouvées dans
la loi du 12 juin 2001 tendant à réprimer les sectes manipulatrices 116, et dans la reconnaissance par
la Cour européenne des droits de l’homme de « l’incompatibilité de la charia avec les principes
fondamentaux de la démocratie » 117. Les convictions religieuses n’entrent pas, sauf convention
expresse, dans le champ contractuel 118 ; l’absence de virginité de la femme n’est pas une cause de
nullité du mariage 119.
Il y a une quarantaine d’années, un débat s’était ouvert dans des entreprises (dites « de
tendance ») qui entendaient imposer à leurs salariés le respect de certaines convictions religieuses et
du « caractère propre » de l’entreprise. Avait alors été approuvé le licenciement d’une institutrice
employée au sein d’un établissement privé d’enseignement catholique au motif qu’elle s’était
remariée après avoir divorcé 120. De nos jours, ce sont les salariés qui revendiquent auprès de leur
employeur le droit de pratiquer des rites confessionnels ou d’arborer des signes religieux sur leur
lieu de travail. Suscitant l’incompréhension, la Cour de cassation avait jugé discriminatoire le
licenciement de la salariée d’une crèche associative (Baby Loup) qui avait contrevenu au règlement
intérieur (prônant la laïcité et la neutralité dans les relations avec le public) en décidant de porter un
voile islamique 121. Les juges se sont finalement ravisés en approuvant le licenciement pour faute
grave de cette salariée 122. Une régression dangereuse du principe de laïcité a été évitée : un précepte
religieux ne peut être opposé au même titre qu’une norme collective.
Ainsi, la loi du 15 mars 2004 interdit, « en application du principe de laïcité », « le port de
signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse »
dans les écoles, collèges et lycées publics (C. éduc., art. L. 141-5-1). Cette disposition, qui ne vise
en réalité qu’à condamner le port du voile 123 ou du foulard islamique (ayant pour origine une
jurisprudence du Conseil d’État 124), élargit le champ de l’interdiction à tous les signes religieux non
discrets – trouvant aussi attentatoire au principe de laïcité le port d’une grande croix catholique,
d’une kippa, du turban sikh (qui n’est pourtant pas un signe religieux) 125 – par crainte de susciter un
rejet brutal d’une loi controversée.
La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu aux États une « marge d’appréciation » sur
les questions religieuses qui permet, par exemple, à la Turquie d’interdire le voile dans les collèges
ou lycées publics 126 et même dans les universités 127 ; a aussi été admise la présence obligatoire d’un
crucifix au mur des salles de classe des écoles publiques en Italie 128. Si la CEDH a validé la loi
française du 15 mars 2004 sur le voile 129, en revanche, elle a condamné, au nom de la liberté de
conscience et de religion, l’interdiction du port de tenues religieuses « dans des lieux publics
ouverts à tous comme les voies ou places publiques » par des citoyens ordinaires qui ne se livrent à
aucun acte de prosélytisme 130. La France n’a guère prêté attention à cette dernière jurisprudence : la
loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010, inspirée par la volonté politique d’interdire, jusque dans la rue,
le port de la burqa, du niqab ou du tchadri (des voiles islamiques couvrant intégralement la tête de
la femme), affirme d’une manière générale que « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue
destinée à dissimuler son visage » (sauf pour des raisons de santé ou professionnelles et dans des
manifestations sportives, artistiques ou traditionnelles – notamment à la mosquée) 131. Mais, encore
une fois, la CEDH a reconnu que la France disposait en l’espèce d’une « ample marge
d’appréciation » et, de plus, que l’interdiction posée par la loi du 11 octobre 2010 se justifiait « par
la préservation des conditions du “vivre ensemble” » 132.
6º) Enfin, les grandes sociétés religieuses possèdent des juridictions
et un droit propres : la Sharî’a pour l’Islam (dont les sources sont le
Coran et la Sunna), le droit hébraïque pour le judaïsme (dont les sources
sont la Torah [ou Pentateuque], la Mishnah et son commentaire la
Gemara qui forment tous deux le Talmud, puis la Halakha 133), le droit
canonique pour le catholicisme (Code de droit canon, appliqué en
France aux personnes et institutions catholiques par les juridictions
ecclésiastiques). Le droit canonique a joué un rôle considérable dans la
formation du droit civil français. Le droit musulman, comme toute loi
étrangère, s’applique en France en vertu des règles du droit international
privé mais ne peut heurter des principes fondamentaux, comme en
témoigne la jurisprudence sur les « répudiations musulmanes » 134.

SECTION II
LE DROIT OBJECTIF

25. Droit « politique ». – Le droit ici examiné est celui de la société


politique, qui embrasse tous les individus de la façon la plus
compréhensive qui soit. L’homme, selon le jugement d’Aristote, est
naturellement un « animal politique » (zôon politicon, o anthropos 135),
c’est-à-dire civique, vivant spontanément en couple, en famille, en
colonie, dans un village puis une Cité (polis). Le droit est lui-même le
reflet et sous la dépendance des systèmes politiques, des idéologies et
des principes fondateurs – moraux et philosophiques – de la société
qu’il régit.
Les droits des États peuvent être très divers. Cette variété n’en affecte
pas les traits communs : toute règle de droit se caractérise par sa
généralité et sa permanence, ce qui constitue son caractère normatif,
l’âme du « droit objectif ».
Le droit objectif suscite deux questions. Qu’est-ce qui le distingue
des autres normes sociales, du non-droit (§ 1) ? Quelles sont ses sources
(§ 2) ?

§ 1. DROIT ET NON-DROIT
26. Non-droit. – Le droit doit être distingué d’autres règles sociales
(des normes sociales de conduite) qui ne présentent pas un caractère
juridique, quoique les individus soient aussi tenus de les observer. Si les
règles juridiques sont toutes sociales, la réciproque n’est pas vraie :
toutes les règles sociales ne sont pas juridiques 136.
Ce que Jean Carbonnier 137 avait nommé « l’hypothèse du non-droit » 138. En certains lieux (ex. :
principe d’inviolabilité du domicile, droit d’asile, immunité pénale accordée aux toxicomanes dans
les « salles de shoot » 139), à certaines périodes (interdiction des perquisitions de nuit ou des
expulsions en période hivernale), en certaines matières (principe de la légalité des délits en droit
pénal), le droit est tenu à l’écart. La généralité de la loi et son inflation la rendent difficilement
compréhensible, la lenteur de la justice (outre les exigences en matière de preuve) favorise son
inapplication et les faits résistent en de nombreux domaines au droit, en particulier dans les relations
entre individus (concubinage hors mariage, entraide bénévole hors contrat).
L’hypothèse du non-droit met en lumière l’existence d’un « pluralisme normatif » :
d’innombrables règles sociales non juridiques ordonnent la société (rapports d’amitié 140, mœurs,
convenances, règles de politesse, accords amiables, règles religieuses, etc.) 141. Ces règles auraient
pu être juridiques mais ne le sont pas parce qu’elles excluent toute autorité officielle et tout recours à
la contrainte étatique ou judiciaire. Elles trouvent ailleurs leur sanction : dans le for intérieur de
l’être humain 142. Cette observation conduit à préconiser une politique législative empreinte de
réserve et de sobriété : le législateur devrait se garder d’intervenir dans les affaires relevant des
consciences individuelles. À ce titre, le non-droit trouve une place privilégiée dans les relations
extrapatrimoniales ; la politique législative suivie en droit de la famille durant un temps, entre 1963
et 1990, sous l’impulsion de Jean Carbonnier exprime ce désengagement juridique 143 et un certain
scepticisme envers les vertus sociales et pédagogiques de la loi.
Le non-droit coexiste toujours avec le droit : il n’y a pas de société sans loi 144. Mais la loi ne se
résigne jamais à la modération : le juge et le législateur n’ont de cesse de consacrer des règles
sociales issues du non-droit 145.
Le droit objectif comporte deux éléments caractéristiques qui
permettent de le distinguer des autres règles sociales : une contrainte (I)
et un idéal de justice et d’ordre (II).

I. — Contrainte

Le droit est constitué par des règles obligatoires comportant une


possibilité de contrainte extérieure, étatique, par la force publique, ce
qui n’est pas le cas d’autres règles : les règles de bienséance, d’honneur
ou d’éthique (A) et les prescriptions morales (B).

A. BIENSÉANCE, HONNEUR, ÉTHIQUE

27. Règles de convenance. – Il existe dans la vie un certain nombre


de règles de savoir-vivre, de courtoisie et de convenance dont la
violation suscite la réprobation des « honnêtes gens ». Par exemple, les
manières de vivre (folkways) : le port de la cravate naguère pratiqué dans
la classe bourgeoise, la manière de s’habiller, la façon de manger en
public, etc. Ces règles apparaissent au sein de groupes sociaux et sont
assorties d’une sanction spontanée : la mise de l’individu fautif à l’écart
du groupe. Elles sont importantes car l’attitude des hommes est souvent
guidée par la convenance ou par un rite plus que par une règle de droit.
Mais ce ne sont pas des règles de droit en l’absence d’une possibilité de
contrainte étatique 146.

28. Honneur, déontologie, éthique ; force obligatoire 147. – 1º)


L’honneur est une autre règle de conduite 148 qui relève d’un ordre
différent. La loi protège l’honneur de la personne. Par exemple,
l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 réprime le délit de diffamation
(définie comme l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur) ;
l’article 9-1 du Code civil sanctionne l’atteinte à la présomption
d’innocence en ce qu’elle a de déshonorante. Mais la loi protège mal
l’honneur, notamment parce que d’autres valeurs s’opposent à cette
protection, telle la liberté d’expression et de la presse 149.
En outre, la morale est évolutive et le juge en a une conception assez large. Il a ainsi été prétendu
que « l'évolution des mœurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de
considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter
atteinte à l'honneur ou à la considération » 150.
2º) Certains groupes de personnes se consacrent avec énergie à la
défense de leur honneur : autrefois la chevalerie et la noblesse,
aujourd’hui l’armée (le champ de bataille est d’ailleurs appelé le
« champ d’honneur »). Surtout, certaines entreprises ou professions
(libérales, notamment) préservent leur honorabilité par le respect d’un
code de déontologie, édictant des règles « éthiques » ou de « bonne
conduite ». La déontologie (terme inventé par Jeremy Bentham 151) est
devenue l’instrument moderne de la défense de l’honneur, améliorant
l’image d’une activité économique. Ces règles manquent de légitimité et
de crédibilité, compte tenu de la qualité de leur auteur (le dirigeant
d’une entreprise peut-il imposer des obligations déontologiques à ses
salariés ?) ou de l’absence de contrôle institutionnel.
3º) Comme la déontologie, l’« éthique » est souvent substituée à la
morale. Elle n’en est pourtant pas la simple traduction grecque : il s’agit
alors d’une morale de circonstance, dépourvue de transcendance 152.
L’« éthique des affaires », notamment, englobe la loyauté contractuelle
ou commerciale, une sorte de fair play dans les rapports économiques.
Un autre concept, particulièrement à la mode depuis l’année 2000,
prolonge le détournement de la morale : la « responsabilité sociétale de
l’entreprise » (RSE). Celle-ci recouvre des déclarations d’intention,
adoptées par des entreprises multinationales dans des « chartes » ou
« codes de conduite », vantant le dialogue social, le respect des droits de
l’homme et des travailleurs, la protection de l’environnement... En
réalité, ces engagements ne font que rappeler des obligations légales
pesant déjà sur ces acteurs économiques. Surtout, ils ne visent qu’à
conjurer le risque de voir une affaire médiatique ternir leur réputation
commerciale (par la révélation que telle multinationale tire profit du
travail des enfants ou de la déforestation dans un pays pauvre, par
exemple). L’éthique est affichée à des fins de communication : c’est du
« markéthique », du marketing saupoudré d’éthique 153. Par nature, une
personne morale, qu’elle soit ou non à but lucratif, ne peut éprouver un
sentiment moral.
L’empressement d’une entreprise à défendre l’éthique peut avoir une cause lointaine et très
pragmatique. Le Sarbanes-Oxley Act, adopté aux États-Unis le 30 juillet 2002 154 à la suite de
scandales financiers longtemps masqués par des fraudes, favorise le whistleblowing, c’est-à-dire la
dénonciation de faits (en l’occurrence, ceux traduisant une violation des règles imposées aux sociétés
cotées par l’autorité de régulation boursière ou les lois fédérales contre la fraude) lorsque
l’information est fournie à une agence fédérale ou un supérieur hiérarchique du salarié dénonciateur
(appelé whistleblower, en français « lanceur d’alerte »). En conséquence de cette disposition, les
filiales européennes de sociétés américaines ainsi que des groupes de sociétés européens implantés
aux États-Unis furent contraints de mettre en place des systèmes dits d’« alerte éthique » (sous la
forme de numéros verts ou de « hotlines ») offrant aux salariés un cadre propice aux dénonciations
des irrégularités comptables et financières ou des faits de corruption parvenus à leur connaissance.
En France, des systèmes d’alerte éthique ont été mis en place dans ces entreprises à partir de 2002.
Par ailleurs, le législateur a introduit des dispositions dans le Code du travail protégeant les salariés
qui dénoncent ou témoignent de certains faits délictueux (harcèlement, discrimination,
corruption...) 155. Mais les lanceurs d’alerte restent menacés. Partout dans le monde, les individus
ayant révélé des fraudes ou des scandales dont ils avaient eu connaissance dans l’exercice leur
activité professionnelle sont qualifiés de traîtres plus souvent que de héros. Si le lanceur d’alerte
bénéficie, sur le papier, d’une protection légale contre le risque de représailles, il est fréquent qu’il
fasse l’objet de poursuites judiciaires de la part de son ancien employeur voire des autorités
publiques (tel Edward Snowden, inculpé en 2013 d’espionnage par les États-Unis pour avoir révélé
les programmes de surveillance électronique du gouvernement américain). Le lanceur d'alerte est à la
fois un héros pour la société et un traître aux yeux du milieu (scientifique, financier, médical...) dont
il a dénoncé les fraudes ou les abus155a. La morale n’est pas un rempart ; elle est une façade et cette
façade offre une protection trop fragile s'il n'existe pas, en soutien, derrière elle, des règles de droit
contraignantes155b.
4º) Un code d’éthique ou de déontologie n’a, le plus souvent, aucune
force obligatoire (ex. : code d’éthique du crédit, code de déontologie
du marketing, charte sociale et éthique du groupe Air France...). Il peut
être approuvé par décret et revêtir ainsi une valeur réglementaire 156. Bien
plus, le législateur édicte lui-même des « principes déontologiques » ou
« éthiques » 157 ou prévoit l’élaboration d’un code dont il trace les lignes
directrices 158.
Les règles de déontologie ne sont pas des règles de droit et ces deux
corps normatifs sont, a priori, indépendants 159. Au-delà d’une différence
fondamentale de contenu 160, les règles déontologiques ne sont assorties
d’aucune sanction civile : leur violation n’entraîne pas ipso jure la
nullité d’un contrat 161 et n’engage pas en elle-même la responsabilité
civile de son auteur 162. À l’inverse, une corporation professionnelle ne
peut s’arroger un pouvoir normatif que la loi ne lui confère pas : ainsi,
« la fixation des règles de déontologie revêtant un caractère impératif
pour la profession d’avocat, relève de la compétence du
gouvernement » 163. Mais il est tentant pour un juge d’intégrer certaines
normes déontologiques dans la sphère du droit positif : il lui suffit d’y
puiser les éléments d’appréciation d’un standard juridique (telle la
notion d’ordre public au sens de l’article 6 164), de les incorporer dans le
champ contractuel par interprétation de la volonté implicite des parties
ou d’ériger leur transgression en faute civile délictuelle 165.
Il existe aussi des engagements d’honneur (gentlemen’s agreement) 166 dans le milieu des affaires
et dans les relations entre États : par ce biais, les parties subordonnent leur accord à leur loyauté
respective et s’interdisent de soumettre leurs différends à des tribunaux, même arbitraux. En principe,
ces engagements se situent en dehors du droit. Mais le juge nie parfois leur autonomie et transforme
un engagement purement moral en une obligation juridiquement opposable 167.
Entre les particuliers, une obligation civile peut naître de l’exécution volontaire ou de la
promesse d’exécution d’un « devoir de conscience », appelé aussi « obligation naturelle »
(art. 1100 et 1302, anc. art. 1235). L’obligation naturelle est, en elle-même, insusceptible d’exécution
forcée 168.

B. PRESCRIPTIONS MORALES

29. Distinction du droit et de la morale 169. – Les sociétés


occidentales reposent depuis Rome sur la distinction du droit et de la
morale dont les rapports suscitent un éternel débat. C’est une distinction
capitale dans une démocratie, indépendamment même de la laïcité :
imposer par la force de la loi une vertu, un ordre moral ou le politically
correct relèverait d’une sorte de tyrannie. À l’instar de la séparation du
spirituel et du temporel, du religieux et du politique, cette distinction
est un facteur essentiel de civilisation.
Mais cette distinction n’est pas tranchée. Des zones d’ombre
subsistent et le rapport du droit à la morale est évolutif. Des
interférences se produisent. Elles sont d’ailleurs vitales : un droit sans
morale serait celui d’une société en déliquescence ; quid leges sine
moribus (que sont les lois sans la morale) ?, s’interrogeait le poète
Horace 170.
Certaines branches du droit à tendances réaliste et autonomiste se montrent peu sensibles à la
morale et sont même indifférentes à l’immoralité de leurs solutions. Le droit de la sécurité sociale
impose à une prostituée de payer des cotisations sur les revenus tirés de son activité 171. Le droit
fiscal interdit au contribuable de déduire de ses bénéfices imposables les amendes et pénalités de
nature fiscale (CGI, art. 39, § 2), afin de préserver sa propre autorité, mais approuve la déductibilité
des dommages-intérêts versés à la victime d’une infraction pénale : l’allégement de l’impôt qui en
résulte fait supporter par la collectivité publique le coût de la délinquance. La justification avancée
par le Conseil d’État est encore plus saisissante : la commission du délit a pu s’avérer conforme à
l’intérêt de l’entreprise et ne pas constituer un « acte anormal de gestion » 172. La jurisprudence
pénale estime au contraire qu’un délit d’abus de biens sociaux (qui vise les mêmes agissements)
expose la société commerciale au « risque anormal de sanctions pénales ou fiscales » et « porte
atteinte à son crédit et à sa réputation », « quel que soit l’avantage à court terme » qu’il peut
procurer 173.
Trois critères permettent de distinguer la morale du droit : leurs
sources, leur caractère obligatoire et leurs fins. Les deux premiers ne
sont pas décisifs. S’agissant de ses sources, la morale aurait une origine
religieuse : mais il y a une morale laïque et des droits religieux ; ou bien
la morale serait un souffle intérieur à l’homme, la voix de sa conscience
ou de sa raison : mais il existe des morales révélées (ex. : le Décalogue)
et des règles de droit dictées par la pure raison (ex. : pacta sunt
servanda). Le caractère obligatoire des prescriptions morales ne serait
pas celui des règles de droit : le devoir moral doit être tenu par chacun
comme impérieux (il peut l’être plus qu’un devoir juridique) et ne tire
donc son autorité que de la libre adhésion du sujet. À nouveau,
l’argument n’est pas décisif : une règle de droit peut être dépourvue de
sanction, de contrainte extérieure, et néanmoins suivie. L’opposition la
plus nette réside dans leurs fins : le droit recherche la justice et le
maintien de l’ordre social, la morale tend à la vertu et à la perfection de
l’individu 174.
Selon Emmanuel Kant (1724-1804), le sentiment du devoir moral (la moralité) est donné par la
seule « raison pratique » (à distinguer de la « raison pure ») : l’homme se donne à lui-même sa
propre loi morale. Surtout, le critère de celle-ci est une forme universelle, a priori, soustraite aux
lois empiriques ; non point un « impératif hypothétique » (c’est-à-dire un mobile a posteriori, une
finalité matérielle, telles la recherche du bonheur, du plaisir, de l’utile ou la crainte d’une punition)
mais un « impératif catégorique » 175 que Kant définit abstraitement : « Agis de telle sorte que la
maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation
universelle » 176 (le deuxième impératif catégorique est : « Agis de telle façon que tu traites
l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même
temps comme fin, jamais simplement comme moyen ») : tel est le principe de l’« autonomie » de la
volonté. Par exemple, le respect de la promesse est un acte moral car il est une règle universelle, au
contraire du mensonge qui ne peut devenir maxime universelle (les autres me paieraient de la même
monnaie) et qui, de surcroît, aboutit à se servir d’un autre être humain simplement comme d’un
moyen. Partant, « nous ne tiendrons jamais nos actions pour obligatoires pour la seule raison
qu’elles sont des ordres de Dieu ; mais elles nous paraissent au contraire des ordres de Dieu,
parce que nous y sommes tenus intérieurement » 177. Ce fut là un apport capital de la révolution
kantienne (que, sans modestie, le philosophe qualifia de « copernicienne ») : elle a fondé la religion
et la morale sur l’homme et non l’inverse. Mais cette révolution a eu plus d’influence en philosophie
que chez les juristes car Kant était dépourvu d’expérience juridique et son langage – lourd et abstrait
– était éloigné de ce que doit être le style juridique.
Cette opposition n’empêche pas la morale d’exercer une grande
influence sur le droit positif. Ses règles essentielles viennent de la Bible
(« tu ne tueras point », « tu ne voleras point »...) 178 et des Évangiles
(« rends compte de ta gestion »...) 179. La règle juridique est vivifiée par
la sève de la morale chrétienne 180 qui, depuis des siècles, imprègne les
peuples européens. Ce ne sont que des influences, non des liens, alors
que d’autres systèmes juridiques – les droits religieux – confondent la
morale, la religion et le droit 181.
De façon très différente, la pensée chinoise traditionnelle, confucianiste, attribue un rôle si
important à la morale qu’elle en rejette Dieu et la Loi. Dans l’Empire du Milieu, l’idée de loi civile
et même pénale était ignorée : l’homme civilisé n’a pas besoin de loi. Il se gouverne lui-même au
moyen des principes de la vertu parfaite (jen, qui signifie humanité, bonté) enseignés par Confucius
(551-479 av. J.-C.) et ses disciples : se vaincre soi-même par un effort permanent visant à dompter
ses ressentiments et ses penchants hostiles ; aimer autrui (les individus, la famille, le village puis
l’État) comme soi-même et ne pas lui faire ce que l’on ne voudrait pas qu’il nous fasse ; pratiquer la
piété familiale ; exercer ses sentiments moraux par des attitudes discrètes et mesurées, conformes aux
rites et usages anciens de la société. Dans le confucianisme, la vertu s’acquiert par la culture et le
mérite, non par la naissance ; un ordre harmonieux naît d’une société où chacun occupe son vrai rang
et se voit confier les responsabilités correspondant à sa place dans la hiérarchie sociale ; le
souverain, qui a reçu mandat du Ciel pour veiller sur cet équilibre cosmique, doit gouverner par la
sagesse et la vertu, dont il tire sa légitimité. Cette pensée se résume par cet aphorisme : « ni Dieu ni
Loi » ; le droit et la religion sont des émanations spontanées, concrètes et indéterminables de la
personne 182. Mais, plus tard, les Légistes, confrontés à l’augmentation de la population et aux
difficultés d’assurer sa subsistance, donneront à la loi un sens positiviste et une fin utilitaire qui sied
mieux à un État moderne : « Les Légistes opposaient avec force le Prince au Sage et la Loi (fa) aux
Rites (li) ; ils essayaient de faire prévaloir une conception toute objective du licite. Est licite ce
qui contribue effectivement à la paix sociale en assurant un bon rendement moyen à l’activité
productrice des hommes ». À leurs yeux, « si l’on veut obtenir un rendement sûr, il faut se servir
des lois, et non pas des hommes », de même que l’on se sert d’instruments de mesure (compas,
balance) sans se fier au jugement personnel d’un individu. L’incohérence législative doit aussi être
combattue (par des codifications) de même que l’arbitraire gouvernemental (par des critères
objectifs et impartiaux). Pourtant, les Chinois ont honni les Légistes. Leur dureté et leur discipline
toute militaire ne furent pas seules en cause : les Légistes « n’ont pas réussi à accréditer la notion
de règle constante et la conception de la Loi souveraine » 183. Les ritualistes, taoïstes ou
confucéens, l’ont emporté.
Au contraire, la loi abstraite domine l’esprit occidental : elle gouverne
la nature (lois naturelles) et les hommes (lois humaines). La pensée juive
célèbre Dieu comme un législateur divin 184 ; en sens inverse, l’histoire
n’a de cesse de rattacher le droit à Dieu, la loi humaine à la volonté
divine 185.
Qu’il soit intérieur ou positif, le droit reste universellement lié à une
éthique. Il « n’est pas une fin en soi, il ne prend son sens que par les
valeurs qu’il traduit, et ces valeurs ne sont pas égales » 186. Les règles
de droit reposent sur une hiérarchie de valeurs : le bien, la justice,
l’honnêteté et la compassion sont supérieurs au mal, à l’injustice, à la
malhonnêteté et au mépris.

30. Crise de la distinction : négation et indécision. – Depuis la


Seconde Guerre mondiale, la distinction du droit et de la morale traverse
une crise, à un double titre et de façon contradictoire.
1º) À chacun sa morale ? – D’abord, l’existence même de la morale
fut niée. Sans doute cette négation fut-elle une séquelle de la guerre.
Plus se développent la technique et la prospérité matérielle, plus s’étend
le champ des connaissances et plus reculent les exigences morales 187.
Une tendance contemporaine des sciences humaines définit même la
morale comme une notion relative et individuelle – à chacun sa morale
–, dépendante des circonstances ainsi que des convictions et des choix
de chacun – à chacun sa liberté — 188.
Le mot de morale devient banni du vocabulaire courant ou juridique au profit de l’« éthique »,
suivant une mode anglo-saxonne : à la morale absolue succéderaient des éthiques particulières à
certains groupes 189. Mais ce remplacement d’un mot d’origine latine par un autre d’origine grecque
ne change rien : l’éthique, comme la morale, est normative. La mode de l’éthique trahit un besoin
pressant de morale (non transcendante) ressenti dans la société moderne.
La conception individualiste prône une autonomie morale contre
laquelle la Bible fulmine depuis les origines une malédiction 190. Dans la
doctrine catholique, telle que les papes Pie XI 191 et Jean-Paul II 192 la
rappellent, la morale est objective et indissociable de la liberté :
1) Quels que soient la culture, le lieu, le temps, les circonstances, les
conséquences d’un acte ou l’intention de son auteur, le bien s’oppose au
mal et il n’appartient pas à une conscience individuelle de le définir.
2) Il existe une relation étroite entre la morale et la liberté.
2º) Une morale d’État ? – Le droit et la morale tendent à se
rapprocher en plusieurs domaines. Sous le nom d’éthique s’élabore une
sorte de morale d’État, un nouvel ordre moral. Le phénomène est
sensible sur des sujets inspirant à la société un sentiment de désarroi : la
transmission et la fin de la vie, la bioéthique. Ainsi le législateur se
défausse-t-il en ce domaine sur des comités d’éthique habilités à émettre
des avis 193. La frontière entre droit et morale devient indécise. La morale
est ravalée au rang de faire-valoir d’une science triomphale. Enfin, ce
qui soulève des doutes : comment des problèmes de conscience peuvent-
ils relever d’une conscience officielle forgée par un cercle d’experts 194 ?
Le débat sur l’euthanasie, notamment, a confirmé la nécessité d’accorder
à la règle de droit une prééminence sur cette morale incertaine 195.

II. — Justice et utilité

31. Justice et droit : Aristote et Cicéron. – La mission principale


incombant au droit est d’assurer la justice. Il existe une hiérarchie de
valeurs au sommet de laquelle culmine la justice : à chacun son dû,
suum cuique tribuere 196 un adage essentiel, mais un peu mystérieux.
Pour Aristote, la justice est la plus grande de toutes les vertus : « ni l’astre du matin, ni l’étoile
du soir n’inspirent autant d’admiration » 197. Il définit la justice de deux manières. Il existe d’abord
celle qui préside à la distribution des biens communs par le représentant de la communauté à ses
membres. Cette justice impose de proportionner la part de chacun à un « mérite de quelque sorte »
(richesse, vertu, condition d’homme libre) variable selon le régime politique (oligarchie, aristocratie
ou démocratie). « Le juste est, par suite, une sorte de proportion », une « proportion géométrique »
de la part reçue au « mérite » de celui qui la reçoit. Telle est la première espèce de juste : la justice
distributive ou géométrique (dominante de nos jours en matière de protection sociale). Il est ensuite
une justice qui préside aux transactions volontaires et involontaires entre les individus ou, en d’autres
termes, aux « commutations ». Ce juste est à la fois semblable au précédent et dissemblable : « le
juste dans les transactions privées, tout en étant une sorte d’égal, et l’injuste une sorte d’inégal,
n’est cependant pas l’égal selon la proportion de tout à l’heure mais selon la proportion
arithmétique ». La différence résulte de ce que l’estimation du juste selon la proportion arithmétique
« n’a égard qu’au caractère distinctif du tort causé et traite les parties à égalité, se demandant
seulement si l’une a commis et l’autre subi une injustice ». Telle est la seconde espèce de juste : la
justice commutative ou arithmétique (elle est au cœur de la réparation en matière de responsabilité
délictuelle et de l’exigence d’équilibre dans le contrat). De quelque justice qu’il s’agisse, le juste
relève toujours du juste milieu : « l’action juste est un moyen » entre deux extrêmes, la justice relève
du juste milieu. « L’homme juste (ce que tout juge devrait être) se définit comme celui qui, [...] dans
une répartition à effectuer [...], donne à chacun la part proportionnellement égale qui lui revient.
L’injustice [...] consiste dans un excès ou un défaut disproportionné de ce qui est avantageux ou
dommageable » 198.
Pour Cicéron, très influencé par les Stoïciens, « le droit a son fondement dans la nature
même » 199. « Il existe une loi vraie, c’est la droite raison conforme à la nature, répandue dans
tous les êtres, immuable, éternelle, qui nous appelle impérieusement à remplir notre devoir, qui
nous détourne de la fraude [...]. C’est une seule et même loi éternelle et immuable qui régit toutes
les nations et en tout temps. [...] Méconnaître cette loi, c’est se fuir soi-même, renier sa nature, et
par là seul subir les plus cruels châtiments, lors même qu’on échapperait aux supplices infligés
par les hommes » 200.

32. Le juste et l’utile ; l’intérêt général et les libertés. – Le droit


n’a pas pour objet exclusif de rechercher la justice. Il doit aussi assurer
la survie du groupe, maintenir son organisation, sa cohérence, son bien-
être et y faire régner l’ordre : le droit est la science du juste et de l’utile.
Il doit aussi assurer, tout à la fois, l’intérêt général et les libertés
individuelles : une antinomie fondamentale qui a dominé l’histoire de
notre droit, balançant constamment entre ces deux fins. De nos jours, la
société française tente de les préserver ensemble, à la différence de la
société américaine qui fait prédominer les libertés individuelles sur
l’intérêt général.
La justice et l’ordre ne s’opposent pas. Il n’est pas vrai, selon un mot historique mal compris,
qu’il vaut « mieux une injustice qu’un désordre » 201. L’un et l’autre sont indissociables : il n’est pas
d’ordre sans justice ni de justice sans ordre.
Le juste et l’utile ne s’opposent pas davantage. En droit, une situation inutile peut produire un effet
utile 202. L’utilité ne consiste pas seulement en un ensemble de valeurs marchandes (la loyauté des
transactions, l’esprit de compétition et la libre concurrence, la propriété, la sécurité et la
prévisibilité juridiques), mais aussi en des valeurs non marchandes telles que les valeurs culturelles,
le respect de la personne et de la nature (écologie) 203.

33. Analyse économique du droit 204. – Dans les années 1960 est
apparue aux États-Unis, à l’université de Chicago, la théorie de
l’analyse économique du droit (Economic analysis of law, ou
mouvement Law and Economics). Les pionniers de ce courant qui, en
cinquante ans, a produit des milliers d’articles sont le prix Nobel
Ronald Coase 205 et Richard Posner 206. Il prétend imprimer au droit un
utilitarisme marqué, au-delà du droit économique (notamment du droit
de la concurrence où cette analyse a prospéré). Le droit serait un
instrument de « maximisation » des utilités ou des satisfactions
individuelles et collectives. Puisque la loi influence les comportements
(c’est-à-dire que les sujets de droit s’adapteraient à la loi en prenant des
mesures préventives, au travers d’arrangements privés – un postulat bien
illusoire), ce serait l’efficacité économique (efficiency), la recherche des
meilleurs profits et des moindres coûts (la minimisation des « coûts de
transaction », qui rendent les échanges moins fructueux) par des
individus ou des entreprises dont la rationalité est postulée (ce qui est
aussi illusoire) qui devrait guider la règle de droit.
L’économie déterminerait ainsi les conceptions juridiques : « la méthode rappelle furieusement
la critique marxiste du Droit » 207, sous cette réserve que les lois du marché (selon le libéralisme de
l’École de Chicago) ont remplacé la lutte des classes comme cause de détermination universelle (ou
« infrastructure »). Sous l’influence de l’économiste Friederich Hayek, défenseur de l’« ordre
spontané », en lutte contre les doctrines de Keynes et de l’État providence, puis surtout dans les
années 1980, la doctrine du Law and Economics a été mise au service d’une conception libérale de
l’économie. Écho du patriotisme messianique qui imprègne la culture américaine, elle dépeint
(naturellement) la Common Law comme le meilleur système juridique à offrir au monde 208.
De même, selon la formule du juge Holmes, dont le réalisme
préfigurait au XIXe siècle ce courant 209, « le devoir de respecter un
contrat signifie que vous devez prévoir de payer des dommages-intérêts
si vous ne le faites pas et rien de plus » (ex. contemporain de violation
fructueuse du contrat [efficient breach] : le surbooking dans le transport
aérien où la compagnie préfère payer des dommages-intérêts plutôt que
de ne pas vendre un billet d’avion). En matière de responsabilité civile,
la Learned Hand Formula vise à accroître l’efficacité économique de la
prévention du dommage en assignant un coût supérieur à la réparation
qui risque d’être due 210. En 2002, dans le contexte de la « guerre contre
le terrorisme » consécutive aux attentats islamistes du 11 septembre
2001, R. Posner avait affirmé que « si les enjeux sont assez élevés, la
torture est admissible » 211. L’analyse économique passe à la moulinette
de l’efficiency toutes les notions juridiques, les désagrège et les réduit à
une loi de l’économie (par ex. la nullité pour vice du consentement ne
protège pas la libre volonté d’une partie mais lui permet d’échapper au
contrat annulé et donc de minimiser les coûts liés à sa formation).
Si l’analyse économique du droit a peu à peu séduit hors des États-
Unis (en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie puis en France), la tradition
juridique européenne n’admet pas qu’un calcul de rendement ignore
voire bafoue les principes fondamentaux, les droits de l’homme et les
valeurs morales, humanistes ou culturelles, bref, toute la Justice 212. Elle
n’admet pas non plus le sacrifice systématique du raisonnement aux
conséquences de la décision (« conséquentialisme juridique ») : le
raisonnement déductif et le syllogisme demeurent dominants (au moins
comme modèles de raisonnement) dans les pays de droit civil. En outre,
la doctrine du Law and Economics n’a pas de méthode. Elle abonde de
postulats arbitraires : le sujet de droit (l’homo economicus) serait un
être parfaitement rationnel ; le droit modifierait les conduites, l’individu
adaptant toujours son comportement afin de réduire l’incidence du
fardeau (coût) que le droit lui impose (ex. : le vendeur à qui incombent
les risques de la vente souscrira une assurance) ; le législateur se
préoccuperait d’éviter les gaspillages ; les arrangements privés seraient
supérieurs à la réglementation par l’État, etc. En rupture avec la réalité,
accaparés par la construction d’un schéma purement idéal, les
économistes américains décrivent le calcul de l’efficience à grand renfort
de modèles mathématiques très abstraits (parfois peu compréhensibles).
Privilégiant l’augmentation des richesses, ils ne se soucient pas de leur
répartition ou de leur distribution équitable – au cœur des concepts de
justice et de progrès social qui se trouvent occultés, précisément, parce
qu’ils ne sont pas scientifiques. L’analyse juridique est certes plus
arbitraire mais elle est plus complexe et globale 213.
Il ne faut pas exagérer l’influence de l’Analyse économique du droit ni l’écart entre la méthode du
juge américain et celle de son homologue français. Le professeur Posner n’aurait convaincu que le
juge fédéral Posner (il était à la fois universitaire et magistrat) et ses épigones. Rares sont les
décisions, aux États-Unis, qui s’appuient sur une motivation économique explicite 214. De multiples
courants et variantes privent d’ailleurs la théorie d’unité (Chicago school, institutionnalistes et néo-
institutionnalistes, école autrichienne, Behavorial Law & Economics, école du Public choice ou des
choix collectifs...) tandis que les libertariens américains ont dénoncé le sacrifice des droits
fondamentaux qu’elle réalise 215. De son côté, le droit français, comme tant d’autres, a incorporé des
concepts à visée utilitaire ou économique (ex. : l’obligation précontractuelle d’information 216 ou les
clauses abusives ; le caractère dissuasif de la peine en droit pénal ; les taxes fiscales sanctionnant
certaines conduites...). De même, le juge français se laisse couramment guider par des considérations
utilitaires ou de politique juridique au détriment de la technique et de la cohérence du droit positif
(par ex. lorsqu’il tord la notion de cause ou sanctionne la violence économique). Peut-être le juge
tend-il seulement aujourd’hui à se préoccuper de façon plus systématique et plus visible de l’effet
économique ou social de ses solutions 217.
En définitive, l’analyse économique du droit est une savante et
complexe construction intellectuelle pour économistes. Pour les juristes,
qui ne peuvent dialoguer avec ces derniers faute d’un langage et d’une
pensée communs, elle est un simple outil de réflexion 218.

34. Attractivité économique du droit. – Compte tenu des limites


inhérentes à l’analyse économique du droit, il est réducteur sinon
impossible de mesurer la qualité ou la valeur d’un droit national à
l’aune de son « attractivité » économique supposée.
Telle est pourtant l’ambition que cultive le rapport Doing business que publie chaque année,
depuis 2004, la Banque mondiale 219. Le projet vise à attribuer une note à chaque législation nationale
dans dix domaines de la vie des affaires afin de parvenir à un classement des 189 pays étudiés. Le
critère suprême de l’efficacité d’un droit est son aptitude à faciliter les affaires et les opérations
commerciales (Ease of Doing Business) qui le rendrait « compétitif » sur le marché mondial du
droit. Ainsi, un indice « embauche des travailleurs » mesure la flexibilité de la réglementation du
travail (de la difficulté de recruter un salarié jusqu’aux coûts engendrés par son licenciement
économique) ; un indice « transfert de propriété » reflète les étapes, la durée et les coûts liés aux
transferts de propriété concernant les entreprises ; l’« efficacité » du droit fiscal, du droit des
procédures collectives, du droit des sûretés, du droit des sociétés, du droit des contrats, etc. est
jaugée à partir d’hypothèses standards (une étude de cas décrivant une opération, un problème ou un
litige type). En 2016, la France occupait le 27e rang (Singapour le 1er, les États-Unis le 7e).
Mais, sous une apparence d’objectivité, la méthodologie est biaisée 220. Elle repose sur le postulat
de la supériorité de la loi du marché, au cœur du libéralisme économique, ainsi que sur divers
préjugés cultivés par les juristes de Common Law qui contribuent presque exclusivement au rapport.
Pire, l’évaluation se fonde parfois sur des statistiques incomplètes ou fausses et sur des
questionnaires décrivant des cas-types non forcément représentatifs (tel type de société, de sûretés,
de contrat, de procédure civile ou collective...). Fatalement, le modèle dit romano-germanique du
droit civil continental (dont relève le droit français) est jugé inférieur à celui de la Common law.
Ainsi, la France figure-t-elle en 2016 au 85e rang dans le classement « transfert de propriété » ; en
outre, la justice française serait plus coûteuse, plus complexe et les procédures plus longues qu’en
Angleterre ou aux États-Unis, alors que la justice de ces pays est extrêmement lente, compliquée,
ruineuse et propice aux abus ; le droit du travail français est considéré comme un des plus rigides et
des moins compétitifs au monde pour des raisons bien surprenantes (not., jusqu’en 2008, les
limitations du travail de nuit ou de la durée du travail étaient des signes d’un manque de souplesse
alors que ces règles protègent la santé des travailleurs ; l’existence d’un salaire minimum, tel que le
SMIC en France, reste perçu comme un facteur de rigidité).
Devant les critiques, vives de la part des juristes de tradition civiliste, plusieurs changements de
méthodologie sont intervenus (notamment, depuis 2009, la note maximale n’est plus accordée à un
pays qui ne respecte pas certains droits fondamentaux des travailleurs et, d’ailleurs, l’indice
« embauche des travailleurs » ne participe plus au classement général mais est présenté dans une
annexe). Mais le rapport Doing business continue à renvoyer une image réductrice et déformée des
systèmes juridiques nationaux. Jusqu’en 2015, il ne se souciait même pas de savoir si les lois
adoptées étaient réellement appliquées et efficaces.
Si cette approche utilitariste et quantitative a pu heurter les juristes français, elle n’en a pas moins
contribué à placer le droit au centre des politiques économiques et à obliger les juristes français à
faire preuve d’un peu d’humilité. Le législateur et les pouvoirs publics s’efforcent désormais de
développer l’« attractivité du territoire » (afin d’attirer les capitaux et les entreprises étrangers en
France) par des réformes juridiques. En outre, les juristes de tradition civiliste ont pris conscience de
la nécessité de défendre et de promouvoir l’influence de leur droit à l’étranger, là où la Common
Law dispose d’ambassadeurs zélés 221.
C’est dans ce but qu’a été créée en 2007 la Fondation pour le droit continental 222 qui a élaboré un
« index de la sécurité juridique » (ISJ) mesurant la sécurité juridique offerte par différents systèmes
nationaux (compte tenu de l’accessibilité, la prévisibilité et la stabilité de chaque droit national).
L’étude (à base de cas pratiques standards soumis à des professionnels du droit, comme Doing
business) a porté sur 13 pays de quatre continents, dans six domaines du droit (contrats,
responsabilité, droit des sociétés, droit immobilier, droit du travail et règlement des différends). Le
classement publié en 2015 attribue le premier rang à la Norvège devant l’Allemagne (2e), la France
(3e) et le Royaume-Uni (4e) ; les États-Unis ne sont que 12e. Des pays de Common law et des pays de
droit civil continental se situent aussi bien en tête qu’en queue de classement, preuve qu’il n’y a pas
une tradition juridique meilleure que l’autre.

§ 2. SOURCES DU DROIT

35. Turbulences ou révolution ? – Les sources du droit se sont


multipliées en raison, notamment, de l’augmentation du nombre de
traités internationaux et de la création de cours suprêmes gardiennes de
ces traités (Cour de justice de l’Union européenne, Cour européenne des
droits de l’homme). Les juridictions nationales peuvent elles-mêmes
annuler une loi contraire à un traité.
Surtout, la société contemporaine est une société des sciences et des techniques où le droit change
à une vitesse stupéfiante. À côté des sources classiques et visibles du droit (la loi, la jurisprudence et
la coutume), existent de nouvelles sources, de rang infra-législatif, non obligatoires, diffuses et
imperceptibles, notamment : l'expertise (technique, scientifique, biologique, etc.), la production
d’informations (sous la forme de statistiques, d’études d’impact, d’évaluations, de lobbying, etc.), la
normalisation (notamment celle imposée par le droit de l’Union européenne) ou les recommandations
(d’autorités administratives indépendantes en matière médicale ou financière, par exemple). En
somme, une part considérable du droit est fabriquée dans les « ateliers de l’invisible où travaillent
de nouvelles sources du droit » 223. Ces sources sont bien différentes de celles qui ont construit le
Droit pendant des millénaires. Elles forment un « droit souple » (soft law), un droit de la
« régulation » ou droit de la « gouvernance » 224, selon des expressions très vagues révélant
l’insaisissabilité du phénomène.
Parler de « turbulences dans les sources du droit » est un
euphémisme 225 : c’est une véritable révolution qui s’est opérée 226. Il est
devenu banal de dénoncer l’« inflation » et le « foisonnement » des
normes, le « chaos » ou le « désordre » juridique, parfois – avec une
pointe d’exagération – la fin de l’État de droit.
36. Fait et droit : distinction et proximité. – 1º) Les sciences
exactes (physique, biologie, médecine, astronomie...) ou humaines
(sociologie, histoire, économie...) décrivent ce qui est ; elles analysent
les faits, c’est-à-dire les phénomènes sensibles. Le juriste a une autre
attitude : il expose ce qui doit être ; il dit le droit.
La distinction entre l’« être » et le « devoir être » est l’œuvre de David Hume (is/ought) qui
récusa l’induction comme raisonnement permettant de passer de l’un à l’autre 227. La « loi de Hume »
fut reprise par Kant et popularisée par le juriste autrichien Kelsen (sein/sollen) 228.
Premièrement, le fait n’est pas le droit car le droit ne peut naître du
fait seul. Une maxime du XIVe siècle, due à l’Italien Bartole, incarnait
l’opinion inverse : ex facto oritur jus (du fait naît le droit). Mais le fait,
même répété, n’engendre pas le droit : la multiplication des vols ou des
chèques sans provision ne fait pas de ces infractions des actes licites.
Selon la phrase du mathématicien Henri Poincaré, « un million
d’indicatifs ne feront jamais un impératif » 229.
Deuxièmement, le droit a pour objet le droit. Le droit se confond avec son objet qui est non
seulement d’édicter des normes obligatoires mais aussi d’en mesurer le caractère juste ou injuste
selon des valeurs – appréciation que certains renvoient à une prétendue « science du droit ». Faire de
la science du droit, c’est encore faire du droit. En outre, celui-ci applique une hiérarchie de valeurs
(morales, notamment) qui ne s’adaptent pas d’elles-mêmes aux faits (ex. : alors même que le Code
civil ne reconnaissait que le mariage entre personnes de sexe différent, le concubinage homosexuel
s’est imposé comme union de fait) 230. Les faits résistent à l’application de la loi 231 qui, de son côté,
s’efforce souvent de les infléchir. Fait et droit s’opposent.
Pour toutes ces raisons, il n’y a guère de place pour une « science du
droit », sauf à extraire totalement cette discipline du droit en
l’assimilant à la méthodologie, à l’épistémologie juridique ou encore à
la philosophie du droit 232.
2º) Pour autant, le droit entretient des relations étroites et
quotidiennes avec le fait : un magistrat apprécie les faits avant de
statuer ; les normes juridiques ont des conséquences de fait
(économiques, sociales, familiales, etc.) ; les nouvelles règles qui
forment le « droit souple » (supra) veulent approcher les faits au plus
près. Cette proximité est accentuée dans les matières abreuvées de
technologie et de données scientifiques (ex. : le droit des brevets, le
droit de la bioéthique médicale, le droit de l’informatique, le droit de
l’environnement).
On s’interroge alors sur la meilleure façon par laquelle le droit
pourrait ordonner les sciences et les techniques nouvelles afin de les
concilier avec les exigences démocratiques et de protéger l’intérêt
général (par exemple, en édictant un statut de l’expert qui garantit son
objectivité et combat les conflits d’intérêts, en imposant une information
du public sur les risques sanitaires ou industriels). Ces règles
formeraient un « technodroit », visant à réinsuffler l’intérêt général dans
le droit technique 233.
En tout état de cause, le juriste doit constamment s’interroger sur ce
qui confère à une prescription quelconque une autorité juridique. Cette
recherche conduit à étudier deux catégories de sources du droit 234 : les
sources idéales (I) qui impriment au droit son caractère rationnel ; les
sources formelles (II) qui le dotent d’un caractère impératif 235.

I. — Sources idéales

37. Les forces créatrices du droit 236. – Les forces créatrices du droit
sont complexes. Il en est de purement matérielles, d’autres plus idéales.
François Gény 237 appelait « donné » un fonds de vérités, accessible à la seule intuition, dont le
rôle serait de fournir au droit positif des directives, de lui imprimer un mouvement vers le droit idéal
(le « juste objectif ») et de l’inciter à s’adapter aux évolutions de la société 238. Une fois ce droit
idéal aperçu, le juriste peut recourir à un ensemble de techniques juridiques artificielles (tels les
fictions ou le formalisme), conçues par sa propre intelligence (d’où le nom de « construit »), pour le
mettre concrètement en œuvre. Le « donné de Gény » connaît quatre manifestations 239 : le donné
historique, legs de l’histoire (droits anciens, vicissitudes sociales, économiques et politiques) au
système juridique contemporain ; le donné réel ou naturel, constitué des données brutes de la réalité
factuelle ou physique (géographie, physiologie ou psychologie humaine), prépondérante dans certains
domaines (par ex. le droit de la filiation) ; le donné rationnel, soit les catégories a priori de la
raison humaine, la logique formelle, l’évidence, la non-contradiction, qui ont leurs limites 240. Le
donné le plus important est le donné idéal, fruit d’un jugement de valeur déterminé par nos
conceptions morales, religieuses ou philosophiques, formé par nos sentiments intimes d’humanité et
d’équité, par notre sens du but et des exigences de la société.
Les sources idéales du droit sont elles-mêmes diverses. Le donné
idéal se répand dans le droit : outre les valeurs morales 241, il y a le droit
naturel (A) et l’équité (B) 242.

A. LE DROIT NATUREL 243

38. Définitions. – Définir le droit naturel est un exercice difficile tant


l’expression a revêtu de significations au cours de l’histoire.
Les termes « droit » et « nature » s’entendent eux-mêmes diversement depuis des siècles 244. Cette
nature est-elle celle de l’homme civilisé ou de l’anthropophage, est-elle l’état de paix ou de guerre,
est-elle donnée par l’instinct, la raison ou Dieu ? Est-il question d’un droit objectif ou (selon le
vocabulaire moderne) de droits subjectifs, (le droit naturel renfermant les droits de l’homme) ?
Cependant, les jusnaturalismes des philosophes grecs (Platon, Aristote, les stoïciens), des
jurisconsultes romains (Cicéron, Gaïus, Ulpien), de la doctrine médiévale chrétienne (Saint Thomas
d’Aquin 245, Saint Isidore de Séville) ou juive 246, de l’École du droit de la nature et des gens
(Suarez 247, Grotius, Pufendorf, d’Holbach, Wolff, Leibniz) et des philosophes du XVIIIe siècle (Locke,
Rousseau) présentent des traits communs 248.
En premier lieu, le droit naturel est invariable à la fois dans
l’espace 249 et dans le temps 250 : universel et immuable 251. En deuxième
lieu, il est supérieur aux volontés humaines 252 : les rois et les lois
positives ne peuvent en fixer ou en modifier le contenu 253 ; bien au
contraire, ils doivent tendre vers les lois naturelles car le juste naturel
est l’idéal du droit positif. Les règles du droit naturel, en troisième lieu,
sont enseignées « aux hommes par la lumière de la raison » alors que
les « lois arbitraires (positives) n’ont leur effet qu’après qu’elles ont
été publiées pour être connues » 254. Le droit naturel est donné à
l’homme par son évidence rationnelle 255 : il n’est donc pas nécessaire de
le promulguer 256 ; il n’est ni écrit 257 ni révélé par la lecture des journaux
officiels ; même un analphabète peut le saisir 258. L’objet du droit naturel,
en dernier lieu, est moral : il établit ce qui est bon ou mauvais en soi et
définit le moral ou l’immoral 259, alors que le droit positif n’énonce ; que
ce qui est licite ou illicite et définit des actes d’abord « utiles » 260,
souvent neutres au regard de la morale.
L’acception la plus ancienne et la plus fondamentale du droit naturel se trouve dans le cri
d’Antigone qui, pour l’éternité, a condamné les lois injustes 261.

39. Critique du droit naturel. – Le droit naturel a souvent suscité le


scepticisme et s’est attiré beaucoup d’ironie. Ses détracteurs lui ont
reproché de ne fournir qu’une quantité dérisoire de règles 262 ou de
n’édicter que des truismes 263.
Ce reproche est déplacé, tout comme l’était, au XIXe siècle, la volonté
chez certains de dégager un nombre plus important de règles de droit
naturel, quitte à le redéfinir 264 : le droit naturel n’a jamais eu vocation à
fournir un catalogue complet de maximes générales ou de règles prêtes à
l’emploi 265. Il se borne à inspirer le droit positif. Bien plus, il
aiguillonne et inquiéte en permanence le droit positif pour l’empêcher
de se dissoudre dans un discours trop technique 266.

40. Traductions du droit naturel en droit positif. – Ses traductions


concrètes ne manquent pas.
Ainsi, en procédure civile, la Cour de cassation a-t-elle reconnu que « la défense étant de droit
naturel, personne ne doit être condamné sans avoir été interpellé et mis en demeure de se
défendre » 267. Comme l’écrivait Henri Motulsky, les principes de la contradiction et du respect des
droits de la défense sont « suprapositifs » 268. De la même façon, en droit pénal, « la défense de soi-
même est de droit naturel [...], étant autorisée par la loi positive comme par la loi naturelle » 269.
Nul ne peut prétendre ignorer une règle que le droit naturel enseigne : « l’obligation de loyauté et de
sincérité s’impose en matière contractuelle et nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour
n’avoir pas rappelé à une partie ce principe de bonne foi élémentaire ou les conséquences de sa
transgression » 270. Le devoir de bonne foi illustre le poids du jusnaturalisme. D’une manière
générale, le droit protège la dignité humaine, notamment celle du corps humain, même après la mort ;
le cadavre a vocation à être inhumé (cf. le cri d’Antigone, supra) ou incinéré ; c’est dire que des
corps humains disséqués ne peuvent être offerts au regard curieux du public dans une exposition
macabre 271 ; de même, les restes des morts, telles les cendres, « doivent être traités avec respect,
dignité et décence » (art. 16-1-1, L. 19 déc. 2008 272). D’ailleurs, « le principe d'ordre public, selon
lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, préexistait à la loi du 19 décembre
2008 d'où est issu l'article 16-1-1 du Code civil » 273.
Des conventions internationales excluent le principe de légalité des délits et des peines (doté
pourtant d’une valeur constitutionnelle) pour le jugement d’actes criminels selon les « principes
généraux du droit reconnus par l’ensemble des nations » 274. Plus largement, l’art. 38, § 1, c) du
Statut de la Cour internationale de justice (ONU) élève les « principes généraux de droit reconnus
par les Nations civilisées » au rang de sources du droit international. De même, la CEDH estime que
l’interdiction de la torture et la nécessité de poursuivre les auteurs de ce crime ont valeur de « norme
impérative, c’est-à-dire de jus cogens » au sens du droit international public, soit une « règle
universelle » 275. Le droit naturel est sous-jacent dans ces formules.
Aux frontières de la vie, le législateur éprouve le poids du droit naturel qui paralyse sa liberté
normative. Ainsi, soucieux de contenter une partie de l’opinion (émue par le fait divers d’une mère
qui avait tenté de tuer son fils gravement handicapé afin d’abréger ses souffrances), le Parlement n’a
pas adopté la législation sur l’euthanasie qu’elle réclamait. La loi Léonetti du 22 avril 2005 relative
à la « fin de vie » dispose que les actes de soins « ne doivent pas être poursuivis par une
obstination déraisonnable » et, lorsqu’ils ne tendent qu’au maintien artificiel de la vie, peuvent être
« suspendus ou ne pas être entrepris » 276. Dans l’affaire Vincent Lambert, le Conseil d’État,
approuvé par la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), a ainsi jugé légale la décision
prise par une équipe médicale de mettre fin à l’alimentation artificielle d’un patient en état végétatif,
atteint de lésions cérébrales graves et irréversibles 277. La loi Léonetti du 22 avril 2005 relative à la
« fin de vie » dispose que les actes de soins « ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis
lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable » ; bien plus, lorsqu’ils ne tendent qu’au
« maintien artificiel de la vie », ils peuvent être « suspendus ou ne pas être entrepris » (C. santé
publ., art. L. 1110-5 et L. 1110-5-1). Plus encore, la loi du 2 février 2016 permet d’administrer au
patient, à sa demande, une « sédation profonde et continue provoquant une altération de la
conscience maintenue jusqu'au décès » lorsque la souffrance est « réfractaire aux traitements » ou
« insupportable » (C. santé publ., art. L. 1110-5-2 et L. 1110-5-3). Mais tout acte donnant
intentionnellement la mort reste un meurtre. Ainsi, la Cour EDH n’a pas condamné la loi anglaise qui
condamnait le suicide assisté par compassion 278. Le droit naturel érige un interdit absolu : « Tu ne
tueras point » 279. Rares sont les lois – voire les comités d’éthique – qui s’en affranchissent 280.
Si le positivisme juridique et l’éclat du Code civil ont éclipsé le droit
naturel au XIXe siècle (Naturrechtsphobie), les barbaries du XXe siècle ont
ravivé la foi dans ce droit suprapositif, inné chez l’homme. Les droits de
l’homme sont le plus remarquable avatar du droit naturel 281 qui ait
pénétré en droit positif, d’abord par la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789, puis avec la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950.

41. Droits de l’homme 282. – Les droits de l’homme suscitent


aujourd’hui un grand engouement, une sorte de religion et de vives
oppositions 283. En droit, la controverse résulte de ce qu’ils sont loin de
tous appartenir au droit positif. La « première génération » a acquis droit
de cité dans les constitutions nationales. Sont apparues ultérieurement
une deuxième, une troisième 284 puis une quatrième génération.
L’application des droits de la deuxième génération (ou « droits individuels-créances » ; ex. : le
droit au travail) suppose réalisées des conditions de prospérité économique exceptionnelles et
l’octroi de subventions par l’État, débiteur actif de ces droits envers ses ressortissants (ce sont des
« droits à »). Au contraire, les droits de la première génération (ou « droits individuels-libertés » ;
ex. : la liberté d’expression, le droit de propriété) n’imposent à l’État qu’une abstention et une
tolérance passives à l’égard des individus (ce sont des « droits de »). Ce sont les « vrais » droits de
l’homme et surtout les plus effectifs. Les droits de la troisième génération (ou « droits collectifs-
libertés » ; ex. : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) supposent une abstention des autres États.
Ceux de la quatrième génération (ou « droits collectifs-créances » ; ex. : le droit au développement)
supposent l’assistance active de la communauté internationale au profit des États créanciers (sur ces
catégories de droits et leur valeur juridique 285).
La Constitution française se trouve elle aussi entachée de ce verbalisme. La loi constitutionnelle
du 1er mars 2005 lui ajoute une « Charte de l’environnement » qui reconnaît, par exemple, le « droit
de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (art. 1er) et affirme qu’elle
« inspire l’action européenne et internationale de la France » (art. 10). Il est artificiel de mêler la
sauvegarde de l’environnement aux droits de l’homme. Le « principe de précaution », consacré à
l’article 5, s’en trouve édulcoré 286. La Charte de l’environnement s’est vu reconnaître logiquement
une valeur constitutionnelle 287 mais le flou juridique qui entoure ses dispositions limite son effet
direct 288.
Les droits de l’homme ont proliféré – au risque d’en dénaturer le
concept 289 – au sein de textes, imprécis dans leur objet 290 ou leurs
bénéficiaires 291 et dépourvus de sanction 292. Ces maux ne sont pas
irréversibles : d’un texte vague le juge tire parfois une nouvelle règle
obligatoire 293.
En revanche, l’attitude consistant à qualifier de droit n’importe quel
désir afin d’appuyer une revendication égoïste 294 est une dérive. Au nom
des « droits fondamentaux », certains revendiquent un droit à l’enfant
pour justifier la pratique des mères porteuses et la procréation
artificielle, un droit à la mort paisible pour justifier l’euthanasie et le
suicide, des droits au bonheur, au savoir, à la richesse, à
l’homoparentalité. Ces revendications font perdre aux droits
fondamentaux leur sens car ils cessent d’incarner des valeurs
universelles dont tout « citoyen du monde » peut se réclamer. Au
surplus, elles suscitent une vive répulsion dans le monde musulman 295.
B. L’ÉQUITÉ

42. Définition. — L’équité 296


revêt une double signification –
aristotélicienne et stoïcienne - 297
, puisée dans la notion grecque
d’epieikeia.
1º) L’équité aristotélicienne (objective) est une espèce de justice qui adapte la justice légale aux
circonstances de fait pour la rapprocher de la vraie justice, la justice absolue 298. Appliquée à
certains cas non prévus par le législateur, la loi révèle des lacunes ou des ambiguïtés, conséquences
de sa généralité. Une application littérale et rigoureuse de la norme légale produirait alors une
injustice. L’équité, précisément, intervient ici comme un « correctif de la loi » 299. Le juge est, par
excellence, le ministre de cette équité 300. Ainsi, à Rome, le droit prétorien se définissait-il comme
« le droit que les préteurs ont introduit pour seconder, suppléer ou corriger le droit civil » 301 ; de
même, en Angleterre, à partir du XIIIe siècle, des règles d’Equity vinrent corriger celles, trop strictes,
de la Common Law 302. Cette équité, entendue comme une méthode d’interprétation d’une loi trop
rigoureuse ou lacunaire, qu’elle adapte aux circonstances concrètes ou supplée, est encore celle de
Saint Thomas 303 et d’auteurs de l’Ancien droit 304. Cette opposition de l’équité au droit strict est
devenue universelle : l’epieikeia s’oppose au nomos, l’æquitas au jus, l’Equity à la Common Law,
la Billigkeit au strenges Recht.
2º) L’équité des stoïciens (subjective) est tout autre. Elle désigne un sentiment intérieur invitant
l’être à la clémence, à la bienveillance, à l’humanité envers autrui. Tel est le sens de l’æquitas
romaine chez Cicéron 305 qui, sous l’influence croissante du christianisme, sera appelée humanitas,
pietas ou caritas (humanité, piété ou charité), notamment au XVIIe siècle par les jusnaturalistes 306 et
Domat 307. L’équité se trouve ainsi associée à des vertus chrétiennes, telles la compassion, la charité,
la bienfaisance, la philanthropia ou la misericordia 308. Cette coloration affective, absente de la
pensée stoïcienne, se manifeste au travers de l’æquitas canonica 309, l’une des sources du droit
canon 310. De nos jours, quelques rares tribunaux admettent sans ambages que « le juge peut et doit
interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi » (selon un jugement du « bon juge
Magnaud » au XIXe siècle que François Gény rendit célèbre en le critiquant) 311.
Toutefois, la clémence n’est réellement équitable que si elle est désintéressée (ex. : une amnistie,
une remise gracieuse) : celle qui appelle une contrepartie est intéressée, à l’image des procédures de
« clémence » (clemency programs) en droit français et européen de la concurrence (C. com., art.
L. 464-2, IV) ou des réductions de peine octroyées aux « repentis » (C. pén., art. 132-78) moyennant
la dénonciation de pratiques illicites ou criminelles 312.

43. Que Dieu nous garde de l’équité des Parlements ! – Sous


l’Ancien Régime, l’équité souffrit des accusations jetées sur les
Parlements dont la jurisprudence, immotivée et secrète, servit souvent
les ambitions politiques des gens de robe. Cet arbitraire judiciaire était
dissimulé derrière une équité de façade, l’« équité cérébrine » 313, qui
inspira une vive méfiance au roi 314
et au peuple, comme en témoigne le
brocard 315.
En Angleterre, selon une opinion célèbre, « l’Equity varie avec la longueur du pied du
Chancelier » 316. Ce n’était qu’une boutade : tout à l’inverse de l’équité cérébrine en France, l’Equity
anglaise est un corps de règles véritables qui devint l’instrument de la lutte que le roi et son
chancelier menèrent avec succès contre le Parlement et les cours de Common Law 317.

44. L’équité n’est pas une règle. – En France, l’équité n’est pas une
source du droit ni, en elle-même, une règle de droit. Une règle de droit
est par essence abstraite, générale et permanente, ce qui en garantit la
sécurité et la prévisibilité, alors que l’équité est par nature concrète,
particulière et éphémère, ce qui engendre incertitude et imprévisibilité,
sans compter le risque d’arbitraire du juge : le contraire d’une règle de
droit.
Le juge ne peut donc se fonder sur l’équité aux lieu et place d’une loi
claire 318, ni faire échec aux clauses d’un contrat dépourvues
d’ambiguïté 319.
Cependant, le juge civil (C. pr. civ., art. 12, al. 5) 320 ou l’arbitre (ibid., art. 1474) peut être
investi par les parties de la « mission de statuer comme amiable compositeur » : il est alors
affranchi des règles de droit et tenu de statuer en équité 321. Mais, selon une pente fatale, l’amiable
compositeur (notamment dans le commerce international) tend à « juridiciser » l’équité. Avide de
références normatives, il puise aux sources qui lui sont les plus familières : les règles de son droit
national 322. Un tel renversement trahit sa mission : l’arbitre statuant comme amiable compositeur qui
se prononce exclusivement par application des règles de droit doit s’expliquer sur leur conformité à
l’équité 323 en s’y référant expressément 324.

45. Fonctions de l’équité. – Si elle n’est pas une source de droit,


l’équité – objective et subjective – demeure une source d’inspiration du
droit positif, un élément du donné idéal qui l’irrigue, à l’instar du droit
naturel. Elle connaît plusieurs types d’applications.
1º) Il existe, en premier lieu une équité intra ou secundum legem,
agissant en vertu d’un renvoi de la loi à l’équité. Ce renvoi peut être
exprès : ainsi, selon l’article 1194 (anc. art. 1135) du Code civil, « les
contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à
toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi » 325 ; plus
surprenant, l’article 565 (presque jamais appliqué) subordonne
l’accession mobilière aux « principes de l’équité naturelle » 326. Le
renvoi est plus souvent implicite : il revêt, par exemple, les traits d’un
pouvoir modérateur ou sanctionnateur offert au juge, qu’il peut exercer
sur un contrat déséquilibré 327.
2º) En deuxième lieu, une équité præter legem vient exercer une
fonction supplétive de la loi : une interprétation extensive ou analogique
de la loi par le juge en est le support privilégié. Ainsi l’action de in rem
verso, « n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois », a été
déduite du « principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment
d’autrui » 328, lui-même induit de textes épars du Code civil 329.
3º) En troisième lieu, une équité contra legem assume une fonction
correctrice, voire subversive, du droit strict : ses vecteurs sont,
notamment, les fictions, le recours à la ratio legis (l’esprit du droit), le
choix d’une qualification juridique un peu artificielle, les adages du
droit français 330, diverses théories prétoriennes modérant l’automatisme
du droit écrit (tel l’abus de droit 331), etc.
4º) En quatrième lieu, le juge a souvent dans une affaire une
impression intuitive venant de son sens naturel de l’équité ; sans le
dire, après réflexion, il l’habillera de constructions juridiques.
5º) Enfin, la Convention européenne des droits de l’homme impose de
respecter le droit à un « procés équitable » (art. 6, § 1), formule vague,
souvent appliquée.

II. — Sources formelles

46. Droit positif : sources formelles et non formelles. – La doctrine


classique opposait les « sources formelles » aux « sources non
formelles » du droit objectif 332.
1º) Une source formelle est la forme officielle que revêt chaque règle
qui relève du droit, un moule dans lequel elle naît à la vie juridique.
Cette forme, qui lui confère notamment son caractère obligatoire, est
l’attribut d’une autorité compétente, variable selon les cultures
juridiques. Il peut s’agir de la force de la tradition, qui donne naissance
à la coutume 333 ; il s’agit plus souvent de la volonté des organes
détenteurs du pouvoir politique : la loi votée par le Parlement (pouvoir
législatif) ou le règlement édicté par le gouvernement (pouvoir exécutif).
Les sources formelles alimentent le droit positif. À cet égard, la
jurisprudence (pouvoir judiciaire) est devenue aussi une source formelle
du droit, l’égal de la loi et de la coutume 334.
2º) Les sources non formelles ne recouvrent ni des normes non
juridiques (telles les règles sociales, relevant du « non-droit » 335), ni les
« forces créatrices » du droit (par exemple, le droit naturel et l’équité,
« sources idéales » du droit 336). Bien qu’elles aient été parfois qualifiées
de « sources réelles » 337, les forces créatrices n’appartiennent pas au
droit positif.
Les sources non formelles désignent de véritables règles juridiques
mais découlant d’autorités officieuses, non investies du pouvoir de créer
officiellement du droit, qu’elles soient privées ou même publiques. Dans
le langage juridique moderne, les normes qui naissent de sources non
formelles forment un « droit spontané » 338 ou, selon l’expression la plus
répandue, un « droit souple » (soft law) 339.
La notion de source non formelle est particulièrement vivace en droit international, où s’applique
la lex mercatoria, l’ensemble des usages du commerce international 340.
C’est de sa source qu’une norme tire ses caractères. Les normes
sociales ou idéales se révèlent, de par leur origine, concrètes,
particulières et non coercitives. Au contraire, les règles du droit positif
sont abstraites, générales, permanentes et obligatoires.

47. Caractères abstrait, général et permanent ; sécurité


juridique. – La règle de droit est abstraite en ce qu’elle est
impersonnelle. Elle n’est pas destinée à régir des cas particuliers.
Commune à tous, elle vaut pour toutes les personnes et toutes les choses
se trouvant dans la situation juridiquement définie.
La règle de droit est générale dans l’espace : elle s’applique de la
même manière en tous lieux du territoire français (art. 1er). Cependant,
elle n’est pas universelle : les différences entre lois nationales et
étrangères provoquent des « conflits de lois dans l’espace » intéressant
le droit international privé.
La règle de droit est permanente quand elle est durable et constante
dans le temps : seule son abrogation expresse ou tacite (jamais par
désuétude 341) met un terme à son existence. Cependant, elle n’est pas
perpétuelle : les réformes législatives provoquent des conflits de lois
dans le temps intéressant le droit transitoire.
Ces trois caractères congénitaux de la règle de droit (parfois
contestés 342) ont une immense vertu. Ils confèrent une prévisibilité : les
sujets de droit peuvent connaître par avance son contenu et déterminer
en conséquence leur comportement. La prévisibilité est garante de
sécurité juridique 343 : un acte dont la validité est acquise à l’instant
présent ne doit pas être remis en cause par un bouleversement ultérieur
du droit. Mais la sécurité juridique subit de graves atteintes, provenant
de lois rétroactives ou de revirements de jurisprudence 344.
L’imprévisibilité et l’insécurité juridiques sont des ferments d’arbitraire
et d’injustice.
Un « principe de sécurité juridique » digne de ce nom préserverait l’abstraction, la généralité, la
permanence et la prévisibilité de la règle de droit en fustigeant les lois de circonstances, temporaires,
symboliques, rétroactives, lacunaires ou simplement inintelligibles, les revirements de jurisprudence
intempestifs, etc. Il n’existe rien de tel en droit positif.
L’idée de sécurité juridique a vu le jour dans la jurisprudence communautaire en 1961 345. Le
« principe général de la sécurité juridique » 346, applicable aux institutions, aux États membres
comme aux particuliers, d’une part, y véhicule les exigences de clarté, de précision et d’uniformité du
droit dérivé et, d’autre part, sert à trancher les conflits de règles dans le temps (en interdisant par
exemple la rétroactivité des actes communautaires) 347 ; il combat aussi les comportements dilatoires
ou générateurs d’incertitudes (en imposant par exemple des délais de préavis ou de prescription) 348.
La Cour européenne des droits de l’homme a ensuite franchi un pas décisif en intégrant la sécurité
juridique dans les garanties du « droit à un procès équitable », au sens de l’article 6 § 1 Conv. EDH,
qui ne sont elles-mêmes qu’un des aspects du « principe de prééminence du droit » dans une société
démocratique 349.
Le principe de sécurité juridique – comme le principe de confiance légitime, son pendant
subjectif 350 – apparaît de façon logique dans la jurisprudence judiciaire ou administrative traitant de
situations régies par le droit communautaire 351. En revanche, le Conseil d’État avait longtemps hésité
à intégrer les principes généraux du droit communautaire dans le bloc de légalité français interne 352,
à commencer par celui-là. Il est donc surprenant qu’il ait finalement cédé à la tentation de consacrer
un « principe de sécurité juridique » inédit 353. À l’usage, cette innovation s’est révélée une erreur.
Les plaideurs ne cessent d’invoquer cette norme floue dont la Haute juridiction tire parfois des
conséquences approximatives 354. La sécurité juridique a toujours servi d’habillage à l’équité et au
pouvoir discrétionnaire du juge 355. Elle est un ferment d’insécurité juridique. Elle ne peut être un
principe de droit interne. Elle doit y demeurer un objectif, une finalité, une inspiration.
Cette consécration paraît d’autant plus inutile que le principe est dédaigné en droit constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel reconnaît des « objectifs » ou des principes spécifiques inspirés par
l’idéal de sécurité juridique mais s’abstient de l’ériger en principe, préférant s’appuyer sur les
textes 356. Enfin, quelques arrêts isolés de la Cour de cassation rendent un hommage à la « sécurité
juridique » lors de l’application de textes de droit interne ou de l’article 6, § 1 Conv. EDH 357 ; mais
ce propos est redondant et dénué de toute portée.

48. Caractère obligatoire et sanction. – Le caractère obligatoire de


la règle de droit a pour corollaire sa nature coercitive : elle est assortie
d’une sanction, une possible contrainte, elle-même susceptible de
degrés. La sanction la plus énergique est l’exécution immédiate : à
l’injonction du contrôleur, le voyageur sans billet doit descendre du
train 358. Elle peut aussi consister en une menace à plus ou moins brève
échéance : une peine d’emprisonnement ou la nullité d’un acte
prononcé par un tribunal. Enfin, la contrainte s’opère au deuxième degré
lorsqu’elle vise à mettre à exécution une condamnation : le débiteur qui
ne s’acquitte pas de la dette pour laquelle il a été condamné verra ses
biens saisis et vendus au profit de son créancier.
Existe-t-il des règles de droit sans sanction ? La tradition positiviste (étatique) qui régna au
XIX siècle ne concevait pas une règle non assortie de sanction par l’État 359 : la règle n’existait qu’en
e

impliquant la force, dont l’État était le détenteur exclusif. L’erreur de ce postulat a été dénoncée par
les adeptes du pluralisme juridique. D’une part, l’État n’est pas la seule source du droit : la coutume
ou le « droit spontané » en sont une également 360, de même qu’il existe des sources informelles du
droit 361 et des droits propres à des groupements ou corporations privés. D’autre part, la contrainte
n’est pas une condition indispensable à l’existence d’une règle de droit. D’abord, une règle ne
connaît une application effective que si elle est spontanément reconnue comme obligatoire (par ex.,
les règles du Code de la route sont respectées plus parce qu’elles semblent raisonnables que par la
peur du gendarme) ; sa mise en œuvre requiert une réception par son destinataire qui doit, d’une
certaine façon, y adhérer 362. Ensuite, il existe un droit international privé et public alors que, dans
l’ordre international, nul n’est à même d’imposer une contrainte sans le relais des autorités d’un État.
Dans l’ordre interne, en revanche, une règle de droit sans la moindre contrainte ne se conçoit
guère 363 ; les règles non sanctionnées sont des règles infirmes (ex. : les règles d’interprétation du
Code civil 364). Si une contrainte est nécessaire, il importe peu qu’elle soit d’origine étatique ou
privée (ex. : une sanction disciplinaire).

49. Soft law : flou, doux et mou. – 1º) Toute règle non sanctionnée
n’est pas nécessairement une règle de « droit souple », lequel présente
des caractères spécifiques. La doctrine a souligné à partir des
années 1970 365 le développement d’un « droit souple » (soft law), c’est-
à-dire un droit flou (sans précision), doux (sans obligation) et mou (sans
sanction ni contrainte) 366. Celui-ci dirigerait les conduites de façon non
autoritaire (en orientant ou en recommandant), exprimerait le
souhaitable plutôt que l’obligatoire (en incitant ou en déclarant),
nouerait un dialogue permanent avec ses destinataires dont l’adhésion
serait recherchée. Il serait la traduction juridique d’un soft power
(pouvoir de persuasion), opposé au hard power (pouvoir de la
contrainte).
Ce droit souple serait nourri de résolutions, recommandations, déclarations, chartes et
directives... nombreuses en droit international public où la contrainte étatique ne peut s’exercer mais
qui se développent aussi dans les lois internes 367. Il est également constitué par les codes de bonne
conduite, chartes éthiques 368 et les différents types d’avis 369. Il aurait pour pendant une justice souple
incarnée par les modes de résolution amiable des litiges 370.
Le Conseil d’État a consacré son rapport public 2013 au « droit souple » 371. Il relève l’existence
d’une « échelle de normativité graduée entre le droit souple et le droit dur » (la règle la plus souple
étant celle qui se borne à exiger de son destinataire qu’il l’applique ou bien qu’il explique pourquoi
il ne l’applique pas, selon la technique comply or explain. V. ci-après). Le Conseil d’État formule
vingt-cinq propositions pour un « emploi raisonné du droit souple », dont l’utilité lui paraît
indéniable. Le droit souple pourrait servir à la mise en œuvre du droit (public) dur ou même se
substituer à lui. Il s’agirait, notamment, de rédiger des textes législatifs et réglementaires plus courts
en renvoyant leur application technique au droit souple (directives, recommandations de bonnes
pratiques). Encore faudrait-il vérifier au préalable, au travers d’un triple « test », que la règle de
droit souple sera utile, efficace (par ex., les normes techniques standardisées ou les contrats-types
sont généralement adoptés par les acteurs économiques qui, au contraire, ignorent les
recommandations des autorités publiques) et légitime (l’autorité qui édicte la règle de droit souple
devant, par définition, susciter l’adhésion de ses destinataires).
2º) La soft law a pour avatars la « régulation » et l’« auto-
régulation » 372.
La première désigne, dans un sens restreint, une forme assouplie de réglementation couvrant des
secteurs économiques qui relevaient d’anciens monopoles publics et furent ouverts à la libre
concurrence (ex. : télécommunications, électricité, transports). Le « droit de la régulation » est donc
d’abord le fruit des autorités administratives indépendantes (dites aussi de « régulation ») 373. Il
exprimerait à ce titre un « nouveau rapport entre le droit et l’économie, [...] détaché du passage
nécessaire par l’État et son organisation administrative » 374. Le concept de régulation sert aussi à
habiller des phénomènes connus : ineffectivité de la règle de droit, utilisation de standards, influence
des sources idéales du droit (morale, déontologie...), rôle du « non-droit » (ou droit spontané) 375 etc.
Dans un sens plus large que retient la doctrine anglo-saxonne, la « régulation » renvoie à une
analyse socio-économique de l’intervention de l’autorité publique (l’État). La théorie (non plus le
droit) de la régulation est une théorie libérale de l’intervention de la puissance publique, examinant
les effets que celle-ci déploie dans le tissu économique, scrutant les équilibres en présence,
soucieuse d’obtenir une efficacité maximale tout en respectant la loi du marché 376. La régulation est,
à ce titre, une notion-clef des doctrines américaines de l’Analyse économique du droit 377.
En tout état de cause, la régulation n’intervient que sur un marché, pour organiser la production ou
la distribution de biens et de services intrinsèquement licites : on ne « régule » pas le meurtre ou le
viol 378.
L’auto-régulation recouvre des normes secrétées par des organismes privés non institutionnels
(ex. : règlement intérieur d’une entreprise ou d’un ordre professionnel ; codes de bonne conduite
élaborés par des syndicats patronaux à l’usage des sociétés cotées ; règles édictées par des
organismes internationaux privés dans le secteur financier ou dans le domaine de l’internet) ; elle est
souvent associée au concept de « gouvernance » (privée). De façon plus originale, des organismes
non institutionnels peuvent être constitués auprès d’institutions publiques afin d’inspirer leur action
législative : ce phénomène se nomme la « comitologie » 379.
Les normes de régulation auraient plusieurs vertus : elles afficheraient
une proximité avec leurs destinataires qui éprouveraient en retour une
confiance accrue envers le régulateur ; elles seraient plus faciles (c’est-
à-dire, en termes d’analyse économique, moins coûteuses) à
comprendre, à accepter et à appliquer ; elles soulageraient l’État
d’interventions normatives (en réalité, si la régulation est née de la
libéralisation ou « déréglementation » de certains secteurs, elle n’a pas
engendré moins de droit mais bien davantage).
3º) Toutefois, la soft law tend inexorablement à se durcir et à
s’étatiser : les directives de l’Union européenne fixent des obligations
extrêmement précises 380 ; le Conseil d’État a progressivement admis que
des circulaires, de simples « lignes directrices » édictées par
l’Administration 381 ainsi que « les avis, recommandations, mises en
garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation »
soient frappés d’un recours pour excès de pouvoir, sous certaines
conditions 382 ; les principales autorités administratives indépendantes
(de régulation) exercent d’ailleurs un pouvoir réglementaire et
disciplinaire ; les codes de déontologie majeurs sont approuvés par
arrêté ministériel ; les déclarations d’objectifs que faisait le législateur
l’exposent à la censure du Conseil constitutionnel au motif que « la loi
a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue
d’une portée normative » 383. La soft law est largement institutionnelle.
Le déclin de la norme impérative, étatique et autoritaire est une illusion.
Quant à l’« auto-régulation » – qui a accompagné la
« déréglementation » –, son incapacité à prévenir les abus et les conflits
d’intérêts (notamment dans les sociétés cotées ou le secteur financier) a
incité les législateurs nationaux et communautaire – qui s’étaient laissés
séduire par cette soft law importée des États-Unis 384 – à plus de
méfiance et au rétablissement de règles contraignantes 385.
Le mouvement de balancier est incessant. Lorsque la soft law se durcit ou échoue à influencer les
comportements, elle tend à se renouveler voire à accentuer ses traits caractéristiques. Ainsi, la
difficulté d’harmoniser les législations nationales par voie de directive dans une Union européenne
élargie à vingt-huit États membres et inhibée par des procédures législatives complexes, plus le
constat de l’inefficacité des avis, recommandations et autres déclarations, ont conduit à inventer la
« méthode ouverte de coordination » (MOC). Conçue comme un outil informel de définition
d’objectifs communs, la MOC conduit le Conseil européen (depuis celui de Lisbonne des 23-24 mars
2000) – et non la Commission, cantonnée dans un rôle d’appui 386 – à édicter des normes non
contraignantes (« lignes directrices ») en divers domaines (social, notamment 387). Elle se singularise
par une flexibilité et une subsidiarité accrues par rapport aux normes obligatoires. Mais l’absence de
contrôle comme de sanction en cas de non-respect et la légitimité incertaine du Conseil européen
(organe politique) lui confèrent une faible autorité 388, ce qui reste la grande faiblesse de la soft law.
SECTION III
LES DROITS SUBJECTIFS

50. Ce qui est à moi est à moi. – Les individus ont un certain
nombre de prérogatives, des droits individuels. En termes plus
techniques, les « sujets de droit » jouissent de « droits subjectifs » 389.
Ces prérogatives sont la traduction juridique d’un sentiment très
instinctif : le tien et le mien (ce qui est à moi est à moi). Si instinctif,
naturel et primitif qu’il paraisse, il a suscité de nombreuses controverses
(§ 1). Sa mise en cause apparaît aussi en droit positif : l’usage des droits
est limité par l’abus des droits (§ 2).
Les libertés se distinguent des droits subjectifs. En premier lieu, la liberté est une « prérogative
discrétionnaire, qui peut s’exercer dans toutes directions, parce que précisément elle est la
liberté » 390. Ainsi la liberté matrimoniale suppose-t-elle celle de se marier ou de ne pas se marier, la
liberté du travail implique de pouvoir travailler comme de demeurer oisif, la liberté contractuelle est
celle « de contracter ou de ne pas contracter » (art. 1102). En revanche, il n’existe pas de droit au
mariage, de droit au travail ou de droit au contrat. En deuxième lieu, l’attribution d’une liberté est
inconditionnée et égalitaire : tout le monde en est titulaire, sans conditions. En revanche, l’octroi d’un
droit subjectif obéit à des conditions définies, reposant sur une cause de préférence, et s’avère donc
inégalitaire 391. Ces différences expliquent qu’il n’y a pas d’abus de libertés 392 : l’abus ne saisissant
que des droits définis, il est inapte à saisir une virtualité indéfinie de droits 393. Toutefois, cette
distinction peut sembler artificielle. Certains droits subjectifs ne confèrent-ils pas aussi à leur
titulaire une liberté (ainsi le droit de propriété rend le propriétaire libre d’user ou de ne pas user de
sa chose) ? De même, les droits de la personnalité (ex. : le droit au respect de la vie privée, art. 9)
sont accordés à tous sans conditions. Mais un droit peut offrir une faculté d’agir ou de ne pas agir
librement sans pour autant devenir une liberté ; en outre, les droits de la personnalité ne sont ni des
libertés publiques ni des droits subjectifs mais des libertés civiles.
La notion de « droit fondamental » renvoie à une autre réalité (v. infra, no 333).

§ 1. LES QUERELLES DU DROIT SUBJECTIF

51. Une querelle interminable : existence et définition. – Le droit


subjectif est l’expression juridique d’une philosophie individualiste et
libérale : parce que l’homme est libre, il a des droits ; parce qu’il a des
droits, il est libre. Cette philosophie a subi de vives critiques au cours
du siècle écoulé : la notion de droit subjectif a été l’objet d’une querelle
agitée. Les critiques du passé paraissent aujourd’hui obsolètes au regard
de l’essor qu’a connu la notion.
1º) La controverse porta d’abord sur l’existence de la notion. Certains y ont vu une invention
moderne, datant du XIVe siècle, inconnue en droit romain 394. De façon plus radicale, des auteurs
nièrent l’existence des droits subjectifs 395, négation qui prit de l’ampleur avec le marxisme 396. Usant
d’un procédé habituel, d’autres remplacèrent le mot en conservant le concept sous un nouvel
habillage 397. Mais il est impossible de rendre compte des pouvoirs individuels s’exerçant dans les
rapports juridiques sans parler de droit subjectif 398.
2º) Parallèlement, un débat s’est ouvert sur la définition du droit subjectif. Six définitions
principales 399 furent proposées. 1) Le droit subjectif serait un pouvoir de la volonté selon
Windscheid 400, pandectiste allemand du XIXe siècle, qui reconnaît à l’individu une puissance
souveraine : si le sujet veut user d’une norme de droit objectif, celle-ci devient son droit. Mais c’est
confondre droit et exercice du droit ; en outre, celui qui ignore ses droits (ex. : l’incapable) n’en est
pas moins titulaire. 2) Il serait un « intérêt juridiquement protégé », écrit Ihering, sous l’influence du
droit romain 401. Mais affirmer que la protection juridique qu’accorde l’État transforme un intérêt de
fait en droit subjectif n’explique rien ; c’est retourner la question. 3) Le droit subjectif serait un « lien
d’appartenance » et un « pouvoir de maîtrise » selon le Belge Jean Dabin 402 ; la définition est
difficilement réfutable, sans doute parce qu’elle est vague. 4) Les droits subjectifs seraient les droits
fondamentaux de la personne, dans le courant du néo-libéralisme contemporain 403 et des libertariens
américains 404. Mais les droits fondamentaux sont davantage des libertés (publiques ou civiles) ou, à
tout le moins, des droits d’une nature particulière. 5) De façon plus marginale, un auteur aperçoit
dans le besoin la source du droit subjectif 405, ce qui est passablement explosif et pourrait entraîner
une révolution permanente. 6) Une forme hypertrophiée du droit subjectif est le « droit à » 406 que le
législateur qualifie d’« opposable », comme si cela n’allait pas de soi (ex. : le « droit au logement
opposable » L. no 2007-290, 5 mars 2007).
La meilleure explication est sans doute au confluent : le droit subjectif est un avantage (un avoir)
et une prérogative, opposable à autrui, au besoin par la contrainte.

§ 2. L’ABUS DES DROITS

À peine de rendre impitoyables les droits et inhumaine la société, les


pouvoirs des individus sont limités. Une théorie jurisprudentielle bride
leur absolutisme.

52. Summum jus summa injuria. – L’abus des droits est une très
vieille notion 407, même si la théorie ne s’est édifiée qu’à partir du
XIX siècle . Une maxime de Cicéron en résume l’esprit : Summum jus
e 408

summa injuria 409, un droit exercé à l’extrême produit une extrême


injustice.
Par-delà cette idée simple, la doctrine, la jurisprudence et la loi
cultivent chacune une conception différente de l’abus.

53. Doctrine. – L’abus de droit fut un des sujets favoris de la doctrine


civiliste au début du XXe siècle : Marcel Planiol, Raymond Saleilles,
Georges Ripert, Louis Josserand, Henri Capitant s’affrontèrent sur ce
thème 410. La thèse la plus marquante fut celle de Josserand 411 : les droits
subjectifs seraient des « droits-fonctions » à « esprit altruiste » et non
égoïste ; l’abus consisterait en un détournement du droit de sa mission
et de sa finalité sociales ; l’absence de « motif légitime » en serait le
critère 412. La jurisprudence est plus complexe et ne retient pas qu’un
seul critère.

54. Jurisprudence. – Le principe demeure que l’exercice d’un droit


est légitime même s’il cause à autrui un dommage (neminem laedit qui
suo jure utitur). Mais la jurisprudence a très tôt limité le libre usage des
droits et l’irresponsabilité qui en découle en fustigeant deux types
majeurs d’abus 413. 1) Subjectivement, commet un abus le titulaire d’un
droit qui en use dans la seule intention de nuire à autrui 414, laquelle se
déduit souvent de l’absence d’un « intérêt sérieux et légitime », c’est-à-
dire que l’acte ne présente aucune utilité pour lui 415. 2) Objectivement,
commet un abus celui qui accomplit un acte présentant un caractère
anormal, excessif (« trop, c’est trop »), même s’il n’a pas été animé par
une intention de nuire 416.
Dans son application, le critère de l’abus de droits révèle une grande plasticité : il varie selon la
matière à laquelle il s’applique. Par contrecoup, l’énergie et la valeur des droits subjectifs
apparaissent très inégales. Pour qu’il y ait abus, la jurisprudence requiert – suivant un ordre
décroissant de sévérité – tantôt une mauvaise foi caractérisée 417, tantôt un détournement du droit de
sa fonction 418 ou de pouvoir 419, tantôt une faute simple ou l’absence d’un intérêt légitime 420, tantôt
seulement un dommage excessif 421 ; enfin, point extrême de cette gradation, il existe quelques droits
discrétionnaires, insusceptibles d’abus, de moins en moins nombreux 422.

55. Les mots de la loi. – Planiol avait tenté d’abattre la théorie de


l’abus de droits en en dénonçant le verbalisme 423. Il a échoué, car
l’empreinte d’un mot bien choisi peut suffire à construire une notion
juridique.
Il existe de nombreuses applications légales de la théorie de l’abus de
droits 424. Cependant, divers textes sanctionnent un comportement
« abusif » sans qu’il soit question d’abus de droit 425.
À l’inverse, l’abus de droit est présent dans certaines branches sans
être nommé ou sous une autre appellation, par exemple : l’atteinte à la
bonne foi en droit international public ; l’interdiction d’interpréter les
dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme
« comme impliquant » un droit de détruire les droits ou libertés
reconnus par cette même Convention (Conv. EDH, art. 17 ; ex. :
revendiquer une liberté d’expression absolue afin de répandre une
idéologie politique ou religieuse incompatible avec la démocratie) 426.

Nos 56-69 réservés.


CHAPITRE II
LES DIVERSES BRANCHES DU DROIT

70. Arbre et branches ; interdisciplinarité. – La division du droit


en branches a souvent mis des œillères dans le regard des juristes 427.
Mais elle a un intérêt méthodologique et didactique. Surtout, elle est le
produit spontané de la hiérarchie des normes (droit constitutionnel,
droit international...), du pluralisme des ordres juridiques (droit de
l’Union européenne...) 428, de la nature des relations régies (droit civil,
droit pénal, droit commercial, droit administratif...) et des fonctions
assignées aux règles (droit du travail, droit de la consommation, droit
rural...) 429. Cette fragmentation du droit a été critiquée ; dans ce
réquisitoire, il y a une grande part de vérité : il faut lutter contre une
tendance excessive à diversifier à l’infini les branches du droit qui en
altère la cohérence 430.
Les juristes quittent rarement leur branche de prédilection. Il est encore plus rare qu'ils changent
d'arbre : la pluridisciplinarité ou interdisciplinarité est un réflexe intellectuel peu répandu car les
juristes doutent qu'ils peuvent apprendre quelque chose d'utile dans les sciences humaines (par
exemple en sociologie ou en psychologie) ou économiques430a.

71. Summa divisio ? – La distinction entre le droit public et le droit


privé domine l’ensemble du droit 431. Elle remonte au droit romain 432 où
elle n’avait pas l’ampleur actuelle. Sous l’Ancien Régime, le droit
public avait pour source les ordonnances et édits royaux tandis que le
droit privé était, pour l’essentiel, d’origine coutumière et populaire ;
jusqu’au XVIe siècle, les auteurs ne tiraient pas de conséquences de cette
différence et préservèrent l’unité des grands concepts du droit 433. Au
cours du XXe siècle, la distinction suscita des querelles idéologiques 434,
voire des guerres d’influences 435 : le droit public passait pour rechercher
l’intérêt général et reposer sur la contrainte, tandis que le droit privé
semblait se consacrer aux intérêts privés et être un droit de liberté. Mais
il s’avère aujourd’hui que cette summa divisio est un produit de
l’histoire, non d’une idéologie 436. Ainsi, au Moyen Âge, tout était droit
privé, la puissance publique et la souveraineté étant elles-mêmes
définies comme la propriété, le domaine du Prince. Au contraire, lors
des révolutions, « tout devient droit public », selon le mot célèbre de
Portalis 437.
Droit public et droit privé se divisent chacun en trois corps de règles.
Il existe aussi des droits mixtes.

72. Droit public. – Le droit public régit le fonctionnement et les


relations des collectivités publiques, telles que l’État ou ses
démembrements et les collectivités locales. Il se subdivise en trois
branches.
1o) Le droit constitutionnel établit l’organisation institutionnelle de
l’État, lui confère des prérogatives de puissance publique et marque ses
limites en énonçant des droits et libertés fondamentaux. Depuis la
Constitution du 23 octobre 1958, sous l’action du Conseil
constitutionnel, ce droit a beaucoup étendu son influence dans le droit
privé 438.
2o) Le droit administratif régit principalement les relations que les
particuliers entretiennent avec l’État, les collectivités locales et les
établissements publics administratifs, c’est-à-dire des relations entre des
personnes inégales. La conciliation entre, d’une part, l’intérêt général et
les prérogatives de la puissance publique et, d’autre part, les intérêts
privés et les libertés publiques est son objet permanent.
Lors de sa naissance, le droit administratif était une dérogation au droit civil : en 1873, le
Tribunal des conflits soumit la responsabilité de l’État pour des dommages causés par un service
public à des « règles spéciales » et exclut en ce domaine l’application des « principes qui sont
établis par le Code civil » 439. Ce droit spécial a alors pris son autonomie.
3o) Le droit international public régit les rapports entre les États. Il
s’efforce de concilier la souveraineté de chacun et la quête d’une
harmonie au sein de la communauté internationale. La tâche est
ambitieuse car la société internationale demeure une société anarchique.
Certaines institutions universelles – au premier chef l’Organisation des
Nations unies (ONU) – contribuent à édifier un ordre juridique mondial.
Mais celui-ci a des carences : il lui faudrait une ou plusieurs juridictions
dotées de pouvoirs coercitifs, telles que la Cour pénale internationale
créée par la Convention de Rome du 18 juillet 1998 440.

73. Droit privé. – Le droit privé a pour objet les rapports des
particuliers entre eux. Il se subdivise, lui aussi, en trois branches : le
droit civil, la procédure civile, le droit international privé.
1o) Le droit civil 441 comprend les règles de fond qui régissent ces
rapports. L’étendue de son domaine et son perfectionnement affiné au fil
des siècles lui confèrent une grande valeur. Au-delà de son objet, il est
le droit commun, c’est-à-dire un droit général et résiduel 442. Il est
général en ce que toutes les autres branches du droit sont, face à lui, des
droits d’exception, spéciaux : par exemple, le droit commercial ou le
droit du travail ne renferment qu’un ensemble de dérogations au droit
civil (général) des obligations, cantonnées dans leur domaine. Il est
résiduel dans la mesure où, si un droit spécial vient à manquer d’une
règle précise, les principes généraux du droit civil retrouvent
application. Le droit civil se présente ainsi comme le tronc commun et la
matrice de toutes les branches du droit qui n’acquièrent jamais une
autonomie complète à son égard.
Toutefois, au XXIe siècle, le droit civil dépend souvent de droits non civils, spéciaux et fragmentés,
qui l’imprègnent fortement (ex. : droits bancaire, de la consommation, du travail, fiscal...). En outre,
face au « vrai » droit commun se développent des droits communs fragmentés (ex. : droits communs
des sociétés, des contrats, des relations de travail...). Le droit civil n’est plus le seul « droit
fondamental », gouvernant les institutions essentielles de la société (la famille, la propriété, les
successions...) : les fondements du droit se trouvent aussi dans la Convention européenne des droits
de l’homme, dans le droit constitutionnel tandis que de nouveaux concepts sont issus de droits
étrangers (principes de précaution, de proportionnalité, de loyauté...) 443.
Les Institutes de Gaïus (IIe siècle) et de Justinien (VIe siècle) 444
embrassaient toute l’activité humaine en suivant un plan classique : les
personnes (personæ), les choses (res) et les actions (actiones). De
même, le Code civil traite des personnes (Livre Ier), des biens (Livre II) et
des obligations (au sein du Livre III qui renferme en outre les
successions et libéralités, les régimes matrimoniaux et les sûretés). Et
c’est ainsi qu’est divisé le droit civil.
— Le droit des personnes repose sur la distinction des hommes et des choses sans laquelle
l’homme serait réduit à l’état d’esclave et perdrait sa dignité. Au sens étymologique, la personnalité
juridique est un masque 445. Elle est conférée de nos jours 446 à toute personne physique, depuis sa
naissance jusqu’à sa mort. Elle rend apte à être titulaire de droits – sauf incapacité de jouissance
(toujours partielle) – et à les exercer – sauf incapacité d’exercice (telles celles qui frappent le mineur
et le majeur protégé). Par ailleurs, certains groupements organisés de biens ou de personnes sont
revêtus de la personnalité morale, qui offre les mêmes attributs. Une personne morale de droit public
(ex. : l’État ou une collectivité locale) ou de droit privé (ex. : une société anonyme ou une
association) dispose ainsi d’un patrimoine propre et du droit d’agir en justice pour la défense d’un
intérêt collectif par l’intermédiaire de ses représentants.
Le droit des personnes se subdivise en trois branches. Le droit de la famille, au sens strict, régit
les relations personnelles ou extrapatrimoniales qui s’y nouent (la filiation et le mariage). Les
relations pécuniaires ou patrimoniales sont quant à elles l’objet du droit des régimes matrimoniaux
(entre les époux) et du droit des successions (entre le défunt et ses héritiers), parfois réunis sous
l’appellation de droit patrimonial de la famille.
— Les biens sont des choses, des richesses contenues dans un patrimoine.
Le patrimoine est une notion-clef du droit civil, indissociable de la personnalité juridique 447 :
dans notre tradition juridique (aujourd’hui ébranlée) toute personne a un patrimoine – un seul – même
si, littéralement, elle n’a rien ou est criblée de dettes. Il se définit comme un ensemble indivisible
(une « universalité ») de biens et de dettes dans lequel l’actif répond du passif (art. 2284), ce qui
signifie que les créanciers ont la faculté de saisir les biens (l’actif) de leur débiteur pour obtenir le
paiement de leur créance (le passif). Le patrimoine ne se cède pas, sauf à cause de mort puisque
l’héritier « ayant cause universel » est présumé « continuer » la personne du défunt. Néanmoins, tous
les droits n’entrent pas dans le patrimoine. Il est des biens « hors commerce » ou indisponibles (ex. :
le corps humain), sur lesquels s’exercent des droits extrapatrimoniaux.
Le droit civil opère diverses classifications parmi les biens figurant à l’actif du patrimoine. À cet
égard, le droit des biens détermine le régime des meubles et des immeubles (art. 516), suivant une
distinction ancienne devenue moins utile en raison de l’extension de la catégorie des meubles
(valeurs mobilières, fonds de commerce, etc.).
Les biens ou richesses ne sont pas seulement susceptibles d’appréhension. Une personne n’est pas
seulement titulaire de « droits réels » (le droit réel est un pouvoir direct sur une chose visant à en
retirer une certaine utilité ; ex. : le droit de propriété ou le droit d’usufruit). Les biens donnent aussi
lieu à des relations entre les personnes, qui sont au cœur du droit des obligations. Dans ce cas, un
lien de droit se noue entre un débiteur et un créancier qui oblige le premier à exécuter une
« obligation » (par le paiement de sa dette) et confère au second un « droit personnel » (ou « droit
de créance ») sur le patrimoine de celui-ci. Un tel lien, tissé entre deux patrimoines, découle tantôt
d’un contrat (ex. : le contrat de prêt oblige le débiteur emprunteur à rembourser le montant emprunté),
tantôt d’un délit civil (un dommage accidentel, qui oblige son auteur à réparation envers la victime).
De surcroît, l’obligation peut être affectée de modalités (ex. : le terme ou la condition. V. art. 1304
et s.). Enfin, elle s’éteint de différentes manières (paiement, prescription, remise de dette, etc.
V. art. 1342 et s.).
— Selon le langage de la doctrine, les obligations naissent d’actes ou de faits juridiques
(art. 1100-1 et 1100-2). L’« acte juridique » est une manifestation de volonté accomplie en vue de
produire des effets juridiques (ex. : la convention ou le contrat, acte bilatéral, et le testament, acte
unilatéral). Le « fait juridique » est un agissement ou événement qui produit lui aussi des
conséquences juridiques, qui n’ont été ni voulues ni recherchées (ex. : un délit civil ou la mort).
Dans le Code civil, l’obligation a trois sources possibles : le contrat, le délit ou le quasi-délit, et
le quasi-contrat. Premier versant du droit des obligations, le droit des contrats repose sur quatre
piliers : la force obligatoire du contrat (art. 1103, anc. art. 1134, al. 1er), la liberté contractuelle
(art. 537, al. 1er et 1102), le consensualisme (art. 1109 et 1172 : la validité d’un contrat n’est
subordonnée à aucune condition de forme, sauf si la loi édicte un formalisme, ce qu’elle fait
généralement pour protéger l’un des cocontractants) et le principe de l’effet relatif des conventions
(art. 1199, anc. art. 1165 : une convention n’a d’effet qu’entre les parties et ne lie ni ne profite à des
tiers). Un acte juridique irrégulier, auquel manque une condition de validité (de fond ou de forme) est
frappé de nullité. Second versant du droit des obligations, le droit de la responsabilité délictuelle
trouve son fondement dans l’article 1240 (anc. art. 1382), selon lequel « tout fait quelconque de
l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le
réparer ». Un délit civil (fait juridique) engage la responsabilité de son auteur s’il a commis une
faute ou, selon une certaine jurisprudence, s’il a créé un risque par son activité. L’abus de droit 448,
par exemple, constitue une faute. Enfin, le troisième versant du droit des obligations correspond à une
catégorie hybride, qui se situe entre le contrat et le délit civil : le quasi-contrat. Il s’agit d’un fait
juridique volontaire de l’homme d’où résultent des obligations (art. 1300). Il en existe
principalement trois espèces : la gestion d’affaires (art. 1301 et s.), la répétition de l’indu (art. 1302
et s.) et l’enrichissement sans cause (art. 1303 et s.) 449.
De toutes les branches du droit civil, le droit des obligations est la
plus importante. Il domine le droit bancaire, le droit maritime, le droit
de la protection sociale, le droit des régimes matrimoniaux, le droit des
contrats administratifs, etc. Surtout, les situations les plus ordinaires de
la vie quotidienne (prendre le métro, acheter du pain) utilisent sans
cesse ses concepts. Le droit des obligations est la lingua franca des
juristes.
2o) La procédure civile détermine les formes que les particuliers
doivent suivre pour obtenir d’un juge la protection juridique de leurs
prérogatives 450. Cette réalisation des droits subjectifs s’accomplit le plus
souvent à l’amiable. Lorsqu’un conflit surgit, elle devient contentieuse
et intéresse alors la procédure civile. Un auteur du XIXe siècle avait écrit
à son propos qu’elle était « le droit sur le pied de guerre » 451. À Rome,
elle fut à l’origine de tout le droit privé (selon l’ancien adage « pas
d’action, pas de droit ») 452.
L’office du juge dans le procès civil s’est transformé. Le Code de procédure civile de 1806 lui
imposait une totale neutralité : la procédure était accusatoire, abandonnée à l’initiative des parties. À
partir d’un décret du 9 septembre 1971, fixant les « principes directeurs du procès », elle prend un
aspect de plus en plus inquisitoire. Le Code de procédure civile issu du D. 5 déc. 1975 reconnaît au
juge un rôle actif : il « veille au bon déroulement de l’instance ; il a le pouvoir d’impartir les
délais et d’ordonner les mesures nécessaires » (C. pr. civ., art. 3) telles que des mesures
d’instruction pour la recherche des preuves (ib., art. 10). Il a parfois tendance à se décharger sur les
parties de son office juridictionnel 453.
3o) Le droit international privé régit les relations privées à caractère
international, celles qui comportent un « élément d’extranéité ».
— La condition des étrangers (ex. : un étranger peut-il se marier en France et quelle nationalité
auront ses enfants ?). Le droit de la nationalité et des étrangers a subi, depuis 1804, de très
nombreuses réformes législatives.
— Les conflits de juridictions (ex. : quel tribunal est compétent pour connaître des litiges entre
époux de nationalité différente ou relatifs à une succession internationale ?).
— Les conflits de lois (ex. : si une personne étrangère se marie en France, quelle loi régira son
mariage et son divorce éventuel ? Quelle loi s’applique à un contrat conclu par un Français à
l’étranger, et inversement ? Quelle loi gouverne la succession d’un Français décédé à l’étranger qui
laisse des biens situés en France et à l’étranger ?). La jurisprudence a construit un important
monument prétorien sur la base de l’article 3, texte laconique qui se borne à énoncer trois règles de
conflits (les lois de police obligent tous ceux qui habitent le territoire français ; les immeubles qui y
sont situés sont régis par la loi française ; les lois sur l’état et la capacité des personnes régissent les
Français, même à l’étranger). La Cour de cassation a commencé par bilatéraliser ces trois règles
(pour les étendre, par analogie, aux lois étrangères) avant de les compléter. De son côté, le
législateur a ajouté quelques règles de conflit lors de réformes du droit de la famille (art. 309,
L. 11 juill. 1975 sur le divorce ; art. 311-14 et s., L. 3 janv. 1972 sur la filiation).
La règle de conflit désigne la loi applicable dans chaque situation. Les biens, meubles 454 ou
immeubles 455, sont soumis à la loi du pays dans lequel ils se situent (lex rei sitæ) : c’est le statut réel.
L’état et la capacité des personnes relèvent de la loi du pays d’origine du sujet (art. 3, al. 3) 456 : c’est
le statut personnel. Les contrats sont soumis, sur le fond, à la loi choisie par les parties (lex
contractus) 457 : c’est la loi d’autonomie ; la forme d’un contrat est régie par la loi du pays où il a été
conclu (locus regit actum), sauf si les parties en ont désigné une autre 458. La responsabilité civile
délictuelle est régie par la loi du pays où s’est produit le dommage (lex loci delicti) 459.
La méthode conflictualiste commande de qualifier au préalable une règle de droit ou une situation
de fait, notamment pour savoir s’il s’agit d’une question de fond, de forme ou personnelle. Cette
qualification s’apprécie d’après la lex fori, loi du juge saisi 460. Le juge peut refuser d’appliquer la
loi étrangère que désigne la règle de conflit s’il l’estime contraire à l’ordre public international
français 461 ou constate une fraude à la loi (fraus legis : la loi qui aurait dû trouver application a été
éludée par l’interposition volontaire d’une loi étrangère ou manipulation de l’élément de rattachement
pertinent au regard de la règle de conflit 462).
Droit complexe, subtil et souvent influencé par la doctrine, le droit
international privé a pris de l’importance à la faveur de trois
phénomènes récents : le développement de l’immigration, qui rend
applicables en France des règles provenant de droits étrangers et qui est
le ferment d’une société multiculturelle ; l’essor du commerce
international ; la mondialisation.
À cet égard, deux politiques sont concevables. La tendance nationaliste privilégie les intérêts
français : il faut donner le moins de droits possibles aux étrangers pour les inciter à s’assimiler à la
communauté nationale (condition des étrangers), appliquer la loi française le plus souvent possible
(conflits de lois) et étendre au maximum la compétence des juridictions nationales (conflits de
juridictions). La tendance internationaliste – aujourd’hui dominante après des siècles de
nationalisme juridique – entend développer les rapports internationaux : les Français et les étrangers
ont les mêmes droits, la loi française et la loi étrangère sont obligatoires presque autant l’une que
l’autre ; à un moindre degré, les juridictions françaises et étrangères ont une compétence presque
similaire. À son point extrême, cette doctrine défend l’existence de règles dépourvues de
rattachement national ; ces règles « transnationales » forment la lex mercatoria, sorte de coutume
propre aux marchands et banquiers qui ne se rattache à aucun droit étatique et s’affranchit par ce biais
des conflits de lois 463.

74. Droits mixtes. – Certains droits participent à la fois du droit privé


et du droit public, tels le droit pénal et le droit du travail 464.
1o) Le droit pénal présente des caractères de droit public : seul le
Ministère public (le Parquet) exerce les poursuites (l’action publique),
seul un juge étatique peut infliger une peine, seul l’État peut mettre
celle-ci à exécution : il est un attribut de la souveraineté. Mais il relève
aussi du droit privé dans la mesure où les juridictions compétentes
appartiennent à l’ordre judiciaire et se composent de magistrats qui
raisonnent en civilistes. Les infractions (il en existe plus de 12 000)
accusent une semblable mixité : la loi pénale incrimine aussi bien des
atteintes à la personne ou à des biens privés que des violations de règles
du droit public (droit administratif, de l’urbanisme, de l’environnement,
droit fiscal ou douanier, etc.). « Les lois pénales ou criminelles sont
moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les
autres », disait Portalis 465. Elles s’immiscent dans tous les droits, en
solennisant la règle, en la rendant plus énergique. Mais le droit pénal a
aussi forgé des concepts autonomes (par ex., une définition spécifique
du domicile).
Le droit pénal moderne repose sur des fondements libéraux, réaffirmés par le nouveau Code pénal
(entré en vigueur le 1er mars 1994) : les principes de la responsabilité du fait personnel 466,
d’imputabilité (l’auteur doit jouir d’une faculté d’intelligence et de discernement) 467 et de culpabilité
(sa responsabilité suppose la preuve d’une faute) 468 et d’individualisation de la peine 469. À la
différence des sociétés archaïques 470, il bannit toute idée de vengeance : lorsque nous combattons les
cannibales, nous ne les mangeons pas 471. Indépendamment de la fonction de neutralisation du
délinquant (lorsque celui-ci est privé de sa liberté ou de certains droits), la peine vise à dissuader :
les honnêtes citoyens de passer à l’acte (fonction d’intimidation collective) ; les délinquants de
récidiver (fonction d’intimidation individuelle) ; les victimes de se faire justice à elles-mêmes en
leur procurant le sentiment que l’État leur a rendu justice 472 (fonction rétributive ou de catharsis
sociale). Un courant dit positiviste s’est développé à partir du XXe siècle qui rompit avec cette
approche classique : l’homme n’étant pas libre d’agir mais déterminé par sa physiologie, sa
psychologie et la sociologie, le droit pénal ne devrait pas réprimer le mauvais usage (criminel et
immoral) que l’individu fait de son libre arbitre (qui est inexistant) mais défendre la société contre le
danger qu’il représente ; la loi devrait édicter non des peines mais des mesures de sûreté ou de
« défense sociale » (incarcération, internement, relégation...). Après la Seconde guerre mondiale, un
courant de pensée néo-positiviste dénommé l’École de la défense sociale nouvelle (d’après le titre
de l’ouvrage, paru en 1954, de son fondateur, Marc Ancel 473) assigna au droit pénal la mission de
réinsérer le délinquant dans la société (qui ne devrait pas blâmer son geste) au moyen d’une étude de
sa personnalité et de mesures individualisées de rééducation (notamment en milieu ouvert). Ce
courant humaniste, qu’inspire une foi aveugle en la rédemption du délinquant, tenu (là encore) pour
irresponsable, a influencé la procédure pénale. Mais il n’a pas réduit la délinquance ni le sentiment
d’insécurité ; surtout, il néglige les droits des victimes. Un retour de balancier s’est produit dans les
années 2000 : aux États-Unis puis en Europe, les droits pénaux ont pris le parti des victimes et
emprunté un virage qualifié de répressif, sécuritaire ou « libéral ». Emblématique de cette évolution,
en France, est la loi du 25 février 2008 qui instaure une « rétention de sûreté » susceptible d’être
infligée à des condamnés dangereux ayant purgé leur peine comme à des malades mentaux ayant
bénéficié d’un non-lieu.
La procédure pénale française est, depuis l’Ancien Régime, de nature inquisitoire : la recherche
de la vérité est confiée à un juge d’instruction pourvu de grands pouvoirs (C. pr. pén., art. 81). Au
contraire, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont un système accusatoire, popularisé par les séries
télévisées, qui place à égalité les autorités de poursuite (procureur, police) et la défense. Ce système
est intransposable en France.
2o) Le droit du travail 474 régit les relations de travail (individuelles
ou collectives) nouées entre les employeurs et leurs salariés. Il s’agit de
droit privé puisque le contrat de travail sert de fondement juridique à ces
relations. Mais l’intervention fréquente de l’État (sous la forme de
nombreux règlements ou par le biais d’autorités administratives) et la
place des libertés publiques dans l’entreprise font souvent intervenir le
droit public. Le droit du travail est codifié (dans le Code du travail) mais
la jurisprudence des chambres sociale et criminelle de la Cour de
cassation, ainsi que celle du Conseil d’État, y exercent une grande
influence.

Nos 75-79 réservés.


LIVRE I
ÉVOLUTION DU DROIT CIVIL

80. Rupture et continuité. – Le droit civil a par nature une évolution


lente : il est trop lié aux mœurs pour connaître de violents changements.
Cependant, une profonde transformation s’est jadis accomplie en
France : la codification napoléonienne, qui produisit le Code civil de
1804. Cet événement provoqua une rupture dans notre droit qui le
différencie d’autres systèmes qui, tel le droit anglais, se sont enracinés
dans l’histoire sans discontinuité et sans avoir connu de révolution
analogue à celle de 1789.
La césure napoléonienne ne fut pas totale. Au demeurant, à moins
d’une conquête brutale, le droit n’accomplit jamais de rupture complète
entre le passé et le présent ; la résurgence de courants souterrains en
témoigne 475. Ainsi le droit civil moderne conserve-t-il des liens étroits
avec l’Ancien droit. Il convient de retracer son évolution, avant
(Chapitre I) et après (Chapitre III) la rédaction du Code civil
(Chapitre II).
CHAPITRE I
LE DROIT CIVIL AVANT LE CODE CIVIL

L’histoire du droit civil antérieure au Code civil peut se diviser en


deux phases, de durée très inégale : avant la Révolution s’appliquait
l’Ancien droit (Section I) ; lui succèda le droit de la Révolution, appelé
droit intermédiaire (Section II).

SECTION I
ANCIEN DROIT

81. Un mouvement vers l’unité. – L’histoire de l’Ancien droit


privé 476 pourrait se résumer en une phrase : une évolution qui, à partir
d’une multiplicité juridique originaire, tendit progressivement vers
l’unité. Cet effort d’unification a commencé au Moyen Âge (§ 1) et s’est
accentué à partir de la Renaissance à la faveur du rationalisme juridique
(§ 2) puis de la législation royale (§ 3).

§ 1. MOYEN ÂGE

82. L’unité brisée. – Le droit romain était parvenu à établir une unité
juridique quasi complète au sein de l’Empire, sous réserve d’importants
particularismes locaux (ex. : le droit de l’Égypte n’était pas identique à
celui de la Gaule). Les invasions barbares ont brisé cette harmonie en
bouleversant la communauté latine de langue et de civilisation. Un
morcellement du droit s’ensuivit, en deux étapes : la personnalité des
lois (I) puis la territorialité de la coutume (II).
I. — Personnalité des lois

83. À chacun sa loi. – La personnalité des lois caractérise le régime


juridique du Haut Moyen Âge (jusqu’à la fin du IXe siècle). Après avoir
provoqué la chute de Rome (476), les invasions barbares amenèrent dans
la Gaule romanisée des populations d’origine germanique (Francs,
Burgondes, Wisigoths...). Chacune de ces peuplades avait sa coutume.
Les coutumes germaniques constituaient, par rapport au droit romain, un
droit fruste et rudimentaire. En conséquence, chaque individu demeura
régi par sa loi personnelle, le droit de ses origines (lex originis) : les
barbares par leur coutume 477, les populations romanisées (tels les Gallo-
Romains) par le droit romain. Sans doute, certains rois mérovingiens
(Clovis) ou carolingiens (Charlemagne) parvinrent à rétablir une unité
politique et édictèrent une législation uniforme pour administrer leurs
vastes territoires qui n’aboutit qu’à soustraire le droit public au principe
de la personnalité des lois auquel le droit privé demeura fidèle 478.
Ce système ne suscitait guère de difficultés lorsque les deux parties à un litige étaient de même
origine : il suffisait au juge, au seuil du procès, d’interroger les parties (sub qua lege vivis ?, sous
quelle loi vis-tu ?) et à ces dernières d’indiquer leur loi commune (au moyen d’une professio juris).
Il devenait plus complexe lorsque les parties étaient d’origines distinctes : quelle loi personnelle
appliquer ? La loi du défendeur, en principe, avec de nombreuses exceptions (la loi du mari en
matière de mariage, etc.). De tels conflits de lois subsistent dans des États multiconfessionnels,
notamment au Proche-Orient : dans certaines matières, dites de statut personnel (par exemple, le
mariage, les successions), le chrétien est soumis au droit canonique et le musulman au droit
coranique.
Peu à peu, le système de la personnalité des lois s’effaça devant celui
de la territorialité 479.

II. — Territorialité du droit

84. Plan. – Le principe de la territorialité du droit domine le Moyen


Âge, la féodalité ayant lié la coutume à la terre (A). Mais la frontière
séparant le droit coutumier (B) et le droit romain continua jusqu’à la
Révolution à diviser le territoire du Royaume (C) : d’une certaine façon,
la territorialité a résisté aux forces unificatrices qui s’exerçaient sous
l’Ancien Régime.

A. TERRITOIRES ET COUTUMES

85. Toutes coutumes sont réelles. – Le système de la personnalité


des lois devint progressivement impraticable en raison de l’ignorance
des droits d’origine par les juges, du brassage des populations et devant
la supériorité technique du droit romain. Certains rois barbares firent
même établir des recueils de droit romain (dont la Lex romana
Visigothorum, ou Bréviaire d’Alaric, promulgué en 506, qui s’imposa
dans l’Empire franc) à l’adresse des juges, souvent d’origine
germanique.
Ce fut en vain : vers l’an mil, l’habitude avait été prise de juger les
procès non plus selon la loi personnelle des parties – qui ne
connaissaient plus leur origine exacte – mais d’après la loi applicable
dans la terre où siégeait le tribunal (la lex fori ou loi du for). La
personnalité des lois céda la place au régime plus simple de la
territorialité du droit : tout individu, quelle que fût son origine, était
soumis à la règle du lieu (consuetudo loci) où il était jugé. Le droit
romain, quant à lui, régressa et demeura sous une forme vulgaire
jusqu’au Xe siècle.
Cette mutation eut pour cause un événement historique capital : le démembrement de la
souveraineté et l’essor corrélatif de la féodalité. Du traité de Verdun (843), qui partagea l’empire de
Charlemagne entre ses trois petits-fils (Charles le Chauve recueillant les territoires de la Francia
occidentalis), jusqu’à l’avènement de Hugues Capet (987), la hiérarchie féodale se désagrégea. Au
rythme des révoltes successives de chaque vassal et sous-vassal contre son feudataire, le Royaume se
morcela en principautés, duchés, comtés, vicomtés et, à l’étage inférieur de la pyramide féodo-
vassalique, en une myriade de seigneuries châtelaines. Vers l’an mil, les châtellenies, refermées sur
elles-mêmes, constituaient les seules structures de la vie sociale, politique et économique. À
l’intérieur de son domaine, le seigneur exerçait un « pouvoir de ban », source de prérogatives
fiscales, militaires et judiciaires. À ce titre, sa terre (districtus) se confondait avec le ressort de
compétence d’une juridiction de « haute justice » (que le châtelain rendait en personne ou par
l’intermédiaire de son représentant, le prévôt) et délimitait le champ d’application d’une coutume
spécifique : désormais, « toutes coutumes sont réelles », liées à un district seigneurial. Le système
de la personnalité des lois avait vécu. Le morcellement de la société féodale entraîna une autre
fragmentation du droit, spatiale, et non plus personnelle.
La territorialité du droit présentait de sérieux inconvénients. Elle
créait une forte insécurité juridique pour les immigrés et les
commerçants venus d’ailleurs. En outre, le « droit d’aubaine » permettait
au seigneur d’appréhender la succession d’un étranger (l’« aubain », du
francique aliban, celui qui appartient à un autre ban) décédé sur son
territoire.
À Bartole, juriste italien du XIVe siècle, revient le mérite d’avoir rendu à chacun son dû en fondant
la théorie dite des statuts. La naissance, le mariage, la filiation, la personne devenaient régis par le
statut personnel ; les biens, au contraire, relevaient du statut réel parce qu’ils ne touchaient ni à
l’intimité, ni à la permanence de la personne 480. Le droit international privé moderne était né 481.

B. LE DROIT COUTUMIER

86. Âge d’or de la coutume. – Le haut Moyen Âge fut l’âge d’or de
la coutume. Entre les derniers capitulaires carolingiens au IXe siècle et
les premières ordonnances des rois de France au XIIe siècle s’étendit une
période de décadence politique et culturelle au cours de laquelle la
législation et l’écrit n’existaient plus que chez les clercs. Victime de cet
illettrisme, le droit romain sombra dans un quasi-oubli, sauf quelques
vestiges, tel le Bréviaire d’Alaric (où le droit romain était mal compris).
Dès lors, la coutume demeura l’unique source du droit laïc, seule apte à
régir les rapports entre les hommes, qu’il s’agît de rapports de vassalité
(entre les nobles) ou de servage.
Le droit canonique subsista (les tribunaux ecclésiastiques profitant de la décomposition des
juridictions laïques pour étendre leur compétence) en tant que seul droit écrit et savant. Mais il ne
s’appliqua qu’aux ecclésiastiques (en vertu du privilegium fori ou privilège de clergie) et à certaines
matières religieuses par nature (par ex., le mariage – qui est un sacrement –, la violation d’un serment
et certaines infractions contre la religion – hérésie, sacrilège, usure, adultère...).
87. Définition et source de la coutume. – La coutume se définit
comme un ensemble d’habitudes, d’usages continuellement suivis et
répétés dans un groupe social ou sur un territoire donné, devenus peu à
peu obligatoires. Le fondement de ce caractère contraignant reste obscur.
Certains auteurs évoquent l’effet de la prescription acquisitive ou d’une
convention tacite 482, autant de concepts inadéquats puisque empruntés
au droit romain. Selon la théorie dite romano-canonique, la coutume
n’aurait eu autorité qu’en vertu de la patientia principis, une permission
tacite et générale du Prince. Cette construction était aussi habile
politiquement qu’inexacte historiquement 483 : la coutume ne devait pas
sa genèse au pouvoir royal.
L’autorité juridique du droit coutumier, comme son contenu, ne pouvait résulter d’un acte implicite
et fictif du souverain. Elle découla toujours d’attitudes populaires : la coutume puisa avant tout sa
juridicité dans la force de la tradition, dans le respect que les hommes portent spontanément à leurs
ancêtres. Les coutumes venaient donc du peuple, du moins le peuple tel que les praticiens le faisaient
parler. Elles ne venaient ni du roi ni de ses vassaux (ducs, comtes) qui, selon certains auteurs, ne
devaient pas interférer dans leur genèse 484. Il importa peu que le roi se fût réservé le droit d’abroger
les coutumes « mauvaises » et non « raisonnables » (abominabilis, corruptela, execrabilis,
inhonesta), c’est-à-dire archaïques et contraires à la raison ou à la foi chrétienne (à l’ordre public,
en termes plus modernes) 485.

88. Rédaction des coutumes. – Lors de sa formation 486, la coutume


n’est pas écrite ; elle n’est pas même orale, puisqu’elle ne s’énonce pas.
En revanche, sa transmission est orale et, progressivement, elle fut
écrite. Ce fut à ce stade qu’une intervention royale devenait possible.
Ainsi, à partir du XIIIe siècle, des « coutumiers » furent rédigés à
l’initiative plus ou moins personnelle de magistrats du roi (tel
Beaumanoir) soucieux de fixer le droit qu’ils étaient tenus d’appliquer
dans leur ressort 487. Puis, en 1454, à la fin de la guerre de Cent Ans, la
rédaction des coutumes fut imposée dans tout le royaume par
l’ordonnance de Montils-lès-Tours. Le roi Charles VII souhaitait
résoudre les difficultés que rencontraient les plaideurs pour administrer
la preuve de la coutume applicable, « par quoy les procez sont
souventesfoiz moult allongez, et les parties constituées en grands frais
et despens », et, en outre, conférer une stabilité à leur contenu, « car
souventesfois advient que les parties prennent coutumes contraires en
un mesme pays, et aucunesfoys les coustumes muent et varient à leur
appétit » 488. Les défauts du droit coutumier étaient manifestes. La
rédaction des coutumes, qui devaient ensuite être soumises à
homologation royale, se heurta d’abord à des résistances locales. Un
assouplissement de la procédure par une ordonnance de 1497 et l’ordre
maintes fois renouvelé (par Charles VIII, Louis XII...) de rédiger les
coutumes aboutirent à la publication de textes importants tout au long
du XVIe siècle 489.
L’importance en droit privé de la coutume, des « droits savants » (essentiellement le droit romain
et, à un moindre degré, le droit canon) et des ordonnances royales a récemment été controversée chez
les historiens du droit. Pendant longtemps, l’opinion dominante a été que la coutume avait un rôle
quasi exclusif en droit privé, la monarchie n’intervenant que pour corriger les mauvaises coutumes.
Le maurrassisme avait justifié cette timidité de la monarchie, estimant que le pouvoir royal était
respectueux du pluralisme normatif et des libertés régionales. Ces temps derniers, cette thèse a été
combattue, en estimant que dès le XIIIe siècle la monarchie avait exercé son pouvoir sur le droit privé.
Aujourd’hui, la controverse paraît apaisée. Le maurrassisme n’est plus en odeur de sainteté, mais la
majorité des historiens continuent à penser que pendant tout l’Ancien droit la coutume était la source
majeure du droit privé et que les interventions royales avaient pour mission essentielle de les
conserver, rarement de les modifier et qu’elles devenaient alors souvent ineffectives.

89. Qualités et défauts de la coutume. – Le droit coutumier


présentait de grands avantages : proche de la vie populaire, pragmatique,
réaliste, s’adaptant à la diversité des conditions, des situations et des
mentalités, il était multiforme ; disparaissant lorsque la pratique tombait
en désuétude, naissant de façon spontanée lorsqu’une pratique inédite
se faisait jour, il était en perpétuel mouvement ; politiquement, il était
l’expression d’une liberté.
Au fil du temps, le droit coutumier a acquis plusieurs défauts : la
diversité, la rigidité et l’incertitude. Le mot « coutume » subsista mais
pour désigner une réalité différente.
1) La diversité, tout d’abord. Environ 600 coutumes territoriales
s’appliquaient dans la France septentrionale. Cette variété était une
entrave au commerce. Ce ne fut qu’à partir du XVIe siècle que la coutume
de Paris et le droit romain jouèrent un rôle directeur, subsidiaire
et supplétif, permettant de promouvoir le commencement d’un droit
commun national 490. Néanmoins, à la veille de la Révolution,
65 coutumes générales (à l’échelle d’une province) et 300 coutumes
locales (à l’échelle d’une ville ou d’un bourg) demeuraient applicables.
Selon le mot de Voltaire, « en voyageant en France, on changeait aussi
souvent de lois que de chevaux » 491.
2) La rigidité, ensuite, une fois la coutume rédigée. Le fait qu’une
pratique eût été constamment suivie ne garantissait ni sa justice, ni son
utilité. Au demeurant, comment croire qu’une règle tournée vers le passé
puisse être vivante ? À ce titre, après que sa rédaction et sa relative
unification seront achevées au XVIe siècle, le droit coutumier apparaîtra
vite sclérosé et inadapté aux évolutions socio-économiques. Dans
plusieurs domaines (mais non tous), la législation royale et la
jurisprudence des Parlements le supplanteront.
3) Enfin, l’incertitude de son contenu – lui-même fluctuant selon les
tribunaux et les procès – dont la preuve était difficile à rapporter 492.
Jusqu’au XIIIe siècle, la preuve de la règle de droit se confondait, dans le procès, avec la preuve
des faits, dans la mesure où les moyens de preuve étaient irrationnels (ordalies de l’eau ou du feu,
duel judiciaire, serment...) et offraient une solution globale au litige. À partir du XIIIe siècle, la preuve
devint rationnelle : la vérité était recherchée non au travers d’un jugement de Dieu mais au moyen de
témoignages, d’écrits, d’un aveu (fût-il obtenu sous la torture, comme en matière pénale). Le fait et le
droit s’établissaient alors de façon distincte. La coutume, en particulier, se prouvait au moyen d’une
« enquête par turbe » 493. Enfin, après que les coutumes furent mises par écrit et stabilisées, il fut
interdit de prouver contre leur contenu (ce qu’affirmait déjà l’art. 125 de l’ord. de Montils-lès-
Tours). L’enquête par turbe fut, en conséquence, supprimée en 1667 494.
À la Révolution, un Bulletin des lois apparut, ancêtre du Journal officiel de la République
française, publiant les lois.

C. PAYS DE DROIT COUTUMIER, PAYS DE DROIT ROMAIN


ET DROIT CANONIQUE
90. Recul de la féodalité. – Le Bas Moyen Âge vit une mutation
considérable se produire dans la société féodale. L’affermissement
progressif de la souveraineté royale à partir de Philippe-Auguste (1180-
1223), l’expansion agricole, le renouveau des villes (disposant de leur
propre droit urbain), le développement du commerce (notamment au
travers des foires), l’essor des sciences (à la faveur de traductions en
latin d’ouvrages de savants grecs, souvent à partir de leur version arabe)
permirent une renaissance juridique qui se produisit à la faveur d’un
double miracle.

91. Renaissance du droit romain. – À la fin du XIe siècle, vers 1090,


le Digeste (autrefois dénommé Pandectes), pièce maîtresse de la
codification (Corpus juris civilis) promulguée par l’Empereur Justinien
entre 529 et 534 ap. J.-C., qui réunissait selon un ordre cohérent un
millénaire de droit romain 495, fut redécouvert en Italie (deux manuscrits
réapparurent à Pise, la Littera Pisana, puis à Florence, la Littera
fiorentina). Dès le début du XIIe siècle, alors que l’Italie du Nord
connaissait un fort essor commercial et culturel, l’enseignement du
Corpus débuta à Bologne. Il fut dispensé par des glossateurs qui se
livrèrent à des commentaires (la « glose » 496) sur le texte latin
(notamment Irnerius, fondateur de l’École de Bologne, Azon et surtout
Accurse 497).
Au XIVe siècle, les post-glossateurs (Bartole et ses épigones, les
bartolistes) remirent à l’honneur la méthode scolastique, employant les
arguments de la rhétorique et de la dialectique grecques, que les
théologiens (notamment Abélard) appliquaient à leur façon aux textes
chrétiens 498. Adoptant une interprétation relativement libre du Corpus,
au fil de controverses souvent fastidieuses (disputationes) mais
constructives, ils témoignèrent d’un plus grand souci à l’égard des
besoins de la pratique et élaborèrent d’ingénieuses théories afin
d’adapter progressivement le droit romain aux réalités médiévales 499.
92. Révolution du droit canonique 500. – À la même époque, le droit
canonique connut sa propre révolution. Plusieurs « collections »
systématiques de ses règles avaient été élaborées dès le VIe siècle, puisant
à ses différentes sources (décrétales des papes, canons des conciles,
écrits patristiques, capitulaires francs, voire extraits du Digeste 501...).
Elles trouvent leur parachèvement vers 1140 dans l’ouvrage d’un moine
de Bologne, Gratien : le Decretum, intitulé « Concordia discordantium
canonum » (l’harmonisation des règles discordantes). Il s’agit d’un
recueil méthodique de 3 900 fragments puisés aux différentes sources du
droit canonique après que Gratien en eut évacué les thèmes purement
théologiques ainsi que les écrits apocryphes, puis critiqué, interprété,
harmonisé et systématisé le contenu. Dans les universités naissantes
(Bologne, Paris, Montpellier, Orléans 502, Oxford, Prague...),
l’enseignement du droit romain consistait en un commentaire du Code
de Justinien et l’enseignement du droit canonique en l’étude du Décret
de Gratien (par les « décrétistes ») 503.
Dans les matières relevant de sa compétence 504, le droit canon offrit un droit commun à l’Europe
chrétienne médiévale. Animé par le souffle de l’équité 505, son influence sur les droits laïcs fut
notable, du moins jusqu’à la Réforme qui marqua, au XVIe siècle, le début de son déclin. En France, il
contribua à substituer en matière contractuelle le principe du consensualisme, fondé sur le respect de
la parole donnée, au strict formalisme hérité du droit civil romain 506.

93. Frontières du droit écrit et du droit coutumier. – La


renaissance du droit romain dans un pays régi jusqu’alors par les
coutumes aboutit, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, à un partage de
la France entre ces deux grandes traditions juridiques. Au sud d’une
ligne sinueuse reliant approximativement La Rochelle à Genève se
situaient les « pays de droit écrit » où dominait le droit romain ; celui-ci
avait pu s’implanter profondément dans les régions méridionales,
fortement romanisées sous l’Empire et tardivement conquises par le roi
de France. Au nord étaient les « pays de droit coutumier » ; l’influence
des coutumes germaniques s’était davantage exercée dans ces contrées
septentrionales, moins romanisées, où Philippe-Auguste put proclamer
dès le XIIIe siècle la primauté du droit coutumier sur le droit romain.
Cette frontière, géographique et juridique, était aussi sociale (gens du midi, gens du nord) et
linguistique (langue d’oc, langue d’oïl). Elle laissa cependant libre cours à des influences
réciproques 507. En réalité, plus qu’une pluralité de systèmes, il existait une pluralité de sources (droit
romain, droit canonique, droit coutumier) invoquées le cas échéant de façon simultanée devant un
même tribunal 508.
Néanmoins, le droit romain jouissait d’un immense prestige. En pays de coutume, à défaut d’être
directement applicable (comme lex scripta), il était considéré comme la ratio scripta, la raison
écrite, compte tenu de ses qualités : il s’agissait d’un droit commun à tous les juristes formés dans les
universités (les « légistes ») depuis les glossateurs, plus complet et plus perfectionné que les droits
locaux. Il exerça à ce titre une puissante influence sur la formation du droit coutumier 509 comme sur
celle du droit canonique, qu’il suppléait, sans les supplanter.

§ 2. TRIOMPHE DE LA RAISON

94. Élan vers l’unité. – Du XVIe au XVIIIe siècle, la pensée juridique


connut un nouvel élan, sous le règne de la Raison. Le siècle de la
Renaissance marqua un progrès vers l’unité et un recul de la diversité,
caractéristique du droit privé médiéval (I). Mais ce fut au siècle des
Lumières que le rationalisme juridique atteint son apogée (II).

I. — La Renaissance (XVIe siècle)

95. Romanistes et humanistes. – Le XVIe siècle est le siècle de


l’humanisme, par la redécouverte de l’Antiquité. La langue barbare
(latin de cuisine), les sophismes, l’esprit chicaneur, les distinctions
oiseuses et les contradictions permanentes des glossateurs et des
bartolistes furent caricaturés et dénoncés, jusque dans l’œuvre de
Rabelais 510. Les humanistes (tels Guillaume Budé et Jacques Cujas)
dénonçaient leur ignorance de la langue, de l’histoire, de la société, de
la littérature, des idées, des institutions grecques et romaines.
S’appuyant sur l’étude de ces disciplines, l’École historique ou
humaniste entreprit de purifier les sources écrites du droit romain – que
d’innombrables interpolations (ajouts et remaniements du texte) étaient
venues polluer – et d’arracher la mauvaise herbe, c’est-à-dire la glose.
Cujas (1522-1590), en particulier, connaisseur érudit des lettres et de
l’histoire romaines, s’efforça de reconstituer et de rétablir dans leur
version originale les écrits des jurisconsultes romains (connus jusque-là
au travers de fragments épars et de textes interpolés dans le Digeste)
qu’il commenta et publia. Ce fut la seconde renaissance du droit romain.
Cependant, si admirables fussent-ils, le purisme extrême et le minutieux travail philologique des
humanistes aboutirent à l’exhumation d’un droit antique (antérieur à Justinien, le plus proche possible
de la Loi des XII Tables) inadapté aux besoins de la société du XVIe siècle 511. Un autre courant de
pensée, l’École du droit romain appliqué (Doneau, Le Douaren, Hotman) reconnut au contraire au
droit une dimension pratique (comme les bartolistes) et s’efforça de reconstruire le droit romain
autour de principes généraux, alors que Cujas se confinait dans l’analyse abstraite. À ce souci
d’efficacité pratique s’ajouta une volonté « nationaliste » de promouvoir un système juridique clair et
cohérent, propre à la France et distinct du droit romain 512.

96. École du droit coutumier. – Dans cette même visée nationaliste


et rationaliste, d’autres auteurs (Dumoulin, d’Argentré, Coquille,
Loysel) exaltèrent le droit coutumier en ce qu’il représentait, par
excellence, le droit du peuple français et exprimait, par nature, un corps
de règles simples et pragmatiques. Cette École du droit coutumier
s’attela alors à l’édification d’un droit commun coutumier, cohérent
et systématique 513, alors que la rédaction des coutumes générales
commençait à prendre figure 514. À partir du XVIIe siècle, la recherche de
principes communs prit essentiellement pour guide la Coutume et la
jurisprudence du Parlement de Paris 515. Celle-là devint alors la
« coutume princesse » ou « généralissime » (Catherinot), une source
subsidiaire de droit dans le Royaume 516.
Les auteurs de droit coutumier ont ainsi exercé une influence durable,
en dépit de l’impossibilité de parvenir à une unité normative. Mais
l’idée d’un droit commun continuera à hanter les esprits jusqu’à la
Révolution 517.
97. Controverse sur le droit commun : droit romain ou droit coutumier ? – Le « droit
commun » a suscité une controverse chez les historiens du droit. Selon la tendance dominante, surtout
chez les auteurs contemporains, le droit commun était constitué par les coutumes ; le droit romain, lui,
était suspect de porter atteinte au pouvoir royal au profit de l’empereur d’Allemagne 518. Aujourd’hui,
au contraire, plusieurs auteurs lient le droit commun au droit romain à cause de sa perfection
technique 519. D’autres pensent qu’il n’existait pas de corpus du droit fédérateur ; la coutume serait
restée la source principale mais en se « jurisprudentialisant » et en se provincialisant 520. Cependant,
le droit romain avait toujours, même dans la France septentrionale, valeur de raison écrite.

98. Du droit commun au droit européen 521 ? – Le droit romain,


qu’il fût directement applicable ou invoqué à titre de ratio scripta en
pays de coutume 522, a constamment servi de modèle de référence aux
juristes, qu’ils fussent légistes (au service des souverains) ou
magistrats 523. Son influence s’est répandue dans tous les droits de
l’Europe occidentale, par le biais de son enseignement dans les
universités. Elle fut prépondérante en France et, surtout, en Italie ou en
Allemagne 524, faible en Grande-Bretagne (appliquant la Common Law)
ou dans les pays scandinaves. De même, elle fut décisive en droit des
obligations mais de moindre portée en droit des biens ou des
successions. Un jus commune partiel s’était constitué au XVIe siècle.
Au fil du temps, certains systèmes nationaux se sont émancipés de cette matrice commune, comme
le droit français. En revanche, d’autres ont gardé la marque profonde du droit romain, en particulier
le droit allemand 525. L’Europe moderne est ainsi caractérisée par un mélange d’unité et de diversité,
tant juridiques que culturelles.
La « science des Pandectes » (Pandektenwissenschaft) 526 a développé au XIXe siècle chez les
juristes allemands un vif penchant pour le systématisme et l’abstraction, ce qui explique l’importance
de la partie générale du BGB, à la différence du Code Napoléon dont le Titre préliminaire est
rudimentaire et le Livre préliminaire conçu par Portalis fut retiré du projet initial au motif qu’il
énonçait des vérités doctrinales n’ayant pas leur place dans un code 527.
Si des législations disparates ont éclos dans les États, la doctrine
contemporaine, dans la lignée des juristes savants de la Renaissance,
poursuit à nouveau l’idéal d’un droit unitaire à l’échelon européen sinon
international. Des codes privés ont ainsi été rédigés afin de susciter une
(ré)unification du droit des contrats 528. Celle-ci n’est envisageable que
parce que le droit romain a autrefois introduit des concepts et un
langage juridiques communs dans les systèmes continentaux. Peut-être
le futur et éventuel ordre juridique méditerranéen, actuellement
envisagé, aura-t-il le droit romain pour socle 529 ? Mais l’échec des
« printemps arabes » à partir de 2011 (en Égypte, Syrie, sauf peut-être
en Tunisie) a compromis ce projet qui est devenu une utopie.

II. — XVIIe et XVIIIe siècles

99. École du droit naturel. – Au XVIIe siècle, l’École du droit naturel


(ou du droit de la nature et des gens) posa en postulat que le droit tout
entier devait se déduire, par la seule raison, de la morale. Adoptant
comme fondements du droit les trois axiomes éthiques des Stoïciens 530,
le Hollandais Hugo de Groot (dit Grotius) développa en 1625 un droit
naturel indépendant de tout autre ordre de réalité, qui existe « quand
même on accorderait qu’il n’y a point de Dieu » et auquel il ne « peut
rien changer » 531. Ce droit universel et immuable 532 était donné par la
raison qui nous enseigne qu’une action est morale ou immorale 533.
Les jusnaturalistes (Grotius, Hobbes, Pufendorf...), comme Leibniz 534, cultivaient à nouveau
l’idéal platonicien d’une science absolue, détachée du sensible, purement déductive, engendrée par la
raison humaine. Cet idéal a été atteint en physique par Newton 535. Descartes en fournit le modèle
dans son Discours de la méthode (1637) 536. Les juristes savants, épris d’ordre et de logique, rêvent
de reproduire ce miracle en droit 537.

100. Domat et d’Aguesseau. – Cette ambition caractérisa l’ouvrage


de Jean Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel (1690-1697),
dans lequel l’auteur se proposait d’assembler les lois civiles (c’est-à-
dire le droit romain) dans un « ordre simple et naturel, qui en forme un
corps », c’est-à-dire de « composer une science », soit une méthode
rationnelle, cartésienne : même s’il est imprégné de la morale chrétienne
(Domat était un ami de Pascal), Domat distinguait entre les matières et
leurs différentes parties, dégageait en chacune des définitions, des
principes et des règles de détail, « n’avançant rien qui ne soit ou clair
par soi-même ou précédé de tout ce qui peut être nécessaire pour le
faire entendre » 538.
Ordonné comme un jardin à la française, le droit civil se préparait à sa
codification. Au XVIIIe siècle, le chancelier de Louis XV, Henri-François
d’Aguesseau (ou Daguesseau), admirateur de Domat, soutiendra le
projet d’un Code du droit français, seulement esquissé dans trois
ordonnances (sur les donations, les testaments et les substitutions) 539.
En avril 1679, l’ordonnance de Saint-Germain rétablit à l’université de Paris l’enseignement du
droit romain (interdit par la décrétale Super Specula en 1219, sous Philippe-Auguste, par rejet de
l’autorité de l’empereur du Saint-Empire romain germanique) et institua dans chaque université un
enseignement de « droit français contenu dans les ordonnances et les coutumes ». Cette chaire resta
parée de moins de prestige que celles de droit romain 540.

101. Perte d’influence de la doctrine. – La qualité de la pensée


juridique française entre le XVIe et le XVIIe siècle ne doit pas dissimuler la
perte d’influence qu’elle connut alors, sauf quelques exceptions.
Immergés dans le passé, bannissant le droit positif de leurs
enseignements universitaires, les auteurs de l’Ancien droit – romanistes
surtout – ont fini par rompre le lien séculaire qui les unissait à la
pratique et au pouvoir : « en affectant le plus grand dédain pour les
faits et les situations concrètes, pour se consacrer exclusivement à
l’application mécanique de principes généraux [...], la doctrine a
définitivement renoncé à la fonction que, depuis la Rome classique, elle
partageait avec la magistrature : la “prudence”, l’art de découvrir le
juste dans chaque cas déterminé » 541. La raison logico-déductive et
géométrique est désormais reine ; les légistes dédaignent la vision
empirique et pragmatique du droit qui caractérisait les jurisconsultes
romains, les bartolistes et les canonistes.
Le divorce est consommé en sens inverse : la pratique se détourne
progressivement du droit romain, témoignant d’un plus grand
attachement au droit coutumier. Surtout, la monarchie, au moyen des
ordonnances royales, et les Parlements, par leur jurisprudence,
acquièrent à la place des professeurs de droit un rôle prééminent dans
l’édiction du droit. Le pouvoir politique et intellectuel échappe aux
jurisconsultes qui, enfermés dans leur discipline, demeureront à l’écart
de la révolution philosophique des Lumières.
À Rome, au contraire, les jurisconsultes avaient acquis une autorité considérable 542.

102. Pothier 543. – Un conciliateur, entre la théorie et la pratique et


entre le droit romain et le droit coutumier, vit le jour en 1699 : Robert-
Joseph Pothier.
Auteur d’un commentaire sur la coutume d’Orléans 544 puis d’une mise
en ordre rationnelle du Digeste 545, s’inspirant des écrits de ses
prédécesseurs immédiats et lointains, Pothier publia de nombreux traités
(dont son Traité des obligations, en 1761) autant de convergences entre
courants coutumiers et romanistes. La forme était méthodique
(définitions, axiomes, principes généraux, déductions... précédaient
l’exposé des règles particulières) et la visée était unitaire (en quête de
règles communes mais également conformes à la raison et à l’équité).
Son œuvre ne possédait aucune originalité et était assez ennuyeuse mais
d’une grande clarté.
Il était professeur (titulaire de la chaire de droit français à la faculté d’Orléans) et praticien
(conseiller au présidial de cette même ville) ; comme Pascal, Domat et d’Aguesseau, il était chrétien,
janséniste et gallican. Il a acquis le surnom de « père du Code civil » 546, tant les rédacteurs de ce
code l’ont copié.

§ 3. LÉGISLATION ROYALE

103. Essor : ordonnances et Parlements. – 1º) Les premières lois


du roi, apparues au XIe siècle, se bornaient à abroger ou confirmer des
coutumes ou bien concédaient des chartes de privilèges. À partir du
milieu du XIIe siècle, les ordonnances (d’abord nommées établissements)
se multiplièrent pour former, au XIVe siècle, une véritable législation
royale dont l’application s’étendit au royaume entier. Elles ne régirent
toutefois que son organisation administrative, judiciaire, fiscale ou
militaire, soit le droit public ; le droit privé demeura pour l’essentiel
coutumier.
À partir de la Renaissance, au XVIe siècle, alors que la monarchie se
renforçait et devenait absolue, le roi se proclama « loi vivante », source
unique de toute législation 547. Assisté de son chancelier, de ses ministres
et de son Conseil, il légiféra selon son bon plaisir, se situant au-dessus
des lois (Princeps legibus solutus est 548).
2º) Néanmoins, les Parlements conservaient un rôle majeur : une
ordonnance n’acquérait en effet force obligatoire qu’après y avoir été
enregistrée. Or, ces cours souveraines, se déclarant investies de la
mission de veiller au respect des « lois fondamentales du Royaume »
(sortes de constitution non écrite), s’arrogèrent le droit de refuser tel ou
tel enregistrement en adressant des « remontrances » au roi. Celui-ci
pouvait surmonter l’obstacle en rédigeant une « lettre de jussion » et, en
cas de refus persistant, en tenant un « lit de justice » (il se rendait en
personne au Parlement pour y ordonner l’enregistrement).

104. Bilan. – La première ordonnance intéressant le droit privé fut


celle sur les prescriptions extinctives de Louis XII en 1510 (celles-ci
furent reprises en 1804 à l’art. 1304, toujours en vigueur et pour les
courtes prescriptions, aux art. 2271 et s. anciens du Code civil). Parmi
les textes majeurs :
— l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François Ier en 1539 (instaurant notamment une procédure
pénale de type inquisitoire et dont l’art. 111 impose l’usage du « langage maternel français » dans
les contrats, registres, jugements et tous actes de procédure – toujours en vigueur 549) ;
— les ordonnances du Chancelier Michel de l’Hospital, dont celle de Moulins en 1566 (à
l’origine de l’art. 1341, devenu art. 1359 du C. civ. 550) ;
— les ordonnances de Colbert, sous Louis XIV (ordonnance civile « touchant la réformation de
la justice » d’avril 1667, largement reprise dans le Code de procédure civile de 1806 et, s’agissant
des règles de preuve, dans le Code civil de 1804 ; l’ordonnance criminelle de 1670, qui inspirera le
Code d’instruction criminelle de 1808 ; l’ordonnance sur le commerce de 1673 ou « Code Savary »
et celle sur le commerce des mers de 1681, qui inspireront le Code de commerce de 1807 ;
l’ordonnance touchant la police des Îles de l’Amérique de 1685, le « Code noir ») ;
— les ordonnances du Chancelier de Louis XV, D’Aguesseau (ordonnances sur les donations de
1731 et sur les testaments de 1735, reprises par extraits dans le Code civil).
Colbert 551 et D’Aguesseau 552 poursuivaient l’idéal d’une codification
systématique du droit français 553. Les philosophes des Lumières 554 (à
l’exception de Montesquieu 555) ont soutenu le même projet qui,
cependant, s’est avéré irréalisable dans les institutions de l’Ancien
Régime 556. Jusqu’en 1789, le droit privé demeura essentiellement
coutumier, au contraire du droit public, principalement issu des
ordonnances royales.

SECTION II
DROIT INTERMÉDIAIRE

105. Révolution française. – La période comprise entre le 17 juin


1789 (mutation des États généraux en Assemblée nationale constituante)
et le 21 mars 1804 (promulgation du Code civil par la L. 30 ventôse
an XII), transitoire entre l’Ancien droit et le droit moderne, s’appelle le
droit intermédiaire. Elle recouvre la Révolution (1789-1799) et le
Consulat (1799-1804).
La Révolution française opère, dans la technique législative, une révolution linguistique
considérable : le style acquiert une clarté qu’il n’avait pas, même dans les ordonnances de
d’Aguesseau ; cette limpidité, qui se retrouve dans le Code civil, est sans doute due au fait que la
langue française a atteint sa plus grande élégance à la fin de XVIIIe siècle. En outre, les nouvelles
institutions sont marquées par une réminiscence de l’antiquité grecque et surtout latine (ex. :
l’adoption, la puissance paternelle, sans parler, en droit public, des préfets et des consuls) 557.
La Révolution a surtout bouleversé le droit public en affirmant la
souveraineté de la nation et instituant un régime représentatif
respectueux de la séparation des pouvoirs. Le droit civil n’en a pas
moins connu des réformes profondes, animées par la volonté de détruire
un ordre ancien abhorré et de rebâtir une société nouvelle 558.
106. Rupture. – La législation civile révolutionnaire rompt avec
l’ordre et le droit anciens au nom de trois idéaux révolutionnaires : la
haine de la féodalité, l’attachement à la liberté et à la Nation, la
sécularisation.
1º) Haine de la féodalité. La suppression des droits féodaux et de
tous les privilèges (adoptée dans la nuit du 4 août 1789 par l’Assemblée
nationale) a eu des conséquences considérables sur le régime de la
propriété 559 ; l’absolutisme reconnu au droit de propriété pénétrera dans
le Code civil (art. 544). La haine de la féodalité s’est aussi traduite par
un principe d’égalité entre les personnes (par ex. en droit des
successions).
2º) Attachement à la liberté et à la Nation. La suppression des
corporations, jurandes et maîtrises par la loi d’Allarde (L. 2-17 mars
1791) puis l’interdiction de toute forme d’action sociale collective
(coalitions d’ouvriers, associations syndicales...) par la loi Le Chapelier
(L. 14-17 juin 1791) vont de pair avec une affirmation de la liberté du
commerce et de l’industrie (c’est-à-dire du travail) 560. L’idéologie n’est
pas tant libérale que nationale : par-dessus tout, entre l’homme et l’État,
nul corps intermédiaire ne doit s’interposer qui pourrait diviser la
Nation.
3º) Sécularisation. Après l’élection de la Convention le
21 septembre 1792, la compétence en matière d’actes d’état civil est
retirée aux paroisses 561 et le divorce légalisé 562. Cette réforme a eu pour
conséquence de soustraire le droit de la famille à l’autorité
ecclésiastique et le soumettre à un ordre purement civil.
Le droit intermédiaire opéra d’autres réformes du droit civil, sous la Convention, le Directoire
(27 oct. 1795-9 nov. 1799, entre l’an III et l’an VIII), puis le Consulat, relatives aux enfants naturels
(L. 12 brumaire an II, mettant ceux-ci à égalité avec les enfants légitimes), aux successions
(L. 17 nivôse an II, après que le D. 8 avril 1791 eut supprimé le droit d’aînesse et proclamé l’égalité
du partage), aux hypothèques (L. 9 messidor an III), à la publicité foncière (L. 11 brumaire an VII), à
la monnaie (l’effondrement du papier-monnaie donna lieu à 15 lois de réévaluation monétaire entre
l’an IV et l’an VI). Cette législation n’a pas inspiré le Code civil. Son influence transparaît dans
certaines réformes postérieures (not. de l’hypothèque et de la publicité foncière par la L. 23 mars
1855, sous le second Empire), voire contemporaines (du divorce par la L. 11 juill. 1975 ; de la
filiation par la L. 3 janv. 1972).

107. Reconstruction. – Les tentatives d’édifier un ordre nouveau par


des mesures fragmentaires se sont rapidement avérées vaines. La
nécessité est apparue de rédiger un code qui unifierait le droit civil en
France et assurerait l’unité de l’État autour de l’idéologie
révolutionnaire 563.
L’entreprise fut engagée dès 1790 par une décision de l’Assemblée
constituante 564. Quatre projets de code furent présentés, dont trois par le
tenace Cambacérès en 1793, 1794 et 1796 et un par Jacqueminot en
1799. La Convention jugea les deux premiers trop puis pas assez longs
ni révolutionnaires. Le troisième ne retint guère l’attention sous le
Directoire tout comme le quatrième (incomplet) sous le Consulat 565. Il
n’avait manqué à Cambacérès ni la science ni la persévérance ; l’échec
de la codification des lois civiles sous la Révolution 566 s’explique par un
manque d’énergie et de volonté politiques.
Cette volonté, Bonaparte l’a eue après le coup d’État du 18 brumaire
an VIII (9 nov. 1799), substituant le Consulat au Directoire.

Nos 108-119 réservés.


CHAPITRE II
LE CODE CIVIL

Le Code civil est un des fleurons de notre patrimoine national, comme


le Château de Versailles ou Molière. Il a profondément transformé notre
société en transcendant ses conflits 567. Une première vue sur le Code
civil inspire deux idées : sa rédaction fut l’œuvre d’une volonté
énergique (Section I) ; son contenu incarne un esprit de conciliation
(Section II).

SECTION I
VOLONTÉ D’UN CODE CIVIL

La confection du Code 568 civil a connu une brève phase technique,


correspondant à la rédaction du projet, puis une longue phase politique,
conduisant à son adoption.

120. Phase technique. – La Constitution de l’an VIII institua le


Consulat et Cambacérès devint second Consul, aux côtés de Bonaparte.
Par arrêté du 24 thermidor an VIII (12 août 1800) fut créée une
« Commission du gouvernement » composée de quatre membres 569.
Une moitié était originaire de pays de droit écrit (Jean-Étienne-Marie Portalis [1745-1807],
l’esprit le plus profond et le plus brillant 570, et Jacques de Maleville, secrétaire de la Commission),
l’autre de pays de droit coutumier (François Tronchet, l’avocat de Louis XVI devenu président du
Tribunal de cassation, et Félix Bigot de Préameneu, ancien avocat au parlement de Paris et breton).
Le Code civil conjugua ces deux influences 571. Tous étaient des modérés, conservateurs et
réformateurs 572, ayant subi les affres de la Révolution et voyant en Bonaparte le sauveur de la nation,
en proie aux contradictions d’une époque partagée entre la philosophie des Lumières et le
jansénisme. D’un point de vue technique, ils sont attachés à la sobriété de la loi 573 ; ce sont non des
professeurs, mais des praticiens soucieux de faire œuvre de législation, non de science 574.
Quatre mois suffirent aux commissaires pour établir le « Projet de
l’an VIII » qui fut présenté au gouvernement, en Conseil d’État, le
21 janvier 1801 (1er pluviôse an IX) puis soumis au Tribunal de
cassation et aux tribunaux d’appel dont les observations inspirèrent
divers amendements.
De toute la France, des juristes (notaires, juges, avocats...) ou de simples citoyens (jusqu’à
l’évêque de Rennes) avaient écrit au Grand Juge (ministre de la Justice) pour lui soumettre leurs
commentaires sur certaines dispositions voire des projets de code 575. Cette concertation spontanée
avec la société civile témoigne du vif intérêt de l’époque pour les questions juridiques. Le Code civil
n’est pas l’œuvre d’un seul homme (que ce soit Cambacérès, Portalis ou Napoléon) mais une œuvre
historique, collective et nationale.

121. Phase politique. – La phase politique prit quatre années. La


discussion 576 s’engagea devant le Conseil d’État (dont Portalis était
membre) en présence de Bonaparte (le Premier consul ne s’en tint pas à
un rôle de figurant 577) ou de Cambacérès. Le texte, divisé en 36 parties,
fut transmis au Tribunat lequel, par hostilité envers le Premier consul, le
rejeta. Après que Bonaparte eut épuré cette assemblée de ses opposants
et mis en place une nouvelle procédure législative en 1802 (sénatus-
consulte du 10 germinal an X), la discussion reprit un cours serein.
Portalis prononcera à cette occasion son important Discours
préliminaire ainsi que, à la demande de Bonaparte, certains exposés des
motifs sur des matières délicates (le mariage, la propriété et, dans une
moindre mesure, la vente ou les contrats aléatoires).
Finalement, les 2 281 articles des 36 projets adoptés successivement
furent réunis par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804) en un
« Code civil des Français » composé de trois livres.
Sous l’Empire, un Code de procédure civile (1806), un Code de commerce (1807), un Code
d’instruction criminelle (1808) puis un Code pénal (1810) – très inférieurs au Code civil –
parachevèrent la codification napoléonienne. Quant au Code civil des Français de 1804, il changera
quatre fois de nom : Code Napoléon en 1807, Code civil en 1814, à nouveau Code Napoléon par la
volonté de Napoléon III (D. 27 mars 1852) puis, à titre d’usage, Code civil depuis 1870.

SECTION II
ESPRIT DU CODE CIVIL
122. Esprit de la codification ; influences philosophiques 578. — Le
Discours préliminaire du Projet de Code civil prononcé par Portalis
offre le meilleur témoignage de l’esprit du Code civil. Ce texte 579 est
l’un des plus beaux et des plus profonds qui ait jamais été écrit sur le
rôle de la loi dans le gouvernement des hommes 580. Le Code civil s’y
révèle inspiré par une idéologie conservatrice 581 et surtout – après la
tempête révolutionnaire – modérée 582, mû par une volonté d’unité
nationale et une croyance dans le droit naturel 583. Le législateur y fait
montre de prudence, d’humilité, voire de scepticisme quant à la
perfection de son œuvre 584.
L’esprit républicain a supplanté celui de l’Ancien Régime. Le souffle
de la Révolution habite le Code : le principe de la sécularisation est
latent dans l’article 165 (célébration obligatoire du mariage par l’officier
d’état civil), la haine de la féodalité et la nuit du 4 août motivent
l’article 686 (défense de créer des droits immobiliers imposés à la
personne, c’est-à-dire des droits féodaux), l’attachement à la liberté
individuelle fonde l’article 1780 (prohibition du contrat de travail
perpétuel) et l’article 1123 (pas d’incapacité sans loi). Seuls quelques
excès de l’idéologie révolutionnaire sont condamnés (telle la liberté du
divorce introduite par la Convention ; mais le divorce pour faute
demeure).
La philosophie des Lumières (que Portalis détestait 585) exprime une foi en l’homme (cf. le mythe
du « bon sauvage » dont l’innocence originelle serait corrompue par la société civile) et en la raison.
Elle voue un culte à la liberté et à l’égalité. Au contraire, rejetant les Lumières et l’humanisme, le
jansénisme (Pascal, Domat, d’Aguesseau ou Pothier) exprime une vision pessimiste, méfiante et
inquiète de la nature humaine. Il se traduit par un esprit austère, laïc et rationnel qui ouvre la porte au
positivisme juridique (par ex., la liberté contractuelle et la propriété sont affirmées mais
subordonnées au respect de l’ordre public ou de la bonne foi : art. 6 et art. 1104 [anc. art. 1134,
al. 3]). De même, les rédacteurs du projet de Code voulurent restaurer une hiérarchie politique
et sociale traditionnelle, autoritaire, rejetant les idées d’égalité politique et de souveraineté du
Peuple, sans souhaiter pour autant un retour à la monarchie. Les années de Terreur avaient dissous le
lien social et rétabli l’état de nature : ils voulaient restaurer les valeurs fondatrices de la société
civile, la famille, en particulier la puissance maritale et paternelle et la propriété.
En dépit de ces mutations idéologiques, certaines règles et de
nombreuses techniques de l’Ancien droit ont survécu à son abrogation.

123. Abrogation partielle de l’Ancien droit. – La loi du 30 ventôse


an XII dispose, en son article 7 que, « À compter du jour où ces lois
seront exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes
générales ou locales, les statuts, les règlements, cessent d’avoir force
de loi générale ou particulière, dans les matières qui forment l’objet
desdites lois composant le présent code ». La rupture avec l’Ancien
Régime est consommée par l’abrogation de l’Ancien droit 586.
Celle-ci, toutefois, n’est pas intégrale : en dehors des matières régies
par le Code 587, les règles anciennes subsistent. Bien plus, Cambacérès
ne voulait pas que l’article 7 précité eût pour effet de « priver les
tribunaux de l’avantage de puiser leurs décisions dans d’autres
autorités » que celle du Code 588. Au demeurant, les magistrats, nourris
d’Ancien droit, ne pouvaient se dépouiller de leur culture juridique et
d’une source à laquelle les rédacteurs du Code avaient largement puisé.
Ainsi, deux semaines seulement après le vote de la loi du 30 ventôse an XII, la Cour de cassation
consacrait, en se référant au droit antérieur, « la règle error communis facit jus » 589. Les adages
révèlent une forte aptitude du droit à la survie en dehors même du droit civil. Ainsi, dès avant
l’entrée en vigueur du Code de procédure civile, dont l’article 1041 décide une abrogation totale de
l’Ancien droit en cette matière 590, la Cour de cassation avait réintroduit la maxime « Nul ne plaide
par procureur » 591, aujourd’hui toujours en vigueur.
Tocqueville a montré qu’en dépit des secousses révolutionnaires, les
institutions de l’Ancien Régime avaient survécu 592. Le phénomène est
particulièrement vrai pour le droit civil 593 qui dépend peu du pouvoir
politique et revêt ainsi une plus grande continuité.

124. Techniques de l’Ancien droit. – Les techniques juridiques ne


se réinventent guère. En outre, Bonaparte entendait maintenir les bases
solides sur lesquelles la France de l’Ancien Régime avait été bâtie. À
cet égard, le Code civil procède tantôt à des choix, tantôt à des
compromis.
1º) Par choix, les techniques romaines ont été adoptées pour l’ensemble du droit des obligations,
les techniques coutumières pour celui des régimes matrimoniaux (soit le régime de la communauté,
alors que le droit écrit pratiquait le régime dotal), les techniques des ordonnances royales (not. celles
de d’Aguesseau, très proches du droit coutumier) pour le droit des donations et des testaments et,
enfin, celles du droit canonique pour le mariage (sans l’esprit religieux, puisqu’il avait été
sécularisé).
2º) Un compromis a conduit, en droit successoral, à utiliser différents procédés afin de limiter la
liberté de consentir des libéralités : par exemple, mêler la réserve du droit coutumier avec la
légitime du droit écrit. Pour l’autorité parentale, la mainbournie du droit coutumier fut conciliée avec
la puissance paternelle du droit écrit, etc.

125. Ordre, raison et style. – Le Code civil recueille le triple


héritage de Rome, de la Monarchie et de la Révolution, qui forme le
droit de la France contemporaine. Animé d’idéologies contraires, il
exprime avant tout une recherche de l’ordre (conservatrice, par nature),
selon un plan simple. Il est, selon l’expression de Jean Carbonnier, « la
Constitution civile de la France » 594 : les constitutions passent, le Code
civil demeure.
1º) L’ordre est d’abord intellectuel. À la place d’un Ancien droit
touffu, le Code établit un ordonnancement cohérent. La méthode est
cartésienne, comme celle de Domat 595 : les règles sont exprimées en
termes simples et disposées selon un ordre croissant de complexité ; il
convient de voir clair pour bien agir et bien juger. Le Code incarne aussi
un ordre social reposant sur trois piliers : la famille, la propriété et le
contrat. Il est, enfin, le gardien d’un ordre moral (ex. : la cause doit être
licite et non immorale, anc. art. 1133 ; le jeu est hors du droit,
art. 1965 ; la famille a pour seul support le mariage).
2º) Le plan évoque la division tripartite des Institutes de Gaïus
(personæ, res, actiones : les choses, les personnes, les actions) 596,
reprise quatre siècles plus tard par Justinien 597 et encore suivie au
XVIII siècle. Après un titre préliminaire très bref (six articles), trois livres
e

inégaux traitent Des personnes (Livre I), Des biens et des différentes
modifications de la propriété (Livre II) et Des différentes manières dont
on acquiert la propriété (Livre III, livre énorme renfermant tout le reste,
notamment le droit des successions et des régimes matrimoniaux et celui
des obligations et des contrats).
3o) Le style du Code civil est gravé sur le marbre, à mi-chemin entre la
décision et le principe. Ex. : « La propriété est le droit de jouir et
disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en
fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »
(art. 544) ; « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites » (anc. art. 1134, al. 1er, devenu art. 1103) ; « Tout
fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige
celui par la faute duquel il est arrivé le réparer » (ancien art. 1382,
devenu art. 1240).

Nos 126-129 réservés


CHAPITRE III
APRÈS LE CODE CIVIL

130. Vitalité du Code civil. – Les Codes napoléoniens ont marqué


l’histoire du droit français en réalisant son unification. Mais, si la
France du XIXe siècle est désormais dotée d’un droit commun, un
nouveau défi s’annonce dont les rédacteurs du Code civil (Portalis le
premier) avaient eu pleine conscience : maintenir la cohérence, l’unité et
la pérennité du droit codifié.
Non sans arbitraire, il convient de distinguer trois périodes 598 : une
stabilité entre 1804 et la fin du XIXe siècle durant laquelle le Code civil,
malgré diverses critiques doctrinales, connut un grand prestige
(Section I) ; une longue période de bouleversements politiques,
économiques et sociaux, à partir de 1874, durant laquelle le Code subit
l’action dissolvante de forces centrifuges (Section II) ; l’après-guerre, où
renaquit la vieille utopie d’un droit ordonnancé par la raison au sein
d’autres codes (Section III).

SECTION I
PRESTIGE ET CRITIQUES (1804-1900)

131. Éclat du Code et codifications dans le monde. – Dès sa


publication, le Code civil fut auréolé d’un immense prestige dans toute
l’Europe, y compris en Grande-Bretagne auprès de certains juristes (tel
Bentham qui tenta même de convaincre les États-Unis de recourir à la
codification 599).
Il inspira les codes du monde entier 600.
D’un point de vue idéologique, le sentiment prédominait que le Code
civil avait atteint la perfection et, comme la Révolution française,
modifié la face du monde. D’un point de vue technique, il paraissait
constituer un corps de règles complet, rédigé en termes clairs et simples,
accessible à tous 601.
En 2004, la France a fêté le bicentenaire du Code civil 602. Il a été célébré comme un souvenir : il
n’est plus un modèle et ce n’est plus le Code Napoléon. Son esprit, sans doute utopique 603, s’est
perdu : l’unité, la rationalité, la réduction du droit à la loi, sa conformité au droit naturel se sont
évanouis sous l’influence dissolvante de la décodification 604 et des sources internationales du droit
(droit de l’Union européenne, Conv. EDH) 605.
Le Code suscita des réactions hostiles dès après sa promulgation, en
France et surtout en Allemagne.

132. La France bourgeoise. – La « France bourgeoise » – celle des


notables – a accepté le Code civil avec appréhension. L’épreuve s’est
jouée en 1815 : après des hésitations, la Restauration a renoncé à
supprimer cet enfant de la Révolution 606. La seule réforme importante fut
l’abolition du divorce (loi de Bonald du 8 mai 1816).
La résignation des notables n’effaça pas leurs réserves. Des
sentiments latents d’hostilité subsistèrent à l’égard du Code, soupçonné
de contenir des ferments révolutionnaires. L’œuvre de Balzac témoigne
de l’aversion de la classe dirigeante pour toute institution à relent de
républicanisme 607. Ces sentiments se sont traduits dans l’interprétation
des textes du Code : la lettre est demeurée stable, mais son esprit a pris
une coloration bourgeoise 608.
Le phénomène est apparent à l’égard du droit de propriété, défini par l’article 544 comme « le
droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ». Cette définition avait pour
finalité – républicaine – de consolider les droits des acquéreurs de biens nationaux. Elle est devenue,
pour la bourgeoisie industrielle et commerçante (en plein essor à partir de la Monarchie de Juillet),
un instrument de protection des richesses et des acquisitions.
À la Faculté, jusqu’en 1835 environ, les premiers commentateurs
analysent le Code sans rigueur, dans le style doctrinal de l’ancienne
France. Les auteurs, comme les magistrats 609, restent imprégnés de la
formation juridique qu’ils avaient reçue sous l’Ancien Régime 610.
Cette période peut être illustrée par un nom : Merlin de Douai (1754-1838) 611. Qualifié en son
temps de « prince de la science du droit », c’était un juriste savant, habile et consciencieux mais de
peu de caractère et insensible au juste ou à l’injuste. Il a servi tous les régimes successifs :
conventionnel actif (écarté à ce titre par Bonaparte de la commission de rédaction du Code civil), il
fut un serviteur zélé de l’Empire puis offrit ses services à la Restauration, qui les déclina (il était
régicide). Nommé procureur général près la Cour de cassation par Bonaparte, il y a joué un rôle de
liaison entre l’Ancien droit – dont il était nourri –, le droit révolutionnaire – qu’il avait largement
contribué à élaborer – et le droit moderne – qu’il devait faire appliquer. Il a joué, par ailleurs, un
rôle de liaison entre la doctrine et la jurisprudence. Son œuvre révèle un style sans sécheresse,
percevant la signification des réalités politiques et attaché aux nouveaux principes 612. Il a donné sa
marque à ce qui allait devenir la doctrine française de droit civil, un mélange de finesse et de
rectitude.

133. L’École du droit historique 613. – Au début du XIXe siècle,


l’École allemande du droit historique (Historische Schule) 614, dont le
plus éminent représentant fut Friedrich Carl von Savigny (1779-1861),
entendit lutter contre le rationalisme, l’idéologie universaliste, le
jusnaturalisme et le cosmopolitisme de la philosophie des Lumières et
de la Révolution française. Son symbole, le Code civil (héritage
juridique napoléonien qui ne pouvait que susciter l’hostilité des
penseurs allemands), fut la cible de cette attaque.
L’École du droit historique soutient que le droit positif (dont la
coutume formerait la quintessence) est une émanation spontanée de la
conscience commune, de l’« esprit du Peuple » (Volksgeist) 615, et le fruit
d’une histoire et d’une civilisation qui se dote d’un droit comme elle se
dote d’une langue, d’une littérature, d’une morale et d’une religion 616, à
l’image d’un organe vivant (conception organiciste). Par suite, le droit
ne saurait être enfermé, figé par une raison logique, dans une
codification systématique 617. Une seule génération ne saurait constituer
une nation ni un droit ; chacune doit accepter les lois des générations
antérieures ; or, la codification entrave cet enracinement dans le passé ;
en outre, elle empêche l’adaptation constante du droit (écrit et donc
figé) à la réalité, que la coutume réalise au contraire à merveille.
Aussi Savigny combat-il le projet d’un Code civil allemand, défendu la même année (1814) par
Thibaut (1772-1840) dans une querelle célèbre 618. Cependant, l’historicisme ne s’oppose pas au
positivisme, bien au contraire : le premier dénie toute valeur supérieure à l’histoire (réduisant le
droit au fait même des normes en vigueur) ; le second, qui récuse semblablement l’idée d’un donné
idéal dont le droit procèderait, accomplira le projet de Savigny : enregistrer le droit historique et en
établir un système afin de donner un droit commun à l’Allemagne. De cette filiation naquit le
pandectisme et son programme. Le pandectisme (G. Puchta, B. Windscheid) pratiqua une science du
droit abstraite (détachée de la pratique comme de la morale), logique et conceptuelle nommée
Begriffsjurisprudenz (science des concepts juridiques) ou Pandektenwissenschaft (science des
Pandectes), sur le modèle des sciences naturelles ; il défendit, contre les attaques des juristes
germanistes 619, la puissance spirituelle du droit romain inscrit dans les Pandectes 620, trésor de
concepts « reçu » par le peuple allemand et noyau central de son droit commun.
Rudolf von Ihering (1818-1892) est un juriste à part. Convaincu par le projet de Savigny, il
marque néanmoins ses distances à l’égard de l’historicisme, refusant son interprétation romantique et
pacifique de l’histoire ainsi que l’idée d’une formation inconsciente du droit, comme à l’égard du
pandectisme dont il critique le rationalisme 621. Certes, il montra que si le droit romain a d’abord été
enraciné dans une souche nationale, il s’en est ensuite extrait pour s’élever à des principes
universels 622 ; Savigny cultiva lui-même un esprit de système rigoureux dans son Traité de droit
romain et imposa l’expression de « science du droit » (Rechtswissenschaft) pour qualifier la
Jurisprudenz (l’ancienne science du droit) rénovée par l’École historique 623. Mais, rompant
finalement avec le Volksgeist comme avec le pandectisme, Ihering vit le principe de l’évolution du
droit dans une volonté (étatique), qui a imposé le droit par la force et sa puissance et qui reste
entièrement soumise à la « loi de finalité » (le but à atteindre, que se fixe l’individu dans son intérêt,
est l’élément créateur, la source du droit) 624.
À la suite du savant travail conceptuel accompli par les pandectistes,
la codification finira par l’emporter : après une gestation de vingt-deux
années, le Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch ou BGB) fut
adopté par le Reichstag puis le Bundesrat les 1er et 14 juillet 1896 et
entra en vigueur le 1er janvier 1900, clôturant la dialectique entre
germanité et romanité 625.
Il fut alors reproché à Savigny d’avoir retardé d’un siècle la codification du droit allemand 626.
Sa pensée révèle pourtant une immense supériorité sur le positivisme de la doctrine française
du XIXe siècle dont les excès furent encouragés par la fascination qu’exerçait le Code civil.

134. Exégèse (1835-1880). – La méthode à laquelle les juristes


français du XIXe siècle recourent lors de l’exposé et du commentaire du
droit civil est qualifiée d’exégétique : la lettre et l’analyse grammaticale
du Code Napoléon sont les sources premières du commentateur tandis
que l’intention du législateur est jugée secondaire ; le plan suivi est
celui du Code, pris article par article 627 ; les règles de l’Ancien droit
(romain ou coutumier) sont négligées afin de ne pas altérer l’unité et la
nouveauté de la codification ; enfin, le droit doit être et demeurer aux
mains de l’État 628.
Il est aujourd’hui de bon ton de railler les exégètes en décrivant le
culte et le fétichisme qu’aurait voués une prétendue « École de
l’exégèse » à la lettre d’un Code civil adoré comme un monument
complet et clos de règles écrites (tout le Code et rien que le Code 629),
regardé comme un système logique infaillible 630. Il ne s’agit là que d’une
caricature 631. Les préfaces des grands traités de droit civil du XIXe siècle
contiennent des professions de foi révélatrices de leur parti pris
pluraliste. Au fil des commentaires, l’équité, la morale, le droit naturel,
l’Ancien droit, la jurisprudence et même le droit comparé appuient un
raisonnement qui, suivant la tradition rationaliste du XVIIIe siècle,
s’efforce de rester logique 632. Si les textes constituent le support
privilégié de leurs analyses, les exégètes prennent aussi des libertés à
l’égard du Code civil, surtout ceux de la première génération 633.
Duvergier et Troplong proposèrent ainsi une reconnaissance de plein droit de la personnalité
morale des sociétés au nom des « principes généraux du droit » 634. C’est le scepticisme de la
doctrine ultérieure, défendant la thèse opposée de la fiction de la personnalité morale, qui repoussa
jusqu’en 1954 la consécration de cette analyse 635. L’instauration d’un principe général de
responsabilité du fait des choses de tous les propriétaires de machines fut suggérée par Laurent 636
(belge), pourtant adepte d’une exégèse rigoureuse 637. Le maintien de la maxime Error communis
facit jus (pourtant non écrite et contra legem) a suscité l’unanimité des exégètes 638.
En 1899, Gény reprocha à ses prédécesseurs de s’être « élevés jusqu’à une certaine activité
créatrice [...], pas officiellement avouée », et de s’être appuyés sur « la suprématie des principes
généraux idéaux et autonomes, le plus souvent non écrits dans la loi » et n’ayant « avec la
confection de celle-ci aucun rapport direct et démontrable » 639. Sous sa plume, cette critique était
révélatrice de la liberté de ton des exégètes 640.
Dès les années 1840, Aubry et Rau, dans leur traité 641, rompent avec l’ordre littéral du Code et
adoptent un plan synthétique, systématique, bâti sur des concepts et des principes généraux 642.
L’Exégèse s’apprête à vivre ses dernières décennies.
En somme, l’Exégèse embrasse des auteurs trop différents pour constituer une véritable école de
pensée 643. Certes, les exégètes se verront reprocher plusieurs défauts majeurs tels qu’une ignorance
des courants sociaux et économiques ou de l’histoire. Mais, en rompant avec l’Ancien droit, ils
cultivèrent aussi des qualités plus importantes dont la doctrine française est l’héritière : la clarté,
l’unité et l’harmonie. Surtout, les facultés de droit leur doivent leur « tradition de dignité morale qui
est plus précieuse qu’une doctrine juridique » 644.
135. La critique scientifique. – La critique historiciste resurgit en
France au XXe siècle, même si l’École historique allemande avait déjà
inspiré une école française au XIXe siècle, la Thémis (du nom de la revue
fondée par Athanase Jourdan, parue entre 1819 et 1831) 645.
De même, la Revue de législation et de jurisprudence fondée en 1835 par Wolowski, à laquelle
collaborent des admirateurs de l’École allemande (Troplong, Laboulaye, Laferrière...) qui resteront
bannis de la Faculté de droit de Paris 646. En 1851, Demolombe, Marcadé et Pont fondent la Revue
critique de la jurisprudence, qui absorbe en 1852 la revue Wolowski pour devenir la Revue critique
de législation et de jurisprudence. Leur volonté est de promouvoir l’étude critique de la
jurisprudence par la doctrine, d’allier la théorie et la pratique, de réconcilier « l’École » (la Faculté
de droit) et le « Palais » (la pratique). Labbé et Planiol joueront un rôle moteur à cet égard 647.
Refusant d’admettre que la loi soit la source exclusive du droit,
dénonçant le fétichisme du droit écrit et l’application mécanique des
textes, le courant scientifique français s’efforce de promouvoir le rôle de
la coutume, de la jurisprudence, du droit comparé, de la doctrine et de
l’équité. Le droit est un phénomène social que le juge doit considérer à
travers les mœurs de son époque. L’interprétation doit accueillir les
enseignements de l’histoire, de la sociologie (naissante, avec Durkheim,
Tarde ou Worms), de la psychologie, de l’économie et témoigner d’un
respect moins aveugle à l’égard de la loi. Le droit devient une réalité
vivante, la règle a un but social et la législation doit être adaptée à
l’homme.
La doctrine française s’inspire une nouvelle fois de courants de pensée juridique nés outre-rhin :
l’Interessenjurisprudenz incarnée par Ihering 648 et, à la suite de l’entrée en vigueur du Code civil
allemand 649, la Freirechtslehre ou École du droit libre 650. « Une vague d’irrationalisme gagne la
science du droit » appuyée sur le courant anti-intellectualiste ou intuitionniste qui règne en
philosophie de Nietzsche à Henri Bergson 651. Un courant similaire a éclos simultanément aux États-
Unis, inauguré par le juge O. W. Holmes (1841-1935) qui écrit en 1881 cette phrase emblématique :
« la vie du droit n’a pas été la logique : elle a été l’expérience » 652. La sociological jurisprudence
et le courant des « réalistes » américains ont eu un immense retentissement, notamment avec Roscoe
Pound à partir de 1908 653.
Ainsi, François Gény prône-t-il en 1899 une « libre recherche
scientifique » qui s’affranchit de la loi et oppose au légalisme des
exégètes 654 une interprétation politique. Plus tempéré, attaché à
l’enracinement historique du droit civil, à ses conflits d’intérêts, à la loi
et à la jurisprudence, à la rigueur intellectuelle, à l’élégance de la
langue, Marcel Planiol publie en 1900 son Traité élémentaire de droit
civil 655. Avec le civiliste Raymond Saleilles (infuencé par le nouveau
Code civil allemand [BGB]), l’historien du droit Adhémar Esmein fonde
en 1902 la Revue trimestrielle de droit civil et appelle dans un
article inaugural à l’étude de la jurisprudence 656. Édouard Lambert
développe dès 1903 l’étude du droit comparé et crée en 1920 l’Institut
de droit comparé de Lyon. L’œuvre novatrice de Saleilles reflète le souci
d’ancrer et de puiser le droit dans les réalités pratiques, sociales ou
économiques, sans aller toutefois jusqu’à affranchir le juge des
préceptes légaux 657. En dehors du droit civil (où il faut également citer
René Demogue, Henri Capitant, Georges Ripert... 658), la pensée
scientifique imprègne l’œuvre, en droit public, de Léon Duguit ou de
Maurice Hauriou, en droit pénal celle d’Émile Garçon, en droit social
celle de Paul Pic et, en droit commercial, celle d’Edmond Thaller 659.
La transformation n’a rien de spectaculaire : le style reste rigoureux ;
le culte rationnel de la jurisprudence est sur le point de supplanter celui
de la loi. Mais le règne du droit écrit dans les codes a perdu son
absolutisme à l’égard de la pensée juridique. L’état de grâce du Code
civil s’achève. De plus sérieux bouleversements se préparent avec les
interventions législatives qui se succèdent à partir de 1880.

SECTION II
BOULEVERSEMENTS ET INTERVENTIONS LÉGISLATIVES
(DEPUIS 1880)

136. Droit éparpillé. – En 1874, la victoire des républicains sur les


monarchistes aux élections cantonales marque « la fin des notables » 660.
En 1875 sont adoptées les trois lois constitutionnelles de la
IIIe République. Dès 1880, la production législative connaît une
croissance jamais vue en France (si ce n’était pendant le droit
intermédiaire). Des textes fondamentaux sont adoptés tels que les lois
ouvrières (ex. : L. 21 mars 1884 sur la liberté syndicale, L. 9 avr. 1898
sur l’indemnisation des accidents du travail), L. 1er juill. 1901 sur la
liberté d’association, L. 9 déc. 1905 sur la séparation des églises et de
l’État, etc.). En droit de la famille, la loi Naquet du 27 juillet 1884
renoue avec le droit révolutionnaire en rétablissant le divorce ; celle du
18 février 1938 supprime l’incapacité de la femme mariée ; plusieurs
réformes renforcent les droits successoraux des enfants naturels
(L. 25 mars 1896, L. 2 juill. 1907, D.-L. 29 juill. 1939) et du conjoint
survivant (notamment L. 9 mars 1891, L. 31 déc. 1917, L. 3 déc. 1930).
De multiples réformes s’accomplissent en marge du Code civil
(L. 14 juill. 1866 sur la propriété littéraire et artistique, L. 24 juill. 1867
sur les sociétés commerciales, nombreuses lois sociales – notamment
L. 9 avr. 1898 sur les accidents du travail et L. 21 mars 1884, préc.). Un
tel éparpillement des règles trahit parfois le caractère éphémère des
textes adoptés et, toujours, l’absence de politique législative
d’ensemble. Le spectacle du droit des baux, régi par des textes propres à
chaque catégorie de contrat (baux d’habitation, commerciaux ou
ruraux), est éloquent. En maints domaines, le Code civil tend à devenir
une source subsidiaire du droit applicable.
En Alsace-Moselle, rattachée à l’empire allemand de 1871 à 1918, un « droit local » a été
maintenu par la loi du 1er juin 1924 qui se distingue du droit national. L’unification du droit français
est en recul. Ce recul s’accentue à chaque fois qu’un gouvernement cède à des revendications
indépendantistes : la Nouvelle-Calédonie dispose, depuis la loi organique du 19 mars 1999 (qui met
en œuvre la réforme constitutionnelle du 28 juill. 1998) d’un Congrès habilité à légiférer en certaines
matières au moyen de « lois du pays » concurrentes des lois de la République 661. Sur ce modèle, le
« statut d’autonomie de la Polynésie française » (L. org., 27 févr. 2004, art. 139 s., prise en
application de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003) permet à son tour à l’assemblée de ce
territoire d’adopter des actes (de nature administrative) dénommés « lois du pays », dans les matières
ressortissant à la compétence législative. Le Code civil a été défiguré par l’adjonction d’un
minuscule Livre V contenant des « Dispositions applicables à Mayotte » (ord. 19 déc. 2002) 662.
L’inflation législative s’est amplifiée à partir des années 1930. Afin de
remédier à la crise qui sévit aux États-Unis, Roosevelt y inaugure l’ère
du Welfare State, « État-Providence » intervenant dans la vie sociale et
économique dont l’Europe importe le modèle. L’interventionnisme
législatif ne fait que redoubler d’intensité après la Seconde Guerre
mondiale. Des phases de répit apparaîtront plus tard sous la forme de
« dérégulations » mais, aussi libérale soit elle, la loi reste en proie à une
inflation incoercible : la dérégulation nécessite, comme la
réglementation, un cortège de textes.

137. Droit souterrain. – L’apparente stabilité du Code civil ne doit


pas masquer la profondeur des transformations du droit. Comme
l’écrivait le sociologue Gabriel Tarde au début du XXe siècle : « La
permanence trompeuse du droit formel dissimule ici les mutations du
droit vivant » 663. Les juges s’émancipent de plus en plus de la lettre du
texte et de l’intention originelle des rédacteurs du Code pour s’octroyer
un pouvoir prétorien : la jurisprudence, depuis la fin du XIXe siècle,
atteint sa plénitude et crée de nouvelles règles, concurrentes de la loi 664.
Le Code civil, qui paraît en retard sur l’évolution des mœurs, s’adapte
en réalité au moyen de cette interprétation jurisprudentielle. Un droit
souterrain se développe sans lequel ce monument aurait vacillé.

SECTION III
NOUVELLES CODIFICATIONS (DEPUIS 1950) 665

138. Fissures et décodification. – À partir des années 1960, la


rénovation de certains pans de l’édifice napoléonien est entreprise. Des
réformes importantes prennent place à l’intérieur du Code civil, relatives
au droit des personnes ou de la famille 666 (incapacités : L. 14 déc. 1964
sur les mineurs et L. 3 janv. 1968 sur les majeurs protégés ; L. 3 janv.
1972 proclamant l’égalité des filiations légitime et naturelle ; L. 15 nov.
1999 et 12 mai 2009 sur le pacs ; L. 17 mai 2013, « ouvrant le mariage
aux couples de personnes de même sexe »), au droit patrimonial
(régimes matrimoniaux : L. 13 juill. 1965 et L. 23 déc. 1985 instituant
une égalité entre les époux ; L. 31 déc. 1976 créant un statut de
l’indivision) et au droit du contrat de société (L. 4 janv. 1978).
L’inflation législative augmente sans cesse 667. À une époque récente,
la quasi-totalité des nouveaux textes prenait place hors des codes
existants. Aujourd’hui encore, qu’il s’agisse de droit civil (débordé,
notamment, par le droit de la consommation), de droit commercial
(l’ancien Code de commerce ne comptait plus que 160 articles initiaux
sur 648 à l’origine 668 qui ne renfermaient ni le droit des assurances, ni le
droit des transports, ni le droit de la faillite) ou de droit pénal (la masse
des lois annexes atteint dix fois celle des articles codifiés), le
phénomène de la « décodification » 669 a atteint une grande ampleur ; en
outre, des matières étrangères aux codes existants sont apparues (à
l’image du droit administratif au XIXe siècle). L’unité logique du droit
français obtenue à l’époque napoléonienne dans une situation politique
exceptionnelle s’est fissurée.
Aujourd’hui, le Code civil contient moins de 700 articles inchangés sur les 2 281 d’origine et en
compte environ 2 600 au total. En 1964, il en contenait encore 1 716 d’origine 670. Il ne reste donc
que 25 ou 30 % de Code Napoléon dans le Code civil.
En l’an 2000, 135 lois, 3 407 décrets, 12 291 arrêtés, 38 circulaires et instructions (il en existe
des centaines) et 987 décisions d’autorités administratives indépendantes ont été publiés au Journal
officiel. En 2002, le droit français comptait de 1 500 à 1 700 lois et de 18 000 à 20 000 décrets. En
2007, il comptait de 74 à 86 Codes (le statut de code étant parfois douteux). Le recensement des
codes, lois et règlements est même devenu un sujet de polémique : c’est que l’inflation législative
constitue un argument récurrent dans le discours des pouvoirs publics qui cherchent à conforter la
politique administrative de simplification du droit et la politique législative de codification 671 ; le
risque de surenchère n’en est pas absent 672.

139. Codification à droit constant. – Le mythe de la codification du


droit français a conservé son lustre et d’inconditionnels partisans. Mais
la tâche est devenue si importante que le législateur a dû se résigner à
une ambition moindre que celle de Bonaparte. D’une part, il n’était plus
question de refondre les codes originels mais seulement d’enfermer dans
des codes inédits les lois postérieures qui n’avaient pu y trouver place.
D’autre part, il ne s’agissait plus de constituer des codes systématiques,
réfléchis et cohérents de règles innovantes, mais de compiler la matière
brute d’ores et déjà existante puis d’effectuer une renumérotation
continue des textes épars. La codification devait désormais s’opérer « à
droit constant », sans changement sur le fond ; il fallait accomplir une
« codification-compilation », de pure forme, dite aussi
« administrative » compte tenu du rôle central confié à l’administration
dans ce processus.
Pour beaucoup d’auteurs, nostalgiques de la langue élégante et de l’esprit réformateur des codes
d’antan 673, la codification administrative, « codification du pauvre », recèlerait les ferments d’une
« régression du droit », alimentée par une frénésie bureaucratique, vecteur d’« un pullulement des
codes » 674.
Mais le Code civil comme le Code de commerce avaient codifié dans
une large mesure « à droit constant », opérant de larges emprunts à
l’Ancien droit suivant une démarche dont Portalis fit l’éloge 675. Surtout
le droit est fait pour l’homme et non l’homme pour le droit. Or, un code,
si imparfait soit-il, a le mérite d’exister : offrir plus de commodité dans
le maniement de la loi au praticien et au justiciable absout à soi seul
tous les pêchés commis, par ailleurs, dans la technique législative
employée. Il est vain d’ouvrir au niveau de la théorie générale des
sources un débat qui se situe en réalité à l’échelon de la pratique
quotidienne du droit 676. Il y a cependant une inflation des codes, qui
détruit la simplification entreprise par la codification à droit constant.
Lutter contre la codification, quelle qu’en soit la teneur, revient à précipiter le déclin du droit
français dans le monde. À l’heure actuelle, la codification connaît une certaine faveur à l’étranger et
auprès des instances internationales qui se plaisent à exagérer la complexité et l’insécurité régnant en
droit français (OCDE, Banque mondiale...) pour mieux vanter les vertus du droit anglo-américain. La
France tient une dernière chance de diffuser son modèle juridique qui connaît un grave recul jusque
dans les fiefs traditionnels de la francophonie 677.
Enfin, si les codes à droit constant s’avèrent aussi incomplets et jonchés de scories que le
déplorent leurs ennemis, il suffit de remédier à ces « erreurs ou insuffisances » (comme s’en
préoccupe lui-même le législateur 678). Même imparfaite, la technique est perfectible. À quoi sert
d’ironiser sur les bévues de la codification (telles que les abrogations par mégarde) lorsqu’elles ont
été rectifiées par un texte postérieur et ont à peine eu le temps de troubler les praticiens ?
La critique de cette codification 679 n’a pesé d’aucun poids devant les nécessités pratiques et n’a
eu aucune audience auprès des gouvernants.

140. Premier chantier. – Le chantier de la codification à droit


constant fut engagé aussitôt après la Seconde Guerre mondiale. Un
décret du 10 mai 1948 institua une « Commission supérieure » chargée
de réunir l’ensemble des textes en vigueur, tant législatifs que
réglementaires, afin de préparer leur codification. Les travaux de cette
commission, en liaison avec les ministères intéressés, aboutirent à la
publication d’une vingtaine de codes.
Certains accusent une taille modeste et ne régissent qu’une matière mineure (Code des pensions
civiles et militaires de retraite (1951), Code des PTT (1952), Code minier (1956) ou Code de
l’industrie cinématographique (1956)) : ils n’ont de codes que le nom. D’autres atteignent un volume
plus considérable. Ce ne sont que des « codes-compilations », sans l’élégance des codes du
XIXe siècle, mais leur utilité est indéniable (ex. : le Code général des impôts – le premier du genre –
(1950), le Code rural (1955-1980), le Code du travail (1973), le Code des assurances (1976), le
Code des communes (1977), le Code de l’organisation judiciaire (1978), le Code des tribunaux
administratifs et des cours administratives d’appel (1987), etc.), sans compter que leur contenu
témoigne parfois d’une grande qualité (ex. : le Code de la sécurité sociale (1956-1985)).
La plupart fut publiée sous la forme d’un décret pris en Conseil
d’État 680, ce qui jeta le trouble sur leur nature juridique véritable
puisque des textes de nature législative se trouvaient réordonnés par des
textes réglementaires. À défaut de validation par une loi postérieure 681,
nulle modification ne pouvait être apportée aux règles légales, à peine
de commettre un excès de pouvoir 682.
Suivant une nouvelle procédure, un Code de la voirie routière (1989),
un Code de la propriété intellectuelle (1992), un Code de la
consommation (1993, recodifié en 2016), un Code des juridictions
financières (1994-1995) et un Code général des collectivités territoriales
(1996) furent ensuite adoptés 683. Au contraire des codes de la première
vague, ceux-là virent leur partie législative adoptée par le Parlement afin
de prévenir toute incertitude.
Les codes-compilations ont généralement une structure ternaire : les textes législatifs figurent dans
une partie « L. », les décrets pris en Conseil d’État dans une partie « R », les décrets simples et les
arrêtés dans une partie « D. » ; ces trois parties ont une numérotation parallèle (par exemple,
l’assiette des cotisations de sécurité sociale est définie par les art. L. 242-1 et s., R. 242-1 et s. et
D. 242-1 et s. du Code de la Sécurité sociale). En outre, le numéro d’un article indique à lui seul son
emplacement dans le code : ainsi l’article L. 243-6 CSS figure, dans la partie législative (lettre L.)
du Code de la Sécurité sociale, au sein du livre II (chiffre des centaines), au titre 4 de ce livre
(chiffre des dizaines) et au chapitre 3 de ce titre (chiffre de l’unité) ; enfin, il s’agit du sixième
article de ce chapitre (chiffre après le tiret).
Certains codes, toutefois, ont une nature exclusivement réglementaire. Tel est le cas du Code de
procédure civile ainsi que des modestes « Codes de déontologie » 684, adoptés par voie de décrets.

141. Pendant les travaux, la réforme continue. – Le législateur n’a


pas renoncé à la méthode classique de la « codification-
systématisation ». Le Code de procédure pénale (1958), le Code de
procédure civile (entièrement refait) (1975) 685, le Code de l’organisation
judiciaire (1978, validé en 1991) et le Code pénal (entièrement refait)
(1994) sont des œuvres inédites et innovantes. L’exercice se révèle
parfois périlleux, en particulier lorsqu’il s’agit de répartir les règles à
codifier entre la partie législative et la partie réglementaire du nouveau
code. Ainsi, le Conseil d’État a-t-il annulé certains textes réglementaires
qui empiétaient sur le domaine réservé au législateur par l’article 34 de
la Constitution 686 ou étaient contraires à un principe général du droit 687.

142. Second chantier : la voie « express ». – L’utilité pratique de la


codification à droit constant fut la justification invoquée pour la relance
et l’amplification du processus 688. Une nouvelle « Commission
supérieure de la codification » fut instituée par un décret du
12 septembre 1989, qui prépara un certain nombre de projets.
L’incapacité du Parlement à boucler son travail législatif retarda leur
adoption.
Une voie « express » fut empruntée : la procédure prévue à l’article 38
de la Constitution, permettant au Parlement d’habiliter le gouvernement
à prendre des mesures dans le domaine de la loi (Const., art. 34) par
voie d’ordonnances.
Les ordonnances de l’article 38 ont une nature réglementaire jusqu’à leur ratification par le
législateur. Celle-ci est facultative mais un projet de loi de ratification doit impérativement être
déposé devant le Parlement avant la fin du délai imparti par la loi d’habilitation. À défaut,
l’ordonnance est caduque, du moins si elle n’a reçu aucune application réglementaire avant cette
échéance 689. La ratification pouvait n’être qu’implicite (au travers d’une « loi qui, sans avoir cette
ratification pour objet direct, l’impliquait nécessairement » 690) ; elle risquait alors de n’être que
partielle 691. Depuis la loi de révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les ordonnances « ne
peuvent être ratifiées que de manière expresse » (Const., art. 38, al. 2). Dans l’intervalle,
l’ordonnance demeure exposée au contrôle de légalité du juge administratif. En revanche, le pouvoir
réglementaire ne peut la modifier.
Le recours aux ordonnances de l’article 38 traduit un abus de « législation déléguée » visant à
court-circuiter le débat parlementaire 692. En dépit de cette critique récurrente, le pouvoir exécutif n’a
pas entendu se priver de cette facilité qui constitue, notamment, un remède à l’encombrement de
l’ordre du jour des assemblées et à la lenteur de l’adoption des lois. À l’origine réservé à des
circonstances difficiles ou des cas d’urgence, le recours aux ordonnances s’est considérablement
banalisé. Depuis les années 2000, des réformes très diverses sont intervenues par ce biais : tantôt
majeures 693, tantôt mineures 694, souvent aussi pour transposer des directives européennes. Leur
domaine s’est élargi à mesure que leur nombre augmentait : 512 ordonnances ont été publiées entre
1984 et 2013, dont 357 entre 2004 et 2013 ; plus de 80 ont été publiées en 2005, dont 58 sur le seul
fondement de la loi du 9 décembre 2004 dite de « simplification du droit » (un intitulé qui paraît
ironique). Le délai imparti par les lois d’habilitation au gouvernement tend à s’allonger (souvent plus
d’un an) ; ces lois sont si nombreuses que celui-ci n’a pas toujours le temps de rédiger l’ordonnance
prévue – une nouvelle habilitation assortie d’un nouveau délai est alors nécessaire.
La codification d’une partie législative entraîne le « déclassement » de textes légaux en
dispositions de nature réglementaire ; le recours à la loi et aux ordonnances de l’article 38 a facilité
cette opération qui exigeait auparavant une saisine du Conseil constitutionnel (Const., art. 37, al. 2).
Leur abrogation et leur codification ne sont pas immédiates mais reportées à l’entrée en vigueur de la
partie réglementaire 695, ce qui rend indispensable – afin d’éviter des confusions de textes – une
entrée en vigueur de la partie réglementaire d’un nouveau code aussi proche que possible de celle de
sa partie législative. Or, celle-là paraît parfois cinq ou sept années après celle-ci.

143. Quarantaine de codes. – La loi du 16 décembre 1999 autorise


ainsi le gouvernement à procéder à l’adoption de la partie législative de
neuf codes. L’article 1er de la loi dessine de façon compréhensive les
limites de la codification à entreprendre : « Les dispositions codifiées
sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances,
sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues
nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la
cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser
l’état du droit » 696. C’est dire que, à titre exceptionnel, des
modifications sur le fond pourront être apportées aux règles en vigueur,
du moins dans les limites tracées par la loi d’habilitation 697 : la
compilation se mâtine de systémisation. Il n’y a pas lieu de s’en
offusquer : la neutralité de la codification à droit constant n’est qu’une
utopie ; des corrections sont toujours nécessaires pour assurer la
jointure des blocs assemblés.
Le Conseil constitutionnel a décerné à ce dispositif un satisfecit. Il a approuvé le recours à la
procédure de l’article 38 afin que soit atteint « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité
et d’intelligibilité de la loi ». Il observe que « l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la “garantie des droits” requise par son
article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance
suffisante des normes qui leur sont applicables ; une telle connaissance est en outre nécessaire à
l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet
exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel
“tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire
ce qu’elle n’ordonne pas” » 698.
Au bénéfice de cette licence, le gouvernement a adopté les parties
législatives des neuf codes prévus : le Code de justice administrative 699,
le Code de la santé publique 700, le Code de l’éducation 701, le Code
rural 702, le Code de commerce 703, le Code de l’environnement 704, le Code
de la route 705, le Code monétaire et financier 706 puis, enfin, le Code de
l’action sociale et des familles 707.
En outre, tirant profit des termes compréhensifs de l’habilitation
législative, le gouvernement a modifié sur le fond et même abrogées 708
certaines règles légales, afin, soit de rétablir « la hiérarchie des
normes » 709, soit d’« harmoniser l’état du droit » 710, soit de parfaire sa
qualité « rédactionnelle » 711.
La loi no 2003-591 du 2 juillet 2003 ratifie certains des codes précités
et délivre de nouvelles habilitations législatives au gouvernement aux
fins, d’une part, de « remédier aux éventuelles erreurs ou insuffisances
de codification » antérieures, d’autre part, d’édicter cinq codes,
nouveaux ou refondus : Code du patrimoine 712, Code de la recherche 713,
Code du tourisme 714, Code de la défense 715, Code de l’organisation
judiciaire 716.
Depuis lors, plusieurs lois d’habilitation, rédigées dans les mêmes
termes, se sont succédé (en 2003, 2004, 2005, 2009, 2010, 2011, 2013),
donnant naissance à une dizaine de codes : Code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile 717, Code général de la propriété des
personnes publiques 718, Code de justice militaire 719, Code du cinéma et
de l’image animée 720, Code des transports (dont les malfaçons furent
aussitôt corrigées par une nouvelle ordonnance) 721, Code minier 722, Code
de l’énergie 723, Code des procédures civiles d’exécution 724, Code
forestier 725, Code de la sécurité intérieure 726, Code des relations entre le
public et l'administration 727.
Un nouveau Code du travail est entré en vigueur le 1er mai 2008 728 auquel il fut d’ailleurs
reproché d’être une codification à droit « inconstant » 729. Des conventions d’écriture (celles figurant
dans le « Guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires » ou Guide de légistique
coécrit par le Secrétariat général du gouvernement et le Conseil d’État 730) ont été respectées, comme
pour l’ensemble des codes élaborés depuis 2005. En outre, une modernisation du vocabulaire a été
recherchée, par exemple en remplaçant les termes « résiliation » par « rupture » et « délai congé »
par « préavis ». Ce modernisme – souvent irréfléchi – menace de porter atteinte à l’équilibre
antérieur. Ainsi la « rupture » d’un contrat ne s’identifie pas à sa « résiliation » (qui ne concerne que
le contrat à durée indéterminée) ; de même, la généralisation du terme « employeur », qui recouvre le
plus souvent une personne morale, là où la loi désignait le « chef d’entreprise » ou « chef
d’établissement », qui est une personne physique, est lourde de conséquences. De façon plus
orthodoxe, le présent de l’indicatif a été généralisé pour éviter une gradation des obligations (« est
tenu de », « doit », « doit obligatoirement »...). Le Conseil constitutionnel a rappelé que « l’emploi
du présent de l’indicatif ayant valeur impérative, la substitution du présent de l’indicatif à une
rédaction formulée en termes d’obligation ne retire pas aux dispositions du nouveau Code du
travail leur caractère impératif » 731. Mais, aussitôt réécrit, le Code du travail s’est retrouvé sous le
feu des critiques : il serait obèse et sa complexité constituerait un frein à l’activité économique. Sa
réécriture complète selon un plan plus systématique a été envisagée en 2016. Le projet, pharaonique,
a peu de chances d’aboutir à bref délai.
Au total, plus de 40 codes ont été recodifiés entre 1989 et 2015 – le
nombre total de ceux existants étant d’ailleurs donné avec une marge
d’erreur 732. La Commission supérieure de codification avait estimé, dans
son 21e rapport annuel (2011), que le droit codifié représentait
désormais 44 % de l’ensemble des dispositions législatives et
réglementaires (62 % des premières et 30 % des secondes). Pour autant,
le chantier ne sera pas clos avant des années ; il ne le sera peut-être
même jamais.
D’abord à cause de retards administratifs : plusieurs ordonnances n’ont pu être prises en raison
de l’expiration des délais impartis par les lois d’habilitation ; ainsi, le Code électoral et le Code de
l’urbanisme (qui devaient être refondus), le Code général de la fonction publique et le Code des
métiers et de l’artisanat (qui devaient être créés) n’ont pas vu le jour. De même, certains codes
attendent toujours leur partie réglementaire des années après la publication de leur partie législative
– ou bien sa finition quand le plan reste parcellaire (il lui manque des « Livres »). Ensuite, de
nouveaux projets sont esquissés régulièrement, dont certains touchent à des codes majeurs qu’il
conviendrait de rendre plus intelligibles (Code général des impôts, Code des assurances, Code de
procédure pénale, etc.) 733. Enfin, même s’ils sont de facture récente, les codes vieillissent aussi vite
que les lois non codifiées et leur refonte s’avère rapidement nécessaire (ex. : le Code de la
consommation, refondu en 2016 734, ou le Code de la santé publique).

144. Codification à droit constant : neutralité affichée. – Le


propre de la codification à droit constant est de ne rien changer sur le
fond. Elle est neutre à l’égard du sens de la loi réformée ou, plutôt,
reformulée : « l’abrogation d’une loi à la suite de sa “codification à
droit constant” ne modifie ni la teneur des dispositions transférées, ni
leur portée » 735. Cette constance affirmée a des conséquences juridiques,
très particulières ou très générales.
Une fois que le législateur ou le gouvernement, par voie
d’ordonnance, a adopté la partie législative d’un nouveau code, une
période de plusieurs années peut s’écouler avant que ne soit adoptée sa
partie réglementaire. Un tel décalage dans le temps suscite des
difficultés : que deviennent les règlements qui avaient été pris
auparavant pour l’application des textes législatifs abrogés (afin d’être
aussitôt codifiés), désormais « orphelins » des lois dont ils procédaient
naguère ? De façon symétrique, les nouveaux textes codifiés se trouvent
subitement dépourvus des décrets et arrêtés d’application indispensables
à leur mise en œuvre. La Cour de cassation s’appuie sur la spécificité de
la « codification à droit constant » pour admettre la survivance des
règlements d’application : ceux-ci appliqueront désormais les textes
légaux qui, au sein du nouveau code, reprennent la substance des lois
antérieures, à moins que leur abrogation expresse ou tacite ne soit
établie. Le nouveau code adopte ainsi les règlements orphelins, sauf
incompatibilité de contenu 736.
L’entrée en vigueur en 2008 du nouveau Code du travail, auquel il fut
reproché d’avoir introduit plusieurs règles de fond inédites, a conduit la
Cour de cassation à présumer, avec autorité et d’une manière générale,
que, « sauf dispositions expresses contraires, la recodification est
intervenue à droit constant » 737. Elle s’était déjà prononcée en ce sens
après l’entrée en vigueur de l’ancien Code du travail 738. Cette
présomption de constance est plus qu’une règle d’interprétation : elle
coupe court à toute interprétation nouvelle qui divergerait de celle
antérieurement retenue par la jurisprudence 739. Mais le juge du droit
peut-il ainsi garantir le maintien à l’avenir d’une certaine interprétation
de la loi sans enfreindre la prohibition des arrêts de règlement (art. 5) ?

Nos 145-149 réservés.


LIVRE II
RÉALISATION DU DROIT

150. Actions et preuves. – La mise en œuvre des règles juridiques


s’opère par la réalisation du droit objectif. Le justiciable demandant
l’application d’une règle doit emprunter les voies de droit qui lui sont
ouvertes à l’intérieur du système judiciaire. Les voies de droit sont les
actions en justice exercées devant des juridictions, tenues par des
magistrats. Pour réussir son procès, il doit apporter la preuve du bien-
fondé de sa prétention.
Le droit se réalise donc au moyen d’une organisation de la justice
(Titre I) et dans le respect des règles de preuve (Titre II).

Nos 151-154 réservés.


TITRE I
ORGANISATION DE LA JUSTICE

155. Juridictions, jugements et gens de justice. – La justice n’est


pas seulement une vertu. Elle constitue aussi un pouvoir aux mains de
juridictions (Chapitre I) dont l’office est de rendre des jugements
(Chapitre II) et dont le fonctionnement est assuré par des gens de justice
(Chapitre III).
CHAPITRE I
JURIDICTIONS

156. Justice publique et justice privée. – Il existe deux façons de


concevoir la façon de rendre la justice. Ou bien elle est une obligation
de l’État envers le citoyen 740 : la justice doit alors être étatique et
publique (Section I). Ou bien elle est l’affaire personnelle des parties en
litige : la justice devient privée et secrète (Section II).

SECTION I
JUSTICE PUBLIQUE

157. Une organisation ; dualité de juridictions 741. – 1º) La justice


est, en France, rendue par l’État, plus précisément par des tribunaux qui
jugent « au nom du Peuple français ». Il en existe un grand nombre et
une grande variété répartis sur tout le territoire, constituant une
organisation. Une organisation administrative, d’abord : les chefs de
cour d’appel (premier président et procureur général, dans l’ordre
judiciaire) ont une autorité hiérarchique sur les magistrats de leur
ressort 742. Une organisation juridictionnelle, ensuite : la voie d’appel
ouvre un double degré de juridiction conduisant au réexamen, en
seconde instance, des décisions prises en première instance, sauf
exceptions. Au sommet de l’édifice se trouvent deux cours, le Conseil
d’État et la Cour de cassation, dominant, l’une, l’ordre des juridictions
judiciaires (§ 1), l’autre, celui des juridictions administratives (§ 2).
2º) La dualité de juridictions – judiciaires et administratives – est contestable en raison de sa
complexité et de son manque de lisibilité 743. Leur fusion avait déjà été envisagée dans les années
1960 par Jean Foyer, lorsqu’il était garde des Sceaux, mais l’idée suscita de véhémentes oppositions.
§ 1. JURIDICTIONS JUDICIAIRES

On distingue, au sein de l’ordre judiciaire, les juridictions du fond (I)


et la Cour de cassation (II).

I. — Juridictions du fond

158. Juridictions civiles et carte judiciaire. – 1º) Depuis la réforme


réalisée par l’ordonnance no 58-1273 du 22 décembre 1958, la
juridiction civile de droit commun dans l’ordre judiciaire est le tribunal
de grande instance (TGI). Il en existait 164 en 2015 – pour 100
départements. Son caractère de droit commun signifie qu’il « connaît de
toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence
n’est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la
demande, à une autre juridiction » (C. org. jud., art. L. 211-3).
À l’inverse, les juridictions d’attribution sont celles auxquelles le
législateur a conféré une compétence particulière dérogeant à celle du
TGI.
Sont compétents en raison de la nature de l’affaire, en première instance, les tribunaux de
commerce 744, les conseils de prud’hommes (C. trav., art. L. 1411-1), les tribunaux paritaires des
baux ruraux (C. rur., art. L. 491-1 et s.), les tribunaux des affaires de la sécurité sociale et les
tribunaux du contentieux de l’incapacité (CSS, art. L. 142-1 et L. 143-1). Par ailleurs, certains juges
uniques désignés au sein du TGI forment à eux seuls une juridiction : le juge de l’exécution (JEX)
(C. org. jud., art. L. 213-5), le juge aux affaires familiales (JAF) (C. org. jud., art. L. 213-3) et le juge
de l’expropriation (C. expr., art. L. 13-1). Le président du TGI a lui-même des compétences
juridictionnelles propres : il rend des ordonnances sur requête (sans débat contradictoire : C. pr. civ.,
art. 493) et des ordonnances sur référé (en cas d’urgence ou « soit pour prévenir un dommage
imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » : C. pr. civ., art. 808 et 809 745).
De manière plus générale, les tribunaux d’instance (au nombre de
307, statuant à juge unique) connaissent des actions personnelles ou
mobilières jusqu’à la valeur de 10 000 € (le « taux de compétence »).
Comme toutes les juridictions judiciaires (depuis le D. 13 mai 2005), ils
statuent en « premier et dernier ressort » jusqu’à la valeur de 4 000 € (le
« taux de ressort »), ce qui signifie que l’appel est impossible (C. org.
jud., art. L. et R. 221-4). Néanmoins, le TGI conserve quelques
domaines de compétence exclusive (C. org. jud., art. R. 211-4,
concernant par ex. le droit de la famille ou la propriété immobilière).
La loi du 9 septembre 2002 a créé, dans le ressort de chaque cour d’appel, une juridiction de
proximité composée de magistrats non professionnels. Comme il était prévisible, le législateur a
étendu sa compétence (L. 26 janv. 2005 ; D. 13 mai 2005), en dépit de l’hostilité des magistrats
professionnels. Elle connaît « en matière civile, [...] des actions personnelles ou mobilières jusqu’à
la valeur de 4 000 € » (C. org. jud., art. L. 231-1 et s.). Il est prévu, le 1er janvier 2017, de supprimer
les juridictions de proximité et de restituer leurs compétences aux tribunaux d’instance (jusqu’à la
valeur de 10 000 €). Mais les « juges de proximité » survivront ; ils seront intégrés aux TGI et aux
tribunaux d’instance où ils siégeront en qualité d’assesseurs ou exerceront des fonctions
juridictionnelles (L. no 2011-1862, 13 déc. 2011, art. 70, mod.). Plus de la moitié d’entre eux sont des
retraités (souvent des anciens magistrats ou avocats).
La juridiction de droit commun au second degré est la cour d’appel. Il
en existe 36, divisées en chambres spécialisées (civile, sociale,
commerciale...). Tout jugement ou ordonnance rendu en première
instance peut être frappé d’appel, sauf s’il a été rendu en premier et
dernier ressort ou si la loi a fermé cette voie de recours.
2º) Vieille de cinquante ans, inadaptée aux besoins des justiciables
dont la répartition sur le territoire avait profondément évolué, la carte
judiciaire fut réformée par deux décrets (D. no 2008-145 et no 2008-
146) du 15 février 2008. Plus de 300 juridictions ont été supprimées
(notamment 178 tribunaux d’instance, 21 tribunaux de grande instance,
55 tribunaux de commerce, 62 conseils de prud’hommes). En 2015, au
total, ce sont 1 140 juridictions judiciaires qui assurent le service public
de la justice. Les justiciables peuvent déterminer la juridiction dont ils
relèvent sur un site officiel (www.annuaires.justice.gouv.fr).

159. Juridictions pénales. – Le droit pénal repose sur une division


tripartite des infractions, dont le critère réside dans la gravité de la peine
encourue, qui ordonne du même coup la structure des juridictions
pénales. À cet égard, il existe des juridictions de jugement,
d’instruction, d’application des peines et aussi quelques juridictions
d’exception.
1º) Pour les juridictions de jugement, au premier degré, les crimes
relèvent des cours d’assises (composées d’un jury populaire de six jurés
tirés au sort, plus trois magistrats), les délits des tribunaux
correctionnels (formation pénale du tribunal de grande instance), les
contraventions des tribunaux de police (formation pénale du tribunal
d’instance, sauf à Paris). Toutes leurs décisions sont susceptibles d’un
appel porté, pour les crimes, devant une autre cour d’assises (comptant
cette fois neuf jurés, plus trois magistrats) et, pour les délits et
contraventions, devant la chambre des appels correctionnels de la cour
d’appel.
2º) La poursuite d’un crime ou – de façon facultative – d’un délit
requiert l’ouverture préalable d’une information judiciaire conduite par
une juridiction d’instruction. Au premier degré figure le juge
d’instruction, magistrat du siège appartenant à un tribunal de grande
instance, qui décidera in fine du renvoi du mis en examen devant une
cour d’assises ou un tribunal correctionnel (sauf s’il rend une
ordonnance de non-lieu). Au second degré se tient la chambre de
l’instruction, au sein de la cour d’appel, qui statue sur les recours
formés contre les actes d’enquête accomplis et les ordonnances prises
par le juge d’instruction (ou, en matière de détention provisoire, par le
juge des libertés et de la détention 746).
3º) À l’autre extrémité de la procédure, la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 a juridictionnalisé la
phase consécutive à la condamnation pénale définitive (phase post sententiam) qui relève désormais
d’un juge, d’un tribunal ou d’une chambre (au sein de la cour d’appel) de l’application des peines
(JAP, TAP ou CHAP).
4º) À côté de ces juridictions de droit commun, le système judiciaire répressif connaît des
juridictions d’exception. Elles ont compétence pour juger les infractions commises par les
gouvernants (Haute Cour de justice pour le Président de la République [Const., art. 68], Cour de
justice de la République pour les ministres [Const., art. 68-1 à 68-3]), les mineurs (juge des enfants,
tribunal pour enfants, cour d’assises pour mineurs), les militaires (tribunal aux armées de Paris, en
temps de paix et hors de France, ou tribunaux territoriaux des forces armées, en temps de guerre) ou
les gens de mer (tribunaux maritimes commerciaux).
II. — Cour de cassation

160. Origine. – La Cour de cassation tire son origine d’une


institution de l’Ancien Régime, le Conseil des parties (section du
Conseil du Roi). Celui-ci jouait le rôle d’un juge de cassation à l’égard
des Parlements, depuis un règlement du 28 juin 1738, œuvre du
chancelier D’Aguesseau 747. À la Révolution, le décret des 27 novembre-
1er décembre 1790 institua un Tribunal de cassation 748 qui ultérieurement
prit le nom de Cour de cassation 749. Elle est dite aussi (mais
inexactement) Cour suprême 750 ou Cour régulatrice.
« Il y a, pour toute la République, une Cour de cassation » 751. Celle-
ci comporte six chambres : trois chambres civiles spécialisées dans des
matières distinctes, une chambre commerciale et financière, une chambre
sociale et une chambre criminelle. Le législateur a, en outre, introduit
des formations spécifiques en son sein 752.
Il n’est pas rare que des divergences surviennent entre les jurisprudences des chambres : il n’y a
plus alors, en fait, une Cour de cassation, mais plusieurs. Afin de rétablir l’harmonie, les conseillers
peuvent se réunir au sein de formations transversales rassemblant des représentants de deux ou trois
chambres (la chambre mixte), voire de toutes (l’Assemblée plénière, avec 19 magistrats) 753.
La Cour de cassation est juge du droit et non du fait : elle ne constitue pas un troisième degré de
juridiction 754.

161. Arrêts. – La Cour de cassation prononce des arrêts de « rejet »


(elle rejette le pourvoi formé devant elle) ou de « cassation » (elle casse
l’arrêt de cour d’appel ou le jugement entrepris). Un rejet met un terme
définitif à l’instance et confère « force de chose jugée » à la décision des
juges du fond. Une cassation entraîne le renvoi de l’affaire devant une
juridiction « de renvoi », de même nature que celle dont émane la
décision annulée, à moins que ne soit prononcée une « cassation sans
renvoi » 755.
En cas de second pourvoi portant sur la même question de droit,
l’assemblée plénière de la Cour de cassation est réunie. Si elle prononce
une seconde cassation, identique à la précédente, une seconde
juridiction de renvoi est désignée qui, cette fois, sera tenue de se
soumettre à la solution juridique adoptée 756. La résistance des juges du
fond est à l’origine de ces pourvois successifs qui, par un travail de
sape, convainquent parfois la Cour de cassation de faire volte-face en
opérant un revirement de jurisprudence.
Dans les motifs de ses arrêts, la Cour de cassation est toujours sobre :
l’exposé des faits n’occupe qu’une place restreinte, nettement dissociée
de l’énoncé de la règle de droit. La Cour n’explicite pas les « motifs de
ses motifs » mais on peut parfois les trouver ailleurs 757.
162. Identification et cotation des arrêts. – Les arrêts s’identifient par leur date plus que par le
nom des parties (au contraire de la pratique en droit administratif et à l’exception des décisions
notoires). Leur recherche s’effectue par le numéro de pourvoi en version intégrale et informatique
(sur www.legifrance.gouv.fr ; la publication sur papier a été abandonnée en 2008).
Le numéro de pourvoi est complété de lettres qui signalent l’importance de l’arrêt (à l’image des
étoiles dans un guide gastronomique) : la lettre P indique que l’arrêt est publié au Bulletin des arrêts
(civils ou criminels) de la Cour de cassation (près de 90 % sont « inédits », non publiés), la lettre B
indique qu’un résumé doit paraître au Bulletin d’information rapide de la Cour de cassation (BICC),
la lettre R signale la mention de l’arrêt dans le Rapport annuel et la lettre I sa mise en ligne sur le
site internet de la même Cour. Les arrêts marqués PBRI, les plus étoilés, sont considérés comme très
importants par les magistrats qui les ont rédigés. Les arrêts inédits sont marqués D (une copie étant
simplement diffusée auprès des professionnels abonnés) et, en règle générale, sont mineurs 758. Ce
code est lui-même précédé de lettres qui indiquent si l’arrêt a été rendu en formation ordinaire (F),
restreinte (FS) ou plénière (FP) ou s’il a fait l’objet d’un avis de non-admission (AA) 759. Exemple :
pourvoi no 04-12345 FP-PBRI.
Le Conseil d’État (en son sein, le Centre de recherches et de diffusion juridiques) procède lui-
même à une sélection de ses arrêts en vue d’une éventuelle publication au Recueil Lebon (le recueil
officiel des décisions du CE) : les décisions A, d’intérêt majeur, sont publiées intégralement au
Recueil ; les décisions B, qui complètent ou étendent une jurisprudence établie, sont uniquement
« mentionnées » aux tables du Recueil (sous la forme d’un résumé) ; enfin, les décisions C, qui se
bornent à illustrer une jurisprudence établie, restent inédites. Mais elles sont toujours accessibles sur
le site www.legifrance.gouv.fr. au moyen du numéro de la requête.

163. Avis. – En plus de son activité contentieuse qui la conduit à


rendre plus de 30 000 arrêts par an (un quart en matière pénale), la Cour
exerce une fonction consultative plus modeste dans la procédure de
« saisine pour avis » : lorsque se pose une « question de droit nouvelle,
présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux
litiges », les juridictions civiles peuvent solliciter de la Cour un avis,
dépourvu de valeur obligatoire (C. org. jud., art. L. 441-1 et s.,
art. R. 441-1) 760. « L’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé
la demande » ni d’ailleurs les chambres de la Cour de cassation statuant
au contentieux qui viendraient à être saisies du même type de litige. À
l’inverse, une question n’est pas nouvelle lorsque la solution découle
déjà d’une « jurisprudence constante » de la Cour de cassation 761. La
procédure s’étend aux juridictions pénales, à l’exception des
juridictions d’instruction et de la Cour d’assises 762.
Alors que les « avis » connaissent une inflation en droit positif 763, le nombre d’avis rendus par la
Cour de cassation est dérisoire : depuis 1996, entre 2 et 20 sont rendus chaque année (par ex., 6 en
2015, 18 en 2007). L’intégralité de ces avis (à la différence de ceux du Conseil d’État) figure sur le
site internet de la Cour de cassation 764. Ils ne doivent pas être confondus avec les opinions qui
ressortent des rapports ou conclusions rédigés par les magistrats de la Cour ou, de façon plus
exceptionnelle, les questions-réponses qu’elle diffuse afin de résoudre rapidement des difficultés
d’interprétation liées à une loi nouvelle 765.
Il existe, en outre, une procédure de saisine interne : la chambre saisie d’un pourvoi peut
solliciter l’avis d’une autre chambre sur un point de droit qui relève de la compétence de celle-ci
(C. pr. civ., art. 1015-1).

§ 2. JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

164. Séparation des pouvoirs. – La loi des 16-24 août 1790 766 et le
décret du 16 fructidor an III 767 ont posé le principe de la séparation des
pouvoirs défendu par Montesquieu, entendue ici comme la séparation
des fonctions judiciaire et administrative (ou exécutive) 768. L’essor de la
juridiction administrative au XIXe siècle 769 a modifié la signification de ce
principe. Désormais, il n’est plus question de séparer le juge de
l’administration (au contraire, dans un État de droit, l’administration
doit habituellement être soumise au contrôle des tribunaux), mais
seulement d’assigner aux ordres de juridictions judiciaire et
administratif des compétences étanches, exclusives les unes des
autres 770.
Le tracé de la frontière entre le contentieux administratif et le contentieux judiciaire soulève
parfois des difficultés : il revient au Tribunal des conflits de trancher ces conflits de compétences,
tantôt « négatifs », tantôt « positifs ». Créé par la L. 24 mai 1872 (mod. L. 16 févr. 2015 ; D. nº 2015-
233, 27 févr. 2015), composé de quatre conseillers à la Cour de cassation et de quatre conseillers
d’État, le Tribunal des conflits est saisi : 1) par le préfet en cas de « conflit positif » (= une
juridiction judiciaire a retenu sa compétence et le préfet, estimant que le litige ressortit à la
compétence de la juridiction administrative, « élève » le conflit) ; 2) par la dernière juridiction saisie
dans un but de « prévention de conflit négatif » (= l’une des deux juridictions a d’ores et déjà décliné
sa compétence et la seconde ne compte pas retenir la sienne) ; 3) par les parties en cas de « conflit
négatif » (= les juridictions des deux ordres se sont déclarées irrévocablement incompétentes sans
renvoyer au Tribunal des conflits) ; 4) en cas de « contrariété » de décisions « conduisant à un déni
de justice » ; 5) un nouveau cas, beaucoup plus souple, a été ajouté en 2015 : une juridiction de l’un
ou l’autre ordre peut renvoyer directement au Tribunal une question de compétence soulevée dans un
litige. Le Tribunal des conflits rend moins de cinquante arrêts par an.

165. Hiérarchie. – Le Conseil d’État culmine l’ordre des juridictions


administratives. Aux échelons inférieurs figurent, au premier degré,
trente-six tribunaux administratifs 771 et, au second degré, huit cours
administratives d’appel 772.
À la différence de la Cour de cassation, le Conseil d’État statue
parfois en premier et dernier ressort (ex. : recours en annulation contre
un décret, une ordonnance ou un arrêté ministériel), parfois comme juge
d’appel. Son rôle principal est d’être un juge de cassation, statuant en
droit seulement 773. En dehors d’une « section contentieuse » (composée
de dix sous-sections), il compte cinq « sections administratives », à rôle
consultatif, qui délivrent des avis sur des projets de lois, d’ordonnances
ou de décrets, ou bien à la demande du gouvernement. Ici aussi, une
procédure particulière de saisine pour avis permet aux juridictions du
fond de solliciter, dans une procédure contentieuse, un avis non
obligatoire sur une « question de droit nouvelle, présentant une
difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges » 774.
Il existe par ailleurs une cinquantaine de juridictions administratives à compétence spéciale. Elles
statuent en matière financière (Cour et chambres régionales des comptes ; Cour de discipline
budgétaire et financière), disciplinaire 775 ou dans des domaines spécifiques 776. Les décisions
qu’elles rendent sont susceptibles d’un recours en cassation devant le Conseil d’État.

SECTION II
JUSTICE PRIVÉE

166. Justice privée, justice barbare ? – Dans un système juridique


primitif, il revient à chacun d’assurer le respect de son droit : le titulaire
du droit violé se fait justice à lui-même ; c’est la justice privée. Elle est
l’expression même du désordre, de la barbarie, une mascarade de
justice ; il s’agit d’une pure vengeance, où le fort écrase le faible sans
égard pour la légitimité des droits en présence. En outre, elle trouble la
paix publique. Dans un État de droit, la justice privée est interdite.
Seule l’autorité publique est habilitée à faire respecter les droits des
particuliers au travers d’une justice d’État : « nul ne peut se faire justice
à soi-même » 777.
Des reliquats de justice privée subsistent dans diverses branches du droit : la légitime défense en
droit pénal et en droit international public 778, le droit de rétention et l’exception d’inexécution en
droit civil ou international, la grève (côté salariés) et le lock-out (côté employeur) en droit du
travail, l’exécution en bourse ou la vente forcée d’actions non libérées en droit des sociétés, la
faculté de remplacement (dans la vente commerciale) prévue par un usage commercial (en matière
civile, elle doit être autorisée par le juge : art. 1144), etc.
Le « droit de résistance à l’oppression » – pouvant aller jusqu’au régicide ou au tyrannicide – fut
défendu par Aristote, Saint Thomas, des huguenots français tels Hotman (dans une floraison
d’ouvrages hostiles au roi, parus après le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572, dont les
extrémistes catholiques de la Ligue [Guise et Bourbon] retourneront la thèse « monarchomaque »
contre Henri III puis Henri IV). Il fut surtout érigé en principe constitutionnel par John Locke en
1690 779. Il avait auparavant été discuté par Grotius et Pufendorf qui prônèrent néanmoins un devoir
d’obéissance absolu du peuple au souverain, même tyrannique 780, au nom d’une justice naturelle 781.
Le droit de résistance a finalement été inscrit à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen du 26 août 1789 782. Mais l’article 17, conjurant une dérive subversive, prévient aussitôt
que « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par
la résistance ». Ainsi, pour le juge pénal, les délits d’outrage ou de rébellion envers des dépositaires
de l’autorité publique restent punissables malgré l’illégalité de leurs actes 783 ; la légitime défense ne
peut être invoquée à leur encontre 784 : la violence de l’État est donc présumée, de façon irréfragable,
conforme au droit et les citoyens sont tenus de l’endurer. Par exemple, l’état de nécessité (C. pén.,
art. 122-7) ne justifie pas la destruction de plants de riz transgéniques destinée à prévenir les risques
que ces cultures expérimentales feraient courir à la santé humaine et à l’environnement 785. Certes, en
sens inverse, la personne (par ex. un fonctionnaire ou un militaire) qui accomplit un crime ou un délit
commandé par une « autorité légitime » (publique) est tenue de désobéir si l’acte s’avère
« manifestement illégal » (C. pén., art. 122-4), suivant la théorie dite des « baïonnettes
intelligentes » 786. Mais cette désobéissance demeure passive et marginale. La désobéissance active
tombe au contraire sous le coup de multiples incriminations pénales, même lorsqu’elle se drape dans
le respect des droits fondamentaux ou bien de convictions religieuses ou politiques (ex. : délit
d’entrave à IVG, délit de refus collectif de l’impôt, crime de mouvement insurrectionnel...). Elle
prend d’ailleurs parfois des formes diamétralement opposées : un maire avait ainsi décidé de
célébrer un mariage entre personnes de même sexe, qu’il savait illégal 787 ; à l’inverse, depuis la loi
du 17 mai 2013 qui légalise le mariage homosexuel, certains maires refusent d’en célébrer.
Une justice privée peut cependant être admise lorsque, loin d’être
animée par un esprit barbare et vindicatif, elle témoigne d’un
attachement au droit. Elle devient alors l’affaire des parties mais sous la
tutelle de la loi et du juge étatique. Il en existe plusieurs formes.
Dans la Chine impériale, le prestige et la gloire des chefs féodaux consistait non à trancher les
différends surgis entre leurs vassaux d’après les coutumes qu’à faire en sorte qu’aucun ne fût jamais
évoqué en justice. Le chef conciliait ou, mieux encore, la crainte du chef (sans compter le prix de la
procédure de paix réalisée à l’aide de présents rituels) incitait les plaignants à régler entre eux leurs
querelles 788. Cet esprit marque encore les pays d’Asie (Japon, Corée) fortement influencés par la
pensée chinoise et le confucianisme 789, qui comptent un faible nombre de juges et d’avocats. De
même, les citoyens en conflit avec l’administration préfèrent exercer un recours administratif
(gracieux ou hiérarchique) qu’un recours juridictionnel qui augure d’une « bagarre juridique en plein
jour, pas du tout bénéfique pour l’harmonie à long terme » 790.

167. Arbitrage. – Sous certaines conditions, les litiges peuvent être


déférés à un juge privé qui n’a pas été investi de son autorité (imperium)
par l’État mais a été librement choisi par les parties : un arbitre 791 ou une
juridiction arbitrale.
C’est une antique institution 792 sur laquelle le droit révolutionnaire avait fondé beaucoup
d’espoirs 793. En 1806, le Code de procédure civile (ancien) était plus réservé. Une loi du 5 juillet
1972 (art. 2059 à 2061) puis un décret du 14 mai 1980 (C. pr. civ., art. 1442 à 1491) introduisirent
des règles plus libérales relatives à l’arbitrage interne et international (défini comme « celui qui met
en cause des intérêts du commerce international » : C. pr. civ., art. 1492). En droit administratif,
l’arbitrage n’est admis que dans des cas exceptionnels, prévus par la loi 794.
Les plaideurs choisissent ce « mode alternatif de règlement des litiges » parce qu’ils se méfient
des juges étatiques ou souhaitent une justice sur mesure (notamment, l’arbitre peut être habilité à
statuer en « amiable compositeur », en équité, et non en droit). Les avantages de l’arbitrage peuvent
s’avérer illusoires : la procédure est lente et coûteuse, l’impartialité et la compétence des arbitres
sont parfois fragiles. L’intérêt majeur de l’arbitrage réside dans sa discrétion qui protège le secret
des affaires.
Une juridiction arbitrale naît d’une clause compromissoire (stipulée a
priori, dans un contrat quelconque 795 mais réputée autonome) ou d’une
convention de compromis (conclue a posteriori, soit après la naissance
du litige), plus rarement de textes légaux ou réglementaires 796. La
matière contentieuse doit être « arbitrable », c’est-à-dire que les parties
doivent avoir la « libre disposition » des droits en jeu et ne peuvent
compromettre dans « les matières qui intéressent l’ordre public »
(C. civ., art. 2059 et 2060). La clause compromissoire est seulement
« valable dans les contrats conclus à raison d’une activité
professionnelle » (art. 2061), sauf arbitrage international 797.
La sentence arbitrale est un acte juridictionnel : aussi est-elle revêtue
de l’autorité de la chose jugée (C. pr. civ., art. 1476). Mais, étant l’œuvre
d’une personne privée, sa force exécutoire est suspendue à une
ordonnance d’exequatur prise par le juge de l’exécution (au sein du
TGI) qui se borne à exercer un contrôle minimum de la conformité de la
sentence à l’ordre public. Des voies de recours, obéissant à un régime
complexe, sont ouvertes devant le juge étatique contre la sentence ou la
décision d’exequatur.

168. Conciliation, médiation, transaction, procédure


participative. – L’arbitrage présente des affinités avec d’autres modes
alternatifs de règlement des litiges destinés à apaiser ou, du moins, à
adoucir les conflits.
1º) La conciliation 798 vise à mettre d’accord les parties litigantes,
réunies autour d’un conciliateur. Elle peut être obligatoire,
préalablement à une instance contentieuse. Ainsi, en droit du travail,
tout procès devant le conseil de prud’hommes doit débuter par une
tentative de conciliation (judiciaire) entre l’employeur et le salarié
(C. trav., art. L. 1411-1), laquelle échoue presque toujours (v. aussi, en
matière de divorce : art. 252 et s. ; C. pr. civ., art. 1108). Mais la
conciliation est surtout un mode facultatif de règlement des litiges. En
procédure civile, il est de principe qu’« il entre dans la mission du juge
de concilier les parties » (C. pr. civ., art. 21 799). Les conflits collectifs de
travail peuvent donner lieu à conciliation (C. trav., art. L. 2522-1 et s.),
arbitrage (ib., art. L. 2524-1 et s.) ou médiation (ib., art. L. 2523-1 et s.).
Au-delà du droit national, la Cour européenne des droits de l’homme
« peut se mettre à la disposition [des parties] en vue de parvenir à un
règlement amiable » (Conv. EDH, art. 39).
2º) La médiation 800 est de nature extrajudiciaire (c’est-à-dire
conventionnelle. C. pr. civ., art. 1530 et s.) ou judiciaire. Elle se
caractérise par l’intervention d’un tiers, le médiateur, qui s’efforce de
concilier les parties et, de surcroît, leur suggère une issue possible sans
se borner à rapprocher leurs points de vue. Au cours d’une procédure
civile, tout juge peut désigner un conciliateur de justice avec l’accord
des parties ; bien plus, si la loi prévoit une conciliation préalable
obligatoire (v. ci-dessus), le juge peut « leur enjoindre de rencontrer un
médiateur qu’il désigne » 801. Le plus souvent facultative, la médiation
est devenue omniprésente : en droit civil de la famille (par ex., en
matière de divorce et d’autorité parentale : art. 255 et 373-2-10), en
droit de la consommation (par ex., dans les baux d’habitation :
L. 6 juill. 1989, art. 20), en droit du travail (textes préc.), en droit
pénal 802, etc.
La médiation est universelle et quasiment intemporelle. Depuis les années 1960, elle est très
pratiquée aux États-Unis et au Canada. Elle se développe maintenant en France 803. En échappant à la
pathologie du procès, elle est peut-être l’avenir du droit. Elle recherche non la solution la plus exacte
en droit mais celle qui maintient la convergence des intérêts des parties : « dissoudre le litige plutôt
que le résoudre » 804. Les parties qui sont d’accord pour y recourir appartiennent généralement au
même milieu économique et culturel.
La jurisprudence reconnaît l’effet obligatoire des clauses de médiation ou de conciliation qui
interdisent aux parties de saisir le juge sans respecter cette étape préalable (sauf en droit du
travail) 805.
La faveur contemporaine pour cette pratique s’explique par la volonté
d’éviter une action en justice trop lente, trop formaliste et de nature à
attiser les passions : la médiation serait la panacée contre ces maux 806.
Certes, elle peut être apaisante, mais elle peut aussi être une perte de
temps et d’argent ou une incitation à la mauvaise foi : l’action en justice
est parfois préférable.
De façon symbolique, la médiation voisine avec le droit (dans des
« Maisons de la justice et du droit » distinctes des tribunaux) et ne se
confond pas avec lui 807. Cependant, la prescription d’une action civile
est suspendue à compter du jour où les parties au litige conviennent de
recourir à la médiation ou à la conciliation (art. 2238, L. 17 juin 2008).
Le droit communautaire a encouragé à son tour le recours à la médiation dans les litiges
transfrontaliers en matière civile et commerciale parce qu’il la juge de nature à favoriser l’accès à la
justice. La transposition d’une directive sur ce thème (Dir. no 2008/52, 21 mai 2008) a fourni
l’occasion de créer un cadre juridique commun à la médiation et à la conciliation extrajudiciaires
(conventionnelles), applicable aux seuls litiges internes. Il y est rappelé, en particulier, que le
conciliateur et le médiateur accomplissent leur mission avec « impartialité, compétence et
diligence » et sont soumis au « principe de confidentialité » (ord. 16 nov. 2011, modifiant la
L. 8 févr. 1995 ; C. pr. civ., art., 1530 et s., D. 20 janv. 2012). Il est quelque peu ridicule d’avoir
affirmé ces évidences.
Le conciliateur et le médiateur ne sont pas des arbitres car ils
n’exercent pas de fonction juridictionnelle et ne rendent aucune
sentence obligatoire.
3º) La transaction est un contrat par lequel les parties décident de
clore un litige né ou à naître (art. 2044) en effectuant des concessions
réciproques. Il s’agit d’une convention abdicative (les parties renoncent
à agir en justice) conclue sans l’intervention d’un tiers. Elle a cependant
« entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort »
(art. 2052) : cet effet unique explique qu’elle ne puisse être attaquée
devant un tribunal que dans des cas très limités (ni pour erreur de droit,
ni pour lésion mais seulement pour erreur sur la personne, sur l’objet,
dol ou violence). Par ailleurs, le président du tribunal de grande instance
peut, en matière civile, lui conférer « force exécutoire » (C. pr. civ.,
art. 1441-4), de même qu’un notaire 808. En droit public, le juge
administratif peut, dans des cas particuliers, décider son
homologation 809. La transaction est répandue en droit du travail (après
un licenciement) et a connu un essor important en droit pénal sous des
appellations diverses (composition pénale, « plaider coupable » et
transaction proprement dite) 810.
4º) La convention de procédure participative est une création
récente (art. 2062 et s., L. no 2010-1609, 22 déc. 2010, art. 37 ; C. pr.
civ., art. 1542 et s.). Il s’agit d’une convention écrite à durée déterminée
dans laquelle les parties à un différend (au sujet d’un contrat, d’un
divorce, d’un licenciement, par ex.), qui n’a pas encore donné lieu à la
saisine d’un juge ou d’un arbitre, « s’engagent à œuvrer conjointement
et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ». Assistées de
leur avocat, les parties tentent de parvenir à un accord (le cas échéant
sous la forme d’un « acte d’avocat » 811 ou, mieux encore, d’une
transaction) qu’elles pourront soumettre à l’homologation du juge ; à
défaut, elles lui soumettront le différend persistant en étant dispensées
de toute conciliation ou médiation (sauf litige du travail qui doit
toujours être soumis au bureau de conciliation du conseil de
prud’hommes). Ce mode alternatif de règlement des litiges est inspiré
d’une pratique anglo-américaine. Il attribue un monopole aux avocats
qui n’a guère de justification.

169. Justices sans droit ; justices restauratrice et


transitionnelle. – Ces mécanismes consensuels ont toujours pour
ressort le droit.
En dehors du droit, il y a des pseudo-tribunaux, que Jean Carbonnier
nommait des simili-tribunaux (du genre tribunal populaire ou « tribunal
Russell »), une caricature de justice, parodique ou théâtrale, visant
parfois à remédier à des dénis de justice flagrants 812.
Il existe aussi une justice sans droit, éloignée de la culture occidentale : la « justice
restauratrice » (restorative justice). Ce modèle prend ses racines dans les coutumes ancestrales des
tribus Maori du Pacifique ou des Indiens d’Amérique qui s’assemblaient afin de résoudre les
différends particuliers ou juger les criminels. Dans cette approche, un débat public a lieu auquel
participent non seulement la victime et l’accusé mais aussi des tiers représentant la communauté ; la
finalité première de ce dialogue tripartite est d’aider la victime « à tourner la page » de son
traumatisme, à obtenir réparation de son préjudice matériel et moral ; dans ce but, l’accusé est invité
à avouer publiquement sa culpabilité, à exprimer du remords et à solliciter le pardon tant de la
victime que des représentants de la communauté dont il a blessé les intérêts. La honte qu’on s’efforce
de lui faire ressentir tend non à l’exclure mais, au contraire, à le réintégrer au sein du groupe social
(une honte dite réintégrative, reintegrative shaming). Conceptualisée dans les années 1990, la justice
restauratrice a contribué à l’engouement du législateur pour la médiation 813.
Dans le même esprit, la « justice transitionnelle » ou « justice en transition » désigne une justice
post-conflictuelle (mise en place après une guerre, un génocide, des crimes de guerre ou des crimes
d’État, bref des crimes de masse ayant déchiré un pays) qui entend apporter une réponse aux crimes
du passé et prévenir ceux du futur. La réconciliation nationale, la quête de la vérité, la construction de
la paix, la réparation des préjudices subis par les victimes, la non-réitération des crimes sont
quelques-unes de ses finalités majeures. Cette justice a été administrée, dans un passé récent, au sein
de « Commissions Vérité & Réconciliation » (CVR), notamment après la fin de l’Apartheid en
Afrique du Sud (en 1991), sous la présidence de Nelson Mandela. Ce modèle de justice a également
été mis en œuvre par les juridictions gacaca, mises en place au Rwanda après le génocide de
1994 814. Habituellement réservées au règlement de petits litiges communautaires, ces 11 000
juridictions coutumières, composées de 250 000 juges, furent chargées de traduire rapidement les
participants au génocide (ce dont la justice étatique ou internationale était incapable) afin d’effacer le
sentiment d’impunité dans la population et de contribuer à la réconciliation nationale. Le fossé
culturel qui sépare la justice transitionnelle du procès occidental classique est profond, comme en
témoigne l’incompréhension de la Cour de cassation qui n’a voulu voir aucune différence entre une
gacaca et une juridiction étatique 815.
CHAPITRE II
JUGEMENTS

C’est par l’exercice d’une action en justice (Section I) que le


justiciable accède à son juge, afin d’obtenir de lui un jugement
(Section II) exposé aux voies de recours (Section III).

SECTION I
ACTION EN JUSTICE

170. Remedies precede rights. – En droit romain comme en Common Law, une personne ne
pouvait invoquer un droit en justice que si une action (une actio legis ou un writ) avait été
spécialement prévue pour en assurer la défense : « pas d’action, pas de droit » (remedies precede
rights). Un droit n’avait d’existence que dans la mesure où une action, un remède procédural,
permettait de sanctionner sa méconnaissance. À Rome, le progrès juridique a consisté à créer de
nouvelles actions ouvertes devant la juridiction du préteur, non à renverser l’adage. En Angleterre,
l’essor des juridictions d’Equity, concurrentes de celles de Common Law, n’a pas non plus conduit à
rompre avec cette tradition formaliste dans laquelle la procédure est la mère du droit 816 et le droit
s’est « secrété dans les interstices de la procédure » 817.

171. Droit et action ; action de groupe. – 1º) La conception du droit


français sur l’action en justice est aux antipodes : tout justiciable
dispose d’un libre accès à la justice 818, du « droit d’exercer un recours
effectif devant une juridiction » 819. En somme, tout droit subjectif 820
substantiel a pour corollaire un droit subjectif processuel, un droit
secondaire d’ester en justice pour la sauvegarde d’un droit primaire 821.
Pour autant, l’action en justice n’est pas inconditionnelle. S’il n’est
pas nécessaire d’être titulaire d’un droit au seuil de l’instance (au
contraire de ce que paraît impliquer l’adage « pas de droit, pas
d’action ») 822, le plaideur doit satisfaire à des conditions communes :
posséder la capacité d’agir en justice, être investi de la qualité pour agir,
et justifier d’un intérêt légitime 823, qu’il soit privé ou public 824.
2º) Depuis les années 1970 se sont développées des actions dites de groupe ou actions
collectives, inspirées des class actions admises aux États-Unis. Une personne morale, telle une
association de consommateurs ou un syndicat professionnel, agit au nom d’individus qu’elle entend
représenter sans avoir recueilli leur accord préalable et qui n’apparaîtront pas nominativement dans
la procédure. Un adage archaïque, dont le sens a maintes fois varié, prohibe a priori ce type de
demande : « Nul, en France, ne plaide par procureur » ; en d’autres termes, un plaideur qui se fait
représenter par un mandataire doit au moins figurer en nom dans les actes de la procédure et le
jugement 825. Mais le législateur a habilité les syndicats et un nombre croissant d’associations
(reconnues par décret) à agir en réparation de dommages de masse, soufferts par un grand nombre de
victimes qui, le plus souvent, s’abstiennent d’agir en justice en raison du coût d’un procès.
À proprement parler, il ne s’agit pas de class actions à l’américaine 826.
Toutefois, en 2014, le législateur a consacré une véritable « action de groupe ». Désormais, les
associations de consommateurs nationales agréées peuvent agir devant une juridiction civile « afin
d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une
situation similaire ou identique [...] » (C. consom., art. L. 623-1, anc. art. L. 423-1, réd. L. 17 mars
2014). Le juge qui reconnaît la responsabilité du professionnel fixe le délai dont disposent les
consommateurs pour adhérer au groupe afin d’obtenir la réparation de leur préjudice. Sur le même
modèle, une deuxième action de groupe a vu le jour au profit des usagers du système de santé
(C. santé publ., art. L. 1143-1 et s., réd. L. 26 janv. 2016).

172. Demande et défenses. – Le demandeur introduit l’instance en


formulant une « demande initiale » 827, au moyen d’une « assignation »
(devant le juge judiciaire, non pénal) ou d’une « requête » (devant le
juge administratif).
Le défendeur a la possibilité de résister à celle-ci de quatre façons : il
conteste l’existence du droit dont le demandeur se prétend titulaire
(défense au fond 828) ; il formule une demande en sens contraire
(demande reconventionnelle 829) ; il invoque un argument de procédure
(exception de procédure 830) ; il soulève l’irrecevabilité de la demande
sans examen au fond (fin de non-recevoir 831).

SECTION II
PRONONCÉ DES JUGEMENTS

173. Portée des jugements. – Une juridiction tranche des litiges en


rendant des jugements. Ces actes juridictionnels ont une nature
particulière : ils peuvent être mis à exécution par la force publique, à
condition d’avoir été revêtus de la « formule exécutoire » 832. De plus, ils
sont dotés de l’« autorité de la chose jugée » : la décision rendue est
présumée dire la vérité (res judicata pro veritate habetur) et ne peut
plus être remise en cause, sauf au moyen d’un recours juridictionnel
ouvert par la loi. Cette autorité est relative aux parties en présence, à
l’objet du litige et à la cause juridique de la demande (art. 1355) et non
absolue ; mais la jurisprudence tend à lui attribuer souvent une portée
plus vaste afin d’abréger les procès 833.
Un jugement est déclaratif ou constitutif selon qu’il se borne à reconnaître un état de fait
préexistant, de façon rétroactive (ex. : jugement constatant une paternité hors mariage), ou crée un
nouvel état de droit, pour l’avenir (ex. : jugement de divorce). L’opposition entre ces deux catégories
n’est pas tranchée : tout jugement constate à la fois une situation de fait antérieure et crée ou modifie
une situation de droit.

174. Office du juge. – Le juge exerce une double fonction 834 :


d’abord, trancher le litige, décider qui a tort et qui a raison, en exerçant
le pouvoir que la loi lui a conférée (imperium) ; ensuite, dire le droit
(juris-dictio), quitte à forger la règle nécessaire.
L’office du juge, en matière civile, pénale ou administrative, est déterminé par des règles de
procédure et de preuve. Sa liberté est variable selon les disciplines : ainsi, en matière pénale, le
caractère inquisitoire de la procédure et la liberté de la preuve lui confèrent une grande latitude de
jugement, mais les règles de procédure sont formalistes ; à l’inverse, la procédure civile est à
dominante accusatoire et la loi limite la recevabilité de la preuve (art. 1359) 835 mais les concepts-
clefs du droit judiciaire privé témoignent d’une grande souplesse 836.
Surtout, l’office du juge est bridé par le principe de la séparation des
pouvoirs 837 qui lui impose d’appliquer la loi (C. pr. civ., art. 12, al. 1) et
lui interdit de se comporter en législateur en rendant des arrêts de
règlement 838.

175. Lenteur et dépassement du délai raisonnable ; filtrage des


recours. – La justice est lente, notamment la justice française. Le
reproche est séculaire 839. L’insuffisance des moyens, en matériel et
personnel, est unanimement dénoncée. Dans certaines juridictions, les
affaires nouvelles sont audiencées un an plus tard et la durée d’une
procédure peut atteindre trois, voire cinq années.
Tous les ans, le rapport de la Cour de cassation 840 évalue le « stock » des affaires à résorber, qui
a connu une croissance impressionnante. Le nombre d’affaires restant à juger au 31 décembre 2015
s’élève à environ 21 000 en matière civile et environ 3 800 en matière pénale, en sensible diminution
depuis 2001 mais en hausse constante depuis 2008. Le délai moyen de traitement d’une affaire civile
est de près de 400 jours et celui d’une affaire pénale de plus de 160 jours.
Le législateur a tardé à organiser un filtrage des pourvois, comparable à celui du Conseil
d’État 841. Depuis le 1er janvier 2002, la Cour de cassation a la faculté de déclarer « non admis les
pourvois non fondés sur un moyen sérieux de cassation » 842. Les chambres civiles rendent des
décisions de non-admission dans 20 à 30 % des pourvois et la chambre criminelle dans 60 à 70 %.
L’usage de la non-admission, qui confine au degré zéro de la motivation, a suscité quelques
critiques 843. Mais elle ne marque pas un retour à l’ancienne Chambre des requêtes (une formation de
filtrage ad hoc qui fut supprimée en 1947) : les pourvois sont examinés par la formation
juridictionnelle normalement compétente et seuls sont orientés vers la non-admission ceux qui, aux
yeux du rapporteur, satisfont au critère légal 844.
La Cour européenne des droits de l’homme, qui se trouve elle-même engorgée, s’est aussi dotée
d’un système de filtrage en 2009 845.
Quelques auteurs, estimant que l’augmentation du nombre des juges
entraîne celle des litiges, voient des avantages dans cette lenteur et cette
pénurie 846. Sans doute, plus il y a de routes, plus il y a de voitures (ce
qui ne dispense pas de construire des routes lorsqu’il y a trop de
voitures). Mais, si la pesanteur de la justice peut dissuader certains
esprits chicaneurs d’engager un procès civil ou commercial, elle est
intolérable lorsqu’elle aboutit à priver d’une réparation effective des
victimes d’actes illicites commis par l’administration (du fait de la
lenteur des tribunaux administratifs), ou d’actes de délinquance (du fait
de la lenteur de la justice pénale), etc.
Une justice différée à l’excès est une prime à l’illégalité, source d’impunité, un danger pour la
société. Elle confine au déni de justice 847 et, à ce titre, engage la responsabilité pécuniaire de l’État
sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, d’un principe général du
droit et de l’article 6, § 1, Conv. EDH 848. Le législateur français a lui-même tenu à rappeler qu’« il
doit être définitivement statué sur l’accusation dont [une personne suspectée ou poursuivie] fait
l’objet dans un délai raisonnable » (C. pr. pén. art. préliminaire, III, L. 15 juin 2000) et que « les
décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable » (C. org. jud., art. L. 111-3, ord. 8 juin
2006).
SECTION III
VOIES DE RECOURS

176. Classification. – Les voies de recours juridictionnelles se


classent en diverses catégories, communes aux contentieux civil (C. pr.
civ.), pénal (C. pr. pén.) et administratif (C. just. adm.). Une autre
classification sera ici retenue, distinguant voies de réformation (§ 1),
d’annulation (§ 2) et de rétractation (§ 3).

§ 1. VOIES DE RÉFORMATION

177. Double degré de juridiction. – L’appel est la voie de


réformation par excellence : il tend à obtenir un second jugement de la
même affaire par une juridiction hiérarchiquement supérieure.
L’« appelant » est la partie qui « interjette » appel ; son adversaire se
nomme l’« intimé ». L’arrêt rendu par le juge du second degré
« infirme » ou « confirme » le jugement attaqué.
L’appel met en œuvre le principe du double degré de juridiction, qui a
une triple signification : un plaideur doit pouvoir parcourir au moins
deux degrés de juridiction ; il doit avoir franchi ces deux degrés avant
de se pourvoir en cassation ; le second degré doit être le dernier 849.
Attesté chez les Égyptiens, les Hébreux 850, à Athènes et à Rome 851, le droit d’appel avait, sous
l’Ancien droit, fourni à la Monarchie un instrument commode pour soumettre les juridictions
seigneuriales à l’autorité des juridictions royales. Il existait jusqu’à sept degrés de juridiction, si bien
que les procès devenaient interminables et ruineux 852. La loi des 16-24 août 1790 « sur
l’organisation judiciaire » limita à deux les degrés à gravir pour les plaideurs tout en adoptant un
système d’appel circulaire (Titre V, art. 1er : « Les juges de district seront juges d’appel les uns à
l’égard des autres »). La loi du 27 ventôse an VIII (1800) décide enfin que « les tribunaux d’appel
statueront sur les appels des jugements de première instance » (art. 22). Ces juridictions
hiérarchiquement supérieures deviendront des cours impériales puis royales, et enfin d’appel.

178. L’appel en toutes matières. – Désormais, « la voie de l’appel


est ouverte en toutes matières » (C. pr. civ., art. 543. V. de même :
C. pr. pén., art. 496 ; C. just. adm., art. R. 811-1) y compris en matière
criminelle 853.
Le principe du double degré de juridiction subit des atteintes de deux manières : tantôt se trouve
écarté le premier degré de juridiction, ratione personæ 854 ou ratione materiæ 855 ; tantôt est exclu le
second, en raison de la modicité du litige (montant inférieur au taux de ressort) ou de restrictions
spécifiques 856.

§ 2. VOIES D’ANNULATION

179. Cassation 857. – La principale voie d’annulation est le pourvoi en


cassation qui tend à faire annuler ou censurer par une cour placée au
sommet de la hiérarchie (Cour de cassation ou Conseil d’État) les
décisions (arrêts de cours d’appel et jugements de tribunaux rendus en
dernier ressort) contraires aux règles du droit positif.
Le pourvoi en cassation est qualifié de voie « extraordinaire » de recours, c’est-à-dire qu’il n’est
ouvert que lorsque les autres voies de recours sont fermées ou épuisées. L’appel constitue
symétriquement une voie « ordinaire » de recours (C. pr. civ., art. 527).
Le juge de cassation est exclusivement juge du droit ; il ne porte
aucune nouvelle appréciation en fait. En d’autres termes, il ne constitue
pas un troisième degré de juridiction. La mission essentielle de cette
juridiction – unique par nature – est d’unifier l’interprétation du droit
(au travers de ses arrêts de rejet ou de cassation) ; elle n’est pas de
statuer sur le fond des affaires (C. org. jud., art. L. 411-2) 858. Confronté
à une question de fait et non de droit, le juge de cassation déclare s’en
remettre à l’« appréciation souveraine des juges du fond » ; si le moyen
qui motive le pourvoi est exposé pour la première fois à ce niveau, son
rejet s’impose en tant que « mélangé de fait et de droit », à moins qu’il
ne s’agisse d’un « moyen de pur droit » ou d’ordre public. Au
demeurant, il n’appartient qu’à ce juge de tracer la frontière entre le
droit et le fait 859 : c’est ainsi qu’il décide, pour des raisons variables, de
contrôler certaines notions (ou qualifications) et renonce au contrôle de
certaines autres.
Au motif que la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, « sauf disposition
législative contraire », (C. org. jud., art. L. 411-2), la Haute juridiction s’est arrogée le droit de
réexaminer les situations de fait, à la place des juges du fond, en exerçant un contrôle de
proportionnalité fondé sur les articles de la Convention européenne des droits de l’homme (qui serait
une « disposition législative contraire » !) 860.
La Cour de cassation effectue le contrôle d’une notion (qui devient
alors une notion « de droit » et non plus « de fait ») afin d’assurer
l’unité de la jurisprudence. Elle abandonne ce contrôle aux juges du
fond lorsque celui-ci implique l’appréciation de données davantage
factuelles (trop techniques ou psychologiques) qui, d’une part, ne
ressortent guère des dossiers de procédure et, d’autre part, ne peuvent se
décomposer en éléments simples, si bien qu’un éventuel contrôle serait
impossible à réaliser et dépourvu d’effet à l’égard des juridictions du
fond (ex. : le contenu de la loi étrangère en matière de conflits de lois, la
volonté commune des parties à un contrat, la bonne foi ou l’état de
démence, etc. ; au contraire, la qualification de force majeure se laisse
contrôler par l’examen de ses conditions juridiques). Plus
prosaïquement, la Cour renonce au contrôle lorsqu’elle souhaite se
débarrasser d’un contentieux qui l’engorge 861.
De 20 à 30 % des arrêts rendus en matière civile et moins de 10 % de ceux rendus en matière
pénale prononcent une cassation (arrêts dits « de censure »). Fort utile pour terminer un litige, la
cassation sans renvoi (qui représente seulement 1 % des arrêts rendus en matière pénale mais de 10 à
20 % de ceux rendus en matière civile, avec d’importantes fluctuations selon les années) peut
entraîner une dérive. Dans certains cas, la Cour de cassation a apprécié les faits et coupé court à des
débats qui auraient pu se dérouler devant la cour de renvoi 862.
L’auteur d’un pourvoi doit présenter des « moyens » de cassation
qu’il développe dans un « mémoire ampliatif ». Dans l’ordre judiciaire,
ces moyens sont divisés en « branches » (introduites par la locution
« alors que... ») et invoquent des « cas d’ouverture à cassation »
immuables. Ces derniers sont, principalement, la violation ou la fausse
application de la loi 863, le manque de base légale 864, le défaut de
motivation 865 et la dénaturation.
L’article 3 du décret des 27 novembre-1er décembre 1790 avait assigné un rôle très étroit au
Tribunal de cassation, par défiance envers les anciens Parlements : « Il annulera toutes procédures
dans lesquelles les formes auront été violées et tout jugement qui contiendra une contravention
expresse au texte de la loi ». Le Tribunal (devenu Cour, en 1804) de cassation étendit son contrôle à
la « fausse application » 866 et à la « fausse qualification » 867 de la loi, au manque de base légale 868
puis à la dénaturation d’un écrit clair et précis 869, soit les actuels cas d’ouverture. La loi du 1er avril
1837 supprima le dernier vestige du système de référé législatif 870 : désormais, en cas de second
pourvoi et de nouvelle cassation sur le même point de droit, la Cour impose une solution définitive à
la juridiction de renvoi par un arrêt rendu « toutes les chambres réunies » (en Assemblée plénière,
depuis la L. 3 juill. 1967).

180. Recours pour excès de pouvoir. – Le contentieux administratif


renferme une voie d’annulation supplémentaire d’une grande
importance : le recours pour excès de pouvoir. Celui-ci est dirigé non
contre une décision juridictionnelle, comme un pourvoi en cassation,
mais contre un acte administratif (règlement ou décision individuelle)
dont la légalité est critiquée ; la juridiction compétente est en principe le
tribunal administratif.
Les moyens de cassation formulés devant le Conseil d’État correspondent aux griefs d’illégalité
motivant un recours pour excès de pouvoir : d’une part, l’incompétence et l’existence d’un vice de
procédure ou de forme (légalité externe) ; d’autre part, la violation de la loi – ou l’erreur de droit –
et le détournement de pouvoir (légalité interne). À ceux-ci s’ajoutent la fausse qualification juridique,
le défaut de motivation, le contrôle de la matérialité des faits et de la dénaturation 871.

§ 3. VOIES DE RÉTRACTATION

181. Remise en cause. – Les voies de rétractation permettent à un


justiciable de solliciter d’une juridiction la remise en cause d’un arrêt
ou d’un jugement qu’elle a elle-même rendu. Trois hypothèses
apparaissent.
1º) Un défendeur a été défaillant lors de l’instance – à laquelle il avait été cité mais n’a pas
comparu – et une décision a été rendue contre lui « par défaut » : l’opposition lui permet, sous de
strictes conditions, d’obtenir le retrait de cette dernière et un nouveau jugement.
2º) Une décision, quoique dotée d’une autorité relative de chose jugée, porte préjudice à un tiers
qui n’était aucunement partie à l’instance : ce dernier pourra obtenir, au moyen d’une tierce-
opposition, que cette sentence lui soit déclarée inopposable ou annulée.
3º) Une partie condamnée veut soumettre à la juridiction des éléments de fait nouveaux tendant à
démontrer qu’elle a commis une erreur judiciaire : un recours en révision conduira, le cas échéant, à
l’annulation de la condamnation 872.

Nos 182-189 réservés


CHAPITRE III
GENS DE JUSTICE

190. Magistrats 873. – Les juridictions sont composées de magistrats.


Tous les magistrats ne sont pas des juges : à côté de ceux qui tranchent
les litiges figurent les représentants du Ministère public – c’est-à-dire de
la société – qui suggèrent aux juges des décisions mais ne décident pas.
Dans l’ordre judiciaire, les juges professionnels sont les magistrats du
siège, membres de la magistrature « assise », tandis que les représentants
du Ministère public (le Parquet) appartiennent à la magistrature
« debout » 874. Leur recrutement suit les mêmes voies (l’un des trois
concours d’accès à l’École nationale de la magistrature ou le
recrutement direct) mais leur statut diffère sur un point fondamental : un
principe constitutionnel garantit aux magistrats du siège leur
inamovibilité et leur indépendance (Const., art. 64), alors que les
« parquetiers » sont exposés aux mutations forcées et soumis à l’autorité
hiérarchique de leur supérieur (procureur de la République ou procureur
général) et du garde des Sceaux qui peut leur adresser des « instructions
générales d’action publique » (C. pr. pén., art. 30).
Tous les juges ne sont pas des fonctionnaires ou des professionnels. Ainsi, les membres des
tribunaux de commerce (juges consulaires) et des conseils de prud’hommes (juges prud’homaux) sont
élus. De simples citoyens peuvent exercer une fonction juridictionnelle aux côtés de juges de carrière
(système dit de l’échevinage) : par exemple, les jurés de cours d’assises sont tirés au sort à partir des
listes électorales ; de même, le tribunal pour enfants est composé d’un juge pour enfants entouré de
deux assesseurs, nommés par arrêté du garde des Sceaux.
Dans l’ordre administratif, les juges portent tous le titre de
« conseillers » 875 et les représentants du Ministère public celui de
« Rapporteurs publics (naguère “Commissaires du gouvernement”) ». Si
l’indépendance des juridictions administratives revêt une valeur
constitutionnelle, l’inamovibilité des conseillers d’État n’a qu’un
fondement coutumier ; celle des conseillers de cours et tribunaux est
implicitement consacrée par la loi 876. Les rédacteurs de la Constitution
de 1958 ont considéré que les magistrats administratifs étaient des
fonctionnaires exerçant des fonctions juridictionnelles. Le recrutement
s’opère sur concours (ceux de l’École nationale d’administration et de
conseillers des tribunaux administratifs) ou par la voie du « tour
extérieur ». La composition des juridictions administratives spéciales
est, quant à elle, hétéroclite.

191. Responsabilité des magistrats. – En théorie, les juges qui


manquent à leurs devoirs engagent leur responsabilité disciplinaire et
civile.
1º) L’article 43 de l’ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958
relative au statut de la magistrature dispose que « tout manquement par
un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à
la dignité constitue une faute disciplinaire. Constitue un des
manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée
par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie
essentielle des droits des parties ». La sanction relève alors du Conseil
supérieur de la magistrature. Celui-ci peut être saisi par le garde des
Sceaux, les procureurs généraux près les cours d’appel et, depuis 2011,
par les justiciables (Constit., art. 65, al. 10).
Sur environ 300 plaintes de justiciables reçues chaque année, le CSM n’en déclare recevable
qu’une dizaine et ne prononce quasiment aucune sanction contre les magistrats, du siège ou du
parquet 877. Les fautes reprochées restent anecdotiques (conflit d’intérêts, injures, état d’ébriété,
exhibition sexuelle au cours d’une audience... 878). Le fait de « twitter » des messages cyniques et
outrageants durant un procès de cour d’assises a été qualifié de faute déontologique grave 879. Mais le
juge d’instruction qui porte la responsabilité de l’affaire d’Outreau (où douze personnes
soupçonnées d’abus sexuels sur mineurs, placées en détention provisoire sur la foi d’accusations
fantaisistes, furent finalement acquittées) n’a reçu qu’une « réprimande ».
2º) L’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire affirme
ensuite que « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le
fonctionnement défectueux du service de la justice ». Toutefois, « cette
responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni
de justice ». Surtout, les justiciables ne peuvent attaquer directement le
magistrat fautif : « L’État est civilement responsable des
condamnations en dommages et intérêts qui sont prononcées à raison
de ces faits contre les juges, sauf son recours contre ces derniers »
(C. org. jud., art. L. 141-3) 880. L’article 11-1 de l’ordonnance de 1958
(mod. L. 18 janv. 1979) confirme que « la responsabilité des magistrats
qui ont commis une faute personnelle se rattachant au service public de
la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de l’État »,
portée devant une chambre civile de la Cour de cassation. L’article 48-1
de cette même ordonnance (issu de la loi organique du 5 mars 2007 qui
constitua une réponse législative à l’affaire d’Outreau) ajoute que des
poursuites disciplinaires peuvent (et non doivent) être engagées par le
ministre de la Justice ou les chefs de cour d’appel intéressés, contre le
magistrat responsable de la condamnation de l’État (ord. 22 déc. 1958,
art. 48-1).
Certaines affaires pénales raniment périodiquement le débat sur la responsabilité personnelle des
magistrats incompétents ou arbitraires dans l’exercice de leurs fonctions. De fait, celle-ci reste
purement théorique, notamment parce que l’État, s’il a été condamné à indemniser les victimes,
n’exerce jamais l’action récursoire prévue par la loi, et parce que la définition de la faute
disciplinaire (art. 43 préc.) demeure toujours aussi étroite 881.
La responsabilité pénale d’un juge ne peut être engagée par un
plaideur au titre de la décision de justice qu’il a rendue, compte tenu du
principe constitutionnel garantissant l’indépendance des magistrats du
siège et du secret du délibéré ; la décision litigieuse ne peut être
critiquée que par l’exercice des voies de recours 882. Cette immunité
s’étend aux magistrats du Ministère public lorsqu’ils prennent une
décision ou la parole à l’audience 883.
La Cour de cassation estime que ce régime de responsabilité (ou plutôt d’irresponsabilité) ne
prive pas le justiciable d’accès au juge et ne contredit pas les exigences d’un procès équitable au
sens de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH ; en contrepartie, elle a élargi la notion de faute lourde au
sens de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, définie désormais comme « toute
déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public
de la justice à remplir la mission dont il est investi » 884.
La violation de l’exigence d’impartialité et du droit de toute personne « à ce que sa cause soit
entendue équitablement » découlant de l’article 6, § 1 Conv. EDH n’est sanctionnée que dans des
situations caricaturales 885.

192. Auxiliaires de justice. – De nombreuses professions, distinctes


de la magistrature, participent à l’œuvre de justice : ce sont des
auxiliaires de justice. Certains sont des fonctionnaires, tels les greffiers
des cours et tribunaux. La plupart exerce une profession libérale. Il en
existe plus de 140 000.
1º) Figurent, au premier plan, les avocats 886 qui assument une double
mission d’assistance des plaideurs au cours du procès ainsi de
représentation et de conseil de leurs clients dans les actes juridiques.
Chaque avocat est inscrit à un ordre d’avocats (un « barreau ») rattaché à
un tribunal de grande instance. En 2015, il en existait plus de 60 000
(soit une augmentation de plus de 40 % en dix ans), dont 40 % sont
inscrits au barreau de Paris ; 53 % des avocats sont des femmes (3 % en
1960).
La profession d’avocat a, en France, tout au long de son histoire, fait preuve de courage,
d’indépendance et défendu les libertés. Elle a toujours eu une imagination créatrice exerçant une
influence importante sur l’évolution du droit. Elle a eu aussi ses vautours et ses incapables. Dans les
pays totalitaires (ex. : la Chine populaire), l’avocat place les intérêts de l’État au-dessus de ceux de
ses clients, ce qui est la négation de la défense.
2º) Viennent ensuite des officiers ministériels. Titulaires d’un office
ministériel (une « charge ») qu’ils ont acquis et peuvent céder à titre
onéreux (avec l’agrément du garde des Sceaux), ils jouissent d’un
monopole pour effectuer certains actes juridiques. Entrent dans cette
catégorie : les notaires ; les huissiers de justice ; les commissaires-
priseurs ; les greffiers des tribunaux de commerce (vestiges du passé) ;
les administrateurs et mandataires judiciaires à la liquidation des
entreprises ; enfin, les avocats au Conseil d’État et à la Cour de
cassation, qui détiennent un monopole de représentation devant ces
deux juridictions.
3º) Les cours d’appel et la Cour de cassation établissent chacune des listes de techniciens qui, à
l’occasion d’un litige, peuvent se voir désigner en qualité d’experts judiciaires par le juge. Comme
887
les conciliateurs de justice et les médiateurs , ils n’exercent pas leur office d’auxiliaire à titre
professionnel.

Nos 193 à 199 réservés.


TITRE II
LA PREUVE
PREMIÈRES VUES SUR LA PREUVE

200. Domat. – Selon Domat, « on appelle preuve ce qui persuade


l’esprit d’une vérité [...]. On appelle preuves en justice les manières
réglées par les lois pour découvrir et pour établir avec certitude la
vérité d’un fait contesté » 888.
Depuis l’origine du droit (1), la preuve exerce une influence capitale
sur les règles de fond (2) ; elle est étroitement liée à la procédure (3) et
entretient un rapport particulier avec la vérité (4).

1) Évolution

201. De la divinité à l’électronique 889. – Dans les droits primitifs et


jusqu’au XIIIe siècle en Europe a prospéré une justice sacrée dans
laquelle le juge se faisait l’interprète de la divinité auprès du peuple. Les
modes de preuve, nommées ordalies (ou jugements de Dieu),
présentaient un caractère irrationnel et religieux : épreuves de l’eau 890 ou
du feu 891, serment 892, duel judiciaire 893, etc. La preuve d’un droit, au
travers d’une épreuve physique, se confondait avec celle d’un fait – peu
important la vérité 894.
Les ordalies subsistent dans l’arrière-fond de la pensée collective, au travers d’expressions
populaires (« j’en mettrais ma tête à couper » ou « la main au feu » ; « croix de bois, croix de fer, si
je mens je vais en enfer »...).
À partir du XIIIe siècle, canonistes et romanistes développèrent un
système de preuves rationnelles (légales, d’une certaine façon), dont
l’autorité était savamment graduée : au sommet figurait le notorium (fait
notoire ou règle notoire, autorité de la chose jugée, aveu en justice ou
sous la torture, présomptions juris et de jure) puis les probationes
plenæ (preuves pleines : double témoignage, acte authentique), les
probationes semiplenæ (preuves semi-pleines : témoignage unique, acte
privé, commune renommée...) et, enfin, les indicia (indices, valant un
quart ou un huitième de preuve). La logique était arithmétique : deux
preuves « semi-pleines » faisaient une preuve « pleine », deux quarts
faisaient une demie, etc. 895. Désormais, la preuve de la règle de droit ou
d’un acte juridique (par ex. un contrat) ne se déduit plus seulement de la
preuve d’un fait. Le serment et les ordalies, pourtant très utilisés, n’y
ont aucune place 896.
À partir du XIVe siècle, l’écrit acquiert une primauté sur la preuve orale
(« lettres passent témoins »), auparavant prééminente (« témoins passent
lettres ») 897. Depuis la fin du XXe siècle, l’écrit électronique égale l’écrit
papier 898.

2) Preuve et existence du droit

202. Idem est non esse... – Un droit méconnu ou violé ne peut être
protégé par l’autorité publique si son existence n’est pas établie. N’être
titulaire d’aucun droit ou ne pouvoir démontrer l’existence d’un droit
véritable sont, en pratique, équivalents : pas de preuve, pas de droit ou,
selon un adage traditionnel, « Idem est non esse et non probari » (c’est
la même chose que de ne pas être et ne pas être prouvé). Ihering affirmait
à cet égard que « la preuve est la rançon des droits ».
Il faut donc ne pas confondre la preuve d’un droit et son existence
même ; il convient de distinguer trois catégories de règles de forme.
1º) Les formalités ad probationem ne sont exigées que pour la preuve d’un droit (ex. : selon
l’art. 1359, le contrat qui n’est pas passé par écrit demeure valable mais ne peut être prouvé par
d’autres moyens tels que des témoignages).
2º) Certaines formalités sont nécessaires à la validité même de l’acte 899. Ce formalisme ad
validitatem a pour finalité la protection d’une personne (ex. : selon l’art. 931, une donation est nulle
si elle n’est pas constatée par un acte notarié : le donateur est ainsi protégé contre lui-même) ou
l’information d’une partie présumée faible (ex. : les mentions obligatoires dans les contrats régis par
le Code de la consommation, tels que les prêts mobiliers ou immobiliers consentis à un
consommateur ; ce dernier est présumé faible devant le professionnel).
3º) D’autres formalités, enfin, assurent une publicité légale et l’opposabilité aux tiers de l’acte
(ex. : C. civ., art. 1589-2, prescrivant l’enregistrement des promesses unilatérales de vente
immobilière).

3) Preuve et procédure

203. Carrefour ; conflits de lois dans le temps et dans l’espace. –


La preuve est à la croisée de la procédure et du fond du droit. Ses
règles, qui régissent tant l’activité du juge que le droit substantiel,
s’avèrent ainsi complexes, voire antinomiques.
La preuve judiciaire a pour finalité de convaincre le juge. Tant le
Code civil (art. 10 et 1353 à 1386-1) que le Code de procédure civile
(art. 9 à 11 et 143 à 322) réglementent la matière. Cette dualité de
sources produit d’importantes conséquences au sein des conflits de lois
(en droit transitoire et en droit international privé) dans la mesure où
règles de fond et règles de procédure n’impliquent pas les mêmes
rattachements dans le temps 900 et dans l’espace 901.
Ainsi, les règlements communautaires « Rome I » et « Rome II », sur la loi applicable aux
obligations, ont rattaché la question de la charge de la preuve à la loi applicable au fond 902.
En outre, le droit des preuves se trouve directement affecté par
l’évolution des règles substantielles et processuelles. Ainsi, la procédure
civile, à dominante accusatoire, a connu, à partir de 1971, une évolution
notable vers le modèle inquisitoire, transformant l’office du juge et, par
voie de conséquence, l’administration de la preuve 903.
Il existe néanmoins des preuves extrajudiciaires servant à démontrer un fait juridique en dehors de
tout litige (ex. : les actes d’état civil).

4) Preuve et vérité
L’histoire du droit de la preuve, notamment au Moyen-Âge et sous
l’Ancien Régime (supra), montre que la quête de la vérité fut longtemps
une préoccupation secondaire. Aujourd’hui encore, le droit ne recherche
pas toujours la vérité, même s’il interdit le mensonge et le faux.

204. Mensonge et faux. – La vérité est une réalité objective : elle est
indépendante de toute appréciation subjective car elle est l’exactitude ;
il y a le vrai et le faux. Elle n’est pas nécessairement telle que la
décrivent les autorités publiques ; Mussolini ha sempre ragione,
disaient au contraire les fascistes mussoliniens, selon une devise typique
du totalitarisme, adepte d’une « vérité objective » pouvant masquer un
mensonge 904. La recherche de la vérité n’est pas non plus un jeu ni une
affaire d’esthète 905 : elle est une obligation de la justice. Le mensonge,
au contraire, est source d’injustice, le ferment de la violence et des
révoltes. Le faux, quant à lui, est un instrument de fraude 906.
Le droit interdit le mensonge : le dol par réticence (ou réticence
dolosive) est une cause de nullité du contrat (art. 1116) ; les obligations
d’information ou de conseil abondent en législation (ex. : C. civ.,
art. 1602 ; C. consom., art. L. 111-1 et suivants) et en jurisprudence,
souvent à la charge de professionnels 907 ; la publicité mensongère et la
tromperie sont des délits (C. consom., art. L. 121-2 et L. 441-1) 908, etc.
Une preuve falsifiée est toujours irrecevable 909.
Bien plus, le droit ordonne aux citoyens de contribuer à l’éclosion de
la vérité : dans le procès civil, « chacun est tenu d’apporter son
concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », fût-ce
sous la contrainte (C. civ., art. 10, al. 1er) 910 ; dans le procès criminel, les
témoins prêtent le serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité »
(C. pr. pén., art. 331, al. 3), à peine de « témoignage mensonger »
(C. pén., art. 434-13) 911.

205. Imaginaire et fictions contre vérité. – Le droit ne recherche pas


que la vérité. Il tend aussi à l’efficacité dans l’action 912, laquelle dépend
de facteurs divers.
À cette fin, il fait appel à l’imagination. Il recourt à l’imaginaire et
aux images 913. En particulier, de nombreuses règles reposent sur des
fictions juridiques 914 telles les présomptions de droit ou légales. Ce sont
des présomptions qu’une loi spéciale attache « à certains actes ou à
certains faits » (1354, anc. art. 1350). Ces règles fictives ne dissimulent
pas une injustice ni ne méprisent les droits des personnes : elles
préservent la paix sociale, sans mentir.
Telle est la présomption légale de vérité qui s’attache à la chose jugée
(res judicata pro veritate habetur) 915 : un jugement définitif, fût-il
entaché d’erreur, ne doit plus être matière à litige 916. Telle est aussi la
présomption pater is est quem nuptiæ demunstrant (le mari d’une
femme mariée est présumé être le père de l’enfant conçu ou né pendant
le mariage ; art. 312) : en matière de filiation, toute vérité n’est pas
bonne à dire pour la stabilité du lien familial et le législateur en bannit
certaines.
Le droit de la famille contemporain, a été un moment séduit par la fiabilité des preuves
scientifiques permettant d’identifier le réel géniteur de l’enfant, est devenu adepte de la « vérité
biologique ». En matière de filiation ou de divorce, une grande liberté domine la recherche de la
preuve, au détriment du droit au respect de la vie privée, du devoir de loyauté 917 et du principe du
contradictoire. Néanmoins, si le droit ne promeut plus un modèle familial unique, comme au
XIXe siècle (celui de la famille légitime), il s’attache à protéger d’autres valeurs – les libertés
individuelles et l’intérêt de l’enfant – qui fondent les modèles familiaux multiples de la société
contemporaine. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle
perturbateur en déduisant un droit fondamental à la preuve du droit au respect de la vie familiale
garanti par l’article 8 Conv. EDH (notamment le droit de l’enfant de connaître ses origines, que la loi
française supprime en cas d’accouchement sous X 918). Le droit de la preuve est ici tiraillé entre
l’intérêt de l’individu et celui de la famille 919.

206. Vérité juridique, scientifique 920 ou historique. – 1º) La


preuve juridique diffère pourtant de la preuve scientifique ou
historique. Il revient à Bartin de l’avoir mis en lumière.
Publiant, en 1922, la 5e édition du tome XII du Cours de droit civil français d’Aubry et Rau, dont
il ne voulut pas modifier le texte, Bartin décrivit le droit de la preuve sous la forme de longues notes
de bas de page 921. Dans l’édition suivante (la 6e) 922, Paul Esmein ne suivit pas Bartin, sans pour
autant revenir à Aubry et Rau 923.
2º) La preuve scientifique poursuit une réalité objective. Afin de la
découvrir, le savant peut user de tous les moyens probatoires
imaginables, procéder à des vérifications puis rectifier ses erreurs 924. La
preuve juridique, quant à elle, vise à terminer un procès : tous les
moyens ne sont pas permis ; le droit civil rejette la liberté de la preuve –
à l’inverse du droit pénal, commercial ou administratif – et, en tous
domaines, les modes de preuve illicites sont irrecevables, en particulier
les procédés pseudo-scientifiques (ex. : le « sérum de la vérité » ou
l’hypnose en matière pénale) 925. De plus, le principe de l’autorité de la
chose jugée (art. 1355, anc. art. 1351) prohibe la révision d’un
jugement, fût-il erroné.
Dans un avenir lointain (ou pas), les neurosciences permettront peut-être d’évaluer la dangerosité
d’un délinquant en lui faisant subir un examen d’imagerie médicale (scanner ou IRM) cartographiant
la structure de son cerveau. Un « IRM fonctionnel » (scrutant les aires cérébrales activées) pourrait
révéler si un accusé ou un témoin ment ou dit la vérité, à la façon d’un détecteur de mensonges. La
même expertise ou encore un électroencéphalogramme (EEG) pourrait indiquer, d’une part, si le
criminel a agi sous l’empire d’un trouble mental ayant aboli son discernement et, d’autre part, s’il a
prémédité son acte, agi intentionnellement ou involontairement. Ce type d’interrogation, à la fois
éthique et juridique, est au cœur d’une discipline récente : le « neurodroit » (neurolaw) 926. Des
juridictions étrangères (aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Inde) ont déjà admis
que la preuve d’un trouble mental ou de l’absence d’intention soit rapportée de façon indirecte par un
EEG ou un scanner révélant une anomalie cérébrale (tumeur, épilepsie...) 927. La France est le premier
pays au monde à avoir légiféré sur la question. L’article 16-14 du Code civil (L. 7 juill. 2011)
dispose que « les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins
médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires » et avec le
consentement exprès de la personne.
3º) La preuve juridique évoque davantage la preuve historique.
Chacune procède des données de l’expérience humaine et débouche non
sur une certitude absolue mais sur une probabilité. Néanmoins, il
subsiste une différence radicale : le juge est tenu par la loi de statuer et
de dire le droit sous peine de commettre un déni de justice (C. civ.,
art. 4) 928, alors même qu’il éprouverait un doute ; au contraire,
l’historien a un droit au doute qui le dispense de prendre parti. De plus,
à l’image du savant et à l’inverse du juge, l’historien peut adopter
n’importe quelle méthode critique et a la possibilité de réviser ses
opinions.

207. Plan. – Instrument de réalisation du droit, la preuve est une


architecture subtile, bâtie sur quatre concepts : la charge de la preuve
(Chapitre I), l’objet de la preuve (Chapitre II), la recevabilité des moyens
de preuve (Chapitre III) et la force probante (Chapitre IV). En termes
plus simples, quatre questions se trouvent successivement posées : Qui ?
Quoi ? Comment ? Avec quel effet ?

Nos 208-209 réservés


CHAPITRE I
CHARGE DE LA PREUVE

210. Risque du doute. – Il est capital de désigner au seuil du procès


la personne à laquelle incombe la charge de la preuve : le demandeur ou
le défendeur 929 ? En effet, celui qui supporte le « fardeau de la preuve »
(onus probandi en latin, Burden of Proof en anglais, Beweislast en
allemand) endosse le risque du doute, c’est-à-dire le risque de perdre le
procès s’il ne parvient pas à apporter la démonstration requise 930.
Il ne pourra pallier sa carence dans l’administration de la preuve par l’exercice d’une action
fondée sur l’enrichissement sans cause ou injustifié 931.

211. Preuve et direction du procès. – « L'administration judiciaire


de la preuve et les contestations qui s'y rapportent sont régies par le
code de procédure civile » (art. 1357). La procédure civile a longtemps
été dominée par le principe de neutralité, signifiant que le juge ne devait
prendre aucune initiative au cours du procès, notamment sur le terrain
de la preuve. Il appartenait aux parties d’apporter la preuve des faits
qu’elles alléguaient, le magistrat se cantonnant dans un rôle passif 932.
Cette présentation n’a jamais rendu compte de la réalité. Un être désincarné qui se désintéresse du
procès ne pourrait rendre la justice. D’autres vertus humaines sont requises, en plus de
l’impartialité : la droiture, un esprit juste, du bon sens, une intelligence des hommes et des choses,
enfin l’autorité 933.
Caricatural, le principe de la neutralité est devenu dépassé. Le Code
de procédure civile (D. 5 décembre 1975) s’ouvre aujourd’hui sur un
chapitre intitulé « Les principes directeurs du procès ». L’expression,
doctrinale 934, recouvre un ensemble de principes opérant une
distribution équilibrée des rôles au cours de l’instance, des principes
instituant une « coopération » entre le juge et les parties en vue
d’élaborer le jugement 935.
Les articles 1er et 2 du Code de procédure civile consacrent le « principe accusatoire » ou
« principe d’initiative » qui commande de laisser aux parties le soin d’introduire l’instance, d’y
mettre fin, d’en diriger le déroulement et interdit par conséquent au juge de se saisir d’office. Les
articles 4 (al. 1) et 5 consacrent le « principe de l’immutabilité du litige » en vertu duquel les parties
déterminent par leurs prétentions respectives l’objet du litige dont le juge ne peut méconnaître les
limites en statuant infra, ultra ou extra petita. Enfin, les articles 6, 7 (al. 1), 9 et 12 de ce code
consacrent le « principe dispositif » qui impose, d’une part, aux parties d’alléguer et de prouver les
faits nécessaires au succès de leurs prétentions – sans que le juge puisse introduire de nouveaux
éléments dans le débat – et, d’autre part, à ce dernier de trancher le litige conformément au droit
applicable, qu’il est tenu de connaître (jura novit curia) et de soulever. Le principe dispositif était
naguère entendu dans un sens plus large enveloppant les trois aspects du procès qui viennent d’être
décrits 936. Aujourd’hui, la doctrine le cantonne dans cette acception restreinte.
Les « principes directeurs du procès » (C. pr. civ., art. 1 à 24), rédigés avec élégance par Gérard
Cornu (rédacteur du nouveau Code de procédure civile), forment plus une masse indivise de règles
qu’un corps de principes distincts 937. Ainsi, le principe accusatoire est écarté par l’article 3 du Code
de procédure civile qui confie au juge le soin de veiller au « bon déroulement de l’instance » et
« d’ordonner les mesures nécessaires ». Le principe d’immutabilité du litige est altéré par
l’article 4, alinéa 2, qui permet aux parties de modifier l’objet du litige « par des demandes
incidentes ». Enfin, le principe dispositif est écarté par les articles 7 (al. 2), 8, 10, 11, 12 (al. 3) et
13, qui permettent de diverses façons au juge d’introduire des faits nouveaux dans le débat ou, à
l’inverse, de solliciter des parties les « explications de droit qu’il estime nécessaires », ainsi qu’aux
parties de lier le juge sur des « points de droit ». Henri Motulsky avait prévenu : « l’empirisme a été
favorisé au détriment de la systématisation » 938.
Il existe des principes incontestables, consubstantiels à tout procès :
le juge doit « faire observer et observer lui-même le principe de la
contradiction » (C. pr. civ., art. 16) et veiller à la publicité des débats
(ib. art. 22). En d’autres termes, les preuves doivent avoir été débattues
de façon contradictoire et publique, en respectant les droits de la
défense.
Sur le modèle du Code de procédure civile, une loi du 15 juin 2000 a
introduit dans le Code de procédure pénale un « article préliminaire »
énonçant les principes directeurs du procès pénal, la plupart venant de la
Convention européenne des droits de l’homme 939.

212. Interventionnisme du juge. – Le juge est un arbitre impartial


mais non impassible. Certes, il ne peut inverser la charge de la preuve
telle que le droit l’a fixée. Mais il peut par ses interventions réduire le
risque de défaillance auquel s’expose la partie qui porte ce fardeau.
Dans les cas où il est tenu de déterminer les droits d’une partie, il ne lui
est pas permis de rester neutre et de refuser de statuer en raison de
l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies, alors qu’il pourrait
ordonner une mesure d’instruction 940.
1º) « Le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures
d’instruction légalement admissibles » (ib., art. 10) à condition qu’il ne
le fasse pas « en vue de suppléer la carence de la partie dans
l’administration de la preuve » (ib., art. 146, al. 2). Ces mesures sont
essentiellement l’enquête, le recours à un technicien (désignation d’un
expert), la comparution personnelle des parties, les attestations de tiers
et les vérifications personnelles du juge (très rares). Bien plus, des
mesures d’instruction, dites in futurum, peuvent être ordonnées « s’il
existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la
preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige » (ib.,
art. 145). Les mesures d’instruction in futurum ont suscité une
abondante jurisprudence qui leur confère généralement une grande
efficacité 941.
Le juge effectue les mesures d’instruction « [...] les parties présentes ou appelées » (ib., art. 179,
al. 1er). La preuve d’un fait ne saurait résulter d’investigations personnelles conduites par lui en
dehors de l’audience 942. Pour autant, il n’est pas tenu d’avoir une « ignorance encyclopédique » de
la réalité 943 et peut s’appuyer sur la connaissance qu’il a acquise de faits notoires 944, généraux 945,
accessibles à tous (tels une loi étrangère 946, une règle scientifique, un fait historique).
2º) Le juge peut enjoindre à l’autre partie de produire un élément de
preuve (ib., art. 11, al. 2 et art. 145, préc.), ce qui marque l’abandon en
procédure civile de l’adage nemo tenetur edere contra se (nul n’est tenu
de prouver contre soi) qui subsiste en procédure pénale (droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination ou droit au silence 947). Un tiers peut
même se voir ordonner de produire des documents « s’il n’existe pas
d’empêchement légitime » (ib., art. 11, al. 2, et art. 138) 948 ; cette faculté
est abandonnée à la discrétion du juge 949.
Les parties, quant à elles, ne trouveront aucun refuge dans l’inertie.
Le juge peut tirer « toute conséquence d’une abstention ou d’un refus »
de participer à une mesure d’instruction (ib., art. 11, al. 1er) et, si le
défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond (ib.,
art. 472).
La situation se complique lorsque les éléments de preuve recherchés par une partie se situent dans
un pays étranger ou, à l’inverse, lorsqu’une partie étrangère sollicite qu’on lui remette des preuves
disponibles en France. Une disposition insolite (appelée « loi de blocage ») interdit, sous peine de
sanctions pénales, « à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, oralement
ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial,
industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures
judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci » (L. no 68-678, 26 juill.
1968, art. 1er bis, L. no 80-538, 16 juill. 1980). Le but était à l’origine de contrecarrer une recherche
de preuves en France qui aurait été ordonnée aux États-Unis par un juge dans la phase dite de
discovery précédant le procès civil 950 et de lutter ainsi contre l’espionnage économique 951. Mais la
loi de blocage ne peut être invoquée lorsque la demande de preuve est formulée sur le fondement
d’un traité international relatif à « l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou
commerciale ». Le plus important est la Convention de La Haye du 18 mars 1970 (liant 58 États) qui
organise une transmission des commissions rogatoires puis, en retour, des preuves obtenues par
l’intermédiaire d’autorités centrales (en France, le Bureau de l’entraide civile et commerciale
internationale, rattaché au ministère de la Justice). Au sein de l’Union européenne, le règlement (CE)
no 1206/2001 du 28 mai 2001 autorise une transmission directe des preuves entre les juridictions qui
peuvent même exécuter un acte d’instruction directement sur le territoire d’un autre État membre (par
exemple, en procédant à l’audition d’une partie en visio-conférence) ; mais, en pratique, les
justiciables préfèrent solliciter directement le juge étranger.

213. Qui ? – À qui incombe la charge de la preuve ? Selon un adage


traditionnel, « actori incumbit probatio » : la charge de la preuve
incombe au demandeur (actor) 952. Mais le défendeur (reus) peut
soulever une exception en défense. Il se transforme alors en demandeur
et supporte la charge de la preuve relativement à cette exception : reus in
excipiendo fit actor. Ce double principe figure à l’article 1353 (ancien
art. 1315) : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la
prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le
paiement (c’est-à-dire l’exécution) ou le fait qui a produit l’extinction
de son obligation » 953.
Par exemple, le cocontractant qui réclame à l’autre partie le paiement
du prix doit d’abord prouver l’existence d’un contrat 954. Cette preuve
faite, celui qui prétend avoir payé doit démontrer le paiement (en
produisant une quittance ou un reçu) 955. D’une manière générale, le
débiteur qui ne s’estime pas ou plus tenu doit prouver un moyen de
défense ou une fin de non-recevoir qui le libère de son obligation, en
démontrant par exemple : une cause de nullité, la force majeure, des
faits qui entraînent la mise en œuvre d’une clause d’exclusion de
garantie ou d’exonération de responsabilité, la forclusion ou la
prescription de l’action en paiement 956, etc.
Aussi limpides soient-elles, ces formules sont approximatives. À
l’épreuve de la réalité, de nombreuses incertitudes apparaissent. Deux
exemples typiques peuvent être cités, concernant les contrats de vente et
de prêt 957.
Lequel, du vendeur ou de l’acheteur, doit prouver que la chose a été livrée ? Réponse : « Sauf
convention particulière, l’obligation pour l’acheteur de payer le prix de vente résulte de
l’exécution complète par le vendeur de son obligation de délivrance » 958. Il incombe donc à ce
dernier d’en rapporter la preuve.
En cas de remise d’une somme d’argent que le bénéficiaire refuse de restituer au remettant, ce
dernier doit-il prouver l’existence d’un contrat impliquant une telle restitution (un prêt ou un dépôt)
ou le bénéficiaire doit-il prouver l’existence d’un contrat de donation (un cadeau) à son profit ? La
réponse est en deux temps. 1) « La preuve d’une remise des fonds ne suffit pas à justifier
l’obligation de celui qui les a reçus de les restituer » 959 (symétriquement, lorsque l’existence d’un
prêt est établie, le prêteur doit « apporter la preuve de l’exécution préalable de son obligation de
remise des fonds » 960). 2) Il incombe au destinataire de la remise qui a reconnu l’existence d’un prêt,
en signant une reconnaissance de dette, de prouver qu’il n’était pas tenu à restitution, notamment en
prouvant que les sommes mentionnées ne lui ont pas été remises (c’est-à-dire que le prêt n’a pas de
cause) 961. Reste à déterminer quels modes de preuve sont recevables (preuve littérale ou par tous
moyens) compte tenu de l’article 1359 962.
Comme Bartin l’avait observé, le raisonnement varie en fonction de
chaque situation litigieuse 963. En outre, au regard de la procédure, il
n’existe guère de cloison étanche entre la demande et la défense (de
même qu’il est souvent artificiel de dissocier le fait du droit 964). En
pratique, chaque partie produit ses preuves pour combattre l’allégation
inverse, même si le fardeau de la preuve ne lui échoit pas 965, attitude qui
semble d’ailleurs prudente compte tenu du recul de la procédure
accusatoire 966.
214. Doute 967 et convention particulière. – 1º) Dans certains
domaines, la volonté du législateur de protéger la partie la plus faible l’a
conduit à écarter l’article 1353 (ancien art. 1315) au profit d’une règle
plus subtile : le fardeau ou la charge de la preuve n’incombe à aucune
des parties ; il appartient au juge d’apprécier le bien-fondé de leurs
prétentions respectives au vu des éléments qu’elles ont fournis sans que
la charge de la preuve incombe à l’une ou à l’autre ; le doute qui
viendrait à subsister in fine profitera au défendeur (in dubio pro reo).
En droit du travail, la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement, des divers types de
discriminations ou de harcèlement et celle du temps de travail effectif obéit à ce schéma (in dubio
pro operario) 968. Dans le même esprit, la loi dispose que les clauses des contrats proposées par les
professionnels aux consommateurs s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au
consommateur (C. consom., art. L. 211-1, al. 2, à rapprocher de l’art. 1190 du Code civil : « Dans le
doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat
d’adhésion contre celui qui l’a proposé ») 969. Certaines victimes bénéficient de la même sollicitude
(ex. : L. no 2002-303, 4 mars 2002, art. 102, le doute sur l’origine de la contamination par le virus de
l’hépatite C à la suite d’une transfusion sanguine bénéficie au demandeur).
En matière de dommages causés à l’environnement, le « principe de précaution » 970 n’autorise
pas un allégement de la charge de la preuve 971. Cependant, une doctrine suggère d’introduire ici une
action en « responsabilité civile préventive » autonome qui redéfinirait toutes les conditions de la
responsabilité civile (C. civ., art. 1240). En particulier, la preuve d’une faute ne serait pas requise
(seulement celle de l’exposition à un risque grave, une « faute de précaution »), le dommage ne serait
pas actuel ni même futur et certain (seulement éventuel), aucune victime n’aurait à être identifiée
individuellement, le lien de causalité serait présumé et la charge de la preuve serait fortement
aménagée sinon renversée sur l’acteur économique mis en cause 972. De la sorte, le principe de
précaution introduirait une métamorphose, une nouvelle « éthique » de la responsabilité 973.
2º) Les parties à un contrat peuvent convenir par une clause
particulière d’attribuer à l’une d’elles la charge de la preuve 974. Mais, là
encore, le juge peut s’y opposer pour protéger la partie faible au contrat
(tel un salarié 975). De même, dans les contrats conclus entre des
professionnels et des consommateurs, sont réputées « abusives » les
clauses ayant pour objet ou effet d’imposer au consommateur « la
charge de la preuve, qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber
normalement à l’autre partie au contrat » (C. consom., art. R. 212-1, anc.
art. R. 132-1, 12º).
215. Normal, apparent et politique juridique. – 1º) Par-delà ces
nuances, il existe, dans le champ de l’article 1353 (anc. art. 1315) du
Code civil, une règle commune qui permet de désigner a priori celui sur
qui repose la charge de la preuve et d’évaluer le poids de ce fardeau : ce
qui est normal et apparent n’a pas à être prouvé.
Le recours à un huissier peut s’avérer utile : puisque celui-ci constate une situation apparente, le
défendeur ne peut la contester qu’en apportant la preuve de la réalité 976. Un huissier est également
nécessaire afin de prouver le contenu véritable d’une enveloppe adressée par lettre recommandée
avec accusé de réception – notamment lorsque l’enveloppe est vide, selon un stratagème répandu 977.
Ainsi, celui qui se prévaut d’un droit de créance devrait, dans
l’absolu, établir au préalable la validité de l’acte juridique qui lui donne
naissance, et toutes les conditions de validité d’un contrat (un
consentement exempt de vices, la capacité des parties, un contenu licite
et certain : art. 1128). Pourtant, c’est au débiteur qu’il revient de
démontrer l’existence d’une cause de nullité 978. Il est à cela plusieurs
raisons. D’abord, une preuve intégrale serait fastidieuse sinon
impossible à administrer 979. Ensuite, il n’y a pas lieu d’exiger la preuve
de ce qui est normal, probable ou du moins habituel ; c’est au contraire
l’acte anormal qui doit être établi par celui qui l’invoque. Or, la validité
d’un acte est la règle et sa nullité l’exception (habituellement, le
consentement est sain et les parties sont capables). Enfin, le fardeau de
la preuve doit peser sur celui qui prétend détruire une apparence 980, qui
entreprend de modifier une situation de fait au risque de troubler la paix
sociale (quieta non movere : les situations paisibles ne doivent pas être
perturbées). Or, sous réserve de malfaçon criante, un acte juridique est
en apparence valable.
De même, « il incombe à la partie qui invoque la violation par l'arbitre du principe de la
contradiction d'en apporter la preuve » 981. En matière de nationalité française, si la charge de la
preuve incombe en principe « à celui dont la nationalité est en cause », elle incombe à celui qui
conteste la qualité de Français à un individu titulaire d’un certificat de nationalité française (art. 30).
2º) Cette logique abstraite n’indique pas toujours quelle est la
solution retenue par la loi ou par le juge. La charge de la preuve obéit
aussi à une politique juridique visant à protéger les intérêts de parties
placées en position d’infériorité : le fardeau de la preuve est allégé
lorsqu’il pèse sur les épaules du locataire 982, de l’assuré 983, du salarié 984,
du client d’un professionnel tenu à une « obligation particulière » de
conseil ou d’information 985 ou encore de la victime d’un dommage qui
s’inscrit dans une affaire de santé publique (contaminations
transfusionnelles par le virus du SIDA ou de l’hépatite, infections
nosocomiales, pathologies provoquées par un médicament dangereux 986).
Mais la charge de la preuve peut être déplacée en sens inverse en faveur
des intérêts du commerce 987 ou de ceux de l’Administration 988.

216. Présomptions 989 : mécanisme. – Selon l’élégante définition que


donnait l’ancien article 1349 du Code civil, « les présomptions sont des
conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait
inconnu ». Cette opération de l’esprit consiste, en premier lieu, à tenir
pour vrai un fait probable ou simplement possible : c’est la loi du
plerumque fit (il arrive la plupart du temps que...). Elle consiste, en
second lieu, à alléger le fardeau de la preuve pesant sur l’une des parties
en substituant à l’objet initial de la preuve un autre objet plus facile à
démontrer ; en pratique, il suffira d’établir quelques éléments de fait
contigus (le « fait connu ») pour que soit par là même prouvé le « fait
inconnu » qui fonde au principal la demande. En des termes plus
simples, une présomption tient « pour certains » certains actes ou
certains faits et, ce faisant, elle « dispense celui au profit duquel elle
existe d’en rapporter la preuve » (art. 1354). Mais une présomption ne
dispense pas de toute preuve.
Trois exemples. 1) Selon l’article 312, « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le
mari » (pater is est quem nuptiæ demonstrant) : rien ne prouve que l’enfant de l’épouse est l’œuvre
de son mari mais cela est probable parce que, le plus souvent, les épouses sont fidèles à leur mari ; il
suffit, dès lors, d’établir que l’enfant a été conçu ou est né pendant le temps du mariage pour que la
paternité du mari se trouve présumée. 2) Selon l’article 2276, alinéa 1er, « en fait de meubles, la
possession vaut titre » : la preuve d’une possession (de bonne foi) d’un meuble (corporel et
individualisé) fait présumer que le possesseur a un titre de propriété sur la chose. 3) Les
articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la route présument que le titulaire de la carte grise d’un
véhicule (fait connu) est coupable des infractions à la réglementation sur le stationnement et les
vitesses maximales autorisées (fait inconnu), à moins qu’il ne prouve un événement de force majeure
ou n’établisse quel a été le véritable conducteur (présomption simple).

217. Présomptions : régime. – Par nature, les présomptions sont


simples (= juris tantum) en ce sens qu’une partie est toujours recevable
à apporter la preuve contraire, par tout moyen de preuve, celle de
l’inexistence du « fait inconnu » présumé.
D’autres présomptions revêtent un caractère irréfragable (= juris et
de jure) : nul n’est admis à les renverser pour (r)établir la vérité. Il s’agit
là cependant de règles de fond plus que de preuve puisqu’elles
aboutissent, cette fois-ci, à dispenser une partie de toute preuve
(art. 1354). Il en est ainsi de la présomption d’« autorité de la chose
jugée » (art. 1355, anc. art. 1351) 990. Il arrive néanmoins que la structure
du raisonnement demeure typique d’une présomption, règle de preuve.
Par exemple, la jurisprudence sociale considère que l’absence d’énonciations par l’employeur,
dans la lettre de licenciement adressée au salarié, des motifs de la rupture du contrat de travail
(C. trav., art. L. 1232-6 et L. 1233-16) fait irréfragablement présumer que celle-ci n’a aucune cause
réelle et sérieuse. En établissant le défaut formel de motivation (fait connu), le salarié démontre
l’inexistence de tout motif légitime de licenciement (fait inconnu), quelle que soit la vérité. Il n’y a
pas dispense de preuve mais, à nouveau, allégement du fardeau selon la loi du plerumque fit (la
plupart du temps, le mutisme de l’employeur sur la cause réelle et sérieuse dissimule le caractère
abusif du licenciement).
Il existe enfin une catégorie intermédiaire : les présomptions mixtes.
Une présomption est dite mixte « lorsque la loi limite les moyens par
lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être
renversée » (art. 1354, al. 2). Ainsi, les présomptions de responsabilité,
qui se découvrent dans la loi ou la jurisprudence, tiennent pour certains
la faute et le lien de causalité avec le dommage ; elles admettent la
preuve contraire, mais leur renversement est difficile, car elles ne cèdent
que devant la preuve d’un cas de force majeure, rarement admis.
Par exemple, les présomptions de responsabilité (délictuelle) du fait des choses et du fait d’autrui
que la Cour de cassation déduit de l’article 1242 (ancien art. 1384) 991 et celle qu’elle attache à une
obligation de résultat (dans un contrat) 992, la présomption d’imputabilité applicable aux accidents du
travail (CSS, art. L. 411-1) ou d’accident de la circulation (L. 5 juill. 1985, art. 1er) et la présomption
de culpabilité de l’auteur d’une contravention en droit pénal (C. pén., art. 121-3, dern. al.) ne cèdent
que devant la preuve d’une force majeure ou d’une cause étrangère. En droit, elles sont simples ; en
pratique, elles sont irréfragables.
Cette situation hybride est parfois le fruit d’un conflit de
présomptions : ainsi, la présomption d’innocence, de valeur
constitutionnelle, ne tolérerait pas que le législateur consacre des
présomptions irréfragables de culpabilité 993. Dans cette ligne, les droits
douanier et fiscal regorgent de présomptions 994 dont le législateur ou le
juge ont dû admettre le renversement sous la menace de l’article 6, § 1
(principe de l’égalité des armes, aspect du « procès équitable ») ou 6,
§ 2 (droit à la présomption d’innocence) de la Convention européenne
des droits de l’homme.
Le Code civil oppose les présomptions « établies par la loi », de droit
(qui viennent d’être étudiées), aux « présomptions qui ne sont pas
établies par la loi » (présomptions judiciaires ou de fait). Celles-ci
« sont laissées à l’appréciation du juge [« abandonnées aux lumières et
à la prudence du magistrat » disait l’ancien art. 1353], qui ne doit les
admettre que si elles sont graves, précises et concordantes »
(art. 1382). Il ne s’agit que d’indices de fait 995. Leur recevabilité est
restreinte à l’hypothèse où la preuve est libre, c’est-à-dire que « la loi
admet la preuve par tout moyen » (ibid.), à la différence de véritables
présomptions. Mais certains faits constants et réguliers peuvent se muer
en présomptions de droit, selon la loi du plerumque fit 996.

218. Règles de preuve et règles de fond. – Les règles attribuant la


charge de la preuve (sous l’influence de la politique juridique) ou
allégeant ce fardeau (les présomptions irréfragables) mêlent la preuve et
le fond du droit. Cette intimité est accentuée par le lien étroit unissant le
fond du droit à la procédure 997, dans la mesure où la preuve et la
procédure sont indissociables 998. Une définition permet d’en déterminer
le domaine respectif : la preuve a pour objet la démonstration d’un fait ;
la règle de fond régit les conséquences juridiques résultant d’un fait
établi.
219. réservé.
CHAPITRE II
OBJET DE LA PREUVE

220. Quoi ? – L’objet de la preuve est de convaincre le juge en


établissant un fait et non la règle de droit, alors même qu’elle aurait une
influence déterminante. La preuve a pour objet un fait matériel
(Section I) et pertinent (Section II) qui est la source d’un droit prétendu.
Celui sur qui repose la charge de la preuve (v. supra, nº 210) doit mettre en œuvre certains
moyens (v. infra, nº 230) afin de démontrer l’existence de ce fait pertinent.

SECTION I
UN FAIT, PAS LE DROIT

221. Jura novit curia ; le fait et le droit. – La règle de droit ne peut


être l’objet de la preuve car le juge connaît le droit (jura novit curia) 999
et doit en faire application d’office 1000, ce qu’explique le brocart : « da
mihi factum dabo tibi jus » (le juge dit au plaideur : donne-moi les faits,
je te donnerai le droit). Règle majeure que consacre le Code de
procédure civile en attribuant la charge de prouver le fait aux parties 1001
et l’application du droit au juge 1002.
Aussi fondamentale soit-elle au regard de l’organisation judiciaire 1003,
la distinction a sa part d’artifice. « L’allégation d’un fait est toujours
colorée de droit » 1004 ; réciproquement, chaque variation du droit
applicable peut conduire les parties à modifier leur version des faits. Le
Code de procédure civile prévoit que le juge peut « inviter les parties à
fournir les explications de fait » (art. 8) et les « explications de droit
qu’il estime nécessaires à la solution du litige » (art. 13).
Le juge est tenu d’user de cette faculté s’il ne parvient pas à mettre la main sur la règle de droit
dont l’existence est avérée. Ainsi, « si une partie au procès invoque une convention collective
précise, le juge doit se procurer par tous moyens ce texte qui contient la règle de droit
éventuellement applicable au litige, au besoin en invitant les parties à lui en faire parvenir un
exemplaire » 1005.
Le procès devant être achevé dans un « délai raisonnable » (Conv. EDH, art. 6), les plaideurs
doivent y contribuer. Désormais, « il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à
la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci » ; le
demandeur ne peut être admis à contester l’identité de cause de ses demandes successives en
invoquant un fondement juridique qu’il s’est abstenu de soulever en temps utile, de sorte que sa
nouvelle demande se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation 1006.
L’autorité de la chose jugée, redéfinie en l’occurrence comme une identité de chose demandée, allège
l’office du juge en contraignant les parties à épuiser tous les arguments possibles dans l’instance,
sans aucune chance de rattrapage. Mais ce principe de la « concentration des moyens » (proche de la
règle de « l’unicité d’instance » spécifique au procès prudhomal. C. trav., art. R. 1452-6) heurte
l’article 12 du Code de procédure civile selon lequel le juge « doit donner ou restituer leur exacte
qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en
auraient proposée » 1007. L’application de la loi ne devrait pas être facultative pour le juge.

222. Amicus curiæ ; analyse économique du droit ; législation


participative. – 1º) La complexité des données techniques et morales
qui se mêlent au droit contemporain, jointe au sentiment qu’ont certains
juges d’être coupés du monde, ont donné naissance à une pratique
originale, celle de l’amicus curiæ (l’ami de la cour) : un tiers est convié
au prétoire pour présenter ses lumières aux juges sous la forme d’une
communication écrite ou orale 1008.
Cette institution, venant de la Common Law, a connu un regain aux États-Unis dans diverses
affaires (class actions 1009, lutte contre la discrimination raciale, etc.) ainsi que devant les
juridictions internationales (CIJ, CJUE, CEDH) en vue de permettre l’audition du Ministère public
(l’Attorney general aux États-Unis), d’associations, de syndicats ou d’ONG en cours d’instance. Les
juges français en ont fait un usage épisodique et restreint aux questions mêlant droit et éthique ou
médecine : un amicus curiæ est ainsi intervenu dans des affaires de déontologie du barreau 1010,
d’indemnisation de personnes contaminées par le VIH à la suite de transfusions 1011 ainsi que – devant
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation – pour des affaires de « mères porteuses » 1012 et
d’homicide involontaire d’un fœtus 1013. Le Conseil d’État admet également l’intervention d’un
amicus curiæ (qu’autorise l’art. R. 625-3 C. just. admin.), mais à la condition qu’il se borne à formuler des
« observations d'ordre général » sur des points déterminés par le juge – éventuellement sur des
questions de droit –, qu’il ne se livre pas à une analyse des pièces du dossier et que le juge ne s’en
remette pas à son opinion 1014.
Le risque d’arbitraire subsiste. Pourquoi, par exemple, s’adresser au Comité national d’éthique
plutôt qu’à l’Ordre des médecins ? Pourquoi s’adresser au professeur X plutôt qu’à Y ?
2º) Ouverte à l’influence de l’Analyse économique du droit, issue
de la pensée américaine 1015, la Cour de cassation a franchi un pas
supplémentaire en sollicitant des « groupes d’intérêts » (non seulement
des « sages ») pour qu’ils lui remettent un avis sur les effets
économiques ou financiers des solutions éventuelles à un litige.
Une série d’arrêts rendus le 23 novembre 2004 a ainsi clos la controverse relative au caractère
aléatoire des contrats d’assurance-vie, qui fut reconnu. Le ministère de l’Économie, la Fédération
française des sociétés d’assurance et le Conseil supérieur du notariat avaient préalablement été
invités à déposer un mémoire à ce sujet. Les deux premiers avaient exposé, sur un ton alarmiste, que
la solution contraire eût bouleversé le secteur de l’assurance, ébranlé la confiance des ménages
français dans ces produits d’épargne et, accessoirement, accru l’activité des notaires. Ce péril
économique a dissuadé la Cour d’appliquer le droit 1016.
Par la suite, l’habitude a été prise par le parquet général (procureur général ou avocats généraux)
près la Cour de cassation ou les conseillers-rapporteurs de solliciter l’avis du ministère compétent,
d’une organisation professionnelle, d’associations (sportives, de consommateurs...), etc. 1017.
Le juge ouvre donc le prétoire aux « lobbys » ; le procédé est légitime,
à condition de n’en exclure aucun du débat judiciaire. La philosophie
grecque enseigne, depuis Socrate, que la vérité naît de la dialectique.
L’entrechoc des partis pris engendre l’impartialité des idées. Il est alors
vital que la procédure soit contradictoire et, en outre, garantisse
l’impartialité du juge. À ce titre, chaque partie devrait disposer de la
faculté de récuser l’un des amici curiæ sollicités ou, à l’inverse, de
requérir l’invitation d’un tiers omis. Mais l’amicus curiae peut être une
tromperie 1018.
Le recours à l’amicus curiæ menace de brouiller la distinction du fait
et du droit. Il incline le juge à surestimer le poids de la science, de la
morale ou de l’économie.
Cette pesée des intérêts relève, en réalité, de l’office du législateur,
qu’il soit national ou européen.
3º) Des réformes ont ainsi vu le jour après le lancement d’une
consultation publique. Ce phénomène de législation participative
connaît un succès grandissant 1019.
C’est ainsi que la Commission européenne procède fréquemment à des consultations à l’échelle
européenne en publiant sur son site internet des « livres verts » (présentant des idées afin de susciter
un débat public) suivis de « livres blancs » (formulant des propositions d’action de la Communauté).
En France, depuis 2010, les citoyens sont régulièrement invités à déposer leurs observations sur un
projet de loi ou (plus souvent) sur un projet d’ordonnance dans un « espace participatif » ouvert à
l’intérieur d’un site internet (celui de l’Assemblée nationale, du Sénat ou d’un ministère). Au travers
de ces consultations ouvertes, la démocratie représentative veut devenir « participative » : le
gouvernement et le législateur souhaitent impliquer la société civile dans leurs prises de décisions,
un peu dans l’esprit d’un référendum. Mais le procédé n’est qu’un affichage médiatique, un mirage
démocratique. Les quelques milliers de participants ne représentent jamais qu’une infime minorité de
la société civile, essentiellement une élite bien informée de l’existence de la consultation et férue
d’informatique ainsi que des professionnels et des lobbys qui ne défendent pas l’intérêt général. De
plus, les observations ne donnent lieu à aucun échange entre les internautes participants, ne font
l’objet d’aucune synthèse (un travail qui serait considérable) et, a priori, ne sont pas intégrées au
projet de loi ou d’ordonnance. De fait, ces consultations ouvertes ont pour intérêt principal de
recueillir des observations de professionnels sur des points techniques. Ainsi, la vaste réforme du
droit des obligations opérée par l’ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016 a été précédée d’une
large consultation de la communauté des juristes. Dans ce cas, la consultation a été fructueuse car elle
ne réunissait que des spécialistes du droit des obligations et a été suivie de nombreux débats.

223. Loi étrangère : mi-fait, mi-droit. – Le droit international privé


est composé de règles relatives aux conflits de lois dans l’espace
pouvant conduire le juge français à appliquer une loi étrangère 1020.
Longtemps, la loi étrangère fut traitée comme un pur fait : les parties qui entendaient s’en
prévaloir devaient l’invoquer expressément, sans que le juge fût tenu de l’appliquer d’office 1021 ; la
preuve de son contenu devait être rapportée 1022 par tous les moyens 1023 ; l’interprétation des juges du
fond était souveraine à cet égard 1024, sous la seule réserve d’un contrôle de la dénaturation opéré par
la Cour de cassation 1025. Sur tous ces points, la loi étrangère s’opposait à la loi française, que le juge
est tenu de connaître, d’interpréter et d’appliquer sous le plein contrôle de la Cour de cassation.
Toutefois, la loi étrangère conservait les caractères d’une règle de droit (rationalité, permanence,
généralité, à l’exception notable de son caractère impératif), ce qui aurait dû interdire de la réduire à
un simple fait.
La jurisprudence a assoupli sa position. Désormais, il incombe « au
juge qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en
œuvre, et, spécialement, d’en rechercher la teneur » 1026 avec le concours
des parties et personnellement s’il y a lieu, soit d’office ou à la demande
d’une partie qui invoque cette loi (même si elle ne soutient pas que son
contenu diffère de celui de la loi française) 1027. Il n’est plus nécessaire
que les droits des parties soient indisponibles (comme en matière d’état
des personnes) 1028. Pour le reste, les solutions antérieures subsistent.
Mi-fait, mi-droit, la loi étrangère ne peut donc être mise sur un pied
d’égalité avec la loi nationale : elle est par nature étrangère au juge qui
l’applique et celui-ci ne peut la connaître aussi bien que la loi
française 1029. Tout ceci justifie une normativité inférieure. La coutume
est dans une position semblable : elle émane aussi d’un milieu auquel le
juge est étranger 1030.

224. Coutume et usages. – La coutume et les usages sont


généralement considérés comme des données de fait dont l’existence et
la teneur doivent être établies par la partie qui les invoque 1031. La
maxime jura novit curia leur est donc inapplicable.
Ainsi, en droit du travail 1032, il appartient au salarié de rapporter la preuve d’un usage
d’entreprise (par exemple, « des usages pratiqués dans la localité et dans la profession » qui
déterminent l’existence et la durée du délai de préavis dû par le salarié donnant sa démission, en
l’absence de dispositions légales ou conventionnelles : C. trav., art. L. 1237-1 1033). À l’inverse, « en
matière de commerce », le juge se voit reconnaître la faculté (non l’obligation) « de constater un
usage pour en faire le fondement de sa décision » 1034. Le juge n’est tenu de rechercher les usages en
vigueur que si la loi s’y réfère 1035.
La preuve d’un usage se rapporte par tous moyens, par exemple au moyen d’un parère (certificat
établi par une chambre de commerce 1036). Elle peut aussi découler de l’absence de contestation par
l’une des parties de l’usage invoqué par l’autre 1037.
L’usage étant une pratique (un fait), le juge du fond constate souverainement son existence et son
étendue 1038. La Cour de cassation ne contrôle pas la constance ou la généralité de la pratique retenue
(éléments constitutifs de l’usage) mais exerce un contrôle de la motivation 1039.

SECTION II
UN FAIT PERTINENT

Certains faits ne peuvent être objets de preuve, à raison de l’évidence,


du caractère inopérant, de l’interdiction ou de l’impossibilité de cette
preuve.

225. 1º) Preuve évidente. – Il est superflu de démontrer un fait


notoire et connu de tous : le juge lui-même peut s’appuyer sur la
connaissance personnelle qu’il en a acquis 1040.
Il est aussi vain d’établir un fait que la partie adverse dans le procès
ne nie pas. Certes, « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut
pas à lui seul reconnaissance de ce fait » 1041. En revanche, un fait
indéniable d’un point de vue objectif ou qui a été reconnu de façon non
équivoque par un aveu 1042, n’a plus à être prouvé.

226. 2º) Preuve inopérante. – Il est inutile d’alléguer un fait qui, à le


supposer établi, ne pourra exercer aucune influence sur l’opinion du
juge et donc sur l’issue du litige, un fait « inopérant ». L’offre de preuve
doit porter sur un fait « concluant », c’est-à-dire apte à convaincre le
magistrat, lequel ne saurait alors la décliner 1043. Au contraire, une preuve
inopérante n’est que perte de temps et d’argent, une mesure dilatoire
dont le rejet s’impose.
La preuve d’un fait est inopérante dans quatre cas. 1) Le fait invoqué
est sans relation avec le droit prétendu 1044. Mais l’offre de preuve
d’éléments voisins et connexes du fait générateur du droit est recevable :
Bartin appelait cet aspect de la preuve judiciaire le « déplacement de la
preuve » 1045. 2) Le fait allégué est impuissant, de par l’effet de la loi, à
donner naissance au droit prétendu 1046. 3) Le fait allégué contredit le
droit prétendu 1047. 4) Le fait allégué est déjà établi 1048 ou, au contraire,
démenti par d’autres circonstances 1049 ou invraisemblable 1050
(l’invraisemblance joue aussi à un stade ultérieur 1051).

227. 3º) Preuve interdite : secrets. – La preuve peut être interdite en


raison de l’illicéité du moyen probatoire auquel il est recouru. La
question touche à l’admissibilité des modes de preuve, non directement
à son objet 1052.
Mais l’interdiction peut viser l’objet même de la preuve. Ainsi, un fait
couvert par le secret professionnel ne doit en aucun cas être dévoilé et le
confident nécessaire ne peut être contraint de le trahir en justice (sous
forme d’un témoignage ou d’une production forcée de documents) 1053.
Tel est le secret ecclésiastique, tant au regard du droit civil 1054, du droit
pénal 1055 que du droit canon 1056. La correspondance entre un avocat
et son client ou entre avocats et toutes les pièces d’un dossier sont
également couvertes par le secret professionnel (L. no 71-1130, 31 déc.
1971, art. 66-5). Les magistrats prêtent eux-mêmes serment de « garder
religieusement le secret des délibérations » (ord. 22 déc. 1958, art. 6).
Le secret professionnel du notaire est, selon la Cour de cassation,
« intangible », sauf si la loi l’en délie 1057. Le secret médical, aujourd’hui
réglementé avec minutie (C. santé publ., art. L. 1110-4 ; CSS, art.
L. 161-36-1 A), bénéficie d’une protection similaire 1058.
Mais la Cour européenne des droits de l’homme a condamné une
protection absolue qui aurait fini par méconnaître la liberté d’expression
garantie par l’article 10 Conv. EDH 1059. Le « droit à la preuve » des
parties au procès, aspect du droit à un recours effectif déduit de
l’article 6 Conv. EDH 1060, doit également être concilié avec la protection
du secret professionnel (bancaire, de l’avocat, du médecin, etc.) qui ne
saurait l’emporter en toutes circonstances.
Ainsi, un médecin peut être contraint de témoigner ou de produire un certificat pour permettre aux
héritiers du disposant de rapporter la preuve de l’altération de ses facultés mentales, afin que la
donation ou le testament soit annulé sur le fondement de l’article 901 1061. Cette jurisprudence a été
consacrée et élargie par la loi : l’article L. 1110-4, dernier alinéa, du Code de la santé publique
(L. 4 mars 2002) lève le secret médical à l’égard des ayants droit du défunt lorsque les informations
qu’ils sollicitent « sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de
défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par
la personne avant son décès ».
La loi autorise ou impose parfois la levée du secret professionnel 1062.
À l’inverse, le législateur interdit à quiconque de prouver la vérité
lorsqu’il souhaite en effacer le souvenir : la nécessité de l’oubli peut
primer le droit à la preuve 1063.

228. 4º) Preuve impossible. – Il est traditionnel d’affirmer que la


preuve d’un fait négatif est impossible à rapporter 1064. Comment, par
exemple, démontrer que je n’ai pas conclu de contrat avec telle personne
ou que je ne me suis pas rendu à tel endroit ? Cette probatio diabolica
(preuve démoniaque) est contournée en imposant la charge de la preuve
du fait positif (symétrique) sur l’autre partie 1065 ou par la condamnation
de la partie qui refuse, sous ce prétexte, d’apporter son concours à la
justice 1066. Ce qui n’est pas toujours le cas 1067.
La difficulté est surmontable. Il suffit d’établir un fait positif
impliquant de façon logique le fait négatif prétendu 1068 ou de s’appuyer
sur des indices graves, précis et concordants, soit des « présomptions de
fait » ou judiciaires (art. 1382) 1069. La preuve d’un fait positif peut
s’avérer bien plus diabolique 1070.

Nos 229 réservé.


CHAPITRE III
RECEVABILITÉ DES MOYENS DE PREUVE

230. Comment ? Droit à la preuve. – Par quels moyens le plaideur


peut-il apporter la preuve – dont la charge lui incombe – de l’existence
du fait litigieux ? Un principe de légalité gouverne la matière, à un
double titre. D’une part, pour les obligations civiles, seuls sont admis
ou recevables dans le procès les moyens de preuve des obligations
définis par la loi (Section I). D’autre part, chaque instrument de preuve
doit satisfaire à des conditions de validité particulières, quand bien
même le principe serait celui de la liberté de la preuve (Section II).
Les règles ou principes limitant la recevabilité des modes de preuve sont autant de restrictions au
droit fondamental de rapporter « la preuve d’un élément de fait essentiel pour le succès de ses
prétentions », qui se déduit de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme
garantissant le droit à un procès équitable 1071. Le « droit à la preuve » 1072 pourrait même être un droit
subjectif processuel autonome 1073.

SECTION I
LÉGALITÉ DE LA PREUVE DES OBLIGATIONS CIVILES

Les modes de preuve existants en cette matière (§ 2) sont soumis à un


numerus clausus qui en restreint l’admissibilité (§ 1).

§ 1. NUMERUS CLAUSUS

Le principe de légalité entraîne l’irrecevabilité de certains moyens de


preuve. Les instruments de preuve sont soumis à un numerus clausus ;
tous ne sont pas admis dans l’instance. Le premier à être recevable est
l’écrit, sauf quelques nuances ; par exception, la loi a permis
d’accueillir d’autres moyens, limitativement énumérés ; la volonté des
parties peut faire pièce à ce dispositif légal ; mais certaines règles sont
impératives qui excluent la preuve illicite.

231. Exigence de la preuve littérale. – La preuve des actes


juridiques contenant des obligations civiles est dominée par une
exigence de légalité transcrite au premier alinéa de l’article 1359 (ancien
article 1341) du Code civil, reprenant une disposition similaire de
l’ordonnance de Moulins (1566) 1074 : « L’acte juridique portant sur une
somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret [actuellement
1 500 €] doit être prouvé par écrit sous signature privée ou
authentique » (par une preuve dite littérale 1075). En d’autres termes, les
parties à un acte juridique – bilatéral (ex. : contrat) ou unilatéral (ex. :
testament) – doivent « préconstituer » par « écrit » la preuve de
l’existence de cet acte, fût-il verbal 1076, dès lors que la demande excède
1 500 €. La partie dont la créance excède ce seuil ne peut se dispenser
de l’exigence d’un écrit « en restreignant sa demande » ; il en est de
même si la demande porte sur le solde ou la fraction d’une créance
supérieure à 1 500 € (art. 1359, al. 3 et 4).
En général, « la preuve d'un acte juridique peut être préconstituée
par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée »
(art. 1364). Mais, dans le cas visé à l’article 1359, cette preuve doit
nécessairement revêtir la forme d’un acte authentique (soumis aux
articles 1369 à 1371) ou celle d’un acte sous signature privée (soumis
aux articles 1372 à 1377) 1077. À défaut d’un tel document
(instrumentum), la preuve de l’acte juridique (negotium) ne pourra être
rapportée d’aucune autre manière (témoignages, indices ou
présomptions de fait).
Cette preuve littérale ne pourra ensuite être combattue qu’au moyen
d’un autre écrit, comme l’indique l’article 1359, alinéa 2 : « Il ne peut
être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même
si la somme ou la valeur n'excède pas ce montant, que par un autre
écrit sous signature privée ou authentique ». La contre-preuve doit
consister en un autre écrit (authentique ou sous signature privée) dès
lors qu’il s’agit de nier le contenu de l’acte initial et ce même si cet acte
mentionne un fait juridique (qui se prouve en principe par tout moyen)
dont la fausseté est alléguée.
Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’un créancier conteste avoir reçu le
paiement (fait juridique) que mentionne une quittance (acte
juridique) 1078.De même, l’absence de cause (de contrepartie ou
justification) d’une reconnaissance de dette se prouvait par tous moyens
si la cause n’y était pas mentionnée 1079. À l’inverse, la preuve de la
fausseté de la cause exprimée à l’acte devait être administrée par écrit,
conformément à l’article 1359 (anc. art. 1341), dans les rapports entre
les parties 1080.

232. Exceptions jurisprudentielles. – L’exigence probatoire de


l’article 1359 comporte plusieurs brèches par lesquelles la preuve par
tous moyens (indices, présomptions de fait, témoignages...) pénètre à
l’intérieur du droit civil. Le « droit à la preuve » du plaideur est ainsi
rétabli.
1º) Est libre la preuve d’un fait et non celle d’un acte juridique 1081. La
distinction, essentielle en droit des obligations, semble parfois obscure.
Même si le Code civil donne une définition générale et des exemples,
l’hésitation est parfois permise.
« Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à
produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou
unilatéraux » (art. 1100-1. Ex. : la convention ou le contrat, acte
bilatéral, et le testament, acte unilatéral). « Les faits juridiques sont des
agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de
droit » (art. 1100-2) ; ces effets juridiques n’ont été ni voulues ni
recherchées (ex. : un délit civil ou la mort). À titre d’exemple,
l’article 259 prévoit que « les faits invoqués en tant que causes de
divorce [...] peuvent être établis par tout mode de preuve » (v. aussi, en
matière de filiation, art. 311-12). L’ancien article 1348,
alinéa 1er dérogeait de même à l’article 1359 (anc. art. 1341) à propos de
la preuve de l’obligation « née d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un
quasi-délit » 1082. L’ancien article 1353, in fine disposait aussi que le dol
ou la fraude se prouve par présomptions, donc librement. Ces solutions
ne sont pas remises en cause.
Le paiement est-il un acte ou un fait juridique ? Comment prouver qu’un paiement est
intervenu 1083 ? La réponse a varié 1084. La jurisprudence a finalement admis que « la preuve du
paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » 1085. L’article 1342-8 du Code civil
(issu ord. 10 févr. 2016) consacre cette analyse : « Le paiement se prouve par tout moyen ». La
jurisprudence estimait que l’ancien article 1341 (l’exigence d’un écrit) redevenait applicable si le
paiement était constaté par une quittance, donc dans un écrit 1086. Mais le nouvel article 1359
condamne cette exception subtile : il interdit de prouver par tout moyen contre un écrit « établissant
un acte juridique ». Or, une quittance est un écrit établissant un fait juridique (un paiement). La
preuve contraire (du défaut de paiement, un autre fait juridique) peut donc être rapportée par tout
moyen.
La simulation (qui vise à dissimuler un acte juridique sous un autre acte ostensible) doit être
prouvée par écrit 1087. Toutefois, « en cas de fraude, la simulation peut être prouvée par tout
moyen » 1088.
2º) Est libre la preuve d’un acte juridique à l’égard des tiers 1089 et
non entre les parties 1090.
3º) Est libre la preuve d’un acte juridique tacite 1091 – il serait
d’ailleurs difficile de la préconstituer –, telle une renonciation, ou d’une
convention verbale distincte de l’acte initial 1092.
L’article 1359 s’applique à l’évidence à une renonciation contenue dans une convention (soit un
acte juridique) abdicative (ex. : une remise de dette). En revanche, la renonciation unilatérale se
prouve par tous moyens, soit parce qu’elle est invoquée par un tiers (toute personne autre que le
renonçant), soit parce qu’elle est tacite 1093.
4º) Est libre la preuve de la propriété, mobilière 1094 ou
immobilière 1095, quelle que soit la valeur du bien (même supérieure à
1 500 €).
La jurisprudence avait admis que la preuve de l’étendue d’un acte, dont l’existence n’était pas
contestée, pût se faire par tous moyens 1096. Cette exception, fondée sur une distinction délicate,
semble abandonnée 1097. En tout état de cause, la preuve d’un acte juridique est libre en dessous du
seuil de 1 500 € (ex. : un prêt de 1 499 €, sans intérêts).

233. Exceptions légales : commencement de preuve par écrit,


impossibilité, copie fiable. – Le Code civil aménage trois dérogations à
l’article 1359, permettant de contourner l’impératif de la preuve littérale.
1º) En premier lieu, l’article 1361 permet de suppléer à l’écrit avec un
« commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de
preuve ». Le commencement de preuve par écrit est défini comme « tout
écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il
représente, rend vraisemblable ce qui est allégué » (art. 1362, anc.
art. 1347). Tel est le cas, par exemple, d’une lettre, de déclarations
transcrites dans un procès-verbal, d’un chèque 1098, d’une facture, voire
d’une simple rature 1099, dès lors qu’ils peuvent être imputés au
défendeur 1100. Mieux, une copie carbone 1101, une photocopie 1102 ou une
télécopie 1103 peuvent valoir commencement de preuve par écrit.
L’article 1362, alinéas 2 et 3, ajoute à cette catégorie les déclarations
faites en justice par une partie lors de sa comparution personnelle et le
refus de répondre ou de comparaître ainsi que la mention d’un écrit
(authentique ou sous signature privée) sur un registre public.
En revanche, la preuve d’un acte de procédure ou d’une formalité judiciaire échappe aux règles
posées par les articles 1359 et suivants 1104.
Comme son nom l’indique, un commencement de preuve par écrit ne
se suffit pas à lui-même ; il ne fait pas « pleinement foi » : il doit être
« corroboré », complété par un autre moyen de preuve, quelconque mais
extrinsèque à l’acte (présomption de fait, témoignage, etc.) 1105. C’est un
« adminicule », un auxiliaire de preuve.
2º) En deuxième lieu, l’article 1360 déroge à l’article 1359 « en cas
d'impossibilité matérielle 1106 ou morale de se procurer un écrit, s'il est
d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par
force majeure ». L’impossibilité morale de préconstituer un écrit, en
particulier, peut résulter d’un lien affectif entre concubins, amants 1107 ou
parents 1108, d’un rapport de confiance 1109 voire d’un usage professionnel
(de conclure verbalement) 1110. La perte de l’original doit résulter d’une
force majeure 1111. Dans tous ces cas, la preuve par tous moyens (indices,
témoignages, etc.) est à nouveau recevable 1112.
3º) En troisième lieu, l’article 1379 (issu ord. 10 févr. 2016) reconnaît
à la « copie fiable » la même force probante que l'original. Cela
présuppose qu’elle est recevable même lorsqu’un « écrit » est exigé à
titre de preuve ou de contre-preuve (lorsque la demande excède 1 500 € :
art. 1359). Et, pour combattre cette preuve, un autre « écrit » sera
nécessaire (ou une autre « copie fiable »).
« La fiabilité est laissée à l'appréciation du juge ». Mais deux
présomptions facilitent la recevabilité d’une copie. D’abord, « est
réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d'un écrit
authentique » (donc la copie établie par un notaire d’un acte lui-même
notarié). Ensuite, « est présumée fiable jusqu'à preuve du contraire
toute copie résultant d'une reproduction à l'identique de la forme et du
contenu de l'acte, et dont l'intégrité est garantie dans le temps par un
procédé conforme à des conditions fixées par décret » (qui devrait être
similaire au décret relatif à la fiabilité de la signature électronique 1113).
En tout état de cause, « si l'original subsiste, sa présentation peut
toujours être exigée ». Mais il n’est pas indispensable que l’original ait
subsisté ; il a pu être détruit ou perdu.
À l’origine, le statut juridique de la copie dans le Code Napoléon ne procurait aucune garantie
probatoire en cas de destruction des originaux car l’ancien article 1334 disposait qu’une copie ne fait
« foi que de ce qui est contenu au titre (= dans l’original) dont la représentation peut toujours être
exigée » 1114. La copie n’avait donc pas la même force probante que l’original. Au XIXe siècle, le
risque qu’une copie (presque toujours manuscrite) ne soit pas fidèle à l’original était évidemment
important. La loi du 12 juillet 1980 est venue répondre aux attentes de professions et d’entreprises
(les banques, notamment) confrontées à des difficultés d’archivage de titres papiers et désireuses de
recourir en lieu et place à un stockage sur microfilms (un stockage informatique sur le cloud, de nos
jours). Elle introduisit la notion de « copie fidèle et durable ». Selon l’ancien article 1348 du Code
civil, l’exigence d’une preuve littérale (par écrit) recevait exception « lorsqu’une partie ou le
dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non
seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de
l’original qui entraîne une modification irréversible du support ». La « copie fidèle et durable » a
longtemps paru d’une faible utilité. Son intérêt s’est subitement accru lorsque la Cour de cassation a
admis qu’une photocopie puisse être la « copie fidèle et durable » d’un contrat, faisant « pleinement
la preuve » de son existence 1115, sans qu’il soit nécessaire de compléter cette preuve.
La « copie fiable », née de l’ordonnance du 10 février 2016 portant
réforme du droit des contrats et de la preuve des obligations, parachève
cette évolution. Le statut juridique de la copie est désormais unifié (les
art. 1334 et 1348 sont abrogés). Comme la « copie fidèle et durable », la
« copie fiable » fait pleinement foi de l’existence de l’acte, y compris
lorsqu’elle est électronique ou numérique. Mais, à la différence de la
copie fidèle et durable (qui pouvait être combattue par tous moyens),
elle est une preuve littérale parfaite : elle est recevable comme un écrit
original (acte authentique ou sous signature privée) et ne peut être
combattue que par un autre écrit (un original ou même une autre copie
fiable : en cas de conflit, le juge tranchera en faveur du « titre le plus
vraisemblable », selon l’art. 1368).
L’article 1379 subordonne la recevabilité de cette copie à sa
« fiabilité », dûment établie. Déjà, auparavant, il avait été jugé, à propos
de la « copie fidèle et durable », que la conformité de la copie au titre
original devait toujours être vérifiée dès lors qu’une partie dénonçait un
montage ou une falsification 1116. En outre, devaient être respectées les
conditions de forme sous lesquelles un acte sous signature privée peut
valoir comme écrit 1117. Enfin, si l’acte original est un testament, un
élément supplémentaire doit être prouvé : que la copie est une
reproduction fidèle et durable de la disposition qui a existé jusqu’au
décès du testateur et n’a pas été détruite par lui, de sorte qu’elle reflète
bien ses dernières volontés 1118. En effet, l’article 895 permet au testateur
de révoquer son testament (l’original) jusqu’à son dernier souffle.

234. Exclusion conventionnelle ; conventions sur la preuve. – Les


dispositions de l’article 1359 (anc. art. 1341) ne sont pas d’ordre public
mais supplétives de volonté, si bien que les parties peuvent y renoncer,
même tacitement, si leur volonté est dénuée d’équivoque. La
renonciation peut être unilatérale 1119 et, surtout, conventionnelle 1120.
Dans ses arrêts Crédicas, la Cour de cassation a rappelé que les
« conventions relatives à la preuve sont licites » afin de valider la
« clause déterminant le procédé de preuve de l’ordre de paiement »
stipulée dans des contrats de carte de crédit 1121. De telles stipulations
sont banales dans les contrats de carte bancaire 1122. Commerce et
monnaie électroniques reposent sur l’emploi d’une signature
immatérielle, sous forme de code confidentiel.
L’article 1356 dispose aujourd’hui de façon générale que « les
contrats sur la preuve sont valables, lorsqu'ils portent sur des droits
dont les parties ont la libre disposition ».
Une convention sur la preuve peut définir les moyens de preuve recevables ou renverser la charge
de la preuve 1123. Il est plus difficile d’admettre qu’elle prédétermine aussi la force probante d’un
moyen de preuve et prive ainsi le juge du fond de son pouvoir souverain d’appréciation 1124.
L’article 1356 prévoit expressément que les contrats sur la preuve ne peuvent « modifier la foi
attachée à l’aveu ou au serment » ; ils ne peuvent pas non plus « contredire les présomptions
irréfragables établies par la loi [...]. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l'une des
parties une présomption irréfragable ». Bien plus, une convention sur la preuve ne doit pas
dénaturer son objet : ainsi, la preuve d’un fait juridique reste libre et ne peut être limitée
conventionnellement 1125.
En droit de la consommation, sont présumées « abusives » les clauses renversant la charge de la
preuve sur le consommateur lorsqu’elle devrait incomber normalement au professionnel (C. consom.,
art. R. 212-1, anc. art. 132-1, 12o) ainsi que les clauses limitant « indûment les moyens de preuve » à
la disposition du consommateur (ibid.).

§ 2. MODES DE PREUVE

Le numerus clausus des modes de preuve imposé par le Code civil


garantit la primauté de l’écrit (I), sous réserve des exceptions à
l’article 1359 contenues aux articles 1360 à 1362, déjà étudiés 1126. De
moindre importance sont l’aveu (II) et le serment (III).
I. — L’écrit

235. Catégories, formes 1127, définition. – L’écrit qui, pour


l’article 1359, est la meilleure des preuves en matière civile 1128, se divise
en deux catégories : l’acte authentique conclu devant un officier public
et l’acte sous signature privée. Chacun peut revêtir deux variétés : sur
support papier ou sous forme électronique. La loi no 2000-230 du
13 mars 2000, qui consacre cette dernière possibilité, pose une
définition commune aux deux supports : « L’écrit consiste en une suite
de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou
symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur
support » (art. 1365, anc. art. 1316). L’« écrit » n’est donc plus
forcément écrit ou littéral, au sens propre du terme.

236. Acte authentique 1129. – « L’acte authentique est celui qui a été
reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant
compétence et qualité pour instrumenter » (art. 1369, anc. art. 1317).
L’authenticité est, par excellence, l’affaire du notariat, même s’il existe
d’autres autorités habilitées à recevoir des actes authentiques, d’une
nature particulière.
Constituent des actes authentiques, d’une part, les décisions judiciaires (C. pr. civ., art. 457 : « Le
jugement a la force probante d’un acte authentique »), d’autre part, les actes reçus par des officiers
ministériels (huissiers, commissaires-priseurs...) ou des agents publics (préfet, maire, officier d’état
civil, ambassadeur, policier, inspecteur du travail...) à condition qu’ils agissent dans l’exercice de
leurs compétences (par ex., un huissier ne peut procéder à une audition 1130). De même, certaines
énonciations d’une sentence arbitrale, interne ou internationale, font foi jusqu’à inscription de
faux 1131.
L’acte notarié suppose le respect des formes prévues par le décret
no 71-941 du 26 novembre 1971 (mod. D. no 2005-973, 10 août 2005).
Une formalité essentielle réside dans la signature de l’acte et son
paraphe sur chaque page par le notaire.
Les procurations (qui peuvent être données à un clerc de notaire) obéissent aussi à des règles
précises : elles doivent figurer en annexe de l’acte authentique ou être « déposées aux minutes du
notaire ». Toutefois, « les irrégularités affectant la représentation conventionnelle d’une partie à
un acte notarié ne relèvent pas des défauts de forme que l’article [1370] du Code civil sanctionne
par la perte du caractère authentique, et partant, exécutoire de cet acte » ; ces irrégularités (à
savoir la nullité du mandat, un dépassement ou une absence de pouvoir) sont sanctionnées par la
nullité relative de l’acte que la partie représentée peut seule demander, à moins qu’elle ait ratifié ce
qui a été fait pour elle hors ou sans mandat 1132. En tout état de cause, l’obligation d’annexer les
procurations ne s’applique pas à la « copie exécutoire » que délivre le notaire ; elle ne s’applique
qu’à l’acte authentique original (v. ci-dessous) 1133.
Aucun palliatif n’est admis en cas de non-respect de ces exigences 1134.
Le coût de ce formalisme est, pour les parties, la rançon d’une
sécurité et d’une efficacité juridiques considérables. « Tous actes
notariés [...] seront exécutoires dans toute l’étendue de la République »
(L. 25 ventôse an XI, art. 19). Alors qu’un acte sous signature privée ne
peut donner lieu à une exécution forcée sans qu’un jugement l’ordonne,
l’acte authentique s’exécute sur simple remise d’une copie exécutoire
(naguère appelée la « grosse » par opposition à la « minute », à savoir
l’acte original 1135) par le notaire au créancier 1136.
Le notaire est tenu d’un devoir de vérification. Il vérifie d’abord
l’identité, l’état civil et le domicile des parties. Deux notaires sont
mêmes tenus de vérifier leurs pouvoirs respectifs 1137. Il vérifie ensuite les
éléments d’ordre factuel que celles-ci lui fournissent 1138. Il est également
tenu d’un devoir de conseil envers elles et astreint au secret
professionnel.
Ce devoir de conseil explique que les actes authentiques aient été soustraits du champ de
certaines règles protectrices des consommateurs (telles les formules manuscrites obligatoires,
art. 1369, al. 3), soit par la loi (par ex., les prêts mobiliers), soit par la jurisprudence (par ex.,
l’art. 1376 leur est inapplicable). Mais cette confiance envers le notariat n’est pas toujours de mise.
Les actes de vente immobilière notariés sont soumis à un délai de réflexion comme de vulgaires actes
sous signature privée afin de protéger les acquéreurs non professionnels (CCH, art. L. 271-1, al. 3,
L. 13 déc. 2000). Le législateur s’est méfié du recours à la forme authentique et a douté du
professionnalisme des notaires. Au contraire, les avocats ont réussi à le convaincre de leur capacité à
éclairer les parties sur les conséquences juridiques des actes qu’ils signent : l’« acte d’avocat » est
dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi, comme un acte authentique notarié (art. 1374,
al. 3) 1139.
L’authenticité est soit une condition de forme requise ad validitatem,
c’est-à-dire prescrite à peine de nullité (ex. : pour un contrat de
mariage), soit une formalité ad probationem, facultative (ex. : pour des
statuts de société, un bail), soit une formalité légale de publicité et
d’opposabilité aux tiers (ex. : pour les actes soumis à publicité
foncière 1140) d’un acte juridique 1141, selon ce que prévoit la loi
applicable 1142.
L’acte authentique infecté d’une irrégularité de forme perd sa valeur
probatoire. Il est alors déclassé au rang d’acte sous signature privée,
voire frappé de nullité si l’authenticité ou la formalité omise était
requise ad validitatem 1143.

237. Acte sous signature privée (synallagmatique ou


unilatéral). – L’acte sous signature privée (naguère dénommé « acte
sous seing privé ») est un écrit établi par les seules parties et comportant
leur signature (autrefois appelée « seing »). La signature résulte d’un
graphisme quelconque 1144, apposé par un moyen quelconque (encre,
crayon 1145, sang...) sur un support quelconque (papier, mur, peau... et,
désormais, stockage informatique) de la main d’une personne ou, plus
généralement, de la part d’une personne.
Il suffit que la signature soit écrite dès lors que la loi n’exige pas que l’acte soit complètement
manuscrit (rare exemple, C. civ., art. 970 : « Le testament olographe ne sera point valable, s’il
n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur [...] »). De fait, à moins de signer de ses
propres doigts trempés dans l’encre, il existe toujours un outil intermédiaire entre la main et
l’écriture (stylo, clavier d’ordinateur ou d’écran tactile...), ce qui justifie la recevabilité de l’écrit
électronique au même titre que l’écrit papier, consacrée par la loi du 13 mars 2000 : quelle
différence entre un « tapuscrit » ou un texte dactylographié (sorti d’une imprimante) et un texte
manuscrit (rédigé à l’encre ou au crayon) sinon la diversité des techniques d’écriture ?
La signature exerce une double fonction : elle « identifie son auteur »
et « manifeste son consentement aux obligations » qui découlent de
l’acte (art. 1367, anc. art. 1316-4, al. 1er).
L’acte sous signature privée n’est soumis à aucune autre forme ou
solennité particulière (notamment pas la mention « lu et approuvé » qui
n’a aucune valeur juridique 1146). Il existe cependant une double réserve
dans le Code civil.
1º) Ou bien l’acte sous signature privée constate un « contrat
synallagmatique », c’est-à-dire un accord des volontés stipulant des
obligations réciproques (ex. : une vente mais non une donation ni une
promesse unilatérale de vente). En ce cas, selon l’article 1375 (anc.
art. 1325), l’acte doit être fait « en autant d’originaux qu’il y a de
parties ayant un intérêt distinct ». C’est la « formalité du double »
(exemplaire ; qui peut aller jusqu’au triple, etc.). Un original unique
peut, à titre exceptionnel, être déposé chez un tiers de confiance 1147.
Enfin, l’exigence d’une pluralité d’originaux est remplie pour un contrat
régulièrement établi sous forme électronique, lorsque chaque partie
dispose d’un « exemplaire sur support durable » ou y a accès (art. 1375,
al. 4).
2º) Ou bien est conclu un acte sous signature privée « par lequel une
seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme
d’argent » (ex. : un cautionnement) ou « à lui livrer un bien fongible »
(ex. : contrat de vente de pétrole). En ce cas, selon l’article 1376, l’écrit
doit contenir, outre la signature de celui qui souscrit cet engagement, la
« mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes
lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous signature privée
vaut preuve pour la somme écrite en toutes lettres ».
Cette seconde exigence a longtemps été qualifiée de « formalité du bon pour » (cette locution
devait figurer dans l’acte avant la loi du 12 juillet 1980), puis de « formalité manuscrite ». La loi du
13 mars 2000, ouvrant la voie à l’écrit électronique, n’exige plus que la mention soit écrite « de la
main » du débiteur (manuscrite) mais « par lui-même » : la formule peut donc être dactylographiée
(“tapuscrite”). Néanmoins, en ce cas, estime le juge, la mention de la somme ou de la quantité en
lettres et en chiffres « doit résulter, selon la nature du support, d’un des procédés d’identification
conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique 1148 ou de tout autre procédé
permettant de s’assurer que le signataire est le scripteur de ladite mention » : l’acte sous signature
privée au contenu intégralement dactylographié (ni manuscrit, ni écrit électronique), y compris la
mention de la somme, ne répond à aucune de ces exigences 1149. En pratique, seule la formule
manuscrite évitera les contestations et dissipera le soupçon d’abus de blanc-seing (le débiteur a pu
signer en bas d’une page blanche que le créancier a ensuite remplie).
Les articles 1375 et 1376 posent des règles de preuve (ad
probationem) et non de fond (ad validitatem) 1150. Dès lors, leur
méconnaissance n’entraîne pas la nullité de l’acte (le negotium) mais
déchoit celui-ci de son rang probatoire (en tant qu’instrumentum) : il
n’aura plus la valeur d’un « écrit » au sens de l’article 1359 mais servira,
le cas échéant, de commencement de preuve par écrit au sens de
l’article 1362.
La formalité du double (art. 1375) se distingue à cet égard de l’exigence du « double-clic »
(art. 1127-2, anc. art. 1369-5) qui marque l’acceptation dans un contrat électronique et constitue une
condition de sa validité.
Plus largement, de nombreux textes, destinés à protéger la « partie faible » au contrat (le
consommateur dans le contrat qu’il conclut avec un professionnel, la personne physique qui se porte
caution du locataire dans le bail d’habitation ou de l’emprunteur dans un contrat de prêt, etc.),
imposent que celle-ci rédige une mention de sa main ou formule manuscrite (parfois très longue), à
peine de nullité de la convention (donc ad validitatem). L’acte authentique est généralement dispensé
de ce formalisme. Les avocats ont obtenu un avantage similaire avec la création de l’« acte
d’avocat » : celui-ci est « dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi » (art. 1374,
al. 3). La formalité prescrite par l’article 1376 (ad probationem) se trouve également écartée.

238. Écrit électronique : preuve et validité. – Sous la pression du


droit communautaire 1151, le législateur français a adopté la loi no 2000-
230 du 13 mars 2000 « portant adaptation du droit de la preuve aux
technologies de l’information relative à la signature électronique ».
Cinq nouveaux articles ont été insérés dans le Code civil (art. 1365 à
1368, anc. art. 1316 à 1316-4) 1152.
1º) L’article 1366 dispose que « l’écrit électronique a la même force
probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être
dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et
conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».
Intégrité et imputabilité (au signataire) du contenu sont les deux
caractères constitutifs de la preuve littérale, quel qu’en soit le support ;
à cet égard, le législateur n’a pas innové 1153. Mais, par ailleurs,
l’article 1367, alinéa 2, renvoie à un décret le soin de définir les
conditions dans lesquelles peut être présumée la fiabilité – de ce double
point de vue – d’une signature électronique. Les règles édictées à ce titre
sont complexes : la certification électronique, délivrée par un prestataire
de services, suppose une qualification qui impose un agrément et une
accréditation... (D. 30 mars 2001) 1154.
2º) La loi no 2004-575 du 21 juin 2004 « pour la confiance dans
l’économie numérique » a franchi le pas. Désormais, « lorsqu’un écrit
est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé
sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366
et 1367 [...] ». La mention manuscrite s’adapte à cette évolution :
« lorsqu’est exigée une mention écrite de la main même de celui qui
s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique si les
conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut
être effectuée que par lui-même » (art. 1174, anc. art. 1108-1).
Une ordonnance du 16 juin 2005 aménage d’autres formalités protectrices. D’une manière
générale, si l’écrit papier est soumis à des « conditions particulières de lisibilité ou de
présentation, l’écrit électronique doit répondre à des exigences équivalentes » ; un formulaire
détachable peut ainsi être renvoyé par voie électronique (art. 1176, anc. art. 1369-10) et il suffit que
le destinataire puisse imprimer l’écrit pour qu’il soit satisfait à l’exigence d’une pluralité
d’exemplaires (art. 1177, anc. art. 1369-11). La lettre simple mais aussi la lettre recommandée avec
accusé de réception (dans des conditions fixées par décret) peuvent être acheminées par ce même
canal (cf., art. 1127-4 à 1127-6 [anc. art. 1369-7 à 1369-9]. Adde art. 1125 à 1127 [anc. art. 1369-1 à
1369-3] validant l’échange d’informations relatives à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat).
Néanmoins, il est fait exception à ces dispositions pour les actes sous signature privée relatifs au
droit de la famille et des successions et ceux relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature
civile ou commerciale, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession
(art. 1175, anc. art. 1108-2).
Le législateur a voulu placer sur un pied d’égalité l’écrit sur support
papier et l’écrit sur support électronique. Par là-même a disparu la
distinction entre l’original et la copie, tous deux dématérialisés
(numérisés). Surtout, la dématérialisation de l’écrit sous signature privée
lui a permis de connaître une diffusion extraordinaire : il est aujourd’hui
omniprésent dans les relations juridiques entre particuliers et
professionnels, à l’échelle nationale et internationale.

239. Acte authentique électronique. – Des formes solennelles


peuvent-elles se concilier avec un support électronique aussi bien qu’un
acte sous signature privée ? La loi du 13 mars 2000 prévoit que l’acte
authentique « peut être dressé sur support électronique s’il est établi et
conservé dans des conditions fixées par décret » (art. 1369, anc.
art. 1317, al. 2). Le décret no 2005-973 du 10 août 2005 (modifiant le
D. 26 nov. 1971, art. 6 à 40) a adapté les règles applicables aux écrits
papiers. En particulier, l’acte authentique suppose la présence physique
du notaire (ou celle d’un clerc habilité) ainsi que la signature de cet
officier, outre les rites solennels prévus par le décret du 26 novembre
1971.
La signature du notaire est « sécurisée », c’est-à-dire certifiée électroniquement 1155. Chacun
détient une « clef REAL » 1156, sorte de clé USB personnelle dont l’accès est sécurisé par un code,
qu’il insère dans son ordinateur et qui contient les éléments d’identification de l’officier ministériel
ainsi que sa signature numérique. En pratique, le notaire et ses clients se réunissent – en un lieu
quelconque, dès lors qu’il y a un ordinateur connecté à internet. Après lecture de l’acte, chaque partie
appose sa signature manuelle (voire une mention manuscrite légalement obligatoire) à l’aide d’un
stylet sur une palette graphique (un scanner qui digitalise l’écriture). L’acte dématérialisé est
complété par ses annexes puis associé aux signatures manuelles (ainsi scannées ou digitalisées) de
toutes les parties ainsi qu’à celle du notaire. Ce dernier applique alors à l’ensemble de l’acte sa
signature électronique sécurisée qui confère à celui-ci son caractère authentique ; l’avantage est que
les parties n’ont pas elles-mêmes à apposer de signature électronique et à acquérir dans ce but un
certificat propre. L’acte est transmis instantanément en vue de son archivage légal au « minutier
central électronique » (placé sous le contrôle du Conseil supérieur du notariat [CSN] et situé à
Venelles, près d’Aix-en-Provence). Les signataires peuvent ensuite demander une copie papier ou
électronique (étant observé, en sens inverse, qu’un notaire peut aussi établir une copie électronique
d’un acte authentique sur support papier). Le premier acte authentique dématérialisé a été signé au
CSN à Paris le 28 octobre 2008.
Comme pour l’acte sous signature privée, la loi du 21 juin 2004
dispose que, lorsqu’un acte authentique est exigé pour la validité d’un
contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les
conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 1369 (art. 1174, anc.
art. 1108-1).

240. Autres écrits dématérialisés. – La transmission des écrits les


plus répandus dans la vie quotidienne a été dématérialisée.
1º) Ainsi, l’ordonnance no 2005-1516 du 8 décembre 2005 (adde
D. no 2010-112, 2 févr. 2010 et arrêté, 6 mai 2010) réglemente les
échanges électroniques entre les usagers et les autorités
administratives (ou entre ces dernières). Elle prévoit, en particulier,
que « toute demande, déclaration ou production de documents
adressée par un usager à une autorité administrative par voie
électronique ainsi que tout paiement opéré dans le cadre d’un
téléservice fait l’objet d’un accusé de réception électronique » (art. 5).
De même, « les actes des autorités administratives peuvent faire l’objet
d’une signature électronique » (art. 8).
2º) Dans la procédure civile, l’envoi et la notification d’actes ou de
pièces aux juridictions civiles (par les avocats, les experts, les huissiers,
les magistrats ou les particuliers) peuvent – et parfois doivent –
s’effectuer par voie électronique (C. pr. civ., art. 748-1 et s. et art. 930-1
qui l’impose devant la cour d’appel. Pour la procédure pénale,
C. pr. pén., art. R. 249-9 et s.). Les huissiers de justice peuvent
également effectuer des significations par voie électronique (L. 22 déc.
2010, art. 16 et 20 ; C. pr. civ., art. 653, 662-1 et 664-1, D. 15 mars
2012 ; arrêté, 28 août 2012) à des avocats, aux greffes des juridictions, à
des personnes morales ou à des particuliers dès lors que le destinataire a
manifesté son accord (en pratique, l’huissier transmet l’acte, via le
réseau privé sécurisé Securact, vers un coffre-fort électronique où le
destinataire, alerté par SMS, doit venir le récupérer, s’il accepte cette
démarche). Par dessus-tout, le jugement peut être établi sur support
électronique, avec un procédé qui garantit son intégrité et sa
conservation (C. pr. civ., art. 456, D. 28 déc. 2012).
3º) A aussi été inventé le courrier recommandé électronique. « Une
lettre recommandée relative à la conclusion ou à l’exécution d’un
contrat peut être envoyée par courrier électronique à condition que ce
courrier soit acheminé par un tiers [un prestataire de services, tel que
La Poste] selon un procédé permettant d’identifier le tiers, de désigner
l’expéditeur, de garantir l’identité du destinataire et d’établir si la
lettre a été remise ou non au destinataire » (art. 1127-5, anc. art. 1369-
8).
La lettre recommandée électronique peut être imprimée sur papier par le tiers prestataire avant
d’être remise au destinataire ; elle peut aussi lui être adressée entièrement par voie électronique, sous
certaines conditions ; un avis de réception peut être émis de la même façon. Le prestataire (qui doit
être « qualifié » par un organisme accrédité) appose la date d’expédition ou de réception au moyen
d’un « module d’horodatage électronique » (qui doit lui-même être « certifié »). L’horodatage (qui
remplace le « cachet de la poste » sur les lettres papiers) 1157 est alors présumé fiable jusqu’à preuve
contraire (cf. D. no 2011-434 et arrêté, 20 avr. 2011). Ce dispositif apporte une facilité et une sécurité
juridique considérables à toutes les entreprises dont les données sont archivées dans un système
informatique et qui risquent trop souvent d’envoyer des courriers papiers dépourvus de valeur
probante car ne respectant pas les exigences d’intégrité et d’imputabilité du document prévues par la
loi (art. 1366. V. supra, no 238) 1158.
4º) Quant au courriel (e-mail ou courrier électronique), les juges
tendent à écarter sa force probante parce qu’il se prête à toutes les
manipulations 1159. S’agissant de sa recevabilité, dès lors qu’une partie
nie être l’auteur des messages électroniques produits par son adversaire,
le juge est tenu de vérifier « si les conditions mises par les articles 1366
et 1367 [anc. art. 1316-1 et 1316-4] du Code civil à la validité de
l’écrit ou de la signature électroniques » sont satisfaites 1160. Toutefois,
ces textes ne sont pas applicables si le courriel est produit pour faire la
preuve d’un fait juridique car son existence peut être établie par tous
moyens 1161.

II. — L’aveu

241. Judiciaire et extrajudiciaire. – L’aveu (art. 1383 à 1383-2, anc.


art. 1354 à 1356) « est la déclaration par laquelle une personne
reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des
conséquences juridiques » (art. 1383). De « simples allégations » ne
constituent pas un aveu 1162. Il doit porter sur des points de fait (ex. : le
montant d’une dette) non sur des points de droit (ex. : la qualification
d’un contrat 1163, une servitude 1164). L’aveu revêt deux formes dont la
valeur probatoire et la force probante sont différentes 1165 : l’aveu
judiciaire et l’aveu extrajudiciaire.
1º) L’aveu judiciaire (art. 1383-2, anc. art. 1356) résulte d’une
déclaration en justice émanant d’une partie ou de son avocat, établie
avec précision 1166. Sa valeur probatoire est remarquable : il est recevable
même lorsque la preuve doit être administrée par écrit conformément à
l’article 1359 1167 (art. 1361 ; adde art. 1924, relatif au contrat de dépôt,
qui est une application particulière de cette possibilité) 1168. Sa force
probante ne l’est pas moins : « Il fait foi contre celui qui l’a fait » 1169.
L’aveu judiciaire est indivisible contre son auteur. Par exemple,
lorsqu’un débiteur reconnaît l’existence d’une dette (en admettant que
ce soit la vérité) mais affirme l’avoir payée (ce qui est un mensonge), sa
première affirmation ne peut être dissociée de la seconde et retenue
seule contre lui 1170. Néanmoins, si le créancier prouve (par tous moyens)
que la seconde affirmation est invraisemblable et donc inexacte, l’aveu
peut être divisé 1171.
Cette solution neutralise la force probante de l’aveu. Mais, d’un autre
côté, le juge ne peut se laisser convaincre par ce qui est
invraisemblable 1172, comme il ne peut laisser des menteurs manipuler les
règles de preuve par des aveux complexes. De nos jours, les plaideurs ne
craignent plus la religion et n’hésitent pas à mentir : l’aveu judiciaire ne
devrait pas valoir plus qu’un témoignage, comme d’ailleurs l’aveu
extrajudiciaire.
Enfin, l’aveu judiciaire est irrévocable, sauf erreur de fait 1173.
2º) L’aveu extrajudiciaire (art. 1383-1) est celui qui est formulé en
dehors du prétoire (ou, ce qui revient au même, au cours d’une instance
précédente opposant les mêmes parties 1174). Il a la valeur probatoire et la
force probante d’un simple témoignage. Sa recevabilité suppose celle de
la preuve par tout moyen et sa force probante est laissée à l’appréciation
souveraine des juges du fond.
Il y a des aveux déguisés. Ainsi, « la remise volontaire par le créancier au débiteur de
l’original sous signature privée [...] vaut présomption simple de libération » (art. 1342-9, anc.
art. 1282). La présomption est « péremptoire » aussi bien en matière commerciale que civile 1175. De
même, la preuve de l’existence d’un contrat peut être établie en négatif par la réponse donnée à une
sommation interpellative du créancier 1176.
Mais il y a des aveux tacites qui n’en sont pas : « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne
vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » 1177. Cet aveu ne peut pas non plus être déduit de la
pratique (très courante dans les écritures des avocats) consistant à présenter devant un tribunal des
conclusions subsidiaires sur le fond, au cas où l’argument principal sur la forme ne convaincrait pas
le juge 1178.
En procédure pénale, l’efficacité de l’aveu disparaît avec la reconnaissance d’un « droit de ne
pas contribuer à sa propre incrimination » ou droit au silence 1179.

III. — Le serment judiciaire

242. Décisoire ; déféré d’office. – Le serment judiciaire est de deux


types : il « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l'autre
pour en faire dépendre le jugement de la cause » ; « il peut aussi être
déféré d'office par le juge à l'une des parties » (art. 1384). Le serment
est donc décisoire ou déféré d’office 1180.
1º) Le serment décisoire (ou litis-décisoire) « peut être déféré sur
quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause »
(ibid.). À la demande d’une partie, le tribunal, s’il estime qu’une telle
mesure est nécessaire 1181 et aurait pour effet de trancher le litige 1182, peut
« déférer » le serment à la partie adverse, l’enjoignant ainsi de jurer le
fait établi. Celui auquel le serment est déféré jouit alors d’une triple
faculté : 1) il prête serment et gagne le procès ; 2) il refuse de prêter
serment et perd le procès ; 3) il « réfère » le serment à son adversaire
afin d’intervertir les rôles : à son tour, l’adversaire succombe ou
l’emporte selon qu’il refuse ou accepte de jurer.
En théorie, le serment décisoire est la reine des preuves. Sa recevabilité est universelle (à
l’image de l’aveu judiciaire) : il peut être déféré « en tout état de cause » (art. 1385) 1183. Il peut
suppléer à l’écrit lorsque celui-ci est requis à titre de preuve (art. 1361). Son objet ne connaît guère
de limites (à la différence de l’aveu) : il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que
ce soit » (ibid.) pourvu qu’il s’agisse d’un « fait personnel à la partie à laquelle on le défère » ou
réfère (art. 1385-1) 1184. Sa force probante est absolue (égale à celle de l’aveu judiciaire) : « Celui à
qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et
qui le refuse, succombe dans sa prétention » (art. 1385-2). « Lorsque le serment déféré ou référé a
été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté » (art. 1385-3), l’instance est
définitivement close 1185 et le juge perd tout pouvoir d’appréciation 1186.
Il n’y a qu’en droit administratif que la preuve par serment est bannie 1187.
2º) Le serment déféré d’office par le juge (ou supplétoire) fait pâle
figure à côté du précédent. Sa recevabilité est restreinte aux cas douteux
(la demande n’est ni « pleinement justifiée » ni « dénuée de preuves »,
art. 1386-1). Sa force probante est laissée à l’appréciation souveraine
des juges du fond. Il ne peut d’ailleurs être référé (art. 1386).

243. Nature. – Le serment a un caractère religieux, qu’il soit


promissoire (pour valoriser une promesse), imprécatoire ou
probatoire 1188. Il n’est pourtant assujetti à aucune forme religieuse.
Trois conséquences en découlent. 1) « Le serment déféré ou référé, aux termes de l’art. 1357, a
un caractère essentiellement religieux, puisque celui qui le prête prend Dieu à témoin de la
sincérité de son affirmation ; la véritable garantie contre le parjure réside dans la conscience de
l’homme et non dans les solennités accessoires qui n’ajoutent aucune force réelle à l’acte solennel
du serment » ; un Juif ne peut donc être « condamné à faire son serment, more judaico, dans la
synagogue, entre les mains du rabbin ; [...] qu’agir ainsi, c’est violer la loi et porter directement
atteinte à la liberté de conscience si hautement proclamée par la Charte constitutionnelle » 1189.
2) À l’inverse, le fait que le serment ait été prêté par un Musulman « la main sur le Coran » ne lui
retire pas sa validité 1190. 3) Lorsque des témoins refusent de jurer et de lever la main droite, leur
religion israélite le leur interdisant, au lieu d’un serment, la Cour de cassation se contente d’une
« promesse » de dire « toute la vérité rien que la vérité », laquelle contient « toute la substance du
serment prescrit par l’art. 331 C. pr. pén. » 1191.
Il évoque, par certains aspects, une transaction, c’est-à-dire un acte
juridique – plus qu’une preuve – par lequel une partie renoncerait à un
droit en avouant ou déférant le serment 1192.

SECTION II
LIBERTÉ DE LA PREUVE

244. Preuve par tout moyen. – « Hors les cas où la loi en dispose
autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen » (art. 1358,
issu ord. 10 févr. 2016). Le principe est donc celui de la liberté de la
preuve. Cette liberté existe en droit civil – en dehors des actes
juridiques – et plus largement dans les matières commerciale, sociale,
pénale et administrative.
1º) « À l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se
prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par
la loi » (C. com., art. L. 110-3 1193). La règle vaut seulement « à l’égard
des commerçants ». Un choix s’ouvre lorsqu’un litige oppose un
commerçant à un non-commerçant : le premier devra se soumettre aux
règles du droit civil (art. 1359 et s.) si ce dernier est défendeur à
l’action ; en sens inverse, le non-commerçant, agissant en qualité de
demandeur, pourra opter pour l’application de ces règles ou accepter que
la preuve se fasse par tous moyens. C’est la « théorie de l’acte mixte »
selon laquelle, « dans un acte mixte, les règles de preuve du droit civil
s’appliquent envers la partie pour laquelle il est de caractère civil » 1194.
Au-delà des commerçants, « les registres et documents que les professionnels doivent tenir ou
établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée ; mais
celui qui s'en prévaut ne peut en diviser les mentions pour n'en retenir que celles qui lui sont
favorables » (C. civ., art. 1378, issu ord. 10 févr. 2016).
La preuve par tous moyens peut également être érigée en règle
matérielle dans le droit du commerce international (ex. : CVIM,
art. 11 1195).
Mais la liberté de la preuve en droit commercial a été conçue pour une
société de boutiquiers et de négociants. La règlementation du
capitalisme moderne, financier et mondialisé, voit au contraire fleurir
partout l’écrit : les contrats commerciaux les plus importants (assurance,
prêt d’argent, cession de fonds de commerce, de parts sociales ou de
brevets...), les informations obligatoires communiquées dans un but de
transparence aux actionnaires, aux autorités administratives
indépendantes ou aux clients, les relations avec l’administration fiscale
ou sociale, etc. doivent être formalisés par écrit 1196. De tous temps,
l’obligation légale de tenir une comptabilité – dont les écritures
enregistrent l’ensemble des opérations patrimoniales et sont admises en
justice « pour faire preuve » (C. com., art. L. 123-23. Adde C. civ.,
art. 1378) – a beaucoup relativisé la liberté de la preuve en ce domaine.
L’essor de l’écrit électronique achève de réduire cette liberté à une peau
de chagrin.
2º) De même, « en matière prud’homale, la preuve est libre » 1197 à
condition qu’elle ne soit pas illicite (v. ci-après). Bien plus, « la
procédure prudhomale est orale » (C. trav., art. R. 1453-3) : en théorie,
il n’est même pas besoin de formuler une demande écrite.
3º) En matière pénale 1198, « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent
être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction » (C. pr. pén.,
art. 427. Adde l’article 353, qui formule le serment des jurés de la cour d’assises). En réalité, aucune
loi ne restreint véritablement ce principe : selon la Cour de cassation, l’édiction par le législateur de
modes de preuve spécifiques n’exclut pas le recours à tous autres moyens 1199. Seule la « preuve
contraire » se trouve éventuellement encadrée mais d’une façon souple. Ainsi, les contraventions sont
prouvées par procès-verbaux ou, à défaut, par témoins ; « la preuve contraire ne peut être rapportée
que par écrit ou par témoins » (C. pr. pén., art. 537).
4º) La preuve en droit administratif 1200 est également libre et
gouvernée par l’intime conviction du juge. Dans le contentieux de la
légalité des actes administratifs (recours pour excès de pouvoir),
notamment, le Conseil d’État a, très tôt, été conscient de la difficulté de
prouver contre l’Administration. L’inégalité des parties l’a conduit
d’une manière générale à accroître l’interventionnisme du juge et à
aménager la charge de la preuve au profit des usagers ou requérants. La
procédure civile, longtemps fidèle au modèle accusatoire, s’est
rapprochée de ce modèle inquisitorial 1201.

245. Preuve illicite. – Un moyen de preuve peut être jugé


inadmissible parce qu’illicite alors même que la preuve par tous moyens
est recevable : les matières commerciale, pénale ou sociale n’échappent
pas plus à l’exigence de légalité que la matière civile. Certes, aucun
numerus clausus ne vient y restreindre l’admissibilité des moyens
probatoires ; il n’en demeure pas moins qu’une preuve illicite s’expose
toujours à être déclarée irrecevable. Selon l’article 9 du Code de
procédure civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément
à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
En droit civil, la protection des droits de la personnalité justifie particulièrement le rejet des
débats de certaines preuves dans des matières où la preuve par tous moyens est pourtant recevable.
Il en est ainsi, par exemple, du droit moral de l’auteur qui lui permet de s’opposer à la divulgation
de son manuscrit à l’audience 1202.
Il en va de même du droit au respect de la vie privée (art. 9) ou du secret des correspondances,
quoique la jurisprudence les sacrifie volontiers sur l’autel de la preuve en présence d’un texte
spécifique. Ainsi, selon la loi, la preuve d’une cause de divorce, telle que l’adultère, ne peut être
rapportée en versant aux débats des lettres échangées entre le conjoint et un tiers qui auraient été
« obtenues par violence ou fraude » (art. 259-1) : la jurisprudence en déduit a contrario qu’en cette
matière, où la preuve se fait par tous moyens, « le juge ne peut écarter des débats un élément de
preuve que s’il a été obtenu par violence ou fraude » ; en conséquence, un mari peut produire le
journal intime et les lettres de son épouse 1203 et une femme peut produire les « SMS » adressés par
son mari infidèle à sa maîtresse 1204 – s’ils les ont obtenus sans fraude ni violence.
La quête de la vérité dans la filiation a même conduit des juges à exhumer un cadavre (dans une
affaire célèbre) aux fins d’analyses génétiques 1205 avant que le législateur n’interdise
l’« identification par empreintes génétiques » après la mort, sauf accord donné par la personne de
son vivant (art. 16-11, L. 6 août 2004).
En réalité, s’agissant d’une liberté civile ou d’un droit fondamental,
aucune restriction ne peut être admise ou exclue de façon générale. Le
juge opère un contrôle de proportionnalité directement influencé par le
droit européen 1206 : « le droit à la preuve ne peut justifier la production
d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette
production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte
soit proportionnée au but poursuivi » 1207.
Constituent également un « moyen de preuve illicite » les informations collectées au sein d’une
entreprise par un système de traitement automatisé de données personnelles (fichier informatique) qui
n’a pas été déclaré à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) 1208.

246. Preuve unilatérale ou déloyale ; procédure pénale. – La


violation de plusieurs principes entraîne l’irrecevabilité de la preuve
obtenue.
1º) D’abord, le « principe selon lequel nul ne peut se constituer une
preuve à lui-même » implique le rejet d’une preuve unilatérale, une
« auto-preuve », émanant exclusivement 1209 de la partie qui l’a versée aux
débats – ou bien de son représentant 1210, mais pas d’un tiers à l’acte qu’il
s’agit de prouver 1211. Le Code civil contenait diverses applications de
cette cause d’irrecevabilité (reprises aux art. 1378, 1378-1 et 1362) 1212
avant que la règle n’y soit gravée : « Nul ne peut se constituer de titre à
soi-même » (art. 1363, issu ord. 10 févr. 2016).
Néanmoins, la prohibition serait « limitée à la preuve des actes juridiques » et ne concernerait
pas les faits juridiques au motif qu’ils se prouvent par tous moyens 1213. Rien ne justifie cette
distinction 1214 qui revient, plus largement, à admettre la preuve unilatérale dans toutes les matières
où la preuve est libre. Ainsi, en droit du travail, un employeur peut opposer à son salarié une
attestation établie par son représentant 1215. Il est vrai que que l’article 202 C. pr. civ. admet les
attestations de « tiers » unis par un lien de parenté ou de subordination à l’une des parties, « lorsque
la preuve testimoniale est admissible » (C. pr. civ., art. 199). Cependant, la preuve unilatérale
conserve une force probante insuffisante en elle-même : si « le juge ne peut refuser d’examiner une
pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se
fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » 1216.
En droit commercial, « la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour
faire preuve entre commerçants pour faits de commerce » alors que « si elle a été irrégulièrement
tenue, elle ne peut être invoquée par son auteur à son profit » (C. com., art. L. 123-23). La preuve
unilatérale est donc banale, à condition que les actes de commerce puissent se prouver par tous
moyens et donc que le litige oppose deux commerçants (selon la théorie de l’acte mixte) 1217.
2º) Surtout, le principe de loyauté de la preuve transcende toutes les
branches du droit (droit civil, droit social, droit commercial...). Au
demeurant, dans le procès civil, « le juge est tenu de respecter et de
faire respecter la loyauté des débats » 1218.
1) En droit civil, « l’enregistrement d’une conversation téléphonique
privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués,
est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi
obtenue » 1219.
2) En droit social, « l’illicéité d’un moyen de preuve doit entraîner
son rejet des débats ». Notamment, l’employeur ne peut produire à
l’instance prud’homale un enregistrement d’images ou de paroles d’un
salarié obtenu à son insu, à l’aide d’un dispositif clandestin de
surveillance (caméras, écoutes téléphoniques...). La recevabilité d’un tel
moyen de preuve suppose qu’il ait été porté préalablement à la
connaissance du personnel 1220 ou, d’une manière générale, de l’auteur
des propos enregistrés (un salarié ou l’employeur lui-même, piégé à son
tour par un salarié 1221). En revanche, un salarié est admis à verser aux
débats des documents soustraits à son employeur dès lors qu’il en a eu
connaissance dans le cadre de ses fonctions : l’exercice des droits de la
défense justifie l’origine délictueuse de la preuve 1222.
En droit administratif, où domine la liberté de la preuve, le Conseil
d’État ne consacre pas un principe général de loyauté dans
l’administration de la preuve mais, très modestement, une « obligation
de loyauté » de l’employeur public qui diligente une procédure
disciplinaire à l’encontre d’un de ses agents. Dans ce cadre, toute ruse
n’est pas déloyale et un « intérêt public majeur » justifie même la mise à
l’écart de cette obligation 1223.
3) La jurisprudence commerciale rejette de la même façon la preuve
déloyale (tel qu’un enregistrement téléphonique clandestin) 1224, y
compris dans les matières (notamment le droit de la concurrence) où
s’exerce une répression administrative qui eût justifié une transposition
de la jurisprudence pénale (plus souple à cet égard : v. ci-après) 1225. En
revanche, en matière fiscale, elle permet au juge de faire état d’une
dénonciation anonyme dès lors que celle-ci lui a été soumise dans un
document signé par les agents de l’Administration et est corroborée par
d’autres éléments d’information 1226.
Bien plus, le juge commercial a consacré « le principe selon lequel
nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » (inspiré de l’estoppel
anglais) 1227, érigeant en fin de non-recevoir un comportement procédural
incohérent ou contradictoire.
Encore une fois, le Conseil d’État reste hostile à admettre un principe
aussi novateur 1228.
3º) La procédure pénale est – paradoxalement – celle qui s’affranchit
le plus du principe de légalité, sauf lorsque la loi proscrit expressément
un mode de preuve, ce qui est rarissime 1229. La Cour de cassation estime
qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter
les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils
auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; il leur appartient
seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure
pénale, d’en apprécier la valeur probante » 1230. En d’autres termes, la
preuve illicite (celle qui a été obtenue au moyen d’une autre infraction)
est recevable dans le procès pénal à condition qu’elle ait été soumise au
débat contradictoire et qu’elle émane de la partie civile (la victime) ou
d’un témoin 1231, voire de la personne poursuivie afin d’assurer sa propre
défense 1232.
À première vue, les autorités de poursuites (police, parquet) et le juge d’instruction ne jouissent
pas d’une telle impunité. Ils sont tenus au respect du « principe de la loyauté des preuves » 1233.
« Porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème
qui en vicie la recherche par un agent de l'autorité publique », notamment lorsque le procédé
déloyal d'enquête met en échec le droit de se taire et celui de ne pas s'incriminer soi-même 1234. Les
agents publics doivent aussi, bien entendu, respecter les droits de l’homme : l’hypnose, le sérum de
vérité, le détecteur de mensonge ou la torture rendent les preuves obtenues irrecevables 1235.
Pourtant, la jurisprudence pénale tend à valider les preuves illégalement obtenues par la police en
les qualifiant de « simples renseignements » 1236, voire en traitant un policier de victime 1237.
L’exigence, formelle, d’un débat contradictoire reste alors le seul rempart. En matière civile ou
commerciale, une preuve annulée peut également valoir « à titre de renseignement » si elle est
corroborée par d’autres éléments 1238.
En outre, le recours à la ruse est un moyen précieux pour arrêter les délinquants. Si le principe de
la loyauté des preuves et l’article 6, § 1 de la Conv. EDH (garantissant le droit à un procès équitable)
s’opposent aux « provocations policières », celles-ci se révèlent utiles dans la poursuite de certaines
infractions. La loi a ainsi autorisé les « livraisons contrôlées » ou « surveillées » en matière de trafic
de stupéfiants qui conduisent des officiers de police judiciaire ou des douaniers à aider voire
participer à des réseaux de trafiquants (C. pr. pén., art. 706-32 ; C. douanes, art. 67 bis). Franchissant
un cap, la loi du 9 mars 2004 érige la ruse en principe probatoire dans la procédure applicable à la
« criminalité organisée » (C. pr. pén., art. 706-81 s.) : la police judiciaire a ainsi la possibilité
d’exécuter une « opération d’infiltration » d’officiers ou d’agents qui, sous une identité d’emprunt,
commettront des actes délictueux sans engager leur responsabilité. Mais, de façon remarquable, la
déloyauté du procédé rejaillit sur sa recevabilité : aucune condamnation ne peut être prononcée sur le
seul fondement des déclarations faites par un policier infiltré, auquel le mis en examen ou prévenu
peut exiger d’être confronté directement. La loi consacre ensuite des techniques éprouvées
d’espionnage judiciaire (sous le contrôle du juge des libertés et de la détention ou JLD) :
« interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications » (pendant des
écoutes administratives régies par les art. 100 s. du C. pr. pén.), « sonorisation » (enregistrement de
paroles) ou « fixation d’images » dans les lieux privés ou les véhicules. Mettant fin à une hypocrisie,
la loi prévoit même la rémunération des indicateurs selon un tarif réglementaire (L. no 95-73, 21 janv.
1995, art. 15-1 mod.). La loi du 5 mars 2007 a également autorisé l’infiltration « numérique »
d’officiers de police judiciaire qui peuvent prendre part à des échanges électroniques (sur internet)
sous un pseudonyme afin de lutter contre la cybercriminalité (des pédophiles ou des terroristes), à
condition que ces investigations ne constituent pas une « incitation à commettre » les infractions
(C. pr. pén., art. 706-35-1). Loin de disparaître, le principe de loyauté de la preuve domine ces
exceptions.
Des pièces extraites d’un dossier pénal peuvent être versées dans une
instance civile ou commerciale (où elles pèsent souvent sur l’issue du
litige) mais elles doivent avoir été obtenues sur autorisation du
Procureur de la République (C. pr. pén., art. R. 156) 1239.
247. Influence de la preuve. – En présence d’une preuve illicite ou
déloyale, et donc irrecevable, le juge conserve la faculté de prendre
appui sur un autre élément de preuve afin de forger sa conviction 1240.
Ce raisonnement est aussi celui de la Cour EDH. Si la Convention EDH garantit le droit à un
procès équitable (art. 6), « elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ». La
Cour européenne se refuse donc à « exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve
recueillie de manière illégale » ; elle « attache aussi du poids à la circonstance que [le moyen
illicite] n’a pas constitué le seul moyen de preuve retenu pour motiver la condamnation » 1241.

Nos 248-249 réservés.


CHAPITRE IV
FORCE PROBANTE

250. La persuasion. – La recevabilité d’un moyen de preuve ne doit


pas être confondue avec sa force probante. La première désigne
l’aptitude de l’instrument probatoire à être recevable dans le procès
(v. supra, Chapitre II). La seconde désigne l’aptitude du moyen de
preuve à emporter la conviction du juge, une fois produit à l’instance. La
force probante, c’est la force de persuasion.
Pénétrant le domaine de l’intime conviction et du for intérieur (la loi qualifie la force probante de
« foi » due à l’acte), le droit de la preuve ne devrait relever d’aucune règle juridique si ce n’est
l’appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi, du moment qu’un élément de preuve irrégulier
n’encourt pas la nullité, il appartient au juge d’en apprécier la valeur probante 1242. À plusieurs
reprises, le Code civil affirme que la « valeur probante » d’un moyen de preuve « est laissée à
l’appréciation du juge » (ex. : art. 1379, fiabilité d’une copie ; art. 1381, déclarations faites par un
tiers ; art. 1382, présomptions de fait ; art. 1383-1, aveu extrajudiciaire ; art. 1386, serment déféré
d’office). En matière pénale, le législateur a précisé d’une manière générale que « tout élément de
preuve est laissé à la libre appréciation des juges » (C. pr. pén., art. 428).
Il existe toutefois deux exceptions : l’aveu judiciaire (art. 1383-2, al. 2) 1243 et le serment litis-
décisoire (art. 1385-3) 1244, dont la loi a, par avance, déterminé la force probante. Le juge perd alors
la liberté de ne pas se déclarer convaincu. De même, les contrats sur la preuve ne peuvent « modifier
la foi attachée à l’aveu ou au serment » (art. 1356, al. 2). L’aveu et le serment sont des preuves
directes : nulle discordance entre la « volonté externe » et la « volonté interne » de son auteur n’est
envisageable 1245. En outre, le serment puise sa force probante dans la conscience de l’homme 1246 : le
juge ne saurait y substituer l’opinion de sa propre conscience.
À ce stade ultime du raisonnement judiciaire, la Cour de cassation,
juge du droit, n’exerce plus en principe son contrôle 1247.
Cependant, tout n’est pas permis : le juge du fait ne peut se déclarer
convaincu par n’importe quoi, notamment lorsqu’il puise sa conviction
dans un écrit, qu’il soit de type papier ou électronique 1248. La force
probante d’un acte authentique ou d’un acte sous signature privée
s’impose d’elle-même, jusqu’à un certain degré. De façon plus générale,
la vraisemblance et l’objectivité de la preuve modifient sa force
persuasive.
251. Acte authentique. – L’acte authentique est doté d’une force
probante considérable, supérieure à celle d’un acte sous signature
privée. Selon l’article 19 de la loi du 25 ventôse an XI, « tous actes
notariés feront foi en justice ». L’article 1371 (anc. art. 1319) est plus
explicite : « l’acte authentique fait foi jusqu’à inscription de faux
[...] ».
La procédure d’inscription de faux (C. pr. civ., art. 303 et s.) doit être suivie par tout plaideur qui
entend contester la sincérité de l’officier public, alléguer qu’il a commis un mensonge 1249. En cas
d’échec, le demandeur s’expose à une amende civile de 1 500 euros (C. pr. civ., art. 305). En cas de
succès, l’acte argué de faux est déchu de toute force probante ; au surplus, l’officier public s’expose à
des poursuites pour crime de faux en écriture authentique (C. pén., art. 441-4).
Une nuance doit être apportée : l'acte authentique fait foi jusqu'à
inscription de faux « de ce que l'officier public dit avoir
personnellement accompli ou constaté » (art. 1371). « L’acte
authentique ne fait foi jusqu’à inscription de faux que des faits que
l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou
comme s’étant passés en sa présence, dans l’exercice de ses
fonctions » 1250. Au contraire, nulle foi authentique ne s’attache aux
énonciations d’un notaire portant sur des actes ou des faits : 1) dont les
parties lui ont seulement relaté la teneur et dont il n’a pas pris
personnellement connaissance (ex propriis sensibus, par ses propres
sens) ; en particulier, lorsque les parties déclarent au notaire avoir
effectué un paiement, le constat de ce paiement, « hors la vue » ou
« hors la comptabilité » du notaire, n’a pas la force probante d’un acte
authentique 1251 ; 2) dont le constat excède les capacités de connaissance
du notaire 1252. Dans ces deux cas, l’acte authentique fait foi jusqu’à
preuve contraire, comme un acte sous signature privée, et non plus
jusqu’à inscription de faux. Mais l’article 1359 (anc. art. 1341) n’en
demeure pas moins applicable : la preuve « outre ou contre » le contenu
de l’acte n’est recevable qu’au moyen d’un « écrit » (acte sous signature
privée ou autre acte authentique) 1253, sous réserve des exceptions
admises à l’exigence de la preuve littérale 1254.
Qu’advient-il si l’acte authentique (l’instrumentum) se trouve infecté
d’un vice ou défaut de forme ? Si l’authenticité est requise par la loi ad
validitatem, il est nul. Si l’authenticité est requise seulement ad
probationem, il est déchu en partie de sa valeur probatoire ou déclassé :
il « vaut comme écrit sous signature privée, s’il a été signé des
parties » (art. 1370, D. 26 nov. 1971, art. 41). Plus étonnant, le
déclassement s’opère même si l’acte authentique ne comprend pas les
autres éléments de définition d’un acte sous signature privée 1255.
Toutefois, les mentions déclarées nulles expressément par la loi, le
décret du 26 novembre 1971 (art. 41) ou un jugement ne font pas preuve
comme écriture privée : elles sont nulles, sans possibilité de
sauvetage 1256. Que l’acte authentique soit nul ou seulement déclassé,
dans tous les cas, le notaire contrevenant engage sa responsabilité
et s’expose à devoir payer des dommages-intérêts (art. 41, préc.).
En sens inverse, l’annexion d’un acte sous signature privée à un acte
authentique ne lui en confère pas la force probante 1257.

252. Acte sous signature privée ; acte d’avocat ; blanc-seing ;


discordances. – 1º) L’acte sous signature privée « fait foi, entre ceux
qui l’ont souscrit et à l’égard de leurs héritiers et ayants cause »
(art. 1372).
Le Code civil de 1804 allait jusqu’à affirmer que « l’acte sous seing
privé » a « la même foi que l’acte authentique » (anc. art. 1322). Cette
équivalence devait être nuancée. À l’égard de la recevabilité des moyens
de preuve, l’acte sous signature privée et l’acte authentique font jeu
égal : l’article 1359 qui exige un titre écrit ne privilégie aucune de ces
deux catégories. En revanche, la force probante d’un acte sous signature
privée est inférieure : d’une part, il fait preuve jusqu’à preuve contraire
tandis que l’acte notarié fait foi jusqu’à inscription de faux (supra) ;
d’autre part, il n’acquiert date certaine à l’égard des tiers qu’avec son
enregistrement (cf. art. 1377, anc. art. 1328) 1258, tandis que l’acte notarié
a date certaine erga omnes dès sa rédaction 1259.
En outre, l’acte sous signature privée n’acquiert une valeur probatoire
d’« écrit » que s’il est « reconnu par la partie à laquelle on l’oppose
[...] » (art. 1372, précité). Or, deux incidents peuvent surgir à cet
endroit : l’intéressé prétend que son écriture ou sa signature sur l’acte
ne sont pas les siennes 1260 ou bien qu’elles ont été imitées (l’acte est un
faux en écriture privée). En premier lieu, une partie peut désavouer son
écriture ou sa signature et nier qu’elles lui soient imputables (art. 1373 :
« La partie à laquelle on l'oppose peut désavouer son écriture ou sa
signature. Les héritiers ou ayants cause d'une partie peuvent
pareillement désavouer l'écriture ou la signature de leur auteur, ou
déclarer qu'ils ne les connaissent ») 1261. Une suspicion plane alors sur la
sincérité de l’acte qu’il convient de lever en suivant la procédure de
« vérification d’écriture » (art. 1373 ; C. pr. civ., art. 285 à 298). Le juge
saisi de l’action principale se prononce alors sur la base de documents
qu’il a obtenus, d’échantillons d’écriture ou du rapport d’un expert 1262.
En second lieu, si un écrit sous signature privée produit au cours d’une
instance « est argué faux » (une partie affirme que sa signature ou son
écriture ont été contrefaites et soulève un « incident de faux »), le même
examen est diligenté (C. pr. civ., art. 299). L’incident de faux est le
pendant (affaibli) de la procédure d’« inscription de faux » applicable
aux actes authentiques (supra).
Il y a là une règle générale : l’allégation du caractère inexact ou mensonger d’un écrit neutralise
sa force probante, quelle qu’en soit la nature (pour les actes d’état civil faits à l’étranger, par ex.,
art. 47). Une partie peut, de la même façon, nier la conformité à l’original d’une copie (au sens de
l’art. 1379) : le juge appréciera alors souverainement l’existence de l’acte 1263. L’article 1366 fait
écho à cette règle commune à propos de l’écrit électronique (la personne dont il émane doit pouvoir
« être dûment identifiée ») ; la procédure de vérification des écritures a donc été adaptée au cas où
la dénégation porte sur un écrit ou une signature électroniques (C. pr. civ., art. 287 et 288-1, D. 3 déc.
2002).
2º) Une situation hybride – entre l’acte sous signature privée et l’acte
authentique – peut naître de l’intervention d’un avocat 1264. « L’acte sous
seing privé contresigné par les avocats de chacune des parties ou par
l’avocat de toutes les parties fait foi de l’écriture et de la signature des
parties, tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants cause.
La procédure de faux prévue par le code de procédure civile lui est
applicable » (art. 1374 ; anc. L. no 71-1130, 31 déc. 1971, art. 66-3-2,
L. 28 mars 2011. Adde art. 66-3-1, non codifié : « en contresignant un
acte sous signature privée, l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la
ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet
acte »).
De création récente, cet acte d’avocat ne concurrence pas réellement
l’acte notarié qui fait foi jusqu’à inscription de faux (le notaire atteste
du contenu même et de la date de l’acte, au contraire de l’avocat) et qui,
surtout, possède une force exécutoire. En réalité, sa force probante ne
surpasse celle d’un acte sous signature privée ordinaire que sur un point
mineur : les parties ne peuvent plus désavouer leur écriture (à l’image
des signataires d’un acte authentique) ; sans doute, elles peuvent
toujours dénoncer un faux ; mais ce sont deux hypothèses d’école
puisque l’avocat, tenu à un devoir de conseil, est censé avoir vérifié leur
identité, leur écriture et leur signature.
3º) Qu’en est-il enfin si l’écrit signé contenait un blanc qui a été
rempli postérieurement ? En général, « un écrit, même s’il comporte à
l’origine un blanc-seing, fait foi des conventions qu’il contient, comme
si elles y avaient été inscrites avant la signature, sauf preuve contraire
administrée par la partie qui allègue l’abus » 1265. Des sanctions pénales
sont encourues en cas de fraude. L’infraction applicable est, d’abord, le
délit de faux (C. pén., art. 441-1), soit matériel, soit intellectuel.
L’ancien délit d’abus de blanc-seing (C. pén., art. 407 anc.) a été
abrogé ; il est réprimé aujourd’hui au moyen du délit d’abus de
confiance (C. pén., art. 314-1) dans la mesure où l’abus d’un blanc-
seing traduit la violation par son détenteur du mandat tacite que lui a
donné le signataire. Mais l’article 1359 reste applicable ; la thèse selon
laquelle l’existence d’un abus de blanc-seing se prouverait par tous
moyens n’a pas été retenue 1266. L’auteur du délit a donc intérêt à porter
une somme supérieure à 1 500 € dans le blanc de l’acte, afin d’entraver
la preuve contraire. L’abus de blanc-seing est impossible dans les actes
authentiques notariés puisqu’ils ne doivent pas comporter de blancs
(D. no 71-941, 26 nov. 1971, mod. D. 10 août 2005, art. 9 et 13 :
« L’acte du notaire [...] est écrit en un seul et même contexte, sans
blanc »).
4º) De la même façon qu’un acte authentique ne fait pas foi jusqu’à inscription de faux des
constatations faites par le notaire relatives à des faits dont il ne pouvait avoir une exacte
connaissance (supra), la force probante d’un acte sous signature privée se trouve neutralisée chaque
fois qu’une partie allègue une discordance entre sa volonté externe (exprimée dans le corps de
l’acte) et sa volonté interne (véritable) : en somme, elle n’a pas voulu ce qu’elle a écrit ou signé. Par
exemple, le signataire d’un contrat A dit qu’il pensait avoir conclu un contrat B. Le litige porte donc
sur l’interprétation de la volonté des parties et la qualification à donner à l’acte juridique (au sens de
negotium, c’est-à-dire la substance de l’acte voulu, au fond, par les parties). L’article 1359, qui
interdit de prouver « outre et contre » un écrit n’est pas applicable ici : il ne confère de force
probante qu’à l’acte au sens d’instrumentum (l’acte au sens matériel, formel du terme, le document
écrit tel qu’il est libellé afin de servir de preuve) ; le juge du fond demeure souverain pour apprécier
la nature et l’étendue réelles de l’acte au sens de negotium.
La Cour de cassation, juge du droit, n’est pas habilitée à contrôler cette appréciation de fait,
relevant du pouvoir souverain des juges du fond 1267. À titre exceptionnel, elle censure les décisions
qui se livrent à une interprétation du contenu de l’acte alors que, à l’évidence, nulle discordance
entre les volontés externe et interne n’apparaît. Ce contrôle est dit de la dénaturation d’un acte « clair
et précis ». Il transforme de façon exceptionnelle la Haute juridiction en un juge du fait 1268. Il se
justifie chaque fois que les juges du fond ont substitué leur propre volonté à celle, clairement
exprimée, des parties (par exemple, pour écarter la clause rigoureuse d’un contrat, par souci
d’équité). Mais la Cour de cassation ne contrôle que la dénaturation des actes juridiques, à la
différence du Conseil d’État qui contrôle aussi bien les actes que les faits 1269.

253. Vraisemblance. – Le juge ne peut être convaincu par ce qui est


invraisemblable. L’impératif de vraisemblance 1270 est le dernier obstacle
susceptible de neutraliser un moyen de preuve régulièrement versé aux
débats 1271. L’appréciation des juges du fond est souveraine :
l’invraisemblable relève de la force probante, de l’intime conviction, non
de la recevabilité 1272.
La vraisemblance n’est pas la vérité 1273. Mais, à la faveur du progrès
scientifique, elle peut y tendre et réduire le doute à presque rien. Le
droit oppose néanmoins une certaine résistance. Ainsi, en raison des
principes qui gouvernaient naguère le droit de la filiation, il a fallu
attendre l’an 2000 pour que la Cour de cassation décidât que
« l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il
existe un motif légitime de ne pas y procéder » 1274 : l’analyse sanguine
étant fiable à 99 %. Mais la « vérité de la filiation » ne repose pas
seulement sur des réalités biologiques. De même, le législateur n’a
consacré qu’en 2001 l’identification par empreintes génétiques dans la
procédure pénale en instaurant un fichier national qui recense des
condamnés ou même de simples suspects (C. pr. pén., art. 706-54 s.,
L. 15 nov. 2001) : le risque d’erreur serait cette fois de un sur un
million.
La loi pénale contient des dispositions particulières. Si « l’examen des caractéristiques
génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche
scientifique » et après avoir obtenu son consentement exprès (art. 16-10), il peut être réalisé sans
condition dans une procédure pénale « à partir de matériel biologique qui se serait naturellement
détaché du corps de l’intéressé » (C. pr. pén., art. 706-56, al. 4).
En droit de l’environnement, la vérité occupe tout autant les esprits, mais elle se dérobe lorsqu’on
veut l’établir. Controversée, noyée dans des querelles scientifiques obscures, elle ne suscite jamais
de consensus scientifique ou alors très tardivement, quand les dommages causés à la nature sont
irréversibles. Le « principe de précaution » 1275 impose ici un devoir d’anticipation accru par
rapport à un simple devoir de prudence. Il conduit les responsables publics ou privés à enquêter, à
éliminer des risques encore inconnus ou imprévisibles et à prononcer un moratoire sur des décisions
potentiellement nuisibles à l’environnement. Le principe peut être mis en œuvre en démontrant
seulement l’existence d’un doute raisonnable, d’un risque sérieux, possible ou plausible, en un mot
« vraisemblable » (mais non hypothétique) pour l’environnement 1276.
Enfin, la vraisemblance – susceptible de degrés 1277 – constitue un
ultime secours en cas de conflits de preuves. Ainsi, selon l’article 1368,
« À défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle
les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le
plus vraisemblable » (« quel qu’en soit le support », précisait l’anc.
art. 1316-2). La même règle est posée en matière de filiation (art. 311-
12, al. 1er).
254. Subjectivité. – La règle selon laquelle de simples « allégations », « affirmations » ou
« dénégations » ne peuvent valoir à titre de preuve, qui connaît de multiples applications dans des
domaines où celle-ci peut être rapportée par tous moyens, ne restreint pas sa recevabilité mais sa
force probante. Cette formule interdit au juge de se laisser convaincre par des preuves subjectives
trop évanescentes, qu’il ne saurait toutefois rejeter des débats 1278. La preuve doit être teintée
d’objectivité.

Nos 255-259 réservés.


LIVRE III
SOURCES DU DROIT

260. Le règne ambigu de la loi. – Le droit positif français est


surtout écrit et législatif. D’une manière générale, la loi a envahi les
systèmes juridiques des pays industrialisés, y compris ceux où
s’applique la Common Law. À mesure qu’une société s’organise et se
modernise, le rôle de la coutume décroît au profit de normes écrites qui
émanent d’autorités publiques. En France, le phénomène a été accru par
le rôle majeur de l’État 1279 et l’exclusivisme de la loi avait été affirmé par
la Révolution. Le XIXe siècle a voué un culte à la loi écrite avant que la
« critique scientifique » 1280 et la jurisprudence 1281 n’en contestent
l’autorité.
La seconde moitié du XXe siècle a connu une évolution plus complexe.
Alors que le nombre de lois connaissait une croissance constante, le
législateur s’est trouvé de plus en plus bridé par les jurisprudences du
Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme
et, surtout, par des transferts successifs de souveraineté au profit de
l’Union européenne. Essayant d’être un quasi-État au-dessus des États,
l’Europe déverse à son tour des torrents de législation, transposée ou
directement applicable par le droit interne.

261. Pluralisme juridique. – La pensée juridique connaît plusieurs


tendances contradictoires, essentiellement l’idéalisme (le droit serait
l’œuvre de l’esprit et de la raison) et le positivisme (le droit résulterait
des faits et des règles en vigueur).
En conséquence, le droit positif est un océan parcouru de courants
multiples. Le législateur français n’en est pas le seul maître. Le constat
d’un « pluralisme » juridique ou normatif est devenu banal 1282 : le droit a
d’autres sources que les sources formelles, qui se situent tantôt au-
dessus, tantôt en dessous du droit positif 1283. Le pluralisme nie avant
tout le lien exclusif du Droit avec l’État : il n’y a pas de monopole
étatique dans l’édiction des règles juridiques et le Droit n’est pas
territorial par nature 1284.
L’article 2 de la loi d’introduction au Code civil allemand (Einführungsgesetz zum Bürgerlichen
Gesetzbuch ou EGBGB) du 18 août 1896 dispose ainsi que « Gesetz im Sinne des Bürgerlichen
Gesetzbuch und dieses Gesetzes ist jede Rechtsnorm » (la loi, dans l’esprit du Code civil et de la
présente loi, s’entend de toute norme juridique).
La raison du pluralisme juridique tient pour partie au pluralisme de la
société elle-même : toute personne est citoyen d’une patrie et du monde
(la société internationale), membre de la société humaine (l’humanité),
d’une ville ou d’un village (la commune), d’une famille et d’une
profession ; nombreux sont les fidèles d’une Église, militants d’un parti,
d’un syndicat, d’une association ; les Français sont des Européens et la
France compte des étrangers. Or, chacune de ces communautés a ses
règles, ses mœurs et sa culture. Cette multiplicité est une cause de
richesses (le progrès naît de la rencontre des différences) et un facteur
de désordres (la différence engendre la haine et l’incohérence). Des
conflits surgissent entre les sources, qu’il peut être difficile de trancher
pour des raisons techniques ou politiques.
Au milieu de ce maelström, la loi parlementaire connaît un déclin
qualitatif (son autorité s’étiole), accompagné d’un essor quantitatif
considérable : l’inflation législative est hors de contrôle. Le juriste doit
en outre composer avec des milliers de textes réglementaires (décrets,
arrêtés), avis, rescrits, recommandations, communiqués, règles
techniques, règles déontologiques, conventions collectives, circulaires,
formulaires, pratiques, réponses ministérielles, principes de droit,
etc. 1285. Cette révolution des sources est récurrente 1286 ; elle engendre
depuis toujours le désordre et la démesure 1287.
262. Plan. – Pour rechercher l’origine du droit, il faut distinguer ses
sources formelles, informelles et réelles 1288. Il s’agit à présent d’explorer
l’univers des sources formelles.
Afin de ne pas préjuger leur valeur respective, ne seront pas opposées
les sources « principales » aux sources « secondaires » (subalternes),
mais les sources écrites (Titre I) aux sources non écrites (Titre II).
Ce plan ne doit pas dissimuler des situations hybrides. Des règles découlant d’une source non
écrite peuvent ensuite être mises par écrit (telles les coutumes dont la rédaction fut entreprise sous
l’Ancien droit 1289). De même, une loi peut consacrer une jurisprudence, une coutume ou une pratique.
Suivant une logique inverse, le juge peut dégager une règle non écrite par une interprétation de la loi.
En raison de son autonomie, l’interprétation appelle un traitement à part (Titre III).

Nos 263-269 réservés.


TITRE I
SOURCES ÉCRITES

270. Diversité et hiérarchie des normes : la pyramide ; la


source. – 1º) Les sources écrites du droit sont multiples. En France, le
terme générique pour les désigner est celui de « texte ». Les textes
proviennent de la loi (parlementaire et constitutionnelle), des
conventions internationales, des ordonnances, des décrets, des arrêtés,
etc. Malgré le recul que la Constitution de la Ve République lui a fait
subir en resserrant son domaine de compétence (Const. 4 oct. 1958,
art. 34), la loi demeure la source principale du droit parce qu’elle est
« l’expression de la volonté générale » 1290.
2º) Cet éventail de sources est une hiérarchie qui correspond en
principe à celle des autorités publiques compétentes pour énoncer des
règles juridiques. La métaphore de la hiérarchie des normes – sorte de
pyramide à étages superposés – exprime un triple rapport normatif.
D’abord, la norme inférieure jouit d’une autorité moindre que celle de la
norme supérieure et doit donc s’effacer devant elle en cas de conflit
(rapport de subordination ; ex. : une loi ne doit pas être contraire à un
traité international qui doit lui-même respecter la Constitution). Ensuite,
la norme inférieure ne doit pas empiéter sur le domaine de la norme
supérieure (rapport de compétence [matérielle] ; ex. : un règlement ne
peut régir une matière relevant du domaine législatif ; en revanche, une
loi peut empiéter sur le terrain réglementaire). Enfin, la norme inférieure
doit être conforme à la norme supérieure, lorsqu’elle puise en celle-ci sa
validité (rapport de validité ; ex. : une loi ordinaire ne peut modifier une
loi organique ; une ordonnance prise par le gouvernement sur le
fondement de l’article 38 de la Constitution ne peut excéder les limites
de la loi d’habilitation).
3º) Le juriste autrichien H. Kelsen, recherchant l’origine de l’essence obligatoire de la norme (le
Sollen ou devoir-être, par opposition au Sein qui est l’être, le fait), bâtit sa Théorie pure du droit 1291
sur l’image d’une pyramide dans laquelle chaque norme tire sa « validité » d’une norme supérieure
qui fonde à son tour la validité de la norme inférieure 1292. Par régressions (et ascensions)
successives, la pensée atteint le sommet de la pyramide où trône, selon Kelsen, la Grundnorm
(Norme fondamentale). Dès lors, la théorie (dite « normativiste »), péchant par excès de rationalisme
(la norme n’est plus un contenu mais une forme de la pensée), atteint sa limite : nul n’est parvenu à
identifier cette mystérieuse « Norme fondamentale », véritable deus ex machina destiné à assurer la
cohérence de la pyramide kelsénienne. Quoiqu’il voulût « purifier » la « science du droit » des
apports des sciences humaines et du droit naturel, Kelsen raisonne en jusnaturaliste. Il commet en
outre des erreurs (notamment, une norme illicite ou irrégulière – sans validité à ses yeux – n’en existe
pas moins comme norme juridique jusqu’à ce qu’elle soit annulée ou abrogée) 1293.
De façon très différente, la « théorie réaliste de l’interprétation du droit » soutenue par Michel
Troper considère que le pouvoir des autorités juridictionnelles d’interpréter les normes juridiques
fait de ces dernières les créateurs véritables de ces normes et, en conséquence, inverse la hiérarchie
des normes. Partant, « un ordre juridique est formé d’autant de pyramides qu’il y a d’ordres de
juridictions, le sommet de chacune de ces pyramides étant constitué des normes que la Cour
suprême de cet ordre de juridictions énonce par la voie de l’interprétation » 1294. La théorie
s’applique surtout à la justice constitutionnelle 1295, en France comme à l’étranger (aux USA
notamment où le pouvoir créateur de la Cour suprême et du juge de Common Law a inspiré cette
doctrine).
4º) L’image de la source implique une hiérarchie géographique d’altitude : la source est au-
dessus du ruisseau, le ruisseau au-dessus de la rivière, la rivière au-dessus du fleuve. Les juristes ont
transposé instinctivement cette image et cette hiérarchie aux sources du droit. En réalité, les eaux se
mêlent souvent et le ruisseau n’est pas toujours autre que la source ni la source plus élevée que le
ruisseau. La jurisprudence a sans doute la loi pour source mais elle peut lui être supérieure
puisqu’elle peut la condamner. C’est une révolution (du latin volvere = rouler) : le droit tourne en
rond, le ruisseau remonte à la source et les eaux se mêlent 1296. La hiérarchie des normes n’a rien de
linéaire ou de pyramidal. Elle connaît des inversions, des entrecroisements voire des « courts-
circuits » de pouvoirs 1297 qui sont avant tout le reflet d’un réseau complexe d’autorités publiques et
juridictionnelles 1298.
La cause de cette complexité réside dans la pluralité des ordres
juridiques (ou « plurijuridisme ») eux-mêmes alimentés par une
pluralité de sources (phénomène du pluralisme juridique 1299). Un État
peut posséder un système de droit mixte (mêlant droit civil ou/et
Common Law ou/et droit coutumier ou/et droit religieux), une
organisation fédérale (chaque État fédéré disposant alors d’un droit
propre, subordonné à celui de l’État fédéral, comme aux États-Unis) et,
en tout état de cause, appartenir à une organisation internationale
coiffant un ordre juridique supra-national (ONU, Union européenne,
Conseil de l’Europe, etc.) 1300. Il peut exister une hiérarchie ou un rapport
de subordination entre ces ordres juridiques. Mais leur articulation est
plus subtile que ne l’indique ce schéma, sinon confuse (par exemple,
entre le droit constitutionnel et le droit de l’Union européenne 1301 ou
entre ce dernier et la Convention européenne des droits de l’homme ou
le droit international public 1302).
La hiérarchie des normes demeure, avec la justice, le rouage essentiel
d’un État de droit : le pouvoir exécutif se voit interdire d’enfreindre la
loi, le législateur doit respecter les conventions internationales, les
fonctionnaires obéissent aux décrets et circulaires. Au contraire, les
pays totalitaires méprisent la hiérarchie des normes et pervertissent la
légalité : une circulaire peut violer la loi 1303, les gouvernants réécrivent la
constitution comme bon leur semble.

271. Plan. – La loi (Chapitre I) est au cœur de la pyramide. Mais elle


entretient de singuliers rapports avec les autres sources écrites, situées
en dessous et au-dessus d’elle dans la hiérarchie des normes
(Chapitre II).

Nos 272-274 réservés.


CHAPITRE I
LA LOI

La loi doit être définie (Section I) avant d’en mesurer l’empire


temporel (Section II).

SECTION I
DÉFINITION DE LA LOI

275. Polysémie. – Le mot de loi 1304 a plusieurs significations, comme


l’indique son étymologie 1305. Elle peut être prise dans un sens formel et
organique (§ 1), ou bien matériel (§ 2).

§ 1. LOI AU SENS ORGANIQUE

276. Loi et règlement. – La loi, dont il existe plusieurs variétés, est


l’acte du pouvoir législatif, c’est-à-dire, dans une démocratie
parlementaire, du Parlement (en France, l’Assemblée nationale, élue au
suffrage universel direct, et le Sénat, élu au suffrage universel indirect).
La Constitution distingue la loi organique (art. 46), la loi de finances (art. 34 et 47), la loi de
financement de la Sécurité sociale (art. 34 et 47-1) et la loi ordinaire.
Au contraire, le règlement est l’acte du pouvoir réglementaire soit, au
rang supérieur, le Premier ministre (qui signe 95 % des décrets) et le
président de la République 1306.
Le Premier ministre a compétence pour prendre des décrets (Const., art. 21) sous réserve de
pouvoirs réglementaires dévolus, de façon marginale, au président de la République (ib., art. 13 ;
mais le contreseing du Premier ministre et des ministres concernés est requis par les art. 19 et 22).
Les ministres ne peuvent prendre que des arrêtés, ministériels ou interministériels. À l’échelon local,
les préfets prennent des arrêtés préfectoraux et les maires des arrêtés municipaux ; les organes
exécutifs et les assemblées délibérantes de collectivité locales (région, département, communes,
outre les établissements publics de coopération) adoptent des « actes » et des « délibérations » à
caractère réglementaire, quand un texte le prévoit. Il en est de même pour les autorités
administratives indépendantes (ex. : AMF, CSA...) 1307 auxquelles le législateur a concédé un pouvoir
réglementaire spécifique.

277. Naissance de la loi 1308. – Après qu’un projet de loi (d’initiative


gouvernementale) ou, plus rarement, une proposition de loi (d’initiative
parlementaire) a été adopté de façon définitive par le Parlement, la loi
est promulguée 1309 par le président de la République 1310 (Const., art. 10)
puis publiée par décret au Journal officiel de la République
française 1311.
Selon l’article 1er du Code civil, les lois, ordonnances, décrets et, le
cas échéant, les autres actes administratifs réglementaires (non
individuels) entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le
lendemain de leur publication au Journal officiel.
L’ordonnance du 20 février 2004, en abrogeant le décret « du gouvernement de la Défense
nationale à Paris du 5 novembre 1870 relatif à la promulgation des lois et décrets », a mis fin à de
singuliers anachronismes 1312. Dans un élan de modernité, elle a institué un Journal officiel « mis à la
disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite » (sur internet,
http://journal-officiel.gouv.fr) qui a la même foi authentique que la version papier. Depuis le
1er janvier 2016, le Journal officiel n’existe plus que sous une forme électronique (C. relations pub.
adm., art. L. 221-10). Elle lui assure une diffusion très large, au risque de violer la vie privée des
destinataires de décisions individuelles. Aussi, « certains actes individuels, notamment relatifs à
l'état et à la nationalité des personnes, doivent être publiés dans des conditions garantissant qu'ils
ne font pas l'objet d'une indexation par des moteurs de recherche » (ex. : demandes de changement
de nom, condamnations pénales) (ibid., art. L. 221-14 et art. R. 221-15 et s.). La version électronique
du Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) fait également foi au même titre que la version
imprimée depuis le 1er juillet 2013 (Règl. UE nº 216/2013, 7 mars 2013).
Par exception, les dispositions des lois ou actes administratifs
(publiés au JORF) dont l’exécution nécessite des mesures d’application
entrent en vigueur à la même date que celles-ci. À l’inverse, en cas
d’urgence, le décret de promulgation d’une loi peut prescrire son entrée
en vigueur immédiate, dès sa publication (C. civ., art. 1er ; C. relations
pub. adm., art. L. 221-3). Le gouvernement peut aussi l’ordonner pour
les actes administratifs 1313.
Les actes et délibérations à caractère réglementaire des autorités
locales sont publiés dans des « recueils des actes administratifs »
prévus par le Code général des collectivités territoriales. Les directives,
circulaires et instructions ministérielles renfermant une interprétation de
la loi ont leur propre régime 1314.
Mais, pour le juge administratif, l’existence d’un règlement est indépendante de sa publicité 1315,
par voie de publication ou de notification. Ainsi, un règlement qui fixe lui-même son entrée en
vigueur à une date (voire une heure) antérieure à celle prévue par l’article 2 du décret du 5 novembre
1870 (ancien) est « opposable » dès cet instant « si les conditions de sa publication le permettent
effectivement » 1316. En revanche, le décret qui n’a jamais été publié, sans que soit alléguée une
circonstance exceptionnelle pouvant dispenser le gouvernement d’assurer cette publication, n’a pas
de force obligatoire 1317. La Cour de cassation admet cependant qu’un décret qui n’a pas été publié,
mais dont l’existence est établie par la signature de ses auteurs, soit opposable à ses destinataires qui
en ont « nécessairement connaissance » 1318. En tout état de cause, un règlement ne peut être
rétroactif : il ne peut « entrer en vigueur » avant sa publication (pour les règlements) ou sa
notification (pour les décisions individuelles), à moins qu’une loi ou une convention internationale ne
l’ait autorisé.
Une saisine du Conseil constitutionnel peut intervenir avant la promulgation de la loi et aboutir à
une censure totale ou partielle des dispositions qui ne seraient pas conformes à la Constitution 1319.

278. Mort de la loi. – Une loi ou un règlement prend fin à la suite de


son abrogation ou, s’agissant d’un texte temporaire, en raison de sa
caducité (à l’échéance du terme prévu).
Le pouvoir d’abroger les lois appartient à celui qui détient le pouvoir
de les créer (« cujus est condere legem ejus est abrogare »), soit au
Parlement ; un décret ne saurait abroger ni modifier une loi.
L’abrogation peut être expresse : ainsi en fut-il de l’abrogation de
l’Ancien droit par l’article 7 de la loi du 30 ventôse an XII 1320. De façon
plus subtile, elle peut être tacite ou implicite : il en est ainsi lorsque le
contenu d’une loi ancienne s’avère incompatible avec une loi 1321, une
convention internationale 1322 ou même une Constitution ou règle
constitutionnelle 1323 nouvelle. Mais l’abrogation par désuétude d’une
loi (et celle d’un règlement) n’existe pas 1324. Il faut une loi pour
supprimer des lois désuètes, pour des raisons essentiellement
pédagogiques 1325.
À la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a introduit une question
préjudicielle d’inconstitutionnalité en droit français (la QPC), l’abrogation d’une loi résulte aussi de
sa censure par le Conseil constitutionnel 1326.
En principe, « l’abrogation d’un texte [réglementaire] ou d’une
disposition ayant procédé à l’abrogation ou à la modification d’un
texte ou d’une disposition antérieur n’est pas, par elle-même, de nature
à faire revivre le premier texte dans sa version initiale », sauf volonté
(expresse ou implicite) contraire de son auteur 1327. L’abrogation d’une
loi abrogative ne remet pas non plus en vigueur la loi abrogée 1328. Tuer
un assassin ne ressuscite pas sa victime. La solution contraire,
strictement logique, longtemps admise par la Cour de cassation et le
Conseil d’État, ne peut qu’engendrer des situations inextricables en
pratique et, de surcroît, contraires à la volonté du législateur 1329.

279. Légistique, style, impact, évaluation et simplification. – 1º)


L’étude de la confection des lois ou règlements se nomme la
« légistique » 1330, une discipline très récente. Les autorités publiques se
préoccupent, parfois, de la qualité, voire de la pertinence des textes
qu’elles élaborent.
2º) Le chef du gouvernement donne maintenant des conseils de style
et de méthode sous forme de circulaires périodiques à l’usage des
services de ministères, auteurs presque exclusifs du droit écrit 1331. Par
ailleurs, le Secrétariat général du gouvernement et le Conseil d’État ont
produit un volumineux « Guide pour l’élaboration des textes législatifs
et réglementaires » (couramment appelé le Guide de légistique) qui
décrit les étapes de leur conception et la façon de les rédiger 1332.
Une circulaire du 20 octobre 2000 1333 met un terme à une controverse révélatrice d’un certain
bureaucratisme : comment compter les alinéas d’un texte 1334 ? Le Parlement, d’une part, le
gouvernement et le Conseil d’État, d’autre part, ont été longtemps en désaccord, ce qui avait obligé à
réécrire tous les renvois internes à des alinéas dans un projet de loi avant qu’il ne fût soumis au
Parlement. La conception parlementaire l’a emporté : il convient désormais de compter un alinéa
supplémentaire à chaque fois qu’un saut à la ligne est effectué après un signe de ponctuation, quel
qu’il soit (point, point-virgule, deux points...) et non seulement après un point à la fin d’une phrase.
3º) Depuis 1995, des « études d’impact » accompagnent les projets
de loi, d’ordonnance, de décret ou d’arrêté, qui étudient leurs
conséquences juridiques, administratives, sociales, économiques ou
budgétaires. En somme, un bilan coûts-avantages est effectué afin
d’évaluer l’utilité réelle d’un nouveau texte. Cette méthodologie, née
d’une simple circulaire 1335, a été consacrée dans le domaine législatif à la
suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. D’une part, les
projets de lois (ordinaires) doivent être précédés d’un « exposé des
motifs » (suivant une prétendue « tradition républicaine » 1336). D’autre
part, ils doivent faire l’objet d’une « étude d’impact ». Celle-ci définit
d’une manière générale les « objectifs poursuivis par le projet de loi » et
justifie le recours à une loi nouvelle au regard des autres « options »
possibles (comme l’absence de toute intervention législative). L’étude
d’impact comporte aussi des rubriques spécifiques, notamment :
l’articulation du projet de loi avec le droit européen, l’état de
l’application du droit en France dans le domaine considéré, les
modalités d’application dans le temps des nouvelles dispositions,
« l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et
environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus
des dispositions envisagées » pour les administrations et les personnes
intéressées 1337 ainsi qu’une liste des textes d’application qui seront
nécessaires (L. org. no 2009-403, 15 avr. 2009, art. 7 à 11).
4º) L’évaluation préalable des projets de textes (de toute nature) au travers d’études d’impact est
devenue une priorité gouvernementale. Elle devrait permettre de lutter contre l’inflation normative
(qui engendre des dépenses importantes pour les destinataires des normes), de renforcer la stabilité
et de simplifier le droit applicable aux collectivités territoriales ou même aux entreprises 1338.
On est encore loin du compte mais l’espoir d’une simplification des normes ne faiblit pas 1339.
Quantité de lois ou d’ordonnances dites de « simplification » ont été adoptées mais, généralement, à
la hâte et sans autre ambition que de corriger un petit nombre de malfaçons législatives ou
d’introduire de nouvelles règles, augmentant ainsi la complexité du droit. De façon plus volontaire,
une circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 « relative à la mise en œuvre du gel de la
règlementation » a décidé qu’« un projet de texte réglementaire nouveau créant des charges pour
les collectivités territoriales, les entreprises ou le public ne pourra être adopté que s’il
s’accompagne, à titre de « gage », d’une simplification équivalente ». Ce « moratoire sur les
normes », selon lequel une norme doit être supprimée ou allégée pour chaque norme créée ou
alourdie, est l’une des propositions récentes susceptibles de réduire le stock effarant des normes en
vigueur 1340.
Il existe une kyrielle d’organismes publics chargés d’évaluer et de simplifier les normes : des
comités, commissions, missions ou groupes de travail parlementaires (sans compter les dizaines de
rapports de députés ou de sénateurs sur la simplification du droit), des organes ministériels ou
interministériels et des organes spécialisés dans les normes applicables aux collectivités
territoriales 1341. Avait ainsi été créée une Commission consultative d’évaluation des normes
(CCEN, rattachée au ministère de l’Intérieur) qui avait vocation à être consultée par l’Administration
sur « l’impact financier » des mesures réglementaires, nationales ou européennes concernant les
collectivités territoriales, préalablement à leur adoption 1342. Dans son dernier bilan d’activité, la
CCEN avait chiffré à 3,92 milliards d’euros en année pleine le coût, pour ces collectivités, de
l’application des 1 107 textes réglementaires qui lui avaient été soumis depuis sa mise en place
en septembre 2008 jusqu’au 31 décembre 2012. Elle avait aussi constaté que l’inflation normative
n’avait nullement fléchi. La CCEN a été remplacée en 2014 par un Conseil national d’évaluation
des normes (CNEN) qui a repris les mêmes missions 1343.

280. Paralysie de la loi. – « Une loi est exécutoire dès sa publication


en l’absence de dispositions formelles subordonnant expressément ou
nécessairement son exécution à une condition déterminée » 1344. Elle ne
peut être privée de sa force exécutoire (de façon temporaire) que si le
législateur a repoussé son entrée en vigueur à une date ultérieure ou
suspendu son application à l’adoption de décrets (ou arrêtés)
d’application, que ce soit de façon expresse 1345 ou implicite 1346.
Cependant, si le législateur s’est borné à envisager la parution d’un tel
décret, sans qu’il s’agisse d’une condition expresse et nécessaire de
mise en œuvre de la loi, les dispositions « suffisamment claires et
précises » qu’elle comporte sont immédiatement applicables 1347 ; a
fortiori lorsque la loi ne prévoit pas de mesure d’application 1348.
L’article 1er du Code civil (ord. 20 févr. 2004) prévoit désormais que
l’entrée en vigueur des dispositions des lois et actes administratifs
publiés au Journal officiel « dont l’exécution nécessite des mesures
d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces
mesures », au lieu de se produire le lendemain de leur publication 1349.
Cette précision était inutile : la tâche du juge consiste justement à
distinguer entre la loi exécutoire par elle-même et celle qui « nécessite »
le relais d’un acte d’exécution.
Un règlement d’application n’est pas nul du seul fait qu’il a été pris après la date butoir que la loi
a pu impartir au gouvernement 1350, à moins qu’elle n’ait expressément prescrit cette nullité ou
entendu dessaisir l’autorité réglementaire de sa compétence à l’expiration de ce délai 1351. De façon
symétrique, « des mesures réglementaires peuvent être prises pour l’application d’une disposition
existante mais non encore publiée, à la condition qu’elles n’entrent pas en vigueur » avant que
celle-ci ait été régulièrement rendue opposable aux tiers 1352. Une telle hâte à édicter un règlement est
rare.
En pratique, de nombreuses lois ont besoin qu’un décret ou un arrêté
d’application soit pris afin de préciser des données qui leur sont
indispensables (chiffres, barèmes, modalités techniques...). La carence
ou le simple retard du gouvernement aboutit, en pareil cas, à paralyser la
force exécutoire du texte législatif, en toute illégalité 1353. Le juge
judiciaire dispose certes d’une option : conserver les décrets
d’application de la loi antérieure abrogée, dans la mesure où ils
subsistent et sont compatibles avec la loi nouvelle (les décrets
« orphelins » survivent et sont adoptés) 1354, voire appliquer cette loi
antérieure assortie de ses décrets d’application 1355. Ce double remède est
inefficace lorsqu’aucune législation similaire ne préexiste.
En revanche, le juge administratif peut annuler sur recours pour excès
de pouvoir la décision (souvent implicite) par laquelle l’autorité
réglementaire (par ex. un ministre) refuse de prendre les mesures
nécessaires à l’application d’une loi insusceptible d’effet direct (dans la
mesure où elle est trop imprécise) 1356. Le Conseil d’État a consacré à cet
endroit le « principe général du droit » selon lequel « l’autorité
administrative est tenue de publier (c’est-à-dire de signer et de publier
au Journal officiel) dans un délai raisonnable les règlements qu’elle
édicte sauf lorsqu’elle justifie, sous le contrôle du juge, de
circonstances particulières y faisant obstacle » 1357. Ce même juge peut,
ensuite, engager la responsabilité pécuniaire pour faute de l’État 1358.
Cette double sanction suppose que l’inertie de l’administration se soit
prolongée au-delà d’un « délai raisonnable » 1359 (ou du délai imparti par
le législateur). En outre, depuis une loi du 8 février 1995, le juge
administratif qui annule un refus d’exécution doit enjoindre au
gouvernement d’édicter le décret requis, le cas échéant sous astreinte 1360.
La carence du gouvernement ne provoque pas seulement une paralysie de la loi 1361. Elle engendre,
en outre, des difficultés de droit transitoire qui auraient dû être évitées. L’intervention des tribunaux
est alors nécessaire pour dissiper ces incertitudes 1362. En outre, victime de l’illusion que la loi
nouvelle est, dès sa publication, applicable, nombre de sujets de droit prennent des décisions
irréversibles qui peuvent leur causer un préjudice 1363. Il est regrettable que la défaillance d’un
règlement puisse ruiner la confiance que les usagers du droit éprouvaient dans la loi 1364. Un
gouvernement impatient de réformer et de justifier de résultats tangibles auprès de l’opinion publique
a tout intérêt à hâter la publication des règlements d’application de ses lois 1365. En somme, « veiller
à la rapide et complète application des lois répond à une triple exigence de démocratie, de
sécurité juridique et de responsabilité politique » ; à ce titre, « une obligation de résultat pèse sur
le gouvernement » 1366.
En 2011, le Sénat (qui publiait déjà depuis 1998 un rapport annuel sur ce thème) s’est doté d’une
« commission pour le contrôle de l’application des lois » (la première du genre). Elle recensait (dans
une base de données « Apleg ») les textes législatifs encore inapplicables à défaut de publication des
textes réglementaires puis publiait un bilan annuel (par domaine) accompagné d’un rapport
d’information synthétique 1367. Elle a été dissoute subitement en 2014.

281. Nemo censetur ignorare legem 1368. – Selon un adage, « Nul


n’est censé ignorer la loi ». En d’autres termes, nul ne peut soutenir,
pour sa défense, qu’il n’avait pas conscience de méconnaître une règle
du droit positif 1369 ; « il suffit que les particuliers aient pu connaître la
loi » 1370 pour être sanctionnés.
Ce principe a toujours été fictif, surtout en un temps d’effervescence
législative 1371. La connaissance parfaite du droit a toujours été l’idéal de
juristes (juges et jurisconsultes), idéal inaccessible aux particuliers.
Fausse, cette présomption de connaissance de la loi est en outre inutile :
il suffit d’affirmer que la loi s’applique à tous dès son entrée en vigueur,
qu’elle soit effectivement connue ou non.
Le nouveau Code pénal a expressément admis l’erreur de droit au rang des causes
d’irresponsabilité pénale, si elle s’avère « invincible », c’est-à-dire irrésistible (art. 122-3) 1372. La
chambre criminelle de la Cour de cassation, hostile à ce moyen de défense, exige des circonstances
proches de la force majeure 1373. La jurisprudence civile se montre à peine plus indulgente : elle se
borne à admettre l’erreur de droit comme vice du consentement (art. 1110) 1374 et exonère un juriste
professionnel qui n’a pas su anticiper un revirement de jurisprudence 1375.
§ 2. LOI AU SENS MATÉRIEL

L’étude de la loi, au sens matériel, conduit à examiner ses caractères,


son domaine de compétence, son style, les maux dont elle souffre, la
technique du standard juridique et ses erreurs matérielles.

282. 1º) Caractères. – La loi possède tous les caractères de la règle


de droit, qui l’opposent à une loi scientifique ou morale 1376 : abstraite,
générale, permanente et obligatoire 1377. Ce dernier caractère doit être
précisé : une loi est impérative lorsqu’il n’est pas permis aux
particuliers d’y déroger par convention (art. 6) ; elle est supplétive (ou
dispositive) lorsqu’une manifestation de volonté contraire suffit à
l’écarter.
Au nom du volontarisme juridique, la doctrine considérait autrefois que les lois supplétives,
également qualifiées d’« interprétatives », exprimaient ce que les parties étaient censées avoir voulu.
Cette fiction était inexacte et inutile. Les lois supplétives sont des recommandations traduisant ce qui
paraît opportun au législateur pour le plus grand nombre, sans pour autant être indispensable.
À la différence de la règle jurisprudentielle, la règle législative est
politique : elle découle d’un pouvoir constitutionnel qui, de surcroît,
s’exerce à l’initiative du gouvernement.

283. 2º) Domaine de compétence. – L’article 34 de la Constitution


du 4 octobre 1958 énumère, à cet égard, les « règles » ou « principes
fondamentaux » relevant de la compétence législative.
Notamment, « la loi fixe les règles concernant : – les droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques [...] ; – la nationalité,
l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; – la
détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure
pénale [...] ».
De façon plus restrictive, « la loi détermine les principes fondamentaux : [...] – du régime de la
propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; – du droit du travail, du
droit syndical et de la Sécurité sociale »...
Cette énumération est limitative. Selon l’article 37, « les matières
autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère
réglementaire ». Ces règlements, pris en dehors du champ législatif,
sont dits « autonomes » par opposition aux règlements « d’application »
qui relaient la mise en œuvre d’une loi. Notamment, les règles de la
procédure civile ou administrative et celles qui répriment les
contraventions (à la différence des crimes et délits) sont de nature
réglementaire.
En théorie, le règlement est le principe et la loi l’exception 1378. Cette
articulation rompt avec le système en vigueur sous les précédentes
républiques qui, fidèle à la tradition jacobine, accordait au Parlement
une compétence illimitée 1379.

284. 3º) Style de la loi : clarté et normativité. – L’art de rédiger les


lois requiert un soin minutieux : une virgule mal placée peut faire naître
une difficulté d’interprétation 1380. La loi devrait être simple, claire,
précise et concise 1381.
Le style des lois contemporaines est marqué par leur origine
bureaucratique. Les luttes d’intérêts et les compromis à l’intérieur des
assemblées parlementaires créent aussi des incohérences 1382.
Le style du Code civil était simple, pragmatique et réservé à l’égard
des idéologies ; pour cette raison, il n’a pas vieilli. La IVe puis la
Ve République ont adopté une langue technique, souvent obscure,
imprécise, verbeuse 1383 et vétilleuse 1384. Les renvois de texte à texte
pullulent 1385.
Cependant, l’obscurité de la loi a toujours existé (cf. art. 4 du Code civil : « le juge qui refusera
de juger, sous prétexte [...] de l’obscurité [...] de la loi... »). Il peut être opportun que la loi (non
pénale) soit obscure, afin d’en permettre l’évolution au moyen de l’interprétation (ex. : la notion de
« faute » dans l’ancien art. 1382, devenu art. 1240 du Code civil) 1386.
Si le juge constitutionnel estime que le « surcroît de complexité
introduit par [une] loi n’est pas à lui seul de nature à la rendre
contraire à la Constitution », il s’assure également que le législateur a
énoncé « de façon précise les nouvelles règles » dans le respect de
« l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi » 1387 et
du « principe de clarté de la loi » 1388. Aussi bien l’égalité devant la loi
(Déclaration de 1789, art. 6) que la garantie des droits (ib., art. 16) « ne
seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une
connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces
règles présentaient une complexité excessive au regard de l’aptitude de
leurs destinataires à en mesurer utilement la portée » 1389. Le juge
communautaire extrait de longue date cette exigence du principe de
sécurité juridique 1390.
Un fléau plus récent est né d’une tendance inverse : le législateur
multiplie les déclarations de principes ou d’objectifs. Ces formules
emphatiques et utopiques sont creuses, vides de contenu normatif 1391. Le
Conseil d’État avait fustigé à cet endroit un « droit mou, un droit flou,
un droit à “l’état gazeux” », inutile et même dangereux pour l’autorité
de la règle 1392. Après avoir déclaré qu’il ne voyait dans les
« orientations » esquissées par le législateur aucune norme rattachable à
une catégorie de lois prévues par la Constitution 1393, le Conseil
constitutionnel, irrité par ces abus, a durci le ton : au motif que « la loi
a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue
d’une portée normative », il censure désormais les dispositions à
« caractère tautologique » 1394, « à portée normative incertaine » ou
manifestement inexistante 1395. La loi qui gesticule et n’ordonne rien
n’est pas une loi 1396 ; le gouvernement ne devrait pas entretenir l’illusion
qu’il œuvre à une réforme en suscitant des débats parlementaires
artificiels.
Seules trouvent grâce aux yeux du juge constitutionnel les dispositions non normatives entrant
dans la catégorie des « lois de programmes détermin[ant] les objectifs de l’action économique
et sociale de l’État » mentionnées à l’article 34 de la Constitution et celles de « portée normative
incertaine » dont il parvient à préciser le sens grâce à une réserve d’interprétation, déduite des
travaux préparatoires de la loi 1397.
Le phénomène transparaît à la seule lecture des titres de lois 1398. Ils
forment souvent une galerie d’intitulés bavards, lourds et stéréotypés 1399,
laborieux, aveux d’impuissance du législateur 1400, parfois hypocrites (le
titre servant de masque 1401). Une loi devrait arborer un titre bref qui
s’inscrive dans les mémoires 1402. Sinon, les juristes procèdent à un
second baptême (officieux), donnant à la loi un surnom tiré du nom de
famille de son auteur (tel ministre ou parlementaire) 1403, formé
d’initiales 1404 ou de quelques mots incisifs 1405. La vocation d’un titre est
didactique et mnémotechnique mais sans force normative 1406.

285. 4º) Maux de la loi. – « La loi est un mal nécessaire » 1407. Aussi
imparfaite soit-elle, elle est la condition de la liberté ; celle, d’abord,
des faibles, selon la formule de Lacordaire : « entre le pauvre et le riche,
c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit » ; mais aussi
celle de tous : il n’existe pas de vraie liberté sans contrainte 1408, il faut
perdre un peu de liberté pour en avoir beaucoup.
Toutefois, certaines lois souffrent de tares congénitales, soit des
défauts innés et indépendants de la valeur des règles posées (qui peuvent
être bonnes sur le fond), révélant en outre les mauvaises habitudes prises
par le gouvernement – presque toujours à l’origine de ces textes – et le
Parlement. Plusieurs catégories de maux législatifs peuvent être données
en exemple 1409.
1) Les lois obèses ou lois « supermarchés » sont faites d’enflure et de
verbalisme alors que la sobriété devrait être une vertu de la loi 1410. Il y a
les lois « portant diverses dispositions », c’est-à-dire les lois « DDOS »
(portant diverses mesures d’ordre social) 1411 et « DDOEF » (portant
diverses dispositions d’ordre économique et financier), qui renfermaient
des dispositions hétéroclites, sans cohérence, en quantité considérable.
Si cette pratique extrême a été abandonnée, sous la menace du Conseil
constitutionnel qui censure les « cavaliers législatifs », de nombreuses
lois (pénales, sociales, commerciales...) remplissent encore des dizaines
de pages au Journal officiel. Les parlementaires votent des projets dont
ils ignorent le contenu ; la loi n’exprime plus la volonté générale (même
fictivement), mais celle des services de ministères 1412.
2) Les lois de circonstances régissent des cas particuliers et octroient
des privilèges (de privata lex, loi privée) 1413. Un groupe de pression (un
lobby) influent peut obtenir l’adoption de « sa » loi 1414, fût-ce au mépris
d’une liberté fondamentale 1415. Les raisons de cette influence sont
multiples : de plus en plus, la réalité est complexe, les experts sont
omniprésents, les groupes d’entreprises internationaux sont puissants,
les associations expriment leurs revendications. La loi est parfois
« négociée » avant que le Parlement ne l’adopte (l’article L. 1 du Code
du travail impose même au gouvernement de laisser les syndicats
représentatifs négocier avant d’engager une réforme en droit du travail).
Les lobbyistes disent fournir des informations utiles aux parlementaires.
Mais parfois, en favorisant des intérêts particuliers, le législateur perd
de vue l’intérêt général, multiplie les exceptions qui rompent l’égalité
devant la loi ou les charges publiques et abuse de sa légitimité 1416.
Honteux (le lobbying a en France mauvaise presse), le législateur préfère
masquer les privilèges qu’il accorde derrière une généralité de façade 1417.
Un pas vers la transparence a été accompli, en s’inspirant de pratiques en vigueur au sein du
Congrès américain et de la Commission européenne (car, à Washington comme à Bruxelles, les
lobbies pullulent). Depuis 2009, le bureau de l’Assemblée nationale impose aux « représentants
d’intérêts » d’agir à visage découvert dans ses couloirs en s’inscrivant sur une liste, en arborant un
badge (sic) et en respectant un « code de conduite » qui proscrit notamment les démarches
frauduleuses, trompeuses ou publicitaires vis-à-vis des députés 1418. Afin de prévenir les conflits
d’intérêts, les députés sont eux-mêmes soumis à un code de déontologie, tenus de remplir une
déclaration d’intérêts en début de mandat, le tout sous la surveillance d’un « déontologue ». Cet
encadrement reste insuffisant.
D’autres lois de circonstance naissent de la réaction émotive du
législateur à un fait divers : un texte est voté, afin d’apaiser
l’indignation d’une partie de l’opinion, qui ne connaît ensuite aucune
application 1419.
3) Les lois temporaires 1420 traitent la loi comme un produit
périssable 1421. Elles ne doivent pas être confondues avec les lois
expérimentales (ayant vocation à la pérennité) : le législateur ne veut
consacrer qu’une pratique éprouvée et se préoccupe d’abord des
conséquences de sa réforme 1422 ; la loi se construit selon un processus
ascendant, du bas de la pyramide des normes vers le haut, à partir d’une
pratique 1423 ou d’une convention collective 1424. Mais, en fait, toutes les
lois « expérimentales » ont été confirmées : il s’agit, en réalité, d’un
procédé, d’un « truc », pour faire passer une loi qui suscitait
d’insurmontables oppositions.
La Constitution elle-même prévoit, depuis une révision (L. const. no 2003-276 du 28 mars 2003),
que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions
à caractère expérimental » (art. 37-1). De même, les collectivités territoriales peuvent « déroger, à
titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences », à condition de ne pas mettre en
cause « les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit
constitutionnellement garanti » (Const., art. 72, al. 4 ; adde CGCT, art. L. O. 1113-1 s.).
L’expérimentation permet un essor prudent de la décentralisation administrative 1425.
4) Les lois rétroactives et les lois de validation favorisent l’insécurité
juridique et empiètent sur la sphère de l’autorité judiciaire 1426.
5) Les lois symboliques ne modifient pas le droit positif mais se
bornent à des incantations 1427. Les lois dites « mémorielles » 1428 ou celles
qui interdisent le port de signes ou de tenues religieux 1429 sont de cette
nature. D’une manière générale, nombre de lois sont dépourvues de
portée normative (une carence qui les expose désormais à une censure
constitutionnelle) 1430. Au lieu d’affronter les réalités fondamentales
(chômage, pauvreté, délinquance, crise économique, urbanisme...), le
législateur se réfugie dans le symbolisme.
6) Les lois correctrices de lois promulguées quelques mois
auparavant trahissent la mauvaise qualité de la législation et la hâte de
leur fabrication 1431.

286. 5º) Standards juridiques 1432. – Les notions floues, ou


« standards », ne s’exposent pas aux mêmes critiques que les textes
flous.
Intégré dans une règle de droit, le standard confère au juge un pouvoir
discrétionnaire qui lui permet d’arbitrer des conflits de façon intuitive et
empirique. Les notions de « possible » 1433, de « normal », de
« raisonnable » 1434, de « bonne foi », d’« excessif », de « significatif » 1435,
de « grave », de « manifeste », de « suffisant », de « notoire », de
« sérieux »..., celles d’« ordre public », de « bonnes mœurs » (ex. :
art. 6), de « bon père de famille » (une formule séculaire finalement
bannie du Code civil pour cause de sexisme ! 1436) ou celles d’« intérêt de
la famille », d’« intérêt de l’enfant » 1437, d’« intérêt de l’entreprise »...
sont quelques exemples parmi d’innombrables.
Le standard est un étalon de la réalité ; il « vise à permettre la mesure
de comportements et de situations en termes de normalité » 1438. En
termes imagés, il est le « sextant qui permet au commandant d’un
navire de faire le point en longitude et en latitude. Après quoi se
déduira la route à suivre » 1439. De cette fonction, découlent une
précarité et une plasticité qui en font « l’élément de mobilité du droit »
célébré par les réalistes américains (au premier chef, Roscoe Pound 1440)
et les comparatistes 1441, alors que la règle de droit, rigide et obligatoire,
représente « l’élément de stabilité du droit » 1442.
Mais, d’un autre côté, le standard offre au juge un pouvoir
discrétionnaire qui rend la règle imprévisible. Plus qu’une coutume
secundum legem (il ne renvoie pas toujours à une coutume), il est une
abdication intra legem par le législateur de son pouvoir.

287. 6º) Errata. – Un texte promulgué puis publié au Journal officiel


comporte parfois des erreurs matérielles. Leur correction n’implique pas
de reprendre à zéro la procédure législative ou réglementaire : la
publication d’un erratum (au pluriel, des errata) permet d’effacer une
« coquille » de façon rétroactive 1443. Quant au juge, qui se réserve le
droit de rectifier lui-même les erreurs matérielles évidentes 1444, il peut
aussi rectifier... un rectificatif erroné 1445. En revanche, la rectification
qui, sous couvert d’erratum, introduit une règle nouvelle n’a pas de
valeur légale 1446.
Une erreur de forme se détecte à la seule lecture du texte de loi. Une erreur commise au cours
d’une codification à droit constant devrait donc pouvoir être rectifiée par un simple erratum 1447. La
présence d’une erreur de fond est plus difficile à déceler. La volonté du législateur devra être
recherchée dans les travaux préparatoires 1448, s’ils ne sont pas muets.

SECTION II
CONFLITS DE LOIS DANS LE TEMPS 1449

288. Conflits de temps. – La succession de lois dans le temps


provoque un conflit : dans quelle mesure la loi ancienne et la loi
nouvelle régissent-elles les situations antérieure et postérieure à son
entrée en vigueur ?
La question est, en apparence, purement technique. Mais le droit
transitoire, qui tente de la résoudre, met en jeu une politique
jurisprudentielle et législative : faut-il respecter le passé en protégeant la
sécurité juridique, procéder par étapes ou réformer brutalement en
faisant table rase de ce même passé ? Il y a, en outre, une difficulté
pédagogique : chaque conflit suppose connue la teneur des lois en
présence (celle, par exemple, de deux lois successives fixant le régime
du divorce).

289. Le temps des conflits. – Les conflits de lois dans le temps ont
eux-mêmes une histoire 1450. Mais l’inflation 1451 et l’instabilité
législatives ont accru leur importance avec celle du « facteur temps ».
Le changement de lois est-il un bien ? La question est sempiternelle. Des voix nombreuses
l’affirment : rien ne serait pire que la sclérose ; le changement serait source de progrès et signe de
vitalité 1452 ; la loi nouvelle serait meilleure que la loi ancienne (c’est au moins ce que pensent ses
auteurs). D’autres le nient : une société a besoin d’ordre, de sécurité et de permanence ; la
discontinuité du droit serait un mal en soi 1453.

290. Critères anciens : lois favorables et droit naturel. – Certains


critères furent utilisés jadis pour résoudre les conflits de lois dans le
temps. Ils sont désormais à l’abandon. Deux doivent être cités dans la
mesure où le droit positif en conserve des vestiges.
1º) En premier lieu, une distinction avait été établie entre les lois
favorables et les lois défavorables aux sujets de droit. Les premières,
qui paraissent justes et utiles, devraient s’appliquer de la façon la plus
étendue, y compris aux faits passés 1454. Au contraire, les lois
défavorables, d’interprétation stricte, devraient être cantonnées le plus
possible dans le temps (odiosa sunt restringenda). Cette distinction est
incertaine : telle règle légale est favorable à certains et défavorable à
d’autres. La jurisprudence ne recourt pas à ce système.
Toutefois, un principe de faveur incite les juges à admettre l’application immédiate de la loi
nouvelle dans certaines législations protectrices (droit du travail, droit de la consommation, droit de
la filiation). En outre, le principe de la rétroactivité in mitius, selon lequel une loi pénale plus douce
s’applique rétroactivement à une infraction commise avant son entrée en vigueur, ne se justifie que
par la faveur faite au délinquant 1455.
2º) En second lieu, le droit naturel a parfois été appelé au soutien
d’une application rétroactive (voire super-rétroactive) de la loi nouvelle.
Celle-ci ne ferait que « constater » une règle préexistante et
immuable 1456. La théorie du droit naturel a décliné au XIXe siècle et, en
dépit de sa renaissance au XXe siècle, elle n’a pas servi à résoudre les
conflits de lois dans le temps. Cet artifice a surtout eu les faveurs du
législateur.
Ainsi, pour justifier que la loi du 17 nivôse an II sur les donations et successions (art. 61)
remontât jusqu’au 14 juillet 1789, la Convention prétendit qu’il n’y avait là aucune rétroactivité : la
législation révolutionnaire n’aurait été qu’une consécration du droit naturel 1457.
De même, la loi no 64-1326 du 26 décembre 1964 « tendant à constater l’imprescriptibilité des
crimes contre l’humanité » commis pendant la Seconde Guerre mondiale dispose que « les crimes
contre l’humanité [...] sont imprescriptibles par leur nature ». Pour ne pas rester lettre-morte, la loi
supposait que l’effet des prescriptions extinctives acquises avant son entrée en vigueur fût
rétroactivement anéanti 1458. L’argument tiré du droit naturel permit de ne pas l’exprimer
ouvertement 1459.

291. Plan. – La doctrine et la jurisprudence se sont engagées dans


une autre voie : le passé doit être distingué du présent et de l’avenir ; la
loi nouvelle ne peut régir ce qui est révolu et accompli. Mais une telle
directive est délicate à mettre en œuvre, notamment à l’égard des actes
ou faits qui ne sont pas instantanés et s’inscrivent dans la durée. Deux
théories s’opposent (§ 1) qui inspirent de diverses manières le droit
positif (§ 2).

§ 1. THÉORIES

292. Doctrine. – Les difficultés naissant des conflits de lois dans le


temps ne trouvent aucune solution générale dans la loi. Certes,
l’article 2 du Code civil pose, depuis 1804, une règle simple : « La loi
ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». En
réalité, la jurisprudence puise ses solutions dans des principes non
écrits, prétoriens. Le Conseil d’État s’appuie sur un principe général du
droit de non-rétroactivité des actes administratifs 1460 et la Cour de
cassation (qui étend l’article 2 aux actes non législatifs 1461) se réfère aux
« principes généraux du droit transitoire » 1462. La doctrine a largement
contribué à l’élaboration de ce corps de principes.
Deux thèses majeures se sont succédé : la théorie des droits acquis (I)
et celle de l’effet immédiat des lois nouvelles (II).

I. — Théorie des droits acquis

293. Droits acquis ou simples expectatives. – Selon la première


interprétation qui fut donnée de l’article 2, la loi nouvelle ne s’applique
pas aux « droits acquis » au cours du passé 1463. En revanche, elle peut
remettre en cause de « simples expectatives » ou droits éventuels dont
seraient titulaires les personnes visées 1464.
Pour décider qu’un fait est accompli et qu’une loi postérieure ne peut plus le remettre en cause,
les jurisconsultes romains avaient exigé une causa finita (que le conflit d’intérêts ait été terminé par
un jugement). Lors de la rédaction des coutumes, l’Ancien droit étendit l’inefficacité de la loi
nouvelle aux causæ pendentes (les procès en cours), de manière à ce que les plaideurs n’eûssent pas
à souffrir des lenteurs de la justice.
La notion de droit acquis s’est imposée au XIXe siècle. Elle fut regardée comme une idée
« libérale », inspirée par l’idéologie révolutionnaire qui octroyait aux individus des droits
individuels afin de les prémunir contre les abus de pouvoirs. Elle permettait de maintenir des
situations établies selon la règle de droit en vigueur lors de leur naissance, sans qu’une règle
nouvelle pût les modifier. Elle reposait sur un principe fondamental de l’organisation sociale : quieta
non movere (les situations paisibles ne doivent pas être modifiées). À la même époque, la Common
Law réglait les conflits de lois dans l’espace au moyen de la notion – similaire – de vested
rights 1465.

294. Critiques : politique et technique. – Au cours du XXe siècle,


cette conception a essuyé une double critique 1466.
1º) À l’égard de la politique législative, elle fut accusée de freiner
l’évolution du droit : sans une complète rétroactivité, ni l’esclavage ni la
féodalité n’auraient été abolis. De plus, si le respect des droits acquis se
conçoit au cours d’une période de stabilité législative, il semble insolite
à l’époque contemporaine : des îlots de tranquillité ne peuvent subsister
au milieu d’un océan de remous législatifs.
2º) La critique la plus décisive fut d’ordre technique, reprochant à la
distinction du droit acquis et de la simple expectative d’être
indéfinissable et évanescente. Sans doute, au fil du temps, quelques
ombres se sont dissipées. Il a ainsi été admis qu’un droit est acquis à
partir du moment où s’est produit le fait qui lui donne naissance (fait
générateur) 1467. À l’inverse, un fait qui ne confère pas immédiatement un
droit constitue une simple expectative qui cède devant le droit contraire
résultant de la loi nouvelle 1468. Mais, d’un autre côté, un droit
conditionnel a été qualifié de droit acquis au sens du droit transitoire 1469
alors qu’il s’agit, par nature, d’un droit éventuel, suspendu à la
réalisation d’une condition. Bien plus, un droit acquis ne se conçoit
guère en matière extrapatrimoniale (droit de la famille ou des
personnes 1470).
La notion de droit acquis exprime plus un résultat a posteriori qu’un critère a priori :
l’application de la loi ancienne confirme l’existence d’un droit acquis tandis que le droit acquis se
définit comme celui qui reste hors d’atteinte de la loi nouvelle. L’analyse relève de la logomachie et
du cabinet des miroirs 1471.

295. Persistance du droit acquis. – En dépit de son incertitude


congénitale, la notion de « droit acquis » conserve quelques faveurs
auprès de la jurisprudence. Ce vocabulaire souple et technique offre une
commodité de langage et l’illusion de la rigueur 1472.
La chambre sociale de la Cour de cassation raisonne souvent en termes de droits « acquis » ou
« éventuels » pour régler les conflits de lois, conventions ou accords collectifs dans le temps 1473,
fréquents dans les droits du travail et de la protection sociale 1474. De même, les « avantages
individuels acquis » que conservent les salariés lorsqu’une convention collective fait l’objet d’une
dénonciation ou d’une « remise en cause » sans qu’une autre la remplace (C. trav., art. L. 2261-13 et
L. 2261-14) obéissent à une définition aussi tautologique que celle donnée aux « droits acquis »
depuis le XIXe siècle 1475.
Il conviendrait, plutôt, de distinguer quatre degrés : le droit acquis, le
droit conditionnel, le droit éventuel ou virtuel et la simple expectative.
1) Un droit est acquis à compter de la survenance de son fait générateur ; il devient alors
intangible, sauf loi rétroactive. 2) Un droit conditionnel – plus exactement sous condition suspensive
– n’existe pas tant que la condition ne s’est pas réalisée ; pourtant, son titulaire dispose de
prérogatives juridiques bien réelles (tel le droit d’effectuer des actes conservatoires, outre celui de
ses créanciers de saisir ce droit). 3) Le droit éventuel ou virtuel (la doctrine identifie souvent
éventuel à conditionnel) a une existence réelle (son titulaire peut aussi accomplir des actes
conservatoires de ce droit), mais son exécution est hypothétique : la réalisation de l’événement dont
dépend cette exécution ne produit aucun effet rétroactif (à la différence d’une condition) mais ce n’est
pas pour autant un terme suspensif car l’événement est futur et incertain (v. C. civ., art. 1168) ; en
outre, cet événement n’est pas, à la différence (encore) d’une condition, un élément adventice,
étranger aux conditions essentielles de validité de l’acte juridique, mais un élément essentiel inhérent
à l’opération juridique (ex. : dans la substitution fidéicommissaire, la naissance d’un tiers
bénéficiaire que le disposant souhaite gratifier suspend l’exécution de la libéralité par le grevé de
substitution ; à défaut, le grevé reste propriétaire) ; en un mot, le droit éventuel est un droit en
formation alors que le droit conditionnel est né. 4) La simple expectative, par définition, n’est pas un
droit : elle ne confère aucune prérogative (même à but conservatoire) ; sa suppression ne lèse
personne et ne saurait se voir attribuer une portée rétroactive.

II. — Théorie de l’effet immédiat des lois nouvelles

296. Paul Roubier. – En 1929, Paul Roubier renouvela l’étude des


conflits de lois dans le temps 1476. Il introduisit dans ce thème séculaire
un principe supplémentaire qui privilégia l’intérêt collectif (l’autorité de
la loi) sur les intérêts individuels (le respect des droits acquis) : le
principe de l’effet immédiat des lois nouvelles qui, désormais, s’ajouta
au principe de non-rétroactivité sans se confondre avec lui. L’effet
immédiat s’oppose à la survie de la loi ancienne tandis que la
rétroactivité s’oppose à la non-rétroactivité.
Roubier bâtit sa théorie sur la notion de « situation juridique », qu’il substitua à celle de « droit
subjectif » 1477. Il distingua à ce titre les lois édictant les conditions de validité (de constitution) ou
les causes d’extinction de telles situations (lois dites de « dynamique juridique ») et celles qui
réglementent leurs effets (lois dites de « statique juridique »). Selon le principe de l’effet immédiat,
une loi nouvelle régit soit les situations en cours de constitution ou d’extinction, soit les effets futurs
des situations en cours 1478, sans qu’il y ait ici la moindre rétroactivité. Selon le principe de non-
rétroactivité, la loi nouvelle ne peut, d’une part, remettre en cause la validité d’une situation
régulièrement constituée (ou, à l’inverse, régulariser une situation qui était illégale), ni ressusciter
une situation éteinte (ou, à l’inverse, éteindre un droit existant) sous l’empire de la loi ancienne ; elle
ne peut, d’autre part, remettre en cause les effets passés des situations juridiques : la survie de la loi
ancienne s’impose dans tous ces cas. Tempus regit actum, serait-on tenté de dire 1479.
L’effet immédiat se justifie par une double raison : la qualité
supérieure (en théorie) de la loi nouvelle et l’unité nécessaire de la
législation.

297. Que vaut « l’effet immédiat des lois nouvelles ? » – Ces lignes
directrices aboutissent à des résultats similaires à ceux découlant de la
doctrine antérieure. Cependant, elles connaissent des brisures, des
exceptions (s’agissant notamment des effets d’un contrat conclu sous
l’empire de la loi ancienne, qui restent soumis à celle-ci). Enfin, la
notion de « situation juridique » s’avère aussi malléable que celle de
« droit acquis ».
Mais Paul Roubier a eu le mérite de renverser le principe de base du
droit transitoire : non plus l’absence de rétroactivité mais au contraire
l’application immédiate de la loi nouvelle aux droits, actes et faits qui se
produisent au cours de son entrée en vigueur 1480 ; l’avenir prédomine et
non plus le passé. La Cour de cassation s’est ralliée à ce système en
1960 1481. Elle fait preuve, néanmoins, d’éclectisme : la notion de droit
acquis n’est plus une théorie mais demeure un correctif usuel 1482.
Depuis lors, il n’est guère d’auteur qui se soit aventuré sur le terrain de la théorie des conflits de
lois dans le temps : l’analyse structuraliste de Jacques Héron est la seule à être parvenue à innover en
introduisant une complexité supplémentaire qui peut rebuter 1483.

§ 2. RÈGLES DU DROIT TRANSITOIRE

298. Droits transitoires. – Aux théories doctrinales débattant des


conflits de lois dans le temps s’oppose l’approche casuistique de la
jurisprudence, qui procède thème par thème, élaborant un droit
transitoire spécial (II). Surtout, une loi peut elle-même renfermer des
règles particulières auxquelles s’applique un droit transitoire général (I).

I. — Droit transitoire général

299. Système ou casuistique ? – Depuis quelques décennies, le


législateur est devenu un acteur essentiel du droit transitoire. La plupart
des textes nouveaux renferme désormais des « dispositions transitoires »
qui ne se bornent pas à fixer ou reporter la date d’entrée en vigueur du
texte mais s’efforcent de résoudre par avance les conflits de lois. Le
législateur se montre-t-il pour autant fidèle à la théorie de Roubier qui
imprègne la jurisprudence ? La réponse est nuancée.
D’un côté, le Parlement intervient de plus en plus en faveur d’une
application immédiate de la loi nouvelle sans égard ni pour la nature
contractuelle ou légale de la situation régie 1484 ni pour l’existence ou
non de droits acquis 1485. L’uniformité de la législation en vigueur et
l’égalité des parties aux litiges militent en ce sens. À l’inverse, il décide
parfois, dans un souci de stabilité et de sécurité juridiques, de maintenir
des situations extracontractuelles sous l’empire de la loi ancienne 1486 :
ces dispositions heurtent à un double titre les règles du droit
commun 1487.
Mais, d’un autre côté, « tout ce système repose encore sur les
principes de non-rétroactivité et d’effet immédiat de la loi nouvelle
qu’avait dégagés Roubier, et que la Cour de cassation avait adoptés en
1960 » 1488. En outre, les dérogations légales à ces principes ne donnent
lieu à aucune extrapolation 1489. Elles ne constituent pas un système
cohérent mais un amas de règles complexes. La méthode est casuistique
et s’adapte à chaque loi au gré de la politique législative 1490 ; il n’existe
donc pas de « lois transitoires » générales qui seraient édictées
parallèlement aux lois permanentes afin d’en déterminer l’entrée en
vigueur. Du même coup, le recours à un droit transitoire général ne
s’impose plus que dans le silence des textes.
De façon remarquable, les principes de base comme le droit des
dispositions transitoires sont les mêmes en droit privé et en droit public,
seules variant leurs modalités d’application 1491.

300. Plan. – Des règles supérieures (B) encadrent le désordre


résultant des diverses lois rétroactives (A).

A. LOIS RÉTROACTIVES

301. Abondance. – Les lois rétroactives ont toujours existé à titre


exceptionnel. Mais, dans certains domaines, tels que le droit fiscal et le
droit de protection sociale, ces lois (ainsi que les lois interprétatives et
les lois de validation. V. ci-après) sont devenues monnaie courante 1492
De lourds enjeux financiers incitent le législateur à procéder à des
changements législatifs brusques et à s’immiscer dans le cours des
procès. Le juge exige à ce titre que le législateur ait « manifesté
nettement sa volonté » de doter la loi nouvelle d’une portée
rétroactive 1493. En outre, une loi rétroactive s’interprète strictement 1494.
De façon particulière, aucun conflit de lois dans le temps ne naît lorsque le législateur réalise une
« codification à droit constant » 1495. « L’abrogation d’une loi à la suite de sa codification à droit
constant ne modifie ni la teneur des dispositions transférées ni leur portée » 1496. Une parfaite
identité existe entre le texte codifié et l’article du nouveau code dans lequel il se trouve transplanté.

302. Lois interprétatives. – Une loi interprétative tend à clarifier le


sens d’une loi antérieure qui était controversée et ambiguë 1497 sans créer
de droits nouveaux 1498.
Le caractère interprétatif d’une loi peut être expressément affirmé par
le texte lui-même. Mais le législateur déclare parfois interprétative une
loi qui ne l’est pas (en réalité, elle innove) afin de la rendre applicable à
l’ensemble des litiges en cours : c’est une façon furtive de légiférer. La
Cour de cassation, à la différence du Conseil d’État 1499, exerce un
contrôle sur la sincérité de ces affirmations 1500, ce qui la conduit, le cas
échéant, à censurer la loi 1501. En l’absence de disposition expresse, le
caractère interprétatif d’une loi peut aussi être reconnu par le juge. Le
pouvoir créateur de la jurisprudence se dévoile aussi à cette occasion 1502.
La loi interprétative s’intègre à la loi qu’elle interprète et prend effet
au jour de l’entrée en vigueur de celle-ci : elle est, par nature,
rétroactive 1503, sans qu’il y ait atteinte à des droits acquis. Elle s’avère
même super rétroactive dans la mesure où elle s’applique aux instances
pendantes devant la Cour de cassation 1504 : un pourvoi ne peut, en effet,
invoquer une loi rétroactive postérieure à la décision attaquée, car cette
dernière a acquis « force de chose jugée » 1505. Néanmoins, la Cour a
considéré qu’une loi déclarée expressément interprétative ne peut
préjudicier à une personne dont les droits ont été reconnus par une
décision de justice passée en force de chose jugée au sens de
l’article 500 C. pr. civ. 1506. Cette exception est inopportune 1507.

303. Lois de validation. – Une loi de validation a pour objet de


purger un acte juridique d’une cause de nullité qui l’infecte, afin
d’empêcher une éventuelle annulation par les tribunaux. Elle est
toujours rétroactive. Certaines visent à censurer une jurisprudence de la
Cour de cassation ou du Conseil d’État qui laisse augurer de poursuites
judiciaires coûteuses pour les finances publiques (souvent en matière
fiscale ou de Sécurité sociale). En pareil cas, le législateur vient au
secours de l’État afin de préjuger de l’issue des procès en cours ou à
venir.
Le législateur valide le plus souvent des actes irréguliers émanant de l’administration (concours
de la fonction publique, recouvrements d’impôts 1508, contrats 1509 illicites) ou d’organismes de
Sécurité sociale (recouvrements de cotisations sociales ou paiements de prestations indues). Plus
rarement, les lois de validation se portent au secours d’intérêts privés (ex. : les banques 1510).
Dérogeant au principe de la séparation des pouvoirs, les lois de
validation sont d’interprétation stricte : l’acte validé demeure exposé à
une annulation par le juge fondée sur un moyen non couvert par la loi
ou déduite d’une violation du droit de l’Union européenne. Par ailleurs,
une loi de validation s’expose à la censure du Conseil constitutionnel 1511
et, surtout, par le juge de droit commun s’appuyant sur la Convention
européenne des droits de l’homme 1512.

304. Degrés. – La rétroactivité est susceptible de degrés : les lois de


validation qui anticipent sur l’issue des procès en cours rétroagissent
plus que les autres ; les lois interprétatives sont super rétroactives ; de
façon exceptionnelle, certaines lois sont même dotées d’une
« superissime rétroactivité » 1513, aujourd’hui inconstitutionnelle.

B. LIMITES AU POUVOIR DU LÉGISLATEUR

305. Droit constitutionnel. – L’article 2 n’a qu’une valeur législative,


si bien que le Parlement est libre de s’en affranchir en adoptant des lois
rétroactives (ce dont il ne se prive pas). Cette liberté est rappelée par le
Conseil constitutionnel 1514 qui précise en outre qu’« aucune norme de
valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de “confiance
légitime” » s’opposant d’une manière générale à l’adoption de lois
rétroactives 1515. Néanmoins, le juge constitutionnel pose une série de
limites.
1o) Le « principe de non-rétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère » revêt une
valeur constitutionnelle, selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789 1516. Il est également consacré par le Code pénal (art. 112-1), par les instruments de protection
des droits de l’homme (Conv. EDH, art. 7 ; PIDCP, art. 15) et dans le droit de l’Union
européenne 1517. Ce principe « ne concern(e) pas seulement les peines prononcées par les
juridictions répressives mais s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le
législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » 1518 ou à un
juge non pénal 1519. Par ailleurs, le principe de la rétroactivité in mitius, admis de longue date par le
juge judiciaire 1520 puis reçu en droit répressif administratif 1521, a acquis à son tour un rang
constitutionnel 1522. Pourtant, au mépris de la hiérarchie des normes, la chambre criminelle affirme
qu’une loi nouvelle plus douce ne rétroagit à son entrée en vigueur qu’« en l’absence de dispositions
(législatives) contraires » 1523 : or, la primauté des traités internationaux (Const., art. 55) impose au
juge d’écarter de telles dispositions 1524.
2o) En vertu du « principe d’indépendance des juridictions », une loi « ne saurait préjudicier
aux (personnes) dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de
chose jugée » 1525 ou « qui bénéficient d’une prescription légalement acquise à la date d’entrée en
vigueur de la loi » 1526. En effet, « il n’appartient ni au législateur, ni au gouvernement de censurer
les décisions des juridictions, d’adresser à celle-ci des injonctions et de se substituer à elles dans
le jugement des litiges relevant de leur compétence » 1527.
3o) Mais « ces principes ne s’opposent pas à ce que, dans l’exercice de sa compétence et au
besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie,
dans un but d’intérêt général, les règles que le juge a mission d’appliquer » 1528. Les lois de
validation, comme les lois de validation, sont placées sous surveillance : elles doivent reposer sur un
« motif impérieux d’intérêt général » 1529 ; « la portée de la modification ou de la validation doit
être strictement définie » 1530 ; elles ne doivent pas compromettre le « droit à un recours
juridictionnel effectif » 1531 ni « méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur
constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur
constitutionnelle » 1532.
4o) De plus, « le législateur ne saurait porter à l’économie des conventions et contrats
légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté
découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », soit la
liberté individuelle 1533.
5o) Enfin, s’« il est à tout moment loisible au législateur de modifier des textes antérieurs ou
d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions [...] cependant,
l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de
caractère constitutionnel » 1534. Première conséquence : le législateur « ne peut, s’agissant de
situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux
hypothèses : celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle où leur remise en
cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif constitutionnel
poursuivi » 1535. Deuxième conséquence : le législateur ne saurait, sans un motif (impérieux) d’intérêt
général, « ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui
peuvent légitimement être attendus de telles situations » 1536. Le respect de la confiance légitime est
ainsi expressément assuré.
Il est rare qu’une loi rétroactive subisse la censure du Conseil
constitutionnel. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme
se montre moins indulgente 1537.

306. Convention EDH. – La Convention européenne des droits de


l’homme constitue un obstacle aux lois de validation par lesquelles le
Parlement tend à « court-circuiter » les procès auxquels l’État est partie
en lui assurant par avance la victoire 1538. La Cour européenne décide
ainsi que « le principe de la prééminence du droit et la notion de
procès équitable consacrés par l’article 6 (de la Convention)
s’opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans
l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement
judiciaire d’un litige » ; un État porte atteinte aux droits garantis par
l’article 6 « en intervenant d’une manière décisive pour orienter en sa
faveur l’issue – imminente – de l’instance à laquelle il est partie » 1539.
En France aussi, l’article 6, § 1, Conv. EDH a d’abord offert aux juges du fond un appui textuel
permettant d’écarter des lois de validation déclarées applicables aux instances en cours. En témoigne
l’affaire dite du « tableau d’amortissement » qui suscita bien des divergences 1540. La Cour de
cassation se montra d’abord réservée à l’égard de cette emprise du juge sur le pouvoir législatif,
déclarant que l’article 6, § 1, n’est pas méconnu si « l’intervention du législateur, dans l’exercice de
sa fonction normative, n’a eu pour objet que de limiter, pour l’avenir, la portée d’une
interprétation jurisprudentielle et non de trancher un litige dans lequel l’État aurait été
partie » 1541. Mais un arrêt rendu en assemblée plénière consacra une position plus offensive : « si le
législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de
prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la [Conv. EDH],
s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif
dans l’administration de la Justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges » ;
surtout, « cette règle générale s’applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi
et même lorsque l’État n’est pas partie au procès » 1542. Se trouve ainsi paralysée l’application
d’une loi rétroactive aux instances en cours, peu important : 1) que le législateur l’ait qualifiée
d’interprétative (affirmation dont le juge contrôle en temps normal la sincérité et qui se trouve, en
l’occurrence, dépourvue de toute conséquence) 1543 ; 2) et que l’État soit ou non partie au litige 1544.
Cette dernière affirmation exprime, en quelque sorte, une surenchère par rapport aux exigences de
la Cour européenne. Or, en ralliant sa jurisprudence, la Cour de cassation s’était déjà montrée plus
sévère que ne l’est le juge constitutionnel (la Cour de Strasbourg n’hésite pas à juger contraire à
l’article 6 Conv. EDH une loi de validation française que le Conseil constitutionnel a pourtant jugé
conforme à la Constitution 1545). Le Conseil d’État s’avère lui-même très respectueux des intentions
du législateur 1546. Le juge judiciaire accepte donc de combattre plus vivement que ses homologues la
rétroactivité des lois. Cependant, la formulation qu’il adopte à cet effet accorde une place à
l’arbitraire : c’est dans les « termes de la loi » et dans les « travaux parlementaires » qu’il
recherche si le législateur a « entendu répondre à un impérieux motif d’intérêt général [...] et
donner à cette loi nouvelle une portée rétroactive » 1547. Cette quête est aussi divinatoire que la
notion d’« impérieux motif d’intérêt général ». D’ailleurs, la Cour de cassation censure volontiers les
lois qui ont entrepris de censurer sa propre jurisprudence 1548. Les autres lois de validation
bénéficient de plus d’indulgence sous couvert de l’exception tirée des motifs d’intérêt général 1549. La
Cour européenne n’hésite pas alors à désavouer en bloc le législateur et les Hautes juridictions
françaises. Il est vrai que l’argument selon lequel une catastrophe financière, économique ou sociale
serait imminente est régulièrement invoqué pour convaincre les parlementaires ou l’opinion publique
de la nécessité d’une réforme qui ne vise, en réalité, qu’à sauvegarder des intérêts particuliers
menacés par une jurisprudence nouvelle 1550.
Outre l’article 6, la Cour européenne juge contraires à l’article 1er du
protocole no 1 additionnel à la Convention, garantissant le « droit au
respect de ses biens », les lois annulant de façon rétroactive une créance
dont était titulaire la victime d’un dommage ou un cocontractant. La
notion d’« espérance légitime » est au cœur de cette jurisprudence. Un
simple « intérêt patrimonial » qui constitue, sinon une créance, du
moins une « espérance légitime » de pouvoir obtenir le paiement d’une
créance (de prestation sociale, de salaire ou de dommages-intérêts, par
exemple) a le caractère d’un « bien » au sens de l’article 1er du protocole
no 1. Autrement dit, le législateur national ne peut anéantir des créances
(ainsi définies) qui ont une « base suffisante en droit interne »,
notamment parce qu’elles sont reconnues par une jurisprudence bien
établie et font naître une « espérance légitime » de jouir d’un droit de
propriété sur un « bien actuel » 1551.
La Cour de cassation tend parfois à combattre la loi qui combat sa jurisprudence antérieure : un
célèbre arrêt « Perruche » a ainsi donné lieu à une réaction législative (la loi « anti-Perruche ») dont
l’application rétroactive fut contrecarrée à son tour par un arrêt « anti-anti-Perruche » fondé sur la
Conv. EDH 1552. En outre, après que le Conseil constitutionnel eut censuré à son tour la rétroactivité
de la loi « anti-Perruche » (parce qu’elle prétendait mettre fin aux instances en cours au jour de son
entrée en vigueur), le juge judiciaire est allé plus loin (il a exclu de surcroît son application aux
instances engagées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi mais pour des faits antérieurs) en
ne s’estimant pas lié par un motif de la décision du Conseil (qui admettait pourtant ce dernier cas de
rétroactivité) 1553. Du même coup, la Cour de cassation s’est opposée au Conseil d’État (qui accepte
d’appliquer la loi anti-Perruche à ces mêmes instances) 1554.
Les rebondissements peuvent être incessants car la Cour européenne elle-même ne répugne pas à
désavouer la Cour de cassation 1555.
Enfin, en adoptant des lois de validation contraires à une convention internationale telle que la
Conv. EDH, l’État engage sa responsabilité administrative 1556.

307. Droit de l’Union européenne. – La conformité au droit de


l’Union européenne d’une loi rétroactive peut écarter, par voie de
conséquence, le grief tiré de sa non-conformité à la Convention
européenne 1557.

II. — Droit transitoire spécial

308. Règles d’ordre public. – Le droit transitoire spécial découle


d’un corps de règles élaboré par la jurisprudence dans le silence des
textes 1558 qui repose – symboliquement – sur l’article 2 du Code civil.
Ce texte est d’ordre public si bien qu’il n’est pas permis d’y déroger par
convention privée 1559 et que le moyen pris de sa violation doit être
soulevé d’office par le juge à tout instant de la procédure lorsque les
parties omettent de l’invoquer 1560.

309. Formule générale : situations non contractuelles. – Les


principes régissant les conflits de lois dans le temps s’exposent matière
par matière mais toujours avec le même raisonnement.
La règle générale découle de la formule de style inaugurée par la Cour
de cassation en 1960 : « si sans doute une loi nouvelle s’applique
aussitôt aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles
en cours au moment où elle entre en vigueur, et cela même quand
semblable situation est l’objet d’un litige judiciaire, en revanche elle ne
saurait, sans avoir effet rétroactif, régir rétrospectivement les
conditions de validité ni les effets passés d’opérations juridiques
antérieurement achevées » 1561. La catégorie des situations non
contractuelles (c’est-à-dire légales), obéissant à cette règle de conflit, est
sans limites.
Cette règle générale a été reprise en droit administratif par la
jurisprudence puis dans la loi : « Sauf s'il en est disposé autrement par
la loi, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux situations
juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur ou
aux contrats formés avant cette date » (C. relations pub. adm., art.
L. 221-4).

310. Obligations : contrats et responsabilité délictuelle. – Les


notions de droit acquis et d’effet immédiat de la loi nouvelle sont d’un
maniement délicat en présence de situations juridiques qui se
prolongent dans le temps. Ainsi en est-il des contrats successifs (ex. :
bail, société, travail) ou à exécution échelonnée (ex. : promesse
unilatérale) mais aussi des obligations délictuelles.
1º) D’une manière générale, la loi sous l’empire de laquelle un
contrat a été conclu continue à régir ses conditions de validité 1562 et ses
causes de nullité 1563 (notions qui peuvent cependant être débattues) 1564
ainsi que ses effets (passés et à venir) 1565. Seule la tacite reconduction du
contrat, qui « donne naissance à un nouveau contrat » (art. 1214),
réintroduit la loi nouvelle 1566. La survie de la loi ancienne se justifie ici
par le respect des prévisions des parties ou – selon une terminologie à la
mode – de la sécurité juridique. Le contrat est un îlot de stabilité au
milieu des courants législatifs.
L’ordonnance du 10 février 2016 « portant réforme du droit des contrats, du régime général et de
la preuve des obligations » s’applique cette règle à elle-même : elle prévoit que ses dispositions
entrent en vigueur le 1er octobre 2016 et que « les contrats conclus avant cette date demeurent
soumis à la loi ancienne », sauf quelques textes déclarés immédiatement applicables (art. 9). La
précision allait de soi. Mais des difficultés ne manqueront pas de se poser 1567.
Néanmoins, la jurisprudence se réserve la possibilité de restaurer
l’effet immédiat de la loi nouvelle au moyen d’un double subterfuge.
Tantôt elle décide que la loi nouvelle régit les effets légaux produits
par le contrat et non le contrat lui-même : de contractuelle, la situation
juridique devient légale 1568. Mais comment dissocier sans artifice ces
deux aspects : la situation contractuelle et ses effets légaux ? L’analyse
résulte davantage d’un choix politique, en équité, que d’un
raisonnement rigoureux. Bien plus, au moyen de cette distinction, le
juge n’hésite pas à écarter une loi claire : soit il considère qu’une
disposition transitoire, énumèrant précisément les articles de la loi
nouvelle qui sont applicables aux contrats en cours, n’est pas limitative
(afin d’imposer l’application immédiate d’un article non listé) 1569 ; soit,
en sens inverse, il écarte une disposition transitoire prévoyant
l’application de la loi nouvelle aux contrats en cours (afin d’imposer la
non-rétroactivité d’un article) 1570.
Tantôt elle considère que la loi nouvelle relève d’un « ordre public »
impérieux 1571 ou de « considérations d’ordre public particulièrement
impératives » 1572, et doit s’appliquer à l’ensemble des contrats en cours,
quelle que soit la date de leur conclusion 1573. La jurisprudence
administrative l’admet également 1574. En revanche, le seul fait qu’une loi
soit d’ordre public au sens de l’article 6 du Code civil (c’est-à-dire
qu’une convention privée ne puisse y déroger) ne suffit pas à la rendre
applicable aux contrats en cours : c’est un ordre public de niveau
supérieur, un impératif particulier qui conduit à écarter le principe de
survie de la loi ancienne 1575.
Le droit du travail est le terrain de prédilection de cette exception car il importe d’éviter que des
inégalités de traitement puissent apparaître entre les salariés après chaque réforme 1576. La chambre
sociale de la Cour de cassation affirme de surcroît que « l’ordre public social impose l’application
immédiate aux contrats de travail en cours et conclus avant leur entrée en vigueur des lois
nouvelles ayant pour objet d’améliorer la condition ou la protection des salariés » 1577. L’ordre
public social renvoie au « principe de faveur » selon lequel, en cas de conflit de normes en droit du
travail, seule s’applique la plus favorable au salarié.
2º) Le principe de survie de la loi ancienne domine également la
responsabilité délictuelle : la loi applicable aux droits de la victime et
obligations du responsable est celle en vigueur au moment de
l’accident 1578, sauf cas particulier du recours d’un organisme payeur,
subrogé dans les droits de la victime, contre un tiers responsable 1579.

311. Propriété : droits réels, contrats, droits intellectuels. – 1º) Les


lois modifiant les droits réels (le statut réel, en droit international
privé), tels que le droit de propriété, sont d’application immédiate 1580.
Les droits acquis antérieurement doivent être respectés 1581, sauf
rétroactivité expresse.
2º) Le droit transitoire des contrats prime celui du statut réel : les
lois modifiant les effets des conventions ne s’appliquent pas à celles
déjà conclues, même si elles portent sur un droit réel 1582. En cas de
doute, la qualification contractuelle doit l’emporter 1583.
3º) Les droits intellectuels suivent un régime distinct 1584. Mais le
droit de propriété, quel que soit son objet (un bien corporel ou une
créance), bénéficie d’une protection contre les lois rétroactives par
application de la Convention européenne des droits de l’homme 1585.

312. Personnes. – Le statut personnel, plus encore que le statut réel,


recouvre des situations légales auxquelles la loi nouvelle s’applique
immédiatement 1586.

313. Fond et procédure. – Une distinction, remontant à l’Ancien


droit, oppose les règles de fond (decisoria litis) aux règles de procédure
(ordinaria litis).
1º) Les règles de fond déterminent l’existence et le contenu des
droits. Elles s’appliquent à partir du moment où s’accomplit leur fait
générateur. La loi alors en vigueur continue, en principe, à régir ces
droits même si une loi nouvelle survient après leur naissance : le
principe de survie de la loi ancienne domine 1587.
2º) Les règles de procédure assurent la réalisation et la protection
des droits en justice ou leur exécution. Elles s’appliquent à partir du
moment où le juge est saisi, même si elles affectent un droit antérieur :
c’est le principe de l’application immédiate des lois de procédure aux
instances en cours 1588 (sauf devant la Cour de cassation 1589) admis dans
tous les systèmes juridiques 1590. Cependant, les actes régulièrement
accomplis sous l’empire la loi ancienne 1591, voire certains droits
acquis 1592, ne sauraient être remis en cause 1593.
La distinction est délicate à l’endroit d’un contrat relatif à un litige. La qualification de règle de
procédure a été privilégiée au sujet de la clause compromissoire 1594 ; la solution doit être étendue à
la clause imposant une médiation ou une conciliation préalable.

314. Preuve. – Les règles de preuve se fondent avec difficultés dans


cette classification. En principe, les règles gouvernant les modes de
preuve sont celles en vigueur au jour où le juge statue. À l’instar des
règles de procédure, elles régissent des situations légales 1595.
En revanche, les « preuves préconstituées » sont soumises aux textes
en vigueur au jour de l’acte qu’il s’agit de prouver 1596. En particulier,
l’admissibilité et la valeur probante des présomptions légales
s’apprécient selon la loi en vigueur au moment où se produisent leurs
faits générateurs 1597, sauf exception légale 1598.
Si une loi nouvelle interdit une preuve qui était admise auparavant, par exemple le témoignage,
les faits et actes antérieurs pourront encore être prouvés par témoins. La sécurité juridique l’exige :
c’est au moment où elles font un acte que les parties doivent savoir comment le prouver. À l’inverse,
si une loi autorise une preuve jusque-là prohibée, par exemple le témoignage, les actes et faits
antérieurs continueront à ne pas pouvoir être prouvés par témoins 1599. Tout ceci relève du fond du
droit.
De même, les règles relatives à la charge de la preuve ne sont pas
considérées comme des règles de procédure mais de fond 1600.

315. Prescription 1601. – La prescription, extinctive ou acquisitive,


suppose l’écoulement d’un certain délai avant que ne s’éteigne ou naisse
une situation juridique. Dans le laps de temps où cette situation est en
cours d’achèvement, non accomplie, elle subit la double autorité de la
loi ancienne et de la loi nouvelle.
Que se passe-t-il, en particulier, si une loi intervient en cours de
prescription pour allonger ou pour raccourcir le délai ? Au XIXe siècle, la
solution prévue pour le Code civil par l’ancien article 2281 1602 inclinait à
penser que la loi ancienne était en principe applicable. Il convient
désormais d’opérer une distinction. Lorsque la loi réduit la durée d’une
prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf disposition
contraire, du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle 1603, sans que la
durée totale puisse excéder le délai prévu par la loi antérieure 1604.
Lorsque la loi augmente le délai requis pour prescrire, la nouvelle durée
se substitue immédiatement à l’ancienne ; mais le principe de non-
rétroactivité exclut que puisse être ressuscité un droit éteint 1605 ou mis en
suspens un droit acquis 1606. Ces règles ont été consacrées dans
l’article 2222 nouveau du Code civil par la loi du 17 juin 2008 portant
réforme de la prescription en matière civile 1607 ; cette loi, qui allonge et
(surtout) abrège de nombreux délais, se les applique d’ailleurs à elle-
même 1608.

316. Filiation et divorce. – Trois importantes réformes sont


intervenues en matière de filiation depuis 1804 et, pour le divorce,
plusieurs.
1) La loi du 16 novembre 1912 a admis la recherche de paternité
naturelle que prohibait le Code Napoléon 1609 : la Cour de cassation
décida que la loi nouvelle pouvait être invoquée par les enfants nés
avant son entrée en vigueur, sans être pour autant rétroactive 1610.
2) La loi du 3 janvier 1972, qui a assoupli la preuve de la filiation et
accru les droits des enfants illégitimes, a reproduit cette règle (art. 12) ;
une loi du 15 janvier 1976 est même venue édicter une « superissime
rétroactivité » 1611.
La faveur envers l’enfant n’est pas étrangère à ces solutions 1612.
3) L’ordonnance du 4 juillet 2005 (art. 20), réformant le droit de la
filiation, s’applique également aux enfants nés avant comme après son
entrée en vigueur, sous réserve des décisions de justice passées en force
de chose jugée et à l’exception de certains cas de non-rétroactivité (ex. :
successions liquidées ou donations antérieures) ou de survie de la loi
ancienne. Ces dispositions transitoires soulèvent des questions
délicates 1613 mais elles restent de facture classique.
4) Au contraire, la loi du 30 juin 2000 (art. 23) relative à la prestation
compensatoire en matière de divorce s’appliquait aux instances en
cours, y compris devant la Cour de cassation ; le désordre fut tel que la
réforme du droit successoral (L. 3 déc. 2001, art. 24) puis celle du
divorce (L. 26 mai 2004, art. 23) furent mises à profit afin de corriger
cette erreur législative.

317. Droit patrimonial de la famille : régimes matrimoniaux


et successions. – 1º) Il fut admis autrefois que les régimes
matrimoniaux relevaient de la loi en vigueur au jour du mariage. Les
époux qui avaient conclu un contrat de mariage auraient vu leurs
prévisions bouleversées par l’applicabilité d’une loi postérieure et
rétroactive 1614. En l’absence de contrat, les époux étaient réputés s’être
référés tacitement à la loi en vigueur au jour du mariage, selon le
raisonnement alors suivi en droit international privé.
Ce respect des prévisions matrimoniales se retrouve dans les réformes successives, même si les
dispositions transitoires augmentent en détail et en complexité. La loi du 13 juillet 1965 (art. 10)
prévoit que les époux mariés sans contrat avant son entrée en vigueur conservent le régime légal
antérieur (la communauté de meubles et d’acquêts, à laquelle la réforme substitue la communauté
réduite aux acquêts 1615) ; mais, d’un autre côté, « ils seront désormais soumis au droit nouveau en
tout ce qui concerne l’administration des biens communs, des biens réservés et des biens
propres ». La loi du 23 décembre 1985 contient des règles analogues (art. 56 à 62).
2º) En droit des successions, la loi applicable est, sauf disposition
particulière, celle en vigueur au jour de l’ouverture de la succession 1616.
318. Droit international privé. – Un conflit de lois dans l’espace
peut se trouver dans la dépendance d’un conflit de lois dans le temps.
En pareil cas, la Cour de cassation affirme que les « principes généraux
du droit transitoire [...] commandent l’application immédiate de la
règle de conflit » sans que soient applicables les dispositions
transitoires propres à la loi interne 1617.
Plus largement, une analogie a été faite entre les règles de conflits de
lois dans l’espace (not. l’adage Locus regit actum) et les règles de
conflits de lois dans le temps : Tempus regit actum 1618. Elle consiste,
pour l’interprète, à opérer une « localisation » du « fait » dans le temps
après une « qualification juridique » préalable de la situation ; la loi
(ancienne) désignée peut, enfin, être écartée par le jeu de l’exception
d’ordre public 1619. Malgré des points communs, la méthode du droit
international privé diffère de celle du droit transitoire. Les conflits de
lois dans l’espace obéissent à des règles de rattachement qui sont les
mêmes quelle que soit la loi étrangère alors que les conflits de lois dans
le temps obéissent – outre les principes – à des règles spécifiques à
chaque loi, qui ne suivent aucun plan d’ensemble et varient au gré de la
politique législative.

319. Droit de l’Union européenne : sécurité juridique, confiance


légitime, espérance légitime. – Les règles de droit européen sont
également susceptibles de connaître des conflits dans le temps. Suivant
un raisonnement familier, le juge communautaire se réfère aux principes
de non-rétroactivité et d’effet immédiat de la loi nouvelle 1620, à la notion
de droits acquis 1621 et adopte les distinctions admises en droit interne
(notamment celle du fond et de la procédure 1622). Mais les principes de
sécurité juridique et de la confiance légitime transcendent l’ensemble de
ces solutions 1623 alors que le droit français les ignore largement 1624.
1º) Le principe de confiance légitime est le pendant subjectif du principe de sécurité juridique.
Avatar européen du Vertrauensschutzprinzip, de valeur constitutionnelle en Allemagne, il est apparu
dans la jurisprudence communautaire de façon subliminale en 1957 1625 et plus nettement en 1965 1626.
Ce principe fondamental qui « fait partie de l’ordre juridique communautaire » 1627 s’oppose d’une
manière générale aux changements brutaux ou intempestifs de la réglementation 1628 et sanctionne la
fourniture d’informations erronées 1629. « Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime
[...] s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que
l’administration a fait naître dans son chef des espérances fondées » 1630. Toutefois, sa portée est
ambiguë. D’un côté, il jouit d’un vaste champ d’application qui s’étend non seulement au contentieux
de la légalité des actes communautaires (auj. de l’Union européenne) mais aussi, à la différence du
principe de sécurité juridique, à celui de la responsabilité extra-contractuelle de l’Union. D’un autre
côté, il s’incline souvent devant des impératifs de légalité 1631 et de flexibilité du droit communautaire
(de l’Union européenne) face auxquels la confiance alléguée par les individus ou les entreprises est
jugée soit insuffisante (parce qu’une réglementation nouvelle doit normalement régir les situations à
venir ou parce que les institutions européennes doivent disposer d’un pouvoir d’appréciation...), soit
illégitime (parce que les demandeurs ne sont pas de bonne foi, ont commis des fautes, se sont montrés
négligents ou imprévoyants 1632...).
Le principe de confiance légitime a été rejeté en tant que tel par le Conseil constitutionnel mais,
en fait, sa jurisprudence protège à plus d’un titre la confiance légitime des citoyens 1633.
2º) Dans le même esprit et de façon plus novatrice, la notion d’« espérance légitime » est au
cœur de la jurisprudence de la CEDH étendant le droit au respect des biens (Conv. EDH, Prot. no I,
art. 1er) à des « valeurs patrimoniales » 1634.

Nos 320-329 réservés.


CHAPITRE II
AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DE LA LOI

330. Pyramide ? – La hiérarchie des normes est couramment illustrée


par la métaphore de la pyramide, espace imaginaire composé de strates
superposées les unes sur les autres (rapport horizontal) dans lequel les
strates supérieures primeraient et valideraient celles qui sont inférieures,
ces dernières étant à leur tour subordonnées aux premières (rapport
vertical) 1635. Cette image ne correspond qu’approximativement aux
conflits de normes. Elle est dénuée de valeur explicative lorsque la
jurisprudence vient à contredire la loi. Mais, à l’intérieur des sources du
droit écrit, sa valeur théorique et – plus encore – didactique est
indéniable : il existe donc, en principe mais en principe seulement, des
sources supérieures (Section I) et inférieures (Section II) à la loi.

SECTION I
SOURCES SUPÉRIEURES

331. Suprématie révolue de la loi. – Suivant une tradition française


venant de Jean-Jacques Rousseau, la loi était considérée comme une
règle de droit absolue, suprême et infaillible, dont un juge ne pouvait
contester l’autorité. Cette conviction avait un double fondement. D’une
part, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen (1789), « la loi est l’expression de la volonté générale » qui
émane du peuple souverain : étant donné que le peuple ne peut vouloir
se nuire à lui-même ni attenter à ses propres libertés, un contrôle
judiciaire de la loi paraissait superflu. De plus, un pouvoir souverain ne
pouvait avoir de maître : son représentant, le Parlement – qui puise sa
légitimité dans l’élection – ne pouvait être soumis à la censure de
magistrats – qui sont nommés par le pouvoir exécutif 1636. D’autre part, la
France, centralisatrice et jacobine, craignait un gouvernement des
juges 1637 et croyait que la séparation des pouvoirs, qui a eu pour père
Montesquieu, possédait des vertus antityranniques suffisantes 1638. La
supériorité de la Constitution et des traités sur la loi était reconnue mais
nul mécanisme juridictionnel n’en tirait les conséquences.
Cette époque est révolue. Comme toutes les œuvres humaines, la loi
est faillible 1639. La primauté des normes constitutionnelles (§ 1) et
internationales (§ 2) est effective.

332. Fondamentalisation 1640. – Cette double primauté a favorisé


l’essor d’un corps de règles : les droits et libertés fondamentaux qui
participent de ce qu’on peut appeler la « fondamentalisation » du
droit 1641. Sous l’influence du droit constitutionnel et de la Convention
européenne des droits de l’homme, les droits et libertés
« fondamentaux » sont souvent invoqués par les juges. Ils se surajoutent
ou même se substituent aux textes de loi. Mais cet appel tend à n’être
qu’une emphase, un effet rhétorique, accru par l’européanisation du
droit national.
Le droit fondamental a une nature foncièrement individualiste. Il
pourrait être défini comme un droit ayant pour objet de protéger la
dignité de l’homme (critère matériel) et consacré en droit positif par une
norme de valeur supra-législative (critère formel) 1642. Les droits
fondamentaux sont aussi galvaudés que les droits de l’homme 1643 et dans
le même but : appuyer n’importe quelle revendication individuelle,
contre l’intérêt général, en la déguisant sous les traits d’une « liberté
de » (par ex., de se vêtir à sa guise, de se livrer à des pratiques sado-
masochistes) ou d’un « droit à » (par ex., un droit à l’enfant, à mourir ou
à changer de sexe). Le droit des personnes et de la famille est le plus
touché par cette fondamentalisation. Plus généralement, les droits
fondamentaux subissent un émiettement (à l’image du droit à un procès
équitable déduit de l’art. 6 § 1 Conv. EDH qui connaît de nombreuses
déclinaisons) tandis que le champ de leurs bénéficiaires est élargi à
l’excès. Les juges judiciaire et européen abusent de cette expression en
en faisant une pure rhétorique, d’une façon qui contraste avec la sobriété
du juge administratif. Cette « cacophonie » jurisprudentielle empêche
d’en donner une définition unitaire 1644. En outre, elle complique
l’articulation des différentes sources de droits fondamentaux qui parfois
entrent en conflit 1645.

§ 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES

333. Conseil constitutionnel. – Le juge judiciaire et le juge


administratif, respectueux de la loi et de la séparation des pouvoirs, ont
longtemps refusé d’accueillir le grief de l’incompatibilité d’une loi avec
la Constitution 1646. L’incompétence du juge ordinaire à juger les lois a
longtemps été ancrée dans les habitudes 1647.
Selon la théorie dite de la « loi-écran », qui est toujours exacte, cette immunité bénéficie à un acte
réglementaire qui se borne à mettre une loi en œuvre : l’annulation d’un décret ou d’un arrêté
d’exécution (non autonome) impliquerait en effet une censure de la loi à laquelle il se conforme, à
moins qu’il ne s’en émancipe ou que la loi se résume à un texte général d’habilitation, auxquels cas
l’écran devient « transparent » et expose le règlement à l’annulation 1648.
Surmontant les oppositions héritées de la IIIe République 1649 et suivant
plusieurs exemples en Europe 1650, la Constitution du 4 octobre 1958
(article 61) institua un contrôle de constitutionnalité qu’elle confia à
une juridiction spécifique : le Conseil constitutionnel. La tradition de
souveraineté parlementaire et de foi absolue en la loi était brisée 1651. Le
système politique n’est plus ce qu’il était au XIXe siècle : la loi se dévoile
à présent comme l’œuvre politique d’une majorité parlementaire, non
comme le fruit mythique de la volonté générale ; son contrôle est
d’abord un contrôle de l’action gouvernementale laissé à l’initiative de
l’opposition parlementaire.
Le recrutement des membres du Conseil constitutionnel est
politique 1652 ; celui-ci, néanmoins, doit se comporter comme une
juridiction indépendante et impartiale. Il a longtemps joui d’un
monopole : lui seul était habilité à censurer des textes législatifs
contraires à la Constitution 1653. Or, sa compétence – un contrôle a priori
de constitutionnalité – restait étroite : une loi ne pouvait lui être déférée
que par quelques personnes habilitées 1654, entre son adoption et sa
promulgation 1655 ; une loi promulguée, fût-elle inconstitutionnelle, était
à l’abri de toute critique 1656.
L’hypothèse n’était pas rare. Entre 10 et 15 % des lois seulement sont
déférées au Conseil avant leur promulgation. Ainsi, le nouveau Code
pénal (entré en vigueur en 1994) avait échappé à tout contrôle.

334. Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). – Une


petite révolution a été accomplie par la loi constitutionnelle no 2008-724
du 23 juillet 2008 : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours
devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative
porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le
Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du
Conseil d’État ou de la Cour de cassation » (Const., art. 61-1). Le
Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de
sa saisine par la Cour de cassation ou le Conseil d’État. La disposition
qu’il déclare inconstitutionnelle « est abrogée à compter de la
publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date
ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine
les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a
produits sont susceptibles d’être remis en cause » (Const., art. 62,
al. 2).
1º) La réforme marque l’avènement d’un contrôle a posteriori de la
constitutionnalité des lois (par opposition au contrôle a priori prévu par
l’article 61 de la Constitution). Elle est entrée en vigueur le 1er mars
2010 en vertu de la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009
(modifiant ord. no 58-1067, 7 nov. 1958) qui a baptisé cette question
préjudicielle « question prioritaire de constitutionnalité » ou
« QPC », et du décret du 16 février 2010 1657. Cette procédure a connu un
grand succès auprès des justiciables et suscité une doctrine abondante.
Depuis la première décision, en date du 28 mai 2010, plus de 480
décisions ont été rendues sur QPC par le Conseil constitutionnel.
Surtout, la Cour de cassation et le Conseil d’État sont saisis chaque
année de centaines de demandes de transmission d’une QPC à ce
dernier. Ils en rejettent près de 90 %.
2º) Tous les textes de valeur législative (lois au sens strict,
ordonnances de l’art. 38 Const., voire certains décrets à valeur
législative) peuvent ainsi être déférés au Conseil constitutionnel, que
leur adoption soit postérieure ou antérieure à la Constitution de 1958 (y
compris un texte de l’Ancien droit 1658). La question préjudicielle a ainsi
permis au Conseil de connaître de textes majeurs dont il n’avait pas été
saisi auparavant. Beaucoup de lois avaient obtenu leur brevet de
constitutionnalité sans que le Conseil fût réellement en mesure d’en
examiner tous les articles, parce qu’ils étaient trop nombreux ou
illisibles.
À l’inverse, les règles constitutionnelles invoquées contre la loi par le biais d’une QPC (les
« droits et libertés que la Constitution garantit », selon l’article 61-1 Constit.) sont uniquement de
nature substantielle et non procédurale. Ne sont pas invocables, par exemple, les règles relatives à la
procédure parlementaire ou l’exigence constitutionnelle de transposition des directives (Constit.,
art. 88-1) 1659. En outre, certains « objectifs de valeur constitutionnelle » ne sont pas compris dans la
catégorie des « droits et libertés » (notamment, l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi
ou l’objectif de bon usage des deniers publics).
3º) Bien que soit seulement prévu le contrôle d’une « disposition
législative », le Conseil constitutionnel entend contrôler aussi la
« constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation
jurisprudentielle constante confère à cette disposition » 1660, c’est-à-dire
la conformité au droit constitutionnel de la jurisprudence des
juridictions placées au sommet de l’ordre administratif ou judiciaire 1661.
Il affirme de cette façon sa primauté normative sur le Conseil d’État et,
surtout, sur la Cour de cassation qui s’était d’abord montrée réservée à
voir son œuvre prétorienne (ou même simplement interprétative)
examinée par la juridiction constitutionnelle. Ce contrôle étendu est une
application de la « doctrine du droit vivant », forgée par la Cour
constitutionnelle italienne 1662.
Cependant, une jurisprudence ne peut être critiquée que si elle
applique ou interprète un texte de loi précis, non d’une manière générale
(parce que son application n’est pas assez étendue, par ex.) 1663. Et, pour
éviter un contrôle permanent du Conseil constitutionnel sur chaque arrêt
de cassation, il doit s’agir d’une jurisprudence établie dans une ou
plusieurs affaires précédentes, non dans la même instance 1664. En
revanche, le Conseil constitutionnel se réserve la possibilité de juger
qu’un revirement de jurisprudence est contraire à la Constitution 1665.
4º) Cette situation engendre une sourde rivalité entre les juges
ordinaires et le juge constitutionnel. La transmission d’une QPC reste
tributaire du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui effectuent un
filtrage entre les justiciables et le Conseil constitutionnel (en plus du
premier filtrage opéré par les juges du fond). Ces deux juridictions
peuvent alors, en théorie, « court-circuiter » la procédure de QPC afin
de prémunir leur jurisprudence des affronts d’un contrôle de
constitutionnalité. De fait, l’une et l’autre ont pu motiver des refus de
transmission de QPC au Conseil constitutionnel par des arguments qui
traduisaient une lecture personnelle voire une réécriture du droit
constitutionnel.
Le risque est consubstantiel au mécanisme de filtrage : le juge qui l’opère est toujours suspecté, à
un moment ou à un autre, de faire barrage 1666. En outre, loin d’être étanche, ce barrage permet le plus
souvent à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de se couler dans la jurisprudence ordinaire,
judiciaire ou administrative : tel est le cas lorsque la Cour de cassation ou le Conseil d’État s’oppose
à la transmission d’une QPC mais en reprenant la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou, mieux
encore, en opérant un revirement de sa propre jurisprudence afin de la mettre en conformité avec
celle du Conseil constitutionnel – dont la saisine paraît, dans les deux cas, superflue 1667. La QPC a
accru en pratique l’autorité (de chose jugée et de chose interprétée) des décisions du Conseil dont les
citations (tantôt explicites, tantôt implicites) se sont multipliées dans les arrêts de la Cour de
cassation et du Conseil d’État 1668.
La Cour EDH a décidé que ce filtrage ne portait pas atteinte au droit à un procès équitable dès
lors que le non-renvoi était « dûment motivé » 1669.
5º) Les filtres utilisés en l’occurrence sont les deux principales
conditions de recevabilité d’une demande de QPC posées par la loi
organique (ord. 7 nov. 1958 mod., art. 23-2, 23-4 et 23-5) : la nouveauté
et le sérieux de la question.
1) En premier lieu, la QPC doit être « nouvelle » et, de surcroît, ne
doit pas avoir « déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les
motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf
changement des circonstances » (changement qui peut d’ailleurs
conduire le Conseil constitutionnel à censurer une loi qu’il avait
autrefois déclarée conforme à la Constitution). Interprétant le caractère
de nouveauté de façon restrictive, le Conseil constitutionnel a affirmé
qu’il devait être « saisi de l’interprétation de toute disposition
constitutionnelle dont il n’a pas encore eu l’occasion de faire
application » ; dans les autres cas, le Conseil d’État et la Cour de
cassation peuvent « apprécier l’intérêt de saisir le Conseil » ; en tout
cas, une QPC ne peut être nouvelle « au seul motif que la disposition
législative contestée n’a pas déjà été examinée par le Conseil
constitutionnel » 1670. La Cour de cassation estime donc que la question
n’est pas nouvelle lorsqu’elle « ne porte pas sur l’interprétation d’une
disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait
pas encore eu l’occasion de faire application ». Traduction : la
nouveauté tient au fait que le texte constitutionnel invoqué (et non la loi
arguée d’inconstitutionnalité) n’a jamais été appliqué par le Conseil, du
moins avec la portée que lui prête la QPC. Le cas est rare et les rejets de
QPC, pour cette raison, sont fréquents.
2) En second lieu, la QPC ne doit pas « être dépourvue de caractère
sérieux ». Le plus souvent, la Cour de cassation souligne que la
question soulevée ne présente pas un caractère sérieux et expose
aussitôt les raisons qui conduisent à la rejeter sur le fond. Ce faisant, le
juge ordinaire effectue une déclaration de constitutionnalité et s’érige en
« juge constitutionnel négatif », refusant de s’effacer au profit du
Conseil constitutionnel dont il empêche la saisine. La doctrine lui en
fait régulièrement le reproche. Mais il n’y a là aucun excès de pouvoir
puisque le juge ordinaire s’est vu assigner un rôle de filtrage par la loi
organique – un filtrage d’ailleurs indispensable tant le risque
d’engorgement menace les juridictions suprêmes (nationales et
internationales, françaises ou étrangères).

335. QPC et exception d’inconventionnalité : qui a la priorité ? –


Compte tenu de ces limites, la QPC (= le contrôle de constitutionnalité)
ne peut rivaliser en efficacité avec l’« exception d’inconventionnalité »
(= le contrôle de conventionnalité). N’importe quel juge judiciaire ou
administratif, s’il parvient à démontrer qu’une loi en vigueur est
contraire à un traité international, peut l’écarter d’un trait de plume 1671. Il
devient alors inutile de soulever une QPC, sauf pour abroger la loi
réputée inapplicable (c’est-à-dire enterrer une loi déjà morte).
Une décision d’inconstitutionnalité rendue sur QPC emporte abrogation de la loi à compter de sa
publication ou d’une date ultérieure : cette hypothèse de mort programmée pose des difficultés
d’application de la loi dans le temps. Elle met aussi en évidence la supériorité de l’exception
d’inconventionnalité, aux mains du juge ordinaire, sur la QPC : lorsque le Conseil constitutionnel
reporte à une date future l’abrogation d’une loi (le temps que le législateur la réforme), le juge
judiciaire peut, sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme (par exemple),
décider de l’écarter immédiatement. Le législateur est alors pris de court et la décision
constitutionnelle bafouée (sur la question, v. infra, nº 398, in fine).
La QPC a un avantage chronologique sur l’exception
d’inconventionnalité : comme son nom l’indique, elle est
« prioritaire », pour la raison suivante. La juridiction saisie de
« moyens contestant la conformité d’une disposition législative d’une
part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part
aux engagements internationaux de la France, [doit] se prononcer par
priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au
Conseil d’État ou à la Cour de cassation » ou, si l’instance est
pendante devant l’une de ces deux juridictions, au Conseil
constitutionnel (ord. 7 nov. 1958 mod., art. 23-2 al. 5 et 23-5, al. 2).
« En imposant l’examen par priorité des moyens de constitutionnalité
[...], le législateur organique a entendu garantir le respect de la
Constitution et rappeler sa place au sommet de l’ordre juridique
interne » 1672.
Mais le principe de primauté du droit de l’Union européenne peut-il
tolérer que la QPC lui « brûle » ainsi la priorité ? La réponse est plutôt
négative : le droit européen conserve un fort ascendant.
C’est ce point (le « P » de « QPC ») qui a déclenché, au cours de l’année 2010, un dialogue inédit
entre la Cour de cassation, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et la Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE). On s’y interrogea sur la compatibilité de la QPC avec la primauté du
droit de l’Union européenne. Plus précisément : qui devait avoir la « priorité » entre une QPC
(renvoyée par le juge ordinaire au Conseil constitutionnel) et une question préjudicielle invoquant
une violation du droit de l’UE (renvoyée, elle, à la CJUE) ? Une « tragédie en cinq actes » s’est
jouée – car jalonnée de cinq arrêts très insolites rendus en sept mois 1673 : la Cour de cassation ouvrit
la controverse en interrogeant la CJUE sur ce problème (qui était pourtant hypothétique en l’espèce
et surtout, aux yeux de la doctrine majoritaire, un faux problème) 1674 ; avant que la Cour de justice ne
statue sur ce recours préjudiciel, le Conseil constitutionnel puis le Conseil d’État se prononcèrent (au
moyen de longs obiter dicta) en cherchant par avance à apaiser les craintes de la Cour de justice,
c’est-à-dire en relativisant le caractère prioritaire de la QPC 1675 ; la CJUE put alors facilement
décerner à la QPC française un brevet de conformité au droit de l’Union européenne (une attestation
d’« unionité » ou d’« européanité », en quelque sorte) 1676 ; mais la Cour de cassation imagina un
épilogue défavorable à la QPC.
La Cour de Luxembourg affirma plus précisément que le juge national devait être libre de la saisir
d’une question préjudicielle « à tout moment » d’une procédure, y compris d’une « procédure
incidente de contrôle de constitutionnalité » (telle la QPC). Elle ajouta deux précisions qui
découlaient de sa jurisprudence antérieure (v. infra, no 346). D’une part, si le droit national impose
au juge de déclencher une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité (not. de transmettre
une QPC) sans qu’il puisse « laisser immédiatement inappliquée » une loi nationale qu’il estime
contraire au droit de l’UE (comme c’est le cas en France puisque la QPC est « prioritaire » sur
l’exception d’inconventionnalité), il faut néanmoins que ce juge puisse adopter des mesures
provisoires ou conservatoires de protection des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.
D’autre part, dans l’hypothèse où la loi nationale (contre laquelle une QPC est soulevée) se borne à
transposer une directive de l’Union (loi-miroir), « la question de savoir si la directive est valide
revêt, eu égard à l’obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable » ; en d’autres
termes, la CJUE, qui a seule compétence pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union, devra être
saisie par renvoi préjudiciel avant toute chose ; peu importe à cet égard qu’un bref délai soit imparti
aux juridictions nationales pour statuer (en France, le délai est de trois mois pour se prononcer sur le
renvoi de la QPC) 1677. En résumé : dans ce dernier cas particulier (une loi miroir d’une directive ou
d’une décision-cadre), la QPC doit céder la priorité au recours préjudiciel devant la CJUE. Dans
tous les autres cas, la QPC reste prioritaire mais le droit de l’UE exige au minimum que des mesures
provisoires ou conservatoires puissent être prises immédiatement par le juge national. Enfin, même si
ce point reste débattu 1678, il n’est pas exclu qu’une QPC et une question préjudicielle puissent être
renvoyées simultanément, de façon concomitante : le juge du fond transmet la QPC au Conseil d’État
ou à la Cour de cassation – ou l’un des deux la transmet au Conseil constitutionnel – et, dans le même
temps par la même décision, il interroge la CJUE. En tout cas, le juge national peut transmettre une
QPC et, postérieurement (pendant son examen), poser une question préjudicielle à la CJUE 1679.
La Cour de cassation brisa ce compromis pacifiant entre le droit de l’UE et le droit interne. Elle
observa que, dans l’hypothèse où elle était saisie d’une « question portant à la fois sur la
constitutionnalité et la conventionnalité d’une disposition législative », elle n’avait pas le pouvoir
d’ordonner des mesures provisoires ou conservatoires (le Code de procédure civile ne le prévoit
pas). Elle en déduisit, reprenant le raisonnement de la CJUE, qu’il lui appartenait, dans cette même
hypothèse, de se prononcer sur la conformité de la loi nationale au droit de l’Union européenne « en
laissant inappliqué »... le texte qui prévoit une priorité d’examen de la question de constitutionnalité
(l’art. 23-5, al. 2 de l’ord. 7 nov. 1958 mod.) 1680. Bref, devant la Cour de cassation, la QPC n’est
plus du tout prioritaire dès lors que la loi apparaît contraire au droit de l’Union européenne, qui doit
primer sur elle tout de suite : le juge judiciaire appliquera lui-même le droit de l’UE ou saisira la
CJUE sans transmettre de QPC au Conseil constitutionnel ou sans attendre sa décision.
La doctrine (essentiellement publiciste) reprocha à la Cour de cassation d’avoir initié et conclu
de façon inconséquente un feuilleton jurisprudentiel dont la QPC ressortait affaiblie. Plus étonnant, le
législateur supprima la formation spéciale de cette juridiction qui avait cru bon de saisir la CJUE
(L. org. no 2010-630, 22 juill. 2010).
Quant au Conseil constitutionnel, il s’est plié aux consignes établies par la CJUE. En 2013, pour
la première fois, il a saisi la Cour de Luxembourg d’une question préjudicielle portant sur la
conformité au droit européen d’une loi qui faisait l’objet devant lui d’une QPC. Avant de contrôler la
conformité de la loi française à la Constitution, le Conseil voulait s’assurer que l’article de loi
litigieux ne découlait pas « nécessairement des actes pris par les institutions de l’Union
européenne » (en l’occurrence, d’une décision-cadre). Une fois levé cet obstacle (la CJUE prit
d’ailleurs soin de répondre très rapidement au Conseil qui, en théorie, était tenu d’examiner la QPC
dans un délai de trois mois), le juge constitutionnel put apprécier la constitutionnalité de la loi
interne – qu’il décida de censurer 1681.
À terme, le Conseil constitutionnel pourra même saisir la Cour européenne des droits de l’homme
d’une demande d’avis consultatif dans une affaire pendante devant lui, donc avant de statuer sur une
QPC 1682. Il pourra alors conformer sa jurisprudence à celle de la Cour de Strasbourg et, d’une
certaine façon, reprendre en main le contrôle de conventionnalité qu’il a malencontreusement
abandonné au juge ordinaire avec sa décision IVG en 1975 1683. À l’heure actuelle, les plaideurs qui
se heurtent au filtrage de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, lorsque l’une ou l’autre refuse de
transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, peuvent solliciter, devant les juges du fond, le renvoi
à la CJUE d’une question préjudicielle rédigée en des termes à peu près similaires. Il est ainsi arrivé
qu’une QPC qui n’avait pas été jugée sérieuse par la Cour de cassation soit examinée par la CJUE
réunie en formation de Grande chambre compte tenu de l’importance de la question préjudicielle 1684.
Globalement, le « dialogue des juges » nationaux et européens se renforce. Le contrôle de
constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité tendent à s’harmoniser. Les divergences
d’interprétations sont évitées ou, si elles apparaissent, sont progressivement réduites.

336. Avantages et inconvénients de la QPC. – Pour tous ceux qui


l’ont défendue, la QPC serait une avancée de la démocratie et de l’État
de droit. Mais elle présente de sérieux inconvénients. Elle induit une
très pesante lourdeur procédurale, freinant notre justice déjà empêtrée
dans sa lenteur ; de nombreux avocats à l’imagination fertile pour
susciter une QPC entravent le cours des procès. Sans compter qu’elle
diminue l’autorité de la loi et le respect qui lui est dû. La QPC repose
sur l’illusion que plus il y a de droit, plus grands seront la prospérité, la
paix et la justice. Tacite avait déjà dit que la multiplication des lois était
un signe de décomposition de l’État (« plurimae leges corruptissima
respublica ») 1685.

337. Constitutionnalisation. – Comme toute institution, le Conseil


constitutionnel n’a eu de cesse d’accroître ses prérogatives et de faire
œuvre créatrice 1686. Depuis 1971, il apprécie la conformité des lois au
regard du « bloc de constitutionnalité » et non de la seule
Constitution 1687.
Le Conseil a découvert, entre la déclaration de conformité et la
déclaration d’inconstitutionnalité, une voie intermédiaire : la déclaration
de constitutionnalité sous réserves. La technique des réserves
d’interprétation 1688, en plein essor, lui permet de procéder à une
réécriture des dispositions litigieuses sans avoir à prononcer de
censure 1689. Par la suite, ces réserves, qui sont revêtues de l’autorité
absolue de la chose jugée, lient le juge administratif et le juge judiciaire
pour l’application ou l’interprétation de la disposition législative
déclarée conforme à la Constitution 1690.
Le Conseil constitutionnel proclame volontiers des principes
dépourvus d’assise textuelle 1691 ou déduits de textes évanescents 1692. La
découverte des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République » (PFRLR), évoqués par le Préambule de 1946 1693, et, d’une
manière générale, la recherche du contenu des droits et libertés
fondamentaux sont un art divinatoire. En outre, le Conseil identifie des
« objectifs de valeur constitutionnelle » (OVC), en laissant au
législateur et au gouvernement le soin d’en déterminer les modalités de
mise en œuvre 1694.
Le Conseil a une maîtrise également discrétionnaire des critères qui
permettent de concilier ces normes entre elles 1695. Son raisonnement et le
style de ses décisions (sous forme de « considérants ») sont nourris de
compromis et de relativité, à un point tel que les censures sont devenues
exceptionnelles. Le droit constitutionnel est ce que le Conseil dit qu’il
est.
Aussi expansionniste et verbeuse soit-elle, l’œuvre du Conseil a des qualités. Loin de veiller
seulement au fonctionnement régulier des institutions 1696, il a contraint le législateur au respect des
droits et libertés fondamentaux. L’organe a créé sa fonction, sécrétant un droit substantiel qui s’écoule
au travers de toutes les branches du droit privé (droit pénal, droit civil, droit processuel, droit
social...) ou public (droit administratif, droit fiscal, droit de l’urbanisme...). Un phénomène de
constitutionnalisation.
En tout état de cause, le législateur, s’il paraît « en majesté comme
constituant » 1697, peut briser la jurisprudence du Conseil
constitutionnel : un vote du Congrès ou un référendum suffit à
approuver une révision de la Constitution 1698. Le Conseil se refuse alors
à exercer un contrôle sur les lois de révision constitutionnelles comme
sur les lois référendaires. La différence est radicale avec la primauté des
traités internationaux et celle du droit européen que la loi française ne
peut modifier.

338. Jurisprudences constitutionnelles 1699. – Le Conseil d’État et la


Cour de cassation ont chacun développé une jurisprudence
constitutionnelle, indépendante dans une large mesure de celle du
Conseil constitutionnel, au risque de la contredire 1700. De façon
symbolique, la Cour de cassation vise des principes qu’elle qualifie de
constitutionnels 1701. Cette pratique, en soi inutile au regard de la
hiérarchie des normes, n’a qu’une finalité rhétorique : elle vise à
conférer plus de solennité à la motivation adoptée. De même, le Conseil
d’État a consacré de sa propre initiative un « principe fondamental
reconnu par les lois de la République » inédit dans la jurisprudence du
Conseil constitutionnel 1702. Dans la mesure où ces juridictions statuent
généralement dans des domaines inconnus de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel et où elles jouissent d’une grande marge de
manœuvre, elles tendent à extraire des règles constitutionnelles inédites.
L’article 62, alinéa 3, de la Constitution prévoit que « les décisions
du Conseil constitutionnel [...] s’imposent [...] à toutes les autorités [...]
juridictionnelles » : elles jouissent donc d’une autorité de la chose jugée
qui, par exception à la règle, est absolue. Au-delà du seul dispositif,
l’autorité de la chose jugée par le Conseil s’attache aussi aux motifs
« qui en sont le soutien nécessaire » 1703 ainsi qu’aux réserves
d’interprétation : on parle alors d’une « autorité de la chose
interprétée ». Les réserves d’interprétation permettent au Conseil
d’influencer les juges ordinaires. Il arrive aussi, en sens inverse, qu’une
réserve d’interprétation reproduise la jurisprudence judiciaire 1704.
En réalité, le système français de contrôle a priori de la constitutionnalité des lois (fermé au juge
ordinaire) a longtemps empêché tout dialogue véritable entre le juge judiciaire ou administratif d’une
part, et le juge constitutionnel d’autre part. S’il n’existe pas de divergence criante d’une
jurisprudence à l’autre, les juges ordinaires jettent, en général, un regard distrait sur l’œuvre du
Conseil constitutionnel 1705. Ils s’en inspirent 1706 de façon modérée et discrétionnaire, à moins que le
Conseil ait connu exactement de la question litigieuse 1707. La Cour de cassation, en particulier, se
réfère rarement de façon explicite à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. S’il est incontestable
que ses arrêts sont souvent en symbiose avec elle, elle tend à négliger les arguments constitutionnels,
que ce soit par habitude, ou parce que l’interprétation de la loi ou, mieux, de la Convention
européenne des droits de l’homme rend superflu ce recours à la norme suprême. Toutefois,
l’avènement d’un contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois avec la « question prioritaire
de constitutionnalité » (QPC) a infléchi le cours des choses et accru l’autorité – aussi bien de la
chose jugée que de la chose interprétée – des décisions du Conseil (v. supra, no 334).

§ 2. NORMES INTERNATIONALES

L’insertion des textes supranationaux dans la hiérarchie des normes


obéit à des règles communes (I). En outre, le droit de l’Union
européenne (II) et la Convention européenne des droits de l’homme (III)
présentent des traits spécifiques.

I. — Généralités

339. Adoption des traités. – Un traité international est un accord


conclu entre des États. Bilatéral (entre deux États) ou multilatéral (au-
delà de deux), il règle des questions de droit public (ex. : convention
diplomatique, traité instituant une organisation internationale,
Convention EDH) ou de droit privé (ex. : convention fiscale, de sécurité
sociale ou sur le commerce international).
Aux termes de l’article 55 de la Constitution, « les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord
ou traité, de son application par l’autre partie ». Par conséquent, sous
une condition de réciprocité (v. infra), les traités signés par le
gouvernement puis ratifiés – sur autorisation du Parlement dont le juge
vérifie l’existence 1708 – et publiés au Journal officiel par décret du
Président de la République, acquièrent une valeur supérieure à celle des
lois préexistantes 1709. Le droit français adopte une conception
« moniste » où le droit international prime le droit interne (mais sous de
multiples conditions).

340. Primauté des traités ; responsabilité de l’État. – 1º) Bien que


les constitutions de 1946 1710 et 1958 eûssent affirmé d’une manière
générale la primauté des traités internationaux sur les lois internes, les
juges estimèrent d’abord qu’ils n’avaient pas le pouvoir d’en tirer les
conséquences à l’égard d’une loi postérieure à un traité. La Cour de
cassation s’était efforcée d’éluder la question en exploitant les
ressources de l’interprétation 1711 ; mais elle refusait d’invalider une loi
manifestement contraire à un traité antérieur à celle-ci 1712 au motif qu’il
ne lui appartenait pas de se faire juge de la loi. Le Conseil d’État avait
la même jurisprudence 1713.
Sur l’invitation tacite du Conseil constitutionnel – qui, curieusement,
refuse d’apprécier la conformité d’une loi à une convention
internationale depuis sa décision IVG 1714 –, la Cour de cassation fit
volte-face en 1975 dans son arrêt Jacques Vabre 1715. Le Conseil d’État
lui emboîta le pas en 1989 dans un arrêt Nicolo 1716 : l’époque de la
suprématie absolue de la loi interne était révolue. Désormais, le plus
modeste juge civil ou administratif peut écarter une loi qu’il estime
contraire à une convention internationale. La Cour de cassation affirme
ainsi couramment l’incompatibilité d’une loi avec le droit européen,
notamment avec la Convention européenne des droits de l’homme 1717. En
revanche, elle refuse d’effectuer ce contrôle de conventionnalité
lorsqu’il met trop directement en cause la constitutionnalité de la loi (un
cas rare) 1718.
Le juge de l’Union européenne considère qu’un État membre est obligé de réparer les dommages
causés aux particuliers par les violations du droit de l’UE 1719 découlant, notamment, d’une décision
d’une juridiction statuant en dernier ressort (telle la Cour de cassation ou le Conseil d’État) dès lors
que la violation est suffisamment caractérisée, c’est-à-dire qu’elle présente un « caractère
manifeste » 1720.
2º) En droit interne, une jurisprudence classique admet que la responsabilité de l’État du fait
des lois peut être engagée sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques –
donc sans faute – sous des conditions strictes qui rendent cette éventualité très improbable (à savoir
que la loi adoptée n’ait pas entendu exclure toute indemnisation, que le préjudice revête un
« caractère grave et spécial » et ne puisse être regardé comme une charge incombant normalement
aux intéressés) 1721. Sous ces mêmes conditions étroites, l’État engage sa responsabilité au titre de
préjudices résultant d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la
France (traités internationaux et européens, y compris les principes généraux du droit de l’UE) 1722.
Mais le Conseil d’État a institué un deuxième cas de responsabilité de l’État – pour une faute
implicite, cette fois-ci : lorsqu’une loi est adoptée (ab initio) en méconnaissant les engagements
internationaux de la France 1723. Transposant enfin la jurisprudence communautaire, il a aussi admis
que cette même responsabilité pouvait être engagée par une décision définitive d’une juridiction
administrative 1724.

341. Effet direct ou invocabilité des traités. – Un traité


international, comme tout contrat, lie et oblige d’abord ses signataires :
les États. Les particuliers ne peuvent a priori se prévaloir de ses effets.
Ils ne peuvent invoquer directement – notamment dans leurs rapports
réciproques (dans des litiges entre particuliers) – les stipulations d’un
traité qui s’adressent aux États et non aux individus (ce qu’indique la
formule : « Les États parties s’engagent à respecter... » 1725).
Bien plus, les juges français excluent l’applicabilité directe des
dispositions vagues ou imprécises des traités – bien que l’article 55 de
la Constitution ne mentionne pas une telle réserve lorsqu’il attribue aux
traités une « autorité supérieure » à celle des lois. Autrement dit, même
si elle a un effet direct (en ce qu’elle attribue des droits aux
particuliers), une règle n’est pas pour autant invocable (ou applicable
dans les litiges affectant des particuliers) si elle n’est pas suffisamment
claire, précise et inconditionnelle. En pratique, cependant, le juge ne fait
pas la distinction entre « effet direct » et « invocabilité » (une
distinction pourtant classique dans le droit de l’Union européenne) 1726 :
une norme internationale trop générale est tout à la fois non invocable et
dénuée d’effet direct (ce que critique une partie de la doctrine
internationaliste désireuse de dissocier ces deux aspects).
À cet endroit, une différence de méthode sépare la Cour de cassation et le Conseil d’État 1727. La
première écarte en bloc l’applicabilité directe (l’effet direct) de la Convention renfermant des
stipulations imprécises. Le second apprécie son degré de précision clause par clause. Cette
divergence est regrettable lorsqu’elle se manifeste à propos d’une même Convention 1728. La position
du juge judiciaire a le mérite d’assécher le contentieux de façon radicale mais elle heurte l’article 55
de la Constitution. L’approche analytique (par « dépeçage » de la convention) du juge administratif a
le mérite de conférer une valeur juridique à certains droits non reconnus par le droit interne 1729. Mais
cette approche est imprévisible, d’autant plus que le juge administratif examine si la stipulation d’un
traité a un « effet direct » en se référant « à son contenu et à ses termes » mais aussi « à l’intention
exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué » 1730, ce qui est très vague. La
Cour de cassation tend aussi à adopter cette méthode analytique 1731.
L’effet direct d’un traité peut servir à plusieurs fins : non seulement
obtenir la reconnaissance (la « justiciabilité ») d’un droit subjectif, au
profit de particuliers (notion d’invocabilité) ; mais aussi : exclure
l’application d’une règle de droit interne contraire au traité ; soutenir
une interprétation de cette règle dans un sens conforme au traité ;
engager la responsabilité de l’État au titre de la violation du traité.
L’absence d’effet direct condamne tous ces usages en bloc.
De façon marginale, les particuliers (c’est-à-dire les individus et les entreprises) peuvent
invoquer une norme internationale dénuée de tout effet direct en tant que « fait juridique » 1732.
Enfin, le Conseil d’État répugne à puiser aux sources non écrites du
droit international public (coutume ou principes) ; il se cantonne aux
traités en vigueur 1733. La Cour de cassation, au contraire, n’hésite pas à
viser la coutume internationale pour écarter la loi pénale 1734.
Le Conseil d’État évite ainsi, de diverses manières 1735, d’appliquer les principes généraux du
droit communautaire. Les raisons en sont diverses : il n’est pas l’auteur de ces normes qui se
résument souvent à une notion, un standard, un objectif et semblent donc inachevées (ex. : principes
de bonne foi, de sécurité juridique, de confiance légitime...) ; au demeurant, ces vagues impératifs
sont déjà mis en œuvre – par l’effet de règles plus précises – en droit administratif interne ; de plus,
la consécration directe de ces principes conduirait le juge administratif à exercer un contrôle de la
conformité de la loi à des normes non écrites de droit international, qui est malaisé ; elle le
pousserait enfin à s’aligner sur des interprétations du juge européen qu’il ne partage pas (par exemple
en matière d’égalité entre les sexes) 1736.

342. Réciprocité, questions préjudicielles. – La primauté des traités


internationaux dans l’ordre juridique interne est subordonnée, par
l’article 55 de la Constitution, au respect d’une condition de
réciprocité 1737.
Le Conseil d’État considérait naguère qu’il n’appartenait pas au juge administratif d’apprécier le
respect de cette condition 1738 car la question mettait en cause la politique diplomatique du
gouvernement et relevait donc du ministre des Affaires étrangères. Si celui-ci ne s’était pas exprimé,
le traité s’appliquait ; si, à l’inverse, l’absence de réciprocité avait été dénoncée par une note
ministérielle, le juge ne pouvait davantage en contrôler le bien-fondé. Cette question préjudicielle
diplomatique, vestige de la Justice retenue sous la monarchie, peu compatible avec l’indépendance
des tribunaux dans une démocratie, avait essuyé une condamnation de la CEDH 1739. Le Conseil d’État
a donc corrigé sa jurisprudence : il appartient au juge administratif de « vérifier si la condition de
réciprocité est ou non remplie », après avoir recueilli les observations du ministre des Affaires
étrangères et, le cas échéant, celles de l’État en cause 1740. La Cour de cassation applique l’ancienne
solution 1741 mais ne s’est pas prononcée depuis ce revirement.
Dans le même esprit, il avait été autrefois jugé qu’un juge interne devait solliciter l’interprétation
gouvernementale d’un traité lorsque celle-ci soulevait « des questions touchant à l’ordre public
international » (c’est-à-dire au droit international public) et non seulement à des intérêts privés 1742.
Mais des revirements successifs du Conseil d’État et de la Cour de cassation ont mis un terme à cette
autre question préjudicielle diplomatique 1743 – en dernier lieu devant la chambre criminelle 1744.
Il est de l’office du juge du fond d’interpréter et d’apprécier la
compatibilité avec la loi interne d’une convention internationale. Ce
devoir est si impérieux qu’il ne peut pas recourir à la procédure de
saisine pour avis de la Cour de cassation dans ce but 1745. Celle-ci exige
même du juge judiciaire qu’il ignore le principe de la séparation des
pouvoirs et la distinction qui en découle entre contrôle de légalité (des
actes administratifs réglementaires) et contrôle de conventionnalité 1746.

343. La Constitution prime les traités. – Le Conseil d’État et la


Cour de cassation rappellent que la suprématie conférée aux traités
internationaux par l’article 55 ne s’applique pas, dans l’ordre juridique
interne, aux normes constitutionnelles 1747 : le juge français n’admet
aucune exception d’« inconventionnalité » à l’encontre d’un texte
constitutionnel : la Constitution prime les traités.
L’arrêt Koné du Conseil d’État 1748, qui soumet une convention bilatérale d’extradition à un
principe fondamental reconnu par les lois de la République, affirmait déjà cette supériorité, inscrite
en filigrane à l’article 61 § 2 et surtout à l’article 54 de la Constitution. Ce dernier texte permet au
Conseil constitutionnel de décider si la ratification d’un traité international suppose une révision
préalable de la Constitution (ce qui fut fait, notamment, pour les traités de Maastricht, – par la
L. constit. 25 juin 1992 –, d’Amsterdam – par la L. constit. 25 janv. 1999 – puis de Lisbonne – par la
L. constit. 4 févr. 2008 – et pour deux protocoles additionnels à la Conv. EDH et au PIDCP
concernant l’abolition de la peine de mort – par la L. constit. 23 févr. 2007).
L’obscure subtilité de cette solution – respectueuse de la hiérarchie
des normes et de la simple logique qui ne permet pas à la Constitution
de placer le droit international au-dessus d’elle-même 1749 – vient de ce
qu’elle ne s’impose pas dans l’ordre juridique international. La Cour
de justice des Communautés européennes a affirmé au contraire la
primauté du droit communautaire sur les constitutions nationales 1750
tandis que la Cour européenne des droits de l’homme peut fort bien
condamner une loi française que le Conseil constitutionnel aurait
pourtant déclarée conforme à la Constitution 1751. Le Conseil
constitutionnel s’est finalement incliné devant la primauté du droit et du
juge communautaires 1752.

II. — Droit de l’Union européenne

344. Institutions et recours. – La « Communauté économique


européenne » fut instituée par le traité de Rome du 25 mars 1957 1753. Le
traité de Maastricht du 7 février 1992, qui la nomme « Communauté
européenne », fait de celle-ci le « premier pilier » d’une organisation
plus large, l’Union européenne 1754. Les prérogatives de la Communauté
comme celles de l’Union furent ensuite étendues par le traité
d’Amsterdam du 2 octobre 1997 (entré en vigueur le 1er mai 1999) et par
le traité de Nice du 26 février 2001 (entré en vigueur le 1er février 2003).
Au fil de ces étapes successives, les États membres (passés de quinze à
vingt-cinq le 1er mai 2004 puis à vingt-sept le 1er janvier 2007 et vingt-
huit le 1er juillet 2013) ont concédé de larges parcelles de leur
souveraineté aux institutions européennes.
Le traité de Lisbonne, signé par les 27 États membres le 13 décembre
2007 (assorti de 37 protocoles et 65 déclarations), modifia le traité sur
l’Union européenne (TUE) et fusionna le traité instituant la
Communauté européenne dans un traité « sur le fonctionnement de
l’UE » (TFUE). La division en piliers fut supprimée. Le traité de
Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009.
L’Union européenne est dotée de sept institutions : le Conseil
(organe politique, législatif et budgétaire de premier plan), la
Commission (titulaire du pouvoir d’initiative législative, gardienne de la
légalité et organe d’exécution au service du Conseil), le Parlement
(exerçant des fonctions législative et budgétaire conjointement avec le
Conseil), le Conseil européen (sorte de gouvernement de l’Union qui
définit les impulsions, les orientations et priorités politiques de
l’Union), la Banque centrale européenne et la Cour des comptes. L’UE
est régie par un droit au respect duquel veillent la Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE) et, en son sein, le « Tribunal » de l’UE
(ancien TPICE).
La CJUE peut être saisie, essentiellement, de cinq types de recours :
le recours préjudiciel en interprétation ou en appréciation de la validité
d’un acte d’une institution ou d’un organe de l’Union européenne
(TFUE, art. 267, un recours laissé à l’initiative des juridictions
nationales, donc indirect) ; le recours en manquement exercé contre un
État membre (TFUE, art. 259) ; le recours en annulation contre un acte
de l’Union (TFUE, art. 263) ; le recours en carence contre une
institution ou un organe de l’Union qui s’abstient illégalement de
statuer (TFUE, art. 265) ; le recours en responsabilité extracontractuelle
contre l’Union (TFUE, art. 268 et 340). Ces trois derniers recours sont
portés en première instance devant le « Tribunal » de l’UE.

345. Singulière primauté du droit européen : règlements,


décisions, directives et principes généraux du droit 1755. – En 1964, la
CJCE (devenue CJUE) affirma la primauté du droit communautaire (auj.
du droit de l’Union européenne) sur les droits internes des États
membres 1756. En 1975, dans son arrêt Jacques Vabre, la Cour de
cassation admit la prééminence du droit communautaire sur la loi
française, fût-elle postérieure 1757. Le Conseil d’État accueillit ce principe
dans son arrêt Nicolo en 1989 1758. Cette primauté vaut pour l’ensemble
des sources du droit de l’Union européenne : les sources « primaires »
(traités 1759) aussi bien que « dérivées » (règlements 1760, directives 1761 et
décisions), les Conventions conclues par l’Union européenne avec des
États tiers 1762 ou entre ses vingt-huit États membres, et la jurisprudence
de la CJUE (ex CJCE) 1763, en particulier ses principes généraux du droit.
1º) Les règlements (de portée générale) 1764 et les décisions (adressées à une personne ou un
État) 1765, émanant du Conseil ou de la Commission, sont d’effet direct ou d’application directe (tant
vertical qu’horizontal) en droit interne, même lorsqu’ils prévoient que les États membres doivent
adopter des mesures d’exécution. Le règlement est un instrument d’harmonisation brutal mais efficace
des droits nationaux.
2º) Les directives n’ont pas d’effet direct et présentent à ce titre une double spécificité. D’une
part, elles se bornent à déterminer un résultat normatif, les États étant libres de définir les mesures
qui permettent d’atteindre celui-ci 1766. Cependant, nombre de directives ne se limitent pas à tracer un
cadre et renferment des dispositions techniques ou minutieuses qui ne laissent guère de liberté aux
États membres. D’autre part, elles requièrent une mise en œuvre (ou transposition) dans chacun des
ordres juridiques nationaux par le biais de lois ou règlements qui doivent intervenir dans un certain
délai 1767. Durant ce délai (de transposition), les États doivent s’abstenir « de prendre des
dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette
directive » 1768. À l’expiration de ce délai, l’absence de transposition produit un triple effet.
1) D’abord, l’État défaillant s’expose à un recours en manquement devant la CJUE (sauf s’il
démontre que la transposition était superflue) et à une action en responsabilité exercée par les
victimes de cette non-transposition 1769.
2) Ensuite, tout particulier a le droit d’invoquer les dispositions d’une directive qui apparaissent
« inconditionnelles et suffisamment précises », à l’occasion d’un litige (recours pour excès de
pouvoir, contentieux fiscal...) qui l’oppose à l’État ou, plus largement, à des administrations,
autorités, collectivités ou entreprises publiques 1770. Cette invocabilité des directives (non
transposées dans le délai imparti) se déploie exclusivement dans un sens vertical (non point dans les
litiges entre particuliers 1771) et ascendant (l’État ne peut opposer à un particulier une directive qu’il a
omis de transposer) 1772. Par exception, l’application horizontale d’une directive (entre particuliers)
est rétablie lorsque le litige met en cause un principe général du droit 1773 ou en présence de « règles
de droit social d’une importance particulière » 1774. Cette exception reste cependant étroite : le juge
européen considère que tous les « droits fondamentaux » des travailleurs ne se suffisent pas en eux-
mêmes pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel 1775.
Le Conseil d’État a attendu 30 ans avant de se plier à cette jurisprudence. Depuis son arrêt Cohn-
Bendit 1776, il s’était tenu à la règle selon laquelle une directive communautaire non transposée dans
le délai imparti était dépourvue d’effet direct à l’égard des administrés pour refuser, en outre, son
invocabilité directe contre un acte administratif (individuel, en particulier). Certes, la règle avait
reçu beaucoup d’atténuations. Mais le revirement est symbolique, de par sa motivation. Constatant
que la transposition en droit interne des directives est désormais une obligation qui résulte non
seulement du droit de l’Union européenne mais aussi de l’article 88-1 de la Constitution 1777, le
Conseil d’État en déduit que le juge national doit garantir « l’effectivité des droits » que toute
personne tient de cette obligation européenne et constitutionnelle. Du même coup, les « dispositions
précises et inconditionnelles d’une directive » non transposées dans le délai imparti sont invocables
directement, y compris contre un acte administratif non réglementaire (individuel) 1778.
3) Enfin, les juridictions nationales sont tenues d’interpréter les textes de leur droit interne « dans
toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le
résultat visé par celle-ci » 1779, comme tend à le faire de plus en plus la Cour de cassation 1780. Ce
« principe d’interprétation conforme » illustre une nouvelle fois la distinction entre « effet direct »
(ici exclu) et « invocabilité » (ici admise à l’appui d’une interprétation du droit interne). Il compense
en partie l’absence d’effet horizontal des directives 1781. Par exception, il ne peut conduire à créer ou
aggraver une responsabilité pénale sans le relais d’une loi interne, que la règle de droit
communautaire violée soit une directive 1782 ou même un règlement 1783. Plus largement, l’obligation
pour le juge national de se référer au contenu d’une directive, lorsqu’il interprète le droit interne, ne
peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem de celui-ci 1784 : dans un litige entre
particuliers, elle ne permet pas « d’écarter les effets d’une disposition du droit national contraire
sous couvert d’interprétation » 1785.
3º) Par ailleurs, le Conseil d’État et la Cour de cassation n’appliquent les principes généraux du
droit de l’Union européenne que dans les situations qu’il régit 1786. La CJUE rappelle elle-même que
ces principes sont inapplicables « en l’absence de tout rattachement à l’une quelconque des
situations envisagées par le droit communautaire » 1787. Néanmoins, elle se déclare compétente pour
interpréter le droit interne dans des situations étrangères au droit de l’UE lorsque le législateur
national a décidé d’appliquer à des situations purement internes et à celles régies par une directive
européenne le même traitement juridique 1788.
Débordant les traités, la prééminence du droit de l’UE ne découle
plus de l’article 55 de la Constitution. Elle résulte, plus directement, du
« principe de la primauté du droit communautaire » dégagé par la
CJCE 1789 et visé par la Cour de cassation 1790. À l’instant même où le
traité de Rome est entré « dans le champ » de l’article 55 de la
Constitution, le droit communautaire (dérivé, en particulier) a acquis
une primauté indifférenciée et inconditionnelle 1791 ; ce qui, en pratique,
signifie que la supériorité des normes européennes n’est pas
subordonnée à la réciprocité imposée par l’article 55 1792.
Accentuant la singularité du droit de l’Union européenne, le Conseil
constitutionnel déduit de l’article 88-1 de la Constitution (selon lequel
« la République participe à l’Union européenne ») que « le constituant
a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire
intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique
international » 1793.
346. Pouvoirs du juge national ordinaire. – Selon la Cour de
Luxembourg, le principe de la primauté du droit de l’UE « rend
inapplicable de plein droit » et « empêche la formation » de tout acte
législatif qui lui serait contraire. Le même principe exclut toute
disposition ou pratique législative, administrative ou judiciaire qui
refuserait au juge national le pouvoir d’écarter une loi mettant « obstacle
à la pleine efficacité des normes communautaires » ; le juge a donc
l’obligation de laisser celle-ci « inappliquée » sans attendre que le
législateur procède à son « élimination effective » 1794 ; avant même qu’il
ne statue, le droit national doit offrir la possibilité d’obtenir des mesures
provisoires permettant la suspension des dispositions litigieuses 1795. Il y
a néanmoins une limite : un juge national n’est pas tenu de réexaminer,
pour l’annuler, une décision judiciaire contraire au droit de l’UE si elle
est passée en force de chose jugée 1796.
À ce titre, le juge pénal écarte les incriminations et les peines prévues par une loi qui violent une
règle du droit de l’Union européenne. Ce pouvoir était déjà reconnu 1797 alors que la Communauté
européenne était incompétente pour édicter des infractions ou des sanctions pénales, qui relèvent de
la souveraineté des États. Mais ce dernier interdit a lui-même été levé par un arrêt majeur 1798 puis le
traité de Lisbonne a attribué compétence à l’Union européenne pour édicter des « règles minimales
relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions » en matière de criminalité
transfrontière (TFUE, art. 83).
De façon symétrique, le juge national ne peut reconnaître l’invalidité
des actes pris par les institutions de l’Union européenne, la CJUE étant
seule compétente à cet égard par la voie des recours préjudiciels et en
annulation. Curieusement, il peut examiner un tel argument à condition
de le rejeter sur le fond en concluant à la validité de l’acte 1799.
De même, le Conseil d’État n’admet de recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif
réglementaire constituant une mesure d’exécution d’un règlement européen que si ce dernier a laissé
une marge de liberté aux autorités nationales. Dans le cas contraire (où le pouvoir réglementaire a
compétence liée), l’annulation du règlement français, motif pris de sa non-conformité à une norme
supérieure (la Constitution), impliquerait une censure du règlement qui excéderait les pouvoirs du
juge interne 1800.
En d’autres termes, dans la hiérarchie des normes, un acte de pure exécution s’élève au rang de la
norme qu’il met en œuvre, laquelle dresse un « écran » devant le juge. Le phénomène se nomme
théorie de la « loi-écran » (lorsque l’écran est législatif) 1801 ou du « traité-écran » (lorsque l’écran
1802
est un traité international ou, par extension, un texte de droit communautaire dérivé, comme dans
le cas précédent).
Toutes ces solutions, complexes sinon esotériques, traduisent une
« omnipotence technocratique et eurocratique » 1803 entraînant un recul
de la démocratie.

347. Pouvoirs du juge national constitutionnel : pouvoirs


reconnus ; pouvoirs limités. – De même, mais à un degré supérieur, le
Conseil constitutionnel estime depuis 2004 qu’il ne lui appartient pas
d’apprécier la constitutionnalité d’une loi interne qui se borne à tirer
« les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et
précises » d’une directive (dont la loi serait ainsi le reflet exact, une
« loi-miroir »). Cette directive dresse donc un écran inédit devant le juge
constitutionnel lui-même. L’origine de cet obstacle supérieur est que
« la transposition en droit interne d’une directive communautaire
résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être
fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la
Constitution » 1804. En d’autres termes, l’obligation de transposer les
directives découle du droit constitutionnel français. Mais de quel texte
au juste ? Il s’agit de l’article 88-1 de la Constitution selon lequel « la
République participe à l’Union européenne »... Certes, ce texte est
laconique mais le Conseil constitutionnel en déduit que la transposition
des directives internes est devenue une exigence constitutionnelle. Deux
conséquences en découlent, l’une positive, l’autre négative.
1º) En premier lieu, le Conseil constitutionnel se reconnaît le
pouvoir de vérifier que la loi respecte les dispositions
« inconditionnelles et précises » et plus généralement les objectifs de la
directive qu’elle a pour objet de transposer.
Toutefois, en l’absence d’une « incompatibilité manifeste » qu’il pourrait censurer
immédiatement, le Conseil, qui n’a qu’un mois pour statuer avant la promulgation de la loi dont il est
saisi (Const., art. 61, al. 3) ou bien trois mois lorsqu’il est saisi d’une QPC, et qui ne peut donc
matériellement saisir la CJUE d’une question préjudicielle, doit laisser ce soin aux juridictions
nationales 1805. Certes, le Conseil constitutionnel accepte aujourd’hui d’interroger la CJUE lorsqu’il
est saisi d’une QPC 1806. Mais cela ne change rien : de toute manière, « le respect de l’exigence
constitutionnelle de transposition des directives ne relève pas des « droits et libertés que la
Constitution garantit » [au sens de l’art. 61-1 Const.] et ne saurait, par suite, être invoqué dans le
cadre d’une QPC » 1807.
La première solution n’est pas cohérente avec la décision IVG par laquelle le Conseil
constitutionnel a refusé « d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un
accord international » 1808. Si l’obligation de transposer les directives découle de l’article 88-1
Const., pourquoi ce texte ne prescrit-il pas aussi au Conseil de contrôler la conformité des lois au
droit de l’Union européenne (soit l’ensemble des directives, les règlements, traités fondateurs et
principes généraux), à quoi il se refuse toujours 1809 ? Et comment le juge ordinaire peut-il encore se
permettre de contrôler la conformité d’une loi à une directive, lui qui ne peut en contrôler la
constitutionnalité ?
2º) En second lieu, les pouvoirs du Conseil constitutionnel sont
limités : « il n’appartient qu’au juge communautaire, saisi le cas
échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive
communautaire [...] des droits fondamentaux garantis par l’article 6
du Traité sur l’Union européenne » 1810.
Ce texte dispose que « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [Convention
européenne des droits de l’homme] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles
communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux » 1811.
Il est donc probable que la CJUE, si elle était saisie par la voie du recours préjudiciel, trancherait en
faveur de la Constitution nationale et annulerait le texte européen qui la viole. Mais la diversité des
sources de droits fondamentaux engendre parfois des interprétations différentes de la part des
juridictions en présence (dont les compétences sont extrêmement cloisonnées) ; un droit
constitutionnel national peut fort bien entrer en conflit avec le droit de l’Union européenne ou la
Conv. EDH, même si l’influence réciproque est forte entre ces systèmes 1812.
Le Conseil constitutionnel s’est néanmoins réservé la faculté de découvrir dans la Constitution
française une « disposition expresse » qui justifierait une censure immédiate de la loi de
transposition d’une directive. Selon une formule postérieure, à peine plus claire, « la transposition
d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité
constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » 1813. Cette censure reste
une hypothèse d’école.
Cette exception édicte une réserve de constitutionnalité, également admise par la Cour fédérale
allemande (Bundesgerichtshof), afin de tempérer la suprématie du droit de l’Union européenne. Elle
confirme le principe selon lequel, « dans l’ordre juridique interne », l’article 55 de la Constitution
n’est pas applicable aux normes constitutionnelles (qui priment donc les traités). En droit interne, le
droit de l’Union européenne reste inférieur à la Constitution. Dans le droit de l’UE, c’est
l’inverse 1814.
Quant au juge interne ordinaire (judiciaire ou administratif), il se heurte déjà à un double écran :
ne pouvant contrôler la constitutionnalité de la loi, il peut encore moins prétendre apprécier la
validité d’une norme de l’Union européenne 1815. Il est en outre, lui aussi, juge de la constitutionnalité
de certains actes 1816 et doit donc suivre les lignes directrices tracées par le Conseil constitutionnel.
À cet égard, le Conseil d’État a livré un mode d’emploi éclairant du contrôle de la constitutionnalité
des actes réglementaires qui transposent « directement » des dispositions « précises et
inconditionnelles » d’une directive, afin que le juge administratif ne heurte pas l’écran du droit de
l’Union européenne (dont l’article 88-1 de la Constitution prescrit le respect), même si son contrôle
s’avère très poussé 1817. Par ailleurs, le juge peut encore interpréter un texte de droit de l’Union
européenne « à la lumière » du droit constitutionnel français 1818.
Cet amoncellement de règles révèle beaucoup d’incohérences, soit
internes à la jurisprudence constitutionnelle, soit entre les pouvoirs du
juge ordinaire et ceux du juge constitutionnel. Elles confirment que
bâtir une théorie abstraite de la hiérarchie des normes est une utopie :
l’articulation des normes est avant tout le fruit des compétences que les
autorités normatives exercent ou entendent exercer 1819.

III. — Convention européenne des droits de l’homme

348. Origine ; Cour européenne ; autorité. – 1º) À l’origine, les


crimes commis par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale ont
convaincu les Européens que le droit ne devait pas être coupé des
valeurs qui le fondent. La « Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales » (en abrégé : Convention
européenne des droits de l’homme ou Conv. EDH) a été conclue à Rome
le 4 novembre 1950 au sein du Conseil de l’Europe. Elle a donc un
champ d’application beaucoup plus étendu que le droit de l’Union
européenne. Elle a ensuite été assortie de quinze protocoles
additionnels qui, pour certains (nos I, IV, VI et VII), ajoutent des droits et
libertés à ceux prévus par la Convention et, pour d’autres, modifient le
système de contrôle mis en place.
2º) La force et l’originalité de ce traité, qui lie aujourd’hui 47 États,
résultent de la présence d’une juridiction spécifique, la Cour
européenne des droits de l’homme ou CEDH (siégeant à Strasbourg),
chargée de veiller à son application.
La CEDH est au bord de l’asphyxie. Elle a rendu son 10 000e arrêt en 2008 (elle n’en avait rendu
que 1 000 au total en 2000). Elle en rend plus de 800 chaque année mais près de 65 000 requêtes
étaient en attente de jugement fin 2015 (dont plus de 90 % étaient, en réalité, irrecevables). Plusieurs
remèdes ont été imaginés qui permettent de diminuer ce stock progressivement (plus de 100 000
requêtes étaient pendantes avant 2013). Des « comités de trois juges » ont été institués afin de
trancher des affaires répétitives, soulevant une question d’interprétation de la Conv. EDH qui « fait
l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour » (Conv. EDH, art. 28, 1, b). La Cour peut aussi
rendre un « arrêt pilote » lorsqu’elle est confrontée à un « problème structurel ou systémique » qui
est susceptible de donner lieu à un grand nombre de requêtes analogues ; en ce cas, elle prescrit à
l’État concerné de prendre des « mesures de redressement » et, en attendant, ajourne l’examen des
affaires similaires (Règl. CEDH, art. 61). Ensuite, le protocole no 14 (entré en vigueur le 1er juin
2010, six ans après son adoption) a permis à un juge unique de déclarer une requête irrecevable. Le
protocole nº 15 (ouvert à la signature le 24 juin 2013 et non encore entré en vigueur) a posé un
principe de subsidiarité : à la fin du préambule de la Convention est ajouté un alinéa « affirmant
qu’il incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de
subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente Convention et ses
protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent d’une marge d’appréciation, sous le contrôle de la
CEDH » 1820. La Cour avait déjà appliqué ce principe, à ses débuts 1821, avant de le perdre de vue.
Enfin, le protocole no 16 (ouvert à la signature le 2 octobre 2013 et non encore entré en vigueur)
permet aux juridictions nationales d’adresser à la Cour EDH des « demandes d’avis consultatifs sur
des questions de principe relatives à l’interprétation » de la Convention, dans des affaires pendantes
devant elles.
La CEDH est composée de deux formations : les chambres (7 juges) et la Grande chambre
(17 juges). Les chambres se dessaisissent au profit de la Grande chambre si l’affaire « soulève une
question grave relative à l’interprétation de la Convention ou de ses protocoles, ou si la solution
d’une question peut conduire à une contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la
Cour » (Conv. EDH, art. 30). La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle
« manifestement mal fondée ou abusive » ou lorsque le requérant « n’a subi aucun préjudice
important » (illustration notable de la règle de minimis non curat prætor). Elle doit être saisie
« après l’épuisement des voies de recours internes » devant les juridictions nationales et dans un
délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive (Conv. EDH, art. 35).
Plus de la moitié des requêtes vise cinq pays : la Russie, l’Ukraine, la
Turquie, la Roumanie et l’Italie (pour les années 2014 et 2015). Si la
France est quelquefois condamnée, c’est avant tout l’effet de la notoriété
de la Convention auprès des juristes et des justiciables français. Les
condamnations de la Russie ou de la Turquie ont trait à des violations
des droits de l’homme (droit à la vie, interdiction de la torture...) d’une
tout autre gravité qu’en France (essentiellement condamnée pour
violation du droit à un procès équitable ou du droit au respect de la vie
privée et familiale).
Saisie par une personne physique ou morale, la Cour peut seulement
condamner un État partie à verser au requérant une « satisfaction
équitable », de nature pécuniaire. Ses arrêts sont contraignants à l’égard
des États contractants concernés mais ils ne produisent pas d’effet direct
dans les ordres juridiques nationaux 1822. Néanmoins, les pays condamnés
s’empressent généralement de modifier leur législation (lorsque ce
remède semble efficace) afin de prévenir de futurs recours qui, par leur
nombre, pourraient se révéler coûteux. En outre, pour liquider le passé,
plusieurs États – dont la France – ont institué un recours spécifique qui
permet au requérant, dont la violation des droits a été reconnue par un
arrêt de la CEDH, d’obtenir la révision de son procès pénal 1823.
3º) La Cour de cassation se réfère couramment aux arrêts rendus par
la CEDH 1824. Franchissant un pas considérable (du moins en procédure
pénale), elle a même affirmé que les États « sont tenus de respecter les
décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre
d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » 1825.
Autrement dit, le juge français doit respecter la jurisprudence de la
CEDH, y compris lorsqu’elle découle d’arrêts rendus contre un État
autre que la France : les arrêts de la Cour de Strasbourg revêtent donc
une « autorité de chose interprétée » à l’égard du juge français (et pas
seulement une autorité de chose jugée, qui est relative aux parties). Mais
cette autorité interprétative ne s’impose pas au juge national de façon
inconditionnelle : elle suppose que soit établie une jurisprudence
européenne claire, précise, constante et transposable en France. Or, ces
conditions sont rarement remplies, notamment parce que les systèmes
juridiques nationaux sont différents sur de nombreux points.

349. Contenu. – La Convention européenne proclame : le droit à la


vie (art. 2) ; l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou
dégradants (art. 3) ; l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé
(art. 4) ; le droit à la liberté et à la sûreté, sauf détention régulière (ex. :
incarcération, internement psychiatrique) sous le contrôle d’un juge
(art. 5) ; le droit à un procès équitable, public et dans un délai
raisonnable, devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi
(art. 6) ; la légalité des infractions et la non-rétroactivité de la loi pénale
(art. 7) ; le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8) ; la liberté
de pensée, de conscience et de religion (art. 9) ; la liberté d’expression
(art. 10) ; la liberté de réunion pacifique et d’association, y compris
syndicale (art. 11) ; le droit au mariage (art. 12) ; le droit à un recours
effectif pour la défense des droits et libertés reconnus par la Convention
(art. 13) ; l’interdiction de toute discrimination dans la jouissance de ces
mêmes droits et libertés (art. 14).
En outre, le protocole additionnel no I garantit le droit au respect de la propriété (art. 1er), le droit
à l’instruction (art. 2) et le droit à des élections libres au scrutin secret (art. 3). Le protocole no IV
proclame l’interdiction de l’emprisonnement pour dette (art. 1er), la liberté de circulation et de
résidence sur le territoire d’un État (art. 2), l’interdiction de l’expulsion des nationaux (art. 3),
l’interdiction des expulsions collectives d’étrangers (art. 4). Le protocole no VI abolit la peine de
mort. Le protocole no VII édicte des garanties procédurales en cas d’expulsion d’un étranger (art. 1er),
le principe du double degré de juridiction en matière pénale (art. 2), le droit à indemnisation de la
victime d’une erreur judiciaire (art. 3), le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour la même
infraction (art. 4) et le principe d’égalité de droits et de responsabilités à caractère civil entre les
époux (art. 5).

350. Jurisprudence créatrice (à Strasbourg). – Loin de n’appliquer


ces textes qu’à des hypothèses évidentes ou prévisibles, la Cour de
Strasbourg les a dotés d’un large champ d’application et de
conséquences que n’avaient pas soupçonnés les rédacteurs de la
Convention. Éminemment créatrice, la jurisprudence européenne a été la
source de vagues déferlantes qui s’abattent sur les systèmes juridiques
nationaux. Souvent imprévisible et peu intelligible, elle procède à une
« interprétation dynamique » voire une « réécriture » de la
Convention 1826. Dans la totalité des branches du droit privé et du droit
public 1827, la Convention est devenue un objet d’étude inévitable pour le
juriste français. Certains auteurs (de moins en moins) fustigent les
interprétations qu’en donne la Cour européenne 1828.
Les virtualités subversives de la Conv. EDH procèdent surtout de
quelques textes phares.
L’article 6, § 1 est la disposition la plus perturbatrice des droits nationaux. Selon ce texte, « toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des
contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Son domaine a été étendu de façon
considérable : la Cour estime, notamment, que les garanties énoncées par l’article 6 sont applicables
« en matière pénale ». Or, cette dernière obéit à une définition autonome fort compréhensive : pour la
délimiter, la Cour ne s’attache pas à la qualification juridique de l’infraction en droit interne, mais à
la valeur transgressée par la personne poursuivie, à la gravité de son acte puis à la sévérité et à la
finalité de la sanction encourue. S’il s’avère, au terme de cette analyse matérielle, que le contentieux
– fût-il de la compétence d’une autorité administrative – relève de la « matière pénale », les
principes élémentaires de la procédure pénale édictés par l’article 6 s’appliquent 1829.
Du « droit à un procès équitable », la Cour européenne a également extrait des principes d’une
grande portée : le droit à un recours juridictionnel effectif (ou droit au juge), le « principe d’égalité
des armes » dans l’instance, le droit à un tribunal impartial (exigence définie à son tour de façon
extensive 1830). Le droit au juge, en particulier, présente une malléabilité exceptionnelle. Il a servi de
fondement juridique à des condamnations de la France motivées par l’adoption de lois
rétroactives 1831 ou par l’obscurité ou l’imprévisibilité de la jurisprudence française 1832. La Cour
EDH a fustigé une « erreur manifeste d’appréciation » de la Cour de cassation 1833 ; elle lui a
également reproché la motivation trop laconique de ses arrêts, exigeant une motivation en droit et en
fait 1834. La Cour de cassation se trouve ainsi réduite au rang de juridiction subalterne. Par-delà les
sources du droit, l’article 6 affecte profondément le procès et l’organisation judiciaire, renversant les
règles et les institutions les plus traditionnelles en droit français 1835.
L’article 8 de la Convention révèle aussi une grande fécondité. Le droit au respect de la vie
privée et familiale perturbe les règles internes du droit des personnes, du droit de la famille
(filiation, mariage, divorce...) et du droit patrimonial 1836. Il est aussi venu restreindre la validité des
mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière 1837, soumettre à un contrôle de
proportionnalité les mesures entraînant la perte d’un logement (telles que l’évacuation d’un
campement illégal de gens du voyage 1838), justifier la rectification judiciaire de l’état civil des
transsexuels 1839, appuyer la reconnaissance d’un droit à l’environnement 1840, etc. De l’article 8 a
même été extirpé un « droit d’opérer des choix concernant son propre corps » et un prétendu
concept d’« autonomie personnelle » justifiant le droit de subir des actes de tortures sado-
masochistes au mépris de la dignité de la personne 1841. Dans un esprit voisin, l’article 12 Conv.
EDH, qui reconnaît à « l’homme et la femme [...] le droit de se marier et de fonder une famille »,
impose de ne pas entraver une union incestueuse 1842.
L’article 1er du protocole no I connaît une carrière non moins remarquable. Le droit au respect de
la propriété jouit d’un domaine quasi illimité (par-delà les mesures de confiscation, expropriation,
expulsion, préemption... qui l’affectent directement) depuis que la Cour européenne a qualifié de
« bien » susceptible d’appropriation – et donc d’expropriation illicite – une simple créance 1843 ou
une prestation sociale 1844.
L’article 41 de la Convention permet à la CEDH d’accorder une « satisfaction équitable » à la
partie lésée si le droit interne « ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences » de la
violation de la Convention. Malheureusement, les arrêts de satisfaction équitable sont expédiés en
quelques lignes. Sans la moindre motivation, ils peuvent allouer des sommes dérisoires ou
excessives, calculées de façon très approximative 1845. Le principe de la réparation intégrale du
préjudice n’est pas respecté. Il pourrait s’agir de dommages-intérêts punitifs mais les arrêts n’en
disent mot.
La Cour européenne ne recherche pas les principes communs aux
droits des États contractants (interprétation consensuelle) mais étend la
Convention par diverses techniques : elle forge des notions autonomes
(ex. : la « matière pénale » au sens de l’art. 6 ; la « vie privée et
familiale » au sens de l’art. 8), elle déduit des « droits inhérents » à ceux
exprimés, elle impose aux États des « obligations positives » 1846. De
même, la Cour n’a ni une méthode claire ni une technique spécifique
d’élaboration de ses « principes généraux du droit », à la différence de la
CJUE, de la Cour de cassation ou du Conseil d’État 1847 ; loin de
constituer une source de droit autonome, ils ne sont pour elle qu’un
outil d’interprétation des textes de la Convention, destiné à étendre son
domaine 1848.

351. Jurisprudence créatrice (juridictions françaises). – La


Convention européenne des droits de l’homme produit un effet direct en
droit interne qui est non seulement vertical (l’État répond des violations
dont il est lui-même l’auteur), mais encore horizontal : elle régit les
relations entre les particuliers 1849, à l’image des traités et règlements de
l’Union européenne. Par ce biais, le juge français a pu imaginer des
applications de la Convention inédites dans la jurisprudence de la Cour
de Strasbourg 1850.
La Cour de cassation n’hésite pas à écarter ou censurer un texte
législatif qu’elle juge incompatible avec un article de la Convention 1851.
Ce contrôle de « conventionnalité » des lois, qui s’appuie sur
l’article 55 de la Constitution, ne se distingue guère d’un contrôle de
constitutionnalité, pourtant prohibé 1852. Malgré le principe de la
séparation des pouvoirs, elle exerce de plus en plus ce contrôle de la
législation : un « gouvernement des juges », contraire à notre histoire
depuis la Révolution et à nos principes constitutionnels 1853.
352. Appréciation critique 1854. Cette autorité croissante de la Convention EDH et de la Cour du
même nom suscite, de façon récurrente, de vifs commentaires, parfois aprobateurs, plus souvent
critiques. Elle constitue une révolution dans notre ordre juridique en ressuscitant l’introuvable droit
naturel.
En se fondant sur des instruments internationaux devenus des sources du droit supérieures à celles
du droit interne, les juges – européens et nationaux – peuvent écarter la loi française s’il la juge
contraire aux droits de l’homme : les Parlements nationaux sont dépossédés de leurs pouvoirs. Ce
n’est pas seulement le « gouvernement des juges » mais aussi « les droits de l’homme contre le
Droit » 1855. Jean Carbonnier avait critiqué avec vivacité les excès de ce « droit venu
d’ailleurs » 1856.
Le contrôle de conventionnalité a le mérite de faire contrepoids à la dangereuse technicité qui peu
à peu s’imprime dans la société contemporaine. Mais il introduit une autre technicité. Nombre
d’auteurs critiquent le style verbeux, les motifs bavards et la longueur des arrêts de la Cour EDH qui
tranchent avec l’imperatoria brevitas des arrêts de la Cour de cassation. Celle-ci semble pourtant
vouloir prendre la Cour de Strasbourg comme modèle 1857.

353. Enchevêtrements internationaux. – La pluralité d’ordres


juridiques supra-nationaux (de l’Union européenne, de la Convention
EDH et international), tous dotés d’un vaste domaine, est un facteur de
conflit de normes. Leur coexistence se révèle plutôt pacifique mais la
nature exacte de leurs relations n’est pas simple à décrire.
Ainsi, alors que la Communauté européenne n’était pas partie à la
Convention européenne des droits de l’homme 1858, le traité sur l’Union
européenne (Traité UE, ancien art. 6, § 2) en garantissait le respect sous
le couvert des « principes généraux du droit communautaire » 1859. La
Cour de justice a poussé le rapprochement jusqu’à intégrer dans son
interprétation du droit de l’Union européenne les arrêts de la Cour
européenne 1860. Depuis, les choses n’ont guère changé.
Le traité de Lisbonne (entré en vigueur le 1er déc. 2009) avait prévu que l’Union européenne
adhérerait à la Convention EDH, mais en plaçant cette adhésion sous haute surveillance : elle ne
pouvait modifier les compétences de l’Union telles que définies par le traité et devait préserver les
spécificités de son ordre juridique ; en attendant, les droits qu’énonce la Convention EDH
continuaient à faire partie du droit de l’Union en tant que « principes généraux » du droit (TUE, art. 6,
§ 2 et 3 ; déclaration no 2, annexée au traité de Lisbonne). Finalement, la CJUE a émis un avis
défavorable à cette adhésion qui, selon elle, menacerait l’autonomie du droit de l’Union européenne
en soumettant cette organisation internationale ainsi que les États membres à la juridiction de la Cour
européenne des droits de l’homme. Or, il n’est pas question que la Cour de Luxembourg renonce à sa
compétence juridictionnelle exclusive sur l’interprétation du droit de l’Union et sur l’appréciation
des actes ou actions de l’Union 1861.
Dans ce même avis, la CJUE s’inquiète aussi de l’absence de règles de coordination entre les
interprétations que la Cour EDH peut donner de la Convention EDH et celles qu’elle-même peut faire
de la « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » du 18 décembre 2000 – un
instrument protecteur des droits de l’homme spécifique à l’Union européenne. À l’origine, cette
Charte n’était pas contraignante, même si la CJCE déclarait s’y référer 1862. Depuis le traité de
Lisbonne, elle ne figure toujours pas littéralement dans les traités fondateurs (TUE ou TFUE) mais
l’article 6, § 1 du TUE lui reconnaît « la même valeur juridique que les traités » 1863. En France, le
juge judiciaire, comme le juge administratif, l’appliquent directement 1864.
Le juge national peut apprécier la conformité d’une règle du droit de
l’Union européenne à la Convention européenne 1865 mais sa marge de
manœuvre est étroite puisqu’il ne peut conclure à son invalidité 1866. En
cas de difficulté sérieuse, il doit saisir la CJUE d’une question
préjudicielle portant sur la validité de l’acte de l’Union européenne ; il
en est de même si le grief de non-conventionnalité vise une loi
transposant exactement une directive 1867. En revanche, il n’appartient pas
au juge communautaire de « vérifier la compatibilité avec la [Conv.
EDH] d’une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre
du droit communautaire » 1868.
Par ailleurs, le juge administratif français, saisi d’un moyen tiré de
l’incompatibilité entre elles de stipulations issues de deux traités ou
accords internationaux, doit s’efforcer d’« assurer leur conciliation »
conformément aux « principes du droit coutumier relatifs à la
combinaison entre elles des conventions internationales » 1869.
Cette harmonie globale est troublée par quelques affrontements
normatifs.
Ainsi, une loi nationale conforme à une Convention internationale
liant un État membre peut s’avérer contraire à une directive : le droit de
l’Union européenne s’impose alors 1870.
D’une manière générale, plusieurs principes du droit international
public ont été exclus du droit communautaire (tel celui de
réciprocité 1871).
Mais les accords internationaux conclus par l’Union européenne jouissent d’une primauté
normative : ils lient les institutions de l’Union et les États membres (traité FUE, art. 216, § 2). De
plus, dans ses relations avec les pays tiers, la Communauté européenne (auj. l’UE) est « tenue de
respecter les règles du droit coutumier international » en tant que « partie de l’ordre juridique
communautaire » 1872. Toutefois, cette primauté ne peut restreindre le pouvoir de la CJUE de
s’assurer de la compatibilité des actes communautaires avec les « principes constitutionnels du
traité CE », parmi lesquels figure le respect des « droits fondamentaux » : ce contrôle de légalité
s’applique, par exemple, à un règlement communautaire qui met en œuvre une résolution du Conseil
de sécurité de l’ONU adoptée sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (en
cas de menace contre la paix) ; bien que le juge communautaire soit incompétent pour apprécier la
légalité d’une telle résolution et que les États membres de l’UE soient tenus de respecter les
engagements pris dans le cadre des Nations Unies, nul écran ou immunité ne paralyse son
contrôle 1873. Cette analyse évoque la règle propre au droit français selon laquelle la suprématie
conférée aux traités internationaux par l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas, dans l’ordre
juridique interne, aux normes constitutionnelles qui, en définitive, demeurent au sommet de la
hiérarchie des normes 1874. C’est que l’Union européenne a, elle aussi, son ordre juridique « interne »
et sa « Constitution » qui prime (les droits fondamentaux).
Un État qui se conforme au droit de l’Union européenne peut subir
une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme : pour
elle, la Convention EDH prime le traité de Rome 1875. En « contrepartie »,
la Cour de Strasbourg a pu reprocher une violation de la Convention
européenne à un État qui n’avait pas exécuté un arrêt de la Cour de
Luxembourg 1876. De façon plus générale, elle prône une interprétation
souple et consensuelle de la Conv. EDH, en quête de « dénominateurs
communs » à toutes les normes du droit international, quelles qu’elles
soient (conventions, principes généraux du droit, jurisprudences, chartes
ou avis non contraignants... 1877).

SECTION II
SOURCES INFÉRIEURES
De nombreuses règles de droit écrit sont en dessous de la loi : ce sont
les « petites sources » du droit 1878. Ce rang inférieur se justifie par la
subordination de leur autorité (§ 1) ou l’ambiguïté de leur nature (§ 2).

§ 1. AUTORITÉS SUBORDONNÉES

354. Circulaires, instructions ; réponses ministérielles. – Les


autorités publiques subordonnées au législateur peuvent édicter de
véritables règles de droit. Celles qui exercent un pouvoir réglementaire
en constituent le meilleur exemple 1879. Si elles n’en ont pas le pouvoir,
les textes établis par les autorités administratives sont dépourvus de
force obligatoire.
1º) Ainsi en est-il des circulaires ou instructions adressées au
personnel d’une administration (ex. : les instructions fiscales de la
Direction générale des impôts) ou d’un organisme de droit privé gérant
un service public (ex. : les lettres-circulaires de l’ACOSS destinées aux
Urssaf). Cette pratique est ancienne 1880 et croît à mesure que le droit se
complique. Le flot est si débordant que des circulaires « relatives aux
circulaires » tentent d’en maîtriser le volume, sans succès, depuis des
années 1881. Quelque 24 000 circulaires (diffusées auprès des services de
l’État) ont été signées entre 1901 et 2011. Cette logorrhée administrative
rappelle la loi de Parkinson : « Le nombre des vaisseaux de Sa Majesté
est inversement proportionnel à celui des amiraux qui sont à
l’Amirauté ». Si le juge judiciaire n’accorde aucune portée juridique aux
circulaires 1882, le juge administratif, en revanche, annule celles qui
interprètent les lois et règlements au moyen de « dispositions
impératives à caractère général » recelant un excès de pouvoir, tel
qu’une violation de la loi 1883. De simples « lignes directrices » édictées
par une autorité administrative (par ex., un ministre) peuvent être
invoquées devant le juge administratif, si elles définissent les conditions
d’attribution d’un droit et ont été publiées 1884.
La publication des instructions et circulaires ministérielles est
obligatoire dès lors qu’elles comportent « une interprétation du droit
positif ou une description des procédures administratives ». Elle
s’effectue alors sous forme papier au « Bulletin officiel » du ministère
concerné ou sous forme électronique sur le site internet du même
ministère (C. relations pub. adm., art. L. 221-17, L. 312-2 et R. 312-3).
Dans certains domaines, cette publication engendre une normativité
unilatérale, au profit des seuls usagers.
Avant son abrogation en 2007, le décret nº 83-1025 du 28 novembre 1983 (art. 1er) permettait aux
usagers d’opposer à l’administration les « instructions, directives et circulaires » publiées et non
illégales. Mais ce texte fut ignoré par le Conseil d’État 1885, seule la Cour de cassation ayant admis
son application 1886.
Le législateur est alors intervenu dans des domaines sensibles. Les contribuables sont fondés à
opposer à l’Administration fiscale les interprétations de textes qu’elle a fait connaître par ses
instructions ou circulaires publiées (LPF, art. L. 80 A et L. 80 B. V. aussi en matière douanière,
C. douanes, art. 345 bis). De même, les débiteurs de cotisations de sécurité sociale qui ont appliqué
la loi selon l’interprétation admise par une circulaire ou instruction ministérielle publiée, sont à
l’abri d’un redressement notifié par l’Urssaf (CSS, art. L. 243-6-2, ord. 5 juin 2005). Cette
opposabilité de la doctrine administrative publiée a pour complément un système de « rescrit » fiscal
ou social 1887.
Une autre publication est devenue indispensable, de type électronique. Depuis le 1er mai 2009, les
nouvelles circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de
l’État sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre
(www.circulaire.legifrance.gouv.fr). Celles qui n’y figurent pas ne sont pas applicables et les
services ne peuvent s’en prévaloir à l’égard des administrés (C. relations pub. adm., art. R. 312-8
et s. 1888). Les mêmes circulaires et instructions signées antérieurement au 1er mai 2009 (il en existait
plus de 20 000 !) sont réputées abrogées si elles n’ont pas été reprises sur ce site internet à cette
même date 1889, à l’exception de celles publiées avant le 1er mai 2009 dont la loi permet à un
administré de se prévaloir (en matière fiscale ou de sécurité sociale, comme il a été dit). Les
instructions et circulaires intervenant dans des « domaines marqués par un besoin de mise à jour
régulier » sont mises à disposition sur un site spécifique (par ex. le site http://bofip.impots.gouv.fr
dans le domaine fiscal). Ces règles ont un objectif louable (améliorer la connaissance du droit) mais
elles sont brutales et obscures dans leurs effets 1890.
2º) Les réponses ministérielles aux questions écrites ont connu un
essor similaire 1891. Interrogé sur un point de droit par un parlementaire,
le ministre compétent lui communique une réponse écrite, « sous
réserve de la souveraine appréciation des tribunaux » 1892, ensuite
publiée au Journal officiel (édition Q). Cette opinion officieuse ne
produit aucun effet juridique 1893 mais peut avoir une influence de fait.
Sollicitée et portant sur une question précise – à la différence d’une circulaire –, la réponse
ministérielle est une métamorphose moderne du vieux référé législatif, une sorte de référé
exécutif 1894. Elle présente l’avantage de fournir aux praticiens une réponse rapide sur une question
litigieuse que la Cour de cassation ou le Conseil d’État ne trancheront pas avant plusieurs années.
Mais cette prompte certitude est acquise au prix d’une immixtion du gouvernement dans le domaine
judiciaire. La sécurité juridique offerte n’est d’ailleurs qu’apparente : ce genre d’interprétation,
ignorant les réalités concrètes et détachée de tout débat contradictoire, tend à l’erreur et à
l’arbitraire. Le procédé est même perverti lorsqu’une demande de consultation individuelle et
gratuite se trouve déguisée sous une question prétendument d’intérêt général ou lorsqu’un haut
fonctionnaire tente par ce canal d’influencer les juges 1895.
Quelle qu’en soit la valeur, ces interprétations administratives
exercent une forte influence sur leurs destinataires, agents publics,
sinon les juges eux-mêmes 1896. Leurs auteurs prônent parfois des
opinions contraires à la loi 1897.

355. Autorités administratives indépendantes ou de régulation. –


Les autorités administratives indépendantes (AAI) 1898 relèvent de
l’administration centrale de l’État qui, à la différence des départements
ministériels, n’entretiennent pas un rapport hiérarchique ou de tutelle
avec le gouvernement. Elles exercent leur mission dans des domaines
jugés sensibles de la vie sociale ou dans des secteurs économiques
ouverts à la libre concurrence. Leurs missions sont très diverses :
médiation (ex. : Défenseur des droits, qui a absorbé le Médiateur de la
République), protection des libertés publiques (ex. : CNIL 1899,
CCNE 1900), expertise (ex. : CIF 1901, CCA 1902, CSC 1903), garantie de
l’impartialité de la puissance publique (ex. : CCSDN 1904, CADA 1905,
Commission des sondages 1906) ou « régulation » de secteurs d’activité
technologiques ou financiers (ex. : ART 1907, CRE 1908, ACP 1909,
ARJEL 1910). Leurs prérogatives sont d’intensité variable (à l’image de
leur personnel et de leur budget) : pouvoir d’émettre des avis ou des
recommandations, parfois des injonctions ; pouvoir d’enquête et de
contrôle ; pouvoir réglementaire, de décision ou même de sanction (ex. :
AMF 1911, Autorité de la concurrence 1912, CSA 1913, Conseil de prévention
et de lutte contre le dopage 1914, etc.).
La création d’une autorité administrative indépendante (sur le modèle des agences américaines)
est le fruit d’une volonté politique d’évacuer des problèmes inhérents à une activité spécifique vers
un organisme public constitué de membres indépendants ; le gouvernement se décharge 1915. Le
pullulement des AAI (il en existe plus de quarante) trahit l’absence d’un plan d’ensemble. Par-delà
l’aspect hétéroclite de leurs prérogatives, missions, moyens et composition, quelques-unes jouissent
de la personnalité juridique : les autres sont réputées agir au nom de l’État 1916 dont pourtant elles
sont réputées indépendantes.
Les AAI perturbent la hiérarchie des normes. Les avis qu’elles
émettent – qui contribuent à l’essor de cette catégorie normative 1917 –
sont facultatifs mais non dénués de portée juridique. Ainsi, la clause
d’un contrat valable selon le droit civil a pu être jugée illicite par un avis
du Conseil de la concurrence ou de la Commission des clauses abusives
que le juge décida ensuite d’entériner 1918. Les décisions qu’elles
prennent, le cas échéant, sont obligatoires mais peuvent être frappées
d’un recours devant le juge administratif 1919 – à moins que la loi
n’attribue compétence au juge judiciaire (ex. : AMF, Autorité de la
concurrence).
Les AAI alimentent un droit de la régulation, manifestation de la soft
law 1920.

356. Réglementation privée 1921. – Toute profession, par la force des


choses, s’« autoréglemente ». Chaque activité technique obéit à des
« règles de l’art » 1922 et tout métier a ses usages 1923.
De façon plus contraignante, certains professionnels ont l’obligation
de s’inscrire auprès d’un ordre corporatiste (ordres des avocats, des
médecins, des experts-comptables...) exerçant un pouvoir réglementaire
sur l’ensemble de ses membres 1924. Les ordres professionnels sont des
personnes morales de droit privé mais gérant un service public
administratif et titulaires de « prérogatives de puissance publique » 1925.
À ce double titre, leurs décisions sont des actes administratifs exposés à
un recours pour excès de pouvoir 1926. Ce contrôle de la légalité empêche
que la discipline professionnelle devienne le masque de l’arbitraire et du
corporatisme 1927.
D’autres personnes de droit privé disposent d’un pouvoir réglementaire plus ou moins encadré,
telles que les fédérations sportives agréées ou le chef d’entreprise édictant, sous le contrôle de
l’inspection du travail, un règlement intérieur.

§ 2. NATURE AMBIGUË

357. Conventions collectives de travail : hiérarchie et articulation


des normes. – Conclue entre des syndicats représentatifs de salariés et
d’employeurs, la convention collective (ou, sur un thème spécifique,
l’accord collectif) est un hybride normatif, une source ambiguë au cœur
du droit du travail. Contractuelle dans sa formation, elle produit un effet
réglementaire : tous les salariés des entreprises entrant dans son champ
d’application, professionnel et territorial, sont liés par ses dispositions
et peuvent s’en prévaloir, peu important qu’ils n’adhèrent à aucun des
syndicats signataires ; les employeurs non syndiqués y sont également
soumis si la convention collective a fait l’objet d’un arrêté ministériel
d’extension ou d’élargissement et, bien sûr, si la loi en reprend la
substance 1928.
1º) L’autorité de chaque règle obéit, en droit du travail, à un critère original : une prééminence est
reconnue à la disposition la plus favorable aux salariés, quelle qu’en soit la source : légale (ex. :
Code du travail), conventionnelle (contrat de travail et convention collective) ou seulement
volontaire (usage et engagement unilatéral de volonté). Les lois et règlements s’inclinent ainsi devant
un contrat (C. trav., art. L. 2251-1) ou un usage plus avantageux.
La hiérarchie des normes paraît donc obéir non à un critère organique mais à un critère matériel
rétrogradant celles qui aggravent le sort des salariés 1929. Le Code du travail évoque des conventions
collectives de « niveau supérieur » ou de « niveau inférieur » (art. L. 2252-1) 1930 dotées d’une
« valeur hiérarchique » inégale (L. no 2004-391 du 4 mai 2004, art. 45).
2º) Il n’appartient qu’au législateur d’écarter ce principe général 1931 soit en autorisant la
conclusion d’accords « dérogatoires » (dérogeant à la loi dans un sens qui peut être défavorable aux
salariés), soit en interdisant toute exception à la loi (alors réputée d’« ordre public absolu »). La loi
no 2004-391 du 4 mai 2004 relative au dialogue social marque à cet égard une révolution : l’art.
L. 2253-3 du Code du travail pose le principe qu’une convention d’entreprise ou d’établissement
peut déroger à une convention couvrant un champ territorial ou professionnel plus large. Certes, le
principe de faveur conserve un domaine d’intervention résiduel non négligeable. Mais il n’est plus
qu’un mécanisme parmi d’autres dans l’articulation des normes en concours, avec la dérogation, la
supplétivité et la subsidiarité 1932.

358. Avis. – L’avis est une opinion donnée sur une question
particulière, posée dans un domaine institutionnel tracé par la loi ou le
règlement. Cette catégorie juridique a connu un essor impressionnant et
revêt des formes multiples 1933.
Les « avis » émanent d’autorités administratives (ex. : ministres ;
innombrables comités et commissions consultatifs, nationales ou
locales ; AAI 1934), juridictionnelles (ex. : le Conseil d’État 1935) ou
simplement judiciaires (ex. : le procureur de la République), de
personnes physiques (ex. : un expert judiciaire, l’amicus curiæ 1936) et
morales (ex. : le comité d’entreprise) de droit privé. Ils se distinguent
des « recommandations », « communiqués » et « communications » qui
jouissent parfois d’une forte autorité (ex. : les communications de la
Commission européenne) mais sans avoir été sollicités au préalable.
Le décret no 2006-672 du 8 juin 2006 a procédé à une purge des commissions administratives à
caractère consultatif placées auprès des autorités de l’État (autres que celles dont l’avis est requis
par la loi ou qui sont composées exclusivement d’agents de l’État). À la date du 9 juin 2009, des
centaines de commissions administratives (à l’exception de celles dont l’utilité fut expressément
soulignée par les ministères et qui purent être sauvées in extremis) ont disparu de plein droit, avec
l’abrogation des dispositions réglementaires prévoyant leur consultation 1937. 64 autres commissions
ont été supprimées par décret du 23 mai 2013.
La demande d’avis est facultative ou obligatoire (à peine de nullité de
l’acte soumis) et lui-même revêt un caractère facultatif ou obligatoire
(ex. : avis rendu sur question préjudicielle) à l’égard du demandeur. Sa
finalité peut être, à l’inverse, de lier l’émetteur (ex. : le certificat
d’urbanisme 1938 et surtout les rescrits 1939 fiscal 1940, boursier 1941
et social 1942).
L’avis comporte l’interprétation d’un point de droit ou l’appréciation
d’une situation de fait. Il joue un rôle de conseil, de contrôle, de
légitimation ou de régulation 1943 à l’égard de celui qui exerce le pouvoir
de décision. La croissance de cette catégorie altère la nature de la règle
de droit : non plus un acte d’autorité qui contraint mais un acte
« autorisé » qui persuade 1944.

359. réservé.
TITRE II
SOURCES NON ÉCRITES

360. Droit écrit ? – En apparence, les sources législative et


réglementaire sont primordiales en droit français. La France serait, par
excellence, un pays de droit écrit.
Cette opinion est inexacte. Sans doute correspondait-elle à un idéal
de la pensée juridique du XIXe siècle, façonnée par le culte
révolutionnaire de la loi et l’admiration de la codification
napoléonienne. Mais la pratique a toujours admis qu’il existait, à côté
de la loi, des sources non écrites : la coutume (Chapitre I), la
jurisprudence (Chapitre II) et, à un moindre degré (s’agit-il même d’une
source ?), la doctrine (Chapitre III).
Au demeurant, l’opposition entre sources écrites et sources non écrites ne doit pas être exagérée.
La coutume a ainsi pu être qualifiée de jurisprudence et la jurisprudence de coutume 1945. De même,
les règles coutumières et jurisprudentielles ne se distinguent guère des règles légales, n’était leur
origine. Ici réside le mystère des sources non écrites : comment une situation de fait (pour la
coutume) et une décision judiciaire (pour la jurisprudence) peuvent-elles engendrer une règle, par
définition, générale et permanente ?

Nos 361-364 réservés.


CHAPITRE I
LA COUTUME

La définition de la coutume suscite des controverses (Section I) qui


contrastent avec l’unanimité sur son rôle (Section II).

SECTION I
DÉFINITION DE LA COUTUME

365. Mystérieux phénomène 1946. – La coutume 1947, dont peuvent être


rapprochés les usages 1948, est « une règle de droit qui se dégage
lentement et spontanément des faits et des pratiques habituellement
suivis dans un milieu social donné, indépendamment de toute
intervention expresse ou approbation, même tacite, du législateur » 1949.
Selon une variante, elle est un ensemble d’usages juridiques (qui
diffèrent des usages de convenance, telles les manières de vivre 1950)
devenus obligatoires par une répétition durable, paisible et publique.
La coutume naît de la métamorphose d’un fait en droit, d’un être en
un devoir-être 1951, selon un processus difficilement compréhensible. Le
grand intérêt qui lui fut porté – par les philosophes, les historiens, les
sociologues, les ethnologues et les anthropologues – a eu pour effet de
mettre le mystère en pleine lumière, non de l’éclairer. En outre, la place
de la coutume dans l’ordre juridique reste débattue. Deux conceptions
extrêmes doivent être évoquées (§ 1) ; le sens des mots mérite d’être
éclairci (§ 2).

§ 1. CONCEPTIONS EXTRÊMES
Il existe deux conceptions opposées de la coutume, l’une
sociologique, l’autre positiviste, avec des variantes.

366. 1º Conception sociologique. – Dans la conception


sociologique, sans doute la plus ancienne 1952, la coutume est purement
spontanée ; elle serait, selon le mot de Pascal, une « seconde
nature » 1953. Dès lors, toute règle de droit aurait une origine coutumière,
y compris la loi qui vient la consacrer. À cet égard, la coutume exerce un
rôle analogue à celui de l’« infrastructure » économique dans la pensée
marxiste, substratum et facteur déterminant du droit 1954.
C’est dans cet esprit que la conception dite romano-canonique de la
coutume s’est forgée au fil des siècles. Apparue dans le Code de
Justinien, promue par les romanistes 1955 et les canonistes médiévaux,
renouvelée par l’École historique 1956 et les pandectistes allemands,
réhabilitée en France par François Gény 1957, elle explique l’autorité de la
coutume par l’existence d’une pratique populaire ancienne ayant fait
l’objet d’un agrément tacite des assujettis. Précisément, la coutume
naîtrait, dans un premier temps, d’un élément matériel : la répétition
durable d’un usage de fait notoire et ininterrompu (diuturnus usus),
observé par la majorité des membres d’un groupe social (consensus
utentium) ; et, dans un second temps, d’un élément moral ou
psychologique : la conviction du caractère obligatoire de cette pratique
(opinio juris seu (ou) necessitatis), expression de volonté collective qui
différencie la coutume des simples usages, pratiques ou habitudes. En
raison de cette origine, elle ne saurait être confondue avec la loi ou la
jurisprudence.

367. 2º Conceptions positivistes : légaliste et jurisprudentielle. –


À l’opposé, les conceptions positivistes, légaliste et jurisprudentielle,
dénient à la coutume originalité et autonomie.
1º) Dans le positivisme le plus étroit, légaliste, toute règle de droit
puise sa source dans la loi. La coutume (comme d’ailleurs la
jurisprudence 1958) ne saurait exister que par une délégation du
législateur, au moins tacite. Ce fut, d’une certaine manière, la pensée des
romanistes et des canonistes médiévaux, considérant que la coutume
n’acquiert de force obligatoire qu’en vertu de la patientia principis (la
permission, voire la simple tolérance du Prince) et qu’elle doit être
« raisonnable », ce qui implique que le souverain (roi, empereur ou
pape) puisse abroger les « mauvaises coutumes », celles qui heurtent la
raison ou la foi chrétienne 1959. Au demeurant, nul ne conteste
aujourd’hui l’infériorité de la coutume à la loi, sous réserve de
l’hypothèse (débattue depuis le XIIe siècle) des coutumes contra
legem 1960.
2º) Un autre positivisme, jurisprudentiel, n’admet la coutume au
rang des sources du droit que si elle a été consacrée par la
jurisprudence.
Édouard Lambert fut le chantre de cette pensée. Il dénonça dans la théorie « romano-canonique »
une approche romantique, tautologique et irréaliste de la coutume : le prétendu consensus populaire
ne serait qu’une fiction poétique et la conscience juridique du peuple (dont l’École historique
allemande faisait l’éloge) qu’une douce rêverie mystique ; l’opinio juris exprime le sentiment de la
préexistence d’un usage obligatoire et ne peut donc, logiquement, en être aussi la cause ; enfin, la
majeure partie des assujettis ignore le contenu des règles coutumières et il est improbable qu’une
croyance puisse sortir d’une ignorance.
Au terme d’une étude historique et comparatiste du développement des coutumes dans toutes les
civilisations juridiques, Lambert conclut que « la jurisprudence est l’agent nécessaire de la
transmutation du sentiment juridique en normes de droit. Son intervention est indispensable pour
métamorphoser les simples usages, les habitudes du commerce, les convenances, en véritables
coutumes juridiques [...]. La jurisprudence a, dans l’élaboration du droit coutumier, un rôle
analogue à celui que jouent l’ouvrier et l’outillage industriel dans la transformation de la matière
première en produits manufacturés » 1961. Le droit coutumier est toujours né d’une activité d’écoute,
de sélection, de correction des mœurs et des usages par les « experts officiels – sorciers, prêtres ou
pontifes des siècles anciens, juges modernes » 1962. La coutume ne se forme jamais que « sous la
direction d’experts à formation académique et par l’action des tribunaux » 1963.
Si la coutume ne naît que d’une approbation du législateur ou si elle
n’est que la consécration par le juge d’une pratique de fait, pourquoi en
parler ? Elle est alors déchue de son origine populaire et spontanée,
consubstantielle à la définition classique. Les deux interprétations
positivistes et « monistes » (en ce qu’elles excluent le pluralisme et
prônent un monopole étatique des sources du droit) dépouillent la
coutume de sa nature spécifique. Or, de nombreuses coutumes ont
préexisté à leur consécration légale ou judiciaire 1964 ; de plus, la loi et la
jurisprudence sont des phénomènes d’autorité alors que la coutume est
l’œuvre de ses sujets. Il est donc sans intérêt de savoir si une coutume a
préexisté à sa reconnaissance officielle : c’est l’histoire de l’œuf et la
poule.

§ 2. LE SENS DES MOTS

368. Coutume populaire et coutume savante. – La coutume ne


provient-elle pas plus des juristes que du peuple ?
Jean Carbonnier évoquait, à côté de la « coutume populaire », une
« coutume savante », fruit « d’opinions de juristes » plus anciennes que
la doctrine ou la jurisprudence, qui comprendrait les adages et les
principes généraux du droit 1965 ; il se gardait d’assimiler les deux
coutumes et s’efforçait de souligner le rôle de la tradition dans la pensée
juridique. Le mot de coutume ne devrait pas être employé à cet égard,
l’auteur notant qu’« il est délicat de déterminer exactement la nature de
la coutume d’origine savante ».
Une règle coutumière paraît toujours avoir été élaborée, dans une certaine mesure, par un juriste
ou un technicien. Ainsi les usages professionnels sont-ils davantage l’œuvre des dirigeants
d’organismes professionnels que de leurs membres. L’usage purement populaire n’accède guère à la
juridicité ; par exemple, la faculté qu’a un enfant de faire des achats quotidiens en dépit de son
incapacité d’exercice semble être plus une règle de convenance qu’une règle de droit, même si la loi
y fait à présent allusion 1966.

369. Coutume, histoire et société. – Les conceptions sociologiques


et positivistes ont la même faiblesse : elles font abstraction de
l’histoire 1967. Or, l’importance de la coutume varie selon les époques.
Dans une société inorganisée, primitive ou décadente, la coutume est la
source primordiale du droit. À mesure que la société se développe et se
structure, le droit de source étatique occupe une place croissante tandis
que la coutume, mise par écrit, recule de façon inexorable, sans
toutefois disparaître 1968.
Ainsi, à Rome, la coutume, essentielle à l’époque archaïque (les mores gentium), a acquis à
l’époque classique (IIe siècle av. J.-C.-IIIe siècle ap. J.-C.) le statut de source du droit (désormais
appelée consuetudo) avant de s’effacer devant la législation impériale. Au Haut Moyen Âge, le
déclin des capitulaires carolingiens ouvrit un champ de liberté aux coutumes 1969, avant que leur
rédaction au XVe siècle n’en altérât les traits originaires 1970 et que, à leur tour, elles fussent refoulées
par la législation royale 1971.
Au XIXe siècle, le droit est devenu presque entièrement législatif (ex. : le droit civil contenu dans
le Code Napoléon) ou jurisprudentiel (ex. : le droit administratif). Au contraire, la coutume a pris une
place prépondérante en droit international public 1972 et dans le droit du commerce international
(usages, Incoterms, règles et usances de la chambre de commerce international, lex mercatoria 1973)
qui régissent l’un et l’autre une société, sinon inorganisée, du moins permissive. Selon une pente
naturelle de l’histoire, elle tend de plus en plus à être codifiée dans des traités internationaux et
coupée de sa source vive.
Considérée en elle-même, la coutume se révèle une notion fuyante
(tout le monde ne l’entend pas de la même manière), relative (elle varie
selon le milieu juridique dans lequel elle s’inscrit) et vivante (elle se
transforme au cours de son existence puis meurt par abrogation ou
désuétude, à moins que la loi ne la sauve en se substituant à elle).
Elle se forme comme le chemin à travers un champ de hautes herbes : à mesure que les
promeneurs foulent le sol dans la même direction, l’herbe s’allonge, de façon progressive. À la
racine de la coutume se trouvent l’imitation et la répétition dans le temps – et non seulement, comme
pour la mode, dans l’espace 1974.

370. Coutume et habitude 1975. – La coutume ne se distingue pas


aisément de l’habitude 1976. Elles sont stables toutes deux dans la mesure
où elles naissent de la répétition d’une pratique dans le temps. Mais,
alors que la coutume est une règle collective qu’un milieu social impose
à ses membres, l’habitude désigne une attitude individuelle et
unilatérale dépourvue de caractère obligatoire (ex. : avoir l’habitude de
se lever tôt ; avoir l’habitude de faire un plan en deux parties).
Parfois, l’habitude recouvre des obligations (ex. : une facilité de
caisse régulièrement consentie par une banque sous la forme d’un
découvert s’analyse en un prêt) ou forme l’élément constitutif d’une
infraction pénale (« infraction d’habitude » ; ex. : le délit d’exercice
illégal de la médecine suppose au moins deux actes de soins illicites).
Collective, elle se mue en coutume et produit des effets normatifs au
sein d’un groupe restreint, par exemple familial 1977 ou professionnel 1978.

371. Coutume et sciences sociales. – L’analyse classique expose


qu’une coutume naît lorsque des sujets de droit imitent des attitudes et
croient qu’elles sont obligatoires. Mais comment viennent-ils à éprouver
une telle certitude (opinio juris) ? La réponse reste obscure, en dépit
d’innombrables thèses : la doctrine romano-canonique la fonde sur la
permission du Prince, la philosophie des Lumières (Hobbes, Locke,
Rousseau) sur l’adhésion des hommes à un contrat social, les
sociologues sur une loi d’imitation (Gabriel Tarde) 1979, les psychologues
sur la conscience collective du peuple, les anthropologues sur
l’existence d’un mythe exemplaire (la croyance des hommes que leurs
ancêtres, une divinité ou un personnage charismatique auraient, la
première fois, suivi la règle 1980 ou que son respect préserverait l’ordre
cosmique du chaos), etc. 1981.
Les « événements » de mai 1968 ont remis en cause le facteur temps. Le « constat de Grenelle »
des 25, 26 et 27 mai 1968 n’a pas été signé par les syndicats participant aux négociations (il n’y a
pas eu d’« accords de Grenelle ») et, cependant, il fut appliqué par tous les employeurs. Voilà donc
un texte sans valeur juridique devenu aussitôt obligatoire. Par quelle alchimie ? Boris Starck y vit une
coutume à formation quasi instantanée résultant : 1) de pratiques unanimes suivies durant un laps de
temps très bref ; 2) de la croyance qu’avaient salariés et employeurs dans le caractère obligatoire du
constat (l’opinio necessitatis de la doctrine romano-canonique) 1982. Une explication plus mystique
n’est pas exclue : en 1968, la France fut éblouie et aveuglée par un mythe, la croyance en un
changement de civilisation.
Une pratique acquiert une valeur juridique quand elle est adoptée par
des gens qui ont de l’autorité, du prestige, soit un comportement
exemplaire. La plupart des êtres imitent ceux qu’ils admirent ou dont ils
dépendent. La métamorphose du fait en droit opère d’autant mieux que
le milieu social est restreint, comme dans le cas des usages locaux et
professionnels 1983.

SECTION II
RÔLE DE LA COUTUME

372. Quantité. – Les théories sur les sources du droit sombrent dans
l’oubli doctrinal lorsqu’elles ne parviennent pas à prendre appui sur une
réalité tangible, mesurable de manière quantitative (ex. : le droit naturel
ou, sous ses aspects théoriques, la lex mercatoria). La coutume essuie
ainsi l’ironie d’un auteur qui note que ses partisans « font penser aux
ramasseurs de coquillages sur une plage après le passage de plusieurs
colonies de vacances ; ils exhibent d’autant plus leurs trouvailles
qu’elles sont rares ! » 1984. Selon une autre expression doctrinale aussi
sarcastique, la coutume serait devenue une « source vénérable évincée
par la modernité » 1985.
Aussi marginale soit-elle au regard des règles législatives ou
jurisprudentielles, la coutume apparaît en droit constitutionnel 1986,
administratif 1987, civil et surtout commercial. Son rôle est indéniable
lorsque la loi y renvoie expressément (coutume secundum legem) (§ 1).
Celui de la coutume præter legem (§ 2), agissant au-delà de la loi pour
en combler les lacunes et, plus encore, celui de la coutume contra
legem, combattant les textes légaux (§ 3), sont plus controversés.

§ 1. COUTUME SECUNDUM LEGEM 1988

Le renvoi de la loi à la coutume est le plus souvent tacite, parfois


exprès.
I. — Renvoi tacite

373. Le langage du droit. – L’admission de la coutume par la loi la


plus ordinaire revêt une forme clandestine : le langage du droit est une
référence permanente à l’usage dans la mesure où celui-ci fixe le sens
des mots. La linguistique juridique en étudie le vocabulaire (lexique), la
signification (sémantique) et le style (morphosyntaxe) si particuliers 1989.
Elle se distingue du droit de la langue qui tend à défendre le
français 1990.
Le langage du droit devrait être le plus proche possible de la langue courante pour rester
accessible. Des réformes tendant à simplifier (ou « moderniser ») la terminologie juridique et
l’orthographe en général ont vu le jour, provoquant chaque fois une levée de boucliers. Ces tentatives
sont vaines. D’une part, l’évolution d’une langue – qui est vivante – ne dépend que de l’usage ; elle
est hors de portée de la loi, d’un règlement 1991 ou d’une circulaire de Premier ministre 1992. D’autre
part, le langage du droit doit être technique pour exprimer des règles et désigner des concepts
étrangers à la langue usuelle 1993. Par exemple, un non-juriste ne comprend pas le sens de l’expression
« contrat synallagmatique » alors que le juriste y attache des conséquences essentielles.
À cet égard, le traitement du discours juridique par l’informatique (notamment pour constituer et
exploiter de vastes bases de données) se heurte à de grandes difficultés de langage. Afin de ne pas
perdre son efficacité dans le repérage des documents électroniques, il vaut mieux recourir à un
langage standardisé ; en outre, « la préparation des outils linguistiques d’aide à l’analyse ou à
l’interrogation requiert l’intervention de juristes expérimentés maîtrisant la spécificité de la
sémantique juridique » 1994.
L’apprenti doit acquérir le réflexe d’ouvrir un dictionnaire juridique 1995 et employer des
expressions figées mêmes si elles lui paraissent exotiques (ex. : « le litige ressortit à la compétence
du tribunal... », « le procureur a requis l’ouverture d’une information du chef d’escroquerie », « le
contrat conclu entre les parties est affecté d’une cause de nullité »...), presque comme s’il étudiait une
langue étrangère 1996.
Les codes recèlent également de nombreuses définitions. Le Code
civil de 1804 en contenait plusieurs (ex. : art. 716, al. 2, sur le trésor ;
art. 1101, sur le contrat ; art. 2255, sur la possession), parfois même
assorties d’exemples (ex. : art. 688-689, sur les servitudes). Le
phénomène a pris de l’ampleur : une recherche lexicographique a montré
qu’il existait 6 700 définitions dans les codes français (en 2015) et que
92 % d’entre elles avaient moins de dix ans 1997. La définition a pour
fonction de donner le maximum de consistance, de fermeté et de clarté
aux termes employés par la loi. Mais elle n'est pas qu'un énoncé
déclaratif : elle est une véritable règle de droit qui délimite un champ
d'application ou fixe les conditions d'une notion1997a.
Le langage du droit utilise souvent des « séquences figées » 1998 servant
de vecteurs implicites à l’usage et à la tradition en droit positif. Il s’agit,
notamment, des locutions juridiques 1999 et des adages ou maximes.
Les recueils d’adages abondent depuis le XVIe siècle. Leur inventaire, sur le modèle du Livre 50,
Titre 17 du Digeste, « De diversis regulis juris antiqui », remonte à Josse de Damhoudère (1555),
Loysel (1601), Pierre de l’Hommeau (1614) et Pocquet de Livonnière (1730) 2000. Elle fut perpétuée
au XXe siècle par Jouanneau (1912), Daguin (1926) 2001 jusqu’à MM. Roland et Boyer 2002. L’étude
abstraite du phénomène des adages n’a guère été entreprise que par Perreau et Cornu 2003.
L’adage est une manifestation de « l’effet Thémis » du discours
juridique 2004, comme les euphémismes 2005 ou encore les standards
juridiques 2006 qui inclinent le juge à déterminer le contenu des usages
(ex. : les bonnes mœurs, le raisonnable).

II. — Renvoi exprès

Facette de la coutume, les usages sont locaux, professionnels ou


conventionnels.

374. Usages locaux ou professionnels. – La loi opère une délégation


expresse à la coutume lorsqu’elle se heurte à des diversités locales ou
professionnelles et se résout à s’écarter de la tradition centralisatrice
d’inspiration jacobine.
Ainsi, le Code civil renvoie aux usages locaux en matière
immobilière 2007, le Code de commerce aux « usages de la profession » 2008
et aux « usages commerciaux » 2009 ou « du commerce » 2010, le Code
général des collectivités territoriales aux « coutumes anciennes » 2011, etc.
La loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie décide que « les
personnes dont le statut personnel [...] est le statut civil coutumier kanak [...] sont régies en
matière de droit civil par leurs coutumes » (art. 7), applicables dans les « terres coutumières »
(art. 18). Dans des domaines spécifiques (fiscalité, droit social, état des personnes, régimes
matrimoniaux, successions et libéralités, « statut civil coutumier, régime des terres coutumières et
des palabres coutumiers »...), un congrès vote les « lois du pays » (art. 99). La loi ajoute : « Le
sénat coutumier est composé de seize membres désignés par chaque conseil coutumier, selon les
usages reconnus par la coutume, à raison de deux représentants par aire coutumière de la
Nouvelle-Calédonie » (art. 137. Adde art. 149). Le droit coutumier kanak reste du droit français et le
juge refuse de contrôler son application au regard de l’ordre public international français 2012.
De même, la Cour de cassation vise des règles extraites de Codes
d’usages du commerce international pourtant dénués de valeur
obligatoire, telles que les « Règles et usances uniformes relatives au
crédit documentaire » élaborées par la Chambre de commerce
international 2013.

375. Usages conventionnels et commerciaux 2014. – Les usages


conventionnels puisent leur autorité à une double source, légale et
volontaire. Il s’agit, au premier chef, de l’article 1194 (anc. art. 1135) du
Code civil disposant que « les contrats obligent non seulement à ce qui
y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité,
l’usage ou la loi ». Il s’agit, ensuite, de la volonté des parties qui s’y
réfèrent dans leurs conventions, d’abord de façon expresse puis, lorsque
la clause devient « de style », de façon implicite 2015.
Les usages ou coutumes conventionnels naissent d’une pratique
spontanément suivie par les contractants puis tacitement incorporée à
leur contrat. Ils abondent en matière commerciale (ex. : C. com., art.
L. 442-6, I, 5º, citant les « usages du commerce » auxquels se réfèrent
des accords interprofessionnels). Ils sont très présents dans les relations
internationales où ils contribuent à former la lex mercatoria 2016,
notamment à l’initiative de juridictions arbitrales instituées par des
professionnels 2017.
La lex mercatoria désigne l’ensemble des usages du commerce international 2018. Son autonomie
juridique à l’égard des ordres juridiques nationaux (c’est-à-dire son aptitude à exister
indépendamment des droits et des juridictions étatiques 2019) a été l’objet d’une controverse
doctrinale interminable 2020. Sans doute lassée de ces disputes académiques, une partie de la doctrine
s’est investie dans des codifications savantes (notamment du droit privé européen des contrats) 2021
qui croient éclipser la lex mercatoria 2022.
Une doctrine – de type positiviste – prétend que les usages auraient toujours une origine
conventionnelle et s’opposeraient, à de nombreux égards, à la coutume 2023. Ce n’est pas toujours le
cas.
Cette thèse postule un accord des parties qui s’avère fictif car la formation d’un usage est plus
souvent rationnelle et unilatérale que spontanée et conventionnelle. Même les « contrats types » (ex. :
les polices types d’assurance 2024) ou les « conditions générales » (ex. : les conditions générales de
vente ou d’achat) auxquels se conforment, en fait, tous les contractants (qu’ils sont libres d’écarter
par une clause spécifique) sont rédigés à l’initiative d’organismes professionnels. Au surplus, si le
contrat est un support courant d’usages en droit commercial (ce qui explique le succès de cette thèse
auprès des commercialistes), ils connaissent une croissance « sauvage » dans d’autres branches du
droit, tel le droit international public 2025. Il ne faudrait pas substituer au volontarisme étatique
(inhérent au positivisme légaliste ou jurisprudentiel) un volontarisme contractuel tout aussi artificiel :
l’apparition d’un usage ou de la coutume ne dépend d’aucune volonté 2026, comme l’indique la Cour
de cassation 2027.
L’intérêt de la qualification conventionnelle d’un usage apparaît dans
son régime juridique. Les règles de preuve 2028 et d’interprétation sont
celles qui sont applicables aux contrats. Le contrôle qu’exerce la Cour
de cassation est plus restreint qu’à l’égard d’une norme légale ou
jurisprudentielle 2029.

§ 2. COUTUME PRÆTER LEGEM 2030

376. Complément de la loi. – La coutume præter legem comble les


lacunes légales. Elle est constituée par des pratiques ou usages de
professionnels du droit (notaires, avocats, magistrats...), de commerçants
(entreprises, associations, banques...) ou d’administrations publiques 2031
exprimant, en termes figés et répétitifs, des règles qui rendent la loi plus
précise et plus concrète 2032. Un exemple résulte des formules notariales,
modèles stéréotypés de phrases que les notaires utilisent pour rédiger les
clauses de leurs actes avec une constance telle qu’elles en deviennent
souvent archaïques 2033.
Constituait un usage præter legem connu de tous, en droit civil, le fait de désigner la femme
mariée par le nom de famille du mari, à titre de nom d’usage. Cette coutume a été consacrée par la loi
du 17 mai 2013 (C. civ., art. 225-1). À la différence notable de l’usage, la règle légale s’étend aux
époux de même sexe 2034.
La règle coutumière peut s’avérer très technique, en particulier lorsque le juge souhaite
promouvoir sous les traits de la coutume une règle textuelle qui n’est plus ou qui n’est pas encore en
vigueur. A ainsi été ressuscitée la règle selon laquelle « les copies ou extraits d’actes d’état civil
établis à l’étranger doivent, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, être
légalisés » (c’est-à-dire que leur authenticité doit être attestée par les autorités consulaires
françaises) 2035. De même, « selon le droit international coutumier, tel que reflété » par une
convention internationale inapplicable en France, les États ne peuvent renoncer à leur immunité
d'exécution sur des biens utilisés à des fins publiques que de manière expresse et spéciale 2036. La
coutume sert ici de béquille à un texte dénué de force normative.
Les coutumes sont plus nombreuses en droit commercial, encore qu’elles s’y apparentent souvent
à des coutumes contra legem. Ce sont de véritables usages de droit 2037.
Les « usages d’entreprise », à caractère obligatoire en droit du travail,
présentent quelques spécificités. Ils sont le résultat d’une pratique fixe,
constante et générale suivie non par plusieurs employeurs mais par un
employeur à l’égard de ses salariés. De plus, l’opinio juris paraît
inexistante chez ces derniers. Enfin, l’employeur est libre d’y mettre fin
par voie de dénonciation, sous des conditions d’opposabilité 2038.
La coutume remplace la loi, même en droit pénal, pourtant régi par un
principe de légalité à valeur constitutionnelle. Elle y édicte des causes
d’irresponsabilité pénale : une « tradition locale ininterrompue » (ex. :
corridas ou combats de coqs) est un fait justificatif du délit d’acte de
cruauté envers un animal (C. pén., art. 521-1, al. 3) tandis que la
coutume internationale confère une immunité pénale aux chefs d’État en
exercice 2039. Mais elle ne saurait pallier l’absence de texte
d’incrimination, fût-ce pour punir des crimes contre l’humanité que le
législateur a pourtant entendu amnistier 2040.
La jurisprudence administrative se réfère avec parcimonie, quoique de
plus en plus, à la coutume internationale 2041.

§ 3. COUTUME CONTRA LEGEM 2042


La loi ne peut être abrogée par la seule désuétude. Mais elle peut être
évincée par une coutume précise.

377. Désuétude2042a et dynamique du droit. – Une loi ne peut


disparaître du fait qu’elle n’est plus appliquée : le droit français n’admet
pas l’abrogation d’une loi par désuétude. La tolérance d’une pratique
illicite par les sujets de droit ou les pouvoirs publics (ex. : la
renonciation par un parquet à poursuivre les consommateurs de cannabis
dans le ressort d’un TGI) ne saurait avoir davantage d’effet 2043, sous
peine d’inciter au mépris des lois.
Pour acquise qu’elle soit, cette première règle s’avère irréaliste 2044.
Dans la nature des choses, la coutume est plus forte que la loi : en fait,
les lois désuètes sont mortes 2045. Des auteurs contemporains défendent
l’abrogation par désuétude 2046 au nom de la sociologie 2047 ou du
pluralisme juridique 2048.
Déjà, au Moyen Âge et sous l’Ancien droit, les auteurs avaient admis – non sans arrière-pensée
politique – que les textes royaux pussent disparaître sous l’effet du temps en vertu d’une coutume
contra legem (renforcée par la tolérance du Prince législateur). Après la Révolution, la désuétude,
qui sait faire table rase des lois passées, apparut comme l’antidote à un pouvoir oppressif. Mais le
culte positiviste de la loi au début du XIXe siècle a déchu la coutume de son rang de source du droit et
inspiré à la jurisprudence une hostilité radicale à l’encontre de la désuétude : elle représentait
désormais une menace pour la légalité et les diverses codifications 2049. Ce rejet officiel a pu
toutefois être atténué de bien des manières.
Le juge peut d’abord obtenir un résultat équivalent au moyen de
l’interprétation 2050.
En droit international privé, le caractère d’actualité de la notion
d’ordre public conduit le juge à interpréter son contenu en fonction « de
l’opinion qui prévaut à chaque moment » où il statue 2051. L’ordre public
peut alors évoluer très vite 2052. Dans le même esprit, la Cour européenne
des droits de l’homme répète souvent que « la Convention est un
instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie
actuelles » 2053, si bien qu’une loi peut devenir contraire à ce traité à la
suite d’une évolution des mentalités ou des techniques. La Cour
s’attache à cet égard à « maintenir une approche dynamique et
évolutive » de la Convention afin de ne pas entraver « toute réforme ou
amélioration » 2054, éventuellement par un revirement de
jurisprudence 2055.
La jurisprudence administrative considère aussi que l’illégalité d’un
règlement peut apparaître postérieurement à son entrée en vigueur en
raison d’un changement des circonstances de droit ou de fait dans
lesquelles il avait été pris ; l’autorité administrative est alors tenue de
l’abroger 2056. En revanche, le caractère obsolète d’une loi ne suffit pas à
la rendre inapplicable, sauf à la juger contraire à une convention
internationale (telle la Conv. EDH) 2057.
L’ensemble de ces règles traduit l’existence d’une quasi-abrogation
par désuétude.

378. Possible éviction. – En théorie, la conception hiérarchique des


sources du droit interdit d’admettre que la coutume puisse l’emporter
sur la loi : il ne saurait y avoir de coutume contra legem (à moins
qu’elle ne soit issue du droit international 2058). La réalité contredit cette
conception en droit civil, en droit commercial et en droit du travail.
En droit civil, le don manuel échappe à l’exigence d’un acte notarié 2059 alors que l’article 931 du
Code civil prescrit cette solennité pour « tous actes portant donation entre vifs ». La coutume fut
invoquée par la doctrine afin de légitimer cette institution purement prétorienne 2060. Il demeure
qu’elle viole la loi 2061. De même, le principe d’immutabilité du nom, imposé par la loi du 6 fructidor
an II, a souffert la concurrence de la règle traditionnelle de l’acquisition du nom par un usage de
longue durée (attributif de la « saisine » au Moyen Âge) 2062. Le « principe concernant l’attribution
des souvenirs de famille » offre aussi un bon exemple puisqu’il déroge aux règles légales du partage,
du droit des successions 2063 et des régimes matrimoniaux. En outre, les souvenirs de famille sont
indisponibles et insaisissables ; le principe a sa source dans l’Ancien droit 2064 et sa nature
coutumière 2065.
En droit commercial, la théorie du compte-courant fait échec à de nombreuses dispositions du
Code civil 2066, parmi lesquelles la prohibition de l’anatocisme (art. 1154) 2067, les règles
d’imputation des paiements (art. 1253 et s.), l’interdiction de la répétition des intérêts payés quoique
non stipulés (art. 1906) et la règle du cours de plein droit des intérêts (art. 1907) dans le prêt. Elle se
compose de règles coutumières 2068 désormais ancrées en jurisprudence. De même, une coutume
décide que la règle selon laquelle la solidarité ne se présume pas (art. 1202) est inapplicable en
matière commerciale 2069.
En droit du travail, le principe selon lequel la norme la plus favorable aux salariés prime toute
autre règle attribue à l’usage plus favorable une supériorité sur la loi ou le contrat 2070.

Nos 379-384 réservés.


CHAPITRE II
LA JURISPRUDENCE

385. Le sens des mots. – La jurisprudence 2071 est l’ensemble des


décisions judiciaires d’où se dégage une règle de droit constamment
suivie par le juge dans le passé ou à laquelle il se tiendra probablement à
l’avenir. Elle possède un caractère normatif indéniable mais difficile à
cerner.
De nombreuses décisions n’enrichissent pas la jurisprudence : seule une part infime du
contentieux y parvient 2072.
En langues anglaise et allemande, les termes de jurisprudence et de Jurisprudenz ont une autre
signification : ils désignent la science du droit, la théorie générale du droit ou la philosophie du droit,
ce qui correspond à l’étymologie latine 2073.

386. Deux conceptions. – Deux conceptions s’opposent sur la


mission dévolue au juge. Ou bien, comme autrefois en droit romain ou
aujourd’hui en droit américain, le juge est un réformateur du droit,
l’adaptant au gré des mutations culturelles, économiques et sociales. Ou
bien, le juge n’est que le serviteur de la loi, exerçant une fonction
technique – et non politique – de révélation de la règle légale, comme
dans la tradition anglaise de Common Law. De fait, le droit français a
évolué de la seconde attitude vers la première. Si la plénitude de la loi a
d’abord paru interdire à la jurisprudence de devenir une source du
droit 2074, celle-ci s’est insensiblement attribuée ce rôle, bien qu’elle
demeure subordonnée à la loi.

387. Droit romain. – Parmi les diverses sources du droit romain à


l’époque classique (IIe siècle av. J.-C.-IIIe siècle ap. J.-C.) figurait le droit
prétorien (jus prætorium). Afin de combler les lacunes et d’assouplir les
rigidités nombreuses de la législation primitive (le jus civile) mise en
œuvre au moyen des actiones legis 2075, le préteur, haut magistrat,
décrivait dans un édit les situations litigieuses ignorées du droit civil
dans lesquelles il promettait d’accorder une action en justice. Chaque
année, à son entrée en fonctions, le nouveau préteur publiait son édit sur
un tableau blanc (l’album 2076), reproduisant en majeure partie celui de
son prédécesseur et sa liste d’actions. Ce droit prétorien révéla une telle
constance qu’au IIIe siècle l’édit acquit un caractère perpétuel (edictum
perpetuum). L’activité judiciaire du préteur était parvenue à secréter un
corps de règles d’une importance considérable dont la force obligatoire
découlait, d’abord, de l’autorité de ce magistrat (non de la loi) 2077 et,
ensuite, de sa stabilité dans le temps. Ces deux phénomènes ont
également engendré la Common Law anglaise.

388. Droit anglais : Common Law. – L’Angleterre, à la différence


d’autres pays européens, dont la France, n’a pas connu la renaissance du
droit romain provoquée au début du XIIIe siècle par la découverte en Italie
de la codification de Justinien. Son droit est l’œuvre des juges,
commencée à partir de la conquête normande en 1066 : le droit anglais
apparaît aujourd’hui comme the judge made law. Il s’agit d’un droit
commun à tous les sujets du Royaume, d’où son appellation de
Common Law 2078.
De conception judiciaire, imprégnée d’un esprit empirique,
pragmatique et traditionaliste, la Common Law repose sur deux fictions
majeures héritées de la pensée de William Blackstone 2079. D’une part,
elle est censée renfermer un droit originel préexistant, immuable,
complet et toujours juste (un droit naturel) que le juge se borne à
révéler, à dévoiler. Ne se livrant à aucune activité créatrice, le juge ne
serait que l’oracle de ce droit infaillible. Il ne l’édicte pas mais le
« déclare » (declaratory theory of Common Law que, pourtant, les Law
Lords n’hésitent pas à qualifier de conte de fées [fairy tale] auquel nul
ne croit plus). Il exprime une opinion sur son contenu, laquelle peut être
qualifiée d’erronée par ses successeurs s’ils désirent s’en départir 2080.
Dans cette même veine, les lois n’apportent à la Common Law que des
corrections ou des exceptions. Elles sont donc d’interprétation stricte.
Aussi sont-elles minutieusement rédigées afin de déjouer l’esprit de
chicane des plaideurs et contiennent souvent de nombreuses définitions,
de fastidieuses énumérations ou d’évidentes précisions. D’autre part, le
droit anglais a été longtemps dominé par la règle du précédent
obligatoire (binding precedent) 2081 : les juges sont liés par les
affirmations de droit (rules) antérieures émanant de leur propre
juridiction et de juridictions supérieures.
L’autorité du précédent garantit la constance et la prévisibilité, c’est-à-dire la sécurité juridique
de la règle, qualités auxquelles le juriste anglais est fortement attaché. Toutefois, cette autorité ne
s’attache, au sein d’une sentence judiciaire, qu’à la ratio decidendi (le motif décisoire, le principe
générateur de la solution) et non aux obiter dicta (obiter dictum au singulier, littéralement, les motifs
invoqués « en passant », accessoires, non déterminants) 2082. Il est alors tentant pour le juge qui
souhaite s’éloigner d’un précédent de qualifier sa ratio decidendi d’obiter dictum. La pratique du
distinguishing (consistant à susciter une distinction inédite au sein de la ratio decidendi) permet
mieux encore de contourner un précédent obligatoire. De façon plus radicale, la Chambre des Lords a
décidé le 26 juillet 1966 que, désormais, elle ne serait plus liée par ses propres précédents 2083,
avouant par là même l’existence de son pouvoir créateur. Mais la règle du précédent n’est remise en
cause ni devant ni entre les autres juridictions 2084.

389. Droit anglais (Equity). – Le droit anglais a recueilli un autre


héritage de l’histoire judiciaire. À partir du XIIIe siècle, un corps de
règles correctives nommé Equity 2085 s’est développé devant la juridiction
du Chancelier du roi afin de pallier les lacunes et les rigidités
croissantes de la Common Law.
Les juridictions royales, appliquant la Common Law, étaient primitivement saisies au moyen de
writs. Un writ était un ordre délivré au nom du roi par le Chancelier, à la demande d’un particulier,
qui prescrivait à son destinataire (un sheriff ou un seigneur) d’ordonner à l’adversaire du requérant
de donner à celui-ci satisfaction ou, à défaut, de comparaître devant les juges royaux. La variété des
writs permit au Chancelier d’élargir l’éventail des actions en justice (à l’image des actiones
autrefois accordées par le préteur romain d’après son album). Mais, en 1258, le Parlement interdit la
délivrance de nouveaux writs. Le faible nombre de ceux qui existaient condamnait les justiciables à
ne plus guère obtenir justice devant les cours de Common Law. Le Chancelier, en sa juridiction, prit
alors l’habitude d’accueillir les actions déniées par celles-ci mais aussi de délivrer des injunctions
paralysant leurs décisions. De ce contentieux parallèle se dégagea progressivement un nouveau corps
de règles : l’Equity. Un violent conflit surgit entre la juridiction d’Equity du Chancelier et les cours
de Common Law (favorables au Parlement) ; il s’acheva, en 1616, par la victoire du premier. La
primauté de l’Equity sur la Common Law fut alors admise par le roi Jacques Ier. Enfin, le Judicature
Act (1873-1875) fusionna la Common Law et l’Equity – toutes les juridictions appliquant désormais
les deux corps de règles – sans remettre en cause la primauté du second 2086. Le droit anglais demeure
pourtant imprégné de la tradition processuelle des premiers temps 2087.
Le Chancelier a rejoué l’histoire du préteur romain. Ayant acquis, au
fil des siècles, une certaine rigidité, les règles d’Equity ont à leur tour
fait l’objet d’une correction par des règles jurisprudentielles plus
équitables déduites du concept de natural justice 2088.
La preuve est ainsi offerte par l’histoire que la jurisprudence ne
connaît pas de répit face au droit écrit (fût-il lui-même d’origine
jurisprudentielle). Elle fabrique du droit tant que subsiste un corps de
règles figées n’offrant pas la souplesse nécessaire à l’adoption de la
solution la plus juste.

390. Droit américain. – L’autorité du précédent aux États-Unis


découle d’une règle similaire, appelée ici stare decisis (Stare decisis et
quieta non movere = s’en tenir à ce qui a été décidé et ne pas modifier
ce qui existe) 2089. Pour des raisons historiques, elle s’applique avec
moins de rigueur qu’en Angleterre 2090 et n’est véritablement
contraignante que pour les juridictions inférieures qui, au surplus,
peuvent s’en affranchir au moyen des techniques connues en Angleterre.
Le distinguishing est moins pratiqué en droit américain du fait que les revirements de
jurisprudence y sont plus courants et plus francs. Par ailleurs, la ratio decidendi se nomme holding et
l’obiter dictum se nomme dictum.
Devant la Cour suprême fédérale, la règle stare decisis est considérée
comme une necessity, non un principe absolu. Le besoin de réformer
une jurisprudence inopportune en fait ou erronée en droit (« badly
reasoned ») a souvent conduit celle-ci à opérer de nets revirements. Il en
fut ainsi lorsque la Cour jugea inconstitutionnelle la ségrégation raciale
dans les États du sud (Brown v. Board of Education of Topeka, 1954) et
durant la présidence libérale (gauche modérée) du Chief Justice Warren
(1953-1969) qui marqua les débuts de la « révolution des droits » 2091.
Le dogme anglais selon lequel le juge se borne à révéler un droit préexistant et exposer la
Common Law a été tourné en dérision en 1917 dans une opinion du juge O. W. Holmes (v. ci-
dessous) écrivant que la Common Law n’était pas une « brooding omnipresence » 2092. La pratique
des revirements pour l’avenir (prospective overruling) confirme aussi que l’infaillibilité de la
Common Law est un mythe 2093.
Le juge américain, élu ou nommé parmi des personnalités politiques,
est avant tout soucieux d’adapter le droit aux transformations
économiques, sociales et culturelles, qui sont d’ailleurs brutales et
nombreuses dans ce pays. L’éclatement de la Common Law en cinquante
États, un système judiciaire décentralisé, l’abondance infinie des
décisions, le réalisme et le goût de la nouveauté propres à l’esprit
américain offraient de toute manière un terrain hostile à la règle du
précédent et aux fictions anglaises.
Selon le propos d’Oliver Wendell Holmes (1841-1935), juge à la Cour suprême, chef de file de la
sociological jurisprudence et des courants réalistes américains, « La vie du droit n’a pas été la
logique : elle a été l’expérience. Les nécessités du temps telles qu’elles sont ressenties, les
doctrines morales et politiques dominantes, la politique législative, consciente ou non, et même
les préjugés que les juges partagent avec leurs concitoyens ont beaucoup plus à faire que les
syllogismes juridiques pour déterminer les règles qui doivent gouverner les hommes » 2094.
Aux États-Unis, selon une autre formule de Holmes, la loi est ce que
le juge dit qu’elle est 2095. À cet égard, la Common Law américaine est
aussi distante du droit français que de la Common Law anglaise 2096.

391. Esprit d’un droit jurisprudentiel : casuistique, stabilité,


droit commun. – Cette évocation de trois systèmes à dominante
judiciaire permet de définir l’esprit d’un droit purement jurisprudentiel,
en trois traits : casuistique, stable et constitutif d’un droit commun.
1º) Il est casuistique. Le juge ne statue que sur des cas concrets et a
plus foi dans l’expérience que dans les abstractions. Toutefois, à mesure
que le temps s’écoule, l’accumulation des décisions concrètes dessine
des règles abstraites sur lesquelles d’autres juges prennent appui pour
conduire un raisonnement logique. Dans tout système, le phénomène
jurisprudentiel suit un processus sédimentaire aboutissant à édifier des
théories.
2º) Le juge n’élabore une règle de droit nouvelle que si l’affirmation à
laquelle il se livre s’avère difficilement modifiable par un autre juge.
Cette stabilité consubstantielle au droit jurisprudentiel suppose que son
auteur jouisse d’une forte autorité. À Rome, le droit prétorien fut
l’œuvre d’un puissant magistrat, le préteur, la Common Law jouit aussi
d’un respect quasi religieux qui tranche avec l’hostilité que les
continentaux témoignent souvent envers leurs juges. « Armé du droit de
déclarer les lois inconstitutionnelles, le magistrat américain pénètre
sans cesse dans les affaires politiques [...]. Il n’est presque pas de
question politique aux États-Unis, qui ne se résolve tôt ou tard en
question judiciaire. De là, l’obligation où se trouvent les parties, dans
leur polémique journalière, d’emprunter à la justice, ses idées et son
langage » 2097. Le droit vraiment jurisprudentiel est le produit d’une
juridiction suprême qui jouit d’une immense autorité 2098.
3º) La loi (lex ou statute law) est une norme inférieure et dérogatoire
tandis que le droit des juges est le droit commun et le plus abondant. À
l’évidence, moins le droit écrit est développé, plus grand est le rôle de la
jurisprudence. La réciproque n’est pas vraie : à l’époque contemporaine,
une abondante législation entraîne un cortège de décisions et, en outre,
tous les droits modernes reposent sur une énorme législation. Mais la
règle interprétée a, en fait, prééminence sur la règle légiférée.
Au premier abord, le visage du droit français ne présente aucun de ces
trois traits. Le juriste français privilégie la logique et aime les principes
abstraits. Aucun précédent n’a de valeur obligatoire, même au sens
tempéré du stare decisis du droit américain. La règle de droit est, à titre
principal, écrite et, dans le meilleur des cas, codifiée. Le juge français
n’a pas le prestige de son homologue anglais. Pourtant, la jurisprudence
de la Cour de cassation est obéie. Comment l’expliquer ?

SECTION I
CONTROVERSE SUR LA NATURE DE LA JURISPRUDENCE

392. Le pour et le contre. – La nature de la jurisprudence a suscité


une controverse sans fin et deux conceptions radicalement opposées.
L’antinomie est ancienne, comme en témoignent deux citations contrastées. Portalis écrivait en
l’an VIII (1800), lors de l’élaboration du Code civil, qu’« on ne peut pas plus se passer de
jurisprudence que de lois » 2099. Robespierre, au contraire, nourri du culte de la loi, affirmait en
1790 que « le mot de jurisprudence [...] doit être effacé de notre langue [...]. La jurisprudence [...]
n’est autre chose que la loi » 2100.
Dans la doctrine contemporaine, la majorité des auteurs reconnaissent
dans la jurisprudence une source de droit tandis que quelques autres,
très minoritaires, n’y voient qu’une autorité.
La première conception est réaliste et pluraliste. Elle constate que la
jurisprudence joue en fait un rôle normatif important dans le droit
positif et reconnaît en conséquence l’aptitude du juge à créer du droit en
dehors de la loi. Se recommandant d’une attitude réaliste, elle concède à
la jurisprudence le titre de « source du droit », au même titre que la loi.
L’audace de cette affirmation a été tempérée, pendant très longtemps, par
une assimilation fictive du droit jurisprudentiel à la loi 2101 ou encore à la
coutume 2102. Mais cet artifice n’a convaincu personne 2103 et le « fait »
s’est ensuite imposé que la jurisprudence était bien en elle-même une
« source du droit » autonome 2104. Il est admis par là même que l’univers
des sources du droit est accessible à d’autres normes que celles
découlant de la loi ou de la coutume, ce qui constitue un postulat
pluraliste.
La seconde analyse est juridique et moniste. Elle constate la
supériorité en droit de la loi, résultant du principe de la séparation des
pouvoirs (L. 16-24 août 1790, tit. II, art. 10), de la prohibition des arrêts
de règlement (art. 5) et de l’autorité relative de la chose jugée (art. 1355,
anc. art. 1351). Se recommandant de l’orthodoxie juridique, cette
doctrine refuse à la jurisprudence le titre de source du droit et lui
concède seulement celui d’« autorité de fait » qui, par définition, diffère
du pouvoir. Il est ainsi admis que l’univers des sources formelles du
droit est un ensemble clos, fermé à des apports inédits, un postulat
moniste 2105.

393. Dialogue de sourds. – Aucun rapprochement n’est envisageable


entre ces deux thèses 2106. Les partisans de chaque école ne sont jamais
parvenus à se convaincre mutuellement parce que tous raisonnent à
partir d’un postulat, soit réaliste et pluraliste, soit juridique et moniste.
L’adhésion à l’une des deux thèses résulte avant tout d’un acte de foi et
de croyance dans le bien-fondé de chacune 2107. Aucun effort de
démonstration logique n’est accompli. Dans ce contexte irrationnel, la
question de savoir si la jurisprudence est une source du droit ne pouvait
recevoir de réponse. Comme le notait Paul Esmein, « ce débat est sans
issue, car il faut répondre non et oui, suivant qu’on se place dans le
champ des idées pures ou qu’on considère la réalité des faits » 2108.
La démarche du juriste désireux de se forger une conviction sûre
conduit à examiner le contenu du droit positif à la recherche de preuves
objectives.

SECTION II
POUVOIR CRÉATEUR DE LA JURISPRUDENCE

Le pouvoir créateur de la jurisprudence se révèle à trois égards.


D’abord, parce qu’elle se l’affirme à elle-même : elle s’érige en une
« source autonome » (§ 1). Ensuite, parce qu’elle se reconnaît le pouvoir
de se changer par ses revirements : elle est une « source évolutive »
(§ 2). Enfin, parce qu’elle se confère le pouvoir de réformer les règles de
droit : elle est une « source réformatrice » (§ 3).
§ 1. UNE SOURCE AUTONOME

Souvent, la jurisprudence se dit à elle-même qu’elle est une source du


droit.

394. Autonomie de la jurisprudence. – Les juridictions supérieures


dominant l’ordre juridique interne (Cour de cassation, Conseil d’État)
ou international (Cour de justice de l’Union européenne, Cour
européenne des droits de l’homme) affirment ouvertement que leur
jurisprudence est une source du droit positif au même titre que la loi.
Elles puisent en elles-mêmes leur propre justification, selon un
phénomène dénommé « autogène » en philosophie (qui se fait par soi-
même, ce que les Anglais dénomment depuis longtemps the Judge-made
Law).
La Cour de cassation a d’abord affirmé que les éventuels manquements d’un notaire ou d’un
avocat à ses obligations professionnelles ne s’appréciaient « qu’au regard du droit positif existant à
l’époque de son intervention, sans qu’on puisse lui imputer à faute de n’avoir pas prévu une
évolution ultérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence » 2109. Elle a ensuite jugé
que « l’évolution de la jurisprudence (relevait) de l’office du juge dans l’application du droit » et
qu’il ne saurait donc y avoir de « droit acquis à une jurisprudence figée » 2110. Elle explique
ouvertement que, « dans ses arrêts antérieurs », elle jugeait dans un certain sens mais que l’entrée
en vigueur d’une loi nouvelle l’a conduit « à revenir sur cette jurisprudence » 2111 ou que des arrêts
ayant déclaré une loi contraire à une convention internationale « n’ont pas opéré de revirement de
jurisprudence » mais se sont bornés à appliquer au litige les normes en vigueur 2112 (dans les deux
cas, il est vrai, la nouveauté n’est pas le fruit de la versatilité du juge mais de l’application du droit
positif). Elle invite les juges du fond à se référer à sa « jurisprudence constante » 2113. Parfois, elle
en dit trop et le propos tourne presque à l’auto-célébration 2114.
En outre, la Cour de cassation se réfère couramment aux arrêts rendus par la Cour européenne
des droits de l’homme – auxquels le juge pénal reconnaît même une autorité interprétative de très
vaste portée 2115 – et aux arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne (ex CJCE) 2116.
Leur jurisprudence se situe au rang des conventions internationales, c’est-à-dire à un rang supérieur à
celui de la loi 2117. Dans cette ligne, le contrôle de la dénaturation de « la loi étrangère » en droit
international privé inclut celui de la jurisprudence étrangère, qualifiée de « source du droit
positif » 2118.
Le Conseil d’État a aussi reconnu que sa jurisprudence instituait des « règles nationales »,
conférant aux décisions administratives individuelles une « base légale » au même titre que le droit
législatif ou réglementaire 2119. Le Conseil constitutionnel a affirmé qu’une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) pouvait prendre pour objet une « interprétation jurisprudentielle
constante » 2120.
La Cour européenne des droits de l’homme, sous l’influence de la Common Law, admet depuis
longtemps que « la notion de “droit” (“law”) utilisée à l’article 7 [de la Convention EDH] 2121
correspond à celle de “loi” qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le
droit d’origine tant législative que jurisprudentielle » 2122. La jurisprudence pénale est autant visée
que les jurisprudences civile et administrative 2123.
Le juge du droit dit qu’il dit le droit. Il est pourtant douteux qu’une
source du droit puisse fonder sa propre légitimité. La loi elle-même
n’échappe pas à ce travers. Selon l’interrogation que Jean-Jacques
Rousseau compara au problème géométrique de la quadrature du cercle :
comment la loi peut-elle être placée au-dessus des hommes alors qu’elle
est leur œuvre 2124 ? En réalité, la loi (revêtant en l’occurrence les traits
de la Constitution, qui n’est ni plus ni moins l’œuvre des hommes que
la loi ordinaire) proclame sa nature de source du droit, sans autre
justification. La seule justification envisageable est négative, à savoir
que la loi demeure une source du droit tant que les citoyens ne
renversent pas le souverain doté du pouvoir constituant. Partant, la
jurisprudence peut à son tour, de semblable façon, se conférer elle-même
le titre de « source du droit », tant que la règle qu’elle énonce n’a pas
été condamnée par le législateur.

395. « Suggestions » des juges au législateur. – La Cour de


cassation met parfois en œuvre les « suggestions » de réformes
législatives qu’elle formule dans son rapport annuel. Le procédé est peu
connu. Il est difficile d’en nier la portée symbolique : le juge se
reconnaît un certain pouvoir d’élaborer une règle qu’il appartenait
pourtant, à ses yeux, au législateur seul d’édicter. À diverses reprises, la
Haute juridiction a imposé l’entrée en droit positif de ces suggestions
auxquelles le législateur demeure indifférent, sauf rares exceptions 2125.
Dans un arrêt rendu en 1995 2126, la chambre sociale a corrigé dans un article du Code du travail
une bévue rédactionnelle qu’elle avait signalée dans son rapport annuel pour 1991 2127. De même,
dans son rapport pour 1995 2128, la Cour de cassation avait proposé l’abrogation d’une disposition du
Code de procédure pénale jugée contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Ayant,
en vain, réitéré sa proposition dans son rapport pour 1996 2129, elle opéra elle-même l’amputation
suggérée 2130. Ces exemples ne sont pas isolés 2131. Une chambre a même suggéré au législateur « de
consacrer une solution prétorienne affirmée récemment » dans l’un de ses arrêts 2132...
La Cour se confère ainsi le droit d’apposer sur la loi une sorte
d’erratum judiciaire et de se faire justice à elle-même (ou plutôt
législation pour elle-même). Elle devrait d’autant plus multiplier ce
genre d’initiative qu’il s’avère un moyen efficace de faire entendre
raison au législateur. Son inertie y encourage le juge. Dans le deuxième
exemple, une loi est venue abroger le texte litigieux en consacrant la
solution jurisprudentielle (mais non la suggestion en tant que telle) 2133.

§ 2. REVIREMENTS DE JURISPRUDENCE

396. Petits pas et revirements 2134. – Afin d’adapter leur


jurisprudence à l’évolution des faits, tout en limitant le risque
d’instabilité du droit jurisprudentiel, les Hautes juridictions (Cour de
cassation, Conseil d’État, Conseil constitutionnel, Cour de justice de
l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme 2135)
procèdent habituellement par la méthode graduelle des « petits pas » :
imperceptiblement, elles apportent à la règle des exceptions ou y
introduisent des distinctions.
Le revirement est un changement plus radical : la Cour disait blanc,
elle dit noir. Le trouble que cette volte-face apporte à la sécurité
juridique et à la prévisibilité du droit affaiblit sans doute la confiance
que les justiciables peuvent placer dans le droit jurisprudentiel. Mais,
dans le même temps, « le revirement démasque l’artifice de la
présomption de vérité attachée à la chose jugée : vérité hier, erreur
aujourd’hui » 2136. La jurisprudence n’est plus l’interprétation d’une loi –
dont le sens serait immuable – mais une source du droit distincte et
fragile car versatile.
En droit administratif, une tradition au Conseil d’État veut, dans un souci de sécurité juridique,
que les formations de jugement ne reviennent pas sur une précédente jurisprudence avant
l’écoulement d’un certain délai 2137.
Certains revirements de jurisprudence sont atypiques en raison de leur
originalité : les revirements d’opportunité et les revirements pour
l’avenir. Ils offrent une preuve plus convaincante du rôle créateur du
juge.

397. Revirements d’opportunité. – Un revirement de jurisprudence


mérite d’être qualifié d’opportunité voire d’« humeur » lorsqu’il est
commandé non par des raisons juridiques, mais par un motif
pragmatique, tel que la volonté de réduire l’engorgement de la Cour ou
de provoquer l’intervention du législateur. Le phénomène est peu
courant.
La Cour de justice des Communautés européennes déclara ainsi, à l’occasion d’un important
revirement 2138, qu’elle « estime nécessaire de réexaminer et de préciser sa jurisprudence » sur le
domaine de la liberté de circulation des marchandises (traité de Rome, ex-art. 30, devenu 28),
« étant donné que les opérateurs économiques invoquent de plus en plus l’article 30 du traité pour
contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale ».
Si la Cour de cassation évite de tels aveux, elle ne répugne pas à de semblables revirements 2139.
Le revirement d’opportunité est versatile, comme en témoigne l’arrêt Desmares, en matière de
responsabilité du fait des choses. Fruit de l’impatience de la Cour de cassation devant le retard pris
par la réforme du droit des accidents de la circulation, il incita le législateur à hâter son travail en
aggravant la responsabilité de l’auteur du dommage 2140. La réforme espérée ayant abouti avec la loi
du 5 juillet 1985, la Cour de cassation opéra un revirement en sens inverse 2141. Cette méthode de
provocation, qui sacrifie l’intérêt d’un plaideur, devrait être exceptionnelle : la politique du pire est
la pire des politiques.

398. Revirements pour l’avenir 2142. – Afin de limiter l’insécurité


juridique découlant de la rétroactivité de leur jurisprudence (qui, dans le
contentieux de la légalité, se double de la rétroactivité d’une éventuelle
déclaration d’illégalité ou annulation 2143), certaines juridictions se
réservent la possibilité de restreindre (ou « moduler ») la portée d’un
arrêt dans le temps : la Cour suprême des États-Unis, la CJUE, la Cour
EDH, plusieurs cours constitutionnelles étrangères, la Cour de
cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.
Selon une expression traduite du « prospective overruling » (ou Sunbursting) né et pratiqué aux
États-Unis 2144, le juge opère un « revirement prospectif » ou, selon une expression imparfaite,
« pour l’avenir ». L’hypothèse ne recouvre pas nécessairement un revirement ; l’arrêt peut trancher
une question inédite.
La Cour de justice de l’Union européenne, dont les arrêts produisent un effet rétroactif 2145, y
recourt « à titre exceptionnel » au nom de « considérations impérieuses de sécurité juridique » : en
cas de « risque de troubles graves » et si les milieux intéressés sont de bonne foi, la solution
nouvelle est réputée applicable aux seuls recours introduits après la date de l’arrêt et aux situations
ou actes juridiques postérieurs 2146. L’article 264 du traité FUE consacre cette faculté en cas
d’annulation d’un acte émanant d’un organe ou d’une institution de l’Union européenne : « la Cour
indique, si elle l’estime nécessaire, ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés
comme définitifs » 2147.
La Cour européenne des droits de l’homme a aussi admis cette technique au nom du « principe
de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit
communautaire » 2148 (elle exige même du juge national, lorsqu’il entend se départir d’une
jurisprudence constante, qu’il justifie son revirement, sous peine de violer l’article 6 § 1 Conv.
EDH) 2149.
Les Cours constitutionnelles autrichienne, allemande, italienne et portugaise limitent également
la rétroactivité de leurs déclarations d’inconstitutionnalité, parfois en vertu d’une autorisation
expresse de la Constitution 2150.
La Cour de cassation se borna d’abord à esquisser une timide tentative qui resta isolée 2151. Le
juge judiciaire se montrait au contraire favorable à une rétroactivité absolue de la jurisprudence,
affirmant sans fard que « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné
ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit
acquis à une jurisprudence figée » 2152 et, en droit pénal, que « le principe de non-rétroactivité ne
s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle » 2153.
Le juge américain n’a pas davantage converti le juge anglais. Au Royaume-Uni, la House of
Lords (à laquelle a succédé une Supreme Court en 2009) et la Court of Appeal demeurent fidèles à la
fiction, héritée de Blackstone, selon laquelle le juge se borne à révéler, à dévoiler, à déclarer de
façon nécessairement rétroactive la Common Law (declaratory theory of Common Law). Si les
retrospective overrulings sont parfois atténués par un recours aux obiter dicta voire aux dissenting
opinions 2154, dans lesquels les juges anglais avertissent le public de l’imminence d’un revirement (ce
que Lord Devlin nomma avec humour en 1976 des « rumblings from Olympus », grondements du haut
de l’Olympe), le prospective overruling reste banni en son principe.
En France, une rupture s’est produite en 2004. D’abord, ce fut le
Conseil d’État qui reconnut au juge administratif le pouvoir de
moduler les effets dans le temps de l’annulation d’un acte administratif
(non d’une jurisprudence nouvelle) lorsque celle-ci semble de nature à
entraîner des « conséquences manifestement excessives » pour les divers
intérêts publics et privés en présence 2155.
Sous des conditions très strictes, la CJUE autorise le juge administratif à recourir à cette
modulation afin de maintenir les effets d’un acte administratif annulé en raison de la méconnaissance
d’une directive européenne 2156. De même, le juge national ne peut moduler dans une affaire où le juge
européen a refusé de moduler (le Conseil d’État refuse de limiter dans le temps les effets d’une
annulation lorsque la CJUE a expressément refusé de limiter dans le temps les effets de son arrêt à
l’égard de la même partie) 2157.
Ensuite, la Cour de cassation a accompli un revirement tout en
s’abstenant de censurer l’arrêt déféré au motif que « l’application
immédiate de (la règle nouvelle) dans l’instance en cours aboutirait à
priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6.1 » de la
Convention européenne des droits de l’homme 2158. Cette paralysie de la
rétroactivité d’un revirement est désormais admise par les chambres
civiles, commerciale et sociale de la Cour 2159. La chambre criminelle est
même allée plus loin en s’appuyant sur le « principe de sécurité
juridique et la bonne administration de la justice » 2160.
La chambre sociale a exclu cette solution, dans une espèce, mais après avoir justifié
l’« application immédiate » du revirement litigieux par la « nécessité d’assurer la sauvegarde et
l’effectivité (d’une) liberté fondamentale » 2161. Une autre décision a exclu la non-rétroactivité d’un
précédent arrêt au motif que le moyen, « en ce qu’il invoqu[ait] une interprétation jurisprudentielle
nouvelle, manqu[ait] en fait » 2162. Ces motifs témoignent d’un intérêt croissant à l’égard du
revirement pour l’avenir et de l’acclimatation progressive de ce procédé en jurisprudence.
Le Conseil d’État a sauté le pas en 2007 en reportant les effets d’un
revirement à la date de lecture de sa décision, « eu égard à l’impératif
de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte
excessive aux relations contractuelles en cours et sous réserve des
actions en justice ayant le même objet et déjà engagées avant » 2163. Le
juge administratif semble faire preuve d’un grand zèle 2164.
Imitant des modèles étrangers, le constituant français a introduit ce
mécanisme dans le nouveau contrôle a priori de la constitutionnalité des
lois : la loi censurée sur une « question prioritaire de
constitutionnalité » (QPC) est abrogée à compter de la publication de la
décision du Conseil constitutionnel « ou d’une date ultérieure fixée par
cette décision » (Const., art. 61-1) 2165. Anticipant sur cette révision, le
Conseil s’était reconnu, contre la lettre de l’article 62 de la
Constitution, le pouvoir général de reporter les effets d’une déclaration
d’inconstitutionnalité à une date ultérieure, compte tenu des
« conséquences manifestement excessives » qu’entraînerait son
immédiateté, afin de laisser au législateur le temps de corriger le vice 2166.
Cette formule a été conservée dans les QPC 2167.
Une fois qu’il a reporté la date d’abrogation de la disposition légale censurée, le Conseil
constitutionnel se réserve parfois le pouvoir d’adresser une double injonction : aux juridictions
saisies de litiges, de surseoir à statuer jusqu’à cette date ; au législateur, d’adopter une nouvelle loi
en déclarant celle-ci applicable aux instances en cours. Une difficulté surgit alors si le législateur
tarde à réagir et que la loi est adoptée après l’expiration du délai de report : une éclipse normative se
produit, créant trois régimes juridiques successifs 2168.
En dehors de cette hypothèse, la Cour de cassation peut adopter, face
à une décision rendue sur QPC, trois attitudes. Ou bien elle constate, de
façon logique, que les dispositions légales déclarées
inconstitutionnelles continuent à s’appliquer jusqu’à la date de report
de leur abrogation fixée par le Conseil constitutionnel 2169. Ou bien elle
interprète, en les dénaturant, les termes de la décision du Conseil afin de
maintenir en vie la disposition légale censurée (une situation
exceptionnelle) 2170. Ou bien, à l’inverse, elle précipite l’abrogation de la
disposition légale censurée en jugeant qu’elle est contraire à une norme
internationale (notamment la Convention EDH) et donc immédiatement
inapplicable : le contrôle de conventionnalité prend de vitesse le
contrôle de constitutionnalité 2171.

399. Prohibition des arrêts de règlement. – La prohibition des


arrêts de règlement (art. 5), qui aurait pu entraver cette faculté du juge,
n’est pas un obstacle, compte tenu de la portée qui doit lui être
attribuée 2172. Le revirement pour l’avenir, qui consacre la coexistence
simultanée de deux interprétations antinomiques de la même loi, ruine
seulement un peu plus le mythe de l’incorporation de la jurisprudence
dans la loi interprétée et constitue une preuve (une de plus) de son
activité créatrice.
Le revirement pour l’avenir est d’autant plus conforme au Droit qu’il
trouve un double appui dans la Convention européenne des droits de
l’homme.
D’une part, le droit d’exercer un recours, aspect du procès équitable (Conv. EDH, art. 6 § 1), ou,
en matière pénale, le principe de légalité des délits et des peines (Conv. EDH, art. 7), subordonne la
rétroactivité de la norme jurisprudentielle à sa prévisibilité et son accessibilité pour le
justiciable 2173. Dans certaines circonstances, une cour suprême ne peut se départir d’une
jurisprudence bien établie sans fournir des raisons substantielles de ce revirement 2174. La Cour
européenne montre elle-même l’exemple en affirmant qu’« il est dans l’intérêt de la sécurité
juridique et de la prévisibilité qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres
précédents » 2175. Cette double affirmation est cependant nuancée par celle selon laquelle la
Convention doit recevoir une interprétation « dynamique et évolutive », impliquant des évolutions
jurisprudentielles 2176.
D’autre part, le droit d’exercer un recours s’oppose à l’application d’une loi de validation
rétroactive aux instances en cours, que les juges européens et français considèrent comme une
« ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la Justice » 2177. La Cour de cassation ne
saurait réserver un traitement plus favorable à sa propre jurisprudence dont l’effet rétroactif découle
précisément de son caractère interprétatif : le droit à un procès équitable s’oppose pareillement à une
« ingérence du pouvoir judiciaire » (le revirement) influant sur le dénouement des litiges en cours.
Reste à bâtir la méthodologie du revirement pour l’avenir, à la lumière de ces illustrations 2178.
Son fondement doit être trouvé dans l’article 6, § 1, de la Conv. EDH et l’article 2 du Code civil ;
aucune référence ne devrait être faite au « principe de sécurité juridique » dépourvu de sens précis et
facteur... d’insécurité juridique 2179. Son critère devrait être puisé dans la double acception de
l’équité 2180 : il s’agira de prévenir une situation de vide, de lacune normative susceptible de
provoquer un chaos (social, économique, financier ou politique), une atteinte à l’intérêt général, bref
un excès synonyme d’injustice (équité objective) ; ou bien, il s’agira de remédier à une situation
éveillant un sentiment d’injustice intolérable, inclinant le juge à l’indulgence, à adoucir la rigueur de
la rétroactivité jurisprudentielle dans un cas particulier (équité subjective). Ses différents degrés
doivent également être discernés. Ce type de revirement prospectif peut être un revirement
« d’avenir », « pour l’avenir » ou « à venir », selon que ses effets sont restreints dans le temps aux
situations ou actes juridiques postérieurs (avec application éventuelle aux instances en cours à la date
de l’arrêt, le plaideur victorieux tirant ou non avantage de la nouvelle règle) ou qu’ils sont repoussés
à une date future 2181. Enfin, une initiative de cette importance ne peut émaner que d’une juridiction
suprême (Cour de cassation ou Conseil d’État 2182) réunie dans une formation solennelle (assemblée
plénière voire chambre mixte) afin de prévenir des divergences de jurisprudence inextricables.

400. Revirements rétrospectifs ou d’anticipation. – L’entrée en


vigueur d’une loi nouvelle, non dotée d’un effet rétroactif, contraint le
juge à appliquer la loi ancienne à des litiges continuant à relever de son
champ d’application ratione temporis. Une inégalité de traitement
juridique surgit alors entre les situations régies par la loi ancienne et
celles régies par la loi nouvelle. Afin d’estomper cette différence, qui
peut sembler injustifiée, le juge songera d’abord à réputer la loi nouvelle
d’ordre public et, en conséquence, d’application immédiate aux
situations antérieures, ou encore qualifier celle-ci d’interprétative.
Il peut substituer à l’interprétation du texte ancien qu’il adoptait
jusqu’à présent une interprétation qui soit le décalque de la nouvelle
règle légale. La loi ancienne demeure applicable mais est lue à la
lumière de la loi nouvelle. Le revirement accompli à cette fin est
rétrospectif ; il anticipe par là même sur l’application exclusive de la loi
nouvelle.
Dans le droit des procédures collectives, la modification de la L. 25 janv. 1985 par la L. 10 juin
1994 (applicable seulement aux procédures ouvertes à compter du 1er oct. 1994) a suscité plusieurs
revirements de ce type favorisant l’uniformité des solutions 2183.
Le revirement par anticipation le plus fameux a été accompli par l’arrêt Law King rendu le
9 juillet 1982 après que la loi du 25 juin 1982 eut modifié l’article 334-8 et hissé la possession
d’état au rang des modes de preuve de la filiation naturelle. Alors qu’elle eût aisément pu qualifier la
loi nouvelle d’interprétative, la Cour de cassation opta pour un revirement rétrospectif 2184. De
multiples exemples pourraient encore être cités. Il convient de ne mentionner qu’une hypothèse
contestable : un revirement rétrospectif est un moyen déguisé pour le juge répressif de contourner le
principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale 2185.
Le revirement d’anticipation est une preuve supplémentaire du
pouvoir qu’a la jurisprudence de créer du droit et, en outre, de combattre
le sens des textes. D’une part, il occulte les dispositions transitoires par
lesquelles le législateur a pu soustraire à la loi nouvelle des situations
antérieures ; à tout le moins, il traite cette dernière de loi interprétative
et lui confère un effet rétroactif imprévu sinon périlleux 2186. D’autre part,
il révèle l’aptitude du juge à attribuer à la loi (ancienne) un sens
quelconque et, aussitôt après, un sens inverse, contraire à la volonté du
législateur 2187.

§ 3. JURISPRUDENCE RÉFORMATRICE
Le juge peut utiliser son pouvoir créateur comme un instrument de
réforme. Une divergence peut exister à l’intérieur d’une juridiction
suprême, telle que la Cour de cassation ; elle peut aussi être tournée
contre l’autorité de la loi.

401. Rôle unificateur et divergences de jurisprudences 2188. – « Il y


a, pour toute la République, une Cour de cassation » (C. org. jud., art.
L. 411-1) exerçant un rôle unificateur du droit.
Mais il n’existe pas, pour toute la Cour de cassation, une seule
jurisprudence. Loin de toujours unifier le droit applicable, la Cour
connaît parfois des divergences : il arrive que ses différentes chambres
possèdent, sur plusieurs sujets, des jurisprudences discordantes.
Qu’elles soient la conséquence de l’incertitude d’un texte, de
l’indépendance d’esprit d’un conseiller 2189 ou d’une simple ignorance de
la jurisprudence antérieure 2190, ces divergences internes sont la négation
de la mission unificatrice d’une juridiction suprême – qui est
normalement assurée par le recours à l’Assemblée plénière ou à une
chambre mixte. Saisie de diverses requêtes alléguant une violation du
droit à un procès équitable (Conv. EDH, art. 6, § 1) en raison de
divergences de jurisprudences entre des juridictions statuant en dernier
ressort, la Cour européenne a exigé que les systèmes judiciaires
nationaux permettent au moins de les résoudre, au nom du « principe de
la sécurité juridique » qui tend à favoriser la confiance du public dans la
justice 2191.
Le système judiciaire allemand attache une importante conséquence à la divergence de
jurisprudence (Divergenz, Abweichung). Outre la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe
(Bundesverfassungsgericht, BVG ou BVerfG), il existe cinq cours suprêmes fédérales (le
Bundesgerichtshof ou BGH, Cour fédérale de justice, qui est la juridiction civile et pénale ordinaire,
plus quatre cours spécialisées 2192) qui connaissent de pourvois en cassation (Revision) formés contre
les décisions des cours d’appel appartenant à chacun de ces cinq ordres. Or, depuis la réforme
Zivilprozessreformgesetz du 27 juillet 2001, c’est la divergence entre une cour d’appel et sa cour
suprême ou entre les chambres de celle-ci qui ouvre la voie à la Revision. Le Bundesgerichtshof est
divisé en 12 sénats civils, 5 sénats criminels et 8 sénats spécialisés (ex. : le Kartellsenat). Afin
d’atténuer le risque de divergences, la loi du 18 juin 1968 a créé un Sénat commun des cours
suprêmes de la Fédération (Gemeinsamer Senat der obersten Gerichtshöfe des Bundes) qui doit
assurer l’unité de la jurisprudence des cinq cours fédérales (une sorte de Tribunal des conflits... de
jurisprudences) ; mais il ne peut être saisi que par les chambres des cours suprêmes qui se montrent
assez réservées. C’est surtout le contrôle constitutionnel exercé sur leurs décisions par le BVG qui
incite les cours suprêmes à réduire leurs divergences par un renvoi à une Grande chambre ou au
Sénat commun 2193. En tout cas, rares sont les pays (outre l’Allemagne, il y a l’Ukraine et la Grèce)
qui sont dotés d’une juridiction chargée de trancher les divergences de jurisprudence.
La divergence devient cacophonie lorsque plus de deux chambres de
la Cour rallient des positions différentes 2194. Et que dire lorsque quatre
arrêts de l’assemblée plénière 2195 échouent à rétablir l’ordre et la
discipline 2196 ? À l’évidence, la Cour de cassation ne parvient pas
toujours à maintenir son unité. La constitution d’une chambre mixte,
réunissant des conseillers appartenant à diverses chambres qu’une
question pourrait diviser 2197 reste trop rare. Un arrêt émanant d’une
chambre mixte ou, plus encore, d’une assemblée plénière, devrait jouir
d’une autorité supérieure à tous les autres. La demande d’avis entre
chambres est un dernier facteur d’unité 2198 ; restant facultative, elle ne
vainc pas les dissidences.
L’incapacité d’une Cour suprême à arrêter une position unique sur un point de droit particulier
présente au moins un intérêt théorique. Une norme ne saurait préexister à une jurisprudence qui la
consacre et consacre simultanément une solution contraire ; deux normes ne peuvent préexister si
elles ne peuvent d’abord coexister. La divergence prouve que le juge a créé l’une d’elles et la faculté
créatrice qu’il a montrée n’est plus contestable.
La divergence entre chambres a failli produire une conséquence juridique inattendue : elle peut
induire en erreur le justiciable ; or, en droit pénal, l’erreur de droit est une cause
d’irresponsabilité 2199.

402. Jurisprudence contra legem. – La jurisprudence a toujours


élaboré des règles ou des principes contra legem dont nul ne songe à
nier la valeur obligatoire.
Ainsi, la responsabilité du fait des choses inanimées et la théorie des troubles anormaux de
voisinage furent introduites au XIXe siècle pour évincer la responsabilité pour faute inscrite à
l’article 1382 ancien (devenu art. 1240) 2200. De même, l’adage contra non valentem agere non
currit præscriptio fut appliqué dès 1810 au nom des « règles de la justice et de l’équité » pour
contourner les articles 2251 anciens et suivants dans lesquels les rédacteurs du Code Napoléon
avaient voulu énumérer limitativement les causes de suspension de la prescription 2201. Le Conseil
d’État, imité en cela par la Cour de cassation, se fonde sur des « principes généraux du droit » pour
forcer l’ouverture des voies de recours que le législateur a voulu interdire 2202. Dans une hypothèse
très étroite, les « souvenirs de famille échappent aux règles de la dévolution successorale et du
partage établies par le Code civil » ; ils constituent en ce domaine une « exception aux règles
normales » 2203. De façon large, la Cour de cassation rappelle que « la fraude fait exception à toutes
les règles » 2204 ou, selon l’adage, « Fraus omnia corrumpit » 2205.
Les arrêts qui contredisent ou réforment la loi ont se sont multipliés depuis quelques années,
notamment en droit des obligations où, de façon exceptionnelle et révélatrice, la doctrine les désigne
par le nom des parties 2206.

403. Principes de droit. – Depuis 1948 2207, la Cour de cassation vise


des principes. Le procédé consiste à inscrire littéralement dans le visa
figurant en tête d’un arrêt de cassation non un texte, mais un
« principe » ou des « principes » extratextuels 2208. En avril 2016, il en
existait 129 variétés différentes, réparties entre toutes les branches du
droit 2209. Le phénomène croît depuis plus de soixante ans 2210.
Suivant une thèse « romantique », adoptée à l’origine par les doctrines pionnières de droit
international public 2211, communautaire 2212 et administratif 2213 puis importée par la doctrine
privatiste dans les années 1950 à 1970 2214, les principes normatifs auraient un caractère transcendant,
idéal et absolu. Ils tendraient à combler les lacunes de la loi dans un droit incomplet (ils auraient
donc un caractère subsidiaire et seraient insusceptibles de se développer dans un droit codifié ou
dans un tissu normatif serré). Ils renforceraient ainsi, d’une part, la complétude, d’autre part, l’unité,
la continuité, la cohérence et l’harmonie du système juridique. Cette fonction serait servie par leur
mode d’élaboration : les principes s’induisent de textes épars, fragmentaires, ou, à défaut, de valeurs
idéales supérieures préexistants dans un droit positif dont ils extraient et consignent l’esprit, la ratio
legis (clef de voûte du raisonnement inductif ou par analogie auquel le principe fut si souvent
associé), prélude à de fécondes déductions. Ils seraient ainsi découverts par un interprète (le juge)
dépourvu de rôle créateur, se bornant à révéler leur préexistence dans l’ordre juridique. Une formule
de Jean Carbonnier a popularisé cette vision : « La doctrine et la jurisprudence ont formulé [les]
principes généraux. Mais elles ne les ont pas créés. Elles les ont trouvés en suspension dans
l’esprit de notre droit, tel que semblaient le leur révéler certains textes fragmentaires » 2215.
Une théorie opposée 2216 suggère de « revenir sur terre » 2217, constatant que la Cour de cassation
évince les textes législatifs les plus divers sous le couvert de principes dont la portée contra legem a
été soulignée durant plus d’un siècle par la doctrine et, parfois même, par la jurisprudence elle-
même 2218.
Loin de la vision communément répandue, ces principes ont révélé une nature dissolvante à
l’encontre du droit positif 2219. Leur action la plus emblématique est l’éviction de la loi ou sa
prorogation (le principe « plagie » la loi dont il extrapole le contenu ou étend le domaine contra
legem). De multiples règles textuelles ont ainsi vu leur force obligatoire tenue en échec. Le principe
s’oppose par nature à des normes dont il stérilise l’impératif juridique ; il s’insurge contre les
dispositions du droit en vigueur ; au moyen des principes, remarquait un haut magistrat, le juge
parvient à « se substituer en quelque sorte au législateur, tantôt par une interprétation hardie des
textes en vigueur, tantôt même en faisant abstraction des textes » 2220. Au demeurant, les « principes
généraux du droit » (PGD) administratif inventés par le Conseil d’État 2221 sont eux-mêmes apparus
« dans le champ d’un droit administratif organisé, et déjà pourvu par les textes et la jurisprudence
d’un réseau normatif serré » 2222 afin d’asservir des textes (réglementaires) à un contrôle judiciaire
inédit. Obligatoires pour l’administration mais non pour le législateur, ces PGD sont de valeur
« infra-législative » et « supra-décrétale » 2223.
Le motif du recours aux principes n’est donc pas la nécessité de combler des lacunes objectives
du droit. Leur généralité est un autre mythe hérité de la conception romantique ; si certains jouissent
d’une portée immense (tel le principe fraus omnia corrumpit, quasi-universel), d’autres occupent un
domaine étroit (tels le principe Nemo auditur et tous ceux propres à un droit ou une matière). Enfin,
loin d’avoir été découverts par le juge dans un magma normatif préexistant, les principes s’avèrent
être l’œuvre d’une jurisprudence sédimentaire, souvent ancienne, parfois séculaire. En un mot, ce
sont des constructions prétoriennes – plus que jurisprudentielles, en ce qu’elles lient le juge lui-même
dont l’activité créatrice se trouve ainsi établie et bridée à la fois. Celles-ci sont bâties sur des
normes qui naissent puis rayonnent en dehors du droit écrit (« extra-textualité » essentielle du
principe, qui participe de sa définition) et qui, si cela est nécessaire à leur suprématie, se retournent
contre lui.
Dans la jurisprudence de la CJUE, comme celle de la CEDH 2224, les « principes généraux du
droit » confirment leur vraie nature : des instruments d’expansionnisme du droit européen au
détriment des droits nationaux.

SECTION III
FONDEMENTS DU POUVOIR CRÉATEUR DE LA
JURISPRUDENCE

404. Obligation de juger. – La fonction essentielle du juge est de


dire le droit. Ce n’est pas seulement une faculté, mais un devoir. Selon
l’article 4, « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de
l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme
coupable de déni de justice ». Le déni de justice est un délit (C. pén.,
art. 434-7-1, si le juge persévère) 2225, un motif de prise à partie de
certains magistrats (anc. C. pr. civ., art. 505, 4o) 2226 ; il engage la
responsabilité pécuniaire de l’État (C. org. jud., art. L. 141-1) 2227 et, de
façon inverse, en droit international privé, fonde la compétence du juge
étatique français 2228.
Dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, l’article 4 faisait
injonction au juge de ne pas dénier la justice en s’en remettant au
législateur pour la résolution des cas d’espèce 2229, ce qui est depuis
longtemps une crainte révolue. Le juge est, selon le mot de Portalis, le
« législateur des cas particuliers » ou, selon Pierre Hébraud, la « parole
vivante » de la loi, l’« intermédiaire privilégié » de sa mise en œuvre 2230
qui, « faisant passer la règle de l’expression abstraite à la réalité
concrète lui donne son véritable visage » 2231. Il doit rendre la justice et,
à cette fin, pouvoir interpréter une loi trop générale et y suppléer 2232.
Cependant, en 1804, l’article 4 traduisait surtout la plénitude et la
suprématie de la loi : le silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi ne
pouvaient être qu’un « prétexte » car celle-ci paraissait infaillible. En
revanche, au cours du XIXe siècle, à la faveur d’une double émancipation
de la technique de cassation 2233 et d’une cour régulatrice de plus en plus
prompte à combler les lacunes de la loi 2234, l’article 4 devint au contraire
le soutien de son pouvoir normatif.
La théorie des trois plans de l’ordre juridique s’efforce d’en rendre compte 2235. 1º) L’ordre
juridique est un espace formé de trois plans : 1) le plan horizontal du droit, plan supérieur abritant
l’ensemble des normes abstraites et générales du droit écrit, de nature conventionnelle,
réglementaire, législative, internationale et constitutionnelle, qui constituent les sources formelles du
droit positif, des sources hiérarchisées mais seulement à l’intérieur de ce plan ; 2) le plan horizontal
du fait, plan inférieur abritant l’ensemble des faits qui ont vocation à être soumis à l’emprise du
droit ; 3) le plan vertical de l’activité juridictionnelle, où le juge assure le transit de la norme
abstraite vers la réalité des faits, depuis le plan supérieur du droit vers le plan inférieur du fait. 2º)
Cette architecture engendre une dynamique propre. Le juge est tenu d’énoncer une règle de droit
applicable aux faits même si la loi est muette, comme le rappellent les articles 12 et 604 du Code de
procédure civile 2236. À ce titre, en qualité d’intermédiaire obligé de la mise en œuvre concrète de la
loi, il bénéficie d’un monopole : en cas de contentieux, nul autre que lui n’est habilité à dire le droit.
Ce rôle exclusif place la loi dans la dépendance de la jurisprudence. La jurisprudence contra legem
l’illustre 2237. Sans doute, le juge du fond qui viole la loi encourt-il la censure d’une juridiction
supérieure. Mais le juge du droit pratique son office en toute liberté, en écartant la loi qu’il ne
souhaite pas voir vivre une vie juridique effective 2238. Cette faculté découle de la structure même de
l’ordre juridique dans laquelle la loi reste lettre-morte si un intermédiaire, un interprète, ne la
véhicule pas depuis les sources formelles du droit vers la réalité des faits.

405. Prohibition des arrêts de règlement . – Dès 1804, le


2239
législateur a craint que le juge n’abusât de la latitude que lui offrait
l’article 4 du Code civil 2240. L’article 5 du même code devait servir de
garde-fou : « il est défendu aux juges de prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont
soumises ». Tandis que le législateur doit se garder de statuer sur les cas
d’espèce relevant de la compétence judiciaire (art. 4), le juge ne doit pas
usurper le pouvoir législatif (art. 5) 2241. Les articles 4 et 5 assignent à
chaque pouvoir une limite à ne pas dépasser : « Les pouvoirs sont
réglés ; aucun ne doit franchir ses limites » 2242. La séparation des
pouvoirs joue en double sens.
En réalité, la prohibition des arrêts de règlement ne bride pourtant pas
la faculté créatrice du juge. Elle signifie que les juges « ne sauraient
[...] se lier pour l’avenir en déclarant qu’ils jugeront les mêmes
questions d’après les principes par eux posés » 2243. En revanche, « ils
peuvent, mais encore ils doivent indiquer les règles et principes
généraux de droit sur lesquels ils fondent leurs décisions » 2244. En
somme, l’article 5 n’interdit au juge que de prendre une décision « en
dehors de toute contestation portée ou discutée devant lui » 2245, c’est-à-
dire, selon un auteur, d’exercer « un pouvoir législatif, en la forme et à
la manière qui est celle du législateur » 2246. Or, la Cour de cassation
n’énonce des règles ou principes qu’à l’occasion de litiges particuliers.
Elle ne légifère jamais ex nihilo, en dehors des faits, à la différence des
Parlements de l’Ancien Régime.

406. Quasi-arrêts de règlement. – Toutefois, le droit positif révèle


certaines formes d’arrêts de règlement : déguisées, larvaires ou latentes.
1o) D’abord, une forme déguisée réside dans l’obiter dictum. À la différence de la Common Law,
les obiter dicta du juge français ne prétendent pas justifier l’arrêt rendu. Ce sont des motifs de pur
droit suggérant pour l’avenir une position de principe de la Cour de cassation 2247 étrangère au litige
tranché. Le procédé viole à l’évidence l’article 5. Toutefois, il présente l’avantage de rendre les
revirements prévisibles et d’éviter des procédures inutiles 2248. Une économie de moyens est réalisée
au travers d’une motivation à première vue superflue.
2o) Ensuite, une forme larvaire d’arrêts de règlement ressort de la procédure de saisine pour avis
de la Cour de cassation 2249. Sans doute l’avis n’a-t-il aucune valeur obligatoire 2250. Mais il
ressemble à un arrêt de règlement puisqu’il est rendu en dehors de tout litige pendant devant cette
Cour sur une question de pur droit. À cet égard, l’avis accélère le cours de la justice, ce qui est un
grand mérite.
3o) Une forme latente se manifeste dans une perspective autant sociologique que juridique. À mi-
chemin entre le droit et le fait, la jurisprudence pose des règles prétoriennes édifiant une sorte de
« droit mou », souterrain de surcroît. Par exemple, de nombreux tribunaux emploient des barèmes
(des fourchettes) officieux afin d’évaluer les dommages-intérêts en matière de responsabilité, des
pensions alimentaires ou fixer les peines en matière pénale2250a. Cette « coutume interne au
tribunal » assure une continuité dans la jurisprudence des juridictions du fond et la soustrait au grief
d’arbitraire ou de subjectivisme 2251. Mais le secret doit être bien gardé : le juge qui reconnaît s’être
référé à de tels barèmes – qui ne sont pas des règles de droit – s’expose à la censure de la Cour
suprême sur le fondement de l’article 5 2252 ou pour fausse application de la loi 2253. Cette
clandestinité est regrettable car le droit (de la responsabilité civile, de la famille, du travail, etc.) a
besoin d’uniformité pour que les justiciables soient traités à égalité. À ce titre, une typologie
uniforme des préjudices corporels indemnisés s’avère indispensable dans la mise en œuvre du
recours des tiers payeurs (les caisses de sécurité sociale ou les assureurs) contre les tiers
responsables ; en juillet 2005, une « nomenclature » recensant les différents postes de préjudice a été
élaborée par la commission Dintilhac ; une circulaire du ministère de la Justice du 22 février 2007 a
invité les juridictions à s’y référer ; la reconnaissance de sa normativité est plus que souhaitable ;
pourtant, aucun décret n’est paru et le Conseil d’État suit sa propre typologie 2254. En droit du travail,
un barème d’indemnité forfaitaire en cas d’accord de conciliation a été défini par décret ; le salarié
n’est pas obligé d’accepter la conciliation mais, s’il la refuse, le juge doit justifier le montant des
indemnités qu’il octroie (C. trav., art. L. 1235-1 et D. 1235-21) : le barème réglementaire est
facultatif mais il pèse comme une menace.
4º) En revanche, la Cour de cassation n’a jamais admis l’idée d’exercer un contrôle réglementaire
des contrats types ou des clauses de style, que certains juges du fond 2255 ou quelques auteurs auraient
voulu voir interpréter une fois pour toutes.

407. Obligation de motiver. – En plus de l’article 4, une autre règle


a pour conséquence de reconnaître que la jurisprudence est une source
de droit : « le jugement doit être motivé » (C. pr. civ., art. 455, al. 1) 2256,
quelle que soit la juridiction (C. pr. pén., art. 485 et 593 ; C. just. adm.,
art. L. 9) depuis la Révolution française 2257. Tout jugement se fonde, par
essence, sur une règle préalable, à de rares exceptions près 2258 et par-delà
les variantes tenant aux différences de tradition historique ou politique.
Généralement les motifs sont ainsi rédigés : « le tribunal, après en avoir délibéré », « attendu
que... » ; « que... » ; « attendu que... » ; « que... ». Le jugement se termine par un dispositif : « par ces
motifs, déclare... / rejette... / condamne... ».
La motivation a plusieurs vertus. Non seulement elle empêche
l’arbitraire mais, en outre, elle engendre des règles de droit. Le juge qui
s’avère soucieux d’adopter la solution la plus juste et ne trouve aucune
norme générale dans la loi procède de la même manière que le
législateur pour s’en procurer une 2259. Puis, à mesure que le motif de
droit ainsi conçu est répété en jurisprudence, il devient une formule de
style recouvrant une véritable règle. La constance et l’imitation édifient
ainsi le droit jurisprudentiel selon un processus sédimentaire
universel 2260. La motivation permet aussi aux parties d’exercer utilement
les voies de recours et à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur
les décisions des juges du fond 2261.
Tandis qu’en France la non-motivation est considérée comme un privilège régalien 2262 – ce qui
explique le laconisme (l’imperatoria brevitas) des arrêts de la Cour de cassation ou du Conseil
d’État –, les juges de Common Law se répandent en de longues explications (speeches)
éventuellement divergentes (concurring et dissenting opinions s’ajoutant à l’opinion of the Court)
bien qu’aucun texte ne leur fasse obligation de motiver 2263. Entre ces deux modèles (une justice
autoritaire et une justice de persuasion), le second, admiré par quelques auteurs 2264 et adopté par les
juridictions européennes (CJUE, CEDH), ne sert qu’en apparence les intérêts des justiciables. Le flot
d’explications que déverse le juge anglo-saxon lui permet souvent de dissimuler une carence de
raisonnement et un parti-pris idéologique ; si l’absence complète de motivation suscite
l’incompréhension, son excès crée le désordre en offrant des arguments pour résister à la règle ; en
outre, la technique des opinions dissidentes sape l’autorité et la stabilité de la jurisprudence 2265.
L’unité et la concision propres au style français forment, de ce point de vue, un modèle du genre 2266.
Au demeurant, la doctrine n’est pas totalement dépourvue. Ainsi, les « motifs des motifs » de la Cour
de cassation 2267 peuvent être puisés dans des sources extérieures à l’arrêt, de plus en plus souvent
accessibles au public (rapport du conseiller-rapporteur, avis de l’avocat général, rapport annuel,
mémoire ampliatif déposé par les parties, publications de magistrats autorisés...) 2268.
Ce modèle essuie un feu nourri de critiques en provenance de la Cour européenne des droits de
l’homme qui déduit un droit à la motivation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1,
Conv. EDH 2269, y compris devant les cours d’assises dont les arrêts n’étaient pas motivés, par
tradition 2270. Plus qu’un devoir du juge, la motivation serait en passe de devenir un droit subjectif
procédural 2271. La Cour de cassation se trouve elle-même sommée de s’expliquer sur le fond, au
risque de devenir un juge du fait ; la CEDH s’érige en quatrième degré de juridiction parce que la
Cour de cassation ne veut pas en être un troisième (un juge du fait).
Mais les juges de Strasbourg se méprennent. La Cour de cassation et le Conseil d’État ne sont pas
comparables à la Cour suprême des États-Unis (juridiction constitutionnelle et politique) ni, en
Grande-Bretagne, à la House of Lords (à laquelle a succédé une Supreme Court en 2009 qui continue
à rendre moins d’une centaine d’arrêts par an), la Court of Appeal ou la High Court (juridictions
uniques mais statuant en appel après un filtrage des recours). Surtout, la langue et les modes de
raisonnement (en particulier, le syllogisme) relèvent d’une tradition nationale. L’Europe a recueilli un
grand nombre d’héritages culturels et linguistiques jaloux de leurs particularités et de leur identité.
Vouloir soumettre les jugements anglais, allemands, italiens, français, etc. au même type de
motivation produirait un mauvais bouillon de culture. La Cour européenne donne l’exemple à ne pas
suivre : ses motifs sont souvent interminables, alambiqués et inintelligibles pour le justiciable ; en
outre, ses décisions d’irrecevabilité ne sont pas motivées. Le véritable danger est là : une langue
judiciaire médiocre, imprécise voire le recours à des motifs pré-imprimés (à l’image des motifs
stéréotypés des arrêts de la CJUE ou de la CEDH) inflige une plus grave atteinte aux droits des
parties 2272.
À partir de 2015, une réflexion a été engagée, à l’initiative du premier
président de la Cour de cassation, sur les moyens d’enrichir la
motivation de ses arrêts 2273. Deux voies ont été explorées.
1º) La première expérience s’est révélée catastrophique. Elle consiste à abandonner le
raisonnement abstrait, par voie de syllogisme, pour opérer une « balance des intérêts en présence »
sur le modèle des arrêts de la Cour EDH (exemples : la démolition de cabanes construites
illégalement n’est plus automatique et ne peut être ordonnée si elle porte une atteinte
disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de leurs occupants 2274 ; une cause
légale de nullité du mariage doit être écartée pour la même raison si l’union a duré plus de vingt
années 2275). Révisant les appréciations des juges du fond, la Cour de cassation s’érige en juge du fait,
statuant en équité, de façon concrète, casuistique et imprévisible. Ce faisant, elle ruine un peu plus la
sécurité juridique et manque à sa mission de juge unificateur du droit (C. org. jud., art. L. 411-1 et
L. 411-2) 2276. La jurisprudence devient ondoyante : tout est relatif, tout est plaidable, tout est question
de circonstances de fait. Il n’existe plus de règle claire, de loi impérative ni de hiérarchie entre les
droits (le droit de propriété et l’ordre public matrimonial, dans les deux exemples cités, ont été
balayés compte tenu des circonstances de fait ; tous les délais de prescription pourraient devenir
facultatifs, etc.).
Heureusement, un tel contrôle de proportionnalité, à la manière du juge européen, est étriqué par
nature : il ne peut être exercé que dans des affaires peu nombreuses (en droit civil ou en droit pénal
essentiellement) où une atteinte à un droit fondamental peut être identifiée (très souvent, d’ailleurs, le
droit au respect de la vie privée et du domicile) 2277. Mais il incite les parties à revendiquer
n’importe quel droit « fondamental ». La « fondamentalisation » des droits constitue déjà une dérive
qu’il est inutile d’accentuer 2278.
2º) La seconde expérience est plus prometteuse, mais elle risque d’être sans lendemain. Elle
consiste à introduire dans un avis ou un arrêt une motivation minutieuse qui rappelle les précédents
jurisprudentiels puis énonce les arguments de texte et la justification (en droit) de la solution, en bref,
toutes les étapes d’un raisonnement juridique et – cette fois – logique. Ce type d’arrêt a l’apparence
inhabituelle d’une petite note de jurisprudence doctrinale 2279. Il est didactique. L’effort est louable
mais il est peu probable que les conseillers à la Cour de cassation, débordés par les pourvois, auront
le temps de rédiger beaucoup d’arrêts dans ce style copieux (comme ils y parvenaient au XIXe siècle).
Une motivation explicite trop bavarde peut aussi se révéler ambiguë, contestable, susciter des
objections et, en définitive, affaiblir l’autorité de la décision (v. ci-dessus).
Tout ce débat fournit au moins une confirmation que la jurisprudence
est une source du droit et que le juge revendique même un élargissement
de son pouvoir créateur.
408. Relativité de la chose jugée. – L’autorité relative de la chose jugée posée par l’article 1355
(anc. art. 1351) du Code civil est, avec l’article 5 du même Code, invoquée par ceux qui n’admettent
pas que la jurisprudence soit une source du droit. Comment une norme générale pourrait-elle naître
de décisions judiciaires n’ayant autorité, selon l’article 1355, que dans le litige tranché et entre les
plaideurs qui y étaient parties ?
L’argument confond les deux fonctions d’un juge : résoudre un litige et dire le droit. Une décision
fait jurisprudence et devient source de droit lorsque le juge exerce sa mission abstraite de
jurisdictio. Or, l’autorité relative ne s’attache qu’« aux décisions concrètes par lesquelles le
jugement a tranché le litige et fixé les droits des parties » ; « les propositions abstraites de droit
sur lesquelles il repose ou qui s’en dégagent [...] sont, au contraire, susceptibles de
généralisation » 2280. Cette dualité ressort du constat que les décisions revêtues d’une autorité
absolue de chose jugée n’ont aucune prééminence particulière en tant que normes
jurisprudentielles 2281. Bien mieux, les articles L. 431-5 et L. 431-6 du Code de l’organisation
judiciaire organisent expressément la tenue d’une assemblée plénière ou d’une chambre mixte au sein
de la Cour de cassation lorsqu’une « question » risque de recevoir des « solutions divergentes »
devant les juges : la loi encourage le développement du droit jurisprudentiel.

SECTION IV
CARACTÈRES DE LA JURISPRUDENCE

409. Plan. – Les traits de la jurisprudence sont marqués par la


psychologie qui imprègne l’acte du juge (§ 1), l’évolution historique
(§ 2) et les qualités qu’elle doit présenter (§ 3).

§ 1. PSYCHOLOGIE JUDICIAIRE

410. Conservatisme et changement. – Dans l’exercice de leurs


fonctions, les juges sont – plus ou moins consciemment – guidés par
l’esprit d’imitation, le respect de la loi et de la hiérarchie et par la
rigueur du raisonnement. Ils ont aussi – de façon très consciente – le
souci de rechercher la justice et d’adapter le droit aux transformations
du monde. Le droit aspire aussi bien à la continuité qu’au changement ;
les juges sont à la fois conservateurs et novateurs. Tout ceci explique les
revirements de jurisprudence et en fragilise l’autorité.
Chaque juridiction a une tendance naturelle à juger de façon
constante. Un magistrat, plus que tout homme, se doit d’être
conservateur, même s’il est jeune 2282. Le devoir de conservatisme
s’impose avec une rigueur accrue au sommet de la hiérarchie judiciaire.
D’une part, chaque juridiction se préoccupe du sentiment des juridictions qui lui sont supérieures
car elles peuvent réformer ou casser ses propres décisions. D’autre part, au degré ultime de l’ordre
juridictionnel, la Cour de cassation ou le Conseil d’État, juridictions uniques, ont pour mission
d’unifier le droit : or, il n’est pas de droit jurisprudentiel sans constance dans la manière de juger 2283,
sans une répétition dans la durée, comme pour la coutume. En Common Law un arrêt isolé fait
jurisprudence en vertu de la règle du précédent. En France, il est convenu de parler de
« jurisprudence constante », qui suppose une répétition.
Un autre phénomène est celui de la « jurisprudence virale » 2284. Celle-ci résulte d’un faisceau
relativement important de décisions, émanant des juridictions inférieures, qui pose une question
totalement inédite ou bien ranime une controverse que l’on croyait éteinte. La jurisprudence virale se
propage de manière horizontale (entre juridictions de même degré) puis de manière verticale (dans
les « jurisprudences » des cours d’appel). Elle est contraire à la loi qu’elle vise précisément à
renverser, avec le soutien d’une partie de la doctrine (qui mène une lutte fiévreuse contre une autre
partie). Épidémique et hostile au droit positif qu’elle cherche à réformer, la jurisprudence virale
connaît toujours un destin funeste : son expansion s’achève tôt ou tard devant la plus haute juridiction
qui administre un rappel à la loi. Il en existe des illustrations dans toutes les branches du droit.

§ 2. ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE

411. Plan. – Il n’est pas question d’exposer ici l’histoire de la


jurisprudence qui est liée à l’évolution de chaque institution juridique
mais seulement d’évaluer la place qu’elle occupe dans notre droit civil
depuis le Code Napoléon, en marquant à grands traits l’histoire de sa
politique 2285. On procédera à une division en plusieurs périodes, même si
les dates sont approximatives, alors même que les fluctuations de
l’histoire n’empêchent pas la jurisprudence d’observer une continuité
dans sa technique et, à un degré moindre, dans sa politique. À mesure
que le temps l’éloignait du Code Napoléon, elle a eu trois attitudes
successives : la réception des détails, la découverte des principes et la
libre création. C’est l’histoire de toute vie : la naissance, la plénitude et
la crise.

412. 1o La naissance. – De la publication du Code civil jusque vers


1860, la jurisprudence a eu une attitude de respect profond envers ce
monument législatif et procédé à la réception de ses règles. Tenus de
résoudre une multitude de questions de détails, les tribunaux ont
recouru à une interprétation littérale des textes. De cette accumulation
de cas, aucune norme ne put sortir 2286.
Les règles provenant du droit romain et de la législation ou de la
jurisprudence de l’Ancien droit vinrent souvent au renfort, dès lors
qu’elles ne contredisaient pas celles du Code. L’article 7 de la loi du 30
ventôse an XII n’y faisait pas obstacle 2287.
Par exemple, deux semaines après le vote de cette loi, la Cour de cassation appliquait comme une
vérité d’évidence « la règle error communis facit jus » 2288 et, à la suite du Conseil d’État 2289,
justifiait son maintien par ce constat que « le principe qui avait servi de fondement aux lois
romaines sur l’erreur commune avait été adopté dans l’ancienne législation française et par les
anciennes Cours et tribunaux du royaume, comme il est attesté par tous les auteurs » 2290. De
même, dès avant l’entrée en vigueur de l’article 1041 du Code de procédure civile (ancien) qui
abrogea les règles de procédure civile de l’Ancien droit 2291, la Cour admit l’application de la
maxime « Nul, en France, ne plaide par procureur » 2292 puis en justifia la survivance en des termes
éloquents : « bien que la maxime qu’on ne plaide pas par procureur ne soit littéralement écrite
dans aucune disposition du Code de procédure civile, néanmoins cette maxime, consacrée dans
plusieurs textes du droit romain [...], a constamment été maintenue par la jurisprudence tant
antérieurement que postérieurement à la législation nouvelle » 2293.
Les règles du droit romain extraites de la compilation de Justinien
étaient parfois visées directement 2294 et les auteurs de l’Ancien droit
nommément cités à titre de source confirmative 2295. Il est vrai que la
nouvelle législation civile n’était guère appréciée par les juges, surtout
pendant la Restauration 2296. Les jurisconsultes (praticiens et professeurs)
cultivaient un esprit traditionnaliste, s’efforçant de retrouver les règles
du Code civil dans l’Ancien droit, c’est-à-dire en droit romain ou en
droit coutumier 2297. Le style judiciaire de la première moitié du
XIX siècle ne manquait pas de passion, de solennité ni de
e

grandiloquence 2298. Aucun arrêt n’est plus rédigé de cette manière.

413. 2o La plénitude. – 1) De 1860 à 1890, la jurisprudence


découvrit les principes latents du Code civil. Le nombre des questions
discutées fut plus limité mais leur importance plus grande : il ne
s’agissait plus d’un travail de mise au point de détails mais d’une
découverte de principes sous-jacents qui retentissaient sur toute la
branche du droit civil.
2) À la fin du XIXe siècle commença une plus libre création. Le
législateur ne parvenait pas à saisir les nouveaux problèmes qui
surgissaient. Pour y répondre, les juges s’accordèrent une grande liberté
d’interprétation. Il ne s’agissait plus seulement de sanctionner les
violations de la loi, en exerçant un contrôle purement négatif, mais
d’une interprétation créatrice de l’ensemble du droit privé. Ce droit
jurisprudentiel, ponctué d’arrêts illustres, mérita alors le qualificatif de
prétorien.
La jurisprudence a ainsi exercé un rôle exclusif dans des matières capitales. Une action en
enrichissement sans cause a été déduite du « principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment
d’autrui » en 1892 2299 ; en 1896, un régime de responsabilité civile du fait des choses inanimées a
été tiré artificiellement d’un texte d’annonce du Code civil initialement dénué de valeur
normative 2300 ; en 1873, le Tribunal des conflits avait soumis la responsabilité de l’État pour les
dommages relevant du service public à des « règles spéciales » exclusives de l’application des
anciens articles 1382 et suivants, proclamant l’indépendance du droit administratif (purement
prétorien) et du droit privé 2301 ; la Cour de cassation a élaboré des règles de conflits de lois dans le
temps 2302 et construit peu à peu l’immense édifice du droit international privé 2303. Le XXe siècle a vu
s’épanouir la théorie de l’abus des droits 2304.
Les années 1890-1960 sont la grande période de la jurisprudence 2305
,
son siècle d’or.

414. 3o Crise de croissance. – Depuis une soixantaine d’années,


certains auteurs déchantent : l’âge d’or de la jurisprudence
appartiendrait au passé. La structure de l’ordre juridique a été
bouleversée par l’essor des droits européens et du droit constitutionnel.
La Cour de cassation a introduit en droit interne le droit
communautaire 2306 et la Convention européenne des droits de
l’homme 2307. En fait de crise, il s’agirait plutôt d’une crise de
croissance, l’aube d’une ère nouvelle. La fin du XXe siècle ne s’est pas
avérée moins riche en arrêts illustres et, souvent, rendus en des formes
solennelles.
L’année 1991 fut la plus remarquable. Trois arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de
cassation défrayèrent la chronique juridique en instaurant un principe général de responsabilité du
fait d’autrui 2308, en condamnant la pratique des « mères porteuses » 2309 et en brisant la théorie dite
des « ensembles contractuels » 2310. Ce fut aussi en assemblée plénière que furent opérés deux
spectaculaires revirements, l’un, en 1992, ouvrant à un transsexuel la possibilité d’obtenir la
rectification sur les registres d’état civil de la mention de son sexe 2311, l’autre, en 1995, répudiant la
nullité pour indétermination du prix du droit des contrats 2312. Un visa de principe constitutionnel
paracheva le décor 2313.

§ 3. DÉFAUTS ET QUALITÉS DE LA JURISPRUDENCE

415. Des vices : politiques et techniques. – Il est devenu banal de


dénoncer les défauts que possède la jurisprudence lorsqu’elle est admise
au rang de source du droit.
Des défauts politiques, d’abord : elle est, dans l’ensemble,
conservatrice, en dépit de ses nombreuses innovations. Elle freine des
réformes législatives en interprétant étroitement les textes, lorsqu’elle
n’entreprend pas de mener un véritable combat contre la loi 2314 qui, du
reste, ne se prive pas de la censurer en retour 2315. En outre, le juge est
inapte à résoudre les grands problèmes sociaux, moraux ou
économiques de notre temps : ses moyens d’information sont trop
insuffisants pour qu’il puisse opérer des choix judicieux de politique
juridique, bien qu’il témoigne parfois d’une volonté d’ouverture 2316.
Surtout, son office est de résoudre les procès, trancher des cas d’espèce,
non de légiférer 2317 : il est un « législateur estropié » selon un juriste
anglais 2318.
Le plus grand danger serait l’apparition d’un « gouvernement des
juges » 2319 dont la France s’est toujours méfiée. Certes, la loi peut
toujours renverser une jurisprudence française, même celle du Conseil
constitutionnel 2320 (qui a souvent essuyé ce genre de reproches). En
revanche, le législateur ne peut modifier une jurisprudence de la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE) ou de la Cour européenne des
droits de l’homme (CEDH) qui a donc été la cible d’attaques
particulièrement dures de la part de juristes français soulignant son
absence de légitimité 2321. Mais la jurisprudence n’est pas un pouvoir
politique ; elle est une technocratie.
Ses défauts techniques sont plus préoccupants. Outre la rétroactivité
de ses revirements 2322, elle a cinq faiblesses : elle crée un droit
parcellaire, arrêt par arrêt, où il est parfois difficile de trouver ce qui
constitue une règle de droit générale et permanente ; elle élabore le droit
lentement et les justiciables peuvent attendre des années avant qu’une
controverse ne soit close ; elle élabore un droit savant et subtil confinant
au byzantinisme 2323 ; le droit jurisprudentiel est incertain et imprévisible
– parfois arbitraire 2324 – ; il est de surcroît méconnu puisque seule une
faible partie est retenue par les revues, selon des critères variables, en
vue d’être publiée 2325.
L’essor de l’informatique juridique bouleverse les données du problème. Est-ce une amélioration
ou une aggravation ? La surabondance de jurisprudence publiée est applaudie par ceux qui se
réjouissent d’accéder à de nouvelles mines d’informations, notamment en provenance des juridictions
du fond 2326. Mais les inconvénients sont multiples. Le juriste risque de succomber de
surinformation 2327 et perdre son esprit critique. Et puis, la règle de droit s’obscurcit : des décisions
émanant de juridictions inférieures sont mises en balance avec des arrêts de la Cour de cassation ;
des arrêts obscurs ou d’espèce non publiés de la Cour de cassation sont exhumés et déclarés de
principe alors qu’ils ont été rendus de façon expéditive et, en tout cas, sans vocation normative. La
qualité du raisonnement importe peu dès lors que la solution est celle espérée ou inédite.
La jurisprudence est instrumentalisée au profit des éditeurs 2328 et de la pratique. Trop de
jurisprudence tue la jurisprudence.
416. Des vertus. – L’heure n’est plus à recenser les vices de la
jurisprudence. Celle-ci n’est pas un pouvoir mais un Droit. Dès lors,
l’attention se porte sur les vertus qu’il doit posséder afin de satisfaire à
l’attente légitime du justiciable. Celui-ci a droit à une jurisprudence de
qualité. Ainsi, la jurisprudence interne – aussi bien pénale, civile,
qu’administrative – s’est vue reconnaître par la Cour européenne des
droits de l’homme le statut de source du droit positif : « la notion de
"droit" [...] englobe le droit d’origine tant législative que
jurisprudentielle » 2329. En contrepartie, le juge européen a enjoint aux
États de veiller à sa qualité, c’est-à-dire à sa clarté, sa prévisibilité et son
accessibilité 2330. Le Conseil d’État a pleinement adopté cette conception
de la jurisprudence 2331. La Cour de cassation, en revanche, a une vision
assez confuse des exigences de clarté et de prévisibilité qui ne lui
paraissent pas primordiales 2332.
Le juge constitutionnel français adresse une mise en garde similaire
au législateur lorsqu’il affirme que les incriminations pénales doivent
être rédigées en des « termes clairs et précis pour exclure
l’arbitraire » 2333. D’une manière générale, « l’accessibilité et
l’intelligibilité de la loi » constituent « un objectif de valeur
constitutionnelle » 2334. Cette exigence de qualité appliquée à la
jurisprudence est une servitude mais aussi le révélateur de sa fonction
officielle de source du droit.
La question de savoir si la jurisprudence est ou non une source du
droit est maintenant dépassée. Sans doute occupe-t-elle une place
traditionnelle dans la pensée universitaire. Mais il n’est plus temps de
poursuivre un combat d’arrière-garde dont l’issue est connue. Le débat
s’est déplacé vers un thème plus décisif pour le juriste comme pour le
justiciable : celui de la qualité de la norme jurisprudentielle et de son
contrôle par le législateur et le juge interne ou international.

417. Des rayons et des ombres. – Il est maintenant assez vain de se


demander si la jurisprudence est une autorité (assez forte) ou une source
du droit (avec des faiblesses).

Nos 418-419 réservés.


CHAPITRE III
LA DOCTRINE

420. Définition ; diversité des modèles doctrinaux. – 1o) En


première approche2334a, la doctrine2334b est l'ensemble des opinions émises
par les auteurs, c'est-à-dire les juristes qui publient leurs écrits ; ceux
qui possèdent une réputation dans leur domaine forment la doctrine
« autorisée », les autres constituent un ensemble assez hétéroclite.
Lorsque l'auteur est un universitaire (par ex. un professeur de droit), il
se montre généralement plus enclin à la théorie qu'un praticien (ex. :
magistrat, avocat ou notaire). Mais, aujourd'hui, de nombreux
universitaires sont avocats et quelques praticiens goûtent la
théorie. Surtout, la pratique sans fondement théorique est inconsistante
et la théorie n'a de force que si elle se réfère aux données de la pratique,
que si « elle a les pieds sur terre » : l'une n'est rien sans l'autre.
2o) Il existe sans doute autant de modèles doctrinaux que de
domaines du droit et de cultures juridiques. La doctrine présente ainsi
un visage différent en droit privé interne, en droit administratif, en droit
international public et en droit de l'Union européenne. Le droit allemand
est couramment qualifié de Professorenrecht (droit des professeurs), ce
que n'est pas le droit français2334c.
Il existerait même deux « modèles doctrinaux » en droit administratif français (les conseillers
d'État et les commissaires du gouvernement ayant tôt monopolisé le terrain avant que ne s'agrège un
corps de professeurs)2334d.
Plus largement, l'histoire enseigne que l'idée d'une « culture juridique française » – unitaire,
nationale, homogène et atemporelle – est un mythe simplificateur. Aux XIXe et XXe siècles, les
praticiens (avocats, magistrats, notaires... qui n'avaient passé que trois années sur les bancs des
facultés de droit et n'avaient donc pas de formation commune) comme les professeurs de droit ont
façonné des cultures diversifiées, variables selon les époques et d'une profession juridique à l'autre :
ainsi, au fil du temps, la culture juridique française s'est révélée pluraliste, hétérogène et
évolutive2334e.
La base de données SIPROJURIS (http://siprojuris.symogih.org) répertorie des notices sur 540
professeurs des facultés de droit, entrés dans la carrière d'enseignant entre 1804 et 1950, retraçant
leur biographie personnelle et professionnelle.

421. Genres 2344. – Les ouvrages qui composent la doctrine sont les
traités, les manuels, les répertoires ou encyclopédies (depuis 1846 2345) et
les monographies. Parmi celles-ci, les thèses de doctorat (avec leur
préface, souvent de la main du directeur de thèse et presque toujours
élogieuse) forment un genre particulier : toutes ne sont pas publiées
(elles l’étaient jusqu’en 1942). S’y ajoutent les articles (ou
« chroniques ») et les notes d’arrêts publiés dans des revues (il en existe
des centaines, toujours plus nombreuses et plus spécialisées) 2346.
Ce fut en 1859, avec Joseph-Émile Labbé, professeur à la Faculté de droit de Paris 2347, que la
note d’arrêt prit son éclat et devint une caractéristique de l’esprit juridique français 2348. Ce
commentaire accompagnant une récente décision judiciaire concilie l’analyse théorique et la
discussion pratique. Chaque arrêtiste a sa méthode qui n’obéit à aucune règle 2349.
Durant la première moitié du XIXe siècle, la doctrine universitaire s’était réfugiée dans des revues
distinctes des recueils de jurisprudence qui avaient été fondés ou étaient dirigés par des praticiens
(Ledru-Rollin et le Journal du Palais où Labbé écrivit sa première note en 1859 ; Désiré Dalloz et
la Jurisprudence générale du Royaume ; Jean-Baptiste Sirey et le Recueil général des lois et
arrêts...)2349a. Elle dédaignait l’étude de la jurisprudence et l’accusait volontiers de méconnaître les
« vrais principes » (c’est-à-dire une vérité dont elle croyait être détentrice). Ces professeurs
ignoraient délibérément les précédents et leur substituaient leurs propres analyses, nourries de
références doctrinales ou historiques. En se livrant à l’exercice de la note d’arrêt, au Sirey ou au
Dalloz, Labbé réconcilia l’École et le Palais, le droit et le fait, les principes et la pratique 2350.
Néanmoins, une confusion des genres apparaît lorsqu’un universitaire publie sous forme de note
ou de chronique une consultation qu’il a rédigée à la demande d’une des parties à l’affaire jugée 2351.

422. Source, autorité et liberté. – La doctrine n’est qu’une autorité,


non une source du droit. Elle doit ce statut inférieur à la triple liberté
qui l’anime. D’abord, chaque auteur est libre de s’exprimer quand il le
souhaite ; nul besoin qu’il soit sollicité : la doctrine est spontanée.
Ensuite, chaque auteur est libre de défendre l’opinion qu’il souhaite : la
doctrine est pluraliste, à l’image de la pensée politique ou culturelle.
Enfin, chacun est libre de se baptiser auteur ou jurisconsulte : le titre est
nu.
Il existe un large éventail de publications juridiques jouissant d’une autorité variable : les
ouvrages (depuis les traités, de plus en plus gros, ou monographies jusqu’aux manuels, de plus en
plus petits en se primarisant) et les périodiques (depuis les revues savantes jusqu’aux magazines
illustrés publiant des réponses juridiques aux questions des lecteurs). Aujourd’hui, beaucoup de
revues se rapprochent des magazines (ex. : depuis mai 2009, la Semaine juridique [JCP G],
pionnière de ce nouveau genre). Un classement des revues juridiques (de droit de l’entreprise au
sens large) a été esquissé mais toute la difficulté est de déterminer un critère fiable 2352.

423. Histoire ; droit comparé. – À certaines époques de l’histoire, la


doctrine fut une source du droit.
À Rome, les responsa de jurisconsultes classiques (les prudentes)
avaient acquis force de loi au Bas-Empire, au terme d’une longue
évolution 2353.
La littérature et donc la doctrine juridiques romaines sont apparues à l’époque classique, avec
l’enseignement du droit, au milieu du IIe siècle av. J.-C. Auparavant, l’interprétation du droit et les
actions en justice étaient confinées dans les mains des pontifes, prêtres issus de l’aristocratie
patricienne. Avec la République, la connaissance du droit n’était plus inhérente aux fonctions
sacerdotales, magico-religieuses, et s’attacha au pouvoir politique laïc. La Plèbe obtint la mise par
écrit du droit romain archaïque lors de la promulgation de la loi des XII Tables (450 av. J.-C.) et la
divulgation des actions de la loi. Dans les années 150-115 av. J.-C., la doctrine devint l’œuvre de
jurisconsultes magistrats (consuls, préteurs ou grand pontifes). Ces juris-prudentes (ceux qui
connaissaient le droit, d’où jurisprudentia, la science du droit), divisés en écoles (les Sabiniens et
les Proculiens, au début de l’Empire), délivraient des consultations (responsa) et rédigeaient des
traités. À partir du Ier siècle ap. J.-C., une poignée de jurisconsultes fut investie par l’empereur
Auguste et ses successeurs du jus publice respondendi, droit de délivrer des consultations ex
auctoritate principis : leurs responsa avaient non une valeur officielle mais une autorité de fait
considérable. Surtout les prudentes, dont le recrutement s’était élargi de la nobilitas à l’ordre
équestre et hors d’Italie, exerçaient de plus en plus leur art au service de l’empereur. En qualité de
« hauts fonctionnaires de la chancellerie », ils participaient à la rédaction des constitutions
impériales ainsi que des rescrits – répondant aux questions des fonctionnaires et sujets de l’empire –
(IIe-IIIe s.). En 426, l’une de ces constitutions (la « loi des citations », inscrite dans le Code
théodosien) conféra force de loi aux écrits de cinq juristes : Gaïus, Papinien, Paul, Ulpien et
Modestin. L’empereur Justinien fit plus encore au VIe siècle avec la promulgation du Digeste,
immense compilation de fragments d’œuvres savantes. La lignée des grands jurisconsultes s’acheva
au IIIe siècle avec Modestin. L’empereur était devenu le maître d’un droit légiféré et la jurisprudentia
vécut figée dans ce moule étatique.
Le rationalisme triomphant du siècle des Lumières magnifia à son
tour le rôle de la doctrine. Mais ce culte de la Raison, insufflé par
l’École du droit de la nature et des gens, suscita en définitive le déclin
de son pouvoir créateur 2354.
Dans la Common Law – droit jurisprudentiel par excellence –,
l’influence de la doctrine académique est quasi nulle : la doctrine la plus
influente se lit dans les motifs (ratio decidendi ou obiter dictum) des
décisions judiciaires et les opinions dissidentes (dissenting opinions) 2355
des juges. Si le Code civil suisse (art. 1er) 2356 et le Statut de la Cour
internationale de justice (art. 38, § 1, d) 2357 se réfèrent expressément à la
doctrine, c’est en ne lui concédant qu’un rang mineur d’inspiration,
subsidiaire, du droit.
Doctrine et jurisprudence partagent des intérêts communs et suivent un cheminement parallèle. Les
grandes constructions jurisprudentielles sont contemporaines des grandes théories doctrinales, sans
qu’il soit toujours possible de déterminer celle qui a précédé et influencé l’autre. L’émiettement de la
doctrine dans des opinions subtiles a eu pour conséquence l’émiettement de la jurisprudence dans des
décisions subtiles. Leurs méthodes de raisonnement sont semblables, leur essor ou leur déclin
simultanés. Il est toutefois une différence cruciale entre elles : la doctrine, qui n’est pas une source du
droit, reconnaît à la jurisprudence une nature de source du droit.
Force intellectuelle plus que normative, la doctrine élabore une
pensée (Section I) grâce à l’interprétation (Section II) 2358.

SECTION I
LA PENSÉE DOCTRINALE

La pensée doctrinale possède une physionomie unique (§ 1) et joue


un rôle diffus (§ 2).

§ 1. PHYSIONOMIE DE LA DOCTRINE

424. Le miroir du droit. – La doctrine est le miroir du droit tout


entier : elle explique l’ensemble des règles juridiques et met à jour leurs
sources et les idées morales, sociales ou économiques qui les fondent.
Elle est un miroir critique ou, plutôt, devrait l’être 2359. Pourtant, elle
s’affiche souvent positiviste, croyant pouvoir ériger le droit en science
pure pour n’en considérer que la technique, d’un point de vue rationnel
et désincarné 2360. Elle est le miroir vivant du droit, comme lui, une
logique de l’action, un va-et-vient entre la règle abstraite et ses
applications concrètes.
La pensée doctrinale est également le miroir de la pensée humaine. Il y a la gauche et la droite ;
les conservateurs et les progressistes (les girouettes) ; les engagés, les conformistes, les
abstentionnistes, ceux qui sont dans le vent et tournent avec lui ; les sceptiques sans passion et les
militants emplis de foi ; les nouveaux riches de la culture faisant étalage de leur science et les
aristocrates de la sobriété ; les dogmatiques et les douteux ; les polémistes et les neutres (qui ne
veulent pas « avoir d'histoires » ou qui sont « au-dessus de la mêlée ») ; les aprioristes et les
pragmatiques ; les amoureux de la théorie et les passionnés de la pratique. Il y a surtout, selon le mot
de Maurice Hauriou, les « petites chapelles de congratulations réciproques ». Il y a Alceste (le
misanthrope) et Philinte (son confident, le tolérant), les tièdes, les modérés, les Saint-Jean-Bouche-
d’or, les radicaux, les polémistes, les coléreux, les vaniteux, zélés de l’autocitation, ceux qui
recherchent de l’argent et ceux qui s’attachent à la vie de l’esprit. Toute la palette des caractères et
des manques de caractères. Il y a, enfin, les « grands juristes » et les besogneux du droit 2361. Ou
plutôt, chaque auteur est un peu tout cela, simultanément ou successivement, selon les périodes ou son
humeur : tour à tour vif et paisible, homme d’action et juriste de cabinet, admiratif et atrabilaire, etc.

425. Technique et politique. – Parmi les auteurs, certains sont de


purs techniciens, qui ne veulent jamais s’engager ; d’autres, purement
descriptifs, se bornent à compiler des kyrielles d’arrêts, à répertorier les
textes et à rappeler des opinions préconçues ; d’autres encore,
pragmatiques, ne s’intéressent qu’aux aspects pratiques des règles.
À l’opposé, des auteurs engagés n’étudient le droit que sous un jour
politique 2362. Le droit du travail 2363 est ainsi traversé par une frontière
opposant les « pro-salariés » (plutôt de gauche) et les « pro-
employeurs » (plutôt de droite). Des traités sont délibérément orientés,
des articles politisent la matière 2364, les syndicats publient des revues
partisanes (ex. : Droit ouvrier, pour la CGT 2365) ou mènent devant les
tribunaux des offensives stratégiques en vue d’obtenir des décisions de
principe qui infléchiront le cours du droit positif 2366. Le droit civil est
parfois le terrain de débats idéologiques, derrière des questions
d’apparence technique, notamment en droit de la famille (ex. : divorce,
avortement, bioéthique, pacs, mariage homosexuel, procréation
médicalement assistée, gestation pour autrui).
En droit international public, la doctrine universitaire est dominée par les praticiens engagés dans
un processus judiciaire (les magistrats et, surtout, les arbitres) ou diplomatique (membres de l’Institut
de droit international ou de la Commission du droit international). Elle s’est vu reprocher son
« suivisme » et son indulgence à l’égard des violations de la légalité lors de l’occupation de l’Irak
par les États-Unis puis la détention de prisonniers à Guantanamo 2367. Les praticiens ne sont pas les
auteurs les plus engagés.

426. Conservateurs et progressistes. – Dans son activité, la doctrine


manifeste deux tendances opposées de l’esprit humain : le
conservatisme et le progressisme.
1º) Le réflexe conservateur est naturel au juriste et même un devoir.
Le système juridique n’est pas en perpétuelle croissance ; il résout les
questions nouvelles en puisant d’abord dans son fonds propre. Toute
nouveauté tend, en première analyse, à être rapportée aux institutions
existantes du droit positif. La propension à n’apercevoir que des
innovations (ou des revirements) serait indésirable. « C’est par la
formation même de son esprit que le juriste est un conservateur » 2368.
Cet esprit l’amène à contester le caractère novateur d’une réforme ou
d’une évolution et à prôner son rattachement à un texte ou une catégorie
légale.
La responsabilité civile objective fut la cible de ce premier procédé. Le texte qui pouvait lui
servir de support était l’ancien article 1382 (devenu art. 1240) ; une volonté conservatrice de
maintenir la faute au cœur de la responsabilité délictuelle inspira longtemps une partie de la
doctrine ; par exemple, la responsabilité du fait des choses fut longtemps analysée comme reposant
sur une présomption de faute de surveillance à l’encontre du gardien 2369 et la théorie des troubles
anormaux de voisinage réduite à une application de l’ancien article 1382 ; mais la Cour de cassation
abandonna ce courant de pensée. De même, derrière le principe régissant la dévolution des souvenirs
de famille, des auteurs crurent apercevoir les effets d’un droit de propriété de la famille, d’un droit
de la personnalité, d’un dépôt, d’une indivision forcée ou d’une substitution ; aucune de ces
propositions ne pouvait éclairer cette institution, d’origine coutumière 2370. De même encore, la
théorie du compte-courant intrigua une doctrine désireuse de rationaliser ce double mécanisme de
garantie réciproque et de recouvrement des créances : ses effets furent rapprochés de ceux de la
novation, du nantissement, de la compensation, du terme suspensif ou du paiement ; en réalité, elle
était le fruit de la coutume commerciale 2371.
2º) Le réflexe progressiste, à l’inverse, approuve les innovations
juridiques en employant des raisonnements plus variés, de type exotique
ou novateur, à moins qu’ils n’invoquent la nature sui generis de
l’institution en cause.
1) Le raisonnement exotique puise dans des concepts étrangers au cadre juridique étudié, soit
dans une autre matière, dans une autre branche du droit ou dans un droit étranger. Ainsi, prenant acte
de l’incompréhension doctrinale du régime juridique des souvenirs de famille, en droit civil, René
Savatier suggéra de chercher la clef de l’énigme dans le droit des sociétés en reconnaissant la
personnalité morale de la famille 2372. La doctrine progressiste porte parfois plus loin son regard et
importe en droit privé des concepts de droit public (et inversement). Par exemple, des auteurs
estimèrent que le trouble anormal de voisinage entraînait une expropriation partielle pour cause
d’utilité privée ouvrant droit au profit de la victime à une juste indemnité, sur le modèle de
l’expropriation pour cause d’utilité publique 2373. Le droit comparé est la source la plus féconde et
naturelle de l’esprit exotique. Certains auteurs s’efforcent d’acclimater les solutions étrangères en
droit français. Par exemple, Josserand rangeait l’engagement unilatéral de volonté parmi les sources
d’obligations 2374 : l’idée, inspirée du droit allemand, reste très actuelle 2375 ; de même, des auteurs
analysaient les mécanismes de la propriété-sûreté en se référant au modèle du trust anglo-saxon, dans
l’espoir que le législateur consacrerait un jour le contrat de fiducie, ce qu’il a finalement fait 2376. Il
reste que ces rapprochements sont souvent hâtifs et approximatifs 2377. Ainsi, pour transposer en
France la notion d’estoppel, une fin de non-recevoir issue de la Common Law dont les contours
apparaissent très incertains, la doctrine a imaginé un « principe selon lequel nul ne peut se
contredire au détriment d’autrui » qui en est une adaptation très libre 2378.
2) Le raisonnement novateur consiste à inventer des concepts inédits permettant de libeller une
énigme en des termes qui : 1) autorisent sa solution ; 2) assèchent les controverses ; 3) et satisfont aux
attentes particulières 2379. La doctrine innovante est celle qui met à jour de nouveaux concepts pour
susciter ou accompagner les révolutions juridiques. L’un des plus célèbres est le concept de
« risque » qui fut substitué à la faute pour provoquer l’objectivation et la socialisation de la
responsabilité civile en France 2380 ; plus récemment, la doctrine a suggéré de consacrer en ce
domaine des principes issus du droit international et du droit européen de l’environnement : le
« principe de précaution » et le « principe pollueur-payeur » 2381. De la même façon, la notion de
« peine privée » 2382 a permis d’éclairer plusieurs mécanismes juridiques quand ils étaient dénués de
toute base légale, telle que l’astreinte.
3) Enfin, affirmer la nature sui generis d’une institution est un moyen facile et décevant d’éteindre
une controverse. C’est ainsi que le droit au nom fut qualifié de « droit sui generis » 2383 et le compte-
courant de « convention ayant sa cause en elle-même » 2384 (selon une variante plus sincère : « le
compte-courant, c’est le compte-courant » 2385). Le sui generis, est la confession d’un échec
intellectuel (celui du raisonnement conservateur) et un aveu d’humilité devant la complexité et
l’imprévisibilité du droit.

§ 2. RÔLE DE LA DOCTRINE
427. Enseignement et critique. – 1º) La doctrine est avant tout un
agent de diffusion et d’enseignement du droit positif. Ainsi, en droit
administratif, le Conseil d’État ne s’est jamais laissé influencer par une
proposition doctrinale en particulier. En revanche, les traités
systématiques des professeurs de droit public ont joué un rôle
considérable dans la compréhension de la matière par les magistrats :
cette action est plus diffuse mais plus efficace que celle d’une doctrine
théorique 2386. La loi et la jurisprudence ne témoignent évidemment pas
d’un tel souci didactique. De même, il n’est que les auteurs pour
conceptualiser, rationaliser et systématiser le droit. Ils critiquent aussi le
droit, mais ils ne sont pas les seuls.
Cette tâche paraît aujourd’hui démesurée à l’échelle d’un seul homme. La complexité de la
société moderne, l’inflation législative et jurisprudentielle incitent la plupart des auteurs à se
cantonner dans des spécialités. Ils risquent de se couper des autres disciplines juridiques et de ne pas
voir qu’une société et son droit forment un ensemble cohérent.
2º) Plus grave, l’activité critique et la controverse sont en recul dans la littérature juridique 2387.
Elles cèdent la place à un bourdonnement de commentaires sur les commentaires, privilégiant
l’événement, la règle ou l’arrêt le plus récent – fût-il éphémère. À l’inflation normative s’ajoute une
inflation doctrinale 2388. Les causes en sont multiples : il n’y a pas seulement plus de normes à
commenter mais aussi plus de revues, plus de manuels et de thèses publiés, plus de bases de données
informatiques et de « blogs » juridiques, plus d’étudiants (amateurs d’informations concises), plus
d’universitaires (sommés ou avides de publier) 2389. La qualité de cette prose est faible. Le style
dominant se nivelle, s’affadit : il est neutre, sec, descriptif, dépouillé de références historiques ou
d’analyses critiques. L’argument quantitatif menace de l’emporter sur l’argument d’autorité 2390.
Comme trop d’impôts tue l’impôt, trop de doctrine tue la doctrine.
Il faut toutefois se garder d’un mélange des genres : il n’y a que très peu d’« écrits doctrinaux »
dans ce flot d’informations ; ce n’est pas de la doctrine 2391.

428. Plan. – Adoptant la « politique des petits pas » suivie par la


jurisprudence 2392, la doctrine réalise un travail critique (I), d’usure lente.
Les tentatives visant à influencer le droit positif se soldent en général
par un échec relatif (II), mais quelques auteurs ont connu de
remarquables succès (III).

I. — Travail critique
429. Doctrine de combat. – Le droit positif peut être contesté en
raison de son incohérence logique ou pour des raisons d’ordre moral,
économique, social ou politique. Selon les cas, la critique doctrinale se
situe sur le terrain de la technique ou celui de l’opportunité.
Certains arguments sont récurrents. L’usure d’une institution juridique peut être annoncée en jouant
les Cassandre : la doctrine prédit son déclin 2393. De façon plus insidieuse, la discussion peut être
menée au moyen de distinctions. Quelle que soit l’arme rhétorique, le travail de sape aboutit parfois à
un revirement de jurisprudence 2394 ou une réforme législative.

430. Mythes. – Le mythe est souvent une justification de la loi 2395. Il


peut aussi, au contraire, être l’inspiration de sa destruction. C’est en
chargeant une construction légale ou jurisprudentielle de nombreux
maux ou en peignant la déchéance que peut s’insinuer le doute 2396. Le
déclin des principes ou des notions est un thème classique, surtout
lorsque la doctrine avait exagéré au préalable la portée d’un principe ou
d’une règle : le mythe du déclin se nourrit de celui de l’absolutisme 2397.
Ainsi, le principe de l’indivisibilité du compte-courant ne serait plus que l’ombre de lui-même.
En réalité, il n’a jamais désigné qu’une impossibilité « toute théorique » (celle d’arrêter
provisoirement le solde du compte avant sa clôture définitive), assortie d’exceptions traditionnelles
qui participent, en définitive, de l’essence de ce contrat. Il est également tentant d’hypertrophier un
principe, de lui attribuer des applications qui ne sont pas les siennes, pour mieux contempler ensuite
son déclin à mesure que le droit positif dément cette version infidèle (ex. : une partie de la doctrine et
la jurisprudence avaient amplifié le rôle de la notion juridique de cause pour mieux en demander la
suppression ; la réforme du droit des contrats [ord. 10 févr. 2016] l’a finalement effacée du Code
civil).
Les principes articulés sur des concepts sont exposés à ce travail de sape intellectuelle, tels que
ceux de l’égalité des créanciers 2398 ou des actionnaires 2399. Dans cette veine, Josserand présenta le
principe d’indisponibilité du corps humain sous les traits d’un dogme pour mieux dénoncer la mise
de « la personne humaine dans le commerce juridique » 2400, etc.

431. Distinctions ; classifications ; catégories. – 1o) La distinction


est un outil d’usage courant 2401. Elle ampute le domaine d’une règle
indésirable et réduit sa portée sans trop d’efforts intellectuels 2402. Elle
est un masque commode pour des revirements de jurisprudence ; le
distinguishing est, à cet égard, un art dans lequel excelle le juge de
Common Law 2403. Quelques distinctions doctrinales ont une grande
valeur, quand elles éclairent le régime juridique d’une institution.
Ainsi, le rôle de l’erreur du solvens dans la répétition de l’indu n’a pu être compris qu’au moyen
de la distinction entre l’indu subjectif et l’indu objectif 2404 ; l’extinction du cautionnement repose sur
la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement découverte par Christian
Mouly 2405.
Trop de distinctions paraissent abusives. Elles sont repoussées par les
juges qui n’admettent guère que la doctrine distingue là où la
jurisprudence ne l’a pas fait. Ainsi, la mise en œuvre de la responsabilité
du fait des choses avait conduit la Cour de cassation à laminer les
distinctions proposées par les auteurs hostiles à la responsabilité
objective : l’arrêt Jand’heur les récapitula puis les récusa en bloc 2406, au
terme d’un véritable « travail de refoulement » 2407.
De même, l’adage contra non valentem non agere non currit præscriptio, maintenant consacré
par la loi (art. 2234, L. 17 juin 2008), est applicable en présence d’une quelconque impossibilité
d’agir, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les obstacles de fait ou de droit 2408, ou qu’ils découlent
d’une cause inhérente ou étrangère à la personne 2409.
2o) La distinction s’épanouit dans un rôle didactique et non normatif.
Elle devient alors classification, l’un des grands vecteurs de la pensée
juridique 2410.
3o) De même, le droit ne pourrait constituer un système sans avoir
recours à des concepts et des catégories juridiques 2411. Le concept
appelle la définition tandis que la catégorie ouvre un champ à la
qualification, deux opérations intellectuelles au cœur du raisonnement
en droit.

II. — Échecs de la doctrine

432. Oublis ; éclipses ; polémiques ; subtilités. – Plusieurs


querelles doctrinales sont restées dans les mémoires. Des auteurs,
adoptant un ton plus vif qu’à l’accoutumée, se sont affrontés sur des
questions fondamentales dont le législateur ou la jurisprudence ne se
souciaient guère.
Le fondement de la théorie de l’abus de droit avait ainsi déchaîné les passions au début du
e 2412
XX siècle . La jurisprudence s’est montrée insensible à cette discussion abstraite et le débat a fini
par s’assécher, à l’image des controverses sur la personnalité morale 2413 ou sur la théorie des
troubles anormaux de voisinage 2414.
1º) La plupart des thèses doctrinales sombrent dans l’oubli, à plus ou
moins long terme ; la doctrine n’a qu’un temps limité pour convaincre le
juge de consacrer ses suggestions 2415, avant que ne se solidifie une
jurisprudence constante qui incitera les auteurs hostiles à la
capitulation 2416. À terme, la plupart des travaux juridiques sont frappés
d’obsolescence : combien d’études des années 1950-1980 lit-on
encore 2417 ? La qualité formelle des écrits n’est pas seule en cause. Les
sujets qui ne s’élèvent pas à la théorie du droit (la jurisprudence des
juristes anglo-saxons) ont une brève espérance de vie.
2º) Lorsqu’ils rendent compte d’une institution juridique dont le régime est fermement établi en
droit positif, les auteurs éprouvent souvent la vanité d’une analyse théorique qui ne peut, de toute
manière, aboutir à des conséquences incompatibles avec les règles existantes. À cet égard, il est rare
que continue une discussion close en jurisprudence, telle que la controverse relative à la cession de
contrat 2418, ou rendue démodée par une évolution législative pragmatique, telles la théorie de la
personnalité morale (réalité ou fiction) ou la nature juridique du patrimoine (Aubry et Rau contre le
patrimoine d’affectation) 2419. La lassitude jointe à la crainte de la marginalité doctrinale refroidissent
les ardeurs. De grandes questions de droit connaissent ainsi des éclipses : elles avaient suscité en un
temps une abondante doctrine et ne se posent plus en un autre. L’évolution des faits peut aussi être à
l’origine de cette léthargie (ex. : les techniques et les débats visant à lutter contre l’érosion monétaire
en droit des contrats et en droit patrimonial, sont en sommeil doctrinal depuis la baisse de
l’inflation) 2420 ; si renaît l’inflation, les débats reprendront.
3º) De nombreux praticiens ignorent les travaux de la doctrine 2421
qu’ils qualifient aimablement de « faiseurs de systèmes » 2422,
réciproquement une partie de la doctrine néglige les travaux des
praticiens : querelle ancestrale des casuistes du dernier arrêt et des
adeptes de la théorie académique ; le débat mène à une impasse.
L’agacement est parfois sensible de part et d’autre : les « chroniques
d’humeur », au ton polémique, servent de soupape 2423 ; des praticiens
peuvent s’en offusquer. Ces polémiques ont une vertu : elles rompent
l’indifférence mutuelle, parfois, mais rarement, incitent les uns ou les
autres à changer d’avis 2424. À la différence des universitaires privatistes
qui ne craignent pas de critiquer la Cour de cassation, la doctrine
publiciste témoigne d’un grand respect envers le Conseil d’État et le
Conseil constitutionnel. En droit international public, la doctrine
académique (universitaire) est dominée par une doctrine de praticiens
engagés dans un processus judiciaire (les magistrats et, surtout, les
arbitres) ou diplomatique (membres de l’Institut de droit international
ou de la Commission du droit international...).
Des professeurs de droit s’affrontent parfois, entre eux, dans des
« querelles » doctrinales. À la différence des polémiques, les querelles
mélangent critiques des idées et attaques de personnes (ad hominem) ;
elles sont aussi un mélange d’humilité et de susceptibilités (parfois très
froissées) ; l’affirmation prend le dessus sur la démonstration 2425.
A aussi été esquissé ce qui sera peut-être un nouveau genre doctrinal : la « doctrine de masse ».
Une déclaration commune est adressée par un grand nombre d’universitaires (parfois plus de deux
cents) sous forme de pétition ou de lettre ouverte au Parlement ou au président de la République. Par
exemple : contre un projet de loi sur les droits du conjoint survivant, accusé de dénaturer le droit des
successions 2426 ; contre la rétention des enfants étrangers, qualifiée de traitement inhumain ; contre le
projet de loi ouvrant le mariage aux « personnes de même sexe ». Dans ce dernier exemple, une
controverse secondaire est née : les uns accusèrent les pétitionnaires de parer d’arguments juridiques
des convictions essentiellement morales, religieuses ou politiques (notamment, les adversaires du
mariage homosexuel s’étaient inquiétés de ses conséquences sur la filiation adoptive) ; les partisans
de la « doctrine de masse » rétorquèrent que les juristes étaient bien placés pour exprimer une
critique du droit, surtout lorsqu’elle est fondée sur des valeurs 2427.
Il est plus fréquent de voir publier dans la presse des pétitions ou des articles contradictoires
émanant de petits groupes 2428 ou d’individus.
4º) La doctrine contemporaine souffre, comme la loi et la
jurisprudence, de son inflation 2429 : la multiplicité d’opinions sur la
même question la déprécie en tombant dans le verbalisme. Certes, aux
grandes solutions attendues, elle donne souvent l’impulsion, mais
manque ensuite de netteté et de constance.
La responsabilité civile du fait des choses inanimées en a été un exemple : de la fin du XIXe siècle
jusqu’après la seconde moitié du XXe siècle, sous l’influence d’un auteur (R. Saleilles), la
jurisprudence a conduit une révolution en posant un principe général de responsabilité du fait des
choses 2430. Puis la doctrine s’est essoufflée à courir après les arrêts : la multiplicité de ses opinions,
ingénieuses et subtiles 2431, a dérouté plus qu’elle n’a donné à la jurisprudence la construction ferme
dont elle avait besoin. Il en fut de même de la théorie de la cause : Henri Capitant l’avait éclairée et
justifiée en 1930 ; les auteurs contemporains l’ont rendue difficilement intelligible ; à nouveau, leurs
opinions subtiles et ingénieuses ont dérouté la jurisprudence qui est devenue inconstante et
obscure 2432, ce qui lui a été fatal : la réforme du droit des contrats (ord. 10 févr. 2016) a supprimé la
cause dans le Code civil.

433. Postérité. – L’incapacité d’un auteur à influer sur l’évolution du droit positif ne préjuge pas
de sa renommée. Des opinions iconoclastes sont restées gravées dans le marbre de la pensée
juridique. Ainsi, il n’est guère d’universitaires qui n’évoquent et ne critiquent la théorie des droits
réels, l’analyse de la nature du droit au nom ou la critique de l’abus de droits bâties par Planiol à
l’encontre de la loi ou de la jurisprudence ; la rigueur intellectuelle et la langue de Planiol lui ont
valu la postérité, même s’il n’a pas convaincu 2433.

III. — Succès de la doctrine

434. Arrière-garde et avant-garde. – La rupture entre l’École et le


Palais est ancienne et profonde. Au début du XXe siècle, la doctrine a
entrepris de combler le fossé en s’attelant à l’étude de la
jurisprudence 2434. Par ailleurs, une construction juridique peut trouver
dans la doctrine un appui décisif ; les études qui lui sont consacrées
contribuent à son amélioration à la faveur d’un chassé-croisé entre le
juge et les auteurs 2435. Tel est l’esprit de la doctrine d’arrière-garde :
elle s’efforce d’exposer et de justifier a posteriori des règles que la loi
ou la jurisprudence ont déjà instituées (point de vue de lege lata). Elle
est majoritaire.
La doctrine d’avant-garde, à l’inverse, essaye de devancer l’œuvre du
législateur ou du juge en élaborant des systèmes et des règles destinés à
être « transfusés » en droit positif (de lege ferenda). Elle est rare parce
qu’elle requiert de l’ambition et une imagination fertile (sans excès 2436),
mais ses succès sont les plus belles conquêtes de la théorie 2437.
Depuis deux décennies, une doctrine collective œuvre à la construction d’un droit privé
européen, un « droit savant », comme l’était déjà la lex mercatoria 2438 et comme l’avaient été le
droit romain et le droit canonique 2439. De nombreux groupes de travail et des réseaux formés de
juristes universitaires de divers pays ont vu le jour, en règle générale après que la Commission
européenne eut diffusé un « livre vert », une communication ou une proposition de texte en forme
d’appel à contributions. Leurs membres croisent leurs connaissances à partir de cas pratiques ou de
questionnaires identiques (bottom up approach) ou élaborent une codification doctrinale (top down
approach) qui se rêve en code européen de droit uniforme. Le droit des contrats a suscité de telles
entreprises dans l’ordre international (« Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce
international ») et l’ordre européen (« Principes du droit européen des contrats » [PDEC] de la
commission présidée par le professeur danois Ole Lando et projet de « Code européen des contrats »
de l’Académie des privatistes européens de Pavie créée en 1990 par le professeur italien Giuseppe
Gandolfi). Cette ambition a suscité une vive hostilité chez des juristes français qui l’accusèrent de
nier la diversité des cultures nationales et de préparer l’enterrement du droit français 2440. Poursuivant
néanmoins sur cette voie, la Commission européenne a lancé en 2004 un vaste projet de « cadre
commun de référence » (CCR). De nouveaux groupes d’experts académiques ont été constitués à
cette fin qui ont élaboré des principes contractuels communs (le Study group on a European Civil
Code dirigé par le professeur allemand Christian von Bar, le groupe « acquis communautaire », le
groupe « Association Henri Capitant/Société de législation comparée »).
D’aucuns pensent que « le rôle de la doctrine a été restauré en Europe » 2441, renouant avec un
lointain passé où le mythe d’un jus commune résonnait 2442. Mais ce genre d’initiatives suscite des
réticences dans bien d’autres pays que la France. Ainsi, une proposition de règlement européen
« relatif à un droit commun européen de la vente » avait été adoptée par la Commission le 11 octobre
2011. Le Sénat belge, le Bundestag allemand et la House of Lords britannique s’y sont formellement
opposés au nom du principe de subsidiarité. Le vecteur de cette réforme était pourtant original. Ce
devait être un nouvel « instrument optionnel », source d’un droit optionnel 2443. Les instruments
juridiques « optionnels » sont des corpus de règles qui s’insèrent dans les systèmes juridiques
nationaux en y ajoutant un régime juridique distinct de celui qui résulte du droit interne. Les citoyens
et les entreprises ont ainsi le choix : ils peuvent s’en tenir à l’application du droit national ou choisir
l’instrument optionnel. Celui-ci est autonome. Il découle du droit dérivé de l’Union européenne (un
règlement européen) ou d’une convention internationale conclue entre les États membres. Il existe des
instruments optionnels dans divers domaines : la procédure civile (sur le titre exécutoire européen, la
procédure européenne d’injonction de payer et celle de règlement des petits litiges), le droit de la
propriété intellectuelle (la marque ainsi que les dessins et modèles communautaires, le brevet
européen), le droit des groupements et des sociétés (la société européenne, le GEIE, la société
coopérative européenne)... Pour l’heure, ils restent généralement méconnus et peu utilisés.
D’une certaine façon, le rôle de la doctrine a aussi été restauré en Afrique, où une intégration
juridique de grande ampleur a été accomplie au sein de l’Organisation pour l’harmonisation en
Afrique du droit des Affaires (OHADA). Créée par le traité de Port-Louis du 17 octobre 1993
(révisé à Québec le 17 octobre 2008), l’OHADA est une organisation internationale regroupant 17
États africains. Elle vise à établir un marché commun, régi par un droit des affaires uniforme, lui-
même constitué au travers d’« Actes uniformes ». Neuf Actes uniformes sont entrés en vigueur entre
les États parties, relatifs au droit commercial général, aux droits des sociétés, des sûretés, des
procédures collectives, etc. (cf. http://www.ohada.com). Le droit de l’OHADA (des sociétés ou des
sûretés, notamment) est très inspiré du droit français. Outre des organes politiques (la Conférence des
chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres) et un organe exécutif (le Secrétariat
permanent), l’OHADA comprend un organe juridictionnel original : la Cour commune de justice et
d’arbitrage (CCJA). La CCJA a bénéficié d’un transfert de souveraineté judiciaire unique au monde
puisqu’elle connaît des pourvois en cassation formés contre les décisions rendues en dernier ressort
par les juridictions nationales appliquant un Acte uniforme.

435. Des chemins parallèles. – Doctrine et jurisprudence partagent


des intérêts communs et suivent un cheminement parallèle. Les grandes
constructions jurisprudentielles sont contemporaines de grandes
théories doctrinales, sans qu’il soit toujours possible de déterminer celle
qui a précédé et influencé l’autre. Leurs méthodes de raisonnement sont
semblables, leur essor ou leur déclin simultanés. Il est toutefois une
différence cruciale : la doctrine reconnaît à la jurisprudence une nature
de source du droit, ce qu’elle n’est pas elle-même. Quelques auteurs
avant-gardistes ont cependant obtenu les suffrages des juges.
L’action de in rem verso fut consacrée par la Cour de cassation en 1892 2444 dans un attendu
recopié dans la quatrième édition du Cours de droit civil d’Aubry et Rau, publiée en 1873 2445. Il est
vrai que les deux professeurs étaient devenus, après 1871, conseillers à la Cour de cassation. La
distinction 2446 de la garde de la structure et de la garde du comportement dans la responsabilité du
fait des choses, conçue par Berthold Goldman 2447, fut consacrée moins d’une décennie plus tard 2448.
En droit international privé, où les apports doctrinaux ont compensé la carence législative, la pensée
d’Henri Batiffol a fortement influencé la Cour de cassation 2449.
À un degré supérieur, des réformes peuvent être conçues et réfléchies
par un seul homme (tel professeur de droit ayant autorité). Le droit y
gagne en cohérence et les innovations sont plus nettes.
Autrefois, Valette (professeur à la faculté de droit de Paris et député) fit adopter la loi du
10 juillet 1850 organisant la publicité du contrat de mariage 2450. Henri Capitant prépara la réforme
de la preuve des reprises dans le régime de la communauté conjugale (L. 23 avr. 1924) qui, pourtant,
fut un échec 2451. Jean Carbonnier a rédigé les avant-projets de réforme du droit de la famille qui, à
partir de 1964, marquèrent le désengagement de la loi en ce domaine 2452. René Rodière fut l’artisan
de la loi du 18 juin 1966 sur le transport maritime. Gérard Cornu rédigea le nouveau Code de
procédure civile. André Tunc défendit durant vingt années l’idée d’une réforme du droit des
accidents de la circulation qui vit le jour avec la loi Badinter du 5 juillet 1985. Un article de Jacques
Flour provoqua une modification immédiate de la loi sur l’organisation du notariat 2453. D’une
manière générale, les traités européens doivent beaucoup aux professeurs français d’économie
politique et de droit public 2454.
Un grand nombre de professeurs ont présidé des commissions de
réforme, mises en place par le pouvoir politique, dont les travaux n’ont
jamais franchi le seuil du Parlement – ou alors de façon partielle et
après avoir été dénaturés.
« L’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la
prescription », élaboré par 33 professeurs et 3 magistrats puis remis au
garde des Sceaux le 22 septembre 2005 par Pierre Catala, puisait de
nombreuses définitions dans la doctrine civiliste et sa substance dans la
jurisprudence – que parfois il combattait. Seul le second volet a connu
une traduction législative (L. no 2008-561 du 17 juin 2008 portant
réforme de la prescription en matière civile. C. civ., art. 2219 à 2279).
Mais l’auteur de l’avant-projet sur la prescription (Philippe Malaurie) a,
comme beaucoup d’autres, critiqué cette transposition législative qui
dénaturait celui-ci 2455. Par la suite, la réforme du droit des contrats (ord.
10 févr. 2016) s’est peu inspirée du projet Catala.
À cet égard, le droit français n’encourt pas le reproche jadis adressé
au droit allemand, d’être un Professorenrecht (droit de professeurs).
Si le droit reçoit outre-Rhin la dénomination de Professorenrecht, c’est d’abord parce que la
Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe (Bundesverfassungsgericht, BVG) et les cinq cours
suprêmes fédérales (le Bundesgerichtshof ou BGH, plus les quatre cours spécialisées : le BAG, le
BSG, le BFH et le BverwG 2456) se réfèrent couramment à la doctrine universitaire afin de motiver
leurs décisions (passant parfois en revue une trentaine d’auteurs). Bien plus, nombre de ces
magistrats sont des professeurs de droit. Le BVG, en particulier, compte 11 professeurs parmi ses
16 membres (dont son président depuis 2010, Andreas Voßkuhle) ; le président du BGH est lui aussi
un professeur de droit. D’une manière générale, les juristes allemands apprécient d’autant plus un
problème de droit qu’il fait couler beaucoup d’encre. Par ailleurs, la vie juridique allemande est
rythmée par un événement capital : tous les deux ans, depuis 1860, se tiennent les « journées des
juristes allemands » (Deutsche juristentage) qui réunissent entre 2 500 et 3 500 juristes autour d’un
certain nombre de thèmes juridiques et dont les actes donnent ensuite lieu à une publication
prestigieuse. Les « DJT » sont organisées par l’Association des juristes allemands (Deutscher
Juristentag e.V.) qui regroupe 8 000 juristes de toutes professions, ayant achevé leurs études de droit
et obtenu le premier examen d’État ; de façon significative, elle est présidée par un professeur de
droit et ancien juge au Tribunal de Karlsruhe.
Les professeurs, en France, n’ont ni le prestige social ni l’influence des professeurs allemands. En
outre, un tout petit nombre siège à la Cour de cassation (un par chambre semble être le maximum) et
trois seulement sont devenus présidents de chambre 2457. Mais l’étude des pratiques quotidiennes
rassure plutôt : les rapports des conseillers-rapporteurs et les avis des avocats généraux accordent
aujourd’hui une place notable à la doctrine qui semble lue avec soin à la Cour 2458. L’inconvénient est
que ces magistrats placent parfois sur le même plan la note publiée par un étudiant ou l’employé d’un
éditeur et l’ouvrage de référence d’un professeur.

436. La doctrine de la jurisprudence ? – À l’évidence, les écrits d’un magistrat, détachés de tout
litige particulier, se placent dans la doctrine, celle des praticiens. Le doute est permis, en revanche,
lorsque des conseillers-rapporteurs et des avocats généraux à la Cour de cassation ou des
« rapporteurs publics » (anciens commissaires du gouvernement) devant les juridictions
administratives publient leur rapport ou leurs conclusions : ces écrits participent d’une décision
judiciaire à venir, même s’ils contiennent une réflexion doctrinale. La frontière est encore plus
trouble quand un magistrat annote un arrêt rendu en sa présence ou sous sa présidence 2459. D’une
manière générale, les membres du Conseil d’État ou de la Cour de cassation commentent avec
beaucoup de prudence les décisions rendues par ces juridictions et osent à peine les critiquer.
Toute juridiction suprême, dans son ensemble, tend à arborer une image doctrinale 2460. Les arrêts
dits de principe offrent un intérêt théorique pur 2461. Quelques arrêts adoptent un style solennel et
dogmatique 2462. Selon une formule de style riche d’ambiguïtés, est irrecevable le pourvoi qui invite
la Cour de cassation « à revenir sur la doctrine affirmée » dans un premier arrêt de cassation
« lorsque la juridiction de renvoi s’y est conformée » 2463. La Cour a même inventé un adage pour
résumer cette fin de non-recevoir : pourvoi sur pourvoi ne vaut 2464.
Par ailleurs, le rapport annuel de la Cour de cassation qui sélectionne les arrêts les plus
importants de l’année écoulée s’ouvre sur des « suggestions » de modifications législatives ou
réglementaires qui sont autant de critiques doctrinales. Des « communiqués » paraissent sur les sites
internet des différentes juridictions suprêmes, livrant un résumé et, parfois, un commentaire d’une
décision publiée 2465 ; le Conseil d’État précise qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur les
commentaires que publie le Conseil constitutionnel sur son site internet relatifs à la portée de ses
décisions 2466. De façon innovante, le Service de documentation et d’études (SDE) de la Cour a
publié de sa propre initiative des questions-réponses relatives à une loi nouvelle 2467, sur le modèle
d’une circulaire ministérielle interprétative, tout en prenant soin d’éviter leur assimilation à des avis
officiels 2468.

437. Essai de définition de la doctrine. – Tout interprète du droit (y


compris un magistrat, à condition d’être sorti du cadre strict de son
activité juridictionnelle) fait œuvre de doctrine dès lors qu’il expose un
raisonnement. Le raisonnement se définit comme l’exercice de la faculté
de la raison par opposition à l’expérience, à l’évidence, au fait et à
l’action 2469.
Ne revêt pas un caractère doctrinal l’écrit qui se borne à relater une
expérience (ex. : récit d’un épisode contentieux ou conseils prodigués
par un praticien dans une revue), décrire une évidence (ex. : exposé d’un
arrêt ou synthèse d’une jurisprudence à l’état brut) ou un ensemble de
faits (ex. : données économiques ou sociologiques). Dans ces trois cas,
le propos est descriptif et ne peut donc être doctrinal : le raisonnement
est au contraire un usage de la raison discursive – qui procède selon le
discours logique. L’écrit doctrinal ne s’identifie pas plus à l’action dont
l’exercice est réservé au juge (ou « juris-diseur » en général) et au
législateur (ou « juris-lateur » en général). Ce n’est pas raisonner
doctrinalement que de juger, légiférer ou réglementer.
Suivant une variante, la doctrine juridique peut aussi être définie à l’image de la loi 2470 : du point
de vue organique, elle désigne une communauté d’« auteurs » dont sont exclus le juge et le
législateur ; du point de vue matériel, elle recouvre l’ensemble des « raisonnements critiques »
déployés dans la sphère de l’ordre juridique. Ces deux visages s’unissent naturellement : pour les
juristes, un auteur est précisément le signataire d’un écrit doctrinal et c’est l’existence d’un
raisonnement critique en droit qui lui imprime cette marque de fabrique. En définitive, la doctrine
juridique ne se définit pas ratione personæ comme un corps, une entité ou une communauté 2471 mais
avant tout ratione materiæ par la notion d’écrit doctrinal, au sens très spécifique du terme 2472.
L’étude des caractères du discours doctrinal s’avère d’ailleurs éclairante 2473.
À ce titre, l’étude de l’interprétation constitue un prolongement
naturel de celle de la doctrine.

SECTION II
L’INTERPRÉTATION

438. Un labeur sans trêve. — L’interprétation 2474 est au cœur de la


règle de droit qui n’acquiert d’existence véritable qu’une fois qu’elle a
été comprise.
Elle est le labeur incessant du juriste, labourant sans relâche le champ
du droit pour mettre à jour, appliquer, modeler ou inventer des règles. Le
processus d’application du droit ne se conçoit pas sans phase
d’interprétation 2475. Elle seule permet de résoudre les « mille questions
inattendues » qui se posent inévitablement, sitôt une loi achevée 2476. Elle
est parfois divinatoire car elle est recherche et construction de la
vérité 2477. Elle se distingue difficilement de la création normative 2478.

439. Les sens du sens. – L’interprétation est la recherche du sens


(c’est-à-dire d’une signification et aussi d’une direction 2479) de la règle
obscure. Elle intéresse la théorie générale du droit aussi bien que la
pratique quotidienne dans la mesure où elle fait appel à des
raisonnements savants et au bon sens 2480. Néanmoins, le bon sens
populaire, la connaissance de la grammaire et de la syntaxe ne suffisent
pas : en droit, l’interprétation requiert une technique juridique mise au
service d’un sens politique (policy making).
Les méthodes d’interprétation ont varié tout au long de l’histoire,
suivant la conception du droit prévalant à chaque époque 2481. Ainsi, au
XIX siècle, le fait que la loi fut la source exclusive du droit a provoqué
e

l’essor de la méthode exégétique 2482 et, lorsque le positivisme légaliste


se trouva ébranlé, de nouvelles méthodes apparurent 2483. À partir des
années 1970, le rôle primordial des sources constitutionnelles et
internationales (droit communautaire, Convention européenne des droits
de l’homme) 2484 a de nouveau bouleversé les règles d’interprétation en
les enrichissant. Depuis cette époque, les interprètes se sont multipliés
aux différents degrés de la hiérarchie des normes (en France, les juges
nationaux ordinaires ou constitutionnel, le juge communautaire et le
juge européen) au point que l’interprétation s’est vu reconnaître un rôle
véritablement créateur du droit 2485.

440. Traduction juridique 2486 ; langue française ; charabia. – 1º)


La traduction est, comme l’interprétation, une quête de sens. Le
traducteur rend intelligible une langue étrangère, par nature obscure.
L’analogie a été soulignée 2487 mais ne doit pas être forcée : l’interprète
jouit d’un pouvoir créateur supérieur à celui du traducteur 2488.
Une anecdote montre que la spécificité du langage juridique peut rendre la traduction délicate 2489
sinon périlleuse. En 1954, l’empereur d’Éthiopie Haïlé Sélassié Ier décida de donner des codes à son
pays (qui ignorait l’idée de droit, même coutumier). Deux experts français et un suisse furent choisis ;
le professeur français René David fut l’un d’eux. Le Code civil fut promulgué, avec le Code de
commerce, le 5 mai 1960 2490. Il fut traduit par les services du ministère de la Justice éthiopien en
amharique, langue de travail du pays que parle la majorité de la population. Désireux de s’assurer de
la fidélité de la version amharique, qu’il ne lisait pas, René David sollicita une traduction de
l’amharique vers l’anglais qu’il vérifia. Deux articles le stupéfièrent. Le premier disposait que les
enfants abandonnés seraient mis dans des fours allumés par les municipalités ; le second que les
décisions du conseil de famille seraient placées dans des petits pots. La version originale française
de ces deux textes était la suivante : les enfants abandonnés seront placés dans des foyers ouverts par
les municipalités ; les décisions du conseil de famille seront entérinées.
En France, « l’absence de version officielle en langue française d’une disposition législative
[en l’occurrence, un texte relevant du droit local applicable en Alsace-Moselle qui était rédigé
uniquement en allemand] porte atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la
loi » 2491.
2º) Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François Ier en
1539 2492, le français est la langue de la justice : les actes de procédure,
les éléments de preuve 2493 comme les jugements 2494 doivent être écrits en
français ; les avocats doivent s’exprimer dans cette même langue 2495. La
volonté « d’anéantir les patois » et d’universaliser l’usage du français
dans les lois afin d’effacer la division du pays en provinces dotées de
leur propre coutume, était l’un des idéaux républicains de la Révolution
qui inspira le Code civil 2496. Le langage est, en effet, une norme : il
structure et formalise les rapports sociaux. Sa défense contemporaine est
assurée par la loi Toubon no 94-665 du 4 août 1994, relative à l’emploi
de la langue française 2497, qui entend, lutter en tous domaines contre
l’expansion de la langue anglaise – promue comme une langue
universelle par l’Union européenne derrière un multilinguisme de
façade 2498. À contre-courant de cette uniformisation et marquant un
retour vers le passé, la Constitution française, après avoir proclamé que
« la langue de la République est le français » (art. 2), considère
désormais que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de
la France » (art. 75-1, L. no 2008-724, 23 juill. 2008). L’heure est
désormais à la défense des minorités linguistiques – les langues
régionales en France et le français à l’échelle mondiale.
La défense du français est étroitement liée à celle du modèle du droit civil (Civil Law) opposé à
celui de la Common Law dont l’« attractivité » est activement louée par les juristes anglo-
américains 2499. La langue française occupe encore une place remarquable dans les délibérés des
juridictions internationales (CJUE, CEDH et surtout CIJ 2500) ; pour combien de temps ?
3º) La langue française est aussi rongée par un mal intérieur : le charabia juridique 2501. Elle se
nourrit de néologismes complexes, à base de préfixes (ex. : refiscalisation, déremboursement,
déblocage...), de suffixes ou de mots agglutinés (ex. : sécurisation des parcours professionnels,
flexisécurité du travail...), d’expressions obscures, lourdes et pédantes (ex. : couple confronté à
« l’infertilité sociale » au lieu d’homosexuels qui ne peuvent procréer, « acteurs impliqués dans la
conception » au lieu de parents et médecins...), de métaphores techniques ou sportives
(modernisation, compétitivité des entreprises, performance énergétique...), d’acronymes (il en existe
des centaines). De telles formules sont caractéristiques de la « novlangue » (selon le mot de George
Orwell) 2502 qu’emploient tous les régimes totalitaires afin de diffuser leur propagande, manipuler les
esprits, justifier les persécutions ou, à tout le moins, masquer une réalité impopulaire (ex. : la
flexibilité du contrat de travail vise à faciliter le licenciement, la croissance négative désigne le
déclin économique). Le philologue allemand Victor Klemperer avait ainsi analysé la langue des nazis
qui, notamment, recouraient abondamment à des termes populaires (à commencer par le mot
« peuple », Volk), au registre sportif ou mythologique (pour glorifier l’effort, le sacrifice,
l’héroïsme), à des abréviations, acronymes et termes techniques (ex. : SS signifiait Schutzstaffel,
escadron de protection) mais aussi au vocabulaire étranger (d’autant plus impressionnant qu’il était
mal compris) 2503. Aucune langue n’est à l’abri de cette dérive.

441. Plan. – Comme l’art divinatoire, la prophétie ou l’élucidation


des mystères, l’interprétation confère à son auteur un pouvoir. Trois
questions se posent afin de le délimiter. La compétence : qui interprète ?
(§ 1) Le domaine : quand interpréter ? (§ 2) La méthode : comment
interpréter ? (§ 3)

§ 1. QUI INTERPRÈTE ?

442. L’adage ejus est interpretari. – L’autorité qui, à première vue,


semble la plus qualifiée pour interpréter une règle de droit est,
indépendamment du juge, son auteur. Tel est le sens de l’adage ejus est
interpretari legem cujus est condere (c’est à l’auteur de la règle qu’il
appartient de l’interpréter) qui défend la souveraineté du pouvoir
normatif : le législateur interpréterait la loi, le gouvernement les actes
administratifs et le juge ses décisions. Cette méthode, dite de
l’« interprétation authentique », est caractéristique des régimes
autocratiques, enclins à la concentration des pouvoirs.
Tel était l’Ancien Régime où le roi s’était réservé l’interprétation de ses ordonnances et autres
édits 2504. La méthode fut reprise par le législateur révolutionnaire au moyen du « référé législatif ».
Conforme à l’idée jacobine de l’absolutisme de la loi, le référé législatif s’appliqua de 1790 à
l’an VIII 2505. Ses inconvénients étaient majeurs : il encombrait le Parlement de querelles de clochers,
ralentissait la procédure et, surtout, violait le principe de la séparation des pouvoirs ; au demeurant,
le Tribunal de cassation s’était efforcé de le paralyser 2506. Après que le Code Napoléon, en son
article 4, eut reconnu au juge le pouvoir d’interpréter la loi 2507, le référé législatif connut divers
avatars 2508 jusqu’à ce que son dernier vestige fût supprimé par la loi du 1er avril 1837 2509.
Le droit moderne se montre plus respectueux de la séparation des
pouvoirs. Le législateur n’interprète pas ses propres lois : la règle
n’appartient plus à celui qui l’a faite. Sans doute lui arrive-t-il d’adopter
des lois interprétatives ; mais elles-mêmes sont soumises au contrôle et à
l’interprétation judiciaires 2510.

443. Maintien de l’adage. – La maxime ejus est interpretari reste


exacte à l’égard des sources administratives du droit. La réponse
ministérielle est une sorte de métamorphose du référé législatif, une
sorte de référé exécutif 2511. La seule évocation du rescrit 2512 souligne
l’utilité de l’interprétation authentique.

§ 2. QUAND INTERPRÉTER ?

Selon une analyse traditionnelle, il ne faudrait interpréter qu’en


présence de deux éléments : une règle écrite (I) obscure ou ambiguë (II).

I. — Règle écrite

444. Interprétation des règles non écrites ou des faits. –


Généralement, il est enseigné que seules les sources écrites du droit
seraient susceptibles d’interprétation (Constitution, traité, loi,
règlement). L’histoire enseigne le contraire 2513, et le droit contemporain
illustre la nécessité permanente d’interpréter les principes, les coutumes,
les usages et, bien sûr, la jurisprudence.
La qualification juridique est parfois analysée en une interprétation des faits qu’elle
« subsumerait » sous une catégorie de droit 2514. Mais les deux opérations sont distinctes.
L’appréciation ou le constat d’un fait matériel est une étape préalable à la qualification. En outre, si
l’interprète peut étendre ou restreindre une catégorie juridique à dessein, il ne peut inventer ou nier
une réalité. Enfin, les arguments et méthodes d’interprétation 2515 ne s’appliquent que difficilement
aux faits.

445. Appréciation de la légalité, hiérarchie des normes et


interprétation. – L’interprétation vise toutes les sources écrites du
droit : la Constitution, les traités internationaux, la loi, les actes
administratifs, les actes juridiques (ex. : contrats et testaments). La
plupart des difficultés que soulève l’interprétation sont liées à des
questions de légalité c’est-à-dire la conformité de la norme interprétée à
une norme supérieure (ex. : un acte administratif au regard de la loi ou
de la Constitution, une loi par rapport à un traité) : elles relèvent, à ce
titre, de la hiérarchie des sources 2516.
Même si l’appréciation de la légalité constitue, dans la logique du raisonnement, une étape
préalable à l’interprétation, ces deux opérations s’entremêlent : selon la manière dont il est
interprété, un texte peut se révéler conforme ou non à une norme supérieure. Ainsi, les « réserves
d’interprétation » émises par le Conseil constitutionnel conditionnent-elles la validité de la loi
interprétée au regard du bloc de constitutionnalité 2517.
En revanche, aucune confusion n’est possible entre une règle ou un principe d’interprétation, qui
sert à trancher un conflit entre des normes de rang égal, concurrentes, et une règle définissant la
hiérarchie des normes, classées suivant leur inégale valeur. Le droit du travail a illustré cette
distinction 2518.

446. Questions préjudicielles. – Le principe commun à toutes les


procédures est que « le juge de l’action est le juge de l’exception » ; il
étend la compétence d’une juridiction saisie d’un litige à la
connaissance des moyens, demandes et incidents soulevés devant elle
par voie d’exception, alors même que ces demandes eûssent relevé de la
compétence d’une autre juridiction si les parties les avaient formulées
par voie d’action 2519.
Ce principe subit des dérogations : une difficulté juridique relevant de
la compétence exclusive d’une autre juridiction doit donner lieu à une
« question préjudicielle » que pourra seul trancher le juge normalement
compétent. Il existe ainsi des questions préjudicielles de nature civile,
pénale, administrative, européenne et constitutionnelle 2520 protégeant la
compétence exclusive des juridictions civiles 2521, répressives,
administratives, européenne et constitutionnelle 2522. Celles qui relient le
contentieux judiciaire au contentieux administratif appellent un examen
particulier.

447. Séparation des pouvoirs ; contrôle de légalité ou de


conventionalité ; voie de fait ; juge pénal. – 1º) Le principe de la
séparation des pouvoirs, défini par la loi des 16-24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III 2523, restreint la compétence du juge
judiciaire désireux d’interpréter ou d’apprécier la légalité d’un acte
administratif. Notamment, le Tribunal des conflits ne lui permet que
d’interpréter un acte administratif réglementaire, au motif qu’un tel acte
« participe du caractère de l’acte législatif » 2524. À l’inverse, il lui est
interdit, d’une part, d’apprécier la légalité d’un tel acte et, d’autre part,
d’interpréter ou d’apprécier la légalité d’un acte administratif
individuel 2525 : le juge judiciaire est alors tenu de surseoir à statuer en
attendant que le juge administratif se prononce sur cette question, dite
« question préjudicielle » (C. pr. civ., art. 49). Réciproquement, le juge
administratif est tenu de transmettre au juge judiciaire une question
relevant de sa compétence, dès lors que la solution du litige en dépend
et qu’elle soulève une difficulté sérieuse (C. just. adm., art. R. 771-2).
2º) La Cour de cassation, avec l’exception de conventionnalité, a taillé une brèche dans cet
ordonnancement. Elle estime que le juge qui écarte l’application d’un règlement contraire au droit de
l’Union européenne n’en apprécie pas la légalité 2526. De même, elle écarte des textes de nature
réglementaire au nom de la Convention européenne des droits de l’homme 2527. En somme, elle
oppose exception de légalité et exception de conventionnalité. Mais, sous couvert de la primauté du
droit de l’Union européenne, de la Convention EDH ou des traités internationaux en général (Const.,
art. 55), le juge judiciaire s’arroge le pouvoir de contrôler la légalité d’un acte administratif
réglementaire.
Le Tribunal des conflits a d’abord désapprouvé cette distinction subtile en considérant que
l’article 55 de la Constitution ne permettait pas de déroger au principe de la séparation des
pouvoirs 2528. Puis il a battu partiellement en retraite. Contraint de s’incliner devant la primauté du
droit de l’Union européenne (qui s’impose en vertu des traités constitutifs de l’UE mais aussi de
l’art. 88-1 de la Constitution) 2529, il a apporté une exception à sa jurisprudence Septfonds : dans le
cas où est invoquée à titre incident la non-conformité d’un acte administratif au droit de l’Union
européenne, le juge judiciaire doit pouvoir en faire application sans être tenu de saisir au préalable
la juridiction administrative d’une question préjudicielle 2530.
Une seconde exception, toute pragmatique, est introduite : « lorsqu’il apparaît manifestement, au
vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie » par le juge civil saisi au
principal, celui-ci n’a plus à surseoir ; l’objectif est de garantir « le droit de tout justiciable à ce que
sa demande soit jugée dans un délai raisonnable » (Conv. EDH, art. 6, § 1) 2531. Cette exception est
un avatar de la théorie de l’acte clair (v. infra).
Ces deux exceptions ont été reprises par le Conseil d’État afin de dispenser – en sens inverse – le
juge administratif de saisir l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle mettant en cause la
légalité d’un acte de droit privé 2532.
3º) Dernière exception plus traditionnelle autorisant le juge civil à
enjamber la frontière : la voie de fait commise par une personne de droit
public permet aux tribunaux civils d’apprécier la légalité des actes
litigieux malgré leur caractère administratif 2533. Cette éventualité est
étroite 2534. Récemment, le tribunal des conflits l’a encore restreinte 2535.
4º) Au contraire du juge statuant en matière civile, le juge pénal
jouit, depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, d’une
plénitude de juridiction excluant toute question préjudicielle : « Les
juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes
administratifs, réglementaires ou individuels, et pour en apprécier la
légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui
leur est soumis » (C. pén., art. 111-5) 2536.

II. — Clarté

448. Interprétation et dénaturation. – 1º) Par hypothèse,


l’interprétation d’un acte juridique n’est nécessaire qu’en cas
d’obscurité ou d’ambiguïté 2537. Au contraire, un acte clair et précis ne
doit pas être interprété (interpretatio cessat in claris) 2538 : il doit être
appliqué 2539. Une règle est claire, selon une définition célèbre,
« lorsqu’elle n’est pas de nature à faire naître un doute dans un esprit
éclairé » 2540. L’interprétation relève du pouvoir souverain des juges du
fond 2541. Néanmoins, le juge du fond qui prétend interpréter un acte clair
commet une dénaturation l’exposant à la censure de la Cour de
cassation 2542. Cette distinction entre interprétation et dénaturation
s’avère fragile car la notion de clarté n’est simple qu’en apparence 2543.
Au demeurant, lorsqu’il s’efforce de distinguer le clair de l’obscur, le
juge est conduit à interpréter le contenu de l’acte 2544. Reconnaître la
clarté d’un acte procède déjà d’une interprétation ; le serpent se mord la
queue.
2º) La Cour de cassation exerce le contrôle de la dénaturation sous le visa de l’article 1103 (anc.
art. 1134, al. 1er) qui s’avère fictif lorsqu’elle examine des écrits dépourvus de valeur contractuelle
(ex. : actes de procédure 2545, brevets d’invention 2546, lois étrangères 2547, procès-verbaux 2548, lettres
missives 2549, etc.). Adoptant la suggestion de certains magistrats 2550, la Cour de cassation tend
aujourd’hui à lui substituer un visa fondé sur un principe 2551.

449. Lacunes en droit. – Si la clarté exclut l’interprétation, celle-ci est à nouveau requise en
présence d’une lacune dans le droit (c’est-à-dire une absence de règle). Même si elle apparaît
clairement à l’interprète, la lacune doit être comblée. Elle se définit de deux façons différentes.
La lacune objective reflète la situation dans laquelle une règle nécessaire à la solution du cas
litigieux fait défaut. Une antinomie, l’absence d’un décret d’application ou de désignation de
l’autorité habilitée à trancher le différend peuvent en être la cause.
La lacune subjective a été définie par Kelsen, reprenant une conception allemande du XIXe siècle
bâtie sur le postulat de la complétude du droit : il n’y a lacune dans le droit (Lücken im Recht) que
« lorsque l’organe d’application du droit considère le défaut d’une norme juridique comme
regrettable d’un point de vue de politique juridique et qu’en conséquence il repousse l’idée
d’appliquer le droit en vigueur ». Dans ces conditions, il n’existerait aucune authentique lacune
(eigentliche Lücken) mais seulement des prétendues lacunes (uneigentliche Lücken) 2552.

450. Théorie de l’acte clair. – 1º) La « théorie de l’acte clair »


justifie le rejet d’une question préjudicielle (qui est en principe
obligatoire) parce que la règle dont le sens est clair n’appelle aucune
interprétation. Une jurisprudence séculaire délie par ce motif le juge
civil de son devoir de renvoyer les parties à se pourvoir devant le juge
administratif 2553.
Dans un litige, le juge administratif et le juge judiciaire ne sont tenus
de se transmettre – dans les deux sens – une question préjudicielle que
si elle excède les limites de leur compétence respective et si elle
« soulève une difficulté sérieuse » (C. pr. civ., art. 49 ; C. just. admin.,
art. R. 771-2, issus D. 27 févr. 2015). Chaque juge apprécie librement le
degré de la difficulté posée ; il peut être tenté de la minimiser afin
d’interpréter lui-même le droit positif.
2º) De façon plus critiquable, la théorie de l’acte clair est aussi
maniée par certaines juridictions comme un instrument de résistance au
droit international. Tenues de saisir la Cour de justice de l’Union
européenne d’un recours préjudiciel lorsque surgit une difficulté
d’interprétation 2554 d’un acte de l’Union (TFUE, art. 267), la Cour de
cassation et le Conseil d’État tendent à souligner la clarté de la règle
litigieuse pour se délier de leur obligation de renvoi 2555. Certes, la Cour
de Luxembourg admet en principe cette exception ; mais elle met en
garde les juges nationaux contre le mirage qui les persuaderait de la
clarté du droit de l’UE : le risque de divergences d’interprétation est
considérable dans l’espace européen, compte tenu de la diversité
linguistique et de la complexité caractérisant ce droit 2556. Mais des juges
négligent cet avertissement et privilégient une lecture nationaliste des
normes européennes, allant jusqu’à méconnaître une interprétation
d’ores et déjà consacrée par la Cour de justice : la chambre criminelle de
la Cour de cassation 2557 et le Conseil d’État se montrent parfois tenaces,
au risque d’être désavoués 2558.
Cette résistance expose l’État français à un recours en manquement devant le juge européen (la
CJUE) 2559, ainsi qu’à une action en responsabilité devant les juridictions internes 2560. En privant le
justiciable d’un recours juridictionnel effectif, elle peut de surcroît constituer une violation de
l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme 2561.
En 2013, pour la première fois, le Conseil constitutionnel a saisi la CJUE d’une question
préjudicielle 2562. Il n’est pas certain que cette initiative inédite augure d’une révolution
jurisprudentielle et, notamment, que la Cour de cassation ou le Conseil d’État abandonnent leur
conception restrictive de l’acte clair.

451. Interprétation ou correction. – Un texte clair qui comporte une


erreur matérielle ou dont l’application littérale produirait des
conséquences absurdes doit être, non interprété, mais corrigé par le
juge 2563. C’est ce que le droit anglais nomme, respectivement, la Mischief
rule et la Golden rule 2564.
En droit anglais, la loi écrite (Statute Law) est conçue comme une dérogation à la Common Law.
L’interprétation vise à mettre celle-là en harmonie avec celle-ci. À défaut, le Statute Law s’interprète
de façon restrictive, littérale (Literal rule) et objective (sans égard pour l’intention du législateur ni
recours aux travaux préparatoires) 2565. Mais la Common Law n’exerce qu’une faible influence dans
les parties modernes du droit (telle la réglementation économique). À partir des années 1970, s’est
développée une méthode dite de Purposive approach qui conduit le juge à rechercher l’objectif
social d’une loi obscure 2566.
Le juge qui fait subir une cure de jouvence à un texte obsolète ne se
borne pas à le corriger : il l’interprète au regard du but poursuivi
(interprétation téléologique) 2567. A fortiori, le juge qui s’écarte du sens
littéral d’un texte pour éluder un résultat inopportun fait œuvre
d’interprète (interprétation déformante ou créatrice) 2568.

§ 3. COMMENT INTERPRÉTER ?

452. Plan. – L’interprète dispose d’outils préfabriqués : les règles


d’interprétation (I), innombrables et subtiles. En pratique, les voies de
l’interprétation (II) s’avèrent imprévisibles.

I. — Règles d’interprétation 2569

453. Simples conseils. – Quelle que soit leur source, les règles
d’interprétation n’ont qu’une valeur facultative pour l’interprète qui se
voit ainsi proposer des directions contradictoires car « il n’a jamais été
possible de les hiérarchiser de façon telle que l’on puisse indiquer, a
priori, à quelle technique d’interprétation il faut accorder la priorité
quand les interprétations divergentes sont opposées les unes aux
autres » 2570. Optionnelle, indicative, non contraignante, la règle
d’interprétation est une directive, une recommandation, un conseil
adressé à l’interprète, qui se met au service de sa politique juridique et
ne le lie pas.
Ces règles figurent dans la loi (A) et dans des arguments (B), ou
résultent de méthodes générales (C).

A. RÈGLES LÉGALES

454. Infirmités. – Il arrive que la loi (ex. : art. 1188 à 1191, anc.
art. 1156 à 1164, sur l’interprétation des conventions 2571) ou un traité
international (ex. : Convention de Vienne du 23 mai 1969 « sur le droit
des traités », art. 31 à 33 2572) énoncent des règles d’interprétation.
Celles-ci souffrent d’une double infirmité normative. En premier lieu,
la règle d’interprétation présuppose une disposition – équivoque ou
obscure – à interpréter dont elle n’est que l’accessoire ; l’interprétation
s’incorpore à la disposition dont elle éclaire le sens : la règle
d’interprétation est ainsi dénuée d’autonomie, de valeur juridique
propre. En second lieu, elle ne possède aucun caractère obligatoire et,
par conséquent, est insusceptible de fonder un pourvoi en cassation 2573.

B. ARGUMENTS

455. Petit inventaire d’adages interprétatifs. – De multiples


méthodes juridiques d’interprétation sont formulées sous la forme
d’adages, de maximes ou de locutions.
Une première série régit la généralité des cas : actus interpretandus
est potius ut valeat quam ut pereat 2574 (proche du principe « d’effet
utile » 2575) ; cessante ratione legis cessat ejus dispositio 2576 ; exceptio est
strictissimæ interpretationis 2577 ; inclusione unius fit exclusio alterius
ou qui dicit de uno negat de altero (argument a contrario) 2578 ; qui peut
le plus peut le moins (argument a fortiori) 2579 ; in dubio pro reo ou
dubia in meliorem partem interpretari debent 2580 ; in obscuris minimum
est sequendum 2581 ; ubi lex non distinguit nec debemus distinguere 2582,
etc.
D’autres adages suggèrent un critère permettant de trancher une
question plus spécifique, ayant trait à un conflit de normes ou d’intérêts.
Peuvent ainsi être résolus :
– des conflits de normes dans l’espace (ex. : auctor regit actum, locus
regit actum, lex rei sitæ...) ;
– des conflits de normes dans le temps (ex. : lex posterior derogat
priori ; legi speciali per generalem non derogatur ou specialia
generalibus derogant... 2583) ;
– des conflits dans la hiérarchie des normes (ex. : convenances
vainquent loi ou, à l’inverse, privatorum conventio juri publico non
derogat 2584 – cf. C. civ., art. 6) ;
– et, surtout, des conflits de droits concurrents (ex. : prior tempore
potior tempore 2585, nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse
habet 2586, melior est causa possidentis quam petentis 2587, quieta non
movere 2588, qui certat de damno vitando anteponendus est ei qui certat
de lucro captando 2589, res perit domino 2590, res perit debitori 2591,
accessorium sequitur principale 2592, etc.).
Certains de ces adages expriment des méthodes de première
importance du point de vue de la logique juridique.

456. Exceptio est strictissimæ interpretationis ? – Selon


l’étymologie (ex-capere), l’exception est ce qui est hors de prise, qui
échappe à la règle : ou bien en restant à côté d’elle, en marge, sans
l’affecter (ex. : une « exception » de procédure) ; ou bien en s’intégrant
à la règle sous la forme d’une alternative ou d’une dérogation
envisageable, laissée à l’appréciation de l’autorité compétente (par ex.
en cas d’urgence, de nécessité 2593, de circonstances
« exceptionnelles » 2594 ou de fraude 2595) ; ou bien en la mettant en échec,
à l’écart, en la violant 2596.
C’est en ce dernier sens – le plus exact – que « les exceptions sont
d’interprétation stricte » 2597. Cette maxime suscite au moins deux
difficultés.
La première est de savoir quand un texte constitue une exception.
L’analyse grammaticale le signale en présence d’adverbes tels que
« toutefois », « néanmoins » ou « cependant ». Dans le silence des
textes, l’interprétation devient plus aléatoire. La nature de règle
d’exception ou de règle de principe s’avère parfois marquée de
relativisme 2598. Le juge tranche alors par référence à la règle de principe
qu’il souhaite mettre en valeur, telle une liberté 2599.
La seconde difficulté tient à ce que l’interprétation de toute règle, fût-
elle exceptionnelle, doit rester conforme au but de la loi (ratio legis).
Aussi une exception peut-elle être étendue, notamment par voie
d’analogie 2600.
En apparence, l’interprétation stricte est objective et tend à assurer le
règne du texte. En réalité, elle accorde un rôle déterminant à la
subjectivité du juge 2601.
Selon un adage voisin, odiosa sunt restringenda (les lois défavorables doivent être interprétées
strictement). Ainsi « la loi pénale est d’interprétation stricte » (C. pén., art. 111-4), ce qui signifie
que les juges ne peuvent « prononcer par induction, présomption, analogie ou pour des motifs
d’intérêt général » 2602. Il en va de même pour la loi fiscale 2603.
Par ailleurs, specialia generalibus derogant (les lois spéciales dérogent aux lois générales). Si
elle se trouve strictement confinée à l’intérieur de ses limites, une règle exceptionnelle y prévaut sur
la règle générale 2604. De façon exceptionnelle pour une règle d’interprétation, celle-ci s’est vu
reconnaître une valeur obligatoire : la Cour de cassation vise directement le « principe selon lequel
les lois spéciales dérogent aux lois générales » 2605 et le législateur l’a consacrée en droit des
contrats (art. 1105) 2606.

457. Cessante ratione legis cessat ejus dispositio. – Un autre


argument restrictif fait appel à la volonté du législateur : la loi cesse
d’être applicable lorsque sa raison d’être disparaît ; une question qui
relève pourtant de la lettre du texte y échappe si elle s’avère étrangère à
son esprit, à son but (ratio legis).
Mais, le plus souvent, l’évocation de la ratio legis ouvre la voie à une
méthode d’interprétation extensive : l’analogie.

458. Analogie ; induction ; principes de droit. – 1º) L’extension


analogique (argument a simili), traduite par l’adage ubi eadem est legis
ratio ibi eadem est legis dispositio (lorsque la raison d’être de la loi est
la même), consiste à découvrir une identité de rapport (eadem ratio)
entre une situation réglée par le droit (ubi) et une situation non réglée
(ibi) puis à transposer la solution juridique applicable à la première dans
la seconde (eadem legis dispositio) 2607. Ainsi, l’analogie va directement
d’un cas particulier connu à un cas particulier inconnu, selon une
trajectoire intellectuelle horizontale et linéaire 2608. Instrument de
casuistique et d’érudition, elle se différencie à tous ces égards de
l’induction, instrument de conceptualisation et d’intelligence.
2º) L’induction est un procédé ampliatif tirant d’une série finie de
règles une conclusion générale qui recouvre les situations régies par le
droit et celles qui ne le sont pas 2609. Elle s’élève de l’observation de
vérités juridiques partielles vers une vérité générale, prélude à de
multiples déductions. Elle va d’un ou plusieurs cas particuliers connus
vers une norme abstraite avant de redescendre par voie de déduction vers
un cas particulier inconnu, selon une double trajectoire verticale,
ascendante puis descendante 2610.
Outre qu’elle confond parfois analogie et induction, la doctrine distingue au sein de la première
une analogia legis (ou Gesetzesanalogie) et une analogia juris (ou Rechtsanalogie). Cette dernière
consisterait pour le juge, en l’absence de règle susceptible d’être étendue par voie d’analogie au sens
strict (analogia legis), à dégager de l’ensemble de la législation en vigueur et du système juridique
un « esprit des lois » exprimant les « principes fondamentaux de la société dont il fait partie » 2611.
En réalité, l’analogia juris n’entretient qu’une parenté fictive avec l’analogia legis. Cet « animisme
juridique » 2612 s’est maintenu par le biais de la métaphore saisissante du principe « en suspension »
dans l’ordre juridique 2613. Mais l’esprit du droit (comme l’esprit des morts) n’est qu’un objet de
croyance surnaturelle, une vue de l’esprit du juriste. En réalité, ce masque mystique recouvre des
procédés d’interprétation ordinaires, telles l’analogie ou la recherche de l’intention du
législateur 2614. En somme, « il est préférable de revenir sur terre » 2615.
3º) C’est dans les vapeurs de ce droit « en suspension » que des opinions très répandues ont
trouvé refuge. L’approche spiritualiste des principes a conduit une doctrine « romantique » à affirmer
leur préexistence – les principes seraient découverts et non créés par le juge –, leur fonction
d’harmonisation du droit, leur caractère général par essence... toutes opinions démenties par
l’examen du droit positif 2616.

459. A fortiori ; a contrario. – 1º) Le raisonnement a fortiori (qui


peut le plus peut le moins) paraît le plus rigoureux et est souvent
accueilli par les tribunaux 2617. Mais, comme tout argument, son usage est
facultatif pour l’interprète 2618.
2º) L’interprétation large peut aussi résulter d’une analogie inversée :
le raisonnement a contrario (inclusione unius fit exclusio alterius
[l’inclusion de l’un est l’exclusion de l’autre] ; qui dicit de uno negat
de altero [qui affirme pour l’un nie pour l’autre]). Cet argument avait,
avant la réforme de 2005, profondément modifié le droit de la filiation ;
la Cour de cassation, afin d’établir la primauté de la vérité biologique,
avait, par ce moyen, renversé les textes du Code civil (art. 334-9 et 322,
al. 2) qui s’opposaient dans certains cas à la reconnaissance d’enfant
naturel et à la contestation de paternité.
Il n’est pas vrai de dire que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Cette maxime, qui manie
l’argument a contrario, ne relève pas par nature du droit 2619 sauf si, précisément, une règle de droit
l’y a introduite (ex. : le principe de la légalité des délits en droit pénal). Si cette maxime était vraie
en droit, il ne devrait y avoir que des normes prohibitives et aucune norme permissive (qui serait
toujours superflue), ce qui est loin d’être le cas. Au demeurant, pourquoi ne pas dire, en sens inverse,
que tout ce qui n’est pas autorisé serait interdit ?
Enfin, les arguments par analogie et a contrario forment un couple indissociable qui se neutralise
dans l’esprit de l’interprète. Le silence d’un texte posant une règle particulière ouvre toujours à
l’interprète une alternative : ou bien étendre ce texte par analogie à une situation juridique voisine
qu’il n’a pas visée, en considérant que le législateur n’a pas entendu exclure le principe à son égard
(il l’aurait dit expressément si telle avait été son intention) ; ou bien interpréter le silence du texte a
contrario et considérer que le législateur a implicitement banni le principe dans cette situation (et
l’aurait expressément maintenu si telle avait été son intention) 2620. Par nature, aucune de ces deux
branches ne prévaut sur l’autre ; l’alternative se révèle insoluble a priori 2621.
C. MÉTHODES GÉNÉRALES

Il existe principalement deux méthodes d’ensemble : les méthodes


exégétiques et les méthodes d’ensemble.

460. Méthodes exégétiques : subjectives et objectives. – La


méthode exégétique est réputée la plus classique mais aussi la plus
servile. Empruntant ses caractères à l’« École de l’exégèse » (qui n’était
pas une école de pensée), elle réduirait le droit à la loi et le tiendrait
pour un ensemble clos, insensible aux réalités sociales ou à la justice,
et suivant une logique infaillible (ce que pourtant les exégètes ne
pensaient pas) 2622 : l’interprète serait un esclave enchaîné au texte. En
réalité, la méthode exégétique revêt, à l’époque contemporaine, deux
formes, l’une subjective, l’autre objective.
1º) Dans une variante subjective, elle cherche la volonté du
législateur. Tantôt, elle se livre à l’analyse de la ratio legis (la raison
d’être, l’esprit, le but de la loi) : c’est l’interprétation téléologique qui
prend appui, notamment, sur les intitulés de la loi 2623, un exposé
préalable des motifs ou un énoncé général 2624 ; elle est parfois
considérée comme une méthode autonome. Tantôt elle a recours aux
travaux préparatoires.
Fort utilisé au XIXe siècle, l’appel aux travaux préparatoires 2625 s’est longtemps perdu dans la
jurisprudence de la Cour de cassation 2626 mais connaît aujourd’hui un regain 2627. Il est surtout
fréquent dans les arrêts du Conseil d’État et, plus encore, dans les décisions du Conseil
constitutionnel qui y puise parfois le contenu de ses réserves d’interprétation 2628. Des critiques lui
furent adressées : les débats parlementaires seraient confus, contradictoires et, le plus souvent,
lacunaires ; si le législateur avait songé à la difficulté, il l’eût résolue lui-même (ce qui est moins
sûr) ; en outre, la recherche d’une ancienne volonté du législateur engendre une sclérose juridique.
2º) Dans sa variante objective, la méthode exégétique s’appuie sur le
texte en lui appliquant une série d’analyses lexicale 2629, grammaticale et
logique. L’analyse logique permet de dégager la cohérence intellectuelle
d’une disposition ambiguë 2630. L’emplacement d’un texte dans un code
permet aussi d’en préciser le sens : le texte s’éclaire par le contexte 2631.
De nos jours, toute loi s’interprète d’abord selon une de ces
méthodes. La critique de François Gény n’a pas vaincu l’exégèse et sa
« libre recherche scientifique » (une interprétation politique) n’a pas
convaincu 2632. Et même, l’exégèse de la jurisprudence s’est ajoutée à
celle de la loi.

461. Méthodes d’ensemble : effet utile et interprétation


évolutive. – 1º) Le droit des contrats 2633 et surtout celui des traités 2634
emploient une méthode extensive, à la fois simple et pragmatique : les
stipulations conventionnelles doivent être interprétées de telle façon
qu’elles acquièrent une pleine efficacité. La Cour de justice des
Communautés européennes a exploité ce raisonnement – baptisé
« principe de l’effet utile » – pour étendre de façon considérable la
portée du droit communautaire et les compétences de la
Communauté 2635. La méthode téléologique a servi ce même dessein.
2º) Le principe de l’effet utile doit être distingué de l’interprétation
évolutive : le Conseil d’État, la Cour de cassation, le Conseil
constitutionnel, et surtout la Cour européenne des droits de l’homme
apprécient le contenu de l’ordre public à la lumière des réalités et de
l’opinion publique contemporaines 2636.

II. — Les voies de l’interprétation

Une interprétation donnée s’impose par des voies qu’une logique


abstraite peinerait à expliquer.

462. Vertus civiques, intellectuelles et morales. – Le législateur


n’imposant pas de règles sur la façon d’interpréter les lois, la doctrine a
recherché les meilleures méthodes. Mais la jurisprudence se montre
insensible à ce tourbillon intellectuel : son éclectisme l’empêche de
choisir 2637. La controverse, intense au XIXe siècle 2638, s’est, à l’expérience,
avérée décevante 2639. Ce n’est pas en ratiocinant sur les méthodes
gouvernant la recherche de la vérité et de la justice que le juriste
découvrira l’une ou l’autre. La qualité de l’interprétation dépend surtout
de vertus civiques, intellectuelles et morales de l’interprète, non de
« méthodes ».
1) De vertus civiques : l’interprète est tenu à un devoir de loyauté envers la loi dont il est le
serviteur ; ce devoir est impérieux chez le juge qui rend ses décisions « au nom du Peuple
français » 2640 ; mais plus ancien est le texte, plus libre est le juge. 2) De vertus intellectuelles et
morales : l’honnêteté, le bon sens, la conception du vrai et du juste de l’interprète.

463. Miroir aux alouettes. – La rigueur apparente des règles


d’interprétation est illusoire. Le luxe et l’abondance des raisonnements
sont un miroir aux alouettes.
En présence d’une incertitude, le recours à un argument logique
intervient a posteriori. Après s’être laissé guider vers une solution
admissible par ses recherches, son intuition ou une ligne de politique
jurisprudentielle (ce qui témoigne d’un choix quasi législatif), le juge se
trouve tenu de décrire – rétrospectivement – le raisonnement par lequel
il y est parvenu. À cette fin, il puisera dans le vivier des règles
d’interprétation toutes celles qui justifieront sa décision.
464. Rhétorique ; raisonnement juridique 2641. – 1º) Une pensée originale a vu le jour dans les
années 1970, imprégnée de la rhétorique aristotélicienne et médiévale 2642. Constatant l’incapacité de
la logique formelle et impersonnelle à mettre un terme aux controverses juridiques, des auteurs
soulignèrent le rôle décisif du rapport qui unit l’interprète à son auditoire (les parties au litige, les
juristes et l’opinion publique) : une décision s’impose à un groupe social non parce qu’elle serait
vraie d’un point de vue rationnel mais parce qu’elle est acceptable, raisonnable, équitable pour ce
groupe au regard des idées et des valeurs qui l’animent. Le juge ne doit pas chercher à convaincre de
ce qui est vrai ou faux mais à persuader, à susciter une adhésion personnelle à son propre jugement
de valeur. La rhétorique, ou l’art de la persuasion par le discours, emploie à cette fin des procédés
spécifiques qui se distinguent des arguments de type arithmétique qui viennent d’être exposés.
À la différence de l’interprète rationnel, le rhéteur s’appuie d’abord sur les opinions
communément admises au sein de son auditoire, invoquant des arguments d’autorité (celle d’une
personne, des chiffres, de l’histoire, de faits incontestables...), des valeurs communes, des « lieux
communs » (lieux de la quantité – normalité, majorité... –, de la qualité – unité... —), etc. À défaut, il
tentera d’obtenir par différents moyens (définition, qualification, distinction...) un accord préalable.
Une fois obtenue l’adhésion de l’auditoire à de telles prémisses, le raisonnement logique peut se
déployer (avec des arguments de logique, notamment).
2º) Dans cette perspective, le raisonnement juridique qu’emploient les magistrats de la Cour de
cassation ou du Conseil d’État, comme la doctrine, ne se réduit ni à un syllogisme classique ni à un
syllogisme « inversé » (qui construit un raisonnement à rebours, en partant de la solution souhaitée).
Certes, la référence aux textes applicables constitue toujours un point de départ. Mais, ensuite,
l’interprète n’hésite pas à citer toutes les sources disponibles (jurisprudence, doctrine, droits
européens et constitutionnel, travaux préparatoires, sources administratives, etc.) et à étayer son
discours par des considérations extra-juridiques (raisons sociales, économiques, historiques,
pratiques, morales, de cohérence...). L’objectif principal reste de persuader de la justesse de la
solution, en droit et en opportunité.

465. Interprétation des actes juridiques et création. –


L’interprétation des actes juridiques (ex. : contrats, testaments) se
distingue de celle des lois et traités en ce qu’elle s’applique à des écrits
émanant de volontés privées. L’interprète d’une clause obscure ou
ambiguë devrait scruter l’intention de son auteur et y rester fidèle. En
vérité, la jurisprudence se livre à une œuvre créatrice qui souvent
s’exprime, en droit des obligations, par un « forçage » du contrat 2643 et,
en droit des successions, par une « réfection » du testament 2644.
L’interprétation peut-elle être créatrice sans trahir sa finalité ? 2645 Autant
se demander si le musicien qui interprète une partition y apporte sa
touche personnelle. À l’évidence, l’interprétation des lois, traités et
actes juridiques est créatrice 2646.
La méthode d’interprétation qui se pratique en définitive dépend de la conception du droit et du
juge que reflète le système juridique en un temps et un lieu donnés. Si tout le droit ressort de la loi
écrite, l’interprétation doit être strictement littérale ; dans le cas contraire, elle doit être créatrice.
Par ailleurs, le juge a pour office de « dire » le droit : est-ce seulement désigner, dans un procès,
celui qui a tort et celui qui a raison ou est-ce d’énoncer un droit général et permanent ?

466. La lettre et l’esprit. – La rigueur de la pensée juridique impose


la lecture des textes, pure de tout commentaire et de toute
interprétation 2647. Mais Saint Paul a dit : « La lettre tue, l’esprit
vivifie » 2648. L’esprit sans la lettre, c’est le vent qui s’enfuit ; la lettre
sans l’esprit, c’est la mort de la pensée et la paralysie de l’action. À la
lettre, à la grammaire et à la logique doivent s’ajouter le sens commun,
la justice et l’utilité sociale, c’est-à-dire le droit. L’interprétation est le
droit vivant.
INDEX DES ADAGES 2649

[Sur les adages en général, v. nos 123, 368, 373, 412, 431, 455]
Actori incumbit probatio : 213
Actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat : 455
Appliquer ou expliquer (apply or explain) : 49
Ce qui est à moi est à moi : 50
Ce qui nous unit ce sont nos différences : 15
Cessante ratione legis cessat ejus dispositio : 455, 457
Comply or explain : 49
Contra non valentem agere non currit prescriptio : 402, 432
Da mihi factum dabo tibi jus : 221
Dubia in meliorem partem interpretari debent : 214, 455
Ejus est interpretari legem cujus est condere : 442, 443
Error communis facit jus : 123, 412
Exceptio est strictissimæ interpretationis : 455, 456
Ex facto oritur jus : 36
Fraus omnia corrumpit : 29, 402
Idem non esse et non probari : 202
In dubio pro reo : 214
In obscuris minimum est sequendum : 455
Inclusione unius fit exclusio alterius : 455
Interpretatio cessat in claris : 448
Jura novit curia : 221
Jus est ars boni et aequi : 21
Le juge de l’action est juge de l’exception : 446
Locus regit actum : 73, 3o, 101, 318
Lex posterior derogat priori : 455
Neminem laedit qui suo jure utitur : 54
Nemo censetur ignorare legem : 281
Nemo tenetur edere contra se : 212
Nul en France ne plaide par procureur : 123, 171, 412
Nul ne peut se constituer une preuve à lui-même : 246
Nul ne peut se contredire au détriment d’autrui : 246
Nul ne peut se faire justice à soi-même : 166
Pater is est quem nuptiae demonstrant : 205, 216
Plurimae leges corruptissima respublica : 6, 261, 335
Pourvoi sur pourvoi ne vaut : 436
Princeps legibus solutus est : 5, 102
Qui dicit de uno negat de altero : 455
Que Dieu nous protège de l’équité des Parlements : 43
Quid leges sine moribus ? : 29
Quieta non movere : 215, 293, 390
Qui peut le plus peut le moins : 455
Remedies precede rights : 170
Res judicata pro veritate habetur : 173
Reus in excipiendo fit actor : 213
Specialia generalibus derogant : 455, 456
Summum jus summa injuria : 52
Suum cuique tribuere : 31
Tempus regit actum : 296, 318
Ubi eadem est legis ratio eadem est legis dispositio : 458
Ubi lex non distinguit nec debemus distinguere : 458
Ubi societas ibi jus : 22
INDEX DES ARTICLES DU CODE CIVIL 2650

Articles Nos
1 47, 277, 280
2 292, 293, 305, 308
3 73
4 404, 405, 407
5 144, 405
6 28, 122, 286, 407, 455
9 245
10 204
16-1-1 40
16-10 253
16-11 245
30 215
255 168
259-1 245
266 8
309 73
311-1 12
311-12 232, 253
311-14 73
312 204, 216
371 8
373-2-10 168
516 73
544 106
900 8
931 202
1128 215
1174 239
1175 238
1132 s. 281
1137 204
1162 286
1162 125
1103, 1104 73, 122, 375, 448
1125 à 1126 238
1127-4 à 1127-6 238
1127-5 240
1176 238
1177 238
1194 45, 375
1188 454
1199 s. 73
1222 166
1240 73, 402, 413, 426
1242 217
1300, 1303 73, 238
1301 s. 73
1302-1 73
1304 73
1310 378
1231-5 8
1302, 1342 28
1342-10 378
1342-9 241
1343-2 378
1342 s. 73
1353 215
1353 à 1386-1 203
1354 216
1354 205, 217, 233, 238, 246
1354 215, 392, 400
104, 174, 213, 231, 232 à 235, 237, 241, 244,
1359
252
1361, 1362 233, 237, 238, 240
1360, 1379 232, 233, 237
1365 236
1365 à 1368 238
1366 238, 246
1368 234, 253
1367 237, 238
1369 236, 239
1369 à 1371 231
1370 236
1371 251
1372 252
1372 à 1378-2 231
1372 252
1373 252
1375 237
1376 237, 241
1377 252
1378 246
1378-1 246
1382 217
1383 à 1383-2 241
1383-1 241
1383-2 241
1384 242, 250
1385 242
1385-1 242
1385 242
1385-1 242
1385-3 242
1386-1 242, 250
1386 242
1602 204
1780 122
1906 378
1907 378
1965 125
2044 169
2052 169
2059 à 2061 168
2059 168
2060 168
2061 168
2219 à 2279 435
2222 315
2234 431
2238 167
2258 12
2261 12
2276 216
2284 73
INDEX DES PRINCIPALES DÉCISIONS JUDICIAIRES 2651

a) Index alphabétique

Ababou, Cass. 1re civ., 27 janv. 1998 : 223


Association AC !, CE, Ass., 11 mai 2004 : 398
Loi Aubry II, Cons. const., 10 juin 1998 : 305
Veuve Auterbe, Cass. 1re civ., 29 avr. 1960 : 287, 309

Banque africaine de développement, Cass. civ. 1re, 19 déc. 1995 : 342


Bastien-Lepage, aff. du peintre, Crim., 19 déc. 1885 : 227, 460
Bisbal, Cass. 1re civ., 12 mai 1959 : 223
** Blanco, T. confl., 8 févr. 1873 : 72
Bonnet, Préfet, Cass. crim., 13 oct. 2004 : 166
Bové, José, Cass. crim., 19 nov. 2002 : 166

Cesareo, Cass. Ass. plén., 7 juill. 2006 : 221


Clément-Bayard, Req., 3 août 1915 : 54

Dehaene, CE, 7 juill. 1950 : 54, 339


Desreumeaux, CE, 3 nov. 1933 : 277
Dœrr, Colmar, 2 mai 1855 : 54
Gabrielle Dominicé, Cass. civ., 20 févr. 1917 : 293

Flaminio Costa c/ENEL, CJCE, 15 juill. 1964 : 345


Foucauld veuve et Coulombe, Cass. civ., 15 avr. 1872 : 179, 252

G
GISTI, CE, 25 juin 1990 : 342

Institut des frères des écoles chrétiennes, Cass. civ., 7 juin 1901 : 301, 310

Kadhafi, Crim., 13 mars 2001 : 341, 376

Lautour, Cass. civ., 25 mai 1948 : 73


Le Collinet, Cass. 1re civ., 21 mars 2000 : 394, 398
Liberté d’association, Cons. const. 16 juill. 1971 : 337

Yves Montand, Paris, 6 nov. 1997 : 245


Moussa Koné, CE, Ass., 3 juill. 1996 : 338

** Nicolo, CE, Ass., 20 oct. 1989 : 340, 345

Perruche, Cass. Ass. plén. 17 nov. 2000 : 306, 415, 432


Pretty c/Royaume-Uni, CEDH, 29 avr. 2002 : 40

Radio France, Cass. 2e civ., 8 juill. 2004 : 398

Sarran, CE, Ass., 30 oct. 1998 : 343


Schuller-Maréchal, Crim., 27 févr. 1996 : 246
** Septfonds, T. confl., 16 juin 1923 : 447
Simmenthal, CJCE, 9 mars 1978 : 345, 346
Société Tropic Travaux Signalisation, CE 16 juill. 2007 : 398

** Vabre Jacques, Cass. ch. mixte, 24 mai 1975 : 340, 413


Villemin Christine, Cass. Ass. plén., 23 févr. 2001 : 191

Winterstein c/France, CEDH, 17 oct. 2013 : 350

X., Cass. 1re civ., 6 janv. 1994 : 277

b) Index chronologique

Colmar, 2 mai 1855, Dœrr : 53


Cass. civ., 15 avr. 1872, Veuve Foucauld et Coulombe : 179, 252
T. confl., 8 févr. 1873, Blanco : 72
Crim., 19 déc. 1885, aff. du peintre Bastien-Lepage : 227, 460
Cass. civ., 7 juin 1901, Institut des frères des écoles chrétiennes : 301, 310
Req., 3 août 1915, Clément-Bayard : 53
Cass. civ., 20 févr. 1917, Gabrielle Dominicé : 293
** T. confl., 16 juin 1923, Septfonds : 447
CE, 3 nov. 1933, Desreumeaux : 217
Cass. civ., 25 mai 1948, Lautour : 73
CE 7 juill. 1950, Dehaene : 54, 339
Cass. 1re civ., 12 mai 1959, Bisbal : 223
Cass. 1re civ., 29 avr. 1960, Veuve Auterbe : 287, 309
CJCE, 15 juill. 1964, Flaminio Costa c/ENEL : 345
Liberté d’association, Cons. const. 16 juill. 1971 : 337
** Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre : 340, 413
CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal : 345, 346
** CE, Ass., 20 oct. 1989, Nicolo : 340, 345
GISTI, CE 25 juin 1990 : 342
Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, X. : 277
Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, Banque africaine de développement : 342
Crim., 27 févr. 1996, Schuller-Maréchal : 246
CE, Ass., 3 juill. 1996, Moussa Koné : 338
Paris, 6 nov. 1997, Yves Montand : 245
Cons. const., 10 juin 1998, Loi Aubry II : 305
Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, Ababou : 223
CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran : 343
Cass. 1re civ., 21 mars 2000, Le Collinet : 394, 398
Cass. Ass. plén. 17 nov. 2000, Perruche : 306, 415, 432
Cass. Ass. plén., 23 févr. 2001, Christine Villemin : 191
Crim., 13 mars 2001, Kadhafi : 341, 376
CEDH, 29 avr. 2002, Diane Pretty c/Royaume-Uni : 40
Cass. crim., 19 nov. 2002, José Bové : 166
Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004 : 306
CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC ! : 398
Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, Radio France : 398
Cass. crim., 13 oct. 2004, Préfet Bonnet : 166
Cass. Ass. plén., 7 juill. 2006, Cesareo : 221
CE, 16 juill. 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation : 398
Cass. Ass. plén., 15 avr. 2011 : 348
CEDH, 17 oct. 2013, Winterstein c/France : 350

c) Index analytique

TITRE PRÉLIMINAIRE. – QU’EST-CE QUE LE DROIT ?

Chapitre I. – Le droit est un phénomène social et normatif

Section II. – Le droit objectif

— CEDH, 29 avr. 2002, Diane Pretty c/Royaume-Uni : 40

Section III. – Les droits subjectifs

§ 2. – L’abus des droits

— Colmar, 2 mai 1855, Dœrr : 53


— Req., 3 août 1915, Clément-Bayard : 53
— CE, 7 juill. 1950, Dehaene : 53

Chapitre II. – Les diverses branches du droit

— ** T. confl., 8 févr. 1873, Blanco : 72


— Cass. civ., 25 mai 1948, Lautour : 73

LIVRE II. – RÉALISATION DU DROIT

TITRE I. – L’ORGANISATION DE LA JUSTICE

Chapitre I. – Les juridictions


— Cass. crim., 19 nov. 2002, José Bové : 166
— Cass. crim., 13 oct. 2004, Préfet Bonnet : 166

Chapitre III. – Les gens de justice

— Cass. Ass. plén., 23 févr. 2001, Christine Villemin : 191

TITRE II. – LA PREUVE

Chapitre II. – Objet de la preuve

§ 1. – Un fait, pas le droit

— Cass. Ass. plén., 7 juill. 2006, Cesareo : 221


— Cass. 1re civ., 12 mai 1959, Bisbal : 223
— Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, Ababou : 223

§ 2. – Un fait pertinent

— Crim., 19 déc. 1885, aff. du peintre Bastien-Lepage : 227

Chapitre III. – Recevabilité des moyens de preuve

Section II. – Liberté de la preuve

— Paris, 6 nov. 1997, Yves Montand : 245


— Crim., 27 févr. 1996, Schuller-Maréchal : 246

Chapitre IV. – Force probante

— Cass. civ., 15 avr. 1872, Veuve Foucauld et Coulombe : 252

LIVRE III. – LES SOURCES

TITRE I. – SOURCES ÉCRITES

Chapitre I. – La loi

Section I. – Définition de la loi

§ 1. – La loi au sens organique

— CE, 3 nov. 1933, Desreumeaux : 277


— Cass. 1re civ., 6 janv. 1994 : 277

Section II. – Les conflits de lois dans le temps


§ 1. – Les théories

I. – La théorie des droits acquis

— Cass. civ., 20 févr. 1917, Gabrielle Dominicé : 293

II. – La théorie de l’effet immédiat des lois nouvelles

— Cass. 1re civ., 29 avr. 1960, Veuve Auterbe : 287, 309


— Cass. civ., 7 juin 1901, Institut des frères des écoles chrétiennes : 301, 310

§ 2. – Règles du droit transitoire

I. – Droit transitoire spécial

A. — Limites au pouvoir du législateur

— Cons. const., 10 juin 1998, Loi Aubry II : 305


— Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004 : 306

Chapitre II. – Au-dessus et au-dessous de la loi

Section I. – Sources supérieures

§ 1. – Normes constitutionnelles

— Liberté d’association, Cons. const. 16 juill. 1971 : 337


— CE, Ass., 3 juill. 1996, Moussa Koné : 338

§ 2. – Normes internationales

I. – Généralités

— ** Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre : 340, 413


— CE, Ass., 20 oct. 1989, Nicolo : 340
— Crim., 13 mars 2001, Kadhafi : 341
— Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, Banque africaine de développement : 342
— GISTI, CE 25 juin 1990 : 342
— CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran : 343

II. – Droit de l’Union européenne

— CJCE, 15 juill. 1964, Flaminio Costa c/ENEL : 305


— CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal : 345, 346
II. – Convention européenne des droits de l’homme

— Cass. Ass. plén., 15 avr. 2011 : 348


— CEDH, 17 oct. 2013, Winterstein c/France : 350

TITRE II. – SOURCES NON ÉCRITES

Chapitre I. – La coutume Coutume internationale et immunité diplomatique

— Crim., 13 mars 2001, Khadafi : 376

Chapitre II. – La jurisprudence

Section II. – Preuves du pouvoir créateur de la jurisprudence

§ 1. – Attitudes réflexives

— Cass. 1re civ., 21 mars 2000, Le Collinet : 394

§ 2. – Revirements ordinaires et atypiques

— CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC ! : 398


— Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, Radio France : 398
— CE 16 juill. 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation : 398

Section II. – L’interprétation

§ 3. – Comment interpréter ?

I. – Règles d’interprétation

— ** T. confl., 16 juin 1923, Septfonds : 447


— Crim., 19 déc. 1885, aff. du peintre Bastien-Lepage : 460
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 2652

Abrogation : 278
— par désuétude : 278, 377
— tacite : 278.
Abus des droits : 49 et s., 432
Acte authentique : 236, 251 V. Preuve
Acte d’avocat : 236, 237, 252
Action de groupe, v. Class action
Action en justice : 170 et s.
Adages : 123, 368, 373, 412, 431, 455 V. Interprétation, Traduction
Allemagne, v. Droit allemand, État de droit
Amicus curiæ : 222
Amitié : 26
Analyse comportementale du droit : 8 V. Analyse économique du droit
Analyse économique du droit : 7, 33, 222, 355 V. Régulation
Anarchie : 21
Ancien droit : 81 et s., 123 et s.
Antinomies : 10
Appel : 177
Arbitrage : 167 et s.
ARISTOTE : 5, 21, 25, 31, 38, 42, 166
Arrêts de règlement, v. Jurisprudence
Attractivité du droit français : 13, 34
AUBRY et RAU : 134, 206, 435
Authenticité, v. Preuve
Autorégulation : 49
Autorité de la chose interprétée :
— Conseil constitutionnel : 338
— CEDH : 348
Autorité de la chose jugée : 221, 407
Autorités administratives indépendantes : 276, 355
Auxiliaires de justice : 192
Avis : 358
— Conseil d’État : 165
— Cour de cassation : 163, 406, 436
— V. Droit souple
Avocats : 192
— acte d’avocat : 236, 237, 252
— secret d’avocat : 227

Barbarie : 1, 40, 166


Barème : 406
BARTOLE : 85, 91
BGB : 98, 133
BENTHAM (Jeremy) : 131
BLACKSTONE (William) : 388, 398
Blanc-seing : 252
Blasphème : 440
Branches du droit : 70
Bundesgerichtshof : 401

CAMBACÉRÈS (Jean-Jacques Régis de) : 107, 120 et s., 123


CARBONNIER (Jean) : 26
Carte judiciaire : 159
Cassation : 179 et s.
Catégories : 431
Charabia juridique : 440
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : 345, 353
Chine : 29, 166 V. Confucius
Charte de l’environnement : 41
CICÉRON (Marcus Tullius) : 31
Circulaires : 49, 354
Civilisation : 1
Clarté : 448 et s.
Class actions : 171, 222
Clémence : 42
Code civil :
— histoire : 107, 120 et s.
Codification à droit constant : 139 et s., 279, 287, 301 V. Savigny
Comitologie : 49
Communauté européenne, v. Union européenne
Common Law : 388 V. aussi Droit anglais, Equity
Communiqués : 436
Conciliation : 168
Confiance légitime : 305, 319, 340
Conflits de lois dans l’espace, v. Droit international privé
Conflits de lois dans le temps : 288 et s.
— droit de la preuve : 203
— droit transitoire : 298 et s.
— revirement : 400
— théories : 292 et s.
V. Jurisprudence (revirements)
CONFUCIUS : 29, 166
Conseil constitutionnel : 333 et s. V. Droit constitutionnel
Conseil d’État : 165
Contradictoire (principe du –) : 211
Contrôle de constitutionnalité : 334 et s.
Contrôle de conventionnalité : 335, 340, 342, 352, 398
Contrôle de la dénaturation : 179, 252, 448
Controverses doctrinales : 432
Convenance (règle de –) : 27
Conventions collectives de travail : 357
Convention européenne des droits de l’homme : 41, 306, 348 et s.
— jurisprudence européenne : 350, 394
— jurisprudence française : 351
Copies : 233, 238
Cour de cassation : 160, 414, 442
— divisions internes : 401
Cour de justice de l’Union européenne : 344, 397, 450 V. Union européenne
Cour européenne des droits de l’homme : 348 et s. V. Convention européenne des droits de
l’homme
Cour suprême des États-Unis : 15, 270, 390, 398, 415
Courriel, v. E-Mail
Coutume : 342, 365 et s.
— contra legem : 377 et s.
— droit coutumier : 83 et s.
— kanak : 374
— præter legem : 376
— preuve : 224
— secundum legem : 373 et s.
— usages : 27, 224, 374 et s.
V. Histoire du droit
Critique scientifique : 135
CUJAS (Jacques) : 95
Culture juridique française : 420

D’AGUESSEAU (Henri-François) : 41, 100, 104, 122, 124, 160


Date :
— certaine : 252
— horodatage : 240, 252
Déclin : 16, 430
Décodification : 138
Défense sociale : 74
Définitions : 373
Délai raisonnable : 180
DEMOLOMBE (Charles) : 134
Dénaturation : 179, 252, 448
Déni de justice : 175, 191, 404
Déontologie : 28, 222
Dérégulation : 7
Distinctions : 431
— et Common law : 388
DESCARTES (René) : 2, 98, 201
Désuétude : 278, 377
Dialogue des juges :
— Conseil constitutionnel et CEDH : 340
— Conseil constitutionnel et CJUE : 450
— divergences de jurisprudence : 401
— inconventionnalité et inconstitutionnalité : 306, 335
— jurisprudence judiciaire et Conseil constitutionnel : 335
Directives européennes, v. Union européenne
Doctrine : 420 et s.
— controverses : 432
— définition : 420, 437
— du « droit vivant » : 334
— histoire : 94 et s., 100
— influence : 73, 100, 432 et s.
— rôle : 427 et s.
— tendances : 424 et s.
Doing business (rapports –) : 34
DOMAT (Jean) : 100
Double degré de juridiction : 177
Doute : 214
— interprétation : 448
— obligation du juge de statuer : 206
— risque du doute : 210, 214
DUGUIT (Léon) : 51
Droit :
— acquis : 293 et s.
— administratif : 72
— allemand, v. BGB : 15, 98, 133, 135, 401
— américain : 5, 28, 33, 49, 131, 135, 212, 286, 390
— anglais, v. Equity, Motivation : 388 et s., 423, 451
— branches du – : 70
— canonique : 42, 86, 92
— civil : 7, 73
— commun, v. Droit romain, Exception : 38, 73, 97, 434
— communautaire, v. Union européenne
— comparé : 15, 135, 423, 426
— constitutionnel : 5, 72, 305, 336 et s.
— corporatif : 23, 356
— coutumier : 83 et s.
— définition : 1 et s.
— du travail : 74
— doux : 49
— flou : 284
— fondamental : 41, 332
— hébraïque : 24, 38
— international : 25
– application : 339 et s., 353
– public : 23, 72
– privé : 23, 73, 318
— mou : 49, 284, 406
— musulman : 24
— naturel : 38 et s., 99, 290
— non écrit : 360 et s.
— optionnel, 434
— pénal : 8, 74, 305
— privé européen : 98, 434
— romain :
– coutume : 369
– droit commun : 38, 97
– droit prétorien : 170, 387
– doctrine : 423
– histoire : 91, 95 et s., 100
— public et privé : 71 et s.
— souple, v. Circulaires, Régulation : 49, 284
— subjectif : 50 et s.
— transitoire, v. Conflits de lois dans le temps
— vivant : 334, 466
Droit communautaire, v. Union européenne
Droits de l’homme : 41
DUGUIT (Léon) : 51
DURKHEIM (Émile) : 50, 135, 371
DU MOULIN (Charles) : 96
DUVERGIER : 134

E-mail : 240
École du droit historique, v. Savigny
Électronique : 238 et s.
Empreinte génétique : 253
Environnement, v. Précaution (Principe de –)
Équité : 42 et s., 413
— satisfaction équitable : 350
— V. Procès équitable (droit à un –)
Equity : 42 et s., 170, 389
Estoppel : 47, 246, 426
Erreur de droit : 281
Errata : 286
Erreur matérielle : 287, 451
Espérance légitime : 306
Estopppel : 246
État
— de droit : 5, 47
— de siège : 5
— d’urgence : 5
États-Unis d’Amérique, v. Droit américain, Réalisme américain
Éthique : 28
— comités d’éthique : 30
Études d’impact : 279
Euphémisme : 374
Europe, v. Convention européenne des droits de l’homme, Union européenne
Euthanasie : 40
Évaluation, v. Études d’impact
Évidence : 225
Exception : 456 V. Droit commun
Exégèse : 134, 460

Fait :
— et droit : 36, 179, 221 et s.
Faux, v. Preuve
Fictions : 205, 281
Filtrage des recours :
— CEDH : 348
— Cour de cassation : 175
— QPC : 334
Fondamentalisation : 332, 407
Fraude : 73, 402, 456

Gacaca (juridictions) : 169


GÉNY (François) : 37, 135
Gentlemen’s agreement : 28
Gouvernement des juges : 331, 352, 415
GROTIUS (Hugo) : 38, 99, 166
Groupes de pression (lobbies) : 222, 285
Guantánamo Bay : 5

Habitude : 370
HAYEK (Friedrich August von) : 7, 33
HEGEL (Georg Wilhem Friedrich) : 9
Héroïsme : 28, 440
Hiérarchie des normes : 142, 270, 332 et s., 357, 445
Histoire : 13
— et coutume : 369
— du droit : 81 et s.
— et droit : 13, 15
— donné historique : 37
HOBBES (Thomas) : 21
HOLMES (Oliver Wendel) : 33, 135, 390
Honneur : 28
Huissier : 215, 240, 246
HUME (David) : 36
Humilité : 2

IHERING (Rudolf von) : 1, 11, 13, 15, 51, 133, 135, 137, 202
Imaginaire : 205
Index de la sécurité juridique (ISJ) : 34
Inflation :
— avis : 163
— doctrinale : 427, 432
— jurisprudentielle : 415
— législative : 2, 6, 136, 139, 261, 279
Informatique juridique : 373, 415
Injustice : 10
Institutes : 73, 139
Instructions : 354
Instruments optionnels de droit européen : 434
Interdisciplinarité : 70
Interessenjurisprudenz : 135
Interprétation : 438 et s.
— acte clair (théorie de l’–) : 442, 448 et s.
— adages ou directives : d’– : 442, 455 et s.
— analogie : 458
— arguments a fortiori, a contrario : 459
— conforme au droit européen : 345
— distinctions : 388, 431
— évolutive : 377, 461
— et hiérarchie des normes : 357, 445
— induction, v. Analogie
— principe d’– conforme : 345
— ratio legis : 456 et s.
— réserves d’– : 337
— stricte : 407
— téléologique : 459
— théorie réaliste de l’interprétation, v. Troper
V. Avis, Coutume contra legem, Questions préjudicielles, Raisonnement juridique, Syllogisme
Islam : 24

Jansénisme : 122
V. D’Aguesseau, Domat, Pothier
JOSSERAND (Louis) : 52
Journal officiel : 277
Juge :
— Judge-made law : 388
— office : 174, 212, 221
— pouvoirs : 346
— responsabilité, v. Magistrats
— vertus : 462
Jugements : 170 et s., 173
Juridictions : 155 et s.
— de proximité : 158
— judiciaires : 158 et s.
— administratives, v. Séparation des pouvoirs : 164 et s.
Jurisprudence : 385 et s.
— arrêts de règlement : 399, 405 et s.
— constante : 334
— contra legem : 402
— divergences de jurisprudence : 401
— doctrinale : 436
— évolution : 410 et s.
— revirements : 396 et s.
— théorie des trois plans : 404
— « virale » : 410
V. Déni de justice
Jus commune : 97, 98, 435
Justice : 31
— lenteur : 175
— et ordre : 31
— participative : 169
— publique : 156 et s.
— privée : 166 et s.
— restauratrice : 169
— transitionnelle : 169
V. Équité

KANT (Emmanuel) : 1, 29, 30, 201


KELSEN (Hans) : 36, 47, 270, 347, 438, 449

LABBÉ (Joseph-Émile) : 421


Lacunes : 449
Laïcité : 24.
LAMBERT (Édouard) : 135, 367
Lanceur d'alerte : 28
Langage du droit : 10, 373, 440
Langue française : 440, 450 V. Langage du droit
Législation participative : 222
Légistique : 279
Lettre recommandée électronique : 238, 240
Leviathan : 21
Lex mercatoria : 46, 73, 375, 434
Libéralisme : 7 V. Régulation
Libertariens : 51
Libertés : 6, 32, 49
Linguistique, v. Langage du droit.
Lobbying, v. Amicus curiæ, Groupes de pression
LOCKE (John) : 5, 166
Loi :
— alinéas : 279
— application (décret d’–) : 280
— de circonstance : 285
— clarté : 284
— définition : 275 et s.
— écran (théorie de la loi-écran) : 333, 346 et s.
— errata : 287
— étrangère : 73, 212, 223, 394
— évaluation : 279
— expérimentales : 285
— impératives : 282
— intelligibilité : 142, 284, 415
— interprétative : 302, 306
— légalité : 445
— légistique : 279
— maux de la loi : 285
— mémorielle : 13
— miroir : 335, 347
— naissance : 277
— rétroactive : 301 et s.
— spéciale : 456
— style : 284
— supplétive : 282
— suprématie : 331 et s.
— symbolique : 285
— temporaire : 285
— titres : 284
— transposition : 347
— de validation : 303, 305
V. Conflits de lois dans le temps, Convention européenne des droits de l’homme, Droit
international

Magistrats : 190
— responsabilité des – : 191
MAGNAUD (le bon juge –) : 42
MARX (Karl) : 12, 13, 33, 41, 49
Médiation : 168
Médecin : 227
Mémorielles (lois –) : 14
Mensonge : 204
MERLIN DE DOUAI (Philippe-Antoine) : 132
Méthode ouverte de coordination (MOC) : 48
Modernité : 11
MONTESQUIEU : 5, 6, 104, 164, 284, 331, 392
Morale : 29 et s.
— donné idéal : 37
Mort : 40
Motifs (exposé des –) : 279
Motivation des décisions de justice :
— CEDH : 350
— Cour de cassation : 161, 350, 407
Mythe : 22, 371, 430

Neurosciences (neuro-droit) : 206 V. Analyse comportementale du droit


Neutralité du juge : 211
Nomenclature, v. Barème
Notaire : 142, 239
— pratique notariale : 376
Nul n’est censé ignorer la loi : 281
Nuit (en droit) : 12
Non-droit : 26

Obiter dictum : 335, 388, 398, 406, 423


Objectifs de valeur constitutionnelle : 334, 337
Office du juge : 221
Officiers ministériels : 192
OHADA (droit de l’–) : 434
Opposition : 181
Ordonnances (art. 38 Constit.) : 142, 306
Ordres professionnels : 356
Oubli : 227
Outreau (affaire d’-) : 191

Paix : 1, 10
Pandectisme : 133
Parlements : 43
Patrie : 13
PERELMAN (Charles) : 29, 464
Personnalité des lois : 83
PLANIOL (Marcel) : 53 à 55, 135, 420, 433
Pluralisme juridique :
— juridique : 47, 70, 261, 367, 377, 392
— doctrinal : 422
— linguistique : 442, 450
— normatif (non-droit) : 26
— religieux : 24
V. Soft law
Plurijuridisme : 270
PORTALIS (Jean, Étienne, Marie) : 6, 42, 102, 120 et s., 281, 285, 392, 405, 438
Positivismes : 367, 375
POSNER (Richard) : 33
POTHIER (Robert, Joseph) : 102
POUND (Roscoe) : 135, 286
Précaution (principe de –) : 41, 214, 253, 426
Présomptions : 215 et s.
Preuve : 200 et s.
— acte authentique : 236, 251
— acte d’avocat : 252
— acte sous signature privée : 237, 252
— aveu : 245
— biologique : 205, 253
— blanc et blanc-seing : 243
— cachet de la poste faisant foi : 240, 252
— charge de la preuve : 210 et s.
— commencement de preuve par écrit : 233
— conflit de lois : 203
— copie : 238
— date certaine : 252
— déloyale : 246
— droit de ne pas témoigner contre soi, droit au silence : 212
— et droit transitoire : 203, 314
— écrit :
– papier : 235 et s.
– électronique : 238
— évidente : 225
— faux : 243
— force probante : 250 et s.
— illicite : 245
— impossible : 228
— inopérante : 226
— inscription de faux : 251
— interdite : 227
— littérale : 236 et s.
— loyauté de la preuve : 246
— mesures d’instruction in futurum : 203, 212
— objet : 220 et s.
— obtention des preuves à l’étranger : 212
— paiement (preuve du –) : 232
— par tous moyens : 244
— photocopie : 233
— prêt : 213
— et procédure, v. Procédure
— recevabilité : 230 et s.
— et règle de fond : 218, 227
— secret : 227
— serment : 204, 242 et s.
— signature : 237
— simulation (preuve de la –) : 232
— et vérité : 204 et s.
— vérification des écritures : 243
Principe(s) :
— coutumiers contra legem : 378
— en « suspension », v. Analogie : 403, 458
— fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) : 337 et s.
— généraux du droit : 39, 292, 338, 341, 345, 350, 402, 403, 414, 458
— de précaution : 41, 214, 426
— de proportionnalité : 227, 350, 352
— et preuve : 246
— visas de – : 403
V. Adages, Jurisprudence (contra legem)
Procédure :
— civile : 73
— concentration des moyens : 221
— et preuve : 203, 211
— et droit transitoire : 313
— participative : 168
Procès équitable (droit à un –) : 47, 349 et s.
— divergences de jurisprudence : 401
— filtrage des recours : 334
— lois de validation législative : 306
— motivation des décisions : 407
— preuve : 230, 246 et s.
Professeurs de droit : 101, 412, 420 et s., 432, 435 V. SIPROJURIS
Prostitution : 29
PROUDHON (Joseph) : 21
Pluralisme juridique : 26, 46, 261

Qualification : 431, 444


Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : 278, 334, 347, 394
— application dans le temps : 398
Questions préjudicielles : 344, 447, 450 V. Question prioritaire de constitutionnalité

Raisonnement juridique : 464 V. Interprétation


Réalisme américain : 135, 286 V. Droit américain
Recours pour excès de pouvoir : 180
Référé législatif : 179, 442
Règle de droit :
— caractères : 3, 47 et s.
— convenance (règles de) : 31
— effet prophylactique : 8
— effets pervers : 9
— sanction : 48
Règlement :
— autonome : 282
— d’application : 280, 282
— et loi : 276, 283
— européen : 345
— réglementation privée : 356
Régulation : 49, 355, 358
Religion : 24, 29, 83 V. Mythe, Serment
Renvoi d’un texte à un autre : 284
Réponses ministérielles : 354
Rescrits : 354, 358, 443
Réserves d’interprétation (Conseil constitutionnel) : 337, 445, 460
Responsa (droit romain) : 423
Résistance (droit de –) : 166
Responsabilité de protéger : 1
Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) : 28
Restatement : 131
Rétroactivité, v. Conflits de lois dans le temps
Revirements, v. Jurisprudence
Révision (recours en –) : 181
Révolution : 1
— française : 104 et s., 290
Revues juridiques : 422
ROBINSON CRUSOË : 21
ROUBIER (Paul) : 296

Sanction (règle de droit) : 3, 48


SALEILLES (Raymond) : 135, 432
SAVIGNY (Carl von) : 38, 83 (note), 133
SCHMITT (Carl) : 5
Science et droit : 36
Secret : 167, 227, 245
Sectes : 24
Sécurité juridique : 32, 47, 284, 319, 340, 399 V. Index de la sécurité juridique
Séparation des pouvoirs : 164, 303, 331, 344, 447
Serment : 242
Silence (droit au –) : 212
Simplification du droit : 279
SIPROJURIS : 420
SIREY (Jean-Baptiste), 421
Société : 21 et s.
Soft Law, v. Droit souple
Solidarisme : 135
Sources du droit : 36 à 49
— idéales : 37 à 45.
— formelles : 46, 47
— informelles : 46
Standards : 286, 341, 373
Stare decisis : 390 et s.
Style : 29, 105, 125, 284
— de la loi : 284
Syllogisme : 33, 390, 464
T

TARDE (Gabriel de) : 371


Technodroit : 36
Temps : 12 V. Conflits de lois dans le temps
Terrorisme : 5
THÉMIS : 135
Tierce-opposition : 181
Torture : 32, 39, 89, 246
Traduction : 440
Traités, v. Droit international (application), Communauté européenne
Transaction : 168
Transposition d’une directive : 347
Travaux préparatoires : 460
Tribunal des conflits : 164, 447
TROPER (Michel) : 270
TROPLONG (Raymond-Théodore) : 134
Twitter : 191

Union européenne : 15
— Cour de justice : 344, 397, 450
— directives : 345 et s.
— droit communautaire ou de l’Union européenne (sources) : 345
— droit transitoire : 319
— institutions : 344
— règlements : 345
V. Sécurité juridique
Urgence : 12, 5
Usages, v. Coutume
Utile : 32
— effet utile : 455, 461

Validation (loi de –) : 303, 305


Vengeance : 167
Vérité, v. Preuve
Vie privée, v. Preuve illicite
VILLEY (Michel) : 21, 39, 40, 51, 125, 135, 444
Voie de fait : 447
Voies de recours : 176 et s.
Vraisemblance : 225, 253
Les notes de bas de page
(1) V. la métaphore de l’épervier (le fort) emportant un rossignol (le faible) dans ses serres in Les
travaux et les jours, trad. P. Mazon, Les Belles Lettres, 1928, p. 202 et s. : « Le fils de Cronos
(Zeus) a institué pour les hommes une loi (νομός, nomos) ; tandis que pour les poissons, les bêtes
sauvages et les oiseaux de proie, il a établi celle de se manger les uns les autres, puisqu’il n’y a
pas chez eux de justice (Δίκη, Diké) ; aux hommes il a donné la justice ».
(2) ALAIN, Propos, cité infra, no 10.
(3) Adde L. GANNAGÉ, « La justice contre la paix ». À propos du tribunal spécial pour le Liban,
Mélanges M.-S. Payet, Dalloz, 2011, p. 187.
(4) K. ANNAN, Interventions. Une vie dans la guerre et dans la paix, Odile Jacob, 2013 : en 2000,
K. Annan, secrétaire général de l’ONU, inspira lors d’un discours les premiers travaux sur le concept
de « responsabilité de protéger ».
(5) R. von IHERING, La lutte pour le droit, trad. O. de Meulenaere, 1890, préface, p. XXI : « Je ne
préconise nullement la lutte pour le droit dans toutes les contestations, mais seulement là où
l’atteinte au droit implique en même temps une mésestime de la personne ». p. 9 : « Toutes les
grandes conquêtes qu’enregistre l’histoire du droit : l’abolition de l’esclavage, de la servitude
personnelle, la liberté de la propriété foncière, de l’industrie, des croyances ont dû être
remportées ainsi au prix de luttes ardentes, souvent continuées pendant des siècles ; parfois, ce
sont des torrents de sang, mais toujours ce sont des droits anéantis qui marquent la voie suivie par
le droit. Le droit, c’est bien Saturne dévorant ses propres enfants ; il ne peut se rajeunir qu’en
faisant table rase de son propre passé » (v. P. COULOMBEL, « Force et but dans le droit selon la
pensée juridique de Ihering », RTD civ. 1957, p. 609).
(6) S. WEIL, La pesanteur et la grâce (1948), Plon, 1991, p. 37 : « L’injustice humaine fabrique
généralement non pas des martyrs, mais des quasi-damnés. Les êtres tombés dans le quasi-enfer
sont comme l’homme dépouillé et blessé par des voleurs. Ils ont perdu le vêtement du caractère ».
(7) E. KANT, Métaphysique des mœurs, éd. Delagrave, p. 137 : « Celui qui rampe comme un ver ne
doit pas se plaindre ensuite d’être foulé aux pieds ».
(8) J. CARBONNIER (La passion des lois au siècle des Lumières, in Essais sur les lois, Defrénois,
2e éd., 1995, p. 239 et s., spéc. p. 246) cite l’impératrice Catherine de Russie répondant à Diderot qui
lui avait suggéré un projet de code : « Vous ne travaillez que sur le papier qui souffre tout [...]
tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine, qui est bien autrement
irritable et chatouilleuse ». L’autocratie de la grande Catherine était aux antipodes de l’idéologie de
Diderot.
(9) A. ERNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Klincksieck, 1939.
(10) Ph. MALAURIE, « L’humilité et le droit », Defrénois 2006, p. 703 et Mélanges Ph. Le Tourneau,
Dalloz, 2008, p. 725. Du même auteur : Droit civil illustré, no 1, « Le non-humble » ; Dictionnaire
d’un droit humaniste, Université Panthéon-Assas – LGDJ, 2015, Vº « Humilité ».
(11) Ph. MALAURIE, « La sobriété », Mélanges G. Champenois, éd. Defrénois, 2012, p. 599.
(12) La force normative. Naissance d’un concept, dir. C. Thibierge, LGDJ, Bruylant, 2009, spéc. la
synthèse et la conclusion de C. Thibierge, p. 741 et p. 813. V. les résumés des 57 contributions à cette
recherche sur : http://forcenormative.sciencesconf.org. V. Droit civil illustré, no 6. Pour le même
genre de recherche (très vaste et finalement un peu artificielle) : La densification
normative. Découverte d'un processus, (dir. C. Thibierge), Mare & Martin, 2013.
(13) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 254 : « Les lois ne sont pas de purs actes de
puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ». L’adage Cessante ratione legis
cessat ejus dispositio (infra, no 456) repose sur ce trait commun de la loi. Henri Batiffol a souligné
le double aspect rationnel et impératif de la loi afin d’éclairer le particularisme de l’application de
la loi étrangère en France : celle-ci n’est pas impérative mais demeure rationnelle (Henri BATIFFOL et
P. LAGARDE, Droit international privé, LGDJ, t. I, 8e éd., 1993, no 328).
(14) Cf. G. KOUBI, « Respect du droit et droit au respect : le respect des droits », RRJ 2000, p. 13.
Sur le droit à la désobéissance, sujet très lié à celui de l’État de droit, v. infra, no 166.
(15) V. infra, no 48.
(16) V. infra, no 38.
(17) V. infra, no 24.
(18) V. infra, no 270.
(19) H. DUPEYROUX, « Les grands problèmes du droit », Arch. phil. droit, 1938, p. 20-21 : « Nos
positivistes juridiques ont beau vouloir proscrire cette gênante notion de justice, en finir avec elle,
la séquestrer je ne sais où, boucher toutes les issues, le caractère idéologique du droit la réintègre
nécessairement à sa place ; elle s’infiltre par chaque règle ; elle reparaît dans l’exécution, ou
dans le refus de l’exécution ; toute tentative de colmatage est d’avance vouée à l’échec ; elle
suinte, si j’ose dire, de toutes parts ».
(20) Biblio. : J. CHEVALLIER, L’État de droit, Montchrestien, 5e éd., 2010 ; L. HEUSCHLING, État de
droit, Rechtsstaat, Rule of law, Dalloz, 2002 ; Figures de l’État de droit, PU de Strasbourg, 2001.
(21) Selon l’adage emprunté par les romanistes à Ulpien dans le Digeste (D. 1, 2, 31).
(22) J. HUMMEL, « État et ordre juridique dans la doctrine publiciste allemande du XIXe siècle »,
Droits 2002, no 35, p. 25 ; « État de droit, libéralisme et constitutionnalisme durant le Vormärz », in
Figures de l’État de droit, préc., p. 125. Toutefois, durant la période du Vormärz (1815-1849), les
penseurs de la bourgeoisie libérale allemande défendirent une conception substantielle du Rechsstaat
devant sauvegarder les droits et libertés individuels ; à la fin du XIXe siècle, G. Jellinek souligna le
double caractère de l’État (fait social et institution juridique) et son auto-limitation par l’ordre
juridique.
(23) J. LOCKE (1632-1704), Premier et Deuxième Traité sur le gouvernement civil (Two Treatises of
Government), 1690.
(24) E. ZOLLER, « Procès équitable et due process of law », D. 2007, chr., 517 ; « Due Process of
Law et principes généraux du droit », Mélanges B. Jeanneau, Dalloz, 2002. Aux États-Unis, le Due
Process of Law signifie que toute personne victime d’une violation de sa liberté ou de son droit de
propriété (largement entendu) par l’autorité publique a : 1) le droit de se voir notifer la mesure
restrictive, avant qu’elle ne devienne définitive, afin de préparer sa défense ; 2) le droit d’entendre
l’adversaire et d’être entendu selon la procédure accusatoire (droit à un hearing, avec examination
et cross-examination des arguments), devant un tiers neutre et impartial doté d’un pouvoir de
décision (un juge voire une commission administrative) ; 3) le droit à l’assistance d’un avocat. Ce
n’est pas le fair trial (procès honnête) du droit anglais, bien qu’il y ressemble.
(25) Pour une critique allemande : W. LEISNER, « L’état de droit, une contradiction ? », in Études
Eisenmann, Cujas, 1975, p. 65, spéc. p. 77 et s.
(26) Sur la justice privée, v. infra, nos 166 s.
(27) J.-M. PONTIER, « L’irrémédiable imperfection de l’État de droit », RRJ 2008, p. 733.
(28) Sur les attentats djihadistes de l’année 2015, v. not. : F. SAINT-BONNET, « Contre le terrorisme, la
législation d’exception ? » (entretien du 23 nov. 2015) : http://www.laviedesidees.fr/Contre-le-
terrorisme-la-legislation-d-exception.html ; « Le terrorisme djihadiste et les catégories juridiques
modernes », JCP G, 2015, 1348. – P. MORVAN, « Le terrorisme djihadiste : regard criminologique »,
JCP G, 2016, 34.
(29) À la suite de décisions juridictionnelles lui ayant refusé le bénéfice du droit d’asile, une famille
de Roms fut expulsée vers le Kosovo le 9 octobre 2013. Leur fille Léonarda, collégienne de 15 ans,
avait été interpellée au cours d’une sortie scolaire. Devant l’émoi suscité et amplifié dans les médias,
le président de la République autorisa son retour en France mais en exigeant qu’elle laissât tous les
siens au Kosovo... Cette décision traduisait une violation de plusieurs règles fondamentales de notre
droit (le droit de la famille, le régime des incapacités, le principe de la séparation des pouvoirs et le
nécessaire respect des décisions de justice par le pouvoir exécutif). La jeune fille refusa de revenir.
(30) Cons. const., 18 oct. 2013, décis. nº 2013-353 QPC, consid. nº 10.
(31) J. HUMMEL, Carl Schmitt, Michalon, 2005.
(32) Ex. : PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 256 : « Il ne faut point de lois inutiles ;
elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient la certitude et la majesté de la
législation ». Phrase inspirée de Montesquieu (L’esprit des lois, L. XIX, chap. 16 : « Comme les lois
inutiles affaiblissent les lois nécessaires »).
(33) TACITE, Annales, III, 27, 3 : (au IIe siècle ap. J.-C., au début de l’Empire) « jamais les lois ne
furent plus multipliées que quand l'État fut le plus corrompu », traduction libre : « le signe auquel
on reconnaît la décomposition de l’État est la multiplication de ses lois » : v. Droit civil illustré,
no 2. – ISOCRATE, Aréopagitique (vers 354 av. J.-C.) : « Les bons politiques doivent, non pas remplir
les portiques de textes écrits, mais maintenir la justice dans les âmes ; ce n’est pas par les décrets
mais par les mœurs que les cités sont bien réglées ». – MONTESQUIEU, Lettres persanes, Lettre
LXXIX, « de Usbek à Rhedi » : « La plupart des législateurs ont été des hommes bornés, que le
hasard a mis à la tête des autres, et qui n’ont presque consulté que leurs préjugés et leurs
fantaisies ». – DESCARTES, Discours de la méthode, 2e partie : « Et comme la multitude des lois
fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu’un État est bien mieux réglé lorsque, n’en ayant
que fort peu, elles y sont fort étroitement observées [...] ».
(34) Sur l’inflation législative contemporaine, v. infra, nos 136 et 139.
(35) P. DEUMIER, Entretien, D. 2013, 1264.
(36) F. HAYEK, Droit, législation et liberté, PUF, 3 vol., trad. fr., 1973.
(37) V. VALENTIN, Les conceptions néo-libérales du droit, préf. J. Chevallier, Economica, 2002.
L’auteur distingue plusieurs courants : l’analyse économique du droit (v. infra, no 33), la vision
globale évolutionniste de l’homme et de la société de Hayek et les libertariens pour qui le droit doit
protéger les droits naturels de la personne (v. infra, no 48 et la note).
(38) A. ALEMANNO, G. HELLERINGER et A.-L. SIBONY, « Brève introduction à l’analyse comportementale
du droit », D. 2016, 911.
(39) Étymologie : du grec προφυλακτικός, profulaktikos = prendre les devants pour veiller, lui-
même dérivé de προ- (en avant) et de φύλαξ (gardien, avant-poste, sentinelle). En médecine, surtout,
la prophylaxie désigne les mesures et précautions à prendre afin de prévenir la maladie.
(40) Sur la force intimidante de la peine, cf. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Cujas, t. I,
7e éd., 1987, no 608.
(41) Ph. MALAURIE, « L’effet prophylactique du droit civil », in Études J. Calais-Auloy, Dalloz, 2004,
p. 669.
(42) Successions et libéralités, coll. Droit civil.
(43) R. H. THALER et C. R. SUNSTEIN, Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision,
Pocket, 2012.
(44) D. KAHNEMAN, Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012.
(45) Ce postulat est au cœur de l’analyse économique du droit, v. infra, nº 33.
(46) J. TIROLE, « L’éthique face au marché » : Les Échos, 8 déc. 2014, p. 22 (sur : www.lesechos.fr).
(47) Définition de pervers : tourné au mal. Étymologie : du latin perverto, ere = renverser ; lui-
même dérivé de verto, ere = tourner. Biblio. : Ph. MALAURIE, « L’effet pervers des lois », in Écrits en
hommage à G. Cornu, PUF, 1994, p. 309. V. en sociologie, R. BOUDON, Effets pervers et ordre
social, PUF, 2e éd., 1979, p. 5 : les effets pervers sont « une des causes fondamentales des
déséquilibres sociaux et du changement social ».
(48) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 254-255 : « Il faut être sobre de nouveautés
en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les
avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la
pratique seule peut découvrir ».
(49) Le plus connu de ces effets pervers produit par le Code Napoléon découla de l’esprit égalitaire
du droit des successions : Balzac et d’autres auteurs de la fin du XIXe siècle avaient vu dans les règles
civiles du partage une « machine à hacher le sol » (réalisant un morcellement des exploitations
agricoles entre les divers héritiers) allant jusqu’à produire des effets contraceptifs (v. Droit des
successions, coll. Droit civil).
(50) P. DUBOUCHET, « La philosophie du Droit de Hegel », RRJ 2006, p. 1217 ; du même, Philosophie
et doctrine du droit chez Kant, Fichte et Hegel, L’Harmattan, 2005.
(51) HEGEL, La raison dans l’histoire, Plon, trad. K. Papaoiannou, 1965, p. 107 : « Les pierres et les
poutres obéissent à la pesanteur, tendant vers le bas, et avec elles on édifie de hautes murailles.
Ainsi, ces éléments sont utilisés conformément à leur nature et contribuent ensemble à la
production d’un résultat qui limite leur action. Les passions se satisfont de façon analogue ; elles
se réalisent suivant leur détermination naturelle, mais elles produisent l’édifice de la société
humaine, dans laquelle elles ont conféré au droit et à l’ordre le pouvoir contre elles-mêmes ».
(52) S. WEIL, La pesanteur et la grâce (1948), Plon, 1991.
(53) W. SHAKESPEARE, Henry V (1599), Acte IV, Scène I. Le roi Henry V, dans la nuit précédant la
bataille d’Azincourt (immense victoire des Anglais contre les Français en 1415) : « Grâce à Dieu
tout puissant, / Même dans les maux (infligés aux Anglais par les Français), il y a quelque essence
du bien, / Perceptible si l’on prend soin de l’en extraire » (« God Almighty ! There is some soul of
goodness in things evil, Would men observingly distil it out »). Mais, à l’inverse, moins de 15 ans
plus tard (en 1429-1431), Jeanne d’Arc commença à mettre fin aux maux infligés par les Anglais aux
Français (la Guerre de Cent ans prit fin en 1453) ; là aussi, un mal a été l’ombre d’un bien.
(54) Cf. J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social (1762) : « Les lois sont toujours utiles à ceux qui
possèdent et nuisibles à ceux qui n’ont rien ».
(55) ALAIN, Propos, La Pléiade, Gallimard, t. I, 1956, p. 483, Le droit par la paix : « Celui qui a
proposé cette formule connue “La paix par le droit” a fait tenir, il me semble, beaucoup d’erreurs
en peu de mots [...]. “La paix par le droit”, c’est un cri de guerre, à bien l’entendre ; c’est même
le cri de la guerre. La première erreur qu’il faut effacer, c’est que les hommes font la guerre par
goût d’usurper ou de piller ; cela peut être dans un petit nombre ; mais le gros se bat toujours
pour un droit ; ou bien il le croit fermement, ce qui revient au même ».
(56) G. ORWELL, 1984 (1948). Dans la société totalitaire que décrit ce roman de politique-fiction, les
citoyens doivent utiliser la « novlangue » (newspeak), terminologie officielle appauvrie à outrance
pour ne plus permettre l’expression des idées et au contraire servir de vecteur de propagande : le
ministère de la Guerre s’appelle le ministère de la Paix, le ministère du Rationnement s’appelle le
ministère de l’Abondance, le ministère de la Police s’appelle le ministère de l’Amour, etc. Cf. Les
sorcières de Macbeth : « Fair is foul and foul is fair ».
(57) Sur le recours à l’euphémisme par le législateur, v. infra, no 372. Plus largement, sur les dérives
du langage juridique français, v. infra, no 440, 2º.
(58) JOINVILLE, Chroniques de la vie de Saint-Louis : « Louis IX à qui l’on alloit que comme à un
saint [...] s’asseoyoit sous un chesne, et où tous ceux qui avaient affaire à luy venoient lui parler
sans empeschement d’huissiers ni d’autres ».
(59) CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe, L. XVI, Chap. IV, reproduisant l’article qu’il avait
publié au Mercure en 1804, au lendemain de l’assassinat du duc d’Enghien : « Lorsque dans le
silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du
délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur
que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain
que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire ». L’article suscita la fureur du Premier consul.
(60) Ex. : RABELAIS, Le cinquième et dernier livre : « Or çà, les lois sont comme toiles
d’araignées ; or çà, les simples moucherons et petits papillons y sont pris ; or çà, les gros taons
malfaisants les rompent, or çà, et passent à travers ». B. PASCAL, Pensées : « Juge et justice. C’est
“piperie bonne à duper le monde” ». J. de LA FONTAINE, Les animaux malades de la peste : « Selon
que vous serez puissant et misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». TOLSTOÏ,
Résurrection, Chap. VIII : « Et moi, je connais des forçats qui sont incomparablement supérieurs à
leurs juges ». A. CAMUS, L’homme révolté, Gallimard, 1951 : « Le monde du procès est un monde
circulaire où la réussite et l’innocence s’identifient l’une à l’autre, où tous les miroirs
réfléchissent la même mystification ».
(61) Ph. MALAURIE, « Les antinomies des règles et de leurs fondements », in Études P. Catala, Litec,
2001, p. 25. V. aussi P. CATALA, « À propos de l’ordre public », Mélanges P. Drai, Dalloz, 2000,
p. 511, spéc. p. 522 : « je crois à la dualité des forces antagonistes, le bien et le mal, l’individuel et
le collectif, dont la dialectique éternelle nous sauve des extrêmes et perpétue le Droit. L’ordre
public penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, selon les respirations de l’Histoire [...]. C’est
cela la circularité du Droit, rythmée par le balancier du temps, et elle me semble délivrer un
message d’espérance ».
(62) Sur le Décret (Decretum) de Gratien, œuvre majeure du droit canonique, v. infra, no 92.
(63) B. PASCAL, éd. Brunschvicg, Pensées, 294 : « Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en
deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
(64) B. PASCAL, ib., 298 : « Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est
le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est
tyrannique. La justice sans la force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants ; la force
sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire
que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste ». Comp. R. von IHERING, L’évolution
du droit (Der Zweck im Recht, 1892), trad. O. de Meulenaere, 1901, nos 118 et s., p. 169 : « Le droit
est la politique de la force [...]. Le droit n’est pas le principe supérieur qui régit le monde ; il
n’est pas un but en soi, il n’est que le moyen de réaliser un but qui est le maintien de la société
humaine. Si la société ne peut se maintenir dans l’état juridique actuel, si le droit ne peut l’y
aider, la force vient remédier à la situation ». p. 171 : « La force peut au besoin vivre sans le
droit ; elle l’a prouvé. Le droit sans la force est un mot vide de sens : la force seule réalise les
normes du droit, et fait de celui-ci ce qu’il est et ce qu’il doit être. Les maîtres inhumains qui ont
châtié les peuples avec des verges de fer ont autant fait pour l’éducation juridique de l’humanité,
que les législateurs les plus sages, qui ont écrit les tables du droit ». Pour les Français qui, comme
moi (Ph. M.), ont vécu l’occupation allemande entre 1940 et 1944, ce texte a une curieuse résonance.
(65) A. MALRAUX, L’espoir (dernières lignes).
(66) Biblio. : P. HÉBRAUD, « Observations sur la notion de temps en droit civil », in Études P. Kayser,
PUAM, 1979, t. II, p. 1 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, 4e éd., 2003, nos 94 s.,
p. 119 s. (« Le droit et le temps ») ; Ph. MALAURIE, « Le grand âge », LPA, 15 oct. 2008, no 207, p. 3 et
Defrénois 2009, art. 38887, p. 220 (sur l’âge et la vieillesse dans la littérature, la théologie et le
droit) ; du même auteur, « La mythologie et le droit », Defrénois 2003, art. 37788, p. 951 (not. le dieu
Cronos, en latin Saturne, incarne l’ambivalence du temps qui crée et détruit ; Janus bifrons a deux
visages, l’un regarde l’avenir, l’autre le passé) ; Le temps et le droit, LexisNexis Litec, Colloques &
débats, 2010 (cf. Ph. MALAURIE, Rapport de synthèse, p. 107) ; Cour de cassation, Rapport annuel
2014, « Le temps dans la jurisprudence de la Cour de cassation », p. 99 à 409 :
www.courdecassation.fr (v. spéc. la synthèse de C. Chainais, p. 99).
(67) Pour une analyse de sociologie juridique du lien que la règle de droit entretient avec
l’alternance du jour et de la nuit : J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 61,
« Nocturne » : « Permanente autant que générale, la règle juridique est un soleil qui ne se couche
jamais. La sociologie juridique a une vision différente et relative [...] ». Sur la nuit en droit :
D. ALFROY, « Du droit de la nuit aux droits de la nuit », RRJ 2007, p. 1057 ; J.-M. BRIGANT, « Quand
le droit pénal ajourne la nuit », Rev. sc. crim. 2005, p. 819 (le domaine environnemental est le
dernier bastion de la spécificité nocturne en droit pénal) ; adde CEDH, 19 oct. 2004, D. 2005, 472,
n. D. Roets, jugeant contraire aux exigences du « procès équitable » le procès d’une cour d’assises
qui s’était poursuivi toute la nuit, au risque que les accusés, leurs avocats et les jurés fussent dans un
état de fatigue excessif. N. LAURENT-BONNE, « Les origines de l’irresponsabilité pénale du
somnambule », RSC 2013, p. 547 : entre 1150 et 1310, canonistes et romanistes ont élaboré une
doctrine morale sur le « dormiens » (l’homme endormi), que ses rêves sexuels exposent au péché,
avant d’admettre l’irresponsabilité pénale du somnambule, sauf faute de négligence antérieure de sa
part.
(68) V. infra, no 47.
(69) V. infra, no 365.
(70) Sur l’élaboration « sédimentaire » de la jurisprudence et le poids des jurisprudences constantes,
v. infra, no 410.
(71) Sur la notion d’exception, v. infra, no 456.
(72) V. infra, nos 217 et 278.
(73) V. infra, nos 288 et s. Sur la rétroactivité de la jurisprudence, v. infra, no 400.
(74) R. von IHERING, Histoire du développement du droit romain (posthume et inachevée), trad. O. de
Meulenaere, 1900, p. 58. Sur la conception « organiciste » du droit chez Savigny et Ihering, v. infra,
no 133.
(75) DESCARTES, Discours de la méthode, Première partie : « Lorsqu’on est trop curieux des choses
qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se
pratiquent en celui-ci ». GOETHE : « Les lois et le droit, semblables à un mal héréditaire, se
transmettent de génération en génération et s’étendent insensiblement de pays en pays.
L’intelligence devient sottise ; le bienfait, tourment. Malheur à toi d’être né petit-fils ! mais du
droit né avec nous, hélas ! il n’en est jamais question ! » (cité par F. K. von SAVIGNY, Traité de droit
romain, 1840-1850, trad. Ch. Guenoux, t. I, 1855, p. 40, note b).
(76) S. WEIL, L’enracinement, Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain,
Gallimard, 1968, p. 293 : « L’histoire est un tissu de bassesses et de cruautés, où quelques gouttes
de pureté brillent de loin en loin ».
(77) BOSSUET, Discours sur l’histoire universelle : « Ce long enchaînement de causes particulières
qui font et défont les empires, dépend des ordres secrets de la Providence ».
(78) K. MARX et F. ENGELS, Le Manifeste du parti communiste, publié à Londres en 1848 : « Vos
idées résultent elles-mêmes du régime bourgeois de production et de propriété, comme votre droit
n’est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté dont le contenu est déterminé par les
conditions matérielles d’existence de votre classe ».
(79) CE, ass., avis, 16 févr. 2009, Hoffman Glemane, Dr. adm. 2009, comm. 60 ; JCP G, 2009, II,
10074 : la responsabilité de l’État a été engagée du fait de la collaboration du gouvernement de Vichy
à la déportation des juifs de France ; l’ensemble des mesures financières (pensions, indemnités et
aides diverses octroyées après la guerre) et la reconnaissance solennelle de cette responsabilité par
le président de la République (dans un discours du 16 juillet 1995) ont permis l’indemnisation des
préjudices de toute nature causés par les actions de l’État ayant concouru à la déportation.
(80) Biblio. sélective : C. VIVANT, L’historien saisi par le droit. Contribution à l’étude des droits
de l’histoire, Dalloz, 2007 ; M.-O. BARUCH, Des lois indignes ? Les historiens, la politique et le
droit, Tallandier, 2013.
(81) Cf. E. DESMONS, « Mea culpa ou histoire d’un crime ? (De la loi pénale et des crimes du
passé) », Mélanges Y. Guchet, Bruylant, 2008, p. 69, où l’auteur propose un raisonnement par
l’absurde tendant à extraire des conséquences juridiques de la loi Taubira ; prise au sérieux, elle
autoriserait une discrimination ethnique et raciale en imposant de séparer les auteurs (descendants
des esclavagistes, plutôt des blancs) et les victimes (descendants des esclaves, plutôt des noirs) de
ce crime supposé !
(82) Cons. const., 31 janv. 2006, décis. no 2006-203 L ; D. no 2006-160, 15 févr. 2006.
(83) Cons. const., 28 févr. 2012, décis. no 2012-647 DC, Loi visant à réprimer la contestation de
l'existence des génocides reconnus par la loi, RTD civ. 2012, p. 78, obs. P. Puig. Mais le
gouvernement, que ce soit celui de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, a continué à demander
que soit punie la contestation du génocide arménien.
(84) Cass. crim., 5 févr. 2013, D. 2013, 805, n. P. Egéa : « si la loi du 21 mai 2001 tend à la
reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, une telle
disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne
saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments
constitutifs du délit d'apologie ».
(85) CEDH, 17 déc. 2013, Perinçek c/Suisse, JCP G, 2014, 37, obs. G. Gonzalez (confirmé par :
CEDH, gde ch., 15 oct. 2015) : n’est pas commandée par un « besoin social impérieux » la
condamnation pénale pour négation de génocide (un délit défini en des termes généraux par le Code
pénal suisse) alors que la personne poursuivie avait contesté l’existence du « génocide » arménien –
et non celle du génocide juif, dont la contestation est punissable pour des raisons bien particulières
(not. parce que l’antisémitisme reste très présent dans la société contemporaine).
(86) Cons. const., 8 janv. 2016, Délit de contestation de l'existence de certains crimes contre
l'humanité, décis. nº 2015-512 QPC, JCP G, 2016, 254, n. O. Décima ; D. 2016, 521, n. J.-B. Perrier
et E. Raschel : « la négation des crimes contre l'humanité commis durant la seconde guerre
mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle-même une portée raciste et antisémite » ;
par suite, en réprimant pénalement la seule contestation des crimes contre l'humanité commis par les
nazis (L. 29 juill. 1881, art. 24 bis issu de la L. 13 juill. 1990), « le législateur a traité différemment
des agissements de nature différente » et n’a pas méconnu le principe d’égalité devant la loi pénale.
(87) L. 29 juill. 1881, « sur la liberté de la presse », art. 35, issu de l’ord. 6 mai 1944 « sur le régime
de la presse en temps de guerre ».
(88) CEDH, 7 nov. 2006, Noël Mamère, D. 2007, 1704, n. J.-P. Marguénaud.
(89) Infra, no 133.
(90) E. BARTIN, Principes de droit international privé, Montchrestien, 1931-1935, Préface, in fine :
« Le droit international privé n’est pour moi que la forme juridique de l’idée de patrie ».
(91) Constitution du 4 octobre 1958, art. 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple
[...] ».
(92) Le Traité de Rome instituant la Communauté européenne (auj. remplacé par le Traité sur l’Union
européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’UE) a créé une « citoyenneté européenne » et
octroyé à « tout citoyen de l’Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire
des États membres ». Il a consacré la liberté de circulation des travailleurs, la liberté
d’établissement, la liberté de prestations de services et la liberté de circulation des capitaux. La
politique monétaire et, dans une large mesure, la politique d’immigration ont été
« communautarisées » (v. infra, no 345).
(93) F. de CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe, L. 44, Chap. 5 : « Quelle serait une société
universelle, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni portugaise, ni italienne, ni
russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait
à la fois toutes ces sociétés ? [...] Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait
cette société ? ».
(94) Ph. MALAURIE, « La jurisprudence combattue par la loi [...] », Defrénois 2005, p. 1205 ; ESCHYLE,
Les Perses, v. 826-827, l’ombre de Darius : « Zeus, exacteur implacable, est toujours prêt à punir
les desseins trop superbes ».
(95) « L’américanisation du droit », Arch. phil. droit, t. 45, Dalloz, 2001 ; F. MELLERAY, « L’imitation
des modèles étrangers en droit administratif français », AJDA 2004, p. 1224.
(96) V. infra, no 34 (notamment sur les rapports Doing business).
(97) Sur l’opposition entre les juges à la Cour suprême Antonin Scalia (conservateur,
exceptionnaliste) et Stephan Breyer (ouvert au droit comparé) : R. BISMUTH, « L’utilisation de sources
du droit étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis », RIDC 2010, p. 105,
spéc. p. 125 et s. ; E. ZOLLER, « Le combat entre la pensée libérale et la pensée conservatrice aux
États-Unis. À propos du livre de S. G. Breyer, La Cour suprême, le droit américain et le monde »,
JCP G, 2015, 1159.
(98) US Supreme Court, 20 juin 2002, Atkins c/Virginia, résumé in Rev. sc. crim., 2002, p. 917.
(98a) G. DE VERGOTTINI, Au-delà du dialogue entre les cours. Juges, droit étranger, comparaison,
Dalloz, 2013, spéc. p. 147.
(99) Robinson Crusoë (dans le roman homonyme de D. DE FOË paru en 1719, dont Rousseau fit la
renommée) avait appelé son île « l’île du désespoir ». Il délivra Vendredi (Friday) d’une tribu
anthropophage. Par son labeur journalier durant un quart de siècle, Robinson domina l’angoisse de sa
solitude et parvint à retrouver les autres.
(100) R. JACOB, Jus ou la cuisine romaine de la norme, in « Jus et le Code civil », Droits et cultures
(revue), 2004/2, no 48.
(101) A.-S. CHAMBOST, Proudhon et la norme. Pensée juridique d’un anarchiste, PUR, 2004 ; du
même auteur, « Proudhon et les juristes », Mélanges Y. Guchet, Bruylant, 2008, p. 15. Joseph
Proudhon définit la justice comme une faculté de la conscience qui pousse l’homme au respect
réciproque de la dignité d’autrui (elle a donc sa source réelle en l’homme) ; le droit aurait pour objet
de garantir cette faculté immanente.
(102) La revue Droits (1989, nos 10 et 1990, no 11) a proposé 47 définitions différentes : on aurait pu
en donner une centaine. V. aussi sur « le critère du juridique » : J. CARBONNIER, Sociologie juridique,
PUF, 2e éd., 2004, p. 318 et s.
(103) M. VILLEY, Philosophie du droit, Dalloz, 2001 (réédition du tome 1. Définition et fins du droit,
4e éd. 1986, et du tome 2. Les moyens du droit, 2e éd. 1984), nos 33 s., p. 49 s. Sur le rôle central de
l’équité, v. infra, no 42.
(104) Dans la mythologie cananéenne, que reprend la Bible, le Léviathan est un monstre personnifiant
le désordre et le mal (ISAÏE, 27, 1 : « L’Éternel frappera avec son épée acérée, énorme, puissante le
Léviathan, serpent fuyard, le Léviathan, serpent tortueux. Il tuera le monstre qui est dans la
mer »).
(105) Sur ce mythe : J. CARBONNIER, « La genèse de l’obligatoire dans l’apparition de la coutume », in
Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 118 ; du même auteur, « Toute loi en soi est un mal », in
Essais sur les lois, Defrénois, 2e éd., 1995, p. 315 et s., spéc. p. 331 : « Dans un peuple de saints,
les lois seraient inutiles : l’amour du prochain pour l’amour de Dieu, l’amour du prochain pour
l’amour de l’humanité, suffiraient à harmoniser les pensées et les actions. À l’avènement du
Royaume, toutes les lois seront effacées ». Pourtant, dans le jardin d’Eden (Genèse, 2, 8), un
premier ordre juridique s’était institué, Yahvé ayant adressé à Adam une interdiction : « Tu peux
manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne
mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort » (Genèse, 2, 17).
(106) Ainsi les statuts de la FIFA et de l’UEFA (fédérations internationale et européenne de football
professionnel) interdisent-ils, sous peine de sanctions disciplinaires, aux associations nationales
membres et aux clubs de football de saisir les juridictions étatiques de litiges sportifs relevant de
leur tribunal interne. Exclu d’une compétition européenne à la suite de l’affaire « OM-VA », le club
de l’Olympique de Marseille a transgressé l’interdit en obtenant d’un tribunal suisse sa réintégration
(Trib. Berne, 9 sept. 1993, JCP G, 1993.II.22178). Il dut se désister sous la menace de nouvelles
sanctions.
(107) B. PROIETTO, « Ndranghetta et Camorra : variations sur un thème mafieux », Mélanges
P. Spiteri, PU sc. soc. Toulouse, 2008, t. 2, p. 925.
(108) L’étymologie du mot religion est controversée depuis l’Antiquité : de religare = relier
(l’homme à Dieu) ; ou bien, d’après Cicéron, de re + legere ou encore religere = recueillir,
recollecter. En fait religio a d’abord désigné le scrupule, une ferveur inquiète, l’inquiétude de la
conscience et s’est naturellement appliqué à la pratique religieuse qui suppose cette disposition
d’esprit.
(109) Biblio. sélective : Y. GAUDEMET, « Liberté religieuse et laïcité. Hommage à Jean Rivero », in
Le professeur Jean Rivero ou la liberté en action, Dalloz, 2012, p. 25 ; Conseil d’État, Un siècle de
laïcité. Rapport public 2004, La doc. fr., 2004, p. 241 et s.
(110) Biblio. sélective. Ouvrages : « Droit et religion », Arch. phil. dr., t. 38, Sirey, 1993 ; Droit et
religion, Bruylant, 2003 ; Traité de droit français des religions, dir. F. MESSNER, P.-H. PRÉLOT, J.-
M. WOEHRLING, Litec, 2e éd., 2013 ; Droit, éthique et religion : de l’âge théologique à l’âge
bioéthique, Bruylant, 2012 ; M. PENDU, Le fait religieux en droit privé, thèse Rennes I, Defrénois,
2008 ; E. TAWIL, Justice et religions. La laïcité à l’épreuve des faits, PUF, 2016. V. aussi aux
PUAM, la collection « Droit et religions » et l’Annuaire Droit et religions (depuis 2005). Articles :
Ph. MALAURIE, « L’État et la religion (centenaire de la loi de 1905) », Defrénois 2005, art. 38139,
p. 572 ; C. DUVERT, « Droit et religions », RRJ 1996, p. 737 ; V. LASSERRE, « Droit et religion »,
D. 2012, chr. 1072.
(111) Jésus, à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean, XVIII, 36). Le christianisme
sépare l’Église (pouvoir spirituel) de l’État (pouvoir temporel).
(112) J. CARBONNIER, note sous CA Nîmes, 10 juin 1967, D. 1969, 366.
(113) B. BASDEVANT-GAUDEMET, « Le lexique ecclésial de la sécularisation des personnes et des
biens », Droits 2014, nº 58, p. 31.
(114) L. GANNAGÉ, « Droit immobile, droit en mouvement », Mélanges B. Oppetit, Litec 2009,
p. 203.
(115) Cons. const., 19 nov. 2004, décis. no 2004-505 DC, Traité établissant une Constitution pour
l’Europe, consid. 16 et 18.
(116) L. no 2001-504 du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la prévention et la répression des
mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ». Cette
loi incrimine l’abus de faiblesse d’une personne « en état de sujétion psychologique » (C. pén.,
art. 223-15-2) et prévoit la dissolution des sectes qui se livrent à cette activité.
(117) CEDH, 13 févr. 2003, Refah partisi c/Turquie, approuvant la dissolution d’un parti islamiste
qui prônait l’instauration de la charia. L’arrêt, rendu en Grande chambre, présente une synthèse du
traitement de la religion par le droit européen.
(118) Cass. 3e civ., 18 déc. 2002, Bull. civ. III, no 262 : des locataires israélites ont, en vain, exigé de
leur bailleur qu’il remplaçât le digicode d’entrée par une serrure mécanique, car, selon le judaïsme,
ils ne devaient utiliser aucun système électrique durant le sabbat.
(119) CA Douai, 17 nov. 2008, JCP G, 2009, II, 10005, n. Ph. Malaurie, infirmant le jugement (TGI
Lille, 1er avr. 2008, D. 2008, 1389 ; JCP G, 2008, II, 10122) qui avait annulé un mariage civil en
raison du mensonge commis par l'épouse sur sa virginité ; la preuve de ce mensonge n'avait pas été
rapportée et, en tout état de cause, la virginité « n'est pas une qualité essentielle en ce que son
absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale ».
(120) Cass. Ass. plén., 19 mai 1978, aff. du cours Sainte-Marthe, D. 1978, 541, concl. (contraires)
Schmelck : les « convictions religieuses » de la salariée sont un élément qui reste « habituellement
en dehors des rapports de travail » mais, en l’espèce, il avait été « incorporé volontairement dans
le contrat dont il était devenu partie essentielle et déterminante » ; « le cours Sainte-Marthe,
attaché au principe de l’indissolubilité du mariage, avait agi en vue de sauvegarder la bonne
marche de son entreprise, en lui conservant son caractère propre et sa réputation ».
(121) Cass. soc., 19 mars 2013, aff. de la crèche Baby Loup, D. 2013, 956, avis B. Aldigé, 963, n. J.
Mouly ; JCP G, 2013, 1117, nº 1 (avec les réf. complètes) : « le principe de laïcité instauré par
l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui
ne gèrent pas un service public ».
(122) Cass. Ass. plén., 25 juin 2014, aff. de la crèche Baby Loup, nº nº 13-28.369 :
www.courdecassation.fr, rapp. L. Truchot, avis J.-Cl. Marin : « la restriction à la liberté de
manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général,
mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de
l’association et proportionnée au but recherché » (comme l’exige l’article L. 1121-1 du Code du
travail). Adde le dossier « Communautarisme et fait religieux dans les relations de travail »,
Dr. social 2015, p. 660 et s.
(123) S. DÉMARE-LAFONT, « “À cause des anges”. Le voile dans la culture juridique du Proche-
Orient », Études M. Carlin, éd. La Mémoire du droit, 2008, p. 235. Le tournant de l’histoire du voile
se situe en Assyrie à la seconde moitié du IIe millénaire avant J.-C. Le port du voile obéissait alors à
un critère de moralité et de hiérarchie sociale : privilège pour les femmes mariées et honorables, son
port par les prostituées ou les servantes portait atteinte à l’ordre public. Adde Ph. MALAURIE,
« Laïcité, voile islamique et réforme législative », JCP G, 2004.I.124.
(124) CE, Avis, 27 nov. 1989, AJDA 1990, p. 39, note J.-P. C.
(125) CE 5 déc. 2007, deux arrêts, Dr. adm. 2008, comm. 4 : « si les élèves des écoles, collèges et
lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part,
les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande
croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d'autre
part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en raison du
comportement de l'élève » (condamnant le port du sous-turban sikh ou keshi sikh, pourtant plus petit
que le turban sikh traditionnel, même sans acte de prosélytisme, ainsi que le port d’un bandana
couvrant la chevelure).
(126) CEDH, 4 déc. 2008, Dogru c/France, Dr. adm. 2009, comm. 8, n. Ph. Raimbault.
(127) CEDH, 29 juin 2004, Leyla Sahin c/Turquie, Dr. adm. 10/04, comm. 146 (validant
l’interdiction du voile dans les universités turques au nom du principe de laïcité, arrêt confirmé dans
la même affaire par : CEDH, gde ch., 10 nov. 2005, D. 2006, somm., p. 1719). L’interdiction frappe
les étudiants comme les enseignants (CEDH, 24 janv. 2006, Kurtulmus, ib., p. 1720). La Cour
constitutionnelle turque annula le 5 juin 2008, au nom du principe de laïcité, la loi qui levait cette
interdiction.
(128) CEDH, gde ch., 18 mars 2011, Lautsi c/Italie, no 30814/06, Dr. adm. 2011, 60 (infirmant un
précédent arrêt qui faisait prévaloir l’obligation de neutralité de l’État : CEDH, 3 nov. 2009,
Dr. adm. 2010, 3 ; D. 2009, 2872, n. P. Muzny).
(129) Not. CEDH, 30 juin 2009, Aktas c/France, no 43563/08.
(130) CEDH, 23 févr. 2010, Ahmet Arslan c/Turquie, no 41135/98.
(131) V. Droit civil illustré, no 3. Adde Circ. 2 mars 2011, JORF no 0052, 3 mars 2011, texte no 1.
L’art. R. 645-14 C. pén. réprime aussi la dissimulation de visage aux abords d’une manifestation sur
la voie publique (sont visés les « casseurs » à capuche).
(132) CEDH, 1er juill. 2014, SAS c/France, no 43835/11, ajoutant que « cette interdiction n’est pas
explicitement fondée sur la connotation religieuse des habits visés » et que la sanction encourue
(une amende de 150 € au maximum) est très légère. Adde CEDH, 26 nov. 2015, Ebrahimian
c/France, JCP G, 2016, 97, n. G. Gonzalez, validant l’obligation stricte de neutralité-laïcité des
fonctionnaires (ici une assistante sociale sanctionnée pour avoir refusé d’enlever son voile à
l’hôpital).
(133) R. SCIALOM, « Les grandes étapes de la codification du droit hébraïque », RRJ 2006, p. 337. Le
code des lois (Halakha) le plus prestigieux est le Mishneh Torah (= seconde Loi ou copie de la Loi)
que le savant juif de Cordoue Moïse Maïmonide (le RamBam) écrivit entre 1168 et 1178. Le code
définitif est le Choulhan Aroukh (= la table dressée) de Rav Yossek Karo publié en 1564 ; reflet de
la seule tradition séfarade, il reçut entre 1569 et 1571 l’adjonction de coutumes polonaises et de
jugements d’autorités ashkénazes compilés dans une œuvre nommée Mappah (= la nappe, pour
couvrir la table) rédigée par le Rema (acronyme de Rav Moché ben Israël Isserles).
(134) Cass. 1re civ., 17 févr. 2004, RTD civ. 2004, p. 367 (avec les références) : la décision d’une
juridiction étrangère constatant, sur le fondement de la Charia, « une répudiation unilatérale du mari
sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et en privant l'autorité
compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette
rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du
mariage », reconnu par l’art. 5 du protocole no VII additionnel à la Conv. EDH. V. Droit de la
famille. Coll. Droit civil.
(135) ARISTOTE, Politique, Livre I, II.
(136) Comp. S. BENISTY, La norme sociale de conduite saisie par le droit, thèse Versailles, dactyl.,
2013, qui entend réhabiliter les normes sociales et personnelles dans le domaine juridique en
estimant qu’elles peuvent véhiculer les mêmes devoirs de conduite que le droit ; elles peuvent entrer
en conflit avec des normes juridiques (ex. : le droit pénal peut interdire le duel d’honneur) mais, en
principe, dans une société apaisée, les deux catégories sont en harmonie ; bien plus, si un devoir
juridique est respecté de façon spontanée, c’est plus souvent parce qu’une norme sociale l’impose
que parce qu’existe une contrainte juridique (ex. : le respect d’un contrat).
(137) Ph. MALAURIE, « La pensée juridique de Jean Carbonnier », Defrénois 2005, art. 38271,
p. 1755. Jean Carbonnier. L’homme et l’œuvre, dir. R. Verdier, PU de Paris Ouest, 2011 (avec
plusieurs articles sur le « non-droit »).
(138) Article fondateur : J. CARBONNIER, « L’hypothèse du non-droit », Arch. phil. dr., t. VIII, « Le
dépassement du droit », Sirey, 1963, p. 55. Du même auteur, Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001,
p. 25 : « Le non-droit, s’il faut en donner une première approximation, est l’absence du droit dans
un certain nombre de rapports humains où le droit aurait eu vocation théorique à être présent. Ce
n’est pas, bien entendu, l’anti-droit, le droit injuste, qui est un phénomène positif. Ce n’est pas
non plus le sous-droit, tel qu’il peut se produire dans la sous-culture de certains groupements
particuliers [...] Le non-droit, en ce qu’il a de plus significatif, est le retrait ou la retraite du
droit ». Pour son application au droit pénal, du même auteur : « Le double visage du droit pénal aux
lueurs de sa triple genèse ». Études Cl. Lombois, PU Limoges, 2004, p. 17 s. (republié dans Écrits,
PUF, 2008, p. 920. V aussi « L’hypothèse du non-droit » (2008) in Droit et cultures, no 48, 2004, 2,
p. 231-235, republié in Écrits préc., p. 740 s. Pour une critique : M. DOUCHY, « La notion de non-
droit », RRJ 1992, p. 433 ; A. SÉRIAUX, « Question controversée : la théorie du non-droit », RRJ
1995, p. 13. Le non-droit serait aussi de la « non-loi » (M. DOUCHY, art. cit.).
(139) P. MORVAN, « La salle de shoot : lieu d’asile en droit pénal », Dr. pénal 2016, 7.
(140) Mais, l’amitié a des échos en droit, par exemple l’« amicus curiæ » (v. infra, no 222) ou la
notion d’« amiable ». Cf. J.-L. SOURIOUX, « L’amitié hors-le-droit », Écrits du prof. J.-L. Sourioux,
LexisNexis, 2011, p. 201.
(141) J. CARBONNIER, Sociologie juridique, PUF, 2e éd., 2004, « La pluralité des systèmes
normatifs », p. 315 et s., spéc. p. 317 : « Bien d’autres normes nous gouvernent que le droit et les
mœurs, même si nous ne les sentons pas toujours comme normes. Ainsi, les règles d’hygiène et de
thérapie ; le système des poids et mesures (dont le système monétaire est un volet capital) ; les
techniques d’ateliers, de magasins, de bureaux, disciplinées et uniformisées de tout temps par
l’usage et aujourd’hui par une procédure spéciale, justement qualifiée de normalisation. Ces
normes sont déjà des fruits de civilisation. Mais la normativité peut se dissimuler dans des
couches plus profondes, sous le quasi-automatisme de beaucoup de comportements humains. Le
langage est un système normatif dont nous confessons les règles en parlant, même quand nous y
manquons par nos fautes. Les normes corporelles – universelles ou, à tout le moins,
transnationales – sont plus contraignantes encore : prédominance de la main droite, stéréotype de
gestes (s’agenouiller pour demander grâce), et ce que Mauss (Sociologie et anthropologie, 1950,
p. 365) désignait par techniques du corps (la manière de s’asseoir, de nager) – tout cela, qui
semble instinctif, est réglé secrètement ».
(142) La présence d’une véritable contrainte, même si elle est interne, pour assurer le respect de la
règle sociale conduisit plus tard Jean Carbonnier à parler d’un « droit du non-droit », qui est un
décalque, une imitation du droit, mais sans forme juridique ni action en justice (« Il y a plus d’une
définition dans la maison du droit », Droits 1990, no 2, p. 5). Le règlement amiable et la médiation
en sont les archétypes.
(143) J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois, 2e éd., 1995, p. 119 : « Telle est la signification
ultime qu’il convient de donner aux réformes récentes du droit civil : leur apparente permissivité
est un simple désengagement juridique. Tout n’est pas permis : la compétence pour interdire s’est
seulement déplacée du droit vers d’autres systèmes normatifs ». Le recours à des standards
juridiques (intérêt de l’enfant : C. civ., art. 287 et 372-1-1), le rôle accru du juge aux affaires
familiales, la liberté des époux en matière de divorce et d’exercice de l’autorité parentale ont permis
ce déplacement.
(144) V. supra, nos 21-22.
(145) Par ex., la jurisprudence confère une force obligatoire aux usages d’entreprise en droit social,
assortit les conventions d’assistance bénévole d’effets contractuels, consacre régulièrement des
règles issues de la lex mercatoria ; la loi instaure des procédures de médiation (v. infra, no 169). De
même, la loi du 15 novembre 1999 sur le pacs donne une définition légale du concubinage (C. civ.,
art. 515-8).
(146) E. H. PERREAU, « Courtoisie, complaisance et usages non obligatoires devant la jurisprudence »,
RTD civ. 1914, p. 481 ; Droit civil illustré, no 3.
(147) Biblio. sélective : G. FARJAT, « Réflexions sur les codes de conduite privés », Études
B. Goldman, Litec, 1982, p. 47 ; du même auteur, « Nouvelles réflexions sur les codes de conduite
privés », in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, 1998, p. 151 ; F. OSMAN, « Avis,
directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexion sur la
dégradation des sources privées du droit », RTD civ. 1995, p. 509 ; I. DESBARATS, « Codes de conduite
et chartes éthiques des entreprises privées », JCP G, 2003.I.112 ; R. DUMAS, « Réflexions sur les
rapports entre les “néodéontologies” commerciales et le droit », RRJ 2006, p. 1387 ; P. DEUMIER,
« Les sources de l’éthique des affaires. Codes de bonne conduite, chartes et autres règles éthiques »,
Mélanges Ph. Le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 337 ; P. DEUMIER, « La responsabilité sociétale de
l’entreprise et les droits fondamentaux », D. 2013, chr. 1564.
(148) Étymologie : du latin honos, honoris = honneur décerné à quelqu’un.
(149) B. BEIGNIER, L’honneur et le droit, th. Paris II, LGDJ, 1995, préf. J. Foyer, conclusion : « Si le
droit protège mal l’honneur, du particulier, de l’État ou de Dieu, c’est tout simplement que
d’autres valeurs s’opposent à cette protection. Elles ont pour nom liberté d’expression,
démocratie, laïcité ». Du même auteur : « L’honneur », Droits 1994, p. 97.
(150) Cass. 1re civ., 17 déc. 2015, nº 14-29549, Trierweiler, D. 2016, 277, obs. E. Dreyer.
(151) J. BENTHAM, Déontologie ou science de la morale, 1834 (ouvrage posthume). Dans la
philosophie utilitariste de Bentham, ce terme n’a pas le même sens qu’aujourd’hui.
(152) V. infra, nº 30.
(153) E. MAZUYER, « La soft law : outil juridique ou communicationnel ? L’exemple de la
responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) », in Droit, justice et politique communicationnelles.
Permanences et ruptures, Mare & Martin, 2015, p. 200 : « les actes de RSE sont, bien entendu, et
avant tout, des outils communicationnels ». Ex. : la norme ISO 26 000 ou la « charte de la
diversité » de 2004.
(154) Corporate and Criminal Fraud Accountability Act (CCFA) (2002), Sections 301 et 806
(Protection for employees of publicly traded companies who provide evidence of fraud).
(155) P. MORVAN, « La liberté d’expression des travailleurs en droits français et américain », in La
liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires Actes,
2008, p. 173.
(155a) Héroïsme et droit, Dalloz, 2014, spéc. M.-A. HERMITTE, « Le lanceur d'alerte, héros des
sociétés scientifiques et techniques ? », p. 135.
(155b) Cf. Conseil d'État, Étude, Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger, La doc. fr., 2016
(www.conseil-etat.fr), qui constate une multiplication récente des lois protégeant les lanceurs d'alerte
dans divers secteurs (en matière sanitaire, environnementale, de délinquance économique et
financière, dans les relations de travail...) sans cohérence d'ensemble et avec des insuffisances.
(156) Tel est le cas des codes de déontologie élaborés par des ordres professionnels, notamment
ceux des professions de santé (cités infra, no 140, en note), du droit (avocats) ou du chiffre
(commissaires aux comptes, experts-comptables).
(157) 1er ex. : l’art. L. 162-2 CSS se réfère aux « principes déontologiques fondamentaux que sont
le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret
professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du
médecin ». 2e ex. : l’art. L. 666-1 C. santé publ. dispose que « la transfusion sanguine s’effectue
dans l’intérêt du receveur et relève des principes éthiques du bénévolat et de l’anonymat du don, et
de l’absence de profit ».
(158) Ex. : C. com., art. L. 822-11 et L. 822-16 (L. 1er août 2003), exposant les thèmes principaux du
Code de déontologie des commissaires aux comptes (conflits d’intérêt, incompatibilités...) qui doit
être approuvé par décret en Conseil d’État.
(159) Ex. : Cass. 1re civ., 18 avr. 1961, JCP G, 1961.II.12184, note J. Savatier. – 1er juill. 1958,
D. 1959, 283, note J. Brethe de la Gressaye : « Vu [...] le principe de l’indépendance de l’action
civile et de l’action disciplinaire » (à l’encontre de médecins).
(160) G. RIPERT, Le déclin du droit, LGDJ, 1949, no 27 : « On s’aperçoit en lisant les textes qu’on a
mélangé les obligations juridiques et les devoirs moraux. Le législateur impose par voie
d’autorité la conduite du médecin, du dentiste, de l’architecte, du comptable envers des confrères
et envers des clients [...]. Ces codes de déontologie ont un style d’évangile. L’État se fait
professeur de morale [...]. Il me paraît profondément ridicule de dire, dans un texte qui a force de
loi, qu’un médecin ou un dentiste doit être doux envers les patients, et il n’est pas sans
inconvénient d’énumérer dans le même texte les obligations juridiques et les devoirs moraux, car
l’intéressé n’attribuera aux uns comme aux autres qu’un caractère facultatif ».
(161) Cass. 1re civ., 1er juill. 1958 et 18 avr. 1961, précités.
(162) Cass. com., 10 sept. 2013, JCP G, 2013, 1203, n. J.-M. Brigant : « un manquement à une règle
de déontologie, dont l’objet est de fixer les devoirs des membres d’une profession et qui est
assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence
déloyale » (c’est un revirement : contra Cass. com., 12 juill. 2011, D. 2011, 2782).
(163) Cass. 1re civ., 21 janv. 2003, D. 2003, 855, annulant des dispositions contraignantes du
règlement intérieur harmonisé établi par le Conseil national des barreaux qui ne disposait pas alors
de pouvoir réglementaire. La loi no 2004-130 du 11 février 2004 lui a permis d’unifier « par voie de
dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat ». Ce pouvoir réglementaire
trouve sa limite dans les droits et libertés appartenant aux avocats (CE, 5 oct. 2007, Dr. adm. 2007,
comm. 164).
(164) Ex. : Cass. 1re civ., 28 juin 1989, Bull. civ. I, no 258 : une clinique ne commet « aucune faute en
refusant son agrément à des praticiens qui se proposaient d’apporter leurs soins aux malades dans
des conditions contraires à des règles d’ordre public de la déontologie médicale ».
(165) Ex. : Cass. 1re civ., 18 mars 1997, JCP G, 1997.II.22829, rapp. P. Sargos.
(166) B. OPPETIT, « L’engagement d’honneur », D. 1979, chr. 107 (reproduit in Droit et modernité,
PUF, 1988, p. 277).
(167) Cass. com., 23 janv. 2007, Bull. civ. IV, no 12 : « en s'engageant, fût-ce moralement, “à ne pas
copier” les produits commercialisés par la société X., la société Y. avait exprimé la volonté non
équivoque et délibérée de s'obliger envers la société concurrente » ; « cette clause avait une
valeur contraignante pour l'intéressée et elle lui était juridiquement opposable ».
(168) Sur les gentlemen’s agreements et sur l’obligation naturelle découlant d’un « devoir de
conscience et d’honneur », v. Droit des obligations (coll. Droit civil).
(169) Biblio. sélective : Ch. CARDAHI, Droit et morale. Le droit moderne et la législation de l’Islam
au regard de la morale, LGDJ, 1950-1958 ; Ch. PERELMAN, Éthique et droit, éd. de l’université de
Bruxelles, 2e éd., 2012 ; M. VILLEY, « Morale et droit » (sur un texte de Grotius), in Seize essais de
philosophie du droit, Dalloz, 1969, p. 107 ; B. OPPETIT, « L’éthique », in Droit et modernité, PUF,
1988, p. 261 ; Ph. JESTAZ, « Les frontières du droit et de la morale », RRJ 1982, p. 334. – Droit et
mœurs, Droits 1994, no 19 ; Droit et morale, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2011.
(170) HORACE, Odes III, 24, v. 35.
(171) CEDH, 11 déc. 2007, Tremblay c/France, spéc. § 33 ; adde C. GESLOT, D. 2008, chr., 1292 :
une Urssaf ne viole ni l’article 3 de la Conv. EDH (interdiction de tout traitement inhumain et
dégradant) ni son article 4 (interdiction du travail forcé ou obligatoire) en poursuivant le
recouvrement de cotisations de sécurité sociale à l’encontre d’une prostituée immatriculée en qualité
de travailleur indépendant, bien que l’intéressée, qui s’efforçait de quitter le milieu de la prostitution
eût, selon ses dires, continué à se prostituer afin de payer les sommes réclamées. Adde G. FRANÇOIS-
DAINVILLE, « La prostitution et le droit de la Sécurité sociale : la question de l'affiliation », Dr. soc.
2005, p. 888. – A. CASADO, La prostitution en droit français. Étude de droit privé, IRJS éd., 2015.
(172) CE, 7 janv. 2000, Philippe, RTD com. 2000, p. 760, obs. F. Deboissy (le dirigeant auteur d’un
recel d’escroquerie a valablement passé en charges déductibles les 5 millions de francs qu’il avait
dû verser à ses fournisseurs). A. FAUCHON, « La preuve de l’acte anormal de gestion », in La preuve,
Economica, 2004, p. 141, spéc. no 20.
(173) Cass. crim., 27 oct. 1997, aff. Carignon, JCP G, 1998, II, 10017, note M. Pralus.
(174) P. ESMEIN in L. Julliot de la Morandière, P. Esmein, H. Lévy-Bruhl et G. Scelle, Introduction à
l’étude du droit, Rousseau, 1951, p. 119 à 127.
(175) E. KANT, Fondation de la métaphysique des mœurs (1797).
(176) E. KANT, Critique de la raison pratique (1788).
(177) E. KANT, Méthodologie transcendantale, Chap. II, S. II.
(178) Ph. MALAURIE, « La Bible, l’Alliance et le Droit. Réflexions d’un juriste chrétien », RRJ 1998,
p. 433 ; du même auteur, « La Bible et le droit », RTD civ. 2000, p. 525. P.-Y. GAUTIER, Vo « Nombres
du droit », Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1069, qui souligne l’origine
biblique de certains nombres : 3, 7 et surtout 12, tels les douze jurés de la cour d’assises, comme les
douze tribus d’Israël et les douze apôtres du Christ.
(179) A. SÉRIAUX, « Les paraboles évangéliques sur la justice », Études offertes à J. Dupichot,
Bruylant, 2004, p. 455.
(180) Après R. SAVATIER (Des effets de la sanction du devoir moral en droit positif français et
devant la jurisprudence, thèse, Paris, 1916), G. RIPERT (La règle morale dans les obligations
civiles, LGDJ, 4e éd., 1949) a essayé de montrer que la règle morale (chrétienne) irriguait le droit
des obligations. L’enrichissement sans cause, l’abus de droit, les adages fraus omnia corrumpit et
nemo auditur, l’obligation naturelle en seraient des illustrations déjà anciennes. Le développement
du devoir de loyauté et de la bonne foi dans les contrats renouvela la matière.
(181) Supra, no 29.
(182) M. GRANET, La pensée chinoise, 1934, rééd. Albin Michel, 1968, p. 475 s. : « je me bornerai à
caractériser l’esprit des mœurs chinoises par la formule : ni Dieu, ni Loi. [...]. La vérité est qu’en
Chine la religion n’est, pas plus que le droit, une fonction différenciée de l’activité sociale ».
Taoïstes et Confucéens vantent un idéal de bonne entente entre les hommes avec la nature et cette
entente « est un souple régime d’interdépendances ou de solidarités qui jamais ne saurait reposer
sur des prescriptions inconditionnelles : sur des Lois ». Sur le recours à la conciliation plutôt qu’à
la justice, v. infra, no 167.
(183) M. GRANET, op. cit., p. 382.
(184) Psaume, 19, 8 : « La loi de Dieu est parfaite ». Psaume 119, 97 et s. : « Comme j'aime ta loi !
Tous les jours, je la médite. Plus que mes ennemis tu me rends sage par ton commandement,
toujours mien ». Il s'agit de la loi divine.
(185) M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, Du droit de Dieu au droit de l’homme, PUF, 2003.
(186) Ph. MALAURIE, « Notre droit est-il inspiré ? », Defrénois 2002, art. 37545, p. 637, spéc. no 25.
(187) F. de CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe, L. 44, Chap. 4 : « La perception du bien et du
mal s’obscurcit à mesure que l’intelligence s’éclaire ; la conscience se rétrécit à mesure que les
idées s’élargissent. Oui, la société périra : la liberté qui pouvait sauver le monde, ne marchera
pas [...] ».
(188) V. not. P. RICŒUR, Éthique et politique, Esprit, 1985, no 101, p. 141 (contre la « morale
moralisante ») ; F. A. ISAMBERT, De la bioéthique aux comités d’éthique, Études, mai 1983, p. 671
(« Que le politique doit être défini d’abord par rapport à l’économique et au social avant d’être
confronté avec l’éthique », la morale « conservatrice d’un ordre dépassé ») ; E. BAULIEU, Le droit,
la médecine et la vie, Débat 1985, no 36, p. 18 (pour le « relativisme moral », une « éthique
minimale », contre le « fanatisme moralisateur ») ; P. VALADIER, Une morale sans exception ?,
Études 1992, p. 67 (« La vie morale ne se passe pas dans un univers idéal, mais dans des contextes
marqués par la violence et le mal » ; « la vie morale en dehors du cours paisible de l’existence
ordonnée selon les habitudes vertueuses, ne connaît que des cas spécifiques »).
(189) B. OPPETIT, « Éthique et vie des affaires », Études A. Colomer, Litec, 1993, p. 319 : « Là où la
morale juge l’action des hommes et des sociétés à l’aune d’un système de valeurs transcendantes,
l’éthique ne prétend à aucune valeur absolue et, en ce sens, elle est amorale, critique et non
normative ». En ce sens : A. COMTE-SPONVILLE, Morale ou éthique, Lettre internationale, 1991, no 28,
p. 11.
(190) Genèse, 2, 17 : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la
connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras
passible de mort » (Dieu se réserve la faculté de discerner le bien et le mal ; Adam et Ève (c’est-à-
dire l’humanité) veulent l’usurper par le péché d’orgueil).
(191) PIE XI, Mit Brennen der Sorge, 1937, no 35 : « Livrer la morale à l’opinion subjective des
hommes qui change suivant les fluctuations du temps [...] c’est ouvrir la porte toute grande aux
forces destructrices » (encyclique pontificale condamnant le national-socialisme).
(192) JEAN-PAUL II, Veritatis splendor (encyclique de 1993), no 48 : « C’est à la lumière de la
dignité de la personne, qui doit être affirmée par elle-même, que la raison saisit la valeur morale
spécifique de certains biens auxquels la personne est naturellement partie ».
(193) D. THOUVENIN, « De l’éthique biomédicale aux lois “bioéthiques” », RTD civ. 1994, p. 717. Le
Comité consultatif national d’éthique, créé par un décret du 23 février 1983, a pour « mission de
donner des avis sur les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la connaissance dans les
domaines de la biologie, de la médecine, de la santé » (L. no 94-654 du 29 juill. 1994, art. 23).
(194) Cf. F. TERRÉ, concl. de la note sous Ass. plén., 31 mai 1991, aff. des mères porteuses, JCP G,
1991.II.21752 : « Nul n’a, en effet, le privilège de la consultation en matière d’éthique. Quant au
juge, dans sa mission éminente, il est à même de trouver ou de retrouver en lui-même la conscience
de ces valeurs qui fondent le droit » (afin de s’éclairer sur la pratique des maternités de substitution,
la Cour de cassation avait entendu à l’une de ses audiences le président du Comité consultatif
national d’éthique, le Pr Jean Bernard, en qualité d’amicus curiæ).
(195) Sur l’avis du CCNE à ce sujet, favorable à une exception d’euthanasie, v. infra, no 40.
(196) ULPIEN au Digeste (D. 1, 10, 1).
(197) ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, L. V, Chap. 5. Adde les chap. 6, 7 et 9.
(198) Comp. Fr. CHÉNEDÉ, « De la conception du droit à la fonction de juriste », in Trvx.
Ass. H. Capitant, t. XVI, Rennes, Dalloz ; 2011, p. 3 et s.
(199) CICÉRON, De legibus, I, § 6.
(200) CICÉRON, De Republica, III, § 22.
(201) W. GŒTHE, Le siège de Mayence, Œuvres complètes, t. XXXIII, p. 35 : « Ich will lieber eine
Ungerechtigkeit begehen, als Unordnung ertragen » (J’aime mieux une injustice qu’un désordre).
Par ces paroles, Gœthe avait empêché une foule en colère (injuste, comme toutes les foules) de
lyncher un prétendu coupable qui aurait trahi les assiégés de Mayence au profit des Français
assiégeants.
(202) P.-Y. GAUTIER, « Contre Bentham : l’inutile et le droit », RTD civ. 1995, 797. Ex. : l’art. L. 121-
4 C. assur. envisage la souscription inutile par un assuré d’assurances multiples couvrant un même
risque et prévoit une répartition proportionnelle de la prime entre les assureurs.
(203) B. OPPETIT, « Droit du commerce international et valeurs non marchandes », Études P. Lalive,
Bâle, 1993, p. 309.
(204) Biblio sélective en langue française : E. MACKAAY et S. ROUSSEAU, Analyse économique du
droit, Dalloz, 2e éd., 2008 (spéc. nos 23 et s. sur les étapes historiques et nos 2121 et s. sur la méthode
de l’analyse économique) ; S. FEREY, Une histoire de l’analyse économique du droit. Calcul
rationnel et interprétation du droit, Bruylant, 2008 ; B. DEFFRAIN et E. LANGLAIS, Analyse
économique du droit, De Boeck, 2009 ; A. OGUS et M. FAURE, Économie du droit : le cas français,
éd. Panthéon-Assas, 2002 ; L’analyse économique du droit, RRJ 1987, no 29 et RRJ 2008, Cahiers
de méthodologie juridique no 22 ; M. FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, tome 1, PUF, coll.
Thémis (large panorama des théories et bibliographie). Pour une critique : A. BERNARD, « Law and
Economics, une science idiote ? », D. 2009, chr., 2806.
(205) R. COASE, « The Problem of Social Cost », Journal of Law and Economics, vol. 3, 1960, p. 1.
(206) R. A. POSNER, Economic Analysis of Law, Little, Brown, 1972.
(207) A. SUPIOT, Homo juridicus, Seuil, 2005, p. 145. Sur le marxisme, v. supra, no 13.
(208) A. BERNARD, art. cit., spéc. p. 2811.
(209) Sur le juge O. W. Holmes et les réalistes américains, v. infra, no 390.
(210) Selon la formule adoptée par le juge (libéral) Billings Learned Hand dans l’arrêt United
States v. Carroll Towing Co. de 1947 (US Court of Appeals for the 2nd circuit) : B < PL, où B
(burden, le fardeau) est le coût de la prévention et P (probability) la probabilité que se produise le
dommage ou dommage escompté (L pour loss). Ex. : un automobiliste cause à un piéton un dommage
évalué à 500 € ; l’accident est causé par l’usure des freins qui auraient pu être changés pour un prix
de 300 € ; il est utile que l’automobiliste soit condamné à payer les 500 € au piéton : par le gain
marginal de la prise de précaution (200 €), il sera incité à changer ses freins ; s’il ne le fait pas, il
doit être réputé négligent et condamné. C’est un calcul d’efficience qui désigne la victime. Le droit
français, bien différemment, apprécie a priori la faute de l’auteur, l’existence d’un lien de causalité
avec le dommage et lui impose la compensation du préjudice subi par la victime.
(211) Exemples donnés par A. SUPIOT, op. cit., p. 297.
(212) Une controverse exemplaire de cette froide indifférence aux valeurs morales, culturelles et de
justice est le « paradoxe du chantage » : l’analyse économique du droit ne comprend pas pourquoi le
chantage (blackmail) est condamnable ; toute transaction volontaire est légitime, y compris celle
entre un maître chanteur et sa victime, et l’incrimination viole donc la liberté des contrats (S. UTZ,
« Le paradoxe du chantage », RRJ 2007, p. 1989). Des dizaines d’articles sont parus aux États-Unis
sur cette question superflue qui n’a jamais suscité la moindre discussion dans d’autres pays.
(213) R. LANNEAU, « Analyse économique et analyse juridique », RRJ 2008, p. 1865.
(214) Y.-M. LAITHIER, « L’analyse économique du contrat par le juge civil », Gaz. Pal. 9-10 mars
2005, p. 14.
(215) Sur le courant libertarien, v. infra, no 51 in fine et en note.
(216) Sur cette approche économique : M. FABRE-MAGNAN, De l’obligation d’information dans les
contrats, LGDJ, 1992, préf. J. Ghestin, p. 49-117.
(217) Ex. de motivation fondée sur l’importance de coûts économiques, Cass. 1re civ., 28 févr. 2006,
JCP G, 2006, II, 10084, n. A. Lucas. V. aussi infra, no 222. Une étude à partir des rapports des
conseillers-rapporteurs et des avis des avocats généraux confirme la fréquente prise en compte des
conséquences économiques et sociales : P. DEUMIER, « Les motifs des motifs des arrêts de la Cour de
cassation », Mélanges J.-F. Burgelin, Dalloz, 2008, p. 125.
(218) Ch. JAMIN, « Je n'ai presque rien à dire à un économiste », LPA 19 mai 2005, no 99, p. 54.
(219) www.doingbusiness.org
(220) Biblio (critique) : M. HARAVON, art. in JCP E, 2005, I, 1478 ; JCP E, 2006, 2369 ; D. 2009,
chr. 244 ; D. 2011, chr. 2427 (qui recense les erreurs de méthode et les données inexactes à la base
des rapports Doing Business) ; association Henri Capitant, Les droits de tradition civiliste en
question. À propos des Rapports Doing Business de la Banque mondiale, Société de législation
comparée, 2 vol., 2006 ; B. du MARAIS, « De Koror à Palikir : à la recherche du paradis du droit des
affaires », D. 2006, chr., 1110 (du même, art. in Dr. et patr. 2008, nº 170, p. 18) ; L. USUNIER, « Le
rapport Doing business 2012. La concurrence des systèmes juridiques et l’attractivité du droit
français des contrats », RDC 2012, p. 575 (le lien de cause à effet entre prospérité économique
et système juridique serait inexistant de sorte qu’une comparaison est vaine) ; A. ROCHER, art. in JCP
E, 2015, 1000 (sur les améliorations apportées en 2015).
(221) Cf. le rapport critique du Conseil d’État, L’influence internationale du droit français, Doc.
fr., 2001 (http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr)
(222) http://www.fondation-droitcontinental.org.
(223) V. LASSERRE, Le nouvel ordre juridique. Le droit de la gouvernance, LexisNexis, 2015, spéc.
nº 5.
(224) V. infra, nº 49. V. aussi, sur le droit « optionnel », infra, nº 434.
(225) P. CATALA, « Turbulences dans les sources du droit », Mélanges Sassi ben Halima, Centre de
publication universitaire, Tunis, 2005, p. 79.
(226) Ph. MALAURIE, « La révolution des sources », Defrénois 2006, art. nº 38465, p. 1552, qui relève
notamment l’inflation législative, le désordre normatif, les lois expérimentales et la promotion de la
jurisprudence.
(227) D. HUME, A Treatise of Human Nature (Traité de la nature humaine), 1739-1740. Ex. : de ce
que certaines personnes ne fument pas en un lieu donné je ne peux induire qu’il est interdit d’y fumer.
Karl Popper prolongera et achèvera cette critique de l’induction en fondant le critère de la science
sur la « falsifiabilité » (ou réfutabilité) de ses propositions (Logik der Forschung, Logique de la
découverte scientifique, 1934).
(228) Sur Kelsen, v. infra, no 270.
(229) Dernières pensées, 1913, p. 225.
(230) Chr. ATIAS et D. LINOTTE, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D. 1977, chr. 251 ;
O. PLAYOUST, « Normativité et légitimité du droit », RRJ 1993, p. 193 (la loi appréhende la réalité
sociologique, l’évolution économique, le temps, la vérité en s’y adaptant ou en les déformant).
(231) C’est le thème de la théorie pluraliste du droit, en vogue au début du XXe siècle (J. CHARMONT,
Les transformations du droit civil, 1912 ; G. MORIN, La révolte des faits contre le Code, 1920 ;
P. BONNET, Le droit en retard sur les faits, 1930) et renouvelé à partir des années 1960 par la
sociologie juridique (sur l’hypothèse du non-droit de Jean Carbonnier, v. supra, no 26).
(232) Biblio. sélective : Théorie du droit et science (dir. P. Amselek), PUF, 1993 ; P. AMSELEK, « La
part de la science dans les activités des juristes », D. 1997, chr., 337 ; Chr. ATIAS, Épistémologie
juridique, PUF, 1985 et Dalloz, 2002. Adde, la synthèse de M. TROPER, Vº Science du droit, in
Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1391.
(233) V. LASSERRE, « Droit et technique », JCP G, 2010, 4 ; du même auteur, op. cit., nº 14 : « Ce
qu’on pourrait appeler le “technodroit” est l’intégration du fait technologique par la pensée
juridique pour mieux la mettre au service de la démocratie ».
(234) V. « Sources du droit », Arch. phil. dr., t. XXVII, Sirey, 1982.
(235) Sur le double aspect rationnel et impératif de la loi, v. supra, no 3.
(236) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955. Sur ce pluralisme normatif, v. aussi
infra, no 261.
(237) Fr. GÉNY, Science et technique en droit privé positif. Nouvelle contribution à la critique de
la méthode juridique, Sirey, spéc. t. IV, 1924, no 302, p. 147. Sur la critique scientifique qu’incarne
Gény et l’influence de l’intuitionnisme d’Henri Bergson, v. infra, no 135.
(238) O. CAYLA, « L’indicible droit naturel de François Gény », Rev. hist. fac. dr. 1988, p. 103, spéc.
p. 114. B. OPPETIT, « François Gény et le droit naturel », in Droit et modernité, PUF, 1998, p. 231.
(239) Fr. GÉNY, op. cit., t. II, 1915, nos 167 et s., p. 371 et s.
(240) Fr. GÉNY, op. cit., t. II, 1915, no 169, p. 380. Ainsi, selon Gény, la raison indique
incontestablement que le mariage doit être stable mais elle ne dit pas s’il doit être monogamique,
consanguin ou non. De même, il n’est pas possible de se contredire devant le juge (v. infra, no 246).
(241) Sur la morale, v. supra, nos 29 et s.
(242) P. ROUBIER (La méthode depuis le Code civil de 1804 au point de vue de la technique
juridique, TAHC, t. VI, Dalloz, 1952, p. 48 ; Théorie générale du droit. Histoire des doctrines
juridiques et philosophie des valeurs sociales, Sirey, 2e éd., 1951, no 2, p. 14) opposait à la
« technique juridique » la « politique juridique ». La technique juridique est la science des moyens
– logiques, formels et contingents – tandis que la politique juridique est la science des buts. Ces
derniers sont au nombre de trois : l’ordre (tendance formaliste du droit), la justice (tendance
idéaliste), le progrès (tendance réaliste).
(243) Biblio. : Droit naturel : relancer l’histoire ?, Bruylant, 2008 (ouvrage collectif sur l’histoire
des grandes pensées juridiques) ; Le droit naturel, Arch. phil. dr., t. 6, Sirey, 1961 ; Rev. hist. fac. dr.
1987, no 4, 1988, no 6, 1989, no 8 ; S. GOYARD-FAVRE, Des thèmes du droit naturel, Caen, 1987 ; Un
dialogue juridico-politique : le droit naturel, le législateur et le juge, PUAM, 2010 (ouvrage
collectif. V. not. S. CAPORAL, p. 491).
(244) A. DUFOUR, « Droit naturel et droit positif », Arch. phil. dr., t. 35, « Vocabulaire fondamental du
droit », Sirey, 1990, p. 59, et : Fr. TERRÉ et R. SÈVE, Droit, ib., p. 43 ; X. DIJON, Droit naturel, PUF,
1998.
(245) P. KAYSER, « La loi naturelle selon Aristote et Saint-Thomas d’Aquin », RRJ 1997, p. 451.
(246) Ch. LEBEN, « La question du droit naturel dans le judaïsme », Mélanges G. Cohen-Jonathan,
Bruylant, 2004, p. 1109. Il est inexact que là où il n’y a pas de philosophie (au sens grec), comme
dans l’Ancien Testament, il n’y a pas de droit naturel. À côté du droit positif et du droit divin, la
tradition juive (de la Torah jusqu’à Moïse Maïmonide au XIIe s.) laisse une place à un droit (les
michpatim) commun aux Juifs et au restant de l’humanité (les « gentils », chrétiens et musulmans, non
juifs mais pieux et monothéistes). Il interdit le vol, le meurtre, l’idolâtrie ou impose d’instituer des
tribunaux et un ordre juridique juste.
(247) F. SUAREZ, Traité des lois et du Dieu législateur (1612), rééd. Dalloz, 2003. Suarez (1548-
1617) a précédé et influencé Grotius.
(248) V. FORRAY, « Autour des méthodes jusnaturalistes en droit civil », RRJ 2006, p. 1193.
(249) ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, L. V, Chap. 10 : « La justice naturelle est celle qui a partout
la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion », « tandis que le droit (politique) est
visiblement sujet à variations ».
(250) H. GROTIUS, De jure belli ac pacis libri tres, quibus jus naturæ et gentium, item jurispublici
præcipue explicantur (Le droit de la guerre et de la paix), 1625, trad. J. Barbeyrac, Amsterdam,
1729, Discours préliminaire, § XVI, p. 16 : les lois naturelles sont des « lois perpétuelles qui sont
faites pour tous les temps », au contraire des lois civiles, produits de volontés éphémères.
(251) Comp. art. 1er du projet de Livre préliminaire du Code civil, établi par Portalis puis
abandonné : « Il existe un droit universel et immuable, source de toutes les lois positives : il n’est
que la raison naturelle, en tant qu’elle gouverne tous les hommes » (Recueil complet des travaux
préparatoires du Code civil, par P.-A. Fenet, t. II, p. 3).
(252) Après avoir été perçu dans l’antiquité comme le « droit commun » (koinos nomos chez
Aristote, jus commune à Rome) par opposition au droit positif, spécial à chaque cité ou nation, le
droit naturel devint sous l’influence du christianisme le « droit supérieur » au droit positif, en vertu
de son origine divine. À Rome, au contraire, les institutions « naturelles » (possessio naturalis,
obligatio naturalis...) étaient inférieures au droit positif (A. DUFOUR, art. cit., p. 76). Le droit naturel,
restrictivement entendu, n’était que le droit « que la nature enseigne à tous les animaux, [...] y
compris les bêtes féroces » (D. 1, 1, 1). Laïcisé aux XVIIe et XVIIIe siècles par l'« École du droit de la
nature et des gens », le droit naturel, désormais puisé dans la raison, soumet la volonté divine elle-
même : « le droit naturel est immuable, jusque-là que Dieu même n’y peut rien changer. [...]
Comme donc il est impossible à Dieu même de faire que deux fois deux ne soient pas quatre : il ne
lui est pas non plus possible de faire que ce qui est mauvais en soi et de sa nature, ne soit pas tel »
(H. GROTIUS, op. cit., L. I, Chap. I, § X, 1, p. 64). Le droit naturel existerait même si Dieu n’existait
pas : « Tout ce que nous venons de dire aurait lieu en quelque manière quand même on accorderait
(etiamsi daremus), ce qui ne se peut sans un crime horrible, qu’il n’y a point de Dieu, ou s’il y en a
un, qu’il ne s’intéresse point aux choses humaines » (op. cit., ib., § XI, p. 13. Ce refus de
subordonner l’humain au divin, est l’héritage de la Renaissance. P. HAZARD, La crise de la
conscience européenne, 1680-1715, Boivin, 1935, spéc. concl. p. 289).
(253) J. DOMAT, Traité des lois, Chap. IX, réed. 1989, p. 36 : « Les lois immuables s’appellent
ainsi, parce qu’elles sont naturelles et tellement justes toujours et partout, qu’aucune autorité ne
peut ni les changer, ni les abolir ».
(254) J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Œuvres complètes de J. Domat par J. Rémy,
t. I, 1828, Liv. prélim., Tit. I, Sect. I, § 13, p. 80.
(255) CICÉRON (qui s’inspire des Stoïciens), De legibus, I, VI, 18 : « La loi est la raison suprême,
gravée en notre nature, qui prescrit ce que l’on doit faire et interdit ce qu’il faut éviter de faire ».
H. GROTIUS, op. cit., Discours préliminaire, § XL, p. 31 : « Les principes de ce droit sont clairs et
évidents par eux-mêmes ».
(256) SAINT THOMAS, Somme théologique, La loi, qu. 90, art. 4 : « La promulgation de la loi
naturelle existe par le fait même que Dieu l’a mise en la raison humaine de telle manière qu’elle
soit connaissable naturellement ». La loi naturelle est ainsi située entre la loi divine et la loi
humaine.
(257) La coutume n’est pas non plus écrite mais elle appartient au droit positif. Savigny, fondateur de
l’École allemande du droit historique (supra, no 15 et infra, no 133), niait l’existence du droit naturel
(qui dominait l’enseignement du droit en Allemagne au XVIIIe siècle au travers des écrits de Wolff) :
« Ainsi les uns, regardant le contenu du droit comme chose indifférente et accidentelle, se
contentent de constater les faits, et les autres font planer au-dessus du droit positif un droit absolu
et normal, que tous les peuples pourraient adopter et substituer à leur droit. Ceux-ci réduisent le
droit à une abstraction sans vie, ceux-là méconnaissent la dignité de sa vocation » (Traité de droit
romain, 1840-1850, trad. Ch. Guenoux, t. I, 1855, p. 50). Le droit, que Savigny perçoit comme une
émanation du Volksgeist, est proche du droit naturel mais est spécifique à chaque peuple.
(258) A. SÉRIAUX, « Le droit naturel chez Michel Villey », Rev. hist. fac. dr. 1988, p. 139, in fine.
(259) GROTIUS (op. cit., L. I, Chap. I, § 10, p. 64) : « Pour commencer par le droit naturel, il
consiste dans certains principes de la droite raison (jus naturale est dictatum rectæ rationis), qui
nous font connaître qu’une action est moralement honnête ou deshonnête, selon la convenance ou
la disconvenance nécessaire qu’elle a avec une nature raisonnable et sociable », telle la nature de
l’homme.
(260) PAUL, Digeste, 1, 1, 11 : « [...] quod omnibus aut pluribus in quaque civitate utile est, ut est
jus civile (ce qui est utile à tous ou à la plupart, voilà ce qu’est le droit civil) ».
(261) SOPHOCLE, Antigone (441 av. J.-C.), trad. P. Masqueray, Les Belles Lettres, 1922, vers 453
et s. : « Je ne croyais pas non plus que ton édit eût assez de force pour donner à un être mortel le
pouvoir d’enfreindre les décrets divins, qui n’ont jamais été écrits et sont immuables : ce n’est pas
d’aujourd’hui qu’ils existent ; ils sont éternels et personne ne sait à quel passé ils remontent » (le
roi Créon refusait à Antigone le droit d’inhumer son frère défunt Polynice). Ces vers, qui mettent en
scène le conflit de la conscience morale (intemporelle) avec l’État (temporel) ont profondément
marqué la philosophie, la morale et la poétique occidentales (G. STEINER, Les Antigones, Gallimard,
1986, spéc. p. 270).
(262) MONTAIGNE, Essais, L. II, chap. 12, Apologie de Raymond Sebon : « Mais ils sont plaisants
quand, pour donner quelque certitude aux lois ils disent qu’il n’y en a aucunes (quelques-unes)
fermes, perpétuelles et immuables, qu’ils nomment naturelles, qui sont empreintes à l’humain
genre par la condition de leur propre essence. Et de celles-là, qui en fait le nombre de trois, qui de
quatre, qui plus, qui moins : signe que c’est une marque aussi douteuse que le reste ». PASCAL,
Pensées, éd. Brunschvicg, no 294 : « Ils confessent que la justice n’est pas dans les coutumes, mais
qu’elle réside dans les lois naturelles connues en tout pays. Certainement, ils le soutiendraient
opiniâtrement si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins
une qui fût universelle mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s’est si bien
diversifié qu’il n’y en a point. Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa
place entre les actions vertueuses ». M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, 1re éd., t. I, 1900,
no 5, p. 2 : « Les principes du droit naturel sont en très petit nombre ; ils se réduisent à quelques
notions élémentaires. Quand on dit que que le législateur doit assurer la vie et la liberté des
hommes, protéger leur travail et leurs biens, réprimer les écarts dangereux pour l’ordre social et
moral, reconnaître aux époux et parents des devoirs réciproques, on est encore loin d’avoir fondé
une législation ; on est tout près d’avoir épuisé les préceptes de la loi naturelle ». Un auteur a
même parlé de « la perpétuelle résurrection d’un cadavre qu’on ne se lasse pas de réenterrer » (H.
BATIFFOL, cité par M. VILLEY, « Abrégé du droit naturel classique », Arch. phil. dr., t. 6, Sirey, 1961,
p. 25).
(263) Ces truismes sont les trois axiomes de morale hérités de la pensée stoïcienne, repris par
l’École du droit naturel : le droit « se réduit en général à ceci : qu’il faut s’abstenir religieusement
du bien d’autrui, et restituer ce que l’on peut en avoir entre les mains, ou le profit qu’on en a tiré ;
que l’on est obligé de tenir sa parole ; que l’on doit réparer le dommage qu’on a causé par sa
faute. Et que toute violation de ces règles mérite punition, même de la part des hommes »
(GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, op. cit., Discours préliminaire, § VIII, p. 11). Cf.
M. VILLEY, « Morale et droit (sur un texte de Grotius) », in Seize essais de philosophie du droit,
Dalloz, 1969, p. 107.
(264) J. CHARMONT, La renaissance du droit naturel, th. Montpellier, 1910. J.-L. SOURIOUX, « La
doctrine française et le droit naturel dans la première moitié du XIXe siècle », Rev. hist. fac. dr. 1989,
no 8, p. 155 (in Écrits du prof. J.-L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 261). L’Allemand Stammler avait
soutenu l’existence d’un « droit naturel à contenu variable ».
(265) M. VILLEY : « J’ai peur que la plupart des “renaissances du droit naturel” qui ont pu
jusqu’ici rencontrer quelque audience chez les juristes soient de fausses renaissances. Le jus
natura ou dikaïon kata physis, juste que l’on cherche dans la nature, ce n’était pas pour Cicéron,
pour Aristote et Saint Thomas un code de règles toutes faites avant le travail de construction
juridique proprement dit. Il ne faut pas trop demander au droit naturel » (« François Gény et la
renaissance du droit naturel », Arch. phil. dr., t. 8, Sirey, 1963, p. 197, spéc. p. 209).
(266) R. LIBCHABER, L’ordre juridique et le discours du droit, LGDJ, 2013, nº 51, p. 57.
(267) Cass. civ., 7 mai 1828, S., 1828, 1, 93. Elle dit aujourd’hui, sous le visa du « principe du
respect des droits de la défense », que « la défense constitue pour toute personne un droit
fondamental à caractère constitutionnel » (Cass. Ass. plén., 30 juin 1995, JCP G, 1995.II.22478,
concl. M. Jéol ; D. 1995, 513, concl. M. Jéol, note R. Drago). Le vocabulaire s’est modernisé, mais
rien n’a changé.
(268) H. MOTULSKY, « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la
défense en procédure civile », in Écrits. Études et notes de procédure civile, Dalloz, 1973, p. 60,
également publié in Mélanges P. Roubier, Dalloz, 1961, t. II, p. 175. Adde : le droit naturel est
« l’influx que donnent au droit positif les exigences supérieures de l’idéal de justice » (ib., no 4,
p. 62).
(269) Cass. crim., 19 déc. 1817, S., chr. 1815-1818, 1, 393.
(270) Cass. 1re civ., 30 oct. 2007, RTD civ. 2008, p. 676.
(271) Cass. 1re civ., 16 sept. 2010, D. 2010, 2750, n. G. Loiseau (maintenant : CA Paris, 30 avr.
2009, D. 2009, 2019, n. Ph. Malaurie), qui approuve la fermeture administrative de l’exposition
« Our body, à corps ouvert » (un succès mondial...) qui représentait des cadavres écorchés – dont la
provenance (Hong Kong) et le consentement étaient douteux – dans des postures de la vie
quotidienne, Droit civil illustré, no 25 ; selon l’article 16-1-1 C. civ., « les restes des personnes
décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence » (cf. Droit des personnes, coll. Droit
civil).
(272) La L. no 2008-1350, 19 déc. 2008, « relative à la législation funéraire », donne un statut
juridique aux cendres (v. aussi D. no 2007-328, 12 mars 2007).
(273) Cass. 1re civ., 29 oct. 2014, D. 2015, 246, n. D. Mainguy (annulant le contrat d’assurance
annulation de l’exposition Our body qui reposait sur une cause illicite, même s’il a été conclu avant
la loi du 19 déc. 2008).
(274) Art. 15, § 2, du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP, de 1966). L’art. 7
de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH, de 1950) fonde cette même
exclusion sur les « principes généraux du droit ».
(275) CEDH, 17 mars 2009, Ould c/France, no 13113/03, JCP G, 2009, 114.
(276) Ph. MALAURIE, « Commentaire de la loi [...] relative aux droits des malades et à la fin de vie »,
Defrénois 2005, art. 38228, p. 1385.
(277) CE, ass., 24 juin 2014, aff. Vincent Lambert, JCP G, 2014, 825, n. F. Vialla. Dans la même
affaire, la Cour EDH a conclu à l’absence de violation du droit à la vie garanti par l’article 2 de la
Conv. EDH (CEDH, 5 juin 2015, nº 46043/14).
(278) * CEDH, 29 avr. 2002, Diane Pretty c/Royaume-Uni, Defrénois 2002, art. 37598, p. 1131,
note approb. Ph. Malaurie ; JCP G, 2003, II, 10062, note crit. C. Girault : la loi anglaise qui prohibe
l’euthanasie n’est pas contraire à la Conv. EDH ; ni au droit à la vie (art. 2) dont ne se déduit pas un
droit à mourir, ni à l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants (art. 3), ni au respect de la
vie privée et familiale (art. 8) qui ne peuvent justifier le suicide assisté par compassion sans faire
naître un risque d’abus à l’encontre de personnes vulnérables.
(279) Deutéronome, 5, 17.
(280) Le Comité consultatif national d’éthique français s’est déclaré hostile à la dépénalisation du
suicide assisté tout en prônant une « exception d'euthanasie » légale dans les cas où la mise en œuvre
résolue des soins palliatifs et du refus de l'acharnement thérapeutique « se révèle impuissante à
offrir une fin de vie supportable » (Avis CCNE, no 63, 27 janv. 2000).
(281) B. BARRET-KRIEGEL, Les droits de l’homme et le droit naturel, PUF, 1989, spéc. p. 99.
(282) Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, coll. Quadrige, 2008. Sur la Convention européenne
des droits de l’homme et la Cour du même nom, infra, nos 348 et s.
(283) Ex. : E. BURKE, Réflexions sur la Révolution de France, 1790, trad. 1989, p. 78 : « Tous les
droits prétendus de ces théoristes sont extrêmes, et autant ils sont vrais métaphysiquement, autant
ils sont faux moralement et politiquement ». J.-L. Harouel, Les droits de l'homme contre le peuple,
Desclée de Brouwer, 2016 : « Les droits de l'homme sont la religion séculière qui a pris le relais
de la religion séculière communiste (...) ; la promesse de perfection sociale ne réclame plus la
suppression de toute propriété mais la négation de toute différence entre les humains ». Cette
idéologie millénariste (comme le furent le communisme et le nazisme), centrée sur l'obsession de la
non-discrimination, paralyse la politique des pays occidentaux, comme en France.
(284) Les droits des 2e et 3e générations figurent essentiellement dans le « Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels » (adopté à New York en 1966 en même temps que le
Pacte sur les droits civils et politiques) et dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
(riche en droits sociaux de toutes sortes).
(285) Le Préambule de la Constitution de 1946. Antinomies juridiques et contradictions
politiques, PUF, 1996, spéc. Y. Poirmeur, p. 99 et F. Rangeon, p. 169.
(286) Charte environ., art. 5 : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état
des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible
l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et
dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à
l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
(287) Cons. const., 19 juin 2008, Loi relative aux OGM, décis. no 2008-564 DC, JCP G, 2008, II,
10138 ; CE, ass., 3 oct. 2008, JCP G, 2009, II, 10028, n. B. Mathieu et JCP G, 2008, I, 225, obs.
B. Plessix (avec les références).
(288) P. MORVAN, « Vers la naissance de “vrais” principes de droit privé en droit de
l’environnement », in Les notions fondamentales du droit privé à l’épreuve des questions
environnementales, Dalloz, 2016.
(289) M. VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, PUF, 1983, p. 11 : « Les droits de l’homme sont
irréels » et « ces formules sont indécentes » dans les trois quarts des pays du globe.
(290) Ex. : « Le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle et sa famille »
(art. 11 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), de la 2e génération.
(291) Ex. : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (art. 1-1 des deux Pactes de New York de
1966).
(292) Ex., dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « le droit d’obtenir un
emploi » (al. 5) ; « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur
développement » (al. 10).
(293) Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont « juridicisé » des alinéas très vagues du
Préambule de la Constitution de 1946. Ainsi, de l’alinéa 10 (précité) a été déduit un principe général
du droit de mener une vie familiale normale (CE, ass., 8 déc. 1978, GISTI, Rec., p. 493). Cf.
J. DANIEL, Contribution à l’étude de la constitutionnalisation, th., Paris II, 2000, p. 129.
(294) Comp. K. MARX, La question juive, 1843, trad. 1968, p. 39 : « Aucun des prétendus droits de
l’homme ne dépassent donc l’homme égoïste, l’homme en tant que membre de la société
bourgeoise, c’est-à-dire un individu, séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement
préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé ».
(295) L. GANNAGÉ, « Le relativisme des droits de l’homme dans l’espace méditerranéen », RIDC
2006, p. 101 ; Y. LEQUETTE, « Des juges littéralement irresponsables », Mélanges Jacques Héron,
LGDJ, 2009 : « Mais les Occidentaux ne seraient-ils pas eux-mêmes en meilleure posture pour
défendre l’universalité des droits de l’homme s’ils n’avaient donné à ceux-ci une configuration
fort éloignée de cet universalisme ? ».
(296) Étymologie : du latin æquitas = égalité. L’article 6, § 1, Conv. EDH conserve la trace de cette
origine. Il consacre le droit à un « procès équitable » ou, selon le vocabulaire de la Cour européenne
des droits de l’homme, le « principe de l’égalité des armes » dans le procès.
(297) Cette dualité fut perçue par François Gény : « L’équité, branche détachée du grand arbre de
la justice, représente, suivant les cas, deux notions distinctes : ou bien, c’est une sorte d’instinct,
qui, sans faire appel à la raison raisonnante, va, de lui-même et tout droit, à la solution la
meilleure et la plus conforme au but de toute organisation. Ou bien, c’est en vue de l’adaptation
aux faits de l’idée de justice, la considération des circonstances individuelles, prenant le pas sur
les idées générales ou les modelant à la mesure des éléments concrets » (Fr. GÉNY, Méthode
d’interprétation et sources en droit privé positif. Essai critique, LGDJ, 2e éd., 1954, t. II, no 163,
p. 110 [réédition LGDJ, 1996]).
(298) Sur la définition de la justice chez Aristote, v. supra, no 31.
(299) ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, L. V, Chap. 14 : « Quand [...], la loi pose une règle générale,
et que là-dessus survient un cas d’espèce en dehors de la règle générale, on est alors en droit, là
où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplicité, de corriger l’omission
et de se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce
moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas d’espèce en question. [...]
Telle est la nature de l’équitable : c’est d’être un correctif de la loi, là où la loi a manqué de
statuer à cause de sa généralité ». Aristote emploie une métaphore : l’équité adapte la loi aux faits
comme la règle de plomb utilisée dans les constructions à Lesbos épouse les contours de la pierre.
(300) PORTALIS, dans la discussion de l’actuel article 4 du Code civil : « Nous raisonnons comme si
les législateurs étaient des Dieux, et comme si les juges n’étaient pas mêmes des hommes. De tous
les temps, on a dit que l’équité était le supplément des lois. [...] C’est cette équité qui est le vrai
supplément de la législation, et sans laquelle le ministère du juge, dans le plus grand nombre des
cas, deviendrait impossible. [...] il faut donc que le juge ait le droit d’interpréter les lois et d’y
suppléer » (Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, par P.-A. Fenet, t. VI, p. 359.
Adde son Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 264-265).
(301) PAPINIEN, Digeste, 1, 7, 1 : « Jus prætorium est quod prætores introduxerunt adjuvandi vel
supplendi vel corrigendi juris civilis gratia propter utilitatem publicam ». Sur le droit prétorien,
v. infra, no 387.
(302) V. infra, no 389. Il existe des maxims of Equity, qui sont des general guidelines pour exercer
l’equitable jurisdiction : He who comes to Equity must come with clean hands (un peu l’équivalent
de l’adage du droit français nemo auditur) ; Equity looks to the intent rather than the form (comp.
C. pr. civ., art. 12, al. 2) ; Equity is equality ; Equity acts in personam (fondement du contempt of
court)...
(303) Cf. J.-M. TRIGEAUD, Vo Équité, in Encyclopédie philosophique universelle, vol. II, Les notions
philosophiques, t. I, PUF, 1990, p. 822, spéc. p. 824.
(304) Notamment Conan, Bodin et Charondas (G. BOYER, « La notion d’équité et son rôle dans la
jurisprudence des Parlements », Mélanges J. Maury, Dalloz-Sirey, 1960, t. II, p. 257). V. aussi Cl.-J.
de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique contenant l’explication des termes de droit,
d’ordonnances, de coutumes et de pratique avec les jurisdictions de France, 1771, Vo Équité,
p. 600 et Vo Droit étroit, p. 542.
(305) CICÉRON, De officiis, L. I, IX, 29 : l’équité exprime « le souci des affaires des autres [...].
Aussi est-ce un bon précepte qui interdit d’accomplir tout acte dont on doute s’il est équitable ou
non : l’équité en effet brille d’elle-même (æquitas enim lucet ipsa per se), le doute indique un
dessein injuste ». De nombreux fragments de la compilation justinienne commencent par « æquum
est » (J. GAUDEMET, Institutions de l’Antiquité, Sirey, 2e éd, 1982, no 437).
(306) S. PUFENDORF n’hésite pas à tronquer la pensée d’Aristote pour y introduire l’équité chrétienne :
l’équité, dans l’Éthique à Nicomaque, serait « un tempérament du droit rigoureux pour favoriser le
défendeur selon les maximes de l’humanité, de la charité, de la compassion et d’autres semblables
vertus, tempérament qui ne peut être apporté que par le juge souverain » (De jure naturæ et
gentium (Le droit de la nature et des gens), 1672, trad. J. Barbeyrac, 1732, L. V, Chap. XII, § XXI,
p. 136).
(307) J. DOMAT, Le droit public, Œuvres complètes de J. Domat par J. Rémy, t. III, 1829, Préface :
« l’équité n’est pas autre chose que la vue de la raison et le sentiment de l’humanité ».
(308) J. KRYNEN, « L’Équité. Glanes doctrinales médiévales et modernes », Mélanges Cl. Gauvard,
PUF, 2010, p. 97.
(309) L’æquitas canonica fut définie au XIIIe siècle par Hostiensis (le « maître de l’équité ») comme
une « Justitia dulcore misericordiæ temperata » (Histoire du Droit et des Institutions de l’Église
en Occident, t. VII, L’âge classique (1140-1378). Sources et théorie du droit, par G. Le Bras, Ch.
Lefebvre et J. Rambaud, Sirey, 1965, p. 406 et s. ; O. ÉCHAPPÉ, L’Équité en droit canonique, Justices
1998, no 9, p. 7). Adde : « L’Église romaine, mère de la Justice, ne saurait en aucune façon
s’écarter de l’équité » (GRATIEN, Decretum, p. c. 16 Ideo, C. 25 q. 1. V. infra, no 92).
(310) Code de droit canonique (du 5 janv. 1983), Canon 19 : « Si, dans un cas déterminé, il n’y a
pas de disposition expresse de la loi universelle ou particulière, ni de coutume, la cause, à moins
d’être pénale, doit être tranchée en tenant compte des lois portées pour des cas semblables, des
principes généraux du droit appliqués avec équité canonique ». La même disposition figurait au
canon 20 du Code de 1917.
(311) Trib. corr. Château-Thierry, 4 mars 1898, aff. Ménard, DP 1899, 2, 329 ; S., 1899, 2, 41. Ce
magistrat, tout acquis à la cause des « faibles et des miséreux », livra quelques décisions
révolutionnaires appuyées sur l’équité (Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé
positif. Essai critique, LGDJ, 2e éd., 1954, t. II, no 199, p. 299 [réédition LGDJ, 1996], dénonce
l'« impressionnisme anarchique » et le dédain du juge Magnaud). Adde Nancy, 9 déc. 1876, DP
1879, 2, 47 : « La justice s’honore quand, en présence d’un malheur [...] elle consulte moins les
règles trop absolues du droit strict que la voix ordinairement plus équitable et aussi autorisée de
l’humanité ».
(312) La clémence et le droit, dir. J.-M. Jude, Economica, 2011.
(313) Le Chancelier D’Aguesseau rappela les magistrats au respect de la loi (royale) : « C’est en
vain que pour déguiser leur révolte contre la Règle, (les magistrats) osent quelquefois combattre la
Justice sous le voile spécieux de l’équité. Premier objet du Législateur, dépositaire de son esprit,
compagne inséparable de la loi, l’Équité ne peut jamais être contraire à la loi même [...].
Dangereux instrument de la puissance du juge, hardie à former tous les jours des règles nouvelles,
elle se fait une balance particulière et un poids propre pour chaque cause. Si elle paraît
quelquefois ingénieuse à pénétrer dans l’intention secrette du législateur, c’est moins pour la
connaître que pour l’éluder ; elle la fonde en ennemi captieux, plutôt qu’en Ministre fidèle ; elle
combat la lettre par l’esprit, et l’esprit par la lettre ; et au milieu de cette contradiction
apparente, la Vérité échappe, la Règle disparaît, et le Magistrat demeure le maître » (L’autorité du
magistrat et sa soumission à l’autorité de la loi, IXe mercuriale (1709), in Œuvres complètes de M. le
Chancelier D’Aguesseau, 1759, t. I, p. 127).
(314) La grande « Ordonnance civile touchant la réformation de la justice » d’avril 1667 (Titre 1er,
art. 6) prévient que les magistrats ne pourront contrevenir à ses dispositions, se dispenser de les
appliquer, ni même les modérer « sous prétexte d’équité » (Recueil général des anciennes lois
françaises, t. XVIII, 1829).
(315) La phrase « Dieu nous préserve de l’équité des Parlements » fut rapportée comme un
proverbe du Palais par Charondas dans ses Réponses du droit français (1626) et attribuée au
Chancelier Séguier (cf. F. NIVET, « Équité et légalité », Justices 1998, no 9, p. 157).
(316) Cette boutade légendaire a été déformée (F. POLLOCK, Table-Talks (propos de table) de
J. Selden, Oxford, Clarendon Press, 1927, p. 43) puisque Lord Selden avait dit : « L’Equity est
suivant la conscience de celui qui est Chancelier ; et selon qu’elle est plus large ou plus étroite,
telle est l’Equity. C’est comme si l’on prenait pour unité de mesure un pied de Chancelier. Quelle
incertaine mesure ce serait ! Un Chancelier a le pied long, un autre le pied court, un troisième un
pied quelconque. Ainsi en va-t-il de la conscience du Chancelier ». Selden avait eu un autre mot
encore plus raide : « Equity is a roguish thing » (l’Equity est une saleté), Droit civil illustré, no 5.
(317) V. infra, no 389.
(318) Ex. : Cass. civ., 23 janv. 1948, JCP G, 1949.II.4229 : « En se bornant à trancher le différend
en équité alors que le législateur n’a pas abandonné aux juridictions paritaires le soin de
rechercher le prix équitable (des fermages) en dehors des règles qu’il a lui-même fixées », la
décision a violé la loi.
(319) Ex. : Cass. civ., 6 mars 1876, aff. du canal de Craponne, DP 1876, 1, 193, note M. A. de
Giboulot ; S., 1876, 1, 161 : « Dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable
que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances
pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été
librement acceptées par les contractants ». L’arrêt a condamné la théorie de l’imprévision en
matière contractuelle (v. Droit des obligations, coll. Droit civil).
(320) P. HÉBRAUD, « Observations sur l’arbitrage judiciaire », Mélanges G. Marty, Univ. sc. sociales
Toulouse, 1978, p. 635.
(321) Sur l’amiable composition : E. LOQUIN, L’amiable composition en droit comparé et
international, th. Dijon, préf. Ph. Fouchard, Lib. techn., 1980.
(322) J.-D. BREDIN, « La loi du juge », Études B. Goldman, Litec, 1983, p. 15, spéc. no 20 :
« Qualifié d’amiable compositeur, l’arbitre international est-il bien différent (de celui qui applique
les lois étatiques) ? Sans doute est-il libéré de la règle de droit écrit. Et l’équité est théoriquement
sa seule règle. Mais l’arbitre, qui cherche l’équité, aime à la puiser à des sources reconnaissables
et familières [...] Ainsi, le droit écrit revient-il, par un détour, déguisé en équité ».
(323) Cass. 2e civ., 15 févr. 2001, Bull. civ. II, no 26.
(324) Cass. 1re civ., 17 déc. 2008, JCP G, 2009, 10013, n. J. Béguin. Contra : Cass. 2e civ., 8 juill.
2004, JCP G, 2004.I.179, no 4, qui juge conforme à l’équité l’arrêt d’une cour d’appel qui révèle sa
volonté « de parvenir à une décision fondée en droit et en équité ».
(325) Ph. JACQUES, Regards sur l’article 1135 du Code civil, th. Paris XII, Dalloz, 2005.
(326) Autres ex. de renvoi exprès à l’équité dans des lois contemporaines : C. civ., art. 278, 280-1
(L. 11 juill. 1975 : prestation compensatoire en matière de divorce), 815-13 (L. 31 déc. 1976 :
rémunération de l’indivisaire ayant amélioré à ses frais le bien indivis), 1579 (L. 13 juill. 1965 :
régime de la participation aux acquêts) ; C. pr. civ., art. 700 (paiement des frais de procédure par la
partie perdante).
(327) Le pouvoir modérateur du contrat octroyé au juge par la loi relève d’une équité tantôt
objective, sanctionnant l’excès ou la disproportion : C. civ., art. 1231-5, 1966 ; tantôt subjective :
art. 900-2 (« ... extrêmement difficile... ») ; art. 1928 (« ... avec plus de rigueur... ») ; art. 1992 (« ...
moins rigoureusement... »). La notion, en droit de la consommation, de « déséquilibre significatif
dans les droits et obligations des parties » relève typiquement de la première (C. consom., art.
L. 212-1 ; C. com., art. L. 442-6, I, 2o, qui sanctionne aussi l’obtention de conditions commerciales
« manifestement abusives » ou d’un avantage « manifestement disproportionné » ; C. civ., art. 1143,
qui définit la violence morale comme un abus d’état de dépendance permettant de tirer un « avantage
manifestement excessif » d’un cocontractant).
(328) Cette formule fut initialement invoquée pour déformer les règles de la gestion d’affaires
(Cass. civ., 8 janv. 1862, S., 1862, 1, 477 ; DP 1863, 1, 75 : « Cette règle d’équité naturelle que nul
ne doit s’enrichir aux dépens d’autrui ») avant de fonder directement l’action de in rem verso
(Cass. req., 15 juin 1892, aff. Patureau-Miran c/Boudier, DP 1892, 1, 596 ; S., 1893, 1, 281, note J.-
E. Labbé).
(329) Il s’agit des art. 554 à 556, 861-862, 1673, 1947, 2080 et 2175 C. civ. qui limitent
l’appauvrissement injuste d’une personne tenue à restitution, après avoir supporté des « impenses ».
(330) Ex. : l’adage Contra non valentem, fondé sur l’équité et viole la loi (infra, no 402).
(331) L’équité objective, au sens d’une juste proportion, d’un juste milieu (medium in re), anime la
théorie de l’abus de droit (régulant l’exercice de tous les droits subjectifs) comme l’un de ses
avatars, l’action pour trouble anormal de voisinage (limitant l’absolutisme du droit de propriété). Le
premier arrêt ayant sanctionné l’abus de droit déclarait : « Les principes de la morale et de l’équité
s’opposent à ce que la Justice sanctionne une action inspirée par la malveillance » (Colmar, 2 mai
1855, Dœrr, DP 1856, II, 9).
(332) P. ROUBIER, « L’ordre juridique et la théorie des sources du droit », Études G. Ripert, LGDJ,
1950, t. I, p. 9, spéc. p. 16 : « Les sources formelles laissent apparaître des lacunes et [...] leur
réglementation devient insuffisante », inadaptée à la réalité ; la « sénescence » et la « carence de
l’ordre juridique » doivent être palliées à l’aide de « sources non formelles » (selon l’auteur, les
usages et pratiques professionnelles, la doctrine et les principes généraux du droit).
(333) V. infra, nº 365.
(334) V. infra, nos 394 et s.
(335) V. supra, nos 26 et s.
(336) V. supra, nos 42 et s.
(337) H. BATIFFOL, Préface in Sources du droit, Arch. phil. dr., t. XXVII, Sirey, 1982, p. 2.
(338) P. DEUMIER, Le droit spontané, th. Toulouse, Economica, 2002, préf. J.-M. Jacquet.
(339) V. infra, nº 49.
(340) V. infra, no 375.
(341) V. infra, no 378.
(342) Ces caractères ont été remis en cause par le normativisme de Hans Kelsen pour qui une règle
de droit pourrait être spéciale et individuelle, tel un acte administratif individuel, une décision de
justice ou un contrat ; ce dernier, notamment, créerait une norme de conduite déterminée, tout aussi
objective que l’est la règle pacta sunt servanda qui justifie classiquement la force obligatoire du
contrat (H. KELSEN, « La théorie juridique de la convention », Arch. phil. dr., 1940, p. 33 et s.).
Comp. J. CARBONNIER, « Les hypothèses fondamentales de la sociologie juridique théorique », in
Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 9 et s., spéc. p. 21 : « Le droit est plus grand que la règle de
droit [...]. Il y a toute une part du droit qui ne tient pas dans des commandements abstraits,
généraux et permanents, mais qui est faite de décisions individuelles, de jugements spontanés
et sans lendemain ». Adde E. UNTERMAIER, Les règles générales en droit public français, thèse,
LGDJ, Lextenso éditions, 2011.
(343) P. MORVAN, « Le principe de sécurité juridique : l’antidote au poison de l’insécurité
juridique ? », Dr. soc., 2006, p. 707. – « Sécurité juridique et initiative économique » (dir. H. de
Castries et N. Molfessis), Mare & Martin, 2015 et disponible sur www.leclubdesjuristes.com (63
propositions pour concilier sécurité juridique et innovation économique).
(344) Sur les revirements de jurisprudence, v. infra, no 396.
(345) CJCE, 13 juill. 1961, Meroni c/Haute Autorité de la CECA, aff. 14, 16, 17, 20, 24, 26, 27/60
et 1/61, Rec., p. 319.
(346) CJCE, 6 avr. 1962, De Geus en Uitdenbogerd c/Bosch, aff. 13/61, Rec., p. 97.
(347) V. infra, no 319.
(348) P. MORVAN, art. cit.
(349) CEDH, 28 oct. 1999, Brumarescu c/Roumanie.
(350) Sur le principe de confiance légitime, v. infra, no 319.
(351) V. infra, no 346.
(352) V. infra, no 340.
(353) CE, Ass., 15 mars 2006, Sté KPMG, JCP G, 2006, II, 10133, n. J.-M. Belorgey ; D. 2006,
1224 et chron. P. Cassia, p. 1190 ; adde F. MELLERAY, AJDA 2006, p. 897. L’arrêt déduit du principe
une conséquence inconnue en droit communautaire (l’obligation pour le pouvoir réglementaire
d’insérer des dispositions transitoires dans un décret applicable à des situations contractuelles en
cours). En outre, il confond la rétroactivité d’un acte et son application immédiate aux situations en
cours, négligeant la doctrine de Roubier (infra, no 296. Sur cette critique, cf. P. MORVAN, art. cit. ;
R. ENCINAS DE MUNAGORRI, obs. RTD civ. 2006, p. 527 ; S. LASVIGNES, in Mélanges Labetoulle,
Dalloz, 2007, p. 559, spéc. p. 564, qui y voit un curieux retour à la théorie des droits acquis sous
l’habillage du raisonnement de Roubier).
(354) CE, 13 déc. 2006, D. 2007, 847, n. O. Bui-Xan (invoquant en termes vagues des « motifs de
sécurité juridique ») ; CE, 27 oct. 2006, D. 2007, 621, n. P. Cassia ; JCP A, 2007, 2001, n. F.
Melleray ; JCP G, 2006, II, 10208, n. S. Damarey ; RTD civ. 2007, p. 72, obs. P. Deumier
(modulation dans le temps, au mépris du droit communautaire, d’une décision mettant fin à la
suspension d’un décret, qui ne créait par nature aucune insécurité juridique).
(355) J. BOULOUIS et J. CHEVALLIER, Les grands arrêts de la CJCE, Dalloz, 6e éd., 1994, t. I, p. 76 :
« Plus fonctionnelle que conceptuelle, la sécurité juridique n’est rien d’autre que le nom donné
par le juge aux manifestations de son équité ou de sa discrétionnarité ». Un ancien président de la
CJCE expliquait aussi le succès du principe de confiance légitime (versant subjectif du principe de
sécurité juridique) par le fait que « c’est une façon respectable d’habiller une requête devant la
Cour pour solliciter une forme équitable de jugement » (MACKENZIE STUART, « Legitimate
expectation and estoppel in community law and english administrative law », Legal Issues of
European Integration 1983/1, p. 53).
(356) Sur l’objectif d’« accessibilité » et d’« intelligibilité » et le principe de « clarté » de la loi ou
encore les obstacles posés aux lois rétroactives, v. infra, nos 284, 285 et nos 305 et s.
(357) Ex. : Cass. 3e civ., 30 janv. 2003, D. 2003, 2722, n. E. Ben Merzouk : « les principes de
sécurité juridique et de bonne administration de la justice qui fondent les dispositions de
l'article 528-1 du NCPC constituent des impératifs qui ne sont pas contraires aux dispositions de
l'article 6.1 Conv. EDH » ; Cass. soc., 23 janv. 2007, Bull. civ. V, no 9 (écarte l’exception d’illégalité
invoquée contre un décret).
(358) Droit civil illustré, no 6.
(359) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, t. I, no 1, premières lignes intitulées
« Essai de définition » : « Le droit est l’ensemble des préceptes ou règles de conduite édictés par
l’autorité de l’État et dont l’application est garantie par des sanctions qui peuvent mettre en
œuvre le pouvoir de contrainte de l’État ».
(360) Sur la coutume et le droit spontané, v. infra, no 366.
(361) V. supra, no 46.
(362) L. DRAI et D. HIEZ, « La réception du droit : le droit des sujets », RRJ 2007, p. 141. Le
détournement de la loi ou l’abus de droit (v. infra, no 52) comme la « désobéissance civique »
(v. infra, no 166) soulignent l’importance de cette réception. V. aussi infra, no 415 (sur le rôle de
l’adhésion et de la persuasion dans l’interprétation des textes).
(363) Comp. G. MARTY et P. RAYNAUD, Introduction générale à l’étude du droit, Sirey, 2e éd., 1972,
no 34 : « Une règle n’est pas juridique parce qu’elle est sanctionnée ; elle est sanctionnée parce
qu’elle est juridique ». Comp. Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », D. 1986, chr. 197 :
« Qu’est-ce que la sanction ? Le propre du droit. Mais alors qu’est-ce que le droit ? Ce qui a reçu
la sanction. Ce raccourci résume à peu près l’état de la pensée juridique ».
(364) V. infra, no 454.
(365) V. not. P. AMSELEK, « L'évolution générale de la technique juridique dans les sociétés
occidentales », RDP 1982, p. 275, spéc. p. 292 : « Le droit tend à devenir de plus en plus une sorte
de technique de “cogestion” des conduites, qui s’inscrit dans un dialogue permanent et complexe
entre les gouvernants et les gouvernés eux-mêmes » ; du même auteur, « Autopsie de la contrainte
associée aux normes juridiques », RRJ 2008, p. 1847 : « plutôt que de “devoir être”, c’est de
“pouvoir faire” qu’on devrait parler », avec des indicateurs de marge de manœuvre ou degrés de
possibilité variables.
(366) Selon les termes de C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexions sur les textures du droit », RTD
civ. 2003, p. 599 ; du même auteur, « Rapport de synthèse » in Le droit souple (actes de colloque),
Dalloz, 2009, p. 141 : les instruments de droit souple ne sont pas des « règles de droit » mais peuvent
être des « normes juridiques » (non obligatoires mais recommandatoires ou déclaratoires) en ce sens
qu’elles sont des « modèles » pour agir ou juger.
(367) Sur les déclarations d’objectifs, sans portée normative, par le législateur, v. infra, no 284.
(368) V. supra, no 28.
(369) V. infra, no 358.
(370) V. infra, no 169.
(371) Conseil d’État, Rapport public 2013, La doc. fr. (www.conseil-etat.fr). Pour un commentaire :
E. NICOLAS et M. ROBINEAU, JCP G, 2013, 1116, relevant un certain flou dans l’identification du droit
souple, que le CE réduit d’ailleurs surtout au droit mou (sans sanction).
(372) Biblio sélective. Droit privé : M.-A. FRISON-ROCHE, « Le droit de la régulation », D. 2001, chr.
610 ; « Définition du droit de la régulation économique », D. Aff. 2004, 126 ; Les 100 mots de la
régulation, Que sais-je ?, 2011. Ouvrages collectifs sous la dir. de M.-A. FRISON-ROCHE édités par
les Presses de Sciences Po et Dalloz (cinq volumes : Responsabilité et régulation économique,
2007 ; Les engagements dans les systèmes de régulation, 2006 ; Les risques de régulation, 2005 ;
Les régulations économiques : légitimité et efficacité, 2004 ; Règles et pouvoirs dans les systèmes
de régulation, 2004). Droit public : J.-B. AUBY, « Régulations et droit administratif », in Études
G. Timsit, Bruylant, 2004, p. 209 ; « Autorégulation et droit administratif », Dr. adm. 2008, Études,
17 (et les références essentielles en langue anglaise sur la régulation, citées en note 1) ; L. CALANDRI,
Recherche sur la notion de régulation en droit administratif, LGDJ, 2009 (estimant qu’il n’existe
pas un droit autonome de la régulation mais un acte ou une fonction de régulation dont la nature est
« invitative » et informelle) ; B. DU MARAIS, Droit public de la régulation économique, Presses de
Sciences Po et Dalloz, 2e éd., 2016.
(373) Sur les AAI, v. infra, no 355.
(374) M.-A. FRISON-ROCHE, « Le droit de la régulation », art. cit.
(375) V. supra, nos 26 s. Sur les standards juridiques, v. infra, no 286.
(376) J.-B. AUBY, art. cit.
(377) V. supra, no 33.
(378) M.-A. FRISON-ROCHE, « L’impossibilité de réguler l’illicite : la convention de maternité de
substitution », D. 2014, 2184. Les conventions de mères-porteuses se situent dans l’illicite absolu et
ne peuvent être « régulées ».
(379) Ex. : R. VABRES, Comitologie et services financiers, Dalloz, 2009 (sur le rôle central des
comités de régulateurs européens qui « co-déterminent » le droit communautaire bancaire et
financier).
(380) V. infra, no 345.
(381) V. infra, no 354.
(382) CE, ass., 21 mars 2016, Fairvesta International GmbH, nº 368082 et Sté NC Numéricable,
nº 390023, Dr. adm. 2016, 20, n. S. Von Coester et V. Daumas et 34, n. A. Sée : « les avis,
recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation [...]
peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions
générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités
pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance » ou encore « lorsqu'ils sont de nature à
produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de
manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ».
(383) V. infra, no 284. V. aussi les « lois mémorielles », pour la plupart non normatives, supra, no 14.
(384) Ex. : la L. no 2008-649, 3 juill. 2008 inscrit aux art. L. 225-37 et L. 225-68 du C. com. le
principe « comply or explain » (respecter ou s’en expliquer) : une société anonyme cotée qui ne
respecte pas un « code de gouvernement d’entreprise » élaboré par un syndicat patronal (tel le
Medef) doit en exposer les raisons. En réalité, ce principe, typique de l’auto-régulation des sociétés
américaines (la corporate governance), dénie par nature toute autorité aux normes qu’il souhaite voir
appliquer (cf. Cl. CHAMPAUD et D. DANET, obs. in RTD com. 2008, p. 563, qui parlent de « fiasco
bureaucratique » prévisible et d’« usine à gaz ». V. au contraire, P. DEUMIER, qui en vante les mérites,
obs. RTD civ. 2013, 79).
(385) La crise financière : aspects juridiques, JCP E, 2009, 1569 à 1581. Une des causes
principales de la crise économique mondiale de 2008 réside dans un défaut de réglementation du
secteur financier ; les réponses juridiques ont consisté en une réglementation stricte des agences de
notation financière (de rating), qui s’étaient « auto-régulées » de façon complaisante et inefficace,
ainsi que dans une réforme des institutions financières, qui cultivaient l’opacité autour de leur
solvabilité.
(386) COMMISSION EUROPÉENNE, « Livre blanc sur la gouvernance européenne », 25 juill. 2001, COM
(2001) 428. Adde T. GEORGOPOULOS, « La méthode ouverte de coordination européenne : en attendant
Godot », RRJ 2006, p. 989.
(387) Plus généralement, sur les normes de régulation en matière sociale, M.-A. MOREAU, Normes
sociales, droit du travail et mondialisation. Confrontations et mutations, Dalloz, 2006.
(388) T. GEORGOPOULOS, « La méthode ouverte de coordination européenne : en attendant Godot »,
RRJ 2006, p. 989.
(389) Biblio. : J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, 1952 ; P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations
juridiques, Dalloz, 1963 ; O. IONESCU, La notion de droit subjectif dans le droit privé, Bruylant,
2e éd., 1978 ; G. MICHAELIDES-NOUAROS, « L’évolution récente de la notion de droit subjectif », RTD
civ. 1966, p. 216 ; « Le droit subjectif en question », Arch. phil. dr., t. IX, Sirey, 1964 ; J. CARBONNIER,
« Théorie sociologique du droit subjectif », Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 193. V. Droit
civil illustré, no 7.
(390) P. ROUBIER, op. cit., no 19, p. 141. « On ne peut donc pas dire que la liberté tend, comme le
droit, vers un but défini ; elle représente une série de possibilités en tous sens, même de
possibilités directement contraires les unes aux autres » (ib., no 20, p. 150).
(391) Ch. BEUDANT, Cours de droit civil français, 2e éd., 1952, t. IX bis, par R. Rodière, no 1437,
p. 72 : les droits donnent un pouvoir sur une chose déterminée ou un pouvoir sur une personne
déterminée alors que les libertés « sont également reconnues à tous ».
(392) P. ROUBIER dénonçait à ce titre les « prétendus abus de la liberté » (contractuelle,
d’expression, du commerce, du travail...) recensés par Josserand pour gonfler sa théorie de l’abus de
droits, alors qu’il ne s’agissait en réalité que d’abus de droits définis et conditionnés (op. cit., no 38,
p. 327).
(393) Ex. : Cass. com., 5 juill. 1994, JCP G, 1994.II.22323 ; RTD civ. 1995, p. 119, refusant de
condamner l’abus de la « liberté fondamentale de toute personne de s’approvisionner chez un
commerçant ».
(394) M. VILLEY, Philosophie du droit, Dalloz, 4e éd., t. I, 1986, rééd. 2001, no 80 : « Il existe une
grande différence entre l’idée de droit subjectif et le jus du droit romain classique. Le jus est défini
dans le Digeste comme ce qui est juste (id quod justum est) ; appliqué à l’individu, le mot désigne
la part qui devrait lui être attribuée (jus suum cuique tribuendum), par rapport aux autres, dans ce
travail de répartition (tributio) entre plusieurs qu’est l’art du juriste [...]. Tout au contraire chez
les modernes individualistes [...], le droit n’est relié qu’à son sujet. Ce n’est plus un avoir, mais
une qualité inhérente à l’individu ». Adde du même auteur, « L’idée du droit subjectif et les systèmes
juridiques romains », RHD fr. et étr., 1946-1947, p. 201, spéc. p. 225.
(395) L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, Cujas, t. I, 3e éd., 1927, p. 296 : « Si l’on admet
avec moi que la règle de droit est le résultat de l’acceptation plus ou moins consciente par les
membres d’une collectivité d’une certaine règle que l’on reconnaît juste et nécessaire de
sanctionner par la contrainte collective, encore moins peut-on concevoir que la règle de droit
ainsi comprise puisse conférer à certains sujets de volonté des pouvoirs particuliers, une
prétendue supériorité décorée du nom de droit subjectif ». Léon Duguit (1859-1928), s’inspirant de
la pensée sociologique de Durkheim (son collègue de Bordeaux), avait essayé de rebâtir la société
française sur une « Loi de solidarité ». Le seul véritable droit aurait été le « droit objectif » (celui
qui émane du groupe, du peuple) que le « droit positif » (étatique) se borne à constater
et sanctionner ; le « droit objectif » se manifeste sous les traits du « service public » ; les notions de
personnalité morale et de droits subjectifs seraient des inventions métaphysiques (la personne,
comme l’État, a des devoirs et n’a aucuns droits souverains).
(396) M. MIAILLE, Une introduction critique au droit, Maspéro, 2e éd., 1982, p. 172 : la distinction
du droit subjectif et du droit objectif est « une manifestation de la technique juridique du système
capitaliste moderne en vue de permettre un certain type d’échange ».
(397) P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963, distingue les
« prérogatives juridiques » (ce sont des « avantages » : droits, libertés, facultés, fonctions, pouvoirs
et actions en justice) et les « charges juridiques » (les devoirs), les « situations juridiques
subjectives » (constituées principalement de droits – subjectifs –, en plus grand nombre que les
devoirs) et les « situations juridiques objectives » (qui, à l’inverse, contiennent plus de devoirs que
de droits), les « règles juridiques » (le droit objectif) et les « situations juridiques ».
(398) H. COING, « Signification de la notion de droit subjectif », Arch. phil. dr., t. IX, Sirey, 1964,
p. 11.
(399) Sur les théories mixtes (de Michoud, Jellinek, Ferrara...) combinant volonté, intérêt et
protection juridique, cf. J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, p. 72 et s.
(400) B. WINDSCHEID, Lehrbuch des Pandektenrechts, Dusseldorf, 1874, 9e éd. par Kipp, 1906, § 37
(Windscheid incarne le Pandectisme allemand, v. infra, no 133) : « Le droit subjectif est une
puissance de la volonté (Willensmacht) ou un pouvoir de la volonté (Willensherrschaft) concédé
par l’ordre juridique ». Savigny (infra, no 133) fera sienne cette conception.
(401) R. von IHERING, L’esprit du droit romain, trad. O. de Meulenaere, 3e éd., t. IV, 1878 (rééd.
Forni Editore Bologna, 2004), § 70, p. 328. Du même auteur, L’évolution du droit (Der Zweck im
Recht, 1892), trad. O. de Meulenaere, 1901. À Rome, le droit naissait de l’action en justice alors
qu’en droit français, le droit précède l’action. Pour Ihering, surtout, le but du droit subjectif est de
servir la jouissance, l’utilité et l’intérêt égoïstes de son titulaire (par exemple, le propriétaire tire
profit et jouissance de sa chose). En cas de litige, le titulaire du droit exerce une action en justice
pour que s’applique la contrainte (inhérente au droit objectif) par laquelle l’État garantit le commerce
juridique (sur Ihering en général v. infra, no 133).
(402) J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, p. 80 et s., et conclusion, p. 103 : en d’autres termes,
« au commencement du droit subjectif est l’avoir » (une chose, une prestation ou un élément de la
personnalité) et une « faculté de libre disposition » (de disposer, administrer ou jouir) de cet avoir.
En outre, le droit subjectif revêt un double caractère (ou « condition d’altérité ») d'« exigibilité » et
d'« inviolabilité » : son titulaire peut exiger des tiers qu’ils respectent l’inviolabilité de cette
appartenance et de cette maîtrise.
(403) Sur les néo-libéraux, v. supra, no 7. Notamment F. A. HAYEK, Droit, législation et liberté, PUF,
t. I, trad. fr., 1985, p. 87 : « Le droit est plus ancien que la législation » (Hayek songe au droit
objectif ; ce n’est pas trahir sa pensée que d’étendre cette formule aux droits subjectifs).
(404) Les libertariens américains conçoivent le droit comme un moyen de définir et de protéger les
droits naturels de l’individu (en pratique, ils combattent l’emprise de l’État fédéral). H. LEPAGE, « Le
retour au droit naturel chez les libertariens », Rev. hist. fac. dr. 1989, no 8, p. 165 : « Le libéralisme
ne se limite pas à l’établissement d’un état de pluralisme économique. Il ne s’arrête pas non plus
au retour des libertés économiques. Le libéralisme est un régime qui fonde la liberté sur
l’affirmation que tout homme, de par son existence même, possède des droits individuels et
inaliénables, qu’il est immoral et injuste pour les autres de violer et qui s’imposent à tous, même à
l’État, indépendamment de toute considération majoritaire ». Adde Ronald DWORKIN, Taking rights
seriously, Harvard University Press, 1977, p. 204 : « Un gouvernement ne doit pas prétendre que
les citoyens n’ont pas le droit de violer la loi et il ne doit pas supprimer leurs droits pour de
prétendues raisons de bien commun. Toute mesure gouvernementale rigoureuse prise contre la
désobéissance civile, toute campagne contre des protestations orales démontrent qu’il n’est pas
sincère [...]. Si le gouvernement ne prend pas les droits au sérieux, c’est qu’il ne prend pas le droit
au sérieux ». Le puritanisme et l’esprit des pèlerins de la Nouvelle-Angleterre (pilgrims),
foncièrement religieux, moraux et démocratiques, prédisposent les Américains au culte des droits et
libertés constitutionnels.
(405) A. SAYAG, Essai sur le besoin créateur de droit, th. Paris II, LGDJ, 1969, préface
J. Carbonnier.
(406) M. PICHARD, Le droit à. Étude de législation contemporaine, th. Paris II, Economica, 2006,
préf. M. Gobert ; D. COHEN, « Les droits à », Mélanges Fr. Terré, Dalloz, 1999, p. 393.
(407) ESCHYLE, Les Perses, Les Belles Lettres, 1922, Darius, vers 820 : « La démesure (ubris) en
mûrissant produit l’épi de l’erreur, et la moisson qu’on en lève n’est faite que de larmes ».
ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, L. V, Chap. 14 : « Celui qui a tendance à choisir et à accomplir
les actions équitables et ne s’en tient pas rigoureusement à ses droits dans le sens du pire, mais
qui a tendance à prendre moins que son dû, bien qu’il ait la loi de son côté, celui-là est un homme
équitable ». Pour un abus de droit légendaire, dans Le marchand de Venise (SHAKESPEARE), Acte IV,
Scène 1, Shylock (un usurier) exige le paiement de son gage, une livre de chair prélevée sur le corps
d’Antonio, son emprunteur défaillant : « La livre de chair que je demande, je l’ai chèrement
achetée, c’est la mienne et je veux l’avoir ; si vous me la refusez, fi de vos lois ! Le droit de Venise
alors est sans force [...] j’invoque la loi ; je m’en tiens à mon billet ».
(408) La théorie de l’abus de droits pourrait être fondée sur les fragments du Digeste « Neque
malitiis indulgendum est » (D. 6, 1, 38) ou « Male enim nostro jure uti non debemus » (Gaïus, D. 1,
5, 3) ; elle peut aussi être récusée sur la foi d’un autre fragment : « Nullus videtur dolo facere qui
suo jure utitur » (Gaïus, D. 50, 17, 55). En réalité, le concept de droit subjectif n’existant pas à
Rome (supra, no 51), ces deux opinions sont anachroniques : le droit romain ne sanctionnait que des
abus particuliers. Comp. Cass. req., 8 août 1870, DP 1871, 1, 338 : « les juges du fond [...] ont fait
une juste et intelligente application du principe malitiis non est indulgendum ».
(409) CICÉRON, De officiis, L. I, X, 33.
(410) Biblio. (classique) : A. ESMEIN, note au S., 1898, 1, 17 ; M. PLANIOL, Traité élémentaire de
droit civil, 2e éd., t. II, 1902, no 871, p. 265 ; J. CHARMONT, « L’abus du droit », RTD civ. 1902,
p. 113 ; R. SALEILLES, « De l’abus de droit », Bulletin de la société d’études législatives, 1905,
p. 325 ; G. RIPERT, « L’exercice des droits et la responsabilité civile », Rev. crit. lég. jur. 1906,
p. 352 ; L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité, théorie dite de l’abus des droits,
2e éd., 1939 (1re éd., 1927) ; H. CAPITANT, « Sur l’abus des droits », RTD civ. 1928, p. 365 (sur
l’ouvrage de Josserand) ; G. RIPERT, « Abus ou relativité des droits », Rev. crit. lég. jur. 1929, p. 33 ;
L. JOSSERAND, « À propos de la relativité des droits. Réponse à l’article de M. Ripert », Rev. crit. lég.
jur. 1929, p. 277 ; A. ROUAST, « Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés », RTD civ. 1944,
p. 1 ; Ph. MALAURIE, Dictionnaire d’un droit humaniste, Université Panthéon-Assas-LGDJ, 2015,
Vº « Abus des droits ».
(411) L’œuvre de Josserand a suscité un regain d’intérêt et plusieurs articles depuis 2001. Cf.
F. AUDREN et C. FILLON, « Louis Josserand ou la construction d’une autorité doctrinale », RTD civ.
2009, p. 39 (et les références note 1).
(412) L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité..., op. cit., spéc. no 292, p. 394 et
no 296, p. 400. Ripert qualifia la thèse de Josserand de « soviétique » (Abus ou relativité des droits,
art. préc., p. 60), lequel lui reprocha de l’avoir présenté comme un « apôtre du bolchévisme en
France » (À propos de la relativité des droits, préc., p. 279). D’un point de vue plus technique,
d’autres auteurs avaient dénoncé le pouvoir arbitraire que cette théorie conférait au juge, ôtant toute
sécurité juridique dans l’exercice des droits subjectifs (J. CHARMONT, art. cit. ; H. CAPITANT, art. cit.,
spéc. p. 375. Dans le même sens : J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, spéc. p. 289) ;
A. PIROVANO, « La fonction sociale des droits : réflexions sur le destin des théories de Josserand »,
D. 1972, chr. 67.
(413) Cass. crim., 19 déc. 1817, S., 1815-1818, 1, chr. 393 : « La loi ne répute pas en faute celui
qui fait ce qu’il a droit de faire, à moins qu’il ne le fasse pour nuire à autrui, et sans intérêt pour
lui-même ».
(414) Selon RIPERT, le droit subjectif est un pouvoir égoïste, absolu, foncièrement inégalitaire. Seul
l’exercice d’un droit dans le dessein de nuire à autrui prive son titulaire de son immunité car, en ce
cas, tout en se conformant à la légalité (le droit positif), il transgresse la moralité (art. cit. et aussi La
règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4e éd., 1949, no 93).
(415) 1) * Colmar, 2 mai 1855, Dœrr ou aff. des fausses cheminées noires, DP 1856, II, 9 : « C’est
méchamment que l’appelant, sans utilité pour lui, et dans l’unique but de nuire à son voisin, a
élevé, en face et presque contre la fenêtre de l’intimé, dont une partie se trouve déjà masquée par
sa construction nouvelle, une fausse cheminée [...]. S’il est de principe que le droit de propriété est
un droit en quelque sorte absolu, autorisant le propriétaire à user et à abuser de la chose,
cependant l’exercice de ce droit, comme celui de tout autre, doit avoir pour limite la satisfaction
d’un intérêt sérieux et légitime ; les principes de la morale et de l’équité s’opposent à ce que la
Justice sanctionne une action inspirée par la malveillance, accomplie sous l’empire d’une
mauvaise passion ne se justifiant par aucune utilité personnelle et portant un grave préjudice à
autrui ». 2) * Cass. req., 3 août 1915, aff. Clément-Bayard, DP 1917, 1, 79 ; S., 1920, 1, 300 ; Droit
civil illustré, no 8 (relevant « l’abus de son droit » commis par un propriétaire ayant érigé des tiges
de fer pour crever les dirigeables décollant du fonds voisin). 3) Cass. 1re civ., 20 janv. 1964, JCP G,
1965.II.14035, note B. Oppetit ; RTD civ. 1965, p. 117, obs. R. Rodière : « Vu l’art. 1382 [ancien,
devenu art. 1240] du Code civil ; l’exercice du droit de propriété, qui a pour limite la satisfaction
d’un intérêt sérieux et légitime, ne saurait autoriser l’accomplissement d’actes malveillants, ne se
justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui » (plantation de fougères
géantes pour assombrir la cuisine d’une voisine).
(416) La théorie des troubles anormaux de voisinage en est un exemple : Cass. civ., 27 nov. 1844, DP
1845, I, 13 ; S., 1844, I, 811 (trouble sonore n’ayant pas été « porté à un degré qui excédât la
mesure des obligations ordinaires du voisinage ») ; Cass. req., 20 févr. 1849, DP 1849, I, 148 ; S.,
1849, I, 346 (« le droit de la propriété [...] est limité par l’obligation naturelle et légale de ne
causer à la propriété d’autrui aucun dommage »). Cette théorie avait pris son autonomie à l’égard
de l’ancien art. 1382 C. civ. à partir de : Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, Bull. civ. II, no 172 : « Vu le
principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
(417) Cass. 2e civ., 11 janv. 1973, Bull. civ. II, no 17 : « L’exercice d’une action en justice, de même
que la défense à une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus, pouvant
donner naissance à une dette de dommages-intérêts, que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou
d’erreur grossière équipollente au dol ».
(418) * CE, 7 juill. 1950, Dehaene, D. 1950, 538, note A. Gervais ; JCP G, 1950.II.5681, concl.
Gazier ; RDP 1950, p. 691, note M. Waline : « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir
pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout
autre, en vue d’en éviter un usage abusif ». L’abus du droit de grève consiste à détourner cette
prérogative de sa fonction (ex. : grève tournante, débrayages inopinés entraînant une désorganisation
complète de l’entreprise, grève de pure solidarité, grève politique, occupation des locaux entravant
la liberté de travail des non-grévistes...).
(419) L’abus de minorité ou de majorité en droit des sociétés combine un détournement de pouvoir (il
suppose le blocage d’une prise de décision par les minoritaires ou un vote des majoritaires contraire
à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser leurs intérêts personnels) et une intention de
nuire (aux autres associés).
(420) La jurisprudence sanctionne l’abus de droit commis, dans la religion juive, par un mari divorcé
qui refuse de délivrer le gueth à son épouse (lettre de répudiation indispensable à la femme
désireuse de se remarier). La femme n’a pas à établir l’intention de nuire de son ex-conjoint
(Cass. 2e civ., 5 juin 1985, JCP G, 1987.II.20728. V. Droit de la famille, coll. Droit civil). Sur ce
thème, v. le film Gett. Le procès de Viviane Amsalem (réalisé par S. et R. Elkabetz, 2014).
(421) L’abus dans l’exercice d’une faculté de résiliation ou de non-renouvellement d’un contrat peut
se déduire de la gravité du préjudice subi par l’autre partie (par ex. perte de lourds investissements
effectués dans l’exécution d’un contrat de concession : Cass. com., 20 janv. 1998, JCP G, 1999, II,
10018 ; D. 1998, 414). Adde : Cass. com., 28 févr. 1995, Bull. civ. IV, no 63 (« la société avait fait
dégénérer en abus son droit de mettre fin à des relations commerciales ») ; Cass. com., 3 juin 1997,
D. 1998, Somm. p. 113, obs. D. Mazeaud (« l’abus dans la résiliation d’une convention ne résulte
pas exclusivement dans (sic) la volonté de nuire de celui qui résilie »).
(422) La plupart des droits discrétionnaires recensés jadis (A. ROUAST, « Les droits discrétionnaires
et les droits contrôlés », RTD civ. 1944, p. 1) ont progressivement été soumis à la théorie de l’abus
de droit, cessant ainsi d’être discrétionnaires. D’autres sont apparus : le droit des ascendants de
s’opposer au mariage d’un descendant (C. civ., art. 179), celui d’exiger la démolition d’une
construction qui empiète sur un fonds (Cass. 3e civ., 7 juin 1990, Bull. civ. III, no 140. Dans le même
sens, pour une servitude : Cass. civ., 5 mars 1850, DP 1850, 1, 78), celui de renoncer au contrat
d’assurance (Cass. 2e civ., 7 mars 2006, JCP G, 2006, II, 10056) ou de révoquer un testament
(Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, JCP G, 2004, II, 10179). Cf. D. ROETS, « Les droits discrétionnaires :
une catégorie juridique en voie de disparition ? », D. 1997, chr. 93.
(423) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. I, 1re éd., 1900, no 871 : « Cette nouvelle
doctrine repose tout entière sur un langage insuffisamment étudié : sa formule, usage abusif des
droits, est une logomachie [...]. Il ne faut donc pas être dupe des mots ». t. II, 2e éd., 1902, no 871,
p. 265 : « On parle volontiers de l’usage abusif d’un droit, comme si ces deux mots avaient un sens
clair et certain. Mais il ne faut pas en être dupe : le droit cesse où l’abus commence et il ne peut
pas y avoir “usage abusif” d’un droit quelconque, parce qu’un même acte ne peut pas être tout à
la fois conforme et contraire au droit ».
(424) Ex. : art. 348-6 (refus « abusif » des parents de consentir à l’adoption de leur enfant) ; C. trav.,
art. L. 1237-2 (rupture « abusive » du contrat de travail à l’initiative du salarié. Adde : art. L. 2141-
8) ; C. pr. civ., art. 32-1, 88, 118, 123, 550 al. 2, 559, 581, 628 (recours en justice « abusif », abus
d’ester en justice) ; C. pr. pén., art. 91 et 472 (constitution de partie civile « dilatoire ou abusive ») ;
art. 22 L. 9 juill. 1991 (« abus de saisie »), etc.
(425) Ex. : l'« abus de droit » en matière fiscale (LPF, art. L. 64) ou de sécurité sociale (CSS, art.
L. 243-7-2) est un avatar de la fraude ; les « clauses abusives » (C. consom., art. L. 212-1) et
« l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante » (C. com., art. L. 420-2)
obéissent à des définitions spécifiques ; « L’abus notoire dans l’usage ou le non-usage » du droit de
divulgation et des droits d’exploitation par les représentants de l’auteur décédé (C. propr. intell., art.
L. 121-3 et L. 122-9. Comp. : art. L. 111-3) est une faute dans l’usage, étrangère à l’abus d’un droit,
etc.
(426) J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, L’abus de droit dans la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme, D. 2015, 1854. Plus classiquement, l’art. 35, § 3, a) de la Convention envisage
l’irrecevabilité d’une requête « manifestement mal fondée ou abusive » (abus du droit de recours).
(427) V. aussi, contre l’éclatement du droit : Fr. GRUA, « Les divisions du droit », RTD civ. 1993,
p. 59.
(428) Fr. TERRÉ et R. SÈVE, Droit, Arch. phil. dr., t. 35, Sirey, 1990, p. 43, spéc. p. 50.
(429) J. CALAIS-AULOY, « L’influence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats
spéciaux », RTD civ. 1994, p. 239, spéc. p. 240. Ainsi, la fonction caractéristique du droit de la
consommation est de protéger le consommateur, partie faible, contre un cocontractant professionnel,
en position de force.
(430) Ex. : un « droit mortuaire », un « droit des catastrophes », un « droit des fouilles » etc.
(430a) Usages de l'interdisciplinarité en droit, PU de Paris Ouest, 2014.
(431) Biblio. sélective : Public/Privé, CURAPP, PUF, 1995 ; « Le privé et le public », Arch. phil.
dr., t. 41, Sirey, 1997 ; De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé ?, dir. B. Bonnet et
P. Deumier, Dalloz, 2010. Sur les divisions du droit, A. LECA, La genèse du droit, Librairie de
l’Université d’Aix-en-Provence, 3e éd., 2002, nos 9 s.
(432) ULPIEN, Digeste, 1, 1, 2 : « Cette étude a deux objets, le droit public et le droit privé [...]. Le
droit public est relatif à l’organisation de la chose publique, le droit privé à l’intérêt des
particuliers ».
(433) G. CHEVRIER, « Remarques sur l’introduction et les vicissitudes de la distinction du jus
privatum et du jus publicum dans les œuvres des anciens juristes français », Arch. phil. dr., 1952,
« La distinction du droit privé et du droit public », p. 5, spéc. p. 75.
(434) LÉNINE, Lettre à D. I. Kouisky, citée par R. David et J. Hazard, Le droit soviétique, t. I, 1954,
LGDJ : « Dans le régime bolchévique, il n’y a plus de droit privé ; tout est devenu droit public ».
Pour le marxiste, la séparation du public et du privé est, comme le droit lui-même, un produit de
l’idéologie bourgeoise (ex. : M. MIAILLE, Une introduction critique au droit, Maspéro, 2e éd., 1982,
p. 173).
(435) H. MAZEAUD, « Défense du droit privé », D. 1946, chr. 17 : « Aimez-vous la chasse à
l’autruche ? Alors faites-vous “publiciste” et partez en campagne contre le droit privé ». Comp.
J. CARBONNIER, « Le droit administratif du droit civil », RHD 1974, p. 758 : « Il faut extirper cette
arrière-pensée fatale : quel est de nous le plus grand ? ». Reproduit dans Écrits, PUF, 2008,
p. 1135.
(436) Comp. F.-X. TESTU, « La distinction du droit public et du droit privé est-elle idéologique ? »,
D. 1998, chr. 345, qui relève l’interpénétration des deux disciplines au travers de certains
contentieux.
(437) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 252-253 : « Toute révolution est une
conquête. Fait-on des lois dans le passage de l’ancien gouvernement au nouveau, par la force des
choses, ces lois sont nécessairement hostiles, partiales, éversives. On est emporté par le besoin de
rompre toutes les habitudes, d’affaiblir toutes les lois, d’écarter tous les mécontents. On ne
s’occupe plus des relations privées des hommes entre eux : on ne voit que l’objet politique et
général ; on cherche des confédérés plutôt que des citoyens. Tout devient droit public ».
(438) V. infra, no 338.
(439) * Trib. conflits, 8 févr. 1873, Blanco, DP 1873, 3, 17 ; S., 1873, 3, 153, concl. David.
(440) Après la révision opérée par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 (insérant un nouvel
art. 53-2 dans la Constitution), la loi du 30 mars 2000 a autorisé la ratification de la Convention du
18 juillet 1998 portant statut de la Cour pénale internationale ; juridiction « permanente et
indépendante, reliée au système des Nations unies, ayant compétence à l’égard des crimes les plus
graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ».
(441) L’expression de « droit civil » provient du droit romain où le jus civile désignait le droit des
citoyens romains chefs de famille (aussi bien le droit privé que le droit public) par opposition au jus
gentium qui s’appliquait aux étrangers. Dans l’Ancienne France, le droit civil ne désignait plus que
le droit privé romain, paré d’un immense prestige après la redécouverte du Digeste de Justinien au
XIIe siècle.

(442) Sur l’origine de l’expression « droit commun », supra, no 38, en note.


(443) Ph. MALAURIE, « Les dix premières années de notre siècle et le droit civil », JCP G, 2010, 427.
(444) Les Institutes (instituo, ere = établir, instruire) étaient des manuels pédagogiques et simples,
destinés à l’enseignement, contenant une étude d’ensemble du droit privé romain.
(445) Étymologie : persona, æ = le masque revêtu par un acteur de théâtre (de per = à travers,
et sonum = le son) et, par extension, le rôle joué sur la scène. Par son activité juridique, la personne
joue un rôle sur la scène du monde. V. Droit civil illustré, nº 13.
(446) L’esclavage pratiqué depuis l’Antiquité a été aboli en France par le décret-loi des
27 avr.-3 mai 1848 à l’initiative de Victor Schoelcher : « Le gouvernement provisoire, considérant
que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de
l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du
dogme républicain [...] ». art. 1 : « L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et
possessions françaises [...] ».
(447) Les quatre axiomes de la théorie du patrimoine, telle qu’elle a été construite au milieu du
e
XIX s. par Aubry et Rau, sont : toute personne a un patrimoine, une personne n’a qu’un patrimoine,
tout patrimoine appartient à une personne, deux personnes n’ont pas le même patrimoine (v. Ch.
AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français d’après l’ouvrage allemand de M. C.S. Zachariæ,
3e éd., 1857, t. V, § 573, p. 1 et s.).
(448) V. supra, nos 52 et s.
(449) L’action en enrichissement sans cause, ou action de in rem verso, a été inventée par la
jurisprudence (v. supra, no 45 et les notes).
(450) Étymologie : du latin procedo, ere = s’avancer, lui-même dérivé de cedo, cedere = aller + pro
= en avant. Procedamus in pace chantait autrefois la liturgie catholique au cours de processions :
transposé au droit, cet hymne peut prendre une signification symbolique, une façon d’avancer paisible
et pacifiante.
(451) Ch. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, t. IX, 1861, no 338.
(452) Sur le droit romain, semblable sur ce point à la Common Law à ses premiers temps, v. infra,
no 387.
(453) V. infra, no 221.
(454) Ex. : Cass. 1re civ., 3 mai 1973, Bull. civ. I, no 143 ; Rev. crit. DIP 1974, p. 100, note
E. Mezger ; JDI 1975, p. 74, note Ph. Fouchard.
(455) Cass. civ., 14 mars 1837, Delle Stewart, S., 1837, 1, 195 ; GAJDIP, nº 3.
(456) Paris, 13 juin 1814, Busqueta, S., 1814, 2, 393 : le « statut personnel [...] affecte la personne
et la suit en quelque lieu qu’elle aille et qu’elle se trouve » (un capucin espagnol défroqué avait
épousé en France une Française qui obtint la nullité du mariage en vertu de la loi espagnole, laquelle
frappait alors les moines d’incapacité matrimoniale, au contraire de la loi française depuis la
Révolution).
(457) Cass. 1re civ., 6 juill. 1959, sté des fourrures Renel, Bull. civ. I, no 334 ; Rev. crit. DIP 1959,
p. 708, note H. Batiffol.
(458) Cass. 1re civ., 28 mai 1963, aff. du Kid de Chaplin, D. 1963, 677 ; JCP G, 1963.II.13347, note
Ph. Malaurie ; Rev. crit. DIP 1964, p. 513, note Y. Loussouarn ; JDI 1963, p. 1004, note
B. Goldman ; GAJDIP, nº 40.
(459) Cass. 1re civ., 30 mai 1967, Kieger, D. 1967, 629, note Ph. Malaurie ; JCP G, 1968.II.15456,
note Jack-Mayer ; Rev. crit. DIP 1967, p. 728, note P. Bourel ; JDI 1967, p. 622, note B. G.
(460) Cass. 1re civ., 22 juin 1955, Caraslanis, D. 1956, 73 ; Rev. crit. DIP 1955, p. 723, note
H. Batiffol ; GAJDIP, nº 27 : le mode de célébration d’un mariage est, pour le juge français
(compétent dès lors que le mariage a été célébré en France), « suivant les conceptions du droit
français », une « question de forme » et non de fond ; le mariage doit donc être célébré en France
sous une forme civile et non selon la loi religieuse des époux.
(461) Ex. : * Cass. civ., 25 mai 1948, Lautour, DP 1948, 357, note P. L.-P. ; JCP, 1948, II, 4542,
note M. Vasseur ; Rev. crit. DIP 1949, p. 89, note H. Batiffol ; S., 1949, 1, 21, note J.-P. Niboyet ;
GAJDIP, nº 13 : « L’ordre public interne français n’ayant à intervenir [...], sous la seule réserve
de principes d’une justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur
internationale absolue ».
(462) Cass. civ., 18 mars 1878, Princesse de Bauffremont, DP 1878, 1, 201 ; S., 1878, 1, 193, note
J.-E. Labbé ; GAJDIP, nº 6 : la princesse de Bauffremont s’était fait naturaliser citoyenne du dûché
de Saxe-Altembourg afin d’obtenir, en vertu de la loi du for, le divorce qu’interdisait alors la loi
française (entre 1816 et 1884) et épouser le prince Bibesco ; la Cour de cassation jugea que « les
actes ainsi faits en fraude de la loi française [...] n’étaient pas opposables au Prince de
Bauffremont ».
(463) V. infra, no 375.
(464) Adde A. WINCKLER, « L’absence de préjugé », Arch. phil. dr., t. 41, « Le privé et le public »,
Sirey, 1997, p. 301 : en droit de la concurrence, la frontière entre le droit privé et le droit public
s’évanouit progressivement sous l’influence des principes de l’effet direct et de la primauté du droit
communautaire.
(465) Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 267 (la phrase est de J.-J. ROUSSEAU, Du contrat
social, 1762, L. II, chap. 12).
(466) C. pén., art. 121-1 : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».
(467) Cass. crim., 13 déc. 1956, Laboube, D. 1957, 349, note M. Patin.
(468) C. pén., art. 121-3 : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre »,
sauf si la loi se contente de la preuve d’une faute involontaire ou de mise en danger d’autrui.
(469) C. pén., art. 132-24.
(470) Le droit hébraïque reposait au contraire sur un principe de responsabilité collective et
familiale (Ezechiel, 18, 2 : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils sont
agacées ») et sur la loi du Talion (Exode, 21, 23 : « Tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent
pour dent, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour
plaie »).
(471) Droit civil illustré, no 9.
(472) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 262 : « La justice est la première dette de la
souveraineté ».
(473) Cf. J. BORÉ, « Notice sur la vie et les travaux de Marc Ancel (1902-1990) », Rev. sc. crim.
1995, p. 649.
(474) Étymologie : du latin tripalium = instrument de torture à trois pieux. Le travail est souvent
(pas toujours) une souffrance et un devoir pénible. Pour cette raison, une salle d’accouchement
s’appelle une salle de travail.
(475) J.-Ph. LÉVY, « Courants dominants et courants secondaires dans l’évolution du droit »,
Mélanges J. Imbert, PUF, 1989, p. 385.
(476) Biblio. sélective : J. GAUDEMET, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au
service du droit, Montchrestien, 3e éd., 2001 ; J. GILISSEN, Introduction historique au droit. Esquisse
d’une histoire universelle du droit, Bruylant, 1979 ; J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit
civil, Dalloz, 2e éd., 2010 ; P. OURLIAC et J.-L. GAZZANIGA, Histoire du droit privé de l’an mil au
Code civil, Albin Michel, 1985 ; P. DUBOUCHET, La pensée juridique avant et après le Code civil,
L’Hermès, 1994.
(477) Certaines coutumes furent mises par écrit entre le Ve et le IXe siècle sous forme de lois (les
leges barbarorum) : Lex Salica (loi des Francs Saliens – ce qu’étaient les Mérovingiens –,
consistant pour l’essentiel en une liste de tarifs de composition – ou wergeld – en cas d’infraction
pénale et, pour le reste, en des dispositions de procédure et de droit civil), Lex Burgundionum ou
Lex Visigothorum (s’appliquant respectivement au sud de la Gaule et dans la péninsule ibérique,
elles étaient romanisées). Cf. J. GAUDEMET, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la
science au service du droit, Montchrestien, 3e éd., 2001, p. 98 et s., v. Droit civil illustré, no 10.
(478) Les nombreux capitulaires édictés par les Carolingiens (environ 200 entre 744 et 884, sous
Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve) étaient surtout des règlements administratifs. Le
capitulaire de Pépin le Bref de 768 révèle la vigueur persistante du principe de personnalité : « Que
tous les hommes, tant Romains que Saliens, aient leurs propres lois ; celui qui vient d’une autre
région vivra selon la loi de sa patrie » (traduit du latin).
(479) F. K. von SAVIGNY, Traité de droit romain ancien (System des heutigen römischen Rechts.
Sachen und Quellenregister von Heuser), Berlin, 1840-1850, trad. Guenoux (1re éd., 1841-1856 ;
2e éd., 1855-1860), t. VIII, 2e éd., 1860, § 345, éd. Panthéon-Assas, 2009, préf. H. Synvet : « I) La
nationalité, comme motif et comme limite de la communauté du droit, nous apparaît surtout chez
les peuples nomades, qui en général n’ont pas d’établissements fixes ; tels étaient les Germains à
l’époque de leurs migrations. Et même après qu’ils se furent établis sur le sol de l’empire romain,
le principe de la nationalité subsista longtemps avec le système des droits personnels qui, dans
chaque État, s’appliquaient concurremment [...]. II) Le territoire nous apparaît comme le second
motif qui, dans de larges proportions, détermine et limite la communauté du droit entre individus
[...]. Le second motif de la communauté du droit, par ses développements successifs, a supplanté le
premier ».
(480) À la question posée par un propriétaire s’il pouvait surélever son immeuble, Bartole répondit :
« Comme cette question porte sur un droit dérivant de la chose elle-même, la coutume à consulter
est celle du lieu où la chose est située » : le statut réel. D’Argentré (infra, no 97) affinera l’analyse.
V. Droit civil illustré, no 11.
(481) V. supra, no 73-3o.
(482) Par ex. J. DOMAT, Traité des lois, in Œuvres complètes de J. Domat par J. Rémy, t. I, 1828
(rééd. Centre de philosophie politique et juridique, 1989), Chap. XI, no 46, p. 58 : « Les coutumes
sont des lois qui, dans leur origine, n’ont pas été écrites, mais qui se sont établies, ou par le
consentement d’un peuple, et par une espèce de convention de les observer, ou par un usage
insensible qui les a autorisées ». Avocat du roi au présidial de Clermont en Auvergne, Domat est de
tradition romaniste (v. infra, no 100).
(483) Cette théorie est dite romaine parce qu’elle a permis à l’Empereur du Saint-Empire romain
germanique de reconnaître la coutume sans compromettre sa souveraineté. Elle est dite canonique
parce qu’elle a pour origine la pensée de canonistes médiévaux, dès le XIIe siècle (ex. : HUGUCCIO,
Summa, ad. D., 11, début : « La coutume ne peut déroger au droit écrit que si l’empereur ou le pape
permettent tacitement que [...] le peuple se donne une telle loi ») ; elle continue à imprégner le droit
canonique contemporain (nouv. Code de droit canon (1983), canon 5, § 1 : « Les coutumes
universelles ou particulières actuellement en vigueur, contraires aux dispositions de ces canons,
qui sont réprouvées par les canons du présent Code, sont entièrement supprimées et il n’est pas
permis de les faire revivre »).
(484) BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvoisis (1283), § 683 : « Le roi est tenu à garder et à faire
garder les coutumes ».
(485) V. aussi infra, no 367.
(486) Biblio. : P. OURLIAC, Études d’histoire du droit médiéval, Picard, 1979 ; J.-M. CARBASSE,
Contribution à l’étude du processus coutumier : la coutume de droit privé jusqu’à la Révolution,
Droits 1986, no 3, « La Coutume », p. 25.
(487) Parmi les premiers coutumiers en France figure le Très ancien coutumier de Normandie (sa
première partie est écrite vers 1200, la seconde vers 1220), auquel succède la Summa de legibus
Normaniæ (vers 1254-1258, dont la traduction française établie entre 1270 et 1302 est le Grand
coutumier de Normandie ; les juges des îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey continuent
aujourd’hui de l’appliquer), le Livre de Jostice et de Plet (vers 1260, reprenant le Digeste et les
coutumes de l’Orléanais) et les Établissements de Saint-Louis (qui ne réunit pas les ordonnances de
Louis IX mais décrit les coutumes de l’Orléanais et de l’Anjou). L’œuvre la plus remarquable est
celle de Philippe de Beaumanoir, bailli et sénéchal du roi : les Coutumes du comté de Clermont-en-
Beauvoisis (1279-1283). Les coutumiers français du XIIIe siècle puisent aussi – même si leur auteur
ne l’avoue que rarement – dans le droit romain. Ce ne sont pas des œuvres purement privées : leurs
auteurs, de par leurs fonctions, sont des hommes du roi.
(488) Selon l’art. 125 de l’ordonnance (texte reproduit in J. GILISSEN, Introduction historique au
droit. Esquisse d’une histoire universelle du droit, Bruylant, 1979, p. 259 et p. 270-271). Charles
Quint, dans une ordonnance du 7 octobre 1531, décida pour les mêmes motifs une mise par écrit des
coutumes dans les XVII Provinces des Pays-Bas.
(489) Coutume d’Orléans en 1509, Coutume de Paris en 1510, Coutume de Bretagne en 1539,
Coutume de Normandie en 1583, etc. Après rédaction d’un projet par des officiers de justice (bailli
ou sénéchal) sous le contrôle de commissaires royaux, la rédaction définitive et la publication de la
coutume revenaient à l’assemblée des États du bailliage, réunissant les trois ordres (le clergé, la
noblesse, le Tiers État) sous la présidence d’un commissaire royal. La preuve de la coutume résultait
ainsi d’un commun accord entre les trois ordres, sans intervention – du moins directe – du roi.
(490) V. infra, no 96 in fine.
(491) VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, Vo Coutumes. Cf. Droit civil illustré, no 11.
(492) Cf. R. FILHOL, La preuve de la coutume dans l’ancien droit français, Recueils de la société
Jean Bodin, t. XVII, « La preuve, 2e partie », 1965, p. 357.
(493) Étymologie : de turba = foule en désordre. La procédure d’enquête par turbe fut réglementée
dès 1270 par une ordonnance de Saint-Louis. Un groupe d’au moins dix hommes, ou « turbiers » (il
devait s’agir de « sapientes », c’est-à-dire des sages, des anciens, des notables), délivrait sous
serment un avis sur le contenu de la coutume. L’avis devait être unanime et le juge demeurait libre de
se fier à son intime conviction. L’enquête par turbe exposait les parties à un procès interminable et
les « turbiers » à la corruption : comme l’écrit Loysel au début du XVIIe siècle, « Qui mieux abreuve,
mieux preuve » (Institutes coutumières, no 770).
(494) Elle fut abolie par l’« ordonnance civile touchant la réformation de la justice » d’avril 1667
qui lui substitua l’« attestation de coutume », consultation donnée par des jurisconsultes.
(495) Le Corpus se composait à l’origine de quatre ouvrages : 1) le Digeste (recueil de 9142
fragments réunissant les responsa de jurisconsultes romains du Ier siècle av. J.-C. jusqu’au milieu du
IIIe siècle ap. J.-C., au premier rang desquels figurent Paul et Ulpien qui est l’auteur de
6 000 fragments), 2) les Institutes (manuel à l’usage des professeurs reprenant largement les Institutes
de Gaïus), 3) le Code (constitutions impériales, dont certaines sont tirées des Codes grégorien,
hermogénien ou théodosien, antérieurs) et 4) les Novelles (constitutions de Justinien, collectées non
sur son ordre mais à la faveur d’initiatives privées). J. GAUDEMET, Vo Corpus iuris civilis, in
Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 299.
(496) Étymologie : du grec glossos, parole, voix puis, en grammaire, brève explication d’un mot
difficile. Les gloses étaient écrites entre les lignes du texte romain (gloses interlinéaires) ou en marge
(gloses marginales). La méthode était étroitement exégétique.
(497) Azon enseigna vers 1230 et rédigea une Summa sur le Code et les Institutes, soit un
commentaire systématique qui rompait avec la méthode exégétique de ses prédécesseurs. Accurse
(1182-1260) est l’auteur au XIIIe siècle de la Glossa ordinaria (La Grande glose), ouvrage
rassemblant 100 000 gloses qui acquit une autorité égale à celle du Corpus lui-même.
(498) Y. MAUSEN, Vo Scolastique juridique, in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF,
2003, p. 1394.
(499) Dont la théorie des statuts de Bartole, évoquée supra, no 85.
(500) Histoire du Droit et des Institutions de l’Église en Occident, t. VII, L’âge classique (1140-
1378). Sources et théorie du droit, par G. LE BRAS, Ch. LEFEBVRE et J. RAMBAUD, Sirey, 1965 ;
J. GAUDEMET, Église et cité. Histoire du droit canonique, Cerf-Montchrestien, 1994.
(501) Parmi les collections systématiques de droit canonique réalisées antérieurement au Décret de
Gratien, figurent notamment le Decretum de Burchard de Worms (1010-1015) et le Decretum d’Yves
de Chartres (1094). Ce dernier, qui effectue quelques emprunts au Digeste, adopte pour la première
fois un ton normatif afin d’exposer de véritables prescriptions juridiques (debet/non debet, licet/non
licet, valet non valet...). Gratien accentuera cette distinction entre le droit et la morale ou la
théologie. Yves de Chartres décrit en outre sa méthode dans une préface (Prologus ad decretum) et
établit des sommaires (la Panormia) qui constitueront une référence pour Gratien.
(502) L’enseignement à l’université d’Orléans (dont les maîtres furent Jacques de Révigny et Pierre
de Belleperche) se départit de la méthode textuelle des glossateurs ; en cela, il inspira les post-
glossateurs. Il influença la mise par écrit des coutumes de l’Orléanais sous la forme de deux
importants coutumiers, le Livre de Jostice et de Plet et les Établissements de Saint-Louis (v. supra,
no 88, en note).
(503) Le Décret de Gratien formera, avec quatre autres recueils (les Décrétales de Grégoire IX, le
Sextus, les Clémentines, les Extravagantes), le Corpus juris canonici, édité en 1582 en vigueur
jusqu’en 1917, date de promulgation du Codex juris canonici (Code de droit canonique, lui-même
remplacé en 1983 par un nouveau Code de droit canonique). Les décrétistes (tel Hugoccio) firent,
comme les glossateurs, de la glose sur le texte de Gratien. Au XIIIe siècle, les « décrétalistes » qui
leur succédèrent (tel Hostiensis) étendirent leurs commentaires aux Décrétales de Grégoire IX (datant
de 1234).
(504) V. supra, no 86.
(505) Sur l’équité canonique, v. supra, no 42.
(506) Les art. 1103 (anc. art. 1134, al. 1er : force obligatoire du « pacte nu »), 1196 (anc. art. 1138 :
règle du transfert immédiat de la propriété par le seul échange des consentements), 1224 (anc.
art. 1184 : résolution du contrat synallagmatique en cas d’inexécution) et 1240 (anc. art. 1382 :
principe général de responsabilité pour faute personnelle) du Code civil forment quatre piliers du
droit des obligations ignorés du droit romain et issus du droit canon.
(507) J. HILAIRE, « Coutume et droit écrit : recherche d’une limite », in La vie du droit, PUF, 1994,
spéc. p. 105 et s. Dans une zone intermédiaire, au contact entre le droit écrit et le droit coutumier, au
centre de la France, le principe de la personnalité des lois prospéra jusqu’au Xe siècle. De même, les
coutumes abondent au sud et il en existe de nombreuses traces écrites (par ex. dans les actes
notariés).
(508) M. VILLEY, « Méthodes classiques d’interprétation », Arch. phil. dr., 1972, t. XVII, p. 71 et s.,
spéc. p. 84.
(509) Cette influence se manifesta aux différents stades de la rédaction des coutumes (v. supra, no 85,
en note, et infra no 96, en note) puis dans les commentaires de celles-ci au XVIe siècle par les auteurs
de l’École du droit coutumier (v. infra, no 96). Adde J. GAUDEMET, Sociologie historique du droit,
PUF, 2000, spéc. p. 71 (au sujet de la pratique des clauses de renonciation au droit romain) et 100 s.
(510) Pantagruel, L. II, Chap. 5 et 10.
(511) Les analyses des humanistes étaient parfois aussi erronées que les interpolations ou les
interprétations des glossateurs et des bartolistes. Exagérant le systématisme du droit romain, les
humanistes ont répandu certains mythes, tel le caractère individualiste du droit romain (par ex., la
notion de droit subjectif lui était étrangère. V. supra, no 51).
(512) V. aussi l’œuvre de Jean BODIN, dont L’exposé du droit universel (Juris universi distributio,
1576) offre un exemple du système logico-déductif, axiomatique, visant à soumettre l’ensemble des
conduites humaines à un droit unitaire parfaitement rationnel, non sans exagérer la logique du droit
romain ; cf. S. GOYARD-FABRE, Commentaire de L’exposé du droit universel de J. Bodin, PUF, 1985.
(513) Charles Dumoulin, auteur d’un Commentaire sur la coutume de Paris (1522-1536), estimait
qu’un droit commun coutumier convenait seul au « naturel français » ; il suggéra l’institution par le
roi d’une coutume unique inspirée de la Coutume de Paris. Guy Coquille a été l’auteur d’un
Commentaire de la coutume du Nivernais et d’une Institution au droit des Français (1607,
posthume), exposé systématique du droit coutumier français. Antoine Loysel a été l’auteur des
Institutes coutumières (1604), recueil méthodique et synthétique d’adages coutumiers qui jouira d’un
grand prestige auprès des professeurs et praticiens du droit français. La recherche de principes
communs à toutes les coutumes contribua, dans cette seconde moitié du XVIe siècle, à la lutte du
pouvoir royal (facteur d’unité) contre l’Église et la féodalité (facteurs de division). Bertrand
d’Argentré, noble et magistrat breton, auteur d’un Commentaire sur la coutume de Bretagne (1568-
1584), défendit le système féodal et les particularismes locaux.
(514) Dans la première moitié du XVIe siècle (v. supra, no 88).
(515) Parallèlement, une « réformation » (une réforme) des principales coutumes du Royaume fut
accomplie entre 1555 et 1581. Elle aboutit, sous l’autorité de Christophe de Thou (premier président
du Parlement de Paris, nommé commissaire royal), à une harmonisation relative du droit privé
français sur le modèle du droit romain et, plus encore, des règles issues de la Coutume de Paris de
1510 (critiquées et mises en ordre par Dumoulin) ou de la jurisprudence du Parlement de Paris
(laquelle avait influencé la doctrine coutumière). Biblio. : P. PETOT, « Le droit commun de la France
selon les coutumiers », RHD 1961, p. 413 ; J. GAUDEMET, Les tendances à l’unification du droit en
France dans les derniers siècles de l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècle), in « La formazione storica
del diritto moderno in Europa », Firenze, 1972, p. 157-194 ; M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, « La méthode du
droit commun [...] », Rev. hist. fac. dr. 1990, nos 10-11, p. 133.
(516) F. OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, 2 vol., Sirey,
1920-1930 ; du même auteur, La Coutume de Paris, trait d’union entre le droit romain et les
législations modernes, 1925. L’intitulé de ce dernier ouvrage résume le rôle historique de la coutume
de Paris. Elle n’est toutefois pas comparable au Code civil qui contient dix fois plus
d’articles qu’elle ; en outre, la coutume ne régissait ni le droit de la famille (soumis au droit
canonique) ni le droit des contrats (relevant du droit romain).
(517) BOURJON, Droit commun de la France et la coutume de Paris réduite en principes, 1747-
1770.
(518) P. PETOT, « Le droit commun de la France selon les coutumes », RHD 1960, p. 412 ;
A. CASTALDO, « Pouvoir royal, droit savant et droit commun dans la France du Moyen Âge : à propos
de vues nouvelles », Droits no 46, 2007, p. 117, no 47, 2008, p. 173.
(519) G. GIORDANENGO, « Jus commune et droit commun en France du XIIIe au XVe », in « Droit romain,
jus civile, et droit français », dir. J. Krynen, Études d’histoire du droit et des idées politiques, no 3,
1999, p. 219-247 ; J. KRYNEN, « Le droit romain, droit commun de la France », Droits, no 38, 2003,
p. 21 ; G. GIORDANENGO, « Roma, nobilis, orbis et domina, Réponse à un contradicteur », RHD
2010.915 ; J. GAUDEMET, cité infra.
(520) A. CASTALDO, op. cit., donne en exemple Beaumanoir, le grand auteur coutumier du XIIIe s., qui a
rédigé les coutumes du Beauvaisis (v. supra, no 88, en note).
(521) J. GAUDEMET, Du ius commune au droit communautaire, in Université Panthéon-Assas (Paris
II), « Clés pour le siècle », Dalloz, 2000, p. 1011. Sur l’acception originelle du « droit commun »
(jus commune, koinos nomos), v. supra, no 38.
(522) V. supra, no 93 in fine.
(523) J.-Ph. LÉVY, « La pénétration du droit romain dans le droit français de l’ancien régime »,
Mélanges J. Gaudemet, PUF, 2000.
(524) Le Saint-Empire romain germanique s’affirmait comme le successeur de l’Empire romain
(revendication appuyée par les glossateurs, dont l’œuvre suscita ainsi l’hostilité des rois de France).
En Allemagne, le droit romain fut enseigné et appliqué à titre supplétif du XVe siècle jusqu’à la fin du
XIXe siècle.

(525) P. HÉBRAUD, « Observations sur l’évolution des rapports entre le droit et l’action dans la
formation et le développement des systèmes juridiques », Études P. Raynaud, Dalloz, 1985, p. 237,
spéc. p. 250 et 253 : « Nous vivons sous le principe de la liberté contractuelle et du consentement,
et de l’autonomie de la volonté, ignorés du droit romain classique, qui pratiquait le système des
contrats formalistes et nommés ; la notion de cause est au cœur de notre théorie du contrat, alors
qu’elle était inconnue du droit romain. La responsabilité de l’art. 1382 [devenu art. 1240] repose
sur une notion de faute subjective et psychologique ; il n’existait en droit romain que des cas
objectivement déterminés de responsabilité, sous l’égide de la loi Aquilia. La transmission de la
propriété par l’effet des contrats se produit, chez nous, de plein droit et immédiatement sans
requérir, en outre, comme en droit romain, l’accomplissement d’un acte réel distinct [...]. Il n’est
pas un domaine, pas une matière, où les principes du Code civil et de notre droit actuel ne soient
en contradiction absolue avec ceux du droit romain ». Au contraire, le Code civil allemand (le
BGB) est proche du droit romain classique : « Tout en admettant la liberté contractuelle, il écarte
le principe de l’autonomie de la volonté ; il ignore la théorie de la cause, de sorte que le contrôle
du contrat ne se fait pas de l’intérieur, par l’action en nullité, mais de l’extérieur, par des actions
distinctes qui rappellent les condictiones du droit romain ; la responsabilité est déterminée par la
définition d’une série d’actes objectifs illicites, selon la méthode aquilienne ; le transfert de
propriété suppose un acte réel distinct ; la vente est simplement créatrice d’obligations. Ainsi le
droit allemand est resté plus proche de son point de départ, donc en retard sur le droit français,
dans le processus de maturation ».
(526) V. infra, no 133.
(527) V. infra, no 122, en note. V. LASSERRE-KIESOW, La technique législative. Étude sur les codes
civils français et allemand, th. Paris II, LGDJ, 2002, préf. M. Pédamon.
(528) V. infra, no 434.
(529) Ph. MALAURIE, « Vers un ordre judiciaire de la Méditerranée ? », in Vers la création d’un ordre
juridique pour la Méditerranée, Bruylant, 2012, dir. S. Ferré-André ; JCP G, 2009, 1319.
(530) H. GROTIUS (1583-1645), De jure belli ac pacis libri tres, quibus jus naturæ et gentium, item
jurispublici præcipue explicantur (Le droit de la guerre et de la paix...), 1625, trad. J. Barbeyrac,
Amsterdam, 1729, Discours préliminaire, § VIII, p. 11 : le droit « se réduit en général à ceci : qu’il
faut s’abstenir religieusement du bien d’autrui, et restituer ce que l’on peut en avoir entre les
mains, ou le profit qu’on en a tiré ; que l’on est obligé de tenir sa parole ; que l’on doit réparer le
dommage qu’on a causé par sa faute. Et que toute violation de ces règles mérite punition, même de
la part des hommes ». Mêmes propos chez l’allemand S. PUFENDORF, De jure naturæ et gentium (Le
droit de la nature et des gens), 1672, trad. J. Barbeyrac, 1732, L. II, Chap. I et IV.
(531) GROTIUS, extraits cités supra, no 37, en note.
(532) Sur les caractères du droit naturel, v. supra, nos 38 et s.
(533) GROTIUS, cité supra, no 38, en note.
(534) G.-W. LEIBNIZ, Nouvelle méthode pour l’étude du droit (1668). Dans cette Nova methodus,
Leibniz allie droit et mathématiques.
(535) I. NEWTON, Philosophiæ naturalis principia mathematica, 1687.
(536) La préface du Droit de la guerre et de la paix de Grotius comme celle des Lois civiles dans
leur ordre naturel de Domat donnent parfois au lecteur l’impression de lire le Discours de la
méthode, pourtant postérieur.
(537) J.-L. SOURIOUX, « La science du droit durant la période classique française », RTD civ. 2008,
p. 387.
(538) J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, in Œuvres complètes de J. Domat par
J. Rémy, 1828, Préface de l’éditeur, p. VI.
(539) Sur d’Aguesseau : Les penseurs du Code civil, Doc. fr., 2009, spéc. p. 15 à 105 (divers
articles).
(540) Fr. OLIVIER-MARTIN, « Les professeurs royaux de droit français et l’unification du droit civil
français », Mélanges Sugiyama, 1939, p. 263. L’un des plus illustres et des plus humbles, Pothier
(infra, no 101), occupera cette chaire à Orléans. Échappant à l’interdiction d’enseigner le droit
français prononcée par la décrétale Super Specula, l’université de cette ville jouissait alors d’un
grand rayonnement.
(541) J.-L. THIREAU, « La doctrine civiliste avant le Code civil », La doctrine juridique, PUF, 1993,
p. 13, spéc. p. 36.
(542) Sur l’histoire de la doctrine à Rome, v. infra, nº 423.
(543) Biblio : Robert-Joseph Pothier, D’hier à aujourd’hui (colloque célébrant le tricentenaire de
sa naissance), Economica, 2001, spéc. : J.-L. SOURIOUX, p. 15 (la vie de Pothier, repris in Écrits du
prof. J.-L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 451) ; J.-L. THIREAU, p. 35 (sa méthode) ; Ph. MALAURIE,
p. 77 (sa place dans la doctrine et la jurisprudence au XXe siècle) ; J. CARBONNIER (conclusion,
reproduite dans Écrits, PUF, 2008, p. 155). – E. GOJOSSO, « Pothier et le Code civil », Études
M. Carlin, éd. La Mémoire du droit, 2008, p. 403. – J.-L. SOURIOUX, « Les exemples de Pothier »,
Écrits du prof. J.-L. Sourioux, préc., p. 451.
(544) Coutumes des duché, baillage et prévôté d’Orléans et ressorts d’iceux [...], 1740
(2e éd. remaniée en 1760).
(545) Pandectæ Justinianæ in novum ordinem digestæ (Pandectes justiniennes rédigées dans un
ordre nouveau), 3 vol., 1748-1752.
(546) Au XIXe siècle, ce cliché avait un arrière-fond politique (cf. J.-L. HALPÉRIN, in Robert-Joseph
Pothier, D’hier à aujourd’hui, op. cit., p. 65, spéc. p. 71 ; E. GOJOSSO, art. cit.). En réalité, le Code
civil a eu plusieurs pères (Domat, D’Aguesseau, Portalis, Bonaparte... v. infra, nos 120 et s.). Chacun
dans leur siècle, Pothier et Portalis, témoignèrent d’une hostilité aux Lumières, très marquée chez
Pothier.
(547) Il se proclame aussi seule source ou « fontaine » de justice (Rex est fons omnismodi justitiæ) :
toute justice émane du roi, qu’il l’exerce lui-même par l’intermédiaire de son Conseil (justice
retenue) ou qu’il la délègue à d’autres juges (justice déléguée), tels que les Parlements.
(548) Selon l’adage emprunté par les romanistes à Ulpien au Digeste (D. 1, 2, 31).
(549) V. Cass. 2e civ., 11 janv. 1989, Bull. civ. II, no 11 : « Vu [...] l’article 111 de l’ordonnance
d’août 1539 ; à peine de nullité, tout jugement doit être motivé en langue française ». Sur le droit
de la langue, v. infra, no 440.
(550) V. infra, no 201, en note, et no 231.
(551) Cf. J. B. COLBERT, Mémoire sur la réformation de la justice, 1665 : « Sa Majesté nous ayant
donc dit qu’elle veut réduire en un seul corps d’ordonnances tout ce qui est nécessaire pour
établir la jurisprudence fixe et certaine et réduire le nombre des juges, comme le seul moyen qui
n’a pas encore été tenté jusqu’à présent d’abréger les procès [...] ».
(552) Ord. sur les donations, Préambule : « Louis [...]. La justice devrait être aussi uniforme dans
ses jugements que la loi est une dans ses dispositions, et ne pas dépendre de la différence des
temps et des lieux, comme elle fait gloire d’ignorer celle des personnes [...] notre amour pour la
justice, dont nous regardons l’administration comme le premier devoir de la royauté, et le désir
que nous avons de la faire respecter également dans tous nos États, ne nous permettent pas de
tolérer plus longtemps une diversité de jurisprudence qui produit de si grands inconvénients
[...] ». Ord. sur les testaments, Préambule : « Notre intention n’est point de faire, dans cette vue, un
changement réel aux dispositions de lois qu’ils ont observées jusqu’à présent » (ainsi
D’Aguesseau laissa-t-il subsister deux régimes successoraux distincts, l’un pour les pays de droit
écrit, l’autre pour les pays de droit coutumier).
(553) J. VAN KAN, Les efforts de codification en France. Étude historique et psychologique, 1929 ;
J. VANDERLINDEN, Le concept de code en Europe occidentale du XIIIe au XIXe siècle, Essai de
définition, Bruxelles, J. L. B., 1967.
(554) Ex. : J.-J. ROUSSEAU, Considérations sur le gouvernement de Pologne (1772) : « Il faut trois
codes, l’un politique, l’autre civil, et l’autre criminel ». Adde J. CARBONNIER, Essais sur les lois,
Defrénois, 2e éd., 1995, « La passion des lois au siècle des Lumières », p. 239.
(555) Esprit des lois, L. XXIX, Chap. 19 : « Lorsque les citoyens suivent les lois, qu’importe qu’ils
suivent les mêmes ? ».
(556) L’idée d’un droit commun se heurta aux chartes de privilèges (de libertés et de franchises)
octroyées aux provinces et aux villes, ainsi qu’à l’indépendance des Parlements.
(557) J. BOUINEAU, Les toges du pouvoir, th. Paris I, 1982.
(558) Biblio. : M. GARAUD, Histoire générale du droit privé, Sirey, t. I, La Révolution et l’égalité
civile, 1953, t. II, La Révolution et la propriété française, 1959, t. III, La Révolution et la famille,
1978. Cf. la conclusion de Ph. SAGNAC, La législation civile de la Révolution française (1789-1804),
1898, p. 397 : « Elle (la Révolution) a essayé de donner à la France un Code d’une unité parfaite,
opposée au droit écrit. Ses lois ont un caractère violent, contraire à la marche ordinaire, toujours
lente et sûre du droit civil ».
(559) Décret du 4 août 1789, art. 1er : « L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal
et décrète que tous les droits et devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la
mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude personnelle et ceux qui les représentent, sont
abolis sans indemnités, et tous les autres déclarés rachetables, et que le prix et le mode de rachat
seront fixés par l’Assemblée nationale [...] ».
(560) L. 2-17 mars 1791 (d’Allarde), art. 7 : « À compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute
personne de faire tel négoce, ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ;
mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix suivant les
taux ci-après déterminés, et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être
faits ».
(561) Décret du 20 sept. 1792, Tit. I, art. 1er : « Les municipalités recevront et conserveront à
l’avenir les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès ».
(562) Décret du 20 sept. 1792, Tit. IV, Sect. V, art. 1er : « Aux termes de la Constitution, le mariage
est dissoluble par le divorce ».
(563) Cf. J.-L. HALPÉRIN, L’impossible Code civil, PUF, 1992.
(564) Décision du 5 juill. 1790 selon laquelle « les lois civiles seraient revues et réformées par le
législateur et il en serait fait un Code général de lois simples, claires et appropriées à la
Constitution ».
(565) 1er projet (719 articles) ; séance de la Convention du 9 août 1793 (dominée depuis juin par les
Jacobins, les Montagnards, elle estima le projet trop long et pas assez révolutionnaire), rapport de
Cambacérès : « Ô vous enfants de la patrie ! [...] voyez le Code de lois civiles que la Convention
prépare pour la grande famille de la nation, comme le fruit de la liberté. La nation le recevra
comme le garant de son bonheur ; elle l’offrira un jour à tous les peuples, qui s’empresseront de
l’adopter lorsque les préventions seront dissipées, lorsque les haines seront éteintes ». 2e projet
(297 articles), séance de la Convention du 23 fructidor an II (redevenue girondine après le coup
d’État contre Robespierre du 9 thermidor an III, elle trouva le projet trop court et trop
révolutionnaire), rapport de Cambacérès, au style emphatique : « [...] placé entre l’amour de la vie
et l’amour des lois, Socrate préféra la ciguë. C’est être libre en effet que d’être esclave des lois ».
3e projet (1 104 articles), discours préliminaire présenté à nouveau par Cambacérès au Conseil des
Cinq-cents (sous le Directoire), messidor an IV, au style concis : « Sans aspirer à tout dire, le
législateur doit poser des principes féconds qui puissent d’avance résoudre beaucoup de doutes,
et saisir des développements qui laissent peu de questions ». La grandiloquence s’atténue à mesure
que les revers se succèdent.
(566) Un Code de police correctionnelle et un Code pénal furent promulgués en 1791. La Convention
approuva, à la veille de sa dissolution en raison de l’entrée en vigueur de la Constitution de l’an III
qui instaura le Directoire, en 1795, un Code des délits et des peines, œuvre dogmatique et trop
exhaustive d’un seul homme, Merlin de Douai (v. infra, no 134).
(567) J. CARBONNIER, « Le Code civil des Français a-t-il changé la société contemporaine ? », D.
1975, p. 171 (reproduit dans Écrits, PUF, 2008, p. 624).
(568) Étymologie : du latin codex, icis = petit livre, code. L’origine du mot est étrange. Codex
signifiait à l’origine tronc d’arbre, d’où planchette à écrire, d’où petit livre. Le mot livre a parfois le
même sens que le mot code (ex. en France, le « Livre des procédures fiscales » est un code ; ex. en
Allemagne, le Code civil s’appelle le Bürgerliches Gesetzbuch – Buch = livre).
(569) D. 24 thermidor an VIII, art. 1er : « Le ministre de la Justice réunira dans la maison du
ministère MM. Tronchet, président du Tribunal de cassation, Bigot-Préameneu, Commissaire du
gouvernement près ce tribunal et Portalis, Commissaire du gouvernement du conseil des prises,
pour y tenir des conférences sur la rédaction du Code civil ». A. 2 : « Il appellera à ces
conférences M. Malleville, membre du Tribunal de cassation, lequel remplira les fonctions du
secrétaire-rédacteur ». A. 4 : « MM. Tronchet, Bigot et Portalis compareront l’ordre suivi dans la
rédaction des projets du Code civil, publiés jusqu’à ce jour, et détermineront le plan qu’il leur
paraîtra le plus convenable d’adopter ». A. 5 : « Ils discuteront ensuite, dans l’ordre des divisions
qu’ils auront fixées, les principales bases de la législation en matière civile [...] ».
(570) Biblio. sélective. Ouvrages : Éd. LEDUC, Portalis, éd. Panthéon, 1990 ; J.-B. D’ONORIO,
Portalis : l’esprit des siècles, Dalloz, 2005 ; Portalis le juste (colloque), PUAM, 2004. Articles :
B. OPPETIT, « Portalis philosophe », D. 1995, chr. 331 ; B. BEIGNIER, « Portalis et le droit naturel dans
le Code civil », Rev. hist. fac. dr. sc. jur. 1988, p. 77 ; J.-F. NIORT, « Portalis, le père du Code civil ?
À propos du rôle de Portalis dans la confection du Code civil de 1804 », RRJ 2005, p. 479.
(571) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 271 : « Nous avons fait, s’il est permis de
s’exprimer ainsi, une transaction entre le droit écrit et les coutumes, toutes les fois qu’il nous a
été possible de concilier leurs dispositions, ou de les modifier les unes par les autres, sans rompre
l’unité du système, et sans choquer l’esprit général ».
(572) PORTALIS, ib. : « Il faut changer, quand la plus funeste de toutes les innovations serait, pour
ainsi dire, de pas innover ».
(573) PORTALIS, ib., in Locré, t. I, p. 257-258 : « Nous nous sommes également préservés de la
dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. [...] L’office de la loi est de fixer, par
de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en
conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque
matière ».
(574) Le Livre préliminaire du Code civil, conçu par Portalis, fut retiré du projet parce qu’il
énonçait des « vérités abstraites [...] qui paraîtraient mieux placées dans un traité du droit que
dans un Code » (obs. du Tribunal d’appel de Paris, in Fenet, t. II, p. 91). Cambacérès émit la même
critique (in Locré, t. I, p. 45). Portalis se résigna (in Locré, t. I, p. 328 et 343). Maleville le
déplorera (cf. J.-F. NIORT, art. cit., spéc. p. 481). Adde P.-Y. GAUTHIER, « Pour le rétablissement du
Livre préliminaire du Code civil », Droits 2005, no 41, p. 37 (avec le texte en annexe).
(575) Ces lettres et cahiers de doléances ont été rassemblés : Les Français et leur Code civil, Les
éditions du JO, 2004.
(576) Les travaux préparatoires du Code civil ont été publiés par J. G. LOCRÉ (La législation civile,
commerciale et criminelle de la France, 31 vol.) et P.-A. FENET (Recueil complet des travaux
préparatoires du Code civil, 15 vol., 1836 : les cinq premiers volumes contiennent les projets
antérieurs – trois de Cambacérès, celui de Jacqueminot et le projet de l’an VIII – ainsi que les
observations des tribunaux). Pour des extraits choisis, cf. Naissance du Code civil. Travaux
préparatoires du Code civil, Flammarion, 2004.
(577) La touche personnelle de Bonaparte transparaît notamment à l’art. 11 C. civ. (qui refuse aux
étrangers la jouissance des droits civils) ainsi que dans l’adoption et du divorce par consentement
mutuel (deux institutions qui devaient lui permettre d’avoir un héritier après son mariage infertile
avec Joséphine ; il n’eut besoin que de la seconde, Marie-Louise ayant enfanté). Cf. J.-L. SOURIOUX,
« Le rôle du Premier consul dans les travaux préparatoires du Code civil », in 1804-2004. Le Code
civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 107 (reproduit in Écrits du prof. J.-
L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 496).
(578) Biblio. : A.-J. ARNAULD, Les origines doctrinales du Code civil français, LGDJ, 1969 ;
M. PENA, « Jansénisme et Code civil », RRJ 1992, p. 817 ; X. MARTIN, « Mythologie du Code
napoléon », DMM, 2003 ; du même auteur, « Fondements politiques du Code Napoléon », RTD civ.
2003, p. 247. V. surtout : J.-L. HALPÉRIN, L’impossible Code civil, PUF, 1992 ; du même auteur,
« L’histoire de la fabrication du Code. Le Code : Napoléon ? », Pouvoirs 2003, no 107, « Le Code
civil », p. 11 ; J.-F. NIORT, Homo civilis. Contribution à l’histoire du Code civil français, PUAM,
2004 ; du même auteur, « L’anthropologie politique des rédacteurs du code », in Jus et le Code civil,
Droits et cultures (revue), 2004/2, no 48, p. 77 ; du même auteur, « Le Code civil dans la mêlée
politique et sociale », RTD civ. 2005, p. 257. Adde Les penseurs du Code civil, Doc. fr., 2009.
(579) Le texte du Discours préliminaire a été reproduit dans l’ouvrage collectif : Le discours et le
Code. Portalis, deux siècles après le Code Napoléon, Litec, 2004, p. XXI s.
(580) Contra, dénonçant l’hypocrisie qu’aurait eue le Discours : X. MARTIN, « L’individualisme
libéral en France autour de 1800 : essai de spectroscopie », Rev. hist. fac. dr. 1987, p. 87, spéc.
p. 139 ; du même auteur, « Nature humaine et Code Napoléon », Droits 1985, no 2, p. 117 ;
« L’insensibilité des rédacteurs du Code civil à l’altruisme », RHD 1982, p. 569.
(581) PORTALIS, op. cit., in Locré, t. I, p. 254-255 : « Il faut être sobre de nouveautés en matière de
législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que
la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut
découvrir ; qu’il faut laisser le bien si on est en doute du mieux ».
(582) PORTALIS, op. cit., in Locré, t. I, p. 272 : « Nous avons trop aimé, dans nos temps modernes,
les changements et les réformes ; si, en matière d’institutions et de lois, les siècles d’ignorance
sont le théâtre des abus, les siècles de philosophie et de lumières ne sont que trop souvent le
théâtre des excès ». Les rédacteurs avaient le souci de revenir aux valeurs morales traditionnelles et
à l’Ancien droit, cf. P. BONASSIES, « À travers le Fenet. Observations sur les sources et l’idéologie du
Code civil », Études Béguet, 1985, p. 29.
(583) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 265 : « Le droit est la raison universelle, la
suprême raison fondée sur la nature même des choses. Les lois sont ou ne doivent être que le droit
déduit en règles positives, en préceptes particuliers ».
(584) Cf. PORTALIS, précité : « Un Code quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plus tôt
achevé, que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat. Car les lois, une fois
rédigées, demeurent telles qu’elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent
jamais » (ib., p. 258). « C’est à l’expérience à combler successivement les vides que nous laissons.
Les Codes des peuples se font avec le temps ; mais, à proprement parler, on ne les fait pas » (ib.,
p. 265).
(585) Portalis dénonça la philosophie des Lumières dans un ouvrage intitulé De l'usage et de l'abus
de l'esprit philosophique durant le XVIIIe siècle (1820, réimp. Dalloz, 2007). Mais il sut dépasser et
concilier les antagonismes.
(586) Portalis présente ainsi cet article : « La dernière disposition du projet (celle qui abroge les
lois antérieures) nous rappelle ce que nous étions et nous fait apprécier ce que nous sommes. Quel
spectacle s’offrait à nos yeux ! On ne voyait devant soi qu’un amas confus et informes de lois
étrangères et françaises, de coutumes générales et particulières, d’ordonnances abrogées et non
abrogées, de maximes écrites et non écrites, de règlements contradictoires et de décisions
opposées ; on ne rencontrait partout qu’un dédale mystérieux, dont le fil nous échappait à chaque
instant ; on était toujours prêt à s’égarer dans un immense chaos » (séance du 28 ventôse an XII, in
Locré, t. I, p. 342).
(587) L’abrogation est radicale dans les matières du Code civil. Ex. : Cass. civ., 3 nov. 1812, S.,
1813, I, 152.
(588) CAMBACÉRÈS : « On ne peut se dissimuler, en effet, qu’il est au-dessus de la prévoyance
humaine, de tout embrasser dans les lois. C’est donc un avantage de ne pas ôter aux tribunaux le
secours qu’ils peuvent trouver dans les lois antérieures pour se fixer, lorsque le Code civil ne leur
offrira point de lumières ». Adde : « Le consul Cambacérès consent à ce que l’infraction aux lois
anciennes ne donne pas ouverture à cassation, pourvu qu’on ne refuse pas d’ailleurs, aux juges, la
faculté de les prendre pour guide » (séance du 15 ventôse an XII, in Locré, t. I, p. 101 et s.).
(589) Cass. civ., 13 germinal an XII, Jur. gén., Vo Loi, no 533-2o, p. 209, reconnaissant la qualité
d’héritier apparent ; Cass. req., 18 janv. 1830, S., chr. 1828-1830, 1, 430 : « Le principe qui avait
servi de fondement aux lois romaines sur l’erreur commune avait été adopté dans l’ancienne
législation française et par les anciennes Cours et tribunaux du royaume, comme il est attesté par
tous les auteurs, et il l’a été également dans la législation actuelle » ; Cass. req., 6 mai 1874, DP
1874, I, 412, rap. Connely : « Ce principe admis par notre Ancien droit, n’a pas cessé d’être en
vigueur depuis la promulgation du Code civil ».
(590) C. pr. civ. anc., art. 1041 : à compter 1er juill. 1807, « toutes lois, coutumes, usages et
règlements relatifs à la procédure civile, seront abrogés ».
(591) Cass. civ., 21 brumaire an XII, in MERLIN, Recueil alphabétique des questions de droit, 4e éd.,
1829, t. XII, Vo Prescription, § XV, p. 47 : la Cour opère ici un revirement remarquable, cinq mois
avant la L. 30 ventôse an XII ; Cass. req., 6 avr. 1831, DP 1831, 1, 137 ; Jur. gén., vo Droit maritime,
no 1843, p. 647 : « bien que la maxime qu’on ne plaide pas par procureur ne soit littéralement
écrite dans aucune disposition du Code de procédure civile, néanmoins cette maxime, consacrée
dans plusieurs textes du droit romain [...] a constamment été maintenue par la jurisprudence tant
antérieurement que postérieurement à la législation nouvelle ».
(592) A. de TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856.
(593) A. ESMEIN, « L’originalité du Code civil », in Le Code civil 1804-1904. Livre du centenaire,
1904, t. I, p. 5, spéc. p. 16 : les rédacteurs du Code « n’ont guère créé ; dégageant seulement de
temps à autre un résultat qui était seulement en germe dans le droit antérieur ou généralisant
quelque règle particulariste, comme dans les articles 1138 et 2279 ; mais ils ont tout mis à sa
place et au vrai point. Ils ont dosé les éléments divers avec un coup d’œil sûr et une main habile ».
Adde : J.-Ph. LÉVY, « Courants dominants et courants secondaires dans l’évolution du droit », Études
J. Imbert, PUF, 1989, p. 365.
(594) J. CARBONNIER, « Le Code civil », Écrits, PUF, 2008, p. 662, spéc. p. 679.
(595) V. supra, no 100.
(596) GAÏUS, Institutes, I, 8 : « De juris divisione. Omne autem jus quo utimur vel ad personas
pertinet vel ad res vel ad actiones » (Division du droit. Tout le droit que nous utilisons s’applique
aux personnes, aux choses ou aux actions). Adde M. VILLEY, Leçons d’histoire de la philosophie du
droit, Dalloz, 2e éd., 1962, p. 167-168 : « Le droit décrit la vie juridique comme une action
dramatique, examinant successivement les acteurs, les décors et les mouvements de scène » (mais
Michel Villey jugeait abusif le rapprochement opéré entre les plans de Gaïus et celui du Code civil
car le droit romain n’avait pas l’idéologie rationaliste et individualiste qui, à ses yeux, imprègne le
Code civil). La différence majeure tient à la troisième partie : non plus les actions (la procédure)
mais les actes juridiques, entendus comme une manière d’acquérir la propriété. Le plan est plus
concret et plus systématique mais le troisième livre devient démesuré.
(597) Les Institutes (Institutiones, de instituo, ere = établir, instruire) étaient des manuels simples,
destinés à l’enseignement, contenant une étude d’ensemble du droit privé romain. Les Institutes de
Gaïus (IIe siècle ap. J.-C.) ont largement inspiré celles de Justinien (VIe siècle ap. J.-C.).
(598) Comp. Ph. RÉMY, « La recodification civile », Droits 1997, no 26, p. 3.
(599) J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, trad. E. Dumont, An X (1802), t. I, p. 146 :
« Un corps de lois est comme une vaste forêt ; mieux il est percé, plus il est connu ». Jeremy
Bentham (1748-1832) dénonça les inconvénients des lois non écrites et souhaita un corps de lois
complet (droit « intérieur » et droit des gens ; droit pénal et droit civil) qui fût l’œuvre d’un seul
homme, jusqu’à un code universel dénommé Pannomion. Bentham écrira même au Président des
États-Unis Madison pour lui proposer un code à la française. Mais, mise à part la Louisiane (qui se
dota en 1808 d’un Code civil sous l’influence française), le courant de pensées favorable à la
codification restera superficiel. Il connaîtra en revanche un essor spectaculaire au XXe siècle lors de
la rédaction du Restatement of the Law, entre 1923 et 1944, un vaste ensemble d’ouvrages
doctrinaux (les Restatements) présentant les règles des Common Law d’État sous une forme
systématique et uniforme (Restatement of the Law of Conflict of Laws, Restatement of the Law of
Contracts, Restatement of the Law of Property, Restatement of the Law of Torts etc.). D’autres
séries de Restatements suivront.
(600) Les Codes civils italien (1865), roumain (1865), égyptien (1875), espagnol (1888), de
plusieurs pays d’Amérique latine (Argentine, 1869 ; Paraguay, 1889 ; Uruguay, 1893) et même thaï
(1925) ou, en partie, nippon (1890) prirent pour modèle le Code civil. Le Code civil allemand
(1900) puis le Code civil suisse (1907) fourniront ensuite des modèles concurrents (Brésil et
Venezuela, 1916 ; Mexique, 1926 ; Pérou, 1936). Biblio. sélective sur la diffusion du Code français :
Le Code civil 1804-1904. Livre du centenaire, t. II, Le Code civil à l’étranger, 1904 ; Code civil et
modèles. Des modèles du Code au Code comme modèle, dir. Th. Revet, LGDJ, 2005, spéc. p. 437 s.
(en Belgique, Amérique latine, au Liban, Québec, en Afrique francophone) ; Le Code civil 1804-
2004. Livre du bicentenaire, Dalloz, Litec, 2004, spéc. p. 477 s. ; Université Panthéon-Assas (Paris
II), 1804-2004. Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 789 s. ; Le Code
Napoléon, un ancêtre vénéré ?, Mélanges J. Vanderlinden, Bruylant, 2004.
(601) Trois auteurs entreprirent même de le mettre en vers, au XIXe siècle (A. LECA, La lyre de Thémis
ou la poésie du droit, PUAM, 2011). Le résultat a été bien moins clair que la prose originale.
(602) Biblio. (ouvrages collectifs parus à l’occasion du bicentenaire) : Université Panthéon-Assas
(Paris II), 1804-2004. Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004 ; Le Code civil
1804-2004. Livre du bicentenaire, Dalloz, Litec, 2004 ; Le discours et le Code. Portalis, deux
siècles après le Code Napoléon, Litec, 2004 ; Pouvoirs 2003, no 107, « Le Code civil ».
(603) Ph. MALAURIE, « L’utopie et le bicentenaire du Code civil », in 1804-2004. Le Code civil. Un
passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 1, qui évoque les mythes du caractère populaire du
droit, de la sécurité juridique, de la perfection, de l’esprit de compromis incarnés par le Code ; mais
« l’utopie n’est ni un mal ni un bien : elle est toujours une attente ».
(604) V. infra, no 138.
(605) V. infra, nos 340 s.
(606) Ord. 17 juill. 1816 de Louis XVIII : « Nous sommes trop convaincus des maux que
l’instabilité de la législation peut causer dans un État pour songer à une révision générale des
cinq codes qui étaient en vigueur dans notre royaume au moment où nous avons donné à nos
peuples la charte constitutionnelle ».
(607) Ex. : H. de BALZAC, Le curé du village : « Vous avez mis le doigt sur la grande plaie de la
France, reprit le juge de paix. La cause du mal gît dans le titre des successions du Code civil, qui
ordonne le partage égal des biens. Là est le pilon dont le jeu perpétuel émiette le territoire,
individualise les fortunes en leur ôtant la stabilité et qui, décomposant sans recomposer jamais,
finira par tuer la France ».
(608) E. GAUDEMET, L’interprétation du Code civil en France depuis 1804, Sirey, 1935. A.-
J. ARNAUD, Les juristes face à la société, du XIXe siècle à nos jours, PUF, 1975, qui reprend les
analyses de Gaudemet en y plaquant ses convictions marxistes : les juristes du début du XIXe siècle
auraient été des bourgeois qui auraient protégé les intérêts de leur classe, etc. V. la réplique de
Ph. RÉMY (« Éloge de l’Exégèse », RRJ 1982, p. 254 et Droits 1985, t. I, p. 115) : « Et c’est en effet
un truisme de dire qu’un professeur de Code Napoléon, doyen d’une Faculté de province et
bâtonnier de l’Ordre des avocats à la fois (Demolombe), est un “bourgeois” ; le même qualificatif
s’applique, tout aussi évidemment, à un président de la Cour de cassation. Mais un biographe
scrupuleux fera aussi remarquer que Delvincourt, premier vrai doyen de la Faculté de droit de
Paris, commença sa carrière comme employé à la comptabilité de la marine pendant douze ans ;
que Bugnet, qui a passé dans la légende comme l’archétype de l’Exégèse du milieu du XIXe siècle,
fut d’abord garçon vacher en Franche-Comté, ce qui ne l’empêcha pas d’être agrégé à 28 ans ;
que Troplong qui présidera la Cour de cassation sous le IIe Empire, fut un étudiant pauvre, dont le
portrait, dira Gaudemet, aurait pu tenter la plume de Balzac (parce qu’il préférait plutôt lire que
dîner). Il y a donc “bourgeois” et “bourgeois” ».
(609) V. infra, no 410.
(610) G. ANTONETTI, « La faculté de droit de Paris à l’époque où Boissonade y faisait ses études »,
RID comp. 1991, p. 333.
(611) Auteur d’un vaste Répertoire universel et raisonné de jurisprudence (36 vol., 5e éd., 1825-
1828) et d’un Recueil alphabétique des questions de droit (an XI, 4e éd., 1828-1830).
(612) L. GRUFFY, La vie et l’œuvre juridique de Merlin de Douai, th. Paris, 1934 ; H. LEUWERS, Un
juriste en politique. Merlin de Douai (1754-1838), Artois Presse Université, 1996. Cf.
E. GAUDEMET, art. préc., spéc. p. 19 : « Merlin était un admirable juriste, mais il n’était que cela. Je
veux dire que l’application des principes, leur adaptation aux cas concrets, l’intéressait seule.
Quant aux principes eux-mêmes, il les accepte passivement, sans critique, tels que son temps les
lui offre. Et si son temps change, il change avec le temps. “Je suis jurisconsulte, écrit-il dans un
de ses premiers ouvrages, je dois donc parler d’après les principes”. Entendez par là qu’il
s’interdit de les discuter ».
(613) O. JOUANJAN, Vº « École historique du droit, Pandectisme et codification en Allemagne
(XIXe siècle) », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 571.
(614) Sur ce courant de pensées, v. aussi infra, no 135.
(615) Cette expression est de G. F. PUCHTA dans son ouvrage Das Gewohnheitsrecht (Le droit
coutumier), Erlangen, 1828-1838, L. II, Chap. 2, § 1. Savigny la reprend dans son Traité de droit
romain (System des heutigen römischen Rechts. Sachen und Quellenregister von Heuser, Berlin,
1840-1850, trad. Guenoux, 1re éd., 1841-1856, 2e éd., 1855-1860, t. I, 1855, p. 14) : « C’est dans la
commune conscience du peuple que vit le droit positif ; aussi peut-on l’appeler le droit du peuple.
[...] Le droit positif sort de cet esprit général qui anime tous les membres d’une nation » ; p. 38 :
« la loi est l’expression du droit populaire. [...] placé au centre de la nation, (le législateur) en
réfléchit l’esprit, les opinions, les besoins, et doit être regardé comme le véritable représentant de
l’esprit national ».
(616) F. C. von SAVIGNY, Vom Beruf unserer Zeit für Gesetzgebung und Rechtswissenschaft (De la
vocation de notre époque pour la législation et la science du droit), publié en 1814 à Heidelberg dans
sa revue Zeitschrift für geschichtliche Rechtswissenschaft, 1814, t. I, p. 6, trad. E. Laboulaye in
Histoire du droit de la propriété foncière, 1839 et trad. A. Dufour, PUF, 2006, Préface : « L’école
historique admet que la substance du droit est donnée par le passé tout entier d’une nation, non
point de manière arbitraire et déterminée par le hasard seul, mais sortant des entrailles même de
la nation et de son histoire ». V. aussi son Histoire du droit romain au Moyen Âge (Geschichte des
römischen Rechts in Mittelalter), 7 vol., Heidelberg, 1834-1851, trad. Ch. Guenoux. Adde
A. DUFOUR, « Rationnel et irrationnel dans l’École du droit historique », Arch. phil. dr., t. XXIII,
Sirey, 1978, p. 161 ; du même auteur, La théorie des sources du Droit dans l’École du droit
historique, Arch. phil. dr., t. XXVII, Sirey, 1982, p. 98 ; J. GAUDEMET, « Histoire et système dans la
méthode de Savigny », in Sociologie historique du droit, PUF, 2000, p. 21.
(617) Sur cette critique de la codification, v. infra, no 135.
(618) A. F. THIBAUT, Über die Nothwendigkeit eines allgemeinen bürgerlichen Rechts für
Deutschland (Sur la nécessité d’un droit civil général pour l’Allemagne), Heidelberg, 1814
(67 pages). Le pamphlet en réponse de Savigny (le « Vom Beruf... », précité) paraît la même année
dans la même ville (v. supra).
(619) À partir des années 1830-1840, l’École historique se scinde entre germanistes et romanistes.
Les premiers s’attachent au droit (et à la patrie) germanique (tels le linguiste Jacob Grimm ou
Georg Beseler), les seconds au droit romain (tels G. Hugo, Savigny puis son disciple Puchta qui se
rapproche des pandectistes). Sur ces juristes, cf. J.-M. TRIGEAUD, « Notices pour l’histoire de la
science juridique », Rev. hist. fac. dr. 1987, no 5, p. 125 et 1988, no 8, p. 205.
(620) Les Pandectes désignaient la compilation du droit romain ordonnée par Justinien (v. supra,
no 91).
(621) J. HUMMEL, « La volonté dans la pensée juridique de Jhering », Droits 1999, no 28, p 71.
(622) R. von IHERING, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, 4
vol., t. I, 1873, trad. sur la 3e éd. par O. de Meulenaere, 1877 (rééd. Forni Editore Bologna, 2004)
spéc. § 1, p. 2 : « Un seul mot suffit pour définir toute l’importance et la mission de Rome dans
l’histoire universelle : Rome représente le triomphe de l’idée d’universalité sur le principe des
nationalités » ; § 1, p. 14 : « Dans le fond comme dans la forme, toutes les législations modernes
se basent sur le droit romain : il est devenu pour le monde moderne, comme le christianisme,
comme la littérature et l’art grec et romain, un élément de civilisation. Son influence n’est
nullement restreinte aux institutions que nous avons empruntées au droit romain. Notre pensée
juridique, notre méthode, notre forme d’intuition, toute notre éducation juridique, en un mot, sont
devenues romaines ». Cf. J. GAUDEMET, « Organicisme et évolution dans la conception de l’histoire
du droit chez Ihering », in Sociologie historique du droit, PUF, 2000, p. 37 (Ihering reste néanmoins
fidèle à la vision organiciste – biologique et anatomique – du droit, fort en vogue à cette époque).
(623) O. JOUANJAN, « Savigny et le “tournant philologique” de la pensée allemande : pour une lecture
métaphysique de la science historique du droit », in Études G. Timsit, Bruylant, 2004, p. 108.
(624) R. von IHERING, L’évolution du droit (Der Zweck im Recht, 1892), trad. O. de Meulenaere,
1901. Sur la pensée de Ihering, v. supra, no 1 et no 10, au sujet de la force et de la lutte dans le droit ;
no 51 et infra, no 135, sur sa définition du droit subjectif et la notion de but ou d’intérêt.
(625) J. HUMMEL, « La codification en Allemagne (XIXe-XXe siècles) : une cristallisation du droit
national entre romanité et germanité », RHD fr. étr. 2007, p. 105.
(626) Z. KRYSUTUFEK, « La querelle entre Savigny et Thibaut », RHD 1966, p. 59, spéc. conclusion :
« La renommée de Savigny estompe complètement le nom de Thibaut et pourtant ce fut l’idée de
Thibaut qui, en fin de compte, emporta la victoire ». La pensée historiciste, critiquée par Hegel, n’a
guère eu de postérité en Allemagne. Cf. J. HUMMEL, Vo « Allemagne (Doctrines allemandes de l’État
et du droit de Hegel à Jellinek) », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 38.
(627) MARCADÉ, Explication théorique et pratique du Code Napoléon, t. I, 1838, Préface, p. XV :
« Dans la méthode exégétique, on suit le texte pas à pas ; on dissèque chacun des articles pour
l’expliquer phrase par phrase, mot par mot ; on précise par ce qui précède et par ce qui suit le
sens et la partie de chaque proposition, de chaque terme, et l’on en fait remarquer la justesse ou
l’inexactitude, l’utilité ou l’insignifiance ; puis, quand on a compris cet article en lui-même, on
étudie son harmonie ou sa discordance avec les autres articles qui s’y réfèrent, on en déduit les
conséquences, on en signale les lacunes ».
(628) Ex. : MOURLON, Répétitions écrites sur le Code civil, 1872, t. I, p. 59 : « Rien n’est au-dessus
de la loi et c’est prévariquer qu’en éluder les dispositions sous prétexte que l’équité naturelle y
résiste. En jurisprudence, il n’y a pas, il ne peut y avoir de raison plus raisonnable, d’équité plus
équitable que la raison ou l’équité de la loi ». Cette diatribe n’avait rien de très original (v. déjà
chez D’Aguesseau, supra, no 42 en note) : il n’y a pas lieu d’en faire le trait caractéristique d’une
prétendue école de pensée.
(629) Selon la formule prêtée à Bugnet, professeur à la faculté de droit de Paris vers 1870 : « Je ne
connais pas le droit civil, je n’enseigne que le Code Napoléon ».
(630) Critique émanant notamment de : Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé
positif, préf. R. Saleilles, t. I, 1re éd., 1899, et 2e éd., 1954 [réédition LGDJ, 1996], désireux de
mieux asseoir sa propre méthode d’interprétation (v. infra, no 137) ; J. BONNECASE, « L’École de
l’exégèse en droit civil. Les traits distinctifs de sa doctrine et de ses méthodes d’après la profession
de foi de ses plus illustres représentants », Revue générale du droit et de la législation 1918, p. 212
et éd. de Boccard, 2e éd., 1924 ; du même auteur, La pensée juridique française de 1804 à l’heure
présente. Ses variations et ses traits essentiels, Delmas, t. I, 1933. L. HUSSON, « Analyse critique de
l’école de l’exégèse », Arch. phil. dr., 1972, p. 115 ; du même auteur, « Examen critique des assises
doctrinales de la méthode de l’exégèse », RTD civ. 1976, p. 431.
(631) Ph. RÉMY, « Éloge de l’Exégèse », RRJ 1982, p. 254 et Droits 1985, t. I, p. 115, qui montre la
vitalité, la diversité de méthodes et le libéralisme qui animent les auteurs de cette époque. V. aussi
A. DESRAYAUD, « Notes historiques. École de l’exégèse et interprétations doctrinales de
l’article 1137 », RTD civ. 1993, p. 535, conclusion : « Nombre d’auteurs se référaient explicitement
au droit naturel, à l’équité et à la morale et n’hésitaient pas à s’en remettre à la conviction du
juge. Et il s’en faut de beaucoup que tous les juristes se découvrent comme les ministres d’une
orthodoxie légaliste et étatiste ».
(632) Ex. : TOULLIER, Le droit civil français suivant l’ordre du Code civil, t. 1er, 1re éd., 1811,
Préface, p. iv : « Ma méthode n’est point celle des hommes savants qui m’ont précédé. J’ai
d’abord cherché les principes de la théorie, et j’ai tâché de les puiser, non seulement dans
l’histoire, dans la comparaison de nos nouvelles lois avec les anciennes, avec les lois romaines, et
même quelquefois avec les législations voisines ; mais encore, suivant le précepte d’un des plus
beaux génies de l’ancienne Rome (Cicéron), jusque dans leur source première, dans le sein de la
vraie philosophie. [...] Après l’établissement des principes, je suis entré dans le développement
des conséquences, et j’ai donné des détails fort étendus sur leur application aux cas particuliers :
car la jurisprudence n’est rien sans la pratique, et la pratique sans la théorie n’est qu’une routine
aveugle qui égare ». Sur le traité de Toullier (14 volumes, 1811-1831) et l’éclectisme de ses
sources, cf. S. BLOQUET, RTD civ. 2015, p. 475.
(633) Les premiers exégètes (Maleville, Toullier, Delvincourt...) étaient plus attachés à l’Ancien
droit que le furent leurs successeurs (Delvincourt, Demante, Duranton, Demolombe, Larombière,
Mourlon...). C’est une question de génération. Toullier (1752-1835), par exemple, était professeur à
la faculté de droit de Rennes depuis 1778, soit avant même la Révolution, et il avait plus de
cinquante ans lorsque fut promulgué le Code civil.
(634) TOULLIER et DUVERGIER, Le droit civil français suivant l’ordre du Code, t. XX, 1839, no 382,
p. 448. V., dans le même sens, TROPLONG, Du contrat de société civil ou commercial, 1843, no 58,
p. 75. Sur l’hétéroclisme de la méthode de Troplong (devenu Premier président de la Cour de
cassation en 1852) qui rejette l’Exégèse, cf. D. HOUTCIEFF, « Sic transit gloria mundi. Regards
jubilaires sur l’œuvre de Raymond-Théodore Troplong », RRJ 2003, p. 2277.
(635) Cass. 2e civ., 28 janv. 1954, cité infra, no 413.
(636) F. LAURENT, Principes de droit civil français, 3e éd., 1878, t. XX, no 639, p. 693.
(637) Civiliste belge, Laurent fustigea les libertés prises par les « exégètes » : « Les interprètes ont
oublié qu’il y a un texte qui les lie, dont ils sont les esclaves. J’ai écrit trente-deux volumes pour
le leur rappeler [...]. Il est certain que ce n’est pas le respect du texte qui règne dans la doctrine et
dans la jurisprudence. [...] Dans mon long travail sur les “Principes de droit civil”, j’ai constaté,
à chaque page, pour ainsi dire, que les auteurs et les magistrats procèdent comme s’ils étaient les
successeurs d’Ulpien et de Pothier : ils font la loi, au lieu de se contenter de l’interpréter. [...]
c’est dans la loi que les principes ont leur fondement ; ils ne sont autre chose que les dispositions
du code, ou les règles qui en découlent » (Cours élémentaire de droit civil, t. I, 1878, Préface, p. 5.
Les 32 volumes auxquels se réfère Laurent sont ses Principes de droit civil français, 3e éd., 1878).
(638) V. par ex. : A. DURANTON, Cours de droit français suivant le Code civil, 2e éd., t. II, 1828,
no 462, p. 426 ; Ch. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, 4e éd., t. XXI, 1872, no 220, p. 213 ;
LAROMBIÈRE, Théorie et pratique des obligations, nouv. éd., t. IV, 1885, art. 1317, no 7, p. 475.
(639) Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation..., op. cit., t. I, nos 21-22, p. 42-43.
(640) V. aussi MARCADÉ, « Le Code civil et ses interprètes », Rev. crit. lég. jur. 1846, p. 284, qui
prône déjà une libre interprétation du Code Napoléon. J. BONNECASE, La Pensée juridique française
de 1804 à l’heure présente, Delmas, 1933. Ph. MALAURIE, Anthologie de la pensée juridique, Cujas,
2e éd., 2001, spéc. Vº Demolombe, p. 186-188.
(641) Charles-Antoine AUBRY et Frédéric-Charles RAU, Cours de droit civil français traduit de
l’allemand de M. C. S. Zachariæ revu et augmenté avec l’agrément de l’auteur, 1re éd., 5 vol.,
1839-1846. Ces « traducteurs » s’émanciperont vite du texte allemand original (celui du Handbuch
des französichen Civilrechts, en deux volumes, de Carl Salomon Zachariæ von Lingenthal, paru en
1808 à Heidelberg, dont Aubry et Rau traduisent la 4e éd. de 1837) pour faire de leur Cours de droit
civil français un traité original.
(642) Notamment à propos de leur théorie du patrimoine : « Le Code Napoléon n’a point consacré
de titre particulier aux généralités sur le patrimoine. Les principes que nous allons développer
[...] se trouvent disséminés dans ce Code » (Ch. AUBRY et Ch. RAU, op. cit., 3e éd., 1857, t. V, § 573,
p. 1, no 1). A. SÉRIAUX, « Heurs et malheurs de l’esprit de système : la théorie du patrimoine d’Aubry
et Rau », RRJ 2007, p. 89.
(643) Pour un panorama biographique des exégètes, professeurs ou praticiens, Ph. JESTAZ et
Ch. JAMIN, La doctrine, Dalloz, 2004, spéc. p. 73 s.
(644) E. GAUDEMET, L’interprétation du Code civil en France depuis 1804, Sirey, 1935, spéc. p. 26 :
« Nous savons que Proudhon (professeur à Dijon, mort en 1838, dont le traité sur l’usufruit fut la
grande réussite) lors de ses débuts en l’an V, excita par des déclarations spiritualistes faites au
cours d’une introduction philosophique à ses leçons des susceptibilités qui pouvaient devenir
dangereuses. On le prévint. Il répondit en affirmant plus haut ses convictions et s’imposa à ses
adversaires [...]. (Nous savons aussi que Toullier, mort en 1835, doyen de la Faculté de droit de
Rennes), en face des inspecteurs de Napoléon ou des censeurs de Louis XVIII, sut maintenir haute
et ferme sa volonté d’indépendance scientifique et n’hésita pas à encourir ainsi la suspension de
ses fonctions de doyen. Tous deux ont par là contribué à établir, dès les débuts de nos Facultés de
droit, cette tradition de dignité morale qui est plus précieuse qu’une doctrine juridique et qui fait
qu’aujourd’hui, après tant de progrès des méthodes, nous devons encore être fiers de nous dire
leurs héritiers ».
(645) Ph. RÉMY, « “La Thémis” et le droit naturel », Rev. hist. fac. dr. 1987, no 4, p. 145.
(646) J. POUMAREDE, « Défense et illustration de la coutume au temps de l’exégèse (Les débuts de
l’école française du droit historique) », in La coutume et la loi. Études d’un conflit, PU de Lyon,
1985, p. 95.
(647) Biblio. sélective : « Les revues juridiques du XXe au XXIe siècle », RTD civ. 2002, p. 643 et s.,
notamment Chr. JAMIN, p. 646 et J.-L. HALPÉRIN, p. 656 ; N. HAKIM, L’autorité de la doctrine civiliste
française au XIXe siècle, LGDJ, 2002 ; Paris, capitale juridique (1804-1950). Étude de socio-
histoire sur la Faculté de droit de Paris, dir. J.-L. Halpérin, éditions rue d’Ulm, 2011. Sur le rôle de
J.-E. Labbé (annotateur d’arrêts dans les revues) et de M. Planiol, v. infra, respectivement, nos 421
et 434.
(648) L’Interessenjurisprudenz est la « science des intérêts juridiquement protégés », incarnée par la
dernière œuvre de Ihering (R. von IHERING, L’évolution du droit [Der Zweck im Recht, 1892], trad.
O. de Meulenaere, 1901). Selon Ihering, les hommes poursuivent avant tout un intérêt propre et
égoïste ; ils s’allient entre eux par le commerce juridique, que l’État vient garantir par la contrainte ;
celle-ci (relevant du droit objectif) s’exerce par l’intermédiaire du juge, par le moyen d’un procès
visant à la défense des droits subjectifs ; la justice est donc judiciaire et contentieuse, et le juge un
arbitre de conflits d’intérêts. Sur Ihering en général, v. supra, no 133.
(649) V. supra, no 133.
(650) Le Freirechtslehre ou « mouvement du droit libre » était représenté par Ehrlich (Freie
Rechtsfindung und freie Rechtswissenschaft, 1903), Stampe (Freirechtsbewegung, 1911) et
Kantorowicz (Der Kampf um die Rechtswissenschaft, Le combat pour la science du droit, 1906).
Pour le Freirechtslehre, la logique formelle, rationnelle et déductive (cultivée par la
Begriffsjurisprudenz depuis Puchta. V. supra, no 133), est une fiction. Lorsque la loi produit un effet
néfaste (Massenkalamität, une calamité générale, écrit Stampe), le juge est libre de l’ignorer et de la
modifier en recourant à des concepts issus de l’histoire, de l’économie ou des sciences sociales
(psychologie, sociologie). Gény s’inscrit dans cette ligne mais sans lancer un appel aussi radical à la
désobéissance à la loi (v. ci-après).
(651) M. VILLEY, Philosophie du droit, Dalloz, t. I, 4e éd., 1986 (rééd. 2001), no 224.
(652) V. infra, no 390.
(653) V. infra, no 286 et la note. Les réalistes les plus connus furent B. N. Cardozo, L. D. Brandeis,
F. Frankfurter, K. N. Leewellyn ou Jerome Frank. Cf. F. MICHAUT, Vo « États-Unis (Grands courants de
la pensée juridique américaine contemporaine) », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-
PUF, 2003, p. 661 s.
(654) Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en doit privé positif. Essai critique, préf.
R. Saleilles, 1re éd., 1899 (2e éd., 1954, réédition LGDJ, 1996), spéc. no 183, p. 221 ; du même
auteur, Science et technique en droit privé positif. Nouvelle contribution à la critique de la
méthode juridique, LGDJ, 1922-1924. Adde N. DISSAUX, « L’influence de Bergson sur les idées du
doyen Gény », RTD civ. 2008, p. 417. Gény (1861-1959) est contemporain – et non réellement
disciple – de Bergson (1859-1941) dont le concept d’« intuition » a seulement conforté la distinction
du civiliste entre le « donné » et le « construit » (v. supra, no 37).
(655) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, 1re éd., 1900-1901 (G. Ripert collabora aux
10e et 11e éd. puis refondit le Traité avec J. Boulanger). L’ouvrage marque, avec celui de Gény, la
naissance de la doctrine moderne. Adde Ph. RÉMY, « Planiol : un civiliste à la Belle Époque », RTD
civ. 2002, p. 31. Civiliste, historien, libéral, passeur des solutions du BGB, Planiol est un partisan de
la codification conçue comme un outil pratique et un positiviste. Il réconcilie l’École et le Palais
(v. infra, no 434).
(656) A. ESMEIN, « La jurisprudence et la doctrine », RTD civ. 1902, p. 5.
(657) Dans sa préface à la Méthode [...] de Gény, Saleilles (1855-1912) marque sa différence : « Je
ne saurais mieux finir que par cette forte devise, inspirée d’un mot analogue d’Ihering, et autour
de laquelle converge, qu’enveloppe ou que développe, comme l’on préfère, tout le livre de
M. Gény. Par le Code civil, mais au-delà du Code civil. Je serais de ceux peut-être qui en eussent
volontiers retourné les termes : au-delà du Code civil mais par le Code civil ». Adde R. SALEILLES,
« École historique et droit naturel d’après quelques ouvrages récents », RTD civ. 1902, p. 80
(commentant les ouvrages de Stammler, Gény, Duguit et Savigny) ; M. XIFARAS, « La veritas juris
selon Raymond Saleilles. Remarques sur un projet de restauration du juridisme », Droits 2008, nº 47,
p. 77.
(658) R. Demogue (1872-1938) et H. Capitant (1865-1937) seront animés par ce même souci
d’étudier le droit vivant, au plus près des réalités pratiques, sociales et économiques, notamment au
travers de la jurisprudence. Capitant cultive davantage l’esprit de système (comme le ferait un
exégète) tandis que Demogue cède aux attraits du « solidarisme » (Chr. JAMIN, « Henri Capitant et
René Demogue : notation sur l’actualité d’un dialogue doctrinal », Mélanges F. Terré, L’avenir du
droit, Dalloz, 1999, p. 125 ; du même auteur, « Le rendez-vous manqué des civilistes français avec le
réalisme juridique », Droits 2010, no 51, p. 137, sur R. Saleilles, R. Demogue et G. Ripert). Adde
N. OLSZAK, « L’utilisation politique du droit des obligations dans la pensée de la belle époque », RRJ
1995, p. 31 (solidarisme d’A. Fouillée et de L. Bourgeois ; socialisme juridique d’E. Lévy).
(659) Le renouveau de la doctrine française. Les grands auteurs de la pensée juridique au
tournant du XXe siècle, Dalloz, 2009 (sur H. Capitant, Fr. Gény, H. Lévy-Ullmann, P. Pic, E.-E.
Thaller, H. Berthélémy, L. Duguit, A. Esmein, M. Hauriou et L. Michoud). – Ph. MALAURIE,
Anthologie de la pensée juridique, Cujas, 2e éd., 2001.
(660) D. HALÉVY, La fin des notables, t. II, La république des ducs, Grasset, 1937, p. 370 : « On
peut dire, en termes sommaires, qu’à travers les régimes divers des trois premiers quarts du
XIX e siècle, le noble avait gardé son rang au village, comme il avait gardé, comme il gardera
longtemps encore, sa place à l’église : la première, au fréquent dépit du meilleur bourgeois, qui
n’avait droit qu’à la deuxième. Nous avons dit : le noble ; nous dirons aussi bien : le notable, car
le possesseur du château acquerrait, par usage, le droit à occuper la place [...]. La révolution des
mairies (résultant des élections de 1874) affecte le tissu même de la société, elle atteint et change
les mœurs. De ce changement donnons un signe. Il y a cinquante ans, dans toutes les campagnes,
le paysan saluait le notable. Où est gardée la tradition de ce que Montaigne appelait la
“bonnetade” ? Aujourd’hui, lorsque le notable croise le paysan, il arrive que sa main hésite et que
le paysan s’amuse à le faire saluer d’abord ».
(661) V. infra, no 374.
(662) R. CABRILLAC et J.-B. SEUBE, « Pitié pour le Code civil ! », D. 2003, chr. 1058.
(663) G. TARDE, Les transformations du droit. Étude sociologique, 1893, Berg International, 1994.
(664) Sur cette période de la jurisprudence de la Cour de cassation, v. infra, no 412.
(665) Biblio. sélective sur les codifications : R. CABRILLAC, Les codifications, PUF, coll. Droit,
éthique et société, 2002. La codification et l’évolution du droit, XVIIIe Congrès de l’institut
international de Droit d’expression française, Revue juridique et politique. Indépendance et
Coopération 1986 (v. not. le rapport historique de J. GAUDEMET, p. 239, repris dans : Sociologie
historique du droit, PUF, 2000, p. 121). A. VIANDIER, Recherches de légistique comparée, Springer-
Verlag, 1988, p. 35 et s. B. OPPETIT, Essai sur la codification, PUF, 1998. La codification, Droits
1996, no 24, Droits 1997, no 26 et Droits 1998, no 27 ; Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré ?,
Mélanges offerts à J. Vanderlinden, Bruylant, 2004 (sur des expériences étrangères) ; Qu’en est-il
de la simplification du droit ?, Presses de l’université de Toulouse 1 Capitole, 2010 (not. sur la
codification à droit constant, P. DEUMIER, p. 53).
(666) G. CORNU, « La refonte dans le Code civil français du droit des personnes et de la famille », in
La codification et l’évolution du droit, op. cit., p. 674.
(667) R. SAVATIER, « L’inflation législative et l’indigestion du corps social », D. 1977, chr. 43, qui
dénonce la complexité croissante des lois, l’invasion des règlements, le désordre des lois de
procédure, la prolifération du droit social et du droit fiscal, l’instabilité de la législation
économique... J. CARBONNIER, « L’inflation des lois », in Essais sur les lois, Defrénois, 1979, p. 271 ;
La loi, Revue Pouvoirs, no 114, 2005. Sur la dénonciation de l’excès de lois tout au long de
l’histoire, v. infra, no 261.
(668) B. OPPETIT, « La décodification du droit commercial », Études R. Rodière, Dalloz, 1981,
p. 197 ; du même auteur, « L’expérience française de codification en matière commerciale », D. 1990,
chr. 1 ; F. TERRÉ et A. OUTIN-ADAM, « Codifier est un art difficile (à propos d’un Code de
commerce) », D. 1994, chr. 99.
(669) B. OPPETIT, art. cit.
(670) Ph. RÉMY, « Regards sur le Code », in Le Code civil 1804-2004. Livre du bicentenaire,
Dalloz, Litec, 2004, p. 99.
(671) Sur la politique administrative et législative de « simplification » du droit : M. GAST-MEYER,
« La simplification du droit », RRJ 2005, p. 1183.
(672) H. MOYSAN, « À propos de l’inflation des chiffres mesurant l’inflation des lois », D. 2007, chr.,
3029 (le Conseil d’État a multiplié par 6 le nombre de lois et règlements dans son rapport public
2006 et évalué le nombre de codes à 59 seulement !).
(673) R. CABRILLAC, Les codifications, PUF, 2002, p. 308 : « "Ah, ma pauvre dame, les codes ne sont
plus ce qu’ils étaient ! Il est loin le bon vieux temps du Code civil de 1804", pourrait-on entendre
au café du commerce de la doctrine ».
(674) J.-L. SOURIOUX, « Codification et autres formes de systématisation du droit à l’époque
actuelle », Journées de la Société de législation comparée, 1988, p. 145, spéc. p. 154 (in Écrits du
prof. J.-L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 247). Adde J. MOREAU et Fr. TERRÉ, « La simplification du
droit », Études offertes à J. Béguin, Litec, 2005, p. 533, dénonçant le « mythe » et le « slogan » de la
simplification du droit.
(675) V. supra, no 123.
(676) Sur cette constante recherche d’unité et ce besoin éternel de sécurité juridique dans l’histoire
du droit et celle de la codification, v. supra, nos 73 et s. Adde R. CABRILLAC, Les codifications, PUF,
2002.
(677) Rapport du Conseil d’État, L’influence internationale du droit français, Doc. fr., 2001, p. 104
(disponible sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr).
(678) V. infra, no 142.
(679) Sur cette controverse, N. MOLFESSIS, « Le Code civil et le pullulement des codes », in 1804-
2004. Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 309.
(680) À l’exception du Code de justice militaire (L. 8 juill. 1965), du Code du service national
(L. 10 juin 1971), du Code de la nationalité (L. 9 janv. 1973).
(681) La partie législative d’une vingtaine de codes fut ainsi validée par le législateur (ex. : la
L. no 58-346 du 3 avril 1958 valide une série de codes, dont le Code rural, né du D. 16 avr. 1955, et
le Code de la famille et de l’aide sociale, né du D. 24 janv. 1956 ; le Code des tribunaux
administratifs, né du D. 13 juill. 1973, fut validé par la L. 16 juin 1976 ; le Code de la Sécurité
sociale, né d’un décret de 1985, fut validé par la L. 30 juill. 1987...).
(682) Par ex., le juge pénal décida que le décret du 15 sept. 1981 portant codification du Livre des
procédures fiscales avait irrégulièrement transféré dans ce code (LPF, art. L. 47) des dispositions
législatives du Code général des impôts sur le contrôle fiscal inopiné (Cass. crim., 23 janv. 1989,
Bull. crim., no 25, précisant ensuite que la loi de validation du 29 déc. 1982 ne rétroagissait pas
avant l’entrée en vigueur dudit décret). Le Conseil d’État rencontra souvent ce type de difficultés, à
propos du Code des communes ou du CGI (cf. R. CHAPUS, Droit administratif général,
Montchrestien, t. I, 15e éd., 2001, no 111-1o).
(683) Le Code rural a connu les trois méthodes de codification : ses Livres II, IV et V, d’origine
réglementaire (1980), furent validés par la L. 15 avril 1991 ; ses Livres I, III, VI et VIII furent
adoptés directement par le Parlement entre 1992 et 1998 ; ses Livres VII et IX résultent d’une
ordonnance du 15 juin 2000 (v. infra, no 142).
(684) Ex. : Codes de déontologie médicale (quatre se sont succédé : D. 27 juin 1947, D. 28 nov.
1955, D. 28 juin 1979, D. 6 sept. 1995), des chirurgiens-dentistes (D. 22 juill. 1967 in C. santé publ.,
art. R. 4127-201 s.), des sages-femmes (D. 30 sept. 1949), des vétérinaires, des architectes, de la
police nationale (D. 18 mars 1986).
(685) G. CORNU, « L’élaboration du Code de procédure civile », Rev. hist. fac. dr. 1995, p. 241.
(686) Ex. : CE, Ass., 4 févr. 1966, JCP G, 1966.II.14610 ; AJDA, 1966, p. 420 : « Le Code de
l’administration communale [...] qui n’a pas été validé (par la loi), n’a pu ni abroger, ni modifier
au fond aucune des dispositions législatives en vigueur au moment de son intervention ».
(687) 1er ex. : CE, Ass., 12 oct. 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, D. 1979,
606, n. A. Bénabent ; JCP G, 1980, II, 19288, concl. M. Franc, n. J. Boré ; Gaz. Pal. 1980.I.6, n. P.
Julien ; RTD civ. 1980, p. 145, obs. J. Normand ; AJDA 1980, p. 248, n. C. Debouy. Saisi d’un
recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’art. 33 D. 5 déc. 1975, qui avait restreint le champ de
l’art. 16 C. pr. civ., le Conseil d’État annula ce premier texte en affirmant que le pouvoir du juge de
relever d’office des moyens de droit (soustrait par ce décret au respect du contradictoire prévu par
l’art. 16) devait « s’exercer dans le respect des principes généraux du droit », notamment du
principe du caractère contradictoire de la procédure. 2e ex. : CE, Ass., 4 oct. 1974, Dame David,
Rec. CE, p. 464, concl. Gentot ; D. 1975, 369, n. J.-M. Auby ; JCP G, 1975, II, 17967, n. R. Drago :
« La publicité des débats judiciaires est un principe général du droit ; il n’appartient, dès lors,
qu’au législateur d’en déterminer, d’en étendre ou d’en restreindre les limites » (annulation de
l’art. 83 D. 20 juill. 1972 restreignant la publicité des débats, dont la teneur dut donc être reprise par
la L. 9 juill. 1975 – modif. l’art. 11, al. 3, L. 5 juill. 1972).
(688) V. à cet égard la circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et
réglementaires (JO 5 juin 1996, p. 8263 et obs. Chr. Jamin in RTD civ. 1996, p. 732).
(689) CE, 2 avr. 2003, Dr. adm. 8-9/03, comm. 163 (absence du décret d’application prévu par
l’ordonnance).
(690) Cons. const., 23 janv. 1987, décis. no 86-224, Loi transférant à la juridiction judiciaire le
contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, consid. 24 ; Trib. conflits, 19 mars 2007,
RJS 2007, no 645.
(691) CE, 27 mai 2002, D. Aff. 2002, 2188 ; RTD civ. 2002, p. 592, obs. N. Molfessis.
(692) Y. GAUDEMET, « Sur l’abus ou sur quelques abus de la législation déléguée », in La confection
de la loi, PUF, 2005, p. 157 (v. aussi in Mélanges P. Pactet, Dalloz, 2003, p. 617). La législation
déléguée (dir. Ph. Lauvau et J. Massot), Soc. de législation comparée, 2014. Le Conseil
constitutionnel considère que « l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement
peut invoquer pour recourir » à l’art. 38 Const. et qu'en l'espèce, « l'encombrement de l'ordre du
jour parlementaire » l’empêche de réaliser son programme de codification dans des délais
raisonnables (Cons. const., 26 juin 2003, décis. no 2003-473 DC, Rec., p. 382).
(693) Ex. : ord. no 2005-759, 4 juill. 2005, portant réforme de la filiation ; ord. no 2006-346, 23 mars
2006, relative aux sûretés ; ord. nº 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du
régime général des obligations et de la preuve des obligations.
(694) Ex. : ord. no 2003-1235, 22 déc. 2003 supprimant le droit de timbre devant les juridictions
administratives ; ord. nº 2016-520, 28 avr. 2016 relative aux bons de caisse.
(695) Tel est le cas des contraventions de police existantes en toutes matières qui, depuis le nouveau
Code pénal, ressortissent à la compétence du règlement. Sur l’ensemble de ces difficultés, v. A.
LIENHARD et C. RONDEY, « Incidences juridiques et pratiques des codifications à droit constant »,
D. aff. 2000, chr. 521.
(696) L. no 99-1071 du 16 déc. 1999 « portant habilitation du gouvernement à procéder, par
ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes ». Cette formule fut reprise et
pérennisée par l’art. 3 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 « relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations » : « La codification législative rassemble et classe dans
des codes thématiques l’ensemble des lois en vigueur à la date d’adoption de ces codes. Cette
codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications nécessaires pour améliorer la
cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, assurer le respect de la hiérarchie des normes et
harmoniser l’état du droit ».
(697) CE, 13 juill. 2006, Dr. adm. 2006, comm. 161 : la loi d’habilitation qui autorise le
gouvernement à abroger des dispositions devenues sans objet ne l’autorise pas à abroger des
dispositions législatives pour les mettre en conformité avec la hiérarchie des normes (not. des
dispositions de forme législative adoptées sur une matière réglementaire).
(698) Cons. const., 16 déc. 1999, décis. no 99-421 DC, JO 22 déc. 1999, p. 19041. obs.
N. Molfessis, RTD civ. 2000, p. 186.
(699) Ord. no 2000-387 du 4 mai 2000, ratifiée par l’art. 31 L. no 2003-591 du 2 juill. 2003.
(700) Ord. no 2000-548 du 15 juin 2000. Il compte environ 2 300 articles. Pour la partie
réglementaire : D. no 2003-461 et no 2003-462, 21 mai 2003 et D. no 2004-802, 29 juill. 2004.
(701) Ord. no 2000-549 du 15 juin 2000 (ratifiée par la L. no 2003-339, 14 avr. 2003) ; D. no 2004-
702 et no 2004-733, 13 juill. 2004.
(702) Ord. no 2000-550 du 15 juin 2000. En réalité, seuls les livres VII et IX ont été adoptés ; les
livres Ier, III et VI ont seulement fait l’objet d’une « mise à jour » conformément à la L. 16 déc. 1999.
Trois livres datent de la L. 15 avril 1991 et quatre autres furent adoptés entre 1992 et 1998.
(703) Ord. no 2000-912 du 18 sept. 2000, ratifiée par l’art. 50 L. no 2003-7 du 3 janv. 2003 (loi
corrigeant en outre 54 bévues de rédaction dans les textes de ce code). Il a fallu attendre sept années
pour que le Code de commerce reçoive sa nouvelle partie réglementaire (D. no 2007-431, 25 mars
2007, qui abroge 90 décrets et 3 lois anciennes).
(704) Ord. no 2000-914 du 18 sept. 2000 (ratifiée par l’art. 31 L. no 2003-591 du 2 juill. 2003). Il
compte environ 975 articles (outre la partie réglementaire : D. no 2005-491, 18 mai 2005 ;
D. no 2005-935, 2 août 2005).
(705) Ord. no 2000-930 du 22 sept. 2000. Il compte 163 articles.
(706) Ord. no 2000-1223 du 14 déc. 2000 (ratifiée par l’art. 31 L. no 2003-591 du 2 juill. 2003) ;
D. no 2005-1007, 2 août 2005.
(707) Ord. no 2000-1249 du 21 déc. 2000. Pour la partie réglementaire : D. no 2004-1136 et no 2004-
1137, 21 oct. 2004 codifiant quelque 175 décrets. Il remplace l’ancien Code de la famille et de l’aide
sociale.
(708) Non sans commettre quelques bévues involontaires. Devinrent ainsi caducs (abrogés mais non
repris, par erreur, dans le nouveau code) l’art. 631 anc. C. com. (fondant la compétence matérielle
des tribunaux de commerce ! V. infra, no 159, en note) et l’art. R. 47, al. 1er, C. trib. (affirmant le
caractère d’ordre public de la compétence territoriale des tribunaux administratifs). Ensuite, certains
textes ont été « oubliés » (ni codifiés ni abrogés), telle la L. 23 juin 1989 sur le courtage matrimonial
qui aurait déjà dû trouver place dans le Code de la consommation. Enfin, des déplacements
intempestifs sont intervenus (ex. : le délit d’usure, réprimé de façon générale par la L. 28 déc. 1966,
s’est trouvé enfermé dans une partie du C. consom. applicable aux seuls prêts consentis à des non-
professionnels).
(709) Trois exemples figurent dans le Code de commerce. 1er ex. : est abrogé et non repris l’art. 194
L. 25 janv. 1985 que le Conseil constitutionnel (Cons. const., 15 mars 1999, décis. no 99-410 DC, réf.
complètes in D. 2000, som. p. 199) avait déclaré contraire à la Constitution mais sans pouvoir le
censurer (le texte étant en vigueur depuis 1986). 2e ex. : l’art. L. 463-7 C. com. exclut la présence des
rapporteurs au délibéré de l’Autorité de la concurrence, conformément à la jurisprudence de la Cour
de cassation fondée sur l’art. 6, § 1, CEDH (Ass. plén., 5 févr. 1999, JCP G, 1999.II.10061 ;
Cass. com., 5 oct. 1999, JCP G, 2000, II, 10255). 3e ex. : l’art. L. 627-1 « ressuscite » l’art. 173
D. 27 déc. 1985 que le Conseil d’État avait déclaré illégal par voie d’exception au motif que cette
disposition (édictant une insaisissabilité des sommes déposées à la Caisse des dépôts et
consignations dans le cadre d’une procédure collective) ressortissait à la compétence du législateur
selon l’art. 34 de la Constitution (CE, 9 févr. 2000, JCP G, 2000.II.10314) ; cette déclaration
d’illégalité n’ayant pas retiré le texte de l’« ordonnancement juridique », sa codification pouvait
intervenir afin d’assurer le respect de la hiérarchie des normes (CE, 27 mai 2002, D. Aff. 2002,
2188).
(710) Ex. : dans le Code de la route, les peines complémentaires ont été harmonisées avec celles du
Code pénal.
(711) Ex. : dans le Code de commerce, les termes « faillite » et « banque » sont remplacés par leur
équivalent moderne (« redressement ou liquidation judiciaires » et « établissement de crédit ») et
les infractions pénales sont rédigées selon le style et d’après les principes généraux du nouveau Code
pénal ; dans le Code de l’action sociale et des familles, furent abrogées des « dispositions mineures
qui n’étaient à l’évidence pas indispensables à la claire exposition du droit » (euphémisme !),
ayant « épuisé leurs effets juridiques » ou qui « figurent selon des rédactions identiques ou plus
actuelles dans d’autres codes » (Rapport au Président de la République, JO 23 déc. 2000,
p. 20467).
(712) Ord. no 2004-178, 20 févr. 2004 (partie législative) ; D. no 2011-573 et no 2011-574, 24 mai
2011 (partie réglementaire).
(713) Ord. no 2004-545, 11 juin 2004.
(714) Ord. no 2004-1391, 20 déc. 2004.
(715) Ord. no 2004-1374, 20 déc. 2004 (partie législative) ; D. no 2011-280, 16 mars 2011 (partie
réglementaire).
(716) Ord. no 2006-673, 8 juin 2006 (partie législative) ; D. no 2008-522, 2 juin 2008 (partie
réglementaire).
(717) Ord. no 2004-1248, 24 nov. 2004 (prise en vertu de la L. no 2003-1119, 26 nov. 2003, art. 92).
(718) Ord. no 2006-460, 21 avr. 2006 (prise en vertu de la L. no 2005-842, 26 juill. 2005, art. 48)
(partie législative) ; D. no 2011-1612, 22 nov. 2011 (partie réglementaire).
(719) Ord. no 2006-460, 1er juin 2006 (prise en vertu de la L. no 2004-1343, 9 déc. 2004) (partie
législative) ; D. no 2007-759, 10 mai 2007 (partie réglementaire). Pour une erreur de codification due
à une abrogation intempestive, cf. B. BOULOC, D. 2008, chr., 1490.
(720) Ord. no 2009-901, 24 juill. 2009 (prise en vertu de la L. no 2009-258, 5 mars 2009, art. 71).
(721) Ord. no 2010-1307, 28 oct. 2010 (prise en vertu de la L. no 2009-526, 12 mai 2009, art. 92),
mod. ord. no 2011-204, 24 févr. 2011 ; D. no 2014-530, 22 mai 2014 (partie réglementaire). La
correction par une seconde ordonnance a été possible car le délai imparti par la loi d’habilitation
n’était pas expiré. La loi du 12 mai 2009 ratifie par ailleurs 52 ordonnances.
(722) Ord. no 2011-91, 20 janv. 2011 (prise en vertu de la L. no 2009-526, 12 mai 2009, art. 92).
(723) Ord. no 2011-504, 9 mai 2011 (prise en vertu de la L. no 2009-526, 12 mai 2009, art. 92).
(724) Ord. no 2011-1895, 19 déc. 2011 (prise en vertu de la L. no 2010-1609, 22 déc. 2010, art. 7) ;
D. no 2012-783, 30 mai 2012 (partie réglementaire).
(725) Ord. no 2012-92, 26 janv. 2012 (prise en vertu de la L. no 2010-874, 27 juill. 2010, art. 69).
(726) Ord. no 2012-351, 12 mars 2012 (prise en vertu de la L. no 2011-267, 14 mars 2011, art. 102) ;
D. nº 2013-1112 et 1113, 4 déc. 2013 (partie réglementaire).
(727) Ord. no 2015-1341, 22 oct. 2015 (prise en vertu de la L. no 2013-1005, 12 nov. 2013, art. 3).
(728) L. no 2008-67, 21 janv. 2008 ratifiant l’ord. no 2007-329 du 12 mars 2007 prise en vertu de la
loi d’habilitation no 2004-1343, 9 déc. 2004 (prorogée par la L. no 2006-1770, 30 déc. 2006). La
partie réglementaire est issue du D. no 2008-244, 7 mars 2008 (dont une centaine d’articles furent
rectifiés par le D. no 2009-289, 13 mars 2009).
(729) B. TEYSSIÉ, « La recodification du droit du travail français : le bal des illusions », Études
B. Oppetit, Litec, 2009, p. 629.
(730) Cité infra, no 279 (v. spéc. Fiche 1.4.2. sur la codification).
(731) Cons. const., 17 janv. 2008, décis. no 2007-561 DC.
(732) Pour une liste, cf. H. MOYSAN, D. 2007, chr., 3029, Annexe 3. L’auteur donne une liste des
codes formellement en vigueur au 1er juillet 2007 et la liste de ceux pour lesquels l’hésitation est
permise (Code du blé, Code de la famille, Code de l’enseignement catholique).
(733) Pour un bilan, « Codification : Bilan et perspectives », JCP G, Supplément au no 7, 13 févr.
2012.
(734) Ord. nº 2016-301, 14 mars 2016.
(735) Cass. crim., 16 oct. 1996, cité à la note suivante.
(736) Cass. crim., 16 oct. 1996, Bull. crim., no 367 ; Dr. pén. 1997, comm. 47 : « les arrêtés ou
règlements légalement pris par l’autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les
fait survivre aux lois dont ils procèdent, tant qu’ils n’ont pas été rapportés ou qu’ils ne sont pas
devenus inconciliables avec les règles fixées par une législation postérieure » (à propos du
transfert dans le Code de la consommation de certains délits réprimés auparavant par des lois
éparses ; un prévenu ne saurait tirer profit de l’abrogation – rétroactive en matière pénale – de ces
lois codifiées ni invoquer à leur endroit l’absence de textes d’application). Sur cette solution, v. aussi
infra, nos 280 et 301 (lois rétroactives).
(737) Cass. soc., 27 janv. 2010, RJS 4/10, no 322.
(738) Cass. soc., 22 mai 1975, Bull. civ. V, no 268 : « le décret du 15 novembre 1973 qui n’était
qu’une œuvre de codification des textes antérieurs n’avait pas eu pour objet de modifier les
dispositions contenues dans ceux-ci et, par suite, la substitution de la conjonction “ou” à la
conjonction “et” [...] était dépourvue de conséquence ». – Cass. soc., 3 juin 1977, Bull. civ. V,
no 374 : « la codification n’a pas modifié la réglementation en vigueur ». Ce dernier propos est
remarquable en ce qu’il semble considérer que l’œuvre de « codification » (tout court) est, par
nature, une compilation à droit constant.
(739) P. MORVAN, « Le Code du travail a-t-il été refait à droit constant ? », in Nouveau Code du
travail, Semaine sociale Lamy Supplément 24 déc. 2010, no 1472, p. 34.
(740) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 262 : « La justice est la première dette de la
souveraineté ».
(741) Biblio. : S. GUINCHARD, A. VARINARD et Th. DEBARD, Institutions juridictionnelles, Dalloz,
13e éd., 2015.
(742) Jean FOYER, « La justice : un pouvoir refusé », Pouvoirs 1981, no 16, p. 17, spéc. p. 22 : « Le
corps judiciaire, dans le système napoléonien, a l’aspect d’un corps militaire. [...] ».
(743) M.-L. GUINAMANT, « Les juridictions du XXIe siècle : plaidoyer en faveur d’un ordre
juridictionnel unique », JCP G, 2014, Libres propos, 87.
(744) Aucun texte n’a fondé la compétence d’attribution des tribunaux de commerce pendant dix
années, alors qu’il s’agit de la plus ancienne des juridictions françaises (créée par un édit de Charles
IX en 1563, elle fut la seule que le législateur révolutionnaire conserva dans la loi des 16-24 août
1790). L’ord. 18 sept. 2000 relative à la partie législative du nouveau Code de commerce avait
abrogé l’art. 631 anc. C. com. sans qu’il fût repris dans le nouveau code. La bévue serait, en réalité,
imputable à la L. 17 déc. 1991 modifiant le Code de l’organisation judiciaire qui, par un renvoi
maladroit, aurait abrogé l’art. 631 (cf. Th. Le BARS, JCP G, 2000, Actualités p. 2163). La L. 15 mai
2001 est venue rétablir la compétence matérielle de ces juridictions et valider rétroactivement les
décisions rendues (C. com., art. L. 411-4 et s.).
(745) V., en droit administratif, depuis la L. no 2000-597 du 30 juin 2000 : C. just. adm., art. L. 521-1
(référé suspensif « lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer [...]
un doute sérieux quant à la légalité de la décision »), L. 521-2 (le juge des référés ordonne « toutes
mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale [...] ») et L. 521-3 (référé
conservatoire « en cas d’urgence [...] même en l’absence de décision préalable »). Sont juges des
référés les présidents des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel et de la section
du contentieux du Conseil d’État (C. just. adm., art. L. 511-2).
(746) L’appel circulaire des arrêts de condamnation de cours d’assises ainsi que le « juge des
libertés et de la détention » sont des créations de la L. no 2000-516, 15 juin 2000.
(747) Règl. 28 juin 1738, Tit. 4, al. 1 : « Les demandes en cassation d’arrêts ou de jugements
rendus en dernier ressort seront formées par une requête en forme de vu d’arrêt, qui contiendra
les moyens de cassation ». Adde DENISART, Collection des décisions nouvelles, 7e éd., 1771,
vo Cassation, p. 293 : « Le roi peut seul casser les arrêts des cours souveraines parce que dans sa
personne réside la plénitude de la justice et que les magistrats ne tiennent que de lui le pouvoir de
la rendre à ses sujets. [...] (La cassation) est une voie extraordinaire à laquelle on ne doit avoir
recours qu’après avoir épuisé toutes les autres » (v. aussi infra, no 179).
(748) J.-L. HALPÉRIN, Le Tribunal de cassation et les pouvoirs sous la Révolution (1790-1799),
LGDJ, 1987. Le Tribunal conquit son indépendance, non sans plusieurs crises, pendant la période
révolutionnaire.
(749) Sén.-cons. du 28 floréal an XII (18 mai 1804), art. 36 (Sénatus-consulte organique de la
Constitution du premier empire).
(750) Sur les cours suprêmes d’autres pays, v. RID comp. 1978, p. 482 et 1979, p. 509.
(751) C. org. jud., art. L. 411-1.
(752) Commission nationale de réparation des détentions et Commission de révision des
condamnations pénales.
(753) Sur ces divergences, que la possibilité de constituer des chambres mixtes ou des Assemblées
plénières n’a pas permis de résorber, v. infra, no 401.
(754) V. infra, no 179.
(755) C. org. jud., art. L. 411-3 : la cassation est prononcée sans renvoi lorsqu’il n’y a plus rien à
juger sur le fond ou lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés par les juges du
fond, permettent à la Cour régulatrice d’appliquer la règle de droit appropriée. L’essor de la
cassation sans renvoi favorise une dérive de la mission légale de la Cour du droit vers le fait
(v. infra, no 179).
(756) C. org. jud., art. L. 431-4. Au contraire, « lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en
cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur cette affaire » (C. just. adm., art. L. 821-2,
al. 2).
(757) Sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation, dont la réfonte a été envisagée en 2015,
v. infra, nº 407.
(758) D. TRICOT (ancien président de la chambre commerciale), « L’élaboration d’un arrêt de la Cour
de cassation », JCP G, 2004.I.108.
(759) Sur le filtrage des pourvois, v. infra, no 175.
(760) Ancien art. L. 151-1, issu de la L. no 91-491 du 15 mai 1991. La loi du 6 août 2015 permet, en
outre, de saisir la Cour de cassation pour un avis sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord
collectif de travail.
(761) Cass. avis, 8 janv. 2016, D. 2016, Act., 133, obs. P. Deumier.
(762) C. pr. pén., art. 706-55 et s. (issus de la L. organique no 2001-539 du 25 juin 2001).
(763) Sur les avis en droit, v. infra, nº 358.
(764) http://www.courdecassation.fr (dans la rubrique « Avis »).
(765) Sur ces « avis spontanés », v. infra, no 436.
(766) L. 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, Titre II, art. 13 : « Les fonctions judiciaires
sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne
pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps
administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».
(767) Décret du 16 fructidor an III : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des
actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».
(768) MONTESQUIEU, De l’esprit des lois (1748), L. XI, Chap. 6 : « Il n’y a point encore de Liberté si
la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. [...] Tout
serait perdu si le même homme ou le même Corps des Principaux, ou des Nobles, ou du Peuple,
exerçaient ces trois pouvoirs, celui de faire des Lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et
celui de juger les crimes ou les différends des particuliers ».
(769) Constitution du 22 frimaire an VIII (15 déc. 1799), Tit. IV, art. 52 : « Sous la direction des
Consuls, un Conseil d’État est chargé de rédiger les projets de lois et les règlements
d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ».
La loi du 24 mai 1872 (art. 9) concède au Conseil d’État le pouvoir officiel de statuer
« souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative » sans qu’il doive se
borner à proposer une solution aux ministres compétents, marquant ainsi le passage d’une « justice
retenue » (par le gouvernement) à une « justice déléguée » (au juge administratif).
(770) Le principe de la séparation des pouvoirs interdit à l’autorité administrative d’empiéter sur les
compétences de l’autorité judiciaire (CE, 11 déc. 1942, Champsavoir, Rec. CE, p. 344 ; CE, 26 janv.
1944, Fisselier, Rec. CE, p. 29) et fonde l’existence de deux ordres de juridictions dont les
compétences respectives ne peuvent être modifiées que par la loi (CE, 30 mars 1962, Association
nationale de la meunerie, D. 1962, 630 et S., 1962, 178, concl. M. Bernard ; CE, 27 avr. 1981, SA
Les fils de Jules Bianco, Rec. CE, p. 504). Le Conseil constitutionnel a, à son tour, affirmé que si le
« principe de séparation des autorités administratives et judiciaires » n’a pas valeur
constitutionnelle, il existe en revanche un « principe fondamental reconnu par les lois de la
République » fondant l’existence et la compétence exclusive d’une juridiction administrative aux
côtés de la juridiction judiciaire (Cons. const., 23 janv. 1987, Transfert du contentieux du Conseil
de la concurrence, décis. no 86-224 DC, D. 1988, 117, note F. Luchaire ; JCP G, 1987.II.20854, note
J.-F. Sestier et I, 3200, chron. R. Drago ; RDP 1987, p. 1341, note Y. Gaudemet).
(771) Créés par la L. 11 juill. 1953 et le D. 30 sept. 1953 pour remplacer les anciens « Conseils de
préfecture » (L. 28 pluviôse an VIII) et soulager le Conseil d’État d’une partie des recours
contentieux qui l’engorgeaient.
(772) Créées par la loi du 31 déc. 1987, à nouveau pour désengorger le Conseil d’État.
(773) V. infra, no 179.
(774) C. just. adm., art. L. 113-1. Cette procédure, issue de la L. no 87-1127 du 31 déc. 1987
(art. 12), fut étendue à la Cour de cassation par la L. no 91-491 du 15 mai 1991 (v. supra, no 144).
(775) Ex. : Conseil supérieur de la magistrature, Commission bancaire. La plupart comportent deux
degrés de juridiction, l’un régional, l’autre national. Ex., dans l’ordre national : Conseil supérieur de
l’Éducation nationale, Conseil national de l’ordre des médecins (section disciplinaire ou section des
assurances sociales), Chambre nationale de discipline des architectes ou des commissaires aux
comptes, etc.
(776) Ex. : Commission centrale d’aide sociale, Commission de recours de l’OFPRA (réfugiés),
Cours régionales des pensions militaires d’invalidité, Conseil des prises (D. 9 mai 1859, en matière
maritime, dernier vestige de justice retenue), etc.
(777) Biblio. sélective : TAHC, t. XVIII, « Nul ne peut se faire justice à soi-même ». Le principe
et ses limites, 1966, Dalloz, 1969 ; D. ALLAND, Vo « Justice privée (Droit de se faire justice à soi-
même) », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 907 (paru in Droits 2001,
no 34, p. 73) ; Faire justice soi-même. Études sur la vengeance, PU de Rennes, 2010 ; La
vengeance, éd. Panthéon-Assas, 2011.
(778) D. ALLAND, Justice privée et ordre juridique international, Pedone, 1994.
(779) V. supra, no 5.
(780) G. M. LABRIOLA, « Jean Barbeyrac et la théorie du droit de résistance », Droits 2001, no 34,
p. 131 (sur Grotius, Pufendorf et leur traducteur-annotateur français qui, lui, était influencé par
Locke).
(781) E. DESMONS, Droit et devoir de résistance en droit interne, LGDJ, 1999, préf. S. Rials ;
Vº « Droit de résistance », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 459 (et la
biblio citée). Sur l’École du droit naturel, v. supra, nos 43 et 98.
(782) Art. 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à
l'oppression ».
(783) Cass. crim., 5 janv. 1821, S. 1821.I.358 : le système qui conduirait à « autoriser chaque
particulier à se constituer juge des actes émanés de l’autorité publique serait subversif de tout
ordre public » (à propos du délit de rébellion, C. pén., art. 433-6 nouv.).
(784) Cass. crim., 15 sept. 1864, S. 1865, 1, 152.
(785) * Cass. crim., 19 nov. 2002, aff. José Bové, D. 2003, 1315, n. D. Mayer ; ce « faucheur
d’OGM » s’était fait une spécialité de la « désobéissance civique » à laquelle il consacra un livre.
(786) Ex. : * Cass. crim., 13 oct. 2004, Préfet Bonnet, Bull. crim., no 243 : un colonel de
gendarmerie aurait dû désobéir au préfet de Corse qui lui avait ordonné illégalement de détruire, de
nuit et en laissant sur place de faux indices destinés à égarer les enquêteurs, une paillote construite
sur le domaine public maritime.
(787) Ce fut au nom de la désobéissance civique que le maire de Bègles célébra un mariage civil
homosexuel, aussitôt annulé (CA Bordeaux, 19 avr. 2005. Pour un autre exemple, P. MORVAN, note
sous TA Bordeaux, 15 juin 2006 : JCP G, 2007, I, 145, no 1).
(788) M. GRANET, La pensée chinoise, 1934, rééd. Albin Michel, 1968, p. 376.
(789) Sur la pensée confucéenne, v. supra, no 29.
(790) Li ZHANG, « Les recours administratifs en Chine », Dr. adm. 2012, chr. 6.
(791) Étymologie : du latin arbiter, tri = témoin, arbitre, lui-même dérivé du verbe arbitror, ari
= observer, juger, penser. Biblio. : Ch. JARROSSON, La notion d’arbitrage, LGDJ, 1987 ; M. de
BOISSÉSON, Le droit français de l’arbitrage, éd. Joly, 2e éd., 1990.
(792) Genèse, XXXI, 36 : « Jacob adressa ainsi la parole à Laban : “Quel est mon crime, quelle
est ma faute, que tu te sois acharné après moi ? Tu as fouillé toutes mes affaires : as-tu rien trouvé
de toutes les affaires de ta maison ? Produis-le ici devant mes frères et tes frères, et qu’ils jugent
entre nous deux !” ».
(793) L. 16-24 août 1790, Tit. I, art. 1er : « L’arbitrage étant le moyen le plus raisonnable de
terminer les contestations entre les citoyens, les législateurs ne pourront faire aucune disposition
qui tendrait à diminuer soit la faveur, soit l’efficacité du compromis ». L’arbitrage devait être le
mode de résolution privilégié des conflits familiaux (Tit. X, art. 12).
(794) C. just. adm., art. L. 311-6.
(795) V., pour un cas particulier, C. trav., art. L. 2524-1 : « La convention ou accord collectif de
travail peut prévoir une procédure contractuelle d’arbitrage » (selon l’art. L. 2524-7, une « Cour
supérieure d’arbitrage » connaît des recours pour excès de pouvoir formés contre les sentences
arbitrales).
(796) Ex. : les litiges portant sur le montant des honoraires d’un avocat doivent d’abord être soumis à
l’arbitrage du bâtonnier (D. 27 nov. 1991, art. 175. V. aussi art. 142) ; la Commission d’arbitrage des
journalistes évalue le montant de l’indemnité de licenciement d’un journaliste ayant 15 ans
d’ancienneté (C. trav., art. L. 7112-4).
(797) Selon l’ancien art. 2061 C. civ. (avant sa réécriture par la L. no 2001-420 du 15 mai 2001),
« la clause compromissoire est nulle s’il n’est disposé autrement par la loi ». À ce titre, l’art. 631
ancien C. com. autorisait expressément les commerçants à soumettre leurs contestations à des
arbitres.
(798) Étymologie : du latin concilio, are = assembler, d’où concilier puisque c’est dans les
assemblées que se terminent les différends.
(799) Adde, sur la recherche d’une conciliation : C. pr. civ., art. 127 et s. (« tout au long de
l’instance »), 281 (expertise), 768 (TGI), 830 et s. (trib. d’instance), 863 (trib. com.), 941 (cour
d’appel), etc. Les « conciliateurs de justice » sont des auxiliaires de justice, bénévoles, institués
auprès du tribunal d’instance (D. 20 mars 1978 modifié).
(800) Étymologie : du latin medius, a, um = qui est au milieu.
(801) L. no 95-125, 8 févr. 1995, art. 22-1. Adde : D. 24 mars 1978 mod. – pour les conciliateurs,
bénévoles – et C. pr. civ., art. 131-1 et s. – pour les médiateurs, rémunérés.
(802) C. pr. pén., art. 41-1 : « [...] le procureur de la République peut, préalablement à sa décision
sur l’action publique, directement ou par délégation : [...] 5o Faire procéder, avec l’accord des
parties, à une mission de médiation entre l’auteur des faits et la victime ».
(803) G. FLÉCHEUX et Ph. LAFARGE, « La médiation », Mélanges P. Drai, Dalloz, 2000, p. 301.
(804) B. OPPETIT, « Les modes alternatifs de règlement des différends de la vie économique »,
Justices, nº 1, janv.-juin 1995.
(805) H. KENFACK, « La reconnaissance des véritables clauses de médiation et de conciliation
obligatoire hors de toute instance », D. 2015, 384.
(806) Depuis 2007, une avalanche de textes en appelle à la médiation (médiation bancaire
obligatoire au profit des consommateurs ; médiateur de l’énergie ; médiation en matière de droit au
logement opposable) que plusieurs rapports préconisent comme une panacée des maux de la justice
civile (cf. obs. Th. CLAY, D. 2008, Pan., 3119).
(807) La conciliation civile et la médiation pénale prennent place dans des « Maisons de la justice
et du droit » créées auprès (et non à l’intérieur) de tribunaux de grande instance. Elles « assurent une
présence judiciaire de proximité et concourent à la prévention de la délinquance, à l'aide aux
victimes et à l'accès au droit. Les mesures alternatives de traitement pénal et les actions tendant à
la résolution amiable des litiges peuvent s'y exercer » (C. org. jud., art. R. 131-1 et s.).
(808) Cass. 2e civ., 21 oct. 2010, D. 2011, 493, n. S. Chassagnard-Pinet.
(809) CE, Ass. (avis), 6 déc. 2002, Dr. adm., 2003, comm. 20 et comm. 44.
(810) La « composition pénale » (C. pr. pén., art. 41-2, issu de la L. 23 juin 1999) et par-dessus tout
la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » (C. pr. pén., art. 495-7 s., issus de la
L. 9 mars 2004) ont introduit en France la procédure du plea bargaining largement pratiquée aux
États-Unis : une sorte de marché conclu entre le Ministère public et l’accusé aux termes duquel ce
dernier peut voir la peine requise par le premier réduite à condition de plaider coupable devant le
juge qui homologue leur accord. Le risque d’un marché de dupe n’est pas exclu. Une transaction
pénale peut également être proposée par un OPJ ; une fois acceptée, elle est homologuée par le
président du TGI (C. pr. pén., art. 41-1-1, issu de la L. 15 août 2014).
(811) V. infra, nos 236, 237 et 252.
(812) Bertrand Russell, philosophe, mathématicien et prix Nobel de littérature (1950) britannique,
avait, en 1966-1967, constitué un tribunal révolutionnaire à Stockholm pour juger les activités de
guerre des États-Unis au Vietnam, dans un procès où l’accusé était Lyndon Johnson, alors président
des États-Unis. Cf. J. CARBONNIER, « La justice saisie par son ombre », in Flexible droit, LGDJ,
10e éd., 2001, p. 446 : « Tous les phénomènes de simili-justice, que ce soient jeux d’enfants ou
Sainte-Vehme, tribunaux de fous ou tribunaux Russell, tous attestent l’importance cruciale que
l’humanité attache à la justice. [...] si la justice avait été un fait insignifiant, personne ne l’aurait
imitée ». Pour des exemples récents de ces tribunaux, liés aux crimes contre l’humanité commis dans
divers pays, Rev. sc. crim. 2006, p. 170.
(813) Cf. P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis.
(814) Justice et Gacaca. L’expérience rwandaise et le génocide, PU de Namur, 2003 ; S. VAN
BILLOEN, Les juridictions gacaca au Rwanda : une analyse de la complexité des représentations,
Bruylant, 2008 ; F. SOBO, art. in Rev. sc. crim. 2009, p. 763.
(815) Cass. crim., 9 juill. 2008, D. 2009, 2640, censurant l’avis favorable d’une cour d’appel à
l’extradition vers le Rwanda de l’auteur soupçonné de crimes contre l’humanité, au motif qu’elle
n’avait pas recherché si les droits de la défense avaient été garantis devant la juridiction gacaca. Il
aurait fallu tenir compte de la spécificité du procès relevant d’une justice restauratrice et non
classique.
(816) Sur l’histoire du droit romain et de la Common Law, v. infra, nos 387 et s.
(817) H. MAINE, Early Law and Custom, 1861, p. 389.
(818) P. HÉBRAUD, « Observations sur l’évolution des rapports entre le droit et l’action dans la
formation et le développement des systèmes juridiques », Études P. Raynaud, Dalloz, 1985, p. 237 ;
H. MOTULSKY, « Le droit subjectif et l’action en justice », Arch. phil. dr., 1964, p. 215 et in Écrits.
Études et notes de procédure civile, Dalloz, 1973, t. I, p. 85.
(819) Cons. const., 9 avr. 1996, décis. no 96-373 DC, AJDA, 1996, p. 371 : « En principe, il ne doit
pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours
effectif devant une juridiction ». Ce droit se déduit également de l’art. 6, § 1, Conv. EDH.
(820) Sur le droit subjectif, v. supra, no 50 et s.
(821) C. pr. civ., art. 30 : « L’action est le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur
le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ». Au XIXe siècle, au contraire, le droit
était confondu avec l’action : « L’action, enfin, c’est le droit lui-même mis en mouvement ; c’est le
droit à l’état d’action, au lieu d’être à l’état de repos ; le droit à l’état de guerre, au lieu d’être à
l’état de paix » (Ch. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, 2e éd., t. IX, 1861, no 338).
(822) Cass. soc., 11 juill. 2000, JCP E, 2001, p. 379 : « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la
démonstration préalable du bien-fondé de l’action ».
(823) C. pr. civ., art. 31 : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou
au rejet d’une prétention [...] ».
(824) Ainsi le Ministère public agit toujours dans l’intérêt général. De même, en droit administratif,
le recours pour excès de pouvoir (v. infra, no 180) s’exerce dans l’intérêt de la légalité à laquelle
l’administration aurait porté atteinte ; c’est plus un « procès fait à un acte » qu’un « procès fait à une
personne » ; mais un intérêt minimum doit être démontré : il n’existe pas d’actio popularis.
(825) Au XIIIe siècle (comme à Rome), « Nus procurators n’est receüz en cort laie » (Les
Établissements de Saint-Louis, Livre II, Chap. IX, publiés par P. Viollet, t. II, p. 344 et commentaire
t. IV, p. 222). La « cort laie » est la juridiction royale : à l’exception du roi lui-même (et certaines
personnes publiques), nul n’était admis à plaider par procureur, c’est-à-dire sans comparaître en
personne devant le juge royal. Au XVIe siècle, la maxime a pris la signification admise aujourd’hui
(sur l’adage et ses exceptions, v. H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. III, Procédure de
première instance, Sirey, 1991, nos 34 et s.).
(826) La class action admise aux États-Unis et au Canada est introduite par un particulier qui
sollicite du juge une condamnation au profit d’une classe sociale homogène (unie par une
commonality de préjudice) à laquelle il prétend appartenir (ex. : les fumeurs de cigarettes atteints
d’un cancer) ; en cas de succès, chacun des membres de cette classe pourra réclamer, à titre
individuel, des dommages-intérêts (ce qui peut prendre des décennies). Dans la législation française,
une association ou un syndicat exerce soit une action collective pour réclamer la réparation d’un
préjudice collectif qui lui est propre, soit une action en représentation conjointe dans l’intérêt
individuel d’un adhérent. V. F. CABALLERO, « Plaidons par procureur ! De l’archaïsme procédural à
l’action de groupe », RTD civ. 1985, p. 247 (favorable) ; H.-P. GLENN, « À propos de la maxime “Nul
ne plaide par procureur” », RTD civ. 1988, p. 59 (hostile).
(827) C. pr. civ., art. 53.
(828) C. pr. civ., art. 11. Ex. : l’acheteur assigné en paiement du prix réplique que la marchandise
vendue est défectueuse ou ne lui a pas été livrée.
(829) C. pr. civ., art. 64. Ex. : la femme réplique à la demande de divorce formée par le mari par une
demande reconventionnelle de divorce pour faute à ses torts.
(830) C. pr. civ., art. 73. Ex. : le tribunal saisi est incompétent, l’assignation est nulle...
(831) C. pr. civ., art. 122. Ex. : défaut de qualité pour agir, prescription, autorité de chose jugée...
(832) La formule exécutoire, apposée sur les « expéditions » des jugements civils (C. pr. civ.,
art. 502), est ainsi rédigée : « En conséquence, la République française mande et ordonne à tous
huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution, aux
procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y
tenir la main, à tous commandements et officiers de la force publique de prêter main-forte
lorsqu’ils en seront légalement requis » (D. no 47-1047 du 12 juin 1947). La formule exécutoire
apposée sur les expéditions des jugements administratifs est moins péremptoire à l’égard de
l’administration, parce qu’elle est à l’abri d’une exécution forcée : « La République mande et
ordonne au (ministre ou préfet) en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en
ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de
la présente décision » (C. just. adm., art. R. 751-1).
(833) V. infra, no 220.
(834) « La fonction de juger », Droits 1989, no 9, spéc. S. Rials, p. 3.
(835) V. infra, no 231.
(836) Sur le droit de la procédure civile, v. supra, no 73-2o.
(837) V. supra, no 164.
(838) Sur les arrêts de règlement, v. infra, no 405.
(839) LA BRUYÈRE, Les caractères, De quelques usages : « Le devoir des juges est de rendre la
justice : leur métier de la différer. Quelques-uns savent leur devoir et font leur métier ».
(840) Rapport annuel de la Cour de cassation, disponible sur : www.courdecassation.fr.
(841) C. just. adm., art. L. 822-1 (L. 31 déc. 1987) et R. 822-1 et s. En outre, depuis le 1er janvier
2007, les recours manifestement mal fondés peuvent être rejetés directement par ordonnance devant
les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’État (C. just. adm.,
art. R. 222-1, 7o et R. 122-12, réd. D. 23 déc. 2006).
(842) La L. no 97-395 du 27 avr. 1997 (C. org. jud., art. L. 131-6 anc.) avait généralisé la formation
restreinte à trois conseillers (au lieu de cinq). La Loi organique no 2001-539 du 25 juin 2001 a
permis que « cette formation déclare non admis les pourvois [...] non fondés sur un moyen sérieux
de cassation ». L’article L. 431-1 C. org. jud. (ord. 8 juin 2006) dispose que « cette formation statue
lorsque la solution du pourvoi s'impose. Dans le cas contraire, elle renvoie l'examen du pourvoi à
l'audience de la chambre ». En outre, elle « déclare non admis les pourvois irrecevables ou non
fondés sur un moyen sérieux de cassation » (C. pr. civ., art. 1014, réd. D. 2 juin 2008 ; C. pr. pén.,
art. 567-1-1, ord. 8 juin 2006). – Sur le régime de la non-admission, V. VIGNEAU, D. 2010, chr. 102.
(843) F. DESCORPS DECLÈRE, « Les motivations exogènes des décisions de la Cour de cassation »,
D. 2007, chr., 2822, à propos de la controverse doctrinale qui avait suivi un énigmatique arrêt de
rejet pour non-admission laissant libre cours à toutes les interprétations et que le conseiller à la Cour
de cassation rapporteur sur cette décision a expliqué a posteriori dans une revue.
(844) V. VIGNEAU, « Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation »,
D. 2010, chr. 102.
(845) V. infra, no 348.
(846) J. MORISSETTE, « Les lenteurs de la justice considérées sous un angle qui les avantage », Revue
de droit de Mc Gill (Canada) 1987, vol. 33, p. 137, spéc. p. 147 : « Ayez moins de tribunaux, vous
aurez moins de litiges. L’exemple de l’Angleterre est édifiant à cet égard ».
(847) Sur le déni de justice, v. infra, no 404.
(848) Juridictions judiciaires : selon l’art. L. 141-1 C. org. jud., « l’État est tenu de réparer le
dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions
particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de
justice » ; constitue un déni de justice le retard apporté sans raison légitime à une procédure qui
empêche le prononcé d’une décision dans un « délai raisonnable » imparti par l’art. 6 Conv. EDH
(TGI Paris, 8 nov. 1995, D. 1997, Somm. p. 149, obs. J. Pradel). V. aussi Cass. 1re civ., 29 juin 1994,
Bull. civ. I, no 227, visant l’art. L. 781 (anc.) C. org. jud. et l’art. 6 Conv. EDH, au sujet d’une
information judiciaire inutilement longue. Juridictions administratives : l’art. L. 781-1 anc. (devenu
art. L. 141-1) C. org. jud. étant inapplicable à ce contentieux, le Conseil d’État engage la
responsabilité de l’État pour faute simple (et non plus une faute lourde) sur le fondement des art. 6,
§ 1, et 13 Conv. EDH et des « principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des
juridictions administratives » (CE, ass., 28 juin 2002, Magiera, Rec. CE, p. 247, concl. F. Lamy ;
CE, 25 janv. 2006, JCP E, 2006, 2216, n. C. Guettier). Ce type d’action est mentionné à l’art. R. 311-
1 C. just. adm. Lorsqu’une procédure d’une « durée totale excessive » s’est déroulée devant les
deux ordres de juridictions, judiciaire et administratif, le Tribunal des conflits est compétent pour
connaître de l’action en indemnisation du préjudice qui en découle (L. 24 mai 1872, art. 16 issu
L. 16 févr. 2015).
(849) Cass. civ., 17 vendémiaire an VIII, S., chr. 1791-an XII, 1, 255 : devait être annulée la décision
en appel qui « a forcé les parties à parcourir plus de deux degrés de juridiction » en renvoyant les
parties devant le premier tribunal. Adde : Cass. req., 13 janv. 1879, DP 1879, 1, 307, invoquant le
« principe qui défend de soumettre aucune affaire à un troisième degré de juridiction ».
(850) Exode, XVIII, 21 à 26. Jethro conseille à son gendre Moïse, qui juge seul du matin au soir une
foule de croyants, de s’adjoindre les services de juges inférieurs : « Choisis-toi parmi tout le peuple
des hommes capables, craignant Dieu, sûrs, incorruptibles et établis les sur eux comme chefs de
milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines et chefs de dizaines. Ils jugeront le peuple en
tout temps. Toute affaire importante, ils te la déféreront et toute affaire mineure, ils la jugeront
eux-mêmes ».
(851) Historique : Jur. Gén., vo Appel civil.
(852) Loyseau déplorait ces « procès immortels » qui maintenaient le justiciable « toute sa vie en
alarme et dans les appréhensions continuelles d’être ruiné ».
(853) L’appel des arrêts de condamnation rendus par la cour d’assises est porté devant une autre cour
d’assises (C. pr. pén., art. 380-1, L. no 2000-516, 15 juin 2000).
(854) En cas d’intervention forcée en appel d’un tiers à la première instance (C. pr. civ., art. 331 et s.
et art. 555).
(855) Lorsque sont présentées en appel des prétentions nouvelles (C. pr. civ., art. 565 et 566) ou
lorsque la cour d’appel « évoque » le fond de l’affaire (C. pr. civ., art. 89 et 90, art. 568. En matière
pénale : C. pr. pén., art. 221-1 et 520. En matière administrative, l’évocation a toujours été admise
par le Conseil d’État).
(856) Ex. : C. pr. pén., art. 546 (pour les contraventions).
(857) Biblio. : E. FAYE, La Cour de cassation. Traité de ses attributions, de sa compétence et de la
procédure observée en matière civile, 1903, rééd. Librairie E. Duchemin, 1970 ; J. BORÉ et L. BORÉ,
La cassation en matière civile, Dalloz, 4e éd., 2008 ; J. BORÉ, La cassation en matière pénale,
Dalloz, 3e éd., 2012. Adde J.-F. WEBER, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation en matière
civile », BICC nº 702, 15 mai 2009 : www.courdecassation.fr (fiche méthodologique).
(858) C. org. jud., art. L. 411-2 : « La Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf
disposition législative contraire ».
(859) G. MARTY, La distinction du fait et du droit. Essai sur le pouvoir de contrôle de la Cour de
Cassation sur les juges du fait, Sirey, 1929 ; J. JONQUÈRES, Le contrôle des constatations de fait par
le juge de cassation (aspect de droit civil), Journées de la société de législation comparée, 1980,
p. 117.
(860) Sur ce débat, v. infra, nº 407.
(861) H. CROZE, Recherches sur la qualification en droit processuel, th., Lyon, 1981.
(862) F. LUXEMBOURG, « La Cour de cassation, juge du fond », D. 2006, 2358.
(863) C. pr. civ., art. 604 : « Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation
la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit ».
(864) Il y a manque ou défaut de base légale lorsque les motifs des juges du fond donnent une
« exposition incomplète du fait » (E. FAYE, La Cour de cassation, 1903, no 119, p. 134). L’arrêt de
cassation ordonne en quelque sorte un supplément d’instruction ; « C’est une cassation pour
insuffisance ou imprécision des motifs de fait » (G. MARTY, op. cit., no 139, p. 282). Adde H.
MOTULSKY, « Le “manque de base légale”, pierre de touche de la technique de cassation », JCP G,
1949.I.775. Un magistrat avait souhaité la suppression de ce cas d’ouverture (J. BEL, D. 1989, chr.
105 et D. 1994, chr. 136), un autre, au contraire, en avait vanté les mérites (A. PERDRIAU, note in
JCP G, 1990.II.21509). Par sa plasticité, il a le don de révéler et de préciser la règle de droit
(cf. D. FOUSSARD, « Manque de base légale et création de la règle », in La Cour de cassation et
l’élaboration du droit, Economica, 2004, p. 69).
(865) Le défaut de motivation prend la forme soit d’une absence de motifs, soit d’une contradiction
de motifs (de fait), soit d’un recours à des motifs hypothétiques ou dubitatifs, soit d’un défaut de
réponse à conclusions.
(866) T. cass., 22 messidor an IX et 2 germinal an X, S., chr. 1791-an XII, 1, 495 et 615). Ce cas
d’ouverture était admis par la loi mais en matière criminelle uniquement (L. 16-19 sept. 1791, Tit.
VIII, art. 23).
(867) T. cass., 3 germinal an X, S., chr. 1791-an XII, 1, 616 (fausse qualification d’un contrat).
(868) Cass. crim., 22 mai 1812, S., chr. 1812-1814, 1, 104.
(869) Cass. civ., 20 janv. 1868, DP 1868, 1, 12 ; * Cass. civ., 15 avr. 1872, Veuve Foucauld et
Coulombe, DP 1872, 1, 176 ; S., 1872, 1, 232 (cité infra, no 252). Sur ce contrôle, v. infra, no 448.
(870) Sur le référé législatif, institué par la L. 16-24 août 1790, v. infra, no 442.
(871) Le Conseil d’État, à la différence de la Cour de cassation, contrôle la matérialité des faits –
mais tels qu’ils ressortent du dossier de la procédure et sans investigation supplémentaire. Autre
différence : le Conseil d’État contrôle la dénaturation d’un fait, qu’il soit ou non incorporé dans un
écrit (R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 13e éd., 2008, no 1432 et
no 1451).
(872) Par exception, en matière pénale, la « demande en révision » est adressée à une commission
puis à une cour de révision instituées au sein de la Cour de cassation (C. pr. pén., art. 623 à 625).
Comp. la procédure de réexamen d’une décision pénale définitive à la suite d’une condamnation de la
France par la Cour européenne des droits de l’homme (C. pr. pén., art. 626-1 et s., L. 15 juin 2000).
(873) Histoire : Jean FOYER, « La justice : un pouvoir refusé », Pouvoirs 1981, no 16, p. 17 ;
P. OURLIAC, « La puissance de juger : le poids de l’histoire », Droits 1989, no 9, « La fonction de
juger ».
(874) Les membres du Parquet sont les suivants. Cour de cassation : procureur général près la Cour
de cassation (qui n’exerce aucune autorité sur les parquets de cours d’appel) ; premier avocat
général ; avocats généraux. Cours d’appel : procureur général près la cour d’appel ; avocats
généraux ; substituts généraux. TGI : procureur de la République près le TGI (voire procureurs
adjoints) ; substituts du procureur (voire premiers substituts).
(875) Dans l’ordre judiciaire, seuls les juges de cours d’appel et de la Cour de cassation portent le
titre de « conseillers » (conseillers de cours d’appel et conseillers à la Cour de cassation).
(876) C. just. adm., art. L. 231-3 (L. 6 janv. 1986).
(877) Cf. les explications données dans le Rapport d’activité annuel du CSM : http://www.conseil-
superieur-magistrature.fr. Le CSM a publié un « Recueil des obligations déontologiques des
magistrats » (Dalloz, 2010).
(878) CSM, 27 sept. 2005, décis. S140 : http://www.conseil-superieur-magistrature.fr (non-lieu à
sanction en raison d’un trouble psychique d’un magistrat qui se masturbait à l’audience...).
(879) CSM, 29 et 30 avr. 2014. Cf. J. GICQUEL, "Twitter ou juger ?" : JCP G, 2014, 604.
(880) Sur la responsabilité de l’État en cas de violation du droit international et européen, v. infra,
no 340. Adde H. ADIDA-CANAC, « L’erreur du juge : entre réparation, indemnisation et responsabilité »,
D. 2009, chr. 1288.
(881) Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition de la loi organique no 2007-287 du 5 mars
2007 qui, suivant les recommandations de la commission d’enquête parlementaire constituée après
l’affaire d’Outreau, avait étendu la responsabilité disciplinaire des magistrats à leur activité
juridictionnelle en prévoyant qu’« une violation grave et délibérée [...] d’une règle de procédure
constituant une garantie essentielle des droits des parties » engageait une telle responsabilité ; il
aurait fallu que cette violation eut été constatée préalablement par une décision de justice définitive
(Cons. const., 1er mars 2007, JCP G, 2007, II, 10044, n. J.-E. Schoettl ; D. 2007, 1401, n. D. Ludet et
A. Martinel ; adde chron. F. LAURIE, RRJ 2007, p. 1801).
(882) Cass. crim., 9 déc. 1981, Bull. crim. no 308. V. déjà, dans un style solennel, Cass. civ., 5 mai
1847 (cité in RRJ 2006, p. 1759).
(883) Cass. crim., 9 mars 1983, Bull. crim. no 75.
(884) * Cass. Ass. plén., 23 févr. 2001, aff. Christine Villemin, D. 2001, 1752, chron. Ch. Debbasch.
Le petit Grégory Villemin, âgé de quatre ans, fut assassiné en 1984 (son corps avait été retrouvé
ligoté dans la Vologne, une rivière des Vosges). Son père tua en 1985 l’oncle de l’enfant qu’il
soupçonnait d’avoir commis le crime. Sa mère fut ensuite mise en examen pour l’assassinat de son
fils et obtint un non-lieu en 1993. Ces errements dramatiques de la justice avaient pour origine
l’attitude ambiguë d’un jeune juge d’instruction fasciné par les médias (et, semble-t-il, par la mère).
Sa responsabilité ne fut jamais engagée.
(885) Cass. 2e civ., 14 sept. 2006, Bull. civ. II, no 222 ; JCP G, 2006, II, 10189, avis R. Kessous : le
juge (non professionnel siégeant au sein d’une juridiction de proximité) avait eu des « termes
injurieux » à l’égard d’une partie (v. les termes saisissants de l’arrêt) et statué par des « motifs
inintelligibles [...] en écartant par une pétititon de principe certains des éléments de preuve »
produits par elle.
(886) Étymologie : du latin advoco, are = appeler auprès de lui, lui-même dérivé de ad = auprès de
+ voco, vocare = appeler. La profession d’avocat est régie par la L. no 71-1130 du 31 déc. 1971
modifiée par les L. no 90-1258 et no 90-1259 du 31 déc. 1990 (qui opèrent la fusion de la profession
avec celle de conseil juridique et introduisent le salariat).
(887) V. supra, no 169 et les notes.
(888) J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Œuvres complètes de J. Domat par J. Rémy,
1828, Première partie, L. III, Tit. VI, p. 137 et 141. Biblio. : E. VERGÈS, G. VIAL et O. LECLERC, Droit
de la preuve, PUF, 2015 ; X. LAGARDE, Réflexions critiques sur le droit de la preuve, LGDJ, 1994 (le
droit de la preuve n’aurait pas pour objet l’établissement de la vérité) ; « La preuve », dir. Cath.
Puigelier, Economica, 2004 ; « La preuve », Revue de droit Henri Capitant 2013, no 6, pp. 1 à 235. –
Sur les modifications introduites par l’ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme
du droit des contrats : dossier Réforme du droit de la preuve, Dr. et patr., sept. 2015, p. 36 ; chron.
G. LARDEUX, D. 2016, 850 ; chron. E. VERGÈS, JCP G, 2016, 486.
(889) Histoire : J. Ph. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, nos 579
et s. – La preuve, Recueils de la société Jean Bodin, t. XVII à XIX, 1963-1965. – La preuve en
droit, Travaux du Centre national de recherche de langue (dir. Ch. Perelman et P. Foriers), Bruxelles,
1981. – L’évolution des modes de preuve. Du duel de Carrouges à nos jours (dir. B. Hervouët), PU
Limoges, 2014 (cf. note de lecture de O. Leclerc in RTD civ. 2015, p. 237).
(890) Ex. : l’Assyrien subit l’épreuve du fleuve Euphrate ; le juge lui donne raison s’il parvient à le
traverser sans se noyer. Variantes (notamment en Europe) : une partie était jetée pieds et poings liés à
l’eau (elle était reconnue coupable si elle ne surnageait pas) ou devait plonger la main dans une eau
bouillante sans se brûler.
(891) Les ordalies de l’eau et du feu (celle-ci consistant à tenir un fer rouge dans la main sans se
brûler) sont dites unilatérales par opposition au duel ou au jugement de croix (imposant aux deux
parties de rester les bras en croix jusqu’à ce que l’une d’elles baisse les bras de fatigue) qui sont
bilatérales.
(892) Ex. : Exode, XXII, 9 : « Si quelqu’un confie à la garde d’un autre un âne, un taureau, une
bête de petit bétail ou tout autre animal, et que la bête crève, se brise un membre ou est enlevée
sans témoins, un serment par Yahvé décidera entre les deux parties si le gardien a porté la main
sur le bien de l’autre ou non ». Le parjure s’exposait à un châtiment divin. Le Code civil a conservé
la preuve par serment (art. 1358 et s. v. infra, no 242).
(893) Dans la Grèce antique, le plus fameux des duels judiciaires opposa Pâris à Ménélas pour la
conquête d’Hélène. HOMÈRE, Iliade, Chant III, v. 85 : « Ménélas, favori d’Arès, et lui, Pâris,
combattront seul à seul entre les deux armées ; ils auront pour enjeu Hélène et tous ses biens. Le
meilleur, le vainqueur, aura le droit de prendre et d’emmener chez lui la femme et ses biens. Et
tous, nous conclurons un pacte d’amitié ». Ce n’est pas ce qui s’est passé ; Pâris, protégé par
Aphrodite, a fui le combat, et la guerre de Troie s’est déchaînée.
(894) V. supra, no 89.
(895) VOLTAIRE, Lettre à Damilaville sur l’affaire Calas, 3 mai 1763 : « J’ai appris une des raisons
du jugement de Toulouse qui va bien étonner votre raison : ces Wisigoths ont pour maxime que
quatre-quarts de preuve et huit-huitièmes font deux preuves complètes, et ils donnent à des ouï-
dire les noms de un quart de preuve et de un-huitième ».
(896) J.-Ph. LÉVY, La hiérarchie des preuves dans le droit savant du Moyen Âge, Annales de
l’Université de Lyon, 1939 ; du même auteur, « Les classifications des preuves dans l’histoire du
droit », in La preuve en droit, Travaux du Centre national de recherche de langue (dir. Ch. Perelman
et P. Foriers), Bruxelles, 1981, spéc. p. 35.
(897) J.-Ph. LÉVY, Coup d’œil d’ensemble sur l’histoire de la preuve littérale, Index (revue
napolitaine) 1987, t. XV, p. 473. Le tournant est pris par l’ordonnance de Moulins (1566), art. 54 :
« Pour obvier à la multiplication de faits que l’on a vu ci-desvant estre mis en avant en jugement,
et reproche d’iceux, dont adviennent plusieurs inconvénients et involutions de procès : avons
ordonné et ordonnons que doresnavant de toutes choses excedans la somme ou valeur de cent
livres pour une fois payer, seront passez contrats pardevant notaires et témoins, par lesquels
seulement sera faite et reçue toute preuve ès dites matières, sans recevoir aucune preuve par
témoins, outre le contenu au contrat, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit ou convenu avant
icelui, lors et depuis. En quoi n’entendons exclure les preuves des conventions particulières et
autres qui seraient faits sous leurs seings, sceaux et écritures privées ». L’art. 1359 reprend ce
texte (v. infra, no 231).
(898) Sur l’écrit électronique, v. infra, no 238.
(899) Pour une distinction claire entre les formalismes ad probationem et ad validitatem,
v. Cass. 3e civ., 13 févr. 1991, Bull. civ. III, no 58 ; Cass. 1re civ., 14 févr. 1995, JCP G,
1995.II.22402, note Y. Chartier ; D. 1995, 341, note S. Piédelièvre.
(900) Sur les règles de conflit de lois dans le temps, v. Cass. 1re civ., 28 avr. 1986, Bull. civ. I,
no 106 : « Si, en général, les règles gouvernant les modes de preuve sont celles en vigueur au jour
où le juge statue, il en est autrement en ce qui concerne les preuves préconstituées, qui sont
soumises aux règles en vigueur au jour de l’acte qu’il s’agit de prouver » (sur la règle de principe,
v. aussi Cass. 1re civ., 28 avr. 2008, JCP G, 2008, II, 10132 ; D. 2008, 2121 : l’art. 16-11, qui interdit
l’identification par empreintes génétiques post-mortem sans le consentement du défunt, est
« immédiatement applicable aux situations en cours ») ; Cass. com., 7 nov. 1989, Bull. civ. IV,
no 281 : « Les règles relatives à la charge de la preuve ne constituent pas des règles de procédure,
applicables aux instances en cours, mais touchent le fond du droit » (dans le même sens,
Cass. soc., 13 déc. 2007, Bull. civ. V, no 208, qui en déduit que des faits de harcèlement moral
doivent être prouvés conformément à la loi ancienne dès lors que l’instance a été engagée avant son
entrée en vigueur).
(901) Sur les règles de conflit de lois dans l’espace, Cass. 1re civ., 24 févr. 1959, Bull. civ. I, no 116
(preuve d’un mariage juif en Turquie rapportée au moyen d’un certificat rabbinique) ; Cass. 1re civ.,
25 nov. 1981, Bull. civ. I, no 350 ; Cass. 1re civ., 5 janv. 1999, Bull. civ. I, no 4 : « S’il appartient au
juge français d’accueillir les modes de preuve de la loi du for, c’est sans préjudice pour les
parties de se prévaloir également des règles de preuve du lieu d’accomplissement de l’acte » ;
Cass. 1re civ., 28 juin 2005, D. 2006, Somm., 1498, obs. P. Courbe : la loi applicable à la force
probante des mentions d’un acte notarié (dressé en Allemagne) est déterminée par la loi du lieu de
l’acte (locus regit actum, selon la méthode du conflit de lois, et non auctor regit actum, qui tranche
un conflit d’autorités. Comp. art. 47, pour les actes de l'état civil français) ; Cass. 1re civ., 4 juill.
2007, Bull. civ. I, no 255 (loi applicable aux mesures d’instruction in futurum, v. infra, no 212).
(902) Règlement CE no 867/2007, 11 juill. 2007, sur la loi applicable aux obligations non
contractuelles (« Rome II »), art. 22, et règlement no 593/2008, 17 juin 2008, sur la loi applicable aux
obligations contractuelles (« Rome I »), art. 18 : la loi régissant l’obligation non contractuelle ou
contractuelle s’applique dans la mesure où, en cette matière, « elle établit des présomptions légales
ou répartit la charge de la preuve » ; par ailleurs, les actes juridiques peuvent être prouvés par tout
mode de preuve admis soit par la loi du for, soit par la loi selon laquelle l’acte est valable quant à la
forme, pour autant que la preuve puisse être administrée selon ce mode devant le tribunal saisi.
Biblio. : T. H. GROUD, La preuve en droit international privé français, PUAM, 2000 ; E. FONGARO,
La loi applicable à la preuve en droit international privé, LGDJ, 2004.
(903) V. supra, no 73.
(904) P. HÉBRAUD, La vérité dans le procès et les pouvoirs d’office du juge, Annales Univ. sc.
sociales Toulouse, t. XXXVI, 1988, p. 379, spéc. p. 404 : « On doit redouter aussi bien l’idéologie
de la vérité absolue que celle du règne de la loi, car elles sont, aussi bien l’une que l’autre,
et souvent ensemble, le germe de tous les despotismes ».
(905) L. PIRANDELLO, Cosi e (Si vi pare), À chacun sa vérité, La Pléiade, Acte III, Scène 9,
Mme Ponza : « Pour moi, je suis celle qu’on croit que je suis » ; Laudizi : « Et voilà, mesdames et
messieurs, comment parle la vérité ! Vous voilà contents ? Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! ».
(906) J.-J. SUEUR (dir.), Le faux, le droit et le juste, Bruylant, 2009 (sur la sanction du faux et
l’interprétation du droit).
(907) V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(908) V. en général, Le mensonge en droit pénal, AJ pénal, 2008, p. 111.
(909) V. infra, no 245.
(910) V. aussi, C. pr. civ., art. 218, 231. Adde, C. pr. pén., art. 81, al. 1er : « Le juge d’instruction
procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation
de la vérité ».
(911) Adde le délit de faux défini comme « toute altération frauduleuse de la vérité » (C. pén.,
art. 441-1). Mais un simple mensonge ne suffit pas à constituer des manœuvres frauduleuses au sens
du délit d’escroquerie (C. pén., art. 313-1. Cf. D. 1981, chr. 17).
(912) P. HÉBRAUD, « Rapport introductif aux travaux du Ve colloque des IEJ », in La logique
judiciaire, PUF, 1969, p. 23 et s., spéc. p. 25 : « Le droit ne se propose pas la recherche de la vérité
dans la connaissance, mais celle de la justice dans l’action ».
(913) M. DOAT et G. DARCY (dir.), L’imaginaire en droit, Bruylant, 2011. Rapp. J.-L. SOURIOUX, « La
pensée juridique en images », Études B. Oppetit, Litec, 2009, p. 597 (sur les emblèmes et symboles
en droit).
(914) Biblio. : A.-M. LEROYER, Les fictions juridiques, th. Paris II, 1995 ; G. WICKER, Les fictions
juridiques. Contribution à l’analyse de l’acte juridique, LGDJ, 1997 ; D. COSTA, Les fictions
juridiques en droit administratif, LGDJ, 2000 ; J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, PUF, coll.
Thémis droit, 2e éd., 2016, nos 41 et s. (les fictions ont une fonction de technique juridique et une
fonction de politique juridique) ; Les fictions en droit. Les artifices du droit : les fictions (dir. A.-
B. Caire), Centre Michel de l'Hospital (PU Clermont), 2015.
(915) V. supra, no 173. Adde H. ROUSSEAU, note au S., 1939, 2, 16 : « Le but d’un procès n’est pas
plus la découverte de la vérité que le but de la guerre n’est le triomphe du droit. On fait la guerre
pour imposer la paix, on fait un procès pour aboutir à la chose jugée ».
(916) Ex. : Cass. req., 11 août 1874, DP 1876, 5, 93 ; Cass. 1re civ., 3 nov. 1966, JCP G,
1966.II.14880 : « L’irrégularité dont peut être entachée une décision judiciaire, celle-ci eût elle-
même statué extra ou ultra petita, ne saurait faire obstacle à ce que cette décision acquière
l’autorité de la chose jugée, si elle n’a point été attaquée par les voies de droit ».
(917) Sur la loyauté de la preuve, v. infra, no 246. Droit civil illustré, no 60.
(918) V. Droit de la famille, coll. Droit civil.
(919) G. VIAL, La preuve en droit extrapatrimonial de la famille, Dalloz, 2008.
(920) Biblio. : E. TRUILHÉ-MARENGO (dir.), Preuve scientifique, preuve juridique, Larcier 2012.
(921) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, 5e éd., 1897-1922, par E. Bartin, t. XII,
1922, spéc. § 749, note 2 bis : « La preuve judiciaire se rapproche bien de la preuve historique, en
ce sens que l’une et l’autre se ramènent invariablement à des inductions fondées sur le
témoignage humain, et aussi en ce sens que les qualités d’esprit que l’on exige de l’historien
ressemblent à celles que doit posséder le juge [...]. La preuve, au sens général et de pure logique
de l’expression, suppose la pleine liberté de l’investigation sur la question à résoudre [...] ; elle
implique, d’autre part, la possibilité de ne pas conclure et la nécessité de conclure au moins
provisoirement [...]. La preuve judiciaire, au moins dans les contestations de droit privé ou de
droit administratif, par opposition aux poursuites à fin de répression, présente des caractères tout
opposés. La détermination de l’objet et de l’étendue de la preuve à faire, le choix des moyens et
des procédés de preuve à employer ou à fournir, appartiennent exclusivement aux plaideurs, avec
distribution précise à chacun d’eux de son rôle. Quant au juge, il n’a pas l’initiative en matière de
preuve (ce qui aujourd’hui n’est plus exact. V. supra, no 211). D’autre part, il ne peut, en cette
qualité, se dérober à l’obligation de statuer [...]. Enfin, sa décision, quelle qu’elle soit, est mise à
l’abri de toute critique ultérieure, dans la mesure où l’autorité de la chose jugée s’y oppose ».
(922) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, 6e éd., 1936-1958, par E. Bartin et
P. Esmein, t. XII, par P. Esmein, 1958, § 749 et s.
(923) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariæ, 4e éd.,
1869-1879 (la dernière de la main de ces auteurs).
(924) J. HAMBURGER, De l’art de raisonner en biologie et en médecine, Diogène, no 138, 1987,
p. 43 : « La vérité scientifique n’est jamais une vérité absolue, elle est relative, esclave des
conditions, explicites ou tacites, dans lesquelles elle fut établie ».
(925) Sur la preuve illicite, v. infra, no 245.
(926) Biblio. : dossier Le cerveau, nouvel avocat de la justice ?, Sciences Psy mai 2015, nº 3. –
Centre d’analyse stratégique, « Le cerveau et la loi : éthique et pratique du neurodroit », Document
de travail nº 2012-07, sept. 2012 (http://archives.strategie.gouv.fr). – Pour la bibliographie en langue
anglaise (notamment les travaux dirigés depuis 2007 par O. D. Jones au sein du réseau international
Neurolaw qui étudie l’apport des neurosciences au système judiciaire pénal), cf. www.lawneuro.org.
(927) Cf. L. PIGNATEL, « L’émergence du neurodroit dans le monde », Sciences Psy, mai 2015, nº 3,
p. 43.
(928) V. infra, no 404.
(929) Biblio. : J. DEVÈZE, Contribution à l’étude de la charge de la preuve en matière civile, S. R.
T., Grenoble, 1980 ; N. HOFFSCHIR, La charge de la preuve en droit civil, Dalloz, 2016.
(930) Cass. soc., 31 janv. 1962, Bull. civ. IV, no 105 : « [...] l’incertitude et le doute subsistant à la
suite de la production d’une preuve devant être nécessairement retenus au détriment de celui qui a
la charge de cette preuve ».
(931) Cass. 1re civ., 2 avr. 2009, Bull. civ. I, no 60. L’action de in rem verso (auj. action en
enrichissement injustifié) a, en effet, un caractère subsidiaire (art. 1303-3).
(932) A. TISSIER, « Le centenaire du Code civil et les projets de réforme », RTD civ. 1906, p. 608 : le
juge serait « un automate à qui l’on fournit les matériaux du procès pour retirer un jugement ». Sur
la question, v. J. NORMAND, Le juge et le litige, LGDJ, 1965.
(933) P. OURLIAC, « L’office du juge dans le droit canonique classique », Mélanges P. Hébraud, Univ.
sc. sociales Toulouse, 1981, p. 627, spéc. p. 644 : « Le juge n’est pas un simple porteur de
balance : il doit être impartial – nec ira nec furor selon Gratien – mais sa neutralité ne peut être de
l’indifférence ; il doit pour remplir son office rechercher la vérité mais aussi l’équité sans laquelle
il ne peut y avoir de justice ».
(934) H. VIZIOZ, Études de procédure, 1956, nos 230 et s., p. 441 et s. (ensemble de chroniques des
années 1940 consacrées au principe dispositif, lato sensu) ; H. MOTULSKY, « Prolégomènes pour un
futur Code de procédure civile : la consécration des Principes directeurs du procès civil par le
décret du 9 septembre 1971 », D. 1972, chr. 91 (écrit posthume reproduit in Écrits. Études et notes
de procédure civile, Dalloz, 1973, t. I, p. 275).
(935) L. CADIET, Droit judiciaire privé, Litec, 3e éd., 2000, no 870.
(936) Cf. J. NORMAND, Le juge et le litige, LGDJ, 1965, no 176, p. 168.
(937) Cf. G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, PUF, 3e éd., 1996, no 96.
(938) H. MOTULSKY, op. cit., no 9, p. 93.
(939) Notamment, « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver
l’équilibre des droits des parties » ; elle doit garantir la séparation des autorités de poursuite et de
jugement, le respect de la présomption d’innocence, le droit à un double degré de juridiction.
(940) Cass. 2e civ., 28 juin 2006, Bull. civ. II, no 174 ; RTD civ. 2006, p. 821, obs. R. Perrot (sous le
visa de l’art. 4 C. civ., interdisant le déni de justice).
(941) I. DESPRÉS, Les mesures d’instruction in futurum, Dalloz, 2004.
(942) Ex. : Cass. civ., 26 mars 1946, D. 1946, 254 ; Cass. 2e civ., 10 juill. 1968, Bull. civ. II, no 206
(lettres adressées au juge à l’insu des parties) ; Cass. 2e civ., 25 févr. 1976, Bull. civ. II, no 67. Sur ce
thème, cf. J. CHEVALLIER, « Remarques sur l’utilisation par le juge de ses informations personnelles »,
RTD civ. 1962, p. 5.
(943) J. CHEVALLIER, op. cit.
(944) Sur la notoriété en général : L.-C. HENRY, « Le régime de l’acte de notoriété selon la
jurisprudence récente », RTD civ. 1994, p. 11 ; N. RAYNAUD de LAGE, « La notoriété », D. 2000, chr.
513.
(945) Cass. 1re civ., 10 mars 1969, Bull. civ. I, no 105 ; D. 1969, 305 : « les juges d’appel se sont
bornés, comme ils le pouvaient, à faire état de leurs connaissances d’ordre général » (valeur de
terrains agricoles).
(946) H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé, LGDJ, 8e éd., t. I, 1993, no 331-1.
(947) CEDH, 25 févr. 1993, Funke c/France, D. 1993, 457 et somm., 387, obs. J.-F. Renucci ;
JCP G, 1993, II, 22073 ; Cass. crim., 11 mai 2011, JCP G, 2011, 819, n. X. Pin.
(948) J.-J. DAIGRE, La production forcée des pièces dans le procès civil, PUF, 1979.
(949) Cass. 2e civ., 2 juill. 1974, Bull. civ. II, no 212 ; Cass. 2e civ., 14 nov. 1979, D. 1980, 365, note
J. Lemée.
(950) La Rule 26 du Federal Code of Civil Procedure impose aux parties de se révéler (disclose)
mutuellement leurs preuves. Cette règle, contraire à la Common Law d’Angleterre, a été imposée aux
USA par le législateur.
(951) Pour une première application pénale, Cass. crim., 12 déc. 2007, JCP E, 2008, 2016, n. M.
Danis ; JCP G, 2008, I, 181, no 8, obs. J.-H. Robert. L’arrêt n’examine pas la conformité de cette loi
à l’art. 6, § 1 Conv. EDH (droit à un procès équitable), pourtant discutable depuis qu’est reconnu un
« droit à la preuve » (infra, no 230).
(952) Ex. : Cass. 1re civ., 19 avr. 1977, aff. Dodo, Bull. civ. I, no 171 : « Il appartenait à Dodo (le
demandeur, auteur d’une donation à sa maîtresse dont il demandait l’annulation pour cause immorale
au motif que cette libéralité avait pour raison d’être le maintien des relations avec la donatrice)
d’établir le caractère immoral ou illicite de la cause de la libéralité litigieuse ».
(953) Adde C. pr. civ., art. 9 : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les
faits nécessaires au succès de sa prétention » (sur ce texte, v. aussi infra, no 245).
(954) Ex. : Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, Bull. civ. I, no 234 (prétendu débiteur d’EDF niant avoir
souscrit un contrat d’abonnement) ; Cass. 1re civ., 28 mars 1995, D. 1995, 517, note J. Huet ; JCP G,
1995.II.22539, note A. Bénabent : « Il incombe à France Télécom de démontrer l’existence et le
montant de sa créance » (avec l’enregistrement des communications) ; Cass. 1re civ., 21 mars 2006,
Bull. civ. I, no 166 : en l’absence de bon de commande ou de devis, c’est à l’entrepreneur de
démontrer que le client avait commandé ou accepté les travaux tels que ceux-ci ont été exécutés.
(955) Comp. Cass. soc., 11 janv. 2006, Bull. civ. V, no 6 : il incombe « à l'employeur de rapporter la
preuve du paiement du salaire conformément au droit commun » ; il ne lui suffit pas de produire des
bulletins de paie ou des attestations d’ouvriers témoignant de la paie.
(956) Ex. : Cass. 1re civ., 18 sept. 2008, Bull. civ. I, no 207 : « si les juges du fond sont tenus de
relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la forclusion édictée par l'article L. 311-37 [ancien]
du Code de la consommation lorsque celle-ci résulte des faits soumis leur examen, c'est à la partie
intéressée qu'il incombe d'invoquer et de prouver ces faits ».
(957) M. BUCHBERGER, « Le rôle de l’article 1315 du Code civil en cas d’inexécution d’un contrat »,
D. 2011, chr. 465.
(958) Cass. 1re civ., 19 nov. 1996, JCP G, 1997.II.22862, note J. Huet. L’art. 1315 (devenu art. 1353)
n’est pas visé et l’art. 1612 dit même le contraire : le juge a tranché en faveur de l’acheteur.
(959) Cass. 1re civ., 12 nov. 1975, Bull. civ. I, no 322.
(960) Cass. 1re civ., 14 janv. 2010, JCP G, 2010, 380, 2e esp., n. N. Dissaux ; D. 2011, 1649, obs.
D. R. M. (avec les autres réf.). Pourtant, le prêt consenti par un particulier à un particulier est un
contrat réel (et non consensuel) de sorte que la remise n’en est pas un effet mais une condition de
validité (qui n’a pas à être prouvée).
(961) Cass. com., 12 juill. 2005, Bull. civ. IV, no 159 ; Cass. 1re civ., 8 oct. 2009, D. 2010, 128,
n. V. Rebeyrol. Ces arrêts s’appuyaient sur l’ancien article 1132 C. civ. (auj. abrogé) alors que ce
texte ne régissait pas la charge de la preuve ; il se bornait à écarter la nullité d’une convention du
seul fait qu’elle n’exprime pas sa cause, en présumant son existence. Toutefois, une reconnaissance
de dette ne pouvait faire présumer la cause de l'obligation de l'emprunteur lorsque la remise était
intervenue après sa signature car le prêt n’existait pas encore à cette date (Cass. 1re civ., 9 févr. 2012,
D. 2012, 497).
(962) V. infra, no 231 in fine.
(963) Aubry et Rau avaient voulu exprimer la règle de l’art. 1353 (anc. art. 1315) en termes simples
(t. XII, 4e éd., 1877, § 749) : « La partie à laquelle incombe la charge de la preuve, soit comme
demanderesse, soit comme défenderesse, doit établir chacun des éléments de fait et de droit ou le
bénéfice légal qu’elle entend faire valoir suppose le concours ». Ultérieurement Bartin considéra
dans une note ajoutée à la 5e édition (§ 749, note 20 bis), qu’il était impossible de se fonder sur une
règle aussi générale : il faut « se borner à rapprocher les unes des autres les solutions fournies par
la pratique sur les questions de preuve, et arriver ainsi à classer, dans des catégories distinctes et
relativement nettes, les différentes sortes de litiges où les questions de droit les plus étrangères les
unes aux autres supposent, pour l’établissement du fait dont la solution du procès dépend,
l’emploi d’un raisonnement semblable et d’un même procédé de démonstration ». Paul Esmein
l’approuva dans la 6e édition (1958, § 749, note 91) : « D’autres considérations entrent en jeu pour
déterminer la charge de la preuve, comme il résulte de nos développements tirés des présomptions
que permet l’expérience, de la possibilité pour une partie de se ménager une preuve préconstituée,
de l’impossibilité pour l’autre partie d’apporter la preuve qui lui incombe en théorie ».
(964) V. infra, nos 221 et s.
(965) P. MIMIN, note sous Cass. soc., 10 avr. 1941, DC, 1942, p. 36, spéc. p. 39, 2e col.
(966) Elle peut être imprudente à un autre égard. V. Cass. 2e civ., 6 mars 1958, Bull. civ. II, no 178 ;
JCP G, 1958.II, 10902, note J. Chevallier : « Celui qui prend l’initiative de prouver ne saurait se
plaindre de ce que la charge de la preuve ait été intervertie à son détriment ».
(967) J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, éd. Panthéon-Assas, 2003.
(968) En matière de licenciement : C. trav., art. L. 1225-3, L. 1235-1 et art. L. 1333-1 ; ... de temps
de travail effectif : C. trav., art. L. 3171-4 ; ... de harcèlement : C. trav., art. L. 1154-1. La Cour de
cassation a étendu ce raisonnement à la preuve de la discrimination (d’abord syndicale : Cass. soc.,
28 mars 2000, RJS 5/00, no 498 ; puis en matière d’égalité de rémunération : Cass. soc., 10 oct. 2000,
RJS 12/00, no 1253) sous l’influence du droit communautaire (Dir. no 97/80/CE du 15 déc. 1997
« relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe » ; Dir.
no 2000/43/CE du 29 juin 2000 contre les discriminations raciales, art. 8, transposée par la L. du
30 déc. 2004, art. 19).
(969) Droit des obligations, coll. Droit civil.
(970) Sur les sources et le sens du principe de précaution, v. infra, nº 253.
(971) * Cass. 3e civ., 18 mai 2011, D. 2011, p. 1483, 2089, 2679 et 291 et les obs. : « La charte de
l'environnement et le principe de précaution ne remettaient pas en cause les règles selon
lesquelles il appartenait à celui qui sollicitait l'indemnisation du dommage à l'encontre du
titulaire de la servitude d'établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de
celui-ci et cette démonstration, sans exiger une preuve scientifique, pouvait résulter de
présomptions graves, précises, fiables et concordantes » (absence de preuve d’un lien de causalité
entre les courants électromagnétiques émanant de lignes électriques à très haute tension et la
mauvaise santé d’animaux d’élevage). Droit civil illustré, no 4.
(972) M. BOUTONNET, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, LGDJ, 2005.
(973) C. RADÉ, « Le principe de précaution : une nouvelle éthique de la responsabilité ? », Rev. jur.
env. 2000, p. 78.
(974) Ex. : Cass. 1re civ., 30 oct. 2007, Bull. civ. I, no 308.
(975) Ex. : Cass. soc., 25 mars 2009, Bull. civ. V, no 85 : « il appartient à l'employeur de rapporter
la preuve d'une éventuelle violation de la clause de non-concurrence et [...] la clause
contractuelle disposant du contraire était inopérante ».
(976) Ex. : Cass. 2e civ., 1er oct. 2009, Bull. civ. II, no 228 : la lettre d'un huissier de justice indiquant
que Mme X... ne demeurait pas en un lieu, où elle ne justifiait pas non plus être domiciliée, il lui
incombait de fournir l'indication de son domicile réel.
(977) Cass. soc., 31 mars 2016, nº 14-22292, inédit : « aucune lettre de licenciement n'a été
notifiée au salarié, l'enveloppe devant la contenir étant vide comme l'a reconnu l'employeur et
comme cela résultait du constat d'huissier ».
(978) Cass. civ., 5 févr. 1894, DP 1894, 1, 134 ; S., 1894, 1, 277 : « Les conventions légalement
formées sont la loi des parties, à moins que le consentement de l’une d’elles ne soit le résultat de
l’erreur, de la violence ou du dol ; l’un de ces cas échéant, c’est à celle qui invoque un de ces
moyens de nullité d’établir l’existence des faits dont ils peuvent dériver ». Mais la solution est
inverse dans les contrats régis par le Code de la consommation : le professionnel qui en réclame
l’exécution doit établir leur régularité (Cass. 1re civ., 17 févr. 1993, Bull. civ. I, no 79 ; démarchage à
domicile).
(979) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, 5e éd., par E. Bartin, t. XII, 1922, § 749
bis, note 19 bis : « La preuve complète en pure logique, ce serait la preuve totale, aussi bien celle
de l’absence de toutes insuffisances, déchéances ou restrictions à la naissance ou au maintien du
droit prétendu, que celle de la réunion des éléments de fait nécessaires à son existence [...]. Il est
le plus souvent impossible d’exiger du demandeur la preuve rigoureusement complète de tous les
faits constitutifs ou générateurs de son droit ».
(980) M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, LGDJ, t. VII, « Les
obligations » (2e partie), par P. Esmein, J. Radouant et G. Gabolde, 2e éd., 1954, no 1420 : supporte la
charge de la preuve « celui qui avance comme demandeur ou défendeur une proposition contraire à
l’apparence ». Ex. : Cass. soc., 7 janv. 1997, JCP G, 1997.II.22931 : « En présence d’un contrat de
travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif (en l’espèce, Pôle Emploi)
d’en rapporter la preuve ».
(981) Cass. 1re civ., 5 nov. 2014, D. 2014, 2308 et 2541, obs. Th. Clay.
(982) Ex. : C. civ., art. 1731 : « S’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les
avoir reçus en bon état de réparation locatives [...] ».
(983) Ex. : en matière d’assurance, l’art. L. 121-8 C. assur. distingue entre la guerre étrangère et la
guerre civile qui, toutes deux, excluent la garantie due par l’assureur. C’est à l’assuré de prouver que
le dommage subi n’est pas imputable à une guerre étrangère pour obtenir la couverture du risque.
C’est à l’assureur de prouver l’exclusion de garantie découlant d’une guerre civile (v. pour une
application rigoureuse de cette dernière règle : Cass. 1re civ., 24 mars 1992, aff. de la guerre civile
au Liban, D. 1994, 441, note B. Beignier ; RTD civ. 1993, p. 157, obs. crit. P.-Y. Gautier).
(984) Ex. : Cass. soc., 2 févr. 1999, Bull. civ. V, no 48 ; Dr. social 1999, p. 255 : « L’employeur doit
prouver le paiement du salaire » que la remise de la fiche de paie au salarié ne fait pas présumer.
(985) Selon une formule très générale, « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une
obligation particulière d’information, doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation »
(Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, Gaz. Pal. 1997, 1, 274, rap. P. Sargos ; RTD civ. 1997, p. 434, obs.
P. Jourdain (médecin) ; Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, JCP G, 1997.II.22948 (avocat)). L’art. 1112-1,
al. 4 C. civ. consacre cette jurisprudence. Adde F. VINEY, « À propos de la preuve de l’exécution de
l’obligation d’information », JCP G, 2014, 879.
(986) Ex. : Cass. 1re civ., 24 sept. 1999, D. 2010, 2672 (avec les autres réf.) : « il appartenait à
chacun des laboratoires [ayant fabriqué la molécule ayant entraîné des malformations du fœtus
durant la grossesse] de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage ».
(987) Ex. : Cass. 1re civ., 30 mars 1999, JCP E, 1999, p. 793, obs. P. Morvan ; JCP G,
2000.II.10334, note Cl. Ghica-Lemarchand ; RTD civ. 1999, obs. P.-Y. Gautier ; D. 2000, 596, note
D. Ammar. Recevant une facture d’eau exorbitante (11 415 francs), un abonné de la Compagnie
générale des eaux avait estimé ne devoir payer que la somme de 5 000 francs, eu égard à sa
consommation habituelle. Les juges du fond avaient reproché à la société concessionnaire de n’avoir
pas justifié le montant élevé de sa facture en prouvant « que des modifications substantielles sont
intervenues dans la consommation (de l’abonné) ou qu’une fuite d’eau après compteur existait sur
les installations ». Au contraire, la Cour de cassation estime que la preuve de la créance était
rapportée par le chiffre figurant sur le compteur d’eau et qu’il incombait à l’abonné, conformément à
l’art. 1315, al. 2, « d’établir le fait ayant produit l’extinction de son obligation ».
(988) 1º) En droit fiscal, le Conseil d’État affirme que la charge de la preuve de l’« acte anormal de
gestion » incombe à l’administration fiscale, à condition toutefois que le contribuable ait
préalablement établi l’exactitude de ses écritures comptables litigieuses. En outre, le juge
administratif pose des présomptions d’anormalité de l’acte litigieux, soit de non-conformité à
l’intérêt de l’entreprise, soit d’absence de contrepartie (A. FAUCHON, « La preuve de l’acte anormal
de gestion », in La preuve, Economica, 2004, p. 141). 2º) En droit pénal, le juge judiciaire interprète
de la même façon les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux (qui recouvre les mêmes
agissements).
(989) Étymologie : du latin præsumptio, onis = conception première, idée anticipée, lui-même
dérivé de sumo, ere = saisir + præ = avant. Biblio : R. DECOTTIGNIES, Les présomptions en droit
privé, LGDJ, 1950 ; Ch. PERELMAN et P. FORIERS, Les présomptions et les fictions en droit, Bruylant,
1974 ; A.-B. CAIRE, « Les présomptions par delà l’article 1349 du Code civil », RTD civ. 2015,
p. 311, et les références citées à la note 1 (l’auteur distingue les « présomptions-preuves », les
« présomptions-postulats » et les « présomptions-concepts »).
(990) V. supra, no 205.
(991) Sur ces arrêts, v. infra, no 413.
(992) Cass. 1re civ., 16 févr. 1988, Bull. civ. I, no 42 ; 2 janv. et 2 févr. 1994, JCP G, 1994.II.22294,
note Ph. Delebecque : « L’obligation de résultat emporte à la fois présomption de faute et
présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoqué ». Le juge prive
parfois la victime du bénéfice de cette présomption de causalité, l’obligeant ainsi à prouver le lien
de causalité par présomptions (au sens de l’art. 1382) ; il en est ainsi des personnes victimes de
contamination transfusionnelle par le virus de l’hépatite C (cf. D. JACOTOT, RRJ 2000, p. 509, spéc.
no 8), moins bien traitée de ce point de vue que les victimes du SIDA (L. 31 déc. 1991, art. 47, créant
un fonds d’indemnisation).
(993) Sur l’exigence (venant de la jurisprudence de la Conv. EDH puis constitutionnalisée) en droit
pénal d’un respect des droits de la défense, garanti par le caractère réfragable des présomptions de
culpabilité : Const. const., 16 juin 1999, décis. no 99-411 DC, D. 1999, 589, note Y. Mayaud (à
propos de l’art. L. 121-3 C. route).
(994) V. par ex. CGI, art. 39-4 : sont exclues des charges déductibles du bénéfice imposable les
dépenses ayant trait à l'exercice de la chasse ou de la pêche et celles relatives à la disposition de
résidences de plaisance ou d'agrément (ces « charges somptuaires » sont présumées non conformes à
l’intérêt de l’entreprise).
(995) Ex. : Cass. civ., 7 janv. 1935, DH 1935, 131 ; S., 1935, 1, 128, déduisant, dans un style
tourmenté, la preuve d’un paiement effectué par une femme pour le compte de son mari de
« présomptions démonstratives de la volonté que l’acheteur apparent avait eue d’agir comme
mandataire occulte, ou prête-nom [...] » de sa femme.
(996) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, 5e éd., par E. Bartin, t. XII, 1922, § 750,
note 1 bis : « La présomption légale n’est, au fond, qu’une présomption de fait généralisée
et systématisée par la loi ».
(997) V. supra, no 203.
(998) V. supra, nos 211 et 212.
(999) Comp. Cons. const., 19 févr. 1998, Loi organique portant recrutement exceptionnel de
magistrats de l’ordre judiciaire, décis. no 98-396 DC, JCP G, 1998.II.10104, note A. Quint, qui
valide cette loi sous cette réserve : le pouvoir réglementaire devra « prévoir des épreuves de
concours de nature à vérifier [...] les connaissances juridiques » des candidats et, pour ceux qui
siégeront en cour d’appel, « veiller à ce que soient strictement appréciées, outre la compétence
juridique des intéressés, leur aptitude à juger, ce, afin de garantir au second degré et dernier
degré de juridiction la qualité des décisions rendues, l’égalité devant la justice et le bon
fonctionnement du service public de la justice » (quel verbiage !).
(1000) Ex. : Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, cité infra, no 277 ; Cass. crim., 21 juin 1995, Bull. crim.,
no 232 : « L’opposabilité des textes législatifs et réglementaires résulte [...] de leur seule
publication au Journal officiel et de l’écoulement des délais fixés par » l’art. 2 du D. 5 nov. 1870.
(1001) C. pr. civ., art. 9 : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits
nécessaires au succès de sa prétention ».
(1002) C. pr. civ., art. 12, al. 1er : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui
lui sont applicables ».
(1003) La Cour de cassation n’exerce en principe qu’un contrôle de droit sur les décisions frappées
d’un pourvoi et rejette en conséquence les moyens « mélangés de fait et de droit » (v. supra, no 179).
(1004) S. GUINCHARD et al., Procédure civile, Dalloz, 30e éd., 2010, no 606.
(1005) Cass. soc., 19 févr. 2003, RJS, 5/03, no 646. V. aussi Cass. soc., 10 déc. 2002, JCP G,
2003.II.10065.
(1006) * Ex. : Cass. Ass. plén., 7 juill. 2006, Cesareo, JCP G, 2007, II, 10070, n. G. Wiederkehr ;
RTD civ. 2006, p. 825, obs. R. Perrot ; Cass. 1re civ., 28 mai 2008, JCP E, 2008, 1814, obs.
J. Béguin, en matière d’arbitrage.
(1007) Contra Cass. Ass. plén., 21 déc. 2007, JCP G, 2008, II, 10006, n. L. Weiller : l’art. 12 ne fait
pas obligation au juge, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement
juridique des demandes.
(1008) Biblio. sélective : Y. LAURIN, « L’amicus curiæ », JCP G, 1992.I.3603 ; G. FRANÇOIS,
« L’amicus curiæ et la Cour de cassation », RRJ 2007, p. 237 ; L. BURGORGUE-LARSEN, « Les
interventions éclairées devant la CEDH et le rôle stratégique des amici curiæ », Mélanges J.-
P. Costa, Dalloz, 2011, p. 69 (très favorable aux amici curiæ) ; S. MENÉTREY, L’amicus curiæ, vers
un principe commun de droit procédural, thèse, Dalloz 2010.
(1009) Sur les class actions, v. supra, no 171.
(1010) Paris, 21 juin et 6 juill. 1988, D. 1989, 341, note Y. Laurin ; JCP G, 1989.I.3413, annexe I ;
RTD civ. 1989, p. 138, obs. crit. J. Normand : le juge est « libre d’organiser cette recherche suivant
la démarche qu’il souhaite et suivant les modalités qui n’ont pas à lui être dictées [...] ; l’amicus
curiæ qui n’est ni un témoin, ni un expert, n’est pas soumis aux règles du C. pr. civ., sur la
récusation » sous réserve du respect des droits de la défense. Le conseil de l’ordre des avocats de la
cour d’appel de Paris a pris une délibération favorable à cette pratique pourvu que les avocats
puissent formuler leurs observations après l’amicus, pour assurer le respect du contradictoire.
(1011) Paris, 16 oct. 1992, D. 1993, 172, note Y. Laurin : « La cour [...] invite le Professeur Luc
Montagnier [...] à se présenter à son audience [...] pour qu’en sa qualité d'“amicus curiæ”, il
fournisse, en présence des parties, toutes informations propres à l’éclairer dans sa recherche de la
solution du litige ».
(1012) Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, cité infra, no 413 : « [...] après avoir entendu M. le professeur
Jean Bernard, président du Comité consultatif d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé
en une communication [...] ».
(1013) Cass. Ass. plén., 29 juin 2001, JCP G, 2001.II.10569, rap. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose,
note M.-L. Rassat, qui rejette l’incrimination d’homicide involontaire à l’égard d’un « enfant à
naître ». Le conseiller-rapporteur, l’avocat général et l’avocat du demandeur avaient, d’un commun
accord, sollicité l’avis donné par écrit de l’Académie de médecine et de diverses personnalités sur
la définition de la personne humaine.
(1014) CE, 6 mai 2015, nº 375036, Dr. adm. 2015, 66, n. G. Eveillard (un universitaire de la faculté
de droit de Nantes avait été chargé d’indiquer si le requérant justifiait d’un titre de propriété
antérieur à l'édit de Moulins de février 1566 ; la cour a méconnu son office en se fondant
exclusivement sur cette opinion).
(1015) V. supra, no 33.
(1016) Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004 (cinq arrêts) : JCP G, 2005.I.111, chron. J. Ghestin, Annexes.
L’absence d’aléa eût entraîné la requalification du contrat d’assurance-vie en contrat de
capitalisation et soumis les sommes en jeu aux règles du droit des successions et des régimes
matrimoniaux. Le flux des primes aurait été détourné des entreprises d’assurance. V. A. BÉNABENT,
RDC 2005.297.
(1017) P. DEUMIER, « Les motifs des motifs des arrêts de la Cour de cassation », Mélanges J.-F.
Burgelin, Dalloz, 2008, p. 125.
(1018) Dans Le Marchand de Venise, de Shakespeare, un procès oppose le Juif Shylock au Chrétien
Antonio. Pour s’éclairer, le doge fait comparaître, en qualité d’amicus curiae, un soi-disant « jeune
docteur de Rome », en réalité Portia, une amie d’Antonio. Le procès devient truqué. Sans doute,
l’amicus curiae prononce d’admirables paroles : « La nature de la miséricorde n’est pas qu’on la
force. Elle vient du ciel et tombe comme une douce pluie [...] Elle bénit celui qui la donne et celui
qui l’a reçue » (A. IV, Sc. 1).
(1019) V. LASSERRE, « Investiture de la société civile au Parlement. Analyse d’une nouvelle méthode
législative », JCP G, 2016, 181. – Q. MONGET, « La législation participative », JCP G, 2016, suppl.
au nº 7, 15 févr. 2016, p. 5 ; « Le projet de loi pour une République numérique », ibid., p. 10 (seul ce
projet de loi a fait l’objet d’une consultation innovante et ambitieuse).
(1020) Ex. : en vertu de l’art. 310, le juge français qui prononce le divorce d’un Allemand résidant
en Allemagne et d’une Française résidant en France doit appliquer la loi allemande.
(1021) Cass. 1re civ., 12 mai 1959, Bisbal, GAJDIP, nº 32 (avec les réf.).
(1022) Cass. 1re civ., 22 avr. 1986, JCP G, 1987.II.20878, note E. Agostini ; Rev. crit. DIP 1988,
p. 302, note J.-M. Bischoff ; JDI 1986, p. 1025, note H. Sinay-Cytermann.
(1023) Cass. 1re civ., 21 juill. 1987, Sfez, Bull. civ. I, no 240 ; Rev. crit. DIP 1988, p. 329, note
B. Ancel : « [...] notamment par un certificat de l’autorité religieuse compétente au regard du droit
confessionnel qui a été appliqué ».
(1024) Cass. 1re civ., 17 juin 1958, Peugeot, Bull. civ. I, no 315 ; Rev. crit. DIP 1958, p. 704, note
Ph. Francescakis.
(1025) Cass. req., 4 juin 1872, S., 1872, 1, 160 ; Cass. civ., 18 juill. 1876, S., 1876, 1, 451 ; Cass. 1re
civ., 21 nov. 1961, Montefiore, GAJDIP, nº 36 (avec les réf.). Le contrôle de la dénaturation est un
contrôle de fait, donc exceptionnel. Il s’étend à la jurisprudence étrangère, qualifiée de « source du
droit positif » au même titre que la « loi étrangère » (Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, Africatours, cité
infra, no 396, en note).
(1026) * Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, Ababou, JCP G, 1998.II.10098, note H. Muir Watt. L’arrêt a
été rendu sous le visa de l’art. 12 C. pr. civ. (cité supra, no 220), mais il est douteux que la loi
étrangère fasse partie des « règles de droit » dont ce texte confie l’application au juge ; la « règle de
droit » serait ici la règle de conflit. V. toutefois : Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, Bull. civ. I, no 14 : « la
loi étrangère [...], malgré l’absence de contrôle par la Cour de cassation, est une règle de droit
qui ne relève pas des prescriptions de l’art. 7 C. pr. civ. ».
(1027) Cass. com. et Cass. 1re civ., 28 juin 2005, Bull. civ. IV, no 138 et I, no 299 ; D. 2006, Somm.
1495, obs. P. Courbe (arrêts simultanés mettant fin à une divergence entre ces deux chambres).
(1028) Comme l’exigeait : Cass. 1re civ., 4 déc. 1990, Sté Coveco, Bull. civ. I, no 272 ; Rev. crit. DIP
1991, p. 558, note M.-L. Niboyet ; JDI 1991, p. 371, note D. Bureau.
(1029) À moins que la loi étrangère ne soit identique à la loi française. V. Cass. 1re civ., 13 avr. 1999,
JCP G, 1999.II.10261 ; Rev. crit. DIP 1999, p. 698, note B. Ancel et H. Muir Watt (identité des
art. 1385 [devenu art. 1243 dans le Code civil français] dans les Codes civils belge et français : le
juge peut appliquer l’une ou l’autre loi).
(1030) Comp. C. DAVID, La loi étrangère devant le juge du fond, Dalloz, 1965, no 381, p. 297, qui
note toutefois que « le juge reste extérieur à l’ordre juridique étranger, mais non au droit
coutumier ».
(1031) V. aussi en droit administratif : G. TEBOUL, Usages et coutumes dans la jurisprudence
administrative, LGDJ, 1989, p. 75.
(1032) Ph. LANGLOIS, « Les usages (dans les transformations du droit du travail) », Étude Gérard
Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p. 285.
(1033) Cass. soc., 11 juin 1987, D. 1987, IR, 155. Contra : Cass. soc., 22 avr. 1966, Bull. civ. IV,
no 367 : le juge « doit recourir à une mesure spéciale d’instruction en vue de rechercher s’il
n’existait pas un usage applicable ».
(1034) Cass. req., 22 déc. 1902, DP 1903, 1, 149 : « s’il est de principe que le juge ne peut tenir
les faits pour avérés qu’autant qu’ils ont été établis devant lui, selon les règles et formes
prescrites par la loi, il ne saurait lui être interdit, en matière de commerce, de constater un usage
pour en faire le fondement de sa décision ». L’incertitude qui entoure chaque usage interdit au juge
de soulever d’office son application sans le soumettre à la libre discussion des parties (T. civ.
Toulouse, 11 janv. 1939, DH 1939, 159. Comp. Cass. civ., 4 nov. 1918, DP 1923, 1, 102).
(1035) Tel est le cas dans le délit de tromperie (C. consom., art. L. 441-1) lorsque le produit sur
lequel porte la fraude ne contrevient à aucune réglementation. Ex. : Cass. crim., 7 oct. 1998, Dr. pén.
1999, comm. 60 : « en matière de fraude commerciale portant sur [...] un produit non réglementé,
il appartient aux juges du fond de se référer aux usages commerciaux en vigueur dont ils
apprécient souverainement l’existence » (emploi abusif par un conchyliculteur de la dénomination
« moules de bouchot », selon les avis d’un organisme professionnel et de l’Ifremer).
(1036) Ex. : Cass. com., 9 janv. 2001, Bull. civ. IV, no 9, appliquant un usage établi par les
attestations de la chambre des métiers de la Gironde et du Groupement des lamineurs et fileurs
d’aluminium.
(1037) En ce sens : Cass. com., 22 juin 1955, Bull. civ. IV, no 222.
(1038) Cass. civ., 14 oct. 1957, Bull. civ. I, no 297 ; Cass. com., 3 mai 1966, Bull. civ. IV, no 201 ;
Cass. 1re civ., 27 nov. 1973, Bull. civ. I, no 326 (la cour d’appel n’était « pas tenue de préciser les
éléments d’où résultait l’usage ») ; Cass. 1re civ., 6 janv. 1987, Bull. civ. I, no 2 ; JDI 1987, p. 638,
note B. Goldman : « Il n’appartient pas à la Cour de cassation de contrôler l’existence et
l’application des principes et usages du commerce international ».
(1039) La Cour de cassation censure les vices de motivation, tels que le manque de base légale (ex. :
Cass. soc., 2 juill. 1968, Bull. civ. V, no 349 ; le défaut de réponse à conclusions (ex. : Cass. com.,
14 juin 1977, Bull. civ. IV, no 148) ou la dénaturation d’écrits servant de preuve (ex. : Cass. civ.,
12 janv. 1938, DH 1938, 197).
(1040) V. supra, no 212.
(1041) Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, Bull. civ. I, no 111. V. déjà Cass. 3e civ., 9 mars 1988, Bull. civ. III,
no 53 : l’absence de « réserve ou protestation [...] n’établit pas l’existence d’un contrat entre les
parties ».
(1042) Sur l’aveu, v. infra, no 241.
(1043) Ex. : Cass. 2e civ., 29 juin 1967, Bull. civ. II, no 237.
(1044) Ex. : il est inopérant, afin d’établir la faute d’un conducteur de véhicule, de vouloir démontrer
sa passion pour le tiercé ou la vie dissolue de sa femme.
(1045) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, 5e éd., par E. Bartin, t. XII, 1922, § 749
bis, note 10 bis : « En pure logique, la preuve ne devrait jamais avoir pour objet que les faits qui
ont donné naissance au droit invoqué en justice. En réalité, pareille exigence est inadmissible [...].
La force des choses conduit à substituer à la preuve des faits générateurs du droit prétendu, qu’il
est pratiquement impossible d’atteindre, la preuve de faits voisins et connexes [...]. L’objet de la
preuve se déplace, en quelque sorte, et je propose, en effet, de qualifier du nom de déplacement de
preuve ce trait essentiel de la preuve judiciaire ».
(1046) Ex. : Cass. civ., 18 janv. 1813, Jur. Gén., Vo Dispositions entre vifs et testamentaires,
no 2513 : il est inopérant, pour celui qui se prétend légataire, de vouloir prouver que le de cujus
l’avait verbalement gratifié à cause de mort puisque, en droit français, le testament verbal est
dépourvu d’effet.
(1047) Ex. : il est inopérant de demander qu’une enquête soit ordonnée pour établir qu’un événement
a eu lieu sans témoin.
(1048) Ex. : Cass. 2e civ., 12 mars 1970, Bull. civ. II, no 96 : « Le juge n’est pas tenu d’ordonner une
mesure d’instruction quand sa conviction est formée » ; en l’espèce, « l’enquête civile s’avérait
sans intérêt ».
(1049) Ex. : Cass. com., 4 nov. 1965, Bull. civ. IV, no 557.
(1050) Ex. : Cass. com., 21 oct. 1963, Bull. civ. IV, no 425 : les juges du fond ont pu rejeter la
demande d’enquête formulée par le soi-disant créancier, « ayant relevé le caractère invraisemblable
de la créance alléguée ».
(1051) Pour la force probante, v. infra, no 253. Sur l’aveu judiciaire invraisemblable, v. infra,
no 241, 1º.
(1052) V. infra, nos 230 et s.
(1053) Ex. : Cass. com., 13 juin 1995, Bull. civ. IV, no 172 ; RTD com., 1995, p. 818, obs.
M. Cabrillac : « Le secret professionnel auquel est tenu un établissement de crédit constitue un
empêchement légitime opposable au juge civil », au sens des art. 10 C. civ. et 11 C. pr. civ. (sur ces
textes, v. supra, no 212).
(1054) Cass. 2e civ., 29 mars 1989, aff. de l’archevêque de Nouméa, D. 1990, 45, note M. Robine
(cassant Nouméa, 28 sept. 1987, JCP G, 1988.II.20994, note J.-L. Vivier) : « Nul ne peut être
contraint à produire en justice des documents relatifs à des faits dont il a eu connaissance dans
l’exercice de ses fonctions et touchant à l’intimité de la personne » (l’archevêque de Nouméa avait
refusé de communiquer au juge civil des pièces extraites d’une procédure ecclésiastique en
annulation de mariage).
(1055) Cass. crim., 4 déc. 1891, DP 1892, 1, 139 : les ministres du culte (quel qu’il soit) sont tenus
au secret professionnel dont la violation constitue le délit de l’art. 226-13 C. pén. Adde Cass. crim.,
6 juill. 1894, DP 1899, 1, 171 : le témoin tenu au secret professionnel a le droit et le devoir de ne
donner aucune explication sur des faits dont il n’aurait eu connaissance qu’à raison de sa profession
et qui ne lui auraient été révélés qu’à titre confidentiel. V. toutefois T. corr. Caen, 4 sept. 2001,
D. 2002, Som. 1803, obs. G. Roujou de Boubée, condamnant l’évêque de Caen qui n’avait pas
dénoncé les faits de pédophilie imputables à un prêtre de son diocèse, cette information ne relevant
pas de la confession (l’évêque ne confesse pas les prêtres de son diocèse).
(1056) Le canon 1388, § 1, du Code de droit canonique menace d’excommunication « le confesseur
qui viole directement le secret sacramentel » (le secret de la confession, mais non les autres
secrets). Cf. H. MOUTOUH, « Secret professionnel et liberté de conscience : l’exemple des ministres
du culte », D. 2000, chr. 431.
(1057) Cass. 1re civ., 4 juin 2014, Bull. civ. I, nº 101 : « le droit à la preuve découlant de l'article 6
de la Convention EDH ne peut faire échec à l'intangibilité du secret professionnel du notaire,
lequel n'en est délié que par la loi, soit qu'elle impose, soit qu'elle autorise la révélation du
secret ». Pour une critique, G. LARDEUX, note sous CJCE, 16 juill. 2015, aff. C-580/13, Coty
Germany GmbH, D. 2016, 96 (faisant prévaloir le droit à la preuve d’une contrefaçon sur le secret
bancaire).
(1058) * Cass. crim., 19 déc. 1885, aff. du peintre Bastien-Lepage, DP 1886, 1, 347 ; S., 1886, 1,
86 : en l’espèce, le peintre Bastien-Lepage avait été soigné par le docteur Watelet pour un cancer des
testicules ; après son décès, le journal Le Matin avait publié une nécrologie insinuant qu’il était mort
d’une maladie vénérienne mal soignée ; son médecin voulut rétablir la vérité par un nouvel article ; il
fut condamné pour violation du secret professionnel.
(1059) Le docteur Gubler, médecin personnel de François Mitterrand, avait publié un livre de
révélations sur la santé du défunt président, intitulé « Le grand secret », qui fut interdit de diffusion
(Cass. 1re civ., 16 juill. 1997, D. 1997, 452 ; JCP G, 1997.II.22964). Ultérieurement, la France fut
condamnée pour violation de l’article 10 Conv. EDH en raison du trop long maintien de l’interdiction
et alors que le médecin avait été condamné pénalement et disciplinairement (CEDH, 18 mai 2004,
D. 2004, 1838, note A. Guedj).
(1060) V. infra, nº 230.
(1061) Ex. : Cass. 1re civ., 26 mai 1964, D. 1965, 109, note R. Le Bris ; JCP G, 1964.II.13751, concl.
R. Lindon.
(1062) 1er ex. : C. pén., art. 226-14 : l’art. 226-13 n’est pas applicable à celui qui informe les
autorités de privations ou sévices infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne vulnérable.
De facultative, la dénonciation devient obligatoire pour les professionnels de l’enfance en danger, à
peine de poursuites pénales. 2e ex. : l’Administration fiscale et les organismes de sécurité sociale
disposent d’un « droit de communication » qu’ils exercent auprès d’un grand nombre de personnes
privées et publiques (LPF, art. 81 et s. ; CSS, art. L. 114-19 et s.). Nul secret professionnel ne peut y
faire obstacle.
(1063) Ex. : l’art. 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit la preuve de la
vérité du fait diffamatoire (l’exceptio veritatis est un moyen de défense pour le diffamateur)
« lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne ».
(1064) J. LARGUIER, « La preuve d’un fait négatif », RTD civ. 1953, p. 1.
(1065) Ex. : Cass. 3e civ., 13 déc. 1989, Bull. civ. III, no 234 : c’est au bailleur qui souhaite résilier le
bail conclu avec un couple de boulangers de démontrer que le nouveau four de ses locataires cause
des nuisances aux tiers et non aux époux boulangers de prouver qu’il n’en cause pas, « ce qui
conduirait à exiger d’eux une preuve négative ».
(1066) Cass. com., 5 mars 1996, Bull. civ. IV, no 77. Une société anonyme affirmait ne pas être en
mesure de prouver que son président n’avait pas été autorisé par le conseil d’administration à
souscrire un cautionnement et, sous ce prétexte, refusait de communiquer le registre des délibérations
du conseil : « Le juge doit tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus par une partie
d’apporter son concours à la justice, en vue de la manifestation de la vérité » (C. civ., art. 10 ;
C. pr. civ., art. 11), ce qui « rendait possible la preuve du fait allégué ».
(1067) Ex. : Cass. req., 29 oct. 1940, DH 1940, 195 : « Il incombait à la veuve (d’un homme mort
noyé après avoir souscrit une assurance-décès) de rapporter la preuve, non seulement que le décès
de son mari était dû à une immersion, mais que cette immersion était involontaire » (afin de
conserver le bénéfice de la police d’assurance, qui eût été écartée en cas de suicide, selon l’art.
L. 132-7, C. assur.).
(1068) 1er ex. : je peux démontrer que je n’étais pas là à tel instant en prouvant que j’étais ailleurs
(sens étymologique du mot alibi). 2e ex. : Cass. req., 17 févr. 1913, S., 1913, 1, 260 : la preuve de la
non-consommation du mariage, cause de divorce, résulte d’un certificat attestant la virginité de
l’épouse et de documents montrant qu’elle n’avait « jamais opposé de résistance à
l’accomplissement du devoir conjugal ».
(1069) Ex. : Cass. 1re civ., 2 mai 1955, Bull. civ. I, no 176 : pour écarter l’hypothèse d’un suicide
conscient et réfléchi du souscripteur d’une assurance-décès, le bénéficiaire réunira des indices
d’inconscience tels que l’état mélancolique du défunt avant sa mort ou ses difficultés familiales et
professionnelles...
(1070) Ex. : Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, Bull. civ. I, no 313 ; RTD civ. 1998, p. 402, obs. P.-Y.
Gautier : « Il incombe au prestataire, en sa qualité de demandeur, d’établir le montant de sa
créance et, à cet effet, de fournir les éléments permettant de fixer ce montant, et il appartient au
juge d’apprécier celui-ci en fonction notamment de la qualité du travail fourni » (contestation par
un client des honoraires dus à un expert-comptable). Comment le prestataire peut-il prouver la qualité
de son travail ?
(1071) Cass. com., 15 mai 2007, Bull. civ. IV, no 130 : « le fait d’interdire à une partie de faire la
preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions constitue une atteinte au
principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la
Conv. EDH » ; parallèlement, « une atteinte à la vie privée peut être justifiée par l'exigence de la
protection d'autres intérêts, dont, antérieurement, celle des droits de la défense, si elle reste
proportionnée » (la production de pièces relatives à l’état de santé d’un dirigeant d’entreprise
pouvait être justifiée par la nécessité de savoir s’il n'avait pas été empêché d'exercer ses fonctions).
Dans le même sens, Cass. 1re civ., 5 avril 2012, D. 2012.1596, note G. Lardeux : la production d’une
correspondance privée par le demandeur pouvait être « indispensable à l'exercice de son droit à la
preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».
(1072) G. GOUBEAUX, « Le droit à la preuve », in La preuve en droit, Bruylant, 1981, p. 301.
(1073) A. BERGEAUD, Le droit à la preuve, thèse, LGDJ, 2010 (ce droit serait autonome par rapport
au principe du respect du contradictoire, au droit à un procès équitable ou à l’égalité des armes et au
droit d’agir en justice).
(1074) V. supra, no 201.
(1075) Étymologie : du latin litteralis, is, e = relatif aux lettres de l’alphabet, dérivé de littera,
æ = lettre.
(1076) Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, Bull. civ. I, no 473 : « la preuve d’un mandat, même verbal, ne
peut être reçue que conformément aux règles générales sur la preuve des conventions ».
(1077) Ces deux catégories de preuves seront étudiées plus en détail infra, nos 235 et s.
(1078) V. infra, nº 232, 1º.
(1079) Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, D. 2012, 640 (2e esp.).
(1080) Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, D. 2012, 640 et 993, n. A. Donnette (3e esp.). La notion de
« cause » a disparu du Code civil après la réforme du droit des contrats (ord. 10 févr. 2016).
(1081) Cass. req., 18 juill. 1906, DP 1907, 1, 111 ; Cass. civ., 24 déc. 1919, DP 1920, 1, 12 ; S.,
1922, 1, 6 ; RTD civ. 1921, p. 259, obs. R. Demogue (la Cour de cassation appelait « fait juridique »
et « fait matériel », respectivement, l’acte juridique et le fait juridique). Adde : Cass. 1re civ., 27 avr.
1977, D. 1977, 413 ; Cass. com., 13 mars 1984, Bull. civ. IV, no 99 ; D. 1985, 244, note Y. Reinhard :
« La preuve d’une société de fait, qui n’a d’autre objet que de déterminer les rapports qui ont pu
exister entre les associés, peut être rapportée par tout moyen » ; Cass. 1re civ., 9 déc. 1986,
Bull. civ. I, no 292 (preuve d’une intention libérale) ; Cass. 1re civ., 23 févr. 1994, Defrénois 1995,
p. 876 (la preuve d’un vice du consentement, simple fait extérieur à un acte notarié, est libre mais
elle ne doit pas aller à l’encontre du contenu de l’acte) ; Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, Bull. civ. I,
no 220 : « Tout rapport amiable peut valoir, à titre de preuve, dès lors qu'il est soumis à la libre
discussion des parties » (preuve d’un vice caché) ; Cass. 1re civ., 4 janv. 2005, cité infra, no 232
(preuve du refus d’un examen médical) ; Cass. soc., 25 sept. 2013, cité infra, nº 240, 4º (preuve par
courriel des pressions exercées par un employeur sur son salarié).
(1082) Ex. : Cass. 3e civ., 23 oct. 2013, Bull. civ. III, nº 134 : « la faute résultant de la violation
d'une règle d'urbanisme et recherchée sur le fondement de l'article 1382 [anc., devenu art. 1240]
du Code civil, pouvait être établie par tous moyens ».
(1083) L. SIGUOIRT, La preuve du paiement des obligations monétaires, thèse, LGDJ, 2010.
(1084) Il fut d’abord jugé que « celui qui excipe du paiement d’une somme d’argent est tenu d’en
rapporter la preuve conformément aux règles édictées par les art. [1359] et s. » (Cass. 1re civ.,
19 mars 2002, Bull. civ. I, no 101) ; néanmoins, « le paiement de l’indu, simple fait juridique, peut,
s’agissant d’un quasi-contrat, être prouvé par tous moyens » (Cass. 1re civ., 29 janv. 1991,
Bull. civ. I, no 36) ; de même, « aucune disposition n’impose qu’un ordre de virement, même
émanant d’un non-commerçant, soit rédigé par écrit » (Cass. com., 29 janv. 1985, Bull. civ. IV,
no 36).
(1085) Cass. 1re civ., 6 juill. 2004, Bull. civ. I, no 202.
(1086) Cass. req., 18 juill. 1906, DP 1907, 1, 111 ; Cass. 3e civ., 25 janv. 1984, Bull. civ. III, no 20 ;
D. 1985, 117, note J. Héron : « irrecevabilité de la demande d’enquête formée par (une indivisaire)
pour prouver que, contrairement aux termes d’une quittance notariée, elle n’avait pas reçu sa part
du prix d’adjudication ». – Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, JCP E, 2012, 184 ; D. 2012, 63, n. J. François
et 2831, obs. I. D.-C : « si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n'a pas la valeur
libératoire qu'implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions
prévues par les articles 1341 [anciens] et suivants du Code civil ». Sur le cas où la quittance
mentionne une somme payée « en dehors de la comptabilité du notaire », v. infra, nº 251.
(1087) Cass. 1re civ., 15 sept. 2010, Bull. civ. I, no 160, précisant que « l'absence de rigueur [du
créancier vis-à-vis de son débiteur] au cours de l'exécution du bail ne permettait pas de dire que
les parties avaient passé une convention simulée ».
(1088) Cass. 1re civ., 17 déc. 2009, JCP G, 2010, 315, n. L. Leveneur (preuve de la dissimulation du
prix de vente d’un immeuble – un « dessous-de-table »).
(1089) Ex. : Cass. 1re civ., 2 févr. 1988, Bull. civ. I, no 30 ; Cass. 1re civ., 9 mai 1996, Bull. civ. I,
no 189 : la preuve d’une clause de tacite reconduction stipulée dans un contrat d’assurance est libre
dans les rapports entre assureurs et soumise à l’art. 1359 (anc. art. 1341) « dans les rapports entre
les parties au contrat et à l’égard de la victime ». – Cass. 1re civ., 3 juin 2015, nº 14-19825,
D. 2016, 172, obs. A. Aynès : « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de
paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du
contrat de mandat auquel il n'est pas partie ».
(1090) Il faut tenir compte ici des effets de la représentation. V. Cass. 1re civ., 19 déc. 1995,
Bull. civ. I, no 473 : les règles civiles de preuve « sont également applicables dans les rapports du
mandant avec les tiers qui ont traité avec le prétendu mandataire ».
(1091) Ex. : Cass. 1re civ., 18 mai 1994, Bull. civ. I, no 175 : « La révocation d’un contrat par
consentement mutuel des parties peut être tacite et résulter des circonstances de fait
souverainement appréciées par les juges du fond, sans qu’il soit nécessaire d’en rapporter la
preuve par écrit ».
(1092) Cass. com., 25 juin 2002, Bull. civ. IV, no 110.
(1093) Cass. 1re civ., 7 mai 1980, Bull. civ. I, no 142 : la renonciation tacite à un droit n’est assujettie
à aucun mode particulier de preuve. Cf. Fr. DREIFUSS-NETTER, Les manifestations de volonté
abdicatives, LGDJ, 1985, nos 81 et s. et nos 160 et s. – La Cour de cassation avait décidé de contrôler
la qualification de renonciation (Cass. ch. mixte, 26 avr. 1974, D. 1975, 249, note J. Boré ; JCP G,
1975.II.18157, concl. Gégout : « La renonciation à un droit ne résulte que d’actes manifestant sans
équivoque la volonté de renoncer »).
(1094) Cass. 1re civ., 20 févr. 1996, Bull. civ. I, no 92 ; 11 janv. 2000, D. 2001, 890 ; RTD civ. 2002,
p. 121, obs. Th. Revet.
(1095) Cass. 3e civ., 20 juill. 1988, Bull. civ. III, no 136.
(1096) Cass. civ., 10 juill. 1945, D. 1946, 181, note P. Mimin ; Cass. 1re civ., 20 janv. 1969,
Bull. civ. I, no 30 ; Cass. 1re civ., 27 avr. 1977, Bull. civ. I, no 192 ; Cass. 3e civ., 30 mai 1996,
Bull. civ. III, no 122 (l’appréciation de la « consistance exacte des biens loués » est souveraine).
(1097) Cass. 1re civ., 25 janv. 1989, deux arrêts, Bull. civ. I, nos 41 et 42. V. cependant, Cass. 1re civ.,
26 janv. 2012, Bull. civ. I, nº 13 : « s'il n'est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions
contre et outre le contenu des actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un
acte obscur ou ambigu » (admettant que l’existence d’une « erreur matérielle évidente » entachant un
acte notarié soit déduite du silence opposé par l’un des cocontractants à l’affirmation de l’autre).
(1098) L’objet que cette preuve rend vraisemblable doit être bien identifié. Ex. : Cass. 1re civ., 3 juin
1998, JCP E, 1998, p. 1072, note P. Morvan ; Defrénois 1999, p. 99, note S. Piédelièvre ; D. 1999,
453 ; JCP G, 1999.II.10062 : « L’endossement de chèque démontre seulement la réalité de la
remise de fonds », non l’existence d’un contrat de prêt.
(1099) Cass. 1re civ., 16 juin 1993, Bull. civ. I, no 219 ; D. 1995, 406, note R. Raffi (rature apposée
par le créancier sur la signature du débiteur dans une reconnaissance de dette).
(1100) Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, Bull. civ. I, no 328 : « en l'absence d'écrit constatant
l'abonnement (téléphonique), le relevé informatique émanant de la société France Telecom ne
pouvait constituer un commencement de preuve par écrit de la créance litigieuse ».
(1101) Cass. 1re civ., 27 mai 1986, Bull. civ. I, no 141 ; RTD civ. 1987, p. 765, obs. J. Mestre. La
copie carbone était aussi une copie au sens de l’ancien art. 1334 C. civ. (Cass. 1re civ., 17 juill. 1980,
Bull. civ. I, no 225).
(1102) Cass. 1re civ., 14 févr. 1995, JCP G, 1995.II.22402, note Y. Chartier ; D. 1995, 341, note
S. Piédelièvre.
(1103) J. HUET, « La valeur juridique de la télécopie (ou fax), comparée au télex », D. 1992, chr. 33.
Sur la télécopie, v. aussi la note suivante et infra, no 244, en note.
(1104) Cass. req., 10 déc. 1810 et 31 août 1831, reproduits in D. AMMAR, note au JCP G,
1995.II.22512. L’enjeu (aujourd’hui dépassé) était relatif à la validité de l’accomplissement d’une
formalité procédurale par télécopie là où la loi exige un écrit.
(1105) Ex. : Cass. 1re civ., 23 janv. 1996, Bull. civ. I, no 41 : « En retenant des présomptions tirées
du refus (d’une partie) de s’expliquer sur le sens qu’elle entend donner à sa signature, et de ses
réticences et arguties, la cour d’appel, [...] ne s’est pas fondée sur des éléments intrinsèques au
document ».
(1106) Ex. : Cass. 1re civ., 13 mai 1964, Bull. civ. I, no 251 : le titulaire d’un livret de caisse
d’épargne étant « incapable d’écrire », l’autorisation délivrée à un tiers de retirer de l’argent se
prouve par tous moyens.
(1107) Ex. : Cass. 1re civ., 18 sept. 2008, no 06-21384, inédit (« relation sentimentale ») ; CA Paris,
Pôle 5, ch. 1, 12 janv. 2011, nº 09/16085, inédit : « Les parties entretenaient des rapports
particuliers de confiance et d’affection dans le cadre d’une relation intime établie depuis plus de
deux années. L’appelante [l’écrivain Calixthe Belaya] se trouvait, en de telles circonstances, dans
l’impossibilité morale de se constituer la preuve littérale de l’obligation pour l’intimé
[l’animateur Michel Drucker] de lui octroyer une rémunération en contrepartie du travail
accompli » (la rédaction d’un livre).
(1108) Cass. 1re civ., 20 mai 2009, Bull. civ. I, no 97 (« liens de parenté et d’affection »). Pour des
exemples devant des cours d’appel : D. 2008, Pan., 2825, obs. Ph. Delebecque.
(1109) Ex. : Cass. 3e civ., 7 janv. 1981, Bull. civ. III, no 7, des « liens particuliers et quasi familiaux
d’estime et d’affection » avaient mis un débirentier « dans l’impossibilité morale de se procurer
une preuve littérale du paiement de la rente viagère qu’il devait ».
(1110) Cass. 1re civ., 17 mars 1982, Bull. civ. I, no 114 ; Cass. com., 22 mars 2011, RTD civ. 2011,
p. 493, obs. P. Deumier (usage agricole de conclure verbalement des ventes d’aliments pour le bétail,
notamment par téléphone). La jurisprudence semblait admettre que l’usage déroge directement à
l’article 1359 (anc. art. 1341) sans caractériser l’impossibilité morale. Il est vrai que les usages
professionnels auraient, selon une doctrine, une nature conventionnelle (v. infra, no 375) ; or, une
convention peut écarter l’art. 1359 (v. infra, no 234).
(1111) Cass. 1re civ., 12 nov. 2009, Bull. civ. I, no 227 (irrecevabilité de la photocopie certifiée
conforme d’un testament olographe, l’original n’ayant pas été perdu à la suite d’un cas fortuit ou de
force majeure).
(1112) Cass. 1re civ., 14 et 29 janv. 2014, D. 2014, 709, n. E. Garaud : « l'exception qu'institue
[l’art. 1348] n'est pas subordonnée à l'existence d'un commencement de preuve par écrit »
(2e esp.).
(1113) V. infra, nº 238, 1º.
(1114) Cass. 1re civ., 30 avr. 1969, D. 1969, 412 ; JCP G, 1969.II.16057, note M. A. : si, en principe,
la copie d’un acte sous signature privée n’a aucune valeur légale et ne peut suppléer à la
représentation de l’original, il n’en est pas de même lorsque l’existence de l’original et la conformité
de la copie ne sont pas déniées ; Cass. 1re civ., mai 2006, Bull. civ. I, no 211 : en raison des
discordances affectant les copies produites, le juge ne peut se prononcer sur l'incident de faux sans
ordonner la représentation de l'original de l'acte qui en est l'objet ; Cass. 1re civ., 24 oct. 2006,
Bull. civ. I, no 436 (même si la copie produite a été certifiée conforme par le notaire).
(1115) Cass. 1re civ., 25 juin 1996, Bull. civ. I, no 270.
(1116) Cass. 1re civ., 6 oct. 1998, Bull. civ. I, no 271 : à défaut d’acte original, dont il lui appartient
d’ordonner la production dès lors qu’une partie conteste la conformité de la copie, le juge doit
« rechercher si la copie versée aux débats (est) une reproduction fidèle et durable de l’original ou
si celui-ci (a) disparu par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure » ; Cass. 1re civ., 28 mars
2000, Bull. civ. I, no 106 : lorsqu’une partie soutient qu’une télécopie est un « montage destiné à
faire croire à l’existence d’un original qu’elle n’avait pas établi », le juge décide par une
appréciation souveraine que la preuve du contrat n’est pas rapportée ; Cass. 1re civ., 30 mai 2000,
JCP G, 2001.II.10505, qui conclut, à l’inverse, que la photocopie était une « copie sincère et fidèle »
en l’absence de « trace de falsification par montage » et en présence de « grande similitudes »
avec l’écriture du débiteur.
(1117) Cass. 1re civ., 19 févr. 2013, D. 2013, 1041, n. É. Garaud : la photocopie ne contenait pas,
conformément à l’art. 1325 ancien (devenu art. 1375), « la mention du nombre des originaux qui
avaient été faits de la convention synallagmatique et ne pouvait dès lors valoir que comme
commencement de preuve par écrit » (sur les exigences des art. 1375 et 1376, v. infra, nº 237).
(1118) Cass. 1re civ., 13 déc. 2005, Bull. civ. I, no 503. Comp. Cass. 1re civ., 12 nov. 2009, JCP G,
2009, 584, n. J.-R. Binet, qui n’applique que l’art. 1348, alinéa 1er du C. civ. et semble ne pas vouloir
prendre appui sur son alinéa 2.
(1119) Ex. : Cass. 1re civ., 29 juin 1960, Bull. civ. I, nº 355 : en participant sans réserve à une mesure
d’instruction judiciaire (enquête), une partie avait admis que l’offre de preuve portant sur un fait
matériel (et non sur la servitude litigieuse, qui aurait dû être prouvée par écrit) était pertinente et ne
pouvait plus contester la recevabilité de la preuve testimoniale à ce sujet.
(1120) Ex. : Cass. req., 20 mars 1876, DP 1877, 1, 254 ; S. 1877, 1, 338 (partie ayant déclaré qu’elle
s’en rapportait aux livres de compte du notaire : « cette convention [...] ne porte aucune atteinte à
l’ordre public »).
(1121) Cass. 1re civ., 8 nov. 1989, Crédicas, deux arrêts, Bull. civ. I, no 342 ; Bull. inf. C. cass. 1990,
no 296, p. 21, rap. C. Bernard ; D. 1990, 369, note Chr. Gavalda ; JCP G, 1990.II.21576, note
G. Virassamy ; D. 1990, somm. 327, obs. J. Huet ; D. 1991, somm. 38, obs. M. Vasseur.
(1122) Cass. 1re civ., 19 oct. 1999, Bull. civ. I, no 285 : le titulaire de la carte de crédit qui
communique à un hôtelier le numéro de sa carte délivre un ordre de paiement du prix convenu par
débit de son compte ; il lui incombe de se ménager la preuve qu’il a annulé à temps sa réservation.
(1123) V. supra, no 213.
(1124) Y. FLOUR et A. GHOZI, « Les conventions sur la forme », in Le formalisme, Defrénois 2000,
p. 866 et s., art. 37211. Sur la force probante, v. infra, nos 250 et s.
(1125) Cass. 2e civ., 10 mars 2004, Bull. civ. II, no 101 : « la preuve du sinistre, qui est libre, ne
pouvait être limitée par le contrat » d’assurance (qui, en l’espèce, énumérait les indices d’effraction
admissibles). L’arrêt s’appuie sur l’art. 6, § 1, Conv. EDH.
(1126) V. supra, no 233.
(1127) Ph. MALAURIE, « Regards sur le formalisme en droit privé », Defrénois 2005, art. 38129,
p. 481.
(1128) V. supra, no 231.
(1129) L’authenticité (rapp. collectif à la demande du Conseil supérieur du notariat), dir. L. Aynès,
La Doc. fr., 2013 (cf. la présentation de ce rapport par L. AYNÈS, JCP, G 2013, 1066 et M. MEKKI,
ibid., 1064). La sécurité juridique, la force probante et la force exécutoire de l’acte authentique
expliquent sa diffusion mondiale, sauf dans les pays anglo-saxons. Adde J.-M. OLIVIER,
« L’authenticité en droit positif français », in Modernité de l’authenticité, LPA, 28 juin 1993, no 77,
p. 12 ; Y. LAUTHIER, RDC 2012, p. 44.
(1130) Cass. soc., 29 oct. 2002, Bull. civ. V, no 326 : « aux termes de l'art. 1er de l'ordonnance du
2 novembre 1945 les huissiers de justice peuvent être commis en justice pour effectuer des
constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit
qui peuvent en résulter ; (ils) ne peuvent être commis pour procéder à des auditions de témoins qui
relèvent de la procédure d'enquête prévue par les art. 204 et s. C. pr. civ. et ils ne peuvent dès lors
recueillir des témoignages qu'aux seules fins d'éclairer leurs constatations matérielles ».
(1131) Cass. 2e civ., 12 déc. 1990, Rev. arb. 1991, p. 317, n. Ph. Théry. V. d’ailleurs C. pr. civ.,
art. 1477, 1478, 1500 qui mentionnent la « minute de la sentence ».
(1132) Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, Bull. civ., nº 118 ; Cass. ch. mixte, 21 déc. 2012, Bull. civ. ch.
mixte, nº 4. Contra, Cass. 2e civ., 7 juin 2012 (5 arrêts), D. 2012.1557 et 1789, n. M. Mekki ; JCP N,
2012, 11311, n. Ph. Théry ; RDC 2012, 1209, obs. R. Libchaber. Sur cette controverse, v. les
chroniques de : Ph. DELEBECQUE, JCP G, 2012, 263 ; L. AYNÈS, D. 2012, 890 ; Ph. THÉRY, JCP G,
2012, 471. Sur le « déclassement » de l’acte authentique irrégulier, v. infra, nº 251.
(1133) Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, nº 14-13237, Bull. civ., à paraître.
(1134) Ex. : Cass. 1re civ., 5 nov. 2009, D. 2010, 938, n. N. Dissaux : « le mandat apparent ne peut
être admis pour l'établissement d'un acte par un notaire instrumentaire avec le concours d'un
confrère, les deux officiers publics étant tenus de procéder à la vérification de leurs pouvoirs
respectifs » (un des deux notaires n’avait plus mandat de son client).
(1135) La « grosse » (copie exécutoire) était rédigée en grosses lettres par opposition à la « minute »
(l’original), rédigée en petits caractères (minuta scripta).
(1136) L. no 76-519 du 15 juin 1976, art. 1er : « Pour permettre au créancier de poursuivre le
recouvrement de sa créance, le notaire établit une copie exécutoire, qui rapporte littéralement les
termes de l’acte authentique qu’il a dressé. Il la certifie conforme à l’original et la revêt de la
formule exécutoire ». Cette formule exécutoire est identique à celle apposée sur les jugements
(D. no 71-941 du 26 nov. 1971, mod. D. 10 août 2005, art. 33. Sur son libellé, v. supra, no 173).
L. no 91-650 du 9 juill. 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution, art. 3 : « Seuls
constituent des titres exécutoires : [...] 4o Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ».
(1137) Cass. 1re civ., 5 nov. 2009, préc. Jurisprudence constante.
(1138) Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, Bull. civ. I, no 6 ; 20 janv. 1998, Bull. civ. I, no 21 : « Le notaire
est tenu, en tant que rédacteur d’un acte, de procéder préalablement à la vérification des faits et
conditions nécessaires pour en assurer l’utilité et l’efficacité » juridiques (dans ces deux espèces,
en vérifiant la sincérité au moins apparente de la signature figurant sur une procuration sous signature
privée). V. cependant, Cass. 1re civ., 23 févr. 2012, Bull. civ. I, nº 39 : le notaire n’est « pas tenu de
contrôler la véracité des informations d’ordre factuel fournies par les parties en l’absence
d’éléments de nature à éveiller ses soupçons ».
(1139) Infra, no 237.
(1140) D. no 55-22 du 4 janv. 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 4, al. 1er.
(1141) Sur cette triple distinction, v. supra, no 202.
(1142) En droit international privé : Cass. 1re civ., 23 janv. 2001, JCP G, 2001.II.10620, note
G. Legier : « Selon la règle de conflit française, la loi applicable à la forme des actes est celle du
lieu de leur conclusion » (nullité de la donation faite en France par acte sous signature privée, peu
important que les biens fussent déposés en Suisse). La règle est résumée par l’adage locus regit
actum.
(1143) Infra, no 251.
(1144) Mais une empreinte digitale (Cass. civ., 15 mai 1934, DP 1934, 1, 113 ; S., 1935, 1, 9) ou une
croix (Cass. 1re civ., 15 juill. 1957, Bull. civ. I, no 331) ne sont pas des signatures.
(1145) Cass. com., 8 oct. 1996, D. 1997, 504, note A. Fauchon : « Aucun principe ni aucun texte ne
prohibe l’usage d’un crayon dans la rédaction d’un acte sous seing privé ». Au contraire, lorsqu’un
acte notarié « est établi sur support papier, le texte doit être indélébile et la qualité du papier doit
offrir toute garantie de conservation » et « les signatures et paraphes qui y sont apposés doivent
être indélébiles » (D. no 71-941 du 26 nov. 1971, mod. D. 10 août 2005, art. 11).
(1146) Cass. 1re civ., 30 oct. 2008, no 07-20001, inédit, qui rappelle qu’« en dehors des exceptions
prévues par la loi, l'acte sous seing privé n'est soumis à aucune autre condition de forme que la
signature de ceux qui s'y obligent ».
(1147) Cass. 1re civ., 15 avr. 1992, Bull. civ. I, no 131 ; D. 1992, somm. 395, obs. J. Kullmann (mais
la preuve de l’accord de chaque partie sur cette modalité, qui est une exception à la règle de
l’art. 1325, doit être rapportée par l’autre). Adde Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, Bull. civ. I, no 16 :
l’art. 1325 « cesse d’être applicable lorsque, au moment de la rédaction de l’acte, l’une (des
parties) ayant exécuté toutes ses obligations, la possession d’un original serait sans intérêt pour
l’autre partie laquelle n’a plus aucun droit à faire valoir ».
(1148) V. infra, no suivant.
(1149) Cass. 1re civ., 13 mars 2008, JCP G, 2008.II.10081, n. E. Putman ; JCP E, 2008, 2089,
n. Ph. Stoffel-Munck ; D. 2008, 1956, n. I. Maria. – Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, JCP G, 2016.II.114,
n. N. Dissaux.
(1150) Cass. 3e civ., 13 févr. 1991, Bull. civ. III, no 58 (à propos de l’art. 1325). La formule
manuscrite de l’art. 1326 est devenue une règle de fond sanctionnée par la nullité de l’acte. La Cour
de cassation avait jugé que « les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de
simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » afin d’annuler les
cautionnements irréguliers au regard de l’art. 1326 (Cass. 1re civ., 30 juin 1987, Bull. civ. I, no 210).
Un revirement a mis un terme à cette bizarrerie (Cass. 1re civ., 15 nov. 1989, D. 1990, 177, note Chr.
Mouly : « Ces règles de preuve ont pour finalité la protection de la caution »...). V. Droit des
sûretés, coll. Droit civil.
(1151) 1) Directive CE no 1999-93 du 13 déc. 1999 « sur un cadre (sic) communautaire pour les
signatures électroniques », D. 2000, Lég., 95. 2) Directive CE no 2000-31 du 8 juin 2000, « sur le
commerce électronique », D. 2000, Lég., 333 transposée par la loi no 2004-575 du 21 juin 2004, puis
par l’ordonnance no 2005-674 du 16 juin 2005.
(1152) Biblio. sélective : « Étude par un groupe d’universitaires », JCP G, 1999.I.182 ; J. HUET,
D. 2000, chr. 95 ; P.-Y. GAUTIER et X. LINANT de BELLEFONDS, JCP G, 2000.I.236.
(1153) V., avant la réforme, rappelant cette double exigence à propos d’une télécopie, expressément
admise comme « écrit » en droit bancaire : Cass. com., 2 déc. 1997, D. 1998, 192, note
D. R. Martin ; JCP G, 1998.II.10097, note L. Grynbaum ; JCP E, 1998, p. 178, note Th. Bonneau.
Adde P. CATALA et P.-Y. GAUTIER, JCP G, 1998, nos 21-22, Actualités. – Après la réforme :
Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, Bull. civ. II, no 259 : la « copie informatique » d’un courrier adressé par
une caisse de sécurité sociale à un employeur doit remplir les conditions posées par les
articles 1334, 1348 et 1316-1 (les deux premiers textes paraissent pourtant exclusifs l’un de l’autre
puisqu’ils supposent que l’original ait été ou n’ait pas été conservé).
(1154) Selon le décret no 2001-272 du 30 mars 2001, des « prestataires de services de certification
électronique », eux-mêmes « qualifiés » (agréés) après évaluation, mettent en place des « dispositifs
sécurisés de création » et des « dispositifs de vérification » (par délivrance de « certificats
électroniques qualifiés ») de signature électronique. Ces dispositifs doivent garantir la
confidentialité, l’absence d’altération et de falsification des actes ou signatures ainsi que l’identité
des signataires. Le décret no 2002-535 du 18 avril 2002 réglemente la « qualification » de ces
prestataires qui leur est accordée par des « centres d’évaluation » eux-mêmes agréés par un service
du Premier ministre (après avis du comité directeur de la certification) et accrédités par un comité
français d’accréditation (COFRAC. Cf. Arr. 31 mai 2002, JO 8 juin 2002, p. 10223). Sur ces règles
techniques, cf. E. A. CAPRIOLI, Signature électronique et dématérialisation, LexisNexis, 2014.
(1155) Conformément au D. no 2001-272, 30 mars 2001, précité, le Conseil supérieur du notariat
(CSN) a reçu, le 16 octobre 2007, de la société d’accréditation LSTI, la qualification de prestataire
de services de certification électronique qui lui permet désormais de certifier la signature
électronique des notaires.
(1156) Le notariat s’est doté en 1998 d’un réseau intranet sécurisé, baptisé REAL, qui servait déjà de
cadre aux échanges électroniques de documents administratifs ou fiscaux et, aujourd’hui, d’actes
authentiques dématérialisés.
(1157) Sur la date certaine de la preuve littérale, v. infra, no 252.
(1158) I. RENARD, « Le courrier recommandé électronique », JCP G, 2011, 772 : le papier n’offre
plus de garantie depuis qu’il n’est plus qu’une copie de données informatiques.
(1159) Cass. soc., 22 mars 2011, no 09-43307, inédit : sachant qu’il est possible de modifier un mail
existant ou de créer de toutes pièces un mail antidaté, « les courriels dont l'authenticité n'était pas
avérée, n'étaient pas probants ».
(1160) Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, Bull. civ. I, no 178.
(1161) Cass. soc., 25 sept. 2013, JCP S, 2013, 1488, n. B. Bossu. Sur la libre preuve d’un fait
juridique, v. supra, nº 232, 1º.
(1162) Cass. 3e civ., 4 mai 1976, Bull. civ. III, no 182 ; Cass. 1re civ., 26 mai 1999, Bull. civ. I, no 170.
(1163) Cass. 2e civ., 28 mars 1966, D. 1966, 541 ; Cass. com., 13 déc. 1983, Bull. civ. IV, no 346.
(1164) Cass. 3e civ., 22 mars 1989, Bull. civ. III, no 72.
(1165) Sur la notion de force probante, qui doit être distinguée de la valeur probatoire, v. infra,
no 250.
(1166) Cass. soc., 22 mars 2011, Bull. civ. V, no 77 : la mention figurant dans les motifs du jugement
selon laquelle « le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits » ne suffit pas à établir un aveu
judiciaire, en l’absence de note d’audience contenant ses déclarations précises.
(1167) Cass. 1re civ., 28 janv. 1981, Bull. civ. I, no 33.
(1168) C. civ., art. 1924 : « Lorsque le dépôt étant au-dessus du chiffre prévu à l'article 1341
[devenu art. 1359] n'est point prouvé par écrit, celui qui est attaqué comme dépositaire en est cru
sur sa déclaration [...] ». V. par ex. Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, D. 2013, 209, n. G. Lardeux (l’auteur
relève l’anachronisme de cette règle très favorable au dépositaire).
(1169) Au contraire, en matière pénale, « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre
appréciation des juges » (C. pr. pén., art. 428). Sur la preuve pénale, v. infra, nos 244 et s.
(1170) Cass. 1re civ., 12 mars 1991, Bull. civ. I, no 88 : un paysan reconnaît avoir reçu une certaine
quantité d’avoine et affirme avoir réglé au vendeur la totalité du prix ; le tribunal ne peut se fonder
sur l’aveu de la réception de la marchandise pour condamner l’avouant à payer un complément de
prix.
(1171) Cass. 1re civ., 17 juin 1968, Bull. civ. I, no 172 : « le principe de l’indivisibilité de l’aveu
souffrant exception lorsque les juges trouvent la preuve de son inexactitude dans la contradiction
et l’invraisemblance des déclarations des parties ». – À l’inverse : Cass. 1re civ., 28 nov. 1973,
Bull. civ. I, no 327 : « s’il s’agit [...] d’un fait présenté comme constant et indiscuté par les parties,
celle qui le reconnaît ne peut se prévaloir de son aveu, pour soutenir que sa déclaration sur un
autre point en est inséparable ».
(1172) Sur la vraisemblance, v. infra, no 253.
(1173) Ex. : Cass. com., 2 nov. 2011, Bull. civ. IV, nº 176 (aveu judiciaire d’une banque non
révocable).
(1174) Cass. 1re civ., 22 oct. 2008, no 05-19451, inédit.
(1175) Cass. com., 30 juin 1980, D. 1982, 53, n. G. Parléani.
(1176) Cass. 1re civ., 7 mai 2008, D. 2008, Pan., 2826, obs. J.-D. B : en réponse à une sommation
interpellative, le défendeur avait proposé un échéancier de remboursement, ce qui établissait la
preuve d’un contrat de prêt.
(1177) Cass. 1re civ., 24 mai 2007, Bull. civ. I, no 209.
(1178) Cass. Ass. plén., 29 mai 2009, Bull. civ. Ass. plén., no 6 : « ne peuvent constituer un aveu des
conclusions par lesquelles, après avoir invoqué la prescription, une partie conteste, à titre
subsidiaire, l'existence ou le montant d'une créance » (le créancier voyait dans ce raisonnement
l’aveu d’un non-paiement).
(1179) V. supra, no 212.
(1180) Biblio. : Le serment, éd. CNRS, 1991, spéc. B. BEIGNIER, « De l’évolution du serment
probatoire en droit civil français », p. 419.
(1181) Ex. : Cass. 3e civ., 10 mars 1999, Bull. civ. III, no 63 ; D. 2001, 817.
(1182) Cass. 1re civ., 11 juin 1991, Bull. civ. I, no 199.
(1183) Le serment, règle de preuve, ne saurait être admis pour combattre une présomption
irréfragable, règle de fond : Cass. com., 30 juin 1998, Bull. civ. IV, no 211 (présomption de l’art. 130,
al. 6, anc. C. com. en matière d’aval de lettre de change).
(1184) Cass. 2e civ., 6 mai 1999, Bull. civ. II, no 87 : « Le serment décisoire déféré à une personne
morale ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice ».
(1185) Cass. 1re civ., 14 mars 1966, D. 1966, 541 ; JCP G, 1966.II.14614, note J. A. ; RTD civ. 1966,
p. 595, obs. P. Raynaud (irrecevabilité de l’appel).
(1186) Cass. 3e civ., 22 févr. 1978, Bull. civ. III, no 100.
(1187) CE, 29 nov. 1851, Pélissier, Rec. CE, p. 720 ; S. 1852.II.154.
(1188) P. JULIEN, « Propos sur le serment : un chrétien peut-il jurer ? », in Mélanges S. Guinchard,
Dalloz, 2010, p. 280 : « l’homme, à des fins diverses, a toujours juré ; Dieu lui-même a juré »
(dans l’Ancien Testament).
(1189) Cass. civ., 3 mars 1846, DP 1846, 1, 103. Cette jurisprudence a permis d’empêcher une
ségrégation des Juifs en France : un refus du communautarisme.
(1190) Cass. req., 4 mai 1936, DH 1936, 332.
(1191) Cass. crim., 6 mai 1987, Bull. crim., no 182.
(1192) Cass. civ., 28 févr. 1938, DC, 1942, 99, note G. Holleaux : « La délation du serment
décisoire constitue une convention transactionnelle par laquelle une partie offre de renoncer à sa
prétention si l’autre partie consent à affirmer sous serment que le fait allégué sur lequel est
fondée cette prétention est inexact ».
(1193) Ancien art. 109, C. com.
(1194) Cass. 1re civ., 2 mai 2001, Bull. civ. I, no 108. Ex. : Cass. soc., 16 juill. 1987, Bull. civ. V,
no 495 : dès lors que le contrat de travail est commercial à l’égard de l’employeur, le salarié est
recevable à en prouver le contenu par tous moyens ; Cass. 1re civ., 8 févr. 2000, Bull. civ. I, no 35 :
« À l’égard du garage, en sa qualité de commerçant, les actes de commerce peuvent se prouver par
tous moyens ».
(1195) Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM),
11 avr. 1980, art. 11 : « Le contrat de vente n'a pas à être conclu ni constaté par écrit et n'est
soumis à aucune autre condition de forme. Il peut être prouvé par tous moyens, y compris par
témoins ».
(1196) L. GODON, « La liberté de la preuve en droit commercial : une illusion ? », D. 2015, 2580.
(1197) Cass. soc., 27 mars 2001, Dr. social 2001, p. 679. Biblio. : D. BOULMIER, Preuve et instance
prud’homale, LGDJ, 2002.
(1198) Sur la preuve pénale : R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel. Procédure pénale,
éd. Cujas, 5e éd., 2001, nos 140 et s., p. 177 et s.
(1199) Ex. : Cass. crim., 12 avr. 1995, Dr. pén. 1995, comm. 189 : quoique le Code de la route eût
réglementé la preuve du délit de conduite en état d’ivresse (en désignant des moyens scientifiques de
dépistage de l’alcoolémie), les juges peuvent, « en cas d’inobservation de ces dispositions, recourir
à tous autres moyens de preuve pour se prononcer d’après leur intime conviction sur la culpabilité
du prévenu » : haleine sentant l’alcool, bégaiements, yeux brillants...).
(1200) Biblio. : P. PACTET, Essai d'une théorie de la preuve devant la juridiction administrative,
Pedone, 1952 ; La preuve, dir. C. Puigelier, Economica, 2004, spéc. G. DARCY, p. 99 s., F.-C.
BERNARD, p. 121 ; H. de GAUDEMAR, « La preuve devant le juge administratif », Dr. adm. 2009, Études,
12.
(1201) V. supra, nos 211 s.
(1202) Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, JCP G, 1997.II.22873, note J. Ravanas : la lecture partielle à une
audience d’un manuscrit viole le droit moral qui confère à l’auteur le droit de divulguer seul son
œuvre (dans un procès pour violation du droit au respect de la vie privée à la suite de la publication
d’un roman, les demandeurs avaient produit un manuscrit de l’auteur).
(1203) Cass. 1re civ., 29 janv. 1997, D. 1997, 296 ; Cass. 2e civ., 6 mai 1999, JCP G, 1999.II.10201 ;
D. 2000, 557. – Dans le même sens, CEDH, 13 mai 2008, no 65097/01, qui rejette la violation de
l’art. 8 Conv. EDH.
(1204) Cass. 1re civ., 17 juin 2009, JCP G, 2010, 34, no 5 (avec les autres réf.).
(1205) * Paris, 6 nov. 1997, aff. Y. Montand, D. 1998, 122, n. Ph. Malaurie ; adde P. CATALA,
Dr. famille 1997, chr. 12 : « Il est de l’intérêt essentiel des parties d’aboutir dans toute la mesure
du possible à une certitude biologique » ; en conséquence, la cour a ordonné l’exhumation de la
dépouille d’Yves Montand afin de prélever ses empreintes génétiques et de les comparer à celles de
sa fille naturelle prétendue (épilogue : Paris, 17 déc. 1998, D. 1999, 476 : Montand n’était pas le
père).
(1206) V. supra, no 230.
(1207) Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, D. 2016, 884, note J.-Chr. Saint-Pau ; JCP G, 2016, 583, note
A. Aynès (jugeant disproportionnées les enquêtes privées, surveillances et filatures au cours de
plusieurs années, commanditées par un assureur désireux de prouver l’absence de préjudice corporel
subi par la victime d’un accident). Adde Cass. 2e civ., 3 juin 2004, Bull. civ. II, no 273 : constitue une
immixtion disproportionnée dans la vie privée le recours, par un homme divorcé, aux services d’un
détective privé afin d’épier son ex-femme pendant plusieurs mois. – En droit pénal : Cass. crim.,
7 mai 1996, Bull. crim., no 189 : la constatation des contraventions d’excès de vitesse au moyen d’un
cinémomètre (radar) associé à un appareil de prise de vue ne viole pas le droit au respect de la vie
privée garanti par l’art. 8 Conv. EDH (l’argument était saugrenu).
(1208) Cass. soc., 8 oct. 2014, Bull. civ. V, nº 230, jugeant sans cause réelle et sérieuse le
licenciement d’une salariée à qui son employeur reprochait une utilisation excessive de la messagerie
électronique à des fins personnelles, alors que le dispositif de contrôle des flux de courriels n’avait
pas encore été déclaré à la CNIL (conformément à la L. nº 78-17, 6 janv. 1978).
(1209) Cass. 1re civ., 13 juill. 2004, D. 2004, 2524, note N. Léger : « le listing informatique des
opérations d'enregistrement qui est établi après présentation de divers documents par le client, et
remise d'autres documents à celui-ci par la compagnie d'aviation, ne constitue pas un document
unilatéral insusceptible de constituer une preuve, mais vaut comme présomption simple de l'heure
à laquelle les clients se sont présentés à l'enregistrement ».
(1210) Cass. 1re civ., 2 avr. 1996, Bull. civ. I, no 170 ; LPA, 24 janv. 1997, no 11, p. 19, note
D. Gutmann : le juge ne pouvait s’appuyer sur des données techniques et des déclarations de salariés
de la SNCF pour exonérer celle-ci de sa responsabilité au titre de l’obligation de sécurité.
(1211) Cass. 1re civ., 16 juin 2011, Bull. civ. I, nº 112. Plus contestable : Cass. 1re civ., 4 déc. 2008,
Bull. civ. I, no 257 : les écritures certifiées par l'agent comptable d’une caisse de sécurité sociale
peuvent être produites à l'appui de sa demande.
(1212) C. civ., art. 1362 : le commencement de preuve par écrit doit émaner « de celui qui conteste
un acte » ; art. 1378 (anc. art. 1329) : « Les registres et documents que les professionnels doivent
tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature
privée » ; art. 1378-1 (anc. art. 1330) : « Les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au
profit de celui qui les a écrits ».
(1213) Cass. 1re civ., 4 janv. 2005, Bull. civ. I, no 6 : « s'agissant d'un fait juridique, le médecin
prouve par tous moyens la délivrance de l'information permettant au patient d'émettre un
consentement ou un refus éclairé » quant aux investigations ou soins proposés ; la preuve du refus
par le patient d’un examen était valablement rapportée par le courrier que le médecin avait adressé à
un confrère et le dossier médical qu’il tenait ; Cass. soc., 19 mars 2014 et Cass. 2e civ., 6 mars 2014,
JCP G, 2014, 679, n. P. Lemay (l’inspecteur du travail établit par tous moyens l’emploi illicite qu’il
entend faire cesser ; des victimes peuvent produire les courriers qu’ils ont adressés et les dépôts de
plainte effectués).
(1214) V. d’ailleurs en sens contraire, Cass. com., 31 janv. 2006, Bull. civ., IV, no 25.
(1215) Cass. soc., 23 oct. 2013, Bull. civ. V, nº 245 (contra Cass. soc., 11 mai 1999, JCP G,
2000.II.10269, qui opposait le « principe » mentionné).
(1216) Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, D. 2013, 275 et 2805.
(1217) V. supra, nº 244, 1º.
(1218) Cass. 1re civ., 7 juin 2005, D. 2005, 2570, n. M.-E. Boursier. Adde M.-E. BOURSIER, Le
principe de loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003.
(1219) Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, Bull. civ. II, no 447.
(1220) Ex. : Cass. soc., 20 nov. 1991, Bull. civ. V, no 519 ; D. 1992, 73, concl. Y. Chauvy (caméra
dissimulée dans une caisse) : Droit civil illustré, no 30 ; Cass. soc., 4 févr. 1998, RJS 4/98, no 415
(comptes rendus de filature de salariés par un détective privé, moyen de preuve illicite) ; Cass. soc.
14 mars 2000, RJS 4/00, no 386 (écoutes téléphoniques dont les salariés avaient été « dûment
avertis », mode de preuve valable). Mais l’employeur peut produire les relevés de facturation
téléphonique adressés par France Télécom (Cass. soc., 11 mars 1998, RJS 4/98, no 415) ou un constat
d’huissier qui ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l’information
préalable du salarié (CE, 7 juin 2000, RJS 2000, no 971 ; Cass. soc., 10 oct. 2007, RJS 2007,
no 1242).
(1221) Cass. soc., 23 mai 2007, JCP S, 2007, 10140 : « si l'enregistrement d'une conversation
téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal
rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par
le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut
ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur » (la salariée, victime de harcèlement sexuel
de la part de son patron, avait produit un SMS explicite que celui-ci lui avait envoyé). – Cass. com.,
10 févr. 2015, nº 13-14779, Bull. civ. IV, à paraître (adoptant la solution de la chambre sociale).
(1222) Cass. soc., 2 déc. 1998, JCP G, 1999.II.10166 ; D. 1999, 431. La Chambre criminelle retenait
au contraire la qualification de vol (Cass. crim., 8 déc. 1998, Dr. pén. 1999, comm. 67). Elle s’est
finalement alignée en exigeant cependant que les documents soient « strictement nécessaires à
l’exercice des droits de la défense » (Cass. crim., 11 mai 2004, Bull. crim., nos 113 et 117). Il
incombe alors au salarié d’apporter cette preuve et non à l’employeur d’établir un risque d’utilisation
des documents à des fins commerciales (Cass. soc., 31 mars 2015, nº 13-24410, Bull. civ. V, à
paraître).
(1223) CE, 16 juill. 2014, nº 355201, Dr. adm. 2014, 73, note G. Eveillard : « tout employeur public
est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté ; il ne saurait, par suite, fonder une
sanction disciplinaire à l'encontre de l'un de ses agents sur des pièces ou documents qu'il a
obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie ». Mais,
en l’espèce, le juge approuve une commune d’avoir confié à une agence de détectives privés le soin
de réaliser des investigations sur un agent qui exerçait une double activité : le procédé ne serait donc
pas déloyal.
(1224) Cass. com., 25 févr. 2003, RTD civ. 2004, 92 (l’enregistrement clandestin est irrecevable
« sous sa forme sonore ou écrite ») ; Cass. com., 13 oct. 2009, D. 2010, 2673 (est tout aussi déloyal
le fait de permettre à un tiers d'écouter la conversation téléphonique pour qu’il en retranscrive lui-
même les termes dans une attestation).
(1225) Sous le triple visa de l’art. 9 C. pr. civ., de l’art. 6 § 1 Conv. EDH et du « principe de loyauté
dans l’administration de la preuve » : Cass. Ass. plén., 7 janv. 2011, D. 2011, p. 157, 562, 618 et
2893 et les notes et obs. (v. déjà : Cass. com., 3 juin 2008, D. 2008, 2476, n. M.-E. Boursier).
(1226) Cass. com., 30 mai 2000, Bull. civ. IV, no 118. Pour une critique, Chr. ATIAS, « Admissibilité
et pertinence ou force des preuves », D. 2009, chr. 2056.
(1227) Cass. com., 20 sept. 2011. Cf. C. MARÉCHAL, article in D. 2012, chr. 167 (avec les autres
réf.) ; Cass. soc., 22 sept. 2015, Dr. soc. 2015, p. 945, n. J. Mouly. Contra, Cass Ass. plén., 27 févr.
2009, D. 2009, 1245, n. D. Houtcieff ; JCP G, 2009, II, 10073, n. P. Callé : « la seule circonstance
qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-
recevoir ».
(1228) CE, avis, 1er avr. 2010, nº 334465, Dr. adm. 2010, 102 (dans le contentieux de l’impôt). – CE,
2 juill. 2014, nº 368591, AJDA 2014, p. 1897, concl. G. Dumortier : « il n'existe pas, dans le
contentieux de la légalité, de principe général en vertu duquel une partie ne saurait se contredire
dans la procédure contentieuse au détriment d'une autre partie ».
(1229) Ex. : « La preuve par écrit ne peut résulter de la correspondance échangée entre le prévenu
et son avocat » (C. pr. pén., art. 432). Mais le législateur punit d’emprisonnement le refus de se
soumettre à un prélèvement biologique destiné à identifier l’empreinte génétique (C. pr. pén.,
art. 706-56, II) et admet même le témoignage anonyme au stade de l’instruction (C. pr. pén., art. 706-
57).
(1230) Ex. : Cass. crim., 30 mars 1999, D. 2000, 391 ; 11 juin 2002, Bull. crim., no 131 (validant la
preuve tirée d’une opération de « testing » effectuée à l’entrée d’une discothèque par des membres de
l’association SOS Racisme pour établir une discrimination raciale).
(1231) Ex. : la victime de persécutions téléphoniques peut produire les cassettes sur lesquelles elle a
enregistré les appels de son agresseur (bien que ces enregistrements constituent deux délits : C. pén.,
art. 226-1 et 226-13). V. aussi Cass. crim., 27 nov. 2013, JCP G, 2013, 139, n. S. Dettraz :
« l’autorité publique n’était pas intervenue dans la confection ou l’obtention » d’une liste
informatique de 3 000 noms de Français clients d’une banque suisse, suspects de fraude fiscale.
(1232) Ph. CONTE, « La loyauté de la preuve [...] : vers la solution de la quadrature du cercle ? »,
Dr. pén. 2009, Études, 8.
(1233) * Cass. crim., 27 févr. 1996, aff. Schuller-Maréchal, JCP G, 1996.II.22629, note M.-
L. Rassat : « L’interpellation de Jean-Pierre Maréchal a procédé d’une machination de nature à
déterminer ses agissements délictueux et, par ce stratagème, qui a vicié la recherche et
l’établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves » ;
Cass. crim., 9 août 2006, Bull. crim. no 202 : « Vu le principe de la loyauté des preuves ».
(1234) Cass. Ass. plén., 6 mars 2015, nº 14-84339, D. 2015, 711 et 1738, n. J. Pradel : « au cours
d'une mesure de garde à vue, le placement, durant les périodes de repos séparant les auditions, de
deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à
susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve,
constitue un procédé déloyal d'enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas
s'incriminer soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable ».
(1235) Hypnose : Cass. crim., 12 déc. 2000, D. 2001, 1340, note D. Mayer et J.-F. Chassaing ;
JCP G, 2001.II.10495, note C. Puigelier ; adde chron. C. PUIGELIER, RRJ 2003, p. 1003, no 8 : la mise
sous hypnose d’un témoin, même avec son consentement, viole les « dispositions légales relatives au
mode d’administration des preuves » et « compromet l’exercice des droits de la défense ».
Torture : L’art. 3 Conv. EDH interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Cf.
CEDH, 1er juin 2010, Gäfgen c/Allemagne, no 22978/05 ; CEDH, 17 janv. 2012, Othman c/Royaume-
Uni, no 8139/09. La House of Lords affirme que la preuve (des aveux) obtenue sous la torture est
irrecevable, peu important en l’espèce que le terroriste ait été torturé par les autorités d’un pays tiers
et non britanniques (House of Lords, 8 déc. 2005, [2005] UKHL 71).
(1236) Ex. : Cass. crim., 25 avr. 1995, Dr. pén. 1996, chr. 14 (écoutes téléphoniques illégales) ;
Cass. crim., 5 nov. 1996, Bull. crim., no 392 ; Dr. pén. 1997, comm. 14 (procès-verbaux irréguliers) ;
Cass. crim., 31 janv. 2012, Bull. crim., nº 27 (recevabilité des écoutes clandestines effectuées par le
majordome de la milliardaire Liliane Bettencourt, victime d’un abus de faiblesse commis par son
entourage).
(1237) Cass. crim., 19 janv. 1999, JCP G, 1999.II.10156, note D. Rebut : un avocat avait tenté de
corrompre un policier qui enregistra secrètement la conversation ; selon les juges, l’enregistrement
clandestin ne violait pas le principe de la loyauté des preuves ; il « ne constituait pas un acte de
procédure susceptible d’annulation, mais seulement un moyen de preuve soumis à la libre
discussion des parties, ayant été effectué par le fonctionnaire de police, non dans l’exercice de ses
fonctions [...] mais en tant que victime de faits de corruption pour se constituer une preuve des
sollicitations dont il était l’objet ».
(1238) Cass. com., 6 oct. 2009, D. 2010, 2675 : « les éléments d'un rapport d'expertise judiciaire
annulé peuvent être retenus à titre de renseignement s'ils sont corroborés par d'autres éléments du
dossier ».
(1239) Cass. 2e civ., 9 avr. 2009, Bull. civ. II, no 96.
(1240) Ex. : Cass. 1re civ., 5 févr. 2014, D. 2014, 856, n. G. Lardeux.
(1241) CEDH, 12 juill. 1988, Schenk c/Suisse, nº 10862/84, § 47-48 (enregistrement téléphonique
illicite).
(1242) Cass. soc., 15 févr. 1979, Bull. civ. V, no 142 : l’inobservation des règles de forme auxquelles
l'article 202 C. pr. civ. soumet les attestations produites par les parties n’est pas assortie de nullité ;
les juges du fond doivent donc en apprécier la valeur probante.
(1243) Supra, no 241.
(1244) Supra, no 242.
(1245) Sur cette analyse, v. infra, no 252.
(1246) Supra, no 242.
(1247) Cass. 1re civ., 28 oct. 1970, Bull. civ. I, no 287 ; Cass. com., 19 avr. 1985, Bull. civ. IV,
no 117 : les « juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour affirmer la valeur des éléments
de preuve qui leur sont soumis [...] lorsqu’ils ont à déterminer leur conviction » (ici en matière
d’aveu extrajudiciaire).
(1248) C. civ., art. 1316-3 (L. 13 mars 2000) : « L’écrit sur support électronique a la même force
probante que l’écrit sur support papier ».
(1249) Cass. 1re civ., 11 juin 2003, D. 2004, 830, n. F. Auberson : « les dispositions spéciales et
d'ordre public des art. 306 et 314 du C. pr. civ. » excluent l'application de l’art. 145 du même Code
(mesures d’instruction in futurum) ; ne peut être ordonnée sur ce fondement une expertise « qui avait
pour effet de mettre en cause la force probante d'un acte authentique ».
(1250) Cass. 1re civ., 26 mai 1964, D. 1964, 627 ; JCP G, 1964.II.13758, note R. L.
(1251) Ex. : Cass. 1re civ., 11 mars 2009, Bull. civ. I, no 58 : il incombe alors au tiers à l'acte qui
conteste la mention du paiement du prix « de démontrer par tous moyens l'absence de paiement
effectif ».
(1252) Cass. 1re civ., 25 mai 1987, Bull. civ. I, no 171 ; D. 1988, 79, note A. Breton : la mention par
laquelle le notaire indique que « le testateur apparaît sain de corps et d’esprit » ou « jouit de
toutes ses facultés mentales » ne fait pas foi jusqu’à inscription de faux (il n’appartient pas au
notaire d’apprécier l’état de santé de ses clients) ; Cass. 1re civ., 6 juin 1990, Bull. civ. I, no 149.
(1253) Ex. : Cass. 1re civ., 3 juin 1998, cité supra, no 236, en note : une promesse de vente notariée
avait mentionné que le bénéficiaire avait versé une somme de 120 000 F au promettant (à titre
d’indemnité d’immobilisation) en dehors de la comptabilité de l’office ; il appartient au promettant,
qui prétend n’avoir pas reçu cet argent, « d’établir que la quittance de la somme de 120 000 F
donnée dans la promesse de vente n’avait pas la valeur libératoire qu’impliquait son libellé » ;
Cass. 3e civ., 27 févr. 2008, Bull. civ. III, nº 35 : « si la quittance d'une somme payée en dehors de
la comptabilité du notaire ne fait foi que jusqu'à preuve contraire, celle-ci ne peut être rapportée
que dans les conditions prévues par les articles [1349] et suivants du Code civil ».
(1254) V. supra, nos 233 et 234.
(1255) Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, Bull. civ. I, nº 154 ; D. 2011, 2471 et 2894 et les obs. ; RDC
2012, 41, obs. Y.-M. Laithier : en l’absence de signature d’une partie dans un acte authentique de
cession de parts sociales, cet instrumentum vaut comme acte sous signature privée, par « défaut de
forme » (authentique) ; en revanche, il n’est pas nul car cette signature n’était pas nécessaire à sa
validité.
(1256) Cass. 1re civ., 28 oct. 1986, Bull. civ. I, no 245 (la nullité de toute surcharge, interligne ou
addition au texte est expressément prévue par les art. 13 et 19 D. 26 nov. 1971, mod. D. 10 août
2005 ; cette mention n’a pas valeur d’acte sous signature privée) ; Cass. 2e civ., 5 juill. 2006,
Bull. civ. I, no 85 : l’acte ayant été déclaré faux par jugement, ce vice ne constituait pas un simple
« défaut de forme » privant l'acte notarié de son caractère authentique.
(1257) Cass. 1re civ., 19 juin 2001, Bull. civ. I, no 180. Sur le défaut d’annexe des procurations à
l’acte authentique, v. supra, no 236.
(1258) Sur la règle « le cachet de la poste faisant foi », dans les relations avec l’administration,
cf. L. no 2000-321, 12 avr. 2000, art. 16. Adde D. BOULMIER, « La crise de foi dans le cachet de la
poste », JCP G, 2003.I.131. – Sur l’horodatage de la lettre recommandée électronique, v. supra,
no 240.
(1259) Cass. 3e civ., 14 avr. 2010, Bull. civ. III, no 87 ; D. 2010, 1208 et 2677 et les obs. : l'acte
authentique fait « foi de sa date vis-à-vis des tiers sans avoir à être soumis à l'enregistrement ».
(1260) Cass. 3e civ., 9 mars 2005, Bull. civ. III, no 64 : « le juge n'a pas à procéder à la vérification
d'écriture prévue par les art. 287 à 298 C. pr. civ. lorsqu'une partie invoque la fausseté de
l'écriture d'un tiers sur un acte produit aux débats ». – Cass. com., 1er oct. 2013, Bull. civ. IV,
no 145 : « la contestation par le débiteur de l'identité du signataire d'une déclaration de créance
ne s'analyse pas en une dénégation ou un refus de reconnaissance de signature » (il s’agit d’un
tiers et c’est son identité qui est contestée).
(1261) Cass. 1re civ., 6 mars 2001, Bull. civ. I, no 51 : « La seule absence de contestation de sa
signature devant le tribunal, par le débiteur auquel on oppose son engagement [...] n'équivaut pas
à un aveu judiciaire de l'authenticité de celle-ci ».
(1262) Cass. 2e civ., 21 janv. 1999, deux arrêts, Bull. civ. II, no 18 ; RTD civ. 1999, p. 461, obs.
R. Perrot : « Le juge des référés peut procéder incidemment à une vérification d’écritures sous
seing privé dès lors que la contestation n’est pas sérieuse » (ce revirement met un terme à des
manœuvres dilatoires).
(1263) V. supra, no 233.
(1264) Chr. JAMIN, « L’acte d’avocat », D. 2011, chr. 960.
(1265) Cass. com., 28 févr. 2006, Bull. civ. IV, no 54. Adde A. GANZER, « Les mentions en blanc dans
les contrats », RRJ 1995, p. 473 ; A. LE GOFF, « Les actes en blanc en droit privé », RRJ 2006,
p. 1299.
(1266) Cass. com., 1er déc. 1981, Bull. civ. IV, no 422 ; Cass. crim., 18 mai 1994, Bull. crim., no 187 ;
Dr. pén. 1994, comm. 205.
(1267) Ex. : Cass. 1re civ., 26 janv. 2012, Bull. civ. I, nº 13 : « s'il n'est reçu aucune preuve par
témoins ou présomptions contre et outre le contenu des actes, cette preuve peut cependant être
invoquée pour interpréter un acte obscur ou ambigu ; c'est dans l'exercice de son pouvoir
souverain d'interprétation que la cour d'appel [...] a constaté que l'acte notarié était entaché
d'une erreur matérielle évidente ».
(1268) * Cass. civ., 15 avr. 1872, Veuve Foucauld et Coulombe, DP 1872, 1, 176 ; S., 1872, 1, 232 ;
GAJ civ., nº 161 : « Il n’est pas permis aux juges lorsque les termes de ces conventions sont clairs
et précis de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu’elles
renferment ». Sur ce contrôle, v. infra, no 448.
(1269) B. HEMERY, « Pour un contrôle de la dénaturation des faits par la Cour de cassation », in
Mélanges J. Boré, Dalloz, 2007, p. 289.
(1270) D. AMMAR, « Preuve et vraisemblance. Contribution à l’étude de la preuve technologique »,
RTD civ. 1993, p. 499. V. aussi supra, nº 241, 1º (l’aveu en partie invraisemblable peut être divisé
contre son auteur).
(1271) Toutefois, l’art. 1362 exclut d’emblée la recevabilité, à titre de commencement de preuve par
écrit, de l’écrit qui ne rend pas « vraisemblable ce qui est allégué » (v. supra, no 233).
(1272) Ex. : Cass. 3e civ., 3 févr. 1993, Bull. civ. III, no 14 : quoique l’acte authentique fasse pleine
foi de la convention qu’il renferme (art. 1319), les juges du fond doivent rechercher « si les éléments
offerts en preuve (par le vendeur d’un immeuble) ne rend(ent) pas vraisemblable l’inexactitude des
énonciations des actes de vente ».
(1273) C. PUIGELIER, « Vrai, véridique et vraisemblable », in La preuve, Economica, 2004, p. 195.
(1274) Cass. 1re civ., 28 mars 2000, JCP G, 2000.II.10409, concl. Petit, note Monsallier ; D. 2000,
731, note Th. Garé.
(1275) Textes : TFUE, art. 191, § 2 ; L. constit. nº 2005-205, 1er mars 2005 relative à la Charte de
l'environnement, art. 5 ; C. environnement, art. L. 110-1 : la protection de la nature s’inspire du
« principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances
scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et
proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement
à un coût économiquement acceptable ».
(1276) M. MEKKI, « Le droit privé de la preuve... à l’épreuve du principe de précaution », D. 2014,
chr. 1391.
(1277) Comp. C. GUÉRY, « Les paliers de la vraisemblance pendant l’instruction préparatoire »,
JCP G, 1998.I.140. La procédure pénale évolue par étapes, jalonnées de « raisons plausibles »,
d'« indices », d'« indices graves et concordants » puis de « charges ».
(1278) 1er ex. (droit social) : Cass. soc., 26 mai 1994, Bull. civ. V, no 181 : « il appartient à celui
qui prétend avoir été victime d'un accident du travail d'établir autrement que par ses propres
affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel ». 2e ex. (droit
fiscal) : CE, 16 nov. 1988, Dr. fisc. 1989, no 9 : de simples allégations ne suffisent pas à établir
l’existence d’une contrepartie à l’acte litigieux exclusive d’un acte anormal de gestion. 3e ex. (droit
pénal) : bien que l’art. 430 C. pr. pén. dispose que les procès-verbaux « ne valent qu’à titre de
renseignements », le tribunal répressif ne peut, sans méconnaître la foi qui leur est due, écarter une
infraction sur la base des seules dénégations du prévenu (Cass. crim., 2 avr. 1929, DH 1929.268 ;
Cass. crim., 23 mai 1950, D. 1950.470).
(1279) Déjà pour l’Ancien droit : v. supra, no 104.
(1280) V. supra, no 135.
(1281) Sur les audaces de la jurisprudence dès la fin du XIXe siècle, v. infra, no 412.
(1282) V. notamment supra, no 26 (sur le non-droit) et no 49 (sur la soft law). Adde Droit et
pluralisme (colloque), Nemesis, Bruylant, 2007. Le pluralisme juridique caractérise surtout le droit
contemporain de la famille où un modèle familial chasse l’autre (J. CARBONNIER, « À chacun sa
famille, à chacun son droit », Essais sur les lois, 2e éd., Defrénois, 1995, p. 181 ; Y. LEQUETTE,
« Quelques remarques sur le pluralisme du droit de la famille », Mélanges G. Champenois,
Defrénois, 2012, p. 523, très critique).
(1283) Ph. MALAURIE, « La révolution des sources », Defrénois 2006, art. 38465, p. 1552 : « les
sources du droit sont ailleurs que dans le droit positif, tantôt dessus, tantôt dessous ; elles sont
dans notre culture, l'histoire de notre nation, les bases de notre civilisation, les exigences
profondes de l'esprit, de la raison, tout ce qui entend maîtriser les puissances de l'instinct : les
forces créatrices du droit, avait autrefois dit Georges Ripert » (sur ces sources créatrices, v. supra,
no 37).
(1284) R. LIBCHABER, L’ordre juridique et le discours du droit, LGDJ, 2013, spéc. nos 68-78.
(1285) A. HOLLEAUX, « Mort ou renaissance du droit », Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990, p. 191,
n. p. 192 : « Le droit de l’urbanisme par exemple est un réservoir inépuisable d’écrits littéraires,
graphiques ou mathématiques en couches superposées, territoriales, locales, zonales ou
parcellaires. Dans beaucoup de matières, la règle est propre à un territoire défini
topographiquement : villes, communes ou villages, hameaux, lieux-dits, montagne, littoral, etc. ».
Sur les circulaires, réponses ministérielles, avis, règles déontologiques et autres sources informelles
du droit, v. infra, nos 354 et s.
(1286) ISOCRATE, Aréopagitique, « Le nombre et la précision de nos lois est un signe que notre ville
est mal organisée [...] ; ce n’est pas par les décrets mais par les mœurs que les cités sont bien
réglées » ; TACITE, Annales, III, 27, 3 : (au début de l’Empire, du temps de Trajan) « on ne se borna
plus à ordonner pour tous ; on statua même contre un seul, et jamais les lois ne furent plus
multipliées que quand l'État fut le plus corrompu » (« Plurimae leges corruptissima respublica ») ;
Droit civil illustré, no 2 ; R. von IHERING, L’esprit du droit romain, trad. O. de Meulenaere, t. I,
3e éd., 1886 (rééd. Forni, Editore Bologna, 2004), § 3, p. 42 : « La quantité des règles du droit est
un signe de faiblesse » ; Ihering dénonce l’impuissance des codes casuistiques à « extraire la
quintessence logique de la somme des règles », là où le droit romain offre un petit « alphabet du
droit » qui permet de déchiffrer « toutes les modalités nouvelles de la vie ». Sur l’époque
contemporaine, v. supra, no 138.
(1287) Ph. MALAURIE, art. cit.
(1288) V. supra, nos 37 et 46.
(1289) V. supra, no 88.
(1290) Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, art. 6 : « La loi est
l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou
par leurs représentants, à sa formation ». Adde R. CARRÉ DE MALBERG, La loi expression de la
volonté générale, 1931 (rééd. Economica, 1984), no 15 : « La Constitution de 1875 ne s’est pas
bornée à reconnaître au Parlement une primauté hiérarchique de qualité et de rang parmi les
diverses autorités constituées, mais elle l’a assimilé au souverain ».
(1291) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2e éd., 1960, trad. Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, rééd.
Bruylant, LGDJ, 1999.
(1292) H. KELSEN, op. cit., § 35 : « L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques
placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou
hiérarchie formée pour ainsi dire d’un certain nombre d’étages ou couches de normes
juridiques ».
(1293) Parmi les critiques postérieures : P. AMSELEK, « Réflexions critiques sur la conception
kelsénienne de l’ordre juridique », RDP 1978, p. 5 (en réplique : M. TROPER, « La pyramide est
toujours debout. Réponse à P. Amselek », RDP 1979, p. 1523) ; du même auteur, « Le rôle de la
volonté dans l’édiction des normes juridiques selon Hans Kelsen », RRJ 1999, p. 37 (très sévère).
(1294) M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, PUF, 1994, p. 94 ; du même auteur, « Le
problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », Études Ch.
Eisenmann, Cujas, 1975, p. 133, spéc., p. 143 : « Dire qu’un texte peut être porteur de plusieurs
sens, c’est dire qu’il peut contenir plusieurs normes entre lesquels l’organe d’application doit
choisir celle qu’il appliquera. [...] On sait que ce choix est le résultat dans tous les cas d’une
opération de la volonté, qu’elle est la manifestation du libre arbitre de l’organe d’application.
C’est donc lui qui, à proprement parler, pose lui-même la norme qu’il appliquera. Peu importe que
cette activité le conduise à poser une norme différente de celle que l’auteur du texte voulait « en
réalité » poser. Dès lors que l’interprétation est soustraite à tout contrôle et qu’elle a un
caractère authentique, la norme qu’elle conduit à poser est la seule efficace et valable. C’est donc
seulement par une fiction que l’on peut parler d’une supériorité de la constitution sur les actes
par lesquels elle est appliquée. [...] il n’y a pas de hiérarchie et il n’y a pas d’actes contraires à la
constitution. Celle-ci n’a pour contenu que les normes posées par l’interprétation des organes
d’application et ces derniers ne sont jamais soumis qu’à leur propre volonté » ; du même auteur,
« Kelsen, la théorie de l’interprétation et la structure de l’ordre juridique », Revue internationale de
philosophie 1981, no 138, p. 518.
(1295) Pour une théorie en droit privé, infra, no 404 in fine.
(1296) Ph. MALAURIE, « La révolution des sources », Defrénois 2006, art. 38465, p. 1552. L’image de
la source du droit (qui jaillit) n’est pas seulement approximative. « Le sens véritable de la source est
donné par l'étymologie, non par la poésie : source, du verbe latin surgere = être debout, qui a
donné regere = diriger, rex = roi et directus = droit. La source du droit c'est le droit et le pouvoir.
Le droit, c'est le droit ».
(1297) V. notamment infra, no 337 (théorie de la loi-écran) et no 347 (paralysie partielle du Conseil
constitutionnel face au droit de l’Union européenne).
(1298) P. AMSELEK, « Une fausse idée claire : la hiérarchie des normes juridiques », RRJ 2007,
p. 557, qui, après avoir dénoncé les pétitions de principe et l’irréalisme de Kelsen, estime qu’il n’y a
pas de hiérarchisation pyramidale, « directe et délibérée », de l’ordre juridique mais « un certain
aménagement des compétences normatrices des autorités publiques » qui produit une hiérarchie
subtile et complexe entre les normes. Adde F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au
réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Facultés universitaires Saint Louis, 2002.
(1299) Sur le pluralisme juridique, v. supra, no 261.
(1300) Le plurijuridisme, PUAM, 2005, spéc. J.-L. BERGEL, « Rapport introductif », p. 11.
(1301) V. infra, no 347.
(1302) V. infra, no 353.
(1303) Ex., dans l’ex-URSS : A. TUMANOV, Le contrôle de la constitutionnalité des actes normatifs
en Union soviétique, Journées de la société de législation comparée, 1988, p. 185.
(1304) Biblio. très sommaire : J.-P. CAMBY, La loi, LGDJ, 2015 ; M. COUDERC, J.-L. HERIN et J.-
Cl. BÉCANE et al., La loi, Dalloz, 2e éd. 2010 ; La loi, Arch. phil. dr., t. XXV, 1980.
(1305) Étymologie : du latin lex qui semble lui-même venir du verbe lego ; mais il y a deux verbes
correspondant : legare et legere. Legare signifie « lier », obliger : la loi désignerait toute règle qui
lie, écrite ou non. Legere signifie « ramasser, cueillir » et a donné « lire » (peut-être parce que le
lecteur amasse les lettres avec les yeux) : la loi serait la règle que l’on lit, écrite par une autorité
supérieure aux hommes, religieuse dans les premiers temps (ex : les Tables de la loi ont été écrites
par Moïse et Aaron sous la dictée divine) ; en ce sens, elle s’opposerait à la coutume, non écrite et
qui puise son autorité dans une acceptation tacite des hommes. La loi s’opposerait aussi au jus (qui a
donné juste, justice et juridique) dont l’origine n’est pas moins obscure : ce serait une formule
religieuse ayant force de loi, d’origine indo-européenne (A. ERNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire
étymologique de la langue latine, 1932, Vo Jus) ou bien « le juste, l’objet de la justice » (M.
VILLEY, « Les origines de la notion de droit subjectif », Leçons d’histoire de la philosophie du droit,
Dalloz, 1957, p. 244, spéc. p. 258). Adde J.-L. SOURIOUX, « Quand lire et faire la loi, c’est tout un »,
Écrits du prof. J.-L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 407 : le binôme lex-legere est très ancien ; ainsi,
la loi est adoptée par le Parlement après une première puis une seconde « lectures ».
(1306) G. BURDEAU, « Le déclin de la loi », Arch. phil. dr., t. VIII, « Le dépassement du droit », 1963,
p. 35, spéc. p. 36 : « Nulle part, on n’a osé qualifier de loi des actes qui n’auraient pas été adoptés
par un vote des assemblées. On parlera de statutory orders, d’arrêtés-royaux, de
Rechtsverordnungen, de Proclamations, d’Executive orders, d’ordonnances ou de décrets, mais le
titre de loi, de statute ou de Gesetz demeure réservé aux règles par où s’exprime la volonté
politique du peuple souverain ».
(1307) V. infra, no 355.
(1308) Sur l’édiction de la loi et l’expression de l’autorité dans l’histoire : Le pouvoir en actes.
Fonder, dire, montrer, contrefaire l’autorité, Archives nationales, Somogy éditions d’art, 2013.
(1309) Étymologie : du latin promulgo, are = promulguer, lui-même (peut-être) dérivé de provulgo,
are = divulguer, lui-même dérivé de pro = devant + vulgus = le peuple. Biblio. : Y. GAUDEMET, J.-Cl.
civil, art. 1er ; E. SAUVIGNON, « La promulgation des lois », RDP 1981, p. 989 (sous l’empire des
anciennes règles).
(1310) CE, Ass., 8 févr. 1974, Commune de Montory, JCP G, 1974.II.17703 (2e esp.), n. G. Liet-
Veaux : « La promulgation est l’acte par lequel le chef de l’État atteste l’existence de la loi et
donne l’ordre aux autorités publiques d’observer et de faire observer cette loi ». La forme du
décret de promulgation est fixée par un décret du 19 mai 1959, modifié. Sur la question de savoir si
le président de la République peut refuser de promulguer une loi votée ou a compétence liée :
D. GUIGNARD, « La promulgation des lois : une prérogative du chef de l’État en quête d’identité
juridique », RRJ 2008, p. 2043.
(1311) * CE, 3 nov. 1933, Desreumeaux, DP 1934, 3, 36, n. crit. Gros ; S., 1934, 3, 9, n. crit.
R. Alibert : « Les décrets de promulgation des lois [...] sont des actes relatifs aux rapports des
pouvoirs exécutifs avec le Parlement ; comme tels, ils ne peuvent faire l’objet d’un recours
contentieux devant le Conseil d’État ». En l’espèce, le requérant soutenait que les textes adoptés par
le Parlement étaient différents de la version publiée au Journal officiel ; si le décret de promulgation
ne peut être frappé d’un recours pour excès de pouvoir, le juge doit néanmoins vérifier l’existence
d’une erreur matérielle (v. infra, no 287).
(1312) Auparavant, la loi était « réputée connue » et entrait en vigueur un jour franc après sa
publication. Mais cette règle ne s’appliquait qu’à Paris ; partout ailleurs, dans chaque département,
l’art. 2 D. 5 nov. 1870 faisait courir ce même délai après que le Journal officiel fut parvenu au chef-
lieu, condition qui devait être certifiée par les administrateurs sur un registre préfectoral prévu par la
loi du 12 vendémiaire an IV. Délibérément la Cour de cassation avait ignoré cette distinction et
neutralisé cette formalité anachronique (* Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, JCP G, 1994.II.22216, n. Y.
Gaudemet ; Cass. crim., 21 juin 1995, Bull. crim., no 232). Au lendemain du Code civil, la solution
était contraire (Sect. réunies, 7 août 1807, Jur. gén., t. XXX, Vo Loi, no 153) avant que la Cour
n’admette la liberté de la preuve de la distribution effective du Journal officiel (Cass. civ., 26 janv.
1938, DH 1938, 147).
(1313) Sous l’empire du D. 5 nov. 1870 (art. 2), une publication par voie d’affichage était possible
en cas d’urgence ; la loi entrait alors en vigueur le lendemain de cet affichage (Cass. civ., 17 févr.
1932, Gaz. Pal. 1932.I.636). Le gouvernement pouvait en outre « ordonner l’exécution immédiate
d’un décret », dès sa publication.
(1314) Infra, no 354.
(1315) Sur les conséquences de cette distinction : R. CHAPUS, Droit administratif général,
Montchrestien, 15e éd., 2001, no 1335.
(1316) CE, 24 févr. 1999, Meyet, RFDA 1999, p. 428.
(1317) CE, 28 déc. 2007, JCP G, 2008, II, 10066.
(1318) Cass. 1re civ., 31 janv. 1989, Bull. civ. I, no 50.
(1319) V. infra, no 336.
(1320) V. supra, no 125.
(1321) Ex. : Cass. crim., 21 janv. 1944, Bull. crim., no 27 ; Cass. crim., 21 mai 1992, JCP G,
1993.II.21985, n. J. Pannier : « Cessent d’être applicables aux poursuites en cours les dispositions
des lois ou règlements, même non expressément abrogées, dans la mesure où elles sont
inconciliables avec celles d’une loi nouvelle ». Dans le même sens, devant le juge administratif :
CE, 6 mai 1998, Lebsir, Dr. adm. 1998, no 342.
(1322) Ex. : Cass. crim., 12 juin 1995, Bull. crim., no 213 (l’acte d’adhésion de l’Espagne à la
Communauté européenne abroge implicitement les infractions douanières commises entre ce pays et
la France).
(1323) CE, 4 nivôse an VIII (25 déc. 1799), D. 1999, 705, n. P. (de la Gironde) (= B. Pacteau) :
« C’est un principe éternel, qu’une loi nouvelle fait cesser toute loi précédente, ou toute
disposition de loi précédente contraire à son texte ; principe applicable, à plus forte raison, à la
Constitution qui est la loi fondamentale de l’État » (une loi nouvelle n’était donc pas nécessaire
pour abroger trois lois révolutionnaires violant les principes d’égalité et de liberté proclamés dans la
Constitution de l’an VIII) ; CE, ass., 16 déc. 2005, Dr. adm. 2006, comm. 29 et 61 : s’il n’appartient
pas au juge administratif d’apprécier la conformité d’une loi aux dispositions constitutionnelles en
vigueur à la date de sa promulgation (sur le rejet de l’exception d’inconstitutionnalité, v. infra,
no 337), il lui revient de constater l’abrogation, fût-elle implicite, de dispositions législatives dont le
contenu est inconciliable avec un texte postérieur, qu’il soit de valeur législative ou
constitutionnelle. – Adde Sénat, JO 4 juin 2015, p. 1299, QE nº 16713 : le délit de blasphème, prévu
par le Code pénal allemand de 1871 et resté applicable en Alsace-Moselle, a été implicitement
abrogé à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 30 nov. 2012 qui censura une
disposition du droit local rédigée en langue allemande (v. infra, nº 440).
(1324) Cass. crim., 12 mai 1960, Bull. crim., no 265 ; JCP, 1960.II.11765, n. R. Rodière : « Les lois
et règlements ne peuvent tomber en désuétude par suite d’une tolérance plus ou moins prolongée
et ne peuvent être abrogés que par des dispositions supprimant expressément celles en vigueur, ou
inconciliables avec elles » ; CE, 24 mai 1948, Jacquemet, Rec. CE, p. 562 (règlement municipal).
Sur les tempéraments à ce principe, v. infra, no 377.
(1325) Ex. : L. no 2007-1787, 20 déc. 2007 « relative à la simplification du droit » dont l’art. 27
dispose que « sont et demeurent abrogées » quelques 126 lois.
(1326) V. infra, no 335.
(1327) CE, 28 oct. 2009, SCA L’Armorique maraîchère, Dr. adm. 2009, 166, qui ajoute qu’« une
telle remise en vigueur ne peut intervenir que si l'autorité compétente le prévoit expressément ; il
ne peut en aller autrement que, par exception, dans le cas où une disposition a pour seul objet
d'abroger une disposition qui n'avait elle-même pas eu d'autre objet que d'abroger ou de modifier
un texte et que la volonté de l'autorité compétente de remettre en vigueur le texte ou la disposition
concerné dans sa version initiale ne fait pas de doute ».
(1328) Ex. : Cass. soc., 16 mai 1979, Bull. civ. V, no 421 : « les dispositions abrogées ne peuvent,
en principe et à défaut de stipulation législative particulière, redevenir en vigueur du seul fait de
la modification ou de l’abrogation ultérieures des textes qui les avaient remplacés ».
(1329) P. DEUMIER, « Abrogation sur abrogation ne vaut », obs. in RTD civ. 2010, p. 55.
(1330) Biblio. sélective : D. RÉMY, Légistique, éd. Romillat, 1994 ; A. VIANDIER, Recherches de
légistique comparée, Springer Verlag, 1988 ; J.-P. DUPRAT, « Genèse et développement de la
légistique », La confection de la loi, PUF, 2005, p. 9 ; J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, PUF,
coll. Thémis droit, 2e éd., 2016, nos 174 et s. V. aussi la bibliographie sur la loi, citée supra, nº 275.
(1331) Circulaire du Premier ministre du 30 janvier 1997 « relative aux règles d’élaboration, de
signature et de publication des textes au Journal officiel [...] » (JO 1er févr. 1997, p. 1720 ; Adde obs.
Chr. JAMIN, RTD civ. 1997, p. 537 et N. MOLFESSIS, ib., p. 780) rappelant, entre autres évidences, que
la rédaction d’un texte doit être « grammaticalement correcte » ( !). Cette circulaire reprend la
substance d’une circulaire du 2 janvier 1993, succédant elle-même à des circulaires de 1974, 1983,
1984, 1985... Adde Circ. 30 sept. 2003 « relative à la qualité de la réglementation », JCP G,
2003.II.20098 ; Circ. 29 févr. 2008 « relative à l’application des lois », JO 7 mars 2008, p. 4233, qui
veut accélérer l’application des lois dans les ministères ; Circ. 7 juill. 2011, « relative à la qualité du
droit », JORF no 0157, 8 juill. 2011.
(1332) Guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires, Doc. fr., 2e éd., 2007
(549 pages). Le guide est mis à jour en permanence sur : http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-
francais/Guide-de-legistique.
(1333) Circ. 20 oct. 2000, « relative au mode de décompte des alinéas lors de l’élaboration des
textes », JO 31 oct. 2000, p. 17302 ; JCP G, 2000.III.20385.
(1334) V. obs. N. MOLFESSIS, in RTD civ. 1997, p. 796.
(1335) La pratique de l’étude d’impact, venant du droit de l’environnement, a été généralisée par une
circulaire du Premier ministre du 26 janvier 1998 (JCP G, 1998.III.20034, remplaçant la circulaire
« expérimentale » du 21 nov. 1995).
(1336) Cons. const., 9 avr. 2009, décis. no 2009-579 DC (l’exposé des motifs accompagnant le projet
de loi refléterait « une tradition républicaine qui a pour objet de présenter les principales
caractéristiques de ce projet et de mettre en valeur l'intérêt qui s'attache à son adoption »).
(1337) Le Parlement avait introduit le concept d’« évaluation de la législation », aux fins
d’« évaluer l’adéquation de la législation aux situations qu’elle régit » (L. no 96-516 du 14 juin
1996 « tendant à créer un Office parlementaire d’évaluation de la législation »). Mais le bilan
d’activité de l’Office parlementaire d’évaluation fut quasiment nul (cf. N. MOLFESSIS, obs. in RTD civ.
1997, p. 783). Il ne disposait pas des moyens de la « Commission supérieure de codification », que
les parlementaires avaient voulu concurrencer en instituant cet « Office ».
(1338) Circ. 17 févr. 2011 « relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les
collectivités territoriales ». Un « commissaire à la simplification » est créé auprès du secrétariat
général du gouvernement (SGG) qui reçoit les fiches d’impact.
(1339) La simplification du droit (dir. D. Bert, M. Chagny et A. Constantin), Institut Universitaire
Varenne, 2015.
(1340) Pour d’autres propositions, A. LAMBERT et J.-Cl. BOULARD, Rapport de la mission de lutte
contre l’inflation normative, 26 mars 2013 : www.ccen.dgcl.interieur.gouv.fr.
(1341) Pour un inventaire : « Les organismes chargés de simplification normative », JCP G, 2015,
suppl. au nº 4, 26 janv. 2015, p. 5.
(1342) CGCT, art. L. 1211-4-2, réd. L. fin. rectificative pour 2007 ; D. no 2008-994. – Sur l’activité
du CCEN : http://www.ccen.dgcl.interieur.gouv.fr.
(1343) L. nº 2013-921, 17 oct. 2013.
(1344) Cass. crim., 1er mars 1990, Bull. crim., no 102. V. déjà : Cass. civ., 18 mars 1952, D. 1952,
417.
(1345) Ex. : Cass. soc., 5 nov. 1981, Bull. civ. V, no 864 : « si une loi est immédiatement applicable,
il n’en est pas ainsi lorsque sa mise en application est subordonnée à la publication d’un acte
réglementaire ultérieur ».
(1346) Cass. com., 28 déc. 1949, D. 1950, 159 : « Si, en principe, une loi est immédiatement
exécutoire, même au cas où elle prévoit des actes réglementaires relatifs à son exécution, dès
l’instant qu’elle n’a pas spécifié que son application serait subordonnée à la publication desdits
actes, cettesubordination peut être implicite et doit différer la mise en vigueur de la loi quand le
texte de celle-ci, ne se suffisant pas à lui-même, a besoin d’être complété ».
(1347) Ex. : Cass. crim., 18 sept. 1990, Bull. crim., no 315 ; 9 juill. 2003, Bull. crim., no 138 (la loi
prévoyait qu'un décret en Conseil d'État préciserait « en tant que de besoin » ses conditions
d'application, « par ailleurs suffisamment claires et précises pour être appliquées
immédiatement »). Ces solutions sont transposables à un règlement qui prévoit des mesures
d’application (CE, 7 oct. 1988, Dr. adm. 1988, no 574). Comp. Cass. crim., 3 oct. 1994, Bull. crim.,
no 311 : « lorsqu’une loi abroge une incrimination et prévoit que cette abrogation ne prendra effet
qu’après publication d’un décret à intervenir dans un délai déterminé, l’abrogation, à défaut de
décret, devient effective à l’expiration dudit délai » (résumé).
(1348) CE, avis, 4 juin 2007, RJS 10/07, no 1127 ; JCP S, 2007, 1840, note G. Vachet, qui applique
de nouvelles dispositions législatives dont l’application n’est pas « manifestement impossible en
l’absence d’un texte réglementaire – que d’ailleurs elles ne prévoient pas ».
(1349) V. supra, no 277.
(1350) CE, 23 oct. 1992, D. 1992, 511, concl. H. Legal : la L. 10 juillet 1989 créant le permis à
points devait entrer en vigueur à une date « fixée par décret en Conseil d’État » mais ne pouvant
« être postérieure au 1er janvier 1992 » ; bien que le décret d’application (qui devait établir le
barème des points retirés par catégorie d’infraction au Code de la route) ne fût pris que le 25 juin
1992, il n’encourt pas la nullité de ce chef.
(1351) CE, 5 déc. 1952, Vasnier, Rec. CE, p. 559. La nullité est également encourue lorsque, au
terme du délai imparti par la loi, le pouvoir réglementaire est dessaisi de sa compétence (ex. : selon
l’art. 38 Const., les lois d’habilitation permettent au gouvernement de prendre « par ordonnances,
pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi »).
(1352) CE, 30 juill. 2003, Gemtrot, Dr. adm. 8-9/03, comm. 162.
(1353) Const., art. 21 : « Le Premier ministre [...] assure l’exécution des lois ». Sur le thème
classique du retard des textes d’application des lois, v. la doctrine citée par R. Libchaber in RTD civ.
1998, p. 788. Adde J.-C. VENEZIA, « Les règlements d’application », Mélanges R. Chapus,
Montchrestien, 1992, p. 673.
(1354) La Cour de cassation (Cass. crim., 20 mai 1887, DP 1888, 1, 96 ; v. aussi supra, no 143, pour
la codification à droit constant) le Conseil d’État (CE, 11 févr. 1907, Jacquin, Rec. CE, p. 152 ; DP
1908, 3, 92 ; CE, ass., 16 avr. 1943, Lanquetot, S., 1943, 3, 41) affirment que les règlements
légalement pris pour l’application d’une loi survivent à son abrogation tant qu’ils n’ont pas été
rapportés ou ne sont pas devenus inconciliables avec une législation postérieure.
(1355) Ex. : Cass. soc., 22 mars 1989, Bull. civ. V, no 242 : en l’absence de décrets d’application
fixant la tarification des frais de soins remboursables par la CPAM, il convient de se référer au
« système antérieur » à la loi.
(1356) Ex. : CE, 3 déc. 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire,
JCP G, 2000.II.10319 (2e esp.) (autres références in JCP G, 2000.I.151, no 2) : illégalité du refus du
ministre chargé de la chasse d’exercer sa compétence réglementaire (pour fixer la date d’ouverture
de la chasse au gibier d’eau) dans le respect des objectifs d’une directive communautaire, sans qu’il
puisse tirer argument d’une loi française contraire à cette directive.
(1357) CE, 12 déc. 2003, Syndicat des commissaires de la police nationale, Dr. adm., 2004, comm.
19 et chron. Larcher, chr. 3 ; AJDA 2004, p. 442 et chron. p. 762 (enjoint au ministre de l’Intérieur de
publier dans les trois mois au JO un arrêté signé en 1983).
(1358) CE, 10 mars 1967, sté Les Ardoisières d’Angers, Rec. CE, p. 116 : « [...] négligence fautive
de nature à engager la responsabilité de l’État ».
(1359) CE, 13 juill. 1951, Union des anciens militaires titulaires d’emplois réservés à la SNCF,
Rec. CE, p. 403 : « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais
aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement
l’application de la loi ». Le délai raisonnable s’apprécie, notamment, en fonction de la difficulté à
élaborer les mesures d’application de la loi (en moyenne jusqu’à quinze mois).
(1360) C. just. adm., art. L. 911-1 et L. 911-3. Ex. : CE, 26 juill. 1996, Rec. CE, p. 293, concl.
C. Maugüé (l’abrogation d’un décret d’application ayant rendu impossible l’application de l’art. 36
L. 1er sept. 1948, le Conseil d’État ordonne l’édiction d’un nouveau décret dans le délai d’un an).
(1361) Sur les obstacles dressés par le Conseil constitutionnel, cf. B. GENEVOIS, « Les contraintes
d’ordre constitutionnel pesant sur l’entrée en vigueur des lois », Mélanges P. Avril, « La
République », Montchrestien, 2001, p. 243.
(1362) Ex. : Paris, 26 sept. 1997, D. 1997.IR.236 : le décret d’application de la loi du 10 juin 1994,
réformant celle du 25 janvier 1985 en matière de procédures collectives, est paru le 21 octobre 1994
alors que la nouvelle loi déclarait s’appliquer aux procédures ouvertes à compter du 1er octobre
1994 ; la cour d’appel applique à une procédure ouverte entre le 1er et le 21 octobre les anciennes
règles du décret du 27 décembre 1985 dans la mesure où elles sont compatibles avec les nouvelles
dispositions législatives. Adde Cass. com., 15 févr. 2000, D. Aff. 2000, AJ, p. 127, appréciant
article par article les dispositions de la loi du 10 juin 1994 qui peuvent faire l’objet d’une
application directe.
(1363) Ex. : l’art. 5 de l’ordonnance (dite « Juppé ») no 96-345 du 24 avril 1996 a incité de
nombreux médecins âgés de 56 ans ou plus à cesser leur activité de façon anticipée ; mais aucun
d’entre eux n’a perçu l’allocation de remplacement promise (se retrouvant ainsi privé de tout revenu)
jusqu’à la parution du décret d’application le 21 avril 1997 (D. 1997, Lég., 249).
(1364) Pour un autre exemple, cf. D. BUREAU, « L’art législatif sur le vif. À propos du nantissement de
compte d’instruments financiers », D. 1997, chr. 73 (au sujet des art. 29 et 29-1 nouv. L. 3 janv. 1983,
issus de la loi du 2 juillet 1996, dont le décret d’application n’est paru que le 21 mai 1997,
entretenant dans l’intervalle une insécurité juridique autour de cette innovation).
(1365) Plusieurs circulaires « sur la qualité de la loi » ou « de la réglementation » ont été édictées
par les Premiers ministres successifs de 2003 à nos jours (v. supra, no 279, en note).
(1366) Selon les termes de la Circulaire du Premier ministre du 29 févr. 2008 « relative à
l’application des lois », JO 7 mars 2008, p. 4233.
(1367) Sur le bilan de la commission et les rapports publiés depuis 1998,
http://www.senat.fr/commission/capl/index.html.
(1368) Biblio. : G. DEREUX, « Étude critique de l’adage “Nul n’est censé ignorer la loi” », RTD civ.
1907, p. 513 ; R. GUILLIEN, « Nul n’est censé ignorer la loi », in Mélanges P. Roubier, Dalloz, 1961,
t. I, p. 253 ; J. CARBONNIER, « La maxime "nul n’est censé ignorer la loi" en droit français », Journées
de la société de législation comparée, 1984, p. 321.
(1369) Ex. : Cass. soc., 30 janv. 2003, RJS 4/03, no 525 : l’ignorance d’un droit ne constitue pas une
impossibilité d’agir faisant obstacle à la prescription.
(1370) PORTALIS in Fenet, t. VI, p. 350 : « La loi prend les hommes en masse. Elle parle non à
chaque particulier, mais au corps entier de la société. Il suffit que les particuliers aient pu
connaître la loi ».
(1371) J. CARBONNIER, art. cit., spéc. p. 322 : « Le principe, conçu pour des siècles de sobriété et
d’immuabilité juridiques, est-il encore adapté à une époque d’inflation et d’effervescences
législatives ? ».
(1372) C. pén., art. 122-3 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru,
par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir
l’acte ». L’art. 4 D. 5 nov. 1870 accueillait déjà « l’exception d’ignorance alléguée par les
contrevenants, si la contravention a eu lieu dans le délai de trois jours francs, à partir de la
promulgation » (la publication en réalité) ; l’exception, limitée aux contraventions de police, est très
étroite.
(1373) Le prévenu doit avoir été trompé sur le sens de la réglementation applicable par une
information erronée fournie par un haut responsable de l’administration compétente (tel le ministre du
Travail : Cass. crim., 9 oct. 1958, Bull. crim., no 615 ; ou un médiateur désigné par le gouvernement :
Cass. crim., 24 nov. 1998, JCP G, 1999.II.10208). La Cour de cassation exige, en outre, qu’il n’ait
disposé d’aucun recours juridictionnel ou administratif en interprétation, qu’il n’ait pu éprouver le
moindre doute sur la véracité de l’information, voire qu’il n’ait pu prendre l’avis de « juristes
qualifiés » (Cass. crim., 19 mars 1997, Bull. crim., no 115, pour un chef d’entreprise). Est également
punissable celui qui n’a pas su anticiper une interprétation, voire un revirement de jurisprudence
(Cass. crim., 2 mars 1961, JCP G, 1961.II.12095). Sur le cas d’une divergence de jurisprudences,
v. infra, no 401.
(1374) Comp. Cass. 1re civ., 4 nov. 1975, D. 1977, 105, n. J. Ghestin : « Si l’erreur de droit peut
justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne
prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute
manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance ».
(1375) Cass. 1re civ., 25 nov. 1997, Bull. civ. I, no 328 ; RTD civ. 1998, p. 210, obs. N. Molfessis :
« Les éventuels manquements d’un notaire à ses obligations professionnelles ne peuvent
s’apprécier qu’au regard du droit positif existant à l’époque de son intervention, sans qu’on
puisse lui imputer à faute de n’avoir pas prévu une évolution ultérieure du droit » ; les premiers
juges ne pouvaient lui « reprocher [...] de n’avoir pas prévu un revirement de jurisprudence ».
Cass. civ., 21 juill. 1921, DP 1925, 1, 29 : un notaire ignorant une jurisprudence constante et non
controversée engage sa responsabilité civile.
(1376) Comp. J. PARAIN-VIAL, « La crise de la notion de la loi en biologie et en droit », Arch. phil.
dr., t. XXV, « La loi », 1980, p. 249.
(1377) V. supra, nos 47 et s.
(1378) La Constitution envisage l’empiètement de la loi sur le domaine du règlement : art. 37, al. 2 :
« Les textes de forme législative intervenus en ces matières (réglementaires) peuvent être modifiés
par décrets pris après avis du Conseil d’État. Ceux de ces textes qui interviendraient après
l’entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le
Conseil constitutionnel a déclaré qu’ils ont un caractère réglementaire [...] » ; art. 41 : « S’il
apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un amendement n’est pas du
domaine de la loi [...], le gouvernement peut opposer l’irrecevabilité ». De son côté, le juge
administratif doit annuler sur recours pour excès de pouvoir les règlements qui empiètent sur le
domaine de la loi.
(1379) R. CARRÉ DE MALBERG, La loi expression de la volonté générale, 1931 (rééd. Economica,
1984), no 505 : « La matière éventuelle de la loi s’étend à l’infini ». Comp. avec l’adage de droit
anglais : « Parliament can do anything, except changing a man into a woman ».
(1380) Ex. de ponctuation ambiguë : art. 10 L. 17 mars 1909 (auj. C. com., art. L. 142-3), sur le
nantissement de fonds de commerce (v. N. MOLFESSIS, obs. RTD civ. 1997, p. 781) ; art. 40 L. 25 janv.
1985 mod. L. 10 juin 1994 (auj. C. com., art. L. 622-17), sur le rang des sûretés réelles en cas de
liquidation judiciaire (v. RTD com. 1997, p. 330) ; anc. art. 68, al. 2, Const. 4 oct. 1958, sur la
responsabilité pénale des ministres (abrogé par la L. const. 27 juill. 1993. Cf. R. MERLE et A. VITU,
Traité de droit criminel. Procédure pénale, Cujas, 5e éd., 2001, no 41, p. 59) ; Code des débits et
boissons, art. L. 17 ; C. com., art. L. 233-10 (modifié par la L. 11 déc. 2001. cf. RTD com. 2001,
p. 720).
(1381) MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, L. XXIX, Chap. XVI, « Choses à observer dans la
composition des lois » : « Ceux qui ont un génie assez étendu pour pouvoir donner des lois à leur
nation ou à une autre, doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former. Le style
doit en être concis [...] Le style des lois doit être simple : l’expression directe s’entend toujours
mieux que l’expression réfléchie [...]. Les lois ne doivent point être subtiles : elles sont faites pour
des gens de médiocre entendement ; elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple
d’un bon père de famille. Lorsque dans une loi les exceptions, limitations, modifications ne sont
point nécessaires, il vaut beaucoup mieux n’en point mettre : de pareils détails jettent dans de
nouveaux détails ». G. CORNU, Linguistique juridique, Montchrestien, 3e éd., 2005 ; Les mots de la
loi, Economica, 1999.
(1382) D. GUTMANN, « “Le juge doit respecter la cohérence du droit”. Réflexions sur un imaginaire
article 4 ½ du Code civil », Le Titre préliminaire du Code civil, Economica, 2003, p. 109.
(1383) A. VIANDIER, « La crise de la technique législative », Droits 1986, no 4, p. 75 :
« Médiocrement rédigées, obscures, souvent ineffectives, à faible durée de vie, les lois
contemporaines donnent le triste spectacle d’une déchéance qui s’accélère » ; p. 76 : « On n’a
jamais témoigné autant de mépris pour la plastique du droit ».
(1384) G. RIPERT, Le déclin du droit, LGDJ, 1949, Chap. III, « Sous la servitude des lois », spéc.
p. 68 : « L’État s’est assigné tant de tâches nouvelles que pour les remplir il lui a fallu légiférer
sans cesse [...]. L’État est seul et veut être seul » ; p. 78 : « On peut faire dans les textes
réglementaires son instruction dégustative et son éducation culinaire ». Le phénomène s’est
amplifié avec les textes communautaires ou européens, d’une technicité et d’un détail parfois
effrayants.
(1385) Sur les renvois de texte à texte : La législation par référence, RRJ 1997, p. 1189 et s. La
technique du renvoi d’un texte à un autre peut avoir pour vertus de coordonner, de simplifier ou
d’unifier le droit. Mais ses vices prédominent : il existe trop de renvois circulaires, en cascade,
inintelligibles, obsolètes ou erronés. Cette technique n’est qu’une facilité rédactionnelle. Le juge
accepte parfois de corriger les erreurs du législateur mais, si ce dernier n’a pas mis à profit plusieurs
« sessions de rattrapage », il y renonce et s’en tient à une lecture littérale du renvoi. Pire, en cas de
codification postérieure de la jurisprudence, l’erreur législative non rectifiée par le juge devient
vérité (pour un ex., P. MORVAN, Restructurations en droit social, LexisNexis, 3e éd., 2013, no 1391).
(1386) L. BORÉ, « L’obscurité de la loi », Mélanges J. Boré, Dalloz, 2007, p. 27. Jean Carbonnier
l’avait déjà dit.
(1387) Cons. const., 19 déc. 2000, décis. no 2000-437 DC. Cette dernière formule était apparue pour
justifier la codification à droit constant par ordonnances (v. supra, no 142). En matière pénale,
« toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis pour exclure l’arbitraire et
permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l’accusation portée contre
lui » (Cass. crim., 1er févr. 1990, Bull. crim., no 56, reprenant les termes de Cons. const., 19-20 janv.
1981, Sécurité et liberté, cité infra, no 305. V. aussi Cass. crim., 16 janv. 2002, D. 2002, 1225, qui
va jusqu’à écarter une loi imprécise). Sur l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et
d’intelligibilité de la loi, cf. P. de MONTALIVET, in La confection de la loi, PUF, 2005, p. 99 ;
Ph. MALAURIE, « L’intelligibilité des lois », Pouvoirs, 2005, p. 131 s.
(1388) Cons. const., 12 janv. 2002, décis. no 2001-455 DC, Loi de modernisation sociale : « Le
principe de clarté de la loi, qui découle de l’article 34 de la Constitution, et l’objectif de valeur
constitutionnelle d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration
(de 1789), lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à
la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, d’adopter des dispositions suffisamment précises
et des formules non équivoques » ; le Conseil reconnaît la clarté des dispositions éclairées par les
travaux préparatoires.
(1389) Cons. const., 29 déc. 2005, décis. no 2005-530 DC, Loi de finances pour 2006, consid. 77,
qui invoque également les art. 4 et 5 de la Déclaration de 1789 ; de plus, « en matière fiscale, la loi,
lorsqu'elle atteint un niveau de complexité tel qu'elle devient inintelligible pour le citoyen,
méconnaît l'article 14 de la Déclaration de 1789 » (selon lequel tous les citoyens ont le droit,
notamment, de constater la nécessité de la contribution publique).
(1390) Ex. : CJCE, 9 juill. 1981, SA Gondrand Frères et SA Garancini, aff. 169/80, Rec. CJCE,
p. 1931 : « Le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation imposant des charges au
contribuable soit claire et précise, afin qu’il puisse connaître sans ambiguïté ses droits et
obligations et prendre ses dispositions en conséquence » ; CJCE, 25 sept. 1984, Könecke c/Balm,
aff. 117/83, Rec., p. 3291 : il exige aussi qu’« une sanction, même de caractère non pénal, [...]
repose sur une base légale claire et non ambiguë » ; CJCE, 15 déc. 1987, Irlande c/Commission,
aff. 325/85, Rec., p. 5041 : « cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur
particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences
financières ».
(1391) 1er ex. : L. no 98-657 du 29 juill. 1998 « d’orientation relative à la lutte contre les
exclusions », art. 140 : « L’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique
sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. Il permet de garantir
l’exercice effectif de la citoyenneté. [...] ». 2e ex. : L. no 99-478 du 9 juin 1999, art. 1er :
« l’exploitation des enfants par le travail doit être fermement combattue et dénoncée par tous les
moyens légaux [...] ».
(1392) Études et documents du Conseil d’État. Rapport public pour 1991, no 43, Doc. fr., 1992,
p. 32 à 34 : « Trop de textes ne permettent pas de distinguer l’intention de l’action, le possible du
souhaitable, l’accessoire de l’essentiel, le licite de l’illicite. [...] Un premier élément de la
dégradation de la norme réside dans le développement des textes d’affichage, un droit mou, un
droit flou, un droit “à l’état gazeux”. [...] le Conseil d’État a vu passer un nombre non négligeable
de lois et décrets dont l’article 1er est dépourvu de tout contenu normatif (et) de plus en plus, le
discours philosophique, l’exposé de bonnes intentions, s’étend aux articles suivants, quand il
n’envahit pas le texte tout entier, réduit à une simple formulation d’objectifs. [...] ».
(1393) Cons. const., 22 août 2002, décis. no 2002-460 DC, JO 30 août 2002, p. 14411. L’art. 1er de la
loi no 2002-1094 du 29 août 2002 affirme que « les orientations de la politique de sécurité
intérieure figurant à l’annexe I sont approuvées ». Ces orientations, selon le juge constitutionnel,
« ne sont pas revêtues de la valeur normative qui s’attache à la loi ».
(1394) Cons. const., 29 juill. 2004, décis. no 2004-500 DC, RFDC 2004, p. 798, note L. Philip ; RDP
2004, p. 1739, note D. Chamussy.
(1395) Cons. const., 21 avr. 2005, décis. no 2005-512 DC, JO 24 avr. 2005, p. 7173, qui censure
l’article de la « loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école » selon lequel « l'objectif
de l'école est la réussite de tous les élèves »... Sur la censure d’une « loi mémorielle », v. supra,
no 14.
(1396) Cf. le rappel d’un Premier ministre : Circ. 19 janv. 2006 relative au respect des articles 34
et 37 de la Constitution, JO 20 janv. 2006, texte no 2.
(1397) Cons. const., 21 avr. 2005, préc.
(1398) N. MOLFESSIS, « Le titre des lois », Études P. Catala, « Le droit privé français à la fin du
XXe siècle », Litec, 2001, p. 47.

(1399) Ex. : « Loi... instituant... », « Loi... modifiant... », « Loi... autorisant... », « Loi... portant
adaptation... », « Loi... de modernisation... », etc.
(1400) Ex. : « Loi... tendant à... », « Loi... visant à... » ; « Loi... relative à la lutte contre... » parfois
suivie d’une « Loi... relative au renforcement de la lutte contre... » (par ex. le travail clandestin).
(1401) Cf. N. MOLFESSIS, art. cit., note 89, p. 65.
(1402) Ex. : L. no 92-3 du 3 janv. 1992 « sur l’eau » ; L. no 2000-698 du 26 juill. 2000 « relative à la
chasse ».
(1403) Ex. : la L. no 85-677 du 5 juill. 1985 est devenue la loi « Badinter » (sur les accidents de la
circulation) ; les L. no 98-461 du 13 juin 1998 et no 2000-37 du 19 janv. 2000 sont devenues les lois
« Aubry I » et « Aubry II » (sur la réduction du temps de travail).
(1404) Ex. : L. no 2001-420 du 15 mai 2001 « relative aux nouvelles régulations économiques » est
devenue la loi « NRE ».
(1405) Ex. : la L. 8 juin 1970 fut baptisée loi « anti-casseurs » et la L. no 81-82 du 2 févr. 1981 fut
baptisée loi « Sécurité et liberté » par les adversaires de la politique répressive (de droite) que ces
textes incarnaient.
(1406) Cass. civ., 20 avr. 1920, DP 1923, 1, 87 : « Les indications résultant de l’intitulé des lois,
lequel n’est pas soumis au vote du Parlement, n’ont pas de force obligatoire ».
(1407) Ch. BEUDANT, Le droit individuel et l’État, 1891, p. 148. Comp. J. CARBONNIER, « Toute loi en
soi est-elle un mal ? », in Essais sur les lois, Defrénois, 2e éd., 1995, p. 315.
(1408) Par exemple, le livre IV du Code de commerce, qui intègre l’ordonnance du 1er déc. 1986
relative à la liberté des prix et de la concurrence, commence par sanctionner des « pratiques
anticoncurrentielles » (C. com., art. L. 420-1 et s.).
(1409) Pour un panorama plus large, Ch. JARROSSON, « Le législateur peut-il avoir tort ? », Études
Bruno Oppetit, Litec, 2010, p. 349.
(1410) Ph. MALAURIE, « La sobriété », in Études Gérard Champenois, Defrénois, 2012, p. 12 ;
Dictionnaire d’un droit humaniste, Université Panthéon-Assas-LGDJ, 2015, Vº « Sobriété ».
(1411) Ex. : L. no 95-116 du 4 févr. 1995 « portant DDOS ». Les variantes sont infinies ; ex. :
L. no 96-451 du 28 mai 1996 « portant diverses mesures d’ordre sanitaire, social et statutaire ».
(1412) Ex. : la L. no 96-314 « portant DDOEF » du 12 avr. 1996 (JO 13 avr. 1996, p. 5707) contient
99 articles remplissant 17 pages au Journal officiel (v. obs. Th. REVET in RTD civ. 1996, p. 724). La
L. no 98-546 « portant DDOEF » du 2 juill. 1998 compte 114 articles.
(1413) Ex. : la L. du 14 sept. 1941, dite « loi du jardinier » (celui du maréchal Pétain en
l’occurrence, auquel le Maréchal voulut venir en aide), avait admis la légitimation d’enfants
adultérins en présence d’enfants légitimes.
(1414) Biblio. Sur le phénomène – très ancien – des groupes de pression : J. LAPOUSTERLE,
L’influence des groupes de pression sur l’élaboration des normes. Illustration à partir du droit de
la propriétaire littéraire et artistique, Dalloz, 2009, qui souligne, parmi les effets pervers de cette
influence, favorisée par l’essor de la soft law (v. supra, no 47), une représentation déséquilibrée des
différents groupes au profit des mieux structurés qui peuvent d’ailleurs se neutraliser et empêcher
l’adoption d’une loi nécessaire. La force et l’influence normative des groupes d’intérêt.
Identification, utilité et encadrement, Lextenso éditions, 2011. Adde M. MEKKI, même intitulé, JCP
G, 2009, 370 et 392. Pour deux exemples de lois visant à permettre les courses automobiles de
Formule 1 en France, cf. N. MOLFESSIS, « La loi de la course », RTD civ. 1998, p. 778 (loi du 6 mars
1998) et D. BAKOUCHE, « La loi de la course », JCP G, 2012, 397 (loi du 12 mars 2012).
(1415) Ex. : L. no 98-146 du 6 mars 1998, « relative à la sécurité et à la promotion d’activités
sportives » est le fruit des pressions exercées par l’« Association des constructeurs de formule un »
(FOCA) qui menaçait de ne plus organiser le grand prix de France à Magny-Cours si n’était
condamnée une jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 6 févr. 1996, reproduit in J.-
C. GALLOUX, JCP G, 1997.I.4046, Annexe) s’appuyant sur la liberté d’information (Conv. EDH,
art. 10) afin de limiter le monopole de la retransmission d’images de courses automobiles ; la loi
octroie même un pouvoir réglementaire aux fédérations sportives en ce domaine.
(1416) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 258 : « L’office de la loi est de fixer, par
de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en
conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque
matière » ; p. 264 : « La loi statue sur tous ; elle considère les hommes en masse, jamais comme
particuliers ; elle ne doit point se mêler de faits individuels ni des litiges qui divisent les citoyens.
S’il en était autrement, il faudrait journellement faire de nouvelles lois : leur multitude étoufferait
leur dignité et nuirait à leur observation. [...] Les intérêts particuliers assiégeraient la puissance
législative ; ils la détourneraient, à chaque instant, de l’intérêt général ».
(1417) Outre l’exemple précédent, voir P. MORVAN, « Responsabilité pénale et droit social, avant et
après la loi du 10 juillet 2000 », RJS 2001, p. 283, spéc. no 2 : la L. 10 juill. 2000 vise à conférer une
immunité pénale aux agents publics et élus locaux ; cette offensive législative contre les juges,
d’origine sénatoriale, n’est pas la première.
(1418) http://www.assemblee-nationale.fr/representants-interets/index.asp. Cf. P. DEUMIER, obs. RTD
civ. 2010, p. 62.
(1419) Ex. : la loi du 18 mars 2003 a créé le délit d’outrage public à l’hymne national ou au drapeau
tricolore (C. pén., art. 433-5-1) après que des supporters algériens eurent sifflé la Marseillaise lors
d’un match de football joué le 6 octobre 2001 entre la France et l’Algérie ; la loi no 2008-582 du
20 juin 2008 a créé l’homicide involontaire commis avec un chien (C. pén., art. 221-6-2).
(1420) 1er ex. : L. no 97-60 du 24 janv. 1997 « tendant, dans l’attente du vote de la loi instituant
une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins
des personnes âgées par l’institution d’une prestation spécifique dépendance ». 2e ex. : L. no 2003-
6 du 3 janv. 2003, qui suspend (l’abrogation ayant été exclue pour des raisons politiques) pour une
durée déterminée des dispositions de la L. no 2002-73 du 17 janv. 2002 « de modernisation
sociale ».
(1421) G. BURDEAU, « Le déclin de la loi », Arch. phil. dr., t. VIII, « Le dépassement du droit », 1963,
p. 35, spéc. p. 38 : « Dans cette évolution de son usage, la loi a perdu son prestige. Partisane et
tatillonne, transitoire parce que liée aux contingences, condamnée souvent à rester lettre-morte,
elle n’apparaît plus digne du marbre où l’on songeait autrefois à la graver ni du respect qui
faisait inscrire son nom au fronton des monuments publics ».
(1422) Évaluation législative et lois expérimentales, PUAM, 1993, préface J.-L Bergel qui parle
d’une « sorte de “darwinisme” juridique » marquant un « déclin de la mystique de la loi, qui n’est
jamais que du droit transitoire ».
(1423) Ex. : la pratique de la médiation pénale est née de plusieurs expériences conduites dans des
tribunaux au début des années 1980 ; une circulaire de « cadrage » du 2 oct. 1992 a ensuite énoncé la
politique du ministère de la Justice sur ce sujet ; un décret du 4 nov. 1992 en a organisé le
financement ; enfin, la loi no 93-2 du 4 avr. 1993 l’a introduite dans le Code de procédure pénale
(art. 41 devenu art. 41-1. V. chr. C. LAZERGES in Rev. sc. crim. 1997, p. 186). L’exemple est d’autant
plus remarquable que l’art. 34 Const. confie à la loi seule le soin de fixer « les règles concernant la
procédure pénale ».
(1424) En droit du travail, d’importantes réformes (not. en matière de licenciements collectifs ou sur
le statut des VRP) ont repris la substance d’accords nationaux interprofessionnels (ANI) conclus
entre les syndicats ; l’« élaboration conventionnelle » de la loi est un gage de consensus et de
pertinence. Ex. : L. no 96-985 du 12 nov. 1996, art. 6 : « À titre expérimental, pour atteindre
l’objectif de développement de la négociation collective (énoncé par) l’ANI du 31 octobre 1995 »,
des accords pourront être conclus jusqu’au 31 octobre 1998 avec des représentants du personnel
autres que les syndicats.
(1425) Le Conseil constitutionnel (17 janv. 2002, Loi relative à la Corse, décis. no 2001-454 DC)
avait, au contraire, exclu que le législateur « fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans
le temps » puisse autoriser une collectivité territoriale à prendre des mesures relevant du domaine de
la loi.
(1426) V. infra, nos 303, 305 et 306.
(1427) Ex. : L. no 96-296 du 9 avr. 1996, « tendant (sic) à faire du 20 novembre une Journée
nationale des droits de l’enfant ».
(1428) V. supra, no 14.
(1429) V. supra, no 24.
(1430) V. supra, no 284.
(1431) Par ex., la lutte contre le travail dissimulé et contre la fraude au détachement de travailleurs
dans l’Union européenne (le « dumping social ») a donné lieu quasiment à une loi par an depuis 2005
(P. MORVAN, « Travail dissimulé, velléités et impunités en droit », in La norme pénale et les relations
de travail, Éd. Panthéon-Assas, 2015, p. 147).
(1432) Biblio. sélective sur le standard (auquel il faut identifier les termes de « concept mou »,
« notion-cadre », « notion floue », « notion confuse », « notion à contenu variable », « notion sans
critère », « notion fonctionnelle », etc.) : J. BECQUART, Les mots à sens multiples en droit civil
français. Contribution au perfectionnement du vocabulaire juridique, th. Lille, 1928 ; J. MAURY,
« Observations sur les modes d’expression du droit : règles et directives », Études Éd. Lambert,
Sirey, LGDJ, 1938, t. I, p. 421 ; A. TUNC, « Standards juridiques et unification du droit », RID comp.
1970, p. 247 ; G. CORNU, L’apport des réformes récentes du Code civil à la théorie du droit civil,
Cours de doctorat, 1970-1971, Les Cours du droit, p. 219 ; Ch. PERELMAN, « L’usage et l’abus des
notions confuses », (Revue) Logique et analyse mars 1978, no 81, p. 3 ; E. MACCKAY, Les notions
floues en droit ou l’économie de l’imprécision, Langages mars 1979, no 53, p. 33 ; Les notions à
contenu variable, Études publiées par Ch. Perelman et R. Vander Elst, Travaux du centre national de
recherches de logique, Bruylant, 1984 ; M.-A. HERMITTE, « Le rôle des concepts mous dans les
techniques de déjuridicisation. L’exemple des droits intellectuels », Arch. phil. dr., t. 30, « La
jurisprudence », Sirey, 1985, p. 331 ; Ph. COËT, Les notions-cadre dans le Code civil, étude des
lacunes intra legem, th. Paris II, 1985 ; Ph. DELEBECQUE, « Les standards dans les droits romano-
germaniques », RRJ 1988, p. 871 ; S. NÉRON, « Le standard, un instrument juridique complexe », JCP
G, 2011, 1003.
(1433) Ex. : art. 375-2 (« Chaque fois qu’il est possible »...), 270, 408, 832 (« Autant que
possible »...).
(1434) Le « délai raisonnable » est une notion majeure (outre les art. 5, § 3, et 6, § 1, Conv. EDH,
voir les art. 144-1 et 175-2 C. pr. pén., art. 134-7 C. com., art. L. 47 LPF, art. L. 1234-17 C. trav., art.
L. 111-3 C. org. jud., etc.). L’ancien art. 1112 C. civ. définissait la violence par rapport à une
« personne raisonnable ». La Cour de cassation a introduit l’« ignorance raisonnable » dans les
chaînes de contrats (Cass. 1re civ., 6 févr. 2001, JCP E, 2001, p. 1238, n. D. Mainguy et J.-B. Seube).
(1435) Ex. : C. consom., art. L. 212-1 (la clause abusive est celle qui introduit un « déséquilibre
significatif » dans le contrat conclu entre un professionnel et un consommateur).
(1436) Le Code civil utilisait ce standard à dix reprises (anciens art. 601, 627, 1137, 1374, 1728,
1729, 1766, 1806, 1880 et 1962) avant que la loi nº 2014-873 du 4 août 2014 « pour l’égalité réelle
entre les femmes et les hommes » (art. 26) ne le supprime au nom de la lutte contre le sexisme.
(1437) Le Code civil utilise ce standard à vingt-cinq reprises (not. art. 57, 232, 264, 350, 371-1,
371-4, 373-2-6).
(1438) S. RIALS, Le juge administratif français et la technique du standard (Essai sur le traitement
juridictionnel de l’idée de normalité), LGDJ, 1980, no 93, p. 120.
(1439) M. HAURIOU, « Police juridique et fond du droit. À propos du livre d’Al Sanhoury : les
restrictions contractuelles à la liberté du travail dans la jurisprudence anglaise et à propos des
travaux de l’Institut de droit comparé de Lyon », RTD civ. 1926, p. 265, spéc. p. 269.
(1440) R. POUND, The administrative application of legal standards, Reports of American bar
association, 1919, t. XLIV, p. 445. Roscoe Pound (1870-1964), Doyen de la School of law de
Harvard, a opposé dès 1908 à la « mechanical jurisprudence » (ce dernier terme désignant la
théorie ou philosophie du droit) du droit continental, de nature abstraite et conceptuelle, logique et
déductive, dont le Code civil français serait le fleuron, la « sociological jurisprudence » du juge de
Common Law en quête d’un équilibre entre des intérêts antagonistes (balancing of interests), de
types économiques ou sociaux, publics ou privés. Le juge opère comme un « ingénieur social »
(social engineering), scrutant la société, évaluant les facteurs sociologiques, économiques et sociaux
en constante évolution pour élaborer la solution la plus opportune dans ses conséquences. La
« jurisprudence sociologique » opère, selon Pound, avec quatre instruments normatifs : les « règles »,
les « principes », les « conceptions » et les « standards ». Le standard est décrit comme l’instrument
privilégié et caractéristique de l’œuvre d’adaptation que réalise la jurisprudence sociologique.
(1441) La pensée de Pound fut importée en France quand deux disciples égyptiens du comparatiste
Édouard Lambert consacrèrent leurs thèses au standard, en utilisant l’exemple des « restraints of
trade » (A.A. AL-SANHOURY, Les restrictions contractuelles à la liberté individuelle du travail dans
la jurisprudence anglaise. Contribution à l’étude comparative de la règle de droit et du standard
juridique, th. Lyon, 1925, qui sera l’artisan du Code civil égyptien qui influencera lui-même les
codes du Moyen-Orient ; M.A. EL-ARABY, La conscription des neutres dans les luttes de la
concurrence économique, th. Lyon, 1924).
(1442) M. HAURIOU, op. cit., p. 268.
(1443) Cass. crim., 28 mai 1968, D. 1968, 509 : « S’agissant d’une omission matérielle évidente, la
légalité et la valeur obligatoire du texte rectifié ne peuvent être sérieusement contestés » ;
Cass. soc., 8 mars 1989, Bull. civ. V, no 187 : « La rectification d’une erreur purement matérielle
dans la publication d’un texte législatif ou réglementaire s’incorpore à la rédaction de ce texte et
a force probante obligatoire dès la date de mise en vigueur du texte primitif » (dans le même sens :
Cass. com., 5 avr. 1960, Bull. civ. III, no 141).
(1444) V. infra, no 451.
(1445) CE, 19 févr. 2010, Dr. adm. 2010, 63.
(1446) Cass. ch. réunies, 5 févr. 1947, D. 1947, 177 ; JCP, 1947.II.3478 : « La cour d’appel a
considéré, à bon droit, ce rectificatif comme sans valeur légale ; en effet, il apparaît non pas
comme destiné à réparer une simple erreur matérielle ou une omission évidente, mais comme une
disposition nouvelle ayant pour but de restreindre considérablement la portée du texte primitif
publié au Journal officiel ». Adde M. FRÉJAVILLE, « La pratique des "errata" au Journal officiel »,
JCP, 1948.I.677 ; J. LAFERRIÈRE, « De l’authenticité du texte publié au Journal officiel », RDP 1949,
p. 113.
(1447) Ex. : l’art. L. 225-22 du Code de commerce reprend « à droit constant » la règle contenue à
l’art. 93 L. 24 juill. 1966 (admettant le cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social dans une
société anonyme à la condition que le premier soit antérieur au second, même d’un jour) mais dans sa
version antérieure à la L. 11 févr. 1994 (ce qui aboutit à rétablir un délai d’antériorité de deux ans) ;
le garde des Sceaux a estimé qu’il s’agissait d’une « erreur matérielle » qui ne devrait pas modifier
le droit positif (Rép. min. justice no 30569, JO Sénat Q, 1er mars 2001, p. 757 ; RTD com. 2001,
p. 463, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard) ; encore fallait-il qu’elle fût corrigée (en l’occurrence par la
L. no 2001-1168 du 11 déc. 2001, art. 33-II).
(1448) Cass. crim., 13 juin 1891, Plumeau, DP 1892, 1, 77 : « L’arrêt attaqué prétend vainement
que c’est par suite d’une erreur manifeste que l’art. 48 (de la loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de
la presse) a été visé dans l’art. 60 au lieu de l’art. 49 auquel le législateur aurait eu l’intention de
se référer ; lors de la dernière délibération prise sur la loi par la Chambre des députés, les art. 48
et 60 ont été adoptés sans observation dans le cours de la même séance et le texte de l’art. 60 a été
définitivement adopté avec la référence à l’art. 48 ».
(1449) Biblio. sélective. 1º) Ouvrages en droit civil : P. ROUBIER, Le droit transitoire (conflits des
lois dans le temps), Dalloz-Sirey, 2e éd., 1960 (1re éd. publiée en 1929 ; v. du même auteur, en guise
de résumé : « Distinction de l’effet rétroactif et de l’effet immédiat de la loi », RTD civ. 1928,
p. 579) ; P. LEVEL, Essai de systématisation du conflit de lois dans le temps, LGDJ, 1959 ; Fr.
DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Les dispositions transitoires dans la législation contemporaine, LGDJ, 1977 ;
Th. BONNEAU, La Cour de cassation et l’application de la loi dans le temps, PUF, 1990 ; J. HÉRON,
Principes du droit transitoire, Dalloz, 1996. 2º) Hors du droit civil : A. VITU, Des conflits de lois
dans le temps en droit pénal, th. Nancy, 1945 ; E. DOCKÈS, L’application dans le temps des règles
du droit du travail. Contribution à l’étude du droit transitoire, th. Lyon III, 1992 (résumé in RTD iv.
1993, p. 936) ; J. PETIT, Les conflits de lois dans le temps en droit public interne, LGDJ, 2002 ;
G. EVEILLARD, Les dispositions transitoires en droit public français, Dalloz, 2007. 3º) Articles :
MERLIN DE DOUAI, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 5e éd., t. X, 1826, Vo Effet
rétroactif ; Comte de VAREILLES SOMMIÈRES, « Une théorie nouvelle sur la rétroactivité des lois.
Critique de la distinction universellement admise entre les droits acquis et les simples expectatives »,
Rev. crit. lég. jur. 1893, p. 444 et 492 ; G.-A. BORDA, « Portée et limitations du droit transitoire »,
Mélanges P. Roubier, Dalloz-Sirey, t. I, 1961, p. 75 ; E.-L. BACH, « Contribution à l’étude du
problème de l’application des lois dans le temps », RTD civ. 1969, p. 405 ; J. HÉRON, « Étude
structurale de l’application de la loi dans le temps (à partir du Code civil) », RTD civ. 1985, p. 277.
(1450) De nombreux textes issus de la compilation de Justinien condamnent la rétroactivité des lois
(notamment dans le Code et les Novelles, présentés supra, no 91 ; ex. : C. 1, 14, 7, De legibus). À
l’époque médiévale, la question ne suscita guère de débats bien que plusieurs textes (des
ordonnances royales ou, en droit canonique, des décrétales, ainsi que des coutumes) fûssent déclarés
rétroactifs au nom de l’essence divine de leur auteur (P. ROUBIER, op. cit., no 14, p. 49). À la fin du
XVIIIe siècle, alors que le pouvoir normatif puisait de plus en plus sa légitimité dans le contrat social,
la rétroactivité des lois essuya des critiques. La Constitution fédérale américaine du 17 sept. 1787
l’interdit aux lois des États : « No bill of attainder or ex post facto law shall be passed » (A. 1er,
Sect. 9, § 3 ; mais l’interdiction fut de faible portée. Cf. G.-A. BORDA, op. cit., p. 86). Au contraire, à
la Révolution française apparut un courant de pensée favorable à une rétroactivité absolue des lois
révolutionnaires, courant qui détournait une pensée de Domat relative au seul droit naturel (Les lois
civiles dans leur ordre naturel, Livre prélim., Tit. I, Sect. I, § 12 à 15 : les lois naturelles « règlent
également et tout l’avenir, et tout ce qu’il peut y avoir de passé qui reste indécis » alors que les
lois arbitraires « ne règlent que l’avenir, sans toucher au passé », « sans donner atteinte au droit
qui était acquis à quelques personnes »). Mais la rétroactivité illimitée du décret du 17 nivôse an II
(réouvrant des successions déjà liquidées depuis le 14 juill. 1789. V. infra, no 290) s’avèra
dévastatrice ; il fut rapidement abrogé et la Constitution du 5 fructidor an III (art. 14) passa à un
extrême inverse : « Aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d’effet rétroactif ». Le Code
civil (art. 2) cantonne finalement le principe de non-rétroactivité aux lois civiles ; il n’a plus valeur
constitutionnelle et n’est qu’un « précepte pour le législateur et pour le juge » (BERLIER in Locré,
t. I, p. 554 ; v. les paroles admirables, mais un peu emphatiques, de Portalis, in Locré, t. I, p. 476
et s., spéc. p. 577 : « Partout où la rétroactivité des lois serait admise, non seulement la sûreté
n’existerait plus, mais son ombre même »).
(1451) P. HÉBRAUD, « Observations sur la notion du temps dans le droit civil », Études P. Kayser,
PUAM, 1979, t. II, p. 1.
(1452) G. LEBRETON, « Y a-t-il un progrès en droit ? », D. 1991, chr. 99.
(1453) G. RIPERT, Le déclin du droit, LGDJ, 1949, Chap. V : « La discontinuité du droit », spéc.
p. 154.
(1454) Ex. : Cass. civ., 20 mai 1806, S., Refonte, 245 : « Les lois qui règlent et modifient l’état des
personnes en améliorant leur sort, doivent, par la nature même des choses, et à raison de la faveur
due à l’état des personnes, recevoir leur application du jour qu’elles ont été promulguées » ; en
l’espèce, un individu déclaré prodigue avant la promulgation du Code « a cessé d’être dans un état
d’interdiction » par la suite et se trouva désormais soumis à une semi-incapacité, le Code civil le
soumettant à un régime d’assistance et non de représentation. (La loi de 2007 a supprimé la
protection du prodigue).
(1455) Le principe fut posé en 1805 par : Cass. crim., 24 ventôse an XIII, S., chr. an XIII-1808, 1, 86.
Dès le 28 prairial an VIII (18 juin 1800), un avis du Conseil d’État à valeur législative en avait
proposé le fondement suivant : « Il est de principe en matière criminelle qu’il faut toujours adopter
l’opinion la plus favorable à l’humanité comme à l’innocence ». Adde Cass. crim., 14 janv. 1876,
Bull. crim., no 17 ; S. 1876, 1, 433, n. E. Villey. V. aussi infra, no 305.
(1456) Sur les caractères du droit naturel (invariable, supérieur, évident et moral), v. supra, no 38.
(1457) L. 17 nivôse an II, « sur les donations et successions », art. 61 : « Toutes lois et coutumes,
usages ou statuts relatifs à la transmission des biens par succession ou donation sont également
abolis, sauf à procéder au partage des successions échues depuis et y compris le 14 juillet 1789
(jour « où les droits de la nature ont repris leur empire »), et de celles à venir, selon les règles qui
vont être ci-après établies ». Cette « superissime rétroactivité » a entraîné de grands désordres : il
fallut liquider à nouveau des successions déjà liquidées. Mais la Convention rejeta une pétition
demandant que la loi de nivôse remonte au-delà du 14 juillet 1789 : « on ne saurait s’arrêter à
l’objet dont il s’agit sans mettre l’effet rétroactif en question et que s’il n’y en a point à dater du
14 juillet 1789, parce que la loi n’a fait que développer les principes proclamés dès lors par un
grand peuple qui se ressaisissait de ses droits, l’effet rétroactif commencerait là seulement où on
dépasserait cette limite » (D. 22 ventôse an II, in Jur. gén., Vo Succession, p. 154).
(1458) Bien que nul auteur n’eût songé un seul instant, avant 1964, au risque de l’impunité collective
engendré par le cours des prescriptions (Cl. LOMBOIS, « Un crime international en droit positif
français. L’apport de l’affaire Barbie à la théorie française du crime contre l’humanité », Mélanges
A. Vitu, Cujas, 1989, p. 367, spéc. no 17, p. 373), tous justifièrent par la suite la rétroactivité de la loi
de 1964 par son caractère interprétatif et déclaratif d’un droit manifestement [...] préexistant,
invoquant les uns le « droit naturel », les autres les « principes généraux du droit criminel reconnus
par les nations civilisées » (v. les articles de : J. GRAVEN, Revue pénale suisse 1965, p. 113 ;
G. LEVASSEUR, JDI 1966, p. 259 ; J.-B. HERZOG, RID pén. 1966, p. 487). L’art. 7, al. 2, Conv. EDH se
réfère dans le même esprit aux « principes généraux du droit ».
(1459) Le rapporteur de la loi (P. Coste-Floret) jugea ainsi « inutile » l’amendement qui instituait
une rétroactivité expresse (Séance du 16 déc. 1964, JOAN 17 déc. 1964, p. 6142). D’abord
dubitative, la Cour de cassation admit finalement que la loi de 1964 s’était « bornée à confirmer
qu’était déjà acquise en droit interne [...] l’intégration à la fois de l’incrimination dont s’agit et
de l’imprescriptibilité (des crimes contre l’humanité) en raison de la nature (de ces) crimes »
(Cass. crim., 26 janv. 1984, Barbie II, JCP G, 1984.II.20197, rap. Chr. Le Gunehec, concl.
H. Dontenwille, n. D. Ruzié).
(1460) CE, 25 juin 1948, société du journal l’Aurore, Rec. CE, p. 289 ; D. 1948, 437, n. M. Waline ;
S., 1949, 3, 69, concl. M. Le Tourneur ; JCP, 1948.II.4427, n. A. Mestre : « L’arrêté attaqué a violé
le principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l’avenir ». Avant 1940, le Conseil
d’État visait l’art. 2, C. civ. ; pour s’émanciper de l’interprétation judiciaire de ce texte et exercer un
contrôle de légalité des actes administratifs, il s’est ensuite appuyé sur un principe général du droit
(J. PETIT, Les conflits de lois dans le temps en droit public interne, LGDJ, 2002, nos 72 s.). Le
principe s’applique aux actes réglementaires (arrêt préc.), décisions individuelles, actes des autorités
décentralisées et contrats administratifs (R. CHAPUS, Droit administratif général, Montchrestien,
15e éd., 2001, no 1336). Il interdit d’anticiper sur la date d’entrée en vigueur normale de l’acte
(v. supra, no 277).
(1461) Ex. : Cass. soc., 5 juin 1975, Bull. civ. V, no 313 (écartant l’effet rétroactif d’une décision de
l’Urssaf de procéder à un redressement de cotisations sociales sur la base d’une interprétation
nouvelle de dispositions réglementaires préexistantes).
(1462) Cass. 1re civ., 13 janv. 1982, Bull. civ. I, no 22 ; Rev. crit. DIP 1982, p. 551, n. H. Batiffol ;
Cass., avis, 22 mars 1999, Bull. civ. avis, no 2 : « Vu les principes généraux du droit transitoire ».
Comp. Cass., avis, 29 nov. 1993, JCP G, 1994.II.22203, n. H. Croze et T. Moussa : « En l’absence
de dispositions transitoires, il doit être répondu à la question posée par application des principes
qui gouvernent les conflits des lois dans le temps ».
(1463) Le premier à avoir utilisé le concept de droit acquis semble avoir été H. Blondeau (Essai sur
ce qu’on appelle l’effet rétroactif des lois, Sirey, anc. coll., 1809, 2, 277 ; Thémis, t. 7, 1825,
p. 289) qui parla d’« attentes » plus ou moins fortes des sujets de droit. De nombreuses variantes
furent ensuite proposées (le droit acquis serait un droit dont l’exercice dépend de la volonté, un droit
entré dans le patrimoine, conféré par une loi d’intérêt général, résultant de l’exercice d’une faculté,
etc.).
(1464) 1er ex. : *Cass. civ., 20 févr. 1917, Gabrielle Dominicé, DP 1917, 1, 81 (1re esp.), concl.
L. Sarrut, n. H. Capitant ; S., 1917, 1, 73, n. Ch. Lyon-Caen : « Vu l’art. 2 C. civ. ; toute loi nouvelle
régit, en principe, même les situations établies ou les rapports juridiques formés dès avant sa
promulgation ; il n’est fait échec à ce principe par la règle de non-rétroactivité des lois formulée
dans l’art. 2 qu’autant que l’application de la loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis
sous l’empire de la législation antérieure ; l’art. 340 (ancien) prohibant, sauf dans un cas
particulier, la recherche de paternité, conférait éventuellement au père naturel la faculté d’opposer
une fin de non-recevoir à l’action en déclaration de paternité qui serait intentée contre lui ; ce
texte ne lui faisait pas acquérir pour toujours le droit de se soustraire à la constatation du lien
l’unissant à son enfant et à l’exécution des obligations naturelles en dérivant ». 2e ex. : Cass. civ.,
29 déc. 1942, DC, 1943, 85, n. J. Carbonnier : « Toute loi nouvelle s’applique aux situations
établies et aux rapports juridiques formés dès avant sa promulgation quand cette application n’a
pas pour résultat de faire échec à des droits acquis ».
(1465) DICEY, Conflicts of Laws, 1896 : « Le juge n’applique pas, à proprement parler, la loi
étrangère ; il donne effet à un droit acquis (vested right) par une personne en territoire étranger et
qui suit cette personne partout où elle va ».
(1466) V. déjà : Comte de VAREILLES SOMMIÈRES, « Une théorie nouvelle sur la rétroactivité des lois.
Critique de la distinction universellement admise entre les droits acquis et les simples expectatives »,
Rev. crit. lég. jur. 1893, p. 444 et 492. L’auteur critique cette distinction et se propose de rétablir
« les vrais principes » (op. cit., p. 444). Il faut, selon lui, considérer non le droit que la loi
rétroactive nous enlève mais chercher pourquoi elle nous l’enlève (op. cit., no 43, p. 463 et no 56,
p. 493).
(1467) Ex. : Cass. 2e civ., 22 nov. 1961, Bull. civ. II, no 775 : « La cour d’appel observe, avec
raison, qu’il n’est pas possible, sans attribuer à ses dispositions un caractère rétroactif, prohibé
par l’art. 2, de faire application du décret du 20 janv. 1955, lorsque le retard de paiement des
cotisations remontait à une période antérieure à sa publication » (ce décret interdisait à un
employeur d’obtenir de la Sécurité sociale le remboursement de prestations servies à des salariés
s’il n’avait lui-même payé ses cotisations ; jugé que cette nouvelle règle ne s’appliquait pas à un
défaut de paiement antérieur).
(1468) Ex. : Cass. soc., 30 avr. 1965, Bull. civ. IV, no 340 ; JCP G, 1965.II.14410 (1re esp.) : « Le
congé n’ayant été délivré que pour le 1er oct. 1962, les (propriétaires) n’avaient un droit acquis à
la reprise (des lieux loués) qu’à cette date, et auparavant le congé et les actes de procédure ne
pouvaient leur conférer qu’une simple expectative ».
(1469) Ex. : Cass. civ., 8 mars 1865, DP 1865, 1, 28 ; S., 1865, 1, 260 : « Pour être éventuel
et subordonné, quant à son exercice, à la réalisation d’événements futurs et encore incertains, le
droit n’en existe pas moins en principe [...] ; ainsi, bien qu’il ne soit pas actuellement ouvert, ce
droit n’en constitue pas moins un droit acquis par le seul effet du mariage ».
(1470) Ex. : le droit d’exercer l’autorité parentale ou le droit au respect de la vie privée n’est jamais
acquis.
(1471) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, 8e éd., t. I, 1914, no 241, p. 93 : « Cette
distinction [...] a le tort de ne fournir aucun criterium. On dit "il y a droit acquis", quand la loi
ancienne s’applique à l’exclusion de la nouvelle, et "simple expectative" quand les intéressés
subissent l’effet du changement de législation. Ces expressions traduisent les résultats de la
distinction et ne donnent en réalité aucun moyen de la faire ». Fr. Gény prit l’exemple des conflits
de lois dans le temps pour illustrer le rôle de « l’instinct juridique » et du « sentiment d’équité » sur
lesquels doit s’appuyer l’interprète lorsqu’il n’aperçoit aucun « principe rationnel » (Méthode
d’interprétation et sources en doit privé positif, t. II, 2e éd., 1954 [réédition LGDJ, 1996], no 163,
p. 111).
(1472) V. les exemples cités infra, no 297.
(1473) Ex. : Cass. soc., 11 juill. 2000, D. 2001, p. 149, n. Ch. Radé : « Un accord collectif [...] ne
peut priver un salarié de droits qu’il tient de la loi pour la période antérieure à la signature d’un
accord ».
(1474) Ex. : Cass. soc., 23 nov. 1999, arrêt AGIRC, D. 2000, p. 290 ; Dr. social 2000, p. 333, concl.
Ph. de Caigny (p. 322), n. Ph. Langlois (p. 412). Dans cet arrêt : 1) La Cour annule, sur le fondement
du principe d’intangibilité des pensions de retraite déjà liquidées, la clause d’un accord de révision
de la convention collective nationale du 14 mars 1947 (relative au régime de retraite complémentaire
des cadres que gère l’AGIRC) qui prévoyait une « diminution du nombre de points (de retraite)
acquis par cette catégorie de retraités » (l’accord litigieux réduisait les majorations familiales des
retraités de façon rétroactive). L’AGIRC fut condamnée à rembourser 2,714 milliards de francs aux
pensionnés dépouillés de leurs droits acquis (sans doute l’arrêt le plus cher de l’histoire du droit
français !). 2) En revanche, la Cour valide la clause de ce même accord qui repousse de 50 à 60 ans
l’âge ouvrant droit à pension de réversion au profit des veuves de cadres (afin de placer les veufs et
les veuves sur un pied d’égalité), au motif qu’elle ne vise qu’une « catégorie de personnes qui
n’étaient pas encore titulaires d’une pension et dont seul le droit éventuel à pension a été
retardé ». V. P. MORVAN, Droit de la protection sociale, LexisNexis.
(1475) Ex. : Cass. soc., 13 mars 2001, Dr. social 2001, p. 571, obs. Ch. Radé : « Un avantage
individuel acquis au sens de l’art. L. 132-8 (art. L. 2261-13 nouv.) C. trav. est celui qui, au jour de
la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif, procurait au salarié une rémunération
ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non
simplement éventuel ». Cette définition ne livre aucun critère utilisable. En outre, la jurisprudence a
varié (cf. Y. AUBRÉE, RJS 11/00, p. 699, spéc. no 38).
(1476) P. ROUBIER, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps), Dalloz-Sirey, 2e éd., 1960
(1re éd. publiée en 1929) ; du même auteur, en guise de résumé : « Distinction de l’effet rétroactif et
de l’effet immédiat de la loi », RTD civ. 1928, p. 579.
(1477) La notion de droit subjectif serait « en crise » et impuissante à régler les conflits de lois. Sur
ce renouvellement des concepts, v. supra, no 50, en note.
(1478) Il convient néanmoins de distinguer ici les situations contractuelles et les situations légales ou
extracontractuelles : les effets à venir d’un contrat conclu avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle
demeurent régis par la loi ancienne, qui survit donc par principe ; les effets à venir des situations
légales ou extracontractuelles en cours obéissent à la loi nouvelle, sous réserve parfois du respect de
droits acquis.
(1479) Sur la méthode conflictualiste en droit international privé et l’adage Locus regit actum,
v. supra, no 73-3o.
(1480) En ce sens : P. HÉBRAUD, « Observations sur la notion du temps dans le droit civil », Études
P. Kayser, PUAM, 1979, t. II, p. 1, spéc. p. 8.
(1481) * Cass. 1re civ., 29 avr. 1960, Vve Auterbe, D. 1960, 429, n. G. Holleaux ; RTD civ. 1960,
p. 454, obs. H. Desbois : « Si sans doute une loi nouvelle s’applique aussitôt aux effets à venir des
situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, et cela même
quand semblable situation est l’objet d’un litige judiciaire, en revanche elle ne saurait, sans avoir
effet rétroactif, régir rétrospectivement les conditions de validité ni les effets passés d’opérations
juridiques antérieurement achevées ».
(1482) 1er ex. : Cass. 2e civ., 23 févr. 1962, Bull. civ. II, no 235 : « Si la loi nouvelle, de caractère
impératif, s’applique, en principe, même aux situations établies ou aux rapports juridiques formés
dès avant sa promulgation, c’est à la condition de ne point léser les droits acquis » (les titulaires
d’une pension d’invalidité pour longue maladie en conservent le bénéfice après que la réglementation
a exclu ce cas d’ouverture aux droits). 2e ex. : Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, D. 1980, 293, n. A.
Breton ; RTD civ. 1981, p. 666, obs. J. Patarin : « En déclarant la loi du 31 déc. 1976 applicable
aux indivisions existant au jour de son entrée en vigueur, l’art. 19 de cette loi n’a pu avoir pour
effet de lui conférer un caractère rétroactif, permettant par l’application des dispositions
nouvelles qu’elle contient de porter atteinte à des droits acquis [...] ». 3e ex. : Cass. 3e civ., 29 janv.
1980, Bull. civ. III, no 25 (cité infra, no 310).
(1483) J. HÉRON, « Étude structurale de l’application de la loi dans le temps (à partir du Code
civil) », RTD civ. 1985, p. 277 ; du même auteur (avec une évolution de sa pensée), Principes du
droit transitoire, Dalloz, 1996. La structure de la règle de droit s’articule autour d’un « présupposé »
et d’un « effet de droit ». La rétroactivité ne s’oppose pas seulement à l’application immédiate de la
loi nouvelle : Héron distingue cette dernière de la « rétrospectivité », un troisième concept confondu
à tort avec l’effet immédiat. Ainsi, la loi qui régit les effets futurs d’un contrat conclu avant son entrée
en vigueur (ce qui constitue un présupposé) n’est pas rétroactive (tel serait le cas si elle affectait le
présupposé et les effets passés) ni d’application immédiate (tel serait le cas si le présupposé et les
effets étaient postérieurs) : elle est rétrospective. – P. FLEURY-LE GROS, Contribution à l’analyse
normative des conflits de lois dans le temps en droit privé interne, Dalloz, 2005 : ce disciple de
Héron se réfère à la « date de réalisation des faits » pour distinguer entre la rétroactivité, la non-
rétroactivité et la « rétroactivité partielle » (v. du même auteur, article in Mélanges J. Héron, LGDJ,
2008, p. 221).
(1484) 1er ex. : D. no 53-960 du 30 sept. 1953, sur le statut des baux commerciaux, art. 39 (non repris
dans le nouv. C. com.) : « Les dispositions du présent décret [...] sont applicables de plein droit aux
baux en cours, ainsi qu’à toutes les instances introduites avant sa publication et en cours à cette
date ». 2e ex. : L. no 65-570 du 13 juill. 1965 « portant réforme des régimes matrimoniaux », art. 9,
al. 2 : les dispositions de l’art. 1er « régiront tous les époux, sans qu’il y ait lieu de considérer
l’époque à laquelle le mariage a été célébré, ou les conventions matrimoniales passées ». 3e ex. :
la L. no 75-597 du 9 juill. 1975, qui modifie les art. 1152 et 1231 relatifs à la clause pénale, est
applicable « aux contrats et aux instances en cours » (art. 3).
(1485) Ex. : L. no 85-1372 du 23 déc. 1985, relative à l’égalité des époux dans les régimes
matrimoniaux, art. 59 : « Sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions
judiciaires passées en force de chose jugée, les règles nouvelles relatives aux récompenses, aux
prélèvements et aux dettes entre époux seront applicables dans tous les régimes matrimoniaux non
encore liquidés à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi ».
(1486) Ex. : L. no 66-500 du 11 juill. 1966 « portant réforme de l’adoption », art. 13.
(1487) Fr. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Les dispositions transitoires dans la législation contemporaine,
LGDJ, 1977, no 129 et s., p. 157 et s.
(1488) Fr. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, op. cit., no 190, p. 229.
(1489) Fr. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, op. cit., no 117, p. 145 : « Il est [...] impossible d’imiter le
législateur dans ses dérogations relativement fréquentes aux principes de non-rétroactivité et
d’effet immédiat de la loi nouvelle » ; notamment, il ne saurait exister une loi d’autonomie – comme
en droit international privé – permettant aux parties d’opter entre la loi ancienne et la loi nouvelle
(v. toutefois Cass. 3e civ., 23 mars 1977, D. 1978, 163, n. E. Agostini : il est loisible aux parties de
soumettre leurs conventions aux dispositions d’une loi déjà publiée mais non entrée en vigueur).
(1490) V., de façon révélatrice, « Les dispositions transitoires », RRJ 1999, no spécial, p. 1405 et s.
(1491) Selon les conclusions respectives des thèses de J. PETIT et G. EVEILLARD (citées supra, no 288,
note bibliographique).
(1492) H. MOUTOUH, « La rétroactivité des lois fiscales », JCP G, 1999.I.102. Il y eut 38 lois fiscales
rétroactives adoptées entre 1988 et 1993. En outre, chaque loi de finances est rétroactive puisqu’elle
assujettit aux impôts directs les gains réalisés au cours de l’année écoulée.
(1493) * Cass. civ., 7 juin 1901, Institut des frères des écoles chrétiennes, DP 1902, 1, 105 ; S.,
1902, 1, 153, n. A. Wahl (cité infra, no 309) : « Le législateur peut, il est vrai, déroger à la règle
ordinaire de la non-rétroactivité, en vue d’un intérêt supérieur d’ordre public ; mais s’il n’a pas
manifesté nettement sa volonté en ce sens dans la loi nouvelle, celle-ci doit être appliquée par le
juge conformément à l’art. 2 ».
(1494) Ex. : CE, 29 janv. 1971, Emery, Rec. CE, p. 80 ; AJDA 1971, p. 409, concl. G. Vught.
(1495) V. supra, nos 138 et s.
(1496) Cass. crim., 16 oct. 1996, cité supra, no 143. Cass. 1re civ., 27 févr. 2001, Bull. civ. I, no 50.
Cass. com., 4 avr. 2006, Bull. civ. IV, no 93 : les conclusions d'appel qui se réfèrent à un texte abrogé
et codifié ne méconnaissent pas l’art. 954 C. pr. civ. exigeant qu’elles formulent expressément les
moyens de droit.
(1497) Cass. soc., 23 oct. 1941, DA 1942, 70. Cass. 2e civ., 20 févr. 1963, Bull. civ. II, no 174 : « À
défaut d’une disposition expresse lui conférant un tel caractère, une loi ne peut être considérée
comme interprétative qu’autant qu’elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit
préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse » (n’est pas
interprétative la loi qui substitue à la formule : la contrainte délivrée par la Sécurité sociale « est
exécutée dans les mêmes conditions qu’un jugement », la formule selon laquelle « la contrainte [...]
comporte tous les effets d’un jugement et confère notamment le bénéfice de l’hypothèque
judiciaire ») ; Cass. 1re civ., 7 mars 1995, Bull. civ. I, no 117. V. en particulier Cass. 3e civ., 27 févr.
2002, D. 2002, 1147, jugeant que la loi « MURCEF » du 11 déc. 2001 « n’a fait que préciser » le
caractère dérogatoire de l’art. L. 145-38, al. 3, C. com. (relatif à la fixation des loyers de baux
commerciaux), « alinéa qui donnait lieu à un abondant contentieux »... ; en réalité, la loi est venue
censurer une jurisprudence très décriée de la Cour de cassation qui, par cette affirmation, s’humilie.
(1498) 1er ex. : Cass. soc., 15 févr. 1978, Bull. civ. V, no 110 : la L. du 6 déc. 1976, relative aux
accidents du travail, « ayant créé des droits nouveaux n’est pas interprétative de ce chef » (elle ne
s’applique donc pas à un accident antérieur). 2e ex. : Cass. soc., 13 mai 1985, Bull. civ. V, no 291 :
« Ce nouveau texte, qui se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant
qu’une définition imparfaite avait rendu susceptible de controverse, revêt un caractère
interprétatif des dispositions anciennes et se trouve applicable à la procédure pendante devant la
Cour de cassation ».
(1499) CE, Avis, 7 juill. 1989, Rec. CE, p. 162 ; Dr. fisc. 1990, no 11, comm. 553, concl. Ph. Martin
(prenant à la lettre les propos tenus lors des travaux préparatoires).
(1500) Ex. : Cass. com., 7 avr. 1992, JCP G, 1992.II.21939, n. C. David ; Defrénois 1992, p. 1274,
n. crit. A. Chappert : « L’art. 10 de la L. du 29 déc. 1989, qui n’a pas un caractère interprétatif dès
lors qu’il tend à substituer de nouvelles conditions d’imposition à celles résultant du texte
prétendument interprété, est sans influence sur la solution du litige ».
(1501) En revanche, si un accord international conclu par la France avec un État étranger « se
présente expressément comme ayant un caractère interprétatif, [...], il n’appartient pas au juge
judiciaire de discuter ce caractère » (Cass. 1re civ., 18 oct. 1988, Bull. civ. I, no 291) ; cette
interprétation authentique d’un précédent traité « s’impose au juge à tout stade de la procédure »
(Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, Bull. civ. I, no 233).
(1502) Ex. : La Cour de cassation (Cass. civ., 16 nov. 1920, Aff. des résines, DP 1920, 1, 169, n. R.
Savatier ; S., 1922, 1, 97, n. L. Hugueney) avait étendu l’art. 1384 [devenu art. 1242], al. 1er, aux
dommages causés par une communication d’incendie depuis un immeuble, faisant peser sur les
propriétaires et locataires le poids de la présomption de responsabilité du fait des choses qu’elle
avait elle-même créée en 1896 (v. infra, no 412). Adoptée sous la pression du lobby des assureurs, la
L. du 7 nov. 1922 inséra dans l’ancien art. 1384 un deuxième alinéa disposant que, « toutefois », le
détenteur d’un bien dans lequel a pris naissance un incendie « ne sera responsable vis-à-vis des tiers
des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ». Loin
de prendre ombrage de cette censure, la Cour de cassation y vit une reconnaissance du nouveau
principe prétorien de la responsabilité du fait des choses en affirmant que la loi de 1922 était
interprétative (Cass. civ., 4 juill. 1925, DH 1925, 573 ; Cass. req., 6 mars 1928, DP 1928, 1, 97,
n. L. Josserand ; S. 1928, 1, 225, n. L. Hugueney : « La disposition du paragraphe premier de
l’art. 1384 est d’une généralité absolue ; [...] ce texte distingue si peu les choses mobilières des
choses immobilières que la loi interprétative du 7 nov. 1922, qui précise l’exception qu’il convient
d’apporter en cas d’incendie au principe général qu’il énonce, prévoit expressément le dommage
causé par l’incendie des immeubles, exception qui n’aurait aucune raison d’être si le gardien d’un
immeuble n’était pas soumis, comme le gardien d’un meuble, à la règle édictée par
l’article 1384 »). Ce qui est révélateur du pouvoir créateur du juge (Ph. MALAURIE, « La
jurisprudence combattue par la loi », in Mélanges R. Savatier, Dalloz, 1965, p. 603, spéc. p. 604 : le
pouvoir prétorien de la jurisprudence « est éclatant lorsqu’elle s’affirme contra legem : le
législateur en reconnaît alors la supériorité et s’incline devant elle lorsqu’il vient, au courant de
l’histoire, apporter des exceptions à une jurisprudence qui est la subversion de la lettre d’une loi
vieillie »).
(1503) Cass. 3e civ., 1er févr. 1984, Bull. civ. III, no 25 : « En spécifiant que l’art. 6 de la L. 4 janv.
1980 a un caractère interprétatif, le législateur a nécessairement donné un caractère rétroactif à
cette disposition ».
(1504) Cass. civ., 23 déc. 1845, S., 1846, 1, 456 ; Cass. 2e civ., 16 juin 1961, Bull. civ. II, no 470 :
« Les dispositions du décret du 7 déc. 1959 qui font corps avec les textes qu’elles interprètent
doivent s’appliquer à toutes les instances en cours, y compris celles pendantes devant la Cour de
cassation ».
(1505) Cass. com., 4 janv. 1964, Bull. civ. IV, no 6 : « La Cour de cassation, pour décider si la
décision qui lui est déférée a violé la loi, ne peut tenir compte que de la législation en vigueur au
moment où cette décision a été rendue et ne saurait appliquer un texte postérieur, sauf lorsque
celui-ci le prévoit expressément ». Comme l’indique ce dernier membre de phrase, la loi rétroactive
peut être rendue super rétroactive par le législateur afin qu’elle s’applique à tous les litiges en cours
non terminés par une décision irrévocable (ex. : L. no 85-677 du 5 juill. 1985, sur les accidents de la
circulation, que l’art. 47 déclare applicable « aux affaires pendantes devant la Cour de cassation »
sans remettre en cause « les transactions et les décisions de justice irrévocablement passées en
force de chose jugée »). Dans le même sens : Cass. soc., 29 janv. 1965, Bull. civ. V, no 84 ;
Cass. com., 16 déc. 1975, Bull. civ. IV, no 306 ; JCP G, 1976.II.18248 (à propos de la L. 9 juill. 1975
ayant modifié les art. 1152 et 1231 sur la clause pénale et rendu applicable par son art. 3 « aux
contrats et aux instances en cours »).
(1506) Cass. Ass. plén., 21 déc. 1990, JCP G, 1991.II.21640, concl. H. Dontenwille.
(1507) La juridiction de renvoi saisie après cassation devra appliquer la loi nouvelle si elle est
rétroactive. Pourquoi, dans ces conditions, prononcer une cassation sous le visa de la loi ancienne ?
La Cour de cassation élude parfois cet inconvénient en opérant un revirement « par anticipation » :
elle attribue à la loi ancienne le sens de la loi nouvelle (v. infra, no 400).
(1508) Ex. : un prélèvement fiscal prévu par un règlement ou une circulaire (ce qu’exclut la
Constitution) se voit rétroactivement doté d’une base légale (v. par ex. Cass. com., 18 oct. 1994,
D. 1995, 154, n. B. Matthieu).
(1509) Ex. : L. no 96-1077 du 11 déc. 1996 « relative au contrat de concession du Stade de France
à Saint-Denis », art. unique : « Est validé le contrat de concession conclu le 29 avril 1995 [...]
entre l’État et la société Consortium Grand Stade SA [...] pour le financement, la conception, la
construction, l’entretien et l’exploitation du grand stade ». Cette loi a été déclarée
inconstitutionnelle parce qu’elle n’indiquait pas le motif précis d'illégalité dont elle entendait purger
l'acte contesté (Cons. const., 11 févr. 2011, décis. no 2010-100 QPC).
(1510) Ex. : l’affaire du « tableau d’amortissement » (infra, no 306).
(1511) V. infra, no 305.
(1512) V. infra, no 306.
(1513) 1er ex. : L. 17 nivôse an II, « sur les donations et successions », art. 61 (cité supra, nos 289
et 290). 2e ex. : L. no 76-1036 du 15 nov. 1976, « complétant les dispositions transitoires de la
L. no 72-3 du 3 janv. 1972 sur la filiation », dont l’art. 1er ouvre l’action en recherche de paternité
prévue par les art. 340 et s. C. civ. aux enfants adultérins et incestueux « sans que puisse être
opposée aucune forclusion même constatée par une décision de justice devenue irrévocable, dans
le délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi [...] ». Cf. H. MAZEAUD,
« L’enfant adultérin et la superrétroactivité des lois », D. 1977, chr. 1.
(1514) Cons. const., 29 déc. 1986, L. fin. rectificative pour 1986, décis. no 86-223 DC : « Le
pouvoir du législateur de modifier rétroactivement la législation fiscale ne saurait [...] être
restreint du seul fait de l’existence de droits nés sous l’empire de la loi ancienne ».
(1515) Cons. const., 7 nov. 1997, décis. no 97-391 DC.
(1516) Cons. const., 17 janv. 1989, CSA, décis. no 88-248 DC, citée ci-dessous.
(1517) CJCE, 10 juill. 1984, Kent Kirk, aff. 63/83, Rec. CJCE, p. 2689 : « Le principe de non-
rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des
États membres, consacré par l’art. 7 (Conv. EDH), comme un principe fondamental qui fait partie
intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect ».
(1518) Cons. const., 17 janv. 1989, CSA, décis. no 88-248 DC, RFDA 1989, p. 215, n. B. Genevois
(sanctions infligées par une autorité administrative indépendante).
(1519) Ex. : Cass. com., 7 nov. 1989, Bull. civ. IV, no 280 (sanction fiscale, donc non pénale) ;
Cass. com., 8 oct. 1996, Bull. civ. IV, no 225 (sanction commerciale d’interdiction de gérer en matière
de « faillite ») ; Cass. com., 26 janv. 1999, Bull. civ. IV, no 23 (sanction civile d’une pratique illicite
au regard du droit de la concurrence).
(1520) Sur la jurisprudence des origines, v. supra, no 290.
(1521) CE, 23 juill. 1976, Dame Ruffenach, Rev. adm. 1977, p. 38 (en matière de contravention de
grande voirie) ; CE, 9 déc. 1977, De Grailly, Rec. CE, p. 493 (en matière disciplinaire) ; CE, Avis,
5 avril 1996, Houdmond, Dr. fisc. 1996, no 25, comm. 765, concl. J. Arrighi de Casanova ; RJF
1996, no 607, p. 356 et chr. S. Austry, p. 311 (pour les sanctions fiscales présentant « le caractère
d’une punition » et qui « n’ont pas pour objet la seule réparation d’un préjudice » ; dans le même
sens : Cass. crim., 9 nov. 1978, Bull. crim. no 310).
(1522) Cons. const., 19-20 janv. 1981, Sécurité et liberté, décis. no 80-127 DC, D. 1981, 102, n. J.
Pradel ; D. 1982, 441, n. A. Dekeuwer ; JCP G, 1981.II.19701, n. C. Franck.
(1523) Ex. : Cass. crim., 3 févr. 1986, Bull. crim. no 41 ; Cass. crim., 6 févr. 1997, Dr. pénal, 1997,
comm. 80.
(1524) A. DEKEUWER, « La rétroactivité in mitius en droit pénal. Un principe encore et toujours
contesté », JCP G, 1997.I.4065.
(1525) Cons. const., 29 déc. 1986, L. fin. rectif. pour 1986, décis. no 86-223 DC. La formule fut
reprise par la Cour de cassation (Cass. com., 15 mai 1990, Bull. civ. IV, no 151). Adde Cons. const.,
29 déc. 2005, L. fin. rectif. pour 2005, décis. no 2005-531DC, censurant, au nom du principe de la
séparation des pouvoirs et de la garantie des droits, la loi qui privait d’effet un arrêt de la CJCE et
une décision du Conseil d’État.
(1526) Cons. const., 24 juill. 1991, Loi portant DDOEF, décis. no 91-298 DC.
(1527) Cons. const., 9 avril 1996, Loi portant DDOEF, décis. no 96-375 DC.
(1528) Cons. const., 9 avril 1996, Loi portant DDOEF, préc.
(1529) Depuis : Cons. const., 14 févr. 2014, SELARL PJA, décis. nº 2013-366 QPC, consid. nº 3. Le
Conseil constitutionnel se contentait auparavant d’exiger un « motif d’intérêt général » (ex. : Cons.
const., 28 déc. 1995, L. fin. pour 1995, décis. no 95-369 DC, jugeant que « la seule considération
d’un intérêt financier [...] ne constitu(e) pas un motif d’intérêt général autorisant le législateur à
faire obstacle aux effets d’une décision de justice déjà intervenue et le cas échéant d’autres à
intervenir »). En 2014, il a adopté la même formule que la Cour EDH qui, dans plusieurs affaires,
l’avait désavoué en raison de son indulgence excessive à l’égard du législateur français (v. infra,
no 306).
(1530) Cons. const., 14 déc. 2006, L. fin. séc. soc. pour 2007, décis. no 2006-544 DC.
(1531) Cons. const., 21 déc. 1999, L. fin. séc. soc. pour 2000, décis. no 99-422 DC : « Si le
législateur peut, dans un but d’intérêt général suffisant, valider un acte dont le juge administratif
est saisi, afin de prévenir les difficultés qui pourraient naître de son annulation, c’est à la
condition de définir strictement la portée de cette validation, eu égard à ses effets sur le contrôle
de la juridiction saisie ; une telle validation ne saurait avoir pour effet, sous peine de méconnaître
le principe de la séparation des pouvoirs et le droit à un recours juridictionnel effectif, qui
découlent de l’art. 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’interdire tout
contrôle juridictionnel de l’acte validé quelle que soit l’illégalité invoquée par les requérants ».
Le Conseil constitutionnel, qui a senti le souffle du boulet après la condamnation de la France par la
CEDH (aff. Zielinski, citée infra, no 306, en note), a durci ses exigences.
(1532) Cons. const., 14 févr. 2014, précité.
(1533) * Cons. const., 10 juin 1998, Loi relative à la réduction du temps de travail (loi « Aubry
I »), décis. no 98-401 DC : « En l’espèce, les incidences de l’entrée en vigueur (de la loi) sur les
contrats de travail ainsi que sur les accords collectifs en cours, lesquelles sont au demeurant
inhérentes aux modifications de la législation du travail, ne sont pas de nature à porter une telle
atteinte à cette exigence » (la réduction de 39 à 35 heures de la durée légale du travail affectait les
contrats et accords collectifs de travail en cours). Mais le juge constitutionnel censura par les mêmes
motifs les dispositions de la loi « Aubry II » visant à remettre en cause la validité de clauses
stipulées dans des accords de RTT conclus en conformité avec la loi « Aubry I », en l’absence d’un
« motif d’intérêt général suffisant » (Cons. const., 13 janv. 2000, décis. no 99-423 DC).
(1534) Cons. const., 19 févr. 1998, décis. no 98-396 DC. V. déjà : Cons. const., 7 nov. 1997, décis.
no 97-391 DC.
(1535) Cons. const., 11 oct. 1984, Loi visant à limiter la concentration [...] des entreprises de
presse, décis. no 84-181 DC, qui condamne la rétroactivité d’une loi abaissant le seuil de contrôle
des quotidiens nationaux par un même groupe de presse ; l’objectif de pluralisme ne justifie pas cette
atteinte à la liberté de la presse.
(1536) Cons. const., 19 déc. 2013, décis. nº 2013-682 DC, consid. nos 14 et 17, D. 2014, 1518 : les
contribuables ayant respecté la durée minimale requise de conservation de contrats d’assurance-vie
« pouvaient légitimement attendre l'application d'un régime particulier d'imposition lié au respect
de cette durée légale ».
(1537) Le Conseil constitutionnel se refuse à examiner la conformité de la loi qui lui est déférée à la
Conv. EDH, notamment son art. 6, § 1 (Cons. const., 9 avril 1996, Loi portant DDOEF, préc.).
(1538) L. SERMET, « Rétroactivité des lois et Convention européenne des droits de l’homme », RFDA
1998, p. 990 ; X. PRÉTOT, « Les validations législatives et le droit au procès équitable », RDP 2001,
p. 23
(1539) CEDH, 9 déc. 1994, Stran et Stratis Andreadis c/Grèce (aff. des raffineries grecques),
nº 13427/87. Dans le même sens : CEDH, 22 oct. 1997, Papageorgiou c/Grèce, Gaz. Pal. 19-
21 juill. 1998, p. 16 (inconventionalité d’une loi ayant annulé toute procédure engagée contre un
organisme de sécurité sociale, à un moment « crucial » où la Cour de cassation allait statuer et alors
que sa jurisprudence « clarifiait déjà » en faveur du requérant le sens de la loi modifiée).
(1540) Deux arrêts de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 16 mars et 20 juill. 1994) avaient admis la
nullité des offres préalables de crédit immobilier faites aux consommateurs qui ne comportaient pas
un tableau d’amortissement conforme aux exigences du Code de la consommation. Sous la pression
des banques, l’art. 87-I de la loi no 96-314 du 12 avril 1996 mit obstacle à l’annulation des offres qui
avaient été formulées avant que cette jurisprudence ne fût connue des banquiers. Le Conseil
constitutionnel estima que cette disposition répondait bien « à un but d’intérêt général » (Cons.
const., 9 avr. 1996, cité supra, no 305, 3o). Certains juges du fond considérèrent cependant que
l’art. 87-I violait l’art. 6, § 1, Conv. EDH (sur les épisodes successifs de ce feuilleton : Th. REVET,
obs. RTD civ. 1996, p. 724 et s. ; N. MOLFESSIS, obs. RTD civ. 1999, p. 236 ; J.-P. MARGUÉNAUD, obs.
in RTD civ. 1999, p. 492). Mais la Cour de cassation trancha en sens contraire (Cass. 1re civ., 20 juin
2000, D. Aff. 2000, 699, n. M.-L. Niboyet ; JCP E, 2000, p. 1663, n. S. Piédelièvre ; JCP G,
2001.II.10454, n. A. Gourio). Puis la Cour européenne des droits de l’homme désavoua le Conseil
constitutionnel et la Cour de cassation (CEDH, 14 févr. 2006, Lecarpentier, JCP G, 2006, II,
10171. – CEDH, 2 mai 2006, Saint-Adam et Millot c/France, cité infra). Celle-ci répliqua en
écartant la jurisprudence de la CEDH (Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, Bull. civ. I, no 180) !
(1541) Cass. 1re civ., 20 juin 2000, préc. Dans le même sens, à propos d’une loi interprétative :
Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, Bull. civ. I, no 53.
(1542) * Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004, RTD civ. 2004.598, obs. P. Deumier ; D. 2004, 1108, n. P.-
Y. Gautier ; JCP G, 2004.II.10030, n. M. Billiau (v. infra).
(1543) V. supra, no 302. L’arrêt du 23 janv. 2004 marque un infléchissement dans le contexte
particulier des litiges en cours. De « super-rétroactive », la loi interprétative devient non rétroactive
et ne se distingue plus d’une loi rétroactive ordinaire. Cf. obs. P. DEUMIER, préc.
(1544) La Cour européenne abandonna ensuite, à son tour, cette condition (CEDH, 11 avr. 2006,
Cabourdin c/France).
(1545) Ex. : CEDH, 28 oct. 1999, Zielinski c/France, D. 2000, som. 184, obs. N. Fricero ; RTD civ.
2000, p. 436, obs. J.-P. Marguénaud (cité infra).
(1546) CE, 5 déc. 1997, Lambert, LPA 15 juin 1998, no 71, p. 11 : l’arrêt admet l’applicabilité de
l’art. 6, § 1, Conv. EDH à une loi de validation (concernant une prestation familiale) tout en affirmant
la conventionalité de l’article litigieux qui « a été édicté dans un but d’intérêt général » ; CE, 5 déc.
1997, Ministre de l’Éducation nationale, LPA, 27 mai 1998, p. 27 : cet autre arrêt reproduit la
jurisprudence européenne mais qualifie la loi d’interprétative et nie qu’elle ait pour objet de réduire
rétroactivement les obligations financières de l’État ; est ensuite rejeté l’argument puisé dans
l’art. 1er du Prot. no 1 additionnel à la Conv. EDH (v. ci-après). Comp. CE, 8 déc. 2000, Hoffer,
RFDA 2001, p. 458 : la légalité d’une ordonnance ratifiée (au sens de l’art. 38 Const.) ne peut plus
être contestée devant la juridiction administrative à moins que la loi de ratification méconnaisse le
droit au procès équitable garanti par l’art. 6 Conv. EDH (ce qui a été exclu en l’espèce).
(1547) * Cass., Ass. plén., 23 janv. 2004, préc.
(1548) * Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004, préc. (écartant la loi dite « MURCEF » du 11 déc. 2001 qui
censurait une jurisprudence antérieure de la Cour de cassation relative à la révision du loyer du bail
commercial).
(1549) Cass. 2e civ., 8 nov. 2006, Bull. civ. 2006, II, no 302 : « obéit à d'impérieux motifs d'intérêt
général l'intervention du législateur qui [...] est destinée à éviter le développement d'un
contentieux de nature à mettre en péril le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et par
suite la pérennité du système de protection sociale ».
(1550) CEDH, 28 oct. 1999, Zielinski c/France, D. 2000, som. 184, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2000,
p. 436, obs. J.-P. Marguénaud, rejetant l’argument du gouvernement français invoquant un risque
financier à l’appui d’une intervention législative (L. no 94-43 du 18 janv. 1994, art. 85) en faveur
d’organismes de sécurité sociale. Au contraire, le Conseil constitutionnel avait admis cet argument en
se bornant à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (Cons. const., 13 janv. 1994, décis.
no 93-332 DC ; adde Cass. soc., 15 févr. 1995, Bull. civ. V, no 58 (no 1), observant que le texte « a été
déclaré conforme à la Constitution »). – CEDH, 14 févr. 2006, Lecarpentier et 2 mai 2006, Saint-
Adam et Millot c/France, écartant, dans l’affaire précitée du « tableau d’amortissement »,
l’« impérieux motif d’intérêt général » qui « résulterait de la nécessité de sauvegarder l’équilibre
financier du système bancaire et de l’activité économique en général » ; « en principe, un motif
financier ne permet pas à lui seul de justifier une telle intervention législative », surtout « en
l’absence d’évaluation crédible du coût virtuel des procédures en cours et futures, lesquelles n’ont
pas davantage été recensées ». Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation s’étaient encore
laissés convaincre par l’argument des Cassandre de l’économie. Le Conseil d’État a finalement
admis qu’un « intérêt financier ne peut suffire à caractériser un motif impérieux d’intérêt
général » (CE, Ass., 8 févr. 2007, Gardedieu, cité infra, no 340 in fine).
(1551) CEDH, 20 nov. 1995, Pressos Compania Naviera c/Espagne. La Cour observe que « L’État
aurait [...] eu tout le loisir d’anticiper, par des mesures respectueuses de la Convention, ce qui
n’était que le développement d’une tendance jurisprudentielle amorcée il y a quelques années » ;
« les considérations financières invoquées par le gouvernement [...] pouvaient justifier, pour
l’avenir, une législation dérogeant, en cette matière, au droit commun de la responsabilité. Ils ne
pouvaient pas légitimer une rétroactivité dont le but et l’effet étaient de priver les requérants de
leurs créances en indemnisation ». V. aussi, CEDH 9 janv. 2007, Aubert et autres c/France (cité
infra).
(1552) Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, JCP S 2006, 1502, note P. Morvan : en prohibant l'action de
l'enfant né handicapé (à la suite d’une erreur de diagnostic commise par un gynécologue lors d’une
échographie prénatale ayant privé les futurs parents de la possibilité d’envisager un avortement
thérapeutique) et en limitant le préjudice réparable des parents, l’art. 1er-I de la L. no 2002-303 du
4 mars 2002 (devenu CASF, art. L. 114-5), censurant la jurisprudence Perruche (Cass. Ass. plén.,
17 nov. 2000, suivi par : CE, 14 févr. 1997, Quarez) qui ouvrait droit au contraire à réparation
intégrale de ces préjudices, viole l’art. 1er Prot. no 1 Conv. EDH. Dans le même sens : CE, 24 févr.
2006, Levenez, JCP G, 2006, 10062. La France venait d’être condamnée dans cette affaire par la
Cour européenne (CEDH, 6 oct. 2005, Draon et Maurice c/France, JCP G, 2006, II, 10061) mais
les deux Hautes juridictions françaises poussèrent bien au-delà la paralysie de la loi anti-Perruche.
(1553) Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, JCP G, 2012, 265, no 18 (et les références citées) ; RTD civ.
2012, p. 75, obs. P. Deumier, où le juge civil estime ne pas être lié par le motif figurant dans la
décision du Conseil constitutionnel no 2010-2 QPC du 11 juin 2010 car il n’était pas le « support
nécessaire » du dispositif de la décision. Sur l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel,
v. infra, no 338.
(1554) CE, ass., 13 mai 2011, nº 329290, RTD civ. 2012, p. 71, obs. P. Deumier (avec les autres
réf.).
(1555) CEDH, 9 janv. 2007, Aubert et autres c/France (aff. dite des heures d’équivalence), JCP G,
2007, II, 1919, condamnant la solution retenue par : * Cass. Ass. plén., 24 janv. 2003, D. 2003, 1648,
selon laquelle « obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée
à aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du
service public de la santé et de la protection sociale ». L’art. 29 L. 19 janv. 2000 (loi « Aubry II »)
avait censuré une jurisprudence de la Cour de cassation sur les horaires d’équivalence au profit des
associations gérant un service public d’accueil d’handicapés. L’arrêt de l’assemblée plénière
désavoua la chambre sociale qui, par un arrêt du 24 avril 2001, avait jugé cette disposition contraire
à l’art. 6, § 1, Conv. EDH. La Cour européenne désavoua à son tour l’assemblée plénière.
(1556) CE, Ass., 8 févr. 2007, Gardedieu, cité infra, no 340 in fine.
(1557) Cass., Ass. plén., 14 juin 1996, JCP G, 1996.II.22692, concl. Y. Monnet : « Si le droit de
toute personne à un procès équitable, garanti par l’art. 6, § 1, (Conv. EDH) peut être invoqué
devant toute juridiction civile statuant en matière fiscale, les juges du fond ont pu, sans violer ce
texte, faire application d’une loi nouvelle rétroactive entrée en vigueur au cours de l’instance, dès
lors qu’elle n’avait pour objet que de valider une réglementation antérieure conforme au droit
communautaire ».
(1558) V. supra, no 292.
(1559) V. cependant, Cass. 2e civ., 19 mars 2009 : Bull. civ. II, no 80 ; JCP G, 2010, 428, no 4, notant
qu’une société et ses coassureurs « avaient convenu de déroger au principe de non-rétroactivité de
la loi ». En réalité, l’arrêt cherche à établir une rétroactivité in favorem du contrat d’assurance (ici
au profit de salariés victimes de l’amiante).
(1560) Cass. civ., 24 nov. 1955, D. 1956, 522. – Cass. 3e civ., 21 janv. 1971, JCP G, 1971.II.16776,
n. P. Level. Dans le même sens, pour le contentieux administratif : CE, 8 nov. 1968, Menez, Rec. CE,
p. 557.
(1561) * Cass. 1re civ., 29 avril 1960, Vve Auterbe, D. 1960, 429, n. G. Holleaux ; RTD civ. 1960,
p. 454, obs. H. Desbois (la validité et l’efficacité d’une reconnaissance et d’une légitimation d’enfant
adultérin s’apprécient donc au regard de la loi sous l’empire de laquelle elles ont été accomplies qui,
en l’occurrence, les déclaraient nulles).
(1562) Ex. : Cass. civ., 27 mai 1861, DP 1861, 244 ; S., 1861, 1, 207 : « Les contrats passés sous
l’empire d’une loi ne peuvent recevoir aucune atteinte par l’effet d’une loi postérieure » (malgré
l’abrogation du monopole du syndicat de la boucherie de Paris, le contrat de vente antérieur « du
sang des bœufs et des vaches » tués dans les abattoirs, conclu pour six années avec les syndics,
demeure valable et obligatoire pour l’acheteur, « à moins que l’exécution n’en soit devenue
impossible ») ; Cass. 3e civ., 7 nov. 1968, JCP G, 1969.II.15771 : « La loi nouvelle ne s’applique
pas, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, aux conditions de l’acte juridique,
conclu antérieurement » (promesse de vente) ; Cass. com., 11 oct. 1988, Bull. civ. IV, no 274 (contrat
de location-gérance de station-service échappant à un nouvel arrêté sur les prix des carburants) ;
Cass. 3e civ., 10 févr. 1999, Bull. civ. III, no 34 : « La loi nouvelle ne pouvait frapper de nullité des
actes valablement passés avant sa promulgation » (en l’occurrence, la clause de fermage d’un bail
rural).
(1563) * Cass. civ., 7 juin 1901, Institut des frères des écoles chrétiennes, DP 1902, 1, 105 ; S.,
1902, 1, 153, n. A. Wahl : « Les effets d’un contrat sont régis en principe par la loi en vigueur à
l’époque où il a été passé ; notamment, les causes de nullité ou de résolution dérivant d’une loi
nouvelle ne touchent pas aux droits contractuels légalement acquis sous l’empire de la loi
ancienne [...] » (l’interdiction faite aux communes, par une loi de 1886, de subventionner des écoles
privées ne remet pas en cause le contrat de jouissance gratuite d’un immeuble conclu en 1819 entre la
ville de Paris et l’Institut précité) ; Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, D. 2000, 442, n. L. Gannagé : la
cause d’un contrat de présentation de clientèle d’astrologue est illicite dès lors que l’art. R. 34,
7o anc. C. pén., alors en vigueur, condamnait cette activité (peu important que ce texte ait été abrogé
par la suite avec le nouveau Code pénal ; il n’y a donc pas de « rétroactivité in mitius » ; pourtant, le
caractère immoral de la cause s’apprécie au jour où le juge statue).
(1564) Cass. ch. mixte, 22 sept. 2006, JCP G, 2007, II, 10180, n. D. Houtcieff, écartant l’application
d’une nouvelle règle (C. consom., art. L. 314-18) interdisant au créancier professionnel de se
prévaloir d’un cautionnement disproportionné et qui le reste lorsque la garantie est appelée (une telle
règle ne pose donc pas une condition de validité).
(1565) Ex., pour un contrat de société : Cass. 3e civ., 20 juin 1968, D. 1968, 749 ; JCP G,
1969.II.15938, n. B. Boccara ; Cass. 3e civ., 3 juill. 1979, JCP G, 1980.II.19384, n. crit. Fr.
Dekeuwer-Défossez. Ex., pour le bail : Cass. 3e civ., 11 juin 1997, Bull. civ. III, no 129. Ex., dans le
crédit à la consommation : Cass. 1re civ., 1er juin 1999, Bull. civ. I, no 187. Ex., pour une promesse
unilatérale de vente (stock options), Cass. 2e civ., 20 sept. 2005, JCP S 2005, 1417, n. R. Vatinet.
V. toutefois Cass. 1re civ., 18 déc. 2001, Bull. civ. I, no 319 : la loi nouvelle qui impose
« l’accomplissement d’une simple formalité » (une mise en demeure préalablement à l’exclusion
d’un assuré) s’applique aux contrats en cours.
(1566) Cass. 3e civ., 10 juin 1998, Bull. civ. III, no 119 : « le bail tacitement reconduit constituant
un nouveau contrat », la loi nouvelle lui est applicable.
(1567) S. GAUDEMET, « Dits et non-dits sur l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février
2016 », JCP G, 2016, 559, qui envisage l’application dans le temps des nouvelles règles relatives à
la formation, à la cession et à l’inexécution du contrat, aux quasi-contrats et à la preuve.
(1568) 1er ex. : Cass. soc., 31 janv. 1958, Bull. civ. V, no 175 : « [...] le droit au maintien (dans les
lieux) issu de la loi (du 1er sept. 1948) elle-même, pouvant être à tout moment modifié ou supprimé
par une loi nouvelle sans que l’occupant puisse se prévaloir d’un droit définitivement acquis ».
2e ex. : Cass. com., 7 mars 1983, Bull. civ. IV, no 95 : la L. 12 mai 1980, qui rend opposable à la
« faillite » la clause de réserve de propriété insérée dans un contrat de vente, a « seulement consacré
un effet indépendant de la volonté des parties » et s’applique aux contrats en cours. 3e ex. :
Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, D. 1981, 309, n. A. Bénabent ; JCP G, 1981.II.19568 (la L. 31 déc.
1975 créant au profit du sous-traitant une action directe contre le maître d’ouvrage trouve son
fondement dans la volonté du législateur et non dans les contrats conclus). 4e ex. : Cass. 3e civ.,
22 mars 1989, Bull. civ. III, no 69 : « Le droit au renouvellement (du bail) a sa source dans la loi et
que, même acquis dans son principe, il se trouve dans ses modalités demeurant à définir affecté
par la loi nouvelle, laquelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris
naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ». Pour un rejet de ce
raisonnement : Cass. com., 10 mai 2005, D. 2005, Pan., 2748, obs. H. Kenfack.
(1569) Cass., avis, 16 févr. 2015, RTD civ. 2015, 569, obs. P. Deumier (avec les autres réf.) : « la loi
nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance
avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que l'article 24 de la loi
du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 en ce qu'il donne au juge la faculté d'accorder
un délai de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s'applique aux
baux en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 » (pourtant, l’art. 14 de cette
loi énumérait, de façon a priori limitative, les dispositions applicables aux contrats en cours sans
citer l’art. 24).
(1570) Cass. 3e civ., 28 juin 2005, JCP G, 2006, II, 10027 : même déclarée « d'application
immédiate aux baux en cours », la loi du 9 juillet 1999 (qui reporte au terme du bail rural le droit du
preneur ayant réalisé des travaux de mise en conformité à une indemnité versée par le bailleur) ne
s'applique pas « aux situations nées antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi » (les actes
effectués par le contractant sont détachés du contrat en cours).
(1571) Ex. : Cass. 3e civ., 7 nov. 1968, JCP G, 1969.II.15771, n. P. L. ; Cass. 3e civ., 1er juill. 1987,
Bull. civ. III, no 138 ; Cass. com., 26 févr. 1991, Bull. civ. IV, no 86 ; Cass. 1re civ., 17 mars 1998,
Bull. civ. I, no 115 ; Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, Bull. civ. I, no 307.
(1572) Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, Bull. civ. I, no 307.
(1573) Ex. : Cass. soc., 20 mars 1952, D. 1952, 453 : en interdisant les sous-locations ou cessions de
bail, « le législateur a marqué sa volonté de mettre fin immédiatement à une pratique qu’il tenait
pour abusive ». Souvent la Cour de cassation ne donne aucune explication (ex. : Cass. soc., 8 févr.
2001, RJS 4/01, no 488).
(1574) CE, ass., 8 avr. 2009, Cne d’Olivet, RTD civ. 2010, p. 58, obs. P. Deumier (avec les autres
réf.) : sauf dispositions expresses contraires et sous réserve de mesures transitoires, une loi nouvelle
ne s’applique à une situation contractuelle en cours « que si un motif d'intérêt général suffisant lié à
un impératif d'ordre public le justifie et que s'il n'est dès lors pas porté une atteinte excessive à la
liberté contractuelle ». La formule est très lourde.
(1575) Sur la jurisprudence, assez fluctuante, cf. N. BAREÏT, « Ordre public et droit transitoire.
Exploration d’un lieu commun », RRJ 2010-1, p. 113.
(1576) V. déjà, Cass. civ., 17 févr. 1937, DH 1937, 219 : « S’il est vrai que les effets d’un contrat
de louage de services à durée indéterminée sont régis en principe par la loi en vigueur au moment
où il a été passé, le fait pour des ouvriers, employés ou apprentis, de n’avoir pas droit à un congé
payé sous l’empire de cette loi ne saurait conférer à leurs employeurs un droit acquis qui puisse
leur permettre de se soustraire à l’application d’une loi nouvelle, qui, dans un intérêt social, a
rendu, sous certaines conditions, le congé payé obligatoire ».
(1577) Cass. soc., 12 juill. 2000, Bull. civ. V, no 278.
(1578) Cass. civ., 17 oct. 1939, DH 1940, 2 : « C’est [...] l’accident qui fixe les droits des parties,
et une loi postérieure ne peut, en l’absence de dispositions contraires, en modifier la portée ou
l’étendue » (en matière d’accident du travail) ; Cass. 2e civ., 18 juill. 1967, D. 1968, 297 ;
Cass. 3e civ., 23 janv. 2002, Bull. civ. III, no 14. La L. no 85-677 du 5 juill. 1985 sur les accidents de
la circulation, qui décide de son application immédiate (art. 47), reconnaît implicitement cette règle.
(1579) CE, avis, 4 juin 2007, RJS 10/07, no 1127 ; JCP S 2007, 1840, note G. Vachet : sont
d’application immédiate « les règles qui régissent l'imputation sur la dette du tiers responsable des
créances des caisses de sécurité sociale [CSS, art. L. 376-1 et L. 454-1], lesquelles, compte tenu
des caractéristiques propres au mécanisme de la subrogation légale, sont applicables aux
instances relatives à des dommages survenus antérieurement à leur entrée en vigueur et n'ayant
pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée ».
(1580) 1er ex. : la suppression des droits féodaux (nuit du 4 août, D. 4 août 1789) s’est appliquée à
tous ceux existant à cette date. 2e ex. : Cass. civ., 31 déc. 1810, Jur. gén., Vo Servitude, no 670 :
l’art. 673 C. civ., qui permet de faire couper les branches avançant depuis un fonds voisin, prime sur
un usage ancien de Monaco, antérieur au Code civil, qui obligeait le propriétaire à supporter
l’empiètement sur son fonds des branches du voisin. 3e ex. : Cass. 3e civ., 13 nov. 1984, Bull. civ. III,
no 189 : « Une loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques
non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur » (la SAFER qui avait manifesté
son intention d’exercer son droit de préemption après la promulgation de la L. 4 juill. 1980 doit se
conformer à ses prescriptions). 4e ex. : Cass. soc., 8 nov. 1990, Bull. civ. V, no 540 (qui décide, sous
le même attendu, que le titulaire d’une pension de retraite liquidée avant l’entrée en vigueur d’un
décret instituant une bonification familiale peut prétendre à celle-ci pour l’avenir).
(1581) Ex. : Cass. 3e civ., 29 janv. 1980, Bull. civ. III, no 25 : « L’art. 3 de la loi du 8 avril 1898, en
disposant que le lit des rivières non navigables ni flottables appartient aux propriétaires des deux
rives (et n’est plus, comme avant, une res nullius), a consacré un principe nouveau et n’est
applicable aux situations et aux rapports juridiques établis ou formés avant sa promulgation
qu’autant qu’il n’en doit pas résulter la lésion des droits acquis » (v. déjà : Cass. civ., 11 déc.
1901, DP 1902, 1, 353).
(1582) Cass. crim., 19 mars 1926, DP 1927, 1, 25 ; S., 1926, 1, 145. Les peintres Corot, Courbet et
Sisley avaient vendu des tableaux que les acquéreurs avaient ensuite cédé à la librairie Hachette avec
le « droit de reproduire cette œuvre par la gravure ». Une loi du 9 avril 1910 décida que
l’aliénation d’une œuvre d’art n’entraînait plus, sauf convention contraire, transfert du droit de
reproduction. Cette loi ne pouvait s’appliquer aux ventes antérieures. La solution serait différente
aujourd’hui (v. Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, cité ci-dessous).
(1583) Ex. : Cass. com., 12 avr. 1976, D. 1976, 695 : « Le régime légal de la publicité (du contrat
de crédit-bail), qui n’a existé qu’à l’entrée en vigueur du décret du 4 juillet 1972, ne pouvait avoir
effet sur les opérations de crédit-bail antérieurement conclues et porter atteinte à l’opposabilité
des droits de propriété alors acquis par les entreprises de crédit-bail ».
(1584) Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, D. 2000, 821, n. P.-Y. Gautier : « En matière de droits d’auteur,
la loi qui a vocation à s’appliquer est celle qui est en vigueur à la date de l’acte qui provoque la
mise en œuvre de la protection légale » (en l’espèce, au jour où fut commise la contrefaçon).
(1585) V. supra, no 306.
(1586) 1er ex. : Cass. 1re civ., 20 avr. 1982, Bull. civ. I, no 135 : un texte relatif à l’acquisition de la
nationalité s’applique aux personnes nées avant son entrée en vigueur (sans que ses effets remontent
au-delà). 2e ex. : Cass. 1re civ., 3 avril 1984, Bull. civ. I, no 126 : « La loi et le règlement
s’appliquent, en principe, immédiatement aux situations existant lors de leur entrée en vigueur »
(au sujet de l’art. 66 de la L. 31 déc. 1971 créant une incompatibilité entre la profession de conseil
juridique et celle d’agent immobilier). 3e ex. : Cass. 1re civ., 28 avril 1987, Bull. civ. I, no 133 : les
L. 6 août et 9 sept. 1948 créant le statut légal de « déportés » et la L. 24 mai 1951 créant le statut
légal de « personnes contraintes au travail » sont « applicables immédiatement aux situations
juridiques en cours, même lorsqu’elles ont pris naissance antérieurement à leur entrée en
vigueur ».
(1587) Ex. : Cass. soc., 25 févr. 1988, Bull. civ. V, no 145 : les dispositions introduites dans la
L. 2 janv. 1968 par la loi du 13 juill. 1978 « sont relatives à l’existence même des droits qui [...]
découlent des inventions des salariés » et n’édictent pas des règles de procédure.
(1588) 1er ex. : Cass. com., 3 oct. 2006, Bull. civ. IV, no 202 : « Les voies de recours dont un
jugement est susceptible sont régies par la loi en vigueur à la date de celui-ci » (v. toutefois
Cass. 1re civ., 14 mai 1996, Bull. civ. I, no 205 : l’abrogation par la L. no 93-22 du 8 janv. 1993 des
fins de non-recevoir à l’action en recherche de paternité prévues par l’art. 340-1 C. civ. est
immédiatement applicable). 2e ex. : Cass. soc., 25 nov. 1993, Bull. civ. V, no 291 : les nouvelles
règles de l’art. L. 141-2 CSS relatives à l’expertise technique de la Sécurité sociale sont
« d’application immédiate ». 3e ex. : Cass. 1re civ., 25 avr. 2007, Bull. civ. I, no 160 : « une loi de
procédure, en l'absence de dispositions contraires, régi[t] les affaires en cours à partir de sa mise
en application » (à propos d’une loi qui, en réalité, attribuait compétence aux juridictions
administratives, ce qui est assez différent d’une loi de procédure).
(1589) Cass. com., 23 nov. 1976, Bull. civ. IV, no 298. L’instance doit être en cours au moins devant
la cour d’appel lorsque survient la loi nouvelle.
(1590) CEDH, 19 déc. 1997, Brualla Gomez de la Torre, Rec. CEDH 1997-VIII ; D. 1998, som.
p. 210, obs. N. Fricero : « Un principe généralement reconnu selon lequel, sauf disposition
expresse en sens contraire, les lois de procédure s’appliquent immédiatement aux procédures en
cours ».
(1591) 1er ex. : Cass. 2e civ., 4 juin 1980, Bull. civ. II, no 133 : « Les lois et décrets nouveaux,
relatifs à la procédure et aux voies d’exécution, s’ils sont immédiatement applicables aux
instances en cours, n’ont pas pour conséquence, hors le cas d’une disposition législative expresse,
d’annuler ou de destituer de leurs effets définitifs ou provisoires, les actes qui ont été
régulièrement accomplis sous l’empire du texte ancien » (un texte édictant un nouveau cas
d’insaisissabilité ne peut s’appliquer « à une saisie faite antérieurement à sa mise en vigueur »).
2e ex. : Cass., Avis, 29 nov. 1993, JCP G, 1994.II.22203, n. H. Croze et T. Moussa : « La loi de
compétence est d’application immédiate, la compétence de la juridiction initialement saisie étant
toutefois conservée lorsqu’une décision intéressant le fond a été rendue avant l’entrée en vigueur
des dispositions nouvelles ».
(1592) En matière d’astreinte, la Cour de cassation utilise la notion de droit acquis comme un
correctif du principe de l’effet immédiat (J. NORMAND, obs. RTD civ. 1998, p. 733).
(1593) Cass., Avis, 22 mars 1999, Bull. civ. Avis, no 2 : « Vu les principes généraux du droit
transitoire, selon lesquels, en l’absence de disposition spéciale, les lois relatives à la procédure et
aux voies d’exécution sont d’application immédiate ; cependant, si elles sont applicables aux
instances en cours, elles n’ont pas pour conséquence de priver d’effet les actes qui ont été
régulièrement accomplis sous l’empire de la loi ancienne ».
(1594) Cass. 1re civ., 22 nov. 2005, D. 2006, 277, n. T. Le Bars et P. Callé ; Rev. arb. 2005, p. 1012,
n. D. Bureau : la clause compromissoire stipulée dans les contrats conclus en raison d'une activité
professionnelle, nulle sous l’empire de l’ancien art. 2261 et valable depuis la loi du 15 mai 2001,
« peut être invoquée à l'occasion d'un litige portant sur l'exécution de ces contrats, peu important,
à cet égard, qu'ils aient ou non pris fin avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ».
(1595) Ex. : Cass. 1re civ., 14 mars 2000, Bull. civ. I, no 91 : « La loi nouvelle a vocation à régir les
effets des situations légales postérieures à son entrée en vigueur » (les nouvelles dispositions de
l’art. 66-5 L. 31 déc. 1971 qui découlent de la L. 7 avril 1997 suivant lesquelles les correspondances
entre avocats sont couvertes par le secret professionnel sont applicables à des correspondances
antérieures à cette loi).
(1596) Cass. 1re civ., 28 avril 1986, Bull. civ. I, no 106 (texte cité supra, no 203) : le D. 15 juill. 1980
qui élève de 50 à 5 000 francs (1 500 €) le seuil prévu par l’art. 1359 (v. supra, no 231) ne
s’applique pas à la preuve d’un contrat de prêt antérieur.
(1597) Cass. req., 18 nov. 1807, Jur. gén., Vo Lois, no 250 : la preuve d’un paiement, au moyen d’un
billet signé en 1773, est admise sur la foi de présomptions prévues par l’Ancien droit qu’écarte le
Code civil, pour des faits antérieurs à son entrée en vigueur.
(1598) Ex. : L. no 65-570 du 13 juill. 1965 « portant réforme des régimes matrimoniaux », art. 13
(relatif à la modification des effets de la présomption d’acquêts) : « Le nouvel art. 1402 sera
applicable toutes les fois que les faits ou actes à prouver seront postérieurs à l’entrée en vigueur
de la présente loi ».
(1599) Cass. req., 13 oct. 1808, Jur. gén., Vo Dépôt-sequestre, no 144 : « La question de savoir si,
en l’espèce, la preuve testimoniale était admissible, était une question de droit qui devait être
jugée par les lois existantes à l’époque du prétendu dépôt ».
(1600) Cass. com., 7 nov. 1989, Bull. civ. IV, no 281 : « les règles relatives à la charge de la preuve
ne constituent pas des règles de procédure applicables aux instances en cours, mais touchent au
fond du droit ».
(1601) F. HAGE-CHAHINE, Les conflits de lois dans l’espace et dans le temps en matière de
prescription. Recherches sur la promotion du fait au droit, th. Paris II, Dalloz, 1977, préf.
H. Batiffol.
(1602) C. civ., art. 2281 anc. : « Les prescriptions commencées à l’époque de la publication du
présent titre seront réglées conformément aux lois anciennes ».
(1603) Ex. : Cass. 2e civ., 13 nov. 1963, Bull. civ. II, no 724. Comp., en droit du travail, Cass. soc.,
19 nov. 1997, JCP G, 1998.II.10043, n. M. Rousseau : à la date du dépôt d’une convention collective
fixant une durée de période d’essai plus courte que celle stipulée dans le contrat de travail, cette
disposition plus favorable se substitue à la clause moins favorable du contrat.
(1604) Ex. : Cass. 1re civ., 28 nov. 1973, D. 1974, 112, n. J. Massip ; Cass. com., 22 oct. 1991,
Bull. civ. IV, no 307 ; Cass. soc., 19 déc. 2007, RJS 3/08, no 315.
(1605) Ex. : Cass. 1re civ., 27 sept. 1983, Bull. civ. I, no 215 ; RTD civ. 1985, p. 205, obs.
J. Normand : « En l’absence d’une volonté contraire expressément affirmée, la loi ne peut produire
effet que pour l’avenir et il résulte de ce principe que, lorsque le législateur modifie le délai d’une
prescription, cette loi n’a point d’effet sur la prescription définitivement acquise » ; la L. du
23 déc. 1980 modifiant l’art. 10 C. pr. pén., qui « désolidarise » les prescriptions civile et pénale ne
réouvre pas le délai dont disposait la victime pour se constituer partie civile (allongé de 3 à 30 ans,
en l’espèce).
(1606) La succession de plusieurs lois de prescription peut créer un enchevêtrement complexe. Il en
a été ainsi en droit pénal (cf. C. GUÉRY, « La prescription des infractions contre les mineurs : un
nouvel état des lieux », D. 1999, chr. 38) où la prescription obéit aux mêmes règles transitoires qu’en
droit civil.
(1607) C. civ., art. 2222 : « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de
forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le
délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur.
Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. En cas de réduction de la durée du délai de
prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en
vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi
antérieure ».
(1608) L. no 2008-561, 17 juin 2008, art. 26, I et II.
(1609) V. Droit de la famille, coll. Droit civil.
(1610) Cass. civ., 20 févr. 1917, Gabrielle Dominicé, cité supra, no 293. L’arrêt fut rendu sous
l’influence de la théorie des droits acquis ; en réalité, la loi était d’effet immédiat à une situation
légale en cours.
(1611) L. no 76-1036 du 15 nov. 1976, art. 1er, cité supra, no 304.
(1612) Sur le critère du « plus favorable » dans les conflits de lois dans le temps, v. supra, no 290.
(1613) Fr. GRANET-LAMBRECHTS et J. HAUSER, « Le nouveau droit de la filiation », D. 2006, chr., 17,
spéc. p. 24.
(1614) Ex. : Cass. civ., 27 janv. 1840, Jur. gén., Vo Contrat de mariage, no 515 ; S., 1840, 1, 257.
(1615) V. Droit des régimes matrimoniaux, coll. Droit civil.
(1616) Cass. 1re civ., 14 déc. 1971, D. 1972, 117 ; Cass. 1re civ., 13 juin 1984, D. 1985, 42, n. A. B. :
« Les conditions de l’attribution préférentielle de droit d’une exploitation agricole doivent être
appréciées en fonction de la législation en vigueur au jour de l’ouverture de la succession ».
(1617) Cass. 1re civ., 13 janv. 1982, Bull. civ. I, no 22 ; Rev. crit. DIP 1982, p. 551, obs. H. Batiffol
(au sujet de la règle de conflit unilatérale posée par l’art. 310 – auj. art. 309).
(1618) H. BATIFFOL, « Conflits de lois dans l’espace et dans le temps », Choix d’articles, LGDJ,
1976, p. 179.
(1619) P. LEVEL, Essai de systématisation du conflit de lois dans le temps, th. Paris, LGDJ, 1959,
préf. H. Batiffol, spéc. no 6, p. 10 et nos 83 et s., p. 148 et s. Adde F. HAGE-CHAHINE, Les conflits de
lois dans l’espace et dans le temps en matière de prescription. Recherches sur la promotion du fait
au droit, th. Paris II, Dalloz, 1977, spéc. no 356.
(1620) Ex. : CJCE, 15 févr. 1978, SA anc. Maison Marcel Bauche, aff. 96/77, Rec. CJCE, p. 383 :
« Selon un principe généralement reconnu, les lois modificatrices d’une disposition législative
s’appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi
ancienne » ; CJCE, 16 mai 1979, Tomadini, aff. 84/78, Rec. CJCE, p. 1801 : « Le champ
d’application du principe de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de
façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées
sous l’empire de la réglementation antérieure ».
(1621) CJCE, 22 mars 1961, SNUPAT, aff. 42 et 49/59, Rec. CJCE, p. 103. – 22 sept. 1983, Verli-
Wallace, aff. 159/82, Rec. CJCE, p. 2711 : « Le retrait à titre rétroactif d’un acte légal qui a
conféré des droits subjectifs ou des avantages similaires est contraire aux principes généraux du
droit ».
(1622) CJCE, 24 févr. 1987, Continentale Produkten Gesellschaft, aff. 312/84, Rec. CJCE, p. 841 :
« En règle générale, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les
autorités compétentes sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés
puissent prétendre à un “droit acquis” à voir leur cas traité par l’autorité désignée comme
compétente par les dispositions antérieures ».
(1623) Sur le thème de l’entrée en vigueur : CJCE, 13 déc. 1967, Neumann, aff. 17/67, Rec. CJCE,
p. 571 : « On ne pourrait, sans porter atteinte à un légitime souci de sécurité juridique, recourir
sans motif au procédé de la mise en vigueur immédiate » ; CJCE, 22 févr. 1984, Gerda
Kloppenburg, aff. 70/83, Rec. CJCE, p. 1075 : le principe de sécurité juridique s’oppose au report
de l’entrée en vigueur d’un acte de portée générale dont la date initiale d’entrée en vigueur est déjà
passée ; CJCE, 1er avril 1993, Diversinte SA et Iberlacta SA, aff. C. 260 et 261/91, Rec. CJCE,
p. 1885 : « Si, en règle générale, le principe de la sécurité des situations juridiques s’oppose à ce
que la portée dans le temps d’un acte communautaire voie son point de départ fixé à une date
antérieure à celui de sa publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsque le but à
atteindre l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée » ; le principe
de confiance légitime exige que l’acte fasse « apparaître, de façon claire et non équivoque, le
raisonnement de l’autorité » (v. aussi CJCE, 1er févr. 1984, Ilford SpA, aff. 1/84 R, Rec. CJCE,
p. 423 : « Si [...] un effet rétroactif des décisions communautaires n’est pas nécessairement exclu,
il faut toutefois que les décisions ayant un tel effet comportent dans leurs motifs les indications
qui justifient l’effet rétroactif recherché »).
(1624) Sur le principe de sécurité juridique, v. supra, no 47.
(1625) CJCE, 12 juill. 1957, Algera, aff. 7/56 et 3 à 7/57, Rec. CJCE, p. 81, qui exclut le retrait d’un
acte administratif (sauf s’il est illégal) créateur de droits subjectifs en raison de la « nécessité de
sauvegarder la confiance dans la stabilité de la situation ainsi créée ».
(1626) CJCE, 13 juill. 1965, Lemmerz Werke, Rec. CJCE, p. 835.
(1627) CJCE, 3 mai 1978, Töpfer, aff. 112/77, Rec. CJCE, p. 1019.
(1628) CJCE, 15 mai 1976, CNTA, aff. 74/74, Rec. CJCE, p. 797 ; Cass. com., 22 oct. 2002,
Bull. civ. IV, no 150 : « le principe du respect de la confiance légitime a pour objet de protéger les
ressortissants communautaires contre des changements exagérément brutaux de la réglementation
économique ».
(1629) CJCE, 4 févr. 1975, Compagnie Continentale France, aff. 169/73, Rec. CJCE, p. 117.
(1630) CJCE, 19 mai 1983, Mavridis, aff. 289/81, Rec. CJCE, p. 1731.
(1631) En droit interne, Cass. com., 22 oct. 2002, Bull. civ. IV, no 147 : une décision de la CJCE
« s’impose à la juridiction nationale sans que puisse lui être opposé un principe général du droit,
tel que le principe de la confiance légitime ».
(1632) Ex. : CJCE, 26 nov. 1998, Covita AVE, aff. C. 370/96, Rec. CJCE, p. 7711 : un importateur
professionnel « doit s'assurer, par la lecture des journaux officiels pertinents, du droit
communautaire applicable aux opérations qu'il effectue ». – CJCE, 1er févr. 1978, Lührs, aff. 78/77,
Rec. CJCE, p. 169, estimant que des « opérateurs économiques prudents et avertis devaient prévoir
l’adoption de mesures plus rigoureuses ».
(1633) V. supra, no 305, 5º.
(1634) V. supra, no 306.
(1635) V. supra, no 270.
(1636) Const. 4 oct. 1958, art. 3, al. 1er : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui
l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
(1637) Éd. LAMBERT, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-
Unis, Sirey, 1921, rééd. Dalloz, 2005. V. aussi la prohibition des arrêts de règlement par l’art. 5
(infra, no 405).
(1638) M. TROPER, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1973
(rééd. 1980), p. 121. Sur la L. 16-24 août 1790 et le D. 16 fructidor an III, v. supra, no 164.
(1639) Ch. JARROSSON, « Le législateur peut-il avoir tort ? », in Mélanges B. Oppetit, Litec, 2009,
p. 349.
(1640) La fondamentalisation du droit privé, Revue de droit d’Assas, oct. 2015, nº 11, p. 32 et s.
(articles de J.-P. Marguénaud, G. Loiseau, F. Chénedé, M. Mekki, S. Mekki, W. Dross et J. Mouly).
(1641) Malgré l’analogie sémantique, la fondamentalisation du droit n’a rien à voir avec le
fondamentalisme, courant théologique intégriste qui tend à une interprétation littérale des Écritures.
(1642) E. DREYER, « Du caractère fondamental de certains droits », RRJ 2006, p. 551, qui critique
l’opportunisme du juge judiciaire dans les références aux droits fondamentaux.
(1643) V. supra, no 41.
(1644) X. DUPRÉ DE BOULOIS, « Les notions de liberté et de droits fondamentaux en droit privé », JCP
G, 2007, I, 211, spéc. no 35 : « il n’existe pas un concept de liberté fondamentale ou de droit
fondamental à même de rendre compte de l’ensemble des solutions du droit positif français ». Adde
Les droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, AJDA 1998, no spécial ; M. -L. PAVIA,
« Éléments de réflexions sur la notion de droit fondamental », LPA 6 mai 1994, no 54, p. 6 ;
M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, Bruylant, 3e éd., 2010, spéc. p. 92, qui déclare
n’être pas « convaincu [...] de l’utilité de l’emploi du terme fondamental ».
(1645) V. infra, no 347.
(1646) Cour de cassation. Ex. : Cass. crim., 18 fructidor an V, Jur. gén., Vo Loi, no 478 : « Les
termes dans lesquels est conçue pour les corps administratifs et judiciaires la défense d’arrêter ou
de suspendre l’exécution des lois (C. pén., anc. art. 127, cité infra no 404 in fine, en note), ne
peuvent admettre ni exception, ni prétexte ». En l’espèce, la Constitution du 5 fructidor an III (sous
le Directoire) s’achevait par un texte grandiloquent : « Le peuple français remet le dépôt de la
présente constitution à la fidélité [...] des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et
aux mères, à l’affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français » (on croirait lire du
J.-J. Rousseau) ; estimant que ce texte lui conférait le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des
lois, le tribunal criminel départemental de la Dyle (auj. en Belgique) avait refusé d’appliquer une loi
pénale promulguée par le Directoire au motif qu’elle n’« avait pas le caractère » d’une loi.
Cassation : « L’effet immédiat d’une conséquence aussi fausse serait [...] de confondre tous les
pouvoirs et de renverser cette Constitution qu’il (le tribunal) a feint de soutenir ». V. toutefois
Cass. crim., 15 mars 1851, DP 1851, 1, 142. – 17 nov. 1851, S., 1851, 1, 707 : ces arrêts jugèrent
recevable, avant de le rejeter sur le fond, un « moyen pris de l’inconstitutionnalité » d’une loi créant
une juridiction pénale extraordinaire (v. aussi, en plus contradictoire, Cass. crim., 11 mai 1833, DP
1833, 1, 227). Sur cette singulière parenthèse (qui se referma avec : Cass. crim., 13 juin 1879, DP
1879, 1, 277), cf. J.-L. MESTRE, « Données historiques », in La Cour de cassation et la Constitution
de la République, PUAM, 1995, p. 35. Conseil d’État. Ex. : CE, 6 nov. 1936, Arrighi, DP 1938, 3,
1, n. Ch. Eisenmann ; S., 1937, 3, 33, concl. R. Latournerie, n. A. Mestre. Un justiciable avait soutenu
que la loi autorisant le gouvernement à légiférer par décrets (décrets-lois) était inconstitutionnelle ; le
Conseil d’État rejeta le recours : « En l’état du droit public français, ce moyen n’est pas de nature
à être discuté devant le Conseil d’État statuant au contentieux ». Adde R. CARRÉ DE MALBERG, La
loi, expression de la volonté générale, Sirey, 1931 (rééd. Economica, 1984), p. 51. V. cependant le
cas de l’abrogation implicite, supra, no 278.
(1647) J. BONNET, Le juge ordinaire et le contrôle de constitutionnalité des lois. Analyse critique
d’un refus, Dalloz, 2009. Selon l’auteur, le légicentrisme et le culte de la loi ont vécu ; le juge
ordinaire n’hésite plus à l’écarter en s’appuyant sur le droit international.
(1648) R. CHAPUS, Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2001, nos 51 et s.
(1649) La doctrine publiciste des années 1910-1920 (H. Berthélémy, G. Jèze, M. Hauriou, L. Duguit,
P. Duez) ou de l’après-guerre (H. Kelsen, Ch. Eisenmann) souhaitait l’avènement d’une justice
constitutionnelle s’opposant aux lois arbitraires et songeait à la confier aux juges de droit commun.
(1650) M. FROMONT, « La diversité de la justice constitutionnelle en Europe », Mélanges Ph. Ardant,
Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, 1999, p. 47. Le contrôle de constitutionnalité est
apparu en Autriche (1867) et en Suisse (1874) devant les juridictions ordinaires. Puis furent créées
des cours constitutionnelles (Autriche, 1920 ; Espagne, 1931). Le fédéralisme de type germanique a
été un moteur tandis que le centralisme français était un frein.
(1651) J. RIVÉRO, « Fin d’un absolutisme », Pouvoirs 1980, no 13, « Le Conseil constitutionnel »,
p. 5, spéc. p. 14. Adde J.-Cl. BÉCANE et M. COUDERC, La loi, Dalloz, 1994 (qui décrivent le passage
de la loi prééminente à la loi contestée).
(1652) Sur les neuf membres (les « neuf Sages de la rue Montpensier », voisine du Palais-Royal où
siège le Conseil d’État) élus pour neuf ans que compte le Conseil constitutionnel, trois sont « nommés
par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, trois par le
président du Sénat » ; les anciens présidents de la République en « font de droit partie à vie »
(Const. 4 oct. 1958, art. 56).
(1653) Cons. const., 23 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, décis. no 85-197
DC : « La loi votée [...] n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ».
(1654) Le droit de saisir le Conseil constitutionnel appartient au président de la République, au
Premier ministre, au président de chaque assemblée, à 60 députés ou 60 sénateurs (Const., art. 61).
(1655) Const. 4 oct. 1958, art. 61. Avec une importante réserve : « La régularité au regard de la
Constitution des termes d’une loi promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de
l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » ;
« Il ne saurait en être de même lorsqu’il s’agit de la simple mise en application d’une telle loi »
(Cons. const., 25 janv. 1985, décis. no 85-187 DC, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-
Calédonie, JCP G, 1985.II.20356, n. C. Franck ; D. 1985, 361, n. Fr. Luchaire ; AJDA 1985, p. 362,
n. P. Wachsmann).
(1656) Cons. const., 7 nov. 1997, Loi portant réforme du service national, décis. no 97-392 DC,
LPA, 22 déc. 1997, no 153, p. 13, n. P. Jan : « Une loi promulguée, même non encore publiée, ne peut
être déférée au Conseil constitutionnel ». Ce qui n’a pas empêché le Conseil, en 1999, de dénoncer
l’inconstitutionnalité d’une loi promulguée treize années plus tôt, incitant le législateur à la réformer
(Cons. const., 15 mars 1999, Loi organique sur la Nouvelle-Calédonie, décis. no 99-410 DC, citée
supra).
(1657) D. nº 2010-148, 16 févr. 2010, modifiant le Code de justice administrative (art. R. 771-3 s.),
le Code de l’organisation judiciaire (art. R. 461-1), le Code de procédure pénale (art. R. 49-21 s.) et
le Code de procédure civile (art. 126-1 s.) ; D. no 2010-149, 16 févr. 2010, relatif à l’aide
juridictionnelle.
(1658) Cass. 3e civ., 27 sept. 2011, no 11-14363 (QPC contre un édit du 16 décembre 1607).
(1659) V. infra, nº 347.
(1660) Depuis : Cons. const., 6 oct. 2010, décis. no 2010-39 QPC.
(1661) L’« interprétation jurisprudentielle constante » doit émaner d’une juridiction « placée au
sommet de l’ordre juridictionnel » (le Conseil d’État ou la Cour de cassation), non d’une juridiction
du fond, même si elle est unique (cf. Cons. const., 8 avr. 2011, décis. no 2011-120 QPC, consid. no 9,
RTD civ. 2011, p. 495, obs. P. Deumier).
(1662) Sur la doctrine du droit vivant dont les bases furent jetées par une décision de la Cour
constitutionnelle italienne du 15 juin 1956 : C. SEVERINO, La doctrine du droit vivant, Economica,
PUAM, 2003 ; N. MAZIAU, D. 2011, chr. 529.
(1663) Cass. 1re civ., 27 sept. 2011, JCP G, 2011. 1197, n. Fr. Chénedé : « la contestation doit
concerner la portée que donne à une disposition législative précise l'interprétation qu'en fait la
juridiction suprême de l'un ou l'autre ordre de juridiction » ; Cass. 1re civ., 8 déc. 2011, D. 2012,
765, obs. E. Dreyer. Adde P. DEUMIER, obs. in RTD civ. 2015, p. 85. Par ailleurs, la Cour de cassation
et le Conseil d’État ont repoussé le grief tiré de leur manque d’impartialité, résultant du fait que la
QPC peut viser une jurisprudence qu’ils ont appliquée et seraient enclins à défendre
(Cass. Ass. plén., 20 mai 2011 et CE, 12 sept. 2011, Dr. adm. 2011, 93 : la Cour de cassation
rappelle qu’elle est unique).
(1664) Cass. 1re civ., 18 juin 2014, JCP G, 2014, 743, obs. J. Dubarry : une QPC ne peut contester
« la constitutionnalité de la portée donnée par la décision rendue dans la même instance à une
disposition législative ».
(1665) Cons. const., 1er août 2013, décis. no 2013-336 QPC, RTD civ. 2014, p. 71, obs. P. Deumier
(avec les autres réf.) : « le législateur (sic) méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par
l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte
qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » (en fait, c’est l’interprétation de la loi
par la Cour de cassation, en particulier un revirement de jurisprudence imprévisible, qui pourrait
avoir cette portée).
(1666) Cf. P. DEUMIER, obs. in RTD civ. 2010, p. 504 (à propos du filtrage). Sur un autre filtrage
critiqué, v. supra, no 175.
(1667) Pour des exemples, cf. chron. N. MAZIAU, D. 2011, 2811 et D. 2012, 1833. Cette révision de la
jurisprudence est un autre aspect de la « doctrine du droit vivant » (précitée).
(1668) Sur l’autorité, en droit, des décisions du Conseil constitutionnel, v. infra, no 337.
(1669) . CEDH, 25 août 2015, Renard c/France, JCP G, 2015, 1297, n. F. Sudre : « en l’espèce, la
Cour constate que la Cour de cassation a motivé ses décisions au regard des critères de non-
renvoi d’une QPC ».
(1670) Cons. const., 3 déc. 2009, décis. no 2009-595 DC, Loi organique relative à l'application de
l'article 61-1 de la Constitution, consid. no 21.
(1671) Sur l’exception d’inconventionalité, v. infra, nos 341 et 342 (droit de l’Union européenne) et
nº 348 (Conv. EDH).
(1672) Cons. const., 3 déc. 2009, décis. no 2009-595 DC, Loi organique relative à l'application de
l'article 61-1 de la Constitution, consid. no 14.
(1673) Sur le récit des épisodes successifs : M. GAUTIER, « QPC et droit communautaire. Retour sur
une tragédie en cinq actes », Dr. adm. 2010, Études, 19.
(1674) Cass. QPC, 16 avr. 2010, no 10-40002. Cf. P. DEUMIER, obs. in RTD civ. 2010, p. 501, « La
question et la figure de l’interprétation hypothétique ».
(1675) Cons. const., 12 mai 2010, décis. no 2010-605 QPC, JCP G, 2010, 576, n. B. Mathieu ; CE,
14 mai 2010, no 312305.
(1676) CJUE, 22 juin 2010, aff. C. 188/10 et C. 189/10, Melki et Abdeli.
(1677) CJUE, 22 juin 2010, préc., points 52 à 56.
(1678) Cf. P. CASSIA, chron. D. 2010, 1229, spéc. p. 1241.
(1679) CE 14 mai 2010, no 312305, préc.
(1680) Cass. Ass. plén., 29 juin 2010, no 10-40001, n. pub. Bull.
(1681) Cons. const., 4 avr. 2013 et 14 juin, décis. nº 2013-314 QPC, RTD civ. 2013, p. 564, obs.
P. Deumier (avec les autres réf.). Étaient en cause les mots figurant à l'article 695-46 C. pr. pén. selon
lequel la chambre de l’instruction statue sur la remise de la personne visée par un mandat d’arrêt
européen « sans recours ». Ces mots, qui ne découlent pas nécessairement de la décision-cadre sur le
mandat d’arrêt européen, « apportent une restriction injustifiée au droit à exercer un recours
juridictionnel effectif ».
(1682) Selon le protocole nº 16 additionnel à la Conv. EDH. V. infra, no 348.
(1683) Cons. const., 15 janv. 1975, cité infra, nº 340.
(1684) CJUE, gde ch., 6 oct. 2015, aff. C-650/13, Delvigne, JCP G, 2015, 1338, n. D. Berlin (à
propos de l’interdiction automatique et perpétuelle du droit de vote en cas de condamnation à une
peine criminelle) ; Cass. 1re civ., 5 sept. 2013, nº 13-40043, inédit : « la question posée ne présente
pas un caractère sérieux ».
(1685) V. supra, no 6. Droit civil illustré, no 2.
(1686) V. Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 17e éd., 2013. L’intégralité des
décisions du Conseil, avec les références de leurs publications, est sur : http://www.conseil-
constitutionnel.fr Adde Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes, Dalloz,
2008.
(1687) Cons. const., 16 juill. 1971, Liberté d’association, décis. no 71-44 DC, JCP G,
1971.II.16823 ; AJDA 1971, p. 537, n. J. Rivero ; RDP 1971, p. 1171, n. J. Robert : « Vu la
Constitution, et notamment son préambule ». Le « bloc de constitutionnalité » englobe la
Constitution du 4 oct. 1958, le Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946 et la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
(1688) L. FAVOREU, « La décision de constitutionnalité », RID comp. 1986, p. 622 ; Th. DI MANNO,
« L’influence des réserves d’interprétation », in La légitimité de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, Economica, 1999, p. 189. Ces auteurs distinguent les réserves « directives »
(adressant des injonctions au législateur, au pouvoir réglementaire ou aux sujets de droit), les
réserves « minorantes » ou « neutralisantes » (qui amputent la portée d’un texte, technique
d’« extraction de venin ») et les réserves « constructives » (ajoutant au texte les précisions
nécessaires ou modifiant sa portée). Adde A. VIALA, Les réserves d’interprétation dans la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ, 1999.
(1689) V., par ex., N. MOLFESSIS, « La réécriture de la loi relative au PACS par le Conseil
constitutionnel », JCP G, 2000.I.210. La décision no 99-419 du 9 nov. 1999 sur la L. 15 nov. 1999
instituant le pacte civil de solidarité (C. civ., art. 515-1 et s.) recèle un nombre impressionnant de
réserves d’interprétation qui ont permis au Conseil de ne pas censurer la loi, se conformant à l’air du
temps, plus qu’à la Constitution.
(1690) CE, 15 mai 2013, nº 340554, Cne de Gurmençon.
(1691) Ex. : Cons. const., 25 juill. 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, décis. no 79-
105 DC, D. 1980, 101 ; JCP G, 1981.II.19547 : si le droit de grève se voit reconnaître une valeur
constitutionnelle par le Préambule de 1946 (al. 7), le législateur peut lui apporter des limitations,
allant jusqu’à l’interdiction du droit de grève, au nom du principe constitutionnel de la continuité du
service public (qui pourtant est non écrit).
(1692) Ex. : l’art. 4 de la Déclaration de 1789, selon lequel « la liberté consiste à pouvoir faire tout
ce qui ne nuit pas à autrui », a servi de support à la liberté d’entreprendre (Cons. const., 16 janv.
1982, décision no 81-132 DC, D. 1983, 169 ; JCP G, 1983.II.19788), à la liberté d’aller et venir
(Cons. const., 12 juill. 1979, décis. no 79-107 DC), à la liberté du mariage (Cons. const., 13 août
1993, décis. no 93-325 DC, sol. impl.), au droit au respect de la vie privée (Cons. const., 18 janv.
1995, décis. no 94-352 DC), voire à la liberté contractuelle (Cons. const., 10 juin 1998, décis. no 73-
51 DC, citée supra, no 305, 4o).
(1693) Il s’agit de libertés puisées par le Conseil constitutionnel dans « la législation républicaine
intervenue avant l’entrée en vigueur du préambule de la Constitution de 1946 », donc sous la
IIIe République (Cons. const., 20 juill. 1988, décis. no 88-244 DC). Quatorze « PFRLR » ont été
dégagés entre 1971 et 2011, tels la liberté d’association consacrée par la L. 1er juill. 1901 (Cons.
const., 16 juill. 1971, préc.), la liberté individuelle (sans texte précis ! Const. const., 12 janv. 1977,
décis. nº 76-75 DC) ou les principes qui régissent la responsabilité et la justice pénales des mineurs,
« constamment reconnus par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle » (Cons.
const., 29 août 2002, décis. nº 2002-461 DC). Cf. J. RIVERO, « Les “principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République” : une nouvelle catégorie constitutionnelle ? », D. 1972, chr. 265 ;
V. CHAMPEIL-DESPLATS, Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République,
Economica, 2001.
(1694) Ex. : Cons. const., 19 janv. 1995, décis. no 94-359 DC : « La possibilité pour toute personne
de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » ; Cons. const.,
11 juill. 2001, décis. no 2001-450 DC : « Le pluralisme des courants d’expression socioculturels
est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».
(1695) G. DRAGO, « La conciliation entre principes constitutionnels », D. 1991, chr. 265.
(1696) Le Conseil veille à la régularité des élections présidentielle (art. 58) et parlementaire
(art. 59), examine la constitutionnalité des lois organiques, des règlements des assemblées (art. 61) et
des traités internationaux (art. 54), délimite le domaine de compétence de la loi et du règlement
(art. 41).
(1697) G. VEDEL, « De Maastricht à Schengen », RFDA 1992, p. 173.
(1698) Const., art. 89. Ainsi, la L. constit. no 93-1256 du 25 nov. 1993 (Const., art. 53-1 nouv.)
condamne la décision no 93-325 DC, du 13 août 1993 (réf. in D. 1994, som. p. 111) qui invalidait les
dispositions de la loi « Pasqua » « sur la maîtrise de l’immigration » relatives au droit d’asile.
(1699) Biblio. sélective (pour le droit privé). Monographies : M. FRANGI, Constitution et droit
privé. Les droits individuels et les droits économiques, Economica, PUAM, 1992 ; N. MOLFESSIS, Le
Conseil constitutionnel et le droit privé, th. Paris II, LGDJ, 1997, préf. M. Gobert ; O. DESAULNAY,
L’application de la Constitution par la Cour de cassation, Dalloz, 2009. Ouvrages collectifs : La
Cour de cassation et la Constitution de la République (colloque), PUAM, 1995 ; La légitimité de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel (colloque), Economica, 1999 ; Le préambule de la
Constitution de 1946, Dalloz, 2001.
(1700) 1er ex. : le Conseil d’État (CE, Ass., 7 juill. 1950, Dehaene, D. 1950, 538, n. A. Gervais ;
JCP G, 1950.II.5681, concl. Gazier ; S. 1950, 3, 109, obs. J.-D. ; RDP 1950, p. 691, concl. Gazier,
n. M. Waline) puis la Cour de cassation (Cass. soc., 28 juin 1951, Dr. social 1951, p. 532 ;
Cass. soc., 25 avr. et 26 juin 1952, Dr. social 1953, p. 533 ; Cass. soc., 5 mars 1953, D. 1954, 109 ;
JCP, 1953.II.7553) se sont référés à l’alinéa 7 du Préambule de 1946 (« Le droit de grève s’exerce
dans le cadre des lois qui le réglementent ») bien avant que le Conseil constitutionnel ne
reconnaisse à ce dernier une valeur juridique, en 1971 (v. supra, no 338, en note). 2e ex. : la Cour de
cassation s’est conféré, sur le fondement de l’art. 66 Const. (« L’autorité judiciaire, gardienne de la
liberté individuelle [...] »), le pouvoir d’apprécier la régularité des contrôles d’identité
administratifs en méconnaissant le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs
(Cass. crim., 25 avr. 1985, Bogdan et Vuckovic, JCP G, 1985.II.20465, concl. H. Dontenwille, n. W.
Jeandidier), même si cette jurisprudence trouve un appui fragile dans celle du Conseil constitutionnel
(Cons. const., 12 janv. 1977, Loi autorisant la visite des véhicules, décis. no 76-75 DC, D. 1978,
173, n. J. Léauté).
(1701) Ex. : Cass. 1re civ., 10 juin 1986, JCP G, 1986.II.20683, rap. P. Sargos ; RFDA 1987, p. 92,
n. J. Buisson : « Vu l’article L. 781-1 (anc.) C. org. jud., les principes régissant la responsabilité de
la puissance publique et, notamment, le principe constitutionnel de l’égalité devant les charges
publiques » ; Cass. Ass. plén., 30 juin 1995, JCP G, 1995.II.22478, concl. M. Jéol ; D. 1995, 513,
concl. M. Jéol, n. R. Drago : « Vu le principe du respect des droits de la défense ; la défense
constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel » ; Cass. soc.,
19 nov. 1996, Dr. social 1997, p. 95, obs. G. Couturier : « Vu l’article 7 de la loi des 2-17 mars
1791 et le principe constitutionnel de la liberté du travail ». Cass. crim., 9 déc. 1981, D. 1983,
352, n. W. Jeandidier : « En vertu du principe constitutionnel qui garantit l’indépendance des
magistrats du siège, leurs décisions juridictionnelles (ne peuvent être) constitutives par elles-
mêmes d’un crime ou d’un délit ».
(1702) * CE, Ass., 3 juill. 1996, Moussa Koné, D. 1996, 509, n. F. Julien-Laferrière ; LPA, 20 déc.
1996, no 153, p. 19, n. G. Pellissier ; JCP G, 1996.II.22720, n. X. Prétot ; AJDA 1996, p. 805 et chr.
D. Chauvaux et T.-X. Girardot, p. 722 ; RFDA 1996, p. 870, concl. J.-M. Delarue et obs. de
L. Favoreu, P. Gaïa, H. Labayle et P. Delvolvé ; RDP 1996, p. 1751, n. C. Braud ; RGD int. publ.
1997, p. 237, n. D. Alland ; adde B. MATHIEU et M. VERPEAUX, D. 1997, chr. 219 ; E. PICARD, Rev.
adm. 1999, no 1, p. 15. L’arrêt invente le « principe fondamental reconnu par les lois de la
République selon lequel l’État doit refuser l’extradition d’un étranger lorsqu’elle est demandée
dans un but politique ». Le premier PFRLR (la liberté d’association) avait été reconnu par le
Conseil d’État bien avant la décision du Conseil constitutionnel de 1971 (CE, Ass., 11 juill. 1956,
Amicale des Annamites de Paris, Rec. CE, p. 317).
(1703) Cons. const., 16 janv. 1962, décis. no 62-18 L, S. 1963, 303, n. L. Hamon. Adde Cons. const.,
8 juill. 1989, décis. no 89-258 DC, JCP G, 1990.II.21409, n. C. Franck, étendant l’autorité de la
chose jugée par le Conseil aux dispositions d’une loi qui, « bien que rédigées sous une forme
différente, ont, en substance, un objet analogue » à celles précédemment censurées.
(1704) Ex. : Cons. const., 5 août 1993, Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, décis.
no 93-323 DC (à rapprocher de : Cass. crim., 10 nov. 1992, D. 1993, 36, n. D. Mayer). La Cour de
cassation est d’autant plus encline à l’adopter qu’elle en est l’inspiratrice (Cass. 2e civ., 28 juin
1995, D. 1996, 102, n. F. Julien-Laferrière).
(1705) Cette indépendance n’est pas remise en cause par la « réunification » (formelle) du droit
public applaudie par la doctrine publiciste depuis que, dans les années 1990, le Conseil d’État a
entrepris de se référer aux textes constitutionnels. Cf. R. CHAPUS, Droit administratif général,
Montchrestien, 15e éd., 2001, no 14.
(1706) V., pour des exemples de transposition littérale d’un motif du Conseil constitutionnel même en
dehors du contexte normatif de sa saisine : Cass. crim., 1er févr. 1990, Bull. crim., no 56, cité supra,
no 284 ; Cass. com., 15 mai 1990, Bull. civ. IV, no 151, cité supra, no 305, en note.
(1707) Ex. : Cass. soc., 25 mars 1998, Bull. civ. V, no 175 : « Vu l’article 62 de la Constitution ; les
décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles ; par décision du 28 décembre 1990, le Conseil constitutionnel
a décidé que la (CSG entre) dans la catégorie des impositions de toute nature au sens de
l’article 34 de la Constitution ».
(1708) Const., art. 53 : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs
à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des
dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, [...] ne peuvent être
ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». V. Cass. 1re civ., 29 mai 2001, Bull. civ. I, no 149 : « Il
appartient au juge de vérifier la régularité de la ratification des traités internationaux » ; l’accord
franco-sénégalais du 16 février 1994 n’ayant pas été ratifié par une loi bien qu’il touchât aux
principes fondamentaux du régime de propriété, il n’a pas été régulièrement approuvé au sens de
l’art. 55 Const. (l’arrêt opère un revirement à la suite du Conseil d’État : CE, Ass., 18 déc. 1998,
Blotzheim et Haselaecker, Rec. CE, p. 483). De même, en l’absence de ratification, la simple
publication au JO de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ne lui a pas conféré
de valeur obligatoire (CE, 3 févr. 1999, Nodière, RFDA 1999, p. 435). Mais, dès lors que la
ratification ou approbation a été autorisée par une loi, la théorie de la loi écran (supra, no 337)
interdit au juge de se prononcer sur le moyen tiré de que cette loi serait contraire à la Constitution
(CE, 8 juill. 2002, Cne de Porta, LPA, 20 févr. 2003, no 37, p. 20).
(1709) L’acte international peut entrer en vigueur à une date antérieure à celle de sa publication, de
façon rétroactive (v. concl. P. FOMBEUR sous CE, 28 juill. 2000, JCP G, 2001.II.10521).
(1710) Const. 27 oct. 1946, art. 25 : « Les traités régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi
dans le cas même où ils seraient contraires à des lois internes françaises [...] ».
(1711) Ex. : Cass. civ., 4 févr. 1936, DH 1936, 145 : « Vu l’article 19 de la loi du 30 juin 1926 ; les
dispositions de ce texte refusant aux commerçants ou industriels de nationalité étrangère, établis
en France, le bénéfice de la loi du 30 juin 1926 (sur la propriété commerciale) réservent
nécessairement le cas où l’étranger peut invoquer une convention internationale le dispensant de
cette dernière condition ».
(1712) Cass. civ., 22 déc. 1931, Sanchez, DP 1931, 1, 113, concl. P. Matter, n. A. Trasbot ; S., 1932,
1, 157, n. J.-P. Niboyet. V. les conclusions demeurées célèbres du procureur Matter : « Vous ne
connaissez ou ne pouvez connaître d’autre volonté que celle de la loi, c’est le principe même sur
lequel reposent nos institutions judiciaires ». Cette règle fut appelée la « jurisprudence Matter » (il
y a d’autres jurisprudences « Matter », notamment une sur les clauses monétaires. V. Droit des
obligations, coll. Droit civil).
(1713) CE, 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France (dit :
« jurisprudence des semoules »), D. 1968, 285, n. M. L. ; JCP G, 1968.II.15675 ; Rev. crit.
DIP 1968, p. 516, n. R. Kovar ; AJDA 1968, p. 235, concl. N. Questiaux ; RGD int. publ. 1968,
p. 1128, n. C. Rousseau : le Conseil d’État avait décidé d’appliquer une ordonnance à valeur
législative sans vérifier sa conformité (douteuse) à un règlement communautaire. En revanche, la
supériorité des traités sur les règlements fut admise, dans le recours pour excès de pouvoir, après
l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 (CE, Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood, RDP 1952,
p. 781, concl. M. Letourneur, n. M. Waline).
(1714) Cons. const., 15 janv. 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, décis.
no 74-54 DC, D. 1975, 529, n. L. Hamon. Le Conseil considère que ses décisions relevant du contrôle
de constitutionnalité « revêtent un caractère absolu et définitif » tandis que « la supériorité des
traités sur les lois, dont le principe est posé à l’article 55 (Const.), présente un caractère à la fois
relatif et contingent, tenant, d’une part, à ce qu’elle est limitée au champ d’application du traité
et, d’autre part, à ce qu’elle est subordonnée à une condition de réciprocité dont la réalisation
peut varier selon le comportement du ou des États signataires et le moment où doit s’apprécier le
respect de cette condition » ; « une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à
la Constitution ». En conséquence, la loi sur l’avortement n’a pas été jugée contraire au droit à la vie
proclamé par l’art. 2 Conv. EDH. L’argument n’a jamais convaincu car le droit européen (CEDH et
droit de l’Union européenne) s’applique sans condition de réciprocité. Sur la condition de
réciprocité, v. infra, nº 342.
(1715) ** Cas. ch. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre, D. 1975, 497, concl. A. Touffait ; JCP G,
1975.II.18180 bis, concl. A. Touffait ; Rev. crit. DIP 1975, 124, n. P. Lagarde et 1976, p. 347, n. P.
Lagarde et D. Holleaux ; JDI 1975, p. 801, n. D. Ruzié ; RDP 1975, p. 1335, n. L. Favoreu et
L. Philip ; AJDA 1975, p. 567, n. J. Boulouis ; RTD eur. 1975, p. 336, concl. A. Touffait ; Cah. dr.
eur. 1975, p. 632, n. R. Kovar ; RGD int. publ. 1976, p. 347, n. J. Foyer et D. Holleaux et p. 960,
n. Ch. Rousseau. Adde : F.-Ch. JEANTET, « La Cour de cassation et l’ordre juridique communautaire »,
JCP G, 1975.I.2743. L’arrêt reconnaît que le Traité fondateur de la Communauté européenne a
institué « un ordre juridique propre intégré à celui des États membres ».
(1716) ** CE, Ass., 20 oct. 1989, Nicolo, JCP G, 1989.II.21371, concl. B. Frydman ; D. 1990, 135,
n. P. Sabourin ; RFDA 1989, p. 813, concl. B. Frydman, n. B. Genevois ; RTD eur. 1989, p. 787, n. G.
Isaac ; AJDA 1989, p. 788, n. Simon ; Rev. Marché commun 1990, p. 384, n. J.-F. Lachaume ; RGD
int. publ. 1990, p. 91, n. J. Boulouis ; Rev. crit. DIP 1990, p. 139, n. P. Lagarde ; RTD eur. 1989,
p. 771, n. G. Isaac. Adde les chr. de H. CALVET, JCP G, 1990.I.3429 ; R. KOVAR, D. 1990, chr. 57 ;
L. FAVOREU, RFDA 1989, p. 993 et L. DUBOUIS, ib., p. 1 000. L’incompatibilité de la loi avec un traité
international peut apparaître après son entrée en vigueur, à la suite d’un changement des circonstances
de droit, mais non de fait (CE, 2 juin 1999, Meyet, RFDA 1999, p. 873 ; RDP 2000, p. 563, n. G.
Desmoulin : la L. 19 juill. 1977 qui interdit les sondages dans la semaine précédant un scrutin n’est
pas contraire à l’art. 10 Conv. EDH quoique la diffusion de sondages à l’étranger sur internet la
rende obsolète).
(1717) Ph. MALAURIE, « La jurisprudence combattue par loi [...] », Defrénois 2005, art. 38203,
p. 1205.
(1718) Ex. : Cass. crim., 12 déc. 2007, Dr. pén. 2008, comm. 34 : l’appréciation de la conformité de
sanctions fiscales, édictées par le Code général des impôts, avec le « principe conventionnel de
proportionnalité relève du contrôle de leur constitutionnalité » et échappe donc à la compétence du
juge judiciaire.
(1719) CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, aff. C. 46 et 48/93, Rec. CJCE,
p. 1029 : la violation d’une obligation découlant du droit communautaire ouvre droit au profit des
particuliers à exercer une action en responsabilité contre l’État défaillant. Cette action relève du droit
national (qui ne doit pas l’entraver) et est soumise à trois conditions : la règle violée doit conférer
des droits aux particuliers, sa violation doit être suffisamment caractérisée et un lien de causalité
direct doit exister entre cette violation et le dommage. Ex. : Cass. com., 21 févr. 1995, Bull. civ. IV,
no 52 : constitue une faute lourde au sens de l’art. L. 781-1 (devenu art. L. 141-1) C. org. jud.
l’adoption d’une circulaire du ministre de la Justice, invitant les procureurs de la République à
engager des poursuites pénales, qui déforme le sens d’arrêts de la CJCE. Adde CJCE, 19 nov. 1991,
Francovich, aff. C. 6 et 9/90, cité infra, no 345 (en cas de non-transposition de directives).
(1720) CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, aff. C. 224/01, Rec. CJCE, p. 10239.
(1721) CE, 14 janv. 1938, SA des produits laitiers La Fleurette, Rec. CE, p. 25.
(1722) CE, Ass., 30 mars 1966, Cie Gale d’énergie radio-électrique, Rec. CE, p. 257 ; CE, 11 févr.
2011, Dr. adm. 2011, 42, n. F. Melleray ; JCP G, 2011, 625, n. M.-C. Rouault (seulement la
3e application positive de cette jurisprudence en 50 ans). – CE, 23 juill. 2014, Dr. adm. 2015, 9 : au
nombre de ces engagements internationaux « figure le respect des principes de sécurité juridique et
de confiance légitime » reconnus par le droit de l’Union européenne.
(1723) CE, Ass., 8 févr. 2007, Gardedieu, JCP G, 2007, II, 10045, n. M.-C. Rouault ; adde chron.
M. GAUTIER et F. MELLERAY, Dr. adm. 2007, Études, 7. V. aussi infra, no 450 (sur les obstacles
insidieux dressés par le juge national aux questions préjudicielles).
(1724) CE, 18 juin 2008, Robert G., Dr. adm. 2008, 120, n. M. Gautier : la responsabilité de l’État
pour faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ouvre droit à indemnité
même si la faute lourde découle du contenu d’une décision définitive (cas normalement exclu par :
CE, ass., 29 déc. 1978, Darmont) dès lors que cette décision est « entachée d’une violation
manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers » (selon
les termes de : CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, précité). C’est une nouvelle exception à la
jurisprudence Darmont, à l’image de celle introduite afin d’assurer le respect de l’art. 6 § 1 Conv.
EDH (CE, ass., 28 juin 2002, Magiera, cité supra, no 175 en note).
(1725) 1er ex. : CE, 20 avr. 1984, Valton et Crépeaux, Rec. CE, p. 148 : l’art. 4, § 4, de la Charte
sociale européenne du 18 oct. 1961 selon lequel « les parties contractantes s’engagent [...] à
reconnaître le droit de tous les travailleurs à un délai de préavis raisonnable, dans le cas de
cessation de l’emploi [...] ne produit pas d’effet direct à l’égard des nationaux des États
contractants ». 2e ex. : CE, 5 mai 2000, RJS 7-8/00, no 888 : ne produit pas d’effet direct à l’égard
des particuliers l’art. 11, § 1, PIDCP selon lequel les États prennent les mesures appropriées pour
assurer la réalisation du « droit à un niveau de vie suffisant ». 3e ex. : Cass. crim., 5 mars 1998,
Bull. crim., no 88, écartant « la violation des Accords généraux sur les tarifs et le commerce, qui,
directement négociés par la Communauté, n’ont aucun effet direct dans les États membres ».
(1726) V. infra, nº 345, 2º (au sujet des directives européennes).
(1727) D. ALLAND, « L’applicabilité directe du droit international considérée du point de vue de
l’office du juge », RGD int. publ. 1998, p. 203.
(1728) Ainsi, la Cour de cassation considérait que « les dispositions de la Convention relative aux
droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 (la « CIDE », publiée par le D. 8 oct.
1990), ne peuvent être invoquées devant les tribunaux, cette Convention, qui ne crée des
obligations qu’à la charge des États parties, n’étant pas directement applicable en droit interne »
(Cass. 1re civ., 10 mars 1993, Le Jeune, D. 1993, 361, n. J. Massip). Elle avait réitéré cette
jurisprudence malgré de vives critiques en doctrine (v. not. Cl. NEIRINCK et P.-M. MARTIN, JCP G,
1993.I.3677 ; M.-Cl. RONDEAU-RIVIER, D. 1993, chr. 203 ; A.-D. OLINGA, RTDH 1995, p. 673). Le
Conseil d’État, au contraire, reconnaissait un effet direct (et du même coup une invocabilité directe) à
certaines dispositions de cette convention, pourtant peu précises (CE, 22 sept. 1997, Cinar, JCP G,
1998.II.10052 ; D. 1998, som., 297 et les références, annulant une décision préfectorale violant
l’art. 3 CIDE, lequel impose la prise en considération de « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans les
décisions des autorités publiques). Suivant la chambre criminelle de la Cour de cassation qui
appliquait déjà la CIDE (Cass. crim., 16 juin 1999, no 98-84.538, inédit), la première chambre civile
opéra un revirement (Cass. 1re civ., 18 mai et 14 juin 2005, JCP G, 2005, II, 10115, concl. C. Petit,
n. C. Chabert ; Cass. 1re civ., 8 et 22 nov. 2005, D. 2006, 554, n. Fr. Boulanger).
(1729) Ainsi, l’art. 12 de la CIDE (précitée) consacre le droit du mineur à être entendu dans les
procédures qui l’intéressent, ce dont le droit français ne se souciait guère à l’origine.
(1730) CE, ass., 11 avr. 2012, GISTI et FAPIL, nº 322326, RTD civ. 2012, p. 487, obs. P. Deumier
(avec les autres réf.) : une stipulation d’un traité « doit être reconnue d'effet direct par le juge
administratif lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du
traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les
relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des
effets à l'égard des particuliers ; l'absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule
circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l'obligation qu'elle
définit ». – CE, 27 oct. 2015, nº 393026, Dr. adm. 2016, 12, n. G. Eveillard, qui ajoute une
restriction à l’effet direct des traités : le juge ne peut être saisi « d’un moyen tiré de ce que la
procédure d’adoption de la loi n’aurait pas été conforme aux stipulations » d’un traité (pourtant,
l’art. 55 Constit. ne limite pas la primauté des traités aux questions de légalité interne).
(1731) Cass. soc., 16 déc. 2008, Bull. civ. V, no 251 : est « directement applicable en droit interne »
l'article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) du
16 décembre 1966 « qui garantit le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa
vie par un travail librement choisi ou accepté ». Ce Pacte renferme d’autres dispositions très
vagues, manifestement inapplicables en droit interne.
(1732) Ex. : Cass. 1re civ., 25 avr. 2006, JCP G, 2007, II, 10179, n. G. Mahinga : « si les résolutions
du Conseil de Sécurité des Nations Unies s'imposent aux États membres, elles n'ont, en France,
pas d'effet direct tant que les prescriptions qu'elles édictent n'ont pas, en droit interne, été rendues
obligatoires ou transposées ; à défaut, elles peuvent être prises en considération par le juge en
tant que fait juridique ».
(1733) Ex. : CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, JCP G, 1997.II.22945, n. G. Teboul ; RFDA 1997,
p. 1068, concl. G. Bachelier : ni l’art. 55 Const. ni l’al. 14 du Préambule de 1946 « ne prescrit ni
n’implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi » ; CE,
28 juill. 2000, D. 2001, 387, écartant « même un principe général de droit international ».
V. toutefois : CE, 23 oct. 1987, sté Nachfolger Navigation Company Ltd, RDP 1988, p. 836, n. J.-
M. Auby ; RFDA 1987, p. 963, concl. J. Massot ; RFDA 1988, p. 345, n. D. Ruzié, énonçant qu’une
autorité publique maritime a pu ordonner la destruction d’une épave dangereuse en haute mer « sans
méconnaître aucun principe de droit international » ; CE, 14 oct. 2011, Dr. adm. 2011, 101, qui
engage la responsabilité de l’État français au titre du préjudice grave et spécial causé par
l’application de la « règle coutumière du droit public international » de l’immunité d’exécution des
États étrangers ; CE, Ass., 23 déc. 2011, JCP E, 2011, 1101, Annexe, évoquant les « principes du
droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales ». Cf.
O. DEBBASCH, « Les juridictions françaises et les principes généraux du droit international »,
Mélanges J. Boulouis, « L’Europe et le droit », Dalloz, 1991, p. 139 ; G. TEBOUL, « Nouvelles
réflexions sur le droit international non écrit dans la jurisprudence du juge administratif et du juge
judiciaire », RDP 2001, p. 122.
(1734) * Cass. crim., 13 mars 2001, Khadafi, D. 2001, 2631, n. J.-F. Roulot : « Vu les principes
généraux du droit international ; la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’État en
exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties
concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un État étranger »
(confirmation de l’ordonnance de refus d’informer prise en faveur du colonel Kadhafi, alors chef de
l’État lybien).
(1735) Il déclare inopérant le moyen pris de la violation de principes généraux du droit
communautaire soit parce que l’acte attaqué « n’est pas au nombre des actes pris par le
gouvernement français pour la mise en œuvre du droit communautaire », soit parce que la matière
est « uniquement régie par le droit interne ». Dans les deux cas, ces principes ne s’incorporent pas
complètement au droit interne : ils y sont tolérés et parqués dans le champ du droit communautaire.
Cf. J.-M. MAILLOT, La théorie administrativiste des principes généraux du droit. Continuité et
modernité, Dalloz, 2003, nos 307 s.
(1736) J.-M. MAILLOT, préc. nos 286 s.
(1737) Cons. const., 30 déc. 1980, Loi de finances pour 1981, décis. no 80-126 DC, JCP G,
1984.II.20160 : « La règle de réciprocité [...], si elle affecte la supériorité des traités ou accords
sur les lois, n’est pas une condition de la conformité des lois à la Constitution » (le législateur peut
donc harmoniser la législation avec un traité qui n’est pas appliqué par tous les États parties).
(1738) CE, Ass., 29 mai 1981, Rekhou, D. 1982, 137, n. G. Calonnec ; Rev. crit. DIP 1982, p. 65,
n. P. Lagarde ; RDP 1981, p. 1707, concl. J.-F. Théry.
(1739) CEDH, 13 févr. 2003, Chevrol c/France, D. 2003, 931, n. H. Moutouh ; AJDA 2003, p. 308,
n. C. de Montecler et p. 1984, n. T. Rambaud, qui ne condamne pas le principe du renvoi au ministre
des Affaires étrangères mais la position du Conseil d’État qui s’était considéré comme lié par cet
avis sans « prendre en compte des éléments de fait qui pouvaient être cruciaux pour le règlement in
concreto du litige » ; partant, la cause « n’a pas été entendue par un « tribunal » de pleine
juridiction » au sens de l’art. 6 Conv. EDH : condamnation de la France.
(1740) CE, 9 juill. 2010, Cheriet-Benseghir, Dr. adm. 2010, 131, n. M. Gautier.
(1741) Cass. 1re civ., 6 mars 1984, Bull. civ. I, no 85 ; Rev. crit. DIP 1985, p. 108, n. G. Droz ; JDI
1984, p. 859, n. J. Chappez : « en l’absence d’initiative prise par le gouvernement pour dénoncer
une convention, il n’appartient pas aux juges d’apprécier le respect de la condition de réciprocité
prévue dans les rapports entre États par l’article 55 de la Constitution ». Dans le même sens :
Cass. 1re civ., 16 févr. 1994, Bull. civ. I, no 65 ; Cass. 1re civ., 23 mars 1994, Bull. civ. I, no 105 : « Le
fait qu’aux termes de la lettre du ministre des Affaires étrangères du 13 décembre 1979, le
gouvernement vietnamien ne s’estimait pas lié par les Accords conclus en 1954 entre la France et
l’ex-République du Vietnam, avait pour conséquence de priver, désormais, ces accords d’une
autorité supérieure à celle de la loi du 31 décembre 1971 » relative à l’exercice de la profession
d’avocat. Adde S. LEMAIRE, « Le juge judiciaire et le contrôle de la réciprocité dans l’application des
traités internationaux », D. 2007, chr., 2322.
(1742) Ch. réunies 27 avr. 1950, JCP, 1950.II.5650, n. P. Lerebours-Pigeonnière ; S., 1950, 1, 165,
concl. Rey, n. J.-P. Niboyet (v. déjà : Cass. civ., 24 juin 1839, DP 1839, 1, 257 ; S., 1839, 1, 577). La
Cour de cassation considérait même que « l’ordre public monétaire » relevait de la politique
étrangère (Cass. com., 7 mars 1983, JCP G, 1984.II.20213). En droit administratif : CE, 23 juill.
1823, Princesse Murat, Rec. CE, p. 545 : « Il s’agit de l’application de l’acte diplomatique du
15 juillet 1806 et les questions auxquelles peut donner lieu l’interprétation desdits actes ne
peuvent être portées devant nous, en notre Conseil d’État, par voie contentieuse ».
(1743) Conseil d’État : CE, 29 juin 1990, GISTI, Rec. CE, p. 171, concl. R. Abraham ; D. 1990,
560, n. P. Sabourin ; JCP G, 1990.II.21579, n. J. Tercinat ; AJDA 1990, p. 621, concl. R. Abraham,
n. G. Teboul ; RDP 1990, p. 1579, n. F. Sabiani ; RFDA 1990, p. 923, n. J.-F. Lachaume ; JDI 1990,
p. 965, n. F. Julien-Laferrière ; RGD int. publ. 1991, p. 109, n. M.-F. Buffet-Tchakaloff. Cour de
cassation : Cass. soc., 29 avr. 1993, Gaz. Pal. 1994, 1, 279, concl. Y. Chauvy ; * Cass. 1re civ.,
19 déc. 1995, Banque africaine de développement, Bull. civ. I, no 470 : « Il est de l’office du juge
d’interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen sans qu’il
soit nécessaire de solliciter l’avis d’une autorité non juridictionnelle ». Cette formule a pour
origine un arrêt de la CEDH : CEDH, 24 nov. 1994, Beaumartin c/France, Série A, no 296-B ;
D. 1995, 273, n. X. Prétot, jugeant la jurisprudence du Conseil d’État (antérieure au revirement de
l’arrêt GISTI) contraire à l’art. 6, § 1, Conv. EDH au motif qu’une juridiction s’estimant liée par
l’interprétation du ministre des Affaires étrangères n’était pas un tribunal indépendant du pouvoir
exécutif.
(1744) Cass. crim., 11 févr. 2004, Bull. crim., no 37 (qui reprend la formule citée supra à la note
précédente). – Cass. crim., 15 janv. 2014, Dr. pén. 2014, 113. Contra auparavant : Cass. crim.,
24 mars 1953 (deux arrêts), D. 1953, 365 et 425, n. R. Savatier ; JCP, 1953.II.7659, n. A. Weill ; Rev.
crit. DIP 1953, p. 573, n. J. Brouchot ; JDI 1953, p. 644, n. B. Goldman : « Les conventions
internationales sont des actes de Haute administration qui ne peuvent être interprétés [...] que par
les puissances entre lesquelles elles sont intervenues ».
(1745) Cass., avis, 16 déc. 2002, Bull. civ. Avis, no 6 (à propos de la Conv. EDH). Sur la saisine
pour avis, v. supra, no 163.
(1746) V. infra, no 447.
(1747) * CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran, RFDA 1998, p. 1081, concl. C. Maugüé ; RDP 1999,
p. 919, n. J.-F. Flauss ; D. 2000, 152, n. E. Aubin ; RTD civ. 1999, p. 232, obs. N. Molfessis ; adde
RFDA 1998, p. 1094, chr. D. Alland ; RFDA 1999, p. 57, chr. L. Dubouis, p. 67, chr. B. Mathieu et
M. Verpeaux, p. 77, chr. O. Gohin ; RRJ 1999, p. 285, chr. J.-Cl. Ricci ; Europe mars 1999, p. 4, chr.
D. Simon ; RTD eur. 1999, p. 395, chr. F. Chaltiel : « La suprématie conférée aux engagements
internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de valeur
constitutionnelle » ; est, en conséquence, rejeté le grief tiré de la non-conformité au Pacte
international sur les droits civils et politiques et à la Convention européenne des droits de l’homme
du D. 20 août 1998 relatif à la consultation des populations de Nouvelle-Calédonie (qui
surreprésente les Canaques dans le corps électoral), pris en application de la L. 9 nov. 1988 à
laquelle l’art. 76 Const. (issu de la L. constit. 20 juill. 1988) a octroyé une valeur constitutionnelle.
La Constitution fait « écran » entre le juge et le décret (de simple exécution). La Cour de cassation a
repris cette formule à la lettre (toujours dans la question calédonienne) : Cass. Ass. plén., 2 juin
2000, D. 2000, 865 ; JCP G, 2001.II.10453.
(1748) V. supra, no 338.
(1749) D. ALLAND, « Consécration d’un paradoxe : primauté du droit interne sur le droit
international », RFD adm. 1998, p. 1094. La conception du monisme avec supériorité du droit
international n’a pas de sens en droit interne.
(1750) CJCE, 15 juill. 1964, Flaminio Costa c/E.N.E.L., aff. 6/64 (cité infra, no 345, en note). Le
Conseil constitutionnel a lui-même affirmé qu’une « loi organique (devrait) respecter les
prescriptions édictées à l’échelon de la Communauté européenne », en vertu du renvoi opéré par
l’art. 88-3 Const. (Cons. const., 2 sept. 1992, Traité sur l’Union européenne, décis. no 92-312 DC.
Adde à propos de cette décision : E. PICARD, « Vers l’extension du bloc de constitutionnalité au droit
européen ? », RFDA 1993, p. 47).
(1751) CEDH, 28 oct. 1999, Zielinski c/France, cité supra, no 306.
(1752) Cons. const., 10 juin 2004, cité infra, no 347.
(1753) Il y avait à l’origine trois « Communautés européennes » : la Communauté économique (CE),
la CECA (CE du charbon et de l’acier) et EURATOM (CE de l’énergie atomique, qui subsiste seule
après le traité de Lisbonne).
(1754) Le deuxième pilier de l’Union européenne résultait de la « politique étrangère et de sécurité
commune » ou PESC (TUE, Titre V) et le troisième pilier de la « coopération policière et judiciaire
en matière pénale » (TUE, Titre VI). L’Union européenne était confédérale et à caractère « inter-
gouvernemental » : au sein de ses institutions, les décisions se prenaient à l’unanimité. La
Communauté européenne était de nature fédérale : les institutions communautaires statuaient en
principe à la majorité qualifiée (Conseil) ou simple (Commission). C’est ce dernier modèle que
généralise le traité de Lisbonne.
(1755) C. HAGUENAU, L’application effective du droit communautaire en droit interne, Bruylant,
1995.
(1756) * CJCE, 15 juill. 1964, Flaminio Costa c/ENEL, aff. 6/64, Rec. CJCE, p. 1141, spéc.
p. 1158 : « Issu d’une source autonome, le droit communautaire né du traité ne pourrait donc, en
raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il
soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de
la Communauté elle-même ». Ce principe a pour présupposés logiques le principe de l’applicabilité
directe du droit communautaire en droit interne (CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend En Loos, aff. 26/62,
Rec. CJCE, p. 1 ; D. 1963, 621, n. J. Bréban ; JCP G, 1963.II.13177, n. F.-C. Jeantet) et le principe
de l’unité de l’ordre juridique communautaire.
(1757) V. supra, nº 340.
(1758) V. supra, no 340.
(1759) ** CE, Ass., 20 oct. 1989, Nicolo, préc.
(1760) CE, 24 sept. 1990, Boisdet, Rec. CE, p. 250 ; RFDA 1991, p. 172, n. L. Dubouis.
(1761) CE, Ass., 28 févr. 1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France,
Rec. CE, p. 80, concl. M. Laroque ; JCP G, 1992.II.21859, n. G. Teboul. L’autorité administrative
compétente saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement contraire à une directive est
tenue d’y déférer (CE, Ass., 3 févr. 1989, Cie Alitalia, Rec. CE, p. 44 ; AJDA 1989, p. 387 ; RFDA
1989, p. 391 ; RJF 3/1989, no 299 et concl. N. Chahid-Nouraï, p. 125).
(1762) Ex. : Cass. crim., 29 mars 2000, Bull. crim., no 147, au sujet d’une décision du Comité mixte
CE/Danemark-Îles Féroe fixant le prix du saumon : « les décisions d’un organe créé par une
convention conclue entre la Communauté et un État (tiers) ont une valeur supérieure à celles des
lois internes ».
(1763) Ex. : Cass. com., 20 oct. 1998, Bull. civ. IV, no 253 : « Vu l’article 55 de la Constitution ; il
résulte de la jurisprudence de la CJCE (Simmenthal, 9 mars 1978, aff. 106/77, cité infra, nº 346)
que serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire,
toute disposition d’un ordre national ou toute pratique législative, administrative ou judiciaire,
qui aurait eu pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au
juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application,
tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant
éventuellement obstacle, même temporaire, à la pleine efficacité des normes communautaires ».
(1764) Traité FUE, art. 288, al. 2 : « Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans
tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre ».
(1765) Traité FUE, art. 288, al. 4 : « La décision est obligatoire dans tous ses éléments. [...] ».
(1766) Traité FUE, art. 288, al. 3 : « La directive lie tout État membre destinataire quant au
résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et
aux moyens ». Les moyens idoines sont la loi et le règlement (voire une convention collective
nationale, en droit du travail) ; une pratique administrative, une circulaire ou une jurisprudence
n’offrent pas la sécurité juridique à laquelle les sujets de droit peuvent prétendre.
(1767) C. ZOLYNSKI, Méthode de transposition des directives communautaires. Étude à partir de
l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins, th. Paris II, Dalloz, 2007, préf. P.-Y. Gautier.
(1768) CJCE, 18 déc. 1997, Inter-Environnement Wallonie, aff. C. 129/86, Rec. CJCE, p. 7411 ;
AJDA 1998, p. 451, n. Couvert-Castéra.
(1769) CJCE, 19 nov. 1991, Francovich, aff. C. 6 et 9/90, Rec. CJCE, p. 5357 ; JCP G,
1991.II.21783. Dépassant la jurisprudence communautaire, le Conseil d’État a consacré d’une façon
générale la responsabilité pour faute de l’État qui adopte une loi en méconnaissance de ses
engagements internationaux (CE, Ass., 8 févr. 2007, Gardedieu, cité supra, no 340 in fine). V. aussi
infra, no 450 (sur les obstacles dressés par le juge national aux questions préjudicielles).
(1770) V., pour plus de détails, CJCE, 12 juill. 1990, Foster, aff. C. 188/89, Rec. CJCE, p. 3313.
(1771) CJCE, 26 févr. 1986, Marshall, aff. 152/84, Rec. CJCE, p. 723 (un salarié ne peut invoquer
la directive contre son employeur que si celui-ci est l’État) ; CJCE, 14 juill. 1994, Faccini Dori, aff.
C. 91/92, JCP G, 1995.II.22358, n. P. Level.
(1772) Sur ces diverses solutions, v. CJCE, 19 janv. 1982, Becker, aff. 8/81, Rec. CJCE, p. 53.
(1773) CJCE, 22 nov. 2005, Mangold, aff. C. 144/04, JCP G, 2006, II, 10107, n. O. Dubos, qui
impose, de façon inédite, aux juridictions nationales de laisser « inappliquée toute disposition
éventuellement contraire de la loi nationale, et ce alors même que le délai de transposition de la
directive n’est pas encore expiré », qui plus est dans une relation horizontale (employeur-salarié),
mais pour assurer le respect du principe général de non-discrimination en raison de l’âge.
(1774) Cass. soc., 17 févr. 2010, JCP S, 2010, 1170 (prescriptions d’une directive sur le temps
minimal de repos des salariés).
(1775) CJUE, 15 janv. 2014, aff. C. 176/12, Assoc. de médiation sociale, pt 49, D. 2014, 705, n. S.
de La Rosa : bien que l’art. 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
garantisse aux salariés « une information et une consultation en temps utile » et que la directive
nº 2002/14 du 11 mars 2002 ait consacré un « droit à l’information et à la consultation des
travailleurs », l’article de la Charte ne peut être invoqué dans un litige entre particuliers afin de
laisser inappliquée la disposition du Code du travail français qui est incompatible avec cette
directive. La différence avec la jurisprudence précitée tient à ce que le principe de non-
discrimination en fonction de l’âge « se suffit à lui-même pour conférer aux particuliers un droit
subjectif invocable en tant que tel » (pt 47).
(1776) CE, Ass., 22 déc. 1978, Rec. CE, p. 524 ; D. 1979, 161, concl. B. Genevois, n. B. Pacteau ;
JDI 1979, p. 591, n. B. Goldman ; JCP G, 1979.II.19158, n. R. Kovar.
(1777) Ce que le Conseil constitutionnel a affirmé en 2004 (v. infra, no 347).
(1778) CE, Ass., 30 oct. 2009, no 298348, Perreux : JCP G, 2009, 542, n. S. Corneloup ; adde M.
GAUTIER, Dr. adm. 2009, Étude, 21. Une magistrate exerçant des activités syndicales contestait son
refus de nomination à un poste d’enseignant à l’ENM et invoquait le bénéfice d’une directive contre
les discriminations.
(1779) CJCE, 10 avr. 1984, Von Colson et Kamann, aff. 14/83, Rec. CJCE, p. 1891 ; CJCE, 13 nov.
1990, Marleasing, aff. C. 106/89, Rec. CJCE, p. 4135 ; JCP G, 1991.II.21658 (cité dans le texte,
précisant que l’interprétation conforme s’applique aux textes aussi bien antérieurs que postérieurs à
la directive) ; CJCE, 27 juin 2000, Oceano Grupo Editorial, aff. C. 240 et 244/98, JCP G,
2001.II.10513.
(1780) Ex. : Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, Bull. civ. I, no 304 (reprenant la formule de l’arrêt Von
Colson, précité) ; Cass. 1re civ., 28 avr. 1998, Bull. civ. I, no 158 : « Vu les art. 1147 et 1384, al. 1er,
[anciens] du C. civ., interprétés à la lumière de la directive [...] du 25 juillet 1985 » ; Cass. soc.,
7 juill. 1998, RJS 11/98, no 1346 ; Dr. social 1998, p. 948 : « Vu l’art. L. 122-12, al. 2, [anc., devenu
art. L. 1224-1] du C. trav. ; selon ce texte, tel qu’interprété au regard de la directive [...] du
14 février 1977 [...] » (l’arrêt reprend ensuite une formule empruntée à la CJCE). Par la suite, la
Cour s’est référée à une directive non transposée dont le délai de transposition n’était pas encore
expiré : Cass. soc., 10 oct. 2000, Bull. civ. V, no 320 (dir. no 98/50 du 29 juin 1998 modifiant celle du
14 févr. 1977, à transposer avant le 1er juill. 2001).
(1781) Ex. : CJCE, 26 sept. 1996, Arcaro, aff. C. 168/95, Rec. CJCE, p. 4705. L’arrêt excepte le cas
où l’interprétation conforme aboutirait à engager ou aggraver la responsabilité pénale – en l’absence
de loi de transposition – de celui qui a violé la directive : le principe de légalité des délits prime le
principe d’interprétation conforme.
(1782) CJCE, 11 juin 1987, Pretore di Salo, aff. C. 14/86, Rec. CJCE, p. 2545.
(1783) CJCE, 7 janv. 2004, aff. C. 60/02, Rec. CJCE, p. 651.
(1784) CJCE, 15 avril 2008, Impact, C. 268/06, Rec. p. I-2483, point 100.
(1785) Cass. soc., 17 déc. 2013, Bull. civ. V, nº 307. – Cass. 1re civ., 15 mai 2015, RTD civ. 2015,
p. 635, obs. P. Jourdain (avec les autres réf.) : « il résulte de la jurisprudence constante de la CJUE
(arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04 et du 15 avril 2008, Impact, C-268/06) que
l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et
applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du
droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette
obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ».
(1786) V. par ex. Cass. com., 22 oct. 2002, Bull. civ. IV, nº 147 et nº 150, appliquant « le principe de
la sécurité juridique » et « le principe du respect de la confiance légitime ».
(1787) CJCE, 28 mars 1979, Saunders, aff. 175/78, Rec., p. 1129. Pour les principes de sécurité
juridique et de confiance légitime, v. par ex. CJCE, 18 mai 2000, Max Rombi, aff. C. 107/97, Europe
2000/7, no 197.
(1788) CJCE, 17 juill. 1997, Leur-Bloem, aff. C. 28/95, D. 1998, 215, n. M.-C. Bergerès.
(1789) * CJCE, 15 juill. 1964, Flaminio Costa c/E.N.E.L., précité supra, nº 345.
(1790) Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, 9 arrêts dont un publié in Contrats Concurrence consommation
1993, no 12, comm. 220 ; n.p.b. : « Vu le principe de la primauté du droit communautaire ».
(1791) Cons. const., 30 déc. 1977, décis. no 77-90 DC : « La répercussion de la répartition des
compétences ainsi opérée entre les institutions communautaires et les autorités nationales au
regard tant des conditions d’exercice de la souveraineté nationale que du jeu des règles de
l’article 34 de la Constitution relatives au domaine de la loi ne sont que la conséquence
d’engagements internationaux souscrits par la France qui sont entrés dans le champ de
l’article 55 de la Constitution ». Les auteurs de la saisine contestaient l’applicabilité directe des
règlements communautaires, prévue par l’art. 189 anc. (art. 249 nouv.) du traité de Rome.
(1792) V., déjà en ce sens, les conclusions de l’avocat général Touffait sous l’arrêt Jacques Vabre
(préc. supra, no 340) : « Je vous demande de ne pas fonder votre argumentation sur l’article 55 de
la Constitution ; vous reconnaîtrez ainsi que le transfert opéré par les États de leur ordre
juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire dans la limite des droits et
obligations correspondant aux dispositions du Traité, entraîne une limitation définitive de leurs
droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible
avec la notion de Communauté ».
(1793) Cons. const., 20 déc. 2007, décis. no 2007-560 DC, Traité de Lisbonne, consid. no 7.
(1794) CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, Rec. CJCE, p. 629 ; AJDA 1978, p. 323, n. J.
Boulouis ; RTD eur. 1978, p. 540, concl. G. Reischl (repris par Cass. com., 20 oct. 1998, cité supra,
no 345, en note).
(1795) CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C. 432/05, Rec. CJCE, p. 2271 ; Cl. BLUMANN, D. 2007, chr.
175, qui s’appuie sur le « principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux
justiciables par le droit communautaire ».
(1796) CJCE, 16 mars 2006, Kapferer, aff. C. 234/04, Rec. CJCE, p. 2585.
(1797) Pour un panorama, cf. M. MASSÉ, « L’influence du droit communautaire sur le droit pénal
français », Rev. sc. crim. 1996, p. 935.
(1798) CJCE 13 sept. 2005, aff. C. 176/03, D. 2005, 3064, n. P.-Y. Monjal. – CJCE 23 oct. 2007, aff.
C. 440/05, JCP G, 2007, II, 10207.
(1799) CJCE, 22 oct. 1987, Foto-Frost, aff. 314/85, Rec. CJCE, p. 4199. Sous cette réserve, le
Conseil d’État a pu apprécier (et affirmer) la validité d’actes communautaires au regard d’autres
normes communautaires de droit dérivé ou de principes généraux du droit communautaire, en se
référant le cas échéant à des arrêts de la CJCE ; il transpose d’ailleurs à ces actes les cas d’ouverture
du recours pour excès de pouvoir (P. CASSIA, « Le juge administratif français et la validité des actes
communautaires », RTD eur. 1999, p. 409). En tout état de cause, l’incompétence du juge national ne
s’étend pas à la procédure de référé ou à la prise de mesures conservatoires (CJCE, 21 févr. 1991,
Zuckerfabrik, aff. 143/88, Rec. CJCE, p. 415).
(1800) Comp. P. CASSIA, art. cit., spéc. p. 420 et 427 et s. De plus, le Conseil d’État entrave par
divers artifices de droit interne la possibilité d’invoquer l’invalidité d’un texte communautaire dans
le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (soit en affirmant que l’acte administratif est
inattaquable dans la mesure où il ne fait pas grief – avis, lettre informative... –, soit en jugeant qu’il
n’est pas une mesure d’exécution de la norme communautaire). La CJCE exige pourtant des
juridictions internes qu’elles assurent la mise en œuvre des droits reconnus aux particuliers par le
droit communautaire ; le recours direct aux juridictions communautaires reste exceptionnel et
restreint.
(1801) Le juge ordinaire ne peut apprécier la constitutionnalité de la loi (v. supra, no 337) ni donc
d’un règlement qui l’applique fidèlement.
(1802) En principe, le juge ordinaire ne peut apprécier la constitutionnalité d’un traité international à
la place du Conseil constitutionnel (supra, no 343) ni donc d’un règlement français qui applique
fidèlement ce traité.
(1803) B. OPPETIT, « L’omnipotence technocratique et eurocratique », Droit et modernité, PUF, 1988,
p. 31.
(1804) Cons. const., 10 juin 2004, décis. no 2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l’économie
numérique. Cf. chron. B. GENEVOIS, RFDA 2004, p. 655 ; M. GAUTIER et F. MELLERAY, AJDA 2004,
p. 1537. L’interdiction s’applique aussi dans le cadre du contrôle a posteriori de constitutionnalité
(sur QPC) : Cass. soc., 15 févr. 2011, no 10-40063, n. pub. Bull.
(1805) Cons. const., 27 juill. 2006, décis. no 2006-540, Loi DADVSI, consid. 20. Sur la QPC,
v. supra, nos 334 s.
(1806) En 2013, le Conseil a accepté, pour la première fois, de poser une question préjudicielle à la
CJUE en dépit du court délai qui lui est imparti pour statuer (v. supra, nº 335 in fine).
(1807) Cons. const., 12 mai 2010, décis. no 2010-605 QPC, préc. supra, no 335, consid. no 19.
(1808) V. supra, no 340.
(1809) Cons. const., 30 mars 2006, décis. no 2006-535 DC, Loi pour l’égalité des chances, consid.
28 : « si la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence
constitutionnelle, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel [...] d'examiner la compatibilité
d'une loi avec les dispositions d'une directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de
transposer en droit interne ». Sur les décisions de 2004 et 2006, cf. Y. LAURANS, chron in RRJ 2007,
p. 691.
(1810) Cons. const., 10 juin 2004, préc.
(1811) Sur la situation après le traité de Lisbonne, infra, no 353.
(1812) S. PLATON, La coexistence des droits fondamentaux constitutionnels et européens dans
l’ordre juridique français, LGDJ, 2008, qui propose de résoudre les concours de normes en
recourant au « principe de faveur », comme en droit du travail.
(1813) Cons. const., 27 juill. 2006, décis. no 2006-540, Loi DADVSI, consid. 19. Solution transposée
dans le contrôle de constitutionnalité a posteriori (sur QPC) : Cons. const., 17 déc. 2010, décis.
no 2010-79 QPC.
(1814) Selon le Conseil d’État et la Cour de cassation, l’art. 55 Const. n’affirme pas la suprématie du
droit international sur la Constitution (v. supra, no 343).
(1815) V. supra, no 346.
(1816) La Cour de cassation et le Conseil d’État ont leur jurisprudence constitutionnelle. V. supra,
no 338.
(1817) CE, Ass., 8 févr. 2007, Sté Arcelor, RFDA, 2007, p. 384, concl. M. Guyomar ; D. 2007, 2272,
n. M. Verpeaux ; JCP G, 2007, II, 10049, n. P. Cassia ; adde les chron. de M. GAUTIER et F. MELLERAY,
Dr. adm. 2007, Études, 7 ; D. SIMON, Europe 2007, Études, 3 ; F. MICHÉA, RRJ 2008, p. 255 : « si le
contrôle des règles de compétence et de procédure ne se trouve pas affecté, il appartient au juge
administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de
valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit
communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de
la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la
disposition ou du principe constitutionnel invoqué ; dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge
administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive que
ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire ; il
lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas
contraire, de saisir la CJCE d'une question préjudicielle [...] ; en revanche, s'il n'existe pas de
règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la
disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner
directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées ». Presque toujours, la
règle constitutionnelle aura son équivalent dans le droit de l’Union européenne car tous les droits et
libertés garantis par la Conv. EDH ont valeur de « principes généraux du droit de l’Union
européenne » (v. infra, no 353) ; le juge administratif devra donc saisir la CJUE et renoncer à un
contrôle de constitutionnalité au profit d’un contrôle de conventionalité (d’« unionité » plus
exactement). La règle du « traité-écran » (v. supra, no 346) en sort affaiblie car l’écran conventionnel
n’empêche pas un contrôle de constitutionnalité très poussé. Une situation inédite reste à trancher :
celle où une loi s’intercalerait entre la directive et le règlement attaqué.
(1818) CE, ord., 3 juin 2005, Olziibat, Dr adm. 2005, comm. 143 : la mise en œuvre du règlement
communautaire no 343/2003 sur le droit d’asile « doit être assurée à la lumière » de l’art. 53-1 de la
Constitution.
(1819) Sur cette critique, accablant particulièrement le normativisme de Kelsen, v. supra, no 270.
(1820) F. SUDRE, « La subsidiarité, “nouvelle frontière” de la CEDH... », JCP G, 2013, 1086.
(1821) CEDH, 23 juill. 1968, aff. Linguistique belge, GACEDH, nº 9, § 10 : la Cour « ne saurait se
substituer aux autorités nationales compétentes, faute de quoi elle perdrait de vue le caractère
subsidiaire du mécanisme international de garantie collective instauré par la Convention ». Elle
l’a ensuite perdu de vue mais son engorgement la contraint à y revenir.
(1822) En procédure pénale : Cass. crim., 29 nov. 2000, Dr pén. 2001, comm. 54 : « Vu l’art. 6 de la
Conv. EDH ; la durée excessive d’une procédure, à la supposer établie, ne saurait entraîner sa
nullité ». En droit administratif : CE 4 oct. 2012, Dr adm. 2013, nº 8, n. J. Sirinelli : l’exécution d’un
arrêt de la CEDH « ne peut avoir pour effet de priver les décisions juridictionnelles de leur
caractère obigatoire », en l’absence de procédure organisant le réexamen d’une affaire
définitivement jugée.
(1823) V. C. pr. pén., art. 626-1 et s. (L. 15 juin 2000). La procédure de réexamen d’une décision
pénale définitive, à la suite d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de
l’homme, n’est ouverte que si elle répare l’atteinte subie par le requérant. En pratique, la Cour de
cassation ne casse jamais l’arrêt de condamnation qui violait la Conv. EDH et le réexamen s’avère
stérile (cf. la critique de E. DREYER, D. 2008, chr., 1705).
(1824) Notamment depuis : Cass. 1re civ., 10 janv. 1984, JCP G, 1984.II.20210, concl. Gulphe ; RTD
civ. 1984, p. 771, obs. R. Perrot, se référant à l’art. 6, § 1, Conv. EDH « tel qu’interprété par un
arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ». De façon plus inhabituelle, la Cour s’est aussi
référée à un article du Code civil « tel qu’il doit être interprété au regard » d’articles de la Conv.
EDH (Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, Bull. civ. I, no 12 ; RTD civ. 2002, p. 865, obs. J.-P. Marguénaud).
(1825) * Cass. Ass. plén., 15 avr. 2011, no 10-17049, RTD civ. 2011, p. 725, obs. J.-P. Marguénaud
(avec les autres réf.).
(1826) Fr. SUDRE, « La réécriture de la Convention par la CEDH », in Mélanges J.-P. Costa, Dalloz,
2011, p. 596.
(1827) L. SERMET, Convention européenne des droits de l’homme et contentieux administratif
français, Economica, 1996 ; S. BRACONNIER, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme et droit administratif français, Bruylant, 1997.
(1828) V. infra, no 414.
(1829) La Cour européenne (suivie par les juges français) a rangé dans la « matière pénale » : la
répression disciplinaire dans les armées (CEDH, 8 juin 1976, Engel, Série A, no 22) et en milieu
pénitentiaire (CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell, Série A, no 80) ; ... la répression administrative
en matière économique (CEDH, 27 févr. 1980, Deweer, Série A, no 35) ou de contraventions
routières (CEDH, 21 févr. 1984, Oztürk, Série A, no 7) ; ... la répression fiscale (CEDH, 24 févr.
1994, Bendenoun, Série A, no 284) et douanière (CEDH, 2 févr. 1995, Welch, Série A, no 307-A),
etc. En droit interne, le Conseil constitutionnel a entrepris une démarche parallèle en étendant à
« toute sanction ayant le caractère d’une punition » les principes fondamentaux (substantiels) du
droit pénal (v. supra, no 305).
(1830) La conception européenne a été adoptée par la Cour de cassation (Cass. Ass. plén., 6 nov.
1998, JCP G, 1998.II.10198, rapp. P. Sargos ; D. 1999, 1, concl. J.-F. Burgelin ; RTD civ. 1999,
p. 494, obs. J.-P. Marguénaud : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un
tribunal impartial ; cette exigence doit s’apprécier objectivement »). Adde CEDH, 24 nov. 1994,
Beaumartin c/France, cité supra, no 343, en note.
(1831) V. supra, no 306.
(1832) V. infra, no 416.
(1833) CEDH, 21 mars 2000, Dulaurans, JCP G, 2000.II.10344 ; D. 2000, 883 : la Cour de
cassation prive de son droit à un procès équitable l’auteur d’un pourvoi déclaré irrecevable à raison
de la nouveauté du moyen (qui, selon la Cour européenne, avait bien été soulevé devant les juges du
fond).
(1834) Comp. CEDH, 29 août 2000, Jahnke et Lenoble, JCP G, 2000.II.10435 : « Optant pour une
réponse laconique, l’arrêt (de la Cour de cassation) peut en effet prêter à confusion » ; mais, après
examen de l’espèce, il s’avère qu’elle n’a pas commis d’« erreur manifeste d’appréciation ». Sur la
motivation des décisions de justice, v. infra, nº 407.
(1835) 1er ex. : CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/Grèce, cité infra, no 353. 2e ex. : CEDH, 31 mars
1998, Reinhard et Slimane-Kaïd c/France, D. 1999, 281 ; JCP G, 1999.II.10074, condamnant, sur le
fondement de l’art. 6, § 1, une pratique en vigueur devant la Cour de cassation (communication du
rapport du conseiller-rapporteur au seul avocat général) qui rompt « l’égalité des armes » au profit
du Parquet général. 3e ex. : CEDH, 7 juin 2001, Kress c/France, D. 2001, 2619, n. R. Drago,
condamnant, pour le même motif, la participation au délibéré devant le Conseil d’État du
commissaire du gouvernement. Sa seule présence, qu’elle soit active ou même simplement passive,
doit être bannie (CEDH, 12 avr. 2006, Martinie c/ France, D. 2006, p. 1129, obs. M.-C. de
Montacler). Le Conseil d’État, qui est passé par toutes les attitudes, de la résistance à la demande
d’indulgence auprès de la CEDH, n’est pas parvenu à faire son deuil de la présence de ce magistrat
au délibéré (d’ailleurs rebaptisé « rapporteur public » par le D. 7 janv. 2009). Finalement, la CEDH
en a admis la spécificité (CEDH, 4 juin 2013, Marc-Antoine c/France, Dr. adm. 2013, 74). 4e ex. :
CEDH, 10 juill. 2008, Medvedyev c/France : le procureur de la République n’est pas une « autorité
judiciaire » indépendante du pouvoir exécutif (ici au sens de l’art. 5). Le Conseil constitutionnel
affirmait le contraire. Adde S. GUINCHARD, « L’influence de la Convention EDH et de la jurisprudence
de la Cour EDH sur la procédure civile », LPA, 12 avr. 1999, no 72, p. 4.
(1836) Ex. : CEDH, 1er févr. 2000, Mazurek c/France, D. 2000, 332 ; JCP G, 2000.II.10286 ; RTD
civ. 2000, p. 429, obs. J.-P. Marguénaud : l’art. 760 C. civ., qui amputait les droits successoraux de
l’enfant adultérin en concours avec le conjoint et les enfants légitimes, violait les art. 1er du Prot. no 1
et 14 CEDH en ce qu’il établissait une discrimination injustifiée.
(1837) Sur l’infléchissement de cette jurisprudence depuis 1991, cf. M. LEVINET, n. sous trois arrêts
CEDH, JCP G, 2001.II.10503.
(1838) CEDH, 17 oct. 2013, Winterstein c/France, D. 2013, 2678, n. J.-P. Marguénaud et J. Mouly :
« La perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile. Toute
personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir faire examiner la proportionnalité
de cette mesure par un tribunal indépendant à la lumière des principes pertinents qui découlent de
l’article 8 de la Convention, quand bien même son droit d’occuper les lieux aurait été éteint par
l’application du droit interne » (viole l’art. 8 l’évacuation judiciaire d’un campement illégal de
« gens du voyage » [Roms] constitué de caravanes) (§ 148 et 155). La Cour de cassation a mis en
œuvre ce contrôle de proportionnalité ; il lui a offert l’occasion de développer la motivation de ses
arrêts, comme le souhaitaient certains magistrats (v. infra, nº 407,1º).
(1839) Cass. Ass. plén., 11 déc. 1992, JCP G, 1993.II.21991, concl. M. Jéol, n. G. Mémeteau
(revirement opéré sous l’influence de CEDH, 25 mars 1992, D. 1993, 101, n. J.-P. Marguénaud ;
JCP G, 1992.II.21955, n. Th. Garé). La Cour européenne a ensuite adopté cette solution qui allait au-
delà de son arrêt de 1992 (CEDH, 11 juill. 2002, Goodwin c/Royaume Uni, D. 2003, p. 2032).
(1840) CEDH, 9 déc. 1994, Lopez Ostra c/Espagne, Série A, no 303-C, affirmant que des « atteintes
graves à l’environnement » peuvent nuire à la vie privée et familiale. Adde obs. J.-P. MARGUÉNAUD,
RTD civ. 1996, p. 507. Le droit à la vie (Conv. EDH, art. 2) est également invoqué (CEDH, 20 mars
2008, Budayeya c/ Russie). La protection de l’environnement a acquis une telle valeur qu’elle tend à
se détacher des textes de la Convention (CEDH, 27 nov. 2007, Hamer, D. 2008, 884, n. J.-
P. Marguénaud et 2469, obs. N. R.-M.).
(1841) CEDH, 17 févr. 2005, in M. FABRE-MAGNAN, D. 2005, chr. 2973. La cour d’appel de Grenoble
a résisté à cette jurisprudence : 11 mars 2009, JCP G, 2009, 29 juin 2009, p. 8.
(1842) CEDH, 13 sept. 2005, B. et L. c/Royaume-Uni, Dr. famille 2005, p. 234, obs. crit.
A. Gouttenoire et M. Lamarche ; RTD civ. 2005, p. 735, obs. approb. J.-P. Marguénaud et p. 758, obs.
approb. J. Hauser. V. aussi, Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, JCP G, 2014, 93 : le prononcé de la nullité du
mariage d’un beau-père avec sa belle-fille, divorcée d’avec son fils (mariage interdit par
l’article 161 du Code civil), revêt à l’égard de cette dernière, « le caractère d’une ingérence
injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette
union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans ».
(1843) CEDH, 20 nov. 1995, Pressos Compania Naviera c/Espagne, cité supra, no 306.
(1844) CEDH, 16 sept. 1996, Gaygüsüz c/Autriche, D. 1998, 438, n. J.-P. Marguénaud et J. Mouly.
Dans le même sens : Cass. soc., 21 oct. 1999, RJS 12/99, no 1539. Sur la question, cf. P. MORVAN,
Droit de la protection sociale, LexisNexis.
(1845) Ex. : CEDH, 25 juin 2013, Trévalec c/Belgique, D. 2013, 2139, n. crit. O. Sabard et ibid.,
2166, n. P.-Y. Gautier (un journaliste français blessé par la police belge avait obtenu d’importants
dommages-intérêts d’un fonds de garantie français ; la Belgique est condamnée à lui verser une
indemnité supplémentaire de 50 000 euros au titre du dommage moral).
(1846) Fr. SUDRE, « À propos du dynamisme interprétatif de la Cour EDH », JCP G, 2001.I.335
(1847) V. infra, no 403.
(1848) K. GRABARCZYK, Les principes généraux dans la jurisprudence de la CEDH, PUAM, 2008.
(1849) La Cour européenne impose aux États parties des obligations positives (assortissant chaque
droit ou liberté) de ne pas laisser les particuliers violer la Convention, alors même que ces
violations ne seraient pas imputables directement aux autorités publiques. V. par ex. CEDH, 25 janv.
2000, Ignaccolo-Zenide, JCP G, 2001.I.291, no 32, obs. F. Sudre : il « appartient à chaque État
contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des
obligations positives qui lui incombent en vertu de l’art. 8 de la Convention ». V. obs. J.-
P. MARGUÉNAUD, RTD civ. 1999, p. 498.
(1850) 1er ex. : Cass. 3e civ., 6 mars 1996, JCP G, 1997.II.22764 ; D. 1997, 167, n. B. de Lamy : les
clauses d’un bail d’habitation ne peuvent, au regard de l’art. 8 Conv. EDH, « avoir pour effet de
priver le preneur de la possibilité d’héberger ses proches ». 2e ex. : Cass. soc., 12 janv. 1999,
Bull. civ. V, no 7, décidant, sous le visa de l’art. 8 Conv. EDH, qu’une restriction de la liberté de
choix du domicile du salarié par son employeur « n’est valable qu’à condition d’être indispensable
à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée, compte tenu de l’emploi
occupé et du travail demandé, au but recherché ».
(1851) Le droit à un procès équitable (Conv. EDH, art. 6, § 1) est l’appui privilégié des censures de
la loi par la Cour de cassation. Par exemple, le principe de légalité pénale (Conv. EDH, art. 7) a
permis de condamner quelques incriminations, surtout en droit de la presse (ex. : Cass. crim., 20 févr.
2001, D. 2001, 908 : « La possibilité pour chacun d’apprécier par avance la légalité de son
comportement touchant, comme en l’espèce, à l’exercice de libertés essentielles implique une
formulation particulièrement rigoureuse des incriminations et ne saurait résulter que de
définitions légales claires et précises » ; est ainsi écarté l’art. 38 L. 29 juill. 1881 punissant le fait
de reproduire « tout ou partie des circonstances d’un crime »). Cf. E. DREYER, « L’assimilation par
le juge judiciaire de la Conv. EDH », RRJ 2004, p. 861.
(1852) V. supra, no 336.
(1853) Ph. MALAURIE, « La jurisprudence combattue par la loi [...] », Defrénois 2005, art. 38203,
p. 1205 ; du même, « Jean Foyer et la Cour européenne des droits de l’homme », cité supra, no 350 :
« La Cour de Strasbourg exerce une admirable mission qu’elle a trahie à cause de son
infaillibilité et son omnipotence, le travers de tous les cléricalismes ».
(1854) Ph. MALAURIE, « La Conv. EDH et le droit civil français », JCP G, 2002.I.143 ; du même,
« Grands arrêts, petits arrêts et mauvais arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme »,
Defrénois 2007, art. 38550, p. 348 ; du même, « Jean Foyer et la Cour européenne des droits de
l’homme », in Jean Foyer. In memoriam, Litec, 2010, p. 203. – A. DEBET, L’influence de la Conv.
EDH sur le droit civil, th. Paris II, Dalloz, 2002. – F. SUDRE, « La mystification du “consensus”
européen », JCP G, 2015, 1369.
(1855) Fr. CHENÉDÉ, « Le droit à l’épreuve des droits de l’homme », Mélanges G. Champenois,
Defrénois, 2012, p. 139.
(1856) J. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 121-
122, critiquant « l’exaltation permanente des droits de l’homme qu’accompagne un certain recul
des valeurs collectives (le peuple, la démocratie, la République) » ; p. 56 : « Manifestement, la
Cour de Strasbourg est sortie de son lit. L’ennui est qu’on ne voit pas comment l’y faire rentrer ».
(1857) V. infra, nº 407.
(1858) CJCE, 28 mars 1996, aff. 2/94, D. 1996, 449, n. J.-F. Renucci : la CJCE est d’avis que la
Communauté n’a pas compétence pour adhérer à la Conv. EDH ; une telle adhésion soumettrait la
Cour de Luxembourg à la juridiction de la Cour européenne, ce que ne prévoit pas le traité de Rome.
(1859) Dans sa jurisprudence antérieure, la CJCE avait été contrainte par certaines cours
constitutionnelles nationales (not. allemande et italienne) de jeter un pont entre l’ordre juridique de la
Convention européenne et l’ordre juridique communautaire afin de doter celui-ci de règles
protectrices des droits fondamentaux (cf. P. MORVAN, Le principe de droit privé, th. Paris II,
éd. Panthéon-Assas, 1999, nos 709 et s.).
(1860) Ex. : CJCE, 7 janv. 2004, K. B. c/National Health Service pensions Agency, aff. C. 117/01,
D. 2004, 675 et 979 ; RTD civ. 2004, p. 373, obs. J. Raynard : viole l'article 141 ancien du traité CE
(égalité de rémunération entre travailleurs féminins et masculins) la législation qui, en violation du
droit au mariage garanti par l’article 12 Conv. EDH tel qu’interprété par l’arrêt Goodwin de la Cour
EDH du 11 juillet 2002, empêche un couple composé d’une femme et d’une transsexuelle opérée (née
femme et devenue homme) de remplir la condition de mariage nécessaire pour obtenir une pension de
réversion.
(1861) CJUE, avis 2/13, 18 déc. 2014, RTD civ. 2015, obs. L. Usunier (avec les autres réf.) ; chron.
F. PICOD, in JCP G, 2015.145.
(1862) CJCE, 27 juin 2006, aff. C. 540/03, Rec. CJCE, p. 5769, qui déclare aussi tenir compte du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques pour l’application des « principes généraux
du droit communautaire ».
(1863) Sur l’articulation entre la Charte, les Constitutions nationales et la Convention EDH : CJUE,
26 févr. 2013, aff. C-617/10, Åkerberg Fransson, RTD civ. 2014, p. 312, obs. L. Usunier (avec les
autres réf.).
(1864) Ex. : Cass. soc., 17 mai 2011, Bull. civ. V, nº 108 ; CE, 4 juin 2014, nº 370515, Halfa. Cf.
P. CASSIA et S. VON COESTER, « L’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne par le juge national », JCP G, 2012, 298.
(1865) Ex. : Cass. soc., 15 juin 2000, Bull. civ. V, no 232 : la solution découlant des arrêts de la
CJCE du 15 févr. 2000 (relatifs à la CSG et à la CRDS) ne crée pas un traitement discriminatoire
prohibé par l’art. 14 Conv. EDH.
(1866) V. supra, no 346.
(1867) CE 10 avr. 2008, CNB, Dr. adm. 2008, comm. 83, n. M. Gautier ; JCP G, 2008, II, 10125,
n. R. Tinière ; RTD civ. 2008, p. 444, obs. P. Deumier (et les références). – Sur l’hypothèse de la
« loi-miroir », qui serait le reflet exact d’une directive, v. supra, no 347.
(1868) CJCE, 30 sept. 1987, Demirel, aff. 12/86, Rec., p. 3719.
(1869) CE, ass., 23 déc. 2011, JCP E, 2011, 1101, Annexe. M. GAUTIER, « Le Conseil d’État et les
conflits entre conventions internationales », Dr. adm. 2012 chr. 11.
(1870) Ex. : CJCE, 2 août 1993, Lévy, aff. C. 158/91, D. 1995, 577, n. Ch. Pettiti. Le Code du
travail, en France, interdisait le travail de nuit des femmes en application de la Convention no 89 de
l’Organisation internationale du travail (OIT, relevant de l’ONU) du 9 juillet 1948 ; or, cette
interdiction méconnaît la directive no 76-207 du 9 févr. 1976 (art. 5) qui impose, quant à elle,
l’égalité entre hommes et femmes dans l’accès à l’emploi. En l’espèce, la France dénonça la
Convention OIT no 89. Mais, ayant laissé subsister dans son Code du travail le texte litigieux (qu’elle
asurait ne plus appliquer dans les faits), elle fut condamnée par la CJCE pour violation du principe
de sécurité juridique (CJCE, 13 mars 1997, aff. C. 197/96, JCP G, 1997.II.22939). Cette décision,
contraire à l’humanisme, révèle les excès auquel mène le juridicisme des juges.
(1871) CJCE, 13 nov. 1964, aff. 90 et 91/63, Rec. CJCE, p. 1217 : le principe de réciprocité et
l’exception d’inexécution ne peuvent être admis dans les relations entre États membres.
(1872) CJCE, 16 juin 1998, A. Racke GmbH, aff. C. 162/96, JCP G, 1999.II.10022, n. E. Leray et
A. Potteau ; adde Y. PETIT, D. 1999, chr. 184.
(1873) CJCE, 3 sept. 2008, Kadi, aff. C. 402/05 P, Dr. adm. 2008, comm. 151, spéc. points 287, 292,
299, 306 et 326. Au contraire, le tribunal de première instance des CE (TPICE) avait voulu
restreindre le contrôle de légalité du juge communautaire au seul examen de la compatibilité de la
résolution onusienne avec les normes du jus cogens (ordre public international absolu).
(1874) V. supra, no 343.
(1875) CEDH, 18 févr. 1999, Matthews c/Royaume Uni, RTD eur. 1999, p. 793 ; Cah. dr. eur. 2000,
p. 141, chr. O. de Schutter et O. L’Hoest. V. spéc. § 32 de l’arrêt : « Les actes de la Communauté
européenne ne peuvent être attaqués en tant que tels devant la Cour (EDH), car la Communauté en
tant que telle n’est pas Partie contractante. La Convention n’exclut pas le transfert de
compétences à des organisations internationales, pourvu que les droits garantis par la Convention
continuent d’être “reconnus”. Pareil transfert ne fait donc pas disparaître la responsabilité des
États membres ».
(1876) CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/Grèce, JCP G, 1997.II.22949, n. O. Dugrip et Fr. Sudre :
« L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée
comme faisant partie intégrante du “procès” au sens de l’article 6 », texte qui garantit le droit à un
procès équitable. Il s’agissait, en l’espèce, d’un arrêt de la CJCE.
(1877) CEDH, 12 nov. 2008, Demir et Baykara, JCP S, 2009, II, 1154 : la Cour interprète la
Convention EDH en prenant en considération « les dénominateurs communs des normes de droit
international ou des droits nationaux des États européens » et « le consensus émergeant des
instruments internationaux spécialisés et de la pratique des États contractants » (par ex. la Charte
sociale européenne et la jurisprudence de ses organes de contrôle) ; dans cette « recherche de
dénominateurs communs », elle s’inspire même des conventions internationales qui n’ont pas été
signées ou ratifiées par les États membres du Conseil de l’Europe ou qui n’ont pas de valeur
contraignante.
(1878) S. GERRY-VERNIÈRE, Les « petites » sources du droit (À propos des sources étatiques non
contraignantes), th. Paris II, Economica, 2012, préf. N. Molfessis.
(1879) V. supra, no 276.
(1880) J.-M. OLIVIER, Les sources administratives du droit privé, th. Paris II, 1981, ronéo., nos 25
et s.
(1881) V. la circulaire du Premier ministre du 15 juin 1987 « relative aux circulaires ministérielles »
qui relève, parmi d’autres vices, que « leur nombre est excessif – leur qualité laisse à désirer ».
V. ensuite Circ. 25 févr. 2011, « relative aux circulaires adressées aux services déconcentrés » de
l’État qui veut éviter que ces services soient « exposés à un flot de circulaires, émanant de
multiples signataires, et diffusées de manière indifférenciée ».
(1882) Ex. : Cass. com., 23 oct. 1950, D. 1951, 4 ; Gaz. Pal. 1950.II.389 : « Les instructions et
circulaires administratives, sans lier les juges, n’obligent que les fonctionnaires auxquels elles
sont adressées et dans les sphères (sic) de leurs fonctions ».
(1883) Le Conseil d’État distinguait traditionnellement entre les circulaires interprétatives
(insusceptibles de recours pour excès de pouvoir) et les circulaires réglementaires, seules ces
dernières pouvant être annulées par le juge administratif lorsqu’elles ajoutaient au droit existant ou
prônaient une interprétation du droit erronée (CE, Ass., 29 janv. 1954, Institution Notre-Dame du
Kreisker, Rec. CE, p. 64). La nouvelle formulation élargit la recevabilité du recours aux circulaires
qui se bornent à réitérer une règle déjà contenue dans une disposition législative ou réglementaire
(CE, 18 juin 1993, IFOP, Rec. CE, p. 178. – 18 déc. 2002, Duvignères, Dr. adm. 2003, 73).
(1884) CE, 4 févr. 2015, nº 383267, Dr. adm. 2015, 38, n. G. Eveillard. La circulaire détermine les
moyens, les lignes directrices s’intéressent au résultat (en l’espèce, la circulaire du ministre de
l’Intérieur traitait de la régularisation des étrangers « sans-papiers », lesquels n’ont aucun droit à
obtenir un titre de séjour).
(1885) Cf. X. PRÉTOT, Mélanges F. Moderne, Dalloz, 2004, p. 357.
(1886) Cass. com., 23 nov. 1993, Bull. civ. IV, no 428 ; Cass. soc., 20 oct. 1994, Bull. civ. V, no 286
(considérant cependant qu’une circulaire de l'ACOSS ne peut être opposée à l'administration au titre
du décret de 1983 dans la mesure où elle viole l’art. 2 du Code civil).
(1887) V. infra, no 358.
(1888) Ancien D. no 2008-1281, 8 déc. 2008, mod. D. 28 avr. 2009 et D. 6 sept. 2012.
(1889) Pour une telle abrogation : CE, 16 avr. 2010 : RJS 7/2010, no 636 ; CE, 23 févr. 2011 : JCP E,
2011, 1446 : la mise en ligne de la circulaire sur ce même site à une date postérieure au 1er mai 2009
n'a pas eu pour effet de la remettre en vigueur.
(1890) Cf. H. MOYSAN, obs. in JCP G, 2010, 915 et JCP G, 2011, 801 ; P. DEUMIER, obs. RTD civ.
2009, p. 487 (avec les autres réf.). Pour une autre abrogation massive et aveugle qui suscite des
difficultés (celles des commissions administratives à caractère consultatif), v. infra, no 358.
(1891) B. OPPETIT, « Les réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires et
l’interprétation des lois », D. 1974, chr. 107 (reproduit dans Droit et modernité, PUF, 1988, p. 137).
(1892) Ex. d’une telle réserve (qui tend à disparaître) : JO déb. AN, 10 sept. 1977, p. 5514 « Ce
point ne paraissant pas en effet avoir été jusqu’à maintenant tranché par les tribunaux, la
Chancellerie ne saurait émettre un avis qui, par son caractère officiel, serait de nature à porter
atteinte à la souveraineté des juridictions qui peuvent être éventuellement saisies ». L’avis est
officieux et ne lie pas le juge.
(1893) Ex. : Cass. soc., 31 janv. 1980, Bull. civ. V, no 96 : c’est à bon droit que « les juges du fond
ont dit sans portée une lettre et une réponse (ministérielles) à une question écrite » ; CE, 2 nov.
1955, Rev. prat. dr. adm. 1955, p. 242 : « Un requérant ne peut utilement se prévaloir devant le
juge administratif d’une réponse donnée à une question écrite posée par un député, pour prétendre
que l’administration avait pris certains engagements, une réponse de cette nature ne pouvant
produire par elle-même aucun effet juridique ».
(1894) V. infra, nos 442-443.
(1895) Ph. MALAURIE, « Les réactions de la doctrine à la création du droit par le juge », Defrénois
1980, art. 32345, no 8.
(1896) Ex. : Cass. soc., 4 mai 1966, Bull. civ. IV, no 416 : ... « au surplus, le ministre du Travail a
admis dans des circulaires [...] » ; CA Limoges, 19 mars 1971, JCP G, 1972.II.17029 : « Il est
constant et a été confirmé dans plusieurs réponses ministérielles [...] ». Cette influence s’est surtout
manifestée dans le droit de la filiation (G. CHAMPENOIS, La loi du 3 janvier 1972 a-t-elle supprimé la
présomption pater is est quem nuptiæ demonstrant ?, JCP G, 1975.II.2686, spéc. no 41 : « On est
bien en présence d’une nouvelle forme de droit prétorien dans lequel les circulaires de la
Chancellerie font figure d’arrêts de règlement “au petit pied” »). Adde J.-M. OLIVIER, op. cit.,
spéc. nos 406 et s. ; C. BLUMAN, « L’application des circulaires administratives par le juge
judiciaire », AJDA 1972, p. 263.
(1897) Ex. : l’Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (JO 28 juill. 1999, p. 11272,
Annexe) méconnaît des dispositions du Code civil (v. obs. in RTD civ. 1999, p. 900).
(1898) Biblio. sélective : Les autorités administratives indépendantes, dir. C.-A. Colliard et
G. Timsit, PUF, 1988 ; Conseil d’État. Rapport public 2001. Jurisprudence et avis de 2000. Les
autorités administratives indépendantes, Doc. fr., coll. Études et documents, no 52, 2001, p. 253
et s. (qui recense 34 AAI dont 13 sont ainsi dénommées par la loi ou la jurisprudence). Pour un
tableau exhaustif tiré d’une réponse ministérielle (recensant 36 AAI) : JCP E, 2006, 1985 (adde
JCP E, 2006, 295). Sur la critique : M.-A. FRISON-ROCHE, « Les autorités administratives
incomprises », JCP G, 2010.1166.
(1899) Commission nationale de l’informatique et des libertés (L. 6 janv. 1978).
(1900) Comité consultatif national d’éthique (v. supra, no 30).
(1901) Commission des infractions fiscales (L. 29 déc. 1977).
(1902) Commission des clauses abusives (L. 10 janv. 1978).
(1903) Commission de la sécurité des consommateurs (L. 21 juill. 1983).
(1904) Commission consultative du secret de la Défense nationale (L. 8 juill. 1998).
(1905) Commission d’accès aux documents administratifs (L. 17 juill. 1978).
(1906) L. 19 juill. 1997.
(1907) Autorité de régulation des télécommunications (L. 26 juill. 1996).
(1908) Commission de régulation de l’électricité (L. 10 févr. 2000).
(1909) Autorité de contrôle prudentiel (C. mon. fin., art. L. et R. 612-1 et s. ; C. assur., art. L. 310-12
et s. ; C. mut., art. L. 510-1 et s. ; CSS, art. L. 951-1 et s.).
(1910) Autorité de régulation des jeux en ligne (L. no 2010-476, 12 mai 2010).
(1911) L’Autorité des marchés financiers a remplacé l’ancienne Commission des opérations de
bourse ou COB (ord. 28 sept. 1967) à la suite de la L. 1er août 2003 (cf. C. mon. fin., art. L. 621-1 s.).
(1912) L. no 2008-776, 4 août 2008 (ancien Conseil de la concurrence, né de l’ord. 1er déc. 1986).
Cf. C. com., art. L. 461-1 et s.
(1913) Conseil supérieur de l’audiovisuel (L. 17 janv. 1989).
(1914) L. 23 mars 1999.
(1915) Sur le danger de voir naître une morale d’État sous couvert des attributions consultatives du
Comité consultatif national d’éthique, v. supra, no 30.
(1916) Ex. : la COB n’avait pas la personnalité juridique ; mais l’AMF, qui lui a succédé, est une
« autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale » (C. mon. fin., art. L. 621-1).
(1917) V. infra, no 358.
(1918) Ex. : la clause de restitution en nature des cuves par les pompistes de marque fut qualifiée de
pratique anti-concurrentielle par le Conseil de la concurrence avant que la Cour de cassation ne
conclue à sa nullité (Cass. com., 18 févr. 1992, Bull. civ. IV, no 78). V. Droit des obligations, coll.
Droit civil.
(1919) CE, 30 oct. 2001, D. 2002, 1869, n. M. Audit : une délibération de la CNIL peut faire l’objet
d’un recours pour excès de pouvoir dès lors qu’elle « ne se borne pas à commenter les règles que la
CNIL a pour mission de mettre en œuvre, mais qu’elle ajoute à l’ordonnancement juridique ».
(1920) Sur la régulation et la Soft Law, v. supra, no 49.
(1921) Ph. NEAU-LEDUC, La réglementation de droit privé, Litec, 1998.
(1922) A.-M. PENNEAU, Les règles de l’art et normes techniques, th. Paris II, LGDJ, 1989 ;
Université de Liège, Commission droit et vie, Le droit des normes techniques et professionnelles
(colloque), Bruylant, 1993.
(1923) V. infra, no 374.
(1924) J.-M. AUBY, « Le pouvoir réglementaire des ordres professionnels », JCP G, 1973.I.2545.
(1925) Ex. : Cass. 1re civ., 29 oct. 1984, Bull. civ. I, no 285 : « La mission d’édicter des règles
déontologiques obligatoires pour l’ensemble des membres d’une profession (en l’espèce, celle des
commissaires-priseurs) dont le statut est légalement fixé, ne peut être reconnue qu’à une autorité
ayant reçu de la puissance publique un pouvoir exprès, qui ne peut résulter que de dispositions
explicites et non d’une interprétation extensive des textes ».
(1926) CE, Ass., 2 avr. 1943, Bouguen, D. 1944, 52, concl. M. Lagrange, n. J. Donnedieu de Vabres ;
JCP, 1944.II.2565, n. C. Célier ; S., 1944, III, 1, concl. M. Lagrange, n. A. Mestre.
(1927) CE, 29 juill. 1950, RDP 1951, p. 212, concl. R. Odent, n. M. Waline ; Dr. social 1950, p. 391,
n. J. Rivéro : les pouvoirs attribués à l’ordre des experts-comptables « trouvent une limite dans les
libertés individuelles qui appartiennent aux membres de l’ordre comme à la généralité des
citoyens ».
(1928) Sur le procédé, courant en droit du travail, de l’élaboration conventionnelle de la loi,
v. supra, no 285.
(1929) P. DURAND (Traité de droit du travail, Dalloz, t. I, avec le concours de R. Jaussaud, 1947,
no 140, p. 179) classe ce phénomène parmi « les principes généraux susceptibles de modifier la
hiérarchie des sources ».
(1930) Une convention ou un accord de branche est de niveau (professionnel) inférieur à une
convention ou un accord interprofessionnel ; un accord de branche local, départemental ou régional
est de niveau (territorial) inférieur à un accord ou une convention de branche national.
(1931) Le Conseil d’État considère qu’il s’agit d’un « principe général du droit du travail » (CE,
Avis, 22 mars 1973, Dr. social 1973, p. 514 ; CE, Ass., 8 juill. 1994, CGT, RJS 12/94, no 1386).
Comp. Cass. soc., 17 juill. 1996, JCP G, 1997.II.22798, n. J. Chorin ; Dr. social 1996, p. 1049,
concl. P. Lyon-Caen, n. J. Savatier. – 27 mars 2001, RJS 6/01, no 801 : « Vu le principe fondamental
en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés
qui doit recevoir application ».
(1932) P. MORVAN, « L’articulation des normes sociales à travers les branches », Dr. soc. 2009,
p. 679 ; « L’articulation des conventions et accords collectifs. Essai d’“ostéopathie” juridique », in
L’articulation des normes en droit du travail, Economica, 2011, p. 7.
(1933) Biblio. sélective : L’inflation des avis en droit, dir. Th. Revet, Economica, 1998 : selon
l’inventaire (p. 129 et s.), l’inflation apparaît principalement en droit social, dans la bioéthique et
dans le droit de la vie familiale, en droit pénal, en procédure civile ou pénale, en droit de l’Union
européenne, en droit de la concurrence ou de la consommation.
(1934) Sur les autorités administratives indépendantes, v. supra, no 355.
(1935) Le Conseil d’État exerce une double activité, consultative et contentieuse. En outre, dans le
domaine contentieux, le législateur a introduit une procédure de saisine pour avis (v. supra, no 165)
étendue à la Cour de cassation (v. supra, no 163). La Cour de justice de l’Union européenne émet des
avis (appelés, à tort, « arrêts ») sur les recours préjudiciels (v. supra, no 344).
(1936) V. supra, no 222.
(1937) V. P. DEUMIER, obs. RTD civ. 2009, p. 81 et 487 ; H. MOYSAN, art. in JCP S, 2010, 109 (sur les
incertitudes soulevées par cette abrogation massive).
(1938) C. urb., art. L. 410-1, al. 5 : si une demande de permis de construire est déposée dans le délai
d’un an à compter de la délivrance d’un certificat d’urbanisme et respecte les dispositions
d’urbanisme mentionnées par ce certificat, « celles-ci ne peuvent être remises en cause ».
(1939) Sous l’Empire romain, le rescrit était une réponse fournie par le Conseil impérial à un
particulier, un fonctionnaire ou un magistrat ayant sollicité une consultation de l’Empereur sur un
point de droit à l’occasion ou en dehors d’un litige (rescriptum, du latin re-scribere, car la réponse
était inscrite au bas de la demande). Par leur autorité, les rescrits concurrencèrent les consultations
des jurisconsultes mais leur foisonnement entraîna des contradictions et donc leur déclin. B. OPPETIT,
« La résurgence du rescrit », D. 1991, chr. 105 (reproduit in Droit et modernité, PUF, 1998, p. 153).
(1940) Ex. : LPF, art. L. 80 A : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon
l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires
publiées [...], elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation
différente » ; LPF, art. L. 80 B : cette garantie vaut aussi « lorsque l’administration a formellement
pris position sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte fiscal » (v. aussi art.
L. 64 B, en matière d’abus de droit).
(1941) Le règlement no 90-07 « relatif à la procédure de rescrit de la Commission des opérations de
bourse » (homologué par arrêté du 5 juill. 1990) permet de consulter l’Autorité des marchés
financiers « sur une question relative à l’interprétation de ses règlements » (art. 1er) ; « dans la
mesure où le demandeur se conforme de bonne foi au rescrit », l’opération soumise ne peut donner
lieu à sanction ni poursuite (art. 8). Cf. B. OPPETIT, art. cit.
(1942) Le principal rescrit social est un avis de l’Urssaf portant sur l’assujettissement d’une
personne physique au régime général de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 311-11) ou au régime social
des indépendants (CSS, art. L. 133-6-9 et R. 133-10-11) ainsi que sur les dispositifs d’exonérations
de cotisations (CSS, art. L. 243-6-3 et R. 243-43-2). Son champ a été progressivement élargi
(cf. P. MORVAN, Droit de la protection sociale, LexisNexis).
(1943) J. RAYNARD, « Domaine et thèmes des avis », in L’inflation des avis en droit, op. cit., p. 11.
(1944) Fr. ZÉNATI, « La portée du développement des avis », in L’inflation des avis en droit, op. cit.,
p. 101, spéc. p. 109. Ce caractère est, plus généralement, celui de la Soft Law et de la régulation :
v. supra, no 49.
(1945) Sur ces deux thèses, v., respectivement, infra, nos 367 et 394.
(1946) Biblio. sélective : A. LEBRUN, La coutume, ses sources, son autorité en droit privé, th. Caen,
1932 ; D. ACQUARONE, La coutume. Réflexions sur les aspects classiques et contemporains d’une
source du droit, th. Nice, 1987, p. 155 ; J. CARBONNIER, « La genèse de l’obligatoire dans l’apparition
de la coutume ; Scolie sur la Coutume », in Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 118 et 131 ;
P. HAGGENMACHER, « Coutume », Arch. phil. dr., t. 35, « Vocabulaire fondamental du droit », Sirey,
1990, p. 27 ; nos spéciaux de Droits 1986, no 3 ; Société Jean Bodin, t. LI à LIV, 1990 et s., Bruxelles,
de Boeck ; P. DEUMIER, Le droit spontané, th. Toulouse, Economica, 2002, préf. J.-M. Jacquet.
(1947) Étymologie : du latin consuetudo, inis = coutume, dérivé de suesco, ere = s’accoutumer à,
lui-même dérivé de sui = ce qui est propre à un individu, à un groupe d’hommes (A. ERNOULT et
A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Klincksieck, 1939). Cf. aussi
« costume » = manière d’être extérieure.
(1948) Ph. FOUCHARD, « Les usages, l’arbitre et le juge », Études B. Goldman, Litec, 1982, p. 67,
spéc. p. 68 : « Aujourd’hui, la coutume proprement dite a perdu toute sa consistance en droit privé,
et c’est le terme d’usage qui est employé pour désigner l’ensemble du phénomène coutumier ».
Dans le même sens : B. OPPETIT, « Sur la coutume en droit privé », Droits 1986, no 3, « La coutume »,
p. 39 (reproduit dans Droit et modernité, PUF, 1998), cité infra, nº 377.
(1949) A. LEBRUN, art. préc., no 1.
(1950) Supra, no 27.
(1951) P. HAGGENMACHER, op. cit., p. 28 : « C’est cette métamorphose d’un Sein (l’être) en un Sollen
(le devoir) qui passe pour le mystère central du droit coutumier ».
(1952) Cf. HÉRODOTE, Histoires, II, 3 : « La coutume est la reine du monde ». L’apologue raconte
que Darius, le grand empereur perse, demanda aux Grecs, qui brûlaient leurs morts, à quel prix ils
consentiraient à manger leurs pères morts ; bien entendu, les Grecs refusèrent. Puis Darius demanda
aux Indiens, qui mangeaient leurs morts, à quel prix ils accepteraient de brûler leurs pères morts ;
bien entendu, les Indiens refusèrent.
(1953) B. PASCAL, Pensées, éd. Brunschwig, no 93 : « La coutume est une seconde nature qui détruit
la première. Mais qu’est-ce que la nature ? J’ai grand peur que cette nature ne soit elle-même
qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature » ; no 287 : « Montaigne a
tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle est
raisonnable ou juste » ; no 230 : « La coutume fait toute l’équité par cette seule raison qu’elle est
reçue ; c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit. Rien
n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes ; qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit
à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi : elle est toute ramassée en soi : elle
est loi et rien davantage ». Pour Pascal, la seule justice est la justice divine ; aucune loi humaine
n’est juste ; la loi n’a de fondement qu’en elle-même ; ainsi en est-il de la coutume.
(1954) V. supra, no 13.
(1955) Sur les glossateurs et post-glossateurs, v. supra, no 91.
(1956) Sur l’École du droit historique allemande, v. supra, no 133.
(1957) Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Essai critique, LGDJ,
2e éd., 1954 (1re éd., 1899, réédition LGDJ, 1996), t. I, nos 109 et s., p. 316 et s. En France, le
positivisme légaliste triomphant au XIXe siècle avait conduit les exégètes à bannir la coutume de leurs
traités. Gény la réhabilita en s’inspirant de la pensée de l’École historique allemande (sur la critique
historiciste puis scientifique, v. supra, no 135).
(1958) V. infra, no 392.
(1959) V. supra, no 87. Le pouvoir d’abroger les « mauvaises coutumes » permettait surtout
d’asseoir la primauté de la législation royale, impériale ou pontificale sur les coutumes concurrentes.
L’exigence d’un consentement du législateur qui confère seul force obligatoire à la coutume est de
plus en plus affirmée à partir du XVIe siècle, à mesure que s’accroissent le prestige de la loi et
l’absolutisme politique. Ce positivisme légaliste atteint son apogée au XIXe siècle partout en Europe
(le Code civil ignore la coutume et ne renvoie qu’à de rares « usages » ; le Code de commerce en
consacre plusieurs mais ne renvoie aux « usages » qu’à deux reprises).
(1960) V. infra, no 378.
(1961) Éd. LAMBERT, Études de droit commun législatif ou de droit civil comparé. Première série :
le régime successoral. Introduction. La fonction du droit civil comparé, t. I, Les conceptions
étroites ou unilatérales, 1903, p. 802. En sens inverse, a été soutenue la thèse de la nature
coutumière de la jurisprudence (v. infra, no 394) : un chassé-croisé.
(1962) Éd. LAMBERT, op. cit., p. 803.
(1963) Éd. LAMBERT, op. cit., p. 799. Partisan de la conception romano-canonique, Gény se refusa au
contraire à « reconnaître aux créations scientifiques, tant à celles émanées des auteurs, qu’à celles
sanctionnées par les tribunaux, la puissance de constituer, en elles-mêmes, un véritable droit
coutumier » (Fr. GÉNY, op. cit., no 123, p. 385).
(1964) Ex. : la contrepassation par le banquier des effets de commerce impayés à l’échéance, qui
résultait d’une coutume bancaire et commerciale, fut d’abord condamnée par la Cour de cassation
(Cass. req., 9 janv. 1838, Jur. Gén., vo Effets de commerce, no 220) avant qu’elle ne l’admît par un
revirement (Cass. civ., 28 juill. 1937, DP 1939, I, 10).
(1965) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, 1re éd., 1955, rééd. 2004, no 137, p. 251 et
no 138, p. 253.
(1966) C. civ., art. 388-1-1 et 408, réservant « les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise le
mineur à agir lui-même ».
(1967) Sur l’histoire de la coutume : J. GAUDEMET, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et
la science au service du droit, Montchrestien, 3e éd., 2001, p. 46 et s.
(1968) P.-C. TIMBAL, Introduction au congrès de Dijon sur la coutume, Mémoires de la Société pour
l’histoire du droit des institutions des anciens pays bourguignons, 1983.
(1969) V. supra, nos 86 et s.
(1970) L’altération vient ici de ce que le droit romain influença la rédaction des coutumes (v. supra,
no 93 in fine et les renvois en note).
(1971) V. supra, nos 103 et s.
(1972) Statut de la Cour internationale de justice, art. 38, § 1, b) : « La Cour [...] applique [...] : la
coutume internationale comme preuve d’une pratique générale, acceptée par les nations civilisées
comme étant le droit ». Cf. G. CAHIN, La coutume internationale et les organisations
internationales : l'incidence de la dimension institutionnelle sur le processus coutumier, Pedone,
2001 (droit international public).
(1973) Sur la lex mercatoria, v. infra, no 375.
(1974) G. TARDE, Les lois de l’imitation, Alcan, 1890, spéc. p. 268 : « L’imitation engagée dans les
courants de la mode n’est donc qu’un bien faible courant à côté du grand fleuve de la coutume ».
Sur la théorie de Tarde, v. infra, no 371.
(1975) Biblio. : E.-H. PERREAU, « Le rôle de l’habitude dans la formation du droit », RTD civ. 1911,
p. 229 ; G. ENDRÉO, « L’habitude », D. 1981, chr. 313 ; G. VIRASSAMY, « Regards sur le phénomène de
la réitération en droit privé français », D. 1989, chr. 279 ; Les habitudes du droit (dir. N. Dissaux et
Y. Guenzoui), Dalloz, 2015 (sur la coutume et les habitudes du législateur, du juge, des professeurs de
droit, etc.).
(1976) Étymologie : habitudo, inis = manière d’être, lui-même dérivé d’habeo, ere = se tenir (puis :
avoir).
(1977) 1er ex. : « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge
prend notamment en considération : 1º La pratique que les parents avaient précédemment suivie
[...] » (art. 373-2-11). 2e ex. : la notion de « résidence habituelle » dans le droit de la nationalité
(art. 21-7, 21-12, 21-17, 22-1, 23-5), en droit des personnes ou de la famille (art. 88, 285-1, 287,
311-15), en droit international privé (C. consom., art. L. 231-1), en droit fiscal (CGI, art. 150 C,
259...), en droit pénal (C. pén., art. 131-22, 227-7), etc.
(1978) Ex. : « Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur
profession habituelle » (C. com., art. L. 121-1).
(1979) G. TARDE, Les lois de l’imitation, Alcan, 1890 ; Les transformations du droit. Étude
sociologique, 1893, Berg International, 1994. Juge d’instruction à Sarlat devenu professeur au
Collège de France, Gabriel Tarde (1843-1904) fonda la « psychologie sociale ». À la différence de
Durkheim – père de la sociologie – pour qui les faits sociaux sont déterminés par une « conscience
collective », Tarde affirma que l’« imitation » d’un modèle était inhérente à tout fait social
(religieux, politique, juridique, scientifique, économique, linguistique, artistique ou culturel). Elle se
propagerait comme une onde magnétique d’individu en individu, chacun imitant ou faisant exactement
le contraire du modèle qui le fascine, comme dans un état hypnotique. Adde M.-H. FRAYSSINET, « Les
lois de l’imitation chez Tarde ou un processus normatif atypique », RRJ 2003, p. 2311.
(1980) J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 122 : du mythe de Cérès dériverait la
propriété individuelle du sol, du mythe d’Œdipe les règles de l’eugénisme, de l’histoire d’Isaac et
d’Ismaël l’infériorité du statut d’enfant adultérin, du conte de Cendrillon la protection des enfants du
premier lit. V. Droit civil illustré, no 103.
(1981) Les biologistes ont même conçu des explications génétiques, évolutionnistes, de type néo-
darwinien. Cf. J.-F. MALIGNON, Théorie générale des droits spontanés objectifs, th. Paris II, 2000,
spéc. t. I, qui dresse un inventaire des théories classiques en ce domaine (de type « holiste » ou
« individualiste ») et développe ensuite des analyses inspirées des sciences dures (théories
mathématiques des jeux, des automates...).
(1982) B. STARCK, « À propos des "accords de Grenelle". Réflexions sur une source informelle du
droit », JCP G, 1970.I.2363, spéc. no 22 : « Le temps n’est qu’un cadre, un contenant de la matière
qui forme la substance de la coutume. Cette substance, c’est la généralité des comportements
jointe à l’opinio necessitatis [...] Lorsqu’il s’agit d’états sociaux à évolution lente ou de
comportements relativement peu nombreux à l’intérieur d’une période limitée, il est bien naturel
d’élargir le contenant, de dilater le temps, de manière à permettre que par leur répétition, ces
pratiques et ces comportements puissent atteindre un niveau suffisant pour changer de nature et
passer ainsi de la situation subjective d’actes isolés à la règle de droit objectif gouvernant
désormais toutes les situations identiques. Mais il en est autrement lorsque les usages et les
comportements se propagent au rythme torrentiel des sociétés contemporaines ».
(1983) V. infra, no 374.
(1984) J.-L. SOURIOUX, « “Source du droit” en droit privé », Arch. phil. dr., t. 27, « “Sources” du
droit », Sirey, 1982, p. 33, spéc. no 5, p. 35 ; « Le concept de source du droit », Écrits du prof. J.-
L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 207. – P. HÉBRAUD, « Le juge et la jurisprudence », Mélanges
P. Couzinet, Univ. sc. sociales Toulouse, 1974, p. 329, spéc. p. 331 : « La coutume, dont on n’a pu
découvrir, en droit civil, aucune manifestation significative, est en réalité, chez nous, à peu près
inexistante et l’on n’a pu lui reconnaître artificiellement un rôle important qu’en la nourrissant de
la jurisprudence au prix de la déformation et de l’altération de sa spécificité ».
(1985) R. LIBCHABER, L’ordre juridique et le discours du droit, LGDJ, 2013, spéc. nº 270, p. 361, qui
propose plusieurs explications à l’éclipse de la coutume (mainmise de l’État sur le droit,
inadaptation de la coutume à notre société...).
(1986) R. CAPITANT, « Le droit constitutionnel non écrit », Études Gény, Sirey, 1935, t. III, p. 1 ; du
même auteur, « La coutume constitutionnelle », RDP 1979, p. 959. Le général de Gaulle, en 1962 et
en 1968, avait décidé de soumettre à référendum des révisions de la Constitution, ce qu’elle ne
prévoyait pas. Une coutume constitutionnelle était-elle née du fait que le peuple avait, une fois,
approuvé cette initiative ? 1º) Oui : G. VEDEL, Le Monde, 27 juill. 1968 : « Il existe une morale
professionnelle du juriste. Elle lui commandait, en 1962, de dire que le recours direct au
référendum était inconstitutionnel ; elle lui commande encore, en 1968, de dire que les textes ne
souffrent pas une autre interprétation. Mais elle lui commande aussi de dire que, bonne ou
mauvaise, une pratique que sa réussite et l’assentiment populaire ont transformé en coutume a
modifié le droit constitutionnel de la France ». V. aussi D. LÉVY, « Le rôle de la coutume et de la
jurisprudence dans l’élaboration du droit constitutionnel », Mélanges M. Waline, LGDJ, 1974, t. I,
p. 39. 2º) Non : S. RIALS, « Réflexions sur la notion de coutume constitutionnelle », Rev. adm. 1979,
p. 266, qui impute la controverse à un manque de rigueur dans la définition de la coutume. V. BOUVIER,
« Le Conseil constitutionnel et la coutume », Droits 1986, no 3, « La coutume », p. 87, qui juge
coutumiers les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (sur lesquels,
v. supra, no 337).
(1987) G. TEBOUL, Usages et coutume dans la jurisprudence administrative, LGDJ, 1989. Les
règles et principes non écrits en droit public, éd. Panthéon-Assas, 2000.
(1988) Secundum, en latin = selon, conformément à.
(1989) Biblio. : J.-L. SOURIOUX et P. LERAT, Le langage du droit, PUF, 1975 ; G. CORNU, Linguistique
juridique, Montchrestien, 3e éd., 2005. Adde J.-L. SOURIOUX, « Y a-t-il lieu de distinguer le langage
du droit et le langage juridique ? », Études Ph. Malinvaud, Litec, 2007, p. 577, repris in Écrits du
prof. J.-L. Sourioux, LexisNexis, 2011, p. 397 (le premier serait celui du droit positif, le second
celui de la doctrine) ; J.-F. WEBER, « Digressions sur le sens des mots à la Cour de cassation », in
Mélanges J. Boré, Dalloz, 2007, p. 499.
(1990) V. infra, no 440.
(1991) Ex. : Arrêté du 26 févr. 1901 : dans les examens ou concours dépendant du ministère de
l’Instruction publique, il ne sera pas tenu compte des fautes d’orthographe lorsqu’on aura usé des
tolérances indiquées dans une annexe. Par la suite, le Conseil supérieur de la langue française a
préconisé des « rectifications » de l’orthographe.
(1992) Ex. : circulaire du Premier ministre du 6 mars 1998 sur la féminisation des titres
(v. N. MOLFESSIS, obs. in RTD civ. 1998, p. 792).
(1993) H. BATIFFOL, « Observations sur la spécificité du vocabulaire juridique », in Mélanges
G. Marty, Univ. sc. sociales Toulouse, 1978, p. 35, spéc. p. 36 : « La légitimité d’un vocabulaire
spécifiquement juridique apparaît quand des faits surviennent dont la rareté relative dispense la
langue usuelle d’avoir un terme pour les désigner, alors qu’ils posent au juriste des problèmes qui
obligent celui-ci à “en parler” donc à avoir un terme pour les désigner. Considérons par exemple
le terme “Comourants” [...] » ; L. FOUGÈRE, La modernisation du langage juridique, EDCE, 1984-
1985, p. 120, met en garde contre la tendance à vouloir « rédiger les textes de lois et de décrets “en
langage contemporain” c’est-à-dire accessible au plus grand nombre de Français », au risque de
ne plus « s’exprimer complètement et convenablement ».
(1994) P. CATALA, « Linguistique et informatique juridique », Écrits G. Cornu, PUF, 1994, p. 79,
concl. p. 88.
(1995) La référence étant : Vocabulaire juridique, Assoc. Henri Capitant, dir. G. Cornu, PUF, coll.
Quadrige.
(1996) J.-L. SOURIOUX et P. LERAT, op. cit., no 1, p. 9 : « Et il est bien évident que le droit s’exprime
dans des idiomes nationaux. En ce sens, il n’y a pas de langue de droit. La question qui se pose, en
revanche, est celle de l’existence d’un langage juridique, en prenant “langage” au sens de “façon
particulière de s’exprimer” (Robert). Cette définition implique, pour qu’il y ait langage du droit,
l’existence d’usages spécifiques de la langue commune et d’éléments étrangers au système de
celle-ci. C’est précisément ce caractère composite qui explique en partie ce paradoxe : le droit est
un phénomène aussi largement social que la langue elle-même, mais qui suscite un sentiment
d’étrangeté chez le plus grand nombre ».
(1997) DICODEX. Réflexions sur les définitions juridiques codifiées, dir. J. Lefebvre, PUF, 2015.
(1997a) S. BALIAN, La définition dans la loi. Essai de linguistique juridique, La maison du
dictionnaire, 2014.
(1998) J.-L. SOURIOUX et P. LERAT, op. cit., no 15, p. 31 : « On peut appeler ainsi (séquences figées)
des unités dont le statut linguistique est celui du “discours répété”, c’est-à-dire des groupes
complexes ne se prêtant à aucune modification formelle ».
(1999) Ex. : « clause exorbitante du droit commun », « constitution de partie civile », « autorité de la
chose jugée », « commencement de preuve par écrit »... outre les locutions latines : de cujus, clause
rebus sic stantibus, entreprise in bonis, obligation propter rem, action ut singuli, etc. (cf. H. ROLAND
et L. BOYER, Locutions latines du droit français, Litec, 4e éd., 1998).
(2000) J. de DAMHOUDÈRE de BRUGES, L’enrichidion ou manuel ès causes crimineles, 1555 (adages
du droit criminel) ; A. LOYSEL, Institutes coutumières ou manuel de plusieurs et diverse règles,
sentences et proverbes, tant anciens que modernes du droit coutumier et plus ordinaire de la
France, nouv. éd. par M. Dupin et Éd. Laboulaye, 1846 (1re éd. en 1601 et rééd. commentée par E. de
Laurière en 1710) ; P. de l’HOMMEAU, Maximes générales du droit français, 1614 (505 adages
longuement commentés) ; Cl. POCQUET de LIVONNIÈRE, Règles du droit françois, 1730 (711 pages).
(2001) A. JOUANNEAU, Recueil de maximes et citations latines à l’usage du monde judiciaire, 1912
(4 000 adages et locutions) ; A. DAGUIN, Axiomes, aphorismes et brocards de droit français avec
indication de la source, 1926 (1 559 adages).
(2002) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, Litec, 4e éd., 1999.
(2003) E.-H. PERREAU, Technique de la jurisprudence en droit privé, préf. Fr. Gény, 1923, t. I, p. 148
et s. – G. CORNU, Linguistique juridique, Montchrestien, 2e éd., 2000, nos 103 et s. ; Vº « Adages et
brocards », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 21.
(2004) J.-L. SOURIOUX et P. LERAT, op. cit., no 44, p. 69 : l’effet « Thémis » est l’impression subjective
produite sur le public par l’emploi de formules juridiques brèves, fixes et stéréotypées : « Parce que
le sens des mots n’est pas seulement lexical mais encore culturel, la façon dont ils sont reçus par
le public revêt une importance considérable [...]. Dans le langage du droit se manifeste un des
caractères les plus constants et les plus importants de l’activité juridique : la tendance à se
réduire en formules » ; no 45, p. 72 : « La concision de certains adages, et notamment l’absence de
déterminant, leur donne un air de maximes intemporelles [...]. Le fait que beaucoup de ces adages
soient en latin accentue cette impression d’intemporalité et de formules gravées dans le marbre ».
(2005) 1er ex. d’euphémisme ou de périphrases : la loi du 17 janvier 1975 sur l’interruption
volontaire de grossesse (IVG) légalise et organise l’avortement ; le législateur ouvre le texte sur une
profession de foi de pur verbalisme : « La loi garantit (sic) le respect de tout être humain dès le
commencement de la vie » (art. 1er). 2e ex. : afin d’imposer aux communes l’accueil des Tsiganes,
Gitans et Manouches itinérants, la loi gomme leur origine ethnique en les baptisant « gens du
voyage » (L. no 69-3, 3 janv. 1969) et même « personnes dites gens du voyage » (L. no 2000-614,
5 juill. 2000). En droit de la famille, les euphémismes sont encore plus nombreux, cf. L. LEVENEUR, in
Les mots de la loi, Economica, 1999, p. 11.
(2006) Sur les standards juridiques, v. supra, no 286.
(2007) C. civ., art. 590 (« usages des lieux ») et art. 674. Comp. art. 663, qui envisage des « usages
constants et reconnus ». Aujourd’hui, la matière rurale est régie par le Code rural, le Code forestier
et le Code de l’environnement qui se réfèrent quelquefois aux usages locaux.
(2008) Ex. : art. L. 134-5 (agents commerciaux), L. 145-14 (baux commerciaux) et L. 441-6
(concurrence).
(2009) Ex. : art. L. 145-47 et L. 511-15.
(2010) Ex. : art. L. 442-6, I, 5º.
(2011) Ex. : CGCT, art. L. 2223-28, al. 2 : « Dans les localités où les familles pourvoient
directement ou par les soins de sociétés charitables laïques, en vertu d’anciennes coutumes, au
transport ou à l’enterrement de leurs morts, les mêmes usages peuvent être maintenus, avec
l’autorisation du conseil municipal et sous la surveillance du maire ».
(2012) Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, Rev. crit. DIP 2011, p. 610, n. V. Parisot ; JDI 2011, p. 589 (le
droit coutumier kanak peut donc valablement ignorer la prestation compensatoire en cas de divorce).
(2013) Cass. com., 14 oct. 1981, D. 1982, 301, note M. Vasseur ; JCP G, 1982.II.19815, note Chr.
Gavalda et J. Stoufflet ; 7 oct. 1987, Bull. civ. IV, no 213 ; D. 1988, 265, note M. Vasseur ; JCP G,
1988.II.20928, note J. Stoufflet : « Vu les articles 1134 [devenu art. 1103] du Code civil et 3 des
“Règles et usances uniformes relatives au crédit documentaire” ».
(2014) Biblio. : Les usages : l’autre droit de l’entreprise, dir. P. Mousseron, LexisNexis, 2014. –
A. KASSIS, Théorie générale des usages dans le commerce, LGDJ, 1984. – Ph. KAHN, Rapport
français de droit commercial, TAHC, t. XXXIV « Le rôle de la pratique dans la formation du droit »,
Economica, 1983, p. 237.
(2015) Ex. : Cass. com., 9 janv. 2001, Bull. civ. IV, no 9 : fait une exacte application des art. 1134 et
1135 (anciens, devenus art. 1103 et 1194) la cour d’appel qui soumet à un usage professionnel des
cocontractants exerçant dans le même secteur la même activité.
(2016) Ex. : Conv. de Vienne « sur les contrats de vente internationale de marchandises » du 11 avril
1980, art. 9, al. 2 : « 1. Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les
habitudes qui se sont établies entre elles. 2. Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont
réputées s’être tacitement référées dans le contrat et pour sa formation à tout usage dont elles
avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance et qui, dans le commerce international,
est largement connu et régulièrement observé par les parties à des contrats de même type dans la
branche commerciale considérée ».
(2017) Ph. FOUCHARD, « Les usages, l’arbitre et le juge », Études B. Goldman, Litec, 1982, p. 67 ;
P. BELLET, Le rôle des usages en matière d’arbitrage international devant la jurisprudence
française, Journées de la société de législation comparée, 1985, p. 231.
(2018) Article fondateur : B. GOLDMAN, Frontières du droit et « lex mercatoria », Arch. phil. dr., t. 9,
Sirey, 1964, p. 177. Adde B. OPPETIT, « La notion de source du droit et le droit du commerce
international », Arch. phil. dr. 1982, t. XXVII, p. 43 ; D. BUREAU, Les sources informelles du droit
dans les relations privées internationales, th. Paris II, 1992. La lex mercatoria vient du droit anglais
du XVIIe siècle (Old law merchant), un bricolage de concepts antérieurs. Cf. J. BART, « La Lex
Mercatoria au Moyen-Âge : mythe ou réalité ? », Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2000, p. 10 ; D. de
RUYSSCHER, « La lex mercatoria contextualisée : tracer son parcours intellectuel », RHD 2012, p. 499.
(2019) V. supra, no 73, in fine.
(2020) V. par ex. : J.-D. BREDIN, « La loi du juge », Études B. Goldman, Litec, 1983, p. 15 ;
P. LAGARDE, « Approches critiques de la lex mercatoria », ib., p. 185 ; Lord MUSTILL, « The New Lex
Mercatoria : the first twenty five years », in Liber amicorum for Lord Wilberforce, Oxford,
Clarendon Press, 1987, p. 149.
(2021) V. infra, no 434.
(2022) P. DEUMIER, « La lex mercatoria entre ordre et désordre », Écrits Jean Foyer, Economica,
2008, p. 305, qui regrette une « surestimation de la perfection de la codification » doctrinale issue
des Principes Unidroit.
(2023) Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Essai critique, LGDJ,
2e éd., 1954 [réédition LGDJ, 1996], t. I, nos 130 et s., p. 418 et s. (repris par : M. PÉDAMON, « Y a-t-il
lieu de distinguer les usages et coutumes en droit commercial ? », RTD com. 1959, p. 335). 1) La
formation d’un usage se réaliserait « nécessairement selon un processus conventionnel » (Pédamon)
– même en l’absence de contrat écrit – et à l’intérieur d’une profession, d’une entreprise ou d’une
corporation déterminée ; l’usage n’aurait qu’une valeur supplétive, les parties devant aussi prouver
son existence (comme tout élément de fait). 2) Au contraire, la coutume naîtrait en dehors de la
volonté des parties, par l’effet de l’opinio juris, et sa portée est générale ; elle peut avoir une valeur
impérative – le juge devant alors l’appliquer d’office, comme toute règle de droit – et même déroger
à la loi (v. infra, no 378). Subsiste cependant la possibilité d’une mutation d’un usage en coutume.
(2024) C. assur., art. L. 111-4 : « L’autorité administrative peut imposer l’usage de clauses types
de contrats » (en l’occurrence, le ministre de l’Économie et des Finances : C. assur., art. R. 111-2).
(2025) R.-J. DUPUY, « Coutume sage et coutume sauvage », Mélanges Ch. Rousseau, « La
communauté internationale », Pédone, 1974, p. 74, spéc. p. 76 : en droit international public naissent
« des coutumes sauvages dont l’excroissance soudaine puise sa racine plus dans les volontés
alertées que dans des esprits assoupis par une longue habitude ».
(2026) G. HÉNAFF, Les usages en droit des obligations, th. Bordeaux I, 1993, no 29, p. 44.
(2027) Cass. com., 9 janv. 2001, Bull. civ. I, no 8 : « selon un usage constant entre commerçants, les
prix s’entendent hors taxes, sauf convention contraire ». Par ce revirement (contra Cass. com.,
8 oct. 1991, Contrats conc. consomm. 1992, comm. 1, obs. L. Leveneur, affirmant au contraire qu’un
tel usage « ne peut être retenu que lorsque les parties ont entendu expressément l’adopter »), la
Cour détache l’usage commercial de la volonté des parties (v. aussi Cass. com., 9 janv. 2001,
Bull. civ. IV, no 9).
(2028) Sur la preuve d’un usage, v. supra, no 224.
(2029) V. supra, no 179.
(2030) Præter, en latin = à côté de, le long de.
(2031) V. supra, no 354.
(2032) J. DÉPREZ, « Pratique juridique et pratique sociale dans la genèse et le fonctionnement de la
norme juridique », RRJ 1997, p. 799.
(2033) J.-L. SOURIOUX, Recherches sur le rôle de la formule notariale dans le droit positif, th. Paris,
préf. J. Boulanger, Librairie du journal des notaires et avocats, 1967. – S. TORRICELLI-CHRIFI, La
pratique notariale, source du droit, thèse, Defrénois, Doctoriat et Notariat, t. 55, 2015.
(2034) V. Droit des personnes, coll. Droit civil.
(2035) Cass. 1re civ., 4 juin 2009, Bull. civ. I, no 115 ; RTD civ. 2009, p. 490, obs. P. Deumier. La
règle découlait de l’ordonnance royale de la Marine d’août 1681 ; abrogée par mégarde en 2006, elle
a été ressuscitée par cet arrêt sous les traits de la coutume.
(2036) Cass. 1re civ., 28 mars 2013, Bull. civ. I, no 62 ; RTD civ. 2014, p. 319, obs. L. Usunier (avec
les autres réf.).
(2037) Ex. : Cass. com., 13 mai 2003, D. Affaires 2004, 414, n. J.-M. Bahans et M. Menjucq, qui
reconnaît l’existence d’un « usage ancien et constant en Bordelais » applicable à la vente par
l’intermédiaire d’un courtier ; l’arrêt conclut que la cour d’appel a « légalement justifié sa
décision », sans se réfugier derrière le pouvoir d’appréciation des juges du fond.
(2038) Cass. soc., 3 déc. 1996, Bull. civ. V, no 412 : « Vu l’article 1134 [ancien] du Code civil et les
règles de la dénonciation des usages de l’entreprise ; [...] pour que cette dénonciation soit
opposable à l’ensemble des salariés concernés, il est nécessaire que cette décision de l’employeur
soit précédée d’une information, en plus de celle donnée aux intéressés, aux institutions
représentatives du personnel, dans un délai permettant d’éventuelles négociations ». Le visa de
l’ancien art. 1134 (devenu art. 1103) ne signifie pas que l’usage d’entreprise ait une nature
contractuelle mais qu’il a force de loi comme le contrat de travail.
(2039) * Cf. Cass. crim., 13 mars 2001, Kadhafi, cité supra, no 341.
(2040) * Cass. crim., 17 juin 2003, JCP G, 2003.II.10146 ; D. 2004, 92, note J. Daniel. Adde M.
MASSÉ, chron. in Rev. sc. crim. 2004, p. 894 : l’absence d’incrimination par la loi, sous la
qualification de crimes contre l’humanité, des tortures commises en Algérie (amnistiées par une loi
du 31 juill. 1968) ne peut être palliée par le recours à une coutume internationale.
(2041) V. supra, no 341.
(2042) Contra = à l’encontre de.
(2042a) La désuétude, entre oubli et mort du droit ?, dir. L. Guéraud, Cahiers de l'institut
d'anthropologie juridique, no 36, Pulim, 2013 (en histoire du droit).
(2043) Cour de cassation : Ex. : Cass. crim., 12 mai 1960, JCP G, 1960.II.11765, note R. Rodière :
« Les lois et règlements ne peuvent tomber en désuétude par suite d’une tolérance plus ou moins
prolongée, et ne peuvent être abrogés que par des dispositions supprimant expressément celles en
vigueur ou inconciliables avec elles ». Conseil d’État : CE, 18 nov. 1983, inédit : en l’espèce,
l’administration avait refusé de supprimer une ligne blanche continue sur une route ; jugé que la
« circonstance, à la supposer établie, que d’autres riverains de la voie publique bénéficieraient
d’une tolérance de franchissement n’est pas de nature à entacher d’illégalité la décision
attaquée ».
(2044) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 269-270 : « Si nous n’avons pas
formellement autorisé le mode d’abrogation par la désuétude ou le non-usage, c’est qu’il eût peut-
être été dangereux de le faire. Mais peut-on se dissimuler l’influence et l’utilité de ce concert
indélibéré, de cette puissance invisible, par laquelle sans secousse et sans commotion, les peuples
se font justice des mauvaises lois, et qui semblent protéger la société contre les surprises faites au
législateur, et le législateur contre lui-même ? ». V. aussi, cent ans plus tard, un auteur qui était déjà
un sociologue du droit : J. CRUET, La vie du droit et l’impuissance des lois, Flammarion, 1908,
p. 259 : « Ce serait une erreur de croire qu’une loi endormie pendant des années peut se réveiller
un jour, vivante et sans ride comme la Belle au Bois dormant ».
(2045) 1er ex. : C. trav., anc. art. L. 224-4 : « Les chefs d’établissement occupant plus de cent
femmes de plus de quinze ans peuvent être mis en demeure d’installer dans leurs établissements ou
à proximité, des chambres d’allaitement » (texte repris en substance à l’art. L. 1225-32 du nouveau
Code du travail, sauf la condition d’âge de 15 ans). 2e ex. : C. civ., anc. art. 55, décidant qu’à
l’occasion de la déclaration de naissance à l’officier d’état civil, « l’enfant lui sera présenté » (texte
inappliqué bien avant qu’il ne fût abrogé par la L. 20 nov. 1919).
(2046) G. TEBOUL, Usages et coutume dans la jurisprudence administrative, LGDJ, 1989, p. 156
et s.
(2047) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, 1re éd., 1955, rééd. 2004, no 130 et no 138 :
« Le moment serait peut-être favorable à une révision de la position légaliste : depuis que la loi
est devenue si largement technocratique, la désuétude est un des rares moyens qui restent au
peuple pour la contrôler ».
(2048) B. OPPETIT, « Sur la coutume en droit privé », Droits 1986, no 3, « La coutume », p. 39, spéc.
p. 43 (reproduit dans Droit et modernité, PUF, 1998) : « Le problème ne soulève pas de difficultés
dans une perspective pluraliste, qui récuse le monopole étatique de production des règles du droit,
mais non pas la primauté du droit étatique sur d’autres règles de droit ».
(2049) Arrêt de principe : Cass. civ., 25 janv. 1841, S., 1841, I, 108 : « Si sous un régime où la
coutume était loi, l’usage pouvait abroger une loi, il n’en saurait être ainsi dans un temps où la loi
toujours écrite est rendue légalement notoire à tous ; la Cour de cassation, dont le devoir est de
veiller à l’exacte application de la loi et de la maintenir, ne peut que sanctionner un abus qui la
viole ouvertement ». En matière pénale, où règne le principe de légalité des délits : Cass. crim.,
4 août 1824, S. 1824, I, 409 : « on ne peut prescrire contre l’exécution des lois ». Sur l’histoire du
droit : A. DESRAYAUD, « Depuis quand les lois ne tombent-elles plus en désuétude en France ? », RRJ
2008, p. 41.
(2050) Cass. ch. réunies, 5 mars 1924, DP 1924, 1, 81. La Chambre criminelle de la Cour de
cassation avait condamné des bouchers en grève sur le fondement d’un édit de Turgot de 1776 ; les
chambres réunies la désavouèrent en invoquant que la raison d’être de cet édit avait disparu (selon
l’adage cessante ratione legis, cessat ipsa lex). Turgot avait supprimé le monopole des corporations
et établit la liberté du commerce ; devant le danger, provisoire, de troubles dans la distribution des
aliments, l’art. 6 de l’édit avait interdit « aux maîtres actuels des communautés de bouchers,
boulangers [...] » d’interrompre leur activité sans respecter un préavis d’un an. La Cour juge que « la
défense de l’art. 6, a manifestement pour but de ménager la transition entre l’ancien régime
d’industrie étroitement réglementée et un régime de liberté [...] au moins jusqu’à ce que la libre
concurrence ait suscité la fondation d’établissements nouveaux et écarté ainsi tout danger de
famine et de trouble ; par suite, cette disposition pénale, à supposer qu’elle n’ait pas été abrogée
par des lois postérieures, aurait cessé de produire ses effets à la disparition du dernier des
maîtres-bouchers existants lors de la promulgation de l’édit au mois de février 1776 ».
(2051) Cass. civ., 22 mars 1944, Rev. crit. DIP 1946, p. 107, note J.-P. Niboyet ; DC, 1944, I, 145
rap. et note P. Lerebours-Pigeonnière.
(2052) Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, JCP G, 2015, 318, n. L. Gannagé ; RTD civ. 2015, p. 91, obs.
P. Deumier, p. 343, obs. L. Usunier et p. 359, obs. J. Hauser (avec les autres réf.), jugeant
« manifestement incompatible avec l'ordre public » international la loi marocaine qui s'oppose au
mariage entre personnes de même sexe. En 2012, l’opinion du juge était contraire mais, entretemps,
la loi du 17 mai 2013 a autorisé le mariage entre personnes de même sexe en France.
(2053) CEDH, 25 avr. 1978, Tyrer, Série A, no 26 ; CEDH, 1er févr. 2000, Mazurek c. France, cité
supra, no 350 (en note) qui condamne une disposition du Code civil français devenue anachronique.
Contra : CE, 2 juin 1999, Meyet, cité ci-après. Comp. Cons. const., 16 janv. 1982, Loi de
nationalisation, décis. no 81-132 DC, D. 1983, 169 ; JCP G, 1983.II.19788 : « Si, postérieurement à
1789 et jusqu’à nos jours, les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont subi
une évolution [...] ».
(2054) CEDH, 6 févr. 2003, Mamatkulov et Abdurasulovic, D. 2003, Somm., 2277.
(2055) CEDH, 4 févr. 2005, Mamatkoulov et Askarov c/Turquie : « Sans que la Cour soit
formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l'intérêt de la sécurité juridique et
de la prévisibilité qu'elle ne s'écarte pas sans motif valable de ses propres précédents. Cependant,
il est d'une importance cruciale que la Convention soit interprétée et appliquée d'une manière qui
en rende les garanties concrètes et effectives et non pas théoriques et illusoires. En outre, elle est
un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions actuelles » (point 121).
(2056) CE, 10 janv. 1930, Despujol, DP 1930, III, 16, note P.-L. J. ; S., 1930, III, 41, note R. Alibert.
Cf. R. CHAPUS, Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2001, no 890. La règle a été
consacrée par la L. no 2007-1787, 20 déc. 2007 (C. relations pub. admin, art. L. 243-2 :
« l'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu
d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit
ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé »). S’applique en outre « le principe
selon lequel la légalité d'un acte administratif s'apprécie au regard des dispositions en vigueur à
la date de sa signature » (CE, 30 juill. 2003, Dr. adm. 8-9/03, comm. 162).
(2057) CE, 2 juin 1999, Meyet, RFDA 1999, p. 873 ; RDP 2000, p. 563, n. G. Desmoulin : la
L. 19 juill. 1977 qui interdit les sondages dans la semaine précédant un scrutin n’est pas contraire à
l’art. 10 Conv. EDH quoique la diffusion de sondages à l’étranger et sur internet la rende obsolète.
Mais la Cour de cassation statua en sens contraire : Cass. crim., 4 sept. 2001, JCP G, 2001.II.10623.
Le législateur est alors intervenu pour moderniser la loi de 1977 (L. no 2002-214, 19 févr. 2002).
(2058) La coutume internationale, en tant que partie du droit international public, devrait l’emporter
sur la loi interne. Mais le Conseil d’État se montre réservé (v. supra, no 341).
(2059) Cass. civ., 12 déc. 1815, S., chr. 1815-1818, 1, 122 : « Il y a eu tradition réelle [...] ce qui
suffit pour la validité des donations de cette nature ».
(2060) M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. V, Donations et
testaments, par A. Trasbot et Y. Loussouarn, LGDJ, 2e éd., 1957, no 379, p. 501 : « La justification
qui semble la meilleure est celle qui considère le don manuel comme une institution autonome
d’origine coutumière. Le don manuel n’est plus une véritable exception au principe de
l’authenticité des donations. Il est une institution indépendante parallèle à celle de la donation
authentique ».
(2061) M. PLANIOL, note sous Pau, 13 mai 1890, DP 1890, II, 345 : « Le don manuel, sans preuve,
sans règles, sans contrôle, est dans notre droit un irrégulier, une sorte d’insoumis. [...] On peut
dire de lui qu’il a exercé de véritables ravages dans un code qui soumet la donation entre vifs à
des règles d’une sévérité rigoureuse. Il donne aux particuliers un moyen sûr et commode de
tourner toutes les barrières. Toute jurisprudence qui lui mettra des bornes doit être reçue comme
un bienfait ». V. aussi J.-E. LABBÉ, note sous Paris, 30 déc. 1881, S., 1883, II, 241 : les dons manuels
sont une pratique illégale qui viole l’art. 931, « un mal qu’on ne peut guérir et que l’on supporte ».
(2062) Cass. 1re civ., 31 janv. 1978, D. 1979, 182, note R. Savatier ; JCP G, 1979.II.19035, note
P. Nérac. La référence à l’édit d’Amboise est d’autant plus révélatrice que cet édit n’a jamais existé
(sur « la légende de l’édit de 1555 », cf. A. LEFEBVRE-TEILLARD, Le nom. Droit et histoire, PUF, 1990,
p. 96). La Cour de cassation s’y réfère pourtant ; elle cite aussi l’art. 211 de l’ordonnance
de janvier 1629, dit « Code Michaux » (Cass. req., 17 déc. 1860, DP 1861, I, 176), qui n’a pas plus
de valeur juridique. Quelles meilleures preuves de la force juridique de la coutume ? Adde
Cass. req., 16 nov. 1824, S., chr. 1822-1824, I, 561 : « c’est une maxime de notre droit public qu’au
roi seul il appartient d’autoriser les changements de nom ; cette maxime est fondée sur un usage
fort ancien, et cet usage prouvé par de nombreux exemples a d’autant plus d’autorité qu’il a son
origine dans l’édit d’Amboise de 1555 ».
(2063) Cass. 1re civ., 21 févr. 1978, D. 1978, 505, note R. Lindon ; JCP G, 1978.II.18836, concl.
Gulphe ; RTD civ. 1978, p. 900, obs. R. Savatier ; Defrénois 1978, art. 31764, no 35, p. 866, obs.
G. Champenois : les « souvenirs de famille [...] échappent aux règles de la dévolution successorale
et du partage établies par le Code civil ».
(2064) L’aîné mâle conservait les titres de la famille, les portraits de famille, les manuscrits et livres
notés du père commun, les marques de dignité des ancêtres, etc. (R.-J. POTHIER, Traité des
successions, Chap. II, Sect. I, art. II, § IX, in « Œuvres de Pothier » par Bugnet, t. VIII, p. 681 ;
LEBRUN, Traité des successions, 1775, L. IV, Chap. I, no 45, p. 255).
(2065) Riom, 9 janv. 1885, Gaz. Pal. 1885, I, 137 : « Il était d’un usage constant dans l’Ancien
droit, usage qui s’est perpétué même en l’absence de tout texte, de soustraire aux règles ordinaires
de transmission des biens certains objets qui, en raison de leur nature et des souvenirs qui s’y
rattachent, sont la propriété de la famille, et dont la conservation importe à l’honneur et la
dignité de cette famille ».
(2066) Cass. com., 20 avr. 1948, DP 1948, 375 ; S., 1948, I, 129 : « Vu [...] les principes
applicables en matière de compte-courant ». La Cour de cassation s’est toujours référée aux
« règles qui dominent en matière de compte » (Cass. req., 7 janv. 1828, DP 1828, I, 70), aux
« règles ordinaires du compte-courant » (Cass. civ., 19 nov. 1888, S., 1889, I, 159 ; DP 1889, 1,
409), aux « principes régissant le fonctionnement du compte-courant », etc.
(2067) Cass. req., 22 juin 1822, Jur. Gén., Vo Compte courant, no 99, p. 591 : « Les règles et usages
particuliers du commerce ont toujours autorisé la capitalisation des intérêts dans les comptes
courants » ; Cass. req., 12 mars 1851, DP 1851, I, 290, statuant « d’après les usages qui font loi
dans le commerce ».
(2068) M. VASSEUR et X. MARIN, Banques et opérations de banque. Les comptes en banque, Sirey,
1966, no 366, p. 627 : « Les règles du compte-courant méritent par excellence présentement le
qualificatif de règles coutumières au sens propre, c’est-à-dire de règles de même ordre que les
règles légales ».
(2069) Cass. req., 20 oct. 1920, S., 1922, I, 201.
(2070) V. supra, no 357.
(2071) Biblio. sélective. Monographies : M. CHRÉTIEN, Les règles de droit d’origine
juridictionnelle, leur formation, leurs caractères, th. Lille, 1936 ; M. SALUDEN, Le phénomène de la
jurisprudence. Étude sociologique, th. Paris II, 1983 ; E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit
privé. Théorie d’une pratique, PU de Lyon, 1985 ; M. CAPPELLETTI, Le pouvoir des juges, trad.
R. David, Économica, 1990, spéc. p. 23 et s. ; P. MORVAN, Le principe de droit privé, th. Paris II,
Éditions Panthéon-Assas, 1999. Ouvrages collectifs : Études sur le rôle du juge, TAHC, t. V,
Dalloz, 1950 ; « Nature et rôle de la jurisprudence dans les systèmes juridiques », RRJ 1993, no 4 ;
« La jurisprudence », Arch. phil. dr., t. 30, Sirey, 1985 ; L’image doctrinale de la Cour de cassation
(colloque déc. 1993), Doc. fr., 1994 ; « La création du droit par le juge », Arch. phil. dr. 2007, t. 50,
Dalloz. Articles : Ph. MALAURIE, « La jurisprudence parmi les sources du droit », Defrénois 2006,
art. 38352, p. 476 ; P. MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit », RRJ 2001/1,
p. 77 ; L. BACH, « La jurisprudence est-elle, oui ou non, une source du droit ? », Mélanges J. Héron,
LGDJ, 2008, p. 47 (il conclut que non) ; O. DUPEYROUX, « La doctrine française et le problème de la
jurisprudence source de droit », Mélanges G. Marty, Univ. sc. sociales Toulouse, 1978, p. 463 ; « La
jurisprudence, source abusive de droit », Mélanges J. Maury, Dalloz & Sirey, 1960, t. I, p. 349 ;
P. ESMEIN, « La jurisprudence et la loi », RTD civ. 1952, p. 17 ; P. HÉBRAUD, « Le juge et la
jurisprudence », in Mélanges P. Couzinet, Univ. sc. sociales Toulouse, 1974, p. 329 ; Ph. JESTAZ, « La
jurisprudence : réflexions sur un malentendu », D. 1987, chr. 11 ; « La jurisprudence, ombre portée du
contentieux », D. 1989, chr. 149 ; J. MAURY, « Observations sur la jurisprudence en tant que source du
droit », Études G. Ripert, LGDJ, 1950, t. I, p. 28 ; M. WALINE, « Le pouvoir normatif de la
jurisprudence », Études G. Scelle, LGDJ, 1950, t. II, p. 613.
(2072) Par exemple, lorsqu’un créancier (tel un bailleur) réclame en justice le paiement de sa dette
(un loyer) le plus souvent, aucune question de droit ne se pose. La décision judiciaire se borne à
vaincre la résistance du débiteur ; elle ne contribue pas à former une jurisprudence, d’autant moins
qu’elle émane d’une juridiction inférieure. Certains auteurs, toutefois, soutiennent que la masse des
décisions émanant des juges du fond pourrait enrichir le droit jurisprudentiel (v. infra, no 415 in
fine).
(2073) Étymologie : de jurisprudentia, æ = science du droit, dérivé de jus, juris = droit + prudens,
prudentis = prévoyant, puis « celui qui sait ».
(2074) Sur l’évolution de la jurisprudence en France, v. infra, nos 410 et s.
(2075) Les « actions de la loi » étaient des procédures extrêmement formalistes établies par le droit
législatif strict (le jus civile) auxquelles tout plaideur devait se soumettre pour défendre son droit
(mais seulement l’un de ceux reconnus par les actiones legis). L’adage « pas d’action, pas de droit »
résume cette conception de la réalisation des droits ; en droit français, tout au contraire, « pas de
droit, pas d’action ».
(2076) Albus, a, um = blanc.
(2077) J. GAUDEMET, Les institutions de l’Antiquité, Montchrestien, 5e éd., 1998, p. 166 : le préteur,
apparu en 367 av. J.-C., détenait l’imperium, soit un « pouvoir de commandement fondé sur la force
et le prestige du chef » lui conférant le droit de commander les armées et de rendre la justice.
(2078) Biblio. : J.-A. JOLOWICZ, « La jurisprudence en droit anglais. Aperçus sur la règle du
précédent », in « La jurisprudence », Arch. phil. dr., t. 30, Sirey, 1985 ; du même auteur, Droit
anglais, Dalloz, 2e éd., 1992, nos 53 et s. ; C. JAUFFRET-SPINOSI, « Le juge anglais », Droits 1988, no 9,
p. 57 ; CROSS, On precedent, Clarendon Press, Oxford, 4e éd., 1990.
(2079) William Blackstone (1723-1780) est l’auteur des Commentaries of the laws of England
(1765-1769).
(2080) Si les juges répugnent à déclarer ouvertement que leur prédecesseur a commis une erreur, ils
constatent volontiers que celui-ci « ne pouvait avoir à l’esprit » une situation telle que celle qui est
ensuite apparue (J.-A. JOLOWICZ, « Les décisions de la Chambre des Lords », RID comp. 1979,
p. 521, spéc. p. 525). Cette subtilité a permis de masquer un abandon de la règle du précédent
obligatoire.
(2081) Le précédent obligatoire (binding precedent, qui est une authoritative source) s’oppose au
précédent non obligatoire (persuasive source) lequel a diverses origines (obiter dicta, precedents de
juridictions subalternes, dissenting opinions ou opinions dissidentes émises par les juges mis en
minorité, doctrine...). La règle du précédent obligatoire est le pilier de la theory of case-law.
(2082) F. GRIVART DE KERSTRAT, « Common Law et analogie », RRJ 1996, p. 1087 ; H.-A. SCHWARZ-
LIEBERMANN VON WAHLENDORF, « Le juge “législateur”. L’approche anglaise », RID comp. 1999,
p. 1109.
(2083) Practice Statement (Judicial Precedent), (1966) 3 All ER 77 ; I WLR 1234. Cette
déclaration, lue par le Lord Chancellor (était-ce d’ailleurs en sa qualité de speaker [président] de la
House of Lords ou de membre du gouvernement ?), en dehors de toute instance judiciaire mais au
nom des Lords of Appeal in Ordinary (cf. J. FLAUSS-DIEM, « Le Practice Statement de 1966 et la règle
du précédent à la House of Lords », Justices 1997, p. 356) s’apparente fort à un arrêt de règlement au
sens du droit français. Elle prévoit que « Les Lords reconnaissent [...] qu’une adhésion trop
rigoureuse à la règle du précédent peut conduire à de l’injustice dans un cas déterminé et aussi
entraver exagérément l’évolution régulière du droit. Ils se proposent par conséquent de modifier
leur pratique actuelle, et, tout en tenant les décisions antérieures de cette chambre pour des
précédents obligatoires, de s’écarter d’une décision ancienne quand ils penseront devoir le faire
[...]. La présente déclaration n’entend pas porter atteinte à l’application de la règle du précédent
ailleurs que dan cette chambre ». Cette déclaration, qui rompt avec une jurisprudence datant de
1898, fut interprétée de façon extensive par la House of Lords. Plus encore, elle a reconnu après
l’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté européenne en 1972 la primauté du droit et de la
jurisprudence communautaires. Le Constitutional Reform Act du 24 mars 2005 a créé une Supreme
Court du Royaume-Uni qui hérite de la compétence juridictionnelle de la House of Lords et en est
indépendante.
(2084) Malgré la « croisade » de Lord Denning (Master of the Rolls) qui entreprit dès 1967 de
convaincre la Court of Appeal de prendre à son tour quelques libertés à l’égard de la règle du
précédent (J. FLAUSS-DIEM, art. cit., spéc. p. 360) et s’insurgea contre une application trop rigide de
celle-ci qui imposerait de « suivre un mauvais précédent » (Lord DENNING, The discipline of law,
Londres, Butterworths, 1979, spéc. Conclusion, p. 314).
(2085) Sur les règles d’Equity, Droit civil illustré, no 5, v. aussi supra, no 43.
(2086) F. NIVET, « Équité et légalité », Justices 1998, no 9, p. 157. Adde : R. DAVID et C. JAUFFRET-
SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporain, Dalloz, 11e éd., 2002, nos 280 et s.
(2087) F. W. MAITLAND, The forms of action at Common Law, Oxford, 2e éd., 1948, p. 2 : « Nous
avons aboli les formes d’action mais elles nous gouvernent encore de leurs tombeaux ».
(2088) Selon le mot de Maitland, « l’Equity a cessé d’être l’équité » (v. A. TUNC, Aux frontières du
droit et du non-droit : l’Équité in « Jalons. Dits et écrits d’André Tunc », Société de législation
comparée, 1991, p. 391).
(2089) La règle a pour origine une opinion du président Marshall dans l’affaire Cohens v. Virginia en
1821 (19 US (6 Wheat.) 264 (1821)).
(2090) Au XVIIe siècle, lorsque la Common Law anglaise fut introduite par les colons en Amérique, la
règle du précédent n’avait pas encore atteint sa maturité en Angleterre (acquise vers 1775) d’où sa
faible autorité par la suite en droit américain. En outre, les pèlerins (pilgrims) de la Nouvelle-
Angleterre ne tardèrent pas à rejeter les institutions anglaises, quand ils devinrent des insurgés.
(2091) E. ZOLLER, « Le judiciaire américain, l’interprétation et le temps », Droits 2000, no 30, p. 97 ;
du même auteur, Vo « États-Unis (Culture juridique) », in Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-
PUF, 2003, p. 653 s. (avec une bibliographie) ; Fr. MICHAUT, Vo « États-Unis (Grands courants de la
pensée juridique américaine contemporaine) », in Dictionnaire... (préc.).
(2092) Une « omniprésence ruminante » (cité par H.-P. GLENN, « Sur l’impossibilité d’un principe de
stare decisis », RRJ 1993, p. 1073).
(2093) V. infra, no 398.
(2094) The Common law, 1881, I. Sur le réalisme américain, v. aussi supra, nos 135 et 286.
(2095) A. et S. TUNC, Le droit des États-Unis d’Amérique. Sources et techniques, Dalloz, 1955, no 6,
p. 14.
(2096) Pour une comparaison des trois droits : A. et S. TUNC, préc., no 66, p. 183 et no 92, p. 239.
Adde : A. de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, I, 2e partie, chap. VIII. Tocqueville montre
l’importance des juristes dans la société américaine : « Les légistes forment aux États-Unis une
puissance qu’on redoute peu, qu’on aperçoit à peine, qui n’a point de bannière à elle, qui se plie
avec flexibilité aux exigences du temps et se laisse aller sans résistance à tous les mouvements du
corps social ; mais elle enveloppe la société tout entière, pénètre dans chacune des classes qui la
composent, la travaille en secret, agit sans cesse sur elle et à son insu et finit par la modeler
suivant ses désirs ».
(2097) A. DE TOCQUEVILLE, loc. cit.
(2098) B. OPPETIT, « L’affirmation d’un droit jurisprudentiel », Droit et modernité, PUF, 1998, p. 65.
(2099) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 265. Adde, p. 258-259 : « Chez toutes les
nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois, et sous la surveillance
du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrines qui s’épure journellement par la
pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s’accroît sans cesse de toutes les connaissances
acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation [...]. Il
serait, sans doute, désirable que toutes les matières pussent être réglées par des lois. Mais à
défaut de texte précis sur chaque matière, un usage ancien, constant et bien établi ; une suite non
interrompue de décisions semblables ; une opinion ou une maxime reçue, tiennent lieu de loi ».
(2100) Ass. constituante, séance du 18 nov. 1790 : « Ce mot est l’expression des tribunaux, dans
l’acception qu’il avait dans l’Ancien Régime, ne signifie plus rien dans le nouveau : il doit être
effacé de notre langue. Dans un État qui a une constitution, une législation, la jurisprudence des
tribunaux n’est autre chose que la loi ; alors il y a toujours identité de jurisprudence ». V. surtout
MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, L. XI, Chap. 6 : il faut que « les juges de la nation » ne soient que
« la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la
force ni la rigueur [...]. Les jugements ne doivent jamais être qu’un texte de loi ». Si, dans l’Ancien
droit, les juges se qualifiaient souvent eux-mêmes de « bouche » ou « esclave de la loi », c’était sans
humilité : ils se considéraient comme les gardiens de la Loi divine, incarnée dans leurs jugements
et supérieure au roi lui-même... (M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, « “Royaume de la loi” : équité et rigueur du
droit selon la doctrine des parlements de la monarchie », Justices 1998, no 9, p. 17, spéc. p. 29).
(2101) Deux fictions commodes ont été employées à cette fin. Soit l’interprétation jurisprudentielle
était réputée s’incorporer à la loi : violer ou appliquer la jurisprudence, c’était violer ou appliquer la
loi. Soit le législateur était réputé avoir implicitement délégué ses pouvoirs au juge et ratifié son
œuvre créatrice (M. WALINE, « Le pouvoir normatif de la jurisprudence », Études G. Scelle, LGDJ,
1950, t. II, p. 613, spéc. no 18).
(2102) Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Essai critique, LGDJ,
2e éd., 1954 [réédition LGDJ, 1996], t. II, no 149, p. 49 ; M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit
civil, 6e éd., t. I, 1911, no 11, p. 4, texte et note 1 ; A. LEBRUN, La coutume, ses sources, son autorité
en droit privé, thèse, Caen, 1932, nos 207 et s., p. 215 et s. et nos 253 et s., p. 260 et s. ; L. JOSSERAND,
Cours de droit civil positif français, 3e éd., 1938, t. I, no 99, p. 78, qui, énumérant les « différents
visages de la coutume », conclut : « 4o) Mais surtout il y a la jurisprudence, qui n’est pas autre
chose que le droit coutumier moderne. [...] son rôle d’interprète doit fatalement tendre à celui de
créateur ; en fait la jurisprudence est devenue une des sources du droit qui est ce qu’elle veut
qu’il soit ». V. aussi, insistant sur l’assentiment tacite de la communauté des juristes, opinio juris
d’un nouveau type : J. MAURY, « Observations sur la jurisprudence en tant que source du droit »,
Études G. Ripert, LGDJ, 1950, t. I, p. 28, spéc. p. 43 et 48 ; Ph. JESTAZ, « La jurisprudence :
réflexions sur un malentendu », D. 1987, chr. 11. En sens inverse, Éd. Lambert rapprochait la coutume
de la jurisprudence (v. supra, no 367).
(2103) La jurisprudence, résultant de cas d’espèces, n’est pas assimilable à la loi qui procède par
règles abstraites et condamne parfois cette dernière (Ph. MALAURIE, « La jurisprudence combattue par
la loi », Mélanges R. Savatier, Dalloz, 1965, p. 603 et une version actualisée examinant aussi la loi
combattue par la jurisprudence, Defrénois 2005, art. 38203, p. 1205). Elle n’est pas non plus une
forme de coutume puisqu’elle contraint les assujettis sans se préoccuper de leur adhésion et se forme
parfois en un instant.
(2104) Bien que l’art. 4 (sur lequel, v. infra, no 404) soit toujours appelé au soutien de cette opinion,
la volonté de réconcilier la théorie des sources et la réalité factuelle hante davantage cette école de
pensée : « De cette liberté théorique du juge [de faire table rase de ce que d’autres ont jugé], on a
conclu que la jurisprudence n’était pas une source de droit [...] Nous ne sommes pas très sûrs que,
par rapport à la jurisprudence, ce problème des sources du droit ait été examiné avec un souci
suffisant de la réalité » (J. BOULANGER, Rép. civ., Vo Jurisprudence, 1re éd., no 22) ; « C’est trop
méconnaître la réalité que de refuser d’y voir une source de droit » (P. ESMEIN, « La jurisprudence
et la loi », RTD civ. 1952, p. 17, spéc. p. 20) ; peu importe la « dénégation de juristes rigoureux, qui
entendent rester fidèles dans leur analyse "aux principes " ; ils concéderont bien qu’en fait il
arrive que le juge statue "hors les règles légales" [...] Il est donc parfaitement exact de parler de
droit jurisprudentiel, de règles jurisprudentielles dès que l’on se préoccupe de faire apparaître le
fonctionnement effectif de l’ordre juridique, la vie juridique réelle » (Ch. EISENMANN, « La justice
dans l’État », in La justice, PUF, 1961, p. 11, spéc. p. 37-38) ; les auteurs classiques « témoignent
d’un irréalisme remarquable » (O. DUPEYROUX, « La jurisprudence, source abusive de droit »,
Mélanges J. Maury, Dalloz & Sirey, 1960, t. I, p. 349).
(2105) Fr. GÉNY, op. cit., t. II, no 146, p. 35 et no 149, p. 49 ; R. CARRÉ de MALBERG, Contribution à la
théorie générale de l’État, Sirey, t. I, 1920, no 246, p. 741 et s. ; G. RIPERT, Les forces créatrices du
droit, LGDJ, 1955, nos 159 et s., p. 383 et s. Avec des nuances : J. CARBONNIER, Droit civil.
Introduction, PUF, 1re éd., 1955, rééd. 2004, no 144, p. 273.
(2106) Ce schisme a été mis en évidence par : O. DUPEYROUX, « La doctrine française et le problème
de la jurisprudence source de droit », Mélanges G. Marty, Univ. sc. sociales Toulouse, 1978, p. 463
(l’auteur oppose le « formalisme » des classiques au « réalisme » des modernes).
(2107) En l’occurrence, le premier postulat, pluraliste et réaliste, implique nécessairement
l’admission de la jurisprudence parmi les sources du droit tandis que le second, moniste et juridique,
implique nécessairement son exclusion. La conclusion a été introduite en fraude dans le postulat de
départ.
(2108) P. ESMEIN, « La jurisprudence et la loi », RTD civ. 1952, p. 17, spéc. p. 19. Des auteurs
opposent de même « La négation de jure du pouvoir normatif » à « La reconnaissance de facto du
pouvoir normatif » (B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, Litec, 4e éd., 1996,
nos 887 et s., p. 338 et s.). Cette distinction du fait et du droit rejoint celle du sein et du sollen, de
l’efficacité et de la validité, dans la pensée de Kelsen (A. VIALA, « De la dualité du sein et du sollen
pour mieux comprendre l’autorité de la chose interprétée », RDP 2001, p. 777).
(2109) Cass. 1re civ., 25 nov. 1997, Bull. civ. IV, no 328 ; RTD civ. 1998, p. 210, obs. N. Molfessis
(notaire) ; Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, JCP G, 2012, 169 (avocat). Pour une rédaction plus sévère
imposant de prédire cette évolution : Cass. 1re civ., 14 mai 2009, JCP G, 2009, 94 ; RTD civ. 2009,
p. 725, obs. P. Deumier (exonérant l’avocat qui n’avait pas anticipé un « revirement de
jurisprudence » à l’origine d’une « évolution imprévisible du droit positif » ; il est toutefois
condamné pour avoir omis de « faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise » depuis un
arrêt rendu un an plus tôt). V. déjà, Cass. civ., 21 juill. 1921, DP 1925, 1, 29 (un notaire ignorant une
jurisprudence constante et non controversée engage sa responsabilité). Comp. Cass. soc., 28 mai
1953, D. 1953, 735, note crit. P. Hébraud (« les juges ont pour mission d’interpréter la loi et les
erreurs d’interprétation qu’ils en donnent ne sauraient être imputées à faute à la partie » ayant
obtenu gain de cause en appel).
(2110) * Cass. 1re civ., 21 mars 2000, Le Collinet, D. 2000, 593 ; RTD civ. 2000, p. 592, obs. P.-Y.
Gautier et p. 666, obs. N. Molfessis (jurisprudence plusieurs fois réitérée).
(2111) Cass. soc., 31 janv. 2012, Bull. civ. V, nº 37.
(2112) Cass. soc., 15 déc. 2010, RJS 4/2011, no 359.
(2113) Cass., avis, 8 janv. 2016, cité infra, nº 163 (irrecevabilité d’une demande d’avis).
(2114) Cass. com., 8 févr. 2011, Bull. civ. IV, no 20 ; RTD civ. 2011, p. 493, obs. P. Deumier (avec les
autres réf.) : « les conséquences ainsi tirées du texte susvisé, qui s'écartent de celles retenues depuis
un arrêt du 24 février 1976, sont conformes à l'exigence de sécurité juridique au regard de
l'évolution du droit des sociétés ». Le revirement est assumé ouvertement mais la formule finale ne
dit rien de clair. – Cass. com., 15 janv. 2013, D. 2013, 342 : « l’arrêt rendu le 4 mai 2010 par la
Cour de cassation ne constitue ni un revirement, ni même l’expression d’une évolution
imprévisible de la jurisprudence ».
(2115) V. supra, no 348.
(2116) Notamment depuis : Cass. 1re civ., 17 févr. 1987, Bull. civ. I, no 58 : « il résulte de l’arrêt du
11 juin 1985 de la CJCE [...] ».
(2117) Ex. : Cass. com., 20 oct. 1998, Bull. civ. IV, no 253 (texte reproduit supra, no 346) : « Vu
l’article 55 de la Constitution ; il résulte de la jurisprudence de la CJCE [...] ».
(2118) Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, Africatours, D. 1998, 104, note M. Menjucq ; JCP G,
1998.II.10170, note B. Fillion-Dufouleur ; Cass. 1re civ., 16 mars 1999, Rev. crit. DIP, 1999, p. 713.
(2119) CE, Ass., 6 févr. 1998, Tête ; Assoc. de sauvegarde de l’Ouest lyonnais, RJDA 5/98, no 669
et concl. H. Savoie, p. 383 ; AJDA, 1998, p. 458, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; JCP G,
1998.II.10109, note P. Cassia.
(2120) Cons. const., 6 oct. 2010, décis. no 2010-39 QPC (v. supra, no 334).
(2121) L’art. 7 Conv. EDH édicte le principe de légalité des délits et des peines.
(2122) CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times, Série A, no 30 (§ 47) ; CEDH, 15 nov. 1996, Cantoni,
Série A, no 20 ; JCP G, 1997.II.22836, note É. Fouassier et D. Vion ; Dr. pén. 1997, comm. 11, obs.
J.-H. Robert ; Rev. sc. crim. 1997, p. 646, note J.-P. Delmas Saint-Hilaire (§ 29, cité dans le texte).
Adde : « Aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, dans quelque système
juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément
d’interprétation judiciaire » (CEDH, 22 nov. 1995, S. W. c/Royaume-Uni, Série A, no 335-B, § 36).
(2123) V. la jurisprudence citée infra, no 416.
(2124) J.-J. ROUSSEAU, Lettre à Mirabeau (26 juill. 1767) in Correspondance générale, A. Colin,
t. XVI, p. 157.
(2125) La collaboration entre le juge et le législateur a parfois lieu. Ainsi le pouvoir du juge de
réviser les clauses pénales « manifestement excessives » (art. 1152, al. 2) découle d’une loi du
9 juill. 1975 ayant mis en œuvre une suggestion du rapport annuel. V. Droit des obligations, coll.
Droit civil.
(2126) Cass. soc., 28 juin 1995, Bull. civ. V, no 219.
(2127) Rapport de la Cour de cassation 1991, Doc. fr., 1992, p. 35 : « Il serait donc souhaitable
que le mot “juridique” soit supprimé » dans les art. L. 412-16, L. 423-16 et L. 433-14 (anc.) du
Code du travail. Ce qui fut fait par l’arrêt précité.
(2128) Rapport de la Cour de cassation 1995, Doc. fr., 1996, p. 19.
(2129) Rapport de la Cour de cassation 1996, Doc. fr., 1997, p. 15.
(2130) Cass. crim., 6 mai 1997, JCP G, 1998.II.10056, note J.-Y. Lassalle ; D. 1998, 223, note
A. Cerf (écartant l’art. 546, al. 3, C. pr. pén. en tant que contraire au « principe de “l’égalité des
armes” tel qu’il résulte de l’exigence d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme », conformément aux termes du rapport précité).
(2131) V. aussi Cass. soc., 18 nov. 2003, Bull. civ. V, no 285 et la 8e suggestion du Rapport 2002 ;
Cass. 2e civ., 29 mars 2006, JCP S 2006, 1423, n. G. Vachet et la 2e suggestion du Rapport 2005.
(2132) Rapport annuel de la Cour de cassation 2008, Doc. fr., 2009 (au sujet des délégués
syndicaux supplémentaires).
(2133) L’art. 10, 2o de la L. no 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale
(JCP G, 1999.III.20110) supprime le dernier alinéa de l’art. 546, ce qui marque un retrait par rapport
à la suggestion formulée dans le rapport pour 1995 (en l’occurrence d’ouvrir pleinement la voie de
l’appel en matière contraventionnelle et non de la fermer à tous les intéressés).
(2134) Étymologie : de virer, lui-même dérivé de giro, girare = tourner. Comp. chavirer : tourner la
tête en bas. Trop de revirements feraient chavirer le droit.
(2135) Sur les revirements de la CEDH, de plus en plus francs, cf. J.-P. MARGUÉNAUD, obs. à la RTD
civ. 2002, p. 862 ; K. LUCAS-ALBERNI, Le revirement de jurisprudence de la CEDH, Bruylant, 2008.
(2136) P. VOIRIN, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences », JCP G, 1959.I.1467.
(2137) Selon O. FOUQUET (président de section au CE), in RTD com. 2008, p. 642. H. Le BERRE, Les
revirements de jurisprudence en droit administratif de l’an VIII à 1998, LGDJ, 1999.
(2138) CJCE, 24 nov. 1993, Keck et Mithouard, aff. C. 267 et 268/91, Rec. CJCE, p. 6097, spéc.
p. 6131 : la prohibition communautaire des « restrictions quantitatives à l’importation ainsi que
toutes mesures d’effet équivalent » ne frappera plus désormais que des réglementations portant sur
la « commercialisation des produits ».
(2139) Ex. : en 1985, malgré les critiques, la chambre sociale abandonna (pour un temps) au pouvoir
souverain des juges du fond le contrôle de la cause réelle et sérieuse de licenciement pour réduire
l’engorgement de la chambre (Cass. soc., 10, 11 et 12 déc. 1985, D. 1986, 120, note crit. J. Boré ;
Dr. social 1986, p. 209. – 16 déc. 1986, Dr. social 1987, p. 89, concl. G. Picca).
(2140) Cass. 2e civ., 21 juill. 1982, D. 1982, 449, concl. Charbonnier, note Chr. Larroumet ; JCP G,
1982, II, 19861, note F. Chabas ; RTD civ. 1982, p. 606, obs. G. Durry. Adde : J.-L. AUBERT, « L’arrêt
Desmares : une provocation à quelles réformes ? », D. 1983, chr. 1
(2141) Cass. 2e civ., 6 avr. 1987, JCP G, 1987.II.20828, note Fr. Chabas ; D. 1988, 32, note Chr.
Mouly ; RTD civ. 1987, p. 767, obs. J. Huet.
(2142) Biblio. sélective. – Articles : P. MORVAN, « Le revirement pour l’avenir : humble adresse aux
magistrats ayant franchi le Rubicon », D. 2005, chr. 247 ; Chr. MOULY, « Le revirement pour
l’avenir », JCP G, 1994.I.3776 ; du même auteur, « Comment rendre les revirements de jurisprudence
davantage prévisibles ? », LPA, 18 mars 1994, no 33, p. 15 ; du même auteur, « Comment limiter la
rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ? », LPA, 4 mai 1994, no 53, p. 9 ; A. et S. TUNC,
Le droit des États-Unis d’Amérique. Sources et techniques, Dalloz, 1955, nos 80 et s., p. 210 et s. ;
A. G. L. NICOL, Prospective overruling : a new device for English Courts ?, Modern Law Review
1976, p. 39.542. – Ouvrage collectif : Les revirements de jurisprudence, Litec, 2005 (rapport remis
le 30 nov. 2004 au Premier président de la Cour de cassation par un groupe de travail présidé par
N. Molfessis). V. spéc. le rapport général (p. 1 s.) et les rapports de droit comparé (H. MUIR WATT,
p. 53, sur la Common Law ; F. FERRAND, p. 81, sur le droit allemand) ; adde la critique de V. HEUZÉ,
JCP G, 2005, I 130.
(2143) V. Cass. 2e civ., 21 oct. 2004, Bull. civ. II, no 465 : « le juge se prononce en application du
droit objectif en vigueur au moment où il statue et la déclaration d'illégalité du texte
réglementaire sur lequel était fondée la clause litigieuse (clause-type réglementaire d’un contrat
d’assurance), prononcée à l'occasion d'une autre instance, s'imposait à lui » (l’arrêt écarte aussi
l’erreur, vice du consentement, et une atteinte aux droits acquis ou à l'objectif de sécurité juridique).
Cass. 1re civ., 2 juin 2004, Dr. adm. 6/04, comm. 116.
(2144) L’arrêt fondateur de la Cour suprême des États-Unis a été rendu dans l’affaire Great Northern
Railway v. Sunburst Oil & Refining Co (1932). Le prospective overruling est donc souvent
dénommé Sunbursting. Il est davantage pratiqué par les Cours suprêmes des États fédérés.
(2145) Cf. CJCE, 13 janv. 2004, Kühne et Heitz NV, aff. C. 453/00, Dr. adm. 2004, comm. 38 : le
principe de coopération (traité CE, art. 10 ancien) impose à une autorité administrative de
réexaminer une décision qui est devenue définitive à la suite d’un arrêt d’une juridiction nationale
fondé sur une interprétation du droit communautaire qu’un arrêt postérieur de la CJCE a jugé erronée.
V. aussi, dans le même but de donner un plein effet à la jurisprudence communautaire, l’art. L. 243-6
du Code de la sécurité sociale (prescription de l’action en répétition de l’indu).
(2146) CJCE, 8 avr. 1976, Defrenne, aff. 43/75, Rec. CJCE, p. 455 ; CJCE, 17 mai 1990, Barber,
aff. C. 262/88, Rec. CJCE, p. 1889. Adde le rappel des conditions posées in CJUE, 21 oct. 2010, aff.
C. 242/09, Albron Catering, nos 36-37.
(2147) L’ancien art. 231 traité CE ne le prévoyait que pour les règlements. V. par ex. CJCE, 25 févr.
1999, aff. C. 164 et 165/97, Rec. CJCE, p. 1139 : « les effets des règlements annulés seront
intégralement maintenus jusqu'à ce que le Conseil arrête, dans un délai raisonnable, de nouveaux
règlements ayant le même objet ».
(2148) Ex. : CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique Série A, no 31 (§ 58) (vocation successorale
des enfants naturels).
(2149) CEDH, 14 janv. 2010, Atanasovski c. République de Macédoine, pt 38 : « the well-
established jurisprudence imposed a duty on the Supreme Court to make a more substantial
statement of reasons justifying the departure ».
(2150) O. DUBOS et F. MELLERAY, « La modulation dans le temps des effets de l’annulation d’un acte
administratif », Dr. adm. 2004, chr. 15. Ce pouvoir est expressément reconnu par l’art. 140 § 6 de la
Constitution autrichienne et l’art. 282 § 4 de la Constitution portugaise.
(2151) Cass. 1re civ., 9 févr. 1988 et Cass. com., 12 avr. 1988, JCP G, 1988.II.21026, note Chr.
Gavalda et J. Stoufflet : les effets de la nouvelle règle « ne remontent pas au-delà de la date
d’entrée en vigueur du décret » dont la Cour déduit ici une règle nouvelle. Ce décret a servi de
prétexte.
(2152) Depuis : Cass. 1re civ., 21 mars 2000 et 9 oct. 2001, cités supra, no 396, en note.
(2153) Cass. crim., 30 janv. 2002, Bull. crim., no 16 ; Dr. pén. 2002, comm. 43. Contra CA Toulouse,
13 nov. 2007, JCP G, 2008, II, 10114.
(2154) Sur ces aspects du droit anglais, v. supra, no 390.
(2155) * CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC !, Dr. adm. 2004, no 115 ; Dr. soc. 2004, p. 766, note
X. Prétot ; RFDA 2004, p. 437, concl. C. Devys, note J.-H. Stahl et A. Courrèges : lorsque l’effet
rétroactif de l'annulation d’un acte administratif « est de nature à emporter des conséquences
manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont
pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien
temporaire de ses effets », le juge administratif doit « prendre en considération, d'une part, les
conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en
présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et
du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de
l'annulation ». Cet arrêt s’inscrit dans le feuilleton dit des « recalculés » de l’assurance chômage
(cf. P. MORVAN, Droit de la protection sociale, LexisNexis).
(2156) CJUE, 28 févr. 2012, aff. C-41/11, Inter-Environnement Wallonie. Cf. J.-Cl. BONICHOT, JCP
G, 2013, 2012, spéc. nº 25.
(2157) CE, 28 mai 2014, nº 324852, Assoc. Vent de Colère, JCP G, 2014, 1356, nº 9 et les réf. Adde
CE, 23 juill. 2014, nº 349717, Sté Octapharma, ibid. (qui accepte au contraire de moduler dans le
silence de l’arrêt de la CJUE, à l’égard d’une autre partie).
(2158) * Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, Radio France D. 2004, 2956, qui soumet à une règle de
prescription inédite (précédemment condamnée) l’action civile fondée sur une atteinte à la
présomption d’innocence.
(2159) Cass. com., 13 nov. 2007, Bull. civ. IV, no 243 : « l'application immédiate, à l'occasion d'un
revirement de jurisprudence, de cette règle d'irrecevabilité, dans une instance en cours aboutirait
à priver le demandeur au pourvoi d'un procès équitable, en lui interdisant l'accès au juge ». –
Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, nº 15-10552, Bull. civ. I, à paraître : « le juge doit procéder à une
évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la
jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés
et ses inconvénients, une disproportion manifeste ».
(2160) Cass. crim., 19 oct. 2010, trois arrêts, Bull. crim. nos 163, 164 et 165 : « l'arrêt n'encourt pas
la censure, dès lors que ces règles de procédure [le droit à l’assistance d’un avocat] ne peuvent
s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives
en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la
bonne administration de la justice » (sur ces raisons, cf. concl. M. ROBERT in Dr. pén. 2010, chr.
10).
(2161) * Cass. soc., 17 déc. 2004, Bull. civ. V, no 246 ; JCP G, 2005.I.166, no 11, obs. P. Morvan :
« l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence [résultant d’un
revirement du 10 juill. 2002] répond à l'impérieuse nécessité d’assurer la sauvegarde et
l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle ».
(2162) Cass. soc., 26 janv. 2005, Dr. soc. 2005, p. 567, obs. A. Jeammaud.
(2163) *CE, 16 juill. 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation, JCP G, 2007, II, 10156, n. M. Ubaud-
Bergeron et 10160, n. B. Seiller ; Dr. adm. 2007, comm. 142, n. Ph. Cossalter (sur les revirements
prospectifs, cf. Mélanges B. Genevois, Dalloz, 2009, art. F. Moderne, p. 805 et art. B. Seiller,
p. 977). L’arrêt ouvre un nouveau recours de pleine juridiction, au profit du concurrent évincé de la
conclusion d’un contrat administratif, qui ne pourra être « exercé qu'à l'encontre des contrats dont la
procédure de passation a été engagée postérieurement » à la date de la décision. Dans la ligne de
l’arrêt AC !, il permet aussi au juge de différer l’annulation éventuelle d’un tel contrat.
(2164) CE, 6 juin 2008, Dr. adm. 2008, comm. 118 ; JCP G, 2008, I, 191, no 7, obs. B. Plessix : le
Conseil d’État reproche à une cour administrative d’appel de n’avoir pas opéré elle-même le
revirement pour l’avenir ; ensuite, il voit dans ce procédé le moyen de préserver le « droit au
recours » du requérant alors que celui-ci n’aurait subi qu’un préjudice symbolique.
(2165) V. supra, nos 334 s.
(2166) Cons. const., 19 juin 2008, décis. no 2008-564 DC, Dr. adm. 2008, comm. 114, n. Ch. Fardet.
En l’espèce, une déclaration immédiate d’inconstitutionnalité aurait laissé subsister la violation de
l’exigence constitutionnelle de transposition des directives (sur laquelle v. supra, no 347) et exposé
la France à une astreinte de 345 millions d’euros infligée par la Commission européenne. Le Conseil
n’en est pas à son coup d’essai ; dans une réserve d’interprétation, il avait reporté dans le temps la
censure d’une loi contraire à une loi organique sous la condition qu’elle soit mise en conformité :
Cons. const., 15 déc. 2005, décis. no 2005-528 DC, consid. 24 (cf. chron. W. SABETE, RRJ 2007,
p. 719).
(2167) Depuis : Cons. const., 30 juil. 2010, décis. no 2010-14/22 QPC.
(2168) Ex. : Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, JCP G, 2015, 361, n. P. Deumier.
(2169) Ex. : Cass. soc., 15 mars 2016, D. 2016, 864, n. P.-Y. Gahdoun.
(2170) Ex. : Cass. soc., 11 févr. 2015, JCP S, 2015, 1141, étude Ph. Coursier. Cette solution,
contraire aux termes très clairs de la censure constitutionnelle (Cons. const., 13 juin 2013, décis.
nº 2013-672 DC), avait été préconisée par le Conseil d’État (CE, avis, 26 sept. 2013, nº 387895).
(2171) Ex. : Cass. crim., 31 mai 2011, D. 2011, 2084, n. H. Matsopoulou (annulant immédiatement
des gardes à vue sur le fondement de l’art. 6 § 1 Conv. EDH alors que le Conseil constitutionnel avait
reporté l’abrogation de la loi française au 1er juillet 2011) ; Cass. 1re civ., 9 avr. 2013, D. 2013, 1106
et 2014, 689, n. M. Douchy-Oudot, jugeant contraire à l’art. 6 § 1 Conv. EDH une disposition légale
dont le Conseil avait différé l’abrogation au 1er janvier 2014.
(2172) Sur la portée de cette prohibition, v. infra, no 405.
(2173) Art. 6 § 1 : V., dans le contentieux relatif à l’indemnisation des victimes de transfusions
sanguines contaminées par le virus du SIDA, CEDH, 4 déc. 1995, Bellet c/France, JCP G,
1996.II.22648 ; D. 1996, 357 ; RTD civ. 1996, p. 509, obs. J.-P. Marguénaud. Selon la Cour, « ni le
texte de la loi du 31 décembre 1991 ni ses travaux préparatoires ne permettaient à l’intéressé de
se douter des conséquences juridiques que la Cour de cassation allait déduire de son acceptation
de l’offre » du fonds de garantie institué par cette loi, si bien que le requérant n’a « pas bénéficié
d’un droit d’accès concret et effectif devant un tribunal ». La Cour de cassation s’est inclinée
(Cass. 1re civ., 6 juin 2000, Bull. civ. I, no 179). Art. 7 (matière pénale) : CEDH, 22 nov. 1995, C. R.
et S. W. c/Royaume-Uni ; CEDH, Gde ch., 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne ;
CEDH 10 oct. 2006, D. 2007, 124 ; JCP G, 2007, 10092. J.-Chr. SAINT-PAU, « Le revirement
d'interprétation », in Histoire et méthodes d'interprétation en droit criminel, Dalloz, 2015, p. 175
(la prévisibilité s'apprécie au regard de critères subjectifs et objectifs).
(2174) CEDH, 14 janv. 2010, Atanasovski c/ « l’ex-République yougoslave de Macédoine »,
no 36815/03, § 38 : « the well-established jurisprudence imposed a duty on the Supreme Court to
make a more substantial statement of reasons justifying the departure ».
(2175) CEDH, 17 janv. 2006, Aoulmi c/France, JCP G, 2007, II, 10152.
(2176) V. supra, no 377. Adde CEDH, 18 déc. 2008, Unédic c. France, no 20153/04, § 74 : « les
exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne
consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante ». – CEDH, 14 janv. 2010,
Atanasovski, préc. : une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne
administration de la justice dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive
serait susceptible d’entraver tout changement ou amélioration. CEDH, 26 mai 2011, Legrand
c/France, no 23228/08, § 36 s.
(2177) V. supra, no 306.
(2178) P. MORVAN, « Le revirement pour l’avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le
Rubicon », D. 2005, chr. 247, spéc. no 15. Sur la méthode suivie par le Conseil d’État (dans le
contentieux de l’annulation), cf. J. SAISON-DEMARS, « L’office du juge administratif face au temps »,
Dr. adm. 2012, Études, 4, spéc. nos 18 et s.
(2179) Sur le (prétendu) principe de sécurité juridique, v. supra, no 47.
(2180) V. supra, no 42.
(2181) Sur cette distinction, cf. P. MORVAN, art. cit.
(2182) V. toutefois CE, 6 juin 2008, préc., où le Conseil d’État reproche à une cour administrative
d’appel de n’avoir pas opéré elle-même le revirement pour l’avenir.
(2183) Cass. com., 6 déc. 1994, Bull. civ. IV, nos 365 et 367 ; Rev. proc. coll., 1995, p. 211, obs.
B. Soinne (alignement sur l’art. 115-1 nouv. L. 1985) ; Cass. com., 3 janv. 1995, Bull. civ. IV, no 1 ;
RTD com., 1995, p. 849, obs. A. Martin-Serf (alignement sur l’art. 55, al. 2, nouv. L. 1985) ;
Cass. com., 14 juin 1994, D. 1995, 105, rap. J.-P. Rémery, note F. Derrida (alignement sur l’art. 38
nouv. L. 1985, avant même l’entrée en vigueur de la loi de 1994).
(2184) Cass. Ass. plén., 9 juill. 1982, Law King, JCP G, 1983.II.19993, concl. J. Cabannes ;
Gaz. Pal. 1982, 2, 513, note J. Massip ; GAJ civ., nos 46-47 : « L’article 334-8 du Code civil, dans
sa rédaction antérieure à la loi du 25 juin 1982 [...] ne fait pas obstacle à la constatation [...] de
la possession d’état d’enfant naturel ».
(2185) Ex. : Cass. crim., 29 nov. 1994, Bull. crim., no 385 ; JCP E, 1995.I.450, no 2, obs. O. Godard.
(2186) Ex. : Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, Bull. civ. I, no 12, étendant l’art. 1527, al. 2, C. civ. aux
enfants hors mariage nés d’une précédente liaison sur le fondement du principe de non-discrimination
(Conv. EDH, art. 14) alors qu’il eût suffi d’appliquer les dispositions transitoires de la L. 3 déc.
2001 ; surgit alors le risque d’une remise en cause vertigineuse des successions déjà liquidées et
partagées (cf. chron. de J.-P. MARGUÉNAUD et B. DAUCHEZ, Défrénois, 2002, art. 37615, p. 1366 ; adde
obs. J.-P. M. in RTD civ. 2011, p. 732).
(2187) Si le législateur a modifié la loi ancienne, c’est justement qu’il considérait qu’elle ne
contenait pas déjà la solution posée par la loi nouvelle. La Cour de cassation affirme le contraire.
(2188) Biblio. : Les divergences de jurisprudence, dir. P. Ancel et M.-Cl. Rivier, Public. de l’univ.
de St-Étienne, 2003 (sur les divergences entre les différentes juridictions suprêmes : Cour de
cassation, Conseil d’État, Conseil constitutionnel, CJCE, CEDH ainsi qu’en droits anglais, allemand
et suisse) ; P. DEUMIER, « Accès à la Cour de cassation et traitement des questions
jurisprudentielles », D. 2015, 172 (constatant que toutes les procédures existantes – saisine pour
avis, formation solennelle, chambre mixte ou assemblée plénière – n’ont pas permis de réduire les
divergences de jurisprudence ; par ailleurs, l’absence de motivation explicite des arrêts ne permet
pas d’identifier la question de droit en amont et l’existence d’une jurisprudence clairement établie en
aval ; la jurisprudence de la Cour de cassation est donc peu lisible et mal respectée par les juges du
fond).
(2189) La justice, comme l’erreur, est humaine. Un conseiller adepte de nouvelles expériences
(qu’une doctrine universitaire aura séduit) peut être à l’origine d’une jurisprudence dissidente. Tel fut
le cas, notamment, en matière de cautionnement, dans le débat concernant la portée de la formule
manuscrite requise par l’article 1326 du Code civil qui opposa, entre 1983 et 1989, la première
Chambre civile à la Chambre commerciale (v. Droit des sûretés, coll. Droit civil)). Tel fut encore le
cas lorsque la première Chambre civile mit en œuvre la théorie des ensembles contractuels en 1988,
se heurtant à l’hostilité de la troisième Chambre civile avant qu’une Assemblée plénière ne désavoue
cette innovation (v. Droit des obligations, coll. Droit civil).
(2190) Comment expliquer autrement que deux chambres (Cass. 1re civ. et Cass. com.) aient
accompli, chacune, deux revirements de jurisprudence, ralliant successivement la position de l’autre
et créant par ce chassé-croisé une nouvelle divergence inverse de la première (cf. P. MORVAN, note
sous Cass. com., 18 mai 1999, JCP E, 1999, p. 1127, à propos du rôle de la faute de l’appauvri dans
l’enrichissement sans cause) ?
(2191) CEDH, 20 oct. 2011, no 13279/05, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c/Turquie, § 57.
(2192) Bundesarbeitsgericht ou BAG (droit du travail) à Erfurt ; Bundessozialgericht ou BSG (droit
public social) à Kassel ; Bundesfinanzhof ou BFH (droit fiscal) à Munich ;
Bundesverwaltungsgericht ou BverwG (droit administratif) à Leipzig. Le Bundesgerichtshof (BGH)
a son siège à Karlsruhe.
(2193) Sur le droit allemand, F. FERRAND, Cassation française et révision allemande, PUF, 1993.
(2194) En procédure civile, la question de savoir si le juge peut, doit ou ne doit pas relever d’office
les moyens de droit que les parties ont omis de soulever devant lui a longtemps été tranchée par les
cinq chambres civiles de la Cour de cassation, sans souci d’unité (J. VINCENT et S. GUINCHARD,
Procédure civile, Dalloz, 27e éd., 2003, nos 559 et s., p. 496 et s.). Ce « serpent de mer » du droit
processuel a trouvé son épilogue (Cass. Ass. plén., 21 déc. 2007, JCP G, 2008, II, 10006,
n. L. Weiller).
(2195) « Le renvoi devant l'assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une
question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond,
soit entre les juges du fond et la Cour de cassation [...] » (C. org. jud., art. L. 431-6 ; anc. art. 131-
2, al. 2, issu de la L. 3 juill. 1967).
(2196) Ainsi, l’abus de fonctions du préposé en matière de la responsabilité civile des commettants
en témoigne, dans lequel la Chambre criminelle a triomphé d’un arrêt des chambres réunies et de
quatre arrêts de l’assemblée plénière ; aujourd’hui, l’unité est loin d’être rétablie (v. Droit des
obligations, coll. Droit civil).
(2197) C. org. jud., art. L. 431-5 (anc. art. L. 131-2, al. 1, issu de la L. 3 juill. 1967) : « Le renvoi
devant une chambre mixte peut être ordonné lorsqu’une affaire pose une question relevant
normalement des attributions de plusieurs chambres ou si la question a reçu ou est susceptible de
recevoir devant les chambres des solutions divergentes [...] ».
(2198) C. pr. civ., art. 1015-1 et s. : « la chambre saisie d’un pourvoi peut solliciter l’avis d’une
autre chambre sur un point de droit qui relève de la compétence de celle-ci. Les parties en sont
avisées » et « peuvent présenter des observations devant la chambre appelée à donner son avis ».
(2199) Paris, 9 nov. 2000, Dr. pén., 2001, comm. 57.
(2200) Respectivement : Cass. civ., 27 nov. 1844, DP 1845, I, 13 ; S., 1844, I, 811 (sous le visa des
art. 544 et 1382 ancien C. civ.) ; Cass. civ., 16 juin 1896, DP 1897, I, 433, note R. Saleilles, concl.
L. Sarrut ; S., 1897, 1, 17, note A. Esmein (sous le visa non moins fictif de l’art. 1384 ancien C. civ.).
V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2201) Cass. req., 28 mars 1810, S., chr. 1809-1811, I, 170. Le Conseil d’État suivit la Cour de
cassation (CE, 27 janv. 1814 : Jur. gén., t. XX, Vo Effets de commerce, no 359, p. 185). La Chambre
criminelle avait déjà statué en ce sens dans le silence du Code d’instruction criminelle (Cass. crim.,
19 janv. 1809, S., chr. 1809-1811, 1, 8).
(2202) CE, Ass., 17 févr. 1950, Lamotte, Rec. CE, p. 110 ; RDP 1951, p. 478, concl. Delvolvé, note
M. Waline (l’art. 4, al. 2 de la L. 23 mai 1943 déclarait que l’acte déféré « n’était susceptible
d’aucun recours » ; pourtant, le recours pour excès de pouvoir est accueilli). Cass. crim., 17 mai
1984, JCP G, 1985.II.20332, note J. Borricand ; D. 1984, 536, note W. Jeandidier ; Gaz. Pal. 1984,
II, 779, rap. Cruvellié ; Rev. sc. crim. 1984, p. 804, obs. Cl. Lombois (écartant l’art. 16 L. 10 mars
1927 afin d’ouvrir le pourvoi en cassation contre l’avis d’extradition). Cass. 1re civ., 25 mai 1992,
Rev. arb., 1992, p. 91 et chron. M. de Boisséson, p. 3 ; JDI 1992, p. 974, note É. Loquin ; Rev. crit.
DIP, 1992, p. 699, note B. Oppetit (écartant l’art. 1507 C. pr. civ. en matière d’arbitrage). V. M.
MARTEAU-PETIT, « Les voies de recours prétoriennes en procédure civile », RRJ 1999, p. 703. La
jurisprudence communautaire a même ouvert au Parlement européen, au nom du principe de
l’équilibre institutionnel, un recours en annulation que ne prévoyaient pas les textes (CJCE, 22 mai
1990, aff. C. 70/88, Rec. CJCE, p. 1041 ; D. 1990, 445).
(2203) Cass. 1re civ., 21 févr. 1978, cité supra, no 378 (l’exception est née de la coutume).
(2204) Cass. req., 3 juill. 1817, S., chr. 1815-1818, I, 342 ; Cass. req., 27 nov. 1893, DP 1894, 1,
342 ; Cass. 3e civ., 12 oct. 1971, Bull. civ. III, no 486.
(2205) Cass. com., 6 juill. 1981, Bull. civ. IV, no 303. – 21 janv. 1997, Dr. sociétés 1997, no 55, obs.
Th. Bonneau : « Vu le principe fraus omnia corrumpit ». L’autonomie du principe a été consacrée en
droit administratif et fiscal : CE 27 sept. 2006, Sté Jeanfin, Dr. fisc. 2006, comm. 744, concl.
L. Olléon et chron. O. Fouquet, p. 65 ; adde chron. P. DIBOUT, JCP E, 2006, I, 2820.
(2206) O. TOURNAFOND, « Considérations sur les nouveaux arrêts de règlement », Mélanges
Ph. Jestaz, Dalloz, 2006, p. 547, spéc. p. 557, qui cite les arrêts Chronopost, Perruche
(extrapolation d’une règle légale) et Desmares, Lorthioir, Costedoat (violation de la loi)...
(2207) Cass. com., 20 avr. 1948, DP 1948, 375 ; S., 1948, 1, 129 : « Vu l’article 443 du Code de
commerce et les principes applicables en matière de compte-courant ».
(2208) Les formules les plus répandues sont : « Vu le principe de... », « Vu le principe selon
lequel... », « Vu les principes régissant (ou : qui régissent)... » et parfois « Vu la règle... ».
(2209) Exemples : « Vu le principe fraus omnia corrumpit » (Cass. com., 6 juill. 1981, Bull. civ. IV,
no 303) ; « Vu [...] les principes de l’action de in rem verso » (Cass. 1re civ., 19 janv. 1953, D. 1953,
234) ou « Vu les principes régissant l’enrichissement sans cause » (Cass. 1re civ., 15 mars 1967,
Bull. civ. I, no 102) ; « Vu le principe du respect des droits de la défense » (Cass. 1re civ., 7 déc.
1953, Bull. civ. I, no 353) ; « Vu le principe de l’autorité absolue de la chose jugée au criminel »
(Cass. 2e civ., 5 janv. 1956, JCP G, 1956.II.9140) ; « Vu le principe fondamental en droit du travail,
selon lequel, en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir
application » (Cass. soc., 17 juill. 1996, JCP G, 1997.II.22798) ; « Vu le principe “à travail égal
salaire égal” » (Cass. soc., 18 mai 1999, Bull. civ. V, no 213) ; « Vu les principes de l’arbitrage
commercial international » (Cass. 1re civ., 13 oct. 1981, Bull. civ. I, no 287 ; JDI 1982, p. 931, note
B. Oppetit) ; « Vu le principe de l’immunité de juridiction des États étrangers » (Cass. 1re civ.,
4 févr.1986, JDI 1987, p. 112 ; Rev. crit. DIP, 1986, p. 718) ; « Vu le principe de la séparation des
pouvoirs » (Cass. 2e civ., 23 oct. 1957, Bull. civ. II, no 642) ; « Vu le principe non bis in idem »
(Cass. crim., 6 janv. 1999, Bull. crim., no 6 : le premier arrêt de la chambre criminelle à recourir à un
visa de principe) ; « Vu le principe de la loyauté des preuves » (Cass. crim., 9 août 2006, Bull. crim.
no 202) ; « Vu le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui »
(Cass. com., 20 sept. 2011, cité supra, no 246) ; « Vu [...] le principe selon lequel les lois spéciales
dérogent aux lois générales » (Cass. 1re civ., 9 mars 2016, cité infra, nº 456, in fine).
(2210) Sur les principes visés entre 1948 et 1997, cf. P. MORVAN, Le principe de droit privé, Éd.
Panthéon-Assas, 1999, nos 79 et s., p. 70 et s. ; du même, « Les visas de principe dans la
jurisprudence de la Cour de cassation, inventaire d’un droit “hors-la-loi” », LPA, 8 juin 2005, no 113,
p. 5 ; « Les principes généraux du droit et la technique de cassation » (conférence à la Cour de
cassation), in Droit et technique de cassation (CD Rom), coll. Droit in-situ, 2007 et sur
www.courdecassation.fr ; du même, « La production de principes par la Chambre sociale de la Cour
de cassation », in Les principes dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de
cassation, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires Actes, 2008, p. 5. Depuis 1997, 54 nouveaux
principes ont été visés, dont certains étaient déjà formulés comme tels par des arrêts dans des
chapeaux intérieurs.
(2211) H. LAUTERPACHT, Private law Sources and Analogies of International Law, Longmans, Green,
London, 1927. Adde la série d’articles, not. de L. LE FUR, A. VERDROSS, CH. DE VISSCHER et G. SCELLE,
aux Mélanges Gény, Sirey, t. III, 1935 ; BIN CHENG, General principles of law as Applied by
International Courts and Tribunals, 1953, réed. Grotius Publications, Cambridge University Press,
1994.
(2212) Article fondateur : P. REUTER, « Le recours de la CJCE à des principes généraux du droit »,
Mélanges H. Rolin, Pédone, 1964, p. 263 (v. biblio citée in P. MORVAN, Le principe de droit privé,
éd. Panthéon-Assas, 1999, no 93, p. 86).
(2213) B. JEANNEAU, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence administrative, Sirey,
1954. Plus récemment, J.-M. MAILLOT, La théorie administrativiste des principes généraux du droit.
Continuité et modernité, Dalloz, 2003.
(2214) J. BOULANGER, « Principes généraux du droit et droit positif », Études G. Ripert, LGDJ, 1950,
t. I, p. 51 ; G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, Chap. VI : « Les
principes juridiques » ; J. LÉAUTÉ, « Les principes généraux relatifs aux droits de la défense », Rev.
sc. crim. 1953, p. 47 ; B. OPPETIT, « Les principes généraux en droit international privé », Arch. phil.
dr., 1987, t. 32, Sirey, p. 179 ; G. LYON-CAEN, « Du rôle des principes généraux du droit civil en droit
du travail (première approche) », RTD civ.1974, p. 229 ; du même, « Les principes généraux du droit
en droit du travail », in Études G.-H. Camerlynck, Dalloz, 1978, p. 35. V. récemment, Les principes
en droit, Economica, 2008, spéc. p. 49, A. JEAMMAUD, « De la polysémie du terme “principe” dans les
langages du droit et des juristes » (l’auteur reste fidèle à la théorie romantique en assignant aux
principes deux caractères : la généralité et la « proximité avec les valeurs réputées inspirer l’ordre
juridique positif »).
(2215) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, coll. Thémis, 1re éd., 1955, no 29, p. 101.
(2216) P. MORVAN, thèse et articles précités. Dans le même sens, S. CAPORAL, « Le recours aux
principes fondamentaux et généraux est-il un indice d’une référence au droit naturel ? », in Un
dialogue juridico-politique : le droit naturel, le législateur et le juge, PUAM, 2010, p. 491.
(2217) Selon la formule de J. LÉAUTÉ, art. cit. Sur la critique de l’approche idéaliste, v. aussi infra,
no 458 (à propos de l’analogie).
(2218) V. par exemple les arrêts cités supra, no 396 et no 402.
(2219) Pour l’adoption de cette analyse en doctrine, v. not. C. PÉRÈS, D. 2009, chr., 381 (sur le
principe de la liberté contractuelle).
(2220) P. LESCOT, « Les tribunaux face à la carence du législateur », JCP 1966, I, 2007.
(2221) Formellement, à partir de : CE, Ass., 26 oct. 1945, Aramu, Rec. CE, p. 213 ; DP 1946, 158,
note G. Morange ; S. 1946,3,1, concl. R. Odent : « il résulte [...] des principes généraux du droit
applicables même en l’absence de texte, qu’une sanction ne peut [...] être prononcée légalement
sans que l’intéressé ait été mis en mesure de présenter utilement sa défense ».
(2222) G. VEDEL et P. DELVOLVÉ, Droit administratif, PUF, t. I, 12e éd., 1992, p. 474.
(2223) Selon la formule de R. CHAPUS, « De la valeur juridique des principes généraux du droit et des
autres règles jurisprudentielles du droit administratif », D. 1966, chr. 99.
(2224) V. supra, no 350.
(2225) De façon générale, « le juge pénal ne peut accorder au prévenu le bénéfice du doute, au
motif que la loi visée par la prévention est obscure ou que son interprétation est incertaine, sans
méconnaître ses obligations et violer l’art. 4 C. civ. » (Cass. crim., 12 mars 1984, Bull. crim.,
no 102). Auparavant, la Chambre criminelle avait estimé au contraire que « l’incertitude ou
l’obscurité des textes doit aussi bien s’interpréter en faveur du prévenu que l’incertitude sur les
faits » (Cass. crim., 5 juill. 1900, S., 1903, 1, 549).
(2226) Il s’agit des magistrats composant les juridictions d’attribution (conseils de prud’hommes et
tribunaux de commerce). Par ailleurs, l’art. 1er L. 20 avr. 1932 prévoit que les décisions définitives
rendues par les juridictions administratives et judiciaires présentant une « contrariété conduisant à
un déni de justice » peuvent être déférées au Tribunal des conflits.
(2227) V. supra, no 191.
(2228) Cass. soc., 25 janv. 2005, D. 2005, 1540 ; JCP G, 2006, II, 10185.
(2229) PORTALIS, séance du 23 juill. 1801 devant le Conseil d’État : P.-A. FENET, Recueil complet des
travaux préparatoires du Code civil, t. VI, 1827, p. 15 : « Cet article a pour objet d’empêcher les
juges de suspendre ou de différer arbitrairement leurs décisions par des référés au législateur ».
(2230) P. HÉBRAUD, « Le juge et la jurisprudence », Mélanges P. Couzinet, Univ. sc. sociales
Toulouse, 1974, p. 329, spéc. nos 3 et 4, p. 333-334.
(2231) P. HÉBRAUD, op. cit., no 4, p. 335.
(2232) PORTALIS, ib., p. 359-360 : « Il est nécessairement une foule de circonstances dans
lesquelles un juge se trouve sans loi. [...] Rien ne serait plus puéril que de vouloir prendre des
précautions suffisantes pour qu’un juge n’eût jamais qu’un texte précis à appliquer. Pour prévenir
les jugements arbitraires, on exposerait la société à mille jugements iniques, et, ce qui est pis, on
l’exposerait à ne pouvoir plus se faire rendre justice ; et avec la folle idée de décider tous les cas,
on ferait de la législation un dédale immense, dans lequel la mémoire et la raison se perdraient
également. [...] Pour que les affaires de la société puissent marcher, il faut donc que le juge ait le
droit d’interpréter les lois et d’y suppléer ».
(2233) L’art. 3 du décret des 27 nov.-1er déc. 1790 (qui ne fut abrogé que par la L. no 2007-1787,
20 déc. 2007) avait défini étroitement la mission du Tribunal de cassation : « Il annulera toutes
procédures dans lesquelles les formes auront été violées et tout jugement qui contiendra une
contravention expresse au texte de la loi ». Mais le Tribunal puis la Cour de cassation rompirent ces
chaînes en inventant, contra legem, d’autres cas d’ouverture à cassation (v. supra, no 179).
(2234) Sur cet âge d’or de la jurisprudence, v. infra, no 413.
(2235) Développements in P. MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit », RRJ
2001, p. 77. Pour une amélioration de la « théorie des trois plans », cf. E. VERGÈS, La catégorie
juridique des principes directeurs du procès judiciaire, th. Aix-Marseille III, 2000.
(2236) C. pr. civ., art. 12 : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables ». C. pr. civ., art. 604 : « Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de
cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit ». L’ancien art. 1020
C. pr. civ. (« L’arrêt [qui censure] vise le texte sur lequel la cassation est fondée ») n’avait pas été
respecté puisque la Cour de cassation vise des principes (v. supra, no 403) ; mais, depuis le
D. 22 mai 2008, l’art. 1020 mentionne « la règle de droit... » non plus « le texte... ».
(2237) V. supra, no 402.
(2238) L’abrogation de l’art. 127 ancien du Code pénal, qui punissait pour crime de forfaiture les
magistrats qui s’étaient « immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif, soit par des règlements
contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou en suspendant l’exécution d’une ou de
plusieurs lois », a accentué cette liberté.
(2239) Biblio. sélective sur les arrêts de règlement : G. DETEIX, Les arrêts de règlement du
Parlement de Paris, th. Paris, 1930 ; Ph. PAYEN, Les arrêts de règlement du Parlement de Paris au
XVIIIe siècle : dimension et doctrine (thèse), PUF, 1997 ; A. AUDINET , « Faut-il ressusciter les arrêts
de règlement ? », in Mélanges J. Brethe de la Gressaye, éd. Brière, 1967, p. 99 ; B. BEIGNIER, « Les
arrêts de règlement », Droits 1989, no 9, p. 45 ; O. TOURNAFOND, « Considérations sur les nouveaux
arrêts de règlement », Mélanges Ph. Jestaz, Dalloz, 2006, p. 547 ; R. LIBCHABER, « Les articles 4 et 5
du Code civil ou les devoirs contradictoires du juge civil », Le titre préliminaire du Code civil,
Economica, 2003, p. 143.
(2240) RŒDERER, séance du 23 juill. 1801 devant le Conseil d’État in Fenet, t. VI, 1827, p. 22-23 :
« La circonspection n’est pas naturelle aux juges, surtout lorsqu’ils sont éclairés et qu’ils ont le
sentiment de leurs lumières ».
(2241) Portalis présente ainsi l’art. 5, après l’exposé de l’art. 4 : « Un juge est associé à l’esprit de
législation : mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte de souveraineté,
une décision n’est qu’un acte de juridiction ou de magistrature. Or, le juge deviendrait législateur,
s’il pouvait, par des règlements, statuer sur les questions qui s’offrent à son tribunal. [...] Il y
aurait bientôt autant de législations que de ressorts. [...] L’esprit de judicature, qui est toujours
appliqué à des détails, et qui ne prononce que sur des intérêts particuliers, ne pourrait souvent
s’accorder avec l’esprit du législateur, qui voit les choses plus généralement et d’une manière plus
étendue et plus vaste » (op. cit. t. VI, p. 361).
(2242) Ib.
(2243) Cass. 2e civ., 16 juin 1955, Bull. civ. II, no 346 ; RTD civ. 1955, p. 696, obs. P. Hébraud. Cet
arrêt marque le renouveau de l’art. 5, C. civ. qui n’avait été appliqué que six fois entre 1897 et 1933
et aucunement entre 1934 et 1955 (H. SINAY, « La résurgence des arrêts de règlement », D. 1958, chr.
85).
(2244) Cass. req., 1er févr. 1882, DP 1882, I, 113.
(2245) Cass. req., 19 juin 1929, DH 1929, 377.
(2246) P. HÉBRAUD, « Le juge et la jurisprudence », Mélanges P. Couzinet, Univ. sc. soc. Toulouse,
1974, p. 329, spéc. no 10, p. 339.
(2247) 1er ex. en droit civil : Cass. 1re civ., 20 mai 1969, D. 1969, 429 ; RTD civ. 1969, p. 607, obs.
P. Hébraud (étendant aux enfants naturels simples l’action alimentaire ouverte par l’ancien art. 342,
al. 2, C. civ. aux enfants adultérins). 2e ex. en droit pénal : Cass. crim., 9 janv. 1958, D. 1958, Somm.
79 ; Gaz. Pal. 1958.I.220 : la chambre criminelle « ne peut que constater l’irrecevabilité de ce
pourvoi » à défaut de qualité pour agir du demandeur « tout en constatant que c’est à tort que la
cour d’appel a refusé de faire application de l’art. 224 C. pén. » ; l’obiter dictum sert à critiquer
une décision inattaquable des juges du fond. V. aussi supra, no 336 et les obs. P. Deumier, RTD civ.
2010, p. 503 (avec les réf. en droit constitutionnel). S. TOURNAUX, « L’obiter dictum de la Cour de
cassation », RTD civ. 2011, p. 45.
(2248) 3e ex. en droit international privé : l’abandon du « pouvoir de révision » des jugements
étrangers par le juge français lorsqu’il accorde l’exequatur fut annoncé par un obiter dictum dans un
arrêt où la question de la révision ne se posait pas : le juge doit exercer son contrôle sur la décision
étrangère « en dehors de toute révision au fond, toujours exlue » (Cass. 1re civ., 8 janv. 1963, aff. du
Roi Carol, D. 1963, 341, note Ph. M. ; JCP G, 1964.II.3470, note Ph. F. ; Rev. crit DIP, 1963, p. 109,
note G. H.). 4e ex. en droit social : « En l’absence de refus par le salarié d’une mise à pied
disciplinaire, laquelle n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du
personnel, l’employeur n’est pas tenu de mettre en œuvre la procédure » spéciale de licenciement
(Cass. soc., 23 juin 1999, JCP G, 1999.II.10216, note F. Duquesne). Cet obiter dictum, sans rapport
avec le litige, exprime ou annonce un revirement.
(2249) L. no 91-491 du 15 mai 1991 (C. org. jud., art. L. 441-1 et s., art. R. 441-1), pour les
juridictions civiles ; L. organique no 2001-539 du 25 juin 2001 (C. pr. pén., art. 706-55 et s.), pour
les juridictions pénales.
(2250) C. org. jud., art. L. 441-3 : « L’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la
demande » ni les chambres de la Cour de cassation statuant au contentieux qui viendraient à être
saisies du même type de litige.
(2250a) Le droit mis en barème, dir. I. Sayn, Dalloz, 2014.
(2251) M. SALUDEN, « La jurisprudence, phénomène sociologique », Arch. phil. dr., t. 30, « La
jurisprudence », Sirey, 1985, p. 191, spéc. p. 194.
(2252) Ex. : Cass. crim., 3 nov. 1955, D. 1956, 557, note R. Savatier.
(2253) Ex. : Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, RTD civ. 2014, p. 77, obs. P. Deumier (avec les réf.),
reprochant à un juge des affaires familiales d’avoir fixé une pension alimentaire en « fondant sa
décision sur une table de référence, fût-elle annexée à une circulaire ».
(2254) M. ROBINEAU, « Le statut normatif de la nomenclature Dintilhac des préjudices », JCP G,
2010, 612 ; L. MAURIN, « Le droit souple de la responsabilité civile », RTD civ. 2015, p. 517.
(2255) Ex. : Cass. soc., 12 mai 1965, aff. Coquatrix, Bull. civ. V, no 371 ; D. 1965, 583.
(2256) C. pr. civ., art. 455 : « Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives
des parties et leurs moyens [...]. Le jugement doit être motivé ».
(2257) L’exigence d’une motivation des décisions de justice est affirmée depuis la Révolution :
L. 16-24 août 1790, Tit. V., art. 15, Const. 5 fructidor an III, art. 208 puis L. 20 avr. 1810, art. 7.
(2258) Pour certaines décisions (actes d’administration judiciaire, prononcé d’astreintes...), le juge
dispose d’un pouvoir discrétionnaire. cf. T. BARTHOUIL, « Essai sur le pouvoir discrétionnaire des
juges du fond en droit privé », RRJ 1992, p. 341 et s. et 619 et s.
(2259) H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 338.
(2260) Pour les droits romain et anglo-américain, v. supra, nos 387 et s.
(2261) Les cas d’ouverture à cassation relevant du contrôle de la motivation sont les suivants :
absence de motifs, contradiction entre des motifs (de fait), motifs dubitatifs ou hypothétiques, défaut
de réponse à conclusions et, surtout, manque de base légale (v. supra, no 179).
(2262) Sous l’Ancien droit, la jurisprudence se devait d’être une science secrète, privilège des cours
souveraines, en toutes matières. Cf. T. SAUVEL, « Histoire du jugement motivé », RDP 1955, p. 5.
(2263) L. WELAMSON, « La motivation des décisions des Cours judiciaires suprêmes », RID comp.
1979, p. 509.
(2264) A. TOUFFAIT et A. TUNC, « Pour une motivation plus explicite des décisions de justice,
notamment celles de la Cour de cassation », RTD civ. 1974, p. 487.
(2265) V. d’ailleurs en ce sens : A. et S. TUNC, Le droit des États-Unis d’Amérique. Sources et
techniques, Dalloz, 1955, no 41 et no 62.
(2266) J.-E. LABBÉ, note S., 1887.I.93 : « D’une décision il n’y a qu’un bon motif ; le bon motif est
gâté par le contact des autres ; les arrêts concentrés dans un motif sont les meilleurs, ils dirigent
mieux pour l’avenir et n’engendrent point la perplexité ».
(2267) P. DEUMIER, « Les motifs des motifs des arrêts de la Cour de cassation », Mélanges J.-F.
Burgelin, Dalloz, 2008, p. 125. Cf. Cass. req., 16 mai 1838, Jur. Gén. Dalloz, Vº Jugement, nº 950 :
« les jugements et arrêts résident entièrement dans leur dispositif et la loi n’a pu exiger et n’a pas,
en effet, exigé nulle part les motifs des motifs ».
(2268) Sur la « doctrine » de la jurisprudence qui se dégage de ces écrits de nature hybride, v. infra,
no 436.
(2269) CEDH, 29 août 2000, Jahnke et Lenoble, JCP G, 2000.II.10435 : « Optant pour une réponse
laconique, l’arrêt (de la Cour de cassation) peut en effet prêter à confusion » ; mais, après examen
de l’espèce, il s’avère qu’elle n’a pas commis d'« erreur manifeste d’appréciation ».
(2270) CEDH, 13 janv. 2009, Taxquet c/Belgique, D. 2009, 1058, n. J.-F. Renucci. La L. no 2011-
939, 10 août 2011 a introduit la motivation des arrêts de cour d’assises (C. pr. pén., art. 365-1).
(2271) S. GJIDARA, « La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences
nouvelles », LPA 26 mai 2004, no 105, p. 3.
(2272) Cass. 2e civ., 31 janv. 1985, Bull. civ. II, no 26 ; Gaz. Pal. 1985, Somm. 124, note crit.
S. Guinchard : le recours à des motifs établis d’avance sur un formulaire n’est pas incompatible avec
l’art. 6 Conv. EDH.
(2273) Cf. « Entretien avec Bertrand Louvel », JCP G, 2015, 1122 ; B. LOUVEL, art. in D. 2015, 1326.
(2274) Cass. 3e civ., 22 oct. 2015 et 17 déc. 2015, JCP G, 2016, 189, n. P.-Y. Gautier (validant et
condamnant, respectivement, l’expulsion de gens du voyage de leur campement illicite, après un
examen poussé des circonstances de l’espèce).
(2275) Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, D. 2014, 179, n. F. Chénedé ; RTD civ. 2014, p. 307, obs. J.-
P. Marguénaud (arrêt considéré comme fondateur de cette nouvelle méthode de raisonnement).
(2276) Sur la mission légale de la Cour de cassation, v. supra, nº 179 et nº 401.
(2277) Contre cette nouvelle motivation : P.-Y. GAUTIER, « Éloge du syllogisme », JCP G, 2015,
902 ; art. in D. 2015, 2189 ; note précitée sous Cass. 3e civ., 22 oct. et 17 déc. 2015 ; Ph. MALAURIE,
« Pour : la Cour de cassation, son élégance, sa clarté et sa sobriété. Contre : le judge made law à la
manière européenne », JCP G, 2016, 318 ; F. CHÉNEDÉ, « Contre-révolution tranquille à la Cour de
cassation ? », D. 2016, 796 ; A. BÉNABENT, obs. in D. 2016, 137 ; P. PUIG, obs in RTD civ. 2015,
p. 70. Pour cette nouvelle motivation ou sans opinion tranchée : Ph. JESTAZ, J.-P. MARGUÉNAUD et
Chr. JAMIN, art. in D. 2014, 2061 ; Ph. THÉRY, art. in « Regards d’universitaires sur la réforme de la
Cour de cassation », JCP G, 2016 (suppl. au nº 1-2, 11 janv. 2016), 10 ; C. CHAINAIS, ibid., 11 ;
P. DEUMIER, art. in D. 2015, 2022.
(2278) V. supra, no 332.
(2279) Pour les premiers coups d’essai : Cass. crim., avis, 29 févr. 2016, JCP G, 2016, 324, note
P. Deumier ; Cass. com., 22 mars 2016, nº 14-14218, Bull. civ. IV, à paraître, affirmant qu’il y a lieu
pour la chambre commerciale d’abandonner sa précédente jurisprudence et « d’adopter la même
position » que la troisième chambre civile ; Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, nº 15-10552, Bull. civ. I, à
paraître. Cette référence à des arrêts antérieurs, afin de mieux motiver, fait songer aux « cailloux du
Petit Poucet » ; l'inconvénient est qu'elle peut inspirer des arguments pour contester la solution
(R. LIBCHABER, art. in JCP G, 2016, 63).
(2280) P. HÉBRAUD, obs. in RTD civ. 1955, p. 69. Cass. soc., 9 mai 1995, Bull. civ. V, no 149 ;
Dr. ouvrier 2005, p. 149 : « en vertu du principe de l'autorité relative de la chose jugée et de
l'interdiction faite aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur
les causes qui leur sont soumises, l'employeur ne peut se prévaloir de décisions antérieures
rendues dans d'autres instances et entre des parties différentes ».
(2281) P. HÉBRAUD, obs. in RTD civ. 1969, p. 607.
(2282) Lord DEVLIN : « Les juges, comme toute autre catégorie d’hommes d’un certain âge qui ont
vécu en général des existences peu aventureuses, tendent à être traditionalistes dans leurs idées.
C’est là un fait de nature » (Judges and Lawmakers, Modern Law Review, 1976, p. 1). G. RIPERT,
Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, no 3, p. 9 : « C’est par la formation même de son esprit
que le juriste est un conservateur ». A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique I, deuxième
partie, Ch. VIII « Le juge est un légiste, qui indépendamment du goût de l’ordre et des règles qu’il
a contractées dans l’étude des lois, puise encore l’amour de la stabilité dans l’inamovibilité de ses
fonctions ».
(2283) V. supra, no 391.
(2284) P. MORVAN, « La jurisprudence virale », JCP G, 2013, 2.
(2285) Ph. MALAURIE, « La Cour de cassation au XXe siècle », in Rapport de la Cour de cassation
1999, Doc. fr., 2000.
(2286) C. GAU-CABÉE, « La jurisprudence et les silences du Code civil. Lecture d’une carence
originelle », Droits 2008, nº 47, p. 3.
(2287) La L. 30 ventôse an XII (24 mars 1804) ordonnant la réunion des nouvelles lois civiles en un
code unique, le Code civil des Français, dispose en son art. 7 qu'« à compter du jour où ces lois
seront exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les
statuts, les règlements, cessent d’avoir force de loi générale ou particulière, dans les matières qui
forment l’objet desdites lois composant le présent code ». Une disposition similaire fut introduite
dans le Code de procédure civile (C. pr. civ., art. 1041, v. ci-dessous), pour le Code de commerce
(L. 15 sept. 1807, art. 2) et dans le Code forestier de 1827 (art. 218). Comp. art. 484 du Code pénal
de 1810.
(2288) Civ., 13 germinal an XII, Jur. Gén., t. XXX, Vo Loi, no 533-2o, p. 209.
(2289) CE, Avis (à valeur législative), 2 juill. 1807, Jur. Gén., t. II, Vo Actes de l’état civil, no 23,
p. 508 : « De tout temps, et dans toutes les législations, l’erreur commune et la bonne foi ont suffi
pour couvrir, dans les actes et même dans les jugements, des irrégularités que les parties
n’avaient pu ni prévoir ni empêcher ».
(2290) Cass. req., 18 janv. 1830, S., chr. 1828-1830, I, 430. Adde : Cass. req., 6 mai 1874, DP 1874,
1, 412, rap. Connely ; Cass. req., 12 déc. 1882, DP 1883, 1, 264.
(2291) « Toutes lois, coutumes, usages et règlements relatifs à la procédure civile, seront
abrogés ».
(2292) Civ., 21 brumaire an XII, in MERLIN, Recueil alphabétique des questions de droit, 4e éd.,
1829, t. XII, Vo Prescription, § XV, p. 47.
(2293) Cass. req., 6 avr. 1831, DP 1831, I, 137 ; Jur. Gén., t. XVIII, Vo Droit maritime, no 1843,
p. 647.
(2294) Ex. : Cass. civ., 31 mai 1813, S., chr. : « Vu les lois 36 et 38, D., de contrahenda emptione ;
la loi 6, pro donato et les lois 3 et 6, C. de contr. empt. ; vu pareillement l’art. 911, C. Nap. »
(validité des donations déguisées non conclues entre époux).
(2295) Ex. : Cass. req., 6 mars 1861, Syndicat Vollot, DP 1861, 1, 417 ; S., 1861, 1, 73 : « Sous
l’empire de l’ancienne législation, le caractère purement personnel et mobilier du droit que le bail
confère au preneur n’a jamais été mis en question, ainsi que l’atteste un de ses plus sûrs et fidèles
interprètes et dans le silence qu’il a gardé à cet égard, il est impossible d’admettre que le Code
Napoléon, en reproduisant la définition que Pothier donne du bail, ait entendu transformer la
nature de ce contrat, pour en changer et en modifier les effets ».
(2296) Ed. MEYNIAL, « Les recueils d’arrêts et les arrêtistes », in Le Code civil 1804-1904. Livre du
centenaire, 1904, t. I, p. 172, spéc. p. 184 : « Les progrès des dernières années de l’Empire (le
premier) furent bien vite détruits. Ce fut la haute magistrature qui prit modèle sur cette tourbe
d’anciens juges seigneuriaux, d’anciens procureurs d’officialités, dont la pratique fournissait
encore bien des survivants. La difficulté redevint grande de ne faire goûter aux juges que ce qui
n’était appuyé que sur des autorités modernes. Il fallut les servir à leur gré, remonter de nouveau
aux autorités de l’Ancien Régime, citer le Corpus de Justinien, de préférence au Code civil, ou
justifier le Code civil par l’ancienne coutume de Paris ».
(2297) S. BLOQUET, « Quand la science du droit s’est convertie au positivisme », RTD civ. 2015,
p. 59.
(2298) Pour un tableau spirituel des magistrats et des arrêts cette époque : F. BÉRENGER, « Éloge de la
magistrature », RRJ 2006, p. 1751.
(2299) Cass. req., 15 juin 1892, Patureau-Miran c/Boudier (aff. des engrais), DP 1892, I, 596 ; S.,
1893, I, 281, note J.-E. Labbé : un fermier insolvable ayant répandu des engrais sur des terres
affermées n’avait pu payer son vendeur ; le bailleur, enrichi sans cause, fut tenu de lui verser le
montant de la plus-value procurée à ses terres. V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2300) Cass. civ., 16 juin 1896, Teffaine (aff. du remorqueur Marie), DP 1897, I, 433, note
R. Saleilles, concl. Sarrut ; S. 1897, I, 17, note A. Esmein (l’explosion de la machine à vapeur d’un
remorqueur circulant sur la Loire avait tué un mécanicien ; jugé que le défaut de soudure à l’origine
du dommage était un vice de la chose dont le propriétaire devait répondre de plein droit, même s’il
en avait ignoré l’existence). V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2301) Trib. conflits, 8 févr. 1873, Blanco, DP 1873, III, 17 et S., 1873, III, 153, concl. David.
(2302) V. supra, nos 288 et s.
(2303) V. supra, no 73, 3o.
(2304) Cass. req., 3 août 1915, Clément Bayard, DP 1917, 1, 79 ; S., 1920, 1, 300. V. aussi les arrêts
Chollet c/Dumoulin en droit des successions (Ch. réunies, 5 déc. 1907, DP 1908, 1, 113, note
A. Colin ; S., 1908, 1, 5, note Ch. Lyon-Caen, concl. Beaudouin) et Caisse rurale de la commune de
Manigod en droit des sociétés (Ch. réunies, 11 mars 1914, DP 1914, 1, 257, note L. Sarrut ; S., 1918,
1, 103).
(2305) V. encore l’affirmation que la personnalité morale « n’est pas une création de la loi »
(Cass. 2e civ., 28 janv. 1954, D. 1954, 217, note G. Levasseur ; JCP G, 1954.II.7978, concl.
Lemoine ; Arch. phil. dr., 1959, p. 140, note J. Carbonnier. V. Droit des personnes, coll. Droit civil).
Le point d’achèvement est situé sans doute au milieu des années 1960, notamment lorsque la Cour de
cassation institua une présomption irréfragable de mauvaise foi à l’encontre du vendeur professionnel
l’obligeant à payer tous dommages-intérêts envers l’acheteur par l’effet de l’article 1645 C. civ.
(Cass. 1re civ., 19 janv. 1965, aff. du pain de Pont Saint-Esprit, D. 1965, 389. V. Les contrats
spéciaux, coll. Droit civil).
(2306) **Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre, cité supra, no 340.
(2307) V. supra, no 351.
(2308) Cass. Ass. plén., 29 mars 1991, Blieck, JCP G, 1991.II.21673, concl. H. Dontenwille, note
J. Ghestin ; D. 1991, 324, note Chr. Larroumet ; RTD civ. 1991, p. 541, obs. P. Jourdain. V. Droit des
obligations, coll. Droit civil.
(2309) Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, D. 1991, 417, rap. Y. Chartier, note D. Thouvenin ; JCP G,
1991.II.21752, commun. J. Bernard, concl. H. Dontenwille, note Fr. Terré ; RTD civ. 1991, p. 517,
obs. D. Huet-Weiller et 1992, p. 489, chron. M. Gobert.
(2310) Cass. Ass. plén., 12 juill. 1991, Besse, D. 1991, 549, note J. Ghestin ; JCP G, 1991.II.21743,
note G. Viney ; RTD civ. 1991, p. 750, obs. P. Jourdain. V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2311) Cass. Ass. plén., 11 déc. 1992, JCP G, 1993.II.21991, concl. M. Jéol, note G. Mémeteau.
(2312) Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, D. 1996, 13, concl. M. Jéol ; JCP G, 1995.II.22565, concl.
M. Jéol, note J. Ghestin.
(2313) Cass. Ass. plén., 30 juin 1995, JCP G, 1995.II.22478, concl. M. Jéol, D. 1995, 513, concl.
M. Jéol, note R. Drago : « Vu le principe du respect des droits de la défense ; la défense constitue
pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel ; son exercice effectif exige
que soit assuré l’accès de chacun, avec l’assistance d’un défenseur, au juge chargé de statuer sur
sa prétention ».
(2314) J.-L. BERGEL, « La loi du juge, dialogue ou duel ? », Études P. Kayser, PUAM, 1992, t. I,
p. 22.
(2315) Ph. MALAURIE, « La jurisprudence combattue par la loi », Mélanges R. Savatier, Dalloz, 1965,
p. 603 ; puis dans Defrénois 2005, art. 38203, p. 1205 où est évoquée « la loi combattue par la
jurisprudence » (ex. : la loi dite « anti-Perruche », supra, no 306, texte et note).
(2316) Sur l’influence du courant américain de l’Analyse économique du droit, v. supra, no 33.
(2317) Aux États-Unis : D. L. HOROWITZ, The Courts and Social Policy, Washington, The Brookings
Institution, 1977 (les décisions n’interviennent que de façon épisodique, piecemeal). Pourtant, une
des bases du droit américain, presque un leitmotiv de la pensée juridique, est que « all law is judge-
made law ».
(2318) Lord DEVLIN, Judges and Lawmakers, 39 Modern Law Review, 1976, p. 1, spéc. p. 10.
(2319) Éd. LAMBERT, Le gouvernement des juges et la législation sociale aux États-Unis.
L’expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, Girard, 1921,
rééd. Dalloz, 2005 (à propos de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis dans les
années 1910 et 1920, très anti-sociale).
(2320) V. supra, no 336.
(2321) V. par ex. Y. LEQUETTE, « Des juges littéralement irresponsables... », Mélanges J. Héron,
LGDJ, 2008, p. 309.
(2322) V. supra, no 398.
(2323) Portalis a fait justice de cette accusation dans son Discours préliminaire (in Locré, t. I,
p. 258-259) : « On a fait à ceux qui professent la jurisprudence le reproche d’avoir multiplié les
subtilités, les compilations et les commentaires. Ce reproche peut être fondé. Mais dans quel art,
dans quelle science ne s’est-on pas exposé à le mériter ? Doit-on accuser une classe particulière
d’hommes de ce qui n’est qu’une maladie générale de l’esprit humain ? Il est des temps où l’on est
condamné à l’ignorance parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où il est difficile de
s’instruire, parce qu’on en a trop ».
(2324) Cf. Ph. CONTE, « L’arbitraire judiciaire : chronique d’humeur », JCP G, 1988.I.3343 : « Si les
juges estiment eux-mêmes que rien ne leur est interdit, qu’ils ne s’étonnent pas et encore moins
s’indignent, si d’autres viennent à en inférer que l’on peut, alors, tout obtenir d’eux ».
(2325) P. DURAND, « La connaissance du phénomène juridique et les tâches de la doctrine moderne de
droit privé », D. 1956, chr. 73 ; A. DUNES, « La non-publication des décisions de justice », RID
comp. 1986, p. 757.
(2326) Sur les banques de données jurisprudentielles : Ch. LARCHER-LOYER, « La jurisprudence
d’appel », JCP G, 1989.I.3407 ; G. MAZET, « Les systèmes informatisés de documentation
juridique », RID comp. 1986, p. 775 ; A. PERDRIAU, « Les arrêts de la Cour de cassation au regard de
l’informatique », JCP G, 1990.I.3436.
(2327) Les Anglo-Saxons déplorent l’« orgie » de créativité jurisprudentielle, non moins dangereuse
que l’« orgie » législative contemporaine (D. L. HOROWITZ, op. cit., p. 4-12 ; M. CAPPELLETTI, Le
pouvoir des juges, trad. R. David, Économica, 1990, no 840).
(2328) Sur les vertus scientifiques de la publication d’arrêts inédits au sein de « Mégacodes »,
X. HENRY, « La jurisprudence accessible. Mégacode civil : théorie d’une pratique », RRJ 1999,
p. 631 et 979. L’étude de M. Henry montre que le déchet jurisprudentiel (arrêts laconiques, ambigus
ou de pure espèce) est aussi énorme qu’inévitable et devrait rester dans l’ombre.
(2329) V. supra, no 394.
(2330) La Cour EDH recherche, en matière pénale, si « le texte de la disposition légale, lue à la
lumière de la jurisprudence interprétative dont elle s’accompagne » est clair et prévisible afin de
respecter le principe de légalité des délits (CEDH, 15 nov. 1996, Cantoni, préc. supra no 396). À
l’inverse, elle a jugé, sur une question de droit public, que « l’extrême complexité du droit positif,
telle qu’elle résulte de la combinaison de la législation [...] avec la jurisprudence [du Conseil
d’État] était propre à créer un état d’insécurité juridique » privant le requérant « d’une possibilité
claire, concrète et effective » d’accéder à un tribunal selon l’art. 6 § 1 Conv. EDH (CEDH, 16 déc.
1992, Geouffre de la Pradelle, D. 1993, 561, note F. Benoît-Rohmer).
(2331) CE, 6 mai 2015, nº 377487, RTD civ. 2015, p. 575, obs. P. Deumier (avec les autres réf.) :
« selon la jurisprudence de la Cour EDH, [les stipulations de l’art. 1er prot. nº I], en mentionnant
"les conditions prévues par la loi", visent à la fois le droit écrit et le droit non écrit, et exigent
seulement que ce droit soit, d'une part, suffisamment accessible et, d'autre part suffisamment
précis et prévisible [...] ».
(2332) La Cour de cassation n’avait pas hésité à affirmer que « la notion de bref délai énoncée à
l’art. 1648 C. civ. (limitant le droit de l’acheteur à agir en garantie des vices cachés), si elle
n’indique pas une durée précise, n’en est pas moins claire dans son objectif et d’application
simple selon une jurisprudence constante ; cette disposition ne saurait donc constituer une
restriction inadmissible au droit d’agir » garanti par l’art. 6 § 1 Conv. EDH (Cass. 1re civ., 21 mars
2000, D. 2000, 593 ; RTD civ. 2000, p. 592, obs. P.-Y. Gautier et p. 666, obs. N. Molfessis). Le
propos ne manque pas de sel. Dans son rapport annuel pour 1998 (Doc. fr., 1999), la Cour de
cassation dénonçait au contraire l’insécurité juridique qui enrobe cette notion obscure, qu’aucune
« jurisprudence constante » ne vient éclaircir...
(2333) Depuis : Cons. const., 19-20 janv. 1981, Loi Sécurité et liberté, décis. no 80-127 DC,
D. 1981, 102, note J. Pradel ; D. 1982, 441, note A. Dekeuwer ; JCP G, 1981.II.19701, note
C. Franck ; RDP 1981, p. 651, obs. L. Philip ; AJDA, 1981, p. 275, note J. Rivéro et p. 278, note
C. Gournay ; Rev. adm. 1981, no 201, p. 266, note M. de Villiers. Ce motif fut repris par la Cour de
cassation (Cass. crim., 1er févr. 1990, Bull. crim., no 56).
(2334) Cons. const., 16 déc. 1999, décis. no 99-421 DC, JO 22 déc. 1999, p. 19041.
(2334a) Sur la définition qui sera finalement proposée, v. infra, no 437.
(2334b) Étymologie : du latin doceo, ere = enseigner. Biblio. sélective. Articles : A. ESMEIN, « La
jurisprudence et la doctrine », RTD civ. 1902, p. 5 ; P. DURAND, « La connaissance du phénomène
juridique et les tâches de la doctrine moderne en droit privé », D. 1956, chr. 73 ; G. CORNU, « Aperçu
de la pensée juridique française contemporaine », Annales de l'Université de Poitiers, 1960, no 1 ;
Ph. MALAURIE, « Les réactions de la doctrine à la création du droit par le juge », Defrénois 1980,
art. 32345 ; H. BATIFFOL, « La responsabilité de la doctrine dans la création du droit », RRJ 1981,
p. 175 ; J.-D. BREDIN, « Remarques sur la doctrine juridique », in Mélanges P. Hébraud,
Univ. sc. sociales Toulouse, 1981, p. 111 ; M. GOBERT, « Le temps de penser de la doctrine », Droits
1994, p. 97 ; N. MOLFESSIS, « Les prédictions doctrinales », in Mélanges F. Terré, « L'avenir du
droit », Dalloz, PUF, éd. Juris-classeur, 1999, p. 141 ; A. ORAISON, « Le rôle de la doctrine
académique dans l'ordonnancement juridique international contemporain », RRJ 2000, p. 285 ;
Ph. MALAURIE, « La pensée juridique du droit civil au XXe siècle », JCP G, 2001.I.283 ; P.-Y. GAUTIER,
« Les articles fondateurs (réflexions sur la doctrine) », Études P. Catala, « Le droit privé français à
la fin du XXe siècle », Litec, 2001, p. 295 ; A. SUPIOT, « Ontologie et déontologie de la doctrine »,
D. 2013, chr. 1421. Monographie : Ph. JESTAZ et Chr. JAMIN, La doctrine, Dalloz, 2004 (des mêmes
auteurs, « L'entité doctrinale française », D. 1997, chr. 167 ; pour une critique de leur conception
purement civiliste, française et tronquée de la doctrine : P. MORVAN, « La notion de doctrine (à propos
du livre de MM. Jestaz et Jamin) », D. 2005, chr., 2421) ; N. HAKIM, L'autorité de la doctrine
civiliste française au XIXe siècle, LGDJ, 2002 ; F. AUDREN et J.-L. HALPÉRIN, La culture juridique
française. Entre mythes et réalités. XIXe-XXe siècles, CNRS, 2013. Ouvrages collectifs : Les
réactions de la doctrine à la création du droit par les juges, TAHC, t. XXXI, Economica, 1982
(cf. n. Ph. MALAURIE, Rapport français (droit civil), p. 81 ; Cl. CHAMPAUD, Rapport général (droit des
entreprises), p. 191 ; P. MAYER, Rapport français (droit international privé), p. 385) ; La doctrine
juridique, CURAPP et CHDRIP de Picardie, PUF, 1993 ; L'image doctrinale de la Cour de
cassation (colloque déc. 1993), Doc. fr., 1994 ; Doctrine et recherche en droit, Droits 1994, no 20 ;
Doctrine et droit de l'Union européenne, dir. F. Picod, Bruylant, 2010 ; La doctrine en droit
administratif, LexisNexis Litec, travaux de l'AFDA, no 3, 2010 (cf. J. CHEVALLIER, Rapport de
synthèse, p. 235). Adde Ch. ATIAS, Épistémologie juridique, Dalloz, 2002, nos 249 s. (« les savants
juristes »).
(2334c) V. infra, no 435.
(2334d) E. DESMONS, « La rhétorique des commissaires du gouvernement près le Conseil d'État »,
Droits 2002, no 36, « Rhétorique et droit », p. 39.
(2334e) F. AUDREN et J.-L. HALPÉRIN, La culture juridique française. Entre mythes et réalités. XIXe-
XX e siècles, CNRS, 2013 ; J.-L. HALPÉRIN, « L'idée de culture juridique française est-elle utile au droit
comparé ? », in Le droit comparé au XXIe siècle. Enjeux et défis, Sté de législ. comp., 2016, p. 155,
qui ajoute que « le singulier est intenable : on ne peut admettre l'existence d'une seule culture à
travers le temps », en France comme dans tout pays ; par exemple, les ordres d'avocats ne remontent
pas au-delà du XVIIe siècle, la magistrature française a été dépendante du pouvoir politique jusqu'au
XXe siècle, le plan en deux parties a été inventé dans les facultés de droit dans les années 1940 ; il n'y
a pas une « culture de la codification » en France ni une culture particulière du droit au respect de la
vie privée aux États-Unis, etc.
(2344) Histoire des manuels de droit. Une histoire de la littérature juridique comme forme du
discours universitaire (dir. A.-S. Chambost), LGDJ, coll. Contextes – Culture du droit, 2014.
(2345) En 1846 commença la publication de la Jurisprudence générale Dalloz (44 volumes en
1870), le plus admirable répertoire alphabétique de droit jamais publié en France.
(2346) Sur l’une des revues les plus célèbres, le recueil Dalloz : Chr. ATIAS, « Avant le Dalloz... »,
RRJ 2006, p. 437 (sur les revues antérieures au Dalloz) ; P.-Y. GAUTIER, « Les auteurs du recueil
Dalloz », RRJ 2006, p. 445.
(2347) Sur le style de Labbé, cf. G. COHENDY, La méthode d’un arrêtiste au XIXe siècle, Labbé, th.
Lyon, Rousseau, 1910, spéc. p. 74 : « Il élimine tout ce qui est secondaire, il aperçoit
immédiatement les données générales du problème, il nous présente les traits caractéristiques, met
pleinement en lumière ses arêtes vives, dégage les idées directrices et leur donne une netteté, un
relief saisissant [...]. Une fois entré dans la discussion même, Labbé va avancer dans sa
démonstration avec une dialectique robuste, des déductions serrées, une logique inéluctable. Mais
la rigueur de son raisonnement évite de tomber dans la brutalité grâce à l’art infini avec lequel il
présente toute chose [...]. Ajoutons que sa langue, d’une méticuleuse netteté, d’une parfaite
précision, est en même temps assez ornée, assez parée, assez richement colorée pour faire de lui
un véritable écrivain de race ».
(2348) Éd. MEYNIAL, « Les recueils d’arrêts et les arrêtistes », Le Code civil 1804-1904. Livre du
centenaire, 1904, t. I, p. 172, spéc. p. 196 : « Moins abstraite, moins raide et moins froide que la
pure spéculation dogmatique, plus désintéressée, plus générale et d’une plus sereine impartialité
que la consultation ou la plaidoirie, ou même que le rapport judiciaire. Peu de genres conviennent
mieux à la souplesse et à la finesse de bon sens du tempérament français ».
(2349) Comp. J. CARBONNIER, « Note sur des notes d’arrêt (de R. Savatier) », D. 1970, chr. 137.
(2349a) B. PACTEAU, Jean-Baptiste Sirey (1762-1845). Un père de l'étude et de l'édition du
contentieux moderne, Dalloz, 2014.
(2350) V. supra, no 135.
(2351) A. SUPIOT, « Ontologie et déontologie de la doctrine », D. 2013, chr. 1421 (trés critique).
(2352) H. BOUTHINON-DUMAS, A.-S. COURTIER et V. REBEYROL, « Un classement des revues
juridiques », JCP G, 2016, 64. Critère retenu (par des professeurs de droit en école de commerce) :
une revue est classée si les enseignants-chercheurs utilisent largement cette revue.
(2353) Cette histoire du droit romain fut rapportée par Pomponius ; elle figure dans le Digeste (D. 1,
2, 2, 48 et s.). Sur cette évolution et les méthodes doctrinales, J.-P. CORIAT, Vo Jurisconsultes
romains, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 880. Sur l’histoire de la doctrine,
J. GAUDEMET, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit,
Montchrestien, 3e éd., 2001, p. 83 s.
(2354) V. supra, nos 99 à 101.
(2355) V. supra, no 388.
(2356) C. civ. suisse (10 déc. 1907), art. 1er : « 2. – À défaut d’une disposition légale applicable, le
juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d’une coutume, selon les règles qu’il établirait
s’il avait à faire acte de législateur. 3. – Il s’inspire des solutions consacrées par la doctrine et la
jurisprudence ».
(2357) Statut CIJ, art. 38, § 1, d : « La Cour [...] applique : [...] les décisions judiciaires et la
doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de
détermination des règles de droit » (mais « détermination » n’est pas « création »).
(2358) R. CHAPUS, Droit administratif général, Montchrestien, 14e éd., 2000, no 46 : « La doctrine
peut ainsi, non créer le droit, mais aider à sa création par les ressources de son imagination et de
sa réflexion sur l’état du droit ».
(2359) J.-D. BREDIN, « Remarques sur la doctrine juridique », Mélanges P. Hébraud, Univ. sc.
sociales Toulouse, 1981, p. 111, spéc. p. 112 : « Le vrai travail de la doctrine, c’est la critique,
l’idée, la réflexion, l’invention, l’imagination novatrice ».
(2360) Le positivisme normativiste de Hans Kelsen visait ainsi à élaborer une « théorie pure du
droit », c’est-à-dire débarrassée des apports des sciences humaines (telle la sociologie), de toute
donnée empirique et du droit naturel (v. supra, no 270, en note). Les positivismes légaliste et
jurisprudentiel, quant à eux, tirent le droit de l’État (v. supra, nos 367 et 375).
(2361) Ph. MALAURIE, « Les grands juristes », Mélanges R. Drago, LGDJ, 1994 ; du même auteur,
Anthologie de la pensée juridique, Cujas, 2e éd., 2001 (une galerie de portraits) ; Dictionnaire d’un
droit humaniste, Université Panthéon-Assas – LGDJ, 2015, Vº « Doctrine ».
(2362) M. MILET, Les professeurs de droit citoyens. Entre ordre juridique et espace public.
Contribution à l'étude des interactions entre les débats et les engagements des juristes français
(1914-1995), th. Paris II, 2000.
(2363) J. SAVATIER, « Le regard de la doctrine sur la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour
de cassation », in Le Tribunal et la Cour de cassation. 1790-1990. Volume jubilaire, Litec, 1990,
p. 169.
(2364) Ex. : A. JEAMMAUD, « Propositions pour une compréhension matérialiste du droit du travail »,
Dr. social 1978, p. 338 ; G. LYON-CAEN, « À propos de quelques ouvrages de doctrine », Dr. social
1978, p. 292.
(2365) M. BONNECHÈRE, « Doctrine et droit du travail : éléments pour un débat », Dr. ouvrier, 2002,
p. 471 : « La doctrine peut-elle trouver place dans une publication syndicale sans faillir à ses
devoirs de critique scientifique et d’indépendance d’analyse ? ».
(2366) A. SUPIOT, Le juge et le droit du travail, th. Bordeaux, 1979, spéc. p. 961.
(2367) R. CHARVIN, « De la prudence doctrinale face aux nouveaux rapports internationaux »,
Mélanges J.-A. Touscoz, France Europe Éditions, 2007, p. 64.
(2368) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, no 3, p. 9 : le juriste ne pense qu’à
maintenir des règles qui n’existent que par la stabilité et la continuité ; « Je suis celui qui modifie »
dit le serpent de Paul Valéry.
(2369) Ex. : M. PLANIOL, « Études sur la responsabilité civile. Deuxième étude », Rev. crit. lég. jur.
1906, p. 80, spéc. p. 82-83 : « Moi qui ne crois pas plus à la responsabilité objective qu’aux
revenants [...] ». Henri Mazeaud continuera à militer en faveur de la faute, cette fois à l’encontre
d’une jurisprudence bien établie (H. MAZEAUD, « La faute dans la garde », RTD civ. 1925, p. 793).
Mais René Rodière parlera d’« un hommage rendu à la faute purement verbal » (Ch. BEUDANT et
P. LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, Cours de droit civil français, 2e éd., t. IX bis, Les contrats et les
obligations, par R. Rodière, 1952, no 1563, p. 187).
(2370) V. supra, no 378.
(2371) V. supra, no 378. Pour une réfutation de chaque théorie : M.-Th. CALAIS-AULOY, Le compte-
courant en droit français, Sirey, 1969, nos 22 et s., p. 20 et s.
(2372) R. SAVATIER, « Une personne morale méconnue : la famille en tant que sujet de droit », DH
1939, chr. 49.
(2373) R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, 1924, t. IV, no 721, p. 416 ; R. CHAPUS,
Responsabilité publique et responsabilité privée. Les influences réciproques des jurisprudences
administrative et judiciaire, th. Paris, LGDJ, 1957, no 336, p. 339.
(2374) L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, 3e éd., 1939, t. II, no 10, p. 7.
(2375) V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2376) V. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
(2377) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, 1re éd., 1955, rééd. 2004, no 31, b) : « À beau
mentir qui vient de loin ».
(2378) V. supra, no 240.
(2379) T. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, 1962, Flammarion, 1983.
(2380) V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2381) Cf. not. G. VINEY et P. KOURILSKY, Le principe de précaution. Rapport au Premier ministre,
O. Jacob, Doc. fr., 2000. Sur le principe de précaution, v. supra, nos 214, 1º et 253. Droit civil
illustré, no 4.
(2382) L. HUGUENEY, L’idée de peine privée en droit contemporain, th. Dijon, 1904, p. 305 et s.
(2383) E.-H. PERREAU, Le droit au nom en matière civile, Sirey, 1910, p. 37. Sur les multiples autres
thèses (droit de propriété, droit de la personnalité, marque de l’état des personnes, institution de
police civile...), v. Droit des personnes, coll. Droit civil.
(2384) E. THALLER et J. PERCEROU, Traité élémentaire de droit commercial, 8e éd., 1931, no 1662,
p. 1002.
(2385) E. FEITU, Traité du compte-courant, 1873, no 56, p. 71.
(2386) Y. GAUDEMET, Les méthodes du juge administratif, LGDJ, 1972, p. 147 et s.
(2387) Chr. ATIAS, « La controverse et l’enseignement du droit », Rev. hist. fac. dr. 1985, p. 106.
(2388) Ph. MALAURIE, Rapport français (droit civil), TAHC, t. XXXI, « Les réactions de la doctrine à
la création du droit par les juges », Economica, 1982, p. 81, spéc. no 16, p. 88 : « Un droit
réglementaire transforme la doctrine en répertoire ». R. SAVATIER, « L’inflation législative et
l’indigestion du corps social », D. 1977, chr. 4, spéc. no 13 : les impératifs financiers des éditeurs,
qui privilégient la mise à jour sur la réflexion, favorisent les publications sur « feuillets mobiles ».
(2389) D. BUREAU et N. MOLFESSIS, « L’asphyxie doctrinale », Études B. Oppetit, Litec, 2009, p. 45.
(2390) H. CROZE, « Le droit malade de son information », Droits 1986, no 4, p. 87.
(2391) Infra, no 437.
(2392) V. supra, no 396.
(2393) N. MOLFESSIS, « Les prédictions doctrinales », Mélanges Fr. Terré, L’avenir du droit, Dalloz,
PUF, éd. Juris-classeur, 1999, p. 141, spéc. no 19 et s. : la prédiction peut aussi être du genre
catastrophique, soulignant une conséquence néfaste et inattendue.
(2394) Ex. : Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, JCP E, 2001, p. 419, n. G. Loiseau ; JCP G, 2001.II.10452,
n. Fr. Vialla, qui admet la validité de la cession de clientèle civile (par ex. médicale) et du « fonds
libéral » ; une doctrine unanime dénonçait depuis des décennies l’incohérence et surtout l’hypocrisie
de la jurisprudence antérieure (v. Droit des biens, coll. Droit civil).
(2395) J. CARBONNIER, « Le mythe comme support de la règle de droit ». Cours de doctorat, Faculté de
droit de Paris (1977-1978), extraits, Écrits, PUF 2008.1202 : « Le mythe a pour fonction de
conférer une validité, une autorité, à une croyance, une fonction politique (p. 1205) [...] Un
processus d’ex-emplification [...] Un personnage exceptionnel dont l’imitation s’impose au
commun des hommes (p. 1206) [...]. Le mythe établit un lien entre le droit et la religion (p. 1207).
Ex. : Lycurgue, le législateur de Sparte présentait ses lois comme ayant été inspirées par Apollon
(p. 1208) [...]. Un mythe qui vient soutenir une coutume particulière ou même une institution
concrète (p. 1212) [...]. Déméter passait pour être l’inventrice du droit à travers l’invention de la
propriété (p. 1213) ». Dans la mythologie grecque, il y a, à la place du droit, un ordre éthique fait de
vertus et de coutumes que l’homme doit respecter. Dans l’Iliade d’Homère, Agamemnon a violé cet
ordre en s’emparant de Briséis qui était le butin d’Achille ; de là, la colère d’Achille, évoquée dès la
première phrase de l’Iliade et qui explique tout ce mythe : une vision de la condition humaine
regardant la réalité en face, la « finitude » de l’homme (B. MONTAY, « L’Iliade entre éthique et
justice », Droits 2012, nº 55, p. 1581).
(2396) MOLIÈRE, Les femmes savantes, Acte II, scène V : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la
rage ».
(2397) Ex. : G. RIPERT, Le déclin du droit. Études sur la législation contemporaine, LGDJ, 1949,
Préface, p. VI : « Je crois qu’il existe des principes juridiques qui sont liés à notre état de
civilisation et en assurent le maintien. Le droit décline s’ils sont méconnus ». Ripert songeait à des
textes fondateurs du Code civil, tels que l’art. 544 ou l’ancien 1134, al. 1er ; p. VII : « Pourquoi faut-
il que le simple rappel de ces lois donne la désolante impression de l’oubli de tant de principes
juridiques ? ».
(2398) Cf. M. CABRILLAC, « Les ambiguïtés de l’égalité entre créanciers », Mélanges A. Breton et
F. Derrida, Dalloz, 1991, p. 31, critiquant la tendance à attribuer « à l’idée d’égalité des règles
égalitaires qui lui doivent peu ou, à la limite, qui ne lui doivent rien ».
(2399) P. DIDIER, « L’égalité des actionnaires : mythe ou réalité ? », Entretiens de Nanterre 1994,
Cah. dr. ent. 1994/5, p. 20, spéc. p. 25-26 : « L’égalité des actionnaires est-elle un mythe ou une
réalité ? [...] Si, par égalité, on entend seulement cette égalité absolue qui existait jadis, paraît-il,
quand les sociétés n’étaient que des indivisions successorales, que les associés étaient unis par
l’affectio societatis et gouvernés par le jus fraternitatis, et que le partage se faisait par part virile,
alors, oui, l’égalité des actionnaires est un mythe. Si, à l’opposé, on entend par égalité des
actionnaires l’égalité formelle qui interdit à quiconque de se soustraire à la loi commune, alors
oui, l’égalité existe dans le droit et dans les faits ».
(2400) L. JOSSERAND, « La personne humaine dans le commerce juridique », DH 1932, chr. 1. En
réalité, le principe n’édicte aucune indisponibilité absolue ; il soumet l’acte juridique portant sur le
corps humain à un contrôle de proportionnalité de l’atteinte au but légitime poursuivi, enserrant la
volonté créatrice d’obligations dans un statut protecteur (cf. A. JACK, « Les conventions relatives à la
personne physique », Rev. crit. lég. jur. 1933, p. 362, spéc. p. 394).
(2401) Biblio. : Th. TAURAN, « Les distinctions en droit privé », RRJ 2000, p. 489 ; Les grandes
distinctions du droit privé, Revue de droit d’Assas 2013, nº 7.
(2402) Ex. : Cass. req., 12 juill. 1905, Le Cohu c/Morvan, DP 1907, I, 141, rap. Potier ; S., 1907, I,
273, n. A. Wahl : « Malgré la généralité des termes de l’art. 2262 C. civ., qui décide que toutes les
actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, ce texte ne s’applique pas à
l’action en revendication intentée par le propriétaire dépossédé de son immeuble » (l’action en
revendication immobilière est imprescriptible). Il aura suffi de l’affirmer pour le démontrer.
(2403) V. supra, no 388.
(2404) V. Droit des obligations, coll. Droit civil. Cette distinction fut proposée par Y. LOUSSOUARN,
« La condition d’erreur du solvens dans la répétition de l’indu », RTD civ. 1949, p. 212.
(2405) V. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
(2406) Cass. ch. réunies, 13 févr. 1930, Jand’heur, DP 1930, I, 57, rap. Le Marc’Hadour, concl.
P. Matter, n. G. Ripert ; S., 1930, I, 121, n. P. Esmein : le principe s’applique, que la chose comporte
ou non un vice inhérent à sa nature, qu’elle soit ou non actionnée par la main de l’homme, qu’elle soit
meuble ou immeuble, dangereuse ou non, mobile ou inerte.
(2407) L. JOSSERAND, « Le travail de refoulement de la responsabilité du fait des choses inanimées »,
DH 1930, chr. 5.
(2408) La distinction entre empêchement de fait et empêchement de droit (auquel l’adage aurait dû se
limiter) fut défendue en matière civile par Duranton (Cours de droit français suivant le Code civil,
t. XXI, 1837, no 324, p. 546) puis par Aubry et Rau (Cours de droit civil français, 6e éd., par
P. Esmein, t. II, 1935, § 214, p. 467 et s.) et, en matière pénale, par Faustin Hélie (Traité de
l’instruction criminelle, 2e éd., 1866, t. II, no 1072, p. 694 et 698). Mais la force majeure fut
constamment admise parmi les causes de prorogation des délais (Cass. req., 5 août 1817, S. chr.
1815-1818, 1, 358 ; Cass. crim., 8 juill. 1858, DP 1858, 1, 431).
(2409) Au XIXe siècle, la Cour de cassation se refusait encore à ajouter des causes personnelles de
relèvement de déchéance aux art. 2251 et s. C. civ., en se fondant sur l’intention limitative du
législateur – qu’elle venait pourtant de trahir en réintroduisant l’adage en droit positif – (Cass. req.,
31 déc. 1866, S., 1867, I, 153, n. A. Boulanger ; DP 1867, I, 350). L’obstacle est tombé (ex. :
Cass. 2e civ., 10 févr. 1966, D. 1967, 315 ; Cass. 1re civ., 18 févr. 1992, Bull. civ. I, no 54).
(2410) J.-L. BERGEL, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ. 1984, p. 272,
cité par J.-L. SOURIOUX, « Cent ans d’articles (de la RTD civ.) », RTD civ. 2002, p. 681, spéc. p. 688.
(2411) J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, 4e éd., 2003, nos 180 s., p. 209 s. (« Concepts
et catégories juridiques »).
(2412) G. Ripert qualifia la thèse de L. Josserand de « soviétique », lequel lui reprocha de l’avoir
présenté comme un « apôtre du bolchévisme en France ». Les autres auteurs exprimèrent des
critiques plus techniques (v. supra, no 53, en note).
(2413) E. THALLER, Traité élémentaire de droit commercial, 8e éd. par J. Percerou, 1931, no 294,
p. 215 et la note : « La jurisprudence a en elle une foi inébranlable, elle n’a pas l’air de
soupçonner seulement les autres constructions que lui oppose la doctrine ».
(2414) Cette controverse a connu son épilogue. Cf. J. CARBONNIER, Droit civil. Les biens, 1re éd.,
1956, rééd. 2004, no 834, p. 1792 : « Un arrêt pourrait rendre vaines, désormais, toutes les
constructions doctrinales : [...] c’est un principe sans texte qui est le fondement de la solution,
une coutume savante autoproclamée » (à propos de Cass. 2e civ., 13 nov. 1986, Bull. civ. II, no 172 :
« Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage »). V.,
dès avant, R. RODIÈRE, obs. in RTD civ. 1965, p. 642 : la théorie des troubles du voisinage révèle,
« face aux incertitudes de la doctrine, la constance de la jurisprudence ».
(2415) D. FOUSSARD, « Le juge et la doctrine. Le regard d’un avocat aux conseils », Droits 1994,
no 20, « Doctrine et recherche en droit », p. 133, spéc. p. 136.
(2416) Ex. : après avoir soutenu que la responsabilité du fait des choses reposait sur une présomption
de faute de surveillance édictée à l’encontre du gardien, H. Capitant (« Les fluctuations de la théorie
de la responsabilité du dommage causé par le fait des choses inanimées (article 1384, al. 1, du Code
civil »), DH 1927, chr. 49), dut abandonner cette opinion (in DH 1930, chr. 29, spéc. p. 32) démentie
une nouvelle fois par l’arrêt Jand’heur.
(2417) G. THUILLIER, Vº Obsolescence des travaux juridiques et Penser par soi-même en droit, in
Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1102 et 1145.
(2418) V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2419) V. Droit des personnes, coll. Droit civil.
(2420) Ph. MALAURIE, « Les éclipses du droit », Études offertes à Cl. Lombois, PU Limoges, 2004,
p. 27.
(2421) A. TOUFFAIT (ancien procureur général près la Cour de cassation), « Conclusions d’un
praticien (à une étude comparative des cours judiciaires suprêmes) », RID comp. 1978, p. 473, spéc.
p. 484 : « Il n’y a que les noms de quelques professeurs, qu’on compte sur les doigts d’une seule
main, qui passent la rampe dans une discussion à la Cour de cassation et aucun dont l’autorité
serait invoquée dans un arrêt ».
(2422) Ex. : B. CHENOT (commissaire du gouvernement), concl. sous CE, 10 févr. 1950, Gicquel, Rec.
CE, p. 100. Réplique : J. RIVERO, « Apologie pour les faiseurs de système », D. 1951, chr. 99.
(2423) Ex. : S. GUINCHARD, « Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? (Qui cassera les
arrêts de la Cour de cassation ?) », Mélanges Fr. Terré, « L’avenir du droit », Dalloz, PUF, éd. Juris-
classeur, 1999, p. 761. L’arbitraire judiciaire et l’instabilité de la jurisprudence font le miel des
chroniques d’humeur (v. par ex. les articles de Ph. CONTE et Ph. LANGLOIS, cités supra, no 415, en
note).
(2424) Deux exemples de réactions indignées de conseillers à la Cour de cassation : 1o) « zéro
pointé » donné par un professeur à la Cour de cassation dans le titre d’une note d’arrêt ; 2o) la
« bévue » reprochée à cette même Cour qui, dans ce dernier cas, opéra un revirement). Cf. obs.
R. LIBCHABER, RTD civ. 2000, p. 679.
(2425) Y. GUENZOUI, « Les querelles doctrinales », RTD civ. 2013, p. 47, qui illustre, par de
nombreux exemples, l’arrogance et l’agressivité de certains universitaires.
(2426) La déclaration fut signée par 237 universitaires (cf. A. BÉNABENT, D. 2002, 651 ; R. LIBCHABER,
RTD civ. 2002, p. 608).
(2427) Une lettre ouverte contre le mariage des couples de même sexe fut adressée par 170
universitaires aux sénateurs. Sur la controverse qui s’ensuivit : P. BRUNET et al., D. 2013, chr. 784 ;
B. DAUGERON et al., D. 2013, chr. 933 ; Ph. BRUN, JCP G, 2013, 404.
(2428) Ainsi, après l’arrêt Perruche rendu par la Cour de cassation le 17 nov. 2000 (v. supra,
no 306).
(2429) Sur l’inflation doctrinale, v. supra, nº 427, 3º.
(2430) Cass. civ., 16 juin 1896, DP 1897.1.433, concl. L. Servant, n. R. Saleilles ; S. 1898.1.17,
n. A. Esmein.
(2431) En 1680, Bossuet prêcha les sœurs visitandines : « mes bien chères sœurs, ne soyez pas trop
subtiles ».
(2432) Ph. MALAURIE, « Du nouveau dans la doctrine civiliste : Virevoltes et masques », avec la
réponse de Jacques Ghestin, Droit et patrimoine, sept. 2009, p. 20.
(2433) Ph. MALAURIE, « La pensée juridique du droit civil au XXe siècle », JCP G, 2001.I.283, spéc.
no 7 ; Anthologie de la pensée juridique, Cujas, 2e éd., 2001, p. 255.
(2434) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, 1re éd., t. I, 1900, Préface, p. IX : « Quand le
code était nouveau, l’École avait ses opinions qu’elle enseignait, et souvent chaque professeur
avait les siennes ; de son côté, la jurisprudence cherchait un peu à l’aventure la solution des
questions qu’on lui donnait à résoudre. Ainsi s’est formée dans nos Facultés une doctrine
originale, mais rarement suivie en pratique [...]. Nous avons mieux à faire : nous pouvons suivre
la jurisprudence dans son développement historique, montrer comment des constructions
considérables, élevées à la longue par l’accumulation des arrêts, ont parfois une base fragile
et sont sorties de solutions inexactes, de règles mal comprises ou de formules trop larges ou trop
étroites ». Adde A. ESMEIN, « La jurisprudence et la doctrine », RTD civ. 1902, p. 5, spéc. p. 11 : « Il
faut que la doctrine aille plus loin et prenne la jurisprudence pour son principal objet d’étude ».
Sur ce débat, v. supra, no 135.
(2435) Ph. MALAURIE, Rapport français (droit civil), TAHC, t. XXXI, « Les réactions de la doctrine à
la création du droit par les juges », Economica, 1982, p. 81, spéc. no 24, p. 92-93 : lorsque la
doctrine approuve au lieu de critiquer, il y a « une entente profonde entre la doctrine et la
jurisprudence, un échange constant, une interaction, voire un chassé-croisé ».
(2436) Certains auteurs (par exemple, au XIXe siècle, Bartin) font dire aux arrêts le contraire de ce
qu’ils affirment.
(2437) P.-Y. GAUTIER, « Les articles fondateurs (réflexions sur la doctrine) », Études P. Catala, « Le
droit privé français à la fin du XXe siècle », Litec, 2001, p. 295.
(2438) B. OPPETIT, « Le droit international privé, droit savant », RCADI 1992, t. III, p. 331 ; « Droit
commun et droit européen », Études Y. Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 311. Sur la lex mercatoria,
d’origine essentiellement doctrinale, v. supra, no 45.
(2439) Sur le droit romain et le droit canonique, v. supra, nos 91-92.
(2440) Ex. : Y. LEQUETTE, « Du Code civil européen à la révision de l’acquis communautaire. Quelle
légitimité pour l’Europe ? », in L’amorce d’un droit européen du contrat, dir. D. Mazeaud et al., Sté
lég. comp. 2011. Adde P. Puig, obs. RTD civ. 2012, 443 : « un droit sans âme, un droit sans culture,
venu d’ailleurs et de nulle part, un droit « a-culturel », « a-philosophique », un droit marchand qui
aura bien mérité son triple « A » au tableau d’honneur du déclin du droit ».
(2441) B. FAUVARQUE-COSSON, « Le rôle de la doctrine en droit privé européen », Études G. Viney,
LGDJ, 2008, p. 419 ; du même auteur et sur le même sujet, articles in D. 2010, chr. 1362 et D. 2012,
chr. 34 ; B. FAUVARQUE-COSSON et P. DEUMIER, « Un nouvel instrument de droit souple international, le
projet de Principes de La Haye sur le choix de la loi applicable en matière de contrats
internationaux », D. 2013, 2185.
(2442) Sur le « droit commun » en droit romain et jusqu’à la Renaissance, v. supra, no 98.
(2443) B. FAUVARQUE-COSSON et M. BÉHAR-TOUCHAIS, Mise en œuvre des instruments optionnels dans
le domaine du droit civil en Europe, Parlement européen, Direction générale des politiques internes,
2012.
(2444) Cass. req., 15 juin 1892, Patureau-Miran c/Boudier, DP 1892, 1, 596 ; S., 1893, 1, 281,
n. J.-E. Labbé.
(2445) Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariæ, 4e éd.,
t. VI, 1873, § 578-4o, p. 246.
(2446) V. aussi les exemples cités à propos des distinctions doctrinales, supra, no 431.
(2447) B. GOLDMAN, La détermination du gardien responsable du fait des choses inanimées, thèse,
Lyon, 1946, no 143, p. 220.
(2448) Cass. 2e civ., 5 janv. 1956, aff. de l’Oxygène liquide, D. 1957, 261 ; JCP, 1956.II.9095 ;
Cass. 2e civ., 10 juin 1960, JCP, 1960.II.11824 ; D. 1960, 609 (v. Droit des obligations, coll. Droit
civil).
(2449) Y. LEQUETTE, L’influence de l’œuvre d’Henri Batiffol sur la jurisprudence française,
Travaux du comité de droit international privé, 1991-1992, Pédone, 1994, p. 32. Adde P. MAYER,
Rapport français (droit international privé), TAHC, t. XXXI, « Les réactions de la doctrine à la
création du droit par les juges », Economica, 1982, p. 385, spéc. p. 389 : la doctrine porte
aujourd’hui un jugement « très laudatif » sur la jurisprudence française qui a fait preuve de beaucoup
de hardiesse ; au contraire, au XIXe siècle, Pillet et Bartin, mécontents de ne pas voir leurs thèses
consacrées, s’étaient montrés fort critiques.
(2450) V. Droit des régimes matrimoniaux, coll. Droit civil.
(2451) V. Droit des régimes matrimoniaux, coll. Droit civil.
(2452) V. Droit de la famille, coll. Droit civil. Sur le « non-droit », v. supra, no 26.
(2453) J. FLOUR, « Sur une notion nouvelle de l’authenticité », Defrénois 1972, art. 30159, p. 977.
L’auteur doutait de la régularité d’une pratique répandue chez les notaires consistant à laisser un clerc
donner lecture de l’acte et recueillir la signature des parties. Devant l’inquiétude suscitée, l’art. 10
L. 25 ventôse an XI fut modifiée par la L. 25 juin 1973 et l’art. 11 D. 26 nov. 1971 par le D. 28 déc.
1973 pour autoriser cette commodité.
(2454) J. FOYER, « Le droit communautaire, droit de professeurs français ? », Rev. hist. fac. dr. 1992,
p. 201.
(2455) Ph. MALAURIE, « La réforme de la prescription civile », JCP G, 2008, I, 134. En dernier lieu,
J. KLEIN, Le point de départ de la prescription, th. Paris II, Economica, 2013, préf. N. Molfessis : le
droit français est présenté comme un contre-modèle.
(2456) Sur cette organisation juridictionnelle, v. infra, no 401.
(2457) Cf. G. CANIVET, « Des “professeurs-juges” aux “juges-professeurs” », Mélanges A. Ponsard,
Litec, 2003, p. 115. Aubry et Rau furent les troisième et quatrième professeurs à devenir conseillers à
la Cour de cassation en 1871. P. Lescot (1942), A. Ponsard (1973) et D. Tricot devinrent présidents
de chambre. La Cour compte environ 6 professeurs sur environ 120 conseillers et parfois 1 ou 2
autres dans les rangs du parquet général.
(2458) P. DEUMIER, « Les motifs des motifs des arrêts de la Cour de cassation », Mélanges J.-F.
Burgelin, Dalloz, 2008, p. 125.
(2459) Ex. : Cass. crim., 13 déc. 1956, Laboube, D. 1957, 349, n. M. Patin. Maurice Patin était le
président de la chambre criminelle dont il annotait volontiers les arrêts importants en signant de ses
initiales. Sur les controverses doctrinales qui peuvent naître d’arrêts de rejet pour non-admission,
dénués de tout motif, ensuite expliqués par des conseillers à la Cour de cassation, v. supra, no 175, en
note.
(2460) Biblio. : L’image doctrinale de la Cour de cassation (colloque déc. 1993), Doc. fr., 1994 ;
G. CANIVET (ancien Premier président de la Cour), « La Cour de cassation et la doctrine. Effets
d’optique », Mélanges J.-L. Aubert, Dalloz, 2005, p. 373, qui relativise l’objectivité et le crédit de
la doctrine ; G. CANIVET et N. MOLFESSIS, « La politique jurisprudentielle », Mélanges J. Boré,
Dalloz, 2007, p. 80 ; Ph. MALAURIE, « Le style des "cours suprêmes françaises" », JCP G, 2012, 689.
Sur la « doctrine » supposée de la Cour de cassation : R. LIBCHABER, RTD civ. 2000, p. 197 ;
N. MOLFESSIS, RTD civ. 2003, p. 567 ; P. DEUMIER, RTD civ. 2006, p. 73.
(2461) Chr. ATIAS, « L’ambiguïté des arrêts de principe en droit privé », JCP G, 1984.I.3145, spéc.
no 1 : les arrêts de principe sont « des décisions univoques, dénuées d’ambiguïté, tranchant
nettement et solennellement, c’est-à-dire durablement, le débat entre deux opinions à valeur
générale, soutenues ou soutenables ».
(2462) 1er ex. : Cass. req., 28 déc. 1826, S., chr. 1825-1827, 1, 492 ; Cass. civ., 4 juin 1904, DP
1904, 1, 475 ; S., 1905, 1, 93 ; Cass. 1re civ., 11 juill.1984, Bull. civ. I, no 227, qui s’appuient sur le
« principe que nul ne peut se faire justice à soi-même » pour étendre les effets de l’action
possessoire en réintégrande. 2e ex. : Cass. civ., 7 mars 1855, DP 1855, 1, 81 ; S., 1855, 1, 439, qui
justifie par une dissertation juridique de 39 lignes (au Dalloz) d’une étonnante portée doctrinale
l’admission du principe de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil (not. : « L’ordre
social aurait à souffrir d’un antagonisme qui, en vue seulement d’un intérêt privé, aurait pour
résultat d’ébranler la foi due aux arrêts de la justice criminelle »).
(2463) Cass. ch. mixte, 30 avr. 1971, JCP G, 1971.II. 16800, n. R. Lindon ; Cass. Ass. plén., 21 déc.
2006, JCP G, 2007.II.10016 ; n. H. Guyader.
(2464) Depuis : Cass. com., 1er avr. 2008, no 06-20940, inédit.
(2465) Concernant la Cour de cassation, cf. P. DEUMIER, obs. in RTD civ. 2006, p. 510 (pour un ex. de
communiqué à portée doctrinale : P. MORVAN, obs. sous Cass. soc., 11 janv. 2006, JCP S, 2006,
1136 ; RTD civ. 2005, p. 773).
(2466) CE, 9 nov. 2005, Mortry, Dr. adm. 2006, comm. 9.
(2467) N. MOLFESSIS, « Les avis spontanés de la Cour de cassation », D. 2007, chr., 37 (au sujet de
deux séries de questions soulevées par la L. 26 juill. 2005 et le D. 28 déc. 2005 réformant le droit
des procédures collectives).
(2468) Sur la procédure de saisine pour avis, v. supra, no 47.
(2469) Trésor de la langue française (CNRS), Vo « Raisonnement » : http://atilf.atilf.fr.
(2470) Sur la loi, v. supra, no 275.
(2471) Sur la thèse en ce sens de MM. Jestaz et Ch. Jamin, v. supra, no 420.
(2472) P. MORVAN, « La notion de doctrine (à propos du livre de MM. Jestaz et Jamin) », D. 2005,
chr., 2421. Comp. Fr. TERRÉ, « La doctrine de la doctrine », Études Ph. Simler, Dalloz, Litec, 2006,
p. 59, qui adopte cette analyse (p. 74 : la doctrine « peut être comprise comme un corpus [...]
d’œuvres ») en notant que Jean Carbonnier lui-même définissait la doctrine comme la « littérature du
droit ». L’« écrit doctrinal » est précisément celui qui compose la « littérature du droit » ; ce statut
n’est pas donné à tout le monde. V. aussi D. BUREAU et N. MOLFESSIS, « L’asphyxie doctrinale »,
Études B. Oppetit, Litec, 2009, p. 45, spéc. no 28 : « nombre de publications ne peuvent prétendre,
et ne le revendiqueraient probablement pas, au statut d’écrits doctrinaux. L’information n’est pas
l’opinion ».
(2473) V. par ex. M. DOAT, « L’ordre du discours doctrinal », Études J.-A. Mazières, LexisNexis
Litec, 2009, p. 275 : reprenant l’approche de Michel Foucault (L’ordre du discours, 1971), l’auteur
juge que le discours doctrinal est « discipliné » par des interdits et des frontières et « formé », c’est-
à-dire qu’il revêt une forme « parfaite » et « lissée » (lissage qui neutralise la controverse et
l’éloigne du réel).
(2474) Étymologie : du latin interpres, etis = intermédiaire, courtier, puis celui qui explique ; lui-
même dérivé de inter (= entre) + un verbe latin probablement disparu signifiant acheter (-pres
s’apparente à pretium = le prix). Biblio. Sélective : L’interprétation dans le droit, Arch. phil. dr.,
t. XVII, Sirey, 1972 ; TAHC, t. XXXIX, 1978 ; L’interprétation en droit. Approche
pluridisciplinaire, sous la dir. de M. van de Kerchove, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-
Louis, 1978 ; Y. PACLOT, Recherches sur l’interprétation juridique, th. Paris II, 1988 ; La découverte
du sens en droit, ARSP (Archiv für Rechts und Sozialphilosophie) 1992, no 48, Franz Steiner Verlag
Stuttgart, 1992, p. 61 (spéc. Y. Paclot, p. 51, sur l’histoire ; B. Oppetit, p. 61 ; J.-L. Bergel, p. 67) ;
J. CARBONNIER, Sociologie juridique, PUF, 2e éd., 2004, p. 267 (l’interprétation comme phénomène
sociologique) ; Interprétation et Droit, sous la dir. de P. Amselek, Bruylant, PU d’Aix-Marseille,
1995.
(2475) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2e éd., 1960, trad. Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, rééd.
Bruylant, LGDJ, 1999, spéc. p. 453 : « Si un organe juridique doit appliquer le droit, il faut
nécessairement qu’il interprète ces normes. L’interprétation est donc le processus intellectuel qui
accompagne nécessairement le processus d’application du droit dans sa progression d’un degré
supérieur à un degré inférieur ».
(2476) PORTALIS, Discours préliminaire, in Locré, t. I, p. 257-258 : « Quoi que l’on fasse, les lois
positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les
affaires de la vie. Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes est si
active, leurs intérêts sont si multipliés, et leurs rapports si étendus, qu’il est impossible au
législateur de pourvoir à tout. [...]. Un Code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plus
tôt achevé que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat. Car les lois, une fois
rédigées, demeurent telles qu’elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent
jamais ; ils agissent toujours ; et ce mouvement qui ne s’arrête pas, et dont les effets sont si
diversement modifiés par les circonstances, produit à chaque instant quelque combinaison
nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau. Une foule de choses sont donc
nécessairement abandonnées à l’empire de l’usage, à la discussion des hommes instruits, à
l’arbitrage des juges ».
(2477) Ph. MALAURIE, « L’interprétation des contrats hier et aujourd’hui », JCP G, 2011, 1402.
(2478) V. en ce sens la « théorie réaliste de l’interprétation du droit » de Michel Troper (supra,
nº 270, 2º). Adde P. WACHSMANN, « La volonté de l’interprète », Droits 1999, p. 29 ; du même,
« Réflexions sur l’interprétation “globalisante” de la Convention EDH », Mélanges J.-P. Costa,
Dalloz, 2013, p. 667.
(2479) H. BATIFFOL, « Questions de l’interprétation juridique », in Choix d’articles, LGDJ, 1976,
p. 408, spéc. p. 416, souligne cette dualité d’acceptions.
(2480) DESCARTES, Discours de la méthode, Première partie : « Le bon sens est la chose du monde
la mieux partagée [...]. La puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est
probablement ce que l’on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les
hommes ».
(2481) B. FRYDMAN, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique,
Bruylant, LGDJ, 3e éd., 2011, qui schématise l’histoire en modèles rhétorique, biblique, patristique,
scolastique, géométrique, philologique, sociologique et économique, avant le tournant linguistique et
le modèle pragmatique au XXe siècle.
(2482) V. supra, no 136.
(2483) Sur la critique historiciste et scientifique, v. supra, no 137.
(2484) V. supra, nos 334 et s.
(2485) V. supra, no 270.
(2486) Biblio. sélective : Interpréter et traduire, Bruylant, 2007 ; Traduction du droit et droit de la
traduction, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires, 2011 ; S. GLANERT, De la traductibilité du droit,
thèse, Dalloz, 2011.
(2487) Ph. MALAURIE, « Le droit français et la diversité des langues », JDI 1965, p. 565. Cass. com.,
25 juin 1968, Bull. civ. IV, no 203 (deux arrêts) ; JDI 1969, p. 96, n. Ph. Kahn : « La traduction d’un
contrat rédigé en langue étrangère comporte de la part de la cour d’appel une interprétation qui
relève de son pouvoir souverain ». Limite : Cass. 1re civ., 19 mars 1991, Bull. civ. I, no 93, censurant
la dénaturation des termes clairs et précis de la loi étrangère applicable tels qu’ils résultaient d’une
traduction française établie par deux traducteurs assermentés.
(2488) Cass. crim., 19 oct. 1984, Bull. crim., no 310 : le juge d’instruction pose une « question
d’ordre technique » rendant applicables les règles sur l’expertise pénale (C. pr. pén., art. 156 et s.)
lorsqu’il demande à un traducteur de traduire un document en français et, en outre, s’il s’avère
impossible de donner une « traduction littérale », de donner « le sens général du texte ». Adde
Y. PACLOT, op. cit., nos 459 et s.
(2489) V. aussi la difficulté de traduire des adages ou locutions latins dans les différentes langues
européennes : P. DUPARC PORTIER et A. MASSON, « La traduction du latin à la CJCE », RRJ 2008,
p. 2249 (constatant qu’il existe « différents latins »...).
(2490) R. DAVID, « Les sources du Code civil éthiopien », RID comp. 1962, p. 497.
(2491) Cons. const., 30 nov. 2012, décis. nº 2012-285 QPC, Dr. adm. 2013, 12, n. F. Hoffmann (à
propos de deux articles du Code des professions, issu d’une loi du 26 juillet 1900 de l’empire
allemand, qui imposaient aux artisans l’affiliation à une corporation). Une version officielle en
langue française des lois et règlements de droit local maintenus en vigueur a ensuite été publiée
(D. 14 mai et 27 août 2013). Autre conséquence inattendue : le délit de blasphème a été
implicitement abrogé (v. supra, nº 278).
(2492) Sur l’ordonnance de Villers-Cotterêts, v. supra, no 104.
(2493) Ex. : Cass. com., 27 nov. 2012, Bull. civ. IV, nº 213 : « si l'ordonnance de Villers-Cotterêts
d'août 1539 ne vise que les actes de procédure, le juge, sans violer l'article 6 de la Convention
[EDH], est fondé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, à écarter comme élément de preuve un
document écrit en langue étrangère, faute de production d'une traduction en langue française ».
(2494) Cass. 2e civ., 11 janv. 1989, Bull. civ. II, nº 11 : « à peine de nullité, tout jugement doit être
motivé en langue française » (l’arrêt vise « l’article 111 de l’ordonnance d’août 1539 »).
(2495) Cass. crim., 8 févr. 2012, Bull. crim., nº 39 : « tout avocat, même de nationalité étrangère,
plaidant devant les juridictions répressives françaises, est tenu de le faire en français, seule
langue de procédure admise ».
(2496) N. KANAYAMA, « Qu’est-ce que le “civil” ? De la Révolution française au Code civil »,
Mélanges Ph. Jestaz, Dalloz, 2006, p. 273, qui cite le rapport de l’abbé Grégoire « sur la nécessité
et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française » présenté le
4 juin 1794, en pleine Terreur, au nom du Comité d’instruction publique.
(2497) Biblio. sur le droit de la langue : Ph. MALAURIE, « Le droit français et la diversité des
langues », JDI 1965, p. 565 ; C. H. TESTUT, « Le statut juridique de la langue française », Études
G. Cornu, PUF, 1994, p. 441 et s. ; Y. CLAISSE, « Le droit et la langue française », LPA, 22 avr. 1994,
no 48, p. 19 ; J. JULIEN, « La langue française et le contrat », Mélanges Ph. Le Tourneau, Dalloz,
2008, p. 465. La loi « Toubon » du 4 août 1994 impose l’usage du français sous peine de sanctions
pénales (par exemple, dans le contrat de travail ou les conventions collectives : C. trav., art. L. 1221-
3 et L. 2231-4). Demeure aussi en vigueur le décret du 2 thermidor an II (20 juill. 1794) portant que
nul acte public ne pourra être écrit qu’en langue française.
(2498) A. SUPIOT, « Les langues de travail », Semaine sociale Lamy 3 mars 2008, no 1343, p. 6, à
propos de CJCE, 12 sept. 2000, Geffroy, aff. C. 366/98, D. 2001, 1458, note J.-M. Pontier, qui exclut
« qu'une réglementation nationale [...] impose l'utilisation d'une langue déterminée pour
l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu'une autre langue facilement
comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par
d'autres mesures » (des agents de la DGCCRF avaient dressé procès-verbal dans un supermarché à
l’encontre de bouteilles de soda et de « cider » étiquetées en langue anglaise, dont il est difficile de
croire qu’elle est « facilement comprise par les acheteurs » français).
(2499) Sur l’attractivité du droit, v. supra, no 34.
(2500) G. GUILLAUME, « De l’emploi des langues à la Cour internationale de Justice », Mélanges
J. Salmon, Bruylant, 2007, p. 1277. L’art. 39 du Statut de la CIJ dispose que « les langues officielles
de la Cour sont le français et l’anglais ». La tradition, qui simplifie la procédure, est encore
respectée.
(2501) Fr. de FONTETTE, « C’est le français qu’on assassine », Mélanges P. Drai, Dalloz, 2000,
p. 555.
(2502) Sur la « novlangue », v. supra, nº 10, 2º.
(2503) V. KLEMPERER, LTI – Lingua Tertii Imperii : Notizbuch eines Philologen (la langue du
IIIe Reich : carnet d'un philologue), 1947. Le titre est ironique puisqu’il désigne aussi la novlangue
nazie par un acronyme (LTI). V. aussi, Chr. DELPORTE, Une histoire de la langue de bois, Flammarion,
2009.
(2504) Ordonnance civile d’avril 1667 « touchant la réformation de la justice » (Recueil général des
anciennes lois françaises, t. XVIII, 1829), Tit. I, art. 7 : « Si dans les jugements des procès qui
seront pendants en nos cours de parlements et autres nos cours, il survient aucun doute ou
difficulté pour l’exécution de quelques articles de nos ordonnances, édits, déclarations et lettres-
patentes, nous leur défendons de les interpréter, mais voulons qu’en ce cas elles aient à se retirer
par-devers nous pour apprendre ce qui sera notre intention ».
(2505) L. 16-24 août 1790 « sur l’organisation judiciaire », Titre II, art. 12 : « Ils (les juges)
s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire d’interpréter la loi ».
Biblio. : Y. HUFTEAU, Le référé législatif et les pouvoirs du juge dans le silence de la loi, PUF,
1965 ; J.-L. HALPÉRIN, « Le Tribunal de cassation sous la Révolution (1790-1799) », in Le Tribunal
et la Cour de cassation. 1790-1990. Volume jubilaire, Litec, 1990, p. 25 ; M. LEMOSSE, « La Cour de
cassation au XIXe siècle », ib., p. 53.
(2506) À partir du Directoire, le Tribunal de cassation annula de nombreux jugements de référé
législatif en relevant que le sens de la loi s’avérait « clair et précis » et n’appelait donc « aucune
interprétation ». En outre, il estimait que le référé ne pouvait porter que sur des « questions
générales et indéterminées » (ex. : Trib. cass., 21 fructidor an VII : la disposition de l’art. 12 L. 16-
24 août 1790 « n’est relative qu’à des questions générales et indéterminées, et ne peut être étendue
aux affaires particulières dont les tribunaux sont saisis »).
(2507) V. supra, no 404.
(2508) Le référé avait encore lieu si, après deux cassations identiques, le tribunal ou la cour de
renvoi rejetait une nouvelle fois la position de la Cour de cassation. La loi du 30 juillet 1828 accorda
le dernier mot à la juridiction de renvoi.
(2509) La L. 1er avril 1837 décide qu’en cas de second pourvoi, la Cour de cassation pourra imposer
une solution définitive à la juridiction de renvoi par un arrêt rendu « toutes les chambres réunies »
(en Assemblée plénière, depuis la L. 3 juill. 1967).
(2510) V. supra, no 302.
(2511) V. supra, no 354.
(2512) V. supra, no 358.
(2513) M. VILLEY, Préface in Arch. phil. dr., t. XVII, « L’interprétation dans le droit », Sirey, 1972,
p. 6 : « Il y a bien entendu (en droit romain) d’autres signes que les signes écrits : l’augure romain
interprétait le vol des oiseaux, et l’aruspice, les viscères des bêtes sacrifiées où seraient les signes
du destin. De même, le juriste romain interprète, en l’absence d’écrit (sine scripto), dans le livre
qu’est la nature, les institutions et les mœurs de la société (mores populi romani) dans lesquelles
se déchiffre le plan d’un ordre naturel ».
(2514) M. TROPER, Vo Interprétation, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 843,
spéc. p. 845.
(2515) V. infra, nos 452 s.
(2516) V. supra, nos 334 et s.
(2517) V. supra, no 337.
(2518) Sur ce débat, à propos des conventions collectives de travail, v. supra, no 357.
(2519) Le principe est consacré en procédure civile par les art. 49, 50 et 51 C. pr. civ., en procédure
administrative par l’art. R. 48 C. trib. adm. et en procédure pénale par les art. 384, 522 C. pr. pén. et
l’art. 111-5 C. pén. (v. ci-dessous).
(2520) V. supra, no 336.
(2521) Ex. : C. civ., art. 29, al. 2 : « Les questions de nationalité sont préjudicielles devant toute
autre juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire à l’exception des juridictions répressives
comportant un jury criminel ».
(2522) Pour une vue d’ensemble : H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. II, La compétence,
Sirey, 1973, nos 453 et s. ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel. Procédure pénale, Cujas,
5e éd., 2001, nos 712 et s. ; R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 11e éd.,
2004, nos 312 et s.
(2523) V. supra, no 164.
(2524) ** T. confl., 16 juin 1923, Septfonds, S., 1923, III, 49, n. M. Hauriou ; DP 1924, III, 41, concl.
P. Matter : « S’il (l’acte réglementaire) constitue un acte administratif en raison du caractère des
organes dont il émane, et si, dès lors, à ce titre, il appartient à la juridiction administrative seule
d’en contrôler la légalité, il participe du caractère de l’acte législatif, puisqu’il contient des
dispositions d’ordre général et réglementaire et qu’à ce dernier titre les tribunaux judiciaires
chargés de l’appliquer sont compétents pour en fixer le sens, s’il se présente une difficulté
d’interprétation au cours d’un litige dont ils sont compétemment saisis ».
(2525) T. confl., 16 nov. 1964, Clément, D. 1965, 669, en sous-note ; JCP G, 1965.II.14286
(1re esp.) ; AJDA, 1965, p. 221.
(2526) Cass. com., 6 mai 1996, Bull. civ. IV, no 125 ; AJDA 1996, p. 1033, n. M. Bazex ; RFDA 1996,
p. 1168, chr. B. Seiller, p. 1161 : « C’est en se référant à la primauté des principes de droit
communautaire sur le droit national [...] et sans apprécier la légalité de l’art. R. 10-1 du Code des
postes et télécommunications [...] que la cour d’appel a justement décidé que les dispositions de
ce texte réglementaire ne pouvaient faire obstacle au libre exercice de la concurrence » (France
Télécom, à qui l’art. R. 10-1 réserve le monopole de la liste orange, avait reçu injonction du juge
judiciaire de communiquer les noms y figurant à des éditeurs d’annuaires concurrents de celui publié
par l’entreprise publique).
(2527) Ex. : Cass. Ass. plén., 22 déc. 2000, cité supra, no 350, en note ; Cass. civ.1re, 3 avr. 2001,
Bull. civ. I, no 97 : cassation de l’arrêt de la cour d’appel qui a sursis à statuer dans l’attente de la
décision de la juridiction administrative « alors qu'il lui appartenait de dire si les dispositions [de
l’art. 1187 CPC] sont compatibles avec l'article 6.1 de la CEDH [...], a confondu exception de
légalité et exception de conventionalité ».
(2528) T. confl., 19 janv. 1998, Union française de l’Express c/La Poste, D. 1998, 329, concl.
J. Arrighi de Casanova.
(2529) V. supra, no 347.
(2530) T. confl., 17 oct. 2011, SCEA du Chéneau c/INAPORC et M. C. c/CNIEL, D. 2011, 3046, n. F.
Donnat ; RTD civ. 2011, p. 735, obs. P. R.-C. Le Tribunal des conflits fut influencé par l’arrêt rendu
par la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli) au sujet de la QPC, qui rappela les
obligations du juge national (v. supra, no 334 s.).
(2531) T. confl., 17 oct. 2011, préc. Dans le même sens, Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, Dr. adm. 2013,
comm. 57, n. M. Distel.
(2532) CE, 23 mars 2012, Fédération Sud santé sociaux, no 331805, Dr. adm. 2012.56, note
F. Melleray (en l’espèce, la question de la légalité d'une convention collective de travail ne pouvait
être résolue au vu d'une jurisprudence établie et ne mettait pas en cause sa conformité au droit de
l'UE).
(2533) T. confl., 30 oct. 1947, Barinstein, DP 1947, 476, n. P.-L. J. ; JCP, 1947.II.3966, n. M.
Fréjaville ; S., 1948, III, 1, n. A. Mestre ; RDP 1948, p. 86, n. M. Waline. G. VEDEL, « De l’arrêt
Septfonds à l’arrêt Barinstein », JCP, 1948.I.682. La voie de fait, que le juge judiciaire a le pouvoir
de faire cesser par voie d’injonction et de décision ordonnant une réparation, résultait
essentiellement d’une « atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale » causée
par un acte manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice des pouvoirs que détient
l’administration. Adde C. pr. pén., art. 136, al. 3 et 4 : « [...] dans tous les cas d’atteinte à la liberté
individuelle, [...] les tribunaux de l’ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents »
(texte interprété restrictivement par le Tribunal des conflits. V. par ex. : T. confl., 12 mai 1997, Ben
Salem et Taznaret, D. 1997, 567, n. A. Legrand ; JCP G, 1997.II.22861, rap. P. Sargos ; RFDA 1997,
p. 514).
(2534) Cass. 1re civ., 25 mai 1992, Bull. civ. I, no 163 : « Vu les principes régissant la voie de fait » ;
la Cour de cassation condamne le stratagème de certains juges des référés consistant à omettre la
dernière condition de la voie de fait pour soumettre tout acte administratif manifestement illégal qui
porte atteinte à une liberté au contrôle du juge judiciaire (not. en matière de séjour des étrangers). Le
Tribunal des conflits avait déjà lancé des mises en garde (ex. : T. confl., 4 juill. 1991, Gaudino,
AJDA 1991, p. 737).
(2535) T. confl., 17 juin 2013, Bergoend, JCP G, 2013, 1359, nº 3 (avec toutes les réf.) : la voie de
fait suppose désormais que la décision de l'administration porte une atteinte (dont la gravité n’a plus
à être constatée) à la « liberté individuelle » (et non à toute liberté) ou aboutisse à l’extinction du
droit de propriété (ce qui suppose une perte définitive de ce droit) et qu’elle soit « manifestement
insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative » (condition
inchangée) ; tel n’est pas le cas de l’implantation d’un ouvrage public (ici un poteau électrique) sur le
terrain d’une personne privée.
(2536) L’art. 111-5 C. pén. consacre (et étend à plus d’un titre) une jurisprudence de la chambre
criminelle entrée en rébellion contre le Tribunal des conflits (T. confl., 5 juill. 1951, Avranches et
Desmarets, D. 1952, 271 ; JCP, 1951.II.6623 ; S., 1952, 3, 1 : « La compétence de la juridiction
pénale ne connaît de limite [...] que quant à l’appréciation de la légalité des actes administratifs
non réglementaires, [...] réservée à la juridiction administrative en vertu de la séparation des
pouvoirs ». Contra : Cass. crim., 21 déc. 1961, Dame Leroux, D. 1962, 102 ; JCP, 1962.II.12680 ;
S., 1962, 1, 89 ; Cass. crim., 1er juin 1967, Canivet, JCP G, 1968.II.15505). L’art. 111-5 suppose
néanmoins que « la solution du procès pénal » dépende de la légalité de l’acte administratif contesté
(c’est-à-dire que sa violation soit pénalement sanctionnée ou qu’il puisse servir de moyen de
défense). En marge de ce texte, la Cour de cassation permet aussi au juge pénal de contrôler la
validité d’un contrat administratif lorsqu’il constitue un élément constitutif de l’infraction
(Cass. crim., 25 sept. 1995, Bull. crim., no 279).
(2537) Cass. civ., 12 janv. 1938, DH 1938, 197 : est ambiguë la clause « dont la rédaction prêtait à
des interprétations opposées ».
(2538) Contra Ch. PERELMAN, « L’interprétation juridique », in Éthique et droit, Université de
Bruxelles, 1990, p. 742 : la maxime serait inexacte car une règle, même claire, est susceptible
d’interprétation s’il existe des besoins et des intérêts à satisfaire. Cette opinion ne peut être admise
de façon aussi radicale : ainsi, la loi qui prohibe la peine de mort formule une règle claire qui ne
souffre aucune interprétation, fût-elle justifiée par un besoin social.
(2539) Ex. : Cass. civ., 22 nov. 1932, DH 1933, 2 : « Si en principe le recours aux travaux
préparatoires est permis lorsqu’un texte nécessite une interprétation, le juge doit, au contraire, se
l’interdire lorsque le sens de la loi, tel qu’il résulte de sa rédaction, n’est ni obscur ni ambigu et
doit, par conséquent, être tenu pour certain ».
(2540) E. LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative, Berger-Levrault, t. I, 1887, p. 448.
(2541) C’est en 1808 (Sect. réunies, 2 févr. 1808, S., chr. an XIII-1808, 1, 480) que la Cour de
cassation a abandonné le contrôle de l’interprétation du contrat aux juges du fond.
(2542) Sur le contrôle de la dénaturation de l’écrit : J. BORÉ et L. BORÉ, La cassation en matière
civile, Dalloz, 3e éd., 2003, nos 79.01 et s. V. aussi supra, no 252.
(2543) Ex. : l’art. 1110 C. civ. érige en cause de nullité du contrat l’erreur « sur la substance même
de la chose » ; le mot « substance » paraît simple à comprendre ; pourtant, son interprétation a suscité
des opinions très diverses (v. Droit des obligations, coll. Droit civil).
(2544) 1er ex. : Cass. 3e civ., 8 oct. 1974, D. 1975, 189 : la clause d’indexation stipulée dans un
contrat prévoyait que l’indice de référence serait de 197 ; la cour d’appel estima qu’il s’agissait
plutôt de l’indice en vigueur au jour du contrat, soit 216 ; le pourvoi lui reprocha d’avoir dénaturé
une clause claire et précise ; la Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a retenu, « par une
appréciation souveraine de l’intention commune des parties [...] que la mention de cet indice était
le résultat d’une erreur provenant d’une “rédaction hâtive et maladroite” ». 2e ex., contradictoire
avec le premier : Cass. 1re civ., 5 mars 1968, Bull. civ. I, no 85 : un peintre avait donné un mandat
exclusif de vente à une galerie d’exposition « pour une durée illimitée » ; la cour d’appel estima que
cette expression avait été improprement employée et qu’il fallait comprendre « pour une durée
indéterminée » ; cette fois-ci, la Cour de cassation juge que « l’arrêt attaqué a dénaturé la clause
claire et précise de la convention litigieuse ».
(2545) Ex. : Cass. 1re civ., 4 janv. 1960, Bull. civ. I, no 1. La jurisprudence a été étendue aux
conclusions et assignations.
(2546) Ex. : Cass. com., 24 mars 1965, Bull. civ. IV, no 230.
(2547) V. supra, no 222.
(2548) Ex. : Cass. 1re civ., 28 mai 1974, JCP G, 1975.II.17986, n. M. Dagot ; Cass. 1re civ., 8 mars
1978, Bull. civ. I, no 96.
(2549) Ex. : Cass. soc., 1er mars 1967, Bull. civ. V, no 191 ; Cass. com., 1er juill. 1975, Bull. civ. IV,
no 191.
(2550) J. VOULET, « Le grief de dénaturation devant la Cour de cassation », JCP G, 1971.I.2410,
spéc. no 16 ; A. PERDRIAU, « Visas, “chapeaux” et dispositifs des arrêts de la Cour de cassation en
matière civile », JCP G, 1986.I.3257, spéc. no 44.
(2551) Cass. com., 2 déc. 1986, Bull. civ. IV, no 227 : « Vu l’obligation pour le juge de ne pas
dénaturer les documents de la cause » (en l’espèce, un avis de la Commission de la concurrence).
Le visa se réfère à un principe depuis : Cass. com., 5 avr. 1993, no 89-21236, inédit : « Vu le
principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les éléments de preuve qui lui sont soumis »
(sur les visas de principe, v. supra, no 403). La mutation du visa ne fut pas purement esthétique ; elle
scelle l’unité retrouvée au sein de la Cour de cassation après une longue divergence. Par un arrêt du
7 mars 1961 (Bull. civ. III, no 124), la chambre commerciale avait décidé de ne plus censurer la
dénaturation des écrits qui ne sont pas revêtus de force obligatoire à l’égard du juge ; à défaut d’un
texte imposant leur respect, ils ne constituaient que des éléments de fait abandonnés à l’appréciation
discrétionnaire des juges du fond. Ainsi, la dénaturation des rapports d’expertise (Cass. com.,
7 mars 1961, préc.) ou des lettres missives (Cass. com., 8 nov. 1967, Bull. civ. IV, no 359) bénéficiait
d’une impunité pour ce motif que tout « acte qui ne form(e) pas un contrat entre les parties ne peut
faire l’objet d’un grief de dénaturation » (Cass. com., 21 mai 1973, Bull. civ. IV, no 178). Cette
dissidence prit fin en 1982 (Cass. com., 15 mars 1982, Bull. civ. IV, no 99, qui censure sous le visa de
l’ancien art. 1134 [devenu art. 1103] la dénaturation d’un rapport d’expert). Mais, lors d’un second
assaut, la chambre commerciale tenta d’étrangler la notion de dénaturation en la redéfinissant comme
une « reproduction inexacte », une « altération » formelle des termes d’un écrit et non, de façon plus
large, comme la méconnaissance de sa portée (Cass. com., 9 juill. 1991, Bull. civ. IV, no 251). De
nouveau, la rébellion fit long feu (Cass. com., 31 janv. 1995, JCP G, 1995.II.22385, n. A. Perdriau :
l’arrêt met un terme à cette seconde dissidence).
(2552) H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 330. La conception
allemande fondait la « plénitude logiquement nécessaire de la législation écrite » (die logische
Geschlossenheit des Rechts) sur ce postulat que tout ce qui n’est pas interdit est permis. Or, cette
directive est erronée (v. infra, no 459). Adde A.-G. CONTE, « Décisions, complétude, clôture », in Le
problème des lacunes en droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, Bruylant, 1968,
p. 67.
(2553) Cass. req., 13 mai 1824, S., 1822-1824, 1, 460 : lorsque « l’acte paraît n’offrir ni
équivoque, ni obscurité, ni doute (les juges) doivent retenir la cause et la juger » (s’agissant de
l’interprétation d’un acte administratif individuel opérant restitution d’un fonds de commerce
confisqué) ; Cass. civ., 13 déc. 1922, S., 1923, 1, 310 : le juge civil peut interpréter les clauses d’un
contrat administratif « quand elles sont claires et précises ». V. par ailleurs Cass. 1re civ., 19 juin
1985, D. 1985, 426, rap. P. Sargos : « La juridiction de l’ordre judiciaire à qui est opposée une
exception d’illégalité d’un texte réglementaire n’est tenue de surseoir à statuer que si cette
exception présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire
au règlement du litige ». À ses débuts, le Tribunal de cassation avait mis à profit la théorie de l’acte
clair pour faire échec au système du référé législatif (v. supra, no 442).
(2554) Le juge interne est l’interprète naturel du droit européen. En revanche, la CJUE a seule
compétence pour apprécier la légalité d’un acte émanant d’un organe ou d’une institution de l’Union
européenne (v. supra, no 346).
(2555) Sur les différents recours, v. supra, no 344.
(2556) CJCE, 6 oct. 1982, CILFIT, aff. 283/81, Rec. CJCE, p. 3415 : « L’application correcte du
droit communautaire peut s’imposer avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute
raisonnable sur la manière de résoudre la question posée. [...] Toutefois, l’existence d’une telle
possibilité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit communautaire, des
difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de
jurisprudence à l’intérieur de la Communauté ».
(2557) Ex. : Cass. crim., 5 janv. 1967, D. 1967, 465 ; Cass. crim., 14 oct. 1992, Bull. crim., no 326 :
« L’application à l’espèce de la réglementation européenne ne soulève aucune difficulté sérieuse
et il n’y a pas lieu, dès lors, d’en demander l’interprétation à la Cour de justice des Communautés
européennes ». La chambre criminelle fait un usage abusif de la théorie de l’acte clair pour éluder la
question préjudicielle de l’art. 267 TFUE (Traité CE, art. 177 anc.). Feignant d’ignorer les difficultés
importantes que suscite l’application du droit communautaire en droit pénal interne, la chambre
criminelle a parfois contredit les interprétations données par la CJCE (G. BRIEUC DE MASSIAC, « Droit
pénal et droit communautaire : une cohabitation difficile », RJDA 1993, p. 587). Alors que la
question préjudicielle a été régulièrement posée par les chambres civiles depuis 1967 (Cass. 2e civ.,
27 avr. 1967, D. 1967, 541, concl. Schmelck) et par le Conseil d’État dès 1970 (CE, 10 juill. 1970,
Rec. CE, p. 10), la chambre criminelle n’a interrogé la CJCE pour la première fois qu’en 1994
(Cass. crim., 30 janv. 1994, Dr. pénal 1994, comm. 124).
(2558) 1er ex. : CE, 19 juin 1964, société des pétroles Shell-Berre, AJDA, 1964, p. 440 ; RDP 1964,
p. 1019, concl. N. Questiaux ; JDI 1964, p. 800 (déclinant la demande de renvoi préjudiciel avant
d’affirmer une solution rapidement condamnée par : CJCE, 4 févr. 1965, Albatros, aff. 20/64, Rec.
CJCE, p. 41). 2e ex. : CE, Ass., 22 déc. 1978, Cohn-Bendit, cité supra, no 345, en note (rejetant une
question préjudicielle avant de contredire : CJCE, 28 oct. 1975, Rutili, aff. 36/75, Rec. CJCE,
p. 1219).
(2559) V. supra, no 344.
(2560) La CJCE affirme que la violation d’une obligation découlant du droit communautaire ouvre
une action en responsabilité contre l’État défaillant devant les juridictions nationales (CJCE, 5 mars
1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, aff. C. 46 et 48/93, cité supra, no 345, en note). En
France, le refus abusif de saisir la CJCE serait ainsi sanctionné sur le fondement de l’art. L. 141-1
C. org. jud. (v. supra, no 175) s’il émane de la Cour de cassation et sur le fondement de la
jurisprudence Darmont (CE, Ass., 29 déc. 1978, D. 1979, 279 ; RDP 1979, p. 1742) s’il émane du
Conseil d’État ; dans les deux cas, une faute lourde de la justice (non couverte par l’autorité de la
chose jugée, ajoute le Conseil d’État) devrait être établie, ce qui est trop restrictif. Mais le Conseil
d’État a évolué en 2008 (v. supra, no 340).
(2561) Comm. EDH, 12 mai 1993, Sté Divagsa c/Espagne, Décisions et rapports 74, p. 274 : « Il
n’est pas exclu d’emblée que, dans certaines circonstances, le refus opposé par une juridiction
nationale appelée à se prononcer en dernière instance (de renvoyer une affaire à titre préjudiciel
devant la CJCE), puisse porter atteinte au principe de l’équité de la procédure, tel qu’énoncé à
l’art. 6-1 de la Convention ». Comp. CEDH, 4 oct. 2001, Canela Santiago, inédit (décision
d’irrecevabilité) : le refus du Tribunal suprême espagnol « de poser une question préjudicielle
n’apparaît pas entaché d’arbitraire » lorsqu’il « a estimé de manière raisonnée que les questions
préjudicielles [...] relevaient de son champ de compétence », dans la mesure où « il ne subsistait
aucun doute quant à la réponse à fournir » (allusion à l’arrêt CILFIT de la CJCE, précité). Dans le
même sens, au sujet du refus de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, v. supra, nº 334, 4º.
Sur la position du Conseil d’État, v. supra, no 340.
(2562) Cons. const., 4 avr. 2013, décis. nº 2013-314 QPC, commenté supra, nº 335 in fine.
(2563) Ex. : Cass. crim., 8 mars 1930, DP 1930, 1, 101, n. P. Voirin : un décret du 11 nov. 1917 sur la
police des chemins de fer interdisait aux voyageurs « de descendre ailleurs que dans les gares, et
lorsque le train est complètement arrêté » ; pris à la lettre, il eût obligé chaque voyageur à
descendre en marche ; un contrevenant défendit cette interprétation littérale, en vain : « Le tribunal a
décidé à bon droit que ce dernier texte devait être interprété comme interdisant aux voyageurs de
monter dans les voitures ou d’en descendre avant l’arrêt complet du train ». V. aussi T. civ. Seine,
24 avr. 1952, JCP, 1952.II.7108. – CE 4 déc. 2013, nº 027985 : « en l'absence de doute [...], il y a
lieu pour le Conseil d'Etat, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les
dispositions erronées de cet article », mais de rectifier l'erreur matérielle commise en prévoyant la
publication au Journal officiel d'un extrait de sa décision.
(2564) Ex. d’absurdité à proscrire, du point de vue des conséquences : un règlement municipal
imposait la fermeture des commerces à 20 h ; un commerçant ne peut prétendre fermer à 20 h et
réouvrir à 20 h 01 (R. v. Liggets – Finlay Drug Stores (1919), 3 W. L. R. 1025).
(2565) Sir R. CROSS, Statutory interpretation, 3e éd., 1992, par J. Bell et G. Eagle, Londres,
Butterworth ; Th. PLUCKNETT, Statutes and their interpretation.
(2566) Comp. F. GRIVART DE KERSTRAT, « Les formulations d’objectifs et l’interprétation de la loi en
Angleterre », RRJ 1989, p. 961.
(2567) Ex. : Cass. crim., 14 janv. 1971, Le Pen, D. 1971, 101, rap. F. Chapar, estimant que le
phonogramme entre dans la catégorie des « écrits et imprimés », seule visée par les art. 23 et 24 anc.
L. 29 juill. 1881 réprimant l’apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commise
sur certains supports de communication (l’art. 23 fut ensuite modifié par la L. 1er juill. 1972, pour
moderniser la liste).
(2568) Ex. : l’art. 333 ancien C. civ. admettait la légitimation d’enfant par autorité de justice « s’il
apparaît que le mariage est impossible entre les deux parents » ; certains juges du fond avaient
déduit cette impossibilité du simple refus des parents de se marier, ce qui rendait la condition légale
inconsistante (v. Droit de la famille, coll. Droit civil). Le droit de la filiation a souvent connu des
interprétations déformantes (v. infra, no 459).
(2569) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « Les directives d’interprétation en théorie du droit et en droit
positif belge », in Les règles d’interprétation, sous la dir. de J.-F. Perrin, Fribourg (Suisse), 1989 ;
des mêmes auteurs, Entre la terre et l’esprit, Bruxelles, 1989.
(2570) Ch. PERELMAN, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, Dalloz, 2e éd., 1979 [rééd. Dalloz,
1999], no 48, p. 95 (citant l’allemand G. STRUCK, Topische Jurisprudenz, Frankfurt, 1971, no 48,
p. 95-96).
(2571) V. notamment art. 1188 : « Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties
plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée,
le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la
même situation ».
(2572) V. notamment art. 31 : « 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens
ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet ou de son
but [...]. 4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention
des parties ». La France n’a pas ratifié cette convention. Cf. M. K. YASSEEN, « L’interprétation des
traités d’après la Convention de Vienne sur le droit des traités », Rec. cours La Haye 1976, t. 151.
(2573) Ex. : Cass. req., 18 mars 1807, S. chr., an XIII-1808, 1, 361 : les règles des anciens art. 1156
et s. (devenus art. 1188 à 1191) « sont plutôt des conseils donnés aux juges, en matière
d’interprétation des contrats, que des règles plus rigoureuses et impératives, dont les
circonstances, même les plus fortes, ne les autoriseraient pas à s’écarter » ; Cass. 1re civ., 19 déc.
1995, Bull. civ. I, no 466 : « l’art. 1156 C. civ. [ancien] ne formulant pas, pour l’interprétation des
conventions, une règle à caractère impératif, sa méconnaissance ne peut, à elle seule, donner
ouverture à cassation ». V. cependant infra, nº 456 in fine (à propos de la règle lex specialia
generalibus derogant).
(2574) Un acte doit être interprété dans le sens où il produit un effet, non dans celui où il n’en
produirait pas.
(2575) Sur le principe d’« effet utile », v. infra, no 461.
(2576) V. infra, no 457. Lorsque la raison d’être d’une loi disparaît, la loi ne doit plus s’appliquer.
(2577) V. infra, no 456. Une exception doit être restrictivement interprétée.
(2578) V. infra, no 459. Citer l’un c’est exclure l’autre. Qui affirme pour l’un nie pour l’autre.
(2579) V. infra, no 459.
(2580) Le doute profite au défendeur ou à la partie la plus faible (v. supra, no 213).
(2581) Dans les cas obscurs, on doit se régler sur le minimum.
(2582) Là où la loi ne distingue pas, il ne faut pas distinguer. Ex. : Cass. req., 30 déc. 1879, S., 1880,
I, 64 ; DP 1880, I, 338 : « Les dispositions de l’article 2257 (C. civ.) étant générales et exclusives
de toute distinction, on doit les appliquer aux tiers détenteurs de l’immeuble hypothéqué aussi
bien qu’au débiteur principal ». L’art de la distinction est l’outil privilégié du juge comme de la
doctrine (v. supra, no 431).
(2583) Le premier adage (= la loi postérieure déroge à la loi antérieure) peut aller jusqu’à produire
un effet abrogatoire (abrogation tacite de la norme plus ancienne, présumée moins bonne ; sur
l’abrogation tacite, v. supra, no 278). Le second (la règle spéciale déroge à la règle générale) ne
produit qu’un effet dérogatoire. Cf. A. SIRI, « Des adages lex posterior derogat priori & specialia
generalibus derogant [...] », RRJ 2009-4, p. 1781. Sur ce dernier adage, v. infra, nº 456, in fine.
(2584) La convention ayant pour objet des intérêts privés ne doit pas déroger à l’ordre public.
(2585) Premier en date, meilleur en droit.
(2586) Nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a.
(2587) Les droits du possesseur sont meilleurs que ceux du revendiquant.
(2588) Ne pas déranger ce qui est paisible. Traduction libre : ne réveillez pas le chat qui dort. C’est
une des règles juridiques majeures.
(2589) Qui lutte pour éviter une perte doit être préféré à celui qui lutte pour obtenir un gain.
(2590) Le risque de la perte est pour le propriétaire.
(2591) Le risque de la perte est pour le débiteur.
(2592) L’accessoire suit le principal.
(2593) Ex. : l’art. 122-7 C. pén. érige l’état de nécessité en cause d’irresponsabilité pénale.
(2594) Ex. : les « pouvoirs exceptionnels » de l’art. 16 de la Constitution.
(2595) Selon l’adage Fraus omnia corrumpit : la fraude fait exception à toutes les règles (v. supra,
no 402).
(2596) Biblio. : F. SAINT-BONNET, Vº Exception, nécessité, urgence, Dictionnaire de la culture
juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 673 ; du même auteur, L’État d’exception, PUF, 2001. La norme et
ses exceptions. Quels défis pour la règle de droit ?, Bruylant, coll. À la croisée des droits, 2014.
Sur la notion d’urgence, v. supra, no 12.
(2597) 1er ex. : Cass. crim., 3 mars 1859, Bull. crim. no 69 : « Aux termes des règles générales du
droit, nul n’est pénalement responsable qu’à raison de son fait personnel ; si, en certaines
matières, des exceptions [...] sont admises contre ce principe, elles doivent être rigoureusement
restreintes aux cas qu’elles régissent ». 2e ex. : Cass. req., 26 juill. 1928, S., 1929, 1, 70 :
« L’application des lois spéciales doit être strictement renfermée dans les limites fixées par leurs
dispositions » (à propos de la L. 8 nivôse an VI déclarant insaisissables les rentes sur l’État
français). 3e ex. : Cass. 2e civ., 30 juin 1971, D. 1971, 477 : « La disposition spéciale figurant à
(l’art. 425, dern. al. 1, C. pr. civ.) étant dérogatoire au droit commun en la matière [...] doit être
interprétée restrictivement et ne saurait trouver application en dehors du cas visé ». Cf. L. ROBINE,
L’interprétation des textes exceptionnels en droit civil français, th. Bordeaux, 1933.
(2598) Ex., l’art. 2262 C. civ. anc. énonçait une règle de principe selon laquelle le délai de
prescription de l’action en justice était de trente ans. L’art. 1304 du même code énonçait donc une
règle d’exception selon laquelle le délai de prescription de l’action en nullité relative était de cinq
ans. Mais ce dernier texte ne disposait lui-même ainsi que « dans tous les cas où l’action en nullité
ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière ».
Au regard d’une telle exception (par ex., de l’art. 1676 selon lequel l’action en rescision pour lésion
de la vente d’immeubles se prescrit par deux ans), la règle d’exception de l’art. 1304 se muait en
règle de principe. Seul le rapport d’une règle à une autre permet d’en déterminer la nature (règle de
principe ou règle d’exception).
(2599) Ex. : Cass. 3e civ., 15 févr. 1972, D. 1972, 339 ; JCP G, 1972.II.17094, n. J.-Ph. Lévy : « Les
dispositions de l’ordonnance du 30 décembre 1958 (art. 79, limitant la validité des clauses
d’indexation dans les contrats) doivent être interprétées restrictivement comme dérogatoires à la
liberté des conventions ».
(2600) Ex. : Cass. 1re civ., 12 juin 1979, Bull. civ. I, no 173 ; Defrénois 1980, art. 32421, no 72,
p. 1215, n. J.-L. Aubert : « Vu l’article 2001 du Code civil et le principe de la gestion d’affaires ;
par extension du texte susvisé le gérant d’affaires a droit à l’intérêt de ses avances du jour où
elles ont été constatées » (l’art. 2001, qui s’applique au mandat et que la Cour étend ici au gérant
d’affaires par voie d’analogie, est lui-même une exception à la règle de principe posée par l’ancien
art. 1153, al. 3, devenu art. 1344-1).
(2601) M. LEBEAU, De l'interprétation stricte des lois. Essai de méthodologie, th. Paris II,
Defrénois, 2012, préf. P.-Y. Gautier.
(2602) Ex. : Cass. crim., 1er juin 1992, Bull. crim., no 214.
(2603) Ph. MARCHESSOU, L’interprétation des textes fiscaux, Economica, 1980.
(2604) Ex. : Cass. 2e civ., 17 févr. 1993, Bull. civ. II, no 66 : « En édictant le principe général
suivant lequel l’action en responsabilité civile, fondée sur une faute constitutive d’une infraction
pénale, se prescrit selon les règles du droit civil, l’art. 10, al. 1er, C. pr. pén. (L. 23 déc. 1980),
laisse subsister la disposition spéciale de l’art. 65 L. 29 juill. 1881, prévoyant une prescription de
trois mois » en matière de délits de presse.
(2605) Cass. 1re civ., 9 mars 2016, nº 15-18899, JCP E, 2016, 1260 : « Vu [...] le principe selon
lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales ». Sur le phénomène des visas de principe,
v. supra, nº 403.
(2606) C. civ., art. 1105 (réd. ord. 10 févr. 2016) : « Les règles générales s’appliquent sous réserve
[des] règles particulières ».
(2607) Biblio. : G. CORNU, « Le règne discret de l’analogie », Mélanges A. Colomer, Litec, 1993,
p. 129 et RRJ 2005, no spéc., p. 2661 ; P. DELNOY, « En quel sens le juriste raisonne-t-il aujourd’hui
par analogie ? », RRJ 1996, p. 1023 ; M.-A. FRISON-ROCHE, « Une typologie des analogies dans le
système juridique (« bonnes » et « mauvaises » analogies en droit) », RRJ 1996, p. 1043 ;
B. FRYDMAN, « Les formes de l’analogie », RRJ 1996, p. 1053.
(2608) 1er ex. : Cass. 1re civ., 12 juin 1979, préc. 2e ex. : les règles de conflits de lois dans l’espace
prévues par l’art. 3 C. civ. pour les lois françaises ont été étendues par analogie aux situations
étrangères, c’est-à-dire « bilatéralisées » (v. supra, no 73, 3o).
(2609) Encyclopédie philosophique universelle, vol. II, Les notions philosophiques, t. II, PUF,
1990, Vo Interprétation – Induction, p. 1279.
(2610) 1er ex. : le principe infans conceptus aurait été induit des art. 725-1o, 906 et 961 C. civ. en
matière de successions et de libéralités. 2e ex. : l’action prétorienne en enrichissement sans cause
(v. supra, no 413) aurait été induite des art. 554 à 556, 861-862, 1673, 1947, 2080, 2175, 1312 et
565 qui remédient à un appauvrissement injuste. 3e ex. : un droit de rétention général aurait été induit
des art. 862, 1612, 1653 et 1673, 1749, 1948, 2082 et 2087, 2280 ainsi que de lois postérieures au
Code civil qui attribuent à divers créanciers un droit de rétention spécifique.
(2611) G. MARTY et P. RAYNAUD, Introduction générale à l’étude du droit, Sirey, 2e éd, 1972, no 126,
p. 234. Adde Fr. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en doit privé positif, 2e éd., 1954
[réédition LGDJ, 1996], t. II, no 166, p. 124 : « L’analogie peut s’élever, jusqu’à constituer, [...] en
condensant un esprit général, qui planerait sur notre organisation juridique, des théories comblant
de véritables lacunes légales » ; J. BOULANGER, « Principes généraux du droit et droit positif »,
Études G. Ripert, LGDJ, 1950, t. I, p. 51, spéc. no 21, p. 67 : « L’énoncé d’un principe non écrit est
la manifestation de l’« esprit » d’une législation ».
(2612) Les jusnaturalistes contemporains ont pratiqué le genre spiritualiste sinon chamanique. V. par
ex. G. DEL VECCHIO, « Essai sur les principes généraux du droit », Rev. crit. lég. jur. 1925, p. 153 et s.
et 231 et s., spéc. p. 165 : « Le juriste, et particulièrement le juge, doivent, autant que possible,
dominer et pour ainsi dire revivre le système entier, en se pénétrant de son unité spirituelle [...]
comme s’ils étaient l’auteur du tout, et qu’en eux la loi parle réellement ».
(2613) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, 1re éd., 1955, no 29, p. 101 et rééd. 2004,
no 137, p. 252 : « La doctrine et la jurisprudence ont formulé ces principes généraux. Mais elles ne
les ont pas créés. Elles les ont trouvés en suspension dans l’esprit de notre droit, tel que semblaient
le leur révéler certains textes fragmentaires ».
(2614) Ex. : Cass. civ., 1er avril 1846, DP 1846, 1, 81 ; S., 1846, 1, 273 : « Dans l’absence d’un
texte formel et absolu de la loi, c’est dans son esprit et dans les principes essentiels et
fondamentaux de notre législation qu’il faut rechercher s’il existe quelques traces de cette
incapacité » (celle de l’enfant naturel reconnu) ; or, on ne peut considérer que « l’intention du
législateur ait été de frapper d’incapacité les enfants naturels reconnus ».
(2615) M. PUECH, Les principes généraux du droit (aspect pénal), Journées de la société de
législation comparée, « Les principes généraux du droit », RID comp., no spécial, vol. 2, année 1980,
p. 337, spéc. p. 338.
(2616) Cf. P. MORVAN, Le principe de droit privé, éd. Panthéon-Assas, 1999 ; du même,
Vo « Principes », Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1201. V. aussi supra,
nos 402 s.
(2617) 1er ex. : le principe selon lequel le juge de l’action est juge de l’exception (v. supra, no 446).
2e ex. : Cass. civ., 21 mai 1856, DP 1856, 1, 208 : « Le Ministère public qui, aux termes de
l’article 184, a le droit d’agir pour faire prononcer en justice la nullité du second mariage, doit
avoir, à plus forte raison, le droit de s’opposer à l’accomplissement de ce second mariage ».
(2618) Ex. : Cass. 1re civ., 20 mai 1969, D. 1969, 429 ; JCP G, 1969.II.16113 ; RTD civ. 1969, p. 544
et 607, qui admet par un argument a fortiori (exclu dix ans plus tôt afin de provoquer le législateur à
une réforme, finalement introduite par la L. 3 janv. 1972 modifiant l’art. 342 C. civ. dans le sens de
ce revirement...) que l’enfant naturel simple peut exercer une action alimentaire de subsides, étant
donné que l’enfant adultérin en a lui-même la possibilité depuis la L. 15 juill. 1955.
(2619) P. AMSELEK, Méthode phénoménologique et théorie du droit, LGDJ, 1964, p. 193-195.
(2620) Cf. P. H. STEINAUER, « L’interprétation des silences du législateur à l’aide des arguments a
contrario, a simili et a fortiori », in Les règles d’interprétation, sous la dir. de J.-F. Perrin, Fribourg
(Suisse), 1989. L’auteur donne l’exemple de l’écriteau apposé sur la porte d’un médecin : « Interdit
aux chiens ». Interprété par analogie (et a fortiori d’ailleurs), ce texte signifie « Interdit aux loups ».
Interprété a contrario, il signifie « Permis aux loups » (qui ne sont pas visés). Seul le bon sens de
l’interprète (qui se soumet à la ratio legis) l’incite à retenir la première interprétation.
(2621) J. FLOUR, « Pot-pourri », Defrénois 1975, art. 30854, spéc. p. 190 : « Il y a une place pour
l’analogie. Il y en a une autre pour l’a contrario ».
(2622) Sur la présentation de l’École de l’exégèse et la réalité, v. supra, no 136.
(2623) Sur les titres ou intitulés de la loi, v. supra, no 284.
(2624) Ex. : * Cass. crim., 19 déc. 1885, aff. du peintre Bastien-Lepage, cité supra, no 226 : « En
imposant à certaines personnes, sous une sanction pénale, l’obligation du secret, comme un devoir
de leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines
professions et garantir le repos des familles qui peuvent être amenées à révéler leurs secrets par
suite de cette confiance nécessaire ; ce but de sécurité et de protection ne serait pas atteint si la
loi se bornait à réprimer les révélations dues à la malveillance, en laissant toutes les autres
impunies » (le délit de violation du secret professionnel est donc une infraction volontaire qui ne
suppose pas une intention de nuire, un dol spécial).
(2625) Sur les travaux préparatoires du Code civil, v. supra, no 123.
(2626) V. toutefois Cass. civ., 22 nov. 1932, DH 1933, 2 : « Si en principe le recours aux travaux
préparatoires est permis lorsqu’un texte nécessite une interprétation, le juge doit, au contraire, se
l’interdire lorsque le sens de la loi, tel qu’il résulte de sa rédaction, n’est ni obscur ni ambigu et
doit, par conséquent, être tenu pour certain ».
(2627) Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004, cité supra, no 306, qui recherche dans les termes de la loi et
les « travaux parlementaires » l’« impérieux motif d’intérêt général » autorisant la rétroactivité
d’une loi civile dans un litige en cours. – Cass. soc., 10 févr. 2004, Bull. civ. V, no 43 : « il résulte de
ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi [...] ».
(2628) Ex. : Cons. const., 21 avr. 2005, décis. no 2005-512 DC, JO 24 avr. 2005, p. 7173 (cité supra,
no 284).
(2629) Ex. d’analyse lexicale de la loi : Cass. 1re civ., 9 janv. 1974, JCP G, 1974.II.17806, n. J.-
Ph. Lévy : « L’objet de la convention, au sens de l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958
(fixant les conditions de validité des clauses d’indexation), doit s’entendre dans son acception la
plus large » (c’est-à-dire dans le sens commun d’objectif et non dans le sens juridique de chose objet
du contrat). Ex. d’analyse lexicale d’un contrat : Cass. com., 13 mai 1974, JCP G, 1974.IV.244, se
référant à la définition d’un mot (« signet ») donnée par le dictionnaire, qui « rejoignait celle admise
de manière générale dans le public ».
(2630) 1er ex. : l’art. 68 Const. dispose : « Le Président de la République n’est responsable des
actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute trahison. [...] ; il est jugé par
la Haute Cour de justice ». Si la seconde phrase découle de la première, le Président ne relève de la
Haute Cour que s’il est soupçonné d’un acte de Haute trahison ; pour le reste, il relève des
juridictions de droit commun. Si la seconde phrase édicte une règle autonome, le président relève de
la Haute Cour même pour les infractions de droit commun (ex. : trafic d’influence, meurtre, excès de
vitesse...). Le Conseil constitutionnel a choisi cette dernière interprétation qui, de fait, confère au
Chef d’État une immunité pénale durant son mandat (Cons. const., 22 janv. 1999, décis. no 98-408
DC, réf. in D. 2000, som. 196). 2e ex., ancien, quant au sens de l’art. 896 C. civ. : Cass. req., 18 janv.
1808, Jur. Gén., Vo Substitution, no 230 : « Il résulte de cette addition (qui autrement serait inutile),
que le législateur a eu l’intention d’enlever au donataire, à l’institué, au légataire, l’avantage qui
leur est fait et par conséquent il annule leur donation, institution ou legs ».
(2631) Ex. : Cass. ch. réunies, 2 juill. 1903, Ménard, DP 1903, 1, 353 ; S., 1904, 1, 65, n. Ch. Lyon-
Caen, statuant en raison « tant des termes de l’article 747 (anc. du C. civ.) que la rubrique sous
laquelle cet article se trouve placé ». Pour les contrats, C. civ., art. 1161 : « Toutes les clauses des
conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de
l’acte entier ».
(2632) V. supra, no 236.
(2633) C. civ., art. 1157 : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt
l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle
n’en pourrait produire aucun ».
(2634) H. LAUTERPARCHT, « L’interprétation des traités », Rec. cours La Haye, t. XLIII, 1950, p. 368,
spéc. p. 402. Comp. K. PARROT, L’interprétation des conventions de droit international privé,
Dalloz, 2006.
(2635) CJCE, 29 nov. 1956, Fédération charbonnière de Belgique, aff. 8/55, Rec. CJCE, 1955-
1956, p. 291, spéc. p. 304 : « Il est permis, sans se livrer à une interprétation extensive,
d’appliquer une règle généralement admise tant en droit international qu’en droit national
et selon laquelle les normes établies par un traité international ou par une loi impliquent les
normes sans lesquelles les premières n’auraient pas de sens ou ne permettraient pas une
application raisonnable et utile » ; une argumentation a contrario « n’est admissible qu’en dernier
ressort et quand aucune autre interprétation ne s’avère adéquate ou compatible avec le texte, le
contexte ou leur finalité ». Sur les méthodes d’interprétation de la CJCE, J. BOULOUIS, Grands arrêts
de la CJCE, Dalloz, t. I, 6e éd., 1994, nos 19 et s.
(2636) V. supra, no 377.
(2637) Un « éclectisme tactique » écrivait Jean Carbonnier (Droit civil. Introduction, PUF, 1re éd.,
1955, rééd. 2004, no 160, p. 307). Ex. Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, Bull. civ. I, no 33 : une cour
d’appel « ne saurait se voir reprocher de ne s’être pas livrée à une recherche (dans les travaux
préparatoires) qui relevait de sa liberté quant aux méthodes d’interprétation de la loi ».
(2638) Sur l’Exégèse et la critique scientifique (not. les travaux de Fr. Gény), v. supra, nos 137-138.
(2639) Ainsi, lorsque François Gény fit une étude de droit positif postérieure à sa Méthode
d’interprétation... (Des droits sur les lettres missives étudiées principalement en vue du système
postal français, 1911), ses méthodes d’interprétation se révélèrent aussi classiques que celles de ses
contemporains.
(2640) H. BATIFFOL, « Questions de l’interprétation juridique », in Choix d’articles, LGDJ, 1976,
p. 408, spéc. p. 415 : « Au souci de la vérité se joint celui du loyalisme : inégal chez les
particuliers, il est un devoir fondamental chez ceux qui parlent au nom de l’État ».
(2641) Biblio. : M.-L. MATHIEU, Logique et raisonnement juridique, PUF, coll. Thémis droit, 2e éd.,
2015 ; du même auteur, Les représentations dans la pensée des juristes, IRJS éditions, 2014 (sur les
figures de style, les nombres, les paradigmes, l'espace, la structure...) ; J.-L. BERGEL, Méthodologie
juridique, PUF, coll. Thémis droit, 2e éd., 2016, nos 80 et s. (sur les méthodes de raisonnement
juridique). – Le raisonnement juridique. Recherches sur les travaux préparatoires des arrêts, dir.
P. Deumier, Dalloz, 2013. – L’argumentation des juristes et ses contraintes, Droits 2011, nº 54 et
Droits 2012, nº 55. Adde F. GÉA, Contribution à la théorie de l’interprétation jurisprudentielle.
Droit du travail et théorie du droit dans la perspective du dialogisme, LGDJ, 4 vol., 2009 (la
perspective « dialogique » conduit à étudier le problème de l’interprétation tel qu’il est exprimé dans
les discours des conseillers rapporteurs ou avocats généraux à la Cour de cassation ainsi que celui de
la doctrine ; elle remettrait en cause bien des présupposés).
(2642) Ch. PERELMAN, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, Dalloz, 2e éd., 1979 [rééd. Dalloz,
1999] ; Ch. PERELMAN, L. OLBRECHTS-TYTECA et M. MEYER, Traité de l’argumentation. La nouvelle
rhétorique, éd. Université de Bruxelles, 5e éd., 1992.
(2643) V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
(2644) V. Droit des successions, coll. Droit civil.
(2645) Comp. Ch. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, t. I, 2e éd., 1860, no 115 : « En théorie,
l’interprétation c’est l’explication de la loi ; interpréter, c’est découvrir, c’est élucider le sens
exact et véritable de la loi. Ce n’est pas changer, modifier, innover ; c’est déclarer, c’est
reconnaître. L’interprétation peut être plus ou moins ingénieuse et subtile ; elle peut même parfois
prêter au législateur des vues, des intentions qu’il n’avait pas [...], meilleures ou moins bonnes ;
mais enfin il faut qu’elle n’ait pas la prétention d’avoir inventé ; autrement, elle ne serait plus de
l’interprétation ».
(2646) J. GIRAUDOUX, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Acte II, Scène V, Hector : « Le droit est la
plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement
qu’un juriste la réalité ». Hector tente de convaincre Busiris, « expert de droit international » de
mauvaise foi, qu’au lieu de voir un casus belli dans l’attitude des navires Grecs arrivant sur les
rivages de Troie comme il l’avait jusqu’alors proposé sous l’influence des Grecs bellicistes, il
l’interprète, en pacifiste, comme un comportement pacifique ; Giraudoux connaissait les habitudes
intellectuelles des diplomates et du Quai d’Orsay (le personnage de Busiris est inspiré de Nikolaos
Politis, diplomate, homme politique grec et professeur de droit international public à Paris, qui était
la bête noire de Giraudoux et qui fut influent au Quai d’Orsay dans les années 1900 à 1930). V. Droit
civil illustré, no 12.
(2647) A. SCALIA et B. A. GARNER, Reading Law. The Interpretation of Legal texts, Thomson/West
(États-Unis), 2012.
(2648) Éphésiens, III, 6.
(2649) Les chiffres renvoient aux numéros, non aux pages.
(2650) Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphe et non aux pages.
(2651) Les chiffres renvoient aux numéros, non aux pages.
(2652) Les chiffres renvoient aux numéros, non aux pages.

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