Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 11

Titre : Funmi et la rupture du contrat

« Suite à notre entretien courant mois d'avril relatif à la rupture du contrat qui nous lie et vu les causes
qui motivent la prise de cette décision, à savoir :
1- Les travaux de réfection profonde à faire dans la maison,
2.- La révision du dispositif de sécurisation du domaine,
3. La réorganisation du système d'ordre dans la maison, je vous confirme par la présente, la rupture dudit
contrat.
A cet effet, je vous prie de noter ce qui suit :
1- Vous avez un préavis de trois (3) mois à compter du 1 mai pour libérer l’appartement,
2- Vous voudrez bien faire la mainlevée des compteurs d'eau et d'électricité,
3. à votre remise des clés après votre déménagement, je vous restituerai Le montant de la garantie sur
loyer que vous avez versé lors de la prise d’Appartement… »
Funmi lisait une dernière fois le message comme une jeune villageoise admirant pour la première
fois le décollage ou l’atterrissage d’un avion. Elle en perdait son latin. La bouche bée, elle allait et
venait, traçant des arcs de cercle sur le carreau scintillant de son salon.

La lettre, un homme de taille considérable et bien robuste, un véritable malabar, ceux-là qui trouvent
du travail rien qu'avec leur allure morphologique et qui servent de gorilles dans les boites de nuit,
venait de la lui remettre.

La lettre, on la lui avait remise ainsi qu'on traite les locataires débiteurs

Funmi ne devait se fâcher contre qui que ce fût. C'était la volonté du Fa. Il avait été révélé qu'elle ne
devait jamais crier vengeance. La Nature, avait souligné l'Oracle, lui avait demandé de lui laisser le
soin de gérer les iniquités dont elle serait victime.

A peine était-elle rentrée que le facteur avait fait sangloter la sonnerie du portail. Elle n'avait
même pas pu se déshabiller ni se débarrasser des lourdes sueurs noires qui détruisent la peau des
habitants de la capitale économique. « Mais pour qui i s’prend, ce proprio ? », ne cessait-elle de se
répéter, le visage atrocement défait, symptôme d'un état émotionnel sans précédent.

Funmi se dirigea vers son bureau, alluma son ordinateur portatif, l'éteignit ...puis le ralluma.
Elle rédigea plusieurs réponses.
Les imprima.
Les lut.

Puis les jeta dans le panier qui servait de poubelle.

« Il ne mérite pas que je lui accorde du crédit. On court mille dangers en prenant un crotale pour un
ver de terre. Lui répondre du tac au tac, ce serait trop le considérer. Il ne sert à rien de lui démontrer
que toutes les raisons soulignées dans sa lettre le rapprochent beaucoup trop de l'époque
médiévale. Il ne sert à rien non plus de lui faire voir qu'il est incohérent et illogique puisque je ne me
suis jamais plainte du délabrement de l'appartement qui, de loin, reste moins agonisant que celui
d’Akim. J’ai joint Akim. Il n’a nullement reçu de message pareil. »
C’est un problème entre elle moi, lui avait confié l’huissier. Et s’il vous plait, restez en dehors de ce
problème. Ce sont des instructions fermes que j’ai reçues du propriétaire.
Funmi commença par comprendre et décida de rédiger une réponse un peu plus tendre, un peu
moins acerbe, de peur d’afficher un point de vue belliqueux.
Elle se rassit, se leva de nouveau, alla chercher une bouteille d’eau de Posotomè qu’elle versa
maladroitement dans un verre qui se brisa dans une explosion de bombe artisanale. Elle nettoya les
dégâts, se remit sur son séant et réussit enfin à produire une réplique plus digne de son rang.

« … j’ai l’honneur d’accuser, ce jour, réception de votre correspondance citée en référence, laquelle sollicite
ou “confirme“ la rupture du contrat qui nous lie, et vous apprendre mon avis favorable votre requête.
Toutefois, je n’ai pas trop souvenance de “notre entretien courant mois d’avril, relatif“ à ladite “rupture“
puisque, pendant le prétendu mois, nous ne nous ne sommes pas vus à moins que vous fessiez allusion à
l’entretien du mois passé, entendez le mois de mai.
A cet effet, il me plait de vous faire partager mon enthousiasme lorsque j’ai eu pris connaissance des
“causes qui motivent la prise de cette décision“.
Il est vrai, certes, que les motifs verbaux par vous évoqués pendant ce commerce du mois passé étaient que
l’un de vos proches devait intégrer les mètre carrés que j’occupe. Cependant, il est aussi vrai que la “la
maison“ se rapproche de plus en plus de la terre, et résiste de moins en moins aux intempéries
Vous avez raison : il lui faut des “ travaux de réfection profonde “ en vous remerciant de votre franche
collaboration et de vos innombrables faveurs, je vous garantit de beaux souvenirs de votre “ maison “ que
je quitterai, sauf cas de force majeure, dans les délai exigé… »
Funmi jetait un dernier coup d’œil ironique sur le papier, chercha une enveloppe puis habilla la
lettre.

II
Je rencontrai Funmi une nuit.
J’avais coutume d’aller vivre chez mon grand frère Akim chaque fois qu’il devait partir en voyage. Il
aimait voyager. Dieu seul sait ce qu’il faisait réellement comme travail. Pour lui, prendre un vol,
c’était comme faire les cent pas. Moi, je ne connaissais même pas la voie qui menait à Bernardin
Gantin.
Je rencontrai Funmi une nuit.
Elle était mêlée à la nuit.
Non, c’était la nuit qui était mêlée à elle.
Son teint ne luisait point, mais avait l’obscurité d’une tendresse inavouée. Elle vivait en face de
l’appartement d’Akim. La maison ne comprenait que deux appartements : le sien et celui de mon
ainé. Pourtant, je n’avais jamais pu la rencontrer. D’ailleurs moi non plus, je ne restais pas dehors :
ou je m’enfermais ou je sortais travailler. Ainsi était aussi meublée de la vie de Funmi.
Avant cette rencontre nocturne et fortuite, mon frère ne m’avait rien dit sur elle, sauf qu’elle
maitrisait mieux l’anglais que moi. C’étaient les jeunes du quartier, notamment Jean et Jacque qui
m’avaient parlé d’elle. Funmi serait une fille de joie qui dissimulait bien son métier.
« Regarde toi-même ! Regarde l’appartement qu’elle a loué ! Un grand salon soutenu par le confort
de trois chambres à coucher, pour elle seul ! Elle doit avoir des gros taux, j’en suis certain et
convaincu », martelait Jean comme un enquêteur de police, pensant avoir réuni des preuves
irréfutables. « Ça se voit… Elle cherche du côté des hommes politiques ou des hommes d’affaires.
Ceux qui ont honte de descendre dans les bas quartiers si ce n’est lors des campagnes électorales.
Ceux qui n’hésite pas à acheter aux femmes des apparts et des caisses haut de gamme, juste pour
frimer », renchérissait Jacques.

Il me semblait que ces jeunes de mon âge manifestaient beaucoup plus de sentiments de
frustration que de vérités générales. D’ailleurs, ils l’avaient montré la seule fois où nous avons parlé
politique. Ils avaient tous fait des études universitaires et avaient accueilli, avec allégresse, l’arrivée
du nouveau régime. Mais, aujourd’hui, c’est la désolation totale. « Nous ne sommes pas prêts de
rengainer nos désillusions. « Mois-se souvenir Jean-ce qui m’a fait très mal, c’est le jour où j’ai lutté,
bec et ongles, pour m’inscrire sur la liste des remplaçants des agents de douanes en grève. J’avais
perdu mon GSM, ce jour-là. Et dire que c’était une blague ! »
Ils étaient légèrement plus âgés que moi ; ils m’appelaient « Fofo », peut-être par ignorance, peut-être
par respect pour mon apparence d’homme huppé. Je réussis à trouver du travail à deux d’entre eux.
Les autres, fatigués d’en espérer, se regroupaient souvent autour d’une table pour noyer leur
oisiveté dans le jeu de belote.
On ne pouvait que comprendre ces jeunes gens qui faute de travail rémunérateur et l’environnement
aidant, avaient fini développer pessimisme et mythomanie. Quoi qu’il en fût, ils avaient le mérite
d’avoir fini de hautes études.
Moi, je serais devenu une gangrène sociale, n’eussent été la vigilance et le soin que mes parents
m’avaient apportés. C’est que mes frères avaient très tôt pris les études au sérieux. Alors qu’ils
étaient adolescents, ils avaient mesuré la valeur du savoir et des examens. Le moins diplômé était
Akim, énarque converti en commerçant. Pour lui, seul le commerce pouvait permettre à l’homme de
s’accomplir. Il ne pouvait atteindre ses objectifs s’il devait travailler la fonction publique (« A moins
qu’on m’autorise détourner les denier public », avait-il déclaré à son maître de mémoire qui voulait
faire sa promotion !).
Il me faisait rire Akim.

Et je l’aimais. Je l’aimais bien. Non je l’aimais. Je l’aimais en tant qu’ami. J’avais beaucoup profité
de sa chance. Ou peut-être suis-je né protégé ?
J’étais encore élève en classe de quatrième quant à la fin du premier trimestre, je presse le parfum
du chlorure de sodium.
Tandis que mes parents me croyaient assidu et régulier en classe, je m’engageais dans un labyrinthe
dont l’issue conduirait, à coup sûr, aux portes de la maison d’arrêt. Je me retrouvais avec un groupe
d’élève, d’ouvrier, d’enfant issus de bonne famille, un groupe de jeunes cybernautes. Une association
adolescente décidés à devenir riche ici et maintenant, une association spécialisée dans l’arnaque.
Rusé, j’assimilais vite la procédure et je fus vite millionnaire à l’âge de quatorze ans. Ne sachant
comment investir, ne pouvant justifier mes revenus, j’appris à passer le plus claire de mon temps
dans les buvettes, dans les maquis, les boîtes de nuit. Et surtout avec les filles. Ces diablesses qui, les
yeux fermés savent distinguer le riche d’avec le pauvre.
Mon intelligence linguistique m’avait permis de m’initier au jars et de pactiser avec les rois de
l’anarque. C’était avec eux que mon niveau en anglais s’était amélioré. C’était avec eux qu’avaient
mûri mes vices et mes déviances. Ils savaient convaincre les Blancs et leur soutirer leur fortune. Ils
évitaient les pauvres.
Plus leur correspondant était cupide, plus il était escroqué. Mes amis arnaquer me disaient que
c’était notre devoir de nègres (de pègres ?) d’arnaquer les Blancs : jadis, leurs ancêtres avaient
encoqué les notre ; maintenant ces notre tour.
J’avais ainsi perdu les intitulés de disciplines qu’on enseignait. Et je me fusse ainsi égare si Akim
n’existait. Un jour, alors que je devais finaliser un dossier qui allait nous ramener des centaines de
millions, j’avais été expressément saisi par Akim : je devais reprendre mon poste de gardiennage. Je
n’attendis pas des noix de kola pour me faire prier. Je me rendis illico chez lui. Il n’y était plu. Il était
déjà à l’aéroport.
Je repartis au cybercafé. C’était vide.

Désert comme la calvitie d’un crâne. Le gérant, un géant homme aux fesses suffisamment aplaties à
force de s’asseoir derrière une comptabilité complice, se confondait en lamentations. C’est alors que
je remarquais les badauds qui s’attroupaient. J’appris que la police anti-cybercriminalité avait été de
passage. Des taupes avaient dû infiltrer notre réseau si bien fermé et bien gardé. Qui avait vendu la
mèche aux flics ? Et ceux qu’on avait achetés coup de millions, où étaient-ils quand la patrouille était
venue prendre mes gars la main dans le sac ? Je jetai mes quatre portables haut de gamme que
j’avais toujours cachés à mes parents.
Je jetai aussi de 419 (four-one-nine, ainsi mes gars nommaient-il l’escroquerie : il paraîtrait qu’il
désignerait un article du code pénal de leur pays…)
Je me confessai au prête.
Il était aussi mon oncle.
Il me pardonna. Dieu aussi, je crois.

III
Je rencontrais Funmi une nuit.
Il sonnait un peu moins de vingt-deux heures. J’allais ouvrir le portail lorsqu’une jeune femme
descendit d’un zem.
Elle avait une noirceur semblable la couleur de l’amour, comme quand le soleil fait l’amour à la lune.
Ses jambes longues étaient deux traits identiques tracés par Mamy Water. Sa silhouette sorcière
contenait une substance qui invitait à violer les interdits. Et ses yeux sucrés étaient des promesses de
nuit douce.

J’aurais voulu passer toute l’éternité devant sa poitrine succulente et généreuse qui avait dû causer
la mort de plusieurs hommes mariés. Elle souriait. Et le parfum chaud de son sourire me protégeait
du froid que je commençais difficilement à supporter. Son sourire me pénétrait comme le cliquetis
de son trousseau de clés. Je restais pétrifié devant le portail. J’avais cru avoir entendu “hi“. Je
répondis “Hi ! How do you feel, Miss ? “ Elle me salua de nouveau en français et me demanda pourquoi je
m’exprimais en anglais.
-Mais c’est vous qui m’avez, en premier lieu, parlé en anglais.
-Ah bon ! Pourtant je n’en ai pas l’habitude. Vous êtes le frère d’Akim, n’est-ce pas ?
Je me tus.
La balayai du regard.
Des étoiles calmes jaillissaient de ses membres inférieurs. Ses pieds certainement jolis se réfugiaient
dans de somptueuses chaussures. Le tendre corps de ses jambes et de ses cuisses était serré dans un
jeans bipe-moi. Son nombril dévêtu affichait une émancipation arrogante. Je la balayai du regard puis
réagis timidement, comme par sa beauté assourdissante aveuglé.
-Pardon ? fis-je, en feignant d’avoir mal entendu. Elle se répéta et déverrouilla le portail en effleurant
mes doigts. Un frison intensément naïf me parcourut tout le corps comme une décharge électrique
produite par le soleil. Abasourdi, je la laissai entrer d’abord. Ensuite, je m’introduisis dans la maison
puis fermai le portail à clé.
Elle se dirigea vers son appartement. Je pris le chemin du mien. Au moment de franchir la porte de
son logement, elle me lança :
-C’est quoi, tu ne connais pas ?
-Non… ou peut-être oui, risquai-je. C’est que j’ai le sentiment de vous avoir vue… mais où ? Ma
mémoire me joue de sales tours…
-Je suis trop épuisée pour tenir debout et compte le nombre d’étoiles qui pleurent dans le ciel. En
revanche, il me plaît bien de parler un peu avec quelqu’un d’autre que moi-même. Tu viens ?

IV
Le salon était un vaste. La même dimension que celui d’Akim.
Mais la pièce paraissait plus spacieuse parce qu’un soin esthétique lui avait été consacré. Les sièges,
tous en bois d’ébène et garnis par l’expertise d’un matelassier, faisaient briller leur cuir, rangés
confortablement dans un angle du salon. Le mur était protégé par des réguliers coup de pinceau
trempé dans la peinture à huile. La lumière tamisée qu’elle avait allumée rehaussait la qualité
supérieure de la peinture et offrait un certain charme son bureau disposé en parallèle aux sièges.
Elle devait avoir un goût enquit pour le noir. Excepté le plafond verni marron, tout respirait la couleur
sombre. Mais d’une obscurité plaisante.
Quatre gravures apportaient une beauté et une élégance intellectuelles aux lieux. Je n’eus pas plus
tôt admiré la première qu’elle me signifiait que c’étaient un souvenir du Canada.
« Sois en train de les contempler. Et puis, met-toi à l’aise. Accorde-moi un instant, veux-tu ? ».
Elle s’enferma dans la dernière chambre.
Depuis le salon, le clapotis de l’eau de la douche me parvenait, comme une musique de rap
d’inspiration traditionnelle, comme un beat de H2O Assouka.
Je ne sus pourquoi, je l’imaginai en tenu d’Eve.
Je me représentai ses seins. Je me dis que, vu son âge et son métier, en lieu et place d’un fruit mûr et
bien rond comme l’orange ou le pamplemousse, ses seins étaient probablement une paire de
concombres encombrants ou de tomates mal écrasées.
Et, au lieu d’un ventre athlétique idoine de supporter le parcours des cellules bilabiales, son nombril
était sans nul doute un trou laissé par plusieurs caresses desséchées.
Mais elle était trop divine. J’étais certain que je me trompais. Et puis, qui a dit que les jeunes du
quartier détenaient la vérité ?
D’ailleurs, Akim ne vivait-il pas tout seul ? Pourquoi ne disaient-ils pas, de lui, qu’il se prostituait ?
Pourquoi la femme, elle, ne pouvait-elle pas vivre seule ? En tout cas, ça devait être rentable la
prostitution. Vendre sa peau et se retrouver in extenso, je regrette parfois mon sexe… « Tu regrettes
ton sexe… pourquoi ? » Je tressaillis. Je venais de réfléchir à haute voix. Je me défendis
maladroitement. Elle comprit que je ne voulais pas en parler. « Passons à un autre sujet, veux-tu ? Et
puis, je ne suis un gênée que tu me vouvoies. Tutoie-moi, s’il te plaît. » Je me sentais un peu gêné
aussi. Je voulais savoir ce que je faisais là avec une femme qui pouvait être ma grande sœur ou même
ma mère. Je n'étais nullement à ma première expérience, quant à la gérontophilie. Pendant mes
moments d'errements et d'errances, je savourais et me délectais de ces interdits, je croquais avec
plaisir ces fruits défendus, je violais sans regret tous les tabous... Mais j'avais promis au prêtre de ne
plus tomber dans la fornication ni dans ce genre de déviance. Mais, à voir de près, cette dame devait
être bien riche. De toute façon, elle semblait à l’abri des besoins, et tout en elle respirait la fortune.
Elle réveillait en moi mes vieux démons arnaqueurs ! Je crois que Dieu me comprendra si je
succombais à la tentation. C'était trop tentant. Elle avait une facilité à exercer son charme sur moi...
Je levai la tête et la regardai droit dans les yeux. C'était un rayon de soleil qui me réceptionna.
A son retour de la douche, elle était devenue une petite fille vierge, une cousine proche de Vénus. Elle
était revenue en pagne traditionnel. Elle s'était assise en face de moi. Ses jambes étaient nues comme
une igname épluchée. Un plateau de fruits et de sucreries nous séparait. Elle rappela que l'alcool nuit
gravement à la santé. « L’abus de sucreries aussi », ajoutai-je.
Nous avons ri.
Elle prit mes mains, les baisa, avec douceur, puis demanda si je voulais me les laver.
- pourquoi pas ? C'est où la cuisine ?
— Et si …tu te lavais tout le corps, ça te dérange ? Attends... je vais t’y conduire.
- A la cuisine ou sous la douche ?
- Je préfère la salle de bain. Ça me rappelle plus de souvenirs.

V
La salle de bain exhalait un parfum délicieux.
Ils se sont retrouvés tous deux dans la baignoire. C'était un coup monté, car l’eau savonnée les y
attendait. Elle éteignit la lumière.

« J’adore l'obscurité. Elle me protège.


J’ai souvent parlé avec Akim. Il restera un simple ami : je ne puis accepter de sortir avec lui. Rien, en
lui, ne m'attire. Et puis, j’ai peur pour lui...

Toi ...Il me semble que nous partagions quelque chose d'ineffable, d'innommable, d'invisible, de
mystique. Chaque fois que ton frère me parle de toi, je te vois en train de déposer tout ton corps en
moi. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'avais follement envie de te décliner mon identité et ma
nudité. »

Ils parlaient comme s'ils étaient seuls au monde ou qu'ils attendaient patiemment la fin du monde ou
qu'ils se connaissaient depuis des lustres. Ils se faisaient des confidences et des confidences

Funmi est née dans un village reculé d'Ilé-Ifè au Nigeria. Elle a passé, en revanche, ses sept
premières années à Victoria Island (Lagos) dans une famille bourgeoise qui l'avait adoptée. Car son
père mourut sept jours après la mort de sa mère qui s'en était allée après l'avoir mise au monde. Son
père avait follement aimé sa mère et l'avait épousée contre la volonté des dieux et de ses parents
enracinés dans la tradition.
Les gens racontaient que ses grands-parents avaient consulte le Fa pour avoir sa bénédiction pour
l'union de leur fils et de leur future bru. L'oracle avait déclaré ce lien nuisible et pernicieux aux
destins des futurs mariés et source de nombreux malheurs pour leur descendance. Informés, ces
derniers éperdument épris l'un de l'autre, avaient banalisé la prophétie et avaient pédestrement
rejoint un village lointain du leu. Ils y vivaient gais et heureux comme deux oiseaux jusqu'au jour où
Funmi naquit...
Lorsqu'elle eut sept ans, elle apprit la mort tragique de ses tuteurs dans une explosion étrange. Elle
hérita alors d'une fortune colossale dont les avocats principaux des nombreuses entreprises de ses
parents adoptifs assuraient l'administration et la prospérité.
Funmi était une fille enviée car, apparemment, chanceuse. D'autres familles aisées la réclamaient en
adoption. Plusieurs procédures avaient été enclenchées afin qu'elle intégrât un nouveau milieu
familial. Elle se culpabilisait et refusait toutes les familles d'accueil. Finalement, elle atterrit dans la
famille de l'un des administrateurs.
Un soir, alors qu'elle rentrait à la maison, après une séance de théâtre, elle fit la rencontre d'une fille
qui parlait une langue qu'elle ne comprenait pas. Elle en était bouleversée. On l'informa qu'elle était
du pays d'Akim. Ce fut ainsi qu'elle se résolut, contre vents et marées, à y venir compléter le reste de
ses études primaires et secondaires.
Depuis dix- sept ans qu'elle a fini sa thèse de doctorat de 3e cycle à Montréal, elle a embrassé le
monde entier afin de trouver le prince charmant. Lasse, elle est revenue dans son pays de rêve, et,
en vieillissant, elle attendait celui qui devait se joindre à elle pour construire sa vie...
Les ténèbres tendres qui régnaient dans la salle ajoutaient un arôme exquis à leur propos. Le
compagnon de Funmi ne savait pas trop pourquoi ce récit lui plut, l'émécha et le grisa à la fois. II
['encouragea à se confesser davantage.
« C'est ainsi qu'un jour, je rencontrai Anselme au détour d'un grand carrefour. Il me regarda si
tendrement que je n'ai pu refuser de le suivre pour un verre, lorsque sa voiture me cogna. Ce fut un
repas galant. Il était aimable. Mieux, il s'était fait aimable. De rendez-vous en rendez-vous, je
commençais à m'attacher à lui. Nous passâmes plusieurs nuits ensemble. Mais j'évitais toujours qu'il
me déposât chez moi. Je n'aimais pas qu'on m'importuna dans mon intimité. Avant, je voulais être
convaincue qu'il était l’élu de mon cœur.
Anselme est député à la représentation nationale. Il est avocat de formation. Je ne te dirai pas son
patronyme de crainte que tu l’identifies. Toutes les nuits que nous avons passées ensemble, des
coups de fil ont interrompu nos ébats. Une nuit, alors qu'il me croyait dans les bras de Morphée, il se
leva de notre nid et se dirigea vers le salon de l'appartement qu'il avait loué pour la circonstance.
Cette nuit-là, je fis un effort surhumain pour me contenir.
- Oui, allô chérie... Moi, je t'entends très bien... Quoi... toi, tu ne m'entends pas ? Le réseau déconne,
Putain ! ... C'est bon maintenant ? Oui, déplace-toi un peu... ça va. Tu voulais me dire bonne nuit...
Merci. Oui, je suis toujours à Paris. Je reviens. Dans trois jours... Des cadeaux ? Tu sais que je suis
capable de te cueillir le soleil en pleine nuit... Je t'aime, chérie. Embrasse-moi les enfants... Dors bien.

J’avais cru avoir enfin trouvé l'élu de mon cœur. Je me rendormis mis sans mot dire. Ou plutôt je
feignis de dormir jusqu'à l’aurore où je prétextai une céphalée pour sortir.
Je me transformai en détective privée pour fouiller sa vie sentimentale et ce que je découvris était
innommable. Anselme avait trois familles distinctes ? Aucune des femmes ne Connaissait l’existence
des autres ! Et moi, devenir sa quatrième ? »
Elle respira profondément comme une prisonnière injustement incarcérée et libérée après un quart
de siècle pour bonne conduite. Elle passa sa main sur tout le corps de sen bel ami, repéra sa poitrine
et en fit un coussin pour sa tête.

« Je jetai, de notre relation, tout ce qui répondait par son nom : portables, robes, autres cadeaux et
surtout son amour. Je me défendis de le revoir. II entreprit, à son tour, des enquêtes et retrouvai ma
maison, sa maison : Anselme est le propriétaire de cet appartement. Je ne connaissais que l'huissier
chargé de prendre le loyer.
Il y a un mois, il me joignit sur mon 98. J'ai dû accepter son invitation, car il m'avait, sans faute, décrit
la maison : comment cacher sa nudité à la jarre ? Où que je déménage, il le saura. Il me confia alors
qu'il m'aimait et ne saurait vivre sans me voir.
Je lui répondis sans faillir : « J'ai peut-être l'air d'une femme de mœurs légères, mais je tiendrai la
promesse que je me suis faite : ne jamais détruire le foyer conjugal d'une autre femme, ne jamais
faire d'enfant à un homme déjà marié. Et puis, tu risques ta vie, en restant avec moi. Tu m'as fait
économie de mensonges. Tu aurais dû mentir sur toute la ligne. Me donner un faux nom, par
exemple. Vois-tu, même l’appartement que tu dis avoir loué pour nous, était ta propriété. »
Il supplia : « Comment puis-je avoir peur de mourir auprès de toi ? Tu es tout mon souffle... »
Il s'était lamenté, avait imploré mon pardon.
Puis, comme cela ne donna pas l'effet escompté, il avait changé de position : il m'insulta, parla de me
vitrioler, de me faire du mal, de me détruire comme un enfant curieux détruit son propre hochet. Il
me recommandait d'aller demander qui il est, d'aller surtout vers ses adversaires politiques qui se
font écueils sur sa route « Je les taille en pièces. Je les broie. J’ai toute la gamme de la sorcellerie.
Personne ne me traite ainsi. Tu vas voir. »
Deuils ce jour où je l'ai vu se métamorphoser, il multiplie les injures, les pressions, les harcèlements.
Je m'étais privée de me fâcher. Car mat colère est un vent plus violent que le typhon et plus
meurtrier que le tsunami.
On m’a dit, lorsque je cherchai à savoir son identité réelle, qu’Anselme investissait dans les boites de
conserve. II paraîtrait que son domaine de prédilection est la contrefaçon, le faux et l’usage de faux :
représentant rompu d'une multinationale, il aurait installé un réseau de vente de produits périmés.
Certains jeunes chômeurs sont recrutés pour changer les dates de péremption des articles. La police
sanitaire, saisie du dossier, a fait preuve de négligence au point que le seul employé qui a accepté de
témoigner contre son parton a trouvé mystérieusement la mort dans un accident du travail. Malgré
la mauvaise presse causée par cette catastrophe, Anselme, de concert avec certains journalistes, a,
sous le nez et à la barbe des associations de consommateurs, étouffé l'affaire. Ses magasins sont plus
fréquentés que jamais...
Il y a quatre jours, à peine étais-je rentrée qu'on me remit une lettre de rupture de contrat. Je ne
voulais pas quitter cette maison, non que je me sentisse dans une position inconfortable chez moi au
Nigeria, mais parce que les dernières consultations que j’avais faires, disaient que je vivais déjà avec
le prince charmant. Au début, j’avais pensé à Akim. Mais... je crois que je me suis trompée, le prince
charmant était bel et bien... ici avec moi … »

Elle le prévint, le visage sérieux, que tous ceux qui avaient eu des liaisons avec elle, n'étaient plus de
ce monde. Et elle n'enfantera point. Car, le jour où elle accouchera, elle mourra, à moins que l'enfant
fût de celui que l'esprit de la vipère, qu'elle incarnait aura accepté.

II avait ri. Toute cette histoire de mort et d'esprit ! Il lui avait garanti qu'il s'en sortirait sain et sauf. Et
que s'il devait rejoindre le ciel en passant par elle, il n'aurait rien connu d'aussi beau.
Elle prit une allumette, éclaira la salle de bain. Sept bougies bleues illuminaient la pièce et leurs
cours. La baignoire s'emplissait d'une énergie érotique. Ils sentirent tout leur être s'épanouir. Qui a
dit que l’obscurité augmente la charge excitative ?

Les deux corps se parcoururent.

La peau sur la peau.

Les lèvres sur les lèvres.

La langue sur la langue

Tendrement. Et lentement.

Lentement. Et tendrement.

Funmi l’invita chez elle, dans cette baignoire.

VI

Par moments, j'entendais des gémissements et des soupirs et des cris, des cris et des soupirs et des
gémissements. Tantôt elle psalmodiait des chants d'extase, tantôt elle me récitait des poèmes un
peu trop hermétiques, qu'elle avait écrits lors de ses insomnies amoureuses.

1- Je suis toujours seule dans la vie et dans mon salon.


L'air est épais, les nerfs, ô mon corps vert, mes doigts prennent froid. Le réveil, déposé le mois récent
sur la table de ma vie, fait trôner ses trois dolentes aiguilles vers sept heures, ainsi de délicieuses
amours qui attendent ou se déhanchent dans un sable chaud.
Mille et un moustiques, sans doute de bonne foi, viennent me tenir compagnie, une musique douce
sur leurs ailes, laquelle pourrait déflorer n'importe quel cactus. Il me plait de les mordre. Eux, ils ne
me mordent point : ils me prennent peut-être pour un des leurs ; qui sait s'ils se sont souvenus de
toi. II parait que tous les insectes du monde savent que, la nuit, je m'oublie en toi. Et que, même
depuis ma naissance, lorsque je semble loin de toi, tout mon liquide se multiplie en toi.
Mère, retourne vers ma mer, et demande-lui si, vraiment, lorsque je me baigne en roi, mes habits ne
sont pas de son sourire mouilles. Demande-lui pourquoi elle possède des cheveux couleur de lui, et
pourquoi il faut que je me mire à travers lui.

Or toute ma prière est... que cela dure aussi longtemps que durerons les larmes fraiches de Dieu
(préviens-moi quand la mer va cesser de respirer).
Un autre moustique descend, s'envole, redescend, se pose sur mon avant-bras, mon bras et
demande ma main en dansant fragile. Il ausculte mon corps comme le ferait la blouse d'un chirurgien
déçu par I ‘amour, en divise la tristesse tendre de mon cœur, et, pour me soulager, m'offre un
sourire éternel : sa piqûre loqueteuse me fait découvrir que le sommeil me serre toujours le cou tel
le parfum de mon amant, chaque nuit, me serre et m'étrangle merveilleusement.
Je voudrais me retrouver seule ô

Sans lui ou avec toi

Le long de ma mort et de ton Salon, ô.

2- de l'eau pure pour noircir le ciel et la face de tes absences replonge-moi dans les nuages de la
mort

toute la mort pour découvrir

un Pape noir

et te prier toute nue

mon seul péché est d'avoir

un cœur sale et franc

Comme l'amour
cloches fendent les cœurs du crotale et les morceaux de l'amour rampent

sur les lèvres mal maquillées du fruit de la passion se déguste la Nuit comme on déguste une pomme
dévêtue

Mer auprès de toi les vagues ont déposé une balance en peau douce d'octobre

L’autre partie de l'amour et de ma faiblesse

3- La nuit s'assit tranquille

Sur l'or bleu des roseaux ;

Mes jambes nues et mille

Dansèrent dans les eaux :

On eût cru que personne

Ne sut quand ni pourquoi

Ma hanche ronde et bonne,

Couleur d'ananas coi,

Glissa entre les murs


Ras et les anges purs,

Ainsi que la pluie glisse

Chaque soir sur le sol

Innocent de ton col.

Ah, Nuit ! Ô ma Délice.

VII
Je fus réveillé par Logozo, l'un des membres du groupe Ardiess, l'un des artistes du mouvement
conscient bip-bop de chez moi, ceux-là qui savent se révolter dans leur propre langue. R-Man, c’était la
sonnerie de mon portable. Le lit était en désordre comme les cheveux envoûtants de Funmi, mes
nouvelles amours, qui venait de se lever. Je trouvai difficilement le téléphone cellulaire.

« Oui, allô... Segun à l'appareil. Oui... À qui ai-je l’honneur ? Allô... oui Segun lui-même... Me
souhaiter bon anniversaire. Merci, mais qui êtes-vous ? »
Je me souvins qu'en effet, je venais d'égrener un an de plus. Comment pouvais-je oublier ?
Avec une bouteille de champagne dans une main et son portable dans T'autre, Funmi entra dans la
chambre en fredonnant l’autre chanson de happy birthday. Elle couvrit mon front de joie et de longévité
et de baisers.
- Trop d'ombres étaient en moi, commença-t-elle en yoruba. Je cherchais des réponses que seule ta
date de naissance pouvait me donner. J'ai dû fouiller dans ta poche et vérifier. Tu as, jour pour jour,
vingt et un ans. Et moi, jour pour jour, le double. Tu es incontestablement mon homme. Ça fait trois
jours que nous nous sommes enfermés l'un dans l'autre. C'est la première fois que cela arrive sans
danger.
Elle se jeta sur moi. Me dévora les oreilles, le nez, les lèvres. Elle aggrava les blessures bénignes que
ses griffes de lionne avaient imprimées à ma peau. Nous nous sommes aimés, encore une fois.
Tout à coup, je m'extirpai de la couverture. Je pensai à ma mère. A mon père. M’accorderaient-ils
leur bénédiction ? Et mes frères, que diraient-ils ? Et mon oncle, le prêtre, pourrait-il célébrer un
pareil mariage ? Mes amis, ne me traiteront-ils pas de gigolo ? Trois jours, était-ce suffisant pour
s'aimer et se marier ? L’aimais-je réellement ? Ou étais-je séduit par sa fortune ? Pourrais-je
l'accepter si elle ne possédait pas des comptes en banque ?
Les questions tonnaient dans ma tête, persistantes, confuses au point que je perdis la maitrise de
moi-même.
Je me jetai par terre comme un lâche ou comme un cupide. Puis me relevai, courageux et décidé à
éprouver le regard des hypocrites.
Je voulus rentrer chez mes parents annoncer la bonne nouvelle.
Hésitai.
Revins sur mes pas. « Ils ne seraient pas à la maison à pareil moment », me dis-je.
Je pris la télécommande, tombai sur une chaîne quelconque : une bande annonce défilait « ... puté
Anselme AKPATA vient de s'éteindre, dans sa salle de bain, des suites d'une électrocution ... »
Je rejoignis le lit pour informer mon Amour. Elle était, depuis peu, inerte et froide.

Vous aimerez peut-être aussi