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TRI-HEBDOMADAIRE
V E N D R E D I 17, S AMEDI 18 MAR S 2006 126 e an n ée N o 76 à 77
S P É C I A L
SPÉCIAL DROITS
FONDAMENTAUX
FONDAMENTAUX
57e anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l’homme
Par la Commission Droits fondamentaux de l’Union
des jeunes avocats de Paris
Sous la direction d’Anne Demetz, invitée permanente
de l’UJA, chargée des droits fondamentaux, et la
participation de Christophe Pettiti, secrétaire général
de l’Institut de formation en droits de l’homme du
Barreau de Paris
DROITS
Éditorial 4
FONDAMENTAUX
Avant-propos
LES INSTRUMENTS RÉGIONAUX DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 5
par Christophe Pettiti
Études
• PRÉSENTATION DE LA DÉCLARATION UNIVERSELLE 8
par Anne Demetz
• EUROPE : LE DROIT À LA LIBERTÉ DE CIRCULATION EN ROUMANIE 20
par Emmanuelle Cerf
• AFRIQUE : LE DROIT À L’ÉDUCATION ET LE DROIT À LA VIE CULTURELLE
AU SÉNÉGAL 25
par Marie-Chantal Cahen
• ORIENT : DROITS ET DEVOIRS DES CITOYENS EN ISRAËL 32
par Delphine Meimoun-Huglo
• AMÉRIQUE : LE DROIT À LA PROPRIÉTÉ AU BRÉSIL 38
par Zia Oloumi
• OCÉANIE : LE DROIT D’ASILE ET LE DROIT À LA NATIONALITÉ EN AUSTRALIE 44
par Pape Ndiogou M’Baye
Conclusion
DROITS
Nathalie FAUSSAT
Avocat au Barreau de Paris
Président de l’Union des jeunes avocats de Paris
ÉDITORIAL
G0798
Les contributions qui composent le présent numéro l’UNESCO) ; conférence-débat sur le respect des
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spécial de la Gazette du Palais sont le fruit du tra- droits fondamentaux (économiques et sociaux, mais
vail de réflexion de la Commission Droits Fonda- aussi politiques) à Cuba ;
mentaux de l’UJA, qui apporte sur ces questions le – 2000 : conférence-débat sur la liberté de croyance
regard neuf, généreux et parfois impertinent de la et les autres droits fondamentaux, en France ; col-
jeunesse. loque sur les risques d’atteintes à la vie privée par
Fondée en 1922, l’Union des jeunes avocats (UJA) l’usage de fichiers informatiques.
est une association à vocation syndicale ayant pour – 2001 : projection-débat autour de « La justice des
mission principale l’intégration et la défense des hommes », par Jean-Xavier de Lestrade et Denis
jeunes avocats. Poncet (documentaire sur les procès des génocidai-
Statutairement, l’UJA a également pour objet la res au Rwanda), en collaboration avec Avocat Sans
défense des droits de l’homme et des libertés fon- Frontières (ASF) ;
damentales. – 2002 : projection en avant-première d’« Un cou-
Or, malgré une volonté affichée et la réputation pable idéal » (Oscar 2002 du meilleur film docu-
de la France, pays des droits de l’homme, le res- mentaire), de Jean-Xavier de Lestrade et Denis Pon-
pect des droits fondamentaux oblige à une vigi- cet, en collaboration avec France 2 ; colloque sur le
lance constante. droit au travail et le droit à la santé en France ;
L’UJA a sur ce point toujours souhaité être un – 2004 : projection-débat, en collaboration avec
acteur de la vie politique et affirmé des positions France 2, sur la présomption d’innocence et l’inter-
qui ne sont pas nécessairement électoralement diction des traitements inhumains et dégradants en
populaires. France, au regard de la jurisprudence de la CEDH ;
La Commission Droits Fondamentaux de l’UJA – 2005 : conférence sur les détentions arbitraires à
travaille depuis des années sur les sujets de la jus- Guantanamo, avec la participation de Michaël
tice pénale internationale, de la non-discrimination Ratner, Président du Centre pour les droits consti-
sexuelle, raciale, de la liberté de conscience, tutionnels (USA) ; projection-débat (deux documen-
d’expression, d’opinion, sur le droit au procès équi- taires de France 2) sur l’intégrisme et ses excès avec
table, au respect de la vie privée et organise de la participation de Caroline Fourest (journaliste,
nombreux événements : prix de la laïcité 2005) ;
– 1997 : conférence sur la condamnation par la – 2006 : projection-débat sur l’affaire Loiseau et la
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de déontologie de la police en France ; réactualisation
la France, pour non-respect de règles du procès du Guide du droit des étrangers (à paraître prochai-
équitable dans l’affaire Hakkar et qui a entraîné nement).
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l’élaboration d’une proposition de loi par l’UJA ten- Je remercie tout particulièrement mon confrère
dant à la révision des procès jugés inéquitables par Anne Demetz, sans l’énergie de qui ce projet
la CEDH ; cette disposition est entrée dans le droit n’aurait pu être mené à bien, ainsi que les auteurs
positif français ; ayant contribué à ce numéro, avocats ou juristes,
– 1998 : exposition illustrée par Noëlle Herren- français ou francophones, qui font, par leurs sen-
schmidt, sur les Tribunaux pénaux internationaux sibilités plurielles, la démonstration du caractère
(ex-Yougoslavie, Rwanda), présentée au Palais de universel de la Déclaration universelle des droits de
justice de Paris (et inaugurée en la présence de l’homme.
Gabrielle Kirk Mac Donald, Présidente du TPIY, et
de Claude Jorda, Président de la Chambre de pre-
mière instance du TPIY), puis à Draguignan, Tar-
bes, Pau, Périgueux et Bordeaux ; conférence-débat
sur le Pacs ;
– 1999 : conférence-débat sur la condition des fem-
mes dans certains pays d’Afrique (avec la partici-
pation de Wassyla Tamzali, responsable du pro-
gramme pour la promotion de la condition des
femmes dans la région méditerranéenne auprès de
4 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
Les instruments régionaux de protection
des droits fondamentaux
AVANT-PROPOS
Christophe PETTITI
Avocat au Barreau de Paris
Secrétaire général de l’Institut de formation
en droits de l’homme du Barreau de Paris (IDHBP (*))
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dynamique qui permet d’imposer aux États du de crimes contre l’humanité quelle que soit leur
Conseil de l’Europe des obligations de plus en plus nationalité ou celle de leurs victimes prime sur
renforcées en matière de droits fondamentaux. La l’existence ou non d’intérêts nationaux, illustre ce
lecture de récents arrêts illustre cette dynamique. rôle dynamique du juge national. La Cour de cas-
Ainsi, on peut se réjouir des décisions récentes sur sation française exerce également ce contrôle de la
la portée des engagements pris par les États et sur conventionalité de nos lois et pratiques nationales.
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les conséquences des décisions de la Cour qui Ainsi, à titre d’exemples, la chambre criminelle a
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enjoint désormais aux États, dans ses dispositifs, de appliqué la Convention pour l’octroi d’un inter-
respecter les droits garantis par la Convention, en prète en matière pénale (Cass. crim., 25 mai 2005,
spécifiant les conséquences de ses décisions au-delà no 05-81.628) ; de même, elle a statué sur une peine
de la satisfaction équitable financière traditionnel- d’interdiction définitive du territoire français (Cass.
lement allouée au requérant. Dans l’affaire Assani- crim., 25 mai 2005, no 04-85.180). Cependant, les
dzé contre Géorgie du 8 avril 2005, la Cour a enjoint décisions de la Cour de Strasbourg quant aux affai-
à la Géorgie d’assurer la remise en liberté du requé- res Draon et Maurice relatives la loi « anti-
rant dans les plus brefs délais. Dans son arrêt Issa Perruche » jugée contraire à l’article 1 du Protocole
contre Turquie du 16 novembre 2004, concernant no 1 garantissant le droit de propriété (CEDH,
les dommages causés par l’armée turque dans le 6 octobre 2005), démontrent que même notre droit
nord de l’Irak, la Cour a confirmé que la Conven- n’est pas à l’abri d’une révision au regard du droit
tion était susceptible de s’appliquer hors de l’espace européen des droits de l’homme. On trouve une
juridique des États membres et ce même pour des autre illustration de ce nécessaire contrôle perma-
opérations militaires temporaires. Dans l’affaire nent dans l’arrêt Siliadin contre France, où la Cour
Makaratzis contre Grèce du 20 décembre 2004, la a estimé que le droit pénal français n’apportait pas
Cour a renforcé les obligations positives imparties à la requérante une protection concrète et effective
aux États en matière de recours à la force en temps contre les actes qui l’ont placé dans une situation
de paix, par des policiers pour éviter des accidents. de servitude, ce qui constitue une violation de l’arti-
Elle a conclu à la violation de l’article 2 de la cle 4 de la Convention (affaire Siliadin contre
Convention (protégeant le droit à la vie), alors France, 26 juillet 2005). Cet arrêt concernait une
même qu’il n’y avait pas eu mort. Il en est de même situation relative à l’esclavage moderne que nous
en matière de lutte contre les discriminations racia- rencontrons parfois en France à l’encontre princi-
les dans l’affaire Natchova et autres contre Bulga- palement d’immigrés en situation irrégulière. Les
rie du 6 juillet 2005, où la Cour européenne a conventions régionales ou internationales permet-
condamné la Bulgarie pour ne pas avoir, au titre de tent également un contrôle de nos centres de réten-
son obligation positive, entrepris une réelle enquête tion des étrangers dont les conditions de détention
sur les faits de discrimination raciale à l’encontre sont loin de respecter la dignité humaine selon le
de roms. Tout récemment, la Cour a estimé que Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’article 8 garantissant la protection de la vie privée l’Europe (Le Monde du 14 octobre 2005). L’état des
imposait à l’État l’obligation positive de communi- maisons d’arrêt en France, comme dans d’autres
quer à un ancien soldat britannique son dossier pays de l’Union européenne, justifie également les
médical et le dossier concernant les tests sur des alertes des organes du Conseil de l’Europe.
gaz neurotoxiques auxquels il avait participés
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(affaire Roche contre Royaume-Uni, CEDH (gr. ch.), II. LES AUTRES CONTINENTS
19 octobre 2005). La portée des arrêts de la Cour
européenne n’est évidemment pas limitée aux cas On peut également se référer au système interamé-
qui lui sont soumis, et nos juridictions nationales ricain. La Convention américaine relative aux droits
doivent s’en inspirer. L’arrêt Roche contre de l’homme adoptée le 22 novembre 1969, qui lie
Royaume-Uni serait ainsi susceptible d’être invo- aujourd’hui 24 États, constitue un mécanisme de
qué dans les affaires d’amiante et autres. Il appar- protection régionale similaire à celui de la Conven-
tient aux avocats de les évoquer. On peut se réjouir tion européenne des droits de l’homme, même s’il
que les juridictions suprêmes de certains pays euro- n’offre pas une garantie judiciaire équivalente. Les
péens publient des extraits de la jurisprudence de décisions de la Cour interaméricaine des droits de
la Cour européenne, comme le fait la Cour de cas- l’homme ou de la Commission sont aujourd’hui
sation dans son Bulletin. Le juge national a son nombreuses et ont une portée significative. Le sys-
propre pouvoir d’interprétation sous le contrôle du tème régional existant en Afrique est certainement
juge européen, et il est le garant du respect des celui le moins développé, et il présente peu d’effi-
droits fondamentaux. La décision du Tribunal cons- cacité. Il résulte de la Charte africaine des droits de
titutionnel espagnol du 5 octobre 2005, considé- l’homme et des peuples adoptée le 21 juin 1981, et
rant que le principe de compétence universelle fai- la procédure de surveillance de son bon respect est
sant obligation aux États de poursuivre les auteurs confiée à la Commission africaine qui dispose
6 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
cependant de moyens limités. Un protocole signé la proclamation et reconnaissance des droits fon-
en juin 1998 prévoit la création d’une Cour afri- damentaux au sein de nos régions et de nos États.
caine des droits de l’homme. Ce protocole est entré À l’échelle régionale, il incombe encore à l’Asie
en vigueur le 25 janvier 2004, mais la Cour n’a pas d’emprunter cette voie de manière significative.
encore été créée, certains États souhaitant la fusion-
ner avec la Cour de justice de l’Union africaine. Un CONCLUSION
tel projet est contesté par les ONG car il constitue
une tentative de réduire les compétences, ou, à tout Les conventions régionales et internationales de
le moins, les moyens de la future Cour. Les hésita- protection des droits de l’homme se sont inspirées
tions des États à ratifier ce protocole créant la Cour de la DUDH qui n’a pas de portée juridique spéci-
africaine démontrent a contrario l’efficacité du fique, mais qui, manifestement, est toujours
droit. Il en est de même au sein de l’Union euro- d’actualité. Les déclarations, résolutions, conven-
péenne. Seuls les Pays-Bas, aux côtés des nouvel- tions relatives aux droits fondamentaux ne sont pas
les démocraties de l’Est, ont à ce jour signé et rati- sans effets. Elles permettent aux militants, défen-
fié le Protocole no 12 à la Convention européenne seurs des défenseurs des droits fondamentaux de
des droits de l’homme qui interdit d’une manière rappeler aux États leurs obligations internationales
générale les discriminations dans tous les droits. Les et de pousser ces derniers à reconnaître les droits
gouvernements invoquent pour beaucoup d’entre garantis par les instruments juridiques. Elles cons-
eux des motifs bien éloignés des motivations bud- tituent les forces imaginaires du droit, selon la belle
gétaires qui les guident. Les craintes du droit et du expression de Mireille Delmas-Marty (Le relatif et
juge sont manifestes. On les retrouve au sein de la l’universel, éditions du Seuil, 2004) et permettront,
Ligue arabe qui n’a pu à ce jour faire entrer en peut-on l’espérer, de contribuer à retirer nos bar-
vigueur la Charte arabe des droits de l’homme du belés, tout en gérant au mieux les questions de
15 septembre 1994, laquelle ne prévoit en outre pas l’immigration.
d’organe juridictionnel chargé d’instruire les futu- (le 24 octobre 2005)
res plaintes qui pourraient être adressées. Ces ins-
truments régionaux sont évidemment complétés
par les conventions spécifiques et générales des
Nations unies, dont notamment le Pacte relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels de 1966, et
celui relatif aux droits civils et politiques de 1966,
ce dernier étant complété par le Protocole faculta-
tif permettant aux particuliers d’adresser des récla-
mations au Comité des droits de l’homme (cf. Intro-
duction : IV.A). Les conventions relatives aux ques-
tions spécifiques sont au nombre de 24, sans comp-
ter les instruments relatifs à des catégories particu-
lières (réfugiés, travailleurs, femmes, enfants...). Ces
instruments internationaux et régionaux ont été
construits, adoptés, signés et ratifiés progressive-
ment, marquant ainsi la longue et difficile voie de
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 7
Présentation de la Déclaration universelle
Anne DEMETZ
PRÉSENTATION
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tivement viable que d’un souci humaniste (il n’est l’esclavage soit aboli et le droit de vote reconnu
pas question, en pratique, de droit à la vie, de res- sans distinction de race aux hommes, et 1920 pour
pect de l’intégrité physique, de l’égalité entre les que les femmes de toute origine ethnique puissent
personnes ou de droit à une rémunération équita- voter) ; elle pose à son tour le principe de l’Habeas
ble...) et elles n’avaient aucun caractère universel et corpus comme notion primordiale et celui de la
indivisible. séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judi-
En réalité, le premier texte qui dégage une ciaire) comme une nécessité.
conception des droits fondamentaux, telle Enfin, lors de la Révolution française, la Déclara-
qu’entendue aujourd’hui, est le Bill of Rigths tion des droits de l’homme et du citoyen du 26 août
(déclaration des droits) proclamé en Angleterre le 1789 a proclamé que « l’ignorance, l’oubli ou le
13 février 1689 (suite à la pétition des droits de 1628 mépris des droits de l’homme sont les seules cau-
et à la Révolution anglaise de 1688), en ce sens qu’il ses des malheurs publics et de la corruption des
énonce que la loi est au-dessus du roi et ne peut gouvernements ». La supériorité des normes qu’elle
être suspendue ni abolie sans le consentement du contient pose pour principes l’égalité des hommes
Parlement, qui est souverain en matière de (mais pas des hommes et des femmes), la souve-
« levées » d’argent et d’entretien des armées et doit raineté populaire, la séparation des pouvoirs (exé-
être « fréquemment réuni », ses membres jouissant cutif, législatif et judiciaire) comme aux États-Unis,
d’une totale liberté d’expression dans son enceinte ; le droit de l’État de lever des impôts et de consti-
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tuer une armée dans l’intérêt général, les droits à son à l’avènement de la SDN, le Sénat américain,
la propriété privée, à la sûreté à la résistance à revenant à l’argument de la souveraineté natio-
l’oppression, à la liberté en général et plus spécifi- nale, refusera de signer ce Traité. Cette défiance
quement aux libertés d’opinion, même religieuse, américaine (qui se manifeste toujours aujourd’hui
de pensée, d’expression (sous les seules réserves à l’égard de l’ONU et plus spécifiquement de la
liées au maintien de l’ordre public) et affirme un Cour pénale internationale) restera une constante
ensemble de règles relevant du droit au procès vis-à-vis de la SDN et participera sensiblement à
équitable, à savoir : la prohibition des accusations, son échec. L’attitude des États-Unis n’est toutefois
arrestations ou détentions arbitraires, la légalité des pas la cause déterminante de cet échec, qui réside
délits et des crimes et de leurs peines (lesquelles surtout dans l’incapacité des États de mettre en
doivent être strictement et évidemment nécessai- œuvre un véritable ordre supranational au service
res), la présomption d’innocence. Après la procla- des droits fondamentaux, de leurs citoyens et de la
mation de la Déclaration française, la Constitution paix. C’est ainsi que la Communauté internatio-
américaine sera complétée, en 1791, par dix amen- nale n’a pu faire l’économie de la Seconde guerre
dements ou Déclaration des droits, qui proclament mondiale qui a dépassé, en termes d’atteintes à la
les libertés de religion, d’expression et de réunion, dignité humaine, tout ce qui avait pu être réperto-
les droit à l’intégrité physique (sans suppression de rié en la matière au cours des siècles précédents.
la peine de mort), à la propriété privée, à l’inviola- En 1945, le souvenir des crimes commis au cours
bilité du domicile et de la correspondance, et un de cette guerre est très vivace lors de la création de
certain nombre de règles relevant du droit au pro- l’Organisation des Nations unies (ONU). Aussi, les
cès équitable (pas de poursuites sans un acte États signataires affirment, dès le préambule de la
d’accusation indiquant la nature et la cause de Charte, leur foi « dans la dignité et la valeur de
l’accusation, instruction du procès à charge et à la personne humaine, dans l’égalité des droits des
décharge, impossibilité d’être condamné deux fois hommes et des femmes ». Cependant, la Charte
pour le même crime ou délit et sans observance visant en premier lieu à garantir la paix dans le
d’une procédure légale, droit d’être jugé prompte- monde, il est apparu nécessaire de rédiger ultérieu-
ment et publiquement par un jury impartial et rement un texte consacré aux droits fondamen-
d’être assisté d’un conseil pour sa défense, prohi- taux, la Déclaration universelle des droits de
bition des cautions et amendes excessives et des l’homme, adoptée à Paris le 10 décembre 1948.
châtiments cruels et exceptionnels).
Ces textes fondateurs, qui s’inspirent et se com- II. PRINCIPAUX RÉDACTEURS
plètent mutuellement, ont en commun d’être nés
à l’occasion d’une insurrection populaire. En effet, Ils sont issus de différentes cultures. Parmi eux, on
les droits qu’ils proclament ne peuvent prospérer peut citer Peng-Chun Chang, citoyen chinois (qui
sous un régime dictatorial. Ce pourquoi ces textes en sera le vice-président), Charles Malik, citoyen
érigent le droit à l’insurrection comme nécessaire libanais (qui en sera le rapporteur), Eleanor Roose-
garantie des autres droits. En revanche, il n’est pas velt (A) et René Cassin (B).
question des droits économiques et sociaux. On
peut également noter, outre l’indiscutable impul- A – Eleanor Roosevelt (1886-1962)
sion anglaise, la forte implication des États-Unis et Citoyenne américaine, Eleanor Roosevelt, née Roo-
de la France (alliés pendant la guerre d’indépen- sevelt (elle était la nièce du président Théodore du
dance américaine) dans l’affirmation des droits fon- même nom), ne s’est pas contentée d’être l’épouse
damentaux. Par la suite, des pays vont suivre les de son cousin Franklin D. Roosevelt, élu trois fois
exemples anglais, américains et français, notam- président des États-Unis. Elle a été aussi, dans une
ment la Belgique (Constitution du 7 février 1831), large mesure, son inspiratrice et son principal sou-
le Libéria (Déclaration des droits du 26 juillet 1847), tien dans les actions politiques et sociales qui l’ont
la Bolivie (Constitution du 17 octobre 1880). Mais distingué. Mais ce fut surtout une femme d’excep-
ces initiatives, qui ont le mérite d’étendre la néces- tion, très cultivée, ayant dès avant la Seconde guerre
saire référence aux droits humains, restent locales. mondiale son propre engagement auprès des per-
La souveraineté des États fait obstacle à l’élabora- sonnes les plus affectées dans leur santé et/ou leurs
tion d’une proclamation des droits fondamentaux conditions matérielles d’existence. En avril 1942,
à l’échelle internationale. Il faut attendre la Pre- elle fait la rencontre de René Cassin (qui repré-
mière guerre mondiale (et la mort de millions de sente auprès d’elle le Général de Gaulle et les inté-
personnes de nombreuses nationalités différentes) rêts du gouvernement de la France libre) lors d’un
pour que la primauté des souverainetés nationales voyage en Angleterre où le président des États-
montre ses limites. Par le Traité de Versailles, le Unis l’avait envoyée pour soutenir le moral des
28 avril 1919, suivra la naissance de la Société des Anglais. À cette occasion, elle apprécie les qualités
nations (SDN), progrès incontestable, au sens où est de militant passionné et de « créateur de droit » de
institué un lieu officiel de dialogue à l’échelle inter- ce dernier. Par la suite, leur amitié ne démentira
nationale. Par ailleurs, l’Organisation internatio- pas. En février 1946, elle est nommée membre d’un
nale du travail (OIT) est associée à la SDN. Cepen- Comité qui constitue le noyau de la future Com-
dant, en dépit de la contribution du président Wil- mission des droits de l’homme de l’ONU en même
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 9
temps que René Cassin, et, parlant couramment visoire de ce que René Cassin nomme les « États-
français, elle est l’alliée objective de celui-ci pour Léviathan ». Lors de cette guerre, René Cassin est
imposer l’utilisation officielle de cette langue, au un des rares juristes à répondre à l’appel du 18 juin
PRÉSENTATION
même titre que l’anglais. Puis la Commission créée, 1940. Il débarque à Londres le 27 juin 1940 et rejoint
elle en est nommée présidente et participe active- le Général de Gaulle. Le 3 septembre 1940, le pro-
ment à la rédaction de la DUDH. Elle réussit à y fesseur Cassin est révoqué par le gouvernement de
introduire des principes en faveur de l’égalité Vichy. Le doyen Ripert, ministre de l’Éducation
homme-femme (avec notamment la notion pion- nationale, parle alors du « métèque Cassini ».
nière de « à travail égal, salaire égal »), mais aussi Auprès du Général de Gaulle, René Cassin, pen-
à donner au texte, grâce à son esprit de synthèse et dant toute la guerre, joue un rôle considérable dans
à son sens des réalités, sa puissance concrète et sa la construction légale de la France libre et l’affir-
G0367 lisibilité. Après quoi, elle sera déléguée des États- mation de sa légitimité sur la scène internationale.
F O N D A M E N T A U X
Unis aux Nations unies. Nous aimerions en dire À l’issue de la guerre, qui l’a personnellement
davantage sur les actions d’Eleanor Roosevelt, mais, éprouvé, sa famille étant juive et nombre de ses
à cet égard, sa biographie, du moins en langue fran- membres étant morts en déportation, René Cassin
çaise, reste à faire... est nommé par le Général de Gaulle président du
Conseil d’État. Il s’intéresse à la rédaction de la
2 – René Cassin (1887-1976) Constitution française du 27 octobre 1946, qui,
grâce à lui notamment (outre qu’elle spécifie que
Citoyen français, René, Samuel Cassin soutient sa
la loi garantit à la femme, dans tous les domaines,
thèse en avril 1914, puis va combattre sur le front,
des droits égaux à ceux de l’homme), proclame
lors de la Première guerre mondiale. Il est témoin
comme « particulièrement nécessaire à notre
des horreurs de cette guerre avant d’être éventré
temps » une série de « principes politiques écono-
par un tir de mitrailleuse, ce qui lui vaudra de por-
miques et sociaux » qui seront ensuite (encore
ter une ceinture abdominale toute sa vie mais sur-
grâce à René Cassin et contre l’avis des États-Unis)
tout l’amènera à lutter constamment contre la
repris et développés dans la Déclaration univer-
guerre. En 1918, il participe à la fondation de
selle. Toujours au cours de l’année 1946, René Cas-
l’« Union fédérale des combattants, mutilés et veu-
sin agit en tant que membre de l’organe précur-
ves de guerre » (UF) qui comptera plus d’un mil-
seur de la Commission des droits de l’homme de
lion d’adhérents, puis en devient l’un des dirigeants
l’ONU, pour que cette Commission reçoive les
et milite en faveur du « droit à la réparation ». Dans
plaintes quant aux violations des droits fondamen-
le même temps, il donne des cours de droit en uni-
taux et que ses membres soient choisis pour leur
versité et, en 1919, obtient l’agrégation. Ses fonc-
compétence. Ces revendications seront écartées, les
tions au sein de l’UF vont lui permettre d’élargir son
États restant soucieux de leur souveraineté. Mais la
engagement pour la paix. Supporter ardent de la
Commission des droits de l’homme (CDH) est créée
SDN, il en fait la promotion auprès des anciens
avec pour mission d’élaborer une Charte des droits
combattants. En septembre 1924, il devient leur
fondamentaux. René Cassin se consacre alors plei-
représentant au sein de la délégation française lors
nement à cette œuvre.
de la Ve assemblée de la SDN. Constatant toutefois
que l’existence de la SDN n’empêche pas la mon- Une fois la Déclaration universelle proclamée,
tée en puissance des dictatures (Italie et Allema- René Cassin, âgé de 61 ans, n’a de cesse que de tra-
gne), René Cassin décide, en 1925, de créer une duire son contenu dans la réalité. Toujours mem-
fédération des anciens combattants ex-ennemis, la bre de la CDH, dont il sera le président, il milite
« Conférence internationale des associations de pour les Pactes sur les droits civils et politiques et
mutilés anciens combattants » (Ciamac) dont sont sur les droits économiques, sociaux et culturels
D R O I T S
exclues les associations nationalistes, fascistes et (adoptés le 16 décembre 1966 et ratifiés en 1976).
communistes. Nommé rapporteur permanent de Il continue aussi d’agir pour la création d’une ins-
cette conférence, René Cassin propose vainement tance internationale compétente pour connaître des
la création d’un corps de soldats de la paix. En 1930, violations des droits fondamentaux ainsi que pour
il donne un cours à l’Académie de droit internatio- l’instauration d’un droit pénal international et
nal de La Haye où il dénonce le nationalisme, appuie la possibilité d’envoi de troupes par les
déplore que la SDN ne soit pas un « super État » et Nations unies partout où la paix est menacée. Par
déclare : « (...) la conscience juridique du monde ailleurs, il est un des principaux inspirateurs de
civilisé s’est émue de la répétition de la gravité l’Unesco, auprès de laquelle il représente la France,
des attentats commis à l’encontre des droits de soutient la Convention européenne des droits de
l’homme (...) ceux-ci devraient être soustraits à l’homme (1950) et la création de la Cour euro-
toute atteinte de la part de l’État ». C’est animé péenne des droits de l’homme (1959), dont il
par cet esprit qu’il poursuit ses efforts pour une paix deviendra un des magistrats à partir de 1965. Pour
qui ne soit pas « totalitaire », face aux vents contrai- René Cassin, il y a aussi les moments d’indigna-
res que seront l’invasion japonaise en Chine, la tion vis-à-vis des grandes puissances qui, au nom
montée du nazisme et les premiers pogroms, l’inva- de la guerre froide, cautionnent les régimes auto-
sion de l’Éthiopie par Mussolini et qui conduiront ritaires et transforment la Charte des Nations unies
à la seconde guerre mondiale et au triomphe pro- en « chiffon de papier ». Cette indignation n’épar-
10 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
gnera pas le général de Gaulle lorsque, devenu pré- tion. Le projet de « Déclaration » est donc soumis
sident de la République, il fait passer la raison seul à l’Assemblée générale des Nations unies (par
d’État avant les libertés publiques et notamment l’Ecosoc, en août 1948), et il est décidé de l’adop-
refuse la ratification par la France de la Conven- ter tant que la conjoncture le permet (sans atten-
tion européenne des droits de l’homme (il faudra dre la rédaction des deux autres volets de la Charte).
attendre 1973). En 1967, René Cassin, âgé de 80 ans, C’est ainsi que le 10 décembre 1948, l’Assemblée
bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le générale adopte et proclame la DUDH. En réalité,
9 octobre 1968, il reçoit le prix Nobel de la paix, 48 États l’ont adopté et 8 se sont abstenus. Mais
nouvelle occasion pour lui de promouvoir les droits même parmi les pays qui l’ont voté, ses disposi-
fondamentaux. Peu de temps avant de recevoir ce tions suscitèrent un débat entre les tenants de la
prix, il déclarait : « (...) la doctrine de la non- primauté des droits civils et politiques et les tenants
violence de Gandhi n’est pas admissible sur le de la primauté des droits socio-économiques. En
plan mondial (...). Elle favoriserait les monstres. outre, la question d’accorder ou non une portée
En 1936, vis-à-vis de Hitler c’est en n’interve- juridique à cette Déclaration (ce qui était pourtant
nant pas à temps qu’on l’a incité à déclencher la prévu dès l’origine) fit aussi débat entre les États.
guerre ». Après avoir reçu le prix Nobel, dégagé de
la plupart de ses responsabilités administratives, il B – Contenu
entame ses derniers combats dont celui de l’édu-
La Déclaration universelle est comparée au porti-
cation. Le 14 décembre 1969, à Strasbourg, il crée
que d’un temple. Le parvis étant le préambule et le
l’Institut international des droits de l’homme, avec
soubassement, les principes généraux de liberté,
pour mission l’enseignement des droits fondamen-
d’égalité, de non-discrimination et de fraternité
taux aux universitaires. Jusqu’à sa mort, il intervien-
(articles 1 et 2). Quatre colonnes soutiennent le
dra pour les droits et devoirs humains. Pour
fronton. La première est celle des droits et libertés
conclure, j’exprime mes remerciements à Marc Agi,
d’ordre personnel (articles 3 à 11). La seconde, celle
qui œuvra aux côtés de René Cassin, à partir de
des droits de l’individu dans ses rapports avec les
1964 et qui est l’auteur d’une biographie très com-
gouvernements et les choses du monde extérieur
plète de ce dernier : « René Cassin : 1887-1976 -
(articles 12 à 17). La troisième, celle des facultés spi-
prix Nobel de la Paix » (éditions Perrin) à laquelle
rituelles, des libertés publiques et des droits politi-
cet article doit beaucoup et salue la mémoire de
ques fondamentaux (articles 18 à 21). La quatrième,
celui de mes grands-pères qui, ayant contribué à la
celle des droits économiques, sociaux et culturels
rédaction des Actes organiques de la France libre,
(articles 22 à 27). Les articles 28 à 30, affirmant la
sous la direction de René Cassin, a su transmettre
nécessité d’un ordre social international tel que les
le souvenir de cette personnalité, dont l’engage-
droits et libertés de la personne puissent y trouver
ment, hors du commun, reste aujourd’hui, dans son
leur plein effet, sont le fronton du temple, car ils
propre pays, quelque peu ignoré.
font le lien entre l’individu et la société. Sachant
que l’article 30, qui énonce qu’aucun État, gouver-
III. ÉLABORATION ET CONTENU nement ou individu ne peut prétendre tirer de la
Déclaration un droit quelconque « de se livrer à
une activité ou d’accomplir un acte visant la des-
A – Élaboration truction des droits et libertés qui y sont énon-
Lors de la création des Nations unies à la Confé- cés », peut s’analyser comme un retour implicite du
rence de San Francisco, en mai 1945, les représen- droit à l’insurrection visé explicitement dans les
tants de Cuba, du Mexique et du Panama propo- déclarations de droits antérieures (insurrection qui
sent l’adoption d’une déclaration des droits fonda- peut être pacifique, comme en témoigne l’exemple
mentaux. Par manque de temps, il n’est pas donné récent de l’Ukraine). Ce qui distingue surtout la
suite à cette proposition. Mais en 1946, lors de la Déclaration universelle des déclarations de droits
première session du Conseil économique et social qui l’on précédé, c’est qu’elle consacre, aux côtés
(Ecosoc), la future CDH est mandatée pour présen- des droits civils et politiques, des droits économi-
ter à l’Ecosoc une déclaration internationale des ques, sociaux et culturels, en leur conférant la
droits humains. Le comité de rédaction de la Décla- même valeur qu’aux premiers. On peut dire encore
ration tient sa première réunion en juin 1947. À que la Déclaration juxtapose les libertés classiques,
cette occasion, Eleanor Roosevelt demande à René n’impliquant qu’une abstention des États, et les
Cassin de préparer un avant-projet. À sa deuxième libertés économiques et sociales, nécessitant une
session, tenue à Genève en décembre 1947, la CDH intervention volontariste des pouvoirs publics (c’est
décide que l’expression « Charte internationale des tellement précurseur qu’aujourd’hui, la Charte
droits de l’homme » devrait s’appliquer à l’ensem- sociale européenne du 18 octobre 1961, à la diffé-
ble des documents en préparation (une déclara- rence de la CEDH qui ne concerne que les droits
tion, un pacte et des mesures d’application). Du civils et politiques, n’a toujours pas de portée juri-
24 mai au 15 juin 1948, la Commission révise le pro- dique). À vrai dire, la Déclaration universelle n’a pas
jet de déclaration en tenant compte des observa- été établie sans mal. Outre les compromis néces-
tions des gouvernements. Elle n’a pas le temps tou- saires entre pays occidentaux et socialistes, il y eu
tefois d’étudier le pacte ou les mesures d’applica- également des polémiques autour de certains arti-
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 11
cles. Le droit au mariage a suscité des réticences. l’homme, à condition d’avoir épuisé toutes les voies
En effet, l’article 16, qui consacre la pleine égalité de recours nationales et de ne pas avoir saisi une
matrimoniale de la femme et de l’homme (réalisée autre instance internationale de la même ques-
PRÉSENTATION
en France en 1965) et le droit au divorce de l’un tion. Si la communication est recevable, le Comité
comme de l’autre, toujours avec une égalité de leurs engage un dialogue avec l’État concerné (l’examen
droits (y compris en terme de patrimoine) a provo- des communications s’effectue à huis clos, mais les
qué l’opposition des catholiques à l’usage du mot conclusions peuvent être rendues publiques).
« divorce » et le rejet par l’Arabie saoudite de l’idée Cependant, en France, où ces deux textes sont
que le mariage puisse être contracté entre person- entrés en vigueur en 1981, on constate qu’ils jouent
nes de religions différentes. Le droit à la propriété un rôle marginal en droit interne et, concernant les
(article 17), qui reste toujours controversé, a été lui droits civils et politiques, que la CEDH et la juris-
G0367 aussi matière à polémique entre les libéraux et les prudence de la Cour européenne prévalent. Par
F O N D A M E N T A U X
présenter des rapports sur les mesures qu’ils auront et se distinguent par le refus d’une répartition des
adoptées et les progrès qu’ils auront accomplis pour richesses permettant réellement à leurs nationaux,
assurer le respect des droits figurant aux pactes comme aux autres habitants de la planète, un véri-
(articles 40 du PIDCP et 16 du PIDESC). En outre, table accès aux droits économiques et sociaux (ce
l’article 28 du PIDCP institue un Comité des droits qui est le cas des pays pour lesquels la loi du mar-
de l’homme, qui, sous réserve de la reconnaissance ché prime sur d’autres considérations, en tête des-
préalable de sa compétence par les États parties quels les États-Unis, régulièrement dénoncés par les
concernés, peut être saisi de communications d’un altermondialistes). À tous ceux là, il faut rappeler
de ces États à l’encontre d’un autre (article 41 du que le rôle des États est de permettre aux libertés
PIDCP). Enfin, le 1er Protocole facultatif se rappor- individuelles d’être indissociables de la solidarité
tant au PIDCP du 16 décembre 1966, entré en sociale (accès aux soins, à l’éducation, à l’autono-
vigueur le 23 mars 1976, prévoit que toute per- mie économique pour tous) et qu’une solidarité
sonne se prétendant victime d’une violation de l’un
sociale bien entendue ne peut avoir pour effet de
des droits énoncés dans le Pacte, peut présenter
supprimer ces libertés individuelles. Mais depuis
une communication écrite au Comité des droits de
quelques années, une autre forme d’atteinte, plus
(1) Propos de John Humphrey, premier directeur de la Division des droits radicale, aux principes d’universalité et d’indivisi-
de l’homme à l’ONU, in Justice, décembre 1986, vol. V, no 8, p. 16, Biblio-
thèque nationale du Québec, ISSN 0707-8501, Internet : www.biblianat.
bilité des droits fondamentaux se fait jour. Elle
gouv.qc.ca consiste à affirmer que le particularisme culturel,
12 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
notamment religieux, doit prévaloir sur les droits moiselle » aux femmes non mariées, même en cou-
fondamentaux. Cette tendance, dans sa manifesta- ple voire avec enfant(s), ce quelque soit leur âge.
tion lourde, a commencé à s’exprimer en Iran après Devant ce constat, l’article précité de l’UJA appe-
la Révolution islamiste (mais préexistait déjà lait les organismes dont le nom se référent aux
ailleurs). Elle poursuit désormais sa progression « droits de l’homme » à adopter une autre expres-
dans d’autres pays, soit de manière institution- sion qui ne puisse plus relayer de préjugés sexistes
nelle (proclamation de régimes où le pouvoir est et inspirer, en ce sens, la population comme les
exercé par un groupe religieux imposant des pré- médias.
ceptes confessionnels à la population entière), soit
2 – Une discrimination consacrée par la Déclara-
sous la forme de revendications émanant de grou-
tion de 1789
pes (pas tous islamistes), qui tendent à l’instaura-
tion de théocraties, ou à tout le moins à la confu- Dans un communiqué du 6 mars 1998, intitulé :
sion du politique et du religieux (2). Si, certes, on « Pour un langage non sexiste des droits
peut comprendre que l’interprétation, souvent uni- humains » (AI : ORG 33/002/1998), Amnesty Inter-
latérale (cf. Christophe Pettiti, supra, page 4), des national constate que la Déclaration des droits de
dispositions de la DUDH par les pays occidentaux l’homme et du citoyen de 1789 n’a pas été rédigée
puisse susciter une réaction hostile d’autres pays. pour les femmes. L’égalité entre hommes et fem-
Pour autant, comme le rappelle Kofi Annan, la mes a fait l’objet d’un débat à l’Assemblée natio-
Déclaration universelle ne peut être réduite à une nale, mais la majorité des députés a rejeté ce prin-
expression de l’impérialisme occidental. Elle est cipe en affirmant que la femme n’était pas douée
transculturelle. Sauf à considérer qu’il existe des de raison. C’est pourquoi, dans cette Déclaration,
« sous-cultures » qui ne pourraient la revendiquer, seul le mot « homme » est utilisé (et non par réfé-
ce qui est inadmissible (d’autant que la DUDH, elle- rence à la personne humaine). En 1789, donc, les
même, encourage toutes les manifestations cultu- femmes n’eurent pas le droit de vote, continuèrent
relles non contraires à ses dispositions et qu’il est d’être placées sous la tutelle de leurs pères et maris
généralement admis, la concernant, qu’il faille tenir quant à l’administration de leurs biens, voire la dis-
compte des contraintes de chaque pays en termes position de leur personne, et de voir leurs droits de
de développement). successions réduits. Dès cette époque cet état de
fait a été dénoncé par Olympe de Gouges. Comme
d’autres femmes, elle avait pensé que la Révolu-
VI. ACTUALISATION
tion serait bénéfique aux personnes de son sexe. Ses
espoirs furent déçus par la Déclaration de 1789. Elle
A – Parler des “droits humains” en langue fran- a tenté d’y remédier par la rédaction d’une « Décla-
çaise ration des droits des femmes et de la citoyenne »,
1 – Une discrimination patente publiée en 1791. Dans ce document, elle va
jusqu’au bout de la logique des principes de 1789,
En 1998, la Commission droits fondamentaux (CDF) non seulement en affirmant la complète égalité en
de l’UJA de Paris a publié dans la Lettre de l’UJA droit des femmes et des hommes (article 10 : « (...)
un article intitulé « Repenser en français la dignité la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle
humaine ». Son propos peut être résumé comme doit également avoir celui de monter à la tri-
suit : en français, le mot « homme », quoique tou- bune »), mais encore en proclamant l’égalité entre
jours employé dans un sens générique, pour dési- enfants naturels et légitimes (elle-même était fille
gner des personnes, n’est pas l’équivalent du mot adultérine d’une bourgeoise et d’un aristocrate).
« humain », car il désigne couramment d’abord et Son don de visionnaire et son sens profond de
surtout un individu de sexe masculin. Ainsi, si en l’égalité (Olympes de Gouges avait aussi imaginé un
français, l’on parle d’un « homme » sans autre pré- nouveau contrat d’union entre femmes et hom-
cision, nul n’imaginera a priori une femme (de
mes, destiné à assurer à chacun les mêmes droits
même, les expressions « personnes âgées » ou « per-
patrimoniaux et matrimoniaux), ne lui ont pas porté
sonnes handicapées » ne peuvent être traduites par
chance puisqu’elle fut guillotinée le 3 novembre
« hommes âgés » ou « hommes handicapés »). À vrai
1793 pour son opposition à Robespierre et que la
dire, le double sens du mot « homme » n’est nulle-
mémoire collective l’a ensuite occulté pendant plus
ment fortuit. Il retrace exactement le préjugé andro-
d’un siècle (4). Par ailleurs, à partir d’octobre 1793,
trope (des mots grecs « andros » individu de sexe
les Jacobins ont décrété illégaux tous les clubs et
masculin, et « tropos » tour) qui a prévalu pendant
associations de femmes et interdit l’accès aux séan-
des siècles selon lequel seuls les individus de sexe
ces de la Commune de Paris aux représentantes des
masculin pouvaient prétendre incarner la dignité
femmes. Par la suite, le Code Napoléon de 1804 a
humaine, les femmes ne pouvant se définir que par
consolidé nombre d’acquis révolutionnaires pour
rapport à eux, dans des rôles qui leur étaient subor-
les hommes, mais les femmes ont été classées dans
donnés (3). À cet égard, on note d’ailleurs que les
la même catégorie que les enfants, les criminels et
formulaires officiels infligent toujours du « Made-
(2) Cf. ouvrages de Caroline Fourest répertoriés sur Amazon.fr (4) Cf. Olympes de Gouges et les droits de la femme, par Sophie Mous-
(3) Cf. Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, éd. Hachette et set, éd. du Félin, qui rend compte du parcours atypique et de l’étendue
Élisabeth Badinter, L’un est l’autre, éd. Odile Jacob. de la réflexion de cette femme sur la société.
tions internationales et les ONG du mot « homme » pour le remplacer par « hom-
mes et femmes » ou « personne », l’expression
Historiquement, l’expression « droits de l’homme »
« droits de l’homme » continue à être utilisée cou-
se rapporte exclusivement au sexe masculin (à cet
ramment tant par les politiques que par une bonne
égard d’ailleurs, l’on constate que la DUDH ne
part des organismes chargés de la promotion des
l’emploie pratiquement que dans son titre). Dans
droits fondamentaux. Certes, on peut penser que
cette mesure et celle liée au double sens du mot
cela est dû à l’attachement au concept de la France,
« homme », ce terme, dans son usage actuel, ne
« patrie des droits de l’homme », issu de la Révolu-
peut se rapporter à des femmes et des hommes
G0367 tion de 1789. Mais, si c’est le cas, il faut observer
conçus comme des êtres humains véritablement
F O N D A M E N T A U X
langage exempt de sexisme dans les médias (sour- Roosevelt, n’ait pu avoir une vision à long terme des
ces Amnesty : communiqué du 6 mars 1998, préc.). implications de cet article, tel qu’il est rédigé). Le
Enfin, le 7 décembre 2000, l’Union européenne s’est fait que la CEDH du 4 novembre 1950 énonce en
dotée d’une Charte des droits fondamentaux et non son article 12 que le mariage est l’union d’un
des « droits de l’homme ». homme et d’une femme peut en effet nourrir cet
argument (mais pas la circonstance que René Cas-
4 – Une discrimination qui persiste
sin ait siégé à la Cour européenne, car il n’a alors
Avant même d’être formulées, les résolutions et pas eu à mettre en perspective la DUDH et la CEDH
recommandations précitées ont été mises en œuvre sur la question de l’homosexualité). Néanmoins,
au Canada où, en 1981, a été publié un guide de l’article 23 du PIDCP du 16 décembre 1966 sur la
rédaction non sexiste « Pour un genre à part liberté du mariage, rédigé 16 ans après la CEDH,
entière », et l’expression « droits de l’homme » rem- reprend les termes de l’article 16 de la DUDH sans
placée par « droits de la personne ». La féminisa- les modifier. En outre, l’article 9 de la Charte des
tion de la langue est dès lors devenue une réalité droits fondamentaux (CDF) de l’Union européenne
dans ce pays. La Suisse, en 1991, a également publié du 7 décembre 2000, ne précise pas non plus que
un guide de rédaction non discriminatoire, spéci- le mariage est l’union d’un homme et d’une femme
fiant le remplacement de l’expression « droits de (mais l’article 52-3 de la CDF indique, pour les
(5) Source Amnesty, communiqué du 6 mars 1998, préc. droits de la Charte correspondant à des droits
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garantis par la CEDH, que leur sens et leur portée à la femme avec laquelle elle vit en union stable
sont les mêmes que ceux conférés par la Conven- et continue, dès lors que les circonstances l’exi-
tion). Quoiqu’il en soit, si l’alinéa 1 de l’article 16 gent et que la mesure est conforme à l’intérêt
de la DUDH n’a pu prévoir un droit au mariage supérieur de l’enfant »). Pour plus de développe-
« (...) sans aucune restriction quant (...) à l’orien- ments sur le couple homosexuel, il est renvoyé aux
tation sexuelle (...) », on doit s’interroger sur le ouvrages de Caroline Mécary, avocat au Barreau de
principe très clair de non-discrimination qu’il Paris et membre du conseil de l’Ordre (Les droits
édicte, d’autant que ce principe est affirmé avec des homosexuel/les, PUF, coll. Que sais je ; Droit
force dans d’autres articles de la DUDH (articles 2 et homosexualité, Dalloz, Le couple homosexuel et
à 3, 6, 7, au moins) et dans tous les instruments le droit, Odile Jacob ; Le pacs, PUF, coll.
internationaux de protection des droits fondamen- Que sais-je ?).
taux (en ce compris la CEDH). Dans cette mesure,
les États qui ont légalisé le mariage entre deux per- C – Le droit à une mort digne
sonnes de même sexe (essentiellement aux États-
1 – Un nombre croissant de pays consacre le droit
Unis et en Europe), ne sont pas a priori en contra- à une mort digne
diction avec la DUDH et le PIDCP. Reste à déter-
miner si, au nom du droit de fonder une famille, Le débat porte surtout sur le fait de donner active-
visé aussi par l’article 16 de la DUDH, l’extension ment la mort, bien plus que sur celui de ne pas
du droit au mariage aux couples homosexuels inclut maintenir ou de refuser un traitement nécessaire à
nécessairement le droit pour eux à l’établissement la vie (ou de donner une portée à la volonté de ne
d’une filiation légale vis-à-vis des enfants dont ils pas prolonger une existence, manifestée à l’avance,
revendiquent la parentalité. C’est surtout cette par « testament de vie » ou « mandant »). La ques-
question qui fait à présent débat en Occident. Le tion étant de savoir si l’acte considéré comme le
plus attentatoire aux droits fondamentaux, à savoir
principe d’égalité des droits patrimoniaux et suc-
tuer délibérément une personne, peut devenir légi-
cessoraux entre couples homosexuels et hétéro-
time, sous certaines circonstances (autres que le
sexuels y étant en passe d’être admis, à divers
maintien de l’ordre public et la légitime défense).
degrés (par exemple, en France, par l’institution du
Les pays qui l’admettent sont de plus en plus nom-
Pacs). Il est vrai que l’octroi aux couples homo-
breux. On peut citer : l’Australie et la Colombie, où
sexuels du bénéfice d’avantages surtout fiscaux ou
l’euthanasie est constitutionnelle, l’État de l’Ore-
liés à la jouissance de biens, réservés jusqu’alors aux
gon (USA), la Suisse, l’Allemagne, qui autorisent le
couples hétérosexuels mariés, ne peut plus
suicide assisté sous certaines conditions (sachant,
aujourd’hui être perçu comme préjudiciable à
pour l’Oregon, que les tentatives du gouvernement
l’ordre public ou au droit des tiers. Ceci posé, si la
Bush, soutenu par de nombreuses organisations
DUDH institue dans son article 6 un droit à la
religieuses, de remettre en cause le suicide assisté
reconnaissance de sa personnalité juridique, et dans
ont été mises en échec par une décision de la Cour
son article 15-1 un droit à une nationalité, et que
suprême américaine du 17 janvier 2006, selon
le PIDCP reprend dans son article 16 les disposi-
laquelle la législation fédérale « n’autorise pas
tions de l’article 6 de la DUDH et précise en son
l’Attorney General [le ministre de la Justice] à
article 24-2 : « Tout enfant doit être enregistré
interdire l’administration de substances régle-
immédiatement après sa naissance et avoir un
mentées aux fins de suicide assisté, face à une
nom », rien n’est spécifié d’autre sur l’état civil dans
législation médicale étatique permettant une telle
ces textes (ou dans la Convention des droits de
démarche », cette décision étant susceptible de
l’enfant (CDE) du 20 novembre 1989), qui permette
s’appliquer dans tout État qui souhaitera suivre
à l’heure actuelle de trancher en droit la question l’exemple de l’Oregon), l’Espagne, qui n’applique
de savoir si un enfant peut légalement avoir deux pas de peines pour l’euthanasie en cas de demande
parents du même sexe, par le recours à l’adoption réitérée d’une personne qui souffre d’une maladie
ou à la procréation médicalement assistée. Cette incurable ou d’une affection entraînant des dou-
question semble donc laissée à l’entière apprécia- leurs sévères, permanentes, difficiles à supporter, les
tion du législateur national (qui s’est déjà prononcé Pays-Bas (loi du 12 avril 2001), la Belgique (loi du
pour l’adoption par des couples homosexuels au 28 mai 2002), qui autorisent l’euthanasie, si de
Canada, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en nombreux critères sont réunis.
Espagne et très récemment en Belgique) et doit, en
tout état de cause, être examinée à l’aune de l’inté- 2 – La CEDH ne garanti pas le droit de mourir
rêt de l’enfant (étant observé qu’en France, la pre- L’article 2 de la CEDH stipule : « 1. Le droit de
mière chambre civile de la Cour de cassation, dans toute personne à la vie est protégé par la loi. La
un arrêt du 24 février 2006, a autorisé, pour la pre- mort ne peut être infligée à quiconque intention-
mière fois, un couple de femmes homosexuelles à nellement, sauf en exécution d’une sentence capi-
exercer en commun l’autorité parentale sur les peti- tale prononcée par un tribunal au cas où le délit
tes filles qu’elles élèvent ensemble depuis leur nais- est puni de cette peine par la loi. 2. La mort n’est
sance, aux motifs que le Code civil « ne s’oppose pas considérée comme infligée en violation de cet
pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité article dans les cas où elle résulterait d’un recours
parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la force rendu absolument nécessaire : eu égard
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 15
aux circonstances de l’espèce ; a) pour assurer la sens. On peut comprendre cette position, la Cour,
défense de toute personne contre la violence illé- qui a le grand mérite d’exister et fait un travail
gale ; b) pour effectuer une arrestation régulière remarquable (cf. Christophe Pettiti, supra, page 4)
PRÉSENTATION
ou pour empêcher l’évasion d’une personne régu- a vocation dans le cadre de la CEDH à protéger la
lièrement détenue ; c) pour réprimer, conformé- vie stricto sensu. Néanmoins, le 11 mai 2002, Diane
ment à la loi, une émeute ou une insurrection ». Pretty est morte après une lente et terrible agonie
Sur ce fondement, par un arrêt du 29 avril 2002 due à la paralysie de ses poumons, la faisant suf-
(Pretty c/ Royaume-Uni), la Cour européenne des foquer jusqu’à l’asphyxie totale. Ce qui, eu égard à
droits de l’homme a rejeté la requête de Diane la requête qu’elle avait exprimée, pose problème
Pretty (née en 1958 et atteinte d’une maladie neu- quant au respect du droit à la dignité de sa vie.
rodégénérative incurable entraînant une paralysie 3 – La DUDH permet la reconnaissance légale du
G0367 des muscles, n’affectant pas ses facultés intellec- droit à une mort digne
F O N D A M E N T A U X
tuelles), visant à la reconnaissance du droit à ce que En effet, comme pour le droit au mariage, l’arti-
son époux l’assiste dans son suicide sans encourir cle 3 de la DUDH qui prévoit que « tout individu
de sanctions (elle ne pouvait seule mettre fin à ses à droit à la vie (...) », est formulé de manière
jours). La requérante se fondait, entre autres, sur le moins restrictive que l’article 2 de la CEDH (mais
droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et la CEDH, conçue comme un texte contraignant dès
le droit à la non-discrimination. Mais la Cour a jugé l’origine, est, plus que la DUDH, le fruit de com-
que l’article 2 de la CEDH, qui ne garantit pas le promis). C’est vrai aussi de l’article 6 du PIDCP
« droit de mourir » n’avait pas été violé, précisant (dont la signature est plus tardive que la CEDH et
qu’elle se sentait confortée dans sa position par la qui se devait de traduire au plus près l’esprit de la
recommandation 1418 (1999) de l’Assemblée par- DUDH), qui énonce : « Le droit à la vie est inhé-
lementaire du Conseil de l’Europe (§ 9) selon rent à la personne humaine. Ce droit doit être
laquelle « le désir de mourir exprimé par un protégé par la loi. Nul ne peut arbitrairement être
malade incurable ou un mourant ne peut en soi privé de la vie » (§ 1). La souplesse de ces deux
servir de justification légale à l’exécution articles tient à ce que, au nom du principe d’indi-
d’actions destinées à entraîner la mort ». Elle a visibilité, la protection de la dignité de la vie a été
aussi jugé qu’il n’y avait pas violation de l’article 8 conçue comme aussi importante que la vie elle
de la CEDH sur le droit au respect de sa vie privée, même. La dignité de la vie étant par ailleurs spé-
car même si « c’est sous l’angle de l’article 8 que cialement protégée par le PIDESC, dont l’article 11
la notion de qualité de la vie prend toute sa affirme (§ 1) le droit de toute personne « à une
signification », les juridictions anglaises admet- amélioration constante de ses conditions d’exis-
tent le droit de mourir en refusant un traitement tence ». À ce propos, René Cassin déclarait : « Le
qui pourrait avoir pour effet de prolonger la vie et droit à la vie, oui, mais pas à n’importe quelle
qu’entre 1981 et 1992, dans 22 affaires où était sou- vie ! », précisant que ce droit n’exige pas seule-
levé le problème « d’homicide par compassion », ment un ordre social ou l’être humain « est en
elles n’avaient prononcé qu’une seule condamna- sûreté contre le terrorisme et les risques d’exécu-
tion pour meurtre, des peines avec sursis ayant été tion sommaire. Il faut qu’il puisse trouver sa sub-
retenues dans les autres affaires. La Cour en a sistance dans son travail et l’appui de ses sem-
déduit qu’il n’est pas arbitraire d’interdire le sui- blables, pour lui et sa famille si il est hors d’état
cide assisté « tout en prévoyant un régime d’appli- de produire ». Pour lui, il n’y avait pas de diffé-
cation et d’appéciation par la justice qui permet rence entre deux êtres humains qui souffrent, indif-
de prendre en compte dans chaque cas concret féremment des raisons pour lesquelles on leur
tant l’intérêt public à entamer des poursuites que impose de souffrir. Il était convaincu que tout être
D R O I T S
les exigences justes et adéquates de la rétribu- humain dispose d’une même « quantité » de dignité
tion et de la dissuasion ». Elle a par ailleurs écarté et que les progrès de la civilisation résident dans le
toute violation des autres articles de la Convention respect et la protection toujours plus attentifs et
visés par la requérante et notamment de l’article 14 plus précis de cette dignité (6). Le droit à la vie, dans
de la CEDH sur le droit à la non-discrimination, la l’esprit des rédacteurs de la DUDH et des Pactes,
frontière entre personnes capables ou non de se n’était pas un droit inconditionnel (en témoigne le
suicider étant « trop étroite pour tenter d’inscrire mot « arbitrairement » de l’article 6 du PIDCP). Ce
dans une loi une exception pour les personnes pourquoi, même si, selon l’arrêt Pretty c/ Royaume-
jugées ne pas être capable de se suicider ». Par cet Uni (§ 39), l’article 2 de la CEDH « n’a aucun rap-
arrêt, la Cour marque nettement sa crainte que la port avec les questions concernant la qualité de
légalisation du suicide assisté conduise à l’élimina- la vie ou ce qu’une personne choisit de faire de
tion des plus faibles plutôt qu’à leur protection. Ce sa vie », au regard de la DUDH et des Pactes, le
qui est effectivement absolument contraire à l’esprit droit à la vie, ne peut s’exercer aux dépends du
de tous les instruments protecteurs des droits fon- droit à la dignité de la vie. Dès lors, les pays qui ont
damentaux. En revanche, le suicide assisté restant légalisé l’acte positif de donner la mort à une per-
un crime, elle ne parait pas opposée à ce que sa sonne dans l’incapacité de la provoquer elle-même,
répression soit atténuée, mais sans mettre à la qui en manifeste la volonté librement et consciem-
charge des États une obligation de légiférer en ce (6) Marc Agi, ouvrage préc. au II, p. 240 et 326.
Royaume-Uni, presque toutes les réformes signifi- tional et Human Right Watch. Mais Reporters Sans
catives en matière de droits fondamentaux ont été Frontières, par la voix de Robert Ménard, observe
exclues des débats et le texte proposé sur le Conseil que les « États prédateurs » pourront toujours y sié-
des droits humains réduit dans sa portée. Toute- ger (sources : RFI, Libération et Swissinfo).
fois, les gouvernements dans le Document final du
2 – La Cour pénale internationale
sommet mondial, ont pris l’engagement de créer à
brève échéance ce Conseil, tout en laissant le soin a – Histoire
à l’assemblée générale d’en négocier les modalités Le siècle précédent a été le témoin de crimes qui
G0367 de fonctionnement (source : Amnesty Internatio- comptent parmi les plus graves de l’histoire de
F O N D A M E N T A U X
10 semaines ». Il pourra aussi tenir des « sessions pas le ratifier. Ce statut est entré en vigueur le
spéciales si nécessaire, à la requête d’un membre 1er juillet 2002. Depuis, les individus se rendant cou-
du Conseil et avec le soutien d’un tiers de ses pables de l’un des crimes prévus au Statut sont pas-
membres » (source : communiqué de l’ONU, sibles de poursuites devant la Cour. Dès le 1er juillet
23 février 2006). 2002, une équipe intérimaire de la CPI composée
Finalement la création du Conseil des droits de 8 experts techniques dans des domaines divers
humains, selon l’organisation présentée par Jan s’est mise au travail, à La Haye, aux Pays-Bas, où la
Eliasson, a été approuvée par l’Assemblée générale Cour a son siège. Son mandat s’est achevé à la fin
de l’ONU, le 16 mars 2006. Malgré l’opposition des du mois d’octobre 2002. Son travail a permis à la
États-Unis (qui annoncent néanmoins vouloir « tra- Cour de recruter et d’entamer ses premières actions
vailler de manière constructive » pour rendre le dès le début de son entrée en fonction officielle.
conseil fort et efficace), 170 États ont voté pour et 4 Cette équipe a aussi été dépositaire de l’ensemble
contre (dont Israël, les États-Unis, les îles Marshall des informations adressées à la Cour qui ont été
et Palau) et 3 se sont abstenus. Ce nouveau Conseil archivées dans un endroit sûr avant leur remise au
est appelé à remplacer l’actuelle CDH et siègera à procureur. Le 14 octobre 2002, le directeur de la
Genève. L’élection des membres aura lieu le 9 mai Division des services communs désigné par
2006 et la première session se tiendra dès le 19 juin l’Assemblée des États parties a pris ses fonctions au
suivant. Les pays européens jugent que le projet est siège de la Cour. Les 18 premiers juges de la Cour
18 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
ont été élus pour un mandat d’une durée de 3, 6 Bush en 2001. Le 6 mai 2002, le gouvernement amé-
ou 9 ans, lors de la première session de l’Assem- ricain est revenu – ce qui est sans précédent – sur
blée des États parties (tenue à New York du 3 au sa signature et a lancé une campagne mondiale
7 février 2003). Ils représentent les principaux sys- pour affaiblir la CPI craignant de la voir utilisée, à
tèmes juridiques existants. Le 11 mars 2003, le pré- des fins politiques, contre des ressortissants amé-
sident et les deux vice-présidents de la CPI ont été ricains. Considérant les dispositions du SR quant à
élus par les juges de la Cour, en la personne, des l’équité des procès, ces craintes sont manifeste-
juges Philippe Kirsch du Canada (président), Akua ment infondées. Quoiqu’il en soit, les gouvernants
Kuenyehia du Ghana (premier vice-président), et américains tentent de passer des accords d’impu-
Élizabeth Odio Benito du Costa Rica (deuxième nité avec divers pays. Ces accords prévoient que les
vice-président). Le 21 avril 2003, Luis Moreno citoyens américains accusés de génocide, de cri-
Ocampo (Argentine) a été élu procureur de la CPI mes contre l’humanité ou de crimes de guerre, ne
par l’Assemblée des États parties. Le 24 juin 2003, seront pas livrés ni transférés à la CPI par les États
Bruno Cathala (France) a été élu greffier de la Cour signataires, même si celle-ci en fait la demande. Par
pour un mandat de 5 ans. Par ailleurs, Claude Jorda ailleurs, les États-Unis et leurs cocontractants ne
(France), ancien président du TPIY, a lui aussi seront tenus ni d’enquêter ni d’engager des pour-
rejoint la CPI. suites devant une instance américaine en cas de
preuves suffisantes (de toute façon, il sera souvent
c – Fonctions impossible aux tribunaux américains d’instruire ces
La CPI ne peut être saisie pour des crimes commis affaires, car la législation américaine ne reconnaît
avant le 1er juillet 2002. Première institution inter- pas un grand nombre des crimes visés par le SR).
nationale indépendante permanente instaurée par Le 1er juillet 2003, les États-Unis ont annoncé qu’ils
un traité, la CPI a été créée pour punir les crimes retiraient leur aide militaire à 35 états parties au SR
internationaux les plus graves (génocide, crimes refusant de signer un accord d’impunité (ils
contre l’humanité, crimes de guerre). La CPI devrait l’auraient depuis rétabli). Ils indiquent que ces
aussi avoir compétence à l’égard du crime d’agres- accords sont conformes à l’article 98 du SR. Mais les
sion (les États participant à la Conférence de Rome jurisconsultes de l’Union européenne (UE) affir-
ont estimé important d’inclure ce crime dans le Sta- ment que ces accords sont « contraire aux obliga-
tut de la CPI, mais n’ont pas encore réussi à s’accor- tions des États parties à la CPI au regard du Sta-
der sur sa définition et les conditions d’exercice de tut ». L’UE a publié des Principes directeurs et doit
la compétence de la Cour à cet égard). La CPI prendre des mesures plus efficaces pour empêcher
n’intervient pas lorsqu’une juridiction nationale est ses membres de conclure des accords d’impunité
saisie d’une affaire relevant de sa compétence, sauf avec les États-Unis. En 2003, des accords étaient
si cette dernière n’a pas la volonté ou la capacité conclus ou négociés avec plus de 60 pays. De sur-
de mener véritablement à bien l’enquête ou les croît, après de vives pressions exercées sur le
poursuites. La compétence et le fonctionnement de Conseil de sécurité par les États-Unis, celui-ci a
la CPI sont régis par les dispositions du SR. Celui-ci adopté en juillet 2002, la résolution 1422, visant à
présente toutes les garanties pour assurer un pro- prévenir toute enquête ou poursuite de la CPI
cès équitable selon le droit international. En appli- contre les ressortissants d’États n’ayant pas ratifié
cation de l’article 2 du SR, la CPI est liée aux le SR, impliqués dans des opérations établies ou
Nations unies par un accord, approuvé par l’Assem- autorisées par les l’ONU. En juin 2003, le Conseil
blée des États parties, lors de sa première session de sécurité a renouvelé cette résolution, par une
(tenue à New York du 3 au 10 septembre 2002). La résolution 1487 (12 voix pour et abstention de l’Alle-
CPI peut intenter des poursuites à l’initiative d’un magne, la France et la Syrie). Ces résolutions sont
État partie, du procureur ou du Conseil de sécu- contraires au SR ainsi qu’à la Charte des Nations
rité. Elle ne peut intenter des poursuites contre des unies (source : site Amnesty). Heureusement, le
actes terroristes que lorsque ceux-ci constituent des 23 juin 2004, face à une opposition grandissante, les
crimes au regard du SR. États-Unis ont rétracté leur demande de renouvel-
lement de la résolution 1487 (source : site de la coa-
d – Nécessité de soutenir la CPI face à ses opposants lition pour la CPI). Depuis lors et pour la première
L’entrée en vigueur le 1er juillet 2002 de la CPI est fois, le Conseil de sécurité, dans une résolution 1593
un événement historique majeur. Mais de grandes votée le 31 mars 2005 (11 voix pour, abstention de
puissances comme la Chine, l’Inde et les États- l’Algérie, du Brésil, de la Chine et des États-Unis),
Unis ne sont pas parties au SR. Les États-Unis ont a décidé de déférer au procureur de la CPI la situa-
même été l’un des 7 pays à voter contre ce texte lors tion au Darfour (Soudan) depuis le 1er juillet 2002.
de son adoption. Cette opposition serait motivée Ce qui prouve que la mobilisation internationale
par le refus de la communauté internationale pour la CPI est essentielle.
d’accorder au Conseil de sécurité (où les États-
Unis ont un droit de veto) le choix des affaires por-
tées devant la Cour. Il reste que le 31 décembre
2000, Bill Clinton, alors président des États-Unis, a
signé le SR. Toutefois, la position américaine a radi-
calement changé depuis l’investiture de George W.
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 19
Le droit à la liberté de circulation
en Roumanie
Emmanuelle CERF
Avocate au Barreau de Paris
Ancienne chargée de mission pour l’Organisation
pour la sécurité et la coopération européenne
EUROPE
(OSCE) en Bosnie
Membre de l’Institut des droits de l’homme
du Barreau de Paris (IDHBP)
G0474
F O N D A M E N T A U X
CULTUREL
nouveau redevenue une terre de migrations. La
L’histoire du territoire roumain est celle d’une lon- composition de sa population en fait sa particula-
gue suite d’invasions, d’influences et de domina- rité, avec plus d’un quart de minorités sur son ter-
tions en provenance d’Orient et d’Occident. L’éveil ritoire et notamment plus de deux millions de
de la conscience nationale se manifeste à la fin du Roms, soit près de 10 % de sa population, près de
XVIIIe siècle avec le mouvement des Lumières. Mais 7 % de Hongrois, 100.000 Allemands, des Serbes,
le chemin vers l’autonomie et l’union des princi- des « Lipoveni » (habitants d’origine russe du nord
pautés est difficile, car la lutte d’influence entre de la Dobroudja), des Turcs et 6.000 Juifs (250.000
l’Autriche-Hongrie et la Russie succède à la tutelle juifs roumains ont péri en déportation dans les
ottomane. En 1878 (congrès de Berlin), la Rouma- camps mis en place par le régime d’Antonescu,
nie, qui a lutté aux côtés des Russes contre les ainsi que 20.000 Roms).
Turcs, gagne son indépendance, mais doit l’échan-
ger contre la Dobroudja et le sud de la Bessarabie. III. PRATIQUE DE LA LIBERTÉ DE
Le prince Charles devient en 1881 le roi Carol Ier de CIRCULATION
Roumanie. Ses élites aspirent à reconstituer la
« Grande Roumanie » en réintégrant la Bessarabie,
la Bucovine, le Banat et surtout la Transylvanie, A – Le droit interne
annexée par la Hongrie en 1867. La question balk- Après l’exécution de Ceausescu le 25 décembre
20 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
1989 et la dissolution du parti communiste, les nou- quels le visa n’est pas nécessaire (a) ; 100 Q ou
veaux dirigeants du gouvernement de Petre Roman l’équivalent pour les pays de l’Union européenne et
ont pris un décret rendant aux citoyens la disposi- d’autres pays, pour lesquels le visa n’est pas néces-
tion de leur passeport, leur permettant ainsi de saire (b). La preuve de cette somme peut être rap-
voyager. La nouvelle Constitution roumaine de 1991 portée en devise librement convertible, au comp-
a reconnu la liberté de circulation dans son arti- tant (a) ; en chèques de voyage ou cartes de crédit
cle 25, lequel dispose : « (1) Le droit à la libre cir- pour des comptes en devise forte (b) ; par d’autres
culation, dans le pays et à l’étranger, est garanti. garanties financières qui font la preuve de l’assu-
La loi détermine les conditions de l’exercice de ce rance de la somme nécessaire, telles : des coupons
droit. (2) Le droit d’établir son domicile ou sa d’agence dans le cas du tourisme organisé ou des
résidence dans n’importe quelle localité du pays, services touristiques payés d’avance ; une lettre de
d’émigrer ainsi que de revenir dans son pays est garantie ou un engagement de sponsorisation, signé
assuré à tout citoyen » (1). La loi de révision cons- par la personne qui abrite le citoyen roumain sur
titutionnelle no 429/2003, entrée en vigueur le le territoire du pays de destination et authentifiés
29 octobre 2003, n’est pas revenue sur cette dispo- conformément à la loi du pays respectif ; la garan-
sition. En 2001, le gouvernement de la Roumanie a tie légale de la part d’une banque ou des ordres de
adopté une série de textes pour définir le cadre de paiement valables, selon le cas (c). Cet Ordre a été
la libre circulation des citoyens roumains à l’étran- abrogé par l’Ordre no 820 du 27 septembre 2005
ger. Il a notamment adopté l’ordonnance no 144 du (lui-même amendé partiellement par l’Ordre du
25 octobre 2001 (2) concernant le fait de remplir les 5 octobre 2005), lequel a fixé à 20 Q la somme néces-
conditions d’entrée dans les pays membres de saire pour entrer dans les pays de l’ancien bloc
l’Union européenne et dans d’autres pays par les soviétique, hormis ceux qui s’apprêtent à faire leur
citoyens roumains. Selon l’article 1er de cette ordon- entrée dans l’Union européenne, et à 30 Q pour
nance, les citoyens roumains qui voyagent pour des ceux appartenant à l’Union européenne, pour une
raisons privées dans les pays membres de l’Union durée minimale de cinq jours (3).
européenne ou dans d’autres pays pour lesquels le
La Roumanie a redéfini le cadre de la libre cir-
visa d’entrée n’est pas nécessaire doivent présen-
culation des citoyens roumains à l’étranger en
ter à la sortie du pays un certain nombre de garan-
cinquante-cinq articles, dans une loi en date du
ties (1. assurance médicale ; 2. billet de voyage aller
20 juillet 2005, laquelle a amendé de nombreuses
et retour ou la carte verte du véhicule ; 3. une
dispositions prises depuis 2001 (4). Cette loi est
somme minimum en devise librement convertible
entrée en vigueur six mois après sa publication, soit
au comptant ou des cartes de crédit en devise forte,
le 29 janvier 2006. La Cour constitutionnelle rou-
pour chaque personne, dans un quantum corres-
maine a été amenée à se prononcer sur la consti-
pondant aux sommes de référence déterminées par
tutionnalité de l’ordonnance d’urgence no 112/2001,
les autorités nationales des pays de destination ou
laquelle prévoit notamment le retrait du passeport
de transit, proportionnellement à la durée du
à tout citoyen roumain qui serait trouvé en infrac-
séjour, mais non moins de 5 jours). Selon l’arti-
tion avec la loi sur le séjour d’un État tiers (5). Dans
cle 2 de cette même ordonnance, le chef du point
une décision du 21 septembre 2004, a Cour a estimé
de contrôle de la frontière roumaine peut décider
que ladite ordonnance, prise en application de
l’interruption du voyage d’une personne s’il est
l’article 114 alinéa 4 de la Constitution, était néces-
constaté qu’elle ne remplit pas les conditions pré-
saire pour « sécuriser les frontières » et « combat-
vues dans l’article 1. Le 22 novembre 2001, le minis-
tre l’immigration illégale » (6). Outre ses relations
tre de l’Intérieur a émis l’Ordre no 1773 pour l’éta-
directes avec l’Union, la Roumanie a conclu un
blissement du quantum de la somme minimale en
accord avec la Suisse et depuis le 1er janvier 2004,
devise librement convertible que les citoyens rou-
les Roumains sont exempts de visa pour se rendre
mains doivent posséder à leur sortie du pays,
en Suisse en vertu d’un accord entre ces deux pays
lorsqu’ils voyagent pour des raisons privées dans les
et approuvé par le Conseil fédéral le 15 décembre
pays membres de l’Union européenne ou dans
2003, lequel prévoit la suppression réciproque de
d’autres pays. Cet Ordre est entré en vigueur le
1er décembre 2001. Selon son article 1er, le quan-
tum de la somme minimale en devise par personne (3) Ordre no 820 du 27 septembre 2005 publié au Moniteur officiel no 877
du 29 septembre 2005 et Ordre no 900 du 5 octobre 2005 publié au Moni-
pour chaque jour de séjour déclaré, mais non moins teur officiel no 900 du 7 octobre 2005 (article 1er).
de 5 jours, a été établi à 50 Q ou l’équivalent pour (4) Loi no 248 du 20 juillet 2005 relative à la libre circulation des citoyens
roumains à l’étranger, publiée au Moniteur officiel no 682 du 29 juillet
la Turquie et les pays anciens socialistes, pour les- 2005.
(5) L’ordonnance d’urgence no 112/2001 est relative aux sanctions pré-
(1) Titre II, Chapitre II, Les droits fondamentaux et libertés fondamen- vues à l’encontre des citoyens roumains pour des faits qu’ils auraient
tales. commis en dehors de leur pays.
(2) V. l’Ordonnance d’urgence no 144 du 25 octobre 2001, publiée dans (6) Décision no 341 du 21 septembre 2004 publiée au Moniteur officiel
le Moniteur officiel de la Roumanie no 725 du 14 novembre 2001. Partie I, no 924 du 11 octobre 2004.
Charte des droits fondamentaux de l’Union euro- sant que pour ce pays, la mise en œuvre de cette
péenne l’a inscrit dans son article 45. Le Traité éta- exemption ne serait effective qu’après décision du
blissant une Constitution pour l’Europe de 2005 Conseil sur la base d’un rapport de la Commis-
l’avait repris dans son article II-45 (7). Le Royaume- sion. Le rapport, qui précisait l’effort que devait
Uni et l’Irlande conservent leur statut dérogatoire, fournir la Roumanie dans sa lutte contre l’immi-
et ne participent pas aux mesures fondées sur le gration clandestine, a été remis en juin 2001 (9) : la
titre IV CE (visa, asile, immigration et autres poli- Commission y invite le Conseil à mettre en œuvre
tiques liées à la libre circulation des personnes), l’exemption à compter du 1er janvier 2002, compte
sauf s’ils en décident autrement. Le Danemark dis- tenu de la bonne volonté de Bucarest. Un Règle-
pose également d’un statut particulier : signataire ment du 7 décembre 2001, entré en vigueur le
des accords de Schengen, il est tenu d’en appli- 1er janvier 2002, a donc supprimé les dispositions
quer l’acquis, mais il ne participe pas à l’adoption qui maintenaient la Roumanie sur la liste noire (10).
des mesures relevant du titre IV CE (sauf celles La Roumanie est alors officiellement considérée
concernant la liste des pays tiers soumis à l’obliga- comme un pays « sûr » en raison de sa conclusion
tion de visa, et le modèle type de visa), et dispose de treize accords bilatéraux de réadmission avec les
d’un délai de six mois pour décider s’il transpose États Schengen. La méthode de « contractualisa-
ou non dans son droit interne les décisions du tion » avec les pays tiers s’est généralisée : elle ne
Conseil visant à développer l’acquis de Schengen. semble pas seulement réservée à l’Union mais a
L’acquis de Schengen s’intègre donc à l’Union euro- également été utilisé par d’autres institutions euro-
péenne dans le cadre d’une coopération renforcée péennes vis-à-vis d’États pour lesquels les condi-
entre treize des quinze États membres, conformé- tions minimales d’adhésion n’étaient pas remplies.
ment à l’article 11 CE. La Roumanie a donc entrepris d’honorer son enga-
gement « contractuel » en votant une loi en date du
1 – L’espace Schengen et la politique des visas 2 décembre 2001 relative au régime des étrangers
La création de l’espace Schengen tout d’abord entre ainsi qu’une loi relative au régime juridique des
la France, l’Allemagne et les trois pays du Bénélux frontières, lesquelles renforcent les mesures contre
par un accord du 14 juin 1985, lequel a fait l’objet l’immigration clandestine et instaurent des visas
d’une convention d’application le 19 juin 1990, a pour les Russes, les Moldaves et les Ukrainiens. En
supprimé les frontières physiques entre ces États. outre, depuis janvier 2003, le pays a introduit une
Cet espace s’est ensuite élargi vers le nord et le sud obligation de visa pour les ressortissants de
à l’Italie (27 novembre 1990), à l’Espagne et au Por- l’ancienne République yougoslave de Macédoine.
tugal (25 juin 1991), à la Grèce (6 novembre 1992), Un accord bilatéral avec Singapour, destiné à lever
à l’Autriche (28 avril 1995) ainsi qu’au Danemark, l’obligation de visa, est entré en vigueur en février
D R O I T S
à la Finlande et à la Suède (19 décembre 1996). 2003 et un accord similaire a été conclu avec l’Esto-
Depuis 1996, l’Islande et la Norvège sont associés nie, le Liechtenstein, la Lituanie et la Suisse. En
à l’acquis Schengen. Dans le cadre de la coopéra- 2004, un régime d’octroi de visas a été introduit
tion Schengen, les États avaient élaboré trois lis- pour quatre pays figurant sur la liste noire de
tes : la liste blanche, qui mentionnait les pays l’Union européenne (Russie, Serbie et Monténé-
exempts de visas, la liste noire, qui listait les États gro, Turquie et Ukraine). Toutefois, bien que la
soumis à cette obligation et enfin la liste grise, qui Roumanie ait obtenu depuis le 1er janvier 2002 le
comprenait les États sur lesquels la politique des droit de circuler librement sans visa dans l’espace
États membres divergeait. Cette dernière liste a été Schengen, les conditions sont restées très restricti-
supprimée en 1994 par le Comité exécutif Schen- ves (v. supra A). Enfin, si la Roumanie a dû s’ali-
gen (8). Cette classification varie au fil du temps gner sur la politique commune des visas de l’Union
puisque la Roumanie est passée de la liste noire à européenne, elle n’intégrera que progressivement
la liste blanche. Ce passage a fait l’objet de tracta- l’espace Schengen après son adhésion à l’Union,
(7) Ce Traité, qui devait être adopté à l’unanimité par les 25 États mem-
fixée au 1er janvier 2007. En effet, elle devra prou-
bres, a été rejeté suite aux référendums négatifs en France le 29 mai 2005 ver qu’elle est en mesure d’appliquer pleinement les
puis aux Pays-Bas le 1er juin 2005.
(8) La liste noire a été adoptée à l’unanimité par le Règlement no 2317/95 (9) Doc COM (2001) 361 final, 29 juin 2001.
du 25 septembre 1995 (JOCE no L 234, 3 octobre) et a fait l’objet de plu- (10) Règlement (CE) no 2414/2001 du Conseil, 7 décembre 2001 : JOCE
sieurs modifications depuis. no L 327, 12 décembre.
Marie-Chantal CAHEN
Avocate au Barreau de Paris
Membre du conseil de l’Ordre
Trésorière d’Initiadroit (Formation du Barreau de Paris
AFRIQUE
G0369
F O N D A M E N T A U X
C – La famine
A – L’exclusion des filles de l’éducation
À l’aube du XXIe siècle, 855 millions de personnes Plusieurs pays d’Afrique, dont le Sénégal, connais-
étaient encore illettrées, dont deux tiers étaient des sent la famine, provoquée par de mauvaises condi-
femmes. Par manque de moyens suffisants, au tions météorologiques, le manque d’eau, la perte de
moins 73 millions de filles en âge scolaire grandis- bétail, qui sont autant de méfaits de la nature. Cha-
sent sans accès à l’éducation de base. Cette carence que jour, les élèves abandonnent l’école ; ils sont
constitue un grave obstacle au développement des incapables de se concentrer car ils sont tenaillés par
pays les plus pauvres, en rendant les femmes la faim et ne pourront certainement pas réussir
dépendantes, donc soumises, puisqu’elles ne peu- leurs examens. Les écoles ferment de façon antici-
vent subvenir à leurs besoins propres. Beaucoup pée. Le cursus est abrégé ou ralenti. Les droits d’ins-
d’adolescentes sont écartées du parcours scolaire cription ne sont plus réclamés. Les internats du
par une grossesse précoce ou des mariages forcés. secondaire sont encore plus dépourvus puisqu’ils
Beaucoup d’élèves filles considèrent le harcèle- ne peuvent même pas nourrir les élèves jusqu’à la
ment sexuel des professeurs comme faisant inéluc- fin du troisième trimestre et prennent des « vacan-
tablement partie de la vie scolaire ; ces comporte- ces anticipées ». Ils n’ont pas d’argent et n’ont
ments étant impunis et tolérés, elles doivent les d’ailleurs rien à acheter du fait de la pénurie ali-
subir ou quitter l’école. Elles sont de fait rarement mentaire. Être en bonne santé est une condition
orientées vers les carrières à caractère scientifique essentielle de la réussite scolaire, d’une fréquenta-
ou technique. Le Forum africain Women Educatio- tion plus élevée et d’une optimisation des investis-
D R O I T S
nalist (Fawe) a présenté au Sénégal les expériences sements éducatifs de l’État. Les programmes sani-
lancées afin de renforcer la confiance des filles en taires tentent de veiller au maintien d’un bon
elles, tout en accordant des bourses et en créant niveau nutritionnel, au traitement des infections
parallèlement des activités de théâtre pour faire parasitaires ou des auditions défectueuses. Ces
interventions favorisent une meilleure équité
évoluer les mœurs. L’éducation, facteur détermi-
sociale. L’accès à l’eau potable, aux compléments
nant de paix, exige une remise en cause fondamen-
alimentaires, aux équipements sanitaires offre un
tale des traditions fondées sur la domination mas-
culine pour lutter contre la discrimination en résul- (1) Le problème est complexe dans la mesure où le boycott de vête-
ments fabriqués par la main d’œuvre enfantine a conduit au licencie-
tant. Pour un grand nombre d’États, mettre une fille ment de dizaines de milliers d’enfants, qui ne peuvent plus aider à la sur-
à l’école est une perte de temps et d’argent, voire vie de leur famille et qui ont été forcés de travailler à des besognes plus
dangereuses.
un acte subversif. Les stéréotypes féminins conti- (2) Au Burkina Faso, des enfants de 8 ans creusent pendant des heures
nuent d’entraver la mise en œuvre de la Cedef dans la chaleur et la poussière, dans des mines d’or, des puits de 60
mètres de profondeur où les risques d’éboulements sont omniprésents...
(Convention pour l’élimination de toutes formes de D’après les ONG (en 2001), plus de 200.000 enfants travaillaient comme
discrimination à l’égard des femmes ; cf. III A 4). À esclaves en Afrique de l’Ouest, dans des plantations de cacao de Côte
d’Ivoire, de café, ou comme domestiques dans les familles aisées du
Dakar, Kofi Annan a lancé un « programme Gabon. Au Bénin et au Togo, des trafiquants achètent des enfants pour
décennal-phare », l’Initiative des Nations unies pour quelques dollars en promettant aux parents qu’ils seront bien éduqués à
l’étranger et toucheront de bons salaires qu’ils pourront leur envoyer. La
l’éducation des filles (Ungei) conduite par l’Unicef, fréquentation de l’école est irrégulière voire même inexistante, faute de
car si les filles accédaient à la scolarité, elles pour- temps ou de moyen.
faut pourvoir aux besoins de 1.200.000 nouveaux sont encore très timides. La couverture médicale en
élèves, soit un taux de progression annuel moyen milieu scolaire est très déficitaire. Aucune visite sys-
de 8 %, à la construction de 2.000 salles de classes tématique n’est effectuée pour assurer un bon suivi
par an, au recrutement d’autant de maîtres, et sanitaire. Enfin, la volonté du Sénégal de faire de
G0369 maintenir le système de double vacation dans les ses langues locales des médiums d’enseignement et
F O N D A M E N T A U X
zones urbaines et l’extension des multigrades dans de diversification culturelle a jusqu’ici été limitée ou
les zones rurales. L’atteinte de ces objectifs sup- contredite par de nombreuses contraintes dont la
pose entre autres une demande accrue pour l’école non maîtrise de la carte linguistique et la nature
publique, la capacité de gérer un programme de provisoire et incomplète des expérimentations.
construction et de maintenance des locaux, le
recrutement d’enseignants, le développement de 4 – Éducation des filles dans l’enseignement élé-
mentaire
l’enseignement privé.
Plus les filles sont scolarisées, plus elles peuvent
2 – “Privé laïque” et “privé catholique”
prendre connaissance de leurs droits et les faire
Ces appellations concernent des établissements valoir dans la vie publique, et protéger ou acquérir
représentant 10,50 % des effectifs nationaux de des droits familiaux et sociaux. En ce sens, en 1979,
l’enseignement élémentaire. Si en 1996/1997, le la communauté internationale décidait de lutter
privé catholique représentait 41,33 % des effectifs contre la discrimination sexuelle envers les fem-
du secteur privé et le privé laïque représentait mes en adoptant la Cedef (Convention pour l’éli-
61,46 %, l’élémentaire y a une place marginale. Son mination de toutes formes de discrimination à
implantation se concentre dans les zones urbaines l’égard des femmes) (5). Au Sénégal, l’inscription
car, en milieu rural, les ménages n’ont pas les des filles à l’école a connu des avancées significa-
moyens d’acquitter les frais de scolarité. De plus, la tives surtout au début des années 90 avec l’émer-
paupérisation croissante des campagnes n’encou- gence du projet Scofi. Par ailleurs, plusieurs asso-
rage guère l’installation d’écoles privées en zones ciations et comités dénoncent les abus maritaux et
rurales mais plutôt la fermeture de celles existan- les mutilations génitales qui, sous couvert de tra-
tes. Enfin, la baisse constante des subventions dition et d’acquis culturels, violent les droits fon-
d’État ne favorise pas le bon fonctionnement des damentaux des femmes, en ce compris le droit à l
établissements privés ou une politique sociale en éducation. Mais du point de vue de la qualité, les
adéquation avec les revenus des parents. Le maître filles rencontrent plus de problèmes que les gar-
du privé laïc recruté ne reçoit aucune formation ini- çons : le taux d’abandon est à tous les niveaux tou-
tiale. Le privé catholique, en revanche, dispose de jours supérieur à celui des garçons. Le taux de
centres qui abritent des formations initiales et redoublement reste encore défavorable aux filles
continues, ainsi que des recyclages et bénéficie d’un avec 14,7 contre 13,9 pour les garçons en 1998/
suivi régulier. 1999. Les filles font de moins bonnes performan-
3 – Qualité de l’enseignement ces à l’entrée en 6ème. Les obstacles majeurs à la fré-
Il existe une dégradation constante des conditions quentation scolaire des filles à l’école élémentaire
D R O I T S
matérielles de scolarité dans l’enseignement élé- peuvent être classés en trois séries de facteurs,
mentaire ; plus de 50 % du patrimoine immobilier comme suit : a) facteurs socio-économiques et cul-
est en mauvais état et un déficit de plus de 100.000 turels : ce sont la pauvreté, les coûts prohibitifs de
tables et bancs est enregistré. Il y a environ un livre l’éducation, le lieu de résidence, la structure fami-
pour 6 élèves. Ces conditions aggravent les taux de liale, le niveau culturel des parents, le mariage pré-
redoublement qui tournent autour de 12,69 % en coce, les croyances religieuses, l’insuffisance des
moyenne dans les 5 premières années et atteignent débouchés sur le marché du travail, la faible capa-
une moyenne de 28 % au cours de moyen deuxième cité des filières pour la poursuite des études, le
année. Le taux d’abandon qui est de 8-12 % reste manque de modèles à émuler, les grossesses pré-
élevé surtout en milieu rural. Les programmes coces, l’enrôlement tardif à l’école ; b) facteurs sco-
d’enseignement, bien que souvent réformés (1962- laires : ce sont l’insuffisance de l’offre, les distan-
1969-1972-1987), n’ont pas changé le visage de ces, l’absence de latrines, de point d’eau, d’infir-
l’école. Deux types de programmes existent actuel-
lement : les programmes traditionnels et les pro-
(5) Précisons aussi qu’en 1998, la Cour pénale internationale a ajouté à
grammes pilotes. Il n’existe aucun système d’éva- sa définition du « crime de guerre » un statut relatif à la justice contre les
luation des écoles au niveau des départements et auteurs de crimes sexuels, tels que, le viol, l’esclavage sexuel, la prosti-
tution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et d’autres for-
régions. Le temps de formation des instituteurs a mes de violences sexuelles constituant de « graves violations » des
beaucoup diminué (1 an), alors que, au même Conventions de Genève contre les crimes de guerre.
teur espère que l’école sera bientôt reconnue gnement supérieur et à mettre en place une politi-
comme étant du même niveau que n’importe quel que de recouvrement des coûts, basée sur des prin-
autre établissement oeuvrant sous l’égide du minis- cipes d’équité, s’est traduite par une plus grande
tère de l’Éducation. Son but reste singulier : « aider inégalité dans la répartition des dépenses publi-
G0369 nos enfants à réaliser leurs rêves et combattre ques au sein du secteur de l’éducation. Cela a rendu
F O N D A M E N T A U X
Delphine MEIMOUN-HUGLO
Avocate au Barreau de Paris
ORIENT
G0370
I. L’ARTICLE 29 DE LA DUDH de paix par les Autorités palestiniennes, l’État
F O N D A M E N T A U X
région du Proche-Orient. Cependant, de par son israélienne : « (...) celle-ci, nous semble-t-il, rend
histoire, cet État évolue dans un contexte bien par- mieux compte d’une diversité qui, dans une très
ticulier. Selon le plan de partage de l’ancienne large mesure, est une donnée fondamentale de la
Palestine adopté par l’Assemblée générale de l’ONU société et qui exclut toute idée de fusion poten-
le 29 novembre 1947, était prévue la création de tielle ou de melting-pot ». En tant qu’État juif,
deux États juif et palestinien. Mais devant le refus Israël doit faire face à la question de sa démogra-
des nations arabes limitrophes d’admettre la créa- phie. Celle-ci doit s’entendre non seulement rela-
tion d’un État juif (14 mai 1948), une guerre a suivi tivement à la population arabe et à la question de
et s’est terminée provisoirement par les accords la sécurité qui s’ensuit, mais aussi par rapport à la
d’armistice de 1948-1949, selon lesquels Israël diaspora juive dans le monde, susceptible d’immi-
devait finalement occuper une partie plus impor- grer en Israël (ex. : les différentes vagues d’immi-
tante de la Palestine que celle qui lui avait été attri- gration : la communauté juive d’Éthiopie et de
buée par le plan de partage. Rappelons que le sio- façon plus massive les immigrants d’ex-URSS) et
nisme existait avant la création de l’État. Depuis sa aux expatriations, notamment à des moments dif-
création, Israël a pris part à huit guerres et à des ficiles de la vie du pays. La question démographi-
milliers d’actions militaires limitées. Avec le pro- que doit enfin s’entendre relativement à la popu-
blème des « territoires occupés » depuis 1967 lation juive religieuse et non religieuse. Israël tient
(guerre des six jours) et le refus de différents plans à cet égard un annuaire statistique publié par
32 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
l’Office central des statistiques. On peut parler alors 1 – Les textes fondateurs des droits humains, les
dans cette situation « d’obsession démographique » lois fondamentales, les autres textes, les lois reli-
(v. Claude Klein, préc.). Il semblerait selon les sta- gieuses
tistiques qu’entre 2010 et 2020 la plupart du peu- Hormis les textes internes présentés ci-après, Israël
ple juif résiderait en Israël (v. même ouvrage). L’État est signataire des six principales conventions inter-
définit la citoyenneté relativement à la religion de nationales concernant les droits fondamentaux.
chaque personne : juive, chrétienne musulmane, ou L’État soumet à cet égard des rapports sur le res-
druze pour les principales. Tout ou partie des ques- pect de ses engagements.
tions ayant trait à l’état des personnes est régi par a – La Déclaration d’indépendance et les lois fonda-
les instances religieuses. Il existe un registre de la mentales
population qui mentionne les appartenances reli- Lors de la création de l’État d’Israël, figurait dans
gieuses et ethniques (cf. infra III). Corrélativement, la Déclaration d’indépendance adoptée le 14 mai
chaque citoyen n’a pas les mêmes obligations quant 1948 le « credo » de l’État : « L’État d’Israël sera
au service militaire (cf. infra III B). On peut remar- ouvert à l’immigration juive et au rassemble-
quer toutefois que depuis l’immigration massive ment des exilés ; il encouragera la mise en valeur
venant d’ex-URSS, des personnes sont installées en du pays au profit de tous ses habitants ; il sera
Israël qui ne sont ni juives ni arabes et dont l’appar- fondé sur la justice, la liberté et la paix selon
tenance chrétienne n’est pas toujours fondée. Le l’idéal des prophètes d’Israël ; il assurera la plus
législateur a du ainsi créer relativement à cet état complète égalité sociale et politique à tous ses
des cimetières laïques. Les personnes juives refu- habitants sans distinction de religion, de race ou
sant des obsèques religieuses pourront alors de sexe ; il garantira la liberté de culte, de cons-
demander à y être enterrées. Il existe depuis 1968 cience, de langue, d’éducation et de culture ; il
un divorce civil. La population en général est favo- assurera la protection des lieux saints de toutes
rable à l’intervention de la Cour suprême (v. infra) les religions et sera fidèle aux principes de la
sur les questions religieuses pour contribuer à la Charte de l’Organisation des Nations unies ». Pro-
séparation de la religion et de l’État. Il semble pour- gressivement, la Déclaration d’indépendance est
tant qu’une majorité plus importante des israé- devenue la pierre angulaire des droits humains en
liens soit pour la séparation de la religion et de Israël et fait ainsi partie de la Constitution en cours
l’État de façon générale, que pour le mariage civil. d’élaboration. En effet, alors que la tradition des
démocraties occidentales est d’adopter une consti-
III. PRATIQUE QUANT AUX DROITS ET tution écrite garante de l’état de droit, pour diver-
DEVOIRS DU CITOYEN ses raisons, il n’y a pas eu de constitution lors de
la création de l’État d’Israël. La Déclaration d’indé-
Traiter de la question de la citoyenneté, particuliè- pendance faisait pourtant référence à l’adoption
rement des droits et devoirs des citoyens, à travers d’une constitution. Cependant, par la suite Ben
Israël comme pays témoin est particulièrement Gourion changea d’avis sur la question pour diffé-
intéressant d’un point de vue juridique en raison de rentes raisons qu’il avança, au moment du pre-
l’omniprésence des notions de sécurité et d’état mier grand débat à la Knesset en février 1950 (après
d’urgence, et du caractère très spécifique de cette la dissolution du Conseil provisoire de l’État, le nom
démocratie. Le sujet est large et doit être circons- d’assemblée constituante fut abandonné au profit
crit. Nous avons choisi de traiter ici, compte tenu du nom de « première Knesset » et on nomma
l’assemblée législative la Knesset). Les raisons réel-
de la spécificité de l’État d’Israël, de la situation des
les étaient, d’une part, qu’il se trouvait face à
citoyens relativement à leur origine, qui condi-
l’opposition des milieux religieux, dont les plus
tionne, dans une certaine mesure, leur statut et
extrémistes considéraient que la loi de Dieu, la
notamment leurs obligations militaires.
Thora (c’est-à-dire essentiellement le Pentateu-
que) était la seule constitution possible. Pour les
A – Sources juridiques autres partis religieux, le danger était qu’une cons-
Nous insisterons, d’une part, sur les textes fonda- titution écrite comprenant une déclaration des
teurs des droits humains, plus spécifiquement sur droits impliquerait un contrôle de constitutionna-
la loi fondamentale sur la dignité et la liberté de lité des lois pouvant entraîner une remise en cause
l’individu, la législation susceptible d’intéresser les des lois religieuses, d’autre part, Ben Gourion était
droits et devoirs des citoyens et la loi fondamen- personnellement opposé à un pouvoir judiciaire
tale sur l’armée de défense d’Israël, compte tenu du trop fort, ainsi à ce que la Cour suprême annule des
contexte sécuritaire (1). D’autre part, la loi du décisions confirmées par le parti et la Knesset. En
retour, la loi sur la nationalité et le registre de la conséquence, une résolution dite « Harari » du
population importent quant à la citoyenneté en 13 juin 1950 avait prévu que la commission de la
Israël (2). Enfin, nous évoquerons la place et le rôle constitution des lois et du droit serait chargée de
fondamental de la Cour suprême (3). préparer une constitution, en différents chapitres,
chaque chapitre formant une loi fondamentale. La
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 33
résolution avait également prévu que chaque cha- fiées par la loi fondamentale du 9 mars 1994 en rai-
pitre serait présenté à la Knesset et que les chapi- son du « danger » du contrôle de constitutionnalité
tres seraient réunis par la suite pour former la cons- par la Cour suprême, à l’initiative d’un parti reli-
titution de l’État (sur tous ces points, v. Claude gieux. Cette nouvelle loi ajoute notamment un arti-
Klein, ouvrage préc.). Différentes lois fondamenta- cle à la loi fondamentale sur la liberté et la dignité
les ont ainsi été adoptées à partir de 1958, consi- de l’individu (et à la loi fondamentale sur la liberté
ORIENT
dérées ainsi comme des chapitres d’une future professionnelle) ainsi rédigé : « Les droits humains
constitution, ces lois étant une solution de en Israël sont fondés sur la reconnaissance de la
« rechange constitutionnelle » selon la Knesset (arti- valeur de l’individu, la sainteté de sa vie et sa
G0370
cle préc. Gad Barzilai, p. 213.) En 1996, onze lois liberté ; ces droits seront respectés dans l’esprit
F O N D A M E N T A U X
fondamentales avaient été adoptées. Ces lois sont des principes de la Déclaration d’indépendance
importantes, car elles sont à l’origine de procédu- de l’État d’Israël ». La Déclaration d’indépendance
res qui ont permis de préserver la démocratie. Sans est ainsi devenue la pierre angulaire des droits fon-
toutes les citer, on précisera que la loi fondamen- damentaux en Israël (cf. supra).
tale sur la Knesset (1958) et la loi fondamentale sur b – Les autres textes, les lois religieuses
le gouvernement (1968) prévoient des droits et
L’État d’Israël, faut-il le rappeler, est un État juif et
immunités très importants en faveur des parlemen-
démocratique. Il est important de préciser que,
taires et des ministres afin d’assurer la souverai-
dans ce cadre, la législation prend aussi ses racines
neté du Parlement et la liberté d’action du gouver-
dans le judaïsme. Mais par judaïsme, on n’entend
nement. La loi fondamentale sur le pouvoir judi-
pas seulement les sources religieuses. Le droit israé-
ciaire de 1984 détermine les pouvoirs des diffé-
lien n’est pas un droit religieux. Selon un représen-
rents organes judiciaires, notamment la Cour
tant du ministère de la Justice israélien, la tradi-
suprême. Par ailleurs, en raison du sujet traité et
tion juive ne s’intéresse pas seulement au religieux.
notamment du caractère sécuritaire de l’État, nous
Cette tradition représente un patrimoine qui a ali-
présentons ici les deux lois fondamentales suivan-
menté le droit israélien. Un département juridique
tes :
au sein du ministère de la Justice veille afin que le
– La loi fondamentale sur l’armée de défense droit ne soit pas déconnecté des sources juives. Il
d’Israël a été adoptée en 1975. Celle-ci prévoit la existe également une commission religieuse de la
subordination des forces armées aux autorités poli- Knesset qui renseigne sur les sources juives ou rab-
tiques élues, essentiellement au ministre de la biniques avant chaque promulgation. Le droit juif
Défense et au gouvernement israélien. Par cette loi, s’adapte également à la réalité humaine et néces-
l’armée est officiellement responsable devant le site ainsi des mises à jour. Sur le plan juridique, il
gouvernement. Le cadre démocratique est ainsi n’existe pas de religion d’État. On peut affirmer
légalisé en Israël (sur les conditions du service mili- qu’Israël est un État multiconfessionnel, cepen-
taire, v. B). dant le caractère juif de l’État a valeur constitution-
– La loi fondamentale sur la dignité et la liberté de nelle (cf. la Déclaration d’indépendance et les deux
l’individu est une des deux lois fondamentales de lois fondamentales de 1992 qui disposent chacune
1992 avec la loi fondamentale sur la liberté profes- notamment que « le but de la présente loi fonda-
sionnelle, qui instaure les droits fondamentaux sur mentale est de sauvegarder la dignité et la liberté
le plan législatif, et pour lesquelles on parle de de l’individu, en vue d’établir dans une loi fon-
« révolution constitutionnelle » (selon le juge à la damentale les valeurs de l’État d’Israël, comme
Cour suprême Aharon Barak, in La révolution cons- État juif et démocratique »). Il existe un ministère
D R O I T S
titutionnelle. La protection des droits fondamen- des Affaires religieuses. Les trois grandes commu-
taux, Pouvoirs no 72, p. 17-35.) Cette loi est consi- nautés religieuses (juifs, musulmans, druzes) sont
dérée comme une ébauche de Déclaration des dotées d’organes d’État. Plusieurs autres religions
droits humains. En effet pour la première fois, la sont reconnues et peuvent recevoir des subven-
Knesset s’était imposée des limitations dans le tions de l’État. La législation religieuse s’applique au
domaine dans lequel elle était habilitée à agir : la statut personnel, ainsi le mariage et le divorce (pour
législation. Dans les deux lois fondamentales de les différentes confessions.) Pour les juifs, les rab-
1992 figure ainsi une clause limitative qui permet bins orthodoxes jouissent d’un monopole à cet
le contrôle de constitutionnalité d’une loi au vu de égard (v. II. Les questions intéressant la laïcisation
cette clause, mais ce contrôle ne vaut que pour les de la société). Le respect des règles religieuses
lois postérieures à 1992. Dans la loi fondamentale comme le shabbat et les jours de fête ne s’appli-
sur la dignité et la liberté de l’individu, cette clause que qu’aux citoyens juifs. Ces règles s’appliquent
est rédigée comme suit (article 8) : « Il ne peut être sous la forme de lois sociales. Les autres citoyens
porté atteinte aux droits qui découlent de la pré- bénéficient de jours chômés en rapport avec leur
sente loi fondamentale que par une loi conforme confession. On n’entrera pas ici dans la complexité,
aux valeurs de l’État d’Israël adoptée dans un but du point de vue des ultraorthodoxes, quant au
valable et dans la stricte mesure du nécessaire ». regard qu’ils portent sur le droit israélien (v. cepen-
Les deux lois fondamentales de 1992 ont été modi- dant la portée du service militaire obligatoire et les
34 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
problèmes posés par leurs positions extrêmes, infra comme Cour administrative en premier et en der-
B). nier ressort. Sa principale réalisation (en tant que
Cour administrative) réside dans son contrôle des
2 – La loi du retour, la loi sur la nationalité et le
registre de la population activités administratives et dans son rôle d’arbitre
entre l’individu et l’État, garante ainsi des droits de
a – La loi du retour et la loi sur la nationalité la personne et imposant l’autorité de la loi. Elle a
La loi du retour adoptée en 1950 permet à chaque enfin un rôle de contrôle de constitutionnalité des
juif de venir s’installer en Israël. Devant les diffi- lois. La Cour suprême, considérée comme l’institu-
cultés rencontrées et les controverses autour des tion la plus prestigieuse du pays, jouit d’un grand
questions relatives au droit du retour pour un juif respect au regard de la population. Cependant, les
converti à la religion chrétienne (affaire Oswald milieux très religieux lui sont souvent hostiles en
Rufeisen, connue aussi sous le nom de « frère raison de la possibilité pour la Cour d’invalider une
Daniel », jugée en 1962), ou au droit au retour pour loi, notamment religieuse. Leur but est de pouvoir
des enfants nés de père juif mais de mère non juive intervenir au sein de cette Cour. La Cour suprême
(affaire Shalit c/ ministère de l’Intérieur, jugée en est également critiquée du fait de sa composition,
1969), la loi a été amendée en 1970, apportant une car elle composée majoritairement de juifs ashké-
définition de la judéité : « Est considéré comme juif nazes, laïques et de sexe masculin ; ainsi, elle ne
celui qui est né d’une mère juive ou qui s’est représenterait pas toutes les couches de la popula-
converti au judaïsme et qui n’appartient pas à tion. Depuis 1948, la Cour suprême a établi pro-
une autre religion ». Les milieux orthodoxes ont gressivement une jurisprudence déterminant diffé-
demandé l’adjonction de la mention « selon la rents droits (liberté d’expression, d’association, de
halakha » (la loi sacrée juive) après la mention manifestation etc.). Rappelons qu’elle a dû statuer
« converti au judaïsme », mais ne l’ont pas obtenu. dans un contexte culturel de sécurité nationale et
Un deuxième amendement, également adopté en de judaïsme. Dans ce contexte, elle a, d’une part,
1970, étend la loi du retour de façon très libérale imposé certaines règles pour éviter une atteinte
au fils et au petit-fils d’une personne juive, à son grave aux droits individuels au regard de la situa-
conjoint et au conjoint du fils ou du petit-fils de tion de l’état d’urgence, d’autre part, elle a consi-
cette personne. Toute personne souhaitant bénéfi- déré qu’aucun usage politique des droits indivi-
cier de la loi du retour, selon les conditions préci- duels ne devait mettre en péril la sécurité de l’État.
tées verra apposé dans le registre de la population Elle a dû aussi composer relativement au caractère
la mention juif en tant qu’ethnie. La rubrique reli- juif de l’État, donc soumise à certains facteurs cul-
gion sera ensuite de la compétence des autorités turels. Ainsi, elle a eu recours à la « question poli-
religieuses (qui sont orthodoxes en Israël). Aux ter- tique » ou « la présomption de légalité » pour évi-
mes de la loi sur la nationalité de 1952, tout immi- ter d’intervenir dans des questions relatives à la
grant acquiert automatiquement la nationalité sécurité nationale et à la religion. À partir des
israélienne. Des voix s’élèvent alors au sujet du années 80, la Cour suprême a vu un accroissement
caractère trop extensif de la loi du retour et l’acqui- de son activité pour différentes raisons, notam-
sition automatique de la nationalité, car ces condi- ment les clivages politiques. Cette dernière était
tions peuvent notamment remettre en cause les alors considérée comme l’institution civile la plus
fondements de l’État d’Israël comme terre de refuge fiable du pays. Le nombre des affaires dont elle a
pour les juifs en péril (ex. : l’immigration massive été saisie s’est accru au fil des années (sur tous ces
en provenance de l’ex-URSS qui était considérée en points, v. Gad Barzilai, article préc.). La Cour
partie comme réalisée pour des raisons économi- suprême a appliqué tout à la fois la loi sacrée juive
ques (cf. Claude Klein, ouvrage préc.)). (la halakha), la common law, le droit allemand et
b – Le registre de la population le droit américain. Le droit laïque a été plus appli-
qué que la halakha. Elle a ainsi élaboré des règles
Selon une loi de 1965, doivent figurer sur le regis-
concernant pour ce qui nous intéresse notamment
tre de la population le nombre d’inscriptions pour
ici la portée du service militaire obligatoire. Malgré
chaque résident, dont l’appartenance ethnique
le contexte sécuritaire permanent, la Cour suprême
(leom) et l’appartenance religieuse. Ainsi, par exem-
bien qu’attentive au besoin du pays en matière de
ple, un citoyen peut être inscrit comme arabe en
sécurité a empêché à plusieurs reprises le gouver-
tant qu’ethnie et comme chrétien en tant que reli-
nement et son armée d’entreprendre des actions
gion. Concernant la judéité, la loi sur le registre de
contraires aux règles les plus strictes de l’autorité
la population a été amendée en même temps que
la loi du retour. de la loi (v. A. Dershowitz, Le droit d’Israël, éd.
Eska). Dans un pays confronté à des dangers com-
3 – La jurisprudence de la Cour suprême parables, Israël est le pays le mieux placé en matière
La Cour suprême, héritière de l’ancienne Cour de droits humains (même référence). Nous souli-
suprême de la Palestine mandataire, a différentes gnerons que le 6 septembre 1999, la Cour suprême
compétences en tant que Haute Cour de justice : a prohibé formellement la torture à laquelle recou-
d’une part, comme Cour d’appel, d’autre part, rent malheureusement les États-Unis (prisons
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 35
d’Abou-Grahim et de Guantanamo), au mépris des la durée de leur service est alors de deux ans et
conventions internationales de protection des droits demi. Par la suite, chaque citoyen juif, homme ou
fondamentaux. Le prétexte d’obtenir des renseigne- femme, est réserviste jusqu’à l’âge de 45 ans, c’est-
ments permettant d’empêcher un attentat terro- à-dire qu’il doit effectuer un mois par an dans
riste ne pouvant aucunement justifier cette prati- l’armée pour se ré-entraîner, s’agissant des unités
que (v. même ouvrage, p. 145). La Cour suprême a
ORIENT
gine. Ainsi, en 2002, elle a décidé que le gouverne- plus réservistes. L’armée accepte également des
ment ne pouvait pas allouer un terrain en fonction juifs d’autres pays qui souhaitent s’engager pen-
de la religion ni des origines ethniques et ne pou- dant la durée du service militaire. Dans les situa-
vait pas empêcher un citoyen arabe d’habiter là où tions d’urgence, ainsi dans les cas de certains atten-
il le souhaite, en raison du principe d’égalité (v. A. tats, les réservistes doivent se mobiliser immédia-
Dershowitz, ouvrage préc.). Enfin, dans le cadre du tement en cas d’ordre gouvernemental. Précisons
contrôle de constitutionnalité, la Cour a été ame- qu’il existe en Israël une minorité de la population
née à se prononcer sur la question d’État juif et ultra-orthodoxe au sein de laquelle existent diffé-
démocratique, ainsi dans un arrêt Ben Chalom rents mouvements. Ces mouvements sont différem-
contre Commission centrale de contrôles des élec- ment intégrés dans la société israélienne ; ainsi, ils
tions à la 12e Knesset rendu en 1988 au sujet de la rejettent en principe tous le service militaire pour
question de conformité d’une liste demandant les femmes, mais certains l’acceptent pour les hom-
l’égalité complète entre juifs et arabes. Cette liste mes. Cependant, dans certains milieux, les fem-
ne fut pas écartée, mais un principe avait été pro- mes conscientes de leurs devoirs ont la possibilité
posé par un juge selon lequel l’État juif était l’État de choisir le bénévolat au lieu du service militaire
du peuple juif, distinguant les droits collectifs et les proprement dit. Les exemptions, dans ces cas, sont
droits individuels (cf. Claude Klein, ouvrage préc. ; très critiquées par le grand public. Il existe parfois
v. également infra B : est interdit tout parti politi- des objections de conscience, comme dans tout
que qui nierait l’État d’Israël comme État juif). La État démocratique ; ainsi le refus d’expulsion des
Cour doit faire la « balance des intérêts » entre le palestiniens ou le refus d’intervenir du fait des
caractère juif de l’État et son caractère démocrati- dommages collatéraux.
que (pour plus de développements Claude Klein,
même ouvrage). La Cour suprême s’est aussi pro- Malgré certaines positions extrêmes, politiques
noncée sur le statut des lois fondamentales, donc ou religieuses au sein de la population israélienne
sur la question du contrôle de constitutionnalité et (cf. Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Tirs croi-
l’existence de la Constitution elle-même. sés, éditions Calmann-Lévy, sur les actions des
extrémistes juifs ultraorthodoxes mettant en dan-
B – Exemples concrets ger l’État d’Israël, p. 291 et s.), la grande majorité
de celle-ci est modérée et désire vivre en paix. En
Le fonctionnement de la démocratie israélienne
tant que démocratie et en tant qu’État juif, l’État
repose sur un état sécuritaire permanent, ainsi
d’Israël rejette les positions extrêmes. Ainsi, des par-
qu’on a pu le constater. Le service militaire est inté-
tis politiques extrémistes, juif (raciste, antidémo-
gré à la vie civile. Précisons qu’il est plus facile de
D R O I T S
trouver un emploi et d’avoir des aides en ayant fait cratique) ou arabe (déniant l’existence de l’État
son service militaire. Cependant, en raison du d’Israël) ont été exclus et interdits. Un nouvel arti-
caractère juif de l’État, le service militaire n’est obli- cle a été introduit à cet égard dans la loi fondamen-
gatoire que pour les citoyens juifs. Il n’est pas obli- tale sur la Knesset en juillet 1985 (article 7a) qui dis-
gatoire pour les citoyens arabes, mais il n’en est pas pose : « Sera exclue de la participation aux élec-
de même pour les druzes. Les citoyens arabes ont tions toute liste de candidats dont apparaît, soit
toutefois la possibilité de le faire, mais la plupart ne dans ses buts, soit à travers ses actions, explici-
le font pas, en raison du contexte politique. Au tement ou implicitement, l’un des éléments sui-
début de l’existence de l’État d’Israël, les citoyens vants : a) la négation de l’existence de l’existence
arabes étaient collectivement exemptés du service de l’État d’Israël comme État du peuple juif ; b)
militaire. La durée du service militaire est particu- la négation du caractère démocratique de l’État ;
lièrement longue : elle est de trois ans, à compter c) l’incitation au racisme. Tout parti de ce type
de l’âge de 18 ans, pour les hommes autant que pourra se voir interdire dès son inscription auprès
pour les femmes, pour incorporer les unités com- d’un greffe des partis (loi sur les partis politi-
battantes. Ces derniers ont trois mois de répit à ques de 1992) ».
compter de l’obtention de l’équivalent du bacca-
lauréat, avant leur incorporation. Les femmes ont
toutefois le droit de choisir d’autres corps d’armée,
36 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
IV. BILAN 2005, pourraient induire quelques évolutions. Ce, en
dépit de l’état de santé critique d’Ariel Sharon et
L’État d’Israël est une démocratie très particulière. sous réserve des conséquences du succès remporté
Son histoire est également très spécifique. Cet État, par le parti Hamas aux dernières élections législa-
dès sa naissance, n’a pas été accepté par les États tives palestiniennes du 25 janvier 2006.
arabes limitrophes, et vit un état sécuritaire perma-
nent. Dans ce contexte, l’application de toutes les
règles du jeu démocratique n’est pas évidente (cf.
notamment la question du service militaire, l’appli-
cation des droits fondamentaux). Cependant, la
Cour suprême en tant que Haute Cour de justice est
considérée comme une des meilleures au monde.
Par ailleurs, il est difficile d’appréhender de prime
abord la signification d’État « juif et démocrati-
que », mais dans cet État, la question de la démo-
graphie est centrale. Dans ce contexte, chaque
citoyen doit trouver sa place selon son origine eth-
nique et religieuse. Un des dilemmes de l’État israé-
lien repose sur la question de la laïcisation de la
société sans pour autant que l’État ne perde son
caractère juif, c’est-à-dire les valeurs du judaïsme.
Il est à souhaiter qu’Israël puisse continuer à avan-
cer vers les principes de la Déclaration universelle,
avec, en toile de fond, la résolution du conflit
israélo-palestinien pour le bien de tous ses citoyens.
À cet égard, l’élection d’Amin Peretz à la direction
du parti travailliste et la création du parti Kadima,
par le Premier ministre Ariel Sharon, en novembre
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 37
Le droit à la propriété au Brésil (*)
Zia OLOUMI
Docteur en droit
Avocat aux Barreaux de Paris et de Nice
Co-reponsable de la Commission Droits fondamentaux
AMÉRIQUE
de l’UJA de Paris
G0371
I. L’ARTICLE 17 DE LA DUDH ET LES de son indépendance en 1822. En 1808, la famille
F O N D A M E N T A U X
vont fuir les plantations de sucre, ce qui va mécon- Le respect de ces conditions conférait au posseiro
tenter les grands propriétaires. La monarchie ayant certains droits sur la terre, bien que dans la prati-
bouleversé l’ordre social dans les campagnes en que ceux-ci se limitaient généralement aux cultu-
libérant les esclaves, les grands planteurs de sucre res qui s’y trouvent. Les nombreux conflits fon-
et de café vont soutenir l’avènement d’une Répu- ciers attestent de l’ambivalence des normes en
G0371 blique conservatrice, qui assurera le respect des vigueur, alors même que les autorités promettent
F O N D A M E N T A U X
droits de la propriété. La République sera procla- de légaliser la situation des posseiros et de s’infor-
mée en 1889. Dans les années 1920, à la suite des mer de leur présence avant de concéder des titres
révolutions russe et mexicaine, le pays verra s’ins- de propriété. Ainsi, par exemple, certains paysans
taurer l’amorce d’un débat autour de la concentra- ont défriché et mis en valeur des terres qu’ils
tion foncière et de la marginalisation des petits pay- croyaient vacantes. Une fois le travail de défriche-
sans. Mais l’essentiel de la politique de développe- ment achevé, ces posseiros vont être chassés bru-
ment s’orientera vers le secteur industriel. De talement par les grands propriétaires qui ont au
même, va apparaître une moyenne propriété dans préalable négocié l’achat de terre auprès du gou-
le sud du pays. Elle va de pair avec une répartition vernement. Ils n’ont dès lors d’autre choix que de
moins inégalitaire des revenus et avec un dévelop- recommencer leur travail ailleurs avec les mêmes
pement économique plus soutenu. Dans la région risques de ne pas disposer de titre de propriété in
de São Paulo par exemple, cette moyenne propriété fine. Dans les plantations de canne à sucre et de
apparaît lorsque les planteurs de café vendent par café, les morandores, ou petits paysans (5), et le
lots leur terre au moment de la crise des années colono (6) vont aussi s’opposer aux expulsions. De
1930. Contrairement aux pays européens, les élites même, vont apparaître de nouvelles catégories de
foncières brésiliennes conserveront leur pouvoir travailleurs comme les clandestinos (travailleurs
politique et s’opposeront tout au long du XXe siè- clandestins) et les boias frias (travailleurs saison-
cle à une quelconque modification de la structure niers) (7). Si l’organisation de la paysannerie est sur-
de la propriété rurale. tout l’œuvre du Parti communiste brésilien (PCB),
les années 1950 vont consacrer le rôle prééminent
4 – Montée en puissance et la structuration des
revendications paysannes (années 1950) de l’Église. C’est notamment la création de l’Action
populaire, organisation politique formée par les
Dès les années 1950, les conséquences sociales des plus progressistes de l’Église brésilienne et qui se
politiques de développement conduiront pourtant rapproche du PCB en prônant la construction d’une
les paysans et les travailleurs ruraux brésiliens à se société socialiste à travers la syndicalisation. Mais
mobiliser et à s’organiser. Leur lutte s’organisera on note aussi et surtout la constitution en 1960 de
sous trois formes. Une première réclamera de la Société brésilienne de défense de la tradition, de
meilleures conditions de travail et la reconnais- la famille et de la propriété, un courant de droite
sance de droits économiques et sociaux. Une ultraconservateur qui défend le statu quo dans les
seconde ira au-delà de ce type de revendications et campagnes. En 1961, le nouveau président Joao
se mobilisera aussi pour le droit de rester sur la Goulart (en fonction de 1961 à 1964) signera plu-
terre. C’est cette forme que vont choisir les parcei- sieurs décrets d’expropriation des terres avant de
ros (« partenaires »), les foreiros (« créanciers ») et
D R O I T S
l’expropriation des latifundios qui n’exercent pas environ 5 millions d’établissements ou d’entrepri-
de fonction sociale ou qui ne respectent pas la légis- ses qui se partageraient la terre restante en petites
lation du travail et l’environnement. Si la limita- parcelles et 4 autres millions de familles qui tra-
tion du droit de propriété est reconnue par l’expro- vaillent dans l’agriculture sans avoir le droit
priation dans l’intérêt général et à condition d’une d’acquérir leur propre terre. Il est vrai que certains
G0371 juste indemnisation du propriétaire, en revanche le auteurs proposent d’en finir avec la propriété pri-
F O N D A M E N T A U X
débat est plus nuancé sur une quelconque fonc- vée, alors que d’autres mettent en doute le carac-
tion sociale du droit à la propriété privé. La Cons- tère fondamental du droit de propriété. Un auteur
titution brésilienne reconnaît cette fonction. Mais (10) justifie sa position en précisant que les droits
l’interprétation qui est donnée à cet article diffère fondamentaux seraient ceux nécessaires au déve-
selon les intérêts en présence. En effet, malgré des loppement et à l’épanouissement de tout individu,
mécanismes démocratiques formels, le droit à la à savoir les droits moraux inhérents à tout être
propriété est loin d’être garanti au Brésil et consti- humain, tout le temps et où qu’il soit. Dès lors,
tue une source de conflits politiques. Ceci s’expli- considérer le droit de propriété comme un droit
que par l’inégalité qui existe dans la distribution des fondamental reviendrait à imposer une conception
terres, l’absence de registres fonciers fiables et des de la personne, puisque le droit de propriété,
conflits sur les titres de propriété, et plus généra- comme les autres droits, n’est pas un droit figé,
lement l’absence de règles claires et précises quant intemporel et encore moins applicable à tous les
à la définition et à la transmission des titres de pro- peuples de la même manière (11). Mais tous les
priété. Les conflits sur le droit de propriété trou- grands courants philosophiques admettent que la
blent l’ordre social et menacent la stabilité des ins- raison d’être de toute forme d’État réside dans
titutions démocratique. Afin de mettre fin aux situa- l’aménagement de la liberté et de la garantie de la
tions conflictuelles liées à la protection de la pro- propriété (12). La reconnaissance du droit à la pro-
priété privée, il est nécessaire de prendre en compte priété privée comme droit fondamental a été impo-
toutes les formes de propriété. En cela, l’expérience sée contre la tyrannie et les privilèges aristocrati-
brésilienne peut servir de leçon à méditer. Comme ques. Au Brésil c’est précisément cette redistribu-
toute l’Amérique latine, le pays n’a pas encore tion des terres qui n’a pas encore eu lieu. C’est donc
connu de révolution libérale comparable à celles davantage la manière dont le droit à la propriété est
qui ont secouées les pays européens. De sorte que mis en œuvre et la limitation qu’il doit comporter
l’exercice du pouvoir et le contrôle de la richesse quant à sa fonction sociale qui importent. Selon que
sont fondées essentiellement sur une répartition le droit de propriété privée individuel est ou non
ancienne. Les réformes agraires réalisées au sortir érigé en droit inviolable et sacré, essentiel et ina-
de la seconde guerre mondiale par des gouverne- liénable, absolu, exclusif et perpétuel ou alors
ments progressistes se sont heurtées à la résistance entendu comme simple moyen de promouvoir la
des propriétaires terriens. L’avènement du proces- démocratie, de réduire la pauvreté, et de protéger
sus démocratique dans le pays a mis les gouverne- les droits des populations autochtones, son accep-
ments devant une contradiction : comment proté- tion diffère. C’est une nouvelle fois l’indivisibilité
ger dans un État de droit, la propriété privée indi- des droits fondamentaux entre eux (l’un ne peut
D R O I T S
viduelle tout en tendant vers la réalisation de l’éga- être revendiqué au préjudice de l’autre) qui doit
lité sociale. Les revendications des organisations être ici affirmée avec force. Les limitations au droit
paysannes, et à leur tête le « Mouvement des sans de la propriété ont été conceptualisées au XIXe siè-
terres », mettent l’accent sur les autres formes de la cle par Auguste Comte (1798-1857) qui évoquait « la
propriété privée, plutôt associative et communau-
taire. Selon un recensement de l’ONU, le Brésil est (9) À noter que, malgré une sacralisation du droit de propriété privée indi-
le second pays du monde où existe la plus grande viduelle aux États-Unis, ce pays a su par une loi de 1862 imposer des limi-
tes à la dimension des propriétés agricoles (à 1.000 hectares). Ce qui a eu
concentration de propriétés de la terre et où existe pour conséquence d’ouvrir l’accès à la propriété à un plus grand nombre
le plus grand nombre de grands latifundios. En de personnes.
(10) S.-G. Agraval, Le droit de propriété n’est pas un droit fondamental,
2003, d’après des études sur le sujet, 2,8 % des Revue de droit contemporain, no 2, 1969, p. 47-48).
grands propriétaires possédaient plus de 56 % des (11) Alain Bihr et François Chesnais, À bas la propriété privée !, Le Monde
diplomatique, octobre 2003, p. 4.
terres cultivables, alors que 31 % des terres fertiles (12) Cicéron, De officus, II 21,73 ; John Locke, Second traité sur le gou-
restaient inutilisées. On estime le nombre de pay- vernement civil, Londres, 1690 (chapitre consacré à la propriété) ; Karl
Marx et F. Engels, L’idéologie allemande, éd. Posthume, leurres philoso-
sans sans terre à travailler à près de 5 millions et phiques, Paris, tome IV, 1937, p. 246. V. aussi pour les sociétés à tradi-
30 millions d’hectares sont détenus par des entre- tion non judéo-chrétienne, comment dans l’État oriental tout en étant
maître des moyens de production essentiels, surtout les terres cultiva-
prises multinationales. Plus de 45.000 grands lati- bles, une certaine appropriation privée est organisée : K. Wittfogel, Le des-
fundiarios possèdent des espaces supérieurs à potisme oriental : étude comparative du pouvoir total, éd. de Minuit, Paris,
1964 (essentiellement l’introduction et le chapitre consacré à la pro-
priété).
G0372
I. LES ARTICLES 14 ET 15 DE LA DUDH ET LES L’Australie a ratifié la quasi-totalité des Conven-
F O N D A M E N T A U X
lesdits États sont parties. lité, des droits de l’homme et des libertés fonda-
2. À cette fin, les États parties collaborent, selon mentales dans les domaines politique, économi-
qu’ils le jugent nécessaire, à tous les efforts faits que, social et culturel ou dans tout autre
par l’Organisation des Nations unies et les autres domaine de la vie publique ». Outre la ratifica-
organisations intergouvernementales ou non gou- tion de la Convention, les États ont eu la possibi-
vernementales compétentes collaborant avec lité de faire une déclaration sur le fondement de
l’Organisation des Nations unies pour protéger et l’article 14 de ladite Convention pour reconnaître la
aider les enfants qui se trouvent en pareille situa- compétence du Comité, ce qu’a fait l’Australie et ce
tion et pour rechercher les père et mère ou autres qui la rend pays destinataire pour l’examen des
membres de la famille de tout enfant réfugié en plaintes qui peuvent lui être adressées par des per-
vue d’obtenir les renseignements nécessaires pour sonnes ou des groupes de personnes se plaignant
le réunir à sa famille. Lorsque ni le père, ni la d’être victimes d’une disposition de la Convention.
mère, ni aucun autre membre de la famille ne Mais, comme nous allons le voir, l’Australie illustre
peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder, selon bien cette réflexion de René Cassin : « Je n’ai pu
les principes énoncés dans la présente Conven- obtenir, au nom de la France, l’insertion dans la
tion, la même protection que tout autre enfant déclaration d’un texte pleinement satisfaisant sur
définitivement ou temporairement privé de son le droit d’asile ; l’article 14 reconnaît bien en effet
milieu familial pour quelque raison que ce soit ». le droit, pour les persécutés, de réclamer asile à
44 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
d’autres pays. Les pays éloignés des foyers de per- cifique ; ainsi : « Une des premières mesures légis-
sécutions hésitent en effet à l’avance à reconnaî- latives australiennes fut la politique de « l’Aus-
tre leur solidarité avec les pays refuges (...) » (1). tralie blanche » ». En clair, l’Australie se considé-
rait comme un pays ouvert à l’immigration euro-
péenne exclusivement et de préférence britannique
II. LE CONTEXTE HISTORIQUE, SOCIAL ET
(2). Il s’agissait ici d’inscrire dans le droit fonda-
CULTUREL
mental ce qui paraissait être une mesure de salu-
brité publique et devant préserver la société aus-
A – Présentation tralienne. On peut tout de même dire que la poli-
L’Australie est un État fédéral relativement jeune, tique d’immigration australienne, tout au moins
dont la Constitution écrite est entrée en vigueur le pendant la période allant de 1901 à 1973, date
1er janvier 1901. Le régime qu’elle instaure com- d’abandon officiel de la politique d’une « Australie
porte des emprunts au système parlementaire bri- blanche », et bien après pour les demandeurs
tannique, d’où l’importance des Conventions non d’asile, n’était rien d’autre qu’une transposition
écrites en complément du texte écrit. Il s’appa- artificielle de la politique de la Grande-Bretagne en
rente aussi au système américain par sa forme plus restrictive.
écrite, sa structure fédérale et le rôle d’arbitre 2 – Illustrations
conféré à la Haute Cour. Le Commonwealth d’Aus- Dès 1901 est votée l’Immigration Restriction Bill
tralie comprend six États : la Nouvelle Galles du ou « Australie blanche ». « Cette politique ne fit que
Sud, le Victoria, le Queensland, l’Australie occiden- légaliser un comportement qui existait déjà dans
tale, l’Australie méridionale et la Tasmanie. Il a une la pratique. Les autorités australiennes étaient
superficie de 7.680.000 km2, soit 14 fois la France ; devenues très méfiantes à l’égard de toute immi-
en 2000, elle comptait 19 millions d’habitants. gration non-blanche et ce, depuis l’afflux des chi-
nois venus dans les années 1850 travailler dans
B – La politique de l’Australie blanche les mines d’or » (3). Méfiance à laquelle s’ajoutait
1 – Sources aussi des considérations économiques ; ainsi, un
La manière dont l’Australie s’est construit explique auteur qui a étudié la question constitutionnelle
l’option prise par la société australienne quant à australienne note : « Le rejet de l’idée d’une décla-
l’accueil d’étrangers et au sort réservé aux Aborigè- ration des droits dans la constituante de 1900
nes (même si ces derniers ne peuvent nullement reposait sur la volonté de maintenir des lois
être considérés comme des étrangers), étant pré- racistes à propos de l’emploi des chinois dans les
cisé que la question du traitement de l’immigra- usines australiennes » (4). Mais ces considérations
tion en Australie ne procède, ni d’un mimétisme, étaient moindres par rapport à l’argument racial,
par rapport à la Grande-Bretagne, ni de l’adoption puisqu’il relève également : « Si l’on compare
après l’indépendance, d’une pratique totalement l’Australie à un pays qui a longtemps été ouver-
nouvelle, par rapport à cette dernière, mais du sen- tement raciste, comme l’Afrique du sud, on peut
timent profond des autorités australiennes que se demander où est la distinction ; l’histoire de
l’étranger pouvait déstabiliser l’homogénéité de la l’Australie est remplie d’exemples de racisme, de
société. Les différents aspects de ce sentiment peu- génocide, de nationalisme et même de colonia-
vent être illustrés par l’exemple de la greffe : le gref- lisme. Le traitement des Aborigènes fait moins de
fage induit une complexité selon que l’organisme bruit, uniquement parce qu’ils sont très peu nom-
accepte ou rejette la greffe. Une immunologie peut breux, et parce que la politique de répression
faciliter l’opération de greffe, comme une hétéro- n’est plus officielle », et « En terme de racisme, on
généité ou une brutalité peut en déclencher le rejet. peut donner l’exemple des officiers envoyés en
Néanmoins, il y a toujours rencontre de deux enti- Europe après la deuxième guerre mondiale pour
tés, celle dite exogène annihile et remplace celle ramener des détenus de camps de concentration
dite endogène. Or, en Australie, l’immigration est avec des instructions écrites de n’accepter aucun
vécu comme une greffe qui risque de ne pas pren- juif » (5). L’affirmation officielle et légaliste d’une
dre. Une part de cette conception peut relever de Australie blanche constituait un point d’accord una-
la transposition de pratiques britanniques, la nime. Tous les partis politiques y souscrivaient. Le
Grande-Bretagne ayant largement pratiqué la ségré- Premier ministre protectionniste Edmund Barton
gation raciale dans ses colonies et l’Australie ayant disait : « L’interdiction faite à « toute personne de
été créée en 1901 par des personnes qui pour la (2) Albert R. Diena, Géopolitique de l’Australie de 1901 à nos jours. Uni-
plupart étaient auparavant d’origine anglaise. Tou- versité Paris-Nord, DESS Études stratégiques, Institut des relations inter-
nationales et stratégique, mai 1997, p. 6.
tefois, l’Australie a su très tôt manifester son l’hos- (3) David Boyle, Les enjeux politiques du débat constitutionnel en Aus-
tilité à l’égard de certains étrangers de manière spé- tralie ou le problème de la réforme de l’État en Australie, DEA Université
Panthéon-Assas (Paris II), 1993, p. 106.
(1) Marc Agi, René Cassin, éd. Perrin, p. 247. (4) David Boyle, op. cit., p. 140.
(5) Albert R. Diena, op. cit., p. 9.
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 45
couleur » de s’installer dans le Commonwealth, III. LA PRATIQUE DU DROIT D’ASILE ET DU
allait permettre à l’Australie d’éviter d’être éven- DROIT À LA NATIONALITÉ
OCÉANIE
faire à un test à points et avoir une qualification évolution négative dans les modalités de protec-
professionnelle certaine (en outre, les professions tion des demandeurs d’asile. La limitation du nom-
libérales doivent justifier de leurs compétences, de bre d’immigrés prend le pas sur la protection des
leurs moyens financiers et convaincre de la viabi- réfugiés stricto sensu (10). Pendant longtemps, le
G0372
lité de leur projet économique). La situation de réfugié avait, comme il était normal, un régime de
l’emploi est opposable aux candidats à l’immigra-
F O N D A M E N T A U X
G0373
NDA : Nous ne dresserons pas ici une liste exhaus- l’environnement. Ces droits précisent, sur la base
F O N D A M E N T A U X
tive des droits susceptibles d’être désignés sous et dans l’esprit d’instruments de protection des
l’expression « nouveaux droits fondamentaux », droits fondamentaux éprouvés (DUDH, Pactes de
d’autant que le caractère nouveau et/ou fonda- 1966, CEDH), des règles qui ne pouvaient être
mental d’un certain nombre d’entre eux fait tou- posées par ces instruments au moment où ils ont
jours débat et parfois, à juste titre (cf. Droits fon- été rédigés et qui sont susceptibles de prévenir les
damentaux des droits de l’homme, par Jean risques que font courir à la dignité humaine les
François Renucci, éd. LGDJ, p. 237 et s., p. 469 avancées scientifiques et technologiques de ces
et s.). Ne seront donc évoqués que deux d’entre dernières années. En ce sens, ils sont « fondamen-
eux, à savoir le droit à la bioéthique et le droit à taux » et « nouveaux ».
Le droit à la bioéthique
découlent. En effet, il se profile une nouvelle ère, la révolution des autoroutes de l’information et
celle du décryptage du génome humain, de la l’évolution des mœurs, rend nos législations plus
recherche sur les cellules souches, des tests géné- sensibles aux règles applicables dans les autres
tiques, du clonage. Les progrès dans le domaine des pays. Par ailleurs, contourner la législation devient
sciences de la vie ont doté les êtres humains d’un usuel. Certaines personnes recherchent ailleurs la
nouveau pouvoir pour améliorer la santé. Cepen- possibilité d’obtenir un traitement, de bénéficier
dant, les interrogations concernant les implica- d’une pratique médicale, interdits dans leur pays
tions sociales, culturelles, éthiques de ces progrès d’origine. Tourisme médical, tourisme procréatif,
conduisent à construire de nouvelles règles. À la deviennent préoccupants. Cette tendance s’accé-
question déjà difficile posée par les sciences du lère et rend nécessaire des règles supranationales
vivant – jusqu’où ira-t-on ? – il faut ajouter d’autres qui s’imposent aux lois internes. Aussi, une harmo-
interrogations qui ont trait aux liens entre éthique, nisation des normes devient nécessaire. C’est
science et liberté. Les réponses apportées à ces aujourd’hui l’urgence du mouvement bioéthique. Il
interrogations n’ont pas, comme d’ailleurs pour les s’agit de composer entre la réalité internationale et
droits fondamentaux en général, la même force le respect du droit national. La bioéthique est,
parmi les branches du droit, la dernière née. Elle se
(*) Auteur du Vocabulaire de bioéthique aux éditions PUF, janvier 2000.
Bioéthique, Bioéthiques (sous sa direction), Éd. Bruylant, coll. Nemesis,
fraye un chemin entre l’éthique et le droit. On lui
2004. pardonnera donc de garder encore quelques traces
VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006 GAZETTE DU PALAIS 49
CONCLUSION
d’enfance. Aujourd’hui, la bioéthique entend sortir chaines générations, de tisser des liens étroits entre
des seuls droits nationaux ; elle a vocation à trans- les générations présentes et futures pour parvenir
cender les clivages culturels pour trouver sa place à enrayer les violations des droits fondamentaux qui
dans le droit international. Nous tenterons de déga- abondent aux quatre coins de la planète. Il est de
ger la naissance de ce droit international spécifi- promouvoir, développer et diffuser les droits fon-
que, en suivant l’évolution qui va des déclarations damentaux.
G0373
de portée générale à des conventions contraignan- c – La Déclaration internationale sur les don-
tes.
F O N D A M E N T A U X
des visées ambitieuses. Le texte est censé s’adres- des repères éthiques universels couvrant l’ensem-
ser aux citoyens du monde. Il est composé d’un ble des questions qui se posent dans le domaine de
long préambule et de vingt-cinq articles regroupés la bioéthique et la nécessité d’œuvrer en vue de
en sept sections : Dignité humaine et le génome l’émergence de valeurs communes caractérisent de
humain, droits des personnes concernées – Recher- plus en plus le débat international. Il en va d’une
ches sur le génome humain – Conditions d’exer- meilleure prise en compte de la démocratie. À sa
cice de l’activité scientifique – Solidarité et coopé- 32e session, en octobre 2003, la Conférence géné-
ration internationale – Promotion des principes de rale des États membres de l’Unesco a considéré
la Déclaration – Mise en œuvre. Cette Déclaration qu’il était « opportun et souhaitable de définir des
se veut un phare éclairant pour l’individu et normes universelles en matière de bioéthique
l’espèce humaine. L’accent est mis sur la protec- dans le respect de la dignité humaine et des droits
tion de la personne et la dignité de la personne et des libertés de la personne, dans l’esprit du
humaine à l’épreuve des technologies biomédica- pluralisme culturel de la bioéthique » (32 C/Rés.
les. 24). L’action normative dans le domaine de la bioé-
b – La Déclaration sur les responsabilités des thique est une nécessité ressentie partout dans le
générations présentes envers les générations futu- monde, souvent exprimée par les scientifiques et les
res du 12 novembre I997 praticiens eux-mêmes, ainsi que par les législa-
Son objectif est d’assurer un avenir viable aux pro- teurs et les citoyens. Le choix du Comité interna-
50 GAZETTE DU PALAIS VENDREDI 17, SAMEDI 18 MARS 2006
tional de bioéthique (CIB) est en faveur d’un ins- Convention sera prochainement soumise à ratifica-
trument de nature déclarative, qui s’adapterait tion par la France, dans le prolongement des lois
mieux à un contexte en évolution constante et per- de bioéthique votées en France le 6 août 2004. Les
mettrait d’atteindre rapidement un plus large droits humains doivent être associés à la définition
consensus des États membres. Il traite « des ques- de la bioéthique que donne la Convention
tions d’éthique posées par la médecine, les scien- d’Oviedo. Le préambule de cette Convention cons-
ces de la vie et les technologies associées appli- titue, à lui seul, une définition de la bioéthique car
quées aux êtres humains, en tenant compte de il énonce en termes généraux les objectifs fonda-
leurs dimensions sociale, juridique et environne- mentaux communs, à l’humanité toute entière. La
mentale ». Ses principes sont ancrés dans le droit protection de l’espèce humaine est un des impéra-
international démocratique : ils constituent un édi- tifs de cette Convention. Ainsi, dans le domaine de
fice unique dans l’histoire de l’humanité. la génétique, cette Convention interdit toute forme
de discrimination à l’encontre d’une personne en
II. LE DROIT À LA BIOÉTHIQUE EN EUROPE raison de son patrimoine héréditaire.
Le droit à l’environnement
Patricia SAVIN
Docteur en droit de l’environnement
G0373 Avocate aux Barreaux de Paris et Bruxelles
Présidente d’honneur de l’UJA de Paris
F O N D A M E N T A U X
Pour Hobbes, la loi naturelle est un état de guerre : l’introdution du droit de l’environnement dans la
l’équilibre ne se faisant qu’à travers des destruc- Constitution française.
tions, des dévastations et des famines. Or,
aujourd’hui, cette loi naturelle semble fortement
I. AU NIVEAU INTERNATIONAL : VERS LA
déséquilibrée et perturbée de part l’action de
COUR INTERNATIONALE CONTRE LES
l’Homo sapiens : des alertes environnementales et
CRIMES DE L’ENVIRONNEMENT, UN
sanitaires sont fréquemment lancées. Ainsi, alors
“GRAND PAS” POUR LA PLANÈTE
que les autres espèces s’adaptent au monde,
l’humanité adapte le monde à elle-même en le
transformant (1). Toutefois, dès lors que la maîtrise A – Prise de conscience internationale des défis
constructive et évolutive de la nature se transforme à relever
en volonté de puissance économique, elle n’assume Vancouver (Canada), du 10 au 15 septembre 1989 :
plus son rôle de régulateur mais devient un déré- l’Unesco organisa le deuxième forum sur la science
gulateur de la nature. Pourtant, déjà en 1796, Fon- et la culture. À cette occasion fut adoptée « la
tenelle expliquait que : « Notre folie à nous autres déclaration de Vancouver sur la survie au XXIème
est de croire (...) que toute la nature, sans excep- siècle » (6). Les termes de cette déclaration sont des
tion est destinée à nos usages » (2). Dans sa soif plus alarmistes : « La survie de la planète est deve-
de progrès, la science touche désormais aux prin- nue une préoccupation majeure et immédiate. La
cipes créateurs de la vie : il est aujourd’hui possi- situation actuelle exige que des mesures urgen-
ble « d’ériger en règle de vie l’eugénisme généra- tes soient prises (...). Il ne reste plus beaucoup de
lisé : celui des plantes, des animaux et, s’il n’y temps : tout retard apporté à l’instauration d’une
prend garde des êtres humains. Il fabrique la vie, paix éco-culturelle mondiale ne fera qu’accroître
au prix, de surcroît, d’innombrables mises à le coût de la survie ». Trois ans plus tard, se tint
mort » (3). En parallèle du développement des à Belém (Brésil) du 6 au 10 avril 1992, le troi-
manipulations génétiques, se multiplient les sième forum Unesco sur la science et la culture.
congrès et ouvrages sur l’éthique de la science ou La déclaration de Belém réitère la nécessité de
« l’illusion du progrès » (4) et le rôle fondateur du « prévenir une catastrophe planétaire », tout en
droit. Il semble en effet raisonnable de considérer insistant sur le fait qu’il est nécessaire de se « péné-
que « la législation a été, et demeure, la pierre trer de l’idée que la nature et l’homme forment
angulaire de la lutte pour la protection de l’envi- un tout » (7). Au niveau international, il fut déclaré
D R O I T S
ronnement. On ne peut ni abandonner cette en juin 1972, lors de la Conférence des Nations
arme, ni s’en écarter » (5). Dès l’instant où les unies sur l’environnement à Stockholm (Suède),
scientifiques, les chercheurs, les écologistes, les que « l’homme a un droit fondamental à la
politiques et les juristes comprennent et réalisent liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satis-
l’enjeu des atteintes causées à l’environnement, tant faisantes, dans un environnement dont la qua-
pour le présent que pour le futur, des changements lité lui permette de vivre dans la dignité et le
s’imposent. À ce titre, deux apports majeurs peu- bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et
vent être signalés : le concept de Cour internatio- d’améliorer l’environnement pour les généra-
nal contre les crimes de l’environnement (I) et tions présentes et futures » (8). Par cette
(1) In M. Mugnier-Pollet et F. Meyer, Les fondements philosophiques et (6) Déclaration de Vancouver sur la survie au XXIe siècle, colloque sur
moraux de la répression de la délinquance écologique, La délinquance « La science et la culture pour le XXIe siècle : un programme de survie »,
écologique, XVIIe Congrès français de criminologie, Université de Nice, Commission canadienne pour l’Unesco, Vancouver, Canada,
Faculté de droit et des sciences économiques, 1979, p. 19. 10-15 septembre 1989, Organisation des Nations unies pour l’éducation,
(2) Fontenelle, Entretien sur la pluralité des mondes, imprimeur Didot la science et la culture.
Le Jeune, Paris, 1796, p. 27. (7) Déclaration de Belém, troisième forum Unesco sur la science et la cul-
(3) J. Decornoy, De l’irresponsabilité mortelle à la vraie maîtrise de la vie, ture : « Vers une éco-éthique : une vision nouvelle de la culture, de la
in L’homme en danger de science, Le Monde diplomatique, Manière de science, de la technologie et de la nature », Belém, Para, Brésil, 6-10 avril
voir, no 15, mai 1992, p. 24. 1992, Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la
(4) L’expression est de L.-R. Brown, L’état de la Planète, 1990, éd. Éco- culture.
nomica, 1990, p. 1. (8) Quel droit à l’environnement ? Historique et développements, in P.
(5) C. Ripa di Meana, Adieu la Terre, Les Éditions de l’environnement, Kromarek (directrice de publication), Environnement et droits de
1993, p. 210. l’homme, éd. Unesco, 1987, p. 118.
mes environnementaux internationaux » (20). Nantes du 29 janvier 2002, le candidat Jacques Chi-
L’idéal serait bien sûr qu’il ne soit pas nécessaire rac avait promis d’inscrire l’environnement dans la
de recourir au droit pour que l’environnement soit Constitution : « Aux côtés des droits de l’homme,
respecté. Dans cette optique, un changement de proclamés en 1789, et des droits économiques et
mentalité et de valeur est nécessaire. sociaux adoptés en 1946, et au même niveau,
nous allons reconnaître les principes fondamen-
G0373 II. AU NIVEAU FRANÇAIS : taux d’une écologie soucieuse du devenir de
F O N D A M E N T A U X
L’ENVIRONNEMENT DANS LA l’homme, avec des droits mais aussi avec des
CONSTITUTION FRANÇAISE, “UN GRAND devoirs ». Une fois élu, la commission Coppens fut
PAS POUR L’ÉCOLOGIE FRANÇAISE” (21), constituée. Cette commission composée d’élus,
UN “PETIT PAS” POUR LA PLANÈTE d’experts, de représentants de partenaires sociaux,
d’associations et d’entreprises était assistée et ali-
mentée par les travaux de deux comités dits de spé-
A – Émergence d’un droit de l’environnement cialistes : un comité scientifique et un comité juri-
en France dique. Ces deux comités avaient pour mission de
Des interdits écologiques assortis de peines faire des propositions de rédaction de lois et charte
d’amende existent depuis l’Antiquité. Au Moyen- à la commission Coppens et de répondre à ses
Âge, des ordonnances de 1291 et 1363 réglemen- questions « techniques ». La charte est donc bien à
taient le commerce des porcs et les déchets de bou- la base le fruit de travaux de spécialistes juridiques
cherie. Un édit de 1415 interdit le rejet d’ordures et scientifiques. Nourrie par les travaux de ces
dans la Seine (22). Il s’agissait alors de salubrité comités, la commission Coppens a ainsi été ame-
publique plus que de droit de l’environnement. En née à proposer au gouvernement un projet de loi
1810, sous le régime de Napoléon Bonaparte, la constitutionnelle. Après arbitrage et choix entre dif-
crise industrielle sévissait, les matières premières férentes versions, le conseil des ministres du 25 juin
étaient rares ; il s’agissait alors de protéger l’indus- 2003 a adopté le projet de loi constitutionnelle rete-
triel contre l’arbitraire de l’administration et contre nant l’essentiel du projet de la commission Cop-
les plaintes du voisinage. Après la seconde guerre pens. Sur cette même base, la loi constitutionnelle
mondiale, la priorité était largement accordée à la no 2005-205 relative à la charte de l’environnement
reconstruction du pays. Les préoccupations écolo- a été adoptée et promulguée le 1er mars 2005 (23).
giques n’existaient alors pratiquement pas. Dans les
L’un des éléments essentiels qui est ressorti de la
années soixante, une prise de conscience vit le jour
consultation nationale était la volonté des français
et en 1964 naissait la première loi sur l’eau. Puis,
de voir affirmer l’existence de droit et surtout de
en 1976, la défense du développement industriel
devoirs à l’égard de l’environnement. Cette
demeure, mais les problèmes d’environnement sont
demande a été réellement prise en considération
pris en considération de façon plus précise et com-
puisque le 1er alinéa du préambule de la Constitu-
plète. On s’intéresse ici à la nature, aux sites et aux
tion modifié dispose désormais : « Le peuple fran-
monuments. La protection de l’environnement est
çais proclame solennellement son attachement
ainsi instaurée par le recours à un droit réglemen-
aux droits de l’homme et aux principes de la sou-
taire qui impose le respect de normes précises. En
veraineté nationale tels qu’ils ont été définis par
cas de méconnaissance de ces normes, des sanc-
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