Vous êtes sur la page 1sur 8

602-UF0-MQ – Œuvres narratives et écriture

Automne 2023
Valérie D’Auteuil-Gauthier

La condition féminine dans


Kamouraska
Un roman de la transgression
Dans Kamouraska, le désir de révolte se présente comme une transgression des codes romanesques
traditionnels.

Cadre spatiotemporel Conventions narratives Chronologie

• L’espace et le temps sont • Le « je » d’Élisabeth est • L’histoire n’est pas racontée de


éclatés : l’histoire passe incertain. manière chronologique.
constamment de Sorel, à • Élisabeth se dit « voyante » • La narratrice quitte
Québec, à Kamouraska et du (p. 181) constamment le présent pour
passé au présent. • Élisabeth connait trop de revisiter le passé.
• Il est difficile de suivre la choses (p. 202) • Le temps est comme un
progression du récit. • La focalisation est à la fois labyrinthe et Élisabeth
interne, externe et mentionne avoir le pouvoir
omnisciente. d’observer les autres « au-delà
du temps ». (p. 123)
Les femmes dans le roman
La narratrice est entourée d'un groupe de personnages féminins qui représentent des rôles sociaux variés
qui nous permettent de comprendre que le fait d’être une femme est perçu négativement, peu importe le
type de femme que l’on est (veuve, célibataire, jeune, libre et mariée)

Marie-Louise, la mère Les trois tantes, Angélique,


d’Élisabeth : Luce-Gertrude et Adélaïde :

Elle est décrite comme une Dans Kamouraska, être une femme mariée Grâce à leur nièce, les trois tantes
veuve qui souhaite le rester est une promotion. Retourner vivre avec trois « comblent le vide de leurs
pour l’éternité. « vieilles filles » est une insulte : existences » (p. 55) et peuvent vivre
« Réintégrer la maison familiale, quel piège! à travers Marie-Louise et Élisabeth
Refugiée dans sa chambre, Risquer d’être confondue avec mes sœurs « l’état de veuve éplorée et toute une
elle se voue au noir et au célibataires, quel affront. Il me semble que enfance sauvage » (p. 55)
silence : « Costumée en grand- j’ai payé assez cher l’honneur d’être
mère, malgré ses dix-sept ans, Madame pour y renoncer si facilement. »
On va même jusqu’à dire que leurs
robe noire, bonnet blanc […] (p. 53)
cheveux sont « rares et plats » et
elle entreprend de vieillir et de
qu’elles vivent la croissance de leur
se désoler. » (p. 52) Les trois tantes sont d’ailleurs présentées
nièce par « procuration ». (p. 55)
toujours ensemble, comme si elles n’avaient
pas d’individualité propre.
Les femmes dans le roman
Élisabeth, quand elle est jeune, est nommée « la Aurélie est le contraire d’Élisabeth, elle apparaît comme un
Petite ». Son individualité et sa personnalité ne sont personnage libre : « Aurélie à quinze ans. Elle passe et repasse
jamais reconnues par ses proches par l’utilisation de sur le trottoir, devant ma maison. Se dandine, dans sa petite robe
son nom. d’indienne. Me fait de grands signes de la main. Toute une bande
de vauriens l’escortent et la bousculent. Cette fille me nargue et
Ce petit nom affectueux dissimule aussi le fait me fait mourir de jalousie. À quinze ans elle en sait autant sur la
qu’Élisabeth doit être protégée et n’a pas de libre vie que les morts eux-mêmes. » (p. 59)
arbitre. Elle sera incapable de prendre des décisions
pour elle-même toute sa vie : « Il va falloir marier la
Petite. » (p. 60) Elle commence sa vie avec une mauvaise réputation à cause de
son caractère libre : c’est une sorcière (p. 63), elle connait les
Le nom souligne aussi la dépendance des femmes garçons (p. 63), elle fume la pipe, elle est décrite comme une
envers une protection extérieure. Même quand elle « kalmouk » (p. 62), c’est une « fille de l’enfer » (p. 33).
est adulte, ses tantes l’appellent encore « la Petite » :
« Il ne faut pas contrarier la Petite. Elle est si Elle sera sacrifiée, punie : c’est elle qui fera de la prison et qui
malheureuse avec son mari. » (p. 43) devra aller essayer de tuer Antoine à la place d’Élisabeth. Cette
dernière va se sauver des conséquences de ses actions.
La loi du monde et la maternité
Angélique nomme « la loi du monde » (p. 55) les menstruations. L’utilisation du mot « loi » nous permet de comprendre qu’il
s’agit d’une obligation. Après l'enfance révoltée, Élisabeth va vivre une adolescence sous le signe de cette loi du monde dans
le « gynécée familial » (p. 54).

Ainsi, elle s’imagine que chaque ovule a un destin merveilleux : « Chaque ovule perdu de sa vie stérile va-t-il incessamment
être fécondé? Galamment. Par de tendres maris? Par de tendres amants? Toute la magie de l’amour fou la rendra-t-elle grosse
enfin, malgré son âge, de cent enfants joyeux, aux yeux bleus? » (p. 55) Plus tard, les menstruations seront libératrices :
« Un matin, au réveil, le filet de sang libérateur, entre mes cuisses […] Me voici libre et stérile. » (p. 116)

Cette idée que la maternité est merveilleuse sera vite oubliée. La maternité est perçue comme une source d’épuisement dont
on ne peut pas s’échapper : « Tous ces chers petits nourris à la mamelle, puis sevrés, suralimentés à nouveau, pissant et
bavant dans la dentelle et le cachemire. Gavés, lavés, repassés, amidonnés, froufroutés, vernis et bien élevés. Chapelets,
dominos, cordes à sauter, scarlatine, première communion, coqueluche, otites, rosbif, puddings, blé d’Inde, blancs-mangers,
manteau de lapin, mitaines fourrées. » (p. 19)

La naissance des enfants est aussi perçue négativement et il s’agit d’une douleur que la femme doit vivre seule : « Mon
premier fils est né. Une maladie de trente-six heures. Il a fallu mettre les fers. Antoine a disparu. On l’a retrouvé ivre mort, le
quatrième jour. » (p. 83) La maternité cause aussi la perte d’autonomie sur son propre corps. Élisabeth « n’[a] été qu’un
ventre fidèle, une matrice à faire des enfants » accomplissant « [son] devoir conjugal sans manquer ». (p. 10)
Le mariage et la femme objet
Pour Élisabeth, le mariage est un rôle à jouer, elle se voit comme un objet: « Voici la mariée qui bouge, poupée
mécanique, appuyée au bras du mari, elle grimpe dans la voiture. » (p. 70)

Pour revivre ce souvenir intolérable, elle utilise d’ailleurs la 3e personne du singulier : « Elle reprend la pose au fond du
cabriolet. » (p. 70) L’idée de « prendre la pose » nous ramène aussi à l’idée du bonheur artificiel, en surface. Elle

Dans les faits, la manière dont elle décrit sa nuit de noces nous laisse comprendre la douleur : « Cette fraîche entaille entre
ses cuisses, la mariée regarde avec effarement ses vêtements jetés dans la chambre, en grand désordre, de velours, de linge
et de dentelle. » (p. 72)

Le mari est aussi un personnage qui n’inspire pas le bonheur : « Les liens du mariage, c'est ça. Une grosse corde bien
attachée pour s’étouffer ensemble. Tu as promis pour le meilleur et pour le pire. » (p. 86)

Pour Élisabeth, tous les maris se confondent et sont associés au symbole du serpent : « Non pas deux maris se remplaçant
l’un l’autre, se suivant l’un l’autre, sur les registres de mariage, mais un seul homme renaissant sans cesse de ses cendres.
Un long serpent unique se reformant sans fin, dans ses anneaux. L’homme éternel qui me prend et m’abandonne à mesure. »
(p. 31)
La passion amoureuse
L'amour d’Élisabeth pour George Nelson n'est pas toujours décrit en termes de bonheur.

II est constamment rapproché d’états de folie et de maladie, comme si l’amour n’était pas un état valorisé : « Je me
déchaîne. J’habite la fièvre et la démence, comme mon pays natal. J’aime un autre homme que mon mari. » (p. 113)

Élisabeth compare, par exemple, le sentiment amoureux à une « grande plante vivace, envahissante qui [la] dévore et
[la] déchire à belles dents. » (p. 115) Sa conclusion est claire : « Je suis possédée. » (p. 115)

Malgré leur passion amoureuse, derrière George se cache aussi un potentiel danger de nature bien masculine : « Le
poids d’un homme sur moi. Son poil de bête noire. Son sexe dur comme une arme. » (p. 156)
Conclusion
Ainsi, on constate que plusieurs facettes de la condition féminine sont présentées
comme des afflictions pour les femmes dans le roman.

Vous aimerez peut-être aussi