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Serena Lazorko

Serena Lazorko
L'errance est un outil de recherche pour habiter le trouble. Téléportez-
vous aux confins des langues, des genres et des corps ! Ces dérives
successives vous amèneront à connaîtres les stratégies, techniques et
autres astuces de résistance d'une chienne folle pour survivre dans un
monde hostile.
Les science-fiction d'Ursula K. Le Guin et d'Octavia Butler, le design
graphique militantE post-binaire, la céramique envisagé à travers un
spectre queer ou encore la traduction comme travail féministe sont
quelques-unes des pratiques qu'elle renifle dans cette ouvrage. l en
résulte une épistémologie des sentiers multipliant les pistes de réflexion
et reflétant les histoires et postures d'artistes, designers, danseuses et

dzwina       kurwa
chiennes folles dans leur lutte pour habiter un monde complexe.

Straying through byways like a dog serves as a research tool to


follow the scent of troubled zones, tracking along the edges of
languages, genders and bodies! Successive meanderings explore
the strategies, techniques and other means of resistance a mad

kurwa
dog/bitch needs to survive in a hostile environment.
Some of the responses studied include Ursula K. Le Guin's and
Octavia Butler's science fiction, activist non-binary graphic
designs and vocabularies, queer ceramics and the way
translation can become a feminist tool. The result is an
epistemology of pathways and multiple lines of thought that
reflect the life stories and views of artists, designers, dancers

and mad bitches in their struggle to exist in a world full of
complexities.
Serena Lazorko

dziwna 
kurwa
Tu dois te demander pourquoi
je suis devenu aussi fol.
Alpheratz, Moi, super-méchanx, 2018

pour les bitchs tempêtes,


les fées désastres,
les chiennes ravageuses,
& les folles prophétiques
Les textes qui vont suivre vous proposent de suivre les dérives sinueuses d’une meute de

chiennes folles qui rencontreront une poètesse habitée par le scandale


page six
de l’écriture, u artiste-
page treizs
militant-enseignantE et designer graphique insistant sur l’importance de l’illisibilité, une
page vingt-quatre
théoricienne depage quarante-huit
la danse traversée d’invisibles et une sculptrice qui écoute les histoires des
page soixante-quatre
insectes. La chienne traductrice s'interroge sur les frontières que pose le langage dans la
page dix-huit
géographie, elle a trouvé sur son passage des fantômes questionnant la présence de ses corps
page trente-cinq
en ligne ainsi qu’une lettre lui permettant de penser les généalogies comme une pratique de

détricotage et d’assemblage. La chienne de rue nous raconte sa pratique


page cinquante-cinq linguistique de la ville,
page trente
tandis que la chienne d’appartement nous parle de son plaisir à décortiquer les mouvements
page quarante-deux
depuis sa couche multimédia. La chienne utopiste joue avec la terre et la chienne noctambule
page soixante

s’amuse a nous parler de son cul. La chienne médiumnique


page soixante-dix nous fait part des voix qu’elle
page soixante-quatorze
entend dans sa tête quand elle est perchée.

5
Des
Des femmes
courent
femmes qui qui roi de
courentavec avecles
lesloups
loups
disent
disent lesles avoir
avoir vues
vues chiennes
traverser
traverser lala vallée vallée divagation inductive écrite par
telles
telles des des étoiles
étoiles
filantes.
filantes. Elles Elles sese une meute
rendaient
rendaient dans dans un
désert
désert aux aux roses
un
roses
de chimères
phosphorescentes.
phosphorescentes. Les Les
femmes
femmes qui qui courent
courent
avec
avec les
les loups
loups disent
disent
que
que les
les chiennes
chiennesfolles
folles
6

étaient
étaient àà lala recherche
recherche
u NE meute informe songe dans les replis de son lit,
recroquevillée sur elle-même. C’est une boîte de jour,
une fabrique de chimères, une forêt
peuplée de fantômes.

Pour réaliser la traversée l lui faut inventer un itinéraire par


lequel articuler la rage en paroles et en actes, parce que sinon trop

M. Mayer, Roi de rats, Dellefeld, 1895, Palatinat / Musées de Strasbourg / M. Bertola.


Consulté sur : <https://www.musees.strasbourg.eu/oeuvre-musee-zoologique/-/entity/id/
de cris restent imperceptibles, et ne parviennent pas
jusqu’à leur corps.

Des chiennes folles vêtues de fleurs et de bijoux en toc. Elles se


définissent dans la lutte pour formuler leurs hallucinations.

Depuis la piscine de leur conscience, une harde de fleurs


électrisées se frottent à des champignons bienfaiteurs. Les images
cannibales s’infiltrent depuis le plafond, car le château fuit.

Dans ces ruines elles n’ont pas trouvé de satisfaction romantique


propice à la contemplation. Trop de courants d’air, rien à refaire
avec les vieilles pierres. Elle s’assemblent alors en reine de rats,
elles mutent en roi de chiennes1, faisant circuler par télépathie via
leur queues les bribes de fantasmes qui les habitent. Elles sont
traversées par des restes de manie, qui leur rappellent les ruines
du château qu’elles ont fui.
317891> (15/09/22)

Elles ne peuvent tirer hors des mondes dans lesquels elles ont été
projetées un problème identifié. Aucune problématique qui puisse
tenir en une question. Aucun conflit2,3 qui puisse circonscrire

1 La formule roi de chiennes est inspirée du phénomène zoologique du roi de rats,


étrange union d'animaux par leurs queues dont on ne sait si elle a été inventée par
l'humain•e ou si elle est d'origine animale.
2 voir p. 9 l'extrait tiré de Ursula K. Le Guin, Conduire sa barque, Paris, Antigone14,
2019, p.172-173.
3 voir p. 11 Sarah Schulman, Le conflit n'est pas une aggression, Paris, B42, 2021, p.54.

7
une recherche formulée en androlecte4. Les chiennes s’en
tiennent à leurs contours faits de faux poils, de mots enroués, de
fêtes pleines d’espérances. Leurs queues virevoltantes tantôt
sorties viennent fouetter l’air avec intensité, tantôt rentrées se
collent à leurs abdomens faisant pousser leurs ailes au dehors.
Leur beauté est fulgurante, monstrueuse si zoomée, papillons de
lumière aux visages macroscopiques terrifiants.

Le champ de leurs auras n’a pas de couleur particulière, elles


oscillent comme celles des bagues d’émotion qui devinent par
magie les pensées de leur porteuses. Elles se construisent depuis

www.youtube.com/watch?v=w6f5qv6W2T4> (15/09/22)
l’inframince5. Alors la meute traîne dans les lisières, mémorisant

LE PETIT BLEU, La folie avec Paolée - LE PETIT


les parcours par précaution, pour mieux guider l’errance vers

BLEU #3, Paris, 29:52. Consulté sur : <https://


d'autres systèmes. Elle ne laisse pas de traces, ou peu.
Elle a besoin d’une chambre, d’un matelas depuis lequel laisser
sortir les chimères. Elles sacrifient quelques coeurs, des nuits
détruites d’insomnies, pour tendre une traduction entre un cadre
fragile dessiné dans l’air. C’est une peau de tambour qui bat la
mesure de leur intuition.

Ses gueules n’ont pour se présenter que la fatigue et les


surcouches de maquillage. Des femmes qui courent avec les loups
disent les avoir vues traverser la vallée telles des étoiles filantes.
Elles se rendaient dans un désert aux roses phosphorescentes.

4 voir page 12. Susanne de Lotbinière-Harwood, Re-belle et infidèle / The Body


Bilingual : La traduction comme pratique de réécriture au féminin, Montréal / Toronto,
remue-ménage / Women’s Press, 1991
Michèle Causse, L’Interloquée. Les oubliées de l’oubli. Dé/générée, Laval, Trois, 1991, p.14.
citées dans Émilie Notéris, Sur les bouts de la langue. Traduire en féministe/s, Lille, La
Contre Allée 2021, chapitre 7.
5 L’inframince relève de l’imperceptible pourtant perçu, il entre en rapport avec
l’infiniment petit et la nuance. dans Camille Zéhenne, De l’inframince, brève histoire de
l’imperceptible, de Marcel Duchamp à nos jours. Disponible sur : <https://www.cairn.info/
revue-communication-et-langages1-2011-4-page-124.htm (16/09/2022).

8
À bien lire les manue
ls d’écriture férus de
n’est d’histoire qui modernisme, il
vaille qui ne soit co

Ursula K. Le Guin
réductrice est le refl nflit. Cette vision
et d’une culture am
la primauté à l’agres biante qui donne
sivité et à la compé
temps qu’elle cult tition, en même
ive son inintérêt
modèles comportem pour les autres
entaux possibles. [...]
Il n’est pas indisp
ensable de disposer
rigide d’une intrigue de la structure
pour raconter une hi
focalisation est néce stoire, mais une
ssaire. De quoi s’ag
Eh bien c’est cette fo it-il ? Ou de qui ?
calisation qui veut qu
l’histoire d’évènem ’il ne soit dans
ent, de personna
d’action, qui ne fass ge, de propos,
e référence et ramèn
ou in fine, à un un e, dès l’origine
ique point de conv
être, ou pas, une sim ergence, ce peut
ple et unique chose,
idée. On peut ne ou personne, ou
pas savoir le défini
quelque chose de co r. S’il s’agit de
mplexe, il est bien po
sache l’exprimer pa ssible qu’on ne
r des mots autrem
totalité des mots de ent que par la
l’histoire. Mais il es
Et une histoire a to t bien là.
ut autant besoin de
Walsh appelle une tr ce que Jill Paton
ajectoire pas nécess
ou un synopsis à su airement un plan
ivre, mais un mouve
forme d’un mouve ment à suivre : la
ment, qui peut
circulaire itératif ou être rectiligne,
excentrique, mais
jamais, dont jam qui ne cesse
ais aucune séquen
totalement ou dura ce ne s’écarte
blement, et auquel
contribue d’une man chaque séquence
ière ou d’une autre.
10
Tweet de cléa ciel via la story de croptymelimelo, Je veux regarder des films avec des meufs trans, France, 2022.
Consulté sur instagram (12/09/22)

Alie Express, Bague d'humeur magique en acier


inoxydable, 1 pièce, change de couleur, bijoux de
Couple pour femmes et hommes, #280844, Chine/
France, 2022. Consulté sur : <https://
dérivent sans diagnostic, en quête de représentations.

fr.aliexpress.com/item/32920682815.html?
_randl_currency=EUR&_randl_shipto=FR&src=g
oogle> (15/09/22)
Les femmes qui courent avec les loups disent que les chiennes
folles étaient à la recherche de moyens d’énonciations. En ronde
tressée, éclairées d’écrans les transformant en statue de sels, elles
La négociation est un processus,
d’abord de reconnais-
sance, puis d’ajustement à la nouve
lle information pro-

Sarah Schulman
duite par cette reconnaissance. Ac
cepter la réciprocité de
la responsabilité est un principe
qui permet la transfor-
mation progressive d’une situation
sans en passer par la
désignation d’un bouc émissaire,
puisque la figure du
bouc émissaire émerge au gré de
fausses accusations qui
laissent croire qu’une personne ou
un groupe est unilaté-
ralement responsable d’erreurs en
réalité commises par
un plus grand nombre. Dans ces con
ditions, que veut dire
Catherine Hodes quand elle rev
ient sur cette idée qui
nous semble profondément si jus
te et qui a nécessité,
pour certain.es d’entre nous, des ann
ées de travail afin de
la mettre en pratique ?
Ce qui ne va pas avec cette concep
tion, explique Hodes,
ce n’est pas l’idée d’une responsabil
ité mutuelle mais plu-
tôt l’usage du terme « agression
», car si la relation est
empreinte de réciprocité, alors il
ne peut s’agir d’une
agression, qui implique par essen
ce la domination d’une
personne sur une autre.
« La différence entre un conflit et
une agression s’illustre
par la différence entre une lutte
de pouvoir et le fait
d’avoir du pouvoir sur quelqu’un.
» Le conflit peut s’assi-
miler à une lutte de pouvoir, tandis
qu’une agression ou
une maltraitance passe nécessai
rement par un phéno-
mène de domination unilatérale.
Elles disent que les femmes, puisq
u’elles sont habituées à
se mettre à la place des autres et à
passer au second plan,
peuvent incarner des auteurs dans
la traduction et copro-
duire un texte juste. Elles disen
t que les femmes sont
toutes, au minimum, bilingues : ell
es parlent leur langue
et elles parlent l’androlecte, le lan
gage de l’homme, que
Michèle Causse définit comme
l’expression d’une
conscience-expérience sexuée au
masculin, imposée aux
deux sexes et fondée sur l’assimila
tion/exclusion d’un su-
jet sexué au féminin. Elles disen
t que les femmes sont
toutes traductrices, que lorsqu
’elles s’adressent aux
hommes, elles sont forcées de tra
duire ce qu’elles ont à
dire en androlecte, parce qu’eux ne
comprennent que ce

Susanne de Lotbinière-Harwood x Michèle Causse x Émilie Notéris


langage, même lorsqu’ils savent
plein de langues. Elles
disent que les hommes sont souven
t trop fainéants pour
faire la double journée de travail
de traduction et qu’en
traduisant la langue d’une autrice,
ils traduisent aussi son
langage en androlecte sans même
s’en rendre compte.
Elles disent que les femmes en
tre elles peuvent ap-
prendre à parler autrement,
trouver leur langage,
construire leur grammaire. Elles
disent que les traduc-
trices fabriquent ce langage et cha
ngent le monde.
Cet
Cetéclatement
être
éclatementililpeutpeut aux déchets de
être concret.
concret. IlIl peut
peut
par
par exemple
exemple sese laisser
laisser toute
voir
voirpar
parlalaprésence
certains
présencedede métamorphose
certains mots mots qui qui
produisent
produisent un un certain
certain
transcription d'un entretien
de l'émission « Poésie Ininterrompue »
réalisé par Jean Daive avec
plaisir.
plaisir. DesDes mots mots
comme
comme étreinte.
mots
étreinte. DesDes Anne-Marie
mots comme
comme chant.chant.
Des
Des mots mots commecomme Albiach
sonate,
sonate,comme
commeliquide.
liquide.
Disons
Disons qu’il
qu’il yy aa une
une
13

partie
partie dudu vocabulaire
vocabulaire
6Jean Daive : Vous écrivez dans temps un discours qui est donné sous
Etats « car s’il est un thème qu’il forme de mise en scène, peut-être.
soit dit ». De théâtre. Je pense qu’il y a une
Est-ce que vous pourriez dire le ou intrusion de personnages qui donne
les thèmes d’Etats ? un aspect concret à un texte qui en
apparence resterait abstrait. Mais je
Anne-Marie Albiach : En fait quand pense que les personnages sont
je dis « car s’il est un thème qu’il nécessaires puisqu’ils incarnent les
soit dit » cela sous entend « il n’y voix ou les voix les incarnent.
a aucun thème » et pourtant j’en
avance un, ou plusieurs. J’en avance […]
plutôt plusieurs, qui se construisent
ou se détruisent les uns par rapport Enfin on peut voir le déroulement du
aux autres. Maintenant pour préciser discours comme une mise en jeu.
ces thèmes je crois que c’est assez Mais une mise en jeu où se joue
difficile. Finalement on pourrait tout vraiment la respiration de son propre
ramener, à la préoccupation du corps à travers l’écriture.
langage en soi, vu à travers le désir.
À partir du moment où le corps prend
La fonction de la page est primordiale. lieu sur la page, il respire pour soi,
En fait elle est un support concret, de mais en fait il est aussi défait de soi.
par sa limite, sa compacité. Elle est un Pas tellement pour l’autre mais pour
peu comme une page musicale. C’est les autres. Même si les autres c’est
un peu comme si elle comportait des réduit à deux ou trois. Deux ou trois
portées sur lesquelles s’inscriraient personnages. En fait il y a peut-être
des notes. un corps sacrifié dans l’écriture. Mais
sacrifié en vue d’une réapparition.
Je vois la page comme la matière du C’est à dire qu’il passerait sans cesse
discours. Je pense que les discours à travers une chute, une descente,
engendrent une scène ou l’inverse. une mise en abîme. Il perdrait son
Cette scène c’est l’orchestration qui souffle, dans la césure, et se
revient sans cesse, qui est organisée retrouverait dans une sorte
par les pronoms, par les italiques, par d’éclatement.
les mises entre guillemets, par les
rejets des mots, par les blancs. Tout Cet éclatement il peut être concret. Il
6 Anne-Marie Albiach, Entretien avec Jean Daive (France Culture, 1978). Disponible cela constitue le discours et en même peut par exemple se laisser voir par la
sur <https://www.youtube.com/watch?v=FASIpFSXgL8> (05/06/2022). présence de certains mots qui

14
produisent un certain plaisir. Des mots C’est à dire à cette incompréhension
comme étreinte. Des mots comme que j’avais de toutes les évidences qui

Puisqu’il y avait
chant. Des mots comme sonate, sont mystères. Aux déchets aussi qui
comme liquide. Disons qu’il y a une restaient, de toute métamorphose.
partie du vocabulaire qui est un éclat. Puisqu’il y avait métamorphose quand

métamorphose
Et le mot éclat est lui-même employé. le corps passait à l’écriture et se
Car il y a toujours la propre réfraction retrouvait restitué sur la page et dans
de l’éclatement aussi. Je pense que la mise en scène dont on parlait.
c’est une écriture au carré, enfin, si Dans la deuxième partie qui s’intitule

quand le corps
on peut dire. État, j’ai essayé justement de dépasser
la déperdition et d’atteindre peut être
Il me semble qu’après chaque négation un certain éblouissement alternatif.

passait à l’écriture et
ou retrait, que ce soit dans le discours, En fait État est peut-être une lecture.
dans la ponctuation ou dans le On peut dire que c’est à la fois une
vocabulaire – après chaque retrait épopée du désir, dans une lecture
surgit une ouverture. C’est à dire qu’il multiple. Il y a une sorte d’absorption

se retrouvait restitué
y aurait une négation de la perte de fictionnelle. Et là intervient la fiction.
soi dans la chute. Bien que cette Il y a dans cette lecture une fiction. Il
chute soit nécessaire pour trouver le y a un déportement de mes lectures

sur la page .
souffle de l’écriture. qui donne une écriture fictionnelle.
Mais la lecture demeure en
[…] contrepoint, enfin, disons qu’elle est
en référence et en abyme.
La fiction commencerait justement
dans cette phrase que vous citiez Jean Daive : C’est à dire que pour
« car s’il est un thème qu’il soit vous écrire en fait c’est chercher en
dit ». La fiction c’est aussi, l’emploi quelque sorte des équivalences ?
par exemple des mots comme «
attribut ». C’est à dire un Anne-Marie Albiach : C’est à la fois
déportement grammatical accompli sur chercher des équivalences et essayer
le corps en vue de le métamorphoser. d’en créer d’autres. A partir de de ces
Mais dans une déperdition équivalences là. Il est quand même
perpétuelle. Dans la première partie urgent de créer d’autres équivalences.
d’État7 qui s’intitulait Nimes, en fait Et peut-être d’échapper à l’analogie si
je pensais sans cesse à l’entropie. on peut.

7 Anne-Marie Albiach, État, Paris, Mercure de France, 1971.

15
peut-être l’asphyxie, et l’impossibilité une mise en question, il est devenu Anne-Marie Albiach : L’italique
d’écrire. Si un texte devenait immobile l’écriture même. Il fait partie de intervient ici pour détruire le mot.
[…]
dans la mémoire, je crois qu’un autre l’écriture même. Tout autant que la C’est à dire pour lui enlever sa
texte ne pourrait pas suivre. Enfin, lettre, que l’alphabet. Il n’est pas signification première et permettre de
Je prends le vocabulaire dans certains
j’ai cette impression. évident non plus. Il n’est pas posé multiples significations. Avec l’italique
livres et il devient mien. J’ai pu
comme évident. C’est quand même un il est impossible de prononcer vraiment
prendre attributs, nombres, déchets.
En fait l’écriture fait violence au point d’interrogation. Rien n’est le mot, il devient imprononçable. On le
Puis il y a un autre vocabulaire qui est
corps. Et le corps s’en défend, c’est acquis. Le texte n’est pas donné. Il y a prononce quand même parce qu’on ne
mien, que je partage avec d’autres qui
ainsi que je peux la ressentir. Et peut une disposition chorale. Mais cette peut pas faire autrement. Mais en fait
est liquide, étreinte. Voix je pense que
être que les nombres sont les gardes- disposition je pense que je la fais il devient visuel, on peut le prononcer
ça m’est plus personnelle. C’est peut
fous. En même temps peut être qu’ils d’après un rythme corporel tel que je mentalement, mais je ne vois pas
être une obsession mais pour parler
sont les symboles d’une certaine le ressens. Par exemple, la nécessité comment on peut prononcer une
très naïvement, au fur et à mesure
alchimie, et que je connais mal. Ce de mon rythme de lecture, ou de italique qui commence un mot. Donc
que l’écriture s’élabore, dans sa
serait une ponctuation parallèle en pensée ou de respiration. La nécessité ce mot devient imprononçable. Ce qui
recherche, il semblerait qu’il y ait une
surimpression. La vrai ponctuation est de sentir la page respirer. Peut être fait penser aussi à la notion d’échec
sorte de musique, que moi je transcris
travaillée d’après justement le passage presque à la limite, vibrer, comme une dans l’écriture. D’échec toujours
par « voix » et qui serait dans la
des blancs. Comme si les blancs peinture. possible. Pour épopée c’est toujours
mémoire, purement mémorielle. C’est à
traversant le texte, la ponctuation est un peu la même chose. Disons que
dire que le texte que je mets sur la
déterminée par certains blancs et les Jean Daive : Est-ce que la fiction l’État serait une épopée.
page je voudrais qu’il puisse être aussi
détermine. Une virgule placée avant affleure différement dans les blocs de
le reflet d’un chant. C H A N T. Pas
un mot, par exemple, met ce mot en prose ? Jean Daive : Il y a deux mots qui
d’un champ à défricher. Les deux
suspens. On ne peut pas prononcer ce reviennent assez souvent dans vos
peut-être, mais enfin d’un chant. Il
mot d’un seul trait. Il faut tenir compte Anne-Marie Albiach : Ils derniers textes. C’est le mot
rebrasse tout ce qu’il y a de violence -
de la virgule. Donc la ponctuation, le m’asphyxient un peu. Disons qu’ils ne personnage et le mot référence. Est-
j’utilise assez souvent ce mot. Dans le
blanc et le souffle sont reliés. Et la sont peut être pas assez travaillés. À ce qu’ils posent le problème de
corps à corps de celui qui écrit avec la
ponctuation implique ses propres part quelque uns peut être. Ce sont l’identité?
page. Et aussi, les désirs multiples qui
nombres. des tentatives. Tout n’est que
occupent la mémoire, sans cesse. Sous
tentative, les autres aussi sont des Anne-Marie Albiach : Oui. Disons le
forme de souvenirs de lectures
Le blanc n’est pas un miroir. Il ne tentatives. L’échec est toujours la problème d’une identité qui ne
transformées, des projections dans le
renvoit pas. Il a sa propre opacité. Ou question. Si on peut parler d’échec tiendrait pas compte de la relation de
futur, d’assimilations du présent. En
alors on peut dire qu’il renvoie à un sans sous entendre le mot réussite cause à effets. D’une identité hors du
fait ce chant engloberait une certaine
discours second ou ternaire. Le blanc évidemment. Mais échec opposé à discours logique. Mais peut-être c’est
notion du temps, pas coupé du passé.
renvoie au corps de façon initiale. plénitude, peut être. le problème d’une identité multiple,
Simplement le passé ne cesse de se
Mais une fois qu’il est inscrit sur la toujours double. D’où les
métamorphoser, ne peut pas être fixe.
page, il renvoie au discours, et au Jean Daive : Parlez nous un peu personnages, qui reviennent sans
Et cette voix en serait la modulation.
discours du corps. En fait le blanc d’Italique, double d’État et d’Épopée. cesse. Les personnages sont des
Si le passé devenait fixe ce serait
m’est très naturel. Il n’est pas pour moi simulacres de l’identité. C’est à dire

16
qu’ils sont désirés et en même temps vocabulaire, dans les italiques, dans
perçus comme un peu effrayants. les fausses citations, dans la recherche

Le problème d’une
Porteurs d’une certaine destruction et d’une identité mais qui serait double.
d’une certaine élaboration. C’est Dans le refus de la logique. Enfin je
elleux qui prennent la parole. Et qui la ne sais pas très bien. Je ne suis pas

identité multiple,
prennent à celli qui écrit. Pour la tout à fait consciente de ce que mes
donner à celli qui lit, peut-être. Ou textes peuvent comporter de
la reprendre à celli qui lit. Or celli scandale. Ou même si il en comportent
qui écrit est toujours en train de lire. ça je ne sais pas. Mais même si ils

toujours double.
n’en comportent pas je crois qu’il y a
Donc l y a ce rapport en spirale de dans le désir d’écriture cette notion à
celli qui écrit à ce qui est écrit. En dépasser.

D’où les
fait ce qui essaye de se dégager c’est
un certain sens du risque. Et peut-
être la conscience du scandale de
toute écriture. Pas tellement de son

personnages, qui
absurdité mais de son scandale. Ce
qui n’est pas nouveau non plus, parce
que je crois que tout poèsse est

reviennent sans
porteur justement de cette conscience
du scandale, ou tout écrivain. Je crois
que ce scandale peut passer par
l’italique oui. Disons que c’est une

cesse. Les
tentative d’écriture, mais je ne sais
pas si elle est scandaleuse. Je ne sais
pas si par là on atteint une certaine

personnages sont
transgression.

l y a tentative de transgression du
mot. Je ne sais pas si elle est atteinte.

des simulacres de Pour ça il faudrait considérer le livre


en entier. Cela dépend du lectaire
finalement. Pour certains lectaires

l’identité .
c’est scandaleux. Pour d’autres non,
peut être. Je crois qu’en fait ce
scandale est permanent. Il est dans la
ponctuation, il est dans le choix du

17 17
Dans
Dans cet cet humus
phénoménologique,
humus frontières
phénoménologique, lele
trouble
trouble sese mêlemêle àà frémissantes
l’humidité,
l’humidité, tandis
tandis que
que récit d'une rencontre dans le jardin de

les
les catégories
catégories
disciplinaires
disciplinaires sese Mémoire des
dissolvent. Elles
dissolvent.
transmutent
transmutent
Elles
enen
Sexualités
épiphanies
épiphanies
fluorescentes,
fluorescentes,
iridescentes
iridescentes etet
flamboyantes…
flamboyantes… Mon Mon
18

attention
attention sombre
sombre vers
vers
E suis assise dans le jardin de Mémoire des Sexualités, situé

j en plein coeur de Marseille. Je n’avais pas encore eu


l’occasion de fourrer mes pattes dans ce lieu d’archives
atypiques, situé dans un appartement privé que l’on traverse
pour se rendre sur une terrasse, dont les plates bandes sont
parsemées d’herbes vivaces et médicinales. Une configuration qui
tient de l’irréel tant ce genre d’espace semble inespéré dans une
ville à l’apogée de sa gentrification. Une petite bulle de lutte aux
allures schlagues qui extirpe précieusement hors de l’oubli des
années de tracts, petites annonces, revues, magazines et
ouvrages en tout genre. Des documents qui témoignent
d’identités ne se conformant pas à une matrice cisgenre et
hétérosexuelle. Je sors mes griffes de leurs coussinets, gratte la
terre du jardin et me lèche la patte pour goûter sa saveur. Je veux
laisser un trace olfactive de cet endroit dans mon inconscient.

H. Alix Mourrier Sanyas, artiste et designer graphique, a été


invit par le centre à présenter son travail au cours de la soirée.
Ses dessins vectoriels réinteprétant l’illustration médicale
traditionnelle défilent sur l'écran de son ordinateur tandis que les
brochures qu’l a éditées en collaboration avec l’association
Outrans migrent de main en main. Ce geste primaire de passation
qui officie entre les corps fait divaguer mon esprit. Il me rappelle
que les informations voyagent telles des phéromones par-delà les
enveloppes charnelles et se greffent comme des lichens sur les
grands murs de vérités inébranlables. Ces cloisons qui font tenir
les mythologies totalitaires ressentent sur leur épiderme ce
chatouillement microbien et s’effondrent en un ronronnement
tragique, propice à un compostage fictionnel. Dans cet humus
phénoménologique, le trouble se mêle à l’humidité, tandis que les
catégories disciplinaires se dissolvent. Elles transmutent en
épiphanies fluorescentes, iridescentes et flamboyantes… Mon
attention sombre vers ces abysses saturées de magma spéculatif.

19
Des volutes de textures 3D hélicoïdales s’entremêlent au sein de

Choix de 232 affiches, Mémoire des sexualités. Consulté sur : <https://www.memoire-sexualites.org/


mon cortex préfrontal. Arrimæ à l’abdomen d’une fourmi princière,
je virevolte entre des failles spatio-temporelles jusqu’à atterrir au
beau milieu d’un nectar d’hortensia. Alors que je me shoote avec
ce liquide suave, un papillon vient se poser sur le bout de ma
queue duveteuse et interrompt ma rêverie harawayenne.

H. Alix présente la collective ByeByeBinary, une réunion de


personnalités agissant dans le domaine du graphisme et de la
typographie, autant élèves qu’enseignan·s. La collective se
présente comme « une expérimentation pédagogique, une
communauté, un atelier de création typo·graphique variable, un
réseau, une alliance »8. De nouveaux glyphes sont générés aux
cours de workshops qui viennent hacker la pratique quotidienne
du langage. Au travers de ces interstices institutionnels, la
constellation ByeByeBinary (BBB) à géométrie variable
s’infiltre par contamination dans une langue binaire. Un venin
rhizomatique suppure des ligatures typographiques inédites.
Celles-ci joignent des voyelles n’ayant auparavant jamais pu

choix-de-232-affiches/> (21/09/22)
s’étreindre, symbioses offrant une technologie d’énonciation à des
corps trans ne pouvant se dire dans le cadre d’une langue de 20
l’exclusion. Car ce que le terme inclusif opacifie souvent, c’est la
fonction excluante de la langue de référence. Cette langue
française qui a oeuvré historiquement à une éradication des
différences, dont la conséquence est un
appauvrissement linguistique9.

8 Bye Bye Binary, Bye Bye Binary. Disponible sur : <http://genderfluid.space/


index.html> (02/12/2021).
9 « Appauvrissement qui opère depuis le XVIIe siècle à travers une masculinisation de
la langue, dont un exemple est la suppression de l’accord de proximité, qui permet
d’accorder en genre avec le terme le plus rapproché. Celui-ci contrecarre la règle de
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières. »
grammaire performative voulant que « le masculin l’emporte sur le féminin. »
— Racine, Athalie, 1691 in Éliane Viennot, Pour un langage non sexiste ! Disponible sur :
« Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières,
<http://www.elianeviennot.fr/Langue-proxi.html> (02/12/21).

20
Le travail de BBB s’inscrit en continuité et en adelphité10 avec
les œuvres de Monique Wittig et d’Audre Lorde, ainsi que de
celles d’Alpheratz, universitaire et artiste ayant théorisé une
grammaire du français inclusif11. Dans ce sillage, l'ACADAM
(dont le nom figure un pied-de-nez aux mâles blancs de
l'Académie) propose un glossaire de suffixes neutres, délimitant
un espace d'expérimentation alternatif dans la langue. U
présiden genderfluid peut se dire présidol, u poēte·sse se
définir comme poètek, tandis qu'u ouvriē peut témoigner de sa
condition d'ouvriol. Mon pelage frémit à l'approche du vent du
soir, tandis que ces terminaisons fantasques et étranges infusent
dans ma chair. Elles me rappellent celles des différents idiomes de
l'occitan, tous rattachés à une aire géographique très vaste aux
frontières complexes, s'étendant des Alpes aux Pyrénées entre la
France, la Suisse, l'Italie, l'Espagne et le Portugal. Ces langues,
bien que semblables en bien des points, comportent chacune des
originalités graphiques et phonétiques qui les distinguent les unes
des autres. Ainsi le mot fête est traduit par fèsta en languedocien,
hèsta en gascon et festa en limousin.

Ces spécificités idiomatiques sont signifiées géographiquement


les unes par rapport aux autres par des frontières linguistiques
appelées isoglosses. Celles-ci tracent des lignes imaginaires
divisant des territoires entre lesquels la langue mute par des
variations stylistiques. Mais par-delà ces isoglosses, les
intercompréhensions restent possibles, et ce malgré un occasionel
déplacement d'accent tonique, palatalisation ou autre
amuïssemment d'un mot, créant différentes variables de celui-ci.
Le sens d'une phrase survient tout de même, compris grâce à une

10 Adelphité, neutre de sororité et fraternité.


11 Alpheratz, Grammaire du français inclusif, Vent Solars, 2018.

21
logique de similitude et de comparaison. Un proverbe dit que :

cada vilatge a son usatge,


cada maison a sa faiçon,
Choix de 232 affiches, Mémoire des sexualités. Consulté sur : <https://www.memoire-sexualites.org/choix-

donc que
chaque village a son usage,
chaque maison a sa façon.
Comme la grammaire non-binaire inventée par BBB, les
isoglosses occitanes dessinent des frontières fluides que les
pratiques quotidiennes pollinisent. Elles ne figent pas les usages
dans des règles. Ces frontières sont flottantes car elles se
déplacent en fonction de la situation d'énonciation de
l'observat. Elles sont poreuses car elles permettent aux mots
de voyager ; au contraire des frontières binaires du français, qui
scindent la langue et divisent les corps. Plus que des lignes
d'exclusion, les isoglosses permettent de penser des politiques de
l'articulation et de l'ondoyance, agissant par pollinisation13,12 au
travers des frontières du langage.
La soirée se clôt par la projection du film Herman@s14, faisant un
portrait de Cuco, « hacker genderfucker transbird, queer
13 « Que la contamination ait lieu par le sol, par irrigation souterraine, ou par les airs,
par pollinisation, elle s’opère. Insaisissable. Inarrêtable. » in Camille Circlude, La
de-232-affiches/> (21/09/22)

typographie comme technologie du post-binarisme politique. Disponible sur : <https://


typo-inclusive.net/la-typographie-comme-technologie-du-post-binarisme-politique/>
(02/12/2021).
12 « Nous cultivons aussi ce champ, y apportons outils, graines de savoir, oui mais
toujours utilisable par tous-tes du fait des licences libres sur les contenus (les fruits) et les
outils, et puis tout comme la pollinisation, les graines se dispersent et peut-être germent
ailleurs, par le web, la toile, parfois nous pouvons suivre leurs traces, parfois pas. » in
Laurence Rassel, Structures, réseaux, collectifs, ou de l’importance des histoires, QUAM,
Espagne, Fundacion Rodriguez, 2007.
14 H. Alix Mourrier Sanyas, Herman@s (Les Adelphes), France : Agence du court-
métrage, 2021, 28min.

22
activist & performer né à Mexico en 2011»15. Cet oiseau
encagoulé peint sur un mur :

SOY CUERPO Y PALABRAS,


je suis chair et mot.
Ma fourrure me gratte, mon attention est entamée. J'ai hâte de
quitter ma forme humaine pour retrouver mes adelphes félinls sur
les toîts de la ville. Le souvenir du kaliarda me revient, langage
secret d'autodéfense parlé par les queers d'avant notre ère LGBT
mainstream. En créant ses propres codes par la construction
ludique de néologismes, la communauté des putes et des péds
incarcérs en Grèce avait tourné à son avantage la faculté
excluante d'une langue. Pour s'échanger de précieuses
informations devant clients, flics ou autre potentiel agresseu.
Comme le stigma est retourné dans l'insulte que l'on se
réapproprie, la langue grecque était à son tour renversée, mise
sens dessus-dessous, pour exclure les normies de la conversation.
Le kaliarda aussi était un langage nomade qui se répandait dans
tout le bassin méditerrannéen. Le documentaire Kaliarda16 retrace
le fil des lieux interlopes dans lequel cette langue a circulée entre
maisons de passe, bars, cabarets, prisons ou jardins connu des
cruisers et des clients. Assise dans la rue du premier club gay
d'Athènes, la réalisatrice témoigne de l'extinction de cette langue
subversive avec l'arrivée du XXIe siècle, à l'heure de la
normalisation des luttes LGBT. J'erre de toîts en toîts, tantôt chat
tantôt chienne, j'ausculte la rumeur de la ville, je laisse s'échapper
le couchant et me trouve une cachette parmi les astres.

15 Disponible sur : <https://www.instagram.com/cuco_cuca/> (02/12/2021).


16 Paola Revenioti, Kaliarda, Grèce : Pavlina Drakou, 2015, 58min.

23
C’est
C’estcecequi
quime
dede soutenir
mepermet
permet spectres
soutenir ma ma
pratique
pratique artistique
artistique etet choisis
aussi
aussi mama pratique
pratique dede entretien avec

graphiste,
graphiste, que que jeje
positionne
positionneuniquement
uniquement H. Alix
dans
dansles
lesespaces
espacesetetles
milieux
milieux
les
qui
qui
Mourrier
m’intéressent.
m’intéressent. Sanyas
C’est-à-dire
C’est-à-dire que
que jeje nene
partage
partage cet cet outil
outil
qu’avec
qu’avec les les milieux
milieux
24

féministes,
féministes, lesles amix,
amix,
La chienne folle : Gagnes-tu ta vie Ça me permet d’être proche et en lien
avec ta pratique artistique ? avec ce que je fais.

H. Alix Mourrier Sanyas : Non. Je pense aussi que c’est une place de
Qu’est-ce qu’on entend après par pouvoir importante, d’être une
pratique artistique ? Souvent quand je personne queer dans ces endroits de
parle de ma pratique, j'en parle au formations. J’ai la sensation que
pluriel. Mes pratiques se construisent (pouvoir) enseigner, c’est toujours
principalement autour de deux depuis son point de vue. Nos
médiums, l’art visuel - où je devrais subjectivités sont [méga]-actives
me qualifier plutôt comme artiste - et dans ces espaces de transmission et
le design graphique - où je me de pédagogie. Par rapport à ce choix,
qualifierai plutôt comme graphiste. Et c’est ma pratique alimentaire
il y a un troisième point, que je ne d’enseignantE qui me permet de
perds jamais de vue, qui est le remettre de l’argent dans mes autres
collectif, sous la forme souvent du pratiques. Je ne dirais pas que je
militantisme. Elles s’articulent donc gagne ma vie avec celles-ci, c’est un
dans cette triangulation. Je ne gagne peu plus complexe que ça, mais je
ni ma vie en tant que designer m’en sors.
graphique, ni ma vie en tant
qu’artiste visue. La chienne folle : Penses-tu que l’art
est sacré ?
J’ai un travail alimentaire qui est
cependant très proche de ces deux H. Alix Mourrier Sanyas : Tu m’as
pôles parce que j’enseigne le design déjà dit ce que tu entendais un peu
graphique et plus particulièrement les avec le terme sacré ; malgré ça, il y a
pratiques éditoriales. C’est ce qui me quelque chose en moi quand tu me
permet de soutenir ma pratique poses cette question qui se dresse et
artistique et aussi ma pratique de qui a envie de te dire que « Non, l’art
graphiste, que je positionne n’est pas sacré ». Peut-être parce
uniquement dans les espaces et les que je ne veux pas l’investir comme
milieux qui m’intéressent. quelque chose de « vertical » où il
C’est-à-dire que je ne partage cet y aurait des formes de hiérarchie, et
outil qu’avec les milieux féministes, aussi comme si l'art était transcendant
les ami, les endroits que je considère ou immanent. Peut-être que je
comme éthiques et nécessaires. C’est réponds par la négative, parce que
assez lié au fait d’être enseignantE. pour moi l’art est une pratique de

25
l’engagement. Je l’articule plutôt postures du coup. Quand j’étais aux
autour de la question de la justice Beaux-Arts je parlais beaucoup de
sociale. Donc c’est difficile, ce mot de chapelles pour définir les différents

Le design
« sacré ». En même temps, c’est ateliers tenus par les « ches
peut-être rapide. Peut-être que plutôt d’ateliers ». Peut être qu’on revient
que sacré, on pourrait parler de sur la question du sacré…?

graphique est
formes de magies ? C’est magique au
sens où c’est actif, où ça peut La chienne folle : En quoi considères-
transformer le réel. C’est magique tu que tes pratiques sont radicales ?
parce que ça peut faire communauté.

originellement au
H. Alix Mourrier Sanyas : Je ne sais
Et puis il y a art et art. Il y a des pas si je suis radica. J’ai plutôt
pratiques, des postures, des attitudes l’impression dans ma vie d’essayer de

service du pouvoir
qui ne m’intéressent pas, parce réduire mes paradoxes. Je pense
qu’elles ne (me) provoquent qu’être radica demanderai de couper
aucune émotion. drastiquement avec la société. La
radicalité pour moi est du côté de

et de la norme ; il
La chienne folle : Est-ce que cela te l’anarchisme, de la refonte complète
provoque du dédain ? du système et en attendant sa chute,
d’une exclusion de tout ce qui

régularise,
H. Alix Mourrier Sanyas : Une sorte provient de lui. Je ne suis pas sû que
de dédain, mais je pense plutôt parce quand tu acceptes de l’argent public,
qu'il s'agit de pratiques ou de postures par exemple, tu sois vraiment radica.
classistes. Parce que l’art Radica, c’est un mot important et

homogénéise,
contemporain, ça peut être le grand fort. Je suis peut-être plus u
capital. C’est comme parler de manière wokiste qu’u radicaliste (rires). Pour
générale de « politique » ou les autres en tout cas, [à leur yeux].

standardise.
de « féminisme »… En fait si je J’essaye de composer avec mon désir
faisais part des TERF17 on ne d’inscription, de reconnaissance, avec
serait pas copis. L’art n’y échappe ma situation et avec les institutions.
pas non plus, il y a des mouvements, Nous, [les artistes LGBTQIA], est-
des branches, des courants. Et des ce qu’on peut totalement se décentrer

17 « Initiales de « Trans exclusionary radical feminist » forgé par la cisféministe radicale


Viv Smythe en 2008. [...] Militante féministe qui exclut les femmes trans des luttes pour
les droits des femmes ou des espaces féminins » in TERF, Wiktionnaire. Disponible sur :
<https://fr.wiktionary.org/wiki/TERF>. (13/10/22)

26
de ces milieux ? Ce que je ressens demander de définir le terme de
c’est que je ne peux rien faire d’autre. spectre, reviendrait surement à tomber
Je n’ai aucune envie d’habiter le dans des réponses superficielles. Mais
monde autrement. Une école d’art je crois aux langages du corps, je crois
c'était potentiellement le seul endroit à des formes de télépathie, à des

Serena Lazorko, Queer Umbrella, Dziwna kurwa,


où je pouvais être. Tout à l’heure formes de fusion avec d'autres corps.
quand je te parlais de l’enseignement
et de cette question du pouvoir, c’est La chienne folle : Au final le
peut-être parce que c’est un des seuls graphisme est une sorte de technique
endroits où tu peux être plus proche magique. Je pensais à une suture
de toi-même, de tes convictions et de graphique pour le terme queer ou à un
ce que tu souhaites partager. Le parapluie graphique pour ce mot, pour
monde fait violence et j’ai l’impression évoquer à la fois l’histoire des luttes
que c’était la seule place où je pouvais des personnes noires dans lesquelles il

Limoges, 2022.
espérer trouver quelque chose. s’inscrit et aussi sa mainstreamisation,
Choisir les arts appliqués puis les de manière à consolider des alliances,
Beaux-Arts, était très intuitif, même entre différentes communautés.
si je ne savais pas du tout ce que
j’allais y trouver ou faire. H. Alix Mourrier Sanyas : Sur le fait
J’ai été déç à plein d’égards et en que le graphisme puisse fédérer, j’ai
même temps cela nous permet de envie de dire que le graphisme peut
construire des vies vivables. Malgré séparer, singulariser même et que c'est

Serena Lazorko, Queer Cicatrice, Dziwna kurwa,


les difficultés, nous tentons de important. Le design graphique est
fabriquer des vies singulières, qui originellement au service du pouvoir
réussissent ou essayent d’échapper à et de la norme ; il régularise,
la reconduction d’un certain nombre homogénéise, standardise… c'est un
de principes et de normes. outil qui sert une « majorité »
supposée ; un étalon qui correspond
La chienne folle : Comment est-ce que plutôt aux personnes privilégiées
tu définirais le terme spectre ? ayant tendance à valoriser leur
expérience comme véritable. Mais
H. Alix Mourrier Sanyas : Tu parlais avec sa démocratisation, dû à

Limoges, 2022.
d’être posséd ; j’ai l’impression que plusieurs facteurs, il a aussi glissé
parfois il y a effectivement des choses dans des usages dissidents et
qui nous habitent. Il y a des choses subversifs. Je pense aux
qui sont magiques, inexplicables. Que précurseureuses des mouvements
je ne cherche pas à expliquer. Me LGBTQIA, qui ont pris le graphisme

27
comme une arme puissante dans les rentrer dans un rapport à l'illisibilité, à
luttes, et ce dès les années 70 jusqu'à la résistance et qui fait écho à la
la lutte contre le VIH/sida. Act Up et théorie queer et à sa nécessité de se
la production d'images associées rendre irrécupérable. Alors le design

Accepter de rentrer
depuis la fin des années 80 est une graphique est pour moi, comme les
association emblématique de ce point savoirs, toujours situé, et doit
de vue. composer avec son désir de fédérer et

dans un rapport à
Je pense qu'aujourd'hui, nous de singulariser à la fois.
cherchons à développer des langages
plus conscients d'eux-mêmes, c'est à La chienne folle : Comment penses-tu
dire déconstruits et donc, plus que les fantômes influencent les

l'illisibilité, à la
inclusifs. Le travail que nous menons artistes ?
avec la collective Bye Bye Binary, de
créations de glyphes inclusis H. Alix Mourrier Sanyas : Peut-être

résistance qui fait


appartient effectivement à la volonté que j’aurais dû penser à Paul B.
de débinariser le français, une langue Preciado dans son introduction d’Un
polarisée uniquement sur le masculin appartement sur Uranus18 avant. Il
et le féminin (même si le pronom l parle des rêves et du fait qu’ils sont

écho à la théorie
vient d'entrer dans un dictionnaire, il des vies parallèles qui sont tout autant
n'est pas reconnu par l'Académie réelles que le réel.
française…). Nous tendons donc à Qu’il n’y a pas à considérer que ce

queer et à sa
fabriquer un langage plus fluide du que l’ont vit dans un rêve est moins
point de vue du genre. Mais plus vrai que ce que l’on vit dans le réel.
inclusif ne rime pas toujours avec all- Sa théorie provient elle-même d’un
inclusive. Nos recherches de glyphes

nécessité de se
rêve où il raconte à son amie,
sont parfois taxées d'illisibles et donc (l'artiste) Dominique Gonzalez-
de non-inclusives pour les personnes Foerster, qu’il possède un
dys* (argument principalement appartement sur chacune des

rendre
avancé par des personnes non- planètes du système solaire, mais qu’il
concernées par ailleurs). compte définitivement s’installer sur
Uranus. Les rêves sont des formes de

irrécupérable.
À mon sens, il faut bien sûr fabriquer fantasmes, où tout ce qui est
des typographies non-binaires et impossible est possible, ils font
lisibles, mais il faut aussi accepter de exploser nos limites corporelles et

18 Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus, Paris, Grasset, 2019.

28
mentales. Comme Paul, j'y fais des travail ? La question pourrait aussi Les procédés, les techniques ou les en bref, de l'aveuglement éblouissant.
rencontres importantes et signifiantes. être mise au pluriel ; prends-tu en choix sont tous au service du sens ;
Tu peux te confronter à des désirs compte les travaux invisibles le design graphique est un travail Est-ce que tu as une question bonus?
enfouis, des peurs profondes. Ce sont dans tes travaux ? conceptuel où il faut maîtriser l'histoire
des manifestations, qui parfois des signes. Cette manière de penser et La chienne folle : Quel est ton
donnent lieu à des prises de décision. H. Alix Mourrier Sanyas : Le de produire est éloignée de la façon Pokémon préféré ?
Ce sont des continuums après le bénévolat ou le militantisme sont dont je pense et fabrique mes pièces
sommeil dans la veille. Les spectres constitués d’une part immense de en céramique. La place pour H. Alix Mourrier Sanyas : Smogogo
sont peut-être ses vivans qui nous travail invisible. Le graphisme aussi l'expérimentation, le ratage et le (bombe repoussante (oxymore)).
visitent en rêve. Je pense que nous c’est une manière de se mettre au mystère est plus grande ; je m'autorise Fumisterie, piratage, mutations &
sommes constitus, traversées par service et de ne pas se rendre visible. des zones d'ombres, et surtout à gémellité.
d’autres, vivans et mors. Ma Avec le militantisme et le graphisme, rentrer dans la temporalité de la terre.
pensée est construite sur un ensemble j’ai appris à devenir invisible. Je sais que ce qui m'intéresse
de chercheureuses plus ou moins particulièrement dans le travail de la
universitaires, de poétes, de La chienne folle : C’est un pouvoir en terre, c'est sa plasticité, son
militans… Je suis redevable pour fait. Un super-pouvoir ? organicité, sa capacité de
toujours à ces personnes de ce que je transformation d'état en état : mouillée,
pense, et du coup de ce que je suis. H. Alix Mourrier Sanyas : Un super- sèche, friable. Puis, grâce au feu,
En ce moment, je lis Stone Butch pouvoir que tu as d’office quand tu es d'atteindre un point d'arrêt mais
Blues19 de Leslie Feinberg et je assignée meuf à la naissance. On te d'offrir sa surface aux glaçages ; à la
pensais que cette personne était donne le pouvoir d’invisibilité parure, à l'ornementation et donc au
encore vivante ; j’ai découvert qu’elle tous les jours ! camp, un concept passionnant, parce
était morte en 2014. J’étais sous le que lui aussi irrécupérable. Les
choc de l’apprendre ; je pensais que Pour parler plus sérieusement, le céramiques ont quelque chose à voir
l’on appartenait encore au même militantisme, les collectifs et les avec le goût et le dégoût, les notions
monde, à la même temporalité. Peut- groupes, enseignent l’humilité et le fait de beau et de laid ; ce sont des objets à
être que mes fantômes c’est plutôt de se mettre en retrait. Je dis souvent la lisière du moche, au bord de la
cela. Les mors et les vivans qui à mes étudianxes qu'être graphiste désuétude. C'est ce qui me les rend si
nous rendent visites dans nos rêves, c’est être traduct. Au sens où attirans. J'aime aussi le fait que la
par la pensée, et dans la vie. Des notre travail consiste à traduire céramique dicte sa temporalité ; c'est
fantômes et des spectres choiss. formellement la demande, mais sans une pratique du soin, de l'attention, de
rendre compte de ce procédé. Ou la mise en lien avec une matière qui
La chienne folle : Prends-tu en plutôt en le rendant évident grâce à impose un rythme, et qui sans cela,
compte le travail invisible dans ton un concept encellulé dans la forme. nous menace de s'effondrer. C'est
profondément une pratique de la
surprise, de la sortie (du four)
19 Leslie Feinberg, Stone Butch Blues, Hystériques & AssociéEs, 2019. magistrale mais toujours décalée ;

29
Affublée
Affublée de de ma ma la chienne
queue
queue etet de de
mon
mon lipstick,
lipstick,
épicène
j’inspecte
j’inspecte mon mon errance linguistique en pensant avec

visage
visage dans
dans lele
miroir.
miroir. Mes
Mes Itziar Ziga
poils
poils fous
fous
s’hérissent
s’hérissent de
de Noémie
et

plaisir,
plaisir, jeje me me
dandine
dandine avec
avec
Grünenwald
enthousiasme
enthousiasme en en
pensant
pensant àà ma ma
30

sortie.
sortie. Quelques
Quelques
a FFUBLÉE de ma queue et de mon lipstick,
j’inspecte mon visage dans le miroir. Mes poils fous
s’hérissent de plaisir, je me dandine avec
enthousiasme en pensant à ma sortie. Quelques
couleurs suffisent à me rendre chienne, quelques couleurs font de
moi un objet de discussion pour les TERF, quelques couleurs me
transforment en une paire de couille fardée sur pattes
s’autoproclamant femme. Tandis que je chausse mes bottes de cuir
compensées, je me demande qui a l’honneur de faire partie de ma
meute. Auprès de quels flancs irais-je vider des litrons de nectar
dans les poussières festives, avec quels sangs ma transpiration se
liera-t-elle au sein d’un dancefloor obscur, et quelles âmes
délicatement féroces me partageront leurs récits tragiques,
comiques ou nostalgiques dans l’intimité de leur cuisine ou les
tréfonds d’un fumoir ? Ce client qui désire que je le frappe et
l’insulte de sous-merde, de raclure et de chienne, n’en fait
définitivement pas partie, bien qu’il retire sa jouissance de
l’utilisation de ce terme, et moi quelques billets en cash.
Les mots d’Itziar Ziga parviennent jusqu’à mes truffes alertes :

dans ma communauté de chiennes


et autres bestioles s’entremêlent les
butchs, les pédés, les trans, les
hétéras insoumises et les garçons
qui ne veulent pas être machos.20
Une jouissance subtile s’empare de moi comme une épiphanie
alors que je dévale la cage d’escalier. Les chiennes forment des
meutes polymorphes de traîtresses au régime patriarcal que la

20 Itziar Ziga, Devenir chienne, Paris, Cambourakis, 2020, p. 80.

31
frontière binaire et genrée d’assignation ne parvient pas à séparer.
Le terme chienne, insulte au caractère moral convoquant la
sexualité féminine, déjoue la rigidité de la binarité lorsque le
retournement du stigma agit.

La chienne, qu’elle soit seule ou en meute, n’a pas besoin de se


référer à ses génitaux pour se genrer. C’est la rudesse du
contraste avec son environnement qui la définit. C’est la longueur
de sa jupe et de ses talons, la criardise de son make up, la
trashitude de son style ou la véhémence de ses propos qui sont le
dénominateur commun de son espèce. La chienne est donc un

Serena Lazorko, Masque à talons 1, Dziwna kurwa, Limoges, 2022.


terme épicène, c’est à dire qu’il peut désigner aussi bien des
sujets masculins que féminins, et tout ce qui existe entre les deux.
Cependant comme le fait remarquer Noémie Grünenwald, on se
doit de différencier les faux épicènes des vrais.
Ce phénomène est celui du genre « non marqué » par lequel
des termes masculins glissent vers le neutre universel jusqu’à
invisibiliser leurs équivalents féminins.

des noms comme « philosophe »,


« peintre » ou « libraire »,
aujourd’hui utilisés comme épicènes,
sont en réalité des masculins qui ont
progressivement évincé leur
équivalent féminin.21
Les philosophesses, peintresses et libraresses ne sont plus de

21 Émilie Notéris, Sur les bouts de la langue Traduire en féministe/s, Lille, La Contre
Allée, 2021, p. 108.

32
notre monde, à la suite de manœuvres masculinistes qui les ont
portées en ridicules et amoindries jusqu’à ce que ces
termes disparaissent.

Pourtant si le phénomène agit comme celui d’un genre non


marqué pour les épicènes dérivant du masculin, je remarque que la
chienne épicène serait plus susceptible d’appartenir à la catégorie
d’un genre marqué. Si les chiennes à queues, à couilles ou à
plumes se font tabasser lorsqu’elles portent des vêtements
féminisants, c’est bien à cause de la panique de genre que
provoquent leur travestissement les arrachant à la norme. La

Serena Lazorko, Masque à talons 2, Dziwna kurwa, Limoges, 2022.


performance de genre a un prix, celle de passer du royaume des
spectres à celui des êtres luminescents.

Mes talons claquent le sol de ce bruit caractéristique enchantant


les rues de la ville d’une rumeur perçante et guillerette. Alors que
je suis arrêtée à un coin de rue et que j’engloutis une frite, un
homme pointe ses doigts en croix vers moi. « ksss-ksss,
Bélzébuth » fait-il en me regardant droit dans les yeux d’un air
goguenard. Je lui dis d’aller se faire foutre et il part en rigolant, fier
de sa blague minable. Ma pote est choquée, tandis qu’un sourire
amère se pose sur ma gueule. J’ai l’habitude de ce genre de
baltringues. Mais je ne peux pas dire non plus que j’apprécie
l’invisibilité tranquille de ma condition humaine lambda. Il n’y a
que quand je suis chienne que je suis alignée à mon être
cosmique et que je goûte à la joie d’apparaître. Être marquée dans
l’espace public me permet d’accéder aux privilèges et aux
malheurs de la survisibilisation. Parfois complimentée subtilement
par des bg pour mon plus grand plaisir, je suis aussi trop souvent
apostrophée de manière graveleuse. « Va te faire baiser ! »
Sale chienne, aurait-il du préciser. Insultes et railleries sont le prix
à payer pour être la plus belle du royaume XD.
J’irai pisser sur leurs tombes, avec quelques sœurs canines.

33
La chienne épicène fait irruption dans l’espace, elle se forme à
partir d’un phénomène de genre marqué par l’exagération de
style. Le genre de la chienne épicène est plus que visible ; il est
overdosé et ostentatoire - autant défini que les traits d’un eye liner
ou que celui d’un rouge à lèvres. Quelques grammes d’artifices
suffisent à faire émerger ma chienne intérieure. Elle me maquille à
grands traits en s’inspirant de tutos drag, en se jouant des
conventions et en défiant la mise en scène. Mes démons
sont de sortie.

Les chiennes sont aux abois, les peaux se matifient, les repères se

Serena Lazorko, Masque à talons 3, Dziwna kurwa, Limoges, 2022.


floutent et les couches se superposent les unes aux autres. La
binarité de genre touche à son point de fusion lorsque les meutes
se mettent en marche à travers les villes pour envahir leurs
périphéries névralgiques. Les contenus s’épuisent à travers leurs
parures-pelages, iel n’y reste que les signifiés résolument incarnés
dans leur ardeur d’affronter à nouveau un monde hostile.

La féminité imposteuse dont je parle


est une autre forme de résistance
anticapitaliste, en mode « Vous
n'allez pas niquer notre fête ».22

22 Itziar Ziga, Devenir chienne, Paris, Cambourakis, 2020, p. 86.

34
LeLe fantôme
fantôme dansdans le glitch
lala machine
machine
présuppose
présuppose que que
ghoste
lele corps
corps etet traduction du chapitre 4 de Glitch Feminism par

l’esprit
l’esprit étaient
étaient
d’une
d’une manière
manière ou ou Legacy Russel
d’une
d’une autre
autre
des
desentités
entités
séparées
séparées
fonctionnant
fonctionnant de de
manière
manière
autonome.
autonome.
35

Celleux
Celleux critiquant
critiquant
Imaginez être inutile.
Richard Siken, Seaside Improvisation (Improvisation en
bord de mer).
23 Par définition, « ghoster » signifie mettre fin à une
relation en interrompant toute communication, et
ensuite disparaître.

En tant que glitch féministes, nous voulons ghoster


le corps binaire.

Le genre est une économie échelonnée : c’est un mode de


régulation, de management et de contrôle. Il permet la réification
d’un processus, la division du travail, et l’échange de la valeur
sous l’ombrelle du capitalisme. Afin de ghoster le corps binaire,
pour l’abandonner comme une idée ratée, nous devons reculer
et regarder le monde comme un corps, un assemblage qui a été
construit. Le corps, comme le monde, est un outil en soi et
par lui-même.

Le ghostage du corps binaire est un triple processus :

Premièrement, il requiert que nous réalisions que la relation


entre l’idée du corps et du genre comme une construction en
est une dommageable que nous avons besoin de quitter.

Deuxièmement, il requiert que nous identifions que nous


avons l’agentivité soit d’approuver soit de refuser notre «
statut relationnel » actuel. Trop souvent nous oublions que
nous avons le droit de partir si nous le voulons. Nous avons
le droit de refuser notre utilisation et, par là, de refermer les
blessures créées par un monde nourri de
23 Chapitre 4, Legacy Russel, Glitch Feminism, UK/USA, Verso Books, 2020, la rhétorique binaire.
reproduit avec l'aimable autorisation de Legacy Russel.

36
Troisièmement, il requiert que nous clamions notre spectre Lyon identifie les « corps disparaissant » comme un
continuel de soi innombrables. Alors que nous échouons à nous « problème basique de la modernité » relevant le fait que
assimiler à l’intérieur d’une culture binaire, nous le faisons en l’augmentation de la surveillance est en corrélation directe avec
affirmant toutes les composantes de nous-mêmes – le masculin, « les problèmes croissants de la surveillance concrétisée
le féminin, et toutes les choses entre les deux – en faisant partie observant les corps visibles » . Ce n’est pas toujours restreint
d’un récit continu, plutôt qu’en existant à la manière de points au simple contrôle d’un soi physique mais cela provient aussi de
polaires. la traque des « traces personnelles »d comme lorsque nous
utilisons nos cartes bancaires, du grattage de nos données de
L’échelonnage de l’économie du genre figure parmi les plus voyage, ou du signal de nos téléphones. Le concept des corps
éminentes réflexions périphériques au « big data ». Par disparaissant de Lyon parle à la réalité d’un monde toujours plus
exemple, depuis 2003a, toutes les quarante huit heure en ligne, mis en réseau, où les interactions et les échanges en ligne sont
nous générons en tant que communauté globale, autant maintenant au moins aussi communs, si ce n’est plus, que les
d’informations qu’en ont été générées dans l’histoire écrite interactions physiques AFK24. Sur les Internets nous allons à
depuis le début de la civilisation. Ces données que nous la banque, nous payons nos frais de scolarité, nous parlons à
générons déclenchent des interrogations monumentales sur la nos copaines, nous lisons les informations et nous apprenons
surveillance de masse et comment l’information liée à nos soi sur le monde.
digitaux peut être utilisée pour traquer tous nos mouvements.
Notre historique de recherche Internet, nos comportements Avec ces modes variés d’engagement en ligne, nous laissons
sur les réseaux sociaux, et nos modes de communication en des traces de nous-même dispersées au travers du paysage
ligne – ce que le sociologue David Lyon appelle digital, vulnérables à la traque et commercialisées pour le
des « fragments factuels » – exposent nos pensées les profit. Cela nous présente un paradoxe sombrement moderne ;
plus intimes, anxiétés, plans, désirs, et desseinsb. La binarité alors que les corps disparaissent dans les interactions
de genre est une partie de cette mécanique : un corps lu en quotidiennes des internets, que nous aurions du assumer
ligne comme mâle/femelle, masculin/féminin remplit une comme intrinsèquement privées – nos corps physiques –
cible démographique pour la publicité et le marketing. Google sont confrontés au risque de devenir de plus en plus publics,
Ads explique gaiement à ses usager•es « Avec le ciblage et les fragments abstraits de nos soi connectés font des
démographique de Google Ads, vous pouvez atteindre une mouvements indépendants de ceux choisis par
sélection spécifique de consommateurs potentiels qui sont notre propre volonté.
susceptibles d’être dans une tranche d’âge, genre, statut
parental, ou revenu de ménage particuliers. Par exemple, si
vous gérez une studio de fitness exclusivement pour
femmes, le ciblage démographique peut vous aider à éviter
de montrer vos publicités aux hommes. »c 24 AFK siginifie Away From Keyboard, loin du clavier, et peut aussi se
traduire par « hors-ligne ».

37
Comment le ghostage du corps binaire nous aide-t-il à garder refuse la binarité est un corps qui se voit régulièrement rappeler
nos fragments factuels en sécurité alors que nous nous battons que, se tenant entre les deux, il est menacé de cesser d'exister du
pour maintenir nos corps abstraits, nos soi cosmiques? fait de son incapacité à être reconnu et catégorisé par
l y a un long héritage aux tentatives de séparer le corps en l'hégémonie normative du courant dominant.
parties autonomes. Quoiqu’l en soit, le glitch-féminisme
demande que nous le regardions d’une autre manière, à travers Qu'est-ce qu’un corps, par conséquent ? L'artiste et écrivain
la vision d’un autre fantôme – le fantôme dans la machine. La Rindon Johnson réfléchit à cette question dans son essai de
continuité entre soi en ligne et soi AFK problématise la 2019 intitulé « What's the point of having a body » (Quel est
proposition d’un dualisme digital. Avec ceci en tête, nous l'intérêt d'avoir un corps ? ) en demandant : « Quel est
pouvons approfondir notre compréhension du dualisme digital l'intérêt d'avoir un corps si je peux théoriquement en fabriquer
f
en faisant intervenir l’idée du « fantôme dans la machine », ou en intégrer tant d'autres ? » Johnson réfléchit au soi «
terme inventé en 1949 par le philosophe Gilbert Ryle. malléable » comme une forme de langage qui peut enseigner,
apprendre, signifier, coder. Johnson, lui-même poète, crée un
Le fantôme dans la machine présuppose que le corps et l’esprit lien entre la poésie et la réalité virtuelle, car la réalité virtuelle
étaient d’une manière ou d’une autre des entités séparées correspond à l'immersion expérimentale du corps en son sein :
fonctionnant de manière autonome. Celleux critiquant cette « Plus on est à l'intérieur de [la réalité virtuelle], plus on la
g
position ont souligné que le « fantôme » de nos esprits ne lit, plus il est facile d'y disparaître rapidement. »
devrait pas être distinct de la machine de nos soi physiques, Peut-être, alors, qu'en travaillant à ghoster le corps binaire,
alors que la boucle entre les deux est une composante cruciale nous travaillons aussi à nous dissoudre nous-mêmes, faisant
de ce qui nous rend humain•es – c'est ce qui nous donne la disparaître complètement les frontières qui délimitent là où
vie. L’artiste Cécile B. Evans « affirme que dans la société nous débutons et finissons, ainsi que les points où nous
d’aujourd’hui, où les drones sont utilisés pour la guerre et où touchons et entrons en contact avec le monde. En cela, peut-
les relations débutent en ligne, nous ne pouvons plus être que nos fragments factuels peuvent
e
distinguer entre le dénommé réel et le virtuel. » être brouillés, rendus illisibles.
Alors que le corps dans son contexte contemporain et les
machines qu’il engage deviennent de plus en plus difficile à Si l'existence au sein d'une culture hégémonique requiert
séparer, cela nous offre une opportunité de voir que la aujourd'hui la binarité du genre pour délimiter le soi et même
machine est un matériau à travers lequel nous développons pour être reconnu en tant qu’humain•e, alors cesser d'exister
notre expérience corporelle. Et, en tant que tels, les corps dans un cadre genré est-il le plus habile des actes de
qui naviguent dans l'espace digital sont aussi bien disparition ? En rejetant le genre binaire, pouvons-nous
informatiques que charnels. Pourtant, le mouvement de nos remettre en question la manière dont nos données sont
données dans une économie genrée n'est pas collectées et, à leur tour, la manière dont elles circulent ?
autodéterminé. Dans le monde d'aujourd'hui, un corps qui Pouvons-nous devenir inutiles, nous aussi ?

38
La question « Qu'est-ce qu'un corps ? » , qui croise notre binarité, nous mettons au défi la façon dont nous sommes
divagation sur la manière dont nous pourrions ghoster le corps valorisés dans une société capitaliste qui attèle notre genre au
binaire, se présente comme une question de devenir. Par le travail que nous accomplissons. Lorsque nous rejetons la binarité,
devenir, nous nous métamorphosons, nous nous intensifions, nous revendiquons l’inutilité en tant qu'outil stratégique. Inutiles,
nous évoluons, en quittant l'édifice d'une architecture genrée. nous disparaissons, en ghostant le corps binaire.
Ainsi, notre mouvement – notre capacité à ghoster l'idée du
corps, en nous en éloignant – est un élément clé du devenir. Le
mouvement de ghostage crée un vide génératif qui fait place à
de nouvelles alternatives. Le devenir provoque des questions
sur qui nous sommes, qui nous voudrions être, et déclenche
une interrogation spatiale sur les frontières et la façon dont
nous pourrions rompre à travers elles. Il nous amène également
à explorer l'expérience du toucher d'une manière qui pourrait
nous transformer. Hortense Spillers, théoricienne et critique
féministe noire, note que « la question du
toucher – être à portée de main sans médiation
ni interférence – peut être considérée comme la porte d'entrée
de l'expérience la plus intime et de l'échange de la mutualité
h
entre les sujets… [c'est] l'absence de propriété de soi. »
a M.G. Siegler, « Eric Schmidt : Every Two Days We Create as Much Information as We
Cette « absence de propriété de soi » est le did Up to 2003, » TechCrunch. Disponible sur <techchrunch.com> (05/08/10).
consentement à ne pas être un être unique, le consentement b David Lyon, Surveillance Society : Monitoring Everyday Life, Buckingham, UK : Open
University Press, 2012, p. 2.
à une étreinte de la corporéité cosmique. L'expérience c « About Demographic Targeting » Google Ads Help, Disponible sur <support.google.com/
digitale se définit par un toucher qui brise les limites ; elle « google-ads/answer/2580383>.
n'est pas une réalité inexistante, car nous la vivons, la d David Lyon, Surveillance Society : Monitoring Everyday Life, Buckingham, UK : Open
i University Press, 2012, p. 15.
sentons et pouvons être changé•exs par elle. » Lorsque e « Cécile B. Evans : The Virtual Is Real » HuffPost. Disponible sur <huffpost.com>
nous nous engageons dans le digital, cela nous encourage à (04/08/10).
remettre en question le monde qui nous entoure et, grâce à f Rindon Johnson, « What's the Point of Having a Body ? » DazedDigital. Disponible sur
<dazeddigital.com> (06/03/19).
cette constante réévaluation et mise en défi, à changer le g Ibid.
monde tel que nous le connaissons, déclenchant la création h Hortense Spillers, « To the Bone : Some Speculations on Touch, Hortense Spillers, »
de mondes entièrement nouveaux. conférence donnée à « Hold Me Now - Feel and Touch in an Unreal World » conférence
organisée par la Gerrit Rietvel Academie au Stedelijk Museum, Amsterdam. Disponible
Lorsque nous rejetons la binarité, nous rejetons sur <youtube.com/watch?v=AvL4wUKIfpo> (23/03/18).
l'économie qui l'accompagne. Lorsque nous rejetons la i Rindon Johnson, « What's the Point of Having a Body ? » DazedDigital. Disponible sur
<dazeddigital.com> (06/03/19).

39
Propriété d'Octavia E. Butler/The Huntington Library, Reminders, Art Collections and Botanical Gardens, 1970-1995.
Raconter des
histoires
Remplies de
Faits.

Faire Toucher et
Goûter et
SAVOIR aux
Gens.

Leur faire
RESSENTIR!
RESSENTIR!
RESSENTIR!

40
Propriété d'Octavia E. Butler/The Huntington Library, Reminders, Art Collections and Botanical Gardens,
Entraînement Émotionnel
Toujours S'efforcer

-De toutes les manières


À tout moment-
Toujours

Pour l'Intensité

Chaud ou Froid
Dur ou Doux
À s'en Tordre les Tripes ou
Profondément Tranquille
Intensité totale!

1970-1995.
41
Dès
Dès qu’il
caméra,
qu’il allume
allume lala the greatest
caméra, les les yeux
yeux dede romance -
Dustan
Dustan sese
plissent
plissent légèrement
légèrement une danse à
etet laissent
laissent entrevoir
un
un
entrevoir
regard
regard soi
malicieux,
malicieux, sensuel sensuel analyse du mouvement dansé de

etet sévère
sévère qui
qui
coule
coule jusqu’à
jusqu’à ses ses Guillaume
lèvres
lèvres dans
moue
dans une une
ennuyée.
Dustan
moue ennuyée.
Son
Son sourire
sourire est est
42

inversé.
inversé. Ce Ce jeujeu dede
ÈS qu’il allume la caméra, les yeux de Dustan se plissent

d légèrement et laissent entrevoir un regard malicieux,


sensuel et sévère qui coule jusqu’à ses lèvres dans une
moue ennuyée. Son sourire est inversé. Ce jeu de regard
se poursuit tandis qu’il dispose la caméra sur une étagère. La
pauvreté de la mise en scène installe d’emblée une intimité et me
rend complice de cette chambre aux volets fermés, aux murs blanc
saumon, qui résonnent en nuances rosâtres avec sa peau. Il toise
brièvement l’objectif, ténébreux. Puis il enclenche une rotation
avec son épaule pour lui faire dos, volte-face dont la rapidité
esquisse un geste prémédité. Il fait don de sa danse autant qu’il
décide d’archiver un moment anecdotique de son autofiction. Il se
filme de la même manière qu’il se filmerait en train de se
masturber ou de se faire fister. C’est une performance comparable
à une sculpture d’arte povera, augmentée par une charge
érotique ; une expérimentation de son désir à travers
un geste dansé.

Dans ce film25 l’écrivain est en voyage chez son amant/copain/


fuckboy, dans un gouffre temporel, dans une faille romantique
transitoire. Le sifflement de son partenaire - semblant provenir
d’une autre pièce de l’appartement - vient s’ajouter à la B.O. du
film, composée in situ par une autoradio assortie à une
télécommande, crachotant des tubes des années 2000. Les
grincements du parquet provoqués par son déplacement
s’additionnent à ce tableau sonore. Le souffle canalisé dans ses
mouvements s’exprime parfois en petites échappées sexy. Il se
passe la main droite sur son crâne rasé, puis la gauche vient la
rejoindre, tandis que le rythme de la pop commence à l’imprégner
doucement de sa cadence.

25 Guillaume Dustan, Nous (love no end), France, 2000, 82min. Consulté sur : <http://
treize.site/index.php/2019/nous-love-no-end/> (02/04/20).

43
Les deux bras repliés forment des V renversés qui s’opposent et Checking each other up and down
s’abaissent au cours des pulsations imprimées par les hanches,
dont la trajectoire se finalise et rebondit depuis le torse, tandis que
In all of the obvious places
Il chope la télécommande, dandine un peu du cul en montant le
les poignets et les mains viennent orner cette parade de torsions
son avant de la mettre en bouche et de la mâchonner. Puis de la
supplémentaires. Sa main frôle subrepticement son épaule avant
sucer goulûment.
de se changer en poing et de s’élever tour à tour avec sa jumelle
pour sortir du cadre. Puis elles entourent son torse qu’il fait
pointer vers l’avant. Ses poils noirs, foncés et abondants Wa s t h e r e e v e r a r e a s o n f o r u s t o b e a p a r t ?
s’éloignent de plus en plus de l’objectif jusqu’à ce qu’à ce qu’il The air that fills up this room says, " not hardly "
monte sur le lit pour nous montrer son cul, puis son ventre et son
sexe. À nouveau il toise l’objectif, de ses yeux armés d'un air Il laisse aller sa tête dans la courbure de sa nuque lorsque le drop
dubitatif, accompagnés par ses lèvres paresseuses. Dustan goûte arrive tout en faisant valser la télécommande sur son lit,
au mouvement, lentement.
So this is where you end, and you and I begin ...
So what do you know (That's where you and I, you and I begin)
you and me,
F i n a l l y f a c e t o f a c e 26 Son implication musculaire est minimaliste, mais toujours aussi
investie dans une tension par laquelle le mouvement se déroule et
Il installe une tension en dedans, et ne laisse sa respiration porter se déplie dans des jeux de poids et de relâchements. Ses mains
son corps qu’en des petits ballottements proche de l’oscillation. caressent à nouveau son flanc et s’immobilisent en postures
Cette apnée capte mon attention de regardant dans une temporaires de diva RnB.
concentration empathique, à la limite de la fixation Il est à fond <3
pornographique.
Nous en sommes encore aux préliminaires. Ses mains frottent son B a b y, b a b y
cul puis son ventre. Extrémités préhensives autant lascives que Now your mind is open
ses yeux qui ne lâchent pas notre regard. Elles se forment à To p o e t r y s e l d o m h e a r d
nouveau en poings. Puis il fait osciller ses fesses dans des
reptations qui l’emmènent vers le sol, fixant toujours la cam, qui Ses mouvements s’enchaînent ; fluides, liquides. Ils se heurtent à
est son partenaire de jeu. Un régime de séduction optique est la matérialité de la caisse claire qui les soutiennent.
souligné avec emphase.
Yo u r h e a r t h a s n e v e r b e e n b r o k e n
26 Prince, The Greatest Romance Ever Sold, Legacy Recordings, États-Unis, 2001, 8min.
Until you’ve heard these words :

44
" Yo u r b o d y w a s d e s i g n e d t o r e s p o n d t o m i n e What was the real reason that Adam never left Eve ?
In spite of your desire to mold me "
L’enregistrement du film conditionne cette danse par une
Ces enchaînements moelleux construisent la chambre de ce présence à soi plus ténue, qui pousse la performance vers une
voyage comme le lieu d'une danse à soi. improvisation à la fois discrète et paroxystique.

And in the middle of it all ­ And if the truth sounds like a memory
We k i s s a n d l i k e r a i n ( l i k e r a i n ) w e f a l l i n t o . . . Then U know it was meant to be
(meant to be), meant to be
Sa main vient défier la caméra en se tordant, son torse est toujours Leave your inhibitions behind
un hub oscillant entre elle et son cul. come on, come on, and see
The greatest romance that's ever been sold Je le sens chaud, prêt à jouir. Mais la chanson ne s’arrête jamais. Il
The greatest romance that's ever been sold monte à nouveau sur le lit et se met à mimer une bonne grosse
pénétration. Je ne peux m’empêcher de m’imaginer à ses pieds,
Il vient maintenant partager sa respiration sourde et retenue à côté inclinée, prêt à recevoir.
du micro interne à la caméra.
Et il reprend de plus belle sa danse en moulinant des coudes à So this is where U end (this is where U end)
nouveau. Ses yeux restent fermés, et on entend le bruissement de And U and I begin ... (U­hu)
l’air sur sa peau. Paroi qui rappelle un souvenir résistant à l’oubli. (The greatest (greatest) romance (romance) ...)
Paroi qui a experimenté les récits pro-sexe et militants que ce
corps a produit.
Listen 2 me
(... that's ever been sold)
Oh, I know you can feel me, Chacun de ses gestes répond au tempo et installe une césure
know that you can dance dans le temps. Le prémouvement27 devient un élément
But what do you know about the greatest romance ?
27 « Il peut advenir que le temps lui-même se vide, et se fasse l’attente pure d’un
Son balancement relève à la fois du lâcher-prise festif, du rituel mouvement invisible [...] L’arrêt ou l’immobilité du danseur est toujours apparente, elle est
introspectif et du receuillement masturbatoire. suspension entre deux mouvements, traversée de micro-mouvements, et par là même
jamais défaut mais au contraire trop-plein, saturation qui se révèle plus ou moins tard
dans le champ de la visibilité. » in Katharina Van Dyk, Usages de la phénoménologie
Not what you think, but what you believe dans les études en danse. Disponible sur : <https://journals.openedition.org/danse/607>.
(10/05/20)

45
conceptuel, révélateur d’un acte affirmant son désir dans
l’espace-temps de la chambre. Ce temps de l’autofiction débité
irrémédiablement par la caméra en basse qualité.

Yo u b r o u g h t m e
The grapes from the vine, yes you did
Ses mains encadrent son visage, ses coudes se tendent et lui font
former l’image cliché d’un corps pin-up. Enfin la chanson se
termine, et les paroles finales adviennent.
Can I talk to you
(... that's ever been sold)
Listen
Yo u h e l p m e t o r e m e m b e r t h e s e c r e t s o f t i m e
A n d y o u ­ y o u ­ y o u , y o u o ff e r m e y o u r l o v e ,
your love, your love
So divine And in return, ,

girl, in return I will


oh yes, I will
The greatest
romance that's
ever been sold
IlIl yy aa çaça dans
dans lele radicalités
corps
corps parce
parce qu’il
qu’il
peut
peut émuler.
émuler.
discrètes
LeLe corps
corps aa lala entretien avec la théoricienne de la danse

faculté
faculté de de
simuler
simuler des des Alice Godfroy
choses
chosesqui quinenesont
sont
pas
pas là.là. TuTu peux
peux
émuler
émuler
l’impression
l’impression que que
tutu eses en en
lévitation.
lévitation. Tu Tu
48

peux
peux émuler émuler lele
La chienne folle : Comment articules improvisateurs. Je rencontre aussi
tu ton rapport à l’argent ? beaucoup de personnes qui font des
choix de radicalité, de vivre avec peu.
Alice Godfroy : D’avoir un statut de De ne pas être motivé dans la
fonctionnaire ça met de côté la trajectoire qu’on se donne par le fait
question de l’argent. C’est très de gagner de l’argent. De s’organiser
confortable. Quoique tu fasse, tu pour avoir besoin de peu pour vivre.
toucheras ta paye. Donc ce n’est pas
ça qui va te motiver à agir. La chienne folle : Comment est-ce
que tu situe les pratiques de
Je navigue dans un réseau, celui des l’improvisation par rapport au sacré ?
pratiques improvisées. Celles-ci J'entends par sacré peut être les
n’étant pas institutionnelles, elles pratiques magiques, l'invisible, un
fonctionnent avec des économies très certain rapport à ce qu'on ne peut pas
petites, avec un effort pour que toucher ou à l'invisible.
celles-ci soient accessibles au plus
grand nombre. Il y a toujours une Alice Godfroy : C’est très présent
pensée pour inclure les personnes qui aujourd’hui dans les pratiques
n’auraient pas tout à fait l’argent. Tout artistiques, mais pas seulement. En ce
cela brasse des économies qui restent qui me concerne je vais mieux
assez petites et solidaires, parce que connaître ce qui touche à la danse et
les pratiques elle-même travaillent sur aux pratiques somatiques. Ce qui
les solidarités, le fait de pouvoir touche au corps, et là il y a peut-être
compter sur le collectif. C’est une de l’intouchable justement. Le corps
spécificité, il y a beaucoup d’énergie est peut-être l’intouchable…
bénévole. Les gens s’en tirent très
peu en produisant. Parce que le Pour commencer par la chose la plus
spectacle improvisé ou la pièce évidente, on peut observer un
improvisée n’est pas programmé. Les mouvement de pratiques en danse qui
gens ne cherchent pas forcément à sont des pratiques plus
aller vers ces scènes, mais plutôt à se expérimentales, de recherche, qui
produire de façon assez informelle. vont frayer avec ces notions là. Il y a
L’économie se fait souvent sur des ça dans le corps parce qu’il peut
travaux de transmissions, sur le fait de émuler. Le corps a la faculté de
donner des stages, des cours. Les prix simuler des choses qui ne sont pas là.
conscients, échelonnés sont des Tu peux émuler l’impression que tu es
pratiques courantes chez les en lévitation. Tu peux émuler le fait

49
que tu es en contact avec quelqu’un à « autre chose ».
qui n’est pas là. Tu peux jouer à la Personnellement je traverse cela en
télépathie. Il y a énormément de me prêtant au jeu. Au-delà du

Ce sont des
personnes qui travaillent autour du magique, il y a une réelle dimension
médium, de la télépathie, de la reliance spirituelle dans ces pratiques. Il n’y a
à d’autres, à ce qui est plus grand que rien de très mystérieux : quand tu

pratiques qui vont


toi. Tout ça on va le retrouver avec un danses, que tu as cette pratique - et
accompagnement soit amusé au sens que tu n’est pas en train de faire de la
de « prenons ça comme outil ; faisons chorégraphie - que tu es à l’origine de
comme si nous pouvions atteindre ton mouvement, tu es les choses qui

travailler à
d’autres niveaux de conscience, des vont te mouvoir, tu es mu. Tu peux le
liens avec des disparus ou avec des vivre de façon très laïcisé, en te
gens qui sont très loin ». Comme disant « c’est un environnement,

délimiter ton
une enquête, en se disant « on sait c’est les gens qui sont autour de moi,
qu’on est en train de jouer à faire ces choses là me mettent en
comme si », mais quand même mouvement » mais tu peux aussi
essayons, et ça peut avoir des effets sentir que ce sont des pratiques qui

corps, à ouvrir
assez intéressants. D’autres vont vont travailler à délimiter ton corps, à
mener ces recherches là en étant eux- ouvrir toutes les crispations égoïques.
mêmes persuadés de cette croyance, Dès que t’arrives à sortir -et c’est

toutes les
habités par du surnaturel et qui vont progressif- de ton « moi », « je »,
travailler de façon un peu moins avec ton petit périmètre qui serait
critiques. Quand tu mets des corps définit par ta peau, tu vas déclore
ensemble, en mouvement, que tu leur toutes ces couches là au fur et à

crispations
fais faire quelque chose, c’est toujours mesure, tu arrives dans une
de l’ordre d’un rituel. Il y a de toute expérience qui est très très proche
façon ces couches qui apparaissent. des expériences mystiques. Et cela

égoïques.
n’est pas fondé sur des croyances.
J’ai travaillé avec un chorégraphe qui C’est simplement que le fait d’ouvrir,
s’appelle Loïc Touzé, qui développe la capacité somatique qu’on a à se
des jeux mantiques (c’est plus la décharger de l’individu qu’on est, du
version amusée et critique, et en sujet et de son rapport à la
même temps « faisons comme si »). communication sociale. On pourrait
Il a un dispositif qui s’appelle la danse faire toutes les couches qu’on pourrait
par télépathie. Je discutais avec une effeuiller. À force de faire ça tu as
amie revenant d’un stage et qui me une expérience très très directe d’être
parlait aussi de ça, de cette connexion ouvert. D’être un « là » ouvert. Si

50
tu fais parler des improvisateurs, tu politique. Mais parler de radicalités transiger par rapport à ça. Cela va radical ; honnête peut-être - par
vas très vite arriver à des descriptions plus discrètes, qui sont parfois plus rester le coeur de la question quel que rapport à une énigme de vie, qui se
qui sont très proches de toute la puissantes. Les gens que j’ai soit le contexte économique dans formule à un moment et qui a son
littérature des mystiques qu’on va rencontré qui ont consacré leur vie à lequel ils sont. Et qui vont refuser pas inconnue. Qui sait qu’elle n’arrivera
trouver dans les siècles passés. De l’improvisation - ce qui est déjà radical mal de propositions pour rester très pas à combler cette inconnue mais qui
ces gens qui font cette démarche de - vont rester souvent avec la même très centrés. C’est ce qu’on retrouve va creuser, creuser tout autour, et
défaire l’égo, et qui se trouvent question toute leur vie. Qui va se aussi chez des penseurs et des mêler d’autres personnes à ça. Ce qui
transparents, ouverts, à une forme formuler pendant 30, 40 ans. Tu me chercheurs. Il y a une vocation qui fait est beau c’est que quand on est dans
de transcendance. diras qu’il y a des radicalités que de fait il y a une radicalité à ces des activités de recherche, comme les
semblables chez les artistes en endroits là. Et donc des parcours de miennes, il y a une solitude du travail
C’est une dimension qui n’était pas général, mais là ça va être des choses personnes qui peut-être ne sont pas lui-même, qui est un travail de lecture,
mon prisme il y a quelques années. extrêmement précises. Je pense à soumis aux modes artistiques, qui elles écriture, description. Ce qui me
C’est relativement récent et ça me Lisa Nelson qui va dire : « Qu’est-ce ont des temps de vie beaucoup plus touche dans ces pratiques, c’est que la
saute aux yeux. Que ce sont des que je vois quand je vois un corps qui courts, où les objets changent. Ce recherche étant pratique,
dimensions extrêmement centrales de danse ? ». Elle a développé la n’est pas une histoire d’objets ou de expérientielle, elle ne fonctionne que
nos pratiques, que l’on tait un peu. méthode des « Tuning Scores », et thématiques. C’est vraiment une si tu la partage avec d’autres. Ce sont
Parce qu’on est pas à l’aise avec le on en est toujours à cette question. Ce recherche. Quand je parle des des pratiques qui ont aussi leur
transcendant, le religieux, le spirituel. sont des questions qui sont radicales pratiques d’improvisations qui fragilité, c’est à dire que les
Alors on va plutôt parler de magie. En dans le sens où elles sont m’intéressent je parle de pratiques improvisations collectives demandent à
ce moment c’est plus à la mode. On est fondamentales. Ce ne sont pas des expérimentales du mouvement. La ce qu’il y ait aussi des participants et
encore dans un contexte où y’a des questions conjoncturelles. Ce sont des radicalité est dans l’expérimentation, qu’on ne peut pas les mener seul•e.
mots qui font peur. Par contre questions qui cherchent à comprendre elle n’est pas dans la production. C’est un type de personnes qui ne
l’expérience qui est désignée si tu leur fonctionnement. Le Parce que parfois les pratiques ne sont pas engagés politiquement,
questionne les gens, on est à un fonctionnement humain du corps en donnent pas lieu à des produits, de traditionnellement, ce ne sont pas des
endroit qui est très très similaire. particulier, mais pas que. Comment style scéniques, mais à une recherche gens qui sont dans des partis ou des
vivre ensemble ? C’est la question de qui se fait en laboratoire. Qui avance et choses comme ça. C’est assez proche
La chienne folle : En quoi pense tu João Fiadeiro. Le dispositif que Steve qui crée ses différentes alliances et de ce que je peux aimer dans la
que les pratiques improvisées sont Paxton invente quand il créée le complicités dans différents pays. Des recherche : quand elle est bien menée,
radicales ? De manière assez contact improvisation est simple, petites communautés de gens se elle est intransigeante. On ne se
polysémique, que ce soit politiquement élégant, radical. Comment tu danses, retrouvent pour être dans ces ménage pas et on avance
ou bien par leur sobriété par exemple ? comment tu bouges, à partir de la laboratoires, juste pour pratiquer et honnêtement sans faire d’effets. Une
Comment ce mot résonne avec ces simple règle d’être en contact faire avancer des questions. En y recherche est toujours patiente,
pratiques ? physique avec une autre personne et répondant pas par la parole mais en y longue, rarement gratifiante. Ce n’est
de travailler des échanges de poids. répondant de façon pratique, en pas brillant. C’est plutôt un univers
Alice Godfroy : Je n’aurais pas envie développant des savoirs expérientiels. courageux parce que ça fait très peu
de te parler de ce qui vient en premier, Je trouve aussi la radicalité parce que Il y a quelque chose d’extrêmement - de bruit. Comme la recherche
donc de la radicalité comme un geste ce sont des personnes qui ne vont pas j’essaye de trouver un synonyme de fondamentale, qui fait très peu de

51
bruit. Il faut que certain•es s’y collent fantômes dans les pratiques
et souvent on s’y colle par vocation. d’improvisation ? Est-ce que les
Quelle pratique aussi internationale fantômes influencent les pratiques

Comment les
que le contact improvisation - autant d’improvisation ?
développée depuis 50 ans et dont on
fête l’anniversaire cette année - a Alice Godfroy : La danse est pleine de

espaces sont
décidé dès ses débuts de ne pas se fantômes. C’est difficile de ne pas
labelliser ? Qui fait ça ? Aucun argent danser avec des fantômes (sourit). Il
n’est revenu aux gens qui l’ont fondé. y a peut être différentes familles

chargés ?
Iels ont décidé de ne pas créer parmi les familles de fantômes. Même
d’école. Iels étaient soucieux que ces les grands danseurs de la modernité…
questions fondamentales restent Je pense à Mary Wigman qui parlait

Comment venir
actives. La réponse radicale qui a été de ses partenaires imaginaires. La
apportée ça a été de créer une revue, notion de partenaires imaginaires
un organe de diffusion qui s’appelle traverse toute l’histoire et les discours

réhabiliter des
« Contact Quarterly », qui est un sur la danse moderne et
partage d’expériences, de contemporaine. On sent bien qu’on ne
transmissions et de pratiques. Cela fait danse pas seul•e. Ce n’est pas

espaces qui
près de 50 ans que la revue existe et possible. On danse avec différentes
que les gens se sont nourris. Ce qui altérités. Le partenaire imaginaire
aurait été une école labellisée, payante peut vite être un fantôme, ou des
et réservée avec des « ça tu fantômes. On pense aux fantômes

ne sont pas peux », « ça tu peux pas», se


transfère en une intelligence collective
avec une expérience qui rapporte à
comme quelque chose qui aurait une
forme humaine… Je parlais de Loïc
Touzé tout à l’heure. Avec lui, sans

orthonormés ?
tous. Chaque pratique est pleine de arrêt l’espace est pensé comme déjà
petites choses à différents niveaux plein d’une danse. Ça a déjà été
qui mises ensemble montrent qu’on dansé. On ne fait que continuer la
travaille à partir d’autres paradigmes danse et il y a des dispositifs. Quand
de ce que sont le savoir, la tu travailles avec cette règle-là, que
transmission, l’art, le collectif. tu en fasses une fiction ou une
J’apprécie assez le fait que ce soit des croyance, tu n’as pas à créer ta danse,
choses en actes et non des parce qu’elle est déjà là. Tu ne te sens
conséquences de pensées, de pas à l’origine du mouvement. C’est
prêt-à-penser. quand même la chose la plus triste à
faire quand tu danses : c’est de penser
La chienne folle : Est-ce qu’il y a des que tu es à l’origine de tes

52
mouvements. Tu les conduis, mais On repère des patterns, des motifs, manières d’envisager les fantômes, qui même le spectateur regarde un corps
l’animation d’où vient-elle ? Ce sont des habitudes. On est habité par des sont assez fondamentales dans les qui danse, il sent bien que ce n’est pas
des grandes questions. Pour lui c’est fantômes qui sont celles et ceux qui pratiques. juste une forme dans l’espace qui fait
l’espace qui est habité. Il a un nous ont modelés. Notre habitude de des mouvements. Ce qui va l’animer,
dispositif qui s’appelle emprunter bouger a sa part biologique mais elle La chienne folle : Comment est-ce que ce qui par empathie va le saisir c’est
l’espace – et on peut jouer avec les est très fortement culturelle et apprise. le travail invisible agit dans la danse justement de sentir cet invisible qui
deux façons de l’écrire. Comme une Nous allons faire l’école d’été improvisée ? J’envisage ici le travail affleure dans les formes. Comment les
empreinte ; quelqu’un danse dans une d’improvisation et une question qui va invisible dans une manière fonds remontent dans les figures.
salle et tu n’y es pas, puis tu rentres nous guider est « De quel fantôme polysémique… Comment le travail Peut-être dans des images tout à fait
dans cette salle et tu dois faire la suis-je l’archive vivante ? ». De invisible est pris en compte dans les surprenantes qui dépassent les corps.
même danse. Le travail que tu fais quels fantômes de personnes, de pratiques ? Comment le prendrais tu Le corps est un véhicule, ce n’est pas
c’est d’emprunter les traces que lieux, de rencontres, de découvertes. en compte dans ton travail de une fin. Pas même pour le spectateur.
l’autre aurait laissées. C’est un petit Il y a un très beau texte d’Henri recherche ? Comment Et du point de vue du danseur c’est
exercice plein de leçons sur les Michaux, la post-face à Plume28. l’appréhendes-tu ? clair que dans l’expérience, tout le
fantômes… d’espaces. Comment les C’est un petit texte de quelques pages travail qui est accompli, dès lors que
espaces sont chargés ? Comment dans lequel il dit qu’on est né de trop Alice Godfroy : Invisible, c’est encore tu n’es pas dans une danse «
venir réhabiliter des espaces qui ne de mères, qu'on est traversé par les un gros mot. À tous les niveaux c’est classique » (au sens large des
sont pas orthonormés ? L’espace de la fantômes des autres. C’est un texte ce qui m’intéresse, l’invisible. C’est danses classiques, qui sont dans la
danse est ouvert, qui a une certaine poétique et manifeste qu’il signe « au pour cela que ce n’est pas évident de belle reproduction de certaines
matérialité avec laquelle tu travailles. nom de tous ». La question de te répondre. Ca résonne dans plein de figures), tout le travail se fait à partir
Ce n’est pas une hauteur et une l’auctorialité y est posée. Si tu fais une directions. Quand je faisais mes du senti. Des sentis, kinesthésiques
profondeur, comme l’espace de la œuvre aujourd’hui, qu’elle soit de recherches de doctorat, quand je principalement, même si tout le
perspective. Tu es au centre de littérature ou d’art, es-tu vraiment travaillais sur les convergences entre système perceptuel est basé sur ça.
quelque chose. Quelque chose de l’auteur de ton travail ? Il signe de son poésie et danse, la chose passionnante Les pratiques somatiques vont venir à
spatial s’ouvre à partir de toi, et dès nom, mais c’est au nom de beaucoup quand tu te questionnes en tant que l’aide de ce travail, en nous aidant à
lors tu es habité. d’autres… D’autres qu’il a apprécié et danseur et que tu questionnes des trouver comment on affine, on prend
Il y a une autre façon de répondre à ta d’autres non. Quand il parle de son danseurs, c’est que tout le travail de la connaissance, on se rencarde avec ce
question ; quels sont les fantômes qui père il n’a pas l’air d’être ravi que ses danse est invisible. monde invisible qui est notre être
m’habitent ? Ce n’est pas seulement parents l’aient autant traversé et Ce que tu vois quand un corps danse sentant, sentient, qui va donner la
se mettre en lien avec des fantômes. habité que ça (rires). Ce sont des c’est une toute petite partie de couleur, la charge affective, la texture
C’est moi-même, quand je commence niveaux plus métaphoriques que le visibilité, qui va essayer de conduire à du mouvement visible. Pour moi
à travailler le mouvement, très vite fantôme comme un être mort l’apparaître, le monde invisible. c’est l’invisible dans la danse est le territoire
cette question arrive : quels sont les réapparaissant sous une forme rien en pourcentage. C’est quoi, 5 % à explorer. Il est exploré clairement par
gestes que je suis en train de faire ? spectrale. Je pense à d’autres le visible. Et tout le travail du point de les praticiens. Mais du point de vue de
vue de la personne qui danse parce la recherche et des discours ce n’est
que du point de vue du spectateur ça pas si clair. C’est pas si clair de
28 Henri Michaux, « Postface » in Plume, Gallimard Poésie, 1963, p. 215-220. joue à un autre niveau. Quand bien rencontrer des gens qui vont essayer

53
de décrire et de nommer ces vraiment un désir d’anonymat mais, communautés qui n’ont pas besoin du
expériences là. Une fois que ton comme ce sont des pratiques qui vont tout d’être quelqu’un. Qui vont
terrain d’étude, de travail, de pratique déségoïser quelque chose en toi, la essayer au contraire d’effacer ça. Ce
est celui-là, ça va rejaillir partout. démarche de se rendre visible et de se n’est pas une défense politique,
nommer auteur n’est plus la même… quelque chose que tu revendiques en
L’invisible dans la danse en général Tu sais que dans le fond même si tu disant « Nous sommes des
est un socle. Je me pose la question en fais un solo, tu en es co-auteur, avec invisibles », mais dans les faits, ce
direct : est-ce qu’il y a une spécificité tous les gens qui t’accompagnent sont des pratiques qui créent – pas
du travail de l’invisible dans les entre tous les fantômes et ceux qui par les discours mais par les pratiques
pratiques improvisées ? Peut-être faut t’ont transmis quelque chose. Plus elle-mêmes - parce qu’il y a du
il rappeler que c’est un travail qui fondamentalement parce que les collectif dedans, parce qu’il y a des
n’est pas du tout spéculaire, qui se fait pratiques sont collectives, tu crées réflexions sur ce que veut dire le
sans miroir, qui se fait sans dans l’instant quelque chose avec vivre-ensemble, parce qu’on va
reproduction du geste de quelqu’un d’autres personnes. Iel y a une travailler dans certaines pratiques des
d’autre. De fait, la matière première est tendance dans ces pratiques là, à ce échanges de poids où sans l’autre tu
bien ce monde invisible. Le travail de qu’on peut nommer à la rigueur des ne fais rien. À partir de là, de rester
l’invisible est radicalisé dans les collectifs, mais après il n’y a pas de dans ce tumulte intercoporel de la
pratiques de recherche de mouvement mise en valeur de personnes. Bien sûr danse, qui fait que tu es un corps lié à
expérimental. il y a des figures que l’on peut d’autres, qui s’étendent dans d’autres
nommer. Mais la plupart du temps corps. C’est une conséquence, le fait
Bien sûr il y a des étages, et c’est c’est l’anonymat qui fait qu’on est tous de ne pas se mettre en avant, de ne
pareil pour le chercheur, avec la pointe dans la communauté des invisibles et pas se mettre dans des places de
de l’iceberg qui est la production d’un qu’on s’y sent bien. C’est confortable visibilité.
bouquin ou d’un article. Sans surprise de ne pas avoir à porter, à tenir, à être Moi je l’ai particulièrement ce besoin
c’est porté par une montagne de quelqu’un. Dans le texte de Michaux là, de rester invisible. C’est à dire dans
travail invisible, de ratures, de que je te conseille, il y a une belle l’ombre d’une certaine façon. Et dans
questions, de doutes, phrase qui dit « on veut trop être l’ombre d’un collectif (rire). C’est ça
d’enthousiasmes… et de temps! Le quelqu’un ». On passe beaucoup qui me paraît être une force
temps est passé à un travail invisible et d’énergie, de perte d’énergie, de aujourd’hui dans ces pratiques là.
qui pour une grande part le restera. choses complètement inutiles parce J’essaye du point de vue de la
Ce qui sort c’est un tout petit bout de qu’on veut être quelqu’un. Dans le recherche, de transcrire. Je ne peux
ce qui a été travaillé. monde artistique c’est très visible, pas dire que ce soit réussi tout le
dans certaines pratiques plus que temps, mais iel y a un effort pour
Et le travail à un autre niveau, pour d’autres. Dans les pratiques rendre collectif le partage du savoir, sa
que ces choses là existent, comment improvisées, si il y avait un gradient et production. Comment vivre ensemble
c’est porté, là c’est peut-être vu d’un qu’on déplaçait un curseur, tu arrives et comment travailler ensemble aussi ?
point de vue plus politique. Il n’y a pas à l’endroit de personnes et de

54
Vous
Vous étiezétiez de de le principe des
Pologne,
Pologne, d'Italie
d'Italie
ou
ou d'Espagne,
d'Espagne,
généalogies
racistes
racistes àà priori
priori raccomodées
comme
comme tous tous lesles
blanch.es,
blanch.es,
traduction d'un texte tiré du fanzine Rompre sans casser
écrit par

transphobes
transphobes etet
homo-
homo- lesbo-
lesbo- Sol
biphobes
biphobes commecomme
tous
tous les
les cishétéros
cishétéros
(contraste
(contraste des
des
termes
termes politiques
politiques
55

gravés
gravés sur sur une une
Chère babcia, chès ancêtres
Cara babcia, cari antenati
Droga Babciu, Drodzy Przodkowie

Avant d'écrire une lettre de rupture à mes parents, je devais vous écrire.
Prima di scrivere una lettera di addio ai miei genitori, dovevo
scrivere a voi.
Zanim napisałam list zerwania do rodziców, musiałam
napisać do Was.

Vous les parents de mes parents à l'infini, qui composent toutes mes
cellules même de façon parcellaire.
Voi, genitori dei miei genitori all'infinito, che costituite tutte le mie
cellule anche se in modo frammentario.
Wy, rodzice moich rodziców ad infinitum, którzy tworzycie wszystkie
moje komórki nawet w sposób fragmentaryczny.

Vous qui êtes quelque part et qui me « protégez »…


Voi che siete da qualche parte e che mi « proteggete »...
Wy, który jesteście gdzieś i którzy mnie « chronicie »…

Je me demande, dans mes souhaits et prières


si vous agissez vraiment pour moi,
si vous me soutenez ou même, me sabotez parfois.
Mi chiedo, nei miei desideri e nelle mie preghiere,
se agite davvero per me,
se mi sostenete o addirittura mi sabotate a volte.
Zastanawiam się w moich życzeniach i modlitwach,
czy naprawdę działacie dla mnie,
czy mnie wspieracie, czy nawet czasem sabotujecie.

Vous étiez de Pologne, d'Italie ou d'Espagne, racistes à priori comme


tous les blanch.es, transphobes et homo-lesbo-biphobes comme tous
les cishétéros (contraste des termes politiques gravés sur une
plaque de métal plaquée sur vos expériences et vies de chairs, de
culottes en laine et en bouse d'âne).
Eravate polacchi, italiani o spagnoli, razzisti a priori come tutti i

56
bianchi, transfobici e omo-lesbo-bifobici come tutti i cisheteros lungo la mia strada.
(termini politici di contrasto incisi su una lastra di metallo placcata Prawdę mówiąc, jestem wściekła na myśl, że mogłeś zabić dziadków,
sulle vostre esperienze e vite di carne, lana e wujków i ciotki moich towarzyszy, przyjaciół i kochanków, których
sterco d'asino). spotkałam na swojej drodze.
Byliście z Polski, Włoch lub Hiszpanii, rasistami a priori jak wszyscy
biali, transfobami i homo-lesbo-bifobami jak wszyscy cisheteros Et vous, là, qui avez fuit les chemises noires pour Marseille, ou lutté si
(kontrastowe określenia polityczne wyryte na metalowej płytce durement contre le franquisme, j'aimerais bien savoir où commence et où
platerowanej na Waszych doświadczeniach i życiu z mięsa, wełny i s'arrête votre sentiment de solidarité et s'il continue à
oślego łajna). perdurer quelque part ?
E voi, lì, che siete fuggiti dalle camicie nere a Marsiglia, o che avete
Babcia, je sais que tu haïssais les juif.ves et les communistes si fort combattuto così duramente contro il franchismo, vorrei sapere dove
que je me demande si tu n'as pas emporté tout cet amour révulsé inizia e finisce il vostro senso di solidarietà e se continua a
dans ton âme. persistere da qualche parte ?
Babcia, so che odiavi così tanto gli ebrei e i comunisti che mi A wy, tam, którzy uciekliście przed czarnymi koszulami do Marsylii,
chiedo se non hai portato tutto quell'amore rivoltante albo tak zaciekle walczyliście z frankizmem, chciałbym wiedzieć,
nella tua anima. gdzie zaczyna się i kończy wasze poczucie solidarności i czy ono
Babcia, wiem, że tak bardzo nienawidziłaś Żydów i komunistów, że gdzieś dalej trwa ?
zastanawiam się, czy nie przyjęłaś do swojej duszy całej
tej odrażającej miłości. Voilà… votre sensibilité est-elle la mienne ?
Puis-je vous faire confiance ?
Papère, toi qui apparement a piloté des avions quelques mois pendant Ecco… la vostra sensibilità è uguale alla mia ?
la guerre d'Algérie, as-tu perdu la tête dans les nuages ? Posso fidarmi di voi ?
Nonno, tu che pare hai pilotato aerei per qualche mese durante la Czy Wasza wrażliwość jest taka sama jak moja ?
guerra d'Algeria, ha perso la testa tra le nuvole ? Czy mogę Wam zaufać ?
Ojcze, Ty, który podobno latałeś samolotami przez kilka miesięcy w
czasie wojny algierskiej, czy straciłeś głowę w chmurach ? Est-ce qu'un sentiment d'amour ou de connexion pour celleux
d'entre vous que j'ai connu suffit à une vraie protection ?
Transportais-tu des armes ou devais-tu tuer ? Un sentimento di amore o di legame per quelli di voi che ho
Portavi armi o dovevi uccidere ? conosciuto è sufficiente per una vera protezione ?
Miałeś przy sobie broń czy musiałeś zabijać ? Czy uczucie miłości lub więzi do tych z Was, których znałem, jest
wystarczające dla prawdziwej ochrony ?
En vrai, j'ai la rage de me dire que tu as peut-être tué les grands-
parents, oncles et tantes de mes camarades, ami.es ou amoureus Y-a-t-il des lois de loyauté à la race et à la cishétérosexualité
que j'ai rencontré sur ma route. malgré tout, là où vous agissez ?
In verità, mi dico con rabbia che potresti aver ucciso i nonni, i Ci sono leggi di fedeltà alla razza e alla ciseterosessualità
zii e le zie dei miei compagni, amic* o amant* che ho incontrato nonostante tutto, dove agite ?
Czy tam, gdzie działasz, obowiązują prawa lojalności wobec rasy i

57
cisheteroseksualności mimo wszystko? On a plusieurs vies aussi.
Anche noi abbiamo molte vite.
Avez-vous déjà trahi ces lois et cela vous a-t-il coûté ? My też mamy wiele żyć.
Avete mai tradito queste leggi e vi è costato ?
Czy kiedykolwiek zdradziliście te prawa i czy to Was kosztowało ? On croise aussi peut-être les mêmes personnes dans d'autres corps.
Possiamo anche incontrare le stesse persone in altri corpi.
Ma question est peut-être trop frontale car rien, là haut ou en bas, n'a le Możemy też natknąć się na te same osoby w innych ciałach.
même sens ni les mêmes lois.
Forse la mia domanda è troppo frontale, perché nulla lassù o laggiù Chacu peut donc expérimenter des paradoxes d'une
ha lo stesso significato o le stesse leggi. incarnation à l'autre.
Być może moje pytanie jest zbyt frontalne, bo nic tam na górze ani Ogni persona può quindi sperimentare paradossi da
tam na dole nie ma takiego un'incarnazione all'altra.
samego znaczenia ani takich samych praw. Każdy człowiek może więc doświadczać paradoksów z jednego
wcielenia w drugie.
Mais est-ce que vous ne régleriez pas quelque part vos histoires
à travers moi ? Mais on sait bien aussi que les contradictions et traîtrises se
Ma non è che in qualche modo risolvereste le vostre storie démultiplient dans nos propres vies…
attraverso di me ? Ma sappiamo anche che le contraddizioni e i tradimenti si
Ale czy nie rozliczylibyście się jakoś ze swojej przeszłości moltiplicano nella nostra vita...
po przez mnie ? Ale wiemy też, że sprzeczności i zdrady mnożą się w naszym
własnym życiu…
Ou êtes-vous vraiment parvenu.es à une forme éthérée tout aussi
désolidarisée de vos limites sur Terre ? Peut-être auriez-vous un fil rouge d'interdits et de restrictions que
O avete davvero raggiunto una forma eterea che è altrettanto vous ne m'auriez pas transmis ?
slegata dalle vostre limitazioni sulla Terra ? Forse avete un filo rosso di divieti e restrizioni che
Czy może rzeczywiście osiągnęliście eteryczną formę, która jest tak non mi avete trasmesso ?
samo niepowiązana z waszymi ograniczeniami na Ziemi ? Może macie czerwoną nitkę zakazów i ograniczeń, której mi
nie przekazaliście ?
On dit qu'il n'existe pas de victimes au niveau spirituel.
Si dice che non ci siano vittime a livello spirituale. Mes ancêtres, ma lignée imposée, rendez-vous fidélité et protection
Mówi się, że na poziomie duchowym nie ma ofiar. au sang, à la haine de soi, et de certais « autres » ou à l'amour
de la transgression du genre et de la sexualité notamment ?
Il n'existe donc pas de bourreaux. Miei antenati, mio lignaggio imposto, incontrate lealtà e
Quindi non ci sono boia. protezione al sangue, all'odio verso se stessi e verso certi
Nie ma więc katów. « altri » o all'amore per la trasgressione del genere e della
sessualità in particolare ?
Moi przodkowie, narzucony rodowód, lojalność i ochrona przed

58
krwią, nienawiściądo siebie i do pewnych « innych », czy też miłość do Bizarres et connectées.
transgresji płci i seksualności w szczególności ? Strano e connesso.
Dziwne i połączone.
Peut-être dois-je changer ma définition de « lignée » au niveau où je
pose la question ici. Résonantes. Islas resonantes.
Al livello dove pongo questa domanda, forse devo cambiare la Risonante. Islas resonantes.
mia definizione di lignaggio. Rezonans. Islas resonantes.
Być może muszę zmienić swoją definicję « linii » na poziomie, na
którym zadaję tutaj pytanie. Chercher les entités et les rencontres sur la même fréquence.
Ricerca di entità e riunioni sulla stessa frequenza.
Détisser des narrations pour en construire d'autres, ajouter des fils, de Wyszukiwanie podmiotów i spotkań na tej samej częstotliwości.
nouvelles textures et couleurs.
Districarsi narrazioni per costruirne di nuove, aggiungere fili, D'autres parentés viendront peut-être me chercher en écho.
nuove trame e colori. Altri parenti potrebbero venire a cercarmi come eco.
Rozplatanie narracji, by budować nowe, dodawanie wątków, nowych Inni krewni mogą przyjść szukać mnie jako echo.
faktur i kolorów.
Merci à Clarisse Libene pour ses transmissions
Choisir spécifiquement certaines énergies incarnées dans des Grazie a Clarisse Libene per le sue trasmissioni
archétypes, des noms et des figures qui me parlent, Podziękowania dla Clarisse Libene za jej transmisje
mortes ou vives.
In particolare, scegliendo certe energie incarnate in archetipi,
nomi e figure che mi parlano,
vivi o morti che siano.
Konkretnie wybierając pewne energie ucieleśnione w archetypach,
imionach i postaciach, które przemawiają do mnie,
martwych lub żywych.

Appeler l'amour.
Chiamata d'amore.
Wywoływanie miłości.

Le principe des généalogies raccomodées.


Il principio delle genealogie ricombinate.
Zasada rekombinacji genealogii.

59
UnUn pain
non
pain dede terre
terre est
est céramique
non - - assignable.
assignable. UneUne
tasse
tasse transgenre.
transgenre. Un Un queer
bol
bol neutre.
neutre. Une Une constats d'une

sculpture
sculpture intersexe.
intersexe.
Une
Une installation
installation non-
non- chienne qui
conforme.
conforme. Pour Pour toute
lala poterie
toute geek dans la
poterie
onon utilise
utilise lesles mots
mots boue
panse,
panse, cul,
cul, col,
col,
galbe,
galbe, lèvre,
lèvre,
sans
sans d’autres
d’autres
60

référents
référents que que eux- eux-
n ous étions dix, oeuvrant dans une pièce ni trop petite
et ni trop grande au plafond vitré. Chacune avait un
bureau sur lequel on pouvait travailler en étant
debout ou assise. Deux tables représentaient l’îlot
central du lieu. On préparait la terre sur la première. On buvait le
thé, mangeait et discutait autour de la seconde. Complicité et
sororité régnaient dans cet atelier. Nous étions solidaires face aux
jeux de pouvoirs et la compétition n’était pas sous-jacente entre
nous. Les expérimentations sur la matière se déroulaient de
manière empirique et intuitive. On ne recevait pas de cours
techniques. La magie se réverberait partout dans ce matériau : la
terre. La tradition des arts décoratifs planait au dessus de nous
comme un spectre.

Les politiques d’un matériau peuvent-elles se manifester en lui


sans pour autant se formuler explicitement ? Nos pièces
émergeaient en décalage. Nos gestes se répondaient et se
contaminaient. La terre battue et fraîche avoisinait les colombins
qui séchaient. Le tour paressait dans un coin. C’était un outil de
connaissance inaliénable à la technologie du matériau. Des micro-
générations de pièces se succédaient, cuisaient ensemble dans les
fours, proposant à chaque fois des enchevêtrements absurdes à
l'intérieur de ceux-ci. Elles cohabitaient ensuite dans les étagères
avant d’être exposées, puis étaient détruites ou stockées. Une
sculpture prend beaucoup de place, aussi bien dans le temps que
dans l’espace. Notre responsabilité était impliquée parce que
c’était un choix lourd de leur créer une bio, de leur donner vie.
J’étais fascinée par le matériau, un peu « amoureuse ». Le
terme céramique désigne techniquement un état de cuisson de la
terre. Le mot englobe secrètement en lui un point de fusion
physique, lié à l’alchimie, à la magie et à l’érotisme. Se laisser
subjuguer par l’aura qui en émane, c’est facile <3

61
Est-ce que les gestes techniques qui fabriquent nos pièces sont souhaitez. L'accès au code source est une condition nécessaire.
habités par cette aura ? Est-ce que les céramiques peuvent
3. La liberté de redistribuer des copies.
inventer un quotidien différent ?
C’est un matériau durable, fragile, précieux et humble. Quel serait 4. La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions
le mot en kaliarda pour les désigner ? Est-ce que les elfes en modifiées. En faisant cela, vous donnez à toute la communauté une
produisent ? Iels en diraient sûrement : possibilité de profiter de vos changements.
« Chaque céramique est une Ce qui nous donne les points suivants.
modulation de mélodie dans l’éternité » 1. La liberté de faire de la terre pour n’importe quel usage et d’en
ou une phrase du genre. faire n’importe quel usage.

Les formes qu’on produit sont possibles grâce à des gestes 2. La liberté d'étudier le fonctionnement de la terre et de ses
techniques, et de les modifier pour qu'elles effectuent vos tâches
d’artisanat que nous nous réapproprions. Est-ce que nous
plastiques comme vous le souhaitez. L'accès à sa composition est
volons ces gestes ? une condition nécessaire.

Souvent l’expérimentation formelle précède l’appareillage 3. La liberté de redistribuer la terre et les techniques.
théorique. L’exercice de conceptualisation est rendue caduque,
4.La liberté de distribuer aux autres des copies de vos terres
voir fake. Les résultats sont trop impérméables au regard. Des
modifiées/des copies de vos techniques modifiées. En faisant cela,
constellations invisibles de termes peuvent relier les pratiques, ils vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de
viennent colmater les interstices d'incompréhensions laissés vos changements.
inexpliqués.
Les recettes se partagent. Ça fait plaisir d’avoir un refuge face à
Est-ce que les techniques liées à la terre peuvent être comparées tous les problèmes et les déconstructions auxquelles on doit faire
à la philosophie du logiciel libre ? face. La poussière silicieuse est plus propice au complot que la
Les quatres libertés du logiciel libre29 sont les suivantes. peinture blanche du white cube.

Est-ce que certains savoirs liées à la céramique ont aussi été


1. La liberté de faire fonctionner le programme pour n’importe
quel usage. occultés comme les savoirs féministes de sorcières ? J’aime bien
l’idée de la céramique comme un matériau de l’obfuscation, relié à
2. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le l’implicite, l’indicible mais aussi aux luttes, à un désir chtonien de
modifier pour qu'il effectue vos tâches informatiques comme vous le voir la société se transformer. Ma rencontre avec ce matériau est
en tout cas conjointe à ces processus dans ma vie.
29 Free Software Foundation, Qu'est-ce que le logiciel libre ? Disponible sur : <https://
www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html>. (01/10/22)

62
63
poterie brisée est venue se greffer jusqu’à mes esprits.
Pour toute la poterie on utilise les mots panse, cul, col, galbe,
neutre. Une sculpture intersexe. Une installation non-conforme.

lèvre, sans d’autres référents que eux-mêmes. Le fantôme d’une


Un pain de terre est non-assignable. Une tasse transgenre. Un bol

Le premier « document » crypté


connu remonte à l'antiquité. Il s'agit
d'une tablette d'argile, retrouvée en
Irak, et datant du XVIème siècle
avant Jésus Christ. Un potier y
avait gravé sa recette secrète en
supprimant des consonnes et en
modifiant l'orthographe des mots.
Les premières méthodes de
chiffrement. Disponible sur <http://
cryptotpe.free.fr/index.php?
rubri=prerm>. (01/10/22)
JeJe peux
propos
peux aussiaussi parler
parler àà la complicité
propos des des fantômes
parce
parcequ’
fantômes
qu’enenpensant
pensantauxaux des insectes
artistes,
artistes, aux
aux entretien avec l'artiste
écrivains,
écrivains, j’aij’ai
l’impression
l’impression d’d’êtreêtre enen Chiara
contact
contact
elleux,
elleux,
avec
avec
enen relation.
relation.
Camoni
et la philosophe
Quand
Quand nous nous sommes
sommes
devant
devant uneune œuvre
œuvre Sandra Burchi
d’art,
d’art,nous
nous avons
avons
une
une relation,
relation, comme comme 64

quand
quand nous nous sommes
sommes
La chienne folle : Gagnes-tu ta vie désir. J’aime tellement faire de l’art.
avec ta pratique artistique et Ce sont mes meilleurs moments. Je les
depuis quand ? apprécie vraiment. Beaucoup
d’artistes souffrent. Le travail
Chiara Camoni : Aujourd’hui j’ai artistique n’est pas une expérience de
quarante ans. Et depuis quelques plaisir pour tout le monde, pour
années je gagne suffisamment pour beaucoup d’artistes c’est aussi de la
faire vivre ma famille et mes assistants. souffrance, et je le comprends. Mais
Je ne viens pas d’une famille riche. pour moi c’est vraiment du plaisir.
Comme je n’ai pas eu de parents qui Donc ma journée commence avec
puissent m’aider, j’ai eu beaucoup de l’énergie, celle de vouloir faire et de
boulots différents. J’ai enseigné, voir les choses que je n’ai pas vu
travaillé dans des bars et des auparavant. Ce plaisir propre à la
discothèques, réalisé des œuvres création, de mettre au monde les
commandées par d’autres artistes. choses, est avant tout pour le
Pendant dix ans tu dois mettre, sculpteur dans cet engagement
mettre, mettre, de l’énergie, du travail corporel. C’est probable que la
et aussi de l’argent. J’ai du gagner peinture ait une dimension plus
ailleurs pour maintenir mon travail abstraite, mentale. Entre une
d’artiste. Puis à un moment donné les sculpture et ça [elle désigne une
choses ont changé. Pour avoir une peinture]. Non c’é, poi c’é - [Il n’y a
bonne stabilité économique, avoir une rien, puis il y a quelque chose]. Plus
bonne galerie est un passage qu’un sacrifice c’est un effort. Il y a le
indispensable. Je pense que très peu plaisir de travailler ensemble. On
d’artistes ont une présence sur le arrive le matin, on fait le café, on
marché sans galerie. discute. On est dans le village, il y a
d’autres personnes, d’autres amies…
La chienne folle : Par rapport à cette C’est très convivial et joyeux.
dimension économique, tu dis que tu
as beaucoup été dans le don. C’est La chienne folle : C’est une énergie
une sorte de sacrifice en quelque solaire ?
sorte. Est-ce que tu pense que l’art
est sacré ? Sandra Burchi : C’est une pratique
artistique un peu définie en ce
Chiara Camoni : Tu ne peux pas faire moment, non ? Une pratique qui joue
autrement. Ce n’est pas un sacrifice, sur la présence des autres, sur le faire
c’est un désir. Je devais suivre mon ensemble. Elle s’est modifiée avec

65
l’arrivée des enfants à la maison, avec sens à ma vie, et des histoires. Pour Sandra Burchi : Les choses qui décision, au contraire. C’était plutôt
des matériaux faciles à utiliser dans amener nos histoires dans l’histoire. sortent ont leur vie. Ça paraît un peu une attitude. Je n’ai pas décidé de
l’espace domestique. Il y a ce principe De faire quelque chose de très simple, fou. C’est une relation forte qui fait m’emparer de l’écoféminisme. Mais
de directions génératives qui mais de le partager. J’ai le sentiment sortir des choses les plus simples des c’est simplement arrivé que dans mon
établissent des belles relations avec le que quelque chose résistera plus plantes, des êtres, des choses sèches. travail, il y a eu des aspects liés au
voisinage, avec les personnes qui longtemps que moi et que ce quelque Qui commencent à te dire si elles féminisme et à l’écologie, et certaines
habitent dans l’entourage et qui savent chose est connecté avant et après. veulent s’imprégner dans le tissu. Si formes radicales qui ne suivaient pas
faire des choses. En sympathisant, elle Pas seulement pour le présent, mais elles veulent faire partie d’une le mainstream. En ce moment il y a
a commencé à composer une pratique pour prendre dans le passé et dans le installation, d’une œuvre. Il y a une des thèmes et des intérêts généraux
quotidienne mais en partant du fait futur. Pour élargir nos perceptions. tendance d’une pratique un peu [pour ces sujets] et du coup mon
d’être ensemble. Même si c’est relaxé magique, qui fait sortir de chaque travail est forcément devenu plus
au niveau de l’être ensemble, le Je peux aussi parler à propos des objet matériel sa propre vie, son propre intéressant parce qu’il est regardé
rythme est réel. Il y a plein de choses fantômes parce qu’en pensant aux langage. Ce sont les objets qui dans cette optique.
qu’il faut veiller à préparer et qui sont artistes, aux écrivains, j’ai l’impression suggèrent une façon de faire, de les
nécessaires pour des expositions, d’être en contact avec elleux, en mettre en œuvre. Je ressens certains besoins. Je fais
des résidences. relation. Quand nous sommes devant des choix. Bien sûr dans mon esprit,
une œuvre d’art, nous avons une La chienne folle : Donc la magie est dans le fond de ma pensée, il y a
La chienne folle : Tu parles de relation, comme quand nous sommes dans la technique ? beaucoup de questions sur l’écologie,
l’influence de la tradition dans ton devant une personne. C’est une sur la vie, sur « comment être
travail. Est-ce que peut-être tu crois relation très concrète, avec ces Chiara Camoni : Je suis totalement aujourd’hui dans la société ». Je fais
aux fantômes ? Est-ce que tu crois artistes et ces écrivains, avec les d’accord. C’est une autre manière de des choses, et en faisant mes choix…
qu’iels influencent l’art animaux aussi. Avec les insectes, pas penser aux traditions. Comment puis-je le dire? Agissant
ou les artistes ? seulement avec les chevaux et les dans le monde, répondant à des
chiens. Les insectes ont une présence La chienne folle : Dans ton groupe, tu exigences… Dans cette dimension
Chiara Camoni : J’ai une sorte très forte pour moi. attaches de l’importance à travailler aussi, nous pouvons parler d’un aspect
d’approche religieuse même si je ne avec une philosophe féministe, comme politique du travail, non ? Mais tout
suis pas « croyante ». Je sens une Parfois, ça peut paraître un peu fou, c’est le cas aujourd’hui. Selon toi, simplement aussi parce que moi aussi
forme d’animisme - de monde mais la réalité s’active, [est mise en comment est-ce que la pratique - comme toustes - je suis immergée,
animiste, en relation aux objets, à la œuvre]. Quand nous allons récolter artistique peut être radicale ? Autant par exemple je regarde le journal
nature et aussi au passé. Nous sommes avec Elisa des herbes ou des fleurs par rapport à ces préoccupations télévisé.
en quête de sens au travers de nos qui servent pour les impressions féministes que par exemple dans ton
existences. Aujourd’hui nous avons végétales, le moment est tel que, mode d’habitat qui t’engage de façon Sandra Burchi : Le fait de se situer
perdu confiance en la politique, en la quand tu marches, que tu regardes et particulière. Comment se décentrer dans ce présent, avec une perspective
religion, en une dimension sociale. que tu collectes, c’est un moment par rapport à des perspectives généreuse par rapport au monde. Mais
Beaucoup de ces choses étaient là magique. Quelle herbe est disponible majeures, centrales ou privilégiées ? ce n’est pas une réponse. C’est plus
pour nous aider. Pour moi l’art est un et laquelle ne l’est pas. Nous décidons se mettre dans une attitude de travail,
moyen de retrouver de la densité, un de choses depuis ce mood. Chiara Camoni : Ce n’était pas une sentir aussi qu’il y a des problèmes.

66
C’est un activisme qui vient du travail, La céramique est une de ces
pas le contraire. Et ça c’est important techniques. Et aussi elle a cette
en ce moment, parce que certains aptitude à partager le travail mais pas

Rester dans
thèmes sont assez au centre seulement avec une autorité unique.
médiatiquement et c’est pas vouloir
suivre ça. C’est d’arriver, d’aboutir, se Sandra Burchi : Dans la pratique de

cette invisibilité en
sentir dans le présent, citoyenne, une Chiara il y a un travail de synthèse.
personne qui lit les journaux, qui Des morceaux fabriqués ensemble qui
connaît les problèmes. Ce n’est pas prennent leur signification et leur sens

la trouvant
une posture tendance par rapport à lorsqu’ils sont rassemblés, avec ce
des thèmes du moment. C’est politique désir de partager, de se mettre en
mais pas d’un activisme militant. relation.

La chienne folle : J'ai un peu le


sentiment [peut-être erroné] que la
La chienne folle : Avec ma dernière
question je souhaite rebondir sur ce intéressante et
plus puissante que
pratique de la céramique m’a rendue que tu a dis dans ton entretien pour le
CEEAC, lorsque tu parles de ta
féministe. Grâce à elle j’ai pu travailler
avec des amies et évoluer en fascination pour les œuvres issues de

la visibilité .
apprenant dans un environnement très la tradition. Tu fais une équation entre
féminin, l’atelier de céramique de mon ces œuvres précieuses, produites
école étant le premier espace que je avec un maximum de technicité, qui
trouvent ensuite leur place dans une
rencontrais qui n’était pas inscrit dans
une forme de domination. C’était un obscurité maximale, dans les
espace où il y avait moins de jeux de sépultures. Tu les compare aux
pouvoirs, où nous pouvions boire le œuvres contemporaines, qui
thé, nous asseoir autour d’une table cherchent une visibilité maximale, tout
pour discuter et être présentes les en étant produites avec le moins
unes pour les autres. d’effort possible. Comment est-ce que
tu considère l’invisible à travers ta
Chiara Camoni : C’est probablement pratique ? Par rapport à l’injustice
une attitude féminine de rester autour sociale par exemple. Comment
d’une table, de faire des choses et de envisages-tu ces rapports entre
bavarder sur la vie, l’amour. C’est un sphères visibles et invisibles dans les
moyen de partager du temps quand tu enjeux décoloniaux d’aujourd’hui ?
es au travail. Les mains font des
choses et votre esprit peut penser et Chiara Camoni : Les objets coloniaux
travailler en même temps. sont une bonne part de nos musées

67
archéologiques. Le premier sentiment se passent des choses invisibles, qui
pour moi est celui d’une profanation. pour moi ont une prégnance et une
Ce qu’on trouve au fond d’une tombe force parfois égales à l’œuvre finie.

Ces objets doivent


doit rester dans cette tombe. Comme si
nous entrions dans un cimetière Sandra Burchi : C’est typiquement
aujourd’hui et excavions les os de nos une chose que le féminisme après les

rester dans
aïeuls. Je sens la violence de la années 70 a bien dit : il y a plein de
lumière. Ces objets doivent rester dans choses qu’on ne voit pas, qu’on ne
l’obscurité. À l’inverse ils sont dans voit plus, qui sont devenues invisibles.

l'obscurité. À
les vitrines, illuminés. Dans cette invisibilité, qui existe dans
la petite vie, les petites choses, jour
Sandra Burchi : Comme un après jour, dans la continuité. Ces

l'inverse ils sont


supermarché. choses qu’on ne vient jamais bien
regarder. C’est un petit exemple de sa
Chiara Camoni : Mais ils résistent. Ces façon d’être féministe. Ne pas vouloir

dans les vitrines,


objets pour moi sont si précieux qu’ils démontrer cela, mais croiser ces
résistent à la lumière et au rapt. Ils me thèmes dans le processus.
donnent toujours beaucoup de leur L’importance du processus pas comme

illuminés .
pouvoir même si ils sont volés, et un travail conceptuel mais vraiment
exposés sous une lumière puissante. pour les choses qui arrivent.
Donc je note ce malaise, cependant
leur force me parvient. Et cela ne Chiara Camoni : Le musée est
résout rien, mais en tant qu’artiste me probablement une institution
place face à la mission de combien je masculine. L’œuvre d’art elle-même
suis capable de charger un objet, et est probablement une autre idée
que cet objet puisse continuer à masculine. Quelque chose de très
communiquer fortement des choses fermé, résolu. On sait que les femmes
dans le monde. dans l’histoire de l’art ont pris d’autres
Et puis il y a l’autre partie invisible de espaces, pas dans les institutions
l’œuvre, qui pour moi est le processus. principales, mais autre part, dans cette
Un thème très contemporain. L’œuvre invisibilité. Un chemin est d’amener
est quelque chose de conclu, de les femmes vers la visibilité, un autre
résolu, qui n’a pas besoin de chemin est de rester dans cette
processus. Toute ma vie je ressens le invisibilité en la trouvant intéressante
désir de m’accrocher au processus, et plus puissante que la visibilité. C’est
qui est comme une queue. Parce que une autre mission politique pour moi,
dans le processus - qui est invisible - et nous pouvons faire les deux. Nous

68
pouvons amener les femmes dans
l’institution, et je le fais parce que ça
fait partie de mon désir, mais en même
temps j’apprécie tellement cette
invisibilité, ces processus, ces parties
de ma vie qui arrivent tout le temps,
dans ma maison, avec elleux
[désignant ses assistants], avec toi
maintenant, que pour moi tous ces
moments sont aussi importants qu’une
de mes pièces dans une de mes
expositions dans un musée. Donc
c’est notre mission de porter la
conscience de cette invisibilité, de ces
moments invisibles. Nous devons
beaucoup changer notre pensée.
Je crois que cette expérience de
l’invisibilité ne peut arriver que dans
des petits groupes, mais les petits
groupes vont dans d’autres groupes.
Je ne pense pas que cela puisse
arriver dans des grands groupes,
parce que cela a besoin des corps. La
sensation d’être ensemble, du partage
de cette invisibilité, est quelque chose
que nous devons ressentir, comme une
intimité, et je pense que
c’est politique.
Je peux peindre… Une nature morte
avec des fleurs et je peux faire
quelque chose de révolutionnaire. Tu
sais que dans le passé les peintures
abstraites ont été brûlées ou des livres
sur l’amour. Pourquoi ? Ce n’est pas
le sujet mais le langage qui active les
choses. Une nature morte
peut être transgressive.

69
JeJe me
source
me situe
situe àà lala taz dans le cul
source dede mama force,
force,
auau niveau
niveau dede mon mon
rêveries d'une

muscle moteur
muscle
primordial.
moteur
primordial. IlIl estest lele
chienne
coeur
coeur vibrantvibrant etet camée
humide
humide dede toutes toutes
mes
mes danses,
danses, lala reine
reine
dede mes
mes mouvements.
mouvements.
JeJe parle
parle depuis
depuis mon mon
anus.
anus.JeJecrie
crie etetjeje
chante
chante depuis
depuis cece
70

lieu.
lieu. JeJe vous
vous parle
parle
Je n’est qu’un terme commode
dépourvu de toute réalité.
Virginia Woolf, Une chambre à soi.

Il est la reine dont la face étirée tient


par la couronne d’or. Il est l’épouse
dont le trou virginal chauffé par un
soleil noir est prêt pour une nuit de
noce solitaire.
Paul B. Preciado, Manifeste contra-sexuel.

j
e me situe à la source de ma force, au niveau de mon muscle
moteur primordial. Il est le coeur vibrant et humide de toutes
mes danses, la reine de mes mouvements. Je parle depuis
mon anus. Je crie et je chante depuis ce lieu.

Je vous parle depuis ma croupe !

Croupe30 se dit « zad » en polonais et j’aime bien cette


coincidence linguistique qui fait de mon cul de chienne une ZAD,
une Zone à Défendre ou à Danser, Détendre, Divertir,
Déconstruire, Défoncer.

À l’autre bout de ma ZAD se trouve ma bouche, qui peut roter


mais aussi me faire parler. Grâce à elle je me nourris et je partage.
Parfois je rejette et je fais la fine bouche XD

30 « La partie arrière du corps de quadrupèdes tel le cheval, après les reins (région
lombaire) et les hanches, et avant la queue, et qui correspond aux fesses chez l’homme. »
Disponible sur : <https://fr.wiktionary.org/wiki/croupe>. (01/11/22)

71
Mon cul ne fait aucune concession : il définit ce qui ne m’est pas une place publique.
indispensable. Les déchêts de ma métamorphose. Ma ZAD se Des travailleuses du sexe se font violer dans des commissariats.
contracte, elle me permet de créer une autodéfense. Des muses Des corps colonisés.
s’y infiltrent x) Elle est un endroit où je m’échappe, une zone de
plaisir trouble. Pendant ce temps un vocabulaire de geste vigipirate édulcoré
s’applique sur les usagers et usagères des lieux de culture.
J’écris depuis mon cul, comme les cantatrices chantent depuis Portiques, fouilles des sacs et palpations nous protègent lorsque
leur périnée. C’est une sorte de pompe, Fiout !, jusqu’à mes nous pénétrons les institutions.
cordes vocales.
Diana Torres délimite le cul comme un espace de résistance en
Anus des étoiles, faisant du fist un outil de création31. Elle nomme sa pratique
Temple agenré, pornoterrorismo. Ses vidéos sont censurées des plateformes
Tout me paraît si opaque, indescriptible. mainstream.
Quand je fouille en toi…
Les culs peuvent aussi être utilisées pour se révolter avec des fart
Des lettres sacrées rentrent par la porte de ce temple, je retrouve in ! Péter collectivement et massivement comme forme d’action
un alphabet emmêlé dans le siphon de la douche. directe32.
C’est pas toujours une safe place, dans laquelle je garde de
l’énergie de bataille pour mes insurrections de chienne. Dans ma ZAD s’agite un dragon infernale qui crache des
flammes et embrase les forêts conceptuelles.
Intérieur « Nous demandons l’asile poétique ! » crient les phénix qui
Extérieur naissent de ces cendres.
Frontière symbolique gazeuse « Nous déclarons notre émeute philosophique ! »
Muqueuse Iels dansent dans la teuf assourdissante. Des anges passent et
Plantureuse arrosent la scène de leur prouts.

Bouches et anus des musées, centres d’arts, bibliothèques,


théâtres, salles de concert etc. Quelle est la chorégraphie
intestinale de ces espaces ?

/!\TRIGGER WARNING : VIOLENCES POLICIÈRES/!\ 31 Diana J. Torres, akaéditions. Disponible sur <https://www.akaeditions.fr/autrices/
dianajtorres.html> (01/11/22).
32 Xavier de La Porte, Le pet est-il une arme politique ?, L'OBS. Disponible sur
Un policier introduit une matraque dans l’anus d’un garçon, sur <https://bibliobs.nouvelobs.com/screenshot/20181012.OBS3832/le-pet-est-il-une-arme-
politique.html> (01/11/22).

72
74

amours ou comment déguster un bonbon onirique avec

confites Joke

Un
Unfrisson
frissonsecoua
secoua Joke Jokequi
quiétait
étaitsur
sur lelepoint
point dede
s’endormir.
s’endormir.Par Pardelà
delàlalafenêtre
fenêtre dedesasachambre,
chambre, les lesrayons
rayons
dudusoleil
soleil chatouillaient
chatouillaientles
les fissures
fissuresdes
desmurs
mursdedelala
ville,
ville,puis
puis disparaissaient
disparaissaientdansdansles
les racines
racines dedelala
forêt
forêt avoisinante.
avoisinante.Joke
Jokeseseleva
levad’un
d’un coup
coupetet fila
fila
dans
danslalasalle
salledede beauté
beautépour
pour s’asperger
s’aspergerlelevisage
visaged’eau
d’eau
Un frisson secoua Joke qui était sur le point de
s’endormir. Par delà la fenêtre de sa chambre, les
rayons du soleil chatouillaient les fissures des murs
de la ville, puis disparaissaient dans les racines de
la forêt avoisinante.

Joke se leva d’un coup et fila dans la salle de


beauté pour s’asperger le visage d’eau glacée. l
bu d’une traite une mélissade qui traînait sur le
plan de travail. l passa en revue les tenues qui lui
restaient de sa vie d’avant. Elles formaient un ilôt
au milieu de son espace de solarisation, un amas
qui bien qu’il soit inanimé remuait en ellu les
souvenirs de sa coquetterie, des soirées hard dans
75
lesquelles l se rendait, et des rendez-vous
amoureux qu’l n’avait jamais prévus.

l enfila le string de dentelle rose que lui avait


offert Desther, une chemisette blanche à col plissé
dont l ne se rappelait plus la provenance, et ses
sabots écaillés irisés de poisson polisson qu’l avait
acheté dans une échoppe d’XXL avec ses premiers
revenus de TDR (travail du rêve). Un vent léger
enroba son torse d’un sourire et fît naître un
frisson sur la pointe de ses tétons. Ce plaisir
discret lui rappela la décision qu’l avait prise.
l mit la musique à fond et dansa sans compter,
puis essouffl, s’assit sur le bord de sa fenêtre
76
pour regarder les ciels. Sa console de
communication était installée sur un bureau,
branchée au routeur, lui même connecté à
l’interface songitudinale qui alimentait son matelas
en puissance onirique. l avait passé la journée à
dépolariser des pierres qui fournissaient l’induction
nécessaire au réseautage, et à les réaimanter avec
des équations trouvées dans un vieux grimoire
qu’l avait trouvé au marché rose.

Depuis que les populations avaient été confites,


son quotidien qui se nourrissait de l’invisibilité
s’était radicalement transformé. Ses techniques de
déplacement à travers les mailles de la ville
77
demeuraient efficaces, mais ses constellations de
connaissances proches et intimes avaient étés
réduites à néant.
En quête de substance onirique, l avait donc
utilisé un terminal virtuel abandonné du web pour
rencontrer des partenaires et échanger un peu
d’érotisme dans ses siestes. La législation n’était
pas claire quand aux relations oniriques depuis
qu’l y avait eu le grand confit. Les activités
professionnelles officielles avaient été
désolidarisées de leur bases physiques, mais les
usagæ continuaient à entretenir des relations
oniriques depuis chez elleu. Sans ces relations
oniriques, la population s’éteindrait toute seule.
78
Faute de fantaisie, le monde serait mort d’un
sommeil tranquille.

Les haus mages et sorciès qui capitalisaient sur


les grands mythes romantiques mis en fluide
accompagnés de faux royalties avaient bien sûr
sévèrement refusé l’arrêt des échanges oniriques
sur le rêvo centralisé. Le rêvo c'était une sorte de
dictature omnisciente avec son big datacenter
fédérant les rêves et les analysant.

l fallait que leurs scripts puissent continuer à être


échangés, fluidifiés, interprétés. Afin qu’ls
puissent garder le contrôle dont ls bénéficiaient
79
depuis leurs charniers – des bunkers-buildings
descendus du ciel quand les puissants
commencèrent à vouloir s’isoler.
Pour ne pas être identifi par les patrouilles du
rêvo, Joke avait adopté une tactique d’obfuscation
classique de l’ère industrielle, multipliant alias et
identités fictives à l’aide des IA qu’l avait
collectionnées lors de ses fugues adolescentes.

Grâce à ses pratiques physiques, les fièvres ne


l’avait jamais quitt. Celleu qui trouvaient leur
part de songe dans les joies de la fête et de
l’inopiné avaient désormais du rejoindre à leur tour
80
le tout-rêvo, et ses anesthésies lucides et
quantifiées.

L’obfuscation qu’l avait mise en place leur avait


permis de multiplier les possibilités de rencontre au
sein du rêvo, accroissant ses chances de fantasmer
avec des partenaires plus complices. Au cours
d’une de ses dérives multipersonnelle, l avait
rencontré d’autres pirates de l’amour. ls avaient
négocié leur relation rêvée sous la forme de
papillons de nuits, et avaient baisé dans les cimes
d’arbres millénaires, laissant le temps se dissoudre
dans l’éternité chronométrée.

81
Se sachant pists, ls avaient convenu de se
réunir sur une plateforme MMORPG où ls
pourraient coder leurs échanges à travers le chat
du jeu peu analysé par les algorithmes. Leur
stratégie avait une force : l’anonymat du sommeil.

ls sombreraient dans un temps onirique


indeterminé, et feraient symbiose de leurs identités
dans un égregore commun afin de partager leurs
histoires de coeur et de cul. Pour un temps ls
plongeraient dans le tout-rêvo pour démultiplier
les contre-histoires érotiques, contaminant par
pollinisation les scripts normalisés.

82
Ὀ Après s’être déchauss et avoir désenfilé son
string rose pour libérer ses bourses, Joke s’installa
dans son matelas. Les derniers éléments proto-
techniques de leur bidulation semblaient en place.
l y avait toujours une part de risque dans l’amour.
l ferma les yeux, sentant pour la première fois que
son matelas deviendrait peut être incofortable.
Doucement, une rêverie passa dans le courant de
soleil de cette fin d’après-midi, et l’emmena plus
loin dans la nuit. l eut une dernière palpitation en
imaginant se réveiller avec quelqu’u.

83
84

après les teufs ou comment prendre soin de sa redescente avec

galactiques Aura

L’eau
L’eau humectait
humectait encore
encore lala peau
peau d’Aura
d’Aura après
après sasa
baignade
baignade dans
dans le
le crépuscule
crépuscule qui
quitouchait
touchaitàà
sasa fin.
fin. Ses
Ses muqueuses
muqueuses prosexe
prosexe appréciaient
appréciaient
mieux
mieux lala densité
densité de de l’air
l’air lorsqu’elles
lorsqu’elles gardaient
gardaient dede
l’humidité
l’humidité àà leur
leur surface.
surface. Cela
Cela
faisait
faisait longtemps
longtemps qu’Aura
qu’Aura n’avait
n’avait connu
connu lele
L’eau humectait encore la peau d’Aura après sa
baignade dans le crépuscule qui touchait à sa fin.
Ses muqueuses prosexe appréciaient mieux la
densité de l’air lorsqu’elles gardaient de l’humidité
à leur surface.

Cela faisait longtemps qu’Aura n’avait connu le


repos propice à la lascivité de ces dernières se-
maines. l avait arpenté Ranu sans répit au cours
de la saison passée alors que cette planète connais-
sait une intense mutation scalaire pour la période
des ésotorides. Les âmes entamaient leur adoles-
cence spirituelle. Les corps demandaient à
85
exprimer leur liesse dans les univers. C'était
l'heure des charmes et de leurs délices mystérieux.
L’industrie des fêtes et du sexe sortaient de l’hiver-
nage pour produire des expérimentations chimé-
riques sur le désir et sur le recul de ses limites.

C’était une période intense pour Aura, coordina-


teu, organisateu, hyperDJ et supernova de la
galaxie de la rave. Désormais retir au loin dans
un sanctuaire des hautes montagnes, à l’écart des
Vides où se déployaient les Zones à Danser, l
goûtait au repos mérité que chérissaient les
Sacrs Teufeus.
86
l roula un stick de kiss et goba le dernier quart
de RK qui restait dans sa blague à malices. Les va-
peurs de la drogue de kiss commencèrent à em-
baumer agréablement sa polycellule de son odeur
particulière : florale, acide et camphrée.

Les repos d’après-miurges étaient des temps tran-


sitoires à honorer, et dont l prenait plaisir à res-
pecter les liturgies de son cercle d’adelphes.
Consigner ses visions. Se délecter de souvenirs.
Accueillir la tristesse. Toujours cultiver la rage et
la joie. Trouver la force de se posey et de ne rien

87
faire n’était pas simple après une telle efferves-
cence.

L'hybridité de son organisme réclamait l’éxecution


de tâches connexes modulées synchroniquement.
Son arborescence nerveuse devait imiter le signal
des tremblements éprouvés lors des Teufs Stel-
laires dans une rythme plus faible pour permettre
à son système de récupérer.

Une activité appropriée dans cette quête contro-


versée de la farniente était le digging, qui mobili-
sait plusieurs de ses facultés, telles que l’excitation
88
de la découverte, le jugement esthétique, l’archi-
vage ou le rejet, et la poursuite de la quête subli-
mée par une sensation de traversée.

Aura écrasa ce qui restait du joint de kiss dans une


baluvarne et s’installa dans le lys pour accéder à
ses leaks, en sentant le quart de RK monter entre
ses phalanges et sur ses paupières. C'était si
satisfaisant Depuis le lys, l pouvait switcher sa
conscience dans les internets pour dériver à sa
guise à travers les plateformes et les succursales de
la Galaxie de la Rave. À la recherche de nouveaux
sons pour dissoudre le présent dans le futur. l
89
était switch, en total fly. Aura sentait désormais
ses neuro-percepteurs entrer en collision, vers une
pleine perte de sa conscience.

Ses attentions dilatées entrèrent en fusion avec les


hubs mégaméga, des portails où artisa son-
diēs venaient partager et collecter de la mu-
sique.

Peu à peu la conscience de son environnement


immédiat se dilua dans la vapeur de la pièce, pour
laisser place à une sinuation lourde et sensuelle à
travers des réseaux de plaisirs sensoriels.
90
91

les aubes ou comment se réveiller dans un mood spirituel avec

venimeuses Splender

Splender
Splender s's'ééveilla
veilla sur
sur la
la plage,
plage, molletoné•e
molletoné•e sur
sur
des algues qui
desalgues qui lovaient
lovaient sesses courbatures.
courbatures. Les
Les lueurs
lueurs des
des
aurores
aurores détères
détères lui lui avaient
avaient chatouillé
chatouillé les
les cernes
cernes pour
pour
doucement
doucementlesles tirer
tirer de
de ses
ses songes.
songes. Iel
Iel
chanta
chanta son
son rêve
rêve en en utilisant
utilisant deux
deux timbres
timbres
différents.
différents. La
La mélodie
mélodie étaitétait longue,
longue, profonde,
profonde,
Splender s'éveilla sur la plage, molleton sur
des algues qui lovaient ses courbatures. Les
lueurs des aurores détères lui avaient cha-
touillé les cernes pour doucement l tirer de
ses songes.

l chanta son rêve en utilisant deux timbres


différents. La mélodie était longue, profonde,
arythmique, épaisse. Son rêve restait fugace
dans sa mémoire vivace. l renvoya ses es-
poirs parmi le temps pluvieux de la matine,
plus bas, vers les racines. Elles sauraient dé-
coder son venin télépathique. Distiller sa

92
peur en rage, et sa malice en puissance.

Les herbes folles avaient choisi de se lier à


ses perceptions, quelques cycles de Lentes
auparatôt. Tou avaient été enchants par
cette surprise !

Lorsque les fantômes vénè jouent hargneu-


sement à embêter les anges zelés les souffles
sont paralysés. Splender trouvait les fon-
taines desaffectées, les points qui pouvaient
mener à d autres points. Les lieux qui chan-
geaient de lieu selon le désordre que les

93
fliemmes lassaient autour d'elle avant de
rassembler leurs sommeils.

94
T A B L E
6 60
roi de chiennes céramique queer
13 64
aux déchêts de toute métamorphose la complicité des insectes
18 70
frontières frémissantes taz dans le cul
24 74
spectres choisis amours confites
30 84
la chienne épicène après les teufs galactiques
35 91
le glitch ghoste les aubes venimeuses
42 96
the greatest romance - une danse à soi bibiliographie,
sitographie
48 filmographie
radicalités discrètes
55
le principe des généalogies raccomodées
bibliographie sitographie
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Ursula K Le Guin, Danser au bord du monde Mots, femmes, territoires, Paris, 2020
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filmographie
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Sally Banes, Terpsichore en baskets, post-modern dance, Paris, CND/Chiron, 2002
Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Paris, Contredanse, 2004
Guillaume Dustan, Oeuvres I, Paris, POL, 2013

96
merci à Afida Turner

imprimé à l'ENSAD Limoges en 8 exemplaires


sur du papier Munken 80 grammes

Les caractères utilisés


dans ce mémoire sont DINdong de Clara Sambot,
Happy Times at the IKOB New Game Plus Edition
de Lucas Le Bihan, DT Getai Grotesk Display
de Sylvester Tan, New Romantics de Jennifer Heinicke,
Baskervvol de Bye Bye Binary , Ductus d'Amélie
Dumont et EuroScript de Peter Wiegel.

Conception graphique
Oseille Politanski

Les traductions en italien et polonais du texte Le


principe des généalogies raccomodées écrit par Sol ont
été réalisées avec l'aide de Justyna Kucman, Claudia
Gerardi et Caroline de Broissia.

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