Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Condamné À L'exil: Enriquelihn
Condamné À L'exil: Enriquelihn
Condamné à l’exil
Condamné à l’exil
Cet ouvrage est le dix-huitième de la collection
----
Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique
er trimestre – D///
ENRIQUE LIHN
Condamné à l’exil
lieu des véritables absents : visages que je vis lors des
bouffonneries de Soho
carrément angéliques : ces filles tombées de la lune sur la neige,
habillées en pierrot, et leurs accompagnateurs androgynes
furent et ne furent pas mes amis de jeunesse.
Des larmes congèlent, qui viennent du froid,
de même elles mémorisent John Lennon.
Je reconnais la neige d’antan, qui tombe
en ce jour achronique sur Blecker Street
tandis que la nuit tombe à la même vitesse que le vol d’une
chauve-souris
et que passent les films de mon époque dans mon quartier.
une coupe irrécupérable dans laquelle ils se rassemblent et
s’embrassent le présent et le passé : lèvres incompatibles
qu’aucune comédie ne peut réunir.
lesquels, peut-être, les mirent dans cette baraque aux enchères
et que moi-même j’achetai pour quelques centimes.
et, par conséquent, de ruines – nos nids –
avant, après et pendant leur construction
quelques-uns de mes points d’arrivée
lorsque je quitterai et ne quitterai pas ce lieu.
pâques à new york
était un voyant : il pressentait la catastrophe
en son besoin canin de se promener,
Il descendit alors à la quarante-deuxième rue, aux enfers de la
grande gare Terminus avec ses couloirs marbrés qui
redistribuaient un restant de chaleur parmi les malheureux :
vieux et agonisants qui feignaient d’attendre le train, à moitié
endormis sur des bancs
qui ressemblaient à des pierres tombales
Il descendit par erreur du métro, terriblement vide,
à la quatorzième rue
Dans l’une des bouches murées du métro il eut, avant qu’elle
ne s’enfuît, la vision
d’une fille qui ressemblait à un pierrot vêtu de haillons noirs
en attente d’un Père Noël d’arrière-saison
tenant son sachet d’héroïne.
de neige pétrifié
tout ce qui signifiait gracieusement l’horreur.
woman bathing in a shallow tub
Dévêtir le nu
c’est ce que fit Degas
Vénus Anadyomène qui exhibait son triomphe
toile après toile dans les salons officiels
elle sentit que ce maître des mauvaises manières
ouvrait le rideau joliment peint
de son corps, lui refusant sa condition d’être
l’aube 1809
et que la nuit est fille, celle en laquelle elle se transforme
couronnée d’autres étoiles, la dame
du firmament : douce, infatigable.
kandinsky 1904
Olana
qui chez l’historique Olana s’ouvre sur toutes les pièces de la
maison et chez toi sur tous les pores du corps
qui ont en commun nos corps communicants.
And we are closed: si d’ici cent ans l’on pouvait nous visiter,
telle une douteuse œuvre d’art,
« notre lieu sur les hauteurs » serait comme si
en entrant, hier, dans la maison de Church, parmi d’autres
visiteurs, ce monument, proie des descriptions
descriptible depuis son extériorité, avait pu réprimer
le bavardage des guides, en pénétrant à leur tour en nous,
les visiteurs.
Les visiteurs s’excusèrent presque pour toujours.
Tous les visiteurs, en réalité, disparaissent
parce que ce que nous faisons chez nous en ces profondeurs
n’est pas du domaine public ni n’appartient
strictement à l’intimité où chacun appartient au domaine
– dans le souvenir – et vivement à d’autres, séparés et
lointains, Olanas.
l’enfant
l’aveugle dans le métro
le point aveugle de l’œil
dans la bouche d e s je un e s , l e ri r e a b o n d e
la plus belle guitariste du monde
goddard 1980
La Bible n’est rien d’autre qu’un livre qui passe de main en main
grâce à l’Armée du Salut dans des rues sans Dieu
Les fleurs carnivores que cultivait Des Esseintes
poussent dans les jardins municipaux et non dans les serres privées
Les écolières – vierges de la peinture flamande –
sont des cadavres qui viennent de Paris à New York
pour alimenter de leurs corps le Fléau
En voyage d’affaires.
pour a
Je me souviens de toi
dos à l’East River (Nations Unies, cantine collective) et je pense
que si tant de temps a passé de si étrange manière,
c’est que l’Utopie est achronique et intemporelle
– ainsi, hors de là – la rivière du temps
Notre association, nous la devons à Utopos :
elle participe de l’antisubstance d’une ville dans laquelle nous
n’avons pas passé la nuit
pour vivre mais pour rêver que nous nous trouvons en elle
Ces jours ont présenté quelques
inévitables inconvénients du présent
mais Taprobana transparaissait en eux, en se dissimulant sous
la neige
comme dans une cloche de verre
avec Manhattan aux jours de Noël et du Nouvel An
Temps congelé qui n’allait pas venir mais qui glissait avec la
ponctualité des heures
dans l’espace des romans, chaud
sous une couche de glace
Nous dormions bien (aujourd’hui je suis toujours réveillé)
pour ne pas gaspiller les jours et les heures
Nous suivons, en ceci, ta notion étroite du temps
que j’aurais pu ruiner, en le prenant
pour une course d’obstacles
Tu t’ajustais à lui comme un modiste à son modèle
et non à la précipitation de quelque chose d’obscur et perturbant
qui se répète, inégal à soi-même, formalisé par la rigueur
de la loi qui sourit dans les petites boîtes de Joseph Cornell
En elles, une corde d’horloge,
dés et insectes, petites boules de verre
la coupe brisée
sont réintroduits dans la réalité, transfigurés en éléments d’un
système interplanétaire
comme un bureau d’objets perdus
simplement du point de vue de leur identité
Ce qui aurait pu n’être que détritus et, dans le temps, des dates
immémoriales, fut daté pour l’éternité de ces boîtes
transfiguré en un effet de bijoux
quelque chose qui nous renvoie notre propre regard,
depuis l’autre rive de la proportion
minimalement énorme
en son éternité instantanée
grâce à toi.
les boîtes de joseph cornell
traversant manhattan
une ca rt e po st al e d ’i n d e
à manhattan, je me sépare de claudia
longue distance
Voix à voix
ces corps, incroyablement, ne communiquent pas de vive vie
– toute magie possède son ombre –
ils se rejoignent, depuis les plus différentes et lointaines villes,
dans l’intimité
depuis un lieu qui n’existe pas dans l’espace et qui entre
d’un côté et de l’autre de l’espace dans la cavité des écouteurs
séparés par deux mains
une réalité dont plus personne ne s’étonne
comme si, de personne à personne, elle ne signifiait pas corps
à corps
mais plutôt voix à voix, quelque chose qui est et n’est pas
la même chose.
assaillant nocturne (naples, 1965)
l’éphémère vulgate *
derrière un fantôme, qui n’est (hay !) presque jamais une tête
couronnée :
l’exception qui confirme la règle.
Ceux qui, une fois, rêvèrent d’être femme (et ils sont légion)
détestent l’armée des folles
décimée, mais parfois violente,
qui, en attaquant, bat retraite.
lequel se transforme sur chaque membre de l’armée
jusqu’à l’invraisemblable
restaure l’effigie du paon
de la Grande Mère Phallique, la déesse tutélaire
des travestis
le Totem de la Tribu
signe dont le miroir dirait la vérité
si l’impossible se regardait en lui.
l’œil cesse de voir, aliène ce qu’il voit
le point aveugle de l’œil, point de fuite des regards et de
départ de la Vision
coin illuminant.
annulation de leur identité
maudite comme un délit qui perturberait le jeu frénétique des
simulations
et le point de départ d’elles-mêmes.
une perruque rosée
avec un duvet noir souillant ses bras et ses seins.
Image de la Solitude
qui n’ose pas dire son nom
Trois personnes différentes et rien de plus qu’un seul pauvre
diable,
miséreux « messager du Néant et de ses Mystères »
roi et reine de la nuit oblique
que ce poème couronne d’inanité
un mot sonore et vide, au lieu des princes, jeté au passage du
papillon géant
– des yeux qui ne voient pas et des bouches scellées par les
bouches ouvertes des masques grotesques de carnaval –
Tétanisé par la peur que, si le restant de ces secondes
se faisait attendre, elle ne serait plus
oblitérée par l’oubli du présent dans le passé.
Elle se réjouit, enfin, de briser l’anonymat
au moment d’amorcer le vol en simulant
Elle ouvre le rideau de son apparence
pour exhiber quelque chose qu’elle ne peut pas voir
« la scène originale »
Maternité dans la Caisse Noire de notre dame
la Grande Mère Phallique
les pleurs du bébé dans l’éclat languissant des yeux démasqués
qui pleurent, illuminés, et qui, aveuglément, nous regardent
en se voyant, sans le savoir, dans nos yeux.
quartier gothique
des oies dans le cloître
hôpital de barcelone
la barque des convalescents
les anges ne pleurent pas
œil de barcelone
pièce à pièce
de la même chose
vers une salle de tortures improvisée
dont l’entrée n’est pas interdite aux enfants.
tandis qu’un bœuf grimpe l’escalier de la tour du Château
Le singe organiste et l’organiste qui danse au son de l’orgue
sous le regard impérieux du singe
la fidèle colombe mariée au vautour
Le Christ à la Morgue
Le juge, au moment de condamner la victime,
fait honneur à la justice, laquelle, les yeux couverts,
et forcée par la loi, signe la sentence
Le miroir qui reflète ce que son propriétaire veut
Le miroir sans propriétaire qui reflète ce qu’il peut
en abandonnant d’un coup son obéissance spéculaire
dégoûté du spectacle
Le Christ à la Morgue, victime de la substitution de son corps
Les cadavres qui perdent leur droit d’identité
devant les réincarnations frauduleuses qui circulent dans le
monde des affaires, dans la ville
vivement rongée par la chaux dans le puits
Le soleil noir du prochain printemps
qui arrive chargé de fruits décomposés
Le loup qui dort près de la bergerie
Ce ne sont pas des figures mais des choses qui se produisent
au sein d’un monde défiguré
quand la réalité n’est qu’un miroir de foire.
les disciples d’emmaüs
alice au pays des cauchemars
migrateurs
la dispute
hommage à maria rosa lida de malkiel
quelqu’un tire pendant la nuit
ENRIQUE LIHN est né à Santiago du Chili le septembre et y est
décédé le juillet . Il publie son premier livre de poésies en
mais le livre qui le fera réellement connaître s’intitule La Pieza oscura
(), seul recueil publié en français, en , aux éditions Pierre
Jean Oswald, accompagné d’illustrations de l’artiste chilien Roberto
Matta. Tout au long de sa carrière de poète et de critique, il sera invité
par diverses universités tant européennes que nord-américaines pour
des cycles de conférences et séjournera longuement en France, en
Espagne et aux États-Unis, notamment, fuyant ainsi la dictature de
Pinochet. Il a écrit et monté plusieurs pièces de théâtre et réalisé de
nombreuses performances et vidéos à partir de son travail littéraire et
poétique. Son œuvre de poète, de dramaturge et de critique compte
près de quarante titres.
table
Condamné à l’exil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pâques à New York . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’art et la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Woman bathing in a shallow tub . . . . . . . . . . . . . . .
L’aube . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Kandinsky . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Olana . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
My little dream child . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’aveugle dans le métro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le point aveugle de l’œil . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dans la bouche des jeunes, le rire abonde . . . . . . . . . . .
La plus belle guitariste du monde . . . . . . . . . . . . . . .
Goddard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour A . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les boîtes de Joseph Cornell . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Traversant Manhattan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une carte postale d’Inde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
À Manhattan, je me sépare de Claudia . . . . . . . . . . . . .
Longue distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Assaillant nocturne (Naples, ) . . . . . . . . . . . . . . .
L’Éphémère Vulgate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quartier Gothique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des oies dans le cloître . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Hôpital de Barcelone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La barque des convalescents . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les anges ne pleurent pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Œil de Barcelone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pièce à pièce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De la même chose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les disciples d’Emmaüs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Alice au pays des cauchemars . . . . . . . . . . . . . . . . .
Migrateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La dispute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Hommage à Maria Rosa Lida de Malkiel . . . . . . . . . . . .
Quelqu’un tire pendant la nuit . . . . . . . . . . . . . . . .
Notice biographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer
sur les presses de l’imprimerie Snel Grafics
à Vottem (Belgique) en janvier
pour le compte des éditions de La Lettre volée.
Ce ne sont pas des figures mais des choses
qui se produisent
au sein d’un monde défiguré
quand la réalité n’est qu’un miroir de foire.
ENRIQUE LIHN
,!7IC8H3-bhdbfj!