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Au Bord de l’Inde

P O RT RA IT S D ’ O BJ E T S ,
D’ICÔNES
ET D E C ÉL ÉB RI T ÉS
Denis C. Meyer et Anuradha Waglé

Illustrations : Capt. Atindra J. Katkar


 Objects, Icons and celebrities

 What is a cultural object?

 Cultural grammar

 Pan-Indianness

 Portraits, sketches

 Two authors

 At India’s edge
5 moods

1. Glorify | Glorifier

2. Believe | Croire

3. Fight | Combattre

4. Admire | Admirer

5. Enjoy | Savourer

Atindra J. Katkar
1. Glorify
A. Bachchan
Bollywood
Living Gods
Dynasty
Ganges
Gold
R. Tagore
Rajnikanth
S.R Khan
Monkees
La visualisation collective du récit de la nation et de ses fragments
particuliers s’est construite essentiellement là, sur des milliers de
kilomètres de pellicule, sur des affiches peintes à la main, en de
multiples langues, dans différentes régions, au cours d’un
siècle entier, contribuant massivement à l’émergence d’une identité
panindienne : la mythologie d’abord, les aventures vénérées qui se
matérialisent dans la lumière, les dieux et les héros qui parlent les
Bollywood livres et les légendes, incarnés par des acteurs dont certains se
recyclent en politique sans même quitter leurs défroques divines. La
modernité ensuite, l’Inde d’avant et d’après l’Indépendance, ses
questions et ses partitions. Dans les années cinquante et soixante,
les images de Guru Dutt scrutaient de près le va-et-vient des
émotions sur les visages, Satyayit Ray examinait le bavardage des
esprits avec une lenteur fluviale.
Rajnikanth dispose toujours d’une réponse, quelle qu’elle soit : une
cascade, un règlement de comptes, un trait d’autodérision, un geste
d’autorité absolue soulignée par un index rageur. L’invention collective
s’est emparée de cette hyperpuissance en fabriquant des « Rajini
jokes », des blagues qui circulent par textos, se collectionnent sur les
blogs, sont recensées par les journaux : Rajnikanth peut diviser par
zéro ; il a compté deux fois jusqu’à l’infini ; il peut jouer du violon avec
Rajnikanth un piano ; il ne porte pas de montre parce que c’est lui qui décide de
l’heure qu’il est ; il s’est déjà fait servir des idlis chez Mc Do ; il ne paye
pas d’impôts, c’est le gouvernement qui lui en verse ; c’est lui qui a tué
la mer Morte ; il est capable de liquider quinze gangsters avec une
grenade avant même qu’elle n’explose ; dans une course, il arrive
premier et la lumière arrive juste derrière. Enfin, si Rajnikanth avait pu
naître une centaine d’années plus tôt, ce sont les Britanniques qui
auraient eu à combattre pour gagner leur indépendance de l’Inde.
2. Believe
Classifieds
Tree
Crow
Threads
Families
Gurus
Evil eye
Cow
Trinity
Turban
Pour évoquer l’Inde par ses bruits et ses sons, il faudrait citer pêle-
mêle le ruissellement du sitar et de la vina, le roulement des tablas,
les chants classiques du sud, la voix de tête des doublures de films, la
rumeur du trafic, les coups de klaxon et sans aucun doute le
croassement des corbeaux. Les NRI exilés dans des pays où ce sont
les pépiements des moineaux ou le roucoulement des pigeons qui
font l’ambiance sonore songent avec nostalgie aux cris rauques des
Corbeaux corbeaux qui accompagnent le marcheur dans les allées ombragées
du pays natal.

Pour nommer cet oiseau noir si proche des humains, les langues de
l’Inde ont toutes recours au son « ka » qui simule son appel éraillé,
monocorde et répétitif, qui s’accélère quand l’excitation monte. Il est
possible que les corbeaux soient nos ancêtres, sous leurs plumes
lustrées un peu raides qui bleuissent au soleil. Les femmes et les
enfants connaissent quelques rimes qui attirent leur attention ; un
premier arrive, défiant mais curieux, puis un deuxième et un
troisième se posent avec de lourds claquements d’ailes.
3. Fight
Arundhati Roy
Baby girls
Corruption
Cricket
English
Latrines
Mahatma
Phoolan Devi
Water well
Acronyms
Dérangeant dans l’Inde du Raj, insolite dans l’Inde contemporaine, le
Mahatma continue de tester le degré de tolérance du monde aux cures
radicales que propose la spiritualité gandhienne pour faire face aux
problèmes et créer les conditions d’une société harmonieuse. La
génération des pacifistes anticonsuméristes des années 1960 avait
embrassé ces principes pour un temps, mais l’austérité, la parcimonie
préconisées par le Mahatma entrent en collision directe avec la société
Mahatma hédoniste et mercantile qui triomphe aujourd’hui. S’agissant du système
des castes, que Gandhi jugeait inhérent à tout groupe humain mais qu’il
critiquait à cause de sa nature clivante, on peut voir qu’il continue d’être
négativement opératoire au cœur de la société indienne actuelle. Enfin,
s’agissant de cet esprit de tolérance que voulait le Mahatma, la
coexistence de toutes les religions dans la sérénité, rien n’est encore
advenu, la violence, le sectarisme n’ont pas disparu. L’humanité, semble
nous dire l’histoire de Gandhi, cultive des idées bien au-dessus de ses
moyens.
Le puits est source de vie et de joie parce qu’il porte en lui
une eau perpétuelle qui clapote doucement au fond de son
gouffre. Tout l’environnement dépend de lui, les maisons, les
familles, les animaux, les cultures. Mais la scène typique
autour du puits du village où bavardent les porteuses d’eau
en saris flamboyants ne vaut guère que pour l’ethnographie
Puits
pittoresque. Le puits signifie souvent pour les femmes le long
chemin qu’il faut chaque jour parcourir à travers la lande
ensoleillée pour remplir une jarre qu’elles rapporteront à la
maison. Parfois aussi, le puits profère une parole de deuil.
Les voix des familles orphelines qui se penchent sur son bord
résonnent pour longtemps dans cet abîme vertical.
4. Admire
Ambassador
Autorickshaw
Drone
Forehead
Jugaad
Kolam
Hand
Navel
Sari
Taj Mahal
Emportés par le torrent, roulant comme des billes incontrôlées, des
petits insectes bulbeux jaunes et noirs, verts et jaunes, pétaradent et
vrombissent par milliers, négocient des passages millimétrés parmi
les pare-chocs, sur le flanc des paquebots. Lancés à 50 km à l’heure
par un moteur aussi éraillé qu’un sèche-cheveux, les autorickshaws
vaquent chaque jour à leur occupation particulière : transporter une
famille entière lorsqu’il n’y a de place que pour trois personnes sur la
Autorickshaw banquette arrière, emporter des classes d’écolières qui s’engouffrent
sous la capote en riant, ou encore déplacer des couples de touristes
dont le sourire sidéré n’a pas encore enregistré le prix de la course.
Emblème de l’Inde vendu en miniature plastique dans les aérogares,
l’autorickshaw réunit sous sa modeste coquille un chapelet de
complaintes qui font de lui un commode bouc émissaire : il
personnifie l’égoïsme et l’incivisme autoroutier ; il enfle
démesurément ses tarifs en comptant sur la lassitude des usagers
durant les négociations ; il ne rend jamais la monnaie ; il crache ses
feuilles de bétel en conduisant ; il contribue sans vergogne à la
pollution atmosphérique.
Le sari qui enveloppe les Indiennes depuis plus de deux mille
ans est un marqueur puissant du sous-continent, l’un des
premiers télescopages visuels du visiteur, saisi par l’opulence
de son éventail chromatique, de ses tons scandaleusement
provocants – rose sucré, orange rutilant, jaune citron, vert
perroquet. Partout, des silhouettes ajoutent des moments de
Sari lumière et de couleur aux murs des villes, aux rues des
villages, à travers l’espace des champs et les aires de
poussière, dans la pénombre des temples. Pour que le sari ait
atteint une telle pérennité, il lui aura fallu prescrire depuis
toujours l’allure des femmes, en souligner la présence. Le
sari façonne autour du corps une tresse qui l’enroule dans
toute sa hauteur de plis et de drapés, autant pour célébrer sa
grâce que pour défendre son empire.
5. Enjoy
Bangalore
Chai
Confiseurs
Coffee House
Dabbawallahs
Ear cleaner
Delhi Belly
Rose & jasmine 
S. Kapoor
Vegetarianism
Les musiciens et les artistes apportent à la rue leur touche
personnelle, moins commerciale : on croise des chants de
louanges portés par le souffle coloré de l’harmonium, le
roulement sec des tablas, la clarinette pungi des charmeurs
de serpents. Sur les mains et les pieds des femmes, les
tatoueurs tracent au henné les canevas des mehndi en
Déboucheur volutes végétales, soleils épanouis, plumes de paon. Mais
d'oreilles l’artisan des rues le plus insolite de tous aborde les passants
avec pour seul équipement quelques tiges de métal calées
sous son béret. C’est le déboucheur d'oreilles, il restitue à
ceux qui sont assez téméraires pour s’en remettre à lui le
bonheur d’entendre clairement. En quelques gestes et contre
une dizaine de roupies, il extrait du fond de votre canal
auditif la boule de cérumen qui vous séparait du monde.

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